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Renforcement du leadership féminin : 20 femmes formées dans le cadre du projet "Chanjman Bèl, Nap Fèl" Port-au-Prince, 17 mai 2025-Du 12 au 16 mai 2025, l'organisation (…)

Renforcement du leadership féminin : 20 femmes formées dans le cadre du projet "Chanjman Bèl, Nap Fèl"

Port-au-Prince, 17 mai 2025-Du 12 au 16 mai 2025, l'organisation Refuge des Femmes d'Haïti (Ref-Haïti) a tenu une formation intensive à Port-au-Prince, dans les locaux de Housing Works Haiti, à destination de vingt femmes issues de milieux divers. Cette initiative s'inscrit dans le cadre du projet "Chanjman Bèl, Nap Fèl", appuyé par l'Organisation des États Américains (OEA) et l'Ambassade du Canada en Haïti.

L'objectif de cette formation était clair : renforcer les capacités de leadership féminin en mettant l'accent sur des enjeux majeurs tels que les violences basées sur le genre (VBG), les droits en santé sexuelle et reproductive (DSSR), la prévention du VIH, mais également l'éducation civique, le marketing social et l'entrepreneuriat féminin.

Les participantes ont bénéficié d'un cadre interactif favorisant la participation active, les échanges d'expériences, la réflexion critique et la mise en réseau. Pour les organisateurs, cette dynamique constitue une étape cruciale vers l'autonomisation des femmes à l'échelle communautaire.

Avec ce projet, Ref-Haïti et ses partenaires entendent non seulement renforcer les compétences individuelles des participantes, mais aussi favoriser l'émergence de nouvelles voix féminines engagées dans les dynamiques sociales, économiques et politiques du pays.

À travers "Chanjman Bèl, Nap Fèl", c'est une vision inclusive du changement qui prend forme : celle d'une Haïti où les femmes ne sont pas seulement bénéficiaires, mais véritables actrices du progrès.

Smith PRINVIL

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À Malen, des femmes qui luttent pour les terres et les moyens de subsistance

Dans lachefferie de Malen , au sud de la Sierra Leone, le palmier à huile est plus qu'une simple culture commerciale. Depuis des générations, les femmes de cette région (…)

Dans lachefferie de Malen , au sud de la Sierra Leone, le palmier à huile est plus qu'une simple culture commerciale. Depuis des générations, les femmes de cette région dépendent de cette ressource pour se nourrir, générer des revenus et avoir une stabilité économique. Cependant, l'arrivée des plantations industrielles de palmiers à huile a bouleversé leurs moyens de subsistance traditionnels, car des multinationales comme SOCFIN Agricultural Company (SAC) accaparent les terres, souvent sans le consentement des communautés locales.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/04/larticulation-des-femmes-decvc-envoie-une-lettre-ouverte-a-hansen-sur-la-position-des-femmes-dans-la-vision-pour-lagriculture-et-lalimentation-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup

Depuis 2011, la SAC, une filiale de la multinationale SOCFIN basée au Luxembourg, a acquis plus de 18 000 hectares de terres pour la production industrielle d'huile de palme dans la chefferie de Malen. Il s'en est suivi un conflit foncier acharné entre l'entreprise, les autorités locales et les communautés, qui s'est intensifié, donnant lieu à des violences, des déplacements forcés et une lutte incessante pour la justice. Au cœur de la tourmente, les femmes de la chefferie de Malen se sont organisées et luttent pour protéger leurs terres et leur mode de vie.

Jeneba Samuel : une histoire de résilience

Jeneba Samuel, veuve et agricultrice de la section Panina dans la chefferie de Malen, incarne la résilience de sa communauté. Pendant des années, elle a cultivé du riz et des palmiers à huile sur des terres héritées de feu son père, faisant vivre sa famille grâce à l'agriculture. Cependant, en 2011, sa vie a basculé lorsque le chef suprême et d'autres dirigeant·es communautaires ont vendu les terres familiales à la SAC sans son consentement.

« Ils ont pris nos terres sans nous demander notre avis », se souvient Jeneba. « Quand j'ai essayé de me battre pour les récupérer, j'ai été battue et agressée sexuellement par cinq hommes. Cela a été une expérience douloureuse, et ça l'est encore aujourd'hui. »

Jeneba a porté son affaire devant la police et la Commission nationale des droits humains, mais aucune mesure n'a été prise. En quête de soutien, elle a rejoint l'Association des propriétaires et usagers de terres de Malen (MALOA), une association créée en 2011 pour lutter contre les accaparements de terres dans la chefferie. Malgré leurs efforts, Jeneba et les autres femmes concernées n'ont pas pu récupérer leurs terres.

« Je n'ai plus rien », dit-elle. « Pas de terre à cultiver, aucune indemnité reçue de l'entreprise, aucun emploi pour ma famille ou moi-même. Nous luttons pour survivre. »

L'histoire de Jeneba est révélatrice d'un problème plus large dans la chefferie de Malen. Les femmes qui dépendaient autrefois du palmier à huile et de leurs autres cultures pour nourrir leurs familles et générer des revenus sont aujourd'hui confrontées au déplacement forcé et à la précarité économique. Les plantations de la SAC n'ont pas seulement pris leurs terres, elles ont également perturbé le tissu social et économique de la communauté.

« Les dirigeants partagent les bénéfices avec ceux qu'ils connaissent », explique Jeneba. « Les autres comme nous se retrouvent sans rien. »

Unrapport publié en 2017 par FIANBelgique fait écho aux affirmations de Jeneba. Il a révélé de graves allégations de corruption et un manque de transparence dans les opérations de SOCFIN. Les fonds destinés au paiement des loyers fonciers ont été détournés au profit des élites locales, sans qu'aucun compte ne soit rendu. Le rapport a également mis en évidence un fossé entre les promesses de SOCFIN en matière de responsabilité sociale des entreprises et la réalité. Entre 2011 et 2017, la société a annoncé qu'elle consacrerait 16,4 millions d'euros à des projets communautaires, notamment des écoles, des hôpitaux et des routes. Cependant, seuls 2,5 millions d'euros ont été effectivement déboursés.

Les femmes à la tête de la résistance

Malgré les adversités, les femmes de Malen ont fait preuve d'un courage et d'une détermination immenses. Le 21 septembre 2017, environ 150 à 200 femmes ont été bloquées par la police alors qu'elles se rendaient à Pujehun pour exiger que des mesures soient prises contre SOCFIN suites aux accaparements de terres et violations des droits humains. Les femmes, qui brandissaient des banderoles et des pancartes dénonçant les injustices, l'accaparement des terres et les arrestations généralisées, ont refusé de reculer.

« Nous avons tenu bon », raconte une participante. « Nous avons dit aux journalistes qui arrivaient sur les lieux que la paix était la voie à suivre, mais nous avons aussi clairement fait savoir que nous ne serions pas réduites au silence. »

Après plusieurs heures de confrontation, la plupart des femmes sont rentrées chez elles à contrecœur, mais six d'entre elles ont poursuivi la route jusqu'à Pujehun pour assister à une réunion de district des principales parties prenantes, qu'elles ont décrite comme une petite mais importante victoire.

Le conflit a atteint un point culminant tragique le 21 janvier 2019, lorsqu'un accrochage entre des membres de la communauté et la police et l'armée qui protégeaient les biens de la SOCFIN a tourné au drame. Deux personnes ont été tuées par balle. Dans les heures qui ont suivi, des descentes de police et de l'armée ont été menées dans les villages environnants. Des habitant·es ont été battu·es, des maisons vandalisées et des biens pillés. Des centaines de personnes ont fui leur domicile et 15 personnes ont été arrêtées, s'ajoutant ainsi à une longue liste de détentions arbitraires ciblant les militant·es de MALOA.

Dans ce contexte, une coalition d'organisations de la société civile sierra-léonaise et internationale a appelé à une action urgente.

Un appel à la solidarité et à l'action

L'appel de Jeneba est à la fois un appel à la résilience et à l'espoir. Elle exhorte ses camarades à rester fortes et à continuer à se battre pour leurs droits. « Nous ne devons pas abandonner », dit-elle. « L'avenir de nos enfants en dépend. »

Mais la lutte à Malen ne se limite pas à la terre : il s'agit de garantir un avenir durable à la communauté. Des femmes comme Jeneba Samuel sont en première ligne de cet effort et leur résilience témoigne de la force de celles qui refusent d'être réduites au silence.
Télécharger le livret ici

[1] Un Ejido est un terme utilisé au Mexique pour désigner une zone de terres communales utilisées pour l'agriculture dans laquelle les membres de la communauté ont des droits d'usufruit plutôt que des droits de propriété sur la terre – voir la fiche Ejido sur Wikipedia.

https://grain.org/fr/article/7263-la-voix-des-femmes-semons-la-resistance-a-l-agriculture-industrielle

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La baisse des financements humanitaires menace les droits des femmes 

La moitié des organisations dirigées par des femmes ou œuvrant pour les droits des femmes dans les zones de crise humanitaire pourraient cesser leurs activités d'ici six mois, (…)

La moitié des organisations dirigées par des femmes ou œuvrant pour les droits des femmes dans les zones de crise humanitaire pourraient cesser leurs activités d'ici six mois, faute de financement. Un scénario alarmant, qui priverait des millions de femmes et de familles de services essentiels, avertit un nouveau rapport mondial d'ONU Femmes publié mardi.

Tiré de Entre les lignes et lesm ots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/23/la-baisse-des-financements-humanitaires-menace-les-droits-des-femmes/

Selon l'enquête menée par ONU Femmes, 90% des 411 organisations de femmes actives dans 44 pays touchés par des crises ont déclaré souffrir de la baisse de l'aide étrangère.

« La situation est critique. Les femmes et les filles ne peuvent tout simplement pas se permettre de perdre les bouées de sauvetage que constituent les organisations de femmes », explique Sofia Calltorp, responsable de l'action humanitaire chez ONU Femmes, signalant que « malgré leur rôle essentiel » les organisations de femmes étaient déjà gravement sous-financées avant même la récente vague de réductions budgétaires.

Un impératif stratégique

À l'échelle mondiale, 308 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire dans 73 pays, un chiffre qui ne cesse d'augmenter avec l'escalade des conflits, le changement climatique, l'insécurité alimentaire et les épidémies.

Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par la crise. Outre les morts évitables liées à la grossesse, elles souffrent de malnutrition et de taux élevés de violence sexuelle.

Malgré l'augmentation de ses besoins, le système humanitaire est confronté à une grave crise de financement et les coupes budgétaires menacent des services essentiels, vitaux pour les femmes et les filles.

Suspension de programmes

La réduction drastique du financement pousse de nombreuses organisations à un point de rupture, signale le rapport intitulé At a Breaking Point : The Impact of Foreign Aid Cuts on Women's Organizations in Humanitarian Crises Worldwide (À un point de rupture : l'impact des coupes budgétaires sur les organisations de femmes dans les crises humanitaires mondiales).

Si près de la moitié d'entre elles s'attendent à fermer dans les six mois si les niveaux de financement actuels se maintiennent, plus de 60% ont déjà réduit leurs interventions, perturbant l'apport d'un soutien vital allant des soins de santé d'urgence et des services de lutte contre la violence fondée sur le genre, à l'aide économique et aux solutions d'hébergement.

Près des trois quarts déclarent avoir été contraintes de licencier du personnel, souvent de manière significative.

Pression intense

En 2024, seuls 7% des 44,79 milliards de nécessaires pour répondre à l'escalade des conflits et aux catastrophes ont été atteints. Alors que les principaux pays donateurs ont annoncé des réductions importantes de leur aide étrangère.

Si le système humanitaire dans son ensemble est contraint de réduire la voilure, les organisations locales et nationales dirigées par des femmes sont parmi les plus durement touchées, alors qu'elles jouent un rôle de premier plan dans la distribution de l'aide et l'accès aux communautés marginalisées.

DuMyanmar à laPalestine, en passant par le Soudanet l'Afghanistan, ces organisations de femmes fournissent des services vitaux et jouent un rôle essentiel dans l'action humanitaire.

Les données montrent que les programmes humanitaires tenant compte de la dimension de genre génèrent un retour sur investissement de 8 dollars pour chaque dollar investi.

Néanmoins, en 2024, seulement 1,3% des fonds humanitaires étaient consacrés à la lutte contre la violence fondée sur le genre.

Plus que des prestataires de service
ONU Femmes souligne que les organisations de femmes ne sont pas seulement des prestataires de services, ce sont des cheffes de file et des défenseures fiables qui atteignent les communautés défavorisées grâce à un soutien adapté à leur culture.

Elles fournissent des espaces sûrs, des services psychosociaux et une assistance juridique aux survivantes de la violence fondée sur le genre.

Elles veillent à ce que la voix des femmes soit prise en compte dans la planification humanitaire et les décisions politiques.

Elles renforcent la résilience à long terme en autonomisant les femmes sur le plan économique et social.

Lorsque ces organisations sont sous-financées ou contraintes de fermer, c'est l'ensemble de l'action humanitaire qui perd en efficacité, en inclusivité et en responsabilité à l'égard des personnes qui en ont le plus besoin.

Face aux défis croissants, ces organisations restent inébranlables. Elles montrent courageusement la voie, défendent leurs communautés et reconstruisent des vies avec résilience et détermination, selon ONU Femmes.

L'agence onusienne affirme se tenir aux côtés des organisations de femmes du monde entier et se fait l'écho de leur appel urgent à un financement durable.

https://news.un.org/fr/story/2025/05/1155506

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Géorgie. Les manifestantes de plus en plus ciblées par des violences et des représailles liées au genre

27 mai, par Amnistie internationale — , ,
En Géorgie, la police a de plus en plus souvent recours à des violences liées au genre, telles que des insultes sexistes, des menaces de violence sexuelle et des fouilles au (…)

En Géorgie, la police a de plus en plus souvent recours à des violences liées au genre, telles que des insultes sexistes, des menaces de violence sexuelle et des fouilles au corps illégales et dégradantes, contre les femmes qui participent à des manifestations, dans un contexte de campagne plus générale visant à intimider et punir les manifestant·e·s pacifiques, indique Amnesty International dans unenouvelle synthèserendue publique vendredi 23 mai.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/05/25/georgie-les-manifestantes-de-plus-en-plus-ciblees-par-des-violences-et-des-represailles-liees-au-genre/

Les scènes de brutalité policière et de violentes agressions physiques par des personnes non identifiées contre des manifestant·e·s pacifiques se sont multipliées de façon inquiétante depuis le début d'un puissant mouvement de protestation pro-européen et anti-gouvernemental qui a éclaté dans le pays l'an dernier. Défiant la répression des autorités, les manifestantes sont devenues des symboles de courage – mais aussi les cibles des humiliations et des violences physiques et psychologiques infligées par des membres des forces de l'ordre et leurs assistants non identifiés.

« Les autorités ont peut-être espéré qu'en ciblant les femmes avec des menaces de violence sexuelle, des descentes à leur domicile, des fouilles au corps illégales et des détentions arbitraires, elles écraseraient l'esprit de résistance, dissuaderaient les manifestant·e·s de se rassembler à nouveau et les réduiraient au silence. Cependant, les femmes de Géorgie se sont révoltées encore plus vigoureusement, en dénonçant ces violences, en demandant justice et en affichant leur résistance et leur défiance face à la répression », a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint pour l'Europe de l'Est et l'Asie centrale à Amnesty International.

Une violence d'État et des fouilles au corps déshumanisantes

Au cours des derniers mois, Amnesty International a recueilli de nombreux témoignages de manifestant·e·s ayant subi des insultes sexistes et des menaces de violence sexuelle, ainsi que des fouilles au corps humiliantes. Ce traitement semble cibler de plus en plus les femmes, qui en sont les principales victimes. Ces violences sont non seulement contraires au droit géorgien, qui interdit le déshabillage complet lors des fouilles, mais également au droit international relatif aux droits humains et aux normes connexes visant à préserver la dignité humaine et à protéger les personnes des violences fondées sur le genre.

Elene Khoshtaria, une dirigeante de l'opposition, a raconté avoir été maîtrisée avec brutalité par des policières, déshabillée et forcée à s'allonger nue par terre lors de son arrestation le 28 mars 2025. Malgré ses problèmes de santé, les agentes ont refusé de la laisser accéder à des médicaments et à des toilettes après qu'elle a eu une crise d'hypertension et a été prise de vomissements.

Kristina Botkoveli, cofondatrice d'un groupe Facebook de protestation, a été forcée à se déshabiller entièrement devant sa mère âgée, en plus de subir des menaces lors d'une descente de police à son domicile le 1er février 2025. Elle a fait une crise d'angoisse qui a nécessité une prise en charge médicale urgente.

La militante Nino Makharadze a été arrêtée lors d'une manifestation pacifique le 13 janvier 2025 et soumise à une fouille corporelle invasive dans un centre de détention provisoire. Elle n'a pas été autorisée à informer ses proches du lieu où elle se trouvait et n'a pu contacter son avocat qu'après cette fouille au corps. Le 5 mai, elle a signalé avoir été prise dans une embuscade avec deux amies alors qu'elles rentraient d'une manifestation. Un agresseur non identifié les a aspergées de gaz poivre et de peinture verte en les insultant. Les trois femmes ont subi des blessures, notamment des brûlures chimiques qui ont nécessité une hospitalisation.

Des violences verbales et des intimidations sexistes

Les insultes sexistes et les menaces de violence sexuelle contre des manifestant·e·s pacifiques constituent une autre tactique communément employée par les forces de l'ordre pour intimider et harceler. Lors de la manifestation du 2 février 2025 près d'un centre de commercial à Tbilissi, une personne représentant Amnesty International a vu des policiers traiter des manifestantes de « putes » et les menacer ainsi que leurs familles. Plusieurs femmes ont également déclaré avoir été menacées de viol par des fonctionnaires masqués.

Après son arrestation au cours d'une manifestation le 19 novembre 2024, Natia Dzidziguri a été forcée à s'agenouiller dans un fourgon de police, entourée d'hommes tandis que des policiers lui jetaient des insultes sexistes et faisaient des gestes à caractère sexuel.

Mzia Amaghlobeli, journaliste de renom, a été arrêtée à deux reprises le 11 janvier 2025 lors de manifestations pacifiques. À chaque fois, elle a subi des insultes sexistes de la part de policiers, et le chef de la police de Batumi lui aurait craché dessus et l'aurait menacée de violence. Les autorités ont utilisé la vidéo dans laquelle Mzia Amaghlobeli gifle ce dernier, à la suite de leur altercation, pour la poursuivre. Elles n'ont en revanche pas tenu compte de la vidéo où le chef de la police la couvre d'insultes sexistes et d'autres propos violents.Mzia Amaghlobeli a été placée en détention à l'issue d'une audience expéditive lors de laquelle elle a subi une injustice supplémentaire quand le juge a refusé d'examiner le moindre élément présenté par la défense. Jusqu'à présent, les autorités n'ont pas enquêté sur les policiers accusés de mauvais traitements et d'insultes contre elle ou d'autres manifestant·e·s. Aucun agent ayant fait l'objet de graves allégations, de la part de Mzia Amaghlobeli ou d'autres personnes, n'a été suspendu de ses fonctions pendant l'enquête.

Des violations systématiques, et non des cas isolés

Les cas signalés ne sont pas isolés et semblent relever d'une pratique plus large des violences et de l'impunité au sein des organes chargés de l'application des lois en Géorgie. Les humiliations, les propos sexistes et les violences physiques visant des manifestantes dans le pays s'inscrivent dans une politique généralisée d'intimidation des personnes qui participent aux manifestations actuelles. Selon des défenseur·e·s des droits humains vivant sur place, de nombreuses victimes de traitements humiliants de la part de policiers, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, se taisent par crainte ou par honte.

Ces agissements, qui peuvent constituer des formes de torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, sont non seulement contraires à la Constitution et à la législation de la Géorgie, mais aussi à ses obligations découlant du droit international, notamment de la Convention des Nations unies contre la torture, et des normes connexes.

« Des fouilles au corps illégales, invasives et dégradantes semblent être utilisées en Géorgie pour humilier et intimider les manifestant·e·s, en particulier les femmes. Il s'agit d'une violation manifeste du droit national et international. Les autorités géorgiennes doivent immédiatement mettre fin à toute forme de représailles fondées sur le genre et à tout recours illégal à la force par les responsables de l'application des lois, enquêter sur toutes les allégations de violence pendant les manifestations et veiller au respect de l'obligation de rendre des comptes à tous les niveaux », a déclaré Denis Krivosheev.

https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2025/05/georgia-women-protesters-are-targeted-with-escalating-violence-and-gender-based-reprisals/

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Iran – le mouvement « Femme, Vie, Liberté » continue !

Entrevue réalisée par Tina Mostel, correspondante en stage, avec Mina Fahkavar, doctorante d'origine iranienne. Tiré du Journal des ALternatives (…)

Entrevue réalisée par Tina Mostel, correspondante en stage, avec Mina Fahkavar, doctorante d'origine iranienne.

Tiré du Journal des ALternatives
https://alter.quebec/iran-le-mouvement-femme-vie-liberte-continue/?utm_source=Cyberimpact&utm_medium=email&utm_campaign=JdA-PA-2025-05-22
Par Tina Mostel -19 mai 2025

Photo Manifestation en Iran, 6 Mars 2025 / via Wikimédia

Depuis 1979, la République islamique d'Iran impose le port obligatoire du hijab, fondé sur la charia. Les années 1980 renforcent cette politique : ségrégation hommes-femmes dans l'espace public, licenciements massifs de femmes dans la fonction publique, et durcissement du code vestimentaire. En 2022, le slogan « Femme, Vie, Liberté » devient l'emblème de la résistance. Le décès de Jina Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée pour un voile jugé mal porté, déclenche une vague de protestations internationales. Elle incarne une lutte collective, bien qu'elle ne soit pas un cas isolé.

Le président Massoud Pezeshkian, élu en juillet 2024, promet des réformes en faveur des femmes, suscitant une attente prudente. Madame Mina Fahkavar, doctorante vivant au Canada, née à Téhéran et formée en France, consacre sa thèse à la condition féminine en Iran. Son expérience personnelle offre un éclairage essentiel sur cette lutte pour les droits et les libertés.

Tina Mostel – D'après vous, aujourd'hui, est-ce que la situation politique du pays joue un rôle dans l'accentuation des répressions envers les femmes ?

Mina Fahkavar – Absolument. En réalité, la situation politique actuelle en Iran joue un rôle majeur dans l'accentuation des répressions envers les femmes, devenues la cible principale et prioritaire d'un système politique aux abois, un régime fragilisé qui cherche désespérément à restaurer son autorité en reprenant le contrôle des corps féminins, là où il l'a le plus spectaculairement perdu.

Depuis la révolte historique de 2022, portée par le slogan subversif « Femme, Vie, Liberté », les femmes iraniennes n'ont cessé de défier l'ordre patriarcal d'État.

En réponse, le gouvernement iranien a enclenché une politique de revanche autoritaire, que l'on pourrait qualifier de contre-insurrection patriarcale, où le corps des femmes est à nouveau érigé en champ de bataille. Le projet « Noor », présenté cyniquement comme un projet de moralisation et de sécurité à partir du mois d'avril 2024, constitue en réalité un projet de surveillance numérique généralisée et de contrôle algorithmique des femmes dans l'espace public.

Mais cette répression d'État s'accompagne d'un phénomène parallèle tout aussi alarmant : l'augmentation vertigineuse des féminicides. En 2024, selon les données du Center for Human Rights in Iran, l'Iran a triplé le nombre d'exécutions de femmes par rapport à la moyenne des deux décennies précédentes. La situation est si alarmante qu'on peut désormais parler d'un féminicide judiciaire d'État. Des femmes sont condamnées à mort dans des procès iniques, souvent fondés sur des aveux extorqués sous la torture, sans défense adéquate ni respect des normes internationales de justice.

TM – Dans un second temps, le président Massoud Pezeshkian, élu en juillet 2024, avait fait des promesses à son peuple avant son élection. Quelles répercussions les actions qu'il a mises en place depuis ont-elles eues sur la situation des femmes ?

MF – Le système politique iranien est théocratique, vertical, patriarcal et profondément autoritaire.

Dès lors, les promesses de Massoud Pezeshkian, qui, durant sa campagne, avait déclaré vouloir « apaiser les tensions sociales » et « réduire les discriminations », n'étaient que des manœuvres discursives visant à recréer une illusion de réforme sans toucher à l'architecture du pouvoir.

Plus encore, le régime, avec Pezeshkian comme façade modérée, tente aujourd'hui de rétablir des canaux de négociation diplomatique avec les États-Unis, les mêmes qu'il a qualifiés de « Grand Satan » pendant des décennies. Cette inflexion stratégique est perçue comme une trahison idéologique, et elle affaiblit encore davantage la légitimité du pouvoir aux yeux de la population.

TM – Enfin, comment se dessine l'avenir du combat des femmes iraniennes ? Quelles seraient les actions à mener localement et à l'international pour envisager une amélioration de leur situation actuelle ?

MF – L'avenir du combat des femmes iraniennes n'est pas une question spéculative : il s'inscrit déjà dans le présent. Il s'écrit, chaque jour, dans l'acte de marcher tête nue dans une rue de Téhéran, de danser dans une voiture, de parler à visage découvert sur les réseaux sociaux. Ce sont des gestes simples, mais extraordinairement politiques.

Elles désobéissent. Et ce refus massif, quotidien, est devenu le front principal de la contestation contre le régime. Il faut comprendre que la République islamique n'a jamais été aussi proche de l'effondrement symbolique que depuis que les femmes iraniennes ont cessé d'avoir peur.

Mais l'histoire iranienne, et plus largement celle de la région, est traversée par l'imprévisible : rapports de force géopolitiques, ingérences, récupérations. Rien ne garantit que la chute du régime mène à une société plus juste. C'est pourquoi il est crucial de renforcer les actions à plusieurs niveaux : localement, transnationalement, juridiquement, politiquement.

Au niveau local :

• Continuer à créer des espaces de désobéissance collective et de soutien mutuel (cafés, salons, cercles de lecture, réseaux numériques féministes).

• Développer une éducation critique, mais aussi diffuser du courage, des outils de résistance et des stratégies de désobéissance sur les réseaux sociaux, notamment auprès des jeunes filles, des femmes des provinces, et des minorités ethniques et religieuses.

C'est précisément grâce à ces actes de parole courageux que des organisations comme Amnesty International ou la mission d'enquête de l'ONU ont pu établir des rapports détaillés sur l'ampleur systémique des violences sexuelles et genrées utilisées par le régime contre les militantes, les dissidentes, les manifestantes.

Témoigner, c'est résister à l'effacement. C'est refuser l'impunité.

À l'international :

• Reconnaître le régime iranien comme un régime d'apartheid de genre, selon les normes du droit international.

• Rompre avec la complaisance diplomatique : arrêter de considérer les violations des droits des femmes comme des « affaires internes », ou comme des expressions culturelles qu'il faudrait tolérer au nom du relativisme.

• Soutenir les exilées, les chercheuses, les artistes, les journalistes iraniennes qui continuent le combat depuis l'extérieur, souvent dans l'isolement et la précarité.

• Exiger que les technologies de surveillance ne soient plus exportées vers des régimes autoritaires, et que les entreprises complices soient poursuivies.

Ce combat est à la fois profondément iranien et universel. Il s'enracine dans l'histoire de l'Iran, dans ses douleurs, ses révoltes, ses espoirs trahis, mais il parle à toutes les femmes qui vivent sous des régimes de contrôle patriarcal. C'est pourquoi la solidarité féministe transnationale ne doit pas être un slogan : elle doit devenir une stratégie.

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« La crise de l’hégémonie libérale est la raison pour laquelle tant de gens se tournent vers l’extrême droite. »

27 mai, par Ilya Budraitskis, Philipp Schmid — , ,
Dans cette interview, Ilya Budraitskis, politologue et militant russe en exil, explique les causes de la montée de l'extrême droite, les objectifs poursuivis par les nouveaux (…)

Dans cette interview, Ilya Budraitskis, politologue et militant russe en exil, explique les causes de la montée de l'extrême droite, les objectifs poursuivis par les nouveaux fascistes et les leçons que la gauche radicale devrait tirer du 20e siècle dans la lutte contre le fascisme. Enfin, il formule des suggestions sur les pistes à explorer aujourd'hui pour une politique antifasciste. Entretien avec Ilya Budraitskis ; par Philipp Schmid (BFS Zurich)

À18 mai 2025 | tiré du site d'inprecor.fr
https://inprecor.fr/node/4748

L'évolution politique en Europe est extrêmement préoccupante. Le parti fasciste Alternative pour l'Allemagne (AfD) a obtenu 20,8 % des voix aux élections fédérales de 2025. Lors des manifestations en Allemagne, les gens disent qu'il n'est pas minuit moins cinq, mais 17h33. Cette panique est-elle justifiée ?

Oui, je pense que ces craintes sont justifiées. Nous pouvons observer comment l'influence des différents partis d'extrême droite en Europe, aux États-Unis, en Amérique latine, etc. ne cesse de croître. Bien sûr, cette tendance mondiale se manifeste différemment selon les contextes nationaux, mais le danger est réel. En effet, elle est liée à la volonté de certaines fractions des élites de changer radicalement les configurations politiques du pouvoir bourgeois et d'instaurer un régime politique différent. Cela s'est déjà produit en Russie et le processus est en cours aux États-Unis. En Europe occidentale, l'extrême droite a remporté des succès électoraux majeurs, mais la transformation du pouvoir politique ne s'est pas encore concrétisée. Compte tenu de sa force croissante, cela reste toutefois un scénario possible pour l'avenir.

Quel ordre politique visent-ils ?

C'est aux États-Unis que cela se voit le mieux. Avec Trump, l'extrême droite est de retour au pouvoir. Elle contrôle les rouages les plus importants de l'appareil d'État, tels que le Sénat, la Chambre des représentants et la Cour suprême. Et maintenant, elle tente de restructurer le système politique par le haut pour le faire évoluer vers un régime autoritaire. Celui-ci doit être organisé comme une entreprise capitaliste. C'est l'objectif de Trump et de Musk. Cela implique la suppression de la démocratie libérale et son remplacement par une sorte de monarchie moderne. Ils aspirent à un régime dans lequel l'autorité ne repose pas sur la légitimité démocratique, mais sur le principe du pouvoir personnalisé et d'un dirigeant autoritaire.

Quel est le programme idéologique de l'extrême droite, outre la restructuration autoritaire de la société ?

Le cœur de leur programme idéologique est que la démocratie libérale est arrivée à son terme. Elle serait factice et ne serait qu'un gouvernement fantoche derrière lequel se cacherait une élite mondiale secrète, guidée par de faux principes tels que le droit international et la tolérance. L'extrême droite critique la morale et les valeurs supposées de l'élite libérale parce qu'elles protègeraient les faibles et non les forts.

Selon l'extrême droite, le seul principe de la politique internationale devrait être la loi du plus fort. C'est la manière « naturelle » de gouverner la société. C'est la logique qui sous-tend la manière dont Trump et Poutine gouvernent. On le voit dans l'exemple de la critique de Poutine à l'égard du soutien à l'Ukraine : dans son esprit, les petites nations qui ne peuvent pas se défendre n'ont pas le droit d'exister. Et donc, leur souveraineté, c'est-à-dire leur existence en tant que pays indépendants, est artificielle aux yeux de l'extrême droite.

Comment expliquez-vous la montée des forces d'extrême droite et fascistes en Europe au cours des dix dernières années ?

Il y a de nombreuses raisons qui expliquent le succès électoral croissant des partis d'extrême droite en Europe. L'une des plus importantes est la transformation des sociétés européennes à la suite des réformes néolibérales de ces dernières décennies. L'atomisation sociale progressive des populations, le démantèlement des syndicats et d'autres formes d'auto-organisation des travailleurs vont de pair avec le déclin des traditions démocratiques, qui doivent être comprises non seulement comme un système d'institutions libérales, mais aussi comme la capacité de la société à se défendre collectivement et de manière organisée.

C'est là le fondement matériel de la crise idéologique des élites libérales, car les citoyens sont de plus en plus désabusés par la démocratie libérale bourgeoise et ses institutions. Ils se sentent non représentés et non entendus. L'extrême droite exploite habilement ces sentiments largement répandus.

L'analyse marxiste classique du fascisme a toujours considéré le fascisme comme une réaction à la crise du capitalisme et comme la réponse de la bourgeoisie au renforcement du mouvement ouvrier. Cette analyse est-elle toujours valable ?

Malgré les différences historiques, il existe certainement des similitudes entre les années 1920/1930 et la situation actuelle. La crise des institutions politiques de la République de Weimar, la Grande Dépression à partir de 1929 et les bouleversements sociaux considérables qui l'ont accompagnée ont constitué le terreau fertile de la montée et de la prise du pouvoir par le fascisme allemand. Même s'il n'y avait pas de danger immédiat de révolution prolétarienne, le mouvement ouvrier allemand était l'un des plus puissants au monde. Le SPD social-démocrate et le KPD communiste étaient des partis de masse avec lesquels les fascistes se disputaient l'influence. En raison de la crise sociale générale, la population était massivement désabusée par le système de la démocratie libérale bourgeoise. Nous pouvons également observer cela dans la situation actuelle, qui se caractérise également par une crise multiple de l'ordre capitaliste. Il existe toutefois une différence fondamentale.

Laquelle ?

Dans les années 1920 et 1930, les fascistes rivalisaient avec le mouvement ouvrier pour proposer des visions alternatives à l'avenir du système capitaliste. Ils propageaient une vision d'un avenir sans conflits de classe, où la gloire nationale unirait la population. Et ils avaient l'ambition de créer un homme nouveau, lié à la société dans un esprit de solidarité nationale et une sorte de collectivisme fasciste. C'est pourquoi cette utopie fasciste réactionnaire était si attrayante pour beaucoup de gens en Europe dans les années 1920 et 1930. Et c'est pourquoi elle était en concurrence avec l'utopie socialiste et la vision socialiste d'un autre type de relations humaines. Aujourd'hui, je ne vois aucune concurrence entre des visions alternatives de l'avenir.

Mais les fascistes ne propagent-ils pas toujours une société différente, avec des frontières nationales, un peuple homogène et des genres clairement définis ?

Oui, mais le sens et la compréhension du temps sont très différents de ce qu'ils étaient il y a cent ans en Europe. À l'époque, la question d'un avenir meilleur et du progrès social était au cœur des aspirations sociales. Sous le règne du capitalisme tardif depuis les années 1980, l'idée d'avenir a disparu. Les gens sont principalement préoccupés par le présent et les interprétations du passé qui ont conduit à la situation actuelle. Nous vivons dans le présent, où un avenir alternatif est inimaginable. C'est précisément le résultat de la réorganisation néolibérale de la société. La célèbre phrase de Margaret Thatcher « il n'y a pas d'alternative » (TINA) est plus ou moins devenue le consensus social. Le programme politique de Trump le montre clairement. Il ne fait aucune proposition concrète et ne propage pas de vision claire de l'avenir. Il se contente de nier le « présent libéral » au nom d'une « vérité » qu'il définit lui-même.

Revenons à la caractérisation de la nouvelle extrême droite. Dans son livre publié en 2017, Les nouveaux visages du fascisme, le célèbre chercheur marxiste spécialiste du fascisme Enzo Traverso propose le terme « post-fascisme » pour caractériser les nouveaux fascistes. Qu'entend-il par là ?

Enzo Traverso estime que les partis post-fascistes d'aujourd'hui, contrairement à leurs modèles historiques, ne cherchent pas à rompre avec les mécanismes de la démocratie libérale bourgeoise. Au contraire, ils utilisent avec succès les mécanismes de la démocratie pour étendre leur influence. Ils veulent seulement utiliser le système pour arriver au pouvoir. L'exemple de l'Italie en est une illustration. La post-fasciste Giorgia Meloni n'a pas renversé le système politique pour le remplacer par un régime fasciste. Un tel scénario est également peu probable en cas de participation de Marine Le Pen au gouvernement français ou de l'AfD en Allemagne. Ils tenteront plutôt de changer progressivement la mentalité des sociétés et des élites. Il n'existe toujours pas de consensus dans les cercles dirigeants pour transformer le système politique en une nouvelle forme de fascisme autoritaire. Cependant, cela pourrait changer sous la pression soutenue de l'extrême droite.

Aujourd'hui déjà, les gouvernements libéraux et conservateurs adoptent les revendications de l'extrême droite. Nous devons comprendre que l'utilisation des institutions bourgeoises libérales et des élections par l'extrême droite pourrait représenter un point de transition pour tous ces mouvements sur la voie de la réalisation de leur projet politique final. Pour ces raisons, je pense que le terme « post-fascisme » est utile pour décrire les similitudes et les différences entre l'extrême droite contemporaine et les fascistes historiques.

Cette analyse peut-elle également s'appliquer à la Russie et au régime de Poutine ?

Oui, la Russie a traversé exactement ce processus et est aujourd'hui un régime ultra-autoritaire. Au cours des 25 dernières années du gouvernement Poutine, le régime russe a fondamentalement changé. Au cours de la première décennie, dans les années 2000, la Russie était plutôt un régime autoritaire, technocratique et néolibéral. La crise économique mondiale de 2007/2008 a entraîné une crise politique générale non seulement dans le monde arabe, mais aussi en Russie. Des manifestations massives contre la réélection de Poutine ont eu lieu à Moscou et dans d'autres villes russes en 2011/2012. Ces manifestations de la société civile ont été perçues comme une menace politique et idéologique et ont conduit les élites russes à croire qu'une transformation autoritaire de leur régime était nécessaire.

Quel a été l'impact de cette transformation ?

L'idée que des mouvements sociaux issus de la base puissent renverser un gouvernement constitue une menace existentielle pour les régimes autocratiques. C'est pourquoi le retour de Poutine à la présidence en 2012 s'est accompagné d'un glissement idéologique vers des valeurs dites traditionnelles et antidémocratiques. Ces éléments antidémocratiques reposaient sur l'idée que l'État russe n'était pas le résultat d'un contrat social, mais le fruit de l'histoire. La Fédération de Russie est la continuation directe de l'Empire russe et de l'Union soviétique. Cela signifie que Poutine n'a pas besoin d'être élu par le peuple, mais qu'il est conduit par le destin à diriger le pays. Poutine se considère comme le successeur direct de Pierre le Grand et de Staline. Ces idées ont finalement été inscrites dans la Constitution russe en 2020. Au fond, ces convictions sont également responsables de la réaction violente aux événements en Ukraine lors des manifestations du Maïdan en 2013/2014.

Pourquoi ?

Les Ukrainiens du Maïdan protestaient contre l'influence de la Russie et en faveur de la souveraineté nationale de l'Ukraine. Les manifestations ont non seulement été qualifiées par le régime russe de « mises en scène depuis l'extérieur », mais elles ont également été perçues comme une menace interne pour la « Russie historique ». Au cours de cette deuxième décennie du règne de Poutine, l'intervention militaire en Ukraine a commencé, avec notamment l'annexion de la Crimée. Elle s'est accompagnée d'une croissance de l'autoritarisme du régime de Poutine et de son installation à la tête du pays à vie.

Comment la population civile russe, attachée à la démocratie, a-t-elle réagi à ces développements ?

Poutine a été une nouvelle fois confronté à un mouvement de protestation démocratique croissant et au mécontentement d'une grande partie de la société russe. Il a également vu dans cette vague de protestation une combinaison de menaces externes et internes. Toutes les révolutions, y compris la révolution russe de 1917, auraient été secrètement contrôlées par les ennemis extérieurs de la Russie. L'Occident aurait empoisonné la société russe avec des idées fausses, libérales ou socialistes. La réponse de Poutine aux nouvelles manifestations a été d'envahir l'Ukraine en février 2022. Pour Poutine, la question ukrainienne n'est pas seulement une question d'intérêts géostratégiques de l'État russe sur la scène mondiale. Il n'était pas seulement préoccupé par la concurrence avec l'OTAN, mais aussi par l'existence de son propre régime. C'est pourquoi l'invasion de l'Ukraine a marqué un tournant. Poutine a utilisé la guerre pour transformer le régime en une dictature répressive.

Alors, décrivez-vous le régime de Poutine aujourd'hui comme fasciste ?

Oui, pourquoi pas ? Bien sûr, le fascisme d'aujourd'hui diffère du fascisme historique à bien des égards. En Russie, contrairement à l'Allemagne et à l'Italie, le fascisme n'a pas de modèle historique. Il existe plutôt diverses autres traditions autoritaires dont le régime de Poutine peut s'inspirer. Par exemple, Poutine utilise la tradition extrêmement conservatrice et cléricale de l'Empire russe pour justifier son autocratie. Des pratiques répressives issues du passé stalinien ont également été reprises, comme le montre le rôle des services secrets du FSB (successeur du KGB). Aujourd'hui, le FSB est l'élément le plus influent du régime russe.

Une partie de la gauche radicale occidentale ignore – ou pire, nie – le danger que représente le régime fasciste en Russie.

Exactement, et ce qui est encore plus tragique, c'est qu'elle n'est absolument pas préparée à la montée du fascisme dans ses propres pays. La montée du nouveau fascisme est un défi majeur pour la gauche. Aux États-Unis, par exemple, avant la réélection de Trump, la gauche radicale concentrait ses critiques principalement sur Biden et le Parti démocrate, oubliant le danger réel que représente le trumpisme. Aujourd'hui, elle est complètement perdue. Cela peut également se produire dans d'autres pays. L'histoire nous enseigne que la gauche n'était pas préparée à la montée du fascisme au 20esiècle. L'Internationale communiste stalinienne a trop longtemps banalisé la menace fasciste. La différence avec aujourd'hui est que la gauche radicale est beaucoup plus faible qu'il y a cent ans.

Quelles autres leçons peut-on tirer de la résistance antifasciste au 20e siècle ?

La leçon la plus importante de l'histoire est que le fascisme conduit toujours à la militarisation et à la guerre. Les antifascistes européens ne s'en sont pas rendu compte au début de la montée au pouvoir des fascistes dans les années 1920 et 1930. Aujourd'hui, cela est beaucoup plus évident et nous devons donc combiner notre propagande antimilitariste et anti-impérialiste avec une propagande antifasciste. La gauche ne doit pas se limiter à critiquer l'augmentation des dépenses militaires. Un régime comme celui de Poutine rejette toute forme de coexistence pacifique et glorifie la guerre comme moyen de diriger le pays et d'étendre son influence. C'est la logique qui sous-tend le concept de « monde multipolaire », un monde dans lequel il n'y a plus de droits ni de règles universels, mais où la nation la plus forte prévaut.

Sur quoi devrait se fonder un antifascisme du 21e siècle pour lutter plus efficacement contre le (post-)fascisme ?

Nous devons former de larges coalitions contre la montée de l'extrême droite. Cependant, celles-ci ne doivent pas invoquer la défense des institutions bourgeoises libérales. Ce n'est pas notre tâche et cela serait vain. Après tout, la crise de l'hégémonie libérale est l'une des raisons pour lesquelles tant de personnes perdent confiance dans les structures existantes et se tournent vers l'extrême droite.

À mon avis, la gauche radicale devrait poursuivre deux lignes d'attaque : Premièrement, nous devons répondre au mécontentement social, mais proposer d'autres solutions. L'extrême droite veut faire croire aux gens que l'immigration est la cause de tous leurs problèmes. Le fait que cela ne soit pas objectivement vrai est démontré par le fait que l'AfD a remporté le plus grand nombre de voix lors des élections fédérales de 2025 dans les circonscriptions où la proportion d'immigrés était la plus faible. Cela ouvre un vide politique potentiel que la gauche doit combler en mettant en évidence les véritables causes des problèmes réels des gens.

Et deuxièmement ?

Deuxièmement, nous devons nous concentrer sur la défense de la « démocratie », et non d'une « démocratie » limitée aux institutions démocratiques bourgeoises et à leur fonctionnement. Nous devons combiner la défense de la « démocratie » avec la revendication de l'égalité et de la participation, car c'est là tout le sens de son émergence aux 18e et 19e siècles : la lutte des classes populaires pour l'influence politique et la représentation. Une telle conception de gauche ou socialiste de la démocratie comme « pouvoir d'en bas » peut servir de base commune à une large coalition antifasciste qui rassemble les partis de gauche, les syndicats et les diverses formes d'auto-organisation féministe, antiraciste, écologique et de quartier. Ce sont précisément ces projets que les post-fascistes et les néo-fascistes veulent détruire, car ils contredisent leur idée d'un ordre étatique hiérarchique structuré comme une entreprise capitaliste.

Publié le 15 mai par Socialismus

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En Égypte, les Palestiniens de Gaza sous haute surveillance

Critiquée pour son absence de mobilisation en soutien aux Palestiniens de Gaza, l'Égypte du président Abdel Fattah Al-Sissi rend également la vie dure à ceux qui ont réussi à (…)

Critiquée pour son absence de mobilisation en soutien aux Palestiniens de Gaza, l'Égypte du président Abdel Fattah Al-Sissi rend également la vie dure à ceux qui ont réussi à quitter l'enclave depuis le 7 octobre 2023. Tout est fait pour les garder dans un état de précarité pour couper court à toute velléité d'installation, par un régime qui ne regarde la situation que par le prisme sécuritaire.

Tiré d'Orient XXI.

À l'est du Caire, près de l'aéroport, Roula (1) et sa famille habitent un appartement dans un compound (2) décrépit. Ils ont quitté Gaza en mars 2024, juste avant l'occupation par l'armée israélienne du corridor de Philadelphie et la fermeture du point de passage de Rafah deux mois plus tard. Ils font partie de celles et ceux qui avaient les moyens de fuir, en payant les « frais de coordination » à la compagnie égyptienne Hala (3) — c'est-à-dire plusieurs milliers de dollars. Arrivée au Caire, la famille obtient un permis de séjour d'une durée de 45 jours, non renouvelable. Ils vivent depuis sans papiers.

  1. En un an, on a dû changer trois fois de logement. Les propriétaires nous font des contrats courts. Arrivés à échéance, ils augmentent le loyer. Ils savent qu'on a du mal à trouver un logement dans notre situation, donc soit on paye soit on trouve autre chose.

On estime à un peu plus de 110 000 le nombre de Palestinien.ne.s ayant fui Gaza vers l'Égypte depuis le 7 octobre. La plupart des personnes rencontrées ne souhaitent toutefois pas y rester, comme l'assure Roula :

  1. Toutes nos économies ont servi à payer le tansiq [frais de coordination]. Si on avait pu, on serait partis vers un autre pays ensuite. Ici, on n'arrive pas à se projeter. Depuis qu'on est sortis, on n'a eu aucun moment de répit. Notre quotidien c'est toujours la guerre, mais à distance maintenant.

Des familles séparées par la guerre

Tous les membres de la famille de Roula ont pu sortir à l'exception d'un de ses neveux, âgé de 25 ans, que les autorités israéliennes ont refusé d'inscrire sur la liste de la coordination. Il ne n'est pas le seul dans ce cas. Zeinab, une autre Palestinienne de Gaza que nous avons rencontrée, s'est rendue au Caire le 4 octobre 2023 avec son mari et deux de ses enfants pour une semaine. Deux de ses filles se sont retrouvées coincées à Gaza pendant plusieurs mois avant de pouvoir sortir. Des milliers d'étudiant·e·s palestinien·ne·s inscrits dans des établissements d'enseignement supérieur égyptiens se sont également retrouvés séparés de leurs familles à Gaza, lesquelles subvenaient à leurs besoins.

Certain·e·s étudiant·e·s ont bénéficié d'aides de la part d'associations ou de partis politiques, qui ont pris le relais et payé leurs frais de scolarité, à l'instar du Parti social-démocrate ou encore du Courant de la réforme démocratique palestinien. Branche dissidente du Fatah, ce dernier est implanté au Caire depuis plusieurs années. Son leader étant proche du régime égyptien, les activités du parti sont tolérées. Déjà avant le 7 octobre 2023, celles-ci reposaient sur des actions caritatives, le financement de bourses d'études pour des étudiant·e·s palestinien·ne·s dans des universités égyptiennes, la prise en charge de frais médicaux, la distribution de colis alimentaires, etc. Depuis plusieurs mois, le Courant a intensifié ses activités, recréant un réseau de solidarité en exil.

Une présence illégale mais tolérée

Avec l'impossibilité pour les exilés gazaouis de scolariser leurs enfants à l'école ou de travailler, que ce soit dans le secteur public ou dans le privé — où la procédure pour obtenir un permis de travail est complexe et décourage souvent les employeurs —, ils deviennent tributaires des réseaux de solidarité, créés pour la plupart par des binationaux résidant en Égypte depuis des années. À titre d'exemple, certaines écoles accueillent, après les heures d'ouverture, des élèves palestinien·ne·s qui peuvent y suivre des cours gratuitement. Même la souscription à un contrat de ligne téléphonique est impossible sans statut légal. Cette organisation informelle est néanmoins tolérée par les autorités égyptiennes « tant que ce n'est pas trop institutionnel ni trop visible », selon une militante égyptienne de droits humains. Elle affirme que le ministère de l'intérieur a décidé de ne pas arrêter les Palestinien·ne·s sans papiers s'ils venaient à se faire contrôler. « Ils travaillent aussi sans problème, même si officiellement ils n'en ont pas le droit », confirme un conseiller de l'ambassadeur de Palestine en Égypte.

L'ambassade, qui a d'ailleurs été déplacée, après le 7 octobre, de Doqqi, au centre du Caire, vers une zone périphérique à l'est de la capitale, n'a pas non plus fourni l'assistance attendue par ses ressortissant·e·s. En collaboration avec le ministère de l'éducation à Ramallah, elle a simplement essayé d'assurer une continuité de l'enseignement en proposant des cours en ligne et en accueillant dans ses bureaux les épreuves du bac. Interrogé sur la question du permis de résidence, le conseiller de l'ambassadeur explique que ce dernier a essayé de négocier avec les autorités égyptiennes un permis de résidence temporaire, jusqu'à la fin de la guerre, pour les Palestinien·ne·s arrivé·e·s après le 7 octobre. En vain.

Les craintes du régime

À la fin du mois d'avril 2025, 110 Palestinien·ne·s de Gaza — personnels de l'Institut français, lauréat·e·s de bourses d'études en France, du programme pause (4) ou encore bénéficiaires du rapatriement familial — ont été évacués via le point de passage de Kerem Abou Salem. Les papiers des Palestinien·ne·s ont été contrôlés par l'armée israélienne, et la fouille assurée par des membres d'une famille de Gaza. Cette sous-traitance sécuritaire d'Israël contribue davantage à créer le chaos dans le tissu social palestinien.

Depuis Kerem Abou Salem, et en l'espace de 24 heures, les personnes évacuées ont été acheminées par bus vers Amman, la capitale de la Jordanie, et logées dans un hôtel en attendant d'embarquer pour Paris, selon un témoignage que nous avons recueilli. Malgré l'exigence de discrétion formulée par les consulats français de Jérusalem et d'Amman, en charge de l'évacuation, l'interview d'une rescapée filmée à Amman a fait le tour des réseaux sociaux (5). Les autorités françaises, accusées de prendre part au déplacement forcé des Palestinien.ne.s de Gaza ou au contraire submergées de demandes pour procéder à de nouvelles évacuations, a publié un communiqué justifiant cette opération (6).

L'évacuation récente de ces Palestinien·ne·s via Kerem Abou Salem s'explique par le maintien par les autorités égyptiennes de la fermeture du point de passage de Rafah, depuis le mois de mai 2024. Une décision renforcée par l'annonce du président étatsunien Donald Trump d'un plan consistant à vider la bande de Gaza de ses habitant·e·s. L'arrivée massive de « réfugiés » palestinien·ne·s en Égypte menacerait la stabilité du régime d'Abdel Fattah Al-Sissi, dans la mesure où des cadres influents de l'armée ainsi que la population civile y sont opposés.

La crainte du régime d'un débordement du conflit sur son territoire n'est pas nouvelle. Les évènements récents rappellent que, particulièrement depuis l'arrivée au pouvoir du président Al-Sissi, les Palestinien·ne·s de Gaza sont perçus et traités par le régime comme un enjeu pour la sécurité nationale égyptienne. La progressive sécurisation de la frontière égypto-palestinienne traduit bien ce phénomène. La privatisation croissante du point de passage de Rafah repose sur des partenariats publics-privés et a généré une industrie migratoire à travers le système de « coordination ». Les régimes de restriction dans l'espace frontalier s'étendent au Nord du Sinaï, zone militarisée, mais aussi aux Palestinien·ne·s de la diaspora en Égypte.

« Criminalisation de la solidarité »

La période post-révolutionnaire en Égypte est à ce titre révélatrice de la transformation progressive des Palestinien.ne.s en menace sécuritaire. Et les médias se font les relais de la propagande du régime. Le « lynchage médiatique » des Frères musulmans, depuis le printemps 2013, ainsi que du Hamas — que le régime associe à la confrérie — a contribué à construire les Palestinien·ne·s en général, mais surtout les Palestinien·ne·s de Gaza, en menace pour la sécurité intérieure.

Depuis le 7 octobre 2023, les blessés et malades évacués de Gaza vers l'Égypte pour y être soignés ont été transférés dans plusieurs hôpitaux, à El-Arish, Ismaïliya, Port-Saïd, ou encore au Caire, ainsi que dans des bâtiments mis à disposition par le ministère égyptien de la solidarité sociale. Ils doivent souvent payer pour leurs médicaments et traitements, alors que les autorités égyptiennes s'étaient engagées à les prendre en charge. De plus, ces hôpitaux s'apparentent à des lieux d'incarcération, très surveillés et dont ils n'ont pas le droit de sortir.

De même, quelque 130 prisonniers politiques palestiniens, la plupart du Hamas et du Djihad islamique, libérés lors des périodes de cessez-le-feu en échange d'otages israéliens, ont été expulsés vers l'Égypte. Ils ont été placés provisoirement dans un hôtel près de l'aéroport du Caire, qu'ils ne peuvent pas, là non plus, quitter librement. Les négociations de cessez-le-feu en cours doivent déterminer quels pays les accueilleraient — probablement la Turquie et le Qatar —, et dans quelles conditions.

Ce traitement sécuritaire affecte aussi toute personne qui les soutient ouvertement. Un rapport de l'ONG Refugee Platform in Egypt accuse le régime de « criminalisation de la solidarité avec le peuple palestinien » (7). Le rapport fait état d'arrestations de citoyens égyptiens ayant pris part à des manifestations, à l'instar des mobilisations autour de la mosquée d'Al-Azhar le 20 octobre 2023, ou à des initiatives de solidarité envers les Palestinien.ne.s.

« Réfugiés » en Égypte. Ni statut légal ni droits

Les Palestinien·ne·s en Égypte ne sont pas considérés comme réfugiés et ne bénéficient donc pas de l'assistance et des services de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Le régime refuse que l'agence onusienne opère sur son sol, pour ne pas donner, selon lui, un blanc-seing au projet américano-israélien d'expulsions forcées des Palestinien.ne.s de Gaza vers l'Égypte et la Jordanie.

Signataires notamment du Protocole de Casablanca de 1965 octroyant aux Palestinien·ne·s des droits de résidence, des permis de travail ou de voyage, les autorités égyptiennes n'appliquent pas complètement, dans les faits, les articles ratifiés (8). Refusant, comme tous les pays arabes, la naturalisation des ressortissant·e·s palestinien·ne·s, selon la résolution de la Ligue arabe de 1952 consacrant la préservation de l'identité palestinienne, Le Caire leur octroie des visas de résidence pour lesquels la législation a évolué de façon restrictive au fil du temps. Entre 1978 et 1982, soit après la signature des accords de Camp David entre Le Caire et Tel-Aviv, les Palestiniens, sauf cadres de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), deviennent des « étrangers » en Égypte. Ils se voient en outre retirer leurs droits de résidence, excepté pour les ressortissant·e·s marié·e·s à des Égyptien·ne·s, les étudiant·e·s, les personnes travaillant dans le secteur privé, propriétaires d'une entreprise ou investissant dans le pays. En 2004, la loi de nationalité 1975 autorise une Égyptienne mariée à un Palestinien à transmettre sa nationalité à ses enfants. Un effet rétroactif a été appliqué pendant la période du Conseil suprême des forces armées (2011-2012) (9)

Les Palestinien·ne·s, arrivé·e·s légalement en Égypte depuis le 7 octobre, pourraient demander l'asile. En décembre 2024, une loi sur le droit d'asile en Égypte a été présentée au Parlement puis adoptée par décret présidentiel. Elle vise à terme à remplacer l'agence du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) par un organe gouvernemental, le Comité permanent aux affaires pour les réfugiés. De nombreuses organisations humanitaires y sont opposées et estiment que cette loi laissera à la discrétion des autorités le pouvoir de révocation de l'asile et d'expulsion. La loi stipule entre autres l'interdiction pour les demandeurs d'asile ou les bénéficiaires du statut de réfugié d'exercer toute activité politique et partisane. Elle criminalise également l'aide informelle fournie aux demandeurs d'asile.

Notes

1- Toutes les personnes interviewées apparaissent sous pseudonyme.

2- NDLR. Un quartier résidentiel sécurisé.

3- Lire « The Argany Peninsula », Mada Masr, 13 février 2024.

4- NDLR. Le programme PAUSE soutient des scientifiques et des artistes en exil en favorisant leur accueil dans des établissements d'enseignement supérieur et de recherche ou des institutions culturelles.

5- La vidéo, postée à l'insu de la personne interviewée, a depuis été effacée.

6- « Israël/Territoires palestiniens — Sorties de la bande de Gaza (25 avril 2025) », France Diplomatie.

7- « “Where do they go ?” A full year of siege, the denial of rights and the criminalization of solidarity », Refugee Platform in Egypt, 5 novembre 2024.

8- Oroub El-Abed, « The forgotten Palestinians : how Palestinian refugees survive in Egypt », Forced Migration Review, mai 2004.

9- Oroub El-Abed, « Unprotected Palestinians in Egypt since 1948 », Institute for Palestine studies, 2009.

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« Le problème foncier est le cancer de l’Afrique du Sud »

27 mai, par Marianne Séverin, Nathalie Prévost — , ,
Entretien · La loi foncière adoptée le 24 janvier dernier par l'Afrique du Sud s'est attiré les foudres de Donald Trump, qui accuse le pays de « discrimination raciale » à (…)

Entretien · La loi foncière adoptée le 24 janvier dernier par l'Afrique du Sud s'est attiré les foudres de Donald Trump, qui accuse le pays de « discrimination raciale » à l'encontre de la minorité blanche. Or, pour comprendre les enjeux autour du texte, il faut retourner à l'Histoire, marquée par une spoliation continue de la terre par les colons blancs. La politiste Marianne Séverin dessine les grands chapitres d'un très long combat.

Tiré d'Afrique XXI.

Remise en cause d'accords commerciaux, arrêt de l'aide états-unienne, boycott de la présidence sud-africaine du G20, proposition d'accueil des fermiers afrikaners souhaitant émigrer aux États-Unis : Donald Trump s'est beaucoup démené, ces dernières semaines, pour fustiger l'Afrique du Sud après l'adoption d'une nouvelle loi foncière (1) « pour promouvoir l'inclusivité et l'accès aux ressources naturelles » qui permet, au nom de l'intérêt général, des expropriations sans compensations financières de terres à l'abandon.

Peut-être faut-il voir dans cette colère, réelle ou feinte, l'influence d'Elon Musk et de Peter Thiel, deux grands patrons illibéraux très proches du président états-unien, qui ont grandi dans les régimes d'apartheid d'Afrique du Sud et de Namibie. Ou bien le fruit d'un lobbying intense mené par une mouvance afrikaner revancharde, très active en Europe et aux États-Unis, qui invoque un prétendu « apartheid à l'envers ». Ou encore, un prétexte pour sanctionner des choix politiques internationaux.

Mais au-delà des outrances états-uniennes, traduction d'une « campagne de désinformation et de propagande » dénoncée le 8 février par un communiqué du ministère sud-africain des Affaires étrangères, la nouvelle loi foncière en vigueur se voit plutôt reprocher, en Afrique du Sud, sa timidité et son incapacité à redessiner en profondeur la géographie héritée de l'apartheid. La réparation des injustices foncières, qui a toujours été au cœur du combat contre le régime de ségrégation raciale, est, en effet, très difficile.

Chercheuse associée au laboratoire scientifique « Les Afriques dans le monde » (LAM), à Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, Marianne Séverin est spécialiste du contexte politique sud-africain. Elle est l'autrice d'une thèse (2) sur les réseaux du Congrès national africain (African National Congress, ANC).

« Les Afrikaners ont éliminé la concurrence des fermiers noirs »

Nathalie Prévost : Pouvez-vous nous parler de l'histoire de la politique agraire de l'Afrique du Sud, notamment des lois sur les terres indigènes de 1913 et 1936 qui ont limité à 8 % puis 13 % seulement du territoire sud-africain les terres des Africains non blancs ?

Marianne Séverin : Il faut remonter au-delà de l'apartheid, à la fin de la période coloniale et à la rivalité entre les descendants des premiers colons néerlandais et les Britanniques. La deuxième guerre anglo-boer, de 1899 à 1902, s'achève à l'avantage des Britanniques, avec un traité de paix qui exprime la volonté de réconcilier la population blanche et de renforcer son contrôle politique et économique sur le pays, naturellement au détriment de la majorité africaine de la population. C'était une façon de protéger les acquis sociaux des Afrikaners et, en même temps, de disposer d'une main-d'œuvre bon marché au service de l'expansion minière et industrielle du pays après la découverte, entre le milieu et la fin du XIXe siècle, des mines d'or et de diamants.

L'Union sud-africaine est formée le 31 mai 1910. Elle scelle l'union des deux communautés blanches, auxquelles elle attribue plus de 90 % des terres, grâce aux premières lois discriminatoires qu'elle vote presque immédiatement, parmi lesquelles la loi sur les terres indigènes de 1913.

Nathalie Prévost : Chassés de leurs terres et cantonnés dans des réserves, les fermiers africains deviennent alors une main-d'œuvre forcée pour les fermiers blancs ?

Marianne Séverin : Oui. Ils deviennent la main-d'œuvre des fermes, la main-d'œuvre des mines, puis les femmes de ménage, les maids. En fait, une main-d'œuvre au service de la population blanche. Privés de terre, ils n'ont plus d'autre choix ! Par ailleurs, l'accaparement des terres par les Afrikaners permet d'éliminer la concurrence des fermiers noirs.

L'objectif, à la création de l'Afrique du Sud moderne, est de développer les intérêts agricoles et commerciaux des Blancs, particulièrement des Afrikaners. La loi de 1913 interdit aux Africains d'acheter ou de vendre des terres hors des réserves (3) où ils sont désormais confinés. Évidemment, cela pose beaucoup de problèmes aux Africains dans leur vie quotidienne. Certains, par exemple, se voient privés de l'accès aux sépultures de membres de leur famille enterrés sur des terres désormais dévolues aux Blancs.

L'ANC est né à la même époque, en 1912. On l'appelle « l'ANC des pères fondateurs ». Alors que les royaumes bantous avaient été vaincus par les colons, les Noirs éduqués avaient compris la nécessité de s'organiser pour réclamer une grande nation africaine en Afrique du Sud et dénoncer les lois raciales. La terre a été leur première bataille. On peut reprocher beaucoup de choses à l'ANC, mais la redistribution des terres a toujours été son combat.

« La loi foncière gère tout l'espace, rural et urbain »

Nathalie Prévost : Quelle évolution l'apartheid a-t-il imprimée ensuite ?

Marianne Séverin : En 1949, le régime d'apartheid arrive au pouvoir et, en 1950, il adopte une batterie de lois pour garantir la pureté de la race, la séparation physique des populations, la domination politique et le contrôle de la population. La même année, une loi détermine les zones géographiques dans lesquelles doivent vivre les Sud-Africains en fonction de leur couleur de peau. Avec cette loi, on exproprie les Africains, les métis et les Indiens au profit des Blancs. À partir de 1950, si vous êtes Africain et que vous vivez dans ce que les autorités considèrent être une zone blanche, on vous force à déménager.

Trois lois importantes sont adoptées dans ces années-là : en 1950, celle sur la délimitation des zones géographiques ; en 1951, celle sur la législation discriminante dans les campagnes, qui limite la capacité et la volonté des Africains à maintenir une existence agricole indépendante hors des réserves ; et en 1954, la loi sur les indigènes, qui restreint le nombre d'Africains dans les zones urbaines : les Africains ne peuvent plus vivre dans les centres-villes considérés comme des zones blanches.

La loi sur le foncier ne s'intéresse pas qu'aux terres agricoles. Elle gère tout l'espace, rural et urbain. Et chaque groupe se voit attribuer un ratio en fonction de sa couleur de peau et de son ethnie. À la suite de la création des Bantoustans, dans les années 1960 et 1970, des Sud-Africains noirs perdent leur nationalité parce que certains Bantoustans deviennent indépendants. Dès lors, on ne pense plus l'Afrique du Sud que blanche. Pour les non-Blancs, il n'y a plus de libre circulation : il faut un pass pour se déplacer.

Nathalie Prévost : Après la chute de l'apartheid, en 1994, une loi sur la restitution des droits fonciers aux personnes dépossédées de leur propriété après le 19 juin 1913 est adoptée. Cette loi prévoit également la réforme de la tenue foncière dans les ex-Bantoustans et une redistribution permettant l'acquisition foncière avec le soutien de subventions publiques. Qu'est-ce que cette loi a changé ?

Marianne Séverin : Cette loi de 1994 n'a pas été très bien ficelée. Il y a eu des débats à l'intérieur de l'ANC. Ce dernier n'est pas un parti politique homogène. Différents courants s'y affrontent, certains plus populistes, et d'autres plus raisonnables qui estiment que l'Afrique du Sud doit appartenir à tout le monde. L'exemple du Zimbabwe (4), qu'on leur ressasse à longueur de temps, a aussi conduit l'ANC à rester très prudent.

La redistribution des terres n'a pas été effective. Les Blancs n'ont pas forcément voulu vendre et, quand ils vendaient, les prix étaient élevés. Et lorsque les fermiers noirs pouvaient acquérir ces terres, parfois, par manque d'expérience, ils n'ont pas fait du bon travail. C'était aussi très difficile de rapporter la preuve de leur dépossession en 1913 pour ceux qui prétendaient bénéficier des dispositions de la loi de restitution des terres. Et puis il y a eu de la corruption au niveau des subventions publiques prévues pour acquérir les terres. Actuellement, 72 % des terres agricoles sont toujours entre les mains des fermiers blancs (contre 87 % après la loi de 1936). Vous comprenez le malaise quand on entend Donald Trump dire qu'on exproprie les Afrikaners ! Bref, cette loi n'a pas produit de grands effets. On a beaucoup parlé mais peu agi. Et certaines des terres mises en vente n'étaient même pas cultivables.

« La terre doit être partagée entre ceux qui la travaillent »

Nathalie Prévost : Quelle était la vision de l'ANC sur cette question ?

Marianne Séverin : La Freedom Charter (Charte de la Liberté), écrite en 1955 par l'ANC, est le cœur même de la Constitution sud-africaine. Voici ce qu'elle proclame : « La terre doit être partagée entre ceux qui la travaillent ! Les restrictions à la propriété foncière sur une base raciale doivent être supprimées et toutes les terres doivent être redistribuées entre ceux qui les travaillent afin de bannir la famine et le manque de terres. L'État doit aider les paysans en leur fournissant des outils, des semences, des tracteurs et des barrages afin de préserver le sol et d'aider les cultivateurs ; la liberté de mouvement est garantie à tous ceux qui travaillent la terre ; chacun a le droit d'occuper la terre où il le choisit ; les gens ne seront pas dépouillés de leur bétail ; le travail forcé et les prisons agricoles seront abolis. »

La Constitution sud-africaine de 1996 parle dans son préambule de la nécessité de reconnaître les injustices du passé (« recognize the injustices of our past »). Cet aspect est très important. Parfois, je suis étonnée de lire ce qu'écrivent certains Sud-Africains blancs. Il y a une Constitution en Afrique du Sud. Elle a été écrite, négociée et gravée dans le marbre. Et la première chose qu'on y lit, c'est : « Reconnaître les injustices de notre passé. » Certains dénoncent des expropriations à venir.

En réalité, il s'agit d'une tentative de réparation de l'Histoire.

Quand vous voyez des organisations de la société civile liées à l'extrême droite qui racontent je ne sais quoi, ces personnes semblent ignorer leur propre Constitution. Elles le font parce que, dans leur inconscient, l'Afrique du Sud appartient toujours à la minorité blanche. On ne peut pas demander aux Sud-Africains d'oublier cette histoire sous prétexte que l'apartheid est terminé. Oui, l'apartheid est terminé, mais le cancer même de ce pays c'est le problème foncier, qui remonte à plus de cent ans. L'enjeu, c'est de parvenir à redistribuer des terres tout en préservant celles des Afrikaners, qui sont des citoyens de ce pays depuis des générations et qui assurent la sécurité alimentaire du pays. Personne n'a demandé aux Afrikaners d'abandonner leurs terres. D'ailleurs, les Africains n'ont pas tous envie de travailler dans l'agriculture.

Nathalie Prévost : Alors, qu'est-ce qui a présidé à l'élaboration de la nouvelle loi, et quels sont ses objectifs ?

Marianne Séverin : L'objectif de la loi de 2025 est d'aligner les lois sud-africaines sur l'expropriation sur la Constitution du pays, en particulier l'article 25. L'article 25 autorise l'expropriation dans l'intérêt public. C'est l'intérêt public qui a été ajouté à la loi foncière de 1994. Cette loi élargit la définition de la propriété pour inclure les biens mobiliers et immobiliers. Cela signifie que si vous avez une terre qui est abandonnée et qui n'est plus valorisée, l'État peut la préempter pour s'en servir. On a le même système en France ! Et on dit bien que la loi est stricte, prévoit des obligations claires en matière de consultations et de notifications aux propriétaires de terres concernés, qui ont le droit de faire des observations. Il faut suivre les règles, et il y a des mécanismes pour résoudre les litiges.

Nathalie Prévost : Quelle était la nécessité de cette loi ?

Marianne Séverin : En fait, lorsque vous avez des terres qui ne sont pas vendues et qui n'ont plus d'autre intérêt que spéculatif, l'État considère que ces terres peuvent être utilisées pour des projets utiles pour le bien de tous. C'est une façon aussi de réparer les injustices. Le débat sur la terre est un débat qui pourrit l'Afrique du Sud et empêche la réconciliation. Il n'y a pas de partage des richesses, ni des terres. Et ce sont toujours les mêmes qui ont le pouvoir économique au détriment de la majorité.

« Si l'Afrique du Sud ne s'aligne pas derrière les États-Unis, elle est punie »

Nathalie Prévost : Comment interprétez-vous la charge impromptue de Donald Trump ?

Marianne Séverin : Le problème de la terre est un prétexte pour Donald Trump. Il parle d'un génocide, de violations des droits humains. Je ne vous dis pas qu'il n'y a pas de meurtres de fermiers blancs, mais il y en a aussi de fermiers noirs. L'Afrique du Sud est l'un des pays les plus violents du monde. Certains Blancs, en particulier afrikaners, considèrent que l'Afrique du Sud n'a pas lieu d'être noire, multiraciale ni inclusive. Il faut faire un parallèle entre ce qui se passe aux États-Unis actuellement et cette attaque contre l'Afrique du Sud.

Aux États-Unis, ils sont en train d'essayer d'éliminer tout cet aspect de solidarité, d'inclusion. Vous avez, en face, un pays qui fait tout le contraire, ce qui ne correspond pas à la vision de Trump. Je ne parle même pas d'Elon Musk, qui a grandi dans le contexte de l'apartheid avec un père raciste notoire. On voit aussi des liens avec l'extrême droite états-unienne et la diffusion de fausses informations. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait déjà parlé de génocide des Blancs. Ce monsieur n'a jamais mis les pieds dans ce pays ni ailleurs en Afrique, ça ne l'intéresse pas, et il se permet d'insulter tout le monde !

Autre source de mécontentement des États-Unis, l'Afrique du Sud fait partie des pays qui n'ont pas condamné la Russie pour la guerre en Ukraine. Les liens avec la Russie datent de la lutte contre l'apartheid.

Le fait que l'Afrique du Sud fasse partie des Brics déplaît également. Et, comble de l'horreur, Pretoria a porté plainte devant la Cour internationale de justice contre Israël. Les États-Unis lui ont demandé de faire marche arrière et elle a refusé de céder. Même sous Biden, il y a eu un incident diplomatique entre les deux pays. Peu de gens le savent, mais la Palestine a contribué à la lutte anti-apartheid. En 1994, à l'investiture de Nelson Mandela, Yasser Arafat avait été invité. Ça avait fait du bruit, mais Nelson Mandela avait dit : « Les Palestiniens nous ont aidés. »

Pour résumer, si l'Afrique du Sud ne s'aligne pas derrière les États-Unis ou derrière les Occidentaux en ce qui concerne Israël et ses actions dans la bande de Gaza, elle est punie.

Nathalie Prévost : Ils ne sont pas les seuls à avoir un pied dans chaque camp !

Marianne Séverin : Non, mais c'est tellement plus facile de s'attaquer à ce pays ! Tout cela est aussi le fruit de l'agitation menée par deux organisations de la société civile afrikaner ()5 proches des milieux trumpistes. Puis rétropédalage lorsque Trump a proposé de donner le statut de réfugiés aux Afrikaners. Tout ça, c'est basé sur des fake news ! Le ministre de l'Agriculture, John Henry Steenhuisen, a dit : « Pour l'instant, je ne vois pas de fermier [blanc] qui veut quitter l'Afrique du Sud. » Certains ont pensé : « Il y a des problèmes dans notre pays, mais on y vit confortablement. Qu'est-ce qu'on va aller faire aux États-Unis alors que les fermiers états-uniens se plaignent ? »

Rappelez-vous les paroles de l'ex-président Thabo Mbeki au sujet des États-Unis : « Ils n'ont pas à nous donner de leçons parce qu'ils ne nous ont pas soutenus durant l'apartheid. » La Constitution est écrite. La loi est votée. C'est une vraie démocratie, ce pays, même s'il y a des problèmes sociaux et économiques. Les États-Unis n'ont pas à s'ingérer dans la politique intérieure de l'Afrique du Sud pour lui dicter ce qu'elle doit faire ou pas et la punir. En suspendant, par exemple, l'accord économique entre les États-Unis et l'Afrique du Sud [l'African Growth and Opportunity Act, promulgué en 2000 par Washington, NDLR]. L'ironie de l'histoire, c'est que l'Europe, face aux attaques de Trump, soutient désormais Pretoria. L'avenir s'annonce mouvementé !

Notes

1- Loi numéro 13 sur l'expropriation 2024. Le PDF est disponible ici.

2- Marianne Séverin, « Les réseaux ANC (1910-2004) – Histoire de la constitution du leadership de la nouvelle Afrique », 2006.

3- Créées à partir de 1850 à l'époque des guerres cafres (ou xhosas), les réserves deviennent des Bantoustans, ou Homelands, dans les années 1960 et 1970.

4- En mai 2002, Robert Mugabe ordonne l'expulsion de 2 900 des 4 500 propriétaires blancs du pays, dans le cadre d'une réforme agraire ayant pour but de redistribuer une partie des 40 % des terres arables de l'ex-Rhodésie appartenant aux Blancs. Une grande crise politique et agricole s'ensuit.

5- L'AfriForum, qui a pour ambition de protéger les droits et les intérêts de la communauté afrikaner, et le mouvement Solidarity, qui affirme que les Afrikaners sont traités comme des citoyens de seconde zone.

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Guerre au Soudan : la bataille des discours

27 mai, par Sudfa — , ,
Comment les acteurs de la guerre au Soudan justifient-ils toute cette violence ? Dans ce texte, la militante Muzan Alneel analyse les discours mobilisés par les deux camps pour (…)

Comment les acteurs de la guerre au Soudan justifient-ils toute cette violence ? Dans ce texte, la militante Muzan Alneel analyse les discours mobilisés par les deux camps pour s'attirer le soutien de la population. Elle défend la nécessité de mettre en avant un contre-discours révolutionnaire, fondé sur des analyses de gauche, pour proposer une alternative politique crédible.

Tiré du blogue de l'auteur.

On trouve dans le débat public soudanais des définitions divergentes de la guerre, à travers des expressions telles que « guerre existentielle », « guerre pour la dignité », « guerre pour la démocratie », « guerre absurde », « guerre contre l'État de 1956 » ou « guerre contre le néocolonialisme ». Ce phénomène n'est ni rare, ni inattendu au Soudan. Il reflète une dynamique globale en temps de guerre dans laquelle des récits concurrents prolifèrent. Ces récits découlent de la nécessité pour les forces combattantes de justifier leurs stratégies politiques et de mobiliser le soutien populaire en faveur de leurs opérations militaires.

A travers des discours qui cherchent à légitimer leurs positions, les parties impliquées dans le conflit au Soudan s'affrontent non seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans l'arène de l'opinion publique. Tous les groupes affectés par le conflit, qu'ils soient affiliés à l'un des camps ou extérieurs à ceux-ci, s'emploient à créer leurs propres récits, qui reflètent les enjeux idéologiques, les intérêts matériels et les stratégies de survie propres à chacun. (…)

Le discours des Forces de Soutien Rapide (RSF) : une guerre pour la démocratie et la défense des « marginalisés »
Les Forces de Soutien Rapides (RSF, milice autrefois alliée à l'armée) tentent de faire croire qu'elles mènent guerre pour la démocratie contre le gouvernement putschiste [issu du coup d'Etat du général Al-Burhan en 2021], mené par les forces politiques islamistes [de l'ancien régime d'Omar El-Béshir].

Ce discours a été accueilli avec sarcasme par l'opinion publique soudanaise dès les premiers jours de la guerre. (…) La population soudanaise, témoin des meurtres, des pillages et des tortures qu'elle subit de la part des Forces de Soutien Rapide, a alerté sur la contradiction entre ces actes et la rhétorique « démocratique » mise en avant par les RSF. Pourtant, malgré leur échec évident à obtenir le moindre soutien populaire, les RSF n'ont pas cessé d'utiliser ce discours. (…) Ce discours ne s'adresse pas au peuple soudanais, mais vise plutôt d'autres acteurs, probablement la communauté internationale, [ce qui a permis aux RSF d'obtenir le soutien diplomatique direct ou indirect de plusieurs pays étrangers]. Cette interprétation est renforcée par le fait que les Forces de Soutien Rapide mobilisent le vocabulaire typique des organisations internationales, par exemple en décrivant l'armée et leurs alliés comme des « organisations terroristes ».

Le deuxième discours sur la guerre défendu par les Forces de Soutien Rapide consiste à dépeindre celle-ci comme un conflit entre la « périphérie » et le « centre », une lutte des marginalisés et les laissés-pour-compte contre les oppresseurs. Ce discours [qui connaît un succès important depuis plusieurs années dans le champ politique et intellectuel soudanais] est de plus en plus repris dans les déclarations officielles des RSF, reflétant leur tentative de rallier le soutien de groupes sociaux et ethniques historiquement marginalisés.

Mais la crédibilité de ce récit a été elle aussi mise à mal face aux atrocités commises par les RSF, ciblant les villageois pauvres, les femmes, les personnes âgées, et par la richesse et le pouvoir dont jouissent les dirigeants de la milice. En se basant sur ces arguments, les RSF ont une vision des « défavorisés » qui ne prend pas en compte le statut socio-économique des personnes, mais qui s'intéresse uniquement à l'appartenance ethnique.

C'est là que, dans cette bataille des définitions, une voix socialiste critique et organisée aurait pu offrir un cadre d'analyse révolutionnaire pour répondre à cette question [de la domination entre le « centre » et les « marges » du pays], très importante pour le peuple soudanais. Cette position critique pourrait souligner les intérêts [qui poussent les RSF à se réapproprier la rhétorique de la lutte contre les dominations] et appeler à la création d'une alliance entre tous les démunis contre ceux qui monopolisent le pouvoir et la richesse, quelle que soit leur appartenance ethnique.

L'absence d'une telle voix a permis à l'argument fallacieux des RSF de se transformer en un outil pour attiser la division raciale (…). Malgré tout ça, leur récit est resté faible et incapable de mobiliser suffisamment le soutien de la population pour légitimer leur revendication du pouvoir.

Le discours de l'armée (SAF) : une guerre pour défendre l'État soudanais et assurer la sécurité de la population

En revanche, le narratif des forces armées soudanaises (SAF) a rencontré plus de succès (…). Très tôt, l'armée a défini la guerre comme une guerre contre une milice rebelle. Le caractère institutionnel de l'armée nationale (…) est utilisé comme une preuve que sa position est forcément juste. Ce récit efface les crimes qui ont été commis durant les années précédant la guerre par Forces de Soutien Rapide sous la supervision de l'armée soudanaise [quand elles étaient alliées], ainsi que les crimes commis par l'armée soudanaise elle-même.

Ainsi, dans ce discours qui cherche à légitimer institutionnellement la violence, la légitimité des acteurs politiques est évaluée en fonction de leur position dans l'appareil d'État et de leur structure bureaucratique, plutôt qu'en fonction de leur impact réel sur la vie des gens. Ce discours est aussi vieux que le concept d'État lui-même, et c'est un outil que les élites ont historiquement utilisé pour justifier la violence qu'elles infligent aux sociétés qu'elles exploitent, en utilisant les armes violentes de l'État autorisées par la loi, qu'il s'agisse de la police, de l'armée ou autres. Cet argument a été popularisé par des décennies de propagande, qui ont façonné la conscience des citoyens et normalisé la violence d'État.

La promesse de sécurité et de retour à la stabilité est également mise en avant dans les déclarations des commandants des forces armées, qui répètent depuis le début que la guerre se terminera bientôt, « dans une semaine ou deux », comme ils l'avaient déjà dit il y a deux ans. Dès les premiers jours de la guerre, cet argument a trouvé du soutien dans l'opinion publique. Mais il a aussi été utilisé pour justifier la destruction d'habitations civiles et alimenter les appels à des attaques meurtrières contre les RSF [et des civils soupçonnés de les avoir aidés]. (…)

Les forces armées soudanaises ont redéfini la guerre comme une guerre pour la dignité et la souveraineté. Dans ce contexte, l'armée est devenue synonyme de l'État, et l'État, synonyme de dignité personnelle. Ce cadrage [très problématique] a permis d'exploiter la colère populaire contre les atrocités commises par les RSF comme une arme pour légitimer les actions de l'armée, alors même que celle-ci ne garantit pas la sécurité des citoyens. La légitimité de l'armée s'est ainsi ancrée dans des notions abstraites comme la "fierté nationale", allant même jusqu'à stigmatiser de façon subtile les tribus qui composent les rangs des RSF et à remettre implicitement en question leur "soudanité".

Ces récits libèrent l'armée de ses obligations de protection ou d'aide aux civils et justifient la banalisation de ses crimes. Par ailleurs, en pointant du doigt l'illégitimité et la criminalité des relations entre les RSF et des acteurs internationaux, en particulier les Émirats Arabes Unis, l'armée fait mine d'ignorer que toute relation internationale avec le gouvernement putschiste qui la dirige est elle aussi illégitime. De plus, de nombreux rapports font état de liens économiques étroits, et de l'exportation continue d'or, entre l'armée et le même État exploiteur, les Émirats arabes unis. Il s'agit donc d'un récit fondé principalement sur des demi-vérités.

Une réponse révolutionnaire à ce narratif aurait été de refuser de définir la légitimité sur la base de revendications abstraites, et de la fonder plutôt sur la manière dont chaque partie affecte la vie des gens. Cela commence par affirmer que la sécurité est un droit fondamental, et non une monnaie d'échange utilisée pour justifier un régime militaire. Nous devons aussi rappeler que la prétendue « stabilité » antérieure mise en avant par les militaires était un régime fondé sur la violence et l'exploitation systémique, que nous devons vaincre, et non raviver.

Comment les civils se positionnent-ils par rapport à ces discours ?

Parmi les civils non armés soutenant l'une ou l'autre des parties au conflit, les définitions de la guerre et les indicateurs de victoire varient en fonction des classes sociales. Pour les groupes aisés, disposant de richesses matérielles ou de privilèges hérités, la priorité est de prendre le contrôle des lieux emblématiques du pouvoir souverain et des monuments historiques, ce qui montre leur désir de restaurer les structures sociales qui sous-tendent leur statut. A l'inverse, les communautés marginalisées mettent l'accent sur le besoin de sécurité et de services de base. (…) Ces priorités divergentes révèlent un net clivage social.

Les discours de la société civile évoluent également dans le temps. Certains groupes, qui avaient initialement rejeté les exigences de loyauté inconditionnelle de l'armée soudanaise, les ont ensuite acceptées face à la fatigue de la guerre et au désespoir de trouver une solution. D'autres, qui s'étaient moqués des revendications absurdes des RSF prétendant mener une « guerre pour la démocratie », ont fini par les approuver tacitement face à la montée d'un discours nationaliste pro-armée qui renoue avec la tendance centralisatrice de l'État soudanais et risquerait de perpétuer leur marginalisation. (…)

Cette approche survivaliste de la guerre existe aussi bien chez les civils non organisés que chez les groupes de résistance organisés. Les comités de résistance, par exemple, qui constituaient la force la plus influente du mouvement révolutionnaire, ont d'abord condamné les deux parties du conflit. (…) Au début de la guerre, de nombreux comités ont donné la priorité à « l'arrêt de la guerre et à la sauvegarde de la vie des civils », s'engageant à défendre les revendications révolutionnaires malgré la violence du conflit. Cependant, au fil du temps, il leur est devenu difficile de concilier les principes révolutionnaires avec un soutien tactique (bien que temporaire) aux forces armées. Pour les comités, il s'agit d'une étape intermédiaire permettant de rétablir le statu quo à un niveau « gérable » de répression aux mains de l'État, plutôt que de faire face à la violence brutale des RSF.

Cette contradiction a aliéné les militants et délégitimé leur rôle dans le discours public. De nombreuses organisations révolutionnaires sont devenues les bras armés de la guerre. De nombreux intellectuels de la résistance ont fourni des armes théoriques pour soutenir la légitimité des forces armées soudanaises (SAF), leur soi-disant partenaire temporaire. Ils ont donné la priorité à la protection de l'appareil d'État, sans tenir compte de l'équilibre des pouvoirs au sein de cet appareil, de son impact sur la vie des exploités, et même de ses échecs structurels évidents et de ses injustices systémiques.

La nécessité d'un contre-discours révolutionnaire de gauche

(…) Depuis le début de la guerre, des réseaux d'entraide populaires, en particulier les « salles d'intervention d'urgence », se sont organisées en autogestion pour fournir des services de base aux personnes affectées par la guerre et défendre les droits des citoyens, tels que l'accès aux soins et à une éducation gratuite. Ces initiatives ont soutenu les communautés assiégées et déplacées, abandonnées par les forces combattantes, mais elles ont fonctionné sans une vision politique révolutionnaire qui aurait fait de l'entraide la base d'un modèle de gouvernance durable et anti-guerre, dirigé par et pour les populations elles-mêmes. Au lieu de cela, les efforts sont restés confinés à l'aide d'urgence, limités par un discours d'espoir de « retour à la normale » qui ignore l'oppression structurelle dans l'histoire du Soudan. Ce vide a laissé la place aux récits des forces armées, plus lucratifs sur le plan politique, pour consolider leur pouvoir et gagner le soutien de la population.

Cette spirale ne peut être brisée que par la construction d'un parti de gauche organisé, capable de construire des institutions idéologiques et culturelles révolutionnaires pour contrer l'hégémonie de la classe dirigeante, les compromis bourgeois et les trahisons du système existant.

L'expérience récente a constamment souligné la nécessité d'un parti révolutionnaire. Une telle organisation - basée sur les principes socialistes et la délibération démocratique - analyserait systématiquement les stratégies et contrerait la propagande de la classe dirigeante, fournirait aux exploités une analyse et un projet politique alternatif qui placerait leurs priorités et leurs besoins en tête de son programme, et mobiliserait collectivement les leçons tirées des luttes passées. Elle lutterait également en interne contre les tendances bourgeoises des intellectuels, qui sont souvent déformées par des préjugés résultant de leurs privilèges matériels, façonnés par l'accès aux ressources, à l'éducation et à la formation institutionnelle, ce qui les conduit à s'écarter des intérêts de la majorité de la population.

Même si les récits révolutionnaires se sont estompés, il existe encore des aperçus occasionnels d'un projet alternatif, incarné par des demandes populaires pour une paix juste ; des aperçus qui sont fugaces, mais réels.

Cette mission, loin des projecteurs, est urgente et inévitable.


Par : Muzan Alneel

Publication originale en arabe : Atar

Traduction en français et édition : Sudfa Media

Article original en arabe : « A travers leur regard. Qui définit la guerre au Soudan ? », publié le 26/04/2025 par Atar.

Note de traduction : l'article a été légèrement raccourci, les inter-titres et les parties entre crochet ont été rajoutées par l'équipe de Sudfa pour donner des éléments de contexte.

Cet article reflète l'opinion de l'autrice et n'engage pas la rédaction de Sudfa Media.


Muzan Alneel est une militante socialiste, journaliste et chercheuse soudanaise. Elle a dirigé un think-tank “Innovation, Science and Technology Think-tank for people-centered Development (ISTinaD)” au Soudan. Elle a publié de nombreux articles dans des revues internationales sur les comités de résistance et la stratégie révolutionnaire au Soudan.


Atar est un magazine créé à l'initiative de l'ONG Sudan Facts Center for Journalism Services, qui a commencé à paraître six mois après le début de la guerre contre les civils au Soudan. Ses publications sont principalement en arabe mais aussi en anglais. Il est distribué sur différents réseaux sociaux. Atar offre un lieu d'accueil pour les informations basées sur les faits dans un paysage médiatique fortement réprimé, accueillant les contributions de journalistes, écrivains et chercheurs.

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Sud Soudan : La paix mise à mal

27 mai, par Paul Martial — , ,
Il existe un risque important que le Sud Soudan plonge de nouveau dans un conflit généralisé qui s'ajouterait à une crise financière majeure. En se séparant du Soudan pour (…)

Il existe un risque important que le Sud Soudan plonge de nouveau dans un conflit généralisé qui s'ajouterait à une crise financière majeure.

En se séparant du Soudan pour devenir un Etat indépendant en 2011, le Sud soudan n'aura connu qu'une succession de conflits. Le plus meurtrier est la guerre civile de 2013 qui aura causé la mort de 400 000 personnes le déplacement de quatre millions de réfugiés. Un accord de paix fut signé en 2018 entre le président de la république Salva Kiir appartenant à la communauté dinka, et son vice-président Riek Machar à celle des Nuer.

La fin de l'accord de paix

Cet accord de paix prévoyait notamment l'unification des différentes milices dans une armée nationale, la mise en place d'une élection présidentielle et la collégialité dans la gouvernance du pays. Aucun de ces engagements n'ont été honorés. Les conflits entre la présidence et la vice-présidence n'ont eu de cesse d'augmenter jusqu'à l'épisode sanglant dans l'Etat du Haut Nil.

Le mois dernier l'Armée Blanche, une milice nuer, a envahi la base militaire de Nasir de peur que la garnison militaire présente soit remplacée par des membres de communautés leur étant hostiles. La présidence a réagi en envoyant l'aviation bombarder la ville provoquant de nombreuses victimes civiles. La violence s'est étendue dans le pays entre les forces du Sudan People's Liberation Movement (SPLM) favorable au Président Kiir et le SPLM-IO (In Opposition) dirigé par Machar. Ce dernier ainsi que plusieurs de ses compagnons ont été arrêtés, accusés d'avoir fomenté l'attaque de Nasir.

Une crise aux multiples facettes

Les deux dirigeants cultivent le conflit entre les Dinka et Nuer, ces deux populations sont essentiellement pastorales et sont souvent en compétition pour l'accès à l'eau et aux pâturages. Les Dinka se sentent dépositaires de l'indépendance du pays de par leur lutte, contrairement aux Nuer qui dans certaines périodes ont tissé des alliances avec les forces soudanaises. Pour Kiir et Machar l'enjeu principal reste la lutte pour le pouvoir et la captation des richesses de l'Etat.

Salva Kiir a développé une politique clientéliste largement financée par la production du pétrole. Avec la guerre au Soudan, l'oléoduc convoyant l'or noir a été détruit tarissant du même coup la principale source du budget du pays, entrainant une crise politique à l'intérieur du camp présidentiel. Une crise favorisée par la santé défaillante du Président encourageant les velléités pour sa succession bien que Salva Kiir ait choisi son conseiller financier en la personne de l'homme d'affaires Benjamin Bol Mel.

Si le SPLM IO s'est affaiblit, cela n'exclut nullement une reprise d'un conflit généralisé dans le pays où de nombreuses milices se sont créées, avec un risque de connexion avec un autre conflit, celui qui déchire le Soudan.
Cette situation accroît la pauvreté multidimensionnelle. En 2024, 92,6 % de la population était privée d'éducation, d'accès aux services de base, de logement décent contre 84 % en 2023. Avec les risques de guerre cette détérioration ne pourra que s'amplifier.

Paul Martial

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Plus destructeur et plus profitable : l’injonction de Trump au système militaro-industriel des Etats-Unis

27 mai, par Claude Serfati — , ,
Portées par des vents d'Ouest, de folles rumeurs ont parcouru les grands médias français au cours des derniers mois : Trump n'est pas intéressé par les guerres. Le désir répété (…)

Portées par des vents d'Ouest, de folles rumeurs ont parcouru les grands médias français au cours des derniers mois : Trump n'est pas intéressé par les guerres. Le désir répété de partager les ressources minérales de l'Ukraine avec la Russie, qui s'en est déjà approprié environ un tiers ? Le soutien militaire accru à Israël dans sa guerre à Gaza et la discussion d'un plan B (ou A) avec Netanyahou pour l'aider à réaliser son rêve de détruire le régime iranien ? La menace de ne pas défendre l'Europe, sauf si elle dépense plus pour sa défense contre la Russie ? Tout cela ne relèverait pas du militarisme, mais d'une conception pragmatique et « transactionnelle » [1] du Président Trump.

« 20 » mai 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/plus-destructeur-et-plus-profitable-linjonction-de-trump-au-systeme-militaro-industriel-des-etats-unis.html

Faut-il dès lors s'étonner qu'à la question qui leur est ainsi posée par Le Parisien : « après l'accord Israël-Hamas, et si Trump briguait… le prix Nobel de la paix ? », des chercheur(e)s qui appartiennent à deux groupes de réflexion (think tanks) français influents se pensent obligés de répondre positivement ? L'une déclare que « Donald Trump regarde son héritage. Il aimerait obtenir le prix Nobel de la paix » et l'autre affirme qu'« il le vise, c'est certain, et cela passait par un accord » [2] (sur l'Ukraine, C.S.).

Par respect pour les lecteurs et les lectrices, cet article ne répondra pas à cette question obscène posée par ce journaliste. Il analyse la politique de D. Trump vis-à-vis du « Complexe militaro-industriel » états-unien qu'on peut résumer sous cette injonction : plus destructeur (grâce à l'intelligence artificielle) et plus profitable (grâce à la symbiose du système militaro-industriel et des marchés financiers). Cet impératif est accompagné d'un chèque de 1000 milliards de dollars pour financer le budget militaire. L'annonce en a été faite par Trump lui-même, lors de sa rencontre avec Netanyahou. Il a déclaré « 1000 milliards. Personne n'a jamais vu quelque chose comme cela. Nous allons avoir une très, très puissante armée » [3]. Pour une fois, ce n'est pas de la vantardise : cela correspond à une augmentation en 2025- 2026 de 12% par rapport au budget militaire de 2024.

Afin de comprendre le comportement du Président autrement qu'en constatant qu'il « parle comme Hitler, Staline et Mussolini » [4], il est nécessaire dans une première partie de poser le personnage, y compris ses traits de caractère, dans le contexte historique contemporain, celui du « moment 2008 » [voir sur alencontre.org l'article de Claude Serfati publié le 22 juillet 2024]. L'article aborde ensuite les transformations induites par l'intelligence artificielle (IA). L'IA constitue une triple menace contre les êtres humains dans tous les domaines de leur vie en société en tant qu'ils sont salariés, citoyens et civils menacés par les guerres. L'essor de l'IA dans le domaine militaire offre au système militaro- industriel un tremplin pour sa régénération. Celle-ci est stimulée par la concurrence entre, d'une part, les entreprises du numérique (GAFAM et start-up) et, d'autre part, les grands groupes contractants traditionnels du Département de la défense (Department of Defense, DoD) qui, comme c'est toujours le cas dans la défense, intègre également un degré élevé de collusion. Enfin, l'article souligne que l'évolution autoritaire de l'État menée par Trump, qui évoque par plusieurs aspect une aventure bonapartiste, est liée au double objectif de « sécurité nationale » fixé au système militaro-industriel : répression liberticide à l'intérieur et préparation d'un conflit d'envergure avec la Chine.

Le chaos pour perspective

Le président Donald Trump lance les États-Unis dans une fuite en avant vers un précipice dans lequel l'économie mondiale et l'humanité risquent d'être englouties. Trump sème le chaos mais il n'a aucune certitude qu'il en récoltera les bénéfices. Le PDG de JP Morgan, la forteresse historique du capital financier états-unien (4000 milliards de dollars d'actifs financiers dans le monde et 6 milliards de bénéfices en 2024) considère que « le risque est extraordinaire. La troisième guerre mondiale a déjà commencé » [5].

C'est ici que les personnages rencontrent les lois de l'histoire : le court-termisme de Trump – qui se traduit déjà par des errements dans ses décisions – est à l'image du court-termisme de l'horizon du capital états-unien. En effet, le déclin de l'hégémonie des États-Unis a accéléré depuis la fin des années 2000. Ce que j'appelle le « moment 2008 » est caractérisé par une concordance unique de temporalités entre une crise financière qui se transforme en une longue dépression, une exacerbation des rivalités militaro-économiques entre les grandes puissances et une dégradation écologique accélérée qui désagrège désormais les conditions physico-environnementales de reproduction de la vie.

Les penseurs dominants, soucieux d'en finir avec une impossible défense de la « mondialisation inclusive », parlent désormais de « polycrises ». Cette expression traduit un certain désarroi mais évite de jeter une lumière trop vive sur le fait que ces crises multiples confrontent le capitalisme mondialisé, hiérarchisé, militarisé mais également diversifié (des États-Unis à la Chine en passant par la France et l'Allemagne) à ses limites historiques.

Dans un article consacré à Steve Bannon, un conseiller apprécié par Trump pour la désinformation sur les réseaux sociaux et les « vérités alternatives » qu'il a systématisées, il est noté que « l'ensemble de la classe politique états-unienne réalise de plus en plus que le contrôle du système géopolitique fonctionne désormais jusqu'à un certain point en pilotage automatique » [6].

Cette vision est pourtant bien partielle car elle réduit le « moment 2008 » à une crise géopolitique sans pilote. Le constat révèle néanmoins l'échec des administrations Obama, Trump 1 et Biden à enrayer le recul économique des États-Unis. L'administration Obama avait lancé le « pivot vers la Chine » au début des années 2010 avec l'objectif de contenir l'économie et le militarisme de la Chine. L'administration Biden (2020-2024) a notablement amplifié les mesures protectionnistes qui avaient été prises par Trump I (2016-2020). La secrétaire d'État au Trésor avait alors préconisé le découplage des économies des États-Unis et de la Chine, et souhaité que, désormais, les grands groupes occidentaux « relocalisent dans les pays amis » [7]. Pour la première fois en 2021, à la demande de l'administration Biden, l'OTAN, une « Alliance atlantique », a mentionné la Chine dans un communiqué et caractérisé ce pays de « rival systémique », un terme proche de celui utilisé par les États-Unis depuis 2017 [8]. C'est également à la demande pressante de l'administration Biden que pour la première fois en 2019, l'Allemagne a accepté qu'un document de l'UE caractérise la Chine comme a « un rival systémique qui développe des modèles de gouvernance alternatifs » [9] (sic).

Oui mais… Le durcissement progressif et continu de la politique états-unienne, d'Obama à Trump 1, puis à Biden, n'a pas suffi à enrayer l'ascension chinoise. Et les déficits commerciaux et budgétaires des États-Unis ont continué à grimper dans un mouvement notable et inverse à leur influence géopolitique, en dépit du fait qu'ils réalisent 40% des dépenses militaires mondiales.

Dans ces conditions, les citoyens des États-Unis pouvaient-ils réélire en novembre 2024 un président qui s'était momentanément assoupi lors d'un débat télévisé avec son concurrent D. Trump ?

C'est pourquoi le comportement « erratique » de Trump, qu'il reflète ou non un trait de caractère, traduit plus profondément le fait que les États-Unis n'ont plus d'autre vision stratégique que d'empêcher la Chine de poursuivre son ascension économique et géopolitique. Rien ne garantit que la diplomatie appelée dans le monde anglophone du « bord du gouffre » (brinkmanship diplomacy) qui est menée par Trump atteindra ses objectifs affichés de reconquête du marché intérieur des États-Unis et de l'arrêt de l'ascension chinoise. Au bout de quelques mois, un premier bilan de la situation des États-Unis indique plutôt des résultats contraires. En réalité, le degré d'interdépendance aujourd'hui atteint par le marché mondial transforme le découplage espéré par l'Administration Trump en une fragmentation géopolitique accélérée au point même d'ébranler le bloc transatlantique.

Devant le chaos qu'il amplifie, Trump sait pouvoir compter sur le système militaro-industriel pour mettre de l'ordre à l'intérieur du pays et préparer l'affrontement militaire avec la Chine.

L'intelligence artificielle dans l'ordre militaro-sécuritaire

En 2023, les cabinets de consultants estiment le marché mondial de l'IA à des fins militaires entre 8 et 10 milliards de dollars et le marché mondial tourné vers le civil à environ 800 milliards de dollars. Ces ordres de grandeur indiquent où se situent les dynamiques économiques, mais ces chiffres de l'IA ne doivent pas conduire à conclure au rôle mineur de l'IA dans les transformations des nouvelles formes de conflit, d'autant plus que le marché de l'IA de défense devrait doubler d'ici 2030 et dépasser les 18 milliards de dollars. En 2024, ce sont plus de 80 projets militaires qui font appel à l'IA qui ont été financés à hauteur de 1,8 milliard de dollars par le Pentagone.

Dès la fin des années 2010 et le durcissement de la concurrence économique et une amplification des rivalités géopolitiques, les militaires des grandes puissances mondiales (en Chine en 2017, aux Etats-Unis en 2018 et en France en 2019) ont sérieusement pris en compte l'IA.

Son rôle comme vecteur du nouvel ordre militaro-sécuritaire s'explique par la nature singulière de l'IA. Pour les économistes de l'innovation, l'IA constitue une technologie de portée générale (TGP) qui, comme le moteur à vapeur au début de la révolution industrielle, l'électricité à la fin du dix-neuvième siècle et l'informatique après la seconde guerre mondiale, se diffuse dans tous les secteurs de l'économie et de la société. D'où l'espoir que l'IA déclenche un nouveau cycle d'expansion longue du capitalisme qui mettrait fin à la longue dépression consécutive à la crise financière de 2008, comme si les contradictions qui forment le « moment 2008 » se réduisaient à une question d'innovations technologiques. Cela n'empêche pas les plus techno-optimistes de prétendre qu'un taux de croissance de 30% par an est envisageable (quoique pour certains pas avant 2100), ce qui signifierait un doublement du PIB tous les deux ans et demi [10]…

On peut ignorer ces rêveries d'hypercroissance – ou plutôt ce cauchemar effrayant par la destruction des ressources naturelles et des conditions de reproduction de la vie qu'elle provoquerait – et plutôt observer que l'évolution des sociétés ne procède pas par répétition cyclique du passé. Cela est également vrai des technologies. L'IA se distingue radicalement de toutes les autres TPG sur deux points majeurs. D'abord, ses développements se situent d'emblée à l'échelle internationale et sont donc un enjeu de rivalités économiques et géopolitiques entre quelques grandes puissances. Ainsi que le montre le tableau 1 [voir ci-dessous], fondé sur le nombre de publications et citations en intelligence artificielle en 2024, la domination du duopole Chine-États-Unis est écrasante – ils totalisent à eux deux plus de 40% des publications et citations mondiales. Le fait que la Chine domine à ce point ce domaine de recherche est évidemment une des sources d'angoisse des dirigeants états-uniens. C'est une situation totalement différente de la précédente vague technologique. Après la seconde guerre mondiale, l'essor de l'électronique et de l'informatique a été porté par une domination des États- Unis qui n'avait aucun précédent dans l'histoire. On mesure à quel point l'environnement géopolitique et économique profile les trajectoires technologiques et interdit toute répétition à l'identique de celles-ci.

L'enjeu de rivalités économiques et géopolitiques lié à l'essor de l'IA dépasse ce duopole. En effet, une autre indication fournie dans le tableau 1 est la formation d'un monde multipolaire de la recherche, au sein duquel de nombreux pays émergents concurrencent les pays développés. Cette accumulation croissante des connaissances et leur diffusion internationale décrivent un processus qualifié d'économie de la connaissance par l'OCDE ou de « capitalisme cognitif » par ses critiques. Indice de cette situation, la France occupe une médiocre position (11e place) et publie à peine plus que l'Iran, l'Arabie saoudite et la Turquie. En dépit de l'excellence mondiale de son école de mathématiciens, c'est la conséquence du sous-financement structurel de la recherche publique et les conséquences d'un modèle d'innovation publique principalement fondé sur le nucléaire, la défense et l'aéronautique. Ainsi, le plan France 2030 prévoit d'accorder 2,2 milliards d'euros à l'investissement dans l'IA afin de soutenir la formation, favoriser la diffusion des technologies de l'IA et cibler quelques domaines prioritaires. Or, ce montant injecté par un plan qui couvre toute l'économie française est à peine supérieur à celui affecté par la loi de programmation militaire 2024-2030 à la seule IA de défense (2 milliards d'euros).

La seconde caractéristique singulière de l'IA est le caractère généralisé de ses effets sur l'humanité. En fait, à rebours de ce que permettrait leur usage socialement maitrisé afin de satisfaire les besoins de l'humanité, les technologies qui reposent sur l'IA nous menacent sous trois aspects. D'abord, elles transforment les données en une source d'accumulation de profits pour les grands groupes du numérique mais également pour les institutions financières, très investies dans l'IA, et plus généralement elles exercent des effets négatifs sur l'emploi, y compris le travail qualifié. Ensuite, elles renforcent le pouvoir sécuritaire des États sur leurs citoyens, une fonction fondatrice des États modernes. Historiquement, la France a joué un rôle pionnier parmi les pays occidentaux en matière de contrôle étatique. Plus récemment, elle a même exigé des autres pays européens que « tous les aspects du maintien de l'ordre soient exclus du règlement européen sur l'intelligence artificielle [11].

Enfin, l'IA ouvre la voie à de nouvelles formes de guerre grâce à leur utilisation par les militaires.

En somme, l'IA offre des potentialités d'utilisation contre des êtres humains dans tous les domaines de leur vie en société en tant qu'ils sont salariés, citoyens et menacés par les guerres. Cette simultanéité des effets de l'IA s'explique par la nature même de cette technologie qui porte directement sur les connaissances mais également parce que l'IA constitue un ensemble hétérogène de différents systèmes, méthodes et applications, chacun doté de sa propre trajectoire de développement [12].

Toutefois, cette ubiquité des technologies fondées sur l'IA résulte avant tout de l'étroite connexion qui s'est établie entre les objectifs économiques portés par les grands groupes du numérique et la détermination des États à utiliser l'IA à des fins de contrôle des populations. En somme, l'IA conforterait ce que certains auteurs appellent « le technonationalisme, cette manière de lier les capacités technologiques d'un pays à sa sécurité nationale et ses intérêts géopolitiques ».

L'indispensable régénération du système militaro-industriel des États-Unis

L'intégration de l'IA dans les doctrines et les équipements militaires marque une étape supplémentaire dans la longue histoire de l'utilisation des technologies à des fins de destruction. L'émergence de systèmes d'armes autonomes est ainsi souvent décrite comme une troisième révolution militaire, après l'invention de la poudre et les armes nucléaires [13].

Il est donc inévitable que les formidables potentialités militaires de l'IA conduisent à des transformations radicales du complexe militaro-industriel des Etats-Unis [14]. Du point de vue industriel, celui-ci est structuré depuis la seconde guerre mondiale autour de quelques grands groupes qui, au terme de trois décennies de fusions-acquisitions, sont principalement bénéficiaires des contrats du Pentagone. En 2024, Lockheed Martin a reçu 47 milliards de dollars de commandes du Pentagone et avec 15% du total figure très largement en tête. Les 10 premiers groupes ont reçu plus de 40% des commandes militaires.

Les grands groupes de la défense produisent des systèmes d'armes complexes. Les liens solides établis avec le Pentagone et les relations collusives avec les parlementaires, soucieux d'accueillir des implantations industrielles créatrices d'emplois, leur garantissent une accumulation de rentes confortables mais freinent sérieusement leur dynamisme innovant. Contrairement à une histoire en partie mythique des transferts de technologies du militaire vers le civil (appelées « retombées » ou spinoffs), la plupart des innovations technologiques réalisées après la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis (le transistor en 1948, le circuit intégré en 1954 et le microprocesseur en 1971) ont été mises au point par des entreprises, certes financées par l'argent public (celui du Pentagone), mais qui étaient extérieures au « Complexe ». C'est donc au vaste écosystème d'entreprises innovatrices présentes sur les marchés commerciaux que le Pentagone s'est généralement adressé lorsqu'il a voulu financer des innovations ‘radicales' (ou de ruptures). C'est une des singularités du système national d'innovation états-unien, non reproductible ailleurs. Elle permet de comprendre pourquoi, en France, un pays qui est dominé par une classe de « capitalo-fonctionnaires », la focalisation de la politique technologique sur les militaires bénéficie aux grands groupes sans que la diffusion des crédits de R&D militaire s'étende aux autres entreprises, à l'exception de celles présentes dans le secteur aéronautique et spatial.

Les grands groupes de la défense états-uniens ont été très lents à comprendre les enjeux de l'IA pour la défense à la fois pour des raisons d'inertie bureaucratique et en raison de la crainte de perdre une partie de leurs marchés au profit des entreprises civiles du numérique. Une partie de l'état-major a été également longtemps réticente à intégrer l'IA dans les systèmes d'armes, craignant d'en perdre le contrôle, au point que certains aviateurs ont été taxés de luddistes [15]. Le caractère incontrôlé des effets de l'IA, en particulier dans son couplage avec les armes nucléaires, explique également la prudence des militaires. Il est vrai qu'il y a une bonne dose de futurisme dans les promesses faites par les entreprises du numérique.

Au cours des dernières années, les géants du numérique ont fait valoir leurs intérêts afin de figurer parmi les grands fournisseurs du Pentagone. Un réseau politique solide et des innovations qui intéressaient le Pentagone ont dynamisé de nombreuses start-up de la Silicon Valley. En 2022, Anduril, une start-up créée par le libertarien Peter Thiel, un des soutiens les plus anciens de D. Trump, a publié un document qui dénonçait la faible capacité d'innovation technologique du « Complexe », notant par exemple que jusqu'en 2019, les données concernant l'arsenal nucléaire du pays étaient stockées sur des disques externes. Le document notait également que l'industrie d'armement consacrait entre 1% et 4% de son chiffre d'affaires au financement sur fonds propres de sa recherche-développement, contre 10 à 20% pour les grands groupes du numérique et 40% pour les start-up technologiques [16]. Le message essentiel qui concluait le rapport était qu'« il n'y a pas de recette magique pour diminuer les coûts, mais une bonne dose de capitalisme de marché (a healthy dose of free capitalism) nous aiderait sacrément à atteindre cet objectif » [17]. En 2024, le PDG de Palentir, une autre start-up proche d'Anduril, a publié un rapport plus sévère encore sur le comportement et les pratiques du Département de la défense et des grands groupes contractants. Sa tonalité est résumée dans cette phrase : « Tout le monde, y compris les Russes et les Chinois, ont abandonné le communisme, excepté Cuba et le Département de la défense. Le seul problème, c'est que nous sommes de piètres cocos (sic) » [18].

Les autres entreprises du numérique ont progressivement abandonné leurs réticences pour entrer dans le cercle fermé des fournisseurs du Pentagone. Sam Altman, le co-fondateur d'OpenAI avait tweeté le lendemain de l'élection de Trump en 2016 : « C'est la pire chose qui puisse se passer dans ma vie ». Huit années plus tard, il figure parmi les donateurs importants du candidat républicain. Son entreprise, de même que Google ont officiellement révoqué les clauses éthiques qui limitaient leur implication dans les programmes de recherche militaire. Ils sont tous fascinés par la façon dont Elon Musk a remporté des contrats pour le déploiement de systèmes satellitaires du Pentagone, montrant que même Lockheed Martin (15% des commandes totales du Département de la défense en 2024) peut être battu.

Les trois objectifs du DOGE

À la date de rédaction de cet article, Musk était encore en charge du DOGE, le département de l'efficacité gouvernementale (Department of government efficiency, DOGE) créé à sa demande par Donald Trump. Dans un pays traditionnellement méfiant vis-à-vis du « Big government » et où règne une coûteuse gabegie des programmes d'armement périodiquement recensée par la Cour des Comptes (United States Government Accountability Office) [19], l'initiative du DOGE ne peut que susciter un intérêt, voire une attente. Il a toutefois fallu peu de temps pour comprendre les enjeux. Musk lui a en effet fixé trois objectifs. D'abord, il a décidé de privatiser le plus possible les opérations de mise en orbite des satellites afin d'améliorer la position de ses sociétés sur le marché de l'espace évalué à 2000 milliards de dollars pour les dix prochaines années. Le montant des contrats passés par ses deux filiales Space X (production et mise en orbite de satellites) et de Starlink (réseau de plus de 7000 satellites en orbite basse et moyenne) [20] n'est pas officiellement connu, mais il est estimé à 15 milliards de dollars. Ensuite, il compte procéder à des privatisations massives et des suppressions d'emplois dans les agences fédérales. Son projet de privatisation – assortie de licenciements – de l'agence scientifique dédiée aux questions atmosphérique et océanique (la National Oceanic and Atmospheric Administration, Noaa) permettrait, selon des employés de la NOAA, de prendre le contrôle d'infrastructures de communications dédiées aux téléphones mobiles, aux informations météo sur internet, etc. [21].

Enfin, le DOGE s'attaque au DoD, ce dernier « bastion du communisme » selon le PDG de Palentir. Derrière ce slogan, comme l'a expliqué le secrétaire d'État à la défense, l'objectif « est de tailler dans le gras dans les bureaux mais de muscler l'armée, ceux qui font la guerre » [22]. Le sous-secrétaire d'État du DoD et responsable de l'emploi fixe l'objectif d'une réduction des personnels civils de 5% à 8% des 700 000 employés civils qui travaillent au Pentagone [23]. D'autres ministères (éducation, santé) ainsi que le service des impôts sont également concernés. Le secrétaire d'État au Trésor a fourni une explication inspirée par les manuels d'économie orthodoxe consacrés au marché du travail et à sa loi de l'offre et de la demande : les salariés fédéraux licenciés « nous fourniront la main-d'œuvre dont nous avons besoin pour mener à bien la réindustrialisation » [24].

Plus généralement, l'objectif de Musk est de restructurer les agences du secrétariat à la Défense de façon à laisser plus de place aux entreprises du numérique, dont la sienne. Les grands groupes du numérique ont d'ailleurs décidé d'unir leurs forces au sein d'un Consortium dont l'objectif explicite est de « constituer une nouvelle génération de maître d'œuvre dans la défense » et ainsi ébranler la position des grands groupes qui occupent la place depuis des décennies. On comprend l'inquiétude des groupes déjà en place qui devront désormais partager la rente financière issue des contrats avec le ministère de la Défense. Toutefois, sur un marché à 1000 milliards de dollars et en expansion de 12% en 2025, cela devrait leur permettre de continuer à satisfaire leurs actionnaires, comme ils le font depuis des décennies (encadré).


Les marchés financiers sont séduits

Comment les penseurs dominants de la « mondialisation heureuse » ont-ils pu infuser depuis trois décennies dans les esprits que les « marchés n'aiment pas la guerre » ? [26] En vérité, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les valeurs boursières des groupes de la défense des États-Unis ont surperformé par rapport aux indices boursiers de Wall Street, par exemple le S&P500. Ces surper-performances se sont même renforcées depuis les années 1990, lorsque le changement de gouvernance des entreprises a donné la priorité à la « création de valeur pour l'actionnaire », un slogan qui témoignait de la domination du capital financier. Les grands groupes de la défense ont également adopté cette règle, et les investisseurs financiers (les « marchés ») ont donc transformé les dépenses militaires et les conflits mondiaux en opportunités pour valoriser leur capital. Après l'éclatement de la bulle spéculative sur Internet (en 2000), les marchés boursiers ont alors adopté une convention « guerre sans limites » [26], une convention étant comme Keynes l'a montré, une opinion commune établie à un moment donné par les investisseurs et qui détermine donc l'humeur du marché boursier.

Les marchés financiers ont vu juste. La convention « guerres sans limites » s'est traduite par une évolution des valeurs boursières de l'armement qui est passée de l'indice 100 en 2004 à 1050 en 2024, soit une valeur multipliée par 10. De quoi faire pâlir l'indice S&P (qui recense les 500 plus grandes entreprises cotées à Wall Street) qui est passé au cours de la même période de 100 en 2003 à seulement 600 en 2024…

Au fait ! Keynes et les keynésiens ont également expliqué que les conventions établies par les investisseurs financiers sont autoréalisatrices. Ce qui signifie, dans le cas présent, que ceux-ci n'ont pas seulement anticipé les guerres sans limites, mais qu'ils ont également fourni les munitions financières pour permettre aux groupes de l'armement de les préparer.


Le devenir du régime bonapartiste de Trump

Le 2025 Project dont le sous-titre est Mandate for Leadership : the Conservative Promise [27] est un document de plus de 900 pages. Il a été élaboré en 2023 par des dizaines de think tanks conservateurs afin de servir de boussole politique pour la campagne présidentielle de D. Trump. Le chapitre rédigé par Christopher Miller, ancien secrétaire d'État à la Défense de la première administration Trump, fixe deux objectifs principaux au Département de la Défense. D'une part, il doit faire face à la Chine qui constitue de loin le principal danger pour « la sécurité, les libertés et la prospérité des Etats-Unis » (p.92) et qui, précise un autre chapitre, « ne peut être arrêtée que par une pression extérieure ». Car derrière les enjeux liés à l'IA, la captation des ressources minérales et énergétiques gigantesques nécessaires pour faire marcher les banques de données des GAFAM est au centre des ambitions des États-Unis. La frénésie de conquête de territoires richement dotés en ressources confirme, pour ceux qui en avaient douté pendant les décennies 1990 et 2000, l'actualité des rivalités inter-impérialistes. Pour Trump, le Groënland, le Canada, l'Ukraine et d'autres pays encore sont à conquérir.

D'autre part, Christopher Miller affirme qu'il faut « éliminer l'endoctrinement marxiste et les programmes incluant les théories critiques sur la race qui ne sont pas consensuelles et de plus supprimer les centres récemment créés consacrés à la diversité, l'équité et l'inclusion » (p. 103 et 104).

Ces deux objectifs fixent les missions qui sont assignées au complexe militaro-industriel (CMI). En effet, les transformations du CMI analysées dans cet article s'inscrivent dans cette double perspective : préparer la guerre contre la Chine et celle contre les ennemis de l'intérieur qu'ils soient immigrants, militants pour la diversité ou bien encore salariés de l'État fédéral dépouillés de leur droit de faire grève par un décret présidentiel du 27 mars 2025 parce que, déclare la Maison-Blanche, « ces syndicats de l'État fédéral ont déclaré la guerre au programme du Président Trump » [28]. Un autre décret présidentiel en date du 11 avril 2025 porte le titre suivant : « Missions militaires pour fermer la frontière Sud des États-Unis et repousser les invasions ».

Le programme politique de Trump 2 nécessite le soutien d'une base sociale qui soit à la fois électorale mais aussi agissante. Son ferment idéologique est fourni par les dirigeants de la Big Tech, par exemple le racisme de Musk et les visions millénaristes de P. Thiel, actionnaire d'Anduril et de Palentir. On ne confondra toutefois pas les milliardaires de la Silicon Valley avec les dizaines de milliers de leurs salariés qui ont manifesté au côté de dizaines de millions de citoyens le 5 avril 2025 pour protester contre les mesures prises par Trump depuis son élection [29].

L'alliance des dirigeants des groupes du numérique et de l'idéologie à pulsions dictatoriales est soutenue par les groupes de chrétiens évangélistes [30]. Ensemble, ils forment le cœur des élites qui occupent l'appareil de l'État fédéral depuis l'élection de Trump. Ces courants sont qualifiés par certains de « techno-fascistes », une expression forgée par l'historienne Janis Mimura pour désigner ces technocrates japonais qui rejetaient à la fois « le communisme et le capitalisme libéral » et formèrent la base de l'appareil d'Etat au cours de la guerre [31]. D'autres parlent d'un « fascisme de la fin du monde » [32].

Comment qualifier le régime politique qui prend forme aux États-Unis ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord observer les dynamiques d'évolution plutôt que d'adopter des formules figées. En effet, les transformations de l'État fédéral entre la première administration de Trump (2016-2020) et Trump 2 (2024-2028) sont considérables. L'idéologie était déjà réactionnaire, et Bannon en était déjà un des architectes. Il était foncièrement opposé aux dirigeants des grands groupes du numérique, qu'il qualifiait de seigneurs de « l'État apartheid de la Silicon Valley et de technoféodalistes » [33]. Depuis son élection en novembre 2024, ces seigneurs du prétendu « État apartheid » ont pris possession de l'appareil d'État, et plus précisément, du Pentagone, qui en constitue le cœur. L'idéologie n'a pas changé, elle demeure nativiste, raciste et suprémaciste. Ce qui a changé, en relation évidente avec le recul économique et géopolitique des États-Unis, c'est la nécessité pour y faire face, d'investir totalement l'appareil d'État fédéral et de vaincre les résistances à l'État fort qui s'y trouvent encore. En effet, ni Trump, ni Musk n'ont oublié l'opposition exprimée par une partie de l'Etat-major à l'utilisation de l'armée dans les rues de Washington lors des manifestations organisées après l'assassinat de George Floyd par la police en juin 2020.

L'ascension politique de Trump évoque une aventure bonapartiste, au sens forgé par la sociologie politique d'un homme fort qui centralise les pouvoirs politiques à son profit dans une démarche autoritaire, développe une approche plébiscitaire (aujourd'hui grâce aux réseaux sociaux) et mobilise l'armée dans des guerres à l'étranger et dans le pays contre les oppositions populaires. Marx, qui fut le premier à rendre compte dans sa profondeur du processus bonapartiste (celui de Napoléon III) [34], ne le définissait pas seulement comme un régime autoritaire, mais en relation avec les rapports de force entre les classes et en leur sein.

L'évolution d'un régime bonapartiste n'est donc pas fixée au départ. Celle du régime Trumpiste dépend de plusieurs facteurs dont la force de la résistance populaire et l'existence d'alternatives politiques, ainsi que de l'ampleur des tensions au sein de l'ordre économique et géopolitique mondial, deux paramètres qui testeront à leur tour la cohésion des classes dominantes des États-Unis. (Article publié par Les Possibles, printemps 2025)

Claude Serfati est économiste, chercheur associé à l'IRES ; il a récemment publié Un monde en guerres, Textuel, avril 2024.

Notes

1. Selon les experts en gestion d'entreprises, cette méthode de direction consiste à expliquer aux salariés “ce qu'on exige d'eux et les contreparties qu'ils recevront s'ils respectent ces exigences ». C'est clair, Bernard M. Bass, “From Transactional to Transformational Leadership : Learning to Share the Vision”, Organizational Dynamics 18, no. 3, 1990, p.19-20.
2. Robin Khorda, Le Parisien, 16 janvier 2025
3. Leo Shane III, “Trump promises $1 trillion in defense spending for next year”, Defense News, 8 avril 2025. https://www.defensenews.com/author/leo-shane-iii/
4. Ann Applebaum, “Trump Is Speaking Like Hitler, Stalin, and Mussolini”, The Atlantic, 18 octobre 2024.
5. Morningstar Investor, « Jamie Dimon worries “World War III has already begun », 24 octobre 2024. https://www.morningstar.com/news/marketwatch/20241024374/jamie-dimon-worries-world-war-iii-has-already-begun
6. Ann Applebaum, op.cité.
7. Claude Serfati, « L'ère des impérialismes continue : la preuve par Poutine », 22 avril 2022. https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/lere-des-imperialismes-continue-la-preuve-par-poutine.html
8. The White House, “National Security Strategy of the United States of America” December 2017. https://trumpwhitehouse.archives.gov/wp-content/uploads/2017/12/NSS-Final-12-18-2017-0905.pdf
9. European Commission, EU-China – A Strategic Outlook, Joint Communication to the European Parliament, the European Council and the Council, 12 March 2019.
10. Dylan Matthews, “How AI could explode the economy And how it could fizzle”, 26 mars 2024. https://www.vox.com/future-perfect/24108787/ai-economic-growth-explosive-automation
11. Maria Maggiore, Leïla Miñano et Harald Schumann, « Intelligence artificielle : la France ouvre la voie à la surveillance de masse en Europe », 22 janvier 2025. https://www.investigate-europe.eu/fr/posts/france-spearheads-member-state-campaign-dilute-european-artificial-intelligence-regulation
12. Rand Europe, “Strategic competition in the age of AI”, 6 septembre 2024.
13. Voir un monde en guerre, le chapitre 4 consacré aux dimensions militaro-sécuritaires de l'IA et pour une presentation plus courte, Claude Serfati, « L'alliance périlleuse de l'IA et du militaire », Vie de la recherche scientifique, n.437, juin 2024. https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71584
14. Pour une mise en perspective historique, voir Claude Serfati, « Mes chers compatriotes, méfiez-vous du complexe militaro-industriel ! » dans Petitjean Olivier et Du Roy Ivan, Multinationales. Une histoire du monde contemporain, La Découverte, 2025.
15. Voir Claude Serfati, Un monde en guerres, chapitre 4.
16. Anduril, “Rebooting The Arsenal of Democracy”, 2022. https://www.rebootingthearsenal.com/
17. Id., p. 43.
18. Shyam Sankar / Palantir CTO, “The defense Reformation”, 31 October 2024, p. 8.
19. Dans sa plus récente édition, la Cour des Comptes trouve très peu d'améliorations dans la gestion des programmes (dépassement des coûts et des délais) malgré les réformes engagées, GAO, « Weapon Systems Annual Assessment », juin 2024. https://www.gao.gov/assets/gao-24-106831.pdf
20. Sur les effets de cette constellation de satellites sur l'environnement terrestre et dans l'espace , voir Justin Carrette « Avec Starlink, Elon Musk innove dans la pollution », Reporterre, 2 mars 2021. https://reporterre.net/spip.php?page=memeauteur&auteur=Justin+Carrette+
21. Tom Perekins, “Doge cuts allow Musk to cash in with SpaceX and Starlink contracts, ex-workers warn” (de ex-salairés s'inquiètent que les reductions de budget décidées par DOGE permettront à Musk d'engranger des contrats pour Spacex et Starlink), The Guardian 25 mars 2025.
22. NPR, 20 février 2025. https://www.npr.org/2025/02/20/nx-s1-5303947/hegseth-trump-defense-spending-cuts
23. Meg Kinnard, “A comprehensive look at DOGE's firings and layoffs so far”, 22 février 2025. https://apnews.com/author/meg-kinnard
24. Hugh Cameron “Fired Federal Workers Could Work Factory Jobs Created by Tariffs : Bessent”, Newsweek, 8 avril 2025.
25. Voir Claude Serfati, « Finance et Défense : de nouvelles interrelations », Innovations, 2008,28.
26. Luc Mampaey et Claude Serfati, « Les groupes de l'armement et les marchés financiers : vers une convention « guerre sans limites ? » dans (Chesnais François, s/d), La finance mondialisée. Racines sociales et politiques, configurations et conséquences, La Découverte, Paris, 2004.
27. Communiqué de la Maison blanche, 27 mars 2025. https://www.whitehouse.gov/fact-sheets/2025/03/fact-sheet-president-donald-j-trump-exempts-agencies-with-national-security-missions-from-federal-collective-bargaining-requirements/
28. https://www.aclu.org/news/national-security/trumps-expanded-domestic-military-use-should-worry-us-all
29. Le mouvement s'intitulait 50501 pour “50 protestations, 50 États, 1 mouvement”.
30. Parmi ceux qui sont influents dans l'Administration Trump, on trouve le secrétaire d'État à la défense et l'ambassadeur en Israël
31. Janis Mimura, Planning for Empire : Reform Bureaucrats and the Japanese Wartime State Ithaca, NY : Cornell University Press, 2011
32. Naomi Klein et Astra Taylor, “”The rise of end times fascism, The Guardian, 13 avril 2025.
33. « Steve Bannon says MAGA populism will win — as Trump is surrounded by billionaires » https://www.wunc.org/2025-01-19/steve-bannon-says-maga-populism-will-win-as-trump-is-surrounded-by-billionaires
34. Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1851, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum.pdf

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Les manoeuvres financières du Président Trump et sa famille : du jamais vu dans l’histoire américaine

27 mai, par Amy Goodman, Éric Lipton — , ,
Amy Goodman : (…) Le New York Times a titré récemment un article : « Trump part pour le Moyen Orient avec un seul but : deals, deals, deals ». Notre prochain invité, Eric (…)

Amy Goodman : (…) Le New York Times a titré récemment un article : « Trump part pour le Moyen Orient avec un seul but : deals, deals, deals ». Notre prochain invité, Eric Lipton, y à contribué parce qu'il suit de près les ententes et contrats que réalise l'administration Trump. Il est récipiendaire d'un prix Pulitzer, journaliste d'investigation au New York Times ces derniers articles s'intitulent : « Auction to Dine With Trump Creates Foreing Influence Opportunity » et « TRump Sons' Deals on Three Continents Directly Benefit the President ».

Tiré de Democracy Now, 13 mai 2025
Unprecedented” in U.S. History : Trump & Family Rake In Money from Gulf States, Crypto & Real Estate
Democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/5/13/qatar_air_force_one
Traduction, Alexandra Cyr

Soyez le bienvenu sur Democracy Now, Eric Lipton. Pourquoi ne pas commencer ici. Nous nous arrêtons sur ce premier voyage international important du Président Trump avec un premier arrêt a Riad. Nous voyons le défilé de PDGs américains et autres qui serrent la main de Mohammed ben Salman et bien sûr l'allié bien en vue du Président, l'homme le plus riche au monde, Elon Musk. Pourriez-vous nous dire qui est derrière ce voyage comme son beau-fils Jared Kushner qui donne ses avis et ceux que nous ne voyons pas encore, ses fils Eric et Donald jr. Qu'ont-ils à gagner ?

Eric Lipton : Actuellement c'est au Moyen Orient que l'Organisation Trump a ses liens les plus importants pour ses opérations d'affaire. C'est clairement là qu'elle réalise ses plus importants profits et de beaucoup. Il y a les revenus du gaz et du pétrole qui depuis des décennies ont été placés dans des fonds souverains. Il se trouve que, actuellement, les administrateurs.trices de ces fonds cherchent à investir globalement, à devenir des acteurs économiques importants dans le monde. C'est pour cela que tant de ces représentants.es d'entreprises capitalistes et aussi d'intelligence artificielle et de technologie se dirigent vers le Moyen Orient. Et c'est aussi cela qui fait que les Trump et Jared Kushner sont si liés à cette région, ils ont des centaines de milliards de dollars à placer. Et de même pour les représentants.es d'entreprises américaines qui accompagnent le Président Trump dans ce voyage.

Au cours des dernières semaines, le gouvernement d'Abu Dhabi a annoncé qu'il investirait une valeur de 2 milliards de dollars dans World Liberty Financial, la compagnie de crypto monnaie des Trump qui va s'en servir pour financer la plus importante entreprise d'échange de cette monnaie dans le monde. Mais, pendant que cette somme est déposée dans World Liberty Financial, la famille Trump et ses partenaires vont toucher deux milliards de dollars en intérêts. Nous parlons donc de millions de dollars par année.

Pas très loin de là, au Qatar, le gouvernement est propriétaire d'un terrain où la famille Trump va créer un terrain de golf et construire des villas. C'est la compagnie DarGlobal, qui coordonne la plupart de ces projets au Moyen Orient. C'est une filiale de Dr Al Arkan, une compagnie immobilière basée en Arabie Saoudite étroitement alignée avec le gouvernement du royaume. DarGlobal a six projet différents qui comporteront le nom de Trump comme Rober Weissman l'a indiqué. La famille Trump fait des millions de dollars en vendant son nom et elle encaisse aussi souvent des frais de licences et de gestion. Les Trump ont donc des projets en Arabie Saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis avec DarGlobal. C'est là que se trouve le plus productif des opérations immobilières de la famille Trump à travers DarGlobal et ces projets marquage.

J'ai examiné de près la liste des personnes présentes aux rencontres saoudiennes et je n'ai vu personne de DarGlobal. Même s'ils devaient être là … et je n'ai pas vu non plus de noms de leurs partenaires sur cette liste assurant qu'ils étaient présents. Mais de simplement être dans cet espace est positif. Pour Jared Kushner, que le Président soit là c'est productif. Il a reçu plus de deux milliards de dollars de Public Invesment d'Arabie saoudite pour son propre fonds d'investissement. Et ce Public Investment Fund est le plus grand investisseur dans le LIV Golf où se sont tenus quatre tournois de suite sur le golfe Doral de la famille Trump en Floride.

Donc, l'argent du Moyen Orient avec la crypto monnaie, les golfs et les hôtels et l'action de Jared Kushner, inonde les opérations de la famille Trump. Il n'est donc pas surprenant que ce voyage soit si important. Le Président visite les Émirats arabes unis, le Qatar et l'Arabie saoudite les trois partenaires d'affaire de sa famille.

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États-Unis : Trump au pied des monarchies du Golfe

27 mai, par Dan La Botz — , ,
Le président Donald Trump s'est rendu dans la semaine du 12 mai dans trois monarchies du golfe Persique, où il a été adulé, a fait l'éloge des régimes féodaux, a conclu des (…)

Le président Donald Trump s'est rendu dans la semaine du 12 mai dans trois monarchies du golfe Persique, où il a été adulé, a fait l'éloge des régimes féodaux, a conclu des accords et a accepté des pots-de-vin, tout en opérant un changement important dans la politique américaine au Moyen-Orient. Au milieu de magnifiques palais et mosquées, entourés de chevaux arabes et sous l'effet des danses à l'épée, M. Trump et les monarques se sont mutuellement fait des éloges.

Tiré de Inprecor
21 mai 2025

Par Dan La Botz

La responsabilité du prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane (MBS) dans le meurtre horrible du journaliste Jamal Khashoggi, lors d'une visite au consulat saoudien à Istanbul, comme l'avait précédemment signalé la CIA, n'a jamais été mentionnée. Les gouvernements autoritaires et les violations des droits humains de l'Arabie saoudite, du Qatar ou des Émirats arabes unis n'ont pas non plus été mentionnés. Au contraire, Trump a fait l'éloge de MBS pour avoir fait entrer l'Arabie saoudite dans l'ère moderne. Il a rejeté les critiques précédentes du gouvernement américain à l'encontre des monarchies en déclarant : « C'est à Dieu de juger, mon travail consiste à défendre l'Amérique et à promouvoir les intérêts fondamentaux de la civilité, de la prospérité et de la paix ».

Le voyage de Trump était axé sur les accords conclus avec les entreprises américaines. Il a affirmé avoir conclu des contrats d'une valeur de 2 000 milliards de dollars, notamment pour la vente d'avions Boeing et de moteurs General Electrics. Il a signé un accord visant à faire des Émirats arabes unis la plus grande installation d'IA en dehors des États-Unis. Il a également affirmé que les monarchies du Golfe allaient investir des milliers de milliards de dollars en Amérique. Une alliance entre puissances pétrolières semble scellée. L'émir du Qatar a adopté le slogan de Trump, « Drill baby, drill ». Les monarchies accueillent depuis des décennies des bases militaires américaines, et des milliers de soldats américains font des États-Unis la puissance militaire dominante de la région.

Affaires de la famille Trump

La corruption de Trump et sa propension à accepter des pots-de-vin ont été mises en évidence. Le Qatar a offert à Trump un avion de luxe Boeing 747-8 d'une valeur de 400 millions de dollars, destiné à remplacer l'actuel Air Force One. Ou peut-être s'agissait-il d'un cadeau au département de la défense des États-Unis ? Quoi qu'il en soit, Trump a déclaré qu'il accepterait l'avion et qu'il le placerait dans sa bibliothèque présidentielle à la fin de son mandat. Ses détracteurs estiment qu'il s'agit d'un pot-de-vin qui viole la clause d'émoluments de la Constitution, laquelle interdit au président d'accepter des cadeaux de la part de gouvernements étrangers. Les Émirats arabes unis ont conclu un accord sur les cryptomonnaies d'une valeur de 2 milliards de dollars avec World Liberty Financial, qui appartient… aux fils de Trump, Donald Jr. et Eric.

Bien que le sujet ait été évité, la visite de Trump a également renforcé les nombreux autres investissements de sa famille dans la région : une tour résidentielle à Riyad, une Trump Tower de 47 étages à Jeddah. Trump International Hotel and Tower à Dubaï, Trump International Golf Course à Doha et Trump International Hotel & Golf Club à Oman.

Politique étrangère

Le voyage ne s'est toutefois pas résumé à des pots-de-vin et à des transactions commerciales. Le président des États-Unis a profité de l'occasion pour opérer un sérieux changement dans la politique étrangère du pays. Tout d'abord, il convient de noter qu'il ne s'est pas rendu en Israël et n'a pas rencontré le Premier ministre Benjamin Netanyahou, pas plus qu'il n'a adapté ses décisions pour lui plaire. Trump a annoncé qu'il levait les sanctions contre la Syrie et a rencontré le président intérimaire de la Syrie, Ahmed al-Charaa, qui était autrefois affilié à Al-Qaïda et dont la tête était mise à prix pour 10 millions de dollars jusqu'en décembre dernier. Netanyahou, cependant, craint que la Syrie ne devienne un agresseur et l'a attaquée plus de 600 fois depuis qu'Assad a été évincé en décembre 2024.

Trump a également annoncé que les États-Unis et l'Iran s'étaient « en quelque sorte » mis d'accord sur un accord nucléaire, ce qui pourrait conduire à une normalisation des relations. Ici aussi, Netanyahou ne sera pas satisfait de cette évolution, car il souhaite que les États-Unis se joignent à Israël pour bombarder l'Iran.

Et tandis qu'Israël poursuivait ses bombardements sur Gaza et avançait dans ses projets de nouvelle invasion et d'occupation, Trump a mentionné en passant à ses hôtes et aux médias la famine qui sévit à Gaza et qu'Israël nie.

Trump est versatile, il est donc difficile de savoir ce qui se passera en fin de compte. Pour l'instant, il semble que le président américain place sa confiance dans les monarchies du Golfe, et non en Israël.

Dan La Botz, traduit par la rédaction de l'Anticapitaliste et publié le 22 mai 2025

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Haïti, notre dette : Une étincelle du feu qui nous embrase

Dans sa belle introduction, Haïti, notre dette, Frédéric Thomas parle du passé « On vous a arrachés à vos terres et à vos familles. Enlevés de la Côte d'Or, du Dahomey, du pays (…)

Dans sa belle introduction, Haïti, notre dette, Frédéric Thomas parle du passé « On vous a arrachés à vos terres et à vos familles. Enlevés de la Côte d'Or, du Dahomey, du pays des Aradas. Parqués à fond de cale, vous n'aviez rien, vous n'étiez rien. On vous a jetés, couverts de chaînes, à des milliers de kilomètres de là sur un territoire qui vous était étranger » et jette un pont vers le présent et le futur : « Le temps est passé, mais votre promesse demeure. Je vous dois une part de mon confort, de mes droits et de mes armes. Et moi, contrairement à la France, je paie mes dettes ».

Avril 2025 | tiré du site d'Inprecor

Un petit livre, mais contrairement à d'autres Frédéric Thomas ne caricature pas, n'oublie pas, n'efface ni les un·es et ni les autres, ne gomme pas des contradictions. Un coup pour coup magnifiquement écrit…

Des personnes esclavisées et d'ancien·nes esclaves, des afro-caraïbien·nes se sont libéré·es, seul·es. Un événement inouï, « L'onde de choc se poursuit jusqu'à nous et continue de faire vaciller les pouvoirs », impardonnable pour les maitres du monde. « L'exemple toxique de ce premier État noir, issu d'une révolte d'esclaves, a de quoi hanter le présent, entretenir les rêves, les révoltes et les peurs ».

L'auteur parle des politiques de la France, des réécritures de l'histoire, de l'inégalité entre États, du regard colonial d'un temps bloqué, de l'Ordonnance de Charles X (17 avril 1825), « une victoire acquise par la lutte se mue en une indépendance concédée par le pouvoir vaincu ». Il revient sur la révolution, les plantations de cannes à sucre, les administrateurs et les propriétaires, les petits blancs, les noirs libres, les esclaves des plantations, « et toutes les relations sociales sont saturées, structurées et surdéterminées par la violence esclavagiste », Les Jacobins noirs de C.R.L. James, le racisme et la peur panique des colons, François-Dominique Toussaint Louverture.

« La révolution s'inscrit dans la voie ouverte par les révolutions américaine et française ». Le décret de la liberté générale, l'abolition de l'esclavage, le rôle de Léger-Félicité Sonthonax, « l'écho de l'insurrection est désormais mondial ». Il ne faut pas se tromper, « l'initiative réelle revient aux esclaves qui se sont soulevés et exercent une pression prodigieuse sur toutes les forces en présence ». Ce geste libérateur ne peut être accepté, il sera nié, transformé en concession du pouvoir (une habitude des dominants, hier comme aujourd'hui !). Et pourtant, l'auteur a raison de le souligner, « la révolution haïtienne dessine d'autres “nous”, qui se rient de ces autorités »…

Dans le chapitre suivant, Frédéric Thomas analyse le pacte néocolonial, « L'enjeu est pourtant de penser ensemble la domination internationale et celle de la classe dominante haïtienne », la situation néocoloniale de dépendance, l'architecture de la société coloniale et le nouveau pouvoir qui émerge de la révolution haïtienne, le modèle d'agriculture intensive, « La plantation est une plateforme d'import-export dont le centre de décision est délocalisé », le travail libre qui rappelle le temps de l'esclavage, « la résistance têtue des anciens esclaves, refusant de retourner dans les plantations », le maintien du marqueur de l'esclavage et du colonialisme, et aussi « un projet d'agriculture et de société alternative », les clivages internes à la société haïtienne, l'oligarchie, le mythe fondateur et l'échec économique. L'auteur conclut ce chapitre sur les comptes à rendre de l'État français et sur la mise en place d'une politique de réparation...

Des soulèvements, le moment 1825, « Haïti est la nation la plus inégalitaire du continent le plus inégalitaire du monde », la répétition des chocs « sur fond de catastrophes naturelles, d'instabilité politique et de pauvreté », l'humanitaire et « les manières de passer à côté d'Haïti », celles et ceux qui parlent d'urgence mais pas d'histoire et qui oublient les droits et les résistances, les mobilisations de 2008, les colères contre la corruption et la vie chère, la confusion internationale entre « la pire des politiques [et] la politique du pire », les regards partagés par les ONG et les diplomates internationaux, les gravats du silence, « les peurs enfouies depuis cette fameuse nuit d'août 1791 », le pouvoir d'occulter le pouvoir, les responsabilités invisibilisées, l'humanitaire comme justification de « ce que l'on fait, ce qu'on ne fait pas et ce qu'on laisse faire », le refus d'une « transition de rupture », l'accord de Montana, le gouvernement d'Ariel Henry, les bandes armées et le refus « de mettre en place un réel embargo sur les armes en provenance des États-Unis », l'oligarchie et les élites, les fonctionnements mafieux. Contre la construction de réalités falsifiées et mensongères, contre l'occultation des pouvoirs et des responsabilités, il nous faut réhabiliter l'histoire et les paroles des populations haïtiennes pour rompre avec les stratégies du pacte néocolonial…

Frédéric Thomas termine par un chapitre « réparation ». Contre l'idée qu'il ne s'est rien passé, il faut regarder les Haïtiens et les Haïtiennes en face, reconnaître les faits, les responsabilités, fixer une politique de réparations, « La France a une dette envers Haïti qu'elle doit rembourser ».

Donnons à voir l'extraordinaire du soulèvement de 1791, démystifions les lectures monochromes de la modernité, analysons le « double mécanisme d'extraversion et de dépossession » et la superposition des scènes internationale et nationale, refusons le nationalisme étroit sans dimension anticoloniale et internationaliste, défaisons ce qui se fait en notre nom...

Nous avons besoin de tels livres pour que nos luttes quotidiennes se confondent avec l'embrasement du monde… « La révolution haïtienne est une promesse qui doit être tenue ».

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222 ans après : un drapeau à 400 millions pour couvrir l’échec d’un État

« Yon sèl Drapo, Yon sèl Pèp, Yon sèl Nasyon ». Le slogan est beau. Il évoque l'unité, la souveraineté, le patriotisme. Mais à l'heure où le Pouvoir exécutif prévoit de (…)

« Yon sèl Drapo, Yon sèl Pèp, Yon sèl Nasyon ». Le slogan est beau. Il évoque l'unité, la souveraineté, le patriotisme. Mais à l'heure où le Pouvoir exécutif prévoit de débourser environ 400 millions de gourdes pour les festivités du 18 mai 2025, ce message résonne comme une gifle donnée au visage d'un peuple affamé, traqué, trahi.

Par Smith PRINVIL

À Cap-Haïtien, ville-héroïne de notre histoire révolutionnaire, se prépare un événement de prestige : décorations, vols charters pour les officiels, sécurité renforcée, spectacles culturels — tout, sauf la sincérité. Le paradoxe saute aux yeux : pendant que les autorités fuient la Plaine du Cul-de-Sac devenue zone rouge, elles s'envolent pour célébrer le drapeau dans une ville à l'abri, comme pour maquiller l'effondrement de la République par un folklore national.

Mais quelle nation célèbre-t-on à 400 millions de gourdes quand des enfants meurent de faim à La Saline, quand les hôpitaux publics ferment faute de moyens, quand des enseignants attendent des mois de salaires impayés, quand des milliers de familles vivent dans des camps sous des tentes depuis des années ? Quel peuple honore-t-on quand on ignore les cris des déplacés internes, fuyant les gangs armés qui ont annexé des communes entières avec la complicité tacite de l'État ?
Les critiques fusent et elles sont légitimes. Car il ne s'agit pas ici d'un acte patriotique, mais d'une manœuvre de diversion, voire de détournement de fonds publics. Un gouvernement sans légitimité, incapable de garantir la sécurité ou de redresser l'économie, choisit de noyer le désespoir national dans des paillettes commémoratives. C'est une stratégie vieille comme le monde : quand on ne peut gouverner, on parade.

Ce 18 mai, les uniformes seront repassés, les discours seront écrits à la hâte, les caméras seront braquées sur les estrades. Mais ce qu'on ne verra pas, c'est la blessure profonde du peuple haïtien, trahi une fois de plus par ceux qui parlent en son nom. Car derrière chaque gourde dépensée, il y a un choix. Et ce gouvernement a choisi le spectacle plutôt que la justice, l'image plutôt que l'action, l'oubli plutôt que la mémoire.

Haïti ne se libérera pas à coups de fanfares, ni de slogans vides. Le drapeau n'est pas un décor, c'est un symbole de lutte, né dans le sang des esclaves insurgés, levé par Dessalines et Catherine Flon comme promesse de liberté et de dignité. Ce drapeau ne saurait être réduit à un alibi budgétaire pour un pouvoir discrédité.

Le véritable hommage au bicolore, c'est le respect de la vie humaine, la reddition de comptes, la justice sociale. C'est de permettre aux enfants d'apprendre sans peur, aux agriculteurs de cultiver sans être rançonnés, aux citoyens de marcher dans les rues sans tomber sous les balles.

Le peuple haïtien ne demande pas une fête, il demande un futur.

Et ce futur ne viendra pas des podiums officiels, mais du réveil de la conscience collective.

Smith PRINVIL

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L’Appel de Paris pour la protection du peuple palestinien

La protection du peuple palestinien est devenue une urgence absolue. À Gaza, après quelques semaines de suspension, les massacres de masse ont repris, accompagnés d'un siège (…)

La protection du peuple palestinien est devenue une urgence absolue. À Gaza, après quelques semaines de suspension, les massacres de masse ont repris, accompagnés d'un siège total et d'une famine généralisée ainsi que des déplacements forcés de populations ; au moins 53 000 Palestinien·es ont été tué·es suite aux opérations militaires israéliennes ; la bande de Gaza est dévastée et devenue inhabitable.

Tiré d'Orient XXI.

En Cisjordanie — y compris Jérusalem-Est — en dix-neuf mois, plus de 1 500 attaques de l'armée et des colons ont fait près de 962 morts et plus de 7030 blessé·es palestinien·es ; plus de 40 000 Palestinien·es y ont été déplacé·es de force.

Cependant, alors que le peuple palestinien vit la pire période de son histoire, la légitimité de son combat pour la justice et l'autodétermination face à la volonté d'effacement dont il fait l'objet, est réaffirmée par le droit international. Dans le prolongement de l'avis de la Cour internationale de justice (CIJ), l'Assemblée générale des Nations unies a exigé par son vote du 18 septembre 2024 la fin de l'occupation israélienne du territoire palestinien et le démantèlement des colonies avant le 18 septembre 2025.

Dès lors, la France et l'Europe doivent s'acquitter de leurs obligations. Elles doivent, comme le précise la résolution de l'ONU, « favoriser, conjointement avec d'autres États ou séparément, la réalisation des droits du peuple palestinien à l'autodétermination et s'abstenir d'entretenir des relations conventionnelles avec Israël dans toutes les situations où celui-ci prétend agir au nom des Palestiniens ou pour des questions les concernant ».

Il y a 80 ans se construisaient les bases d'une justice internationale avec la création de l'ONU, dont la Charte fondait les conditions de la paix. Les États membres adoptaient trois ans plus tard la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Marquons cet anniversaire par notre refus solennel que la loi du plus fort l'emporte sur le droit international en Palestine.

L'Assemblée générale de l'ONU a décidé le 3 décembre 2024 de la tenue d'une conférence internationale. Elle se tiendra du 17 au 20 juin 2025 à New York. Elle aura pour mission « d'examiner l'application des résolutions de l'Organisation des Nations Unies relatives à la question de Palestine ».

En préalable de cette conférence internationale sous l'égide de l'ONU, nous lançons solennellement un appel pour la protection du peuple palestinien et la mise en œuvre du droit international.

Nous, signataires de cet appel, sommes convaincu·es que c'est l'application du droit international qui garantira la protection du peuple palestinien en lui permettant de vivre enfin en paix et en sécurité. Pour cette raison, nous demandons à la France de reconnaître l'État de Palestine dans le cadre du droit à l'autodétermination du peuple palestinien.

De la même façon, nous sommes convaincu·es que seuls la fin de l'occupation et l'arrêt de l'oppression du peuple palestinien permettront à Israël de connaître également la paix et la sécurité. En conséquence nous demandons à la France et aux États membres de l'Union européenne d'appliquer sans tarder les mesures énoncées par la résolution votée par l'Assemblée générale des Nations unies le 18 septembre 2024.

Liste des 55 premiers signataires

Xavier Dolan, cinéaste réalisateur

Ken Loach, cinéaste réalisateur

Adèle Haenel, actrice

Reda Kateb, acteur

Roger Waters, auteur-compositeur-interprète

Blanche Gardin, actrice

Swann Arlaud, acteur

Yvan Le Bolloc'h, acteur

Annie Ernaux, romancière

Corinne Masiero, actrice

Robert Guédiguian, cinéaste

Ernest Pignon-Ernest, plasticien

Elias Sanbar, ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l'UNESCO

Edwy Plenel, journaliste

Fabien Gay, journaliste rédacteur en chef de l'Humanité, Sénateur de Seine Saint-Denis

Denis Sieffert, journaliste, directeur de Politis

Denis Robert, réalisateur

Alain Gresh, journaliste, fondateur et directeur d'Orient XXI

Catherine Tricot, directrice de la revue Regards

Thomas Vescovi, cofondateur de Yaani

Daniel Mermet, journaliste

Rony Brauman, ex-directeur de Médecins sans frontières

Raphaël Pitti, médecin urgentiste

Yanis Varoufakis, économiste grec

Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes

Olivier Faure, député de Seine et Marne, 1er secrétaire du Parti socialiste

Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste

Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône, coordinateur de La France insoumise

Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français

Aymeric Caron, député de Paris, président de Révolution écologique pour le vivant

Gisèle Jourda, sénatrice, présidente du groupe d'amitié France Palestine au Sénat

Richard Ramos, député du Loiret, président du groupe d'amitié France-Palestine à l'Assemblée nationale

Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis

Thomas Portes, député de Seine-Saint-Denis

Raymonde Poncet-Monge, sénatrice du Rhône

Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine

Johann Soufi, avocat et procureur, spécialisé en droit international

Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public

Ziad Majed, politologue, professeur universitaire et chercheur

François Dubuisson, professeur de droit international à l'Université libre de Bruxelles

Agnès Levallois, vice-présidente de l'iReMMO

Anne-Marie Eddé, professeure émérite à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Bertrand Badie, professeur émérite à l'IEP de Paris, chercheur au CERI

Didier Fassin, professeur au Collège de France

Sylvain Cypel, journaliste

Pascal Boniface, géopolitologue

Sophie Bessis, historienne et journaliste, secrétaire générale adjointe de la FIDH

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT

Caroline Chevé, secrétaire générale de la FSU

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT

Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des Droits de l'Homme-LDH

Pierre Stambul, porte-parole de l'Union juive française pour la paix

Youlie Yamamoto, porte-parole d'ATTAC

Anne Tuaillon, présidente de l'Association France Palestine Solidarité-AFPS

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Pour les dirigeants de l’Inde et du Pakistan, la fièvre de la guerre est une aubaine

27 mai, par Farooq Sulehria, Sushovan Dhar — , , ,
Les gouvernements de l'Inde et du Pakistan se sont éloignés du bord du gouffre à propos du Cachemire parce qu'aucun des deux ne peut se permettre une guerre à grande échelle. (…)

Les gouvernements de l'Inde et du Pakistan se sont éloignés du bord du gouffre à propos du Cachemire parce qu'aucun des deux ne peut se permettre une guerre à grande échelle. Une rhétorique belliqueuse et un climat de nationalisme strident ont aidé les deux gouvernements à faire face à des problèmes sur le front intérieur.

Tiré du site du CADTM.

Le conflit armé entre l'Inde et le Pakistan représentait une menace considérable pour le sous-continent. Cela aurait été une guerre qu'aucun pays ne peut se permettre. Le 10 mai, le président américain Donald Trump aurait négocié un premier cessez-le-feu entre les deux parties.

Cette annonce a été suivie d'une réunion des directeurs généraux des opérations militaires (DGMO) le 12 mai, lors de laquelle les deux parties ont accepté de respecter leur engagement de ne pas s'engager dans des actions agressives ou hostiles. En outre, l'Inde et le Pakistan « envisageront des mesures immédiates pour assurer la réduction des troupes ».

L'accord de paix actuel semble fragile, notamment en raison des nouvelles prises de position du premier ministre indien Narendra Modi et de son homologue pakistanais Shehbaz Sharif. Néanmoins, toute désescalade des tensions doit être saluée dans l'intérêt de la stabilité et de la paix régionales. Il semble improbable que l'une ou l'autre des parties puisse remporter une victoire décisive, qui entraînerait probablement la région dans une période de crise et d'incertitude prolongée.

Battre le tambour

Tout a commencé le 7 mai, lorsque l'armée de l'air indienne a mené une série de frappes aériennes visant des sites au Pakistan et au Cachemire administré par le Pakistan. Cette offensive avait pour nom de code « Opération Sindoor ». L'agression militaire a été déclenchée par une attaque meurtrière contre des touristes à Pahalgam, au Cachemire, le 22 avril, qui a entraîné la mort de vingt-six civils.

Les autorités indiennes ont affirmé que les opérations visaient neuf sites identifiés comme des « infrastructures terroristes ». En réponse, l'armée pakistanaise a affirmé que les frappes n'avaient visé que six sites, entraînant la mort de trente et un civils. Du côté indien, des rapports indiquent qu'au moins quarante civils ont été tués et de nombreux blessés, principalement dans le secteur de Poonch à Jammu, lorsque les troupes pakistanaises ont procédé à des tirs d'artillerie lourde le long de la ligne de contrôle (LoC) en représailles à l'attaque indienne.

L'incident de Pahalgam s'est avéré avantageux pour Modi, dont l'administration était déjà aux prises avec divers problèmes. Le gouvernement indien a dû faire face à une forte contestation publique, notamment pour la loi controversée sur le Waqf (amendement), ainsi qu'à des arrêts de la Cour suprême qui ont mis en évidence des violations constitutionnelles de la part de l'administration. En outre, les défis économiques et la hausse du chômage ont contribué au mécontentement croissant. En outre, la décision de l'administration Trump d'imposer des droits de douane à l'Inde a introduit des incertitudes supplémentaires.

Modi et ses alliés n'ont pas assumé la responsabilité des graves lacunes en matière de sécurité qui ont contribué à l'incident tragique de Pahalgam. Au lieu de cela, ils ont exploité la situation pour susciter la panique, la frénésie, l'hystérie guerrière, le chauvinisme et une nouvelle vague d'islamophobie. Ils ont réussi à galvaniser une nation entière autour d'une menace sécuritaire perçue comme étant posée par des terroristes soutenus par le Pakistan. La quasi-totalité de la nation s'est ralliée à eux dans leur quête de vengeance à la suite de l'attaque.

Les principales chaînes de médias ont facilité cette situation en propageant quotidiennement des fake news sur le Pakistan. Ces médias se sont transformés en champs de bataille, enflammant des millions de citoyens à travers le pays à coup d'informations erronées. Le gouvernement a même dû intervenir le 9 mai pour empêcher les médias de continuer à diffuser de fausses informations et d'attiser l'animosité.

Le gouvernement Modi a intentionnellement orchestré ce climat pour renforcer sa popularité, en particulier à l'approche des élections législatives dans l'État du Bihar. Il sert également à détourner l'attention des masses laborieuses de l'Inde des problèmes matériels auxquels le pays est confronté, tels que la hausse du chômage, les inégalités, la pauvreté et diverses formes de privation. Des rapports indiquent que le taux de chômage des jeunes a atteint 16,1 % lors du premier trimestre 2025.

Le compte de médias sociaux de l'unité d'information publique de l'armée indienne a salué les frappes transfrontalières comme un cas de « justice rendue ». Pourtant, il n'y a aucun signe d'arrestation des militants qui étaient réellement responsables des attaques terroristes à Pahalgam, tandis que la « justice » dont parle l'armée a impliqué des actions meurtrières dirigées contre des civils non armés, y compris des enfants.

La réponse du Pakistan

Les actions de l'Inde sont arrivées à point nommé pour les dirigeants pakistanais. Le pays est aux prises avec de graves crises économiques et d'endettement, des troubles politiques au Baloutchistan et une détérioration des relations avec l'Afghanistan. Autant de facteurs qui ont rendu le gouvernement actuel, dirigé par Sharif et les militaires, impopulaire auprès de la population du pays.

La réponse pakistanaise à l'attentat terroriste de Pahalgam, en même temps officieuse et semi-officielle, a été de prétendre qu'il s'agissait d'une « opération sous fausse bannière ». L'incident a été suivi d'une éruption de manie guerrière chauvine.

Les présentateurs télévisés, comme leurs homologues indiens, ont joué un rôle important dans le développement de l'hystérie guerrière. Les ministres, les hommes politiques de l'opposition et les chefs militaires ont fait des déclarations belliqueuses à l'unisson. Dans les jours qui ont précédé les premières frappes indiennes, le sentiment dominant au Pakistan était que l'Inde reculait par peur.

Deux points méritent d'être soulignés pour replacer l'attitude du Pakistan dans son contexte. Tout d'abord, l'establishment a encouragé et protégé les groupes djihadistes, du moins dans le Cachemire administré par le Pakistan. Ensuite, une réponse impétueuse de l'Inde a objectivement aidé le régime hybride pakistanais assiégé de l'intérieur, qui est au pouvoir depuis l'éviction d'Imran Khan.

Dans ce régime hybride, ce sont les militaires qui mènent la danse. Les représentants du gouvernement civil, le Premier ministre Sharif et le président Asif Ali Zardari, tiennent le rôle de serviteurs obéissants pour assurer leur maintien au pouvoir. Ayesha Siddiqa, spécialiste reconnue de l'armée pakistanaise, a rapporté en février dernier qu'« une source bien informée à Islamabad » estimait que les dirigeants militaires « se préparaient à relancer le militantisme – à une échelle comparativement plus faible mais perceptible » après l'hiver, afin de faire pression sur l'Inde pour qu'elle négocie sur la question du Baloutchistan.

Le Pakistan est confronté à un mouvement séparatiste armé au Baloutchistan, qui est géographiquement la plus grande de ses quatre provinces, limitrophe de l'Iran et de l'Afghanistan. La Chine a construit un énorme port à Gwadar sur la côte du Baloutchistan, et le Baloutchistan est un maillon crucial de l'initiative « la Ceinture et la Route ». Le Pakistan a accusé à plusieurs reprises l'Inde d'armer et d'entraîner l'Armée de libération du Baloutchistan, une organisation militante responsable d'attaques de guérilla contre des installations de sécurité et des travailleurs chinois au Baloutchistan.

Guerre de basse intensité

Malgré la fanfare qui entoure cette prétendue guerre et l'hystérie généralisée qui règne de part et d'autre de la frontière, bien sûr, aucune des deux armées n'a réellement pénétré en territoire ennemi. Des missiles et des drones ont été lancés en sus des tirs d'artillerie et des attaques transfrontalières. Les gouvernements et les médias des deux pays ont célébré avec beaucoup d'enthousiasme chaque fois que leurs forces ont intercepté un drone ou un missile « ennemi » à l'intérieur de leurs frontières respectives.

Selon Pravin Sawhney, éminent spécialiste militaire indien, le pays n'était même pas dans une situation de pré-guerre, qui implique généralement une mobilisation considérable des forces terrestres à travers les frontières. Nous avons assisté à une crise militaire – une version intensifiée des incidents habituels le long de la ligne de contrôle, en particulier au Jammu-et-Cachemire.

L'Inde et le Pakistan se sont livrés à trois guerres de vaste ampleur au sujet du Cachemire dans le passé, et les deux pays sont dotés de l'arme nucléaire. Aucun des deux pays ne peut supporter le coût d'un nouveau conflit à part entière. L'économie pakistanaise est actuellement confrontée à de graves difficultés ; elle est très endettée et doit rembourser de nombreux prêts. Avec un taux de croissance économique faible d'un peu plus de 2 %, il ne peut se permettre de s'engager dans une nouvelle guerre majeure.

Bien que l'économie indienne soit considérablement plus forte et plus grande, Modi a fait miroiter à l'Inde la perspective de devenir une économie de 5 000 milliards de dollars et d'émerger comme puissance économique et géopolitique majeure. Toute chance d'atteindre ces objectifs repose sur la stabilité de l'Inde, et une guerre avec un voisin doté de l'arme nucléaire a peu de chances d'attirer les investisseurs, sans parler des dommages qui en résulteraient pour le tourisme. Nous avons déjà assisté à des annulations de vols dans les deux pays, et il n'est dans l'intérêt stratégique ou économique d'aucune des deux nations que les récentes tensions dégénèrent en quelque chose de plus grave.

En outre, l'Inde comprend qu'il est peu probable que les Chinois restent passifs en cas d'attaque contre le Pakistan. Cela n'est et dû aux hostilités traditionnelles entre l'Inde et la Chine, mais également au fait que la Chine a investi environ 62 milliards de dollars dans le corridor économique Chine-Pakistan. Cet investissement englobe un large éventail de projets d'infrastructure et d'énergie destinés à relier la région occidentale de la Chine au port de Gwadar, au Pakistan.

Le golfe du Bengale et la mer d'Oman sont indispensables pour l'initiative « la Ceinture et la Route ». La Chine serait profondément préoccupée si les actions belliqueuses de ce qu'elle perçoit comme des gouvernements irresponsables dans ces deux nations finissaient par mettre en péril ses investissements. Impliquer les Chinois dans un conflit pourrait s'avérer désastreux pour l'Inde, car la guerre moderne repose largement sur des technologies de pointe, pour lesquelles la Chine possède un avantage considérable.

Il est donc dans l'intérêt de l'Inde et du Pakistan de maintenir des actions militaires de faible intensité, car cette stratégie leur procure des avantages politiques significatifs à un coût minime. Toutefois, cette approche impose un lourd fardeau à leurs populations civiles. Après l'euphorie initiale qui a suivi les attentats, l'atmosphère en Inde – en particulier dans les régions du nord et de l'ouest – est passée de la célébration à la panique et à l'appréhension quant aux victimes potentielles. Cela est survenu lorsque le Pakistan a indiqué qu'il riposterait.

Si les capitalistes indiens ont d'abord soutenu la ferveur guerrière, la fermeture des aéroports et le détournement des vols qui s'en est suivi les ont considérablement inquiétés. Le secteur industriel indien a depuis lors publié des déclarations appelant à la retenue. Le 9 mai, les marchés boursiers indiens et la roupie ont subi une baisse notable avant de regagner le terrain perdu le 12 mai avec l'accord de cessez-le-feu.

Nouvelle normalité

Les deux parties cherchaient à désamorcer l'escalade après les premières manifestations d'agression, en attendant le moment propice pour apaiser leur public national. Une méthode viable pour y parvenir consistait à pouvoir invoquer la pression internationale.

Si la Chine entretient des relations étroites avec le Pakistan, son influence sur l'Inde est limitée. Les États du Golfe ont une certaine influence sur les deux pays, mais pas autant que les États-Unis. Des pays comme la Russie et l'Iran pourraient éventuellement jouer un rôle de médiateur et contribuer à empêcher la situation de dégénérer en une crise plus grave ; toutefois, leur influence ne serait pas suffisante pour éviter de nouvelles tensions.

Dans l'état actuel des choses, la seule puissance à laquelle l'Inde et le Pakistan se sentent obligés de prêter attention est celle des États-Unis. Historiquement, les États-Unis ont joué un rôle dans la facilitation de la paix entre les deux États. Après le début des actions militaires indiennes, des signes ont montré que Washington façonnait indirectement les actions et les communications de l'Inde, en soulignant la nature « ciblée, mesurée et non escalatoire » des frappes, conçues pour répondre aux attentes de Donald Trump.

M. Trump a affirmé que les États-Unis avaient facilité une série de discussions qui ont abouti à un accord ; le gouvernement indien n'a ni confirmé ni infirmé cette affirmation. Pour soutenir ses partisans et entretenir un sentiment de ferveur guerrière, Modi a adopté un ton défiant et triomphant lors d'un discours à la nation le 12 mai.

Il a proclamé que l'Inde avait établi une « nouvelle normalité » en matière de réponse aux attaques terroristes et a présenté le cessez-le-feu comme une suspension temporaire des opérations du côté indien, les actions du Pakistan devant être surveillées de près dans les jours à venir. La réaction de l'establishment pakistanais a été tout aussi belliqueuse.

Si le cessez-le-feu a mis fin aux opérations armées, les agressions verbales et diplomatiques se sont poursuivies. À ce jour, la suspension du traité sur les eaux de l'Indus n'a pas été annulée. Ces mesures concernent aussi bien l'arrêt des visas que l'expulsion des diplomates, la fermeture des frontières, la restriction de l'espace aérien et la suspension des échanges commerciaux. En fin de compte, ce sont les citoyens des deux pays, ainsi que les Cachemiris de part et d'autre de la frontière, qui ont été les plus touchés et qui restent les otages de cette crise persistante.

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Chhattisgarh (Inde) : Arrêt immédiat de la guerre contre les citoyens

27 mai, par Alternative Viewpoint — , ,
Lors d'une opération « anti-Naxal » mercredi (21 mai 2025), les forces de sécurité ont tué vingt-sept maoïstes, dont Nambala Keshav Rao, également connu sous le nom de (…)

Lors d'une opération « anti-Naxal » mercredi (21 mai 2025), les forces de sécurité ont tué vingt-sept maoïstes, dont Nambala Keshav Rao, également connu sous le nom de Basavaraju, le secrétaire général du Parti communiste indien (maoïste) interdit, dans le district de Narayanpur au Chhattisgarh. Le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur ont exprimé leur jubilation et leur fierté concernant le succès de l'opération Kagaar.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Alternative Viewpoint dénonce fortement cet assassinat ciblé. Le motif sous-jacent semble être une campagne de longue date visant à s'emparer des terres, des eaux et des forêts des communautés [indigène] adivasi du Chhattisgarh, présentée sous le couvert d'opérations anti-maoïstes qui profitent réellement aux intérêts des puissances économique. Le mouvement maoïste indien a initialement émergé en réponse à l'aliénation des terres. Cependant, il a depuis évolué en un mouvement plus large s'opposant à l'aliénation des ressources naturelles, en particulier des forêts. L'État a été responsable de l'orchestration de massacres pour réprimer la résistance, la région de Bastar au Chhattisgarh étant un exemple notable.

Le gouvernement porte la responsabilité des décès de ses citoyens, le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur semblant prendre plaisir aux exécutions ciblées se produisant sous leur surveillance. Depuis le début de l'« opération Kagaar », la simple suspicion d'affiliations maoïstes a conduit à la mort de 31 personnes, dont 15 femmes, en seulement 21 jours. De plus, il y a eu de nombreux rapports de violations des droits de l'homme à travers le Chhattisgarh.

Il est essentiel de comprendre que le maoïsme est associé à des régions souffrant de pauvreté endémique, d'exploitation, de corporations envahissantes et de perte de terres et de moyens de subsistance. Il l'est également à des questions liées à la dignité et à l'autonomie tribales. Cette question va au-delà d'un problème élémentaire de maintien de l'ordre ; elle englobe des thèmes plus larges de privation et d'aliénation. Le ministre de l'Intérieur a fixé une date limite pour l'éradication des Naxalites au 31 mars 2026. Cette perspective réductionniste et intéressée, qui suppose que l'aliénation peut être résolue uniquement en éliminant ceux qui sont aliénés, soulève des préoccupations cruciales.

Malgré la proposition d'accord de paix du CPI (maoïste), le gouvernement a intensifié sa répression. Le meurtre indiscriminé des peuples autochtones pour s'approprier les ressources naturelles est un phénomène troublant aux racines historiques profondes. Le gouvernement Modi-Shah a poursuivi cette approche répressive avec un nouvel élan depuis l'« opération Green Hunt » du Parti du Congrès. « L'opération Kagaar » se présente comme la manifestation la plus flagrante de cette violence persistante.

Bien que nous ne soutenions pas nécessairement les politiques maoïstes, Alternative Viewpoint condamne les meurtres ciblés et inhumains des membres du CPI (Maoïste) et des peuples tribaux, ainsi que l'autoritarisme antidémocratique qui a permis ces actions. Nous nous opposons à la guerre menée par l'État contre les citoyens afin de priver les communautés indigènes de leurs droits. Nous appelons tous les démocrates à résister à chaque instance de répression et de meurtre de l'État.

Alternative Viewpoint

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L’extermination comme moyen de négociation : comprendre la stratégie d’Israël à Gaza

Depuis le dévoilement de l'« opération Chars de Gédéon », la nouvelle offensive israélienne visant à « conquérir » définitivement toute la bande de Gaza, il est devenu de plus (…)

Depuis le dévoilement de l'« opération Chars de Gédéon », la nouvelle offensive israélienne visant à « conquérir » définitivement toute la bande de Gaza, il est devenu de plus en plus évident que les décisions prises au sein du gouvernement israélien ne visent pas un objectif stratégique unique, mais plutôt une logique récurrente d'épuisement.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Israël ne choisit pas entre la conquête totale et le confinement technocratique via un plan de cessez-le-feu négocié par les pays arabes. Il utilise ces options comme des moyens de prolonger la guerre et d'instrumentaliser sa durée plutôt que d'y mettre fin. Aucune n'est une véritable alternative à l'autre.

Ce n'est pas un paradoxe, mais une méthode. L'opération « Gideon's Chariots », qui vise à concentrer plus de deux millions de Palestiniens à Rafah et à « nettoyer » le reste de Gaza, n'est pas seulement un plan de conquête. C'est un fantasme de stérilisation déguisé en rationalité logistique. Sa brutalité ne réside pas seulement dans ses intentions – militaires et démographiques – mais aussi dans son caractère illimité, car il s'agira d'une occupation sans gouvernance ni responsabilité.

Elle imagine Gaza comme un champ chirurgical : vide de densité sociale et de politique, un terrain aplati où l'armée israélienne peut opérer sans entrave et où les civils sont transformés en captifs ou en débris. Là où l'extermination peut se poursuivre derrière le voile de la logistique humanitaire. Mais voilà : si Israël annonce son planen divulguant une grande partie de ses contours, s'assurant que l'issue finale de l'extermination est connue de tous, il en retarde également la réalisation.

Le rejet de la proposition égyptienne pour la gouvernance d'après-guerre à Gaza, quant à lui, relève moins d'une réfutation stratégique que d'une manœuvre temporaire : il reporte la stabilisation de Gaza, suspend la possibilité d'une architecture d'après-guerre et garantit à Israël son rôle d'arbitre unique en matière de circulation, d'aide, de reconstruction et de survie. La proposition, qui avait obtenu le soutien de la Ligue arabe, prévoyait un cessez-le-feu, la libération des prisonniers et la création d'une administration technocratique palestinienne à Gaza sous l'égide régionale et internationale. L'autorité gouvernementale serait civile, non affiliée au Hamas et éventuellement liée à l'Autorité palestinienne. Les forces de sécurité arabes, principalement égyptiennes et émiraties, auraient maintenu l'ordre public. Israël aurait, en théorie, conservé la possibilité de frapper si le Hamas se réarmait, mais la logique fondamentale était celle d'une gouvernance pacifiée et d'une reconstruction supervisée de l'extérieur.

Mais cette alternative, présentée comme un endiguement pragmatique, révèle sa propre structure de contrôle. Elle n'offre ni libération ni souveraineté aux Palestiniens. Elle ne rétablit pas la vie politique palestinienne. Au contraire, elle imagine une Gaza dépolitisée, administrée par des technocrates étrangers, où la gouvernance est réduite à la gestion et où la résistance est métabolisée en menaces pour la sécurité.

Oui, cela met fin aux massacres, mais cela poursuit le processus de destruction par d'autres moyens. Oui, il met fin au nettoyage ethnique et au génocide, mais il n'offre qu'un répit minimal.

Dans ce scénario, le Palestinien devient administrable mais non représentable — visible dans les tableurs et les systèmes de surveillance, mais invisible en tant que sujet de l'histoire. Là où « Gideon's Chariots » propose l'élimination de l'interlocuteur, le plan égyptien offre sa neutralisation. Là où le premier vise l'effacement, le second garantit le confinement.

De cette manière, Israël ne se contente pas de combattre le Hamas. Il gère le temps de l'effondrement des infrastructures de Gaza, de la diplomatie régionale et de ses propres contradictions internes. Les soi-disant « plans » qu'il fait circuler ne sont pas des plans d'action, mais des instruments de désorientation. En alternant escalade militaire et non-engagement diplomatique, Israël piège ses adversaires comme ses alliés dans un théâtre d'attente sans fin.

Ces plans ne deviennent pas des résolutions, mais des pièges littéraux : ils enhardissent certains, humilient d'autres et érodent la cohérence de toute vision alternative. Mais Israël reste dans le terrain suspendu des deux plans. D'un côté, il cherche à récupérer ses prisonniers avant d'anéantir complètement Gaza. D'autre part, il vise à apaiser les gouvernements arabes qui sont restés silencieux, n'ont pas rompu leurs liens avec Israël et ont progressivement – mais sûrement – proposé une alternative au génocide par une politique de stérilisation. Sans oublier que la perspective de détruire complètement la population de Gaza reste d'actualité, ce qui sert la gestion de la coalition par Netanyahou et son désir d'émerger comme un leader historique ayant mis fin de manière décisive à la question palestinienne.

Cela n'est nulle part plus évident que dans les relations d'Israël avec les États du Golfe. En signalant son ouverture à la normalisation et à des accords de sécurité régionale – tout en aggravant la catastrophe humanitaire –, Israël évite de se voir imposer des ultimatums clairs. La perspective d'une Gaza reconfigurée sous contrôle arabe est présentée comme une hypothèse, une possibilité lointaine, tandis que des faits irréversibles sont fabriqués sur le terrain : des quartiers entiers sont rayés de la carte, des populations déplacées, des infrastructures réduites en poussière.

Derrière le langage de la planification se cache une campagne de stérilisation et de concentration, une vision de Gaza non pas comme un foyer, mais comme un lieu de détention. Des rapports divulgués font état de transferts forcés, de Palestiniens envoyés en Libye ou ailleurs en Afrique, esquissant un avenir marqué par l'expulsion sous le couvert du pragmatisme. En d'autres termes, Israël manœuvre, cajole, accepte, revient sur sa parole, recommence à verser le sang et, en fin de compte, hésite à mettre en œuvre ses propres plans.

Mais même cette stratégie montre des signes de fatigue. L'armée est à bout. Les réservistes sont épuisés. Le soutien public, autrefois monolithique, est désormais fracturé, en particulier autour de l'incapacité du gouvernement à récupérer les prisonniers israéliens et de son mépris pour leur vie. L'élite politique peut afficher son unité, mais la cohésion sociale s'effrite. La confiance même qui liait autrefois la nécessité militaire à la légitimité civile s'érode.

Ces signes d'érosion ne sont pas seulement internes. Plus la guerre se prolonge, plus Israël perd sa légitimité internationale. Les mandats de la CPI, les décisions de la CIJ, les accusations de génocide qui s'intensifient ne sont pas seulement des condamnations morales, mais les signes d'un début d'isolement institutionnel.

Et pourtant, plutôt que de changer de cap, Israël redouble d'efforts, s'appuyant sur l'ambiguïté et l'usure, espérant épuiser l'indignation mondiale comme il espère épuiser la résistance palestinienne : par le retard, la confusion, la normalisation de l'effondrement et, bien sûr, par la coercition via l'instrumentalisation de l'antisémitisme.

À l'heure actuelle, ce qu'Israël recherche, c'est une « instabilité stable » dans laquelle Gaza est rendue inhabitable mais gouvernée, massacrée mais silencieuse, présente mais politiquement annulée. Les deux plans – celui qu'il met en œuvre et celui qu'il rejette – servent cette logique. Que ce soit par une guerre totale ou un confinement contrôlé, l'objectif reste le même : effacer la Palestine en tant que sujet de l'histoire et la remplacer par une population qui peut être contrôlée, administrée ou éliminée. La réussite de cette entreprise reste incertaine. Mais les fissures sont visibles dans la désillusion des soldats et dans la rage des familles des prisonniers israéliens.

Les négociations de cessez-le-feu comme forme d'interrogatoire

La manière dont Israël a mené les négociations de cessez-le-feu, pris dans un cycle perpétuel de propositions, de rejets, de reprise des hostilités et d'insistance sur des positions inacceptables, ressemble beaucoup à la dynamique entre les interrogateurs israéliens du Shin Bet et les prisonniers palestiniens soumis à leurs tactiques de pression.

Dans les salles du Shin Bet, la manipulation du temps devient une arme et le langage un outil de désorientation. La vérité n'est pas révélée par la clarté ou le dialogue, mais extraite par l'épuisement : torture physique, jeux psychologiques, faux-semblants d'amitié et promesses facilement trahies. Le but n'est pas de comprendre le sujet, mais de le détruire – pas seulement d'obtenir des aveux, mais de le faire s'effondrer.

« Si tu parles, je te donnerai une cigarette. Si tu donnes un nom, tu pourras te reposer. Si tu nous donnes une personne, une seule, nous t'apporterons peut-être de la nourriture, une couverture ou quelque chose pour te réchauffer. » Chaque geste se fait passer pour de la miséricorde, chaque acte est lié à la logique de l'accord. C'est une gouvernance par l'épuisement.

Mais il ne s'agit pas seulement d'une scène d'interrogatoire. C'est une relation dans laquelle le massacre, la négociation et la mesure s'alimentent mutuellement : le massacre produit la crise qui rend la négociation lisible ; et la négociation devient l'espace où l'impact de la violence est mesuré. Chaque bombardement israélien n'est pas suivi d'un silence, mais d'une évaluation : la résistance s'est-elle adoucie ? La communauté s'est-elle brisée ? Sont-ils prêts à céder ?

La négociation n'est pas une déviation de la violence ; c'est l'une de ses modalités — stratégique, affective, diagnostique. Parler de négociation ici, c'est parler d'un calibrage de la ruine et d'un test de l'esprit et de la fatigue. Tout comme l'interrogateur teste les limites de l'endurance du prisonnier.

Et pourtant, dans son cachot, le prisonnier palestinien aspire parfois à revoir son interrogateur, car dans un monde aux portes closes et à la famine lente, celui-ci devient le seul à confirmer son existence, la seule socialité possible.

L'ironie est que plus vous montrez de faiblesse, plus ils vous privent. Plus vous vous soumettez, plus ils serrent la vis. C'est pourquoi il ne s'agit pas d'une négociation de besoins, mais d'une architecture de l'humiliation calibrée pour que même votre volonté de parler devienne une marque supplémentaire de dépossession, ou un moment pour soutirer tout ce que vous pouvez à votre interlocuteur et vous assurer qu'il ne cache rien.

Lorsque les analystes, les diplomates et les commentateurs invoquent le terme « négociations », il s'agit en réalité d'un interrogatoire, car sa structure est conçue pour épuiser l'autre jusqu'à ce qu'il s'effondre. Et lorsque l'effondrement ne suffit pas, l'élimination suit. Dans ce paradigme, Israël ne recherche pas d'interlocuteurs, mais cherche à démanteler ceux qu'il convoque à la table des négociations.

Au-delà du binaire

Si les négociations israéliennes fonctionnent comme une forme d'interrogatoire, il est tout aussi important de rappeler que les Palestiniens ont non seulement reconnu cette structure, mais qu'ils ont également saboté à plusieurs reprises son fonctionnement. En effet, l'histoire de la lutte palestinienne est celle du refus des conditions imposées par l'occupant : celle de parler sans permission, de refuser de s'exprimer lorsqu'on y est contraint, de survivre sans chercher à être reconnu. Il ne s'agit pas d'une rébellion romantique, mais d'une lucidité forgée sous la pression. Une ruse politique forgée dans les cellules de prison, les salles d'interrogatoire, les maisons en ruines et les tables de négociation.

On demande depuis longtemps aux Palestiniens de jouer leur défaite, d'incarner la retenue tout en faisant preuve de modération et en dénonçant la violence de manière sélective. Mais à chaque fois, ils refusent ce rôle. Le prisonnier qui choisit le silence plutôt que les aveux ; le gréviste de la faim qui déplace la temporalité de la domination en soumettant son corps au temps lui-même ; la mère qui insiste pour nommer son enfant mort non pas victime, mais martyr ; le camp qui refuse de se dissoudre dans la poussière de l'humanitarisme — ce ne sont pas seulement des actes de résistance, mais des refus de capture.

C'est précisément ce refus qui brise le faux dilemme que l'Israël offre aujourd'hui au monde : extermination ou confinement, « chars de Gédéon » ou plan égyptien.

Il ne s'agit pas d'alternatives, mais plutôt de complicités structurelles. L'une éliminerait les Palestiniens en tant que sujets par la stérilisation militaire, l'autre les désarmerait et les contrôlerait par le biais d'une bureaucratie internationale. L'une est un génocide déclaré, l'autre une disparition contrôlée.

Cette dichotomie elle-même devient instable, car les fractures traversent désormais l'architecture morale de l'ordre international, dont la complicité et le deuil sélectif sont quotidiennement démasqués. Elles traversent les fondements mêmes d'Israël : une armée à bout de souffle, un leadership politique incohérent et une société qui se fracture sous le poids d'une guerre sans fin et de l'attente du retour du messie. Ces fractures traversent tous les lieux où le choix entre extermination et confinement est refusé, et où une troisième possibilité, fugitive, commence à poindre.

Cette troisième voie, bien que difficile à nommer, est déjà en train de se concrétiser. Elle bat au cœur des réseaux de solidarité mondiale qui ne demandent plus la permission, mais exigent des comptes. Elle grandit dans toutes les salles d'audience où le mot « génocide » est prononcé, non pas comme une métaphore, mais comme une accusation juridique. Elle vit dans la reconnaissance que la Palestine n'est pas une crise humanitaire à gérer, mais une cause politique à revendiquer.

Elle vit dans la conscience que la Palestine a vidé de leur sens les revendications de l'ordre libéral, mis à nu ses fondements et saturé son vocabulaire, tout en continuant d'affirmer sa présence.


Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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Le règne de l’indignité et de l’irraison : Adresse à signer !

27 mai, par Gilbert Achcar, Mireille Fanon-Mendès France — , , , ,
A la destruction systématique de la bande de Gaza et à l'hécatombe de sa population, s'ajoutent la famine et la destruction des moyens médicaux comme compléments de la guerre (…)

A la destruction systématique de la bande de Gaza et à l'hécatombe de sa population, s'ajoutent la famine et la destruction des moyens médicaux comme compléments de la guerre génocidaire

L'État d'Israël a décidé qu'aucun Palestinien ne doit rester sur sa terre.

Nous regardons, anéantis et envahis d'une incommensurable honte en l'universalité, la première phase du nettoyage ethnique de l'enclave qui se prolonge par celui annoncé en Cisjordanie.

Laisserez-vous le Président des États-Unis faire de Gaza une « Riviera » ?

Le peuple palestinien subit un génocide, une guerre d'extermination au sens où Raphaël Lemkin l'entendait : « acte de génocide dirigé contre un groupe national en tant qu'entité et les actes en cause sont dirigés contre des individus, non pas à titre individuel, mais en tant que membres de leur groupe nationali ».

Si la Charte des Nations Unies reconnait à l'État agressé le droit de se défendre (article 51), ce droit s'applique -t-il à une puissance exerçant une occupation illégale ? Cela mérite discussion. En tout état de cause, aucun État n'a le droit d'utiliser une force disproportionnée, ainsi qu'en fait usage actuellement l'État colonisateur. Le principe de proportionnalité introduit le fait qu'une action ne doit pas être plus dévastatrice que les dommages déjà subis. Pourtant, dans sa riposte, l'État d'Israël a fait le choix d'une violence aveugle qui viole le principe de proportionnalité en ne respectant aucun équilibre entre l'objectif, sauver les otages, et les moyens employés. L'objectif véritable : étant d'exterminer le maximum de Palestiniens.

Si la notion de principe énonce des exigences d'optimisation des valeurs et des intérêts, alors que les normes et les règles sont souvent présentées comme de nature ontologique, logique ou méthodologique, le principe de proportionnalité ne prime-t-il pas sur les autres règles et normes ? N'est-ce pas encore plus vrai lorsqu'un Premier ministre affirme qu'il faut éradiquer le Hamas et qu'il reçoit en retour le soutien d'une grande partie de la communauté internationale, et notamment de ses soutiens occidentaux, qui s'élèvent comme lui contre la « barbarie » ? Dans ces conditions, il lui est facile de décider du quota de proportionnalité.

Qui est le plus barbare ? Celui qui lutte contre une occupation coloniale illégale et pour son droit inaliénable à l'auto-détermination, même s'il commet ce faisant des actes criminels, ou celui qui, pour se venger et surtout pour réaliser des desseins coloniaux et expansionnistes d'extrême droite, cherche à éliminer de sa terre tout un peuple ? Celui qui aide un État à commettre, sur une grande échelle et de manière planifiée et systématique, des crimes de génocide, des crimes de guerre ? Celui qui détourne les yeux faisant semblant de ne pas savoir, alors que les corps s'amoncellent sous les gravats, ou de ne pas voir dans la profondeur des yeux des enfants l'inhumanité d'un monde se réclamant de la démocratie et des droits humains ?

Pourquoi face à ce désastre pour l'humanité, des pays, sans aucun état d'âme, aident l'État d'Israël en lui fournissant une aide soit militaire soit financière ?

Vous ne pouvez ignorer qu'en aidant ou en assistant ce pays, en lui reconnaissant son droit à se défendre alors qu'il est l'occupant, ces pays engagent la responsabilité internationale de leur État et se rendent complices de l'occupation illégale, de la colonisation, de l'apartheid, du nettoyage ethnique en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et même en ce qui concerne les Bédouins en territoire sous juridiction israélienne, sans oublier les crimes de guerre commis depuis plus de 78 ans et qui violent, malgré les nombreuses résolutions du Conseil de Sécurité ou celles de l'Assemblée générale, aussi bien l'ensemble des droits humains que les droits des populations civiles en temps de guerre garantis par la 4e Convention de Genève.

Affirmerez-vous en août prochain, lors du 75e anniversaire de l'adoption de cette Convention, qu'elle est une grande avancée pour la protection des populations civiles alors que l'armée d'occupation israélienne détruit systématiquement les écoles, les hôpitaux, les refuges, les centres de l'UNRWA et que la réunion des Hautes Parties Contractantes des Conventions de Genève, prévue le 7 mars dernier, a été annulée à la dernière minute en raison de la position déplorable du gouvernement suisse et de l'Europe ?

Faut-il vous rappeler qu'un État tiers n'a pas besoin de participer directement à un acte internationalement illicite – à l'instar des États-Unis, coresponsables de la guerre génocidaire menée par leur allié israélien – pour en partager la responsabilité ; il suffit qu'il fournisse une aide volontaire à la réalisation d'un fait illicite ou à la prolongation dans le temps de cet acte et cela concerne tous les États favorisant, entre autres, leurs entreprises afin qu'elles signent des contrats de ventes de composants ou d'armes à l'État israélienii.

Notons que, dans le cas du peuple palestinien et par rapport à l'acte internationalement illicite israélien, sont en cause des obligations considérées comme « essentielles » pour la « communauté internationale tout entière ». Rappelons ici qu'en 1970, dans un arrêt célèbre la Cour internationale de Justice avait précisé qu'« une distinction essentielle doit être établie entre les obligations des États envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d'un autre État ....

Par leur nature même, les premières concernent tous les États. Vu l'importance des droits en cause, tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ; les obligations dont il s'agit sont des obligations erga omnesiii ».

Il va de soi que l'une des conséquences directes du fait internationalement illicite est qu'il existe à la charge de tous les sujets de droit international l'obligation de réparation. La réparation, qui consiste dans l'obligation d'effacer les conséquences du fait internationalement illicite, apparaît avant tout comme un mécanisme de sanction de la violation du droit international.

Pourquoi assumez-vous une telle précipitation au chevet de l'Ukraine envahie, tandis que la Palestine est abandonnée, isolée, emmurée, meurtrie, ethniquement « nettoyée », depuis plus de 78 ans sans susciter une véritable indignation de votre part ?

La dignité de la communauté internationale exige que cette dernière soutienne l'État sud africain pour avoir rappelé les principes intangibles du jus cogens (norme impérative) et qu'elle se dresse contre les attaques et les menaces dont ce pays est la cible, notamment celles de la nouvelle administration états-unienne.

Que répondez-vous au fait que les mesures provisoires de la Cour Internationale de Justice n'ont pas été respectéesiv, et encore moins mises en œuvre ?

Au nom de l'universalité, au nom de l'humain, assumez-vous d'avaliser encore plus de famine, plus de destruction massive, plus de déplacements de population ?

N'êtes-vous pas là, en tant que membres de la communauté internationale, pour contrer le fait que les rapports de force politiques ne l'emportent pas sur les normes du jus cogens quant au droit international et au droit humanitaire international mis en place pour réguler les usages de la force et protéger les populations civiles ?

Nous, Peuple des Nations, exigeons que vous, les États, en tant que membres de la communauté internationale représentant le Peuple des Nations, vous œuvriez en toute urgence à la mise en place de garde-fous pour éviter la déstructuration du droit international, voire le déchirement de la régulation des rapports de force afin que les rapports sociaux internationaux et les relations internationales ne soient pas façonnés par le rôle dominant des États-Unis dont la dérive à l'extrême droite est aujourd'hui le principal danger qui pèse sur la planète.

Soyez humains, si vous en êtes encore capables : vous avez la possibilité de stopper le génocide et le nettoyage ethnique du peuple palestinien !

Du futur de la Palestine dépend le futur de notre monde !

SIGNEZ ET FAITES SIGNER

ic.intl.responsibility.palestine@gmail.com

Mireille Fanon Mendes France
Pour la Fondation Frantz Fanon
https://fondation-frantzfanon.com/
https://centenaire.fondation-frantzfanon.com/

Gilbert Achcar
Professeur émérite en relations internationales, SOAS, Université de Londres

Notes
iAxis Rule in Occupied Europe : Laws of Occupation, Analysis of Government, Proposals for Redress,
Washington, Carnegie Endowment for International peace, 1944, p. 79
ii Companies Profiting from the Gaza Genocide : https://afsc. org/companies-2023-attack-gaza
iii CIJ, Arrêt Barcelona Traction, Recueil, 1970, § 33. « Erga omnes » means « in relation to everyone ».
iv https://news.un.org/fr/story/2024/03/1144476

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Contre les faiseurs de guerre, construisons le chemin de la paix

27 mai, par Réseau d'Actions contre l'Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR) — , , , ,
52 000 vies palestiniennes détruites par le gouvernement Netanyahou à Gaza, dont 16 000 enfants selon l'UNICEF. 1200 Israéliens tués lors l'attaque terroriste du Hamas le 7 (…)

52 000 vies palestiniennes détruites par le gouvernement Netanyahou à Gaza, dont 16 000 enfants selon l'UNICEF.
1200 Israéliens tués lors l'attaque terroriste du Hamas le 7 octobre, près 600 autres et depuis.
57 otages, dont 34 déclarés morts, toujours retenus dans les tunnels du Hamas dans la Bande de Gaza.
Plus de deux millions de déplacé(e)s de force à Gaza et en Cisjordanie, parfois plusieurs fois.

Tiré du site de Avaaz
https://secure.avaaz.org/community_petitions/fr/emmanuel_macron_president_de_la_republique_et_son__contre_les_faiseurs_de_guerre_construisons_le_chemin_de_la_paix/?eemail&utm_source=email&utm_medium=social_share&utm_campaign=1744003&utm_term=email%2Bfr&share_location=do_postaction

Signer la pétition cliquez ici

photo Serge D'Ignazio

Après plus de deux mois de blocage de l'aide humanitaire par Israël, la famine s'installe. Face à la mort et à la destruction semée avec le plus grand mépris des vies humaines par le Hamas et la coalition d'extrême droite au pouvoir en Israël, nous devons agir.

Un autre chemin est possible. En Israël et Palestine des milliers de citoyens se mobilisent pour exiger une paix juste et durable pour les deux peuples.

Plus de 1500 réservistes ont signé une lettre ouverte dénonçant la poursuite de la guerre à Gaza. Et nombre d'entre eux refusent de reprendre les armes. D'autres sont objecteurs de conscience et refusent de faire leur service militaire obligatoire.
Le gouvernement israélien tente de faire taire les voix d'opposition de la société civile.

Les Gazaouis protestent également. Ils sont descendus dans les rues par centaines pour dénoncer la responsabilité du Hamas dans la fin du cessez-le-feu avec des slogans forts – « Hamas dehors », « Hamas terroristes » ou encore « Nous ne voulons pas mourir ».
Ces manifestations ont été réprimées de manière brutale et sanglante par le Hamas.

Nous affirmons notre solidarité internationale envers les manifestants palestiniens et israéliens, et notre admiration pour leur courage.

Depuis 2015, Standing Together, mouvement de citoyens juifs et palestiniens d'Israël, se bat quotidiennement, comme nombre d'ONG israéliennes et palestiniennes sur le terrain, contre l'occupation, et pour qu'une solution pacifiste, juste et équitable émerge.

Après le 7 octobre, des “gardes humanitaires” ont été organisées, s'opposant physiquement aux colons israéliens qui bloquaient le passage de camions apportant de l'aide à Gaza. Des campagnes d'affichage pour montrer la réalité de la guerre ont également été menées. Et des manifestations ont lieu toutes les semaines pour s'opposer à la politique meurtrière de Netanyahou, Smotrich et Ben Gvir.

Ces voix, ainsi que celles d'ONG israélo-palestiniennes, comme Women Wage Peace, Women of the sun, les Combattants pour la paix, et le Cercle des familles endeuillées, doivent être relayées et amplifiées, afin que leurs revendications soient défendues par la communauté internationale, et par la France en particulier.
L'association Les Guerrières de la Paix œuvre également chaque jour sans relâche, sur le terrain, en lien direct avec les activistes de ces ONG pour porter leurs voix.

Comme l'expliquent inlassablement les militants de Standing Together, deux camps s'opposent dans ce conflit, mais ce ne sont pas ceux que l'on nous présente habituellement. En fait, il y a le camp des faiseurs de guerre, composé du gouvernement israélien et du Hamas, et celui de la paix, incarné par les sociétés civiles israéliennes et palestiniennes, dont de larges secteurs refusent la guerre.

Nous appelons donc le gouvernement français à répondre à leur appel, et à mettre en œuvre au plan international les revendications du camp de la paix :

Un cessez le feu immédiat dans la bande de Gaza,
La libération de tous les otages,
La libération des prisonniers palestiniens détenus arbitrairement,
La fin de l'occupation, de la colonisation et de la politique d'apartheid, conformément à la résolution de l'ONU du 18 septembre 2024,
L'opposition à tout projet de nettoyage ethnique,
Un embargo total et immédiat sur les armes, munitions et composants militaires livrés à Israël,
L'entrée massive de l'aide humanitaire aux populations civiles,
La reconnaissance d'un État de Palestine souverain et indépendant,
L'arrestation de Benjamin Netanyahou, Yoav Gallant et les dirigeants du Hamas afin qu'ils soient jugés par la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'Humanité.

Un “sommet des peuples pour la paix” s'est tenu à Jérusalem les 8 et 9 mai et fut la plus grande convention de paix jamais tentée au Moyen-Orient. Ce doit être l'occasion pour la communauté internationale d'intensifier la pression sur le gouvernement israélien afin qu'il accepte le plan régional pour la paix soutenu par l'Union européenne, les Nations Unies, les chefs de la Ligue arabe et l'Autorité palestinienne.

Seul un plan pour une paix juste et durable, sur la base d'une égalité de droits, permettra aux peuples palestinien et israélien de vivre en sécurité. Contre les faiseurs de guerre, faisons triompher les bâtisseurs de paix.

Suite à la tribune à l'initiative du Réseau d'Actions contre l'Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR) publiée le 14 mai 2025 dans le Nouvel obs*, le RAAR lance une pétition nationale pour amplifier et promouvoir plus largement les revendications des voix de la paix en Israël et Palestine :

https://www.nouvelobs.com/idees/20250514.OBS103872/israel-palestine-contre-les-faiseurs-de-guerre-construisons-le-chemin-de-la-paix.html

***
Rédacteur :

Réseau d'Actions contre l'Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR)

***
Premiers signataires :

Alexis Corbière, député de la Seine-Saint-Denis ; Geneviève Garrigos, conseillère de Paris, Pierre Tartakowsky, président d'honneur de la LDH, Marine Tondelier, secrétaire nationale Les Ecologistes-EELV, Raymonde Poncet Monge, sénatrice écologiste du Rhône ; François Sauterey, Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP) ; Emma Rafowicz, députée européenne, présidente des Jeunes Socialistes ; Christian Picquet, exécutif national du Parti communiste français ; Raquel Garrido, ancienne députée, fondatrice de L'Après ; Corinne Narassiguin, sénatrice de Seine-Saint-Denis ; Aminata Niakaté, porte-parole Les Ecologistes, conseillère de Paris ; Benjamin Stora, historien ; Dominique Soppo, Président de SOS Racisme ; Fabienne Messica, Ligue des Droits de l'Homme ; David Belliard, candidat écologiste à la Mairie de Paris ; Sandrine Rousseau, députée écologiste de Paris ; Karim Ziady, conseiller de Paris délégué ; Sophie Wahnich, directrice de recherche CNRS ; Kader Chibane, président du Pôle Ecologiste Région IDF ; Annie Lahmer, conseillère régionale IDF ; Frédérique Reibell, membre du Raar ; Rachel Lefevre, avocate et membre du Raar ; Lisa Hazan, étudiante et écrivaine ; Aurélien Taravella, conseiller départemental Place publique (31) ; Leila Kennouda, Génération.s 46 ; François Béchieau, secrétaire national du Mouvement des Progressistes, conseiller de Paris ; Gérard Delahaye, CGT UD Paris, collectif confédéral travailleurs migrants, conseil d'administration de la fondation Copernic ; Rosa Bursztein, humoriste ; Natacha Chetcuti-Osorovitz, sociologue ; Philippe Marlière, politiste ; Albert Herszkowicz, membre du Raar ; Philippe Corcuff, professeur des universités en science politique à Sciences-Po Lyon ; Sara Horchani, fondatrice de l'association Libertés-Culture et artiste ; Alain Policar, politiste ; Mohamed-Nour Hayed, écrivain, poète et conférencier franco-syrien ; Claudie Bassi, présidente du MRJ-MOI ; Liliane Turkel, vice-présidente de MRJ-MOI ; Benjamin Bibas, journaliste ; Emmanuel Revah, humoriste, membre du Raar ; Diane Richard, militante féministe ; Paul Lévy, membre du Raar ; Thérèse Filippi, membre du Raar ; Jan Feigenbaum, bibliothécaire militant à Pantin solidaire, à SUD-CT et à la FSU ; Martine Leibovici, membre du Raar ; Lorenzo Leschi, Collectif Golem ; Dan Zisso, Défendre la Démocratie israélienne (membre de la coordination), Jcall et La Paix maintenant ; Ludovic Arberet, syndicaliste ; Zéphyr Isard, cosecrétaire des Jeunes Ecologistes Midi-Pyrénées ; Wassim Allouka, Belgian Friends of Standing Together ; Sylvie Cohen, Amis de Standing Together en France ; Gérard Lévy, conseiller municipal aux Clayes, conseiller communautaire SQY78 ; Gaspard Ringelheim, étudiant ; Aurélien Ringelheim, comédien ; Fouad Benyekhlef, militant associatif (Belgique) ; Sophie Bournazel, syndicaliste CNT ; Aurélie Brenta, Amis de Standing Together ; Marianne de Brunhoff, Amis de Standing Together en France ; David Desmartis, membre du Raar ; Sharon Geczynski, socio-anthropologue ; Mohamed Ghili, Mouvements des progressistes ; Renaud Barne, Belgian Friends of Standing Together ; Lucie Cariès, réalisatrice ; Léo Lévy-Lajeunesse, membre du Raar ; Hélène Henry, militante de la LDH (section-régional-comité national) ; Eva Hadas-Lebel, Les Amis de Standing Together France ; Laure Vermeersch, cinéaste ; Sender Vizel, dessinateur ; Héloïse Godet, actrice, autrice ; Celine Benzekry, retraitée ; Grégory Benzekry, musicien (Dubamix) et syndicaliste ; Martine Lalande, Syndicat de la Médecine générale ; Francis Kandel, Amis de Standing Together en France ; Paule Ouanhnon, EELV ; Julie Palkowski-Amimeur, Amis of Standing Together ; Aurélie Pavis, militante du Raar ; Pierre Philibert, LDH ; Sarah Pinto, professeure ; Nenad Rabrenovic, musicien ; Thibault Moers, enseignant ; Cécile Moscovitz, journaliste ; Andreas Motsch, professeur agrégé, université de Toronto ; Denis Renard, PCF ; Jean-Loup Kastler, conseiller municipal Ferney-Voltaire ; Yoram Krakowski, psychologue ; Antoine Malamoud, L'Après ; Catherine Markstein, Amis de Standing Together ; Rosita Winkler, retraitée, Amis de Standing Together ; Clothilde Ménard, professeure ; Harsh Kapoor ; Yaël Aberdam ; Ben Assor, hôtelier ; Fatima Bendahmane ; Ylhem Benhacene, EELV ; Bernard Bloch ; Charles Bouhanna ; Danielle Bouhanna ; Véronique Bover, culture ; Julien Chanet, membre du Raar ; Jacques Chastrusse, retraité ; Claire Chastrusse ; Frédéric Chastrusse, ingénieur ; Théo Ferroni ; Véronique Friocourt, tech ; Nicole Garosi, membre du Raar ; Estelle Gauron ; Déborah Gol ; Nathan Hancart, université d'Oslo ; Ka In 't Zandt, psychologue ; Hugues Joscaud, retraité ; Maria Kakogianni ; Laetitia Kramarz ; Elise Levy ; Muriel Lutz, bénévole ; Clémence Miellet ; Sandra Naranjo, société civile ; Tù-Tâm Nguyen, bibliothécaire médicale ; Jean-Pierre Rafier ; Simon Rakovsky ; Nadine Raquillet, retraitée ; Romain Roussel ; Lila Routier Dalnoky ; Catherine Saltiel, retraitée ; Julie Samit ; Jérôme Sclafer, médecin ; Anne-Marie Simonpoli, médecin ; Lea Sitbon ; Myriam Suchet ; Shana Weber ; Bastien Zaouche, musicien ; Michèle Zmirou ; Emmanuel Gottlob ; Françoise Balais, attachée culturelle ; Julia Leschi, travailleuse ; Robert Hirsch, membre du Raar ; Daniel Aptekier-Gielibter, membre du RAAR,UJRE ; Johanna Cincinatis, Journaliste ; Lucas Pisano, Étudiant ; Philippe Sultan Copernic ; Alice Timsit, Conseillère de Paris ; Éric Audrain, membre du RAAR, Syndicaliste ; Patrick Vergain, LDH ; David Quesemand, Cinéaste ; Jean-Pierre Fournier, enseignant ; Dominique David, Retraité ; Denis MARX, militant associatif Lyon ; Janette Habel, Politologue ; Sarah Raquillet, Ergothérapeute.

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Israël accélère son plan pour prendre « tout le contrôle » de la bande de Gaza

Pour ne pas perdre le soutien international, le premier ministre Benyamin Nétanyahou annonce parallèlement une reprise minimale de l'aide humanitaire dans l'enclave assiégée et (…)

Pour ne pas perdre le soutien international, le premier ministre Benyamin Nétanyahou annonce parallèlement une reprise minimale de l'aide humanitaire dans l'enclave assiégée et affamée. Son objectif reste la réoccupation de Gaza et le nettoyage ethnique. Le Canada, la France et le Royaume-Uni disent lundi soir s'opposer « fermement à l'extension des opérations militaires israéliennes à Gaza ».

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
19 mai 2025

Par Rachida El Azzouzi

« Nos meilleurs amis dans le monde – des sénateurs que je connais comme de fervents partisans d'Israël – ont prévenu qu'ils ne pourraient pas nous soutenir si des images de famine massive apparaissaient […]. Nous devons éviter la famine tant pour des raisons pratiques que diplomatiques. Sans soutien international, nous ne pourrons pas mener à bien notre mission victorieuse. »

Ce message a été diffusé par le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, qui cède ainsi aux pressions de ses plus précieux soutiens, notamment les États-Unis, pour mieux atteindre ses objectifs : dérouler son plan dévoilé le 5 mai, qui passe par la prise de contrôle « de tout le territoire » de la bande de Gaza, et le déplacement de la plupart de ses 2,4 millions d'habitant·es vers l'extrême sud du territoire. Ni plus ni moins qu'une annexion, et un nettoyage ethnique, en violation flagrante du droit international, allègrement bafoué depuis plus d'un an et demi par le gouvernement le plus extrémiste de l'histoire d'Israël.

Dans une vidéo publiée sur son compte Telegram, Nétanyahou a confirmé lundi 19 mai son feu vert de la veille : il a autorisé « une aide humanitaire minimale – nourriture et médicaments uniquement – » pour ne pas perdre le soutien international, alors qu'une famine généralisée menace Gaza après près de trois mois du plus long blocus qu'ait connu l'enclave, où l'armée israélienne intensifie depuis ce week-end sa guerre génocidaire. Depuis le 2 mars, plus rien n'entre dans le territoire anéanti et affamé. Tout est bloqué : l'aide humanitaire, les médicaments, le carburant, la nourriture.

« Nous sommes engagés dans des combats intenses et de grande ampleur à Gaza, et nous progressons », a déclaré Benyamin Nétanyahou, promettant « d'agir de manière à ce que personne ne puisse […] arrêter [Israël] ». Le ministre des finances d'extrême droite, Bezalel Smotrich, a appuyé ses déclarations, affirmant qu'Israël « détruisait tout ce qu'il reste de la bande de Gaza » et que « l'armée ne ménageait aucun effort ». Il a ajouté : « Nous conquérons, purifions et restons à Gaza jusqu'à la destruction du Hamas. »

Depuis la reprise des attaques israéliennes sur Gaza le 18 mars et la rupture d'un cessez-le-feu de deux mois, « la situation est pire que jamais », témoigne auprès de Mediapart un travailleur humanitaire palestinien par messagerie WhatsApp. « Plusieurs enfants sont morts de malnutrition, tandis que beaucoup d'autres sont toujours hospitalisés pour recevoir des soins. Nous subissons actuellement des pénuries alimentaires et des prix exorbitants. »

La litanie macabre du bilan quotidien des bombardements israéliens qui tuent ou mutilent la population s'élève ces derniers jours à plusieurs centaines de victimes, dont des dizaines d'enfants. Au total, au moins 53 339 personnes ont été tuées à Gaza, en majorité des civils, selon les dernières données du ministère de la santé à Gaza.

Ordres d'évacuation

Les personnalités politiques israéliennes les plus fanatiques s'en frottent les mains, à l'image du député Zvi Sukkot, qui s'enorgueillissait vendredi 16 mai, dans une émission de débat à la télévision israélienne, et alors que des dizaines de Palestinien·nes avaient été tué·es la veille au soir : « Tout le monde s'est habitué à ce que l'on puisse tuer 100 Gazaouis en une nuit, en temps de guerre, et tout le monde s'en fiche. »

Lundi 19 mai, au lendemain d'un week-end meurtrier, la défense civile de Gaza a annoncé la mort de plus d'une vingtaine de personnes dans des bombardements à Khan Younès, notamment autour de l'hôpital Nasser, au sud du territoire (les hôpitaux demeurent des cibles). C'est dans ce gouvernorat notamment qu'Israël entend en partie déployer son opération militaire de grande ampleur pour réoccuper le territoire et instaurer une présence durable, baptisée « Chariots de Gédéon », en référence au personnage biblique.

L'armée israélienne a ainsi appelé lundi 19 mai au matin des habitant·es de l'enclave à évacuer divers secteurs du sud de la bande de Gaza. « À l'attention des habitants du gouvernorat de Khan Younès, Bani Suheila et Abasan : l'armée de défense israélienne va lancer une offensive sans précédent pour détruire les capacités des organisations terroristes dans cette zone. Vous devez évacuer immédiatement vers l'ouest », a écrit en arabe Avichay Adraee, porte-parole de l'armée israélienne sur Telegram. « À partir de maintenant, le gouvernorat de Khan Younès est considéré comme une zone de combat dangereuse », a-t-il ajouté.

Parallèlement, Israël mène des pourparlers indirects, qui n'ont guère de chances d'aboutir, pour un cessez-le-feu avec le Hamas.

Lundi soir, dans un communiqué transmis par l'Élysée, la France, le Royaume-Uni et le Canada ont haussé le ton face à la politique israélienne. Les quatre pays disent s'opposer « fermement à l'extension des opérations militaires israéliennes à Gaza » et jugent « le niveau de souffrance humaine à Gaza intolérable ». « Nous demandons au gouvernement israélien d'arrêter ses opérations militaires à Gaza et d'autoriser immédiatement l'entrée de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza », déclarent les trois pays.

« Nous ne resterons pas les bras croisés pendant que le gouvernement Nétanyahou poursuit ces actions scandaleuses. Si Israël ne met pas fin à la nouvelle offensive militaire et ne lève pas ses restrictions sur l'aide humanitaire, nous prendrons d'autres mesures concrètes en réponse », ajoute le texte, qui se conclut par la réaffirmation de leur détermination « à reconnaître un État palestinien ».

Les ONG court-circuitées

L'incertitude demeure totale quant à la reprise très limitée de l'aide humanitaire et à ses modalités de distribution, alors que les ONG alertent toutes depuis des semaines sur le risque de « famine de masse », et que le chef de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a de nouveau sonné l'alarme lundi, à l'ouverture de la réunion annuelle des États membres de l'organisation à Genève.

La diplomatie israélienne a annoncé lundi 19 mai que des camions transportant de la nourriture pour bébé allaient être autorisés à passer et que, « dans les jours à venir, Israël [faciliterait] l'entrée de dizaines de camions d'aide ». Mais aucune date précise n'a été donnée. Le bureau des affaires humanitaires de l'Organisation des Nations unies (Ocha) a confirmé « être en pourparlers avec les autorités israéliennes sur la façon dont cela se déroulerait compte tenu des conditions sur le terrain ».

Des sources évoquent une trentaine de camions, ce qui est dérisoire au vu des besoins humanitaires immenses dans l'enclave, et alors que des tonnes de nourriture sont bloquées à la frontière.

Le ministre des finances suprémaciste, Bezalel Smotrich, a, de son côté, réaffirmé qu'une entreprise civile américaine commencerait bientôt à distribuer une « aide minimale » à Gaza directement aux civils, sans passer par le Hamas. « Pas un seul grain n'atteindra le Hamas ni ne mettra en danger nos soldats », a-t-il déclaré.

Smotrich fait référence à la très controversée Gaza Humanitarian Foundation (GHF). Enregistrée à Genève (Suisse) au début de l'année 2025 et fondée par les États-Unis, principaux alliés militaires d'Israël, elle inquiète les ONG, qui doutent de son impartialité. Aux contours encore flous, cette structure vise à court-circuiter les organisations humanitaires traditionnelles, avec le soutien de l'administration américaine et grâce à des accords privilégiés avec les autorités israéliennes. Elle a annoncé mi-mai qu'elle entendait commencer à distribuer de l'aide dans la bande de Gaza assiégée d'ici la fin du mois.

Dans un message posté sur Telegram, le ministre de la sécurité nationale, autre figure de l'extrême droite israélienne, Itamar Ben Gvir, qui permet à Nétanyahou de se maintenir au pouvoir, a dénoncé la reprise de l'aide humanitaire, une « décision prise […] dans l'urgence », qui est une « grave erreur » et qui donnera « de l'oxygène » au Hamas. Smotrich lui a répondu indirectement en l'accusant de « mélange de populisme de la part de quelqu'un qui cherche toujours à être plus à droite que la droite »…

Vingt-deux pays, dont la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, le Japon et l'Australie, ont exigé lundi d'Israël une « reprise complète de l'aide à la bande de Gaza, immédiatement », demandant qu'elle soit organisée par les Nations unies et les ONG. L'ONU et les organisations humanitaires « ne peuvent pas soutenir » le nouveau modèle pour la livraison de l'aide à ce territoire palestinien décidé par le gouvernement israélien, ont écrit les services diplomatiques de ces pays dans une déclaration commune transmise à l'AFP par le ministère allemand des affaires étrangères.

Rachida El Azzouzi

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Nés d’une résistance : nous sommes un journal à Kyiv, et voici notre histoire

27 mai, par The Kyiv Independent — , ,
Si vous lisez Mediapart, il y a de fortes chances que vous vous intéressiez au journalisme qui ne répond pas aux pressions politiques ou économiques. Ici, au Kyiv Independent, (…)

Si vous lisez Mediapart, il y a de fortes chances que vous vous intéressiez au journalisme qui ne répond pas aux pressions politiques ou économiques. Ici, au Kyiv Independent, nous sommes faits du même bois. Nous sommes un journal ukrainien sans paywall, sans propriétaire et sans influence extérieure, soutenue par sa communauté.

Tiré du blogue de l'auteur.

Nous sommes une rédaction basée à Kyiv, en Ukraine. Nous racontons la guerre à grande échelle menée par la Russie depuis l'intérieur du pays qu'elle tente activement de détruire. Et nous le faisons en anglais, pour que le monde entier puisse comprendre ce qui se passe - directement par la voix des journalistes ukrainiens sur le terrain.

Cette semaine, Mediapart nous a généreusement offert un espace pour partager notre histoire et inviter ses lecteur·ices à soutenir le journalisme indépendant d'Ukraine à un moment où il est le plus important.

Nous avons récemment lancé une campagne visant à agrandir notre communauté mondiale de membres. Notre objectif est d'atteindre 20 000 membres - et nous voulons expliquer pourquoi c'est important et comment nous en sommes arrivés là.

Un journal né d'une résistance

The Kyiv Independent a été lancé en novembre 2021 par un groupe de journalistes licenciés du Kyiv Post, le plus ancien journal ukrainien en langue anglaise, pour avoir résisté à des volontés d'ingérence dans leur travail.

Plutôt que d'abandonner, nous avons commencé quelque chose de nouveau. Un journal indépendant dès sa conception - n'appartenant pas à un milliardaire, n'étant pas lié à un État ou à un oligarque, et n'étant pas enfermé derrière un paywall.

Nous nous sommes lancés avec une petite équipe et une mission simple : offrir à nos lecteur.ices un journalisme précis et fiable en provenance d'Ukraine, avec une liberté éditoriale totale. Nous ne nous attendions pas à ce que, trois mois plus tard, la Russie lance une invasion à grande échelle.

Lorsque la guerre a commencé, nous avons continué à faire des reportages, souvent depuis des sous-sols, des abris anti-bombes ou en nous déplaçant d'une ville à l'autre. En quelques semaines, des millions de personnes ont lu notre travail. Aujourd'hui, nous sommes l'une des sources de journalisme en langue anglaise les plus fiables d'Ukraine.

Pourquoi nous comptons sur nos lecteur·ices

Aujourd'hui, The Kyiv Independent est une équipe de près de 70 personnes, dont des journalistes, des rédacteur.ices, des gestionnaires et des producteurs basés pour la plupart en Ukraine. Nous rendons compte de la guerre, mais aussi de la politique européenne, de la culture ukrainienne, de la corruption, des droits de l'Homme, des affaires et de l'économie, de la désinformation et de la réalité quotidienne d'une invasion à grande échelle.

Mais ce qui nous différencie, ce n'est pas seulement ce que nous racontons, c'est aussi la manière dont nous sommes financés.

Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire. Nous ne recevons pas d'argent de l'État ukrainien. Et nous n'avons pas de paywall.

A la place, nous sommes financés principalement par nos membres - plus de 18 500 personnes dans le monde entier qui nous soutiennent par de petites contributions mensuelles ou annuelles. Ce modèle nous donne la liberté d'informer sans compromis et de rendre notre journalisme accessible à tous.tes, indépendamment de l'endroit où ils vivent ou de leurs moyens financiers.

Pourquoi nous faisons une campagne maintenant

Ce mois-ci, nous avons lancé une campagne pour développer cette communauté. Notre objectif : atteindre 20 000 membres.

Rejoindre notre programme d'adhésion n'aide pas seulement à financer notre rédaction. Elle protège notre modèle. Elle nous permet de lutter contre la désinformation, de couvrir les crimes de guerre et de demander des comptes à celles et ceux qui détiennent le pouvoir, dans notre pays comme à l'étranger.

Nous nous concentrons particulièrement sur des pays comme la France, où le soutien à l'Ukraine et au journalisme indépendant ne va pas de soi, mais où nous avons constaté une réelle solidarité et des lecteur.ices qui se soucient profondément de la liberté de la presse.

C'est pourquoi nous prenons la parole ici sur Mediapart. Nous considérons ce partenariat non seulement comme une tribune, mais aussi comme une mission commune. Nous savons que les lecteur.ices de Mediapart soutiennent les mêmes principes que nous : l'indépendance éditoriale, la recherche de la vérité et un journalisme au service du public et non du pouvoir.

Si vous souhaitez que le journalisme ukrainien reste libre, indépendant et mondial, nous serions honorés de vous compter parmi nos membres.

Pour seulement 5 dollars par mois, vous pouvez devenir membre du Kyiv Independent. Vous soutiendrez ainsi directement notre équipe en Ukraine, vous nous aiderez à voir loin et vous aiderez à ce que notre journalisme reste ouvert à tous.tes.

Merci de nous lire. Et merci à la communauté Mediapart de soutenir les médias indépendants, surtout dans des moments comme celui-ci.

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Primaire de la gauche : « Il faut que ça décolle sinon on va s’emmerder »

27 mai, par Regards.fr — , ,
François Ruffin, député Picardie Debout de la Somme, est l'invité de #LaMidinale. Pablo Pillaud-Vivien fait cette entrevue avec François Ruffin. 21 mai | tiré de Regards.fr (…)

François Ruffin, député Picardie Debout de la Somme, est l'invité de #LaMidinale. Pablo Pillaud-Vivien fait cette entrevue avec François Ruffin.

21 mai | tiré de Regards.fr
https://www.youtube.com/watch?v=W7jrIMqmo9I&list=PLJjNfOGIs5-uydm58YFs0qu9nIW_mO4yC

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Pour un Arctique libre et démilitarisé – Défendre l’indépendance du Groenland – Défendre le peuple groenlandais et la nature

27 mai, par Socialistisk Arbejderparti — , , ,
Avec les demandes répétées de Donald Trump pour que les États-Unis prennent le contrôle du Groenland, et les déclarations de son vice-président J. D. Vance sur le nombre de (…)

Avec les demandes répétées de Donald Trump pour que les États-Unis prennent le contrôle du Groenland, et les déclarations de son vice-président J. D. Vance sur le nombre de militaires américains présents sur le territoire, la compétition impérialiste autour du Groenland a franchi une nouvelle étape décisive.

20 mai 2025 tiré de la revue International Viewpoint | Photo : Le vice-président des États-Unis J. D. Vance et son épouse Usha Vance posent avec le personnel de la base spatiale de l'armée américaine Pituffik, au Groenland, le 28 mars 2025.
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article9006

Le long combat pour protéger l'Arctique et les peuples inuits contre la guerre et la militarisation traverse une crise profonde. La menace d'une course aux armements au sommet du monde, et d'une nouvelle ruée effrénée vers les ressources naturelles de la population locale, menace non seulement l'existence des Groenlandais·es, mais aussi celle du monde entier. La plus grande garantie de paix et la seule gestion viable de l'Arctique résident dans les organisations et instances représentatives des peuples autochtones, y compris le Parlement groenlandais, l'Inatsisartut, et le Conseil circumpolaire inuit.

Trump dit tout haut ce que l'impérialisme danois « poli » cherche à dissimuler : que dans la logique du capitalisme, les pays, les personnes et les peuples sont, au mieux, des marchandises – au pire, des butins de guerre. C'est pourquoi l'exigence de Trump de renégocier l'alliance vieille de près de 200 ans entre les bourgeoisies danoise et américaine a plongé le Danemark dans une hystérie coloniale complète. Le summum de cette hystérie est sans doute la censure du documentaire sur l'exploitation minière de cryolithe par le Danemark, retiré d'internet cette semaine sous une pression politique évidente impliquant les plus hauts niveaux de l'État. Cette censure profondément partiale, accompagnée de la suppression des sources, rend désormais difficile, voire impossible, pour de nombreux·ses citoyen·nes de s'orienter dans un débat de société crucial.

L'importance de la cryolithe

La panique bourgeoise au Danemark doit être comprise à la lumière de l'immense richesse que les capitalistes danois ont réussi à piller au Groenland par l'extraction de cryolithe. Malgré le fait que l'État danois ait fait payer les capitalistes danois pour leur permettre de voler les ressources minières du Groenland, les héritiers de Theobald Weber (fondateur de l'usine de cryolithe de l'Øresund) ont chacun touché un rendement d'au moins 40 % du million reçu à la mort de leur père. De tels revenus ne proviennent pas d'activités économiques normales, mais uniquement de monopoles et de rentes coloniales. La réinjection de ces profits a bâti le Danemark tel que nous le connaissons aujourd'hui. C. F. Tietgen, le parrain de la bourgeoisie danoise moderne, est à l'origine de la construction de la mine d'Ivittuut. L'extraction de cryolithe doit donc être considérée comme une étape décisive de l'accumulation primitive qui a permis la transformation du Danemark en société industrielle.

Sans la cryolithe, l'aluminium ne serait probablement jamais devenu un métal d'usage courant, et ses potentialités n'auraient pas profité à l'humanité. Le Danemark et les États-Unis se sont partagé les profits de l'exploitation de la cryolithe plus ou moins équitablement. Pour les États-Unis, elle a permis le développement rapide de leur aviation militaire, qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, leur garantit une influence décisive sur le marché mondial. La richesse et la puissance qui en ont découlé ne peuvent être quantifiées. Ce que valait le fait d'avoir un lieu unique au monde où ces minéraux rares étaient disponibles à ciel ouvert – utilisés par la population locale pour tanner les peaux – s'est perdu dans les débats éthiques historiques. Comme d'autres peuples colonisés, les Inuit du Groenland se retrouvent avec un trou dans le sol là où auraient pu se poser les bases du développement de leur propre société et de leur propre économie.

Colonialisme aux États-Unis – et au Danemark

La revendication brutale de Trump pour le contrôle du Groenland n'est que la poursuite du raisonnement colonial, impérial et raciste qui a longtemps défini les politiques danoise et américaine envers le Groenland. Grâce à une longue et difficile lutte politique, le peuple groenlandais a conquis des droits juridiques et formels à l'indépendance. Mais l'impérialisme américain voit d'un œil profondément suspicieux toute formation étatique autochtone. C'est pourquoi, même sous direction démocrate, les États-Unis ont œuvré activement à influencer l'élite groenlandaise et à l'arrimer aux intérêts américains.

Le simple fait que cette exploitation soit aujourd'hui révélée déclenche une hystérie coloniale au Danemark, où le racisme colonial envers nos concitoyen·nes groenlandais·es se déchaîne librement – notamment à travers des idées selon lesquelles l'indépendance du Groenland devrait avoir des conséquences pour les Groenlandais·es vivant au Danemark. Il faut rejeter catégoriquement que le statut du Groenland ait la moindre incidence sur celles et ceux qui vivent au Danemark et font partie de la société danoise. Il est également profondément critiquable que le gouvernement danois, qui affirme pourtant soutenir le slogan groenlandais « Rien sur le Groenland sans le Groenland », ait sillonné l'Europe – sans le Groenland – pour obtenir un appui à la défense du « Royaume » ! Le gouvernement groenlandais est parfaitement capable de négocier les questions de sécurité – comme il le fait déjà pour les concessions et le commerce.

Nos tâches

La classe ouvrière danoise et la gauche ont une responsabilité particulière envers le peuple groenlandais. Il est malheureusement vrai qu'une complaisance marquée a caractérisé une grande partie du mouvement ouvrier danois à l'égard des Groenlandais·es. À quelques exceptions près, trop d'entre nous ont estimé qu'il suffisait de « laisser les Groenlandais décider », évitant ainsi d'avoir à affronter les questions historiques et contemporaines complexes qui concernent le Groenland. Il faut remédier à cela.

Cela commence par l'organisation de débats sur l'histoire et la réalité actuelle du Groenland, en invitant des activistes et des Groenlandais·es vivant au Danemark à partager leurs analyses et points de vue – pas seulement sur le Groenland, mais dans toute la société danoise. Nous pouvons le faire dans tous les milieux où nous sommes actifs. En parallèle, nous voulons que l'enseignement de l'histoire du Groenland et du colonialisme danois soit intégré aux programmes scolaires. Aucun enfant ne devrait voir l'Église de marbre sans savoir qu'à l'époque de son achèvement, elle était aussi surnommée « la mine d'aluminium ».

Nous devons également approfondir notre compréhension des conflits postcoloniaux et des angles morts des populations colonisatrices, notamment parmi les classes populaires. Un exemple monstrueux de cette ignorance est visible lorsque des « experts économiques » s'autorisent à vitupérer, presque sans contradiction, contre l'évaluation de la valeur brute d'une matière première (la cryolithe) comme mesure de ce qu'un pays colonisateur a pris à un pays colonisé. Même si des chercheurs en colonialisme soulignent la pertinence de cet indicateur – puisque pratiquement toute cette valeur a été transférée du PIB groenlandais à celui du Danemark. Il faut également accorder une attention particulière à la question des droits reproductifs et aux efforts délibérés de l'État danois pour empêcher la naissance d'une demi-génération d'enfants groenlandais.

Revendications pour soutenir la lutte des Groenlandais·es pour l'indépendance

Tout en soutenant pleinement le désir d'indépendance du Groenland et en comprenant que les Groenlandais·es ne peuvent croire à un traitement égalitaire, nous voulons entretenir les meilleures relations possibles avec le peuple groenlandais. Nous sommes liés non seulement par l'histoire, mais aussi par des relations familiales et d'amitié. Toutefois, ce désir n'a de sens que si le Groenland est soutenu dans sa pleine maîtrise de son territoire, et nous devons exiger qu'aucune pression économique ne soit exercée pour influencer les choix politiques du peuple groenlandais. De même, nous exigeons que les déplacements entre le Danemark et le Groenland soient rendus abordables pour toutes les personnes ayant de la famille au Groenland. Nous nous opposerons à toute indépendance contrainte par des concessions destructrices ou par des pressions militaires. Nous rejetons aussi toute démarche visant à court-circuiter le peuple groenlandais au profit d'élites réduites.

Nous exigeons donc que le Groenland ait un accès complet et sans entrave à toutes les études sur son sous-sol, et que tous les accords militaires concernant l'Arctique soient soumis à la population arctique. Lorsque l'État danois et la bourgeoisie danoise continuent de clamer combien il est « difficile » de faire de l'argent avec le pillage de l'Arctique, nous exigeons que tous les comptes soient publiés, y compris les paiements de dividendes.

Le développement d'un programme digne de ce nom concernant la relation entre le Groenland et le Danemark, ancienne puissance coloniale, doit se faire avec la pleine implication et l'indépendance du Groenland. Nous saluons à ce titre la contribution de la gauche danoise au parti Inuit Ataqatigiit, et nous leur souhaitons bonne chance pour les élections.

23 février 2025

Traduit par SAP à partir de [Socialistisk Information → https://socinf.dk/for-et-frit-og-afmilitariseret-arktis-forsvar-groenlands-selvstaendighed-forsvar-den-groenlandske-befolkning-og-natur/.**]

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Portugal. « PS menacé, BE et PCP marginaux : les quatre cartes qui montrent la droitisation »

27 mai, par Liliana Borges — , ,
Une nuit noire [du dimanche 18 au lundi 19 mai] pour le PS, un recul de la gauche (à l'exception de Livre – écologistes), une majorité plus importante pour l'Alliance (…)

Une nuit noire [du dimanche 18 au lundi 19 mai] pour le PS, un recul de la gauche (à l'exception de Livre – écologistes), une majorité plus importante pour l'Alliance démocratique [AD-droite] et une victoire qui devrait encore s'accroître pour Chega [Assez !, extrême droite]. Le résultat des élections anticipées [après la démission du gouvernement de Luis Montenegro, suite à un vote de confiance lié au débat sur un « conflit d'intérêts », le 11 mars au soir] n'est pas encore définitif et attend l'attribution des quatre mandats par les circonscriptions d'émigration [le 21 mai à 14h le résultat du dépouillement des votes dans les consulats n'est pas disponible]. Mais le tableau est tracé. Le pays a changé, le rose a pâli et la fin du bipartisme décrétée il y a un an s'est imposée.

21 mai 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/divers/portugal-ps-menace-be-et-pcp-marginaux-les-quatre-cartes-qui-montrent-le-nouveau-pays-a-droite.html

Avec 20 députés de moins, le PS réalise son troisième plus mauvais résultat au législatif depuis 1975, passant de 28,66% (en 2024) à 23,38% et risquant, une fois les votes de l'émigration comptés, de devenir le troisième parti au Parlement, derrière Chega. La chute est désastreuse.

Le PS perd 107 concelhos

Si, en 2024, le PS était le parti le plus voté dans 140 communes/municipalités [concelhos : subdivision des districts/circonscriptions électorales : au nombre de 22], le dimanche 21 mai ce chiffre est tombé à 33. En plus d'avoir perdu la première place dans 107 concelhos (dont 58 sont passées à l'AD et 49 à Chega) du nord au sud du pays, dans 60 concelhos les socialistes n'ont même pas atteint 20% des voix, ce qui, sur un total de 308 concelhos, équivaut à environ un cinquième du pays. Dans les circonscriptions de Beja et Setúbal, le PS n'avait pas perdu depuis 1991.

Le pire résultat du PS a été enregistré dans le concelho de Calheta, dans circonscription de Madère, où les socialistes ont obtenu seulement 7,7% des voix. La Calheta était déjà le concelho où le PS avait obtenu son pire résultat en 2024, mais cette année il a perdu encore plus de voix, tandis que Chega est passé de 9,3% à 17% des voix. Ce n'est que dans les circonscriptions de Bragança, Portalegre, Evora, Beja et Setúbal que le PS a réussi à obtenir plus de 20% des voix dans au moins un concelho.

Avec la progression de Chega de 18,06% à 22,56% des voix sur l'ensemble du territoire national, le nombre de concelhos dans lesquelles le parti a obtenu plus de 30% des voix a également augmenté (avec notamment la circonscription de Faro, où dix concelhos ont dépassé la barre des 30%, comme Vila Real de Santo António, Portimão et Albufeira). Au total, Chega a obtenu plus de 30% des voix dans 37 concelhos.

Chega franchit la barre des 30%

Dans la circonscription de Faro, où le parti avait déjà été le plus voté en 2024, s'ajoutent désormais les circonscriptions de Beja, Portalegre et Setúbal, consolidant ainsi l'implantation de Chega dans le sud du pays. Dans le nord du pays, Chega n'a obtenu plus de 30% des voix que dans un seul concelho : Valença, dans la circonscription électorale de Viana do Castelo. Mais dans le sud, il reste très fort. Il y a un an, le meilleur résultat du parti avait été obtenu à Elvas avec 36,53% des voix. Ce dimanche 18 mai, le parti a réitéré cet exploit, mais a augmenté le nombre de voix à 43,51% du total recueilli dans ce concelho.

L'Iniciativa Liberal (IL) a quant à elle réussi à se hisser à la quatrième place des partis les plus représentés au Parlement, en élisant un député supplémentaire (elle en compte désormais neuf), même si la progression en termes de voix n'a pas été très significative (de 5,08% à 5,53%). Les libéraux ont obtenu leurs meilleurs résultats dans la zone côtière du pays, avec 60 concelhos enregistrant plus de 5% de leurs suffrages en faveur de l'IL. Le parti de Rui Rocha a obtenu son meilleur résultat à Oeiras [région métropolitaine de Lisbonne], où il a presque doublé le nombre de votes par rapport à la moyenne nationale : 9,7 %. A Braga, où Rui Rocha était tête de liste, à Lisbonne et à Cascais, les libéraux ont également obtenu plus de 9% des votes.

La quatrième place au Parlement était encore convoitée par Livre [écologistes], mais il n'a obtenu que six députés (trois pour Lisbonne, deux pour Porto et un pour Setúbal). Malgré cela, il a été le seul vainqueur à gauche, dépassant la CDU (Coalition démocratique unitaire, PC et les Verts-Os Verdes) et le BE (Bloco de Esquerda, Bloc de gauche) et augmentant sa représentation parlementaire de deux députés. Livre a gagné 50 000 voix, passant de 3,26% à 4,2%, et a dépassé sa moyenne nationale dans 40 concelhos. Cela s'est produit dans les circonscriptions électorales de Braga, Porto, Coimbra, Leiria, Aveiro, Lisbonne, Setúbal et Faro. Le meilleur résultat a été obtenu à Lisbonne, avec 9,4% des voix, suivie par Oeiras, Porto et Almada [district de Lisbonne].

La croissance de Livre s'est particulièrement marquée sur le littoral du pays, mais il a également progressé dans la circonscription de Faro. Livre, qui est entré au Parlement pour la première fois en 2019, a devancé le BE dans 18 circonscriptions et la CDU dans six. Rui Tavares avait également pour ambition d'être élu à Braga et Aveiro et de ravir des députés à Rui Rocha (IL), mais il n'y est pas parvenu. Néanmoins, Livre a réussi à devancer l'IL, en particulier dans les circonscriptions de Beja, Setúbal, Evora, Castelo Branco et Coimbra.

Tout comme le PS, la Coalition démocratique unitaire (CDU) et le Bloc de gauche (BE) ont également vu leur représentation parlementaire diminuer. La plus grande perte a été celle du BE, qui a été réduit à une seule députée : l'actuelle coordinatrice du parti, Mariana Mortágua. La CDU recule également, mais dans une moindre mesure. La coalition qui réunit le PCP et Os Verdes n'a réélu que des députés communistes.

Dans le nord et le centre, on observe une prédominance significative des concelhos où le total des votes du BE et de la CDU ne dépasse pas 3% du total des votes enregistrés. Cette tendance met en évidence la faible implantation électorale de ces forces politiques dans ces régions, contrairement au sud du pays, où, bien que Chega ait progressé en termes de votes, le BE et la CDU restent au-dessus de leur moyenne nationale.

Bragança et les îles les plus abstentionnistes
Avec les votes de l'émigration encore à compter, le taux d'abstention s'élève à 35,62%, légèrement supérieur à celui enregistré en 2024. Toutefois, ce chiffre devrait augmenter, car c'est la tendance observée ces dernières années. Selon les données du secrétariat général du ministère de l'Intérieur, parmi les 20 circonscriptions électorales déjà dépouillées, 17 ont enregistré des concelhos où l'abstention a été supérieure à la moyenne nationale. C'est le cas des Açores, de Madère [45,69% d'abstention] et de Bragance [47,29% d'abstention], par exemple, où aucune commune n'a enregistré une participation supérieure à la moyenne nationale.

Les Açores restent la circonscription électorale avec le taux d'abstention le plus élevé aux élections législatives : 56,19 % des électeurs ne se sont pas rendus aux urnes. Braga est quant à elle la circonscription avec le taux d'abstention le plus faible : 30,29 %. En termes de concelhos, Ribeira Grande a été le concelho le plus abstentionniste, avec 62,34%. Le Sardoal, à Santarém, a été le concelho avec le taux d'abstention le plus faible : 26,95 %. (Article publié par le quotidien Publico le 19 mai 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)

PS : Nous publierons dans les jours qui viennent le message adressé aux membres du Bloco par la commission politique (21 mai) et l'analyse que le BE fait des élections et de la situation.

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Stop austérité : de l’argent pour le non-marchand !

27 mai, par Gauche anticapitaliste — , ,
Nous publions ci-dessous la version longue du tract que nous distribuerons lors de la grève-manifestation du secteur non marchand, ce jeudi 22 mai à Bruxelles, lors de laquelle (…)

Nous publions ci-dessous la version longue du tract que nous distribuerons lors de la grève-manifestation du secteur non marchand, ce jeudi 22 mai à Bruxelles, lors de laquelle nous marcherons au sein du bloc de Commune Colère. Le tract est également disponible en version courte et bilingue fr/nl au format PDF en cliquantici.

19 mai 2025 | tiré du site de la Gauche anticapitaliste
https://www.gaucheanticapitaliste.org/stop-austerite-de-largent-pour-le-non-marchand/

Face à la casse sociale programmée par l'Arizona et les autres niveaux de pouvoirs, il est urgent de nous unir pour lutter. Cette manifestation est un point de convergence pour toutes les luttes en cours depuis l'arrivée du nouveau gouvernement. La santé, le social, les services publics, l'enseignement, la culture, l'associatif : servons-nous de ce moment pour amplifier la résistance et la faire durer. Toustes dans la rue le 22 mai : l'Arizona veut la guerre de classe, les travailleur·euses ripostent en masse !

Alors que le secteur non-marchand se mobilise massivement depuis plusieurs années(1) pour un refinancement et des conditions de travail dignes, le gouvernement Arizona et ses émanations régionales en Flandre et en Wallonie dessinent une offensive sociale de grande ampleur contre les travailleur·euses du secteur. Dans la santé, la norme de croissance prévue par le fédéral est insuffisante pour répondre aux besoins réels, malgré les fausses promesses de Vooruit ou des Engagés ; les subsides des structures associatives sont rabotés ou menacés d'austérité alors que le secteur est déjà sous-financé ; la petite enfance, en lutte depuis des années contre la pénurie de personnel et pour une révision de la norme d'encadrement, voit ses revendications reportées indéfiniment (alors que le taux de couverture atteint à peine 40% en FWB). Par ailleurs, si les travailleur·euses des arts sont parvenu·es à faire reculer l'Arizona sur le statut d'artiste, les conditions d'octroi de ce statut seront désormais plus strictes. La culture est toujours l'objet d'une offensive trumpiste de George-Louis Bouchez.

De façon plus générale, les graves attaques contre l'ensemble des travailleur·euses (offensives contre les pensions et les allocations sociales, flexibilisation du travail, …) impacteront de plein fouet les femmes*, et toucheront particulièrement un secteur déjà précarisé par des décennies d'austérité néolibérale, dans lequel la pénibilité des conditions de travail cause de nombreuses souffrances, physiques et psychiques.

La plupart de ces métiers ont en commun de concerner le soin, c'est-à-dire de répondre aux besoins sociaux, affectifs, relationnels et éducationnels de la population. Ces fonctions indispensables à la société sont majoritairement portées par des femmes*, comme l'illustre la large féminisation du secteur : la défense du non-marchand est un enjeu féministe et sociétal majeur. En s'attaquant à ce secteur, les gouvernements s'en prennent non seulement aux travailleur·euses, mais également aux usager·ères, qui dépendent de ces structures pour des besoins vitaux : nous sommes toustes concerné·es ! Par leur mépris et leurs sous-financements, l'Arizona et les coalitions régionales illustrent bien la nature de leurs programmes, conformes aux intérêts des capitalistes et en faveur d'un monde soumis à la loi du profit, dans lequel les humain·es n'ont de valeur que s'iels sont productif·ves pour le capital !

Les secteurs de la culture et de l'enseignement se mobilisent déjà depuis plusieurs mois contre la guerre sociale orchestrée par la droite ; la petite enfance était en grève le 16 avril, et le secteur associatif porte de son côté de plus en plus sa voix parmi les mobilisations : nous plaidons pour que la manifestation du 22 mai crée un espace de convergence pour toutes ces revendications et constitue une nouvelle impulsion dans le cadre du plan d'action contre les gouvernements de droite, vers la chute de l'Arizona !

Nous revendiquons :

  • Le financement massif et structurel des services publics et non-marchands, à hauteur des besoins (crèches, santé, éducation, culture, services sociaux, infrastructures d'accueil, homes).
  • Recrutement massif pour alléger la charge de travail et pour améliorer les services, allant de paire avec une réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatoire.
  • Une sécurité financière pour toustes : pensions pour toustes ; augmentation des allocations sociales garantissant ainsi une vie digne pour chacun·e ; fin du statut de cohabitant÷e ; fin des temps partiels imposés qui maintiennent dans la précarité économique.
  • Un système de soin soustrait aux logiques de marché : assurant la gratuité des soins, capable de prendre en compte les réalités des femmes*, des personnes racisées, des personnes sans-papier et des personnes LGBTI+ et orienté en fonction des besoins grâce à une planification démocratique.
  • Une société du prendre soin où les fonctions de soins (crèche, soins aux malades, aux personnes âgées,…) ne sont plus assurées majoritairement par les femmes mais collectivisées.
  • Une école qui répond à nos besoins et non ceux du capital : ouverte, démocratique et émancipatrice.
  • La fin des politiques migratoires racistes et la régularisation sans condition de toutes les personnes sans-papiers pour mettre fin à leur exploitation et garantir un accès complet aux soins et aux droits sociaux.
  • Dehors l'Arizona : pour une alliance large des mouvements sociaux et des syndicats, en défense d'une autre société : solidaire, démocratique, féministe, anti-raciste et écologiste !
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L’accord sur les minerais est-il bénéfique pour l’Ukraine ?

Aujourd'hui, la Verkhovna Rada vote la ratification de l'accord entre les gouvernements de l'Ukraine et des États-Unis sur la création du Fonds d'investissement pour la (…)

Aujourd'hui, la Verkhovna Rada vote la ratification de l'accord entre les gouvernements de l'Ukraine et des États-Unis sur la création du Fonds d'investissement pour la reconstruction américano-ukrainienne. Malgré les promesses bruyantes de « partenariat » et d'« investissement », le document suscite de sérieuses inquiétudes.

8 Mai 2025 | tiré du site Arguments pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2025/05/08/declaration-du-sotsialnyi-rukh-sur-laccord-sur-les-terres-rares/

L'accord, signé le 30 avril, reflète la volonté du capital américain d'accéder sans entrave au sous-sol ukrainien. Dans le même temps, la partie ukrainienne bénéficie de beaucoup moins de droits et d'opportunités. Le document stipule que l'accord prime sur la législation ukrainienne, ce qui limite la capacité à protéger les intérêts nationaux. Les entreprises américaines pourront retirer leurs bénéfices d'Ukraine sans entrave.

Tout cela s'inscrit dans des conditions où le processus d'approbation a été mené en secret, sans débat public. Aucun accord supplémentaire n'a encore été rendu public et il n'existe pas d'évaluation d'experts du projet. Cela porte atteinte à la légitimité de l'accord et prive la société du droit d'influencer les décisions décisives et porte atteinte à la gestion de ses propres terres et de son sous-sol.

L'accord fixe également la voie à suivre pour un modèle d'extraction de matières premières dans la politique économique de l'Ukraine – au lieu de développer des technologies ou l'industrie, il s'agit principalement d'extraire des ressources. Les aspects sociaux et environnementaux sont complètement ignorés. Ni les syndicats, ni les organisations environnementales n'ont été impliqués dans la discussion.

Finalement, l'accord est présenté comme un instrument de sécurité, mais ne garantit rien de concret : l'aide américaine reste conditionnelle et politiquement vulnérable. Dans le même temps, cela crée le sentiment que l'Ukraine a perdu le contrôle de ses propres ressources.

Ce n'est pas une catastrophe, mais un signal d'alarme. La seule façon de changer la situation est de construire une économie véritablement démocratique et socialement orientée, où le peuple contrôle les ressources et où les partenariats internationaux sont basés sur l'égalité et non sur la subordination.

8 mai 2025

Sotsialnyi Rukh

Publication originelle de cette déclaration : https://rev.org.ua/chi-korisna-ukra%d1%97ni-ugoda-pro-korisni-kopalini-top-5-problem/

Source : RESU / PLT.

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« Creuse, bébé, creuse » : comment l’extraction et l’exportation de matières premières essentielles peuvent aggraver le piège des ressources en Ukraine

L'intérêt pour les richesses minérales de l'Ukraine a explosé dans un contexte de concurrence mondiale pour les matières premières essentielles à la transition vers les (…)

L'intérêt pour les richesses minérales de l'Ukraine a explosé dans un contexte de concurrence mondiale pour les matières premières essentielles à la transition vers les énergies vertes et les nouvelles technologies. Cette transition, présentée comme une voie vers le développement durable et la lutte contre le changement climatique, cache de plus en plus une lutte géopolitique acharnée pour les ressources, où différents acteurs s'efforcent de s'assurer le contrôle des chaînes d'approvisionnement.

20 mai 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots

L'attention mondiale se concentre désormais particulièrement sur « l'accord minier » entre l'Ukraine et les États-Unis, dans lequel les premières propositions de Donald Trump visant à échanger l'aide militaire américaine contre l'accès à une partie importante des richesses minérales de l'Ukraine ont révélé la nature cynique de cette course mondiale. Cet accord, présenté comme « des minerais en échange d'armes », a déclenché de vifs débats sur la question de savoir si l'Ukraine possède réellement la quantité et la qualité de minerais stratégiques capables de justifier des attentes aussi astronomiques et les ambitions coloniales de la nouvelle administration américaine.

Après l'invasion à grande échelle de la Russie en 2022, le gouvernement ukrainien a intensifié ses efforts pour positionner des ressources telles que le lithium, le titane, le graphite et les terres rares comme des atouts stratégiques destinés à attirer les investisseurs étrangers. L'objectif principal est de canaliser ces investissements vers la reconstruction d'après-guerre, en mettant particulièrement l'accent sur une « reprise menée par le secteur privé », qui sera coordonnée par BlackRock, la plus grande société de gestion d'actifs au monde.

Dans le même temps, il est bien connu que les accords basés sur l'exploitation des ressources naturelles profitent rarement aux pays où ces ressources se trouvent. L'expérience de nombreux pays d'Afrique et d'Amérique latine en est la preuve.

L'exemple de la République démocratique du Congo (RDC) est particulièrement révélateur. En février 2024, l'Union européenne et le Rwanda ont signé un accord sur les minerais visant à établir un partenariat stratégique sur des matières premières essentielles telles que le tantale, l'étain, le tungstène, l'or et le niobium. Dans le même temps, il est bien établi que les groupes rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, contrôlent des zones minières dans l'est de la RDC et font passer clandestinement des minerais au Rwanda, qui entrent ensuite dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Ces rebelles sont accusés de graves violations des droits humains, notamment de violences sexuelles systématiques et de crimes de guerre. Cette spirale de violence a régulièrement suscité des appels à l'UE pour qu'elle mette fin à son accord sur les matières premières avec le Rwanda afin d'éviter de contribuer à une nouvelle escalade du conflit.

La course mondiale aux matières premières essentielles peut provoquer des ingérences étrangères et mettre en danger les pays et les communautés qui deviennent la cible d'un extractivisme prédateur. La Bolivie, par exemple, est depuis longtemps au centre de la lutte mondiale pour les ressources minérales stratégiques. Le président bolivien Evo Morales a nationalisé les vastes réserves de ressources naturelles du pays, y compris le lithium, peu après son arrivée au pouvoir en 2006. Dans le cadre de plans visant à industrialiser la chaîne de production du lithium, des accords ont été signés avec la Chine et la Russie, prévoyant des partenariats avec la société publique YLB, des investissements dans les infrastructures locales et des transferts de technologie. La destitution de Morales en 2019 est directement liée à sa politique de nationalisation du lithium, qui a restreint l'accès des entreprises occidentales, dont Tesla, et favorisé le rapprochement avec la Chine et la Russie. Cet extractivisme prédateur dans la course aux matières premières est illustré par la réaction d'Elon Musk aux accusations selon lesquelles Tesla aurait été impliqué dans le coup d'État en Bolivie : « On fera un coup d'État contre qui on veut ! Faites avec. »

L'exploitation minière et l'utilisation des ressources minérales représentent environ la moitié de la capacité industrielle de l'Ukraine et jusqu'à 20% de sa main-d'œuvre. En 2024, les recettes provenant des exportations de minerais ne représentaient que 8,1% des exportations totales. Par rapport à 2021, ces chiffres ont baissé de près de 60%. En même temps, l'expérience de l'Ukraine avec ses propres ressources minérales — du charbon, qui a alimenté l'industrialisation soviétique, au lithium moderne, essentiel à la transition énergétique — montre un schéma familier : tant les acteurs externes qu'internes ont toujours cherché à profiter de cette richesse, souvent au détriment de la souveraineté du pays et de son développement économique durable.

Ce cycle d'exploitation s'inscrit parfois dans une dynamique mondiale plus large associée à ce qu'on appelle la « malédiction des ressources » ou le « syndrome hollandais », un paradoxe selon lequel les pays riches en ressources naturelles sont souvent confrontés à l'instabilité économique, à la montée de la corruption et aux abus des intérêts étrangers. Le « syndrome hollandais » apparaît généralement lorsque d'importants afflux de devises étrangères, provenant principalement des exportations de matières premières, entraînent un renforcement de la monnaie nationale, rendant les autres secteurs d'exportation moins compétitifs et entraînant le déclin de l'industrie manufacturière ou des exportations à forte valeur ajoutée. En même temps, cette vision, qui utilise les notions de « malédiction » et de « nature », a tendance à essentialiser la dynamique coloniale qui consiste à extraire systématiquement les ressources de la périphérie pour le développement du centre. Le discours sur la « malédiction » des pays riches en ressources présente les questions de dépendance et d'inégalité comme inévitables, découlant du simple fait de posséder des ressources. Ce faisant, il néglige souvent la persistance des structures de pouvoir coloniales.

Dans le contexte de l'intégration de l'Ukraine dans l'UE, les matières premières critiques sont devenues l'un des sujets de négociation, d'autant plus que l'UE cherche à garantir la continuité des chaînes d'approvisionnement pour la transition énergétique et à réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine. En 2021, dans le cadre du partenariat stratégique entre l'Ukraine et l'UE sur les matières premières, les réserves ukrainiennes de 22 des 34 minéraux essentiels à l'UE ont été identifiées. Depuis lors, la coopération s'est approfondie : l'Union européenne propose un « accord gagnant-gagnant » visant à promouvoir le développement durable et le partenariat stratégique.

Le piège des ressources : l'économie ukrainienne et les exportations de matières premières

L'Ukraine figure parmi les leaders mondiaux en matière de réserves et de production de minéraux essentiels, notamment le minerai de fer, le charbon, le manganèse, le titane, le graphite et les terres rares. Cette richesse minérale a joué un rôle crucial dans le développement de l'Empire russe et de l'Union soviétique. L'exploitation des gisements de charbon, de minerai de fer, de manganèse et d'uranium de l'Ukraine a été essentielle à l'industrialisation et à la puissance militaire de l'URSS. L'Ukraine a également joué un rôle clé dans la production de concentrés de titane, fournissant 90% de la production totale de l'ancienne Union soviétique. Les concentrés de titane sont utilisés comme matières premières pour la production d'alliages et de pigments de titane, largement utilisés dans les industries aérospatiale, militaire, médicale et chimique. Fait intéressant, sous la loi martiale, l'Ukraine a vendu la United Mining and Chemical Company (UMCC), la plus grande entreprise publique de production de minerai de titane du pays. Cette entreprise a été créée en 2014, lorsque l'État a repris le contrôle de deux entreprises clés du secteur du titane qui appartenaient auparavant à l'oligarque Dmytro Firtash. L'objectif stratégique de l'UMCC était de passer de l'exportation de matières premières à la fabrication de produits plus avancés technologiquement. Cependant, malgré son potentiel, l'entreprise n'a pas modernisé sa production et est restée un exportateur de matières premières. L'État n'a finalement pas réussi à exploiter le potentiel de l'UMCC et a perdu le contrôle de cet actif stratégique : à la suite d'une vente aux enchères en octobre 2024, à laquelle une seule entreprise a participé, l'homme d'affaires azerbaïdjanais Nasib Hasanov est devenu le nouveau propriétaire.

À l'époque soviétique, l'Ukraine produisait une large gamme de biens industriels et était l'un des principaux fournisseurs de charbon, de fonte, de minerai de fer et d'acier. Cependant, elle restait dépendante des importations de composants et de technologies de haute précision provenant d'autres républiques soviétiques. La plupart des fabricants ukrainiens ne disposaient pas de cycles de production complets, ce qui rendait la coopération avec les usines de l'URSS coûteuse. Au lieu de transformer ses propres matières premières, l'Ukraine les exportait vers d'autres républiques pour y être transformées, renforçant ainsi sa dépendance économique et les déséquilibres structurels façonnés par les priorités de l'Union plutôt que par son propre développement industriel.

Depuis son indépendance en 1991, la structure des exportations de l'Ukraine est restée principalement orientée vers les matières premières. L'industrie ukrainienne a continué à dépendre d'intrants bon marché, principalement l'énergie provenant de Russie, tout en exportant des produits à faible valeur ajoutée à des prix mondiaux plus élevés. Cependant, au lieu de profiter des termes de l'échange favorables pour diversifier et moderniser l'économie, les profits supplémentaires ont été distribués à un cercle restreint de « l'élite », ce qui a conduit à la concentration d'actifs importants entre les mains d'un petit groupe d'oligarques. En 2000, les métaux et les produits minéraux représentaient la moitié des exportations de l'Ukraine et, avec les produits agroalimentaires et chimiques, ces secteurs représentaient un peu plus de 70% des exportations totales du pays.

Certaines études citent l'Ukraine comme un exemple peu étudié du « syndrome hollandais » causé par une dépendance excessive aux ressources. Selon les chercheurs, la dépendance excessive de l'Ukraine à l'égard des exportations d'acier et de métaux ferreux, qui représentent près de 30% du total des exportations, a conduit à une structure économique faussée, caractérisée par la désindustrialisation, la vulnérabilité aux fluctuations mondiales des prix des matières premières et la stagnation de la production de haute technologie. Ils affirment que l'Ukraine souffre d'une variante du « mal hollandais », qui n'est pas due aux exportations d'énergie, mais à un modèle basé sur les matières premières qui canalise les ressources vers des secteurs à faible productivité et à la recherche de rentes plutôt que vers l'innovation et la fabrication. Lorsque les prix mondiaux de l'acier et des métaux ferreux ont augmenté, les recettes d'exportation de ce secteur ont considérablement augmenté, stimulant la demande de hryvnia sur les marchés des changes et renforçant ainsi la monnaie. Ça a rendu les produits ukrainiens plus chers pour les acheteurs étrangers, ce qui a profité aux exportateurs d'acier pendant le boom des marchés des matières premières, mais a nui à d'autres secteurs, comme la construction mécanique et la technologie, dont les produits sont devenus moins compétitifs à l'étranger. Dans le même temps, bien que l'Ukraine présente des symptômes similaires à ceux du syndrome hollandais, tels que la désindustrialisation, la prédominance des exportations de matières premières et la faiblesse des secteurs de haute technologie, il convient de noter que le déclin des industries de haute technologie a commencé plus tôt, après l'effondrement de l'Union soviétique, lorsqu'elles n'ont pas été en mesure de rivaliser au niveau mondial. La rupture des liens de coopération dans l'espace post-soviétique, le manque d'investissements et la perte de marchés, en particulier après la crise financière de 1998 en Asie et en Russie, ont accéléré le déclin des producteurs ukrainiens. L'orientation de l'Ukraine vers les matières premières est donc devenue une adaptation forcée plutôt que le résultat d'un effet d'éviction causé par l'appréciation de la monnaie induite par les exportations de matières premières.

La crise économique mondiale de 2008 a porté un coup dur à l'économie ukrainienne. Le secteur financier s'est effondré, révélant la dépendance critique de l'Ukraine à l'égard des matières premières, qui avait alimenté la croissance au début des années 2000. La crise a aussi entraîné un déclin rapide des industries à valeur ajoutée restantes qui n'avaient pas réussi à se moderniser : par exemple, la production de voitures, d'autobus et de tracteurs a baissé respectivement de 98%, 90% et 77% entre 2007 et 2021. En fin de compte, la dépendance à l'égard des exportations de matières premières a créé un cercle vicieux dans lequel la croissance économique est restée liée à la volatilité des marchés mondiaux des matières premières, entravant la modernisation d'autres secteurs.

Aujourd'hui, la structure des exportations de l'Ukraine reste dominée par les matières premières et les produits peu transformés.

Cependant, alors qu'en 2008, les produits métallurgiques représentaient 43,2% des recettes totales d'exportation de l'Ukraine, leur part était tombée à 24,9% à la fin de 2017. Cette baisse est principalement due à la chute des prix mondiaux de l'acier, à la perte de compétitivité de l'acier ukrainien sur les marchés internationaux, à une baisse importante des investissements dans le secteur sidérurgique et, enfin, à la guerre. Aujourd'hui, le secteur agricole génère environ la moitié des recettes d'exportation de l'Ukraine. En 2024, les matières premières représentaient plus de 66% des exportations totales de l'Ukraine, les https://eba.com.ua/en/bdo-v-ukrayini-pidtrymuye-plan-dlya-ukrayiny-pro-zbilshennya-eksportu-na-50-do-2030-roku-vid-logistyky-do-tehnologij/] restant les principales sources de revenus d'exportation. La part de l'industrie manufacturière dans le PIB est actuellement d'environ 10%, soit la moitié seulement de la référence de l'OCDE.

Depuis son indépendance, l'économie ukrainienne est restée dépendante des exportations de matières premières peu transformées. Cette dépendance a rendu l'Ukraine vulnérable aux fluctuations des prix sur les marchés mondiaux des matières premières, contribuant à la désindustrialisation et entravant le développement des industries de haute technologie.

La géopolitique des matières premières essentielles de l'Ukraine

Les matières premières essentielles telles que le lithium, le cobalt, le nickel, le graphite, les terres rares, le cuivre et le silicium sont indispensables à la fabrication de semi-conducteurs, de batteries et d'une large gamme d'appareils de haute technologie. Leur rôle important est particulièrement évident dans le secteur des énergies renouvelables. Les terres rares sont essentielles à la production d'aimants permanents, qui sont des composants essentiels des éoliennes et des moteurs de véhicules électriques. Parallèlement, les réseaux électriques nécessitent des quantités importantes de cuivre et d'aluminium , le cuivre étant le matériau de base de presque toutes les technologies liées à l'électricité.

La saisie agressive des ressources naturelles de l'Ukraine est un élément clé de la stratégie militaire de la Russie. L'occupation des territoires ukrainiens a permis au Kremlin de prendre le contrôle de vastes réserves de minéraux essentiels, de ressources énergétiques et de terres agricoles. Il n'est donc pas surprenant que la Russie se soit récemment fixé pour objectif de supprimer complètement sa dépendance vis-à-vis des importations de matières premières essentielles d'ici 2030. Selon le directeur de Rosnedra, Evgeny Petrov, « grâce à une série de mesures prises,nous prévoyons d'éliminer d'ici 2030 notre dépendance vis-à-vis des importations de 12 matières premières rares, notamment le lithium, le niobium, le tantale, les métaux rares, le zirconium, le manganèse, le tungstène, le molybdène, le rhénium, le vanadium, le spath fluor et le graphite. Pour une ressource high-tech comme le lithium, on espère y arriver d'ici 2028. » Depuis 2014, et surtout après l'invasion à grande échelle de 2022, la Russie cible systématiquement les gisements de lithium, de titane, de terres rares, de charbon, de pétrole et de gaz. La Russie se prépare déjà activement à l'exploration géologique de minéraux critiques dans les territoires temporairement occupés de l'Ukraine, en particulier dans les régions de Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson. Les médias russes ont accordé une attention particulière au gisement de lithium de Shevchenkivske dans la région de Donetsk et au gisement de lithium de Kruta Balka dans la région de Zaporijia. Au final, le contrôle de la Russie sur les réserves ukrainiennes va accélérer son expansion dans les chaînes d'approvisionnement mondiales et augmenter considérablement sa pression sur l'UE et d'autres pays en consolidant son contrôle sur les matières premières critiques. Les ambitions de la Russie sont encore renforcées par son partenariat de plus en plus étroit avec la Chine. Des commentateurs russes ont évoqué la coordination des stratégies de la Russie et de la Chine en matière de métaux rares comme une « arme commune » contre l'influence occidentale et pour contrôler les chaînes d'approvisionnement essentielles aux technologies de pointe. En même temps, la Russie développe activement sa coopération avec les pays du Sud dans le domaine des matières premières essentielles. Par exemple, fin 2023, la Bolivie et la Russie ont annoncé un investissement de 450 millions de dollars dans un projet pilote de production de lithium dans le désert de sel d'Uyuni, en Bolivie. En échange, Rosatom construit un centre de recherche et de technologie nucléaire en Bolivie.

La Chine occupe une position dominante dans la chaîne d'approvisionnement mondiale de matières premières essentielles, tant au niveau de l'extraction que de la transformation, comme le cuivre, le cobalt, le lithium, le graphite et les terres rares. Par exemple, la Chine représente près de 100% de la transformation mondiale du graphite sphérique, environ 80% du gallium, environ 60% du raffinage du lithium et du germanium, et plus de 60% de la transformation du cobalt.

Compte tenu de la domination mondiale de la Chine et de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le gouvernement ukrainien a intensifié ses efforts pour promouvoir les matières premières essentielles du pays en tant qu'atout stratégique afin d'attirer les investissements occidentaux et de soutenir la reconstruction après la guerre. Le Premier ministre Denys Shmyhal a déclaré que l'une des principales priorités du gouvernement était de développer un nouveau modèle économique pour l'Ukraine, dans le but de faire du pays un centre de ressources pour l'Europe. Selon le Guide de l'investissement en Ukraine, publié par la Kyiv School of Economics et le ministère de l'Économie, l'Ukraine possède 117 des 120 types de minéraux les plus courants. Le gouvernement souligne également que l'Ukraine figure parmi les dix premiers producteurs mondiaux de plusieurs minéraux stratégiques, notamment le titane, le manganèse, le minerai de fer, le zirconium, le graphite et l'uranium.

Dans le même temps, les États-Unis font pression sur l'Ukraine pour qu'elle accélère l'extraction et l'exportation de matières premières essentielles dans le cadre de leur stratégie visant à réduire la dépendance américaine vis-à-vis de la Chine. Étant donné que la Chine représente plus de 70% des importations américaines de terres rares et qu'elle a récemment imposé des restrictions à l'exportation, toute nouvelle restriction pourrait avoir de graves conséquences. En 2023 et 2024, la Chine a imposé des restrictions à l'exportation de gallium, de germanium, de graphite et d'antimoine, et en décembre 2024, elle a complètement interdit la fourniture de gallium, de germanium et d'antimoine aux États-Unis, invoquant la sécurité nationale. Ces mesures faisaient suite aux restrictions imposées par les États-Unis au secteur chinois des semi-conducteurs. En réaction, Washington a commencé à voir les vastes réserves minérales de l'Ukraine comme une alternative pour renforcer sa sécurité nationale. Les restrictions à l'exportation imposées par la Chine sur les technologies de pointe en matière de transformation sapent directement les efforts des États-Unis et de l'UE pour développer leur capacité industrielle dans ce domaine, alors que les deux parties recherchent activement des équipements et des compétences de pointe. Cependant, la plupart de ces solutions de haute technologie sont concentrées en Chine, ce qui n'est pas surprenant compte tenu des quatre décennies d'investissement. Au cours de cette période, les États-Unis et l'UE ont non seulement réduit leur capacité de production, mais aussi considérablement réduit le financement de la recherche et du développement dans ce secteur, ce qui les a placés dans une position désavantageuse. Ces dernières années, les États-Unis se sont efforcés de retrouver leur rôle dans le secteur des terres rares. La seule mine de terres rares de Mountain Pass, en Californie, qui était à l'arrêt depuis longtemps, a repris sa production en 2017. Cependant, jusqu'à récemment, les matières premières extraites étaient envoyées en Chine pour être transformées.

La coopération de l'Ukraine avec les États-Unis est devenue de plus en plus transactionnelle depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, qui a présenté l'accès aux ressources ukrainiennes comme une compensation pour les milliards de dollars d'aide fournis par les États-Unis pendant la guerre. Les négociations actuelles sont tendues : l'Ukraine cherche à obtenir des garanties de sécurité, mais l'approche américaine reflète la logique de Trump, qui consiste à rechercher des avantages directs des investissements étrangers tout en limitant l'influence de la Chine sur les chaînes d'approvisionnement critiques. Cette stratégie est similaire au modèle chinois « ressources contre infrastructures », notamment l'accord Sicomines de 2007 en République démocratique du Congo, dans le cadre duquel la Chine devait investir 3 milliards de dollars dans les infrastructures en échange de droits miniers évalués à 93 milliards de dollars. Si cet accord a apporté à la RDC des capitaux dont elle avait grand besoin, le pays a par la suite cherché à le renégocier, exprimant ses inquiétudes quant au fait de ne pas recevoir une part équitable des bénéfices. Une partie des infrastructures promises n'a pas été entièrement réalisée ou a été construite avec des matériaux de mauvaise qualité. Parallèlement, les bénéfices des activités minières sont principalement allés à des entreprises chinoises, tandis que la RDC n'a reçu qu'une part relativement faible des revenus réels. L'accord sur les minerais conclu entre les États-Unis et l'Ukraine risque de perpétuer les schémas de contrôle extérieur et de répartition inégale des bénéfices, au détriment de ce pays riche en ressources. De tels accords peuvent entraîner une augmentation des coûts des projets, car ils obligent souvent les gouvernements à coopérer avec des entreprises spécifiques sans appel d'offres concurrentiel. Des problèmes de qualité et de contrôle peuvent survenir, car les entrepreneurs contrôlent généralement le financement et la mise en œuvre des projets, ce qui limite la capacité de surveillance du gouvernement. La structure complexe et non transparente augmente le risque de mauvaise gestion, et l'absence de concurrence et la nature à long terme de ces accords peuvent créer des déséquilibres financiers qui profitent à l'investisseur au fil du temps. L'accord signé par l'Ukraine et les États-Unis le 30 avril 2025 accorde aux États-Unis un accès quasi exclusif à de nouvelles licences pour l'extraction de minéraux et de matières premières essentielles, comme le souhaitait le président Trump. Si l'accord n'oblige pas l'Ukraine à rembourser l'aide américaine antérieure ni à transférer la pleine propriété des ressources, il ne prévoit pas non plus de garanties de sécurité de la part des États-Unis.

L'Union européenne dépend à 100% de la Chine pour tous les éléments de terres rares lourds, notamment le dysprosium (aimants dans les véhicules électriques et les éoliennes), l'erbium (dispositifs à fibre optique, lasers), le lutétium (détecteurs, imagerie médicale), le terbium (phosphores pour écrans), le thulium (lasers, appareils de radiographie portables) et autres – et à 85% des éléments de terres rares légères, comme le cérium (matériaux de polissage), le lanthane (batteries, verre optique), le néodyme (aimants, lasers, verre), le praséodyme (alliages, aimants, verre) et le samarium (aimants, réacteurs nucléaires, verre). Bien que la dépendance de l'UE à l'égard de la Chine pour d'autres matières premières essentielles soit légèrement moins importante, elle reste significative. Par exemple, la Chine fournit 71% des importations de gallium de l'UE, 97% de son magnésium, 40% de son graphite naturel et 62% de son vanadium. En raison de cette dépendance, l'UE s'intéresse de plus en plus à l'Ukraine depuis quelques années comme fournisseur potentiel de matières premières essentielles.

Les matières premières critiques de l'Ukraine dans le contexte de l'intégration européenne

En juillet 2021, avant l'invasion russe, l'Union européenne et l'Ukraine ont signé un protocole d'accord visant à renforcer l'intégration des chaînes de valeur dans les secteurs des matières premières critiques et des batteries. À la suite de la signature du protocole d'accord, une feuille de route a été élaborée, décrivant les mesures spécifiques convenues par les deux parties pour établir un partenariat stratégique. Il est à noter que cet instrument ne prévoit pas la création d'un organisme indépendant chargé de surveiller les activités dans ce domaine. La participation du public n'est pas envisagée, tandis que les représentants des secteurs économique et industriel sont prioritaires. Dans l'ensemble, la formulation de ces documents reste assez vague. Bien que l'UE exprime son intention d'intégrer l'Ukraine dans la chaîne de valeur des matières premières et des batteries, les documents signés ne mentionnent pas explicitement la production de produits finis directement en Ukraine.

En mars 2023, le gouvernement ukrainien a adopté la loi « sur les modifications de certains actes législatifs ukrainiens visant à améliorer la législation dans le domaine de l'utilisation du sous-sol », qui vise à déréglementer le secteur. Elle supprime notamment la nécessité d'obtenir l'autorisation des autorités locales, du Service national de géologie et des ressources minérales, du Service national du travail et d'autres organismes pour accéder au sous-sol, exploiter des gisements, prélever de l'eau et concevoir des installations minières. Ces changements, qui visent à attirer les investissements et à réduire les charges administratives pour les entreprises, ont en fait exclu les communautés du processus décisionnel. La loi autorise aussi la délivrance de permis spéciaux d'utilisation du sous-sol sans enchères aux entreprises qui ont fait des études géologiques à leurs frais. Même si cette pratique existe dans d'autres pays pour stimuler les investissements, elle comporte souvent des risques de corruption : les entreprises peuvent faire des recherches minimales et ensuite acquérir des actifs précieux sans concurrence. L'absence de vérification indépendante des résultats des recherches géologiques crée d'autres possibilités d'abus. En plus, dans le cadre des efforts de déréglementation en cours, le Conseil des ministres a adopté la résolution n°749 le 4 juillet 2023, qui supprime l'obligation de coordonner avec le ministère de la Protection de l'environnement et des Ressources naturelles la vente de permis pour les sites où des explorations géologiques ont déjà été menées. Le cas du secteur naturel de la forêt vierge de Makove Boloto (« marais aux coquelicots ») dans la région de Rivne, où un permis d'extraction de tourbe a été accordé, illustre clairement ce problème. Ce permis couvrait toute la superficie du secteur, officiellement créé fin 2021, et ouvrait effectivement la voie à sa destruction, car l'extraction de la tourbe implique l'élimination complète de la végétation et de la couche arable. Des cas similaires se sont produits dans la réserve naturelle de Starovyzhivskyi et à proximité de la réserve historique et culturelle de Busha.

Les matières premières critiques font désormais l'objet d'une section spécifique dans l'instrument « Ukraine Facility » doté de 50 milliards d'euros pour la période 2024-2027. Selon le plan de l'Ukraine au titre de cet instrument, le partenariat avec l'UE vise à approfondir l'intégration des chaînes de valeur dans les secteurs des matières premières critiques et des batteries en développant les ressources minérales de l'Ukraine sur la base d'une approche durable et socialement responsable. En même temps, le secteur devrait être réglementé selon les normes de l'UE, en tenant compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), ainsi que des lignes directrices de l'OCDE pour les entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises et des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme. Cependant, les normes spécifiques auxquelles le gouvernement fait référence ne sont pas précisées. Ces documents internationaux sont volontaires et fournissent des orientations pour des pratiques commerciales éthiques, mais ils n'ont pas force de loi s'ils ne sont pas intégrés dans la législation nationale. De même, si le gouvernement fait référence au respect des principes ESG, il ne précise pas quelles normes, quels indicateurs ou quels mécanismes de vérification seront appliqués. Le paysage des normes ESG est lui-même fragmenté, avec des niveaux d'ambition et d'application variables. L'une des réformes décrites dans le plan est l'élaboration d'une étude visant à évaluer la législation actuelle en matière de reporting environnemental, social et de gouvernance dans le secteur minier. Le fait que le gouvernement prévoie d'« approuver et publier l'étude » alors qu'il a déjà mis en œuvre des mesures de déréglementation importantes dans le secteur montre clairement que les considérations ESG n'ont pas été systématiquement intégrées dans les réformes initiales. Des formulations telles que « introduction progressive de l'obligation de reporting ESG » et le respect du principe « ne pas causer de préjudice significatif » – dans la mesure du possible dans des conditions de guerre ou de reconstruction après-guerre – soulignent plutôt une approche formelle, orientée vers l'UE, de ces engagements.

L'adoption du règlement de l'UE sur les matières premières critiques en mars 2024 renforcera encore la coopération déjà établie. En décembre 2024, le Parlement ukrainien a approuvé un programme national actualisé pour le développement de la base minérale et des matières premières de l'Ukraine pour la période allant jusqu'en 2030, qui sert d'indicateur de la mise en œuvre de la facilité pour l'Ukraine. Le programme actualisé définit les critères de classification des ressources minérales comme stratégiquement importantes. Dans l'ensemble, cette loi vise à élargir considérablement les projets d'extraction à grande échelle. Il est à noter que dans la section consacrée à la tourbe, la loi souligne que l'exploitation de nouveaux gisements de tourbe, qui nécessite un drainage, entraîne la perte des fonctions biosphériques, une augmentation des risques environnementaux dans la région et la transformation des tourbières de puits de carbone en sources importantes d'émissions de gaz à effet de serre. Bien que le document reconnaisse la nécessité d'aligner l'extraction de la tourbe sur la politique climatique et environnementale de l'État, il ne prévoit pas de mécanismes pratiques ni de garanties pour assurer cette harmonisation. La loi prévoit également la poursuite des investissements dans les gisements de houille et l'expansion de l'extraction du lignite (charbon brun). À l'heure actuelle, le programme national semble contredire le plan national de l'Ukraine en matière d'énergie et de climat, qui prévoit l'élimination progressive du charbon dans le secteur de l'électricité d'ici 2035, conformément aux objectifs du Pacte vert européen.

Les risques du piège des ressources : les leçons à tirer

La proposition du gouvernement ukrainien d'utiliser les ressources minérales comme un moyen d'attirer l'aide internationale risque de reproduire les modèles d'exploitation typiques d'autres pays dépendants des ressources. Mettre l'accent sur l'exportation de matières premières essentielles pour garantir un soutien extérieur pourrait renforcer la dépendance à long terme vis-à-vis des acteurs étrangers, compromettant ainsi les efforts visant à reconstruire une économie diversifiée et autosuffisante. Une dépendance excessive à l'exportation de matières premières essentielles pourrait donner aux États étrangers un moyen de pression sur la politique économique de l'Ukraine. Un exemple parlant est la dépendance de l'Ukraine vis-à-vis des ressources énergétiques russes et leur impact sur les processus politiques et économiques ukrainiens, en particulier lorsque la Russie a utilisé ses approvisionnements en gaz comme moyen de pression politique et de chantage économique, tentant à plusieurs reprises de prendre le contrôle d'infrastructures stratégiques, notamment le réseau de transport de gaz ukrainien.

L'histoire du contrôle oligarchique en Ukraine, en particulier dans des secteurs tels que la métallurgie et la production de titane, où les matières premières étaient exportées au lieu d'être transformées dans le pays, montre comment la mainmise des élites sur les ressources et la faiblesse de la gouvernance peuvent détourner les revenus miniers destinés à la reconstruction nationale vers des intérêts privés. Ça risque de renforcer le rôle de l'Ukraine en tant que fournisseur de matières premières plutôt que de la transformer en producteur de biens à forte valeur ajoutée. Exporter des matières premières, c'est aussi passer à côté d'opportunités de développer les secteurs manufacturiers nationaux, et avec eux, des revenus et des emplois potentiels.

En même temps, l'exploration et l'extraction de matières premières essentielles sont des projets à haut risque et à forte intensité de capital, généralement accessibles uniquement à un petit nombre de grandes entreprises. Ces initiatives minières nécessitent des investissements initiaux importants, allant de 500 000 à 15 millions d'euros par projet, et impliquent des étapes longues et complexes : exploration géologique, études de faisabilité et obtention des permis d'exploitation. La mise en production industrielle d'un gisement minéral peut prendre des années et coûter entre 1 million et plus d'un milliard de dollars américains, selon le type de mine. Des études indiquent que, en moyenne, il faut jusqu'à 16,5 ans entre la phase d'exploration et le début de la production. Les grands groupes commerciaux ukrainiens qui ont accès à des capitaux sont capables de participer à des projets miniers à grande échelle. Mais leur implication soulève de sérieuses questions sur la transparence, la répartition équitable des bénéfices et le risque que les profits tirés des ressources essentielles de l'Ukraine finissent une fois de plus entre les mains d'un petit groupe d'individus, au lieu de contribuer à un développement économique global et à l'intégration avec l'Union européenne.

La volatilité des prix mondiaux des matières premières peut aussi déstabiliser l'économie ukrainienne. L'expérience de l'Ukraine en tant qu'exportateur de métaux ferreux illustre clairement ce risque. Au cours de la dernière décennie, les entreprises sidérurgiques ukrainiennes ont été très vulnérables aux fluctuations imprévisibles des prix mondiaux, qui ont eu un impact direct sur les volumes d'exportation, les revenus des entreprises et la balance des paiements du pays. Actuellement, les perturbations de la chaîne d'approvisionnement causées par la guerre, la stagnation du marché intérieur et les conditions d'exportation de plus en plus défavorables, notamment les droits de douane, limitent les activités du secteur sidérurgique ukrainien. Selon les représentants du secteur, la production d'acier devrait baisser de 9% en 2025, avec une chute des exportations de 16%. Cette dépendance vis-à-vis des exportations de matières premières signifie que les chocs extérieurs peuvent rapidement déstabiliser l'économie, perturber les recettes budgétaires de l'État et mettre en péril des emplois.

En plus, l'extraction de matières premières essentielles pose des risques environnementaux importants, tels que des émissions importantes de gaz à effet de serre, la pénurie et la pollution de l'eau, la dégradation des sols et la perte de biodiversité. L'utilisation de l'eau constitue un défi supplémentaire, car de nombreuses mines sont situées dans des régions déjà confrontées à des pénuries, et les activités d'extraction et de transformation contaminent souvent les ressources en eau locales avec des substances toxiques et des métaux lourds. L'extraction du cuivre et du lithium est particulièrement gourmande en eau, ce qui exerce une pression supplémentaire sur des ressources déjà limitées. L'expansion physique des zones minières entraîne la déforestation, l'érosion des sols et la destruction des habitats naturels, menaçant la biodiversité locale. En plus, dans l'extraction des terres rares, même dans les meilleures conditions, seulement environ 2% de la masse extraite contient des matériaux précieux, même si les concentrations peuvent atteindre jusqu'à 20% dans certains gisements. Ces minerais contiennent souvent des impuretés nocives comme l'arsenic, le thorium, le fluor et l'uranium. Pendant des décennies, des quantités importantes de ces sous-produits toxiques ont été rejetées dans l'environnement, se répandant dans l'air et l'eau. En conséquence, les polluants sont entrés dans la chaîne alimentaire, et des études à grande échelle ont établi un lien entre l'exposition à ces polluants et des effets graves à long terme sur la santé, notamment des troubles du développement chez les enfants, une augmentation de l'incidence des maladies osseuses et d'autres maladies chroniques.

En fin de compte, alors que le gouvernement se concentre entièrement sur la participation du secteur privé à la reconstruction de l'Ukraine, en donnant la priorité aux projets d'extraction de matières premières essentielles à long terme, le pays risque une fois de plus d'être pris au piège dans le cercle vicieux qui consiste à servir de fournisseur de matières premières pour d'autres économies.

Maryna Larina, 14 mai 2025
https://commons.com.ua/en/resursna-pastka-ukrayini/
Traduction de l'ukrainien : Pavlo Shopin en Français Deepl revue ML
https://www.reseau-bastille.org/2025/05/18/creuse-bebe-creuse-comment-lextraction-et-lexportation-de-matieres-premieres-essentielles-peuvent-aggraver-le-piege-des-ressources-en-ukraine/

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