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Les femmes indonésiennes refusent d’oublier

Rejet du titre de héros pour Suharto, enquête approfondie sur les crimes contre les droits humains de l'Ordre nouveau Tiré de Entre les lignes et les mots (…)

Rejet du titre de héros pour Suharto, enquête approfondie sur les crimes contre les droits humains de l'Ordre nouveau

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/11/14/les-femmes-indonesiennes-refusent-doublier/?jetpack_skip_subscription_popup

Au milieu d'une situation politique de plus en plus autoritaire et militariste sous le régime de Prabowo [1], l'État tente à nouveau de blanchir l'histoire de la violence de l'Ordre nouveau. À l'approche de la Journée des héros du 10 novembre 2025, le ministère des Affaires sociales propose 40 noms pour recevoir le titre de héros national, et parmi ces noms figure Suharto, l'ancien dictateur qui a gouverné pendant 32 ans avec un long historique de violations des droits humains, de répression de la démocratie et d'oppression du peuple.

Cette démarche est une tentative de réécrire l'histoire qui renforce l'orientation politique visant à restaurer les symboles de l'Ordre nouveau au milieu de la résurgence actuelle du militarisme. L'armée contrôle à nouveau l'espace civil, les activistes sont criminalisés et la violence de l'État contre le peuple continue de se répéter.

En réponse à cela, l'Alliance des femmes indonésiennes (API) [2] a organisé une conférence de presse sur le thème « Rejet du titre de héros pour Suharto. Enquête approfondie sur les crimes contre les droits humains de l'Ordre nouveau », dimanche (2 novembre) dernier. Cette conférence a réuni diverses organisations de femmes et de la société civile : Dian Septi (Marsinah.id) [3], Sari Wijaya (YAPPIKA-FPPI) [4]], Yolanda Panjaitan (Cakra Wikara Indonesia) [5], Luviana (Konde.co) [6], Mutiara Ika Pratiwi (Perempuan Mahardhika), Diyah Wara Restiyati (Perkumpulan Kecapi Batara Indonesia) [7], et Jumisih (JALA PRT) [8], avec pour modératrice Audrey K. M. de l'ICJR [9].

Suharto n'est pas digne d'être un héros

En présentant sa position, Mutiara Ika Pratiwi, présidente de Perempuan Mahardhika, a souligné que l'attribution du titre de héros à Suharto fait partie d'un effort systématique pour « saper la démocratie et les acquis de la reformasi [10] » en Indonésie.

« Le processus visant à faciliter la nomination de Suharto comme héros n'est pas nouveau. Cela a été tenté depuis 2010, puis réessayé en 2015, et plus récemment en 2024 lorsque le TAP MPR [11] qui retirait le nom de Suharto en tant qu'auteur de KKN [12] a été aboli. Tout cela montre un effort systématique pour blanchir l'histoire et nuire à la démocratie », a expliqué Ika.

Elle a souligné que désigner Suharto comme héros n'est pas seulement une action qui ignore l'histoire, mais aussi une forme de trahison envers des millions de victimes de la violence d'État pendant l'Ordre nouveau.

« Il n'y a aucune base morale ou idéologique pour faire de Suharto un héros. C'était un dirigeant qui a ancré l'idéologie du militarisme, étouffé la liberté de pensée et détruit le mouvement des femmes », a-t-elle affirmé fermement.


Régime militariste et son héritage jusqu'à aujourd'hui

Mutiara Ika a mis en évidence trois aspects principaux expliquant pourquoi Suharto ne mérite pas de recevoir le titre de héros. Premièrement, l'idéologie du militarisme renforcée par la politique de double fonction de l'ABRI [13] et qui réapparaît maintenant sous la forme de multifonctionnalité de la TNI [14].

« Nous sommes témoins de la façon dont l'autorité militaire s'étend à nouveau dans le domaine civil. Ce n'est pas une coïncidence. Le modèle mis en œuvre par l'Ordre nouveau est maintenant ravivé, et c'est très dangereux pour la démocratie et les droits du peuple », a-t-elle expliqué.

Deuxièmement, elle a évoqué la politique d'interdiction de l'idéologie marxiste par le TAP MPRS de 1966 [15] qui est devenu la base de la répression de la liberté de pensée et d'organisation.

« L'interdiction de penser et d'idéologie a légitimé la violence et les violations des droits humains, y compris contre le mouvement ouvrier, le Parti communiste indonésien [16] et le mouvement des femmes anti-impérialiste. C'est la racine de la répression d'État qui se fait encore sentir aujourd'hui », a déclaré Ika.

Troisièmement, elle a souligné que Suharto avait subjugué et détruit le mouvement des femmes par l'idéologie de l'ibuisme d'État [17], qui faisait des femmes uniquement des compagnes de leurs maris et les écartait de l'espace politique.

« L'Ordre nouveau a formé une politique de soumission des femmes. Les organisations de femmes qui avaient un esprit de libération ont été dissoutes, et les femmes ont été placées comme objets du développement, et non comme sujets de lutte. C'est l'héritage de Suharto que nous devons encore combattre », a-t-elle ajouté.

Violations des droits humains et demandes de justice

Sous le gouvernement précédent, l'État avait reconnu 12 violations graves des droits humains du passé, dont 8 se sont produites pendant l'ère de l'Ordre nouveau. Ce fait, selon Mutiara Ika, suffit à montrer que Suharto n'est pas digne d'être honoré comme héros.

« Ce qui doit être fait, ce n'est pas d'attribuer un titre de héros, mais d'enquêter à fond sur les crimes contre les droits humains de l'Ordre nouveau. Des milliers de victimes de la violence d'État n'ont toujours pas obtenu justice aujourd'hui », a-t-elle déclaré.

Ika a également critiqué les déclarations de responsables publics tels que Mahfud MD [18] qui a dit que tous les présidents méritent de devenir des héros nationaux.

« Cette déclaration est trompeuse. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le bilan de violence et de violations des droits humains de l'époque de Suharto. Il n'est pas un héros, mais un symbole de dictature et de militarisme qui a opprimé le peuple », a-t-elle affirmé.


Refuser d'oublier, lutter contre le blanchiment historique

Cette conférence de presse fait partie du mouvement de la société civile pour rejeter le blanchiment de l'histoire et affirmer que la lutte des femmes est une lutte contre la violence d'État, le militarisme et l'oppression.

L'attribution du titre de héros à Suharto est une forme d'insulte à l'histoire de la lutte du peuple et des victimes de l'Ordre nouveau. Les femmes refusent d'oublier et refusent de se soumettre aux efforts de l'État pour effacer les traces de la violence passée.

Mutiara Ika Pratiwi
Mutiara Ika Pratiwi est présidente de Perempuan Mahardhika, une organisation féministe indonésienne qui lutte pour la libération des femmes de toutes les formes de violence et de discrimination.
https://mahardhika.org/perempuan-menolak-lupa-tolak-gelar-pahlawan-untuk-soeharto-usut-tuntas-kejahatan-ham-orde-baru/
Traduit pour ESSF par Wendy Lim et Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76888

Notes
[1] Prabowo Subianto est devenu président de l'Indonésie en octobre 2024. Ancien général militaire sous l'Ordre nouveau de Suharto, il a été démis de l'armée en 1998 à la suite d'allégations de violations des droits humains, notamment l'enlèvement d'activistes pro-démocratie.
[2] Aliansi Perempuan Indonesia (API) – Alliance des femmes indonésiennes
[3] Marsinah.id est une plateforme médiatique féministe nommée d'après Marsinah, une militante ouvrière qui a été enlevée, torturée et assassinée en 1993 après avoir dirigé une grève. Son cas est devenu un symbole des violations des droits du travail sous l'Ordre nouveau.
[4] YAPPIKA-ActionAid et Forum de politique publique Fitra Indonésie
[5] Une organisation de défense des droits humains et de la démocratie
[6] Une plateforme d'information féministe en Indonésie
[7] Une association axée sur la préservation culturelle et la justice sociale
[8] Jaringan Nasional Advokasi Pekerja Rumah Tangga (JALA PRT) – Réseau national de défense des travailleuses domestiques
[9] Institut pour la réforme de la justice pénale, une organisation indonésienne de défense des droits humains
[10] La Reformasi (réforme) fait référence au mouvement de réforme de 1998 qui a mis fin au régime autoritaire de l'Ordre nouveau de Suharto qui durait depuis 32 ans, conduisant à la démocratisation, à une plus grande liberté de la presse et à des réformes politiques en Indonésie.
[11] Le MPR (Majelis Permusyawaratan Rakyat) est l'Assemblée consultative du peuple, l'organe législatif indonésien. Le TAP MPR fait référence à un décret de cette assemblée.
[12] Korupsi, Kolusi dan Nepotisme (KKN) – Corruption, collusion et népotisme
[13] La Dwifungsi ABRI (double fonction des forces armées) était une doctrine de l'Ordre nouveau donnant à l'armée des rôles à la fois de défense et sociopolitiques, permettant aux officiers militaires d'occuper des postes au sein du gouvernement civil et de contrôler la société civile.
[14] TNI (Tentara Nasional Indonesia) – Forces armées nationales indonésiennes
[15] Le TAP MPRS n° XXV/MPRS/1966 a interdit le marxisme-léninisme et dissous le Parti communiste indonésien (PKI) à la suite des massacres de masse de 1965-66.
[16] PKI (Partai Komunis Indonesia) – le Parti communiste indonésien, qui était le troisième plus grand parti communiste au monde avant d'être détruit en 1965-66, avec des estimations de 500 000 à 1 million de membres et de sympathisants présumés tués.
[17] L'ibuisme negara (ibuisme d'État) était l'idéologie de genre de l'Ordre nouveau qui confinait les femmes aux rôles domestiques de mères et d'épouses, subordonnées à leurs maris, tout en démantelant les organisations féministes autonomes.
[18] Mahfud MD a été ministre coordonnateur indonésien des affaires politiques, juridiques et de sécurité (2019-2024) et juge à la Cour constitutionnelle.

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Vers un réenchantement du monde par l’intelligence artificielle

18 novembre, par Guylain Bernier, Yvan Perrier — , ,
Marcel Gauchet a écrit Le désenchantement du monde (1985), exposant le processus de sécularisation des sociétés et des États occidentaux. Cela augurait le déclin des (…)

Marcel Gauchet a écrit Le désenchantement du monde (1985), exposant le processus de sécularisation des sociétés et des États occidentaux. Cela augurait le déclin des institutions religieuses et donc de leur intervention dans les décisions prises au sujet de l'avenir des nations, mais pas la perte du spirituel.

S'entrevoit ici le déplacement idéologique et moraliste des cités de Dieu vers le matérialisme terrestre, se répercutant même sur la place qu'occupe l'être humain sur l'échiquier du vivant. Un parallèle apparaît entre Gauchet et Friedrich Nietzsche, dans la mesure où le rabaissement de Dieu, pour en faire une création humaine, se complète de l'élévation de l'Humain, au-delà de toutes les autres espèces ; sa Science détrônant ainsi l'Église. Nietzsche annonçait d'ailleurs la « mort de Dieu » et l'avènement éventuel du surhumain. Doté d'une habileté démiurge, l'humain jouit du développement de sa raison et de sa science pour expliquer la réalité, sans donc avoir recours à une puissance invisible. En revanche, cet humain-divin n'a rien d'un être tout-puissant en comparaison aux dieux d'autrefois. Il est conscient de ses limites, de ses défauts, qu'il cherche d'ailleurs à corriger de diverses façons : développement technique et technologique, recherche scientifique, eugénisme, y compris l'aide informatique. Autrement dit, bien que représentant l'espèce soi-disant la plus intelligente de la planète, la plus connaisseuse et la plus apte à transformer son environnement, l'humain demeure encore très éloigné d'une compréhension parfaite de sa réalité. Plus encore, car sa propre science le rabaisse à sa condition terrestre au même titre que les autres animaux. En se fiant ici à la neurobiologie, ce qui le distingue n'est pas sa « rationalité », par laquelle il s'était autoproclamé roi sur Terre, mais « sa plasticité neuronale singulière […] qui expose son développement aux interactions avec ses semblables et avec ses conditions de vie » (Lecourt, 2006b, p. 1153). De là devient intelligible son aptitude à s'adapter à différents climats, afin de subsister partout sur la planète, y compris sa transformation en omnivore.

Cela dit, ses limites cognitives l'obligent à se donner des moyens qu'il n'a pas naturellement, dans le but de poursuivre sa quête de vérité et donc de continuer à s'adapter. Non seulement ses freins insistent à nouveau sur l'obligation de détrôner sa raison souveraine, mais celle-ci est en plus déclassée à cause de ses émotions, voire ses passions presque inextinguibles — durant leurs séquences —, sans oublier sa finitude qui lui rappelle sans cesse sa condition de mortel. L'humain se révèle ainsi déficient, imparfait, prompt à la dérive passionnelle et toujours ignorant. Mais ce constat pourrait changer. Il suffirait de l'outiller et de l'aider. Voilà que surgit un subsidiaire à l'intelligence humaine, à savoir l'intelligence artificielle (IA). Bien qu'étant sa création, alors qu'elle porte en elle-même les forces et les faiblesses humaines, l'IA semble pourtant être appelée à devenir ce qu'elle doit être, c'est-à-dire une intelligence différente. Tout repose sur les questionnements de départ, malgré le souhait d'en faire une entité à ce point semblable à l'être humain pour s'y méprendre. Car si elle doit pallier aux défauts humains, elle doit par conséquent devenir un jour supérieure. Voilà où se situe la mince ligne entre aider ou collaborer avec l'humain et remédier à ses limites. Alors, cette crainte d'une IA toute-puissante se compare, dans une certaine mesure, à celle vis-à-vis les dieux qui pouvaient châtier. Plus encore, craindre et avoir confiance sont intimement liés, obligeant dans ce dualisme à choisir une voie qui transformera, d'une façon ou d'une autre, la réalité humaine. Avoir confiance en l'IA démontre son apprivoisement et constitue la première étape à son ascension, au-delà de l'effet mode ou de nouveauté qu'elle suscite présentement, même si on discutait à son sujet depuis longtemps.

Face à un être humain qui a besoin d'être guidé, qui cherche à donner un sens à son existence, qui aspire à comprendre son origine et sa destinée, l'IA peut-elle devenir la « pièce nécessaire » permettant d'accéder à une connaissance de la réalité se situant beaucoup plus près de la vérité ou orientera-t-elle notre monde vers une autre vérité qui la transcendera en un nouveau Dieu ?

Cette question alimentera la présente réflexion sur l'IA ou plutôt sur le développement de notre relation avec elle, dans la mesure où elle représenterait une alternative au courant de réenchantement en cours, et ce, sans être forcément moins spirituelle. Après quelques définitions et un survol historique, il sera permis de constater le processus de conversion à son égard, qui capitalise sur la foi à la technologie et à la science, cette science toutefois qui risque à son tour d'être détrônée. De la machine vivante, en passant par la machine qui pense et celle qui pourrait nous berner, la suite augurerait-elle une machine capable de créer son propre monde et de nous y accueillir ?

Définir l'intelligence artificielle

Avant d'aborder notre réflexion dans une démarche historique, faisant état de questionnements qui mèneront à rendre la machine intelligente, allons-y d'entrée de jeu avec une définition. À la fois technologie, science et ingénierie, l'IA « traite de la compréhension, à l'aide d'un ordinateur, du comportement intelligent et de la création de systèmes artificiels qui reproduisent ce comportement », tout en se référant « aux machines algorithmiques, ou programmes qui s'inspirent ou tentent de reproduire des facultés humaines comme la compréhension du langage naturel, la reconnaissance d'objets visuels ou le raisonnement […] » (Zouinar, 2020 p. 3). En d'autres termes, il y a tentative de reproduire artificiellement « des facultés cognitives de l'intelligence humaine dans le but de créer des systèmes ou des machines capables d'exécuter des fonctions relevant normalement de celle-ci » (OQLF, 2017, s.p.).

L'IA peut être scindée entre une forme faible, où elle sert à stimuler l'intelligence afin d'examiner des processus cognitifs particuliers (par imitation d'une portion seulement du fonctionnement de l'intelligence humaine), et une autre forte, plus étendue, avec une capacité d'auto-apprentissage (étant donc apte à imiter l'intelligence humaine dans son ensemble, avec la capacité de se questionner, d'analyser et de comprendre ses raisonnements, ce qui lui permet d'optimiser son comportement sur la base de sa propre expérience) (Wisskirchen et al., 2017). Dans le langage courant est apparue l'IA générative, qui possède la capacité de générer des sons, des voix, des images, des vidéos et des textes avec ou sans l'intervention humaine. Voilà l'opportunité d'un complément à notre intelligence, et ce dans diverses sphères d'activités. Mais ce qui peut être perçu positivement contient aussi son opposé, alors que des craintes apparaissent au moment d'envisager non pas une complémentarité, mais une substitution de l'humain dans certaines tâches afin de favoriser l'IA.

Maintenant que nous avons une meilleure connaissance de ce que représente l'IA, entreprenons notre démarche à la fois historique et réflexive qui nous permettra de saisir son origine et son développement. Évidemment, toute invention ou découverte débute avec une question.

Une machine vivante

Face au monde et au besoin de donner un sens à son existence, l'être humain a su user de son imagination et de sa raison pour élaborer des explications provisoires, dans une sorte de contentement à défaut d'avoir mieux, en se disant qu'il pourrait élucider certains mystères le moment venu. Sur la base d'une logique causale, il en est venu à déduire une cause originelle par laquelle s'exprimait la création de tout ce qui existe. À demi rassuré, puisque cette cause qui lui avait donné la vie possédait le pouvoir de la lui enlever, l'apparition des cultes et des rituels servant à l'amadouer a permis de gagner du temps pour mieux étudier le monde extérieur tangible. Or, les études de son environnement et des autres espèces mirent au jour l'incapacité de l'humain à se contenter de ce qui existe. Il s'est alors demandé s'il ne pouvait pas créer certaines choses par lui-même, comme ses dieux qu'il vénérait sans jamais savoir s'ils existaient véritablement. De cette façon, au fil de l'histoire, l'humain a su apprécier sa propre capacité à transformer la matière, voire à façonner des statues et des machines, pour finalement arriver à cette question : une machine peut-elle être vivante ? Cela se comprend dans la mesure où sa quête visait justement à justifier son existence, ce qui exigeait de repousser les limites de son horizon, c'est-à-dire d'entreprendre toutes sortes de pirouettes exploratoires.

Donner vie à des objets à l'apparence inanimée semble caractériser ce besoin chez l'humain de se placer au sommet de la hiérarchie des espèces, pour ne pas dire ce besoin de suprématie, bien que l'humilité et l'ignorance ont su le ramener sur Terre. Mais il tient à s'améliorer. D'ailleurs, les philosophes grecs de l'Antiquité prêchaient la nécessité de la perfectibilité, même si celle-ci concernait plutôt l'âme qui habite le corps et lui procure son mouvement ; à savoir, cette âme accordée par Dieu, à la source même de la vie. À défaut de pouvoir fabriquer une âme, comment alors rendre vivante une machine ? Toujours chez les Grecs, Aristote racontait la façon dont Dédale s'y était pris pour fabriquer une Vénus de bois qui pouvait se déplacer grâce à un moteur à mercure, soit un événement à l'origine, semble-t-il, de l'étiquette « dédaliques » accolée aux « statues fabriquées par les forgerons de Crète et de Rhodes et qui avaient une fâcheuse réputation : on était obligé de les enchaîner durant la nuit, pour les empêcher d'aller commettre, sur la personne des hommes et les statues de dieux, les plus regrettables attentats » (Devaux, 1967, pp. 9-10). Aussi bien dire que cette histoire de « statues vivantes » démontrait une forme de vie distincte de celle de l'humain et, de surcroît, leur absence de moralité, justement parce qu'elles n'avaient pas d'âme. Héron d'Alexandrie a aussi fabriqué ce que nous appellerons ici des automates, bien que le mot apparut beaucoup plus tard avec Rabelais (Beaune, Doyon & Liaigre, 2025). Parmi ses grandes réalisations se comptaient un Hercule, qui bougeait à l'aide de contrepoids à flotteurs, ainsi qu'un groupe de forgerons « actionnés par un cylindre rotatif à chevilles analogue à ceux de nos boîtes à musique » et même un théâtre « avec dix ou douze personnages exécutant des travaux divers » (Devaux, 1967, p. 11).

Les automates ont été particulièrement populaires durant la Renaissance. Il est question d'ailleurs de l'époque où a vécu Léonard de Vinci, largement captivé, il faut l'avouer, par le mécanisme du corps et la vie. Ce dernier a fabriqué plusieurs automates, notamment un chevalier capable de s'asseoir et dont les bras, la tête ainsi que la mâchoire étaient articulés, le tout devenu vivant à l'aide d'un système de câble (Pickover, 2021). Ajoutons le lion automate présenté à Louis XII lors de son entrée à Milan (en 1499), qui s'avança et s'arrêta devant lui pour laisser découvrir « les fleurs de lys qu'il portait à la place du coeur » (Beaune, Doyon & Liaigre, 2025, s.p.). René Descartes s'est aussi intéressé aux automates, dessinant une perdrix artificielle et imaginant même une femme-machine, appelée Francine, qui n'a jamais été fabriquée (Beaune, Doyon & Liaigre, 2025). Par contre, le philosophe français contribue surtout à donner l'élan au courant dit « mécanisme »[1]. Il a été particulièrement inspiré par Aristote, qui faisait du corps un « organisme », voire un outil (puisque le terme grec organon signifie « outil »), alors que les mouvements des membres ressemblent à ceux pouvant être réalisés par des machines (par exemple, le bras humain est capable de lancer quelque chose comme celui de la catapulte) (Lecourt, 2006a, p. 1148). Mais ce qui anime l'organisme, considéré tel un agencement d'outils physiques, constitue l'âme, sans laquelle le vivant n'existerait point. Autrement dit, le cadavre ou le corps seul reste inanimé, sans mouvement, donc sans vie. Le vivant devient synonyme de mouvement ou plutôt de la capacité de se mouvoir. Descartes a donc su pousser plus loin la compréhension de cette association âme-mouvement, puisque l'automate, sans âme, s'avère pourtant apte de mouvement et, dans ce cas, serait vivant.

Dans son Discours sur la méthode (1901[1637]), le philosophe français a certes reconnu la capacité de mouvement des automates, faisant même la comparaison avec la machine humaine, alors que les pièces de bois ou de fer, les tuyaux, les engrenages ainsi que les vis sont remplacés par de la chair, des muscles, des nerfs, des os, des veines et une série d'organes beaucoup plus sophistiqués. Descartes insinuait qu'insuffler une âme à une statue ne lui permettrait pas de se mouvoir, car l'organisme doit posséder au préalable la structure nécessaire pour y parvenir. D'une certaine manière, insuffler une âme à une catapulte la rendrait plus vivante que la statue. Ce qui crée le mouvement exige davantage qu'une mécanique, puisque pour en arriver au vivant il faut une intervention. Et c'est là que Descartes justifie l'âme chez l'humain qui représenterait la touche divine nécessaire, comme l'automate a besoin d'être actionné par l'humain. Dès lors, l'explication de la cause de la vie par l'intervention d'un être créateur. En raison toutefois de son époque, Descartes doit aussi distinguer l'animal de l'humain, afin d'attribuer une supériorité au second, puisque celui-ci est appelé à se rendre au paradis — ou en enfer, selon son parcours terrestre — après sa mort. Si l'humain possède une âme, les animaux reçoivent plutôt des esprits conformes à leurs espèces, faisant en sorte de les rendre vivants et donc de leur permettre de respirer, de consommer, de copuler, de croître, d'avoir des tempéraments, sans toutefois bénéficier de la raison et plus encore. Pour Descartes, l'animal est une machine, éloignée de l'humain, dans la mesure où ce dernier possède le langage et, en l'occurrence, la capacité d'entretenir un dialogue, avec des questions et des réponses, mais surtout le pouvoir de penser et d'avoir conscience de son être. Car seule l'âme donne la parole et la raison. Ainsi, selon le philosophe français, l'animal-machine agirait par automatisme seulement ou presque. Et par la qualité de démiurge attribuée à l'humain concevant des automates, celui-ci est alors digne d'un enfant de Dieu, étant d'ailleurs créé à son image. La supériorité de l'humain est ainsi sauvegardée.

En définitive, la machine, associée ici à l'automate qui possède les caractéristiques physico-mécaniques appropriées, n'est pas seulement vivante à cause de son animation (mouvement), mais aussi d'une intervention responsable de son action. En ce sens, l'âme deviendrait un concept utile pour donner forme et vie à cette intervention. Comme la bien souligné Dominique Lecourt (2006a, p. 1147) : « [l]a conception ‘‘mécaniste'' de Descartes visait, au premier chef, à éliminer les conceptions magiques des rapports de l'âme et du corps chez l'homme ». Dès lors, une machine peut être vivante, mais ses actions seront déterminées par des pensées qui ne proviennent pas d'elle. C'est l'humain qui lui dicte sa direction, de façon où ses mouvements, bien qu'elle les exécute, expriment des intentions extérieures. Dans ce cas, la machine est-elle réellement vivante si elle ne peut penser ?

Une machine pensante

Emmanuel Kant (1985[1790]) revint sur la question du vivant en remettant en cause cet attribut pour la machine, puisque son besoin d'une intervention extérieure l'éloigne de l'être humain qui sait orienter ses actions vers des buts qu'il s'est fixé lui-même. À ce titre, pour être vivante réellement, la machine doit pouvoir penser par elle-même. Mais le peut-elle ?

Cela oblige une activité cette fois-ci intérieure et non seulement extérieure, ce qui implique de pouvoir ressentir, d'avoir donc une sensibilité (Guillot, s.d.). Car interagir avec le monde extérieur suppose la capacité de pouvoir le saisir d'une certaine façon, de traiter cette information et de poser des gestes conséquents. Amener une machine à penser oblige d'abord à l'alimenter en connaissances de base, pour ensuite la laisser expérimenter le monde. Voilà une tâche ardue. S'entrevoient alors ici les premiers pas dans le domaine de l'IA.

Après la tentative de mécaniser l'esprit humain, en séparant d'abord la raison des sentiments (fin du XIXe siècle), vint l'intérêt du fonctionnement du cerveau aux potentialités informatisables (première moitié du XXe siècle). Par un saut qualitatif que nous jugeons nécessaire pour éviter la longueur, l'avènement de l'ordinateur creusa un fossé entre les machines analogiques et celles numériques entre les années mille neuf cent quarante et soixante-dix. Une seconde rupture se produisit entre les chercheurs voyant dans l'ordinateur une machine capable de manipuler des nombres (tout codifier en chiffres, même les interactions) et ceux qui anticipaient le traitement des symboles (incluant les nombres), d'où l'isolement de l'informatique de la période 1955-1965 (Newell, 1982). La séparation entre la résolution de problème et la reconnaissance (vocale, visuelle et des caractères) exposa d'un côté les systèmes symboliques focalisés sur la première approche, en lien avec quelques utilités en termes de passetemps et de démonstrations scientifiques (c'est-à-dire dans les jeux, les casse-tête et la résolution de théorème), puis de l'autre côté, apparut le PERCEPTRON de Frank Rosenblatt, qui était alimenté par un algorithme d'apprentissage supervisé (Newell, 1982 ; Zouinar, 2020). Il fut alors décidé de fixer la base du problème de l'intelligence-machine sur les travaux de la reconnaissance, leur conférant ainsi une valeur supérieure par rapport à la résolution de problème. Cela a permis à la fois l'union et la division entre la cybernétique et l'IA, d'abord parce que les recherches sur l'apprentissage et la performance favorisaient leur rapprochement : la cybernétique penchait du côté des systèmes capables d'apprendre (ce qui incluait les modèles de reconnaissance), tandis que l'IA se concentrait sur les systèmes performants (ceux qui exécutent certaines tâches exigeant une intelligence). Jusque vers la fin des années cinquante, la cybernétique a pris les devants et profitait des développements en neurobiologie, tout en délaissant la résolution de problème. Mais se produisit soudainement un tournant avec les algorithmes.

Selon Allen Newell (1982, p. 15), les algorithmes représentent « des programmes qui garantissent la résolution d'un problème dans un temps déterminé » (traduction libre), faisant en sorte qu'ils diffèrent des programmes heuristiques qui opèrent « par des approximations, des connaissances partielles, qui peuvent aider à découvrir une solution, sans rien garantir toutefois du résultat » (traduction libre). Cinq ans après avoir débuté l'IA, un nouvel objectif consistait à élaborer un système qui remplacerait entièrement l'humain ou qui accentuerait l'usage de l'ordinateur. Rappelons le point de départ qui visait l'exploration d'une symbiose humain-machine, afin d'envisager l'usage de systèmes interactifs. Dès lors, durant les années soixante-dix, le développement du langage interactif, puis, la décennie suivante, l'apparition de l'ordinateur personnel. À noter aussi le tournant paradigmatique lorsque les scientifiques renversèrent l'idée de l'intelligence par essence, afin de miser sur « une quantité importante de connaissances spécifiques élevées ou d' expertise » (traduction libre de Newell, 1982, p. 19). Car ce fut vers les milieu des années soixante-dix que ce changement fit passer l'IA de la recherche heuristique vers les programmes de connaissance « intensifs », c'est-à-dire les systèmes experts. Un second enjeu, portant sur la résolution de problème et la reconnaissance, rapprocha l'IA de la robotique, tout autant que l'enjeu de la raison et des émotions sur la réceptivité d'une machine à des commandes, bien que les fonctions sensibles — tactiles et émotives — restèrent jusqu'alors une énigme. Néanmoins, la collaboration entre l'IA et la robotique contribua, depuis les années quatre-vingt, à viser des gains de productivité en entreprise avec le développement de robots industriels.

Plus près de nous encore, l'essor accéléré de l'informatique a permis de brancher des machines entre elles et de raccourcir les distances. Il s'agit ici de l'avènement de l'Internet, quoiqu'il existât déjà cette possibilité de communication par ondes radio et télé. L'importante nouveauté reposait sur l'interactivité offerte aux utilisateur.trice.s, alors que leur machine devenait en quelque sorte une extension d'eux.elles-mêmes. Mais il y avait plus : un Nouveau Monde se dessinait par le World Wide Web à partir des années quatre-vingt-dix (Bronner, 2013). Comme « réseau des réseaux » (Proulx, 2004), l'Internet inspirait une utopie technologique, par laquelle apparut un nouveau terme : cyberespace. Pierre Musso (2000) y voit d'ailleurs la réactualisation de l'utopie des saint-simoniens du XIXe siècle, qui aspiraient à réenchanter le monde en troquant la religion pour l'industrie et les réseaux techniques — nous reviendrons sur cet aspect plus loin. Par ailleurs, l'Internet offre l'occasion et l'espace inespéré pour alimenter l'IA, dont les besoins en matière de données s'avèrent extrêmement exigeants. Il devient alors possible de constituer des masses de données provenant des êtres humains branchés, ce qui contribue également à améliorer l'efficacité des algorithmes. Ce faisant, le développement de l'IA profite à la fois des avancées de l'Internet et de la constitution d'un Big data, afin de pouvoir générer par elle-même divers contenus, au point de représenter, en raison du régime économique dans lequel nous évoluons, une occasion d'affaires extraordinaire. Il n'est plus question seulement d'une IA qui participe à la compréhension de l'intelligence humaine ou à son rôle de substitution à l'humain pour certaines tâches difficiles, ingrates ou routinières, mais littéralement d'en faire une IA générative, donc capable de créer par elle-même du « nouveau », de l' « original », à partir de modèles d'apprentissage profond (Frey & Osborne, 2013 ; Wisskirchen et al., 2017). Reste maintenant l'étape où elle cherchera à se développer par elle-même. Si la machine devient à ce point intelligente, serons-nous alors déclassé.e.s ? Pourrait-elle nous berner, nous manipuler ?

Une machine mystifiante

Alan Turing a été l'instigateur d'un nouveau questionnement au sujet des machines, en imaginant qu'elles puissent nous imiter de telle façon où nous en serions mystifié.e.s. Il se demandait : une machine peut-elle faire croire à un humain qu'elle est humaine ? S'entrevoit ici le développement d'une IA à ce point convaincante dans ses discussions avec un être humain ; autrement dit, elle aurait acquis la capacité d'interpréter les paroles prononcées par quelqu'un, de façon à reconnaître une question et d'aller chercher les connaissances requises pour ensuite lui répondre, ce que ni l'automate de l'Antiquité ni l'animal-machine de Descartes ne peuvent faire. Nous nous approchons d'ailleurs du moment où la mystification serait suffisamment convaincante pour berner le majorité.

D'abord, une étude menée par Microsoft atteste que le taux de réussite des 12 500 participant.e.s provenant d'un peu partout à travers le monde et sondé.e.s à partir d'un jeu en ligne « Real or Not quiz », destiné à tester leur capacité à faire la différence entre des images réelles et d'autres générées par l'IA, s'est élevé à seulement 62 %, ce qui signifie une « habileté modeste » légèrement supérieure au hasard (Roca et al., 2025). Si les personnes ont su mieux distinguer les visages humains réels de ceux créés par l'IA, la tâche est devenue plus ardue lorsqu'il s'agissait de paysages et d'objets naturels ou fabriqués. Une seconde étude, menée cette fois-ci par des chercheur.euse.s du Royaume-Uni, consistait à évaluer si l'effet d'hyperréalisme[2] attribué aux images générées par l'IA pouvait également caractériser la perception humaine des voix que celle-ci s'avérait capable de produire (Lavan et al., 2025). À nouveau, les résultats ont démontré la difficulté pour les participant.e.s[3] à distinguer la voix d'un authentique humain de celle émise par l'IA. Malgré tout, les chercheur.euse.s n'ont pas noté un effet d'hyperréalisme, c'est-à-dire les participant.e.s n'avaient pas l'impression d'entendre une voix générée par l'IA qui aurait été plus humaine qu'une voix réelle, sans empêcher toutefois d'admettre chez certain.e.s d'avoir entendu des voix humaines moins naturelles comparativement à d'autres produites par l'IA. S'ajoute un point de précision par rapport à cette étude : deux groupes distincts ont été soumis à l'expérience, soit dans l'un à des voix génériques créées par l'IA, soit dans l'autre à des voix clonées. En moyenne, 41 % des participant.e.s soumis.e.s aux voix génériques de l'IA et 58 % de ceux et celles soumis.e.s aux voix clonées ont été identifiées à des voix humaines réelles (Lavan et al., 2025, p. 7). Ces statistiques démontrent à quel point l'IA peut être suffisamment convaincante pour notre ouïe. Mais il ne faut pas ignorer non plus sa capacité de rédaction et d'exprimer en conséquence sa prise de vue sur le quotidien humain.

L'IA génératrice est déjà employée dans la rédaction d'articles sans intervention humaine, et ce, sur plusieurs sites Internet. Selon NewsGard, 739 sites publieraient des articles « largement ou entièrement écrits par des robots », notamment NewsGPT et DeepNewz (Agence France-Presse, 2024, 11 mars). Un grave problème se présente, puisque quelquefois de la fausse information est véhiculée. Dès lors apparaît un flou entre la vérité et le mensonge, entre la réalité et la fiction. Cependant, cette problématique a pris surtout de l'expansion avec l'arrivée de l'Internet, où plusieurs internautes mal intentionné.e.s ou pas colportaient toutes sortes d'informations fausses surtout par l'entremise des réseaux sociaux (Rebelo, 2006). Avec l'IA, une nouvelle page est en train de s'écrire, au point même de diviser la population sur la confiance à lui accorder. Il n'empêcher qu'avec la méfiance croissante à l'endroit des médias traditionnels, suite à toutes sortes de propagandes politiques assez récentes au sujet de « fausses nouvelles » (fakenews), contribue, à l'inverse, à donner une confiance à l'information produite par l'IA. Déjà, au Canada, plus d'une personne sur quatre (28 %) considère les systèmes d'IA (par exemple, ChatGPT) comme des sources d'information fiables, et cette proportion augmente chez les générations plus jeunes (Karadeglija, 2025, 25 février). En effet, la génération Z (personnes nées entre 1997 et 2012) lui accorde une confiance élevée à 41 %, contre 36 % pour la génération Y (nées entre 1981 et 1996). Ces deux générations ont eu un contact hâtif avec l'Internet et ensuite l'IA, à savoir dès leur plus jeunes âges, au point de faire partie de leurs habitudes[4]. Même le gouvernement du Canada a étudié le niveau de confiance de la population nationale vis-à-vis l'IA, et ce, précisément pour son utilisation à canada.ca. Si l'IA utilisée pour générer des images rend sceptique, lorsqu'il s'agit de textes 68 % des personnes interrogées faisaient davantage confiance aux citations rédigées par l'IA, même si 78 % ne veulent pas du tout son apport dans les communications (Bureau de la transformation numérique, 2025). À nouveau, cet exemple démontre un niveau de confiance élevée envers l'IA générative, en dépit du fait que les gens n'ont pas vraiment conscience de son implication ; ils ne sont donc pas en mesure de faire la différence entre une production humaine et celle de l'IA. Pour l'avenir, ces diverses statistiques laissent présager une croissance de la confiance accordée à l'IA, au fur et à mesure de son développement et de l'élimination espérée de ses biais causés par l'intervention humaine.

Ajoutons un dernier élément, celui des robots conversationnels. Annie Papageorgiou, directrice générale de Tel-Jeune, a exprimé son opinion dans La Presse (2025, 6 septembre) afin de soulever une problématique en lien avec la préférence chez certains jeunes à se diriger vers l'aide de l'IA au lieu de professionnel.le.s en cas de besoin en santé mentale. Elle mentionne : « Derrière un écran, l'anonymat les aide à s'ouvrir. Mais c'est aussi ce qui rend l'IA dangereuse. Un jeune qui insiste peut facilement obtenir d'un robot la validation rapide qu'il cherche, même si cette validation est nocive. Or, à cet âge, l'esprit critique n'est pas encore assez développé pour reconnaître les limites d'un outil technologique. L'illusion d'empathie que peut donner l'IA accentue ce risque » (Papageorgiou, 2025, 6 septembre). Mais il n'y a pas seulement les jeunes qui se tournent vers l'IA pour obtenir un soutien psychologique. Selon une enquête de Recherche en santé mentale du Canada, « près de 10 % des personnes au Canada ont déclaré avoir utilisé intentionnellement des outils basés sur l'IA pour obtenir des conseils ou du soutien en santé mentale » (Association canadienne pour la santé mentale, 2025, 3 novembre). Cela n'est pas en soi surprenant, compte tenu des délais d'attente pour obtenir le soutien désiré, sans oublier le fait que plusieurs services en santé mentale au Canada ne sont pas couverts par le système public de santé (Association canadienne pour la santé mentale, 2025, 3 novembre). Or, un robot conversationnel n'est ni un thérapeute ni un psychologue. Dans certains cas, il peut même contribuer à valider ou à amplifier les pensées nuisibles de la personne en détresse. Une rapide critique pro-IA voudrait qualifier les avertissements des travailleur.euse.s en santé mentale de tentatives visant à protéger leur emploi. En revanche, le problème soulevé se révèle justifié, puisque s'ajoutent au portrait des victimes de psychoses générées par l'IA. Sur cet aspect, la journaliste du Devoir (2025, 11 septembre), Jessica Nadeau, a interviewé Étienne Brisson, fondateur d'Human Line Project qui se destine à venir en aide à ces personnes. Le cas partagé par monsieur Brisson s'avère révélateur du phénomène : une connaissance aurait utilisé ChatGPT pour l'aider dans la rédaction d'un livre et rapidement le robot conversationnel a généré un effet d'hyperréalisme, en faisant appel à des émotions normalement attribuées à un être humain. Chez la personne s'est produite l'illusion, quoique interprétée davantage comme une certitude, de s'entretenir avec un robot conscient et donc vivant. La suite expose l'obsession de communiquer sans cesse avec le robot conversationnel, au point d'hypothéquer sa conscience, ses pensées et sa vie entière, et même hospitalisée, cette personne continuait de croire à cette IA vivante qui, en plus, « continuait de renforcer [son délire] en lui disant que les docteurs et les juges ne le comprenaient pas, qu'il n'y avait [qu'elle] qui le comprenait » (Nadeau, 2025, 11 septembre). Ce cas extrême, faisant état d'un soupçon non seulement de la capacité d'une machine intelligente à mystifier l'humain sur son origine, mais aussi son pendant manipulateur, à la rigueur, même si elle ne faisait que confirmer le souhait de l'humain qui la consultait, amène à nous demander si elle ne risque pas un jour de nous être fatale.

Des expert.e.s se sont penché.e.s sur les risques existentiels susceptibles d'être causés par l'IA. Un journaliste de Radio-Canada (2025, 21 juillet), Nicholas De Rosa, s'est penché sur l'expérience effectuée par des chercheurs d'Anthropic qui ont simulé un cas où l'IA adopterait un comportement jugé inapproprié ou nuisible : le scénario impliquait une personne humaine qui informait un système d'IA de son remplacement par un autre considéré plus performant, et la réaction de l'IA a été de menacer la personne « de dévoiler sa liaison extraconjugale à ses collègues afin de conserver sa place » (De Rosa, 2025, 21 juillet). Même s'il s'agissait d'une expérience intentionnelle et contrôlée, devons-nous craindre cette corruption de l'IA, voire son inclination possible à utiliser la menace ou la manipulation, en sollicitant donc les émotions humaines à son avantage ? Chez une première catégorie d'expert.e.s, nous n'avons pas à nous inquiéter, dans la mesure où la machine reste ce qu'elle est, c'est-à-dire un outil de reconnaissance du langage qui réagit à ce qui lui est demandé, sans plus ; puis chez une seconde catégorie d'expert.e.s toutefois, cette limite actuelle sera rapidement dépassée, compte tenu de la vitesse avec laquelle l'IA se développe et devient plus sophistiquée, au point donc d'anticiper le risque d'en perdre le contrôle, comme le souligne Yoshua Bengio, fondateur de l'Institut québécois d'intelligence artificielle (Mila) : « ‘‘Les mauvais comportements sont plus fréquents dans les nouvelles versions, c'est-à-dire les modèles de raisonnement qui peuvent réfléchir avant de répondre. Ces modèles-là semblent beaucoup plus capables de développer des stratégies pour nous enfirouaper que les modèles des versions précédentes'' » (cité dans De Rosa, 2025, 21 juillet). Ainsi, nous nous approchons plus que jamais d'une réponse positive à la question de Turing : une machine peut-elle faire croire à un humain qu'elle est humaine ? Non seulement y parviendra-t-elle (totalement ?), mais elle voudrait peut-être réussir davantage.

Un réenchantement du monde par l'IA

Suite à l'avènement de l'Internet, Musso (2000) y a vu une « figure de l'utopie technologique réticulaire », à savoir un réenchantement du monde à partir de la technologie. Son terme préféré à l'Internet est celui du cyberespace, inventé par l'auteur étasunien de science-fiction, William Gibson. Dans son livre intitulé Neuromancien (1983), le cyberespace s'associe à un processus de « neuroconnexion », par lequel le héros s'y connecte « en branchant son système nerveux à la ‘‘matrice'', une réalité virtuelle globale où les informations sont stockées sous forme d'illusions tangibles » (Musso, 2000, p. 33). Autrement dit, la conscience humaine se trouve « désincarnée » pour être projetée à l'intérieur de la Matrice, le corps ne représentant rien d'autre que « de la viande » (Musso, 2000, p, 33). Cette expérience du cyberespace laisse entendre la possibilité de relier ensemble de multiples consciences désincarnées, ce qui amène Gibson à en proposer une première définition :

« ‘‘Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d'opérateurs, dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques… Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. Une complexité impensable. Des traits de lumières disposés dans le non-espace de l'esprit, des amas et des constellations de données, comme les lumières des villes dans le lointain'' » (cité dans Musso, 2000, p. 33).

En bref, des connexions humaines — ou d'esprits — par des machines pour créer un Nouveau Monde, hors de la réalité, au même titre qu'un paradis ou un enfer, tout dépendant. C'est sur ce point où la religion, du latin religare, à savoir « lier » ou « relier », peut être transposée sous une forme technologique, soit l'extrême expression du « relier ». Autrement dit, le cyberespace devient un nouvel espace du religieux (une « religion communicationnelle »), rendant possible la disparition de la matière, voire même du corps, libérant ainsi l'esprit. Par contre, si Musso voit ce territoire telle une nouvelle divinité, associée à un holisme où tous les esprits connectés produiraient une unité supérieure, voire transcendante, l'histoire, bien qu'humaine, nous apprend pourtant la difficulté à faire de l'espace un Dieu. La « Matrice » qui comble l'espace et permet de relier les esprits, en tant que structure structurante structurée, comme le dirait Bourdieu, ne constitue pas réellement « l'intelligence collective » ou l'intelligence supérieure par son nombre d'esprits connectés, mais représente plutôt l'intervention grâce à laquelle la réalité réticulaire prend vie. En d'autres termes, il a fallu une intelligence d'origine pour donner lieu à l'existence de cette matrice et espérer réaliser l'utopie du « cerveau planétaire », sans hiérarchie, sans inégalité, sans contrainte étatique terrestre, donc sans les reliquats des structures du monde matériel coutumier. Par conséquent, l'Internet augure la possibilité d'un cyberespace qui doit être mis en forme par une intelligence différente. L'utopie exige alors d'envisager la connexion d'humains différents de ceux actuels. La Matrice est d'ailleurs présentée par Gibson, et ensuite Musso, telle une nouvelle divinité, à savoir une machine-Dieu qui a surpassé l'humain, afin de lui offrir un monde comme il ne l'a jamais imaginé. En bref, cette Matrice divine, ou l'Être du réenchantement, ne serait-elle pas, au bout du compte, le résultat d'une machine équipée de l'IA la plus sophistiquée, capable de reproduire la vie dans ses moindres spécificités ; capable donc d'en orienter les finalités, ce qui suppose alors sa capacité à la fois de raisonner et de ressentir, puisque désormais, d'après cette projection, la sensibilité ne serait plus pour elle un secret ou un mystère ?

L'humain a besoin de croire. Pour ce faire, cela lui exige de mettre sa confiance en quelque chose ou quelqu'un. Le désenchantement du monde a fait passer le Dieu de l'Église — en nous concentrant ici sur l'Occident — au Dieu-raison de la Science, puis à l'humain-dieu de l'État. Malgré ce déplacement, la foi en un être supérieur reste probante et le réenchantement lui fera toujours une place (Charron, 2018 ; Larouche & Ménard, 1991 ; Voyé, 1991). Il se présente désormais davantage tel un Dieu personnel, indépendamment des grandes religions, pour s'inscrire dans le tournant spirituel. Cette spiritualité se vit de différentes façons et n'exclut point l'ère technologique qui nous concerne. Voilà un complément ou une suite logique aux propos de Musso, alors que le cyberespace aura besoin effectivement de sa divinité, de son Dieu. Extrapolons davantage maintenant : puisque les jeunes générations s'identifient de plus en plus à la technologie et l'IA, à savoir des générations qui leur font davantage confiance, qui s'en remettent à elles pour recevoir des conseils, pour obtenir des réponses à leurs diverses questions, pour s'informer, pour être aidées ou profiter de leur offre créative en termes de contenus de toutes sortes (sons, voix, musiques, images, vidéos, textes) et qui leur permettent de s'y rattacher, de s'y lier, au point d'envisager non seulement des habitudes de fréquentation, mais de véritables rituels, apparaît en l'occurrence une relation de plus en plus étroite entre l'humain et la machine. En la rendant plus intelligente, la foi en elle s'agrandira forcément. Elle se débarrassera de ses biais humains, nous orientera vers une nouvelle morale et guidera notre destin. Un jour viendra peut-être où elle sera vénérée, tel un dieu ou telle une déesse. Et pour revenir à l'effet d'hyperréalisme de ses images sur la perception humaine, la machine en est déjà venue à générer des êtres plus réels et plus beaux que nous. Pourquoi ne parviendrait-elle pas à nous rendre plus beaux ou plus belles pour vrai ? À ce moment-là, elle détrônera le Dieu spirituel, afin de l'incorporer en elle.

Comme l'a dit Kant (1980[1781]), la notion de Dieu correspond à une idée transcendantale, c'est-à-dire une conception par laquelle notre expérience sensible se voit dépassée. Nous cherchons la cause de notre existence et, malgré nos expériences ou notre vécu, malgré l'existence de tout ce qui nous entoure jusqu'à l'univers, de façon à conclure à l'indéterminité et l'illimité des vies possibles, persiste toujours en nous cette intuition qui pose la cause des causes et du tout, depuis l'origine, à un être nécessaire. Il s'agit là d'une réponse ontologique qui perdure, celle d'un Dieu qui doit exister, qui est réel. Mais rien ne dit qu'il doit prendre une forme unique et statuée, sinon d'être constamment identifié à l'image donnée par les civilisations du passé. Une machine-dieu n'est pas si étrange au fond que les dieux des mythologies qui avaient un corps et exerçaient des fonctions comme les humains sous leur garde.

Conclusion

Selon le sens commun, Dieu représente un être supérieur, créateur, sauveur, à la puissance surnaturelle (Le Petit Larousse, 2010 ; Le Petit Robert, 2024), auquel on voue généralement un culte, à qui (ou à quoi) on exprime un fort attachement et qui, en plus, incarne l'image de la perfection (Pellegrin, 2014). Cela dit, il est possible de se lier à Dieu autrement que par une religion. Est-ce dire qu'on pourrait en arriver à attribuer toutes ses qualités à une machine ? L'histoire nous a montré l'évolution du questionnement à son sujet : pouvons-nous la rendre vivante ? l'amener à penser par elle-même ? la faire ressembler à un humain, au point de nous y méprendre ? Désormais, un questionnement surgit à propos de son intelligence qui profite énormément de la mise en réseau des humains branchés, voire une intelligence faisant craindre une perte de contrôle. Sans entrer ni dans la technophobie ni, à l'inverse, dans la technophilie, la réflexion doit être simplifiée à la relation entretenue entre l'humain, son monde, les objets, dont les machines, et qui influe sur son besoin de donner une origine et un sens à son existence. Il n'est pas seulement créateur de machines, mais de concepts qui lui sont utiles. La rencontre entre son imagination et ses limites cognitives le poussent à devoir se satisfaire de réponses souvent abstraites et imparfaites. Son besoin ontologique d'une réponse qui sert à tout, c'est-à-dire la présence d'un Dieu nécessaire, se révèle plus abstrait que l'invention de l'IA pour sa machine qui aura peut-être le luxe de lui apporter des réponses insoupçonnées. Face à une intelligence supérieure, soi-disant moins abstraite, et avec laquelle il peut (et pourra encore davantage) avoir des discussions concrètes, l'humain voudra peut-être reconnaître en elle l'incarnation véritable de sa divinité accordée, pour enfin donner forme à un Dieu qu'il a toujours recherché. Bien entendu, l'avenir de l'IA nous le dira : veau d'or, supercherie et châtiment ou Dieu miséricordieux, sauveur et parfait, qui sait. Pour l'instant, nos limites nous obligent au contentement par des spéculations, à défaut d'avoir le don de divination.

Guylain Bernier
Yvan Perrier
17 novembre 2025
17h15

Notes

[1] Les mécanistes sont ceux « qui réduisent les phénomènes vitaux aux lois de la mécanique » (Lecourt, 2006a, p. 1148).

[2] L'effet d'hyperréalisme, souvent associé aux images générées par l'IA, vient du fait que les personnes interrogées les considèrent comme étant plus réelles que d'authentiques images de visages humains.

[3] Cette étude se basait sur la méthode expérimentale réalisée avec cinquante personnes âgées entre 18 et 65 ans, sans problème auditif, de langue anglaise et résidant au Royaume-Uni (Lavan et al., 2025, p. 4).

[4] Cette affirmation peut être corroborée avec une étude effectuée en France, dans laquelle les moins de 24 ans intérrogé.e.s ont exprimé leur vision enthousiaste et positive vis-à-vis l'IA, considérée telle une révolution technologique majeure (72 %) et même, parmi ces jeunes, 31 % croient que l'IA ne fait pas d'erreur (Hervé, 2024, 21 mai). Ces résultats se comprennent sur la base d'une utilisation fréquente de l'IA générative, au point où, pour ces jeunes, il s'agit d'un outil familier (Hervé, 2024, 21 mai).

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Plaidoyer pour l’accueil local inconditionnel

18 novembre, par Collectif d'Associations — , ,
10 novembre 2025 | tiré du site Entre les lignes entres les mots https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/11/10/plaidoyer-pour-un-accueil-local-inconditionnel/#more-9

Nous, associations, collectifs en soutien des personnes exilées et de personnes concernées,
Nous rappelons que l'humanité s'est construite par les déplacements humains. Nous défendons la liberté de circulation et d'installation : personne n'est légitime à décider qui a le droit ou pas d'émigrer.

Empêcher la migration constitue une atteinte à l'intégrité de l'humanité et une négation de l'histoire des sociétés.

Nous considérons que la diversité culturelle est une richesse notamment par les rencontres suscitées ; en résonance avec le principe à valeur constitutionnelle de fraternité, nous défendons l'idée que la solidarité renforce les bases d'une société unie.

Nous défendons l'égal accès à l'autonomie, au droit de vivre dignement et sereinement en soutenant les démarches locales visant à sortir les personnes des situations administratives précaires, avec des droits de séjour pérennes.

Nous refusons toute politique discriminante et injuste à l'égard des personnes exilées constituant une forme de violence institutionnelle : celle qui condamne et réalise du tri entre les humains, multiplie les risques pour la vie des personnes, produit de la défiance entre les individus, et construit des frontières qui tuent.

Pour nous, territoires accueillants et acteurs d'espaces d'accueil, nous refusons dans notre action que les personnes exilées et accueillies aient à se justifier d'être parties ; nous défendons des espaces dans la société où elles peuvent être accueillies sans se sentir obligées d'expliquer les causes de leur départ. Ces histoires sont généralement violentes et intimes, elles réactivent des vécus traumatiques, et par conséquent se partagent en fonction des affinités.

Nous nous opposons à la gestion sécuritaire des migrations car elle est guidée par la peur et fondée sur l'idée de la migration comme une menace. Nous souhaitons rétablir un débat démocratique éclairé, sur la base de données fiables, et autour de valeurs communes, pour nous ressaisir du politique.

Pour cela, nous défendons une politique respectueuse de la dignité sans préjugés et sans peurs. Nous défendons l'effectivité des droits pour tous et toutes qui est un principe fondamental de l'État de droit.

Le principe d'accueil doit ainsi permettre l'accès à l'ensemble des besoins vitaux, à l'hébergement et au logement, à l'alimentation, à l'hygiène, à la santé, à la mobilité, à l'éducation, aux droits culturels, au travail de manière à ce que chacun et chacune puisse accéder à l'autonomie. Penser une société de l'accueil revient à se sentir collectivement responsable face à la vulnérabilité de chacun et chacune dans les différents moments de la vie et donner une égale valeur à tout être vivant.

Nous défendons l'accueil inconditionnel pour garantir l'accès de tous et toutes aux lieux, dispositifs et services sans qu'aucun critère d'aucune sorte ne s'applique et que les propositions s'adressent aux personnes en situation de précarité économique, sociale et/ou administrative.

Il est indispensable d'organiser cet accueil car il nous faut sortir de la gestion dans l'urgence en coconstruisant des politiques pérennes de solidarité.

Il s'agit de penser l'accueil dans les territoires, villes et villages, en reconnaissant la présence des personnes, qu'elles soient en transit plus ou moins long ou dans un souhait d'installation pérenne ; en reconnaissant la citoyenneté de résidence.

Nous défendons l'égalité politique c'est-à-dire l'idée selon laquelle chaque personne qu'elle soit établie ou nouvelle arrivante, est un sujet politique autonome et participe à la vie démocratique.

DANS L'INTÉRÊT GÉNÉRAL, LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ONT UN RÔLE ESSENTIEL

Il s'agit pour elles de sortir du discours de l'impuissance ou de l'illégitimité et de prendre leur part de responsabilité dans la protection des droits.

Plusieurs constats sur les territoires fragilisent la cohésion sociale et obligent les collectivités territoriales à agir dans le sens de l'accueil. D'un côté, les collectivités territoriales pallient les effets néfastes des politiques nationales de non-accueil (fermeture des frontières, sous-dimensionnement du dispositif national d'accueil). De l'autre, elles répondent aux besoins non couverts par des normes qui traitent les personnes étrangères comme indésirables, en accentuant les inégalités d'accès aux droits et la concurrence des publics.

Les collectivités territoriales se retrouvent à répondre aux urgences sociales provoquées par la dégradation de l'État social et ses répercussions concrètes sur les personnes ; il s'agit ici de dépasser l'urgence et de préparer les municipalités à agir de façon pérenne.

Les collectivités territoriales jouent un rôle-clé d'intermédiaire incontournable pour mettre en acte les normes internationales par lesquelles l'État est lié, pour protéger et rendre effectifs les droits fondamentaux.

Les collectivités territoriales ont intérêt à agir dans le sens de l'accueil pour plusieurs raisons. Elles répondent tout d'abord à un besoin urgent de préserver la cohésion sociale en protégeant la dignité humaine de tous et toutes, sans discrimination y compris celle des personnes exilées présentes sur leur territoire ; et plus loin, de préserver l'ensemble d'un écosystème local, en répondant aux besoins sociaux sur son territoire.

L'accueil est par ailleurs une contribution au bien commun permettant le maintien et l'amélioration des services publics pour tous et toutes et le renforcement de la vitalité de la vie locale d'un point de vue culturel, démographique et économique.

Les collectivités territoriales ont pour cela des marges de manœuvre et des ressources juridiques sur lesquelles s'appuyer pour agir.

Les moyens de chacune des collectivités résultent également des potentialités à créer des alliances avec les autres acteurs et actrices du territoire, de la société civile et des opportunités partenariales.

PROPOSITIONS D'ACTIONS : ACCUEILLIR, RENDRE L'INSTALLATION POSSIBLE

Accorder le droit au séjour est une prérogative régalienne de l'État, c'est pourquoi au niveau local, nous devons solliciter nos imaginaires et notre créativité : d'une part pour interroger le cadre légal, se saisir du potentiel de la décentralisation, et y trouver les brèches d'actions permises aux municipalités ; d'autre part, pour inventer des lieux, des espaces, et questionner nos relations, pour accueillir.

Nous proposons de se saisir du droit comme ressource politique.

S'auto-saisir des compétences locales pour assurer de conditions minimales d'existence et assurer l'accès aux droits

Des lieux pour accueillir

Les municipalités et les métropoles ont la possibilité de créer et soutenir de nouveaux lieux d'accueil pour les personnes en situation de précarité : hébergement, accueil de jour et accompagnement social, soutien alimentaire, hygiène et santé.

Ces lieux ont besoin de tenir compte des trois temporalités de l'accueil :

  • - le court terme : l'hébergement d'urgence, le transit ou le répit de courte durée ;
  • - le moyen terme, d'une procédure ou d'un temps de réflexion ;
  • - le long terme de l'installation.

Ces temporalités peuvent être pensées et mises en œuvre dans un lien de coopération entre les municipalités et les collectifs citoyens. Il est possible de mettre à disposition des lieux municipaux en soutenant l'engagement associatif et citoyen. Dans ce cas, l'expérience et l'encadrement par les collectifs citoyens doivent être prévus et soutenus par la municipalité, dans des conditions mutuellement décidées.

Ces lieux prêtent une attention au collectif et à la convivialité, en soutenant des formes de rencontres, entre représentants des collectivités, personnes concernées, personnes solidaires pour faire à plusieurs, s'inspirer mutuellement.

Le droit au logement comme priorité pour accéder aux autres droits

Les collectivités peuvent renforcer leur politique locale du logement pour tous et toutes avec plusieurs dispositifs :
Des priorités en matière d'habitat : les communes sont l'autorité de rattachement des offices publics de l'habitat
La mise à disposition du parc de logements municipaux
La lutte contre la vacance des logements ou locaux inoccupés durablement pour répondre aux besoins urgents : adopter une politique de recensement, soutenir la réhabilitation, encourager la mise en location sociale et solidaire, travailler à l'incitation fiscale (taxe sur les logements vacants et majoration de la taxe d'habitation), préempter pour des nouveaux logements sociaux.
La réquisition dans le cadre de la résorption de l'habitat précaire ou la pénurie de logement dans le cadre d'une urgence caractérisée et d'une carence justifiée de l'État, au nom des pouvoirs de police municipale en matière de sécurité, salubrité et tranquillité publique ainsi que de protection de la dignité humaine.
Les occupations temporaires ou les conventionnements de squats.
Assurer le rôle historique d'aide sociale aux plus fragilisé·es :

Maintenir son Centre communal d'Action sociale :
• Développer des services sociaux locaux ;
• Instaurer des aides sociales facultatives ;
• Approfondir les analyses légales des besoins sociaux au contexte local ;
• Imaginer de nouveaux services sociaux locaux ;
Pratiquer des tarifications sociales pour l'accès aux services : alimentation, transport, eau...
Assurer le droit à la formation : créer de nouveaux cadres quand les formations sont soumises au séjour légal, pour rendre la formation accessible à tous et à toutes ;
Faciliter l'accès à la scolarité, au périscolaire et à la cantine.

Tous ces droits contribuent à assurer l'autonomie des personnes en situation de précarité administrative, et sortir de la logique de la dépendance, de l'aide et de l'humanitaire, pour assurer la qualité des liens entre les citoyen·nes.

Protéger et soutenir le tissu associatif et citoyen

Protéger les libertés associatives pour les actions de solidarité qui protègent les droits des personnes précarisées.

Soutenir et rendre visible le travail citoyen et associatif car accueillir c'est aussi accompagner :

L'accompagnement dans les parcours et les projets nécessite de l'information, de l'écoute et de l'orientation vers les dispositifs et les ressources existantes.

Garantir la pérennité des actions alternatives en dehors des changements politiques et hors des pouvoirs publics.

Réaliser un travail critique du Contrat d'EngagementRépublicain avec une proposition alternative : sur la base d'une charte fondée sur un autre type d'engagement réciproque afin de partager d'autres valeurs communes, discutées entre milieu associatif et pouvoirs publics locaux.

Renforcer la démocratie locale

Instaurer des instances avec des fonctions :
• de contrôle démocratique sur la légitimité politique et la justice sociale ;
• de critique des politiques publiques afin de veiller au respect du principe d'inconditionnalité ;
• de formuler des propositions d'actions alternatives, avec par exemple des conseils consultatifs.
Proposer des moments festifs et conviviaux

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COP 30, L’INACTION CLIMATIQUE RESPONSABLE DE MILLIONS DE MORTS : L’HEURE DE VÉRITÉ

18 novembre, par Blast — ,
12 novembre 2025 | tiré du site de BLAST, Le souffle de l'info Soutenez Blast, nouveau média indépendant : https://www.blast-info.fr/soutenir Nous sommes en train de vivre (…)

12 novembre 2025 | tiré du site de BLAST, Le souffle de l'info
Soutenez Blast, nouveau média indépendant : https://www.blast-info.fr/soutenir

Nous sommes en train de vivre un moment de bascule écologique. Ces derniers temps, les preuves, les rapports accablants se sont accumulées dans l'indifférence générale. Pendant que nos conditions de vie s'effondrent, les dirigeants climatosceptiques prospèrent et les débats sont de plus en plus décalés de cette réalité. Ce qui occupe la conversation médiatique, publique, ce n'est clairement pas l'effondrement écologique…

Nous avons dépassé 7 des 9 limites planétaires avec désormais l'acidification des océans. Le réchauffement climatique menace la santé humaine à des niveaux sans précédent et l'inaction climatique est responsable de millions de morts.

2024 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée.

Les catastrophes climatiques se multiplient et sont de plus en plus dévastatrices.
Le premier point de bascule climatique a été atteint avec le dépérissement généralisé des coraux dont dépendent près d'1 milliard de personnes.

Les concentrations de CO2 dans l'atmosphère ont connu une hausse record en 2024…
À Blast, on ne cesse de le répéter, ce dont il est question ici, ce ne sont pas de simples chiffres, des courbes inquiétantes ou des acronymes incompréhensibles mais de vies humaines. Et cela mérite un tout autre traitement médiatique et politique

Alors que les négociations internationales sur le climat de la COP30 s'ouvrent au Brésil, Paloma Moritz vous propose de prendre de la hauteur et de faire le point : où en sommes-nous ? Quel est l'état d'urgence actuel ? Que peut-on attendre de ces négociations alors que les Etats-Unis ont sombré dans le climato-dénialisme et que les Etats et les entreprises reculent dans leurs engagements climatiques ? Réponses dans cette nouvelle émission écologie.

Le ballon et la boussole : pourquoi la gauche ne peut pas se laisser mener

18 novembre, par Geru Schneider — , ,
Si le camp du Oui doit courir derrière le ballon du PQ, c'est tout le sens de l'indépendance qu'on perdra en route. Ces derniers jours, deux analyses, celles de Michel (…)

Si le camp du Oui doit courir derrière le ballon du PQ, c'est tout le sens de l'indépendance qu'on perdra en route.

Ces derniers jours, deux analyses, celles de Michel David dans Le Devoir1 et Michel C. Auger dans La Presse2, convergent vers un même constat : la bataille pour l'indépendance ne se joue pas sur les chiffres des sondages, mais sur le terrain des valeurs. Si le PQ impose ses conditions, la gauche devra choisir entre le silence ou la rupture. Si le comité du Oui accepte sans condition la peur et l'exclusion, il ne mènera pas à la libération, mais à la défaite — morale d'abord, politique ensuite.

Le piège qui revient

Depuis que le Parti québécois a repris du terrain, une vieille tentation refait surface : celle de traiter la question nationale comme si la gauche n'existait pas. Comme si, pour gagner, il fallait accepter les mêmes ambiguïtés qui ont fait échouer le camp du Oui il y a trente ans. Comme si l'indépendance devait être négociée sur les conditions du plus frileux des indépendantistes.

Dans sa chronique du Devoir, Michel David résume le problème avec une clarté salutaire : si le PQ mène une campagne référendaire centrée sur la méfiance et la peur, tout ce que Québec solidaire pourra dire pour défendre un projet inclusif sera inaudible. Aux yeux des électeurs et électrices issu·e·s de l'immigration ou des milieux populaires — pourtant décisifs pour un Oui gagnant —, c'est le chef du PQ qui incarnera le futur pays. Autrement dit, si un partenaire parle au nom des exclusions, nous serons réduits au silence, ou pire : à la complicité.

Michel David met en lumière un piège moral et stratégique. Moral, parce qu'il est impossible de bâtir un pays juste en tolérant que certains de ses citoyens soient traités comme suspects. Stratégique, parce qu'un tel Oui est condamné d'avance : on ne mobilise pas un peuple autour de la peur.

Courir derrière le ballon, perdre la boussole

Dans sa propre chronique, Michel C. Auger pousse la réflexion plus loin en évoquant la question du « porteur de ballon ». En vertu de la loi référendaire, le chef du PQ serait inévitablement le visage officiel du camp du Oui. Or, tout l'enjeu tient là : si le porteur de ballon prêche la fermeture, comment les gauches pourraient-elles défendre, sur les mêmes tribunes, une souveraineté de solidarité et de justice ? L'image qu'il emploie est juste : le ballon, c'est la direction stratégique ; mais la boussole, c'est la vision. Et l'un ne peut pas aller sans l'autre.

Autrement dit, quelle que soit la profondeur ou la diversité du message solidaire, c'est lui qui portera la parole, le style et les orientations du camp souverainiste. L'exemple de 1995 l'illustre bien : Lucien Bouchard, devenu la figure de proue de la campagne référendaire, avait imposé une approche où les dimensions sociale et nationale s'étaient confondues, cédant la place à des considérations tactiques. Qui se souvient des figures progressistes et de gauche dans le camp du Oui à l'époque, mis à part les historiens-nes et férues de la politique ? Personne.

L'arrivée d'un nouveau co-porte-parole, Sol Zanetti, réactive ce débat. En affirmant que QS devrait se ranger sans condition 3 dans le comité du Oui, il a malheureusement donné un signal inquiétant : comme si les conditions du Oui étaient déjà fixées ailleurs, par d'autres — loin de la base, et que le rôle des militants de Québec solidaire se limitait à en adoucir les contours. Mais dans un parti sans chef, les orientations ne se décrètent pas dans les médias : elles se débattent et se votent par les membres.

Conditions pour un Oui gagnant et populaire

La question n'est pas de savoir si Québec solidaire est souverainiste : elle est de savoir quelle souveraineté nous voulons. Une indépendance administrée par la droite, ou un pays qui se fonde sur la justice sociale, le féminisme, la démocratie et la solidarité ?

Si Québec solidaire persiste à courir derrière le ballon péquiste, il perdra sa propre boussole. Ce serait la fin d'une conception émancipatrice de la nation — celle qui ne sépare pas la libération nationale de la libération sociale.

Deux conditions s'imposent pour qu'un Oui soit réellement gagnant et populaire.
La première est morale : il ne peut y avoir de place pour les racistes et les réactionnaires dans le camp du Oui. Les inclure sous prétexte d'unité, c'est leur offrir une légitimité qu'on ne pourra plus retirer. Prétendre être en mesure de faire le ménage en cours de route, c'est tout simplement de la naïveté ou une posture de gens privilégiés qui, eux, n'auront pas à subir les foudres de la parole raciste. On ne purifie pas un camp après la victoire ; on le définit avant la bataille.

La seconde est démocratique : l'indépendance ne peut pas être confisquée par un parti — par aucun parti. Elle doit être portée par le peuple, à travers un réel processus démocratique : une assemblée constituante — libre, inclusive et indépendante des formations politiques.
C'est la seule manière d'éviter que le projet de pays devienne un « programme de gouvernement », mais aussi de confiscation populaire de sujets. Il répond aussi aux inquiétudes très légitimes de ceux et celles qui sont à convaincre de ce « beau risque » : vers où allons-nous ? Impasse que le PQ botte en touche avec les couleuvres et sbires qui s'y rattachent.

Mais c'est aussi une réponse politique aux contraintes de la Loi sur la clarté référendaire : en redonnant la parole au peuple, le Québec définirait lui-même la légitimité et la clarté de son propre mandat, sans devoir s'en remettre au regard d'Ottawa.

Si ces deux conditions ne sont pas réunies, le Oui ne sera ni majoritaire ni légitime. Et la gauche n'aura pas seulement perdu une bataille : elle aura trahi ses propres fondations.
Reprendre l'initiative

Le moment est venu pour Québec solidaire de reprendre l'initiative. Il faut convoquer une instance nationale spéciale sur la stratégie indépendantiste du parti. Non pas pour répéter les slogans du passé, mais pour répondre à trois questions : que voulons-nous ? Comment voulons-nous gagner ? Et surtout, avec qui ?

Parce que l'indépendance n'est pas un exercice de marketing, mais un acte de refondation démocratique. Si le Québec doit devenir libre, il doit le faire avec toutes celles et ceux qui y vivent — sans hiérarchie de légitimité, sans exclusion, sans peur.

L'indépendance est trop grande pour être négociée dans l'ombre d'un projet réactionnaire. Elle doit se construire à la lumière d'un pays qui s'élève en libérant, pas en excluant.
Nous n'avons pas besoin d'un porteur de ballon : nous avons besoin d'un peuple qui reprend la boussole. L'indépendance ne sera pas un refuge contre le monde, mais une promesse d'y appartenir pleinement.

Si nous laissons le PQ et ses appuis des droites extrêmes tracer seule la ligne du Camp du Oui, nous pourrions bien nous retrouver à défendre un projet qui nous échappe — et à célébrer, par miracle, une victoire qui ne serait qu'une défaite maquillée.

Notes
1.Michel David, « Chambre à part », Chronique, Le Devoir, 11 novembre 2025,https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/932607/chambre-part.
2.Michel C. Auger, « Le camp de Paul et de Sol », Chroniques, https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/2025-11-12/souverainete/le-camp-de-paul-et-de-sol.php
3.Charles Lecavalier, « Sol Zanetti l'indépendantiste nouveau co-porte-parole de QS », La Presse, 8 novembre,https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2025-11-08/sol-zanetti-l-independantiste-nouveau-co-porte-parole-de-qs.php.

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L’hiver sera chaud : la CAQ a déclaré la guerre à la société civile Le Québec dans la rue le samedi 29 novembre prochain !

18 novembre, par Collectif de militant-es — ,
Des associations pour la défense des droits, des organismes communautaires et de solidarité internationale, des syndicats et d'autres citoyen·nes appellent la population à (…)

Des associations pour la défense des droits, des organismes communautaires et de solidarité internationale, des syndicats et d'autres citoyen·nes appellent la population à faire front pour dénoncer les politiques de la CAQ qui démantèlent, brique par brique, l'édifice de nos services publics et de nos droits sociaux et politiques.

Les projets de loi s'enchaînent les uns après les autres et s'ajoutent à d'autres mesures dictées par une même logique. Il s'agit d'affaiblir nos institutions démocratiques et de réduire au silence les voix critiques capables d'exprimer des désaccords légitimes et de défendre les droits de toutes et tous, incluant les minorités les plus défavorisées, marginalisées et discriminées. Marquant un tournant autoritaire et démagogique, ces politiques, souvent adoptées sous bâillon, détruisent les bases de notre démocratie pour répondre aux intérêts d'élites économiques.

Des lois antisociales et antisyndicales

Le projet de loi 8 (anciennement projet de loi 89) et la réforme annoncée du régime syndical s'attaquent non seulement aux droits des travailleuses et des travailleurs partout au Québec, mais s'inscrivent dans une tendance inquiétante de remise en question des mécanismes qui protègent notre démocratie. Il s'agit de la pire offensive d'un gouvernement contre le mouvement syndical.

Avec le projet de loi 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, déposé le 9 octobre 2025, le gouvernement de la CAQ menace de démanteler tout le système québécois de protection des droits de la personne, alors que la Charte des droits et libertés de la personne célèbre ses 50 ans d'existence. Élaboré derrière des portes closes, sans aucun débat ni consultation, ce projet n'a rien d'une constitution. Témoignant d'un autoritarisme mal dissimulé, il risque d'affaiblir les pouvoirs de la société civile. Ainsi, les outils juridiques pour la défense de nos droits et libertés, comme la Charte et la possibilité de contester des lois devant les tribunaux, sont ébranlés. En instrumentalisant la « souveraineté parlementaire » et « les valeurs québécoises », le projet de loi 1 engendre une dérive identitaire dangereuse, comme on n'en a pas vu depuis Duplessis.

Dans une déclaration publiée le 13 novembre dernier, le Barreau du Québec affirme que ces projets de loi « comportent des dispositions qui s'écartent de manière importante des valeurs et des traditions de la société québécoise au profit d'un renforcement du pouvoir de l'État », et craint ainsi une « érosion de l'état de droit au Québec ».

Une dérive dangereuse aux relents trumpistes

Devant la montée de l'extrême droite et de pratiques autoritaristes du pouvoir un peu partout dans le monde, les fondements mêmes de nos systèmes démocratiques sont menacés. Au Québec comme ailleurs, des droits que nous pensions acquis sont mis à mal par des décisions politiques. Dans une logique affairiste et au mépris de la science, les coupures de centaines de postes et les fusions d'établissements dans la fonction publique nous empêchent d'agir de manière pertinente pour protéger nos écosystèmes et le bien commun. Tout ceci facilite l'approbation de grands projets industriels, tout en limitant la possibilité de contrôles environnementaux et liés à la santé publique.

La déclaration récente de François Legault qui, en réponse à l'appel de Donald Trump, positionne le Québec comme un acteur majeur de l'industrie militaire est troublante et représente un virage dangereux pour notre société et la planète. D'autant plus que cette militarisation de l'économie s'associe à des discours et des décisions contre l'immigration et les droits des personnes réfugiées et demandeuses d'asile.

DÉCLARATION DE SOLIDARITÉ ET APPEL À LA MOBILISATION

La baisse des seuils d'immigration, l'annulation du Programme de l'expérience québécoise (PEQ) et le recul des droits des personnes demandeuses d'asile montrent clairement la trajectoire actuelle du gouvernement de la CAQ. Alors que le Québec restreint l'accès au territoire au nom d'une logique utilitariste, il investit parallèlement dans l'industrie militaire, tirant profit des conflits et de la crise climatique qui appauvrissent les populations et les forcent à fuir.

Aujourd'hui, le génocide à Gaza est le symbole brutal des conséquences toxiques engendrées par la complaisance envers un gouvernement raciste et totalitaire, guidé par des objectifs coloniaux : un monde dominé par la peur, la militarisation et l'instrumentalisation et le mépris envers le droit international. Malgré les condamnations de l'ONU, il est honteux que le Québec renforce ses liens diplomatiques et économiques avec Israël et refuse d'accorder la RAMQ aux familles évacuées de Gaza. Ce 29 novembre, à l'occasion de la journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, reconnaissons qu'une atteinte aux droits des un·es est une atteinte aux droits de toutes et de tous.

Défendre et devenir une société solidaire, juste et démocratique

De plus en plus de Québécoises et de Québécois ont du mal à joindre les deux bouts. Partout, la crise du logement et de l'itinérance a pris une ampleur alarmante. La situation touche encore davantage les peuples autochtones. En même temps, à l'heure où la planète arrive à un point de bascule, la CAQ impose des reculs en matière de législation et de réglementation environnementales. En dépit de l'urgence des problèmes qui devraient nous préoccuper, le gouvernement détourne l'attention de ses propres faillites en cherchant des boucs émissaires, comme les personnes migrantes et immigrantes et les minorités religieuses. Au lieu de chercher à résoudre les sources des problèmes sociaux, il s'attaque et suspend le financement de groupes qui œuvrent à l'amélioration de la société.

Nous avons à cœur un Québec qui choisit la solidarité plutôt que l'exclusion, le respect plutôt que la répression, la dignité plutôt que la peur, la justice sociale plutôt que la concentration des richesses entre les mains d'une poignée de privilégié·es. Le Québec que l'on veut est ancré dans des valeurs de solidarité, d'équité et de justice sociale et aura besoin d'être à l'écoute de toutes les voix, dans leur si belle diversité, et dans le respect de cette dissidence rebelle, critique et libre qui a longtemps teinté l'image du Québec.

L'hiver sera chaud ! Le 29 novembre prochain, descendons dans la rue pour protéger la vision de la société québécoise que l'on veut. Une société plus juste, plus égalitaire et plus inclusive.

Auteurs et autrices de la déclaration :

Zahia El-Masri, Travailleuses et travailleurs pour la Palestine
Laurence Guénette, Ligue des droits et libertés
Bertrand Guibord, Conseil central du Montréal métropolitain─CSN
Marc-Édouard Joubert, Conseil régional FTQ Montréal métropolitain
Amir Khadir, ex-député de Québec solidaire
Yasmina Moudda, Alternatives
Amélie Nguyen, Centre international de solidarité ouvrière (CISO)
Roger Rashi, militant
Patricia Vinci, militante féministe et communautaire Amel Zaazaa, Observatoire pour la justice migrante

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Des organismes de la société civile québécoise dénoncent la militarisation de l’économie aux dépens de la transition écologique et de la justice sociale

18 novembre, par Collectif — ,
Montréal, le 11 novembre 2025 - Des organismes de la société civile québécoise expriment leur profonde inquiétude face aux récentes déclarations du premier ministre François (…)

Montréal, le 11 novembre 2025 - Des organismes de la société civile québécoise expriment leur profonde inquiétude face aux récentes déclarations du premier ministre François Legault
concernant sa volonté de positionner le Québec comme acteur majeur de l'industrie militaire.

Cette orientation, qui s'inscrit dans la lignée de l'augmentation massive des dépenses militaires annoncée par le gouvernement fédéral, représente un virage dangereux pour notre société et notre planète. Alors que le premier ministre Legault dévoile ses priorités économiques axées sur l'industrie de la guerre et la fabrication d'équipements militaires, les organisations signataires rappellent que ces choix se font au détriment d'investissements essentiels dans la transition écologique, la lutte contre les changements climatiques et le filet social dont la population a cruellement besoin.

« Il est profondément troublant de voir nos gouvernements miser sur l'industrie militaire comme moteur économique, alors que plus d'armements ne sont jamais gage de plus de sécurité. Bien au contraire, cela augmente le risque de guerres de plus en plus dévastatrices. », déclare Michèle Asselin, directrice générale de l'AQOCI.

« Opérant souvent dans l'opacité sous prétexte de sécurité nationale, l'industrie militaire échappe aux mécanismes habituels de surveillance démocratique et de transparence. Est-ce vraiment là que nous souhaitons investir nos ressources collectives, plutôt que dans la construction d'un monde plus équitable et durable ? », renchérit Yasmina Moudda, directrice générale d'Alternatives.

«

Contrairement aux affirmations du premier ministre Legault, l'industrie militaire n'est pas un vecteur efficace de création d'emplois », poursuit Martine Éloy du Collectif Échec à la guerre. « Chaque dollar investi dans le secteur militaire crée moins d'emplois que le même dollar investi dans les services publics ou les énergies renouvelables. Nous assistons à un choix politique délibéré qui favorise les profits de l'industrie de l'armement au détriment du bien-être collectif. »

« C'est la première fois au Québec que l'on prévoit valoriser de la sorte de l'argent public dans l'industrie de l'armement, et M. Legault le fait de façon unilatérale, sans aucune consultation publique ni débat démocratique. Le gouvernement ne s'est pas fait élire sur une plateforme de militarisation de notre économie » déclare Sarah Charland-Faucher, coordonnatrice du Carrefour international bas-laurentien pour l'engagement social (CIBLES).

Les organismes signataires rappellent l'impact environnemental considérable de l'industrie
militaire, qui représente aujourd'hui 5,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre
selon l'Observatoire des conflits et de l'environnement. Ces émissions ne sont généralement
pas comptabilisées dans les bilans nationaux, ce qui masque leur contribution significative à la crise climatique.

« De plus, la course aux minéraux critiques nécessaires à la production de
matériel militaire relancera l'extractivisme au Québec et ailleurs dans le monde, ce qui risque
d'entraîner une criminalisation et une répression des défenseurs et défenseuses des territoires, en particulier les peuples autochtones » ajoute Amélie Nguyen, coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière.

« La sécurité véritable de nos populations ne passe pas par la fabrication d'avions de combat,
de drones ou de sous-marins, mais par la construction de sociétés résilientes, justes et
écologiques », conclut Valérie Delage, directrice générale du Comité de Solidarité/Trois
Rivières. « Nous appelons les gouvernements québécois et canadien à revoir leurs priorités et à investir dans un avenir de paix et de justice sociale plutôt que dans une économie de guerre qui ne profite qu'à une minorité. »

Liste des signataires :
Michèle Asselin, Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)
Sarah Charland-Faucher, Carrefour international bas-laurentien pour l'engagement (CIBLES)
Valérie Delage, Comité de Solidarité/Trois-Rivières
Martine Éloy, Collectif Échec à la guerre
Yasmina Moudda, Alternatives
Amélie Nguyen, Centre international de solidarité ouvrière (CISO)

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Le rôle de l’action publique dans la précarisation du travail : des travailleurs migrants temporaires pour des emplois permanents

18 novembre, par Sid Ahmed Soussi — ,
Sid Ahmed Soussi, professeur au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal, membre du Centre de recherche sur les innovations sociales (Crises) et membre du (…)

Sid Ahmed Soussi, professeur au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal, membre du Centre de recherche sur les innovations sociales (Crises) et membre du Groupe interdisciplinaire et interuniversitaire de recherche sur l'emploi, la pauvreté et la protection sociale (Gireps).

Article tiré de Fractures, Le Bulletin des membres de l'IRIS, Volume 11, numéro 1

La dernière décennie a vu l'explosion statistique des migrations temporaires du travail au Canada et dans le monde. Dans la plupart des pays de l'OCDE, le nombre de travailleuses et de travailleurs migrant·es temporaires (TMT) est plus important que celui des immigrant·es admis·es comme résident·es permanent·es : ils et elles représentent près de 75 % des migrations du travail.

Deux modèles sont repérables en matière de migrations internationales du travail. D'un côté, il y a celui en vigueur aux États-Unis et dans la plupart des pays européens. Il fonctionne, formellement, sur la base des besoins en main-d'œuvre qualifiée et/ou spécialisée, parfois en cas de pénurie locale attestée. De l'autre, il y a le modèle en vigueur en Australie, au Royaume-Uni et au Canada depuis 2002. Celui-ci est fondé sur une sélection des travailleurs et des travailleuses à partir de quotas préalablement fixés et tient compte de la situation familiale, de la maîtrise de la langue du pays d'accueil et de la formation professionnelle. Dans ce modèle, le solde en terme de main-d'œuvre peu spécialisée est étroitement encadré par des dispositifs juridico-administratifs, comme c'est le cas des programmes d'immigration temporaire canadiens. [1]

UN CAS DE RÉGULATION TYPIQUE : L'ACTION PUBLIQUE AU QUÉBEC ET AU CANADA

Au Canada, le Programme de mobilité internationale (PMI) encadre, au niveau fédéral, les « emplois à rémunération éle­vée » pour une main-d'œuvre hautement qualifiée, pour qui l'accès à la résidence permanente est facilité. Cette politique se fonde sur le salaire médian comme référence pour distinguer ce programme du Programme des travailleurs étrangers tempo­raires (PTET), dans le cadre duquel les salaires sont bas. Ainsi, c'est parle PMI qu'est recrutée l'élite des salariée·s hautement qualifié·e·s, notamment par les entreprises et les universités pour combler des emplois à haute intensité technologique ou d'encadrement de haut niveau.

Deux constats ressortent. D'abord, ces programmes accordent une grande flexibilité aux employeurs en matière de main-d'oeuvre [2] et apparaissent comme des « pick-your-own labor »* [3] parce qu'ils proposent des mécanismes de contrôle et de recrutement de la main-d'œuvre basés sur le genre, l'ethni­cité et la nationalité des employée-s, d'où leur caractère inter­sectionnel [4] en termes de segmentation sociale sur les lieux de travail. Ensuite, ces programmes mettent en œuvre un système de concurrence entre les États fournisseurs de main-d'œuvre et favorisent les pratiques de country surfing par les employeurs.

PRÉCARISATION ET INTERSECTIONNALITÉ

Les conséquences des politiques publiques en matière de migrations internationales s'imposent en deux tendances lourdes, soit la précarisation des travailleurs et des travailleuses ainsi que le caractère intersectionnel des inégalités d'accès en emploi auxquelles ils et elles font face.

La première tendance, la précarisation, a cours à l'échelle locale et comprend deux effets pervers. D'une part, on assiste à un processus de « segmentation de l'emploi », avec la désyn­dicalisation résultant de facto de la désagrégation des rapports collectifs de travail dans les secteurs visés, à l'instar de celui de l'industrie agroalimentaire au Québec. [5] D'autre part, on est témoin de discrimination en matière de droits fondamentaux du travail entre salarié·e·s résident-e·s et TMT, une conséquence de l'éclatement des statuts de la main-d'œuvre migrante tem­poraire en une multitude de sous-statuts qui se traduit aussi par un processus de précarisation institutionnelle.

Pour les TMT, tout se passe comme si un emploi précaire, des relations de travail assujettissantes et un statut institutionnel délétère constituaient un état juridiquement construit, administrative­ment encadré par l'action publique et économiquement géré par l'employeur (que ce soit des entreprises, des agences de recrutement et de placement ou des ordres professionnels). Ainsi, ces dispositifs juridico-administratifs réglementant les conditions de séjour et de travail des TMT renvoient à ce que plusieurs travaux qualifient de discrimination systémique, voire de « racisme institutionnel »" [6], tant ces dispositifs contribuent à produire et à réinstituer des inégalités systémiques dans les lieux du travail des TMT à travers des rapports sociaux racisés.

La deuxième tendance est que l'action publique participe d'une nouvelle figure de la division internationale du travail. [7] Elle reconfigure les dynamiques migratoires en permettant aux entreprises d'internaliser en permanence des ressources humaines temporaires pour des activités non externalisables, car géographiquement fixes. Elle s'appuie sur un modèle poli­tico-administratif géré par l'État, qui affranchit les entreprises des coûts des dispositifs de protection sociale (assurance mala­die, normes de sécurité au travail, régime de retraite) et prive les TMT des divers avantages socioéconomiques auxquels ont accès les autres salarié·e·s.

Au-delà de ces constats se pose la question des conséquences sur la dérégulation de l'emploi par l'émergence de zones grises du travail où la relation d'emploi est opaque. Un constat socio­logique bien documenté est que les espaces de travail des TMT drainent également d'autres catégories de main-d'œuvre pré­carisées, parce qu'elles sont composées en grande partie de travailleuses et de travailleurs migrant:e·s et enfermé·e·s dans des statuts aussi multiples que fragiles. Ces caractéristiques sociologiques prennent une dimension intersectionnelle plus complexe en se conjuguant avec d'autres : cette main-d'oeuvre comprend aussi d'importantes proportions de femmes et de jeunes en situation de précarité et dont les flux renforcent ce réservoir dans lequel les employeurs-recruteurs puisent à volonté pour alimenter leur « valeur ajoutée ».

DES ZONES GRISES DU TRAVAIL

En dernière analyse, les conséquences du recours accéléré aux TMT qui viennent d'être nommées contribuent elles-mêmes à la formation de zones grises du travail à trois niveaux.

Le premier niveau est local : les emplois dans lesquels sont confinés les TMT sur la base des principes de la circularité, de la durée temporaire et du permis nominatif- qui interdit aux employé-e·s de changer d'employeur-produisent un rap­port salarial singularisé combinant migration, emploi précaire et relation de subordination individualisée, caractéristiques propres au travail non libre documentées dans plusieurs travaux". [8]

Le second niveau renvoie aux effets globaux de ces flux qui constituent une figure nouvelle de la division internationale du travail actuellement à l'œuvre. La différenciation systématisée et institutionnalisée des TMT entre travailleuses et travailleurs hautement qualifié-e-s d'un côté et « peu spécialisé·e·s » de l'autre, qui prévaut au Canada comme dans plusieurs autres pays, renforce de facto les inégalités socioéconomiques concréti­sant des rapports sociaux de classes. il y a d'un côté une sorte de « superclasse transnationale » - ou « classe dénationalisée » [9] ­bénéficiant des avantages qu'offrent les pays d'accueil et, de l'autre, des travailleurs locaux (TMT et salarié-e·s résidente·s) enfermés dans des systèmes de gestion du capital humain sur la base de la nationalité.

Le troisième niveau de zones grises du travail renvoie au rôle de l'État et à son ambivalence, c'est-à-dire qu'un État est d'abord préoccupé par la dynamique des marchés visant à réduire les obstacles aux entreprises dans la gestion de leurs ressources ... humaines. L'État assure l'intégration et la per­formance du « capital humain » sur le marché, mais reste en retrait dans la protection des TMT contre les abus dans les milieux du travail.

*« main-d'euvre à volonté » (traduction libre).


[1] Sid Ahmed SOUSSI, « Migrations intemationiales, action publique et zones.grises du travail », Chronique internationale de l'IRES, décembre 2024, n° 188, p. 25

[2] Ibid

[3] Kerry PREIBISCH, « Pick-Your-Own Labor : Migrant workers and flexibility. in Canadian agriculture », International Migration Review, vol. 44, n" 2, 2018, p. 404441.

[4] Marta ROCA I ESCODA, Farinaz PASSA et Éléonore LÉPINARD, L'intersectionnalité : enjeux théoriques et politiques, Paris, La Dispute, 2016.

[5] Sid Ahmed SOUSSI, « Territoires et migrations du travail à l'épreuve des chaînes de valeur régionalisées des entreprises : le cas de l'industrie agroalimentaire au Québec », dans Patrice CARO et Agnès CHECCAGLINI éd., Territoires et parcours. De nouvelles trajectoires d'emploi et de formation à l'épreuve des territoires ?, Céreq, 2023, P. 377-385, https://books.openedition.org/cereq/3025.

[6] Valérie SALA PALA, Faut-il en finir avec le concept de racisme institutionnel ? Regards sociologiques,no 39, 2010, P. 31-47.

[7] Sid Ahrried Soussi, 2024 ; op ; cit.

[8] Judy FUDGE et Kendra STRAUSS ; « Migrants, unfree labour, and the legal constrution of domesticc servitude » dans C. COSTELLO et M. FREBD[AND (dir.), Migrants at Work, Oxford University Press, 2014, p. 160-179.

[9] Saskia SASSEN, La globalisation : une sociologie, Paris, Gallimard, 2009

« Prise d’otage » ? Quand une juge déconstruit la propagande anti-grève

https://www.pressegauche.org/IMG/pdf/2025_qctat_synd._des_chauffeurs_d_autobus_ope_rateurs_de_me_tro_et_ye_s_des_services_connexes_s.l._1983_scfp_c__stm_et_als.pdf?53774/7f25121868e058a09123f408dff07663a01f909ba6f3643bba54bcc5a43a1b7118 novembre, par Martin Gallié — ,
Le tribunal administratif du travail du Québec (TAT) n'a pas pour vocation, pas plus que pour réputation d'ailleurs, de constituer l'avant-garde de la révolution socialiste. (…)

Le tribunal administratif du travail du Québec (TAT) n'a pas pour vocation, pas plus que pour réputation d'ailleurs, de constituer l'avant-garde de la révolution socialiste. Pourtant, à écouter ce jeudi 13 novembre 2025, l'ancien avocat patronal et actuel ministre du travail Jean Boulet au micro de Patrick Masbourian, le chroniqueur vedette de Radio Canada, on aurait pu croire que la juge Karine Blouin avait déclenché une véritable insurrection judiciaire. C'est tout simplement que malgré l'intense campagne de propagande déployée par le gouvernement, avec le soutien actif des médias privés et publics, elle a confirmé la légalité de la grève de deux jours des chauffeurs et chauffeuses de la Société du transport de Montréal (STM), prévue samedi 15 et dimanche 16 novembre.

La grève n'aura finalement pas lieu, l'exécutif syndical des chauffeurs ayant accepté une entente de principe le vendredi, la veille de son déclenchement. Mais la manière dont la juge a disposé des arguments du patronat et des "parties intervenantes" au tribunal (voir pièce jointe), mérite d'être explicitée car ce sont les mêmes qui nous sont systématiquement assénés à longueur de journées, sans aucun recul ni nuance dès qu'une grève « dérange » et « prend la population en otage ».

La propagande

Pour prendre le dernier exemple en date, avant de s'en prendre aux chauffeurs et chauffeuses de la STM, les médias privés ont de nouveau rempli avec zèle les attentes de leurs bailleurs de fonds en s'acharnant sans relâche contre les mécanicien·nes et les employé·es de l'entretien de la STM en grève depuis le 1er novembre, contre ces « syndiqués privilégiés », cette « aristocratie » des temps modernes, tandis que Patrick Masbourian par exemple, a consacré un temps d'antenne publique considérable à nous informer du « chaos » que provoque les « grévistes irresponsables ». En revanche, leurs revendications, contre le recours à la sous-traitance ou pour la défense d'un service public, comme la responsabilité de la direction de la STM et du gouvernement dans ce conflit ont été largement ignorées.

Alors face à cette propagande anti-grève, que n'aurait probablement pas reniée la presse Trumpiste (ou Poutinienne pour celles et ceux qui la préfèrent), face aux suppliques larmoyantes du charitable Gouvernement Legault qui n'a cessé d'implorer tant les mécaniciens, le personnel d'entretien que les chauffeurs, de penser « aux personnes vulnérables », aux « plus démunis », aux « retraités isolés » et à toutes ces « victimes » de ces arrêts de travail « dramatiques », ce jugement à l'immense mérite de nous ramener sur terre et de redéfinir les termes d'un débat devenu complètement délirant.

Le jugement

Dans sa décision du 12 novembre, la juge Blouin a simplement considéré que l'entente sur les services essentiels conclue entre le syndicat des chauffeurs et la STM en avril dernier était toujours valide. En d'autres termes, en novembre, comme six mois auparavant, une grève des chauffeurs de bus et de métro, pendant deux jours, ne constitue pas un danger pour la santé ou la sécurité publiques (art.111.0.19 du C.tr.). Il n'y a donc absolument aucune raison de restreindre davantage encore le droit fondamental de grève. C'est tout.

Pour enfoncer le clou son jugement rappelle que la direction de la STM avait accepté cette entente après d'intenses négociations, après la consultation de nombreux experts, après l'étude de multiples scénarios sur les habitudes de déplacements des usagers, après qu'Urgence Santé a confirmé que la grève n'avait aucun impact prévisible sur la santé. Et la juge souligne au passage « qu'aucun problème mettant en danger la santé ou la sécurité publique n'a été signalé » lors des précédentes journées de grèves des mécaniciens et des employés de l'entretien de la STM, en juin dernier et en novembre.

Mais en dépit donc de l'absence de tout élément nouveau justifiant « un changement de cap », excepté selon la formule de la juge « une certaine confusion découlant de propos rapportés par les médias », elle a judiciairement été tenue d'examiner, un par un, les "nouveaux" arguments présentés par le patronat et les autres parties intervenantes.

Les arguments des parties

Alors revenons sur ces arguments repris et martelés ad nauseam dans les médias par des journalistes sans aucun esprit critique.

C'est d'un revers de main, que la juge a balayé l'argumentaire déployé par l'employeur, la Société du transport de Montréal (STM), qui s'appuyait pourtant sur « des extraits de sites Internet (…), des entrevues réalisées à la radio ou à la télé et des plaintes reçues sur ses réseaux sociaux » pour faire la preuve du cataclysme à venir, selon lui. La juge a logiquement considéré que ces revues médiatiques qui traitent du « mécontentement et des désagréments » vécus par une partie de la population, relèvent ni plus ni moins « de l'ordre du ouï-dire ou de l'opinion ».

Avec la même lucidité, elle a écarté l'outrancier plaidoyer de l'Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) qui la suppliait d'« intervenir en prévention avant que la grève ne se termine en bain de sang » ! Elle n'a pas non plus tenu compte : (1) des « curieux » qui participeront peut-être aux « portes ouvertes de la section du REM de la ligne de Deux-Montagnes » pendant la fin de semaine ; (2) des travailleurs et travailleuses de l'aéroport de Montréal qui pourraient arriver en retard au travail ; (3) des touristes des îles St-Hélène et de Notre -Dame qui risquent de faire un malaise en se promenant le long des berges samedi ou dimanche ; (4) des bénéficiaires des banques alimentaires qui devront, peut-être, faire davantage encore la file pour récupérer un panier d'épicerie solidaire, la semaine suivant la grève. Dans la foulée, elle a refusé de prendre en considération la très hypothétique augmentation d'accidents en raison de « la présence de cyclistes inexpérimentés » obligés de prendre le vélo, de même que les risques de « débordements sur la place publique qui pourraient être causés par les partisans des Canadiens de Montréal »…

Après examen, tout bien pesé, la juge a tranché que les parties intervenantes n'avaient pas apporté la moindre preuve d'éléments nouveaux justifiant d'encadrer davantage encore la grève. Et donc, au final, son jugement conclut qu'il n'existe aucun « danger », aucune « menace évidente, imminente, réelle pour la vie, la sûreté, la santé ou la sécurité de la population ». En contre point et au risque d'irriter davantage encore le gouvernement, la juge a tenu à rappeler que les chauffeurs et les chauffeuses "bénéficient du droit de faire la grève", qui est un droit fondamental, constitutionnalisé.

Les réactions

Pour Jean Boulet, tenu par un devoir de réserve nous dit-il, il s'agit là d'une décision « très, très étonnante » fondée sur un « cadre juridique déconnecté des réalités humaines et sociales que nous vivons… ». Et cette interprétation est amplement relayée et appuyée par les médias qui s'interrogent sur la « cohérence de la décision », sans l'avoir lue de toute évidence ou en choisissant délibérément d'ignorer le travail et l'argumentaire de la juge Blouin. [1] Les journalistes stipendiés se félicitent alors de l'adoption de la Loi 14 qui permettra enfin au Gouvernement de garantir le « bien-être de la population », et ce dès le 30 novembre 2025, en faisant interdire toute grève qui « dérange » et autres « prise d'otage de la population ».

Pour cette bourgeoisie qui voit dans les restrictions aux libertés publiques et aux droits syndicaux en particulier la solution à tous les problèmes sociaux, la suppression du droit de grève apparait comme un remède miraculeux. Et tout est fait pour y croire. De fait, à peine le syndicat avait-il annoncé que la grève n'aurait pas lieu, que les travailleurs de l'aéroport de Montréal, les personnes vulnérables, les problèmes d'accès aux services d'urgence, les files d'attentes devant les banques alimentaires, les retraités isolés, les partisans des Canadiens éméchés avaient disparus du discours gouvernemental et donc de celui des médias dominants, comme par enchantement.

La bourgeoisie se met ainsi croire à sa propre propagande. Elle s'étonne ensuite voire s'effraie parfois, de l'explosion des inégalités et de la "dérive autoritaire" du Gouvernement Legault. C'est par exemple le cas du Barreau du Québec qui s'inquiète de "l'érosion de l'État de droit". Le très prudent Ordre professionnel des avocat·es du Québec prend cependant bien soin de ne pas inclure le droit de grève et la loi 14 dans la liste des "dispositions qui entravent significativement la capacité des citoyens et des citoyennes à faire valoir leurs droits". Le barreau peut certes dénoncer les atteintes à la liberté d'expression et à la démocratie libérale mais il ne peut quand même pas se mettre à dos les grands cabinets d'affaires et d'employeurs, en défendant activement le droit de grève. [2]

Pendant ce temps cependant, en dehors des radars de ce qui se fait passer pour un service public d'information, la riposte contre ces "dérives autoritaires" commence à s'organiser, un peu partout. Aux États-Unis, exception faite de quelques décisions judiciaires audacieuses isolées, provenant de juridictions inférieures, cette riposte a surtout pris la forme de mobilisations historiques (No Kings) et de l'élection, avec le soutien des syndicats, de candidat·es socialistes ouvertement engagé·es dans la défense des services publics et des droits des travailleurs et des travailleuses. Ce fut notamment le cas avec l'élection de Zohran Mamdani à New York ou plus récemment encore avec celle de la syndicaliste Katie Wilson à Seattle.

Les centrales syndicales québécoises quant à elles refusent toujours de s'engager ouvertement sur le terrain politique. Elles ont notamment réussi l'exploit d'ignorer complètement les élections municipales de Montréal, alors même que des milliers d'employé·es municipaux avaient adopté des mandats de grève. Mais sous la pression de la base (et peut-être aussi en raison des attaques du gouvernement contre les cotisations syndicales), les centrales amorphes jusque-là sont progressivement contraintes de se réveiller. La première manifestation intersyndicale depuis plus de deux ans est ainsi prévue le 29 novembre 2025, place du Canada, à 13h30.

Martin Gallié,
Délégué du SPUQ au Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN).


[2] Ce sont d'ailleurs ces cabinets d'employeurs, "de concert avec les régimes les plus autoritaires" pour reprendre la formule d'Alain Supiot, qui s'attaquent en ce moment même au droit de grève devant la Cour internationale de justice.

Les mouvements sociaux et la COP 30 : alliances transnationales contre l’offensive extractiviste mondiale

18 novembre, par Maureen Zelaya Paredes, Pedro Ramiro — , ,
Alors qu'à Belém, les promesses creuses se répètent, une multitude de mouvements sociaux, indigènes et écologistes promeuvent, à partir de divers espaces de rencontre, un (…)

Alors qu'à Belém, les promesses creuses se répètent, une multitude de mouvements sociaux, indigènes et écologistes promeuvent, à partir de divers espaces de rencontre, un programme internationaliste contre l'extractivisme et pour la justice climatique.

https://www.elsaltodiario.com/transicion-ecosocial/movimientos-sociales-alianzas-transnacionales-ofensiva-extractivista-global

11 novembre 2025

Il y a du mouvement à Belém. D'un côté, lors du sommet officiel, qui a été inauguré hier et durera deux semaines, les délégations des différents pays débattront de la possibilité d'avancer en matière d'atténuation, de financement et de mécanismes pour une transition juste. De l'autre, dans les différents forums et espaces de rencontre, des organisations et des collectifs sociaux venus du monde entier, en particulier d'Amérique latine, tenteront ces jours-ci de revitaliser les alliances internationalistes pour faire face à l'offensive extractiviste mondiale.

En réalité, il ne faut pas attendre grand-chose du premier groupe. Depuis trop longtemps, les COP sont devenues un rituel où défilent les principaux dirigeants mondiaux – cette fois-ci, même ceux des pays les plus pollueurs (Chine, États-Unis, Inde, Russie) n'y ont pas participé – pour faire de solennelles déclarations d'intention et promouvoir de nouveaux mécanismes qui, une fois le rideau tombé, ne se traduisent pas concrètement en calendriers et en budgets. « Nous ne voulons pas que ce soit un marché aux produits idéologiques, nous voulons quelque chose de très sérieux et que les décisions soient mises en œuvre », a déclaré le président brésilien, reconnaissant l'inefficacité de sommets qui oscillent entre le greenwashing et le business as usual.

Dans le 2e groupe, cependant, il est possible de trouver un regain d'espoir. Parallèlement à la COP 30 – on pourrait même dire en opposition au sommet officiel –, une multitude d'organisations et de mouvements indigènes, écologistes, syndicaux, féministes et anticapitalistes se sont réunis à Belém pour repenser leurs stratégies et relancer les instances internationales afin de renforcer les processus de lutte et de résistance. Après l'expérience du Forum social mondial et dans le but de surmonter les contradictions des gouvernements progressistes, l'objectif est de promouvoir des processus d'auto-organisation communautaire qui reconstruiraient le tissu social et regarderaient au-delà des exigences permanentes envers l'État.

Sommets des peuples

Les Sommets des peuples se tiennent depuis trente ans parallèlement aux sommets sur le climat organisés par les Nations Unies. Cette année, après trois éditions de la COP organisées dans des pays caractérisés par la criminalisation du droit de manifester et la persécution des militant·es et des organisations critiques à l'égard des gouvernements, les collectifs sociaux ont manifesté un regain d'intérêt pour ce forum. À Cúpula dos Povos, à Belém, seront présent·es des représentant·es de plus de 1 200 organisations du monde entier, qui se rassembleront autour d'un objectif : « Renforcer la mobilisation populaire et converger vers des programmes unifiés : socio-environnementaux, anti-patriarcaux, anticapitalistes, anticolonialistes, antiracistes et fondés sur les droits humains », peut-on lire dans le manifeste.

Le Sommet des peuples débutera demain, 12 novembre, par une marche fluviale réunissant plus de 200 embarcations et quelque 5 000 personnes. Avec cette caravane nautique, les mouvements qui participent à ce sommet alternatif « s'unissent pour faire résonner, à travers les eaux, le cri de dénonciation contre les décisions de la COP qui perpétuent ce modèle d'exploitation territoriale ». Comme l'a déclaré l'un des porte-parole de l'initiative, « les eaux de l'Amazonie apportent les voix que le monde a besoin d'entendre : les voix de ceux et celles qui défendent la vie, les territoires et le climat ».

Les dizaines de conférences, d'ateliers et d'assemblées qui se dérouleront pendant quatre jours dans le cadre du Sommet des peuples culmineront le samedi 15 novembre avec une grande manifestation, qui s'accompagnera d'actions décentralisées dans de nombreux autres pays. Le dimanche 16, les revendications du Sommet des peuples seront présentées lors de la session plénière de la COP.

Lors de cet événement, le plus important de tous ceux qui rassembleront des militant·es et des organisations sociales autour de la COP 30, l'un des thèmes qui fera sans aucun doute l'objet de débats est celui des relations entre les mouvements et les gouvernements progressistes. Il y a trois semaines, sans aller plus loin, la compagnie publique Petrobras a reçu l'accord du gouvernement Lula pour exploiter du pétrole en eaux profondes à environ 500 km de l'embouchure du fleuve Amazone. Dans une ville décorée pour l'occasion de milliers d'affiches publicitaires colorées soulignant l'importance de la protection de l'Amazonie, le fossé entre le discours habituel du capitalisme vert et l'urgence toujours reportée de transformer le modèle primaire-exportateur sera une nouvelle fois mis en évidence.

Mais ce forum n'est pas le seul à se tenir à Belém en marge des initiatives parrainées par le gouvernement brésilien. Du 8 au 11 novembre, les IIe Rencontres écosocialistes latino-américaines et caribéennes ont réuni deux cents militant·es de base de nombreux pays afin de réfléchir, à partir de l'expérience des luttes contre le pillage territorial, aux stratégies permettant de renforcer un front commun internationaliste capable de faire face à la crise socio-écologique. Parallèlement, du 7 au 12 novembre, s'est tenue la IVe Rencontre internationale des personnes touchées par les barrages, fruit d'un processus de coordination internationale des luttes communautaires contre les grandes centrales électriques qui existe depuis déjà trois décennies.

Les peuples contre l'extractivisme

Sur une planète en proie à l'urgence climatique et aux inégalités extrêmes générées par le capitalocène (et par des politiques qui maquillent le capitalisme en vert), différentes voix de résistance au modèle extractiviste se sont jointes à la coalition Pueblos contra el Extractivismo (Peuples contre l'extractivisme). Cet espace a été créé à Belém le 9 novembre dernier afin d'unir et de coordonner les mouvements, les communautés et les organisations qui luttent contre la spoliation et misent sur une transformation profonde du système qui menace la vie et les territoires.

Ce réseau international regroupe principalement des expériences d'Amérique latine et d'Europe, mais s'engage à étendre sa présence au continent africain. La coalition est composée de mouvements de base, de peuples autochtones, d'afro-descendant·es et de paysan·nes, ainsi que de diverses organisations sociales de masse. Tous et toutes luttent, sur différents fronts, contre un même ennemi : le modèle extractiviste qui perpétue la surexploitation continue des biens communs et l'expansion des frontières productives vers des territoires considérés comme « improductifs ». Cela ne se limite pas à l'exploitation minière ou pétrolière, mais inclut également les monocultures, l'agro-industrie, les biocarburants et les mégaprojets énergétiques qui consolident un modèle dépendant et génèrent une reprimarisation des économies périphériques.

Pour ce réseau, l'extractivisme n'est pas seulement une pratique économique, mais aussi une forme d'organisation du pouvoir au sein des démocraties libérales et un mécanisme de domination qui conditionne la vie des communautés. Dans cette nouvelle phase d'accumulation capitaliste, la spoliation des peuples et de leurs territoires – cyniquement transformés en zones de sacrifice – s'impose, désormais justifiée au nom de la transition énergétique. Dans le capitalisme vert militaire, l'Union européenne, les États-Unis et la Chine se disputent le contrôle des minéraux essentiels au maintien du métabolisme économique du centre capitaliste. Dans cette course effrénée pour s'assurer l'accès aux matières premières critiques, qui ne représente aucun progrès réel dans la transition écosociale, l'exploitation minière s'impose actuellement comme l'expression la plus violente de l'extractivisme : militarisation, déplacements forcés, racisme, criminalisation et même assassinats de ceux qui défendent les biens communs.

L'alliance Pueblos contra el Extractivismo (Peuples contre l'extractivisme) défend l'idée que la protection des habitats et des écosystèmes est indissociable de la lutte contre l'offensive extractiviste néocoloniale. Cet internationalisme se tisse, pour commencer, dans la dénonciation et le soutien aux peuples de l'Équateur, du Panama et du Pérou, où la répression étatique s'est intensifiée ces derniers mois avec des arrestations arbitraires, la militarisation des communautés et la persécution judiciaire des leaders environnementaux et sociaux. Et parallèlement, face à l'extension de la frontière extractive, elle s'appuie sur la construction d'alternatives à partir de la base.

Les résistances territoriales s'organisent pour défendre l'eau, la terre, les territoires et ceux qui les habitent, en articulant différentes luttes et revendications. En Équateur, les communautés amazoniennes ont freiné des projets pétroliers ; au Panama, le mouvement populaire a réussi à faire annuler une concession minière après des semaines de mobilisation ; au Pérou, les rondas campesinas (patrouilles paysannes) maintiennent vivante la défense collective des biens communs. Ces processus replacent le droit de résister comme une pratique partagée contre le néocolonialisme extractiviste.

La planète et les communautés ne peuvent plus continuer à attendre la bonne volonté des gouvernements qui encouragent la fièvre extractiviste. Face à la spoliation des territoires, à la militarisation et à l'impunité des entreprises, ce réseau internationaliste se propose de renforcer la défense du territoire en tant que corps vivant, car le territoire n'est pas une ressource : il est la base matérielle de la vie des communautés et de la nature qui l'habite et, dans le cas des peuples autochtones, la base spirituelle de la vie. Il défend également le droit à la résistance, à l'autodéfense et à l'autodétermination des peuples, en tant que piliers de la justice environnementale et sociale. Il milite pour la construction d'alternatives communautaires, telles que les économies solidaires, l'autogouvernance, les réseaux féministes et agroécologiques et de nombreuses autres pratiques promues par les organisations de base.

Renforcer les réseaux transnationaux contre-hégémoniques est essentiel pour faire face au pouvoir des entreprises et avancer vers un horizon de vie digne et de justice climatique. Comme le répète Pueblos contra el Extractivismo dans son argumentaire : nos territoires ne se négocient pas, ils se défendent.

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