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Québec solidaire peut devenir l’alternative politique face aux attaques du gouvernement Legault contre la majorité populaire

16 décembre, par Bernard Rioux — ,
Les attaques du gouvernement Legault contre la majorité populaire ne sont ni isolées ni conjoncturelles. Elles s'inscrivent dans un réalignement politique plus large, structuré (…)

Les attaques du gouvernement Legault contre la majorité populaire ne sont ni isolées ni conjoncturelles. Elles s'inscrivent dans un réalignement politique plus large, structuré par le durcissement autoritaire et impérial de la politique américaine sous Trump et par la vassalisation croissante du Canada à cette orientation.

1. Le cours prédateur et la volonté hégémonique de l'actuelle administration américaine

La nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis, fondée sur la militarisation accrue, la domination économique, le contrôle autoritaire des frontières et la défense agressive des intérêts extractifs, exerce une pression directe sur les gouvernements canadien et québécois. Ceux-ci répercutent cette orientation par un virage combinant déréglementation environnementale, répression migratoire, alignement militaire et subordination aux vœux de l'administration américaine.

La nouvelle stratégie du gouvernement américain vise : a) à « recruter, former, équiper et déployer l'armée la plus puissante, la plus redoutable et technologiquement la plus avancée » ; b) à obtenir « la dissuasion nucléaire la plus robuste, la plus crédible et la plus moderne au monde » ; c) à assurer « un contrôle total des frontières et du système d'immigration » ; d) à « veiller à ce que les économies alliées ne soient pas subordonnées à une puissance concurrente » ; e) à assurer la prospérité de la nation, ce « qui ne peut être réalisé sans un nombre croissant de familles traditionnelles et unies, qui contribuent à la naissance d'enfants en bonne santé ». [1]

2. Les conséquences sur le Québec du processus d'inféodation du Canada aux États-Unis

Au Canada, le gouvernement Carney accompagne le nouveau cours du gouvernement américain. Il a, dans un premier temps, répondu aux demandes du président Trump de durcir le contrôle des frontières et de restreindre les possibilités d'immigration sur le territoire canadien. Il a aboli la taxe carbone pour les consommateurs. Il a abandonné le plafond sur les émissions du secteur pétrolier et gazier. Il a adopté un projet de pipeline vers la côte Pacifique, torpillant les objectifs nationaux de réduction de 40 à 45 % des émissions d'ici 2030. Il a supprimé le quota minimal de véhicules électriques imposé aux constructeurs. Il a adopté le projet de loi C-5, qui permet de soustraire tout projet « d'intérêt national » aux normes environnementales. Il a planifié une augmentation massive des dépenses militaires et l'alignement de sa politique commerciale et diplomatique sur Washington, notamment dans la rivalité avec la Chine. Il a entrepris de réduire le nombre de fonctionnaires fédéraux. Ce choix transfère les coûts sociaux et écologiques vers les classes populaires, les femmes, les communautés autochtones et les territoires, tout en consolidant le pouvoir des secteurs extractifs et financiers.

3. Le gouvernement de la CAQ s'inscrit dans une orientation économique et politique marquée par le mépris des droits démocratiques et des conditions d'existence de la majorité populaire

Le gouvernement de la CAQ mène une offensive systématique contre la démocratie et les conditions de vie de la majorité populaire. Son projet de loi no 1 sur la Constitution du Québec, qu'il veut faire adopter, constitue une attaque frontale contre l'État de droit : imposé de manière unilatérale et antidémocratique, il piétine les libertés fondamentales, affaiblit les contre-pouvoirs et perpétue une logique coloniale en escamotant la reconnaissance du droit à l'autodétermination des peuples autochtones. Pendant que la population fait face à une profonde détérioration des services publics, à la crise du logement, à la hausse du coût de la vie et au creusement des inégalités sociales, le gouvernement choisit délibérément de s'en prendre aux droits plutôt que de répondre aux besoins urgents.

Cette orientation autoritaire s'accompagne d'un sabotage conscient de la transition écologique. En niant l'urgence climatique, en démantelant les protections environnementales, en contournant les garde-fous et en se proposant d'abaisser les cibles de réduction des GES, la CAQ sacrifie l'avenir collectif aux intérêts du capital. Les fonds destinés à la lutte contre les changements climatiques sont détournés pour réduire la dette, pendant que la privatisation de l'énergie est encouragée et que le gouvernement a proposé l'accaparement des territoires forestiers par les grandes entreprises, au mépris des droits autochtones. Ces derniers sont parvenus à faire reculer le gouvernement sur ce point.

Fidèle à son rôle de gouvernement au service de la classe dominante, la CAQ distribue des milliards aux multinationales et aux grands groupes industriels sans garanties ni retombées sociales ou créations d'emplois, tout en prétendant manquer de ressources pour les hôpitaux, les écoles, le logement social et la francisation. Cette logique de classe s'étend désormais à la militarisation de l'économie : en voulant faire du Québec un acteur majeur de l'industrie militaire, le gouvernement Legault veut détourner des ressources vitales de la justice sociale et de la transition écologique pour les consacrer à la production d'armes et à l'escalade militaire.

Dans le même temps, la CAQ criminalise les mouvements sociaux, attaque le droit de grève, cherche à réduire l'action syndicale à une simple gestion technocratique des conventions collectives et restreint l'accès à l'immigration et aux programmes d'intégration.

Incapable d'assumer la responsabilité de ses politiques néolibérales, d'austérité et de privatisation, le gouvernement désigne les personnes immigrantes comme boucs émissaires des crises du logement, de la santé et de l'itinérance. Sous couvert de « protection du français » et de « laïcité », il attise les divisions, normalise la discrimination — en particulier envers les personnes racisées, arabes et musulmanes — et tente de reconstruire sa base électorale sur la peur et le repli identitaire. Cette stratégie vise à masquer une réalité fondamentale : ce ne sont ni l'immigration ni la diversité qui détruisent le Québec, mais bien un projet politique autoritaire, néolibéral et antisocial qu'il est urgent de combattre collectivement.

4. La nécessaire construction d'un front commun de résistance… et la discussion sur les stratégies pour bloquer l'offensive caquiste

a) Participer à la construction d'un front uni contre les attaques du gouvernement Legault
Face à cette convergence des droites — fédérale, provinciale, économique et idéologique — aucune lutte sectorielle isolée ne peut suffire. La riposte doit prendre la forme d'un front uni des mouvements sociaux, rassemblant syndicats, groupes communautaires, mouvements féministes, écologistes, autochtones, étudiant·es et organisations de défense des droits. Ce front ne peut se limiter à une coordination ponctuelle : il doit se structurer autour d'un diagnostic commun, d'un programme de rupture et d'une stratégie visant à construire un rapport de forces capable de bloquer politiquement et socialement l'offensive en cours.

Dans ce contexte, la « grève sociale contre les politiques du gouvernement Legault » apparaît comme un outil central. La grève sociale ne doit pas être conçue comme un simple arrêt de travail, mais comme une mobilisation collective élargie qui articule le travail salarié, le travail du care, les services communautaires, les groupes féministes, les artisan·es de la culture, les minorités immigrantes et les peuples autochtones. Une grève sociale commune permet de rendre visible ce que l'État et le capital invisibilisent : sans le travail des travailleuses et travailleurs, sans les femmes, sans les communautés et sans les services publics, ni l'économie ni la société ne peuvent fonctionner. Elle permet aussi d'inscrire la lutte sur le terrain politique et démocratique.

Cette grève sociale doit porter des exigences claires : arrêt de la déréglementation environnementale, réinvestissement massif dans une transition écologique juste, défense des droits sociaux et du logement, refus de la militarisation de l'économie, respect de l'autonomie des communautés et reconnaissance des droits des peuples autochtones. Elle doit également affirmer que la crise climatique et sociale est incompatible avec le modèle extractiviste et néolibéral actuellement imposé.

Dans cette perspective, Québec solidaire a une responsabilité politique particulière. Parce qu'il est issu des mouvements sociaux, parce qu'il articule lutte contre les changements climatiques, justice sociale et démocratie, et parce qu'il refuse l'alignement sur les droites économiques et sécuritaires, Québec solidaire peut et doit se définir comme le défenseur, sur le terrain politique, de ce front uni. Non pas pour se substituer aux mouvements, mais pour amplifier leurs revendications, leur offrir une traduction institutionnelle et préparer une alternative électorale crédible face à la CAQ, au Parti libéral, au Parti québécois et à l'ensemble des forces de droite.

Cette orientation stratégique souligne que Québec solidaire ne saurait négliger l'impact de son insertion dans les mobilisations sociales pour la construction de sa crédibilité politique. Préparer les prochaines élections ne peut donc se faire indépendamment de la mobilisation sociale. Québec solidaire doit chercher à enraciner son projet de société en devenant un parti au cœur des luttes, pour participer à la construction de la grève sociale et de l'unité populaire contre les projets de la classe dominante et des gouvernements à son service.

b) Québec solidaire doit se poser comme le débouché politique incontournable de ce front uni

Si les luttes sur la scène extraparlementaire sont essentielles pour faire reculer le gouvernement Legault et les autres partis liés à la bourgeoisie, il n'en demeure pas moins qu'il faut que le camp populaire pose la question de qui doit diriger cette société s'il veut réellement en finir avec l'offensive actuelle contre ses intérêts.

Relever le défi de défendre activement le projet d'un Québec égalitaire, solidaire, féministe et inclusif ne peut se faire en laissant le pouvoir politique aux mains des partis liés à la classe dominante. S'il faut assumer une défense militante et unitaire contre « les effets dévastateurs de l'austérité caquiste, les politiques antiécologistes et les attaques contre les droits de la majorité populaire », il est tout à fait insuffisant de se contenter « d'interpeller les partis politiques et les candidat·es sur la base des propositions syndicales ou communautaires », vieille stratégie qui a démontré à maintes reprises son inefficacité.

Pour passer à l'offensive, le camp populaire doit se porter candidat au pouvoir politique. Pour parvenir à « sécuriser le revenu tout au long de la vie, à développer l'économie et à créer des emplois de qualité, à consolider les services publics, à lutter contre les changements climatiques et à renforcer la démocratie », c'est l'ordre politique lui-même qui doit être bouleversé.
Si le mouvement syndical québécois et les autres mouvements sociaux veulent assumer leur pleine liberté vis-à-vis des partis politiques liés à la classe capitaliste, nous ne pouvons pas abandonner la lutte pour le pouvoir politique à nos adversaires de classe. Ce serait s'enfermer dans une position défensive qu'il faut à tout prix dépasser pour faire face aux défis posés par l'offensive actuelle de la classe dominante.

Des militantes et militants du mouvement syndical, du mouvement des femmes et des mouvements populaires et étudiants ont lancé Québec solidaire pour défendre un projet de société visant à définir le Québec que nous voulons.

Le mouvement syndical et les mouvements sociaux peuvent, tout en préservant leur autonomie politique et organisationnelle la plus complète, dans le respect de leurs mandats démocratiques, appuyer un parti construit à partir du camp populaire pour en finir avec le pouvoir de la classe dominante et de l'oligarchie politique à son service. Mettre tous les partis politiques dans le même sac, sans discuter de la pertinence d'appuyer un parti au service de la majorité populaire, revient à esquiver des débats essentiels.

Face à l'autoritarisme, à l'extractivisme et à la militarisation, l'enjeu n'est rien de moins que la reconquête démocratique du Québec, la défense des conditions de vie de la population et l'imposition d'un projet écologique et social à la hauteur de la crise historique que nous traversons. Québec solidaire peut et doit être le débouché politique de la résistance aux politiques réactionnaires du gouvernement Legault.

c) Une plate-forme revendicative qui répond aux défis de la majorité populaire

La Commission politique a déterminé les principaux enjeux auxquels devra répondre la plate-forme électorale de Québec solidaire : « coût de la vie et redistribution de la richesse ; logement et habitation ;environnement, transition socioécologique et transports ;santé et services sociaux ;éducation ;indépendance inclusive, féminisme, vivre-ensemble et amour du Québec ; démocratie et droit du travail (lutte contre la dérive autoritaire et défense du syndicalisme) ».
Les débats autour de ces enjeux doivent viser non seulement à définir des revendications précises capables de marquer des ruptures avec les politiques du gouvernement et des partis néolibéraux, mais aussi à établir un ordre de priorité tenant compte du vécu de la majorité et de ses aspirations à améliorer ses conditions d'existence.

La plate-forme électorale devra donc assumer une orientation de lutte, centrée sur la défense des intérêts matériels de la classe ouvrière et des classes populaires, en intégrant explicitement la lutte contre la pauvreté — particulièrement celle des femmes —, la défense des services publics et la lutte contre les discriminations racistes et xénophobes. Cette plate-forme doit renforcer l'unité populaire en s'opposant aux tentatives de division fondées sur le sexisme, le racisme ou le nationalisme conservateur. Les revendications doivent jouer un double rôle : améliorer immédiatement les conditions de vie et ouvrir une dynamique de confrontation avec la classe dominante.

En adoptant la décroissance comme stratégie pour réaliser la transition, la plate-forme ciblera les secteurs économiques les plus polluants et impliquera démocratiquement les populations concernées. De plus, la décentralisation des pouvoirs de l'État vers les régions et les collectivités locales (villes, villages, arrondissements municipaux) leur donnera un véritable pouvoir décisionnel sur les aspects essentiels de la vie quotidienne.

Enfin, la défense des droits démocratiques du mouvement syndical et des organisations de la société civile impliquera d'exiger l'abrogation des lois antidémocratiques et divisives adoptées par le gouvernement de la CAQ au cours de la dernière année, et surtout le retrait du projet de loi no 1 sur la Constitution du Québec, qui vise à limiter les libertés démocratiques et à contourner une véritable démarche de souveraineté populaire.

d) Comment rallier la majorité populaire au projet d'indépendance mis de l'avant ?

Face au carcan que constitue l'État canadien pour la majorité populaire, il n'existe pas de demi-mesures. L'indépendance ne peut se réduire à une dimension identitaire ou culturelle : elle est la condition matérielle d'une rupture réelle avec un État canadien qui sacrifie le territoire, l'environnement, les services publics, les droits démocratiques et les conditions de vie des classes populaires. Sans indépendance, le Québec restera prisonnier d'un régime qui protège les profits des pétrolières, impose des politiques anti-immigration racistes, intensifie la surveillance militarisée et bloque toute transition écologique digne de ce nom.

L'indépendance proposée par PSPP n'est pas une véritable indépendance : le Québec demeurerait assujetti aux politiques de l'empire américain. « Un Québec indépendant devra aligner ses politiques économiques et militaires sur celles des États-Unis, malgré la guerre tarifaire menée par Donald Trump », affirme Paul St-Pierre Plamondon. « Il y a un contexte géopolitique et nos intérêts, au Québec, sont alignés sur ceux des États-Unis », a-t-il déclaré en dévoilant les premiers éléments de son Livre bleu sur un Québec souverain.

Cette vision de l'indépendance implique le refus de remettre en question la société néolibérale, la politique militariste imposée par Washington et le déni de la réalité des changements climatiques. Si le projet d'indépendance accepte l'alignement des politiques économiques et militaires d'un Québec souverain sur celles des États-Unis (adhésion à l'OTAN et au NORAD), il s'agit d'une indépendance néocoloniale, où la souveraineté du peuple est sacrifiée sur l'autel de l'impérialisme américain. L'indépendance du Québec devra être anti-impérialiste, ou elle ne sera pas.

Ce projet du PQ ne permettra pas de rallier une majorité de la population, car il défend un nationalisme identitaire qui divise le Québec entre un « nous » canadien-français et un « eux » étranger. Seule la perspective d'un Québec inclusif, plurinational et intégrant pleinement les Premières Nations dans la démarche indépendantiste peut jeter les bases de la construction d'une majorité pour l'indépendance. Définir l'indépendance comme un avenir indéterminé, comme le propose le PQ, prive la mobilisation indépendantiste d'un ressort essentiel : celui d'un projet de société écologiste, féministe, redistributif et véritablement égalitaire, promettant une amélioration réelle des conditions d'existence et un avenir meilleur pour la majorité populaire. Il ne s'agit pas de poser des conditions à l'indépendance, mais d'identifier les ressorts qui en font une force propulsive.

Des débats importants sont devant nous. Ils ne doivent pas se limiter aux discussions sur le contenu de la plate-forme, aussi importantes soient-elles. Ils doivent aussi porter sur les chemins que devra emprunter la résistance populaire pour bloquer les attaques contre les droits et les conditions d'existence de la majorité, faire face aux politiques de division du camp populaire et identifier les conditions de la construction d'une majorité pour l'indépendance du Québec.

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À propos du livre : Le fascisme tranquille, affronter la nouvelle vague autoritaire

16 décembre, par Jonathan Durand Folco, Pierre Dubuc — , ,
Nous publions ci-dessous un intéressant échange entre Pierre Dubuc, rédacteur de l'Aut'journal et Jonathan Durand Folco à propos du livre de ce dernier, Fascisme tranquille, (…)

Nous publions ci-dessous un intéressant échange entre Pierre Dubuc, rédacteur de l'Aut'journal et Jonathan Durand Folco à propos du livre de ce dernier, Fascisme tranquille, affronter la nouvelle vague autoritaire, livre publié aux éditions Écosociété.

À propos du livre Le Fascisme Tranquille, Pierre Dubuc

2025/11/11 | https://www.lautjournal.info/20251111/le-fascisme-tranquille
L'Autjournal

En 1977, le cinéaste Chris Maker produisait « Le fond de l'air est rouge », un film sur l'émergence d'une nouvelle gauche. Aujourd'hui, la gouvernance de Donald Trump et la montée des partis d'extrême droite inciteraient plutôt à dire que « le fond de l'air est brun ». Aussi, il faut saluer le fait que de plus en plus de livres traitent de la question du fascisme, dont celui de Jonathan Durand Folco, Fascisme tranquille. Affronter la nouvelle vague autoritaire (écosociété, 2025).

Folco soutient « l'étrange hypothèse du fascisme tranquille », qui caractériserait la société québécoise. Le Québec serait rendu à la phase 2 du « niveau émotionnel et idéologique » de « la radicalisation du complexe autoritaire », une typologie qu'il emprunte au politologue américain Robert O. Paxton. Le Québec aurait quitté la phase 1 (Le nationalisme conservateur), et le processus de radicalisation l'entraînerait vers la phase 3 (Régime autoritaire) et la phase 4 (Terreur fasciste).

L'auteur accorde beaucoup d'importance à l'aspect psychologique de la fascisation (77 pages) et énumère différents classements (les 14 signes du fascisme ; les 15 définitions de l'extrême droite ; les 6 racines de l'extrême droite ; les 4 émotions du populisme) avant de se rabattre sur la classification de Paxton.

Le Québec, seul au banc des accusés

La partie la plus intéressante du livre est celle consacrée au technofascisme aux États-Unis. Folco présente une brillante synthèse du passage des géants du web d'une idéologie libertarienne « progressiste » à une alliance avec les représentants des secteurs industriels les plus à droite dans le cadre du trumpisme (63 pages).

Mais le cœur de son livre est consacré au Québec (87 pages). Au départ, soulignons l'absence totale de chapitre sur le Canada. À peine quelques mentions dans cet ouvrage de 415 pages ! Les intellectuels anglophones nous ont habitués à des livres sur le Canada sans mention du Québec, voici un livre sur le fascisme au Canada avec seulement deux petites mentions du Convoi de la « liberté », qui a occupé Ottawa pendant la pandémie, et le nom de Pierre Poilièvre, l'émule de Trump, qui n'apparaît que trois fois ! Faut le faire !

Le Québec est seul au banc des accusés de fascisme – bien que « tranquille » – alors qu'il a bloqué, lors des dernières élections fédérales, l'arrivée de Poilièvre au pouvoir. Le Parti conservateur n'a recueilli que 23,5% des suffrages au Québec contre 44,3% en Ontario et 64,8% en Alberta. À Québec, le gouvernement Legault est certes conservateur, mais il a été élu avec une minorité de votes (40,9%) et ne recueille aujourd'hui que 16% des intentions de vote.

Le gouvernement Carney n'est mentionné que 11 fois, alors que c'est lui qui contrôle les « vrais » pouvoirs, les pouvoirs régaliens (la sécurité, la politique étrangère, la diplomatie, la défense, l'armée, la monnaie, etc.), ces pouvoirs les plus susceptibles de conduire le Canada vers les stades 3 et 4 de la grille de Paxton. Folco n'y porte aucune attention, même si le gouvernement Carney est en train de transformer l'économie du pays en économie de guerre.

L'obsession Bock-Côté

Pour Folco, le danger du fascisme vient du Québec et il cible plus particulièrement Mathieu Bock-Côté (198 occurrences), auquel il consacre un chapitre complet (33 pages). Avec raison, il présente MBC comme le chef de file de la nébuleuse conservatrice québécoise. Il décrit son cheminement politique du conservatisme de jeunesse au « populisme de droite décomplexé », lui faisant jouer le rôle d'un « pont » entre la droite et l'extrême droite, particulièrement en France.

En fait, la « pensée » de MBC n'a pas évolué. Dès 2001, il citait Charles Maurras de l'Action française dans une publication du Forum Jeunesse du Bloc Québécois, s'attirant les foudres du parti. Il a alors compris, comme il l'écrit dans Le Nouveau régime (Boréal, 2017), que, plutôt qu'une « opposition frontale », il valait mieux une « contestation dans les limites du système, en se permettant d'en repousser chaque fois les marges ». MBC a toujours campé du même côté du « pont ». Lors de l'élection présidentielle française de 2022, il a appuyé Éric Zemmour – le plus à droite sur le spectre de l'extrême droite française – dont il est toujours un des proches.

Bien sûr, il faut combattre les idées de MBC et de son entourage – et nous le faisons à L'aut'journal – mais il ne pas laisser croire que l'ensemble du Québec est sous sa coupe.

La nation

Notre divergence principale avec Folco concerne le concept de nation. Au « nationalisme ethnique », il oppose le « nationalisme civique », en faisant référence au débat, qui a lieu après la déclaration malheureuse de Parizeau. Dans ce débat, nous avons démontré dans un texte paru dans le livre Les grands textes indépendantistes (tome 2, Hexagone 2004) et dans un dossier intitulé « Sans nous qui est québécois » publié de la revue L'Apostrophe de L'aut'journal, que ce « nationalisme civique » était le cheval de Troie de la mondialisation.

Il était basé sur les Chartes des droits individuels, réduisant la nation à une simple agrégation d'individus, la coupant de ses racines historiques, de sa langue, de sa culture, de son économie spécifique, pour l'engager dans la libéralisation des échanges sans mesures de protection. André Boisclair, promoteur de ce concept dans les années post-référendaires, et que Folco salue positivement, était un néolibéral dont la source d'inspiration était Tony Blair.

Dans la présentation des objectifs politiques de Folco, le cadre national est totalement absent. Il propose, au plan économique, une société post-capitaliste fondée sur des coopératives autogérées, des systèmes d'échange non monétaires, des communautés de soin et d'entraide, des réseaux de production et de distribution autogérées, le tout dans un système politique postnational basé sur la décentralisation politique. Ce n'est là qu'une reprise du discours anarchiste classique, véhiculé par les tenants de l'altermondialisme, qui n'était que l'envers par effet miroir du néolibéralisme, avec comme caractéristique commune l'oblitération de la nation.

Les termes « classe ouvrière » et « peuple » rebutent Folco. Il propose plutôt comme sujet politique « la multitude » (un concept plus inclusif, à ses yeux) pour affronter « l'oligarchie », un terme plus « accessible » à la grande masse de la population que « capitalisme ». Ce n'est là qu'une réactualisation de la lutte contre le 1% d'Occupy.

Notre position

Pour notre part, nous croyons que le cadre national est le plus approprié pour mener la lutte contre l'extrême droite et le fascisme. Nous nous réclamons, au-delà du nationalisme ethnique ou civique, de la tradition du « nationalisme révolutionnaire » québécois, qui inclut toutes celles et ceux qui veulent participer à notre lutte de libération nationale. Nous développons cette orientation, et notre critique de thèses proches de celles de Folco, dans le carnet Cap sur l'indépendance, que nous venons de publier. Nous y soutenons que la menace de guerre sera l'enjeu principal des prochaines années et que le meilleur moyen de s'y opposer est d'affaiblir le tandem Trump-Carney en visant comme objectif l'indépendance du Québec.

Ceci étant dit, malgré nos divergences, nous sommes prêts à collaborer avec Jonathan Durand Folco et avec tous ceux qui partagent ses vues. Dans cette perspective, nous accueillons avec plaisir sa proposition d'une « gauche transversale » et trouvons fort pertinente sa critique du sectarisme de la gauche intersectionnelle. Nous devons nous unir pour faire barrage à l'extrême droite et au fascisme.

La réponse de Jonathan Durand Folco

3 décembre 2025 | Dernier texte sur Métapolitiques : Critique du fascisme tranquille
https://www.facebook.com/jonathan.durand.folco/posts/dernier-texte-sur-m%C3%A9tapolitiques-critique-du-fascisme-tranquilleje-suis-ravi-pie/26492608413672746/

Je suis ravi : Pierre Dubuc, syndicaliste et rédacteur en chef de L'Aut'Journal, a récemment publié une recension critique de mon ouvrage Fascisme tranquille. Il est en désaccord avec plusieurs de mes analyses, mais il semble saluer mon travail et manifester des points de convergence.

Cela contraste avec la plupart des réactions vis-à-vis mon livre que j'ai reçues jusqu'à maintenant, lesquelles sont souvent tranchées. D'un côté, beaucoup de gens issus de la nébuleuse conservatrice, identitaire et/ou anti-woke s'en donnent à cœur joie en dénigrant le livre simplement en raison du titre, de telle image, citation ou de ma simple présence, me qualifiant de gauchiste extrémiste ou d'autres anathèmes, et ce sans avoir lu une ligne du livre. D'un autre côté, je reçois aussi beaucoup d'éloges du camp progressiste, libéral, socialiste ou antifasciste, qui saluent mon courage, la qualité de mon ouvrage, mes prises de parole sur les médias sociaux, mais sans avoir lu le livre…

J'ai également reçu des échos très positifs de personnes sérieuses ayant lu une bonne partie ou la totalité de l'ouvrage. C'est très flatteur, et je suis heureux de voir que mes réflexions résonnent chez plusieurs personnes qui partagent le même horizon politique que moi.

Cela dit, ça me semble essentiel de recevoir des commentaires critiques sur les angles morts de mon livre, que ce soit par des gens de mon propre camp ou mes adversaires, afin de pousser la réflexion plus loin, apporter des nuances, et rectifier le tir au besoin. Dans sa recension, Dubuc salue l'importance de mon livre, tout en exprimant des critiques qui visent parfois juste. Par exemple, il écrit :
"Mais le cœur de son livre est consacré au Québec (87 pages). Au départ, soulignons l'absence totale de chapitre sur le Canada. À peine quelques mentions dans cet ouvrage de 415 pages ! Les intellectuels anglophones nous ont habitués à des livres sur le Canada sans mention du Québec, voici un livre sur le fascisme au Canada avec seulement deux petites mentions du Convoi de la « liberté », qui a occupé Ottawa pendant la pandémie, et le nom de Pierre Poilièvre, l'émule de Trump, qui n'apparaît que trois fois ! Faut le faire !"

En effet, mon livre n'aborde pas l'émergence du "fascisme tranquille" au Canada, et il aurait été utile d'ajouter un chapitre à cet effet pour éviter de donner l'impression que ce phénomène se limitait seulement au Québec. Les chefs Pierre Poilièvre et Maxime Bernier jouent un rôle clé en ce sens, et l'analyse du contexte québécois doit être liée à celle plus large du Canada et des États-Unis. Je mentionne certes le virage autoritaire de Carney qui épouse les diktats du trumpisme avec un visage libéral, mais mon analyse reste plutôt sommaire.

Cela dit, Dubuc affirme que le Québec serait "seul au banc des accusés", alors que mon introduction affirme le contraire. En fait, la montée de l'autoritarisme et de l'extrême droite affecte la vaste majorité des sociétés à travers le monde, les pays occidentaux et ceux du Sud global. Je spécifie d'emblée que j'analyse les conditions générales du néofascisme à notre époque, tout en me concentrant sur deux "études de cas" : le Québec et les États-Unis. Je ne pouvais pas aborder le cas français dans mon ouvrage, comme la plupart des pays proches de nous, faute d'espace et d'expertise. J'aurais pu certes parler de l'extrême droite au Canada, mais cela m'apparaissait comme un phénomène connexe face à la montée de la droite identitaire au Québec.

Ensuite, Dubuc me reproche de faire une "obsession" sur la figure de Mathieu Bock-Côté. Je dédie en effet un chapitre de mon livre sur son œuvre et sa trajectoire, mais cela représente à peine 33 pages sur 418, soit environ 8% du livre. Je le cite longuement ici :

"Pour Folco, le danger du fascisme vient du Québec et il cible plus particulièrement Mathieu Bock-Côté (198 occurrences), auquel il consacre un chapitre complet (33 pages). Avec raison, il présente MBC comme le chef de file de la nébuleuse conservatrice québécoise. Il décrit son cheminement politique du conservatisme de jeunesse au « populisme de droite décomplexé », lui faisant jouer le rôle d'un « pont » entre la droite et l'extrême droite, particulièrement en France. En fait, la « pensée » de MBC n'a pas évolué. Dès 2001, il citait Charles Maurras de l'Action française dans une publication du Forum Jeunesse du Bloc Québécois, s'attirant les foudres du parti. Il a alors compris, comme il l'écrit dans Le Nouveau régime (Boréal, 2017), que, plutôt qu'une « opposition frontale », il valait mieux une « contestation dans les limites du système, en se permettant d'en repousser chaque fois les marges ». MBC a toujours campé du même côté du « pont ». Lors de l'élection présidentielle française de 2022, il a appuyé Éric Zemmour – le plus à droite sur le spectre de l'extrême droite française – dont il est toujours un des proches. Bien sûr, il faut combattre les idées de MBC et de son entourage – et nous le faisons à L'aut'journal – mais il ne pas laisser croire que l'ensemble du Québec est sous sa coupe.

Je partage ici l'analyse de Dubuc, et je mentionne à la page 202 que MBC défendait déjà en 1998 "la nécessité d'une alliance entre la droite conservatrice et l'extrême droite en France, « la collaboration avec le Front national permettrait de réintégrer dans le giron républicain 15 % de l'électorat de l'Hexagone »."

Mais je souligne aussitôt dans mon livre : "Selon cette grille de lecture, Bock-Côté plaiderait depuis ses débuts pour une « union de toutes les droites », en faisant sauter le cordon sanitaire entre le conservatisme et l'extrême droite. Le ver était déjà dans la pomme, en quelque sorte. Cela dit, à la suite de cette prise de position controversée, Mathieu Bock-Côté fut marginalisé au sein des cercles souverainistes, et il dut prendre un détour pour réhabiliter progressivement un nationalisme conservateur qui allait à contre-courant de la doxa de l'époque. Autrement dit, la thèse selon laquelle Bock-Côté flirtait avec l'extrême droite française au départ n'est pas incompatible avec l'idée d'une radicalisation progressive de sa philosophie et de ses écrits, qui deviennent de plus en plus décomplexés avec le temps."

Enfin, voici un dernier point de divergence avec Pierre Dubuc qui me reproche de délaisser le cadre national au profit d'une vision altermondialiste. Il est vrai que mon livre n'adopte pas une posture nationaliste, bien que je considère que les nationalistes de gauche peuvent faire partie d'un front populaire large opposé à l'extrême droite. Mais pour Dubuc, mon projet de société visant une démocratie économique néglige complètement la question nationale. Il écrit :

"Dans la présentation des objectifs politiques de Folco, le cadre national est totalement absent. Il propose, au plan économique, une société post-capitaliste fondée sur des coopératives autogérées, des systèmes d'échange non monétaires, des communautés de soin et d'entraide, des réseaux de production et de distribution autogérées, le tout dans un système politique postnational basé sur la décentralisation politique. Ce n'est là qu'une reprise du discours anarchiste classique, véhiculé par les tenants de l'altermondialisme, qui n'était que l'envers par effet miroir du néolibéralisme, avec comme caractéristique commune l'oblitération de la nation. [...] Les "termes « classe ouvrière » et « peuple » rebutent Folco. Il propose plutôt comme sujet politique « la multitude » (un concept plus inclusif, à ses yeux) pour affronter « l'oligarchie », un terme plus « accessible » à la grande masse de la population que « capitalisme ». Ce n'est là qu'une réactualisation de la lutte contre le 1% d'Occupy."

Il est vrai que les pistes de solution vers la fin de mon livre ne tournent pas autour de la réhabilitation de la nation comme figure centrale de l'émancipation. Cela dit, il est faux d'affirmer que les termes "classe ouvrière" et "peuple" me rebutent. En réalité, je dis qu'il faut essayer de renouveler notre imaginaire politique en dépassant les idées reçues à l'endroit de la classe ouvrière, du peuple et de la nation, sans répudier ces mots pour autant. On peut par exemple réinterpréter la notion de peuple de manière processuelle et dynamique.

Le peuple peut être vu comme une "multitude" se déployant à travers l'histoire, comme lorsqu'on dit "un peuple ce n'est pas des gens tous pareils, mais des gens tous ensemble". Il faut délaisser l'idée d'un peuple ethnique homogène, au profit d'une conception large d'un peuple en mouvement, qui se redéfinit à travers l'histoire, et dont les intérêts s'opposent directement aux élites et à la concentration du pouvoir.

Outre ces divergences sur la question nationale, je salue tout de même l'ouverture de Pierre Dubuc qui souhaite converger en créant un front plus large contre l'extrême droite. Il termine son texte en disant :

"Ceci étant dit, malgré nos divergences, nous sommes prêts à collaborer avec Jonathan Durand Folco et avec tous ceux qui partagent ses vues. Dans cette perspective, nous accueillons avec plaisir sa proposition d'une « gauche transversale » et trouvons fort pertinente sa critique du sectarisme de la gauche intersectionnelle. Nous devons nous unir pour faire barrage à l'extrême droite et au fascisme."
Je critique effectivement certains excès de la "gauche intersectionnelle" et de la "gauche universaliste" dans mon livre, mais dans l'espoir de trouver des voies de passage et des points de convergence face à la droite décomplexée qui domine le paysage politique, idéologique et médiatique actuel. Malgré les divergences et les querelles de chapelles, il est temps d'élargir le front antifasciste au-delà des cercles des personnes convaincues.

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Le côté autoritaire du conservatisme albertain

16 décembre, par Ryan Kelpin — ,
La question de l'avancée de l'extrême droite au Canada a pris un caractère d'urgence après que la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, ait invoqué pour la quatrième (…)

La question de l'avancée de l'extrême droite au Canada a pris un caractère d'urgence après que la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, ait invoqué pour la quatrième fois en seulement cinq semaines la clause dérogatoire (NWC). Cette clause, qui figure à l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, permet aux gouvernements fédéral ou provinciaux de suspendre temporairement certains droits garantis par la Charte. Elle a été introduite en 1982 dans le cadre d'un compromis politique visant à protéger l'autonomie des provinces, mais elle est depuis devenue un outil permettant aux gouvernements de soustraire des lois controversées à l'examen judiciaire.

https://canadiandimension.com/articles/view/the-authoritarian-edge-of-alberta-conservatism

1er décembre 2025

Au-delà de la simple lutte contre le populisme de droite et la politique réactionnaire, nous devons désormais faire face à l'utilisation de plus en plus autoritaire des outils constitutionnels pour protéger les projets politiques d'extrême droite de la critique et du contrôle des autres branches du gouvernement.

Si de nombreuses analyses institutionnelles et libérales ont été publiées dans les quotidiens et les grands médias concernant l'utilisation répétée de la NWC par Mme Smith, elles ne parviennent généralement pas à appréhender la politique régressive et réactionnaire qui est au cœur de son projet idéologique. Ce n'est pas une coïncidence – ni même une spécificité provinciale – si Mme Smith a utilisé la NWC contre les travailleurs, les travailleuses et les personnes LGBTQ+ ; en dehors du Québec, ces groupes ont été les principales cibles de cette clause.

En octobre, le gouvernement de l'Alberta a utilisé la NWC, combinée à une loi de retour au travail, pour mettre fin à la grève des enseignant·es de l'Alberta, une grève soutenue par un vote de rejet à 90 % en réponse au refus de la province et des commissions scolaires de négocier de bonne foi. La loi sur la rentrée scolaire (Back to School Act) a imposé une convention collective de quatre ans qui limitait les augmentations salariales à 3 % par an et restreignait les nouvelles embauches dans le secteur public, reflétant essentiellement l'offre que les travailleuses et travailleurs avaient déjà rejetée. Il s'agissait d'une attaque délibérée contre un syndicat spécifique, mais cela correspond également à la manière dont la NWC a été utilisée par d'autres gouvernements de droite contre le mouvement syndical dans son ensemble.

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, a utilisé la NWC pour imposer un contrat aux travailleuses et travailleurs de l'éducation du SCFP en grève à l'automne 2022, ne reculant que face à une large alliance syndicale intersectorielle et à une résistance publique généralisée. Smith et Ford ont toustes deux invoqué la nécessité de défendre les étudiant·es contre les syndicats et d'empêcher les dépenses publiques incontrôlées, revendiquant une responsabilité démocratique pour protéger leurs programmes d'austérité contre les juges et les tribunaux « interventionnistes ». Cela s'inscrit parfaitement dans la longue histoire de l'utilisation de la NWC comme arme contre les travailleuses et les travailleurs : en 1986, la Saskatchewan est devenue le premier gouvernement hors Québec à invoquer cette clause, passant outre la décision de la Cour d'appel provinciale selon laquelle la législation de retour au travail violait la liberté d'association des travailleuses et des travailleurs. Ce fut un moment charnière dans la stratégie juridique antisyndicale de l'État néolibéral.

Au-delà de ses positions politiques anti-syndicales et libertaires, Smith participe depuis longtemps aux campagnes culturelles de la droite, allant de la rhétorique sur les « droits des parents » à une politique réactionnaire plus large contre le mouvement woke. Il était presque inévitable qu'elle cherche à apaiser les mouvements sociaux conservateurs et chrétiens d'extrême droite influents de l'Alberta. Pourtant, elle a initialement affirmé qu'elle n'aurait pas besoin de recourir au NWC pour protéger sa législation anti-trans. Comme dans la plupart des gouvernements d'extrême droite, l'autoritarisme est toujours prêt à être déployé dès que cela est politiquement opportun.

Les trois projets de loi qu'elle a choisi de soumettre au NWC le mois dernier modifient la loi sur l'éducation, la loi sur l'équité dans le sport et la loi sur les professions de santé. Ensemble, ils constituent un ensemble radical de mesures d'extrême droite visant à afficher une vertu hypocrite et à attaquer directement l'existence même des personnes transgenres en Alberta.

Le premier projet de loi exige que les enfants de moins de 16 ans obtiennent le consentement de leurs parents pour changer leur nom ou leur pronom à l'école, avec une notification obligatoire des parents pour les élèves de plus de 16 ans. Il habilite également le ministère provincial de l'Éducation à interdire effectivement l'enseignement de l'identité de genre et de l'orientation sexuelle, remplace l'éducation sexuelle par un système parental optionnel et exige l'approbation du gouvernement pour tout matériel pédagogique provenant de tiers.

Le deuxième projet de loi reflète la législation anti-transgenres aux États-Unis en interdisant aux athlètes transgenres de participer à des sports amateurs féminins et en introduisant un système officiel de signalement des plaintes dans les écoles et les organisations sportives.

Le troisième projet de loi restreint les soins d'affirmation du genre exclusivement aux personnes transgenres, interdisant à toute personne de moins de 16 ans l'accès aux bloqueurs de puberté, à l'hormonothérapie et à la chirurgie du haut ou du bas du corps.

Ces politiques reflètent non seulement la ferveur anti-transgenres qui balaye la droite nord-américaine, mais aussi l'utilisation stratégique de la NWC pour protéger des mesures manifestement inconstitutionnelles et discriminatoires. Elles s'inscrivent dans une tendance régionale plus large : le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a invoqué cette clause en 2023 pour faire adopter une « charte des droits des parents » similaire qui, loin d'être un simple débat sur les pronoms, obligeait en fait à révéler l'identité transgenre des enfants à leurs parents, les exposant ainsi au risque de discrimination et d'abus. Le refus supplémentaire de soins en Alberta pourrait entraîner une augmentation des taux d'automutilation et de suicide chez les jeunes transgenres. Smith a tenté de justifier ces mesures en comparant les soins d'affirmation du genre à la prescription trop permissive d'opioïdes, affirmant que l'État doit imposer des « garde-fous ».

La rhétorique « Sauvez les enfants » a une longue histoire et reste fondamentale pour le mouvement réactionnaire et peu structuré des droits des parents, dont Smith et Moe sont toustes deux des partisan·es éminent·es.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, s'est également rallié à ce mouvement, affirmant dans la biographie flatteuse d'Andrew Lawton que « les droits des parents priment sur ceux des gouvernements » et que les parents devraient avoir le dernier mot sur « les valeurs [...] enseignées aux enfants ». Ce programme s'inscrit dans le droit fil de la politique anti-État providence et des revendications en faveur de la privatisation de l'école, en lien avec le mouvement historique en faveur des chèques-éducation en Alberta et les dépenses record de Smith pour les écoles à charte – près de 10 milliards de dollars –, qui font de l'Alberta le plus grand réseau d'écoles privées et à charte du Canada.

Les mouvements en faveur des bons scolaires et des droits des parents sont de plus en plus fusionnés, car certains stratèges populistes de droite les considèrent comme deux fronts dans une lutte plus large visant à limiter l'autorité de l'État : soit en réduisant le financement public, soit en le redirigeant vers des institutions choisies par les parents. L'utilisation de la NWC contre la soi-disant « idéologie du genre » est justifiée par un discours populiste dans lequel les gouvernements prétendent défendre le « bon sens » contre « l'idéologie gouvernementale » ou les juges activistes socialement libéraux.

Ces développements s'inscrivent également dans la longue histoire de l'Alberta en matière d'utilisation de la NWC contre les personnes LGBTQ+. Après la décision rendue en 1998 par la Cour suprême dans l'affaire Vriend c. Alberta, les groupes chrétiens de droite ont exigé que la province utilise cette clause pour passer outre les protections anti-discrimination dont bénéficient les personnes LGBTQ+ dans le domaine de l'emploi. Menés par la Family Life Coalition et des politiciens tels que Jason Kenney et Stockwell Day, leurs arguments faisaient écho à la même rhétorique sectaire qui refait surface aujourd'hui. Le premier ministre Ralph Klein s'est opposé à l'invocation de cette clause pour des raisons d'autoprotection politique, mais a ensuite adopté une loi menaçant de l'utiliser si le gouvernement fédéral redéfinissait le mariage pour inclure autre chose qu'un homme et une femme (la Cour suprême a finalement déclaré cette loi inconstitutionnelle).

Pour comprendre l'idéologie de Smith, il faut la replacer dans le contexte d'une longue tradition politique anti-planification centrale et anti-État providence qui caractérise le conservatisme albertain depuis plus de 60 ans.

La montée de la rhétorique populiste de droite pour justifier l'utilisation autoritaire de la NWC s'inscrit dans un projet idéologique plus large, auquel il faut opposer une résistance. L'utilisation abusive de cette clause par Ford a été contrée par une mobilisation massive, qui a réussi à convaincre le public que la NWC est un outil autoritaire donnant carte blanche à des gouvernements antidémocratiques pour agir de manière anticonstitutionnelle. Comme je l'ai fait valoir dans Canadian Dimension en 2022, les victoires juridiques sont importantes, mais elles ne peuvent se substituer à une résistance collective soutenue contre les gouvernements régressifs.

Historiquement, la NWC a été utilisée presque exclusivement pour attaquer les travailleurs, les travailleuses et les personnes LGBTQ+, sous prétexte de limiter l'intervention et les dépenses de l'État. En réalité, elle permet une forme d'interventionnisme étatique ancré dans la politique d'extrême droite, se faisant passer pour du populisme alors qu'elle ne sert que des intérêts socialement régressifs. C'est un moyen de contester la judiciarisation des droits dans un pays où les tribunaux ont souvent été plus disposés que les partis politiques à défendre les droits des minorités.

Pour contester cette politique, nous devons nous appuyer à la fois sur l'histoire plus longue de l'utilisation de la NWC et sur son application contemporaine par un gouvernement Smith déterminé à réorienter l'État vers un néolibéralisme plus profond et un conservatisme social réactionnaire.

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La culture québécoise a un impérieux besoin de critique matérialiste

16 décembre, par Paul Kawczak — ,
La récente nomination de Marc Miller au ministère de l'identité et de la culture a suscité l'enthousiasme de certain·es acteur·ices d'importance du milieu culturel québécois. (…)

La récente nomination de Marc Miller au ministère de l'identité et de la culture a suscité l'enthousiasme de certain·es acteur·ices d'importance du milieu culturel québécois. Ceux-ci se réjouissent de ce qu'un fin connaisseur des arcanes du pouvoir canadien puisse se pencher sur les dossiers du remplacement de certain·es travailleur·euses de la culture par l'intelligence artificielle, du maintien de l'exemption culturelle canadienne dans l'Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) et du renforcement d'un filet social pour les artistes.

La culture, dans ces trois dossiers apparemment prioritaires, est perçue dans sa dimension économique, intégrée dans un marché compétitif mondialisé dont il faut réguler les méfaits, mais qui n'est jamais lui-même remis en cause. Ce que l'on nomme « milieu culturel » désigne ainsi un ensemble d'institutions, de pratiques et de discours qui adhère aux manières de faire, aux structures et à la vision du monde du capitalisme néolibéral, sans qu'il soit mentionné que ce dont on cherche à protéger la culture et ses travailleur·euses est causé en grande partie par la logique de dévoration d'un capitalisme sous-entendu comme normal, neutre et indépassable. Or toute défense des travailleur·euses sans critique des conditions d'exercice et de production de leur pratique est vouée à la stérilité intellectuelle et à l'inefficacité. Ce « milieu culturel » est tout entier acquis à la compétition néolibérale qui le ronge.

Dans ce cadre précaire et dans la dépendance de subventionnaires qui pensent en termes de progrès, de carrière et de développement, à quel point les plus vulnérables, mal logé·es, mal nourri·es, mal soigné·es, mal éduqué·es, violenté·es, peuvent-iels prétendre à une agentivité culturelle ? Comment dans ce contexte, peut-on avoir autre chose qu'une culture reconduisant un ensemble de dominations, connaissant d'instinct les limites à ne pas dépasser dans ses analyses critiques, aveugle à tout ce qui n'apparaît pas au sein des institutions traditionnelles, plus encline à défendre l'auto-entrepreneuriat de ses travailleur·euses que le financement de l'éducation populaire et de l'alphabétisation ?
La culture est célébrée avec ferveur par les médias dominants de tout bord au Québec. Elle raconte « nos histoires », dit « la diversité », « invente de nouvelles formes », célèbre « les saveurs d'ici ». Son approche est idéaliste, la culture est une belle idée, l'expression d'identités plurielles, de sensibilités multiples, de « voix fortes » et « nécessaires », l'émerveillement et le pas de côté. Si la belle idée de la culture se concrétise, c'est sous la forme d'un protectionnisme commercial. Consommons de la culture québécoise, explique-t-on, pour soutenir nos artistes, ces entrepreneur·euses d'iels-mêmes. Car la culture est un bien consommable sur un marché compétitif de capitaux économiques (et symboliques). Que la culture soit un marché subventionné et encadré par l'état, voilà l'horizon d'espérance du Québec. Là où aussi s'arrête trop souvent la réflexion. Comme si chaque artiste et travailleur·euse culturel·le pourrait tirer son épingle du jeu, comme si la compétition ne faisait que des gagnant·es, ce qui est une reconduction pure et simple d'un des mensonges premiers du libéralisme économique.

En réduisant la culture à un ensemble de savoir-faire professionnels, à une poïésis en situation de marché, en en excluant sa dimension transversale, son intime présence dans chaque existence, son rôle dans la vie collective, en lui niant sa dimension de praxis, d'engagement éthique, le néolibéralisme s'assure que celle-ci ne puisse pas se mettre en travers de son chemin, une route menant chaque jour à plus d'inégalités sociales, au péril même du vivre ensemble.

Il ne s'agit pas de dire ici que tout ce qui a été fait en matière de politique culturelle au Canada et au Québec était inadéquat et n'a eu que des effets néfastes. Que l'on subventionne et protège n'est pas un mal en soi, mais encore faut-il réarticuler la culture à des promesses d'avenir démocratique. Et pour cela, il est impératif de contrer l'idéalisme sur lequel repose l'idéologie culturelle néolibérale et de promouvoir des outils essentiels pour la poursuite des débats concernant les politiques culturelles : des analyses matérialistes, prenant en compte les situations très concrètes des divers rapports de forces matériels. Depuis Marx, des intellectuel·les et des militant·es ont produit et produisent à travers le monde des analyses matérialistes des politiques culturelles, que l'on pense à l'école de Francfort, aux théories décoloniales ou encore au féminisme matérialiste. Le débat culturel québécois est-il devenu tel qu'il se privera de ces perspectives ? Que l'on soit ici clair : appeler à des analyses matérialistes ne revient pas à en exclure d'autres, ni à promouvoir un marxisme orthodoxe. Il reste que la critique matérialiste – marxiste ou non – apparaît indispensable à toute critique efficace en contexte capitaliste qui ne souhaite pas se leurrer de belles histoires.

Que ce soit au niveau fédéral ou provincial, quelle culture subventionne, structure et, in fine, propose un état néolibéral extractiviste fondé sur un génocide colonial quand celle-ci n'inclut pas sa propre analyse matérialiste ? Une fois cette question posée, et toutes celles qui en découlent, pourront alors commencer des débats au sujet des politiques culturelles canadiennes et québécoises ouvrant sur de véritables perspectives d'avenir, inclusives et démocratiques.

L'idéalisme culturel prend les choses par le haut, et impose un point de vue informé par les desiderata des classes dominantes. D'un point de vue matérialiste, la culture ne peut être qu'une praxis, un engagement en situation dans le monde, et aucune réflexion intellectuelle, si pertinente soit-elle, ne pourra dégager d'analyse efficace si elle n'est secondée et redoublée par l'expérience de terrain, qu'elle soit syndicale, communautaire ou militante, les trois piliers de la défense des droits.

Si la culture demeure l'affaire d'une défense de professionnel·les, alors iels resteront des millions que l'on gave de mauvaise télé, de mauvaise radio, de malbouffe, que l'on enrôle dans des travails abrutissants sous-payés, que l'on séquestre dans la culture du char, avec sucre, sel, alcool et pétrole pour espérance, à qui ont intime d'admirer les artistes, à qui on laisse entendre que la culture est à mille lieues de leurs possibles à eux et elles, tout au mieux ce sera le concert gratuit sur la place publique cet été, financé par une banque, bien sûr.

Peut doit nous chaloir, ceci posé, qu'un gouvernement qui a pour horizon l'écocide et l'armement – c'est-à-dire la guerre, que ce soit à Gaza, au Darfour ou ailleurs, il ne faut pas se leurrer – mette en poste un « quelqu'un d'envergure » au ministère de l'identité et de la culture. Les institutions culturelles en place jouent le jeu du néolibéralisme, c'est pour cela qu'elles ont été créées, on ne les changera pas demain. Cela ne doit pas empêcher les cultures populaires, les pôles intellectuels et les bases militantes de revendiquer leur rôle majeur, premier et essentiel, dans le débat concernant les politiques culturelles, au même titre que les institutions culturelles. Le « milieu culturel » ne doit pas faire le hold-up d'un débat démocratique sur le droit général à la culture en contexte néolibéral.

Pour une culture solidaire et émancipatrice, que les artistes ne soient pas des travailleur·euses comme les autres, mais que chacun·e, travailleur·euse ou non, devienne un·e artiste comme les autres. Toute perte sur le front social est une perte pour la culture. Toute lutte un progrès. La culture ne doit être pas une reconduite du suicide sociétal néolibéral.

Travailleur·euses culturel·les et/ou artistes, politisons notre position au sein d'une analyse matérialiste générale de la situation néolibérale, ouvrons-nous aux luttes pour les droits (logements, santé, éducation, papiers…) de celles et ceux qui ont en retour leur part dans le débat culturel. Que l'inertie des institutions culturelles dominantes ne nous prive pas de cultiver des devenirs alternatifs.

Paul Kawczak
Auteur

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Presse-toi à gauche prend une pause en cette fin d’année

16 décembre, par Presse-toi à gauche —
Presse-toi à gauche prend une pause en cette fin d'année. Nous serons de retour le 20 janvier pour reprendre le fil de l'actualité à gauche. D'ici là, nous vous souhaitons à (…)

Presse-toi à gauche prend une pause en cette fin d'année. Nous serons de retour le 20 janvier pour reprendre le fil de l'actualité à gauche. D'ici là, nous vous souhaitons à tous et toutes, collaborateurs et collaboratrices, lecteurs et lectrices, une bonne fin d'année. Nous la souhaitons reposante afin de reprendre des forces et puis reprendre les luttes afin de résister aux assauts de la droite et ouvrir les perspectives pour une transformation solidaire de la société.

Priorisons les solutions climatiques plutôt que les énergies fossiles

16 décembre, par Greenpeace Canada — , ,
Le gouvernement fédéral nouvellement élu, dirigé par le premier ministre Carney, vient d'adopter le projet de loi C-5 qui permet d'accélérer la réalisation de mégaprojets (…)

Le gouvernement fédéral nouvellement élu, dirigé par le premier ministre Carney, vient d'adopter le projet de loi C-5 qui permet d'accélérer la réalisation de mégaprojets pétroliers et gaziers en ouvrant explicitement la porte à des exemptions dans l'application de normes environnementales.

Avec la Loi visant à bâtir le Canada, les mégaprojets choisis et considérés comme étant d'« intérêt national » passeront par un « processus d'évaluation accéléré » qui demeure flou et inquiétant. Pendant ce temps, les solutions d'énergie renouvelable, comme les centrales solaires et les réseaux verts, sont reléguées au second plan.

Nous ne pouvons pas tolérer un affaiblissement des mesures de protection environnementale existantes.

Au Québec, le BAPE (Bureau d'audiences publiques sur l'environnement) est essentiel : il permet aux citoyen·nes de se faire entendre et de freiner des projets destructeurs. Il permet de défendre notre territoire et notre avenir – soumettre un projet au BAPE est une étape clé pour la démocratie et la protection de l'environnement. Au fédéral, la loi sur l'évaluation d'impact est complémentaire au BAPE, elle doit être préservée !

Le processus d'approbation accéléré de Carney n'est pas qu'un simple changement de politique – c'est un cadeau aux lobbyistes des énergies fossiles. Les grandes compagnies pétrolières et gazières en tireront profit, tandis que les peuples autochtones risquent de voir leurs droits bafoués. Cette proposition législative ne garantit pas un consentement libre, préalable et éclairé, ce qui compromet la réconciliation et la souveraineté autochtone.

C'est la mise en œuvre de solutions climatiques que nous devons accélérer, et non la destruction du climat.

Nous n'avons pas le loisir d'attendre à plus tard. Rejoignez-nous pour rappeler au premier ministre Carney que le Canada doit protéger la nature, respecter les droits des peuples autochtones et investir non pas dans de nouveaux pipelines, mais dans un avenir qui carbure aux énergies renouvelables.

Pour signer la pétition.

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Le sermon de Amir !

16 décembre, par Mohamed Lotfi — , ,
À la veille de la diffusion officielle du documentaire Le serment d'Hippocrate de Nadia Zouaoui le 12 décembre, puis sur Ici Télé le 8 janvier prochain, une question lourde (…)

À la veille de la diffusion officielle du documentaire Le serment d'Hippocrate de Nadia Zouaoui le 12 décembre, puis sur Ici Télé le 8 janvier prochain, une question lourde d'enjeux politiques et humains s'impose avec une acuité douloureuse. Comment une société qui se dit ouverte et soucieuse du bien commun peut-elle accepter que des médecins formés ailleurs et déjà prêts à soigner soient tenus à l'écart d'un système de santé qui manque cruellement de bras et d'esprits compétents ?

Le Québec accepte 8% de médecins formés à l'étranger alors que l'Ontario en accueille 31%. Au Canada, le Québec est la province qui intègre le moins ces médecins venus d'ailleurs. Ce contraste n'est pas seulement un chiffre. Il est le révélateur d'une attitude institutionnelle qui entretient l'impression d'une discrimination systémique vécue par des praticiens pourtant qualifiés et désireux de contribuer. Ces femmes et ces hommes arrivent avec des années d'expérience, souvent dans des contextes médicaux exigeants, mais ici leur parcours est suspendu. Leurs diplômes sont reconnus, puis on leur impose un nouveau passage par des formations, des périodes d'adaptation et une quantité d'étapes qui s'allongent jusqu'à devenir décourageantes.

Le documentaire de Nadia Zouaoui suit quatre de ces médecins. Deux d'entre eux ouvrent les portes de leur vie quotidienne et montrent sans fard les effets de cette situation sur leurs familles. On y voit l'attente, le doute, mais aussi une incroyable persévérance. Le film fait tomber les masques administratifs et rappelle que derrière chaque dossier il y a un être humain en suspens et des citoyens privés de soins.

Au cœur du récit, les interventions du Dr Amir Khadir frappent par leur lucidité. Médecin, ancien député, ancien porte-parole de Québec Solidaire, figure de l'engagement social, il met des mots précis sur un malaise que l'on appréhendait sans toujours oser le nommer. Pour lui, la racine du problème n'est pas strictement technique. Elle n'est pas seulement dans les formulaires ni dans les examens à repasser. Elle se trouve dans la volonté politique. Une volonté absente, hésitante ou fragmentée. Les gouvernements successifs auraient pu simplifier l'accès à la pratique médicale, alléger des processus qui n'en finissent plus, réformer un système de sélection devenu trop lourd. Ils auraient pu, mais ils ne l'ont pas fait.

Le réseau québécois souffre. Les urgences débordent. Les listes d'attente s'allongent. Les régions éloignées cherchent encore désespérément des médecins de famille. On répète depuis des années qu'il faut attendre que les cohortes d'étudiants finissent leur parcours. Mais le temps d'attente pèse lourd sur la population déjà fragilisée. Et ce paradoxe demeure. Des
médecins formés à l'étranger vivent ici, prêts à contribuer, parfois installés depuis des années, mais ils ne peuvent pas exercer.

Il faut préciser une idée qui apporte nuance et crédibilité au débat. Employer davantage de médecins formés ailleurs et viser au moins le taux de l'Ontario ne réglera pas tous les problèmes du système de santé. Personne ne croit qu'une seule mesure peut tout transformer. Mais cette décision ferait partie d'un ensemble de gestes nécessaires pour améliorer l'accès
aux soins et offrir à la population un réseau plus fluide et plus humain. On ne résout pas un système entier avec un seul levier. On amorce cependant un changement réel en actionnant les leviers qui sont disponibles maintenant.

On ressort du documentaire avec une sensation persistante, presque amère. Pourquoi choisir la complexité quand la simplicité est possible. Pourquoi maintenir des labyrinthes institutionnels alors que l'urgence de soigner saute aux yeux. La question devient une sorte de refrain intérieur, une interrogation qui dépasse la technique et touche au sens même de la gouvernance.

Autrefois, les médecins, les guérisseurs parcouraient montagnes et vallées, d'une contrée à l'autre, pour offrir leurs services à ceux qui en avaient besoin. Aujourd'hui les médecins traversent des océans pour offrir leur savoir. Ce ne sont plus les distances qui les freinent, mais une architecture de règles qui se referme sur eux, tantôt trop prudente, tantôt trop rigide, souvent marquée d'un corporatisme qui ne dit pas son nom. La médecine n'est pas seulement une discipline. Elle est devenue un espace qu'on protège comme un territoire privé. Un gâteau qu'on ne veut pas trop partager.

Dans le film, Amir Khadir lance une phrase qui expose à elle seule un malaise profond. « * À quoi bon gagner quatre cent mille dollars par année, et parfois jusqu'à un million pour certains médecins, si l'on n'a même pas le temps d'en profiter ?* ». Dans cette interrogation se trouvent le praticien, le citoyen et l'homme solidaire. On y entend aussi un sermon que toute la corporation médicale gagnerait à méditer et si possible, incarner.

En sortant de l'avant première du film de Nadia Zouaoui, je revoyais défiler certains moments marquants, notamment cette première scène où un médecin algérien lit la lettre du Collège des médecins. Les premières lignes laissaient croire à une bonne nouvelle, puis les dernières qu'il n'avait pas besoin de lire pour comprendre qu'elles refermaient brutalement la porte à une carrière en médecine au Québec. Karim Laribi, aurait pu être devenir un excellent comédien tant son visage exprime à la fois la retenue, le désarroi et l'absurdité de la situation de tous ces médecins déçus.

Le Dr Karim Laribi a fini par devenir enseignant au cégep après avoir consacré plus de cinq années à tenter de franchir les étapes imposées par le Collège des médecins du Québec. Il a passé les examens, cherché en vain un stage de résidence, multiplié les démarches sans jamais obtenir la porte d'entrée qu'il espérait. La Dre Daniela Pujol, anesthésiste d'Argentine
forte de quinze ans d'expérience, a dû prendre une tout autre direction.

Faute de pouvoir exercer ici, elle s'est engagée avec Médecins sans frontières Canada, acceptant des missions dans des régions à haut risque et menant une vie loin de son mari québécois. Le Dr Gilles Carruel, médecin français cumulant trois décennies de pratique, a lui aussi fini par renoncer aux longues attentes et aux embûches administratives qui se
succédaient. Il exerce désormais en Martinique, bien qu'il conserve un pied à terre au Québec où il aurait souhaité poursuivre sa carrière. Quant à la Dre Fernanda Pérez Gay Juarez, médecin d'origine mexicaine et détentrice d'un doctorat en neurosciences de l'Université McGill, elle a réussi à devenir psychiatre. Forte de son parcours, elle a choisi de soutenir d'autres médecins issus de l'immigration et de les accompagner dans ce labyrinthe de procédures qui empêche trop souvent des talents essentiels de rejoindre le réseau québécois.

Mais ce sont les toutes dernières images du film qui ont fait naître en moi une question insistante. Pourquoi un homme de l'envergure d'Amir Khadir, dont les interventions donnent au documentaire sa force et sa cohérence, pourquoi cet homme n'est il pas notre ministre de la Santé. Pourquoi ne pas confier cette responsabilité à quelqu'un qui possède une vision politique comparable à celle des premiers artisans du système de santé solidaire et universel, quelqu'un qui connaît le réseau de l'intérieur, qui perçoit ses failles, ses besoins et l'épuisement de ceux qu'il devrait soutenir.

Aucune réforme profonde ne peut naître sans volonté politique. Cette volonté se manifeste souvent lorsque l'opinion publique s'éveille et refuse de rester silencieuse. Le documentaire ne se limite pas à informer. Il met en lumière une évidence que l'on ne peut plus repousser. Rien ne changera si nous n'exigeons pas que cela change. Rien ne s'améliorera tant que nous accepterons une complexité inutile qui bloque des médecins compétents et prive des citoyens de soins dont ils ont besoin maintenant.

Le film se termine sur l'appel d'Amir Khadir adressé au ministre de la Santé Christian Dubé. Même s'ils ne partagent pas la même famille politique, Amir le décrit comme un homme honnête. Mais l'honnêteté en politique, si elle ne repose pas sur du courage et une réelle volonté d'agir, elle n'a aucun sens.

*Mohamed Lotfi*
11 décembre 2025

PS : Comme aujourd'hui, un 11 décembre, il y a exactement 36 ans, j'ai fait mon entrée en prison pour tendre un micro de radio. Cela m'a permis, pendant 35 ans, de voler une quantité phénoménale de temps au profit de ceux qui en étaient prisonniers. J'avais l'intention d'accoucher d'un texte pour souligner cette date anniversaire. Mais la projection du film de Nadia m'a accaparé. Je vous laisse sur ce lien. C'est la toute dernière émission Souverains anonymes, tournée en mars 2025. https://www.youtube.com/watch?v=bmCKc9ryXlg

Et ce court document réalisé par Nadia Zouaoui, il y a 14 ans, sur Souverains anonymes : https://youtu.be/GkNzgpta8xw

Facebooke :
https://www.facebook.com/mohamed.lotfi.90410/posts/pfbid02YA1oofZsT14riaFpB7ySLjthY26PWesFddR31YQZicYwAPvNGaxuohdAf9zpThS7l?locale=fr_CA

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Cri du cœur au Mont-Sainte-Anne

16 décembre, par Jonathan Tremblay — ,
On se rappelle aisément de 2020, avec l'arrêt brusque des télécabines ayant fait 21 blessés. D'une télécabine tombée en 2022. Et aujourd'hui, d'une panne électrique majeure (…)

On se rappelle aisément de 2020, avec l'arrêt brusque des télécabines ayant fait 21 blessés. D'une télécabine tombée en 2022. Et aujourd'hui, d'une panne électrique majeure forçant la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) à fermer les remontées mécaniques pour des enjeux de sécurité. Depuis 1994, les événements au Mont-Sainte-Anne se succèdent et démontrent l'incapacité de RCR à agir comme un gestionnaire responsable et un véritable citoyen corporatif.

Cependant, le problème est plus profond encore. Oui, on peut affirmer que RCR a cherché pendant des décennies à siphonner l'argent des contribuables québécois tout en sous-traitant ses obligations. Mais une question demeure : pourquoi aura-t-il fallu près de 30 ans avant d'oser sérieusement envisager leur éviction ? Cette situation ne s'est pas créée par hasard. Elle prend racine bien au-delà de la montagne.

Un premier élément majeur est l'absence historique d'un réseau médiatique local fort, indépendant et soutenu sur la Côte-de-Beaupré. Il y a bien eu L'Autre Voix, et il nous reste La Télé d'ici, mais jamais cela n'a été une priorité pour nos décideurs locaux. Il est toujours plus facile de gérer ses petites affaires sans le regard du quatrième pouvoir.

Pendant ce temps, les médias régionaux et nationaux ont — légitimement — d'autres enjeux à couvrir que ceux de notre territoire. On ne peut demander à La Télé d'ici d'être partout, tout le temps. Mais cette absence profite à qui, au juste ?

Deuxième élément : le morcellement politique de la Côte-de-Beaupré. Huit municipalités qui peinent à travailler ensemble, sans oublier la présence du Séminaire à la table du conseil de la MRC. Le comté provincial s'étend de la rivière Montmorency à la rivière Saguenay, incluant l'Île d'Orléans : 27 municipalités, 4 MRC, des TNO, des terres institutionnelles inaccessibles.
Au fédéral, on ajoute le sud et le nord de Beauport ainsi qu'une partie de la MRC de La Jacques-Cartier. Résultat ? Aucun leadership clair. Aucune voix forte pour la Côte.

Ce vide ouvre la porte à un troisième phénomène : les pouvoirs informels. Des gens tirent les ficelles. Les situations précédentes ont créé un terreau fertile permettant à certaines fortunes locales d'influencer nos élu·e·s : comment agir, quelles décisions prendre, et surtout, quand fermer les yeux. Cette recette se répète ensuite dans les associations influentes, les associations d'affaires, les organismes publics et parapublics. Quand vient le temps de défendre réellement les besoins de notre région auprès des paliers supérieurs, tous les leviers sont déjà occupés — souvent au service de copinages et d'intérêts personnels.

Un dernier élément, trop souvent passé sous silence : la Côte-de-Beaupré est l'un des territoires colonisés les plus anciens du Québec. Nous n'avons jamais réellement été les décideurs chez nous. Les réflexes judéo-chrétiens du « être né pour un petit pain » demeurent profondément ancrés. Il est temps que cela change.

Non, le Mont-Sainte-Anne ne devrait pas être confié à un autre acteur privé.
Il devrait être géré par nous, par la MRC, avec l'appui du Québec pour le relancer.
Non, notre arrière-pays ne devrait pas être sous la gouvernance d'une institution archaïque.
Il devrait être administré collectivement, par et pour le territoire.

Non, le développement immobilier sauvage ne devrait pas être la norme.

Non, l'étalement urbain de la Ville de Québec ne devrait pas se faire sans vision régionale.
Notre territoire est magnifique.

Notre collectivité l'est tout autant.

Des solutions existent. Sortons RCR et reprenons le contrôle de notre montagne, de notre arrière-pays, de nos rivières et de notre fleuve. Bonifions et coordonnons nos réseaux de transport collectif : le quai, le chemin de fer, la PluMobile. Lançons un média local fort, indépendant et multiplateforme.

Revisitons notre démocratie locale : un préfet élu au suffrage universel, des budgets participatifs, des regroupements municipaux intelligents respectant la représentativité locale, et un véritable appui à nos organismes communautaires.

Le Mont-Sainte-Anne n'est pas un accident.

Il est le symptôme.

À nous maintenant d'agir sur la cause.

Jonathan Tremblay, citoyen engagé

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La « Gen Z » face à la corruption du monde

16 décembre, par Alain Bertho — , , , ,
Avez-vous remarqué ce drapeau de pirate qui flotte aux quatre coins du monde et sert d'étendard aux peuples en révolte ? Madagascar, Maroc, Népal, Pérou… Alors que (…)

Avez-vous remarqué ce drapeau de pirate qui flotte aux quatre coins du monde et sert d'étendard aux peuples en révolte ? Madagascar, Maroc, Népal, Pérou… Alors que l'impuissance domine en Europe occidentale, la vitalité des insurrections récentes de la “Génération Z” élargit l'horizon. Cartographie et analyse de révoltes qui font vaciller les pouvoirs.

Tiré de Terrestres
La revue des écologies radicales
9 décembre 2025

Par Alain Bertho

Une tête de mort coiffée d'un chapeau de paille : ce curieux drapeau « Jolly Roger », emprunté au manga One piece, flotte désormais sur des foules en colère (1). En octobre 2025, il est devenu le symbole de la « Génération Z », autoproclamée Gen Z, dans les rues de Lima, Antanarivo, Jakarta, Mexico, Manille, Katmandou, Marrakech et … Paris le 18 octobre.

Symbole générationnel, il est le premier drapeau international à être ainsi brandi depuis 20 ans. Le drapeau arc en ciel, symbole de paix apparu au début du siècle au sein du mouvement altermondialiste, avait été depuis longtemps troqué pour le drapeau national lors des soulèvements du printemps arabe (2011) et des places occupées (2011-2014), comme lors des soulèvements de 2018-2019 – à commencer par celui des Gilets Jaunes en France. Le drapeau national, toujours présent, est aujourd'hui complété par ce trait d'union planétaire qui proclame des exigences communes.

Enfants pirates de la Matrice

Le nom de Génération Z n'est pas né dans la rue mais trouve son origine dans la sphère médiatico-managériale (2). Suivant les « génération X et Y » et précédant la « génération Alpha », démographiquement définie comme née entre 1997 et 2010, elle serait la première génération « nativement digitale », née et élevée dans un monde numérique infiniment plus prégnant qu'il y a seulement quinze ans (3).

Ce constat est factuellement juste. Rappelons que depuis la naissance du World Wide Web en 1991, du SMS en 1992, du smartphone Ibm en 1994 et de l'IPhone en 2007, la croissance de la toile a été exponentielle. Nous sommes passés de 1 million d'ordinateurs connectés en 1992 à 36 millions en 1996, 370 millions au tournant du siècle, et plus de 5 milliards aujourd'hui.

Durant ces 25 années, alors le nombre d'ordinateurs connectés est multiplié par 15, le téléphone portable a supplanté ces derniers dans les usages personnels d'Internet… et dans le nombre d'appareils. Les estimations sur le parc mondial actuel oscillent entre 8,5 milliards et 7,1 milliards, contre 3,7 milliards en 2016. Ils représentent plus de 60 % du trafic Web mondial, allant jusqu'à 90 % dans des pays sous équipés comme le Soudan, la Libye, la Syrie ou le Tchad (4).

La « Matrice », née dans l'imagination de deux réalisatrices visionnaires en 1999 (5), semble devenue réalité. Ne sommes-nous pas aujourd'hui confronté·es à un univers numérique qui capte les flux financiers comme nos rêves, nos désirs de résistance comme la surveillance policière, machine globale d'information et de désinformation, de promotion de soi manipulée par des algorithmes, de production d'images irréelles dans un monde où les ruines progressent, notamment en raison des besoins énergétiques exponentiels de la gestion des données ? L'Agence internationale de l'énergie prévoit un doublement des besoins d'électricité des Data Centers avec la progression de l'IA. Comme dans le film de 1999, la Matrice se nourrit de la destruction de la planète et de son humanité.

L'une des spécificités démographiques de la Génération Z est bien d'être née dans un monde déjà dominé par la Matrice et d'avoir été biberonnée par les portails offerts à chacune et chacun que sont les déjà vieux Facebook (2004), YouTube (2005), X (ex-Twitter 2006), mais aussi des portails plus récents comme Instagram (2010), Snapchat (2011), Tiktok, Telegram (2014) et Discord (2015).
Animation Matrix. Wikimedia.

Mais ce constat ne nous dit rien du rapport de cette génération au monde social et à son avenir. Pourquoi imaginer qu'elle serait plus prisonnière de la Matrice que celles qui l'ont précédée ? Comme dans le film de 1999, et depuis vingt ans au moins, la résistance articule l'action au sein du monde numérique et l'action rematérialisée, celle des corps eux-mêmes libérés de la toile digitale. Le développement des liaisons numériques a accompagné toutes les grandes révoltes du siècle. Les photos des voitures brulées circulaient comme des trophées sur Skyrock en 2005 (6). En 2008, Twitter a été mis en vedette pour son usage au sein de la contestation de masse des élections présidentielles de juin en Iran. En 2011, les jeunes Tunisien·es ont prouvé comment la censure d'Internet par Ben Ali avait fait d'eux des experts en cyber-résistance. Le partage des images a été un élément de poids dans le printemps arabe (7). Depuis lors, quelle mobilisation peut se passer d'une présence en ligne, de compte Facebook ou Instagram ? (8)

À cette longue antériorité s'ajoute une expérience biographique. Voici une génération entrée dans la vie adulte dans la confrontation à une pandémie universelle, à un retour dramatique de la matérialité vitale de l'humanité et de sa fragilité. Cette génération COVID a fait l'expérience du contrôle policier universel des corps, des relations sociales enfermées dans les écrans.

Comment s'étonner, dans ces conditions, que la marque politique brandie par la Gen Z soit le Jolly Roger de One Piece ? C'est peut-être l'indice de sa capacité universelle de détourner ces portails numériques au profit d'une résistance qui prend corps dans la rue, dans l'espace public matériel de la politique.

Philippines, septembre 2025. Wikimedia.

Comment penser qu'une telle génération connectée n'aurait pas vent de ce qu'on dit ou écrit sur elle ? La voici donc qui, d'un continent à l'autre, s'approprie le vocabulaire objectivant des commentaires de celles et ceux qui l'observent comme des entomologistes observent des insectes en laboratoire. Tels les révoltés des Pays Bas en 1566 traités de « Gueux » par la royauté espagnole, elle retourne le stigmate et revendique l'étiquette qu'on lui a accolée. La voici qui brandit son nom comme une subjectivité politique pirate symbolisée par le manga le plus lu au monde, apologie universelle d'une piraterie de justice sociale. Nous y reviendrons.

➤ Lire aussi |L'effondrement a commencé. Il est politique・Alain Bertho (2019)

Le message singulier des révoltes

Les mobilisations de l'auto-nommée Gen Z marquent une étape singulière dans le message que portent les révoltes des peuples depuis 25 ans9. Elle s'affirme comme un acteur politique apartisan et exigeant, promoteur de mobilisations, porteur de principes de vie commune. La Génération Z émerge comme symbole d'un nouveau cycle de confrontation des peuples et des pouvoirs.

Elle se pense comme telle : l'adoption du nom et de la bannière affirme une culture et une subjectivité commune, une communauté de révolte. La circulation des informations, des images et des symboles construit une dynamique de propagation. Les jeunes Marocain·es de 2025 ont l'exemple du Népal en tête comme Aminatou, Bewdo et Khouma me faisaient part à Dakar en 2011 de leur souhait de faire aussi bien que les jeunes Tunisien·nes (10). De la même façon, en 2019, le port du Gilet jaune avait fait école en Belgique, au Royaume Uni, en Allemagne, en Afrique du Sud, au Canada, en Irak, dans une trentaine de pays au total. Sauf en Égypte ou le gouvernement avait interdit préventivement la vente de gilets aux particuliers.

Caractérisée par ses modes d'organisation numériques et horizontaux et l'usage notamment de la plateforme Discord, la Gen Z ne se mobilise pas prioritairement en réaction à des évènements tels que ceux qui ont déclenché émeutes et soulèvements depuis 20 ans comme la mort d'un jeune ou la hausse des prix des transports ou du carburant. Ses mobilisations portent sur des principes de gouvernement et ce qu'elle perçoit comme des entorses fondamentales au bien commun : la corruption, l'austérité budgétaire qui ravage les services publics, la désinvolture démocratique, l'effondrement des états face aux mafias et à la corruption généralisée du Capital. Peu porteuse, dans l'état actuel des choses, d'une alternative constituante, elle se manifeste d'abord par la soudaineté des révoltes et par son efficacité dégagiste.

Népal, septembre 2025. Wikimedia.

Sri Lanka, Bangladesh, Népal, Madagascar : un dégagisme expéditif

Depuis 20 ans, combien de soulèvements ont mis à bas le pouvoir en place ? Trois en 2011 (Tunisie, Égypte et Libye), un en 2014 (Ukraine), deux en 2019 (Chili et Soudan). En trois ans, depuis 2022, quatre cheffes et chefs de gouvernement ont dû prendre la fuite en urgence face à la mobilisation de la rue : le président srilankais, la première ministre bengali, le premier ministre népalais et le président malgache.

Il n'a fallu que quelques semaines aux manifestations de « l'Aragalaya » (la lutte), pour mettre en fuite le président du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa. La lourde répression des premières manifestations contre les pénuries n'a fait que renforcer la révolte. Le blocage des réseaux sociaux a été contourné par une jeunesse virtuose d'une technologie dans laquelle elle a grandi et notamment de l'usage de VPN. Le 9 juillet 2022, l'occupation du palais présidentiel à Colombo signe la fin de la domination de la famille Rajapaksa.

Car les pénuries, la dette publique qui ont fait suite à la gestion du Covid sont entièrement mis au compte d'une dynastie dominant la vie politique du pays depuis la fin de la guerre civile en 2009. Le président Gotabya Rajapaska est le frère d'un ancien président, Mahinda, devenu son premier ministre. Leur autre frère, Basil, était ministre des finances. À l'accaparement du pouvoir politique s'ajoutent les pratiques de corruption massive d'une famille qui a mis les intérêts de l'État au service de ses intérêts patrimoniaux. La crise met en avant la coalition de gauche National People's Power (NPP), créée en 2019, qui gagne haut la main les législatives de 2024.

La Gen Z se mobilise contre ce qu'elle perçoit comme des entorses fondamentales au bien commun : la corruption, l'austérité budgétaire qui ravage les services publics, la désinvolture démocratique, l'effondrement des états face aux mafias et à la corruption généralisée du Capital.

Deux ans plus tard, ce n'est pas la corruption mafieuse qui met le feu au Bangladesh, mais la mise en place d'un système préférentiel de recrutement de la fonction publique au profit de ce qui apparaît comme un clan. Le système des quotas instauré au profit des vétérans de la guerre d'indépendance et de leurs descendants avait été aboli en 2018. Sa restauration par décision de la Cour suprême le 5 juin 2024 génère immédiatement une mobilisation étudiante.

Le « Mouvement étudiant anti-discrimination » lance alors le « blocus du Bangladesh ». La suspension provisoire de la réforme par la Cour d'Appel le 10 juillet ne fait que renforcer la détermination du mouvement. Dans les jours qui suivent, la répression est violente, faisant une centaine de morts. Internet est coupé. La prise d'assaut du palais gouvernemental provoque la fuite en Inde de la première ministre Sheikh Hasina en poste depuis 15 ans et le basculement de l'armée du côté du soulèvement. La « Révolution de la mousson » met ainsi fin au règne de la Ligue Awami, cheville ouvrière de l'indépendance. Le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus est nommé Premier ministre par intérim.

Bangladesh, 2024. Wikimedia.

En 2025 vient le tour du Népal, où Khadga Prasad Shama Oli, dirigeant du Parti Communiste du Népal, est premier ministre pour la troisième fois. La jeunesse se mobilise sur Internet contre la corruption du gouvernement et des administrations, le népotisme et l'opulence affichée sur les réseaux sociaux par la classe politique. Pour y répondre, le 4 septembre 2025, le gouvernement ferme 26 réseaux sociaux non légalement déclarés en vertu d'une décision de la Cour suprême datant de 2023, dont Facebook, YouTube, LinkedIn, Signal et Snapchat. Mais il n'empêche pas pas Tiktok, ni la possibilité de recourir à un VPN. La Gen Z, qui constitue 40 % de la population du pays, se soulève le 8 septembre. Le drapeau Jolly Roger surgit quand la foule tente d'investir le Parlement fédéral. L'affrontement est violent. Human Rights Watch parle de 76 morts (11). Dans la soirée, le blocage des réseaux est levé. Trop tard : le 9 septembre, les résidences du premier ministre et celles de membres du gouvernement et du Parlement sont prises d'assaut et incendiées, ainsi que les locaux du Parti Communiste. Le premier ministre prend la fuite. L'armée investit la rue. Le 11 septembre, des pourparlers s'engagent entre l'armée et les représentants de la Gen Z. Soutenue par ces derniers, l'ancienne juge en chef de la Cour Suprême, Sushila Karki, est nommée première ministre par intérim.

À Madagascar, comme au Sri Lanka, pénuries structurelles et corruption étatique sont aux racines de la colère. Et comme au Népal, le Jolly Roger surgit dans les manifestations. Comme au Bangladesh, l'armée rejoint le mouvement. Quatre jours suffisent pour mettre en fuite le président. La Haute Cour Constitutionnelle confie le pouvoir au colonel Michael Randrianirina qui dissout les institutions en attendant d'éventuelles élections dans un délai de deux ans.

Dans ces quatre cas, la corruption politique, l'accaparement de l'institution publique au profit de quelques un·es, famille, clan, parti, ont été les moteurs de la révolte. À l'instar des mouvements tunisien et égyptien en 2011, les soulèvements qui ne portaient pas d'alternative laissent gérer leur victoire par d'autres : les militaires au Népal et à Madagascar, une figure symbolique au Bangladesh.

Image ©GenZ Madagascar

La corruption comme effondrement du commun

D'autres pays sont secoués par la Gen Z sans que la mobilisation ne provoque l'effondrement immédiat du pouvoir. La corruption, et parfois l'insécurité mafieuse, sont les moteurs d'une mobilisation contre l'effondrement de l'esprit public.

En Indonésie, le Jolly Roger a été brandi par la mobilisation lancée à l'initiative de l'Union des étudiants Indonésiens contre des coupes budgétaires massives, puis contre l'augmentation des frais de fonction des députés en août. Du 25 août 2025 au 1er septembre, la répression est violente. Internet est coupé.

Aux Philippines, depuis 2024, une controverse grossit sur les milliards de pesosalloués à la gestion des inondations, les constructions au rabais et l'accaparement des contrats par un petit groupe d'entrepreneurs. Le Jolly Roger flotte à Manille le 21 septembre 2025 lors d'une violente manifestation contre la corruption. Au même moment, au Timor oriental, la décision d'acheter des SUV aux députés (pour 4 millions de dollars) mobilise victorieusement durant trois jours les étudiants à Dili, la capitale.

Au Pérou, en octobre 2025, le mouvement lancé sur les réseaux sociaux exprime l'épuisement populaire face à l'instabilité institutionnelle (huit présidents en dix ans), l'insécurité et la corruption. Le remplacement de la présidente destituée Dina Boluarte par son vice-président José Jeri, accusé de corruption et de viol, met le feu à Lima, Arequipa, Cusco et Puno. Le vieux slogan « que se vayan todos » (qu'ils s'en aillent tous) côtoie le Jolly Roger.

Pérou, octobre 2025. Wikimedia.

En novembre, des mobilisations massives emplissent les rues du Mexique contre la corruption et la violence des cartels à l'appel de la Gen Z. Le Jolly Roger flotte sur le Zocalo lors de l'assaut symbolique contre le Palais National. Si la manifestation n'a pas conduit à un soulèvement, la Gen Z fait maintenant partie du débat politique national.

En Serbie, tout est parti de l'effondrement meurtrier du portail flambant neuf de la gare de Novi Sad le 1er novembre 2024. Le drame devient le symbole de la corruption de l'État pour la jeunesse. Malgré la répression, la mobilisation sur l'ensemble du pays ne faiblit pas. Sept mois après le drame, des barricades sont encore érigées à Belgrade.

➤ Lire aussi | Pour que la dignité devienne une habitude・Omar Felipe Giraldo (2022)

La démocratie comme puissance populaire

Reste la démocratie. La politique au sens institutionnel du terme s'invite ici de deux façons : par la contestation brutale des dynasties électorales et des scores obscurs qui font des urnes une farce quasi officielle, mais aussi par la volonté de peser directement sur les grands choix du pays, notamment budgétaires.

La contestation brutale des processus électoraux est devenue un classique dans certains pays d'Afrique. Les émeutes de Guinée en 2020, de Côte d'Ivoire en 2020 et 2025, du Cameroun en 2025, ne sont pas une surprise. Quant à la crise institutionnelle du Pérou en 2023, conséquence de la destitution du président Pedro Castillo, elle a mobilisé beaucoup plus largement que la génération Z.

En 2024, il n'en est pas de même en Tanzanie où la domination trentenaire du Chama cha Mapinduzi (Parti de la Révolution) est personnifiée par Samia Suluhu, la présidente sortante et candidate à sa réélection. L'élection est précédée d'une répression systématique des opposants (parti Chadema), des journalistes et de la société civile, qualifiée de « vague de terreur » par Amnesty international. Les candidats d'opposition sont disqualifiés. L'élection de Samia Suluhu avec 97.95 % des voix provoque un soulèvement à Dar Es Salaam et dans toutes les grandes villes du pays. La jeunesse, qui s'est massivement abstenue, affronte une répression féroce. On compte au moins 700 morts.

En 2024, au Kenya, c'était la même jeunesse, connectée, informée mais sans illusion sur les processus électoraux, qui avait décidé de s'opposer à une nouvelle loi fiscale et s'en est donné les moyens en ligne : #OccupyParliament et #RejectFinanceBill2024, crowdfunding pour financer le voyage vers Nairobi le jour des manifestations. Des numéros de téléphone des dirigeants politiques sont divulgués pour les spammer avec des SMS et des messages WhatsApp. Sur le Web, un « mur de la honte » dresse la liste des hommes politiques qui soutiennent le projet de loi de finance (12). Le 18 juin 2024, la rue donne corps à la mobilisation à Nairobi. Le 19 juin, le Parlement amende le texte sans le retirer, provoquant une mobilisation violente dans tout le pays. Le 25, le Parlement lui-même est pris d'assaut. Le 26 juin, le projet de loi est annulé. Comme la loi de finance de l'année précédente, annulée par la justice après une mobilisation massive en dépit de la répression. Cette puissance démocratique directe s'installe dans la durée et la Gen Z est encore dans la rue en juin 2025 pour l'anniversaire de sa victoire, et encore le 7 juillet pour les 35 ans du soulèvement de 1990 (13).

Cette puissance est autant dans l'air du temps que dans l'ADN de la Gen Z. En Colombie, en 2021, une mobilisation populaire majoritaire et intergénérationnelle, très violemment réprimée (47 morts) s'oppose aux coupes budgétaires et aux hausses massives d'impôt prévues par la réforme fiscale. La réforme est finalement abandonnée.

Maroc, octobre 2025. Wikimedia.

Au Maroc, alors qu'on annonce depuis janvier un budget de 200 milliards d'euros pour financer la Coupe d'Afrique des Nations, mi-septembre, huit femmes enceintes meurent à l'hôpital d'Agadir lors de césariennes. Ce sacrifice meurtrier des budgets de la Santé et de tous les services publics, notamment de l'éducation, est au cœur de la mobilisation de la « Gen Z 212 » (212 est le code téléphonique du pays), qui commence le 27 septembre 2025 à Rabat, Casablanca, Marrakech, Agadir et Tanger, puis se répand à Salé Didi, Bibi, Kelaât M'Gouna, Inzegane, Témara, Beni Mellal, Aït Amira, Oujda et Lqliaâ. Plus de 1 500 personnes font l'objet de poursuites judiciaires. En octobre, la cour d'Appel d'Agadir prononce des peines de prison lourdes allant jusqu'à quinze ans de prison ferme pour trois accusés.

Plus modeste, le mouvement « Bloquons tout », lancé en mai 2025, appartient à la même galaxie. Certes, en France, les réserves démographiques de la Gen Z sont sans commune mesure avec le Kenya ou la Tanzanie. Mais on trouve ici aussi dans le viseur un budget particulièrement austéritaire. Les modes opératoires sont les mêmes : organisation horizontale, usage systématique de la messagerie Telegram. La fréquentation des assemblées locales préparatoires ne fait pas de doute sur la dynamique générationnelle. Si le mouvement n'a pas vraiment bloqué le pays le 10 septembre, il a néanmoins eu deux conséquences historiques : la chute volontaire du gouvernement Bayrou dès le 8 septembre et l'appel à la grève générale de tous les syndicats le 18. Jamais un gouvernement n'avait décidé de se faire harakiri devant le Parlement à la seule annonce d'une mobilisation. Jamais le mouvement syndical unanime n'avait appelé à la grève contre un projet de budget ! Et le « Jolly Roger » est sporadiquement apparu sur les défilés…

Tableau des mobilisations, par Alain Bertho.

2019-2020, universalisation de la lutte, défaillance des États

Partout donc, la corruption, le népotisme et la prévarication symbolisent l'effondrement de l'esprit public, de l'État comme garant de l'avenir commun au profit d'intérêt de clans à l'heure où l'avenir même de l'humanité semble compromis. C'est un élément nouveau dans les 25 années de mobilisation et de répression violente qui ont ouvert le XXIème siècle. Ce tournant s'enracine visiblement dans l'expérience de la pandémie et la multiplication des catastrophes climatiques et écologiques vécues auxquelles les pouvoirs ne font pas face.

Inaugurée par les émeutes de Seattle à l'occasion d'une conférence de l'Organisation Mondiale du Commerce (29-30 novembre 1999) et de Gènes lors de la réunion du G8 (19 juillet 2001), la longue période de brutalisation mondiale des rapports politiques trouve donc un nouveau souffle. La mondialisation (et la financiarisation) du capitalisme et de sa gouvernance politique, engagée depuis un demi-siècle a mis à distance systématique des hommes et des femmes tant des lieux stratégiques de production du profit que des lieux de décision politique. Dans des situations nationales très diverses, les peuples ont fait l'expérience de l'impuissance politique face aux choix néolibéraux. En désarticulant les sociétés, les pouvoirs étatiques et financiers désarticulent et désarment le Demos. Les souffrances n'ont plus d'expression politique ni les revendications d'interlocuteurs. Dans ces conditions, chaque conflit court le risque de s'exprimer dans ce que Martin Luther King nommait « le langage de ceux qui ne sont pas entendus » : l'émeute. Et les émeutes se sont en effet multipliées contre la vie chère (2008 par exemple) comme face la mort de jeunes tués par la police (France 2005 et 2023, USA 2012-2014 et 2020, Iran 2022), contre la hausse du prix du carburant ou du métro (soulèvements de 2019).

Le plus souvent ponctuelles et sans lendemains visibles, prenant parfois au contraire la forme brusque d'un soulèvement national voire d'une insurrection, les émeutes, par leur récurrence peuvent aussi installer une sorte de dissidence populaire durable, de soulèvement à bas bruit. Elles cimentent alors une méfiance structurelle entre les peuples et les pouvoirs, entre le Demos et le kratos.

Ces émeutes ont une histoire que j'ai rappelée à grands traits dans un précédent article de Terrestres (14). Les soulèvements de 2019 dans le monde marquent une étape cruciale. Après le lancement du mouvement des Gilets jaunes le 17 novembre 2018, de proche en proche plus de vingt pays dans le monde ont connu des soulèvements concomitants. C'est plus, en extension géographique et en durée, que les mobilisations de 2011 nommées alors « printemps arabe ».

Mexique, novembre 2025. Wikimedia.

En 2019, le déclencheur fut toujours très concret, lié à une décision ou à des pratiques gouvernementales mettant en danger la survie matérielle ou la liberté des personnes et des familles. Partout la colère englobe toute la classe politique. Mais là où le dégagisme de 2011 avait laissé de vieux chevaux de retour ramasser le pouvoir abandonné par des dictateurs en déroute comme en Tunisie ou en Égypte, les révoltés de 2019 n'ont laissé personne parler et décider à leur place. Les soulèvements devenus insurrection au Chili et au Soudan, ont engagé un processus constituant remarquable, quelle qu'en soit l'issue finale (coup d'État militaire au Soudan, référendum négatif au Chili sur la Constitution). Si le bilan global de l'année est une défaite des peuples face à la répression, celle-ci ne signe pas pour autant une victoire politique des pouvoirs en place qui perdent en légitimité ce qu'ils ont gagné par la violence d'État.

Après le lancement du mouvement des Gilets jaunes le 17 novembre 2018, de proche en proche plus de vingt pays dans le monde ont connu des soulèvements concomitants.

Immédiatement après, en 2020, la pandémie a enfoncé le clou. Avec son lot de peurs, de dénis complotistes, de solidarité, d'obéissance et de révoltes, elle a été un choc pour les peuples mais aussi pour les États. Ces derniers ont camouflé par un contrôle autoritaire des populations la révélation universelle de leur défaillance biopolitique, de leur lien privilégié avec des puissances financières – qui font même de la mort une source de profit.

2020 a été une année record p (our le nombre d'émeutes et d'affrontements civils. Un cinquième des affrontements a concerné les politiques sanitaires et un cinquième les mobilisations contre la police et les violences policières. Si on ajoute les émeutes et affrontements liés aux élections, à la corruption des États et aux attaques contre les libertés, plus de 60 % des situations d'affrontement ont été générées par une remise en cause fondamentale de l'autorité publique, de sa légitimité et de sa police (15).

➤ Lire aussi | Quand le néolibéralisme enfante le néofascisme : aux sources d'une révolution idéologique・Haud Guéguen (2025)

2021-2025 : un nouveau cycle

Quand la défaillance biopolitique des États devient clairement universelle, la physionomie et la géométrie des révoltes se transforme. En 2021, la brutalisation se maintient de façon diffuse. Le monde, hormis la Colombie (16), ne connaît pas de grands mouvements nationaux. Puis, dans les années qui suivent, l'expression violente et localisée des révoltes marque le pas au profit de soulèvements plus larges à la fois plus fréquents et plus directement motivés par la remise en cause globale de la gouvernance néolibérale autoritaire : la violence d'État, la corruption, les choix budgétaires, le trompe l'œil démocratique des institutions électorales.

Références sur la page personnelle de l'auteur : https://berthoalain.com/documents/

Ainsi émergent d'abord trois soulèvements nationaux : aux USA après l'assassinat de George Floyd (25 mai 2020), en Iran après celui de Masha Amini (16 septembre 2022) et en France après celui de Nahel Merzouk (27 juin 2023). Dans les trois cas, la répression est à la hauteur de la puissance de la colère populaire. Dans deux cas au moins, ces soulèvements ont une résonnance mondiale, jamais vue jusqu'à présent, dont témoigne alors la viralité soudaine et mondiale de deux mots d'ordre : « I can't breathe » et « Femmes Vie Liberté ».

Ainsi s'ouvre donc le cycle de la Génération Z. Dans un monde aux prises avec le néolibéralisme autoritaire et une financiarisation écocidaire, depuis le début du siècle, émeutes et soulèvements sont un signe incontestable de vie des peuples et de l'humanité tout entière. Ces mobilisations ont été les véritables pulsations du siècle, portant lumière et exigences sur tous les fronts de souffrance et de résistance collective. En 25 ans, six pulsations ont ainsi secoué le monde : l'égale dignité de toutes les vies, la volonté collective de survie, la défiance démocratique, la décolonisation, la lutte contre le patriarcat et la défense du vivant (17).

La Génération Z les rassemble toutes en contestant aux États le monopole de la compétence publique et celui de la légitimité démocratique, en portant le fer sur le cœur de l'époque : le sacrifice de tout intérêt public ou collectif au profit de quelques puissants. La corruption comme les budgets austéritaires sont le nom de cette mainmise universelle des logiques de profit financier sur les décisions collectives. L'exigence démocratique n'est pas qu'une question institutionnelle. Elle est une exigence de reconstitution de la puissance du Démos.

Photo Unsplash.

One Piece n'est pas qu'un drapeau : c'est la revendication d'une trame subjective commune, un combat contre la corruption du gouvernement du monde.

Le commun, le demos et l'ethnos

Dans ces conditions, quelques questions politiques se posent. La Gen Z a-t-elle un projet ? La référence à One Piece n'est pas indifférente, ni le succès planétaire de ce manga au propos fortement politique : un héros issu de quartiers pauvres et marginalisés, une confrontation à un gouvernement mondial corrompu…. Pour certains militants plus âgés, comme Youcef Brakni, un des animateurs du comité Vérité et Justice pour Adama Traoré, ou Fatima Ouassak, politologue et fondatrice du Front de mères, c'est clairement une leçon d'engagement qui les a formé.es dès leur enfance (18).

One Piece n'est pas qu'un drapeau : c'est la revendication d'une trame subjective commune, un combat contre la corruption du gouvernement du monde. Cet ancrage culturel fait la différence entre la Gén Z autoproclamée, mobilisée et pirate, et la « Génération Z » telle qu'elle est définie démographiquement. On ne peut pas affirmer que ses « idéaux » seraient « ambivalents » au titre de la diversité politique de la génération (19). Si la génération démographique est très diverse, la Gen Z mobilisée porte quelques grands principes communs et une aspiration affirmée à la défense du commun, à l'instar de Luffy le pirate. D'autre part, en comparaison avec les soulèvements de 2019, on ne peut pas dire que la Gen Z est purement pragmatique (20).

Pour autant, elle n'est pas encore porteuse d'une aspiration démocratique incarnée dans un peuple politique, un Demos. Quels sont aujourd'hui les enjeux de sa constitution et de sa puissance du Demos ? Il y en a deux : la rematérialisation politique par l'assemblée et l'ancrage national du Démos politique contre la tentation de l'Ethnos identitaire.

Avec des moments forts comme « ¡Democracia Real ya ! » en Espagne, les printemps arabes en 2011, la révolution ukrainienne en 2014, les mobilisations de 2019 et notamment les Gilets Jaunes, voire la mobilisation contre la réforme des retraites en France en 2023 (21), cette question s'affirme de façon de plus en plus explicite. Elle est bien sûr une dimension incontournable des mobilisations écologiques lorsqu'elles veulent opposer une expertise populaire au monopole de la compétence revendiqué par les pouvoirs publics.

Népal, septembre 2025. Wikimedia.

Cette affirmation d'un corps politique commun passe par l'incarnation corporelle, physique de l'exigence démocratique dans l'espace public alors que le monde économique, social, informationnel et gouvernemental veut par tous les moyens se protéger de la démocratie notamment par une numérisation galopante. Dès son origine antique, la démocratie s'est fondée dans les assemblées que la démocratie représentative a voulu ensuite éloigner du pouvoir. Les assemblées resurgissent obstinément lors de la Commune de Paris, de la révolution russe et dans tous les grands moments de soulèvement populaire. On les voit renaitre au XXIème siècle avec les places occupées de Tunisie, d'Égypte, d'Espagne et de Grèce en 2011, suivies d'Istanbul et Kiev, Nuit Debout à Paris en 2016, les ronds-points et les assemblées de Gilets Jaunes de 2018-2019.

Cette dimension est encore embryonnaire dans la Gen Z. L'installation dans la durée nécessite organisation, débat, réflexion collective sur les objectifs du mouvement. Une mention spéciale doit être accordée à la situation serbe (22). Les zborovi, assemblées citoyennes, se forment au mois de mars dans les villages ou les quartiers des grandes villes (23). Des revendications sont adoptées par le mouvement dès le mois de mars, débordant largement la colère initiale. « Liberté, justice, dignité, État, jeunesse, solidarité, savoir et avenir » structurent la plateforme d'un mouvement apartisan bien décidé à affirmer sa puissance citoyenne. Une véritable dissidence populaire prend racine.

En 2024, la chute de la fièvre émeutière et des affrontements civils dans le monde a été spectaculaire. La violence s'est pour une part déplacée : dans la guerre civile, dans la guerre faite aux civils jusqu'au génocide, dans des déchainements xénophobes d'une ampleur inédite.

Reste à éviter la tentation identitaire de l'Ethnos, très présente aujourd'hui. L'année 2024 fut à cet égard critique (24). La chute de la fièvre émeutière et des affrontements civils dans le monde a été spectaculaire. La violence s'est pour une part déplacée : dans la guerre civile, dans la guerre faite aux civils jusqu'au génocide, dans des déchainements xénophobes d'une ampleur inédite. Il n'y a pas qu'en Cisjordanie que la logique de guerre civile et de guerre coloniale mobilise les civils. Le nombre d'affrontements directs entre les populations a augmenté de 50 % et leur poids dans la totalité des émeutes et affrontements civils est passé de 7 % à 18 %.

Nous en avons vu une manifestation terrifiante en Angleterre durant l'été 2024 quand, dans 26 villes, des foules populaires s'en sont pris physiquement aux mosquées et aux hôtels de demandeurs d'asile (25). L'été 2025 a vu la peste s'étendre : en Irlande du Nord contre les Rroms, en Espagne contre les Marocains, en Angleterre enfin où les manifestations anti migrants se sont multipliées.

La Gen Z n'est pas à l'abri de cette dérive du Démos politique à l'Ethnos identitaire. Le Bangladesh en a été le théâtre dans les jours qui ont suivi la chute de la première ministre Sheikh Hasina en août 2024. Du 8 au 13 août, dans 53 districts du pays, les Hindous, stigmatisés comme partisans de l'ancien gouvernement, sont victimes de violences de masse (26).

Il reste donc de ces derniers mois un sentiment d'inachèvement politique. La critique que porte en acte la Gen Z sur le gouvernement du monde est d'une grande acuité. Ni idéologie ni pragmatisme mais exigence impatiente d'un État soucieux du commun, de solidarité institutionnalisée (dans des services publics et des choix budgétaires), d'honnêteté publique. Cette impatience est expéditive, mais sans lendemains convaincants, là où les pouvoirs sont faibles. Ailleurs, elle fait l'expérience de leur résistance violente. Elle ne réalisera vraiment ses exigences en puissance d'alternative durable que dans sa capacité à redevenir, jusqu'au bout, obstinément terrestre.

Image d'accueil : Mexique, novembre 2025. Wikimedia.

Notes

1. One Piece, manga de Eiichiro Oda, est sorti pour la première fois en 1997. En 2025, 113 tomes sont publiés au Japon. Avec plus de 530 millions d'exemplaires, c'est la série la plus vendue au monde, dessinée par un seul auteur. Son jeune héros, Luffy, cherche à devenir le roi des pirates.[↩]

2. Elisabeth Soulié, La génération Z aux rayons X, Cerf, 2020.[↩]

3. La caractérisation alphabétique des générations est née dans les années 1960 : Jane Deverson et Charles Hamblett, Generation X, 1964 ; Jean Louis Lavallard, « Génération y les millenials », Raison Présente n°11, 2019/3[↩]

4. Sources https://wearesocial.com/fr/ et https://statcounter.com/web-analytics/[↩]

5. Matrix, 1999, réalisé par Larry et Andrew Wachowski, devenues depuis Lana et Lilly Wachowski.[↩]

6. Réseau social créé en 2002 et fermé en 2023. Il permettait la création de blogs individuels (Skyblog).[↩]

7. C'est l'objet de la thèse de Ulrike Riboni « Juste un peu de vidéo » : la vidéo partagée comme langage vernaculaire de la contestation – Tunisie 2008-2014, Université de Paris 8, 2016. Cf. Ulrike Lune Riboni, Vidéoactivismes. Contestation audiovisuelle et politisation des images, Amsterdam, 2023.[↩]

8. Alain Bertho :« Énoncés visuels des mobilisations : autoportraits des peuples », in Anthropologie et sociétés, « Reconnaissances et stratégies médiatiques », 2016/40/1, pages 31-50 ; Alain Bertho « Soulèvements contemporains et mobilisations visuelles », Socion°2 , pages 217-228 ; Alain Bertho, « Émeutes sur Internet : montrer l'indicible ? », Journal des anthropologues, 126-127 2011, pages 435-452.[↩]

9. Alain Bertho, De l'émeute à la démocratie, La dispute, 2024.[↩]

10. Ibid., page 33.[↩]

11. https://www.hrw.org/fr/news/2025/11/19/nepal-recours-illegal-a-la-force-lors-des-manifestations-de-la-generation-z[↩]

12. Job Mwaura, « Manifestation au Kenya : la génération Z montre le pouvoir de l'activisme numérique faire passer le changement de l'écran à la rue », The Conversation, 25 juin 2024[↩]

13. Robert Amalemba, « Kenya. Soutenue et organisée, la Gen Z résiste malgré la censure », AfriqueXXI, 22 juillet 2025.[↩]

14. Alain Bertho : « L'effondrement a commencé, il est politique », novembre 2019.[↩]

15. Alain Bertho, « Bilan 2020 : les peuples ne peuvent plus respirer », Médiapart, 30 janvier 2021[↩]

16. D'avril à mai 2021, la grève contre la réforme fiscale et des manifestations violentes touchent toutes les villes de Colombie.[↩]

17. Ces six « pulsations » du cœur battant du monde sont documentées dans le deuxième chapitre de mon livre De l'émeute à la démocratie, la Dispute, 2024.[↩]

18. Voir la vidéo : ONE PIECE : Un manga POLITIQUE ??? – Fatima Ouassak, YouTube, Histoires crépues, 21 mars 2023[↩]

19. Jean-François Bayart, sociologue : « Les idéaux politiques de la génération Z sont très ambivalents, et facilement récupérables », Le Monde, 9 novembre 2025[↩]

20. Cécile Van de Velde, « La colère de la génération Z est très pragmatique », Le Monde, 31 octobre 2025, propos recueillis par Yasmine Khiat.[↩]

21. Alain Bertho, « Et maintenant quel ordre de bataille ? », Regards, 24 avril 2023 et « Faire peuple sans populisme », Regards, 20 juin 2023.[↩]

22. Pauline Soulier, « Serbie : la révolte des étudiants va-t-elle tout renverser ? », The Conversation, 10 mars 2025.[↩]

23. Milica Cubrilo Filipovic et Jean Arnault Dérens, « Zbor : quand la Serbie réinvente la démocratie directe », Le Courrier des Balkans, 24 mars 2025.[↩]

24. https://blogs.mediapart.fr/alain-bertho/blog/140125/fievres-populaires-en-2024-le-calme-et-la-tempete[↩]

25. https://blogs.mediapart.fr/alain-bertho/blog/110924/face-l-ombre-du-pogrom-ordinaire[↩]

26. https://berthoalain.com/2024/08/14/violences-anti-hindous-a-dhaka-et-52-districts-8-9-10-11-12-13-aout-2024/[↩]

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Depuis l’Amérique de Trump, une vague masculiniste est en train de s’abattre sur le monde.

16 décembre, par Clémentine Autain —
Il faut en prendre pleinement la mesure : l'internationale réactionnaire et autoritaire a fait le choix d'une confrontation sur la question du genre. La campagne de Donald (…)

Il faut en prendre pleinement la mesure : l'internationale réactionnaire et autoritaire a fait le choix d'une confrontation sur la question du genre. La campagne de Donald Trump en 2024 avait de ce point de vue marqué un tournant avec un mot d'ordre clair : redonner aux hommes blancs chrétiens une suprématie mondiale — jusqu'à la conquête de Mars.

28 octobre 2025 | Le grand continent | Illustration : Vue d'artiste d'une casquette qui n'existe pas. © Tundra Studio
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/10/28/male-america-great-again/

L'alliage accélérationniste et réactionnaire trumpien intègre de plus en plus explicitement une nouvelle dimension : le masculinisme.

C'est là qu'est la véritable bascule : ce n'est plus « Make America Great Again » mais « Male America Great Again ».

Les masculinistes qui forment cette alliance — composite, dans les Amériques et en Europe — défendent haut et fort le retour à « l'ordre éternel » des sexes et des sexualités ; pour hâter un tel retour, ils ne reculent pas non plus devant la violence.

Les symboles agités disent leurs obsessions virilistes et leur imaginaire sexiste.

Lors du débat télévisé du second tour de la présidentielle brésilienne en 2022, Jair Bolsonaro a demandé à Lula da Silva s'il prenait du Viagra.

Parmi ses cinq priorités de programme, Donald Trump a mis en avant une mesure contre les personnes transgenres.

Giorgia Meloni a trouvé son slogan : « sono una madre, sono una donna, sono Cristiana » 1, mêlant un programme politique aux parfums des tradwives et de la guerre des civilisations.

On pourrait multiplier les exemples à l'envi. L'un d'entre eux résume mieux que d'autres leur programme : à Davos, Javier Milei, a résumé le parti pris masculiniste. Pour le président argentin, le « féminisme radical » serait une « distorsion du concept d'égalité », une « recherche de privilèges » qui opposerait « une moitié de la population à l'autre ». Cette inversion des rôles entre dominants et dominés est au fondement du masculinisme.

Une internationale réactionnaire contemporaine marquée par une esthétique viriliste s'adosse au mouvement masculiniste qui se développe fortement, en réaction — au sens fort de ce mot — à la popularisation des idéaux féministes et à la déferlante #MeToo.

Cette progression est manifeste : le féminisme avance et convainc, notamment chez les jeunes générations. Mais en abaissant les privilèges des hommes et en troublant les repères traditionnels, ces victoires génèrent des crispations et une contre-offensive. C'est le fameux backlash 2 analysé par Susan Faludi 3.

Le masculinisme d'aujourd'hui dépasse pourtant ce seul phénomène par son imbrication avec la réaction : les deux se nourrissent et s'imbriquent.

De Trump à Poutine, de la Hongrie à la Corée du Sud, des discours d'Erdogan à ceux de Modi, toutes les nuances de l'internationale autoritaire et réactionnaire s'appuient sur la valorisation de la différence et de la hiérarchie entre les sexes.

S'appuyant sur des collectifs militants, la « manosphère » 4 et des figures de l'oligarchie finançant de grands médias, ce masculinisme postule que les problèmes et la souffrance des hommes seraient causés par l'influence indue des femmes en général, et des féministes en particulier. En portant des revendications proprement masculines et conservatrices, il légitime et assoit une organisation sociale reposant sur les hiérarchies, les dominations et les prédations.

Penser qu'on pourrait gagner contre le trumpisme en faisant l'impasse sur la question du genre relève de la faute morale et stratégique. Clémentine Autain

Une internationale réactionnaire

Partout dans le monde, l'extrême droite a pour projet fondamental de valoriser la tradition, la religion, les distributions inégalitaires, la jouissance capitaliste et consumériste.

Elle a aussi pour cible la science et les arts.

La percée de l'extrême droite aux États-Unis et en Europe s'agrippe au « déclin de l'Occident », qui aurait été considérablement ébranlé par le recul du religieux et le progrès des Lumières, le mélange des cultures, la décolonisation, le mouvement des femmes, les conquêtes sociales, l'écologie politique, l'essor des pays du Sud. Le retour aux « valeurs occidentales » passe par un combat en faveur de la supériorité des Blancs, de la culture chrétienne, du masculin et de l'hétérosexualité ; il orchestre la chasse aux migrants, l'obscurantisme et la destruction de l'État social.

C'est à cette échelle que la confrontation se situe.

Ce que veulent les trumpistes et leurs avatars, c'est anéantir le mouvement d'émancipation et d'individuation ouvert au XVIIIe siècle, dont l'égalité femmes/hommes est l'une des principales dimensions.

Javier Milei proclame en toute occasion : « Vive la liberté, bordel ! », détournant ce principe de son sens pour le mettre au service des dominants. Pour lui, pour eux, la liberté, c'est la liberté des hommes d'opprimer les femmes, la liberté des marchés financiers, la liberté de détruire la planète, la liberté d'être raciste, la liberté d'expression de la haine — en somme, tout ce qui fait reculer les capacités des individus à devenir libres.

La nature de la réponse progressiste doit donc être à la hauteur de l'offensive.

Aujourd'hui, chez celles et ceux qui défendent l'émancipation, beaucoup s'interrogent.

Face au procès en « wokisme », faudrait-il parler d'autre chose ?

En ferait-on trop sur le terrain du genre ?

Le féminisme serait-il devenu trop consensuel, rebattu, achevé ?

Faudrait-il en finir, à gauche, avec le sociétal pour en revenir au pur social ?

Ces questions sont souvent l'occasion de proposer la mise au placard de la défense des femmes et des minorités ; pas toujours cependant. À l'heure où l'extrême droite a le vent en poupe, nous aurions tort de les balayer d'un revers de la main : il y a de la gravité et de la complexité dans ces questionnements.

Mais penser qu'on peut gagner contre le trumpisme en faisant l'impasse sur la question du genre relève de la faute morale et stratégique. L'égalité femmes/hommes — aujourd'hui très loin d'être achevée — est non seulement une cause juste, elle est incontournable. Et le combat contre l'extrême droite suppose de déminer le masculinisme qui façonne son programme.

Pour gagner, il faut entraîner cette énergie féministe.

Le féminisme contre l'extrême droite

Contre la vague brune, le féminisme est une clef.

Aucun autre mouvement mondial n'est davantage à la mesure de la progression fasciste.

La mobilisation féministe a embrassé les États-Unis et Hollywood, mais aussi les femmes chiliennes, les Espagnoles, les Iraniennes ; elle se répand tout autour du monde.

Cette mobilisation invente ses formes et ses chants ; elle renouvelle ses mots d'ordre. Elle affirme sa force grâce à son caractère intergénérationnel et supra-occidental. Elle a ses icônes — de Gisèle Pélicot à Mahsa Amini. Faisant sien le slogan des combattantes kurdes, « Femmes, Vie, Liberté », elle sait relier trois mots qui opposent un non radical aux idées brunes, mutilantes et mortifères.

La vitalité féministe contre la restauration d'un ordre injuste est pour la gauche un puissant point d'appui. Pour autant, les théories féministes sont plurielles 5 — comme sont diverses les possibilités de les articuler à un projet de transformation sociale et écologiste.

Le féminisme, c'est la défense de toutes les femmes, et pas seulement des privilégiées. Une femme victime de viol est une femme victime de viol, qu'elle soit au RSA ou cadre supérieure, qu'elle habite Versailles ou Tarbes, qu'elle soit blanche ou noire.

Le féminisme que je défends est celui qui parle, qui interpelle, qui défend la majorité des femmes 6 : les caissières et les infirmières, les employées à temps partiel — qui signifie salaire partiel, chômage partiel, retraite partielle — et celles, parfois les mêmes, qui se démènent seules pour élever leurs enfants ; les femmes qui, par millions, souffrent dans l'indifférence de l'endométriose et celles qui n'ont même plus les moyens de s'acheter des protections périodiques ; les jeunes filles qui subissent le harcèlement sexiste sur les réseaux sociaux et les femmes ménopausées que l'on dit périmées sur le « marché de la séduction ».

Détourner les hommes du vote brun

La polarisation dans les votes l'indique clairement : le repli masculiniste actuel conduit de plus en plus d'hommes à se tourner vers l'extrême droite — quand les suffrages féminins se portent de plus en plus à gauche 7.

Cette captation du vote des femmes montre que le féminisme est un élément de dynamique pour la gauche et les écologistes ; il montre aussi que, pour atteindre la majorité, et sans en rabattre sur l'exigence d'égalité, il faut faire mieux pour parler à l'électorat masculin.

Les hommes ont vu leurs privilèges remis en cause — et ce n'est que justice. Mais dans une société où les régressions s'accumulent, où l'air du temps est au « c'était mieux avant », le ressentiment est un dangereux carburant. Les mutations dans l'emploi, le déclin des territoires ruraux et industriels, l'atomisation du salariat et des espaces de sociabilité sont le terreau d'un mal-être dans les classes populaires.

Alors que tout rime avec déclassement aujourd'hui, que l'injonction à être du côté des winners fait partie du décor dans notre régime capitaliste de concurrence et de compétition, comment ne pas regretter, quand on est un homme, ces temps anciens où le patriarcat sans entraves garantissait au moins un domaine où l'on était toujours gagnant ?

Par ce biais, l'extrême droite détourne l'attention des solutions reposant sur le partage des richesses, au profit de celles restaurant des hiérarchies.

Or si les hommes ont des privilèges à perdre dans une société égalitaire, ils ont aussi de la liberté à gagner.

Les injonctions à se conformer aux stéréotypes masculins ne sont pas que joie et bonheur. Se montrer toujours fort, ne pas pleurer, ne pas partager l'intime, se voir attribuer a priori le rôle de l'actif dans la séduction et la sexualité, sont autant de moules dans lesquels le virilisme enferme. La hiérarchie entre les sexes a un corollaire qui touche aussi les hommes : l'assignation à des rôles imposés. Face aux difficultés sociales qui s'accumulent, les hommes se réfugiant dans la mythologie viriliste n'ont-ils pas besoin que l'on prenne le mal à la racine ?

Notre réponse doit être un projet global fort, cohérent, offrant à toutes et tous une projection valorisante, une vie meilleure. Un projet qui protège et apaise, qui vise des services publics accessibles partout et de qualité, un environnement vivable, des salaires permettant de vivre dignement, de la démocratie dans l'entreprise, une sécurité alimentaire, des logements dignes, la réindustrialisation, un soutien à l'économie de proximité et le développement de lieux de soins, de liens, de convivialité. C'est un projet qui place en son cœur l'éducation et la culture.

Le repli masculiniste actuel conduit de plus en plus d'hommes à se tourner vers l'extrême droite — quand les suffrages féminins se portent de plus en plus à gauche. Clémentine Autain

Répondre à l'intersectionnalité des haines

En un mot : ce projet est celui de la société des communs, contre la marchandisation et la déshumanisation ; il propose de s'arracher au déclassement et de se projeter positivement dans l'avenir.

Le jeu de balancier qui a d'abord consisté à ignorer les questions féministes puis à s'en préoccuper pour porter les combats des femmes et des minorités — tout en laissant de côté la défense des classes populaires — doit cesser. Choisir entre le social et le sociétal est une impasse — parce que le prétendu sociétal est en réalité profondément social.

Les individus ne se découpent pas en morceaux, et les femmes sont majoritaires dans les catégories sociales les plus exploitées et les plus précaires. Les conditions de l'émancipation des ouvrières et des employées dépendent de nos victoires contre le capitalisme et le consumérisme.

Quand on est ouvrière dans une conserverie ou employée dans un hôtel, on est à la fois opprimée par le rapport de classe et en tant que femme. Et si l'on est noire ou musulmane — réelle ou supposée —, on subit aussi le racisme. Les oppressions ne s'additionnent pas, elles s'articulent entre elles. L'internationale réactionnaire et autoritaire l'a d'ailleurs très bien compris, elle qui prône l'intersectionnalité des haines. 8

Il faut donc éviter ce double écueil : ni l'économico-social pour solde de tout compte, ni les thèses autrefois promues par le think tank Terra Nova qui proposait de cibler, pour gagner à gauche, les femmes et les immigrés ; c'était là un consternant adieu au prolétariat.

Défendre à la fois le monde du travail et la liberté des femmes, une politique industrielle et les droits des minorités, ce n'est pas associer des choses qui s'opposent : en vérité, celles-ci se complètent. Cet assemblage n'est pas simple, ni exempt de tensions voire de contradictions, mais tous les raccourcis qui ne voient les mécanismes d'oppression que dans un seul rouage ratent la cible.

Pour un nouvel imaginaire du genre

Il n'est pas sérieux de croire que l'on pourrait affronter l'extrême droite sans avoir quelque chose à dire de clairement différent sur les thèmes qui sont au centre de sa propagande.

Il n'est pas sérieux non plus de croire que l'on peut gagner face à l'internationale réactionnaire avec pour seuls messages audibles les droits des femmes ou la lutte contre l'islamophobie.

Le salut viendra de l'articulation des combats émancipateurs.

C'est pourquoi l'égalité doit être portée comme une valeur contre l'essentialisme et l'enfermement identitaire. La conflictualité avec l'extrême droite se situe en grande partie sur ce terrain. L'identité fige et enferme ; l'égalité permet la dynamique émancipatrice.

La confusion s'installe souvent quand on oppose la différence à l'égalité : les hommes et les femmes sont en effet différents par leur corps, leur histoire, leur quotidien — et il y a d'ailleurs une historicité de cette différence 9, dont les concepts suivent l'évolution des rapports sociaux. Je refuse pourtant de valoriser et d'essentialiser cette différence : si le féminisme assigne lui aussi le féminin et le masculin, et/ou inverse la hiérarchie pour faire primer le féminin sur le masculin, nous voici à nouveau dans l'impasse.

La revendication d'égalité postule, elle, que chacune et chacun ne doit pas être voué à un destin préétabli en raison de son appartenance de genre. Quand on parle le langage de l'ennemi, la partie est déjà perdue. Face à ceux que l'identité obsède, soyons clairs sur notre mantra de l'égalité.

Nous avons à créer un autre imaginaire que celui d'une binarité figée, masculin/féminin. Nous touchons ici à l'intime et à des représentations profondément ancrées : nous n'aurons pas de nouveau mythe prêt à l'usage pour les remplacer. Le mouvement de la société dira ce qu'il restera de cette différence, ce que nous décidons d'en faire ; en attendant, l'égalité est le moteur de la libération.

Enfin, le féminisme est aussi fécond pour repenser notre rapport au pouvoir et à la politique.

Revendiquer le droit à l'avortement, l'égalité des salaires et des moyens pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, est essentiel.

Comprendre également que le féminisme vient contester le virilisme tel qu'il s'observe dans la façon de gouverner, de choisir les thèmes politiques ou de faire des discours — le mot tribun n'a d'ailleurs pas d'équivalent féminin —, c'est encore mieux.

Le vocabulaire « militant » en dit long : nous parlons de « camp », de « combat », de « lutte » et de « rapports de force », donnant à voir combien la forme guerrière, masculine, est constitutive de la politique elle-même. Pendant que les Trump et les Poutine radicalisent cet exercice masculin du pouvoir, nous devrions travailler à sa refondation et la donner à voir, pour promouvoir la coopération et approfondir la démocratie — qui reste la condition première de notre victoire.

Sources

1. « Je suis une mère, je suis une femme, je suis chrétienne ».
2. Terme anglais pour « retour de bâton ».
3. Susan Faludi, Backlash, Paris, trad. Lise-Éliane Pommier, Évelyne Châtelain et Thérèse Réveillé, Éditions des femmes, 1991.
4. Le terme « manosphère » (construit de la même manière que « fachosphère ») désigne l'ensemble des communautés en ligne — forums et réseaux sociaux — entretenant une forme de culture viriliste et misogyne.
5. Comme le montre l'ouvrage collectif qui vient de paraître sous la direction de Camille Froidevaux-Metterie, Théories féministes, Paris, Seuil, 2025.
6. Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya, Nancy Fraser, Féminisme pour les 99 %, trad. Valentine Dervaux, Paris, La Découverte, 2019.
7. La sociologie des votes de la dernière présidentielle aux États-Unis ou des élections législatives en Allemagne est de ce point de vue édifiante.
8. Expression empruntée à l'historienne Christine Bard. Voir Christine Bard, Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri (dir.), Antiféminismes et masculinismes d'hier à aujourd'hui, Paris, PUF, 2019.
9. Je renvoie notamment ici aux travaux de Geneviève Fraisse, notamment Les Femmes et leur histoire, Paris, Gallimard, 1998.

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