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Passer à l’action ! | RADAR | 17 septembre 🎉

17 septembre, par Catherine Ouellet-Cummings — , ,
À quelques jours de la rentrée, dans un contexte de coupes en éducation qui poussent peut-être à annuler le club d'échec, fermer le journal étudiant ou à réduire les heures (…)

À quelques jours de la rentrée, dans un contexte de coupes en éducation qui poussent peut-être à annuler le club d'échec, fermer le journal étudiant ou à réduire les heures d'ouverture de la bibliothèque, etc. ; explorons l'importance de ces espaces d'engagement dans le parcours des jeunes.

Passer à l'action ! le premier essai de Catherine Ouellet-Cummings, créatrice multidisciplinaire et coéditrice de la revue pour enfants Grilled-Cheese, paraîtra le 17 septembre prochain !

Il s'agit du 10e essai dans la collection Radar (15 ans +) chez Écosociété.

En bref : Dans Passer à l'action ! Catherine Ouellet-Cummings nous présente des jeunes de tous les horizons qui ont choisi de s'impliquer dans leur milieu scolaire ou ailleurs. Leurs récits démontrent que ces expériences d'engagement ont été formatrices et motivantes dans leur parcours, ont même souvent contribué à leur réussite.

À propos du livre

L'engagement vient d'une envie de changer quelque chose, de prendre part à un mouvement, de partager une passion ou de sentir qu'on appartient à une communauté. Appuyer une cause, participer à un projet dans son école, apprendre ce qui ne s'enseigne pas, défendre ses idées, aider un organisme, influencer des décisions, se sentir moins seul·e, revendiquer des changements : il existe autant de raisons de s'engager que de gens qui s'engagent. Cette démarche, à tout âge de la vie, permet de développer son estime de soi, de créer des liens sociaux et de trouver sa place dans la communauté.

Devant une injustice, plus facile de se taire, mais ça ne fait pas changer les choses. Les jeunes sont sensibles aux inégalités ; et si on valorisait davantage leur idéalisme, leurs motivations ? Et si on répondait à leur désir de savoir et d'avoir un impact ? Cet essai, en donnant la parole aux jeunes, invite toute une société à tendre l'oreille pour grandir avec sa jeunesse et rester ouverte à de nouvelles manières d'envisager l'avenir. Et si on leur donnait les outils pour se mobiliser plutôt que de leur apprendre à se taire ?

À propos de l'autrice

Catherine Ouellet-Cummings a publié des textes dans plusieurs magazines québécois et est créatrice de fanzines. En 2006, elle a cocréé le studio multidisciplinaire L'abricot. Elle est également cofondatrice et éditrice de Grilled cheese, un magazine jeunesse bilingue.

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Désir d’agir

17 septembre, par Stein van Oosteren — ,
Alors que les gouvernements Carney et Legault reculent sur le plan environnemental, voici l'histoire d'un diplomate que rien ne prédestinait à devenir acteur de la transition (…)

Alors que les gouvernements Carney et Legault reculent sur le plan environnemental, voici l'histoire d'un diplomate que rien ne prédestinait à devenir acteur de la transition écologique. Un livre rafraîchissant qui conjugue le futur au présent.

L'essai Désir d'agir - Comment déclencher la transition écologique, du diplomate et partisan du vélo Stein van Oosteren, paraîtra en librairie le 8 octobre prochain. Le livre est préfacé par la paléoclimatologue française Valérie Masson-Delmotte, qui a notamment fait partie des 100 personnes les plus influentes au monde en 2022, selon le magazine Time.

À propos du livre

Pourquoi hésite-t-on à agir pour le climat ou la biodiversité, alors que la planète manifeste des signes de plus en plus évidents de profonds bouleversements écologiques ? Qu'est-ce qui nous pousse à franchir le pas et à s'engager dans l'action ? Stein van Oosteren connaît trop bien les rouages de cette hésitation. Rien ne le prédestinait particulièrement à s'engager dans la lutte pour le climat. Pourtant, il y a eu un déclic, le besoin de faire quelque chose, puis le passage à l'action.

Dans ce livre débordant de verve et d'enthousiasme, Stein van Oosteren réfléchit sur la nature de nos blocages et partage des outils pour surmonter le découragement et les hésitations qui accompagnent toute démarche d'engagement. Puisant dans son propre parcours de militant pour le vélo et d'attaché à l'UNESCO, il parle d'urbanisme, de mobilité, d'alimentation, de santé, d'éducation ou d'art en interrogeant avec philosophie notre rapport au temps, à l'autre, au travail, aux mots... Ses questionnements, ponctués d'humour, jettent un éclairage nouveau et rafraîchissant sur les possibilités qui s'offrent à nous pour transformer nos sociétés.

Si le projet de ce livre – déclencher des transitions écologiques – est ambitieux et ardu car il défend des générations qui ne sont pas encore là, Stein van Oosteren a toutefois le talent d'ancrer son propos dans le quotidien et de nous inviter, petit à petit, à dégager l'espace et le temps pour vivre « l'expérience passionnante de devenir acteur dans un changement de société ». Et ainsi s'inscrire dans un mouvement qui nous dépasse.

En cherchant à stimuler notre désir d'agir, non pas comme le ferait un manuel de pratiques militantes, mais par le biais d'un témoignage personnel et tangible, ce livre nous fait vivre en direct l'expérience d'une époque en pleine transition. Ce faisant, il prétend moins apporter des réponses que nous inviter à poser les bonnes questions.

« Ce livre est une forme d'introspection, qui nous permet de nous mettre à la place de Stein, de suivre sa réflexion et la construction de son engagement. [...] Il décrit ce déclic, cette prise de conscience intime, qui l'a fait évoluer, devenir acteur d'un engagement personnel et collectif, porteur de propositions concrètes, propres à chaque contexte... » - Valérie Masson-Delmotte


À propos de l'auteur

Porte-parole du Collectif Vélo Île-de-France et diplomate à l'UNESCO, le Franco-Néerlandais Stein van Oosteren anime le débat sur le vélo en France depuis la sortie du documentaire Why we cycle (Pourquoi le vélo) en 2017. Il est l'auteur de Pourquoi pas le vélo ? (Écosociété, 2021).

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Ruptures et révolution Imaginer l’État-providence autrement

17 septembre, par Sylvain Gaudreault — , ,
Ruptures et révolution Imaginer l'État-providence autrement un essai de Sylvain Gaudreault Collection Manifestement En librairie le 23 septembre Un plaidoyer pour une (…)

Ruptures et révolution Imaginer l'État-providence autrement
un essai de Sylvain Gaudreault
Collection Manifestement

En librairie le 23 septembre

Un plaidoyer pour une révolution climatique, sociale et politique.

À la lumière des secousses climatiques, pandémiques et géopolitiques qui bouleversent notre monde, Sylvain Gaudreault plaide que notre mode de vie doit être repensé de fond en comble. Il ne réclame pas une réforme timide ou des ajustements symboliques sans portée. Non. Il plaide pour une révolution — une vraie.

Les signes sont là, criants : fractures sociales, dérèglements climatiques, tensions politiques, conflits territoriaux, menaces sanitaires... Comme aux temps des grandes révolutions, les plaques tectoniques de l'histoire sont en mouvement.

Mais vers quoi basculerons-nous ? Comme toujours, les révolutions ouvrent deux voies : écraser l'ancien modèle ou le transformer radicalement. Ruptures et révolution dessine une trajectoire où l'État-nation et les services publics deviennent le point d'ancrage de la solidarité, les piliers d'une société juste, capable de tenir debout dans la tempête.

La vision de l'auteur s'enracine dans une vie marquée par l'engagement : citoyen du monde dès son adolescence, élu au service du bien commun, ministre, enseignant, gestionnaire engagé auprès des jeunes et de l'éducation. Cette expérience alimente une pensée lucide, pragmatique, mais pleinement tournée vers l'avenir — et vers des solutions durables.

Des idées concrètes qui peuvent être mises en place ou pleinement déployées. Un appel à l'action et un élan vers l'urgence d'agir.

Photo de Sylvain Gaudreault

L'auteur

Pur produit de la génération X, Sylvain Gaudreault est né au Saguenay et y vit toujours. Diplômé en histoire et en droit, il est élu député à l'Assemblée nationale en 2007 dans la circonscription de Jonquière. Il a été réélu quatre fois. Il a été ministre de l'Environnement et des Transports et chef de l'opposition officielle. Après avoir quitté la politique, il est nommé directeur général du cégep de Jonquière en 2022. Sylvain Gaudreault est membre du comité consultatif sur les changements climatiques auprès du gouvernement du Québec. Il a publié Pragmatique chez Somme Toute en 2021.

Extraits – Ruptures et révolution

« Dans le contexte de la guerre commerciale avec les États-Unis, la question des changements climatiques est donc totalement mise de côté. À mon avis, le risque qui nous guette est (encore une fois) d'écarter l'enjeu climatique sous prétexte de l'urgence des tarifs alors que la situation actuelle exige de penser autrement, de saisir cette occasion pour se construire une véritable économie du XXIe siècle, réellement diversifiée de celle des États-Unis, axée sur la transition juste pour les travailleurs et les travailleuses, sur les énergies renouvelables, sur les technologies vertes, sur l'économie circulaire et sur l'adaptation de nos milieux de vie, par exemple. »

« Bref, nous nous sommes carrément trompés. Comme progressiste, j'ai vraiment mal interprété la période qui a suivi la guerre froide. Il ne suffisait pas d'abattre des murs pour garantir la liberté politique, la liberté individuelle et la liberté économique.

Mais le bon vieux réflexe de l'extraction des ressources est plus fort que tout. Une crise ? Le pétrole et le gaz sont la solution. Comment peut-on arriver à croire que les vieilles formules, qui ont conduit la planète au bord du gouffre, produiront des résultats différents ? Ces réactions primaires des décideurs politiques actuels démontrent que dans leur esprit, parler d'environnement n'est pertinent que lorsque tout va bien, en mode mineur, de façon accessoire... »

Sylvain Gaudreault

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Des scientifiques du monde entier dénoncent la situation humanitaire à Gaza

16 septembre, par Collectif — , , ,
4500 scientifiques du monde entier, dont 14 lauréats du prix Nobel, lancent un appel urgent à faire cesser « les horreurs actuellement infligées à une population civile » à (…)

4500 scientifiques du monde entier, dont 14 lauréats du prix Nobel, lancent un appel urgent à faire cesser « les horreurs actuellement infligées à une population civile » à Gaza : « En tant que scientifiques oeuvrant collectivement pour l'humanité, nous appelons instamment tous les gouvernements et institutions internationales compétentes du monde entier à utiliser tous les moyens pacifiques à leur disposition pour mettre un terme à cette tragédie. »

Tiré du blogue de l'auteur.

Nous, soussignés, scientifiques et citoyens du monde entier, exprimons à titre personnel notre indignation devant l'aggravation de la crise humanitaire à Gaza.

Nous trouvons insupportable qu'une pénurie alimentaire artificiellement entretenue semble conduire à une situation de famine. Nous sommes profondément choqués par la privation d'accès aux soins médicaux, l'absence complète d'éducation pour les enfants, la destruction systématique des infrastructures civiles (y compris les universités) et le mépris généralisé apparent pour les droits, le bien-être et la vie de la population civile de Gaza.

Nous appelons le gouvernement israélien à agir immédiatement pour mettre fin à cette crise humanitaire d'origine humaine.
Nous sommes conscients que la situation actuelle s'inscrit dans un réseau complexe de causalités, qui inclut l'attaque brutale du Hamas (en octobre 2023). Nous condamnons cette attaque et les conditions inhumaines de détention des otages, et appelons le Hamas à libérer immédiatement les otages qu'il détient. Ce réseau d'évènements inclut également d'autres actes odieux, ayant conduit à l'anéantissement de plusieurs dizaines de milliers de vies innocentes à Gaza (dont près d'un millier d'enfants de moins d'un an, selon plusieurs sources), que nous condamnons tout autant.
Nous sommes cependant fermement convaincus qu'absolument rien dans cet historique ne peut justifier les horreurs actuellement infligées à une population civile. L'urgence de la situation humanitaire exige une intervention immédiate.

En tant que scientifiques oeuvrant collectivement pour l'humanité, nous appelons instamment tous les gouvernements et institutions internationales compétentes du monde entier à utiliser tous les moyens pacifiques à leur disposition pour mettre un terme à cette tragédie.

Premiers signataires

1 Sandip Trivedi, Tata Institute of Fundamental Research, India

2 Shiraz Minwalla, Tata Institute of Fundamental Research, India

3 Ashoke Sen, International Center for Theoretical Sciences-Tata Institute of Fundamental Research, India

4 Rajesh Gopakumar, International Center for Theoretical Sciences-Tata Institute of Fundamental Research India

5 Spenta Wadia, International Center for Theoretical Sciences-Tata Institute of Fundamental Research India

6 Sunil Mukhi, Indian Institute of Science Education and Research, India

7 Gautam Mandal, International Center for Theoretical Sciences-Tata Institute of Fundamental Research India

8 Ofer Aharony, Weizmann Institute of Science, Israel

9 Amit Sever, Tel Aviv University, Israel

10 Jacob Sonnenschein, Tel Aviv University, Israel

11 Adam Schwimmer, Weizmann Institute of Science, Israel

12 Nathan Seiberg, Institute for Advanced Study, USA

13 Edward Witten, Institute for Advanced Studyy, USA

14 Atish Dabholkar, International Center for Theoretical Physics, Italy

15 Seok Kim, Seoul National University, South Korea

16 Tadashi Takayanagi, Yukawa Institute for Theoretical Physics, Japan

17 Kyriakos Papadodimas, CERN, Switzerland, Switzerland

18 David Tong, University of Cambridge, UK

19 Abhijit Gadde, Tata Institute of Fundamental Research, India

20 Onkar Parrikar, Tata Institute of Fundamental Research, India

21 Nathan Berkovits, Instituto de Fisica Teorica, Brazil

22 Robert De Mello Koch, University of Huzhou, China and University of Witswatersrand, South Africa China, South Afric

23 Nima Arkani Hamed, Institute for Advanced Study, USA

24 Mark Van Raamsdonk, University of British Columbia, Canada

25 Giorgio Parisi, Roma la Sapienza, Italy

26 Sandro Scandolo, International Center for Theoretical Physics, Italy

27 Édouard Brézin, Ecole Normale Supérieure, France

28 Jean Iliopoulos, Ecole Normale Supérieure, France

29 Jean-Bernard Zuber, Sorbonne Université, France

30 David Gross, Kavli Institute for Theoretical Physics, USA

31 Hala El Khozondar, Islamic University of Gaza, Palestine, and Imperial College UK, Palestine, UK

32 Mohammed Faraj, University of Udine , Italy

33 Chiara Nappi, Princeton University, USA

34 Jeewon Song, Korea Advanced Institute of Science and Technology, South Korea

35 Sayantani Bhattacharyya The University of Edinburgh, UK

36 Raghu Mahajan, International Center for Theoretical Sciences-Tata Institute of Fundamental Research India

37 R Loganayagam, International Center for Theoretical Sciences-Tata Institute of Fundamental Research, India

38 Boris Pioline, CNRS and Sorbonne Université, France

39 Pierre Vanhove, Commissariat à l'énergie Atomique, France

40 Alain Aspect, l'Institut d'Optique — Université Paris-Saclay, France

La liste complète des signataires et à retrouver ici.

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Guerre impérialiste, militarisme environnemental et stratégie écosocialiste à l’heure du capitalisme des catastrophes

16 septembre, par Alexis Cukier — ,
Dans ce texte, Alexis Cukier développe une analyse du rôle de la guerre dans l'Anthropocène ainsi que du développement du militarisme environnemental, puis une lecture (…)

Dans ce texte, Alexis Cukier développe une analyse du rôle de la guerre dans l'Anthropocène ainsi que du développement du militarisme environnemental, puis une lecture écomarxiste de la guerre impérialiste en Ukraine et de la guerre génocidaire au Palestine dans le contexte de ce qu'il nomme le capitalisme des catastrophes, avant de proposer à la discussion des éléments pour une stratégie écosocialiste combinant lutte contre le militarisme et soutien aux résistances anti-impérialistes, y compris armées.

Alexis Cukier est philosophe et membre de la rédaction de Contretemps. Ce texte est issu d'une intervention dans le cadre du panel « Guerre, impérialisme et écologie » qui s'est tenu le samedi 28 juin 2025 dans le cadre de la conférence internationale Historical Materialism Paris.

11 septembre 2025 | tiré du site contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/militarisme-environnemental-ecosocialisme/

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Guerre à la guerre ! Et donc soutien à celles et ceux qui sont en guerre contre les impérialismes !

Pour « agir contre la guerre et le militarisme », comme le propose Guerre à la Guerre[1], et mettre fin aussi à ses usages génocidaires et à ses conséquences écocidaires comme le souligne à juste titre cette importante coalition, il est nécessaire de « désarmer la machine de guerre et relancer un anti-militarisme populaire », et notamment « de faire grève, de déserter, de perturber, de démanteler la logistique de leurs guerres ».

Mais ce n'est pas suffisant, et ce texte défend que ce n'est pas l'essentiel : s'en prendre aux moyens de la guerre restera inefficace si on ne s'attaque pas à ses causes et si on ne fait pas alliance d'abord avec celles et ceux qui en subissent les effets. Autrement dit, un antimilitarisme concret implique – comme la coalition l'affirme clairement en ce qui concerne les États-Unis, Israël et la France, et le débat doit avoir lieu aussi concernant la Russie notamment – un anti-impérialisme militant, et donc de viser à défaire les puissances impériales, et la logique capitaliste qui les portent, et de soutenir concrètement celles et ceux qui sont en première ligne pour y résister. Or pour elles et eux, la première urgence est de s'autodéfendre, ce qui suppose des armes.

C'est la raison pour laquelle il me semble urgent de mettre en débat cette proposition : il faut inclure le blocage de la logistique militaire dans une stratégie écosocialiste d'autodéfense, de soutien aux résistances anti-impérialistes, y compris armées, et donc aussi de réappropriation démocratique et de socialisation internationaliste des armes.

Ce texte défend trois thèses, développées d'un point de vue écomarxiste, qui sont des contributions aux débats en cours, dans cette coalition, dans la gauche internationaliste et au-delà, sur les moyens et les fins de l'antimilitarisme et de l'anti-impérialisme aujourd'hui.

Premièrement, les guerres impérialistes et l'industrie et la logistique militaires qui leur sont liées[2] jouent depuis le XIXe siècle un rôle majeur parmi les causes des catastrophes écologiques mais sont aussi devenues, depuis le début du XXIe siècle, une des principales modalités de réponse à ces catastrophes – c'est ce qu'on peut appeler le militarisme environnemental[3].

Deuxièmement, les guerres en cours, et en premier lieu la guerre impérialiste de la Russie en Ukraine et la guerre impérialiste et génocidaire d'Israël, des Etats-Unis et de leurs alliés en Palestine, s'inscrivent dans une nouvelle phase émergente du capitalisme mondialqui réorganise la production de profit, l'appareil productif et l'impérialisme autour de l'adaptation sélective – au profit des riches et en sacrifiant les classes populaires et les peuples des pays sous domination impériale – aux catastrophes écologiques, en premier lieu le réchauffement climatique – c'est ce que je propose d'appeler le capitalisme des catastrophes[4].

Ce capitalisme des catastrophes doit être compris dans le cadre de la crise économique de longue durée du capitalisme, et particulièrement de la séquence qui a suivi la crise financière de 2008, ainsi que de la montée de la rivalité impérialiste entre les États-Unis et la Chine[5], qui ont constitué des facteurs majeurs de développement du capitalisme vert[6] et de militarisation[7]. Mais je fais l'hypothèse qu'avec le « tournant dans l'histoire mondiale[8] » des années 2020, prenant le relai du capitalisme néolibéral de la période précédente et l'intégrant dans une nouvelle formule économico-politique, ce capitalisme des catastrophes émergent réalise le scénario le plus sombre qu'anticipait Mike Davis en 2010 : « L'atténuation globale, dans ce scénario encore inexploré mais non improbable, serait tacitement abandonnée — comme elle l'a déjà été dans une certaine mesure — au profit d'un investissement accéléré dans une adaptation sélective destinée aux passagers de première classe de la Terre[9]. » Je défends que cette logique d'adaptation sélective permet de comprendre l'économie et l'écologie politiques communes de plusieurs ensembles de phénomènes typiques de la période :

— le capitalisme vert : marchés et compensation carbone, finance verte, Plans Verts, « dérisquage » (atténuation des risques financiers) des technologies vertes ou des matériaux considérés comme critiques, et tous les outils de la « transition »énergétique, qui est en réalité une accumulation d'énergies compatible avec la relance de l'extractivisme fossile, ainsi que du néo-industrialisme vert, dirigés par la Big Tech, les États et le marché… ;

— le technosolutionnisme climatique : technologies à émission négative, géo-ingénierie, « villes résilientes » mettant le modèle des « smart cities » et des « safe cities » et leurs objets connectés au service de l'adaptation aux catastrophes… ;

— le fascisme fossile : les idéologies et pratiques de gouvernement carbofascistes, écofascistes, de l'accélérationnisme néoréactionnaire (« dark Enlightenment » décliné en « dark MAGA »), du nationalisme vert… ;

— les nouvelles guerres impérialistes dont l'enjeu principal, comme on va le montrer, est la reconfiguration conjointe du marché mondial de l'énergie, de l'hégémonie technologique et du militarisme environnemental au sein de ce capitalisme des catastrophes[10].

Troisièmement, en raison même de l'entrée dans ce capitalisme des catastrophes, il est aujourd'hui moins que jamais réaliste d'appeler, en l'état actuel des choses, à abolir la guerre (c'est un pacifisme abstrait et idéaliste, sans prise sur la réalité) mais il nous faut construire collectivement un antimilitarisme matérialiste, qui passe aussi centralement par le soutien aux résistances anti-impérialistes armées du peuple palestinien et du peuple ukrainien, et nécessite une stratégie alliant désarmement de l'ennemi et autodéfense populaire. Il ne s'agit pas de remplacer la lutte des classes et sa dimension spécifiquement politique, notamment à l'échelle nationale, par le combat militaire internationaliste, mais de les penser ensemble, ni d'opposer au pacifisme abstrait un bellicisme qui le serait tout autant mais de ne pas détourner le regard de ce qu'implique concrètement l'autodéfense anti-impérialiste et antifasciste, particulièrement en ce qui concerne la question des conflits armés. C'est ce que j'appelle une stratégie écosocialiste de démantèlement, reconversion et socialisation des armes.

Dans ce texte, je propose de faire quelques rappels au sujet du caractère écocidaire de la guerre en l'inscrivant dans le développement du militarisme environnemental à l'heure du capitalisme des catastrophes (I), puis d'analyser la guerre impérialiste en Ukraine (II) et la guerre génocidaire en Palestine (III) dans cette perspective, avant de finir par présenter quelques éléments de stratégie écosocialiste visant à allier antimilitarisme et anti-impérialisme (IV).

I. Guerre, Anthropocène et militarisme environnemental

Dans leur ouvrage de référence, Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil ont soutenu l'argument selon lequel « l'Anthropocène est aussi (et peut-être avant tout) un thanatocène[11] », pour souligner l'importance de la guerre parmi les causes de l'Anthropocène – ce qu'on peut reformuler dans une perspective marxiste en termes de double centralité de la guerre (impérialiste) et du travail (capitaliste) parmi les causes des catastrophes écologiques[12]. Je m'en tiendrai ici à montrer que 1. les guerres et l'industrie militaire impérialistes ont joué depuis le XIXe siècle et jouent toujours un rôle majeur parmi les causes du réchauffement climatique, et 2. la stratégie et l'intervention militaires sont aujourd'hui une des principales modalités de réaction aux catastrophes écologiques.

Premièrement, le fait militaire est une des principales causes du dépassement des limites planétaires, et en premier lieu du changement climatique. Rappelons quelques faits. On estime qu'en 2022 « la totalité de l'empreinte carbone militaire représente environ 5,5 % des émissions mondiales[13] », en ne comptant que l'industrie militaire et pas les guerres elles-mêmes ni les reconstructions rendues nécessaires par les destructions militaires. Cela représente, par exemple, plus d'émissions que l'ensemble du continent africain, ou que les secteurs de l'aviation civile et du transport maritime réunis. La plus grande armée du monde, celle des Etats-Unis, consommait en 2019 autant de combustibles fossiles qu'un pays comme le Portugal[14]– en comptant cette fois aussi bien la production d'armes que les interventions militaires et opérations stratégiques ultérieures en passant par la production, l'usage et l'entretien du réseau mondial des navires contenaires, avions cargos, tanks et camions, etc. En remontant à la période de la première « grande accélération » des catastrophes écologiques (après 1945), les estimations indiquent que, pendant la Guerre froide, entre 10 à 15% de l'ensemble des émissions états-uniennes étaient le fait du complexe militaro-industriel[15]. En ce qui concerne les guerres elles-mêmes, on rappellera seulement que c'est à propos de la guerre du Vietnam que la catégorie d'écocide a été développée (voir le texte de Tom du collectif Vietnam Dioxine dans cette même série d'articles sur Contretemps), et d'autre part, comme on le montrera aussi à propos de l'Ukraine et de la Palestine, que toutes les guerres ont des effets écocidaires, en détruisant, polluant et dégradant les vies des êtres humains, des vivants et des écosystèmes.

Cependant, ce n'est pas seulement de manière directe que le complexe militaro-industriel a contribué à l'Anthropocène, mais aussi de manière indirecte, du fait du rôle qu'ont joué les armées dans l'expansion des énergies fossiles dont elles tirent pour l'essentiel leur puissance[16]. De nombreuses recherches récentes, dans le champ du marxisme écologique notamment, ont montré ce rôle moteur des industries militaires occidentales liées à leurs impérialismes – au premier rang desquels ceux du Royaume-Uni au XIXe siècle et des Etats-Unis au XXe siècle – dans le développement des énergies fossiles au sein des secteurs civils[17]. On peut, par exemple, souligner les moments de la conversion de la flotte du Royaume-Uni au pétrole en 1911, ou encore de la guerre de Corée (1950-1953) à l'occasion de laquelle des centaines de milliards de dollars consacrés à la production d'armement ont constitué autant d'investissements qui ont servi le développement ultérieur de l'industrie fossile civile, en particulier de la voiture à essences et des infrastructures énergétiques. On rappellera pour finir le rôle majeur de l'industrie militaire dans l'invention et le développement de technologies agricoles écocidaires, de l'extractivisme et de procédés et composés chimiques polluants, tels que les PFAS, développés initialement dans les années 1940 par l'industrie chimique états-unienne pour un usage militaire ou l'insecticide DDT, à propos duquel Rachel Carson publia, dans l'ouvrage classique de l'écologie politique Printemps silencieux, son plaidoyer à l'encontre de la « guerre contre la nature »[18].

Deuxièmement, la guerre est aujourd'hui une des principales modalités de réponse aux catastrophes écologiques. Depuis les années 1990, les institutions militaires, notamment états-uniennes mais aussi françaises[19], ont produit des analyses du changement climatique et de leurs conséquences en termes de sécurité qui placent l'armée en première ligne de la réponse aux conséquences des catastrophes écologiques. C'est le cas par exemple du rapport de la Maison Blanche de 1993 qui donne à l'armée la responsabilité d'anticiper et de répondre à « la gamme de risques environnementaux suffisamment graves pour compromettre la stabilité internationale qui va des migrations massives de populations dues à des catastrophes humaines ou naturelles, telles que Tchernobyl ou la sécheresse de l'Afrique de l'Est, jusqu'aux dommages écologiques à grande échelle causés par la pollution industrielle, la déforestation, la perte de biodiversité, la déplétion de la couche d'ozone, et finalement le changement climatique. »[20]. Comme l'a montré Razmig Keucheyan à partir d'une analyse d'une série de discours militaires sur la guerre, la « militarisation de l'écologie » est, avec sa financiarisation, l'une des deux principales réponses du capitalisme face à la crise écologique. Il s'agit principalement d'anticiper et organiser une réponse militaire aux catastrophes que sont le « surcroît de catastrophes naturelles, la raréfaction de certaines ressources, des crises alimentaires, une destabilisation des pôles et des océans, et des ‘réfugiés climatiques' par dizaine de millions à l'horizon 2050[21] ». Ce militarisme environnemental, qui exprime une logique de « racisme environnemental »[22] mais aussi potentiellement d'« apartheid environnemental[23] », est la dimension militaire du capitalisme des catastrophes.

Cette adaptation sélective, qui est d'abord une stratégie d'accumulation du capital implique aussi une idéologie spécifique. Selon cette idéologie « planifier l'adaptation[24] » nécessite non seulement de renoncer à contenir le réchauffement climatique et donc à décarboner l'économie mais encore d'en accepter les conséquences catastrophiques, inégalement réparties : « Dépasser (Overshooting) les 1,5 °C ne condamne pas la planète. Mais c'est une condamnation à mort pour certaines personnes, modes de vie, écosystèmes, voire certains pays[25] ». Or cet objectif d'une adaptation au service des plus riches et d'un abandon ou d'un sacrifice des classes populaires, notamment dans les suds globaux, a aussi, c'est l'objet principal de ce texte, des implications militaires : « parce qu'elles s'attendent à une exacerbation des conflits dans un monde redéfini par le changement climatique, les puissances militaires du Nord ont opté pour l'adaptation militaire[26] ». Contrairement à la plupart des analyses du capitalisme vert, qui ne pensent pas sa dimension guerrière et impérialiste, et aux approches écologistes dominantes des guerres en cours, qui ne la replacent pas dans la dynamique d'évolution du capitalisme et de ses échanges écologiques inégaux, cette analyse en termes de capitalisme des catastrophes permet donc aussi de penser le renouvellement en cours de l'impérialisme et d'en saisir les enjeux écologiques. En ce qui concerne les guerres impérialistes, on fera donc ici l'hypothèse qu'à 1. l'impérialisme écocide qui tue les populations, détruit leurs économies de subsistance et conquiert leurs terres pour le projet de colonialisme de peuplement ou d'esclavagisme ; et à 2. l'impérialisme vert, qui vise à contrôler et tirer profit des productions et des richesses issues du travail de la terre par le peuple colonisé, succède aujourd'hui 3. l'impérialisme écologique, qui vise la reconfiguration du marché mondial de l'énergie et constitue un laboratoire de l'adaptation sélective aux catastrophes écologiques. Autrement dit : les guerres impérialistes n'ont plus seulement pour objectif la prédation pour le profit au sein d'un monde fini mais aussi désormais la survie et la préservation du mode de vie capitaliste, et plus seulement pour fonction de détruire la nature et de l'administrer, mais d'adapter à sa dégradation les conditions d'existence des puissances impériales, et en leur sein des plus riches

II. Écologie politique de la guerre impérialiste en Ukraine

La guerre impérialiste menée par la Russie en Ukraine depuis l'invasion du 24 février 2022 a causé des destructions humaines, naturelles et infrastructurelles de très grande ampleur. Elle a fait à ce jour — fin août 2025 — plus d'un million de victimes, morts ou blessés, a donné lieu à d'innombrables crimes de guerre commis par l'armée russe, parmi lesquels des viols[27] et des déportations d'enfants[28] perpétrés comme des armes de guerre systématiques. Elle a causé de très nombreuses destructions de villes, habitats naturels protégés, infrastructures vitales et terres agricoles ukrainiennes — comme lors de la destruction intentionnelle par l'armée russe du barrage de Khakhovka le 6 juin 2023 —, multiplié les feux de forêt, tué d'innombrables animaux, contaminé l'air, les eaux et les sols[29]. En ce qui concerne l'écologie politique des motifs de la guerre, si l'invasion et la guerre peuvent s'expliquer par de nombreux facteurs[30] — l'histoire de la domination coloniale de la Russie à l'égard de l'Ukraine, l'idéologie expansionniste et suprémaciste du régime de Vladimir Poutine, la crainte d'un effondrement du soutien régional à la Russie dans d'autres pays satellites, la compétition interimpérialiste avec les autres grandes puissances mondiales (et en premier lieu les États-Unis dans le cadre de la rivalité désormais surdéterminante avec la Chine), une fuite en avant autoritaire sur le plan de la politique intérieure, etc. —, on soutiendra que le facteur surdéterminant est lié au devenir du capitalisme fossile russe au sein du capitalisme des catastrophes.

Les objectifs de la guerre ont été exprimés clairement par le régime de Poutine : il s'agit d'annexer toute l'Ukraine si possible, sinon de remplacer le régime par un autre favorable aux intérêts russes, sinon d'annexer une partie du territoire national ukrainien, en commençant par la Crimée et le Donbass. L'hypothèse ici développée est qu'il ne s'agit pas seulement d'une guerre impérialiste classique de prédation des ressources naturelles (notamment les terres agricoles et les métaux rares ou critiques tels que le titane indispensable pour la « transition énergétique » comme pour l'aviation civile et militaire, le zirconium, le molybdène et le gaz néon purifié employé dans les puces électroniques et les semi-conducteurs) et de contrôle des infrastructures (notamment énergétiques, nucléaires et électriques), mais aussi d'une guerre d'hégémonie au sein de la nouvelle période du capitalisme, pour éviter le déclin du capitalisme fossile russe en réorientant ses exportations de pétrole et de gaz et se positionner dans la course des bouleversements du mix énergétique mondial.

Rappelons que la Russie produisait, en 2022, 13 % de la production mondiale de pétrole, se plaçant ainsi à la troisième place, le capitalisme fossile russe étant considéré par le leader états-unien comme « un partenaire junior, pas un ennemi politique[31] ». Cette intégration dans l'économie fossile mondiale a fait l'objet de conflits politiques importants dans la Russie post-soviétique, par exemple entre Vladimir Poutine et Mikhail Khodorkovski, emprisonné en 2003 alors qu'il organisait une entrée massive au capital de la compagnie pétrolière Ioukos des géants états-uniens Exxon Mobil et Chevron-Texaco[32]. Il faut ajouter que d'immenses gisements de gaz ont été découverts, en 2012, en Mer noire dans la zone exclusive ukrainienne, tandis que l'Ukraine s'est tournée vers le britannique Royal Dutch Shell plutôt que vers les sociétés pétrolières russes pour forer dans un autre gisement à l'est du pays — faisant de l'Ukraine un concurrent dont la sujétion politique ou l'annexion partielle constituent des objectifs majeurs pour le capital fossile russe. Ce contexte immédiat doit cependant être replacé dans le cadre plus large de l'adaptation capitaliste aux catastrophes écologiques.

Dans Klimat. Russia in the Age of Climate Wars, publié quelques mois avant l'invasion de l'Ukraine, le politiste Thane Gustafson fournit à cet égard des arguments décisifs en répondant à ces questions :

« Comment le territoire de la Russie — ainsi que son système politique, son économie et sa société — seront-ils affectés par le changement climatique ? Comment ces changements liés au climat modifieront-ils le statut de la Russie en tant que grande puissance ? Quelles seront, en effet, les sources de la “grandeur” d'une puissance d'ici 2050 ? Le rôle futur de la Russie dans l'économie mondiale lui permettra-t-il de rivaliser en tant que grande puissance ? Et comment réagira-t-elle si elle n'y parvient pas[33] ? »

On peut résumer ainsi les arguments du livre qui éclairent l'inscription de la guerre en Ukraine au sein du capitalisme des catastrophes. 1. L'économie russe est directement menacée par la chute probable de ses exportations en hydrocarbures, et par la perspective d'un pic du pétrole dans les prochaines années ou décennies. Or ce sont principalement les puissances importatrices du pétrole russe, l'UE et la Chine, qui ont les cartes en main à cet égard puisqu'elles portent des projets de régulation des énergies fossiles et de transition énergétique qui menacent le capitalisme russe. À ce problème, la guerre apporte une réponse à court terme, car elle donne l'opportunité de nouveaux débouchés pour le capitalisme fossile russe, notamment vers les suds globaux, tout en visant une consolidation des flux vers la Chine. 2. Une nouvelle contradiction est apparue dans ce contexte entre le secteur fossile russe et de nouveaux acteurs des énergies renouvelables et du capitalisme vert, comme Anatoly Chubais, favorable au développement des « technologies vertes » en Russie. La guerre en cours permet d'asphyxier un tel projet dans le cadre d'une économie de guerre ultracarbonée. 3. La Russie doit faire face à des risques climatiques impliquant des catastrophes de grande ampleur d'ici 2050, avec notamment l'aggravation de la fonte du pergélisol, qui recouvre deux tiers du territoire russe, et risque de provoquer l'effondrement des infrastructures (routes, pipelines, ponts, bâtiments) sur une vaste échelle. À cet égard aussi, la stratégie d'adaptation privilégiée par le régime de Poutine pour ses périphéries arctiques est très offensive[34] : plutôt que d'investir massivement dans des infrastructures à travers l'arrière-pays sibérien afin de lui permettre de résister aux effets du réchauffement climatique, l'option privilégiée est celle de l'ouverture du développement économique du littoral arctique permise par la fonte de la glace le long de la côte nord de la Russie, ouvrant la perspective d'une nouvelle voie maritime majeure vers l'Asie, qu'un contrôle partagé de l'Alaska avec les États-Unis pourrait faciliter. La guerre permet ainsi d'ouvrir la voie à des projets d'annexion au-delà de l'Ukraine, de se placer en partenaire de taille aux côtés des projets expansionnistes du partenaire états-unien, et de renforcer aussi l'autoritarisme étatique nécessaire pour imposer ce type de choix socio-économiques et les sacrifices corrélatifs pour la population.

Dans la conclusion de son ouvrage, Gustafson souligne les deux enjeux majeurs pour endiguer le déclin, selon lui déjà entamé et inévitable à court terme, du capitalisme russe : la force militaire et les nouvelles technologies[35]. Ce sont les deux principaux moteurs du capitalisme des catastrophes : le militarisme environnemental et l'adaptation technosolutionniste. La stratégie expansionniste agressive du régime de Poutine, qui vise à enrayer le déclin économique de son capital fossile et à rétablir son État comme un acteur impérialiste majeur, s'explique par la compétition entre grandes puissances pour l'hégémonie au sein du capitalisme des catastrophes.

III. Écologie politique de la guerre génocidaire en Palestine

La guerre menée par Israël à Gaza et en Palestine constitue un génocide, notamment au sens des trois premiers articles de la Convention sur le génocide de 1948 : « le meurtre, des atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale, ainsi que l'imposition délibérée aux Palestiniens de Gaza de conditions de vie visant à entraîner leur destruction physique, en totalité ou en partie[36]. » En juin 2025, le Ministère de la santé à Gaza estimait que la guerre avait fait plus de 132 000 blessés et causé la mort de plus de 56 000 personnes palestiniennes, dont plus de 18 000 enfants, sans compter les personnes disparues et non identifiées ni les morts liées à la destruction des hôpitaux et infrastructures vitales et à la famine organisée par l'armée israélienne. La guerre a provoqué le déplacement de plusieurs centaines de milliers d'habitants de Gaza, considéré comme un objectif tactique par le régime de Benjamin Netanyahou. Elle a donné lieu à d'innombrables cas de tortures, viols et violences sexuelles, et implique notamment ce qu'on peut qualifier de « fémi-génocide[37] » et de génocide reproductif, dans la mesure notamment où les maternités et infrastructures de soin gynécologique et de support à la santé reproductive ont été systématiquement ciblées afin d'empêcher la reproduction du peuple palestinien[38]. C'est aussi une guerre contre l'agriculture palestinienne prolongeant la guerre contre la subsistance inhérente à la colonisation de la Palestine depuis la première Nakba[39]. Et cette guerre est aussi, de manière indissociable, écocidaire[40] :

« À Gaza, où elle dure maintenant depuis des mois, cette destruction prend des proportions apocalyptiques : les gens qui n'ont pas encore été tués par les bombes vivent sur une étendue en friche d'eau non potable, de munitions non explosées, d'effluents d'égouts non traités, de décharges débordantes, de sol contaminé, de décombres toxiques, de vergers et de champs réduits en poussière. Sur cette base de terre hyperpolluée, la vie humaine est rendue impossible à long terme. Écocide et génocide se confondent ici comme jamais auparavant[41]. »

Cette destruction du peuple de Palestine et des terres palestiniennes par Israël ne peut être comprise que dans le cadre de sa politique au long cours de colonisation, de nettoyage ethnique et d'apartheid, ainsi que de l'idéologie raciste et suprémaciste du gouvernement Netanyahou et d'une partie du peuple israélien. Mais il y a aussi, dans cette guerre génocidaire annoncée par un processus continu d'atrocités et de catastrophes, des éléments nouveaux liés au développement du capitalisme fossile et à la mise en pratique du militarisme environnemental d'Israël, des États-Unis et de leurs alliés.

D'une part, cette guerre s'est déclenchée alors qu'Israël se positionne comme un acteur majeur du capitalisme fossile au niveau mondial. En 2022, l'année même du début de la guerre en Ukraine et donc de la crise sur le marché du gaz, Israël s'est imposé comme un exportateur majeur de combustibles fossiles, en fournissant l'Allemagne et l'UE en gaz et en pétrole bruts extraits sur les sites de Leviathan et Karish, découverts récemment et revendiqués par le Liban. Fin octobre 2023, Israël a accordé douze licences pour l'exploration de nouveaux champs gaziers, notamment au géant pétrolier britannique BP, tandis qu'une compagnie basée à Tel-Aviv, Ithaca Energy, a investi dans l'exploration pétrolière dans le secteur britannique de la mer du Nord. Autrement dit, « le génocide se déroule à un moment où l'État d'Israël est plus profondément intégré dans l'accumulation primitive du capital fossile que jamais[42] ». Cette orientation de l'économie israélienne doit elle-même se comprendre dans le cadre de la politique états-unienne de partenariat économique et d'alliance politique avec les puissances pétrolières du Golfe, garantie notamment par l'accord de libre-échange et la normalisation diplomatique des accords d'Abraham entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn en 2020. C'est ce qui explique que « dans le contexte actuel du génocide en cours, un accord de normalisation entre l'Arabie saoudite et Israël constitue sans aucun doute l'objectif principal de la stratégie américaine pour l'après-guerre[43] ». Le projet annoncé d'un contrôle de la bande de Gaza par une alliance d'États arabes partenaires d'Israël (associé le cas échéant à certaines organisations palestiniennes et complété par la reconnaissance d'un État palestinien réduit à certaines parties de la Cisjordanie) permettrait ainsi, par exemple, de développer un réseau ferroviaire entre Gaza et le projet urbain futuriste Neom en cours de développement sur les bords de la Mer rouge en Arabie Saoudite — et, au-delà, de consolider cette reconfiguration du capitalisme fossile au niveau mondial.

D'autre part, certains aspects de la guerre génocidaire à Gaza peuvent se comprendre dans le cadre du militarisme environnemental et du technosolutionnisme caractéristiques du capitalisme d'adaptation aux catastrophes écologiques. C'est le cas du projet, mis en avant par Donald Trump, de prise de contrôle de la bande de Gaza par les États-Unis afin d'y construire une « magnifique Riviera du Moyen-Orient[44] » , reprenant ainsi le projet « Gaza 2035 » conçu par l'administration Netanyahou pour développer sur les ruines de Gaza un projet urbain futuriste combinant extraction d'énergies fossiles, néotechnologies vertes (telles que des « villes de fabrication de voiture électronique ») et économie touristique de luxe[45], qui réaliserait le scénario d'une table rase complète des territoires et cultures des pauvres pour la remplacer par un paradis hypertechnicisé des riches. Si on a pu analyser ce projet en termes de « nouvelle expérimentation néolibérale[46] », il doit se comprendre dans la continuité du laboratoire militaire et technologique du colonialisme israélien à Gaza. Ainsi, dans le contexte des pénuries en eau provoquée et attendues dans la région du fait de l'accélération du réchauffement climatique, le contrôle colonial de l'accès à l'eau puis la destruction des infrastructures hydrauliques[47] constituent un laboratoire de l'apartheid environnemental permettant d'assurer l'adaptation climatique des uns au détriment de la vie des autres :

« L'occupation a ainsi engendré des politiques et des pratiques inadaptées qui compromettent la résilience des Palestiniens et leur capacité à faire face aux menaces liées aux changements climatiques. En revanche, Israël est bien mieux préparé pour s'adapter aux effets du changement climatique et se trouve, de ce fait, moins vulnérable[48]. »

En ce qui concerne la guerre, si l'un de ses objectifs est de faire la preuve de la « suprématie technologique » israélienne et états-unienne au moyen d'une « exhibition désinhibée des capacités de destruction[49] » de leurs armées, cette démonstration de force ne doit pas être comprise seulement dans le contexte de l'histoire au long cours de l'impérialisme fossile et de la colonisation occidentale de la Palestine, mais aussi de la réalisation du militarisme environnemental contemporain. Ainsi, le déplacement forcé de centaines de milliers d'habitants de Gaza et la gestion des camps de réfugiés survivant dans des conditions apocalyptiques[50] renforcent l'expérience militaire du contrôle des migrations, enjeu majeur du militarisme environnemental qui anticipe une augmentation massive du nombre de réfugiés climatiques dans les prochaines décennies. La guerre a aussi permis un usage militaire des nouvelles technologies de surveillance mises en œuvre par l'administration coloniale : ainsi, les systèmes d'intelligence artificielle « Evangile », « Lavender » et « Where's Daddy ? » traitent des données de masse au sujet des individus et infrastructures pour proposer des cibles à l'armée d'occupation et aux bombardements[51]. Or ce laboratoire militaire du capitalisme des catastrophes est une source de profit pour un grand nombre d'entreprises israéliennes, états-uniennes et occidentales, comme le montre un rapport récent de Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations-Unies sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, au sujet de l'économie politique de l'occupation et du génocide :

« En mettant en lumière l'économie politique d'une occupation devenue génocidaire, le rapport révèle comment cette occupation perpétuelle est devenue un terrain d'essai idéal pour les fabricants d'armes et les grandes entreprises technologiques — offrant une demande et une offre illimitées, peu de surveillance et aucune responsabilité — tandis que les investisseurs ainsi que les institutions publiques et privées en tirent librement profit[52]. »

Ce rapport permet ainsi de constituer la liste d'une partie importante de la constellation des acteurs économiques et politiques internationaux qui ont aujourd'hui intérêt au développement du militarisme environnemental et du capitalisme des catastrophes. On voit que l'analyse de l'économie et de l'écologie politiques de la guerre à Gaza peuvent contribuer aussi à éclairer les raisons de la complicité ou de la passivité de la grande majorité des États du monde face au génocide du peuple palestinien.

IV. Quelle stratégie écosocialiste face aux guerres aujourd'hui ?

J'en viens à quelques conséquences stratégiques de ces analyses, que je résumerai sous la forme de trois propositions :

1. Aussi longtemps que durera le capitalisme, et en particulier le capitalisme des catastrophes, les guerres impérialistes seront inévitables, si bien qu'il faudra s'en défendre, y compris par les armes. Il y aura d'autres guerres, même si nous ne le voulons pas, car l'impérialisme est désormais multipolaire, la géopolitique instable, le militarisme environnemental déjà inséparable du technosolutionnisme climatique – autrement dit, comme je l'ai montré dans la première partie, en raison de la stratégie d'adaptation sélective aux catastrophes écologiques choisies par les puissances capitalistes. Nous sommes entrés, pour reprendre les mots de Claude Serfati, dans un monde en guerres – sans doute depuis la crise financière de 2008, et plus encore depuis le tournant mondial des années 2020, avec sa succession de catastrophes mondiales formant un cocktail explosif, et notamment : pandémie de Covid-19, invasion de l'Ukraine, guerre génocidaire en Palestine, ouverture par les Etats-Unis de la guerre commerciale, le tout accompagné par le développement des intelligences artificielles génératives qui constitue également un facteur de militarisation : « les technologies qui reposent sur l'IA transforment simultanément les données en source d'accumulation de profits, elles renforcent le pouvoir sécuritaire des États et elles introduisent de nouvelles formes de guerre grâce à leur utilisation par les militaires[53] ». Mais alors, si la guerre est inévitable, faut-il se résigner ?

Certainement pas. En tant qu'écologistes et anticapitalistes, nous devons refuser que les militaires s'emparent de l'écologie (et je rejoins en cela la critique importante de « l'écologie de guerre » par Vincent Rissier dans cette série d'articles sur Contretemps). Mais en tant qu'anti-impérialistes, nous ne pouvons pas souhaiter, ni encore moins exiger, que les peuples qui subissent des agressions des forces impériales déposent les armes. Au final, en tant qu'écosocialistes, nous devons nous demander, pour savoir dans ce nouveau contexte contre quoi et comment nous battre : à quoi tenons-nous, c'est-à-dire, que voulons-nous défendre ? Pour reprendre les mots de l'historienne et militante marxiste ukrainienne Hanna Perekhoda, « nous devons garder à l'esprit que ni la vie humaine, ni les droits des travailleurs, ni l'environnement ne peuvent être protégés dans un État qui tombe dans la ‘zone d'influence' de puissances impérialistes extractivistes autocratiques comme la Russie de Poutine, les États-Unis de Trump ou la Chine du Parti-État de Xi Jinping.”[54]. Cela ne signifie pas qu'il faille défendre le bloc « Europe » – ou encore la structurellement néolibérale Union européenne – contre le reste du monde, comme le suggère par exemple Pierre Charbonnier[55]. Le capitalisme des catastrophes, le militarisme environnemental, le technsolutionnisme climatique, la barbarie génocidaire, sont bien aussi entretenus, développés et soutenus par les Etats européens. Mais cela signifie qu'il faut à la fois s'opposer à la course capitaliste aux armements du plan Rearm Europe, et au militarisme qui est au cœur de la construction de l'Etat français[56] et de son impérialisme en Afrique, dans les dernières colonies d'outre-mer et ailleurs, et soutenir une autre politique de défense et de production d'armes, orientée vers les intérêts des classes populaires, écosocialiste et résolument internationaliste. Ce qui implique, j'y insiste à nouveau, qu'il faut, pour l'Ukraine comme pour la Palestine, et pour le reste du globe sans aucune exception, soutenir les peuples qui se défendent contre les guerres impérialistes, ou contre les conséquences des politiques impérialistes de leurs Etats. Et cela passe – les habitant.e.s et militant.e.s des pays des Suds colonisés l'ont toujours su, et aussi les générations précédentes des marxistes des pays du Nord qui ont lutté contre l'oppression nazie ou contre la répression anticommuniste – par l'autodéfense, et donc la résistance, y compris par les armes. C'est pourquoi, il faut faire la différence entre le militarisme, à combattre, et la défense, à soutenir[57]. C'est ce que le slogan « guerre à la guerre » ne dit pas, et même, s'il était mal interprété, pourrait empêcher de soutenir – et c'est notamment ce débat auquel ce texte voudrait contribuer – : il y a la guerre des impérialistes et la guerre de celles et ceux qui y résistent et s'en défendent ; nous devons empêcher la première, et soutenir la seconde. Nous ne pouvons pas militer pour la vie, la liberté, l'égalité et l'autodétermination des peuples, et nous opposer à la guerre d'autodéfense anti-impérialiste. Face à la violence militaire impérialiste, le droit international, la diplomatie ont toujours été impuissants – c'est la résistance armée qui protège. J'appellerai cette position, par opposition au bellicisme de « l'écologie de guerre » libérale[58] comme au pacifisme abstrait des « abolitionnistes de la guerre », l'anti-militarisme anti-impérialiste (qui est donc aussi, nécessairement, un anti-impérialisme armé).

2. Il faut lutter contre le complexe militaro-industriel et imposer un contrôle démocratique des armes pour les mettre à la disposition des luttes anti-impérialistes et antifascistes – autrement dit, il faut à la fois démanteler, reconvertir et socialiser la production d'armes et de technologies militaires. Tant qu'il continuera d'y avoir des guerres impérialistes, la vie et la dignité des personnes dans les pays agressés par les puissances impérialistes continueront de tenir notamment au fait que soit mise à leur disposition des armes – ce qui ne veut pas dire, bien sûr, qu'elles seront toujours utilisées de manière moralement et politiquement soutenable par la résistance. En l'état actuel des choses en Palestine, il semble que seule une intervention militaire – sous la forme par exemple d'une rupture du blocus de l'aide humanitaire sous escorte militaire, c'est le problème que pose en ce moment-même la défense de la Global Sumud Flottila face aux menaces et agressions israéliennes, ainsi que de la livraison d'armes aux forces de la résistance palestinienne – pourrait mettre fin à la famine, au nettoyage ethnique et au génocide organisés par l'Etat d'Israël et ses alliés à Gaza.

Or ce qui vaut pour la Palestine vaut aussi pour l'Ukraine – comme le formulait clairement Gilbert Achcar en décembre 2022 : « Tout le reste découle de là : ceux/celles qui sont pour une paix juste, qui s'opposent aux guerres de conquête tout en soutenant les guerres de libération en tant que guerres de légitime défense, ne sauraient s'opposer à la livraison d'armes défensives aux victimes de l'agression et de l'invasion. »[59] Bien sûr, cette position de principe ne règle pas tous les problèmes, mais au contraire soulève des questions difficiles et concrètes, et notamment : comment faire la distinction entre armes défensives et offensives, et plus généralement entre les armes qu'il faudra démanteler et celles qu'il faudra socialiser ? comment éviter les usages contre-productifs de ces armes, les escalades militaires et l'extension et la mondialisation des conflits ? comment protéger en même temps les populations civiles vivant dans les Etats qui mènent la guerre impérialiste[60] ? Et si on se centre sur les luttes de libération nationale, ou qu'on se projette dans la perspective d'une révolution écosocialiste : que signifie une armée du peuple ou sous contrôle démocratique, et comment éviter que les militaires s'accaparent les décisions et finissent par jouer, comme cela a été si souvent le cas au XXe siècle, un rôle contre-révolutionnaire ? Mais ces questions épineuses, et au sujet desquelles on ne peut que constater un manque de formation collective dans notre camp, ne doivent pas décourager la réflexion stratégique à ce sujet. Au contraire elles signalent qu'il est nécessaire de ne pas laisser la connaissance des questions militaires aux ennemis impérialistes, néolibéraux et néofascistes, et qu'il est besoin d'en proposer une appropriation populaire et écosocialiste.

A cet égard, je suivrai ici le modèle général de la révolution de l'appareil productif dans le cadre d'une décroissance écosocialiste, proposé notamment par Michael Löwy et Daniel Tanuro[61], qu'on peut résumer ainsi : il faut démanteler certaines productions (par exemple le nucléaire) ou réduire drastiquement certains secteurs (par exemple la production de viande), en reconvertir et réorienter d'autres (par exemple l'agro-industrie vers l'agro-écologie) et en socialiser une autre part (par exemple la production de médicaments). Cette stratégie de « démantèlement/redirection/socialisation » doit s'appliquer aussi à la production d'armes. Le Certaines armes et parties de l'industrie militaires doivent, c'est la première dimension de cette stratégie, être démantelées et leur production et livraison interrompues : c'est ce à quoi correspondent, par exemple, les actions syndicales et militantes, tout à fait nécessaires et urgentes, de blocage des ventes et envois d'armes vers Israël[62], ainsi que l'objectif toujours aussi crucial du désarmement nucléaire et de l'abolition des armes nucléaires[63]. Mais ces initiatives, fondamentales, ne peuvent constituer l'ensemble d'une politique antimilitariste et anti-impérialiste, notamment parce que se posent les questions de la redirection des armes vers les luttes anti-impérialistes, d'une part, et de la reconversion des emplois et savoir-faires dans ce secteur pour répondre aux besoins populaires, d'autre part.

La deuxième dimension d'une stratégie écosocialiste concernant la production d'armes, celle de la redirection, signifie à la fois la réorientation de certaines armes vers les besoins d'autodéfense et la reconversion de certains secteurs de l'industrie militaire. D'un côté, la solidarité internationaliste exige qu'on soutienne activement les résistances, armées et non armées, des luttes anti-impérialistes et de libération nationale, comme celles que mènent aujourd'hui le peuple ukrainien contre l'Etat russe qui l'envahit et le peuple palestinien contre l'Etat israélien qui le colonise, l'envahit et le détruit. Dans cette perspective, une partie des armes – par exemple produites en France – devraient être envoyées vers la Palestine, ou utilisées par une coalition militaire visant à mettre fin à la guerre génocidaire contre le peuple palestinien, comme c'est le cas d'une partie de la production d'armes livrée à la résistance ukrainienne. D'un autre côté, aucune forme de démantèlement ou de redirection ne peut se faire sans les travailleurs et travailleuses du secteur, ce qui souligne l'urgence de l'engagement antimilitariste et anti-impérialiste des syndicats, mais aussi nécessite qu'on soutienne les réflexions et initiatives syndicales et des salariées en faveur de la reconversion d'une partie des emplois et technologies du secteur vers d'autres besoins. On mentionnera à cet égard la position de la CGT Thalès au sujet de « La réorientation de l'activité de Thalès vers une plus grande part des activités civiles par rapport aux activités militaires »[64], liée aussi au projet alternatif de sauvegarde et développement de l'activité d'imagerie médicale, notamment sur le site de Moirans en Isère[65].

Cette question de la participation des travailleuses et travailleurs à la redirection écologique de leurs activités – qui est, dans tous les secteurs et à toutes les échelles, centrale, selon moi, dans la perspective de la nécessaire révolution écologique et sociale[66] – souligne la nécessité d'une troisième dimension de la stratégie écosocialiste, celle de la socialisation de la production d'armes. D'abord, parce qu'elle est dans les faits nécessaires au deux premières : c'est seulement un processus de réappropriation du contrôle démocratique sur les armes, et donc leur socialisation économique (démarchandisation) et politique (décision sur les moyens et fins de leur production), qui pourrait permettre effectivement de démanteler la part de l'industrie militaire à abolir et de les rediriger vers les luttes anti-impérialistes. Ensuite, parce que cette socialisation est nécessaire pour que l'enquête, la délibération et la décision populaire puissent déterminer quelle part de l'industrie militaire doit être supprimée, transformée ou mise à disposition des besoins sociaux des populations des pays producteurs comme des pays qui doivent se défendre des guerres impérialistes. Enfin, puisqu'une partie de la production d'armes est nécessaire, il faut qu'elle soit, comme toute production répondant à des besoins sociaux, sous contrôle démocratique. Une telle socialisation ne doit pas être considérée comme une perspective lointaine, reportée au lendemain d'une révolution victorieuse : il s'agit d'un processus qui peut s'ancrer dans des exigences immédiates (par exemple l'utilisation des armes défensives pour escorter les flottilles anti-blocus, ou leur livraison pour soutenir les armées de résistance et les guérillas anti-impérialistes, ou les batailles syndicales pour que ne soient produites que des armes destinées à la défense), qui doit être compris dans un programme de transition et dans une stratégie antimilitariste de longue durée. C'est aussi ce que nous rappellent les guerres en Ukraine et en Palestine – et il faudrait bien entendu analyser aussi concrètement les enjeux des guerres en cours au Yémen et au Soudan, notamment – avec toutes leurs différences et les problèmes politiques que soulèvent les armées et organisations qui y défendent les peuples contre l'impérialisme et le néofascisme : sur le long chemin de l'autodéfense et de la révolution écosocialistes, il y aura malheureusement, qu'on le veuille ou non, de nombreux drones et chars à abattre, et pour cela il faudra des armes.

3. La dernière proposition est la plus importante : les militant.e.s et organisations écologistes, et antifascistes, devraient considérer comme prioritaires le soutien aux luttes anti-impérialistes, qui sont de facto en première ligne du combat contre le capitalisme des catastrophes, qui a déjà commencé son œuvre d'hyperaccélération de la destruction de la nature, de l'exploitation des travailleurs et travailleuses (de la production et de la reproduction) et du développement du néofascisme au niveau mondial. C'est en effet sur le terrain de ces guerres impérialistes que se construisent, tactiquement, les moyens du militarisme environnemental et du technosolutionnisme militarisé, et stratégiquement les projets expansionnistes, suprémacistes et d' « adaptation sélective » – c'est-à-dire, Wim Carton et Andreas Malm ont raison d'employer ce terme, car c'est bien littéralement de l'abandon et du sacrifice des classes populaires qu'il s'agit, de « paupéricide[67] » – qui caractérisent l'alliance entre néolibéraux et néofascistes autour de la poursuite du capitalisme des catastrophes. C'est donc aussi par le soutien aux résistances anti-impérialistes, visant leurs victoires à moyen terme et pour commencer leur résistance dans la durée et les capacités à faire reculer les, que doit passer aujourd'hui une stratégie écologiste et antifasciste au niveau mondial.

De ce point de vue, puisque « le génocide du capitalisme tardif avancé donne des munitions au paupéricide[68] », c'est-à-dire que la guerre Israël et des Etats-Unis contre la Palestine est un tournant vers l'adaptation des plus riches et le sacrifice des pauvres et des racisé.e.s face aux catastrophes climatiques, alors soutenir le peuple palestinien est aussi un moyen de sauver la Terre, comme le soutient à juste titre Andreas Malm. Ou encore, comme l'exprime Adam Hanieh, auteur d'un livre important sur l'histoire du capitalisme fossile[69], dans un article traduit en 2024 par Contretemps : « Nous devons également mieux comprendre comment le Moyen-Orient s'inscrit dans l'histoire du capitalisme fossile, et dans les luttes contemporaines pour la justice climatique. La question de la Palestine est indissociable de ces réalités. En ce sens, l'extraordinaire combat pour la survie que mène aujourd'hui la population palestinienne dans la bande de Gaza représente l'avant-garde de la lutte pour l'avenir de la planète. » Je souscris complètement à cette conclusion importante, à laquelle je pense qu'il faut ajouter : c'est aussi le cas de la lutte anti-impérialiste du peuple ukrainien, qui s'oppose aussi au fascisme fossile de Poutine (et de son principal allié sur la nouvelle scène du capitalisme des catastrophes : Trump), et de toutes les luttes contre les puissances impérialistes (qu'il s'agisse des Etats impérialistes historiques : notamment les États-Unis, la Russie, Israël, la France, ou de ceux en passent de le devenir au niveau mondial, comme la Chine, ou au niveau régional, comme l'Arabie Saoudite ou la Turquie)[70] – y compris bien sûr contre l'impérialisme français dans les pays du Sahel et dans les dernières colonies françaises et notamment en Kanaky.

L'alternative « socialisme ou barbarie » – ou plutôt « écosocialisme ou barbarie » -, et donc aussi « révolution ou cataclysme » est plus que jamais valable. Mais il ne peut être question dans ce processus d'abandonner ni les peuples opprimés des pays des Suds, ni les classes populaires des pays du Nord, dont le sacrifice face aux catastrophes écologiques et sociales est le cœur même de la politique du capitalisme des catastrophes. De ce point de vue, les alliances entre mouvements écologistes, anti-impérialistes, antifascistes, antiracistes, féministes, telles que la coalition Guerre à la guerre, représentent l'avenir du mouvement réel qui doit abolir le capitalisme et l'impérialisme, et pour cela défaire leur stratégie d'adaptation sélective aux catastrophes. A condition d'être concrètement anti-impérialiste, ce qui suppose – c'est un débat en cours dans cette coalition, comme ailleurs, auquel ce texte voudrait contribuer – de ne pas abandonner le terrain militaire aux ennemis, de ne pas abandonner celles et ceux qui sont obligés de faire la guerre pour survivre et résister à la violence du capital et des Empires, et de comprendre la communauté de leur situation et de celle des mouvements sociaux, notamment écologistes et antiracistes, confrontés désormais y compris dans les pays du Nord à la répression militarisée. Cela renvoie, d'une manière générale, à une des principales leçons de Marx, et des mouvements marxistes pour l'émancipation depuis 150 ans : le matérialisme, qui rappelle que « l'arme de la critique ne peut pas remplacer la critique des armes, que le pouvoir matériel ne peut être abattu que par un pouvoir matériel[71] ». C'est-à-dire, pour la question qui nous concerne, qu'il ne faut pas se payer de mots (« abolissons la guerre ! », « finissons-en avec les armes ! »), mais œuvrer concrètement à ce que celles et ceux que les guerres impérialistes veulent soumettre puissent survivre, résister et défaire l'ennemi. C'est alors seulement qu'on pourra défaire le militarisme et ses effets mortifères et écocidaires. Il n'y aura pas de fin à la guerre contre les êtres humains et contre la nature, si on ne défait pas tous les impérialismes.

Notes

[1] La coalition Guerre à la guerre a été initiée par un appel publié le 16 janvier 2025, dont sont extraites les deux citations qui suivent. La première citation est extraite de la présentation de la coalition, qui regroupe les organisations suivantes (premiers signataires) : Action Antifasciste Paris Banlieue, Assemblée féministe Paris Banlieue, Collectif Vietnam Dioxine, Comités étudiants pour la Palestine, Contre Attaque, CSP 75, Désarmons les Féministes révolutionnaires, Gilets noirs, Inverti-es, Kessem, Lectures anti-impérialistes, Le nuage était sous nos pieds, Le Poing levé, Marche des Solidarités, Palestine Action, Relève féministe, Réseaux antifascistes régionaux, Réseau Vérité et Justice, Samidoun, Soulèvements de la Terre, Soulèvements de Mars, Stop Arming Israel France, Survie, Technopolice Marseille, Tsedek !, UJFP, Urgence Palestine, Young Struggle. Voir en ligne : https://guerrealaguerre.net/

[2] Toujours dans l'appel de la Guerre à la guerre, on trouver cet important rappel à propos de la « logistique de leurs guerres » : « Car celles-ci reposent sur des infrastructures matérielles, des institutions financières, des centres de recherche et développement, des laboratoires, des bureaux, des usines, des chantiers, des centres de formation et d'entraînement, des stands de recrutement, de la publicité, des salons ».

[3] Voir notamment le chapitre 4 du livre important de Razmig Keucheyan, La nature est un champ de bataille. Essai d'écologie politique, Paris, La Découverte, 2014, qui utilise le terme de « militarisation de l'écologie » pour désigner ce que j'appellerai ici « militarisme environnemental ».

[4] Une partie de cet article reprend les arguments présentés, de manière plus académiques, dans Alexis Cukier, « Guerre impérialiste, destruction écologique et capitalisme des catastrophes. Perspectives écomarxistes sur le tournant mondial des années 2020 », in Alexis Cukier et Arnaud François-Mansuy (dir.), Ecologie et philosophie politiques, à paraître.

[5] Voir Benjamin Bürbaumer, Chine / États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation, Paris, La Découverte, 2024.

[6] On rappellera que le fondateur de l'écomarxisme James O'Connor avait, dès la fin des années 1980, anticipé un « scénario selon lequel la destruction de l'environnement peut conduire à de vastes nouvelles industries conçues pour le restaurer » (James O'Connor, « Capitalism, Nature, Socialism : A Theoretical Introduction », Capitalism Nature Socialism, vol. 1, 1988).

[7] Comme le montre Claude Serfati, « la détérioration de la conjoncture économique depuis 2008 est un puissant vecteur de développement de la militarisation de la planète » (Claude Serfati, Un monde en guerres, Paris, Textuel, 2024, p. 248).

[8] Je reprends le terme de Gilbert Achcar, Gaza, un génocide annoncé. Un tournant dans l'histoire mondiale, Paris, La Dispute, 2025.

[9] Mike David, « Who will build the Ark ? », New Left Review, n° 61, janvier-février 2010, p. 38, je traduis.

[10] Cette hypothèse ne doit pas être confondue avec celle du « capitalisme du désastre » de Naomi Klein (La stratégie du choc. La montrée du capitalisme du désastre, Arles, Actes Sud, 2008), caractérisée par les opérations politiques d'instrumentalisation des crises, ni avec celle du « capitalisme de l'apocalypse » de Quinn Slobodian (Le capitalisme de l'apocalypse. Le rêve d'un monde ou le rêve d'un monde sans démocratie, Paris, Seuil, 2025), caractérisée par les opérations de dérégulation économique et leur idéologie. La différence réside notamment dans le peu d'importance accordée par ces argumentations aux catastrophes écologiques, et dans le fait qu'elles portent principalement sur la période précédente du capitalisme, le néolibéralisme, né dans les années 1970 et dont on fait ici l'hypothèse qu'elle s'achève dans les années 2020.

[11] Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil, L'évènement Anthropocène. La Terre, l'Histoire et Nous, Paris, Seuil, 2016, p. 145.

[12] Je développe cette thèse dans le chapitre « Guerre et impérialisme » d'un ouvrage Écologie politique du travail vivant. Catastrophes, écomarxisme et révolution, à paraître aux Editions sociales.

[13] Scientists for Global Responsibility and the Conflict and Environment Observatory, « Estimating the Military's Global Greenhouse Gas Emissions », en ligne, 2022, p. 2.

[14] Oliver Belcher, Patrick Bigger, Ben Neimard, Cara Kennelly, « Hidden carbon costs of the ‘everywhere war' : Logistics, geopolitical ecology and the carbon boot-print of the US military », Transactions of the Institute of British Geographers, vol. 45, 2020.

[15] Charles Closmann (dir.) War and the Environment, Austin, University of Texas Press, 2009.

[16] Neta Crawford nomme « cycle profond » cette interaction entre dépendance des armées aux énergies fossiles et stratégies militaires centrées sur la sécurisation des sources d'hydrocarbure dans le cas de l'armée états-unienne dans The Pentagon, Climate Change, and War : Charting the Rise and Fall of U.S. Military Emissions, Cambridge, MIT Press, 2022.

[17] Voir notamment Timothy Mitchell, Carbon Democracy : Political Power in the Age of Oil, Londres, Verso, 2011 ; Andreas Malm, Fossil Capital. The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming, Londres, Verso, 2016 ; Adam Hanieh, Crude Capitalism. Oil, Corporate Power and the Making of the World Market, Londres, Verso, 2024.

[18] Rachel Carson, Printemps silencieux [1962], Marseille, Wildproject, 2009, p. 49.

[19] Voir notamment Adrien Estève, Guerre et écologie. L'environnement et le climat dans les politiques de défense, Paris, PUF, 2022.

[20] The White House, « A National Security Strategy of Engagement and Enlargement », en ligne, juillet 1994, p. 15, je traduis.

[21] Razmig Keucheyan, La nature est un champ de bataille, op. cit., p. 16.

[22] Voir ibid., p. 19-85.

[23] Ian Angus, Face à l'Anthropocène. Le capitalisme fossile et la crise du système terrestre, Montréal, Ecosociété, 2018, p. 216-220.

[24] « Nous devrions planifier l'adaptation à au moins 4 degrés de réchaufffement » (Martin Parry, Jason Lowe, Hanson Clair, , « Overshoot, Adapt and Recover », Nature, n° 458, 2009, cité dans l'important livre de Wim Carton et Andreas Malm, Overshoot. How the World Surrendered to Climate Breakdown, Londres, Verso, 2024.

[25] « The World Is Going to Miss the Totemic 1.5°C Climate Target », éditorial de The Economist, 5 novembre 2022, cité ibid., p. 97.

[26] Christian Parenti, « The Catastrophic Convergence : Militarism, Neoliberalism and Climate Change », in Buxton Nick et Hayes Ben (éd.), The Secure and the Disposessed, Londres, Pluto Press, 2016, p. 33, je traduis.

[27] Voir Stand Speak Rise Up, We Are Not Weapons of War et Women's Information Consultative Center, White Paper. Conflict-Related Sexual Violence in Ukraine : Where Are We Now ?, novembre 2024.

[28] Humanitarian Research Lab at Yale School of Public Health, « Russia's systematic program of coerced adoption and fostering of Ukraine's children », 3 décembre 2024.

[29] Voir notamment Darya Tsymbalyuk, Ecocide in Ukraine. The Environmental Cost of Russia's War, Cambridge, Polity Press, 2025.

[30] Voir Karine Clément, Denys Gorbach, Hanna Perekhoda, Catherine Samary et Tony Wood, L'invasion de l'Ukraine. Histoire, conflits et résistances populaires, Paris, La Dispute, 2022.

[31] Simon Pirani, « The causes of the war in Ukraine », Labour Hub, 17 octobre 2022.

[32] Voir Gustafson Thane, Wheel of Fortune. The Battle for Oil and Power in Russia, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2017.

[33] Thane Gustafson, Klimat. Russia in the Age of Climate Change, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2021, p. 3-4, je traduis.

[34] Ibid., voir le chapitre 8 « A Tale of Two Arctics »..

[35] Ibid., p. 221-224.

[36] Amnesty International, « ‘You feel like you are subhuman'. Israel's genocide against Palestinians in Gaza », 5 décembre 2024, p. 283, je traduis.

[37] « Gaza : UN expert denounces genocidal violence against women and girls », UN Human Rights, 17 juillet 2025.

[38] Sara Ihmoud, « Countering Reproductive Genocide in Gaza : Palestinian Women's Testimonies », Native American and Indigenous Studies, vol. 12, 2025.

[39] Paul Kohlbry, « Agrarian Annihilation : Israel's war on Gaza is war upon both land and people », Agrarian Conversations. Journal of Peasant Studies, 2021.

[40] Voir notamment United Nations Environment Program, « Environmental Impact of the Conflict in Gaza : Preliminary Assessment of Environmental Impacts », 18 juin 2024, je traduis.

[41]Andreas Malm, Pour la Palestine comme pour la Terre. Les ravages de l'impérialisme fossile (2025), trad. Étienne Dobenesque, Paris, La Fabrique, 2025, p. 97.

[42] Ibid., p. 79.

[43] Adam Hanieh, « (Re)contextualiser la Palestine : Israël, les pays du Golfe et la puissance US au Moyen-Orient », Contretemps. Revue de critique communiste, 8 juillet 2024.

[44] « Donald Trump, Benjamin Netanyahu full joint press conference (Feb. 4, 2025) », WFAA, 5 février 2025, je traduis.

[45] Ce plan, rendu public le 3 mai 2024, et qui comprend le projet de réseau ferroviaire précédemment mentionné, est accompagné « d'images générées par intelligence artificielle représentant des gratte-ciel ultramodernes, des plateformes pétrolières en mer, des champs d'énergie solaire, ainsi que divers éléments illustrant une vision technocratique standardisée du progrès urbain » (Wagner Kate, « The awful plan to turn Gaza into the next Dubai », The Nation, 9 juillet 2024, je traduis).

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Le PQ entre deux crises

16 septembre, par Benoît Renaud — ,
Les sondages des derniers mois indiquent que le Parti québécois se dirige probablement vers un retour au gouvernement. Ses victoires aux élections partielles vont dans le même (…)

Les sondages des derniers mois indiquent que le Parti québécois se dirige probablement vers un retour au gouvernement. Ses victoires aux élections partielles vont dans le même sens. Au lendemain de l'élection générale de 2022, on pouvait penser que le PQ était sur son lit de mort, avec seulement trois députés et le pire résultat de son histoire. Que s'est-il passé depuis trois ans et qui expliquerait un tel revirement de situation ? Que penser de la promesse du PQ de tenir un référendum sur la souveraineté durant un premier mandat ? Sommes-nous vraiment à la veille de réaliser l'indépendance ou serions-nous plutôt au milieu d'une pause dans le déclin à long terme du PQ ?

15 septembre 2025

D'abord, examinons de plus près ces sondages. Le site QC125 de projection électorale prévoit un gouvernement péquiste majoritaire mais avec seulement 30% des voix. C'est la division du paysage politique en cinq blocs, combinée avec le mode de scrutin, qui font en sorte qu'un parti peut former un gouvernement majoritaire avec trois votes sur 10. Ce résultat est symétrique à celui de la CAQ qui pourrait se retrouver avec aucun député malgré des appuis à 17%.

En fait, le revirement de situation, depuis l'automne 2023 marqué par les grèves dans le secteur public, est un déclin de la CAQ allant de pair avec la montée du PQ. On ne devrait pas sous-estimer cette mobilisation dans notre évaluation de la présente période. C'était la plus grande mobilisation syndicale au Québec depuis les années 1970 et le gouvernement Legault a tout fait pour miner sa propre crédibilité en présentant des offres ridicules au début, puis en cédant progressivement face à la mobilisation. Ce faisant, il s'est aliéné tant les travailleuses et les travailleurs du secteur public (avec leurs familles et leurs ami.e.s) que la classe patronale. L'augmentation de salaires de 30% pour les député.e.s est venue juste au bon moment pour achever le processus.

Plus récemment, la baisse des appuis pour la CAQ semble profiter aussi aux libéraux. Bref, la coalition hétéroclite qui avait mené la CAQ au pouvoir il y a sept ans semble se désagréger, ramenant la CAQ dans une zone d'appuis semblable à ceux de l'Action démocratique du Québec (ADQ), tandis que la polarisation PQ-PLQ semble revenir au premier plan.

Pendant ce temps, à Québec solidaire, après les succès relatifs de 2018 et 2022, on se présentait comme l'opposition de fait face au gouvernement de la CAQ. Une polarisation CAQ/QS pouvait être envisagée comme la voie de l'avenir. Certains pouvaient même espérer présenter le parti comme une alternative gouvernementale plausible. Mais les récents sondages placent QS en 4e ou 5e position, disputant l'avant-dernière place au Parti conservateur. Que s'est-il produit ?

Comme c'est souvent le cas en politique québécoise, c'est la dynamique combinant les questions nationale et sociale qui conditionne le système des partis et leur évolution. Autrement dit, l'enjeu de la place du Québec dans l'État canadien est toujours présent, de même que les mobilisations sociales et le rapport de force entre les classes.

Les contradictions profondes du péquisme

Le PQ a toujours été aux prises avec une contradiction impossible à résoudre. Il affirme être le véhicule de la lutte pour l'indépendance du Québec, un changement majeur qu'on pourrait qualifier de révolution politique. Mais il hésite profondément à remettre en cause les institutions ou à se confronter à la résistance acharnée de l'État canadien et des forces sociales qui voient leur intérêt dans le maintien de son unité. Les leaders péquistes, au-delà de leurs différences de tactique ou de style, ont en commun un rejet d'une stratégie consistant à mobiliser la majorité de la population en défense de ses intérêts bien compris. Il n'est pas question de faire de la lutte pour l'indépendance une lutte de classe. Bref, le PQ prétend apporter un grand changement, mais sans que rien ne change ; il se veut toujours rassurant. La campagne référendaire de 1995 était emblématique à cet égard, en mettant l'accent sur la continuité entre la situation actuelle et celle résultant d'une éventuelle victoire du OUI.

C'est cette contradiction qui est à la source des fluctuations constantes dans la posture du PQ sur la question du référendum. Parfois, on reporte l'échéance aux calendes grecques. Parfois, on promet de tenir un référendum dès que possible. Parfois on dit qu'on en tiendra un si on pense pouvoir gagner. Présentement, c'est l'engagement à un référendum durant un premier mandat qui est au programme, comme en 1976 et en 1994. Mais ce positionnement a été plus l'exception que la règle dans l'ensemble de la vie du parti.

Un paysage politique dense et mouvant

On peut s'attendre à ce que la CAQ et le PLQ fassent du rejet du référendum un message central de leur campagne en 2026. La CAQ se présentera comme l'option nationaliste raisonnable et le PLQ comme les fédéralistes authentiques. Pour QS, une vision différente de l'indépendance, tant sur le plan du pourquoi que du comment, sera essentielle. Nous y reviendrons. Le Parti conservateur ne semble pas avoir grand chose à dire sur le sujet, ce qui explique en bonne partie sa difficulté à dépasser le vote de protestation marginal et à faire élire des député.e.s

D'un point de vue social, le PQ se présente comme un peu plus progressiste que la CAQ et le PLQ, mais avec peu d'engagements significatifs. On comptera sur le rejet des politiques d'austérité de la CAQ et des Libéraux par la majorité de la population et sur l'histoire des politiques progressistes mises en place (au siècle précédent…) par des gouvernements péquistes pour protéger son flanc gauche. Québec solidaire, qui vient d'adopter un plan de mobilisation sur le thème “un Québec solidaire de ses travailleuses et ses travailleurs”, va devoir travailler fort pour se distinguer en occupant le plus possible d'espace à gauche. Les Libéraux sont déjà bien identifiés comme le parti du monde des affaires. La CAQ, dont la députation est composée pour l'essentiel de patrons, après avoir gouverné comme des Libéraux pendant deux mandats, n'arrivera pas à se distinguer sur ce plan, ce qui laisse de la place sur sa droite pour la montée des conservateurs.

Le piège du pouvoir

Alors que la division du paysage politique et le mode de scrutin permettent d'envisager une victoire électorale du PQ avec 30% des votes, tandis que les appuis à la souveraineté restent stables autour de 35% depuis des années, on peut parier sur le fait que le futur probable premier ministre va devoir se rendre à l'évidence qu'il n'est pas sur le point de réussir là où René Lévesque et Jacques Parizeau ont échoué. L'échéance référendaire sera repoussée et la base péquiste sera accablée par un mélange de résignation et de démoralisation.

En fait, il faut obtenir deux fois plus de votes pour gagner un référendum que pour gagner une élection, étant donné l'augmentation marquée du taux de participation lors des référendums. Même si on ajoutait les 10% présentement annoncés pour Québec solidaire aux 30% du PQ, on est loin du compte. On doit ajouter à cela qu'environ la moitié des intentions de vote pour QS et le tiers des votes pour le PQ viennent de personnes qui ont l'intention de voter Non à la souveraineté.

Deux scénarios nous semblent improbables dans ce contexte. Le leader péquiste pourrait difficilement mettre de côté sa promesse de référendum avant ou pendant la campagne électorale. C'est cette promesse qui tient ensemble l'édifice fragile de son parti. Aller de l'avant avec un référendum quand tout indique qu'il serait perdant est aussi improbable. Personne ne veut assumer la responsabilité pour une troisième défaite, qui serait encore plus démoralisante que la décision de reporter l'échéance à un avenir indéfini.

L'élection d'un gouvernement péquiste sera donc le point culminant d'une parenthèse dans le développement de la crise profonde de ce vieux parti. Tôt ou tard, la réalité finira par le rattraper.

Pour la gauche : patience et honnêteté

Comment Québec solidaire devrait-il se positionner dans ce contexte ? D'abord, la complaisance avec le leadership du PQ et les illusions que celui-ci entretient par intérêt partisan est à écarter. On peut bien dire, hypothétiquement, que s'il y a un référendum, nous serons dans le camp du OUI. Mais en mettant l'accent sur le fait qu'il n'y en aura pas ! Il faut être brutalement honnête et affirmer clairement que le PQ s'apprête, au mieux, à trahir sa promesse, et au pire, à nous entraîner dans une défaite encore pire que celles de 1980 et 1995.

Il faut rappeler que c'est le PQ lui-même qui est responsable de cette situation, étant donné qu'il incarne toujours, pour la majorité de la population, le projet d'indépendance. C'est lui qui a échoué à renouveler la stratégie et les arguments souverainistes depuis 30 ans. C'est lui qui a convaincu bien des gens de tourner le dos au projet national, d'abord avec ses politiques de droite sur les questions sociales et économiques (le libre-échange, le déficit zéro, le virage ambulatoire…). Ensuite, et surtout, à cause de ses politiques discriminatoires (la Charte des valeurs) et xénophobes (blâmer l'immigration) depuis 2007.

Tous ces messages seront difficiles à entendre pour une base péquiste qui tente présentement de se convaincre elle-même que nous sommes à la veille du grand soir. Mais on se souviendra de la franchise des solidaires, seule base possible pour une éventuelle relation de confiance.

Ensuite, on doit mettre de l'avant, fièrement et avec conviction, notre vision stratégique. Pour que l'indépendance se réalise, il faut d'abord rallier la majorité de la population autour d'un projet de transformation politique, économique et sociale enthousiasmant. On veut mettre un pays au monde pour changer le monde. Ce projet, il appartiendra également à toutes les personnes qui vivent au Québec, peu importe leurs origines, leurs croyances et leurs habitudes vestimentaires. Il ira de pair avec l'autodétermination des 11 nations avec lesquelles nous partageons le territoire de la province de Québec.

Ce projet s'incarnera dans une constitution rédigé par une assemblée élue pour cette tâche, suite à une vaste consultation populaire. Le référendum viendra conclure cette démarche démocratique. pas donner un chèque en blanc au gouvernement pour négocier une nouvelle entente au sommet.

Pour que ce projet se réalise, il faut que Québec solidaire devienne le principal parti indépendantiste et reprenne le flambeau que le PQ va laisser tomber prochainement. Malheureusement, Québec solidaire aussi va devoir passer par une période difficile, suite aux prochaines élections, avant de jouer ce nouveau rôle historique. Avec une baisse probable de son vote populaire en 2026, toute la période allant de la prochaine élection générale à celle de 2030 sera ardue. On doit s'y préparer en gardant en tête notre vision à long terme, nos valeurs et notre engagement collectif.

Benoit Renaud
15 septembre 2025

Remaniement du gouvernement Legault : à droite toute !

16 septembre, par Yves Bergeron — ,
Secoué par des scandales qui sentent la corruption et l'incompétence, le gouvernement Legault renoue avec son passé adéquiste et rejoint le PQ et le Parti conservateur dans une (…)

Secoué par des scandales qui sentent la corruption et l'incompétence, le gouvernement Legault renoue avec son passé adéquiste et rejoint le PQ et le Parti conservateur dans une rhétorique de droite dure que ne renierait pas tout trumpiste qui se respecte.

Les mouvement sociaux, les centrales syndicales en premier, n'y constatent qu'une suite logique du passé récent alors qu'on pourrait aussi voir un saut qualitatif dans l'offensive d'un gouvernement qui refuse de mourir sans combat. Le gouvernement Legault est en crise et un simple jeu de chaises musicales ne suffira pas à remettre le parti sur les rails de la popularité. Pourtant, le programme annoncé par le premier ministre ressemble en tout point à un cri de guerre contre tout ce qui ressemble à une politique populaire. C'est le train illibéral qui fonce à toute vitesse et, telle une bête blessée, montre les dents et souhaite ouvrir toute grande la porte du capitalisme décomplexé. Tout obstacle doit être éliminé.

Basta les normes environnementales qui ralentissent les projets. Basta les dépenses sociales que refusent de payer les grandes corporations. Attaques contre les droits syndicaux. Le gouvernement Legault souhaite construire l'autoroute qu'emprunteront les entreprises sans les obstacles que constituent les cadres règlementaires, les obligations fiscales, les comptes à rendre… Que ça finisse en catastrophe comme la filière batterie ou le virage numérique à la SAAQ, la CAQ fonce tête baissée. Ce gouvernement a une tâche à accomplir : ouvrir le chemin à une nouvelle reprise de l'économie capitaliste dans le contexte de la guerre commerciale avec les Etats-Unis et les multiples crises qui grèvent le système. Et cette reprise passe par une plus grande ouverture à l'extractivisme et à l'exploitation des ressources. C'est le sens des projets de loi sur la forêt, la croissance de la production d'énergie et les intentions de relance de la filière des hydrocarbures.

En réaction aux annonces du gouvernement Legault, les centrales syndicales maintiennent le cap collaborationniste malgré le ton résolument guerrier du premier ministre. Les réactions ne sont pas à la hauteur du défi que leur lance François Legault. Aux confrontations souhaitées par ce gouvernement en perdition, les syndicats lancent plutôt des appels au dialogue et à la concertation qui ne feront pas plier le gouvernement.

Pour la CSN, c'est « bonnet blanc, blanc bonnet ». La centrale y voit un gouvernement « de gens d'affaires déconnectés des besoins de la population » et conclut que seules des élections générales « permettront à la population d'élire un gouvernement qui saura se mettre en action pour répondre aux besoins réels du Québec. » Bref, nous devront prendre notre mal en patience d'ici octobre 2026 sans perspectives de riposte de la rue.

La FTQ voit dans les attaques de la CAQ contre les organisations syndicales une façon de faire diversion face aux échecs de son gouvernement tout en déchirant le modèle québécois au passage. Elle déplore que le gouvernement « brise le dialogue social, sème la discorde dans la société québécoise pour finalement annoncer le chaos »

À la CSQ, on souligne que « peu importe le porteur de dossier, si les orientations politiques et stratégiques du gouvernement demeurent les mêmes, ce sont encore des mois difficiles qui nous attendent. » La centrale souhaite « sincèrement qu'il ne cherche pas à affronter les syndicats pour tenter de remonter dans les sondages. Jouer la carte populiste et museler le contre-pouvoir et la critique pour mousser sa popularité en vue des élections, ce serait une grave erreur. »

La FIQ « exhorte le ministre de la Santé Christian Dubé à revoir certaines de ses priorités. » Elle déplore l'état de chaos dans lequel se retrouve le réseau de la santé malgré les belles promesses du ministre Dubé avec son agence Santé Québec. La centrale souhaite que la dernière année du ministre serve « à répondre aux besoins et préoccupations des patient-e-s et des professionnelles en soins. » L'APTS quant à elle tend la main au gouvernement et se dit prête à collaborer avec le nouveau personnel du gouvernement Legault.

Les syndicats du milieu de l'éducation affiliés à la CSN se disent soulagés par le départ de Bernard Drainville mais ils affirment qu'il est« difficile de croire que Mme Lebel incarnera le changement, elle qui contrôlait les finances lors des compressions et des gels d'embauche dans les écoles. » La FSE-CSQ souhaite rebâtir des ponts avec la nouvelle ministre Sonia Lebel dont la nomination est vue d'un bon œil.

D'autres regroupements syndicaux ont fait état de leur réaction au remaniement sans remettre en question l'approche « on rebâtit des ponts et on renoue le dialogue et tous regrettent le ton belliqueux du gouvernement ». La Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ), le Syndicat des professionels et professionnelles du gouvernement du Québec (SPGQ), la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) ou encore la Fédération québécoise des professeurs et professeures d'université (FQPPU) vont tous dans ce sens.

En bref, il semble que les directions syndicales sous-évaluent la volonté du gouvernement Legault d'en découdre avec les organisations qui peuvent représenter un contre-pouvoir et des sources de résistance à l'offensive pro-patronale que mijote la CAQ pour freiner sa descente dans les sondages. À contrario, un mouvement inter-centrales devrait être mis sur pied avec concertation avec les organisations féministes, écologistes et étudiantes pour poser véritablement un défi à la CAQ tout comme au PQ qui aspire au pouvoir et au Parti conservateur qui fait dans le même discours. Un tel mouvement serait tout aussi utile afin de mettre à mal les « grands projets » de Mark Carney du même acabit. Québec solidaire qui souhaite prendre partie pour les travailleurs et travailleuses devrait saisir la balle au bond et faire de la protection du droit de grève et des acquis syndicaux une campagne massive en direction des organisations populaires.

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Les raisons qui justifient la décroissance au Canada

16 septembre, par Omer Tayyab — ,
Commençons pas rappeler les derniers événements climatiques : des incendies fulgurants traversent Los Angeles consument des hectares de terrains et réduisent des centaines de (…)

Commençons pas rappeler les derniers événements climatiques : des incendies fulgurants traversent Los Angeles consument des hectares de terrains et réduisent des centaines de maisons en cendres, à Valence en Espagne les inondations submergent des quartiers entiers, emplissent les maisons de boue et les autos se retrouvent empilées les unes sur les autres. Plus près de nous, Jasper a été réduite en ruines fumantes, ses meilleurs attraits anéantis.

Omer Tayyab, Canadien Dimension, 15 août 2025
Traduction, Alexandra Cyr

En plaçant ces événements dans un contexte plus large, nous voyons qu'autour de la planète, les écosystèmes s'effondrent. Chaque jour qui passe nous éloigne des buts de l'accord de Paris qui visait à limiter la progression du climat à 1,5 degrés Celsius. Nous vivons dans une époque d'extinction de masse où la biodiversité diminue à un rythme alarmant. Le courant de circulation méridienne de retournement de l'Atlantique, un courant déterminant pour la civilisation humaine, est au bord de l'effondrement.

Ces développements ne se produisent pas dans le vide. Leur sévérité est liée à notre système mondial de production et de consommation qui est déterminé par la croissance de l'économie (mesuré par le PIB) pour rester viable. D'autres effets négatifs sur l'environnement ont été étroitement liés à la croissance du PIB qui signifie toujours une ponction plus dure sur la planète. Les scientifiques ont identifié neuf lignes à ne pas dépasser ; six d'entre elles l'ont déjà été avec cette recherche constante de la croissance (économique) sur une planète limitée (en ressources).

De toute urgence il nous faut une nouvelle approche économique, une qui ne repose pas sur une croissance sans fin et qui respecte les besoins humains et l'environnement.

La décroissance offre ce genre d'alternative : une économie assise sur la juste satisfaction des besoins, où la production est orientée sur cet objectif et qui promeut le bien-être dans l'harmonie avec la nature. Pour y arriver il faudra réduire notre consommation matérielle et d'énergie. Ainsi nous serons en phase avec les limites écologiques planétaires.

La logique de la décroissance met fin aux productions moins nécessaires et dommageables. La mode éphémère, l'obsolescence programmée, la publicité, les ventes d'armes, les jets privés, les yachts privés et les VUS deviennent hors-jeu pendant que les biens de première nécessité comme l'alimentation, le logement, les soins de santé, sont assurés par une production en accord avec l'écologie. La recherche a démontré que des fondements solides pour une bonne vie pour tous et toutes est possible avec une empreinte écologique bien moins importante.

La plus grande partie de la consommation d'énergie et matérielle est le fait d'une minorité riche. Cela veut dire qu'une décroissance planifiée aurait peu d'impact sur la majorité des populations. Par exemple au Canada, en 2024, les 20% des foyers les plus aisés disposaient de sept fois plus de revenus que les 20% les moins riches. Cela prouve que l'idée répandue que la décroissance est politiquement irréaliste et invraisemblable ne tient pas puisque les réductions n'affecteraient principalement que les plus riches.

La décroissance est aussi réaliste technologiquement puisqu'elle repose sur les ressources et les infrastructures que nous avons déjà plutôt que se fier à des ajustements techniques spéculatifs ou non encore mis à l'épreuve. Alors que les techniques de captures et séquestrations du carbone et de la géo ingénierie promues par les optimistes de la technologie sont toujours expérimentales et incertaines, la décroissance vise la réduction de la consommation d'énergie et des matériaux par des moyens pratiques qui ont fait leurs preuves comme l'efficacité énergétique, l'agriculture durable et la production localisée.

Aujourd'hui, toute critique de la croissance est perçue comme sacrilège parce que la croissance de PIB est devenue synonyme de meilleurs standards de vie. C'est pourquoi les économistes se sont rabattus.es sur une solution improbable pour pousser la croissance du PIB : la productivité ouvrière. Ils font ainsi une grave erreur parce que le PIB est devenu une mauvaise mesure de la richesse des nations. Il se peut que la croissance soit un moyen acceptable dans les pays pauvres mais pas dans un pays comme le Canada.

Le PIB et la productivité n'ont jamais été conçus pour mesurer le bien-être humain et social. On en a un exemple criant aux États-Unis. Dans les discussions au Canada on les présente souvent comme un modèle de productivité du travail. Mais leurs performances sont bien pires qu'au Canada quant à plusieurs indicateurs déterminants dans le bien-être social. Par exemple, dans le développement humain, pour les inégalités et le niveau de santé, malgré un bien plus important PIB per capita et une croissance bien plus élevée au cour des années récentes (que celle du Canada). Cela s'explique parce que le PIB mesure la productivité, le volume et l'efficience de la production, pas son contenu. En d'autres mots, ces mesures présentent des apparences de production « meilleure » que celle de la médecine parce ce qu'elles génèrent plus de profits pour la même quantité de travail.

La focalisation sur la croissance du PIB a bien sûr généré des politiques nuisibles. Ainsi, le précédent gouvernement fédéral a investi 34 milliards de dollars dans l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain sans tenir compte des revendications des Premières nations, de l'écologie des environs et de l'augmentation des gaz à effet de serre découlant de l'augmentation de la production des énergies fossiles. L'actuel gouvernement a déclaré être dans une approche semblable et a promis plus de ressource pour l'extraction et un assouplissement de la régulation. Et cela se produit alors que la recherche scientifique montre clairement qu'il faut réduire cette production et renforcer le système de santé pour venir à bout de la crise climatique. Mais la poursuite sans fin de productivité et de croissance nous dirige directement dans le sens contraire.

Nous pouvons choisir de réorienter notre système économique dès maintenant et avoir une planification démocratique. Autrement, les crises de notre époque vont nous submerger. Nous ne pouvons nous payer le luxe de perdre du temps avec des distractions comme les débats sur la productivité tout comme nous ne devons pas tomber dans la propagande du « green washing » que nous servent les producteurs.trices des énergies fossiles.

La seule voie raisonnable pour avancer est la décroissance.

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L’assassinat de Charlie Kirk est une tragédie et un désastre

16 septembre, par Ben Burgis, Meagan Day — ,
L'assassinat de Charlie Kirk menace d'encourager l'extrême droite et de fournir à Donald Trump un prétexte pour écraser la dissidence. L'escalade de la violence politique (…)

L'assassinat de Charlie Kirk menace d'encourager l'extrême droite et de fournir à Donald Trump un prétexte pour écraser la dissidence. L'escalade de la violence politique corrode les normes démocratiques et pose une menace particulière pour la gauche. La mort de Charlie Kirk apparaît comme une nouvelle preuve que la frénésie violente des États-Unis entre en collision frontale avec le tribalisme déshumanisant de notre culture politique.

9 septembre 2025 | tiré de Jacobin
https://jacobin.com/2025/09/charlie-kirk-murder-political-violence

Dans les pages de ce magazine, Charlie Kirk n'a jamais reçu un accueil chaleureux. Cela n'a désormais aucune importance. Son assassinat est une tragédie. Moralement, il est injustifiable. Politiquement, il est extrêmement préoccupant. Une spirale de violence politique croissante constituerait une catastrophe pour la gauche.

Au moment où nous écrivons ces lignes, personne ne connaît l'idéologie ou les motivations du tireur. Mais certains points essentiels sont déjà clairs.

Personne ne devrait être tué en guise de punition pour une expression politique, aussi répréhensible soit-elle. Au-delà de notre répulsion fondamentale pour la violence, nous sommes aussi des partisans de la démocratie, qui repose sur la liberté d'expression et l'ouverture du débat. Sans cela, l'autogouvernement collectif est impossible et la tyrannie devient inévitable. Réduire au silence des opposants politiques par la force brute — qu'il s'agisse de répression d'État ou d'assassinats commis par des individus isolés — sape un principe auquel les socialistes démocratiques ont toujours tenu.

De plus, la perspective d'une dérive vers une violence politique de représailles réciproques est une évolution inquiétante, qui menace de réduire l'espace d'une action politique significative. Cela augure mal pour la culture politique dans son ensemble, et en particulier pour la gauche. Nous disons régulièrement des choses que d'autres trouvent extrêmement choquantes, et nous nous attendons à être confrontés à des contre-arguments vigoureux — pas à des représailles violentes. Bien que la violence politique ait toujours existé en marge, cette attente s'est généralement révélée raisonnable. Nous semblons avoir vécu sur la base d'un consensus fragile : dans une culture par ailleurs extraordinairement violente, les dirigeants et commentateurs politiques étaient pour la plupart épargnés. Ce consensus semble désormais s'effriter, avec des implications glaçantes.

Les assassinats — tentés ou réussis — de responsables politiques sont en augmentation, tout comme les meurtres motivés politiquement visant des personnes moins connues. Bien que ce type de violence provienne de tout l'éventail politique, la droite en a été responsable dans une bien plus grande proportion que la gauche depuis plusieurs décennies. Ces dernières années, les assaillants semblent de plus en plus issus d'une population américaine politiquement confuse, mentalement perturbée et lourdement armée, dont la paranoïa générale et la désorientation se mêlent à une culture politique incohérente mais férocement polarisée. Même la violence armée de masse, courante aux États-Unis, prend une dimension politique croissante : là où les tueurs de masse scolaires d'autrefois s'enfermaient dans un nihilisme dépolitisé, ceux d'aujourd'hui inscrivent des slogans contradictoires sur leurs armes.

L'assassinat de Charlie Kirk apparaît déjà comme une nouvelle preuve que la frénésie violente des États-Unis se heurte de plein fouet au tribalisme déshumanisant de la culture politique. Cette combinaison toxique menace de corroder gravement les normes démocratiques et d'éteindre tout espoir de progrès à gauche.

Répression en vue

Kirk dirigeait une machine de propagande politique bien financée, diffusant un message simple. Les « libéraux », les « radicaux » et les « socialistes » — distinctions rarement faites — détruisaient le pays. Les universités étaient des usines d'endoctrinement gauchistes. L'Amérique était submergée par des immigrés violents. Les femmes devaient se consacrer à la sphère domestique. Les États-Unis étaient une nation chrétienne et devaient le rester. Donald Trump était une force du bien.

Il y a quatre ans, l'un de nous (Ben) avait débattu avec Kirk sur le thème « Socialisme démocratique contre populisme conservateur ». Ses positions ont depuis évolué dans une direction encore plus inquiétante, flirtant avec des formes plus brutales de nationalisme et de xénophobie. Mais déjà en 2021, la substance de ses arguments était indéfendable. Sous le masque du « populisme », il défendait des positions dignes de la page éditoriale du Wall Street Journal. Il s'opposait fermement à toute avancée vers une société plus égalitaire, comme l'assurance maladie universelle ou le renforcement du mouvement ouvrier.

Pourtant, il ne recourait pas aux attaques personnelles. Il restait sur le fond des arguments, évitant les coups bas et laissant à Ben l'espace de souligner la contradiction entre sa rhétorique populiste et la substance inégalitaire de ses positions. Dans un pays où un grand nombre de nos concitoyens partagent malheureusement les idées de Kirk, des débats de ce genre sont absolument nécessaires. La fusillade d'hier indique une voie bien plus sombre, qui ne mène nulle part où nous devrions vouloir aller.

Le postulat fondamental de la gauche est que les gens ordinaires sont capables d'autogouvernement, dans leur milieu de travail comme dans la société. Cet objectif n'a de sens que si nous faisons confiance à nos concitoyens pour être exposés à tous les points de vue, même les pires, et se forger leur propre opinion. Et nos buts démocratiques ne peuvent être atteints que par des moyens démocratiques. Nous cherchons à renverser des structures profondément enracinées de richesse et de pouvoir. Il n'y a aucun moyen réaliste d'y parvenir sans rallier la vaste majorité de la population. Ce qui joue en notre faveur, c'est précisément que les travailleurs qui bénéficieraient de notre programme constituent la majorité. En d'autres termes, nous avons à la fois la force des idées et la force du nombre.

Mais l'introduction de la violence politique réciproque réduit considérablement l'importance de ces deux facteurs. Dans un contexte dominé par les effusions de sang entre factions, il ne compte plus de savoir qui a le programme le plus convaincant ou la base la plus large, mais qui a les militants les plus armés et les moins réticents à tuer. La gauche ne gagnera pas cette bataille.

En outre, le meurtre de Kirk risque presque à coup sûr de nuire à la gauche d'autres façons. D'abord, l'administration Trump pourrait très bien l'utiliser comme prétexte pour réprimer les militants progressistes. Aussitôt après la fusillade, la droite a réclamé précisément cela. Leurs appels à purger et censurer toute la gauche en représailles ont été rapides, omniprésents et virulents.

Avant la fin de la soirée, Donald Trump s'était adressé à la nation : « Depuis des années, ceux de la gauche radicale comparent de merveilleux Américains comme Charlie aux nazis et aux pires criminels de l'histoire. Ce genre de rhétorique est directement responsable du terrorisme que nous voyons dans notre pays aujourd'hui, et cela doit cesser immédiatement. » L'agresseur n'avait pas encore été identifié, aucun mobile confirmé, mais cela n'a pas empêché le président de faire porter à toute la gauche la responsabilité de l'assassinat et de promettre des représailles.

L'histoire nous enseigne que la gauche court de graves dangers dans de telles circonstances. L'idée que des actes de violence politique individuels puissent déclencher des mouvements de masse pour la justice — ce qu'on appelait autrefois la « propagande par le fait » — a été testée depuis des siècles dans divers contextes. Cela a presque toujours été un désastre, menant à une répression accrue de la gauche et à des attaques contre la démocratie. Les suites de l'assassinat de Kirk pourraient très bien suivre ce sombre scénario. Que le tireur soit ou non issu de la gauche, il y a de bonnes raisons de craindre que ce meurtre serve de prétexte à une nouvelle répression de la dissidence dans une administration déjà portée à l'autoritarisme comme on n'en avait pas vu depuis longtemps aux États-Unis.

Au cours des huit derniers mois, des détenteurs de carte verte ont été arrêtés et détenus pour avoir participé à des manifestations ou écrit des tribunes critiques d'Israël, des troupes fédérales ont été envoyées dans des villes malgré l'opposition des maires et gouverneurs, en réponse à de petites émeutes ou même à de simples délits de rue, et des migrants soupçonnés de crimes ont été envoyés dans des prisons au Salvador sans aucune procédure régulière. Il n'est pas difficile d'imaginer que tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la violence de gauche puisse entraîner des représailles extrêmes de la part de l'administration Trump.

La fabrication d'un martyr

Depuis la deuxième et plus décisive défaite de Bernie Sanders en 2020, la gauche a subi de lourds revers. Il y a quelques années à peine, nous étions en lice pour le pouvoir politique ; aujourd'hui, nous sommes souvent réduits à une rage impuissante face aux exactions de l'administration Trump, à l'impuissance d'une opposition libérale hégémonique, et au génocide ouvertement perpétré à Gaza.

Récemment, certains signes ont pu laisser espérer un regain d'ancrage politique, notamment la campagne inspirante de Zohran Mamdani à New York. Dans ce contexte, cette étincelle de renouveau socialiste démocratique est précieuse et fragile. Une nouvelle vague de répression politique pourrait être particulièrement désastreuse au moment où nous commençons à peine à reconstruire nos forces.

De plus, l'assassinat de Kirk risque de ne pas démoraliser, mais au contraire de renforcer la conviction de l'extrême droite, qui ne manquera pas d'en faire un martyr. La presse conservatrice a déjà commencé à employer ce terme. Sa figure se prête parfaitement à une telle mythification : il n'a jamais levé la main sur personne et a été tué de sang-froid alors qu'il exprimait ses opinions politiques.

Kirk a joué un rôle de premier plan dans le virage d'une partie de la génération Z vers la droite, en particulier les jeunes hommes. Si le tireur espérait éteindre son influence, son geste aura presque certainement l'effet inverse. Sa mort à trente et un ans convaincra sans doute beaucoup de ses millions de partisans de se consacrer à sa cause, accélérant la cohésion d'un bloc politique de droite radicale et militante qui sera un obstacle à notre projet pour des décennies.

Depuis sa mort, la majorité de la gauche a justement condamné cet assassinat. Mais un nombre non négligeable a réagi avec une absence d'empathie presque compétitive. Non seulement ce cynisme amoral risque de rebuter la population américaine, qui abhorre la violence politique, mais il est aussi politiquement malavisé et stratégiquement naïf. Il n'y a rien à célébrer ici. Au contraire, il y a beaucoup à craindre.

L’attaque contre le Qatar, prélude à une guerre sans frontières au Moyen-Orient 

16 septembre, par Nicolas Beau — , , ,
L'armée israélienne a annoncé avoir mené mardi des frappes contre des responsables du mouvement islamiste palestinien Hamas, après que des explosions ont été entendues à Doha, (…)

L'armée israélienne a annoncé avoir mené mardi des frappes contre des responsables du mouvement islamiste palestinien Hamas, après que des explosions ont été entendues à Doha, la capitale du Qatar. Le bilan des frappes reste incertain en raison d'informations contradictoires. Les autorités du Qatar ont confirmé des frappes contre des domiciles de responsables du Hamas et condamné une attaque « lâche ».

Tiré de Mondafrique
9 septembre 2025

Par Nicolas Beau

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a averti que les « dirigeants terroristes » ne seraient en sécurité nulle part, après qu'Israël ait ciblé la haute direction du Hamas lors de frappes aériennes sur la capitale qatarie, Doha.

« Les jours où les dirigeants terroristes pouvaient bénéficier d'une immunité partout sont révolus », a déclaré Netanyahu lors d'un événement à l'ambassade des États-Unis à Jérusalem, ajoutant qu'il avait ordonné l'opération « pour régler leurs comptes avec les meurtriers et garantir la sécurité future des citoyens israéliens ».

En frappant le cœur diplomatique de Doha, Israël change les règles : la guerre ne connaît plus de sanctuaire. Ce précédent spectaculaire rappelle que, dans la région, l'assassinat ciblé marque souvent le seuil d'un conflit terrestre généralisé.

C'est en octobre 2024 qu'est mort Yahya Sinwar, alors chef politique et militaire du Hamas, cerveau des attaques du 7 octobre 2023

L'onde de choc qui a traversé Doha le 9 septembre 2025 dépasse de loin la seule capitale qatarie. C'est tout l'ordre régional qui vacille sous la violence d'une frappe qui, en visant les responsables du Hamas réunis dans un appartement sécurisé, inaugure une nouvelle ère. Désormais, la guerre au Moyen-Orient ne s'embarrasse plus ni des frontières ni des tabous diplomatiques. On n'est plus dans la simple riposte dans la bande de Gaza, ni dans les frappes « préventives » en Syrie ou au Liban. Pour la première fois, une capitale du Golfe, alliée majeure des États-Unis, médiatrice de toutes les négociations régionales, est directement frappée. Au cœur d'un quartier résidentiel de Doha, les missiles israéliens n'ont pas seulement visé quelques dirigeants : ils ont pulvérisé l'illusion d'un sanctuaire, même diplomatique, dans une région qui ne tolère plus aucun espace neutre.

D'après les premiers éléments, « quatre à huit responsables du Hamas se trouvaient sur le lieu visé », mais pour l'instant, aucune déclaration officielle ne permet d'établir le bilan exact, ni l'identité précise des victimes. Comme toujours, après une frappe d'une telle intensité, Israël attend avant d'annoncer les noms des personnes tuées et le détail de la réussite de son opération. Ce n'est jamais immédiat : pour l'heure, on ne sait pas exactement qui s'en est tiré ou pas. Mais l'effet de sidération, lui, est immédiat et assumé.

Le précédent qatari, bascule d'une région sans tabou

Ce raid à Doha ne relève ni du geste improvisé ni de l'accident. Depuis un an, Israël a modifié sa doctrine de sécurité et d'intervention. L'assassinat d'Hassan Nasrallah en septembre 2024, avec une grande partie de la direction du Hezbollah à Beyrouth, avait déjà marqué une rupture, affichant la volonté israélienne de décapiter ses ennemis même au cœur de leurs propres bastions. L'Iran, lui aussi, a subi des frappes répétées contre ses cadres militaires et nucléaires, une séquence qui a préparé le terrain à la guerre totale qui allait suivre. Chaque fois, l'histoire récente l'atteste : l'assassinat ciblé de chefs hostiles n'est jamais un épilogue, mais bien le prélude à une extension brutale du conflit. Ce qui s'est joué à Doha s'inscrit dans cette logique de répétition — une logique où la décapitation stratégique n'est qu'un prélude à la guerre ouverte, parfois même à la tentation d'une « table rase ».

Si la frappe de Doha crée un tel séisme, c'est aussi parce qu'elle expose le Qatar à une violence dont il se croyait préservé. Habitué à jouer le rôle de médiateur entre Hamas et Israël, entre talibans et Américains, entre Iran et Occidentaux, l'émirat cultivait sa position d'interface indispensable, espérant se protéger derrière sa diplomatie active. Mais ce calcul s'est effondré en un éclair : ni la présence de la plus grande base militaire américaine de la région, ni les efforts diplomatiques frénétiques de Doha n'ont suffi à dissuader Israël. Face à ce choc, la réaction officielle du Qatar trahit une impuissance grandissante. L'émirat dénonce une violation de sa souveraineté et laisse éclater une colère froide, mais, dans les faits, il se montre incapable de riposter d'aucune manière.

L'histoire aurait sans doute été toute autre si la Turquie avait été visée par une frappe similaire. Ankara, membre de l'OTAN et puissance militaire régionale, aurait probablement opté pour une riposte immédiate, que ce soit sur le plan militaire ou hybride. Ce contraste éclaire le choix du Qatar comme terrain d'expérimentation : loin d'être anodin, il souligne l'incapacité de la région à fixer de véritables lignes rouges et, peut-être, un consentement implicite à ce nouveau jeu de puissance.

La frappe israélienne interroge la notion même de sanctuaire. Désormais, le calcul de sécurité régionale s'inverse. La diplomatie, censée garantir la protection des médiateurs, s'effondre devant une stratégie israélienne qui assume le passage à une guerre totale, déterritorialisée, sans limite assignable. La doctrine qui prévaut n'est plus celle du compromis, mais celle du choc, de la sidération et de la paralysie de l'adversaire.

Alliances malmenées, diplomatie piégée

Le séisme diplomatique déclenché par cette attaque s'est propagé à une vitesse inédite. L'ONU, l'Union européenne, la Ligue arabe, toutes les capitales du Golfe ont condamné la frappe, mais aucune n'a annoncé la moindre mesure concrète de rétorsion. Le Qatar, pour sa part, affirme n'avoir été prévenu d'aucune manière avant la frappe, une version en totale contradiction avec ce qu'affirment les autorités israéliennes et américaines. Israël dit avoir prévenu Washington, qui assure de son côté avoir alerté Doha « quelques minutes » avant l'attaque. Côté qatari, le démenti est formel, la confusion est totale. Ce brouillage de la communication expose, une fois de plus, la crise de confiance profonde qui mine les alliances régionales.

Comme souvent après de telles frappes, Israël attend avant d'annoncer officiellement les résultats de l'opération. Pour l'instant, aucune annonce sur le sort précis des cibles. Ce flou maintient la tension et amplifie la portée de l'opération, tout en laissant ouvertes toutes les interprétations.

Outre-Atlantique, la gêne politique est manifeste. Donald Trump, en campagne, s'est dit « embarrassé » vis-à-vis du Qatar, tout en refusant de condamner l'action israélienne et en précisant publiquement qu'il s'agissait « de la décision de Netanyahou seul, pas la mienne ». À la Maison Blanche, le discours est très différent : on applaudit l'élimination de cadres du Hamas, accusés d'utiliser Gaza comme bouclier humain tout en vivant dans le confort de l'étranger. Cette dualité, entre malaise diplomatique affiché et satisfaction stratégique, révèle une contradiction désormais impossible à cacher. Comment garantir la stabilité régionale tout en assumant l'internationalisation de la confrontation ?

Les capitales européennes, Berlin, Paris et d'autres, font entendre leur inquiétude. La neutralisation du rôle de médiateur du Qatar consacre la fin d'une diplomatie régionale déjà en grande difficulté. Les pourparlers de cessez-le-feu sont désormais menacés, le canal humanitaire se trouve fragilisé, la confiance est rompue. Israël, en s'en prenant directement au cœur du mécanisme diplomatique régional, coupe les derniers liens qui reliaient encore le Hamas, l'État hébreu et les États-Unis. Doha, jusque-là relais incontournable pour la libération des otages, la trêve humanitaire ou les discussions sur le cessez-le-feu, se retrouve marginalisé. Le Hamas crie à la trahison, le Qatar menace de se retirer du processus, tandis que le reste du monde arabe se résigne à l'emprise de la force brute sur toute forme de négociation.

Le choix du Qatar comme cible envoie aussi un message aux autres États du Golfe. Ils comprennent qu'ils pourraient, eux aussi, devenir des acteurs ou des cibles d'une nouvelle ère de guerre ouverte, où la souveraineté ne constitue plus qu'une variable d'ajustement dans les rapports de force régionaux. L'incertitude s'étend, la crainte grandit, l'équilibre déjà fragile de la région semble trembler un peu plus à chaque étape.

Guerre sans frontières, effondrement des sanctuaires

La frappe de Doha s'inscrit dans une stratégie assumée par Israël : plus aucun refuge ne sera toléré, plus aucune zone ne doit être considérée comme hors de portée. La logique de la « doctrine Dahiya », consistant à frapper même dans les sanctuaires supposés intouchables, se voit transposée au cœur du Golfe. Mais cette extension du champ d'action israélien suscite le vertige. Israël peut-il multiplier les frappes, repousser sans cesse les limites, sans risquer un isolement stratégique, ou même un embrasement régional ? Désormais, aucun dirigeant du Hamas ne se sent à l'abri, aucune capitale n'est certaine d'être protégée. La rue arabe gronde, la colère monte, mais la riposte concrète tarde à venir. La sidération sert de stratégie de dissuasion, mais aussi de provocation.

Pour de nombreux analystes, la question centrale n'est plus taboue : cette opération hors normes annonce-t-elle le lancement d'une campagne d'annihilation totale contre Gaza ? L'histoire récente semble accréditer cette hypothèse. À Beyrouth, à Téhéran, les assassinats ciblés n'ont jamais été isolés. Presque toujours, ils précèdent une intervention terrestre ou un déluge de feu. La frappe de Doha ressemble, à bien des égards, à la séquence de septembre 2024, lorsque la mort de Nasrallah et de la direction du Hezbollah a ouvert la voie à la vaste offensive israélienne au Liban Sud.

Aujourd'hui, le Hamas voit sa direction traquée jusqu'à Doha. Plus aucun chef n'est à l'abri, plus aucune capitale n'est hors d'atteinte. Les signaux convergent : intensification des frappes, rhétorique intransigeante, marginalisation de toute négociation, volonté affichée d'en finir avec Gaza. Ce précédent qatari laisse entrevoir la possibilité d'un conflit sans retour, d'une internationalisation du combat, d'une guerre où la souveraineté s'efface devant la brutalité.

En frappant au Qatar, Israël franchit un seuil inédit, installe une nouvelle norme, celle de la « guerre ouverte ». Ce qui n'était qu'exception devient méthode. Pour la région, le choc de Doha sera durable. Il signifie que la loi du plus fort supplante le droit, que la sécurité ne se garantit plus par la négociation mais par la capacité de frappe, et que plus personne, désormais, n'est à l'abri. La question qui demeure, brutale dans sa simplicité : qui sera le prochain ? Le Moyen-Orient, déjà ravagé par la défiance, entre dans une ère de guerres sans frontières, où chaque capitale, chaque médiateur, chaque acteur régional peut devenir une cible. Le précédent qatari ne sera sans doute pas le dernier. Toute l'architecture, déjà vacillante, de la sécurité au Moyen-Orient en ressort plus menacée que jamais.

ENCADRÉ

Une vague de protestations

L'attaque israélienne survenue mardi à Doha, qui a visé un bâtiment où se trouvaient des représentants du Hamas, a provoqué une vague de condamnations régionales et internationales.

Arabie saoudite

Le royaume a dénoncé « une agression brutale » et « une violation flagrante de la souveraineté » du Qatar. Le prince héritier Mohammed ben Salmane a assuré à l'émir du Qatar le « plein soutien » de Riyad, affirmant mobiliser toutes les capacités du royaume pour appuyer Doha.

États-Unis

Un responsable de la Maison-Blanche a confirmé qu'Israël avait informé Washington avant l'opération. Dans le même temps, l'ambassade américaine au Qatar a donné l'ordre aux citoyens américains de rester chez eux après avoir reçu des informations faisant état de frappes de missiles dans la capitale qatarienne.

ONU

Le secrétaire général António Guterres a condamné une « violation flagrante de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du Qatar », saluant le rôle positif de Doha dans les efforts de cessez-le-feu. « Tous les acteurs doivent œuvrer à un arrêt permanent des hostilités, pas à sa destruction », a-t-il déclaré.

Iran

Le ministère iranien des Affaires étrangères a condamné les frappes israéliennes, les qualifiant de « violation flagrante de toutes les règles et réglementations internationales », et a qualifié cette attaque d'« extrêmement dangereuse et criminelle » et de violation de la souveraineté du Qatar.

Turquie 

Le ministère des Affaires étrangères a dénoncé l'attaque contre la délégation du Hamas, affirmant qu'elle démontre qu'Israël a adopté « la politique expansionniste dans la région et le terrorisme » comme politique d'État. Le ciblage d'une délégation en pleine négociation de cessez-le-feu montre selon Ankara que le pays ne cherche pas la paix, mais à poursuivre le conflit.

Oman

Mascate a exprimé sa « solidarité totale » avec le Qatar, dénonçant les « crimes » et la « trahison » d'Israël, qui constituent selon lui « une escalade dangereuse menaçant la stabilité régionale ».

Émirats arabes unis

Abou Dhabi a condamné une attaque « lâche et flagrante », appelant au respect du droit international.

Koweït

Le gouvernement a dénoncé une « agression brutale » contre l'État « frère » du Qatar.

Jordanie

Le ministre des Affaires étrangères Ayman Safadi a fustigé une attaque « lâche » et une « violation manifeste du droit international ».

Pape Léon XIV

Le pape Léon a exprimé son inquiétude quant aux conséquences des frappes israéliennes sur le Qatar.

« Il y a actuellement des nouvelles très graves : l'attaque israélienne contre certains dirigeants du Hamas au Qatar. La situation dans son ensemble est très grave », a déclaré Léon devant la résidence d'été du pape à Castel Gandolfo, selon l'agence de presse ANSA.

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