Revue Possibles
La revue Possibles est née en 1974 de la rencontre de poètes (Roland Giguère, Gérald Godin, Gilles Hénault, Gaston Miron) et de sociologues (Gabriel Gagnon et Marcel Rioux) soucieux de rêver et de construire une société québécoise solidaire, créative et émancipée de ses multiples sources d’aliénation. La revue Possibles est une revue d’idées qui allie rigueur intellectuelle et accessibilité de l’analyse. La revue Possibles est une revue auto-gérée, auto-financée et collaborative. La revue Possibles publie deux fois par année. La revue Possibles encourage les soumissions spontanées. Nous invitons les auteurs et autrices qui souhaitent soumettre leur texte à se conformer au protocole de rédaction.
Crise ou transformation ? Revisiter l’exceptionnalisme migratoire québécois
La question migratoire occupe une place de plus en plus centrale dans le débat public québécois. Le Québec se distingue par son autonomie dans la sélection et l’installation des personnes immigrantes, l’importance accordée à la langue française et sa propre approche de l’accueil. Pourtant, les profondes transformations récentes des politiques et des discours sur la migration interrogent cette singularité. Cette introduction situe le Québec dans son rapport à l’immigration permanente et à la migration temporaire sous deux angles : d’abord dans le contexte de l’exceptionnalisme migratoire canadien; ensuite, dans un contexte propre à la province en mettant en lumière ses particularités tout en les confrontant à d’autres sociétés. Nous soutenons que ce qui distingue le Québec du reste du Canada ne réside pas tant dans ses dynamiques migratoires que dans les cadres d’interprétation qui les accompagnent. Plus largement, nous mettons en avant l’importance de renforcer le lien entre recherche et débat public informé en proposant, au sein de ce numéro, des contributions qui analysent les transformations en cours, les rapports de force qui les façonnent et la redéfinition du modèle québécois d’(im)migration.
Le Québec face au dilemme de l’immigration
Cet article explore le dilemme de l’immigration au Québec, en mettant en lumière son évolution historique et son impact sur la politique contemporaine. Je retrace d’abord la manière dont le Québec a acquis ses pouvoirs en immigration, les circonstances et parties prenantes qui ont permis cette transformation, ainsi que les effets de ces avancées sur son rapport à la migration. J’explore ensuite comment la reconfiguration du système partisan québécois a redéfini ce dilemme. L’arrivée de la CAQ au pouvoir en 2018 a marqué une rupture avec le consensus sur l’immigration des élites québécoises. Plus généralement, je mets en avant un tournant identitaire dans le discours des élites où la protection de la langue, de l’identité et des valeurs québécoises prend une place centrale. Cette transformation soulève une question plus large : le contrôle accru de l’immigration constitue-t-il un rempart pour un nationalisme progressif et inclusif ou marque-t-il désormais un glissement vers une conception plus restrictive de l’identité québécoise?
La nouvelle politique de l’immigration au Québec
Les questions migratoires occupent désormais une place centrale dans les débats politiques au Québec, marquant une rupture avec leur statut historiquement marginal. Cette politisation s’inscrit dans une tendance globale et se manifeste par une saillance accrue des thèmes liés à l’immigration ainsi qu’une polarisation idéologique marquée. Depuis l’érosion du consensus interpartisan établi en 1991 avec l’Accord Canada-Québec, les partis politiques québécois adoptent des positions divergentes sur l’immigration, rompant avec le consensus pro-immigration des décennies précédentes. Cette nouvelle ère se caractérise par des seuils d’immigration réduits, un recours croissant à l’immigration temporaire et des réformes restrictives dans plusieurs domaines. En parallèle, les discours simplifiés et souvent polémiques amplifient les stéréotypes et creusent le fossé entre les politiques, les réalités de terrain, et les expériences des citoyen·nes. Cette politisation met en péril le sentiment d’appartenance des personnes immigrantes et menace la capacité du Québec à se projeter comme une terre d’accueil durable et inclusive, pouvant renforcer des divisions à long terme dans la société québécoise.
Long, complexe et précarisant : obtenir la résidence permanente à partir du Québec
Les récents changements en matière d’immigration permanente et temporaire, au Québec et au fédéral, sont susceptibles d’avoir des effets amplifiés sur les parcours des personnes déjà sur place et qui souhaitent obtenir la résidence permanente. Même si le premier ministre Justin Trudeau expliquait récemment que l’immigration permanente (qui vise l’installation) et l'immigration temporaire (qui répond à des demandes à court terme) sont deux catégories distinctes, celles-ci ne sont pas étanches et de plus en plus de personnes obtenant la résidence permanente ont une expérience temporaire préalable. Dans cet article, je propose de déplier les différentes couches de complexité des régimes migratoires canadien et québécois que doivent naviguer les résident·es temporaires espérant obtenir la résidence permanente au Québec. Je montre comment ce processus long et complexe de transition vers un statut de résidence octroyant les pleins droits – la résidence permanente – affecte leur parcours de manière souvent précarisante.
Stéréotypes et représentations des communautés italiennes et haïtiennes au Québec : une analyse historique croisée (1900-2024)
Cet article analyse l’évolution des stéréotypes associés aux communautés italiennes et haïtiennes au Québec depuis 1900, en mettant en lumière comment ces représentations ont évolué en fonction des transformations des lois canadiennes et québécoises sur l’immigration, ainsi que des changements sociaux, économiques et politiques dans la province. En examinant les processus historiques et les contextes spécifiques, il démontre que ces stéréotypes ne sont pas seulement des reflets des dynamiques migratoires, mais aussi des constructions sociales qui ont été façonnées par les rapports de pouvoir et les luttes d’intégration. À travers l’étude de ces deux groupes, l’article explore comment les défis d’intégration se répercutent sur la perception de ces communautés dans la société québécoise, soulignant les enjeux de racisme, de classe et de culture. L’argument central repose sur l’idée que les stéréotypes, tout en évoluant, persistent sous différentes formes, et que leur déconstruction nécessite une compréhension historique des processus migratoires et des politiques d’accueil.
La régionalisation de l’immigration au Québec. Au-delà des « postes vacants »
Depuis quelques années, la régionalisation de l’immigration connaît un nouvel élan au Québec. Il suffit de se promener aujourd’hui dans nombreuse villes du Québec pour s’apercevoir que la présence immigrante fait maintenant partie de la réalité quotidienne. Dans cet article, je propose de dépasser la logique économique du phénomène migratoire, celle des « postes vacants », pour s’intéresser à une dimension plus sociologique de la régionalisation de l’immigration, celle qui s’inscrit dans une lecture du territoire québécois. Je mets en avant une réflexion autour de l’importance qu’une nouvelle géographie de l’immigration peut signifier pour le développement et l’épanouissement de villes et régions situées en dehors des grands centres.
L’immigration, un enjeu municipal au Québec ?
Les municipalités québécoises jouent un rôle crucial, mais souvent sous-estimé, dans l’accueil, l’insertion et l’inclusion des personnes immigrantes et des minorités ethnoculturelles. Ce texte examine l’intervention croissante des municipalités dans ces domaines en répondant à quatre questions clés: pourquoi leur rôle mérite-t-il une attention particulière, quelles sont leurs responsabilités, quelles actions concrètes mènent-elles et quels défis rencontrent-elles? Face au transfert de responsabilités du gouvernement provincial et à l’urgence de répondre aux besoins locaux, plusieurs villes ont adopté des approches structurées pour bâtir des collectivités ouvertes et inclusives. Dans ce contexte, elles doivent concilier leur autonomie limitée avec les contraintes institutionnelles pour surmonter les défis liés à l’immigration. Loin d’être de simples exécutantes ou des relais du provincial, les municipalités doivent être reconnues de facto comme de véritables gouvernements de proximité, avec un potentiel encore à exploiter.
Le Programme des travailleurs étrangers temporaires au Québec. Les leçons du secteur agricole pour l’industrie de la construction
Au cours des dernières années, le Québec a connu une augmentation significative du recours au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTÉT), accompagnée d’une diversification accrue des secteurs d’emploi qui en bénéficient. Dans cet article, j’examine l’intégration récente du PTÉT dans l’industrie de la construction et la compare à son utilisation plus ancienne et bien établie dans le secteur agricole. Cette analyse vise à comprendre comment l’expérience accumulée dans le domaine agricole depuis les années 1990 peut éclairer les enjeux liés à la mise en œuvre du programme dans le secteur de la construction. Je m’intéresse particulièrement aux facteurs ayant favorisé l’embauche de la main-d’œuvre migrante temporaire, au-delà du discours dominant sur la « pénurie de main-d’œuvre ». Je mets en évidence le fait que le PTÉT a permis de fournir une main-d’œuvre vulnérable, davantage exposée à des formes d’abus qui ne sont pas toujours sanctionnées de façon adéquate, en recréant des conditions de travail similaires à celles recherchées dans le cadre des délocalisations à l’étranger. Enfin, j’explore la question de la défense des droits de la main-d’œuvre migrante temporaire dans ces deux industries, en examinant les défis auxquels sont confrontées les associations syndicales.
Migration inc. : les intermédiaires privés qui font tourner les rouages de la migration de travail temporaire au Québec
Au cours des dernières années, la croissance du nombre de travailleur·euses migrant·es temporaires au Québec a favorisé le développement d’une infrastructure migratoire commerciale facilitant l’organisation de la migration de travail temporaire. Cette infrastructure se compose de divers intermédiaires privés, tels que les agences de recrutement et les consultants en immigration. Dans cet article, je propose une réflexion sur les rôles et pratiques de ces intermédiaires dans les processus migratoires contemporains. Je décortique leurs multiples fonctions et lieux d’opération et explique comment leurs pratiques contribuent à façonner les précarités et opportunités dans les expériences des personnes migrantes. En insistant sur les champs d’action et les effets des pratiques d’intermédiation, je souhaite mettre en évidence le pouvoir qu’exercent les intermédiaires dans la gouvernance et la gestion de la migration de travail temporaire.
L’accueil des personnes déplacées ukrainiennes au Québec
Cet article aborde l’accueil des personnes déplacées ukrainiennes au Québec ayant fui l’invasion et agression russe de 2022. Alors que le Canada accueille la deuxième plus grande diaspora ukrainienne au monde, un statut migratoire temporaire novateur a été créé par le gouvernement fédéral pour admettre les déplacé·es ukrainien·nes et leur donner accès aux services d’établissement – ce qui n’est pas le cas pour les autres migrant·es temporaires. Le Québec s’est rapidement mobilisé pour soutenir les Ukrainien·nes. Dans la province, qui gère ses services d’établissement de manière autonome, les migrant·es temporaires étaient déjà éligibles aux services d’établissement depuis 2020. Les déplacé·es ukrainien·nes du Québec ont un profil démographique et socioéconomique similaire à ceux du reste du Canada. Au niveau local, ils font face aux mêmes défis qu’ailleurs au pays, par exemple l’inégale densité de la diaspora ukrainienne et des services de première ligne, mais aussi à des défis spécifiques tels que le rôle de la maîtrise du français dans l’admissibilité à la résidence permanente.