Revue Droits et libertés
Publiée deux fois par année, la revue Droits et libertés permet d’approfondir la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Réalisée en partenariat avec la Fondation Léo-Cormier, la revue poursuit un objectif d’éducation aux droits.
Chaque numéro comporte un éditorial, les chroniques Un monde sous surveillance, Ailleurs dans le monde, Un monde de lecture, Le monde de l’environnement, Le monde de Québec, un dossier portant sur un thème spécifique (droits et handicaps, droits des personnes aînées, police, culture, droit à l’eau, profilage, mutations du travail, laïcité, etc.) ainsi qu’un ou plusieurs articles hors-dossiers qui permettent de creuser des questions d’actualité. Les articles sont rédigés principalement par des militant-e-s, des représentant-e-s de groupes sociaux ou des chercheuses ou chercheurs.
Créée il y a 40 ans, la revue était d’abord diffusée aux membres de la Ligue des droits et libertés. Depuis, son public s’est considérablement élargi et elle est distribuée dans plusieurs librairies et disponible dans certaines bibliothèques publiques.
Bonne lecture !

Les droits culturels, pour donner du sens à la vie
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Les droits culturels, pour donner du sens à la vie
Entrevue avec Vincent Greason, militant des droits humains Propos recueillis par Elisabeth Dupuis, responsable des communications à la LDL « Un joyeux mystère pour certains », nous dit Vincent; un parent pauvre pour d’autres, pourrait-on ajouter. Le champ des droits culturels est pourtant vaste et on gagnerait à s’en saisir davantage. Les droits culturels font référence à l’ensemble des croyances, des connaissances, des qualifications, des valeurs, des références culturelles, des savoir-faire, des modes de vie, des coutumes, en plus de la culture comme les œuvres d’art, le théâtre, la musique ou le cinéma. La Charte des droits et libertés de la personne du Québec est peu bavarde au sujet des droits culturels. En effet, l’article 43 est le seul qui y fait référence et encore, de façon assez limitée : « Les personnes appartenant à des minorités ethniques ont le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe. » Dans un numéro de Droits et libertés, Droits culturels et droit à la culture, Christian Nadeau écrivait : « Pensée comme un privilège, la culture représente une forme de domination. Pensée dans la perspective des droits, dans la logique de l’interdépendance de ceux-ci, elle est un contre-pouvoir, dans un rapport de solidarité et de complémentarité, face aux volontés hégémoniques pour surmonter les impuissances, les angoisses et les fables qui invitent à la résignation. En ce sens, la force libératrice de la culture demeure toujours nécessaire, hier comme aujourd’hui1».L’éducation : un droit culturel
« D’ailleurs, les droits culturels sont très liés au droit à l’éducation, une proximité qui démontre l’interdépendance des droits », explique Vincent. On conçoit la possibilité d’acquérir et de partager des connaissances et de développer la pensée critique par l’éducation, tant chez les enfants que chez les adultes, tout au long et au large de la vie. Dans la Charte québécoise, on énonce une vision très limitée du droit à l’éducation : « Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l’instruction publique gratuite. » (art. 40), ce qui signifie la formation de base, primaire et secondaire. À aucun endroit, la Charte ne prévoit le droit d’apprendre tout au long de la vie ou le droit à l’éducation des adultes. Vincent rappelle que l’éducation, selon le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), vise au plein épanouissement de la personne humaine et à sa dignité, et qu’il faut considérer l’éducation des adultes bien au-delà de la formation à l’emploi. Les organisations d’action communautaire, d’éducation populaire et les syndicats abordent des sujets multiples : la francisation, le système politique, l’environnement, l’histoire, les inégalités économiques, les droits humains, etc. Comme l’énonce l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), l’éducation est « un droit émancipateur en soi et c’est l’un des outils les plus puissants pour permettre aux enfants et aux adultes marginalisés sur le plan économique et social de s’extraire de la pauvreté et de participer pleinement à la société 2». « L’éducation populaire est un vecteur incontournable pour développer la littératie politique et agir dans la société. » Pourquoi cette façon d’acquérir des connaissances et des savoir-faire est-elle si importante ? Vincent nous le précise : « Pour comprendre le monde qui nous entoure, pour contrer la désinformation et pour bâtir une société fondée sur la justice sociale. » On peut même ajouter : pour éviter de se faire enfirouaper. [caption id="attachment_21706" align="alignright" width="363"]
Apprendre toute la vie
« Pour le gouvernement du Québec, l’éducation des adultes se limite présentement à l’intégration au marché du travail et à la formation en emploi. Il faut élargir cette définition, afin d’inclure les enjeux culturels, politiques et sociaux à travers l’éducation populaire, qui joue un rôle incontournable au Québec. » Pour Vincent, « il est évident que les droits des adultes en matière d’éducation sont bafoués ». Vincent nous propose de consulter l’avis au gouvernement du Québec rédigé par le Conseil supérieur de l’éducation sur l’éducation aux adultes : « L’État a un rôle structurant à jouer pour soutenir l’action éducative de cette grande communauté éducative décentralisée. À cet égard, le Conseil recommande : d’engager le Québec dans une perspective d’éducation élargie à laquelle l’éducation populaire contribue pour le mieux-être des adultes ; de consolider et d’accroître la place de l’éducation populaire comme moyen de soutenir le développement du pouvoir d’agir des adultes et de leur capacité à jouer différents rôles ; de pérenniser et d’enrichir les moyens d’une éducation populaire de qualité3 ».Il faut outiller la population et ça passe bien souvent par l’éducation populaire.Quant à la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948, elle affirme que : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent» (art. 27,1). Pour comprendre le droit à la culture comme étant le droit de tout adulte de participer activement à la vie en société, et pour pouvoir y participer pleinement, elle ou il doit s’en sentir partie prenante. D’où l’importance pour les adultes, particulièrement les personnes nouvellement arrivées ou les personnes peu instruites, d’être outillés pour pouvoir y participer. Outre la nécessité d’inscrire les droits culturels dans la Charte québécoise, il est grand temps que le Québec se dote d’une vraie politique en éducation des adultes qui reconnaît le droit de celles-ci et ceux-ci d’apprendre tout au long et tout au large de la vie.
- En ligne : https://liguedesdroits.ca/pour-les-droits-culturels-et-le-droit-a-la-culture/
- En ligne : https://www.unesco.org/fr/right-education/need-know
- Conseil supérieur de l’éducation, L’éducation populaire : mise en lumière d’une approche éducative incontournable tout au long et au large de la vie, Québec, octobre En ligne : https://www.cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2016/11/50-0492-AV-leducation-populaire.pdf
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Les fictions du racisme
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Un monde de lecture
Les fictions du racisme
Catherine Guindon, enseignante, Cégep de Saint-Laurent
L’idée que l’on vit aujourd’hui dans une société juste où chacun mérite son dû est un autre mythe qui permet de maintenir les Blanc-he-s dans un état d’aveuglement face au racisme.L’idée que l’on vit aujourd’hui dans une société juste où chacun mérite son dû est un autre mythe qui permet de maintenir les Blanc-he-s dans un état d’aveuglement face au racisme. La croyance en la méritocratie les amène à penser que les Noir-e-s pourraient améliorer leur sort s’ils et elles avaient assez de volonté, faisant fi de l’histoire individuelle des personnes racisées, de leurs luttes, de leurs difficultés et des déterminismes dont ils et elles sont victimes. Voilà une autre fiction qui permet de comprendre les propos de C.W. Mills lorsqu’il parle d’une « épistémologie de l’ignorance », c’est-à-dire la difficulté pour les Blanc-he-s à comprendre le monde inégalitaire qu’ils et elles ont eux-mêmes et elles-mêmes créé. La force de cet essai est de parler du racisme et ses mirages à partir de faits vécus par l’auteur. L’auteur se met lui-même dans l’humble position de celui qui apprend à mieux comprendre les mécanismes d’une société dans laquelle il est lui-même plongé. À travers une démarche introspective, il invite le lecteur et la lectrice à scruter, eux aussi, leurs croyances et convictions. Et, s’il s’appuie souvent sur sa jeunesse vécue en Virginie, les propos de Béchard peuvent très bien se transposer aux dynamiques raciales du Québec et du Canada, comme l’auteur le dit lui-même notamment à propos de la situation des Autochtones. C’est une tâche impérieuse que celle de lutter contre les inégalités raciales alors que le gouvernement Trump entreprend de déporter massivement des migrant-e-s. Mais elle est aussi pertinente afin de débusquer des formes de racisme plus subtiles, mais tenaces et répandues, auxquelles nous sommes tous et toutes confrontés au quotidien. Car le racisme n’est pas exclusif à une petite minorité malveillante. Aussi est-il essentiel de lutter contre cette forme de « banalité du mal », pour reprendre, comme le fait l’auteur, les mots d’Hannah Arendt, afin que des actions encore plus violentes ne soient évitées, pensons au profilage racial, à la discrimination à l’emploi ou à la brutalité policière. Le livre de Béchard est donc un ouvrage choc à lire pour faire un nouveau pas vers le démantèlement du racisme.
- Le titre renvoie à une expression du philosophe Charles Mills dans le Contrat racial. Selon le lexique de la Ligue des droits et libertés, la blanchité désigne « le fait d’appartenir, de manière réelle ou supposée, à la catégorie sociale « Blanc ». (…) Nommer la blanchité, c’est interroger le sous-texte qui suggère que les « Blancs » sont la référence, un universel qui englobe toute l’humanité alors que les « non-Blancs » ont des particularités. » Source : https:// liguedesdroits.ca/lexique/blanchite-ou-blanchitude/
- Dans cet article, nous avons choisi de respecter le choix de l’auteur de l’ouvrage en conservant le B et le N majuscules pour parler des Blanc-he-s et des Noir-e-s (même lorsque ce sont des adjectifs qualificatifs) et ce, afin de mettre en évidence que ce sont des réalités construites socialement.
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Le retour du fascisme allemand ?
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Chronique Ailleurs dans le monde
Le retour du fascisme allemand ?
Édouard de Guise, étudiant à Sciences Po Paris et militant à la Ligue des droits et libertés [caption id="attachment_21649" align="alignright" width="448"]
L’AfD et le fascisme
L’idéologie du parti est un amalgame de diverses positions politiques d’extrême-droite. Sur le plan économique, il s’agit d’une formation néolibérale cherchant la déréglementation et la diminution de la taille de l’État. L’AfD nie notamment la gravité des conséquences de l’action humaine sur les changements climatiques. Le parti soutient que la réglementation en la matière nuit à l’industrie automobile, un pilier de l’économie allemande, et ralentit plus généralement l’économie. Liés à cette défense acharnée de l’automobile allemande se trouvent des arguments qui dépassent les considérations environnementales. L’AfD se présente ainsi comme la défenseure d’un élément central de la culture allemande, tentant de convaincre de sa détermination à préserver un mode de vie. Cette posture de « sauveur de la culture traditionnelle allemande » porte également le parti à adopter des positions réputées patriarcales, misogynes, LGBTQ+phobes, eurosceptiques et prorusses. De plus, l’AfD réunit sous un même toit des partisan-e-s antisémites, nostalgiques du Troisième Reich, et des appuis solides à Benjamin Netanyahou dans ses opérations militaires à Gaza. Ces positions populistes et anti-pluralistes accompagnent une inquiétante tendance à banaliser ou même adopter des discours et des idées fascistes. Dans le jugement mentionné en introduction du présent article, le tribunal a autorisé l’utilisation du mot « fasciste » pour décrire Björn Höcke. Ce dernier a été condamné à plusieurs reprises pour avoir utilisé le slogan nazi « tout pour l’Allemagne ». Il a aussi appelé à faire un « 180o » sur la culture du devoir de mémoire au pays tout en qualifiant la défaite allemande de 1945 de « catastrophique » et le mémorial de l’Holocauste à Berlin de « monument de la honte ». Cette promotion d’une culture allemande hyper-conservatrice, traditionnaliste et révisionniste marque l’idéologie de l’AfD, ainsi qu’un discours de plus en plus populaire d’attachement à l’Allemagne du passé. Au-delà du populisme évident dans les propositions anti-élitistes et anti-pluralistes se trouve un réel attrait pour la chose fasciste. Le parti tient des propos qui amalgament migrant-e-s et violence dans une démonstration flagrante de discours haineux. Accusant les politiques migratoires ouvertes de l’ère Merkel d’avoir causé la hausse des niveaux d’insécurité et de violence, il entretient un discours qui associe l’immigration au crime et au meurtre. Pour résoudre ce qu’il perçoit comme une «mort nationale », l’AfD prône la remigration : une politique de déportation de masse. Des membres du parti croient même qu’il faut repousser les migrant-e-s qui tentent d’entrer en Allemagne par tous les moyens, « y compris les armes ». Leurs positions violent de nombreuses normes internationales de droits de la personne inscrites notamment dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugié-e-s et son Protocole de 1967. Leurs prises de positions ont fait l’objet de plusieurs évaluations au tribunal, menant entre autres à ce que plusieurs succursales régionales du parti ainsi que l’aile jeunesse fédérale de l’AfD soient désignées comme des organisations « extrémistes » par l’Office fédéral de protection de la constitution.Une ascension fulgurante
L’émergence du parti sur la scène nationale a été catalysée par deux crises européennes majeures. L’AfD a été créée en 2013 par réflexe eurosceptique à l’aide apportée par l’Allemagne aux pays d’Europe du Sud, alors marqués par de graves problèmes de dette. Le parti a ensuite gagné en vigueur lors de l’aflux massif en Europe de réfugié-e-s issus de Syrie en 2015. La formation politique a bénéficié du mécontentement à droite en rapport à la politique d’accueil des migrant-e-s menée par la chancelière Angela Merkel. Capitalisant sur ce mécontentement, l’AfD a réussi à faire élire des membres du Bundestag pour la première fois à la suite des élections de 2017. Aux élections de 2025, le parti néofasciste a reçu 21 % des suffrages, le portant dans une position de force au Bundestag. Plusieurs facteurs expliquent cette ascension aux portes du pouvoir. D’abord, l’AfD a promu un message relativement simple au cours des dernières années : c’est la faute de l’immigration. Chaque acte violent commis par une personne issue de l’immigration a été diffusé et utilisé pour justifier des politiques d’exclusion et d’expulsion. Capitalisant sur une industrie faiblissante et stagnante, le parti a aussi utilisé les maux économiques allemands pour mettre de l’avant sa rhétorique d’exclusion des migrant-e-s. L’AfD a diffusé en masse ses messages haineux sur diverses plateformes. Faisant une utilisation judicieuse des réseaux sociaux et des algorithmes, le parti a réussi à rejoindre un électorat beaucoup plus jeune et large que sa base traditionnellement masculine de travailleurs blancs relativement âgés. L’appui de figures majeures des réseaux sociaux comme Elon Musk, propriétaire du réseau X, et d’une armée de jeunes influenceurs et influenceuses a propulsé l’AfD à l’avant-scène du discours public. Par leurs discours simples, clivants et controversés, ces contenus ont profité d’algorithmes leur étant favorables pour obtenir une bien meilleure couverture que les contenus à gauche. Une étude de l’ONG Global Witness menée en amont des élections de 2025 a montré que respectivement 64 % et 78 % des contenus recommandés par X et TikTok étaient favorable à l’AfD. Le caractère controversé des discours tenus par l’AfD, qui génère davantage d’interactions que les publications moins controversées, ainsi que la proximité de figures comme Elon Musk avec le parti comptent parmi les raisons de la portée de ces messages haineux et fascistes. Lorsqu’interrogée à ce sujet, Martina Renner, membre du Bundestag et vice-présidente du parti Die Linke, affirme que :« Les bouleversements sociaux, le rejet de la démocratie, la peur de la guerre et un changement culturel vers la droite qui propage de vieux modèles jouent un rôle important dans les bons résultats de l’AfD parmi les jeunes. Les (jeunes) hommes sont sensibles aux réponses autoritaires et violentes aux crises sociales actuelles».
Grâce à ces messages et à leur diffusion en masse, l’AfD est désormais la deuxième force politique au parlement allemand. Les appuis à l’AfD sont beaucoup plus importants dans les länder qui formaient autrefois la République démocratique allemande (RDA), ou l’Allemagne de l’Est. Malgré la réunification des deux Allemagnes, une division subsiste. Les Allemand-e-s de l’Est ont voté en premier lieu pour l’AfD, entre autres à cause d’une exposition moindre aux populations immigrantes et d’un sous-développement par rapport à l’Ouest. À titre de comparaison, l’AfD n’a pas fait élire directement un seul membre du Bundestag à l’Ouest, dominé par les partis traditionnels. Un bémol cependant : l’AfD a remporté le vote par liste dans deux circonscriptions à l’Ouest, illustrant cette ouverture croissante au parti dans le reste de l’Allemagne. Les maux sociaux et économiques à l’Est sont un facteur important de ce vote contestataire pour l’extrême-droite. Le sous-développement par rapport au reste de l’Allemagne entraîne donc un certain ressentiment à l’égard des partis alors qualifiés d’« establishment », qui porte à voter pour un parti qui promet de remettre l’Allemand moyen au centre de la politique à Berlin. Malgré cette habitude à associer le vote pour l’AfD uniquement à un vote contestataire, une étude du Tagesschau a montré que 54 % des appuis au parti soutiennent cette formation « par conviction » et que seulement 39 % de ces personnes se disaient déçues par les autres partis. Le profil des adhérent-e-s au parti change donc, et l’idéologie fasciste gagne en popularité. Il est important de se rappeler que ce phénomène n’est pas qu’allemand. Outre-Rhin, la France a vu le Rassemblement national rafler 37,7 % des votes au second tour des élections législatives de 2024, loin devant les blocs présidentiel et de gauche, s’étant vus remporter environ 26 % des voix chaque. Au Royaume-Uni, le populiste de droite Nigel Farage a obtenu presque 15 % des suffrages aux élections générales de 2024 et domine présentement dans les sondages. L’Italie est déjà gouvernée par une coalition de droite dirigée par Giorgia Meloni et sa Fratelli d’Italia, formation d’extrême-droite arborant des positions anti-immigration et réactionnaires. Des partis d’extrême-droite ou de droite populiste forment ou soutiennent le gouvernement dans plusieurs autres pays européens comme la Suède, la Hongrie, les Pays-Bas, la Croatie, et plusieurs autres.La lutte contre les tendances antidémocratiques et le fascisme doivent donc obligatoirement passer par un soutien général, résolu et exprimé aux normes et aux valeurs démocratiques et constitutionnelles.Ailleurs dans le monde, des populistes et des nationalistes de droite sont la cause d’une importante dégradation des valeurs et institutions démocratiques, notamment aux États-Unis et en Inde.
Une réponse antifasciste
Il ne faut pas faire une lecture entièrement négative du résultat des élections de février 2025. Malgré une incertitude au début de la campagne sur sa capacité à intégrer le Bundestag aux élections, le parti de gauche Die Linke s’est vu accorder 8 % des suffrages. Plusieurs analystes y voient la manifestation électorale d’une réponse antifasciste plus large. Les semaines avant les élections ont vu plusieurs centaines de milliers d’Allemand-e-s prendre la rue pour dénoncer cette résurgence du fascisme. On comptait environ 38 000 manifestants à Berlin, et plus de 200 000 à Munich dans les jours avant le vote. Pour Stefan Liebich, directeur général du bureau new-yorkais de la Fondation Rosa-Luxemburg :« Les grandes manifestations antifascistes jouent un rôle majeur en Allemagne. Sans elles, le discours serait bien pire. Et ils ont contribué au fait que, malgré le glissement général vers la droite, Die Linke, en tant que force clairement du côté des migrant-e-s et des réfugié-e-s, a été renforcé lors des dernières élections».
Comme susmentionné, le fascisme et les rhétoriques d’exclusion sont des symptômes de notre époque qui ne se limitent pas qu’au cas allemand. Les discours attisant la haine de l’immigration et le ressentiment à l’endroit des institutions démocratiques planent sur les législatures à travers le monde. Or, l’Allemagne nous apprend qu’il est possible, et surtout souhaitable, de contre-attaquer pour préserver l’État de droit, la démocratie et le respect des droits humains. Les institutions allemandes sont solides et tiennent le coup pour l’instant, notamment grâce au « cordon sanitaire », cette pratique politique qui consiste à refuser la collaboration avec les partis d’extrême-droite. Le gouvernement conservateur du chancelier Friedrich Merz ne devrait pas déroger à cette règle. Pour ce qui est de la prévention du fascisme, Martina Renner suggère de porter attention à des signaux qui, lorsque détectés, permettent d’agir préemptivement :« Le néonazi classique n’est pas le seul à être une expression de l’idéologie fasciste. Les forces conservatrices et réactionnaires de droite ou les partisans des idéologies conspirationnistes, qui sont devenus de plus en plus fréquents pendant la pandémie de coronavirus, sont une expression de l’idéologie réactionnaire et fasciste, qui propage l’inégalité entre les personnes».
La lutte contre le fascisme passe d’abord par l’établissement et le maintien d’une culture politique sensible aux dérives antidémocratiques commune aux membres des institutions démocratiques et à la population. En d’autres mots, le système démocratique en entier doit devenir allergique à l’autoritarisme, à la démagogie et au populisme. Les institutions et la population doivent communément, dès les premiers signes d’idées qui présentent une menace à l’état de droit et aux droits démocratiques, exclure, dénoncer, et exprimer leur désaccord. Selon Martina Renner, la mobilisation contre l’extrême-droite en Allemagne incluait la gauche sociale, des églises, des syndicats, et des ONG. Une constitution démocratique ne peut survivre que dans de telles conditions parce que les institutions ne sont jamais capables de se défendre seules. Il n’existe pas de système politique qui résiste systématiquement aux éléments antidémocratiques.Tous doivent être sensibles au fait que le conservatisme réactionnaire et les théories conspirationnistes ouvrent la voie au fascisme par la voie de l’intolérance et de l’exclusion. [caption id="attachment_21649" align="aligncenter" width="448"]La lutte contre les tendances antidémocratiques et le fascisme doivent donc obligatoirement passer par un soutien général, résolu et exprimé aux normes et aux valeurs démocratiques et constitutionnelles. Les discours publics tels que perçus dans la presse écrite, les médias audiovisuels, les réseaux sociaux et les échanges de tous les jours, doivent refléter un attachement à une constitution démocratique. Il est difficile, mais nécessaire de cultiver un tel attachement à la démocratie, que ce soit à travers l’éducation formelle, populaire, ou les rapports quotidiens. Selon Martina Renner, cette sensibilité aux discours fascistes ne doit pas se limiter aux exemples classiques. Tous doivent être sensibles au fait que le conservatisme réactionnaire et les théories conspirationnistes ouvrent la voie au fascisme par la voie de l’intolérance et de l’exclusion. Des membres du Bundestag issus du CDU (conservateurs), du SPD (sociaux-démocrates), du parti vert, du parti de gauche et d’un parti de minorité danoise ont conjointement demandé à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe d’interdire l’AfD. L’échec de cette démarche illustre l’importance de la continuité de la lutte contre le fascisme en dehors de l’enceinte politique. Néanmoins, le 2 mai 2025, l’Office fédéral de protection de la constitution a qualifié le parti d’« extrémiste de droite avéré ». Cette décision confère à l’agence du renseignement intérieur des moyens accrus pour surveiller l’AfD, présentée comme incompatible avec l’ordre démocratique, et illustre les moyens d’auto-défense des institutions allemandes pour préserver l’État de droit. À une époque où des pays aux traditions démocratiques bien établies comme les États-Unis et l’Allemagne sont à risque de basculer vers l’autoritarisme, la société canadienne doit comprendre le risque qui la guette et apprendre des leçons venues d’ailleurs pour préserver son État de droit et sa démocratie. L’exemple allemand nous apprend qu’au-delà de l’exclusion au niveau politique, la lutte contre les discours haineux et l’exclusion systématique des éléments fascistes est une affaire de tous les jours et une responsabilité collective.Crédit : Leonhard Lenz[/caption]
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(Re)construire l’édifice des droits humains
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(Re)construire l'édifice des droits humains
Paul-Etienne Rainville, responsable de dossiers politiques à la Ligue des droits et libertés
Une révolution pas si tranquille…
La Révolution tranquille entraîne plusieurs avancées majeures en matière de droits humains. Il faut dire qu’au début des années 1960, il reste énormément de chemin à parcourir pour assurer le respect et la protection de ces droits au Québec. Pour ne donner que quelques exemples, notons que l’acte homosexuel est criminalisé, avec tout ce que cela implique de surveillance, de profilage, d’intimidation et de répression. Sous la tutelle de leur mari, les femmes mariées sont considérées comme mineures : elles n’ont pas le droit de signer de contrat ou d’intenter une action en justice. L’avortement est inscrit au Code criminel et la peine de mort est toujours en vigueur. Le Bureau de la censure, dominé par le clergé, exerce son contrôle sur l’enseignement, la littérature, le cinéma, le théâtre et les productions culturelles. Les droits économiques et sociaux sont fragilisés de toutes parts, alors que l’État social se résume à des prestations discrétionnaires et de dernier recours pour les « pauvres méritants ». En ce début de la Révolution tranquille, le Québec est l’une des dernières provinces au Canada où il est encore parfaitement légal de discriminer une personne sur la base de sa race, de son sexe ou de sa religion dans les domaines du travail, du logement et de l’accès aux lieux publics. Dans le contexte des importantes agitations sociales de l’époque, plusieurs manifestations sont violemment réprimées par les forces de l’ordre ; que l’on pense au samedi de la matraque lors de la visite de la Reine en 1964 ou encore au lundi de la matraque lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste de 1968. Ainsi, malgré les avancées de la Révolution tranquille, le Québec d’avant la Charte québécoise reste un endroit où il est risqué de contester l’ordre établi, de défendre ses droits, de revendiquer des changements sociaux et d’appartenir à des groupes minoritaires ou marginalisés1.Aux lendemains de la Crise d’octobre en 1970, où près de 500 personnes sont emprisonnées, et de la grève du Front commun de 1972, qui culmine avec l’emprisonnement des trois principaux chefs syndicaux de la province, il devient plus évident que jamais qu’un État de droit digne de ce nom doit protéger les droits de l’ensemble des personnes, indépendamment de leur origine, de leur sexe, de leur statut social, de leur religion, de la couleur de leur peau ou de leurs opinions politiques.
Vers la Charte québécoise de 1975
L’adoption de la DUDH, le 10 décembre 1948, marque la naissance d’un mouvement pour la défense des droits humains au Québec, qui marquera de son empreinte les décennies à venir. Plusieurs groupes et organisations au Québec uniront leurs efforts pour réclamer l’adoption d’une charte des droits, inspirée de la DUDH. C’est le cas notamment des Comités ouvriers des droits de l’homme créés à la fin des années 1940 pour lutter contre la discrimination raciale et religieuse. Des associations des communautés noires (Negro Citizenship Association) et juives (Congrès juif canadien, Comité ouvrier juif) mènent aussi des campagnes pour que le Québec et le Canada se dotent de chartes et de lois antidiscrimination. Des associations étudiantes et des organisations féministes font de même, tout comme plusieurs groupes d’intellectuel-le-s et de militant-e-s des franges libérale, catholique de gauche, réformiste et sociale-démocrate. Jusqu’à la mort de Duplessis, en septembre 1959, leurs demandes restent toutefois lettre morte! Ce dernier leur répond que le Québec est l’endroit où les minorités sont les mieux traitées au Canada, que les devoirs et les droits collectifs doivent primer sur les droits individuels, que les droits de l’homme sont hérités de la sanglante Révolution française et qu’ils trouvent leur formulation la plus achevée dans l’Évangile! Le contexte agité des années 1960 galvanise le mouvement pour l’adoption d’une charte au Québec. Des groupes nationalistes, syndicaux et radicaux, portés notamment par l’idéologie du socialisme de décolonisation, réclament une charte provinciale à la fois pour se protéger de la répression politique et pour affirmer le droit du Québec à l’autodétermination. Des associations étudiantes mettent sur pied des comités des droits de l’homme pour dénoncer les brutalités policières commises lors des manifestations organisées par la jeunesse, notamment montréalaise. Les communautés autochtones du Québec font des représentations à l’ONU pour défendre leur droit à l’autodétermination. Des organisations féministes et des groupes ethniques et racisés luttent contre la discrimination en se réclamant des principes du droit international des droits humains. Fondée en 1963 par des militant-e-s qui ont fait leurs premières armes contre Duplessis, la Ligue des droits de l’homme (LDH)2 fera de l’adoption d’une charte provinciale l’un de ses principaux chevaux de bataille, et fera des pressions soutenues en ce sens auprès du gouvernement provincial dans les années qui suivront. Tous ces groupes ont en commun d’avoir été, à un moment où l’autre de leur histoire, victime d’entorses à leurs droits et d’avoir ainsi compris la nécessité d’assurer le respect des droits de toutes et tous, sans discrimination, et de protéger un socle de droits contre les dérives potentielles des gouvernements. Et plusieurs voient en cette période d’intense réformisme une occasion de construire un État qui s’appuie sur les principes inscrits en 1948 dans la DUDH, puis dans les deux pactes internationaux3 de 1966. Aux lendemains de la Crise d’octobre en 1970, où près de 500 personnes sont emprisonnées, et de la grève du Front commun de 1972, qui culmine avec l’emprisonnement des trois principaux chefs syndicaux de la province, il devient plus évident que jamais qu’un État de droit digne de ce nom doit protéger les droits de l’ensemble des personnes, indépendamment de leur origine, de leur sexe, de leur statut social, de leur religion, de la couleur de leur peau ou de leurs opinions politiques. C’est dans ce contexte que la LDH lance, en 1973, une vaste campagne pour réclamer l’adoption d’une charte des droits. Son projet de charte « à partir des citoyens » est distribué à 500 000 exemplaires, et sera largement débattu dans les médias et plusieurs organisations de la société civile. La LDH interpelle plus d’une centaine de groupes pour avoir leur avis sur son projet et connaître leurs préoccupations au sujet des violations de droits humains qui ont cours dans leurs milieux. Des centaines d’organisations répondent à l’appel! Tous, sauf le Conseil du patronat, adhèrent au projet de charte proposé par la LDH.Et si la Charte québécoise est encore à ce jour considérée comme un « document unique dans l’histoire législative canadienne », c’est parce qu’elle est le résultat de ces luttes historiques pour la liberté, l’égalité et la justice sociale, […]C’est dans la foulée de cette campagne que le gouvernement libéral dépose, le 29 octobre 1974, le projet de loi no 50 - Loi concernant les droits et libertés de la personne et que, la Charte des droits et libertés de la personne sera adoptée à l’unanimité en juin 1975. Le ministre de la Justice de l’époque, Jérôme Choquette, souligne alors que cette Charte est l’incarnation des valeurs de la société québécoise. De fait, elle apparaît comme l’aboutissement de nombreuses années de luttes et de mobilisations d’actrices et d’acteurs de tous les secteurs de la société civile. Elle incarne la transformation profonde de la culture des droits humains qui s’est opérée au Québec depuis l’adoption de la DUDH. Et si la Charte québécoise est encore à ce jour considérée comme un « document unique dans l’histoire législative canadienne », c’est parce qu’elle est le résultat de ces luttes historiques pour la liberté, l’égalité et la justice sociale, mais aussi parce qu’elle est l’un des documents (quasi)constitutionnel les mieux arrimés au droit international des droits humains.
Un demi-siècle plus tard…
La Charte québécoise a permis des avancées majeures, dont témoignent plusieurs articles dans ce dossier de Droits et libertés. Elle a contribué à l’avancement des droits des femmes, à l’inclusion des personnes en situation de handicap, à la lutte contre la discrimination des personnes LGBTQ+, à protéger les enfants et les personnes âgées contre l’exploitation, à combattre le racisme systémique, le profilage et la discrimination raciale, à protéger les libertés civiles et bien d’autres choses encore. Ce dossier ouvre une réflexion sur l’impact de la Charte québécoise sur l’évolution de la société québécoise depuis les 50 dernières années. Il propose une première section qui traite de ces avancées : celles de la Charte québécoise elle-même, mais aussi le rôle joué par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et le Tribunal des droits de la personne dans sa mise en œuvre depuis leur création, en 1976 et 1990. La seconde partie donne la voix à des organismes communautaires et de défense collective des droits impliqués au quotidien dans la défense des droits humains. Elle expose leur vision de la Charte québécoise, de son utilité et de ses limites, et du cadre de référence des droits humains. Tout en célébrant les avancées permises par la Charte québécoise, ces groupes apportent des perspectives parfois critiques sur ses limites et sur la manière dont elle pourrait être renforcée pour défendre les droits de toutes et tous. En mettant en lumière l’interdépendance des droits, cette section est avant tout un appel à considérer l’interdépendance de nos luttes. Car si les droits humains sont aujourd’hui au fondement de notre État de droit, ils demeurent fragiles. Et leur histoire, comme leur devenir, reste tributaire de nos luttes, de nos mobilisations et de nos solidarités.- Lucie Laurin, Des luttes et des Antécédents et histoire de la Ligue des droits de l’homme de 1936 à 1975, Montréal, Éditions du Méridien, 1985; Paul-Etienne Rainville, De l’universel au particulier : les luttes en faveur des droits humains au Québec, de l’après-guerre à la Révolution tranquille. Thèse (Histoire), Université du Québec à Trois-Rivières, 2008.
- En 1978, la Ligue des droits de l’homme change de nom pour la Ligue des droits et libertés.
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
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Génocide à Gaza, IA et complicité de Microsoft, Google et Amazon
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Chronique Un monde sous surveillance
Génocide à Gaza, IA et complicité de Microsoft, Google et Amazon
Dominique Peschard, membre du comité Surveillance des populations, intelligence artificielle et droits humains, président de 2007 à 2015, Ligue des droits et libertésPour mener son entreprise de destruction de la bande de Gaza et le génocide du peuple palestinien, Israël a recouru massivement à l’intelligence artificielle (IA) et a bénéficié, à cet égard, du soutien informatique des géants étatsuniens Microsoft, Google et Amazon.
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« On nous engueulait : "Donnez-nous de nouvelles cibles." On tuait nos cibles très rapidement. À son sommet, le système a généré 37 000 cibles. Mais les chiffres changeaient tout le temps, parce que ça dépend où vous fixez le seuil pour définir un opérateur du Hamas. Quand la définition était élargie, la machine nous identifiait plein de gens de la défense civile et d’officiers de police sur lesquels il était dommage de gaspiller des bombes. Ils aident le Hamas à gouverner, mais ils ne mettent pas vraiment les soldats en danger».
Comme l’a dit une source critique de Lavender : « Quel doit être le lien de proximité d’une personne avec le Hamas pour être considérée comme affiliée à l’organisation»? Selon les sources, quand il s’agissait de cibler des militant-e-s de bas niveau, l’armée préférait utiliser des dumb bombes [non-guidées] qui effondrent des édifices au complet sur leurs occupant-e-s. Comme l’a dit la source C à +972 Magazine : « Vous ne voulez pas utiliser des bombes dispendieuses sur des gens sans importance — ça coûte cher au pays et il a une pénurie de ces bombes». De plus, la vérification humaine des cibles jugées de faible valeur par Lavender était minime. L’opérateur prenait seulement quelques secondes pour vérifier que la cible était un homme et que les pertes civiles tombaient présumément dans les limites fixées. Les sources ont expliqué que le niveau sans précédent de pertes humaines provoqué par les bombardements résultait de la décision d’attaquer les cibles dans leur maison, où se trouvait leur famille. Du point de vue du renseignement, il était plus facile pour un système automatisé de repérer des domiciles. Le système de surveillance de l’armée à Gaza pouvait facilement faire le lien entre des individus et des domiciles. Ces programmes suivent des milliers d’individus simultanément, identifient quand ils sont chez eux et alertent alors le responsable du ciblage, qui désigne la maison à être bombardée. Un de ces logiciels de pistage s’appelle Where’s daddy (Où est papa)? Toujours selon B : « À 5 heures du matin, l’aviation allait bombarder toutes les maisons que nous avions identifiées. Nous avons éliminé des milliers de personnes. Nous ne les avons pas examinées une à une — tout était inséré dans un système automatisé et dès qu’un des individus désignés était chez lui, il devenait une cible et nous le bombardions, lui et sa maison». Il n’y avait pas de procédure pour vérifier si Lavender avait désigné des civil-e-s pour cible. Selon B, lorsqu’une cible appartenant présumément au Hamas passait son téléphone à une connaissance, cette dernière était alors bombardée dans sa maison avec sa famille. C’était une erreur courante. Dans le cas de commandants du Hamas, le niveau de destruction infligé pouvait être beaucoup plus élevé. B se souvient du bombardement visant Wisam Farhat, le commandant du bataillon Shuja’iya, où plus d’une centaine de civil-e-s ont été tué-e-s. Amjad Al-Sheikh, un Palestinien habitant le quartier, a perdu 11 membres de sa famille lors de ce bombardement le 2 décembre 2023. Comme il l’a raconté à +972 Magazine et Local Call : « J’ai couru vers ma maison mais il n’y avait plus d’édifices. La rue était remplie de cris et de fumée. Des édifices résidentiels entiers étaient réduits à des décombres et des cratères. Des gens se sont mis à fouiller dans le ciment à mains nues, et moi aussi, pour tenter de retrouver les vestiges de ma maison».Le rôle de Microsoft, Google et Amazon
Une enquête menée également par +972 Magazine et Local Call en collaboration avec The Guardian3 a révélé qu’une douzaine d’unités de l’armée israélienne avaient acheté les services de la plateforme infonuagique Azure de Microsoft, dont l’unité 8200 de renseignement d’élite, le pendant israélien de la National Security Agency (NSA) des États-Unis. Microsoft a également donné accès à GPT4 d’OpenAI à l’armée israélienne. Des sources au sein de l’Unité 8200 ont confirmé que des services similaires avaient été achetés à Amazon Web Services (AWS), la plateforme infonuagique d’Amazon.À 5 heures du matin, l’aviation allait bombarder toutes les maisons que nous avions identifiées. Nous avons éliminé des milliers de personnes. Nous ne les avons pas examinées une à une — tout était inséré dans un système automatisé et, dès qu’un des individus désignés était chez lui, il devenait une cible et nous le bombardions, lui et sa maison.Les services d’Azure ont été utilisés par l’unité Ofek de l’armée de l’air qui gère la banque de cibles aériennes. Les documents indiquent que Microsoft Azure entretient également le système Rolling Stone utilisé par l’armée pour gérer le registre de la population de Cisjordanie et ses déplacements. En octobre 2023, après le lancement de l’offensive israélienne sur Gaza, le recours à Azure a bondi d’un facteur 7 et, en mars 2024, il était 64 fois plus élevé qu’avant l’assaut génocidaire contre Gaza. Entre octobre 2023 et juin 2024, le ministère de la Défense d’Israël a dépensé 10 millions de dollars pour 19 000 heures de soutien génie de Microsoft. Un officier du renseignement de l’Unité 8200, qui a travaillé avec des employé-e-s d’Azure dans le développement d’un système de surveillance des Palestinien-ne-s, a déclaré à +972 Magazine et Local Call que les développeurs de la compagnie étaient tellement incorporés à l’Unité qu’il en parlait comme s’ils faisaient partie de l’armée. Avant 2024, les conditions d’utilisation d’OpenAI excluaient les usages militaires, mais ces conditions ont été discrètement retirées alors que l’armée israélienne augmentait son utilisation de GPT4 dans son offensive contre Gaza. Déjà en 2021, Google et Amazon avaient remporté une soumission de 1,2 milliard de dollars pour le stockage d’information des ministères et des services de sécurité dans leurs serveurs et pour l’utilisation de leurs services avancés. Enfin, il faut souligner qu’Israël se veut un modèle et un chef de file mondial dans le domaine militaire, de l’IA et des technologies de surveillance des populations, où droits et libertés et droit international n’ont plus leur place. Comme l’a démontré Anthony Loewenstein, la Palestine est le laboratoire où Israël teste les nouvelles armes et technologies en situation réelle, afin qu’elles soient éprouvées au combat, étiquette qui facilite ensuite la promotion à l’exportation4. Les Big Tech de la Silicon Valley, Palantir, Oracle et compagnie y gagnent aussi en réputation et en contrats. Les implications sont claires : les instruments testés en Palestine sur le peuple palestinien, tels que biométrie, drones, caméras omniprésentes et envahissantes, ciblage par l’IA, etc., risquent de se frayer un chemin vers tous les continents. Le slogan du Defense Tech Summit de Tel Aviv de décembre 2024 : What happens here goes global5.
- Yuval Abraham, ‘Lavender’: The AI machine directing Israel’s bombing spree in Gaza, +972 Magazine, 3 avril 2024. En ligne : https://www.972mag.com/lavender-ai-israeli-army-gaza
- Toutes les citations sont traduites de l’article publié par +972 Magazine.
- Yuval Abraham, Leaked documents expose deep ties between Israeli army and Microsoft, +972 Magazine, 23 janvier 2025. En ligne : https://www.972mag.com/microsoft-azure-openai-israeli-army-cloud/
- Al Jazeera, The Palestine Laboratory – EP 1, 30 janvier 2025. En ligne : https://www.aljazeera.com/program/featured-documentaries/2025/1/30/the-palestine-laboratory-ep-1
- Traduction libre : Ce qui se passe ici s’étend au monde entier. Sophia Goodfriend, With Gaza war and Trump’s return, Silicon Valley embraces a military renaissance, +972 Magazine, 31 décembre 2024. En ligne : https://972mag.com/gaza-war-trump-silicon-valley-military
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Bâtir nos solidarités contre les violences islamophobes
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Chronique Le monde de Québec
Bâtir nos solidarités contre les violences islamophobes
Maryam Bessiri, Hassina Bourihane, Mélina Chasles, Sophie Marois, membres du conseil d’administration de la Ligue des droits et libertés - section de Québec [caption id="attachment_21653" align="alignright" width="304"]
Des violences interreliées, nourries par des idéologies communes
Ces attaques ont souvent été qualifiées d’« actes isolés » commis par des « loups solitaires », et même qui ne relèveraient d’aucune idéologie particulière. Or, les assaillants revendiquent eux- mêmes des filiations. L’auteur de l’attentat de London citait celui qui s’est attaqué en 2019 à deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, comme principale « source d’inspiration ». Ce dernier avait à son tour glorifié l’assaillant de la Grande mosquée de Québec, allant jusqu’à écrire son nom, avec ceux d’autres tueurs de masse, sur l’une des armes utilisées pour commettre l’attentat1 . Ces liens, fièrement assumés, ne sont pas anecdotiques : ils relèvent d’une vision du monde2 et d’un réseau numérique transnational3 fondés sur le suprémacisme blanc, l’islamophobie et les conspirations du « grand remplacement ». Ces idéologies conçoivent l’immigration, la diversité ethnoculturelle et le féminisme comme des menaces existentielles à l’établissement d’une « nation pure », désignée comme la « nation blanche ». Les procès des attentats de London et de Québec ont d’ailleurs révélé que leurs auteurs avaient envisagé d’autres cibles, notamment des cliniques d’avortement et des groupes féministes. Ces faits témoignent d’un noyau idéologique, bien documenté par la recherche, selon lequel contrôler qui « appartient » à la nation implique aussi de contrôler les corps, les rapports de genre et les sexualités4.Des fractures profondes
Les témoignages des proches des victimes nous rappellent que la violence islamophobe ne surgit pas au hasard, mais s’enracine dans des inégalités profondes. Comme l’a exprimé Tabinda Bukhari — mère, belle-mère et grand-mère des victimes de London — au terme du procès :« La désignation de terrorisme reconnaît la haine qui a alimenté le feu, la laideur qui a coûté la vie à Talat, Salman, Madiha et Yumnah. Mais cette haine n’existait pas dans le vide. Elle a prospéré dans les chuchotements, les préjugés, la peur normalisée de l’autre… Cette haine cachée sous nos yeux [hidden in plain sight] a été normalisée par la croyance non contestée qu’il existerait une hiérarchie raciale au Canada. Ce procès ne concernait pas qu’un seul acte. C’était un rappel brutal des lignes de fracture profondément ancrées dans notre société5».
Affronter cette haine implique de reconnaître que le racisme est systémique et ancré dans les histoires coloniales québécoise et canadienne, et qu’il persiste aujourd’hui dans les discours publics, les politiques migratoires, les lois discriminatoires et les violences du quotidien. La banalisation des expériences d’islamophobie, ou encore la législation interdisant les signes religieux dans l’exercice de certaines professions — affectant frontalement les femmes musulmanes — participent de cette dynamique et l’institutionnalisent.La force des solidarités
Nos solidarités constituent un rempart essentiel contre ces exclusions et ces violences. Dès le lendemain du 29 janvier 2017, des milliers de résident-e-s de la Ville de Québec ont encerclé la Grande mosquée dans un élan de solidarité avec les victimes et la communauté musulmane. Des rassemblements semblables se sont tenus dans de nombreuses autres villes à travers le pays, et le monde. Depuis, le comité citoyen 29 janvier, je me souviens organise des commémorations annuelles de l’attentat avec le Centre culturel islamique de Québec.Affronter cette haine implique de reconnaître que le racisme est systémique et ancré dans les histoires coloniales québécoise et canadienne, et qu’il persiste aujourd’hui dans les discours publics, les politiques migratoires, les lois discriminatoires et les violences du quotidien.À London, des ami-e-s de la plus jeune victime, Yumnah Afzaal, ont fondé la Youth Coalition Combating Islamophobia (YCCI). Cette association menée par des jeunes crée des ressources éducatives, organise des vigiles et développe des projets artistiques sous la bannière Take Initiative, End Islamophobia6. [caption id="attachment_21657" align="alignleft" width="339"]

- Documentaire Attentat à la mosquée, un devoir de mémoire, réalisé par Catherine En ligne : https://ici.tou.tv/attentat-a-la-mosquee-un-devoir-de-memoire
- Mark Davis, Violence as method : the “white replacement”, “white genocide”, and “Eurabia” conspiracy theories and the biopolitics of networked Ethnic and Racial Studies, 2024.
- Voir, par exemple: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1766695/twitter-neonazi-alexandre-bissonnette-attaque-mosquee-quebec
- Voir, par exemple: https://lemonde.fr/idees/article/2025/03/27/entre-racisme-et-masculinisme-des-liaisons-ordinaires_6586717_3232.html
- En ligne : https://ici.radio-canada.ca/rci/en/news/2051263/nathaniel-veltman-afzal-family-ruling-terrorism-islamophobia
- En ligne : https://ycci.ca
- En ligne : https://london.ca/living-london/anti-racism-anti-oppression
- En ligne : https://lfpress.com/news/local-news/on-afzaal-attack-anniversary-school-board-set-to-unveil-anti-islamophobia-plan
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Le tournant identitaire : « nos valeurs priment sur vos droits »
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Le tournant identitaire : nos valeurs priment sur vos droits
Louise Pelletier, membre du comité exécutif et du CA de la Ligue des droits et libertés Maryève Boyer, membre du comité exécutif et du CA de la Ligue des droits et libertés
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Nos luttes garantissent nos droits
Une version courte a été publiée dans dans la rubrique Idées en revue dans Le Devoir, le 20 mai 2025.
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Nos luttes garantissent nos droits
Diane Lamoureux, professeure émérite, Université Laval, membre du comité de rédaction et membre du CA de la Ligue des droits et libertés À la Ligue des droits et libertés (LDL), nous le répétons depuis des années, les droits humains ne sont pas que des éléments codifiés dans des chartes, mais plutôt la sédimentation des luttes sociales du passé et des ancrages pour les luttes à venir afin de généraliser la liberté, l’égalité et la solidarité dans des sociétés, y compris celles qui se qualifient de démocratiques. Car celles-ci tentent soient de les mettre au rancart, soit de privilégier l’un ou l’autre de ces principes au détriment des autres. Pour illustrer mon propos, je prendrai l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qui traite des discriminations. Dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH)[1], adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948, l’article 2 énonçait que « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamées dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». Au sortir d’un génocide, la Shoah, et dans un contexte de mouvements de décolonisation en Afrique et en Asie, un tel énoncé recelait une puissance symbolique importante. On en retrouve des traces dans la version originelle de la Charte québécoise. Celle-ci énonçait que : « Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’état civil, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale »[2] et elle précisait que : « Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit ».[L'Association des droits des gai(e)s du Québec] allait mobiliser les communautés homosexuelles et entreprendre une action de pression auprès des pouvoirs publics pour inclure l’orientation sexuelle dans la Charte.Cet énoncé ne faisait pas que s’inspirer de la DUDH, mais faisait suite à des luttes menées précédemment par des militantes et des militants des droits humains actifs depuis l’entre-deux-guerres contre le racisme et l’antisémitisme, en faveur des droits des femmes, contre la censure, etc. Cet article a, depuis, été enrichi explicitement d’autres motifs sur la base desquels il est interdit de discriminer : l’orientation sexuelle, le handicap, la grossesse, l’âge et l’identité ou l’expression de genre. Ces ajouts ne relèvent pas de l’évolution naturelle de notre société, mais plutôt des mobilisations qu’ont menées les organisations LGTBQ+, les mouvements de personnes vivant avec un handicap ou les syndicats ou les groupes féministes. La première modification, pour ajouter l’orientation sexuelle à la liste des motifs illicites de discrimination, résulte des luttes menées par les organisations homosexuelles contre les descentes policières dans les bars gais, mais aussi d’une volonté politique du parti nouvellement arrivé au pouvoir, le Parti québécois. En effet, dans les débats entourant l’adoption de la Charte en 1975, ce parti avait présenté un amendement (battu) pour inclure l’orientation sexuelle et l’avait inscrit à son programme pour les élections de 1976. Même si le Code criminel avait été modifié en 1969 pour décriminaliser les actes homosexuels en privé et entre adultes consentants, les lieux de rassemblement publics des personnes homosexuelles comme les bars et les saunas continuaient à faire l’objet de descentes policières sous prétexte d’être des maisons de débauche. Ces descentes policières se sont accentuées à l’approche des Jeux olympiques de Montréal en 1976 donnant lieu à la formation du Comité homosexuel anti-répression puis sa transformation en Association des droits des gai(e)s du Québec. Cette dernière association allait mobiliser les communautés homosexuelles et entreprendre une action de pression auprès des pouvoirs publics pour inclure l’orientation sexuelle dans la Charte. Une descente policière particulièrement musclée au bar Le Truxx en octobre 1977 lui permet de mobiliser dans la communauté en plus de recueillir des appuis au sein de la Commission des droits de la personne, du Conseil du statut de la femme, de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), de la LDL et du Barreau du Québec. En 2016, pour tenir compte de la situation des personnes trans et non-binaires, l’article 10 de la Charte a été à nouveau modifié pour inclure l’identité ou l’expression de genre. Cela faisait suite à des mobilisations antérieures concernant le mariage et l’homoparentalité. C’est un travail de mobilisation et de pression similaire qui allait permettre d’inclure le handicap et les moyens pour y pallier l’année suivante. Alors que les personnes vivant avec un handicap ont longtemps été perçues comme des personnes à protéger, elles commencent à s’organiser, entre autres dans le Comité de liaison des handicapés physiques (CLHP) fédérant plus de 100 organismes. Elles insistent sur le fait qu’au lieu de s’orienter vers une législation spécifique il faut plutôt viser l’intégration sociale des personnes vivant avec un handicap. Pour ce faire, elles revendiquent que le handicap soit inscrit à la Charte comme motif illicite de discrimination. Soulignons que cela fait suite à un long processus d’auto-organisation de personnes vivant avec un handicap et à une réflexion importante sur le fait que le handicap ne doit ni définir entièrement une personne, ni lui interdire de vivre dans la dignité. C’est ce qui a permis ensuite de développer toute une série de politiques (encore insuffisantes) pour permettre l’accessibilité et l’adaptation en emploi, dans le logement, dans le transport ou dans les lieux publics. Quant à la grossesse, mentionnée explicitement dans la Charte à partir de 1982, elle constituait souvent un motif de congédiement pour les femmes. Ce sont essentiellement les groupes de femmes et les comités de condition des femmes dans les syndicats qui ont conduit les mobilisations pour que cesse cette forme de discrimination à l’encontre des femmes. À l’heure où non seulement nous célébrons les 50 ans de la Charte québécoise mais que nous cherchons également à la bonifier, ces exemples de mobilisations montrent bien que celle-ci peut servir d’ancrage pour des mobilisations futures. Car, si les droits ne s’appliquent pas à toutes et tous, ce ne sont plus des droits, mais des privilèges, pour paraphraser Condorcet. L’égale dignité des personnes exige que nous soyons à même d’identifier les discriminations qui perdurent et d’y pallier dans la Charte, mais aussi dans nos lois, règlements et politiques publiques.
[1] En ligne : https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/ [2] Charte des droits et libertés de la personne (LQ 1975, c. 6).
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(Re)construire l’édifice des droits humains – 50 ans de la Charte québécoise
Adoptée en 1975, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec est une loi fondamentale qui a profondément marqué l'histoire des luttes pour l'égalité, la justice sociale et les droits humains au Québec. Ce dossier de la revue Droits et libertés explore une diversité de thématiques liées à l'histoire de la Charte et à son rôle dans les luttes pour les droits humains.
Plusieurs personnes et organisations de différents milieux nous ont partagé leurs perspectives sur le rôle, les impacts et les limites de la Charte québécoise ainsi que sur la manière dont elle pourrait être renforcée pour répondre aux défis et enjeux du Québec d'aujourd'hui et de demain.
Inspirée des grands textes du droit international des droits humains, la Charte québécoise exige d'être promue et reconsidérée tant par les parlementaires que par la population.
Bonne lecture !
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* Les articles sont mis en ligne de façon régulière. *
Dans ce numéro
Éditorial
Le tournant identitaire : nos valeurs priment sur vos droitsMaryève Boyer et Louise Pelletier
Chroniques
Un monde sous surveillance
Génocide à Gaza, IA et complicité de Microsoft, Google et AmazonDominique Peschard
Un monde de lecture
Les fictions du racismeCatherine Guindon
Ailleurs dans le monde
Le retour du fascisme allemand?Édouard de Guise
Le monde de Québec
Bâtir nos solidarités contre les violences islamophobesMaryam Bessiri, Hassina Bourihane, Mélina Chasles et Sophie Marois
Dossier principal
(Re)construire l'édifice des droits humains
Présentation
(Re)construire l'édifice des droits humainsPaul-Etienne Rainville
La Charte et ses institutions
Pour que la Charte québécoise brille de tous ses feuxMe Louis-Philippe Lampron Nos luttes garantissent nos droits
Diane Lamoureux La Charte québécoise, un texte vivant en perpétuelle évolution
Me Philippe-André Tessier Le Tribunal des droits de la personne
Michèle Rivet
Perspectives militantes
Enfin reconnaître le droit au logementStéphanie Barahona La Charte québécoise et les droits environnementaux
Entrevue avec Geneviève Paul et Me David Robitaille
Propos recueillis par Paul-Etienne Rainville La Charte québécoise et les droits des peuples autochtones
Entrevue avec Katsi'tsakwas Ellen Gabriel Ellen
Propos recueillis par Paul-Etienne Rainville Travailler sous permis de travail fermé?
Meritxell Abellan Almenara et Amel Zaazaa Le pouvoir relatif des Chartes en contexte social hostile
Sheba Akpokli, Etienne Dufour et Fred Catherine Lavarenne Regards croisés sur les droits humains
Témoignages d'organisations de la société civile Quel droit de manifester à Québec ?
Josyanne Proteau et Linda Forgues Droits humains et prisons : un défi pour la justice
Me Amélie Morin La nouvelle gestion publique : une menace aux droits humains
Christian Djoko Kamgain Les droits culturels, pour donner du sens à la vie
Entrevue avec Vincent Greason
Propos recueillis par Elisabeth Dupuis
Reproduction de la revue
L'objectif premier de la revue Droits et libertés est d'alimenter la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Ainsi, la reproduction totale ou partielle de la revue est non seulement permise, mais encouragée, à condition de mentionner la source.
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COMITÉ MOBILITÉ DE LA TABLE DES GROUPES DE FEMMES DE MONTRÉAL
Au Québec, les femmes en situation de handicap dépendent plus des transports collectifs que les autres femmes ou encore, les hommes en situation de handicap1. Pourtant, leurs expériences sont souvent ignorées lors des réflexions sur ces services. Face à ce constat, les membres de la Table des groupes de femmes de Montréal (TGFM) ont lancé une recherche-action en 2023 pour inclure ces femmes dans les décisions sur la mobilité durable. Ce projet a engagé 10 expertes du vécu, qui ont tenu des journaux de bord, participé à des balades exploratoires et contribué à l’analyse. Plus de 150 femmes y ont aussi participé via un sondage et des groupes de discussion. La mobilité est un droit essentiel à la participation sociale des mères, travailleuses, étudiantes, proches aidantes et militantes en situation de handicap. L’article 15 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec garantit l’accès aux transports et aux lieux publics sans discrimination. Les témoignages recueillis dans le cadre de notre recherche-action soulignent que ces droits sont encore souvent bafoués, compromettant la capacité de ces femmes à se déplacer de façon autonome et sécuritaire à bord des transports collectifs. Cet article dévoile quelques enjeux clés qui sont présentés plus en détail dans notre rapport de recherche2. [caption id="attachment_20889" align="alignnone" width="458"]
Les transports collectifs
D’abord, le service de transport adapté complique considérablement la conciliation entre travail, famille et vie sociale des personnes qui en dépendent.
À Montréal, les transports collectifs comprennent d’abord le transport en commun régulier (autobus, métros, trains) qui fonctionne selon des horaires fixes et est, en principe, accessible à tout le monde. Il y a ensuite le transport adapté qui pallie les obstacles du réseau régulier en offrant, sur réservation, des véhicules, itinéraires et accompagnements adaptés aux besoins individuels des personnes ayant une incapacité qui affecte grandement leur mobilité. L’offre est complétée par les navettes qui offrent des trajets pour faciliter des déplacements ciblés (par exemple, aéroport ou traverse du fleuve). Parmi les répondant-e-s de notre sondage, 67 % jugent que le transport adapté est accessible et sécuritaire, contre seulement 28 % pour les autobus, métros et trains et 16 % pour les navettes fluviales. Dans le même ordre d’idées, 2 répondant-e-s sur 3 considèrent le transport adapté sécuritaire, et le personnel et les client-e-s bienveillant-e-s, alors que moins de la moitié évalue positivement le personnel et les client-e-s du transport en commun. Malgré cette meilleure perception du transport adapté, ce service ne parvient pas à offrir des déplacements équitables et sécuritaires.Mirages du transport adapté
D’abord, le service de transport adapté complique considérablement la conciliation entre travail, famille et vie sociale des personnes qui en dépendent. Pour ne nommer que quelques irritants logistiques, les réservations ne peuvent pas se faire à la dernière minute. L’accompagnement, crucial pour le sentiment de sécurité, est contraignant tout comme le nombre de sacs permis, ce qui complique la possibilité de faire son épicerie. En raison des retards et des jumelages, un trajet peut prendre plus de deux heures pour parcourir quelques kilomètres. L’insécurité est un problème. Les espaces d’attente sont souvent hostiles : peu de bancs, d’éclairage et d’accès à des toilettes. En hiver, la neige et le froid aggravent ces conditions. En été, les travaux et les piétonnisations compliquent l’embarquement et le débarquement. Les témoignages révèlent des comportements dangereux du personnel ou des gestes non consentis, notamment lors de l’attache de la ceinture de sécurité, ainsi que des remarques intrusives et sexistes. Des cas d’agressions physiques, sexuelles et psychologiques ont été vécus à bord des véhicules. Surtout, les expertes du vécu expriment une faible confiance envers le système de plainte en raison de l’absence de suivi et de changements constatés. Le transport adapté est précaire. Dans les dernières années, en plus des réductions de service dues aux conditions météorologiques, d’autres ont été établies en raison de la pandémie et en raison de problèmes de main-d’œuvre et de financement en août 2022. Les réductions incluent la limitation des trajets hors de l’île de Montréal, la permission exclusive des déplacements liés aux études, au travail et à la santé et la suspension des accompagnements. Ces restrictions portent atteinte au droit à la mobilité notamment de celles qui n’ont pas d’alternatives de transport.Inaccessible et non sécuritaire
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Environ 1 répondant-e sur 3 considère qu’il est impossible de se déplacer de manière sécuritaire pour être parent, proche aidant-e, étudiant-e, occuper un emploi ou s’impliquer dans sa communauté.
Les expertes du vécu soulignent les retombées positives de ces aménagements et équipements qui les incitent à utiliser le réseau régulier lorsque possible. Toutefois, les ascenseurs, escaliers mécaniques et rampes d’accès sont souvent hors service, rendant certains trajets impraticables. Les mesures d’urgence ne sont pas universellement accessibles. En effet, les messages d’urgence sont communiqués uniquement à l’oral, il faut parfois évacuer à une station de métro sans ascenseur et les navettes sont rarement accessibles. Enfin, des obstacles saisonniers compliquent l’accès au réseau : des itinéraires détournés en raison de travaux ou de piétonnisation, ainsi que des risques de chute dus à une mauvaise gestion du déneigement ou des chantiers de construction. L’accessibilité ne dépend pas uniquement des infrastructures. De nombreux témoignages révèlent des manques de civisme, comme le fait de s’asseoir sur des sièges réservés ou de ne pas offrir d’aide ou de le faire de façon inadéquate (par ex., sans demander le consentement). Plusieurs ont également subi du harcèlement de rue (par ex., regards, commentaires, attouchements ou menaces envers elles, iels ou leur chien d’assistance). C’est pourquoi il est essentiel de mener des actions de sensibilisation et de formation pour changer les attitudes et comportements du personnel et de la clientèle dans les transports en commun.Des impacts profonds
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Pour une mobilité durable, inclusive et sécuritaire
Pour la TGFM, cette recherche-action est un outil de défense collective des droits. Parmi les initiatives visant à faire connaître les résultats, la TGFM a conçu une exposition qui présente une série de photos évocatrices des expertes du vécu accompagnées de textes exprimant leurs revendications pour la mobilité à Montréal. Ces témoignages démontrent que les enjeux de mobilité touchent profondément le quotidien de personnes réelles. Il est urgent de repenser les pratiques, les comportements et la planification des services publics pour garantir une mobilité durable, inclusive et sécuritaire à Montréal et partout au Québec. L’exposition photo se déplacera, selon la demande, dans différents milieux et événements pour susciter ces réflexions.1 Office des personnes handicapées du Québec, Les femmes avec incapacité au Québec, un portrait statistique de leurs conditions de vie et de leur participation sociale, 2021. En ligne : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/org/ophq/Statistiques/femmes-incapacite.pdf 2 En ligne : https://www.tgfm.org/fr/nos-publications/143 3 Article 67 de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale. 4 S. Baillargeon, Le programme pour l’accessibilité du métro à l’arrêt, Le Devoir, 11 mai 2024. En ligne : https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/812712/transport-commun-programme-accessibilite-metro-arret 5 A. Tessier et coll., The impact of transportation on the employment of people with disabilities: a scoping review, Transport Reviews, 2023. En ligne : https://doi.org/10.1080/01441647.2023.2229031
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