Revue Droits et libertés
Publiée deux fois par année, la revue Droits et libertés permet d’approfondir la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Réalisée en partenariat avec la Fondation Léo-Cormier, la revue poursuit un objectif d’éducation aux droits.
Chaque numéro comporte un éditorial, les chroniques Un monde sous surveillance, Ailleurs dans le monde, Un monde de lecture, Le monde de l’environnement, Le monde de Québec, un dossier portant sur un thème spécifique (droits et handicaps, droits des personnes aînées, police, culture, droit à l’eau, profilage, mutations du travail, laïcité, etc.) ainsi qu’un ou plusieurs articles hors-dossiers qui permettent de creuser des questions d’actualité. Les articles sont rédigés principalement par des militant-e-s, des représentant-e-s de groupes sociaux ou des chercheuses ou chercheurs.
Créée il y a 40 ans, la revue était d’abord diffusée aux membres de la Ligue des droits et libertés. Depuis, son public s’est considérablement élargi et elle est distribuée dans plusieurs librairies et disponible dans certaines bibliothèques publiques.
Bonne lecture !

Trump, ou comment user du droit contre la justice
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Trump, ou comment user du droit contre la justice
Édouard De Guise, Étudiant à Sciences Po Paris et militant à la Ligue des droits et libertés
Par l’agrégation de morceaux constitutionnels qui semblent inoffensifs, voire nécessaires, certains autocrates réussissent à prendre le pouvoir par le biais d’élections en instaurant des régimes illibéraux. Ils forment ce que Kim Scheppele appelle un « Frankenstate », c’est-à-dire un régime autoritaire monstrueux, constitué d’une série de dispositions légales qui semblent normales prises séparément mais qui, en s’additionnant, peuvent menacer la démocratie. À l’aune de l’élection récente de Donald Trump pour son deuxième mandat à la tête du gouvernement étasunien, plusieurs des déclarations récentes du président élu et ses nominations à divers postes gouvernementaux inquiètent sur ses intentions d’utiliser le droit pour aller à l’encontre de la justice, d’affaiblir la démocratie étatsunienne et de commettre des violations de droits par l’usage de moyens légaux.Le premier mandat
Le premier séjour de Donald Trump dans le bureau ovale a été marqué par plusieurs mesures qui ont significativement affaibli l’équilibre démocratique aux États-Unis. Au premier chef, son parti a souvent pratiqué le constitutional hardball, un terme défini par Steven Levitsky et Daniel Ziblatt dans leur ouvrage How Democracies Die. Il s’agit selon eux d’entreprendre des mesures qui respectent la lettre de la loi mais qui sont, par rapport à la culture et à la pratique constitutionnelles en place, abusives. Ainsi, le Sénat majoritairement républicain a refusé de valider la nomination de Merrick Garland à la Cour suprême des États-Unis dans la dernière année du deuxième mandat de Barack Obama. Ils n’ont cependant pas hésité à remplacer Ruth Bader Ginsburg alors que cette dernière est décédée à 45 jours de l’élection présidentielle de 2020. En jouant ainsi avec les doubles standards, les procédures et les institutions, le président Trump a réussi à nommer trois des neuf juges à la Cour suprême, portant la majorité de juges conservateurs à six contre trois. [caption id="attachment_20902" align="alignnone" width="593"]
Plusieurs analystes croient qu’il faut maintenant s’attendre à un Trump revanchard, prêt à tout pour punir celles et ceux qui ont tenté de lui barrer le chemin.
Les politiques de sa première administration ont également conduit à plusieurs bris de droits, notamment à travers des coupes dans plusieurs agences ou départements gouvernementaux. Par exemple, l’administration Trump a adopté une règle particulière, appelée gag rule, qui empêchait de facto Planned Parenthood de toucher des fonds fédéraux. Cette organisation à but non lucratif est une structure importante de l’offre de service de santé reproductive, de contraception et d’avortement aux États-Unis. En coupant ce financement, l’accès à ces services essentiels a été réduit pour une grande partie de la population étatsunienne. Ces coupes seront certainement de retour dans l’agenda politique du deuxième mandat, ce que laisse supposer la nomination du milliardaire Elon Musk à la tête d’un département de l’efficacité gouvernementale, chargé d’émonder l’État étasunien. Au cours de son premier mandat, Trump n’a pas hésité à violer plusieurs autres droits. Sur les droits des personnes incarcérées, l’agence de protection frontalière a détenu des enfants migrants après avoir forcé leur séparation de leurs parents. Sur le droit à un environnement sain, l’homme d’affaires a retiré le pays des Accords de Paris sur le climat dès ses premiers instants dans le bureau ovale. Sur les droits démocratiques, Trump a tenté de renverser le résultat de l’élection présidentielle de 2020 en sommant des officiel-le-s de l’État de Géorgie de lui trouver 11 000 votes. Les exemples sont presque infinis, mais cet article ne l’est pas.La chasse aux adversaires
Les inquiétudes n’étaient peut-être pas aussi vives en 2016 qu’elles le sont en 2024. Et pour cause : l’homme d’affaires n’avait aucune expérience politique; il n’avait pas encore de loyalistes établis dans l’appareil gouvernemental et il n’avait pas une emprise complète sur le parti républicain. Certes, ces éléments illustrent un pouvoir augmenté par rapport à sa précédente victoire électorale, mais ce n’est pas ce qui inquiète le plus. Depuis 2016, Trump a vécu plusieurs épisodes politiques et juridiques qui ont changé son attitude. Alors qu’il se présentait comme un loup solitaire, se disant prêt à drainer le marécage (drain the swamp), il n’avait pas encore expérimenté ni les limites constitutionnelles du pouvoir exécutif aux États-Unis, ni sa défaite électorale de 2020. Plusieurs analystes croient qu’il faut maintenant s’attendre à un Trump revanchard, prêt à tout pour punir celles et ceux qui ont tenté de lui barrer le chemin. À l’inverse, il faut s’attendre à ce qu’il utilise le très puissant pouvoir de pardon présidentiel pour gracier des allié-e-s. Certains juristes croient qu’il pourrait même tenter de se gracier lui-même, puisqu’il fait l’objet de plusieurs enquêtes judiciaires. Cette option demeure toutefois peu probable puisque les accusations portées à son encontre seront probablement retirées ou reportées à plus tard. Or, Trump a déjà utilisé son pouvoir de clémence envers des ami-e-s et allié-e-s lors de son premier mandat. Paul Manafort, reconnu coupable de conspiration contre les États-Unis et d’obstruction à la justice, avait notamment été gracié de cette façon. Ainsi, il faut certes s’attendre à un État de droit considérablement affaibli par l’impunité qu’il accordera à ses proches pendant son deuxième mandat.Des anciens allié-e-s inquiets
Ses anciens allié-e-s ne sont pas toutes et tous restés dans ses bonnes grâces. Certains d’entre elles et eux portent des accusations graves à son encontre, suggérant notamment qu’il pourrait adopter un comportement illibéral à l’avenir. C’est notamment le cas du Major John Kelly qui, quelque temps avant la présidentielle de 2024, affirmait croire que Trump correspondait à sa définition d’un fasciste. Exemple à l’appui : Trump aurait partagé avec lui son souhait que son personnel militaire fasse preuve de la même loyauté envers lui que les généraux d’Hitler. Il s’agit d’un trait typique chez les autocrates, qui valorisent la loyauté davantage que la compétence. L’actualité récente semble nous indiquer que le président élu tente de réaliser son rêve autocratique. Il nomme à des postes-clés de son administration des allié-e-s dont personne ne remet en cause la loyauté, mais dont plusieurs doutent des compétences et même du caractère approprié. À cet égard, Pete Hegseth et Tulsi Gabbard, respectivement présentateur de Fox News présentant un « risque de l’intérieur » aux forces armées, et ancienne représentante ayant partagé certaines opinions avec Vladimir Poutine et Bachar al-Assad, ont été désignés à la tête de la défense nationale et du renseignement. Comme pour empêcher ses subordonné-e-s de devenir des obstacles à son projet, Trump s’assure d’une loyauté totale pour renforcer son emprise sur l’appareil étatique. Au moment d’écrire ces lignes, les procédures sénatoriales de validation des nominations ne sont pas enclenchées. Or, les noms évoqués par Trump pour constituer son administration ne font pas l’unanimité dans la législature républicaine. Pour éviter d’essuyer des revers de la part de la Chambre haute, le président élu a soutenu publiquement l’idée d’une suspension du Sénat. Cela lui permettrait de faire des nominations « en vacance ». Selon Sarah Binder, politologue à l’université George Washington, une telle décision de la part du Sénat présenterait une « abdication absolue de leur pouvoir constitutionnel ».Un président intouchable
Par ces mesures, passées ou anticipées, Trump pratique un décapage démocratique du système politique étasunien. Par des moyens qui respectent le droit mais violent les plus fondamentales normes de tout régime libéral, le président élu instaure un régime de gouvernance dont il tient entièrement les rênes, soutenu par des allié-e-s qui marchent au pied. Le plus inquiétant reste toutefois la question d’immunité présidentielle accrue. Un-e président-e ne peut pas être sanctionné-e pour des actions qui respectent la lettre de la loi. Or, la Cour suprême des États-Unis a récemment jugé qu’elle ou il ne peut pas être traduit en justice non plus pour les actes illégaux qui auraient été commis « dans l’exercice de ses fonctions officielles ». La conjoncture politique étasunienne actuelle inquiète. Des violations des fondements de la démocratie, conjuguées à une culture d’impunité qui prend de la vigueur, mettent en grave danger le caractère libéral de l’État. Dans ce contexte, il faut certainement s’attendre à des violations de droits massives de la part des autorités américaines, par leur inaction, ou même par leur action, que même la géniale Constitution des États-Unis d’Amérique ne pourra prévenir.L’article Trump, ou comment user du droit contre la justice est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Agir pour le droit international des droits humains
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Agir pour le droit international des droits humains
Sam Boskey, premier vice-président du CA de la Ligue des droits et libertés Les conflits qui se déroulent un peu partout sur la planète contribuent à nous enseigner la géographie. Nombreux sont celles et ceux qui n’auraient pu situer sur une carte la bande de Gaza, le Yémen, le Katanga, le Sud-Soudan ou le Donbass avant que les médias et les réseaux sociaux ne soient envahis de reportages ou de publications sur les assauts militaires, les tractations complexes des relations internationales, l’aide internationale de nombreuses organisations humanitaires ou encore, les missions de paix des Nations unies (ONU). [caption id="attachment_20676" align="alignnone" width="731"]
La survie de l'humanité
C’était plutôt la reconnaissance que, dans la nouvelle ère des armes nucléaires, l’éradication des conditions qui provoquent les hostilités — en utilisant l’institution du droit international des droits humains — était une condition sine qua non de la survie de l’humanité. Il s’avère nécessaire de regarder avec lucidité les revers que subit le cadre international de promotion et de protection des droits humains dans le contexte de conflits armés au Moyen-Orient et la montée des politiques réactionnaires, ici comme ailleurs. Face à la multiplication des débats sur la législation des droits humains et sur ses institutions, les répliques fusent de toute part. Une nouvelle variante pathogène germe à travers le monde : des pays, des politiques, des entreprises, des mouvements populaires, qui non seulement ignorent délibérément les décrets internationaux, mais les calomnient, les attaquent et remettent en cause leur légitimité. Plusieurs exemples le démontrent : le comportement des pays qui continuent activement à envoyer des armes dans les zones de guerre, ou à permettre aux entreprises basées chez eux de le faire ; la dérive des politiques nationales vers une attitude agressive envers les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ; la tentative de criminaliser la parole et le droit de manifester des personnes qui tentent de faire pression sur leur gouvernement et leurs institutions, au pays et à l’étranger, pour qu’ils respectent les droits humains.Les défis du droit international
Avec les avis de la Cour internationale de justice ou les rapports de la Rapporteuse spéciale Francesca Albanese, ouvertement ignorés par certain-e-s et insuffisants pour changer la donne, avec la désignation du secrétaire général de l’ONU comme persona non grata par Israël, les événements actuels incitent à une réflexion de fond dans la communauté promouvant et protégeant les droits humains. Les défis du droit international des droits humains et des instances qui le composent ne sont pas nouveaux ; de puissants rapports de force entre les États sont à l’œuvre depuis le départ. Néanmoins, malgré les revers, il est plus essentiel que jamais d’avoir des exigences élevées en ce qui concerne l’adoption du cadre de référence des droits humains par les gouvernements du monde entier. Malgré cette visibilité accrue du droit international durant certaines périodes, ce n’est pas pour autant que les droits humains et le système international voué à les protéger soient pleinement assimilés à notre culture commune. Par exemple, la célébration de la Journée des Nations unies, le 24 octobre, est depuis longtemps tombée en désuétude dans nos écoles. Presque passé sous silence, le 75e anniversaire de la DUDH, le 10 décembre 2023, appelait à davantage d’attention médiatique et politique que le traitement marginal que ce jalon important du XXe siècle a reçu. Si le Canada est signataire de dizaines d’accords internationaux sur les droits humains, les tribunaux sont souvent réticents à les appliquer, à moins que les législatures nationales ne les aient explicitement incorporés dans les lois internes. Mentionnons tout de même qu’avec lenteur et obstacles multiples des avancées se font en droit interne.Vers de nouvelles stratégies
Il est de plus en plus évident qu’en tant que communauté des droits humains, nous devons développer de nouvelles stratégies autres que les activités éducatives traditionnelles qui n’ont jamais suffi à induire le changement. Elles sont même de plus en plus inefficaces face aux négatrices et négateurs des droits humains, personnes de pouvoir et institutions qui ne souhaitent pas respecter les droits et libertés. Elles alimentent sciemment la désinformation, instrumentalisent certains droits, et se permettent de plus en plus de mépris dans leurs affirmations ; le droit international peut s’appliquer à d’autres, mais pas nécessairement à elles et eux.Pour le respect des droits humains
Le Québec témoigne du même glissement vers une rhétorique de rejet des droits humains : le gouvernement au pouvoir traite parfois les droits et libertés comme des obstacles exaspérants, et à d’autres occasions il appuie son argumentaire sur certains droits, au détriment d’autres droits. Il ne tient pas compte de l’interdépendance, de l’indivisibilité et de l’universalité des droits. Il déroge aux droits protégés par nos Chartes pour adopter des législations attentatoires aux droits. Il remet en cause la séparation des pouvoirs, et donc l’idée selon laquelle nul n’est au-dessus de la Loi, en remettant en question le rôle des tribunaux de vérifier la conformité des lois avec les droits humains. Ainsi, les tumultes de ces dernières années doivent nous inciter à réfléchir aux conditions systémiques qui permettent ce mépris du cadre de référence des droits humains ainsi qu’aux stratégies pour changer la donne. De tout temps, énoncer les droits et les faire connaître n’a jamais suffi à permettre leur exercice réel et leur appropriation sur le plan culturel. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Il est essentiel de poursuivre les mobilisations et la pression sur les gouvernements pour exiger d’eux le respect des droits humains sur le plan local et le respect de leurs obligations à l’international. Il est vrai que les mécanismes et instances du droit international échouent à contraindre les États à respecter les droits. Il n’en demeure pas moins que le cadre des droits humains revêt une puissance argumentaire et analytique extraordinaire dont nous devons, toutes et tous, nous saisir collectivement pour notre avenir commun.L’article Agir pour le droit international des droits humains est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Imaginer une ville des droits humains
Nouveau numéro maintenant disponible !
La Ligue des droits et libertés consacre son nouveau numéro de Droits et libertés aux enjeux de droits humains dans les villes au Québec.
Au sein des villes, tous et toutes ne sont pas égaux. Les inégalités existent et persistent dans le temps concernant l'accès au transport, aux emplois, à l'espace public, au logement ou à l'exercice de la citoyenneté, par exemple.
Les municipalités sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans l'élaboration de politiques, de programmes et d'initiatives pour relever les défis actuels et futurs, qui sont vastes et urgents, comme les enjeux environnementaux.
Ce palier gouvernemental peut assurer le respect, la protection et la mise en oeuvre des droits humains et contribuer positivement à la transformation sociale.
Bonne lecture !
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Dans ce numéro
Éditorial
Agir pour le droit international des droits humainsSam Boskey
Chroniques
Le monde de Québec
30 ans de luttes pour les droits et libertés à QuébecSophie Marois
Josyanne Proteau
Un monde de lecture
Du naturalisme antique à l'écologie contemporaineCatherine Guindon
Un monde sous surveillance
Lutter contre l'ingérence sans bafouer les droitsTim McSorley
Ailleurs dans le monde
Repenser les droits humains en HaïtiFrantz Voltaire
Hors dossier
Toutes les vies se valent-elles vraiment?Christian Djoko Kamgain Du Bandung de 1955 à 2024! Les Suds du Nord parlent!
Safa Chebbi Trump, ou comment user du droit contre la justice
Édouard de Guise
Dossier principal
Imaginer une ville des droits humains
Présentation
Imaginer une ville des droits humainsDiane Lamoureux Une exigence du droit international des droits humains
Me Lucie Lamarche Municipalités et droits humains: une rencontre qui se densifie
Me Benoît Frate
Me David Robitaille Habiter et cohabiter
Michel Parazelli Nouveaux visages de l'itinérance… issus de l'immigration
Maryse Poisson
Mauricio Trujillo Pena
Florence Bourdeau Participation citoyenne et villes, quel avenir?
Elsa Mondésir Villefort Défis de collaboration entre villes et organismes communautaires
Caroline Toupin La transition écologique, ça concerne tout le monde!
Entretien avec Nadia Lemieux
Propos recueillis par Elisabeth Dupuis Emplois municipaux, pour qui?
Elisabeth Dupuis Embarquez avec nous!
Comité mobilité de la Table des groupes de femmes de Montréal
Reproduction de la revue
L'objectif premier de la revue Droits et libertés est d'alimenter la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Ainsi, la reproduction totale ou partielle de la revue est non seulement permise, mais encouragée, à condition de mentionner la source.
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Nouvelles prisons, mêmes enjeux ?
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Nouvelles prisons, mêmes enjeux?
Mathilde Chabot-Martin, candidate à la maîtrise, École de travail social, UQAM Karl Beaulieu, doctorant, École de travail social, UQAM[caption id="attachment_17085" align="alignright" width="393"]Nombre de voix se sont élevées ces dernières années pour dénoncer les violations des droits humains et les conditions de détention délétères qui continuent de régner au sein des prisons et pénitenciers au Québec et au Canada. Personnes (ex-) incarcérées, chercheuses et activistes participent à remettre de l’avant une réflexion collective sur la pertinence de la prison comme institution1. Par leurs prises de parole, elles démontrent comment l’institution carcérale fonctionne selon une logique punitive, individualisant des problématiques pourtant structurelles. Ainsi, la prison contribue à la reproduction des inégalités sociales et enferme de manière disproportionnée les personnes marginalisées dans un cycle sans fin d’injustice et d’exclusion. Ces constats, mis de l’avant dans de multiples rapports et ouvrages publiés récemment2, devraient interpeller et préoccuper nos décideurs politiques et les autorités des services correctionnels. Or, ils sont plutôt accueillis par un mutisme inquiétant et une récupération politique préoccupante. En effet, la prison profite d’une légitimité et d’un appui politique aveugle qu’aucune recherche ne semble pouvoir ébranler, ni même minimalement remettre en question. Dans ce contexte, quel avenir pour la prison, et comment comprendre son actuelle expansion, malgré les critiques qui émanent de nos mobilisations ?Établissement de détention Leclerc de Laval. Les femmes y sont incarcérées, dans des conditions maintes fois dénoncées, depuis la fermeture de la Maison Tanguay en 2016. Le gouvernement du Québec a annoncé six ans plus tard, en 2022, la construction d’une nouvelle prison d’ici 2030 au coût de 400 millions de dollars.[/caption]
[…] cet usage de l’inclusivité au sein des discours officiels s’inscrit dans l’idéologie d’une nouvelle carcéralité. En effet, les critiques relatives à la surreprésentation et aux spécificités de certains groupes sont, ici, instrumentalisées pour mieux enfermer plutôt que de désincarcérer.
Des prisons inclusives ?
Pour justifier les plus récentes expressions de l’expansion carcérale, celle de la construction de nouvelles prisons et du réaménagement d’espaces carcéraux, à laquelle nous assistons, plusieurs discours récents réfèrent à une volonté d’inclusivité. Effectivement, les services correctionnels québécois ont annoncé à la fin de l’année 2022 la construction d’une nouvelle prison pour femmes, la plus grosse qui soit au Québec. Cette nouvelle prison, nous dit-on, « pourra leur offrir de meilleures perspectives de réinsertion sociale grâce à un meilleur accès aux programmes et aux services dont elles ont besoin3 ». Au niveau fédéral, des millions de dollars ont récemment été alloués pour aménager des espaces traditionnels autochtones au pénitencier Archambault de Sainte-Anne-des-Plaines. À nouveau, les autorités soutiennent que ces espaces vont permettre de « répondre davantage aux besoins culturels de la clientèle autochtone »4. D’autres annonces promettent aux prisonnier-ère-s trans d’être incarcéré-e-s de manière conforme à leur identité de genre, embrassant un discours inclusif des personnes trans (Trans rights are human rights)5. On met ainsi l’accent sur l’inclusivité, afin de mieux enfermer des populations ciblées. Nous soutenons que cet usage de l’inclusivité au sein des discours officiels s’inscrit dans l’idéologie d’une nouvelle carcéralité. En effet, les critiques relatives à la surreprésentation et aux spécificités de certains groupes sont, ici, instrumentalisées pour mieux enfermer plutôt que de désincarcérer. Cette nouvelle carcéralité présente le risque évident que les prisons deviennent des espaces où les personnes marginalisées pourraient finalement obtenir l’accès aux soins et aux services dont elles ont besoin. Si la mise en place et l’investissement dans des programmes ciblés et adaptés sont souhaitables, nous partageons l’idée bien répandue selon laquelle ceux-ci doivent avoir lieu en amont de l’incarcération. C’est notamment ce que suggérait l’Enquêteur correctionnel du Canada au moment de l’annonce des réaménagements culturels au pénitencier Archambault, rappelant l’échec des programmes fédéraux pour les personnes autochtones incarcérées et demandant plutôt la redirection de ces fonds vers les communautés autochtones. En somme, cette idée de faire des prisons plus inclusives nous ancre dans un cycle répressif où les gens doivent être punis pour obtenir des soins au sein de notre société. Considérant l’ampleur des conséquences liées à un passage en prison, dont la stigmatisation et les conséquences sur l’entourage des personnes incarcérées, nous devons plutôt investir dans les soins en amont. Autrement, nous continuons à nourrir un cycle d’enfermement des personnes marginalisées, coûteux sur le plan économique et dévastateur sur le plan social. Les prisons sont des institutions intrinsèquement exclusives, elles ne peuvent pas être inclusives.Plus sécuritaires… pour qui ?
Un deuxième enjeu nommé par les autorités pour justifier l’expansion carcérale a trait à la sécurité – sécurité qui semble ne jamais pouvoir être complètement atteinte. Plusieurs analyses soutiennent que la prison est un environnement hostile où les personnes incarcérées sont à risque de subir des violences physiques, psychologiques et sexuelles6. L’environnement carcéral produit et exacerbe de nombreux problèmes de santé affectant l’intégrité physique et mentale des personnes incarcérées. Tel que présenté dans l’article Quand la prison fait mourir de ce dossier, un récent rapport révèle une hausse de 87 % des décès dans les prisons entre 2009-2010 et 2021-2022, d’autant plus marquée en ce qui concerne les suicides. Toutefois, il semble que les critiques à propos des mauvaises conditions de détention des personnes incarcérées deviennent encore une fois des leviers justifiant l’expansion carcérale. Par exemple, le ministère de la Sécurité publique (MSP) a promis le « plus gros investissement jamais accordé dans la sécurité de nos prisons »7 en réponse, notamment, aux enjeux liés aux conditions de détention des personnes incarcérées8. Les problématiques humanitaires dans les prisons sont donc abordées sous le prisme de la sécurité, ce qui n’est pas un choix anodin. Ce cadrage sécuritaire des conditions de détention des personnes incarcérées est révélateur des priorités du MSP et pose la question : de la sécurité de qui parlons-nous exactement ? En effet, en répondant à des problématiques de nature sociale par des investissements dans la sécurité des lieux, les autorités démontrent un manque de considération pour le bien-être des personnes incarcérées. Par ailleurs, l’augmentation des mesures de sécurité dans les prisons, entendues ici comme plus de surveillance et de répression, ouvre non seulement la porte à plus d’abus envers les personnes incarcérées, mais elle voile également l’enjeu des conditions de détention et violations de droits dont il est question au sein des multiples rapports. Il semble donc qu’on parle strictement d’une sécurité qui exclut celle des personnes incarcérées lorsqu’on promet plus d’investissements dans le béton. Comment peut-on expliquer que les mauvaises conditions de détention et la violence qui règnent au sein des prisons soient résolues par des mesures soutenant une répression et un contrôle encore plus étroits ?Pas une solution
De nouvelles prisons plus inclusives et toujours plus sécuritaires ne sont pas la solution. Il faut plutôt voir ces récents investissements comme un réflexe social d’entêtement carcéral, nous empêchant de réfléchir collectivement à des pistes de sortie de la carcéralité. Les personnes de la diversité sexuelle et de genre, les personnes autochtones, noires, et vivant dans la pauvreté sont surreprésentées au sein des prisons. Or, si nous nous enfermons socialement dans le paradoxe de la prison inclusive, les prochaines années pourraient faire place à une exacerbation des inégalités en matière d’enfermement. Lorsque les problèmes causés par les prisons sont pointés du doigt, les discours officiels nous amènent à penser que ce sont des prisons dont nous devons prendre soin, plutôt que des personnes qui s’y trouvent. Là est le problème. Face au cycle d’enfermement sans fin dans lequel nous sommes engagés, il faut mettre fin à la construction de nouvelles prisons. Si nous souhaitons véritablement avoir une société plus juste et assurer une sécurité réelle pour les groupes marginalisés, agissons tout de suite, avant les premières pelletées de terre pour la construction de la nouvelle prison pour femmes de Montréal. Bien qu’il faille continuer de porter attention aux problèmes concernant les conditions de détention qui règnent à l’intérieur des prisons, il faut également, en amont,investir dans des programmes agissant au sein de nos communautés et refuser l’expansion carcérale. Les prisons sont des endroits mortifères où les violations de droits et les dénis de soins sont des réalités quotidiennes pour les personnes incarcérées : elles ne sont pas une solution comme le rappelle la Ligue des droits et libertés. Ce dossier nous rappelle l’importance d’imaginer et de bâtir autour d’initiatives locales, humaines, ancrées dans nos communautés, étant porteuses de principes de bienveillance et ayant à cœur le respect des droits humains. Ces solutions existent et continuent à émerger autour de nous. Il suffirait qu’on leur porte collectivement notre attention pour que nos communautés se portent mieux.L’article Nouvelles prisons, mêmes enjeux? est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

La prison comme institution coloniale
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Qu’en est-il des systèmes carcéraux et des abolitionnismes?
Entrevue avec Cyndy Wylde, professeure en travail social à l’Université d’Ottawa, ancienne professionnelle à Service correctionnel Canada Propos recueillis par Alexia Leclerc, finissante à la maîtrise en science politique et membre du comité de rédaction de la revue et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertésOriginaire de la communauté Pikogan située dans le nord-est de l’Abitibi- Témiscamingue, Cyndy Wylde est Anicinape et Atikamekw. Elle a étudié la criminologie, la toxicomanie, la santé mentale et elle s’intéresse aux enjeux et réalités des peuples autochtones. Pendant plus de 25 ans, elle a évolué professionnellement au Service correctionnel Canada ; plus précisément dans les Initiatives autochtones. Jusqu’à mars 2019, elle était membre de l’équipe de recherche de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (Commission Viens), à titre d’experte pour le service public des Services correctionnels du Québec. Elle a également été conseillère politique auprès de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) et elle est aussi consultante sur différents enjeux autochtones. Elle est aujourd’hui professeure en travail social à l’Université d’Ottawa. |
Pouvez-vous décrire votre parcours ?
J’ai travaillé au service correctionnel fédéral pendant 25 ans. J’ai décidé de prendre ma retraite du milieu en 2019 et de continuer mes études au doctorat. J’ai travaillé pour la Commission Viens comme experte sur le système correctionnel, avant de devenir professeure à l’Université d’Ottawa à l’École de travail social. Je termine actuellement ma thèse de doctorat sur la surreprésentation carcérale des femmes des Premières Nations au Québec. Je veux connaître la perception qu’elles ont de leur traitement. Voici mes trois objectifs. Je vise : à documenter la perception des femmes des Premières Nations incarcérées en regard du traitement qu’elles reçoivent dans le système carcéral au Québec; à identifier les causes et les mécanismes de la discrimination vécue par les femmes des Premières Nations incarcérées ; et à mieux comprendre la manière dont les femmes des Premières Nations perçoivent les effets de l’accès à des services spirituels ou traditionnels dans leur cheminement. C’est important pour moi, car lorsque je travaillais dans le système correctionnel fédéral, j’ai vu beaucoup de femmes de l’Ouest être incarcérées ici pour de la gestion de population. Cela réfère à des prises de décisions qui visent à gérer des personnes incarcérées sans vraiment prioriser leurs besoins et ceux de leurs familles.Pouvez-vous relater votre expérience dans le système correctionnel fédéral en ce qui concerne les initiatives autochtones ? Selon votre expérience, est-ce que c’est un moyen efficace pour contrer la surreprésentation carcérale des Autochtones ?
J’ai commencé comme commis de gestion de cas, un poste administratif au sein de Service correctionnel Canada. Mon objectif était de devenir agente correctionnelle. On m’a appelée vers 1999-2000 pour m’annoncer que la boîte des initiatives autochtones était lancée et qu’on avait besoin de mettre en place les initiatives locales. J’ai ainsi occupé le premier poste d’agente de développement régional auprès de la collectivité autochtone, le premier poste dédié à ces initiatives et je suis devenue la coordonnatrice de cette équipe-là. Ça remonte à 1992, lorsque la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été modifiée. Les initiatives pour adapter nos politiques et nos façons de faire pour contrer la surreprésentation carcérale des Autochtones dans notre système sont survenues plus tard. Quand les initiatives autochtones ont commencé, la population carcérale autochtone était de 17 % dans le système carcéral fédéral, ce qui était beaucoup à l’époque, car la population autochtone dans l’ensemble du Canada était de 3 %. Aujourd’hui, 30 % de la population carcérale est autochtone, et on parle de 50 % pour les femmes autochtones. Les jeunes autochtones suivent également cette courbe-là qui augmente.« Le cœur me battait quand j’allais visiter des centres dans l’Ouest pour prendre connaissance des initiatives mises en place là-bas. J’y croyais tellement, mais j’ai été désillusionnée. L’institution est plus grande que moi, même si je ne suis pas toute seule à m’être battue. »J’ai beaucoup cru aux initiatives autochtones dans le milieu carcéral. Le cœur me battait quand j’allais visiter des centres dans l’Ouest pour prendre connaissance des initiatives mises en place là-bas. J’y croyais tellement, mais j’ai été désillusionnée. L’institution est plus grande que moi, même si je ne suis pas toute seule à m’y être si engagée. En mettant un chapeau de fonctionnaire à tous les jours, je me suis rendu compte que j’étais confrontée à mes valeurs culturelles et celles de ma nation. Ça a été drainant, il y avait beaucoup de répétitions, de confrontation et de résistance. Le système carcéral est un système colonial et paternaliste, il y a peu de place pour remettre en question les façons de faire. Je me suis buttée à une organisation rigide. Ça été difficile d’implanter des initiatives et de se faire respecter. En plus, alors que je travaillais dans le système correctionnel fédéral, le gouvernement Harper a coupé le financement, a instauré des mesures punitives encore plus sévères, a diminué les ressources pour la relation d’aide et la réinsertion sociale, la nourriture pour les détenu-e-s et les employé-e-s. Tout a été coupé, mais on disait qu’il fallait contrer la surreprésentation des Autochtones. Le gouvernement envoyait donc quand même des enveloppes pour les initiatives autochtones, ce qui a été perçu comme un deux poids deux mesures. Il n’y avait pas d’éducation par rapport à l’enjeu de la surincarcération. Ça a été mal compris par les employé-e-s, mal reçu par les détenu-e-s qui trouvaient que les détenu-e-s autochtones avaient des passe-droits. Ces programmes sont donc retombés sur les épaules des employé-e-s autochtones qui devaient les mettre en place, mais qui n’avaient pas de pouvoir décisionnel. Par exemple, la première fois qu’on a essayé de permettre aux détenu-e-s de smudger, soit de pratiquer une cérémonie de purification par la fumée, on a dû aller en cour contre nos collègues qui alléguaient que la fumée les rendait malades. Il y avait plein de microagressions contre les détenu-e-s qui smudgeaient. On organisait également des cérémonies qui finissent toujours par des festins, durant lesquels il y a un partage de nourriture incluant des dons de viande sauvage offerte par la communauté. J’ai remarqué que les détenu-e-s non-Autochtones s’identifiaient comme Autochtones pour avoir accès à la nourriture. Je ne voulais pas être la police du statut autochtone, mais j’ai observé cela même chez les employé-e-s que j’étais censée former. Je ne les formais pas à travailler, mais plutôt à être Autochtones. J’étais également chargée de former mes collègues agent-e-s de libération conditionnelle concernant les principes de l’arrêt Gladue (1999), qui stipule que les juges doivent considérer une sentence substitutive et analyser les antécédents sociaux de la personne jugée en prenant compte des facteurs systémiques coloniaux. Le but était de favoriser d’autres traitements que l’emprisonnement. Les services correctionnels ont également été tenus de considérer les principes de l’arrêt Gladue. Toutefois, il y avait beaucoup de formation à faire aux agent-e-s pour qu’ils puissent faire une analyse cohérente des dossiers. Dans les faits, l’examen des antécédents sociaux des détenu-e-s leur nuisait au lieu de les aider. Par exemple, si le taux de criminalité de la communauté d’un détenu était très élevé, l’agent-e recommandait que la ou le détenu-e ne retourne pas dans sa communauté, plutôt que d’essayer de comprendre les causes de ce taux de criminalité élevé (tel que l’éloignement et la dépossession). Les agent-e-s considéraient ces informations comme des éléments de contexte plutôt que comme des éléments contributifs.
En quoi le système de justice pénale colonial canadien est-il fondamentalement différent des traditions juridiques autochtones en matière de Justice ?
Les notions éthiques des Premières Nations et des Inuit portent une conception des valeurs et de la justice complètement différentes de celles coloniales. Si on regardait les notions éthiques de ces peuples, on comprendrait bien des choses, mais on ne le fait pas beaucoup même si on est censé le faire depuis le rapport Gladue. Par exemple, dans le système colonial, on te considère comme innocent jusqu’à preuve du contraire. On doit donc essayer de donner le moins d’informations possible pour obtenir la plus petite sentence, les meilleures conditions, et une cote sécurité minimale. Ce sont toutefois des notions étrangères et inutiles pour un ou une détenu-e autochtone. Dans les conceptions autochtones, c’est complètement un affront si tu as fait quelque chose et que tu ne peux pas en parler ; les Autochtones et les Inuit vont reconnaître leur responsabilité tout de suite. Aussi, être incarcéré, c’est complètement se dispenser de sa responsabilité à réparer ce que la ou le détenu-e autochtone a fait. On l’enlève de sa communauté, mais pour lui, il doit y retourner pour aller réparer ce qu’il a fait, dédommager la victime et sa famille.Quelles seraient, selon vous, les pistes de solution pour contrer la surincarcération des Autochtones?
Il y a des initiatives prometteuses dans tout le pays. Le problème majeur est que ces programmes souffrent souvent d’un manque de pérennité. Le programme est bon pour un certain temps, mais on ne dispose pas du temps nécessaire pour évaluer ses retombées, et ensuite il n’y a plus d’argent pour le poursuivre. En matière de justice, par exemple, le Centre Waseskun a une délégation du fédéral qui lui permet de garder des détenu-e-s qui ont une cote de sécurité minimale. Toutefois, le Centre Waseskun est assujetti à toutes les directives du commissaire et du service correctionnel. Je l’ai vécu de l’intérieur, il y tellement un choc de culture et de valeurs. Il y a aussi le Centre résidentiel communautaire Kapatakan qui fonctionne bien, mais qui doit continuellement naviguer à travers un mode de gouvernance tripartite avec des délégations du provincial et fédéral. Les initiatives autochtones, c’est positif, car ça permet de renouer avec sa culture. Renouer avec sa culture permet d’aller à l’intérieur de soi, et renouer avec des choses de ton passé et réfléchir sur des choses qui t’ont blessé-e. C’est important. Mais ce n’est pas suffisant. Pour contrer la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral, il faut aller plus loin que mettre en place des initiatives autochtones au sein du système carcéral, ou déléguer certains services aux communautés : il faut procéder à un transfert des responsabilités et du financement aux communautés autochtones en matière de justice. Il faut que les peuples autochtones puissent exercer leur droit à l’autodétermination dans tous les domaines, incluant la justice. La nouvelle loi fédérale C-921 est d’ailleurs un parallèle très inspirant à faire. Depuis que la nation atikamekw d’Opitciwan a sa propre loi en matière de protection de la jeunesse, il n’y a plus de cas judiciarisés dans le système de protection de la jeunesse du Québec, ce qui veut dire qu’il y a plein d’enfants qui restent dans leur famille et au sein de leur nation. La Loi C-92, c’est vraiment un bel exemple. J’espère qu’elle va ouvrir la voie à d’autres formes de gouvernance en matière de justice. La surreprésentation des Autochtones en milieu carcéral, surtout la surreprésentation des femmes autochtones, c’est une tragédie nationale. Je suis une abolitionniste et je pense qu’on devrait recommencer à zéro. C’est utopique, mais il faut radicalement changer les choses.L’article La prison comme institution coloniale est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Quand la prison fait mourir
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Quand la prison fait mourir
Catherine Chesnay, professeure à l'École de travail social de l'UQAM Mathilde Chabot-Martin, candidate à la maîtrise en travail social à l'UQAM En novembre 2019, Michelle Messina, également connue sous le pseudonyme Madame M, s’est enlevée la vie dans sa cellule de l’Établissement de détention Leclerc de Laval. Quelques mois plus tard, le 20 mai 2020, Robert Langevin, un homme de 72 ans incarcéré à l’Établissement de détention de Montréal (Bordeaux) en attente de son procès, a succombé à la COVID-19. Dès le 19 mars 2020, la Ligue des droits et libertés (LDL) a fait valoir les droits des personnes incarcérées et œuvré à ce qu’un maximum de personnes puissent sortir de prison. À la demande des proches de personnes incarcérées ainsi que de la famille de Robert Langevin, la LDL a aussi tenté d’obtenir plus d’informations sur les derniers moments de M. Langevin, sur les soins qui lui ont été prodigués. Tout au long de ces démarches, la LDL a dénoncé l’opacité des services correctionnels. Le 24 décembre 2022, Nicous D’Andre Spring, un homme noir de 21 ans détenu illégalement à Bordeaux est décédé des suites d’une intervention violente des agents correctionnels. Récemment, en l’espace de quelques mois seulement, deux femmes sont décédées à l’Établissement Leclerc, l’une par suicide (novembre 2023) et l’autre de causes dites naturelles (janvier 2024). [caption id="attachment_19979" align="alignright" width="380"]
Imprécision des causes de décès
L’importante proportion de décès classés comme suicide s’inscrit en continuité avec les recherches sur les décès en prisons menées dans le Nord global (par ex., voir Bensimon, Liebling), ainsi qu’avec celles menées par Jean Claude Bernheim en 1997, démontrant l’influence des conditions de détention sur le nombre de suicides. Ainsi, de façon non exhaustive, le régime d’incarcération, l’architecture carcérale, la cote de sécurité de l’établissement, l’accès aux soins de santé, les transferts d’établissement, et toute forme d’isolement ou de confinement sont des éléments ont des effets importants sur les taux de suicide. En ce sens, la hausse des suicides nous renseigne sur une certaine dégradation des conditions d’incarcération, s’étant exacerbée au moment de la pandémie de COVID-19. Les décès classés comme mort naturelle par le MSP, entendus comme tous les décès découlant d’une maladie ou d’une complication associée à une maladie, soulèvent aussi plusieurs questions. Selon nos analyses, l’évolution du taux de mort naturelle pendant la période ne suit pas de tendance claire ou significative, rendant inutile une analyse chronologique de leur distribution. C’est plutôt la stabilité dans le nombre de morts naturelles qui nous invite à nous questionner sur les conditions de détention, ainsi que l’accès à des soins de santé adéquats pour les personnes incarcérées. Dans presque tous les rapports annuels produits, le Protecteur du citoyen dénonce l’insalubrité des établissements de détention ainsi que des mesures d’hygiène défaillantes1. La LDL s’est également maintes fois manifestée dans l’espace public pour dénoncer les violations du droit à la santé dans les prisons provinciales. L’accès à des soins de santé de qualité équivalents à ceux offerts à l’extérieur des murs de la prison est aussi un enjeu majeur, tel que souligné par le Protecteur du citoyen. Finalement, en ce qui concerne les décès classés comme mort de cause indéterminée, ceux-ci soulèvent également plusieurs questions, tant sur leurs causes, que sur la classification des décès. D’une part, les documents fournis aux chercheuses et chercheurs par le MSP ne contiennent aucune information concernant les critères utilisés pour établir qu’une mort est de cause indéterminée. La classification en devient à la fois si vaste et si imprécise que des décès survenant dans des circonstances très variées pourraient s’y retrouver. Par exemple, un récent rapport du Bureau du Coroner de l’Ontario souligne la hausse du nombre de décès attribuable aux surdoses dans les prisons provinciales2. Or, selon la classification actuelle des décès, la seule catégorie qui pourrait capter ces décès est celle de cause indéterminée. Or, du fait de l’imprécision de cette catégorie, il est impossible de vérifier si le même phénomène se joue dans les prisons québécoises. À la lumière des analyses des taux de décès pour chaque catégorie, il en ressort que le système de classification des décès est à la fois un révélateur du contexte dans lequel ces décès se produisent, mais aussi, de l’opacité des mécaniques institutionnelles qui entourent la mort en prison.Plus de questions que de réponses
Les données que nous avons présentées soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. D’abord, ces dernières reposent sur des documents fournis par le MSP, obtenus grâce à 11 demandes d’accès à l’information s’échelonnant sur quatre années. Les documents obtenus reposent sur des classifications préétablies et sur l’interprétation des employé-e-s des services correctionnels. Ils n’offrent donc qu’une vision partielle (et même partiale) des évènements qui se déroulent dans les prisons provinciales. Ensuite, la qualité même des données est questionnable. En plus de noter des différences entre les documents que nous avons obtenus, une autre équipe de recherche (Tracking (In)justice)3, ayant mené une démarche similaire d’accès à l’information, a obtenu une liste comportant 52 décès supplémentaires à celle que nous avons obtenue pour la même période. Bien que nous ayons demandé une clarification au MSP au sujet de cette disparité, nous n’avons pas obtenu de réponse de leur part. Nous faisons l’hypothèse que cette différence est en partie attribuable à l’inclusion des décès de personnes suivies par les services correctionnels dans la communauté dans les données fournies à l’équipe de recherche de McClelland. Néanmoins, avec les informations dont nous disposons, on ne peut infirmer ou confirmer cette hypothèse.[…] le système de classification des décès est à la fois un révélateur du contexte dans lequel ces décès se produisent mais, aussi, de l’opacité des mécaniques institutionnelles qui entourent la mort en prison.L’enjeu de la piètre qualité des données correctionnelles provinciales a déjà été soulevé à maintes reprises, par différents actrices et acteurs, et dans plusieurs juridictions canadiennes. En 1997, Bernheim faisait état du peu de fiabilité des données issues des services correctionnels. Au Québec, le système de gestion des données carcérales, soit le système DACOR (dossier administratif correctionnel), est reconnu comme étant obsolète et peu convivial à l’usage. Il contient des informations judiciaires sur les personnes incarcérées, mais aussi des données démographiques et des informations sur leurs antécédents médicaux, entre autres. Le manque de rigueur avec lequel les données carcérales sont consignées se répercute non seulement sur les personnes incarcérées elles-mêmes (incarcération qui dépasse les délais judiciaires ; manque d’information sur le risque suicidaire, etc.), mais également sur la possibilité de brosser un portrait fiable de la population carcérale. Ce même phénomène a par ailleurs été soulevé en Ontario dans un rapport du Bureau du coroner en 2023 faisant état d’enjeux de fiabilité et de transparence des données des services correctionnels de la province4. D’ailleurs, dans le cadre de recommandations pour prévenir les décès en détention, on suggère notamment la mise sur pied d’une stratégie sur la transparence et la qualité des données correctionnelles.
Toujours un décès de trop
À ce stade-ci de nos analyses, bien que nos données ne nous permettent pas d’articuler des analyses sur les causes et les circonstances de chaque décès, nous ne pouvons pas éluder le caractère mortifère de la prison. D’emblée, souli-gnons que le personnel correctionnel peut être directement impliqué dans le décès d’une personne incarcérée. C’est d’ailleurs ce qui est en jeu dans le décès de Nicous D’Andre Spring. Cependant, les personnes impliquées ne se retrouvent que rarement devant une cour de justice — faisant des accusations criminelles l’exception et non la règle. Une exception notable est la poursuite criminelle d’un agent correctionnel, au Manitoba, pour des accusations de négligence et de non- assistance à une personne à la suite du décès d’un homme Anishinaabe de 45 ans. Son décès le 7 février 2021 faisait suite à une intervention d’agents correctionnels durant laquelle il avait répété à 27 reprises ne pas pouvoir respirer5. Soulignons aussi que l’inaction du personnel correctionnel en ce qui a trait à des mesures de soin et de prévention, conjuguée avec des pratiques disciplinaires et des techniques de contention, peut aussi entraîner des conséquences mortifères. Sept ans après le décès de Soleiman Faqiri et au terme d’une lutte acharnée de sa famille, le jury appelé dans le cadre de l’enquête du Bureau du coroner de l’Ontario a conclu en décembre 2023 que son décès devait être considéré comme un homicide. Son incarcération alors qu’il était en crise, l’absence totale de services en santé mentale ainsi que l’escalade de la réponse correctionnelle (allant de l’isolement à l’usage de mesures de contention) sont tous des éléments ayant mené à son décès6. Les conclusions de l’enquête, tenue avec des audiences publiques, ne sont toutefois pas contraignantes, elles visent uniquement à informer le public sur les circonstances du décès. Dans son rapport, le jury, formé de cinq membres de la collectivité, a émis plus de 57 recommandations, incluant la création d’un organisme indépendant pour enquêter sur chaque décès de personnes incarcérées ainsi que sur les enjeux systémiques.Plus que compter les morts
Bien que chaque mort soit unique, et que les causes et circonstances soient toujours différentes, il en ressort que chacune d’entre elles révèle simultanément les failles d’un système correctionnel déficient et mortifère. Or, l’absence de surveillance institutionnelle des décès en prison — se manifestant, entre autres, par l’inhabilité à compter avec exactitude le nombre de morts qui s’y produit et à en identifier la cause dans 28 % des cas — est symptomatique d’une certaine banalisation de la mort entre ces murs. La prison (re)produit les violences coloniales, racistes, sexistes, capacitistes, en toute impunité. En milieu carcéral, certains corps considérés comme irrécupérables par l’institution en raison de leur identité de genre, de leur état mental ou de certaines caractéristiques physiques sont plus exposés à la mort7. Se questionner sur la mort en prison va donc au-delà de « compter les morts » ; il s’agit d’interroger pourquoi autant de personnes meurent en prison et de réfléchir à la manière dont les morts sont comprises, classifiées et, surtout, ignorées.- En ligne : https://protecteurducitoyen.qc.ca/fr/enquetes/rapports-annuels/2022-2023
- Office of the Chief coroner, An obligation to prevent - Report from the Ontario Chief Coroner’s Expert Panel on Deaths in Custody, 2023.
- En ligne : https://trackinginjustice.ca/
- Office of the Chief coroner, 2023.
- En ligne : https://www.aptnnews.ca/national-news/i-cant-breathe-court-sees-video-of-guards-overpowering-inmate-william-ahmo/
- En ligne : https://toronto.ctvnews.ca/soleiman-faqiri-s-jailhouse-death-ruled-a-homicide-1.6683448 En ligne : https://globalnews.ca/news/10167257/faqiri-family-coroners-inquest/
- Bromwich, Theorizing the Official Record of Inmate Ashley Smith : Necropolitics, Exclusions, and Multiple Agencies. Manitoba Law Journal, 2017 ; A. Mbembe, Nécropolitique, 2006 ; Razack, It Happened More Than Once : Freezing Deaths in Saskatchewan, Canadian Journal of Women and the Law, 2014. En ligne : https://doi.org/10.3138/cjwl.26.1.51 ; C. M. Zhang,Biopolitical and Necropolitical Constructions of the Incarcarated Trans Body, Columbia Journal of Gender and Law, 2019.
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L’enfermement en centre jeunesse
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L'enfermement en centre jeunesse
Ursy Ledrich, membre du Collectif Ex-Placé DPJ Lorsqu’un jeune est placé pour sa protection dans une famille d’accueil ou en foyer de groupe et qu’il se met à déconner, très vite, il peut être amené en centre jeunesse. Ces lieux d’enfermement sont vécus comme des prisons pour nous puisque la manière de fonctionner de ces endroits ressemble beaucoup aux prisons pour adultes, par son architecture et ses pratiques. Pour nous, le fait d’enfermer quelqu’un, de l’isoler et de réduire sa capacité de bouger, c’est comme se faire amputer d’un pied ou d’une main. Nous disons cela parce que d’après nous, être enfermé, ça fait mal, ça laisse des traces et des conséquences. Il est clair aussi pour nous que la prison n’est pas une solution, surtout pour de jeunes mineurs. Dans son livre sur les traumas complexes, la docteure Delphine Collin-Vézina affirme que les traumas complexes surviennent lorsqu’un enfant subit, à des périodes vulnérables de son développement, des expériences interpersonnelles qui impliquent souvent la trahison ainsi qu’un tort direct au moyen de différentes formes d’abus, de négligence ou d’abandon et qui se répètent dans le temps. Cela engendre de la méfiance envers les individus qui sont censés assurer sécurité et protection. Par exemple, une institution, telle que le centre jeunesse, peut être la cause d’un trauma complexe. Lorsqu’un jeune subit de l’enfermement de la part de l’institution qui est censée le protéger, il ressent un sentiment d’injustice et de trahison, favorable au traumatisme institutionnel et au développement du sentiment d’impuissance ou de résignation acquise. Le fait de vivre dans un corps nécessite d’apprendre son fonctionnement et ses limites. Vous n’êtes pas sans savoir qu’être enfermé entrave et perturbe le développement et le fonctionnement dit normal. C’est comme si un écart s’installe entre l’esprit, le corps, et l’âme qui sont affectés par ces expériences carcérales.« Je crois que lorsqu’on enferme un jeune pour avoir pris une mauvaise décision, on le prive de vivre ses émotions pleinement. On choisit d’enfermer les enfants avec leurs émotions, au lieu de chercher à comprendre pourquoi le jeune vit ces émotions. »
Témoignage de Yami
Nous sommes conscients que la recon- naissance du vécu passe par la prise de parole et l’expression libre des person- nes concernées. Voilà pourquoi nous partageons le témoignage de Yami, cofondateur et membre du Collectif.« J’ai connu la prison et l’enfermement dans différents contextes et milieux. Ma première expérience d’enfermement a débuté avec la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA) à l’âge de 12-13 ans quand j’ai été placé dans les centres jeunesse.
« Chaque fois que tu te fais mettre en chambre d’isolement ou en prison, tu restes avec des séquelles de ce passage en isolement ou en prison. Tu peux aussi à la longue développer des symptômes de claustrophobie, surtout si tu passes plusieurs jours enfermés.
« Selon moi, la prison pour les jeunes ou les adultes, c’est pratiquement similaire. Je suis passé par les deux et d’après mon expérience, il n’y a pas vraiment de différence entre les deux. »
Témoignage d’Esteban
« Je me souviens lorsque j’étais placé au centre jeunesse, on m’avait mis dans une cellule d’isolement parce que j’avais mangé un biscuit au mauvais moment. Je crois que lorsqu’on enferme un jeune pour avoir pris une mauvaise décision, on le prive de vivre ses émotions pleinement. On choisit d’enfermer les enfants avec leurs émotions, au lieu de chercher à comprendre pourquoi le jeune vit ces émotions. Ça manque de chaleur !
« L’enfermement force mentalement à ne plus faire confiance aux gens qui t’entourent, encore moins au système mis en place pour te protéger. D’ailleurs, te protéger contre quoi ?
« Lorsque l’on sort des centres jeunesse, nous sommes traumatisés et nous vivons constamment dans la peur et la méfiance. Est-ce qu’on cherche à nous protéger du manque d’amour que nos géniteurs n’ont pas su donner correctement ? Ou c’est simplement parce que nous n’avons pas eu de parents ?
« Que signifie l’intérêt supérieur d’un enfant lorsqu’on l’oblige à vivre en centre jeunesse afin de le protéger de ses parents, mais qu’on lui fait vivre des violences institutionnelles ?
« On enferme des enfants dans des conditions de vie qu’on peut qualifier de négligences institutionnelles et d’abus de pouvoir. Entre nous les jeunes, on appelait cela la prison pour enfant. À la moindre occasion, nous étions menacés qu’un agent de sécurité soit appelé pour nous amener dans la cellule d’isolement. Entre nous les jeunes, on appelait ça le trou. À de nombreuses reprises, j’ai été envoyé au trou.
« J’ai déjà vu des jeunes ensanglantés là-bas, malmenés par les agents de sécurité. Nos plaintes n’aboutissent jamais puisque c’est la protection de la jeunesse qui enquête sur la protection de la jeunesse. C’est comme lorsque la police enquête sur la police. Tout ce que nous faisions là-bas, c’était de perdre notre temps et notre énergie à nous battre contre les murs. J’ai souvent frappé ces murs de béton, jusqu’à m’en écorcher les jointures.
« Je me sentais comme un animal dans une cage, à faire et refaire des réflexions jusqu’à ce que les intervenants soient satisfaits de mes réponses. Cela pouvait durer jusqu’à une semaine. Une semaine de torture mentale à essayer de flatter l’intervenant dans le sens du poil afin de pouvoir rejoindre mon unité pour vivre un semblant de socialisation, tout en étant surveillé en permanence.
« J’en fais encore des cauchemars aujourd’hui à cause du froid et du vide que je ressentais à chaque fois que je rentrais dans une salle d’isolement. J’en pleurais de tout mon corps chaque fois que j’y étais envoyé. »
Pour en savoir davantage Consulter l’article de Nicolas Sallée, Discipline et droits dans les unités d’enfermement pour jeunes contrevenants publié dans Droits et libertés, 2021.L’article L’enfermement en centre jeunesse est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Le politique, le Code criminel et la prison
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Le politique, le Code criminel et la prison
Jean Claude Bernheim, criminologue et membre du comité de rédaction de la revue et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertés Il est commun de dire que tout est politique. En ce qui concerne certains faits et gestes, LE politique est incontournable. En effet, dans un État de droit, la criminalisation de certains comportements, choisis parmi d’autres, implique qu’ils doivent être inscrits dans la loi pour être considérés comme des crimes. C’est ce qui prévaut dans le Code criminel. Examinons tout d’abord le vol. L’article 322 (1) prévoit que « Commet un vol quiconque prend frauduleusement et sans apparence de droit, ou détourne à son propre usage ou à l’usage d’une autre personne, frauduleusement et sans apparence de droit, une chose quelconque, animée ou inanimée …». C’est simple, clair et facile à comprendre. [caption id="attachment_19976" align="alignleft" width="448"]

Confrontés à un seul type de voleur, l’image d’une société compartimentée ne peut que s’imposer, et ainsi conforter la pratique du profilage social.Dans l’introduction de son point de vue sur Le droit pénal dans la société canadienne, sans remettre en question les fondements du système de justice criminelle, Mᵉ Jean Chrétien, alors ministre fédéral de la Justice, posait, en 1982, quelques questions que l’on peut considérer encore aujourd’hui comme d’une grande actualité, bien qu’elles seraient assurément formulées autrement.
« Doit-on régler les querelles domestiques1, qui souvent comportent des actes de violence ou des menaces, en portant des accusations criminelles ou doit-on essayer de réconcilier les parties grâce à la médiation des organismes de services sociaux ? Doit-on criminaliser les infractions dites “sans victimes” ou “consensuelles” comme l’usage abusif des drogues, la prostitution, les jeux de hasard et la pornographie ? Doit-on soumettre les infractions mineures contre les biens au processus ordinaire du système pénal même si le contrevenant est disposé à indemniser la victime ? Doit-on considérer une personne morale comme criminelle si, au lieu de respecter ses obligations à l’égard de la protection de l’environnement, elle se contente de payer les amendes qu’elle encourt pour la violation répétée des règlements ? Doit-on encourager, tolérer ou interdire la “négociation des plaidoyers” ?2 ».
Toutes ces questions, et bien d’autres, devaient être « soumises à la considération du Parlement et du public au cours des prochaines années ». Nous attendons toujours.Comment expliquer un tel constat?
Gérard Loriot résume bien le concept de pouvoir politique : « C’est la capacité que possède un groupe d’obliger d’autres groupes à faire ou à ne pas faire quelque chose, sous peine de sanction, grâce au monopole de la force que ce groupe exerce sur un territoire. Mais le pouvoir politique génère sans cesse des conflits, parce que les humains font rarement l’unanimité quant à son exercice ». Loriot précise que « les sociétés modernes ont tendance à trouver des produits de remplacement au pouvoir politique et à échanger la force, la violence et les armes, fondement de ce pouvoir, contre des images et des messages moins brutaux. Plus une société devient développée sur le plan politique, plus elle cherche à cacher la violence que constitue le pouvoir et à la remplacer par des luttes idéologiques, des symboles, des idéogrammes, des uniformes, des suggestions qui l’apparentent à l’influence3 ». Selon Althusser, « il est indispensable de tenir compte, non seulement de la distinction entre pouvoir d’État et appareil d’État, mais aussi d’une autre réalité qui est manifestement du côté de l’appareil (répressif) d’État, mais ne se confond pas avec lui [...] les appareils idéologiques d’État dont la religion, l’école, la famille, le droit, le système politique, les syndicats, l’information, la culture font partie4 ». Ainsi, le pouvoir de l’État consiste en l’adoption de législations qui vont assurer la mise en place des appareils idéologiques d’État pour en assurer la pérennité. Quant au fonctionnement des prisons et des pénitenciers, tout comme celui des écoles et du système de santé, il est la résultante des prescriptions législatives adoptées en toute connaissance de cause par les député-e-s. C’est d’ailleurs ce que résume bien Angela Davis :« Depuis les années 1980, le système carcéral est de plus en plus imbriqué dans la vie économique, politique et idéologie des États-Unis ainsi que dans la distribution internationale des marchandises, de la culture et de l’idéologie états-uniennes. Par conséquent, le complexe carcéro-industriel représente bien plus que la somme de toutes les prisons de notre pays. C’est un réseau de liens symbiotiques tissé entre les communautés pénitentiaires, les sociétés multinationales, les conglomérats des médias, les syndicats de gardiens de prison et les institutions législatives et judiciaires5».
Les articles du présent numéro donnent une bonne idée de la réalité que LE politique instaure et cautionne sans état d’âme.- Notons qu’il s’agit d’une terminologie d’une autre époque.
- Jean Chrétien, Le droit pénal dans la société canadienne, Ottawa, août 1982, 9.
- Gérard Loriot, Pouvoir, idéologies et régimes politiques, Éditions Études Vivantes, Laval, 1992, 57 et 62.
- Louis Althusser, Idéologie et appareils idéologiques d’État, La Pensée, 1970 ; Positions, Paris, Éditions sociales, 1976, 67-125.
- Angela Yvonne Davis, La prison est-elle obsolète? traduit de l’anglais (États-Unis) par Nathalie Peronny, Vauvert, Au Diable Vauvert, 2014. En ligne, version 2017 : https://paris-luttes.info/IMG/pdf/davis_prison.pdf
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Apprendre ensemble l’innu-aimun
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Apprendre ensemble l’innu-aimun
Isabelle Jourdain, Innue, conseillère en développement de la langue innue, Institut Tshakapesh Si on recule dans le temps, dans l’histoire du Canada, le Canada a toujours tenu des dispositions dans sa législation pour assimiler et émanciper les Indiens ou les Sauvages, notamment par l’adoption de la Loi sur les Indiens en 1876. En effet, cette Loi forçait les Indiens à s’émanciper1 entre autres en allant aux études supérieures ce qui entrainait automatiquement la perte de leur statut d’Indien. Certains articles ont été abrogés à ce jour parce qu’ils ont été considérés à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne. D’ailleurs, les pensionnats destinés aux enfants autochtones ont vu le jour vers les années 1880 et le dernier a fermé ses portes fin 1990. Ce système a été imposé aux peuples autochtones dans le cadre d’un vaste ensemble d’efforts délibérés d’assimilation visant à détruire leurs cultures, leurs identités et en voulant tuer l’Indien dans l’enfant. Il est important de considérer ces raisons majeures qui ont joué un rôle déterminant dans l’enseignement et l’apprentissage des langues autochtones. Ce sont ces obstacles qui ont mené à une crise identitaire et une réappropriation de la culture. De ces faits, l’Institut Tshakapesh, un organisme politique de défense des droits des Premières nations atikamekw et montagnais (autrefois le CAM), a été créé en 1978. C’est grâce à la demande d’aînées constatant une grande diminution de la langue et de la culture innue que cet établissement a vu le jour. Aujourd’hui, l’Institut Tshakapesh est au service des communautés membres et de la Nation innue, œuvre à la sauvegarde et à la promotion de l’innuaitun (culture innue) et de l’innu-aimun (langue innue) ; il assure un soutien à la conservation du patrimoine culturel à l’aménagement linguistique et encourage l’expression artistique. L’Institut Tshakapesh joue un rôle déterminant dans l’éducation notamment dans la réussite éducative et le développement identitaire de la jeunesse innue.Il est important de considérer ces raisons majeures [les efforts délibérés d’assimilation] qui ont joué un rôle déterminant dans l’enseignement et l’apprentissage des langues autochtones. Ce sont ces obstacles qui ont mené à une crise identitaire et une réappropriation de la culture.
Des obstacles à la préservation de la langue
Le principal obstacle à l’enseignement et à l’apprentissage de la langue innue est éventuellement le nombre d’heures de cours donnés en classe. Il est clair qu’une heure de cours par semaine en innu-aimun n’est pas suffisant pour sauvegarder la langue. L’application des exigences du ministère de l’Éducation dans les établissements scolaires des communautés fait en sorte qu’il n’est pas envisageable d’avoir un nombre d’heures d’enseignement plus élevé. De plus, l’effervescence de la technologie numérique dans les langues dominantes a pris une place majeure dans les communautés. Les étudiantes qui sont dans l’obligation de quitter leur communauté pour aller étudier dans les centres urbains rencontrent aussi des obstacles quant à l’apprentissage de la langue innue.Apprendre ensemble
Dans un autre ordre d’idée, l’Institut Tshakapesh travaille en étroite collaboration avec plusieurs partenaires afin de préserver et promouvoir la culture et la langue innue. Pour nommer que quelques travaux entamés et réalisés, il a Innuaimun.ca, un site web trilingue que toute personne qui s’intéresse à la langue innue peut consulter. Un large éventail d’outils s’y trouvent, tels que : le dictionnaire en ligne, la grammaire, les histoires orales, une série d’une dizaine de leçons avec une soixantaine d’exercices interactifs et bien plus encore. Il y a également le programme d’aide aux artistes et artisannes innues qui représente un appui financier pour l’avancement de la carrière d’un artiste ou d’un artisan faisant partie d’une communauté membre de l’Institut Tshakapesh. Le comité Auetissmak Kaianuet formé d’enseignants du préscolaire ainsi que d’enseignants en innu-aimun organise des rencontres afin de mieux les outiller et partager leurs réussites. Il y a également des ateliers de transmission de la culture donnés par les aînées.En chantier
L’aménagement linguistique est un plan où les réalités linguistiques propres à chaque communauté sont prises en considération afin de développer la meilleure stratégie pour la promotion et la défense de la langue innue. En somme, les obstacles liés à l’enseignement et l’apprentissage des langues sont encore bien présents. Cependant, les projets entamés et réalisés permettent aux communautés desservies par l’Institut Tshakapesh de promouvoir et préserver la langue innue et la culture dans le contexte actuel, en cette Décennie des langues autochtones. C’est en se réappropriant notre culture et notre identité et en faisant la paix avec le passé que nous allons trouver un moyen de s’affranchir dans toutes les domaines de nos vies autant pour les jeunes que pour les adultes.L’article Apprendre ensemble l’innu-aimun est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Le Protecteur du citoyen, un pouvoir limité
Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2024
Le Protecteur du citoyen, un pouvoir limité
Daniel Poulin-Gallant, criminologue, directeur chez Alter Justice Le Protecteur du citoyen (PC) joue un rôle bien particulier qu’il est important d’examiner. Créée en 1968 à la suite de l’adoption de la Loi sur le Protecteur du citoyen (LPC), cette organisation a le mandat de recevoir, d’examiner et de traiter les plaintes des citoyen-ne-s envers l’administration publique1. Sa mission est d’assurer le respect des droits des citoyen-ne-s dans leurs relations avec les services publics ainsi que de veiller à l’intégrité et à l’amélioration desdits services. Le PC se veut donc, en quelque sorte, le chien de garde de la société vis-à-vis du gouvernement du Québec. [caption id="attachment_20273" align="aligncenter" width="448"]
Artistes : Caroline, Marie-Pier, Esther, Mélanie.[/caption] L’organisation a le rôle tout particulier d’être l’ombudsman correctionnel en ce qui concerne les prisons gérées par le gouvernement du Québec. Il surveille donc les instances de contrôle des populations criminalisées et de la gestion des sentences ordonnées par l’appareil de justice pénale. Autrement dit, le PC scrute les actions du ministère de la Sécurité publique et des établissements de détention afin de s’assurer qu’ils respectent leurs obligations légales et les droits des personnes incarcérées. Son rôle est similaire à celui des organismes parapublics que l’on retrouve dans d’autres provinces (Ombudsperson British Columbia, Alberta Ombudsman, Ombudsman Ontario, etc.).
Des constats récurrents
Dans ses rapports annuels – et ses rapports d’enquêtes spéciales – plusieurs constats reviennent de façon assez régulière, et ce, depuis au moins le début des années 1980. Il est question entre autres d’atteintes aux droits des personnes incarcérées prévus dans la Loi sur le système correctionnel du Québec et protégés par les Chartes québécoise et canadienne, de délais et d’attentes déraisonnables pour avoir accès à des services de base (soins de santé, programmes, visites, etc.) ainsi que de lacunes dans la gestion des sentences. Les rapports annuels d’Alter Justice, organisme en défense des droits des personnes judiciarisées et incarcérées, abondent en ce sens. Lorsque le PC reçoit des plaintes des citoyen-ne-s, en communauté ou en prison, une évaluation est effectuée afin de savoir si la plainte est recevable. La plainte peut ensuite être prise en compte et examinée, ou rejetée. Il arrive aussi qu’aucune suite ne soit donnée aux plaintes, parce que la personne plaignante qui était incarcérée a été libérée avant le traitement de sa plainte. En 2022-2023, un peu moins de 10 % des appels et des plaintes déposées au PC ont été considérées comme fondées. Cette faible proportion est constante depuis au moins 2018-2019. C’est donc dire que la majorité des plaintes sont jugées non fondées ou sont réorientées vers d’autres ressources externes2. Est-ce le rôle de l’organisation qui est mal compris par la population carcérale, comme on l’entend parfois, ou la situation appelle-t-elle plutôt à examiner le traitement des plaintes qu’effectue le PC et à envisager une réforme de son rôle ?L’opacité des travaux et enquêtes du Protecteur du citoyen en matière correctionnelle fait écho à l’opacité des services correctionnels du Québec. Comment faire, dans une telle situation, pour obtenir de l’information claire, précise et à grande échelle sur les réalités carcérales ?Cette question mérite d’être posée et fait écho aux expériences partagées par des femmes interviewées dans le cadre d’une recherche d’Ismehen Melouka (2021), candidate au doctorat en criminologie à l’Université de Montréal3. Les femmes rencontrées à l’Établissement de détention pour femmes de Laval (appelé le Leclerc) ont presque toutes mentionné que les processus de plaintes ne leur sont pas expliqués et que c’est souvent par les propos rapportés par d’autres détenues qu’elles s’informent. Les intervenant-e-s d’Alter Justice entendent aussi de tels témoignages dans leur pratique, et ce, assez régulièrement. Pourtant, l’information nécessaire à la défense de ses droits devrait être clairement offerte aux personnes incarcérées par les autorités carcérales. Des femmes interrogées par Melouka font également part du fait qu’elles se retiennent de formuler des plaintes, non seulement par manque de connaissances, mais également par manque de confiance, par peur de représailles par des agents correctionnels et d’autres détenues, ainsi que par crainte d’aggraver la situation. Et lorsque des femmes entreprennent un processus de plainte, plusieurs conséquences sont relatées, telles qu’une perte de privilèges (se promener librement, travailler et passer du temps à l’extérieur de la cellule) et des mesures disciplinaires non justifiées à leur endroit ainsi qu’à l’ensemble de leur unité (obligation d’effectuer des travaux, fouilles de cellules abusives et deadlocks). Nombreux sont les témoignages de personnes disant que « cela ne sert à rien » ou relatant que la situation problématique n’a pas changé à la suite d’une plainte. Le PC n’évalue pas l’appréciation des personnes incarcérées concernant son traitement des plaintes. En réponse à une demande d’accès à l’information, le PC déclarait en juin 2023 que « les personnes incarcérées ne sont pas sondées dans le cadre de [ses] sondages de satisfaction de la clientèle ». Mentionnons par ailleurs que les rapports annuels du PC ne font pas mention des problématiques sur lesquelles l’organisation se penche et de celles sur lesquelles elle refuse de se pencher. En effet, les rapports annuels et les informations rendues publiques sont avares de détails, outre quelques cas triés sur le volet et présentés dans des encadrés. Il est difficile dans un tel contexte de connaître la nature des informations transmises par l’équipe du PC aux personnes incarcérées et la pertinence de ces informations.
Visites des établissements de détention par le Protecteur du citoyen, 2015-2023
Établissements | 2015- 2016 | 2016- 2017 | 2017- 2018 | 2018- 2019 | 2019- 2020 | 2020- 2021 | 2021- 2022 | 2022- 2023* | Total |
Amos | 1 | 1 | |||||||
Baie-Comeau | 1 | 1 | |||||||
Montréal- Bordeaux | 1 | 1 | 1 | 2 | 5 | ||||
Hull | 1 | 1 | 2 | ||||||
Leclerc-Laval | 2 | 1 | 1 | 1 | 1 | 6 | |||
New-Carlisle | 1 | 1 | 1 | 3 | |||||
Percé | 1 | 1 | 2 | ||||||
Québec (homme) | 1 | 1 | 1 | 3 | |||||
Québec (femmes) | 1 | 1 | 2 | ||||||
Rivières-des- Prairies (RDP) | 1 | 1 | 1 | 3 | |||||
Rimouski | 1 | 1 | 1 | 3 | |||||
Roberval | 1 | 1 | 1 | 3 | |||||
Sept-Iles | 1 | 1 | |||||||
Sherbrooke | 1 | 1 | 1 | 1 | 4 | ||||
Sorel | 1 | 1 | 1 | 1 | 4 | ||||
Saint-Jérôme | 1 | 1 | 1 | 1 | 4 | ||||
Trois-Rivières | 1 | 1 | 1 | 3 | |||||
Total | 14 | 11 | 3 | 5 | 3 | 4 | 2 | 8 | 50 |
Peu de collaboration avec le communautaire
Les organismes travaillant en défense collective des droits mentionnent n’avoir pas ou peu de relation avec le PC. Aucune mention n’est faite sur le site Web du PC concernant une collaboration avec des organisations de la société civile, par exemple des organismes communautaires œuvrant pour la défense des droits des personnes incarcérées. La seule exception se trouve dans le plan stratégique 2023-2028, où il est fait mention de partenaires autochtones et inuit. Autrement, la seule mention d’organisations, sans en préciser la nature, se retrouve dans le processus de plaintes, signalant que celles-ci peuvent être déposées au nom de citoyen-ne-s. Cela suggère que pour le PC, le rôle des organismes communautaires se résume à une courroie de transmission des plaintes des populations visées. Cela donne une apparence de travailler en solo, tout en se souciant peu de la rétroaction des organismes sur le terrain, alors que ceux-ci soutiennent les personnes vivant des difficultés et peuvent identifier des problématiques systémiques au sein du système carcéral.Un manque de transparence
Le PC effectue très peu de visites des établissements de détention du Québec, ce qui soulève des questions sur son travail d’enquête. Selon des données obtenues par le biais de la Loi de l’accès à l’information4 par la Ligue des droits et libertés (LDL) et Radio-Canada, le nombre de visites annuelles, entre 2015-2016 et 2022-2023, est faible5. Au 28 août 2023, il y a cinq établissements de détention qui n’ont pas reçu de visite du PC depuis 2018-2019 ce qui inclut la période de la pandémie. Le PC ne rend pas publics ni les rapports sur les enquêtes qu’il effectue à la suite de plaintes, ni les rapports de ses visites des établissements de détention ou les enjeux sur lesquels il enquête : « […] les rapports produits suivant les visites demeurent confidentiels, tant pour les citoyens que pour les médias6 ». Cette citation provient d’un article journalistique au sujet de l’absence de visites à la prison de Hull en six ans, et la fin de non-recevoir opposée au journaliste ayant formulé une demande d’accès à l’information. Le Protecteur justifie ce refus de divulguer des documents et informations par le fait que ses enquêtes sont conduites privément en vertu de la LPC. « Les renseignements et documents obtenus lors d’une enquête sont confidentiels et inaccessibles, même pour la personne concernée » peut-on lire sur le site Web de l’organisation. L’opacité des travaux et enquêtes du PC en matière correctionnelle fait écho à l’opacité des services correctionnels du Québec. Comment faire, dans une telle situation, pour obtenir de l’information claire, précise et à grande échelle sur les réalités carcérales ? Cela est d’autant plus vrai sachant que plusieurs personnes incarcérées ne portent pas plainte lorsque leurs droits sont bafoués, par peur de représailles. Cette opacité est exacerbée par le peu de communications publiques du PC, en dehors de ses rapports annuels et des rapports spéciaux portant sur des enjeux spécifiques.Conclusion
La lecture des rapports annuels du PC permet de constater que l’institution prend au sérieux son rôle d’enquêteur des institutions publiques, notamment du milieu correctionnel. Il est indéniable que la société québécoise gagne à avoir un organisme public de surveillance des institutions publiques. Toutefois, l’opacité des processus et le manque de collaboration avec les acteurs communautaires sont le bât qui blesse. Comment faire confiance à une institution qui garde pour elle ses résultats d’enquête et qui les partage uniquement dans des contextes bien paramétrés ? Il est compréhensible de vouloir protéger la vie privée des personnes touchées par ces révélations, mais des façons de faire existent afin de garantir l’anonymat tout en alertant le public de situations problématiques. Une action pertinente de décloisonnement serait d’établir des relations de concertation avec les acteurs du milieu communautaire. Plusieurs voix demandent que des comités d’experts, des élu-e-s et des organisations de la société civile puissent également visiter de façon régulière et aléatoire tous les centres de détention du Québec. Alter Justice affirme même que ces visites devraient être faites plus souvent que le plan peu ambitieux annoncé par le Protecteur dans son rapport annuel 2023 qui est d’un minimum d’une fois aux quatre ans pour chaque centre de détention. Bref, il y a matière à se questionner sur la vision que le PC a de son rôle en tant qu’ombudsman correctionnel tout en exigeant beaucoup plus de transparence de sa part.- Ministères et organismes publics, réseau de la santé et des services sociaux, et services
- Protecteur du citoyen, Rapport annuel 2022-2023, 124. Les autres catégories sont les plaintes interrompues et celles sur lesquelles le Protecteur déclare ne pas pouvoir se prononcer.
- I. Melouka, A., Manirabona, J-A. Wemmers, Un accès difficile et une mobilisation déficiente : rapport sur les expériences des femmes incarcérées et l’usage des mécanismes de plaintes et de griefs en établissement carcéral, Rapport, Université de Montréal, 2021.
- Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
- Voici la réponse de la personne responsable de l’accès à la suite d’une question de la LDL demandant s’il existe une définition du mot visite : « Il n’y a pas de définition officielle de ce que constitue une visite d’un établissement de détention. De manière générale, ce genre de visite vise la grande majorité des secteurs, sans nécessairement inclure l’ensemble de ceux-ci. Il peut également arriver qu’une visite soit effectuée pour un mandat précis. Puisque nos enquêtes sont menées privément, nous ne pouvons détailler davantage tous les cas de figure. »
- C. Lalande, 2023, 22 septembre. Op. cit.
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