Revue Droits et libertés

Publiée deux fois par année, la revue Droits et libertés permet d’approfondir la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Réalisée en partenariat avec la Fondation Léo-Cormier, la revue poursuit un objectif d’éducation aux droits.

Chaque numéro comporte un éditorial, les chroniques Un monde sous surveillance, Ailleurs dans le monde, Un monde de lecture, Le monde de l’environnement, Le monde de Québec, un dossier portant sur un thème spécifique (droits et handicaps, droits des personnes aînées, police, culture, droit à l’eau, profilage, mutations du travail, laïcité, etc.) ainsi qu’un ou plusieurs articles hors-dossiers qui permettent de creuser des questions d’actualité. Les articles sont rédigés principalement par des militant-e-s, des représentant-e-s de groupes sociaux ou des chercheuses ou chercheurs.

Créée il y a 40 ans, la revue était d’abord diffusée aux membres de la Ligue des droits et libertés. Depuis, son public s’est considérablement élargi et elle est distribuée dans plusieurs librairies et disponible dans certaines bibliothèques publiques.

Bonne lecture !

Nouveaux visages de l’itinérance… issus de l’immigration

14 janvier, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Une version abrégée est parue dans l'édition du 14 janvier 2025 du journal Le Devoir.

Nouveaux visages de l’itinérance… issus de l’immigration

Maryse Poisson, Directrice des initiatives sociales au Collectif Bienvenue, chargée de cours en travail social, UQAM, et membre du comité Droits des personnes migrantes de la LDL

Mauricio Trujillo Pena, Co-coordonnateur, Regroupement des organismes en hébergement pour les personnes migrantes

Florence Bourdeau, Co-coordonnatrice, Regroupement des organismes en hébergement pour les personnes migrantes

En avril 2023, l’élargissement de l’entente des tiers pays sûrs, annoncée à l’improviste et sans consultation, a fermé la dernière porte qui permettait aux personnes en quête de refuge dans des situations précaires d’avoir accès au système canadien de protection. En effet, avant cette date, l’entente ne s’appliquait pas aux points d’entrée irréguliers, ce qui permettait aux personnes les plus vulnérables de se présenter pour demander l’asile à des points comme le chemin Roxham, et ce, sans visa. Désormais, seules les personnes ayant un visa d’étudiant, de travail, ou autre, peuvent demander l’asile à leur arrivée à l’aéroport canadien ou à un point d’entrée terrestre, avec seule exception les personnes ayant un membre de leur famille proche au Canada. Évidemment, l’obtention de ce visa est difficile et réservée aux plus nantis.

Quel climat pour les demandeurs d’asile ?

En plus de ce resserrement qui a eu un impact évident, les derniers mois ont été le théâtre au Québec d’une montée très importante des idées et du discours anti-immigration, principalement contre les immigrants à statut temporaire. Cette catégorie large est composée de multiples groupes, dont les demandeurs d’asile. Alors que les demandeurs d’asile et les personnes à statut précaire s’installent en majorité dans les villes, les municipalités n’ont pas de pouvoir sur le processus de l’octroi de statut (compétence fédérale), ou sur l’accès aux services sociaux (santé, éducation, aide sociale, etc.). Les municipalités se retrouvent davantage à devoir agir et réagir devant la précarisation de cette population, dont l’augmentation de l’itinérance. Ainsi, on a vu tout récemment un resserrement du processus pour deux groupes autres que les demandeurs d’asile : les personnes obtenant un permis de travail temporaire à bas salaire et les personnes en sol canadien avec un visa de tourisme ou autre, entamant sur place les démarches pour obtenir un visa de travail fermé. Or, d’autres changements de politiques plus subtils affectent également les demandeurs d’asile. Par exemple, dans les dernières semaines, des médias canadiens ont rapporté une hausse préoccupante de personnes se présentant avec un visa canadien valide empêchées d’entrer au Canada, car suspectées de vouloir y demander l’asile, et aussi un resserrement dans le processus d’octroi de visa. Il semble que ces politiques officieuses soient une réponse positive de la part de l’administration Trudeau aux demandes du premier ministre François Legault. En octobre 2024, le discours de François Legault a pris une tangente encore jamais vue en matière d’atteinte aux droits des demandeurs d’asile. Il a ouvertement suggéré de les déplacer de force hors Québec, ou de créer des zones d’attente comme en France, alors que cette pratique ne respecte manifestement pas les droits humains.

Alors que les demandeurs d’asile et les personnes à statut précaire s’installent en majorité dans les villes, les municipalités n’ont pas de pouvoir sur le processus de l’octroi de statut (compétence fédérale), ou sur l’accès aux services sociaux (santé, éducation, aide sociale, etc.).

Se retrouver à la rue

L’ensemble des changements semble avoir créé un terreau fertile pour une hausse des demandes internes, observée autant sur le terrain que dans les statistiques de l’Association des services frontaliers du Canada (ASFC) et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). De plus en plus de personnes ne déposent pas une demande d’asile à leur arrivée à l’aéroport ou à la frontière terrestre, par peur ou méconnaissance, et se retrouvent dans une situation beaucoup plus complexe, appelée le processus de demande d’asile à l’interne. La différence semble technique, mais elle transforme le visage de l’itinérance à Montréal. Présentement, une personne ne déposant pas une demande d’asile auprès d’un agent frontalier quitte l’aéroport sans avoir de droits associés au statut du demandeur d’asile. Elle n’a pas droit aux hébergements prévus par le gouvernement provincial ni fédéral ni à l’aide sociale. Si elle n’a pas de famille ou d’amis à Montréal, elle se retrouve en itinérance, jusqu’à ce qu’elle ait réussi à déposer une demande d’asile complète. L’itinérance engendre à son tour un obstacle majeur à l’exercice de plusieurs droits, mettant en péril la santé et la sécurité notamment. Comme organisme de première ligne, nous observons quotidiennement les impacts de l’itinérance sur ces personnes. Les demandeurs d’asile vivent souvent plusieurs difficultés cumulées (traumatisme ou symptômes de santé mentale, barrière de la langue, absence totale de réseau de soutien ou de connaissance du milieu, etc.). Les hébergements pour personnes en situation d’itinérance, bien qu’ils fassent de leur mieux, ne sont souvent pas adaptés à ces personnes. La cohabitation avec des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie s’avère un obstacle de plus à l’intégration. De plus, la situation d’itinérance complexifie le processus de régularisation de leur statut : de nombreuses personnes sans adresse fixe ne reçoivent pas leur courrier essentiel de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (CISR), et omettent ainsi de se présenter à leur audience.

Ce contexte changeant rend plus urgent de créer des partenariats innovants entre les municipalités et les organismes communautaires pour répondre aux besoins des migrants à statut précaire tout en optimisant les ressources locales disponibles.

Déposer une demande d’asile est complexe et doit inclure un narratif de persécution détaillée, une étape qui requiert normalement les services d’un-e avocat-e ou d’un-e consultant-e. Ces personnes migrantes n’ayant bien souvent pas d’argent pour payer un représentant légal, elles se retrouvent à vivoter dans les sites d’hébergement pour personnes en situation d’itinérance. Une chose est sûre : les reculs dans l’accès à l’asile dans la dernière année contribuent à transformer le visage de l’itinérance à Montréal. Bien que non officiellement comptabilisés, pour ne pas en rajouter en matière de stigmatisation, les échos du terrain font état d’une nette augmentation des personnes immigrantes dans différents refuges. Que ce soit dans des organismes œuvrant en hébergement temporaire pour les femmes, les jeunes, les hommes seuls, de nombreux intervenant-e-s terrain composent maintenant avec des situations complexes des parcours migratoires.

Unir nos forces

[caption id="attachment_20826" align="alignright" width="299"] Crédit : Julien Cadena[/caption] C’est dans ce contexte que plusieurs organismes communautaires en hébergement de personnes migrantes ont pris la décision de se regrouper, en créant le regroupement des organismes en hébergement pour les personnes migrantes (ROHMI). L’objectif est à la fois de faire reconnaître ces organismes, pour l’instant pas financés par le gouvernement, mais également de créer des liens et d’échanger aux intersections de la prévention de l’itinérance et de la défense des droits des personnes à statut précaire. À l’initiative de ce regroupement, le Pont-APPI et Foyer du Monde proposent des hébergements de première ou deuxième étape pour les personnes seules et les familles. Au-delà d’un toit, ces organismes offrent une approche intégrée incluant des services psychosociaux, juridiques, des ateliers de francisation, l’accompagnement dans les premières démarches et jusqu’à la recherche d’un logement permanent. L’accueil dans la dignité prend ici tout son sens. Avec la création du ROHMI, ils visent à étendre ces modèles pour élargir la gamme des options d’hébergement temporaire, tout en favorisant une approche multisectorielle et concertée, impliquant les organisations communautaires, les agences publiques, les institutions académiques, les partenaires des services sociaux et de santé, les acteurs privés et les municipalités. En s’appuyant sur les dispositions de la Loi sur les compétences municipales1, le ROHMI cherche à développer des modèles d’hébergement temporaire avec les villes. L’article 84.1 permet à une municipalité de louer des immeubles qu’elle possède à des fins d’habitation et de déléguer leur gestion à des organismes comme le ROHMI, facilitant ainsi l’utilisation de bâtiments municipaux pour des projets de logement transitoire. Ce contexte changeant rend plus urgent de créer des partenariats innovants entre les municipalités et les organismes communautaires pour répondre aux besoins des migrants à statut précaire tout en optimisant les ressources locales disponibles. Le ROHMI travaille aussi à bâtir des alliances stratégiques, qui permettront la mise en place de modèles innovants au-delà des modèles des maisons d’hébergement temporaire. Les membres du regroupement ont déjà d’autres modèles qui ouvrent la participation aux propriétaires privés, comme le modèle de sous-location à court et à long terme, qui peut s’avérer primordial pour permettre l’accès et le maintien du logement pour les personnes à statut précaire. Les hébergements spécialisés pour demandeurs d’asile se concentrent présentement à Montréal et une vraie expertise s’y développe. Il serait très intéressant de voir les municipalités s’engager davantage, en offrant des lieux ou des incitatifs pour leur multiplication. Le ROHMI renforce ses collaborations avec des organismes nationaux pour encourager l’analyse et l’action autour de l’intersection entre immigration et logement. Ces espaces de partage visent à échanger sur les meilleures pratiques et à souligner l’importance de briser les silos entre les différents secteurs. Il est crucial de reconnaître le rôle central des villes dans le développement de projets et d’initiatives concertées. Leur implication active est essentielle pour garantir une intégration stable, équitable et durable des personnes migrantes à statut précaire à la société dans le respect de leurs droits humains.
1 En ligne : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/C-47.1?&cible=

L’article Nouveaux visages de l’itinérance… issus de l’immigration est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Repenser les droits humains en Haïti

20 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Repenser les droits humains en Haïti

Frantz Voltaire, Président-fondateur du Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne

Parler des droits humains en Haïti en 2024 est une gageure1. Avant même d’analyser cette question, on est confronté à la nécessité de faire la preuve qu’il est possible d’en parler dans les conditions d’une violence aveugle des gangs armés, mais aussi de l’impuissance de l’État à assurer l’ordre. Comment en effet, aborder la question des droits dans un contexte où l’insécurité et l’impunité restent en tête de liste des préoccupations citoyennes ? Comment répondre à la violence meurtrière des gangs sans à la fois poser le problème de la sécurité, mais aussi celui de la réparation aux victimes ? Résoudre le problème de la sécurité est aussi une gageure pour des raisons complexes. La question sécuritaire est certes présente durant toute notre histoire de peuple. Une histoire née de la violence de l’esclavage où l’esclave n’était qu’un bien meuble. Une histoire de résistance et d’une révolution qui aura duré de 1791 à 1804, d’une révolution qui aura combattu des forces d’invasion anglaise, espagnole et française. De l’Indépendance d’Haïti en 1804 à l’occupation militaire américaine de 1915 à 1934, jusqu’à la dictature des Duvalier, la violence a été le fait d’un État qui niait les droits de la majorité de ses citoyen-ne-s. Depuis le tremblement de terre de 2010, ce sont surtout les gangs armés qui imposent une terreur aveugle et qui, aujourd’hui, contrôlent plus de 80 % du territoire de la capitale de Port-au-Prince. Cela survient dans le contexte particulier d’un pays où l’État n’a plus le monopole de la violence, et où les promesses de la communauté internationale d’aider la police nationale à rétablir même un semblant d’ordre se sont révélées vaines. La communauté internationale a joué un rôle absolument néfaste en Haïti, avec le choléra et un appui aux gouvernements illégitimes et le contrôle du système politique. Mais que dire du Canada ? Le Canada a joué un rôle particulièrement important dans la formation de la police nationale, la réforme de la justice et du système pénitentiaire. En ce sens, le Canada est aussi responsable de cet échec de l’appui international. Comment aujourd’hui répondre à la situation de terreur en Haïti, sans répondre au problème des gangs terroristes dans la capitale ? Il faut se rappeler que Hélène LaLime, la représentante du secrétaire général des Nations unies en Haïti, avait favorisé la coalition des gangs à Port-au-Prince. Voilà un autre exemple de la responsabilité de la communauté internationale dans la crise actuelle. Il faut souligner tout autant la responsabilité des pays du Core Group lors de la mise en place du gouvernement d’Ariel Henry après l’assassinat du président Jovenel Moïse. La violence reste alimentée par des armes et munitions venues de la Floride, de la Colombie et aussi de la République dominicaine. Sortir de la violence demandera d’importants moyens matériels, et la communauté internationale devra, en ce sens jouer, un rôle déterminant, en fournissant une importante aide à la reconstruction du pays. Mais, sortir de la violence et établir un État de droit demandera surtout la prise en compte des revendications citoyennes de justice et des réparations aux victimes. Il faudra mettre en place une assistance humanitaire, médicale et psychologique importante aux victimes ainsi que des réparations pécuniaires surtout pour les femmes victimes d’abus. Il faudra aussi mettre en place des programmes spéciaux de réinsertion pour les enfants victimes des gangs. Le défi sera non seulement de rétablir la sécurité, mais aussi de construire un système judiciaire qui mettra fin à l’impunité, avec l’appui des diasporas haïtiennes répondant aux aspirations de la population. Le Canada, en s’appuyant sur les positions de la diaspora haïtienne, pourrait jouer un rôle clé dans le renforcement d’un système judiciaire et électoral non corrompu et transparent. Un des défis majeurs sera de s’adresser aux problèmes des jeunes mobilisés par les gangs dans un pays où la plupart des centres carcéraux et de réadaptation ont été détruits. Pour sortir de la situation d’insécurité généralisée, la police nationale haïtienne devra être renforcée en excluant les corrompus au sein de l’institution. Comment parler de droits dans une situation où les institutions étatiques sont réduites à une peau de chagrin ? Comment combler les départs pour les États-Unis de plusieurs milliers de cadres dont plus d’un millier de policières et de policiers, de centaines d’ingénieur-e-s, de médecins et d’enseignant-e-s, tous incités par la politique migratoire mise en place par le gouvernement américain de Joe Biden en 2023 ? Comment reconstruire le pays sans l’apport de sa diaspora ? Durant  cette  période  de  transition, il faudra créer avec l’assistance de la diaspora haïtienne une commission de vérité, réparation, sécurité et justice pour établir les faits résultant de la terreur des gangs terroristes, de la corruption et des responsabilités de certains membres des élites politiques, policières, judiciaires et économiques dans cette violence. Cette commission devra apporter des pistes de réflexion sur les conséquences de la violence ; synthétiser les informations disponibles sur les conséquences médicales et psychologiques de la violence ; rassembler des témoignages et mettre en place un programme de réparations pour les victimes. De plus, cet organisme devra réaliser plusieurs actions : formuler des recommandations pour informer et protéger les droits humains ; proposer la création d’un tribunal spécial chargé de juger les crimes contre les droits humains ; assurer une assistance médicale aux victimes surtout les femmes et les enfants ; assurer la formation des professionnel-le-s de la santé : psychologues, psychiatres, infirmiers et infirmières, travailleuses et travailleurs — sociaux ; renforcer à l’échelle nationale les réseaux de défense des droits humains ; sensibiliser la population aux droits humains. L’une des exigences de la construction d’une société haïtienne respectueuse des droits humains sera de tenir compte des réparations des dommages infligés aux victimes, et aussi traduire devant un tribunal spécial les responsables des crimes commis. Les responsabilités sont multiples ; les réparations devront impliquer toutes les parties prenantes nationales comme internationales.
1 Les sources de cet article sont : Benjamin Fernandez, L’échec des Nations Unies, Le Monde diplomatique, Paris, janvier 2011. Haïti, Droit de l’homme et réhabilitation des victimes. Mission civile internationale en Haïti OEA/ONU. Imprimerie Deschamps, Claude Moïse, La question sécuritaire, CIDIHCA, Montréal, 2022. Ricardo Seintenfus, L’échec de l’aide internationale à Haïti : dilemmes et égarements, CIDIHCA, Montréal, 2015.

L’article Repenser les droits humains en Haïti est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Lutter contre l’ingérence sans bafouer les droits

20 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Lutter contre l’ingérence sans bafouer les droits

Tim McSorley, Coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles

Une traduction par Barbara Ulrich, traductrice Des inquiétudes entourant l’ingérence étrangère continuent à faire les manchettes au Québec et à travers le Canada, suscitant l’examen approfondi, la controverse et les appels à agir aussi rapidement que possible afin de remédier à ce que les agences nationales de sécurité ont nommé de façon hyperbolique une menace existentielle pour le Canada. Il y a de toute évidence des incidences d’ingérence étrangère qui soulèvent des préoccupations urgentes. À titre d’exemple, les révélations que les membres de la communauté Sikh au Canada ont été des cibles d’harcèlement, de violence et même de meurtre par des agent-e-s du gouvernement indien et d’autres menaces transnationales de répression envers des activistes de droits de la personne et leurs familles au Canada. Cependant, ce débat a été trop caractérisé par la xénophobie, le racisme, la partisanerie politique, la surenchère ainsi que la précipitation à promulguer de nouvelles lois sévères étendues. Certaines de ces lois auront non seulement des retombées significatives sur les droits humains au Canada, y compris la liberté d’expression et d’association, mais également sur la contestation et la dissidence, la coopération et la solidarité internationale, la liberté académique et la liberté de presse. Ceci est dû en grande partie à des renseignements secrets divulgués par des sources anonymes dont l’exactitude et la source soulèvent des questions de crédibilité. Une partie de ceux-ci a été examinée par l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère, mais, puisque le rapport final tarde à se faire connaître, la crédibilité de ces fuites reste entière. [caption id="attachment_20767" align="alignnone" width="719"] Crédit : André Querry[/caption]

Des droits bafoués, encore une fois

Malgré ces questions restées en suspens, la réponse du gouvernement a été presque exclusivement axée sur l’octroi de nouveaux pouvoirs aux agences de sécurité nationales et dans la création de nouvelles infractions importantes, lesquelles entraîneront une réaction excessive et une hypersécurisation. Notre travail, depuis 2022, sur les incidences des lois sur la sécurité nationale et les luttes contre le terrorisme adoptées, témoigne de l’importance des définitions précises, des décisions basées sur des données probantes et des réponses qui sont nécessaires et proportionnelles. Faire défaut d’adhérer à ces principes mine inévitablement les droits humains aussi bien que l’engagement et la participation démocratique. Ceci aura pour conséquence la marginalisation d’une diversité de communautés et d’organismes, notamment ceux des populations racisées, autochtones ou immigrantes et celles et ceux qui sont engagés dans la contestation, la dissidence et la remise en question du statu quo.

Loi adoptée à toute vitesse

L’exemple le plus flagrant est l’adoption précipitée de la Loi C-70 — la Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère — au mois de juin 2024, qui a entériné des changements aux systèmes canadiens de justice criminelle et de sécurité nationale. Une loi d’une telle envergure aurait requis un examen approfondi. Cependant, dans la précipitation de légiférer sur les questions de l’ingérence étrangère aussi rapidement que possible, le projet de loi a été adopté par l’ensemble du processus législatif en moins de deux mois, presque du jamais vu. À cause de la brièveté surprenante consacrée à la période d’étude, plusieurs aspects de cette législation n’ont pas été soumis à un examen et, par conséquent, des champs de préoccupation n’ont pas été pris en considération. Moins de temps voulait dire que les expert-e-s et les organismes ayant des ressources limitées ont dû précipiter leur analyse du projet de loi, rendant la soumission de mémoires et d’amendements appropriés presque impossible. Même lorsque les parlementaires et les sénateurs et sénatrices ont reconnu certaines préoccupations, le refrain était que l’étude du projet de loi ne pouvait pas être retardée afin d’adopter les nouvelles règles avant une prochaine élection potentielle, ce qui pourrait arriver à tout moment sous un gouvernement minoritaire.

Pouvoirs sans lien avec l’ingérence

À titre d’exemple, la Loi C-70 a changé la Loi sur le Service canadien du rensei­ gnement de sécurité (Loi sur le SCRS) en créant de nouveaux mandats plus facilement accessibles pour des perquisitions ponctuelles et la collecte secrète de renseignements à l’extérieur du Canada. Ces nouveaux pouvoirs doivent être approuvés par les tribunaux, mais ceci se passe à huis clos. Cela constitue une victoire pour le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui, depuis des années, contrevient aux lois existantes régissant les mandats, notamment en dupant les tribunaux. Des seuils élevés pour l’obtention des mandats secrets sont l’une des principales façons dont nos droits garantis par la Charte des droits et libertés sont protégés ; le projet de loi C-70 les a affaiblis. Ceci n’est qu’un des multiples changements inscrits dans la Loi sur le SCRS, lesquels ne sont reliés qu’en partie à la lutte contre l’ingérence étrangère et pourront, en réalité, s’appliquer désormais à toute démarche de collecte de renseignements ou d’enquête qu’entreprend le SCRS. Des défenseur-e-s des droits humains, des organismes de développement international et de solidarité, des politicien-ne-s, des académiques, des syndicalistes, des activistes environnementaux, des défenseur-e-s des terres autochtones, des journalistes et beaucoup d’autres parties prenantes au Canada travaillent directement avec des contreparties internationales au jour le jour. Un grand nombre de ces collègues internationaux peuvent travailler pour ou représenter des gouvernements, des entreprises d’État ou des entreprises affiliées, des fondations, des institutions académiques ou des médias, ou travaillent pour des organismes multilatéraux composés de gouvernements étrangers. Ces partenariats internationaux sont incontournables, aidant à proposer de nouvelles perspectives, faisant des avancés en recherche et en politiques, partageant le travail de Canadien-ne-s à l’international et en aidant à bâtir la coopération et la solidarité internationale.
Moins de temps voulait dire que les experts et les organismes ayant des ressources limitées ont dû expédier leur analyse du projet de loi, rendant la soumission de mémoires et d’amendements appropriés presque impossible.

Des impacts négatifs sur les droits

Cependant, dans sa réponse aux allégations d’ingérence étrangère, le gouvernement fédéral a introduit des règles qui auront presque certainement un effet négatif sur la liberté d’association avec des collègues internationaux, la liberté d’expression et la capacité des Canadien-ne-s de manifester et de contester. La Loi C-70 a introduit des changements significatifs à la Loi sur la sécurité de l’information, qu’on appelle maintenant la Loi sur les ingérences étrangères et la sécurité de l’information1 (FISI). Il est alarmant de constater que la FISI prévoit des peines beaucoup plus sévères — jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité — pour les infractions déjà prévues dans le Code criminel, notamment le harcèlement et l’intimidation, si elles sont commises sur l’ordre d’une entité étrangère, ou en collaboration ou pour son profit, ou, dans certains cas, avec un groupe terroriste2. Un autre article troublant de la FISI se lit comme suit :

20.4 (1) Commet un acte criminel quiconque, sur l’ordre d’une entité étrangère ou en collaboration avec elle, a une conduite subreptice ou trompeuse en vue d’influencer un processus politique ou gouvernemental, la gouvernance scolaire, l’exercice d’un devoir en lien avec un tel processus ou une telle gouvernance ou l’exercice d’un droit démocratique au Canada.

Pour des définitions claires

Le problème, ici, n’est pas qu’elle vise à protéger les processus démocratiques, mais plutôt la façon dont elle tente de le faire. L’exemple le plus flagrant est le terme, « en collaboration avec », un terme vague qui n’est pas défini dans la législation. Il peut facilement vouloir dire, par exemple, qu’une personne qui collabore avec un individu ou un organisme qui travaille pour ou étroitement avec une entité étrangère (y compris non seulement des gouvernements, mais aussi des organismes indépendants financés par le gouvernement, ou même des organismes multilatéraux) sur des questions d’intérêt mutuel et, par la suite, lesquels s’impliquent pour changer une politique pourrait être vue en violation de la loi même si aucune influence véritable n’a été exercée par une entité étrangère. Le gouvernement dit également que de telles activités d’influence seraient illégales uniquement si clandestines. Mais, si vous n’agissez pas sous l’influence d’une entité étrangère, vous pourriez facilement croire que ce n’est pas nécessaire de divulguer votre association publiquement — donnant lieu à une violation possible de cette loi. La définition de ce qui constitue un processus politique, la gouvernance scolaire et l’exercice d’un droit démocratique est également très vague. Même si le but de cette nouvelle loi est louable, sa formulation peut être une menace de graves répercussions à la liberté d’expression, protestation et manifestation. Par exemple, prenons les campements universitaires en solidarité avec les Palestinien-ne-s et contre le génocide israélien à Gaza. Une de leurs revendications principales demandait aux administrations universitaires, lesquelles sont des institutions de gouvernance scolaire — de désinvestir  des  manufacturiers d’armements qui fournissent l’armée israélienne. Il s’agit de toute évidence d’une demande légitime visant à influencer une politique universitaire ; plus spécifiquement, il pourrait y avoir des appels au retrait de certains membres de conseil d’administration ou pour des étudiant-e-s à faire campagne auprès des associations étudiantes sur cette question. Cependant, il y avait des allégations non-fondées et fallacieuses que ces campements et ces campagnes étaient soit financés, soit coordonnés avec des gouvernements étrangers. Sous la Loi C-70, les forces de police et les agences de renseignement canadiennes seraient alors justifiées d’enquêter sur ces activistes, et, s’ils découvrent qu’une association dans laquelle n’importe quel individu ou organisme serait affilié avec un gouvernement étranger, ils peuvent encourir des pénalités sérieuses. La même chose pourrait s’appliquer à celles et ceux qui luttent pour de meilleures conditions de travail, pour la justice environnementale, pour les droits autochtones et autres.

Surveillance accrue à prévoir

Il est important de ne pas attiser la peur, et ce n’est pas prévu que ces accusations soient imminentes d’aucune façon – mais elles sont absolument plausibles sous ces nouvelles lois. Malgré les assurances du gouvernement, nous ne savons tout simplement pas comment elles seront appliquées. Cependant, aussi longtemps que cette possibilité existe, elles peuvent mener à une surveillance accrue, aux menaces de représailles et, enfin, à un effet paralysant sur la liberté d’expression et autres droits humains. Les préoccupations entourant « en collaboration avec » s’étendent également à la nouvelle Loi sur l’influence étrangère et la transparence3 (LTR), créant un Commissaire à l’influence étrangère et à la transparence et le très attendu Registre de l’influence étrangère et de la transparence. Le nouveau registre exigera que les individus et les organismes s’inscrivent au registre si sous la direction de ou en association avec un commettant étranger : communique avec un-e titulaire de charge publique ; communique ou diffuse de l’information reliée au processus politique ou gouvernemental ; ou distribue de l’argent, des objets de valeur ou offre un service ou l’utilisation d’un lieu. L’obligation de s’enregistrer est plus étendue que le processus décrit ci-dessus, car un commettant étranger est défini plus vaguement qu’une « entité étrangère » et comprend l’engagement d’une manière beaucoup plus élargie que pour des changements de politiques. Les pénalités sont beaucoup moins sévères et incluent des options de fournir aux individus des avis avant de formuler de telles accusations. Cependant, l’obligation de s’inscrire dans un registre « d’influence étrangère » lorsque l’on agit simplement en association avec un commettant étranger soulève des préoccupations similaires. Tout groupement au Canada qui peut travailler avec un État étranger ou organisme affilié — même s’il n’agit pas au nom de cet organisme étranger — devrait inscrire  publiquement  qu’il  agit  sous « l’influence étrangère. » Ceci a soulevé des préoccupations sérieuses dans d’autres pays. Aux États-Unis, par exemple, une loi similaire d’enregistrement a mené a des enquêtes non-fondées4 d’organismes environnementaux et à l’obligation d’au moins un organisme national d’environnement réputé de s’inscrire à titre « d’agent étranger. » Nous pouvons nous attendre à des résultats semblables au Canada, paralysant la libre expression, la libre association et la capacité de travailler avec des partenaires internationaux sur des causes sociales importantes.
La même chose [enquêter] pourrait s’appliquer à ceux et celles qui luttent pour de meilleures conditions de travail, pour la justice environnementale, pour les droits autochtones et autres.

La liberté d’expression sous pression

Finalement, la Loi C-70 a élargi les délits existants de sabotage sous le Code criminel pour inclure le délit d’ingérence dans une nouvelle catégorie étendue « d’infrastructure essentielle », qui comprend le transport, l’approvisionnement alimentaire, les activités gouvernementales, l’infrastructure financière, ou toute autre infrastructure prescrite par règlement. N’importe lequel de ceux-ci peut, à un moment donné, faire l’objet d’une manifestation ou subir les répercussions d’une manifestation qui pourrait perturber leurs activités. Bien que la nouvelle loi prévoie une exclusion pour les revendications, les manifestations d’un désaccord ou les protestations, cela s’applique uniquement si les individus n’ont pas l’intention de causer du tort. Cela laisse une grande marge de manœuvre d’interpréter « l’intention » de la protestation. Par exemple, les défenseur-e-s des territoires autochtones ont créé des blocus des chemins de fer et des routes dans le cadre d’actes de désobéissance civile avec le but avoué de perturber l’activité économique afin de mettre de la pression sur des responsables gouvernementaux. Sachant que cette action pourrait, théoriquement, créer du tort, il ne serait pas farfelu d’imaginer que le gouvernement pourrait utiliser une telle loi pour criminaliser ces protestations avec une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans. Il n’y a pas de doute que le public canadien pourrait mettre en question leur participation dans des activités de protestation puisque celles-ci pourraient être vues comme un crime plus sérieux de sabotage. Au cours des prochains mois, le gouvernement établira les règlements et nommera le Commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère, ayant une incidence sur la manière dont ces lois seront interprétées et mises en œuvre. Il est essentiel que le public et les groupements de société civile demeurent vigilants et poursuivent leur pression sur le gouvernement afin de ne pas sacrifier les droits humains au nom de combattre l’ingérence étrangère.
1 En ligne : https://laws-lois.justice.gc.ca/PDF/O-5.pdf 2 Ibid.  3 En ligne : https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/F-29.2/ 4 Nick Robinson, The regulation of foreign funding of nonprofits in a democracy, International Center for Not-for-Profit Law, février 2024. En ligne : https://www.icnl.org/wp-content/uploads/Regulation-of-Foreign-Funding-of-Nonprofits-Feb-2024-author-version.pdf

L’article Lutter contre l’ingérence sans bafouer les droits est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Imaginer une ville des droits humains

20 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Imaginer une ville des droits humains

Diane Lamoureux, Professeure émérite, Université Laval, membre du comité de rédaction et membre du CA de la Ligue des droits et libertés

Il y aura des élections municipales un peu partout au Québec en 2025. Pour évaluer les propositions des candidat-e-s à cette occasion, quoi de mieux que d’imaginer ce que pourrait être une ville où les droits humains sont pris au sérieux et qui est organisée autour des principes de liberté, d’égalité et de solidarité. Dans le contexte de la crise écologique, un premier élément est la reconnaissance effective du droit à un environnement sain. Car la dégradation de l’environnement menace la possibilité même d’existence de la vie humaine sur l’ensemble de la planète et dans les villes en particulier. Plusieurs éléments peuvent contribuer à un environnement sain : la réduction de la pollution due aux transports, pas simplement en remplaçant les voitures individuelles à essence par des voitures électriques, mais en développant de meilleurs transports collectifs et en changeant l’échelle à laquelle nous vivons dans les milieux urbains ; une meilleure répartition des services et des infrastructures collectives, ce qui permet des modes de transport actif ; le développement d’un réseau de transport en commun efficace, financièrement et physiquement accessible, à l’échelle des municipalités, mais aussi entre celles-ci ; la réduction des îlots de chaleur par une meilleure répartition des espaces verts et de la canopée, par la réduction des surfaces minéralisées comme les stationnements, et par une transformation des normes de construction. Un autre aspect du droit à l’environnement sain, c’est l’accès physique et monétaire à une alimentation saine et en quantité suffisante. À cet égard, les villes doivent prévenir les déserts alimentaires. Elles peuvent cependant faire plus, en permettant la récupération alimentaire auprès des grandes surfaces, en favorisant les initiatives de partage alimentaire (par exemple, en fournissant des locaux à des cuisines collectives), en augmentant le nombre de jardins collectifs. Un deuxième élément tout aussi central, c’est la reconnaissance que le logement est un droit et non une marchandise. On est loin de cet idéal aujourd’hui si on tient compte du nombre croissant de personnes itinérantes ou sans abri, de la situation des personnes qui doivent vivre dans des logements insalubres ou mal adaptés à leurs besoins, ou encore celle des femmes qui doivent vivre dans un climat de violence conjugale faute de ressources adéquates pour se loger. Ceci implique un parc immobilier diversifié qui corresponde aux besoins réels de la population, et des quartiers qui favorisent une véritable mixité sociale. En effet, avoir une place à soi est fondamental pour pouvoir développer le sens de sa propre dignité et nouer des relations épanouissantes avec les autres. C’est aussi un élément crucial pour la participation politique et sociale. Une caractéristique fondamentale des villes par rapport à d’autres milieux de vie, c’est leur formidable pluralité. On y retrouve une diversité de classes, d’origines ethniques, de genres, de sexualités, de religions, de capacités physiques, de cultures. Plutôt que de considérer cette diversité comme une source de problèmes ou encore comme des occasions d’inégalité et de discrimination, il faut plutôt y voir un enrichissement collectif. Pour cela, il faut développer une saine curiosité pour ces différences plutôt qu’enfermer les citoyen-ne-s dans des ghettos de personnes qui se ressemblent (les algorithmes des réseaux sociaux s’en chargent un peu trop). Le rôle des parcs et des places publiques est à cet égard déterminant. Encore faut-il qu’ils soient accessibles et non privatisés par la festivalite consumériste. Ils doivent également être aménagés pour permettre aux personnes vivant avec un handicap d’en profiter. Il est aussi nécessaire de maximiser la liberté individuelle et collective. Promouvoir une différence épanouissante, c’est laisser l’espace essentiel au développement d’une identité individuelle qui n’est pas entravée par des restrictions communautaires, ou par les divers mouvements …phobes. La diversité urbaine permet d’observer des choix de vie qui ne sont pas toujours valorisés dans nos milieux d’origine. Les administrations municipales ont donc une responsabilité particulière en ce qui concerne la lutte aux divers types de discrimination et elles doivent jouer un rôle actif dans la promotion de la tolérance et de la cohabitation. Si les villes ont peu de leviers pour réduire les inégalités socioéconomiques ou ethnoraciales, elles peuvent, par leur politique d’habitation, faire en sorte qu’il n’y ait pas de ghettos. Elles peuvent également veiller à répartir les équipements collectifs comme les parcs, les lieux de pratique sportive, les équipements culturels et à les rendre accessibles physiquement et financièrement. Elles peuvent également utiliser leur statut d’employeur pour promouvoir l’accès à l’égalité en emploi. Les villes doivent également promouvoir le développement de liens concrets entre personnes différentes qui peuvent être unies par des intérêts communs comme la danse, le chant, la pratique d’un sport ou d’un hobby. Cela permet de surmonter la méfiance envers des gens différents de nous. Les villes doivent également devenir des lieux de vie démocratique où l’avenir collectif doit être façonné par celles et ceux qui y vivent. Cela va bien au-delà de l’élection périodique de représentant-e-s à un conseil municipal ou encore d’une période de questions ouverte au public lors de leurs réunions. Cela implique, au minimum, une possibilité de participation directe et effective concernant l’aménagement du territoire, les équipements collectifs et les transports publics. Cela implique également une valorisation du travail des organismes communautaires, qui ne doivent pas être perçus uniquement comme des dispensateurs de services, mais comme des acteurs d’amélioration de la participation citoyenne, et qui doivent être soutenus dans ce rôle. La sécurité ne doit pas dépendre principalement des corps policiers mais du sentiment de partage d’un espace collectif que l’on veut protéger parce que l’on s’y reconnaît et qu’il contribue à notre bien-être. Une attention particulière doit être portée à la sécurité des personnes les plus vulnérables, comme celles vivant avec un handicap physique ou mental, les personnes âgées et les enfants. Il va de soi qu’une ville qui prend au sérieux les droits humains interdit à son corps policier toute pratique de profilage social, racial ou en fonction de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle. Une ville des droits humains ne doit pas traquer les migrant-e-s qui n’ont pas les bons papiers. Elle doit au contraire leur permettre de vivre en toute sécurité et leur permettre d’échapper au travail esclavagisé ou aux marchands de sommeil et ainsi de contribuer pleinement au développement de la ville dans laquelle elles et ils vivent. Bref, promouvoir et développer une culture des droits humains doit dépasser le niveau de l’énonciation des principes dans une charte ( ce qui a quand même quelques avantages ). Cela implique d’être à l’affût des discriminations que pourraient induire les diverses politiques publiques dans tous les domaines. Cela entraîne également l’obligation de développer une culture antidiscriminatoire dans les diverses administrations municipales et de faire en sorte que les citoyen-ne-s dans leur diversité puissent se côtoyer et interagir dans les villes et les quartiers qui sont leur milieu de vie partagé. Cela nécessite aussi de prévoir des recours effectifs et accessibles en cas de discrimination. Certains de ces éléments sont traités de façon plus approfondie dans ce dossier. Lucie Lamarche aborde la question de l’arrimage au droit international pour aller au-delà des vœux pieux, alors que Benoît Fratte et David Robitaille analysent les pouvoirs dévolus aux villes et leur impact potentiel sur les droits humains. Diverses facettes des enjeux liés à l’itinérance sont  abordées  par  Michel Parazelli et le Regroupement des organismes en hébergement pour les personnes migrantes. Les obstacles à la mobilité des femmes en situation de handicap sont analysés par la Table de concertation des groupes de femmes et un bref portrait de la situation sur l’accès à l’égalité à l’emploi dans les municipalités des personnes en situation de handicap est dressé par Elisabeth Dupuis. La participation citoyenne fait l’objet des réflexions d’Elsa Mondésir Villefort. Caroline Toupin traite de l’apport de l’action communautaire autonome, tandis que les Collectivités ZéN nous parlent de la nécessaire transition écologique. Bonne lecture!  

L’article Imaginer une ville des droits humains est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Du naturalisme antique à l’écologie contemporaine

20 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Du naturalisme antique à l’écologie contemporaine

Catherine Guindon, enseignante au Cégep de Saint-Laurent 

[caption id="attachment_20763" align="alignright" width="279"] Laurence Hanson-Løve, L’idée écologique et la philosophie, publié aux Éditions Écosociété à Montréal, 2024, 140 pages.[/caption] Dans cet essai L’idée écologique et la philosophie, la thèse pourrait se comprendre ainsi : la position en surplomb de l’être humain face à la nature est issue d’une conception trouvant son origine dans le christianisme latin ainsi que dans les balbutiements de la science moderne, avec Descartes notamment. Mais en Occident, cette philosophie de la maîtrise de l’environnement n’était partagée ni par les philosophes de l’Antiquité ni par de nombreux philosophes modernes ou contemporains, et elle semble même n’avoir jamais été prépondérante dans les cultures non-occidentales. Nos préoccupations actuelles en matière d’écologie sont donc compatibles avec un large pan de l’histoire des idées philosophiques, qu’elles soient occidentales ou non. Les philosophies de l’Antiquité grecque proposent une vision naturaliste, c’est-à-dire qu’elles expliquent la nature par elle-même. Lorsque l’on se penche sur la conception antique de la place de l’être humain dans le cosmos, nous dit l’autrice, on remarque une sensibilité particulière face aux dangers de l’hubris, c’est-à-dire la démesure quant aux pouvoirs de l’être humain. À titre d’exemples, on peut penser à l’appel à l’humilité chez Socrate, et à la juste mesure et la prudence chez Aristote. Les stoïciens, quant à eux, insistent sur l’importance de vivre en harmonie avec la nature, celle-ci étant entièrement rationnelle et l’être humain n’étant qu’une petite parcelle du grand tout. C’est avec le christianisme latin naissant que l’on constate un changement de paradigme. Les récits de la Bible sont interprétés comme réduisant les choses terrestres à des réalités corruptibles, exception faite de l’âme humaine, dotée d’une grâce divine. Puis, au 17e siècle, les scientifiques de la révolution copernicienne viendront justifier et parachever le paradigme chrétien en affirmant un fossé infranchissable entre nature et progrès humain1. Avec Descartes, l’être humain, doté d’une rationalité scientifique, est vu « comme maître et possesseur de la nature ». L’animal, quant à lui, est relégué au rôle de machine sans âme, incapable de pensée ou de sensibilité. Toutefois, certains philosophes, dès l’époque de Descartes, se sont distanciés de cette vision anthropocentrique et dépréciative de la nature et des êtres vivants. Par exemple, pour Spinoza, la nature est une totalité vivante qui est investie par Dieu et dont l’être humain n’est qu’un « mode » soumis aux lois naturelles. L’être humain n’occupe donc pas de position éminente dans le monde. Puis, au siècle des Lumières, un mouvement plus large de réhabilitation de la nature se déploie. On peut penser à Rousseau, qui refusera de considérer l’être humain comme supérieur au reste de la nature. Le 19e siècle est marqué par les découvertes de Darwin, qui permettent de comprendre comment l’humain et le reste des animaux ne font partie que d’un seul arbre. Au même moment, des philosophes américains dits « transcendentalistes », comme Henry David Thoreau, célèbrent la nature, libre et égalitaire, l’opposant à la société corrompue et hiérarchisante. L’ouvrage se poursuit avec un aperçu des penseurs de l’écologie au 20e siècle, pensons aux Américains John Muir, fondateur américain du Sierra Club et pour qui la nature a une valeur spirituelle, ou encore Aldo Leopold, philosophe affirmant le « droit biotique » des animaux et des plantes. Arne Nasse, penseur de l’écologie profonde, se réclame de Spinoza et soutient l’idée que la nature et les êtres qu’elle abrite ont une valeur intrinsèque. Hans Jonas, quant à lui, réfléchit sur la responsabilité de l’être humain vis-à-vis la nature, qui a été fragilisée par notre pouvoir technologique. Enfin, l’autrice fait un parcours de la pensée écologique contemporaine. Elle présente divers mouvements qui joignent la défense de l’environnement à une critique du mode de production capitaliste, de la consommation effrénée et du technosolutionnisme. Des écoféministes comme l’Indienne Vandana Shiva dénoncent l’assujettissement des femmes, des peuples colonisés et de la nature au profit d’un colonialisme patriarcal. Des philosophes tels que Bruno Latour souhaite l’établissement de politiques qui tiendraient compte des intérêts de tous les vivants. Ce dernier imagine même un parlement dans lequel les objets inertes, les plantes et les animaux non humains seraient représentés par des scientifiques. Dominique Bourg, quant à lui, imagine une « Chambre du futur » qui représenterait politiquement les intérêts des générations à venir. Peter Singer, pour sa part, récuse toute forme de spécisme, c’est-à-dire de discrimination fondée sur l’espèce, et invite à un « mouvement de libération animale ». Dans son ouvrage, Laurence Hanson-Løve nous donne un aperçu de la pensée d’un très grand nombre de conceptions philosophiques dont nous ne pouvons rendre compte de façon exhaustive. On n’y retrouve pas une analyse très pointue de ces dernières, mais ce panorama constitue un très bon point de départ pour quiconque souhaite s’initier à la philosophie de l’environnement. En parcourant l’histoire du statut ontologique de l’être humain face au reste de la nature, on constate que la philosophie contemporaine de l’environnement est, au fond, en continuité avec la sagesse des Anciens et celle des cultures non occidentales, qui n’ont généralement pas affirmé de distinction entre nature et culture. C’est donc à un esprit de prudence et d’humilité, un peu à la manière des Grecs et de leur condamnation de l’hubris, que nous invite Laurence Hanson-Løve. On ne peut qu’être d’accord avec elle, à l’heure critique où les bouleversements climatiques mettent en péril les droits humains — et plus particulièrement ceux de certains peuples vulnérables —, ainsi que les intérêts des animaux non humains.
1 Ici, l’autrice reprend les propos de Philippe Descola dans Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard,

L’article Du naturalisme antique à l’écologie contemporaine est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

30 ans de lutte pour les droits et libertés à Québec

20 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

30 ans de lutte pour les droits et libertés à Québec

Sophie Marois, membre du CA, Ligue des droits et libertés — section Québec Josyanne Proteau, coordonnatrice, Ligue des droits et libertés — section Québec

photo_archive_ldl_qc_20241216 Depuis 1963, la Ligue des droits et libertés (LDL) œuvre à faire connaître, à défendre et à promouvoir l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits reconnus dans la Charte internationale des droits de l’homme. Au fil de sa longue histoire, la LDL a vu naître et disparaître plusieurs comités régionaux au gré des mobilisations locales. Les années 1970 et 1980 ont été particulièrement prolifiques à cet égard : des comités régionaux ont été actifs sur la Côte-Nord, en Estrie, à Québec, au Saguenay-Lac-Saint-Jean et à Thetford-Mines. On connaît cependant peu de choses des activités du comité qui a été actif à Québec au cours de ces années.

Fondation de la section de Québec

C’est en décembre 19941 qu’un groupe de citoyen-ne-s engagé-e-s dans la défense des droits de la personne fonde la section de Québec de la Ligue des droits et libertés (LDL-Qc). La section est créée sous la forme d’un organisme à part entière, mais qui demeure affilié à la LDL et qui poursuit la même mission que l’organisme national. Convaincu que les droits et libertés doivent être défendus sur tous les fronts, y compris à l’échelle locale, le groupe fondateur œuvre à la création d’une section active, spécifiquement enracinée dans la société civile de Québec. Dès ses débuts, la LDL-Qc compte sur des liens forts avec plusieurs acteurs et se mobilise autour des enjeux de justice sociale à Québec. Ce sont notamment ces liens avec les milieux syndicaux, dont ceux de l’enseignement, qui ouvriront la voie à une spécialisation de la section de Québec dans l’éducation aux droits et libertés auprès des jeunes.

Démocratie municipale

L’un des premiers axes d’action de la LDL-Qc est celui de la démocratie municipale. Grâce à ses premières subventions, elle organise des événements pour encourager la participation citoyenne et la démocratie locale. En 1997-1998, des forums bimensuels à la bibliothèque Gabrielle-Roy rassemblent des résident-e-s, des journalistes et des professeur-e-s pour discuter de la démocratisation  des  institutions  politiques. Réunissant régulièrement une centaine de personnes, ces débats publics augmentent la visibilité de l’organisme. Dans les années qui suivent, la LDL-Qc promeut activement une vision démocratique de la politique municipale, plaçant les citoyen-ne-s au cœur du pouvoir décisionnel. [caption id="attachment_20749" align="alignnone" width="542"] Oeuvre de Wartin Pantois à laquelle la LDL-Qc a eu le plaisir de participer en 2021. Crédit : Wartin.[/caption]

Éducation aux droits

La section de Québec se distingue dès la fin des années 1990 par un fort engagement envers l’éducation aux droits, particulièrement auprès des jeunes. De grandes tournées d’éducation aux droits et libertés permettent de rencontrer des milliers d’élèves du primaire et du secondaire. Le premier sujet abordé par ces ateliers éducatifs concerne les droits des jeunes face à la police, dans un contexte où l’application d’une politique tolérance zéro par la Ville de Québec entraîne plusieurs interventions policières ciblant les jeunes. Au cours des décennies suivantes, les ateliers d’éducation aux droits se renouvellent et explorent des thématiques telles que la discrimination, le sexisme et le racisme, l’accueil des immigrant-e-s, les droits économiques et sociaux, la justice pénale et le droit à la vie privée. Certains de ces ateliers ont été retravaillés au fil du temps et sont offerts encore aujourd’hui par l’équipe d’animation de la section de Québec, dont ceux portant sur la justice pénale, le droit à la vie privée et le racisme systémique. Au début des années 2000, la LDL-Qc lance une émission de radio nommée Droits devant, sur les ondes de la radio communautaire CKRL 89,1. L’émission s’intéresse aux enjeux liés à l’état des droits tant à l’échelle locale, avec des épisodes sur le droit au logement2 et l’itinérance dans la ville de Québec, qu’à l’échelle internationale, en présentant des thématiques comme la démocratie au Congo, le développement international et les violations de droits au Tibet.

Altermondialisme

Les années 2000 marquent une ouverture de la LDL-Qc aux enjeux internationaux, notamment à la suite du Sommet des Amériques et du 11 septembre 2001. En avril 2001, plusieurs membres participent à l’important mouvement d’opposition à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) en vue de la tenue du Sommet des Amériques à Québec3. Au cours du Sommet, le comité de surveillance des libertés civiles de la LDL mène une mission d’observation indépendante et constate une imposante répression policière4, laquelle inclut des arrestations de masse et l’utilisation d’armes dangereuses contre les manifestant-e-s, causant des centaines de blessé-e-s. Cette période représente un moment important de renforcement des liens entre les organismes communautaires et les milieux militants de Québec, qui se réunissent autour de luttes altermondialistes et antimilitaristes. Dans ce contexte, la LDL-Qc prend part à de nombreuses mobilisations portant sur la solidarité internationale et les alternatives au néolibéralisme, la surveillance et la protection du droit à la vie privée, ainsi que la démilitarisation des conflits géopolitiques. En 2003, des militant-e-s de Québec participent notamment aux mobilisations historiques contre la guerre en Irak, rejoignant des manifestations à Montréal, mais aussi dans la capitale nationale5. [caption id="attachment_20754" align="alignright" width="216"] Organisé par la LDL-Qc et plusieurs organismes communautaires de Québec, le Forum sur le Parvis a permis aux citoyennes et citoyens d’occuper le parvis de l’église Saint-Roch le 18 avril 2012.[/caption]

Vivre-ensemble et antiracisme

Au cours des années 2000, la LDL-Qc intensifie ses efforts contre le racisme et pour la défense des droits des personnes migrantes. Elle prend part activement aux débats publics lors de la Commission Bouchard-Taylor (2007-2008) et milite contre les discriminations raciales dans l’accès à l’emploi. La LDL-Qc s’engage également dans les campagnes contre les propos haineux diffusés sur les ondes de certaines radios privées de Québec, surnommées radios-poubelles. Au cours des années 2010, des projets développés avec des stagiaires permettent à l’organisme d’approfondir ses connaissances sur les crimes haineux, l’extrême droite et le profilage racial à Québec. La lutte contre le racisme devient progressivement un axe transversal à la LDL-Qc. La section de Québec participe notamment aux mobilisations contre le projet de loi 21 sur la laïcité, au mouvement Black Lives Matter, à la Coordination des actions contre le racisme à Québec, aux marches de solidarité avec les personnes migrantes et aux commémorations de l’attentat au Centre culturel islamique de Québec, en plus de soutenir la création du Collectif de lutte et d’action contre le racisme (CLAR) à l’automne 2021. À compter de 2020, c’est principalement la question du profilage racial par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) qui occupe l’organisme. La LDL-Qc s’engage dans un projet de recherche pour documenter la situation et réalise plusieurs interventions dans les médias pour dénoncer les pratiques du SPVQ.

Judiciarisation et profilage

[caption id="attachment_20753" align="alignright" width="228"] Guide publié en 2013 pour outiller toute personne ou tout groupe qui choisit de ne pas se taire devant les attaques des radios-poubelles[/caption] La judiciarisation des personnes marginalisées, en particulier les jeunes, les travailleuses du sexe et les personnes en situation d’itinérance, constitue un autre axe d’action majeur de l’organisme. En collaboration avec des groupes locaux, la LDL-Qc tient, entre 2010 et 2018, plusieurs forums publics et activités de sensibilisation, notamment pour favoriser le vivre ensemble et dénoncer le profilage social. Les règlements municipaux discriminatoires, les interpellations abusives, les violences policières ou l’emprisonnement pour non-paiement d’amendes sont tous dénoncés. Entre autres activités, la LDL-Qc convie les citoyen-ne-s à des séances de flânage sur le parvis de l’église Saint-Roch pour dénoncer le règlement municipal interdisant de flâner, vagabonder ou dormir dans un lieu public, ou organise une marche pour demander des services  publics  adaptés  aux  personnes marginalisées en collaboration avec des personnes en situation d’itinérance. En 2015, un projet pilote de la LDL-Qc mène à la fondation de la Clinique Droit de cité, un organisme dédié à l’accompagnement juridique et à la défense collective des droits des personnes judiciarisées. Depuis 2018, la LDL-Qc est également partenaire de l’Observatoire des profilages, contribuant ainsi à documenter et à dénoncer les pratiques de profilage social, politique et racial. La section de Québec s’engage aussi en 2023 aux côtés de la LDL nationale dans sa campagne Les interpellations policières au Québec : une pratique à interdire pour réclamer l’arrêt de la pratique arbitraire des contrôles d’identité arbitraires ou street check.

Défense du droit de manifester

La défense du droit de manifester à Québec devient un sujet d’importance pour la LDL-Qc dans le contexte des mobilisations étudiantes de 2012 et de l’adoption d’un règlement municipal obligeant les manifestant-e-s à fournir l’itinéraire de leur manifestation (article 19.2 du règlement 1091). Plusieurs groupes communautaires de Québec, dont la LDL-Qc, co-fondent alors la Coalition pour le droit de manifester, encore active à ce jour. La coalition mène une longue campagne médiatique et juridique contre l’article 19.2, qui aboutit à son abrogation en 2023, puis à son remplacement par un nouveau règlement qui continue de restreindre le droit de manifester. La coalition n’a donc pas terminé de mobiliser autour de cet enjeu ! Parallèlement, la LDL et la section de Québec entreprennent plusieurs initiatives pour promouvoir et défendre le droit de manifester, dont un forum6, des outils de vulgarisation, une campagne de valorisation des manifestations intitulée Manifester m’a permis7, et le dépôt d’une plainte collective auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) à la suite des arrestations massives lors d’une manifestation en 20128. De manière continue, une veille du droit de manifester dans la ville de Québec est assurée par la LDL-Qc, que ce soit à l’occasion du G7 en 20189 ou plus récemment, de manifestations en solidarité avec la Palestine10.

Femmes d’ici et d’ailleurs égales en droits

La création, en 2018, du comité Femmes d’ici et d’ailleurs égales en droits (FIAÉD) permet à la LDL-Qc de s’enraciner davantage  dans  les  luttes  féministes et antiracistes à Québec et au-delà. Initialement soutenu par un financement du Secrétariat à la condition féminine, ce comité réunit des femmes racisées autour d’un projet d’autonomisation féministe axé sur la défense collective des droits. Le comité collabore régulièrement avec le Regroupement des groupes de femmes de la Capitale nationale (RGF-CN) ainsi qu’avec d’autres organismes communautaires, dont le Service de référence en périnatalité pour les femmes immigrantes de Québec et le Mois de l’Histoire des Noir-e-s. Plusieurs événements sont organisés chaque année pour créer des espaces d’échange et promouvoir le droit à l’égalité, dont des ateliers-conférences, des cercles de parole, des expositions artistiques et des activités de sensibilisation. Le comité participe aussi à des projets de radio et de baladodiffusion11, et ses membres prennent fréquemment la parole en public, notamment par la rédaction de lettres ouvertes12, pour valoriser l’apport des femmes migrantes à la lutte pour l’égalité des droits et libertés.

Diversité sexuelle et de genre

En 2021, la LDL-Qc se mobilise sur la question des discriminations basées sur l’expression de genre et l’orientation sexuelle. Un projet est développé en partenariat avec le Groupe régional d’intervention sociale de Québec (GRIS-Québec) et mène à la création de capsules informatives, d’un épisode de balado et d’un lexique sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Ces ressources abordent les droits des personnes LQBTQIA+ ainsi que les différentes formes de discrimination auxquelles elles peuvent être confrontées, notamment dans le champ de la santé et des services sociaux. L’épisode de balado Entre droits et discriminations : diversité sexuelle et pluralité des genres, réalisé avec la radio communautaire CKIA-FM et le GRIS-Québec, est disponible sur la plateforme Spotify13. La deuxième édition du Lexique sur la diversité sexuelle et la pluralité des gen­ res, mise à jour avec la collaboration de Marie-Philippe Drouin, a été distribuée en plus de 1 000 exemplaires14.

Droit à la scolarisation

En 2021, des militant-e-s de Québec se rassemblent à la LDL-Qc pour agir face à l’exclusion scolaire que vivent plusieurs élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA). Depuis, le comité pour le droit à la scolarisation est l’un des comités les plus actifs de l’organisme. Il documente les moments de perte d’accès à l’école que vivent des élèves HDAA, mobilise les acteurs sociaux, parents et militant-e-s et travaille à la construction d’un discours et d’outils de vulgarisation sur ce sujet. Ses membres sont très actif-ve-s dans l’espace public et multiplient les conférences, articles et lettres ouvertes afin de visibiliser cet enjeu et de revendiquer le respect des droits des élèves HDAA. Récemment, le comité a co-organisé un colloque à l’UQAM portant sur cette thématique, qui a permis de jeter les bases d’un réseau d’organismes, de chercheurs, de chercheuses et de militant-e-s préoccupé-e-s par cette question15.

Une voix essentielle pour les droits humains à Québec

Depuis trois décennies, la section de Québec de la Ligue des droits et libertés œuvre sans relâche pour défendre et promouvoir les droits de la personne. En célébrant ce 30e anniversaire, rendons hommage à toutes celles et tous ceux qui ont contribué à cette mission essentielle. Que l’avenir soit marqué par une continuité de cette lutte collective pour une société plus juste et équitable !  
1 Cet article a été rédigé à partir des archives de la LDL-Qc et du rapport La Ligue des droits et libertés Section Québec : 20 ans d’implication sociale et de protection des droits et libertés, rédigé en 2014 à l’occasion du 20e anniversaire de l’organisme par Pier-Luc Castonguay et Charles-Alex 2 Émissions Droits devant, CKRL 1, Québec, 2004 à 2007. 3 Archives photos et une analyse du Sommet : Pierre Bourdieu, Le Sommet des peuples de Québec, Inter, 80, 14–15, 2001. En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/inter/2001-n80-inter1113746/46060ac.pdf 4 Rapport du comité de surveillance des libertés En ligne : https://liguedesdroitsqc.org/wp-content/uploads/2016/04/rap-2001-06-14-sommet_des_ameriques-1.pdf 5 Vingt ans après l’invasion de l’Irak, que reste-t-il du mouvement antiguerre ?, Radio-Canada, 16 mars 2023. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1963674/manifestation-guerre-quebec-irak 6 Extraits du En ligne : https://liguedesdroitsqc.org/forum-droit-de-manifester/ 7 Capsules de la campagne Manifester m’a En ligne : http://liguedesdroitsqc.org/manifester-ma-permis/?fbclid=IwY2xjawF3keJleHRuA2FlbQIxMAABHay-UhDeRaTeL3aNQXuq oysi0t0Gl9DekfBhE-emgWorhgPYchLjhHu6Gw_aem_zMBla055SdKo7tsvmr_fUQ 8 Arrêtés pour un carré rouge, Le Devoir, 4 juillet En ligne : https://www.ledevoir.com/societe/444238/profilage-politique-contre-les-carres-rouges? 9 Ligue des droits et libertés, Manifester sous intimidation – Rapport de mission d’observation du G7, 2018. En ligne : https://liguedesdroits.ca/manifester-intimidation-rapport-de-mission-dobservation-g7/ 10 Ligue des droits et libertés - section Québec, Communiqué – Démantèlement d’un campement étudiant à l’UL : La LDL-Qc dénonce la répression du droit de manifester, 2024. En ligne : https://liguedesdroitsqc.org/communique-demantelement-dun-campement-etudiant-a-lul-la-ldl-qc-denonce-la-repression-du-droit-de-manifester/ 11 Projet balado La part de nous qui est restée à la frontière. En ligne : https://open.spotify.com/show/5rUuXUYkaMY6ROOij7qu1f 12 Empêcher les demandeurs d’asile de bénéficier des services de garde est indigne du Québec, Le Soleil, 4 mars En ligne : https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/2024/03/04/empecher-les-demandeurs-dasile-de-beneficier-des-services-de-garde-est-indigne-du-quebec- UZETT2Q3A5HVZAA4JRZYRJVABM/ 13 Ligue des droits et libertés - section Québec, Entre droits et discriminations:     diversité sexuelle et pluralité des genres, En ligne : https://open.spotify.com/episode/38ZXLYCmMbj7ILCIwOZU93?si=V_qA4ch0Qh-AdUX_B9Je-w 14 Ligue des droits et libertés - section Québec, Lexique sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, 2e édition, Québec, En ligne : http://liguedesdroitsqc.org/wp-content/uploads/2022/10/Lexique-2e-Ed.pdf 15 Le colloque À l’école de l’abandon : droits et bris de droits des élèves HDAA en situation de déscolarisation » a lieu lors de l’édition 2024 du Congrès des sciences humaines, tenu à l’Université du Québec à Montréal.

L’article 30 ans de lutte pour les droits et libertés à Québec est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Trump, ou comment user du droit contre la justice

17 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Trump, ou comment user du droit contre la justice

Édouard De Guise, Étudiant à Sciences Po Paris et militant à la Ligue des droits et libertés

Par l’agrégation de morceaux constitutionnels qui semblent inoffensifs, voire nécessaires, certains autocrates réussissent à prendre le pouvoir par le biais d’élections en instaurant des régimes illibéraux. Ils forment ce que Kim Scheppele appelle un « Frankenstate », c’est-à-dire un régime autoritaire monstrueux, constitué d’une série de dispositions légales qui semblent normales prises séparément mais qui, en s’additionnant, peuvent menacer la démocratie. À l’aune de l’élection récente de Donald Trump pour son deuxième mandat à la tête du gouvernement étasunien, plusieurs des déclarations récentes du président élu et ses nominations à divers postes gouvernementaux inquiètent sur ses intentions d’utiliser le droit pour aller à l’encontre de la justice, d’affaiblir la démocratie étatsunienne et de commettre des violations de droits par l’usage de moyens légaux.

Le premier mandat

Le premier séjour de Donald Trump dans le bureau ovale a été marqué par plusieurs mesures qui ont significativement affaibli l’équilibre démocratique aux États-Unis. Au premier chef, son parti a souvent pratiqué le constitutional hardball, un terme défini par Steven Levitsky et Daniel Ziblatt dans leur ouvrage How Democracies Die. Il s’agit selon eux d’entreprendre des mesures qui respectent la lettre de la loi mais qui sont, par rapport à la culture et à la pratique constitutionnelles en place, abusives. Ainsi, le Sénat majoritairement républicain a refusé de valider la nomination de Merrick Garland à la Cour suprême des États-Unis dans la dernière année du deuxième mandat de Barack Obama. Ils n’ont cependant pas hésité à remplacer Ruth Bader Ginsburg alors que cette dernière est décédée à 45 jours de l’élection présidentielle de 2020. En jouant ainsi avec les doubles standards, les procédures et les institutions, le président Trump a réussi à nommer trois des neuf juges à la Cour suprême, portant la majorité de juges conservateurs à six contre trois. [caption id="attachment_20902" align="alignnone" width="593"] Vue de la sculpture Arrival de John Behna, cadeau du peuple irlandais aux Nations unies, New York. Crédit : Photo ONU, UN7732840[/caption]

Plusieurs analystes croient qu’il faut maintenant s’attendre à un Trump revanchard, prêt à tout pour punir celles et ceux qui ont tenté de lui barrer le chemin.

Les politiques de sa première administration ont également conduit à plusieurs bris de droits, notamment à travers des coupes dans plusieurs agences ou départements gouvernementaux. Par exemple, l’administration Trump a adopté une règle particulière, appelée gag rule, qui empêchait de facto Planned Parenthood de toucher des fonds fédéraux. Cette organisation à but non lucratif est une structure importante de l’offre de service de santé reproductive, de contraception et d’avortement aux États-Unis. En coupant ce financement, l’accès à ces services essentiels a été réduit pour une grande partie de la population étatsunienne. Ces coupes seront certainement de retour dans l’agenda politique du deuxième mandat, ce que laisse supposer la nomination du milliardaire Elon Musk à la tête d’un département de l’efficacité gouvernementale, chargé d’émonder l’État étasunien. Au cours de son premier mandat, Trump n’a pas hésité à violer plusieurs autres droits. Sur les droits des personnes incarcérées, l’agence de protection frontalière a détenu des enfants migrants après avoir forcé leur séparation de leurs parents. Sur le droit à un environnement sain, l’homme d’affaires a retiré le pays des Accords de Paris sur le climat dès ses premiers instants dans le bureau ovale. Sur les droits démocratiques, Trump a tenté de renverser le résultat de l’élection présidentielle de 2020 en sommant des officiel-le-s de l’État de Géorgie de lui trouver 11 000 votes. Les exemples sont presque infinis, mais cet article ne l’est pas.

La chasse aux adversaires

Les inquiétudes n’étaient peut-être pas aussi vives en 2016 qu’elles le sont en 2024. Et pour cause : l’homme d’affaires n’avait aucune expérience politique; il n’avait pas encore de loyalistes établis dans l’appareil gouvernemental et il n’avait pas une emprise complète sur le parti républicain. Certes, ces éléments illustrent un pouvoir augmenté par rapport à sa précédente victoire électorale, mais ce n’est pas ce qui inquiète le plus. Depuis 2016, Trump a vécu plusieurs épisodes politiques et juridiques qui ont changé son attitude. Alors qu’il se présentait comme un loup solitaire, se disant prêt à drainer le marécage (drain the swamp), il n’avait pas encore expérimenté ni les limites constitutionnelles du pouvoir exécutif aux États-Unis, ni sa défaite électorale de 2020. Plusieurs analystes croient qu’il faut maintenant s’attendre à un Trump revanchard, prêt à tout pour punir celles et ceux qui ont tenté de lui barrer le chemin. À l’inverse, il faut s’attendre à ce qu’il utilise le très puissant pouvoir de pardon présidentiel pour gracier des allié-e-s. Certains juristes croient qu’il pourrait même tenter de se gracier lui-même, puisqu’il fait l’objet de plusieurs enquêtes judiciaires. Cette option demeure toutefois peu probable puisque les accusations portées à son encontre seront probablement retirées ou reportées à plus tard. Or, Trump a déjà utilisé son pouvoir de clémence envers des ami-e-s et allié-e-s lors de son premier mandat. Paul Manafort, reconnu coupable de conspiration contre les États-Unis et d’obstruction à la justice, avait notamment été gracié de cette façon. Ainsi, il faut certes s’attendre à un État de droit considérablement affaibli par l’impunité qu’il accordera à ses proches pendant son deuxième mandat.

Des anciens allié-e-s inquiets

Ses anciens allié-e-s ne sont pas toutes et tous restés dans ses bonnes grâces. Certains d’entre elles et eux portent des accusations graves à son encontre, suggérant notamment qu’il pourrait adopter un comportement illibéral à l’avenir. C’est notamment le cas du Major John Kelly qui, quelque temps avant la présidentielle de 2024, affirmait croire que Trump correspondait à sa définition d’un fasciste. Exemple à l’appui : Trump aurait partagé avec lui son souhait que son personnel militaire fasse preuve de la même loyauté envers lui que les généraux d’Hitler. Il s’agit d’un trait typique chez les autocrates, qui valorisent la loyauté davantage que la compétence. L’actualité récente semble nous indiquer que le président élu tente de réaliser son rêve autocratique. Il nomme à des postes-clés de son administration des allié-e-s dont personne ne remet en cause la loyauté, mais dont plusieurs doutent des compétences et même du caractère approprié. À cet égard, Pete Hegseth et Tulsi Gabbard, respectivement présentateur de Fox News présentant un « risque de l’intérieur » aux forces armées, et ancienne représentante ayant partagé certaines opinions avec Vladimir Poutine et Bachar al-Assad, ont été désignés à la tête de la défense nationale et du renseignement. Comme pour empêcher ses subordonné-e-s de devenir des obstacles à son projet, Trump s’assure d’une loyauté totale pour renforcer son emprise sur l’appareil étatique. Au moment d’écrire ces lignes, les procédures sénatoriales de validation des nominations ne sont pas enclenchées. Or, les noms évoqués par Trump pour constituer son administration ne font pas l’unanimité dans la législature républicaine. Pour éviter d’essuyer des revers de la part de la Chambre haute, le président élu a soutenu publiquement l’idée d’une suspension du Sénat. Cela lui permettrait de faire des nominations « en vacance ». Selon Sarah Binder, politologue à l’université George Washington, une telle décision de la part du Sénat présenterait une « abdication absolue de leur pouvoir constitutionnel ».

Un président intouchable

Par ces mesures, passées ou anticipées, Trump pratique un décapage démocratique du système politique étasunien. Par des moyens qui respectent le droit mais violent les plus fondamentales normes de tout régime libéral, le président élu instaure un régime de gouvernance dont il tient entièrement les rênes, soutenu par des allié-e-s qui marchent au pied. Le plus inquiétant reste toutefois la question d’immunité présidentielle accrue. Un-e président-e ne peut pas être sanctionné-e pour des actions qui respectent la lettre de la loi. Or, la Cour suprême des États-Unis a récemment jugé qu’elle ou il ne peut pas être traduit en justice non plus pour les actes illégaux qui auraient été commis « dans l’exercice de ses fonctions officielles ». La conjoncture politique étasunienne actuelle inquiète. Des violations des fondements de la démocratie, conjuguées à une culture d’impunité qui prend de la vigueur, mettent en grave danger le caractère libéral de l’État. Dans ce contexte, il faut certainement s’attendre à des violations de droits massives de la part des autorités américaines, par leur inaction, ou même par leur action, que même la géniale Constitution des États-Unis d’Amérique ne pourra prévenir.

L’article Trump, ou comment user du droit contre la justice est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Agir pour le droit international des droits humains

13 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2024 / hiver 2025

Agir pour le droit international des droits humains

Sam Boskey, premier vice-président du CA de la Ligue des droits et libertés Les conflits qui se déroulent un peu partout sur la planète contribuent à nous enseigner la géographie. Nombreux sont celles et ceux qui n’auraient pu situer sur une carte la bande de Gaza, le Yémen, le Katanga, le Sud-Soudan ou le Donbass avant que les médias et les réseaux sociaux ne soient envahis de reportages ou de publications sur les assauts militaires, les tractations complexes des relations internationales, l’aide internationale de nombreuses organisations humanitaires ou encore, les missions de paix des Nations unies (ONU). [caption id="attachment_20676" align="alignnone" width="731"] Photo ONU, UN7732841, Sphère dans une sphère, Arnaldo Pomodoro, 1996.[/caption] Si les notions de géographie sont mises à jour par les conflits, de façon similaire, ces derniers permettent à de nombreuses personnes de s’initier au droit international des droits humains, et aux instruments et organes sensés en assurer la surveillance et le respect : conventions sur le génocide, sur les crimes de guerre, sur les droits des réfugié-e-s, Cour internationale de justice, Cour pénale internationale, rapporteuses et rapporteurs spéciaux de l’ONU, etc. L’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) en 1948 — peu de temps après les catastrophes pour l’humanité en Afrique, en Chine, en Espagne, qui ont culminé avec l’Holocauste et les bombes atomiques larguées sur le Japon — ne prouve pas que la plupart des pays du monde aient soudainement décidé de tourner leur attention vers la paix et l’amour.

La survie de l'humanité

C’était plutôt la reconnaissance que, dans la nouvelle ère des armes nucléaires, l’éradication des conditions qui provoquent les hostilités — en utilisant l’institution du droit international des droits humains — était une condition sine qua non de la survie de l’humanité. Il s’avère nécessaire de regarder avec lucidité les revers que subit le cadre international de promotion et de protection des droits humains dans le contexte de conflits armés au Moyen-Orient et la montée des politiques réactionnaires, ici comme ailleurs. Face à la multiplication des débats sur la législation des droits humains et sur ses institutions, les répliques fusent de toute part. Une nouvelle variante pathogène germe à travers le monde : des pays, des politiques, des entreprises, des mouvements populaires, qui non seulement ignorent délibérément les décrets internationaux, mais les calomnient, les attaquent et remettent en cause leur légitimité. Plusieurs exemples le démontrent : le comportement des pays qui continuent activement à envoyer des armes dans les zones de guerre, ou à permettre aux entreprises basées chez eux de le faire ; la dérive des politiques nationales vers une attitude agressive envers les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ; la tentative de criminaliser la parole et le droit de manifester des personnes qui tentent de faire pression sur leur gouvernement et leurs institutions, au pays et à l’étranger, pour qu’ils respectent les droits humains.

Les défis du droit international

Avec les avis de la Cour internationale de justice ou les rapports de la Rapporteuse spéciale Francesca Albanese, ouvertement ignorés par certain-e-s et insuffisants pour changer la donne, avec la désignation du secrétaire général de l’ONU comme persona non grata par Israël, les événements actuels incitent à une réflexion de fond dans la communauté promouvant et protégeant les droits humains. Les défis du droit international des droits humains et des instances qui le composent ne sont pas nouveaux ; de puissants rapports de force entre les États sont à l’œuvre depuis le départ. Néanmoins, malgré les revers, il est plus essentiel que jamais d’avoir des exigences élevées en ce qui concerne l’adoption du cadre de référence des droits humains par les gouvernements du monde entier. Malgré cette visibilité accrue du droit international durant certaines périodes, ce n’est pas pour autant que les droits humains et le système international voué à les protéger soient pleinement assimilés à notre culture commune. Par exemple, la célébration de la Journée des Nations unies, le 24 octobre, est depuis longtemps tombée en désuétude dans nos écoles. Presque passé sous silence, le 75e anniversaire de la DUDH, le 10 décembre 2023, appelait à davantage d’attention médiatique et politique que le traitement marginal que ce jalon important du XXe siècle a reçu. Si le Canada est signataire de dizaines d’accords internationaux sur les droits humains, les tribunaux sont souvent réticents à les appliquer, à moins que les législatures nationales ne les aient explicitement incorporés dans les lois internes. Mentionnons tout de même qu’avec lenteur et obstacles multiples des avancées se font en droit interne.

Vers de nouvelles stratégies

Il est de plus en plus évident qu’en tant que communauté des droits humains, nous devons développer de nouvelles stratégies autres que les activités éducatives traditionnelles qui n’ont jamais suffi à induire le changement. Elles sont même de plus en plus inefficaces face aux négatrices et négateurs des droits humains, personnes de pouvoir et institutions qui ne souhaitent pas respecter les droits et libertés. Elles alimentent sciemment la désinformation, instrumentalisent certains droits, et se permettent de plus en plus de mépris dans leurs affirmations ; le droit international peut s’appliquer à d’autres, mais pas nécessairement à elles et eux.

Pour le respect des droits humains

Le Québec témoigne du même glissement vers une rhétorique de rejet des droits humains : le gouvernement au pouvoir traite parfois les droits et libertés comme des obstacles exaspérants, et à d’autres occasions il appuie son argumentaire sur certains droits, au détriment d’autres droits. Il ne tient pas compte de l’interdépendance, de l’indivisibilité et de l’universalité des droits. Il déroge aux droits protégés par nos Chartes pour adopter des législations attentatoires aux droits. Il remet en cause la séparation des pouvoirs, et donc l’idée selon laquelle nul n’est au-dessus de la Loi, en remettant en question le rôle des tribunaux de vérifier la conformité des lois avec les droits humains. Ainsi, les tumultes de ces dernières années doivent nous inciter à réfléchir aux conditions systémiques qui permettent ce mépris du cadre de référence des droits humains ainsi qu’aux stratégies pour changer la donne. De tout temps, énoncer les droits et les faire connaître n’a jamais suffi à permettre leur exercice réel et leur appropriation sur le plan culturel. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Il est essentiel de poursuivre les mobilisations et la pression sur les gouvernements pour exiger d’eux le respect des droits humains sur le plan local et le respect de leurs obligations à l’international. Il est vrai que les mécanismes et instances du droit international échouent à contraindre les États à respecter les droits. Il n’en demeure pas moins que le cadre des droits humains revêt une puissance argumentaire et analytique extraordinaire dont nous devons, toutes et tous, nous saisir collectivement pour notre avenir commun.

L’article Agir pour le droit international des droits humains est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Imaginer une ville des droits humains

13 décembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Nouveau numéro maintenant disponible !

La Ligue des droits et libertés consacre son nouveau numéro de Droits et libertés aux enjeux de droits humains dans les villes au Québec.

Au sein des villes, tous et toutes ne sont pas égaux. Les inégalités existent et persistent dans le temps concernant l'accès au transport, aux emplois, à l'espace public, au logement ou à l'exercice de la citoyenneté, par exemple.

Les municipalités sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans l'élaboration de politiques, de programmes et d'initiatives pour relever les défis actuels et futurs, qui sont vastes et urgents, comme les enjeux environnementaux.

Ce palier gouvernemental peut assurer le respect, la protection et la mise en oeuvre des droits humains et contribuer positivement à la transformation sociale.

Lancement

Le lancement de la revue a lieu le mercredi, 5 février 2025 dès 18 h à la Librairie Zone libre à Montréal.
Inscrivez-vous!
Bonne lecture !

Consulter la table des matières


Procurez-vous la revue Droits et libertés!


* Les articles sont mis en ligne de façon régulière. *

Dans ce numéro

Éditorial

Agir pour le droit international des droits humains
Sam Boskey

Chroniques

Le monde de Québec
30 ans de luttes pour les droits et libertés à Québec
Sophie Marois
Josyanne Proteau
Un monde de lecture
Du naturalisme antique à l'écologie contemporaine
Catherine Guindon
Un monde sous surveillance
Lutter contre l'ingérence sans bafouer les droits
Tim McSorley
Ailleurs dans le monde
Repenser les droits humains en Haïti
Frantz Voltaire

Hors dossier

Toutes les vies se valent-elles vraiment?
Christian Djoko Kamgain Du Bandung de 1955 à 2024! Les Suds du Nord parlent!
Safa Chebbi Trump, ou comment user du droit contre la justice
Édouard de Guise

Dossier principal

Imaginer une ville des droits humains

Présentation

Imaginer une ville des droits humains
Diane Lamoureux Une exigence du droit international des droits humains
Me Lucie Lamarche Municipalités et droits humains: une rencontre qui se densifie
Me Benoît Frate
Me David Robitaille Habiter et cohabiter
Michel Parazelli Nouveaux visages de l'itinérance… issus de l'immigration
Maryse Poisson
Mauricio Trujillo Pena
Florence Bourdeau Participation citoyenne et villes, quel avenir?
Elsa Mondésir Villefort Défis de collaboration entre villes et organismes communautaires
Caroline Toupin La transition écologique, ça concerne tout le monde!
Entretien avec Nadia Lemieux
Propos recueillis par Elisabeth Dupuis Emplois municipaux, pour qui?
Elisabeth Dupuis Embarquez avec nous!
Comité mobilité de la Table des groupes de femmes de Montréal

Reproduction de la revue

L'objectif premier de la revue Droits et libertés est d'alimenter la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Ainsi, la reproduction totale ou partielle de la revue est non seulement permise, mais encouragée, à condition de mentionner la source.

Procurez-vous la revue Droits et libertés!

L’article Imaginer une ville des droits humains est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Nouvelles prisons, mêmes enjeux ?

28 novembre 2024, par Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2024

Nouvelles prisons, mêmes enjeux?

Mathilde Chabot-Martin, candidate à la maîtrise, École de travail social, UQAM Karl Beaulieu, doctorant, École de travail social, UQAM
[caption id="attachment_17085" align="alignright" width="393"] Établissement de détention Leclerc de Laval. Les femmes y sont incarcérées, dans des conditions maintes fois dénoncées, depuis la fermeture de la Maison Tanguay en 2016. Le gouvernement du Québec a annoncé six ans plus tard, en 2022, la construction d’une nouvelle prison d’ici 2030 au coût de 400 millions de dollars.[/caption]
Nombre de voix se sont élevées ces dernières années pour dénoncer les violations des droits humains et les conditions de détention délétères qui continuent de régner au sein des prisons et pénitenciers au Québec et au Canada. Personnes (ex-) incarcérées, chercheuses et activistes participent à remettre de l’avant une réflexion collective sur la pertinence de la prison comme institution1. Par leurs prises de parole, elles démontrent comment l’institution carcérale fonctionne selon une logique punitive, individualisant des problématiques pourtant structurelles. Ainsi, la prison contribue à la reproduction des inégalités sociales et enferme de manière disproportionnée les personnes marginalisées dans un cycle sans fin d’injustice et d’exclusion. Ces constats, mis de l’avant dans de multiples rapports et ouvrages publiés récemment2, devraient interpeller et préoccuper nos décideurs politiques et les autorités des services correctionnels. Or, ils sont plutôt accueillis par un mutisme inquiétant et une récupération politique préoccupante. En effet, la prison profite d’une légitimité et d’un appui politique aveugle qu’aucune recherche ne semble pouvoir ébranler, ni  même  minimalement  remettre  en question. Dans ce contexte, quel avenir pour la prison, et comment comprendre son actuelle expansion, malgré les critiques qui émanent de nos mobilisations ?
[…] cet usage de l’inclusivité au sein des discours officiels s’inscrit dans l’idéologie d’une nouvelle carcéralité. En effet, les critiques relatives à la surreprésentation et aux spécificités de certains groupes sont, ici, instrumentalisées pour mieux enfermer plutôt que de désincarcérer.

Des prisons inclusives ?

Pour justifier les plus récentes expressions de l’expansion carcérale, celle de la construction de nouvelles prisons et du réaménagement d’espaces carcéraux, à laquelle nous assistons, plusieurs discours récents réfèrent à une volonté d’inclusivité. Effectivement, les services correctionnels québécois ont annoncé à la fin de l’année 2022 la construction d’une nouvelle prison pour femmes, la plus grosse qui soit au Québec. Cette nouvelle prison, nous dit-on, « pourra leur offrir de meilleures perspectives de réinsertion sociale grâce à un meilleur accès aux programmes et aux services dont elles ont besoin3 ». Au niveau fédéral, des millions de dollars ont récemment été alloués pour aménager des espaces traditionnels autochtones au pénitencier Archambault de Sainte-Anne-des-Plaines. À nouveau, les autorités soutiennent que ces espaces vont permettre de « répondre davantage aux besoins culturels de la clientèle autochtone »4. D’autres annonces promettent aux prisonnier-ère-s trans d’être incarcéré-e-s de manière conforme à leur identité de genre, embrassant un discours inclusif des personnes trans (Trans rights are human rights)5. On met ainsi l’accent sur l’inclusivité, afin de mieux enfermer des populations ciblées. Nous soutenons que cet usage de l’inclusivité au sein des discours officiels s’inscrit dans l’idéologie d’une nouvelle carcéralité. En effet, les critiques relatives à la surreprésentation et aux spécificités de certains groupes sont, ici, instrumentalisées pour mieux enfermer plutôt que de désincarcérer. Cette nouvelle carcéralité présente le risque évident que les prisons deviennent des espaces où les personnes marginalisées pourraient finalement obtenir l’accès aux soins et aux services dont elles ont besoin. Si la mise en place et l’investissement dans des programmes ciblés et adaptés sont souhaitables, nous partageons l’idée bien répandue selon laquelle ceux-ci doivent avoir lieu en amont de l’incarcération. C’est notamment ce que suggérait l’Enquêteur correctionnel du Canada au moment de l’annonce des réaménagements culturels au pénitencier Archambault, rappelant l’échec des programmes fédéraux pour les personnes autochtones incarcérées et demandant plutôt la redirection de ces fonds vers les communautés autochtones. En somme, cette idée de faire des prisons plus inclusives nous ancre dans un cycle répressif où les gens doivent être punis pour obtenir des soins au sein de notre société. Considérant l’ampleur des conséquences liées à un passage en prison, dont la stigmatisation et les conséquences sur l’entourage des personnes incarcérées, nous devons plutôt investir dans les soins en amont. Autrement, nous continuons à nourrir un cycle d’enfermement des personnes marginalisées, coûteux sur le plan économique et dévastateur sur le plan social. Les prisons sont des institutions intrinsèquement exclusives, elles ne peuvent pas être inclusives.

Plus sécuritaires… pour qui ?

Un deuxième enjeu nommé par les autorités pour justifier l’expansion carcérale a trait à la sécurité – sécurité qui semble ne jamais pouvoir être complètement atteinte. Plusieurs analyses soutiennent que la prison est un environnement hostile où les personnes incarcérées sont à risque de subir des violences physiques, psychologiques et sexuelles6. L’environnement carcéral produit et exacerbe de nombreux problèmes de santé affectant l’intégrité physique et mentale des personnes incarcérées. Tel que présenté dans l’article Quand la prison fait mourir de ce dossier, un récent rapport révèle une hausse de 87 % des décès dans les prisons entre 2009-2010 et 2021-2022, d’autant plus marquée en ce qui concerne les suicides. Toutefois, il semble que les critiques à propos des mauvaises conditions de détention des personnes incarcérées deviennent encore une fois des leviers justifiant l’expansion carcérale. Par exemple, le ministère de la Sécurité publique (MSP) a promis le « plus gros investissement jamais accordé dans la sécurité de nos prisons »7 en réponse, notamment, aux enjeux liés aux conditions de détention des personnes incarcérées8. Les problématiques humanitaires dans les prisons sont donc abordées sous le prisme de la sécurité, ce qui n’est pas un choix anodin. Ce cadrage sécuritaire des conditions de détention des personnes incarcérées est révélateur des priorités du MSP et pose la question : de la sécurité de qui parlons-nous exactement ? En effet, en répondant à des problématiques de nature sociale par des investissements dans la sécurité des lieux, les autorités démontrent un manque de considération pour le bien-être des personnes incarcérées. Par ailleurs, l’augmentation des mesures de sécurité dans les prisons, entendues ici comme plus de surveillance et de répression, ouvre non seulement la porte à plus d’abus envers les personnes incarcérées, mais elle voile également l’enjeu des conditions de détention et violations de droits dont il est question au sein des multiples rapports. Il semble donc qu’on parle strictement d’une sécurité qui exclut celle des personnes incarcérées lorsqu’on promet plus d’investissements dans le béton. Comment peut-on expliquer que les mauvaises conditions de détention et la violence qui règnent au sein des prisons soient résolues par des mesures soutenant une répression et un contrôle encore plus étroits ?

Pas une solution

De nouvelles prisons plus inclusives et toujours plus sécuritaires ne sont pas la solution. Il faut plutôt voir ces récents investissements comme un réflexe social d’entêtement carcéral, nous empêchant de réfléchir collectivement à des pistes de sortie de la carcéralité. Les personnes de la diversité sexuelle et de genre, les personnes autochtones, noires, et vivant dans la pauvreté sont surreprésentées au sein des prisons. Or, si nous nous enfermons socialement dans le paradoxe de la prison inclusive, les prochaines années pourraient faire place à une exacerbation des inégalités en matière d’enfermement. Lorsque les problèmes causés par les prisons sont pointés du doigt, les discours officiels nous amènent à penser que ce sont des prisons dont nous devons prendre soin, plutôt que des personnes qui s’y trouvent. Là est le problème. Face au cycle d’enfermement sans fin dans lequel nous sommes engagés, il faut mettre fin à la construction de nouvelles prisons. Si nous souhaitons véritablement avoir une société plus juste et assurer une sécurité réelle pour les groupes marginalisés, agissons tout de suite, avant les premières pelletées de terre pour la construction de la nouvelle prison pour femmes de Montréal. Bien qu’il faille continuer de porter attention aux problèmes concernant les conditions de détention qui règnent à l’intérieur des prisons, il faut également, en amont,investir dans des programmes agissant au sein de nos communautés et refuser l’expansion carcérale. Les prisons sont des endroits mortifères où les violations de droits et les dénis de soins sont des réalités quotidiennes pour les personnes incarcérées : elles ne sont pas une solution comme le rappelle la Ligue des droits et libertés. Ce dossier nous rappelle l’importance d’imaginer et de bâtir autour d’initiatives locales, humaines, ancrées dans nos communautés, étant porteuses de principes de bienveillance et ayant à cœur le respect des droits humains. Ces solutions existent et continuent à émerger autour de nous. Il suffirait qu’on leur porte collectivement notre attention pour que nos communautés se portent mieux.

L’article Nouvelles prisons, mêmes enjeux? est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Membres