Revue Droits et libertés
Publiée deux fois par année, la revue Droits et libertés permet d’approfondir la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Réalisée en partenariat avec la Fondation Léo-Cormier, la revue poursuit un objectif d’éducation aux droits.
Chaque numéro comporte un éditorial, les chroniques Un monde sous surveillance, Ailleurs dans le monde, Un monde de lecture, Le monde de l’environnement, Le monde de Québec, un dossier portant sur un thème spécifique (droits et handicaps, droits des personnes aînées, police, culture, droit à l’eau, profilage, mutations du travail, laïcité, etc.) ainsi qu’un ou plusieurs articles hors-dossiers qui permettent de creuser des questions d’actualité. Les articles sont rédigés principalement par des militant-e-s, des représentant-e-s de groupes sociaux ou des chercheuses ou chercheurs.
Créée il y a 40 ans, la revue était d’abord diffusée aux membres de la Ligue des droits et libertés. Depuis, son public s’est considérablement élargi et elle est distribuée dans plusieurs librairies et disponible dans certaines bibliothèques publiques.
Bonne lecture !

Lutter contre l’ingérence sans bafouer les droits
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Lutter contre l’ingérence sans bafouer les droits
Tim McSorley, Coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles
Une traduction par Barbara Ulrich, traductrice Des inquiétudes entourant l’ingérence étrangère continuent à faire les manchettes au Québec et à travers le Canada, suscitant l’examen approfondi, la controverse et les appels à agir aussi rapidement que possible afin de remédier à ce que les agences nationales de sécurité ont nommé de façon hyperbolique une menace existentielle pour le Canada. Il y a de toute évidence des incidences d’ingérence étrangère qui soulèvent des préoccupations urgentes. À titre d’exemple, les révélations que les membres de la communauté Sikh au Canada ont été des cibles d’harcèlement, de violence et même de meurtre par des agent-e-s du gouvernement indien et d’autres menaces transnationales de répression envers des activistes de droits de la personne et leurs familles au Canada. Cependant, ce débat a été trop caractérisé par la xénophobie, le racisme, la partisanerie politique, la surenchère ainsi que la précipitation à promulguer de nouvelles lois sévères étendues. Certaines de ces lois auront non seulement des retombées significatives sur les droits humains au Canada, y compris la liberté d’expression et d’association, mais également sur la contestation et la dissidence, la coopération et la solidarité internationale, la liberté académique et la liberté de presse. Ceci est dû en grande partie à des renseignements secrets divulgués par des sources anonymes dont l’exactitude et la source soulèvent des questions de crédibilité. Une partie de ceux-ci a été examinée par l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère, mais, puisque le rapport final tarde à se faire connaître, la crédibilité de ces fuites reste entière. [caption id="attachment_20767" align="alignnone" width="719"]
Des droits bafoués, encore une fois
Malgré ces questions restées en suspens, la réponse du gouvernement a été presque exclusivement axée sur l’octroi de nouveaux pouvoirs aux agences de sécurité nationales et dans la création de nouvelles infractions importantes, lesquelles entraîneront une réaction excessive et une hypersécurisation. Notre travail, depuis 2022, sur les incidences des lois sur la sécurité nationale et les luttes contre le terrorisme adoptées, témoigne de l’importance des définitions précises, des décisions basées sur des données probantes et des réponses qui sont nécessaires et proportionnelles. Faire défaut d’adhérer à ces principes mine inévitablement les droits humains aussi bien que l’engagement et la participation démocratique. Ceci aura pour conséquence la marginalisation d’une diversité de communautés et d’organismes, notamment ceux des populations racisées, autochtones ou immigrantes et celles et ceux qui sont engagés dans la contestation, la dissidence et la remise en question du statu quo.Loi adoptée à toute vitesse
L’exemple le plus flagrant est l’adoption précipitée de la Loi C-70 — la Loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère — au mois de juin 2024, qui a entériné des changements aux systèmes canadiens de justice criminelle et de sécurité nationale. Une loi d’une telle envergure aurait requis un examen approfondi. Cependant, dans la précipitation de légiférer sur les questions de l’ingérence étrangère aussi rapidement que possible, le projet de loi a été adopté par l’ensemble du processus législatif en moins de deux mois, presque du jamais vu. À cause de la brièveté surprenante consacrée à la période d’étude, plusieurs aspects de cette législation n’ont pas été soumis à un examen et, par conséquent, des champs de préoccupation n’ont pas été pris en considération. Moins de temps voulait dire que les expert-e-s et les organismes ayant des ressources limitées ont dû précipiter leur analyse du projet de loi, rendant la soumission de mémoires et d’amendements appropriés presque impossible. Même lorsque les parlementaires et les sénateurs et sénatrices ont reconnu certaines préoccupations, le refrain était que l’étude du projet de loi ne pouvait pas être retardée afin d’adopter les nouvelles règles avant une prochaine élection potentielle, ce qui pourrait arriver à tout moment sous un gouvernement minoritaire.Pouvoirs sans lien avec l’ingérence
À titre d’exemple, la Loi C-70 a changé la Loi sur le Service canadien du rensei gnement de sécurité (Loi sur le SCRS) en créant de nouveaux mandats plus facilement accessibles pour des perquisitions ponctuelles et la collecte secrète de renseignements à l’extérieur du Canada. Ces nouveaux pouvoirs doivent être approuvés par les tribunaux, mais ceci se passe à huis clos. Cela constitue une victoire pour le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui, depuis des années, contrevient aux lois existantes régissant les mandats, notamment en dupant les tribunaux. Des seuils élevés pour l’obtention des mandats secrets sont l’une des principales façons dont nos droits garantis par la Charte des droits et libertés sont protégés ; le projet de loi C-70 les a affaiblis. Ceci n’est qu’un des multiples changements inscrits dans la Loi sur le SCRS, lesquels ne sont reliés qu’en partie à la lutte contre l’ingérence étrangère et pourront, en réalité, s’appliquer désormais à toute démarche de collecte de renseignements ou d’enquête qu’entreprend le SCRS. Des défenseur-e-s des droits humains, des organismes de développement international et de solidarité, des politicien-ne-s, des académiques, des syndicalistes, des activistes environnementaux, des défenseur-e-s des terres autochtones, des journalistes et beaucoup d’autres parties prenantes au Canada travaillent directement avec des contreparties internationales au jour le jour. Un grand nombre de ces collègues internationaux peuvent travailler pour ou représenter des gouvernements, des entreprises d’État ou des entreprises affiliées, des fondations, des institutions académiques ou des médias, ou travaillent pour des organismes multilatéraux composés de gouvernements étrangers. Ces partenariats internationaux sont incontournables, aidant à proposer de nouvelles perspectives, faisant des avancés en recherche et en politiques, partageant le travail de Canadien-ne-s à l’international et en aidant à bâtir la coopération et la solidarité internationale.Moins de temps voulait dire que les experts et les organismes ayant des ressources limitées ont dû expédier leur analyse du projet de loi, rendant la soumission de mémoires et d’amendements appropriés presque impossible.
Des impacts négatifs sur les droits
Cependant, dans sa réponse aux allégations d’ingérence étrangère, le gouvernement fédéral a introduit des règles qui auront presque certainement un effet négatif sur la liberté d’association avec des collègues internationaux, la liberté d’expression et la capacité des Canadien-ne-s de manifester et de contester. La Loi C-70 a introduit des changements significatifs à la Loi sur la sécurité de l’information, qu’on appelle maintenant la Loi sur les ingérences étrangères et la sécurité de l’information1 (FISI). Il est alarmant de constater que la FISI prévoit des peines beaucoup plus sévères — jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité — pour les infractions déjà prévues dans le Code criminel, notamment le harcèlement et l’intimidation, si elles sont commises sur l’ordre d’une entité étrangère, ou en collaboration ou pour son profit, ou, dans certains cas, avec un groupe terroriste2. Un autre article troublant de la FISI se lit comme suit :20.4 (1) Commet un acte criminel quiconque, sur l’ordre d’une entité étrangère ou en collaboration avec elle, a une conduite subreptice ou trompeuse en vue d’influencer un processus politique ou gouvernemental, la gouvernance scolaire, l’exercice d’un devoir en lien avec un tel processus ou une telle gouvernance ou l’exercice d’un droit démocratique au Canada.
Pour des définitions claires
Le problème, ici, n’est pas qu’elle vise à protéger les processus démocratiques, mais plutôt la façon dont elle tente de le faire. L’exemple le plus flagrant est le terme, « en collaboration avec », un terme vague qui n’est pas défini dans la législation. Il peut facilement vouloir dire, par exemple, qu’une personne qui collabore avec un individu ou un organisme qui travaille pour ou étroitement avec une entité étrangère (y compris non seulement des gouvernements, mais aussi des organismes indépendants financés par le gouvernement, ou même des organismes multilatéraux) sur des questions d’intérêt mutuel et, par la suite, lesquels s’impliquent pour changer une politique pourrait être vue en violation de la loi même si aucune influence véritable n’a été exercée par une entité étrangère. Le gouvernement dit également que de telles activités d’influence seraient illégales uniquement si clandestines. Mais, si vous n’agissez pas sous l’influence d’une entité étrangère, vous pourriez facilement croire que ce n’est pas nécessaire de divulguer votre association publiquement — donnant lieu à une violation possible de cette loi. La définition de ce qui constitue un processus politique, la gouvernance scolaire et l’exercice d’un droit démocratique est également très vague. Même si le but de cette nouvelle loi est louable, sa formulation peut être une menace de graves répercussions à la liberté d’expression, protestation et manifestation. Par exemple, prenons les campements universitaires en solidarité avec les Palestinien-ne-s et contre le génocide israélien à Gaza. Une de leurs revendications principales demandait aux administrations universitaires, lesquelles sont des institutions de gouvernance scolaire — de désinvestir des manufacturiers d’armements qui fournissent l’armée israélienne. Il s’agit de toute évidence d’une demande légitime visant à influencer une politique universitaire ; plus spécifiquement, il pourrait y avoir des appels au retrait de certains membres de conseil d’administration ou pour des étudiant-e-s à faire campagne auprès des associations étudiantes sur cette question. Cependant, il y avait des allégations non-fondées et fallacieuses que ces campements et ces campagnes étaient soit financés, soit coordonnés avec des gouvernements étrangers. Sous la Loi C-70, les forces de police et les agences de renseignement canadiennes seraient alors justifiées d’enquêter sur ces activistes, et, s’ils découvrent qu’une association dans laquelle n’importe quel individu ou organisme serait affilié avec un gouvernement étranger, ils peuvent encourir des pénalités sérieuses. La même chose pourrait s’appliquer à celles et ceux qui luttent pour de meilleures conditions de travail, pour la justice environnementale, pour les droits autochtones et autres.Surveillance accrue à prévoir
Il est important de ne pas attiser la peur, et ce n’est pas prévu que ces accusations soient imminentes d’aucune façon – mais elles sont absolument plausibles sous ces nouvelles lois. Malgré les assurances du gouvernement, nous ne savons tout simplement pas comment elles seront appliquées. Cependant, aussi longtemps que cette possibilité existe, elles peuvent mener à une surveillance accrue, aux menaces de représailles et, enfin, à un effet paralysant sur la liberté d’expression et autres droits humains. Les préoccupations entourant « en collaboration avec » s’étendent également à la nouvelle Loi sur l’influence étrangère et la transparence3 (LTR), créant un Commissaire à l’influence étrangère et à la transparence et le très attendu Registre de l’influence étrangère et de la transparence. Le nouveau registre exigera que les individus et les organismes s’inscrivent au registre si sous la direction de ou en association avec un commettant étranger : communique avec un-e titulaire de charge publique ; communique ou diffuse de l’information reliée au processus politique ou gouvernemental ; ou distribue de l’argent, des objets de valeur ou offre un service ou l’utilisation d’un lieu. L’obligation de s’enregistrer est plus étendue que le processus décrit ci-dessus, car un commettant étranger est défini plus vaguement qu’une « entité étrangère » et comprend l’engagement d’une manière beaucoup plus élargie que pour des changements de politiques. Les pénalités sont beaucoup moins sévères et incluent des options de fournir aux individus des avis avant de formuler de telles accusations. Cependant, l’obligation de s’inscrire dans un registre « d’influence étrangère » lorsque l’on agit simplement en association avec un commettant étranger soulève des préoccupations similaires. Tout groupement au Canada qui peut travailler avec un État étranger ou organisme affilié — même s’il n’agit pas au nom de cet organisme étranger — devrait inscrire publiquement qu’il agit sous « l’influence étrangère. » Ceci a soulevé des préoccupations sérieuses dans d’autres pays. Aux États-Unis, par exemple, une loi similaire d’enregistrement a mené a des enquêtes non-fondées4 d’organismes environnementaux et à l’obligation d’au moins un organisme national d’environnement réputé de s’inscrire à titre « d’agent étranger. » Nous pouvons nous attendre à des résultats semblables au Canada, paralysant la libre expression, la libre association et la capacité de travailler avec des partenaires internationaux sur des causes sociales importantes.La même chose [enquêter] pourrait s’appliquer à ceux et celles qui luttent pour de meilleures conditions de travail, pour la justice environnementale, pour les droits autochtones et autres.
La liberté d’expression sous pression
Finalement, la Loi C-70 a élargi les délits existants de sabotage sous le Code criminel pour inclure le délit d’ingérence dans une nouvelle catégorie étendue « d’infrastructure essentielle », qui comprend le transport, l’approvisionnement alimentaire, les activités gouvernementales, l’infrastructure financière, ou toute autre infrastructure prescrite par règlement. N’importe lequel de ceux-ci peut, à un moment donné, faire l’objet d’une manifestation ou subir les répercussions d’une manifestation qui pourrait perturber leurs activités. Bien que la nouvelle loi prévoie une exclusion pour les revendications, les manifestations d’un désaccord ou les protestations, cela s’applique uniquement si les individus n’ont pas l’intention de causer du tort. Cela laisse une grande marge de manœuvre d’interpréter « l’intention » de la protestation. Par exemple, les défenseur-e-s des territoires autochtones ont créé des blocus des chemins de fer et des routes dans le cadre d’actes de désobéissance civile avec le but avoué de perturber l’activité économique afin de mettre de la pression sur des responsables gouvernementaux. Sachant que cette action pourrait, théoriquement, créer du tort, il ne serait pas farfelu d’imaginer que le gouvernement pourrait utiliser une telle loi pour criminaliser ces protestations avec une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans. Il n’y a pas de doute que le public canadien pourrait mettre en question leur participation dans des activités de protestation puisque celles-ci pourraient être vues comme un crime plus sérieux de sabotage. Au cours des prochains mois, le gouvernement établira les règlements et nommera le Commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère, ayant une incidence sur la manière dont ces lois seront interprétées et mises en œuvre. Il est essentiel que le public et les groupements de société civile demeurent vigilants et poursuivent leur pression sur le gouvernement afin de ne pas sacrifier les droits humains au nom de combattre l’ingérence étrangère.1 En ligne : https://laws-lois.justice.gc.ca/PDF/O-5.pdf 2 Ibid. 3 En ligne : https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/F-29.2/ 4 Nick Robinson, The regulation of foreign funding of nonprofits in a democracy, International Center for Not-for-Profit Law, février 2024. En ligne : https://www.icnl.org/wp-content/uploads/Regulation-of-Foreign-Funding-of-Nonprofits-Feb-2024-author-version.pdf
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Imaginer une ville des droits humains
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Imaginer une ville des droits humains
Diane Lamoureux, Professeure émérite, Université Laval, membre du comité de rédaction et membre du CA de la Ligue des droits et libertés
Il y aura des élections municipales un peu partout au Québec en 2025. Pour évaluer les propositions des candidat-e-s à cette occasion, quoi de mieux que d’imaginer ce que pourrait être une ville où les droits humains sont pris au sérieux et qui est organisée autour des principes de liberté, d’égalité et de solidarité. Dans le contexte de la crise écologique, un premier élément est la reconnaissance effective du droit à un environnement sain. Car la dégradation de l’environnement menace la possibilité même d’existence de la vie humaine sur l’ensemble de la planète et dans les villes en particulier. Plusieurs éléments peuvent contribuer à un environnement sain : la réduction de la pollution due aux transports, pas simplement en remplaçant les voitures individuelles à essence par des voitures électriques, mais en développant de meilleurs transports collectifs et en changeant l’échelle à laquelle nous vivons dans les milieux urbains ; une meilleure répartition des services et des infrastructures collectives, ce qui permet des modes de transport actif ; le développement d’un réseau de transport en commun efficace, financièrement et physiquement accessible, à l’échelle des municipalités, mais aussi entre celles-ci ; la réduction des îlots de chaleur par une meilleure répartition des espaces verts et de la canopée, par la réduction des surfaces minéralisées comme les stationnements, et par une transformation des normes de construction. Un autre aspect du droit à l’environnement sain, c’est l’accès physique et monétaire à une alimentation saine et en quantité suffisante. À cet égard, les villes doivent prévenir les déserts alimentaires. Elles peuvent cependant faire plus, en permettant la récupération alimentaire auprès des grandes surfaces, en favorisant les initiatives de partage alimentaire (par exemple, en fournissant des locaux à des cuisines collectives), en augmentant le nombre de jardins collectifs. Un deuxième élément tout aussi central, c’est la reconnaissance que le logement est un droit et non une marchandise. On est loin de cet idéal aujourd’hui si on tient compte du nombre croissant de personnes itinérantes ou sans abri, de la situation des personnes qui doivent vivre dans des logements insalubres ou mal adaptés à leurs besoins, ou encore celle des femmes qui doivent vivre dans un climat de violence conjugale faute de ressources adéquates pour se loger. Ceci implique un parc immobilier diversifié qui corresponde aux besoins réels de la population, et des quartiers qui favorisent une véritable mixité sociale. En effet, avoir une place à soi est fondamental pour pouvoir développer le sens de sa propre dignité et nouer des relations épanouissantes avec les autres. C’est aussi un élément crucial pour la participation politique et sociale. Une caractéristique fondamentale des villes par rapport à d’autres milieux de vie, c’est leur formidable pluralité. On y retrouve une diversité de classes, d’origines ethniques, de genres, de sexualités, de religions, de capacités physiques, de cultures. Plutôt que de considérer cette diversité comme une source de problèmes ou encore comme des occasions d’inégalité et de discrimination, il faut plutôt y voir un enrichissement collectif. Pour cela, il faut développer une saine curiosité pour ces différences plutôt qu’enfermer les citoyen-ne-s dans des ghettos de personnes qui se ressemblent (les algorithmes des réseaux sociaux s’en chargent un peu trop). Le rôle des parcs et des places publiques est à cet égard déterminant. Encore faut-il qu’ils soient accessibles et non privatisés par la festivalite consumériste. Ils doivent également être aménagés pour permettre aux personnes vivant avec un handicap d’en profiter. Il est aussi nécessaire de maximiser la liberté individuelle et collective. Promouvoir une différence épanouissante, c’est laisser l’espace essentiel au développement d’une identité individuelle qui n’est pas entravée par des restrictions communautaires, ou par les divers mouvements …phobes. La diversité urbaine permet d’observer des choix de vie qui ne sont pas toujours valorisés dans nos milieux d’origine. Les administrations municipales ont donc une responsabilité particulière en ce qui concerne la lutte aux divers types de discrimination et elles doivent jouer un rôle actif dans la promotion de la tolérance et de la cohabitation. Si les villes ont peu de leviers pour réduire les inégalités socioéconomiques ou ethnoraciales, elles peuvent, par leur politique d’habitation, faire en sorte qu’il n’y ait pas de ghettos. Elles peuvent également veiller à répartir les équipements collectifs comme les parcs, les lieux de pratique sportive, les équipements culturels et à les rendre accessibles physiquement et financièrement. Elles peuvent également utiliser leur statut d’employeur pour promouvoir l’accès à l’égalité en emploi. Les villes doivent également promouvoir le développement de liens concrets entre personnes différentes qui peuvent être unies par des intérêts communs comme la danse, le chant, la pratique d’un sport ou d’un hobby. Cela permet de surmonter la méfiance envers des gens différents de nous. Les villes doivent également devenir des lieux de vie démocratique où l’avenir collectif doit être façonné par celles et ceux qui y vivent. Cela va bien au-delà de l’élection périodique de représentant-e-s à un conseil municipal ou encore d’une période de questions ouverte au public lors de leurs réunions. Cela implique, au minimum, une possibilité de participation directe et effective concernant l’aménagement du territoire, les équipements collectifs et les transports publics. Cela implique également une valorisation du travail des organismes communautaires, qui ne doivent pas être perçus uniquement comme des dispensateurs de services, mais comme des acteurs d’amélioration de la participation citoyenne, et qui doivent être soutenus dans ce rôle. La sécurité ne doit pas dépendre principalement des corps policiers mais du sentiment de partage d’un espace collectif que l’on veut protéger parce que l’on s’y reconnaît et qu’il contribue à notre bien-être. Une attention particulière doit être portée à la sécurité des personnes les plus vulnérables, comme celles vivant avec un handicap physique ou mental, les personnes âgées et les enfants. Il va de soi qu’une ville qui prend au sérieux les droits humains interdit à son corps policier toute pratique de profilage social, racial ou en fonction de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle. Une ville des droits humains ne doit pas traquer les migrant-e-s qui n’ont pas les bons papiers. Elle doit au contraire leur permettre de vivre en toute sécurité et leur permettre d’échapper au travail esclavagisé ou aux marchands de sommeil et ainsi de contribuer pleinement au développement de la ville dans laquelle elles et ils vivent. Bref, promouvoir et développer une culture des droits humains doit dépasser le niveau de l’énonciation des principes dans une charte ( ce qui a quand même quelques avantages ). Cela implique d’être à l’affût des discriminations que pourraient induire les diverses politiques publiques dans tous les domaines. Cela entraîne également l’obligation de développer une culture antidiscriminatoire dans les diverses administrations municipales et de faire en sorte que les citoyen-ne-s dans leur diversité puissent se côtoyer et interagir dans les villes et les quartiers qui sont leur milieu de vie partagé. Cela nécessite aussi de prévoir des recours effectifs et accessibles en cas de discrimination. Certains de ces éléments sont traités de façon plus approfondie dans ce dossier. Lucie Lamarche aborde la question de l’arrimage au droit international pour aller au-delà des vœux pieux, alors que Benoît Fratte et David Robitaille analysent les pouvoirs dévolus aux villes et leur impact potentiel sur les droits humains. Diverses facettes des enjeux liés à l’itinérance sont abordées par Michel Parazelli et le Regroupement des organismes en hébergement pour les personnes migrantes. Les obstacles à la mobilité des femmes en situation de handicap sont analysés par la Table de concertation des groupes de femmes et un bref portrait de la situation sur l’accès à l’égalité à l’emploi dans les municipalités des personnes en situation de handicap est dressé par Elisabeth Dupuis. La participation citoyenne fait l’objet des réflexions d’Elsa Mondésir Villefort. Caroline Toupin traite de l’apport de l’action communautaire autonome, tandis que les Collectivités ZéN nous parlent de la nécessaire transition écologique. Bonne lecture!L’article Imaginer une ville des droits humains est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Du naturalisme antique à l’écologie contemporaine
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Du naturalisme antique à l’écologie contemporaine
Catherine Guindon, enseignante au Cégep de Saint-Laurent
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1 Ici, l’autrice reprend les propos de Philippe Descola dans Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard,
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30 ans de lutte pour les droits et libertés à Québec
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30 ans de lutte pour les droits et libertés à Québec
Sophie Marois, membre du CA, Ligue des droits et libertés — section Québec Josyanne Proteau, coordonnatrice, Ligue des droits et libertés — section Québec

Fondation de la section de Québec
C’est en décembre 19941 qu’un groupe de citoyen-ne-s engagé-e-s dans la défense des droits de la personne fonde la section de Québec de la Ligue des droits et libertés (LDL-Qc). La section est créée sous la forme d’un organisme à part entière, mais qui demeure affilié à la LDL et qui poursuit la même mission que l’organisme national. Convaincu que les droits et libertés doivent être défendus sur tous les fronts, y compris à l’échelle locale, le groupe fondateur œuvre à la création d’une section active, spécifiquement enracinée dans la société civile de Québec. Dès ses débuts, la LDL-Qc compte sur des liens forts avec plusieurs acteurs et se mobilise autour des enjeux de justice sociale à Québec. Ce sont notamment ces liens avec les milieux syndicaux, dont ceux de l’enseignement, qui ouvriront la voie à une spécialisation de la section de Québec dans l’éducation aux droits et libertés auprès des jeunes.Démocratie municipale
L’un des premiers axes d’action de la LDL-Qc est celui de la démocratie municipale. Grâce à ses premières subventions, elle organise des événements pour encourager la participation citoyenne et la démocratie locale. En 1997-1998, des forums bimensuels à la bibliothèque Gabrielle-Roy rassemblent des résident-e-s, des journalistes et des professeur-e-s pour discuter de la démocratisation des institutions politiques. Réunissant régulièrement une centaine de personnes, ces débats publics augmentent la visibilité de l’organisme. Dans les années qui suivent, la LDL-Qc promeut activement une vision démocratique de la politique municipale, plaçant les citoyen-ne-s au cœur du pouvoir décisionnel. [caption id="attachment_20749" align="alignnone" width="542"]
Éducation aux droits
La section de Québec se distingue dès la fin des années 1990 par un fort engagement envers l’éducation aux droits, particulièrement auprès des jeunes. De grandes tournées d’éducation aux droits et libertés permettent de rencontrer des milliers d’élèves du primaire et du secondaire. Le premier sujet abordé par ces ateliers éducatifs concerne les droits des jeunes face à la police, dans un contexte où l’application d’une politique tolérance zéro par la Ville de Québec entraîne plusieurs interventions policières ciblant les jeunes. Au cours des décennies suivantes, les ateliers d’éducation aux droits se renouvellent et explorent des thématiques telles que la discrimination, le sexisme et le racisme, l’accueil des immigrant-e-s, les droits économiques et sociaux, la justice pénale et le droit à la vie privée. Certains de ces ateliers ont été retravaillés au fil du temps et sont offerts encore aujourd’hui par l’équipe d’animation de la section de Québec, dont ceux portant sur la justice pénale, le droit à la vie privée et le racisme systémique. Au début des années 2000, la LDL-Qc lance une émission de radio nommée Droits devant, sur les ondes de la radio communautaire CKRL 89,1. L’émission s’intéresse aux enjeux liés à l’état des droits tant à l’échelle locale, avec des épisodes sur le droit au logement2 et l’itinérance dans la ville de Québec, qu’à l’échelle internationale, en présentant des thématiques comme la démocratie au Congo, le développement international et les violations de droits au Tibet.Altermondialisme
Les années 2000 marquent une ouverture de la LDL-Qc aux enjeux internationaux, notamment à la suite du Sommet des Amériques et du 11 septembre 2001. En avril 2001, plusieurs membres participent à l’important mouvement d’opposition à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) en vue de la tenue du Sommet des Amériques à Québec3. Au cours du Sommet, le comité de surveillance des libertés civiles de la LDL mène une mission d’observation indépendante et constate une imposante répression policière4, laquelle inclut des arrestations de masse et l’utilisation d’armes dangereuses contre les manifestant-e-s, causant des centaines de blessé-e-s. Cette période représente un moment important de renforcement des liens entre les organismes communautaires et les milieux militants de Québec, qui se réunissent autour de luttes altermondialistes et antimilitaristes. Dans ce contexte, la LDL-Qc prend part à de nombreuses mobilisations portant sur la solidarité internationale et les alternatives au néolibéralisme, la surveillance et la protection du droit à la vie privée, ainsi que la démilitarisation des conflits géopolitiques. En 2003, des militant-e-s de Québec participent notamment aux mobilisations historiques contre la guerre en Irak, rejoignant des manifestations à Montréal, mais aussi dans la capitale nationale5. [caption id="attachment_20754" align="alignright" width="216"]
Vivre-ensemble et antiracisme
Au cours des années 2000, la LDL-Qc intensifie ses efforts contre le racisme et pour la défense des droits des personnes migrantes. Elle prend part activement aux débats publics lors de la Commission Bouchard-Taylor (2007-2008) et milite contre les discriminations raciales dans l’accès à l’emploi. La LDL-Qc s’engage également dans les campagnes contre les propos haineux diffusés sur les ondes de certaines radios privées de Québec, surnommées radios-poubelles. Au cours des années 2010, des projets développés avec des stagiaires permettent à l’organisme d’approfondir ses connaissances sur les crimes haineux, l’extrême droite et le profilage racial à Québec. La lutte contre le racisme devient progressivement un axe transversal à la LDL-Qc. La section de Québec participe notamment aux mobilisations contre le projet de loi 21 sur la laïcité, au mouvement Black Lives Matter, à la Coordination des actions contre le racisme à Québec, aux marches de solidarité avec les personnes migrantes et aux commémorations de l’attentat au Centre culturel islamique de Québec, en plus de soutenir la création du Collectif de lutte et d’action contre le racisme (CLAR) à l’automne 2021. À compter de 2020, c’est principalement la question du profilage racial par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) qui occupe l’organisme. La LDL-Qc s’engage dans un projet de recherche pour documenter la situation et réalise plusieurs interventions dans les médias pour dénoncer les pratiques du SPVQ.Judiciarisation et profilage
[caption id="attachment_20753" align="alignright" width="228"]
Défense du droit de manifester
La défense du droit de manifester à Québec devient un sujet d’importance pour la LDL-Qc dans le contexte des mobilisations étudiantes de 2012 et de l’adoption d’un règlement municipal obligeant les manifestant-e-s à fournir l’itinéraire de leur manifestation (article 19.2 du règlement 1091). Plusieurs groupes communautaires de Québec, dont la LDL-Qc, co-fondent alors la Coalition pour le droit de manifester, encore active à ce jour. La coalition mène une longue campagne médiatique et juridique contre l’article 19.2, qui aboutit à son abrogation en 2023, puis à son remplacement par un nouveau règlement qui continue de restreindre le droit de manifester. La coalition n’a donc pas terminé de mobiliser autour de cet enjeu ! Parallèlement, la LDL et la section de Québec entreprennent plusieurs initiatives pour promouvoir et défendre le droit de manifester, dont un forum6, des outils de vulgarisation, une campagne de valorisation des manifestations intitulée Manifester m’a permis7, et le dépôt d’une plainte collective auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) à la suite des arrestations massives lors d’une manifestation en 20128. De manière continue, une veille du droit de manifester dans la ville de Québec est assurée par la LDL-Qc, que ce soit à l’occasion du G7 en 20189 ou plus récemment, de manifestations en solidarité avec la Palestine10.Femmes d’ici et d’ailleurs égales en droits

Diversité sexuelle et de genre
En 2021, la LDL-Qc se mobilise sur la question des discriminations basées sur l’expression de genre et l’orientation sexuelle. Un projet est développé en partenariat avec le Groupe régional d’intervention sociale de Québec (GRIS-Québec) et mène à la création de capsules informatives, d’un épisode de balado et d’un lexique sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Ces ressources abordent les droits des personnes LQBTQIA+ ainsi que les différentes formes de discrimination auxquelles elles peuvent être confrontées, notamment dans le champ de la santé et des services sociaux. L’épisode de balado Entre droits et discriminations : diversité sexuelle et pluralité des genres, réalisé avec la radio communautaire CKIA-FM et le GRIS-Québec, est disponible sur la plateforme Spotify13. La deuxième édition du Lexique sur la diversité sexuelle et la pluralité des gen res, mise à jour avec la collaboration de Marie-Philippe Drouin, a été distribuée en plus de 1 000 exemplaires14.
Droit à la scolarisation
En 2021, des militant-e-s de Québec se rassemblent à la LDL-Qc pour agir face à l’exclusion scolaire que vivent plusieurs élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA). Depuis, le comité pour le droit à la scolarisation est l’un des comités les plus actifs de l’organisme. Il documente les moments de perte d’accès à l’école que vivent des élèves HDAA, mobilise les acteurs sociaux, parents et militant-e-s et travaille à la construction d’un discours et d’outils de vulgarisation sur ce sujet. Ses membres sont très actif-ve-s dans l’espace public et multiplient les conférences, articles et lettres ouvertes afin de visibiliser cet enjeu et de revendiquer le respect des droits des élèves HDAA. Récemment, le comité a co-organisé un colloque à l’UQAM portant sur cette thématique, qui a permis de jeter les bases d’un réseau d’organismes, de chercheurs, de chercheuses et de militant-e-s préoccupé-e-s par cette question15.Une voix essentielle pour les droits humains à Québec
Depuis trois décennies, la section de Québec de la Ligue des droits et libertés œuvre sans relâche pour défendre et promouvoir les droits de la personne. En célébrant ce 30e anniversaire, rendons hommage à toutes celles et tous ceux qui ont contribué à cette mission essentielle. Que l’avenir soit marqué par une continuité de cette lutte collective pour une société plus juste et équitable !1 Cet article a été rédigé à partir des archives de la LDL-Qc et du rapport La Ligue des droits et libertés — Section Québec : 20 ans d’implication sociale et de protection des droits et libertés, rédigé en 2014 à l’occasion du 20e anniversaire de l’organisme par Pier-Luc Castonguay et Charles-Alex 2 Émissions Droits devant, CKRL 1, Québec, 2004 à 2007. 3 Archives photos et une analyse du Sommet : Pierre Bourdieu, Le Sommet des peuples de Québec, Inter, 80, 14–15, 2001. En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/inter/2001-n80-inter1113746/46060ac.pdf 4 Rapport du comité de surveillance des libertés En ligne : https://liguedesdroitsqc.org/wp-content/uploads/2016/04/rap-2001-06-14-sommet_des_ameriques-1.pdf 5 Vingt ans après l’invasion de l’Irak, que reste-t-il du mouvement antiguerre ?, Radio-Canada, 16 mars 2023. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1963674/manifestation-guerre-quebec-irak 6 Extraits du En ligne : https://liguedesdroitsqc.org/forum-droit-de-manifester/ 7 Capsules de la campagne Manifester m’a En ligne : http://liguedesdroitsqc.org/manifester-ma-permis/?fbclid=IwY2xjawF3keJleHRuA2FlbQIxMAABHay-UhDeRaTeL3aNQXuq oysi0t0Gl9DekfBhE-emgWorhgPYchLjhHu6Gw_aem_zMBla055SdKo7tsvmr_fUQ 8 Arrêtés pour un carré rouge, Le Devoir, 4 juillet En ligne : https://www.ledevoir.com/societe/444238/profilage-politique-contre-les-carres-rouges? 9 Ligue des droits et libertés, Manifester sous intimidation – Rapport de mission d’observation du G7, 2018. En ligne : https://liguedesdroits.ca/manifester-intimidation-rapport-de-mission-dobservation-g7/ 10 Ligue des droits et libertés - section Québec, Communiqué – Démantèlement d’un campement étudiant à l’UL : La LDL-Qc dénonce la répression du droit de manifester, 2024. En ligne : https://liguedesdroitsqc.org/communique-demantelement-dun-campement-etudiant-a-lul-la-ldl-qc-denonce-la-repression-du-droit-de-manifester/ 11 Projet balado La part de nous qui est restée à la frontière. En ligne : https://open.spotify.com/show/5rUuXUYkaMY6ROOij7qu1f 12 Empêcher les demandeurs d’asile de bénéficier des services de garde est indigne du Québec, Le Soleil, 4 mars En ligne : https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/2024/03/04/empecher-les-demandeurs-dasile-de-beneficier-des-services-de-garde-est-indigne-du-quebec- UZETT2Q3A5HVZAA4JRZYRJVABM/ 13 Ligue des droits et libertés - section Québec, Entre droits et discriminations: diversité sexuelle et pluralité des genres, En ligne : https://open.spotify.com/episode/38ZXLYCmMbj7ILCIwOZU93?si=V_qA4ch0Qh-AdUX_B9Je-w 14 Ligue des droits et libertés - section Québec, Lexique sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres, 2e édition, Québec, En ligne : http://liguedesdroitsqc.org/wp-content/uploads/2022/10/Lexique-2e-Ed.pdf 15 Le colloque À l’école de l’abandon : droits et bris de droits des élèves HDAA en situation de déscolarisation » a lieu lors de l’édition 2024 du Congrès des sciences humaines, tenu à l’Université du Québec à Montréal.
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Trump, ou comment user du droit contre la justice
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Trump, ou comment user du droit contre la justice
Édouard De Guise, Étudiant à Sciences Po Paris et militant à la Ligue des droits et libertés
Par l’agrégation de morceaux constitutionnels qui semblent inoffensifs, voire nécessaires, certains autocrates réussissent à prendre le pouvoir par le biais d’élections en instaurant des régimes illibéraux. Ils forment ce que Kim Scheppele appelle un « Frankenstate », c’est-à-dire un régime autoritaire monstrueux, constitué d’une série de dispositions légales qui semblent normales prises séparément mais qui, en s’additionnant, peuvent menacer la démocratie. À l’aune de l’élection récente de Donald Trump pour son deuxième mandat à la tête du gouvernement étasunien, plusieurs des déclarations récentes du président élu et ses nominations à divers postes gouvernementaux inquiètent sur ses intentions d’utiliser le droit pour aller à l’encontre de la justice, d’affaiblir la démocratie étatsunienne et de commettre des violations de droits par l’usage de moyens légaux.Le premier mandat
Le premier séjour de Donald Trump dans le bureau ovale a été marqué par plusieurs mesures qui ont significativement affaibli l’équilibre démocratique aux États-Unis. Au premier chef, son parti a souvent pratiqué le constitutional hardball, un terme défini par Steven Levitsky et Daniel Ziblatt dans leur ouvrage How Democracies Die. Il s’agit selon eux d’entreprendre des mesures qui respectent la lettre de la loi mais qui sont, par rapport à la culture et à la pratique constitutionnelles en place, abusives. Ainsi, le Sénat majoritairement républicain a refusé de valider la nomination de Merrick Garland à la Cour suprême des États-Unis dans la dernière année du deuxième mandat de Barack Obama. Ils n’ont cependant pas hésité à remplacer Ruth Bader Ginsburg alors que cette dernière est décédée à 45 jours de l’élection présidentielle de 2020. En jouant ainsi avec les doubles standards, les procédures et les institutions, le président Trump a réussi à nommer trois des neuf juges à la Cour suprême, portant la majorité de juges conservateurs à six contre trois. [caption id="attachment_20902" align="alignnone" width="593"]
Plusieurs analystes croient qu’il faut maintenant s’attendre à un Trump revanchard, prêt à tout pour punir celles et ceux qui ont tenté de lui barrer le chemin.
Les politiques de sa première administration ont également conduit à plusieurs bris de droits, notamment à travers des coupes dans plusieurs agences ou départements gouvernementaux. Par exemple, l’administration Trump a adopté une règle particulière, appelée gag rule, qui empêchait de facto Planned Parenthood de toucher des fonds fédéraux. Cette organisation à but non lucratif est une structure importante de l’offre de service de santé reproductive, de contraception et d’avortement aux États-Unis. En coupant ce financement, l’accès à ces services essentiels a été réduit pour une grande partie de la population étatsunienne. Ces coupes seront certainement de retour dans l’agenda politique du deuxième mandat, ce que laisse supposer la nomination du milliardaire Elon Musk à la tête d’un département de l’efficacité gouvernementale, chargé d’émonder l’État étasunien. Au cours de son premier mandat, Trump n’a pas hésité à violer plusieurs autres droits. Sur les droits des personnes incarcérées, l’agence de protection frontalière a détenu des enfants migrants après avoir forcé leur séparation de leurs parents. Sur le droit à un environnement sain, l’homme d’affaires a retiré le pays des Accords de Paris sur le climat dès ses premiers instants dans le bureau ovale. Sur les droits démocratiques, Trump a tenté de renverser le résultat de l’élection présidentielle de 2020 en sommant des officiel-le-s de l’État de Géorgie de lui trouver 11 000 votes. Les exemples sont presque infinis, mais cet article ne l’est pas.La chasse aux adversaires
Les inquiétudes n’étaient peut-être pas aussi vives en 2016 qu’elles le sont en 2024. Et pour cause : l’homme d’affaires n’avait aucune expérience politique; il n’avait pas encore de loyalistes établis dans l’appareil gouvernemental et il n’avait pas une emprise complète sur le parti républicain. Certes, ces éléments illustrent un pouvoir augmenté par rapport à sa précédente victoire électorale, mais ce n’est pas ce qui inquiète le plus. Depuis 2016, Trump a vécu plusieurs épisodes politiques et juridiques qui ont changé son attitude. Alors qu’il se présentait comme un loup solitaire, se disant prêt à drainer le marécage (drain the swamp), il n’avait pas encore expérimenté ni les limites constitutionnelles du pouvoir exécutif aux États-Unis, ni sa défaite électorale de 2020. Plusieurs analystes croient qu’il faut maintenant s’attendre à un Trump revanchard, prêt à tout pour punir celles et ceux qui ont tenté de lui barrer le chemin. À l’inverse, il faut s’attendre à ce qu’il utilise le très puissant pouvoir de pardon présidentiel pour gracier des allié-e-s. Certains juristes croient qu’il pourrait même tenter de se gracier lui-même, puisqu’il fait l’objet de plusieurs enquêtes judiciaires. Cette option demeure toutefois peu probable puisque les accusations portées à son encontre seront probablement retirées ou reportées à plus tard. Or, Trump a déjà utilisé son pouvoir de clémence envers des ami-e-s et allié-e-s lors de son premier mandat. Paul Manafort, reconnu coupable de conspiration contre les États-Unis et d’obstruction à la justice, avait notamment été gracié de cette façon. Ainsi, il faut certes s’attendre à un État de droit considérablement affaibli par l’impunité qu’il accordera à ses proches pendant son deuxième mandat.Des anciens allié-e-s inquiets
Ses anciens allié-e-s ne sont pas toutes et tous restés dans ses bonnes grâces. Certains d’entre elles et eux portent des accusations graves à son encontre, suggérant notamment qu’il pourrait adopter un comportement illibéral à l’avenir. C’est notamment le cas du Major John Kelly qui, quelque temps avant la présidentielle de 2024, affirmait croire que Trump correspondait à sa définition d’un fasciste. Exemple à l’appui : Trump aurait partagé avec lui son souhait que son personnel militaire fasse preuve de la même loyauté envers lui que les généraux d’Hitler. Il s’agit d’un trait typique chez les autocrates, qui valorisent la loyauté davantage que la compétence. L’actualité récente semble nous indiquer que le président élu tente de réaliser son rêve autocratique. Il nomme à des postes-clés de son administration des allié-e-s dont personne ne remet en cause la loyauté, mais dont plusieurs doutent des compétences et même du caractère approprié. À cet égard, Pete Hegseth et Tulsi Gabbard, respectivement présentateur de Fox News présentant un « risque de l’intérieur » aux forces armées, et ancienne représentante ayant partagé certaines opinions avec Vladimir Poutine et Bachar al-Assad, ont été désignés à la tête de la défense nationale et du renseignement. Comme pour empêcher ses subordonné-e-s de devenir des obstacles à son projet, Trump s’assure d’une loyauté totale pour renforcer son emprise sur l’appareil étatique. Au moment d’écrire ces lignes, les procédures sénatoriales de validation des nominations ne sont pas enclenchées. Or, les noms évoqués par Trump pour constituer son administration ne font pas l’unanimité dans la législature républicaine. Pour éviter d’essuyer des revers de la part de la Chambre haute, le président élu a soutenu publiquement l’idée d’une suspension du Sénat. Cela lui permettrait de faire des nominations « en vacance ». Selon Sarah Binder, politologue à l’université George Washington, une telle décision de la part du Sénat présenterait une « abdication absolue de leur pouvoir constitutionnel ».Un président intouchable
Par ces mesures, passées ou anticipées, Trump pratique un décapage démocratique du système politique étasunien. Par des moyens qui respectent le droit mais violent les plus fondamentales normes de tout régime libéral, le président élu instaure un régime de gouvernance dont il tient entièrement les rênes, soutenu par des allié-e-s qui marchent au pied. Le plus inquiétant reste toutefois la question d’immunité présidentielle accrue. Un-e président-e ne peut pas être sanctionné-e pour des actions qui respectent la lettre de la loi. Or, la Cour suprême des États-Unis a récemment jugé qu’elle ou il ne peut pas être traduit en justice non plus pour les actes illégaux qui auraient été commis « dans l’exercice de ses fonctions officielles ». La conjoncture politique étasunienne actuelle inquiète. Des violations des fondements de la démocratie, conjuguées à une culture d’impunité qui prend de la vigueur, mettent en grave danger le caractère libéral de l’État. Dans ce contexte, il faut certainement s’attendre à des violations de droits massives de la part des autorités américaines, par leur inaction, ou même par leur action, que même la géniale Constitution des États-Unis d’Amérique ne pourra prévenir.L’article Trump, ou comment user du droit contre la justice est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Agir pour le droit international des droits humains
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Agir pour le droit international des droits humains
Sam Boskey, premier vice-président du CA de la Ligue des droits et libertés Les conflits qui se déroulent un peu partout sur la planète contribuent à nous enseigner la géographie. Nombreux sont celles et ceux qui n’auraient pu situer sur une carte la bande de Gaza, le Yémen, le Katanga, le Sud-Soudan ou le Donbass avant que les médias et les réseaux sociaux ne soient envahis de reportages ou de publications sur les assauts militaires, les tractations complexes des relations internationales, l’aide internationale de nombreuses organisations humanitaires ou encore, les missions de paix des Nations unies (ONU). [caption id="attachment_20676" align="alignnone" width="731"]
La survie de l'humanité
C’était plutôt la reconnaissance que, dans la nouvelle ère des armes nucléaires, l’éradication des conditions qui provoquent les hostilités — en utilisant l’institution du droit international des droits humains — était une condition sine qua non de la survie de l’humanité. Il s’avère nécessaire de regarder avec lucidité les revers que subit le cadre international de promotion et de protection des droits humains dans le contexte de conflits armés au Moyen-Orient et la montée des politiques réactionnaires, ici comme ailleurs. Face à la multiplication des débats sur la législation des droits humains et sur ses institutions, les répliques fusent de toute part. Une nouvelle variante pathogène germe à travers le monde : des pays, des politiques, des entreprises, des mouvements populaires, qui non seulement ignorent délibérément les décrets internationaux, mais les calomnient, les attaquent et remettent en cause leur légitimité. Plusieurs exemples le démontrent : le comportement des pays qui continuent activement à envoyer des armes dans les zones de guerre, ou à permettre aux entreprises basées chez eux de le faire ; la dérive des politiques nationales vers une attitude agressive envers les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ; la tentative de criminaliser la parole et le droit de manifester des personnes qui tentent de faire pression sur leur gouvernement et leurs institutions, au pays et à l’étranger, pour qu’ils respectent les droits humains.Les défis du droit international
Avec les avis de la Cour internationale de justice ou les rapports de la Rapporteuse spéciale Francesca Albanese, ouvertement ignorés par certain-e-s et insuffisants pour changer la donne, avec la désignation du secrétaire général de l’ONU comme persona non grata par Israël, les événements actuels incitent à une réflexion de fond dans la communauté promouvant et protégeant les droits humains. Les défis du droit international des droits humains et des instances qui le composent ne sont pas nouveaux ; de puissants rapports de force entre les États sont à l’œuvre depuis le départ. Néanmoins, malgré les revers, il est plus essentiel que jamais d’avoir des exigences élevées en ce qui concerne l’adoption du cadre de référence des droits humains par les gouvernements du monde entier. Malgré cette visibilité accrue du droit international durant certaines périodes, ce n’est pas pour autant que les droits humains et le système international voué à les protéger soient pleinement assimilés à notre culture commune. Par exemple, la célébration de la Journée des Nations unies, le 24 octobre, est depuis longtemps tombée en désuétude dans nos écoles. Presque passé sous silence, le 75e anniversaire de la DUDH, le 10 décembre 2023, appelait à davantage d’attention médiatique et politique que le traitement marginal que ce jalon important du XXe siècle a reçu. Si le Canada est signataire de dizaines d’accords internationaux sur les droits humains, les tribunaux sont souvent réticents à les appliquer, à moins que les législatures nationales ne les aient explicitement incorporés dans les lois internes. Mentionnons tout de même qu’avec lenteur et obstacles multiples des avancées se font en droit interne.Vers de nouvelles stratégies
Il est de plus en plus évident qu’en tant que communauté des droits humains, nous devons développer de nouvelles stratégies autres que les activités éducatives traditionnelles qui n’ont jamais suffi à induire le changement. Elles sont même de plus en plus inefficaces face aux négatrices et négateurs des droits humains, personnes de pouvoir et institutions qui ne souhaitent pas respecter les droits et libertés. Elles alimentent sciemment la désinformation, instrumentalisent certains droits, et se permettent de plus en plus de mépris dans leurs affirmations ; le droit international peut s’appliquer à d’autres, mais pas nécessairement à elles et eux.Pour le respect des droits humains
Le Québec témoigne du même glissement vers une rhétorique de rejet des droits humains : le gouvernement au pouvoir traite parfois les droits et libertés comme des obstacles exaspérants, et à d’autres occasions il appuie son argumentaire sur certains droits, au détriment d’autres droits. Il ne tient pas compte de l’interdépendance, de l’indivisibilité et de l’universalité des droits. Il déroge aux droits protégés par nos Chartes pour adopter des législations attentatoires aux droits. Il remet en cause la séparation des pouvoirs, et donc l’idée selon laquelle nul n’est au-dessus de la Loi, en remettant en question le rôle des tribunaux de vérifier la conformité des lois avec les droits humains. Ainsi, les tumultes de ces dernières années doivent nous inciter à réfléchir aux conditions systémiques qui permettent ce mépris du cadre de référence des droits humains ainsi qu’aux stratégies pour changer la donne. De tout temps, énoncer les droits et les faire connaître n’a jamais suffi à permettre leur exercice réel et leur appropriation sur le plan culturel. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Il est essentiel de poursuivre les mobilisations et la pression sur les gouvernements pour exiger d’eux le respect des droits humains sur le plan local et le respect de leurs obligations à l’international. Il est vrai que les mécanismes et instances du droit international échouent à contraindre les États à respecter les droits. Il n’en demeure pas moins que le cadre des droits humains revêt une puissance argumentaire et analytique extraordinaire dont nous devons, toutes et tous, nous saisir collectivement pour notre avenir commun.L’article Agir pour le droit international des droits humains est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Imaginer une ville des droits humains
Nouveau numéro maintenant disponible !
La Ligue des droits et libertés consacre son nouveau numéro de Droits et libertés aux enjeux de droits humains dans les villes au Québec.
Au sein des villes, tous et toutes ne sont pas égaux. Les inégalités existent et persistent dans le temps concernant l'accès au transport, aux emplois, à l'espace public, au logement ou à l'exercice de la citoyenneté, par exemple.
Les municipalités sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans l'élaboration de politiques, de programmes et d'initiatives pour relever les défis actuels et futurs, qui sont vastes et urgents, comme les enjeux environnementaux.
Ce palier gouvernemental peut assurer le respect, la protection et la mise en oeuvre des droits humains et contribuer positivement à la transformation sociale.
Lancement
Le lancement de la revue a lieu le mercredi, 5 février 2025 dès 18 h à la Librairie Zone libre à Montréal.Inscrivez-vous!
Bonne lecture !
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* Les articles sont mis en ligne de façon régulière. *
Dans ce numéro
Éditorial
Agir pour le droit international des droits humainsSam Boskey
Chroniques
Le monde de Québec
30 ans de luttes pour les droits et libertés à QuébecSophie Marois
Josyanne Proteau
Un monde de lecture
Du naturalisme antique à l'écologie contemporaineCatherine Guindon
Un monde sous surveillance
Lutter contre l'ingérence sans bafouer les droitsTim McSorley
Ailleurs dans le monde
Repenser les droits humains en HaïtiFrantz Voltaire
Hors dossier
Toutes les vies se valent-elles vraiment?Christian Djoko Kamgain Du Bandung de 1955 à 2024! Les Suds du Nord parlent!
Safa Chebbi Trump, ou comment user du droit contre la justice
Édouard de Guise
Dossier principal
Imaginer une ville des droits humains
Présentation
Imaginer une ville des droits humainsDiane Lamoureux Une exigence du droit international des droits humains
Me Lucie Lamarche Municipalités et droits humains: une rencontre qui se densifie
Me Benoît Frate
Me David Robitaille Habiter et cohabiter
Michel Parazelli Nouveaux visages de l'itinérance… issus de l'immigration
Maryse Poisson
Mauricio Trujillo Pena
Florence Bourdeau Participation citoyenne et villes, quel avenir?
Elsa Mondésir Villefort Défis de collaboration entre villes et organismes communautaires
Caroline Toupin La transition écologique, ça concerne tout le monde!
Entretien avec Nadia Lemieux
Propos recueillis par Elisabeth Dupuis Emplois municipaux, pour qui?
Elisabeth Dupuis Embarquez avec nous!
Comité mobilité de la Table des groupes de femmes de Montréal
Reproduction de la revue
L'objectif premier de la revue Droits et libertés est d'alimenter la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Ainsi, la reproduction totale ou partielle de la revue est non seulement permise, mais encouragée, à condition de mentionner la source.
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Nouvelles prisons, mêmes enjeux ?
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Nouvelles prisons, mêmes enjeux?
Mathilde Chabot-Martin, candidate à la maîtrise, École de travail social, UQAM Karl Beaulieu, doctorant, École de travail social, UQAM[caption id="attachment_17085" align="alignright" width="393"]Nombre de voix se sont élevées ces dernières années pour dénoncer les violations des droits humains et les conditions de détention délétères qui continuent de régner au sein des prisons et pénitenciers au Québec et au Canada. Personnes (ex-) incarcérées, chercheuses et activistes participent à remettre de l’avant une réflexion collective sur la pertinence de la prison comme institution1. Par leurs prises de parole, elles démontrent comment l’institution carcérale fonctionne selon une logique punitive, individualisant des problématiques pourtant structurelles. Ainsi, la prison contribue à la reproduction des inégalités sociales et enferme de manière disproportionnée les personnes marginalisées dans un cycle sans fin d’injustice et d’exclusion. Ces constats, mis de l’avant dans de multiples rapports et ouvrages publiés récemment2, devraient interpeller et préoccuper nos décideurs politiques et les autorités des services correctionnels. Or, ils sont plutôt accueillis par un mutisme inquiétant et une récupération politique préoccupante. En effet, la prison profite d’une légitimité et d’un appui politique aveugle qu’aucune recherche ne semble pouvoir ébranler, ni même minimalement remettre en question. Dans ce contexte, quel avenir pour la prison, et comment comprendre son actuelle expansion, malgré les critiques qui émanent de nos mobilisations ?Établissement de détention Leclerc de Laval. Les femmes y sont incarcérées, dans des conditions maintes fois dénoncées, depuis la fermeture de la Maison Tanguay en 2016. Le gouvernement du Québec a annoncé six ans plus tard, en 2022, la construction d’une nouvelle prison d’ici 2030 au coût de 400 millions de dollars.[/caption]
[…] cet usage de l’inclusivité au sein des discours officiels s’inscrit dans l’idéologie d’une nouvelle carcéralité. En effet, les critiques relatives à la surreprésentation et aux spécificités de certains groupes sont, ici, instrumentalisées pour mieux enfermer plutôt que de désincarcérer.
Des prisons inclusives ?
Pour justifier les plus récentes expressions de l’expansion carcérale, celle de la construction de nouvelles prisons et du réaménagement d’espaces carcéraux, à laquelle nous assistons, plusieurs discours récents réfèrent à une volonté d’inclusivité. Effectivement, les services correctionnels québécois ont annoncé à la fin de l’année 2022 la construction d’une nouvelle prison pour femmes, la plus grosse qui soit au Québec. Cette nouvelle prison, nous dit-on, « pourra leur offrir de meilleures perspectives de réinsertion sociale grâce à un meilleur accès aux programmes et aux services dont elles ont besoin3 ». Au niveau fédéral, des millions de dollars ont récemment été alloués pour aménager des espaces traditionnels autochtones au pénitencier Archambault de Sainte-Anne-des-Plaines. À nouveau, les autorités soutiennent que ces espaces vont permettre de « répondre davantage aux besoins culturels de la clientèle autochtone »4. D’autres annonces promettent aux prisonnier-ère-s trans d’être incarcéré-e-s de manière conforme à leur identité de genre, embrassant un discours inclusif des personnes trans (Trans rights are human rights)5. On met ainsi l’accent sur l’inclusivité, afin de mieux enfermer des populations ciblées. Nous soutenons que cet usage de l’inclusivité au sein des discours officiels s’inscrit dans l’idéologie d’une nouvelle carcéralité. En effet, les critiques relatives à la surreprésentation et aux spécificités de certains groupes sont, ici, instrumentalisées pour mieux enfermer plutôt que de désincarcérer. Cette nouvelle carcéralité présente le risque évident que les prisons deviennent des espaces où les personnes marginalisées pourraient finalement obtenir l’accès aux soins et aux services dont elles ont besoin. Si la mise en place et l’investissement dans des programmes ciblés et adaptés sont souhaitables, nous partageons l’idée bien répandue selon laquelle ceux-ci doivent avoir lieu en amont de l’incarcération. C’est notamment ce que suggérait l’Enquêteur correctionnel du Canada au moment de l’annonce des réaménagements culturels au pénitencier Archambault, rappelant l’échec des programmes fédéraux pour les personnes autochtones incarcérées et demandant plutôt la redirection de ces fonds vers les communautés autochtones. En somme, cette idée de faire des prisons plus inclusives nous ancre dans un cycle répressif où les gens doivent être punis pour obtenir des soins au sein de notre société. Considérant l’ampleur des conséquences liées à un passage en prison, dont la stigmatisation et les conséquences sur l’entourage des personnes incarcérées, nous devons plutôt investir dans les soins en amont. Autrement, nous continuons à nourrir un cycle d’enfermement des personnes marginalisées, coûteux sur le plan économique et dévastateur sur le plan social. Les prisons sont des institutions intrinsèquement exclusives, elles ne peuvent pas être inclusives.Plus sécuritaires… pour qui ?
Un deuxième enjeu nommé par les autorités pour justifier l’expansion carcérale a trait à la sécurité – sécurité qui semble ne jamais pouvoir être complètement atteinte. Plusieurs analyses soutiennent que la prison est un environnement hostile où les personnes incarcérées sont à risque de subir des violences physiques, psychologiques et sexuelles6. L’environnement carcéral produit et exacerbe de nombreux problèmes de santé affectant l’intégrité physique et mentale des personnes incarcérées. Tel que présenté dans l’article Quand la prison fait mourir de ce dossier, un récent rapport révèle une hausse de 87 % des décès dans les prisons entre 2009-2010 et 2021-2022, d’autant plus marquée en ce qui concerne les suicides. Toutefois, il semble que les critiques à propos des mauvaises conditions de détention des personnes incarcérées deviennent encore une fois des leviers justifiant l’expansion carcérale. Par exemple, le ministère de la Sécurité publique (MSP) a promis le « plus gros investissement jamais accordé dans la sécurité de nos prisons »7 en réponse, notamment, aux enjeux liés aux conditions de détention des personnes incarcérées8. Les problématiques humanitaires dans les prisons sont donc abordées sous le prisme de la sécurité, ce qui n’est pas un choix anodin. Ce cadrage sécuritaire des conditions de détention des personnes incarcérées est révélateur des priorités du MSP et pose la question : de la sécurité de qui parlons-nous exactement ? En effet, en répondant à des problématiques de nature sociale par des investissements dans la sécurité des lieux, les autorités démontrent un manque de considération pour le bien-être des personnes incarcérées. Par ailleurs, l’augmentation des mesures de sécurité dans les prisons, entendues ici comme plus de surveillance et de répression, ouvre non seulement la porte à plus d’abus envers les personnes incarcérées, mais elle voile également l’enjeu des conditions de détention et violations de droits dont il est question au sein des multiples rapports. Il semble donc qu’on parle strictement d’une sécurité qui exclut celle des personnes incarcérées lorsqu’on promet plus d’investissements dans le béton. Comment peut-on expliquer que les mauvaises conditions de détention et la violence qui règnent au sein des prisons soient résolues par des mesures soutenant une répression et un contrôle encore plus étroits ?Pas une solution
De nouvelles prisons plus inclusives et toujours plus sécuritaires ne sont pas la solution. Il faut plutôt voir ces récents investissements comme un réflexe social d’entêtement carcéral, nous empêchant de réfléchir collectivement à des pistes de sortie de la carcéralité. Les personnes de la diversité sexuelle et de genre, les personnes autochtones, noires, et vivant dans la pauvreté sont surreprésentées au sein des prisons. Or, si nous nous enfermons socialement dans le paradoxe de la prison inclusive, les prochaines années pourraient faire place à une exacerbation des inégalités en matière d’enfermement. Lorsque les problèmes causés par les prisons sont pointés du doigt, les discours officiels nous amènent à penser que ce sont des prisons dont nous devons prendre soin, plutôt que des personnes qui s’y trouvent. Là est le problème. Face au cycle d’enfermement sans fin dans lequel nous sommes engagés, il faut mettre fin à la construction de nouvelles prisons. Si nous souhaitons véritablement avoir une société plus juste et assurer une sécurité réelle pour les groupes marginalisés, agissons tout de suite, avant les premières pelletées de terre pour la construction de la nouvelle prison pour femmes de Montréal. Bien qu’il faille continuer de porter attention aux problèmes concernant les conditions de détention qui règnent à l’intérieur des prisons, il faut également, en amont,investir dans des programmes agissant au sein de nos communautés et refuser l’expansion carcérale. Les prisons sont des endroits mortifères où les violations de droits et les dénis de soins sont des réalités quotidiennes pour les personnes incarcérées : elles ne sont pas une solution comme le rappelle la Ligue des droits et libertés. Ce dossier nous rappelle l’importance d’imaginer et de bâtir autour d’initiatives locales, humaines, ancrées dans nos communautés, étant porteuses de principes de bienveillance et ayant à cœur le respect des droits humains. Ces solutions existent et continuent à émerger autour de nous. Il suffirait qu’on leur porte collectivement notre attention pour que nos communautés se portent mieux.L’article Nouvelles prisons, mêmes enjeux? est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

La prison comme institution coloniale
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Qu’en est-il des systèmes carcéraux et des abolitionnismes?
Entrevue avec Cyndy Wylde, professeure en travail social à l’Université d’Ottawa, ancienne professionnelle à Service correctionnel Canada Propos recueillis par Alexia Leclerc, finissante à la maîtrise en science politique et membre du comité de rédaction de la revue et du comité Enjeux carcéraux et droits des personnes en détention de la Ligue des droits et libertésOriginaire de la communauté Pikogan située dans le nord-est de l’Abitibi- Témiscamingue, Cyndy Wylde est Anicinape et Atikamekw. Elle a étudié la criminologie, la toxicomanie, la santé mentale et elle s’intéresse aux enjeux et réalités des peuples autochtones. Pendant plus de 25 ans, elle a évolué professionnellement au Service correctionnel Canada ; plus précisément dans les Initiatives autochtones. Jusqu’à mars 2019, elle était membre de l’équipe de recherche de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (Commission Viens), à titre d’experte pour le service public des Services correctionnels du Québec. Elle a également été conseillère politique auprès de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) et elle est aussi consultante sur différents enjeux autochtones. Elle est aujourd’hui professeure en travail social à l’Université d’Ottawa. |
Pouvez-vous décrire votre parcours ?
J’ai travaillé au service correctionnel fédéral pendant 25 ans. J’ai décidé de prendre ma retraite du milieu en 2019 et de continuer mes études au doctorat. J’ai travaillé pour la Commission Viens comme experte sur le système correctionnel, avant de devenir professeure à l’Université d’Ottawa à l’École de travail social. Je termine actuellement ma thèse de doctorat sur la surreprésentation carcérale des femmes des Premières Nations au Québec. Je veux connaître la perception qu’elles ont de leur traitement. Voici mes trois objectifs. Je vise : à documenter la perception des femmes des Premières Nations incarcérées en regard du traitement qu’elles reçoivent dans le système carcéral au Québec; à identifier les causes et les mécanismes de la discrimination vécue par les femmes des Premières Nations incarcérées ; et à mieux comprendre la manière dont les femmes des Premières Nations perçoivent les effets de l’accès à des services spirituels ou traditionnels dans leur cheminement. C’est important pour moi, car lorsque je travaillais dans le système correctionnel fédéral, j’ai vu beaucoup de femmes de l’Ouest être incarcérées ici pour de la gestion de population. Cela réfère à des prises de décisions qui visent à gérer des personnes incarcérées sans vraiment prioriser leurs besoins et ceux de leurs familles.Pouvez-vous relater votre expérience dans le système correctionnel fédéral en ce qui concerne les initiatives autochtones ? Selon votre expérience, est-ce que c’est un moyen efficace pour contrer la surreprésentation carcérale des Autochtones ?
J’ai commencé comme commis de gestion de cas, un poste administratif au sein de Service correctionnel Canada. Mon objectif était de devenir agente correctionnelle. On m’a appelée vers 1999-2000 pour m’annoncer que la boîte des initiatives autochtones était lancée et qu’on avait besoin de mettre en place les initiatives locales. J’ai ainsi occupé le premier poste d’agente de développement régional auprès de la collectivité autochtone, le premier poste dédié à ces initiatives et je suis devenue la coordonnatrice de cette équipe-là. Ça remonte à 1992, lorsque la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été modifiée. Les initiatives pour adapter nos politiques et nos façons de faire pour contrer la surreprésentation carcérale des Autochtones dans notre système sont survenues plus tard. Quand les initiatives autochtones ont commencé, la population carcérale autochtone était de 17 % dans le système carcéral fédéral, ce qui était beaucoup à l’époque, car la population autochtone dans l’ensemble du Canada était de 3 %. Aujourd’hui, 30 % de la population carcérale est autochtone, et on parle de 50 % pour les femmes autochtones. Les jeunes autochtones suivent également cette courbe-là qui augmente.« Le cœur me battait quand j’allais visiter des centres dans l’Ouest pour prendre connaissance des initiatives mises en place là-bas. J’y croyais tellement, mais j’ai été désillusionnée. L’institution est plus grande que moi, même si je ne suis pas toute seule à m’être battue. »J’ai beaucoup cru aux initiatives autochtones dans le milieu carcéral. Le cœur me battait quand j’allais visiter des centres dans l’Ouest pour prendre connaissance des initiatives mises en place là-bas. J’y croyais tellement, mais j’ai été désillusionnée. L’institution est plus grande que moi, même si je ne suis pas toute seule à m’y être si engagée. En mettant un chapeau de fonctionnaire à tous les jours, je me suis rendu compte que j’étais confrontée à mes valeurs culturelles et celles de ma nation. Ça a été drainant, il y avait beaucoup de répétitions, de confrontation et de résistance. Le système carcéral est un système colonial et paternaliste, il y a peu de place pour remettre en question les façons de faire. Je me suis buttée à une organisation rigide. Ça été difficile d’implanter des initiatives et de se faire respecter. En plus, alors que je travaillais dans le système correctionnel fédéral, le gouvernement Harper a coupé le financement, a instauré des mesures punitives encore plus sévères, a diminué les ressources pour la relation d’aide et la réinsertion sociale, la nourriture pour les détenu-e-s et les employé-e-s. Tout a été coupé, mais on disait qu’il fallait contrer la surreprésentation des Autochtones. Le gouvernement envoyait donc quand même des enveloppes pour les initiatives autochtones, ce qui a été perçu comme un deux poids deux mesures. Il n’y avait pas d’éducation par rapport à l’enjeu de la surincarcération. Ça a été mal compris par les employé-e-s, mal reçu par les détenu-e-s qui trouvaient que les détenu-e-s autochtones avaient des passe-droits. Ces programmes sont donc retombés sur les épaules des employé-e-s autochtones qui devaient les mettre en place, mais qui n’avaient pas de pouvoir décisionnel. Par exemple, la première fois qu’on a essayé de permettre aux détenu-e-s de smudger, soit de pratiquer une cérémonie de purification par la fumée, on a dû aller en cour contre nos collègues qui alléguaient que la fumée les rendait malades. Il y avait plein de microagressions contre les détenu-e-s qui smudgeaient. On organisait également des cérémonies qui finissent toujours par des festins, durant lesquels il y a un partage de nourriture incluant des dons de viande sauvage offerte par la communauté. J’ai remarqué que les détenu-e-s non-Autochtones s’identifiaient comme Autochtones pour avoir accès à la nourriture. Je ne voulais pas être la police du statut autochtone, mais j’ai observé cela même chez les employé-e-s que j’étais censée former. Je ne les formais pas à travailler, mais plutôt à être Autochtones. J’étais également chargée de former mes collègues agent-e-s de libération conditionnelle concernant les principes de l’arrêt Gladue (1999), qui stipule que les juges doivent considérer une sentence substitutive et analyser les antécédents sociaux de la personne jugée en prenant compte des facteurs systémiques coloniaux. Le but était de favoriser d’autres traitements que l’emprisonnement. Les services correctionnels ont également été tenus de considérer les principes de l’arrêt Gladue. Toutefois, il y avait beaucoup de formation à faire aux agent-e-s pour qu’ils puissent faire une analyse cohérente des dossiers. Dans les faits, l’examen des antécédents sociaux des détenu-e-s leur nuisait au lieu de les aider. Par exemple, si le taux de criminalité de la communauté d’un détenu était très élevé, l’agent-e recommandait que la ou le détenu-e ne retourne pas dans sa communauté, plutôt que d’essayer de comprendre les causes de ce taux de criminalité élevé (tel que l’éloignement et la dépossession). Les agent-e-s considéraient ces informations comme des éléments de contexte plutôt que comme des éléments contributifs.
En quoi le système de justice pénale colonial canadien est-il fondamentalement différent des traditions juridiques autochtones en matière de Justice ?
Les notions éthiques des Premières Nations et des Inuit portent une conception des valeurs et de la justice complètement différentes de celles coloniales. Si on regardait les notions éthiques de ces peuples, on comprendrait bien des choses, mais on ne le fait pas beaucoup même si on est censé le faire depuis le rapport Gladue. Par exemple, dans le système colonial, on te considère comme innocent jusqu’à preuve du contraire. On doit donc essayer de donner le moins d’informations possible pour obtenir la plus petite sentence, les meilleures conditions, et une cote sécurité minimale. Ce sont toutefois des notions étrangères et inutiles pour un ou une détenu-e autochtone. Dans les conceptions autochtones, c’est complètement un affront si tu as fait quelque chose et que tu ne peux pas en parler ; les Autochtones et les Inuit vont reconnaître leur responsabilité tout de suite. Aussi, être incarcéré, c’est complètement se dispenser de sa responsabilité à réparer ce que la ou le détenu-e autochtone a fait. On l’enlève de sa communauté, mais pour lui, il doit y retourner pour aller réparer ce qu’il a fait, dédommager la victime et sa famille.Quelles seraient, selon vous, les pistes de solution pour contrer la surincarcération des Autochtones?
Il y a des initiatives prometteuses dans tout le pays. Le problème majeur est que ces programmes souffrent souvent d’un manque de pérennité. Le programme est bon pour un certain temps, mais on ne dispose pas du temps nécessaire pour évaluer ses retombées, et ensuite il n’y a plus d’argent pour le poursuivre. En matière de justice, par exemple, le Centre Waseskun a une délégation du fédéral qui lui permet de garder des détenu-e-s qui ont une cote de sécurité minimale. Toutefois, le Centre Waseskun est assujetti à toutes les directives du commissaire et du service correctionnel. Je l’ai vécu de l’intérieur, il y tellement un choc de culture et de valeurs. Il y a aussi le Centre résidentiel communautaire Kapatakan qui fonctionne bien, mais qui doit continuellement naviguer à travers un mode de gouvernance tripartite avec des délégations du provincial et fédéral. Les initiatives autochtones, c’est positif, car ça permet de renouer avec sa culture. Renouer avec sa culture permet d’aller à l’intérieur de soi, et renouer avec des choses de ton passé et réfléchir sur des choses qui t’ont blessé-e. C’est important. Mais ce n’est pas suffisant. Pour contrer la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral, il faut aller plus loin que mettre en place des initiatives autochtones au sein du système carcéral, ou déléguer certains services aux communautés : il faut procéder à un transfert des responsabilités et du financement aux communautés autochtones en matière de justice. Il faut que les peuples autochtones puissent exercer leur droit à l’autodétermination dans tous les domaines, incluant la justice. La nouvelle loi fédérale C-921 est d’ailleurs un parallèle très inspirant à faire. Depuis que la nation atikamekw d’Opitciwan a sa propre loi en matière de protection de la jeunesse, il n’y a plus de cas judiciarisés dans le système de protection de la jeunesse du Québec, ce qui veut dire qu’il y a plein d’enfants qui restent dans leur famille et au sein de leur nation. La Loi C-92, c’est vraiment un bel exemple. J’espère qu’elle va ouvrir la voie à d’autres formes de gouvernance en matière de justice. La surreprésentation des Autochtones en milieu carcéral, surtout la surreprésentation des femmes autochtones, c’est une tragédie nationale. Je suis une abolitionniste et je pense qu’on devrait recommencer à zéro. C’est utopique, mais il faut radicalement changer les choses.L’article La prison comme institution coloniale est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Quand la prison fait mourir
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Quand la prison fait mourir
Catherine Chesnay, professeure à l'École de travail social de l'UQAM Mathilde Chabot-Martin, candidate à la maîtrise en travail social à l'UQAM En novembre 2019, Michelle Messina, également connue sous le pseudonyme Madame M, s’est enlevée la vie dans sa cellule de l’Établissement de détention Leclerc de Laval. Quelques mois plus tard, le 20 mai 2020, Robert Langevin, un homme de 72 ans incarcéré à l’Établissement de détention de Montréal (Bordeaux) en attente de son procès, a succombé à la COVID-19. Dès le 19 mars 2020, la Ligue des droits et libertés (LDL) a fait valoir les droits des personnes incarcérées et œuvré à ce qu’un maximum de personnes puissent sortir de prison. À la demande des proches de personnes incarcérées ainsi que de la famille de Robert Langevin, la LDL a aussi tenté d’obtenir plus d’informations sur les derniers moments de M. Langevin, sur les soins qui lui ont été prodigués. Tout au long de ces démarches, la LDL a dénoncé l’opacité des services correctionnels. Le 24 décembre 2022, Nicous D’Andre Spring, un homme noir de 21 ans détenu illégalement à Bordeaux est décédé des suites d’une intervention violente des agents correctionnels. Récemment, en l’espace de quelques mois seulement, deux femmes sont décédées à l’Établissement Leclerc, l’une par suicide (novembre 2023) et l’autre de causes dites naturelles (janvier 2024). [caption id="attachment_19979" align="alignright" width="380"]
Imprécision des causes de décès
L’importante proportion de décès classés comme suicide s’inscrit en continuité avec les recherches sur les décès en prisons menées dans le Nord global (par ex., voir Bensimon, Liebling), ainsi qu’avec celles menées par Jean Claude Bernheim en 1997, démontrant l’influence des conditions de détention sur le nombre de suicides. Ainsi, de façon non exhaustive, le régime d’incarcération, l’architecture carcérale, la cote de sécurité de l’établissement, l’accès aux soins de santé, les transferts d’établissement, et toute forme d’isolement ou de confinement sont des éléments ont des effets importants sur les taux de suicide. En ce sens, la hausse des suicides nous renseigne sur une certaine dégradation des conditions d’incarcération, s’étant exacerbée au moment de la pandémie de COVID-19. Les décès classés comme mort naturelle par le MSP, entendus comme tous les décès découlant d’une maladie ou d’une complication associée à une maladie, soulèvent aussi plusieurs questions. Selon nos analyses, l’évolution du taux de mort naturelle pendant la période ne suit pas de tendance claire ou significative, rendant inutile une analyse chronologique de leur distribution. C’est plutôt la stabilité dans le nombre de morts naturelles qui nous invite à nous questionner sur les conditions de détention, ainsi que l’accès à des soins de santé adéquats pour les personnes incarcérées. Dans presque tous les rapports annuels produits, le Protecteur du citoyen dénonce l’insalubrité des établissements de détention ainsi que des mesures d’hygiène défaillantes1. La LDL s’est également maintes fois manifestée dans l’espace public pour dénoncer les violations du droit à la santé dans les prisons provinciales. L’accès à des soins de santé de qualité équivalents à ceux offerts à l’extérieur des murs de la prison est aussi un enjeu majeur, tel que souligné par le Protecteur du citoyen. Finalement, en ce qui concerne les décès classés comme mort de cause indéterminée, ceux-ci soulèvent également plusieurs questions, tant sur leurs causes, que sur la classification des décès. D’une part, les documents fournis aux chercheuses et chercheurs par le MSP ne contiennent aucune information concernant les critères utilisés pour établir qu’une mort est de cause indéterminée. La classification en devient à la fois si vaste et si imprécise que des décès survenant dans des circonstances très variées pourraient s’y retrouver. Par exemple, un récent rapport du Bureau du Coroner de l’Ontario souligne la hausse du nombre de décès attribuable aux surdoses dans les prisons provinciales2. Or, selon la classification actuelle des décès, la seule catégorie qui pourrait capter ces décès est celle de cause indéterminée. Or, du fait de l’imprécision de cette catégorie, il est impossible de vérifier si le même phénomène se joue dans les prisons québécoises. À la lumière des analyses des taux de décès pour chaque catégorie, il en ressort que le système de classification des décès est à la fois un révélateur du contexte dans lequel ces décès se produisent, mais aussi, de l’opacité des mécaniques institutionnelles qui entourent la mort en prison.Plus de questions que de réponses
Les données que nous avons présentées soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. D’abord, ces dernières reposent sur des documents fournis par le MSP, obtenus grâce à 11 demandes d’accès à l’information s’échelonnant sur quatre années. Les documents obtenus reposent sur des classifications préétablies et sur l’interprétation des employé-e-s des services correctionnels. Ils n’offrent donc qu’une vision partielle (et même partiale) des évènements qui se déroulent dans les prisons provinciales. Ensuite, la qualité même des données est questionnable. En plus de noter des différences entre les documents que nous avons obtenus, une autre équipe de recherche (Tracking (In)justice)3, ayant mené une démarche similaire d’accès à l’information, a obtenu une liste comportant 52 décès supplémentaires à celle que nous avons obtenue pour la même période. Bien que nous ayons demandé une clarification au MSP au sujet de cette disparité, nous n’avons pas obtenu de réponse de leur part. Nous faisons l’hypothèse que cette différence est en partie attribuable à l’inclusion des décès de personnes suivies par les services correctionnels dans la communauté dans les données fournies à l’équipe de recherche de McClelland. Néanmoins, avec les informations dont nous disposons, on ne peut infirmer ou confirmer cette hypothèse.[…] le système de classification des décès est à la fois un révélateur du contexte dans lequel ces décès se produisent mais, aussi, de l’opacité des mécaniques institutionnelles qui entourent la mort en prison.L’enjeu de la piètre qualité des données correctionnelles provinciales a déjà été soulevé à maintes reprises, par différents actrices et acteurs, et dans plusieurs juridictions canadiennes. En 1997, Bernheim faisait état du peu de fiabilité des données issues des services correctionnels. Au Québec, le système de gestion des données carcérales, soit le système DACOR (dossier administratif correctionnel), est reconnu comme étant obsolète et peu convivial à l’usage. Il contient des informations judiciaires sur les personnes incarcérées, mais aussi des données démographiques et des informations sur leurs antécédents médicaux, entre autres. Le manque de rigueur avec lequel les données carcérales sont consignées se répercute non seulement sur les personnes incarcérées elles-mêmes (incarcération qui dépasse les délais judiciaires ; manque d’information sur le risque suicidaire, etc.), mais également sur la possibilité de brosser un portrait fiable de la population carcérale. Ce même phénomène a par ailleurs été soulevé en Ontario dans un rapport du Bureau du coroner en 2023 faisant état d’enjeux de fiabilité et de transparence des données des services correctionnels de la province4. D’ailleurs, dans le cadre de recommandations pour prévenir les décès en détention, on suggère notamment la mise sur pied d’une stratégie sur la transparence et la qualité des données correctionnelles.
Toujours un décès de trop
À ce stade-ci de nos analyses, bien que nos données ne nous permettent pas d’articuler des analyses sur les causes et les circonstances de chaque décès, nous ne pouvons pas éluder le caractère mortifère de la prison. D’emblée, souli-gnons que le personnel correctionnel peut être directement impliqué dans le décès d’une personne incarcérée. C’est d’ailleurs ce qui est en jeu dans le décès de Nicous D’Andre Spring. Cependant, les personnes impliquées ne se retrouvent que rarement devant une cour de justice — faisant des accusations criminelles l’exception et non la règle. Une exception notable est la poursuite criminelle d’un agent correctionnel, au Manitoba, pour des accusations de négligence et de non- assistance à une personne à la suite du décès d’un homme Anishinaabe de 45 ans. Son décès le 7 février 2021 faisait suite à une intervention d’agents correctionnels durant laquelle il avait répété à 27 reprises ne pas pouvoir respirer5. Soulignons aussi que l’inaction du personnel correctionnel en ce qui a trait à des mesures de soin et de prévention, conjuguée avec des pratiques disciplinaires et des techniques de contention, peut aussi entraîner des conséquences mortifères. Sept ans après le décès de Soleiman Faqiri et au terme d’une lutte acharnée de sa famille, le jury appelé dans le cadre de l’enquête du Bureau du coroner de l’Ontario a conclu en décembre 2023 que son décès devait être considéré comme un homicide. Son incarcération alors qu’il était en crise, l’absence totale de services en santé mentale ainsi que l’escalade de la réponse correctionnelle (allant de l’isolement à l’usage de mesures de contention) sont tous des éléments ayant mené à son décès6. Les conclusions de l’enquête, tenue avec des audiences publiques, ne sont toutefois pas contraignantes, elles visent uniquement à informer le public sur les circonstances du décès. Dans son rapport, le jury, formé de cinq membres de la collectivité, a émis plus de 57 recommandations, incluant la création d’un organisme indépendant pour enquêter sur chaque décès de personnes incarcérées ainsi que sur les enjeux systémiques.Plus que compter les morts
Bien que chaque mort soit unique, et que les causes et circonstances soient toujours différentes, il en ressort que chacune d’entre elles révèle simultanément les failles d’un système correctionnel déficient et mortifère. Or, l’absence de surveillance institutionnelle des décès en prison — se manifestant, entre autres, par l’inhabilité à compter avec exactitude le nombre de morts qui s’y produit et à en identifier la cause dans 28 % des cas — est symptomatique d’une certaine banalisation de la mort entre ces murs. La prison (re)produit les violences coloniales, racistes, sexistes, capacitistes, en toute impunité. En milieu carcéral, certains corps considérés comme irrécupérables par l’institution en raison de leur identité de genre, de leur état mental ou de certaines caractéristiques physiques sont plus exposés à la mort7. Se questionner sur la mort en prison va donc au-delà de « compter les morts » ; il s’agit d’interroger pourquoi autant de personnes meurent en prison et de réfléchir à la manière dont les morts sont comprises, classifiées et, surtout, ignorées.- En ligne : https://protecteurducitoyen.qc.ca/fr/enquetes/rapports-annuels/2022-2023
- Office of the Chief coroner, An obligation to prevent - Report from the Ontario Chief Coroner’s Expert Panel on Deaths in Custody, 2023.
- En ligne : https://trackinginjustice.ca/
- Office of the Chief coroner, 2023.
- En ligne : https://www.aptnnews.ca/national-news/i-cant-breathe-court-sees-video-of-guards-overpowering-inmate-william-ahmo/
- En ligne : https://toronto.ctvnews.ca/soleiman-faqiri-s-jailhouse-death-ruled-a-homicide-1.6683448 En ligne : https://globalnews.ca/news/10167257/faqiri-family-coroners-inquest/
- Bromwich, Theorizing the Official Record of Inmate Ashley Smith : Necropolitics, Exclusions, and Multiple Agencies. Manitoba Law Journal, 2017 ; A. Mbembe, Nécropolitique, 2006 ; Razack, It Happened More Than Once : Freezing Deaths in Saskatchewan, Canadian Journal of Women and the Law, 2014. En ligne : https://doi.org/10.3138/cjwl.26.1.51 ; C. M. Zhang,Biopolitical and Necropolitical Constructions of the Incarcarated Trans Body, Columbia Journal of Gender and Law, 2019.
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