Recherche · Dossiers · Analyses
Toujours au devant

Les médias de gauche

Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

Derniers articles

Brésil : Massacre à Rio

10 novembre, par Jan Torras Griso
Jan Torras Griso, correspondant basé à Paris «Les politiques antidrogues ne sont pas pour la santé publique, mais pour la politique du pouvoir.» Ces mots du président colombien (…)

Jan Torras Griso, correspondant basé à Paris «Les politiques antidrogues ne sont pas pour la santé publique, mais pour la politique du pouvoir.» Ces mots du président colombien Gustavo Petro à l’ONU résonnent avec force après le massacre survenu à Rio de Janeiro. Une opération de guerre dans les (…)

« Entreprise libérée » : Expérimentations et apprentissages

Fondée en 2004 en Beauce, l'entreprise RG dessin est une entreprise privée de dessin industriel de 12 employé·es qui s'inspire du concept d'entreprise libérée. Une gouvernance (…)

Fondée en 2004 en Beauce, l'entreprise RG dessin est une entreprise privée de dessin industriel de 12 employé·es qui s'inspire du concept d'entreprise libérée. Une gouvernance qui emprunte des éléments d'autogestion tout en conservant certains traits propres aux entreprises privées. Comment se déploie cette philosophie dans l'entreprise ?

Entrevue avec Vincent Roy, président co-fondateur de l'entreprise privée RG dessin. Propos recueillis par Isabelle Bouchard et Samuel Raymond.

À bâbord ! : En quoi consiste le concept « d'entreprise libérée » ?

Vincent Roy : La première caractéristique d'une entreprise libérée est celle de la transparence généralisée de la gouvernance. Cela veut dire que nous rendons disponibles le plus d'informations et de données possible. Que ce soient ce que l'on facture aux clients, le coût des opérations, les salaires des salarié·es, les impacts des décisions, tout cela est connu.

Chaque trois mois, nous rendons disponibles nos dépenses et nos revenus. Les employé·es peuvent consulter ces données sur notre logiciel de gestion en tout temps. Nous refusons que le pouvoir des chiffres soit concentré dans les mains d'un petit groupe. Certain·es employé·es développent ainsi une connaissance intime de l'entreprise en ce qui concerne les chiffres.

Au-delà de ça, nous pratiquons « la délégation radicale des décisions » dans la mesure où nous avons une confiance absolue que nos salarié·es sont en mesure de prendre des décisions pour le bien commun. Par exemple, les employé·es gèrent mon salaire et les leurs. Nous ajustons les salaires une fois par année en tâchant de les maintenir concurrentiels. Ils et elles sont invité·es à prendre des décisions pour l'entreprise, mais aussi pour le bien de notre communauté : on a donné un montant x pour une salle de spectacle, on a rendu notre terrain plus vert, etc.

La perte la plus importante pour moi, ce n'est pas qu'un·e employé·e vole du temps ou du matériel à l'entreprise, mais plutôt qu'un·e employé·e ait uniquement travaillé sans avoir mis à contribution sa propre créativité. Laisser de l'espace à la créativité, c'est de l'engagement !

Cela va de pair avec l'acceptation de la prise de risque. J'accepte que certaines initiatives ne fonctionnent pas. Sans cela, les gens ne prendront pas de décisions, ne développeront pas leur autonomie et l'entreprise ne se libérera pas. Cela n'est pas simple, car les employé·es ont le réflexe de me demander la permission ou sont dans l'attente de mes conseils. À force de leur répondre : « Toi, qu'en penses-tu ? Que ferais-tu ? », alors ils et elles finissent par s'habituer et par prendre les décisions. Il va de soi que si j'étais informé d'une prise de décision qui pourrait mettre en péril la viabilité à court terme de l'entreprise, j'utiliserais mon droit de veto, mais cela n'est jamais arrivé en vingt ans.

ÀB ! : Comment se prennent les décisions du quotidien chez RG dessin ?

V. R. : Dès que j'ai vendu un projet, il devient la responsabilité d'une personne ou d'une équipe qui décide de la suite, sauf, pour le moment, ce qui concerne la facturation. C'est l'équipe qui détermine si un crédit est donné au ou à la client·e si le rendu n'est pas parfait. Une fois par semaine, nous tenons une rencontre pour faire le point sur les projets en cours.

Pour les projets d'amélioration intra et extra entreprise, nous procédions auparavant par comité. Cela avait ses limites, notamment à cause de la routine qui s'installait. Maintenant, nous procédons par porteur·euses de projets. Dans ce cas, on s'en remet à l'initiative individuelle. Si une personne veut faire quelque chose, elle le fait. Sinon, il faut accepter qu'il n'y ait pas nécessairement quelqu'un·e d'autre pour le faire. Dans cet esprit, nous avons un employé qui est devenu le maître en informatique même si ce n'est pas pour cela que nous l'avions initialement engagé. Les personnes se découvrent des talents cachés ou bien ont l'opportunité de mettre de l'avant des compétences personnelles. Cela améliore l'écosystème de notre milieu de travail.

Une fois par année, nous recevons une personne-ressource externe qui vient animer notre groupe pour que l'on se dote de projets d'amélioration. L'an passé, nous en comptions 57 et nous sommes sur le point de tous les réaliser. Par exemple, nous avons aménagé un patio extérieur et développé notre clientèle en faisant du démarchage aux États-Unis.

ÀB ! : Comment les conflits sont-ils gérés ?

V. R. : Déjà, l'enjeu des horaires est important dans notre milieu. Nous avons choisi de ne pas en avoir. Cela amenuise la possibilité de conflits et les gens s'ajustent en fonction des heures d'arrivée de chacun. Il faut aussi savoir que nous avons beaucoup investi en formation, en communication non violente par exemple, pour faciliter les bonnes relations. En ce sens, nous avons aménagé la cafétéria pour créer une ambiance qui favorise les échanges. Cela dit, il y a parfois des conflits, mais nous ne vivons pas dans un climat conflictuel, bien au contraire.

ÀB ! : Pour terminer, comment vous formez-vous ?

V. R. : Depuis quelques années, je suis encadré par une spécialiste en culture d'entreprise libérée que je consulte régulièrement. À la blague, je dis qu'elle m'a appris à devenir un dictateur. En effet, je dois obliger les gens à décider pour et par eux-mêmes !

En ce sens, il faut se tenir loin de la microgestion et il faut faire confiance à notre monde ! Ce qui est génial, c'est que cette philosophie de gestion se répand en Beauce.

Changer de cadre pour détruire la grande pauvreté

Restreindre notre compréhension de la pauvreté au seul manque de ressources limite notre capacité à y répondre durablement. C'est seulement en rendant visibles les dimensions (…)

Restreindre notre compréhension de la pauvreté au seul manque de ressources limite notre capacité à y répondre durablement. C'est seulement en rendant visibles les dimensions cachées de la pauvreté avec les personnes qui la vivent et à partir de leur expérience que l'on peut espérer y mettre fin.

« Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde », tel est le premier des Objectifs de développement durable (ODD) que l'Organisation des Nations Unies s'est donnés d'ici 2030. Malgré des développements technologiques et économiques sans précédent, une grande partie de l'humanité souffre encore des violences de la pauvreté. Malgré l'action d'une multitude d'organisations, la multiplication de programmes locaux, nationaux, internationaux, la pauvreté continue d'être l'un des principaux problèmes sociaux persistants et non résolus de notre espèce.

Des actions limitées par une compréhension limitée

Notre échec collectif à mettre fin à la pauvreté est sans doute lié aux définitions incomplètes ou erronées de la pauvreté et à leurs effets sur les actions mises en œuvre pour y répondre.

Ainsi, la définir comme l'incapacité à obtenir le minimum nécessaire à l'existence physique de base, la pauvreté dite absolue, a mené à l'établissement de seuils, indicateurs ou mesures de pauvreté en dessous desquels une personne est considérée en situation de pauvreté. En fonction de ces indicateurs, différents programmes caritatifs ou mesures d'urgence gouvernementales ont été mis en place pour répondre ici à l'insécurité alimentaire, là au démantèlement de camps de misère, ailleurs à la protection des enfants en les retirant de leurs familles pour les protéger de la pauvreté.

Sous l'impulsion des luttes des mouvements populaires, la limitation aux seules conditions physiques d'existence de cette conception de la pauvreté a été complétée par les dimensions sociales, économiques et juridiques de pauvreté relative à une société. Des formes de pauvreté qui ne seraient pas le fruit d'une punition divine, du hasard ou de la fatalité, mais bien d'une organisation sociale et économique accordant en excès aux un·es ce qu'elle refuse en nécessaire aux autres. Ainsi, la pauvreté devient une situation multidimensionnelle et le résultat direct de violations de droits humains. C'est ainsi que différentes institutions nationales [1] ou internationales [2] ont adopté des cadres de définition de la pauvreté inspirés de ceux du prêtre et activiste Joseph Wresinski, où elle est décrite comme étant :

« l'absence d'une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles d'assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins grave et définitive. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante, qu'elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de réassumer ses responsabilités par soi-même dans un avenir prévisible. »

Cette approche par les droits humains et la reconnaissance de la nature multidimensionnelle de la pauvreté permet de mettre en garde contre des « solutions » magiques qui peuvent se retourner contre les personnes concernées. En effet, de nombreux projets continuent d'être pensés sans les personnes en situation de pauvreté, comme des programmes contre l'insécurité alimentaire, des plans d'aménagement urbain, de santé mentale, d'alphabétisation. En les excluant des discussions et en ignorant leur expertise, les décisions sont prises sans intégrer plusieurs dimensions de la pauvreté, notamment émotionnelles, symboliques ou relationnelles. Des dimensions pourtant essentielles dans le succès ou l'échec de ces initiatives et que seules des personnes qui vivent la pauvreté peuvent identifier.Penser la pauvreté avec les personnes qui la viventLe Mouvement international ATD Quart Monde mène avec d'autres acteurs ce combat pour que la manière d'interroger, de comprendre, de décider et d'agir sur la pauvreté soit pensée avec les personnes qui la vivent. Au début des années 2000, des militant·es d'ATD Quart Monde ayant une expérience de pauvreté, des éducateurs et éducatrices populaires ainsi que des chercheur·es et universitaires ont mis en place une démarche de « Croisement des savoirs » ayant pour objectif d'identifier les connaissances dont nos sociétés ont besoin pour mettre un terme définitif à la misère. Cette première expérience a entraîné la multiplication de démarches similaires pour mieux comprendre la pauvreté, la définir et agir pour l'endiguer.

Entre 2017 et 2019, ATD Quart Monde, en partenariat avec une équipe de recherche de l'Université d'Oxford et soutenue par la Banque Mondiale, a lancé une démarche au niveau international qui visait à identifier les dimensions cachées de la pauvreté [3]. Des personnes vivant la pauvreté ont été impliquées à chaque étape de la recherche, depuis la conception du projet, la collecte et l'analyse des données jusqu'à la rédaction du rapport final.

Rendre visibles les dimensions cachées de la pauvreté

Ce travail de recherche a ajouté aux éléments traditionnellement associés à la pauvreté – manque de travail décent, revenu insuffisant et précaire, privations matérielles et sociales – les dimensions sociales et institutionnelles souvent invisibilisées, mais constantes dans l'expérience de la pauvreté. Cette recherche a par exemple révélé les dimensions liées à l'incapacité des institutions, par leurs actions ou leur inaction, à répondre de manière appropriée et respectueuse aux besoins et à la situation des personnes concernées, ce qui les conduit à les ignorer, à les humilier et à leur nuire. Elle a aussi identifié la dimension des contributions non reconnues : les connaissances et les compétences des personnes vivant dans la pauvreté sont rarement vues, reconnues ou valorisées et même ces personnes sont souvent présumées, à tort, incompétentes.

Les co-chercheur·es ayant un vécu de pauvreté ont joué un rôle essentiel dans l'identification de trois dimensions centrales dans l'expérience de la pauvreté : la dépossession du pouvoir d'agir, soit le manque de contrôle sur sa vie et la dépendance vis-à-vis des autres, la souffrance dans le corps, l'esprit et le cœur, le sentiment d'impuissance à y faire quoi que ce soit, et finalement le combat continu pour survivre aux nombreuses formes de souffrances causées par la pauvreté.

Ce travail a aussi permis de contribuer à l'identification d'éléments qui amplifient la violence de la pauvreté vécue par les personnes, comme ceux liés aux croyances culturelles, aux identités et oppressions multiples, ou encore aux éléments liés à la durée de la pauvreté et aux inégalités régionales.

Tenir compte de tous les aspects

C'est en prenant en compte l'ensemble de ces dimensions de la pauvreté qu'il est possible d'expliquer l'échec de programmes visant à y mettre fin. Ainsi, on peut comprendre comment les programmes d'employabilité contribuent, sans le savoir, à des effets de maltraitance institutionnelle ou encore comment ceux d'aide alimentaire participent, sans le vouloir, à la dépossession du pouvoir d'agir des personnes.

Ce travail nous permet de comprendre que c'est par la prise en compte de toutes les dimensions de la pauvreté que l'on pourra dépasser les mesures d'urgence ou les solutions temporaires et espérer définitivement y mettre fin. Surtout, ce travail nous rappelle la nécessité de construire des cadres avec les personnes qui la combattent au quotidien pour se libérer, libérer leurs familles et, finalement, libérer définitivement nos sociétés des violences de la pauvreté.


[1] Rapport Grande pauvreté et précarité économique et sociale adopté par le Conseil économique et social français en 1987.

[2] Par exemple dans les travaux de la Commission et du Conseil des Droits de l'Homme sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté de l'ONU.

[3] ATD Quart Monde, « Les dimensions cachées de la pauvreté ». En ligne : www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2019/05/DimensionsCacheesDeLaPauvrete_fr.pdf

Léo Berenger Benteux est allié et Daniel Marineau est volontaire du Mouvement international ATD Quart Monde.

Illustration : Anne Archet

Petite chronologie de l’autogestion au Québec

1945 L'imprimerie coopérative Harpell – Sainte-Anne-de-Bellevue Considérée par plusieurs comme l'ancêtre du mouvement autogestionnaire au Québec, c'est en 1945 que (…)

1945

L'imprimerie coopérative Harpell – Sainte-Anne-de-Bellevue

Considérée par plusieurs comme l'ancêtre du mouvement autogestionnaire au Québec, c'est en 1945 que l'imprimerie devient une coopérative de travail pendant près de 50 ans. À son plus fort, elle réunit près de 300 membres travailleurs·euses.

1947

Le village de Guyenne ou « la petite Russie » – Abitibi

En 1946 est mis en place une formule de colonisation du territoire qui mènera à la création d'un village où les décisions se prennent collectivement par les hommes, « les Pionniers de Guyenne ». En 1969, les femmes, après plusieurs années de luttes, sont admises aux assemblées politiques.

1968

La Clinique communautaire Pointe-Saint-Charles – Montréal

Des étudiant·es en médecine et en sociologie du quartier se mobilisent pour créer une clinique médicale populaire avec une approche basée sur les déterminants sociaux de la

1975

Le Centre de santé des femmes de Montréal – Montréal

Le CSF vise une prise en charge par les femmes de leur santé physique et mentale. Un organisme central dans les luttes pour la légalisation de l'avortement et un des premiers lieux au Québec où il est pratiqué.

1970 à 1980

Le projet du JAL – Témiscouata

Le projet du JAL nait au cours du mouvement des Opérations Dignité et réunit quatre villages : St-Juste-du-Lac, Auclair, Lejeune et Lots-Renversés. Portés par les principes d'action « animation-formation-développement », ces villages inventeront un modèle original de développement territorial, communautaire et autogéré.

1974 à 1982

L'usine Tricofil – Saint-Jérôme

Dans les années qui précèdent l'ouverture de Tricofil, l'usine Regent Mills Knitting (1916-1974) était déjà animée par l'un des syndicats les plus combatifs de l'époque. En 1972, l'occupation de l'usine par des centaines de travailleur·euses marque un point tournant dans ce qui deviendra Tricofil. Cette expérience autogestionnaire est considérée par certains comme la plus grande expérience autogestionnaire au Québec.

1975 à 2006

Éditions coopératives Albert Saint-Martin – Montréal

Maison d'édition autogérée offrant des ouvrages critiques sur la société québécoise. Elles portent le nom de l'un des pionniers du socialisme au Québec.

1985

L'usine de pneu Uniroyal/Servaas - ville d'Anjou

De 1972 à 1985, les luttes des travailleurs de l'usines ont graduellement pavé la voie vers l'autogestion. Suite à la fermeture de l'usine en 1985, les travailleurs ont formé une coopérative de travail (Société coopérative ouvrière de production de caoutchouc, SCOPCAT).

2018

Le Bâtiment 7 – Montréal

De 2003 à 2016, des groupes citoyens se mobilisent pour s'approprier un bâtiment appartenant anciennement au CN. Ce projet se concrétise en 2018 et se veut un espace communautaire autogéré par les différentes organisations qui l'occupent. La structure est ouverte à la communauté à travers plusieurs instances démocratiques.

2003 à 2020

Le café Coop Touski – Montréal

Cette institution phare du quartier Centre-Sud de Montréal a tissé les jalons d'une grande histoire de bouffe, de micro-culture, de grands rêves, mais surtout d'autogestion. On comptera plus d'une centaine de personnes salariées.

La trahison des jésuites

9 novembre, par Rédaction

Une mort annoncée

Le 9 janvier 2025, un communiqué officiel, signé par le président par intérim du conseil d’administration (CA) du Centre justice et foi (CJF) et vice-provincial des jésuites, annonçait la fermeture définitive du CJF, créé en 1983, et de la revue Relations, fondée en 1941. Cette annonce était l’aboutissement tragique de la mise à pied brutale et insensée de toute l’équipe, le 21 mars 2024, décidée par le CA avec l’aval des autorités jésuites. Cette mise à pied avait été annoncée aux concerné·e·s trois jours plus tôt sans autre préavis : toutes et tous, salarié·e·s, chercheuses et chercheurs associés, devaient quitter leur bureau à cette date, et l’accès à leur courriel leur devenait interdit. Durant ces trois jours, le personnel, abasourdi, s’est évertué à convaincre les responsables du CA de revenir sur leur décision qui risquait d’être fatale pour l’avenir du Centre et de la revue, leur offrant même de travailler encore un mois, avec un salaire réduit de moitié, afin de permettre au moins de boucler convenablement les activités en cours et d’achever le dernier numéro de Relations sur le point de paraitre. Une acceptation aurait changé toute la dynamique. Mais rien n’y fit. Plus encore, ils ont même eu l’odieux d’écrire dans leur communiqué que cette mise à pied s’était passée « sans heurt pour les employés ». Ce fut plutôt un véritable traumatisme dont certaines et certains ont eu du mal à émerger.

Précisons que ce ne sont pas des jésuites pris individuellement dont je parle, car plusieurs nous ont manifesté leur profonde solidarité. Je pense en particulier à Jean-Marc Biron, ex-supérieur des jésuites de la « province jésuite du Canada français » maintenant dissoute, et à d’autres que je ne peux nommer pour ne pas les exposer à des représailles de la part de leurs confrères en autorité. Je parle des Jésuites du Canada compris comme institution.

La méthode employée, digne du capitalisme sauvage, a été une véritable trahison des valeurs et principes les plus profonds sur lesquels était fondée la mission du Centre et de la revue. Les jésuites se portaient pourtant jusque-là garants de cette mission. En agissant de la sorte, ce sont ces deux institutions, dans ce qu’elles ont de plus précieux et fondamental, qui étaient atteintes. Le lien de confiance unissant ces institutions aux jésuites était trahi et rompu. J’ai essayé de traduire cette blessure dans un poème, lu le dimanche 2 mars 2025, lors d’une rencontre réunissant un grand nombre de collaborateurs et collaboratrices du Centre et de la revue pour souligner l’exceptionnel travail accompli par l’équipe aujourd’hui dispersée. En voici le début :

Il est des temps grisâtres qui écrasent le souffle comme un pied dans la gorge,

des temps d’humiliation où des êtres que l’on pensait amis ou compagnons de route

soudain apparaissent comme des maîtres qui aiment à faire sentir le poids de leur pouvoir.

Leurs mains, qui hier serraient les nôtres avec affection et reconnaissance,

en signe d’amitiés indéfectibles, pensait-on,

se saisissent d’une cravache et nous fouettent le visage,

attendant que nous pliions l’échine.

Nos yeux grands ouverts regardent, hagards, la dureté des leurs,

sans comprendre;

un monde s’écroule – était-il tout ce temps factice ?

tant leurs visages sont devenus difformes, leurs langues fourchues

et leurs paroles odieuses.

C’était comme si le sol était retiré violemment sous nos pieds

nous laissant suspendus dans le vide,

tombant, tombant sans rien à quoi se raccrocher,

– seul un cri sourd, peut-être, gonflant des ailes inespérées, ralentissant la chute,

un cri à l’intérieur duquel gît comme un corps sur le bord du chemin

une évidence déchirante :

nous étions tout ce temps d’hier, sous le couvert d’hommages, des condamnés en sursis

et promis au mépris.

Le simple fait que la revue Relations, l’une des plus anciennes du Québec, au rayonnement considérable, avec un nombre d’abonné·e·s parmi les plus élevés de la Société de développement des périodiques culturels québécois (SODEP), soutenue par un système complexe de collaborations et d’artisans, ait été considérée comme un simple bulletin qu’on peut interrompre à sa guise, avait tout l’air d’un rejet camouflé ou d’un sabotage. Car le CA et les autorités jésuites n’ont jamais voulu prendre en considération les avis, pourtant unanimes, des proches collaboratrices, collaborateurs et artisans de la revue selon lesquels une telle interruption pouvait compromettre gravement son avenir. Il semble bien que cet avenir comme celui du Centre ne pesait pas lourd dans la décision du CA et des autorités jésuites. À la lettre publique des directions et rédactions précédentes de Relations ainsi que des membres actuels et anciens du comité de rédaction parue dans Le Devoir[1], et à la Déclaration d’appui au CJF et à la revue, signée par plus de 1300 personnes[2] – des milieux religieux, universitaire, artistique, communautaire, médiatique, littéraire, syndical et autres –, les jésuites ont opposé un silence total.

L’envers de l’odieux

De toute évidence, quelque chose d’autre se dissimulait derrière la raison avancée pour expliquer la fermeture, soit la crise financière, au sujet de laquelle les membres non jésuites du CA furent en grande partie instrumentalisés. Leurs démissions successives après le diktat du 22 mars en font foi. Le chat est sorti du sac, au printemps 2024, lors d’une rencontre avec des membres des communautés religieuses donatrices des œuvres jésuites, ébranlés par l’arrêt des activités, qui désiraient en connaitre les raisons. Gilles Mongeau, vice-provincial jésuite et président par intérim du CA, et Isabelle Lemelin, directrice du CJF depuis à peine un an, animaient la rencontre. Gilles Mongeau avança cette raison : l’équipe n’était pas en phase avec les priorités de la province jésuite ! Cela était pourtant faux. Tous les bilans annuels, le dernier ayant été publié trois mois avant les événements, soulignaient l’apport précieux du Centre à ces grandes orientations, tout en louant sa contribution au rayonnement de la province. Cet argument fallacieux révélait cependant ce que cachait la méthode bulldozer adoptée : ce n’était pas des raisons financières – un fonds de réserve considérable et un appui financier étant facilement accessibles –, mais bien une volonté d’en finir avec le Centre et la revue tels qu’ils étaient. Il faut savoir qu’ils étaient rattachés depuis 2018 à une nouvelle province jésuite, pancanadienne, unissant les provinces jésuites francophone et anglophone du Canada, dans laquelle les jésuites francophones étaient maintenant très minoritaires. Or, cette province recomposée ne se reconnaissait pas dans les deux institutions québécoises qu’étaient le Centre justice et foi et Relations, trop séculières et trop à gauche au goût des nouvelles autorités. Il apparait maintenant évident que les autorités ont voulu les mettre à leur main et à leur image, tournant ainsi le dos à une longue lignée de jésuites québécois pour qui la justice est une dimension inhérente de la foi : non pas mettre la foi en premier, comme condition de la justice, mais plutôt servir la justice, comme expression de la foi, en solidarité avec tous ceux et celles qui la servent sans partager cette foi. La voix d’un grand nombre d’entre eux a été portée dans la revue et le Centre. Je pense, entre autres, à Jean-d’Auteuil Richard et Jacques Cousineau, fondateurs de la revue, à Julien Harvey, fondateur du CJF, à Karl Lévêque et à Guy Paiement. S’alliant aux voix croyantes, non croyantes, ou autrement croyantes, selon le mot de Michel de Certeau, émanant de tout lieu – populaire, syndical, universitaire, culturel, artistique, citoyen – de la société civile québécoise, elles partageaient un même souci du bien commun, une même attention à tous ceux et celles qui sont exclus, marginalisés et invisibilisés par la société. C’était là la singularité exceptionnelle de ces deux institutions québécoises qu’étaient Relations et le Centre justice et foi, si nécessaires tant à la société qu’à l’Église québécoises. Cela ne veut pas dire que toutes les autorités jésuites précédentes, francophones, partageaient nécessairement leurs points de vue ou leurs orientations. Mais toutes y reconnaissaient un legs précieux, à préserver à tout prix, en témoignage de la contribution des jésuites au débat public autour des grands enjeux de société. Elles étaient aussi conscientes que le CJF et Relations représentaient un lieu pertinent, de plus en plus rare au Québec, où s’exprimaient une foi et une Église engagées dans le combat pour la justice sociale et solidaires des laissé·es -pour-compte.

La nouvelle province jésuite n’avait aucune attache envers cet héritage, aucun désir de préserver le CJF et la revue, indifférente à leur enracinement dans la société québécoise. Cléricale, elle les voulait plutôt au service de la foi – de « la découverte de la foi », comme le communiqué de fermeture du CJF l’énonce, montrant par là une totale mécompréhension à son égard – et en parfaite syntonie avec la hiérarchie ecclésiastique. Libérale et institutionnelle plutôt que laïque, critique et de gauche, elle les voyait comme une patate chaude dont elle ne savait quoi faire. Les autorités jésuites ont donc choisi, à leur plus grande honte, d’y mettre un terme, et de manière sournoise, se désolidarisant ainsi du legs de leurs confrères francophones et de l’ancrage d’une Église au service du monde. On peut également penser que le provincial jésuite, Erik Oland, dont le mandat se terminait en juillet 2024, a trouvé cette occasion propice pour faire le sale boulot.

Un autre facteur a peut-être précipité le processus de démantèlement : la prise de position du CJF, publiée en novembre 2023, en faveur de la population gazaouie, dans le conflit opposant le gouvernement israélien au Hamas, après le massacre perpétré par celui-ci en Israël le 7 octobre 2023. Le Centre a été l’un des tout premiers organismes québécois à dénoncer la visée génocidaire derrière les attaques qui avaient lieu à Gaza. Or, cette déclaration a suscité un malaise au sein de l’administration jésuite, qui n’avait émis qu’une position frileuse à cet égard, à mille lieues, par exemple, des positions courageuses des Jésuites d’Afrique du Sud, qui ont manifesté sans réserve leur solidarité avec la population gazaouie.

Interlude

Suite du texte-poème lu le 2 mars 2025 :

La tentation est grande de maudire, de mépriser à notre tour comme si ce que ces hommes nous ont montré d’eux-mêmes n’était pas de même nature que ce contre quoi nous donnions notre voix, livrions bataille, engagions notre vie, en misant sur la dignité, la bonté, la justice. La figure humaine, hideuse et vile, attachée à des miettes de privilèges et de pouvoir, avec ses airs de bonhomie et de générosité, était tout proche de nous, à notre insu. Elle nous a été dévoilée. Elle prête, certes, à vomir, en plus de nous priver d’un lieu où précisément nous osions dire le méprisable qui nous voisine, de sorte qu’en signalant les œuvres dans notre monde, nous ouvrions, au nom d’une image humaine et divine qui nous porte, des espaces et des chemins d’humanité. Gardons notre regard fixé sur eux. Non, sur le méprisable. Car notre combat est toujours aussi contre nous-mêmes. Ce qui nous est donné à voir, c’est cette part obscure, tapie en tout être, capable de s’avilir pour des faveurs infimes.

Il est des temps grisâtres, oui, mais aussi de mémoire qui redonnent le souffle vital et soutiennent les pas vers demain. Mémoires des œuvres, des paroles, des écrits dressés contre la fatalité et la laideur du monde; œuvres, paroles, écrits qui sont la trace indélébile de la dignité humaine, et semences d’avenir.

Nous sommes dispersés aujourd’hui. Mais témoins malgré tout d’un bonheur commun que nul ne peut ravir, celui d’avoir été une équipe fière et debout dans la tourmente.

Entreprise de démolition

Le rôle qu’a joué la nouvelle directrice du Centre dans l’entreprise de démolition n’est pas clair. Comment comprendre qu’elle n’ait jamais cherché à impliquer l’équipe du CJF dans la recherche de solutions conjointes en vue de sortir de l’impasse, alors que cette équipe possédait toute l’expérience, l’expertise et la capacité organisationnelle pour relever ce défi ? Si elle s’en est bien gardée, était-ce pour se débarrasser précisément de cette expertise encombrante, et pour entreprendre une refonte radicale en accord avec les autorités jésuites ? C’est d’ailleurs à elle qu’on a confié d’esquisser, durant la période de mise à pied, ce qui pourrait « renaitre » éventuellement des cendres du CJF et de Relations. Car c’est bien à des cendres qu’on allait aboutir. En effet, le président du CA, le jésuite Peter Bisson, qui avait orchestré la mise à pied, envoyait, peu de temps après, une lettre à celles et ceux dont l’abonnement à Relations arrivait à échéance, les incitant à ne pas se réabonner ! La nouvelle refonte, disait-il ingénument, mais scandaleusement, pourrait ne pas leur plaire ! En réalité, ce qui était en vue, ce n’était pas tant une refonte qu’une totale rupture. De fait, en novembre dernier, les quelques membres restants du CA ont invité les ex-employé·e·s – qui avaient signé quelques jours auparavant une entente de compensation financière pour fin d’emploi assortie d’une sévère clause de confidentialité les réduisant au silence –, les chercheuses et chercheurs associés du CJF ainsi que de proches collaboratrices et collaborateurs pour leur présenter le plan de relance concocté en vase clos. Or, du Centre avait été expurgée sa raison d’être : l’analyse sociale. Dorénavant, il n’allait s’intéresser qu’à la spiritualité qui nourrit l’engagement. La revue, quant à elle, devenait une sorte de bulletin du nouveau centre, sans comité de rédaction ni équipe éditoriale, publié uniquement en version numérique. Deux versions papier annuelles s’y ajouteraient, réduites à quelques pages, dans lesquelles seraient dupliqués des extraits choisis. À l’issue de ce simulacre de projet de « relance », il ne nous restait qu’à leur demander expressément de ne pas apposer les noms de Centre justice et foi et de Relations à ces nouvelles entités à la mission dénaturée. Ce projet mort au feuilleton, la seule option pour eux était de fermer le Centre et Relations.

Cet inconcevable gâchis appauvrit et fragilise la société québécoise en la privant d’espaces essentiels d’analyse et de réflexion qui permettaient un regard unique en son genre sur les grands enjeux de la société, sous des points de vue diversifiés et complémentaires – sociologiques, philosophiques, anthropologiques, théologiques, artistiques, littéraires, poétiques, militants. L’absence de tels lieux de réflexion se fait d’ailleurs amèrement sentir alors qu’un vent fasciste, au remugle nauséeux, souffle des États-Unis et d’Europe, et que l’Église est tentée par un repli identitaire et le confort douillet d’une spiritualité désincarnée.

De ce gâchis, les autorités actuelles en portent aussi l’odieux. Même si elles cherchent à prendre leurs distances en se contentant de ramasser les pots cassés et en continuant à répéter la ligne de communication officielle de laquelle elles n’ont jamais dérogé. La faute est jetée sur des problèmes financiers et organisationnels, alors qu’ils ne furent en aucun cas déterminants. Cette abjection subsistera aussi longtemps que les autorités ne reconnaitront pas le mal qui a été fait non seulement à l’équipe, mais aussi à tous ceux et celles qui trouvaient dans la revue et au Centre justice et foi un lieu où puiser force, souffle, dynamisme, nourriture et espérance dans leur combat pour la justice et la défense du bien commun. Les autorités jésuites ne peuvent balayer sous le tapis de l’histoire un tel mépris, une telle honte. Il leur faudra un jour en assumer courageusement et humblement la responsabilité en reconnaissant leurs torts, comme pour « l’affaire silicose », dossier de Relations publié en 1948, qui avait mis à jour cette grave maladie industrielle, causant la mort d’une quarantaine de travailleurs de la mine de silice à Saint-Rémi-d’Amherst dans les Laurentides[3]. Incriminé, l’un des propriétaires de la mine, grand donateur de l’Église catholique, menaça de retirer ses dons prévus. Il a obtenu que les autorités jésuites de l’époque remercient le directeur-fondateur de la revue, et que le nouveau nommé publie une rétractation, ce qui plongea la revue dans une dizaine d’années de conservatisme social et qui dénatura sa mission.

La voix du Centre justice et foi et de Relations est éteinte, après avoir été muselée. Elle l’a été par des jésuites sourds à l’histoire tragique du monde et aux combats menés aux côtés des dépossédé·e·s et des exclu·e·s, plus soucieux de leurs milieux douillets et « spirituels », à l’image d’un Dieu désincarné, trônant au-dessus de la mêlée.

Le silence des cendres est gros de voix urgentes en attente de naitre[4].

Par Jean-Claude Ravet. L’auteur a été rédacteur en chef de Relations (2005-2019) et chercheur associé du Centre justice et foi (2020-2024). Il a fait paraitre aux éditions Nota Bene de Montréal Le désert et l’oasis. Essais de résistance en 2016 et La nuit et l’aube. Résistances spirituelles à la destruction du monde en 2024. 


  1. Gilles Bibeau et Jean-Claude Ravet, « Réparer les pots cassés et sauver “Relations”», Le Devoir, 30 mars 2024.
  2.  Comité de soutien aux employé-es mis à pied du Centre justice et foi, « Près de 1300 signataires de la Déclaration d’appui au personnel mis à pied de la revue Relations et du Centre justice et foi », Presse-toi à gauche!, 21 mai 2024.
  3. Suzanne Clavette, « L’Affaire silicose, un dossier explosif », Relations, n° 747, mars 2011.
  4. Sur le site <https://soutenonslesemployesducjf.org/lettre-ouverte-des-employ-es-mis-es-a-pied-du-cjf/>, on trouve les lettres d’appui, les articles et les déclarations publiques émises en solidarité avec le CJF et Relations.

 

Élections législatives en Argentine : le chantage économique américain a sauvé Milei.

8 novembre, par Isabel Cortés
Isabel Cortés, correspondante Javier Milei — le président argentin d’extrême droite connu pour sa « scie mécanique contre les dépenses publiques » — célébrait, le 25 octobre (…)

Isabel Cortés, correspondante Javier Milei — le président argentin d’extrême droite connu pour sa « scie mécanique contre les dépenses publiques » — célébrait, le 25 octobre dernier à Buenos Aires, sa victoire lors des élections législatives de mi-mandat depuis le centre d’opérations de son (…)

Zohran Mamdani : un socialiste chez les démocrates

7 novembre, par Charline Caro
Charline Caro, correspondante Jeune, musulman et socialiste, le nouveau maire de New York, Zohran Mamdani, s’impose comme une figure de résistance à Donald Trump, tout en (…)

Charline Caro, correspondante Jeune, musulman et socialiste, le nouveau maire de New York, Zohran Mamdani, s’impose comme une figure de résistance à Donald Trump, tout en suscitant la réticence des démocrates centristes face à son programme ancré à gauche. Zohran Mamdani a remporté mardi dernier (…)

Grève à la STM : les professeur·es de l’UQAM solidaires. Qu’en est-il des centrales syndicales et des partis d’opposition ?

7 novembre, par Martin Gallié — ,
Les médias grands publics ne cessent de s'acharner contre les grévistes de la Société de transport de Montréal (STM) et de marteler, tous les jours, que la grève affecte (…)

Les médias grands publics ne cessent de s'acharner contre les grévistes de la Société de transport de Montréal (STM) et de marteler, tous les jours, que la grève affecte durement les « personnes vulnérables », notamment celles qui ont des rendez-vous médicaux, qu'elle menace l'économie québécoise, etc.

Ils reprennent ainsi sans aucune nuance ou presque, méthodiquement, mot pour mot, la propagande du Gouvernement Legault qui réussit ainsi tranquillement à supprimer le droit de grève dans l'un des derniers secteurs (avec celui l'éducation, qui sera probablement la prochaine cible) où la grève légale peut effectivement encore "déranger" l'ordre établi.

Il est logiquement plus rare que ces mêmes médias mentionnent les revendications des grévistes qui luttent pour la survie du service public vital des transports en commun. Il est encore plus rare qu'ils questionnent la responsabilité de la direction de la STM et ses pratiques antisyndicales – elle refuse de négocier depuis plus d'un an en attendant tranquillement une loi spéciale ou son équivalent. Il est enfin exceptionnel qu'ils relaient les prises de positions en faveur des grévistes.

Alors pour information, le Conseil syndical du Syndicat des professeur·es de l'UQAM (SPUQ) a adopté, à l'unanimité, une résolution dans laquelle il :

« Affirme sa solidarité avec le Syndicat du transport de Montréal dans ses revendications (...) Rappelle que l'amélioration des conditions de travail des personnes employées de la STM et le développement responsable du réseau des transports publics bénéficie à l'ensemble de la population montréalaise ».

On pourrait espérer que les centrales syndicales (CSN, FTQ, CSQ, FAE etc.) se réveillent et fassent de même ; qu'elles se regroupent enfin et rédigent, à leur tour, un communiqué de presse intersyndical de solidarité avec les grévistes, pour la sauvegarde du service public des transports collectifs et en défense du droit fondamental de grève. Ce serait même là un minimum, de la part d'une bureaucratie syndicale qui ne cesse de nous demander de passer « À l'offensive » et de « Faire front » tout en restant bien silencieuse pendant toute la campagne électorale des municipales de 2025. Ce serait enfin un bon moyen de préparer le rassemblement intersyndical du 29 novembre 2025 et, surtout, ses suites.

On peut également rêver que les partis d'opposition, au premier rang desquels ceux qui se disent de gauche, prennent position et appellent à la mobilisation.

Et au cas où ils craignent de perdre des membres ou des voix, on leur rappelle que Zohran Mamdani, avec le soutien des syndicats et de la gauche (qui ne sont pas restés silencieux quant à eux), vient de remporter la mairie de New York, en revendiquant la gratuité des bus et l'amélioration des conditions de travail des employ·ées…

Martin Gallié
Délégué du SPUQ au Conseil Central du Montréal Métropolitain (CCMM-CSN)

Lien vers la Résolution du SPUQ : https://spuq.org/wp-content/uploads/bsk-pdf-manager/documents/x_documents/2025/09/comex_reso_votee_cs1_greveSTM_20250919.pdf

L’antiféminisme comme conservatisme

6 novembre, par Rédaction

Dans une époque où l’on voit la résurgence du mâle alpha et la montée en popularité des « épouses traditionnelles » (trad wives), il est important de se questionner sur la signification politique et sociale de la montée de l’antiféminisme pour mieux le combattre.

Il importe, d’entrée de jeu, de préciser le sens de certains termes qui sont partie prenante de la nébuleuse antiféministe. Le premier terme est misogynie, qui désigne la haine ou le mépris des femmes. Elle se retrouve dans les comportements individuels mais elle s’appuie sur un substrat social et elle a pour effet de cantonner les femmes à des positions subalternes dans la société. Elle peut parfois devenir systémique, comme en Afghanistan où l’on essaie d’effacer toute visibilité des femmes. Le sexisme est le deuxième terme. Il est un système social, à l’instar du capitalisme ou du racisme, et repose sur un triple processus de catégorisation-altérisation (distinction entre hommes et femmes), d’essentialisation (attribution de caractéristiques spécifiques que l’on rattache souvent à des traits physiques) et de hiérarchisation (supériorité du masculin sur le féminin). Il y a aussi une variante du sexisme qui est l’hétérosexisme qui soutient qu’il n’y a que deux sexes, que ceux-ci sont complémentaires dans le processus de procréation et que, par conséquent, l’hétérosexualité est la seule forme de sexualité acceptable. Enfin, il y a le masculinisme qui avance que, désormais, les femmes constituent le groupe sexué dominant, lequel exerce une forme de matriarcat qui placerait les hommes en posture subalterne.

L’antiféminisme s’appuie évidemment sur le sexisme comme système social et sur la misogynie comme dévalorisation des personnes de sexe féminin, mais il s’en distingue en ce qu’il constitue une opposition spécifique au féminisme comme mouvement social qui veut transformer les rapports sociaux de sexe, et aux féministes qui portent ce mouvement. Le masculinisme peut être considéré comme une forme radicale d’antiféminisme. Cette nébuleuse a des contours flous mais ses manifestations sont tangibles.

Dans le Québec contemporain, le coup de semonce de l’antiféminisme a certainement été l’attentat de l’École polytechnique, le 6 décembre 1989, où un jeune homme sépare les étudiants des étudiantes dans une salle de cours, tue 14 femmes et en blesse plusieurs, sous prétexte qu’elles seraient des féministes puisqu’elles étudiaient dans un domaine traditionnellement défini comme masculin.

Sur le coup, on a essayé de minimiser la dimension antiféministe de l’attentat. On a parlé de « tueur fou » pour décrire l’assassin. On a demandé aux féministes d’avoir la pudeur de se taire et de ne pas dénoncer cet acte comme antiféministe. Les commentateurs s’en sont donné à cœur joie dans la description des « exagérations » du féminisme qui pouvaient expliquer de tels gestes. Pourtant, le tueur avait été on ne peut plus clair dans la lettre décrivant ses motivations.

Durant les années qui ont suivi, on s’en est pris aux moyens, les armes à feu, plutôt que de dénoncer l’antiféminisme – je suis tout à fait en faveur des revendications de PolySeSouvient[1] en ce qui concerne l’interdiction de la plupart des armes. Il a fallu attendre 30 ans pour que la plaque commémorative de la Ville de Montréal sur la Place du 6-décembre-1989 parle d’attentat antiféministe.

Il est possible d’analyser l’antiféminisme comme une réaction, un backlash : ainsi, à chaque avancée du féminisme, il y aurait un ressac antiféministe. Cependant, comme le souligne Faludi[2], c’est, à maints égards, un backlash préventif : il s’agit d’empêcher coûte que coûte les femmes de parvenir à la liberté et à l’égalité, c.-à-d. de mettre fin au sexisme comme système d’oppression et d’exploitation sociale. Je préfère pour ma part le situer dans la foulée du conservatisme.

Quelques traits du conservatisme comme idéologie politique

Le conservatisme est l’une des trois grandes idéologies politiques qui ont façonné la modernité occidentale, avec le libéralisme et le socialisme. Comme les deux autres idéologies, il s’est transformé au fil du temps et comporte plusieurs courants, mais il est possible d’en repérer certains traits.

Il y a d’abord la valorisation de l’autorité, ce qui réfère à une conception hiérarchique de l’organisation sociale. Dans tous les domaines de l’existence, il y a des élites et celles-ci doivent jouer un rôle prééminent dans la société. Dieu est au-dessus des humains, le père de famille au-dessus des autres membres de la famille, le patron au-dessus des ouvriers, les notables au-dessus des citoyennes et citoyens. L’autorité constitue un facteur qui garantit l’ordre social entendu comme le respect des hiérarchies naturelles, et les divers domaines de la société ne doivent pas interférer les uns sur les autres.

Deuxièmement, puisqu’il y a de l’autorité, la liberté n’est pas infinie. Elle ne peut se développer qu’encadrée par les institutions. La liberté individuelle, contrairement à ce qu’énonce la pensée libérale, est limitée par les convenances morales et non pas par la liberté des autres. D’ailleurs, la liberté revêt plus une dimension collective (autonomie des régions, des ordres professionnels, des entreprises) qu’individuelle et les courants conservateurs ont tendance à en parler au pluriel.

En troisième lieu, on retrouve la critique de l’individualisme libéral, lequel est susceptible de « dissoudre la longue chaîne des relations sociales, laissant chacun à son statut de maillon individuel » pour paraphraser Tocqueville. Les individus sont toujours insérés dans le social : ils naissent dans une famille, dans un lieu précis, à une époque précise, dans un milieu social. Tous ces liens contribuent à la construction des individus. Ceux-ci et celles-ci ne peuvent être pensés en faisant abstraction de ces liens sociaux constitutifs.

Quatrièmement, il y a la tradition et celle-ci est invoquée de trois façons. D’abord, c’est pour souligner les dangers qu’il y a à faire des changements brusques : ceux-ci sont dérangeants et stressants, et leurs conséquences sont multiples et imprévisibles. L’expérience moderne des révolutions sur le modèle « du passé faisons table rase » s’est révélée désastreuse, celles-ci débouchant sur la terreur et le goulag. On invoque aussi la tradition en raison d’un certain scepticisme quant aux possibilités de l’humanité de changer le monde en mieux, d’où une insistance sur la prudence et sur les limites de la raison humaine. Finalement, la tradition nous ancre dans une histoire particulière : l’humanité n’existe guère dans son abstraction mais uniquement dans ses singularités nationales faites d’une continuité historique.

Un cinquième trait du conservatisme renvoie à la valorisation du rôle pacificateur, sur le plan social, de la religion, dans une espèce de trilogie « religion, autorité, tradition ». La religion fixe des bornes à l’ambition humaine en instaurant une autorité (Dieu) qui lui est extérieure et à laquelle il importe de se soumettre. La religion insère également l’individu dans une communauté liée par la foi, ce qui limite l’individualisme excessif et permet de corriger les comportements déviants.

Finalement, on retrouve la propriété et sa double fonction d’ancrage et de moralisation. Elle nous inscrit quelque part sur la terre, nous incite à la prudence et assure notre indépendance économique. Elle constitue, comme dans le libéralisme, une manifestation de notre sens moral. La propriété est également à la base du nationalisme ou de la défense du territoire ou d’un particularisme national.

Au XXe siècle, ce conservatisme a souvent traduit le nationalisme dans un sens chauvin, impérialiste et raciste. En France et en Allemagne, le conservatisme de l’entre-deux-guerres sera également marqué par un fort antisémitisme. Pour les conservateurs, les Juifs incarneraient l’ensemble des traits négatifs de la société moderne : individualisme, déracinement, argent. Toutefois, à l’époque de la guerre froide, ce sont moins les Juifs que les communistes qui en viennent à représenter la quintessence des malheurs de la modernité. Cela est très présent aux États-Unis, mais aussi dans les pays d’Europe occidentale.

Le conservatisme qui se développe dans les années 1980 – les années Reagan et Thatcher – aussi appelé néoconservatisme, opère une synthèse entre trois courants conservateurs : le conservatisme classique, le néoconservatisme et la droite religieuse[3]. Le conservatisme traditionnel, au cours des années 1950 et 1960, investit le Parti républicain étatsunien en opposition au New Deal et aux lois antidiscriminatoires adoptées dans la foulée du mouvement des droits civiques. Ce courant est très actif sur le plan des valeurs morales : en faveur de la peine de mort, de la prière dans les écoles, contre la permissivité sexuelle. Ces conservateurs sont également mus par un anti-intellectualisme populiste et une valorisation du « gros bon sens ».

Quant à lui, le néoconservatisme est identifié à une radicalisation idéologique du conservatisme. Plutôt que de se lamenter sur le bon vieux temps, il est nécessaire d’adopter une attitude proactive et de faire la promotion de ses idées, soit le travail, la famille, la patrie. Sans rejeter totalement les acquis du New Deal, les néoconservateurs s’inquiètent des programmes d’aide sociale qui inciteraient à la paresse ainsi que de l’avènement de la société des loisirs et de ce que cela implique comme renonciation à l’effort. Ils sont également méfiants des mouvements étudiants des années 1960 et de leurs liens avec la contreculture (sex, drugs and rock’n’roll). Ils critiquent la domination des intellectuel·le·s de gauche dans les universités de même que des nouvelles disciplines comme les études féministes (women’s studies) ou les théories critiques de la race (critical race theories).

La troisième composante, la droite religieuse, arrive mal à faire la jonction avec le conservatisme traditionnel, mais elle le fait plus facilement avec le néoconservatisme. Ces conservateurs se rejoignent dans la croisade contre les effets moralement corrupteurs de l’aide sociale (welfare), dans la défense de la famille traditionnelle – mise à mal par l’émancipation des femmes et les mouvances LGBTQ+ – et des communautés comme lieu de contrôle social.

Si ce néoconservatisme est surtout associé aux pays anglo-saxons, il n’en reste pas moins qu’une variante s’est développée au Québec depuis les années 1990 autour de ce que l’on pourrait qualifier de nationalisme identitaire. La composante religieuse en est moins importante, mais il importe d’assurer la continuité historique du groupe canadien-français, non pas en voulant faire pays mais en préservant la nation vis-à-vis d’éléments qui en minent la cohésion.

L’antiféminisme conservateur

L’antiféminisme conservateur peut s’analyser à partir de trois cadres complémentaires : le cadre conservateur traditionnel, celui de l’incertitude identitaire des hommes hétérosexuels qui perdraient leurs privilèges, et finalement celui d’une politique du ressentiment.

L’argument conservateur traditionnel peut se résumer de la façon suivante. Il y avait certes nécessité de changer certains aspects de la situation des femmes, mais les mouvements féministes sont allés trop loin. Ils ont inversé l’ancien ordre sexué pour placer désormais les hommes en position dominée, ce qui a créé un mouvement non nécessaire puisque l’évolution naturelle de la société québécoise nous aurait conduits à une plus grande égalité entre les femmes et les hommes. Cela a aussi rendu difficile d’avoir des rapports harmonieux entre les sexes en fomentant une « guerre des sexes »[4]. À partir du milieu des années 1990, un tel discours a pris les apparences du postféminisme. Les discriminations que dénonçaient les féministes dans les années 1970 et 1980 auraient disparu et les mesures d’action positive en faveur des femmes sont devenues de la discrimination à l’encontre des hommes. Dans cette optique, le mouvement féministe n’a plus lieu d’être et fait figure de « dinosaure » politique, n’ayant pas pris la mesure des changements sociaux déjà effectifs. On retrouve ce postféminisme aujourd’hui dans le discours de « l’égalité entre les femmes et les hommes comme valeur fondamentale de la société québécoise », ce qui dispense de travailler à la réaliser.

Le discours sur l’incertitude identitaire, qui n’est pas sans présenter certaines analogies avec celui d’un Henri Bourassa dénonçant la virilisation des femmes comme effet pervers du féminisme, insiste sur la crise de la masculinité comme conséquence inévitable du féminisme[5]. Cette perspective revêt également une forte composante lesbophobe et transphobe. Ce discours sur la crise de la masculinité est largement utilisé par les mouvements masculinistes – dont le seul référent de la masculinité reste le mâle alpha – qui invoquent le décrochage scolaire des garçons, la prévalence du suicide chez les jeunes hommes ou le refus des tribunaux d’accorder la garde des enfants au père en cas de divorce comme autant d’illustrations de cette crise de la masculinité.

Enfin, le prisme du ressentiment[6], également très présent dans le mouvement masculiniste, fait du féminisme le principal responsable des problèmes que vivent certains hommes, en remettant en cause les hiérarchies sexuelles antérieures. Les hommes seraient ainsi devenus les victimes d’une organisation sociale où leur nature – agressive – est constamment brimée, que ce soit à l’école qui valorise les comportements féminins, dans les couples où la violence sexuelle est susceptible de sanctions pénales ou d’opprobre social, ou encore dans les relations sexuelles qui devraient désormais être consensuelles.

La défense de la famille traditionnelle

L’argument le plus prégnant de l’antiféminisme conservateur est la défense de la famille traditionnelle, où l’homme est le pourvoyeur, la femme reste à la maison pour s’occuper des enfants qu’elle élève dans le respect des différences de sexe. Cette défense de la famille traditionnelle se fait sentir autant dans le discours de l’Église catholique ou dans celui des évangélistes – et de l’ensemble des religions monothéistes dans les conférences de l’ONU sur la population – que dans le discours d’opposition politique au féminisme que l’on retrouve dans certains groupes de femmes de droite.

La défense de la famille hétérosexuelle traditionnelle s’accompagne d’une critique du féminisme qui serait à la source d’une « guerre des sexes » assortie d’une humiliation des hommes. Cette critique rend le féminisme responsable de toute une série de maux sociaux : la pauvreté des femmes, les épuisements professionnels, la malbouffe et la délinquance juvénile pour n’en nommer que quelques-uns.

La défense de la famille traditionnelle revêt également d’importantes dimensions homophobes et transphobes. Comme le Vatican, elle s’oppose à l’éducation sexuelle dans les écoles (puisqu’on y placerait sur un pied d’égalité l’hétérosexualité, l’homosexualité et la bisexualité) qui pourrait faire l’apologie de la pédophilie et de la bestialité.

Le discours de l’Église catholique

Il importe de se pencher sur le discours anti-genre développé par l’Église catholique[7]. Depuis le pontificat de Jean-Paul II, durant lequel le futur pape Benoît XVI jouait le rôle de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, c.-à-d. de gardien en chef de l’orthodoxie, l’Église catholique s’est largement préoccupée de la question des femmes et a souvent fait front lors des conférences internationales sur les femmes ou sur la population avec les courants les plus intégristes à l’intérieur des autres religions monothéistes pour s’opposer à certains droits des femmes, principalement la liberté dans le domaine de la procréation. Cette position s’est nuancée mais elle n’a pas disparu depuis l’accession de François à la papauté : si on ne condamne plus nécessairement les individu·e·s, on condamne toujours les comportements.

D’abord, l’Église affirme l’égalité en dignité des femmes. C’est une reprise de ses positions traditionnelles de l’épître de Paul – pas le plus grand féministe qui soit – affirmant que pour l’Église, « il n’y a ni juif, ni gentil, ni homme libre, ni esclave, ni homme, ni femme », mais que tous sont égaux au regard de Dieu, ce qui, à l’époque, n’a pas empêché l’Église de pratiquer l’antisémitisme, de s’accommoder de l’esclavage, d’endosser la structure familiale patriarcale et, aujourd’hui, d’interdire la prêtrise aux femmes et de leur réserver un rôle subalterne dans l’Église. Bref, cette égale dignité est loin des droits égaux.

Ensuite l’Église érige les femmes dans une posture d’altérité. Le sujet humain est masculin, les femmes n’étant que l’autre de l’homme. Prenant appui sur la notion de « valence différentielle des sexes » élaborée par Françoise Héritier pour documenter et dénoncer les inégalités sexuées, l’Église catholique insiste sur le fait que la femme est l’auxiliaire du vrai sujet, l’homme. En même temps, l’Église insiste sur la complémentarité, non seulement dans la procréation, mais sur le plan ontologique, des deux sexes.

Enfin, l’Église catholique insiste sur le fait que le féminisme tend à détourner les femmes de leur véritable rôle social qui est celui d’être mères et épouses. Il exalte le « génie féminin » dans la mesure où il ne se mesure pas au masculin et n’aspire pas à une indifférenciation sexuelle qui serait le produit de « l’égoïsme, de l’individualisme et de l’hédonisme ».

Ce discours intellectuel de l’Église catholique contre ce qu’elle appelle la « théorie du genre » a des implications réelles : opposition à l’avortement et à la contraception mécanique ou chimique; opposition au mariage entre personnes de même sexe, opposition à l’homosexualité et aux droits des personnes homosexuelles ou trans. Il trouve des équivalents et des relais dans d’autres religions, mais aussi dans des mouvements féminins conservateurs[8].

Fondements de l’antiféminisme conservateur

Si l’on cherche les fondements de telles positions, il me semble qu’il faut regarder dans deux directions. La première est celle de l’attachement des antiféministes à la famille patriarcale. La deuxième est l’inscription de cette structure sociale dans un ordre naturel transcendant la volonté humaine, ce qui nous ramène aux traits du conservatisme.

Dans ce domaine, les antiféministes contemporains puisent à l’argumentaire classique de la famille comme organisation naturelle sur laquelle devrait se fonder l’ensemble de l’organisation sociale. En fait, le discours insiste sur trois grands piliers : la famille comme rempart contre l’étatisme, son rôle dans la cohésion sociale et son statut d’institution de base de la société.

La famille comme rempart contre l’étatisme est une vieille formule rhétorique conservatrice qui nous est désormais servie à la sauce néolibérale. L’argument se déploie en deux temps : le premier est que l’on doit cultiver l’indépendance économique des individus, quelles que soient leurs conditions d’existence : ils n’ont pas à dépendre de quelque aide publique ou autre mécanisme redistributif pour subvenir à leurs besoins. Le deuxième est d’ordre aristotélicien : la famille est nécessaire à un individu qui n’est pas entièrement autonome et dont l’existence dépend des autres.

À cet égard, les antiféministes conservateurs s’en prennent à la fois aux résultats de l’action féministe et aux programmes sociaux de soutien aux personnes. Pour eux, le féminisme a largement contribué à autonomiser les femmes et à mettre en place une série de programmes publics qui viennent suppléer partiellement au travail gratuit fourni par les femmes au sein de la famille, au nom de l’Amour. Ce que nous féministes analysons comme des avancées des femmes – comme la facilitation des procédures de séparation et de divorce, les pensions alimentaires pour les jeunes enfants, les garderies, le système de santé public, des systèmes publics pour s’occuper des personnes âgées, la reconnaissance de la contribution des femmes collaboratrices dans l’entreprise familiale, l’équité salariale ou des mesures de conciliation travail-famille – est perçu par les antiféministes comme des mesures visant à rendre obsolète l’institution familiale et à sortir les femmes, et plus particulièrement les mères de jeunes enfants, de leur dépendance par rapport à un pourvoyeur.

C’est là que l’argument aristotélicien entre en ligne de compte. Dans le Livre I des Politiques[9], Aristote soutient qu’il y a deux formes de socialité naturelle, la famille pour la procréation et l’entretien du vivant et la tribu pour les échanges économiques, et une forme créée (artificielle), la polis. Mais ces trois formes de socialité sont basées sur la prémisse de l’incomplétude de chaque être humain, ce qui fonde en retour sa thèse sur la sociabilité naturelle des êtres humains. Le développement de l’État providence, notamment les développements qui sont le produit des revendications féministes, sont donc vus comme constituant l’introduction d’une solidarité artificielle, volontariste et non naturelle dans ce qui devrait rester dans le domaine de la nature. L’individualisme libéral dont serait porteur le féminisme serait donc antifamilial et contre nature.

Pour les antiféministes, il importe donc de considérer la famille à la fois comme un domaine relevant de la nature et comme un rempart contre la mainmise étatique qui aurait une dimension à la fois intrusive et contre nature parce que relevant du volontarisme. En voulant refaire de l’institution familiale patriarcale la base de la solidarité sociale, ce qui est en congruence autant avec la pensée néolibérale de démantèlement des institutions de protection sociale qu’avec le conservatisme moral des fondamentalistes religieux qui veulent protéger leur progéniture de tout ce qui pourrait semer le doute par rapport aux croyances véhiculées dans la cellule familiale, ces antiféministes développent une nostalgie du « bon vieux temps » où les femmes étaient à la maison pour s’occuper des jeunes enfants, des malades ou des personnes âgées et pour cuisiner ces bons petits plats qui nous protègent de ces fléaux modernes que sont la malbouffe et son corollaire l’obésité, tout en passant sous silence l’inégalité dans laquelle une telle institution place inévitablement les femmes dans une société capitaliste qui requiert un accès à l’argent comme médiateur social généralisé.

Cette cellule familiale est évidemment hétérosexuelle et « naturelle », la procréation ne pouvant relever que de la copulation entre un homme et une femme. Ainsi, on voit se reproduire un discours bien connu. Un enfant est le produit de l’union d’un père et d’une mère; seule cette union est susceptible de produire un enfant. Il faut donc favoriser le mariage hétérosexuel et la prolongation du temps consacré par les femmes aux soins aux personnes. C’est d’ailleurs le discours qu’on a entendu en France dans les manifestations contre le « mariage pour tous ».

Cette famille est aussi marquée par une forte hiérarchisation entre les sexes et entre les générations. C’est dans la famille que l’on fait le premier apprentissage du principe d’autorité et des inégalités sociales, et ces inégalités trouvent ensuite leur équivalent dans toutes les autres sphères de la vie sociale. En fait, il y a établissement d’un lien logique entre autorité paternelle, autorité des élites sociales et autorité divine. Il y a donc un rapport causal qui s’instaure entre divorce des femmes, perte de l’autorité sur les enfants et délinquance juvénile.

Plus encore, la famille hétérosexuelle est vue comme la condition de la reproduction de la nation. On retrouve ce lien entre famille et nation, dans un certain discours conservateur québécois, se présentant souvent avec des nostalgies de la devise pétainiste « travail, famille, patrie » qui semble si chère à un Lucien Bouchard et à ses amis lucides[10] et à la mise en scène du premier ministre François Legault en « papa a raison[11] » qui agit pour votre bien pendant la pandémie. On le retrouve également dans le discours nationaliste d’un Mathieu Bock-Côté.

Il ne faut pas s’étonner, dans les circonstances, que les principales cibles des antiféministes soient les unions entre personnes de même sexe, les trans ou l’homoparentalité, réunis dans la lutte contre le wokisme. C’est aussi ce qui pointe derrière le comité de « sages » mis en place par le gouvernement Legault en décembre 2023 pour étudier la question trans. Car en dénaturalisant la famille, les féministes et les personnes LGTBQ+ en dévoilent la dimension de construction sociale.

À entendre les antiféministes, c’est la possibilité même de relations amoureuses harmonieuses entre hommes et femmes qui serait menacée. En outre, l’école, en se faisant le relais des valeurs féminines de la famille matrifocale, contribue à émasculer les jeunes garçons. Plus encore, l’autorité paternelle est minée. Bref, contrairement à ce que soutiennent les féministes, c’est l’anatomie qui dicte l’organisation sociale, alors que nous avons démontré depuis belle lurette que c’est la procréation qui complémentarise les sexes et fabrique le sexe et le genre.

Par Diane Lamoureux, professeure émérite de science politique de l’Université Laval


  1. PolySeSouvient est un collectif d’étudiantes, d’étudiants et de diplômé·e·s de Polytechnique et de familles de victimes qui réclament une série de mesures de contrôle des armes.
  2. Susan Faludi, Backlash. The Undeclared War Against American Women, New York, Crown Publishers, 1991. Version française, Backlash. La guerre froide contre les femmes, Paris, Éd. des femmes, 1993.
  3. Voir Irving Kristol, Neo-conservatism, Lanham (Maryland), Rowman & Littlefield, 1999.
  4. C’est, entre autres, la thèse défendue par la chroniqueuse Denise Bombardier dans La déroute des sexes, Paris, Seuil, 1993.
  5. Voir Francis Dupuis-Déri, La crise de la masculinité, Montréal, Remue-ménage, 2018.
  6. Voir Wendy Brown, States of Injury. Power and Freedom in Late Modernity, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1995.
  7. Voir Sara Garbagnoli et Massimo Prearo, La croisade « anti-genre ». Du Vatican aux manifs pour tous, Paris, Textuel, 2017.
  8. Voir Andrea Dworkin, Right-Wing Women, New Yok, Perigee Books, 1983. Traduction française : Les femmes de droite, Montréal, Remue-ménage, 2012.
  9. Aristote, La politique, Livre I, entre 335 et 323 av. J.-C..
  10. NDLR. En 2005, l’ex-premier ministre Lucien Bouchard et d’autres personnalités ont signé un manifeste Pour un Québec lucide. Selon ce document, le Québec vivait au-dessus de ses moyens et il appelait à l’austérité.
  11. NDLR. Papa a raison a été une série télévisuelle très suivie des années 1960.

 

Lancement des JQSI à Montréal : climat, solidarité et mobilisations citoyennes

6 novembre, par Claire Comeliau
Claire Comeliau, correspondante en stage C’est sous le signe de l’environnement et des changements climatiques que l’Association québécoise des organismes de coopération (…)

Claire Comeliau, correspondante en stage C’est sous le signe de l’environnement et des changements climatiques que l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) a inauguré la 29e édition des Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI) à Montréal le (…)

Mon expérience épuisante avec les caprices bureaucratiques liés à mon congé de maladie

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/11/421988458_7105640479526833_2500716184829652180_n-e1762383195161-1024x544.jpeg5 novembre, par Contributeur
J'ai su en octobre 2024 que j'aurais une chirurgie à cœur ouvert en 2025. La chose était fâcheuse, mais il fallait bien s'y plier pour continuer à vivre, encore un peu… Voulant (…)

J'ai su en octobre 2024 que j'aurais une chirurgie à cœur ouvert en 2025. La chose était fâcheuse, mais il fallait bien s'y plier pour continuer à vivre, encore un peu… Voulant être prévenant, me doutant bien de tous les petits problèmes administratifs que peut poser une telle situation, j'ai (…)

Brésil : 132 morts lors de l’intervention brutale de la sécurité publique à Rio de Janeiro

5 novembre, par Isabel Cortés
Isabel Cortés, correspondante Dans les entrailles de Rio de Janeiro, là où les favelas du Complexo da Penha s’accrochent aux collines comme des cicatrices vivantes, l’aube du (…)

Isabel Cortés, correspondante Dans les entrailles de Rio de Janeiro, là où les favelas du Complexo da Penha s’accrochent aux collines comme des cicatrices vivantes, l’aube du 28 octobre 2025 a surgi avec un vacarme que personne n’oubliera. Des hélicoptères Black Hawk lacéraient le ciel, larguant (…)

Construire la majorité pour un Québec indépendant, égalitaire, féministe et décolonial

4 novembre, par André Frappier, Bernard Rioux — ,
Le continent nord-américain vit une période de profonde polarisation politique, de crise écologique et de montée des impérialismes. Aux États-Unis, le retour du trumpisme et la (…)

Le continent nord-américain vit une période de profonde polarisation politique, de crise écologique et de montée des impérialismes. Aux États-Unis, le retour du trumpisme et la droitisation accélérée de la vie politique alimentent une offensive réactionnaire sur tous les fronts : militarisation, extractivisme, racisme anti-immigrant, misogynie et destruction du tissu social. Le Canada n'y échappe pas : son gouvernement libéral aligne sa politique étrangère sur les intérêts de l'OTAN et des grandes puissances économiques, tout en renforçant son appareil militaire et policier.

Le Québec, dans cet environnement, est tiraillé entre deux tendances : l'adaptation au cadre fédéral et la recherche d'une souveraineté populaire et écologique.

I. Le piège fédéraliste : de la négation du droit à l'autodétermination à l'illusion du bon gouvernement

À la suite de la défaite du référendum de 1995, le gouvernement fédéral s'est doté d'une série d'instruments légaux et institutionnels pour protéger l'intégrité de l'État canadien et nier la volonté d'autodétermination du Québec — notamment la Loi sur la clarté, qui confère au Parlement fédéral le pouvoir de juger de la validité de la question référendaire et du seuil de soutien requis pour ouvrir des négociations advenant une éventuelle victoire du OUI.

Depuis des décennies, les gouvernements fédéralistes québécois — libéraux ou caquistes — répètent la même promesse : gérer « efficacement » la province dans le cadre canadien et défendre les « intérêts du Québec », sans jamais remettre en cause la dépendance structurelle envers Ottawa et le capital financier.

La CAQ incarne cette illusion du « bon gouvernement ». Elle prétend défendre l'autonomie du Québec, mais refuse d'affronter les rapports de domination réels : le pouvoir du capital pétrolier et minier, le contrôle fédéral sur l'immigration et la fiscalité, la soumission aux accords commerciaux et à l'OTAN. Son projet de constitution provinciale vise à figer un nationalisme sans portée sociale, réduisant la nation à une identité culturelle plutôt qu'à une communauté politique capable d'agir.

Le Parti libéral du Québec va plus loin encore : il défend un fédéralisme intégral et s'oppose à toute forme de souveraineté populaire. Ses discours, fondés sur la peur, prétendent répondre aux enjeux immédiats — économie, coût de la vie, santé — tout en minimisant la question nationale. C'est une tactique éprouvée, utilisée lors des deux référendums.

En somme, le bloc fédéraliste ne promet qu'une gestion technocratique de la dépendance et un approfondissement de l'ordre néolibéral, tout en niant les effets de cette subordination sur le peuple québécois.

II. Le retour du Parti québécois : nationalisme conservateur et ambiguïtés stratégiques

La remontée spectaculaire du Parti québécois, après des années de déclin, s'explique par l'épuisement de la CAQ et la nostalgie d'un projet d'émancipation nationale. En promettant un référendum d'ici 2030, Paul St-Pierre Plamondon parvient à canaliser un désir réel de rupture. Il cherche à rassembler un large éventail de forces sociales et politiques autour de l'aspiration à un pays, sans définir le contenu économique ou social d'un Québec indépendant, anticipant des campagnes parallèles pour différents segments du mouvement souverainiste.

Le PQ ne remet pas en cause les fondements économiques et institutionnels du Québec néolibéral. Il évite toute confrontation avec les grandes puissances économiques et ne propose aucune stratégie de transformation sociale. Pire encore, il tend à redéfinir la souveraineté sur des bases identitaires : en associant crise de la langue, immigration et survie nationale, il glisse vers un discours conservateur aux accents xénophobes.

Sous couvert d'unité nationale, il appelle à « rassembler toutes les tendances » — de la gauche à la droite — autour d'un référendum abstrait, sans contenu social ni démocratique clair. Mais une indépendance qui ne remet pas en cause les rapports de pouvoir existants n'est pas une libération. Il suffit d'examiner ses positions sur les droits économiques et sociaux de la majorité populaire, ainsi que son silence sur les politiques trumpistes, pour constater que son refus de définir le contenu de l'indépendance relève de la manipulation la plus éhontée.

III. Le danger d'une convergence avec le PQ

Certaines voix, au sein du mouvement souverainiste, appellent à « renforcer le camp du Oui » en appuyant le PQ comme « moteur du processus indépendantiste ». Mais cette stratégie de convergence, déjà expérimentée et toujours décevante, conduit invariablement à l'effacement des forces de gauche dans un projet national centré sur l'État plutôt que sur le peuple.

Converger derrière le PQ, c'est se soumettre à une logique électoraliste qui subordonne la souveraineté populaire à la conquête du pouvoir parlementaire. C'est renoncer à l'indépendance comme processus de transformation sociale et démocratique. C'est, enfin, risquer de cautionner un nationalisme identitaire qui divise et affaiblit le camp populaire au lieu de le rassembler.

On ne peut parler d'alliance électorale sans examiner les orientations politiques réelles des partis indépendantistes. Or leurs visions de l'indépendance s'opposent profondément : d'un côté, une indépendance d'État, technocratique et conservatrice ; de l'autre, une indépendance populaire, écologique et féministe, fondée sur la participation de toutes et tous à la construction d'une société juste et égalitaire. À cet égard, les choix du PQ en matière d'environnement, de ressources naturelles, de droits sociaux et d'équité témoignent d'une orientation incompatible avec une véritable rupture avec le néolibéralisme.

La Charte des valeurs défendue par le PQ, puis reprise par le Bloc québécois, a contribué à légitimer les préjugés envers les personnes issues des minorités ethnoculturelles. [1]En opposant les travailleuses et travailleurs entre eux, elle a détourné le débat des véritables rapports de pouvoir et de domination. Cette logique identitaire, qui prétend défendre la laïcité tout en stigmatisant des communautés, contredit les principes de justice, de solidarité et d'égalité qui doivent fonder un projet indépendantiste émancipateur.

Lorsque Paul St-Pierre Plamondon associe la crise du logement à une « immigration incontrôlée » et prétend que des « seuils astronomiques » d'immigration nuisent à la natalité ou explique les difficultés d'accès aus soins de santé, il recycle les discours réactionnaires qui font des personnes migrantes les boucs émissaires des échecs du capitalisme québécois. [2]

Pour la gauche, le véritable défi n'est pas de se rallier au PQ, mais de construire une alternative indépendante, capable d'incarner l'indépendance comme un processus de libération collective.

La majorité indépendantiste dont nous avons besoin ne naîtra pas d'un pacte entre partis, mais d'une alliance vivante entre les classes populaires, les mouvements sociaux, les syndicats, les groupes écologistes, féministes, antiracistes et les nations autochtones. C'est dans cette alliance, enracinée dans les luttes concrètes et les solidarités de terrain, que pourra s'inventer une indépendance du peuple québécois — une indépendance qui rompe avec le capitalisme, le colonialisme et toutes les formes de domination.

IV. Faire l'indépendance, c'est remettre en question l'intégrité de l'État canadien

L'impérialisme canadien n'acceptera jamais la séparation du Québec sans y opposer une résistance farouche. Cette hostilité ne tient pas seulement à des figures politiques comme Jean Chrétien, Pierre Elliott Trudeau ou Mark Carney : elle découle directement des fondements mêmes de l'État canadien. C'est l'ensemble de ses institutions, de son intégrité territoriale et de son rôle dans le système impérialiste nord-américain qui seraient remis en cause par l'indépendance du Québec.

Cette rupture ne pourra advenir que sous la pression d'un vaste mouvement populaire, capable de se déployer à l'échelle de tout l'État canadien, particulièrement dans un contexte marqué par la montée de l'extrême droite au sud de notre frontière. Le mouvement ouvrier et populaire du reste du Canada n'a aucun intérêt objectif à défendre l'impérialisme canadien ni son État, qui mène aujourd'hui une offensive contre ses acquis sociaux et contre les droits des Premières Nations.

Il est donc impératif, pour le peuple québécois comme pour la classe ouvrière du reste du Canada, de construire des alliances durables et des solidarités actives avec les forces progressistes et les nations autochtones. C'est par cette unité des luttes que pourra émerger une alternative commune à l'ordre impérialiste et colonial : un projet de libération fondé sur la souveraineté des peuples, la justice sociale, la décolonisation et la transition écologique.

V. Pour une souveraineté populaire, démocratique et écologique

Québec solidaire a la responsabilité historique de redonner un sens émancipateur au mot « indépendance ». Celle-ci ne peut se limiter à la création d'un nouvel État : elle doit signifier la reconquête collective du pouvoir sur nos vies, nos ressources et nos institutions.

Cela implique une indépendance :
• fondée sur la nationalisation démocratique des secteurs stratégiques (énergie, mines, forêts, numérique) et sur la planification écologique de la production ;
• qui garantit le droit à la santé, à l'éducation, au logement et à la sécurité du revenu pour toutes et tous ;
• qui promeut un Québec féministe, reconnaissant le travail des femmes, luttant contre la violence patriarcale et inscrivant l'égalité réelle dans la Constitution ;
• construite dans le respect des nations autochtones, de leurs droits territoriaux et de leur autodétermination ;
• qui rompe avec l'extractivisme et réoriente l'économie vers une transition juste et la préservation du vivant.
Ce projet ne peut être imposé d'en haut. Il doit naître d'un processus démocratique large : une Assemblée constituante élue au suffrage universel, où le peuple déciderait lui-même de la forme et du contenu d'un Québec indépendant. C'est ainsi que l'indépendance deviendra le cadre d'un renouveau démocratique, et non la couverture d'une nouvelle domination.

VI. Construire la majorité pour un Québec indépendant, égalitaire, féministe et décolonial

La tâche de notre génération n'est pas de répéter les débats du passé, mais de construire la majorité politique et sociale qui rendra l'indépendance incontournable. Cette majorité ne se formera pas seulement dans les urnes, mais dans les luttes : contre la privatisation du système de santé, pour le logement social, pour la justice climatique, contre le racisme systémique et pour la souveraineté alimentaire et énergétique.
Chaque lutte qui remet en cause la logique du profit prépare les conditions d'un pays libre.

Notre camp du Oui doit être clairement défini :
Oui à la souveraineté populaire, non à la centralisation technocratique mise de l'avant par les fédéralistes.
Oui à l'égalité et à la solidarité et à un Québec inclusif, non au nationalisme conservateur et fermé.
Oui à la démocratie sociale, féministe, écologique et antiraciste, non à la continuité du Québec néolibéral.

Renforcer le camp du Oui, — mais à condition de redéfinir ce Oui sur nos bases, celles d'un projet d'émancipation et de transformation sociale. Autrement, nous risquons de devenir les compagnons critiques d'un référendum mené au nom du peuple, mais sans aucun élargissement de la démocratie citoyenne.

L'avenir du Québec ne se jouera pas derrière le PQ ni dans les couloirs de l'Assemblée nationale. Il se construira dans les quartiers, les milieux de travail, les universités et les régions, là où s'inventent déjà les solidarités concrètes. C'est de là que surgira la majorité indépendantiste capable d'imposer un Québec indépendant, libre, juste et solidaire.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Occupations », douze jours de colère à Columbia

4 novembre, par Leyane Ajaka Dib Awada — , ,
En moins de deux semaines, les étudiant·es de l'université new-yorkaise ont amorcé un mouvement de mobilisation étudiante qui s'est propagé dans plus de 300 universités des (…)

En moins de deux semaines, les étudiant·es de l'université new-yorkaise ont amorcé un mouvement de mobilisation étudiante qui s'est propagé dans plus de 300 universités des États-Unis. Le film documentaire réalisé par Michael T. Workman et Kei Pritsker, actuellement en salle, retrace l'émergence et l'évolution de ces journées de mobilisation pour la Palestine qui ont polarisé la première puissance mondiale.

24 octobre 2025 | tiré d'Orient XXI | Photo : Un grand rassemblement de manifestants avec des drapeaux, dans un parc.
Image tirée du documentaire Occupations de Michael T. Workman et Kei Pritsker.
Watermelon pictures
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/etats-unis-gaza-occupations-douze-jours-de-colere-a-columbia,8611

Le 17 avril 2024, six mois après le début du génocide commis par Israël à Gaza, les étudiant·es de l'université de Columbia, dans la ville de New York aux États-Unis, mettent en place un campement dans l'enceinte de l'établissement. Leurs revendications sont très simples, et se résument en un slogan de deux mots : « Divulge, divest » (Révéler, désinvestir). Iels demandent à leur université de rendre publics ses investissements, et de cesser de financer des entreprises tirant profit du génocide à Gaza, comme le géant de l'armement Lockheed Martin, dont l'un des ancien·nes dirigeant·es, Jeh Johnson, siège au conseil d'administration de Columbia1.

Comme toute l'Ivy League, ce groupe rassemblant les universités les plus prestigieuses des États-Unis, Columbia est un établissement privé qui tire de très importants profits de son activité, notamment des frais de scolarité faramineux exigés des étudiant·es. En 2025, ces seuls frais peuvent s'élever pour un·e étudiant·e en licence à plus de 70 000 dollars (plus de 60 000 euros). L'université estime sur son site internet qu'il faut aux étudiant·es non boursier·es — au moins la moitié de celles et ceux en licence — un budget de plus de 93 000 dollars (plus de 80 000 euros) pour couvrir leur inscription, leurs fournitures scolaires, ainsi que leur logement et leur couvert. Ainsi s'explique l'impressionnant montant des investissements de Columbia qui s'élève en 2025 à 14 milliards de dollars (12 milliards d'euros). Quatre-vingt-dix pour cent d'entre eux sont indirects, c'est-à-dire qu'ils se font à travers des sociétés dépendantes de l'université new-yorkaise.

Peu réceptive aux demandes étudiantes et relayant la rhétorique qui assimile toute critique d'Israël à de l'antisémitisme, l'université de Columbia propose aux étudiant·es de rendre publics seulement ses investissements directs, et de formuler une recommandation contre les investissements dans des entreprises associées à la violation des droits humains. Ces mesures, au mieux symboliques, sont reçues par les représentant·es du mouvement comme la preuve de la déconnexion totale de leur établissement envers la réalité. L'université refuse de poursuivre les négociations, et appelle la police new-yorkaise pour briser brutalement l'occupation du campus au bout de son 12e jour.

Entre solidarité et répression

Si la négociation avec leur établissement est un échec, le documentaire Occupations montre la portée exceptionnelle de la mobilisation des étudiant·es de l'université de Columbia. Dans un pays où l'éducation est majoritairement privatisée, l'occupation d'un établissement, situé au cœur de la capitale économique et financière du pays et représentant l'élite, détonne et effraie visiblement aussi bien l'administration de l'université que la majorité législative conservatrice.

  • Occupations Bande-annonce officielle - YouTube

Les médias et les nombreux·euses opposant·es de ce mouvement se scandalisent des slogans et des drapeaux palestiniens. Les accusations d'antisémitisme envers le mouvement étudiant de Columbia sont portées jusqu'au Congrès, sans qu'aucune preuve ne soit avancée. En revanche, au sein de la mobilisation, les étudiant·es juif·ves antisionistes rappellent que la libération de la Palestine va de pair avec la lutte contre toutes les formes de racisme et de discrimination. La mobilisation et la forte répression dont elle fait l'objet renvoient à celle de 1968 contre la guerre du Vietnam, et celle de 1985 contre l'apartheid en Afrique du Sud. Là aussi ces mobilisations de l'élite au sein des écoles de l'Ivy League avaient capté l'attention de tout le pays, et secoué l'opinion publique étasunienne. Le soulèvement de Columbia en 2024, dépeint dans les médias comme violent et indiscipliné, apparaît à l'écran comme une occupation soigneuse et fraternelle du campus. La violence se situe alors plutôt du côté de groupes arborant des drapeaux israéliens, qui brandissent des matraques et agressent physiquement les étudiant·es.

Si le mouvement a des détracteur·ices mis·es en avant sur des chaînes de télévision étasuniennes très influentes comme CNN ou Fox News, Occupations nous montre aussi la solidarité qui se constitue d'abord autour de l'occupation du campus de Columbia, puis autour de celles de centaines d'universités à travers le pays. L'une des scènes du documentaire montre un étudiant brandissant son téléphone pour montrer aux étudiant·es de Yale, à l'autre bout de son appel vidéo, la mobilisation sur le campus. Les étudiant·es constituent progressivement une véritable communauté politique à travers le pays. Les habitant·es et les collectifs locaux leur apportent aussi leur soutien, envoyant des messages de solidarité et acheminant des vivres vers les campus fermés au public.

À Columbia et ailleurs, cette solidarité exprimée par les communautés locales est à la hauteur de la répression policière qui cible les étudiant·es, le plus souvent à l'initiative des administrations des universités. Minouche Shafik, présidente de l'université de Columbia en 2024, est devenue le visage d'une élite étasunienne hypocrite aux méthodes brutales, qui ne se rend jamais auprès des étudiant·es pour écouter leurs demandes, refuse de mentionner le sort des Palestinien·nes massacré·es par Israël, et autorise la police à pénétrer sur le campus pour en déloger les occupant·es avec brutalité.

Plusieurs étudiant·es ont subi de lourdes représailles pour leur engagement. Une trentaine d'étudiant·es se sont vu refuser leur diplôme ou ont vu celui-ci retiré. D'autres ont subi des intimidations légales, comme Mahmoud Khalil, étudiant palestinien et porte-parole de la mobilisation. Il a été détenu et menacé de déportation pendant plus de trois mois, jusqu'à sa libération en mars 2025 quand sa détention, provoquée par son engagement politique, a été jugée anticonstitutionnelle.

Une production engagée

Dans la nuit du 29 au 30 avril 2024, la police s'introduit violemment, à grand renfort d'équipements blindés, dans le hall Hamilton de l'université alors occupé par les étudiant·es à la suite d'un ultimatum lancé par l'administration qui exige le démantèlement du campement. Plus d'une centaine d'entre elleux sont arrêté·es. Le bâtiment avait été rebaptisé « Hind's Hall » par les manifestant·es en hommage à Hind Rajab, cette enfant de 6 ans ayant survécu dans une voiture à l'assassinat de toute sa famille qui fuyait les massacres à Gaza, pour que l'armée israélienne tue les secouristes venu·es la sauver, et finisse par la tuer elle aussi.

Les images de l'occupation du hall de Hind font le tour du monde. Cet événement inspire même une chanson éponyme du rappeur étasunien Macklemore, qui, à travers ce titre, rend hommage aux occupant·es du campus de Columbia et exprime son soutien aux Palestinien·nes victimes du génocide israélien.

MACKLEMORE - HIND'S HALL (AUDIO ONLY) - YouTube

L'artiste poursuit aujourd'hui son engagement en étant l'un des producteur·ices exécutif·ves du documentaire Occupations. Il figure après celui de la société de production Watermelon Pictures, dont le nom et le logo reprennent le symbole de la pastèque, utilisé pour évoquer la Palestine tout en contournant la censure sur les réseaux sociaux.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Soutien à l’Ukraine résistante N°43 – 17 octobre 2025

4 novembre, par Gin Vola — , ,
Tandis que la situation économique de la Fédération de Russie semble se détériorer et que ses habitant.es font face à des pénuries d'essence à la suite des frappes ukrainiennes (…)

Tandis que la situation économique de la Fédération de Russie semble se détériorer et que ses habitant.es font face à des pénuries d'essence à la suite des frappes ukrainiennes sur les raffineries, l'armée russe poursuit sans répit ses attaques criminelles contre les populations et les villes d'Ukraine.

17 octobre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/20/ne-pas-rater-le-rendez-vous-de-lhistoire/#more-99053

Depuis l'été 2025, les attaques contre les villes minières et les infrastructures ukrainiennes se sont intensifiées : en septembre, les frappes contre les infrastructures ferroviaires ont été multipliées par deux, avec des conséquences sur l'économie ukrainienne, sur les moyens d'acheminement du matériel militaire, ainsi que sur les populations civiles. Les attaques délibérées contre les journalistes, contre les hôpitaux, contre les employé·es des missions humanitaires (début septembre, deux techniciens d'une mission humanitaire de déminage ont été tués), ne sont que des exemples de la dégradation des conditions de vie et de travail des habitant·es des territoires ukrainiens face à la terreur poutinienne.

Pourtant, et quoi qu'en disent certains dirigeants d'organisations de la gauche française et européenne, partout en Ukraine, les luttes continuent : les étudiant·es, les soignantes, les enseignant·es se battent contre la privatisation de l'enseignement et de la santé, pour améliorer leurs conditions de travail et d'études, pour leurs salaires, pour gagner des droits démocratiques et sociaux.

Les organisations syndicales poursuivent leur soutien actif aux travailleurs engagés sur le front. Les habitant·es des villes et villages ukrainiens s'organisent et se mobilisent pour protéger l'environnement face aux entreprises polluantes. Les soldat·es dénoncent les maltraitances dans l'armée et les fautes dans la direction des opérations militaires.

Les populations d'Ukraine vivent et résistent.
Et elles ont besoin de tout notre soutien

Et ce, d'autant plus que les régimes autoritaires se durcissent et que l'extrême droite avance en Europe et au-delà. C'est le cas aux États-Unis, mais aussi en Géorgie, comme l'a montré la répression violente des manifestations massives contre le gouvernement lors des élections municipales, boycottées par l'opposition et ayant eu lieu en l'absence d'observateurs internationaux comme locaux.

La victoire aux élections législatives en République tchèque du parti ANO du milliardaire Andrej Babiš, membre du groupe Patriotes pour l'Europe au Parlement européen, vient renforcer l'axe de l'extrême droite européenne et la propagande anti-immigration, dont les populations déplacées d'Ukraine sont parmi les premières victimes.

La responsabilité politique d'une partie bien trop conséquente de gauche politique d'Europe occidentale et méditerranéenne, trop souvent silencieuse ou à peine capable d'en appeler à des solutions diplomatiques qui pourtant nient l'évidence de la politique impériale russe, est immense.

L'incapacité à prendre une position nette de soutien à la résistance ukrainienne, en première ligne contre un pouvoir néofasciste agressif et autoritaire, creuse une fracture dans la gauche européenne et risque de nous enfoncer dans une dynamique dangereuse d'isolement et de sectarisation, qui ne peut que provoquer un affaiblissement ultérieur face à la montée globale de l'extrême droite.

Il est de plus en plus urgent de reconnaître le caractère néofasciste du régime poutinien, le caractère impérialiste des guerres qu'il mène, le caractère colonial de l'occupation du territoire ukrainien et de l'ingérence politique et militaire dans les pays de l'ex-URSS que le pouvoir russe considère comme ses propriétés.

C'est urgent parce qu'il faut le combattre en tant que tel et qu'il faut donc comprendre que la guerre que mènent les Ukrainien·nes est une guerre de résistance populaire antifasciste, même lorsqu'elle ne semble pas porter le drapeau de l'antifascisme tel que l'Europe l'a connu par le passé.

Pour que la gauche européenne ne rate pas, encore une fois, le rendez-vous avec l'Histoire : solidarité avec la résistance ukrainienne !

Gin Vola
Militante anticapitaliste, Gin Vola est membre du Comité français du RESU.

Télécharger le n°43 de 112 pages : Soutien à l'Ukraine résistante, n°43
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-43.pdf

Malaise en démocratie

4 novembre, par Aurélie Leroy —
Contribution d'Aurélie Leroy (CETRI) pour la publication « Démocraties en voie de disparition » (septembre 2025, Les Cahiers de l'éducation permanente, Agir par la culture). (…)

Contribution d'Aurélie Leroy (CETRI) pour la publication « Démocraties en voie de disparition » (septembre 2025, Les Cahiers de l'éducation permanente, Agir par la culture).

Comment ne pas être saisi·e de vertige face à la pléthore des défis planétaires ? Dérèglement climatique, accroissement des inégalités, risques pandémiques, guerres et militarisation, fuite en avant technologique… Autant de facteurs de tension qui nourrissent les crises et bouleversent les équilibres mondiaux.

Les désordres causés par la mondialisation néolibérale, s'ils témoignent des excès d'un productivisme prédateur et d'un consumérisme effréné, révèlent aussi l'incapacité ou la frilosité des partis politiques traditionnels à s'attaquer aux racines des grands enjeux contemporains. Faute de solutions ambitieuses et concrètes, ceux-ci se retranchent derrière des réponses de surface et des palliatifs à court terme, creusant le lit de la défiance démocratique et de la montée des extrêmes.

En ce début du 21e siècle, l'élan démocratique né de la chute du mur de Berlin se tarit. Sur la scène internationale, en Europe et ailleurs, les démocraties sont mises sous pression et de nouvelles formes d'autoritarisme gagnent du terrain. Des leaders populistes, nationalistes et autoritaires s'érigent en représentant·es autoproclamé·es du peuple. Leur succès repose sur plusieurs leviers essentiels : d'abord, une rhétorique clivante, anti-élite et identitaire, qui marginalise les oppositions et détourne des vrais enjeux ; ensuite, la sacralisation d'un·e chef fort·e et charismatique, garant·e d'un ordre moral et de « valeurs fondamentales » ; enfin, un profond ressentiment populaire nourri par les impasses des crises à répétition, les promesses déçues des démocraties libérales, et le discrédit d'une gauche politique vue comme impuissante, voire complice.

Il y a dix ans encore, la démocratie semblait incarner un horizon incontournable malgré les ratés et les déroutes. Un certain sens de l'Histoire. Aujourd'hui, cet idéal vacille. Selon The Economist Intelligence Unit, seule une poignée de la population mondiale vit encore en démocratie (5,17% pour 2024). Aucun continent n'est épargné. Face à cela, des régimes autoritaires se posent désormais en « alternatives », vantant leur efficacité et leur stabilité, et dénonçant les contradictions, l'hypocrisie et le double discours des libéralismes occidentaux.

La démocratie est fragilisée de l'extérieur, mais aussi de l'intérieur. L'idéal reste invoqué, mais il ne mobilise plus. Tout le monde semble y aspirer, mais personne n'y croit plus. Fatigue, désenchantement et désillusion distendent le lien entre les citoyen·nes et les institutions. Le modèle démocratique, vidé de sa force mobilisatrice, ne fait plus rêver, ou si peu. Deux critiques principales lui sont adressées : sa perte de légitimité et son manque d'efficacité.

« La démocratie est en crise »

Derrière cette formule désormais convenue, notons que c'est avant tout sa dimension représentative qui accuse le coup plus que le principe démocratique lui-même. Dominant dans les systèmes politiques européens, le modèle représentatif s'est imposé aux lendemains des révolutions anglaise (1688), américaine (1776) et française (1789). Il reposait non sur la participation directe des citoyen·nes, mais sur la délégation du pouvoir à des représentant·es élu·es. Dès l'origine, ce mode de fonctionnement s'est écarté de l'idéal démocratique grec où le pouvoir était décrit comme exercé directement par le peuple et pour le peuple.

En ce début de 21e siècle, le fossé entre les populations et leurs représentant·es s'est creusé, attisant un sentiment de défiance et de frustration. Ce malaise s'explique d'abord par des causes structurelles inhérentes aux mécanismes mêmes de la représentation. En déléguant leur pouvoir, les citoyen·nes se sont écarté·es des lieux de décision et ont été réduit·es à un rôle minimal : celui de choisir, à intervalles réguliers, des représentant·es sans garantie qu'ils ou elles traduisent leurs engagements électoraux en actes sans avoir aucun moyen réel de les y contraindre. Dans ce cadre, la souveraineté populaire ne s'exprime ni directement ni de façon unifiée ; elle se fragmente et se dilue dans des compromis politiques visant à concilier des intérêts concurrents.

À cette distance institutionnelle s'ajoutent d'autres facteurs aggravants. L'exacerbation des logiques individualistes et la montée de radicalités idéologiques ont renforcé des attentes de reconnaissance immédiate et exclusive, rendant plus difficile la construction de compromis communs. Plus encore, le désenchantement démocratique s'est intensifié à mesure que les inégalités se sont creusées. L'offensive néolibérale, la concentration du pouvoir et des richesses, la persistance de larges poches de pauvreté ont entamé la croyance dans la capacité redistributive de l'État-providence et dans les promesses émancipatrices de la démocratie représentative. L'absence de perspectives concrètes en matière de justice sociale, d'égalité et de rééquilibrage des ressources a érodé sa légitimité historique et détourné d'elle une part croissante des classes populaires et moyennes.

Efficacité versus démocratie ?

À mesure que les crises s'enchaînent et s'entrelacent, la tentation de gouverner vite et fort s'immisce dans le débat public. Elle est portée par une opinion publique désabusée, traversée par des affects négatifs (inquiétudes, peur, angoisse, colère), convaincue qu'« en démocratie, rien n'avance ». L'efficacité, qui renvoie à l'action immédiate, à la réalisation d'objectifs clairs et à la centralisation des pouvoirs est de plus en plus perçue comme l'antithèse d'un système démocratique qui repose sur une temporalité plus lente fondée sur le dialogue, la confrontation d'idées et la délibération collective. L'une exclurait l'autre, comme si efficacité et démocratie étaient intrinsèquement incompatibles.

Dans un contexte saturé par l'urgence et les périls existentiels (allant jusqu'à l'habitabilité de la planète), la pression à « choisir son camp » se fait forte. À maux exceptionnels, remèdes exceptionnels : place à la thérapie de choc. En Belgique, selon la dernière enquête de 2025 de la Fondation Ceci n'est pas une crise, sept Belges sur dix sont demandeur·euses d'un·e leader politique fort·e, sans contre-pouvoirs afin de répondre à l'impression de perte de contrôle et à l'abandon ressenti face aux désordres du monde.

Devant à un tel constat, il serait vain de nier que la démocratie traverse une crise de légitimité et d'efficacité. Si celle-ci a permis des avancées majeures en matière de justice sociale, de reconnaissance ou de gouvernance, elle peine toutefois aujourd'hui à répondre à des défis globaux et complexes qui ont en commun d'être intimement liés à l'expansion du capitalisme mondialisé. Prenons trois exemples pour s'en rendre compte.

Les inégalités

Durant les trente années qui ont séparé la chute du mur de Berlin et la crise du covid-19, les inégalités entre pays ont globalement reculé grâce à l'essor des géants asiatiques. En revanche, les écarts se sont creusés au sein des nations. Comme l'a montré l'économiste Branko Milanović [1], ce sont surtout les très riches et les classes moyennes des économies émergentes d'Asie qui ont tiré profit de l'accroissement mondial des richesses. À l'inverse, une part importante des classes moyennes occidentales a vu ses revenus stagner ou reculer, distancées par les élites économiques de leur propre pays. Quant aux segments de la population les plus pauvres des pays riches, autrefois relativement bien placés dans la hiérarchie mondiale des revenus, ils ont vu leur position dégringoler. Un déclassement qui a engendré un profond malaise démocratique, cristallisé par une question amère : à quoi bon la démocratie si elle laisse prospérer de telles inégalités ?

Le dérèglement climatique

Deuxième exemple, celui du dérèglement climatique. Face à des effets de plus en plus dévastateurs, est-ce que la démocratie est à la hauteur des enjeux écologiques ? Ses processus délibératifs longs, ses cycles électoraux courts et son ancrage dans le cadre de la gouvernance des États-nations ont pu apparaître comme des freins à une action radicale et ambitieuse. Dans ce contexte, la tentation d'une écologie étatique, verticaliste et centralisée, portée par un exécutif durci susceptible d'imposer des décisions impopulaires au nom de l'intérêt général a été évoquée [2] au cours des dernières décennies, même si cette perspective est restée jusqu'ici assez minoritaire parmi les partis et mouvements écologistes inscrits dans une culture démocratique.

En revanche, le spectre de la « dictature verte » a été, ces dernières années, abondamment agité par des populistes de droite et d'extrême-droite qui assimilent toute norme environnementale ou intervention publique à une forme d'« écologie punitive ». Derrière ce slogan aux contours flous se dessine une rhétorique d'une redoutable efficacité. La contrainte est ici présentée comme une forme de punition et suggère un rapport de force injuste : celui du fort imposant sa volonté au faible. L'action écologique n'est alors plus perçue comme un projet collectif débattu dans l'espace démocratique, mais comme une injonction verticale moralisatrice, voire liberticide.

Ce cadrage stratégique opère tel un puissant repoussoir. Il évacue le débat démocratique sur la juste répartition des devoirs et des responsabilités envers les populations les plus vulnérables. Les tenant·es de ce narratif réactionnaire se forgent de surcroît une image de héraut du « peuple » contre des élites vues comme déconnectées des réalités ordinaires. En véritables entrepreneur·euses de ressentiments, ces leaders populistes ont ainsi réussi à imposer un agenda, ouvertement ou tacitement, anti-écologique. La remise en cause de la transition est devenue un levier majeur de leur stratégie politique.

À cette dynamique s'ajoute une autre forme de contournement du débat démocratique : la foi croissante dans des solutions techno-entrepreneuriales promues dans de nombreux cercles institutionnels – ceux des États jusqu'aux organisations internationales. Selon cette logique, l'innovation technologique et l'amélioration des modèles de production permettraient de résoudre les crises sociales aussi bien qu'écologiques. Le dérèglement climatique serait ainsi réduit à un simple défi d'ingénierie appelant des solutions techniques souvent centralisées, descendantes et peu débattues dans l'espace public.

L'attrait de cette approche, appelée aussi écomoderniste, repose largement sur le mythe du découplage qu'elle véhicule, à savoir l'idée qu'il serait possible de dissocier croissance économique et impacts environnementaux. Une promesse aussi séduisante qu'illusoire qui fait abstraction des contradictions du modèle productiviste néolibéral et qui permet de prolonger le statu quo sous des apparences de modernité responsable. Mais ce récit techno-optimiste constitue une fausse solution : il dépolitise les enjeux, court-circuite la délibération citoyenne, marginalise la recherche de vraies alternatives et repousse indéfiniment la transformation indispensable de nos modes de vie.

La question migratoire

Troisième exemple enfin, et non des moindres : la question des migrations. Ce phénomène complexe et multiforme résulte, on le sait, d'un large éventail de facteurs. Aux décisions individuelles « micros » s'entremêlent des dynamiques sociohistoriques d'ampleur « macro », liées à l'expansion du capitalisme contemporain, aux transformations de l'organisation et de la localisation de la production ainsi qu'au fonctionnement du marché du travail à l'échelle globale. L'un des grands paradoxes de la phase récente de la mondialisation est d'avoir consacré la libre circulation des capitaux, des biens et services, alors qu'elle restreignait celle des personnes.

Au niveau européen, les politiques ont, depuis plus de trente ans, été marquées par une vision toujours plus stigmatisante des migrations. Le récit politique s'est noirci et le vocabulaire utilisé pour qualifier ces dynamiques s'est chargé de connotations négatives. Les États membres et l'Union européenne ont ainsi justifié et légitimé la fermeture progressive des frontières, en invoquant des arguments relevant des champs démocratiques et juridiques : défense de la souveraineté nationale (contrôle de l'accès au territoire, à la citoyenneté, etc.), sécurité et ordre public ou encore préservation des valeurs européennes.

La fabrication du droit des États et du droit migratoire obéit à une logique qui a ceci d'absurde qu'elle est en grande partie influencée par les conjonctures politiques et par la manière dont les autorités perçoivent l'opinion publique. Ce processus s'est développé sans s'appuyer sur une analyse rigoureuse des données factuelles sur les flux migratoires. Il en résulte un décalage, aussi flagrant qu'irrationnel, entre les réalités objectives (sur les volumes, les profils, les circuits, etc.) et les discours politiques souvent imprégnés d'idées reçues, de simplifications idéologiques et d'affects. Cette situation souligne une réalité essentielle : ce que l'on désigne comme une crise migratoire est avant tout une crise politique qui met à l'épreuve les institutions et les principes sur lesquels reposent les régimes démocratiques.

Les États disposent certes du droit de réguler l'accès à leur territoire et de définir des critères d'appartenance, mais cet exercice ne peut se réduire à une défense étriquée d'une identité nationale perçue comme menacée. Il ne saurait non plus empiéter sur le respect des droits fondamentaux qui sont par définition universels. Ce dilemme entre souveraineté nationale et exigences démocratiques est au cœur des politiques migratoires contemporaines et fait l'objet d'une large instrumentalisation, en particulier de la part des droites populistes.

Plusieurs questions émergent au croisement des enjeux migratoires et démocratiques. La première est celle du sens : que visent réellement ces politiques, sinon à satisfaire des imaginaires de contrôle déconnectés du réel ? La deuxième est celle de l'efficacité (ou de l'absurdité…) : comment prétendre stopper un phénomène aussi ancien, vital et universel que la migration ? François Héran, sociologue, démographe et spécialiste de l'immigration, le rappelle inlassablement : être « pour ou contre » les migrations n'a aucun sens. Elles font partie de notre histoire et de nos sociétés. Enfin, le socle idéologique sur lequel repose les politiques européennes soulève une dernière question, plus fondamentale : que reste-t-il de la démocratie lorsque l'asile se durcit à ce point et que les frontières se referment toujours plus ?

Inverser la tendance

Concernant ces trois grands enjeux contemporains, un constat s'impose : nous sommes à la croisée des chemins. Deux voies se dessinent. La première, déjà largement empruntée, est celle du repli – politique, intellectuel, social, culturel, religieux – qui menace de désagréger plus encore le tissu démocratique. L'autre, plus ouverte mais exigeante, appelle à le réinventer, à l'élargir, à le renforcer dans sa capacité à affronter lucidement les enjeux globaux. Les démocraties d'Europe n'ont pas été conçues pour faire face aux grands défis de notre temps. Elles sont par nature inachevées. Il ne s'agit donc pas de les jeter, mais de les transformer. Cela implique de les adapter, de les « mettre à jour » ; de penser à de nouvelles formes de gouvernance démocratique et de renouer du dialogue dans un espace public de plus en plus clivé à l'image du modèle états-unien.

Dans un contexte instable, marqué par les bouleversements écologiques, géopolitiques ou technologiques, affirmer que « la démocratie est en crise » résonne avec une acuité nouvelle. Pourtant, ce constat n'est pas neuf. Il refait surface à intervalles réguliers depuis des décennies. Ce retour cyclique de la crise invite à s'interroger : la crise serait-elle une composante inhérente au fonctionnement démocratique ? Si l'on revient à l'étymologie du mot « crise » (du grec krisis qui signifie choix, décision, jugement), on comprend alors que la démocratie repose précisément « dans la mise en scène quotidienne du choix adéquat et dans l'exposition publique de la prise de décision légitime » [3]. En ce sens, la démocratie apparaît non pas comme un régime politique dépassé par la crise, mais comme celui qui est le plus à même de la stabiliser.

Le malaise démocratique et l'offensive réactionnaire qui traversent tous les continents s'enracinent dans les désordres produits par la mondialisation néolibérale. Mais ils ont aussi prospéré sur le vide laissé par les forces démocratiques, incapables de proposer un projet fort, porteur d'un horizon désirable. Trop souvent, les gauches ont perdu la boussole, leur souffle et leur capacité à susciter l'adhésion. Comme le disait le philosophe des sciences Bruno Latour, non sans ironie à propos de l'écologie politique, celle-ci a réussi le double exploit de « paniquer les gens et de les faire bailler d'ennui ».

Dans ce contexte, les mouvements et les partis progressistes ne peuvent se contenter d'attendre que l'orage passe. Ils doivent reprendre la main, repolitiser les enjeux, reconquérir le terrain des luttes sociales et celui, tout aussi décisif, des idées. Pour inverser la tendance, un premier levier, identifié par le journaliste politique François Brabant [4], consiste à réhabiliter l'idée d'alternatives. Trop souvent moquées ou ringardisées, elles sont pourtant indispensables. Les bouleversements actuels de nos sociétés ne sont pas inéluctables. Il peut en être autrement. Mais encore faut-il reprendre prise sur le réel, retrouver des points d'appui pour comprendre, débattre et agir sans tomber dans la sidération ou l'évidence imposée.

Cela suppose aussi de ralentir, comme le suggère la philosophe Isabelle Stengers [5]. Les sociétés changent vite, très vite. Vouloir suivre à tout prix ce rythme effréné, c'est risquer d'abandonner une partie de la population sur le bord du chemin et de sacrifier le débat démocratique sur l'autel d'une pseudo efficacité. Ralentir, ce n'est ni capituler ni renoncer. C'est au contraire résister à l'urgence décrétée, c'est créer les conditions d'une action collective et faire émerger les problèmes dans toute leur complexité, au lieu de les escamoter sous des réponses toutes faites dictées par la précipitation, la peur ou l'obsession technologique.

La démocratie vacille quand elle cesse de prendre soin de ce qui la rend vivante. Elle menace son propre avenir. Reste dès lors à poser la question du lien social autrement, à en défendre l'idée et à en reconstruire les conditions en y intégrant notre relation au vivant et au monde que nous habitons.

Aurélie Leroy
https://www.cetri.be/Malaise-en-democratie

Notes

[1] Christoph Lakner et Branko Milanovic, « Global Income Distribution : From the Fall of the Berlin Wall to the Great Recession », World Bank Working Paper, n°6719, décembre 2013 ; Branko Milanovic, What comes after Globalization ? ; Jacobin,
https://www.cetri.be/What-Comes-After-Globalization, 24 mars 2025.
[2] Cette approche est devenue audible après la conférence de Stockholm de l'ONU et les conclusions du rapport Meadows, également connu sous le titre « Les limites à la croissance », publié par le club de Rome (1972). Ce dernier alerte sur les dangers d'une croissance économique et démographique illimitée dans un monde fini.
[3] Pieret J., Bourgaux A-E., de Coorebyter V. (2022), « Notre démocratie est-elle en crise ? », e-legal, Vol.6.
[4] « A quoi sert la démocratie si les inégalités continuent à croître de cette façon ? », Déclic – Le tournant, RTBF, 10 décembre 2023.
[5] Stengers I. et Drumm T. (2017), Une autre science est possible. Manifeste pour un ralentissement des sciences, La découverte Poche.ab

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Des manifestants empêchés de remettre une lettre au consulat des Philippines

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/11/DSCF9218-scaled-e1762265611480-1024x410.jpg4 novembre, par West Coast Committee
Le 21 octobre, des militants philippins et des membres de la diaspora ont été refoulés du consulat des Philippines à Vancouver alors qu'ils tentaient de livrer une lettre (…)

Le 21 octobre, des militants philippins et des membres de la diaspora ont été refoulés du consulat des Philippines à Vancouver alors qu'ils tentaient de livrer une lettre exprimant leur mécontentement face à la corruption qui a causé des ravages considérables après le passage d'un typhon dans (…)

Des manifestants empêchés de remettre une lettre au consulat des Philippines

4 novembre, par West Coast Committee
Le 21 octobre, des militants philippins et des membres de la diaspora ont été refoulés du consulat des Philippines à Vancouver alors qu’ils tentaient de livrer une lettre (…)

Le 21 octobre, des militants philippins et des membres de la diaspora ont été refoulés du consulat des Philippines à Vancouver alors qu’ils tentaient de livrer une lettre exprimant leur…

Révolutions ukrainiennes, commentaires et réflexions à partir du livre de Z.M. Kowalewski

4 novembre, par Vincent Presumey — , , ,
Le livre de Zbigniew Marcin Kowalewski, Révolutions ukrainiennes. 1917-1919 & 2014, paru en français en septembre 2025 aux éditions Syllepse/La Brèche (traduction de Stefan (…)

Le livre de Zbigniew Marcin Kowalewski, Révolutions ukrainiennes. 1917-1919 & 2014, paru en français en septembre 2025 aux éditions Syllepse/La Brèche (traduction de Stefan Bekier et Jan Malewski), est non seulement indispensable à quiconque veut traiter avec sérieux la question ukrainienne, mais il est une porte d'entrée judicieuse pour la réinterprétation de l'histoire globale du XX° siècle, laquelle reste le cauchemar, la chappe, pesant sur la conscience du XXI° siècle, ce dont l'Ukraine est précisément le test. Cet article est à la fois un compte-rendu de cet ouvrage et un peu plus, car il recoupe largement mes propres réflexions et évolutions depuis des années.

29 octobre 2025 | tiré d'Arguments pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2025/10/29/revolutions-ukrainiennes-commentaires-et-reflexions-a-partir-du-livre-de-z-m-kowalewski-par-v-presumey/

L'auteur : questions nationales de Varsovie à la Havane.

Les nations opprimées existent, et il existe un impérialisme russe : ces deux constats pourraient être des truismes acquis pour tout un chacun, mais ce n'est absolument pas le cas, surtout dans la gauche, qui a là, dans cette ignorance, ou ce déni, l'expression vive de ses talons d'Achille historiques. La passionnante postface autobiographique de Z. Kowalewski, Un long cheminement avec l'impérialisme russe dans le sac à dos, peut aussi bien jouer le rôle d'introduction. Elle permet de comprendre, selon une vieille expression, « d'où parle » l'auteur. Car cette postface a été écrite en castillan, pour une revue argentine.

Né en 1943 à Lodz, où il a grandi, nous comprenons par ses dires qu'il fut marqué par un héritage – celui de son père, démocrate anticommuniste, qui lui annonce Dien Bien Phu avec passion, celui de son directeur de lycée, ancien du PPS intégré dans le parti-Etat au pouvoir, qui vient en octobre 1956 appeler les élèves réunis en assemblée générale à se battre s'il le faut sur les barricades contre les troupes « soviétiques », c'est-à-dire impérialistes russes, ou celle de cet ami de la famille, ancien responsable du PPS à Cracovie après la guerre, où il fut un agent du PC, mais qui avait dénoncé la brutalité de la collectivisation et, craignant une perquisition, avait caché sa collection du Saturday Evening Post dans laquelle le jeune Kowalewski découvre les articles du laudateur de Mao, Edgard Snow, sur les révolutions chinoise et yougoslave appelées à ébranler la « dictature russe sur le socialisme et le communisme ».

Cette sensibilité à la question nationale – la sienne, celle de la Pologne, mais aussi celles des autres nations opprimées et des révolutions heurtées ou cadenassées par l'impérialisme russe – provient donc chez Z. Kowalewski de la conscience nationale d'un jeune polonais et puise ses racines dans les traditions du PPS, le parti socialiste polonais, détruit par le stalinisme russificateur, mais toujours présentes.

C'est ce jeune homme qui arrive à Cuba début 1968, où il passera ensuite quatre ans comme « spécialiste étranger », dans le cadre d'un parcours universitaire orienté sur l'Amérique latine, et nouera de nombreux contacts dans ce continent, adhérant même au PRT argentin (Parti Révolutionnaire des Travailleurs, guérillériste). A mots sans doute couverts, mais assez consciemment et rencontrant de nombreux cadres et militants partageant ses sentiments, nous avons alors un « communiste national » aspirant à des révolutions socialistes qui cassent le cadre dominant du partage du monde entre impérialismes. Mais le régime cubain accepte finalement ce cadre, même si la manière dont Castro « soutient » l'évènement clef que fut l'intervention des troupes du pacte de Varsovie contre le Printemps de Prague en août 1968, fut mal vue à Moscou. Cette histoire personnelle fait de Zbigniew Kowalewski un personnage exceptionnel, car, avant 1981, il n'a jamais vécu dans un pays « capitaliste » et cherche à agir dans les marges du « monde socialiste », constatant qu'un tabou règne (auquel Castro, et Che Guevara aussi, ont apporté leur caution décisive) pour ne pas parler d'impérialisme s'agissant de l'URSS – une exception était son ami le mexicain Jorge Alberto Sanchez Hirales, décédé prématurément.

Cette connexion intellectuelle et politique entre ce qu'il est convenu d'appeler l' « Europe de l'Est », et l'Amérique dite latine, dans un parcours politique qui ne peut pas ouvertement dénoncer l'impérialisme russe mais qui cherche en fait soit à l'affronter, soit à s'en dégager par l'ouverture de révolutions socialistes émancipant des nations qui tiendront à rester libres, fait toute l'importance de Z. Kowalewski par rapport aux idées reçues et aux représentations militantes dominantes qui coupent le monde en tranches et ne veulent connaître qu'un seul impérialisme, le yankee.

En 1980-1981 Z. Kowalewski est l'un des dirigeants du syndicat-mouvement de masse Solidarnosc à Lodz. Il n'en parle que peu dans cette postface, un livre important, Rendez-nous nos usines, déjà ancien (la Brèche, 1985), ayant rendu compte de cette expérience, mais il précise que ce fut là, et seulement là, dans les assemblées du syndicat, enfin, qu'il a connu la démocratie – et donc la possibilité de parler librement de la menace impérialiste russe qui était, bien entendu, le souci premier de toutes et de tous cette année-là.

Le coup d'Etat militaire du 13 décembre 1981 le surprend en France où il avait été invité à titre syndical. C'est là qu'il rejoint le principal courant trotskyste, la IV° Internationale dite « SU » (Secrétariat Unifié) et sa section française, la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire), manifestement pour deux raisons clefs outre les analyses et la théorie : le soutien conséquent aux travailleurs polonais apporté par ce courant, et la liberté démocratique de discussion en son sein.

Pourtant, sa conviction ancienne et profonde sur l'exploitation des travailleurs dans le bloc soviétique, l'existence d'un impérialisme russe, et le caractère de « prison des peuples » de l'URSS, sont autant de traits qui l'isolent relativement dans ce courant, où bien des préjugés ne commenceront, à ses dires, à sauter qu'après février 2022 (et encore …).

La lenteur des consciences est un énorme problème qu'un tel militant qui était, en quelque sorte, un court-circuit vivant, ayant relié dans son histoire personnelle Lodz en 1956 et la Havane en 1968, ne pouvait que rencontrer, tel un mur.

Ces circonstances, et le goût des études historiques, expliquent la place croissante que tient l'Ukraine dans ses travaux personnels à partir des années 1980, avec comme butte témoin le très important article, en français, paru dans la revue géographique Hérodote, en 1989 :L'Ukraine : réveil d'un peuple, reprise d'une mémoire. Là, nous avons quitté la postface pour l'introduction, et je suis en outre entré dans mes propres souvenirs, cet article ayant été pour moi-même fort important ; je l'ai découvert à sa parution et je rompais cette année-là avec le courant dit « lambertiste » en raison de son opposition de fait aux révolutions démocratiques et nationales en Europe centrale et orientale – ma chute du mur à moi – et je devais d'ailleurs faire la connaissance de son auteur peu après.

Article important sur l'Ukraine bien sûr mais aussi sur les questions démocratiques et nationales en général, et sur leur profondeur historique (il remonte au XVII° siècle), ainsi qu'envers la négligence blasée, et en fait ignare, qui sévit trop souvent sur ces sujets dans l'historiographie universitaire francophone, « trotskyste » inclus. Si le présent livre, Révolutions ukrainiennes, existe aujourd'hui, cet article en est la souche initiale. En 1989-1991 la révolution ukrainienne fut, malgré les Etats-Unis qui n'en voulaient pas, la cause non aperçue de l'éclatement de l'URSS, mais elle reste sous le boisseau.

C'est avec le Maidan, en 2013-2014, qu'elle fit irruption de manière éclatante, immédiatement suivie de la contre-révolution la plus horrible, en Crimée et dans le Donbass. L'urgence de rattraper l'histoire fut alors prouvée par l'incompréhension, voire les hallucinations, de la plus grande partie de « la gauche », surtout « radicale ».

Z. Kowalewski est maintenant un ancien, vivant à nouveau dans sa patrie, mais sa voix, importante, se fit entendre en 2014 et nous aide, depuis février 2022, à comprendre le cadre de ce qui se passe et sa portée. Plus encore, elle nous signale qu'il faut « réécrire à fond et audacieusement » l'histoire du XX° siècle avec la révolution d'Octobre en son centre.

* * *

Cet ouvrage est un recueil d'articles, d'une part sur les relations entre les révolutions russe et ukrainienne autour de 1917, d'autre part sur le Maidan et la réaction russe qui l'a suivi. Attention : il ne faut pas le prendre pour un traité historique complet des deux périodes dont il traite, et encore moins de l'ensemble de l'histoire ukrainienne puisque, par exemple, il « saute » par-dessus la seconde guerre mondiale. C'est plutôt une série de flashs, de zooms, sur des moments et évènements clefs dont certains avaient été totalement mis sous le boisseau, par lesquels il éclaire la totalité de cette histoire, laquelle reste donc à faire, mais en prenant en compte cet apport capital.

Les chapitres 1 à 4 donnent un cadre analytique général et abordent la question des positions de Lénine, naturellement un personnage clef de cette histoire, les chapitres 5 à 10 traitent des principaux faits des années 1917, 1918 et 1919, et la seconde partie, avec les chapitres 11 à 13, du Maidan et de la contre-attaque russe qui s'est ensuivie.

Impérialisme russe et société ukrainienne.

Au chapitre 1, Z. Kowalewski présente l'impérialisme russe comme un fait historique de longue durée, qui apparaît comme de nature, sommairement, militaro-féodale et tributaire dans le passé long de la Russie (Grand-Duché de Moscovie, 1263-1547, Tsarat de Russie, 1547-1721, Empire russe, 1721-1917), puis bureaucratico-militaire en URSS, puis oligarchique-capitaliste et toujours militaire, dans la Russie poutinienne. A la fois la même chose et pas la même : développement extensif et spatial, colonisation intérieure, exploitation absolue des producteurs, en sont les caractéristiques, et, sur le plan idéologique, l'idée impériale sous des formes différentes successives.

Cette analyse de la Russie comme un fait social étatique – un « Etat-classe » – spécifique, qui n'est pas sans rappeler les caractérisations dites « russophobes » de Marx, implique bien sûr une utilisation du terme d'« impérialisme » différente de celle qui le définit strictement, d'après le titre du célèbre essai de Lénine paru en 1916, de « stade suprême du capitalisme ».

Mais Lénine justement, emploie l'expression d' « impérialisme militaro-féodal » pour la Russie (Le socialisme et la guerre, 1915), précise qu'en Russie, « … le monopole de la force militaire, l'immensité du territoire ou des commodités particulières de spoliation des allogènes (…) suppléent en partie, remplacent en partie, le monopole du capital financier contemporain moderne » (L'impérialisme et la scission du socialisme, octobre 1916), et, dans la brochure classique sur l'impérialisme, il caractérise la Russie comme l'Etat impérialiste le plus arriéré, « où l'impérialisme capitaliste moderne est enveloppé, pour ainsi dire, d'un réseau particulièrement serré de rapports précapitalistes. »

La permanence de moyens étatiques et extra-économiques (au sens de non capitalistes) d'exploitation et d'extorsion « enveloppe » les rapports sociaux en Russie tsariste, en URSS et en Russie poutinienne, bien que ce soit à chaque fois un ou plusieurs stades économiques et sociaux différents. A mon avis, cette constatation, exacte, doit être nuancée du fait que l'impérialisme, au sens capitaliste proprement dit, combinant monopoles et exportation des capitaux et impliquant de toute façon un Etat fort, est également présent dans le stade tsariste finissant, en URSS elle-même (je laisse de côté ici cette question en renvoyant à deux articles (ici et là) discutant le point de vue de Z. Kowalewski puis plus généralement la catégorie trotskyste d'Etats ouvriers), et bien entendu actuellement. Mais quoi qu'il en soit, le fait impérialiste russe est bien réel et tout à fait fondamental.

Ce fait est structurellement relié à une géographie politique dans laquelle la saisie de l'Ukraine est un élément vital, à la fois pour constituer l'empire russe en empire eurasien (à la fois européen et asiatique), lui conférant en outre l'accès aux « mers chaudes », et constitutif de l'identité impériale russe (et non pas nationale, peut-on préciser), dans laquelle la Russie s'autodéfinit comme empire ayant la mission de s'étendre, nationalité dominante absorbant des « peuples frères » (colonisés et niés), dont les deux premiers, définis comme des variétés secondaires de Russes, sont les Petits-Russiens et les Blancs-Russes (Ukrainiens et Bélarusses, mais ils ne sont justement pas appelés ainsi).

Or, l'Ukraine apparaît comme nation moderne dès le XVII° siècle, avec certes déjà des archaïsmes et des contradictions qui produiront l'échec de sa révolution nationale constitutive devant la conquête russe : c'est en effet en 1648 et après, qu'une révolution « cosaque », le terme signifiant alors « libres » – hommes et femmes libres –, dirigée contre la noblesse polonaise, la place sur la scène historique. Cette prise de position historique, chez Z. Kowalewski, est développée dans son article en français de la revue Hérodote en 1989, et reprend un apport de l'historien national Hrouchevsky. Le fait impérial russe est donc structurellement relié, jusqu'à aujourd'hui, à la négation du fait national ukrainien.

C'est dans ce cadre que le capitalisme se développe en Ukraine au XIX° siècle : il a donc un caractère colonial marqué, avec une bourgeoisie, un fonctionnariat et un prolétariat urbains très majoritairement russes avec une forte composante juive, une grande industrie, dans le Donbass, reposant sur des capitaux étrangers, et une majorité démographique paysanne ukrainienne (sauf des colons d'origines diverses, juifs, allemands, russes, tatars, ukrainiens … dans les steppes du Sud, celles où a grandi Trotsky, notons-le au passage).

Les bolcheviks – et l'ensemble des marxistes du début du XX° siècle – confondaient petite production marchande et production capitaliste en gestation, ce qui, avec les préjugés nationaux, contribuera à leur faire prendre l'Ukraine pour une « nation de koulaks », alors que la majorité de la population y forme une « paysannerie prolétarienne » (formule du chercheur Robert Edelman, Proletarian Peasants ; The Revolution of 1905 in Russia's Southwest, Cornell University Press, 1987), composée majoritairement de très petits propriétaires obligés de louer leur force de travail aux propriétaires capitalistes, et de purs ouvriers agricoles dans l'important secteur sucrier kiévien.

Non, Lénine n'était pas vraiment un défenseur des nationalités opprimées.

Le chapitre 3 de Révolutions ukrainiennes reprend un article de Z. Kowalewski diffusé en français en 2024, que nous avions publié et commenté dans Aplutsoc . Sa critique de Lénine est similaire à celle de Hanna Perekhoda.

Pour se réapproprier notre histoire réelle, il faut briser une doxa établie : à propos des questions nationales, Lénine aurait été le meilleur défenseur des nationalités, leur reconnaissant le « droit à la séparation », et il aurait affronté ceux, sectaires et gauchistes, qui ne voulaient pas le leur accorder au motif de faire passer la révolution sociale avant, dont Rosa Luxemburg aurait été le prototype.

Le problème est que Lénine, si le chauvinisme grand-russe lui insupporte bel et bien, envisage en fait une révolution qui maintient le cadre territorial de l'empire des tsars, sauf deux exceptions, la Finlande et la Pologne. Surtout, il est exclu chez lui que le parti prolétarien dans les nationalités opprimées, dont il ne conteste pourtant pas l'oppression, se mêle à leur lutte, et encore moins qu'il essaie de la diriger (y compris en Finlande et en Pologne : en Pologne, s'il critique la SDKPil de Rosa Luxemburg pour son sectarisme sur la question nationale, il rejette toute unité organisationnelle avec le PPS parce que celui-ci entend diriger la lutte nationale, une tache qui appartient à « la bourgeoisie »).

Son fameux « droit à la séparation », c'est-à-dire à l'indépendance, est un mot creux, comme le feront remarquer, dans la révolution en Ukraine, aussi bien le partisan de la séparation Shakrhaï que l'adversaire de ce droit Piatakov. En effet, les intérêts bien compris du prolétariat prescrivent selon Lénine d'en déconseiller l'usage : « tu as le droit, mais je te conseille de ne pas t'en servir ». « Nous sommes généralement contre la séparation » (lettre à Stepan Chaoumian du 23 novembre/6 décembre 1913). Un peu comme un parti qui reconnait le droit de tendance et de fraction dans ses statuts mais les interdit dans la pratique. Ou comme un mari qui reconnait le droit au divorce de sa femme, mais elle n'a pas intérêt d'essayer …

En pratique, le parti bolchevik est, en dehors des régions russes, un parti russe et donc un parti prolétarien de la nationalité colonialement dominante (les bolcheviks lettons, qui s'appelaient d'ailleurs jusqu'en 1917 social-démocrates lettons, sont la seule exception). Lénine défend en théorie l'expression du parti dans toutes les langues, mais en pratique elle n'est que russe : la plupart des militants bolcheviks en Ukraine ignorent l'ukrainien et souvent le considèrent comme un jargon de ploucs, de même que le yiddish est déconsidéré.

Cette pratique une fois le pouvoir conquis, en octobre 1917, va devenir un trait central du national-étatisme bureaucratique par lequel la révolution russe va dégénérer. Un fait très frappant est que Lénine est bel et bien pour l'indépendance des nationalités opprimées dans les colonies européennes ou même en Irlande. Mais pas dans l'empire russe, et cela sans s'en être jamais expliqué !

Il est à noter que cette position, qui implique un attachement viscéral, inconscient ou semi-conscient, au cadre impérial russe (assortie de justifications « matérialistes » en faveur des grands Etats et des grandes échelles plus propices au développement des forces productives, etc.), se retrouvait chez les mencheviks (qui, à leur corps défendant, finiront à la tête de la Géorgie indépendante entre 1918 et 1921), et dans le Bund juif (en relation avec son refus d'une solution territorialiste à l'oppression nationale que subissent les juifs).

Cela dit, Z. Kowalewski repère plusieurs « passages à la limite » de Lénine, où celui-ci dépasse une seconde ses propres limites. Mais ce sont des exceptions, c'est toujours ponctuel. Il signale trois ou quatre « dissidences de Lénine envers lui-même ».

Dans le texte de 1916 polémiquant avec les adversaires du droit à l'autodétermination, Bilan d'une discussion sur le droit des nations à disposer d'elles-mêmes, il réagit à la position de certains « gauchistes » polonais pour qui il ne fallait pas soutenir l'accession de la Norvège à l'indépendance, envers la Suède, en 1905, et salue le combat des sociaux-démocrates suédois contre toute intervention opposée à cette accession – sans aller, comme le souligne Z. Kowalewski, jusqu'à préconiser une position indépendantiste active du parti ouvrier, ce qui fut pourtant le cas des sociaux-démocrates norvégiens et suédois. Déjà dans une conférence à Cracovie en mars 1914, Lénine envisageait par intermittence, le soutien aux revendications d'indépendance, toujours en relation avec le cas norvégien, et tout en répétant qu'il est pour une grande République démocratique « internationale ».

Le « dérapage » le plus important n'est connu que par plusieurs articles de la presse socialiste allemande, suisse et autrichienne : arrivé de Galicie en Suisse en novembre 1914, Lénine donne une conférence à Zurich où les émigrés politique de Russie de toute tendance affluent, et là, il affirme que l'Ukraine est à la Russie ce que l'Irlande est à l'Angleterre, et qu'elle doit être indépendante dans l'intérêt même du peuple russe. Attention : cet « emballement » est la suite directe de la mise en avant du fameux « défaitisme révolutionnaire » en faveur de la défaite russe dans la guerre, une position tranchée secouant beaucoup d'idées dominantes et de sentiments, Lénine, au tout début de la guerre et après la réalisation de l'union sacrée, cherchant la rupture révolutionnaire avec les patriotes comme avec les pacifistes.

Ajoutons que Lénine, en décembre 1919, a tenu devant la direction du Parti bolchevik un discours sur l'Ukraine sur lequel la prise de note était interdite, et qui est resté mieux caché que le « discours secret » de Khrouchtchev en 1956 puisqu'on ignore son contenu !

Mais au final, ne doit-on pas accorder à Lénine le fait que son « dernier combat », selon l'expression de Moshe Lewin, contre Staline, contre (explicitement) la bureaucratie, a démarré sur la question nationale ? Z. Kowalewski en souligne surtout les limites : énorme divergence tactique avec Staline, certes, mais le but programmatique, l'Etat unitaire de très grande taille et multinational, était en principe le même – et contenait, sans que cela ne gène Staline alors que Lénine en était révulsé, la domination brutale grand-russe traditionnelle.

C'est pourquoi je ne dirai pas, quant à moi, que Lénine n'était pas, au sens de « pas du tout », un défenseur des nationalités opprimées, mais qu'il ne l'était « pas vraiment », nuance, ce qui veut dire qu'en pratique comme, in fine, en théorie, il défendait un appareil d'Etat impérial et dominateur qui allait lui échapper, mais qu'il n'appréciait pas du tout l'oppression nationale, à la différence de Staline, et qu'il a terminé son parcours comme un révolutionnaire, s'opposant à l'appareil d'Etat qu'il avait reconduit et amplifié, et en le sachant …

Notons tout de même que ce dernier combat, absolument tragique, a eu pour effet l'appellation d'URSS, dont la première apparition était sa revendication … par les communistes-indépendantistes ukrainiens fin 1919. Lui était associée la reconnaissance constitutionnelle du droit formel à la séparation des 13 républiques non russes, jamais officiellement abrogé : ces 13 républiques en useront, en 1991, alors que les nationalités comprises dans la prétendue « Fédération de Russie » ne pourront pas en faire autant …

Rétablir la mémoire des marxistes indépendantistes !

Lénine n'a donc pas fait que s'opposer aux « négateurs » de la question nationale, mais aussi aux défenseurs des droits nationaux effectifs, alors qu'il existait une tradition marxiste importante de ce côté-là, aujourd'hui absente « des anthologies », comme l'écrit Z. Kowalewski.

Ce fut la tradition du PPS polonais, avant qu'il n'éclate en plusieurs courants après 1905, avec deux théoriciens de premier plan : Kazimierz Kelles-Kraus – thème des premiers travaux de l'historien Timothy Snyder – et Felix Perl, celle des social-démocrates ukrainiens avec Lev Yurkevitch avant 1917, puis Shakhraï et Mazlakh que nous croiserons ici, celle de James Connoly en Irlande, seul à avoir été « sauvé » dans ces « anthologies ». Sous une forme particulière, Ber Borokhov, sioniste-ouvrier, est aussi un partisan de l'indépendance de nations territorialisées.

La principale anthologie en question est celle sur Les marxistes et la question nationale, parue en 1974 sous l'égide de Georges Haupt, Michael Löwy et Claudie Weil, qui apportait des connaissances lorsqu'elle parut, mais à laquelle on ne peut se tenir. Les auteurs reproduits sont, après Marx et Engels : Kautsky, Luxemburg, Renner, Bauer, Strasser, Pannekoek, Lénine, Staline, Connolly. Il y avait en fait, schématiquement, quatre courants ou quatre types d'approches : l'orthodoxie mi-figue mi-raisin qui va de Kautsky à Lénine, l'internationalisme « gauchiste » (Luxemburg, Pannekoek, d'ailleurs pas identiques), l' austro-marxisme (Bruno Bauer, et son répondant bundiste : Vladimir Medem, absent de l'anthologie), dont l'apport spécifique sur les droits non territoriaux est essentiel, et les marxistes indépendantistes, représentés ici uniquement par Connolly : l'exception Connolly, anglophone et séparé du marxisme d'Europe centrale, est ainsi quasi réduite à un statut folklorique.

On remarquera que la totalité des théoriciens marxistes-indépendantistes signalés ici appartiennent eux-mêmes à des nations opprimées. Leurs conclusions politiques pratiques se ramènent à quatre thèses selon Z. Kowalewski.

Premièrement, dans un Etat comme la Russie, il n'y aura pas qu'une seule révolution « une et indivisible », mais une pluralité de révolutions qui doivent faire éclater l'empire ou échouer.

Deuxièmement, les mouvements nationaux, comme les mouvements prolétariens et comme tous les mouvements d'opprimé.e.s, ont une expérience historique constitutive propre dont il faut partir pour l'analyse.

Troisièmement, la séparation et l'indépendance sont le passage obligé (pas forcément définitif eu égard à l'avenir plus lointain, mais obligé dans l'époque révolutionnaire actuelle).

Quatrièmement, « il est du devoir des mouvements socialistes de se battre pour la direction politique des mouvements nationaux », ce qui revient à dire que le prolétariat doit prendre la tête des luttes d'émancipation nationale.

Lénine, pourtant, à bien des égards, le plus nuancé des bolcheviks qu'il a lui-même formés, était opposé clairement et frontalement à chacun de ces quatre points, apportant ainsi par avance une limitation décisive aux révolutions.

1917.

En 1917, la révolution dite de février renverse le tsarisme en mars – et l'on peut ajouter au récit de Z. Kowalewski l'importance des hommes de troupe ukrainiens dans la révolution à Petrograd, tant en février que contre Kornilov fin aout début septembre.

Le 1° mars la foule déferle à K'yiv, et l'historien national ukrainien Mykhaïlo Hrouchevsky, de retour de résidence surveillée à Moscou, suscite la formation d'une rada. Dans les récits habituels, la « rada » était présentée comme un pouvoir parlementaire « bourgeois », voire un ramassis de « petits-bourgeois » et d'associations culturelles, par opposition aux soviets, mais en fait, rada en ukrainien veut dire conseil, soviet. Cet organisme est formé à K'yiv par des organisations politiques – exactement comme le soviet de Petrograd à ses débuts – et va voir s'agréger à lui, par deux congrès successifs, les délégués des congrès de militaires ukrainiens de toute l'armée, et, par leur intermédiaire, ceux du congrès paysan puis du congrès ouvrier panukrainiens. La coloration politique de ces délégués est majoritairement socialiste-révolutionnaire ukrainienne, le PSRU ayant été fondé en avril 1917 (Hrouchevsky l'a rejoint), mais, par un apparent paradoxe, c'est le parti ouvrier ukrainien, social-démocrate, qui fournit les cadres politiques dirigeants de la rada, dont son principal porte-parole, Volodymyr Vynnytchenko. La base SR ukrainienne, paysanne, est beaucoup plus « de gauche » et combative que les dirigeants tant SR que sociaux-démocrates. Les minorités nationales russe et juive sont représentées directement par leurs propres partis (SR russes, mencheviks, Bund, Poale Tsion – dans les sources historiographiques il n'est pas fait mention de bolcheviks).

Cependant, ces minorités, et l'importante classe ouvrière urbaine russe, ont formé leurs propres soviets, employant le mot russe, la différence entre soviets et radas ne portant donc pas sur le caractère conseilliste ou parlementaire des uns et des autres, ni sur leur représentativité (eu égard à la population dans son ensemble, les radas sont les plus représentatives), mais sur leur appellation nationale renvoyant implicitement à leur composition nationale.

C'est dans les soviets, russophones de fait voire russes, que les bolcheviks sont vraiment présents. Ils sont décentralisés, voire disloqués, selon les divisions administratives tsaristes : gouvernorat du Sud-Ouest (K'yiv, Volhynie, Podolie, Poltava, Tchernivstsi), et de Donetsk-Krivyi Rih, incluant Kherson et Ekaterinoslav (aujourd'hui Dnipro), dit Krivdonbass, plus la Tauride, le front roumain, et la flotte de la mer Noire. Cet éclatement, paradoxal eu égard aux principes organisationnels bolcheviques, s'explique justement par l'ignorance de la question nationale ukrainienne et l'absence totale d'unité organisationnelle des bolcheviks à l'échelle de l'Ukraine, chaque branche régionale étant directement reliée à Petrograd.

L'orientation de la rada, influencée par la social-démocratie ukrainienne, combinait l'affirmation croissante du fait national ukrainien à l'idée que la révolution en était à son stade « démocratique bourgeois » qu'il convenait de ne pas dépasser, idée commune au départ aussi aux sociaux-démocrates russes, mencheviks et bolcheviks. Dès son apparition, la rumeur court qu'elle va proclamer un gouvernement provisoire ukrainien indépendant, mais elle n'en fait rien, bien qu'elle soit souvent perçue comme tel et qu'elle finira par le devenir.

Son « 1° Universal » (un terme cosaque), le 23 juin, sans aller jusqu'à dire « indépendance », proclame la liberté et la libre administration de l'Ukraine, mais, sous la pression du gouvernement provisoire russe, elle opère un premier recul par le second Universal du 16 juillet, suivi de la tentative de coup de force d'un régiment ukrainien pour la contraindre à prendre tout le pouvoir – le parallèle avec l' « insurrection de juillet » à Petrograd demandant aux soviets de faire de même est frappant. La totale « autonomie nationale-territoriale » de l'Ukraine, comme le partage des terres, sont renvoyés à l'Assemblée constituante russe. V. Vynnytchenko fera lui-même, peu après, l'autocritique de cette orientation modérée des sommets de la rada.

Mais ce serait une erreur historique totale de croire que les bolcheviks et les soviets russes en Ukraine furent « plus à gauche ». A K'yiv, où les bolcheviks seront quelques milliers, leurs dirigeants Youri Piatakov et Evgenia Bosh s'opposent d'abord aux Thèses d'avril de Lénine, qui appellent à une révolution renversant la bourgeoisie, puis se divisent sur la manière de les accepter (car la base les soutient), tout en étant d'accord sur le rejet du « droit à l'autodétermination » ukrainien qui pourrait être dépassé et résolu par la révolution allant vers le socialisme. Dans le Krivdonbass, où ils ont leur organisation la plus puissante et font 18% des voix à la constituante, ils sont prêts à reconnaître le droit à la séparation d'une Ukraine … dans laquelle ils ne s'incluent pas, le Krivdonbass devant être rattaché à la « Russie des soviets ». Sur cette situation et les développements qui s'ensuivent dans le Donbass, on se référera très utilement aux travaux de Hanna Perekhoda.

On a en Ukraine deux processus révolutionnaires parallèles, qui ne vont interférer qu'à la fin de l'année 1917 : celui des masses prolétariennes ukrainiennes, à majorité paysanne, et celui des masses prolétariennes russes et russifiées (et un troisième mouvement, ajouterais-je, celui du prolétariat juif pris en étau).

Les révolutions d'octobre russe et ukrainienne.

Lors de la révolution d'octobre à Petrograd, la rada constitue un Comité national de défense de la révolution destiné à combattre les secteurs de l'armée qui passeraient par l'Ukraine pour attaquer Petrograd, tout en condamnant l'insurrection d'octobre qui divise « la démocratie révolutionnaire », ce qui conduit Piatakov, qui avait rallié ce comité, à le quitter dans la journée qui suit.

Il n'y aura pas de velléités de coups de force de la part des bolcheviks en Ukraine avant décembre, mais ce sont des troupes russes fidèles au gouvernement provisoire qui attaquent les soviets, avant la rada, à K'yiv : cette attaque est défaite par les ouvriers russophones de l'Arsenal, que la rada soutient. A Kharkiv, principal centre du Krivdonbass, le soviet d'ouvriers et de soldats dirigé par le bolchevik Artom-Sergueiev partage le pouvoir avec le Comité militaire et la Douma municipale, tous reconnaissant la rada centrale.

En fait, l'équivalent, dans l'immédiat, de la révolution d'Octobre en Russie, qui concentre le pouvoir dans les soviets que dominent bolcheviks et SR de gauche, est, en Ukraine, le passage du pouvoir aux mains de la rada et des rada locales, avec le soutien plus ou moins explicite ou plus ou moins confus, des soviets. En l'absence de Piatakov déplacé à Moscou dans l'administration bancaire centrale, les soviets de K'yiv, sur proposition des bolcheviks, reconnaissent mi-novembre le pouvoir de la rada centrale, tout en lui demandant de convoquer un congrès des soviets appelé à la transformer en « rada centrale des soviets » : c'est une évolution pacifique du pouvoir de la rada qu'envisagent alors les bolcheviks ukrainiens.

Le résumé de Z. Kowalewski permet une mise au clair envers une histoire généralement présentée de manière périphérique, allusive et confuse : le parallélisme des deux révolutions en 1917 conduisait non pas à la seule révolution russe d'Octobre, mais à une révolution ukrainienne à côté d'elle, de même que l'on avait des révolutions finlandaise, géorgienne, lettonne, et sans doute d'autres. Le programme social – terre aux paysans, usines aux ouvriers – et démocratique – égalité des femmes, reconnaissance des droits démocratiques et culturels des russes et juifs dans un futur Etat ukrainien- de la rada, est tout à fait de même portée que les mesures du second congrès des soviets, celui de la révolution d'Octobre, à la différence près toutefois, que la rada appelle à attendre la mise en place d'une constituante ukrainienne, dont la convocation était annoncée pour janvier 1918.

Le 3° « Universal » de la rada, le 20 novembre 1917, proclame la République populaire ukrainienne, mais tout en affirmant qu'elle ne se sépare pas de la République russe. Cette demi-mesure nationale va avec la demi-mesure agraire : le grand partage des terres est annoncé pour après la formation de la constituante ukrainienne, laquelle doit faire suite, si l'on comprend bien – Z. Kowalewski ne précise pas la chose, qui a dû être passablement embrouillée en fait – à celle de la constituante « panrusse » (que les bolcheviks vont dissoudre après en avoir assumé l'élection). Or, le second congrès panrusse des soviets à Petrograd, lors de la révolution d'Octobre, a appelé les paysans à prendre les terres, appel bien sûr entendu en Ukraine. Ces atermoiements y profitent dans une certaine mesure aux bolcheviks, mais surtout aux SR de gauche, qui, eux, apparaissent comme un parti ukrainien, et à la fois paysan et ukrainien.

Début décembre, une ligne putschiste, impulsée par Evgenia Bosh et par le frère ainé de Iouri Piatakov, Leonid Piatakov, voit une partie des bolcheviks de K'yiv tenter d'entrainer des unités militaires et les ouvriers de l'Arsenal contre la rada. Le soviet des soldats, également bolchevik, les désavoue, et la masse des soldats ne suit pas ; la rada n'a pas de mal à renvoyer les soldats non ukrainiens en Russie, et libère rapidement les chefs bolcheviks arrêtés.

Un peu plus tard, le 16 décembre, les bolcheviks principalement kiéviens impulsent la tenue d'un congrès des soviets d'Ukraine, espérant gagner des paysans impatients des atermoiements de la rada ; mais celle-ci retourne une majorité des délégués.

Parallèlement, le pouvoir bolchevik à Petrograd commence à hausser le ton au motif que la rada laisse passer les cosaques qui se regroupent sur le Don pour faire la guerre au nouveau pouvoir. La rada, elle, dit laisser passer ceux des cosaques qui, ayant quitté l'armée, rentrent chez eux dans le Don, et seulement ceux-là. Au congrès des soviets du 16 décembre, le dirigeant bolchevik Vassyl Shakhraï qualifie les menaces de Petrograd de malentendus, avant de quitter la salle.

Selon Z. Kowalewski, on a alors un imbroglio dû au fait que la direction de la rada, « petite-bourgeoise », ne veut pas réaliser, alors qu'elle le pourrait, une séparation totale d'avec la Russie, ce qu'une direction bourgeoise, comme en Finlande à cette date, aurait su faire, et ce qu'une direction prolétarienne aurait pu faire elle aussi, pour ensuite s'allier à égalité avec la République russe. Il remarque que l'idée contradictoire d'une Ukraine « libre » ayant un lien fédéral avec la Russie, désormais acceptée dans les messages du Conseil des commissaires du peuple présidé par Lénine, est en opposition avec ce que celui-ci a écrit sur les questions nationales, où il n'envisageait que la séparation ou bien une République unitaire, tout autant qu'elle est en opposition avec une position nationaliste conséquente. En disant toujours faire partie d'une Russie « fédérale » dans laquelle elle conteste le pouvoir existant, la rada prolonge, d'une manière dangereuse pour les bolcheviks, ses ambigüités envers l'ancien gouvernement provisoire, et donne des motifs aux interventions russo-bolcheviques.

Hrouchevsky et Vynnytchenko restent en effet attachés au programme d'une « Russie fédérale » dans laquelle l'Ukraine s'auto-gouvernerait, et qui était initialement pour eux la voie d'un développement capitaliste et démocratique de l'ancien empire russe. Assumer jusqu'au bout l'indépendance nationale se serait sans doute, par un apparent paradoxe, combiné à une politique sociale plus conséquente, portant atteinte à la propriété foncière et capitaliste, comme en Russie rouge. Ces deux des trois principaux dirigeants nationaux ukrainiens tireront par la suite cette conclusion, à la différence du troisième, Semion Petlioura, qui s'oriente de plus en plus à droite, cherchant la guerre avec les bolcheviks dans le secteur de Kharkiv, mais écarté des affaires militaires par la rada, pour cette raison.

Du côté bolchevik, Z. Kowalewski suggère que Trotsky avait probablement une position propre, mais complexe, envisageant d'accepter l'indépendance d'une Ukraine « bourgeoise », mais n'hésitant finalement pas à porter la guerre en territoire ukrainien pour la lutte contre les blancs et les cosaques russes, tout en surprenant tout le monde – les Allemands, la rada, et peut-être bien Lénine ainsi que Staline – en permettant la présence d'une délégation de la rada aux négociations de Brest-Litovsk.

Lors d'une conférence bolchevique à K'yiv tenue à la suite de l'échec du « congrès des soviets » du 16 décembre, un secteur du parti impose la proclamation d'un parti bolchevik ukrainien, prenant acte – enfin ! – de l'existence d'un pays dénommé Ukraine … mais un parti toujours membre du Parti bolchevique panrusse, ce qui, critique Vassyl Shakhraï, lui coupe toujours le chemin des plus larges masses …

Les 24-25 décembre 1917, les bolcheviks récidivent leur tentative du 16, à Kharkiv, allant cette fois-ci jusqu'au bout dans la mesure où ils contrôlent complétement un congrès soviétique ne représentant sans doute pas de larges secteurs, et faisant proclamer par ce congrès une République populaire ukrainienne (même appellation que celle de la rada de K'yiv) soviétique (en russe) et radiantsy (en ukrainien), présidée par Evgenia Bosh (notons qu'elle enverra elle aussi deux délégués à Brest-Litovsk, incorporés en fait àla délégation russe car la Rada était déjà représentée, dont Vassyl Shakhraï). Les soviets de Kharkiv ne la reconnaissent même pas : avec la majorité des bolcheviks du Krivdonbass, ils veulent créer leur propre république, mais rattachée à la Russie.

Dans une confusion croissante, la possibilité existait encore d'une fusion des soviets et des radas en une République ukrainienne soviétique de la « démocratie révolutionnaire » : le Secrétariat de la rada appelle à la paix, le second congrès paysan panrusse avec l'appui du pouvoir de Petrograd envoie une délégation SR de gauche, Vynnytchenko appuie même un pseudo-complot de SR de gauche ukrainiens censés le renverser pour faire fusionner rada de K'yiv et soviet de Kharkiv, et c'est dans cette atmosphère que le 4° Universal de la rada (et dernier) proclame l'indépendance totale de la République le 24 janvier 1918 …

Le dérapage : la Russie attaque l'Ukraine.

Le dérapage généralisé se produit fin janvier, pendant les négociations de Brest-Litovsk notons-le.

D'une part, une armée rouge attaque l'Ukraine : on ignore qui en a pris la décision !

Pas Lénine ni le centre, mais des sous-chefs militaires autoproclamés, sauf que Lénine et le centre vont les couvrir et les soutenir …

Son chef est un général issu du corps des officiers tsaristes, disant adhérer au parti SR de gauche russe, Mikhail Mouraviov, qui prend Poltava avec une petite troupe de quelques centaines d'homme, laquelle va par la suite s'étoffer d'anciens soldats, de gardes rouges venus de Petrograd et de Moscou, et d'individus divers en errance – une armée « lumpen ». A Poltava il remplace le soviet local, bolcheviks compris, par un soviet « pertinent » (sic), c'est-à-dire installé d'en haut par la force.

D'autre part, à K'yiv, la tension monte entre les ouvriers de l'Arsenal et les milieux ouvriers, dont des bolcheviks et des anarchistes, d'une part, et les unités de Cosaques libres, groupes les plus réactionnaires parmi les partisans de la rada, aboutissant à des affrontements entre les ouvriers et les « cosaques ». Une tentative de rallier ou neutraliser une partie de ceux-ci est sabotée par le chauvinisme anti-ukrainien d'un émissaire bolchevik qui, en bon colon, qualifie l'ukrainien de « langue des chiens ». Cet affrontement, d'abord social, devient national, les partis russes et juifs dans la rada se désolidarisant de celle-ci, dans laquelle, à l'inverse des plans de Vynnytchenko, les SR de droite et les éléments réactionnaires liés à Petlioura prennent l'ascendant. Les combats à K'yiv durent une semaine ; Z. Kowalewski n'aborde pas la question du nombre de victimes : diverses sources parlent de plusieurs centaines, dont le dirigeant bolchevik Olexandr Horvits qui avait milité pour un parti bolchevik ukrainien.

La troupe de Mouraviov prend la route de K'yiv et bat puis massacre un corps expéditionnaire pro-Rada, à Kruty, dont 24 lycéens sommairement exécutés : les martyrs de Kruty deviendront la première image antibolchevique dans la tradition nationaliste ukrainienne ultérieure. Il y a un curieux parallèle entre le martirologue de Kruty, côté nationaliste, et celui des « ouvriers de l'Arsenal », côté soviétique, les uns et les autres parlant souvent des « 300 morts » massacrés, comme l'a étudié l'historien ukrainien contemporain Andriy Zdorov.

Mouraviov appelle ses soldats à tuer et à piller, et ils ne s'en privent pas : grossis à environ 7500 hommes, ils entrent à K'yiv les 4-5 février, massacrent nombre d'officiers et d'anciens soldats, mais aussi un peu toute sorte de gens, y compris des bolcheviks (Skrypnik, futur dirigeant de la RSS d'Ukraine de 1923 à son suicide en 1933, a failli y passer), accusés d'être des petliouristes bourgeois dès qu'ils avaient des documents en langue ukrainienne.

Cette occupation de fait impérialiste, totalement extérieure, s'écroulera d'elle-même à l'annonce de l'avancée des troupes allemandes, qui ramènent la rada (pour peu de temps : ils vont la remplacer par l'hetman Skoropadsky), en une panique générale.

Cette invasion chauvine est une catastrophe pour la révolution prolétarienne, aussi bien la russe, qu'elle corrompt et dont elle affiche les déviations, que l'ukrainienne, qu'elle détruit. Contre-révolutionnaire sur toute la ligne, elle est d'une importance historique : « Légitimée d'abord à un niveau inférieur, par Antonov-Ovseenko, puis au plus haut niveau par Lénine, la guerre russo-ukrainienne du début de l'année 1918 a été la première guerre de conquête menée par la révolution russe contre une autre nation. » Lénine a couvert et défendu Mouraviov, qui jouera un rôle clef dans l'étranglement de la Russie rouge en juillet 1918 au début de la grande guerre civile, et sera alors abattu.

Aucune auto-critique de ce « dérapage » n'a été faite, bien au contraire : la doxa bolchevique fera de toutes les forces qui se trouvaient avec la rada des forces bourgeoises ou nationalistes réactionnaires, et des armées rouges les représentantes de la révolution. Z. Kowalewski rappelle à juste titre tant l'invasion de l'Asie centrale que la tentative de prendre Varsovie en 1920, comme des actes impérialistes commis par la révolution russe, qui ont contribué à l'isoler et à la faire dégénérer.

Il ne fait qu'une allusion à un fait accablant qui confirme ce caractère contre-révolutionnaire : les premiers pogroms antisémites, qui vont sinistrement ponctuer la suite de cette histoire, commis en Ukraine, du moins à grande échelle, l'ont été … par les soldats et gardes « rouges », d'une part en Russie proche, autour de Koursk, Voronej, Gomel, où se sont rassemblées les troupes de Mouraviov, d'autre part en Ukraine dans la région de Tchernihiv (voir Brendan McGeever, L'antisémitisme dans la révolution russe, les Nuits Rouges éd., 2022).

De Brest-Litovsk à la chute de Skoropadsky.

Ce livre étant une série d'articles, nous avons un hiatus couvrant le milieu de l'année 1918. Il saute donc par-dessus la période où le traité de Brest-Litovsk s'applique, avec, en Ukraine, le régime de l'hetman Skoropadsky. C'est la période du premier grand reflux révolutionnaire. Et force est de constater que l'aveuglement russe des bolcheviks y a contribué, en ignorant la réalité révolutionnaire des mouvements nationaux d'Ukraine, mais aussi de Finlande, où la mémoire dominante a retenu que les sociaux-démocrates réformistes n'ont pas fait de révolution, alors qu'en réalité les gardes ouvrières armées avaient pris le pouvoir dans les villes et le Sud et constituaient la force étatique du régime dit de la défense de la démocratie, établi le 29 janvier 1918 et détruit par la guerre civile des blancs aidés des troupes allemandes, le soutien russe ayant pris fin suite au traité de Brest-Litovsk. La question de savoir si la Finlande aurait pu tenir sans ce retrait fut occultée, remplacée par la dénonciation de « la démocratie » dans laquelle se lancent les bolcheviks à partir du printemps 1918.

Tout en se présentant comme ukrainien, institutionnalisant l'emploi administratif et éducatif de l'ukrainien pour la première fois, le régime de l'hetman ressemble de plus en plus à un régime « blanc » cherchant à remettre en place la grande propriété capitaliste-féodale, en fait coloniale, et ses relations avec les militeux bourgeois russes, et finalement avec Dénikine lors de l'effondrement des empires centraux, vont croissant. Il suscite rapidement de grandes guérillas paysannes contre lui, qui se généralisent à l'automne. Les anciens dirigeants de la rada forment alors un Directoire – Vynnytchenko comme chef politique, mais Petlioura comme chef militaire, ainsi qu'un représentant paysan, un cheminot et un « socialiste indépendant » – qui reçoit le soutien formel de la plupart de ces mouvements paysans, et c'est aussi dans ce contexte que se forme le parti borotbiste, issu des SR de gauche ukrainiens, ainsi que le noyau de la prochaine armée insurrectionnelle dite makhnoviste, anarchiste-communiste, au Sud-Est. Les bolcheviks depuis la Russie n'ont « rien fait pour prendre la tête du mouvement dans un contexte d'auto-organisation croissante des masses insurgées », au nom du respect du traité de Brest-Litovsk et par dédain envers ces mouvements « nationaux » et « paysans ».

Par ailleurs, dans un article de 1989 (L'indépendance de l'Ukraine : préhistoire d'un mot-d'ordre de Trotsky, in Quatrième Internationale, mai-juillet 1989), Z. Kowalewski a mis à jour la tenue d'une conférence des bolcheviks d'Ukraine, fin avril 1918 à Taganrog-Tahanrih, dans laquelle la position insurrectionnelle était celle de Piatakov et ses camarades, hostiles à Brest-Litovsk mais négateurs de la question nationale. Le compte-rendu passionnant de cette conférence existe en français, traduit d'un article russe des « communistes de gauche » russes (La revue Kommunist, Smolny, Toulouse, 2011, pp. 237-246).

Un courant communiste franchement indépendantiste prend forme, autour de deux dirigeants bolcheviks bientôt exclus car ils voulaient un parti ukrainien non dirigé de Moscou, Shakhraï et Mazlakh (un ukrainien et un juif), dont un important texte adressé à Lénine (réédité en anglais par l'université du Michigan en 1970, On the Current Situation in the Ukraine), sera la principale référence théorique et historique pour les communistes indépendantistes, qu'ils soient bolcheviks ou issus de la social-démocratie ukrainienne (celui-ci sera le courant des nezanelnyky dit aussi « oukapiste »). Shakhraï et Mazlakh sont parvenus à la conclusion que Lénine veut préserver le cadre étatique « un et indivisible » et donc forcément russe, et auraient voulu éviter la répétition des « erreurs » de 1918. Shakhraï sera tué par les blancs en 1919 et Mazlakh le sera par la police politique stalinienne dans les années 1930.

Révolution ukrainienne : le retour.

La révolution ukrainienne, et le livre de Z. Kowalewski, reprennent à l'automne 1918 avec l'effondrement des empires centraux et du hetmanat. Les soulèvements paysans portent le Directoire au pouvoir à K'yiv, mais en le débordant complétement : le programme agraire de 1917 est mis en œuvre directement par les masses, et les forces armées qui prennent K'yiv, en novembre 1918, se réclament mais ne sont pas sous le contrôle du Directoire : la Division du Dniepr, sous le mot-d'ordre Tout le pouvoir aux radas et avec des portraits de Chevtchenko sur fond rouge, est dirigée par Danylo Terpylo dit Zeleny, et se fait très vite menaçante pour le Directoire qui, pour elle, doit se soumettre à l'abolition de la propriété privée et au pouvoir des radas, ou se démettre.

La force armée directe du Directoire, les Fusiliers de la Sitch, constituée en Galicie et dirigée par le futur nationaliste d'extrême droite Ehven Konovalets, appelée à réprimer la Division du Dniepr, y renonce, et estime qu'une dictature est nécessaire : elle la propose à Vynnytchenko, qui passe, à juste titre, pour pro-bolchevik, et qui refuse, et elle sera finalement assumée par Petlioura, mais lorsque la seconde République populaire ukrainienne s'effondrera (Vynnytchenko, précisons-le, passera alors en Hongrie rouge, puis à Moscou, puis, après un passage par K'yiv où il tente d'intégrer les institutions de la RSS, part à Vienne début 1921, puis en France).

La révolution ukrainienne semblait en bonne voie. Son développement naturel aurait pu effectivement recevoir une aide russe, à condition que celle-ci ne soit pas une ingérence.

La Russie rouge mais coloniale récidive.

Tout au contraire, l'avancée de l'armée rouge, d'abord conduite par Piatakov et rassemblant bien des « bandes » paysannes, a permis d'installer un pouvoir bolchevik à K'yiv pour lequel fut choisi, à Moscou, une très grande et remarquable personnalité pour le diriger : Christian Rakovsky, figure de l'Internationale socialiste et dirigeant socialiste roumain et balkanique, rallié aux bolcheviks après Octobre, et vieil ami de Trotsky. Or Rakovsky, a priori humaniste cultivé et éclairé, a en fait dans un premier temps incarné le pire négationnisme de l'existence même des Ukrainiens, une politique militaro-bureaucratique brutale, qui conduisit à la perte rapide de « l'Ukraine soviétique ». Il avait littéralement perdu ses esprits, remarque Z. Kowalewski, qu'il devait reprendre par la suite. Du coup, notons que le blé dont Moscou et Petrograd avaient tant besoin, ne fut pas obtenu, car il ne pouvait l'être par de telles méthodes.

L'Etat bolchevik se révèle là être viscéralement de type « knouto-moscovite ». La tentative de saisie de l'Ukraine de 1919 est plus systématique, moins désordonnée, que celle de 1918, mais elle ne vaut pas mieux et s'étend sur tout le pays, et son caractère socialement oppressif, en raison de l'oppression nationale, et de son corollaire social, le mépris de la paysannerie vite traitée de « koulak », en a sapé les bases presque aussi vite que celles du Directoire l'avaient été : la langue ukrainienne est interdite et les grands domaines nobles sont préservés du partage en tant que « communes », de sorte que le prélèvement violent des « excédents » s'abat sur les ouvriers agricoles, les paysans sans terre et les paysans les plus pauvres, plus encore que sur les -rares- « koulaks » véritables.

Z. Kowalewski, se référant notamment aux lettres d'un groupe d'opposants bolcheviks adressées à Lénine en novembre 1919, le « groupe Popov », signale deux phénomènes notables dans la brève mais rapide prolifération étatique de l' « Ukraine soviétique » sans soviets ni radas : l'ancienne bourgeoisie et l'ancien fonctionnariat russes se sont ralliés à ce pouvoir, et les juifs y sont très nombreux car, déracinés des fonctions sociales commerciales d'intermédiation que le communisme de guerre interdit, ils s'engagent dans son appareil. A cela s'ajoute la nuée de sauterelles des russes qui viennent « diriger » le pays, le tout perçu comme parasitaire, intrusif et brutal.

La tragédie qui se joue dans l'effondrement de la seconde « Ukraine soviétique », entre mai et juillet 1919, voit une double dégénérescence : celle de la Russie rouge colonialiste, qui finit par incendier des villages et administrer le knout aux paysans, mais aussi celle de la révolution ukrainienne plongée dans une impasse dans laquelle elle se disperse en bandes paysannes s'adonnant à des pogroms antisémites. La conjonction « russo-juive » et urbaine à laquelle le prolétariat rural se sent confronté, aurait réveillé le monstre d'un antijudaïsme ancien séculaire, provenant de la gestion des domaines nobles polonais, puis russes, par des intendants juifs. La guerre paysanne et nationale menace de détruire les villes mais ne le peut pas, aussi se rabat-elle sur la bourgade juive, le shtetl, comme bouc émissaire.

Z. Kowalewski a suivi d'assez près les principaux développements sociaux et politiques qui prennent forme autour de l'évènement central que fut la « mutinerie », en fait l'insurrection, de Zeleny, qui avait été repérée dans le livre, en langue française, Ukapisme – Une gauche perdue, Ibidem-Verlag éd., 2020, recueil de texte établi par Christopher Ford et préfacé par moi-même. Nous y affirmions que plus d'un an avant Cronstadt, et au-dessus de Cronstadt, ce fut la plus grave crise sociale et militaire de l'Etat dit soviétique en formation.

Zeleny était à la tête de la Division du Dniepr, la force paysanne qui avait été la pointe du renversement de Skoropadsky puis de Petlioura, et qui va également provoquer l'effondrement de Rakovsky. Il rompt avec l'armée rouge et le nouveau régime, auquel il ne s'est jamais intégré, dans la nuit du 20 au 21 mars, en se proclamant « bolchevik, mais pas communiste » : les bolcheviks sont ceux qui ont appelé au grand partage et à l'autogouvernement, les « communistes » sont les flics qui viennent prendre les récoltes. Il contacte un commandant de brigade de l'armée rouge âgé de 20 ans, Anton Chary dit Bohounsky, autoproclamé « ataman des troupes rouges de la rive gauche du gouvernement de Poltava », un bolchevik, mais en fait un des rares bolcheviks à avoir engagé la lutte armée contre Skoropadsky, en 1918. Ils s'associent avec un écrivain, de l'aile gauche de la social-démocratie ukrainienne, origine des communistes indépendantistes dits oukapistes, Olexandr Hroudnytsky, et au cousin de Bohounsky, commandant du 1° régiment de Zolotonocha, Ivan Lopatkine, soupçonné, manifestement à juste titre, d'antisémitisme par le commandement d'Antonov-Ovseïnko, qui ne l'estime, ceci dit, « pas pire » que les autres chefs locaux incorporés dans l'armée rouge.

Bohounsky, pendant tout un temps, joue double jeu, se présentant aux chefs de l'armée rouge comme un médiateur utile envers les éléments indisciplinés à ramener dans le droit chemin, tout en produisant, avec Hroudnytsky, des proclamations aux paysans dont voici un passage significatif :

« Nous, bolcheviks ukrainiens, qui avons sauvé la cause de la révolution sociale en Ukraine et donc dans le monde entier, déclarons la lutte active contre tous ceux qui spéculent sur le communisme et contre tous les chauvins – qu'ils soient russes ou juifs. Nous avons chassé notre Petlioura, mais nous voyons que d'autres Petlioura – russes et juifs – nous dominent. »

Suivent 6 revendications centrales : l'indépendance de l'Ukraine, le pouvoir aux conseils, le départ des occupants, la suppression des « communes », des relations fraternelles avec la Russie soviétique, la liberté religieuse.

Le principal talon d'Achille, dirons-nous, du « conseil insurrectionnel des commissaires du peuple » que vont former Zeleny, Bohounsky, Hroudnytsky et quelques autres, est l'amalgame entre une minorité en danger, les juifs, et la nation dominante et oppressive, les russes.

L'aile gauche de la social-démocratie ukrainienne, qui devient le courant communiste indépendantiste, a tenté de chevaucher cette insurrection. Il est clair qu'elle n'a pas plus contrôlé ses troupes que les bolcheviks et les petliouristes avant eux. Z. Kowalewski semble penser que la tendance générale d'un mouvement qui se trouvait dans une impasse tragique l'orientait vers la droite, avec les pogroms qui menacent à l'horizon, mais aussi en se rapprochant, justement, de Petlioura. Le dirigeant communiste-indépendantiste Yurko Mazurenko a bien tenté de chapeauter le Conseil insurrectionnel des commissaires du peuple, en formant un Comité révolutionnaire pan-ukrainien qui a eu peu de réalité, avec lequel il aurait voulu, de façon sans doute illusoire, orienter le mouvement vers la lutte armée à la fois contre l'occupant russo-bolchevik et contre la République populaire devenue la dictature de Petlioura basée sur les confins ouest. Mais celle-ci, en fait, prend des contacts avec les chefs du mouvement paysan ukrainien, entrainant même des tentatives de contact de la part de Mazurenko, rebuffées par Petlioura qui fait séquestrer ses envoyés pour bolchevisme. Rakovski, dans ces démêlés, a

Ontario : Des millions de dollars de subventions pour l’exploration minière et des Autochtones lésés

4 novembre, par Anna Stanley — , ,
Les allégements fiscaux accordés par le gouvernement financent des projets miniers sur le territoire de Grassy Narrows, au détriment des droits des Autochtones et des réserves (…)

Les allégements fiscaux accordés par le gouvernement financent des projets miniers sur le territoire de Grassy Narrows, au détriment des droits des Autochtones et des réserves d'eau de la région.

Tiré de Canadian Dimension
Le 6 octobre 2025 / DE : Anna Stanley
Traduction Johan Wallengren

La Première Nation de Grassy Narrows, soucieuse de préserver ses terres et ses eaux de la contamination industrielle, est à nouveau aux prises avec une société minière canadienne, puisqu'elle s'oppose cette fois au projet de Kinross Gold, société basée à Toronto qui a l'intention de déverser des eaux usées traitées contenant du sulfate dans le réseau fluvial dont elle dépend pour la pêche. Le projet a été initialement approuvé par le gouvernement de l'Ontario, mais la société a dû déposer une nouvelle demande après qu'un tribunal provincial distinct a jugé le projet déraisonnable. Selon les experts, le sulfate, qui ne sera pas éliminé des eaux usées, représente un danger supplémentaire pour la rivière Wabigoon, qui a déjà subi une contamination au mercure résultant de décennies de déversements industriels.

Le soutien de l'Ontario au projet Great Bear de Kinross va bien au-delà d'une réglementation laxiste. Au lieu de protéger Grassy Narrows et son environnement, la province, en collaboration avec le gouvernement fédéral, a discrètement subventionné une grande partie de l'exploration de manière à saper les efforts de la Première Nation pour protéger ses terres et ses eaux. Le projet Great Bear a reçu des subventions fédérales et provinciales totalisant plus de 63 millions de dollars, ce qui a permis de poursuivre une exploration qui, sans cela, n'aurait probablement pas trouvé de financement – et ce malgré les objections de la Première Nation de Grassy Narrows.

La plupart des activités d'exploration entreprises par Great Bear Resources ont été financées à l'aide d'actions accréditives, un mécanisme de financement fiscal dans le cadre duquel les risques liés à l'exploration sont « lessivés » pour les investisseurs.

Les états financiers préparés par Great Bear Resources – société à laquelle Kinross a récemment racheté le complexe dont il est question ici – et déposés auprès des Autorités canadiennes en valeurs mobilières révèlent que la société a levé un peu plus de 118 millions de dollars en actions accréditives entre décembre 2017 et février 2021. Cela représente une subvention fédérale et provinciale combinée de plus de 63 millions de dollars et des bénéfices après impôts pour les investisseurs pouvant atteindre 29 millions de dollars. La société a également reçu 100 000 dollars du Programme ontarien d'aide aux petites sociétés d'exploration minière pour financer l'exploration initiale du site.

Destinées aux particuliers fortunés dont les revenus seraient autrement imposés au taux le plus élevé, les actions accréditives récompensent les investisseurs en substituant un allègement fiscal à la croissance. Les investisseurs ne paient aucun impôt sur la valeur de leur investissement l'année où ils investissent. Lorsqu'ils vendent leurs actions, le produit de la vente est imposé comme un gain en capital à un taux inférieur à celui du revenu personnel. En outre, les investisseurs ont droit à un crédit d'impôt fédéral non remboursable équivalant à 15 % du prix d'achat des actions (appelé crédit d'impôt pour l'exploration minière ou CIEM), ainsi qu'à un crédit d'impôt similaire de 5 % pour l'exploration spécifique à l'Ontario. Le CIEM a récemment été porté à 30 % pour les investissements dans l'exploration minière critique.
Les dimensions coloniales de ces subventions méritent d'être examinées de près. L'opposition, la résistance et les revendications juridiques de la partie autochtone accroît encore la volatilité par rapport au caractère déjà spéculatif de l'exploration, au-delà de ce que même le « capital-risque » le plus tolérant est prêt à supporter. Sans subventions et en l'absence du consentement de la partie autochtone, l'exploration ne peut progresser et les concessions minières expirent.

Or, le financement accréditif permet de financer une exploration qui serait autrement trop risquée par le truchement de l'abandon organisé de recettes fiscales qui se matérialise par l'allégement des déclarations fiscales de particuliers fortunés. Le mécanisme en question joue un rôle essentiel pour ce qui est de faire avancer de force l'exploration en contournant la résistance autochtone, et il suppose une ponction massive de recettes fiscales.

À la différence des investisseurs derrière le financement des activités d'exploration, la province ne remplira guère ses goussets avec celle-ci. Les dernières déclarations fiscales montrent que Kinross n'a payé aucun impôt aux gouvernements fédéral ou provincial en 2024 (ce qui n'est pas surprenant, puisque l'exploration est subventionnée et non imposée). En revanche, les actionnaires de la société, notamment les banques canadiennes et d'importants fonds de pension du secteur public tels que le Régime de retraite des enseignants de l'Ontario, la Société de gestion des investissements de l'Ontario et Investissements PSP, auraient empoché plus de 20 millions de dollars américains (sur la base des participations actuelles) grâce aux dividendes versés par Kinross au cours d'un seul trimestre financier en 2024.

Si l'exploitation de la mine démarre, il n'est pas non plus évident qu'elle générera des recettes fiscales appréciables. Selon ce que prévoit le régime fiscal de l'Ontario, les deux premiers millions de dollars de bénéfices nets ne seraient pas imposés, pas plus qu'une exemption annuelle de 500 000 dollars de bénéfices. Une redevance de 10 % s'appliquerait à tous les bénéfices restants. En outre, comme l'ont souligné les experts, les sociétés ne manquent pas de moyens légaux pour dissimuler leurs bénéfices et éviter de payer des impôts. Kinross possède plusieurs filiales enregistrées dans des paradis fiscaux connus, notamment des sociétés de portefeuille au Luxembourg et aux îles Caïmans qui ne déclarent aucun personnel. En 2024, Kinross a déclaré un chiffre d'affaires brut de 5,14 milliards de dollars américains pour l'ensemble de ses activités et n'a payé que 337 millions de dollars d'impôts.

Le gouvernement de l'Ontario n'a cessé d'entraver les efforts déployés par la Première Nation de Grassy Narrows pour réhabiliter son bassin versant : il a ignoré une déclaration foncière établie en vertu du droit autochtone qui interdit l'exploitation minière et toute autre utilisation industrielle des terres ancestrales de la Première Nation ; il a refusé de reconnaître la création d'une aire protégée et de conservation autochtone ; et il s'est traîné les pieds dans l'enquête sur l'un des sites de contamination industrielle les plus notoires et les plus dévastateurs de l'Ontario. Au mépris total des droits autochtones et des lois de la Première Nation, le gouvernement Ford a présidé à l'exploitation de centaines de milliers d'hectares du territoire ancestral de celle-ci, principalement pour l'or, et a délivré des permis d'exploration sans l'en informer ni la consulter. Ces initiatives sont directement soutenues par des subventions à l'exploration, qui transfèrent le risque financier au public tout en enrichissant les investisseurs privés.

L'enjeu n'est pas seulement la politique fiscale ou le financement des sociétés, mais la santé d'un peuple et l'intégrité de son bassin versant. Pour la Première Nation de Grassy Narrows, le choix est clair : oui à une eau propre, à une véritable remise en état et au respect des droits et acquis autochtones, non à un autre projet industriel subventionné menaçant d'aggraver une situation déjà désastreuse.

* Dr Anna Stanley est professeure adjointe au département de géographie, d'environnement et de géomatique de l'université de Guelph.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Ensemble, on bloque le recul

4 novembre, par Collectif —
Quand les projets de la CAQ tournent au désastre, de SAAQclic à Northvolt, le gouvernement Legault préfère faire diversion et changer de sujet. Au lieu de s'attaquer à la crise (…)

Quand les projets de la CAQ tournent au désastre, de SAAQclic à Northvolt, le gouvernement Legault préfère faire diversion et changer de sujet. Au lieu de s'attaquer à la crise du logement, à la santé en déroute ou aux écoles délabrées, il s'en prend aux syndicats.

Grand rassemblement intersyndical

Le 29 novembre, on ne tombera pas dans le piège : marchons pour lui rappeler les vraies priorités !

Toute la population est invitée à se joindre au grand rassemblement intersyndical ! Une grande marche se mettra en mouvement, à Montréal, pour se rendre jusque devant le bureau du premier ministre coin McGill College et Sherbrooke.

Venez en grand nombre !

Quand : 29 novembre à 13 h 30

: Place du Canada (Montréal)

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Pour un programme de rupture : socialiser l’économie, combattre le patriarcat et construire le pouvoir populaire

4 novembre, par Bernard Rioux — ,
Le débat ouvert sur l'actualisation du programme de Québec solidaire n'en est qu'un premier moment. Ce qui se joue, ce n'est pas un simple ajustement de formulations : c'est la (…)

Le débat ouvert sur l'actualisation du programme de Québec solidaire n'en est qu'un premier moment. Ce qui se joue, ce n'est pas un simple ajustement de formulations : c'est la direction que prendra notre parti dans les années à venir. Le Parti de la rue défend une orientation qui vise à mobiliser largement afin de pouvoir rompre avec l'ordre établi.

Quand on lit le texte de la coordination nationale à propos de la préservation de la biodiversité, on voit bien qu'il se limite à juxtaposer des enjeux — biodiversité, climat, santé, alimentation — sans jamais en identifier la cause systémique : le capitalisme. Le cœur du problème est là. Tant que nous ne nommons pas le capitalisme comme la cause de la destruction des écosystèmes, de la marchandisation de la vie et de l'exploitation du travail, nous ne donnons pas tout son sens à notre lutte.

La décroissance ne se limite pas au secteur des industries polluantes

Depuis trop longtemps, Québec solidaire refuse d'assumer clairement une perspective de décroissance. Le Programme actualisé soumis à la discussion parle de décroissance des secteurs fossiles, comme si le problème se limitait à quelques industries polluantes. Mais la décroissance, c'est bien plus que cela : c'est une critique radicale du productivisme et de la recherche illimitée du profit. C'est une remise en cause de la logique capitaliste.

La décroissance, ce n'est pas produire un peu plus « vert ». C'est comme l'écrit l'amendement du CAP écologiste produire autrement, pour d'autres fins : satisfaire les besoins humains réels, préserver la vie et réduire la dépendance au marché. Elle implique la planification démocratique de la production, la socialisation des grands moyens de production et le renversement de la logique d'accumulation privée.

Socialiser, ce n'est pas seulement étatiser

C'est pourquoi la question de la socialisation est décisive. Dans le texte proposé dans l'actualisation du programme, la socialisation est définie comme une extension de l'économie sociale — OBNL, coopératives, entreprises collectives. Mais l'économie sociale ne sort pas du capitalisme : elle en est un aménagement partiel, elle en atténue certains impacts. Nous définissons la socialisation comme la prise de contrôle collectif des secteurs stratégiques — énergie, mines, forêts, banques, grandes entreprises industrielles — par les travailleurs, les travailleuses et les communautés.

Cela signifie aller au-delà de la simple étatisation, comme on l'a vu avec Hydro-Québec. L'étatisation a été un progrès à son époque, mais elle a concentré le pouvoir entre les mains d'une technocratie publique sans véritable contrôle populaire. Socialiser, c'est décentraliser, démocratiser, planifier collectivement. C'est faire de l'économie un bien commun, géré par les travailleurs, les travailleuses, les citoyens·es des territoires.

Rompre avec les monopoles

Aujourd'hui, les grands monopoles privés — miniers, forestiers, financiers — contrôlent notre économie, accaparent nos ressources et sabotent toute transition réelle. Ces entreprises n'ont aucun intérêt à la transformation écologique : elles en vivent. Leurs profits dépendent de l'extraction, de la surexploitation et de la destruction des milieux vivants. C'est pourquoi nous soutenons les propositions du CAP écologiste et des associations qui proposent la nationalisation/socialisation complète du secteur énergétique, la création de micro-réseaux municipaux publics, le refus de toute relance du nucléaire et la socialisation des entreprises fossiles pour en assurer le démantèlement.

La lutte, pas la simple régulation

Mais ces transformations ne viendront pas d'un futur gouvernement solidaire isolé au sommet de l'État. Elles viendront de la lutte sociale, de la mobilisation populaire, de la construction d'un rapport de force capable d'imposer la rupture. Notre programme doit être un instrument de lutte, pas un programme de gouvernement.

C'est pourquoi nous devons articuler nos revendications à des campagnes concrètes : contre les privatisations, pour la réduction du temps de travail, pour la salarisation des médecins, pour la gratuité scolaire et la démocratisation du réseau public. Ce sont ces luttes, et non les promesses électorales, qui transforment la société.

Le travail comme émancipation nécessite de briser l'exploitation

Quand on parle d'humaniser le travail, on peut se contenter de formules générales sur l'importance du temps libre. L'humanisation du travail passe par la réduction du temps de travail à 32 heures par semaine, sans perte de salaire, par la répartition équitable de la richesse et par la démocratisation des lieux de travail. La véritable démocratie commence là où les gens passent le plus clair de leur vie : dans la production. Pour humaniser le travail, le programme doit identifier les luttes qui sont nécessaires pour contrer la surcharge au travail. Ce dont il faut parler, ce sont des combats à mener et à soutenir ici et maintenant, dans les milieux de travail et dans les mouvements sociaux.

Reconstruire le service public et le pouvoir populaire

Sur le système de santé et des services sociaux, le programme actualisé proposé est dramatiquement silencieux : rien sur la privatisation, rien sur le mode de rémunération des médecins, ni sur la nécessaire débureaucratiser le réseau. Ces questions, pourtant centrales, sont absentes du débat alors qu'elles devraient être au cœur d'un projet de réappropriation populaire du système de santé publique. Démocratiser le service public, c'est le rendre à ceux et celles qui le font vivre.

Sur la fiscalité, la famille et l'éducation, le texte propose des orientations globalement justes – redistribution de la richesse, lutte contre la pauvreté, approche féministe et inclusive- mais sans ancrage concret dans les luttes sociales. Parler de gratuité scolaire n'a de sens que si l'on se souvient que ce sont les mobilisations étudiantes de 2012 qui ont fait capoter les projets de hausse des frais de scolarité. Aujourd'hui encore, des enseignant·es en francisation qui se sont mobilisé·es contre les coupes budgétaires ont participé à la remise en question de l'austérité gouvernementale.

Sur la démocratie et la culture, les propositions d'élargir les droits politiques aux personnes résidentes permanentes ou en attente de statut vont dans le bon sens. Mais elles restent déconnectées des luttes actuelles contre les politiques migratoires racistes et les attaques contre les droits fondamentaux des personnes immigrantes. Un programme ne doit pas seulement dire ce qu'un gouvernement ferait ; il doit dire comment, dès maintenant, on s'organise pour défendre ces droits.

Sur la laïcité, même constat : des propositions positives existent, mais la discussion reste abstraite, sans lien avec les mobilisations nécessaires pour en finir avec la laïcité discriminatoire imposée par la CAQ.

Indépendance pour une véritable libération nationale

Sur l'indépendance, l'aveuglement est frappant. Dire qu'il n'y a rien à débattre aujourd'hui, c'est ignorer la recomposition politique en cours. L'impérialisme sous la direction de Trump menace le Canada d'annexion et lui livre une guerre commerciale. Le PQ promet un référendum tout en faisant des personnes immigrantes les responsables de tous les maux. Cette nouvelle donne pose à Québec solidaire des questions stratégiques fondamentales. Peut-on construire une majorité pour l'indépendance en s'alliant indistinctement à la droite et à la gauche, comme le propose le PQ ? Nous disons non. La majorité politique pour l'indépendance ne pourra émerger que lorsque la majorité populaire, forgée dans les luttes sociales, féministes, écologiques, antiracistes et décoloniales, fera de l'indépendance son propre projet.

C'est cette stratégie qu'il faut affirmer : faire de l'indépendance le prolongement d'un projet de société émancipateur.

L'indépendance c'est un moyen de libération collective. Elle ne se fera pas sans la conquête du pouvoir économique et sans la socialisation des richesses du Québec.

Pour un Québec écoféministe

Le Programme actualisé réaffirme la construction d'un Québec féministe et inclusif, intégrant la pluralité des genres. Les reformulations visent à actualiser le langage sans en modifier l'orientation politique.

L'amendement de l'Association de Jean-Lesage introduit une rupture majeure : la reconnaissance de l'écoféminisme. En articulant patriarcat, capitalisme et destruction de la nature, cette proposition relie les luttes des femmes à une critique systémique de l'économie capitaliste.

L'écoféminisme déplace le féminisme de l'égalité formelle vers une analyse de la reproduction sociale, du travail gratuit et de la domination violente. Il exprime l'articulation entre féminisme, écologie et économie du soin. En ce sens, il renforce la cohérence du programme solidaire autour du prendre soin comme principe organisateur d'une société égalitaire et met à nu le cœur du système capitaliste-patriarcal : l'exploitation du travail gratuit des femmes et la domination violente qui la soutient.

L'internationalisme contre l'impérialisme

De même, notre altermondialisme doit s'enraciner dans la solidarité active avec les peuples en lutte : de Palestine, d'Ukraine, peuples autochtones, migrants·es. Sortir de l'OTAN, refuser la militarisation et construire une diplomatie des peuples, voilà les bases d'un internationalisme concret, qui doit inspirer nos mobilisations contre les projets militaristes du gouvernement canadien.

Sur l'immigration, il faut rompre avec la logique hypocrite de la « capacité d'accueil ». Dans un monde ravagé par les crises écologiques et les guerres, nous devons défendre la liberté de circulation et d'établissement, et affirmer la responsabilité collective face aux déplacements forcés de personnes que le capitalisme engendre.

Pour un Québec solidaire de rupture

En définitive, notre programme doit redevenir ce qu'il a cessé d'être : une stratégie anticapitaliste de transformation sociale. Il doit articuler trois axes : la socialisation des moyens de production, la planification démocratique et la construction du pouvoir populaire.

La droite prépare sa rupture réactionnaire. À nous de construire la nôtre : une rupture émancipatrice, égalitaire, féministe, écologique et écosocialiste. C'est cette radicalité — claire, assumée, populaire — qui peut rallier la majorité sociale à la cause de l'indépendance et du socialisme.

En somme, nous devons ancrer notre programme dans les luttes sociales réelles, définir les revendications, les alliances et les moyens d'action qui permettent de construire le pouvoir populaire. Ce n'est pas en promettant une meilleure gestion du capitalisme que nous convaincrons : c'est en affirmant la nécessité d'une rupture radicale avec lui.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les attaques de Carney vont déclencher des luttes majeures

4 novembre, par John Clarke — ,
Dans ma chronique CD de juin sur la guerre des classes menée par Mark Carney, j'ai suggéré : « Nous pouvons voir émerger un consensus efficace au sein de la classe politique (…)

Dans ma chronique CD de juin sur la guerre des classes menée par Mark Carney, j'ai suggéré : « Nous pouvons voir émerger un consensus efficace au sein de la classe politique canadienne sur la nécessité de répondre à la menace de la guerre commerciale de Trump par une action concertée visant à supprimer les obstacles à la rentabilité et à stimuler la « compétitivité ». Cela prend déjà les dimensions d'une attaque majeure contre les travailleurs et les travailleuses, les communautés et l'environnement. »

Tiré de Canadian dimension.

27 octobre 2025

À l'approche du budget fédéral, il ne fait aucun doute que le gouvernement Carney à Ottawa jouera un rôle de premier plan dans la mise en œuvre d'un programme d'austérité sans précédent, accompagné d'un transfert de ressources pour alimenter des dépenses militaires effrénées et un régime étatique hautement interventionniste qui facilitera l'exploitation et la recherche du profit. À cet égard, l'accent sera particulièrement mis sur la facilitation des projets les plus destructeurs liés aux combustibles fossiles.

Dans ce même article, j'ai également plaidé en faveur de la nécessité d'un front commun de résistance sociale à l'échelle du Canada contre l'attaque menée par Carney, et j'ai conclu que « la tentative de faire porter le poids de la crise commerciale sur les travailleurs, les travailleuses et les communautés engendre de profondes injustices et une colère latente qui peuvent déclencher un tel mouvement. »

Une résistance émergente

Je suis loin de vouloir encourager un excès de confiance, surtout compte tenu de l'ampleur de l'attaque à laquelle nous sommes confronté·s et du manque général de préparation à riposter de manière unie et puissante. Cela dit, il est également clair que Carney et ses acolytes ne pourront pas imposer leur programme régressif aux travailleurs, aux travailleuses et aux communautés sans rencontrer une résistance farouche. Les preuves en sont partout autour de nous.

Tout d'abord, nous ne devons jamais sous-estimer le potentiel explosif de la résistance autochtone au Canada. Le gouvernement Carney et ses homologues provinciaux et territoriaux se rendront compte que leur volonté de lancer des projets pétroliers et gaziers nuisibles et dangereux, au mépris des droits des Autochtones, est une entreprise risquée.

Lorsqu'on évalue les perspectives de résistance autochtone dans une situation particulière, il est toujours important de prendre en compte non seulement les réactions des instances dirigeantes reconnues par la Loi sur les Indiens, mais aussi celles qui émergent au sein des communautés autochtones. Ces dernières sont susceptibles d'être moins patientes, moins modérées et moins respectueuses ; elles revêtent donc une importance capitale.

Les dirigeant·es autochtones officiellement reconnu·es ont elleux-mêmes exprimé une indignation bouillonnante, frôlant la défiance ouverte, en réponse à la ligne de conduite envisagée par Carney. Il est très clair que la conformité autochtone qu'il espère obtenir risque de s'avérer très difficile à obtenir.

Selon The Walrus, le sommet sur les grands projets des Premières Nations organisé par les libéraux en juillet dernier est loin d'avoir été un succès retentissant. Le projet de loi C-5, qui ouvre la voie à ces projets, a suscité un profond ressentiment. Le grand chef Stewart Phillip, de l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, s'est plaint que « le seul objectif » du sommet était d'annoncer que le projet de loi « est désormais la loi du pays » et que les Premières Nations doivent « accepter pleinement cette réalité et s'y adapter ». Le chef des Atikameksheng Anishnawbek, Craig Nootchtai, est allé plus loin, qualifiant l'événement d'« asservissement ».

Au-delà de ces réactions officielles, nous avons déjà constaté les premiers efforts des communautés autochtones pour mobiliser une opposition active au colonialisme intensifié des ressources mené par Carney et ses allié·es provinciaux.

En juin, Toronto Today a pris note d'un campement de protestation autochtone érigé sur le terrain de l'Assemblée législative de l'Ontario en réponse à l'adoption du projet de loi 5, qui donne au gouvernement de l'Ontario « le pouvoir de désigner des « zones économiques spéciales » et d'accorder certaines exemptions aux lois et règlements provinciaux, tels que les évaluations environnementales ou la consultation des communautés autochtones, dans le but d'accélérer le développement économique ».

L'un des participants à l'action a fait valoir que cette législation constituait « un nouvel exemple de « génocide économique » des Premières Nations ». Il a prédit de manière très plausible que « cette manifestation n'était que le début de l'opposition autochtone à la nouvelle législation ».

Au cours du même mois, comme l'a rapporté l'APTN, des membres des communautés d'Attawapiskat et de Neskantaga, dans le nord de l'Ontario, ont établi un « campement quasi permanent » près d'un projet de pont destiné à faciliter les opérations d'extraction dans la région du Cercle de feu. L'un des participants a déclaré : « Notre message est simple : personne ne traversera la rivière Attawapiskat sans notre consentement libre, préalable et éclairé. »

La poursuite d'une stratégie de « construction nationale » axée en grande partie sur la dégradation de l'environnement et le déni des droits des autochtones risque de se heurter à une résistance beaucoup plus forte à mesure qu'elle prendra de l'ampleur et que ses effets s'intensifieront. Il suffit de se rappeler la résistance massive menée par les autochtones en 2020 en réponse aux attaques de la GRC contre les camps de défenseurs des terres Wet'suwet'en. Les perturbations économiques résultant de cette lutte ont provoqué une crise politique pour le gouvernement fédéral de l'époque.

Les travailleurs et travailleuses du secteur public

Il est évident que les mesures d'austérité sévères de Carney et l'érosion supplémentaire des services publics qu'elles entraînent s'accompagneront inévitablement d'une attaque massive contre les travailleurs et travailleuses du secteur public. Cette attaque s'étendra certainement au-delà de la juridiction fédérale et intensifiera la pression sur les travailleuses et travailleurs provinciaux et municipaux à travers le pays. Tout porte à croire que la guerre lancée par Carney contre les travailleurs et les travailleuses du secteur public et leurs syndicats conduira à des luttes de classe très importantes sur ce front. En effet, des conflits de ce type éclatent déjà.

Comme je l'ai déjà suggéré, le budget fédéral imminent sera probablement un moment décisif dans la mise en œuvre d'une austérité extrême et de coupes sombres dans le secteur public. Carney lui-même n'a fait aucun effort pour dissimuler ses intentions à cet égard et s'en est même vanté.

Dans un article publié le mois dernier dans The Guardian, Leyland Cecco rapporte que Carney a déclaré : « C'est à la fois un budget d'austérité et d'investissement. Et cela est possible si nous faisons preuve de discipline. » Bien sûr, le type d'investissement qu'il a en tête n'a rien à voir avec la satisfaction des besoins des communautés.

En août, Adam D.K. King, du Maple, a mis en garde contre des coupes budgétaires fédérales imminentes d'une ampleur historique, soulignant que « l'AFPC et d'autres syndicats du secteur public fédéral avertissent depuis des mois des conséquences potentiellement catastrophiques du plan proposé par le gouvernement libéral visant à réduire les dépenses de 15 % ».

Des coupes aussi massives entraîneraient d'énormes pertes d'emplois parmi les travailleuses et travailleurs du secteur public fédéral, avec des répercussions sur les travailleuses et travailleurs provinciaux et municipaux, car les autres niveaux de gouvernement réagiraient par des coupes budgétaires. Partout au pays, nous voyons déjà les personnes travaillant dans le secteur public se mobiliser en réponse au programme d'austérité qui leur est imposé.

Malgré les assurances de Carney selon lesquelles il représentera « l'intérêt national », son gouvernement mène actuellement une attaque tous azimuts contre les services postaux et les travailleurs et travailleuses qui les assurent. Comme l'a souligné Dru Oja Jay dans The Breach, « les milliardaires ont tout à gagner à démanteler Postes Canada, et leur rôle caché façonne l'ensemble du combat ». En conséquence, les libéraux ont « annoncé leur intention de supprimer la distribution à domicile... de remplacer les postier·es par des boîtes aux lettres communautaires, d'accélérer les livraisons en recourant à des travailleuses et travailleurs précaires sous-traitants et de céder discrètement les itinéraires rentables à des transporteurs privés ».

Alors que les postier·es poursuivent leur lutte, désormais sous la forme de grèves tournantes, et que d'autres travailleurs et travailleuses du secteur public fédéral se préparent à contester les mesures d'austérité qui se profilent, les travailleuses et travailleurs provinciaux de diverses régions du pays ripostent. C'est le prélude à des batailles plus importantes et plus décisives qui s'annoncent.

Une déclaration publiée le 9 octobre par le Syndicat des employé·es de la fonction publique de l'Ontario (OPSEU) nous informe que « le personnel de soutien à temps plein des 24 collèges de l'Ontario est en grève depuis le 11 septembre 2025, avec la sécurité de l'emploi comme principale revendication ». Les 10 000 travailleuses et travailleurs en grève s'opposent aux « réductions proposées, notamment l'automatisation, l'externalisation et les fusions [afin que] les protections obtenues lors de cette ronde soient déterminantes dans la lutte contre les licenciements futurs ».

Quelque 51 000 enseignant·es sont actuellement en grève en Alberta dans ce que la CBC qualifie de « plus grande grève de l'histoire de la province ». Il est tout à fait clair que cette lutte découle également de l'attaque générale contre les services publics et les travailleuses et travailleurs qui les fournissent. Elle reflète « des préoccupations de longue date, notamment en matière de salaires, de classes surchargées et de manque de soutien aux élèves ayant des besoins complexes ».

Pendant ce temps, en Colombie-Britannique, le Times Colonist a rapporté le 9 octobre que « deux syndicats représentant les professionnel·les et les fonctionnaires de la Colombie-Britannique ont intensifié jeudi leur mouvement de grève qui dure depuis plusieurs semaines, afin d'inclure environ 26 000 employé·es de plus de 20 ministères et sociétés et agences provinciales ». Le BC General Employees' Union (BCGEU) souligne que « les fonctionnaires sont confronté·es à une crise du pouvoir d'achat » et contestent les effets cumulatifs de l'austérité.

Alors que Carney se prépare à intensifier l'attaque d'austérité et les autres éléments de son programme régressif, nous pouvons constater que la résistance est déjà en marche. Les mesures que les libéraux et les autres niveaux de gouvernement chercheront à imposer dans les mois à venir renforceront considérablement la nécessité de riposter.

Les communautés autochtones et les travailleuse et travailleurs du secteur public démontrent déjà les perspectives d'une résistance majeure. Ce qu'il faut toutefois de toute urgence, c'est un effort déterminé pour créer le type de front commun puissant qui puisse aller au-delà des luttes individuelles et construire une résistance unie et coordonnée. Carney et ses acolytes ont élaboré leur plan d'attaque et le moment est venu de préparer une riposte décisive.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Armes, chefs de guerre et terres dévastées : la stratégie d’Israël pour Gaza après la guerre

4 novembre, par Muhammad Shehada — , ,
Dans la bande de Gaza d'après-guerre, Israël soutient quatre milices criminelles principales afin de provoquer le chaos interne, de collecter des renseignements et d'exercer (…)

Dans la bande de Gaza d'après-guerre, Israël soutient quatre milices criminelles principales afin de provoquer le chaos interne, de collecter des renseignements et d'exercer son contrôle.

Tiré de Association France Palestine Solidarité. Photo : Un char de l'armée israélienne pénétrant dans la bande de Gaza lors d'une offensive contre l'enclave, 18 juillet 2014 © Yotam Ronen / Activestills. Publié par The New Arab.

Alors qu'un cessez-le-feu semblait se profiler à Gaza, le chef d'un gang lié à l'État islamique et soutenu par Israël, Yasser Abu Shabab, a exigé une « protection internationale », terrifié à l'idée d'être traduit en justice pour avoir systématiquement pillé l'aide humanitaire, collaboré avec Israël et tué des Palestiniens.

L'armée israélienne avait refusé de permettre à ces gangs criminels de se réfugier en Israël même et voulait les abandonner, jusqu'à ce que Netanyahu parvienne à modifier les lignes de retrait du plan Trump et à garder plus de 58 % de Gaza entre les mains d'Israël.

Abu Shabab a alors continué à bénéficier d'une protection, Israël trouvant utile à cette milice de poursuivre la guerre par d'autres moyens.

Jusqu'à présent, cela a consisté à provoquer des conflits civils, à orchestrer l'effondrement de la société, à mener des assassinats, des opérations d'espionnage, des enlèvements et des opérations de type « coup de poing » sur le terrain, tandis qu'Israël bombardait depuis les airs.

Le bras armé officieux d'Israël dans le génocide de Gaza

Au cours des derniers mois, Israël a encouragé la formation d'autres gangs similaires à celui d'Abu Shabab à Rafah dans le reste de la bande de Gaza. Husam al-Astal à Khan Younis, Ashraf al-Mansi à Beit Lahia dans le nord et Rami Heles dans l'est de Gaza dirigent désormais chacun un groupe financé, armé, hébergé et protégé par Israël dans les 58 % du territoire de Gaza qui sont entièrement dépeuplés et contrôlés par l'armée israélienne.

Ces gangs ne sont pas apparus spontanément. Depuis mai 2024, l'agence israélienne Shin Bet et l'armée israélienne identifient et recrutent des criminels et des fugitifs recherchés par les autorités, en particulier ceux qui se sont échappés de prison après le 7 octobre, comme Abu Shabab.

Israël a artificiellement regroupé ces individus en leur promettant le pouvoir, l'argent, des armes, des véhicules, des maisons et les luxes dont les Gazaouis sont privés, comme la nourriture, l'eau, les cigarettes et les téléphones.

Israël utilise ces gangs à quatre fins principales : provoquer une famine à Gaza en lâchant des militants pour piller 90 % des convois d'aide humanitaire sous la protection de l'armée israélienne ; provoquer l'effondrement de la société, le chaos et l'érosion de l'ordre civil ; mener des opérations pour le compte d'Israël ; et gérer les camps de Rafah dans lesquels Israël voulait parquer toute la population de Gaza.

Le recours à ces gangs permettrait à Israël de maintenir un déni plausible et d'externaliser la responsabilité de la famine ou du chaos à Gaza.

Cette tactique rappelle ce qu'Israël a fait au Liban en 1982, lorsqu'il a créé le groupe proxy de l'Armée du Sud-Liban (ASL) et l'a utilisé pour mener à bien le massacre de Sabra et Chatila, au cours duquel 3 500 Palestiniens ont été massacrés dans deux camps de réfugiés. La SLA s'est effondrée dès le retrait d'Israël du Sud-Liban, et ses membres ont soit fui vers Israël, soit été jugés pour trahison.

Israël a également facilité, de manière active ou passive, l'acheminement d'armes à feu, d'argent liquide, de véhicules et de munitions vers les grands clans de Gaza, dans le cadre d'une tactique simple consistant à diviser pour mieux régner et à épuiser les Palestiniens par des luttes intestines.

Lorsqu'elle quittait une zone pendant la guerre, l'armée israélienne laissait souvent derrière elle les armes à feu des militants du Hamas qu'elle avait tués, afin que les clans les trouvent et les récupèrent. Dans d'autres cas, Israël utilisait des intermédiaires pour fournir directement des armes ou de l'argent à ces clans.

Malgré le refus des clans d'agir en tant que mandataires, Israël pensait que les armer créerait un défi interne pour le Hamas.

La stratégie d'Israël se retourne contre lui

En juin, le journal israélien Yediot Ahronoth a admis que « le pari d'Israël sur la milice Abu Shabab était en train d'échouer ». La taille des gangs reste relativement modeste, quelques centaines de membres au mieux, et un nombre croissant d'entre eux se sont récemment rendus ou agissent désormais comme agents doubles au sein des milices.

Le recours par Israël à des gangs intermédiaires s'est retourné contre lui de deux autres manières cruciales. Premièrement, la popularité du Hamas à Gaza a commencé à remonter après l'émergence d'Abu Shabab et de ses « forces populaires », compte tenu de leur réputation notoire de trafiquants de drogue liés à l'EI et responsables du pillage de la grande majorité de l'aide humanitaire.

La crainte des gangs criminels et des collaborateurs qui dirigent Gaza a créé un effet de ralliement autour du drapeau qui a joué en faveur du Hamas, car celui-ci avait mis en place une « unité Arrow » chargée de traquer les membres des gangs.

La répression sécuritaire lancée par le Hamas après le cessez-le-feu vise à renforcer encore la popularité du groupe en se vengeant de ces gangs et en rétablissant la sécurité et l'ordre public.

Deuxièmement, ces derniers jours, le Hamas a confisqué des centaines d'armes à feu, des dizaines de véhicules et d'autres munitions, en plus des sommes importantes que l'Israël avait données aux gangs, aux clans, aux criminels et aux collaborateurs de Gaza. Cela a conduit la chaîne israélienne Channel 12 à admettre qu'Israël aidait involontairement le Hamas à regagner en puissance.

Le projet d'Israël pour les gangs

Dès l'annonce du cessez-le-feu, le Hamas a lancé une campagne visant à désarmer et démanteler différentes milices autour de l'enclave, mais les quatre principaux gangs israéliens ont tous été déplacés derrière la ligne jaune qui coupe Gaza en deux.

Tout Palestinien qui tente de franchir cette ligne est abattu par Israël à vue, et les médias israéliens admettent ouvertement que l'armée « garde » et protège ces gangs dans une « zone d'extermination » dépeuplée.

Ce n'est pas par loyauté ou par générosité qu'Israël consacre ses ressources militaires à la protection d'un groupe de hors-la-loi, de fugitifs et de collaborateurs. C'est plutôt parce que ces gangs sont encore utiles aux objectifs d'Israël.

Depuis le cessez-le-feu, Israël utilise ses gangs pour atteindre des zones de Gaza inaccessibles à l'armée, afin de recueillir des renseignements, de recruter davantage de collaborateurs et, surtout, de mener des assassinats et d'autres attaques avant de retourner dans la zone tampon. Cette réalité a été mise en évidence avec l'enlèvement et le meurtre de Saleh Jafarawi, un éminent militant gazaoui.

Depuis le début du cessez-le-feu, Israël utilise également les gangs pour alimenter le discours sur la guerre civile, qui présente les Palestiniens comme incapables de se gouverner eux-mêmes et nécessitant une intervention extérieure, afin de justifier la reprise des bombardements israéliens sous prétexte de « protéger les Gazaouis du Hamas ».

Israël pourrait également utiliser ses gangs pour mener une opération sous fausse bannière afin de justifier la reprise du génocide à pleine puissance. L'ancien officier du Mossad, Avner Avraham, a récemment déclaré que « l'idée créative » d'Israël pour faire échouer le cessez-le-feu pourrait être « que notre peuple envoie des missiles depuis l'intérieur [de Gaza] et que nous disions alors « oh, il y a un missile qui vient de Gaza », ce qui nous permettrait de [riposter] ». Il a ajouté : « Nous allons effacer Gaza ».

Enfin, Israël utilise désormais les gangs pour contourner la pression visant à reconstruire Gaza. Le gouvernement israélien a réussi à convaincre l'administration Trump que la reconstruction de l'enclave ne devait être effectuée que dans les 58 % contrôlés par Israël.

Mais ces zones sont entièrement dépeuplées, à l'exception de quelques centaines de membres de gangs et de leurs familles. Aucun Palestinien n'est autorisé à entrer dans ces zones, alors à qui cette reconstruction sélective et superficielle est-elle destinée ?

Cela signifie qu'Israël a l'intention de construire un village Potemkine, une façade extérieure pour faire croire au monde que la situation est meilleure qu'elle ne l'est en réalité, puis de l'utiliser comme prétexte pour justifier pourquoi deux millions de personnes devraient rester enfermées dans une zone inhabitable et régulièrement bombardées par les airs et attaquées au sol par des gangs.

Le Myanmar a utilisé une astuce similaire en 2023 pour blanchir son génocide des Rohingyas. Le gouvernement birman a construit deux « villages modèles » pour 314 familles rohingyas, avec de minuscules habitations dépourvues de salles de bain, de cuisines ou de moyens d'approvisionnement alimentaire, simplement pour dissimuler ses atrocités. Pendant ce temps, plus d'un million de Rohingyas sont toujours réfugiés au Bangladesh et dans les pays voisins.

Israël présentera le village d'Abu Shabab comme la preuve qu'il « aide les Gazaouis » et n'empêche pas la reconstruction, tout en rejetant la responsabilité des conditions de vie invivables qu'il impose à deux millions de Palestiniens enfermés dans l'autre moitié rasée de Gaza.

Israël ne se contente pas de mener une guerre, il met en scène un spectacle pour le monde entier, où des collaborateurs se font passer pour des leaders communautaires et où des villes fantômes sont présentées comme des « reconstructions ».

Derrière les barbelés et la propagande se cache une innovation sinistre dans la violence coloniale : la domination par procuration, la ruine par conception. Les gangs portent peut-être des keffiehs et des cartes d'identité palestiniennes, mais ils opèrent comme le bras armé officieux d'Israël, chargés non pas de gouverner, mais de rendre impossible la gouvernance et la cohésion sociale.

Si le monde adhère à cette illusion, il ne trahira pas seulement Gaza, il récompensera un plan de génocide qui cache sa main derrière des collaborateurs et des façades en béton.

Muhammad Shehada est un écrivain et analyste palestinien originaire de Gaza et responsable des affaires européennes chez Euro-Med Human Rights Monitor.

Traduction : AFPS

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les États-Unis se préparent à la guerre contre le Venezuela

4 novembre, par Dan La Botz — , ,
Alors que le président Donald Trump affirme que l'objectif de son gouvernement est d'empêcher l'arrivée de drogues vénézuéliennes sur le territoire américain, des responsables (…)

Alors que le président Donald Trump affirme que l'objectif de son gouvernement est d'empêcher l'arrivée de drogues vénézuéliennes sur le territoire américain, des responsables états-uniens ont reconnu en privé que le secrétaire d'État Marco Rubio prévoit de renverser le président vénézuélien Nicolás Maduro.

Hebdo L'Anticapitaliste - 773 (30/10/2025)

Par Dan La Botz

Crédit Photo
Creative Commons / Fibonacci Blue

Cette stratégie s'inscrit dans la volonté de Trump de réaffirmer la domination des États-Unis sur l'Amérique latine, comme ce fut le cas au 19ᵉ siècle par la « diplomatie de la canonnière » ou au 20ᵉ siècle par l'installation de gouvernements amis.

Le prétexte de la drogue

Les préparatifs de guerre ont commencé début septembre par des attaques contre de petites embarcations. Trump prétend qu'il s'agissait de bateaux transportant de la drogue, bien qu'aucune preuve n'ait été fournie. Au total, au 26 octobre, les forces américaines ont détruit dix bateaux et tué quarante-trois personnes dans les eaux internationales de la mer des Caraïbes et de l'océan Pacifique.

L'administration Trump soutient que ces actions relèvent de la légitime défense nationale, au motif que des drogues comme le fentanyl tuent des dizaines de milliers d'AméricainEs. Pourtant, le Venezuela n'est ni un producteur significatif de fentanyl ni un fournisseur majeur de cocaïne. De nombreux juristes considèrent ces exécutions extrajudiciaires comme de simples meurtres commis en haute mer.

Le 2 octobre 2025, l'administration Trump a classé plusieurs cartels latino-américains comme « organisations terroristes étrangères » et « combattants illégaux », affirmant que leurs activités constituaient une « attaque armée contre les États-Unis ».

Le gouvernement américain prétend que Maduro contrôle le Cartel de los Soles, l'organisation criminelle responsable du trafic de drogue. « De la même manière qu'Al-Qaïda a mené la guerre contre notre patrie, ces cartels mènent la guerre contre notre frontière et notre peuple », a déclaré le secrétaire à la Défense Pete Hegseth.

Des démocrates et certains républicains ont critiqué l'opération. Le sénateur Jack Reed, du Rhode Island, a rappelé que l'armée n'a pas le mandat de « traquer des criminels présumés pour les exécuter sans procès ». D'autres ont suggéré que, s'il est sérieux, Trump devrait demander une déclaration de guerre — ce qu'il refuse de faire.

Le véritable objectif : un coup d'État contre Maduro

Le véritable objectif des États-Unis est le renversement de Maduro. La volonté d'éliminer son gouvernement vient de Marco Rubio, homme politique cubano-américain originaire de Miami et ancien sénateur de Floride. Le 7 août, Washington a offert une prime de 50 millions de dollars pour toute information menant à l'arrestation ou à la condamnation du président vénézuélien, une mesure clairement destinée à encourager un coup d'État.

À la mi-octobre, Trump a autorisé la CIA à mener des opérations secrètes au Venezuela tandis que, dans le même temps, des bombardiers B-52 ont commencé à survoler la côte vénézuélienne.

Les États-Unis disposent d'environ 10 000 soldats et de nombreux avions militaires dans les Caraïbes. Depuis plusieurs années, plusieurs navires de guerre, dont des destroyers équipés de missiles guidés, y sont stationnés.

Trump envoie désormais le porte-avions Gerald Ford, le plus grand navire de guerre du monde, en direction du Venezuela, accompagné de cinq destroyers, d'un croiseur et d'un sous-marin. Le Ford transporte environ 75 avions de combat et un équipage de 4 500 personnes. Un tel déploiement de puissance militaire ne vise évidemment pas l'interdiction du trafic de drogue, mais bien la préparation d'une attaque contre le Venezuela.

Il est peu probable que les troupes américaines se battent au sol ; Trump devrait plutôt suivre l'exemple du dictateur russe Vladimir Poutine en utilisant l'artillerie et les bombardements pour détruire les bases militaires, terroriser et démoraliser la population — dans l'objectif de provoquer un coup d'État.

Trump s'était présenté comme un opposant aux guerres extérieures et aux changements de régime, mais désormais, celui qui se proclame « président de la paix » s'apprête à faire la guerre. Il semble que l'impérialisme américain en Amérique latine soit bel et bien de retour — en force.

Par Dan La Botz

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Climat : les ultrariches brûlent la planète à un rythme vertigineux

4 novembre, par Oxfam-Québec — ,
Le 28 octobre 2025 — Un individu appartenant aux 0,1 % les plus riches émet plus de CO₂ en une seule journée qu'une personne faisant partie des 50 % les plus pauvres en une (…)

Le 28 octobre 2025 — Un individu appartenant aux 0,1 % les plus riches émet plus de CO₂ en une seule journée qu'une personne faisant partie des 50 % les plus pauvres en une année entière.

Une nouvelle étude d'Oxfam dévoilée à l'approche de la COP30 à Belém, au Brésil, montre que le mode de vie à forte empreinte carbone des ultrariches épuise le budget carbone restant de la planète, c'est-à-dire la quantité de CO₂ qui peut être émise tout en évitant une catastrophe climatique.

Le rapport Main basse sur le climat : comment une poignée de puissant·es précipitent le monde vers la catastrophe révèle aussi que :

* Si tout le monde polluait autant que les 0,1 % les plus riches, le budget carbone mondial serait épuisé en moins de trois semaines.

* Depuis 1990, la part des émissions mondiales des 0,1 % les plus riches a augmenté de 32 %, tandis que celle de la moitié la plus pauvre de l'humanité a diminué de 3 %.

* Chaque jour, une personne parmi les 0,1 % les plus riches émet plus de 800 kg de CO₂, un poids que même l'homme le plus fort du monde ne pourrait soulever. À l'inverse, une personne parmi les 50 % les plus pauvres émet en moyenne 2 kg de CO₂ par jour – un poids qu'un enfant peut porter.

* Pour respecter l'objectif de contenir le réchauffement de la planète à +1,5°C, les plus riches devraient réduire leurs émissions individuelles de 99 % d'ici 2030.

L'impact des ultrariches ne s'arrête pas à leur mode de vie : les milliardaires investissent massivement dans les entreprises les plus polluantes. En moyenne, un milliardaire génère 1,9 million de tonnes de CO₂ par an par ses investissements, l'équivalent de 10 000 tours du monde en jet privé. Près de 60 % des placements des milliardaires se trouvent dans des secteurs à fort impact climatique, comme le pétrole ou les mines, avec des émissions 2,5 fois supérieures à celles d'un portefeuille moyen. Les investissements de seulement 308 milliardaires génèrent une empreinte carbone qui dépasse celle de 118 pays réunis.

« La crise climatique est avant tout une crise des inégalités : les plus riches financent la destruction du climat et en tirent profit pendant que la majorité mondiale en subit les conséquences », souligne Amitabh Behar, directeur général d'Oxfam International.

La fortune des ultrariches leur donne un pouvoir démesuré sur les politiques climatiques. À la COP29, 1 773 lobbyistes des énergies fossiles ont obtenu des accréditations. C'est plus que les dix pays les plus vulnérables au risque climatique réunis. Dans plusieurs pays riches, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la France ou l'Allemagne, les lois climatiques ont été affaiblies par des lobbys anti-climat aux moyens financiers démesurés.

« C'est une aberration qu'autant de pouvoir et de richesse aient été concentrés entre les mains de quelques personnes qui ne font que renforcer leur emprise et nous embarquer collectivement dans une trajectoire de destruction planétaire. Les ultrariches et les entreprises qu'ils dirigent ont un passif accablant : financement de lobbys, diffusion de désinformation climatique et poursuites judiciaires contre les ONG et les gouvernements qui tentent de leur résister. Il est urgent de briser leur emprise sur les politiques climatiques en taxant leur richesse extrême, en interdisant leur lobbying, et en plaçant les personnes les plus touchées par la crise climatique au cœur des décisions », plaide Amitabh Behar.

Les émissions des personnes formant le 1 % le plus riche pourraient provoquer 1,3 million de décès liés à la chaleur d'ici la fin du siècle, et causer 44 000 milliards de dollars de pertes économiques dans les pays à revenu faible ou intermédiaire d'ici 2050. Les femmes, les filles, les peuples autochtones et les populations du Sud global seront les plus durement touchés.

Oxfam appelle les gouvernements à :

* Faire payer les plus gros pollueurs : taxer la richesse extrême, imposer les profits excessifs des entreprises fossiles, et soutenir la Convention des Nations unies sur la coopération fiscale internationale. Une taxe de 60 % sur les revenus des 1 % les plus riches permettrait ainsi de générer 6 400 milliards de dollars.

* Réduire leur influence politique et économique : interdire la participation des entreprises fossiles aux négociations climatiques, renforcer les régulations sur les entreprises et institutions financières, et rejeter les accords commerciaux comme l'ISDS (le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, qui permet aux entreprises d'attaquer un État devant un tribunal arbitral international) qui placent les intérêts privés au-dessus du bien commun.

* Renforcer la voix de la société civile et des peuples autochtones dans les négociations climatiques.

* Adopter une répartition équitable du budget carbone : chaque pays doit contribuer à la hauteur de sa responsabilité historique dans la crise climatique et de sa capacité à agir, avec un engagement fort des pays riches en matière de financement climatique.

* Construire une économie équitable et durable, en tournant le dos au néolibéralisme et en plaçant les personnes et la planète au cœur du système économique.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La petite victoire ou la grande ? 30 octobre, trentième anniversaire du deuxième référendum. 1995

4 novembre, par Mohamed Lotfi — , ,
J'étais là ce 30 octobre 1995, au bar le Medelley, coin St Denis et René Lévesque. Je regardais Dédé et ses Colocs sur scène, chanter de toute son âme un échec qui ressemblait (…)

J'étais là ce 30 octobre 1995, au bar le Medelley, coin St Denis et René Lévesque. Je regardais Dédé et ses Colocs sur scène, chanter de toute son âme un échec qui ressemblait à une victoire, et rien, absolument rien, dans son visage n'exprimait la fin d'un rêve.

Il y avait dans l'air une densité presque physique, une tension sourde, une fraternité spontanée. Comme si, malgré la minceur du résultat, malgré la stupeur, malgré la fatigue du combat, ce soir là refusait obstinément de s'incliner devant la défaite. On aurait dit que la musique de Dédé rallumait, ne serait ce qu'un instant, les braises d'un pays qui n'avait peut être pas encore dit son dernier mot

Trente ans déjà que le Québec a retenu son souffle, ce soir de 1995, lorsque les chiffres, venaient heurter ou ranimer l'espoir d'un pays à naître. Le 30 octobre demeure une date à la fois lumineuse et ombrageuse, une balafre dans la mémoire collective, mais aussi un rappel que l'histoire, parfois, passe si près de bifurquer que le simple souffle des citoyens semble peser plus lourd que les institutions elles-mêmes. Ce soir-là, rappelons-le sobrement, près de 93,5 pour cent des électeurs inscrits se sont rendus aux urnes, un taux de participation exceptionnel, presque unique dans les démocraties occidentales. Le Oui, avec ses 49,42 pour cent, n'a échoué que d'un demi-point. Une marge si mince qu'elle continue d'alimenter, trois décennies plus tard, autant les regrets que l'entêtement à croire qu'un troisième rendez-vous finira par renverser la logique.

Tôt ou tard, un autre référendum sur la souveraineté aura lieu. Les nations en devenir, comme les courants profonds, obéissent à des mouvements plus vastes que les contingences partisanes. Un troisième référendum, oui, et comme l'écrivait Miron « Ça ne peut pas ne pas toujours arriver ». On peut s'attarder aux sondages, aux cycles politiques, aux lassitudes de l'électorat, tout semble parfois indiquer qu'un troisième échec serait programmé, presque mécanique, pourtant l'histoire n'est jamais un calcul linéaire. Les référendums de 1980 et de 1995 en témoignent, le premier s'étant soldé par un clair refus, 59,56 pour cent pour le Non, le second ayant frôlé l'inverse quinze ans plus tard. Entre ces deux moments, le pays projeté de René Lévesque avait gagné en chair, en voix, en légitimité. Les sociétés changent, les populations se renouvellent, les aspirations se recomposent, et rien ne permet d'affirmer que la trajectoire est immobile.

Les souverainistes pur et durs aiment dire, parfois mi-rieurs, que jamais deux sans trois, mais plus encore, jamais deux échecs sans une troisième victoire. Cette formule, qui pourrait n'être qu'un slogan, traduit pourtant une conviction intime, presque géologique, que la souveraineté demeure l'horizon naturel du Québec. Elle révèle aussi une lucidité, car entre la petite et la grande victoire, la nuance est immense. Une victoire à 50 pour cent plus 1 serait juridiquement valable, bien sûr, mais politiquement fragile, exposée à toutes les contestations, vulnérable à tous les vents contraires. Ce serait une victoire essentiellement arithmétique, une porte ouverte, mais non un passage assumé.

La grande victoire, celle que plusieurs espèrent, exige une amplitude morale autant que numérique. Entre 55 et 60 pour cent, ce serait une adhésion claire, une parole collective forte, un signal que la société québécoise, dans sa diversité contemporaine, se reconnaît dans le projet d'un pays à elle. Et si une telle majorité advenait, elle signifierait inévitablement que les Québécois issus de l'immigration, aujourd'hui environ 15 pour cent de la population, auraient joué un rôle déterminant. Cela voudrait dire que le Québec a su convaincre, rassurer, inclure, que la souveraineté cesse d'être perçue comme le patrimoine exclusif des identitaires, souvent associés à la droite, pour devenir un dessein partagé, porté aussi par les progressistes, par les mouvements de gauche, par ceux qui refusent de laisser le projet national être rétréci, détourné, annexé par une seule sensibilité politique.

Ce serait alors une victoire du Québec pour tous les Québécois, un projet qui ne divise plus entre anciens et nouveaux arrivants, entre identitaires et universalistes, entre mémoire et avenir. Ce serait une victoire capable de réconcilier les héritages, d'élargir l'idée même de nation, sans renier ses racines ni son histoire. Une victoire qui, au lieu de fermer, ouvrirait, qui, au lieu de réduire, amplifierait.

En tant que souverainiste, j'espère évidemment cette victoire, que dis-je, cette grande victoire, celle qui ne laisse pas derrière elle un pays fracturé, mais un pays rassemblé, confiant, décidé. Une victoire qui ne se contente pas de l'arithmétique, mais qui affirme le sens, la direction, la maturité d'un peuple qui, depuis la Conquête de 1760, depuis l'Acte de Québec de 1774, depuis les insurrections de 1837 et 1838, depuis la Révolution tranquille, poursuit obstinément son propre chemin.

Oui à l'indépendance du Québec, oui, mais à condition qu'elle soit un geste de cohésion, un pacte renouvelé, un territoire politique où chacun, peu importe son origine, puisse se reconnaître. Oui à un Québec ouvert, pluriel, confiant. Oui à un Québec pour tous les Québécois.

Je rappelle que je suis né au Maroc, un pays qui a retrouvé son indépendance en 1956 sans passer par l'épreuve d'un référendum. À l'époque, l'aspiration à l'émancipation était si largement partagée que l'on parlait, sans exagération, de 99,9 pour cent de Marocains unis derrière ce désir de souveraineté. Le mot d'ordre des résistants, simple et puissant, résonnait partout, un Maroc pour tous les Marocains.

Mohamed Lotfi
30 Octobre 2025

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Élection municipale 2025 – Qu’est-il permis d’espérer aux travailleuses et travailleurs du grand Montréal ?

4 novembre, par Comité intersyndical du Montréal métropolitain (CIMM) — , ,
Le comité intersyndical du Montréal métropolitain (CIMM) regroupe depuis plus de 50 ans les forces syndicales du Grand Montréal. Ses organisations membres représentent plus de (…)

Le comité intersyndical du Montréal métropolitain (CIMM) regroupe depuis plus de 50 ans les forces syndicales du Grand Montréal. Ses organisations membres représentent plus de 400 000 travailleuses et travailleurs. Le CIMM intervient principalement sur les enjeux syndicaux, mais aussi, sociaux, environnementaux, économiques et politiques.

À l'approche des élections municipales, les syndicalistes du comité intersyndical du Montréal métropolitain (CIMM) s'interrogent sur les véritables engagements et priorités des partis politiques municipaux qui aspirent à diriger la plus grande ville du Québec.

Le CIMM a identifié certaines revendications clés depuis plusieurs années. Il est toutefois regrettable de constater que trop peu de progrès ont été réalisés concernant des enjeux cruciaux pour les Montréalaises et Montréalais.

La question du transport collectif constitue une préoccupation centrale pour les syndicats du CIMM et leurs membres. Alors que de vastes segments du réseau sont aujourd'hui menacés par un sous-financement chronique, il est impératif que tous les partis politiques s'engagent non seulement à assurer sa pérennité, mais aussi à en favoriser le développement, dans une perspective de transition écologique. Il est également essentiel de mettre en œuvre des mesures concrètes visant à garantir l'universalité de l'accès au réseau. Actuellement, les Montréalaises et Montréalais les plus vulnérables sont particulièrement affectés par des tarifs parmi les plus élevés en Amérique du Nord. Certaines municipalités ont déjà instauré une tarification basée sur le revenu des usagers — une initiative que nous saluons et que nous espérons voir son adoption par les candidats à la mairie. Il est maintenant temps de transformer ces engagements en actions concrètes.

En matière d'accessibilité, il est important de souligner que plusieurs personnes en situation de handicap ne peuvent toujours pas accéder à plusieurs quartiers de Montréal, en raison de l'inaccessibilité universelle du réseau de métro. Il est impératif d'adapter l'ensemble des stations afin de garantir un accès équitable à toutes les citoyennes et à tous les citoyens.

De plus, le droit au logement demeure un enjeu crucial pour le CIMM. Il est indécent que le coût moyen d'un loyer ait pratiquement doublé sur l'île de Montréal depuis 2019, alors que les salaires peinent à suivre l'inflation au cours de la même période. La situation est d'autant plus préoccupante que la moitié des citoyennes et citoyens de la grande région métropolitaine sont locataires. Les municipalités disposent pourtant d'outils concrets pour contrer cette tendance. Les partis politiques qui aspirent à gouverner Montréal doivent intégrer dans leur règlementation de zonage des exigences claires en matière de logement social. Les autorités municipales doivent également légiférer pour interdire certains types de location à court terme, comme Airbnb, et exercer leur pouvoir d'acquérir des terrains afin de développer des projets de logements hors marché. Il est désormais évident que le laxisme des gouvernements en matière de droit au logement est responsable de la crise de l'itinérance actuelle. Dans ce contexte, le minimum attendu envers les populations marginalisées serait une approche beaucoup moins répressive. Le CIMM dénonce fermement les politiques électoralistes qui exploitent le sentiment d'insécurité d'une partie de la population pour justifier l'intolérance et la répression. Le démantèlement des campements est un exemple flagrant et inacceptable.

Finalement, parmi les points soulevés par le CIMM aux élus municipaux au cours des dernières années, figure la question du racisme systémique. La Ville doit prendre des engagements concrets afin que l'institution qu'elle représente cesse de reproduire et de perpétuer des formes de discrimination. Les représentants du CIMM l'ont déjà affirmé : reconnaître l'existence du racisme systémique est une étape nécessaire, mais insuffisante. Il faut surtout agir, notamment en mettant fin aux interpellations policières arbitraires et injustifiées, et en réorientant les budgets vers des programmes sociaux axés sur la prévention, l'accompagnement et le soutien communautaire des personnes précarisées.

Nous ne pouvons interpeller nos concitoyens qui aspirent à gouverner notre métropole sans exprimer notre vive inquiétude quant au respect du droit de manifester — un droit fondamental inhérent au mouvement syndical et ouvrier, tout comme à l'ensemble des groupes sociaux qui aspirent à une société plus juste.

Nous comptons sur la prochaine administration pour redonner un peu d'espoir et de justice dans un monde qui en a cruellement de besoin !

Laurent Thivierge
CIMM

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

États généraux québécois de la solidarité internationale Déclaration d’engagement

4 novembre, par Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) — , ,
La Déclaration a été adoptée dans le cadre du Grand rendez-vous des États généraux québécois de la solidarité internationale du 4 au 6 juin 2025. Contexte Au cours des (…)

La Déclaration a été adoptée dans le cadre du Grand rendez-vous des États généraux québécois de la solidarité internationale du 4 au 6 juin 2025.

Contexte

Au cours des deux dernières décennies, le domaine de la solidarité internationale a connu des transformations majeures. Une approche plus décoloniale, antiraciste et intersectionnelle s'est développée, remettant en question les dynamiques de pouvoir historiques et contemporaines. La prise en compte des enjeux environnementaux et climatiques occupe désormais une place centrale et urgente dans un contexte mondial où la justice sociale et la résilience sont devenues indissociables des actions de solidarité.

Parallèlement, les défis globaux se sont amplifiés, avec la montée des inégalités, des conflits et des crises humanitaires. Cette période est également marquée par une crise persistante du financement de l'aide internationale, illustrée notamment par le démantèlement historique de USAID, menaçant la capacité des organisations à répondre aux besoins les plus urgents. À cela s'ajoute un désengagement préoccupant de plusieurs partis politiques et gouvernements qui refusent de reconnaître leur responsabilité différenciée face aux inégalités croissantes et à la crise climatique et environnementale. Cette situation a pour effet de reléguer la solidarité internationale au second plan, malgré l'ampleur des défis globaux. La polarisation, le populisme d'extrême droite et l'autoritarisme gagnent du terrain, tandis que l'empathie semble en perdre. Les attaques envers les droits des groupes historiquement ou socialement marginalisés et opprimés*, en particulier les droits des femmes, se multiplient. Ce contexte est favorable à l'intensification des crises humanitaires complexes et interconnectées. Le monde économique et le milieu des affaires sont en transformation et disposent même du pouvoir de remettre en question les engagements sociaux et climatiques. Les technologies, incluant l'intelligence artificielle, présentent à la fois des menaces et des opportunités.

Dans ce contexte de mutation, la solidarité internationale doit non seulement s'adapter, se réinventer et innover mais aussi être au cœur des solutions à bâtir.

C'est dans ce contexte que les 2e États généraux québécois de la solidarité internationale ont été lancés en 2024 par l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), avec pour objectif de réaffirmer la place de la solidarité internationale face aux grands enjeux mondiaux.

Cette déclaration se veut un engagement renouvelé en faveur de la solidarité internationale pour les groupes de la société civile québécoise afin d'inspirer des actions collectives, des changements organisationnels, le renforcement de collaborations et le développement de nouvelles alliances.

* Voici une liste plus détaillée mais non limitative des groupes historiquement ou socialement marginalisés ou opprimés : femmes et filles, personnes racisées, minorités ethniques, personnes en situation de handicap, peuples autochtones et afrodescendants, paysannerie, classe ouvrière, personnes 2ELGBTQIA+, minorités religieuses, minorités linguistiques, personnes réfugiées et migrantes.

Vision partagée

Notre vision commune s'ancre dans l'espoir d'un monde plus juste, inclusif, solidaire et respectueux de l'environnement et de la nature, où la solidarité internationale est indissociable des luttes contre les inégalités, les oppressions et la pauvreté. Elle est fondée sur des valeurs féministes, antiracistes, pacifistes, écologistes, d'équité, d'inclusion, de diversité et d'émancipation.

Notre vision partagée s'appuie sur la nécessité de décoloniser les savoirs et les pratiques, en valorisant les expériences et les luttes portées par la diversité des groupes, en particulier ceux historiquement marginalisés ou opprimés.

Elle repose aussi sur une analyse féministe et intersectionnelle, qui permet de comprendre comment les différentes formes d'oppressions systémiques comme le racisme, le capacitisme, le classisme, l'homophobie, l'hétéronormativité, la transphobie, le sexisme, le cissexisme, l'âgisme et les discriminations religieuses peuvent se croiser, se renforcer mutuellement et produire des formes spécifiques d'exclusion souvent invisibilisées.

Les savoirs endogènes et traditionnels ne doivent pas seulement être reconnus, mais ils doivent également guider les actions et nourrir la co-construction des connaissances. Les rapports de pouvoir inégaux doivent céder la place à des partenariats équitables et horizontaux, fondés sur la réciprocité.

Face au recul des droits humains*, nous réaffirmons l'importance des droits de la personne et des droits collectifs, et la nécessité de travailler pour le respect des droits des minorités et des populations vulnérabilisées dans un contexte mondial marqué par des crises interconnectées (écologique, politique, économique, sociale).

La criminalisation croissante des défenseur·es des droits, la montée de l'autoritarisme et le rétrécissement des espaces démocratiques appellent à une mobilisation collective pour défendre la justice, la participation citoyenne, la liberté de parole et la liberté d'agir.

La lutte contre les effets concrets des inégalités économiques – issues de systèmes d'oppression structurels et des dynamiques de la mondialisation – est également au cœur de notre vision. Face à la domination du capitalisme qui fait primer l'économie sur les aspects sociaux et environnementaux, nous prônons une approche plus juste, durable et humaine. Seule une réinvention de nos modèles économiques et sociaux permettra de relever ces défis majeurs pour l'avenir de notre planète et de l'humanité.

Nous croyons en la force des réseaux et des alliances, capables de décloisonner la solidarité internationale et de montrer l'interconnexion entre les enjeux et luttes vécus au Québec et globalement.

En créant des espaces de partage, de mobilisation et de convergence, nous entendons renforcer les liens avec d'autres mouvements qui partagent nos valeurs, comme les mouvements féministes, paysans, syndicaux, antiracistes, en lutte contre la pauvreté, pour la justice climatique, autochtones, en soutien aux personnes migrantes, aux personnes en situation de handicap et aux communautés 2ELGBTQIA+.

Dans un monde incertain et instable, il est essentiel d'unir nos forces pour accroître la portée, l'impact et le pouvoir transformateur de la solidarité et de l'action collective. Nous croyons également en l'importance et la nécessité d'engager un dialogue ouvert et respectueux avec des groupes et des personnes qui ont des perspectives différentes afin d'apprendre, mieux se comprendre et trouver les points communs qui pourraient nous unir plutôt que de nous diviser.

Nous reconnaissons les diasporas comme des partenaires essentiels pour renforcer l'impact et l'efficacité des actions de la solidarité internationale. Fortes de leur double ancrage dans les sociétés d'accueil et les pays d'origine, de leur expertise interculturelle, de leur influence ainsi que de leurs réseaux transnationaux, une synergie d'action avec les diasporas constitue une opportunité d'accroître la portée et la durabilité de nos interventions collectives.

* Les droits humains englobent notamment les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels (droit à l'éducation, à la santé, au travail, à un niveau de vie décent, au logement, à la protection sociale), les droits environnementaux et climatiques, les droits reproductifs, les droits des peuples autochtones, les droits des femmes, des enfants, des personnes 2ELGBTQIA+, des personnes en situation de handicap, des personnes migrantes et réfugiées et sans statut ainsi que les droits collectifs à l'autodétermination, à la souveraineté territoriale et culturelle.

Engagements*

Nous affirmons que la solidarité internationale doit être indissociable des luttes contre toutes les formes d'inégalités, d'oppressions et d'injustices.

Nous, les groupes de la société civile québécoise et de divers mouvements sociaux, nous nous engageons à :

Poursuivre et approfondir la décolonisation de nos pratiques et de nos savoirs en contribuant au pouvoir d'agir et d'influence des communautés historiquement marginalisées ou opprimées, en appuyant leurs luttes, en valorisant les propositions qu'elles mettent de l'avant, en posant un regard critique sur les discours dominants et en contribuant, avec nos partenaires, à la coconstruction de rapports sociaux solidaires et décolonisés.

Affirmer la primauté du droit international, de l'État de droit et du respect des droits humains en soutenant activement les défenseur·es des droits et en s'opposant à tout recul, notamment en ce qui concerne les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, avec une attention particulière portée aux groupes historiquement opprimés et marginalisés.

Développer, approfondir et appliquer une analyse féministe des causes d'oppression, créer des espaces de dialogue sur nos approches féministes et améliorer nos pratiques internes, dans une approche transversale et intersectionnelle.

Réaffirmer notre engagement envers la justice, l'équité, la diversité et l'inclusion (JEDI) ainsi que les approches anti-oppressives, notamment en soutenant activement les luttes antiracistes, les droits des personnes en situation de handicap et des minorités de genre et en renforçant nos pratiques organisationnelles pour les rendre plus justes, accessibles et inclusives.

Adopter une posture anti-impérialiste, antimilitariste et de résistance face à l'augmentation des dépenses militaires et à la valorisation de la violence, défendre le droit international comme fondement de la paix en reconnaissant que la justice et l'égalité sont essentielles pour atteindre une paix durable fondée sur la justice, l'égalité et la reconnaissance des droits des peuples, tout en renforçant le pouvoir d'agir des groupes historiquement marginalisés ou opprimés. Accroître le plaidoyer pour le respect du droit des peuples autochtones à l'autodétermination et appuyer les processus de paix menés par les communautés et mouvements porteurs d'alternatives émancipatrices.

Poursuivre et renforcer nos actions et nos plaidoyers en faveur de la justice climatique et environnementale, la protection de la biodiversité et de la transition juste et inclusive vers des énergies renouvelables, auprès notamment des gouvernements canadien et québécois et des entreprises transnationales, en collaboration avec nos partenaires internationaux et pour amplifier les voix des communautés les plus affectées.

Devenir de meilleur·es allié·es des peuples et nations autochtones en allant à leur rencontre, en nourrissant des relations réciproques, en appuyant leurs luttes et revendications, incluant la reconnaissance de leurs territoires, de leur autonomie politique, de leurs droits ancestraux et, d'autre part, valoriser et s'inspirer de leurs savoirs, de leurs modèles d'organisation sociale et de leurs visions des rapports sociaux et des liens avec la Terre-Mère.

Appuyer des initiatives et pratiques qui incluent réellement les personnes réfugiées, immigrantes et sans statut, en concertation avec le milieu communautaire de l'immigration et en tenant compte de leurs expériences et de leurs défis. Ces actions incluent également un travail de plaidoyer pour l'accès aux droits et aux ressources nécessaires à une intégration digne, qui valorise leur participation active et diffuse un narratif inclusif et juste sur leur contribution à la société.

Poursuivre et améliorer la mise en place de programmes de valorisation des savoirs et de renforcement du pouvoir d'agir qui visent l'autonomisation durable des différents acteur·trices à travers notamment des partenariats structurants et inclusifs avec pour objectifs d'accroître l'impact des initiatives sur le long terme, de renforcer la résilience des communautés et d'encourager une collaboration étroite entre les organisations de la société civile, les diasporas, les institutions publiques et privées.

Travailler à la souveraineté alimentaire et l'agroécologie en les intégrant dans nos programmes et en menant un plaidoyer collectif et structuré auprès des instances politiques nationales et internationales afin d'adopter de nouvelles politiques publiques.

Exiger la mise en place de cadres juridiques contraignants au Canada et au niveau international pour prévenir les abus de droits humains et les dommages environnementaux causés par les entreprises transnationales – en particulier les entreprises canadiennes et de l'industrie extractive – et pour offrir des voies de recours aux communautés affectées.

Renforcer les liens entre les luttes locales et internationales pour les droits des travailleur·euses en approfondissant les alliances entre les syndicats québécois et avec les organismes communautaires afin de faire converger nos actions et d'amplifier notre mobilisation pour la justice sociale.

Renforcer les liens, la concertation et la collaboration avec les Québécois·es des diasporas afin de construire une voix collective forte, porteuse de leurs aspirations, capable d'amplifier l'impact des actions menées et de défendre des positions communes face aux grands enjeux mondiaux.

Encourager l'éducation à la citoyenneté mondiale en menant des actions de sensibilisation, de formation, de recherche, de mobilisation et de plaidoyer sur les enjeux mondiaux ancrés dans des approches décoloniales, antiracistes et féministes, afin de promouvoir l'esprit critique, l'ouverture à l'autre, la gouvernance inclusive, la protection de notre planète, le dialogue démocratique et les valeurs de justice et de solidarité, tout en consolidant une participation citoyenne active, éclairée et engagée.

Bâtir des ponts et renforcer les alliances intersectorielles, en favorisant les collaborations entre mouvements sociaux, diasporas, milieux cégépiens et universitaires, organisations de la société civile, groupes autochtones, entreprises d'économie sociale et des acteur·trices non traditionnel·les, tant au Québec qu'à l'international, pour contribuer au dialogue social afin de coconstruire des savoirs critiques, des perspectives partagées et des stratégies de plaidoyer ancrées dans une vision commune de transformation sociale.

Favoriser un accès à une éducation transformatrice, émancipatrice, civique, et de qualité en tant que droit fondamental en soutenant des initiatives qui développent l'esprit critique, le sens du bien commun et la conscience des interdépendances mondiales, comme leviers essentiels pour prévenir les conflits, promouvoir la cohésion sociale et contribuer durablement à la construction de sociétés pacifiques, justes et inclusives, tout en s'attaquant aux obstacles systémiques qui limitent l'accès à une telle éducation dans plusieurs milieux.

Contribuer aux initiatives visant à réinventer les modèles économiques en s'inspirant notamment de l'économie des soins**, de l'économie sociale et solidaire, de la démocratisation de l'économie et de la protection du vivant.
Exiger une plus grande justice fiscale pour abolir les paradis fiscaux et s'assurer que les plus riches contribuent leur juste part afin d'assurer le financement, l'accessibilité et la qualité des services et des biens publics.

Agir pour la santé en tant que droit fondamental, notamment pour la santé sexuelle et les droits reproductifs, en soutenant des initiatives locales et internationales qui promeuvent l'accès à des services de santé de qualité, sûrs et accessibles, tout en luttant activement contre les violences basées sur le genre.

Agir pour le respect et la promotion des droits des femmes et filles et à leur participation pleine et entière aux espaces décisionnels.

Faciliter des espaces de rencontre intergénérationnels et de dialogue entre les jeunes du Québec et ceux·celles d'autres pays pour favoriser la compréhension mutuelle et la solidarité, leur offrir des occasions de s'impliquer concrètement dans des initiatives de solidarité internationale et donner une place aux jeunes dans les espaces décisionnels pour que les voix soient entendues et qu'ils puissent influencer les politiques en matière de solidarité internationale.

Développer des partenariats technologiques sécuritaires, décoloniaux et socialement responsables, tout en adoptant une posture de vigilance face aux biais, aux impacts systémiques et aux dérives du technojovialisme***. Placer les droits humains, la sécurité en ligne, la justice sociale et les savoirs communautaires au cœur des choix technologiques afin de promouvoir un accès équitable, éthique et critique aux technologies numériques, y compris à l'intelligence artificielle, afin de réduire la fracture numérique, de garantir une participation inclusive des communautés et d'éviter l'aggravation des inégalités.

Développer la coopération et des structures de coconstruction entre les acteur·trices de l'économie et de la finance solidaire pour appuyer l'autonomisation économique des communautés. Travailler davantage ensemble, au-delà de nos propres réseaux, pour innover, réfléchir collectivement et adapter les modèles de finance solidaire aux réalités locales, en tirant parti des expériences réussies, notamment celles en partenariat avec le secteur financier local.

S'engager à réfléchir de façon critique et profonde sur nos pratiques et nos programmes à travers des méthodologies collaboratives et un suivi actif afin de nous assurer que nous remplissons effectivement ces engagements.

* Les engagements ne sont pas classés par ordre de priorité ni hiérarchisés.

** Ceci fait référence à care economy en anglais.

*** Attitude naïvement optimiste vis-à-vis des avancées technologiques, considérant qu'elles apporteront automatiquement des solutions aux problèmes sociaux, environnementaux ou économiques, sans remettre en question les rapports de pouvoir, les formes de production, ou les biais systémiques.

Conclusion

L'adoption de cette Déclaration d'engagement est une étape cruciale pour réaffirmer la place centrale de la solidarité internationale face aux grands défis mondiaux. C'est un appel à l'action convergente et un engagement renouvelé en faveur de la solidarité internationale. Ensemble, nous mettrons en œuvre ces engagements au sein de nos organisations et nous nous réunirons pour évaluer régulièrement nos progrès et nos avancées, pour analyser les défis persistants et pour identifier des enjeux émergents.

Guidés par les savoirs et les luttes de nos communautés, nous aspirons à contribuer à la construction d'un monde juste, inclusif et durable. Unissons nos forces pour relever ces défis communs et bâtir ensemble un avenir meilleur pour toutes et tous.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

L’indépendance, dépassée ou pas ?

4 novembre, par Jean-François Delisle — , ,
On parle beaucoup à l'heure actuelle du regain de vigueur souverainiste parce que 38% des jeunes de 18 à 34 ans disent y adhérer, surtout des étudiants et certains artistes. (…)

On parle beaucoup à l'heure actuelle du regain de vigueur souverainiste parce que 38% des jeunes de 18 à 34 ans disent y adhérer, surtout des étudiants et certains artistes.

Ils disposent de porte-paroles enthousiastes souvent présents dans les médias. La poussée du Parti québécois dans les intentions de vote au détriment de la Coalition avenir Québec, du Parti libéral et de Québec solidaire, celle-ci seule autre formation indépendantiste, encourage bien des espoirs à gauche comme à droite. L'indépendance serait-elle enfin à portée de main après les échecs de 1980 et de 1995 ?

En politique cependant, il ne faut surtout pas prendre ses désirs pour la réalité. Québec solidaire en fait l'amère expérience présentement. Sa survie même est menacée. Pire encore, si un référendum se tenait en ce moment, 56% de ses membres voteraient NON à la souveraineté. Du côté péquiste, le tiers de ses électeurs repousseraient cette option. L'idéal indépendantiste ne bénéficie de l'appui que de 35% de l'électorat en général. Pour les souverainistes, il y a donc loin de la coupe aux lèvres. Le Parti québécois avec les 36% d'intentions de vote qu'il récolte est à peine plus populaire que l'option indépendantiste que son chef Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP) veut relancer.

Pour expliquer cet état de fait, on peut invoquer l'évolution générale du contexte politique défavorable aujourd'hui alors qu'il l'était davantage dans les années 1970. On évoque aussi la « quasi victoire » du OUI en 1995 pour se consoler de sa défaite et se convaincre qu'une victoire demeure encore possible. On pense aussi à la résurgence de l'axe gauche droite durant la décennie 2000 avec la fondation en 2006 de Québec solidaire, qui adhérait certes à l'idée de souveraineté mais mettait l'accent sur la critique du néolibéralisme et les réformes sociales. Toutefois, avec la l'intégration d'Option nationale au sein de Québec solidaire (en réalité, une fusion) en décembre 2017, l'indépendantisme s'y affirma davantage.

Mais pour mieux comprendre la stagnation du courant souverainiste dans l'opinion publique depuis 1995, il faut remonter assez loin en arrière. Il s'agit de l'attitude ambivalente de la direction péquiste à l'endroit de la raison d'être du Parti québécois d'une part, et d'autre part des politiques sociales et économiques du gouvernement Lévesque à partir de 1981. Ici, on remarque un brouillage entre le « national » et le « social » au détriment de ce dernier aspect.

Si René Lévesque était un grand nationaliste et réformateur d'État, sur le plan social, il se situait plutôt au centre droit. Même chose pour ses principaux lieutenants et collaborateurs comme Jacques Parizeau, Jacques-Yvan Morin, Claude Morin et Bernard Landry. On tend à oublier que le second mandat péquiste (de 1981 à 1985), secoué par la pire récession depuis celle des années 1930 et marqué par des compressions budgétaires tranchantes et arbitraires non annoncées durant la campagne électorale du printemps 1981, fut une expérience particulièrement pénible pour les travailleurs et travailleuses. La cote de popularité du Parti québécois chuta dans les sondages. On découvrit alors en Lévesque un chef autoritaire et colérique qui rompit avec ses alliés syndicaux et communautaires pour tenter de rallier au projet d'indépendance « nos gens d'affaires », un rêve qu'il caressait mais n'avouait pas depuis la fondation du Parti québécois. En fait, à partir de 1982, Lévesque et sa garde rapprochée se sont ralliés au néolibéralisme, idéologie qui avait alors le vent dans les voiles. Le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, de 1996 à 2001, continua grosso modo dans cette voie pour atteindre l'équilibre budgétaire à tout prix, objectif devenu le mantra de l'ensemble de la classe politique québécoise. La « prudence budgétaire », quoique moins dure qu'au temps de René Lévesque et de Lucien Bouchard, sera toujours pratiquée par Bernard Landry (2001-2003) et Pauline Marois (2012-2014). La réforme progressiste du marché de l'emploi, sa précarité en particulier ne fut pas non plus remise en question par eux. Le temps des grandes réformes sociales était bien terminé. C'est ce qui explique la fondation de Québec solidaire en 2006 et son insistance sur la dimension sociale plus que nationale de notre existence collective.

Mais même sur la question centrale de l'obtention de l'indépendance, les directions péquistes successives ont souvent laissé l'impression d'une prudence qui confinait à la peur devant les risques qu'impliquait la réalisation de leur rêve d'un Québec libre. Quand leurs adversaires fédéralistes et même les tenants les plus lucides de l'indépendance faisaient ressortir les difficultés et les dangers du passage à l'acte et leur reprochaient de garder le silence en public sur ces problèmes, c'est-à-dire la période de transition qui séparerait un OUI majoritaire de l'atteinte effective du Québec à sa souveraineté, les leaders péquistes les accusaient de tomber dans le « terrorisme psychologique » et dans l'irresponsabilité politique. Ils se faisaient discrets (c'est le moins que l'on puisse dire) sur les difficultés qui pendaient au bout du nez des Québécois et Québécoises en cas de victoire du OUI.

Par exemple, si l'option indépendantiste l'avait emporté en mai 1980 (tout comme en octobre 1995), les compressions budgétaires péquistes qui ont matraqué la population auraient été encore bien pires. Dans cette optique, la défaite du OUI en mai 1980 fut peut-être un mal pour un bien. René Lévesque se mit alors à ressembler à Maurice Duplessis par son attitude autoritaire et intraitable. Par ailleurs, comment aurait agi Jacques Parizeau en octobre 1995 en cas de victoire indépendantiste ? Fondamentalement, il n'aurait pu faire autrement, c'est-à-dire qu'il aurait été obligé de couper dans les dépenses publiques, dont les programmes sociaux, pour assurer un minimum d'équilibre dans les finances publiques québécoises lors des longues et périlleuses négociations avec Ottawa. La social-démocratie aurait pris le bord, du moins pour un long moment.

Ce qui amène l'interrogation suivante : comment agirait PSPP en cas de victoire référendaire (si improbable qu'elle soit) lors d'un troisième et vraisemblablement dernier référendum sur la souveraineté ? Il devrait faire pareil : imposer des coupures budgétaires douloureuses. Même chose pour Québec solidaire, en dépit du socialisme démocratique qu'il affiche. Les strates les plus vulnérables de la population (sans emplois, travailleurs à statut précaire ou à faible revenu, locataires en difficulté, etc.) ne disposent d'aucune garantie que leurs intérêts seraient préservés durant cette période charnière. En plus, on ne peut être certains qu'un Québec enfin souverain adopterait une politique socialiste ou même simplement social-démocrate.

Paul Saint-Pierre Plamondon paraît vague sur le « projet de société » du parti qu'il dirige. Je n'ai pas encore feuilleté le programme électoral péquiste, mais le chef insiste en public bien davantage sur l'indépendance que sur l'orientation socio-économique que son gouvernement imprimerait au Québec. Il semble avoir fait sienne la formule de Bernard Landry « ni à gauche ni à droite, la souveraineté se fera en avant », ce qui équivaut à se dérober devant les sacrifices qu'exigera la réalisation de l'indépendance. S'imaginer que celle-ci se réalisera aisément, sans heurts majeurs entre les intérêts politiques, commerciaux et économiques majeurs qui défendent le fédéralisme équivaut à un gros mensonge, auquel les différentes directions péquistes nous ont, hélas, habitués.

L'indépendance, non appuyée sur un projet de société clair, inspirant et mobilisateur, ne vaut pas la peine qu'on en défende la cause. À la limite, il vaudrait mieux alors tenter de changer les choses à l'intérieur du régime fédéral. À défaut d'être enthousiasmante, cette voie aurait au moins le mérite de l'honnêteté. Non que l'indépendance doive être d'avance intégralement socialiste, mais on doit obtenir des garanties qu'elle débouchera sur un régime social plus juste que celui qui sévit actuellement.

Chose certaine, si un troisième référendum se tient et qu'il débouche encore sur un échec pour la souveraineté, ce sera la dernière consultation sur le sujet. Déjà l'option souverainiste ne suscite plus guère d'enthousiasme même au sein du Parti québécois, si elle perd, on la considérera probablement comme chose du passé. Elle perdra sa crédibilité. Paul Saint-Pierre Plamondon joue donc le tout pout le tout en essayant de la replacer au centre du débat politique. Son ardeur suffira-t-elle à convaincre les indécise et donc, à emporter la décision ? Cela me paraît douteux, mais la politique réserve bien des surprises.

Jean-François Delisle

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

8740 résultat(s).
Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

gauche.media

Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

En savoir plus

Membres