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Des syndicats se préparent à résister au projet de loi 89

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Le projet de loi du ministre du Travail qui s’attaque au droit de grève des travailleurs du Québec a été adopté à la fin du mois de mai par l’Assemblée nationale. Au courant des derniers mois, la plupart des syndicats québécois ont uni leurs voix pour dénoncer cette mesure qu’ils qualifient (…)

Quand la terre se souvient : la mémoire du vivant face aux violences extractivistes

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La classe locataire (Ricardo Tranjan) – compte-rendu de lecture

1er juillet, par Archives Révolutionnaires
Par Alexandre Petitclerc En 2023, le chercheur Ricardo Tranjan a fait paraître l’essai The Tenant Class. Le livre, qui traite de la situation des locataires en tant que (…)

Par Alexandre Petitclerc

En 2023, le chercheur Ricardo Tranjan a fait paraître l’essai The Tenant Class. Le livre, qui traite de la situation des locataires en tant que groupe social, a récemment été traduit en français par Marie-Hélène Cadieux et publié chez Québec Amérique. La thèse de La classe locataire est simple : la crise du logement doit être comprise comme le résultat du rapport inégal entre la classe propriétaire et la classe locataire. Tranjan déploie son argumentation en cinq chapitres qui cherchent à remettre en cause certaines idées reçues sur les enjeux du logement et qui exposent les formes de la lutte perpétuelle des locataires pour leurs droits et des conditions dignes.

Le premier chapitre conteste l’idée voulant que les crises du logement soient des événements isolés. Tranjan propose plutôt que la crise du logement est permanente en vertu de l’inégalité structurelle entre propriétaires et locataires en régime capitaliste. Comprendre la crise du logement à partir de cette relation entre deux classes permet de saisir que ce ne sont pas des mécanismes abstraits qui sont responsables de l’augmentation des loyers, mais bien des propriétaires qui augmentent les prix, évincent leurs locataires ou négligent leurs appartements. Conséquemment, un arrangement de politiques publiques ne réglera pas le problème de fond : la possibilité pour les propriétaires de s’enrichir sensiblement aux dépens des locataires.

Tranjan s’intéresse ensuite à un élément sous-discuté dans la littérature sur le logement : celui des imaginaires et des mythes entourant les locataires. Le chercheur interroge notamment l’idée reçue qu’être locataire n’est pas un projet souhaitable à long terme alors qu’être propriétaire l’est assurément. Cette conception participerait à la création d’une subjectivité par rapport au logement qui renforce la vision dominante en faveur de la propriété. L’idée que tout le monde ferait tout son possible pour accéder à la propriété est d’ailleurs un des quatre mythes que déboulonne Tranjan dans ce chapitre. De plus, la force de son argument réside dans le fait qu’il porte une visée transformatrice au sujet du discours entourant les locataires en tant que groupe. Ainsi, il s’attaque à l’idée qu’être locataire est une phase de laquelle on doit se sortir, en plus de critiquer les idées voulant que les locataires ne paient pas de taxes de propriété (ils et elles les paient indirectement) et celle, saugrenue, que les locataires ne travaillent pas.

Des membres d'un mouvement de locataires se rassemblent pour une grève des loyers, tenant des pancartes avec les inscriptions "MAY 1st RENT STRIKE", "JUNE 1 RENT STRIKE", et "PARKDALE: ORGANIZE! FOR NEIGHBOURHOOD POWER!", devant un bâtiment avec une toiture en pente.
Parkdale Organize, Toronto

Dans le sillon de ce qui précède, le troisième chapitre de l’essai brosse un portrait des propriétaires. La motivation de Tranjan semble être de montrer que le marché locatif n’est pas essentiellement constitué de petits propriétaires occupants, mais qu’une large majorité du marché locatif est détenu par des entreprises privées, familiales ou non, et par des fonds d’investissement. Ce qui apparaît essentiel dans la démonstration de l’auteur est que la situation des propriétaires ne peut pas être mise sur un pied d’égalité avec celle des locataires. Les relations, même entre un petit propriétaire et son locataire, ne peuvent pas être comprises comme des relations d’égaux ; on parle de deux groupes sociaux où l’un détient une part significative de pouvoir sur l’autre. Cela ouvre une piste de réflexion largement ignorée dans le débat public sur le logement : la dimension démocratique de l’accès au logement.

Toujours avec l’objectif de rétablir certains faits sur la crise du logement, le quatrième chapitre remet en cause le récit dominant selon lequel l’État canadien aurait toujours joué un rôle bienveillant dans le domaine du logement. En s’intéressant à des luttes moins connues, Tranjan met en lumière quatre moments historiques où les locataires ont remporté des gains significatifs en matière d’abordabilité et de protection de leurs droits : l’Île-du-Prince-Édouard dans les années 1860, la Nouvelle-Écosse dans les années 1930, Montréal dans les années 1960 et Vancouver dans les années 1970. Ces exemples montrent comment les mouvements sociaux ont permis de maintenir les loyers à un niveau raisonnable et de faire des gains concernant les droits des locataires. L’auteur souligne aussi la tension entre certaines de ces luttes des locataires et le contexte colonial canadien. Tranjan nous invite à réfléchir à la manière de construire des solidarités émancipatrices qui ne reproduisent pas les structures coloniales. Ce chapitre ouvre toute une série de questions sur les défis de créer des solidarités dans un contexte où les luttes pour le logement peuvent créer des frictions avec les droits des peuples autochtones.

Un groupe de manifestants assis sur les marches d'un bâtiment public, tenant des pancartes en faveur des droits des locataires, dans un contexte de protestation historique.
Des manifestants revendiquent le droit au logement devant l’hôtel de ville de Montréal, 1976 (Source : Bernard Vallée / MEM)

Après avoir offert un bref tour d’horizon de certaines luttes marquantes de l’histoire canadienne, Tranjan se concentre sur divers mouvements contemporains qui défendent les droits des locataires. Toujours avec l’objectif d’informer, mais aussi d’outiller les groupes militants, l’auteur se propose de formuler certaines stratégies de lutte pour les droits de la classe locataire aujourd’hui. La méthodologie du chercheur est en adéquation avec l’objectif derrière son travail : il se place en solidarité avec les militantes et les militants en relatant les témoignages et les expériences des gens sur le terrain, afin de visibiliser des tactiques, des idées et des idéaux ayant le potentiel d’améliorer les conditions des locataires. Prenons quelques exemples. D’abord, l’auteur montre la force des coalitions, comme celle du FRAPRU qui a su obtenir plusieurs gains au fil du temps, notamment en termes de protection des locataires contre les évictions. Ensuite, Tranjan relate l’expérience du Hamilton Tenants Solidarity Network, dont les membres ont fait une grève des loyers pour s’opposer à des hausses abusives imposées par leur nouveau propriétaire, une fiducie de placement immobilière. Enfin, l’auteur présente d’autres exemples de grèves des loyers à Parkdale et à York South (deux quartiers de Toronto), une pratique méconnue, mais qui semble s’étendre peu à peu, car elle offre un certain rapport de force pour les locataires.

Tranjan conclut La classe locataire par un appel à l’action. Cohérent avec sa thèse selon laquelle la crise du logement n’est pas le résultat de forces abstraites du marché, mais bien des décisions des propriétaires de hausser les loyers pour maximiser leurs profits, Tranjan interpelle son lectorat : il faut prendre parti. Cette injonction devrait stimuler une réflexion, notamment sur le rôle des chercheuses et des chercheurs en matière de logement. La recherche devrait, selon Tranjan, être informée par l’expérience des gens sur le terrain et devrait servir les besoins des locataires et des communautés. Sur la forme, l’ouvrage remplit sa promesse : il visibilise le travail des groupes militants et peut s’avérer utile pour créer des solidarités. On pourrait reprocher à Tranjan d’escamoter certaines explications ou de proposer certaines formulations ampoulées. Néanmoins, nous sommes tentés de l’excuser, car le pari de Tranjan est réussi : son ouvrage La classe locataire offre une perspective renouvelée sur la manière de comprendre la cherté actuelle du logement et présente des pistes concrètes pour changer cette situation.

Le travail est-il mortel ?

Si, dans le quotidien des personnes travailleuses, la routine métro-boulot-dodo se veut souvent monotone et répétitive, elle apparaît, au moins, sans risque. Malheureusement, (…)

Si, dans le quotidien des personnes travailleuses, la routine métro-boulot-dodo se veut souvent monotone et répétitive, elle apparaît, au moins, sans risque. Malheureusement, plus de 200 personnes par année succombent à cette routine à cause d'un accident ou d'une maladie professionnelle.

La violence du travail est largement sous-estimée. On pourrait croire que les accidents de la route sont plus dangereux que le travail : leur couverture médiatique est supérieure, leur nombre plus largement diffusé et la dangerosité de la cohabitation des véhicules motorisés et des autres usagers de la route fait couler de plus en plus d'encre. Sans diminuer les importants enjeux de la sécurité routière, illustrons qu'en 2021, il y a eu 27 541 accidents de la route au Québec [1] comparativement à 105 692 lésions professionnelles reconnues [2], 3,83 fois plus. Ce chiffre n'est que la pointe de l'iceberg, car il ne prend pas en compte les lésions non reconnues, celles qui ne sont pas déclarées et les problèmes qui ne causent pas d'absences au travail.

On accepte que le travail soit dangereux. Les accidents sont banalisés et cela augmente la probabilité de mort au travail. Cette banalisation des accidents et l'acceptation sociale du danger du travail permettent au patronat d'investir très peu dans la prévention, et ce, même si la santé et la sécurité au Québec sont basées sur le principe de l'élimination du danger à la source. Il est même possible de constater que le laisser-aller face aux accidents et lésions au travail fait partie de nombreux modèles d'affaires et que la santé et la sécurité sont fréquemment vues comme une responsabilité individuelle reposant sur les personnes salariées plutôt qu'une responsabilité collective initiée par l'intervention à la source.

Le patronat n'en paie pas assez le prix

En 2021, Bernard Huot, le propriétaire de la Boucherie Huot, a été reconnu coupable de négligence criminelle. L'accusé faisait aussi face à des accusations d'homicide involontaire et de négligence causant la mort, et a reçu une peine de 18 mois de prison. [3] La défense de Huot a consisté à rejeter le blâme sur l'employé plutôt que d'en prendre la responsabilité.

« Bernard Huot était plus préoccupé par le rendement et la production que par la sécurité de ses employés », écrit Annie Trudel, juge à la Cour du Québec.

Ce constat de la juge Trudel ne devrait pas s'arrêter à Huot. Le cas Huot est l'un des dix seuls cas de criminalisation d'un accident de travail dans la jurisprudence canadienne. Pourtant, au cours de l'année 2021, 207 décès ont été reconnus comme ayant été causés par des maladies professionnelles ou des accidents de travail. À titre de comparaison, le Québec a connu 88 homicides. Si l'on considère que Bernard Huot est le seul patron ayant été jugé criminellement responsable d'un décès au travail cette année-là, on peut déduire que 206 employeurs n'ont eu pour conséquence qu'une hausse de leur cotisation à la CNESST.

Il n'est pas ici question d'insinuer que tout accident de travail est causé par une intention criminelle, mais plutôt de démontrer que les accidents et les décès sont banalisés comme étant inévitables et inhérents au travail, un sacrifice en partie accepté afin d'assurer la cadence, la productivité et la profitabilité.

On tue au nom de la productivité

Or, pour augmenter la productivité, la santé et la sécurité des travailleurs et des travailleuses devraient être une priorité. En 2021, le Québec a perdu 22,5 fois plus de jours travaillés par personnes en raison d'accidents du travail et de maladies professionnelles (17 931 079) [4] qu'en raison d'arrêts de travail dus à une grève ou un lock-out (795 447 jours travaillés par personnes perdus) [5]. En partie au nom de la perte dommageable de jours travaillés, il arrive que l'État intervienne en cas de conflits de travail. Où en est cette volonté d'agir, lorsqu'il s'agit de santé et de sécurité ?

À cet égard, la dernière réforme de la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) fut une occasion ratée (voir encadré). Depuis l'adoption de la réforme, le nombre de lésions professionnelles a augmenté de façon vertigineuse, passant de 105 692 en 2021 à 149 812 accidents du travail reconnus en 2022. [6]

Observation macabre : le décès d'une personne au travail n'entraîne pas de perte de jours travaillés par personne dans les statistiques. Contrairement à une personne blessée, puisque la personne décédée doit immédiatement être remplacée et n'a pas de période de réadaptation nécessaire, sa disparition n'est pas considérée comme une absence. En ce sens, elle est aussi considérée comme coûtant moins cher à l'État en raison de l'absence de coûts médicaux de rétablissement.

Même si le nombre d'accidents et de décès liés au travail ne sont plus ceux de la révolution industrielle, le travail reste dangereux. Les conséquences des accidents sont toujours importantes et bouleversent de nombreuses vies. Comment alors expliquer cette banalisation des accidents, lésions et décès au travail, notamment par rapport à d'autres types de morts violentes ? Est-ce en raison de leur nombre important ou de leur incapacité à surprendre ou à scandaliser ? N'en reste pas moins que nul·le ne devrait craindre pour sa vie à essayer de la gagner [7]. Les campagnes de sensibilisation n'arrivent absolument pas à faire percoler l'ampleur du problème auprès du public et des acteurs les plus concernés par la prévention du danger à la source : les employeurs.


[1] SAAQ, Bilan Routier 2021, Québec, 2022, 16pp.

[2] CNESST, Statistiques annuelles 2021, Québec, 2022, 180p.

[3] Yannick Bergeron, « Accident de travail dans une boucherie : le propriétaire reconnu coupable », Radio-Canada, 11 janvier 2021. En ligne : ici.radio-canada.ca/nouvelle/1762414/accident-travail-boucherie-huot-proprietaires-reconnus-coupables

[4] CNESST, op. cit. p. 39.

[6] CNESST, « Jour commémoratif des personnes décédées ou blessées au travail », Communiqué de presse, 27 avril 2018. En ligne : www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/salle-presse/communiques/jour-deuil-2023# : :text=Bilan%20statistique%202022&text=Toujours%20en%202022%2C%20161%20962,149%20812%20accidents%20du%20travail.

[7] Merci à Geneviève Baril-Gingras, professeure en Relations industrielles à l'Université Laval, pour l'idée des comparaisons.

Philippe Lapointe est conseiller à la FTQ-Construction.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Bande verticale, série Alliage. Pellicule d'acrylique sur toile, 305 x 90 cm.Collection Corporation Financière Power

« Ceux que la mort fait travailler »

Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges à Montréal est géré par la Fabrique de la paroisse Notre-Dame. Il compte 17 employé·es de bureau et 90 responsables de l'entretien. Des (…)

Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges à Montréal est géré par la Fabrique de la paroisse Notre-Dame. Il compte 17 employé·es de bureau et 90 responsables de l'entretien. Des personnalités comme Thérèse Casgrain, Lhasa de Sela et Émile Nelligan y ont trouvé le repos éternel. Le défi de tenir une grève dans un lieu aussi chargé symboliquement n'est pas banal. Histoire d'un conflit de travail avec Patrick Chartrand. Propos recueillis par Isabelle Larrivée.

À bâbord ! : Aux yeux du public, avant 2018, le cimetière Notre-Dame-des-Neiges semblait un milieu de travail sans histoire. Qu'est-ce qui a déclenché ce conflit ?

Patrick Chartrand : Nous avons malheureusement un historique de conflit avec notre employeur, le dernier remontant à 2007, un lockout de 17 semaines. Cette fois-ci, notre contrat était échu depuis le 31 décembre 2018 et nous avons connu des négociations laborieuses, en plus de la pandémie. De plus, il y a eu des changements dans l'administration en 2019, et nous avons senti très rapidement que nous serions en confrontation avec le nouveau directeur général.

ÀB ! : Qui était en grève et quelles étaient les principales revendications ?

P. C. : Les employé·es de bureau ont déclenché la grève le 20 septembre 2022 et les employé·es d'entretien ont fait de même le 12 janvier 2023. Dans les deux cas, on discutait de la sécurité d'emploi. L'employeur voulait notamment réduire le plancher d'emploi pour les employé·es à temps plein. Il voulait aussi nous faire accepter des gels salariaux pour les années passées, soit de 2019 à aujourd'hui, et n'offrir aucune rétroactivité. Nos demandes étaient plutôt centrées sur la préservation de nos acquis et une augmentation de salaire basée sur l'importante hausse du coût de la vie.

ÀB ! : Qu'est-ce qui explique la mise à pied de 26 employé·es en mai 2021 et quel rôle joue ce licenciement dans la déclaration des hostilités ?

P. C. : Ces suppressions de postes ont effectivement augmenté la tension d'un cran. Nous étions en pleine pandémie. Malgré le fait que le gouvernement nous avait placé·es sur une liste d'emploi prioritaire et que nous avions travaillé chaque jour, notre employeur a décidé de ne permettre qu'un accès limité aux familles. Nous étions au minimum des effectifs depuis plus d'un an, ce qui a aussi contribué à affecter le moral des travailleur·euses et renforcé notre décision de faire la grève.

ÀB ! : Quels sont les résistances, les arguments de la Fabrique ?

P. C. : La Fabrique parlait de problèmes financiers, mais elle refusait d'ouvrir les livres. Il fallait la croire sur parole. Elle est aussi propriétaire et gestionnaire de la Basilique Notre-Dame. Celle-ci a dû fermer ses portes lors de la pandémie, ce qui a certainement créé un vide financier. Mais le cimetière, lui, n'avait pas été affecté par la pandémie, bien au contraire.

ÀB ! : Quelles étaient les propositions à l'étude ?

P. C. : Grâce à un conciliateur et probablement aussi à l'immense pression médiatique des familles, la négociation a débloqué en juin. Le conciliateur a travaillé avec les deux parties pour construire une proposition de règlements. Nous avons accepté de faire une concession pour le plancher d'emploi et en retour, l'employeur a dû accepter de mettre de l'argent sur la table, particulièrement pour la rétroactivité.

ÀB ! : Pourquoi le protocole de retour au travail proposé par la partie patronale, début juin, a-t-il semblé aussi décevant ?

P. C. : Au moment où les parties en sont venues à une entente, et vu, surtout, la longueur du conflit, il fallait mettre en place un protocole de retour au travail. Il fut ardu de convenir d'un protocole adéquat pour les deux parties. Les enjeux de reconnaissance furent les plus difficiles à régler, particulièrement en ce qui concerne le fonds de pension et les vacances.

ÀB ! : Comment anticipez-vous la fin de ce conflit ? Quelles sont les attentes pour l'avenir des employé·es ?

P. C. : Au moment d'écrire ces lignes, nous en sommes venu·es à une entente qui vaut jusqu'au 31 décembre 2027, et nous sommes de retour au travail depuis le 17 juillet. Malheureusement, les employé·es de bureau ne sont pas parvenu·es à une entente. Nous restons solidaires de nos collègues et souhaitons de tout cœur un dénouement rapide et à la hauteur de leurs attentes.

Patrick Chartrand est président du syndicat des employé·es de l'entretien du cimetière Notre-Dame-des-Neiges, CSN.

La phrase « Ceux que la mort fait travailler » est reprise d'un slogan du syndicat des employé·es du cimetière de Notre-Dames-des-Neiges.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Vert signal, 1998, détail, série Zones grises. Pellicule d'acrylique sur toile, 210 x 130 cm. Collection Denis Gascon

Une lecture féministe de l’histoire médicale. Hommage à Barbara Ehrenreich

Décédée le 1er septembre 2022, Barbara Ehrenreich n'avait cessé, à travers son œuvre, d'interroger le primat de la science médicale et de désacraliser les rituels qui (…)

Décédée le 1er septembre 2022, Barbara Ehrenreich n'avait cessé, à travers son œuvre, d'interroger le primat de la science médicale et de désacraliser les rituels qui maintiennent son autorité. Cette critique se décline aussi bien dans ses écrits qu'à partir de son expérience de la maladie.

Depuis Sorcières, sages-femmes et infirmières, écrit avec Deirdre English, suivi du pamphlet Fragiles ou contagieuses, la militante féministe et socialiste Barbara Ehrenreich a soutenu le projet d'une histoire féministe de la professionnalisation de la médecine. Titulaire d'un doctorat en immunologie cellulaire, ses plus récents livres ont complété sa critique du fétichisme scientifique, qu'elle nomme le « vernis de la science », conférant à la médecine des pouvoirs justifiant des pratiques sexistes, classistes et racistes. En effet, selon Ehrenreich, les discours médicaux, sous l'égide bienveillante de la santé, imposent leurs fictions dominantes telles que le cancer comme combat individuel ou la maladie comme récit patriarcal. En monopolisant la pratique du soin, l'institution médicale s'est attribué la compétence ultime en matière de contrôle de la population. Son histoire et ses intérêts économiques actuels révèlent les liens ténus entre la science et la pratique médicale effective.

Guerre aux travailleuses de la santé

L'histoire de la professionnalisation de la médecine pourrait être résumée à une lutte acharnée contre les femmes en tant que travailleuses de la santé. Cette lutte pour le monopole de la médecine, corrélée à la lutte des classes, s'opère en deux phases historiques : la chasse aux sorcières dans l'Europe médiévale et la montée de la profession médicale en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle.Ehrenreich démontre que la première phase fut supportée par l'Église pour qui les guérisseuses représentaient une menace à la fois politique, religieuse et sexuelle. Ces empiristes hérétiques, qui avaient un pouvoir positif sur la reproduction et un rôle important dans les économies locales, étaient souvent soutenus par des mouvements anticléricaux ou des organisations paysannes. Dès le XIVe siècle, cette guerre aux guérisseuses engendre l'axe Église-État-corps médical et inaugure un marché où la médecine est basée sur l'éminence plutôt que sur l'évidence (la preuve scientifique).

À la fin du XIXe siècle aux États-Unis, la concurrence entre médecins et soignantes, puis entre médecins et praticiens de médecines alternatives, culmine par le monopole que l'on connait grâce au soutien direct des entreprises capitalistes (Rockefeller et Carnegie). L'organisation du travail dans l'institution médicale occidentale est à l'avenant : les femmes sont les ouvrières d'une industrie où médecins et directeurs d'hôpitaux sont les patrons. Ehrenreich souligne qu'en toute logique patriarcale, les femmes deviennent l'objet d'étude privilégié de la médecine et font les frais de théories paradoxales : maladies et dangerosités leur sont imputées suivant des intérêts de classe et des impératifs de clientélisation. La fin du XIXe siècle voit la justification du sexisme passer d'un discours religieux aux arguments biomédicaux. Avec l'apparition des catégories infirmière/médecin, l'acte du soin et celui de la guérison achèvent leur divorce : « Tout le crédit de la guérison va naturellement au médecin, car lui seul participe à la mystique de la Science. » Une autorité qui ritualise dangereusement la pratique médicale et antagonise le patient, selon elle.

Santé publique, induction de comportements

La médecine comme technologie de pouvoir afférente au patriarcat capitaliste s'incarne aussi dans les formes et fonctions de la santé publique. Depuis les campagnes de mouvement de tempérance (antialcoolisme) ou de pureté sociale (antiprostitution) jusqu'à la guerre au tabagisme, véritable guerre aux pauvres, la santé publique brandit des discours moralistes pour étouffer le plus souvent ses intentions de contrôle de la population [1]. Sa fonction régulatrice est facilitée par les liens bureaucratiques et historiques étroits qu'elle entretient avec la police.

On retrouve un même écart entre discours et raisons scientifiques dans l'impératif à la prise en charge individuelle de notre santé, qui, rappelle Ehrenreich, ont suivi aux États-Unis le développement des assurances maladie, ces régimes qui ont aussi mis la table à la lucrative industrie du fitness. Être en santé semble signifier être apte à la dépense. Selon elle, il est impératif que la culture occidentale cesse de percevoir la mort comme un échec. À l'intérieur d'un système de santé inique, le cumul d'actions à mener pour s'harnacher à la vie — sans égard à sa qualité — ne peut qu'épuiser, appauvrir et humilier certaines populations. Ehrenreich compare le cabinet du médecin à un lieu de confession des transgressions où sera rendu un verdict d'innocence ou de culpabilité, procès qui s'étend jusqu'au décès sur lequel sera opérée une autopsie biomorale : quelles négligences individuelles sont en cause ? « Chaque mort peut désormais être comprise comme un suicide », déplore-t-elle.

Dans l'expérience de la grande maladie, l'injonction à la Santé s'accompagne d'une sommation au triomphalisme. C'est l'expérience que Barbara Ehrenreich en fait quand elle reçoit à 56 ans un diagnostic de cancer du sein. Dans l'article Welcome to Cancerland, elle s'insurge contre la culture du cancer du sein qui valorise la positivité et la guérison miraculeuse. Ce culte du cancer célèbre la lutte individuelle comme un chant épique contre la maladie plutôt qu'une reconnaissance des facteurs sociaux et environnementaux qui peuvent contribuer à sa prévalence. Les entreprises et laboratoires ayant fait leur miel de la cause du cancer du sein, courtisant un marché de femmes d'âge moyen ou offrant des traitements pharmaceutiques couteux et semi-toxiques sont ceux-là même, grands pollueurs, qui émettent des cancérigènes. Ce faisant, ils placent les femmes en position d'alliées involontaires des entreprises qui les rendent malades. Ehrenreich regrette que la colère soit évacuée de ces mouvements sans mobilisation politique contre le « complexe industriel du cancer ». Dans le cas précis du cancer du sein, la thématique sexiste et infantilisante incarnée par les ours en peluche et les crayons roses reconduit une logique d'obéissance aveugle à des protocoles médicaux connus pour leur efficacité limitée.

Mouvement pour la santé du peuple

Il faut souffrir pour ne pas mourir : telle est la maxime sociale qui justifie l'acharnement thérapeutique. Mais pourquoi s'échiner à prévenir la fin d'une vie déjà confisquée par la médecine, déterminée par notre statut socio-économique et des facteurs environnementaux et dont la prise en charge sera assujettie à notre valeur sur le marché du travail ? Dans une institution où l'on répertorie décervelage (gaslighting) médical, violences gynécologiques et obstétricales et biais racistes, classistes et sexistes dans la reconnaissance de la douleur, qui peut prétendre avoir les clés de sa santé ? À l'instar du mouvement pour la santé du peuple [2], le féminisme informe la lutte contre l'élitisme médical. Pour Barbara Ehrenreich, les ultra-riches s'illusionnent aussi. Elle se rit de la complaisance particulière des transhumanistes de la Silicon Valley qui voient leur corps comme un programme perfectible et pour qui chaque heure est un pas de plus vers la science de l'immortalité. Si le peu d'argent vous éloigne de l'accès à la santé, beaucoup de pouvoir semble vous éloigner de la science.

Heureusement, le projet critique d'Ehrenreich offre une éducation militante et propose des formes de résistance contre les pratiques abusives et des moyens de s'affranchir de la dépendance aux techniques médicales. Elle prône d'abord une prise de conscience par l'éducation pour les femmes axée autour d'une justice épistémique, référant à la production du savoir scientifique à partir d'une diversité d'expériences et de perspectives, suivi d'une juste distribution de ce savoir. Ensuite, elle valorise une organisation collective par le biais de groupes de femmes/féministes dont il existe plusieurs exemples passés et actuels : les groupes féministes comme Action cancer du sein qui politise la lutte, ou le mouvement self help qui encourage l'autoéducation et l'autoexamen du corps afin de prendre des décisions éclairées en matière de soin. Enfin, elle milite pour le développement d'une expertise médicale désintéressée et alternative qui dépasserait toute logique de marché. Ceci commande un appel politique à la transparence des laboratoires de recherche et une critique des normes de genre et de race qui sous-tendent les pratiques médicales.

Les recherches de Barbara Ehrenreich démontrent que le discours médical n'a pas suivi le progrès technologique, mais a plutôt axé ses efforts sur un marché à conquérir et une idéologie à véhiculer pour sécuriser ce marché. Elle n'a pas oublié en contrepartie d'offrir à toutes une harmonie de colère et d'indignation : « Ce qui m'a soutenu tout au long des “ traitements ” est une rage purificatrice, une résolution — encadrée par les nuits blanches de la chimiothérapie — de voir le dernier pollueur, avec, disons, le dernier agent de l'assurance maladie, étranglé avec le dernier ruban rose. »


[1] Le mouvement pour le contrôle des naissances, en dépit d'une initiative féministe, a répondu à un terrible agenda raciste et classiste.

[2] Le mouvement pour la Santé du Peuple (1830-1840) attaque l'élitisme médical et est corrélé aux États-Unis aux mouvements féministes autant qu'auront pu l'être les luttes pour le droit de vote.

Stéphanie Barahona est éditrice chez Remue-Ménage.

OEUVRES CITÉES
Barbara Ehrenreich et Deirdre English, Sorcières, sages-femmes, infirmières. Une histoire des femmes et de la médecine, Montréal, les éditions remue-ménage, 2016 [1976], 108 pages.
Barbara Ehrenreich, Natural Causes. Life, Death and the Illusion of Control. Londres, Granta, 2018, 256 pages.
Barbara Ehrenreich, Deirdre English, Fragiles ou contagieuses. Le pouvoir médical et le corps des femmes, Paris, Cambourakis, 2016, 160 pages.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Vert signal, 1998, détail, série Zones grises. Pellicule d'acrylique sur toile, 210 x 130 cm. Collection Denis Gascon

Quand la mort est affaire de classe

« N'oublions pas mes bien chers frères que nous sommes tous égaux devant la mort ». Il m'énerve. Ce sont ses dernières volontés, alors, il faut endurer. Elle voulait un (…)

« N'oublions pas mes bien chers frères que nous sommes tous égaux devant la mort ». Il m'énerve.

Ce sont ses dernières volontés, alors, il faut endurer. Elle voulait un prêtre. Avec ses économies, elle s'est payé un prêtre. Elle voulait être embaumée et exposée, mais comme c'est dispendieux, elle s'est payé une petite boite pour monter aux cieux. Il faut ménager ses transports. Elle était contente d'avoir fait ses arrangements funéraires. J'ai souvent trouvé les joies de ma mère incompréhensibles.

Je jette un coup d'œil à la parenté rassemblée. C'était la dernière des grands-tantes. Même ceux qui ne la voyaient plus sont venus. J'ai ma face de carême. Pour ne pas leur parler trop longuement, je me cache dans ma douleur. Personne ne comprend, je suis un incompris, tant mieux.

J'imagine qu'elle voulait un prêtre pour les prières. Lui, il s'est imaginé qu'il lui fallait parler. Nous sermonner un peu. Être prêtre est un métier en voie de disparition, il veut nous montrer son utilité, peut-être même nous rallumer la flamme avant que ma mère soit incinérée.

Ce prêtre n'est pas méchant. Juste un peu trop curé. Il parle de « l'égalité devant la mort ». La belle idée ! C'est aussi vrai que l'égalité des chances ou l'égalité homme-femme. L'égalité devant la mort et « poussière tu redeviendras poussière ». La mort comme un grand sac d'aspirateur. Tout le monde a l'air d'y croire.

Je ne connais pas la majorité de mes cousins et cousines, et encore moins leur progéniture. Cela doit être la douleur. Je les regarde avec des préjugés. Je suis certain qu'au moins la moitié aurait signé la pétition pour empêcher l'arrivée d'un cimetière musulman à Saint-Apollinaire égaux devant la mort, mais pas dans ma cour. Je suis en colère, contre la vie, contre la mort. Cela doit être la peine.

« Tous égaux devant la mort ». Il le répète, il le répète à l'infini et cela me donne une idée de l'éternité.

J'ai envie de l'interrompre. De lui parler d'un humain mort de froid sur le chemin Roxham, d'une trans battue à mort, d'un ado qui a reçu une balle dans le dos, des femmes autochtones abandonnées au bord des routes, j'ai des tas d'exemples qui me défilent dans la tête.

« Égaux devant la mort ». Il y a une circonscription fédérale qui a uni Saint-Henri avec Westmount. L'écart de l'espérance de vie est de 10 ans. Le seul moyen qu'ils ont trouvé pour rétrécir cet écart a été de « gentrifier » Saint-Henri.

Il a fini. La cérémonie est finie. Je dis merci.

Une cousine qui survit en faisant des ménages me tend sa main calleuse et me dit combien elle aimait ma mère. Elle me touche. Un cousin qui a « trop » réussi dans la vie m'offre ses sympathies. Je souris.

Je regarde ma mère, je l'imagine à l'étroit dans sa petite urne, elle qui ne sortait jamais, qui vivait recluse, la voici qui sort en boite… enfin, je me calme. Un jour, nous serons égaux « dans » la mort.

Jean-Yves Joannette est ex-coordonnateur de la Table régionale des organismes volontaires d'éducation populaire (TROVEP) de Montréal.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Racines au carré, 2002, Œuvres parisiennes.Pellicule d'acrylique sur toile, 110 x 120 cm

Les désillusions d’une thanatologue

J'ai rencontré Maude Jarry, une brillante écrivaine, alors qu'elle était étudiante en recherche-création littéraire de l'Université de Montréal. Je me rappelle qu'un jour dans (…)

J'ai rencontré Maude Jarry, une brillante écrivaine, alors qu'elle était étudiante en recherche-création littéraire de l'Université de Montréal. Je me rappelle qu'un jour dans mon bureau, Maude m'a dit être diplômée en thanatologie, mais elle avait quitté la profession.

Je connaissais aussi une autre Maude, jeune femme remarquable qui, elle aussi, a travaillé dans le domaine des soins aux défunt·es en région et qui, quand je l'ai croisée, il y a quelques mois, avait abandonné rapidement ce métier, selon elle, décevant. J'ai décidé de parler à Maude Jarry, de penser avec elle ses années en thanatopraxie pour comprendre un peu pourquoi ces deux femmes ont senti la nécessité de changer de profession.

L'itinéraire d'une croque-mort

Si Maude est entrée au cégep Rosemont, dans cette technique singulière pour certain·es, c'est qu'elle avait le désir d'apprendre dans un domaine où les cours de microbiologie, de science côtoyaient ceux de cosmétique. Elle avait aussi envie de s'engager dans ce qu'elle voyait comme un travail où la relation d'aide, le care étaient centraux. Maude a vite créé un blogue à l'époque « Mademoiselle Croque-mort » où elle dévoilait les secrets et les dessous de sa pratique et où elle tenait à faire connaitre ses apprentissages et sa profession, ce qui n'a pas toujours été apprécié par certain·es de ses professeur·es et par les futurs employeurs qui la lisaient.

Elle a pourtant trouvé un premier job dans une petite entreprise familiale où elle travaillait en laboratoire pour s'occuper des soins aux corps, où elle lavait les toilettes ou les voitures et multipliait les tâches les plus diverses. Puis elle est partie travailler durant plus de trois ans dans une grande entreprise. À travers ces années, Maude a ressenti un malaise grandissant envers la philosophie à la base même de ce processus invasif de conservation du corps que l'on trouve dans les salons funéraires. Les produits utilisés hautement toxiques pour les êtres vivants qui travaillent sur les corps et l'environnement, les déchets en grandes quantités qui sont générés par l'embaumement, la désillusion ressentie dans un travail que Maude voyait axé sur le care et qui parfois se réduisait à de la vente, les lois très rigides de protection de la santé publique ont fait en sorte que Maude a préféré quitter la profession, non pas fâchée, mais plutôt sceptique sur sa capacité à y être bien, en accord avec ses principes éthiques et politiques.

Les limites du métier

Maude me dit par ailleurs trouver ridicule qu'on ne puisse pas enterrer les corps dans un linceul, sans cercueil, directement dans la terre. Elle questionne ce « rite » qui veut que les corps subissent un traitement qui contrevient à une pensée et une nécessité écologique. Elle me parle d'une ancienne collègue dont elle vient d'apprendre le suicide. Elle me mentionne des cas difficiles d'embaumement, des traumatismes lors de traitements de corps violentés dont il ne faut pas trop parler. Elle me dit : « Nous étions des cordonniers mal chaussés, vus comme capables d'accueillir des sujets difficiles, de suivre des gens à travers des périodes douloureuses, mais en fait incapables de dire leur propre détresse. L'épuisement professionnel, la fatigue de compassion ne sont pas rares dans le métier. » Maude est joyeuse malgré ce qu'elle me raconte. Elle ne déteste pas son ancien travail. Elle y est même retournée pour donner un coup de main pendant la pandémie. Mais si elle pense retourner dans un salon funéraire, ce ne serait ni à la vente ni au laboratoire, mais auprès des gens endeuillés pour lesquels il y a tant à faire.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Racines au carré, 2002, Œuvres parisiennes.Pellicule d'acrylique sur toile, 110 x 120 cm

Maude Jarry est écrivaine et diplômée en thanatologie. Propos recueillis par Catherine Mavrikakis.

La sépulture, impensé de la situation d’immigration

Ébranlée par la tragédie de la mosquée de Québec, la communauté musulmane s'est mobilisée dans la recherche d'un terrain visant à fonder un cimetière. Sur sa route, elle a dû (…)

Ébranlée par la tragédie de la mosquée de Québec, la communauté musulmane s'est mobilisée dans la recherche d'un terrain visant à fonder un cimetière. Sur sa route, elle a dû affronter l'hydre d'un intégrisme inédit.

Laisser son corps en terre d'immigration revêt une signification profonde, non seulement pour ce qui concerne sa propre mort, mais aussi au regard de ceux qui nous survivent [1]. Respectant les rites ancestraux, la sépulture devient un point de repère pour les proches, la communauté, la société où l'on a passé parfois plus d'années que dans son pays d'origine, mais aussi parce que l'incorporation à la terre du pays d'immigration prend le sens de l'enracinement et de l'intégration des futures générations. C'est pourquoi, du point de vue symbolique, devoir faire face au déni de sépulture, comme le dit Lilyane Rachédi, c'est mourir deux fois : d'abord par la mort physique réelle, puis par la non-reconnaissance du lien d'appartenance au pays choisi : « Ces gens-là veulent mourir ici et demandent à avoir leur place. Cela devrait plutôt être vu comme l'intégration ultime » [2]. Le poids symbolique de l'inhumation en pays d'immigration souligne que l'immigrant·e n'est pas qu'un·e passant·e provisoire destiné·e à repartir.

Projet de cimetière

En janvier 2017 a lieu, dans la grande mosquée de Québec, un attentat armé où six hommes sont tués et plusieurs blessés, certains gravement. Trois des six familles endeuillées choisissent de rapatrier les dépouilles de leurs proches dans les pays d'origine des défunts. Les trois autres, désirant enterrer leurs morts au Québec, se retrouvent face à l'obligation de les inhumer dans le seul cimetière musulman du Québec, qui se trouve à Laval, à 300 kilomètres de leur résidence. Cette situation rend difficiles l'accomplissement des rituels de deuil et la possibilité de se recueillir sur la tombe de l'être aimé. L'aménagement d'un cimetière musulman à Québec, réclamé depuis des décennies, devient donc crucial.

Une entreprise funéraire du village de St-Apollinaire offre de vendre un terrain à la communauté musulmane pour aménager ce cimetière, à la condition d'obtenir une autorisation de dézonage. Rapidement, dans cette petite démocratie municipale de 6 000 habitant·es, des voix insatisfaites s'élèvent et la tenue d'un référendum devient incontournable.

Un groupe de citoyen·es, le clan du Non, mené par Sunny Létourneau, s'oppose vivement à ce dézonage. Or, Sunny Létourneau est membre en règle de la Meute, groupe de pression à l'époque très présent sur les réseaux sociaux et aussi dans des manifestations. Pour ce groupe défendant des valeurs identitaires, nationalistes et ouvertement islamophobes, il n'y a d'Islam que politique.

Pendant la campagne référendaire, les tensions s'accroissent. Selon le maire du village, Bernard Ouellet, qui soutient l'acquisition du terrain, les personnes qui sont favorables au projet n'osent pas s'exprimer. Le clan du Non brandit des préjugés de toutes sortes et fait circuler de fausses informations quant aux pratiques funéraires musulmanes. Résultat : la demande de dézonage du terrain convoité est rejetée par une courte majorité de trois voix.

L'affaire du projet de cimetière musulman de St-Apollinaire offre la possibilité d'analyser plusieurs enjeux liés aux aspects religieux, mais aussi sociaux et politiques, de l'immigration. Comment la volonté d'une communauté de jouir d'un lieu de sépulture est-elle devenue un sujet de controverse ? Et d'abord, en quoi la notion de « frontière » s'immisce-t-elle dans ce débat ?

Affaire de frontières

Les frontières dont il est question ici circonscrivent un territoire symbolique que l'on refuse de concéder parce qu'il est investi d'enjeux identitaires.

Plusieurs auteur·es s'intéressent à l'idée de frontière en contexte d'immigration. Sirma Bilge [3] met en évidence les transformations que l'idée de frontière connait au Québec. Si elle l'applique surtout à la question de l'égalité de genre, elle souligne qu'au sein même des discours s'érige une frontière qui instituera la rupture entre ce qui est « nous » et ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire le « non-nous ».

Danielle Juteau [4] questionne l'inclusivité du nationalisme. Elle suggère qu'il comporte une face externe construisant un rapport de domination entre le « nous » et le « eux », mais aussi une face interne recouvrant un ensemble intériorisé d'éléments appartenant à l'histoire.

J'emprunterai ici la distinction « nous/non-nous » de Bilge et celle de Juteau entre « nous/eux ». Ces emprunts ne rendent pas totalement justice aux contextes théoriques dans lesquels ils sont déployés chez les auteures citées. Cependant, ils contribuent à faire comprendre que la frontière n'est pas qu'une ligne de démarcation entre deux territoires. Dans le cas présent, elle spatialise une violence ségrégative et s'exprime jusque dans le contexte sépulcral.

Variations sur des pronoms

Le rejet référendaire de St-Apollinaire, et surtout la campagne de désinformation qui l'a précédé, contraint la communauté musulmane à un rapport de force qui l'oppose aux Québécois·es « de souche » et à une amère réalité voulant que sa volonté, ses aspirations soient négligeables ou tout simplement ignorées. « Québécois·e de souche » est l'expression même du maintien des frontières entre des groupes inégaux de Québécois·es chez Juteau ou de l'« ethnicité fondationnelle » présidant à la distinction entre ce qui appartient au vrai « nous » et ce qui constitue les autres chez Bilge. Ce qui se joue entre le projet de cimetière réel et le fantasme colonial de la Meute creuse la démarcation frontalière.

La Meute pourrait représenter ce que Bilge appelle une « patrouille des frontières », sorte de vigie d'État de la communauté majoritaire qui agit en deux temps. D'abord, la mission qu'elle s'est attribuée prend la forme d'une croisade dont les enjeux sous-jacents reposent, en plus du conflit territorial, sur une guerre aux musulman·es. Ce faisant, la Meute, tacitement approuvée par une frange de la population, cherche à se légitimer en se drapant des signes de la communauté majoritaire et en se réclamant d'une universalité qui la rend intouchable.

Ensuite, nous nous trouvons devant une double opposition dans laquelle apparaissent des modes d'exclusion différents. L'opposition entre la notion de « nous » et de « non-nous », d'abord, a comme effet d'occulter l'autre, de ne lui accorder aucune réelle existence. Mais l'opposition qui se cristallise ensuite entre le « nous » et le « eux » a plutôt comme conséquence de mettre l'autre en évidence pour mieux le stigmatiser. La communauté musulmane se heurte subitement, dans cette expérience cuisante, à un double standard : elle est à la fois invisibilisée dans ses aspirations et mise brutalement en évidence par l'attention soudaine dont elle fait l'objet. La construction de la double opposition approfondit le sillon frontalier au moyen d'une représentation déformée de la culture musulmane et de ses rites.

On évoque d'abord des intentions malveillantes, un désir d'envahir le village et de s'imposer à la vie paisible des résident·es : « Nous, la Meute, ne voulons pas que notre société se voit [sic] imposer une idéologie totalitaire qui fait de la discrimination sexiste, vestimentaire, alimentaire, matrimoniale et sépulcrale » [5].

On insinue aussi — les clichés sont persistants — le danger terroriste que les Québécois·es musulman·es peuvent représenter : « Un cimetière, ça ne me dérange pas. Je n'ai pas de préjugés, mais je ne voudrais pas qu'il y ait des actes terroristes dans cinq ou dix ans et regretter tout ça » [6].

On attribue à la communauté des pratiques étonnantes concernant les rites funéraires : « Une dame a même affirmé que ce cimetière allait attirer les loups parce que les musulmans enterrent les corps sans cercueil. »

On souligne enfin le manque de flexibilité de cette communauté puisqu'elle refuse la contre-proposition d'un cimetière multiconfessionnel : « Pourquoi c'est toujours les musulmans, la religion islamique pis le Coran ? Les autres, ils ne font pas ça ? » [7]

L'opposition « nous/eux » désigne donc la minorité en fonction des peurs et de la méfiance issues de l'incompréhension et de l'ignorance : ainsi, l'« ordre national » se pense, selon Abdelmalek Sayad [8], comme étant naturel, comme allant de soi. On perçoit cette minorité en fonction de représentations intériorisées et imaginaires qui se confondent avec l'observation objective, comme l'a bien montré Edward Saïd, au service d'un discours construisant une justification nationale par la minorisation de l'une de ses composantes. Cette construction provoque le renvoi constant d'un groupe à l'extérieur des frontières symboliques, même si ses membres vivent sur le territoire et qu'ils et elles contribuent, de toute évidence, à la société. Cette double opposition imposée à la communauté des Québécois·es musulman·es, et avivée dans l'histoire du cimetière, peut les placer dans une situation sans issue.

Affleurement d'intégrisme national

La conception de la frontière que propose Abdelmalek Sayad, pour sa part, se fonde davantage sur une stratégie politique de contrôle du flux migratoire. Elle délimite ce qui relève ou non du national. Dans ce régime oppositionnel et exclusif se construit ce qu'il appelle l'« intégrisme national » au moyen duquel on considère que les immigrant·es qui sont là ne devraient pas y être et s'ils y sont, c'est qu'il y a une faille au sein de l'ordre national.

En d'autres termes, le projet de cimetière semble porter atteinte à l'intégrité d'un ordre homogène et inentamé. L'ordre national, dit encore Sayad, ne peut en effet tolérer une frontière qui créerait une séparation entre ce qui est « nous » et ce qui ne l'est pas. Le cimetière est dès lors perçu à la fois comme une incursion dans le territoire national et une erreur que l'on peut encore éviter ou, à tout le moins, tenter de contrôler. Cette méfiance sera exacerbée et instrumentalisée par la Meute et rend intolérable l'éventuelle présence d'un cimetière musulman.

Force est de constater que, sous cette guerre menée contre l'aménagement d'un cimetière, au cœur de l'intégrisme national, se dissimule l'idée d'une laïcité étroite en vertu de laquelle il serait notamment possible d'occulter, de diluer ou de stigmatiser les pratiques musulmanes. Cette laïcité exigerait d'elle, en somme, le sacrifice d'une part de soi pour mieux passer inaperçu·e dans la majorité et se fondre en elle.

Les catégories qui règlent la perception de l'autre sont, selon cette perspective, « des catégories nationales, voire nationalistes » [9], déterminantes et structurantes. Le discours de la Meute se construit à partir d'une rhétorique ultranationaliste, réfractaire à l'immigration et à la présence de l'Islam. Le droit de fixer des frontières, considéré comme le privilège des Québécois·es « de souche », serait soudainement revendiqué par une communauté minorisée, immigrante et musulmane, ce qui semble, à leurs yeux, injustifiable.

Inhumation en terre d'accueil

Le refus manifesté par les citoyen·nes de St-Apollinaire soutenu·es par la Meute fut une piètre victoire. La question nationale qui taraude des franges de la société québécoise alimente un ressentiment antireligieux indiquant que nous n'avons pas fini d'en découdre avec les traumatismes du passé. Entretenue par des années de politiques douteuses, l'exaltation nationaliste de la Meute est venue galvaniser les efforts visant à mettre à mal une communauté éprouvée. À la suite de l'assassinat de six de ses membres à Québec, on aurait pu néanmoins espérer qu'elle fasse l'objet de plus de compassion.

L'expérience vécue par la communauté québécoise musulmane tout au long de cet épisode fut certainement une épreuve pour sa dignité, mais elle a aussi suscité un grand élan de solidarité.

Après 20 ans de recherche, le Centre culturel islamique de Québec et la Ville de Québec ont signé en décembre 2019 l'acte de vente d'un terrain situé près de la Ville de Sainte-Foy, protégeant pour les 50 prochaines années la volonté des membres de la communauté d'enterrer leurs morts auprès d'eux.


[1] Chaïb, Y. (2000). L'émigré et la mort : la mort musulmane en France. Edisud.

[2] citée sans Lisa-Marie Gervais, « Le double deuil des immigrants », Le Devoir, 14 mars 2017. www.ledevoir.com/societe/493919/le-double-deuil-des-immigrants.

[3] Sirma Bilge. « La patrouille des frontières au nom de l'égalité de genre dans une nation en quête de souveraineté.pdf », Sociologie et sociétés, 42, no 1 (2010) : 197-226.

[4] Danielle Juteau, L'ethnicité et ses frontières, 2e éd. (Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal, 2015). Chapitre 4, « La communalisation ethnique dans le système-monde ».

[5] Déclaration de la Meute citée par X. Camus, « L'implication de La Meute dans le camp du Non à Saint-Apollinaire ». Ricochet. 15 juillet 2017. ricochet.media/fr/1899.

[6] « Le cimetière musulman divise Saint-Apollinaire », Le Soleil, 18 mai 2017.

[7] Cité par Xavier Camus, op.cit.

[8] Sayad, A. (1999). Immigration et « pensée d'État ». Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 129(1), 5 14.

[9] A. Sayad, idem.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Infrarouge, 2007, série Tondi. Pellicule d'acrylique sur bois, 120 cm de diamètre. Collection Jean-Royer.

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L’article Une petite rétrospective du G7 en Alberta est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

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Haïti : pourquoi rejeter l’avant-projet réactionnaire de la nouvelle Constitution

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Contre la cage sociologique : un cinéma qui respire

26 juin, par Archives Révolutionnaires
Le texte qui suit est une réponse à l’article Cinéma expérimental et mépris de classe : une histoire critique. L’auteur soutient que le cinéma expérimental échappe aux (…)

Le texte qui suit est une réponse à l’article Cinéma expérimental et mépris de classe : une histoire critique. L’auteur soutient que le cinéma expérimental échappe aux classifications sociologiques réductrices et constitue une forme d’art innovante témoignant d’une lutte contre l’industrie culturelle et ses normes.

Un texte de David Simard

Raphaël Simard, dans son article publié le 18 juin 2025 sur Archives Révolutionnaires, veut nous convaincre que le cinéma expérimental n’est qu’un jeu de salon petit-bourgeois, une machine à distinction sociale où une élite intellectuelle se pavane en snobant les goûts populaires. « Le cinéma expérimental ne peut que se définir par le sujet collectif qui l’a produit historiquement dans les conditions matérielles et les rapports sociaux où il se trouvait », assène-t-il. Armé d’une sociologie bourdieusienne taillée à la serpe, il réduit l’avant-garde à une posture de classe. Mais à force de tout ramener à des étiquettes sociales, Simard rate l’essentiel : l’art, c’est du vivant, du rugueux, une fracture qui cherche sa forme.

Ce texte que je vous présente, long et tordu comme je les aime, va déplier sept idées pour montrer que l’expérimentation cinématographique échappe aux grilles sociologiques. Mais commençons par la base.

Pour un marxisme hétérodoxe

Simard applique mécaniquement une logique marxiste : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est leur être social qui détermine leur conscience. » L’art devient une ombre du capital, chaque plan un symptôme de classe. Mais un marxisme hétérodoxe, attentif aux contradictions, voit autre chose. Car le capitalisme porte en lui les germes de sa destruction, pas seulement parce qu’il asservit une classe, mais parce qu’il génère dans toutes les sphères de la vie des contradictions. Sans cette considération, le marxisme devient une pure mécanique de classe sans élégance.

Marx, par exemple, fasciné par Balzac, monarchiste, saluait sa lucidité concernant les fractures sociales multiformes issues de la révolution bourgeoise, absente chez les utopistes. Lukács, lui, faisait de l’art un champ de bataille où tombent les masques de la domination. L’art, même ancré dans une classe, produit des écarts, des vérités qui fissurent l’idéologie. Et c’est bien la magie de la forme, briser le contenu. Le cinéma expérimental, par-delà son appellation ou sa publicité dans des cercles spécialisés, tout comme le roman du XIXe siècle, n’est pas un code social, mais une dialectique vivante : il brise les formes dominantes, invente des langues neuves, révèle ce que le marché étouffe. Simard, avec sa sociologie circulaire, nie cette puissance. Il soupçonne les formes sans les éprouver, classe les films sans les voir, comme un bureaucrate de l’esthétique. Contre sa méthodologie mortifère, je défends une approche qui vit l’art, qui embrasse ses tensions, qui refuse de réduire l’inclassable à un bulletin de naissance.

1 Une sociologie qui étouffe l’art

Simard soutient que le cinéma expérimental, dès les années 1920, est l’œuvre d’une petite bourgeoisie intellectuelle qui « utilise le cinéma pour se distinguer ». Pour lui, chaque geste artistique est un symptôme de classe : « La cinéphilie expérimentale qu’il construit peu à peu s’oppose à la première cinéphilie dominante […], en se rendant obscure à la compréhension de celles-ci, par exemple en rejetant la fiction au profit de l’abstraction. » Si un film est illisible, c’est pour exclure ; s’il est autonome, c’est pour dominer. Chaque plan devient une tactique élitiste.

L’auteur refuse de voir que le moteur de l’expérimentation, ce n’est pas l’exclusion, mais le goût pour la nouveauté, le choc, la rupture. Ce désir n’a rien d’un caprice de classe : il est profondément humain. Il relève d’un besoin d’ébranler le monde, de fabriquer son propre langage. Et c’est là, précisément, que l’avant-garde rejoint la révolution : dans ce geste de recommencement, et la confiance que la culture, au sens large, est une promesse de bonheur.

En réduisant l’expérimentation à une stratégie de distinction, Simard passe à côté de ce que les films produisent. Regardez La coquille et le clergyman (1928) de Germaine Dulac : son montage onirique, ses images troubles, dynamitent les récits linéaires et les normes patriarcales. Ce n’est pas un caprice bourgeois, c’est une magnifique secousse esthétique qui résonne encore. Simard, en esquivant les œuvres pour les classer comme un bureaucrate, reste dans un idéalisme qu’il prétend combattre, loin des énigmes vivantes qu’offre le cinéma.

Une scène en noir et blanc présentant une femme vêtue de noir, debout sur un sol en damier, entourée de murs verticaux qui créent un effet dramatique et surréaliste.
Germaine Dulac, La Coquille et le clergyman (1928). Source.

2 L’art, un champ de bataille dialectique

L’art n’est pas un miroir social, c’est un terrain de lutte. Simard concède que le cinéma expérimental émerge dans le « milieu de l’art moderniste », mais il en tire une lecture figée. Comme le rappelait Theodor Adorno, l’autonomie de l’art n’est pas une fuite hors du monde, mais une forme de résistance au réel. L’œuvre autonome rend visibles les formes de domination non pas en les dénonçant, mais en les déjouant.

Dans cette perspective, l’expérimentation formelle n’est pas un caprice élitiste, mais une révolte contre l’industrie culturelle, contre l’identique qui se répète, contre la marchandisation des affects. Loin d’un repli snob, elle affirme que ce qui ne se laisse pas consommer immédiatement peut encore porter du sens. Adorno écrivait que l’œuvre vraiment moderne est celle qui « refuse d’être intégrée », qui contient en elle un reste, un excès, un refus.

Prenez L’homme à la caméra (1929) de Dziga Vertov, que Simard cite… sans en parler vraiment. Ce film exalte le travail ouvrier tout en brisant les conventions narratives, par un montage rythmique, heurté, inventif, qui forge un langage propre au cinéma. Peut-on vraiment réduire une telle œuvre à une posture de classe ? Je n’y arrive pas. Vertov met en scène la caméra elle-même, l’ouvrier-cinéaste au travail, brouille les frontières entre le réel et sa construction, entre le geste et le regard. Il anticipe même, en un sens, la critique du spectacle : celle d’un monde devenu frénésie visuelle, accumulation d’images, illusion de transparence.

Que fait Simard de cela ? Que pense-t-il de cette invention formelle, de ce montage syncopé et joyeusement dialectique ? Faut-il vraiment qu’un art soit populaire, et c’était bien l’objectif de Vertov malgré l’échec, pour être autre chose qu’une distinction de classe ? Ce cinéma n’a pas été adopté par les masses. Pourquoi ? Elles ne les ont pas vus, ses films.

Ce qui manque, outre la naissance d’une cinéphilie élitiste, c’est une étude juste du développement du cinéma. En effet, celui-ci est un art profondément technique, né dans une machinerie lourde : caméras, pellicule, laboratoire, montage, distribution, projection. Dès ses débuts, il a été pris dans les rets d’une industrie commerciale qui détermine ce qui peut être financé, produit, vu. Contrairement à la peinture ou à la poésie, faire un film implique une coordination de moyens complexes et coûteux. C’est précisément dans cet environnement contraint que l’expérimentation surgit, non pas comme un luxe de classe, mais comme un acte de résistance artisanale contre l’appareil industriel qui standardise les formes.

Un homme utilisant une caméra montée sur trépied pour filmer un paysage urbain, avec une ville en arrière-plan.
Dziga Vertov, L’homme à la caméra (1929)

3 Le goût populaire, une construction historique

L’auteur oppose l’avant-garde à une cinéphilie populaire qu’il suppose spontanément tournée vers l’identification et l’émotion. Il écrit que les classes travailleuses des années 1910 privilégient « l’identification aux personnages dans une situation rappelant la vie réelle, et l’émotion ressentie à l’écoute ». Cette préférence serait, selon lui, incompatible avec l’expérimentation, perçue comme un rejet assumé des masses.

Mais jamais il ne remet en question cette supposée évidence. Il ne s’interroge ni sur la construction historique de ces goûts, ni sur le rôle central de l’industrie dans leur formation. Or, ce que Simard prend pour une « préférence naturelle » est en réalité le produit d’une longue histoire de marchandisation : des formes standardisées, des structures narratives imposées, une lisibilité optimisée pour le marché, non pour l’émancipation. Sa conclusion repose non sur une enquête sensible des pratiques populaires, mais sur une lecture quantitative des usages produits par l’industrie elle-même qui étudiait le comportement des spectateurs. À ce niveau, ce n’est plus la sociologie critique de Bourdieu, c’est une méthodologie bâclée. Et peut-être, en creux, ce sont les goûts de Simard lui-même dont il est question.

Dans tous les cas, ce goût dit prolétarien est un produit de l’histoire. Les premiers publics ouvriers, comme le montre l’étude d’Altenloh qu’il cite lui-même, s’émerveillaient devant les actualités filmées ou les féeries de Méliès, fascinés par l’étrangeté de l’image. L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1895) des frères Lumière, sans narration ni personnages, hypnotisait par sa pure nouveauté. Ce proto-expérimentalisme parlait à tous. C’est ce que Tom Gunning appelle le cinéma d’attractions : un cinéma fondé sur le choc visuel, la frontalité, la surprise. Loin d’être élitiste, cette forme première du cinéma envoûtait les foules.

Si les masses s’attachent aujourd’hui aux récits héroïques, c’est sans doute parce que l’industrie a imposé ces formes pour véhiculer les grands mythes nationaux, moraux ou corporatifs. Ce sont les corporations et les États qui avaient les moyens de se payer un cinéma. Ce que Simard oublie de dire, par voie de conséquence, c’est que la bourgeoisie ne fait pas que consommer le cinéma : elle en fabrique les normes, en finance les récits légitimes, en encadre les genres. Là où il scrute les goûts, il détourne le regard des rapports de pouvoir concrets dans la production même des œuvres.

Et pourtant, malgré cette force d’homogénéisation, le cinéma n’est jamais tout à fait stable. Des failles apparaissent, des gestes dévient. Car le regard et les moyens de production évoluent ensemble, dans une valse chaotique, imprévisible. L’histoire le prouve : les formes radicales fécondent souvent la culture populaire. Eisenstein, le jazz, le punk, Godard, tous ont été rejetés à leurs débuts comme illisibles ou asociaux, avant de transformer durablement l’imaginaire collectif. Les techniques du film À bout de souffle irriguent aujourd’hui les vidéoclips, les publicités, les séries télé. Même ma mère décrypte ces codes une fois récupérés par l’industrie et sait les apprécier. Mais pas Raphaël Simard ?

En figeant le goût populaire, il perpétue le mythe d’une opposition binaire entre art savant et culture de masse, comme si le peuple était condamné à la simplicité.

Une scène en noir et blanc représentant un train à vapeur arrivant à une gare, avec des spectateurs rassemblés sur le quai.
L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (1895) des frères Lumière. Source.

4 L’expérimentation n’a pas de classe

Simard attribue le cinéma expérimental à une petite bourgeoisie intellectuelle homogène, affirmant qu’elle « passe par des circuits de production parallèles qui empêchent la consommation de masse de ses films ». Mais cette généralisation aplatit la diversité des avant-gardes.

Au XIXe siècle, Balzac, bourgeois ambitieux, Lautréamont, aristocrate errant, et Dostoïevski, noble déchu, ont bouleversé le roman avec des structures ouvertes, des narrations brisées, des voix polyphoniques. Leurs origines sociales divergent, mais leurs innovations convergent. Simard, en traquant un « sujet collectif » coupable, nie la lenteur des mutations esthétiques et le chaos des trajectoires individuelles, comme si l’art se réduisait à un bulletin de naissance. Et surtout, il enferme l’expérimentation dans le seul champ du cinéma, sans la replacer dans son horizon historique plus large.

Et si l’auteur veut bien sortir de ses tableaux de classes pour regarder quelques œuvres, en voici quelques-unes qu’il devrait pouvoir un peu aimer :

  • Man Ray, fils d’immigrants, qui peint la pellicule comme d’autres grattent la réalité.
  • Germaine Dulac, bourgeoise insoumise, qui fait imploser le récit avec une sensualité politique.
  • Hans Richter, éduqué en art, dadaïste converti au rythme ouvrier.
  • Viking Eggeling, aristocrate ruiné, qui trace des symphonies abstraites sur fond de misère.
  • Fernand Léger, fils de paysans, qui cadence le monde comme une machine sociale.
  • Len Lye, autodidacte prolétaire, qui fait danser la pellicule comme un tambour de rue.
  • Dziga Vertov, marxiste formel, qui filme l’usine sans narration, mais avec montage.
  • Luis Buñuel, noble castillan, qui sabote sa classe à coups de rasoir.
  • Maya Deren, immigrée fauchée, qui invente une transe cinématographique avec rien.

5 La marginalité, une nécessité, pas un snobisme

Simard voit la marginalité de l’avant-garde comme un choix élitiste : « La production des films expérimentaux, par son autonomie, se rend inaccessible au public de la masse travailleuse, non pas par une intention consciente, mais parce que les circuits de production alternatifs ne peuvent rivaliser avec l’industrie. » Cette marginalité est souvent une contrainte, pas une posture. Produire un film expérimental est un processus long et ardu qui n’a pas sa place dans les circuits dominants.

Ce qui distingue le cinéma des formes plus anciennes que sont la poésie, le théâtre, la peinture, ce n’est pas seulement sa jeunesse, c’est l’émergence simultanée de l’industrie culturelle : radio, studios, préproduction, storyboards, montage, distribution de masse. Le cinéma n’est pas né libre, il est né dans la cage d’acier d’un système technique sidérant, qui en a fait très tôt un outil de propagande sociale. C’est contre cela, aussi, que l’expérimentation s’est levée.

Len Lye, autodidacte prolétaire, crée A Colour Box (1935) en peignant sur la pellicule, avec des moyens artisanaux. Ce n’est pas un mépris, c’est une évasion des normes marchandes. Les coopératives évoquées par Simard, comme celle tentée en 1929, sont une résistance, un refus de l’absorption par l’industrie. Y voir du snobisme, c’est méconnaître la guerre pour le contrôle des écrans, où les avant-gardes (et les révolutionnaires, et les prolétaires, tant qu’à y être) se battent pour exister.

6 – Une politique des formes, pas des postures

L’expérimentation n’est pas une idéologie, c’est une brèche dans le sensible. En la réduisant à une « distinction par rapport aux classes travailleuses », Simard nie sa puissance politique. Il prolonge ainsi une méfiance ancienne envers les formes, qu’on retrouve chez Platon : tout ce qui échappe à l’ordre du discours est suspect, voire dangereux. Mais l’avant-garde ne cherche pas à illustrer une position, elle déplace les régimes de visibilité. Les films situationnistes, comme ceux de Guy Debord, détournent les images pour critiquer le capitalisme, un geste formel, pas un mot d’ordre. Le retour à la raison (1923) de Man Ray, que cite pourtant Simard, rejette toute narration, avec ses rayures peintes sur la pellicule : ce n’est pas une coquetterie bourgeoise, c’est une attaque contre l’illusion mimétique.

Un point plus fécond que le réductionnisme de classe serait peut-être celui-ci : l’avant-garde, comme les courants les plus radicaux du mouvement ouvrier, refuse la personnification du pouvoir. Elle ne cherche ni chefs, ni héros, ni sauveurs. Elle opère une politique des formes, sans programme figé, sans centralisation, en inventant des espaces de trouble, de désajustement, de révolte. Ce refus de l’assignation, du modèle, de l’identification univoque, c’est aussi une éthique : une défiance à l’égard du spectacle du pouvoir, qu’il soit esthétique ou politique. En ce sens, l’avant-garde ne méprise pas les masses. Elle refuse de leur imposer un visage. Elle les convoque autrement : par le fragment, la dissonance, la rature.

Simard, en creux, semble regretter la clarté des récits, l’autorité des figures, les affects fédérateurs. Mais le cinéma expérimental, comme la grève sauvage, refuse les grandes scènes héroïques. Il travaille dans le trouble… Et c’est là, précisément, qu’il est politique, imprévisible et vivant.

Une composition abstraite en noir et blanc présentant des formes géométriques et des ombres se chevauchant, évoquant un effet visuel dynamique et expérimental.
Man Ray, Le retour à la raison (1923). Source.

7 – Avant-gardes et mouvement ouvrier : un conflit, certes, mais productif de sens

Le texte de Simard reproche à l’avant-garde son incapacité à s’allier durablement au cinéma militant ouvrier : « La suprématie de leur relative autonomie productive et cinéphilique les empêchera jusqu’à aujourd’hui de s’organiser durablement auprès du cinéma militant ouvrier. » Puisqu’elle parvient à produire des films avec peu de moyens et à survivre, l’avant-garde n’a pas à se solidariser, en somme. C’est sans doute vrai, mais ce ton revanchard suggère un échec unilatéral, comme si les intellectuels avaient trahi une alliance naturelle avec les masses. Or, cet échec dépasse largement le champ artistique. C’est celui du communisme en général. Peut-être devrait-il se regarder le nombril ?

Si les conseils ouvriers, censés unir techniciens, travailleurs manuels et révolutionnaires, ont échoué, à qui la faute ? Au prolétariat ? Aux avant-gardes politiques ? Aux conditions objectives ? Bonne chance pour distribuer les fautes.

Sur le plan esthétique, la fracture est d’autant plus compréhensible. Les militants exigeaient un art lisible, didactique, au service de la révolution ; les artistes, une liberté. Vertov incarne ce conflit : censuré par le réalisme socialiste, il voit son cinéma de montage, radical et dialectique, remplacé par des récits linéaires, édifiants, transparents. La censure stalinienne impose un cinéma lisible, non pas pour le peuple, mais contre lui. Elle confond accessibilité et discipline, et sacrifie la puissance de l’art à l’efficacité du message.

Conclusion : pour un cinéma qui défie

Voir l’avant-garde comme une distinction de classe n’est pas en soi scandaleux. Le problème, c’est quand cela remplace la réflexion. Cette sociologie fait nécessairement l’économie des formes. Elle observe les conditions, pas les gestes. Elle repère les positions sociales, mais ignore ce que produit une rupture formelle, une image, un rythme.

Cette logique, on pourrait l’appliquer à tout : bouffe, logement, fringues – tout devient signe de classe, donc outil d’asservissement. Et à ce compte-là, Marx lui-même ne serait qu’un philosophe en quête de distinction. C’est cohérent. Mais circulaire. Et stérile.

Ce n’est pas la sociologie que je critique, mais une méthode qui confond biographie et esthétique, réseaux de production et puissance formelle. L’art déborde. Il dérange. Il transforme. Ce que Simard oublie de faire. Chez lui, la sociologie devient une cage. Il ne regarde pas les films : il les trie. Il ne cherche pas leur force : il les range.

Sur Facebook, Simard se défend : un petit-bourgeois peut exprimer une vision prolétarienne, le cinéma expérimental n’épuise pas l’imaginaire de sa classe. Très bien. Mais dans son texte, il n’en fait rien. Il n’analyse aucune œuvre qui bifurque. Il n’interroge aucune forme qui dévie. Cette distinction a posteriori reste théorique, jamais incarnée.

Ainsi, l’auteur ne montre jamais que les formes expérimentales excluent le grand public. Il postule leur exclusion à partir des circuits de production et de la non-conformité aux codes dominants. Mais il ne regarde pas les œuvres, ne décrit aucune séquence, ne pense aucune forme. Il ne nomme pas les succès, même partiels, dans le temps long, de certaines œuvres expérimentales. Il aime sans doute Ken Loach. Pas moi.

Toujours est-il, il ignore une chose essentielle : l’avant-garde, c’est souvent une révolte contre le père. Contre l’autorité des formes héritées. Pas une posture sociale, mais un geste existentiel. Une mise en jeu du « je » instable, informe, qui cherche sa langue. Vivement cette révolte dans la forme comme dans le contenu plutôt que de la rhétorique marxiste ronflante.

Son sujet collectif, sorte de fourre-tout entre bourgeoisie et prolétariat, évacue l’histoire concrète de la division du travail et des moyens de production, qui distribuent les rôles selon les logiques du capital. Dans le cinéma expérimental, de petits cinéastes ont produit des films sans grande équipe, sans grand moyen, faisant preuve d’érudition à la fois technique et intellectuelle : ils seraient pourtant des collaborateurs de classe. Simard pourrait avoir un minimum de respect pour leur engagement. Beaucoup n’ont pas seulement fait des films : ils ont vécu, milité, et lutté concrètement dans le champ culturel et politique.

Mais pour Simard, la culture n’est de toute façon ni production ni reproduction. Il écrit : « Les classes intermédiaires, comme la petite bourgeoisie intellectuelle, ne participent pas directement à la production des marchandises et donc à la reproduction de la vie humaine. » Cet idéalisme de l’orthodoxie marxiste lui permet de ne pas appliquer la même grille d’analyse à son propre texte, qui lui sert pourtant… à se distinguer. Le problème est que Simard, fidèle à sa tendance, pense que la philosophie est morte avec la 11e thèse sur Feuerbach.

Vu autrement, la culture est matérielle. La conscience aussi. Et si la petite bourgeoisie ne produit pas d’acier, elle produit bel et bien des images, des récits, des affects. Elle agit. Elle travaille. Elle vend son temps. Elle est plus souvent qu’autrement dépossédée.

Je lui lance un défi : parle-nous de cinéma. Des films qui t’ont bouleversé. Des formes qui t’ont renversé. Lâche ta grille. Respire. À nous, je dis : vivons les films avant de les réduire. Si l’auteur veut défendre les films narratifs prolétariens, qu’il nous parle de son rêve, car nous, cinéastes sans protection, ouvriers des formes, pauvres et tristes parfois, on est prêts. Prêts à en discuter. Prêts à en faire. Des films forts. Des films en lutte. Avec le prolétariat en action.

Mises à pied massives au collège Langara à Vancouver pour briser le syndicat

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/06/pre_footer-e1750889721522-1024x508.jpg25 juin, par West Coast Committee
Le collège Langara a procédé à des mises à pied massives pour tenter de briser le rapport de force du syndicat des enseignants. Le personnel et les étudiants sont mis à rude (…)

Le collège Langara a procédé à des mises à pied massives pour tenter de briser le rapport de force du syndicat des enseignants. Le personnel et les étudiants sont mis à rude épreuve alors que l’administration mal gérée de ce collège public fait face à une perte de revenus importantes. Près d’un (…)

Apartheid israélien et nécropolitique. Jusqu’où compter les morts ?

Avec le nouveau gouvernement israélien, l'hypothèse de l'annexion totale de la Cisjordanie devient de plus en plus plausible. Parallèlement, les opérations meurtrières de (…)

Avec le nouveau gouvernement israélien, l'hypothèse de l'annexion totale de la Cisjordanie devient de plus en plus plausible. Parallèlement, les opérations meurtrières de l'armée israélienne se poursuivent, et le blocus contre Gaza perdure depuis 2007. Israël s'empare d'un droit de vie ou de mort sur la population palestinienne. Si la « nécropolitique » fait référence à une politique de la mort, comment l'État d'Israël la met-il en œuvre et jusqu'où ira-t-il ?

Dans ce texte, nous allons nous pencher sur un cadre d'analyse élaboré par Achille Mbembé, historien et politicologue camerounais, qui, s'appuyant sur les notions de souveraineté et de biopouvoir développées par Foucault, explique que « l'expression ultime de la souveraineté réside largement dans le pouvoir et la capacité de dire qui pourra vivre et qui doit mourir. Faire mourir ou laisser vivre constituent donc les limites de la souveraineté, ses principaux attributs. » (Mbembé, 2006 : 29)

Je définis d'abord la souveraineté comme le droit de tuer. Aux fins de ma démonstration, je lie la notion foucaldienne de biopouvoir à deux autres concepts : l'état d'exception et l'état de siège. J'examine les trajectoires par lesquelles l'état d'exception et la relation d'inimitié sont devenus la base normative du droit de tuer. Dans ces situations, le pouvoir (qui n'est pas nécessairement pouvoir d'État) fait continuellement référence, et a toujours recours, à l'exception, à l'urgence et à une notion « fictionnalisée » de l'ennemi. (Mbembé, 2006 : 30).

La souveraineté à laquelle se réfère Mbembé renvoie au pouvoir, notamment celui qui permet de décider qui fait partie du « Nous » et qui en est exclu. En d'autres mots, la souveraineté dont il est question ici permet de désigner l'Ennemi, celui ou celle sur qui l'État, mais pas seulement, a le droit de vie ou de mort. De là, Mbembé établit un lien avec le racisme. De son avis, l'établissement de la division des espèces humaines en différents groupes et la subdivision en sous-groupes distribués à partir de critères reposant sur une césure biologique aboutit au racisme. Il précise : « Dans l'économie du biopouvoir, la fonction du racisme est de réguler la distribution de la mort et de rendre possibles les fonctions meurtrières de l'État. » C'est, dit-il, « la condition d'acceptabilité de la mise à mort ». Il rappelle que pour Foucault, « l'État nazi est l'exemple le plus achevé d'un État exerçant le droit de tuer ». Il ajoute : « l'État nazi est perçu comme ayant ouvert la voie à une formidable consolidation du droit de tuer, qui a culminé dans le projet de la solution finale. Ce faisant, il est devenu l'archétype d'une formation de pouvoir qui a combiné les caractéristiques de l'État raciste, l'État meurtrier et l'État suicidaire » (ibidem, 32).

Fractionnements territoriaux

Cette approche théorique proposée par Mbembé et ici synthétisée nous permet d'extrapoler et d'avancer l'hypothèse voulant qu'Israël constitue un régime d'apartheid menant une nécropolitique, ou politique de la mort. À l'instar de ce qui s'est passé en Afrique du Sud, le régime d'apartheid israélien constitue une entrave majeure au développement individuel et collectif de la population palestinienne vivant à Jérusalem, en Cisjordanie et à Gaza, et empêche le regroupement du peuple palestinien désormais dispersé sur plusieurs territoires et États. En dissociant le territoire conquis par les sionistes en 1948 (qu'on appelle aujourd'hui Israël) de la Cisjordanie et de Gaza par une ligne d'armistice, en séparant Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie en 1967, puis en séparant la Cisjordanie de la bande de Gaza pour les traiter comme deux territoires distincts, et enfin en fragmentant la Cisjordanie en zones A, B, et C à l'issue des Accords d'Oslo [1], Israël a, de facto, divisé la population palestinienne qui ne faisait qu'une avant la création d'Israël en 1948. À chaque zone territoriale correspond un statut spécifique pour les habitant·es, et une règlementation distincte qui exercent des contraintes sur les conditions de vie des Palestinien·nes, et les séparent les un·es des autres.

En outre, ces divisions et subdivisions territoriales et la multiplication de statuts distincts ont pour effet d'affaiblir, voire d'effriter le sentiment d'appartenance à une identité commune, le peuple palestinien, à une histoire et un territoire commun. Les contraintes imposées par l'État d'Israël font en sorte qu'un·e jeune Palestinien·ne d'une vingtaine d'années vivant en Cisjordanie n'a jamais mis les pieds à Jérusalem parce qu'Israël le lui interdit. Il ou elle ne connaît pas cette ville pourtant au cœur de son histoire, et au centre du territoire revendiqué pour en faire la capitale d'un futur État palestinien. Les nombreux barrages routiers sont des entraves de plus à la mobilité des Palestinien·nes à l'intérieur des mêmes secteurs géographiques, ce qui contraint grandement la poursuite des études, le travail et la plupart des activités commerciales et économiques. De plus, ce découpage sociospatial accroît le pessimisme de celles et ceux qui estiment que de facto, il est devenu impossible de démanteler les colonies de peuplement en vue de créer un État palestinien sur un territoire contigu. La matérialité de cette fragmentation territoriale empêche même la représentation visuelle d'un éventuel État palestinien qui permettrait à la société palestinienne de s'émanciper politiquement.

Même si Mbembé n'aborde pas directement la question du territoire, la notion de souveraineté y est intimement liée. Ainsi il est permis d'avancer que le biopouvoir est celui qui permet de déterminer qui a le droit de vivre sur un territoire délimité, et qui n'y a pas droit. Pensons ici aux villes blanches sud-africaines durant la période de l'apartheid qui étaient interdites aux Noir·es d'Afrique du Sud. Ces dernier·ères pouvaient certes y travailler, mais ils et elles étaient obligé·es de rentrer dormir dans leurs townships (villes habitées exclusivement par les Noir·es), à moins d'avoir un permis. Autrement, ils et elles risquaient de fortes pénalités qui pouvaient aller jusqu'à leur couter la vie.

Apartheid et appropriation spatiale

Le biopouvoir, la souveraineté, le territoire et le racisme sont donc liés et justifieraient l'accaparement du droit de vie ou de mort ou la nécropolitique au sens de Mbembé. Un peu à l'image de l'Afrique du Sud, l'État d'Israël a découpé et aménagé le territoire sur lequel il a établi et consolidé sa « souveraineté » depuis 1948, à la faveur des intérêts juifs. En 1967, à la suite de l'occupation militaire de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est [2] (occupation illégale à l'égard du droit international), le gouvernement israélien adoptait un schéma d'aménagement prévoyant les futurs sites pour la construction des colonies de peuplement à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et à Gaza. Au fil du temps, environ 280 colonies ont été érigées pour l'usage exclusif de 710 000 colons juifs [3]. Là-dessus, 138 sont reconnues officiellement par le gouvernement israélien, les autres sont des « avant-postes », c'est-à-dire des noyaux d'habitation créés par des militant·es juif·ves plus radicaux qui prennent l'initiative de créer des sites appelés à être reconnus officiellement par le gouvernement israélien. Ces colonies pourtant établies à l'extérieur de la Ligne verte, soit la ligne d'armistice imposée en 1949 qui sépare l'État d'Israël à la Cisjordanie, ont été construites pour la très grande majorité sur des terres confisquées par Israël, qui appartenaient à des familles palestiniennes. Très souvent, elles sont construites par des ouvriers palestiniens qui pour vivre ou survivre n'ont d'autres choix que d'accepter ce travail. À titre de rappel, à Gaza, il y avait 21 colonies de peuplement où 9 000 colons jusqu'en 2005, date d'un retrait unilatéral israélien.

À Jérusalem-Est, la situation diffère quelque peu de celle qui prévaut en Cisjordanie et à Gaza, car le gouvernement israélien a officiellement annexé cette partie de la ville, ce qui signifie qu'aux yeux des Israélien·nes, la ville est entièrement sous souveraineté israélienne. Cela vaut pour les quartiers de la vieille ville comme pour les quartiers palestiniens qui sont à l'extérieur. La région métropolitaine de Jérusalem a, elle aussi, été découpée selon un schéma d'aménagement ségrégationnel. On y retrouve des quartiers palestiniens et des colonies de peuplement érigées à Jérusalem-Est. Et depuis les années 2000, des familles de colons s'établissent, sous protection policière, au sein même de quartiers palestiniens, ce qui accroît grandement le climat d'insécurité [4].

Par ailleurs, même si Israël n'a pas étendu sa souveraineté aux territoires de la Cisjordanie et de Gaza, il demeure qu'il les judaïse en y établissant des colons juifs et juives. De plus, à partir de la première Intifada [5], les dirigeants israéliens ordonnaient la construction de routes de contournement afin que les véhicules immatriculés de plaques israéliennes ne passent pas trop près des villes et villages palestiniens. Par la suite, des infrastructures routières séparées seront construites. Bref, la planification et l'aménagement territorial ont permis à Israël de matérialiser un régime d'apartheid sur l'ensemble du territoire de la Cisjordanie et de Gaza, aujourd'hui reconnu comme tel par Amnistie internationale, Human Rights Watch et l'organisation israélienne B'tselem.

En outre, il importe de saisir que la stratégie israélienne d'appropriation spatiale des territoires palestiniens s'accompagne de l'accaparement de l'eau, une ressource essentielle à la vie. Selon B'Tselem, 80 % de l'eau de la Cisjordanie serait consacrée au service des activités agricoles israéliennes.

Par ailleurs, ce régime d'apartheid s'accompagne d'un récit qui entretient la peur et la haine de l'Autre, encourage différentes formes de violence et banalise la mort, tant celle des hommes, des femmes que des enfants. C'est ici que la pensée de Mbembé apparaît encore plus pertinente, car elle permet d'avancer que la souveraineté et le biopouvoir ont conduit Israël et des groupes de colons à pratiquer une nécropolitique, soit une politique de la mort pour l'ennemi d'Israël.

Fabrique de l'ennemi palestinien

À la fin du 19e siècle, les Palestinien·nes habitant le territoire de Palestine ont d'abord été considéré·es comme un « peuple absent » comme le rappelle d'ailleurs le fameux slogan des premiers colons sionistes : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre. » Progressivement, ils et elles sont devenu·es indésirables, aux yeux des Israélien·nes, parce qu'ils s'opposaient à la puissance occupante, et résistaient aux confiscations des terres. Plus encore, ils n'ont jamais collaboré avec Israël et se sont rangés derrière l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) de façon quasi unanime. Ajoutons enfin qu'ils et elles ont été associé·es au terrorisme, à la volonté de jeter les Juif·ves à la mer, et au projet de destruction de l'État d'Israël. Ces images de l'Autre qui imprègnent encore aujourd'hui les discours gouvernementaux, les manuels scolaires, la muséologie et la culture contribuent au sentiment d'insécurité des Israélien·nes, laissant croire de façon récurrente à des attaques palestiniennes imminentes, à des enlèvements ou à des attentats à la bombe. Ce discours permet ainsi à l'État d'Israël d'agir en toute impunité sous prétexte qu'il y a état d'urgence ou état d'exception. Les gouvernements israéliens au pouvoir, qu'ils soient de droite ou de gauche, autorisent ainsi des opérations militaires de grande envergure comme celles qui ont été menées contre la bande de Gaza depuis 2006 (date de la victoire électorale du Hamas à la tête du gouvernement de Gaza), ou appellent à briser les os de la jeunesse palestinienne comme cela avait été le cas lors de la première Intifada. Dès lors qu'on évoque la menace palestinienne, les dirigeant·es israélien·nes autorisent le recours à des mesures illégales à l'égard du droit international. On parle ici de détentions administratives ou d'emprisonnements sans procès, d'emprisonnement de mineur·es, ou de mesures dites de représailles comme la destruction de maisons où un membre de la famille est soupçonné d'avoir participé à une action contre Israël. De leur côté, des colons israéliens vont déraciner des arbres sur les terres palestiniennes ou entraveront le travail des paysan·nes palestinien·nes, qui demeurent pour un bon nombre de familles palestiniennes le principal moyen de subsistance.

Cette lecture très synthétisée de la souveraineté et de la nécropolitique permet de mettre à nu la véritable nature colonialiste, raciste et meurtrière de l'État d'Israël, un État qui se dit encore un État d'exception [6] alors qu'il a l'une des plus puissantes armées de la région du Machrek et qu'il bénéficie de l'aide militaire et financière des États-Unis.


[1] À l'issue des Accords d'Oslo, la Cisjordanie a été divisée en trois zones géographiques distinctes, soit la zone A constituée des grandes villes palestiniennes et placée sous l'Autorité palestinienne, la zone B qui recouvre les zones en périphérie de ces grandes villes, et enfin, la zone C.

[2] Le Golan syrien et une partie du Sinaï égyptien ont également été occupés à l'issue de la Guerre des Six jours, mais nous n'en traitons pas dans cet article.

[3] Ces données proviennent de l'organisme israélien des droits humains et concernent l'année 2022.

[4] Les colons israéliens qui sont réservistes portent leurs armes sur eux jour et nuit.

[5] « Intifada » signifie en arabe « soulèvement ». La première Intifada a eu lieu de décembre 1987 à 2001.

[6] Selon Universalis : « On désigne par “ état d'exception ” la situation dans laquelle se trouve un État qui, en présence d'un péril grave, ne peut assurer sa sauvegarde qu'en méconnaissant les règles légales qui régissent normalement son activité. L'organisation de l'État, en période normale, est conçue de manière à réaliser un équilibre entre les exigences du pouvoir et celles de la liberté ; elle ne convient plus lorsqu'il s'agit de faire face à un danger exceptionnel et que le besoin d'efficacité et de rapidité passe au premier plan. »

Anne Latendresse est militante internationaliste.

Illustration : Marcel Saint-Pierre, Méli-mélo, 1978. Huile sur toile libre, 213 x 619 cm

Antigone et la fondation nationale par le deuil

Comment appréhender la succession morbide de tueries de masse aux États-Unis ? Si elles sont le fruit de la folie du siècle, elles s'ancrent aussi dans l'histoire américaine et (…)

Comment appréhender la succession morbide de tueries de masse aux États-Unis ? Si elles sont le fruit de la folie du siècle, elles s'ancrent aussi dans l'histoire américaine et contribuent à refonder la nation.

Sur certains sites de prévention de la violence, une carte des États-Unis marque d'un point rouge les villes ayant servi de scène à des fusillades de masse durant les dernières années. Le territoire américain se trouve ainsi reconfiguré à partir des massacres qui l'habitent. En menant une recherche sur le mot mass shooting (fusillade de masse), on tombe sur une longue liste de lieux associés à cette pratique. Aucun pays n'est à l'abri de tels massacres et les exemples récents nous montrent leur mondialisation. Certes, les États-Unis ont développé une pratique routinière des fusillades de masse s'inscrivant dans une expérience de la violence par armes à feu. En 2013, on dénombrait aux États-Unis 21 175 suicides et 11 313 homicides involontaires et volontaires par armes à feu, alors qu'au Japon, durant la même année, 13 mort·es de la même manière étaient recensé·es. Un·e Américain·e a 300 fois plus de chances de mourir d'un homicide par arme à feu qu'un·e Japonais·e. [1]

Si le massacre établit un temps de la répétition (« encore un ») développé à partir d'un récit comptable, voire maniaque (20 200 morts causées par des armes et travers 647 fusillades de masse en 2022), il dialogue aussi avec la géographie des États-Unis (Uvalde, Aurore, Bernardino, Half Moon Bay et tant d'autres lieux). Les fusillades de masse (en très grande majorité perpétrées par des hommes ou des personnes qui s'identifient au genre masculin) [2] perpétuent des récits de territoires et de conquêtes possibles et impossibles. La part de la construction nostalgique du genre à travers le port d'armes n'est pas à négliger, comme le montrent de nombreuses études [3].

À chaque instant, tout·e citoyen·ne américain·e sait qu'il ou elle peut être la cible d'un tireur fou dans une salle de concert, une école, une université, un centre d'achats, un bar, un restaurant, une salle de cinéma et même sur l'autoroute. Des criminologues affirment qu'éliminer le risque de meurtre de masse aux États-Unis impliquerait des mesures « extrêmes » : abolir le second amendement, faire advenir le plein emploi, réinstaurer le sens de la communauté et introduire la possibilité d'arrêter toute personne qui a l'air suspecte ou qui agit de façon considérée étrange (ce qui est tout de même le cas dans le profilage racial, mais passons…). « Les fusillades sont peut-être le prix que nous devons payer pour vivre dans une société où la liberté personnelle est si estimée » [4].

Les fusillades ont une histoire

Or, ces fusillades de masse ne sont pas nouvelles dans l'histoire américaine, malgré le sentiment général. Il est habituel de faire remonter la première fusillade de masse en août 1966, à l'Université du Texas à Austin. 15 personnes moururent et 31 furent blessées lors de cet événement. Le Smithsonian Institute, lui, voit la première fusillade de masse en 1949 quand un vétéran de guerre mit à mort 13 personnes en 12 minutes dans la ville de Camden (New Jersey). S'il n'y a pas de bataille ici pour la première place dans cette série de l'horreur, force est de constater qu'il est difficile, après une brève recherche sur internet, d'avoir accès aux données relatives aux fusillades de masse avant le XXe siècle. Pourtant, on découvre des récits montrant l'existence de tels événements : en 1891, un homme armé blesse, dans une salle de concert d'une école au Mississippi, 14 personnes [5]. En 1893, quatre étudiants furent tués par balle et moururent durant une danse festive au Plain Dealing High School en Louisiane. Ces meurtres de masse souvent haineux, racistes, sont peu pris en compte par la mémoire historique américaine, relevant simplement dans les esprits des dommages collatéraux de l'esclavage ou encore de querelles intimes et privées.

En effaçant ainsi le passé américain et en faisant de la fusillade de masse le produit d'une modernité, d'un éventuel relâchement des mœurs, on évite de faire remonter à la surface de l'histoire le fait que les États-Unis d'Amérique se sont construits sur des génocides (peuples autochtones) et des violences terribles (ségrégations de toutes sortes, guerres civiles) qui leur ont permis de se constituer en nation. Le second amendement, sur lequel on s'appuie pour défendre l'accès aux armes, va en ce sens. La folie meurtrière, souvent aveugle et banalisée, est peut-être un des gestes problématiques, mais fondateurs, de la nation américaine et de beaucoup de nations occidentales qui ont longtemps été fières de leur capacité à dominer d'autres peuples, à effacer des altérités et à nier leur violence fondatrice, dont l'archaïsme pulsionnel ne colle pas avec les progrès dont se targuent ces pays.

Cette idée d'un trauma à répétition est avancée par des psychologues aux États-Unis [6]. Rossolatos par exemple va dans le sens d'un traumatisme culturel où les membres d'une collectivité, ici les États-Unis, sont l'objet (ou le sujet) d'événements horribles qui laissent des marques indélébiles sur la conscience d'un groupe, marques que les fusillades de masse à répétition mettent en scène et réactivent. Rossolatos suggère que les fusillades de masse servent de glu sociale. L'Amérique sans cesse rejoue sa violence fondatrice et crée du bouc émissaire, du sacrifice qui vient refonder, à travers le deuil des communautés et des groupes politiques. Il est commun d'entendre les discours politiques présidentiels commencer ainsi : « J'aimerais que tout le monde à travers le pays garde dans ses pensées et prières les familles et la communauté de… ».

Un trauma national

Les fusillades de masse constituent des traumas collectifs sur des territoires d'abord limités. Mais elles deviennent vite des traumas nationaux par l'intermédiaire des médias qui configurent souvent les événements dans la hâte demandée par le sensationnalisme. Ce deuil collectif, en série et demeurant toujours à refaire, concerne l'ensemble du territoire américain qui se voit atteint. Pourtant, ce n'est pas seulement un discours de deuil qui se fait jour à l'occasion de ces fusillades, mais un plaidoyer pour la résilience du peuple américain qui, comme le phénix renaît plus fort de ses cendres et ses blessures, garantissant sa liberté. Peu de textes ont réfléchi sur ces traumatismes à répétition comme récits refondateurs et donc nécessaires à la « grandeur » d'une nation. Les fusillades de masse n'occuperaient-elles pas dans la nation une place semblable aux récits de guerre ?

Ces meurtres de masse visant un groupe déterminé ou non doivent être pensés dans un rapport au territoire national, sans cesse conquis. En effet, si le meurtrier, par son geste, n'a pris possession d'un lieu que momentanément, il est impossible de négliger la place imaginaire et symbolique créée par un espace que la fusillade a propulsé dans un ensemble de lieux de terreur et de résilience politique et religieuse. Après l'événement, cet espace est le terrain d'une occupation identitaire, communautaire et politique, puisque la mort et le deuil, comme nous l'a si bien montré la grande Antigone, créent des territoires réels et symboliques pour lesquels des partis se battent et s'arrogent des droits sur les morts.

S'il semble loin le temps pour la pensée occidentale où les suicidé·es des chrétiens n'avaient pas droit au cimetière, il faut néanmoins se pencher sur les modalités actuelles des lieux de commémoration des fusillades de masse pour comprendre que la question de l'hommage aux mort·es est encore très importante dans les sociétés occidentales.

L'appropriation du deuil

On ne peut pas négliger de penser les discours conflictuels et belliqueux qui ont lieu dans l'après-coup des fusillades. La reconstruction de la mémoire et le culte des morts après un tel événement viennent conforter des récits stratégiques. La mort et les mort·es servent les fins de l'État ou encore de groupes religieux ou/et politiques. C'est du moins ce que montre dans une étude importante Crystal Lacount [7] qui analyse la construction de la mémoire après le massacre de Columbine perpétré en 1999 dans un collège du Colorado, par deux étudiants.

Comme lors de beaucoup de fusillades, tout juste après le massacre, un désir spontané de témoigner aux mort·es une dernière pensée s'est exprimé aux alentours du collège devenu scène de crime. Des chapelles spontanées furent érigées par des citoyen·nes dévasté·es qui apportaient des objets personnels symboliques. Ces gestes, qui pouvaient redonner aux gens une capacité d'agir, se voulaient une offrande faite aux jeunes mort·es. Ces lieux spontanés de commémoration se présentent comme neutres politiquement. D'un commun accord tacite, on peut même parfois pleurer sur ces sites les meurtriers, tant ces espaces se veulent accueillants envers une douleur vive. Notons cependant que ces gestes ne sont pas le privilège des fusillades de masse, mais de morts qui viennent toucher viscéralement le public (mort de Lady Diana, de la reine Élisabeth, etc.). Il s'agit de laisser la trace d'une émotion, d'une douleur sur le site de la mort ou dans ses alentours qui restent dans la pensée populaire porteurs de quelque chose. Personne n'est en effet immédiatement inclus·e dans ces rituels de mémoire ou n'en est exclu·e. Ce mélange d'artefacts, de pensées, ce bric-à-brac d'offrandes, montre un tissu social qui se fait à travers le deuil et étonnamment parfois dans une diversité.

Or, dans l'après-coup des fusillades, la mort devient un territoire politique où est demandé un contrôle des armes, mais où sont instrumentalisées de prétendues persécutions contre les communautés religieuses ou encore contre la NRA (National Rifle Association) qui voit une appropriation par la gauche anti-armes des mortes et des morts. Certaines de ces organisations de droite tentent donc de s'immiscer dans la construction des lieux officiels de commémoration du massacre pour mieux leur donner un ancrage idéologique.

Une semaine après le massacre de Columbine, une bataille eut lieu sur la question de croix commémoratives. Fallait-il ériger des croix pour les meurtriers ? Greg Zanis, charpentier (comme le Joseph du Nouveau Testament) de son état, vint tout droit de Chicago pour édifier 15 croix de six pieds. Ces « Crosses for losses » ont créé des dissensions dans la communauté de Littleton au Colorado. Le père d'une victime de Columbine détruisit les croix dédiées aux meurtriers. Entre un geste spontané de deuil et une érection de croix par un charpentier de Chicago atteint de prosélytisme national et religieux, il y a un monde que seule la prise de possession du territoire de la mort semble justifier. Mais très mal…

Devant cette violence chrétienne, on préféra reconstruire le collège qui avait été très abimé par la fusillade. Les parents de victimes et les blessé·es joignirent leurs efforts et créèrent un groupe nommé Healing of People Everywhere (H.O.P.E.) qui érigea un mur de la guérison. Le Wall of Healing, fait des pierres rouges du Colorado, crée de nos jours un ovale englobant, qui se veut inclusif et hospitalier. Dans ce mémorial, chaque famille des victimes put fournir un texte personnel dont les mots furent gravés dans la pierre. Après ces massacres par fusillade et après de longues et intéressantes consultations publiques, il est possible dans certaines communautés de créer un mieux-être collectif en rendant hommage aux mort·es et à la douleur à travers une diversité et un mélange des voix.

Est-ce que les États-Unis pourront refonder de vraies collectivités dans un deuil respectueux et diversifié ? C'est ce que souhaitent beaucoup de gens qui sentent que c'est malheureusement à travers le deuil que le politique peut se renouveler. Comme quoi, même en Amérique, les Antigone se rebellent encore et toujours contre des deuils politiques qui font dans la parole toute faite et dans l'appropriation des morts.


[1] Fisher, Max, and Keller , J. (2017) « What explains US Mass Ahootings ? International Comparisons Suggest an Answer. » The New York Times.

[2] Bridges, Tristan, and Tober, Tara Leigh (2022) « Mass shootings and masculinity ».

[3] Morgan, S., Allison, K., & Klein, B. R. (2022) “Strained Masculinity and Mass Shootings : Toward A Theoretically Integrated Approach to Assessing the Gender Gap in Mass Violence, Homicide Studies, 2022, p. 10887679221124848.

[4] Fox, J. A., & DeLateur, M. J. (2014) « Mass Shootings in America : Moving Beyond Newtown », Homicide Studies, 18 (1), 125–145. Ma traduction de la dernière phrase de l'article.

[5] behindthetower.org/a-brief-history-of-mass-shootings

[6] Rossolatos, G. (2020) « Consuming the Scapegoat : Massshootings as Systemically Necessary Cultural Trauma », International Journal of Marketing Semiotics & Discourse Studies, Vol. VIII, pp.1-16.

[7] LaCount, Crystal (2020) Commemoration, Memorialization and Mass School Shootings : an Analysis of Collective Memory and Power Structures. A thesis submitted to the Graduate Council of Texas State.

Catherine Mavrikakis est écrivaine et professeure de création littéraire à l'Université de Montréal

Illustration : Marcel St-Pierre, Sous le chapiteau, 1999, détail. Pellicule d'acrylique sur toile, 120 x 150 cm. Collection particulière

Colombie. Entre la violence et l’espoir

Plusieurs analystes ont expliqué la persistance de la violence en Colombie par des manifestations de criminalité individuelle. Il faut toutefois, même si cela est complexe, (…)

Plusieurs analystes ont expliqué la persistance de la violence en Colombie par des manifestations de criminalité individuelle. Il faut toutefois, même si cela est complexe, tenter de comprendre la violence autrement pour rendre compte de sa persistance dans le temps et l'espace.

De nombreuses générations ont vécu dans ces circonstances, depuis le moment de notre naissance en tant que république en 1810 par la main du libérateur Simon Bolivar et son rêve d'une Amérique unie. À cette époque, il est évident que les guerres menées par les Espagnols ont été guidées par des intérêts individuels qui s'opposaient à ce rêve.

Une clarification nécessaire

Il est important de garder à l'esprit que les différents actes de violence en Colombie ont été si nombreux et d'une telle ampleur qu'il n'est pas possible de les traiter dans leur ensemble. Les facteurs qui ont déclenché ces conflits sont multiples. Les victimes ne peuvent pas être entièrement comptabilisées.

Le sociologue colombien Orlando Fals Borda a avancé plusieurs hypothèses sur les raisons de cette violence. Certaines d'entre elles sont liées à une série de luttes régionales, d'autres à des causes structurelles telles que la pauvreté et les inégalités sociales. Une troisième hypothèse concerne les idéologies politiques en jeu. Une autre analyse s'intéresse au manque de légitimité de l'État et à l'exercice du monopole de la force [1].

Par ailleurs, de l'État colombien et son appareil militaire et paramilitaire aux groupes de paysans armés en passant par les diverses guérillas insurgées ou les groupes criminels en général, de nombreux acteurs violents ont été impliqués. Chacun d'entre eux a contribué à ces conflits.

Les origines de la violence

Le contexte actuel trouve ses racines dans les évènements connus sous le nom de « La Violencia » qui se sont produits entre 1946 et 1963. Un cap est franchi le 9 avril 1948, avec l'assassinat du dirigeant du Parti libéral Jorge Eliécer Gaitan. Cet épisode décisif pour l'histoire de la Colombie marque la naissance des groupes d'autodéfense paysans. Ces derniers vont engendrer des guérillas proches du Parti libéral qui constituaient alors la réponse armée aux groupes paramilitaires liés au Parti conservateur.

La période de violence s'est approfondie avec la barbarie vécue dans les campagnes, où la mise à mort par empalement des hommes, des femmes et des enfants est devenue chose courante. Cela a entraîné de grands déplacements des communautés paysannes qui ont été contraintes d'occuper de nouvelles terres pour leurs cultures, ce qui a déclenché diverses confrontations avec les propriétaires terriens.

Il convient de mentionner que les oligarques ont accepté de mettre fin à la guerre entre les conservateurs et les libéraux par la construction du Front national, qui était un pacte entre les deux partis pour écarter le général dictateur Gustavo Rojas Pinilla du pouvoir et « arrêter l'effusion de sang ». Cependant, le Front national a fermé les portes du pouvoir politique à certains groupes sociaux, dont les groupes paysans, les communautés autochtones et la population à gauche politiquement, en assurant l'alternance du pouvoir entre libéraux et conservateurs tous les quatre ans. Les problèmes dans les campagnes se sont poursuivis, les paysans n'ayant pas de terres à cultiver et la misère dans les villes continuant de croître. En conséquence, certaines guérillas libérales ont refusé la paix proposée par le gouvernement et ont continué d'affronter l'État.

Parallèlement à l'augmentation du déséquilibre dans la distribution des terres, la répression exercée par l'État s'est accrue. Plusieurs groupes émergent face à cette situation. En 1967, les guérillas révolutionnaires des FARC-EP [2], de l'EPL [3], et de l'ELN [4], tous d'orientation marxiste-léniniste, apparaissent. En 1970, le M-19 nait en réponse à la fraude électorale qui a profité au conservateur Misael Pastrana. D'une autre perspective, le mouvement indigène Quintín Lame nait à son tour en 1981.

De difficiles accords de paix

Bien que l'histoire de la Colombie ait été marquée par la violence, il est important de mentionner que la société civile – les communautés paysannes, les syndicats, les peuples autochtones, les femmes, les afrodescendant·es, les étudiant·es et les communautés locales – a toujours recherché la paix.

Les années 1980 ont été caractérisées par le travail de diverses communautés pour cesser les hostilités entre les différents groupes armés, y compris l'armée nationale. C'est pourquoi, en 1984, une table de négociation a été ouverte entre le gouvernement de Belisario Betancur et la guérilla des FARC-EP à Uribe-Meta. Elle avait pour but d'obtenir un cessez-le-feu bilatéral et de négocier une solution politique au conflit social et armé.

L'un des éléments les plus importants qui ont été discutés concernait la nécessité d'élargir la démocratie et de faire participer les secteurs de la société qui avaient été historiquement marginalisés par les politiques du Front national. Ainsi est né le parti La Unión Patriótica-UP. Son objectif était de consolider un accord de paix qui permettrait la participation politique de la guérilla et d'autres secteurs populaires et alternatifs.

L'UP était composée d'un grand nombre de personnes avec et sans affiliation politique. Elle comprenait des membres des FARC et du Parti communiste colombien, des syndicalistes, des organisations paysannes, communautaires et étudiantes, et même des libéraux et conservateurs ayant des positions démocratiques.

Cependant, il n'a pas fallu longtemps pour que la violence contre l'UP commence. Dès le premier instant de sa consolidation, des milliers de militant·es ont été assassiné·es, torturé·es et contraint·es de fuir le pays. Le nombre de victimes de ce génocide a été estimé à 6000 personnes. Il convient de mentionner l'assassinat de deux candidats à la présidence : Jaime Pardo Leal et Bernardo Jaramillo. L'extermination de l'Unión Patriótica signifiait la perte de son statut juridique et donc la perte de son action politique. D'ailleurs, ce n'est pas seulement l'UP qui a été victime de la répression de l'État et de son appareil paramilitaire, mais aussi d'autres coalitions comme le mouvement syndical et populaire A Luchar.

Ces massacres faisaient partie d'un plan d'extermination systématique contre le parti politique. Ils et elles ont été exécuté·es avec la participation d'agents de l'État et du secteur paramilitaire, et avec la complaisance des autorités. Dans ce contexte, les FARC-EP ont considéré qu'il n'y avait pas de conditions politiques favorables pour continuer le processus de paix et ont repris les armes.

Malgré la répression et la persécution politique, le peuple colombien n'a pas renoncé à son rêve de vivre en paix, et, en 1990, la paix a été signée avec le M-19, une partie de l'EPL, le Mouvement Quintín Lame et une faction de l'ELN. Cependant, la violence s'est fait à nouveau sentir le 8 mars de la même année lorsque le candidat présidentiel du M-19, Carlos Pizarro, a été assassiné. En 1991, la nouvelle constitution néolibérale est promulguée, laissant derrière elle de nombreux éléments démocratiques qui avaient été acquis.

Les années 1990 ont été caractérisées par une violence intense dans le pays où les oligarques ont travaillé avec les trafiquants de drogues et les paramilitaires, faisant des milliers de mort·es, de disparu·es, de torturé·es et de déplacé·es.

Malgré ce climat politique, de nombreuses organisations, partis de gauche et secteurs démocratiques ont continué à travailler pour la paix. À la fin de la décennie, une table de négociation a été créée entre le gouvernement d'Andrés Pastrana et la guérilla des FARC-EP à El Caguán. Malheureusement, elle a échoué en raison de l'aggravation du conflit et du renforcement du paramilitarisme.

Après la rupture de la table des négociations, le conflit s'est aggravé avec l'arrivée d'Álvaro Uribe et sa politique de « sécurité démocratique ». Celle-ci se concentrait prétendument sur l'élimination militaire de l'insurrection, tout en renforçant la répression contre les organisations sociales, les défenseur·euses des droits humains et les militant·es de gauche. Durant cette période sombre, 6 402 exécutions extrajudiciaires ont été dénombrées à ce jour. Le plus souvent, il s'agissait de civil·es déguisé·es en guérillero·as et tué·es par l'armée pour obtenir des prix et des promotions.

Des années plus tard, en 2012, l'UP a de nouveau été légalement autorisée à fonctionner. La même année, l'État colombien a accepté une certaine responsabilité dans le génocide. Et en novembre 2016, la guérilla des FARC et le gouvernement de Juan Manuel Santos ont signé l'Accord final pour la fin du conflit et la construction d'une paix stable et durable.

Le dénouement de ce long conflit rend manifeste la nécessité de mettre fin aux violences, de distribuer plus équitablement les terres, de mettre en place un système de justice, de vérité, de réparation et de non-répétition des erreurs passées.

Un moment historique

La Colombie a une longue histoire de violence qui a laissé des blessures profondes, dont la plupart ne sont toujours pas cicatrisées. Mais en même temps, elle a une histoire de résistance et de résilience. Ses principaux acteurs et actrices ont contribué à une politique démocratique, à la mémoire historique, à l'art et à la transformation sociale. La lutte pour la paix à partir du principe moral de justice sociale a été un but décisif pour la construction de la démocratie dans le pays.

À chaque épisode de violence, les communautés ont appris à affronter les scénarios les plus douloureux. Il n'est pas possible de parler de la violence en Colombie sans parler des actions collectives qui visent toujours à construire et transmettre la mémoire collective. Les luttes historiques pour la terre, les revendications des communautés historiquement marginalisées comme les communautés autochtones, afrodescendantes, paysannes et ouvrières, la signature de l'accord de paix et le soulèvement de millions de jeunes en 2021 ont créé les conditions sociopolitiques nécessaires pour qu'une coalition des forces alternatives et de gauche arrive au pouvoir en juin 2022. C'est une première dans l'histoire de la Colombie.

Cette coalition s'est engagée à vérifier certains des besoins des populations vulnérables. Six mois après l'arrivée au pouvoir du gouvernement de Gustavo Petro, ancien guérillero du M-19, une série de réformes ont été mises en place, comme la protection de l'Amazonie, la réforme agraire, la loi de paix totale, le rétablissement des relations avec le Venezuela et la reprise des négociations avec l'ELN [5].

Mais ni la paix ni la justice sociale ne viendront du gouvernement seul. Les mouvements sociaux et les partis de gauche en sont conscients et travaillent chaque jour pour éviter d'être victimes d'un nouveau conflit ou d'être instrumentalisés par les institutions.

Tant les mouvements que les partis travaillent à mettre un terme définitif à un système oppressif, extractiviste, raciste, criminel et patriarcal qui a fait de la Colombie sa véritable forteresse économique. C'est pourquoi notre slogan restera le suivant : « Ils peuvent couper une fleur, mais ils ne mettront pas fin au printemps. »


[1] Centro Nacional de Memoria Histórica, ¡Basta Ya ! Colombia : memorias de guerra y dignidad. Resumen, Bogotá, CNMH, 2013, page 13. German Guzman Campos, Orlando Fals Borda, Eduardo Umana Luna, La violencia en Colombia Tomo 1, Bogotá, Taurus, 2005, page 15.

[2] Forces armées révolutionnaires de la Colombie-Armée populaire.

[3] Armée populaire de libération.

[4] Armée populaire de libération nationale.

[5] INFOBAE, Colombia/ Estos son los 50 logros que destacó Gustavo Petro en sus primeros 100 días de gobierno, www.infobae.com/america/colombia/2022/11/15/estos-son-los-50-logros-que-destaco-gustavo-petro-en-sus-primeros-100-dias-de-gobierno/

Jessica Ramos et Ronald Arias, militant·es de l'Unión Patriótica (parti politique colombien)

Photos : Unión Patriótica

« Ils ne se débarrasseront pas de nous »

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/06/Aut-2-1024x462.jpg24 juin, par Southern Ontario Committee
Le 21 juin, jour du solstice d’été, marque également la Journée nationale des peuples autochtones au Canada. C’est un moment de fierté culturelle, ponctué de célébrations des (…)

Le 21 juin, jour du solstice d’été, marque également la Journée nationale des peuples autochtones au Canada. C’est un moment de fierté culturelle, ponctué de célébrations des langues, traditions et histoires autochtones à travers le pays. Mais, année après année, cette journée soulève aussi des (…)

Acadie : Un accent sur notre monde

23 juin, par Valérie Beauchamp, Arianne Des Rochers, Isabelle LeBlanc, Charles MacDougall — , , , , , ,
L'Acadie : une communauté, un peuple, une nation ? Le besoin de se nommer, de se placer et de se (re)définir conduit à une multitude de réponses qui convergent toutes vers une (…)

L'Acadie : une communauté, un peuple, une nation ? Le besoin de se nommer, de se placer et de se (re)définir conduit à une multitude de réponses qui convergent toutes vers une volonté d'expression d'un groupe distinct, ancré au sein d'un territoire atlantique sans frontières claires. L'identité acadienne est à la fois forte et fragmentée, autant dans les espaces variés qui la composent que dans la façon de la vivre au quotidien.

Ce questionnement sans cesse renouvelé mène pourtant vers une expansion de l'identité et devient une force qui cherche constamment les meilleurs agencements pour construire le vivre-ensemble sur le territoire. Autrement dit, l'exercice de se réinventer pousse vers la résilience et l'agir. L'Acadie est à même de se bâtir au quotidien, de se reformuler à travers des discours identitaires fondamentalement hétérogènes et multiples.

Toute lutte, toute prise de conscience, tout projet de société qui figure dans ce dossier peut servir de réponse à la question qu'on se pose (trop) souvent : « c'est quoi, l'Acadie ? ». À dire vrai, si cette grande question reste sans réponse fixe, c'est parce que l'Acadie est tournée vers l'avenir.

Le dossier brosse un portrait de l'Acadie d'aujourd'hui, qui se définit par sa multiplicité et sa contemporanéité au-delà des marqueurs identitaires classiques (la Déportation, la généalogie, la langue française, la pêche, etc.). On y interroge le rapport au territoire et à la langue, en plus d'y explorer le rapport que les Acadien·nes entretiennent avec le pouvoir politique. Le dossier présente aussi des réflexions sur les enjeux queer en contexte minoritaire francophone et rural, ainsi que sur l'accueil que réserve l'Acadie du Nouveau-Brunswick aux immigrant·es racisé·es. Les enjeux féministes sont quant à eux abordés dans un texte sur l'accessibilité des services publics d'avortement et de santé reproductive au Nouveau-Brunswick. Le dossier se termine par une réflexion sur l'impact de la crise climatique sur le littoral acadien et les activités économiques et culturelles reliées à l'océan, car, bien que l'Acadie soit en redéfinition constante, la mer demeure centrale dans son rapport au territoire.

En réponse à la fameuse phrase d'Irène Doiron (dans le documentaire L'Acadie, l'Acadie !!? de Michel Brault et Pierre Perreault) comme quoi « l'Acadie, c'est un détail », le présent dossier suggère plutôt que l'Acadie est la somme, vaste et remarquable, de tous ses détails, hétérogènes, mouvants, imaginatifs.

Nous remercions chaudement l'artiste Angèle Cormier pour les illustrations de la couverture et de la page d'ouverture du dossier.

Dossier coordonné par Valérie Beauchamp, Arianne Des Rochers, Isabelle LeBlanc et Charles MacDougal

Avec des contributions de Alex Arseneau, Kevin Arseneau, Rébeka Frazer-Chiasson, Mélodie Jacquot-Paratte, Michelle Landry, Geneviève L. Latour, Philippe LeVoguer, Charles MacDougall, Leyla Sall, Isabelle Violette et Mathieu Wade

Isabelle LeBlanc est professeure agrégée en sociolinguistique. Charles MacDougall est citoyen engagé.

Illustration : Angèle Cormier œuvre dans le domaine des arts visuels depuis plus
de 20 ans. Après avoir obtenu son baccalauréat en arts visuels à l'Université de Moncton, elle a travaillé sur des plateaux de tournage, dans un centre d'artiste autogéré, auprès d'un festival de cinéma et un festival de littérature. Elle est présentement technicienne à la Galerie d'art Louise-et-Reuben-Cohen et au Musée acadien de l'Université de Moncton. Elle travaille principalement en sérigraphie à l'atelier d'estampe Imago, situé au Centre culturel Aberdeen.

Sommaire du numéro 104

23 juin —
Travail Projet de loi 89 : Ode à la grève / Élisabeth Béfort-Doucet Politique Fondation Walter J. Somers : Un think tank néolibéral financé par la philanthropie et (…)

Travail

Projet de loi 89 : Ode à la grève / Élisabeth Béfort-Doucet

Politique

Fondation Walter J. Somers : Un think tank néolibéral financé par la philanthropie et les contribuables / Maxim Fortin

Jeunes et politique : La relève ignorée ! / Sara Arseneault, Lydia Bachi, Steven Flores-Pimentel, Ophélie Fortin, Émilie Gauvin

Féminisme

Abattoir : une féministe en tabarnak / Avec A., par Isabelle Bouchard

Conquérir la nuit / Kharoll-Ann Souffrant

Environnement

Droit minier et respect des populations locales / Frédérique Bordeleau

Bien réfléchir sur l'injustice et le climat / Entrevue a

vec Amélie Chanez et Anne-Marie Le Saux, par Claude Vaillancourt

Économie

Le bon et le mauvais usage des tarifs douaniers / Claude Vaillancourt

Coup d'œil

« S'illes nous méprisent tellement, qu'illes viennent le dire dans notre face » / Louise Nachet

Culture numérique

Convergence technologique anarchiste de Montréal / Yannick Delbecque

Société

Dans les communautés juives, les antisionistes se mobilisent / Glenn Rubenstein

Politique municipale

Chefferie de Projet Montréal, un choix rassurant ? / Marie-Christine Jeanty

Analyse du discours

Ce que Mathieu Bock-Côté raconte en France / Philippe Boudreau

Médias

Ripostes : les voix du communautaire / Entrevue avec Patrizia Vinci. Propos recueillis par Samuel Raymond

Mémoire des luttes

Alerta ! Le cri de la Wawa. Une voix autonome contre le néolibéralisme / Alexis Lafleur-Paiement

Mini-dossier : Remettons les pendules à nos heures !

Les technologies trompe-l'œil du temps reproductif / Myriam Lavoie-Moore

Le temps de sommeil dans le capitalisme / Jonathan Martineau

Temps et travail / Entrevue avec Julia Posca, sociologue, par Philippe de Grosbois et Valérie Beauchamp

Dossier : Acadie, un accent sur notre monde

Coordonné par Valérie Beauchamp, Arianne Des Rochers, Isabelle LeBlanc et Charles MacDougall

Un territoire dispersé qui se cherche / Mathieu Wade

Le pouvoir acadien : Petite histoire de l'organisation sociopolitique / Michelle Landry

Souveraineté alimentaire : Les résistant·es de la Ridge / Kevin Arseneau, Rébeka Frazer-Chiasson, Geneviève L. Latour et Philippe LeVoguer

De l'insécurité à l'émancipation linguistique / Isabelle Violette

Soins d'avortement au Nouveau-Brunswick : Disponibilité ne veut pas dire accessibilité / Geneviève L. Latour

Discrimination raciale : Élargir la francophonie acadienne, éviter la fragmentation / Leyla Sall

Pour un plaidoyer queer acadien / Entrevue avec Alex Arseneau, par Arianne Des Rochers

Crise climatique et érosion des côtes : Partons (lutter) la mer est belle / Mélodie Jacquot-Paratte et Charles MacDougall

Culture

« Déstabiliser les pouvoirs ». L'humour de gauche au Québec / Entrevue avec Emna Achour, Coralie LaPerrière et Xavier Boisrond, par Philippe de Grosbois et Samuel Raymond.

La progression des femmes et des personnes racialisées en humour : De la marge à la scène humoristique / Sophie-Anne Morency

Les vilaines vedettes syndicales du folklore ouvrier québécois / Entrevue a

vec Eric Sédition, Mathieu Stakh et SanSan, par Isabelle Bouchard

Recensions

À tout prendre ! / Ramon vitesse

Couverture : Angèle Cormier

Lutter contre les reculs imposés par la CAQ

Depuis quelques mois, les projets de loi rétrogrades s'empilent sur les bureaux des députés de l'Assemblée nationale : les PL68, PL69, PL89, PL93, PL94, PL98, PL101 ne sont que (…)

Depuis quelques mois, les projets de loi rétrogrades s'empilent sur les bureaux des députés de l'Assemblée nationale : les PL68, PL69, PL89, PL93, PL94, PL98, PL101 ne sont que des exemples de textes contenant une pléiade d'attaques sur des acquis de longue date en matière de conditions de travail, de droit de grève et d'association, de liberté d'expression, de protection de l'environnement et des ressources naturelles et de système de santé public.

La CAQ ne s'étant jamais cachée d'être à droite, le tout ressort plus clairement que jamais et le rythme des mesures adoptées s'accélère. Paternaliste et infantilisant, le gouvernement se targue de légiférer en ayant en tête les besoins des plus vulnérables ou bien encore celui de la majorité silencieuse. Tout cela à coup de lois aux dénominations en apparence acceptables, visant à cacher l'essentiel.

Par exemple, dans le projet de loi 89, « visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève et de lock-out », on limite le droit de grève au nom de la protection du bien-être des enfants lors de conflits de travail. Dans le PL93, « concernant notamment le transfert de propriété d'un immeuble de la Ville de Blainville », on autorise une entreprise privée à entreposer ses déchets toxiques en faisant fi de rapports environnementaux, au nom de l'« intérêt », voire de la sécurité nationale. Ou encore, sous le prétexte d'une « gouvernance responsable des ressources énergétiques » (PL69), on envisage une production fortement accentuée d'énergie, au détriment de l'environnement, et une privatisation partielle d'Hydro-Québec.

Le gouvernement Legault, adepte de lois tout sauf progressistes, n'est pas enclin d'autre part à encourager les discussions. On le voit notamment par les difficultés vécues dans les secteurs de la culture, du communautaire et des médias alternatifs – incluant des organisations connues pour dénoncer, critiquer et résister –, tous en crise faute de financement adéquat. Ce traitement dont ils sont victimes contribue à éliminer les voix discordantes et dérangeantes qu'elles représentent.

Tout comme le manque de financement, l'adoption de cadres réglementaires liberticides sous le coup du bâillon ou par le biais de l'utilisation de clauses dérogatoires dépeint le peu de respect pour le débat, l'opposition et les institutions démocratiques du gouvernement actuel.

Le tout n'est pas sans rappeler ce qui se passe chez nos voisins du Sud, mais aussi ailleurs dans le monde, alors que la droite laisse place à l'extrême droite, à un autoritarisme de plus en plus appuyé, avec ce qui en découle : un discours rétrograde assumé, une rhétorique et des pratiques antidémocratiques, l'ostracisation de pans entiers de la population, les atteintes aux droits et libertés, les politiques favorisant les intérêts privés au détriment des programmes et enjeux collectifs ainsi que le mépris de ceux qui contestent et résistent.

Certes, la CAQ ne va pas aussi loin que ces partis extrémistes. Mais elle s'alimente de tendances inquiétantes. À défaut d'y adhérer pleinement, elle profite d'un air du temps réactionnaire. Plusieurs des éléments normatifs mis de l'avant par ce parti constituent bel et bien une offensive sur des gains durement acquis. Ne nous méprenons pas : la CAQ sent la fin de son règne et tente d'abattre le plus de travail possible pour démanteler des droits et avantages arrachés au prix de luttes laborieuses. Ne nous laissons pas submerger par la quantité abondante de la réglementation qui déferle, mais organisons-nous, dénonçons les pratiques antidémocratiques au service du secteur privé, du patronat et d'intérêts réduits. Démontrons, au sein de nos organisations, toute la solidarité dont nous sommes capables. Nous n'avons ni la place ni le temps pour l'apathie !

Tout ce qu’il faut savoir sur le projet de loi fédéral C-2

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/06/4365844545_a6debec4ca_o-1024x768.jpg22 juin, par Comité de Montreal
Le 3 juin, les libéraux de Carney ont présenté un projet de loi de grande envergure visant à « renforcer la frontière ». Si elle est adoptée, la Loi visant une sécurité (…)

Le 3 juin, les libéraux de Carney ont présenté un projet de loi de grande envergure visant à « renforcer la frontière ». Si elle est adoptée, la Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière (projet de loi C-2) accorderait à l’État des pouvoirs de surveillance radicalement élargis et (…)

The Six Billion Dollar Man : une ode à la liberté de presse

22 juin, par Isabel Cortés
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Isabel Cortés, correspondante Dans un monde où la vérité est constamment attaquée, le documentaire The Six Billion Dollar Man (« L’Homme qui valait six milliards de dollars »), réalisé par le cinéaste américain Eugene Jarecki et coproduit par le Guatémaltèque Juan Passarelli, a remporté le (…)

Un « remake » de la guerre d’Irak à l’affiche en Iran, signé Trump

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/06/Destroyed_buildings_as_aftermath_of_2025_Israeli_attack_on_some_areas_in_Tehran_23_Tasnim.jpg21 juin, par L'Étoile du Nord
On dirait qu’on nous rejoue un mauvais film: les États-Unis sont près d’entrer en guerre contre un pays du Moyen-Orient qui posséderait des armes de destruction massive. Ce (…)

On dirait qu’on nous rejoue un mauvais film: les États-Unis sont près d’entrer en guerre contre un pays du Moyen-Orient qui posséderait des armes de destruction massive. Ce pays serait trop dangereux pour la stabilité de la région… Malgré les airs de flashback au début des années 2000 et à la (…)
Manifestation politique en noir et blanc avec des participants tenant des pancartes et des banderoles en soutien à Salvador Allende.

La résistance chilienne à Montréal (1973-1983)

21 juin, par Archives Révolutionnaires
Le Chili, exploité par diverses puissances depuis le XVIe siècle, connaît un tournant majeur lorsque Salvador Allende, leader de l’Unité populaire, est élu en 1970, (…)

Le Chili, exploité par diverses puissances depuis le XVIe siècle, connaît un tournant majeur lorsque Salvador Allende, leader de l’Unité populaire, est élu en 1970, introduisant des réformes socialistes. Cependant, les États-Unis soutiennent le coup d’État de Pinochet en 1973, qui conduit à une dictature violente. Victimes d’une féroce répression, des milliers de Chiliens s’exilent. Plusieurs d’entre eux s’installent à Montréal. Ces exilés mettent en place des mouvements culturels et politiques pour lutter contre la dictature, établissant des liens de solidarité avec les mouvements progressistes québécois. Cette publication est une version bonifiée d’un article originellement publié dans le numéro 30 des Nouveaux Cahiers du Socialisme (automne 2023).

Alexis Lafleur-Paiement

Depuis le XVIe siècle, le Chili a été exploité par l’Espagne pour son bétail et son blé, puis par les compagnies britanniques pour son salpêtre et son cuivre. Après 1929, les États-Unis prennent le contrôle économique du pays et lui imposent, malgré les gouvernements socio-démocrates des années 1940 et 1950, des réformes libérales sous la direction de la mission Klein-Saks (1955-1958)[1]. Alors que la bourgeoisie nationale se contente de gérer l’agriculture ou l’extraction au profit des entreprises américaines, les mouvements de défiance envers l’impérialisme et le patronat local se multiplient. En 1953, plusieurs organisations se regroupent dans la très combative Centrale unique des travailleurs (CUT), conjointement à l’ascension du Parti communiste (malgré son interdiction de 1948 à 1958) et du Parti socialiste, devenu officiellement marxiste-léniniste en 1967. L’opposition se durcit face aux gouvernements de Jorge Alessandri (1958-1964) et d’Eduardo Frei Montalva (1964-1970) appuyés par les États-Unis[2]. Des grèves se propagent à partir de 1968, avant que les différentes tendances de gauche s’allient dans l’Unité populaire (UP) en 1969.

Le 4 septembre 1970, la coalition remporte les élections avec 36,3 % des voix et son leader Salvador Allende est nommé président de la République. L’Unité populaire, composée de communistes, de socialistes, de socio-démocrates et de syndicalistes, est appuyée par un large mouvement et jouit d’une grande légitimité au Chili comme à l’étranger, ce qui paralyse momentanément l’interventionnisme américain. Allende lance une réforme agraire visant une redistribution des terres et nationalise plusieurs secteurs de l’économie, dont les banques et l’industrie minière (liée aux intérêts américains). La coalition postule qu’il est possible, pour un pays capitaliste sous-développé, d’effectuer une transition démocratique et non-violente vers le socialisme. En plus des nationalisations, l’UP propose d’autres importantes réformes comme une augmentation des salaires et la participation démocratique des travailleurs et travailleuses dans la production. La victoire de l’Unité Populaire semble montrer qu’il est possible d’atteindre le socialisme et l’indépendance économique par les urnes.

Mais c’est sans compter l’hostilité des États-Unis et de l’administration Nixon envers Allende. Depuis l’instauration de la doctrine Monroe au début du XIXe siècle, les États-Unis considèrent l’Amérique latine comme leur chasse-gardée. L’émergence, après Cuba, d’un deuxième régime « marxiste » et anti-impérialiste dans la région met en péril l’influence de l’Oncle Sam. Les nationalisations prévues par Allende menacent les investissements miniers américains, mais aussi le remboursement des prêts octroyés au Chili. Pour tirer leur épingle du jeu, les États-Unis orchestrent des pressions économiques globales et, en sous-main, encouragent les dissensions sociales pour affaiblir le gouvernement d’Allende. Ils bloquent les prêts internationaux au Chili, tandis que la Central Intelligence Agency (CIA), aidée par les firmes ITT et Anaconda Copper, finance des journaux d’opposition et travaille à déstabiliser le pays.

Si l’Unité populaire a été élue dans les règles de la démocratie représentative, de nombreux éléments s’opposent au régime d’Allende. Certains partis de la coalition trouvent que le nouveau président est trop socialiste, alors que les partis de droite cherchent activement à le battre aux prochaines élections. Ces opposants ont peu de marge de manœuvre puisque Allende jouit encore d’un support populaire important et semble en voie d’augmenter son nombre de députés lors du prochain scrutin. Des éléments plus radicaux de la droite, notamment les propriétaires terriens et certains militaires, cherchent donc à évincer Allende par la force. En juin 1973, une première tentative de coup d’état échoue. Le 11 septembre 1973, avec l’aval des États-Unis, Augusto Pinochet, commandant de l’armée chilienne, procède à un putsch, cette fois réussi. Salvador Allende se suicide, alors que les militaires prennent le pouvoir. C’est le début d’une sanglante dictature qui durera plus de 15 ans[3].

Manifestation politique en noir et blanc avec des participants tenant des pancartes et des banderoles en soutien à Salvador Allende.
Une foule soutenant la candidature de Salvador Allende à la présidence du Chili.

Répression politique et exil des militants chiliens

Dès septembre, le Congrès est dissous et la répression s’abat sur l’ensemble des forces progressistes du pays. Les militants de gauche, surtout communistes et socialistes, sont emprisonnés dans de vastes lieux publics, comme le Stade national de Santiago qui verra défiler plus de 40 000 détenus. Des personnes y sont torturées publiquement, dont le chanteur communiste Victor Jara (1932-1973), mutilé puis exécuté le 15 septembre[4]. Malgré les condamnations de l’Organisation des Nations unies (ONU), le nouveau régime s’impose par la violence et grâce au soutien des États-Unis qui normalisent leurs relations diplomatiques avec lui, accueillant même Pinochet à Washington en 1977. Des centaines de milliers de personnes sont pourtant emprisonnées de 1973 à 1989, plus de 35 000 subissent des tortures et plus de 3 200 sont assassinées. Les femmes sont particulièrement ciblées par des pratiques massives de viol et des enlèvements d’enfants[5].

Alors que l’État chilien noie dans le sang la résistance populaire et impose une libéralisation économique brutale à la demande des États-Unis, un exode se dessine. Pour une population estimée à 9 000 000 d’habitants lors du coup d’État, entre 500 000 et 1 000 000 de personnes quittent le pays, soit possiblement 10 % de la population. Ces migrants sont majoritairement liés à des organisations de gauche ou sont du moins des objecteurs de conscience opposés à la dictature. De manière générale, ceux qui possèdent un capital économique et culturel supérieur parviennent à émigrer vers des pays du Nord, dont la France et la Suède, alors que les ouvriers et les employés semblent plutôt émigrer dans divers pays latino-américains[6]. Des milliers de Chiliens, en majorité des intellectuels et des membres de la classe moyenne, s’installent au Canada. Ils sont notamment dirigés vers Montréal en raison de leur latinité, considérée comme une caractéristique francotrope appréciable pour la métropole[7].

Cette vague migratoire représente environ 3 500 personnes arrivées entre 1973 et 1978. Sa politisation et sa concentration à Montréal ont pour effet de produire un vivier politique et culturel dans la région, porteur de valeurs socialistes, anti-impérialistes et anti-fascistes. Ce dynamisme s’exprime au sein de la communauté chilienne et en jonction avec les mouvements politiques locaux, dans la lutte contre la dictature au Chili et pour transformer la société québécoise dans une perspective progressiste. Deux univers se recoupent et se répondent : celui des Chiliens qui organisent la résistance à la dictature depuis Montréal et celui des militants québécois – communistes, socialistes, socio-démocrates, indépendantistes, chrétiens – qui s’insurgent contre la situation au Chili et se solidarisent avec la lutte pour la démocratie, voire s’identifient avec le combat des Chiliens qui, comme les Québécois, « luttent contre l’impérialisme yankee ».

Des soldats militaires arrêtent des civils pendant le coup d'État au Chili en 1973, illustrant la répression violente des forces progressistes.
Des employés de la présidence de Salvador Allende arrêtés par l’armée lors du coup d’état du 11 septembre 1973, à Santiago du Chili.

Le militantisme chilien à Montréal

Les premières initiatives des militants chiliens à Montréal reproduisent celles auxquelles ils sont habitués, soit des fêtes engagées (les peñas), la mise sur pied de comités politiques et le militantisme culturel, principalement musical. Alors que les immigrants arrivent au Québec et organisent leur nouvelle existence, tout en essayant de reconstituer leurs réseaux familiaux, amicaux et politiques, et en cherchant à aider celles et ceux qui sont encore au Chili, le réseautage festif prend une place importante. Les peñas sont une tradition qui permet de se rencontrer sous prétexte d’une fête, tout en permettant la discussion et l’organisation politique. Les peñas montréalaises favorisent la reconstruction des réseaux de sociabilité, ainsi que des ex-partis de l’Unité populaire (communiste, socialiste, etc.). Diverses stratégies organisationnelles, en vue principalement d’agir sur la situation au Chili, en émergent. Les premières années d’immigration sont marquées par une volonté de se retrouver à Montréal dans le but de se ressaisir, puis de passer à l’offensive contre la dictature au Chili et d’y reprendre la marche démocratique vers le socialisme.

L’organisation informelle entre migrants chiliens remplit un rôle de stabilisation et de consolidation de la communauté, mais se révèle limitée pour agir à plus large échelle. Un double objectif s’impose : se doter de groupes politiques chiliens à Montréal et faire connaître la cause aux Québécois. En raison de la complexité de la question organisationnelle, beaucoup de militants chiliens choisiront de s’impliquer dans les groupes de soutien existants, initiatives sur lesquelles nous reviendrons. Pourtant, une action « proprement » chilienne voit le jour, soit l’Association des Chiliens de Montréal (ACM, 1974-1980), formée de diverses tendances issues de l’UP. L’Association, qui réunit environ 500 membres, cherche à lutter contre la dictature tout en offrant des services sociaux à la communauté par l’entremise de son local du 3955, boul. Saint-Laurent (Montréal). Elle publie en 1977 un texte-manifeste intitulé Pour l’unité antifasciste vers la défaite de la junte, mais sa modération entraîne des tensions avec le Comité de solidarité Québec-Chili (CSQC). L’Association lance malgré tout de nombreuses campagnes, entre autres pour dénoncer la présence de la police politique pinochiste (la DINA) à Montréal en 1977 et une grève de la faim en 1978. Les divisions internes et des problèmes financiers ont raison de l’Association des Chiliens de Montréal au début de l’année 1980.

Une seconde organisation chilienne, de moindre envergure, émerge aussi au Québec, soit le Bureau des prisonniers politiques du Chili (1975-1979). Ce groupe, représentation officielle du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR, fondé en 1965), vise à défendre les prisonniers politiques enfermés au Chili et à financer la lutte armée contre la dictature. Le tournant stratégique adopté par le MIR en 1979, préconisant le retour au pays des militants exilés afin qu’ils participent directement à la lutte au Chili, met fin à l’expérience du Bureau à Montréal. Celui-ci réussit tout de même à structurer les appuis québécois du MIR et à aider directement la lutte au pays. Par-delà l’ACM et le Bureau des prisonniers politiques, les efforts des militants chiliens se concentrent sur la mise en lumière de leur cause par la chanson et le théâtre, des médiums qui dynamisent la vie communautaire et qui touchent un large public québécois.

Dans les années 1960, la musique folklorique chilienne opère une jonction avec la politique de gauche, débouchant sur la « nouvelle chanson chilienne » (nueva canción chilena). Cette musique accessible traite des problèmes des classes laborieuses et soutient les mouvements socialistes, au premier rang desquels l’Unité populaire. Après le coup d’État, les représentants de ce style sont forcés à l’exil, tels le chanteur Ángel Parra (France) ou les groupes Inti-Illimani (Italie) et Quilapayún (France). La nueva canción accompagne ceux qui s’exilent à Montréal lors des peñas et des concerts publics organisés pour la cause chilienne. Des albums sont enregistrés pour faire connaître leurs luttes et dénoncer la dictature. Le premier disque qui paraît à Montréal s’intitule Chili : le printemps renaîtra ! (hiver 1973-1974), édité par Juan et Mariana Muñoz, et comprend des chansons d’une dizaine d’artistes de la nouvelle chanson chilienne. Le Comité de solidarité Québec-Chili fait paraître, en collaboration avec des militants parisiens, la compilation ¡ Karaxu ! Chants de la résistance populaire chilienne (1974), suivi d’une coproduction Québec-Chili, les Chansons et musique de la résistance chilienne (1975). Ce dernier est tiré à 3 000 exemplaires qui s’écoulent en quelques semaines, forçant un pressage de 2 000 copies supplémentaires. Ces disques visent à « faire mieux connaître aux Québécois la musique chilienne, musique et chansons engagées » et « apporter un soutien moral et financier au peuple chilien »[8].

Groupe de musiciens chilens sur scène lors d'un événement culturel, exprimant leur opposition à la guerre, avec des drapeaux et des symboles nationaux en arrière-plan.
Quilapayún.

Le dynamisme politico-culturel s’incarne aussi dans le duo Los Emigrantes, formé en 1957 au Chili par Enrique San Martin et Carlos Valladares. Après une séparation à la suite du coup d’État, les deux chanteurs se retrouvent à Montréal pour enregistrer et diffuser leur disque Il faut parcourir un chemin (1976). L’album est accompagné d’un long pamphlet expliquant la situation chilienne en espagnol, en français et en anglais. La « résistance musicale » chilienne atteint un sommet le 10 mars 1979, alors qu’Isabel Allende, la fille de Salvador, est présente à Montréal pour dénoncer la dictature et qu’un concert-bénéfice réunit le groupe Quilapayún et les chanteurs québécois Claude Gauthier, Claude Léveillée, Paul Piché et Gilles Vigneault[9]. La convergence se fait naturellement entre les artistes chiliens et québécois, alors que les premiers luttent pour la libération de leur peuple et que les seconds sont favorables à l’émancipation du Québec, le tout dans une perspective de gauche partagée. Enfin, la solidarité musicale est incarnée, de 1979 à 1989, par le chanteur en exil Pedro Riffo, qui offre des concerts-bénéfice chaque semaine pour appuyer le Chili, le Nicaragua et le Salvador. Au-delà de cette richesse musicale, le théâtre sert de lieu d’expression et de levier pour la lutte, dans la continuité du « théâtre des opprimés » préconisé par Augusto Boal[10].

Couverture d'un vinyle du duo chilien 'Los Emigrantes' intitulé 'Il faut parcourir un chemin'.

Une première troupe appelée Teatro del Ande monte la pièce Splendeur et mort de Joaquin Murieta (écrite par Pablo Neruda) à Montréal en 1976, suivie de plusieurs autres. Le projet le plus emblématique de cet engagement scénique est le Théâtre latino-américain du Québec, fondé en 1977 par Gastón Iturra. Cet auteur, actif au Chili dès les années 1960, appuie le gouvernement de l’Unité populaire et promeut un art didactique, ainsi que la création collective. En exil à Montréal, Iturra continue de pratiquer un théâtre politique et démocratique qu’il décrit comme « son fusil, sa façon de faire la résistance à l’extérieur »[11]. Sa troupe présente des spectacles qui parlent des conditions de vie des travailleurs, accusent les dictatures à la solde des États-Unis et promeuvent le socialisme, comme en témoigne la pièce Torquemada, écrite par Augusto Boal pour dénoncer la junte brésilienne, montée à Montréal en 1977. Dans les années 1980, la troupe La Barraca, aussi dirigée par Iturra, prend le relais, toujours avec des pièces politiques, comme Grandeur et misère du IIIe Reich de Bertolt Brecht, présentée en espagnol au théâtre Calixa-Lavallée (Montréal) en mars 1987. D’autres projets théâtraux visent aussi l’éducation, le soutien au peuple chilien et la promotion du socialisme démocratique. C’est le cas du Théâtre populaire du Québec (TPQ, 1963-1996) qui s’intéresse aux problèmes du Chili dans les années 1970 avec la présentation de la pièce Chile vencera, écrite par Juan Fondon. Une tournée comprenant une vingtaine de dates en Abitibi, en Outaouais, dans les régions de Montréal et de Québec, en Estrie et dans le Bas-du-Fleuve est présentée de mars à mai 1976[12].

En somme, les réseaux familiaux et amicaux, les rencontres festives, les associations communautaires, la chanson et le théâtre sont tous des moyens mobilisés par les exilés chiliens de Montréal dans les années 1970 afin de consolider la lutte contre la dictature de Pinochet et pour le socialisme démocratique. La dénonciation de la dictature chilienne par les arts fonctionne particulièrement bien, car elle s’arrime à une pratique d’engagement culturel au Québec, marquée par la lutte pour l’indépendance et pour le socialisme. L’intérêt pour l’art chilien engagé est visible dans plusieurs publications, par exemple le numéro 9 de la revue Dérives (1977), élaboré en collaboration avec l’Association des Chiliens de Montréal et consacré à la poésie, au théâtre, au cinéma et à la chanson chilienne[13]. À cet univers culturel s’ajoute celui des organisations politiques de solidarité dans lesquelles les Chiliens exilés s’impliquent massivement.

Affiche publicitaire pour la pièce 'Torquemada', mise en scène par Gastón Iturra, représentant des silhouettes humaines et des éclaboussures de peinture rouge, symbolisant la répression politique et le militantisme latino-américain au Québec.
Affiche de la pièce « Torquemada », écrite par Augusto Boal et mise en scène par Gastón Iturra au Québec. La pièce relate l’expérience de Boal comme prisonnier politique sous la dictature militaire au Brésil.. Source : Acervo Instituto Algusto Boal.

Solidarité internationale et groupes anti-impérialistes

Les expériences politiques chiliennes obtiennent un écho particulier au Québec, en amont comme en aval du coup d’État de 1973. En effet, les militants d’ici sont sensibles, à la suite du trauma causé par l’occupation militaire du Québec à l’automne 1970, à l’idée d’une voie démocratique vers le socialisme. La stratégie de l’Unité populaire crée la sympathie, alors que le rôle joué par les syndicalistes dans la politique chilienne s’accorde avec la stratégie combative des grandes centrales québécoises. Après le putsch de Pinochet, jugé illégitime et répréhensible, les groupes militants s’identifient fortement au peuple chilien qui est victime de l’impérialisme américain et de la violence militaire. Cette assimilation est patente dans le film Richesse des autres (1973) qui dénonce l’exploitation des compagnies minières en faisant alterner des images de René Lévesque et de Salvador Allende[14]. De fait, de nombreux projets de soutien à l’Unité populaire apparaissent dès 1970 et se multiplient après 1973[15].

Dès l’élection de l’UP au Chili, des initiatives de collaboration émergent au Québec. Dans l’esprit de la stratégie du « deuxième front » adoptée par la Confédération des syndicats nationaux (CSN) qui prône la prise en charge des problèmes politiques par les syndicats dans un horizon socialiste, Michel Chartrand[16] séjourne au Chili pour une conférence internationaliste (avril 1973). Ce voyage revêt une grande importance puisqu’il inspire l’organisation d’une Conférence internationale de solidarité ouvrière qui se réunit à Montréal en juin 1975. Le coup d’État de 1973 a laissé des traces et l’évènement accorde une place importante aux militants en exil et à la question politique chilienne. Lorsque la Conférence se transforme en Centre international de solidarité ouvrière (CISO) en 1976, une même place est accordée aux enjeux concernant le Chili, un intérêt qui se manifeste par la diffusion de textes, l’organisation de campagnes de solidarité et le financement de groupes chiliens. Ces activités durent jusqu’à la chute de la dictature, alors que le CISO continue son travail jusqu’à nos jours[17].

En 1973, le Comité de solidarité Québec-Chili[18] est fondé à Montréal dans la perspective de l’internationalisme prolétarien. Rassemblant initialement des militants québécois qui appuient le gouvernement de l’Unité populaire (printemps 1973), le groupe se transforme en organe de solidarité internationale dès l’automne. Il intègre progressivement des militants syndicaux, populaires et chiliens pour devenir, à terme, le porte-parole le plus visible de la cause chilienne au Québec jusqu’à l’agonie de la dictature à la fin des années 1980. Le Comité se donne un double objectif d’éducation et de soutien à la résistance populaire au Chili, en prenant comme assise l’idée que le Québec et le Chili subissent une exploitation capitaliste comparable qui profite à quelques multinationales aux dépens des classes populaires. Le Comité connaît une grande vitalité au niveau des manifestations et des conférences, avec par exemple un rassemblement de 5 000 personnes au Forum de Montréal en décembre 1973 et une manifestation de 2 000 personnes dans les rues de la métropole en septembre 1974. Des manifestations massives sont ensuite organisées chaque mois de septembre à Montréal, jusqu’en 1979.

Avec l’appui financier de la CSN, le groupe produit différents documents, notamment le bulletin Chili-Québec informations (1973-1982) avec un tirage important de 1 500 à 3 500 copies[19], Le Gueulard (1978-1980) et Liaison Québec-Chili. Le CSQC a pignon sur rue au 356, rue Ontario Est (Montréal) et entretient des liens directs avec des membres du Parti socialiste en exil, tout en finançant des réseaux de résistance liés au Mouvement de la gauche révolutionnaire. Il anime des campagnes politiques, comme celles pour libérer des prisonnières et des prisonniers au Chili ou le boycottage d’entreprises profitant de la dictature, dont Noranda Mines. Ainsi, le Comité organise un travail politique au Québec qu’il tente de lier organiquement aux luttes chiliennes, dans un horizon socialiste et internationaliste. Dans les années 1980, le Comité se consacre principalement à la diffusion d’informations, avec des périodes de dormance. Un regain a lieu de 1987 à 1989, durant la décomposition de la dictature de Pinochet, avant la dissolution officielle du CSQC[20].

Un élément important au CISO comme au CSQC est le lien qu’ils établissent entre la situation au Canada et celle au Chili, alors que les gouvernements des deux pays s’entendent pour favoriser les industries transnationales aux dépens des travailleurs[21]. Leurs analyses croisées permettent une convergence d’intérêt qui dynamise les initiatives militantes. « Une série d’analyses, publiées entre 1976 et 1980 dans le journal Solidarité [édité par le CISO], rapporte les conséquences que l’entente signée entre la Noranda Mines Limitée et le gouvernement chilien, dans la foulée du coup d’État militaire de septembre 1973, engendrait respectivement pour les classes ouvrières du Québec et du Chili. »[22] Grosso modo, l’entente prévoit de fermer des mines au Québec et d’y entretenir le chômage, poussant les salaires à la baisse, alors que la compagnie profite d’une main-d’œuvre sous-payée et contrôlée par la junte militaire au Chili, qui elle-même tire une redevance lui permettant de se financer malgré l’isolement international. Ce cas montre la compréhension qui se développe au Québec concernant la manière dont le capitalisme international tire profit des régimes autoritaires, encourageant la jonction entre les luttes locales et la solidarité avec le peuple chilien.

D’autres organisations existent, dont un éphémère Comité québécois pour un Chili démocratique, fondé en décembre 1978 dans une perspective sociale-démocrate. Les éditeurs indépendantistes considèrent aussi que la situation chilienne doit être traitée, avec l’idée que les peuples québécois et chilien sont tous deux victimes de l’impérialisme américain. Les Éditions québécoises publient en 1973 l’ouvrage Chili : une lutte à finir, alors que les éditions Parti Pris impriment Les documents secrets d’ITT au Chili (1974), accompagnés de textes de Salvador Allende. Les organisations marxistes-léninistes, dont En Lutte ! (1972-1982) et la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada (1975-1983) s’intéressent également au Chili dans une perspective révolutionnaire, critique de la voie pacifique choisie par Salvador Allende qui aurait facilité le putsch militaire. Ces groupes valorisent le Mouvement de la gauche révolutionnaire qui prône l’instauration de la dictature du prolétariat et l’armement du peuple pour lutter contre l’impérialisme[23]. Cette posture n’a pas empêché le MIR d’appuyer le gouvernement d’Allende, tout en dénonçant son insouciance face aux dangers de l’impérialisme, une inquiétude compréhensible puisque les États-Unis ont commandité ou facilité onze coups d’État « préventifs » contre des gouvernements de gauche en Amérique latine, uniquement de 1962 à 1968[24]. Par-delà les groupes de solidarité, l’ensemble des forces progressistes au Québec considère que la question chilienne est importante.

Au final, la solidarité, voire l’identification, avec la cause chilienne traverse profondément la société québécoise des années 1970. La voie démocratique vers le socialisme comme l’obscénité du coup d’État touchent les syndicalistes, les internationalistes, les socialistes, les marxistes et les indépendantistes. Les groupes de solidarité, très marqués à gauche, trouvent un terrain d’action favorable au Québec, leur permettant de diffuser massivement leurs analyses et de structurer les luttes anti-impérialistes. En particulier, le Comité de solidarité Québec-Chili parvient à unir les militants québécois et chiliens dans un combat transfrontalier contre les grandes industries et les États capitalistes complices dans l’exploitation des travailleurs. Cette activité politique aura une longue postérité jusqu’à nos jours, alors que la question chilienne demeure importante au Québec, comme en témoigne l’intérêt pour la grève étudiante et la révolte populaire chiliennes de 2019, ainsi que pour le processus constituant toujours en cours.

Affiche annonçant la soirée inaugurale du Comité québécois pour un Chili démocratique, à Montréal, le 15 décembre 1978.
Comité québecois pour un Chili démocratique 1978. Source.

Déclin de la gauche et reflux de la question chilienne

Le début des années 1980 est marqué, au niveau mondial, par le ressac de la gauche. À la suite du déclin des modèles socialistes (URSS, Chine), de la répression étatique et de la restructuration de l’économie afin d’atomiser les travailleurs, un grand nombre d’organisations militantes disparaissent ou se replient dans le lobbyisme. L’imposition de politiques néo-libérales brutales et la crise économique contraignent les groupes qui subsistent à se concentrer sur des « problèmes domestiques ». Avec un chômage de 12 % au Canada en 1983 et une diminution des salaires de 20 % imposée aux travailleurs du secteur public par le gouvernement provincial de René Lévesque la même année, les énergies sont concentrées sur les enjeux économiques locaux. Dans ce contexte, la majorité des organisations de solidarité internationale disparaissent ou diminuent fortement leurs activités. Le Théâtre latino-américain du Québec meurt, alors que le CISO et le CSQC perdent en vitalité. Le Parti québécois est absorbé par sa lutte contre les travailleurs, pendant que les organisations marxistes-léninistes se décomposent.

Pourtant, les grandes expériences anti-impérialistes et de solidarité de la décennie 1973-1983 demeurent riches d’enseignement. Il faut d’abord souligner l’intérêt d’une voie démocratique vers le socialisme qui a été populaire à une large échelle, même si l’expérience chilienne nous apprend qu’il faut nous outiller pour contrer l’impérialisme belliqueux. Ensuite, l’usage des arts à des fins d’éducation demeure inspirant, particulièrement dans les formes toujours populaires de la chanson et du théâtre. Surtout, la capacité à comprendre de manière globale la situation des Amériques et à lier les militants québécois et chiliens reste exemplaire. Les mouvements actuels devraient renouer avec une telle perspective internationaliste qui éclaire la manière dont les gouvernements bourgeois s’épaulent au niveau mondial et défendent la grande industrie aux dépens des travailleurs. Forts de ces éclaircissements, il devient possible et souhaitable de développer des groupes de solidarité et des organisations révolutionnaires transnationales capables de lutter contre l’impérialisme. En ce sens, le Comité de solidarité Québec-Chili peut servir de référence[25].

Malgré le recul politique de la gauche au niveau mondial, le peuple chilien lance un grand mouvement de défiance contre la dictature de Pinochet à partir de 1983. La pauvreté généralisée, liée à un chômage avoisinant les 30 % et à la répression étatique, met le feu aux poudres. De grandes grèves paralysent le pays, avant qu’une partie du mouvement se militarise. La contestation réussit à forcer la tenue d’un référendum sur la présidence d’Augusto Pinochet en octobre 1988. Le dictateur perd le vote, ainsi que l’élection de décembre 1989 au profit de Patricio Aylwin qui entre en fonction en mars 1990. Cette victoire ne doit pas faire illusion : le pays se retrouve avec un président qui choisit de négocier avec les militaires, tout en défendant le néo-libéralisme. De fait, le Chili vit de 1990 à 2019 sous un régime « démocratique » aux relents autoritaires, acquis aux grands propriétaires et à l’industrie, proche des États-Unis et opposé aux revendications populaires. Cette situation larvée est attaquée en 2019 par un mouvement étudiant et social qui impose un processus constituant à partir de 2020. À la suite du rejet de la constitution proposée par l’Assemblée en septembre 2022, une nouvelle constitution devra être soumise au peuple en décembre 2023[26]. Espérons que les forces progressistes du Chili restent mobilisées pour briser le cycle de la politique réactionnaire. Comme le dit un slogan de l’Unité populaire : « Un peuple uni jamais ne sera vaincu. »


Notes

[1] À ce sujet, voir l’étude classique de FRANK, André Gunder. Capitalisme et sous-développement en Amérique latine, Paris, Maspero, 1968.

[2] Ces deux gouvernements sont commandités par les États-Unis via le mécanisme financier de l’Alliance pour le progrès (1961-1973). La campagne électorale d’Eduardo Frei Montalva de 1964 est par ailleurs financée à hauteur de trois millions de dollars par la CIA.

[3] Pour une contextualisation des enjeux continentaux et chiliens, voir DABÈNE, Olivier. L’Amérique latine à l’époque contemporaine, Paris, Armand Colin, 2011. Pour une synthèse de l’histoire du Chili post-colombien, voir SARGET, Marie-Noëlle. Histoire du Chili de la conquête à nos jours, Paris L’Harmattan, 1996.

[4] Pour comprendre l’horreur de la répression, on écoutera la Lettre à Kissinger (1975), une chanson écrite par Julos Beaucarne en hommage à son ami Victor Jara et qui présente son martyre.

[5] AMNESTY INTERNATIONAL. Le Chili d’Augusto Pinochet, AMR 22/009/2013, 2013.

[6] JEDLICKI, Fanny. « Les exilés chiliens et l’affaire Pinochet. Retour et transmission de la mémoire » dans

Cahiers de l’Urmis, no 7, 2001, page 3.

[7] Pour une étude détaillée de l’immigration chilienne au Québec qui dépasse largement le cadre de l’exil politique, voir DEL POZO, José. Les Chiliens au Québec. Immigrants et réfugiés, de 1955 à nos jours, Montréal, Boréal, 2009.

[8] Chansons et musique de la résistance chilienne (1975), texte de présentation au verso de la pochette.

[9] TRUDEL, Clément. « Les Chiliens sont en train de reconquérir le Chili » dans Le Devoir, 10 mars 1979, page A18.

[10] BOAL, Augusto. Théâtre de l’opprimé, Paris, La Découverte, 2007 [1971].

[11] JONASSAINT, Jean et Gastón ITURRA. « Le théâtre chilien : un art engagé et démocratique » dans Dérives, no 9, 1977, page 12.

[12] Le programme est disponible en ligne : https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2631374

[13] Disponible en ligne : https://archivesrevolutionnaires.com/wp-content/uploads/2020/10/derives-no.9.pdf

[14] Richesse des autres (1973), long-métrage de Maurice Bulbulian et de Michel Gauthier produit par l’Office national du film (ONF), disponible en ligne : https://www.onf.ca/film/richesse_des_autres/

[15] Pour une analyse des rapports entre la gauche québécoise et la vie politique chilienne durant cette période, on consultera BARRY-SHAW, Nikolas. RÊVE / CAUCHEMAR: Allende’s Chile and the Polarization of the Québec Left, 1968-1974, mémoire de maîtrise, Université Queen’s, 2014.

[16] Président du conseil central de Montréal, affilié à la CSN, de 1969 à 1978.

[17] Sur l’histoire du CISO, voir DE SÈVE, Nicole. Centre international de solidarité ouvrière 1975-2015, Montréal, autoédité, 2015.

[18] Le Comité de solidarité Québec-Chili se présente parfois sous le nom de Comité Québec-Chili, y compris dans certaines de ses propres publications. Notons aussi qu’il avait, suivant les années, des activités à Hull, Trois-Rivières, Sherbrooke, Rimouski et Chicoutimi.

[19] Plusieurs numéros sont disponibles en ligne : https://40ans.cdhal.org/revues/quebec-chili-informations/

[20] Sur les premières années du CSQC, voir Le Comité Québec-Chili (1973-1978). Son équipe et ses acquis, Montréal, autoédité, 1978, disponible en ligne : https://40ans.cdhal.org/wp-content/uploads/2017/08/Bilan_Comit%C3%A9-Qu%C3%A9bec-Chili-1973-1978.pdf

[21] Le Canada a normalisé ses relations avec la dictature dès le 23 septembre 1973, soit moins de deux semaines après le putsch. Pour cette raison, le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau est accusé de duplicité, malgré son programme d’accueil pour les exilés chiliens.

[22] DORAIS, Geneviève. « La solidarité intersyndicale Québec-Amérique latine et le Centre international de solidarité ouvrière, 1975-1984 » dans Histoire sociale / Social History, no 115, mai 2023, page 39.

[23] Cet intérêt pour le MIR s’accompagne d’un bémol, car les organisations marxistes-léninistes québécoises lui reprochent une stratégie trop guévariste, insuffisamment axée sur le travail de masse.

[24] Argentine (mars 1962), Pérou (juillet 1962), Guatemala (mars 1963), Équateur (juillet 1963), République dominicaine (septembre 1963), Honduras (octobre 1963), Brésil (avril 1964), Bolivie (novembre 1964), Argentine (juin 1966), Pérou (octobre 1968) et Panama (octobre 1968).

[25] L’histoire de la militance anti-impérialiste au Québec reste à écrire afin qu’elle puisse nous servir d’appui. Pour un premier effort concernant les groupes chiliens, voir HERVAS SEGOVIA, Roberto. Les organisations de solidarité avec le Chili, Montréal, 5 continents, 2001, qui reprend le mémoire de l’auteur déposé en 1997 à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

[26] Pour comprendre l’échec de la gauche chilienne au référendum de 2022 et s’informer sur les tentatives de relance du mouvement populaire, on pourra lire VIELMAS, Sebastián et Consuelo VELOSO. « Rejet de la nouvelle constitution : implications pour la gauche chilienne » dans Nouveaux Cahiers du socialisme, n° 29, 2023, pages 208-213, ainsi que de nombreux articles dans la revue Contretemps, en ligne : https://www.contretemps.eu/?s=chili

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