Recherche · Dossiers · Analyses
Toujours au devant

Les médias de gauche

Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

Derniers articles

Guinée : radiographie des manœuvres de Lauriane Doumbouya, artisane du Soft Power économique

26 octobre, par Serigne Sarr
Serigne Saar, colleboration depuis Dakar Depuis trois ans, une illusion diplomatique s’est solidement incrustée dans l’opinion : celle de Lauriane Doumbouya, épouse du (…)

Serigne Saar, colleboration depuis Dakar Depuis trois ans, une illusion diplomatique s’est solidement incrustée dans l’opinion : celle de Lauriane Doumbouya, épouse du président de Guinée, instrument de l’Élysée, manœuvre des services français au nom d’une géopolitique néocoloniale d’un autre (…)

Grève des enseignants partout en Alberta sous la menace d’une loi spéciale

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/10/560347495_18411288817113502_4109876473863363912_n-e1761437535145-1024x568.jpg26 octobre, par L'Étoile du Nord
Depuis le 6 octobre, les 51 000 enseignants de l’Alberta sont en grève partout dans la province. Lundi, le gouvernement provincial devrait déposer un projet de loi pour les (…)

Depuis le 6 octobre, les 51 000 enseignants de l’Alberta sont en grève partout dans la province. Lundi, le gouvernement provincial devrait déposer un projet de loi pour les forcer à retourner au travail. Quelque 740 000 élèves des écoles publiques, catholiques et francophones sont touchés. Les (…)

Repères de pauvreté, repères de société

En 2002, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Cette loi nous engageait à « tendre vers un Québec sans (…)

En 2002, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Cette loi nous engageait à « tendre vers un Québec sans pauvreté ». Où en sommes-nous ?

Depuis cette date, bon an, mal an, les moyens ont été là pour y arriver. Le revenu total après impôt dont ont disposé les ménages québécois pour vivre a été suffisant pour assurer en moyenne à chaque ménage environ deux fois le seuil de couverture des besoins de base qui lui était attribuable selon sa taille et sa localité d'après la mesure du panier de consommation (MPC) qui sert au suivi de la loi. Pour le dire autrement, si la capacité de couvrir ses besoins de base équivaut à un indice panier de 1, soit la possibilité d'acquérir un panier de consommation selon la MPC, notre capacité collective d'aisance a tourné autour de deux paniers, soit un indice panier de 2.

Est-ce à dire qu'il n'y avait pas de pauvreté au Québec ? Certainement pas. Pour donner un ordre de grandeur, pendant cette période, le dixième le plus pauvre des ménages, surtout composé de personnes seules, a disposé en moyenne de l'équivalent de plus ou moins un demi-panier (un peu plus en 2020 en raison de la Prestation canadienne d'urgence, qui a augmenté temporairement les ressources d'une partie de ce décile).

Autrement dit, ce dixième le plus pauvre des ménages n'a eu chroniquement accès qu'à la moitié du nécessaire pour couvrir ses besoins de base, avec les impacts connus sur la santé et l'espérance de vie de la partie qui manquait. Pendant la même période, le dixième le plus riche des ménages a vu sa part augmenter d'environ quatre paniers à près de quatre paniers et demi en moyenne. De fait, les données montrent par l'absurde que si la volonté politique avait été là, avec des politiques sociales et fiscales à l'avenant, il aurait été constamment possible dans les deux dernières décennies de résoudre durablement le déficit de couverture des besoins de base au Québec sans perte de niveau de vie pour le reste de la population.

Il aurait suffi d'appliquer un principe d'amélioration prioritaire des revenus du cinquième le plus pauvre de la population sur ceux du cinquième le plus riche, comme le préconisait la proposition de loi citoyenne pour un Québec sans pauvreté qui avait précédé l'adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. À défaut d'un tel principe dans la loi adoptée, et de règles pour l'appliquer, la croissance du niveau de vie est allée en haut de l'échelle des revenus plutôt qu'en bas.

Voilà pourquoi il importe de considérer l'ensemble de l'échelle des revenus quand on se préoccupe de mesurer la pauvreté, plutôt que de se limiter à ceux et celles qui se trouvent sous les seuils – à tout le moins, si on veut avancer en direction d'une société sans pauvreté comme le veut la loi, dans une perspective de bien-vivre mieux partagé.

Si la pauvreté n'est pas qu'économique, elle est nécessairement économique et tributaire des règles du jeu économique et de la vie qu'on veut vivre ensemble, ne serait-ce que parce que le revenu dont on dispose détermine le niveau de vie qu'on peut avoir dans la société telle qu'elle est.

La MPC, qui est compilée et révisée périodiquement par Statistique Canada depuis 2002, sert au Québec depuis 2009 au suivi des situations de pauvreté sous l'angle de la couverture des besoins de base. Pourtant, comme l'a expliqué alors le Centre d'étude sur la pauvreté et l'exclusion (CÉPE) en référant à la définition de la pauvreté donnée dans la loi et à une définition fondée sur la capacité d'exercer l'ensemble de ses droits reconnus, le panier de biens et services (qui prend en compte l'alimentation, les vêtements, le logement, le transport et d'autres besoins) qui en détermine les seuils ne remplit pas pour autant l'ensemble des conditions nécessaires à une vie exempte de pauvreté.

Si on utilise la MPC comme repère et qu'on situe l'ensemble de la population par rapport à ce repère, on aperçoit alors tout le continuum de niveaux de vie qui constitue notre réalité comme société. Où situer la démarcation entre la pauvreté et son absence dans ce continuum ? La question reste ouverte.

Dans ses comparaisons internationales, le Québec utilise comme mesure de faible revenu (MFR) deux pourcentages du revenu médian, soit 50 % (MFR-50) et 60 % (MFR-60). Utilisée dans plusieurs pays européens, la MFR-60 sert de critère pour la cible donnée dans la loi, soit de rejoindre les rangs des nations industrialisées où il y a le moins de personnes pauvres.

De son côté, l'IRIS publie depuis 2015 un indicateur de revenu viable fondé sur un panier de biens et services offrant plus de latitude que celui de la MPC tout en lui restant comparable. Jusqu'à maintenant, il s'avère situé à environ 1,3 fois le seuil de la MPC, du moins pour une personne seule à Montréal. Si la MPC suppose généralement un revenu après impôt un peu en dessous de la MFR-50 au Québec, le revenu viable avoisine le seuil de la MFR-60 selon les localités étudiées.

Comme le montre le tableau 1, ces quatre mesures se complètent pour donner une assez bonne idée d'un revenu après impôt nécessaire à la transition entre la pauvreté et son absence pour une personne seule à Montréal en 2020.

Utilisées conjointement avec l'indice panier, ces données évitent de se limiter aux seules populations sous les seuils et de les y cantonner par le fait même dans les décisions publiques les concernant. Leur croisement dans un tableau de bord dont on peut suivre l'évolution au fil des ans impose un regard et une action sur l'ensemble du pacte social et fiscal.

On voit qu'en 2020, 55,1 % de la population pouvait être située dans la classe moyenne selon un critère courant (un revenu entre 75 % et 150 % du revenu disponible médian, alors de 48 200 $ pour une personne seule et de deux fois plus pour une famille de quatre). Sous le seuil d'entrée à 75 % du revenu médian (autour de 1,5 panier), 26,2 % de la population était à plus faible revenu, avec des degrés de gravité différents :

Les ménages disposant de l'équivalent de 2 ou 3 paniers étaient en plein dans la classe moyenne ainsi définie. Environ 18,7 % de la population se trouvait au-delà de ce critère, même si plusieurs pouvaient se croire en deçà. À 4 paniers, on se trouvait même dans le décile le plus riche des ménages.

  • Faible revenu autour ou au-delà du revenu viable et de la MFR-60 comme critères de sortie de la pauvreté (60 % – 75 % du revenu médian) (12 %) ;
  • Entre la couverture des besoins de base et la sortie de la pauvreté (50 % – 60 % du revenu médian) (6,5 %) ;
  • Autour ou en deçà de la couverture des besoins de base (moins de 50 % du revenu médian) (7,7 %, dont 4,8 % [1] sous le seuil de la MPC avec moins d'un panier pour vivre).

Les ménages disposant de l'équivalent de 2 ou 3 paniers étaient en plein dans la classe moyenne ainsi définie. Environ 18,7 % de la population se trouvait au-delà de ce critère, même si plusieurs pouvaient se croire en deçà. À 4 paniers, on se trouvait même dans le décile le plus riche des ménages.

Le suivi sur plusieurs années de ce tableau de bord s'avère également instructif. Il montre par exemple l'impact positif, quoique temporaire, de la PCU et des autres mesures d'aide à l'emploi en temps de COVID sur les revenus disponibles en 2020. Comparativement à 2019 et contrairement à la tendance des années précédentes, l'amélioration du revenu disponible est allée cette fois dans le bas et le milieu de la courbe (tassement vers la droite, donc vers de meilleurs revenus en dollars constants) sans perte de niveau de vie en haut de celle-ci en dollars constants.

Des questions à se poser

En disposant de l'ensemble de cette distribution et de son évolution dans le temps, il devient plus facile de poser certaines questions de société et de pacte social et fiscal.

Il y a par exemple cette question incontournable : comment justifier, devant un tel schéma, la règle qui plafonne à un demi-panier (en fait 55,1 % du seuil de la MPC, lequel devrait servir de plancher) la garantie de revenu d'une personne sans emploi à l'aide sociale de base ?

Et cette question existentielle : quel écart en plus ou en moins de deux paniers (la moyenne pour l'ensemble de la population) est-il acceptable de viser vers une société sans pauvreté où le bien-vivre est mieux partagé ?

Vient alors une autre question : devrait-il y avoir un plafond ? La question se pose d'autant plus que plus l'indice panier est élevé, plus le revenu en cause hypothèque fortement le budget carbone collectif.

Arrive finalement cette inévitable question socio-environnementale : vers quel indice panier écologiquement soutenable devrions-nous tendre en tenant compte de nos formes de production et de consommation, actuelles et à faire évoluer ?

Aborder l'ensemble des ménages à partir des seuils qui servent de repères au suivi de la pauvreté pour pouvoir ensuite se situer collectivement dans l'échelle des revenus est un équipement à se donner pour en venir, et ça presse, à répondre à ces questions et à reconsidérer notre rapport au revenu et à la richesse en conséquence.


[1] Comparativement à 8,9 % en 2019 sans les mesures de soutien liées à la COVID.

Vivian Labrie est chercheure associée à l'IRIS.

Illustration : Anne Archet

POUR ALLER PLUS LOIN
En continuité avec cette conclusion, et pour des références vers les concepts et les données présentés à grands traits dans cet article, voir le mémoire présenté par l'IRIS au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale dans le cadre des consultations pour la quatrième mouture du plan d'action requis par la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale : IRIS, Trois ingrédients pour un Québec sans pauvreté et résilient face à l'urgence climatique, 2023.
https://iris-recherche.qc.ca/publications/memoire_lutte_pauvrete/

Une personne sur dix

Le Collectif pour un Québec sans pauvreté regroupe 36 organisations nationales québécoises, populaires, communautaires, syndicales, religieuses, féministes, étudiantes, (…)

Le Collectif pour un Québec sans pauvreté regroupe 36 organisations nationales québécoises, populaires, communautaires, syndicales, religieuses, féministes, étudiantes, coopératives ainsi que des collectifs régionaux dans la plupart des régions du Québec. Depuis ses débuts, le Collectif travaille en étroite association avec les personnes en situation de pauvreté. Propos recueillis par Yannick Delbecque.

À bâbord ! : Pourquoi le Collectif a-t-il été formé ?

Virginie Larivière : Le Collectif s'appelait à son origine le Collectif pour une loi visant l'élimination de la pauvreté. Il a été créé à la fin des années 1990 par des groupes de Québec réunis autour d'une proposition de réforme de l'assistance sociale par le gouvernement de l'époque. Ces groupes ont su aussi mobiliser plusieurs personnes en situation de pauvreté concernées par cette réforme, notamment des personnes âgées ou assistées sociales. Ce mouvement a vraiment pris beaucoup d'ampleur et l'idée de revendiquer une loi visant l'élimination de la pauvreté est apparue comme étant mobilisatrice. Les groupes ont rédigé une proposition citoyenne de loi visant l'élimination de la pauvreté, laquelle a été présentée à l'Assemblée nationale, puis largement amendée par les parlementaires pour finalement être adoptée à l'unanimité en 2002.

Après l'adoption de la loi, le collectif a été renommé Collectif pour Québec sans pauvreté. Nous agissons depuis comme chien de garde au sujet des enjeux liés à la pauvreté, des mesures proposées, des budgets. Le Collectif a maintenant trois grands champs d'action. Premièrement, nous faisons de la représentation politique. On utilise notre influence pour faire adopter de meilleures politiques publiques en matière de lutte contre la pauvreté. On interpelle aussi le gouvernement et les partis d'opposition pour mettre de la pression. Le deuxième volet de notre action est ce que nous appelons « les pratiques avec ». Il s'agit du principe selon lequel on doit mener cette lutte avec les personnes en situation de pauvreté concernées par l'objet de ces luttes. Enfin, le troisième volet de notre action est celui de la recherche. Nous avons développé des projets de recherche-action participative et nous participons à des projets de recherche universitaire.

ÀB ! : Qu'est-ce qui explique qu'il y a de la pauvreté dans notre société ?

V. L. : Parce qu'on tolère le fait que des gens ne couvrent pas leurs besoins de base. Parce que nous sommes dans un système capitaliste qui crée de la pauvreté en générant des gagnant·es et des perdant·es. Les perdant·es, ce sont les personnes en situation de pauvreté. Historiquement, ce sont les travailleurs et les travailleuses qui sont exploité·es pour alimenter le jeu du capitalisme. Le capitalisme fait en sorte que les possédants, ceux qui réussissent à se hisser au sommet, puissent s'approprier les profits. Les possédants peuvent maintenant gagner cent fois le salaire de leurs ouvrières et ouvriers les moins payé·es. C'est ce qui fait apparaître les inégalités de toute nature, qu'elles soient économiques, sociales, de santé et culturelles.

Dans les dernières décennies, ces écarts se sont agrandis de façon absolument indécente sans qu'on arrive à y trouver de réponse politique. Nous sommes paralysé·es devant le grand jeu du capital et du mythe du capitaliste qui réussit grâce à son seul travail et à son génie. Il y a encore des gens qui saluent ces « réussites » de personnes qui seraient sorties de nulle part et qui réussiraient seules à monter au sommet. On ne calcule cependant jamais le coût collectif de ces succès individuels. On sait que personne n'arriverait seul·e à monter si haut dans notre monde compétitif mondialisé. Il y a nécessairement eu tout un échafaudage d'appuis, de relations, de connaissances, de moyens financiers, moyens auxquels la grande majorité du monde n'a pas accès.

On accepte l'existence de la pauvreté comme une fatalité. Il y aurait toujours eu des pauvres et des gagnants et la seule chose à faire serait de tirer son épingle du jeu : faire les bons choix, réussir à l'école, rester en santé. Comme si le fait de se retrouver en situation de pauvreté ou de devenir riche était la conséquence de choix individuels.

ÀB ! : Comment éradiquer la pauvreté ?

V. L. : Il faut beaucoup de volonté politique ! Évidemment, éliminer la pauvreté, c'est une question de revenus. Les gens sont pauvres parce qu'ils manquent de revenus. Ils n'ont pas assez d'argent pour s'offrir la couverture des besoins de base pour sortir de la pauvreté. L'augmentation des revenus figure bien sûr dans nos revendications.

Je pense cependant que la clé de la lutte à la pauvreté est de défaire les importants préjugés à l'égard des personnes en situation de pauvreté et à l'égard du système générant de la pauvreté. On a tellement de préjugés que ça nous empêche de rehausser le revenu des plus pauvres, de nous attaquer véritablement aux inégalités socioéconomiques. S'il y avait moins de préjugés, si le portrait global était mieux compris, il serait beaucoup plus facile d'éliminer la pauvreté. Par exemple, il y a encore beaucoup de préjugés à l'égard des personnes assistées sociales. Pour comprendre comment cela est nuisible aux luttes que nous menons, on peut se rappeler comment en 2012 les préjugés envers le mouvement étudiant ont pu lui nuire. Iels seraient des « enfants gâté·es pourris » qui buvaient de la sangria sur des terrasses avec des cellulaires. On dépeint beaucoup les personnes en situation de pauvreté comme étant profiteuses, paresseuses et en manque de volonté. Beaucoup au Québec ont un avis assez campé au sujet de l'assistance sociale, mais très peu connaissent véritablement ce système et son fonctionnement. Ses conditions d'accès extrêmement contraignantes sont méconnues : qui en est exclu·e, quelles sont les conditions pour y avoir accès, quelles sont les conditions pour le conserver, etc. Il est urgent de défaire ces préjugés et la méconnaissance qu'on peut avoir envers les personnes en situation de pauvreté.

Ensuite, il faut la volonté politique. Depuis 20 ans, les gouvernements de tout ordre clientélisent la population. On peut mettre de l'avant des mesures de lutte contre la pauvreté, de rehaussement du revenu, mais visant certaines catégories de personnes, ce qui clientélise ces mesures. Par exemple, des mesures pour les personnes aînées, pour les femmes seules de 60 ans et plus, etc. Depuis quelques années, les deux paliers de gouvernements ont mis en place des mesures pour les personnes aînées, mais de 70 ans et plus, alors que depuis longtemps, on considère comme aînées les personnes à partir de 65 ans, dès leur retraite. Cela coûte moins cher, mais cela clientélise. Ce ne sont plus des mesures universelles. Il arrive la même chose au système d'assistance sociale. On catégorise les gens en fonction de leur capacité à rejoindre le marché du travail avec toutes sortes de biais dans la manière de déterminer ces catégories. Dans les dernières années, on a aussi beaucoup mis de l'avant des mesures pour les familles. Ce n'est pas une mauvaise chose, mais c'est encore une approche clientéliste qui, cette fois-ci, a comme effet d'exclure les personnes seules et les couples sans enfants. Ces personnes sont les plus oubliées en matière de lutte contre la pauvreté et ne sont l'objet d'aucune mesure particulière.

Quand on n'a pas la volonté de lutter contre la pauvreté de manière large, on tombe dans ces petites catégories. C'est ce qui fait que malgré l'adoption de la loi visant l'élimination de la pauvreté il y a 20 ans, malgré le fait que le préambule de cette loi donnait 10 ans au Québec pour devenir une des nations qui compte le moins de personnes pauvres, nous en sommes à peu près au même point. Aujourd'hui, une personne sur dix au Québec ne couvre pas ses besoins de base.

Virginie Larivière est porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté.

Illustration : Anne Archet

Le capitalisme coupable

25 octobre, par Collectif anarchiste Emma Goldman, Comité intersyndical Montréal métropolitain (CIMM), Mouvement action-chômage (MAC) — , , , ,
Nous avons posé à différents groupes les deux mêmes questions : pourquoi y a-t-il de la pauvreté dans notre société et comment l'éradiquer définitivement ? Voici leurs (…)

Nous avons posé à différents groupes les deux mêmes questions : pourquoi y a-t-il de la pauvreté dans notre société et comment l'éradiquer définitivement ? Voici leurs réponses.

Mouvement Action-Chômage (Mac)

Le MAC est un groupe de défense des droits des sans-emploi. Il informe et défend les gens tout en visant la sauvegarde et l'amélioration du régime d'assurance-chômage.

Au Mouvement Action-Chômage de Montréal, on a un très gros parti pris pour les classes populaires. Depuis plus de 50 ans, on est de toutes les luttes contre la pauvreté, une pauvreté révoltante compte tenu de l'abondance et de la richesse produite à Montréal, au Québec et au Canada. Cette indigence est aussi absurde quand on sait qu'elle est le fruit d'une transgression crasse des droits humains, constamment bafoués. Rappelons qu'encore en 2024, des personnes ne peuvent pas manger à leur faim, se loger convenablement ou se déplacer.

Dans les bureaux du MAC de Montréal, on côtoie quotidiennement la cause profonde de cette pauvreté : le capitalisme. La pauvreté existe dans notre société parce que le système en a besoin pour se maintenir. Sans la pauvreté, il ne pourrait y avoir de riches qui s'approprient le fruit du travail collectif. En attendant que la main invisible du marché se manifeste enfin, les inégalités nourrissent la pauvreté qui le lui rend bien. Mais pourquoi se plaindre ? On nous assure que le travail c'est la santé, que ce sont les patrons qui prennent les risques pour faire fructifier le bien commun et que la richesse finira bien un jour par ruisseler vers le bas, à condition que tout le monde y mette du sien ? Ces idées ont largement infiltré la façon dont on gère les services publics comme la santé, l'éducation et les programmes sociaux tels que l'aide sociale et l'assurance-emploi.

Au MAC de Montréal, on voit aussi comment l'État peut être au service des patrons en gérant la caisse d'assurance-emploi – sans y mettre un sou – de manière que seule la moitié des travailleuses et travailleurs aient accès à leurs prestations quand ils ou elles en ont besoin. C'est évident pour nous que le patronat a besoin de la menace du chômage pour garder les travailleuses et travailleurs à leur poste. La justification pour un piètre programme social de remplacement de revenu est toute trouvée. Il ne faudrait pas être trop confortable… L'armée de réserve est essentielle au renouvellement constant du bassin de cheap labour sur lequel reposent des pans entiers de notre économie. Le régime actuel d'assurance-emploi est donc un outil de régulation de la main-d'œuvre pour s'assurer que les travailleur·euses prennent le premier emploi venu et restent bien ancré·es dans la pauvreté.

Endiguer la pauvreté est impossible dans notre organisation économique actuelle. La seule façon d'y arriver serait d'atteindre le plein emploi, une impossibilité structurelle à l'intérieur du capitalisme. En attendant le grand soir et un changement de paradigme profond, il nous reste à lutter pour un régime d'assurance-chômage décent qui donne un vrai revenu de remplacement en cas de perte d'emploi – pas seulement 55 % – qui s'assure que les personnes puissent faire une bonne recherche d'emploi pour trouver un emploi qui corresponde à leurs besoins, à leurs compétences et à leurs obligations. Un régime qui soit idéalement géré par et pour les travailleuses et travailleurs, pas par un État constamment au service du patronat.

Comité intersyndical Montréal métropolitain (CIMM)

Le CIMM est une table de concertation intersyndicale représentant plus de 400 000 travailleuses et travailleurs à travers les syndicats et les structures régionales de la plupart des organisations syndicales montréalaises.

Le Québec est traditionnellement présenté comme une société égalitaire, juste, dotée d'un filet social robuste et attentive aux besoins des plus précaires. Pourtant, force est de constater que les inégalités sociales et la pauvreté y font des ravages depuis longtemps, et plus particulièrement ces dernières années. Après des décennies de néolibéralisme, nous sommes moins bien outillé·es que nous le croyions pour répondre à la crise du logement et à la montée galopante de l'inflation. Celles-ci touchent une proportion significative de la population ; nous en sommes même rendu·es au point où des travailleuses et travailleurs, parfois à temps plein et syndiqué·es, doivent avoir recours aux banques alimentaires. La situation actuelle est inacceptable et nous avons la responsabilité collective d'y faire face.

Contrairement à ce dont on voudrait nous convaincre, la pauvreté n'est ni inévitable ni naturelle. Elle est une conséquence du système socioéconomique au sein duquel nous évoluons et de l'inégale répartition du pouvoir politique au sein de la société. Il est donc possible d'y mettre fin : il s'agit d'avoir la volonté, le courage et la créativité politiques, ainsi que la mobilisation sociale pour y parvenir. Évidemment, une telle chose est plus facilement dite que faite. On peut imaginer que les bénéficiaires des injustices actuelles résisteront à des changements qui mettraient en péril leurs privilèges. Ceci complique l'affaire, mais ne la rend pas irréalisable.

Dans les faits, il serait possible de pourvoir aux besoins de toutes et de tous. Pour y parvenir, il faudrait répartir la richesse d'une manière égalitaire. Or, cet objectif est profondément opposé à celui du système capitaliste, qui carbure aux inégalités et à la concentration de la richesse aux mains d'une minorité, d'ailleurs de plus en plus infime.

S'ajoute à cela que la répartition du pouvoir au sein de la société reflète de manière assez rigoureuse celle de la richesse : autrement dit, que les personnes qui disposent du pouvoir sont celles qui bénéficient des inégalités socioéconomiques. La surreprésentation des riches à l'Assemblée nationale et au gouvernement l'illustre très bien, de même que l'influence démesurée des corporations sur notre vie politique et sociale.

Il serait naïf d'espérer que des gens qui profitent du statu quo fassent quoi que ce soit pour le changer. S'ils peuvent admettre quelques mesures cosmétiques qui apaisent leur conscience et flattent leur image, jamais ils ne mettront réellement en péril leurs privilèges et les inégalités sur lesquelles ceux-ci sont fondés. Pensons par exemple au projet de loi 31 sur le logement, qui favorise outrancièrement les propriétaires ; au refus du ministre de l'Éducation de reconnaître l'école à trois vitesses ; aux baisses d'impôts successives décrétées par la CAQ ; aux subventions gigantesques octroyées à des multinationales pour les inciter à s'établir ici : chacune de ces décisions récentes de la CAQ manifeste son biais en faveur des riches ou son refus de mettre en place des mesures systémiques et structurantes pour lutter contre les inégalités sociales.

Face à ces constats, nous sommes d'avis qu'il ne faut pas baisser les bras. Mais il ne faut pas non plus sombrer dans l'angélisme : jamais nous ne convaincrons les profiteurs de mettre fin à une situation dont ils bénéficient. La société est traversée de rapports de force qui jouent actuellement et depuis longtemps à l'avantage des riches et des puissants : c'est sur ce plan que nous devons mener la lutte contre la pauvreté, l'injustice et l'exclusion sociale. Comme syndicalistes, nous avons la conviction que c'est par la constitution d'un rapport de force puissant, unitaire, démocratique et inclusif que nous y parviendrons. C'est donc en ce sens qu'il faut travailler : travailler à l'éveil de la conscience populaire et rallier les forces vives de la société civile et tenir tête aux riches et aux puissants afin que la population se gouverne par elle-même, libérée de l'oppression et de l'injustice. C'est là notre seul espoir de vaincre durablement les fléaux de la pauvreté et des inégalités sociales.

Collectif Emma Goldmann

Le Collectif Emma Goldmann est une organisation anarchiste/autonome active à Saguenay, sur le Nitassinan

Pourquoi, sur Terre, des personnes meurent-elles de faim alors qu'il y a une surproduction de nourriture ? Elles meurent simplement parce qu'elles n'ont pas les moyens d'acheter de quoi se nourrir.

Pour les capitalistes, tout est marchandisable – des aliments à l'habitation – et ce, indépendamment des droits de la personne. Pire, l'humain ne représente qu'une ressource parmi tant d'autres. Une ressource dont on peut disposer à volonté (compression, fermeture, délocalisation) et ce, indépendamment des conséquences sur les individus et les communautés. Après tout, le but est de maximiser le profit et non de travailler pour le bien commun.

Une infime minorité d'individus possèdent les moyens de production, tandis que l'immense majorité des gens ne possèdent que leur force de travail à offrir en échange d'un salaire. Dans les mots du Collectif Mur par Mur :

« Le travail tel qu'il s'instaure et se généralise avec le capitalisme est fondé sur l'organisation de la dépendance matérielle à travers la privation des moyens de production et le commerce de la subsistance […] Il faut d'abord avoir été dépossédé de tout moyen d'existence pour être obligé de vendre sa force de travail à un patron en vue de recevoir un salaire pour ensuite acheter des marchandises afin de survivre. [1] »

Comment en finir avec la pauvreté ? Le plein travail ne règle pas à lui seul la question de la pauvreté ; loin de là.

Le capitalisme est un système violent et mortifère. Au-delà des limites inhérentes à une planète aux ressources limitées, l'économie capitaliste, même lorsqu'elle roule à plein régime, laisse une part significative d'individus jugés non productifs, non compétitifs ou excédentaires sur les lignes de côté.

Aujourd'hui, nous subissons les contrecoups de l'inflation. Demain, ce sera la récession ou la stagnation économique qui entraîneront leurs lots de misères, d'endettement et de pauvreté. Ces crises sont inhérentes à l'économie capitaliste.

Nous croyons, à l'instar du philosophe et écrivain John Holloway, que « L'impératif n'est […] pas de construire le parti en vue de la prise du pouvoir, mais recréer de l'autonomie là où celle-ci a été détruite par l'intermédiaire mortifère engendré par le marché mondialisé. [2] »

C'est donc ici et maintenant qu'il faut créer des fissures dans le système, par nos résistances, nos rébellions. En réhabilitant le commun, en créant comme l'appelle Holloway, des brèches. Que ce soit une occupation, un piquet de grève, derrière une barricade dans un chemin forestier, etc. Ces moments sont des brèches portant un nouveau rapport au temps où les rapports de domination sont brisés pour en créer d'autres.


[1] Collectif Mur par Mur, Pour un anarchisme révolutionnaire, Les éditions L'échappée, 2021.

[2] Holloway, Crack capitalism : 33 thèses contre le capital, Libertalia, 2016.

Illustration : Anne Archet

Le Sahel face au péril militariste

Au Sahel, le coup d'État militaire survenu au Niger le 26 juillet 2023 est le sixième du genre depuis 2020 dans cet espace en proie à une crise sécuritaire inédite, après ceux (…)

Au Sahel, le coup d'État militaire survenu au Niger le 26 juillet 2023 est le sixième du genre depuis 2020 dans cet espace en proie à une crise sécuritaire inédite, après ceux enregistrés au Mali, au Burkina Faso et au Tchad.

Il se singularise d'autres événements tant par son mode opératoire, à savoir la séquestration du président par sa propre garde, que par les circonstances de sa venue, marquée par l'absence de tensions sociales ou politiques visibles. Ce coup d'État militaire a surpris toutes les personnes qui, à l'intérieur comme à l'extérieur, se sont refusées à considérer sérieusement le risque de voir la crise politico-sécuritaire ouvrir la voie à un retour au pouvoir des militaires un peu partout au Sahel, y compris au Niger, pays considéré comme le plus résilient de l'espace sahélien.

Au cours des dix dernières années, il faut dire que la plupart des acteur·trices internationaux sont resté·es fortement attaché·es à l'idée, vendue par certain·es expert·es, que le Niger représente une certaine exception au Sahel : d'abord, du fait de sa stabilité politique, puisqu'il n'a pas connu une rupture violente de l'ordre constitutionnel depuis 2010, et ensuite du fait de sa relative résilience face aux attaques des groupes armés, qui opèrent sur plusieurs fronts, notamment à l'est et à l'ouest. Ces deux éléments de contexte, associés au fait que le pays a connu récemment la première transition du pouvoir pacifique entre deux présidents, ont contribué à forger ce qu'il convient de considérer à présent comme le mythe de l'exception nigérienne, et c'est ce mythe qui s'est effondré le 26 juillet dernier de façon plutôt brutale, au grand bonheur de ceux et celles qui rêvent de voir le pays renouer avec l'autoritarisme d'antan.

Un procès en règle

À la faveur de ce coup d'État, il est apparu qu'un nombre significatif de citoyen·nes de ce pays ne sont pas loin de croire qu'un régime militaire est mieux placé qu'un régime civil pour relever les grands défis du moment, comme essaient de le faire admettre certains soutiens intellectuels de la junte militaire à travers des analyses soutenant que l'avènement de la démocratie a été un facteur sérieux de déstabilisation des États au Sahel. Les événements de ces derniers mois ont montré que le soutien au coup d'État militaire ne se nourrit pas seulement des rancœurs accumulées au cours des douze années de gestion du pays par le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarrayya), ou de la colère suscitée par les sanctions et menaces de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ; il se nourrit également d'un procès en règle du modèle même de la démocratie représentative, présentée comme un produit importé, sinon comme un véritable cheval de Troie des Occidentaux, qui ne servirait qu'à diviser pour mieux régner au Sahel.

Après le Mali et le Burkina Faso, on peut donc affirmer que le Niger semble bien parti pour refaire durablement l'amère expérience d'un pouvoir militaire qui pourrait s'avérer bien plus redoutable que ceux qu'il a connus dans le passé. Et cela même malgré l'espoir de voir les acteurs nationaux et régionaux se mobiliser pour transformer la crise ouverte par le coup d'État du 26 juillet en une opportunité de remettre la démocratie sur les rails. Cette crise, faut-il le rappeler, a été un révélateur des divisions et clivages qui traversent la société nigérienne, et a permis à beaucoup de Nigérien·nes de prendre conscience de l'intérêt que portent les grandes puissances internationales à leur pays. Les diverses réactions au coup d'État militaire ont été très riches en enseignements. Elles ont mis en lumière le jeu des grandes puissances et la capacité de certains acteurs nationaux à le faire correspondre à leurs propres agendas.

Politique d'un putsch

Ainsi, dès les premiers jours du coup d'État militaire, il est clairement apparu que les militaires putschistes et leurs soutiens civils sont bien conscient·es des enjeux de la crise en cours pour les puissances extérieures. Le contexte international actuel, marqué par de fortes rivalités entre ces dernières, ne leur a pas échappé et leur offre quelques marges de manœuvre pour se maintenir au pouvoir. Ainsi, les faits montrent que les militaires nigériens n'ont pas perdu de vue deux facteurs dont ils pourraient tirer profit : d'abord, la difficulté pour les puissances extérieures, bien qu'unanimes à condamner la prise du pouvoir par la force, à s'entendre sur la marche à suivre pour les obliger à retourner dans leurs casernes ; ensuite, l'existence d'un potentiel réel de soutien à des projets de restauration autoritaire de la part de certaines puissances comme la Russie et la Chine qui ne les appréhendent pas comme une menace à leurs intérêts stratégiques.

Outre ces deux facteurs importants, il convient de noter que les militaires putschistes et leurs soutiens civils n'ont pas perdu de vue l'existence, au sein de l'opinion sahélienne, d'un ressentiment profond à l'égard des puissances occidentales présentes sur le terrain. Comme leurs homologues du Mali et du Burkina Faso, ils ont bien compris que ce ressentiment, qui se double d'une forte demande de souveraineté, peut servir de levier à la fois pour légitimer localement leur irruption sur la scène politique et pour mettre sur la défensive toute puissance qui s'y opposerait. C'est en tenant compte de tout cela ainsi que des craintes légitimes que suscite la menace d'intervention militaire de la CEDEAO (à présent abandonnée) qu'ils se sont empressés à placer la question de la présence des forces extérieures, en particulier françaises, au cœur des enjeux de la crise ouverte par leur prise du pouvoir. Cette stratégie a été payante : elle a permis de rallier à la junte de larges pans de la population.

Aujourd'hui, après avoir obtenu le départ des forces françaises présentes dans le pays depuis bientôt une décennie, la junte espère encore tirer profit des sanctions et des menaces de la CEDEAO pour continuer à souder derrière elle les forces armées et la population, mais elle semble bien consciente que nombre de ses propres soutiens, civils comme militaires, attendent aussi des signaux clairs indiquant qu'elle n'est pas le bras armé de l'ancien président Issoufou Mahamadou qui cristallise toutes les rancœurs nées des douze années de gestion du pays par son parti, le PNDS-Tarrayya.

Échec démocratique et militaire

Les manifestations des mois précédents, dont le thème principal était le départ immédiat des forces françaises du Niger, ont été l'occasion pour certains de rappeler à la junte que leur soutien ne lui sera définitivement acquis que si elle prend ses distances d'avec l'ancien président, accusé d'être l'instigateur même du putsch du 26 juillet.

Quoi qu'il en soit, il est important de garder à l'esprit que le retour au pouvoir des militaires au Niger, comme au Mali et au Burkina Faso d'ailleurs, n'est pas seulement le symptôme d'une crise de la démocratie. Il est aussi la sanction de l'échec de tout ce qui a été entrepris jusqu'ici pour vaincre les groupes armés, à commencer par le déploiement sur le terrain des forces extérieures, qui n'a pas permis de faire reculer l'insécurité dans les pays. La rhétorique des militaires putschistes, au Niger comme au Mali et au Burkina Faso, est claire sur ce sujet : elle impute cet échec aux dirigeant·es civils, accusé·es d'avoir fait de mauvais choix, et aux forces extérieures, présentées comme des complices des groupes armés. L'enjeu pour les militaires putschistes n'est pas seulement d'éluder la part de cet échec qui incombe aux forces de défense et de sécurité nationales, mais il s'agit surtout de se poser en libérateurs providentiels des peuples dont les dirigeants civils et leurs alliés extérieurs n'ont pas pu assurer la sécurité qu'ils étaient en droit d'attendre. Le pari est encore loin d'être gagné.

A. T. Moussa Tchangari est journaliste et militant altermondialiste.

Photo : Soldats nigériens à Diffa, Département de la défense des États-Unis (CC0 License)

Guatemala. Victoire pour la démocratie

L'entrée en poste du nouveau président élu Bernardo Arévalo le 15 janvier 2024 marque un tournant pour le Guatemala. Si elle représente une victoire pour la démocratie et (…)

L'entrée en poste du nouveau président élu Bernardo Arévalo le 15 janvier 2024 marque un tournant pour le Guatemala. Si elle représente une victoire pour la démocratie et l'État de droit, les obstacles demeurent nombreux et l'avenir, incertain…

Le Guatemala s'inscrit parmi les pays les plus corrompus au monde selon l'organisation Transparency International. Cette corruption se matérialise à travers ce que plusieurs nomment communément le « pacte des corrompus » : un réseau d'élites politiques, militaires et économiques qui a réussi, au fil des ans, à modeler à son avantage la scène politique et économique du pays, notamment par la manipulation des institutions publiques, électorales et juridiques. Cette corruption s'est accentuée depuis la dissolution de la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala en 2019 par le président Jimmy Morales et l'inéligibilité de plusieurs candidats progressistes ou anti-establishment. Dans ce contexte particulier, la création du parti Movimiento Semilla suite aux protestations anticorruptions de 2015 représente possiblement l'étincelle ayant permis le changement de paradigme observé aux dernières élections.

La surprenante arrivée d'Arévalo

L'élection présidentielle de 2023 marque ainsi un tournant avec l'élection à la présidence du candidat progressiste Bernardo Arévalo. Arévalo se dresse comme un défenseur de l'État de droit et une figure forte du mouvement anticorruption au Guatemala. De plus, la candidature d'Arévalo présente également une distinction importante du fait de son absence de lien avec le monde politique et les autres instances corrompues. Le dénouement étonnant du premier tour, positionnant Arévalo favorablement pour le deuxième tour, fut en effet une réelle surprise pour la sphère politique conservatrice qui ne tarda pas à mettre en œuvre certaines actions pour empêcher son élection. En effet, l'élite politique et économique du pays tenta de bloquer la participation de son parti au deuxième tour et de bannir Arévalo de l'élection en entamant des poursuites judiciaires contre le candidat et son parti.

Une procédure légale auprès de la Cour constitutionnelle pour dénoncer de soi-disant irrégularités lors du premier tour des élections et pour révoquer l'immunité politique d'Arévalo fut lancée par les différents partis conservateurs. Cette attaque envers la démocratie fut secondée d'une tentative par le Ministère Public de révoquer le statut du parti. Ces actions furent entre autres portées par la procureure générale du Guatemala, María Consuelo Porras, et le chef du Bureau du procureur spécial contre l'impunité du Ministère Public, Rafael Curruchiche. Dans la même lignée, en décembre dernier, Curruchiche tenta – en vain – d'inciter le tribunal suprême électoral d'annuler le résultat de l'élection lors d'une conférence de presse. Ces actions sont d'ailleurs qualifiées de « tentative de coup d'État » par l'Organisation des États d'Amérique.

Un changement de paradigme

La mobilisation du peuple guatémaltèque face aux diverses tentatives de la droite de saboter l'élection a eu un impact majeur sur la préservation de l'État de droit et de la démocratie du pays. Cette mobilisation étonnante du peuple guatémaltèque représente un changement de paradigme important pour le pays, caractérisé par le retour dans la rue d'une population qui avait délaissé cette forme de manifestation dans les dernières années, par peur de représailles. Plusieurs nomment ainsi cette révolution sociale le deuxième printemps guatémaltèque. Les manifestations publiques en faveur du respect de la démocratie et en soutien au président élu ont représenté une pression constante sur le « pacte des corrompus » afin de respecter le résultat de l'élection.

Cette mobilisation a particulièrement été portée par des leader·euses autochtones et par la jeunesse guatémaltèque qui ont joué un rôle majeur, autant dans la campagne électorale d'Arévalo que dans son entrée en poste. Cette jeunesse s'est fortement mobilisée en faveur du nouveau président, dans la rue et sur différents médias sociaux. De même, plusieurs regroupements autochtones ont lutté pour le respect du processus démocratique en manifestant devant le bureau de la procureure générale pendant plusieurs mois. Après une longue période d'incertitude et de lutte acharnée, Arévalo réussit enfin à atteindre sa cérémonie d'assermentation dans la nuit du 14 au 15 janvier, malgré les tentatives de la droite de l'en empêcher.

Un avenir semé d'embûches

Bien qu'elle représente sans aucun doute une victoire pour l'État de droit, la démocratie et la lutte anticorruption au Guatemala, l'élection de Bernardo Arévalo ne marque pas la fin de ces combats. Les nombreuses tentatives visant à empêcher son entrée en poste montrent la persévérance du pacte des corrompus ainsi que son emprise sur les instances du pays. Par ailleurs, la transition politique ne se déroule pas sans heurts. Le refus de la procureure générale Porras de rencontrer Arévalo illustre la dure conciliation entre le nouveau chef de l'exécutif et l'establishment politique. Le froid entre Arévalo et la procureure générale représente une difficulté bien particulière pour le nouveau président qui ne peut pas entamer de poursuite pénale contre l'élite corrompue sans son appui. Cette paralysie du système judiciaire – retardant les objectifs anticorruptions d'Arévalo – pourrait bien lui coûter certains de ces soutiens. Dans la même lignée, l'absence de majorité du Movimiento Semilla au Congrès présage de nombreuses difficultés à venir.

Ainsi, malgré la forte mobilisation de la population et bien que la jeunesse et certains mouvements autochtones se soient montrés en faveur de l'entrée en poste d'Arévalo, cette mobilisation n'est pas garante d'un appui pérenne de ces groupes et de la population en général, dont les attentes sont élevées. Le président devra faire ses preuves et présenter des résultats tangibles afin de préserver cet engagement.

Photo : Président Bernardo Arévalo, Gouvernement du Guatemala (Crédit : PDM 1.0 DEED)

Israël - Palestine : la fabrique du consentement occidental

Depuis le 7 octobre, Israël poursuit de façon incessante ses bombardements, ses frappes de missiles et ses attaques ciblées contre des hôpitaux, des écoles, des universités et (…)

Depuis le 7 octobre, Israël poursuit de façon incessante ses bombardements, ses frappes de missiles et ses attaques ciblées contre des hôpitaux, des écoles, des universités et des résidences au vu et au su du monde entier. Ces crimes de guerre sont accompagnés d'une rhétorique où Israël se présente comme la victime des Palestinien·nes, ce qui justifie, croit-il, son « droit de se défendre ».

Cette guerre contre Gaza est accompagnée d'un récit repris par les principaux médias occidentaux qui répètent allègrement la version israélienne voulant que tout ait commencé le 7 octobre, lors de l'attentat du Hamas qui a fait un peu plus de 1 200 victimes, essentiellement des civil·es israélien·nes. Notre propos ici n'est pas de nier l'ignoble tuerie commise par le Hamas, mais de questionner l'absence de mise en contexte dans laquelle s'est produit cet événement. Aucun média (ou si peu) n'a rappelé au monde que cet événement s'inscrit dans le cadre d'une occupation militaire et d'un blocus isolant complètement Gaza, et empêchant les Gazaoui·es de circuler, que ce soit pour aller en Cisjordanie, en Égypte ou ailleurs.

Aucun journaliste (ou si peu) n'a eu le réflexe ou le courage de rappeler ce que signifie concrètement ce blocus pour près de deux millions de personnes qui sont en confinement total sur un petit territoire depuis 16 ans maintenant, confinement collectif qui les prive de soins de santé plus performants, qui leur interdit de retrouver les membres de leurs familles vivant en Cisjordanie ou en Israël, qui les prive également d'opportunités d'emploi ou encore de visites à la Mosquée al-Aqsa, le troisième lieu de pèlerinage pour les musulman·es. Qui a entendu parler de l'intervention de l'armée israélienne à Jénine l'été dernier, l'une des plus importantes opérations militaires depuis le début de l'occupation israélienne de la Cisjordanie en 1967 ? L'armée est intervenue dans le camp de réfugié·es et dans la ville même de Jénine, tirant notamment sur la mosquée. Selon le ministère palestinien de la Santé, douze Palestinien·nes ont été tué·es et on compte quelque 100 blessé·es, dont 20 sont dans un état grave. Ce type d'intervention de l'armée israélienne, qui viole les droits des habitant·es des territoires palestiniens, fait désormais partie des faits divers. Cette banalisation de la violence du colonialisme israélien a contribué à ce que désormais, la « question palestinienne » disparaisse du radar médiatique occidental.

L'affaire de l'hôpital de al-Shifa

Ainsi, les médias occidentaux reprennent sans scrupules la trame narrative israélienne et la reconstitution de « preuves », à partir de données et de photos satellitaires fournies par l'armée israélienne. L'affaire de l'hôpital de al-Shifa à Gaza en est un bon exemple. Les dirigeants de l'armée ont déclaré que cet hôpital cachait des infrastructures stratégiques et militaires du Hamas. Pour soutenir cette affirmation, l'armée israélienne a présenté des photos de caches d'armes dans un endroit qui aurait pu être n'importe où, de même que des vidéos de soldats israéliens marchant dans un tunnel, lampes frontales au front et armes droites devant. Où ont été tournées ces scènes, nul ne le saura. Mais il demeure que des médecins européens présents sur place pour aider la population palestinienne ont démenti la version israélienne. Malgré cela, les journalistes non palestiniens, qui opèrent de l'extérieur de la bande de Gaza, ont repris ce récit presque mot pour mot, ce qui a servi à justifier l'explosion et la destruction totale de cet hôpital à l'heure où les intervenant·es des Nations Unies, et en premier lieu son secrétaire général Antonio Guterres, évoquent une crise humanitaire d'une ampleur sans précédent…

Le contrôle des médias

Pour ajouter, est-il nécessaire de rappeler que la couverture journalistique occidentale se fait de l'extérieur de Gaza ? Il est interdit pour les journalistes d'entrer dans cette zone de guerre. Celles et ceux qui, comme Céline Galipeau, vont dans la région se voient contraint·es d'aller rendre visite à des résident·es israélien·nes des colonies de peuplement environnantes. Les reportages qui donnent la parole à des personnes qui ont été enlevées par le Hamas ou aux membres de leur famille participent à renforcer le récit israélien, diffusé largement à la télévision. Il semble qu'aucun·e journaliste de Radio-Canada ou d'une autre télévision d'ici n'ait pris la peine d'aller rencontrer des opposant·es ou militant·es israélien·nes qui interviennent en solidarité avec le peuple palestinien, ou à tout le moins qui travaillent en matière de défense des droits humains. Pourtant, de telles organisations existent, et elles sont connues.

En effet, d'autres voix que celles de l'État ou de l'armée existent en Israël et dénoncent le génocide en cours, même s'il leur est plus difficile de se faire entendre en temps de guerre. À titre d'exemple, le journal israélien Haaretz a fait connaître l'une des conclusions d'une enquête policière israélienne révélant qu'un hélicoptère de l'armée israélienne a tiré sur des personnes qui couraient dans tous les sens lors des attentats de militants palestiniens du Hamas, le 7 octobre dernier. Selon le rapport révélé par Haaretz, l'hélicoptère israélien aurait vraisemblablement tué un·e ou des Israélien·nes. Peu de médias occidentaux ont relayé cette information pourtant crédible, et provenant d'un média israélien. Même si l'armée israélienne a nié ces accusations, ces éléments d'information illustrent à quel point cette guerre est aussi une guerre médiatique. Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux jouent également un rôle important. S'il n'y avait pas eu d'individus utilisant leur cellulaire pour filmer les Palestinien·nes marchant nu·es dans le désert, aurions-nous cru aux atrocités et aux humiliations commises par l'armée israélienne ?

Enfin, notons que les journalistes qui travaillent à Gaza sont les cibles privilégiées de l'armée israélienne. Ce ciblage fait partie intégrante de la fabrique du consentement. Au début de l'année 2024, selon le Syndicat des journalistes palestiniens, 102 journalistes ont été tué·es à la suite de bombardements israéliens de leurs maisons ou de leurs bureaux, ainsi que lors de leur pratique journalistique, soit « 8,5 % des journalistes de Gaza » [1].

Fabriquer le consentement

Tous ces éléments nous amènent à évoquer la célèbre thèse de Noam Chomsky et Edward Hemann : la fabrique du consentement. On renvoie ici à la création d'un récit constitué de faits choisis (ou omis), et d'informations répétées ad nauseam par les médias, qui contribue à imposer une « vérité ». Un processus qui permet aujourd'hui à Israël de justifier le processus d'annihilation de la population palestinienne de Gaza.

Notons que cette volonté israélienne d'empêcher que les faits soient dévoilés est appuyée par un bon nombre de dirigeants de pays occidentaux comme le président français Emmanuel Macron, qui a tenté d'interdire les manifestations propalestiniennes (le premier ministre François Legault avait évoqué cette idée pour finalement y renoncer) et a fait expulser la représentante de l'Autorité palestinienne qui avait été invitée par des organisations de la société civile à prendre la parole lors de certains événements. Aux États-Unis, les rectrices de grandes universités comme Harvard ou le MIT ont été forcées de démissionner, du fait des pressions des philanthropes pro-israéliens qui financent ces vénérables institutions. Le principe même de manifester son appui au peuple palestinien est menacé, et c'est pourquoi plus que jamais nous devons leur témoigner concrètement notre appui et participer au boycott, aux sanctions et au désinvestissement à l'égard d'Israël.


[1] Cela comprend 78 praticien·nes du journalisme et 24 professionnel·les des médias selon le Syndicat des journalistes palestiniens. Selon le Committee to Protect Journalists, en date du 23 janvier 2024, il s'agirait plutôt de 83 journalistes et travailleur·euses des médias tué·es (donnée confirmée) ; 76 journalistes palestinien·nes ; quatre journalistes israélien·nes, et trois Libanais·es ; 16 journalistes ont été blessé·es et trois journalistes sont portés disparu·es. Enfin, 25 journalistes auraient été arrêtés.

Anne Latendresse est militante internationaliste.

Illustration : Ramon Vitesse

Des travailleurs de Safeway à Winnipeg appellent à renforcer les TUAC

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/10/unnamed-scaled-e1761329205909-1024x612.jpg24 octobre, par Manitoba Committee
Face aux pratiques abusives de leur employeur, des travailleurs et travailleuses de Safeway à Winnipeg affirment que les TUAC ont un rôle important à jouer pour les aider à se (…)

Face aux pratiques abusives de leur employeur, des travailleurs et travailleuses de Safeway à Winnipeg affirment que les TUAC ont un rôle important à jouer pour les aider à se tenir debout et à lutter pour mieux. Ils ajoutent aussi que le syndicat a été absent et qu’il doit commencer à prendre (…)

Quand le ROSEQ se fait phoquer

23 octobre, par Marc Simard
Chaque automne, en octobre, le Réseau des Organisateurs de Spectacles de l’Est-du-Québec (ROSEQ) débarque à Rimouski avec ses valises pleines de cartes d’affaires, de (…)

Chaque automne, en octobre, le Réseau des Organisateurs de Spectacles de l’Est-du-Québec (ROSEQ) débarque à Rimouski avec ses valises pleines de cartes d’affaires, de costards-cravates et de techniques discursives. Les diffuseurs se retrouvent, les artistes se montrent sous leur meilleur jour, (…)

L’instrumentalisation politique de l’immigration par le gouvernement Legault

22 octobre, par Bernard Rioux — ,
Le gouvernement de la CAQ soumet à la consultation populaire ses orientations sur la planification pluriannuelle de l'immigration pour la période de 2026 à 2029. De très (…)

Le gouvernement de la CAQ soumet à la consultation populaire ses orientations sur la planification pluriannuelle de l'immigration pour la période de 2026 à 2029. De très nombreux mémoires ont été déposés. Il s'agira d'examiner, en plus des orientations gouvernementales, les positions des organisations patronales, des organisations syndicales et des organisations de défense des personnes immigrantes. Cette consultation permet de dégager les enjeux économiques, sociaux et politiques, tant pour le gouvernement que pour les différents acteurs sociaux qui y participent.

Les propositions du gouvernement de la CAQ

Le gouvernement de la Coalition avenir Québec propose de réduire le volume global d'immigration en diminuant les cibles d'immigrant·e·s permanents et le nombre de résident·e·s non permanent·e·s (étudiant·e·s étranger·e·s, travailleurs et travailleuses étranger·e·s temporaires et demandeur·euse·s d'asile).

Il présente trois scénarios en ce qui concerne les seuils d'immigration permanente : ramener ces seuils soit à 25 000, à 35 000 ou à 45 000 admissions par an. Ces trois scénarios constituent une réduction importante par rapport à la situation actuelle, alors que le nombre d'immigrant·e·s admis·e·s en 2024 frôlait les 60 000. Le gouvernement veut également réduire le nombre de résident·e·s non permanent·e·s, qui passerait d'environ 416 000 à quelque 200 000 d'ici 2029.

Le gouvernement de la CAQ vise aussi à exiger une meilleure connaissance du français pour les personnes immigrantes permanentes et temporaires. Il entend maintenir à une forte proportion l'immigration économique — soit plus de 60 % des admissions permanentes — et réduire les admissions dans les programmes d'immigration humanitaire. Dans tous les scénarios, le gouvernement vise à réduire considérablement le nombre de personnes réfugiées sélectionnées à l'étranger, en plus d'exiger d'Ottawa le transfert d'un certain nombre de ces personnes vers les autres provinces canadiennes.

Le gouvernement de la CAQ soutient que cette réduction est nécessaire pour respecter la capacité d'accueil et d'intégration de la société québécoise. Il prétend que le niveau actuel d'immigration exerce une pression sur les services publics, notamment en santé et en éducation, et que la crise du logement est directement liée à l'immigration. Ces arguments sont directement repris par le chef du PQ, **Paul St-Pierre Plamondon**.

Les politiques néolibérales, les désinvestissements et les privatisations des services publics, de même que la production insuffisante de logements laissée au marché privé et aux spéculateurs, sont ainsi excusés. De plus, derrière le discours sur la « protection du français » et la « cohésion culturelle », le gouvernement de la CAQ cherche à reconstruire sa base électorale en expliquant la multiplication des problèmes sociaux par l'immigration, et non par les logiques capitalistes et ses politiques d'austérité.

Sous couvert de laïcité, de cohésion linguistique et de « valeurs communes », le nationalisme conservateur érige une frontière symbolique entre un « nous » francophone menacé et un « eux » étranger, racisé, musulman ou non francophone. Les politiques de la CAQ – Loi 21, restrictions à l'immigration, discours sur la « capacité d'intégration » – visent à diviser la majorité populaire et à détourner la colère sociale des véritables responsables : le capital financier, la spéculation immobilière et la destruction des services publics.

Les organisations patronales défendent une vision strictement utilitariste de l'immigration

De leur côté, les grandes organisations patronales – le Conseil du patronat du Québec, la Fédération des chambres de commerce et **Manufacturiers et exportateurs du Québec** – réclament une augmentation substantielle des seuils d'immigration permanente, jusqu'à 70 000 admissions annuelles, et s'opposent à toute réduction des permis temporaires.

Elles considèrent que les propositions gouvernementales sont insuffisantes face à la rareté de la main-d'œuvre et insistent sur l'importance de répondre aux besoins du marché du travail et à la croissance des entreprises. Le CPQ propose également de suspendre les restrictions imposées à l'automne 2024 sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) afin d'éviter des pertes de main-d'œuvre indispensables au maintien des PME, particulièrement dans certaines régions hors des grands centres.

Leur conception de l'intégration est strictement utilitaire : il s'agit de maintenir un réservoir de main-d'œuvre flexible, bon marché et immédiatement disponible, sans nécessairement garantir la stabilité ou l'égalité des droits.

Au fond, les contradictions entre le gouvernement Legault et les organisations patronales reflètent deux logiques distinctes mais interdépendantes :

* la logique économique du patronat, orientée vers la maximisation de la main-d'œuvre disponible (une « armée de réserve »), la fluidité du marché et la déréglementation ;
* la logique politique du gouvernement de la CAQ, centrée sur la mise en scène d'une souveraineté culturelle identifiée à la défense du français, permettant de freiner l'érosion de sa base électorale.

Les positions des organisations syndicales

Dans leurs mémoires, les centrales syndicales – **FTQ, CSN, CSQ, CSD** – sont moins centrées sur le « seuil maximal » que sur les conditions, le statut et la protection des personnes immigrantes. Elles dénoncent la multiplication des statuts temporaires, la précarisation du travail immigrant et la dépendance des travailleurs et travailleuses à un seul employeur.

Les centrales insistent sur le fait que les personnes immigrantes doivent avoir accès à un statut permanent dès que possible, surtout celles déjà présentes sur le territoire avec un statut temporaire. Elles exigent la suppression des permis de travail fermés, l'accès rapide à la résidence permanente, la reconnaissance des qualifications étrangères et un véritable droit à la francisation gratuite et rémunérée. Elles réclament que l'intégration ne se limite pas à la seule dimension culturelle, mais qu'elle soit globale : logement abordable, services publics accessibles, soutien aux organismes d'accueil, lutte contre le racisme.

Pour les centrales syndicales, la politique actuelle repose sur une contradiction : on invoque la défense du français pour restreindre l'immigration, tout en négligeant de donner aux travailleurs et aux travailleuses les moyens matériels d'apprendre la langue et les droits leur permettant de participer pleinement à la vie collective. Les coupures dans les programmes de francisation opérées par la CAQ durant la dernière année en sont une illustration manifeste.

Les organisations de défense des personnes immigrantes

Les organismes de défense des personnes immigrantes appellent à une reconnaissance pleine et entière de la contribution des personnes immigrantes et à des voies claires et rapides vers la résidence permanente, notamment pour celles déjà établies au Québec.

Ils dénoncent le régime des permis fermés, les conditions de travail abusives, les obstacles à l'accès aux services publics et les politiques de francisation instrumentalisées comme filtres d'exclusion. Leur perspective est celle d'une politique fondée sur la dignité, l'égalité et la solidarité.

Pour ces organisations, une politique émancipatrice passerait par la régularisation des personnes sans statut, la suppression des permis fermés, la reconnaissance des diplômes étrangers et l'accès universel aux droits sociaux, linguistiques et culturels.

Si le patronat voit dans les seuils proposés et la diminution du nombre de travailleurs et travailleuses temporaires une difficulté pour répondre à la pénurie de main-d'œuvre, les organisations de défense des immigrant·e·s considèrent que ces seuils réduits et ces statuts temporaires prolongés sans perspectives claires créent de la précarité et de l'injustice.

La politique migratoire du Québec en phase avec celle du Canada

Si le gouvernement du Québec demande un transfert de pouvoirs en matière d'immigration, il faut voir que les politiques migratoires du Canada et du Québec verrouillent la mobilité humaine et criminalisent la migration. Ces politiques nourrissent un racisme systémique qui traverse l'ensemble des institutions. Elles révèlent un même projet : celui d'un État capitaliste et colonial cherchant à réaffirmer son autorité par le contrôle des corps, la hiérarchisation des vies et la fragmentation de la classe travailleuse. Les murs qu'il érige ne protègent pas la population : ils protègent le profit, l'ordre et la propriété.

Comme l'écrivait **Solidarité sans frontières** en dénonçant le projet de loi C-12 (devenu C-2) :

« Les migrant·e·s sans papiers, et toutes celles et ceux qui ont un statut d'immigration précaire, sont prisonnier·e·s au Canada. Elles et ils ne peuvent pas partir, ni travailler de façon légale ; elles et ils sont exploité·e·s sur leur lieu de travail encore plus que d'autres travailleur·euse·s ; elles et ils sont constamment menacé·e·s de détention arbitraire. Elles et ils sont ici parce que le Canada et d'autres pays occidentaux riches ont rendu leurs foyers invivables. Elles et ils sont ici, aspirant à une vie meilleure pour elles et eux-mêmes et pour leurs enfants. Elles et ils sont confronté·e·s à la violence bureaucratique et juridique du Canada, mais luttent dans la dignité et la résilience. »

Une politique migratoire véritablement émancipatrice doit jeter les bases d'une véritable inclusion de toutes les composantes de la société québécoise

Une véritable politique d'inclusion des personnes migrantes et d'intégration à la société québécoise passera par une politique d'égalité sociale et d'extension des droits économiques, sociaux et politiques.

Elle exigera :
a) le rejet d'une vision ethniquement homogène de la société québécoise et du projet nationaliste d'homogénéisation culturelle ;
b) une politique s'attaquant aux discriminations et refusant l'existence de secteurs de la société privés de droits ;
c) la liberté de circulation et d'installation de toutes les personnes migrantes ;
d) l'éradication du racisme systémique qui touche tant les nations autochtones que les autres secteurs racisés de la population ;
e) le rejet des discours qui font des minorités les seules porteuses de l'inégalité des femmes dans la société ;
f) une politique linguistique refusant de faire des personnes immigrantes la cause du manque d'attractivité du français ;
g) enfin, le rejet d'une laïcité identitaire qui essentialise la nation.

Il faut éviter de diviser le Québec entre un « nous » défini sur une base généalogique et culturelle et un « eux » qui en serait exclu. Partir sur cette base, c'est créer les conditions de l'approfondissement des divisions ethniques au sein de la société québécoise. La société québécoise doit se définir non pas comme un « nous » dont la substance se construit autour de certaines valeurs partagées de tout temps, mais comme un espace commun où la contribution de toutes et tous façonne une société plurielle et démocratique.

Toutes les personnes vivant au Québec, toutes celles qui y œuvrent et participent à la création de la richesse commune (et pas seulement économique) font partie de la société et contribuent à son destin national. Pour assurer une véritable inclusion des personnes migrantes, on ne peut accepter que des personnes se trouvant sur un même territoire et dans un même ordre juridique soient traitées différemment ou discriminées.

Le principe d'égalité des droits implique donc la libre circulation, mais aussi une série d'autres droits, dont notamment :

* le droit de s'installer durablement ;
* le droit au travail, à un salaire égal et à la syndicalisation ;
* le droit d'acquérir la nationalité et de voter ;
* le droit de vivre en famille ;
* le droit à la sécurité sociale ;
* le droit d'avoir accès aux différents services publics, etc.

La lutte pour l'égalité des droits doit être la tâche de tous les mouvements sociaux qui visent l'égalité sociale et la fin des discriminations : mouvement syndical, mouvement des femmes, des jeunes, mouvement populaire, mouvement antiraciste, etc. Le combat contre les discriminations et pour l'égalité des conditions et des droits est à la base de la convergence des différentes composantes de la majorité populaire.

Changement de culture : Mon moyen de transport n’est pas alternatif

22 octobre, par Marc Simard
Je n’ai plus de permis de conduire. Pas qu’on me l’ait retiré à force d’infractions; j’ai choisi d’arrêter de le payer et de plutôt grossir le nombre de personnes sans ce (…)

Je n’ai plus de permis de conduire. Pas qu’on me l’ait retiré à force d’infractions; j’ai choisi d’arrêter de le payer et de plutôt grossir le nombre de personnes sans ce permis au Québec. L’auto (surtout solo, surtout thermique, mais même électrique) est pour moi vestige d’une civilisation déjà (…)

Palestine : quand dénoncer un génocide devient un crime

21 octobre, par Blast — , ,
tiré du site de Blast https://www.blast-info.fr/emissions/2025/palestine-quand-denoncer-un-genocide-devient-un-crime-frYcbHMKRNuzGZReh8YUOQ Depuis plus de deux ans, on (…)

tiré du site de Blast
https://www.blast-info.fr/emissions/2025/palestine-quand-denoncer-un-genocide-devient-un-crime-frYcbHMKRNuzGZReh8YUOQ

Depuis plus de deux ans, on assiste à la criminalisation systématique et brutale du mouvement de solidarité avec la Palestine. Une mobilisation massive des infractions « d'apologie du terrorisme" et de "provocation à la haine raciale" pour restreindre significativement le débat public. Cette criminalisation ne date pas d'hier. Depuis les lois scélérates adoptées pour réprimer le mouvement anarchiste à la fin du 19ème siècle, le délit d'opinion a toujours été un outil redoutable pour s'attaquer à la solidarité anti-impérialiste. Quelle analyse en tirer ? Comment y résister ? C'est ce que nous verrons dans ce premier épisode de Légitime Défense écrit et animé par l'avocate Elsa Marcel et la constitutionnaliste Eugénie Mérieau.

Manifeste pour une révolution écosocialiste – Rompre avec la croissance capitaliste

Chers/chères camarades, Suite au dernier congrès mondial et à l'approbation du Manifeste, le Bureau de la Quatrième internatinale souhaite centraliser et développer la (…)

Chers/chères camarades,

Suite au dernier congrès mondial et à l'approbation du Manifeste, le Bureau de la Quatrième internatinale souhaite centraliser et développer la campagne afin de faire connaître largement ce texte en dehors de nos cercles militants.

Pour ce faire nous allons développer une campagne sous différents axes :

Nous allons publier un article sur les sites de la IV reprenant les liens vers les différentes éditions papier qui existent actuellement. Nous savons qu'il existe déjà des éditions en :
• portugais (Boi Tempo, Brésil https://www.boitempoeditorial.com.br/produto/manifesto-por-uma-revolucao-ecossocialista-153126),
• français (La Brèche, France https://la-breche.com/product/21671),
• néerlandais (Ernest Mandel Fonds, Belgique https://www.ernestmandelfonds.org/onze_publicaties.html),
• castillan (Textos de Combate, État espagnol https://www.anticapitalistas.org/wp-content/uploads/2025/06/TC-ManifiestoRevolucionEcosocialista.pdf),
• anglais (IIRE/Resistance Book https://resistancebooks.org/product/manifesto-for-an-ecosocialist-revolution/ ; Rupture - Irlande https://rupture.ie/store/manifesto-for-an-ecosocialist-revolution-pamphlet)...

Nous avons entendu parler d'éditions en grec, en japonais, en ourdou...

PTAG republie dans le cadre de cette campagne, une nouvelle fois, ce manifeste !

Adopté lors du 18e Congrès Mondial de la Quatrième Internationale- 2025

Ce Manifeste est un document de la Quatrième Internationale, fondée en 1938 par Léon Trotsky et ses camarades pour sauver l'héritage de la Révolution d'Octobre du désastre stalinien. Refusant un dogmatisme stérile, la IVe Internationale a intégré dans sa réflexion et sa pratique les défis des mouvements sociaux et de la crise écologique. Ses forces sont limitées, mais elles sont présentes sur tous les continents et ont activement contribué à la résistance au nazisme, à Mai 68 en France, à la solidarité avec les luttes anticoloniales (Algérie, Vietnam), à l'essor du mouvement altermondialiste et au développement de l'écosocialisme.

La IVe Internationale ne se considère pas comme la seule avant-garde ; elle participe, dans la mesure de ses forces, à de larges formations anticapitalistes. Son objectif est de contribuer à la formation d'une nouvelle Internationale, à caractère de masse, dont elle serait l'une des composantes.

Notre époque est celle d'une double crise historique : la crise de l'alternative socialiste face à la crise multiforme de la “civilisation” capitaliste.

Si la IVe Internationale publie ce Manifeste en 2025, c'est parce que nous sommes convaincu·es que le processus de révolution écosocialiste à différentes échelles territoriales, mais à dimension planétaire, est plus que jamais nécessaire : il s'agit désormais non seulement de mettre fin aux régressions sociales et démocratiques qui accompagnent l'expansion capitaliste mondiale, mais aussi de sauver l'humanité d'une catastrophe écologique sans précédent dans l'histoire humaine. Ces deux objectifs sont inextricablement liés.

Cependant, le projet socialiste qui est à la base de nos propositions nécessite une large refondation nourrie par l'évaluation pluraliste des expériences et par les grands mouvements de lutte contre toutes les formes de domination et d'oppression (classe, genre, communautés nationales dominées, etc.). Le socialisme que nous proposons est radicalement différent des modèles qui ont dominé le siècle dernier ou de tout régime étatiste ou dictatorial : c'est un projet révolutionnaire, radicalement démocratique, nourri par l'apport des luttes féministes, écologiques, antiracistes, anticolonialistes, antimilitaristes et LGBTI+.

Nous utilisons le terme d'écosocialisme depuis quelques décennies, car nous sommes convaincu·es que les menaces et les défis globaux posés par la crise écologique doivent imprégner toutes les luttes au sein de / contre l'ordre globalisé existant et nécessitent une reformulation du projet socialiste. La relation avec notre planète, le dépassement de la « fracture métabolique » (Marx) entre les sociétés humaines et leur milieu de vie, le respect des équilibres écologiques ne sont pas seulement des chapitres de notre programme et de notre stratégie, mais leur fil conducteur.

La nécessité d'actualiser les analyses du marxisme révolutionnaire a toujours inspiré l'action et la pensée de la Quatrième Internationale. Nous poursuivons cette démarche dans notre travail de rédaction de ce Manifeste écosocialiste : nous voulons contribuer à la formulation d'une perspective révolutionnaire capable d'affronter les défis du 21e siècle. Une perspective qui s'inspire des luttes sociales et écologiques, et des réflexions critiques authentiquement anticapitalistes qui se développent dans le monde.

La nécessité objective d'une révolution écosocialiste, antiraciste, antimilitariste, anti-impérialiste, anticolonialiste et féministe

Partout dans le monde, les forces d'extrême droite, autoritaires et semi-fascistes se renforcent et gagnent en influence. L'absence d'alternative à la crise du capitalisme tardif crée le désespoir qui favorise la misogynie, le racisme, la queerphobie, le déni du changement climatique et les idées réactionnaires en général. Effrayés parce que la crise écologique met objectivement en accusation l'accumulation pour le profit, des milliardaires se tournent vers une nouvelle extrême droite (allant des populistes de droite aux néofascistes) offrant ses services pour sauver le système par le mensonge et la démagogie sociale. Politiciens autoritaires et oligarques unissent leurs forces en défense du capital. Ciblant à la fois la protection de l'environnement et les programmes sociaux, ils mènent une guerre contre les travailleurs et les pauvres, tout en prétendant les représenter contre l'establishment libéral.

Le capital triomphe, mais son triomphe le plonge dans les contradictions insurmontables mises en évidence par Marx. En 1915, Rosa Luxemburg lançait un avertissement : « Socialisme ou barbarie ». Cent dix années plus tard, sonner l'alarme est plus urgent que jamais, car la catastrophe qui se développe est sans précédent. Aux fléaux de la guerre, du colonialisme, de l'exploitation, du racisme, de l'autoritarisme, des oppressions de toutes sortes, s'ajoute en effet un nouveau fléau, qui les exacerbe tous : la destruction accélérée par le capital de l'environnement naturel dont dépend la survie de l'humanité. L'élection de Trump en 2024 aggrave considérablement ce processus destructif. En se retirant des Accords de Paris, en encourageant l'exploitation illimitée des énergies fossiles (“drill, baby, drill”), en démantelant tous les règlements environnementaux aux USA, Donald Trump accélère la course planétaire vers l'abîme.

Les scientifiques identifient neuf indicateurs mondiaux de soutenabilité écologique. Les limites du danger sont estimées pour sept d'entre eux. En raison de la logique capitaliste d'accumulation, six de ces limites sont déjà franchies : (climat, intégrité des écosystèmes, cycles de l'azote et du phosphore, eaux douces souterraines et de surface, changement d'affectation des sols, pollution par de nouvelles entités chimiques). Les pauvres sont les principales victimes de ces destructions, surtout dans les pays pauvres.

Sous le fouet de la concurrence, la grande industrie et la finance renforcent leur emprise despotique sur les humains et la Terre. La destruction se poursuit, malgré les cris d'alarme de la science. La soif de profit, tel un automate, exige toujours plus de marchés et toujours plus de marchandises, donc plus d'exploitation de la force de travail et de pillage des ressources naturelles.

Le capital légal, le capital dit criminel et la politique bourgeoise sont étroitement liés. La Terre est achetée à crédit par les banques, les multinationales et les riches. Les gouvernements étranglent de plus en plus les droits humains et démocratiques par la répression brutale et le contrôle technologique.

Les mêmes causes sont à la base des inégalités sociales et de la dégradation de l'environnement. C'est peu dire que les limites de la soutenabilité sont franchies également au niveau social.

Le capitalisme implique la pénurie pour des milliards de personnes et l'enrichissement sans limite pour une infime minorité. D'un côté, le manque d'emplois, de salaires, de logements et de services publics alimente l'idée réactionnaire qu'il n'y a pas assez de ressources pour satisfaire les besoins de toutes et tous. De l'autre côté, avec leurs yachts, leurs jets, leurs piscines, leurs immenses terrains de golf particuliers, leurs nombreux SUV, leur tourisme spatial, leurs bijoux, leur haute couture et leurs résidences luxueuses aux quatre coins du monde, les 1 % les plus riches possèdent autant que 50 % de la population mondiale. La “théorie du ruissellement” est un mythe. C'est vers les riches que la richesse “ruisselle”, pas l'inverse. La pauvreté augmente, même dans les pays dits “développés”. Les revenus du travail sont comprimés sans pitié, les protections sociales – quand elles existent – sont démantelées. L'économie capitaliste mondiale flotte sur un océan de dettes, d'exploitation et d'inégalités.

Au sein des classes populaires, les populations les plus vulnérables et les groupes racisés sont frappés plus durement. Des communautés ethniques et raciales sont placées délibérément dans des zones contaminées par des déchets souvent toxiques et dangereux, plus polluées, ainsi que dans des zones à haut risque, dépourvues de planification urbaine (pentes des collines, par exemple). Victimes de racisme environnemental, ces populations sont de plus exclues systématiquement de la conception et de la mise en œuvre des politiques environnementales.

Assigner aux femmes le devoir de s'occuper des autres permet au capital de bénéficier d'une reproduction sociale à moindre coût et favorise la mise en œuvre de politiques d'austérité brutales dans les services publics. D'une manière générale, les inégalités et les discriminations touchent particulièrement les femmes. Elles ne perçoivent que 35 % des revenus du travail. Dans certaines régions du monde (Chine, Russie, Asie centrale), leur part diminue, parfois de manière significative. Les femmes rurales assurent 55 à 77 % du travail, mais ne possèdent que 9 % des terres, et ont peu accès aux ressources, aux crédits et aux politiques publiques. Au-delà du travail, les femmes sont attaquées sur tous les fronts en tant que femmes, par la violence sexiste et sexuelle – féminicides, viols, harcèlement sexuel, traite à des fins sexuelles et de travail – et dans leurs droits à l'alimentation, à l'éducation, leur droit d'être respectées et de disposer de leur propre corps.

Les personnes LGBTI+, et particulièrement transgenres, sont la cible d'une offensive réactionnaire mondiale qui aggrave leur précarité et les discriminations, compromet leur accès à la santé, et par conséquent aussi la santé publique.

Les personnes handicapées sont mises au rebut par le capital parce qu'elles ne peuvent pas travailler pour le profit, ou parce que leur travail nécessite des aménagements réduisant les profits. Certaines sont victimes de stérilisation forcée. Le spectre de l'eugénisme refait surface.

Les personnes âgées des classes populaires sont mises au rebut aussi, et la vie des générations futures est mutilée à l'avance. La plupart des parents des classes populaires ne croient plus que leurs enfants vivront mieux qu'elles et eux. Un nombre croissant de jeunes observent avec effroi, rage et tristesse la destruction programmée de leur monde, violé, éventré, noyé dans le béton, englouti dans les eaux froides du calcul égoïste.

Les fléaux de la famine, de l'insécurité alimentaire et de la malnutrition avaient reculé à la fin du 20e siècle ; la convergence catastrophique du néolibéralisme, du militarisme et du changement climatique les fait resurgir : près d'une personne sur dix a faim, près d'une sur trois souffre d'insécurité alimentaire, plus de trois milliards n'ont pas les moyens de se nourrir sainement. Cent cinquante millions d'enfants de moins de cinq ans souffrent d'un retard de croissance dû à la faim. La grande majorité d'entre eux ont pour seul tort d'être né·es à la périphérie du capitalisme.

L'espoir d'un monde pacifique s'évanouit. Plus de 30 pays du monde sont ou ont été récemment en proie à des guerres de grande ampleur, notamment le Soudan, l'Irak, le Yémen, la Palestine, la Syrie, l'Ukraine, la Libye, la République démocratique du Congo et le Myanmar. La crise climatique elle-même, la concurrence féroce pour les minerais (notamment les “terres rares”), les phénomènes météorologiques et les flux migratoires intenses qui en résultent alimentent de nombreux conflits. Les souffrances, les déplacements et la mort sont au rendez-vous.

Tandis que les impérialismes rivalisent, les mesures urgentes pour la transition climatique et un avenir soutenable sont remises en question. Outre le fait que les guerres éliminent des vies humaines, s'attaquent au corps des femmes, utilisent le viol comme instrument de terreur et déshumanisent la vie collective, elles aggravent aussi la destruction des écosystèmes, provoquent la déforestation, empoisonnent les sols, les eaux et l'air, et émettent de grandes quantités de carbone.

La guerre brutale de la Russie contre l'Ukraine et le nouveau degré de nettoyage ethnique perpétré à Gaza et contre le peuple palestinien en général sont des crimes majeurs contre l'humanité, qui confirment la nature de plus en plus barbare du capitalisme. L'agression impérialiste russe lancée en 2022 contre l'Ukraine a exacerbé les tensions géopolitiques à l'échelle mondiale. Elle confirme l'entrée dans une nouvelle ère de compétition inter-impérialiste pour l'hégémonie mondiale dans laquelle les ressources foncières, énergétiques et minérales constituent un enjeu important.

Tout le monde pourrait avoir une bonne vie sur la Terre, mais le capitalisme est un mode de prédation exploiteur, machiste, raciste, guerrier, autoritaire et mortifère. En deux siècles, il a conduit l'humanité dans une profonde impasse écosociale. Le productivisme est un destructivisme. La surexploitation des ressources naturelles, l'extractivisme forcené, la recherche des rendements maximums à court terme, la déforestation et le changement d'affectation des terres entraînent un effondrement de la biodiversité, c'est-à-dire de la vie elle-même.

Le changement climatique est l'aspect le plus dangereux de la destruction écologique, c'est une menace pour la vie humaine sans précédent dans l'histoire. La Terre risque de devenir un désert biologique inhabitable pour des milliards de pauvres qui ne sont pas responsables de ce désastre. Pour arrêter cette catastrophe, nous devons réduire de moitié les émissions mondiales de dioxyde de carbone et de méthane avant 2030, et atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre avant 2050. Cela signifie en priorité bannir les énergies fossiles, l'agro-industrie, l'industrie de la viande et l'hyper-mobilité… et par conséquent produire moins, globalement.

Est-il possible dans ce contexte de satisfaire les besoins légitimes de trois milliards de personnes qui vivent dans des conditions épouvantables, principalement dans les pays du Sud global1 ? Oui. Le 1 % le plus riche émet près de deux fois plus de CO2 que les 50 % les plus pauvres. Les 10 % les plus riches sont responsables de plus de 50 % des émissions de CO2. Les pauvres émettent beaucoup moins que 2 à 2,3 tonnes de CO2 par personne et par an (le volume moyen à atteindre en 2030 pour parvenir à des émissions nettes nulles en 2050 avec une probabilité de 50 %). Un dollar dépensé pour répondre aux besoins des 1 % les plus riches émet trente fois plus de CO2 qu'un dollar investi pour répondre aux besoins sociaux des 50 % les plus pauvres de la population mondiale.

La satisfaction des besoins fondamentaux des classes populaires, tant dans les pays dominés que dans les pays dits “développés”, n'aurait qu'une empreinte carbone modeste – surtout si elle est planifiée démocratiquement et assumée par le secteur public. Elle serait compensée largement par la réduction radicale de l'empreinte carbone des 1 % les plus riches – ils doivent diviser leurs émissions par trente en quelques années au Nord comme au Sud ! – et la sobriété pour tou·tes. En fait, arrêter la catastrophe nécessite une société qui assure le bien-être et garantit l'égalité comme jamais auparavant. C'est une perspective désirable mais le 1 % le plus riche refuse le moindre effort et veut toujours plus de privilèges !

Les gouvernements se sont engagés à rester en dessous de +1,5°C, à préserver la biodiversité, à atteindre un soi-disant “développement durable” et à respecter le principe des “responsabilités et capacités communes mais différenciées” dans la crise écologique… tout en produisant toujours plus de marchandises et en utilisant toujours plus d'énergie. Il est exclu que ces promesses conjuguées soient tenues par le capital. Les faits le montrent :

– Trente-trois ans après le Sommet de la Terre de Rio (1992), le bouquet énergétique mondial est encore entièrement dominé par les combustibles fossiles (84 % en 2020). La production totale de combustibles fossiles a augmenté de 62 %, passant de 83 000 térawattheures (TWh2) en 1992 à 136 000 TWh en 2021. Les énergies renouvelables viennent principalement s'ajouter au système énergétique fossile, offrant davantage de capacités et de nouveaux marchés aux capitalistes.

Avec la crise énergétique déclenchée par la pandémie et aggravée par la guerre impérialiste russe contre l'Ukraine, toutes les puissances capitalistes ont relancé le charbon, le pétrole, le gaz naturel (y compris le gaz de schiste) et l'énergie nucléaire.

– La promotion de l'intelligence artificielle (IA) par les compagnies de la Big Tech et les gouvernements capitalistes fait peser une nouvelle menace. Les data centers et le “crypto-mining” consomment déjà près de 2 % de l'électricité mondiale. Cette consommation augmentera de façon très importante avec l'expansion de l'IA, qui nécessite d'énormes quantités d'énergie et d‘eau. Les vies des peuples en seront affectées de nombreuses façons. L'utilisation capitaliste de l'IA menace des dizaines de millions d'emplois, dégrade et mine la création artistique et culturelle, renforce le racisme systémique et accélère la diffusion des mensonges de l'extrême droite. De plus, l'IA et les data centers accélèrent la frénésie d'un capitalisme sans repos, qui accapare l'attention des gens, corrompant ainsi leur temps libre et leurs liens sociaux.

– Principal responsable historique du dérèglement climatique, l'impérialisme américain dispose d'énormes moyens pour lutter contre la catastrophe, mais ses représentants politiques subordonnent criminellement cette lutte à la protection de leur hégémonie mondiale, quand ils ne la refusent pas tout simplement.

– Les mesures que les grands pollueurs mettent en œuvre sous le label “décarbonation” ne répondent pas à l'ampleur de la crise climatique. Elles sont déployées sans planification démocratique, en privilégiant le profit et en ignorant les impacts potentiels sur les écosystèmes. Elles accélèrent l'extractivisme, surtout dans les pays dominés, mais aussi au Nord et dans les océans, au détriment des populations et des écosystèmes.

– Cette soi-disant “décarbonation” exacerbe l'accaparement impérialiste des terres, le racisme environnemental et l'exploitation de la main-d'œuvre dans le Sud, avec la complicité des bourgeoisies locales (comme l'illustrent différents projets d'utilisation de l'énergie solaire et éolienne sur les territoires des communautés traditionnelles, des peuples indigènes, des agriculteurs et des petits pêcheurs dans les pays du Sud ainsi que dans des “zones franches”, afin de produire de “l'hydrogène vert” pour les industries des pays développés).

– Les “marchés du carbone”, les “compensations carbone”, les “compensations biodiversité” et les “mécanismes de marché”, fondés sur la compréhension de la nature comme un capital, pèsent sur les moins responsables, les pauvres, en particulier les populations autochtones, les populations racisées et les populations du Sud en général.

Valables en théorie, les concepts abstraits tels que “économie circulaire”, “résilience”, “transition énergétique”, “biomimétisme” deviennent des formules creuses dès lors qu'ils sont mis au service du productivisme capitaliste. Sans mise en œuvre d'un plan de reconversion de la production par l'ensemble de la société, les améliorations techniques ont un effet rebond3 : ainsi, une réduction du prix de l'énergie entraîne généralement une augmentation de la consommation d'énergie et de matières.

La droite attribue le réchauffement climatique et le déclin de la biodiversité à la croissance démographique “galopante”. Elle cherche ainsi à rendre les opprimé·es responsables des crises et de leur propre misère, pour leur imposer des mesures de contrôle de la population. En réalité, les taux de croissance démographique élevés sont une conséquence plutôt qu'une cause de la pauvreté. La sécurité des revenus, l'accès à la nourriture, à l'éducation, aux soins de santé et au logement, l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, contribuent tous à la transition démographique, parce que les taux de mortalité, puis les taux de natalité, diminuent.

Le fétichisme capitaliste de l'accumulation empêche de reconnaître cette vérité. En fin de compte, face à la crise climatique, il ne laissera finalement que deux options : déployer des technologies d'apprentis sorciers (nucléaire, capture-séquestration du carbone, géo-ingénierie…) ou sacrifier quelques milliards de pauvres dans les pays pauvres, en disant que “la nature” en a décidé ainsi.

Politiquement, l'impuissance et l'injustice du capitalisme vert font le jeu d'un néofascisme fossile, complotiste, impérialiste, raciste, violemment machiste et LGBTI+phobe, que cette seconde possibilité ne rebute pas. Une fraction des riches marche vers un immense crime contre l'humanité, en pariant cyniquement que sa richesse la protégera.

Le capitalisme mondial ne progresse pas graduellement vers la paix et le développement durable, il régresse à grands pas vers la guerre, le désastre écologique, le génocide et la barbarie néofasciste.

Face à ce défi, il ne suffit pas de remettre en cause le régime néolibéral et de revaloriser le rôle de l'État. Il ne suffirait même pas d'arrêter la dynamique d'accumulation (un objectif impossible sous le capitalisme !). La consommation finale mondiale d'énergie doit diminuer radicalement – ce qui implique produire moins et transporter moins à l'échelle mondiale – tout en augmentant la consommation d'énergie dans les pays les plus pauvres, pour satisfaire les besoins sociaux.

C'est la seule solution qui permette de concilier le besoin légitime de bien-être pour tou·tes et la régénération de l'écosystème mondial. La juste suffisance et la juste décroissance – la décroissance écosocialiste – est une condition sine qua non du sauvetage.

Sortir de l'impasse productiviste n'est possible qu'aux conditions suivantes :

– abandonner le “technosolutionnisme”, c'est-à-dire l'idée que la solution viendra des nouvelles technologies dont on présente la face écologique sans mesurer la consommation préjudiciable des énergies et ressources que leur production et usage induisent. Dans un souci de sagesse écologique, décider d'utiliser les moyens dont nous disposons, ils suffisent à répondre aux besoins de tou·tes ;

– réduire radicalement l'empreinte écologique des riches pour permettre une bonne vie pour tou·tes ;

– mettre fin au libre marché du capital (bourses, banques privées, fonds de pension, marché des crédits carbone...) ;

– réguler les marchés de biens et de services ;

– maximiser à tous les échelons de la société les relations directes entre producteur·ices et consommateur·ices, et les processus d'évaluation des besoins et des ressources sous l'angle des valeurs d'usage et des priorités écologiques et sociales ;

– déterminer démocratiquement quels besoins ces valeurs d'usage doivent satisfaire et comment ;

– placer au centre de cette délibération démocratique la prise en charge des humains et des écosystèmes, le respect attentif du vivant et des limites écologiques ;

– supprimer en conséquence les productions et les transports inutiles, refonder toute l'activité productive, sa circulation et sa consommation.

Ces conditions sont nécessaires, mais pas suffisantes. La crise sociale et la crise écologique ne font qu'une. Il faut reconstruire un projet émancipateur pour les exploité·es et les opprimé·es. Un projet de classe qui, au-delà des besoins fondamentaux, privilégie l'être au lieu de l'avoir. Un projet qui modifie en profondeur les comportements, la consommation, le rapport au reste de la nature, la conception du bonheur et la vision que les humains ont du monde. Un projet anti-productiviste pour vivre mieux en prenant soin du vivant sur la seule planète habitable du système solaire.

Le capitalisme a déjà plongé l'humanité dans des situations très sombres. À la veille du premier conflit mondial, l'hystérie nationaliste s'est emparée des masses et la social-démocratie, trahissant sa promesse de répondre à la guerre par la révolution, a donné le feu vert à des tueries sans précédent. Néanmoins, Lénine définissait la situation comme « objectivement révolutionnaire », parce que seule la révolution pouvait arrêter le massacre. L'histoire lui a donné raison : la révolution en Russie et la crainte de son extension ont contraint les bourgeoisies à mettre fin au bain de sang. La comparaison a évidemment ses limites. Les médiations vers l'action révolutionnaire sont aujourd'hui infiniment plus complexes. Mais le même sursaut des consciences est nécessaire. Face à la crise écologique, une révolution anticapitaliste est encore plus nécessaire objectivement qu'il y a un siècle. C'est ce jugement fondamental qui doit servir de base à l'élaboration d'un programme, d'une stratégie et d'une tactique, parce qu'il n'y a pas d'autre moyen d'éviter la catastrophe.

Le monde pour lequel nous nous battons

Notre projet de société future articule l'émancipation sociale et politique avec l'impératif d'arrêter la destruction de la vie et de réparer autant que possible les dégâts déjà causés.

Nous voulons (tenter d') imaginer ce que serait une vie bonne pour tou·tes et partout en réduisant la consommation de matière et d'énergie, et donc en réduisant la production matérielle, en tenant compte des responsabilités différentiées. Il ne s'agit pas de donner un modèle tout fait, mais d'oser penser un autre monde, un monde qui donne envie de se battre pour le construire en se débarrassant du capitalisme et du productivisme.

« Oui, c'est pour le pain que nous nous battons, mais nous nous battons aussi pour les roses. »

Une vie bonne pour tou·tes exige que les besoins humains fondamentaux – alimentation saine, santé, logement, air pur et eau propre – soient satisfaits.

Une bonne vie est aussi une vie choisie, épanouissante et créative, engagée dans des relations humaines riches et égalitaires, entourée de la beauté du monde et des réalisations humaines.

Notre planète dispose (encore) de suffisamment de terres arables, d'eau potable, de soleil et de vent, de biodiversité et de ressources de toutes sortes pour répondre aux besoins humains légitimes en renonçant aux combustibles fossiles nuisibles au climat et à l'énergie nucléaire. Cependant, certaines de ces ressources sont limitées et donc épuisables, tandis que d'autres, bien qu'inépuisables, nécessitent pour leur consommation humaine des matières épuisables, voire rares et dont l'extraction est écologiquement dommageable. En tout état de cause, leur utilisation ne pouvant être illimitée, nous les utilisons avec prudence et parcimonie, dans le respect de l'environnement.

Indispensables à notre vie, elles sont exclues de l'appropriation privée, considérées comme des biens communs, car elles doivent bénéficier à l'ensemble de l'humanité aujourd'hui et à long terme. Afin de garantir ces biens communs dans le temps, des règles collectives définissant les usages, mais aussi les limites de ces usages, les obligations d'entretien ou de réparation, sont élaborées.

Parce qu'on ne soigne pas une mangrove comme une calotte glaciaire, une zone humide comme une plage de sable, une forêt tropicale comme une rivière, parce que l'énergie solaire n'obéit pas aux mêmes règles, n'impose pas les mêmes contraintes matérielles que l'éolien ou l'hydraulique, l'élaboration de règles ne peut être que le fruit d'un processus démocratique impliquant les premier·es concerné·es, travailleur·ses et habitant·es.

Notre commun, c'est aussi l'ensemble des services qui permettent de répondre de manière égalitaire, et donc gratuite, aux besoins d'éducation, de santé, de culture, d'accès à l'eau, à l'énergie, à la communication, aux transports, etc. Ils sont, eux aussi, gérés et organisés démocratiquement par l'ensemble de la société.

Les services consacrés aux personnes et aux soins dont elles ont besoin aux différentes étapes de leur vie, brisent la séparation entre le public et le privé, l'assignation des femmes à ces tâches en les socialisant, c'est-à-dire en faisant en sorte qu'elles soient l'affaire de l'ensemble de la société. Ces services de reproduction sociale sont des outils essentiels, parmi d'autres, pour lutter contre l'oppression patriarcale.

Tous ces “services publics” décentralisés, participatifs et communautaires constituent la base d'une organisation sociale non autoritaire.

À l'échelle de la société dans son ensemble, la planification écologique démocratique permet aux populations de se réapproprier les grands choix sociaux relatifs à la production, de décider, en tant que citoyen·nes et usager·es, ce qu'il faut produire et comment le produire, des services qui doivent être fournis, mais aussi des limites acceptables pour l'utilisation des ressources matérielles telles que l'eau, l'énergie, les transports, le foncier, etc. Ces choix sont préparés et éclairés par des processus de délibération collective qui s'appuient sur l'appropriation des connaissances, qu'elles soient scientifiques ou issues de l'expérience des populations, sur l'auto-organisation des opprimé·es (par exemple : mouvements de libération des femmes, peuples racisés, personnes handicapées).

Cette démocratie économique et politique globale s'articule avec de multiples collectifs/commissions décentralisés : ceux qui permettent de décider au niveau local, dans la commune ou le quartier, de l'organisation de la vie publique et ceux qui permettent aux travailleur·ses et aux producteur·ices de contrôler la gestion et l'organisation de leur unité de travail, de décider de la manière de produire et donc de travailler. C'est la combinaison de ces différents niveaux de démocratie qui permet la coopération et non la concurrence, une gestion juste d'un point de vue écologique et social, épanouissante d'un point de vue humain, au niveau de l'atelier, de l'entreprise, de la branche… mais aussi du quartier, de la commune, de la région, du pays et même de la planète !

Toutes les décisions relatives à la production et à la distribution, à la manière dont nous voulons vivre, sont guidées par le principe suivant : décentraliser autant que possible, coordonner autant que nécessaire.

Prendre sa vie en main et participer à des collectifs sociaux demande du temps, de l'énergie et de l'intelligence collective. Heureusement, le travail de production et de reproduction sociale n'occupe que quelques heures par jour.

La production est exclusivement consacrée à la satisfaction des besoins démocratiquement déterminés. La production et la distribution sont organisées de manière à minimiser la consommation de ressources et à éliminer les déchets, les pollutions et les émissions de gaz à effet de serre, elle vise en permanence la sobriété et la “durabilité programmée” (par opposition à l'obsolescence programmée du capitalisme, qu'elle soit planifiée ou simplement due à la logique de la course au profit). Produire au plus près des besoins à satisfaire permet de réduire les transports et de mieux appréhender le travail, les matériaux et l'énergie nécessaires.

Ainsi, l'agriculture est écologique, paysanne et locale afin d'assurer la souveraineté alimentaire et la protection de la biodiversité. Des ateliers de transformation et des circuits de distribution permettent de produire la plupart des aliments en circuit court.

Le secteur de l'énergie basé sur les sources renouvelables est aussi décentralisé que possible afin de réduire les pertes et d'optimiser les sources. Les activités liées à la reproduction sociale (entre autres : santé, éducation, soins aux personnes âgées ou dépendantes, garde d'enfants) sont développées et renforcées, en veillant à ne pas reproduire les stéréotypes de genre.

Bien que le travail occupe moins de temps, il occupe une place essentielle, car, avec la nature et en prenant soin d'elle, il produit ce qui est nécessaire à la vie.

L'autogestion des unités de production combinée à la planification démocratique permet aux travailleur·ses de contrôler leur activité, de décider de l'organisation du travail et de remettre en cause la division entre travail manuel et travail intellectuel. La délibération s'étend au choix des technologies selon qu'elles permettent ou non au collectif de travail de maîtriser le processus de production. En privilégiant la connaissance concrète, pratique et réelle du processus de travail, les savoir-faire collectifs et individuels, la créativité, elle permet de concevoir et de produire des objets robustes, démontables et réparables, réutilisables et, le cas échéant, recyclables, et de réduire les consommations de matières et d'énergie – de la fabrication à l'utilisation.

Dans tous les domaines, la conviction de faire quelque chose d'utile et la satisfaction de le faire bien se conjuguent. En ce qui concerne les tâches fastidieuses, chacun·e veille à en réduire la lourdeur et la pénibilité. Il reste cependant une part incontournable que chacun·e accomplit à tour de rôle.

Une grande partie de la production matérielle, parce que le volume en est fortement réduit, peut être désindustrialisée (tout ou partie de l'habillement ou de l'alimentation) et les savoir-faire artisanaux, auxquels tout le monde peut être formé, sont valorisés.

Libérer le travail de l'aliénation permet d'abolir la frontière entre l'art et la vie dans une sorte de “communisme du luxe”. Nous pouvons garder ou partager des outils, des meubles, un vélo, des vêtements… toute notre vie parce qu'ils sont ingénieusement conçus et beaux.

Être plutôt qu'avoir

« Seul ce qui est bon pour tous est digne de vous.

Seul mérite d'être produit ce qui ne privilégie ni n'abaisse personne. » (A. Gorz).

La liberté ne réside pas dans une consommation illimitée, mais dans une autolimitation choisie et comprise, conquise contre l'aliénation consumériste. La délibération collective permet de déconstruire les besoins artificiels, de définir des besoins “universalisables” – c'est-à-dire non réservés à certaines personnes ou à certaines parties du monde – qui doivent être satisfaits.

La véritable richesse ne réside pas dans l'augmentation infinie des biens – avoir – mais dans l'augmentation du temps libre – être. Le temps libre ouvre la possibilité de s'épanouir dans le jeu, l'étude, l'activité civique, la création artistique, les relations interpersonnelles et avec le reste de la nature.

Nous ouvrons donc la voie à de nombreux travaux parce que nous avons le temps d'y réfléchir et parce que nous pouvons le faire en mettant au centre l'attention portée aux personnes et au reste de la nature.

Les lieux où nous vivons, chaque espace dans lequel nous nous socialisons, nous appartiennent pour construire d'autres relations sociales interpersonnelles. Libérés de la spéculation foncière et de la voiture, nous pouvons repenser l'usage des espaces publics, combler la séparation entre le centre et la périphérie, multiplier les espaces récréatifs, de rencontre et de partage, désartificialiser les villes avec l'agriculture urbaine et le maraîchage de proximité, restaurer les biotopes insérés dans le tissu urbain… Et au-delà, mettre en œuvre une politique à long terme visant à rééquilibrer les populations urbaines et rurales et à dépasser l'opposition entre ville et campagne afin de reconstituer des communautés humaines vivables et durables à une échelle permettant une réelle démocratie.

Nos désirs et nos émotions ne sont plus des choses qui s'achètent et se vendent, l'éventail des choix est considérablement élargi pour chacun·e. Chacun·e peut développer de nouvelles façons d'avoir des relations sexuelles, de vivre, de travailler et d'élever des enfants ensemble, de construire des projets de vie de manière libre et diverse, dans le respect des décisions personnelles et de l'humanité de chacun·e, avec l'idée qu'il n'y a pas une seule option possible, ou une option meilleure que les autres. La famille peut cesser d'être l'espace de reproduction de la domination, et cesser d'être la seule forme possible de vie collective. Nous pouvons ainsi repenser la forme de la parentalité de manière plus collective, politiser nos décisions personnelles en matière de maternité et de parentalité, réfléchir à la manière dont nous considérons l'enfance et la place des personnes âgées ou handicapées, aux relations sociales que nous établissons avec elles, et à la manière dont nous sommes capables de briser les logiques de domination que nous avons intériorisées, héritées des sociétés antérieures.

Nous construisons une nouvelle culture, à l'opposé de la culture du viol, une culture qui reconnaît les corps de toutes les femmes cis et trans, ainsi que leurs désirs, qui reconnaît chacun·e comme un sujet capable de décider de son corps, de sa vie et de sa sexualité, qui rend visible le fait qu'il y a mille façons d'être une personne, de vivre et d'exprimer son genre et sa sexualité.

Une activité sexuelle librement consentie et agréable pour toutes celles et tous ceux qui y prennent part est en soi une justification suffisante.

Nous devons apprendre à penser l'interdépendance des êtres vivants et développer une conception des relations entre l'humanité et la nature qui ressemblera probablement à certains égards à celle des peuples indigènes, mais qui sera néanmoins différente. Une conception selon laquelle les notions éthiques de précaution, de respect et de responsabilité, ainsi que l'émerveillement devant la beauté du monde, interféreront constamment avec une compréhension scientifique à la fois de plus en plus fine et de plus en plus consciente de son incomplétude. Les cultures des peuples indigènes peuvent constituer de précieuses sources d'inspiration.

Notre méthode transitoire

Notre analyse du capitalisme, et plus particulièrement des politiques de la classe dirigeante en relation avec les dangers écologiques et le changement climatique, nous conduit à affirmer ce qui suit :

Premièrement, la nécessité d'une alternative globale et d'un projet de société basé sur une production et une reproduction orientées vers la satisfaction des besoins humains et non vers les profits (produire des valeurs d'usage plutôt que des valeurs d'échange). Tourner telle ou telle vis à l'intérieur du système, sans changer le mode de production, ne permettra ni d'éviter ni même d'atténuer de manière significative les crises et les catastrophes auxquelles nous sommes confrontés et qui s'aggraveront avec la persistance du système capitaliste. Transmettre cette idée est au cœur de la politique révolutionnaire.

La compréhension de la nécessité d'un changement révolutionnaire global est une tâche qui ne peut être résolue directement et sans difficulté dans la pratique. C'est pourquoi, deuxièmement, il est important de combiner la présentation de la perspective globale avec la diffusion de revendications immédiates pour lesquelles des mobilisations peuvent effectivement être développées ou promues.

Troisièmement, il faut le souligner : convaincre ne peut se faire uniquement par l'argumentation. Pour convaincre de se détourner du système capitaliste et encourager à résister, il faut des luttes réussies qui donnent du courage et démontrent que des victoires partielles sont possibles.

Quatrièmement, pour que les luttes soient couronnées de succès, une meilleure organisation est nécessaire. C'est toujours vrai en principe, mais aujourd'hui – parce que les syndicats ont largement disparu politiquement (dans de nombreuses parties du monde) et que la gauche est fragmentée – il est important de promouvoir la coopération pratique de manière non sectaire, en particulier au sein de la gauche anticapitaliste, et en même temps de soutenir les travailleur·ses dans leur auto-organisation.

D'une part, le temps presse si nous ne voulons pas voir le réchauffement climatique s'accélérer de manière incontrôlable parce que des points de basculement cruciaux sont franchis. D'autre part, la grande majorité n'est pas prête à se battre pour un autre système, c'est-à-dire pour renverser le capitalisme. Cela est dû en partie à un manque de connaissance de la situation générale, mais plus encore à un manque de vision de ce à quoi l'alternative pourrait ou devrait ressembler. En outre, le rapport de forces social et politique entre les classes n'encourage pas vraiment la confrontation avec les dirigeants et les profiteurs de l'ordre social capitaliste.

Par ailleurs, un programme qui veut réformer le capitalisme ou le dépasser progressivement (de surcroît, par une politique venant d'en-haut) n'a pas non plus de chance de réussir. Les réformes qui respectent les règles du système capitaliste ne permettent pas de relever les défis de la crise écologique. Et les changements progressifs dans l'économie et l'État n'ont jamais conduit à un changement de système. Les propriétaires et les profiteurs du capitalisme n'assisteront pas tranquillement à la confiscation de leurs richesses et à la privation de leur mode d'enrichissement, morceau par morceau.

Le temps presse et des mesures urgentes s'imposent. Certains opposants à l'écosocialisme plaident pour des réformes légères “parce que nous ne pouvons pas attendre la révolution mondiale”. Les partisan·es de l'écosocialisme n'ont pas l'intention d'attendre ! Notre stratégie est de commencer MAINTENANT, avec des revendications transitoires concrètes. C'est le début d'un processus de changement global. Il ne s'agit pas d'étapes historiques distinctes, mais de moments dialectiques dans un même processus. Chaque victoire partielle ou locale est une étape dans ce mouvement, qui renforce l'auto-organisation et encourage la lutte pour de nouvelles victoires.

Dans les luttes de classes à venir – qui constituent la base de la bataille pour l'hégémonie impliquant des couches plus larges de la classe ouvrière, les jeunes, les femmes, les indigènes – il doit être clair qu'en fin de compte, il n'y a aucun moyen d'échapper à un véritable changement de système et à la question du pouvoir. La classe dirigeante doit être expropriée et son pouvoir politique renversé.

Pour un programme de transition anticapitaliste

La méthode transitoire était déjà suggérée par Marx et Engels dans la dernière section du Manifeste communiste (1848). Mais c'est la Quatrième Internationale qui lui a donné sa signification moderne, dans le Programme de transition de 1938. L'hypothèse de base est la nécessité pour les révolutionnaires d'aider les masses, dans le processus de la lutte quotidienne, à trouver le pont entre les revendications actuelles et le programme socialiste de la révolution. Ce pont devrait inclure un système de revendications transitoires, découlant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière. Son objectif est de conduire les luttes sociales vers la conquête du pouvoir par le prolétariat.

Bien entendu, les révolutionnaires n'écartent pas le programme des vieilles revendications “minimales” traditionnelles : ils défendent évidemment les droits démocratiques et les conquêtes sociales des travailleur·ses. Cependant, ils proposent un système de revendications transitoires, qui peut être compris de manière appropriée par les exploité·es et les opprimé·es, tout en étant dirigé contre les bases mêmes du régime bourgeois.

La plupart des revendications transitoires mentionnées dans le Programme de 1938 sont toujours d'actualité : échelle mobile des salaires et échelle mobile des heures de travail ; contrôle ouvrier dans les entreprises et ouverture des livres de comptes ; expropriation des banques privées ; expropriation de certains secteurs capitalistes… L'intérêt de telles propositions est d'unir dans la lutte les masses populaires les plus larges possible, autour de revendications concrètes qui sont en contradiction objective avec les règles du système capitaliste.

Mais nous devons mettre à jour ce programme de revendications transitoires, afin de prendre en compte les nouvelles conditions du 21e siècle, en particulier la nouvelle situation créée par la crise écologique et le danger imminent d'un basculement climatique catastrophique. Aujourd'hui, ces revendications doivent être de nature socio-écologique et, potentiellement, écosocialiste.

L'objectif des revendications écosocialistes transitoires est stratégique : pouvoir mobiliser de larges couches de travailleur·ses urbains et ruraux, de femmes, de jeunes, de victimes du racisme ou de l'oppression nationale, ainsi que les syndicats, les mouvements sociaux et les partis de gauche dans une lutte qui remette en cause le système capitaliste et la domination bourgeoise. Ces revendications, qui combinent des intérêts sociaux et écologiques, doivent être considérées comme nécessaires, légitimes et pertinentes par les exploité·es et les opprimé·es, en fonction de leur niveau de conscience sociale et politique. Dans la lutte, les gens prennent conscience de la nécessité de s'organiser, de s'unir et de se battre. Iels commencent également à comprendre qui est l'ennemi : non seulement les forces locales, mais le système lui-même. L'objectif des revendications écosociales transitoires est de renforcer, grâce à la lutte, la conscience sociale et politique des exploité·es et des opprimé·es, leur compréhension anticapitaliste et, espérons-le, une perspective révolutionnaire écosocialiste.

Certaines de ces demandes ont un caractère universel : par exemple, la gratuité et l'accessibilité des transports publics. Cette revendication à la fois écologique et sociale porte en elle les germes de l'avenir écosocialiste : services publics contre marché, gratuité contre profit capitaliste. Cependant, la signification stratégique des revendications écosocialistes transitoires n'est pas la même selon les sociétés et les économies. Il s'agit de prendre en compte les besoins et les aspirations des masses, en fonction de leur expression locale, dans les différentes parties du système capitaliste mondial.

Les grandes lignes d'une alternative écosocialiste à la croissance capitaliste

Satisfaire les besoins sociaux réels tout en respectant les contraintes écologiques n'est possible qu'en rompant avec la logique productiviste et consumériste du capitalisme, qui creuse les inégalités, nuit au vivant et « ruine les deux seules sources de toute richesse : la Terre et les travailleurs » (Marx). Briser cette logique implique de lutter en priorité pour les lignes de force suivantes. Elles forment un ensemble cohérent, à compléter et à décliner selon les spécificités nationales et régionales. Bien sûr, dans chaque continent, dans chaque pays, il y a des mesures spécifiques à proposer dans une perspective de transition.

Contre les catastrophes, des plans publics de prévention adaptés aux besoins sociaux, sous contrôle populaire

Certains effets de la catastrophe climatique sont irréversibles (élévation du niveau de la mer) ou dureront longtemps (canicules, sécheresses, précipitations exceptionnelles, tornades plus violentes, etc.) Les compagnies d'assurance capitalistes ne protègent pas les classes populaires, ou (au mieux) les protègent mal. Face à ces fléaux, les riches n'ont que le mot “adaptation” à la bouche. “L'adaptation au réchauffement”, pour eux, sert 1) à détourner l'attention des causes structurelles, dont leur système est responsable ; 2) à poursuivre leurs pratiques néfastes axées sur le profit maximum, sans se soucier du long terme ; 3) à offrir de nouveaux marchés aux capitalistes (infrastructures, climatisation, transports, compensation carbone, etc.) Cette “adaptation” capitaliste technocratique et autoritaire est en fait ce que le GIEC appelle une “maladaptation”. Elle accroît les inégalités, les discriminations et les dépossessions. Elle accroît également la vulnérabilité au réchauffement, au risque de compromettre gravement la possibilité même de s'adapter à l'avenir, en particulier dans les pays pauvres. À la “maladaptation” capitaliste, nous opposons l'exigence immédiate de plans publics de prévention adaptés à la situation des classes populaires. Elles sont les principales victimes des phénomènes météorologiques extrêmes, surtout dans les pays dominés. Les plans publics de prévention doivent être conçus en fonction de leurs besoins et de leur situation, en dialogue avec les scientifiques. Ils doivent concerner tous les secteurs, notamment l'agriculture, la sylviculture, le logement, la gestion de l'eau, l'énergie, l'industrie, le droit du travail, la santé et l'éducation. Ils doivent faire l'objet d'une large consultation démocratique, avec un droit de veto des communautés locales et des collectifs de travail concernés.

Partager les richesses pour prendre soin des humains et de notre environnement de vie, gratuitement

Des soins de santé de qualité, une bonne éducation, une bonne prise en charge des jeunes enfants, une retraite digne et une prise en charge respectueuse de la dépendance, un logement accessible, permanent et confortable, des transports publics efficaces, des énergies renouvelables, une alimentation saine, une eau propre, un accès à internet et un environnement naturel en bon état : tels sont les besoins réels qu'une civilisation digne de ce nom devrait satisfaire pour tous les humains, indépendamment de leur couleur de peau, de leur genre, de leur appartenance ethnique, de leurs convictions. Ceci est possible tout en diminuant de manière significative la pression globale sur notre environnement. Pourquoi Pourquoi n'en est-il pas ainsi ? Parce que l'économie est réglée sur la consommation induite créée en tant que sous-produit industriel par les capitalistes. Ils consomment et investissent toujours plus pour le profit, s'approprient toutes les ressources et transforment tout en marchandises. Leur logique égoïste sème le malheur et la mort.

Un virage à 180° s'impose. Les ressources naturelles et les connaissances constituent un bien commun à gérer prudemment et collectivement. La satisfaction des besoins réels et la revitalisation des écosystèmes doivent être planifiées démocratiquement et soutenues par le secteur public, sous le contrôle actif des classes populaires, et en étendant le plus possible le libre accès. Ce projet collectif doit mettre l'expertise scientifique à son service. La première étape nécessaire est la lutte contre les inégalités et les oppressions. La justice sociale et le bien vivre pour tou·tes sont des exigences écologiques !

Développer les biens communs et les services publics contre la privatisation et la marchandisation

C'est l'un des aspects clés d'une transition sociale et écologique, dans de nombreux domaines de la vie. Par exemple :

– L'eau : La privatisation, le gaspillage et la pollution actuelles de l'eau – rivières, lacs et nappes phréatiques – constituent un désastre social et écologique. La pénurie d'eau et les inondations dues au changement climatique sont des menaces majeures pour des milliards de personnes. L'eau est un bien commun et devrait être gérée et distribuée par des services publics, sous le contrôle des consommateur·ices. Les paysages et les villes devraient être désimperméabilisées, capables de stocker l'eau afin d'éviter les inondations massives.

– Le logement : Le droit fondamental de chaque personne à un logement décent, permanent et écologiquement durable ne peut être garanti sous le capitalisme. La loi du profit implique des expulsions, des démolitions et la criminalisation de celleux qui résistent. Elle implique également des factures d'énergie élevées pour les pauvres et des énergies renouvelables subventionnées pour les riches. Les premières étapes d'une politique alternative sont : le contrôle public du marché immobilier, l'abaissement et le gel des intérêts et des profits des banques, l'augmentation radicale du nombre de logements sociaux et coopératifs, un processus public d'isolation climatique des habitations et un programme massif de construction de bâtiments énergétiquement autonomes.

– La santé : Les millions de morts évitables du Covid 19 résultent de l'absence de politiques préventives, d'injonctions autoritaires et répressives remplaçant l'action collective, des politiques d'austérité, de privatisation et de marchandisation de la santé. L'égalité de toutes et tous devant les soins doit être garantie par leur gratuité, grâce à une protection sociale et un service de santé intégralement public disposant des moyens nécessaires. Les systèmes de santé doivent être réorientés pour inclure la prévention, le soin et le suivi. L'industrie pharmaceutique doit être socialisée et placée sous le contrôle des salariés et des usagers, les brevets doivent être abolis.

– Les transports : Le transport individuel dans le capitalisme privilégie les voitures individuelles, ce qui a des conséquences désastreuses sur la santé et l'écologie. L'alternative est un système large et efficace de transports publics gratuits, accessibles, ainsi qu'une grande extension des zones piétonnes et cyclables. Les marchandises sont transportées sur de grandes distances par des camions ou des porte-conteneurs, avec d'énormes émissions de gaz à effet de serre ; la réduction du gaspillage, la relocalisation de la production et le transport des marchandises par le train sont des mesures immédiates et nécessaires. Le transport aérien devrait être réduit de manière significative. Pas de trafic aérien pour les distances inférieures à 1 000 km quand il existe des systèmes ferroviaires opérationnels.

Prendre l'argent là où il est : les capitalistes et les riches doivent payer

Une stratégie globale de transition digne de ce nom doit articuler le remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables, la protection contre les effets déjà perceptibles du changement climatique, la compensation des pertes et préjudices, l'aide à la reconversion (notamment la garantie de revenu des travailleur·ses concerné·es) et la réparation des écosystèmes. Les besoins financiers nécessaires d'ici 2050 s'élèvent à plusieurs milliers de milliards de dollars. Qui doit payer ? les responsables du désastre : les multinationales, les banques, les fonds de pension, les États impérialistes et les riches du Nord et du Sud. L'alternative écosocialiste passe par un vaste programme de réforme fiscale et de réduction radicale des inégalités pour aller chercher l'argent là où il se trouve : imposition progressive, levée du secret bancaire, cadastre des patrimoines, taxation du patrimoine, impôt unique exceptionnel à taux élevé sur le patrimoine foncier, élimination des paradis fiscaux, abolition des privilèges fiscaux des entreprises et des riches, ouverture des livres de comptes des entreprises, plafonnement des hauts revenus, abolition des dettes publiques reconnues comme illégitimes (sans compensation, sauf pour les petits investisseurs), compensation par les pays riches du coût de la renonciation à l'exploitation de leurs ressources fossiles par les pays dominés (projet de parc Yasuni). Surtout, une véritable planification démocratique écosocialiste n'est pas possible sans la socialisation publique des banques. Le “crédit pour le bien commun”signifie éliminer définitivement le profit dans la détermination du taux d'intérêt et de la marge d'intérêt, soutenir la fonction publique et populaire du crédit, garantir le rôle public et coopératif des banques.

Pas d'émancipation sans lutte antiraciste

L'oppression raciale est un élément structurel et structurant du mode de production capitaliste. Elle a accompagnél'accumulation primitive du capital à travers la colonisation, la traite des Noirs et l'esclavage. Le déplacement forcé de millions d'Africains, leur commercialisation dans les Amériques et l'exploitation de leur travail ont assuré l'enrichissement des Européens et garantissent encore aujourd'hui leurs privilèges.

Le racisme se manifeste de manière centrale comme un mécanisme d'oppression de secteurs de la classe ouvrière, configurant des positions spécifiques et des accès socialement déterminés pour les blancs (le sujet supposé universel) et pour les personnes perçues comme racisées. Il façonne les relations sociales, renforce et complexifie les mécanismes de l'exploitation bourgeoise et de l'accumulation des richesses. La diversité qui s'écarte des normes de la blanchéité est transmutée en oppression.

La construction d'un nouveau monde libéré de toute oppression et de toute exploitation exige une lutte frontale contre le racisme. C'est une tâche centrale de la stratégie écosocialiste. Il faut rompre avec la logique génocidaire contre les groupes non blancs et renforcer la lutte anti-prison contre l'incarcération de masse, imposée notamment à travers la tactique libérale de la prétendue guerre contre la drogue,

La lutte contre la militarisation de la police doit être au cœur de la lutte antiraciste, tout comme l'accès à des conditions de vie décentes en général. Il est nécessaire de combattre toutes les politiques d'austérité, qui touchent principalement et de plus en plus lourdement les personnes non blanches. Elles structurent le racisme environnemental qui répartit inégalement les conséquences mortelles de la production capitaliste.

Liberté de circulation et de séjour sur Terre ! Personne n'est illégal !

La catastrophe écologique est un facteur de déplacement de population et de migration de plus en plus important. Entre 2008 et 2016, une moyenne annuelle de 21,5 millions de personnes ont été déplacées de force en raison d'événements météorologiques. La plupart d'entre elles sont des personnes pauvres de pays pauvres déplacées dans leur pays ou dans des pays voisins pauvres. Les migrations climatiques devraient s'intensifier au cours des prochaines décennies : 1,2 milliard de personnes pourraient être déplacées dans le monde d'ici à 2050. Contrairement aux demandeur·ses d'asile, les réfugié·es climatiques n'ont même pas de statut. Ils ne portent aucune responsabilité dans la catastrophe écologique mais le vrai responsable, le système capitaliste, les condamne à venir grossir les rangs des 108,4 millions de personnes dans le monde qui ont été déplacées de force en 2020 en raison de persécutions, de conflits, de violences, de violations des droits de l'homme. Les droits fondamentaux de ces personnes sont constamment attaqués : le droit d'être protégé contre la violence, d'avoir suffisamment d'eau et de nourriture, de vivre dans un logement sûr, de garder sa famille unie, de trouver un emploi décent. Un nombre croissant d'entre elles (4,4 millions, probablement beaucoup plus) sont même considérées comme apatrides par le HCR. Tout cela est contraire à la justice la plus élémentaire. Cela nourrit les fascistes qui font des migrant·es des boucs émissaires et les déshumanisent. C'est une menace énorme pour les droits démocratiques et sociaux de tou·tes. En tant qu'internationalistes, nous nous battons pour des politiques restrictives contre le capital, pas contre les migrant·es. Nous nous opposons à la construction de murs, à l'enfermement dans des centres, à la construction de camps, aux expulsions, aux déportations et à la rhétorique raciste. Personne n'est illégal sur Terre, tout le monde doit avoir le droit de se déplacer et de partir partout. Les frontières doivent être ouvertes à tou·tes celleux qui fuient leur pays, que ce soit pour des raisons sociales, politiques, économiques ou environnementales.

Éliminer les activités économiques inutiles ou nuisibles

L'arrêt de la catastrophe climatique et du déclin de la biodiversité passe impérativement par une réduction très rapide et significative de la consommation d'énergie finale au niveau mondial. Cette contrainte est incontournable. Les premières étapes consistent à réduire drastiquement le pouvoir d'achat des riches, à abandonner la fast fashion, la publicité et la production/consommation de luxe (croisières, yachts et jets ou hélicoptères privés, tourisme spatial, etc.), à réduire la production de masse de viande et de produits laitiers et à mettre fin à

Une tête en boule disco ou une poésie en kaléidoscope

21 octobre, par Marc Simard
« Papa Maman je vous jure si j’avais un manuel d’instruction je vous le donnerais. » C’est bien ce que semble faire la poétesse rimouskoise Noémie Pomerleau-Cloutier avec son (…)

« Papa Maman je vous jure si j’avais un manuel d’instruction je vous le donnerais. » C’est bien ce que semble faire la poétesse rimouskoise Noémie Pomerleau-Cloutier avec son troisième recueil de poésie publié en octobre 2024 : elle fournit un manuel d’instruction. Après Brasser le varech et La (…)

Quand Trump ressuscite l’eugénisme des pires crimes contre l’espèce humaine !

21 octobre, par Yorgos Mitralias — , ,
Force est de constater que ce qui était impensable -et inacceptable- il y a encore quelques mois, est en train de devenir un lieu commun : Trump est fasciste ! Et il s'emploie (…)

Force est de constater que ce qui était impensable -et inacceptable- il y a encore quelques mois, est en train de devenir un lieu commun : Trump est fasciste ! Et il s'emploie à mettre en place un régime fasciste ! Tout compte fait, on ne peut que se réjouir de ce constat désormais presque unanime, et s'écrier mieux vaut tard que jamais.

21 octobre 2025

yorgos mitralias
Abonné·e de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/yorgos-mitralias/blog/211025/quand-trump-ressuscite-leugenisme-des-pires-crimes-contre-lespece-humaine

Cependant, rares ont été ceux qui se sont empressés de comprendre ce que signifie en pratique ce constat, et encore plus rares ont été ceux qui ont réorienté leurs activités politiques et autres en conséquence. C'est ainsi que les dires et les actes de Trump sont restés « inexplicables », l'écrasante majorité des médias et des « politistes » se déclarant incapables de percer le « mystère » de ses politiques apparemment incohérentes et improvisées, et de révéler leurs sens profond et leur objectif final. Le résultat en est que pratiquement tout le monde, « experts » inclus, se contentent de s'interroger pourquoi Trump prend telle ou telle initiative. Comme par exemple, quand il déclare la guerre à la science et aux scientifiques, avec une rage et un fanatisme qui n'a pas d'équivalent depuis le temps de l'Inquisition…

Alors, qu'est ce qui fait que Trump s'acharne contre la santé publique, la protection de l'environnement, la sûreté nucléaire et surtout, contre tout ce qui a trait à la climatologie ? Pourquoi il démantèle la recherche scientifique et licencie en masse les scientifiques ? Pourquoi il va jusqu'à interdire des… mots-clés comme Antiracist (anti-racisme), Biases (biais), Disability (handicap), Diversity (diversité), Equity (égalité), Gender (genre), Female (femme), Hate speech (discours de haine), Historically (historiquement), Inclusion (inclusion), Inequities (inégalités), Minority (minorité), Segregation (ségrégation), Victims (victimes), etc afin de rendre impossibles les recherches correspondantes à ces mots que lui-même qualifie de… « mots d'extrême gauche » ? En somme, pourquoi Trump est en train de porter des coups à la science nord-américaine tels qu'il faudra très probablement plusieurs décennies pour qu'elle retrouve son niveau d'il y a seulement dix mois ?

Le « mystère » de cette guerre totale de Trump contre la science semble être percé par l'ex-directeur du Centre pour l'immunisation et les maladies respiratoires des CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies), le Dr. Demetre Daskalakis (1) lequel vient de dénoncer l'eugénisme des politiques de Trump, expliquant que toutes les mesures prises par Trump sont guidées par son souci de favoriser la sélection des « plus aptes » et des plus forts au dépens des plus faibles. C'est-à-dire des pauvres, des exclus, des malades, des handicapés, des différents, des LGBTQ, des personnes trans, des indigènes, des minoritaires, de tous ceux et celles qui ont la peau foncée.

C'est ainsi que, selon le Dr. Daskalakis, la politique antivax de Trump et de son protégé « ministre de la santé » Kennedy Jr. (celui qui déclare avoir…un ver qui lui mange le cerveau !), « nous ramènera à une ère pré-vaccinale où seuls les plus forts survivront et où beaucoup, sinon tous, souffriront ». Ce qui semble d'ailleurs être confirmé par l'hallucinante déclaration antivax du ministre Kennedy Jr. (RFK) en pleine épidémie de rougeole au Texas, « que contracter l'infection n'est pas grave, vraiment, car seuls les plus forts survivront » !

On laisse aux plus qualifiés, au Disability Rights Watch (Observatoire des droits des personnes handicapées) de conclure en rappelant à quels crimes monstrueux ont conduit les politiques eugénistes dans le passé pas si lointain : « Le Dr Demetre Daskalakis, l'un des scientifiques qui a démissionné, a tiré la sonnette d'alarme en quittant ses fonctions, dénonçant l'engouement de RFK pour l'eugénisme et ses fréquentes discussions sur la « génétique supérieure ». L'eugénisme, une école de pensée pseudo-scientifique liée aux idées suprémacistes blanches sur la « pureté » génétique et raciale, était à l'origine des lois américaines sur la stérilisation forcée et l'interdiction des mariages mixtes au début du XXe siècle. En Allemagne, les nazis ont poussé l'idéologie eugéniste à ses conclusions extrêmes en procédant au massacre des Juifs, des Roms, des personnes handicapées, des LGBTQ, des « traîtres à la race » et d'autres personnes qu'ils jugeaient indésirables ».

Évidemment, le très courageux et perspicace Dr. Daskalakis ne parle que de son domaine, de ce qu'il connaît mieux que tout autre. Nous, on ajoutera que le souci eugéniste traverse et domine la grande majorité, sinon toutes les mesures et les politiques de Trump, bien au-delà de la santé publique et bien au-delà des Etats-Unis d'Amérique : du présidentiel « drill baby drill » qui fait fi de la galopante catastrophe climatique et sous-tend l'interdiction de toute activité scientifique qui la concerne, au demantelement du USAID (United States Agency for International Development) « chargée de distribuer l'aide humanitaire et au développement à l'étranger, en œuvrant pour la réduction de la pauvreté ». Et de la chasse aux migrants et aux sans-papiers par les milices armées de Trump, aux réductions drastiques des aides alimentaires, des aides au logement et au chauffage des pauvres, au nom du principe de la survie des plus aptes, sans oublier sa complicité active à la tentative d'extermination par Israël des Palestiniens considérés apparemment comme des êtres « génétiquement inferieurs » qui ne méritent pas de vivre.

D'ailleurs, ce n'est pas le président Trump qui démentira son attachement à une vision ultra-raciste et eugéniste du monde quand il n'arrête pas de calomnier les migrants et leurs enfants avec des abominations comme les suivantes : “ Ce sont des criminels endurcis. ... Ils ne vont pas s'améliorer. Dans 10 ans, dans 20 ans, dans deux ans, ils seront des criminels. Ils sont nés pour être des criminels. Franchement, ils sont nés pour être des criminels. Ils sont durs, méchants, ils vous trancheront la gorge sans même y réfléchir le lendemain »… « Vous savez, je crois que le fait d'être un meurtrier est inscrit dans leurs gènes. Et notre pays compte actuellement beaucoup de mauvais gènes. »

Mais, pourquoi toutes ces politiques eugénistes du gouvernement Trump ? Quel est leur objectif final et de quel projet de société font-elles partie ? Questions non seulement légitimes mais surtout fondamentales pour comprendre ce qui nous arrive et ce qui nous attend. Dans son formidable article « La montée du fascisme et la fin des temps, co-écrit avec Astra Taylor, Naomi Klein rappelle que le trumpisme propose « une vision des Etats-Unis comme un bunker à part entière, dans lequel des agents de l'ICE traquent les rues, les lieux de travail et les campus, faisant disparaître ceux qui sont considérés comme des ennemis ». Et elle souligne que « la nation bunkérisée est au cœur du programme de Maga et du fascisme de la fin des temps. Dans cette logique, la première tâche consiste à renforcer les frontières nationales et à éliminer tous les ennemis, étrangers et nationaux ».(2)

Alors, rien de mieux pour des racistes et suprémacistes patentés comme Trump et ses amis, que recourir au bon vieux eugénisme, qui plonge d'ailleurs ses racines dans le passé et l'histoire nord-américaine. Et à Naomi Klein de citer les chercheurs en Intelligence Artificielle Timnit Gebru et Émile P Torres, pour souligner que « même si les méthodes sont nouvelles, cet ensemble de modes idéologiques « est directement issu de la première vague de l'eugénisme, qui voyait aussi une petite partie de l'humanité décider quelles parties de l'ensemble méritaient d'être conservées et lesquelles devaient être éliminées, supprimées ou détruites ».

Et qu'on ne s'empresse pas de nous dire que tout ça c'est de la politique fiction, et que l'eugénisme de Trump est pour le moment plutôt… « soft ». Parce que nous vivons déjà en pleine politique fiction cauchemardesque depuis que Trump s'est réinstallé à la Maison Blanche, et que rien ne peut nous garantir que son actuel eugénisme « soft » ne cèdera pas sa place demain ou après-demain à un eugénisme beaucoup plus dure venant tout droit de la pire barbarie misanthropique du siècle passé.

Concluons donc ce texte avec ces mots de Naomi Klein en guise à la fois d'avertissement et d'appel à la lutte : « Pour aller de l'avant avec détermination, on doit d'abord comprendre ce simple fait : on est confrontés à une idéologie qui a renoncé non seulement au principe et à la promesse de la démocratie libérale, mais aussi à la viabilité de notre monde commun – à sa beauté, à ses habitants, à nos enfants, aux autres espèces. Les forces auxquelles nous faisons face ont accepté la mort massive. Elles trahissent ce monde et ses habitants, humains et non humains ».

Notes

1. Contre Trump le dictateur, l'histoire ne se répète pas toujours comme farce ! :https://www.cadtm.org/Contre-Trump-le-dictateur-l-histoire-ne-se-repete-pas-toujours-comme-farce?debut_tous_articles_auteur=30

2. La montée du fascisme de la fin des temps : https://www.terrestres.org/2025/07/16/la-montee-du-fascisme-de-la-fin-des-temps/

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Jean-Luc Deveaux, défenseur de la classe ouvrière (partie 1)

21 octobre, par Rédaction

Jean-Luc Deveaux est un enfant de la classe ouvrière, élevé dans le modeste quartier de Saint-Michel à Montréal avant d’être embauché comme ferrailleur. Rapidement initié au marxisme, il participe aux luttes sociales des années 1970, tout en militant pour la démocratisation des syndicats et pour l’unité des travailleurs et des travailleuses. Après une blessure sur un chantier, il décide de retourner aux études pour devenir avocat, un métier qu’il pratique dans plusieurs syndicats nationaux et internationaux. Gardant un fort attachement pour les métiers de la construction, il a terminé sa carrière comme vice-président de la CSN-Construction (2017-2023). Il appelle maintenant à des États généraux du syndicalisme, par et pour la classe ouvrière. Nous l’avons rencontré par une douce journée de fin d’été afin de recueillir son témoignage. L’entrevue-fleuve qu’il nous a donnée sera exceptionnellement publiée en deux parties, l’une dans le no 33 et l’autre dans le no 34 des Nouveaux Cahiers du socialisme.

Alexis Lafleur-Paiement – Avant d’aborder directement ton parcours, pourrais-tu me parler des grandes influences qui ont forgé ta vision de l’action syndicale et politique ?

Jean-Luc Deveaux – Naturellement, il y a la Commune de Paris, très importante pour moi. Eugène Varlin, puis Jules Vallès, qui a écrit les romans L’enfant, Le bachelier et L’insurgé. Mais aussi Karl Marx, Friedrich Engels, Proudhon (« la propriété, c’est du vol »), Bakounine (« la création destructrice »). Après ça, il y a les autres marxistes, Kautsky, Bernstein, Otto Bauer, l’austromarxisme. Quand j’étais jeune, j’étudiais tous les acteurs de la révolution russe. C’était quoi un menchévique, c’était quoi un bolchévique, c’était quoi un socialiste révolutionnaire. Je m’intéressais aux révolutionnaires russes et chinois : Lénine, Trotski, Staline, Kamenev, Radek, Zinoviev, le président Mao Tsé-Toung, le diplomate révolutionnaire Zhou Enlai, l’économiste Deng Xiaoping. J’aimais les documentaires, entre autres ceux sur la révolution bolchévique ou sur la Longue Marche de Mao. Tout ça a constitué pour moi un imaginaire dans ma jeunesse, bien avant les années 1970.

A. L.-P. – Tu t’es politisé très jeune. Peux-tu m’expliquer comment cela s’est produit ?

J.-L. D. – Je viens d’un milieu un peu hybride. La famille de ma mère, c’était des capitalistes qui habitaient à Westmount. Mais ma mère, qui était la plus jeune, n’a connu la richesse que jusqu’à l’âge de quatre ans. Après ça, c’est la crise, la faillite du capitalisme. La famille du grand-père maternel perd sa richesse. De l’autre côté, mon père, c’est la classe ouvrière et paysanne. D’ailleurs, mon père est décédé des suites d’un accident de travail. Mais je n’ai pas beaucoup connu mon père, parce qu’il avait un problème d’alcoolisme, et puis il était trop violent pour ma mère. Ma mère nous a donc élevés seule, j’ai connu l’extrême pauvreté. Mais ma mère partageait la richesse de sa pauvreté avec ses voisines qui avaient des problèmes : ça pouvait être pour un repas ou pour aider une voisine qui devait se rendre à l’hôpital. La solidarité, s’occuper de son prochain, c’est la première chose que j’ai apprise. Je remercie ma mère de m’avoir enseigné cela.

Il y a également eu Marcel Chaput, l’auteur du livre Pourquoi je suis devenu séparatiste ? Il était un grand copain d’un de mes oncles. Ma mère et mes tantes me parlaient souvent de Chaput, et je suis devenu indépendantiste. On me parlait aussi de la grève de Murdochville[1] dans la famille.

Sur notre rue, en face de chez nous, il y avait une famille de communistes français. Le père avait fait la résistance en France, il était membre du Parti communiste français. Ce vieux voisin voyait que j’étais disposé à étudier. Il m’a dit : « Tu sais, dans le communisme, tu vas pouvoir trouver des réponses ». Avec cette famille, on discutait ; j’ai découvert Maurice Thorez, le journal L’Humanité, Waldeck Rochet, Jacques Duclos, la CGT[2]. On me prêtait des livres, comme le Manifeste du Parti communiste. C’est ça mon vécu de jeune avant même que je sois à l’école secondaire.

Puis, il y a eu l’année 1967, l’année marquante pour moi. Le général Charles de Gaulle qui crie : « Vive le Québec libre ! » La mort de Che Guevara, le film La Chinoise de Jean-Luc Godard, le centenaire du Capital de Marx et le cinquantenaire de la révolution russe. C’est aussi la Grèce des colonels. J’ai connu un grand résistant à la dictature des colonels, le compositeur Míkis Theodorákis. Je l’ai rencontré, comme je te parle ; j’ai eu la chance de rencontrer un musicien communiste. Pour moi, c’était un modèle.

Quand je commence le secondaire, ce sont les manifestations pour la langue française, la période de McGill français et de la lutte de la Murray Hill. Je suis dans un bouillonnement. C’est la guerre du Vietnam, il y a les groupes populaires. Je m’intéresse aux comités de locataires parce que ma mère avait de la difficulté à payer le loyer. Grâce à la famille de communistes français, j’ai aussi rencontré le syndicaliste Henri Gagnon. C’était un ancien militant du Parti communiste du Canada. C’est lui qui m’a expliqué la différence entre les syndicats catholiques et les syndicats américains. À l’école, on peut faire du théâtre, du théâtre révolutionnaire. On faisait des manifestations, les gens chantaient : « Les Québécois sont en calvaire… révolution ! » La question de la révolution, ça m’impressionnait.

Jean-Luc Deveaux, plus jeune

A. L.-P. – Au début des années 1970, tu commences à t’impliquer dans différentes luttes. Quels combats retiennent ton attention, et pourquoi ceux-là ?

J.-L. D. – Pendant un petit moment, moi et mes camarades, on a travaillé pour le Parti québécois (PQ). Je me disais que c’était important d’avoir l’indépendance, même si j’étais socialiste. On croyait à l’indépendance et au socialisme ! Finalement, je n’ai pas eu l’indépendance ni le socialisme.

Le 1er mai 1970, je suis à la manifestation. Je me rappelle qu’il y a quatre personnes que je voyais à la télévision : Marcel Pepin, Louis Laberge, Raymond Laliberté et Fernand Daoust[3]. Ce qui m’a impressionné, c’était de voir Pepin quand il s’est fait dire « non » par la police et qu’il a décidé d’avancer quand même. Et puis arrive la crise d’Octobre. Dans la population, dans les groupes, on est tous en faveur du FLQ, le Front de libération du Québec, et de son action. Je te le dis, le monde appuie. Les jeunes militants, entre nous, on a un mot d’ordre : on ne dénonce pas le FLQ. Il y a une conscience collective qu’il se passe quelque chose de sérieux. Mais là arrivent les mesures de guerre[4]. Un jour, j’étais chez mon cousin Richard Gardner, j’avais affaire à aller chez ma tante et mon oncle. La police arrive, elle veut interroger mon cousin, elle veut l’arrêter : c’est le début de la répression.

Un poète que j’ai connu, Gaston Miron, s’est fait arrêter parce qu’il avait lu la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’intellectuel journaliste Gérald Godin se fait arrêter, Michel Chartrand, le président du Conseil central de Montréal de la CSN, se fait arrêter. Alors là, c’est la peur totale dans la population. Mais il y a d’autres gens qui n’ont pas peur, dont l’homme qui est devant toi. Moi, je suis prêt à mourir pour la libération nationale du peuple québécois. Avec des camarades, on va narguer l’armée canadienne. On s’achète des canettes de peinture jaune, puis devant les postes de police, à des endroits où il y a des soldats, on va écrire : « Vive le Québec libre ! Vive le FLQ ! Nous vaincrons ! » On ne s’est jamais fait arrêter.

Mais après ça, de façon générale, il ne se passe plus rien politiquement. Cela a pris quelques mois, mais on a fini par reprendre notre travail. Cette fois, on disait qu’il fallait travailler à faire l’unité, qu’il fallait rassembler le plus de monde possible. Je ne rêve qu’à la révolution. Je ne pense qu’à proclamer qu’il faut faire l’unité. Ainsi, je m’intéresse à l’unité pour appuyer les grévistes de La Presse en 1971. Une manifestation unitaire a eu lieu, tout le monde était là. Mais la répression a été épouvantable, une boucherie. Nous sommes dans un état de choc. Ça court à gauche, ça court à droite. Cette journée-là, j’ai vu Fernand Daoust, le leader syndical, pleurer parce qu’il voit les blessés. Quand la manif se termine, c’est la désolation. Il y a une rage… Après, il y a une réunion au Forum de Montréal où on discute, il faut travailler pour faire l’unité. Mais le PQ, lui, n’est pas venu à la manif.

Une autre fois, il y avait une réunion au cégep du Vieux Montréal. René Lévesque était venu parler, pour nous dire d’adhérer au PQ ; ça n’a pas marché. Moi aussi, j’ai parlé et j’ai dit à Lévesque : « Le pouvoir est au bout du fusil ». Je lui ai dit qu’on devrait suivre l’exemple des Patriotes pour faire l’indépendance du Québec. Mais la situation était compliquée. On sort de la crise d’Octobre, tout est désorganisé. Moi, je ne veux plus du PQ. Par contre, il y a une discussion pour former un autre genre de parti politique. Il y a le vieux Parti communiste, et aussi le Parti du travail du Canada qui existent. Il y a aussi les trotskistes. Mais ça ne débouche pas vraiment. Alors là, il y a le Front commun du secteur public de 1972. Ça, c’était quelque chose. J’ai participé le plus que je pouvais avec les travailleurs et les travailleuses de Front commun.

À ce moment-là, j’étais au cégep. Et comme je le disais à Marcel Pepin plus tard, si je n’ai pas fini mon cégep, c’est la faute au Front commun. Pendant toute cette période-là, il y a beaucoup d’initiatives, de camps, de discussions politiques. Il y a Charles Gagnon qui écrit des articles dans les journaux, et ensuite sa brochure Pour le parti prolétarien[5]. Dans les groupes révolutionnaires, Gagnon est une « rock star ». Comme René Lévesque pour le mouvement nationaliste. De mon côté, j’interroge Henri Gagnon, on discute parce qu’il y a une reconstruction du mouvement de la gauche sociale. Je suis un jeune militant, un peu romantique, je travaille avec plusieurs groupes. Puis en 1973, c’est la création du Comité de solidarité avec les luttes ouvrières, le CSLO[6]. Mon cousin Richard Gardner, devenu marxiste-léniniste, me fait connaitre la grève de Firestone à Joliette. Pour moi, c’était des évènements extraordinaires. Et il y a eu le Théâtre d’la shop. Ce n’est pas l’ouvrier qui va au théâtre, c’est le théâtre qui va vers lui. Il faut féliciter le Théâtre d’la shop pour son travail. Donc, on fait de la solidarité avec les gars de Firestone. Il y a eu ensuite la grève à la United Aircraft sur la Rive-Sud. Un spectacle en appui s’appelait L’Automne Show. On ramassait de l’argent pour les grévistes.

Moi, je veux militer, je ne veux pas juste appuyer les travailleurs, je veux être un travailleur. J’ai aussi besoin d’un salaire. Je m’en vais donc dans la construction.

A. L.-P. – Peux-tu me dire pourquoi tu choisis la construction, est-ce que tu voulais y militer aussi ?

J.-L. D. – La construction, je la connais par le syndicaliste Henri Gagnon, et aussi par des membres de ma famille et par des militants syndicalistes de l’industrie. Un copain de quartier, un électricien, me dit justement : « Eh, Jean-Luc ! il y a du travail au chantier olympique ! » On me dit qu’il y a un local qui engage, que les conditions sont bonnes. À l’époque, ça fonctionne avec des bureaux de placement. Ils ont besoin de monteurs de structure. Je me présente, mais il y a deux bureaux avec le même logo syndical. Comme ce n’est pas indiqué clairement lequel est celui des monteurs de structure, j’entre dans un des deux au hasard. Je prends le mauvais, c’est le bureau des ferrailleurs ! C’est comme ça que j’ai commencé comme ferrailleur. Je n’avais jamais mis un casque de construction sur la tête. Je ne savais pas poser de barres de fer non plus. J’apprends avec ceux qui ont de l’expérience, c’est la transmission orale.

Je travaille donc au chantier olympique comme ferrailleur, je gagne bien ma croûte. Je travaille sept jours par semaine. Ils nous forçaient à travailler même si on était censé avoir congé le dimanche. Et on travaillait 12 heures par jour. Le chantier n’avançait pas bien, les ingénieurs, les architectes et les contremaitres ne s’entendaient pas sur ce qu’il fallait faire. En tout cas, à un moment donné, on entend dire qu’il va y avoir une négociation. C’était proche du deuxième Front commun du secteur public, vers 1975. On veut discuter, mais pas sur le chantier; on organise des réunions à la taverne. Moi et d’autres, on essaye de rassembler, de faire l’unité. Il y a les ferrailleurs de l’Inter 823, affilié à la FTQ, il y a ceux de la CSN, et quelques autres de la CSD. La première chose à discuter, c’est que tout le monde reconnaisse que sur le chantier, on travaille tous ensemble, peu importe notre logo syndical. On devrait aussi appliquer la même règle, la même égalité pour les taux de salaire. Pour ça, il faut être unis comme nos prédécesseurs. Les gars disent oui.

Dans ces discussions, je dénonçais les différences que les syndicats mettaient entre nous. Les différences, ce n’est pas nous qui les créons. La preuve, on va aux mêmes toilettes, on prend une bière ensemble. C’est dans les syndicats qu’on devient des ennemis. Un syndicat ne devrait pas être là pour faire de la concurrence, il doit être là pour unir. C’est là que je reviens à Karl Marx, à Lénine, à la question de l’unité de la classe ouvrière.

Tous les ferrailleurs ont donc mené une lutte pour obtenir une augmentation de salaire pour tout le monde. On a fait une grève qui a fait du dégât, oui. C’était un conflit difficile, parce que les syndicats ne nous donnaient pas d’aide. Les « boss syndicaux » étaient même en colère. Il y en avait un, Alvarez de l’Inter 823, une vraie caricature. Il avait une chemise rose, une cravate jaune, il roulait dans une grosse Lincoln. Pendant la grève, il arrive sur le chantier pour nous dire : « Qu’est-ce que vous faites là, tabarnak ! Vous ne respectez pas le syndicat ! » Alvarez nous dit qu’il est le gérant d’affaires du local 823, qu’on n’a pas le droit de faire la grève, qu’on doit lui obéir et reprendre l’ouvrage. Là je dis : « Écoute, confrère gérant d’affaires, on ne reçoit pas d’ordre de toi. Si on a des ordres à recevoir, on fera ça en assemblée syndicale ». Nous, on paye son salaire avec nos cotisations, et il vient nous crier après, ça ne marche pas. Finalement, on ne rentre pas au travail. La police vient, on ne rentre pas. « Oh ! vous allez être arrêtés ! » Ben, ça ne change rien, on ne rentre pas. On ne travaille pas. Alors il y a des pourparlers. On va en assemblée syndicale. Les gars sont contents.

On a réussi à unir les travailleurs en front commun. J’ai toujours été partisan des fronts communs, autant pour les militants politiques que pour les militants syndicaux. J’ai aussi défendu cette conception-là dans le syndicalisme de l’industrie de la construction. Le travail est très dur dans la construction. Quand tu poses du fer, l’été, il fait chaud, il y a de la chaleur aussi dans le métal. L’hiver, tes doigts collent au métal. Les gars ont des problèmes de colonne vertébrale, parce que quand tu transportes les barres de fer sur tes épaules, ça finit par causer des problèmes de dos. Le travail est dur et les syndicats ne défendaient pas les travailleurs. Alors, on a pris en charge nos affaires, on a fait un front commun, on a fait la grève et on a gagné de meilleures conditions.

Moi je défendais le droit pour les travailleurs de contrôler leur syndicat. Des camarades qui pensaient comme moi ont décidé de se présenter aux élections syndicales, mais pas moi, car j’étais encore jeune. On perd l’élection, juste par quelques votes. C’est que les vieux dirigeants comme Alvarez ont fait venir des gars de partout en autobus pour voter pour eux. Tous les gars du chantier olympique ont voté pour nous, et on perd quand même l’élection ? On comprend que quelque chose ne marche pas. Quand le résultat est arrivé, les barres de fer sont sorties. C’est la police qui nous a maitrisés, la bagarre était partie. Plus tard, on s’est calmé. On regarde la situation et on se dit : « Bon, on a manqué notre coup, mais pas de beaucoup ». Et j’ai lancé une idée : on va faire mieux, on va se créer un syndicat. On va aller chercher les camarades de la CSN, ceux de la CSD et ceux du Syndicat de la construction de la Côte-Nord, le SCCN, qui est devenu le Syndicat québécois de la construction (SQC), plus nous autres. On va se former un syndicat, la Fédération interprovinciale des poseurs d’acier d’armature (FIPAA), local 777. Le 7, c’est un chiffre chanceux. Dans la salle, plusieurs gars jouaient aux cartes. Ils ont décidé que c’était le 7 partout, pour la chance.

La CSN est venue nous voir. On a dit : « On crée un syndicat neutre ». On disait neutre, même si on voulait être affilié à la FTQ, dans le sens qu’on voulait un seul local des ferrailleurs et pas de maraudage. Si les travailleurs avaient dit on s’en va à CSN, on serait à la CSN ; s’ils avaient dit on s’en va à la CSD, on serait à la CSD. Les gars de la base, ce qu’ils voulaient, c’est un seul syndicat. Alors finalement, on a créé notre syndicat.

On a finalement décidé d’aller au Conseil provincial du Québec des métiers de la construction-FTQ (CPQMC-FTQ). Alors on met le logo de la FTQ sur nos documents, vous savez, le petit bonhomme rouge. On commence à faire du recrutement, on a recruté la majorité des ferrailleurs. Mais là, c’est le scandale, on n’a pas le droit d’utiliser le logo… Ah ! Mon Dieu ! Injonction ! Pourtant, Fernand Daoust, secrétaire de la FTQ, nous laissait imprimer nos tracts pour le local 777, et même nos tracts qui demandaient plus de démocratie dans la centrale. En tout cas… Injonction du CPQMC-FTQ pour avoir utilisé le petit bonhomme de la FTQ, alors qu’on veut créer une fédération unitaire pour les ferrailleurs !

Et moi, je suis accusé : parce que j’avais une position radicale, que je critiquais les directions syndicales, que je ne voulais pas de maraudage, et que j’avais utilisé le petit bonhomme de la FTQ sans permission officielle. J’ai eu droit à un procès, conformément à nos statuts. C’est un procès comme au criminel, on choisit les jurés. Finalement, je suis condamné à trois mois sans travailler, c’est-à-dire que le syndicat ne me place pas. Je reçois le jugement et la sentence la journée même, c’est juste avant l’été. Pour un gars de la construction, ce n’est pas possible d’arrêter le travail pendant trois mois, pendant l’été. Des gars ont fait la collecte pour moi, mais là j’ai dit, ça ne marche pas. On garde le syndicat, mais moi je subis la répression des boss syndicaux.

A. L.-P. – C’est à ce moment-là que tu décides d’aller au Congrès du travail du Canada (CTC) ? Peux-tu me parler de tes activités durant cette période ?

J.-L. D. – Mon idée, c’était de demeurer dans la construction, mais un poste s’ouvre au CTC. Il y a un candidat qui est pressenti, c’est à peu près sûr qu’il va avoir le poste. C’est Jean-Marie Gonthier, un des leaders de la grève de la United Aircraft, le président du syndicat. Mais Jean-Marie ne parle pas anglais. Je passe l’entrevue devant trois gars, dont le secrétaire-trésorier, Don Montgomery. Il me demande : « Es-tu capable de parler en public ? » Ensuite : « Es-tu capable d’écrire ? » Puis : « Je comprends que tu connais la construction ? » Je réponds oui à toutes ses questions et j’ajoute : « Ben oui, je connais la construction, et je connais Henri Gagnon qui a œuvré comme électricien ». Finalement, ils m’ont engagé. Je pense que c’est à cause de mon expérience dans la construction, car le CTC avait deux syndicats de construction, les locaux 1675 et 1676 des monteurs de lignes.

Au CTC, je devais monter des cours sur la syndicalisation, les conventions collectives et l’histoire du syndicalisme. Un vieux conseiller politique et juridique de la FTQ, l’avocat Jacques Chaloux, m’avait dit que dans le mouvement syndical, il faut connaitre parfaitement les dossiers de conventions collectives. « Dans les cours que tu donnes, il faut que tu expliques ça aux travailleurs, et aussi comment faire les grèves. » Chaloux m’avait tout expliqué. Au CTC, je faisais aussi de la négociation et de la syndicalisation. Ce que j’ai trouvé drôle au CTC, c’est ma paye. Je n’ai jamais gagné autant d’argent. En plus, j’avais un per diem lors des déplacements, et on me donne une voiture. Mais là, je leur explique, pas besoin d’auto.

J’ai eu un dossier extrêmement difficile, celui des quincailleries Pascal que le CTC avait mal géré. Ça n’allait pas bien. Il y avait une possibilité de désaffiliation et une tentative de casser le syndicat. La direction de Pascal était féroce, elle ne respectait pas les droits des travailleurs. Les travailleurs organisaient des lignes de piquetage et de la propagande contre Pascal. Un jour, on s’en va à Trois-Rivières voir les gars de Pascal, parce qu’il y avait eu quatre ou cinq congédiements. On a ramassé de l’argent pour les congédiés. Pendant la campagne de solidarité, on a intéressé d’autres militants à la cause. Il y en a qui venaient d’EN LUTTE ! et du Parti communiste ouvrier (PCO), il y avait des trotskistes, des gars du Parti communiste du Canada marxiste-léniniste (PCCML), du Parti communiste du Québec (PCQ) et des anarchistes. Il y avait un militant marxiste-léniniste qui travaillait dans les magasins, il a constitué une force de frappe pour nous. Ç’a été un conflit important où la solidarité a été très bonne.

Dans le même temps, un gars est venu me voir et me dit : « Moi, je veux syndiquer ma place ». Il est chauffeur d’autobus pour Bonin dans la région de Sorel depuis plusieurs années, mais il ne sait pas comment syndiquer sa place. Il dit qu’à la CSN, ils ne connaissent pas ça, qu’ils ne sont pas capables de faire rentrer le syndicat. Lui, il est prêt à se battre pour faire rentrer le syndicat. « C’est parce que j’ai un de mes chums qui s’est suicidé. À la job, ils avaient refusé de lui donner son congé pour aller à l’enterrement de son père. Moi, je n’ai jamais accepté ça. » Je lui réponds qu’on va syndiquer sa place. J’appelle Montgomery, le trésorier, et je lui dis que j’ai besoin d’un budget ainsi que des gars pour quatre jours à Sorel. Le CTC accepte et il m’envoie du monde.

J’ai quatre jours pour la campagne de syndicalisation. J’arrive avant, je veux voir les chambres des motels, tout ça. Je parle aux gars : « Écoutez, pas de bière. On est payé par le CTC et la classe ouvrière pour syndiquer la place, pas d’alcool dans les prochains jours. On a des cartes à faire signer recto verso ». Le recto, c’est quand le gars signe avec nous, le verso, c’est pour qu’il démissionne s’il est membre d’un autre syndicat, sinon son adhésion avec nous ne comptera pas. On prépare un plan, c’est l’hiver, on est dans la région de Sorel, il y a des rangs, des villages. Dans la gang, il y a des militants, certains congédiés de Pascal pour leurs activités syndicales, des chômeurs qui sont payés. Je coordonne la campagne. J’ai l’impression que je vais manquer mon coup, à cause du décompte des cartes d’adhésion. Il y a des places où on me dit que ça ne marche pas. Il y a un chauffeur qui ne veut pas signer, mais on a besoin de lui. Il n’y a rien à faire. Je me suis dit qu’il fallait peut-être changer notre approche.

Je vais acheter de la bière avec mon recruteur, puis on se rend chez le chauffeur. Le gars répond à la porte, mais il ne veut pas nous jaser. Je lui dis : « Regarde, je veux juste prendre une bière avec toi, je veux te parler ». Il accepte, mais il n’est pas content. Je lui demande s’il est marié. « Non, je vais me marier la fin de semaine prochaine. » C’est pour ça qu’il a peur de la syndicalisation, il ne veut pas perdre sa job avant le mariage. « Aimes-tu ta future femme ? » Il me dit, ben oui, c’est pour ça que je vais me marier. Le recruteur m’écoute, sans vraiment comprendre. Moi je continue, je dis : « Si jamais t’as un problème et que ta femme apprend qu’il y a des gars qui sont allés te voir pour te donner une sécurité pour ta job, et que toi tu leur as dit non, sais-tu ce que ta femme va te dire ? Qu’elle n’aurait pas dû te marier. » Et j’insiste, que si sa femme apprend qu’il ne voulait pas du syndicat, et qu’il perd sa job alors qu’on aurait pu l’aider, elle va lui en vouloir en maudit, elle va peut-être le quitter. Le gars a signé !

Je devais déposer les cartes le lundi matin. Le dimanche soir, c’est presque fini. Les gars arrivent des rangs, des chemins de campagne, ils apportent des cartes. Il y avait une secrétaire avec nous pour taper la demande d’accréditation. Elle a fait cinq projets de requête en accréditation. Les gars veulent prendre de la bière, mais je leur dis d’attendre. Je fais le décompte. On a la majorité partout, sauf chez les mécaniciens. De plus, si on n’a pas la majorité des mécaniciens, on perd la majorité générale. Il faut que je prenne une décision. J’ai décidé en mon âme et conscience de syndicaliste d’exclure les mécaniciens, pour avoir la majorité générale pour tous les autres. Le groupe minoritaire, je peux me reprendre pour les syndiquer plus tard, s’ils veulent être syndiqués. Et là, je dis aux gars avant qu’ils prennent leur bière : « Il y a deux gars qui ne pourront pas prendre de bière. J’ai besoin d’un gars pour acheminer la demande en accréditation. Pourquoi l’autre ? C’est parce que si l’auto casse, il faut qu’il y ait un autre chauffeur, avec une autre voiture, pour m’aider à emmener la requête en accréditation à Montréal ». On a déposé la requête et on a gagné.

A. L.-P. – As-tu continué longtemps dans la syndicalisation au CTC ? Est-ce que c’est le moment où tu t’impliquais en parallèle dans le mouvement marxiste-léniniste (M-L) ?

J.-L. D. – À la suite de ce succès, Montgomery a décidé que j’allais syndiquer des usines à Montréal, celles dont les syndicats ne veulent généralement pas s’occuper, les petites usines, comme celles où les gars de Mobilisation allaient faire de l’implantation, comme chez Rémi Carrier[7]. On est allé chercher la papetière Roland, et ensuite, d’autres petites usines, d’autres petites compagnies. On est allés chercher 2000, puis 3000, puis 5000 syndiqué·e·s, tu sais. Les autres gars du CTC, mes camarades, les vieux, ils ne faisaient pas de syndicalisation. En même temps, moi, je donnais aussi de la formation. Mais à un moment donné, ma blonde, tannée de ne jamais me voir, parce que je suis toujours au travail, me dit : « Tu me choisis ou tu choisis ton syndicat ». Comme je ne pouvais pas choisir, j’ai choisi de prendre des vacances avec ma blonde.

Avant mon travail au CTC, j’avais côtoyé des militants des différentes mouvances M-L. Mais oui, c’est à ce moment-là que j’embarque dans le PCCML pour quelques mois. Je connaissais des gars là-dedans, ils me disent que ça adonne bien avec mes vacances, qu’ils organisent un voyage en Albanie. Je trouve ça intéressant comme opportunité d’aller dans un pays socialiste. Mais mon implication dans le PCCML n’a pas duré très longtemps, parce que j’ai appris par d’anciens membres que la direction tenait des propos racistes envers les Québécois. J’apprends aussi qu’Hardial Bains, le secrétaire général, battait sa femme, Sandra Smith. Moi, mon père battait ma mère, alors ça m’a fait un choc.

À mon retour au Canada, je passe aux douanes et là, on me saisit mes bagages, mes livres, mes brochures, tout ce que j’ai acheté. Le week-end passe, je suis déprimé, mais le lundi, quand j’arrive au bureau pour travailler, la serrure a été changée. La direction du CTC veut me parler. C’est là que j’apprends qu’un agent de la Gendarmerie royale du Canada les a contactés pour leur dire que je suis un élément dangereux pour le mouvement syndical canadien. Que je reviens d’Albanie, qu’ils ont saisi ma propagande communiste.

La direction du CTC m’a mis à la porte. Mais ils n’ont pas écrit que j’étais congédié, ils ont écrit que j’ai quitté volontairement mon travail. Personne ne m’a défendu, même pas ceux qui étaient communistes, ceux qui étaient dans des organisations M-L. J’ai compris, ce sont des gars mariés, qui ont une femme, des enfants, une maison à payer. Mais moi, je n’ai rien, je n’ai pas de revenu. Moi aussi, je viens de me marier. Je me retrouve encore une fois devant rien. Une première fois, c’était parce que je voulais plus de démocratie dans le syndicat, plus d’unité entre les travailleurs. Maintenant, c’est parce que je suis un communiste. Je veux juste lutter pour la classe ouvrière.

La deuxième partie de cette entrevue paraitra dans les Nouveaux Cahiers du socialisme, no 34 (automne 2025).

Entrevue réalisée par Alexis Lafleur-Paiement, doctorant en philosophie politique et chargé de cours à l’Université de Montréal, membre du collectif Archives Révolutionnaires


  1. La grève de Murdochville en Gaspésie en 1957 est l’une des plus importantes grèves au Québec. Les travailleurs de la mine de la Noranda ont tenu le coup pendant sept mois sous le régime du gouvernement conservateur et antisyndical de Maurice Duplessis. [Cette note ainsi que toutes les autres sont de la rédaction.]
  2. La CGT, la Confédération générale du travail, est une importante centrale syndicale en France.
  3. Les trois premières personnes sont les présidents des centrales syndicales, respectivement de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et de la Corporation des enseignants du Québec (CEQ), devenue la Centrale de l’enseignement du Québec, puis la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) en 2000. Fernand Daoust était le secrétaire général de la FTQ.
  4. Le 16 octobre 1970, le gouvernement fédéral applique la Loi sur les mesures de guerre. Les corps policiers peuvent arrêter sans mandat n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. Près de 500 personnes sont arrêtées au Québec. Elles sont emprisonnées pendant des mois, sans motif et, dans certains cas, sans pouvoir consulter leur avocat ou avocate.
  5. Ce texte inspire la création de l’organisation marxiste-léniniste EN LUTTE ! (1973-1982) dont Charles Gagnon sera le secrétaire général.
  6. Le CSLO regroupait des éléments provenant de différents groupes marxistes (trotskystes et léninistes) ainsi que des groupes populaires et des syndicats.
  7. On pourra en savoir plus sur l’implication du groupe Mobilisation dans la syndicalisation des travailleuses et des travailleurs de Rémi Carrier par l’article de Guillaume Tremblay-Boily, « Pierre Beaudet et la revue Mobilisation : une méthode d’enquête originale », Nouveaux Cahiers du socialisme, n° 29, 2023.

 

La complicité du Canada avec le génocide doit cesser !

21 octobre, par Coalition du Québec URGENCE Palestine — ,
Départ du Parc Lafontaine, à 13 h coin Cherrier et Parc Lafontaine (métro Sherbrooke) La mise en scène spectaculaire autour du « plan de paix » en 20 points de Donald (…)

Départ du Parc Lafontaine, à 13 h
coin Cherrier et Parc Lafontaine (métro Sherbrooke)

La mise en scène spectaculaire autour du « plan de paix » en 20 points de Donald Trump est venue créer des illusions de paix, mais elle ne remet aucunement en question l'importance et l'urgence de nous mobiliser en solidarité avec la Palestine. La manifestation du 26 octobre est évidemment maintenue.

En effet, le prétendu « plan de paix » imposerait à Gaza un nouveau mandat néocolonialiste, qui absout le génocide et évacue l'autodétermination palestinienne. C'est un nouveau plan de mainmise étrangère – des États-Unis directement cette fois-ci. Et alors qu'on en est seulement à la première phase du plan, on voit déjà Israël violer le cessez-le-feu en tuant plusieurs Palestinien·nes et en réduisant l'entrée convenue de l'aide humanitaire qui devait se faire sans entrave. Les négociations de la phase 2 du plan qui s'amorcent risquent simplement de servir de prétexte pour blâmer le Hamas pour la poursuite du génocide.
Lire le communiqué de la Coalition à ce sujet.

Face à tout cela, nous devons nous lever davantage au côté des millions de personnes qui manifestent partout dans le monde pour exiger la fin de cet horrible carnage. La mobilisation augmente au Québec et au Canada, mais elle demeure bien insuffisante pour mettre fin à la complicité du Canada.

Merci de contribuer à construire la mobilisation pour cette manifestation en relayant l'information dans vos réseaux. Pour cela, vous pouvez utiliser les outils visuels de mobilisation regroupés dans ce dossier. Vous y trouverez une affiche et des tracts, de même que des visuels pour Facebook et Instagram.

Nous ne nous tairons pas devant la famine, le massacre et la déportation des Palestinien.nes !
Carney : la complicité du Canada doit cesser !
Non à la mainmise des États-Unis sur Gaza !
Nous exigeons un maximum de sanctions contre Israël maintenant !

Les choix en matière de défense de Carney approfondiront la dépendance et affaibliront la souveraineté

21 octobre, par Owen Schalk — ,
Pendant sa campagne pour devenir premier ministre, Mark Carney avait promis que l'ère de « l'intégration approfondie » entre les armées canadienne et américaine était « (…)

Pendant sa campagne pour devenir premier ministre, Mark Carney avait promis que l'ère de « l'intégration approfondie » entre les armées canadienne et américaine était « terminée ». L'irrespect ouvert du président américain Donald Trump envers les Canadien·ne·s — et sa promesse d'annexer le Canada par la force économique — avaient uni la majorité du pays contre les États-Unis et assuré la victoire de Carney face au chef conservateur d'extrême droite Pierre Poilievre.

15 octobre 2025 | tiré de Canadian dimension | Photo : Un chasseur F-35B Lightning II se prépare à décoller du pont d'envol de l'USS America dans la mer de Chine méridionale.
Photo : U.S. Pacific Fleet / Flickr.
https://canadiandimension.com/articles/view/canada-flying-in-lockstep-with-the-united-states

Les actions récentes du gouvernement Carney, toutefois — notamment l'achat presque certain d'avions de chasse F-35 fabriqués aux États-Unis — révèlent ce que valaient vraiment ses promesses de campagne : une manœuvre politique calculée.

Le parcours de Carney comme néolibéral orthodoxe, et son rôle directdans les efforts de déstabilisation dirigés par les États-Unis contre le Venezuela lorsqu'il était gouverneur de la Banque d'Angleterre, auraient pourtant dû tempérer les attentes de ceux et celles qui espéraient qu'il redéfinirait la politique étrangère canadienne ou défierait les élites économiques américaines.

Après l'élection, Carney a d'ailleurs publié la liste de ses avoirs : il détient des investissements dans 567 organisations, dont 92 % sont basées aux États-Unis.

Loin d'autonomiser le Canada face à une Maison-Blanche de plus en plus imprévisible, les politiques de Carney semblent renforcer l'alignement du Canada sur les États-Unis, tant sur le plan militaire qu'économique et diplomatique.

Sur le plan diplomatique justement, Carney ne tarit pas d'éloges à l'égard de Trump, qui a de nouveau affirmé le mois dernierson souhait d'annexer le Canada aux États-Unis.

L'approche « d'alignement » de Carney s'est pleinement affichée lors de sa visite à Washington le 8 octobre. Lors d'une conférence de presse conjointe avec Trump, il a offert une louange sans réserve au président, le qualifiant de « leader transformateur » et d'« artisan de la paix » — alors même que Trump faisait bombarder des bateaux civils dans les Caraïbes à l'aide de systèmes de détection fournis par le Canada. Carney a également réaffirmé le soutien d'Ottawa aux frappes américano-israéliennes contre l'Iran, des actions illégales et non provoquées.

Le contrat des F-35 : un symbole de soumission

Peu de dossiers exposent aussi clairement la véritable nature des promesses électorales de Carney que le projet d'achat des F-35. En juin 2023, le gouvernement de Justin Trudeau a signé un contrat avec Lockheed Martin pour l'achat de 88 avions de combat F-35 pour 19 milliards $, avec un coût total sur le cycle de vie évalué à 73,9 milliards $. De nombreux·euses Canadien·ne·s s'opposent de longue date à cet achat pour plusieurs raisons : l'érosion continue de la souveraineté canadienne au profit des États-Unis ; l'imprudence de dépenser des milliards pour des avions de combat alors que l'insécurité alimentaire, l'itinérance et le coût de la vie augmentent ; l'impact environnemental de ces appareils très énergivores ; et le risque d'alimenter une nouvelle course aux armements dans un contexte de tensions croissantes entre grandes puissances.

Face à la belligérance de Trump, le gouvernement Carney a ordonné une révision du contrat F-35, certains rapports suggéraient que le Canada pourrait se tourner vers l'avion suédois Gripen. Les Canadien·ne·s préoccupé·e·s par le climat, les tensions internationales et la stagnation économique ont logiquement plaidé pour l'annulation pure et simple du projet. Remplacer les jets américains par des avions suédois aurait du moins permis de prendre un peu de distance vis-à-vis de l'armée américaine.

Mais Carney n'a donné aucun signe d'une telle intention. Le 12 octobre, sa cheffe d'état-major de la Défense, Jennie Carignan, a déclaré : « Nous travaillons en vue de cette acquisition. » ne sont qu'un élément de la liste. Le gouvernement libéral achèteégalement de l'équipement militaire américain pour des montants considérables : le système de roquettes HIMARS : 714 millions $ ; des systèmes de combat pour destroyers : 2,3 milliards $ ; 17 avions de surveillance Boeing : 10,4 milliards $ ;des véhicules tactiques légers américains : 220 millions $.

À cela s'ajoute la probabilité que le Canada participe au système antimissile Golden Dome du gouvernement américain, dont Trump affirme vouloir faire payer 61 milliards $ au Canada. Carney continue aussi de maintenir l'objectif de dépenses militaires à 5 % du PIB, objectif prôné par Trump.

Soumission aux exigences de Washington

Il est indéniable que Carney, l'homme élu pour résister à la pression américaine, a cédé à maintes reprises aux exigences de Trump en matière de dépenses militaires. Sa relation commerciale avec le président américain a elle aussi été marquée par une série de capitulations : par exemple,l'abrogation de la taxe sur les services numériques à la demande de Trump et la levée des contre-tarifs imposés aux États-Unis.

Étant donné cette attitude conciliante et l'orientation pro-américaine de longue date des Forces armées canadiennes, l'achat des F-35 semble désormais inévitable. Même le Government Accountability Office (GAO) américain a critiqué le programme F-35, qui est « en dépassement de 6 milliards $ et accusant un retard de cinq ans ». Son rapport souligne : « Après près de vingt ans de production, le programme F-35 continue de promettre trop et de livrer trop peu. »

L'armée canadienne n'en est pas à son premier dépassement de coûts.

Le programme de la Marine royale canadienne visant à construire 15 nouveaux navires de guerre connaît des retards constants et un gonflement des dépenses : de 26 milliards $ prévus initialement à 80 milliards $ aujourd'hui.
Comme pour les F-35, les É.-U. contrôleront les équipements clés de ces navires.

L'ambassadeur américain au Canada, Pete Hoekstra — dont la visite récente à Winnipeg a suscité de grandes manifestations— a déclaré qu'un éventuel abandon du contrat F-35 représenterait une menace pour le NORAD : « Si les Canadiens volent sur un avion et nous sur un autre, ce n'est plus interchangeable. Cela pourrait même menacer le NORAD. »

Si Carney annulait soudainement l'achat, il est facile d'imaginer la réaction de Trump : il accuserait le Canada de menacer la sécurité nationale américaine, en prétendant qu'Ottawa sape le NORAD.

Comme le note le journaliste du Ottawa Citizen David Pugliese : « Le F-35 est perçu par les officiers de l'armée de l'air canadienne comme un achat essentiel, car il leur permet de s'intégrer parfaitement à leurs homologues américains. L'appareil renforce aussi l'intégration du Canada dans le système militaire américain, puisque les États-Unis contrôlent toutes les mises à jour logicielles et possèdent les pièces des avions, même celles entreposées au Canada. »

Certains analystes avertissent que le contrôle américain sur les pièces pourrait permettre à Washington de prendre la main sur les avions détenus par le Canada, même si le caractère pro-américain des gouvernements précédents rend ce scénario peu probable. L'armée canadienne a longtemps soutenu les interventions américaines à l'étranger, de la Corée à l'Ukraine. Mais la déférence de Carney apparaît particulièrement marquante.

Plus de dépendance, moins de souveraineté

Au moment où les Canadien·ne·s espéraient un gouvernement capable de remettre en question l'influence américaine et de redéfinir la politique étrangère, ils constatent au contraire : plus de soumission à Washington, plus d'implication dans les conflits militaires, et plus d'achats d'armes qui lient encore davantage le Canada aux États-Unis, attisent les tensions mondiales et détournent des ressources vitales à la lutte contre les changements climatiques et les besoins sociaux urgents.

En résumé : rien ne change, sinon pour empirer.

Owen Schalk est l'auteur de Targeting Libya : Canadian Dams, Canadian Bombs, une étude sur le rôle central mais méconnu du Canada dans l'histoire de la Libye, publiée chez Lorimer Books.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Leadership des femmes dans la résolution des conflits : le financement en chute libre

21 octobre, par Oxfam-Québec —
Le 16 octobre 2025 — Vingt-cinq ans après la résolution de l'ONU reconnaissant le rôle essentiel des femmes dans la prévention et la résolution des conflits, les organisations (…)

Le 16 octobre 2025 — Vingt-cinq ans après la résolution de l'ONU reconnaissant le rôle essentiel des femmes dans la prévention et la résolution des conflits, les organisations locales de défense des droits des femmes et de consolidation de la paix reçoivent seulement 0,1 % de l'aide publique au développement, tandis que les dépenses militaires connaissent une hausse exponentielle.

Selon un nouveau rapport publié aujourd'hui par Oxfam, qui fait le point sur les progrès accomplis, les gouvernements qui s'étaient engagés en l'an 2000 à soutenir la résolution phare de l'ONU sur «  les femmes, la paix et la sécurité  » (FPS) n'ont fait, depuis 25 ans, que manifester un intérêt de pure forme.

Le rapport, intitulé Au-delà des discours, montre que les dépenses militaires ont augmenté de 1 500 milliards de dollars dans 84 pays en 2024, tandis que l'aide en faveur de l'égalité des genres et de la paix a, elle, diminué de 7,1 %. Les organisations de femmes reçoivent désormais moins de la moitié d'un cent pour chaque dollar d'aide.

« L'action en faveur de la paix menée par les féministes n'a pas échoué, elle a été trahie », estime Amina Hersi, responsable des politiques en matière de genre, droits et justice chez Oxfam.

« Une génération après que les dirigeants mondiaux ont promis aux femmes une place à la table des négociations, ces mêmes États puissants qui ont rédigé le projet ne l'ont tout simplement pas soutenu correctement. Les bâtisseuses de paix sont abandonnées dans leur tâche de reconstruction des communautés brisées et doivent assumer la majeure partie de la responsabilité sans disposer de l'espace politique ou du soutien financier nécessaires. »

Aujourd'hui, Oxfam lance l'alerte : les promesses formulées en vue de garantir le leadership des femmes dans la consolidation de la paix et de la sécurité sont en voie d'être rompues.

Plus pour la défense, moins pour la paix

Des études de cas menées en Colombie, en République démocratique du Congo (RDC), dans le Territoire palestinien occupé (TPO) et au Soudan du Sud montrent que les plans d'action nationaux restent pour la plupart lettre morte, tandis que la militarisation croissante entraîne la marginalisation accrue des principaux acteurs œuvrant à la défense des droits des femmes et à la consolidation de la paix.

Les États membres de l'OTAN ont, à eux seuls, augmenté leurs dépenses en matière de défense de 159 milliards de dollars ces dix dernières années, alors que le financement mondial en faveur d'une paix qui tienne compte des questions de genre n'a fait que stagner et se trouve désormais en chute libre.

Les mêmes puissances de l'OTAN qui vantent, à l'instar du Conseil de sécurité de l'ONU, les mérites des politiques étrangères féministes et des plans d'action nationaux sur les femmes, la paix et la sécurité — en particulier le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France — n'ont globalement pas réagi face aux atrocités commises en RDC, dans le TPO, au Soudan du Sud et ailleurs.

Le financement de l'aide mondiale consacrée au genre, aux conflits, à la paix et à la sécurité ne représente que 2,6 % de l'aide au développement totale, soit 7,5 milliards de dollars sur un total de 289 milliards de dollars.

Sur les 148 millions de dollars d'aide mondiale en faveur du genre, de la paix et de la sécurité investis dans les droits des femmes en 2023, seuls 4,7 millions de dollars, soit 3,1 %, ont effectivement été alloués à des organisations locales de défense des droits des femmes.

Plus frappant encore, entre 2014 et 2023, seulement 0,1 % de l'aide au développement a été directement alloué à des organisations de défense des droits des femmes et des organisations dirigées par des femmes. Les coupes prévues en 2025 menacent d'entraîner la fermeture de près de la moitié de ces organisations dans des contextes de crise, en l'espace de quelques mois.

Hausse des violences sexuelles liées aux conflits

Les attaques contre les femmes et les filles pendant les conflits, elles, ont explosé. Les cas avérés de violences sexuelles liées aux conflits ont augmenté de 50 % en 2023, tandis que les exactions commises à l'encontre des filles ont augmenté de 35 %. Le rapport souligne également que :

* En Colombie, plus de 180 défenseuses des droits humains ont été tuées seulement en 2023, et les dispositions relatives au genre dans l'accord de paix demeurent parmi celles qui sont les moins mises en œuvre.

* En RDC, où seuls 13 % des sièges parlementaires sont occupés par des femmes, il existe des preuves de niveaux élevés de violences sexuelles et basées sur le genre liées au conflit, d'une part, et de déplacements entraînés par l'extraction minière, la militarisation généralisée et les conflits, d'autre part.

* Dans le TPO, le génocide perpétré par Israël à Gaza et la violente répression en Cisjordanie, qui s'ajoutent à des décennies d'occupation illégale, ont entraîné de graves atteintes aux droits et à la vie des femmes. Elles comprennent aussi bien les violences sexuelles et basées sur le genre perpétrées par les forces israéliennes que les restrictions imposées par les autorités israéliennes (telles que les postes de contrôle militaires et la destruction des infrastructures sanitaires) qui ont privé les femmes de l'accès aux soins essentiels en matière de santé reproductive et enfreint leurs droits reproductifs.

* Au Soudan du Sud, le quota de 35 % de femmes en politique ne s'est pas traduit par une influence réelle, étant donné le contexte généralisé de répression et de violences sexuelles et basées sur le genre utilisées comme arme de guerre.

« La paix féministe constitue un impératif politique, en aucun cas une option facultative. À moins que les gouvernements ne changent de cap dès maintenant, le programme FPS restera dans les mémoires comme une promesse de plus qui n'aura pas été tenue », souligne Mme Hersi.

Au Canada, le poste d'ambassadrice pour les femmes, la paix et la sécurité est toujours vacant depuis le départ de Jacqueline O'Neill, en mars.

« Les accords de paix sont plus solides lorsque les femmes sont impliquées dans le processus. Le gouvernement canadien doit insister pour que les femmes et la société civile soient présentes dans toutes les étapes des processus de paix, notamment en Palestine. Il doit réitérer son engagement en nommant rapidement une ambassadrice pour les femmes, la paix et la sécurité », plaide Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Oxfam-Québec.

Un changement radical réclamé

À la suite du débat public annuel du Conseil de sécurité de l'ONU sur les femmes, la paix et la sécurité, Oxfam appelle les États membres à opérer un changement radical et à réorienter une partie de leurs dépenses militaires vers la consolidation de la paix.

Ils devraient garantir qu'au moins la moitié du financement FPS soit directement versé aux organisations locales de défense des droits des femmes. Ils devraient aussi faire en sorte que les responsables de génocides, de crimes de guerre et de violences sexuelles et basées sur le genre soient tenus de rendre des comptes.

« Le programme FPS reste un outil essentiel pour les bâtisseuses de paix et les organisations féministes et de défense des droits des femmes », affirme Mme Hersi.

« Sa survie en tant que moteur de justice dépendra de la capacité de la communauté internationale à concrétiser ses principes en mobilisant les ressources et la volonté politique nécessaires. Sans cela, le 25e anniversaire de la résolution de l'ONU sur les femmes, la paix et la sécurité marquera son déclin, et non sa maturité. »

Notes

* Le rapport (en anglais) peut être consulté ici<https://www.oxfam.org/en/research/b...>

* Les données sur les dépenses militaires sont tirées de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm<https://www.sipri.org/commentary/es...> .
* Le pourcentage de 7,1 % relatif à la baisse de l'aide en faveur de l'égalité des genres et de la paix provient du rapport Rebalancing world military spending for a sustainable and peaceful future<https://www.un.org/en/peace-and-sec...> .
* Les données sur l'aide publique au développement proviennent du Système de notification des pays créanciers de l'OCDE<https://www.oecd.org/fr/publication...> .

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Trump à la Knesset et à Charm el-Cheikh

21 octobre, par Gilbert Achcar — , , ,
Si les scènes de célébration de Donald Trump à la Knesset israélienne et à Charm el-Cheikh étaient destinées à une exploitation cinématographique ou théâtrale, elles se (…)

Si les scènes de célébration de Donald Trump à la Knesset israélienne et à Charm el-Cheikh étaient destinées à une exploitation cinématographique ou théâtrale, elles se classeraient sans aucun doute parmi les pires mises en scène de l'histoire.

15 octobre 2025
Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/151025/un-festival-d-obsequiosite

Ces deux spectacles ont formé ensemble un festival d'adulation, sans précédent pour un président américain ou pour tout dirigeant élu par une élection libre. Ils rappellent davantage l'adulation dont sont l'objet les despotes dans leur propre pays ou au sein de leur empire – comme celle du dirigeant nord-coréen chez lui ou le culte de la personnalité qui a entouré Staline dans les républiques et les États satellites de l'Union soviétique.

De ce point de vue, cependant, l'obséquiosité affichée à la Knesset était en fait plus sincère que celle du sommet de Charm el-Cheikh. Comme Benyamin Netanyahou l'a dit à son ami américain, ce fut le résultat de « l'alliance sacrée entre nos deux terres promises » – faisant ainsi allusion aux caractéristiques communes des États-Unis et d'Israël en tant qu'États nés d'un colonialisme de peuplement et d'une guerre génocidaire contre les populations autochtones. Le parallèle historique entre les deux États est aujourd'hui complet. De plus, il ne fait aucun doute que Trump est, de tous les présidents américains, celui qui a été le plus favorable à l'État sioniste, et pas seulement à l'État lui-même, mais aussi au pouvoir néofasciste de Netanyahou, une caractérisation politique qui s'applique d'ailleurs à Trump lui-même.

Le président américain a répondu à l'adulation du premier ministre israélien en le louant, soulignant sa contribution au plan de paix annoncé par Trump en sa présence à Washington, deux semaines plus tôt. L'impudence de Trump est même allée jusqu'à demander au président israélien, assis à sa gauche, de gracier Netanyahou pour les accusations de corruption auxquelles il fait face, les rejetant avec cette remarque désinvolte : « Des cigares et du champagne, qui diable s'en soucie ? » Trump faisait référence aux accusations de pots-de-vin contre Netanyaohu (estimés à 260 000 dollars), qui sont en effet bien modestes par rapport aux cadeaux somptueux que Trump lui-même a reçus de gouvernements étrangers, en particulier des monarchies du Golfe – dans le cadre d'une pratique mondiale de la corruption à grande échelle.

Comme l'avait prédit un ancien conseiller politique de Netanyahu dans une interview citée par un correspondant du Financial Times vendredi dernier : « Il n'y a pas de meilleur directeur de campagne pour Netanyahu que Trump. Son discours [à la Knesset] marquera le début de la campagne électorale. » En effet, Trump a bel et bien inauguré la campagne de réélection de Netanyahu, dans la perspective des élections à la Knesset qui doivent avoir lieu dans pas plus tard qu'un an. En fin de compte, les plus grands bénéficiaires du plan du président américain et de sa visite ne sont pas seulement Trump lui-même, qui s'est prélassé dans les éloges flagorneurs de Netanyahu et du chef de l'opposition israélienne, mais aussi Netanyahou.

Le plan Trump est, en fait, le résultat d'un accord entre les deux hommes, en réaction aux négociations qui se sont rapidement enlisées après l'échange initial de prisonniers survenu à la suite de la trêve déclarée à la veille de la deuxième investiture de Trump, en janvier dernier. Trump a exigé que le Hamas libère tous ses otages en même temps, afin de l'empêcher d'utiliser leur libération progressive comme moyen de négociation. Il a ensuite donné le feu vert à Netanyahou pour reprendre les opérations militaires et poursuivre la destruction et l'occupation par Israël des zones résidentielles restantes de Gaza. Alors que l'action militaire israélienne battait son plein, l'administration Trump fit pression sur les gouvernements régionaux pour qu'ils exercent à leur tour leur pression sur le Hamas, obligeant finalement le mouvement à libérer ses derniers captifs, diminuant ainsi largement sa capacité d'affecter l'avenir de la bande de Gaza, ou de la cause palestinienne en général.

Cette libération des derniers captifs israéliens a ôté un fardeau important des épaules de Netanyahou, car elle était le principal thème de ralliement du mouvement populaire contre lui. Il était pris entre le marteau de l'opposition et l'enclume d'alliés encore plus à droite que lui. Une fois de plus, comme au début de l'année, Netanyahou a utilisé la pression américaine comme prétexte pour accepter ce à quoi ses alliés s'étaient jusque-là opposés. Les deux principaux dirigeants de l'ultradroite sioniste ont fini par assister à la session de la Knesset et applaudir tant Trump que Netanyahu. Le premier ministre israélien et ses alliés savent pertinemment que le plan de Trump est voué à l'échec, tandis que le Hamas et toutes les autres fractions palestiniennes n'ont plus de moyen d'empêcher Israël d'envahir et occuper davantage de ces parties de la Palestine qu'il lui reste encore à annexer officiellement (voir « Après l'“accord du siècle”, l'“accord du millénaire” ». Al-Quds Al-Arabi, 30 septembre 2025).

Quant à la cérémonie de Charm el-Cheikh, elle était moins une célébration de la « grandeur » de Trump qu'un reflet du caractère saugrenu de l'obséquiosité dont il est l'objet de la part des dirigeants mondiaux présents. Pour croire que leurs flatteries étaient sincères, il faudrait douter de leurs capacités mentales, en particulier si l'on considère l'humiliation que Trump a infligée à beaucoup d'entre eux. Aucun président américain avant Trump n'a traité la scène mondiale avec un tel mépris et pourtant aucun n'a été l'objet d'une telle obséquiosité. Cela montre qu'en cette époque de décadence politique, de loi de la jungle et de montée du néofascisme, de nombreux dirigeants contemporains sont prêts à abandonner leur dignité et à se soumettre à ceux qui ont plus de pouvoir et de richesse.

Quant au fier peuple palestinien, il a prouvé un siècle durant son refus de se soumettre à ses oppresseurs – qu'il s'agisse des autorités du mandat britannique ou du gouvernement sioniste. Les Palestiniens ne baiseront pas la main de Donald Trump et ne lui témoigneront pas de « reconnaissance », quoi que fassent ceux qui prétendent les représenter. Ils ne se soumettront pas au soi-disant Conseil de la paix présidé par Trump, qui comprend des personnalités comme Tony Blair, le partenaire de George W. Bush dans l'occupation de l'Irak. Le peuple palestinien poursuivra plutôt sa lutte pour l'intégralité de ses droits. Il lui faut maintenant tirer les leçons de la Karitha (grande catastrophe) d'aujourd'hui, comme de la Nakba d'hier, et trouver le moyen de retrouver l'élan qui fut le sien lors des deux glorieuses Intifadas populaires de 1936 et 1988 – points culminants de sa longue histoire de résistance.

* Dernier ouvrage paru :Gaza, génocide annoncé. Un tournant dans l'histoire mondiale.

Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 14 octobre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Des millions de personnes manifestent contre Trump, pour la démocratie et la justice sociale

21 octobre, par Dan La Botz — ,
Des millions de personnes, dans 2 600 villes des 50 États américains, ont participé à la deuxième vague de manifestations « No Kings » contre le gouvernement de plus en plus (…)

Des millions de personnes, dans 2 600 villes des 50 États américains, ont participé à la deuxième vague de manifestations « No Kings » contre le gouvernement de plus en plus autoritaire et inhumain du président Donald Trump.

21 octobre 2025 | Hebdo L'Anticapitaliste - 772
traduction Henri Wilno

J'étais l'un d'eux, marchant dans un cortège syndical à New York. Les organisateur·ices ont affirmé qu'au moins sept millions d'entre nous ont défilé et se sont rassemblé·es, ce qui en ferait la plus grande journée de manifestations de l'histoire des États-Unis.

Contre quoi protestions-nous ?

D'après les pancartes, les slogans et les commentaires des manifestantEs, les gens sont en colère contre les raids cruels et violents de l'ICE (Immigration and Customs Enforcement, la police de l'immigration et des frontières), contre l'envoi par Trump de la Garde nationale et d'unités militaires dans plusieurs villes, contre le licenciement de centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux, contre les attaques visant les programmes de santé, d'éducation et de logement, contre la suppression de la liberté d'expression et de la liberté académique, et contre le racisme des politiques telles que les modifications apportées par Trump au programme d'accueil des réfugiéEs afin de favoriser les Blanc·hes.

Une mobilisation massive

No Kings est organisé par une coalition de 200 groupes, dont les plus importants sont des courants du Parti démocrate comme Indivisible et MoveOn, des ONG comme Public Citizen et l'American Civil Liberties Union, ainsi que le réseau militant 50501. Ce dernier a déclenché le vaste mouvement de résistance en appelant, il y a plusieurs mois, à 50 manifestations dans 50 États en une seule journée.

Trump, le vice-président J.D. Vance et d'autres républicains ont affirmé, de manière absurde, que les rassemblements et les marches étaient remplis de manifestantEs payéEs par George Soros, le milliardaire juif, philanthrope libéral et démocrate. Ils ont suggéré que les manifestations étaient organisées par « antifa », un surnom donné au vaste mouvement antifasciste, qu'ils qualifient d'organisation terroriste violente – bien qu'il n'existe aucune organisation de ce type.

Interrogée sur les manifestations, la porte-parole de Trump a déclaré : « Qui s'en soucie ? Le reste de l'Amérique regardera le football universitaire. » Mais le président n'a pas pu les ignorer et a publié une vidéo générée par intelligence artificielle le montrant en pilote de chasse coiffé d'une couronne, survolant les manifestations et déversant des excréments sur les manifestantEs – démontrant ainsi le mépris qu'il éprouve pour le peuple américain.

Un mouvement populaire et festif

Les gens portaient des banderoles et des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Pas de rois, pas de tyrans ». Partout, les manifestantEs scandaient « Pas de haine, pas de peur, les immigrantEs sont les bienvenu·es ici ». Les manifestations étaient pacifiques partout et, même si les manifestantEs étaient en colère, les rassemblements avaient souvent un caractère festif, célébrant le fait d'être ensemble dans la résistance et de lutter pour des valeurs progressistes.

Si les manifestations étaient sérieuses, certainEs ont également veillé à ce qu'elles soient joyeuses. Des participantEs, imitant les récentes manifestations de Portland, dans l'Oregon, se sont déguiséEs en animaux géants, comme ceux que l'on voit dans les fêtes d'enfants, pour montrer à quel point il était ridicule de prétendre qu'il s'agissait de manifestations violentes de terroristes.

Reprendre les symboles de la démocratie

Pendant des décennies, la gauche a rejeté le drapeau américain, le considérant comme un symbole du racisme national et des guerres menées par les États-Unis contre le Vietnam, l'Irak et l'Afghanistan. Mais aujourd'hui, de nombreux·ses manifestantEs brandissent le drapeau, revendiquant l'Amérique pour la démocratie et la justice sociale.

Un manifestant portait une pancarte sur laquelle on pouvait lire « Make America America Again » (Rendre à l'Amérique son identité américaine), accompagnée d'une liste de ce qu'il considérait comme les valeurs américaines : la liberté d'expression, la science, la liberté de la presse, l'État de droit, la démocratie, le pro-choice (le droit des femmes à choisir l'avortement), la procédure régulière et la diversité.

Pour aller plus loin

No Kings a été un succès, mais nous avons besoin d'un mouvement plus militant, avec des grèves et des manifestations perturbatrices, qui puissent vraiment contester les attaques agressives de Trump contre nos droits et notre bien-être.

Dan La Botz, membre de DSA (Democratic Socialists of America)
Traduit par Henri Wilno

******

Discours du maire de Chicago, Brandon Johnson – 18 octobre 2025

Eh bien, êtes-vous prêts à défendre cette démocratie ?

Êtes-vous prêts à combattre le fascisme ?

Êtes-vous prêts à détruire l'autoritarisme, une fois pour toutes ?

Alors que le monde vous entende : pas de rois !

Pas de rois !

Écoutez : il y a, dans ce pays, des gens qui ont décidé — sur l'ordre de ce président — de déclarer la guerre à Chicago et aux villes américaines partout dans ce pays.

Ils ont clairement décidé qu'ils voulaient une revanche de la guerre de Sécession.

Mais nous sommes ici pour tenir bon, pour rester fermes et déterminés : nous ne plierons pas, nous ne nous inclinerons pas, nous ne nous cacherons pas, nous ne nous soumettrons pas à l'autoritarisme qui s'abat sur nous.

Je veux que ce soit parfaitement clair : la tentative de diviser et de conquérir cette nation ne réussira pas, car quand le peuple est uni, la justice triomphe toujours.

Donald Trump utilise ICE comme sa force d'occupation militarisée privée.

Les seules institutions plus financées qu'ICE sont l'armée américaine et l'armée chinoise.

Mais nous disons, et c'est clair : nous ne voulons pas de trouppes dans notre ville. Nous ne permettrons pas que nos villes soient occupées.

Voici maintenant le dernier point : nous devons être absolument clairs non seulement sur ce pour quoi nous nous battons, mais aussi sur ce que nous voulons abattre.

Donald Trump vient de transférer la plus grande concentration de richesse ascendante de l'histoire de ce pays entre les mains des ultra-riches et des grandes entreprises.

C'est un combat pour les travailleuses et travailleurs de ce pays et du monde entier, un combat contre les milliardaires et les intérêts des grandes entreprises.

Certains milliardaires et dirigeants d'entreprise veulent qu'on ait de la compassion pour eux, alors qu'ils viennent de recevoir les plus grandes baisses d'impôt de l'histoire, au détriment de la santé, du logement, de l'éducation, des transports et des bons emplois.

Alors voici ce que nous devons faire maintenant :

Si mes ancêtres, réduits en esclavage, ont pu mener la plus grande grève générale de l'histoire de ce pays — contre les ultra-riches et les grandes entreprises — nous pouvons faire la même chose aujourd'hui.

J'en appelle aux Noirs, aux Blancs, aux Latinos, aux Asiatiques, aux immigrants, aux personnes LGBTQ+ de ce pays : levez-vous pour résister, pour envoyer un message clair aux riches et aux grandes entreprises.

Nous allons les obliger à payer leur juste part d'impôts pour financer nos écoles, nos emplois, notre santé, nos transports.

La démocratie survivra grâce à cette génération.

Êtes-vous prêts à mener le combat devant les tribunaux et dans les rues ?

Dans les villes du monde entier, nous avons déclaré que nous défendrons notre démocratie, que nous défendrons notre humanité, que nous renverserons la tyrannie — et que nous le ferons ensemble.

Que Dieu vous bénisse toutes et tous.

Que Dieu bénisse la plus grande ville du monde.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Fin de règne (France) : la crise politique dans ses méandres

21 octobre, par Léon Crémieux — ,
Le jeudi 16 octobre, avec le rejet de la motion de censure de la France insoumise (pour 18 voix) contre le gouvernement Lecornu renommé après un premier échec, Macron a réussi (…)

Le jeudi 16 octobre, avec le rejet de la motion de censure de la France insoumise (pour 18 voix) contre le gouvernement Lecornu renommé après un premier échec, Macron a réussi à mettre sur pied pour un temps un nouveau gouvernement dont l'assise sera encore plus faible que les deux derniers (Barnier et Bayrou) qui ont géré les affaires depuis les élections législatives de juin 2024, et n'auront chacun duré que quelques mois.

Tiré d'Europe Solidaire Sans Frontières
19 octobre 2025

Ces dernières semaines, du 8 septembre au 15 octobre, une valse de désignation et démission de Sébastien Lecornu, un fidèle de Macron aura finalement abouti à un gouvernement n'ayant l'appui réel que du président lui-même. Même les groupes partie prenante du « bloc du centre » (Renaissance, Horizon et le Modem) sont en train d'afficher leur prise de distance avec Macron et son gouvernement de fin de règne. Edouard Philippe (Horizon), ancien premier ministre de Macron appelle ouvertement et avec insistance à la démission de ce dernier et à une présidentielle anticipée. Gabriel Attal (Renaissance) lui aussi ancien premier ministre de Macron ne se manifeste que pour marquer ses distances avec celui-ci. Enfin, les Républicains, soutien des deux gouvernements précédents, ont décidé de ne pas participer au gouvernement finalement mis sur pied par le macroniste Lecornu, ne voulant pas être contaminés par la radioactivité de Macron et de ses derniers fidèles.

En clair, on assiste à une fin de règne et un délitement du macronisme, reflet du rapport de force social dans le pays, du rejet massif de sa politique et de ses responsables politiques. Ce désaveu va largement de pair avec une exaspération qui cible les superprofits des grandes entreprises et la richesse toujours plus arrogante des « super riches » (le 15 octobre, en une seule journée, grâce à un bond en Bourse de l'action LVMH, Bernard Arnaud a vu sa fortune -la première de France et la septième au niveau mondial- bondir de 16 milliards d'euros, atteignant 164 milliards d'euros), l'affirmation grandissante de la nécessité d'une justice sociale et fiscale. Cette affirmation s'était reflétée dans les mobilisations sociales de ces dernières semaines, notamment les 10 et 18 septembre.

Cet isolement grandissant, au sein même de la majorité présidentielle, avait amené Lecornu à renoncer à former un gouvernement le 6 octobre dernier après la perte du soutien des Républicains de Bruno Retailleau. Le risque le plus grand était un échec total amenant à une dissolution de l'Assemblée nationale et de nouvelles élections législatives 16 mois après les précédentes. La plupart des sondages prédisent dans ce cas une hécatombe pour les partis politiques du « camp présidentiel » (Renaissance, MODEM, Horizons et UDI) perdant un tiers de leurs voix et la moitié des sièges (162 sur 577 aujourd'hui). Quelle que soit la valeur de cette prévision, aujourd'hui une majorité de la population rejette le président, les deux tiers veulent son départ.

Macron avait mandaté à nouveau Lecornu le jour de sa démission, le 6 octobre, pour arriver à mettre sur pied un gouvernement qui soit surtout capable d'éviter la dissolution et arrivant à faire voter un budget 2026, en reprenant, grosso modo, les mêmes orientations que les deux gouvernements précédents, mais sans être immédiatement renversé. Vu les rapports de force parlementaires, la seule issue était d'obtenir la bienveillance du Parti socialiste, pour éviter qu'une nouvelle motion de censure ne soit majoritaire à l'Assemblée nationale. La France insoumise avait dans tous les cas appelé à censurer tout nouveau gouvernement. Le PCF et les Verts, firent de même, après deux entrevues avec Lecornu qui leur avait enlevé toute illusion sur un changement d'orientation. Comme le RN annonçait aussi qu'il voterait immédiatement la censure, la seule possibilité restait de faire un geste pour obtenir l'aval du PS sans remettre en cause la politique globale pro-patronale d'austérité et sans trop heurter les groupes politiques du camp néolibéral. D'ailleurs, Lecornu, dans sa déclaration de politique générale a voulu aussi flatter la droite et l'extrême droite en s'engageant à écrire dans la Constitution les clauses de l'accord de Bougival sur la Kanaky qui vise à mettre à bas tout processus de décolonisation et qui est dénoncé par le FLNKS.

Au-delà des impératifs politiciens, il y a surtout une crainte et une exigence venant des rangs du patronat, des grands groupes capitalistes. La crainte que le mécontentement social ne débouche sur une explosion sociale, ou tout au moins une forte mobilisation prolongée comme la France en a connu en 1995 ou 2023, une situation qui, vu la faiblesse des partis du centre et de la droite, au minimum remettrait en cause toutes les réformes libérales de la « politique de l'offre » réalisées au profit des capitalistes depuis 2012 et la présidence de Hollande. Sentant la faiblesse politique du pouvoir, le MEDEF avait annoncé un grand rassemblement national le 13 octobre, appelant tous les chefs d'entreprise à venir à Paris pour, explicitement, s'opposer à toute pression fiscale supplémentaire - en clair au maintien de leurs privilèges fiscaux -, s'opposer à toute politique amenant à remettre en cause les quelque 200 milliards d'aides et de dégrèvements budgétaires accordés aux entreprises, à toute politique fiscale frappant les grandes fortunes et leur patrimoine. Un exemple de ces privilèges fiscaux est la loi Dutreil qui permet d'exonérer de l'essentiel des droits de succession, de la fiscalité commune sur les héritages, les donations ou héritages concernant des parts ou des actions de sociétés industrielles ou de « holding animatrice » (une société mère). Cette exonération de classe coûte 4 milliards par an.

Macron a donc réussi à sortir provisoirement de l'impasse. Le PS a volontairement affaibli le front politique de rejet de Macron, la marche chaotique, mais réelle, vers un affrontement social, aidant par la même une majorité des directions syndicales (CFDT, CGC et CFDT et FO) à se sortir de la dynamique de mobilisation engagée depuis le début du mois de septembre. Pour faire cela, Macron a dû faire une grosse concession symbolique : promettre une pause dans l'allongement de l'âge de départ et de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein. En clair le gel à 62 ans et 9 mois comme âge de départ à taux plein (avec la condition d'avoir versé 170 trimestres de cotisations), gel jusqu'en 2027, c'est-à-dire la prochaine élection présidentielle. Sans ce gel, chaque année, 3 mois de plus (en âge et en durée de cotisations) seraient nécessaires pour partir à taux plein.

Vu que la question des retraites a été l'affrontement social et politique central depuis notamment 2023, la mesure du gel a pu apparaitre, au moins symboliquement, comme un recul important. 300000 personnes pourraient ainsi en théorie partir trois mois plus tôt à la retraite en 2026 et 2027. Cela pourrait apparaître comme un encouragement, un recul des politiques patronales devant le mouvement social, un recul qui en appellerait d'autres. Mais le PS a préféré se vendre pour un plat de lentilles, et Macron a réussi à réaliser un « gambit », un petit sacrifice qui peut lui faire espérer d'éviter la catastrophe immédiate. Pour l'instant, il sauve l'essentiel, et notamment le peu de crédibilité qui lui reste auprès des groupes capitalistes.

La « suspension » promise n'est qu'un engagement oral de Lecornu qui ne se retrouve pas dans le projet de budget déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale et devrait prendre la forme d'un amendement à la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) qui doit être débattu et voté en novembre/décembre. Les promesses n'engagent donc que ceux qui croient. Mais surtout toute la structure financière des projets de budget de l'Etat et de la Sécurité sociale prévoient plus de 30 milliards d'économies, essentiellement au détriment des classes populaires, salariéEs, retraitéEs. Gel du montant des retraites, du salaire des fonctionnaires, des prestations sociales. Gel aussi du barème des impôts, ce qui amène mécaniquement à une hausse des impôts. Augmentation des impôts des millions des retraités frappant près de 2 millions de foyers, déremboursements de médicaments et des indemnités de maladie. Compression des budgets publics et suppression de 3000 postes de fonctionnaires, aucun tournant pour investir massivement dans la transition écologique, avec une division par deux du Fonds vert, passant à 600 millions d'euros pour les financements des collectivités locales pour les projets concrets vis-à-vis des changements climatiques et du développement des énergies renouvelables. Tout un symbole : le budget des armées augmente de 6,7 milliards quand le projet de budget prévoit 7,1 milliards d'économies pour la Santé.

D'un autre côté, aucune remise en cause des 91 milliards d'exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises, une nouvelle baisse de plus de 1 milliard des impôts de production. Depuis 2021 la baisse de l'ensemble de ces impôts de production (CVAE et CFE) est de 10 milliards par an.

Quant à la justice fiscale, la ligne rouge de Lecornu est la même que celle des gouvernements précédents : pas question de toucher à la fiscalité des entreprises ni celle des revenus venant de l'entreprise. La taxe Zucman qui proposerait 2% d'imposition sur les patrimoines est rejetée d'un même chœur par l'extrême droite, la droite et les macronistes comme sapant les fondements de l'investissement et mettant en péril les entreprises. Pourtant, touchant les 1800 plus gros foyers fiscaux (patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros), elle pourrait rapporter d'après Gabriel Zucman, 25 milliards d'euros par an. En pratique, cela n'aurait pas comme effet de diminuer le patrimoine des ces gros privilégiés mais de diminuer l'accroissement de leur fortune, ce qui est déjà un crime pour les défenseurs du système. Entre 2003 et 2023, en France les 500 plus gros propriétaires d'entreprises ont vu leur fortune multipliée par 9,3, atteignant 1200 milliards d'euros en 2021 (124 milliards en 2003). La taxe ne serait donc qu'un petit correctif dans cet accroissement des richesses sur le dos des classes populaires.

Donc, pas question pour Macron (ni pour les Républicains ou le RN) de remettre en cause les piliers du capitalisme, les « biens professionnels ».

Pour essayer d'éviter les dangers d'une mobilisation sociale, le gouvernement a aussi annoncé une nouvelle conférence sociale sur la retraite et le travail, remettant sur les rails le passage d'une retraite par répartition à une retraite par capitalisation, en faisant miroiter une gestion paritaire syndicat-patronat, avec comme dans de nombreux pays, la porte ouverte à la gestion des groupes bancaires et d'assurances. Le problème est que, comme début 2025, où Bayrou avait mis sur pied un conclave sur les retraites, la majorité des directions syndicales (CFDT, CFTC, CGC et FO) s'engouffrent dans ce nouveau piège dont le seul but est de diviser et de freiner les mobilisations frontales contre la politique d'austérité de ce gouvernement et de ce président fragile.

L'enjeu se décale donc ces derniers jours. Il va s'agir de contrer ces ferments de divisions ouvertes et d'œuvrer à des rassemblements unitaires, des mobilisations autour des exigences de justice sociale, budgétaire et fiscale autour d'axes qui étaient déjà mis en avant dans le programme du Nouveau Front Populaire (NFP). La direction du PS espère se servir électoralement sur les restes du macronisme en se présentant à nouveau sous un visage de gestionnaire compatible avec le néolibéralisme. C'est pourtant cette orientation qui a coulé le PS avec la présidence de François Hollande et beaucoup de militants socialistes ne l'ont pas oublié. Beaucoup, dans les directions des partis de gauche, ont toute leur attention tournée vers les péripéties parlementaires ou la préparation des élections municipales de 2026. Pourtant, l'attention devrait plutôt être tournée vers l'organisation unitaire de la riposte sociale et politique aux politiques patronales.

Les budgets doivent être votés dans les deux mois qui viennent. Semaine après semaine vont apparaître les attaques qu'ils contiennent et la droite elle-même va tenir à y renforcer les attaques sociales.

Aussi comme il y a un an, le PS aura du mal à maintenir une position de bienveillance vis-à-vis d'un gouvernement encore plus faible que ses deux prédécesseurs. Cela rend d'autant plus important que le mouvement social trouve la force de disloquer cet attelage réactionnaire.

Léon Crémieux

P.-S.

• Article écrit pour la revue Viento Sur.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Menaces américaines au Venezuela : derrière la « guerre contre la drogue »

La tension est à son comble entre le Venezuela et l'administration Trump. Alors qu'elle a déployé plusieurs navires de guerre au large des côtes vénézuéliennes, se disant prêt (…)

La tension est à son comble entre le Venezuela et l'administration Trump. Alors qu'elle a déployé plusieurs navires de guerre au large des côtes vénézuéliennes, se disant prêt à éradiquer un « narco-État » supposément responsable de l'exportation de cocaïne sur son sol, Nicolas Maduro mobilise ses soutiens à Caracas et se dit prêt à « lutter contre l'envahisseur ». Pour légitimer cette confrontation, les États-Unis usent d'une rhétorique de « guerre contre la drogue » employée depuis maintenant cinquante ans pour tenter de liquider la gauche anti-impérialiste. Dans le même temps, l'Équateur, à présent premier pays exportateur de cocaïne au monde, conserve les bonnes grâces de Washington…

28 septembre | tiré de la lettre de Le Vent Se Lève
Donald Trump et son secrétaire d'État Marco Rubio

Frappes militaires en mer des Caraïbes

2 septembre. Les images satellites sont saisissantes : le petit bateau, qui navigue au large des côtes vénézuéliennes mais hors de son espace maritime, est littéralement pulvérisé par une série de frappes provenant de navires militaires nord-américains sillonnant les mers à proximité. Bilan : onze morts.

15 septembre : une deuxième frappe vise un autre bateau, faisant trois morts. Dans les jours qui viennent, les frappes se poursuivent, coulant des navires similaires, avec un nombre de victimes non précisé. A chaque fois, la Maison-Blanche invoque la même rhétorique : ces petits bateaux interceptés au large des côtes vénézuéliennes seraient liés à des gangs actifs dans le trafic de drogues en provenance du Venezuela et à destination des États-Unis. Ils seraient captifs des gangs, à l'instar du « Tren de Aragua », le grand cartel de drogues vénézuélien présent jusque sur le sol étatsunien, et directement mentionné par Donald Trump au cours de plusieurs discours.

Dans sa déclaration à la presse faisant directement suite à cet événement, Donald Trump annonce qu'il a lui-même supervisé l'opération du 2 septembre et que les frappes menées contre les « narcoterroristes » ont permis de détruire des cargaisons de drogue, notamment de fentanyl et de cocaïne, sans pourtant apporter la moindre preuve publique détaillée. Donald Trump affirme également que les frappes menées en mer des Caraïbes pourront laisser place, dans un futur proche, à des frappes terrestres. Dans le même temps, son secrétaire d'état aux affaires étrangères, Marco Rubio, accuse directement Nicolas Maduro d'être un narcotrafiquant à la tête d'un des plus importants cartels de drogue d'Amérique du Sud.

Ces frappes interviennent dans un contexte d'intensification des pressions mises en œuvre par l'administration Trump à l'égard du gouvernement vénézuélien. Elle débute avril 2025 par la mise en place d'un train de sanctions visant une série de haut responsables vénézuéliens. Sont concernés des haut-fonctionnaires de PDVSA, l'entreprise pétrolière nationale vénézuélienne, mais aussi de hauts dignitaires militaires et policiers dont la Maison-Blanche gèle les avoirs. Dans le même temps, le département du Trésor annonce que la récompense associée à la transmission d'informations pouvant mener à la capture du « narcotrafiquant » Nicolas Maduro atteint désormais 25 millions de dollars – un montant qui double quelques mois plus tard.

Le 24 mars 2025, un décret exécutif annonce quant à lui l'imposition d'un tarif douanier de 25% sur tous les biens importés aux États-Unis en provenance de pays qui importeraient du pétrole vénézuélien – qui constitue 79% des exportations du pays. Dans le même temps, le gouvernement de Donald Trump annule la licence autorisant notamment la compagnie américaine Chevron à exploiter et exporter du pétrole vénézuélien vers les États-Unis – pourtant bon marché en comparaison d'autres sources d'approvisionnement. Cette licence, concédée par son prédécesseur, avait pour fonction de pallier les effets du conflit ukrainien sur la fourniture de pétrole.

Finalement, à partir du 7 août 2025, la marine américaine est déployée en mer des Caraïbes. Les frappes militaires et les menaces d'intervention terrestre intervenues début septembre 2025 sont donc l'aboutissement d'un long processus, qui vise à faire du Venezuela un paria de la communauté internationale, au même titre que Cuba ou l'Iran.

Toute communication diplomatique entre l'administration de Trump et celle de Maduro est à présent rompue, au grand dam de ce dernier. Jusqu'à l'élection de Donald Trump, plusieurs leviers étaient activés de part et d'autres en faveur d'une normalisation politique, qui n'a jamais aboutie : accords portant sur la libération de prisonniers américains, octroi de licences pétrolières, permis de travail accordés à des ONG, garantie apportée par Maduro à l'égard de la droite vénézuélienne. Suite à l'accession au pouvoir de Donald Trump et la nomination de son secrétaire d'état Marco Rubio, violemment hostile à la gauche latino-américaine, ces leviers ont disparu.

Milices d'« auto-défense populaire » à Caracas

Ces tentatives de déstabilisation en rappellent d'autres. Le 11 avril 2002, un coup d'État menée par la droite vénézuélienne avec l'appui de l'administration de George W Bush renversait, pour quelques heures, le président Hugo Chávez. Arrêté par des membres de l'État-major vénézuélien à la suite de manifestations anti-gouvernementales – partiellement financées par des fonds américains qui transitaient via la National Endowment for Democracy (NED). Le chef du patronat vénézuélien, Pedro Carmona, en contact direct avec l'administration Bush, s'était alors autoproclamé président intérimaire et avait été immédiatement reconnu par les États-Unis. Leur intérêt dans l'affaire était évident : la nationalisation de l'industrie pétrolière amorcée par Hugo Chávez lésait directement les entreprises américaines. En moins de 48 heures, cependant, une contre-offensive populaire permettait à Chávez de revenir au pouvoir. La nationalisation était sauve, les Américains allaient demeurer persona non grata dans le secteur de l'or noir vénézuélien. Et les années fastes du « chavisme » – marquées par une réduction historique de la pauvreté – allaient commencer.

Vingt-trois ans plus tard, la configuration est autre. Ébranlé par une décennie de désastre économique, au cours duquel le PIB vénézuélien a été divisé par dix – malgré une embellie récente, consécutive à la hausse des cours post-pandémie –, le chavisme tente néanmoins de réactiver la dynamique anti-impérialiste qui avait permis à Hugo Chávez de demeurer au pouvoir. Les centaines de milliers de sympathisants descendus dans les rues de Caracas en 2002 pour exiger le retour du Comandante sont devenus un leitmotiv clef de l'épopée chaviste. Leur souvenir en tête, Nicolas Maduro a lancé un grand plan de « mobilisation populaire » dans les semaines qui ont suivi l'annonce du déploiement naval américain en mer des Caraïbes. Dès le 19 août, 4,5 millions de miliciens « d'auto-défense » sont mobilisés.

Ces dispositifs de « mobilisation populaire », axés sur la mobilisation de la population civile, ont été élaborés par Cuba durant la guerre froide, notamment au cours du débarquement avorté dit de la baie des Cochons (1961) avant d'être exportés à Caracas au cours des années 2000. Levier de contrôle pour le parti chaviste, ils se sont également convertis en réseaux clientélistes, permettant au pouvoir de drainer ses maigres ressources vers ses sympathisants.

« Guerre contre la drogue » et anti-impérialisme

Cette rhétorique de « guerre contre la drogue » est loin de constituer une nouveauté. Elle trouve son origine dans un discours du président républicain Richard Nixon, prononcé le 17 juin 1971, et faisant de la drogue « l'ennemi public numéro un », alors même que la Guerre froide bat son plein. Il s'agit à l'époque de combattre l'explosion d'un marché en plein essor – notamment celui du cannabis – accusé de menacer les valeurs « chrétiennes » et de nuire à la stabilité économique du pays.

Dans le sillage du discours de Nixon, la Drug Enforcement Agency (DEA, Agence Anti Drogue) est créée. Dans les années 1980 puis 1990, la « guerre contre la drogue » prend un tournant interventionniste, en particulier en Amérique latine, principal foyer d'exportation du cannabis, puis de la cocaïne depuis les Andes boliviennes et péruviennes. La Colombie, considérée comme le principal foyer de production et d'exportation de cocaïne, fait l'objet d'un ciblage particulier : ce sera le « Plan Colombie ». Il favorise la mise sous perfusion de l'armée colombienne qui doit désormais se dédier toute entière à l'éradication des cartels de Medellin et de Cali.

Cette « guerre contre la drogue » prend rapidement une autre tournure. En Colombie, comme au Pérou ou en Bolivie, elle est bientôt le prétexte d'une offensive menée par les États-Unis et la droite latino-américaine contre des organisations sociales et syndicales.

Le cas bolivien est particulièrement éclairant. Les années 1990 voient l'émergence dans le Chapare – l'une des principales régions productrices de feuille de coca, associée par les États-Unis à la cocaïne – d'un large mouvement paysan opposé à l'impérialisme américain, bientôt symbolisé par le leader syndical Evo Morales. Les cocaleros boliviens rejettent l'implantation de la « guerre contre la drogue » et réclament notamment le droit de cultiver la feuille de coca, dont la production se destine historiquement en Bolivie à un marché de consommation traditionnelle parfaitement légal. Ils réclament aussi la fin de la mainmise des Etats-Unis sur l'armée bolivienne, cette dernière étant largement acquise à leurs intérêts.

Les différents gouvernements de droite qui se succèdent en Bolivie mettent alors en place des mesures de répression et des campagnes d'éradication de nombreuses cultures traditionnelles de feuilles de coca. Plusieurs cocaleros meurent sous les balles de l'armée bolivienne, directement appuyée par la DEA. Ainsi, l'objectif initial de lutte contre le narcotrafic, se transforme bientôt sous couvert de « guerre contre la drogue » par un véritable programme de liquidation d'un mouvement paysan bolivien perçu à juste titre comme résolument anti-impérialiste.

La même logique se déploie en Colombie. Alors que le « Plan Colombie » se destine au départ à l'éradication des cartels de drogue de Medellin et de Cali, ses objectifs sont progressivement redéfinis par les gouvernements colombiens, avec l'assentiment des États-Unis. L'armée colombienne, mise sous perfusion économique par Washington, s'oriente rapidement vers l'éradication des guérillas aux discours « anti-impérialistes » aux prises avec l'État colombien, mais aussi de nombres d'organisations syndicales, sociales ou indigènes jugées complices des cartels de drogue, souvent sans fondement. De même, elle favorise l'apparition de groupes paramilitaires dans les campagnes du Magdalena Medio ou d'Antioquia, auteurs de nombreuses exactions à l'encontre des populations, et devenant eux aussi des acteurs centraux du circuit de la cocaïne. Progressivement, les acteurs de la « guerre contre la drogue » deviennent, avec les narcotrafiquants, les principaux responsables des atteintes aux droits de l'homme commis contre les populations civiles dans les années 1980 et 1990.

L'un des derniers bastions d'opposition aux États-Unis ?

Si le gouvernement de Nicolas Maduro se démarque, depuis son tournant autoritaire à la fin des années 2010, se démarque d'une gauche latino-américaine résolument progressiste et démocrate, le Venezuela demeure l'un des rares États latino-américains encore opposés à la politique étrangère américaine. Cette campagne massive de déstabilisation, qu'elle vise à un véritable « changement de régime » ou simplement à un affaiblissement de ce que les États-Unis perçoivent comme le pouvoir de nuisance du Venezuela au niveau régional, entend ainsi faire tomber l'un des derniers bastions de l'anti-impérialisme en Amérique latine.

Du reste, derrière la rhétorique actuelle des États-Unis se cache une politique anti-drogue incohérente. La principale route de la drogue à destination des États-Unis passe toujours par la Colombie puis par le Mexique, et non par les côtes vénézuéliennes. En termes de part dans la production mondiale de cocaïne, le Venezuela, qui ne figure même pas sur la liste des pays producteurs de substances narcotiques selon le Rapport mondial sur les drogues de l'ONU, fait bien pâle figure face à la Colombie, qui représente toujours 70% de la production mondiale de cocaïne, ou même face au Pérou et ses 20%, deux pays qui ne pâtissent pourtant pas des mêmes tentatives de déstabilisation. Le cas de l'Équateur est lui aussi particulièrement révélateur. Alors que la production et le trafic de cocaïne y ont explosé depuis la fin de la séquence progressiste entamée en 2006 par Rafael Correa et l'installation au pouvoir de Daniel Noboa à partir de 2024 – générant l'un des taux d'homicide les plus élevés d'Amérique latine : 47 pour 100 000 habitants en 2023 -, le gouvernement de droite néolibérale de Daniel Noboa fait toujours figure d'allié indiscutable pour les tenants nord-américains de la « guerre contre la drogue ». Une guerre qui fait rage depuis maintenant cinquante ans dans une Amérique latine toujours en lutte pour sa souveraineté.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Monocratie, nomocratie, régime démo-autoritaire… Sur le caractère unicolore du gouvernement caquiste

21 octobre, par Guylain Bernier, Yvan Perrier — , ,
La monocratie correspond à une « forme de gouvernement où le pouvoir effectif réside dans la volonté du chef de l'État » (Dictionnaire Le Robert). Manifestement, François (…)

La monocratie correspond à une « forme de gouvernement où le pouvoir effectif réside dans la volonté du chef de l'État » (Dictionnaire Le Robert). Manifestement, François Legault présente de plus en plus, par les temps qui courent, des signes inquiétants qu'il entend imposer ses choix et ses volontés à certains de ses ministres (Duranceau, Boulet et Jolin-Barrette notamment), à ses députéEs caquistes (qui vont voter pour l'adoption des lois voulues par le chef), aux députéEs de l'Opposition de l'Assemblée nationale et ultimement à la totalité de la population du Québec. En ce sens, il se comporte en pure et authentique monocrate. À l'horreur de ce gouvernement d'un seul homme s'ajoute la parole mensongère et insupportable d'au moins un de ses ministres les plus en vue en ce moment…

Du monocrate au nanocrate

Il s'agit de son ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. Au sujet de son projet d'inscription dans une éventuelle constitution québécoise du droit des femmes à l'avortement, il prononce des déclarations loufoques, ronflantes et complètement insignifiantes, lire même absolument débilitantes. Il est convaincu que l'inscription de ce droit dans un document législatif, pompeusement coiffé du titre de « Constitution », en ferait une chose immuable et intouchable par les prochaines et les prochains parlementaires. Pour ce qui est des éléments de démonstration irréfutables à ce sujet ? Ils se font attendre. Monsieur Simon Jolin-Barrette n'apporte aucun fait vérifiable ou incontestable ici. Il demande, autrement dit, à être cru sur parole. Au Canada, l'immuabilité constitutionnelle n'existe pas, sauf erreur de notre part, il ne semble y avoir que les droits ancestraux des autochtones qui semblent jouir d'une protection à l'épreuve du temps et des gouvernements changeants (voir à ce sujet les articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982). La preuve que des modifications constitutionnelles sont possibles au Canada la voici : le gouvernement du Québec est parvenu, en 1997, à faire modifier, avec l'assentiment des deux chambres du Parlement canadien et de l'Assemblée nationale du Québec, l'article 93 de l'AANB de 1867[1]. Nous en avons déjà trop d'avoir à endurer un monocrate. Il ne faut quand même pas nous prendre pour des cruches à remplir jusqu'à ras bord. Nous ne vivons pas encore dans une nomocratie, c'est-à-dire un régime dans lequel une loi s'avère fixée ad vitam aeternam, une fois pour toutes ou à tout jamais. Ce qui n'est pas le cas des lois en vigueur au Canada et au Québec. Il est même prévu, à l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982, une formule d'amendement concernant « la charge de la Reine ». Même le principe monarchique peut être modifié ou aboli éventuellement au Canada. S'imaginer que l'inscription du droit à l'avortement dans la « Constitution du Québec » protègerait ce droit à tout jamais, relève du domaine de la fabulation fantaisiste, d'une idée saugrenue, d'une illusion absurde et du mensonge grotesque.

Sur le caractère démo-autoritaire du gouvernement Legault

En cette dernière année d'exercice du pouvoir par François Legault, si personne ne l'arrête, ou le rappelle à la raison, nous semblons nous diriger vers un gouvernement qui présente les caractéristiques d'un État démo-autoritaire. C'est-à-dire, quand le groupe parlementaire majoritaire s'incline devant la volonté du chef du gouvernement, quand la direction politique du chef s'exerce de manière autoritaire (en voulant notamment interdire aux associations, aux groupes, aux organismes, etc., leur droit de contester devant les tribunaux certaines lois déclarées par le gouvernement comme protégeant la « nation québécoise »), il y a lieu de s'interroger sur la nature de ce pouvoir politique qui s'appuie sur des résultats électoraux largement minoritaires et décide de suspendre, au nom d'un principe discutable, le droit de contester certaines lois gouvernementales devant des juges. On peut se demander si la démocratie parlementaire ne prend pas alors une direction autoritaire, c'est-à-dire, pour être plus précis, une direction démo-autoritaire.

Sur la légitimité du gouvernement Legault

Il faut rappeler ici que lors de l'élection générale du 3 octobre 2022, sur 6 302 789 électrices et électeurs inscritEs, la Coalition avenir Québec a obtenu 1 685 573 votes (soit 26,74% des voix). Elle a fait élire 90 députéEs sur 125. Un résultat étonnant qui présente une distorsion aberrante. La CAQ a certes la légitimité de pouvoir gouverner, mais jusqu'à quel point peut-elle prétendre être l'incarnation de la voix du peuple ? À une certaine époque, la volonté du roi était réputée conforme à celle du peuple : Rex est populus. Il y a, par contre dans une démocratie élective, une limite à avoir à supporter une fiction sans mot dire et sans maudire… Il n'y a, en ce moment, comme depuis fort longtemps, en raison du mode de scrutin uninominal à un tour, aucune adéquation automatique entre la volonté gouvernementale ou celle du premier ministre avec la volonté du peuple. Jusqu'à quel point avons-nous à accepter les fantasmes législatifs ou constitutionnels d'un seul homme ? Nous ne sommes pas dans un régime de souveraineté absolue. Ce gouvernement moribond, qui est à la traîne dans les sondages, peut bien prétendre se référer à la nation, il n'en reste pas moins que nous sommes témoins d'une démarche de François Legault qui relève de la volonté chimérique d'un politicien provincial qui veut affaiblir les syndicats et se présenter, sur d'autres enjeux, en authentique pseudo défenseur des droits des femmes. Les alignements du premier ministre comptable et affairiste trouvent plutôt leur inspiration dans une pure volonté de commandement unilatéral, car tout porte à croire qu'en ce moment, hors de son point de vue et de ses croyances, point de salut !

Une réaction compréhensible néanmoins

Malgré les critiques avancées, auxquelles s'ajoutent notamment des tergiversations qui ont fait réagir (la saga du troisième lien), des investissements perdus (Northvolt), des dépassements de coûts excessifs sur certains projets numériques (SAAQclic) et des décisions sur l'augmentation de salaires des députéEs, avant de régler les conventions collectives, il y a lieu de reconnaître qu'aucun parti politique n'est parfait (ce qui inclut le nôtre). Mais c'est devant l'adversité que se mesure la valeur d'un parti. Autrement dit, les représentantEs de la CAQ, en premier lieu le premier ministre, ont alors le devoir de démontrer à la population québécoise à la fois leur humilité par rapport aux décisions prises qui ont mené à des résultats douteux et de contrebalancer le défaitisme à leur égard en mettant l'accent sur des réalisations positives autant passées qu'à venir. Un grand facteur joue malheureusement contre le parti, c'est-à-dire le temps. Dans l'empressement, les faux pas peuvent se produire plus souvent qu'autrement, d'où l'importance de choisir des objectifs avec finesse. Cela signifie donc d'identifier des projets en nombre limité, mais suffisamment importants pour attirer les regards et susciter la curiosité. Mais la tâche exige aussi d'établir un échéancier plausible, tout en exposant la justesse de la planification en cours qui mériterait d'être poursuivie par ses initiatrices et initiateurs déjà en position de pouvoir.

Si la démarche suggérée insinue en quelque sorte une stratégie de charme auprès de la population, une seconde partie exige de miser non sur l'image à communiquer, mais sur les compétences des personnes ; autrement dit, sur leur capacité à la fois de dresser les étapes d'élaboration des projets – de loi ou autres –, de définir les échéanciers et surtout d'expliquer, dans l'art de la communication claire, les raisons derrières ces initiatives. Ces raisons ne doivent pas simplement reposer sur ce qui est attendu, bien plutôt sur les effets recherchés au nom de l'État et de la société civile, tant du point de vue économique, certes, que du point de vue social et sociétal, ce qui devient présentement essentiel en situation d'incertitude provinciale, nationale et avec l'international, à laquelle s'ajoute la morosité exprimée à l'endroit de l'actuel gouvernement.

Sans conteste, la pente est ardue pour les caquistes. L'annonce d'une constitution québécoise semble donc faire partie des quelques projets sur lesquelles le parti mise afin d'attirer les regards et donc d'inciter une discussion. Or, le temps devient un facteur majeur qui peut créer l'inverse de ce qui est recherché. En restant abstrait dès le départ sur les étapes de la discussion, les échéanciers ainsi que la valeur ajoutée perçue et susceptible d'être désirée par la population québécoise, le ministre Jolin-Barrette dévie de l'idéal d'une planification qui donnerait plus de poids à sa démarche. Voilà les risques de l'empressement, alors qu'un autre projet aurait peut-être été préférable dans les circonstances. L'enjeu du temps crée en plus une tendance à vouloir tout mener de front, sans recul, ce qui donne l'impression d'un autoritarisme qui peut effectivement devenir réel. Cette poigne sert à qualifier ipso facto la personne placée à la tête du parti, à savoir le chef et premier ministre. Bien que cette situation ne soit pas désirée par le principal intéressé, ses actions prouvent le contraire et donnent du poids à l'explication par l'empressement, du moins en raison du contexte, en espérant qu'il ne s'agit point d'une volonté délibérément disposée en ce sens. Si les présidents et premiers ministres autoritaires semblent avoir la cote, avec tous les effets pervers sous-jacents, il y a lieu de se questionner sur le type de dirigeantE que souhaite avoir les Québécoises et les Québécois. Une déduction rapide voudrait que leur choix penche du côté d'une personne raisonnable, soucieuse du bien commun, apte à réagir devant l'adversité, mais jamais celle-ci ne devra brimer les droits et libertés des individus et des collectivités.

Néanmoins, il y a une réaction, même si certaines personnes la juge trop peu trop tard. Pour la CAQ, il s'agit d'être convaincante aux yeux de la population québécoise, peu importe les critiques journalistiques et autres. Reste à savoir si les projets associés à cette réaction peuvent résonner jusque dans les intentions de vote. À la lumière de la présente critique, il faudrait faire plus et mieux. Le projet d'une constitution québécoise ne peut se faire sans un grand débat, ce qui ne semble pas apparaître jusqu'ici dans les intentions de la CAQ.

Conclusion

Le projet de constitution comporte une disposition qui vise à neutraliser, voir annihiler, la possibilité pour certains groupes de contester juridiquement certaines lois votées par l'Assemblée nationale. Ceci, selon nous, ouvre toute grande la porte à l'arbitraire de la décision politique. Place dorénavant – si le projet annoncé est adopté – à l'absolutisme du « décisionnisme caquiste ». Le souci d'affirmation de la suprématie de la souveraineté (parlementaire ou non) risque de l'emporter sur celui de la gouvernementalité. Il fait de moins en moins de doute que nous sommes maintenant devant un gouvernement qui présente des signes inquiétants de « décisionnisme discrétionnaire » habité par de l'inimitié, de la haine et de la vengeance face aux organisations syndicales.

Il faut oser interroger la légitimité des fins poursuivies par le gouvernement Legault. La légitimité s'articule ou prend forme sur le consentement des citoyenNEs et, lors de la dernière élection générale au Québec, c'est légèrement plus d'unE électeurTRICE sur quatre qui a accordé son vote à la CAQ. Nous pouvons aussi nous demander qu'en sera-t-il des lois imposées unilatéralement – pour ne pas dire à la va-vite – par un gouvernement de fin de mandat, voire de fin de règne ? Le prochain gouvernement n'aura probablement pas d'autre choix que de « scrapper » (pour reprendre une expression de Jacques Parizeau) ce que le premier ministre – mal avisé en ce moment – veut imposer, le tout grâce à sa majorité parlementaire aux assises électorales fragiles et largement minoritaires.

Le gouvernement de la CAQ ferait mieux de faire adopter des lois pour combattre la crise du logement, la dégradation du climat, le sous-financement de l'éducation, la pauvreté qui atteint de nouvelles couches de la population et ce autant chez les personnes âgées que les jeunes, etc…

La droite que représente François Legault n'est pas l'incarnation du droit. Le droit implique le droit de s'adresser au juge qui elle ou lui aura à définir le juste, le légal ou le constitutionnel. Il découle de ce précepte que nulle ou nul, selon nous, ne doit voir son droit limité par le législateur de contester devant les tribunaux la constitutionnalité des lois adoptées par une législature ou un Parlement. Et nous ajoutons que le droit des femmes à l'avortement n'a pas besoin d'être inscrit dans une loi ou une constitution.

Dans son Testament politique, Richelieu a écrit ceci : « en matière d'État, qui a la force a souvent la raison ». Nous ajoutons et précisons à notre tour que le parti qui détient la majorité parlementaire n'a pas nécessairement raison dans les orientations qu'il veut imposer unilatéralement et arbitrairement à la population ou à certains groupes ciblés.

Terminons le tout par une brève remarque de Hobbes (1971, p. 717) au sujet de la tyrannie : « Le nom de tyrannie ne signifie rien de plus, ni rien de moins, que celui de souveraineté ».

François Legault semble vouloir profiter des derniers mois qui lui restent, à titre de premier ministre, pour agir en souverain… souverain tyran, au sens hobbesien bien entendu.

Yvan Perrier

Guylain Bernier

17 octobre 2025

22h

Note

[1] Il y a eu huit modifications à la Constitution du Canada depuis 1982 : « 1. Proclamation de 1983 modifiant la Constitution – Modification multilatérale sur les droits des Autochtones, selon la règle des sept provinces représentant 50 % de la population. 2. Modification constitutionnelle de 1987 (Loi sur Terre-Neuve) – Portait sur l'inscription dans la Constitution des droits des écoles confessionnelles des Assemblées de la Pentecôte à Terre-Neuve. 3. Proclamation de 1993 modifiant la Constitution (Loi sur le Nouveau-Brunswick) – A consacré l'égalité des communautés francophone et anglophone du Nouveau-Brunswick. 4. Modification constitutionnelle de 1994 (Île-du-Prince-Édouard) – A dégagé le Canada de l'obligation d'assurer un service de traversier à l'Île-du-Prince-Édouard une fois que serait achevée la construction du pont de la Confédération. 5. Modification constitutionnelle de 1997 (Québec) – A permis au Québec d'offrir un système scolaire linguistique plutôt que confessionnel. 6. Modification constitutionnelle de 1997 (Loi de Terre-Neuve) – A permis à la province de créer un système scolaire laïc. 7. Modification constitutionnelle de 1998 (Terre-Neuve) – A permis à la province d'abolir le système scolaire confessionnel. 8. Modification constitutionnelle de 2001 (Terre-Neuve-et-Labrador) – A changé dans les conditions de l'union de Terre-Neuve le nom de cette province, qui est devenu « Terre-Neuve-et-Labrador » (https://www.canada.ca/fr/affaires-intergouvernementales/services/sujet-canada.html. Consulté le 17 octobre 2025).

Références

Hobbes, Thomas. 1971. Léviathan. Paris : Éditions Sirey, p. 717.

Thucydide. 1966. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Tome I. Paris : GF-Flammarion, p. 151 (II : chap. LXVI).

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les élections municipales et l’oubli de Nooran

21 octobre, par Jonathan Durand Folco — , ,
Les élections municipales battent leur plein un peu partout au Québec, mais il reste un gros éléphant dans la pièce : la violence policière. Le cas récent d'un jeune tué par la (…)

Les élections municipales battent leur plein un peu partout au Québec, mais il reste un gros éléphant dans la pièce : la violence policière. Le cas récent d'un jeune tué par la police à Longueil a suscité beaucoup d'émoi dans les médias, avant de retomber aussitôt dans l'oubli, comme si rien ne s'était passé. Or, cet événement est particulièrement révélateur d'un angle mort de la politique municipale, y compris parmi les personnes qui se réclament d'une vision progressiste et inclusive.

16 octobre 2025 | tiré de Métapoliques | Photo : Des participants à la marche silencieuse en hommage à Nooran Rezayi ont déposé des fleurs à l'intersection des rues Joseph-Daigneault et de Monaco le 27 septembre 2025. Photo : Radio-Canada / Emma Guerrero Dufour.
https://metapolitiques.ghost.io/les-elections-municipales-et-loubli-de-nooran/

Beaucoup de choses ont été écrites sur Nooran Rezayi, cet ado de 15 ans abattu par un agent Service de police de l'agglomération de Longueuil (SPAL) le 21 septembre dernier. Cette tragédie est d'autant plus déplorable qu'elle était malheureusement prévisible, comme l'a bien souligne Philippe Néméh-Nombré dans sa lettre ouverte Il n'y a rien à espérer du BEI :

Tout était en place. Une construction de la jeunesse racisée comme menaçante, dangereuse. Un accès à l'espace public différemment distribué. Des voisins inquiets devant la menace perçue et la présence pour eux incongrue de ces jeunes, assez inquiets pour convoquer une institution, la police, dont la fonction historique est précisément d'assurer le confort de certains aux dépens d'autres. Et puis l'oreille tendue de celle-ci, sa capacité de tuer, son autorisation de tuer, sa rapidité à tuer.

Dans le cas spécifique de Nooran, un mystère demeure entourant sa mort. S'agit-il d'un "meurtre gratuit", considérant que le jeune n'était pas armé ? S'agit-il d'une d'une simple bévue policière, comme il s'en fait trop souvent avec les jeunes hommes racisés ? Certains témoignages affirment que Nooran aurait mis la mis dans son sac avant que le policier tire, mais un reportage troublant de Pivot met en lumière une autre version. L'avocate Sondes Jelassi relate que "durant toute l'intervention des policiers, ses mains étaient au niveau de ses épaules et son sac à dos était dans sa main." De plus, le policier était connu des jeunes du quartier, plusieurs ayant souligné son comportement problématique et raciste.

« Le monsieur qui a fait l'acte, qui a tué Nooran, il était connu des jeunes et plusieurs fois ils ont été intimidés par cette personne-là », explique aussi Hadjira Belkacem. « On a déjà eu des affaires avec ce policier-là, c'est-à-dire qu'on connaissait déjà le policier », affirme l'un d'eux. « J'ai eu une contravention, lui aussi a eu une contravention, et lui aussi à cause de ce policier. À chaque fois, il nous faisait des discours haineux, il nous insultait, nous criait dessus. » « Il faisait de l'abus de pouvoir », lance un deuxième jeune. « Il nous disait : “fermez-la, vos gueules”, à chaque fois, en nous visant, même », poursuit le premier.

Face à ce meurtre tragique et préoccupant, quelques enquêtes seront menées pour faire la lumière sur les événements. Il y a d'abord le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), qui est une institution maintes fois critiquée pour son opacité. Comme le souligne la professeure en sciences juridiques Aurélie Lanctôt dans sa chronique Qui surveille la police ? :

Depuis son entrée en activité en 2016, le mal nommé BEI est critiqué à la fois pour son manque d'indépendance, d'impartialité et de transparence. Dans ses communications publiques, le BEI choisit les faits qu'il met de l'avant pour appuyer les conclusions de ses enquêtes. La preuve administrée — par exemple, la version des événements d'autres témoins de l'intervention — , on n'y a pas accès. Des communiqués laconiques sont publiés, les policiers sont exonérés, on passe à un autre appel.

Faut-il faire confiance au BEI ? Selon un article de Radio-Canada, 467 enquêtes ont été mené depuis la création de ce bureau en 2016. "Deux d'entre elles se sont conclues par des procédures judiciaires en raison d'accusations criminelles, ce qui représente 0,43 % des enquêtes. Et aucune n'a conduit, pour l'instant, à une condamnation devant les tribunaux pour une personne tuée par un policier." Voilà qui est rassurant.

Parallèlement, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) mènera sa propre enquête pour savoir ce qui s'est passé durant les deux heures qui se sont écoulées entre la mort de Nooran et l'arrivée des agents du BEI. Encore une fois, ce sont des policiers qui enquêteront sur d'autres policiers. Pour sa part, le député solidaire Andrés Fontecilla a réclamé une enquête publique, et le ministre de la Sécurité publique, Ian Lafrenière, ne semble pas fermé à l'idée. Mais "il a toutefois précisé que ce serait seulement au terme des processus déjà en cours au BEI et à la police de Montréal (SPVM), si ces enquêtes ne vont pas au fond des choses." D'ici là, la CAQ aura perdu ses élections, et qui sait si l'ex-policier Ian Lafrafrenière ira rejoindre ses anciens collègues.

À ce moment-ci, il est naïf et même irresponsable de faire confiance aux corps policiers pour mener ce genre d'enquêtes. Nous devons nous tourner vers d'autres institutions, comme les municipalités qui ont une responsabilité directe vis-à-vis les services locaux de police.

La démission tranquille des municipalités

Les problèmes du profilage racial et des violences policières sont déjà bien connus, mais à peu près rien n'a été fait concrètement pour endiguer ces problèmes. Les élu·e·s municipaux n'hésitent pas à faire preuve d'empathie, par des messages de condoléances bien sentis, mais pour affirmer aussitôt qu'il faut faire confiance aux institutions, à la police et aux bureaux d'enquête qui ont maintes fois montré leur manque de transparence. La mairesse de Longueuil Catherine Fournier (que j'apprécie par ailleurs), a publié ceci sur sa page Instagram le 25 septembre :

Les proches de Nooran Rezayi ont besoin de réponses. J'ai écrit au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) pour exprimer ma préoccupation à l'effet que tous les détails pertinents concernant la mort troublante de Nooran devraient être entièrement communiqués au public au terme de l'enquête. La transparence est essentielle. Il en va de la confiance envers nos institutions.

On y voit là une déclaration empathique qu'il faut saluer, mais qui reste au niveau des gestes symboliques. Le professeur Ted Rutland, géographe spécialiste des violences policières, a mis en évidence la réponse laconique de la mairesse de Longueuil lors d'une séance du conseil municipal du 1er octobre 2025 :

Catherine Fournier s'est fait demander mercredi soir ce qu'elle ferait, concrètement, pour mettre fin à la violence policière. Le citoyen (Jean Christophe) a mentionné trois actions qui pourraient réellement réduire la violence policière : retirer la police des 80% d'appels 911 qui n'ont rien à voir avec le crime, désarmer la police, définancer la police et réinvestir dans les programmes communautaires. Mme Fournier a répondu que nous devons faire confiance à nos institutions publiques et qu'elle "réitère son plein soutien et sa confiance à la police, qui est extrêmement affectée et ébranlée" par le meurtre de Nooran.

On comprend certes la grande difficulté pour une élue de commenter le meurtre d'un ado sur son territoire en pleine campagne électorale, alors que l'enquête ne fait que débuter. Mais ce sont précisément ce genre de réponses vagues et convenues qui brisent le lien de confiance avec les élu·e·s d'une part, puis les communautés concernées et les groupes militants pour la justice sociale d'autre part. On fait preuve d'empathie, mais rien ne bouge. On réitère son entière confiance envers la police, alors que celle-ci met tout en œuvre pour préserver le système établi. Comme le souligne Ricardo Lamour dans une récente chronique, l'assassinat de Nooran n'est pas un incident isolé.

De Longueuil à Montréal, les "municipalités amies des enfants" se parent de labels, pendant que des enfants comme Péniel, Nooran, Nicholas et Ariel paient le prix du déni politique. [...] Cette accréditation de « municipalité amie des enfants » offre-t-elle vraiment les fondations d'une protection des enfants face à la violence d'État ?

Longueuil a reçu la certification "municipalités amies des enfants" décerné par l'organisme Espace Muni et UNICEF Canada en 2018. Comme beaucoup de certifications dans le domaine du développement durable et de l'écologie, le diable se trouve dans les détails ; il faut toujours se demander si les étiquettes méritent la confiance qu'on leur accorde, surtout lorsqu'on sait que c'est la logique marketing qui prime, en affaires comme en politique.

Longueuil n'est pas la seule ville dans cette situation. À Montréal, rappelons que la mairesse sortante Valérie Plante a reconnu l'existence du racisme systémique en juin 2020, puis a créé un Bureau de lutte contre contre le racisme et les discriminations systémiques en 2021. Ce fut là un gain important suite eu meurtre de Joyce Echaquan, des pressions des groupes militants locaux et des grandes mobilisations suivant l'assassinat de George Floyd aux États-Unis, dans un contexte de déni complet du racisme systémique par le gouvernement Legault. Après cela, notons la nomination de Fady Dagher comme directeur du SPVM en 2023, policier d'origine libanaise qui s'est démarqué par son approche innovante de police communautaire (le programme RÉSO) qu'il avait expérimenté à Longueuil quelques années plus tôt. Les choses ont-elles changé depuis ? Plus ou moins. Comme le souligne Ricardo :

Le chef Fady Dagher s'est longtemps vanté d'avoir instauré à Longueuil une culture policière plus humaine, mais il avoue lui-même que ses réformes, bien que suscitant curiosité et intérêt, se heurtaient à une forte résistance syndicale. Il faut voir toute la force du syndicat policier doté d'un immense pouvoir de pression sur les administrations municipales. Peut-être est-ce là aussi ce qui explique l'absence de véritables réformes en matière de répartition des ressources aux unités de l'administration. Les budgets policiers explosent année après année, au détriment du reste.

Cela ne veut pas dire que les administrations municipales ne font rien pour changer les choses en la matière. Elles tentent des réformes, souvent timides, qui n'osent pas remettre en question le puissant lobby policier qui exerce un pouvoir démesuré sur les villes. Ces mesures sont donc vouées à l'échec : il y a parfois des avancées mineures, mais au final, elles reproduisent le statu quo. C'est la fameuse "confiance envers les institutions" qu'on martèle, alors qu'il faudrait les bouleverser de fond en comble. C'est en ce sens qu'on peut parler de "villes démissionnaires", c'est-à-dire de municipalités qui n'osent pas mettre leurs culottes en matière d'encadrement des forces de l'ordre. Comme l'affirme Ricardo :

Les candidat·es municipaux évitent de se positionner sur les enjeux de fond – au-delà des timides communiqués suite à des tragédies humaines causés par leurs employés –, et de s'attaquer à ce qui relève de leurs véritables prérogatives, soit : l'adoption des budgets municipaux, l'orientation des conseils de sécurité publique, la reddition de comptes et l'encadrement des pratiques policières.

Cela n'est pas une fatalité, mais un choix politique. Comment peut-on "réformer la police" au-delà de belles déclarations solennelles ? Plusieurs propositions existent déjà dans la littérature académique et les milieux militants, et certains pays vivent déjà dans un monde où la police n'est pas aussi armée et dangereuse pour la population. Il est temps d'avoir un débat public sérieux sur les options existantes pour créer une société plus juste et décente, où les forces policières auront un rôle moindre à jouer pour assurer la sécurité publique.

Désarmer et/ou définancer la police ?

À quoi ressemblerait un programme progressiste en matière d'encadrement des forces policières ? Prenons l'exemple la plateforme électorale de Projet Montréal en 2025, à la section 3.3. Protéger tout le monde :

Combattre les violences faites aux filles et aux femmes : Pérenniser l'équipe spécialisée en violence conjugale du SPVM et soutenir l'hébergement destiné aux femmes victimes de violence et à leurs enfants, afin d'assurer un soutien rapide et concret.

Doter les policiers et les policières de Montréal de caméras corporelles : Renforcer la transparence, la responsabilité et la confiance entre la population et le corps policier en instaurant des caméras corporelles.

Augmenter les équipes mixtes avec civils : Améliorer l'efficacité des interventions des équipes mixtes policier·ères-civil·es formées au travail social pour mieux répondre aux situations impliquant des personnes en situation de vulnérabilité.

Réviser des règlements pouvant induire du profilage : Aller de l'avant avec la modification des règlements municipaux pouvant induire du profilage racial et social."

Voilà de belles réformes, pertinentes en soi, mais qui évacuent la reddition de comptes, la proportion du budget du SPVM par rapport au budget global de la Ville, l'armement des policiers et la question névralgique des interpellations. Rappelons d'ailleurs qu'en mai 2025, Fady Dagher n'a pas annoncé l'abolition des interpellations policières, mais une réforme de surface :

« Vous êtes libre de quitter. » Les policiers montréalais devront désormais aviser les citoyens interpellés qu'ils ne sont ni arrêtés ni détenus. Une mesure insuffisante aux yeux des défenseurs des minorités, qui accusent le SPVM de faire du profilage racial lors de ces interpellations.

De son côté, le parti Transition Montréal dirigé par Craig Sauvé va un peu plus loin dans son programme, qui "propose une sécurité publique centrée sur la dignité, la prévention et l'efficacité. Nous voulons mettre fin aux abus systémiques, créer un service civil pour répondre aux urgences sociales, et abolir les interpellations de rue discriminatoires. En contrôlant le gaspillage budgétaire du SPVM, nous réinvestirons dans des solutions qui rendent réellement nos communautés plus sécuritaires." Transition Montréal veut ainsi investir 25 millions$ annuellement en prévention, créer un service civil 24h/24 pour répondre aux appels d'urgence non criminels, instaurer un contrôle serré des heures supplémentaires du SPVM (40 millions$ par année en moyenne entre 2019 et 2023), et abolir carrément les interpellations policières. On touche enfin à la question du budget policier et à des réformes plus fortes.

Un autre point est amené par l'entrepreneur et chroniqueur Fabrice Vil qui remet en question le besoin d'armer la police ordinaire. Certains pays font ainsi le choix délibéré de limiter le port d'armes à des unités consacrées à certaines formes de crime, la majorité des agents de la paix travaillant sans fusil.

Une police sans arme à feu, est-ce envisageable ? Je conçois bien qu'un tel changement ne s'opère pas en claquant des doigts. Cela dit, je rappelle qu'on trouve ailleurs dans le monde des États, au Royaume-Uni par exemple, où les patrouilleurs ordinaires travaillent sans arme à feu, mises seulement à la disposition d'unités spéciales dans les situations exceptionnellement dangereuses. Ici, la question de l'armement des policiers mérite à tout le moins d'être débattue en plaçant en priorité la sécurité de tous.

Plutôt que d'avoir un débat binaire entre deux camps opposés, réclamant d'un côté l'abolition immédiate de la police ou du système carcéral, et de l'autre l'augmentation drastique du budget des forces policières et militaires pour restaurer la "loi et l'ordre", tout un monde de nuances est possible. Faut-il augmenter ou réduire le budget de la police, si on constate par ailleurs le sous-financement des services publics, du transport collectif, du logement social, etc.? Doit-on armer plus les policiers qui se retrouvent toujours plus militarisés, avec des drones et des équipements à la fine pointe de la technologie, alors qu'on continue de démanteler les campements de personnes sans-abri faute de ressources adéquates ? Comment assurer la sécurité dans le métro de Montréal, au-delà des mesures anti-flânage qui déplacent le problème au lieu de le régler ?

Faire bouger la fenêtre d'Overton

À nos yeux, il est essentiel de déplacer la fenêtre d'Overton vers la gauche en matière de sécurité publique. Qu'est-ce que cela veut dire ? Prenons le contre-exemple de l'extrême droite états-unienne. L'administration Trump mise sur une stratégie radicale de renforcement de l'État policier, que ce soit en triplant le budget de la police de l'immigration (ICE), en multipliant les camps de détention (ex : Aligator Alcatraz) et en envoyant la Garde nationale pour occuper militairement des villes démocrates comme Los Angeles, Washington DC, Chicago, et Portland, qui ont pourtant un taux de criminalité en baisse. Le but de Trump n'est pas seulement d'intimider ses adversaires politiques, d'exécuter son plan de déportations massives et de faire une démonstration de force, mais de normaliser la présence de l'armée, de la police et d'agents paramilitaires dans les rues. Bref, il cherche à "dédiaboliser" l'État policer, à le rendre acceptable pour la population.

Dans ce contexte de fascisme décomplexé, la gauche n'a pas intérêt à rester timide et à réclamer une simple "modération" des forces de l'ordre qui laisse la structure inchangée. En misant sur une stratégie centriste, on fait apparaître la situation actuelle comme "de gauche" ou un statu quo viable, tandis que la stratégie réactionnaire apparait comme source de "changement". Or, la situation actuelle est intenable, surtout pour les personnes noires et racisées comme Nooran qui paient les frais de notre inaction, de cette "démission tranquille" qui combine compassion et incapacité à réformer réellement nos institutions désuètes.

À l'heure où les différents paliers de gouvernement mettent en place des mesures d'austérité et sabrent dans les services publics (notamment le gouvernement Carney et le gouvernement Legault qui sortent leur tronçonneuse dans les derniers mois), il semble que deux postes budgétaires sont épargnés : l'armée et la police. Comme l'a remarqué le militant et chroniqueur Alexandre Popovic dans Pivot, le définancement de la police est le grand absent des élections municipales alors que leur budget ne cesse d'augmenter dans les grandes villes du Québec depuis 2020, avec une augmentation de 13,3 à 40,7%.

Plutôt que d'avoir peur des réactions du lobby policier ou de l'électorat, la situation politique appelle plutôt à la posture inverse : une forte dose de courage. Il faut faire bifurquer l'opinion publique dans le sens opposé, en montrant que la sécurité publique passera d'abord par un monde plus juste, la prévention des injustices et des mécanismes de sécurité menés par et pour la communauté. Le système policier actuel est désuet, conservateur, trop cher et inefficace pour réduire le crime. C'est à nous de le transformer pour rétablir un meilleur partage des ressources et une plus grande autonomie en termes de sécurité pour les communautés locales.

Il faut donc nommer un chat un chat. En matière de sécurité publique, Projet Montréal occupe une position centriste. Sans embrasser le discours sécuritaire ambiant qui nous pousse vers l'extrême droite, les réformes proposées sont timides. Un parti comme Transition Montréal va un peu plus loin, mais encore là, on reste à l'étape de réformes utiles et nécessaires, qui ne remettent pas en question le système policier. On n'est pas encore au niveau des revendications de la Coalition pour le définancement de la police créee en juin 2020, qui propose des mesures plus ambitieuses. Si des gens accusent encore Projet Montréal ou Transition Montréal d'être de "gauche radicale", alors ils n'ont rien vu. Il suffit de jeter un coup d'oeil aux 10 revendicationsde cette coalition :

  1. Définancer : Couper immédiatement au moins 50 pourcent des 665 millions de dollars du budget du SPVM pour rediriger les fonds vers des programmes et des services opérés par et pour les communautés affectées qui sont listées ici-bas.
  2. Désarmer : Bannir le port d'armes pour les agents de police, incluant les pistolets paralysant (Taser), les matraques, les armes à feu, les balles en caoutchouc, le gaz lacrymogène, le poivre de cayenne, les canons à son ; démanteler les unités de police militarisées, incluant les équipes SWAT et les autres unités qui utilisent des armes de types militaires et du matériel de surveillance.
  3. Décoloniser : Investir dans des modèles autochtones de justice et autonomiser les communautés autochtones afin qu'elles puissent utiliser ces modèles de justice pour répondre aux offenses commises au sein de leurs communautés ; favoriser la reprise du pouvoir d'autres communautés oppressées, telles que les communautés noires, afin de développer des approches similaires de justice.
  4. Investir dans des programmes créés et gérés par les communautés pour prévenir les torts (incluant les préjudices liés à la violence, aux problèmes de santé mentale et aux drogues) et supporter les initiatives de justice transformatrice ; habiliter les communautés à développer et gérer les programmes qu'elles jugent adéquats, dans la compréhension que les communautés ne sont pas monolithiques, subissent des axes d'oppression multiples et croisés, et requièrent un leadership et des programmes qui intègrent et utilisent une approche intersectionnelle (E.g. LGBTQ2S, handicap, travail du sexe, utilisation de drogue).
  5. Créer et subventionner des équipes de service non armées et externes à la police pour répondre aux crises reliées à la santé mentale et à l'utilisation de drogue, aux infractions de la circulation, à la violence sexuelle, aux infractions juvéniles et aux cas de personnes disparues.
  6. Investir dans des programmes et services, tels que des programmes de jeunes, des programmes récréatifs et des logements sociaux, dans des communautés présentement criminalisées ; donner les ressources à ces communautés pour qu'elles développent et gèrent des programmes qu'elles jugent adéquats.
  7. Décriminaliser toutes les drogues, le travail du sexe et le statut du VIH ; éliminer l'escouade anti-drogue du SPVM, l'escouade de moralité, l'unité Eclipse et les autres unités visant les communautés marginalisées, ainsi que tous les programmes de surveillance proactive ; libérer les détenus et supprimer les casiers judiciaires reliées aux drogues et au travail du sexe.
  8. Abroger les règlements administratifs reliés aux “incivilités” ; libérer et supprimer tous les dossiers reliés à ces règlements administratifs (incluant les amendes non payées), incluant celles reliées à la surveillance et aux contrôles dans les transports en commun.
  9. Retirer de façon permanente la police des programmes scolaires et sportifs, et cesser les patrouilles de police dans les parcs publics, dans les événements communautaires et dans les autres espaces typiques de rassemblement de jeunes.
  10. Mettre fin à la criminalisation et à la surveillance de l'immigration en éliminant toute collaboration entre la police et les agents de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et toute autre forme d'implication du SPVM dans des enjeux d'immigration.

Si on va encore plus loin dans la ligne de la "gauche radicale", j'ai récemment vu passer une initative visant à créer un parti décentralisé mettant de l'avant des réformes radicales pour Montréal : rejet du statut de métropole pour se sortir de la logique de ville internationale ; soutien aux luttes autochtones et allocthones ; dérèglementation complète de l'espace public (terrasses, parcs, raves, campements, salles de spectacles, rues) ; reprise des logements des mains des grands promoteurs immobiliers ; désarmer, définancer et démanteler le SPVM.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

L’impact des barrages hydroélectriques sur la vie nomade des Innus : conversation entre Justine Gagnon et Jean Luc Kanapé

21 octobre, par Jean Luc Kanapé, Justine Gagnon — , , ,
Justine et Jean Luc ont collaboré dans le cadre de la série balado Sous les barrages : Tshishe Manikuan, la première à titre d'idéatrice et chercheuse et le second à titre de (…)

Justine et Jean Luc ont collaboré dans le cadre de la série balado Sous les barrages : Tshishe Manikuan, la première à titre d'idéatrice et chercheuse et le second à titre de réalisateur. La série a été produite par Nikan Héritage.

14 octobre 2025 | riré de la lettre de l'IRIS
https://iris-recherche.qc.ca/blogue/autre/barrages-impact-communautes-innus/?utm_source=Liste+de+diffusion&utm_campaign=2421e8cd58-sous_la_loupe_20241114_COPY_01&utm_medium=email&utm_term=0_831b3c6b78-2421e8cd58-126405189

Justine : Jean Luc, on s'est connus toi et moi il y a une dizaine d'années maintenant, alors que je faisais ma thèse de doctorat en collaboration avec la communauté de Pessamit au sujet de l'impact des grands barrages hydroélectriques sur le mode de vie innu. À l'époque, tu possédais une entreprise touristique, Mashkuss aventure, dont les activités se sont brutalement arrêtées à la suite de l'inondation du site à l'automne 2017. Veux-tu nous rappeler ce qui s'est passé ?

Jean Luc : Effectivement, nous avons eu un une entreprise touristique à Pessamit qui s'appelait Mashkuss aventure. On avait débuté ce projet avec Kim Picard en 2015 sur la Pessamiushipu (rivière Betsiamites) et ça a fonctionné pendant près de 3 ans. En 2017, le site a été complètement inondé, une inondation provoquée par Hydro-Québec. C'était durant la période où la compagnie d'État poussait à pleine capacité ses barrages, dans le but de vendre cette énergie aux États-Unis, mais finalement ça n'a pas abouti.

Au moment de son élaboration, le projet d'interconnexion Northern Pass, piloté par Hydro-Québec et son partenaire américain Eversource, visait à acheminer, via une ligne traversant le New Hampshire, un certain volume d'hydroélectricité vers le Massachusetts (projet qui devait démarrer en 2020 et prévu pour une durée de 20 ans). Présenté par ses promoteurs comme un projet « vert », ayant pour but de réduire considérablement les émissions de carbone de la région américaine, Northern Pass a finalement été rejeté par le New Hampshire. L'État américain et Hydro-Québec ont par conséquent décidé de se rabattre sur le projet New England Clean Energy Connect (NECEC), piloté conjointement par Hydro-Québec et la société Central Maine Power, une filiale D'Avangrid. Ce projet prévoyait l'acheminement de l'électricité grâce à une ligne de transmission qui passerait cette fois à l'ouest de l'État du Maine. En 2021, un référendum citoyen du Maine a mené à la suspension des travaux, une décision contestée par Hydro-Québec et Central Maine Power.

On a beaucoup parlé des précipitations anormalement abondantes pour justifier le haut niveau d'eau dans les réservoirs. Il y avait eu quelques jours de pluie c'est vrai, mais à ma connaissance, rien qui ne puisse expliquer cette situation exceptionnelle. Ce n'était pas comme en 1996, lors du déluge du Saguenay. En réalité, les réservoirs étaient déjà à leur niveau le plus élevé, alors les quelques jours de pluie ont entrainé un débordement. Ils ont donc dû déverser les surplus par l'évacuateur de crue. Les infrastructures de notre entreprise sont malheureusement passées sous ce « tsunami » dans la rivière et on a tout perdu. Nous aimions beaucoup accueillir des gens, partager nos connaissances traditionnelles, pour apprendre à mieux nous connaître mutuellement. Il y a encore des gens qui ne savent pas qu'il y a des Innus, des Autochtones au Québec.

On s'est relocalisés sur le territoire depuis cet événement, en un lieu où Hydro-Québec ne risque pas de nous faire du mal. Mais malgré cela, je remarque de plus en plus de projets d'éoliennes autour de notre campement actuel. Ça n'arrête jamais autrement dit.

Justine : Pour moi, cet événement était une exposition sans équivoque des conséquences du développement hydroélectrique là où cette énergie prend sa source, soit, dans ce cas-ci, les rivières du Nitassinan de Pessamit. Dans les années 1950-60, la voix des Innus ne résonnait pas autant, mais en 2017, on ne pouvait plus tellement l'ignorer. Peux-tu nous parler un peu de ce que représentent les rivières pour les Pessamiulnuat ? Et la Pessamiushipu pour toi en particulier ?

Jean Luc : Les rivières, ce sont nos routes ancestrales, les voies qu'empruntaient nos grands-parents, nos ancêtres, pour rejoindre les territoires du Nord. Sur le Nitassinan de Pessamit, on parle des rivières Sault-aux-Cochons (Kuakueu shipu), Betsiamites (Pessamiushipu), aux Outardes (Piletipishtiku), Manicouagan (Manikuakanishtiku) et Toulnustouc (Kuetutinushtiku). Ma famille à moi fréquentait particulièrement la Pessamiushipu et j'ai donc plusieurs souvenirs d'enfance qui s'y rattachent. C'est là où mon grand-père pêchait le saumon et c'est aussi là qu'il amenait ses enfants à l'époque des pensionnats pour empêcher le gouvernement de les prendre de force. J'ai grandi sur la rivière. Mes grands-parents sont décédés quand j'avais huit ans, mais d'autres membres de la famille ont pris le relai ensuite. Au fil du temps, je suis littéralement tombé en amour avec cette rivière, mais il a fallu que je l'apprivoise, car la Pessamiushipu est très difficile à remonter, il faut avoir beaucoup d'expérience. Mais je voulais apprendre à naviguer sur ce cours d'eau, comme l'ont fait mes ancêtres, et je me suis débrouillé pour y arriver.

Depuis qu'on a perdu notre entreprise en 2017 et que je me suis installé plus au Nord sur le territoire, je ne remonte plus la rivière. Et elle me manque. On avait développé notre projet sur ses berges en raison de la beauté du lieu, de ses montagnes, de ses rapides, de sa faune. On y voit des orignaux, des ours et du poisson. C'est un endroit que je n'oublierai jamais, car j'ai grandi grâce à la rivière. Un jour j'y retournerai avec mes petits-enfants, c'est certain.

Justine : La relation que tu nous partages m'apparaît en dissonance avec le discours énergétique et économique qui domine, selon lequel la rivière est avant tout une ressource à exploiter. Ce même discours présente de surcroît l'hydroélectricité comme une énergie « verte » et « renouvelable ». Dans le balado Sous les barrages, on comprend que les rivières sont des lieux de vie, de naissance et de mort. Des espaces sacrés. Et ce qui a été perdu est loin d'être renouvelable.

Jean Luc : Effectivement, quand le gouvernement parle des rivières, c'est généralement parce qu'il est fier de promouvoir les grands projets d'ingénierie qui ont permis à des complexes hydroélectriques comme Manic-Outardes de voir le jour. Mais moi ce qui me brise le cœur dans tout ça, c'est qu'on a tout perdu : notre identité et notre culture, qui est en voie de disparaître aussi. Pour moi, ces pertes font partie du génocide culturel. C'est la continuité du projet colonial visant notre assimilation et notre disparition. Nous aussi, on utilise l'hydroélectricité aujourd'hui bien sûr, mais on pleure. La population pleure, mais sans vraiment savoir que c'est à cause des barrages. C'est plus que de perdre une rivière, c'est notre identité.

Justine : Tout ça explique les relations historiquement tendues entre les Pessamiulnuat et Hydro-Québec, bien que des ententes plus respectueuses soient aujourd'hui en négociation. Peux-tu nous parler un peu de l'entente sur le saumon dont il a beaucoup été question ? As-tu l'impression qu'on entre dans une nouvelle ère ?

Jean Luc : De mon point de vue, l'entente sur le saumon, comme beaucoup d'ententes proposées par Hydro-Québec, suscite des réserves et des suspicions au sein de notre communauté parce que c'est toujours perçu comme une façon de nous amadouer par d'importantes compensations financières.

L'entente sur le saumon est une entente de 23 millions de dollars proposée au printemps 2025 par Hydro-Québec à la communauté de Pessamit afin de protéger l'habitat du saumon et de restaurer les infrastructures sur la rivière Betsiamites. Elle se distingue d'une entente-cadre globale proposée en 2024 pour régler différents litiges historiques et rétablir la relation entre la Première Nation et Hydro-Québec.

Les gens de Pessamit ont, à ce jour, refusé d'entériner l'entente parce que la communauté ne voit pas les choses de cette façon. Il y a aussi une certaine désillusion du fait que certaines ententes passées ont eu des répercussions somme toute minimes pour les membres, en permettant par exemple la création d'emplois pour quelques personnes, mais pas un réel développement interne. Ce qu'on veut, c'est plus d'autonomie sur notre territoire et nos ressources et un plein exercice de nos droits.

Justine : Dans la dernière décennie, ton rôle de gardien du territoire a aussi pris de l'ampleur, particulièrement dans le dossier du caribou forestier. Et avec le PL97, la résistance autochtone qui s'organise, c'est un sujet qui est sur toutes les lèvres actuellement. Quelle est ta perspective sur ce dossier et sur ce qui se passe actuellement ? Le projet de loi 97 – « Loi visant principalement à moderniser le régime forestier » – donnait plus de pouvoir à l'industrie forestière. Il était dénoncé à la fois par les syndicats, les groupes écologistes et les communautés autochtones. Le gouvernement Legault a annoncé son retrait le 25 septembre.

Jean Luc : J'ai toujours été gardien du territoire dans l'âme, mais c'est seulement depuis 2017 que j'exerce ces fonctions dans le cadre de mon travail pour le Conseil des Innus de Pessamit. La première fois que j'ai aperçu un troupeau de caribou, je leur ai fait la promesse d'être leur porte-parole. Encore aujourd'hui,

je tiens ma promesse et c'est pour ça que je vis en territoire à temps plein. Quand j'ai décidé de me dédier entièrement à la protection du caribou forestier (Minashkuau atiku), il n'y avait personne pour parler des enjeux des caribous du Pipmuakan. En quelques années, j'ai réussi à mettre ce dernier cheptel sur la map. Et tout s'est enchainé. D'autres gardien·ne·s du territoire d'autres communautés se sont levé·e·s aussi, notamment dans le contexte du PL97, qui est selon moi inacceptable. C'est comme nous dire « enlevez vos vêtements, on part avec, vous allez être nus et n'aurez droit à rien, ce n'est pas vous qui menez ». C'est ce que je comprends dans le projet de loi. On s'est regroupé pour former Mamo Premières Nations, avec d'autres gardien·ne·s d'un peu partout. Et tout le monde a vu ce qui s'est passé cet été avec les divers blocus en territoire. On dit « blocus », mais on devrait plutôt parler d'« affirmation sur le territoire ». C'est une nouvelle ère pour les Autochtones ; nous sommes maintenant beaucoup plus visibles que le peuple invisible d'autrefois.

Beaucoup de Québécois·es commencent à reconnaître nos droits et je pense que la plupart sont nos allié·e·s. Et c'est ce que je nous souhaite, qu'on travaille main dans la main, ensemble. Des gouvernements comme la CAQ, j'appelle ça des dinosaures, car ils demeurent coincés dans un passé très lointain. Ils ne veulent pas évoluer sur les questions environnementales. Mais quand on vit sur le territoire, on devient plus conscient des enjeux, parce qu'on voit les saccages, le dérangement. Et ça concerne tout le monde. Je suis content de ce que les Gardiens du territoire ont fait jusqu'à maintenant. C'est juste le début et je pense que tout le monde va se lever un moment donné.

Justine : C'est vrai que les consciences s'éveillent sur la question des droits autochtones, mais certains principes semblent encore nébuleux pour certains comme le consentement préalable, libre et éclairé ou encore l'autodétermination. Ces éléments sont pourtant au cœur de notre cohabitation sur le territoire. Ils sont aussi garants d'un avenir commun, voire de notre survie comme humains dans le contexte de la crise actuelle. Comment tu envisages l'avenir et le vivre-ensemble ?

Jean Luc : Je pense que la cohabitation entre allochtones et Autochtones, telle qu'elle se déploie sur nos territoires ancestraux, peut nous servir d'inspiration à cet effet. Là où je demeure, il y a aussi des personnes allochtones qui y vivent à l'année. Quand je me suis installé ici en 2017, je sentais beaucoup d'appréhension et de peur ; les gens craignaient que je menace leur confort, que je dérange le territoire. Je suis donc allé les voir un par un pour discuter et, au fil du temps, ce sont devenus mes amis. Aujourd'hui, ensemble, on dénonce et on travaille pour améliorer notre cohabitation, être de bons voisins.

Ce ne sont pas les gouvernements qui vont sauver l'humain. C'est nous-mêmes, en prenant des décisions collectivement, en travaillant main dans la main. Pour moi, c'est le vrai sens de la « réconciliation » : survivre ensemble. Je le vis, le changement en territoire, la cohabitation possible. Il y aura toujours des personnes réticentes, qui ne veulent pas aller à notre rencontre, mais je suis convaincu qu'en travaillant ensemble, c'est nous qui allons changer le monde. Innu ça veut dire « être humain ». Donc normalement on devrait se comprendre.

Justine Gagnon est professeure adjointe au département de géographie de l'Université Laval.
Jean Luc Kanapé est membre de la Première Nation des Pessamiulnuat et Gardien du territoire pour le Conseil des Innus de Pessamit.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Quel avenir pour le financement des universités ?

21 octobre, par Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) — , , ,
Les universités québécoises dépendent plus des frais de scolarité pour boucler leur budget qu'en 2011. Alors que l'argent reçu des frais de scolarité a augmenté de 51 % entre (…)

Les universités québécoises dépendent plus des frais de scolarité pour boucler leur budget qu'en 2011. Alors que l'argent reçu des frais de scolarité a augmenté de 51 % entre 2011et 2023, le financement public n'a crû que de 13,2 %.

16 octobre 2026 | publication de l'IRIS | Photo : Groov3 (Wikipédia)

Pour lire la publication, cliquez sur le lien

« Ces chiffres peuvent étonner, considérant que le mouvement étudiant a quand même réussi à faire reculer le gouvernement sur la hausse des frais de scolarité en 2005 et en 2012.
Que s'est-il passé et qu'est-ce que ça veut dire pour l'avenir du
financement des universités québécoises ? »

– Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l'IRIS

En 2018, le gouvernement a décidé de déréglementer les frais de scolarité pour les étudiantes et les étudiants internationaux, ce qui a permis aux universités de charger les montants qu'elles voulaient aux personnes qui viennent de l'extérieur du Québec. Les universités peuvent aussi désormais conserver les montants supplémentaires plutôt que de les partager entre tous les établissements universitaires, comme c'était le cas avant.

Quatre ans plus tard, alors que la population étudiante québécoise a reculé de 5,2 %, celle des étudiant·e·s canadien·ne·s non résident·e·s du Québec a augmenté de 9,1 %, tandis que celle des étudiant·e·s provenant de l'étranger a connu une hausse considérable de 31,0 %.

Toutes les universités ne s'enrichissent pas autant. Si McGill empoche en moyenne plus de 25 000 $ par étudiant·e international·e, de plus petites universités, comme l'UQAR, l'UQAC ou l'UQAT ont vu leurs revenus par étudiant étranger diminuer entre 2019 et 2023.

« Clairement, le modèle de financement des universités ne fonctionne pas. Plutôt que de faire porter le poids du financement sur la population étudiante, il faudrait augmenter le financement public et ainsi en faire profiter l'ensemble de la population. »
– Eve-Lyne Couturier

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La mobilisation pour la Palestine de la jeunesse scolarisée à Montréal

21 octobre, par Emma Soares — , , ,
La semaine dernière, dans un amphithéâtre bondé du département de science politique de l'université de Montréal, se pose une question fondamentale pour la jeunesse engagée de (…)

La semaine dernière, dans un amphithéâtre bondé du département de science politique de l'université de Montréal, se pose une question fondamentale pour la jeunesse engagée de l'Association des étudiant.es en Science politique et Études Internationales de l'Université de Montréal : Allons-nous faire grève en solidarité avec la Palestine ?

15 octobre 2025 | tiré du Journal des Alternatives | Photo : crédit : SDHPPUDEM
https://alter.quebec/la-mobilisation-pour-la-palestine-de-la-jeunesse-scolarisee-a-montreal/

Une question qui retentit dans plusieurs assemblées étudiantes des collèges et universités québécoises et aussi mondiales, à peine cinq jours avant le 7 octobre. Une date qui marque les deux ans depuis les attaques du Hamas et le déclenchement des interventions israéliennes à Gaza.

Une mobilisation contre le blocus alimentaire

Si les étudiant.es du Québec sont encore prêt.es à se mobiliser, c'est contre le blocus humanitaire à Gaza et pour une fin paisible au conflit qui a fait entre 55 000 et 78 000 morts d'après une étude de Lancet. 45 000 étudiants et étudiantes sont concerné.es par cette grève, une mobilisation inédite qui rejoint les revendications étudiantes déjà annoncées l'année dernière.

Leur protestation avait même conduit à l'occupation du parc en face du campus de l'université McGill pendant plus de deux mois. Une action coordonnée à l'international où des milliers d'étudiant.es avaient occupé les locaux de leurs établissements à travers le monde. Le mardi 7 octobre marque également une date sombre : plus de 1 000 personnes sont tuées lors de l'attaque du Hamas en Israël. Beaucoup voient les grèves étudiantes comme une invisibilisation de la mémoire des victimes, mais pour les associations qui ont choisi cette date, c'est un rappel de l'escalade du conflit et non de son commencement.

À l'UdeM, toutes les associations étudiantes du département de science politique ont voté en faveur d'une grève les 6 et 7 octobre. Des piquetages devant les salles de classe et des protestations pacifistes devant le département se sont tenus pendant ces deux journées. Le journal des Alternatives était présent mardi 7 octobre pour discuter avec celles et ceux mobilisé.es du département.

Olivier Labrecque, trésorier de l'AÉSPÉIUM était présent pour piqueter pendant les deux jours de mobilisation et soutient l'aspect pacifique de l'évènement. En général, il y a eu peu d'opposition du corps professoral et étudiant. Pour sa part, le rectorat de l'Université peine à répondre aux revendications.

Une campagne contre tout investissement avec les entreprises israéliennes

Comme aux États-Unis et en Europe, les mouvements étudiants mobilisés demandent à leurs établissements de cesser tout investissement envers des entreprises israéliennes et celles qui font affaire avec le gouvernement. Ils demandent également de mettre fin à leur collaboration avec les universités israéliennes.

Des revendications semblables sont portées par la Fédération des Associations Étudiantes du campus (FAÉCUM) à l'assemblée universitaire du lundi 6 octobre. Le recteur de l'UdeM, Daniel Jutras, a eu l'occasion d'y répondre alors que le cortège de grève s'était rendu devant le bâtiment où il siégeait. La FAECUM et ses étudiant.es ont trouvé insuffisantes les justifications « bureaucratiques ». Les mouvements étudiants réclament plus de transparence sur les investissements de l'université.

En coordination transnationale

Les mobilisations font preuve d'une coordination transnationale. Les associations étudiantes ont envoyé des délégations pour rencontrer les personnes représentantes d'autres associations étudiantes universitaires. Elles ont échangé sur leurs propres expériences des actions organisées à vocation nationale et mondiale, même si la peur de la répression policière est toujours présente.

Aux États-Unis, les populations étudiantes mobilisé.es en soutien à la Palestine avaient subi la répression de l'Administration Trump de plein fouet. Des centaines d'arrestations ont eu lieu sur place et des milliards de dollars de fonds publics ont été retirés des établissements académiques pour les forcer à réprimer plus strictement leurs mouvements étudiants.

À l'UQAM, l'Association facultaire des étudiants en sciences humaines (AFESH) et l'Association étudiante de la faculté d'éducation (ADEESE) ont également voté en faveur d'une grève les 6 et 7 octobre.

Si les associations étudiantes se sont mises d'accord sur la même semaine de mobilisation, c'est aussi pour faire écho à la semaine d'action pour la Palestine organisée par Désinvestir pour la Palestine (D4P).

À Concordia, diverses associations étudiantes ont annoncé leur participation à cette mobilisation croissante les 6 et 7 octobre. Leurs motivations ciblent particulièrement les liens qu'entretient l'université avec des compagnies d'armement comme Lockheed Martin ou des groupes qui font affaire avec le gouvernement israélien.

Renforcer le boycott académique

À la suite des mobilisations de l'an passé, on observe une hausse de 66% du boycott académique contre Israël dans le monde. En 2024, le gouvernement israélien a dû allouer 22 millions de dollars de fonds pour compenser ses liens rompus avec les universités étrangères. Contacté par le journal des Alternatives, le rectorat de l'UdeM affirme reconnaître « le droit de la communauté étudiante à s'exprimer et manifester politiquement » mais ne souhaite pas se positionner plus amplement sur le conflit ou les revendications étudiantes.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Collectif pour un Québec sans pauvreté : contre l’exclusion sociale des personnes en situation de pauvreté

21 octobre, par Collectif pour un Québec sans pauvreté — , ,
Le Collectif pour un Québec sans pauvreté propose un outil de réflexion s'adressant aux personnes et aux groupes qui veulent agir à l'échelle municipale pour lutter contre (…)

Le Collectif pour un Québec sans pauvreté propose un outil de réflexion s'adressant aux personnes et aux groupes qui veulent agir à l'échelle municipale pour lutter contre l'exclusion sociale des personnes en situation de pauvreté. Il propose des pistes pour identifier des revendications ainsi que nourrir vos mobilisations et interventions dans le cadre des élections municipales et au-delà.

Tiré de L'info lettre de l'R des Centre de femmes et de Outil de réflexion du Collectif pour un Québec sans pauvreté

Informations générales

Le gouvernement municipal passe souvent sous le radar lorsqu'il est question de lutte à la pauvreté et à l'exclusion sociale. C'est surtout le gouvernement provincial qui administre les programmes de soutien au revenu, avec un certain apport du gouvernement fédéral.

Cependant, les gouvernements municipaux ont des compétences et des responsabilités qui ont un impact direct sur l'inclusion et l'exclusion sociales des personnes en situation de pauvreté. Le palier municipal est la plus petite échelle de gouvernement au Québec. C'est celui qui est le plus proche de la vie quotidienne.

Les contextes municipaux varient beaucoup à travers le Québec, particulièrement entre les très grandes villes, les villes, les banlieues et les milieux ruraux. Dans les petits milieux, les communautés tendent à être « tricotées serrées », ce qui peut présenter des avantages en matière d'inclusion et de solidarité. Cependant, le poids des étiquettes peut y être très fort.

La pauvreté en milieu rural peut être plus difficile à percevoir qu'en milieu urbain, et les élu∙es sont souvent moins outillé∙es pour en mesurer l'ampleur. Conséquemment, la lutte à l'exclusion sociale des personnes en situation de pauvreté est rarement prise « de front » dans les municipalités rurales : on préfère souvent parler de développement local ou de revitalisation.

Les contextes ruraux et urbains présentent également des différences marquées sur le plan de la politique municipale. Dans plusieurs municipalités rurales, les élections procèdent par acclamation (le nombre de candidat∙es étant égal au nombre de postes à pourvoir) et les élu∙es n'y sont pas nécessairement des politicien∙nes de carrière. Au contraire, dans les grandes villes comme Québec ou Montréal, les campagnes électorales sont des moments politiques très forts où s'affrontent des personnes politiques chevronnées aux plateformes très développées.

Les types d'intervention pour lutter contre l'exclusion sociale des personnes en situation de pauvreté dans nos municipalités doivent tenir compte de ces différents contextes sociaux et politiques.

(.........)

Cet outil de réflexion1 s'adresse aux personnes et aux groupes qui veulent agir à l'échelle municipale pour lutter contre l'exclusion sociale des personnes en situation de pauvreté.

Il propose des pistes pour identifier des revendications ainsi que nourrir vos mobilisations et vos interventions dans le cadre des élections municipales, et au-delà.

Qu'est-ce que ma Municipalité pourrait faire, ou pourrait faire mieux, pour faciliter la vie des personnes en situation de pauvreté ? Et qu'est-ce que ma Municipalité ne fait pas, ou ne fait pas suffisamment, et qui entraîne des conséquences fâcheuses pour elles ? Les préjugés ont-ils quelque chose à voir là-dedans ?

Comment ma Municipalité pourrait-elle améliorer les conditions de vie des personnes en situation de pauvreté ? Quels moyens concrets pourrait-elle mettre en œuvre pour y arriver ? À quelle(s) instance(s) dois-je m'adresser pour faire valoir mes revendications pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale dans ma Municipalité ?
Plus concrètement

Participation citoyenne

Qu'est-ce qui pourrait faciliter l'inclusion sociale et la participation des personnes en situation de pauvreté à la vie démocratique municipale ? Quelles ressources ma Municipalité pourrait-elle mettre à leur
disposition à cet effet ?

Espace public

Que pourrait faire ma Municipalité pour favoriser l'inclusion dans l'espace public ?

Lutte aux préjugés

Que pourrait faire ma Municipalité pour combattre les préjugés et mettre fin au profilage social des personnes en situation de pauvreté ?

Loisirs, culture, sport

Qu'est-ce que ma Municipalité pourrait faire pour assurer aux personnes en situation de pauvreté un meilleur accès aux activités sportives, aux loisirs et à la culture ?

Logement, transport collectif, internet

Qu'est-ce que ma Municipalité devrait faire pour s'assurer que les personnes en situation de pauvreté ont accès à des ressources qui répondent à leurs besoins ?

Environnement

Qu'est-ce que ma Municipalité pourrait faire pour réduire la pollution, notamment dans les quartiers économiquement défavorisés où ses impacts sont plus importants ? Que pourrait-elle faire aussi pour aider les personnes en situation de pauvreté à affronter les défis des changements climatiques (vagues de chaleur, inondations, etc.) ?

Pistes pour faire bouger les choses

Y a-t-il dans ma Municipalité des personnes déjà mobilisées autour de l'enjeu qui me préoccupe ? Existe-t-il un groupe ou un organisme qui milite pour cette cause ? Quel moyen serait le plus efficace pour faire connaître aux élu∙es de ma Municipalité l'enjeu qui me préoccupe, ou pour leur mettre de la pression en vue d'arriver à une solution ? Un communiqué de presse, de l'affichage, une lettre ouverte, une pétition, un rassemblement ?
Quelle(s) question(s) pourrais-je poser aux candidat∙es aux élections municipales pour les amener
à se prononcer sur l'enjeu qui me préoccupe ?

Pour en savoir plus sur la structure municipale et les enjeux démocratiques et sociaux à cette échelle, consultez le guide Élections municipales 2025 produit par le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (MEPACQ) :
https://mepacq.qc.ca/tool/elections-municipales-2025/

La Table nationale des Corporations de développement communautaire (TNCDC) a publié une plateforme de
revendications destinée aux candidat·es sur les thèmes de la crise socio-écologique, du logement social et de l'itinérance, du transport public collectif et adapté, du développement social local
et du vivre-ensemble :https://www.tncdc.com/publications/nospositionnements/
Note
1.
Il s'agit d'une mise à jour de l'outil développé à l'origine en 2021 dans le cadre des élections municipales.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

8528 résultat(s).
Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

gauche.media

Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

En savoir plus

Membres