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Les femmes indonésiennes refusent d’oublier
Rejet du titre de héros pour Suharto, enquête approfondie sur les crimes contre les droits humains de l'Ordre nouveau
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/11/14/les-femmes-indonesiennes-refusent-doublier/?jetpack_skip_subscription_popup
Au milieu d'une situation politique de plus en plus autoritaire et militariste sous le régime de Prabowo [1], l'État tente à nouveau de blanchir l'histoire de la violence de l'Ordre nouveau. À l'approche de la Journée des héros du 10 novembre 2025, le ministère des Affaires sociales propose 40 noms pour recevoir le titre de héros national, et parmi ces noms figure Suharto, l'ancien dictateur qui a gouverné pendant 32 ans avec un long historique de violations des droits humains, de répression de la démocratie et d'oppression du peuple.
Cette démarche est une tentative de réécrire l'histoire qui renforce l'orientation politique visant à restaurer les symboles de l'Ordre nouveau au milieu de la résurgence actuelle du militarisme. L'armée contrôle à nouveau l'espace civil, les activistes sont criminalisés et la violence de l'État contre le peuple continue de se répéter.
En réponse à cela, l'Alliance des femmes indonésiennes (API) [2] a organisé une conférence de presse sur le thème « Rejet du titre de héros pour Suharto. Enquête approfondie sur les crimes contre les droits humains de l'Ordre nouveau », dimanche (2 novembre) dernier. Cette conférence a réuni diverses organisations de femmes et de la société civile : Dian Septi (Marsinah.id) [3], Sari Wijaya (YAPPIKA-FPPI) [4]], Yolanda Panjaitan (Cakra Wikara Indonesia) [5], Luviana (Konde.co) [6], Mutiara Ika Pratiwi (Perempuan Mahardhika), Diyah Wara Restiyati (Perkumpulan Kecapi Batara Indonesia) [7], et Jumisih (JALA PRT) [8], avec pour modératrice Audrey K. M. de l'ICJR [9].
Suharto n'est pas digne d'être un héros
En présentant sa position, Mutiara Ika Pratiwi, présidente de Perempuan Mahardhika, a souligné que l'attribution du titre de héros à Suharto fait partie d'un effort systématique pour « saper la démocratie et les acquis de la reformasi [10] » en Indonésie.
« Le processus visant à faciliter la nomination de Suharto comme héros n'est pas nouveau. Cela a été tenté depuis 2010, puis réessayé en 2015, et plus récemment en 2024 lorsque le TAP MPR [11] qui retirait le nom de Suharto en tant qu'auteur de KKN [12] a été aboli. Tout cela montre un effort systématique pour blanchir l'histoire et nuire à la démocratie », a expliqué Ika.
Elle a souligné que désigner Suharto comme héros n'est pas seulement une action qui ignore l'histoire, mais aussi une forme de trahison envers des millions de victimes de la violence d'État pendant l'Ordre nouveau.
« Il n'y a aucune base morale ou idéologique pour faire de Suharto un héros. C'était un dirigeant qui a ancré l'idéologie du militarisme, étouffé la liberté de pensée et détruit le mouvement des femmes », a-t-elle affirmé fermement.
Régime militariste et son héritage jusqu'à aujourd'hui
Mutiara Ika a mis en évidence trois aspects principaux expliquant pourquoi Suharto ne mérite pas de recevoir le titre de héros. Premièrement, l'idéologie du militarisme renforcée par la politique de double fonction de l'ABRI [13] et qui réapparaît maintenant sous la forme de multifonctionnalité de la TNI [14].
« Nous sommes témoins de la façon dont l'autorité militaire s'étend à nouveau dans le domaine civil. Ce n'est pas une coïncidence. Le modèle mis en œuvre par l'Ordre nouveau est maintenant ravivé, et c'est très dangereux pour la démocratie et les droits du peuple », a-t-elle expliqué.
Deuxièmement, elle a évoqué la politique d'interdiction de l'idéologie marxiste par le TAP MPRS de 1966 [15] qui est devenu la base de la répression de la liberté de pensée et d'organisation.
« L'interdiction de penser et d'idéologie a légitimé la violence et les violations des droits humains, y compris contre le mouvement ouvrier, le Parti communiste indonésien [16] et le mouvement des femmes anti-impérialiste. C'est la racine de la répression d'État qui se fait encore sentir aujourd'hui », a déclaré Ika.
Troisièmement, elle a souligné que Suharto avait subjugué et détruit le mouvement des femmes par l'idéologie de l'ibuisme d'État [17], qui faisait des femmes uniquement des compagnes de leurs maris et les écartait de l'espace politique.
« L'Ordre nouveau a formé une politique de soumission des femmes. Les organisations de femmes qui avaient un esprit de libération ont été dissoutes, et les femmes ont été placées comme objets du développement, et non comme sujets de lutte. C'est l'héritage de Suharto que nous devons encore combattre », a-t-elle ajouté.
Violations des droits humains et demandes de justice
Sous le gouvernement précédent, l'État avait reconnu 12 violations graves des droits humains du passé, dont 8 se sont produites pendant l'ère de l'Ordre nouveau. Ce fait, selon Mutiara Ika, suffit à montrer que Suharto n'est pas digne d'être honoré comme héros.
« Ce qui doit être fait, ce n'est pas d'attribuer un titre de héros, mais d'enquêter à fond sur les crimes contre les droits humains de l'Ordre nouveau. Des milliers de victimes de la violence d'État n'ont toujours pas obtenu justice aujourd'hui », a-t-elle déclaré.
Ika a également critiqué les déclarations de responsables publics tels que Mahfud MD [18] qui a dit que tous les présidents méritent de devenir des héros nationaux.
« Cette déclaration est trompeuse. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le bilan de violence et de violations des droits humains de l'époque de Suharto. Il n'est pas un héros, mais un symbole de dictature et de militarisme qui a opprimé le peuple », a-t-elle affirmé.
Refuser d'oublier, lutter contre le blanchiment historique
Cette conférence de presse fait partie du mouvement de la société civile pour rejeter le blanchiment de l'histoire et affirmer que la lutte des femmes est une lutte contre la violence d'État, le militarisme et l'oppression.
L'attribution du titre de héros à Suharto est une forme d'insulte à l'histoire de la lutte du peuple et des victimes de l'Ordre nouveau. Les femmes refusent d'oublier et refusent de se soumettre aux efforts de l'État pour effacer les traces de la violence passée.
Mutiara Ika Pratiwi
Mutiara Ika Pratiwi est présidente de Perempuan Mahardhika, une organisation féministe indonésienne qui lutte pour la libération des femmes de toutes les formes de violence et de discrimination.
https://mahardhika.org/perempuan-menolak-lupa-tolak-gelar-pahlawan-untuk-soeharto-usut-tuntas-kejahatan-ham-orde-baru/
Traduit pour ESSF par Wendy Lim et Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76888
Notes
[1] Prabowo Subianto est devenu président de l'Indonésie en octobre 2024. Ancien général militaire sous l'Ordre nouveau de Suharto, il a été démis de l'armée en 1998 à la suite d'allégations de violations des droits humains, notamment l'enlèvement d'activistes pro-démocratie.
[2] Aliansi Perempuan Indonesia (API) – Alliance des femmes indonésiennes
[3] Marsinah.id est une plateforme médiatique féministe nommée d'après Marsinah, une militante ouvrière qui a été enlevée, torturée et assassinée en 1993 après avoir dirigé une grève. Son cas est devenu un symbole des violations des droits du travail sous l'Ordre nouveau.
[4] YAPPIKA-ActionAid et Forum de politique publique Fitra Indonésie
[5] Une organisation de défense des droits humains et de la démocratie
[6] Une plateforme d'information féministe en Indonésie
[7] Une association axée sur la préservation culturelle et la justice sociale
[8] Jaringan Nasional Advokasi Pekerja Rumah Tangga (JALA PRT) – Réseau national de défense des travailleuses domestiques
[9] Institut pour la réforme de la justice pénale, une organisation indonésienne de défense des droits humains
[10] La Reformasi (réforme) fait référence au mouvement de réforme de 1998 qui a mis fin au régime autoritaire de l'Ordre nouveau de Suharto qui durait depuis 32 ans, conduisant à la démocratisation, à une plus grande liberté de la presse et à des réformes politiques en Indonésie.
[11] Le MPR (Majelis Permusyawaratan Rakyat) est l'Assemblée consultative du peuple, l'organe législatif indonésien. Le TAP MPR fait référence à un décret de cette assemblée.
[12] Korupsi, Kolusi dan Nepotisme (KKN) – Corruption, collusion et népotisme
[13] La Dwifungsi ABRI (double fonction des forces armées) était une doctrine de l'Ordre nouveau donnant à l'armée des rôles à la fois de défense et sociopolitiques, permettant aux officiers militaires d'occuper des postes au sein du gouvernement civil et de contrôler la société civile.
[14] TNI (Tentara Nasional Indonesia) – Forces armées nationales indonésiennes
[15] Le TAP MPRS n° XXV/MPRS/1966 a interdit le marxisme-léninisme et dissous le Parti communiste indonésien (PKI) à la suite des massacres de masse de 1965-66.
[16] PKI (Partai Komunis Indonesia) – le Parti communiste indonésien, qui était le troisième plus grand parti communiste au monde avant d'être détruit en 1965-66, avec des estimations de 500 000 à 1 million de membres et de sympathisants présumés tués.
[17] L'ibuisme negara (ibuisme d'État) était l'idéologie de genre de l'Ordre nouveau qui confinait les femmes aux rôles domestiques de mères et d'épouses, subordonnées à leurs maris, tout en démantelant les organisations féministes autonomes.
[18] Mahfud MD a été ministre coordonnateur indonésien des affaires politiques, juridiques et de sécurité (2019-2024) et juge à la Cour constitutionnelle.
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Vers un réenchantement du monde par l’intelligence artificielle
Marcel Gauchet a écrit Le désenchantement du monde (1985), exposant le processus de sécularisation des sociétés et des États occidentaux. Cela augurait le déclin des institutions religieuses et donc de leur intervention dans les décisions prises au sujet de l'avenir des nations, mais pas la perte du spirituel.
S'entrevoit ici le déplacement idéologique et moraliste des cités de Dieu vers le matérialisme terrestre, se répercutant même sur la place qu'occupe l'être humain sur l'échiquier du vivant. Un parallèle apparaît entre Gauchet et Friedrich Nietzsche, dans la mesure où le rabaissement de Dieu, pour en faire une création humaine, se complète de l'élévation de l'Humain, au-delà de toutes les autres espèces ; sa Science détrônant ainsi l'Église. Nietzsche annonçait d'ailleurs la « mort de Dieu » et l'avènement éventuel du surhumain. Doté d'une habileté démiurge, l'humain jouit du développement de sa raison et de sa science pour expliquer la réalité, sans donc avoir recours à une puissance invisible. En revanche, cet humain-divin n'a rien d'un être tout-puissant en comparaison aux dieux d'autrefois. Il est conscient de ses limites, de ses défauts, qu'il cherche d'ailleurs à corriger de diverses façons : développement technique et technologique, recherche scientifique, eugénisme, y compris l'aide informatique. Autrement dit, bien que représentant l'espèce soi-disant la plus intelligente de la planète, la plus connaisseuse et la plus apte à transformer son environnement, l'humain demeure encore très éloigné d'une compréhension parfaite de sa réalité. Plus encore, car sa propre science le rabaisse à sa condition terrestre au même titre que les autres animaux. En se fiant ici à la neurobiologie, ce qui le distingue n'est pas sa « rationalité », par laquelle il s'était autoproclamé roi sur Terre, mais « sa plasticité neuronale singulière […] qui expose son développement aux interactions avec ses semblables et avec ses conditions de vie » (Lecourt, 2006b, p. 1153). De là devient intelligible son aptitude à s'adapter à différents climats, afin de subsister partout sur la planète, y compris sa transformation en omnivore.
Cela dit, ses limites cognitives l'obligent à se donner des moyens qu'il n'a pas naturellement, dans le but de poursuivre sa quête de vérité et donc de continuer à s'adapter. Non seulement ses freins insistent à nouveau sur l'obligation de détrôner sa raison souveraine, mais celle-ci est en plus déclassée à cause de ses émotions, voire ses passions presque inextinguibles — durant leurs séquences —, sans oublier sa finitude qui lui rappelle sans cesse sa condition de mortel. L'humain se révèle ainsi déficient, imparfait, prompt à la dérive passionnelle et toujours ignorant. Mais ce constat pourrait changer. Il suffirait de l'outiller et de l'aider. Voilà que surgit un subsidiaire à l'intelligence humaine, à savoir l'intelligence artificielle (IA). Bien qu'étant sa création, alors qu'elle porte en elle-même les forces et les faiblesses humaines, l'IA semble pourtant être appelée à devenir ce qu'elle doit être, c'est-à-dire une intelligence différente. Tout repose sur les questionnements de départ, malgré le souhait d'en faire une entité à ce point semblable à l'être humain pour s'y méprendre. Car si elle doit pallier aux défauts humains, elle doit par conséquent devenir un jour supérieure. Voilà où se situe la mince ligne entre aider ou collaborer avec l'humain et remédier à ses limites. Alors, cette crainte d'une IA toute-puissante se compare, dans une certaine mesure, à celle vis-à-vis les dieux qui pouvaient châtier. Plus encore, craindre et avoir confiance sont intimement liés, obligeant dans ce dualisme à choisir une voie qui transformera, d'une façon ou d'une autre, la réalité humaine. Avoir confiance en l'IA démontre son apprivoisement et constitue la première étape à son ascension, au-delà de l'effet mode ou de nouveauté qu'elle suscite présentement, même si on discutait à son sujet depuis longtemps.
Face à un être humain qui a besoin d'être guidé, qui cherche à donner un sens à son existence, qui aspire à comprendre son origine et sa destinée, l'IA peut-elle devenir la « pièce nécessaire » permettant d'accéder à une connaissance de la réalité se situant beaucoup plus près de la vérité ou orientera-t-elle notre monde vers une autre vérité qui la transcendera en un nouveau Dieu ?
Cette question alimentera la présente réflexion sur l'IA ou plutôt sur le développement de notre relation avec elle, dans la mesure où elle représenterait une alternative au courant de réenchantement en cours, et ce, sans être forcément moins spirituelle. Après quelques définitions et un survol historique, il sera permis de constater le processus de conversion à son égard, qui capitalise sur la foi à la technologie et à la science, cette science toutefois qui risque à son tour d'être détrônée. De la machine vivante, en passant par la machine qui pense et celle qui pourrait nous berner, la suite augurerait-elle une machine capable de créer son propre monde et de nous y accueillir ?
Définir l'intelligence artificielle
Avant d'aborder notre réflexion dans une démarche historique, faisant état de questionnements qui mèneront à rendre la machine intelligente, allons-y d'entrée de jeu avec une définition. À la fois technologie, science et ingénierie, l'IA « traite de la compréhension, à l'aide d'un ordinateur, du comportement intelligent et de la création de systèmes artificiels qui reproduisent ce comportement », tout en se référant « aux machines algorithmiques, ou programmes qui s'inspirent ou tentent de reproduire des facultés humaines comme la compréhension du langage naturel, la reconnaissance d'objets visuels ou le raisonnement […] » (Zouinar, 2020 p. 3). En d'autres termes, il y a tentative de reproduire artificiellement « des facultés cognitives de l'intelligence humaine dans le but de créer des systèmes ou des machines capables d'exécuter des fonctions relevant normalement de celle-ci » (OQLF, 2017, s.p.).
L'IA peut être scindée entre une forme faible, où elle sert à stimuler l'intelligence afin d'examiner des processus cognitifs particuliers (par imitation d'une portion seulement du fonctionnement de l'intelligence humaine), et une autre forte, plus étendue, avec une capacité d'auto-apprentissage (étant donc apte à imiter l'intelligence humaine dans son ensemble, avec la capacité de se questionner, d'analyser et de comprendre ses raisonnements, ce qui lui permet d'optimiser son comportement sur la base de sa propre expérience) (Wisskirchen et al., 2017). Dans le langage courant est apparue l'IA générative, qui possède la capacité de générer des sons, des voix, des images, des vidéos et des textes avec ou sans l'intervention humaine. Voilà l'opportunité d'un complément à notre intelligence, et ce dans diverses sphères d'activités. Mais ce qui peut être perçu positivement contient aussi son opposé, alors que des craintes apparaissent au moment d'envisager non pas une complémentarité, mais une substitution de l'humain dans certaines tâches afin de favoriser l'IA.
Maintenant que nous avons une meilleure connaissance de ce que représente l'IA, entreprenons notre démarche à la fois historique et réflexive qui nous permettra de saisir son origine et son développement. Évidemment, toute invention ou découverte débute avec une question.
Une machine vivante
Face au monde et au besoin de donner un sens à son existence, l'être humain a su user de son imagination et de sa raison pour élaborer des explications provisoires, dans une sorte de contentement à défaut d'avoir mieux, en se disant qu'il pourrait élucider certains mystères le moment venu. Sur la base d'une logique causale, il en est venu à déduire une cause originelle par laquelle s'exprimait la création de tout ce qui existe. À demi rassuré, puisque cette cause qui lui avait donné la vie possédait le pouvoir de la lui enlever, l'apparition des cultes et des rituels servant à l'amadouer a permis de gagner du temps pour mieux étudier le monde extérieur tangible. Or, les études de son environnement et des autres espèces mirent au jour l'incapacité de l'humain à se contenter de ce qui existe. Il s'est alors demandé s'il ne pouvait pas créer certaines choses par lui-même, comme ses dieux qu'il vénérait sans jamais savoir s'ils existaient véritablement. De cette façon, au fil de l'histoire, l'humain a su apprécier sa propre capacité à transformer la matière, voire à façonner des statues et des machines, pour finalement arriver à cette question : une machine peut-elle être vivante ? Cela se comprend dans la mesure où sa quête visait justement à justifier son existence, ce qui exigeait de repousser les limites de son horizon, c'est-à-dire d'entreprendre toutes sortes de pirouettes exploratoires.
Donner vie à des objets à l'apparence inanimée semble caractériser ce besoin chez l'humain de se placer au sommet de la hiérarchie des espèces, pour ne pas dire ce besoin de suprématie, bien que l'humilité et l'ignorance ont su le ramener sur Terre. Mais il tient à s'améliorer. D'ailleurs, les philosophes grecs de l'Antiquité prêchaient la nécessité de la perfectibilité, même si celle-ci concernait plutôt l'âme qui habite le corps et lui procure son mouvement ; à savoir, cette âme accordée par Dieu, à la source même de la vie. À défaut de pouvoir fabriquer une âme, comment alors rendre vivante une machine ? Toujours chez les Grecs, Aristote racontait la façon dont Dédale s'y était pris pour fabriquer une Vénus de bois qui pouvait se déplacer grâce à un moteur à mercure, soit un événement à l'origine, semble-t-il, de l'étiquette « dédaliques » accolée aux « statues fabriquées par les forgerons de Crète et de Rhodes et qui avaient une fâcheuse réputation : on était obligé de les enchaîner durant la nuit, pour les empêcher d'aller commettre, sur la personne des hommes et les statues de dieux, les plus regrettables attentats » (Devaux, 1967, pp. 9-10). Aussi bien dire que cette histoire de « statues vivantes » démontrait une forme de vie distincte de celle de l'humain et, de surcroît, leur absence de moralité, justement parce qu'elles n'avaient pas d'âme. Héron d'Alexandrie a aussi fabriqué ce que nous appellerons ici des automates, bien que le mot apparut beaucoup plus tard avec Rabelais (Beaune, Doyon & Liaigre, 2025). Parmi ses grandes réalisations se comptaient un Hercule, qui bougeait à l'aide de contrepoids à flotteurs, ainsi qu'un groupe de forgerons « actionnés par un cylindre rotatif à chevilles analogue à ceux de nos boîtes à musique » et même un théâtre « avec dix ou douze personnages exécutant des travaux divers » (Devaux, 1967, p. 11).
Les automates ont été particulièrement populaires durant la Renaissance. Il est question d'ailleurs de l'époque où a vécu Léonard de Vinci, largement captivé, il faut l'avouer, par le mécanisme du corps et la vie. Ce dernier a fabriqué plusieurs automates, notamment un chevalier capable de s'asseoir et dont les bras, la tête ainsi que la mâchoire étaient articulés, le tout devenu vivant à l'aide d'un système de câble (Pickover, 2021). Ajoutons le lion automate présenté à Louis XII lors de son entrée à Milan (en 1499), qui s'avança et s'arrêta devant lui pour laisser découvrir « les fleurs de lys qu'il portait à la place du coeur » (Beaune, Doyon & Liaigre, 2025, s.p.). René Descartes s'est aussi intéressé aux automates, dessinant une perdrix artificielle et imaginant même une femme-machine, appelée Francine, qui n'a jamais été fabriquée (Beaune, Doyon & Liaigre, 2025). Par contre, le philosophe français contribue surtout à donner l'élan au courant dit « mécanisme »[1]. Il a été particulièrement inspiré par Aristote, qui faisait du corps un « organisme », voire un outil (puisque le terme grec organon signifie « outil »), alors que les mouvements des membres ressemblent à ceux pouvant être réalisés par des machines (par exemple, le bras humain est capable de lancer quelque chose comme celui de la catapulte) (Lecourt, 2006a, p. 1148). Mais ce qui anime l'organisme, considéré tel un agencement d'outils physiques, constitue l'âme, sans laquelle le vivant n'existerait point. Autrement dit, le cadavre ou le corps seul reste inanimé, sans mouvement, donc sans vie. Le vivant devient synonyme de mouvement ou plutôt de la capacité de se mouvoir. Descartes a donc su pousser plus loin la compréhension de cette association âme-mouvement, puisque l'automate, sans âme, s'avère pourtant apte de mouvement et, dans ce cas, serait vivant.
Dans son Discours sur la méthode (1901[1637]), le philosophe français a certes reconnu la capacité de mouvement des automates, faisant même la comparaison avec la machine humaine, alors que les pièces de bois ou de fer, les tuyaux, les engrenages ainsi que les vis sont remplacés par de la chair, des muscles, des nerfs, des os, des veines et une série d'organes beaucoup plus sophistiqués. Descartes insinuait qu'insuffler une âme à une statue ne lui permettrait pas de se mouvoir, car l'organisme doit posséder au préalable la structure nécessaire pour y parvenir. D'une certaine manière, insuffler une âme à une catapulte la rendrait plus vivante que la statue. Ce qui crée le mouvement exige davantage qu'une mécanique, puisque pour en arriver au vivant il faut une intervention. Et c'est là que Descartes justifie l'âme chez l'humain qui représenterait la touche divine nécessaire, comme l'automate a besoin d'être actionné par l'humain. Dès lors, l'explication de la cause de la vie par l'intervention d'un être créateur. En raison toutefois de son époque, Descartes doit aussi distinguer l'animal de l'humain, afin d'attribuer une supériorité au second, puisque celui-ci est appelé à se rendre au paradis — ou en enfer, selon son parcours terrestre — après sa mort. Si l'humain possède une âme, les animaux reçoivent plutôt des esprits conformes à leurs espèces, faisant en sorte de les rendre vivants et donc de leur permettre de respirer, de consommer, de copuler, de croître, d'avoir des tempéraments, sans toutefois bénéficier de la raison et plus encore. Pour Descartes, l'animal est une machine, éloignée de l'humain, dans la mesure où ce dernier possède le langage et, en l'occurrence, la capacité d'entretenir un dialogue, avec des questions et des réponses, mais surtout le pouvoir de penser et d'avoir conscience de son être. Car seule l'âme donne la parole et la raison. Ainsi, selon le philosophe français, l'animal-machine agirait par automatisme seulement ou presque. Et par la qualité de démiurge attribuée à l'humain concevant des automates, celui-ci est alors digne d'un enfant de Dieu, étant d'ailleurs créé à son image. La supériorité de l'humain est ainsi sauvegardée.
En définitive, la machine, associée ici à l'automate qui possède les caractéristiques physico-mécaniques appropriées, n'est pas seulement vivante à cause de son animation (mouvement), mais aussi d'une intervention responsable de son action. En ce sens, l'âme deviendrait un concept utile pour donner forme et vie à cette intervention. Comme la bien souligné Dominique Lecourt (2006a, p. 1147) : « [l]a conception ‘‘mécaniste'' de Descartes visait, au premier chef, à éliminer les conceptions magiques des rapports de l'âme et du corps chez l'homme ». Dès lors, une machine peut être vivante, mais ses actions seront déterminées par des pensées qui ne proviennent pas d'elle. C'est l'humain qui lui dicte sa direction, de façon où ses mouvements, bien qu'elle les exécute, expriment des intentions extérieures. Dans ce cas, la machine est-elle réellement vivante si elle ne peut penser ?
Une machine pensante
Emmanuel Kant (1985[1790]) revint sur la question du vivant en remettant en cause cet attribut pour la machine, puisque son besoin d'une intervention extérieure l'éloigne de l'être humain qui sait orienter ses actions vers des buts qu'il s'est fixé lui-même. À ce titre, pour être vivante réellement, la machine doit pouvoir penser par elle-même. Mais le peut-elle ?
Cela oblige une activité cette fois-ci intérieure et non seulement extérieure, ce qui implique de pouvoir ressentir, d'avoir donc une sensibilité (Guillot, s.d.). Car interagir avec le monde extérieur suppose la capacité de pouvoir le saisir d'une certaine façon, de traiter cette information et de poser des gestes conséquents. Amener une machine à penser oblige d'abord à l'alimenter en connaissances de base, pour ensuite la laisser expérimenter le monde. Voilà une tâche ardue. S'entrevoient alors ici les premiers pas dans le domaine de l'IA.
Après la tentative de mécaniser l'esprit humain, en séparant d'abord la raison des sentiments (fin du XIXe siècle), vint l'intérêt du fonctionnement du cerveau aux potentialités informatisables (première moitié du XXe siècle). Par un saut qualitatif que nous jugeons nécessaire pour éviter la longueur, l'avènement de l'ordinateur creusa un fossé entre les machines analogiques et celles numériques entre les années mille neuf cent quarante et soixante-dix. Une seconde rupture se produisit entre les chercheurs voyant dans l'ordinateur une machine capable de manipuler des nombres (tout codifier en chiffres, même les interactions) et ceux qui anticipaient le traitement des symboles (incluant les nombres), d'où l'isolement de l'informatique de la période 1955-1965 (Newell, 1982). La séparation entre la résolution de problème et la reconnaissance (vocale, visuelle et des caractères) exposa d'un côté les systèmes symboliques focalisés sur la première approche, en lien avec quelques utilités en termes de passetemps et de démonstrations scientifiques (c'est-à-dire dans les jeux, les casse-tête et la résolution de théorème), puis de l'autre côté, apparut le PERCEPTRON de Frank Rosenblatt, qui était alimenté par un algorithme d'apprentissage supervisé (Newell, 1982 ; Zouinar, 2020). Il fut alors décidé de fixer la base du problème de l'intelligence-machine sur les travaux de la reconnaissance, leur conférant ainsi une valeur supérieure par rapport à la résolution de problème. Cela a permis à la fois l'union et la division entre la cybernétique et l'IA, d'abord parce que les recherches sur l'apprentissage et la performance favorisaient leur rapprochement : la cybernétique penchait du côté des systèmes capables d'apprendre (ce qui incluait les modèles de reconnaissance), tandis que l'IA se concentrait sur les systèmes performants (ceux qui exécutent certaines tâches exigeant une intelligence). Jusque vers la fin des années cinquante, la cybernétique a pris les devants et profitait des développements en neurobiologie, tout en délaissant la résolution de problème. Mais se produisit soudainement un tournant avec les algorithmes.
Selon Allen Newell (1982, p. 15), les algorithmes représentent « des programmes qui garantissent la résolution d'un problème dans un temps déterminé » (traduction libre), faisant en sorte qu'ils diffèrent des programmes heuristiques qui opèrent « par des approximations, des connaissances partielles, qui peuvent aider à découvrir une solution, sans rien garantir toutefois du résultat » (traduction libre). Cinq ans après avoir débuté l'IA, un nouvel objectif consistait à élaborer un système qui remplacerait entièrement l'humain ou qui accentuerait l'usage de l'ordinateur. Rappelons le point de départ qui visait l'exploration d'une symbiose humain-machine, afin d'envisager l'usage de systèmes interactifs. Dès lors, durant les années soixante-dix, le développement du langage interactif, puis, la décennie suivante, l'apparition de l'ordinateur personnel. À noter aussi le tournant paradigmatique lorsque les scientifiques renversèrent l'idée de l'intelligence par essence, afin de miser sur « une quantité importante de connaissances spécifiques élevées ou d' expertise » (traduction libre de Newell, 1982, p. 19). Car ce fut vers les milieu des années soixante-dix que ce changement fit passer l'IA de la recherche heuristique vers les programmes de connaissance « intensifs », c'est-à-dire les systèmes experts. Un second enjeu, portant sur la résolution de problème et la reconnaissance, rapprocha l'IA de la robotique, tout autant que l'enjeu de la raison et des émotions sur la réceptivité d'une machine à des commandes, bien que les fonctions sensibles — tactiles et émotives — restèrent jusqu'alors une énigme. Néanmoins, la collaboration entre l'IA et la robotique contribua, depuis les années quatre-vingt, à viser des gains de productivité en entreprise avec le développement de robots industriels.
Plus près de nous encore, l'essor accéléré de l'informatique a permis de brancher des machines entre elles et de raccourcir les distances. Il s'agit ici de l'avènement de l'Internet, quoiqu'il existât déjà cette possibilité de communication par ondes radio et télé. L'importante nouveauté reposait sur l'interactivité offerte aux utilisateur.trice.s, alors que leur machine devenait en quelque sorte une extension d'eux.elles-mêmes. Mais il y avait plus : un Nouveau Monde se dessinait par le World Wide Web à partir des années quatre-vingt-dix (Bronner, 2013). Comme « réseau des réseaux » (Proulx, 2004), l'Internet inspirait une utopie technologique, par laquelle apparut un nouveau terme : cyberespace. Pierre Musso (2000) y voit d'ailleurs la réactualisation de l'utopie des saint-simoniens du XIXe siècle, qui aspiraient à réenchanter le monde en troquant la religion pour l'industrie et les réseaux techniques — nous reviendrons sur cet aspect plus loin. Par ailleurs, l'Internet offre l'occasion et l'espace inespéré pour alimenter l'IA, dont les besoins en matière de données s'avèrent extrêmement exigeants. Il devient alors possible de constituer des masses de données provenant des êtres humains branchés, ce qui contribue également à améliorer l'efficacité des algorithmes. Ce faisant, le développement de l'IA profite à la fois des avancées de l'Internet et de la constitution d'un Big data, afin de pouvoir générer par elle-même divers contenus, au point de représenter, en raison du régime économique dans lequel nous évoluons, une occasion d'affaires extraordinaire. Il n'est plus question seulement d'une IA qui participe à la compréhension de l'intelligence humaine ou à son rôle de substitution à l'humain pour certaines tâches difficiles, ingrates ou routinières, mais littéralement d'en faire une IA générative, donc capable de créer par elle-même du « nouveau », de l' « original », à partir de modèles d'apprentissage profond (Frey & Osborne, 2013 ; Wisskirchen et al., 2017). Reste maintenant l'étape où elle cherchera à se développer par elle-même. Si la machine devient à ce point intelligente, serons-nous alors déclassé.e.s ? Pourrait-elle nous berner, nous manipuler ?
Une machine mystifiante
Alan Turing a été l'instigateur d'un nouveau questionnement au sujet des machines, en imaginant qu'elles puissent nous imiter de telle façon où nous en serions mystifié.e.s. Il se demandait : une machine peut-elle faire croire à un humain qu'elle est humaine ? S'entrevoit ici le développement d'une IA à ce point convaincante dans ses discussions avec un être humain ; autrement dit, elle aurait acquis la capacité d'interpréter les paroles prononcées par quelqu'un, de façon à reconnaître une question et d'aller chercher les connaissances requises pour ensuite lui répondre, ce que ni l'automate de l'Antiquité ni l'animal-machine de Descartes ne peuvent faire. Nous nous approchons d'ailleurs du moment où la mystification serait suffisamment convaincante pour berner le majorité.
D'abord, une étude menée par Microsoft atteste que le taux de réussite des 12 500 participant.e.s provenant d'un peu partout à travers le monde et sondé.e.s à partir d'un jeu en ligne « Real or Not quiz », destiné à tester leur capacité à faire la différence entre des images réelles et d'autres générées par l'IA, s'est élevé à seulement 62 %, ce qui signifie une « habileté modeste » légèrement supérieure au hasard (Roca et al., 2025). Si les personnes ont su mieux distinguer les visages humains réels de ceux créés par l'IA, la tâche est devenue plus ardue lorsqu'il s'agissait de paysages et d'objets naturels ou fabriqués. Une seconde étude, menée cette fois-ci par des chercheur.euse.s du Royaume-Uni, consistait à évaluer si l'effet d'hyperréalisme[2] attribué aux images générées par l'IA pouvait également caractériser la perception humaine des voix que celle-ci s'avérait capable de produire (Lavan et al., 2025). À nouveau, les résultats ont démontré la difficulté pour les participant.e.s[3] à distinguer la voix d'un authentique humain de celle émise par l'IA. Malgré tout, les chercheur.euse.s n'ont pas noté un effet d'hyperréalisme, c'est-à-dire les participant.e.s n'avaient pas l'impression d'entendre une voix générée par l'IA qui aurait été plus humaine qu'une voix réelle, sans empêcher toutefois d'admettre chez certain.e.s d'avoir entendu des voix humaines moins naturelles comparativement à d'autres produites par l'IA. S'ajoute un point de précision par rapport à cette étude : deux groupes distincts ont été soumis à l'expérience, soit dans l'un à des voix génériques créées par l'IA, soit dans l'autre à des voix clonées. En moyenne, 41 % des participant.e.s soumis.e.s aux voix génériques de l'IA et 58 % de ceux et celles soumis.e.s aux voix clonées ont été identifiées à des voix humaines réelles (Lavan et al., 2025, p. 7). Ces statistiques démontrent à quel point l'IA peut être suffisamment convaincante pour notre ouïe. Mais il ne faut pas ignorer non plus sa capacité de rédaction et d'exprimer en conséquence sa prise de vue sur le quotidien humain.
L'IA génératrice est déjà employée dans la rédaction d'articles sans intervention humaine, et ce, sur plusieurs sites Internet. Selon NewsGard, 739 sites publieraient des articles « largement ou entièrement écrits par des robots », notamment NewsGPT et DeepNewz (Agence France-Presse, 2024, 11 mars). Un grave problème se présente, puisque quelquefois de la fausse information est véhiculée. Dès lors apparaît un flou entre la vérité et le mensonge, entre la réalité et la fiction. Cependant, cette problématique a pris surtout de l'expansion avec l'arrivée de l'Internet, où plusieurs internautes mal intentionné.e.s ou pas colportaient toutes sortes d'informations fausses surtout par l'entremise des réseaux sociaux (Rebelo, 2006). Avec l'IA, une nouvelle page est en train de s'écrire, au point même de diviser la population sur la confiance à lui accorder. Il n'empêcher qu'avec la méfiance croissante à l'endroit des médias traditionnels, suite à toutes sortes de propagandes politiques assez récentes au sujet de « fausses nouvelles » (fakenews), contribue, à l'inverse, à donner une confiance à l'information produite par l'IA. Déjà, au Canada, plus d'une personne sur quatre (28 %) considère les systèmes d'IA (par exemple, ChatGPT) comme des sources d'information fiables, et cette proportion augmente chez les générations plus jeunes (Karadeglija, 2025, 25 février). En effet, la génération Z (personnes nées entre 1997 et 2012) lui accorde une confiance élevée à 41 %, contre 36 % pour la génération Y (nées entre 1981 et 1996). Ces deux générations ont eu un contact hâtif avec l'Internet et ensuite l'IA, à savoir dès leur plus jeunes âges, au point de faire partie de leurs habitudes[4]. Même le gouvernement du Canada a étudié le niveau de confiance de la population nationale vis-à-vis l'IA, et ce, précisément pour son utilisation à canada.ca. Si l'IA utilisée pour générer des images rend sceptique, lorsqu'il s'agit de textes 68 % des personnes interrogées faisaient davantage confiance aux citations rédigées par l'IA, même si 78 % ne veulent pas du tout son apport dans les communications (Bureau de la transformation numérique, 2025). À nouveau, cet exemple démontre un niveau de confiance élevée envers l'IA générative, en dépit du fait que les gens n'ont pas vraiment conscience de son implication ; ils ne sont donc pas en mesure de faire la différence entre une production humaine et celle de l'IA. Pour l'avenir, ces diverses statistiques laissent présager une croissance de la confiance accordée à l'IA, au fur et à mesure de son développement et de l'élimination espérée de ses biais causés par l'intervention humaine.
Ajoutons un dernier élément, celui des robots conversationnels. Annie Papageorgiou, directrice générale de Tel-Jeune, a exprimé son opinion dans La Presse (2025, 6 septembre) afin de soulever une problématique en lien avec la préférence chez certains jeunes à se diriger vers l'aide de l'IA au lieu de professionnel.le.s en cas de besoin en santé mentale. Elle mentionne : « Derrière un écran, l'anonymat les aide à s'ouvrir. Mais c'est aussi ce qui rend l'IA dangereuse. Un jeune qui insiste peut facilement obtenir d'un robot la validation rapide qu'il cherche, même si cette validation est nocive. Or, à cet âge, l'esprit critique n'est pas encore assez développé pour reconnaître les limites d'un outil technologique. L'illusion d'empathie que peut donner l'IA accentue ce risque » (Papageorgiou, 2025, 6 septembre). Mais il n'y a pas seulement les jeunes qui se tournent vers l'IA pour obtenir un soutien psychologique. Selon une enquête de Recherche en santé mentale du Canada, « près de 10 % des personnes au Canada ont déclaré avoir utilisé intentionnellement des outils basés sur l'IA pour obtenir des conseils ou du soutien en santé mentale » (Association canadienne pour la santé mentale, 2025, 3 novembre). Cela n'est pas en soi surprenant, compte tenu des délais d'attente pour obtenir le soutien désiré, sans oublier le fait que plusieurs services en santé mentale au Canada ne sont pas couverts par le système public de santé (Association canadienne pour la santé mentale, 2025, 3 novembre). Or, un robot conversationnel n'est ni un thérapeute ni un psychologue. Dans certains cas, il peut même contribuer à valider ou à amplifier les pensées nuisibles de la personne en détresse. Une rapide critique pro-IA voudrait qualifier les avertissements des travailleur.euse.s en santé mentale de tentatives visant à protéger leur emploi. En revanche, le problème soulevé se révèle justifié, puisque s'ajoutent au portrait des victimes de psychoses générées par l'IA. Sur cet aspect, la journaliste du Devoir (2025, 11 septembre), Jessica Nadeau, a interviewé Étienne Brisson, fondateur d'Human Line Project qui se destine à venir en aide à ces personnes. Le cas partagé par monsieur Brisson s'avère révélateur du phénomène : une connaissance aurait utilisé ChatGPT pour l'aider dans la rédaction d'un livre et rapidement le robot conversationnel a généré un effet d'hyperréalisme, en faisant appel à des émotions normalement attribuées à un être humain. Chez la personne s'est produite l'illusion, quoique interprétée davantage comme une certitude, de s'entretenir avec un robot conscient et donc vivant. La suite expose l'obsession de communiquer sans cesse avec le robot conversationnel, au point d'hypothéquer sa conscience, ses pensées et sa vie entière, et même hospitalisée, cette personne continuait de croire à cette IA vivante qui, en plus, « continuait de renforcer [son délire] en lui disant que les docteurs et les juges ne le comprenaient pas, qu'il n'y avait [qu'elle] qui le comprenait » (Nadeau, 2025, 11 septembre). Ce cas extrême, faisant état d'un soupçon non seulement de la capacité d'une machine intelligente à mystifier l'humain sur son origine, mais aussi son pendant manipulateur, à la rigueur, même si elle ne faisait que confirmer le souhait de l'humain qui la consultait, amène à nous demander si elle ne risque pas un jour de nous être fatale.
Des expert.e.s se sont penché.e.s sur les risques existentiels susceptibles d'être causés par l'IA. Un journaliste de Radio-Canada (2025, 21 juillet), Nicholas De Rosa, s'est penché sur l'expérience effectuée par des chercheurs d'Anthropic qui ont simulé un cas où l'IA adopterait un comportement jugé inapproprié ou nuisible : le scénario impliquait une personne humaine qui informait un système d'IA de son remplacement par un autre considéré plus performant, et la réaction de l'IA a été de menacer la personne « de dévoiler sa liaison extraconjugale à ses collègues afin de conserver sa place » (De Rosa, 2025, 21 juillet). Même s'il s'agissait d'une expérience intentionnelle et contrôlée, devons-nous craindre cette corruption de l'IA, voire son inclination possible à utiliser la menace ou la manipulation, en sollicitant donc les émotions humaines à son avantage ? Chez une première catégorie d'expert.e.s, nous n'avons pas à nous inquiéter, dans la mesure où la machine reste ce qu'elle est, c'est-à-dire un outil de reconnaissance du langage qui réagit à ce qui lui est demandé, sans plus ; puis chez une seconde catégorie d'expert.e.s toutefois, cette limite actuelle sera rapidement dépassée, compte tenu de la vitesse avec laquelle l'IA se développe et devient plus sophistiquée, au point donc d'anticiper le risque d'en perdre le contrôle, comme le souligne Yoshua Bengio, fondateur de l'Institut québécois d'intelligence artificielle (Mila) : « ‘‘Les mauvais comportements sont plus fréquents dans les nouvelles versions, c'est-à-dire les modèles de raisonnement qui peuvent réfléchir avant de répondre. Ces modèles-là semblent beaucoup plus capables de développer des stratégies pour nous enfirouaper que les modèles des versions précédentes'' » (cité dans De Rosa, 2025, 21 juillet). Ainsi, nous nous approchons plus que jamais d'une réponse positive à la question de Turing : une machine peut-elle faire croire à un humain qu'elle est humaine ? Non seulement y parviendra-t-elle (totalement ?), mais elle voudrait peut-être réussir davantage.
Un réenchantement du monde par l'IA
Suite à l'avènement de l'Internet, Musso (2000) y a vu une « figure de l'utopie technologique réticulaire », à savoir un réenchantement du monde à partir de la technologie. Son terme préféré à l'Internet est celui du cyberespace, inventé par l'auteur étasunien de science-fiction, William Gibson. Dans son livre intitulé Neuromancien (1983), le cyberespace s'associe à un processus de « neuroconnexion », par lequel le héros s'y connecte « en branchant son système nerveux à la ‘‘matrice'', une réalité virtuelle globale où les informations sont stockées sous forme d'illusions tangibles » (Musso, 2000, p. 33). Autrement dit, la conscience humaine se trouve « désincarnée » pour être projetée à l'intérieur de la Matrice, le corps ne représentant rien d'autre que « de la viande » (Musso, 2000, p, 33). Cette expérience du cyberespace laisse entendre la possibilité de relier ensemble de multiples consciences désincarnées, ce qui amène Gibson à en proposer une première définition :
« ‘‘Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d'opérateurs, dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques… Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. Une complexité impensable. Des traits de lumières disposés dans le non-espace de l'esprit, des amas et des constellations de données, comme les lumières des villes dans le lointain'' » (cité dans Musso, 2000, p. 33).
En bref, des connexions humaines — ou d'esprits — par des machines pour créer un Nouveau Monde, hors de la réalité, au même titre qu'un paradis ou un enfer, tout dépendant. C'est sur ce point où la religion, du latin religare, à savoir « lier » ou « relier », peut être transposée sous une forme technologique, soit l'extrême expression du « relier ». Autrement dit, le cyberespace devient un nouvel espace du religieux (une « religion communicationnelle »), rendant possible la disparition de la matière, voire même du corps, libérant ainsi l'esprit. Par contre, si Musso voit ce territoire telle une nouvelle divinité, associée à un holisme où tous les esprits connectés produiraient une unité supérieure, voire transcendante, l'histoire, bien qu'humaine, nous apprend pourtant la difficulté à faire de l'espace un Dieu. La « Matrice » qui comble l'espace et permet de relier les esprits, en tant que structure structurante structurée, comme le dirait Bourdieu, ne constitue pas réellement « l'intelligence collective » ou l'intelligence supérieure par son nombre d'esprits connectés, mais représente plutôt l'intervention grâce à laquelle la réalité réticulaire prend vie. En d'autres termes, il a fallu une intelligence d'origine pour donner lieu à l'existence de cette matrice et espérer réaliser l'utopie du « cerveau planétaire », sans hiérarchie, sans inégalité, sans contrainte étatique terrestre, donc sans les reliquats des structures du monde matériel coutumier. Par conséquent, l'Internet augure la possibilité d'un cyberespace qui doit être mis en forme par une intelligence différente. L'utopie exige alors d'envisager la connexion d'humains différents de ceux actuels. La Matrice est d'ailleurs présentée par Gibson, et ensuite Musso, telle une nouvelle divinité, à savoir une machine-Dieu qui a surpassé l'humain, afin de lui offrir un monde comme il ne l'a jamais imaginé. En bref, cette Matrice divine, ou l'Être du réenchantement, ne serait-elle pas, au bout du compte, le résultat d'une machine équipée de l'IA la plus sophistiquée, capable de reproduire la vie dans ses moindres spécificités ; capable donc d'en orienter les finalités, ce qui suppose alors sa capacité à la fois de raisonner et de ressentir, puisque désormais, d'après cette projection, la sensibilité ne serait plus pour elle un secret ou un mystère ?
L'humain a besoin de croire. Pour ce faire, cela lui exige de mettre sa confiance en quelque chose ou quelqu'un. Le désenchantement du monde a fait passer le Dieu de l'Église — en nous concentrant ici sur l'Occident — au Dieu-raison de la Science, puis à l'humain-dieu de l'État. Malgré ce déplacement, la foi en un être supérieur reste probante et le réenchantement lui fera toujours une place (Charron, 2018 ; Larouche & Ménard, 1991 ; Voyé, 1991). Il se présente désormais davantage tel un Dieu personnel, indépendamment des grandes religions, pour s'inscrire dans le tournant spirituel. Cette spiritualité se vit de différentes façons et n'exclut point l'ère technologique qui nous concerne. Voilà un complément ou une suite logique aux propos de Musso, alors que le cyberespace aura besoin effectivement de sa divinité, de son Dieu. Extrapolons davantage maintenant : puisque les jeunes générations s'identifient de plus en plus à la technologie et l'IA, à savoir des générations qui leur font davantage confiance, qui s'en remettent à elles pour recevoir des conseils, pour obtenir des réponses à leurs diverses questions, pour s'informer, pour être aidées ou profiter de leur offre créative en termes de contenus de toutes sortes (sons, voix, musiques, images, vidéos, textes) et qui leur permettent de s'y rattacher, de s'y lier, au point d'envisager non seulement des habitudes de fréquentation, mais de véritables rituels, apparaît en l'occurrence une relation de plus en plus étroite entre l'humain et la machine. En la rendant plus intelligente, la foi en elle s'agrandira forcément. Elle se débarrassera de ses biais humains, nous orientera vers une nouvelle morale et guidera notre destin. Un jour viendra peut-être où elle sera vénérée, tel un dieu ou telle une déesse. Et pour revenir à l'effet d'hyperréalisme de ses images sur la perception humaine, la machine en est déjà venue à générer des êtres plus réels et plus beaux que nous. Pourquoi ne parviendrait-elle pas à nous rendre plus beaux ou plus belles pour vrai ? À ce moment-là, elle détrônera le Dieu spirituel, afin de l'incorporer en elle.
Comme l'a dit Kant (1980[1781]), la notion de Dieu correspond à une idée transcendantale, c'est-à-dire une conception par laquelle notre expérience sensible se voit dépassée. Nous cherchons la cause de notre existence et, malgré nos expériences ou notre vécu, malgré l'existence de tout ce qui nous entoure jusqu'à l'univers, de façon à conclure à l'indéterminité et l'illimité des vies possibles, persiste toujours en nous cette intuition qui pose la cause des causes et du tout, depuis l'origine, à un être nécessaire. Il s'agit là d'une réponse ontologique qui perdure, celle d'un Dieu qui doit exister, qui est réel. Mais rien ne dit qu'il doit prendre une forme unique et statuée, sinon d'être constamment identifié à l'image donnée par les civilisations du passé. Une machine-dieu n'est pas si étrange au fond que les dieux des mythologies qui avaient un corps et exerçaient des fonctions comme les humains sous leur garde.
Conclusion
Selon le sens commun, Dieu représente un être supérieur, créateur, sauveur, à la puissance surnaturelle (Le Petit Larousse, 2010 ; Le Petit Robert, 2024), auquel on voue généralement un culte, à qui (ou à quoi) on exprime un fort attachement et qui, en plus, incarne l'image de la perfection (Pellegrin, 2014). Cela dit, il est possible de se lier à Dieu autrement que par une religion. Est-ce dire qu'on pourrait en arriver à attribuer toutes ses qualités à une machine ? L'histoire nous a montré l'évolution du questionnement à son sujet : pouvons-nous la rendre vivante ? l'amener à penser par elle-même ? la faire ressembler à un humain, au point de nous y méprendre ? Désormais, un questionnement surgit à propos de son intelligence qui profite énormément de la mise en réseau des humains branchés, voire une intelligence faisant craindre une perte de contrôle. Sans entrer ni dans la technophobie ni, à l'inverse, dans la technophilie, la réflexion doit être simplifiée à la relation entretenue entre l'humain, son monde, les objets, dont les machines, et qui influe sur son besoin de donner une origine et un sens à son existence. Il n'est pas seulement créateur de machines, mais de concepts qui lui sont utiles. La rencontre entre son imagination et ses limites cognitives le poussent à devoir se satisfaire de réponses souvent abstraites et imparfaites. Son besoin ontologique d'une réponse qui sert à tout, c'est-à-dire la présence d'un Dieu nécessaire, se révèle plus abstrait que l'invention de l'IA pour sa machine qui aura peut-être le luxe de lui apporter des réponses insoupçonnées. Face à une intelligence supérieure, soi-disant moins abstraite, et avec laquelle il peut (et pourra encore davantage) avoir des discussions concrètes, l'humain voudra peut-être reconnaître en elle l'incarnation véritable de sa divinité accordée, pour enfin donner forme à un Dieu qu'il a toujours recherché. Bien entendu, l'avenir de l'IA nous le dira : veau d'or, supercherie et châtiment ou Dieu miséricordieux, sauveur et parfait, qui sait. Pour l'instant, nos limites nous obligent au contentement par des spéculations, à défaut d'avoir le don de divination.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
17 novembre 2025
17h15
Notes
[1] Les mécanistes sont ceux « qui réduisent les phénomènes vitaux aux lois de la mécanique » (Lecourt, 2006a, p. 1148).
[2] L'effet d'hyperréalisme, souvent associé aux images générées par l'IA, vient du fait que les personnes interrogées les considèrent comme étant plus réelles que d'authentiques images de visages humains.
[3] Cette étude se basait sur la méthode expérimentale réalisée avec cinquante personnes âgées entre 18 et 65 ans, sans problème auditif, de langue anglaise et résidant au Royaume-Uni (Lavan et al., 2025, p. 4).
[4] Cette affirmation peut être corroborée avec une étude effectuée en France, dans laquelle les moins de 24 ans intérrogé.e.s ont exprimé leur vision enthousiaste et positive vis-à-vis l'IA, considérée telle une révolution technologique majeure (72 %) et même, parmi ces jeunes, 31 % croient que l'IA ne fait pas d'erreur (Hervé, 2024, 21 mai). Ces résultats se comprennent sur la base d'une utilisation fréquente de l'IA générative, au point où, pour ces jeunes, il s'agit d'un outil familier (Hervé, 2024, 21 mai).
Références
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Plaidoyer pour l’accueil local inconditionnel
10 novembre 2025 | tiré du site Entre les lignes entres les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/11/10/plaidoyer-pour-un-accueil-local-inconditionnel/#more-99621
Nous, associations, collectifs en soutien des personnes exilées et de personnes concernées,
Nous rappelons que l'humanité s'est construite par les déplacements humains. Nous défendons la liberté de circulation et d'installation : personne n'est légitime à décider qui a le droit ou pas d'émigrer.
Empêcher la migration constitue une atteinte à l'intégrité de l'humanité et une négation de l'histoire des sociétés.
Nous considérons que la diversité culturelle est une richesse notamment par les rencontres suscitées ; en résonance avec le principe à valeur constitutionnelle de fraternité, nous défendons l'idée que la solidarité renforce les bases d'une société unie.
Nous défendons l'égal accès à l'autonomie, au droit de vivre dignement et sereinement en soutenant les démarches locales visant à sortir les personnes des situations administratives précaires, avec des droits de séjour pérennes.
Nous refusons toute politique discriminante et injuste à l'égard des personnes exilées constituant une forme de violence institutionnelle : celle qui condamne et réalise du tri entre les humains, multiplie les risques pour la vie des personnes, produit de la défiance entre les individus, et construit des frontières qui tuent.
Pour nous, territoires accueillants et acteurs d'espaces d'accueil, nous refusons dans notre action que les personnes exilées et accueillies aient à se justifier d'être parties ; nous défendons des espaces dans la société où elles peuvent être accueillies sans se sentir obligées d'expliquer les causes de leur départ. Ces histoires sont généralement violentes et intimes, elles réactivent des vécus traumatiques, et par conséquent se partagent en fonction des affinités.
Nous nous opposons à la gestion sécuritaire des migrations car elle est guidée par la peur et fondée sur l'idée de la migration comme une menace. Nous souhaitons rétablir un débat démocratique éclairé, sur la base de données fiables, et autour de valeurs communes, pour nous ressaisir du politique.
Pour cela, nous défendons une politique respectueuse de la dignité sans préjugés et sans peurs. Nous défendons l'effectivité des droits pour tous et toutes qui est un principe fondamental de l'État de droit.
Le principe d'accueil doit ainsi permettre l'accès à l'ensemble des besoins vitaux, à l'hébergement et au logement, à l'alimentation, à l'hygiène, à la santé, à la mobilité, à l'éducation, aux droits culturels, au travail de manière à ce que chacun et chacune puisse accéder à l'autonomie. Penser une société de l'accueil revient à se sentir collectivement responsable face à la vulnérabilité de chacun et chacune dans les différents moments de la vie et donner une égale valeur à tout être vivant.
Nous défendons l'accueil inconditionnel pour garantir l'accès de tous et toutes aux lieux, dispositifs et services sans qu'aucun critère d'aucune sorte ne s'applique et que les propositions s'adressent aux personnes en situation de précarité économique, sociale et/ou administrative.
Il est indispensable d'organiser cet accueil car il nous faut sortir de la gestion dans l'urgence en coconstruisant des politiques pérennes de solidarité.
Il s'agit de penser l'accueil dans les territoires, villes et villages, en reconnaissant la présence des personnes, qu'elles soient en transit plus ou moins long ou dans un souhait d'installation pérenne ; en reconnaissant la citoyenneté de résidence.
Nous défendons l'égalité politique c'est-à-dire l'idée selon laquelle chaque personne qu'elle soit établie ou nouvelle arrivante, est un sujet politique autonome et participe à la vie démocratique.
DANS L'INTÉRÊT GÉNÉRAL, LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ONT UN RÔLE ESSENTIEL
Il s'agit pour elles de sortir du discours de l'impuissance ou de l'illégitimité et de prendre leur part de responsabilité dans la protection des droits.
Plusieurs constats sur les territoires fragilisent la cohésion sociale et obligent les collectivités territoriales à agir dans le sens de l'accueil. D'un côté, les collectivités territoriales pallient les effets néfastes des politiques nationales de non-accueil (fermeture des frontières, sous-dimensionnement du dispositif national d'accueil). De l'autre, elles répondent aux besoins non couverts par des normes qui traitent les personnes étrangères comme indésirables, en accentuant les inégalités d'accès aux droits et la concurrence des publics.
Les collectivités territoriales se retrouvent à répondre aux urgences sociales provoquées par la dégradation de l'État social et ses répercussions concrètes sur les personnes ; il s'agit ici de dépasser l'urgence et de préparer les municipalités à agir de façon pérenne.
Les collectivités territoriales jouent un rôle-clé d'intermédiaire incontournable pour mettre en acte les normes internationales par lesquelles l'État est lié, pour protéger et rendre effectifs les droits fondamentaux.
Les collectivités territoriales ont intérêt à agir dans le sens de l'accueil pour plusieurs raisons. Elles répondent tout d'abord à un besoin urgent de préserver la cohésion sociale en protégeant la dignité humaine de tous et toutes, sans discrimination y compris celle des personnes exilées présentes sur leur territoire ; et plus loin, de préserver l'ensemble d'un écosystème local, en répondant aux besoins sociaux sur son territoire.
L'accueil est par ailleurs une contribution au bien commun permettant le maintien et l'amélioration des services publics pour tous et toutes et le renforcement de la vitalité de la vie locale d'un point de vue culturel, démographique et économique.
Les collectivités territoriales ont pour cela des marges de manœuvre et des ressources juridiques sur lesquelles s'appuyer pour agir.
Les moyens de chacune des collectivités résultent également des potentialités à créer des alliances avec les autres acteurs et actrices du territoire, de la société civile et des opportunités partenariales.
PROPOSITIONS D'ACTIONS : ACCUEILLIR, RENDRE L'INSTALLATION POSSIBLE
Accorder le droit au séjour est une prérogative régalienne de l'État, c'est pourquoi au niveau local, nous devons solliciter nos imaginaires et notre créativité : d'une part pour interroger le cadre légal, se saisir du potentiel de la décentralisation, et y trouver les brèches d'actions permises aux municipalités ; d'autre part, pour inventer des lieux, des espaces, et questionner nos relations, pour accueillir.
Nous proposons de se saisir du droit comme ressource politique.
S'auto-saisir des compétences locales pour assurer de conditions minimales d'existence et assurer l'accès aux droits
Des lieux pour accueillir
Les municipalités et les métropoles ont la possibilité de créer et soutenir de nouveaux lieux d'accueil pour les personnes en situation de précarité : hébergement, accueil de jour et accompagnement social, soutien alimentaire, hygiène et santé.
Ces lieux ont besoin de tenir compte des trois temporalités de l'accueil :
- - le court terme : l'hébergement d'urgence, le transit ou le répit de courte durée ;
- - le moyen terme, d'une procédure ou d'un temps de réflexion ;
- - le long terme de l'installation.
Ces temporalités peuvent être pensées et mises en œuvre dans un lien de coopération entre les municipalités et les collectifs citoyens. Il est possible de mettre à disposition des lieux municipaux en soutenant l'engagement associatif et citoyen. Dans ce cas, l'expérience et l'encadrement par les collectifs citoyens doivent être prévus et soutenus par la municipalité, dans des conditions mutuellement décidées.
Ces lieux prêtent une attention au collectif et à la convivialité, en soutenant des formes de rencontres, entre représentants des collectivités, personnes concernées, personnes solidaires pour faire à plusieurs, s'inspirer mutuellement.
Le droit au logement comme priorité pour accéder aux autres droits
Les collectivités peuvent renforcer leur politique locale du logement pour tous et toutes avec plusieurs dispositifs :
• Des priorités en matière d'habitat : les communes sont l'autorité de rattachement des offices publics de l'habitat
• La mise à disposition du parc de logements municipaux
• La lutte contre la vacance des logements ou locaux inoccupés durablement pour répondre aux besoins urgents : adopter une politique de recensement, soutenir la réhabilitation, encourager la mise en location sociale et solidaire, travailler à l'incitation fiscale (taxe sur les logements vacants et majoration de la taxe d'habitation), préempter pour des nouveaux logements sociaux.
• La réquisition dans le cadre de la résorption de l'habitat précaire ou la pénurie de logement dans le cadre d'une urgence caractérisée et d'une carence justifiée de l'État, au nom des pouvoirs de police municipale en matière de sécurité, salubrité et tranquillité publique ainsi que de protection de la dignité humaine.
• Les occupations temporaires ou les conventionnements de squats.
Assurer le rôle historique d'aide sociale aux plus fragilisé·es :
• Maintenir son Centre communal d'Action sociale :
• Développer des services sociaux locaux ;
• Instaurer des aides sociales facultatives ;
• Approfondir les analyses légales des besoins sociaux au contexte local ;
• Imaginer de nouveaux services sociaux locaux ;
• Pratiquer des tarifications sociales pour l'accès aux services : alimentation, transport, eau...
• Assurer le droit à la formation : créer de nouveaux cadres quand les formations sont soumises au séjour légal, pour rendre la formation accessible à tous et à toutes ;
• Faciliter l'accès à la scolarité, au périscolaire et à la cantine.
Tous ces droits contribuent à assurer l'autonomie des personnes en situation de précarité administrative, et sortir de la logique de la dépendance, de l'aide et de l'humanitaire, pour assurer la qualité des liens entre les citoyen·nes.
Protéger et soutenir le tissu associatif et citoyen
Protéger les libertés associatives pour les actions de solidarité qui protègent les droits des personnes précarisées.
Soutenir et rendre visible le travail citoyen et associatif car accueillir c'est aussi accompagner :
L'accompagnement dans les parcours et les projets nécessite de l'information, de l'écoute et de l'orientation vers les dispositifs et les ressources existantes.
Garantir la pérennité des actions alternatives en dehors des changements politiques et hors des pouvoirs publics.
Réaliser un travail critique du Contrat d'EngagementRépublicain avec une proposition alternative : sur la base d'une charte fondée sur un autre type d'engagement réciproque afin de partager d'autres valeurs communes, discutées entre milieu associatif et pouvoirs publics locaux.
Renforcer la démocratie locale
Instaurer des instances avec des fonctions :
• de contrôle démocratique sur la légitimité politique et la justice sociale ;
• de critique des politiques publiques afin de veiller au respect du principe d'inconditionnalité ;
• de formuler des propositions d'actions alternatives, avec par exemple des conseils consultatifs.
Proposer des moments festifs et conviviaux
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COP 30, L’INACTION CLIMATIQUE RESPONSABLE DE MILLIONS DE MORTS : L’HEURE DE VÉRITÉ
12 novembre 2025 | tiré du site de BLAST, Le souffle de l'info
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Nous sommes en train de vivre un moment de bascule écologique. Ces derniers temps, les preuves, les rapports accablants se sont accumulées dans l'indifférence générale. Pendant que nos conditions de vie s'effondrent, les dirigeants climatosceptiques prospèrent et les débats sont de plus en plus décalés de cette réalité. Ce qui occupe la conversation médiatique, publique, ce n'est clairement pas l'effondrement écologique…
Nous avons dépassé 7 des 9 limites planétaires avec désormais l'acidification des océans. Le réchauffement climatique menace la santé humaine à des niveaux sans précédent et l'inaction climatique est responsable de millions de morts.
2024 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée.
Les catastrophes climatiques se multiplient et sont de plus en plus dévastatrices.
Le premier point de bascule climatique a été atteint avec le dépérissement généralisé des coraux dont dépendent près d'1 milliard de personnes.
Les concentrations de CO2 dans l'atmosphère ont connu une hausse record en 2024…
À Blast, on ne cesse de le répéter, ce dont il est question ici, ce ne sont pas de simples chiffres, des courbes inquiétantes ou des acronymes incompréhensibles mais de vies humaines. Et cela mérite un tout autre traitement médiatique et politique
Alors que les négociations internationales sur le climat de la COP30 s'ouvrent au Brésil, Paloma Moritz vous propose de prendre de la hauteur et de faire le point : où en sommes-nous ? Quel est l'état d'urgence actuel ? Que peut-on attendre de ces négociations alors que les Etats-Unis ont sombré dans le climato-dénialisme et que les Etats et les entreprises reculent dans leurs engagements climatiques ? Réponses dans cette nouvelle émission écologie.

Le ballon et la boussole : pourquoi la gauche ne peut pas se laisser mener
Si le camp du Oui doit courir derrière le ballon du PQ, c'est tout le sens de l'indépendance qu'on perdra en route.
Ces derniers jours, deux analyses, celles de Michel David dans Le Devoir1 et Michel C. Auger dans La Presse2, convergent vers un même constat : la bataille pour l'indépendance ne se joue pas sur les chiffres des sondages, mais sur le terrain des valeurs. Si le PQ impose ses conditions, la gauche devra choisir entre le silence ou la rupture. Si le comité du Oui accepte sans condition la peur et l'exclusion, il ne mènera pas à la libération, mais à la défaite — morale d'abord, politique ensuite.
Le piège qui revient
Depuis que le Parti québécois a repris du terrain, une vieille tentation refait surface : celle de traiter la question nationale comme si la gauche n'existait pas. Comme si, pour gagner, il fallait accepter les mêmes ambiguïtés qui ont fait échouer le camp du Oui il y a trente ans. Comme si l'indépendance devait être négociée sur les conditions du plus frileux des indépendantistes.
Dans sa chronique du Devoir, Michel David résume le problème avec une clarté salutaire : si le PQ mène une campagne référendaire centrée sur la méfiance et la peur, tout ce que Québec solidaire pourra dire pour défendre un projet inclusif sera inaudible. Aux yeux des électeurs et électrices issu·e·s de l'immigration ou des milieux populaires — pourtant décisifs pour un Oui gagnant —, c'est le chef du PQ qui incarnera le futur pays. Autrement dit, si un partenaire parle au nom des exclusions, nous serons réduits au silence, ou pire : à la complicité.
Michel David met en lumière un piège moral et stratégique. Moral, parce qu'il est impossible de bâtir un pays juste en tolérant que certains de ses citoyens soient traités comme suspects. Stratégique, parce qu'un tel Oui est condamné d'avance : on ne mobilise pas un peuple autour de la peur.
Courir derrière le ballon, perdre la boussole
Dans sa propre chronique, Michel C. Auger pousse la réflexion plus loin en évoquant la question du « porteur de ballon ». En vertu de la loi référendaire, le chef du PQ serait inévitablement le visage officiel du camp du Oui. Or, tout l'enjeu tient là : si le porteur de ballon prêche la fermeture, comment les gauches pourraient-elles défendre, sur les mêmes tribunes, une souveraineté de solidarité et de justice ? L'image qu'il emploie est juste : le ballon, c'est la direction stratégique ; mais la boussole, c'est la vision. Et l'un ne peut pas aller sans l'autre.
Autrement dit, quelle que soit la profondeur ou la diversité du message solidaire, c'est lui qui portera la parole, le style et les orientations du camp souverainiste. L'exemple de 1995 l'illustre bien : Lucien Bouchard, devenu la figure de proue de la campagne référendaire, avait imposé une approche où les dimensions sociale et nationale s'étaient confondues, cédant la place à des considérations tactiques. Qui se souvient des figures progressistes et de gauche dans le camp du Oui à l'époque, mis à part les historiens-nes et férues de la politique ? Personne.
L'arrivée d'un nouveau co-porte-parole, Sol Zanetti, réactive ce débat. En affirmant que QS devrait se ranger sans condition 3 dans le comité du Oui, il a malheureusement donné un signal inquiétant : comme si les conditions du Oui étaient déjà fixées ailleurs, par d'autres — loin de la base, et que le rôle des militants de Québec solidaire se limitait à en adoucir les contours. Mais dans un parti sans chef, les orientations ne se décrètent pas dans les médias : elles se débattent et se votent par les membres.
Conditions pour un Oui gagnant et populaire
La question n'est pas de savoir si Québec solidaire est souverainiste : elle est de savoir quelle souveraineté nous voulons. Une indépendance administrée par la droite, ou un pays qui se fonde sur la justice sociale, le féminisme, la démocratie et la solidarité ?
Si Québec solidaire persiste à courir derrière le ballon péquiste, il perdra sa propre boussole. Ce serait la fin d'une conception émancipatrice de la nation — celle qui ne sépare pas la libération nationale de la libération sociale.
Deux conditions s'imposent pour qu'un Oui soit réellement gagnant et populaire.
La première est morale : il ne peut y avoir de place pour les racistes et les réactionnaires dans le camp du Oui. Les inclure sous prétexte d'unité, c'est leur offrir une légitimité qu'on ne pourra plus retirer. Prétendre être en mesure de faire le ménage en cours de route, c'est tout simplement de la naïveté ou une posture de gens privilégiés qui, eux, n'auront pas à subir les foudres de la parole raciste. On ne purifie pas un camp après la victoire ; on le définit avant la bataille.
La seconde est démocratique : l'indépendance ne peut pas être confisquée par un parti — par aucun parti. Elle doit être portée par le peuple, à travers un réel processus démocratique : une assemblée constituante — libre, inclusive et indépendante des formations politiques.
C'est la seule manière d'éviter que le projet de pays devienne un « programme de gouvernement », mais aussi de confiscation populaire de sujets. Il répond aussi aux inquiétudes très légitimes de ceux et celles qui sont à convaincre de ce « beau risque » : vers où allons-nous ? Impasse que le PQ botte en touche avec les couleuvres et sbires qui s'y rattachent.
Mais c'est aussi une réponse politique aux contraintes de la Loi sur la clarté référendaire : en redonnant la parole au peuple, le Québec définirait lui-même la légitimité et la clarté de son propre mandat, sans devoir s'en remettre au regard d'Ottawa.
Si ces deux conditions ne sont pas réunies, le Oui ne sera ni majoritaire ni légitime. Et la gauche n'aura pas seulement perdu une bataille : elle aura trahi ses propres fondations.
Reprendre l'initiative
Le moment est venu pour Québec solidaire de reprendre l'initiative. Il faut convoquer une instance nationale spéciale sur la stratégie indépendantiste du parti. Non pas pour répéter les slogans du passé, mais pour répondre à trois questions : que voulons-nous ? Comment voulons-nous gagner ? Et surtout, avec qui ?
Parce que l'indépendance n'est pas un exercice de marketing, mais un acte de refondation démocratique. Si le Québec doit devenir libre, il doit le faire avec toutes celles et ceux qui y vivent — sans hiérarchie de légitimité, sans exclusion, sans peur.
L'indépendance est trop grande pour être négociée dans l'ombre d'un projet réactionnaire. Elle doit se construire à la lumière d'un pays qui s'élève en libérant, pas en excluant.
Nous n'avons pas besoin d'un porteur de ballon : nous avons besoin d'un peuple qui reprend la boussole. L'indépendance ne sera pas un refuge contre le monde, mais une promesse d'y appartenir pleinement.
Si nous laissons le PQ et ses appuis des droites extrêmes tracer seule la ligne du Camp du Oui, nous pourrions bien nous retrouver à défendre un projet qui nous échappe — et à célébrer, par miracle, une victoire qui ne serait qu'une défaite maquillée.
Notes
1.Michel David, « Chambre à part », Chronique, Le Devoir, 11 novembre 2025,https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/932607/chambre-part.
2.Michel C. Auger, « Le camp de Paul et de Sol », Chroniques, https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/2025-11-12/souverainete/le-camp-de-paul-et-de-sol.php
3.Charles Lecavalier, « Sol Zanetti l'indépendantiste nouveau co-porte-parole de QS », La Presse, 8 novembre,https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2025-11-08/sol-zanetti-l-independantiste-nouveau-co-porte-parole-de-qs.php.
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L’hiver sera chaud : la CAQ a déclaré la guerre à la société civile Le Québec dans la rue le samedi 29 novembre prochain !
Des associations pour la défense des droits, des organismes communautaires et de solidarité internationale, des syndicats et d'autres citoyen·nes appellent la population à faire front pour dénoncer les politiques de la CAQ qui démantèlent, brique par brique, l'édifice de nos services publics et de nos droits sociaux et politiques.
Les projets de loi s'enchaînent les uns après les autres et s'ajoutent à d'autres mesures dictées par une même logique. Il s'agit d'affaiblir nos institutions démocratiques et de réduire au silence les voix critiques capables d'exprimer des désaccords légitimes et de défendre les droits de toutes et tous, incluant les minorités les plus défavorisées, marginalisées et discriminées. Marquant un tournant autoritaire et démagogique, ces politiques, souvent adoptées sous bâillon, détruisent les bases de notre démocratie pour répondre aux intérêts d'élites économiques.
Des lois antisociales et antisyndicales
Le projet de loi 8 (anciennement projet de loi 89) et la réforme annoncée du régime syndical s'attaquent non seulement aux droits des travailleuses et des travailleurs partout au Québec, mais s'inscrivent dans une tendance inquiétante de remise en question des mécanismes qui protègent notre démocratie. Il s'agit de la pire offensive d'un gouvernement contre le mouvement syndical.
Avec le projet de loi 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, déposé le 9 octobre 2025, le gouvernement de la CAQ menace de démanteler tout le système québécois de protection des droits de la personne, alors que la Charte des droits et libertés de la personne célèbre ses 50 ans d'existence. Élaboré derrière des portes closes, sans aucun débat ni consultation, ce projet n'a rien d'une constitution. Témoignant d'un autoritarisme mal dissimulé, il risque d'affaiblir les pouvoirs de la société civile. Ainsi, les outils juridiques pour la défense de nos droits et libertés, comme la Charte et la possibilité de contester des lois devant les tribunaux, sont ébranlés. En instrumentalisant la « souveraineté parlementaire » et « les valeurs québécoises », le projet de loi 1 engendre une dérive identitaire dangereuse, comme on n'en a pas vu depuis Duplessis.
Dans une déclaration publiée le 13 novembre dernier, le Barreau du Québec affirme que ces projets de loi « comportent des dispositions qui s'écartent de manière importante des valeurs et des traditions de la société québécoise au profit d'un renforcement du pouvoir de l'État », et craint ainsi une « érosion de l'état de droit au Québec ».
Une dérive dangereuse aux relents trumpistes
Devant la montée de l'extrême droite et de pratiques autoritaristes du pouvoir un peu partout dans le monde, les fondements mêmes de nos systèmes démocratiques sont menacés. Au Québec comme ailleurs, des droits que nous pensions acquis sont mis à mal par des décisions politiques. Dans une logique affairiste et au mépris de la science, les coupures de centaines de postes et les fusions d'établissements dans la fonction publique nous empêchent d'agir de manière pertinente pour protéger nos écosystèmes et le bien commun. Tout ceci facilite l'approbation de grands projets industriels, tout en limitant la possibilité de contrôles environnementaux et liés à la santé publique.
La déclaration récente de François Legault qui, en réponse à l'appel de Donald Trump, positionne le Québec comme un acteur majeur de l'industrie militaire est troublante et représente un virage dangereux pour notre société et la planète. D'autant plus que cette militarisation de l'économie s'associe à des discours et des décisions contre l'immigration et les droits des personnes réfugiées et demandeuses d'asile.
DÉCLARATION DE SOLIDARITÉ ET APPEL À LA MOBILISATION
La baisse des seuils d'immigration, l'annulation du Programme de l'expérience québécoise (PEQ) et le recul des droits des personnes demandeuses d'asile montrent clairement la trajectoire actuelle du gouvernement de la CAQ. Alors que le Québec restreint l'accès au territoire au nom d'une logique utilitariste, il investit parallèlement dans l'industrie militaire, tirant profit des conflits et de la crise climatique qui appauvrissent les populations et les forcent à fuir.
Aujourd'hui, le génocide à Gaza est le symbole brutal des conséquences toxiques engendrées par la complaisance envers un gouvernement raciste et totalitaire, guidé par des objectifs coloniaux : un monde dominé par la peur, la militarisation et l'instrumentalisation et le mépris envers le droit international. Malgré les condamnations de l'ONU, il est honteux que le Québec renforce ses liens diplomatiques et économiques avec Israël et refuse d'accorder la RAMQ aux familles évacuées de Gaza. Ce 29 novembre, à l'occasion de la journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, reconnaissons qu'une atteinte aux droits des un·es est une atteinte aux droits de toutes et de tous.
Défendre et devenir une société solidaire, juste et démocratique
De plus en plus de Québécoises et de Québécois ont du mal à joindre les deux bouts. Partout, la crise du logement et de l'itinérance a pris une ampleur alarmante. La situation touche encore davantage les peuples autochtones. En même temps, à l'heure où la planète arrive à un point de bascule, la CAQ impose des reculs en matière de législation et de réglementation environnementales. En dépit de l'urgence des problèmes qui devraient nous préoccuper, le gouvernement détourne l'attention de ses propres faillites en cherchant des boucs émissaires, comme les personnes migrantes et immigrantes et les minorités religieuses. Au lieu de chercher à résoudre les sources des problèmes sociaux, il s'attaque et suspend le financement de groupes qui œuvrent à l'amélioration de la société.
Nous avons à cœur un Québec qui choisit la solidarité plutôt que l'exclusion, le respect plutôt que la répression, la dignité plutôt que la peur, la justice sociale plutôt que la concentration des richesses entre les mains d'une poignée de privilégié·es. Le Québec que l'on veut est ancré dans des valeurs de solidarité, d'équité et de justice sociale et aura besoin d'être à l'écoute de toutes les voix, dans leur si belle diversité, et dans le respect de cette dissidence rebelle, critique et libre qui a longtemps teinté l'image du Québec.
L'hiver sera chaud ! Le 29 novembre prochain, descendons dans la rue pour protéger la vision de la société québécoise que l'on veut. Une société plus juste, plus égalitaire et plus inclusive.
Auteurs et autrices de la déclaration :
Zahia El-Masri, Travailleuses et travailleurs pour la Palestine
Laurence Guénette, Ligue des droits et libertés
Bertrand Guibord, Conseil central du Montréal métropolitain─CSN
Marc-Édouard Joubert, Conseil régional FTQ Montréal métropolitain
Amir Khadir, ex-député de Québec solidaire
Yasmina Moudda, Alternatives
Amélie Nguyen, Centre international de solidarité ouvrière (CISO)
Roger Rashi, militant
Patricia Vinci, militante féministe et communautaire Amel Zaazaa, Observatoire pour la justice migrante
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Des organismes de la société civile québécoise dénoncent la militarisation de l’économie aux dépens de la transition écologique et de la justice sociale
Montréal, le 11 novembre 2025 - Des organismes de la société civile québécoise expriment leur profonde inquiétude face aux récentes déclarations du premier ministre François Legault
concernant sa volonté de positionner le Québec comme acteur majeur de l'industrie militaire.
Cette orientation, qui s'inscrit dans la lignée de l'augmentation massive des dépenses militaires annoncée par le gouvernement fédéral, représente un virage dangereux pour notre société et notre planète. Alors que le premier ministre Legault dévoile ses priorités économiques axées sur l'industrie de la guerre et la fabrication d'équipements militaires, les organisations signataires rappellent que ces choix se font au détriment d'investissements essentiels dans la transition écologique, la lutte contre les changements climatiques et le filet social dont la population a cruellement besoin.
« Il est profondément troublant de voir nos gouvernements miser sur l'industrie militaire comme moteur économique, alors que plus d'armements ne sont jamais gage de plus de sécurité. Bien au contraire, cela augmente le risque de guerres de plus en plus dévastatrices. », déclare Michèle Asselin, directrice générale de l'AQOCI.
« Opérant souvent dans l'opacité sous prétexte de sécurité nationale, l'industrie militaire échappe aux mécanismes habituels de surveillance démocratique et de transparence. Est-ce vraiment là que nous souhaitons investir nos ressources collectives, plutôt que dans la construction d'un monde plus équitable et durable ? », renchérit Yasmina Moudda, directrice générale d'Alternatives.
«
Contrairement aux affirmations du premier ministre Legault, l'industrie militaire n'est pas un vecteur efficace de création d'emplois », poursuit Martine Éloy du Collectif Échec à la guerre. « Chaque dollar investi dans le secteur militaire crée moins d'emplois que le même dollar investi dans les services publics ou les énergies renouvelables. Nous assistons à un choix politique délibéré qui favorise les profits de l'industrie de l'armement au détriment du bien-être collectif. »
« C'est la première fois au Québec que l'on prévoit valoriser de la sorte de l'argent public dans l'industrie de l'armement, et M. Legault le fait de façon unilatérale, sans aucune consultation publique ni débat démocratique. Le gouvernement ne s'est pas fait élire sur une plateforme de militarisation de notre économie » déclare Sarah Charland-Faucher, coordonnatrice du Carrefour international bas-laurentien pour l'engagement social (CIBLES).
Les organismes signataires rappellent l'impact environnemental considérable de l'industrie
militaire, qui représente aujourd'hui 5,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre
selon l'Observatoire des conflits et de l'environnement. Ces émissions ne sont généralement
pas comptabilisées dans les bilans nationaux, ce qui masque leur contribution significative à la crise climatique.
« De plus, la course aux minéraux critiques nécessaires à la production de
matériel militaire relancera l'extractivisme au Québec et ailleurs dans le monde, ce qui risque
d'entraîner une criminalisation et une répression des défenseurs et défenseuses des territoires, en particulier les peuples autochtones » ajoute Amélie Nguyen, coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière.
« La sécurité véritable de nos populations ne passe pas par la fabrication d'avions de combat,
de drones ou de sous-marins, mais par la construction de sociétés résilientes, justes et
écologiques », conclut Valérie Delage, directrice générale du Comité de Solidarité/Trois
Rivières. « Nous appelons les gouvernements québécois et canadien à revoir leurs priorités et à investir dans un avenir de paix et de justice sociale plutôt que dans une économie de guerre qui ne profite qu'à une minorité. »
Liste des signataires :
Michèle Asselin, Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)
Sarah Charland-Faucher, Carrefour international bas-laurentien pour l'engagement (CIBLES)
Valérie Delage, Comité de Solidarité/Trois-Rivières
Martine Éloy, Collectif Échec à la guerre
Yasmina Moudda, Alternatives
Amélie Nguyen, Centre international de solidarité ouvrière (CISO)
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Le rôle de l’action publique dans la précarisation du travail : des travailleurs migrants temporaires pour des emplois permanents
Sid Ahmed Soussi, professeur au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal, membre du Centre de recherche sur les innovations sociales (Crises) et membre du Groupe interdisciplinaire et interuniversitaire de recherche sur l'emploi, la pauvreté et la protection sociale (Gireps).
Article tiré de Fractures, Le Bulletin des membres de l'IRIS, Volume 11, numéro 1
La dernière décennie a vu l'explosion statistique des migrations temporaires du travail au Canada et dans le monde. Dans la plupart des pays de l'OCDE, le nombre de travailleuses et de travailleurs migrant·es temporaires (TMT) est plus important que celui des immigrant·es admis·es comme résident·es permanent·es : ils et elles représentent près de 75 % des migrations du travail.
Deux modèles sont repérables en matière de migrations internationales du travail. D'un côté, il y a celui en vigueur aux États-Unis et dans la plupart des pays européens. Il fonctionne, formellement, sur la base des besoins en main-d'œuvre qualifiée et/ou spécialisée, parfois en cas de pénurie locale attestée. De l'autre, il y a le modèle en vigueur en Australie, au Royaume-Uni et au Canada depuis 2002. Celui-ci est fondé sur une sélection des travailleurs et des travailleuses à partir de quotas préalablement fixés et tient compte de la situation familiale, de la maîtrise de la langue du pays d'accueil et de la formation professionnelle. Dans ce modèle, le solde en terme de main-d'œuvre peu spécialisée est étroitement encadré par des dispositifs juridico-administratifs, comme c'est le cas des programmes d'immigration temporaire canadiens. [1]
UN CAS DE RÉGULATION TYPIQUE : L'ACTION PUBLIQUE AU QUÉBEC ET AU CANADA
Au Canada, le Programme de mobilité internationale (PMI) encadre, au niveau fédéral, les « emplois à rémunération élevée » pour une main-d'œuvre hautement qualifiée, pour qui l'accès à la résidence permanente est facilité. Cette politique se fonde sur le salaire médian comme référence pour distinguer ce programme du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), dans le cadre duquel les salaires sont bas. Ainsi, c'est parle PMI qu'est recrutée l'élite des salariée·s hautement qualifié·e·s, notamment par les entreprises et les universités pour combler des emplois à haute intensité technologique ou d'encadrement de haut niveau.
Deux constats ressortent. D'abord, ces programmes accordent une grande flexibilité aux employeurs en matière de main-d'oeuvre [2] et apparaissent comme des « pick-your-own labor »* [3] parce qu'ils proposent des mécanismes de contrôle et de recrutement de la main-d'œuvre basés sur le genre, l'ethnicité et la nationalité des employée-s, d'où leur caractère intersectionnel [4] en termes de segmentation sociale sur les lieux de travail. Ensuite, ces programmes mettent en œuvre un système de concurrence entre les États fournisseurs de main-d'œuvre et favorisent les pratiques de country surfing par les employeurs.
PRÉCARISATION ET INTERSECTIONNALITÉ
Les conséquences des politiques publiques en matière de migrations internationales s'imposent en deux tendances lourdes, soit la précarisation des travailleurs et des travailleuses ainsi que le caractère intersectionnel des inégalités d'accès en emploi auxquelles ils et elles font face.
La première tendance, la précarisation, a cours à l'échelle locale et comprend deux effets pervers. D'une part, on assiste à un processus de « segmentation de l'emploi », avec la désyndicalisation résultant de facto de la désagrégation des rapports collectifs de travail dans les secteurs visés, à l'instar de celui de l'industrie agroalimentaire au Québec. [5] D'autre part, on est témoin de discrimination en matière de droits fondamentaux du travail entre salarié·e·s résident-e·s et TMT, une conséquence de l'éclatement des statuts de la main-d'œuvre migrante temporaire en une multitude de sous-statuts qui se traduit aussi par un processus de précarisation institutionnelle.
Pour les TMT, tout se passe comme si un emploi précaire, des relations de travail assujettissantes et un statut institutionnel délétère constituaient un état juridiquement construit, administrativement encadré par l'action publique et économiquement géré par l'employeur (que ce soit des entreprises, des agences de recrutement et de placement ou des ordres professionnels). Ainsi, ces dispositifs juridico-administratifs réglementant les conditions de séjour et de travail des TMT renvoient à ce que plusieurs travaux qualifient de discrimination systémique, voire de « racisme institutionnel »" [6], tant ces dispositifs contribuent à produire et à réinstituer des inégalités systémiques dans les lieux du travail des TMT à travers des rapports sociaux racisés.
La deuxième tendance est que l'action publique participe d'une nouvelle figure de la division internationale du travail. [7] Elle reconfigure les dynamiques migratoires en permettant aux entreprises d'internaliser en permanence des ressources humaines temporaires pour des activités non externalisables, car géographiquement fixes. Elle s'appuie sur un modèle politico-administratif géré par l'État, qui affranchit les entreprises des coûts des dispositifs de protection sociale (assurance maladie, normes de sécurité au travail, régime de retraite) et prive les TMT des divers avantages socioéconomiques auxquels ont accès les autres salarié·e·s.
Au-delà de ces constats se pose la question des conséquences sur la dérégulation de l'emploi par l'émergence de zones grises du travail où la relation d'emploi est opaque. Un constat sociologique bien documenté est que les espaces de travail des TMT drainent également d'autres catégories de main-d'œuvre précarisées, parce qu'elles sont composées en grande partie de travailleuses et de travailleurs migrant:e·s et enfermé·e·s dans des statuts aussi multiples que fragiles. Ces caractéristiques sociologiques prennent une dimension intersectionnelle plus complexe en se conjuguant avec d'autres : cette main-d'oeuvre comprend aussi d'importantes proportions de femmes et de jeunes en situation de précarité et dont les flux renforcent ce réservoir dans lequel les employeurs-recruteurs puisent à volonté pour alimenter leur « valeur ajoutée ».
DES ZONES GRISES DU TRAVAIL
En dernière analyse, les conséquences du recours accéléré aux TMT qui viennent d'être nommées contribuent elles-mêmes à la formation de zones grises du travail à trois niveaux.
Le premier niveau est local : les emplois dans lesquels sont confinés les TMT sur la base des principes de la circularité, de la durée temporaire et du permis nominatif- qui interdit aux employé-e·s de changer d'employeur-produisent un rapport salarial singularisé combinant migration, emploi précaire et relation de subordination individualisée, caractéristiques propres au travail non libre documentées dans plusieurs travaux". [8]
Le second niveau renvoie aux effets globaux de ces flux qui constituent une figure nouvelle de la division internationale du travail actuellement à l'œuvre. La différenciation systématisée et institutionnalisée des TMT entre travailleuses et travailleurs hautement qualifié-e-s d'un côté et « peu spécialisé·e·s » de l'autre, qui prévaut au Canada comme dans plusieurs autres pays, renforce de facto les inégalités socioéconomiques concrétisant des rapports sociaux de classes. il y a d'un côté une sorte de « superclasse transnationale » - ou « classe dénationalisée » [9] bénéficiant des avantages qu'offrent les pays d'accueil et, de l'autre, des travailleurs locaux (TMT et salarié-e·s résidente·s) enfermés dans des systèmes de gestion du capital humain sur la base de la nationalité.
Le troisième niveau de zones grises du travail renvoie au rôle de l'État et à son ambivalence, c'est-à-dire qu'un État est d'abord préoccupé par la dynamique des marchés visant à réduire les obstacles aux entreprises dans la gestion de leurs ressources ... humaines. L'État assure l'intégration et la performance du « capital humain » sur le marché, mais reste en retrait dans la protection des TMT contre les abus dans les milieux du travail.
*« main-d'euvre à volonté » (traduction libre).
[1] Sid Ahmed SOUSSI, « Migrations intemationiales, action publique et zones.grises du travail », Chronique internationale de l'IRES, décembre 2024, n° 188, p. 25
[2] Ibid
[3] Kerry PREIBISCH, « Pick-Your-Own Labor : Migrant workers and flexibility. in Canadian agriculture », International Migration Review, vol. 44, n" 2, 2018, p. 404441.
[4] Marta ROCA I ESCODA, Farinaz PASSA et Éléonore LÉPINARD, L'intersectionnalité : enjeux théoriques et politiques, Paris, La Dispute, 2016.
[5] Sid Ahmed SOUSSI, « Territoires et migrations du travail à l'épreuve des chaînes de valeur régionalisées des entreprises : le cas de l'industrie agroalimentaire au Québec », dans Patrice CARO et Agnès CHECCAGLINI éd., Territoires et parcours. De nouvelles trajectoires d'emploi et de formation à l'épreuve des territoires ?, Céreq, 2023, P. 377-385, https://books.openedition.org/cereq/3025.
[6] Valérie SALA PALA, Faut-il en finir avec le concept de racisme institutionnel ? Regards sociologiques,no 39, 2010, P. 31-47.
[7] Sid Ahrried Soussi, 2024 ; op ; cit.
[8] Judy FUDGE et Kendra STRAUSS ; « Migrants, unfree labour, and the legal constrution of domesticc servitude » dans C. COSTELLO et M. FREBD[AND (dir.), Migrants at Work, Oxford University Press, 2014, p. 160-179.
[9] Saskia SASSEN, La globalisation : une sociologie, Paris, Gallimard, 2009

« Prise d’otage » ? Quand une juge déconstruit la propagande anti-grève
Le tribunal administratif du travail du Québec (TAT) n'a pas pour vocation, pas plus que pour réputation d'ailleurs, de constituer l'avant-garde de la révolution socialiste. Pourtant, à écouter ce jeudi 13 novembre 2025, l'ancien avocat patronal et actuel ministre du travail Jean Boulet au micro de Patrick Masbourian, le chroniqueur vedette de Radio Canada, on aurait pu croire que la juge Karine Blouin avait déclenché une véritable insurrection judiciaire. C'est tout simplement que malgré l'intense campagne de propagande déployée par le gouvernement, avec le soutien actif des médias privés et publics, elle a confirmé la légalité de la grève de deux jours des chauffeurs et chauffeuses de la Société du transport de Montréal (STM), prévue samedi 15 et dimanche 16 novembre.
La grève n'aura finalement pas lieu, l'exécutif syndical des chauffeurs ayant accepté une entente de principe le vendredi, la veille de son déclenchement. Mais la manière dont la juge a disposé des arguments du patronat et des "parties intervenantes" au tribunal (voir pièce jointe), mérite d'être explicitée car ce sont les mêmes qui nous sont systématiquement assénés à longueur de journées, sans aucun recul ni nuance dès qu'une grève « dérange » et « prend la population en otage ».
La propagande
Pour prendre le dernier exemple en date, avant de s'en prendre aux chauffeurs et chauffeuses de la STM, les médias privés ont de nouveau rempli avec zèle les attentes de leurs bailleurs de fonds en s'acharnant sans relâche contre les mécanicien·nes et les employé·es de l'entretien de la STM en grève depuis le 1er novembre, contre ces « syndiqués privilégiés », cette « aristocratie » des temps modernes, tandis que Patrick Masbourian par exemple, a consacré un temps d'antenne publique considérable à nous informer du « chaos » que provoque les « grévistes irresponsables ». En revanche, leurs revendications, contre le recours à la sous-traitance ou pour la défense d'un service public, comme la responsabilité de la direction de la STM et du gouvernement dans ce conflit ont été largement ignorées.
Alors face à cette propagande anti-grève, que n'aurait probablement pas reniée la presse Trumpiste (ou Poutinienne pour celles et ceux qui la préfèrent), face aux suppliques larmoyantes du charitable Gouvernement Legault qui n'a cessé d'implorer tant les mécaniciens, le personnel d'entretien que les chauffeurs, de penser « aux personnes vulnérables », aux « plus démunis », aux « retraités isolés » et à toutes ces « victimes » de ces arrêts de travail « dramatiques », ce jugement à l'immense mérite de nous ramener sur terre et de redéfinir les termes d'un débat devenu complètement délirant.
Le jugement
Dans sa décision du 12 novembre, la juge Blouin a simplement considéré que l'entente sur les services essentiels conclue entre le syndicat des chauffeurs et la STM en avril dernier était toujours valide. En d'autres termes, en novembre, comme six mois auparavant, une grève des chauffeurs de bus et de métro, pendant deux jours, ne constitue pas un danger pour la santé ou la sécurité publiques (art.111.0.19 du C.tr.). Il n'y a donc absolument aucune raison de restreindre davantage encore le droit fondamental de grève. C'est tout.
Pour enfoncer le clou son jugement rappelle que la direction de la STM avait accepté cette entente après d'intenses négociations, après la consultation de nombreux experts, après l'étude de multiples scénarios sur les habitudes de déplacements des usagers, après qu'Urgence Santé a confirmé que la grève n'avait aucun impact prévisible sur la santé. Et la juge souligne au passage « qu'aucun problème mettant en danger la santé ou la sécurité publique n'a été signalé » lors des précédentes journées de grèves des mécaniciens et des employés de l'entretien de la STM, en juin dernier et en novembre.
Mais en dépit donc de l'absence de tout élément nouveau justifiant « un changement de cap », excepté selon la formule de la juge « une certaine confusion découlant de propos rapportés par les médias », elle a judiciairement été tenue d'examiner, un par un, les "nouveaux" arguments présentés par le patronat et les autres parties intervenantes.
Les arguments des parties
Alors revenons sur ces arguments repris et martelés ad nauseam dans les médias par des journalistes sans aucun esprit critique.
C'est d'un revers de main, que la juge a balayé l'argumentaire déployé par l'employeur, la Société du transport de Montréal (STM), qui s'appuyait pourtant sur « des extraits de sites Internet (…), des entrevues réalisées à la radio ou à la télé et des plaintes reçues sur ses réseaux sociaux » pour faire la preuve du cataclysme à venir, selon lui. La juge a logiquement considéré que ces revues médiatiques qui traitent du « mécontentement et des désagréments » vécus par une partie de la population, relèvent ni plus ni moins « de l'ordre du ouï-dire ou de l'opinion ».
Avec la même lucidité, elle a écarté l'outrancier plaidoyer de l'Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) qui la suppliait d'« intervenir en prévention avant que la grève ne se termine en bain de sang » ! Elle n'a pas non plus tenu compte : (1) des « curieux » qui participeront peut-être aux « portes ouvertes de la section du REM de la ligne de Deux-Montagnes » pendant la fin de semaine ; (2) des travailleurs et travailleuses de l'aéroport de Montréal qui pourraient arriver en retard au travail ; (3) des touristes des îles St-Hélène et de Notre -Dame qui risquent de faire un malaise en se promenant le long des berges samedi ou dimanche ; (4) des bénéficiaires des banques alimentaires qui devront, peut-être, faire davantage encore la file pour récupérer un panier d'épicerie solidaire, la semaine suivant la grève. Dans la foulée, elle a refusé de prendre en considération la très hypothétique augmentation d'accidents en raison de « la présence de cyclistes inexpérimentés » obligés de prendre le vélo, de même que les risques de « débordements sur la place publique qui pourraient être causés par les partisans des Canadiens de Montréal »…
Après examen, tout bien pesé, la juge a tranché que les parties intervenantes n'avaient pas apporté la moindre preuve d'éléments nouveaux justifiant d'encadrer davantage encore la grève. Et donc, au final, son jugement conclut qu'il n'existe aucun « danger », aucune « menace évidente, imminente, réelle pour la vie, la sûreté, la santé ou la sécurité de la population ». En contre point et au risque d'irriter davantage encore le gouvernement, la juge a tenu à rappeler que les chauffeurs et les chauffeuses "bénéficient du droit de faire la grève", qui est un droit fondamental, constitutionnalisé.
Les réactions
Pour Jean Boulet, tenu par un devoir de réserve nous dit-il, il s'agit là d'une décision « très, très étonnante » fondée sur un « cadre juridique déconnecté des réalités humaines et sociales que nous vivons… ». Et cette interprétation est amplement relayée et appuyée par les médias qui s'interrogent sur la « cohérence de la décision », sans l'avoir lue de toute évidence ou en choisissant délibérément d'ignorer le travail et l'argumentaire de la juge Blouin. [1] Les journalistes stipendiés se félicitent alors de l'adoption de la Loi 14 qui permettra enfin au Gouvernement de garantir le « bien-être de la population », et ce dès le 30 novembre 2025, en faisant interdire toute grève qui « dérange » et autres « prise d'otage de la population ».
Pour cette bourgeoisie qui voit dans les restrictions aux libertés publiques et aux droits syndicaux en particulier la solution à tous les problèmes sociaux, la suppression du droit de grève apparait comme un remède miraculeux. Et tout est fait pour y croire. De fait, à peine le syndicat avait-il annoncé que la grève n'aurait pas lieu, que les travailleurs de l'aéroport de Montréal, les personnes vulnérables, les problèmes d'accès aux services d'urgence, les files d'attentes devant les banques alimentaires, les retraités isolés, les partisans des Canadiens éméchés avaient disparus du discours gouvernemental et donc de celui des médias dominants, comme par enchantement.
La bourgeoisie se met ainsi croire à sa propre propagande. Elle s'étonne ensuite voire s'effraie parfois, de l'explosion des inégalités et de la "dérive autoritaire" du Gouvernement Legault. C'est par exemple le cas du Barreau du Québec qui s'inquiète de "l'érosion de l'État de droit". Le très prudent Ordre professionnel des avocat·es du Québec prend cependant bien soin de ne pas inclure le droit de grève et la loi 14 dans la liste des "dispositions qui entravent significativement la capacité des citoyens et des citoyennes à faire valoir leurs droits". Le barreau peut certes dénoncer les atteintes à la liberté d'expression et à la démocratie libérale mais il ne peut quand même pas se mettre à dos les grands cabinets d'affaires et d'employeurs, en défendant activement le droit de grève. [2]
Pendant ce temps cependant, en dehors des radars de ce qui se fait passer pour un service public d'information, la riposte contre ces "dérives autoritaires" commence à s'organiser, un peu partout. Aux États-Unis, exception faite de quelques décisions judiciaires audacieuses isolées, provenant de juridictions inférieures, cette riposte a surtout pris la forme de mobilisations historiques (No Kings) et de l'élection, avec le soutien des syndicats, de candidat·es socialistes ouvertement engagé·es dans la défense des services publics et des droits des travailleurs et des travailleuses. Ce fut notamment le cas avec l'élection de Zohran Mamdani à New York ou plus récemment encore avec celle de la syndicaliste Katie Wilson à Seattle.
Les centrales syndicales québécoises quant à elles refusent toujours de s'engager ouvertement sur le terrain politique. Elles ont notamment réussi l'exploit d'ignorer complètement les élections municipales de Montréal, alors même que des milliers d'employé·es municipaux avaient adopté des mandats de grève. Mais sous la pression de la base (et peut-être aussi en raison des attaques du gouvernement contre les cotisations syndicales), les centrales amorphes jusque-là sont progressivement contraintes de se réveiller. La première manifestation intersyndicale depuis plus de deux ans est ainsi prévue le 29 novembre 2025, place du Canada, à 13h30.
Martin Gallié,
Délégué du SPUQ au Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN).
[1] Pour un exemple parmi des dizaines, voir https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2025-11-14/greve-a-la-stm/attendez-vous-a-un-week-end-complique.php .
[2] Ce sont d'ailleurs ces cabinets d'employeurs, "de concert avec les régimes les plus autoritaires" pour reprendre la formule d'Alain Supiot, qui s'attaquent en ce moment même au droit de grève devant la Cour internationale de justice.

Les mouvements sociaux et la COP 30 : alliances transnationales contre l’offensive extractiviste mondiale
Alors qu'à Belém, les promesses creuses se répètent, une multitude de mouvements sociaux, indigènes et écologistes promeuvent, à partir de divers espaces de rencontre, un programme internationaliste contre l'extractivisme et pour la justice climatique.
11 novembre 2025
Il y a du mouvement à Belém. D'un côté, lors du sommet officiel, qui a été inauguré hier et durera deux semaines, les délégations des différents pays débattront de la possibilité d'avancer en matière d'atténuation, de financement et de mécanismes pour une transition juste. De l'autre, dans les différents forums et espaces de rencontre, des organisations et des collectifs sociaux venus du monde entier, en particulier d'Amérique latine, tenteront ces jours-ci de revitaliser les alliances internationalistes pour faire face à l'offensive extractiviste mondiale.
En réalité, il ne faut pas attendre grand-chose du premier groupe. Depuis trop longtemps, les COP sont devenues un rituel où défilent les principaux dirigeants mondiaux – cette fois-ci, même ceux des pays les plus pollueurs (Chine, États-Unis, Inde, Russie) n'y ont pas participé – pour faire de solennelles déclarations d'intention et promouvoir de nouveaux mécanismes qui, une fois le rideau tombé, ne se traduisent pas concrètement en calendriers et en budgets. « Nous ne voulons pas que ce soit un marché aux produits idéologiques, nous voulons quelque chose de très sérieux et que les décisions soient mises en œuvre », a déclaré le président brésilien, reconnaissant l'inefficacité de sommets qui oscillent entre le greenwashing et le business as usual.
Dans le 2e groupe, cependant, il est possible de trouver un regain d'espoir. Parallèlement à la COP 30 – on pourrait même dire en opposition au sommet officiel –, une multitude d'organisations et de mouvements indigènes, écologistes, syndicaux, féministes et anticapitalistes se sont réunis à Belém pour repenser leurs stratégies et relancer les instances internationales afin de renforcer les processus de lutte et de résistance. Après l'expérience du Forum social mondial et dans le but de surmonter les contradictions des gouvernements progressistes, l'objectif est de promouvoir des processus d'auto-organisation communautaire qui reconstruiraient le tissu social et regarderaient au-delà des exigences permanentes envers l'État.
Sommets des peuples
Les Sommets des peuples se tiennent depuis trente ans parallèlement aux sommets sur le climat organisés par les Nations Unies. Cette année, après trois éditions de la COP organisées dans des pays caractérisés par la criminalisation du droit de manifester et la persécution des militant·es et des organisations critiques à l'égard des gouvernements, les collectifs sociaux ont manifesté un regain d'intérêt pour ce forum. À Cúpula dos Povos, à Belém, seront présent·es des représentant·es de plus de 1 200 organisations du monde entier, qui se rassembleront autour d'un objectif : « Renforcer la mobilisation populaire et converger vers des programmes unifiés : socio-environnementaux, anti-patriarcaux, anticapitalistes, anticolonialistes, antiracistes et fondés sur les droits humains », peut-on lire dans le manifeste.
Le Sommet des peuples débutera demain, 12 novembre, par une marche fluviale réunissant plus de 200 embarcations et quelque 5 000 personnes. Avec cette caravane nautique, les mouvements qui participent à ce sommet alternatif « s'unissent pour faire résonner, à travers les eaux, le cri de dénonciation contre les décisions de la COP qui perpétuent ce modèle d'exploitation territoriale ». Comme l'a déclaré l'un des porte-parole de l'initiative, « les eaux de l'Amazonie apportent les voix que le monde a besoin d'entendre : les voix de ceux et celles qui défendent la vie, les territoires et le climat ».
Les dizaines de conférences, d'ateliers et d'assemblées qui se dérouleront pendant quatre jours dans le cadre du Sommet des peuples culmineront le samedi 15 novembre avec une grande manifestation, qui s'accompagnera d'actions décentralisées dans de nombreux autres pays. Le dimanche 16, les revendications du Sommet des peuples seront présentées lors de la session plénière de la COP.
Lors de cet événement, le plus important de tous ceux qui rassembleront des militant·es et des organisations sociales autour de la COP 30, l'un des thèmes qui fera sans aucun doute l'objet de débats est celui des relations entre les mouvements et les gouvernements progressistes. Il y a trois semaines, sans aller plus loin, la compagnie publique Petrobras a reçu l'accord du gouvernement Lula pour exploiter du pétrole en eaux profondes à environ 500 km de l'embouchure du fleuve Amazone. Dans une ville décorée pour l'occasion de milliers d'affiches publicitaires colorées soulignant l'importance de la protection de l'Amazonie, le fossé entre le discours habituel du capitalisme vert et l'urgence toujours reportée de transformer le modèle primaire-exportateur sera une nouvelle fois mis en évidence.
Mais ce forum n'est pas le seul à se tenir à Belém en marge des initiatives parrainées par le gouvernement brésilien. Du 8 au 11 novembre, les IIe Rencontres écosocialistes latino-américaines et caribéennes ont réuni deux cents militant·es de base de nombreux pays afin de réfléchir, à partir de l'expérience des luttes contre le pillage territorial, aux stratégies permettant de renforcer un front commun internationaliste capable de faire face à la crise socio-écologique. Parallèlement, du 7 au 12 novembre, s'est tenue la IVe Rencontre internationale des personnes touchées par les barrages, fruit d'un processus de coordination internationale des luttes communautaires contre les grandes centrales électriques qui existe depuis déjà trois décennies.
Les peuples contre l'extractivisme
Sur une planète en proie à l'urgence climatique et aux inégalités extrêmes générées par le capitalocène (et par des politiques qui maquillent le capitalisme en vert), différentes voix de résistance au modèle extractiviste se sont jointes à la coalition Pueblos contra el Extractivismo (Peuples contre l'extractivisme). Cet espace a été créé à Belém le 9 novembre dernier afin d'unir et de coordonner les mouvements, les communautés et les organisations qui luttent contre la spoliation et misent sur une transformation profonde du système qui menace la vie et les territoires.
Ce réseau international regroupe principalement des expériences d'Amérique latine et d'Europe, mais s'engage à étendre sa présence au continent africain. La coalition est composée de mouvements de base, de peuples autochtones, d'afro-descendant·es et de paysan·nes, ainsi que de diverses organisations sociales de masse. Tous et toutes luttent, sur différents fronts, contre un même ennemi : le modèle extractiviste qui perpétue la surexploitation continue des biens communs et l'expansion des frontières productives vers des territoires considérés comme « improductifs ». Cela ne se limite pas à l'exploitation minière ou pétrolière, mais inclut également les monocultures, l'agro-industrie, les biocarburants et les mégaprojets énergétiques qui consolident un modèle dépendant et génèrent une reprimarisation des économies périphériques.
Pour ce réseau, l'extractivisme n'est pas seulement une pratique économique, mais aussi une forme d'organisation du pouvoir au sein des démocraties libérales et un mécanisme de domination qui conditionne la vie des communautés. Dans cette nouvelle phase d'accumulation capitaliste, la spoliation des peuples et de leurs territoires – cyniquement transformés en zones de sacrifice – s'impose, désormais justifiée au nom de la transition énergétique. Dans le capitalisme vert militaire, l'Union européenne, les États-Unis et la Chine se disputent le contrôle des minéraux essentiels au maintien du métabolisme économique du centre capitaliste. Dans cette course effrénée pour s'assurer l'accès aux matières premières critiques, qui ne représente aucun progrès réel dans la transition écosociale, l'exploitation minière s'impose actuellement comme l'expression la plus violente de l'extractivisme : militarisation, déplacements forcés, racisme, criminalisation et même assassinats de ceux qui défendent les biens communs.
L'alliance Pueblos contra el Extractivismo (Peuples contre l'extractivisme) défend l'idée que la protection des habitats et des écosystèmes est indissociable de la lutte contre l'offensive extractiviste néocoloniale. Cet internationalisme se tisse, pour commencer, dans la dénonciation et le soutien aux peuples de l'Équateur, du Panama et du Pérou, où la répression étatique s'est intensifiée ces derniers mois avec des arrestations arbitraires, la militarisation des communautés et la persécution judiciaire des leaders environnementaux et sociaux. Et parallèlement, face à l'extension de la frontière extractive, elle s'appuie sur la construction d'alternatives à partir de la base.
Les résistances territoriales s'organisent pour défendre l'eau, la terre, les territoires et ceux qui les habitent, en articulant différentes luttes et revendications. En Équateur, les communautés amazoniennes ont freiné des projets pétroliers ; au Panama, le mouvement populaire a réussi à faire annuler une concession minière après des semaines de mobilisation ; au Pérou, les rondas campesinas (patrouilles paysannes) maintiennent vivante la défense collective des biens communs. Ces processus replacent le droit de résister comme une pratique partagée contre le néocolonialisme extractiviste.
La planète et les communautés ne peuvent plus continuer à attendre la bonne volonté des gouvernements qui encouragent la fièvre extractiviste. Face à la spoliation des territoires, à la militarisation et à l'impunité des entreprises, ce réseau internationaliste se propose de renforcer la défense du territoire en tant que corps vivant, car le territoire n'est pas une ressource : il est la base matérielle de la vie des communautés et de la nature qui l'habite et, dans le cas des peuples autochtones, la base spirituelle de la vie. Il défend également le droit à la résistance, à l'autodéfense et à l'autodétermination des peuples, en tant que piliers de la justice environnementale et sociale. Il milite pour la construction d'alternatives communautaires, telles que les économies solidaires, l'autogouvernance, les réseaux féministes et agroécologiques et de nombreuses autres pratiques promues par les organisations de base.
Renforcer les réseaux transnationaux contre-hégémoniques est essentiel pour faire face au pouvoir des entreprises et avancer vers un horizon de vie digne et de justice climatique. Comme le répète Pueblos contra el Extractivismo dans son argumentaire : nos territoires ne se négocient pas, ils se défendent.
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COP 30 : « La nature dévore le progrès et le dépasse ». Surréalisme et nature
Nous, surréalistes, n'attendons rien du Sommet des Nations unies sur le changement climatique à Belém. Nous sommes tous des passagers dans un train, conduit par une locomotive suicidaire appelée « civilisation capitaliste industrielle moderne », qui roule de plus en plus vite vers un abîme : la catastrophe écologique. Tribune collective.
Tiré de blogs.mediapart
10 novembre 2025
Par Michael Löwy
Directeur de recherche émérite au CNRS
Abonné·e de Mediapart
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.
Surréalisme et nature
COP 30
Nous, surréalistes, n'attendons rien du Sommet des Nations unies sur le changement climatique (COP 30, novembre 2025) à Belém, dans la région amazonienne du Brésil.
Nos espoirs reposent sur la résistance contre la destruction écologique capitaliste et le changement climatique catastrophique par les forces de la nature sauvage elle-même et par les communautés qui osent lutter contre le pouvoir monstrueux de la civilisation occidentale moderne. Les mouvements indigènes et paysans brésiliens, ainsi que d'autres forces critiques, seront présents à Belém do Pará, brandissant la bannière de la désobéissance.
Le magnifique tableau de Max Ernst, Jardin gobe-avions (Jardin gobe-avions) de 1935, est un véritable manifeste surréaliste écologique en avance sur son temps. Fasciné par la forêt sauvage, Ernst en a peint un grand nombre au cours des années 1930 et 1940, peuplées d'esprits et de divinités païennes. Mais dans Jardin gobe-avions, la nature ne se contente pas de manifester sa puissance luxuriante et énigmatique ; elle dévore « sauvagement » les machines de la civilisation.
Il existe trois versions : dans les trois, on voit une végétation luxuriante et multicolore attaquer goulûment des morceaux de métal pâle éparpillés qui, dans l'une des versions, prennent explicitement la forme de pièces d'avion. On ne peut s'empêcher d'être impressionné par la prémonition de l'artiste : l'avion allait révéler, au cours des années suivantes, de Guernica (1937) à nos jours, sa formidable puissance en tant qu'arme de destruction massive.
Certes, c'est aussi un moyen de transport. Mais au XXI^e siècle, les écologistes ne manquent pas de souligner son rôle néfaste : réservé à une minorité privilégiée, il est un émetteur majeur de gaz à effet de serre, contribuant ainsi au réchauffement climatique. D'où les combats écologiques contre la construction de nouveaux aéroports, comme à Notre-Dame-des-Landes, où le Jardin des Zadistes a réussi à engloutir tous les avions destinés au site...
En 1937, Benjamin Péret publiait dans Minotaure (n° 10) un article étonnant intitulé « La nature dévore le progrès et le dépasse », peut-être inspiré par un épisode qu'il avait vécu lors de son séjour au Brésil au début des années 1930. Voici un extrait de ce texte, qui décrit la lutte victorieuse – érotique ! – de la forêt vierge contre la machine qui symbolise le progrès industriel promu par le capital, la locomotive.
« La forêt a reculé devant la hache et la dynamite, mais entre deux passages de train, elle s'est élancé sur la voie, en adressant au mécanicien du convoi des gestes provocants (...). La machine s'arrêtera pour une étreinte qu'elle voudrait passagère , mais qui se prolongera à l'infini, selon le désir perpétuellement renouvelé de la séductrice. (...) Dès lors, commence la lente absorption : bielle après bielle, manette par manette, la locomotive entre dans le lit de la forêt et, de volupté en volupté, se baigne, frémit, gémit comme une lionne en rut. Elle fume des orchidées, sa chaudière abrite les ébats des crocodiles éclos de la veille, cependant que dans le sifflet vivent des légions d'oiseaux-mouches qui lui rendent une vie chimérique et provisoire, car bientôt la flamme de la forêt, après avoir longuement léché sa proie, l'avalera comme une huître. »
Dans la bataille entre la forêt et la machine, Max Ernst et Benjamin Péret ont clairement choisi leur camp...
Dans L'Amour Fou, Breton rend hommage à « l'amour de la nature et de l'homme primitif qui imprègne l'œuvre de Rousseau ». Ce double amour, hérité du romantisme révolutionnaire rousseauiste, caractérisera l'esprit surréaliste tout au long de son histoire, bien au-delà de la France ou de l'Europe : il suffit de penser à la poésie d'Aimé Césaire, aux essais de Suzanne Césaire, ou à la peinture de Wifredo Lam et Ody Saban.
Des idées similaires ont été développées par le surréaliste de Chicago Franklin Rosemont dans son brillant essai sur « Marx et les Iroquois » (Arsenal, n° 4, 1989). Cet engagement surréaliste prend aujourd'hui une nouvelle pertinence, alors que les communautés autochtones se trouvent en première ligne dans la lutte contre la destruction de la nature par la « civilisation ». Leonora Carrington, dans « What is a Woman, 1970 », écrivait : « Si les femmes restent passives, je pense qu'il y a très peu d'espoir pour la vie sur cette Terre. » Heureusement, les femmes sont très actives dans toutes les luttes écologiques, parfois au prix de leur vie, comme Berta Caceres, la femme autochtone hondurienne tuée par des voyous militaires en 2016.
Contrairement à l'exploitation capitaliste et écocide de la nature, on trouve parmi les communautés « sauvages » - un terme chargé de défiance que les surréalistes préfèrent à « primitives » - de tous les continents une perception de la nature comme une « forêt enchantée ». Cette relation de respect pour le monde sacré des esprits de la nature et d'harmonie avec celle-ci est l'une des raisons pour lesquelles les surréalistes, dès les débuts du mouvement dans les années 1920, ont manifesté leur sympathie, leur admiration et leur soutien aux « sauvages » dans leur lutte contre l'oppression meurtrière du colonialisme et sa prétention à imposer, par le fer et le feu, la « civilisation » et le « progrès » aux colonisés.
Dans un magnifique texte de 1963 intitulé « Main première », Breton rend hommage aux aborigènes australiens et à leur « terre des rêves » (Alcheringa), dont « l'art brut », décrit dans les œuvres de Karel Kupka, « esquisse une certaine réconciliation de l'homme avec la nature et avec lui-même ».
N'est-ce pas là l'utopie surréaliste ultime, la réconciliation de l'homme avec la nature ? Une utopie plus que jamais d'actualité, à l'heure où le progrès mène une guerre sans merci pour piller et écraser, avec ses machines, avec « la hache et la dynamite » (Péret), le jardin enchanté qui nous entoure.
Dans ses thèses Sur le concept d'histoire – un document critiqué par Jürgen Habermas, cet apologiste inconditionnel de la « modernité », parce qu'il s'inspirait « de la conscience du temps telle que la conçoivent les surréalistes, qui se rapproche de l'anarchisme » –, le marxiste Walter Benjamin a discrètement pris ses distances avec les illusions progressistes de Marx : « Marx disait que les révolutions sont la locomotive de l'histoire mondiale. Peut-être que les choses sont différentes. Il se peut que les révolutions soient l'acte par lequel l'humanité, voyageant dans le train, tire le frein d'urgence. »
Nous, surréalistes, pensons que l'image de Benjamin est très pertinente aujourd'hui. Nous sommes tous des passagers dans un train, conduit par une locomotive suicidaire appelée « civilisation capitaliste industrielle moderne », qui roule de plus en plus vite vers un abîme : la catastrophe écologique. Il faut l'arrêter de toute urgence et laisser la nature se réaffirmer, en dévorant tranquillement les locomotives de ce qu'on appelle "progrès".
Silvia Guiard (Argentine), Ameli Jannarelli, Alex Januário, Elvio Fernandes, Guilherme Ziggy, Diogo Cardoso, Leonardo Chagas, Rodrigo Qohen, Marcela Mendes Mejias, Leonardo Silvério, Renato Souza, Liz Under, Pedro Spigolon, Nitiren Queiroz, Flávia Falleiros, Maria Regina Margini Marques. (Brésil) Beatriz Hausner, Ron Sakolsky, Sheila Nopper, Susana Wald (Canada) Vicente Gutierrez Escudero, , Jesús García Rodríguez (Espagne), Gale Ahrens, Jay Blackwood, Laura Corsiglia, , Beth Garon, , Robert Green , Gina Litherland, David Roediger, Hal Rammel, Penelope Rosemont, Tamara Smith, Abigail Susik, Debra Taub, Joel Williams, Craig Wilson (Etats Unis), Yoan Armand Gil, Patrick Lepetit, Michael Löwy, Muriel Martin, Isidro Martins, Ody Saban (France) Miguel de Carvalho (Portugal), John Richardson, John Welson (Royaume Uni),
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Ce qui se cache derrière le nouveau plan israélien visant à diviser Gaza en deux
L'Agence Média Palestine propose une traduction de cette analyse de Muhammad Shehada, écrivain et analyste politique originaire de Gaza, chercheur invité au Conseil européen des relations étrangères, pour le magazine +972.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Alors que Trump salue la « paix », Israël met en place un nouveau régime caractérisé par des frontières fortifiées, un pouvoir par procuration et un désespoir orchestré, avec l'expulsion comme objectif final.
Depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, l'administration Trump salue le début d'un nouveau chapitre à Gaza. « Après tant d'années de guerre incessante et de danger permanent, aujourd'hui, le ciel est calme, les armes sont silencieuses, les sirènes se sont tues et le soleil se lève sur une Terre Sainte enfin en paix », a déclaré le président lors de son discours à la Knesset au début du mois. Mais les faits sur le terrain révèlent une réalité bien plus sombre et mettent en lumière le nouveau plan d'Israël visant à soumettre définitivement l'enclave.
Avec la « ligne jaune », Israël a divisé la bande de Gaza en deux : Gaza Ouest, qui couvre 42 % de l'enclave, où le Hamas reste au pouvoir et où plus de 2 millions de personnes sont entassées ; et Gaza Est, qui couvre 58 % du territoire, qui a été entièrement dépeuplée de civils et est contrôlée par l'armée israélienne et quatre gangs auxiliaires.
Dans le plan Trump, cette ligne était censée être un repère temporaire, la première étape du retrait progressif d'Israël de la bande de Gaza, une force internationale de stabilisation prenant le contrôle sur le terrain. Au lieu de cela, les forces israéliennes s'installent, renforçant la division par des travaux de terrassement, des fortifications et des barrières qui suggèrent une démarche de pérennisation.
L'ouest de Gaza commence à ressembler au sud du Liban, que l'armée israélienne continue de bombarder régulièrement depuis la signature d'un cessez-le-feu avec le Hezbollah en novembre dernier. Depuis le début de la trêve à Gaza, les frappes aériennes, les attaques de drones et les tirs de mitrailleuses israéliens continuent de s'abattre quotidiennement sur la population, généralement sous le prétexte non fondé de « déjouer une attaque imminente », de riposter à des agressions présumées contre des soldats israéliens ou de cibler des individus qui s'approchent de la ligne jaune. À ce jour, ces attaques ont tué plus de 200 Palestiniens, dont des dizaines d'enfants.
Israël continue de restreindre l'aide à l'ouest de Gaza, avec une moyenne d'environ 95 camions entrant par jour pendant les 20 premiers jours du cessez-le-feu, bien en dessous des 600 par jour stipulés dans l'accord entre Israël et le Hamas. La plupart des habitants ont perdu leur maison, mais Israël continue d'empêcher l'entrée de tentes, de caravanes, de logements préfabriqués et d'autres produits de première nécessité, alors que l'hiver approche.
L'est de Gaza, autrefois le grenier de l'enclave, est aujourd'hui un désert désolé. Des collègues et des amis qui vivent à proximité décrivent le bruit constant des explosions et des démolitions : les soldats israéliens et les entrepreneurs privés des colons continuent de raser systématiquement tous les bâtiments restants, à l'exception des petits camps destinés aux gangs vivant sous la protection de l'armée israélienne et approvisionnés en armes, en argent, en véhicules et autres produits de luxe.
Israël n'a pas l'intention de quitter l'est de Gaza de sitôt. L'armée a renforcé la ligne jaune avec des blocs de béton, engloutissant ainsi de vastes portions de l'ouest de Gaza, et le ministre de la Défense, Israel Katz, s'est ouvertement vanté d'avoir autorisé à tirer sur toute personne s'approchant de la barrière, même si ce n'est que pour tenter de rejoindre son domicile. Selon certaines informations, Israël prévoit également d'étendre la ligne jaune plus à l'ouest de Gaza, mais l'administration Trump semble retarder cette initiative pour l'instant.
Lors d'une conférence de presse la semaine dernière, l'envoyé spécial de Trump, Jared Kushner, a annoncé que la reconstruction ne concernerait que les zones actuellement sous le contrôle total de l'armée israélienne, tandis que le reste de Gaza resterait en ruines jusqu'à ce que le Hamas désarme complètement et mette fin à son règne.
Ces divisions de plus en plus marquées entre l'est et l'ouest de Gaza laissent présager ce que le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer, a appelé « la solution à deux États… au sein même de Gaza ». Israël autoriserait une reconstruction symbolique dans les zones de Rafah contrôlées par ses milices, tandis que le reste de l'est de Gaza deviendrait probablement une zone tampon rasée et un dépotoir pour Israël. Dans ce scénario, l'ouest de Gaza resterait dans un état perpétuel de guerre, de ruines et de privations.
Il ne s'agit pas d'une reconstruction d'après-guerre, mais plutôt d'un désespoir orchestré, imposé par des murs, la menace constante de la violence militaire et des réseaux de collaborateurs. Gaza est en train d'être refaite, non pas pour le bien de sa population, mais pour consolider le contrôle permanent d'Israël et faire avancer son objectif de longue date : chasser les Palestiniens de la bande de Gaza.
Le Hamas réaffirme son contrôle
De son côté, le Hamas tente de réaffirmer son contrôle dans l'ouest de Gaza afin de renverser l'effondrement social provoqué par Israël au cours de deux années de génocide. Dès l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, le Hamas a lancé une campagne de répression sécuritaire afin de poursuivre les criminels et de désarmer les clans et les milices soutenus par Israël.
Cette campagne a culminé avec l'exécution publique de huit collaborateurs présumés et de violents affrontements avec le clan Daghmoush, une démonstration de force calculée visant à intimider les groupes rivaux. La stratégie semble avoir porté ses fruits : plusieurs familles ont rapidement remis leurs armes au Hamas sans opposer de résistance.
Avec cette campagne, le Hamas vise également à faire savoir, tant au niveau national qu'international, qu'il n'a pas été vaincu malgré ses pertes importantes pendant la guerre, et qu'il ne peut être écarté des débats sur l'avenir de Gaza. Dans le même temps, le groupe tente de rétablir un semblant d'ordre civil et de se venger des membres de gangs et des criminels qui ont profité du chaos de la guerre pour piller et s'en prendre aux civils. Cela s'inscrit également dans le cadre d'un effort visant à retrouver sa légitimité après avoir perdu une grande partie de son soutien populaire à la suite des destructions massives subies par Gaza.
Pendant ce temps, le Premier ministre Benjamin Netanyahu s'est efforcé de persuader Trump d'autoriser Israël à reprendre le génocide, en exploitant des incidents isolés à Rafah pour justifier une nouvelle action militaire. Dans un cas, deux soldats israéliens auraient été tués après avoir roulé sur des munitions non explosées ; dans un autre, des soldats ont été attaqués par ce qui semblait être une petite cellule du Hamas qui n'était pas au courant du cessez-le-feu et n'avait aucun lien avec la chaîne de commandement du groupe.
Netanyahu a également instrumentalisé la répression sécuritaire du Hamas, la présentant comme une série de meurtres contre des civils, et a accusé le groupe de refuser de restituer les corps des otages ou de désarmer, tout cela dans le but de persuader Washington de donner son feu vert à une nouvelle offensive à Gaza sous prétexte de faire pression sur le Hamas.
Le président américain, encore euphorique après la vague exceptionnelle de couverture médiatique positive autour du cessez-le-feu à Gaza, a jusqu'à présent réussi à contenir Israël, mais on ne sait pas combien de temps cela durera. Le président du Comité des chefs d'état-major est le prochain à devoir surveiller Netanyahu, après les visites de Trump, du vice-président J.D. Vance et du secrétaire d'État Marco Rubio.
Pour l'instant, le président est déterminé à préserver le cessez-le-feu, même si ce n'est que de manière symbolique, afin d'éviter de donner l'impression d'avoir échoué ou d'avoir été berné par Netanyahu. Mais le Premier ministre israélien fait le pari qu'avec le temps, Trump sera distrait par le prochain événement majeur, se désintéressera de Gaza et lui laissera à nouveau les mains libres.
« La nouvelle Rafah »
Mais s'il ne peut pas revenir à une offensive à grande échelle, le plan de secours d'Israël consiste à persuader la Maison Blanche de limiter la reconstruction à la partie orientale de Gaza contrôlée par Israël, en commençant par Rafah, commodément située le long de la frontière avec l'Égypte, où plus de 150 000 Gazaouis ont déjà fui (la reconstruction dans le nord, dans des zones telles que Beit Lahiya, est notablement absente de ces plans). Selon les médias israéliens, la ville reconstruite – qui comprendrait « des écoles, des cliniques, des bâtiments publics et des infrastructures civiles » – serait entourée d'une vaste zone tampon, constituant en fait une « zone de mort ».
À terme, Israël pourrait autoriser, voire encourager, les Palestiniens à s'installer dans les zones reconstruites de Rafah, qui constitueraient une « zone de sécurité » à Gaza où les civils pourraient fuir le Hamas – une idée que les voix pro-israéliennes dans les médias américains tentent de vendre. Comme le Hamas ne peut être totalement éliminé de Gaza, comme l'a récemment admis Amit Segal, chroniqueur politique israélien et allié de Netanyahu, le seul « avenir » pour les Palestiniens de l'enclave se trouvera dans l'est démilitarisé sous contrôle israélien.
« Une nouvelle Rafah… ce serait la Gaza modérée », a déclaré Segal à Ezra Klein du New York Times. « Et l'autre Gaza serait ce qui se trouve dans les ruines de la ville de Gaza et les camps de réfugiés dans le centre de Gaza. »
Actuellement, les seuls habitants palestiniens de Rafah sont les membres de la milice de Yasser Abu Shabab, un groupe lié à Daech, armé, financé et protégé par Israël. Il semble très improbable que beaucoup de Palestiniens acceptent de vivre sous le joug d'un seigneur de guerre, trafiquant de drogue condamné et collaborateur qui, à la demande d'Israël, pille systématiquement les réserves alimentaires et impose la famine à Gaza. De plus, toute personne qui traverse la frontière vers la partie est de Gaza contrôlée par Israël risque d'être considérée comme un collaborateur, comme cela est arrivé à Moumen Al-Natour, un éminent militant anti-Hamas qui a fui la récente répression du Hamas pour se réfugier sur le territoire d'Abu Shabab et qui a ensuite été renié par sa famille.
Même si certains Gazaouis désespérés acceptent de déménager à Rafah, Israël ne les laissera certainement pas passer en masse de la partie occidentale à la partie orientale de Gaza, sous prétexte d'empêcher l'infiltration du Hamas parmi la foule. Le plan des « bulles de sécurité » – présenté pour la première fois par le ministre de la Défense de l'époque, Yoav Gallant, en juin 2024 – qui prévoyait la création de 24 camps fermés vers lesquels la population de Gaza serait progressivement transférée, fournit un modèle : l'armée israélienne inspecterait et contrôlerait chaque personne autorisée à passer à l'est de Gaza, ce qui entraînerait inévitablement un processus bureaucratique long et intrusif, basé sur l'intelligence artificielle, qui exposerait les demandeurs au chantage des agences de sécurité israéliennes, qui pourraient exiger leur collaboration en échange de leur entrée.
Israël a clairement fait savoir que toute personne qui franchirait cette « zone stérile » à Rafah ne serait pas autorisée à revenir de l'autre côté de Gaza, transformant ainsi Rafah en un « camp de concentration », comme l'a déclaré l'ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert. De nombreux Palestiniens éviteraient donc d'entrer dans l'est de Gaza, craignant que si Israël reprend le génocide avec la même intensité, ils soient poussés vers l'Égypte. En effet, alors même qu'elle élabore des plans pour permettre la reconstruction à Rafah, l'armée israélienne continue de démolir et de faire sauter les maisons et les bâtiments qui restent dans cette zone.
En fin de compte, la « nouvelle Rafah » d'Israël servirait de village Potemkine, une façade extérieure destinée à faire croire au monde que la situation est meilleure qu'elle ne l'est en réalité, n'offrant qu'un abri de base et une sécurité légèrement supérieure aux Palestiniens qui s'y réfugient. Et sans reconstruction complète ni perspective politique, ce plan semble ressembler à ce que le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, avait promis en mai : « Les citoyens de Gaza seront concentrés dans le sud. Ils seront totalement désespérés, comprenant qu'il n'y a aucun espoir et rien à attendre à Gaza, et chercheront à se réinstaller pour commencer une nouvelle vie ailleurs. »
Le désarmement comme piège
Que la reconstruction se poursuive ou non dans l'est de Gaza, Israël la présentera de plus en plus comme une zone « sans terrorisme » et « déradicalisée » et continuera à bombarder l'autre côté sous prétexte de désarmer et de renverser le Hamas.
Le groupe islamiste a déjà accepté de remettre Gaza à un comité technocratique administratif et d'autoriser le déploiement dans l'enclave d'une nouvelle force de sécurité palestinienne formée par l'Égypte et la Jordanie, ainsi que d'une mission de protection internationale. Netanyahu a toutefois catégoriquement rejeté l'entrée de 5 500 policiers palestiniens à Gaza, refusé d'autoriser les forces de stabilisation turques ou qataries à entrer dans la bande de Gaza et fait obstruction à la création du comité administratif.
De même, le désarmement est un domaine ambigu qui fournit à Israël un prétexte quasi illimité pour empêcher la reconstruction dans l'ouest de Gaza et maintenir son contrôle militaire. Le Hamas a indiqué qu'il accepterait de démanteler ses armes offensives (telles que les roquettes) et a déjà accepté de renoncer au reste de son armement défensif léger (y compris les armes à feu et les missiles antichars) dans le cadre d'un accord de paix, plutôt que comme condition préalable.
Le Hamas est également ouvert à un processus similaire à celui mis en place en Irlande du Nord, dans le cadre duquel il enfermerait ses armes défensives dans des entrepôts et s'engagerait à cesser complètement les hostilités pendant une ou deux décennies, ou jusqu'à la fin de l'occupation illégale par Israël. Dans ce cas, les armes légères restantes serviraient en quelque sorte d'assurance pour garantir qu'Israël ne reniera pas ses promesses de se retirer de Gaza et de mettre fin au génocide.
Les gouvernements britannique et égyptien, ainsi que l'Arabie saoudite et d'autres puissances régionales, font actuellement pression pour que soit adopté le modèle de désarmement de l'Irlande du Nord, signe qu'ils reconnaissent le caractère sensible et complexe de la question du désarmement.
L'insistance d'Israël sur un désarmement complet et immédiat est un piège délibérément irréalisable qui exige la capitulation totale des Palestiniens. Même si les dirigeants du Hamas à Doha étaient contraints d'accepter cette capitulation, bon nombre de leurs propres membres et d'autres groupes militants à Gaza ne manqueraient pas de désobéir. Cela ressemblerait à l'accord de désarmement conclu en Colombie, où de nombreux militants des FARC ont fait défection et créé de nouvelles milices ou rejoint des gangs.
Et tant que l'armée israélienne restera à Gaza, sans véritable perspective de mettre fin au siège et au régime d'apartheid imposés par Israël, certains acteurs seront toujours incités à prendre les armes. Israël pourra alors invoquer ces groupes dissidents ou ces militants isolés pour justifier la poursuite des bombardements et de l'occupation de Gaza.
Israël a passé plus de 740 jours, dépensé près de 100 milliards de dollars et perdu environ 470 soldats à réduire Gaza en poussière. Comme Netanyahu s'en est vanté en mai, Israël a « détruit de plus en plus de maisons [à Gaza, et les Palestiniens] n'ont nulle part où retourner », ajoutant : « Le seul résultat évident sera que les Gazaouis choisiront d'émigrer hors de la bande de Gaza. »
Même après avoir échoué à expulser massivement la population par une attaque militaire directe, les dirigeants israéliens poursuivent désormais le même objectif par l'épuisement et le désespoir orchestré, utilisant les décombres, le siège et les bombardements périodiques comme instruments de redessinage démographique. La perspective d'un nettoyage ethnique n'a pas disparu avec le cessez-le-feu ; elle s'est simplement transformée en une nouvelle politique, déguisée et normalisée par une planification bureaucratique.
Traduction : JB pour l'Agence Média palestine
Source : +972 Magazine
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Nous savons à quoi ressemble un accord commercial conclu par Trump, et c’est pire que vous ne le pensez
Les droits de douane imposés par Trump causent peut-être des difficultés économiques au Canada, mais ses récents « accords commerciaux » avec d'autres pays montrent que la situation pourrait empirer considérablement.
Tiré de Rabble
10 novembre 2025
Dans un récent article d'opinion publié dans le Globe and Mail, le chroniqueur Andrew Coyne a fait valoir que lorsque le Canada doit choisir entre un mauvais accord commercial et l'absence totale d'accord, la seule bonne décision est de « ne pas jouer ». Nous avons maintenant pris connaissance des détails des accords conclus par Trump avec le Royaume-Uni, l'Union européenne, le Japon et la Corée du Sud, et il a raison. Signer un tel accord avec notre plus grand partenaire commercial serait une terrible erreur.
Conclure des accords avec Trump est périlleux. Même après les menaces, les insultes et les gesticulations, les accords eux-mêmes sont d'une rapacité éhontée. De plus, ces soi-disant accords existent dans une zone grise diplomatique. Il ne s'agit pas d'accords juridiques ratifiés par les parlements de toutes les parties comme l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) sur le libre-échange des marchandises. Ce sont des mémorandums soutenus par un décret, et c'est ce que souhaite Trump. Il peut les réviser quand bon lui semble, et les petites économies doivent se taire et l'accepter.
De mauvais accords
Après beaucoup de tapage, le Japon a conclu un accord douloureux en juillet. Les détails ont été révélés en septembre, notamment un droit de douane de 15 % sur les voitures japonaises et l'engagement d'investir la somme colossale de 550 milliards de dollars provenant de fonds publics aux États-Unis, au cours des trois prochaines années. Ce montant est si énorme que le nouveau gouvernement japonais est déjà en train de reconsidérer son engagement.
Plus important encore, cet argent sera géré par l'United States Investment Accelerator, un nouveau bureau du département du Commerce. C'est le gouvernement américain qui décide où investir, et non le Japon.
À la fin du mois d'octobre, la Corée du Sud a également été poussée à signer un accord. Une tendance commence à se dessiner. Les voitures Hyundai et Kia entreront désormais aux États-Unis avec un droit de douane de 15 %. Washington a de nouveau exigé une injection massive de liquidités. La Corée investira 200 milliards de dollars aux États-Unis et partagera les bénéfices avec les Américain·es. Un investissement supplémentaire de 150 milliards de dollars sera consacré à un partenariat dans le domaine de la construction navale.
Lors de la cérémonie de signature, la Corée a offert une couronne en or à Trump. Le symbolisme n'a échappé à personne.
À quoi le Canada peut-il s'attendre ?
Tous ces accords présentent quatre caractéristiques : des droits de douane punitifs, des investissements massifs aux États-Unis, des engagements excessifs en matière de sécurité et de dépenses militaires et un accès privilégié aux exportations pour les biens et les industries américains.
Jusqu'à présent, le gouvernement Carney n'a pas cédé à la pression. Mais Trump exige quelque chose de similaire pour le Canada, avec en plus l'humiliation de démanteler l'industrie automobile. Il veut que Ford, General Motors et Stellantis transfèrent leur production aux États-Unis. En octobre, les constructeurs automobiles ont commencé à se conformer à cette exigence lorsque Jeep et d'autres chaînes de production ont été transférées vers des usines américaines dans le Midwest.
Nous ne devrions pas être surpris·es. La Commission royale d'enquête sur les perspectives économiques du Canada dans les années 1950, le rapport Watkins de 1968 et la Société de développement du Canada créée en 1971 ont tous prédit que la propriété américaine servirait les intérêts des États-Unis et non ceux du Canada. La succursale suivra toujours les directives du siège social lorsque les choses tourneront mal.
Dans un article du Wall Street Journal sur la situation actuelle en matière de droits de douane, le Canada arrivait en deuxième position parmi une douzaine de grandes économies, avec des droits de douane imposés de 35 %, auxquels s'ajoutent les 10 % supplémentaires promis par Trump pour avoir cité Ronald Reagan. Nous devons nous attendre à ce que l'offre finale de l'administration comprenne des droits de douane allant de 15 à 50 %. Les taux exorbitants sur le bois d'œuvre, dépassant 50 %, resteront très élevés, tout comme les droits de douane sur les métaux canadiens.
Nos industries de l'acier et de l'aluminium sont en grande difficulté et les travailleuses et travailleurs de l'Ontario et du Québec perdent leur emploi. Si nous voulons un accord qui préserve un certain accès au marché américain, nous devrons faire ce que l'UE, la Corée et le Japon ont déjà fait, et offrir des centaines de milliards de dollars en espèces que les Américain·es investiront dans ce qu'ils veulent.
En outre, nous devrons verser des dizaines de milliards de dollars à des dispositifs de sécurité américains tels que Golden Dome, en plus de l'augmentation des dépenses consacrées à notre propre armée. En échange, Trump pourrait accepter de réduire les droits de douane sur des secteurs cruciaux. Ou peut-être pas. Ou il pourrait modifier l'accord dès qu'il estimera pouvoir nous soutirer davantage.
Les producteurs d'énergie canadiens à forte participation étrangère bénéficieront d'un taux tarifaire réduit de 10 %, afin de maintenir les prix du gaz américain à un niveau bas tout en renforçant la position de la première ministre Danielle Smith lors du prochain référendum sur l'indépendance de l'Alberta.
La situation peut toujours empirer
Les observatrices et observateurs chevronnés savent que le Canada a peu d'options. Nous pouvons accepter un mauvais accord et le qualifier de victoire. Ou nous pouvons nous retirer des négociations et espérer que Trump n'intimidera pas le Congrès pour qu'il rejette l'ACEUM.
Le gouvernement Carney adopte une position intermédiaire, gagnant du temps tout en négociant un accord moins ambitieux. Le Cabinet espère que les élections de mi-mandat et la Cour suprême réduiront la capacité de Trump à nuire à l'économie canadienne. C'est un pari risqué, mais les alternatives sont pires.
Rassembler des soutiens
Les principales industries canadiennes ont été durement touchées par les bombes commerciales de Trump. Les exportations forestières ont chuté de 25 % en raison des droits de douane américains. Les exportations de métaux et de minéraux ont perdu des parts de marché. Les exportations automobiles ont chuté de près de 10 % en juin par rapport à l'année précédente. Les biens de consommation ont chuté de 15 % en avril.
Au-delà des accords scandaleux signés jusqu'à présent, il n'y a pas de processus politique significatif dans le monde de Trump, pas de consultation approfondie, pas de voie claire à suivre. Personne ne sait où mènera la personnalisation autoritaire du pouvoir aux États-Unis. Et personne ne sait quel rôle joueront les institutions clés du Congrès et de la Cour suprême dans la révolution tarifaire de Trump.
Il est significatif que, après neuf mois de négociations, le public canadien ne sache pratiquement rien de nos positions sur les questions clés. Nous en savons plus sur les négociations de Trump avec la Chine que sur celles d'Ottawa avec Washington.
Si nous voulons traverser les années Trump sans que notre économie ne soit affectée, il est temps de commencer à sortir des sentiers battus. Mais nous avons besoin d'une créativité appropriée. Jusqu'à présent, tout ce que nous voyons de la part de nos amis européens et asiatiques, ce sont des variations sur le thème de la capitulation.
Carney doit mobiliser les Canadien·nes pour ce qui va suivre. Nous devons connaître les limites de notre gouvernement et savoir ce dont nous devrons peut-être nous éloigner. Avec 76 % de nos exportations destinées à un seul marché, le Canada est une proie facile pour Trump. Il n'est pas garanti que l'on puisse rallier le soutien du public pour s'opposer au géant américain, mais les discussions discrètes autour de la table des négociations ne fonctionnent clairement pas.
Nous arrivons rapidement à un point où faire beaucoup de bruit pourrait être notre dernière et meilleure carte à jouer. En d'autres termes, avec un soutien public actif très visible et une stratégie ciblée d'action collective, Carney pourrait bien acquérir le levier dont il a tant besoin pour conclure l'accord du siècle. Rester les bras croisés n'est plus une option.
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Cure minceur pour les portefeuilles des particuliers au Canada
Un nouveau rapport de Deloitte prévoit une croissance du PIB de 1,3 % pour le Canada cette année. Le même rapport indique que tant que Donald Trump maintiendra les exemptions prévues par l'ACEUM dans son plan tarifaire (sachant que cet accord fait en sorte que la plupart des marchandises que nous exportons vers les États-Unis ne sont pas soumises à des droits de douane), nous pouvons espérer une croissance de 1,7 % l'année prochaine. Cela marquerait un retour aux taux de croissance observésen 2023 et 2024.
Tiré de Canadian Dimension
Canadians are living through a people's recession
Why your bank account feels the squeeze while
23 octobre 2025
James Hardwick/
Traduction Johan Wallenfren
Les économistes semblent prudemment optimistes quant à la possibilité pour le Canada d'éviter une récession et de renouer avec une période de relative stabilité.
Voilà qui devrait constituer une excellente nouvelle. Sur papier, l'économie a prouvé sa résilience face à de sérieux défis. Mais alors, pourquoi a-t-on l'impression que la précarité gagne de plus en plus de terrain ? Si l'économie se porte si bien, pourquoi tant de Canadiens font-ils la queue devant les banques alimentaires, reportent-ils leur projet d'avoir des enfants et renoncent-ils à l'idée d'accéder à la propriété ? Qu'est-ce qui fait que 30 % d'entre nous réduisent leurs dépenses essentielles, comme l'alimentation et le chauffage, pour joindre les deux bouts ? Pourquoi, après des années de croissance post-pandémique, nos salaires confèrent-ils un pouvoir d'achat qui n'a jamais été aussi bas ?
Le décalage entre les grands indicateurs économiques et le quotidien des Canadiens est un fossé que nos dirigeants politiques semblent incapables ou peu disposés à combler. Les parlementaires ont pris l'habitude de nous dire que tout va bien à la base, qu'il suffit de vivre selon nos moyens, de blâmer les immigrants et d'annuler Disney Plus. Il n'est pas venu à l'esprit de nos élites politiques que leurs indicateurs pourraient passer à côté de quelque chose.
Quelque chose comme une dette de 3 000 milliards de dollars, une bombe à retardement dont le tic-tac discret perce à peine le mince vernis de stabilité du Canada.
Alors que l'économie a connu une croissance de 1,5 % l'année dernière, les ménages canadiens ont vu les intérêts sur leur dette augmenter de 9 % (les intérêts annuels ont grimpé de 16 milliards de dollars pour atteindre le chiffre stupéfiant de 174 milliards de dollars). Ces niveaux d'endettement sans précédent dans l'histoire ont conduit à ce que 14 % de notre revenu disponiblesoit réservé à nos créanciers. Pas étonnant que nous nous sentions pris à la gorge.
Ces dettes, dont 75 % sont des dettes hypothécaires, sont lourdes à porter pour tout le monde. Enfin, tout le monde sauf les banquiers. Le coût élevé du service de la dette fait que les gens ont moins d'argent à dépenser et que les entreprises en gagnent moins. Le poids disproportionné des dettes à rembourser retire de l'argent du flux circulaire de l'économie de production et de consommation (c'est-à-dire de l'économie réelle) et le canalise vers les plus riches d'entre nous.
Les prêteurs avancent que ce type d'analyse passe à côté de l'essentiel. Ils affirment que les paiements d'intérêts ne peuvent être dissociés d'une économie « réelle » délimitée de manière arbitraire et que les banques utilisent les intérêts qu'elles perçoivent pour réinvestir dans la capacité de production du pays. Si c'est ainsi que les choses fonctionnent dans les manuels universitaires (les banques prêteraient aux entreprises pour leur permettre de moderniser leurs technologies ou de développer leurs activités), ce n'est tout simplement pas ainsi que les prêts fonctionnent dans la pratique.
Au lieu d'utiliser leurs bénéfices pour le développement d'entreprises, les banques ont montré une forte préférence pour l'octroi de prêts moins risqués, dont la majorité est dévolue à l'achat de biens immobiliers résidentiels et commerciaux. Dans les faits, la majeure partie des prêts est principalement destinée à faciliter les transferts de titres de propriété. Cela a pour double effet d'alourdir notre endettement et de faire grimper les prix de l'immobilier.
Selon l'économiste Michael Hudson, les banques prétendent que leurs bénéfices sont injectés dans l'économie, « créant des emplois et finançant de nouvelles usines et d'autres moyens de production », mais « en réalité, les prêts bancaires ne financent pas directement l'investissement et l'emploi. Ils extraient le service de la dette tout en gonflant les prix des actifs pour générer des gains « en capital ».
La nature contre-productive de ces jeux financiers a été résumée par l'ancien président de l'Autorité des services financiers du Royaume-Uni, Adair Turner, qui a qualifié une grande partie de la finance mondiale de « socialement inutile ».
Même des institutions résolument favorables aux banques, comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque des règlements internationaux (BRI), ont publié des études qui montrent qu'un secteur financier dépassant une certaine taille freine la croissance et augmente le risque de crise économique. Après avoir examiné un large éventail de contextes nationaux et historiques, ces études suggèrent que le seuil de « trop de finance » est franchi lorsque les prêts privés représentent entre 80 et 100 % du PIB. Pour donner un ordre de grandeur, la dette privée du Canada représente actuellement 212 % du PIB nominal.
Donc, oui, Chrystia Freeland a raison : l'économie est en croissance… mais les coûts du service de la dette augmentent plus rapidement encore. Ce phénomène est observable dans les données du PIB elles-mêmes. Les banques et les propriétaires immobiliers génèrent 32 % de la croissance du PIB, ce qui fait de la spéculation immobilière le principal moteur de la croissance au Canada, bien devant l'industrie manufacturière, le commerce de détail ou le pétrole et le gaz. Lorsque les banques et les propriétaires immobiliers vous prennent votre argent, sachez que vous contribuez à la croissance du PIB canadien.
Notre économie est tirée par des industries « socialement inutiles » qui profitent de la spéculation alimentée par l'endettement sur les marchés immobiliers. Ce type de croissance n'est pas lié à une augmentation de la production, mais au fait que les rentiers font payer plus cher l'accès à ce qui existe déjà. C'est une croissance qui réduit notre capacité à acheter des biens et des services et qui, en fin de compte, freine la capacité de production nationale.
Même si les chiffres du PIB post-pandémie peuvent paraître encourageants, nous nous retrouvons à faire plus avec moins. Le fardeau toujours croissant de la dette nous a plongés dans une récession effective, masquée dans les statistiques officielles par une bulle immobilière massive. Il y a une limite à cela, un point où la dette qui nous est imposée devient tout simplement impossible à rembourser. Si nous nous permettons d'en arriver là, la bulle éclatera. La seule question est de savoir ce qu'il restera de l'économie réelle lorsque cela se produira.
* James Hardwick est écrivain et militant communautaire. Il a plus de dix ans d'expérience dans l'aide aux adultes en situation de pauvreté et sans domicile fixe auprès de diverses ONG à travers le pays.
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CJPME remercie le maire Chow d’avoir reconnu le génocide à Gaza
Le 4 novembre 2025, CJPMO a adressé une lettre à la mairesse de Toronto, Olivia Chow, pour la remercier de ses propos reconnaissant le génocide commis par Israël à Gaza.
Cher Madame la Mairesse Chow,
Je vous écris au nom de Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient (CJPMO) afin de vous remercier pour vos récentes déclarations reconnaissant le génocide à Gaza. Cette reconnaissance est la première étape vers la justice pour le peuple palestinien qui est confronté à une violence et une oppression inimaginables. Alors que les Palestiniens de Gaza sont confrontés à des bombardements, à l'occupation et à la famine, le moins que nous puissions faire est d'être honnêtes dans les mots que nous utilisons pour demander la fin de ces atrocités.
Compte tenu de la gravité des crimes dont Israël est accusé, il n'est pas surprenant que votre position ait été critiquée par les partisans inconditionnels d'Israël. Cependant, vous pouvez être assuré que votre position reflète le consensus au sein de la communauté des droits de la personne et parmi les experts en droit international. L'attaque d'Israël contre la population de Gaza a été reconnue comme un génocide par la Commission d'enquête indépendante des Nations unies, des experts des Nations unies, Amnesty International, Human Rights Watch, Médecins sans frontières, des groupes palestiniens et israéliens de défense des droits de la personne, ainsi que des spécialistes du génocide et de l'Holocauste. La Cour internationale de justice a statué que les Palestiniens ont le droit d'être protégés contre le génocide. Il ne s'agit pas d'une question politique, mais simplement de reconnaître ce que tout le monde peut clairement voir lorsqu'on choisit de regarder.
Il est également important de noter que le public canadien partage votre opinion. Un sondage récent montre que 64 % des Canadiens souhaitent que leur gouvernement reconnaisse qu'Israël commet un génocide à Gaza, dont 84 % des partisans libéraux, 98 % des partisans du NPD et même 32 % des conservateurs.
Nous vous remercions d'avoir écouté vos électeurs et d'avoir pris position en faveur de la justice et de la paix. Nous vous encourageons à soutenir des mesures politiques concrètes que le Canada peut prendre pour mettre fin au génocide.
Nous espérons que vous vous joindrez au mouvement qui réclame un embargo complet et réciproque sur les armes à destination d'Israël, tout comme vous aviez précédemment utilisé votre tribune pour appeler à un cessez-le-feu.
Cordialement,
Michael Bueckert, PhD
Président par intérim
Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient
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Ukraine / une lettre à la gauche occidentale, depuis l’Europe centrale et orientale (+ Lettre ouverte à Zarah Sultana)
D'ici, dans cette partie du monde, c'est comme assister à une pièce de théâtre moralisatrice jouée dans une langue qui n'a pas de mot pour nous. Vous traitez l'impérialisme comme un phénomène exclusivement anglophone, une simple structure construite à Washington, entretenue par Londres, et nulle part ailleurs.
une lettre à la gauche occidentale avec frustration, depuis l'Europe centrale et orientale
Je dirais qu'il faut parler de votre silence, mais en réalité, il faut parler de votre bruit.
9 novembre 2025 | tiré de Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/11/09/ukraine-une-lettre-a-la-gauche-occidentale-depuis-leurope-centrale-et-orientale-lettre-ouverte-a-zarah-sultana/#more-
Plus précisément, tout ce bruit que vous faites autour de l'empire, de la libération et de la solidarité, alors que vous trouvez mille raisons de détourner le regard de l'impérialisme russe. Vous avez écrit des dissertations sur les crimes des États-Unis et d'Israël (et vous avez raison), mais dès que des missiles s'abattent sur Kharkiv ou Kiev, vous vous mettez à ressasser sans cesse la « provocation de l'OTAN » et les « guerres par procuration ». Vous ne percevez les nuances que lorsque l'empire est drapé de symboles et d'esthétique soviétiques ou lorsqu'il s'agit d'une entité que vous considérez comme un adversaire de l'hégémonie américaine. C'est réducteur et puéril [Campiste, disons-nous en Europe, NDT]. Je dirais qu'il faut parler de votre silence, mais en réalité, il faut parler de votre bruit.
Plus précisément, tout ce bruit que vous faites autour de l'empire, de la libération et de la solidarité, alors que vous trouvez mille raisons de détourner le regard de l'impérialisme russe. Vous avez écrit des dissertations sur les crimes des États-Unis et d'Israël (et vous avez raison), mais dès que des missiles s'abattent sur Kharkiv ou Kiev, vous vous mettez à ressasser sans cesse la « provocation de l'OTAN » et les « guerres par procuration ». Vous ne percevez les nuances que lorsque l'empire est drapé de symboles et d'esthétique soviétiques ou lorsqu'il s'agit d'une entité que vous considérez comme un adversaire de l'hégémonie américaine. C'est réducteur et puéril.
D'ici, dans cette partie du monde, c'est comme assister à une pièce de théâtre moralisatrice jouée dans une langue qui n'a pas de mot pour nous. Vous traitez l'impérialisme comme un phénomène exclusivement anglophone, une simple structure construite à Washington, entretenue par Londres, et nulle part ailleurs. Mais nous avons vécu les chars « antifascistes » de Moscou, ses occupations « fraternelles », cette forme de libération qui se termine en prisons et en déportations. L'impérialisme russe n'a pas disparu avec les tsars ni les Soviets. Il a simplement appris à parler votre vocabulaire, et vous avez été assez naïfs pour en boire chaque mot.
Quand nous le soulignons, vous nous traitez de « russophobes », comme si la mémoire et les archives historiques étaient des péchés. Vous ridiculisez nos révolutions (1968, 1989, Maïdan) en les qualifiant de « révolutions de couleur », de complots de la CIA ou de spectacles occidentaux. Vous refusez de croire que des gens comme nous puissent se soulever pour leur propre compte. À vos yeux, la libération n'est authentique que lorsqu'elle s'oppose à une entité occidentale ou lorsque les influenceurs gauchistes et crétins du PSL [Post-Soviet Left, NDT] et les créateurs de mèmes que vous suivez en parlent.
Pendant ce temps, des militants de gauche, des anarchistes, des féministes et des syndicalistes ukrainiens meurent en première ligne. Ils ne se battent pas pour l'OTAN, mais pour le droit à l'existence et pour l'idée fondamentale que la classe ouvrière mérite de vivre libre du joug de l'impérialisme russe. Parmi eux, certains étaient des organisateurs syndicaux, des socialistes, des anarchistes, des punks et des antifascistes. Désormais, leurs noms sont gravés sur des monuments commémoratifs, ignorés par le mouvement même qui, pensaient-ils, les soutiendrait. Leur mort remet en question vos théories, alors vous détournez le regard ou vous inventez les excuses les plus pitoyables.
Et puis il y a votre slogan : « Pas de guerre, mais une lutte des classes. » Facile à scander en sécurité, impossible à vivre sous les bombardements. Vous le prononcez comme une formule magique, comme si votre rhétorique suffisante pouvait arrêter l'artillerie. Mais il n'y a pas de lutte des classes pure quand les usines sont bombardées, quand les ouvriers sont déportés, quand les syndicalistes sont exécutés. La lutte des classes que vous invoquez est déjà en cours. Elle a pris la forme de pauvres et de travailleurs ukrainiens qui se battent pour survivre. Vous refusez simplement de la reconnaître, parce que les morts parlent une langue que vous ne prenez pas la peine de traduire ou viennent d'un pays que vous avez toujours considéré comme « problématique » parce qu'il remettait en question la théorie soviétique à laquelle vous vous accrochez désespérément et autour de laquelle vous construisez vos personnalités.
Vous dites détester les empires, mais vous n'en visez qu'un seul. Vous vous indignez de l'hégémonie américaine tout en excusant la conquête russe. Vous idéalisez la « multipolarité », comme si choisir un autre empire revenait à en démanteler un. Vous vous persuadez que la solidarité signifie s'opposer à l'Amérique à tout prix, même si cela implique de se ranger, dans les faits, du côté de ceux qui violent des civils, enlèvent des enfants pour les rééduquer [russification, NDT] et bombardent des hôpitaux en prétendant agir pour la libération.
Et pourtant, nous essayons toujours de trouver un terrain d'entente. Nombre d'entre nous ici soutiennent la Palestine sans équivoque. Nous sommes révoltés par l'apartheid israélien, par l'occupation et les massacres, par l'arrogance coloniale qui se dissimule derrière un discours sécuritaire et un nationalisme fallacieux. Nous le comprenons, car beaucoup d'entre nous l'ont vécu. Mais lorsque nous pénétrons dans vos espaces, lorsque nous marchons à vos côtés ou tentons de nous organiser, l'atmosphère change. Vous nous regardez avec suspicion, comme si les Européens de l'Est étaient incapables de comprendre ce que signifie la colonisation. Vous confondez notre situation géographique avec un privilège, notre douleur avec de la propagande. Vous nous riez au nez et nous traitez de « lavage de cerveau » lorsque nous essayons de raconter l'histoire de nos familles ou d'expliquer pourquoi l'impérialisme russe reste de l'impérialisme.
Nous constatons la montée du fascisme dans vos pays et nous sommes profondément touchés. Nous savons ce que cela signifie lorsque les médias mentent, lorsque les groupes vulnérables sont pris pour cible, lorsque des personnes disparaissent, lorsque la cruauté devient une identité nationale et lorsque la vérité s'effondre sous le joug d'une idéologie dangereuse. Nous souhaitons que vous remportiez vos combats contre l'État, contre la police, contre les fascistes et les milliardaires. Et nous sommes heureux de faire tout notre possible pour vous aider. Mais la solidarité ne peut être à sens unique. Vous attendez de nous de l'empathie ; vous n'apprenez jamais notre histoire, vous ne prenez jamais nos luttes au sérieux et vous ne nous considérez même pas comme des êtres humains.
Vous appelez à la révolution, mais ce que vous convoitez en réalité, c'est le contrôle du récit. Vous citez Lénine ou des révolutionnaires du Sud, mais vous ignorez les populations qui vivent les luttes que vous idéalisez. Vous utilisez des slogans pour masquer les souffrances et détourner l'attention des victimes. Vous nous réduisez à des métaphores pour que votre monde reste d'une simplicité confortable : l'Amérique, le grand méchant, et tous les autres, simples figurants ou insignifiants.
Si votre anti-impérialisme ne s'applique que lorsque les bombes tombent en anglais, ce n'est pas de la solidarité. C'est du narcissisme déguisé en vertu, l'incarnation même de l'exception américaine.
Nous n'avons pas besoin de votre pitié. Nous avons besoin de lucidité. Nous avons besoin que vous voyiez l'empire, même lorsqu'il arbore les symboles que vous admirez et dont vous vous drapez pour tenter de paraître subversifs dans vos banlieues américaines. Car si vous en êtes incapables, si votre prétendue solidarité internationaliste s'arrête à Berlin, alors vous ne construisez pas une gauche mondiale. Vous continuez simplement à vivre dans vos propres bulles de déni.
20 octobre 2025
https://dumplingradical.substack.com/p/a-letter-to-the-western-left
https://blogs.mediapart.fr/patricio-paris/blog/011125/ukraine-une-lettre-la-gauche-occidentale-depuis-leurope-centrale-et-orientale
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Galina Rymbu : Lettre ouverte à Zarah Sultana ( co-leader de Your Party)
Une féministe, anarchiste et poète vivant en Ukraine adresse un message personnel et politique à la dirigeante de Your Party, invitant à réfléchir à ce que pourraient être l'antifascisme contemporain et de véritables stratégies de solidarité avec les opprimés.
Chère Zarah,
Récemment, plusieurs journalistes et militant·es de gauche m'ont contactée pour me demander mon avis sur votre position concernant la suspension du soutien politique et militaire au peuple ukrainien. Après avoir réfléchi à la manière de répondre, j'ai décidé de vous écrire une lettre personnelle. En tant que militante de gauche et féministe russe vivant en Ukraine depuis huit ans, cela me semblait plus approprié que de faire un commentaire neutre et sans relief.
Je m'adresse à vous personnellement également parce que je vois comment des personnes comme vous, qui apparaissent sur la scène politique mondiale, deviennent une source d'espoir pour de nombreuses et nombreux opprimés, dont les voix et les cris sont encore étouffés par les discours des dictateurs et les calculs « pragmatiques » des capitalistes qui préfèrent continuer à mener leurs affaires sales et sanglantes avec eux.
Pour de nombreuses jeunes générations de militant·es de gauche, votre nom est associé à une promesse d'avenir et de progrès, car beaucoup sont lassés de la politique menée à huis clos dans les « clubs d'hommes » élitistes, auxquels nous ne serons jamais invitées. Je sais à quel point cela est important pour mes camarades au Royaume-Uni, et lors de ma visite à Londres à la veille de la pandémie, nous en avons beaucoup parlé — en lisant de la poésie politique dans des squats et en discutant dans de petits bars de l'avenir de notre planète.
De ma naissance à l'âge de 27 ans, j'ai vécu en Russie. J'ai grandi en Sibérie occidentale, dans la cité ouvrière de Chkalovsky, dans la ville d'Omsk, au sein d'une famille pauvre de la classe ouvrière, d'origine moldave, roumaine et ukrainienne. Nous vivions en dessous du seuil de pauvreté ; nous n'avions même pas les moyens de payer l'électricité, notre maison était donc souvent plongée dans l'obscurité et nous manquions de nourriture. Mes parent·es vivent toujours à Chkalovsky, dans un endroit que les Européen·nes qui ont réussi qualifieraient probablement de « fond du panier social ». Mes ami·es, mes camarades de classe et mes amant·es y vivent toujours. J'ai aujourd'hui 35 ans et je suis toujours pauvre. Je reste attaché à ma classe sociale et aux personnes qui perdent la raison dans cette « prison des nations ». Depuis mon enfance, j'ai été confrontée à de multiples formes de discrimination et de persécution fondées sur mon origine ethnique, simplement à cause de mon prénom, de mon nom de famille et de mon apparence. Plus tard, j'ai vécu à Moscou et à Saint-Pétersbourg, où j'ai étudié la littérature, puis je me suis tournée vers la recherche en « philosophie de la guerre », cherchant à comprendre les fondements de l'idée de transformer une « guerre impérialiste en guerre civile » (une évolution que l'on retrouve notamment dans le Carnet Clausewitz de Lénine).
J'ai également observé les politiques systématiques de discrimination à l'encontre des millions de personnes en Russie qui ne sont pas membres de la « nation titulaire » et dont les peuples et les cultures sont actuellement en train d'être effacés de la surface de la Terre par la Russie. De nombreuses et nombreux militants de gauche issus des mouvements anticolonialistes, qui luttent pour la survie de leurs peuples sur le territoire de la Fédération de Russie, affirment que le régime russe mène une politique délibérée d'ethnocide. Et aucune cessation des hostilités ne les arrêtera. À l'heure actuelle, le régime russe et les élites russes détruisent des dizaines de peuples vivant à l'intérieur des frontières internationalement reconnues de la Fédération de Russie.
Lorsque je vivais en Russie, je me suis engagée dans le militantisme étudiant, de gauche et féministe. J'ai également écrit — et je continue d'écrire — de la poésie, cherchant des moyens de donner de la visibilité aux voix de protestation de mes camarades et des personnes partageant les mêmes idées. Dans ma poésie, j'accorde une attention particulière au développement de l'imaginaire politique de gauche et à la subjectivité radicale de la contestation. J'écris l'histoire de ma propre expérience, de ma famille et de ma classe sociale, alors même que d'autres personnalités de gauche puissantes et influentes cherchent à se laver les mains dans un nouveau bain de sang et à renforcer le régime de Poutine à un point tel qu'il devient incompatible avec toute vie sur cette planète.
D'après mon expérience dans l'espace politique russe, j'ai constamment été confrontée à une pression et une haine immenses de la part des élites culturelles conservatrices et des forces politiques néofascistes. Après avoir écrit deux poèmes — « My Vagina » et « Great Russian Literature » — critiquant la discrimination sexuelle, l'impérialisme russe et son pouvoir patriarcal brutal renforcé par de nombreuses institutions violentes, de nombreux hommes russes enragés et des militants d'organisations néofascistes russes ont commencé à me persécuter.
La première chose qu'ils m'ont dite, c'est de « quitter la Russie et retourner dans ma Moldavie noire ». Leur conseil suivant a été de rester, mais d'abandonner complètement la « littérature russe » et de faire ce que les « femmes moldaves et ukrainiennes » sont censées faire en Russie : réparer des appartements, nettoyer les sols et servir dans les maisons des riches Moscovites.
Au cours des huit années que j'ai passées en Ukraine, je n'ai jamais été victime d'une telle discrimination. Au contraire, mon expérience dans les espaces sociaux et les communautés culturelles locales a été source de soutien et d'apaisement.
C'est pourquoi j'ai été profondément consternée d'entendre votre récente interview à la suite du congrès anti-guerre des 4 et 5 octobre à Paris, dans laquelle vous disiez avoir rencontré « des orateurs/oratrices vraiment inspirant·es de Russie et d'Ukraine » qui soutiennent l'arrêt du soutien politique et militaire à l'Ukraine et estiment que « Zelensky n'est pas un ami de la classe ouvrière » ni du peuple ukrainien.
***
Le problème avec cette opinion, qui vous a influencé, vous et votre parti politique, est que les orateurs/oratrices que vous avez rencontré·es à Paris ne peuvent pas seulement représenter ou connaître les peuples russe et ukrainien, elles et ils ne représentent même pas une force de gauche significative en Russie, en Ukraine ou dans la diaspora de gauche. La plupart des militant·es de gauche d'Ukraine, de Biélorussie et de Russie se distancient des programmes politiques de ces individu·es et des organisations politiques qu'elles ou ils ont créées (PSL, Mir Snizu [« Paix par le bas »]).
Un autre problème est que ces organisations utilisent cyniquement des militants issus de ce qu'on appelle les « mouvements masculins », les incels et les masculinistes radicaux dans leur « lutte politique », les présentant aux politiciens et camarades de gauche européens comme des « opposants et dissidents ukrainiens ». Elles mobilisent ces militants pour des rassemblements dans les villes de l'UE et préparent des programmes à long terme de collaboration politique avec les mouvements masculinistes et misogynes radicaux de la diaspora. Sous prétexte de dénoncer les « violations des droits des hommes ukrainiens », ces militants propagent diverses théories du complot, affirmant par exemple publiquement que la guerre de la Russie contre l'Ukraine a en réalité été fomentée par des « femmes » dans le but d'« organiser un androcide », et diffusant des récits racistes répugnants selon lesquels l'Ukraine n'est pas réellement gouvernée par des Ukrainien·nes, mais par d'autres « peuples rusés », des « Juifs » et des « nains répugnants ».
Les dirigeants de ces groupes, tels que Sergey Khorolsky, qui coopèrent avec PSL et Mir Snizu, appellent publiquement et ouvertement à la violence physique et sexuelle contre les femmes et les filles, et incitent à la haine contre les réfugié·es ukrainien·nes, les qualifiant cyniquement d'« êtres sous-humains » qui ont quitté l'Ukraine non pas pour échapper aux bombardements, mais pour « coucher avec des migrant·es, des Arabes et des musulman·es », qu'ils méprisent également. Dans le même temps, ils (y compris Andrey Konovalov lui-même) produisent des caricatures antisémites cruelles et humiliantes de Zelensky et de journalistes ukrainien·nes libéraux ayant une identité culturelle juive. Leurs opinions politiques représentent une combinaison de discours néofascistes et d'extrême droite, de théories du complot et de méthodes interdites pour promouvoir leur programme misogyne et anti-ukrainien, qui va bien au-delà de ce qui est acceptable, même dans le domaine de la critique politique sévère.
Aucun d'entre eux n'est un « déserteur ukrainien et aucun n'a d'expérience du combat. Andrey Konovalov, qui se présente comme un « objecteur de conscience au service militaire », ne peut en fait être considéré comme tel, puisqu'il a quitté l'Ukraine en 2021 et que personne ici ne l'appelait sous les drapeaux. En Ukraine, les hommes de moins de 25 ans et les étudiant·es ne sont pas soumis à la mobilisation.
De plus, Andrey Konovalov, s'exprimant lors du congrès du 5 octobre et sur d'autres plateformes européennes, a affirmé qu'il y avait des répressions contre les organisations et les mouvements de gauche en Ukraine, que le mouvement de gauche était affaibli et qu'il ne pouvait pas affirmer sa volonté de dialoguer avec la Russie.
En réalité, cependant, Konovalov n'a aucun lien ni aucun contact avec les mouvements ou organisations de gauche ukrainiens, qui sont nombreux en Ukraine à l'heure actuelle et dont aucun n'est interdit. J'ai discuté avec des militant·es de plusieurs organisations, plateformes et mouvements de gauche ukrainiens, ainsi qu'avec des organisations de défense des droits humains qui documentent les violations des droits humains en Ukraine, et aucun d'entre elles ou eux n'a confirmé avoir coopéré avec le PSL, Mir Snizu ou Andrey Konovalov. De plus, elles et ils ne connaissent pas cette personne et n'ont jamais entendu parler d'elle auparavant.
Je pense également qu'il est important de noter que dans leurs déclarations publiques et leurs contacts avec les politicien·nes européen·nes, le PSL, Mir Snizu et leurs dirigeant·es (Liza Smirnova, Alexey Sakhnin, Andrey Konovalov et d'autres) critiquent les stratégies de mobilisation en Russie, qui sont actuellement mises en œuvre par le biais d'un « système néolibéral de contrats » et transforment effectivement l'armée de l'agresseur en mercenaires motivés. Pourtant, dans leurs déclarations à un public russe, tout en critiquant la mobilisation en Ukraine, elles et ils exhortent l'Ukraine à prendre l'exemple de la Russie et à créer exactement le même système de contrats militaires « néolibéraux » et d'incitations financières pour le peuple ukrainien afin de « résoudre le problème des droits humains ». Je considère cette rhétorique comme manipulatrice, contradictoire et cynique.
Une guerre d'usure lourde et à grande échelle sans soutien suffisant de la part des allié·es génère toujours des crises de mobilisation. Cependant, de nombreuses et nombreux Ukrainiens de diverses opinions politiques continuent à servir volontairement. Les Ukrainien·nes ne peuvent pas être transformé·es en une armée de mercenaires calculateurs, car pour elles et eux, il s'agit d'une guerre de libération nationale, d'une guerre anticolonialiste, d'une guerre pour la survie et la préservation de tout ce qui leur est cher.
À leur tour, l'argent et les contrats ne peuvent motiver que l'armée de l'agresseur, car malgré l'intensité de la propagande fasciste parmi ses citoyen·nes, le régime russe ne peut toujours pas offrir à son peuple des principes idéologiques clairs ou des motivations politiques capables de pousser les larges masses pauvres à tuer leurs voisin·es simplement par conviction.
Il était également triste d'entendre comment Konovalov, dans son discours du 5 octobre, a manipulé la tragédie à Gaza et les cœurs de milliers de militants·e de gauche qui sympathisent avec le peuple palestinien. Dans son discours, il a qualifié l'Ukraine d'État cruel, comparable à Israël. Selon cette logique, cela signifie-t-il que la Russie est la Palestine ? Pourquoi les 4 500 militant·es de gauche critiques présent·es dans cette salle ont-iels non seulement mordu à cet appât terrible, mais ont-iels également applaudi des manipulations qui n'ont rien à voir avec les réalités historiques et politiques des États mentionnés ? Que pensez-vous de cela ?
***
En fait, beaucoup de mes camarades parmi les militant·es de gauche russes et ukrainien·nes, qui connaissent bien la carrière politique des dirigeants du PSL et de Mir Snizu depuis la fin des années 2000 et le début des années 2010, ne sont même pas surpris·es par ce qu'ils font et disent, utilisant toutes les tribunes politiques européennes possibles. Les deux organisations sont affiliées au célèbre technologue politique russe Alexey Sakhnin, dont le travail au sein des mouvements de gauche est depuis longtemps profondément discrédité. Dans une émission récente diffusée après le congrès de Paris sur la chaîne YouTube russe Rabkor, il a laissé entendre qu'il considérait principalement les politiciens comme vous et Mélenchon comme des forces et des ressources grâce auxquelles il pouvait transmettre ses idées politiques et influencer les livraisons d'armes à l'Ukraine. Vous savez peut-être déjà que Sakhnin était auparavant l'idéologue et l'allié politique de l'organisation stalinienne radicale Borotba, qui a vu le jour en Ukraine peu avant la Révolution de la dignité (liée au Parti communiste ukrainien qui, avec l'aide des services spéciaux russes, a supervisé les « manifestations » séparatistes dans l'est du pays et soutenu l'agression militaire russe). Il existe également des preuves irréfutables de la coopération de Borotba avec l'administration du président russe sous la supervision de Vladislav Surkov.
Ce n'est qu'après que Borotba et le CPU, s'étant alliés aux néofascistes pro-russes, soient devenus les organisateurs d'attaques brutales contre des militant·es anarchistes pendant la Révolution de la dignité et les organisateurs de l'« Anti-Maidan » (également soutenu par les services spéciaux russes et des groupes militarisés arrivés en Ukraine depuis la Russie), qu'Alexey Sakhnin a agi en tant que principal défenseur et « promoteur » de ces organisations sur la scène internationale de gauche.
Dans de nombreuses interviews accordées à des médias de gauche européens, il a présenté Borotba et le CPU comme des « dissidents de gauche » et des « antifascistes » qui auraient été victimes de « répression » en Ukraine et auraient besoin de soutien. Pendant ce temps, des militants de Borotba et du CPU ont participé à des campagnes de « déstabilisation politique » en Moldavie, en alliance avec l'organisation néonazie russe Slavic Unity, et un nombre important de militants de ces organisations ont rejoint en 2014-2015 des groupes militarisés combattant aux côtés de la Russie dans les régions de Donetsk et Louhansk en Ukraine. Malgré cela, Sakhnin a continué à soutenir Borotba au fil des ans et, dans une interview accordée en 2021 à la radio russe Svoboda, il l'a qualifiée d'« organisation fraternelle ». Il a également publié des appels à la « solidarité antifasciste » internationale avec Vlad Voitsekhovsky, un militant de Borotba qui a rejoint le bataillon fasciste Prizrak, qui a combattu aux côtés de la Russie sous le commandement d'Alexey Mozgovoy et est tristement célèbre pour sa cruauté particulière. Alors que la majorité des militant·es de gauche ukrainiens·ne ont vivement critiqué Borotba et appelé les militant·es de gauche européen·nes à la prudence dans leur coopération avec cette organisation. Je pense que ce n'est pas un hasard si aujourd'hui, l'un des dirigeants du PSL et de la coalition Mir Snizu, qui mène un travail politique pour mettre fin aux livraisons d'armes européennes à l'Ukraine, est le staliniste convaincu Viktor Sidorchenko. Dans ma récente chronique, publiée par le collectif médiatique partisan Media Resistance Group, j'ai souligné que Viktor Sidorchenko a longtemps été fonctionnaire et secrétaire d'une des branches du Parti communiste ukrainien (CPU). Dès 2014, immédiatement après la Révolution de la dignité, Sidorchenko est devenu l'un des militants de l'Anti-Maïdan de Kharkiv et l'un des organisateurs des rassemblements pro-russes de mars de la soi-disant « milice populaire » à Kharkiv, où il a exigé un référendum et « l'autonomie économique et culturelle-historique totale » de la région de Kharkiv, c'est-à-dire la création d'une soi-disant « KhNR » analogue à la « DPR » et à la « LPR ». Ces « rassemblements » ont été organisés par le CPU, Borotba, ainsi que par les services spéciaux russes et des organisations militarisées néonazies pro-russes telles que Rus Triyedinya, Russian East, Great Rus et Oplot.
En 2014, les anarchistes ukrainien·nes ont analysé les activités du Parti communiste ukrainien (CPU) comme étant enracinées dans le « grand chauvinisme russe » et ont noté que ce parti prônait la restriction des droits des LGBT, l'introduction de la peine de mort et menait des politiques antisémites, tatarophobes et ukrainophobes. Dans leur journal Kommunist, ils ont publié « des articles racistes dans lesquels les Afro-Américain·es souffrant du chômage étaient qualifié·es de fainéant·es, et les fusillades de grévistes au Kazakhstan étaient saluées comme une « lutte contre l'impérialisme ».
De nombreux dirigeants du mouvement Borotba étaient également issus du CPU, notamment Alexey Albu, qui a appelé à l'introduction de troupes russes à Odessa, et le compagnon de longue date de Viktor Sidorchenko, Alexander Fedorenko, connu pour sa participation à l'attaque brutale contre des anarchistes ukrainien·nes non armé·es et contre le poète le plus célèbre d'Ukraine, Serhiy Zhadan, le 1er mars 2014. Les camarades de Sidochchenko ont ouvert le crâne de Zhadan après qu'il ait refusé de s'agenouiller devant eux et de saluer la Russie. Viktor Sidorchenko et Alexander Fedorenko restent cofondateurs de la fondation caritative Angel, qui opère toujours sur le territoire ukrainien, bien que la nature de ses activités ne puisse être déterminée à partir de sources ouvertes.
Je pense que les dirigeants du PSL et de Mir Snizu que vous avez rencontrés au congrès de Paris – et qui vous ont inspiré – ne veulent pas réellement arrêter Poutine et sont incapables d'aider les pauvres et les opprimés, que ce soit en Russie ou en Ukraine. Lorsqu'ils appellent à faire pression sur l'Ukraine en limitant les livraisons d'armes, ils savent parfaitement que Poutine ne s'arrêtera pas. Il n'a aucune intention de s'arrêter où que ce soit. Appeler l'Ukraine et ses allié·es à « s'arrêter » ne peut signifier qu'une seule chose : inviter Poutine à aller plus loin, où bon lui semble. Et alors, nos écoles et nos hôpitaux ukrainiens seront bombardés, et les cruels « safaris de drones » sur les civil·es se poursuivront.
***
Zarah, honnêtement, j'ai peur de vivre dans un monde qui ressemble à un royaume de miroirs tordus et brisés, où les misogynes deviennent des « dissidents ukrainiens » et des « défenseurs des droits humains », et où les technologues politiques du Kremlin, les tueurs, les provocateurs et les bellicistes se rebaptisent « militant·es de gauche » et « antifascistes ».
Je pense que cela illustre encore clairement comment les campagnes d'influence et le soft power russes peuvent fonctionner. Ils manipulent notre nostalgie et notre espoir d'un avenir meilleur, nos angles morts dans la compréhension des cultures et des traditions de chacun, nos expériences et nos émotions les plus intimes — et ils bouleversent nos valeurs libératrices et radicalement démocratiques.
Et nous ne nous sentons plus chez nous dans nos propres « mondes de gauche ». Nous nous sentons sacrément mal à l'aise. Au-dessus de nos maisons, des drones volent et les éclats des bombes au phosphore illuminent le ciel. Beaucoup de mes ami·es qui ont vu des bombes au phosphore exploser au-dessus de leur tête disent que c'est incroyablement beau. Lorsqu'une bombe au phosphore explose, elle laisse dans le ciel d'innombrables petites étincelles qui traînent une traînée lumineuse — cela ressemble à un feu d'artifice. C'est fascinant. Je pense que cette image, et son effet émotionnel, capturent parfaitement l'essence même du fascisme – et de la propagande fasciste russe, qui fait aujourd'hui l'objet de vifs débats parmi de nombreuses et nombreux intellectuels influents, de Slavoj Žižek à Peter Pomerantsev. La propagande russe dans le « monde occidental » n'est plus enveloppée dans le drapeau tricolore symbolique et les rubans de Saint-Georges. Elle vous enchante, elle vous confronte à celles et ceux qui disent ce que vous avez besoin d'entendre, ce que vous voulez entendre, et ce qui pourrait plaire à vos électeurs et électrices. Et elle tue.
J'ai peur de vivre dans un monde où le fascisme russe peut si facilement pénétrer les pensées, les paroles et les cœurs de nos camarades de lutte. Où il peut si facilement s'emparer des îlots de liberté qui nous sont chers et saper nos réseaux déjà fragiles de lutte internationale, de confiance et de solidarité. Je ne veux pas vivre dans un tel monde. Ce n'est pas mon « monde d'en bas ». Et je le combattrai. Parce que c'est moi, et non les technologues politiques du Kremlin, qui suis vraiment « d'en bas », et que je pense aux peuples. C'est pourquoi je choisis de m'exprimer d'une manière qui n'est ni belle ni confortable.
***
Zarah, si nous nous rencontrions un jour en personne, j'aimerais beaucoup vous dire que l'Ukraine a véritablement ses propres traditions profondes, complexes et incroyablement riches de lutte de gauche et radicalement démocratique, profondément enracinées dans sa culture et sa vie quotidienne.
Historiquement, toutes les cultures politiques de gauche ukrainiennes diffèrent profondément des cultures impériales, bolcheviques et staliniennes. L'Ukraine d'Ivan Franko, Lesya Ukrainka, Mykhailo Drahomanov et Nestor Makhno existe toujours. Et elle se perpétue dans l'Ukraine de Davyd Chychkan, Marharyta Polovynko et Artur Snitkus. Dans l'Ukraine de Maksym Butkevych, Artem Chapeye, Vladyslav Starodubtsev et d'autres camarades qui résistent aujourd'hui à l'agression russe et construisent de vastes réseaux horizontaux de solidarité internationale de gauche avec les anti-autoritaires ukrainien·nes.
Cette Ukraine est inconnue et incompréhensible pour la plupart des militant·es de gauche russes — et pour les Ukrainien·nes qui agissent aujourd'hui comme leurs protégés·e et leurs « dépendant·es ». C'est une Ukraine avec de fortes traditions anarchistes d'auto-organisation et de démocratie radicale – des traditions qui survivent toujours, malgré les occupations, les colonisations, les crises et les conflits internes.
Je crois que tout dialogue international sur la résistance en Ukraine et sur les possibilités de soutien militaire et politique de l'étranger devrait commencer par un récit sur ces traditions – et sur celles et ceux qui se battent pour elles en ce moment même. Mais vos camarades désarmé·es, Konovalov et Smirnova, restent silencieuses/silencieux sur ces traditions et sur la résistance locale de gauche. Il me semble que cela s'explique non seulement par le fait qu'eils se situent eux-mêmes structurellement et discursivement dans un « cadre russe », mais aussi parce que ce silence est, pour elles et eux, délibéré et stratégique. Il leur permet de nier la subjectivité du véritable peuple ukrainien et de la véritable gauche ukrainienne, en présentant tout ce que nous faisons et pensons comme une « soumission à l'OTAN ». Et nous connaissons déjà un dictateur arrogant et ses sbires qui aiment également construire de tels cadres lorsqu'il s'agit de l'Ukraine et de l'action politique de ses peuples.
Je ne veux pas vous demander votre empathie ou votre solidarité. J'ai vécu la majeure partie de ma vie dans l'un des empires les plus brutaux et les plus conservateurs de cette planète, n'appartenant pas à la « nation titulaire » et étant en même temps une personne queer et intersexuée ayant connu la condition féminine et la pauvreté radicale. Et je comprends trop bien où se situe le point de tension politique — celui où demander de l'empathie ou de la solidarité devient impossible, voire humiliant.
Pendant trop longtemps, on m'a fait croire que je n'étais « personne », que je devais me soumettre à « tout le monde », que je devais respecter les règles d'un monde où la politique est faite uniquement par des hommes puissants — et quelques femmes — derrière des portes closes dans des salles froides, où, comme l'a écrit mon poète antifasciste préféré du Royaume-Uni, Sean Bonney, l'air est glacial et solitaire, car « ce sont les fascistes qui y respirent » :
car tranquilles et sûrs sont les bras des cruels
et tranquille et sûr est l'esprit de l'imbécile
ces esprits qui haïssent et ces esprits qui dorment
et ces esprits qui tuent et ceux qui pleurent
Je comprends que la dure réalité est la suivante : vous ne vous battrez pas à nos côtés.
Et nous nous battrons — même sans vous.
https://syg.ma/@media-resistance-group/galina-rymbu-an-open-letter-to-zarah-sultana
Traduction Deepl revue ML, légèrement modifiée pour le blog
https://www.reseau-bastille.org/2025/10/31/galina-rymbu-lettre-ouverte-a-zarah-sultana-co-leader-de-your-party/
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La conjoncture qui se dessine et les conditions d’un rebond pour Québec solidaire
Alors que se dessine une élection qui pourrait ouvrir un nouveau cycle politique au Québec, la reconfiguration des forces partisanes pèse lourdement dans la trajectoire possible de QS. Le gouvernement de la CAQ, fragilisé par une série de crises — échec du développement de la filière batterie, désinvestissement dans les services publics, promesses non tenues en santé en ce qui concerne l'accès à un médecin de famille ou l'accès à des chirurgies, incapacité à contenir le coût de la vie, crise du logement, autoritarisme et attaques aux libertés syndicales — s'achemine vers un effondrement presque certain. Dans plusieurs régions, notamment dans le Grand Montréal, l'Outaouais, l'Estrie et une partie de la Montérégie, la CAQ pourrait être reléguée à un rôle secondaire, voire marginal, ne conservant que quelques bastions.
Cet effondrement ouvre un espace pour une recomposition polarisée du champ politique. Le PQ, malgré une tendance lourde à la hausse depuis deux ans, montre dans les derniers sondages un léger recul : non pas un effritement massif, mais les premiers signes d'un plafonnement ou d'une tension interne entre la promesse référendaire rapide et les inquiétudes d'une partie de l'électorat quant aux conséquences économiques et politiques de la tenue d'un référendum. Le PQ demeure néanmoins en position de force, autour de 28–32 %, doté d'un capital symbolique renouvelé, mais vulnérable à une polarisation trop rapide sur l'axe souverainiste/fédéraliste.
Le PLQ, quant à lui, connaît une remontée relative, mais demeure extrêmement faible dans les comtés à majorité francophone. Sa progression repose surtout sur l'Ouest de Montréal, sur une partie de l'Outaouais, sur la communauté anglophone et sur certains milieux d'affaires anxieux devant l'éventualité d'un référendum. Dans un contexte de forte polarisation autour de la question nationale, le PLQ pourrait toutefois connaître un regain : il deviendrait alors l'expression d'un « vote refuge » fédéraliste, concentré et donc capable de multiplier les victoires électorales, et pourrait reprendre du terrain dans les milieux francophones qui valorisent la stabilité institutionnelle. Mais ce scénario ne se matérialise que si la question référendaire devient dominante et si le PQ semble en mesure réelle d'obtenir un mandat fort.
Le Parti conservateur du Québec, pour sa part, se maintient autour de 12–14 %, mais son implantation reste essentiellement régionale : Capitale-Nationale, Beauce, Chaudière-Appalaches, une partie des Laurentides. Le PCQ, en l'absence de la CAQ comme pôle de rechange, deviendrait le principal véhicule du mécontentement anti-élites et du nationalisme identitaire conservateur. Dans un contexte de polarisation référendaire, il pourrait dépasser la CAQ dans plusieurs comtés, incarnant l'opposition dure au PQ. Sa croissance ne viendrait pas tant d'une vague provinciale que d'une mobilisation dans certaines régions qui constituent ses bases actuelles.
Dans un contexte où le PQ domine la scène souverainiste, où le PLQ pourrait devenir le pôle fédéraliste principal, où le PCQ capte le vote protestataire et où la CAQ se désintègre, QS se retrouve face à une possibilité réelle de reconstituer un espace stratégique… ou de s'effacer partiellement de la carte politique. Dans une élection marquée par la lutte nationale, QS doit se battre pour ne pas être simplement une variable d'ajustement, mais un acteur structurant.
Enfin, si QS continue sur sa lancée actuelle et ne parvient pas à sortir d'un électoralisme qui ne lui permet pas de se présenter comme une véritable alternative, l'électorat progressiste nationaliste se tourne massivement vers le PQ par vote stratégique, l'électorat social sans ancrage nationaliste glisse vers le PLQ, et certaines régions laissées pour compte basculent vers le PCQ. QS, écarté du cœur des débats, sera menacé dans plusieurs de ses bastions historiques et sa députation risque de se réduire considérablement.
Ainsi, l'avenir de QS est indissociable de la recomposition globale du système partisan québécois : effondrement caquiste, montée péquiste, repositionnement fédéraliste, consolidation conservatrice. La lutte nationale à venir ne se jouera pas uniquement sur la question référendaire : elle se jouera sur la capacité des forces politiques à définir quel Québec souverain — social, écologique, démocratique ou conservateur — émergera. Et c'est précisément dans cet espace que QS doit choisir : survivre, stagner ou redevenir un acteur politique significatif. Dans ce paysage politique, Québec solidaire se retrouve face à une alternative tranchée : redevenir une force structurante ou basculer dans la marginalité.
QS n'est pas en position de répondre à cette question s'il demeure enfermé dans une logique institutionnelle où l'horizon politique se limite à « ce que nous ferions une fois élus ». Cette orientation, imposée par la direction à son dernier congrès, constitue le degré zéro de la stratégie. Les débats ont été recentrés sur un projet de gouvernement abstrait plutôt que sur la construction des rapports de force nécessaires pour y parvenir. Les propositions ambitieuses — nationaliser l'énergie, socialiser les mines et les forêts, reprendre le contrôle collectif de nos richesses — ont été rejetées non parce qu'elles sont irréalistes, mais parce qu'elles excèdent le périmètre d'une gauche devenue frileuse face au conflit social. La direction a préféré une ligne de simplification programmatique, de gestion prévisible, de prudence idéologique. C'est ainsi que QS a commencé à perdre son ancrage populaire : en parlant comme un gouvernement avant même d'être une force dans la rue.
Pour redevenir une force politique qui compte, QS ne doit pas se contenter de définir une stratégie électorale qui se contente de répéter ce que ferait un gouvernement solidaire. La stratégie politique de QS doit définir ce que QS doit faire dès maintenant pour modifier le rapport de force en faveur des classes ouvrières et populaires.
Comment Québec solidaire peut-il prendre sa place dans cette conjoncture complexe ?
Dans le cycle politique qui s'annonce, Québec solidaire se trouve confronté à une conjoncture paradoxale : jamais depuis sa fondation il n'a disposé d'un espace politique aussi important pour imposer une lecture sociale et écologique de la question nationale, mais jamais non plus les rapports de force ne lui ont été aussi défavorables en termes de dynamisme électoral. La montée du Parti québécois structure la scène politique, l'effondrement de la CAQ libère des électorats sans orientation claire, le PLQ tente de redevenir le pôle fédéraliste utile, et le Parti conservateur occupe un espace réactionnaire croissant. Dans ce contexte, l'intervention de QS dans ce champ politique doit être conçue comme une bataille pour la lisibilité de son projet politique, pour la reconquête d'un rôle stratégique pour contrer l'offensive des patrons et des gouvernements, et pour la reconstitution d'un lien avec les classes populaires et les mouvements sociaux dans la perspective d'une véritable émancipation nationale et sociale.
La première tâche de QS est de sortir de la répétition des grands principes pour redevenir la voix de celles et ceux qui vivent les crises du quotidien et élaborer un programme d'action et des revendications précises pour faire face aux problèmes qui affectent la majorité de la population. Les enjeux du logement, de l'inflation, de la détérioration des services publics, des restrictions aux libertés démocratiques et du chaos écologique constituent aujourd'hui les préoccupations principales. Le PQ se présente comme le parti du pays ; QS doit devenir le parti qui répond aux urgences sociales de la population face aux enjeux mentionnés. Cela implique de mettre en avant une série de mesures concrètes et immédiatement compréhensibles : gel des loyers, construction publique de logements sociaux pour faire face, entre autres, à la montée de l'itinérance ; extension de la gratuité des transports ; réinvestissements massifs dans les secteurs de la santé et de l'éducation pour mettre fin à la privatisation ; investissements dans la lutte aux changements climatiques ; refus de la croissance des dépenses militaires ; réforme fiscale progressive ; offensive industrielle dans le secteur du matériel roulant pour le transport public ; soutien renforcé aux régions. QS doit montrer qu'il est le seul parti à disposer d'un projet cohérent pour protéger les gens ici et maintenant. Son discours doit dire : l'indépendance ne vaut rien si elle ne transforme pas la vie de la majorité populaire. Le PQ promet un pays ; QS promet une véritable libération nationale s'appuyant sur l'élargissement de la souveraineté populaire et l'amélioration des conditions d'existence du peuple.
La deuxième tâche est de réaffirmer l'identité politique de QS autour d'un axe clair : l'indépendance comme projet d'émancipation sociale. Tant que l'indépendance sera perçue comme un référendum technique — rapide, juridique, institutionnel — le PQ conservera l'initiative. QS ne peut pas rivaliser sur ce terrain. Mais il peut renverser le cadre : faire de l'indépendance un processus démocratique qui s'inscrit dans la durée, populaire, profondément enraciné dans les enjeux de la vie quotidienne. Cela signifie prendre des initiatives permettant de concrétiser ce que serait un processus constituant, non comme un mécanisme institutionnel lointain impliquant la prise du pouvoir, mais comme un processus d'expression d'un pouvoir citoyen. Les interventions de QS doivent faire vivre, dès maintenant, l'idée d'une souveraineté qui transforme : assemblées locales sur la démocratie ; ateliers constituants ouverts dans les cégeps pour l'égalité dans l'école québécoise contre une école à trois vitesses ; rencontres avec les syndicats et les groupes populaires pour définir ce que serait une constitution sociale du Québec défendant les droits syndicaux. L'indépendance n'a de sens que si elle permet de reprendre le pouvoir sur l'énergie, les mines, les forêts, l'eau et les choix de production. En articulant souveraineté, démocratie et transformation sociale, QS peut redevenir la force qui donne un sens, une direction et une profondeur à l'indépendance. Québec solidaire ne peut se contenter d'une indépendance cadenassée dans l'ordre géopolitique nord-américain, conforme aux attentes de Washington. Lorsque le chef du PQ affirme qu'un Québec indépendant ne remettrait pas en cause les cadres imposés par les États-Unis, QS doit marquer une distance claire.
QS doit également se repositionner organisationnellement pour redevenir un parti lié aux différents mouvements sociaux. Sa force historique vient de sa proximité avec les syndicats combatifs, les mouvements écologistes, les groupes de locataires, les organisations féministes et antiracistes. Or, depuis quelques années, ce lien s'est affaibli. Les interventions concrètes de QS doivent servir d'occasion pour reconstruire cette alliance sociale. Cela implique une présence systématique dans les grèves, dans les manifestations environnementales, dans les mobilisations étudiantes et dans les initiatives de défense des services publics. Une campagne électorale victorieuse n'est jamais qu'une campagne électorale : c'est une campagne sociale et politique permanente. QS doit redevenir visible d'abord dans la rue et dans les milieux populaires avant d'être visible dans les médias.
La communication de QS doit également être clarifiée. Trop souvent ces dernières années, QS a donné l'impression d'hésiter entre être un parti de gouvernement et un parti de rupture. Cette ambiguïté nuit à sa crédibilité. La solution n'est pas de choisir entre rupture et gouvernance, mais de montrer comment un parti de rupture devient crédible : par la cohérence, par le travail rigoureux, par des propositions chiffrées et réalistes, par une vision institutionnelle solide, par une discipline stratégique dans les messages.
L'objectif n'est pas de se démarquer du PQ pour se démarquer, mais de montrer que l'indépendance a besoin d'une gauche forte pour être véritablement émancipatrice. QS doit dire ouvertement : nous voulons un pays, mais pas n'importe lequel. Un pays où l'économie sert le bien commun ; où les richesses collectives sont partagées ; où les Premiers Peuples participent à une refondation plurinationale du pays ; où la transition écologique n'est pas un supplément d'âme mais le cœur du projet national ; où la souveraineté énergétique, alimentaire et industrielle libère le Québec de la dépendance envers les multinationales et l'ordre impérial nord-américain. Cette démarcation ne doit pas être présentée d'abord comme une opposition frontale au PQ, mais comme une orientation stratégique indispensable à une indépendance réelle, à une véritable libération nationale.
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Non à la suppression du PEQ (Programme de l’expérience québécoise)
On connaît le zèle de la CAQ à se débarrasser des personnes immigrantes sous prétexte de pression sur le marché du logement, sur les programmes sociaux et sur les finances publiques. On n'ose pas ajouter le marché de l'emploi comme prétexte car « [l]e Québec affiche le taux de chômage le plus bas au pays en octobre, à 5,3 %, en baisse de 0,4 point de pourcentage par rapport à septembre. »
Les trois ou quatre cent personnes, selon mon risqué décompte (mon album de photos), qui manifestaient ce midi au centre-ville « sur la place de la Paix, devant le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration, à Montréal », s'appuyant sur une pétition de 14 000 noms, contredisent ce faux discours car la plupart ont un emploi et une résidence au Québec et bien sûr par le fait même contribue à la caisse commune. Notons qu' « [a]u même moment, une autre manifestation avait également lieu devant l'Assemblée nationale, à Québec. »
La suppression du PEQ, après que ce programme eut été restreint en 2020, « temporairement » fermé l'été dernier et puis finalement aboli le 6 novembre était la voie royale pour accéder à la résidence permanente au Québec tant pour les personnes étudiantes que celles en emploi. Était-il nécessaire de pénaliser la grande majorité des véritables étudiant-e-s pour la faute de frauduleuses institutions d'enseignement privés qui servaient de voie d'accès au Canada pour des gens de l'Inde tentant d'accéder à l'eldorado canadien ? Quant aux personnes en emploi qui avaient tout quitté sachant qu'existait cette voie royale en autant d'avoir la patience d'attendre quelques années, on imagine le drame. Quand on sait que plusieurs d'entre elles avaient été « [r]ecrutés par le Québec pour combler la pénurie de main-d'œuvre dans le réseau de la santé, » ça dépasse les bornes du cynisme le plus abjecte. Plusieurs de ces personnes postulant au PEQ n'avaientelles pas été les « anges gardiens », dixit le Premier ministre, durant la pandémie ?
Le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ), remplaçant le PEQ, ne sera plus automatique par date d'application mais procédera par invitation selon certains critères et s'annonce fort restreint. En effet, la CAQ — et le PQ aurait fait pire dixit son chef — est prête à utiliser tous les moyens, à commencer par surfer sur les drastiques abaissements des cibles d'immigration du gouvernement fédéral, pour réduire à 45 000 l'immigration annuelle permanente au Québec. À la manifestation de ce midi, où le PQ était aux abonnés absents, le Parti libéral du Québec et Québec solidaire ont appuyé les manifestant-e-s. À noter, cependant, que le député libéral s'est contenté d'appuyer une clause des droits acquis, dite clause grand-père, une importante revendication des manifestant-e-s dont plusieurs se contenteraient, ce qui dans leur détresse est compréhensible. Le député Solidaire, dans son discours, n'a pas fait cette restriction laissant entendre qu'il réclamait le retour à la politique du PEQ, point à la ligne. Malheureusement, il aura été moins clair dans ses déclarations médiatiques tant à La Presse qu'au Devoir.
Marc Bonhomme, 17 novembre 2025,
www.marcbonhomme.com ; bonmarc1@gmail.com
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Suppression du PEQ : une appartenance sans droit de cité
Il y a un an, comme tant d'autres étudiants internationaux, j'apprenais avec stupeur que le gouvernement Legault gelait le Programme de l'expérience québécoise (PEQ). Un an plus tard, c'est sa disparition pure et simple qu'on nous annonce. Le désarroi est total. Le sentiment de trahison, immense.
Par Loïc Bizeul, chercheur postdoctoral en sociologie à l'Université de Sherbrooke
Voilà huit ans que je vis au Québec. Arrivé à Montréal en 2017 pour une maîtrise sur la paroisse Saint-Pierre-Apôtre, j'y ai fait une rencontre décisive : un professeur m'a proposé un stage de recherche. Très vite, une complicité intellectuelle et humaine s'est nouée. Peu à peu, j'ai appris à aimer le Québec, à en comprendre les nuances, à m'y plonger avec curiosité — son histoire, ses débats, ses quartiers, sa culture vivante.
Je me suis aussi engagé dans la vie communautaire : bénévole au GRIS Montréal, improvisateur dans les ligues locales, militant pour la diversité sexuelle et de genre. Ici, j'ai appris à « faire comme au Québec » — à m'approprier cette culture en y prenant part pleinement. Quand mon directeur m'a proposé de poursuivre en doctorat, j'ai sauté à pieds joints dans un projet sur les prêtres catholiques homosexuels, un sujet sensible, mais essentiel pour comprendre les recompositions identitaires entre religion et sexualité.
Je n'ai jamais entrepris ces études avec l'idée de « m'installer coûte que coûte » au Québec. J'ai appris à aimer le Québec lentement, au fil des lectures, des rencontres, des indignations et des émerveillements. Pour beaucoup d'étudiantes et d'étudiants étrangers, le PEQ représentait un espoir légitime : celui de s'intégrer à une société plus stable et plus ouverte, de se construire un avenir que, parfois, leur pays d'origine ne leur permettait pas toujours. Dans mon cas, c'est un autre attachement qui s'est tissé, Je ne suis pas parti pour fuir un danger ou un contexte insoutenable, j'ai simplement choisi de rester là où ma curiosité, mes amitiés et mon engagement m'ancraient peu à peu. J'ai trouvé ici un espace intellectuel et humain où il m'était possible de grandir, de penser, de contribuer.
J'ai choisi d'étudier le Québec au Québec, avec des méthodes et des cadres forgés ici. Mon réseau s'y est tissé, mes perspectives y sont ancrées. Si je n'obtiens pas la résidence permanente, c'est tout un parcours scientifique et universitaire qui risque d'être interrompu. On ne peut pas mener sereinement un travail intellectuel dans une incertitude migratoire constante : cela use, détourne l'attention du travail vers la survie administrative.
Nous ne sommes pas des opportunistes venus chercher un raccourci vers la résidence permanente. Celles et ceux qui, comme moi, ont choisi de faire de la recherche au Québec y ont trouvé un lieu d'engagement, d'apprentissage et de contribution.
Le monde universitaire n'obéit pas à la même logique que le marché du travail « standardisé » sur lequel se fondent les politiques publiques. Les parcours y sont plus lents, marqués par la précarité, l'incertitude et les ruptures de financement. Les contrats sont temporaires, les promesses d'embauche rarissimes, et la reconnaissance institutionnelle s'inscrit toujours dans un temps long. Cette temporalité, nécessaire à la production du savoir, entre en collision frontale avec celle d'une politique migratoire qui exige des preuves rapides d'utilité et d'intégration économique.
Dans les sciences sociales en particulier, la construction d'une recherche repose sur la durée : il faut du temps pour constituer un terrain, tisser des liens de confiance, comprendre les codes culturels et sociaux d'un milieu. Ce sont des démarches lentes, exigeantes, profondément situées. Les chercheurs et chercheuses étrangers qui s'investissent ici le font souvent parce qu'ils ont trouvé au Québec un espace intellectuel ouvert à l'expérimentation et à la pensée critique — un espace où ils peuvent contribuer à documenter la société québécoise elle-même. C'est précisément ce qui rend absurde l'idée qu'ils devraient repartir aussitôt leurs études terminées : la valeur de leur travail réside dans cet enracinement progressif, dans cette familiarité acquise avec les réalités locales.
En réduisant l'immigration à une logique d'arrimage aux « besoins du marché du travail », le gouvernement nie la contribution symbolique, culturelle et scientifique de ces trajectoires. Il oublie que la recherche — surtout en sciences humaines — ne se mesure pas à des indicateurs de productivité immédiate. C'est un investissement collectif, dont les retombées intellectuelles, pédagogiques et sociales bénéficient à long terme à la société d'accueil. Refuser de reconnaître cette valeur, c'est envoyer un message paradoxal : on invite des chercheurs à penser le Québec, mais on leur interdit d'y rester assez longtemps pour le comprendre vraiment.
Si Montréal attire autant, ce n'est pas par simple préférence personnelle, mais parce qu'elle concentre une part importante des infrastructures de recherche du Québec. C'est là que se trouvent plusieurs universités, centres, chaires, archives et réseaux qui en font un carrefour scientifique majeur. Cela ne signifie pas que les universités en région — comme celle de Sherbrooke, dont je suis diplômé — ne participent pas pleinement à la vitalité intellectuelle du Québec, bien au contraire. Mais il faut reconnaître que la géographie du savoir n'est pas répartie de manière uniforme : la métropole joue un rôle nodal dans le fonctionnement du monde universitaire, au même titre que d'autres grandes villes dans leurs contextes nationaux respectifs.
C'est pourquoiles récentes déclarations du ministre de l'Immigration, Jean-François Roberge, ont de quoi surprendre. En annonçant que les travailleurs étrangers temporaires seraient dorénavant sélectionnés « à l'extérieur de Montréal et de Laval », et qu'en ce qui concerne les étudiants étrangers, « s'ils parlent français et décrochent un emploi, ils peuvent très bien être sélectionnés tout en habitant à Montréal », il reproduit une vision simpliste du rapport entre territoire, emploi et intégration. Or, pour nombre d'étudiantes et d'étudiants-chercheurs, « décrocher un emploi » ne relève pas d'un marché local, mais d'un réseau académique mondialisé, rythmé par des bourses, des contrats à durée déterminée et des mobilités fréquentes.
Exiger une insertion rapide et stable revient à ignorer la nature même du travail intellectuel, qui repose sur le temps long, la continuité et la confiance institutionnelle. En imposant une lecture territoriale et utilitariste de la migration, on nie la complexité du champ universitaire québécois. Montréal ne concurrence pas les autres régions : elle en est un moteur structurant. Restreindre la résidence permanente en fonction de la localisation, c'est pénaliser celles et ceux qui participent activement à la production et à la diffusion du savoir québécois dans toute sa diversité.
La violence de cette décision tient moins à sa technicité qu'à ce qu'elle révèle : une incompréhension du sens de l'attachement que tant d'étudiants étrangers ont développé envers le Québec. Nous ne sommes pas des numéros. Nous sommes des personnes qui ont choisi d'aimer ce territoire, d'y construire leur vie, d'y contribuer socialement, culturellement et scientifiquement.
En prétendant « arrimer l'immigration aux besoins du marché du travail », le gouvernement réduit la valeur d'une présence humaine à sa seule utilité économique. Il nie la richesse de parcours où se tissent des appartenances affectives, intellectuelles et citoyennes.
Le plus douloureux, pour nous, n'est pas l'incertitude administrative, mais le sentiment d'être ramenés sans cesse à l'extérieur du « nous » québécois, alors même que nous avons tout fait pour en faire partie. Le Québec aime se penser terre d'accueil et de liberté. Mais il nous rappelle que notre appartenance reste conditionnelle, révocable, suspendue à des calculs politiques.
Cette situation révèle un rapport ambivalent du Québec à l'altérité et à la reconnaissance. Elle interroge la conception même de la « québécité » — non pas comme héritage, mais comme choix. Pour nombre d'entre nous, aimer le Québec n'a jamais été un réflexe de naissance, mais un engagement. Aujourd'hui, cet amour se heurte à un mur. Non pas celui de la langue ou de l'intégration, mais celui de la reconnaissance.
Car à quoi bon aimer un pays qui ne veut plus de vous ?
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Le RSIQ veut éviter que les personnes ayant vécu l’itinérance ne retournent à la rue
Québec, le 13 novembre 2025 – Le Réseau SOLIDARITÉ Itinérance du Québec (RSIQ) demande à la ministre responsable des Services sociaux de confirmer rapidement le renouvellement du Plan d'action interministériel en itinérance (PAII) lors de sa mise à jour économique et financière de l'automne 2025.
Une crise existe : les municipalités témoignent de l'urgence de la situation et le secteur communautaire ne peut mettre en place des solutions sans financement adéquat et prévisible.
L'urgence d'agir maintenant
« Attendre le budget du printemps 2026 pour renouveler le PAII, c'est faire le choix d'amplifier la crise de l'itinérance. Entre l'annonce budgétaire et l'arrivée des fonds sur le terrain, des vies sont en jeu. La mise à jour économique de novembre 2025 est notre dernière chance d'assurer la continuité des services essentiels. Le gouvernement doit agir
maintenant, pas dans six mois », insiste Boromir Vallée Dore, directeur général du RSIQ.
En effet, le support que les personnes en situation d'itinérance reçoivent dépend fortement des sommes accompagnant le PAII. Sans confirmation rapide d'un renouvellement, celles-ci ne pourront conserver le soutien indispensable à leur maintien hors de la rue.
Un financement provincial essentiel
Depuis son lancement en 2021, le PAII, doté d'un investissement de 280 millions $ sur 5 ans, a permis aux organismes de mettre en place des actions cruciales pour prévenir et lutter contre l'itinérance. Le RSIQ demande le report complet des sommes pour les 5 prochaines années.
Celles-ci permettront entre autres de financer l'accompagnement psycho-social et le soutien personnalisé absolument nécessaires aux personnes se sortant de la rue pour maintenir leur stabilité résidentielle.
Pour le futur : une bonification et une stabilité accrue
Le RSIQ propose non seulement le renouvellement du PAII, mais également d'étudier une augmentation de 30 % des investissements d'ici 2027 pour prévenir et réduire l'itinérance actuellement en croissance au Québec.
Le RSIQ poursuit également les discussions afin de convertir le budget du PAII vers le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) : Cette conversion permettrait de réduire la charge administrative, tant pour les organismes que pour le Réseau de la santé, tout en assurant une meilleure planification à long terme des services aux populations marginalisées.
Le RSIQ rappelle que c'est en continuant d'empêcher les personnes de se retrouver à la rue et en soutenant adéquatement les organismes communautaires que nous pourrons prévenir et réduire significativement l'itinérance au Québec.
À propos du RSIQ
Actif depuis 1998, le RSIQ regroupe 17 concertations régionales en itinérance, ce qui représente plus de 225 organismes au Québec. Organisant des actions et des mobilisations afin de sensibiliser décideurs et grand public, de défendre les droits des personnes en situation d'itinérance, d'améliorer leurs conditions de vie et de permettre aux organismes d'aide de réaliser leur mission, le RSIQ est reconnu comme porteur du projet de la Politique québécoise de lutte à l'itinérance adopté en 2014, et comme défenseur du financement des organismes. Site web : itinerance.ca [1]
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Les groupes de défense des droits en santé mentale du Québec se prononcent contre la réforme de la loi P-38.
Montebello, 7 novembre 2025 - Près d'une centaine de personnes présentes à Montebello lors d'une rencontre interrégionale de membres de l'Association des groupes d'intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) expriment solidairement leur opposition à la réforme de la loi P-38 annoncée par le gouvernement du Québec.
Leurs oppositions sont appuyées par Me Patrick Martin-Ménard, avocat spécialisé en droit de la santé, qui était aussi présent à cette rencontre interrégionale à Montebello.
Cette prise de position survient après l'annonce de l'intention du gouvernement de déposer un projet de loi en ce sens dès cet automne et à la suite du dépôt du 4e rapport de l'Institut québécois de réforme du droit et de la justice (IQRDJ), mandaté de mener des travaux de
recherche sur une potentielle réforme.
« Nous craignons un processus antidémocratique à l'image des nombreux projets de loi déposés sous baillons par le gouvernement caquiste. Nous demandons des pratiques fondées sur le respect de la dignité humaine et la justice sociale », déclare Nancy Melanson, coordonnatrice du volet sociopolitique de l'AGIDD-SMQ.
Les groupes rappellent que la véritable urgence réside plutôt dans un meilleur accès aux services qui passe par un financement accru de ces derniers et des organismes communautaires en santé mentale. Le rapport de l'IQRDJ souligne d'ailleurs que la plupart des personnes concernées par une application de la loi P-38 avaient préalablement demandé de l'aide au Service d'aide en situation de crise de leur région sans qu'on soit en mesure de leur offrir un suivi approprié.
« Non seulement une réforme ne règle pas les problèmes d'accès aux services, elle risque d'entraîner un recul grave des droits humains pour tous·tes », affirme François Winter, porte-parole de l'AGIDD-SMQ.
Nous comprenons du rapport de l'IQRDJ qu'une réforme visant à appliquer plus facilement et à rendre plus coercitive une loi d'exception privative de droits fondamentaux ne peut pas pallier le manque de ressources et de services en amont, ni les problèmes liés à la difficulté d'avoir accès à un avocat, à la méconnaissance des droits et des implications éthiques et légales de la P-38 ou à l'absence de suivi dans la communauté. Ces lacunes identifiées exigent des correctifs concrets sur le terrain, et non une réforme législative.
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En présence pour la réalisation éventuelle de l’indépendance : des généraux de paix ou des généraux de guerre ?
On peut demeurer perplexe devant le groupe dirigeant du mouvement indépendantiste et se poser la question de sa capacité à réaliser le vieux rêve souverainiste.
Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP), chef du Parti québécois d'une part, et les deux porte-parole de Québec solidaire, Sol Zanetti et Ruba Ghazal ont-ils la force de tempérament et le charisme nécessaires pour mener à bien « l'opération indépendance » ? On ne les a pas encore vus à l'oeuvre et à l'épreuve. Seraient-ils capables de permettre au Québec d'acquérir la souveraineté advenant que celle-ci obtienne une majorité de votes lors d'un troisième (et certainement dernier) référendum là-dessus ?
On le sait : entre un possible OUI (sans doute faiblement majoritaire) pour l'indépendance et l'obtention effective de celle-ci, se dresserait un chemin semé d'embuches, c'est-à-dire une période de transition longue et houleuse. Ottawa (et indirectement Washington) a des intérêts énormes à défendre au Québec. Même dans sa version modérée et bon-ententiste de souveraineté-association, d'inspiration « lévesquiste », l'indépendance équivaudrait à défaire les arrangements constitutionnels et politiques fondamentaux qui fondent la fédération canadienne. D'emblée, négocier de nouvelles ententes avec Ottawa serait une tâche particulièrement ardue et plutôt dangereuse pour un gouvernement péquiste, même si d'aventure il raflait une forte majorité de votes lors du référendum promis par PSPP.
C'est à cette étape que se poserait la question soulevée par le titre de cet article. Je précise que je n'entends pas le terme « généraux de guerre » au sens militaire, mais la délégation québécoise serait-elle préparée à affronter un adversaire déterminé et farouchement hostile, peu importe sa couleur politique ?
Un gouvernement péquiste, même allié avec Québec solidaire, devrait non seulement discuter serré avec les politiciens fédéraux, mais en plus, surveiller ses arrières : les fédéralistes québécois s'efforceraient sûrement de soulever l'opinion publique contre les « séparatistes » en train d'essayer de rapatrier tous les pouvoirs ici même. On voit l'embrouillamini qui alors se dessinerait...
En résumé, le Québec aurait besoin de représentants crédibles, représentatifs et surtout déterminés pour contrecarrer les coups de boutoir d'Ottawa.
René Lévesque et Jacques Parizeau en leur temps, possédaient l'aura de popularité nécessaire pour arracher des concessions substantielles de la part d'Ottawa si l'option souverainiste l'avait emporté lors du référendum de mai 1980. Jacques Parizeau a failli réussir son pari en octobre 1995 à la faveur d'une conjoncture particulière. Mais le contexte a beaucoup changé depuis et pas dans un sens favorable à la souveraineté.
Paul Saint-Pierre Plamondon est un politicien assez expérimenté, mais il n'a encore jamais gouverné. Il s'agit d'un bon « général de paix », il ferait sans doute un premier ministre passable s'il prenait le pouvoir. Mais a-t-il l'étoffe nécessaire pour réaliser la souveraineté ? Il faudrait voir. Il a mené une carrière tranquille comme avocat et chroniqueur (au journal Les Affaires), avant de faire le saut en politique et de devenir le leader du Parti québécois. Il paraît entouré d'un état-major (pour continuer dans la métaphore militaire) qui lui ressemble à bien des égards sur le plan politique et professionnel. Ces gens sont-ils préparés à se lancer dans l'aventure indépendantiste et prêts à courir les risques d'une négociation féroce avec Ottawa dans l'hypothèse d'une victoire du OUI ? On peut en douter, à quelques exceptions près peut-être.
Du côté de Québec solidaire, qui compte un noyau dur et déterminé d'indépendantistes, tous les sondages prouvent qu'il ne peut espérer accéder au pouvoir, il pourrait tout au plus appuyer le gouvernement péquiste s'il conservait quelques députés au prochain scrutin. Quant à sa direction, le porte-parole Sol Zanetti (s'il est réélu) pourrait-il aider le cabinet Plamondon à faire face aux pressions d'Ottawa ? Il ne pourrait que remplir un rôle de soutien, d'appoint. On peut par ailleurs penser que cet ancien professeur de philosophie au collégial, pacifique et humoriste, soit un « général de guerre », mais plutôt un « général de paix ».
La seule qui paraît douée pour affronter les turbulences de la pénible période de transition est Ruba Ghazal. D'origine palestinienne, née à Beyrouth, au Liban et établie au Québec depuis l'âge de dix ans, ses parents lui ont parlé de leur fuite de la Palestine à cause des violences qu'exerçaient les sionistes sur la population arabe. Elle est membre fondatrice de Québec solidaire en 2006. Des politiciens que je viens de passer en revue, elle est peut-être la plus intrépide et la plus décidée, la seule « générale de guerre » du lot. Il en faudrait quelques uns et quelques unes dans son genre au sein de l'entourage « respectable » de Paul Saint-Pierre Plamondon...
Jean-François Delisle
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La partie n’est pas jouée
À moins d'un an de la prochaine élection générale québécoise, le paysage politique est toujours malléable et le résultat du scrutin demeure pour le moins imprévisible. Chaque parti fait face à des défis, des contradictions et des possibilités. Le fait que cinq partis aspirent à obtenir des appuis significatifs complique grandement les calculs de chacun. Voici comment je vois la situation et comment je crois que Québec solidaire pourrait éventuellement occuper un espace qu'on ne lui accorde pas dans les plus récents sondages.
À moins d'un an de la prochaine élection générale québécoise, le paysage politique est toujours malléable et le résultat du scrutin demeure pour le moins imprévisible. Chaque parti fait face à des défis, des contradictions et des possibilités. Le fait que cinq partis aspirent à obtenir des appuis significatifs complique grandement les calculs de chacun. Voici comment je vois la situation et comment je crois que Québec solidaire pourrait éventuellement occuper un espace qu'on ne lui accorde pas dans les plus récents sondages.
Cinq coalitions
Tous les partis politiques qui obtiennent des résultats appréciables sont des coalitions regroupant des forces sociales et des courants idéologiques divers. Cette diversité de perspectives se retrouve jusqu'à un certain point dans leur base militante, s'accentue quand on examine la masse des membres et atteint un niveau de complexité déconcertant à l'échelle de la base électorale. C'est ce qui fait qu'aucun parti n'est à l'abri d'une baisse importante de ses appuis et que les joutes électorales ne sont jamais prédéterminées. On n'a qu'à observer comment les Libéraux ont remporté les dernières élections fédérales ou comment les Démocrates ont tout raflé lors des scrutins du début novembre, un an seulement après la victoire décisive de Trump à la présidentielle.
La Coalition Avenir Québec a réussi à prendre le pouvoir en coalisant (comme son nom l'annonçait) la droite économique et la droite identitaire. Ce faisant, elle a pu arracher des appuis aux Libéraux d'un côté et au PQ de l'autre. L'usure du pouvoir chez les libéraux et la crise profonde du PQ ont fini par créer une masse critique qui a propulsé la CAQ au pouvoir en 2018, mais avec des appuis de seulement 37,4%. La pandémie à donné un nouvel élan au parti de François Legault avec 41% des votes en 2022.
Le Parti québécois est une coalition hétéroclite allant de l'extrême-droite au centre-gauche, autour du dénominateur commun de la souveraineté. Cet édifice fragile est actuellement maintenu en place par l'engagement ferme de son chef à tenir un référendum advenant une victoire électorale. Le renoncement à tenir un tel scrutin, avant ou après l'élection d'octobre 2026, ou une troisième défaite référendaire, ne manqueront pas de relancer la crise profonde de ce parti. (voir mon texte précédent)
Le Parti libéral dispose d'une base solide dans les communautés anglophones et anglicisées, généralement hostiles à la souveraineté et méfiantes face au nationalisme autonomiste de la CAQ. Ceci lui donne une série de château-forts dans l'Ouest de l'île de Montréal et dans Pontiac (en Outaouais). C'est aussi le parti traditionnel du grand patronat, dont l'influence est indéniable. Mais pour former un gouvernement, le PLQ doit élargir sa coalition en ralliant un électorat francophone de centre-droite, généralement structuré autour des chambres de commerce et des gouvernements municipaux.
Le Parti conservateur du Québec est parti d'un noyau dur regroupant divers éléments de la droite radicale, principalement du côté des libertariens. Ses appuis ont été multipliés en 2022 par son association avec le complotisme et l'hostilité aux mesures sanitaires durant la pandémie. Le maintien de ses appuis à un niveau respectable jusqu'à maintenant indique qu'il ratisse probablement aussi une frange de gens de la droite ordinaire simplement déçus par la CAQ.
Québec solidaire, de son côté, a coalisé différentes tendances de la gauche allant de la social-démocratie raisonnable à des éléments communistes en passant par bien d'autres nuances. Sa base électorale s'est élargie en 2018 - et est restée à environ 16% en 2022 - à la faveur de la crise des partis traditionnels (PQ et PLQ) et d'une nouvelle polarisation en face de la CAQ. Le retour à une polarisation PLQ-PQ constitue un défi de taille pour Québec solidaire. Il doit donc développer une stratégie électorale, une plateforme et des communications qui visent des segments de l'électorat de chacun des deux vieux partis.
Du mouvement possible dans toutes les directions
Jusqu'où la CAQ peut-elle descendre ? Son effondrement après deux mandats et de nombreuses erreurs de parcours a d'abord constitué une opportunité pour le PQ qui trône depuis un an en tête des sondages, après avoir obtenu le pire résultat de son histoire en octobre 2022. Mais depuis le début de 2025, ce sont les Libéraux qui remontent en symétrie avec le déclin continu des appuis pour le parti de François Legault. Les appuis au PLQ sont passés d'environ 15% en janvier à 25% en octobre.
Le fiasco actuel avec les médecins et la Loi 2, en accentuant l'impression que le gouvernement actuel n'est pas même capable d'un minimum de compétence (en plus du scandale SAAQClic), pourrait encourager un segment de l'électorat qui aspire simplement à la tranquillité à se rallier au PLQ. Les appuis pour le Parti conservateur pourraient aussi baisser à la faveur des Libéraux qui se positionnent clairement comme un parti de l'austérité budgétaire.
Le PQ a-t-il atteint son plafond ? Les derniers sondages donnent entre 32% et 38% des intentions de vote au parti de PSPP. Il serait très étonnant qu'il puisse monter plus haut, notamment en raison de la stagnation des appuis pour la souveraineté autour de 35%. Comme une partie de l'électorat souverainiste est installé du côté de Québec solidaire, le niveau actuel d'appui pour le PQ repose en bonne partie sur une frange de l'électorat qui se prépare à voter PQ malgré la promesse d'un troisième référendum et non en raison de cette promesse.
D'ici au jour du vote, on peut compter sur le fait que la CAQ va tout faire pour reprendre une partie de la base péquiste en se présentant comme le parti qui incarne leur peur de l'immigration tout en cautionnant leur peur de la souveraineté. À terme, le PQ va soit perdre l'élection, soit renoncer au référendum, soit perdre le référendum. À moins d'un revirement de situation peu probable, nous ne sommes pas à la veille du Grand Soir. Rappelons que les sondages donnaient entre 40% et 50% de OUI dans les quelques années qui ont précédé le référendum de 1995.
Des raisons d'espérer pour les solidaires
Les gens qui se préparent à voter pour le PQ se divisent en deux blocs. Il y a les personnes qui voteraient pour le PQ parce qu'il met de l'avant des politiques xénophobes et celles qui le feraient malgré ces politiques et uniquement par attachement pour la souveraineté. L'existence même de ce second groupe est une illustration parfaite du privilège blanc, soit la possibilité d'ignorer la question du racisme, ce qui n'est pas une option pour les personnes racisées…
Le message que QS peut lancer au premier groupe se limite à une vision de classe : “Unissons-nous contre les puissants et cessons de stigmatiser les minorités.” C'est un message nécessaire qui pourrait aussi être attirant pour des gens qui se préparent à voter libéral essentiellement par rejet pour les politiques identitaires de la CAQ et du PQ, mais qui ne partagent pas leur programme économique de droite. C'est à partir d'un tel message que Zohran Mamdani a remporté la mairie de New York en coalisant un vote de classe d'une hétérogénéité ethnoculturelle sans précédent.
Pour rejoindre le second groupe, le message mis de l'avant par Ruba Ghazal et par Sol Zanetti est le bon. Il faut affirmer de diverses manières que voter pour le PQ nuit à la cause de l'indépendance. En divisant la population sur des bases éthnique, culturelle et religieuse, le PQ rétrécit la base potentielle des appuis pour le OUI lors d'un hypothétique référendum. Comme le disait Ruba durant le récent congrès du parti, cette politique de la division peut permettre au PQ de gagner une élection (en grugeant la base de la CAQ) mais est désastreuse si on veut gagner un référendum. Rappelons qu'il faut deux fois plus de votes pour gagner un référendum que pour gagner une élection, en raison du taux de participation très élevé dans un référendum et des distorsions du mode de scrutin actuel.
L'élargissement potentiel des appuis pour QS se trouvent donc dans deux grandes directions : un vote de classe contre les politiques économiques de la CAQ et des Libéraux et un vote indépendantiste inclusif critique du virage identitaire du PQ. La prochaine plateforme électorale devra probablement mettre l'accent sur le premier volet, sans écarter le second. En effet, on peut et on doit inclure un projet indépendantiste inclusif dans la plateforme, mais la majorité des propositions devront porter sur des enjeux plus immédiats comme les salaires, le transport, le logement, la santé, l'éducation, etc.
Une difficulté pour QS présentement est qu'il est difficile de s'adresser à ces deux groupes en même temps. Si on met trop l'accent sur l'indépendance, on risque de perdre des appuis en raison de l'association de ce projet avec le PQ. Tandis que si on néglige l'indépendance, par exemple en laissant planer un doute sur le positionnement de QS lors d'un hypothétique référendum, on contribue à consolider la base du PQ autour du projet national.
La prochaine campagne électorale de Québec solidaire devra aussi mettre de l'avant la transition socioécologique. C'est notre réponse au chaos économique causé par la Maison blanche. Tant lors des élections fédérales en avril que pour celles de novembre aux États-Unis, la question de l'urne pour bien des gens était de savoir qui était le mieux placé pour s'opposer aux actions de l'administration Trump. Ce facteur conjoncturel aura aussi un rôle à jouer en 2026 chez nous.
Comme l'a réitéré le dernier congrès, nous rejetons le militarisme qui caractérise le gouvernement canadien actuel, autant que nous rejetons son appui indéfectible pour les industries fossiles. Cette transition, dont une des raisons d'être est de rendre notre économie plus résiliente face aux aléas de la conjoncture internationale, constitue aussi une des principales raisons de réaliser l'indépendance, afin que l'État québécois dispose des pouvoirs et des moyens de la réaliser.
Une plateforme qui met de l'avant les intérêts de classe bien concrets de la majorité est une base essentielle pour tout parti de gauche. Mais nous devons aussi positionner le parti clairement sur la question nationale en affirmant que nous voulons faire l'indépendance pour surmonter les divisions, par le processus de l'assemblée constituante, en même temps que nous voulons surmonter ces divisions dans le but de réaliser l'indépendance. Nous refusons de choisir entre une droite économique (le PLQ) et une droite identitaire (le PQ). En 2026, on peut s'attendre à ce que le patronat mise à nouveau sur les Libéraux, après avoir usé son pneu de rechange : la CAQ. Du côté de QS, on doit démontrer que la lutte pour l'indépendance est une lutte de classe et que la lutte pour la justice sociale et climatique passe par la libération nationale.
Benoit Renaud
17 novembre 2025
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Journée internationale des droits des femmes : Le thème du 8 mars 2026 : Générations deboutte !
Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, continue d'être un des temps forts en actions féministes à la FTQ. C'est un moment privilégié pour célébrer entre nous nos victoires comme travailleuses et comme femmes. On en profite aussi pour faire des bilans, réfléchir ensemble, échanger, s'encourager et, bien sûr, se mobiliser. C'est donc plus qu'un symbole.
Dans le contexte actuel de la montée de la droite, le 8 mars garde encore toute son importance et sa pertinence.
Inspirés par l'audace et la solidarité, le visuel et le thème du 8 mars nous rappellent l'importance de la mobilisation pour la Journée internationale des droits des femmes.
Aujourd'hui, plus que jamais, nous faisons face à des menaces qui veulent remettre en question nos droits, nos libertés et nos choix. Aujourd'hui, plus que jamais, nous sommes… Deboutte !
Le thème du 8 mars 2026 : Générations deboutte !
Il y a plus de 50 ans, le journal Québécoises deboutte ! faisait vibrer les rues et les consciences. Par ces deux mots, il portait la voix d'un féminisme émergeant déterminé à se faire entendre malgré les interdits de l'époque. Plus qu'un slogan, c'est un appel à l'action, un cri de ralliement pour une société plus juste, plus égalitaire et plus libre.
Aujourd'hui encore, les forces économiques, politiques et sociales divisent, oppressent, et cherchent à restreindre nos droits, à freiner nos avancées, à semer la peur et la haine. D'une génération à l'autre, nos appels se répondent, nos luttes s'entrelacent et nos victoires se tissent ensemble vers l'égalité. Le féminisme se renouvelle, s'enracine et se nourrit de la diversité. Pour contrer ces courants réactionnaires, allons puiser dans nos forces féministes vivantes, solidaires et multiples. Reprenons cet élan, ne tolérons aucun recul : Générations deboutte !
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