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Leçons internationales pour sortir de la crise à Cuba

14 octobre, par Juan Barredo Zuriarrain, Juan Carlo Imbert — , ,
Après plus d'un an et demi d'annonces, il semble enfin que la réforme monétaire à Cuba arrive au cours du second semestre 2025. Ce n'est pas la seule réforme nécessaire, mais (…)

Après plus d'un an et demi d'annonces, il semble enfin que la réforme monétaire à Cuba arrive au cours du second semestre 2025. Ce n'est pas la seule réforme nécessaire, mais c'est l'une des plus fondamentales pour que d'autres mesures futures soient plus efficaces.

https://vientosur.info/lecciones-internacionales-para-una-salida-a-la-crisis-en-cuba/

7 octobre 2025

Cette réforme aura des conséquences difficiles, même si nous n'en connaissons pas encore les détails aujourd'hui. Contrairement à d'autres pays qui reçoivent des aides financières du FMI ou de la Banque mondiale en échange d'une déréglementation et d'une austérité, Cuba entend conserver certaines caractéristiques clés, telles qu'une dépense sociale importante et un certain contrôle social sur la propriété des moyens de production. Une perspective comparative internationale peut nous donner des clés pour éviter les faux pas et trouver ainsi des issues viables à la crise.

Le cercle vicieux actuel

Fin 2020, en pleine crise du COVID, le gouvernement a supprimé le peso convertible (CUC) et dévalué le peso cubain (CUP) de 1 à 24 unités pour un dollar pour les opérations des entreprises publiques. À partir de ce moment, le taux de change a été fixé à 24 pesos pour un dollar pour tous les secteurs. L'unification monétaire a constitué une avancée importante contre la segmentation des marchés et le manque de clarté dans la structure des coûts, entre autres aspects. Quant à la dévaluation, elle a permis d'aligner le pays sur le reste du monde en termes de compétitivité et de calmer, temporairement, la spéculation contre le peso.

Mais cette réforme s'est rapidement révélée insuffisante. L'inflation avait déjà pris de l'ampleur depuis plusieurs années, principalement en raison d'un déficit budgétaire croissant et du ralentissement de la croissance. Ainsi, lorsque la dévaluation a été annoncée, le dollar dépassait largement les 24 pesos sur le marché informel. Le dollar, qui s'était envolé sur ce marché, a commencé à jouer un rôle important dans la détermination des prix intérieurs des biens et des services. Si l'on ajoute à cela le renchérissement des produits importés au taux officiel après la dévaluation, on comprend alors que l'inflation s'est accélérée. Le problème majeur, cependant, n'était pas l'inflation en soi, mais sa coexistence avec un taux de change nominal fixe. La combinaison des deux impliquait une appréciation réelle du peso cubain : l'économie cubaine perdait chaque jour en compétitivité ; les familles et les entreprises n'augmentaient pas leurs revenus au même rythme que l'inflation. Afin d'atténuer les effets de cette perte de compétitivité, le gouvernement a procédé à une augmentation du déficit, générant ainsi une pression inflationniste accrue, et ainsi de suite.

Une nouvelle dévaluation, bien que partielle, a eu lieu en août 2022 : alors que le secteur public conservait le taux de 24 pesos pour un dollar, le prix de la devise pour les particuliers et certaines entreprises est passé à 120 pesos pour un dollar. Un point important de cette réforme est que le taux de change – tant celui de 24 que celui de 120 – est redevenu rigide, renforçant ainsi le cercle vicieux mentionné ci-dessus.

L'appréciation réelle a des implications directes sur les conditions de vie. L'accès potentiel à un dollar très bon marché par le biais du mécanisme officiel décourage la production nationale de biens et encourage les importations. Dans le même temps, la faiblesse du tissu industriel national et le détournement de l'offre de devises vers le marché illégal font que l'accès effectif aux devises par le biais du mécanisme officiel est limité et interrompu. Le résultat le plus immédiat est la pénurie de biens de consommation de base et d'intrants essentiels pour l'industrie du pays.

Le projet politique du gouvernement est directement affecté par cette crise profonde. Avec un taux de change de plus en plus décalé qui n'attire pas les devises, il lui est extrêmement difficile de maintenir le fonctionnement des entreprises publiques qui fournissent les biens et services les plus essentiels. De plus, comme le temps qui passe aggrave les conséquences d'un ajustement monétaire, dans la mesure où celui-ci est reporté et où l'on choisit de recourir à des mécanismes informels (illégaux) de change, la confiance dans les institutions publiques s'effrite.

Une façon de faire face à ces problèmes a été de miser sur un retour à la dollarisation partielle, y compris dans les magasins qui vendent dans la monnaie librement convertible. Bien que cela constitue une source directe de devises pour l'État, cela intensifie les problèmes déjà connus en termes de perte d'autonomie monétaire et de génération d'inégalités internes. De plus, le fait de miser sur le dollar comme moyen de paiement génère une demande supplémentaire sur le marché informel, ce qui fait grimper son prix.

D'autre part, les efforts d'austérité budgétaire se sont intensifiés. Si les efforts visant à réduire le gaspillage sont louables, cette voie est dangereuse en raison des coupes sociales qu'elle implique et inefficace car elle affaiblit l'activité économique sans remédier au manque de compétitivité.

Ajustement progressif ou dévaluation brutale ? Les leçons tirées d'autres pays

Pour simplifier, en omettant les formules intermédiaires, il existe deux moyens extrêmes de combler le « fossé » monétaire, c'est-à-dire l'écart entre le taux officiel et le taux informel. Grâce à l'ajustement « interne », le taux informel « baisse » jusqu'à converger avec le taux officiel. Cette méthode nécessite généralement une forte maîtrise des dépenses ainsi qu'une injection de liquidités par un prêteur. À l'autre extrême, l'ajustement « externe » consiste à dévaluer le taux de change officiel, ce qui fait passer le taux officiel au niveau du marché informel.

Pour cet article, nous avons analysé des dizaines d'exemples de réduction des écarts de change[1] à l'échelle internationale au cours des dernières décennies, à partir d'une vaste base de donées sur les taux de change officiels et parallèles. D'après nos observations, il apparaît que de nombreux pays parviennent à la convergence des taux grâce à un ajustement interne, c'est-à-dire qu'ils « battent » le taux de change informel en le ramenant au niveau du taux officiel. Toutefois, cela concerne presque exclusivement les pays qui ont des écarts faibles, proches de 10 %.

La situation est différente pour les pays qui ont connu des écarts plus importants, de 50 % ou plus. Pour ce groupe de pays, le recours à l'ajustement externe, c'est-à-dire à la dévaluation du taux de change officiel, est beaucoup plus fréquent. La plupart des rares pays qui parviennent à vaincre un taux parallèle très éloigné du taux officiel sans appliquer une forte dévaluation officielle y sont parvenus dans le cadre de programmes d'aide extérieure, notamment les programmes du FMI mentionnés ci-dessus. Les cas du Malawi en 1986 et du Nigeria en 1987 en sont des exemples évidents.

Cuba présente un écart de 200 % à 1 500 % (selon le taux officiel pris comme référence). Sans financement extérieur et sans aucune volonté d'appliquer un programme néolibéral, la réforme doit passer par un ajustement externe.

L'effet d'une variation brutale du cours international du peso serait asymétrique, pénalisant les importateurs et les consommateurs et profitant aux exportateurs et autres agents ayant accès aux devises étrangères. Cependant, d'une manière générale, et en complément d'autres réformes nécessaires – dont l'étude dépasse le cadre du présent article –, la dévaluation jetterait les bases d'une amélioration progressive de la viabilité du tissu productif national. Cela est essentiel pour retrouver les niveaux de bien-être matériel d'avant la crise. En outre, cette même reprise économique permettrait de réduire considérablement l'effort fiscal et, par conséquent, l'inflation.

Mais cela prendrait du temps, surtout si le cadre actuel de rigidité et de retard dans les réformes institutionnelles sur l'île est maintenu. À court terme, les conséquences seraient redoutables : renchérissement des produits importés, insoutenabilité temporaire des finances extérieures... La prudence invite donc, au moins dans un premier temps, à procéder à un ajustement « progressif », avec une dévaluation progressive du peso vers sa convertibilité totale.

Cela dit, certains éléments propres à l'économie cubaine incitent davantage à appliquer une dévaluation brutale, même en connaissant les risques que cela comporte :

1. Le gouvernement est conscient de la lenteur de ses réformes ; un ajustement progressif dans le temps risque fort de rester incomplet. Les taux officiels étant si éloignés d'un niveau minimalement compétitif, un ajustement partiel serait inutile ; il ferait supporter à l'économie nationale les inconvénients d'un ajustement monétaire sans les avantages à long terme associés à un ajustement complet (Gray, 2021).

2. Le fait que le pays soit déjà en voie de dollarisation et que le prix du dollar informel, et non le prix officiel, soit la référence centrale pour la fixation des prix sur le marché privé (et même pour une partie des entreprises publiques !) réduit considérablement l'impact de la dévaluation brutale sur l'inflation.

3. D'autre part, on peut raisonnablement douter des difficultés temporaires que l'île pourrait rencontrer à court terme pour faire face à sa dette en devises après une dévaluation. Il faut toutefois ajouter que Cuba se trouve probablement déjà dans une situation proche du défaut de paiement de sa dette extérieure, avec un niveau de devises insuffisant pour défendre des ajustements modérés. Une dévaluation drastique à court terme permet de rétablir la viabilité de l'ensemble de l'économie, rendant plus probable l'entrée indispensable de devises à long terme.

4. Cuba dispose en outre d'un avantage sur le plan fiscal. Le secteur public a un poids important et un rôle stratégique, notamment dans les secteurs de l'importation et de l'exportation. La gestion étatique implique des temps de réaction plus lents lorsqu'il s'agit de stimuler la production dans le nouveau contexte. Mais elle confère également au gouvernement une capacité de centralisation des finances des principales entreprises touchées par la dévaluation. C'est pourquoi, par rapport à un pays moyen dont le secteur public est plus marginal, Cuba dispose ainsi d'une plus grande marge de manœuvre pour mettre en œuvre une réforme axée sur les bénéfices à long terme, malgré les effets asymétriques au niveau interne.

En résumé, la gravité de la crise et certaines caractéristiques institutionnelles encouragent à procéder à un ajustement brutal, dont l'impact potentiel est beaucoup plus faible que celui généralement estimé pour d'autres pays. On peut s'attendre à ce que le prix résultant se rapproche davantage des 400 CUP par dollar publiés par des plateformes telles que elTOQUE que des taux officiels actuels. C'est pourquoi, malgré toutes les nuances des paragraphes précédents, nous devons admettre qu'un ajustement brutal multiplie les coûts – en pesos cubains – des biens importés pour la consommation ou l'investissement.

L'une des formules d'ajustement monétaire envisagées pour faire face à ces coûts consiste à appliquer une réforme différente au secteur public et au reste de l'économie. D'une part, les particuliers et certaines entreprises auraient accès à des devises à un prix plus élevé, qui varierait dans le temps en fonction de l'évolution de l'offre et de la demande. D'autre part, les entreprises publiques continueraient à fonctionner avec la possibilité d'accéder à des devises à un prix beaucoup plus bas et plus rigide.

Rappelons toutefois que le défi de l'économie cubaine ne consiste pas seulement à retrouver sa compétitivité, mais aussi à éviter les segmentations et à apporter de la transparence à la structure des coûts du tissu entrepreneurial. Un ajustement tel que celui décrit ci-dessus, qui prévoit la convertibilité pour tous les secteurs mais qui ne soumet qu'une partie de l'économie à un prix compétitif, aggrave la segmentation du marché national et est voué à l'échec. Simplifions et examinons trois scénarios types qui peuvent se produire dans le cadre de ce système, selon que l'on donne la priorité à la convertibilité d'un taux plutôt que d'un autre, ou que l'on préconise d'assurer une certaine stabilité macroéconomique :

  • La seule façon d'assurer la convertibilité pour le secteur public à un prix aussi bas que 24 pesos pour un dollar est de canaliser les devises du secteur privé. Il en résultera probablement une forte et continue augmentation du taux appliqué à ce second secteur. Comme c'est le cas actuellement, cela renforcerait les dynamiques d'inflation et de dollarisation. En outre, cela risquerait d'aggraver la mauvaise image de l'État en tant qu'accapareur de devises.
  • Tenter d'assurer une certaine stabilité du taux appliqué aux agents privés impliquerait, à tout le moins, de restreindre la convertibilité pour le secteur public, ce qui laisserait sans solution les problèmes actuels de pénurie et de paralysie des services publics.
  • Le scénario intermédiaire probable, « de compromis », qui se produirait à terme, serait similaire à la situation actuelle, avec de fortes restrictions à la convertibilité pour le secteur public, mais aussi pour les autres secteurs. Dans ce cas, outre la pénurie et la crise du secteur public, nous assisterions à la réapparition du marché informel et à des tensions inflationnistes.

Gestion post-réforme : subventions sélectives et flexibilité continue du taux de change

Compte tenu de ce qui précède, la réforme ne doit pas se concentrer uniquement sur l'assouplissement de mécanismes tels que CADECA, mais aussi sur la convergence de tous les taux officiels vers un niveau garantissant la convertibilité, sinon de toutes, du moins d'une grande partie des demandes de devises. Toutefois, cette convergence aurait un impact particulièrement important sur le secteur public, qui bénéficie actuellement de l'accès le plus subventionné au dollar. Ce qui est aujourd'hui importé à 24 pesos serait alors acheté à un prix 10 à 15 fois plus élevé, ce qui affecterait directement la structure des coûts et des prix et mettrait même en péril la viabilité de nombreuses entreprises.

Une façon d'atténuer les effets les plus directs consiste à maintenir des prix fixes subventionnés pour une sélection de produits pour lesquels le taux de change officiel sert de référence. Mais il n'y a là aucune magie. Plus la subvention et la gamme de produits dont le prix serait gelé sont importantes, plus le déficit budgétaire sera élevé. Comme le reconnaît le gouvernement, si le déficit qui en résulte est élevé, la décision politique de fixer certains prix se traduira par des pressions inflationnistes accrues sur le reste de l'économie.

Nous arrivons ici à un point essentiel. Si l'on veut éviter de reproduire le cercle vicieux entre déficit et appréciation réelle, et compte tenu de la probabilité d'une reprise de l'inflation, la fixation d'un nouveau taux rigide nous ramènerait à l'appréciation actuelle du peso en termes réels. Il est donc nécessaire de poursuivre la dévaluation.

À ce stade, il convient de jeter un dernier regard sur l'expérience d'autres pays. Comme nous l'avons déjà mentionné, la plupart des pays qui ont connu d'importants écarts entre le taux officiel et le taux informel ont opté pour un ajustement externe, en dévaluant le taux officiel, plutôt que pour un ajustement interne difficile et incertain. Mais il faut ajouter que la plupart de ces pays, après une forte dévaluation initiale, doivent continuer à déprécier leur monnaie dans les mois qui suivent.

Très peu de cas dans l'histoire récente nous invitent à penser qu'après la dévaluation, une stabilisation monétaire à court terme est possible pour Cuba. Voici quelques-uns des pays qui, après un ajustement externe drastique, ont « réussi » à freiner brusquement la dynamique dévaluationniste : l'Afghanistan (en 2003, après l'invasion), la République démocratique du Congo (début des années 2000), l'Égypte (années 1990), l'Iran et l'Irak en 2002-2003, la Libye (2021), le Myanmar (milieu des années 2010), l'Ukraine (lors de la transition des années 1990), l'Ouzbékistan (seconde moitié des années 2010), le Vietnam (fin des années 1980) et le Yémen (années 1990). La grande majorité d'entre eux ont deux points communs : la soumission à des ajustements économiques internes brutaux – dans des contextes où le respect des droits humains est plus que douteux – et une aide extérieure importante, généralement apportée par le FMI.

Si l'on ne cherche pas à faire de la stabilité macroéconomique l'objectif principal des réformes, mais plutôt un moyen de rétablir et de continuer à améliorer les conditions de vie à Cuba, la fixation d'un nouveau prix international du peso cubain ne devrait pas être envisagée à court terme. Tant qu'une reprise économique évidente permettant d'entreprendre une réduction sérieuse du déficit et, par conséquent, de l'inflation ne sera pas observée, la monnaie nationale devrait suivre une trajectoire de dévaluation douce mais progressive, explicite et crédible.

Conclusion

Sans être la seule, la réforme monétaire est une mesure fondamentale que Cuba doit prendre dans sa recherche d'une sortie durable de la crise. L'ajustement monétaire doit être complet ; sinon, cela impliquerait de supporter des coûts énormes sans bénéficier des avantages d'un réalignement avec le reste du monde en termes de compétitivité. Certains éléments propres à la réalité de l'île encouragent à procéder à un ajustement brutal du prix officiel du CUP, déjà mal en point.

Cela dit, la mise en place d'un marché des changes va au-delà d'une simple modification ponctuelle du prix. Afin d'éviter des ajustements fiscaux ou monétaires difficiles et inefficaces, le gouvernement, avec la Banque centrale comme acteur principal, devra adapter progressivement le taux officiel, évitant ainsi qu'il ne devienne insignifiant avec le temps, comme cela se produit régulièrement depuis des décennies.

Cette réforme pourrait accélérer d'autres réformes déjà prévues sur d'autres fronts, depuis les lignes directrices de 2011. Sans elles, il est difficile d'envisager une reprise à long terme pour l'île, ce qui crée un terrain fertile pour les discours défendant des ouvertures radicales et des recettes néolibérales.

Juan Barredo Zuriarrain est professeur d'économie appliquée à l'Euskal Herriko Unibertsitatea.

Juan Carlo Imbert est professeur d'économie à l'université de La Havane.

L’Amérique latine est la cible de l’offensive néocoloniale de Trump

14 octobre, par Ana C. Carvalhaes, Luis Bonilla Molina — , ,
Au cours de ses neuf premiers mois, l'administration Trump a déployé des navires et des infrastructures militaires dans les Caraïbes, bombardé des radeaux accusés de trafic de (…)

Au cours de ses neuf premiers mois, l'administration Trump a déployé des navires et des infrastructures militaires dans les Caraïbes, bombardé des radeaux accusés de trafic de drogue dans la région, imposé des droits de douane de 50 % sur les produits brésiliens – parce qu'elle n'accepte pas le jugement démocratique de Bolsonaro et des autres putschistes –, et a maintenu une pression brutale sur le gouvernement mexicain pour qu'il réduise de force les flux migratoires latino-américains à la frontière et combatte ses propres cartels de trafic de drogue.

7 octobre 2025 | tiré du site Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76535

Ce ne sont là que quelques éléments d'une tempête qui va bien au-delà de la personnalité tapageuse et instable du premier dirigeant néofasciste américain. Les meurtres perfides et télévisés commis contre ces personnes constituent une violation de toutes les conventions, statuts et protocoles internationaux relatifs à la neutralisation, la capture et le jugement des criminels. (Personne n'a vérifié que les naufragés tués par des missiles américains n'étaient pas de simples pêcheurs, car ils n'ont jamais eu le droit de se défendre.) Ces attaques sont la preuve la plus flagrante que l'impérialisme américain sous Trump impose un changement radical dans le traitement réservé à la macro-région qu'il continue de considérer comme son arrière-cour [1] [2].

Dans le cadre du changement substantiel des relations de pouvoir mondiales héritées de la Seconde Guerre mondiale, que l'autoritaire Trump tente de remplacer par la règle « les États-Unis commandent sur la planète », l'Amérique latine ne pouvait pas s'en sortir indemne. Mais pourquoi le Mexique, le Brésil et le Venezuela sont-ils les cibles les plus immédiates ? Bien qu'importante, la constatation que les gouvernements des trois pays sont, aux yeux des faucons néofascistes menés par Trump, « de gauche » est insuffisante. Dans la grammaire trumpiste, cela signifie qu'il s'agit de gouvernements situés à l'autre extrémité de son spectre politico-idéologique – ou qui ne sont pas des défenseurs directs et soumis des intérêts du capital yankee –, quelles que soient les différences notables entre eux.

Si loin de Dieu, si près de Trump

Les pressions exercées sur le gouvernement mexicain sont presque explicites, compte tenu de sa longue frontière commune avec les États-Unis, de sa dépendance économique (plus de 80 % des exportations mexicaines sont destinées à son voisin du Nord), ainsi que de la puissance et de la violence des cartels de la drogue mexicains. La rhétorique agressive et le chantage contre le Mexique ont commencé dès les premiers jours de Trump à la Maison Blanche, afin d'imposer à la présidente Claudia Sheinbaum [3] cette prétendue obligation de contenir les foules de Latino-Américains qui ont toujours essayé d'entrer aux États-Unis par le Rio Grande – sous la menace de droits de douane de 25 %.

La présidente a répondu en envoyant une troupe de 10 000 soldats à la frontière [4]. La pression s'est intensifiée – avec la menace permanente d'une entrée directe des troupes américaines au Mexique, explicitée par le secrétaire d'État Marco Rubio [5] – afin que le gouvernement voisin prenne des mesures plus sévères contre les puissants cartels nationaux, désormais considérés comme « terroristes » par l'Oncle Sam. Depuis le début de son mandat, Sheinbaum a déjà expulsé vers les États-Unis 26 personnes accusées d'appartenir à la haute hiérarchie du trafic, a réussi à faire arrêter plus de 30 000 suspects soupçonnés de faire partie d'organisations criminelles (contre un peu plus de 12 000 arrestations au cours des six années de son prédécesseur) et a signé en septembre un accord avec les États-Unis pour réprimer le trafic transfrontalier d'armes, des États-Unis vers le Mexique.

Encore insatisfaite, l'administration Trump menace également d'imposer des droits de douane plus élevés si le Mexique ne cesse pas ses importations en provenance de Chine, qui servent essentiellement à compléter sa production automobile principalement exportée vers le géant nord-américain. Les Yankees n'ont pas non plus encore abandonné leurs annonces électorales de taxer lourdement les transferts de dollars des citoyens mexicains vers leur pays – actuellement environ 60 milliards de dollars, soit près de 4 % du PIB du Mexique – et de lancer éventuellement des frappes de drones contre les laboratoires de drogue sur le territoire mexicain. Ces cartes, parmi d'autres, sont des instruments essentiels dans la pratique du chantage et de la menace.

Jusqu'à présent, Sheinbaum a réussi à empêcher une intervention directe dans son pays, mais à un coût politique élevé. Selon le New York Times, les proches de la présidente, exaspérés par la situation, se plaignent que, malgré toutes les concessions faites, ils ne parviennent pas à se calmer car les États-Unis semblent avoir des exigences sans limites. Claudia et ses collègues de Morena semblent, pour leur part, avoir oublié (ou ne jamais avoir réalisé) que c'est ainsi que fonctionnent les impérialismes, et encore plus l'impérialisme néocolonialiste agressif de leur « partenaire » Donald.

Au Brésil, une agression qui se retourne contre lui

Par rapport au Brésil, les attaques de Trump se caractérisent par une ingérence directe dans les affaires politiques et judiciaires internes de ce pays d'Amérique du Sud. Les droits de douane de 50 % (les plus élevés à ce jour, avec ceux imposés à l'Inde) sur les exportations brésiliennes vers les États-Unis n'ont aucune justification économique, même selon la logique protectionniste démente des faucons du MAGA [6]. La balance commerciale entre les deux pays est déficitaire pour le Brésil et le marché américain a fortement besoin de produits de base made in Brazil tels que le café, les oranges et l'acier semi-fini.

L'explication donnée par Trump et Rubio pour justifier ces droits de douane était sans équivoque : le mécontentement suscité par le procès (et désormais la condamnation) de leur ami Jair Bolsonaro et de plusieurs de ses anciens collaborateurs pour tentative de coup d'État en 2022-2023, qualifié par les Yankees de « chasse aux sorcières » [7]. Comme il s'agit d'une mesure politique (suivie de sanctions personnelles à l'encontre des juges de la Cour suprême et de leurs familles, dont les visas pour les États-Unis ont été annulés), ce différend prétendument commercial est rapidement devenu au Brésil un motif de confrontation entre le gouvernement et les secteurs démocratiques, d'une part, et l'extrême droite, d'autre part.

La famille Bolsonaro et ses soutiens ont mis à profit cette attaque impérialiste en la justifiant, en descendant dans la rue et en exigeant l'amnistie pour les putschistes, tout en maintenant un fils de l'ancien président aux États-Unis, afin d'organiser de nouvelles attaques. Pour atteindre leur objectif, ils ont conclu une alliance parlementaire avec la droite traditionnelle oligarchique et corporatiste afin de faire voter l'amnistie en urgence tout en votant une modification de la Constitution (proposition d'amendement constitutionnel, ou PEC [8]) destinée à empêcher tout type de procès et d'enquête à l'encontre des parlementaires et des chefs de partis.

Ils ont mal calculé, ils ont sous-estimé l'opinion de la majorité. La double manœuvre a suscité des mobilisations. Le dimanche 21 septembre, des centaines de milliers de Brésiliens sont descendus dans les rues et sur les places pour protester contre la « PEC du blindage » (ou PEC del Banditismo, comme l'a surnommée la sagesse populaire) et contre l'amnistie [9].

La modification constitutionnelle a été enterrée, et avec elle, la proposition d'amnistie. En effet, la lutte contre la hausse des droits de douane, la position d'ouverture à la négociation, mais toujours en affirmant que la démocratie n'est pas négociable, avait déjà valu à Lula [10] et à son gouvernement un regain de popularité. S'il est exagéré d'affirmer que les sentiments clairement anti-impérialistes ont été majoritaires, il est vrai que le rejet de l'ingérence yankee et le sens de la souveraineté ont été fondamentaux pour la victoire remportée par la mobilisation.

Le Venezuela, cible centrale

Le pays d'Amérique latine et des Caraïbes le plus menacé militairement à l'heure actuelle est le Venezuela, même si aucune nation de la région n'est à l'abri de cette menace potentielle pour sa souveraineté territoriale. Le Venezuela et sa révolution bolivarienne [11] – enterrée par l'autoritarisme et la politique anti-ouvrière et anti-populaire du madurisme – ont toujours été une énorme épine dans le pied de l'impérialisme américain. Aujourd'hui, les faucons expansionnistes de Trump cherchent à renverser Maduro, profitant de l'énorme faiblesse en interne de son gouvernement, pour le remplacer par une option d'extrême droite soumise à Washington [12].

Mais pourquoi ce changement de position des États-Unis alors que le gouvernement Maduro était en négociation avec eux depuis 2018 et leur avait réaffirmé que le Venezuela était un fournisseur fiable de pétrole ? Cela est lié au rééquilibrage mondial, à la nouvelle répartition des zones d'influence et des rapports de forces qui est en cours. Le gouvernement Trump veut voir à la tête du gouvernement vénézuélien un visage de la nouvelle extrême droite fasciste internationale, qui dans ce cas serait María Corina Machado [13] ; il ne veut pas d'instabilité dans le réaménagement, mais une soumission absolue dans le nouveau cadre. Autre chose est de savoir ce à quoi il peut parvenir [14].

Le fait est que ce changement de régime au Venezuela ne semble pas pouvoir se produire sans une intervention directe, sous quelque forme que ce soit, avec le rejet que cela pourrait susciter dans l'opinion publique américaine, ce qu'il faut prendre en compte dans l'équation. Cela rend la situation plus complexe. C'est pourquoi ils se lancent dans la lutte militaire contre le trafic international de drogue : pour tenter d'obtenir le soutien de la population à leur politique interventionniste [15]. Quoi qu'il en soit, la manière dont le déploiement militaire américain sur les côtes vénézuéliennes a été mené semble indiquer qu'il ne s'agit pas d'une activité de contre-information continue, mais d'une opération à grande échelle visant à collecter des données sur la population vénézuélienne et régionale afin de mesurer les conséquences de ce déploiement et d'envisager des scénarios futurs. Il s'agit d'une nouvelle phase dans l'utilisation des technologies de pointe à des fins militaires.

L'opposition vénézuélienne de droite, dirigée par María Corina Machado (MCM) – qui a fait ses débuts de manière virtuelle lors de la récente rencontre des patriotes libertariens européens présidée par Meloni [16] – a demandé des sanctions contre le Venezuela dans un passé récent, sans en avoir mesuré les répercussions sur la population modeste. Mais aujourd'hui, elle compte sur les soldats américains pour renverser Maduro et la mettre au pouvoir. Pour cela, elle a offert sur un plateau d'argent le territoire national et ses richesses. Bien sûr, Maduro n'a pas été le meilleur exemple de nationalisme ou de patriotisme, puisqu'il a autorisé l'extraction pétrolière par des multinationales américaines dans des conditions néocoloniales sans précédent dans l'histoire du pays. Mais rien de tout cela ne justifie l'appel à venir souiller le sol vénézuélien.

Pour l'instant, l'administration américaine semble vouloir affaiblir le gouvernement Maduro, en misant sur les fissures internes et le renversement du pouvoir par des militaires locaux, ce qui fracturerait l'unité interne du madurisme et ouvrirait la possibilité d'un scénario comme celui de la Grenade [17], remis au goût du jour grâce aux avancées technologiques actuelles. La question est de savoir ce qu'ils feront s'il n'y a pas de fracture au sein du pouvoir interne.

Un éventuel gouvernement de María Corina Machado et Edmundo González [18] après une intervention militaire américaine, avec ses politiques ouvertement anti-ouvrières et les restes de l'opposition chaviste [19] lui disputant des espaces, rendrait le pays impossible à gouverner. Par conséquent, l'objectif réel des États-Unis semble être l'avènement d'une dictature militaire au Venezuela directement conseillée par eux, y compris avec l'installation de bases militaires dans le pays. Cela consoliderait leurs objectifs régionaux dans le cadre du réordonnancement mondial.

Le gouvernement Maduro se trompe lourdement lorsqu'il met en avant de prétendues divergences entre Marco Rubio et Trump, endossant le rôle de conseiller en charge de protéger le locataire de la Maison Blanche. Ce qui se passe dans les Caraïbes et au Venezuela relève d'une politique impérialiste, et non d'un simple mauvais moment dans la politique américaine.

D'un autre côté, l'usure sociale au Venezuela est à ce point terrible que la possibilité d'une attaque étrangère n'a pas suscité la réaction attendue de la part de la population. Le gouvernement Maduro a mobilisé les milices et l'appareil politique du PSUV [20], mais avec une portée bien moindre que celle qu'il prétend. La seule façon de susciter un large front national de rejet de l'intervention américaine serait de revenir sur son programme et les mesures mises en œuvre notamment depuis 2018, avec une conséquente revalorisation des salaires, la récupération des partis de gauche par leurs dirigeant·e·s et militant·e·s légitimes, une amnistie générale pour les prisonniers politiques et le mouvement social, la réorientation de la richesse nationale vers le rétablissement de la sécurité sociale et des conditions matérielles d'existence pour le peuple. Ce n'est qu'en faisant cinq pas en arrière que le gouvernement Maduro pourrait changer la situation catastrophique actuelle, mais cela impliquerait de rompre avec le programme de la nouvelle bourgeoisie constituée sous le régime pétrolier au cours des vingt dernières années.

C'est le peuple vénézuélien qui a le plus souffert au cours de ces quinze années de régression et de soumission aux intérêts du capital conduites par le gouvernement Maduro. Des millions de Vénézuélien·ne·s ont dû partir chercher à survivre au-delà des frontières de leur patrie, tandis que celles et ceux qui sont restés dans le pays vivent le drame de la perte de la sécurité sociale, de la disparition des salaires et de la peur d'exprimer leur opinion au risque d'être arrêté. Le peuple a déjà trop souffert pour devoir faire face aux conséquences d'une opération militaire à grande échelle. Les bombes tomberont, pour la plupart, sur la tête des gens modestes. Toute mesure permettant d'éviter cette crise est bienvenue.

P.S.
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro

https://vientosur.info/america-latina-es-blanco-de-la-ofensiva-neocolonial-de-trump/

Notes

[1] Référence à la « doctrine Monroe » (1823) qui proclamait que l'Amérique latine relevait de la sphère d'influence exclusive des États-Unis

[2] « Trump Directs Military to Target Foreign Drug Cartels », New York Times, 08/08/2025. https://www.nytimes.com/2025/08/08/...

[3] Claudia Sheinbaum, élue présidente du Mexique en juin 2024, première femme à occuper ce poste, membre du parti Morena (Mouvement de régénération nationale) fondé par son prédécesseur Andrés Manuel López Obrador

[4] « Mexico's President Struggles to Escape Trump's Growing Demands », New York Times, 30/08/2025. https://www.nytimes.com/2025/08/30/...

[5] Marco Rubio, sénateur républicain de Floride d'origine cubaine, nommé secrétaire d'État (ministre des Affaires étrangères) par Donald Trump

[6] MAGA : « Make America Great Again » (« Rendre sa grandeur à l'Amérique »), slogan de campagne de Donald Trump devenu l'appellation du mouvement trumpiste

[7] Extrait de la lettre adressée par Trump à Lula le 9/7/2025, annonçant les droits de douane : « J'ai connu et côtoyé l'ancien président Jair Bolsonaro, et je le respectais beaucoup, comme la plupart des autres dirigeants d'autres pays. La manière dont le Brésil a traité l'ancien président Bolsonaro, un dirigeant très respecté dans le monde entier pendant son mandat, y compris par les États-Unis, est une honte internationale. Ce procès ne devrait pas avoir lieu. Il s'agit d'une chasse aux sorcières qui doit cesser IMMÉDIATEMENT ! En partie à cause des attaques insidieuses du Brésil contre les élections libres et de la violation fondamentale de la liberté d'expression des Américains (comme l'a récemment démontré la Cour suprême fédérale du Brésil, qui a émis des centaines d'ordonnances de censure SECRÈTES et ILLÉGALES à l'encontre des plateformes de réseaux sociaux américaines, les menaçant de millions de dollars d'amendes et d'expulsion du marché brésilien des réseaux sociaux), à compter du 1er août 2025, nous imposerons au Brésil un droit de douane de 50 % sur toutes les exportations brésiliennes vers les États-Unis, en plus de tous les droits de douane sectoriels existants. Les marchandises qui seront transbordées dans le but de contourner ce droit de douane de 50 % seront soumises à ce droit de douane plus élevé. » Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro. Source : https://vientosur.info/america-lati...

[8] PEC : Proposta de Emenda Constitucional, procédure législative au Brésil pour modifier la Constitution fédérale

[9] « Atos contra anistia e PEC da Blindagem reúnem multidões pelo Brasil », BBC Brasil, 22/9/2025 https://www.bbc.com/portuguese/arti...

[10] Luiz Inácio Lula da Silva, président du Brésil élu en 2022, dirigeant du Parti des travailleurs (PT), qui avait déjà exercé la présidence de 2003 à 2010

[11] Révolution bolivarienne : processus politique et social entamé au Venezuela en 1999 sous la présidence d'Hugo Chávez, visant à établir un « socialisme du XXIe siècle » inspiré de Simón Bolívar

[12] À ce sujet, il est intéressant de lire l'analyse de Ian Bremmer, du Euroasia Group, « Les États-Unis s'apprêtent-ils à envahir le Venezuela ? », dans GZero, 3/09/2025. https://www.gzeromedia.com/news/ana...

[13] María Corina Machado, dirigeante de l'opposition vénézuélienne d'extrême droite, fondatrice du parti Vente Venezuela, interdite de se présenter aux élections présidentielles de 2024 par les autorités vénézuéliennes

[14] « Les États-Unis vont-ils envahir le Venezuela ? », chronique de Sylvia Colombo dans Folha de S.Paulo, 4/9/2025. https://www1.folha.uol.com.br/mundo...

[15] « Les États-Unis préparent des plans d'attaque contre des cibles au Venezuela, selon la télévision » https://www1.folha.uol.com.br/mundo...

[16] Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres d'Italie depuis 2022, dirigeante du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia (Frères d'Italie)

[17] Référence à l'invasion de la Grenade par les États-Unis en 1983 (« Opération Urgent Fury »), intervention militaire visant à renverser le gouvernement marxiste de Maurice Bishop

[18] Edmundo González Urrutia, candidat de l'opposition à l'élection présidentielle vénézuélienne de 2024, qui affirme avoir remporté le scrutin contre Nicolás Maduro

[19] Le chavisme désigne le mouvement politique inspiré d'Hugo Chávez, président du Venezuela de 1999 jusqu'à sa mort en 2013, prônant un socialisme bolivarien et anti-impérialiste

[20] PSUV : Parti socialiste unifié du Venezuela, parti au pouvoir créé en 2007 par Hugo Chávez

Espagne : la CGT rejoint l’appel à la grève contre le génocide le 15 octobre du Global Movement to Gaza

14 octobre, par Jules Soran — , ,
Face à la poursuite du génocide en Palestine, la CGT répond à l'appel du mouvement Global Movement to Gaza et appelle à la grève le 15 octobre. Tandis que Pedro Sánchez affiche (…)

Face à la poursuite du génocide en Palestine, la CGT répond à l'appel du mouvement Global Movement to Gaza et appelle à la grève le 15 octobre. Tandis que Pedro Sánchez affiche son soutien au plan ultra-colonial de Trump, le mouvement ouvrier cherche à reprendre l'initiative contre la complicité des États impérialistes.

9 octobre 2025 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Espagne-la-CGT-rejoint-l-appel-a-la-greve-contre-le-genocide-le-15-octobre-du-Global-Movement-to

Mercredi, la CGT espagnole a appelé à une grève générale de 24 heures le 15 octobre, dans tout l'État espagnol, contre le génocide et l'apartheid en Palestine. Une journée qui sera également en suivi dans le Pays Basque et en Catalogne où de nombreuses mobilisations auront lieu.

Le syndicat, sans lien avec son homonyme français – dénonce non seulement le génocide commis en Palestine, mais met également en lumière ses répercussions sur l'ensemble de la région et sur les pays du centre impérialiste, dont l'Espagne : « Les agressions de cet État ne se limitent pas au territoire palestinien ; elles ont également touché le Liban, l'Iran, l'Irak, la Syrie et le Yémen. Cette politique israélienne a entraîné une grande instabilité au Moyen-Orient, menaçant la souveraineté alimentaire et énergétique, provoquant la dévaluation des monnaies, aggravant les crises de la dette et freinant la reprise du pouvoir d'achat de la classe ouvrière depuis la pandémie de 2020. »

La CGT dénonce aussi l'absence de mesures concrètes de l'État espagnol, qui prétend défendre la cause palestinienne : « la communauté internationale et l'État espagnol sont complices de ce massacre à travers le maintien de relations diplomatiques et commerciales avec Israël ». Elle précise « qu'aucun changement significatif n'a eu lieu depuis octobre 2023, et que les annonces du gouvernement PSOE–Sumar ont été plus symboliques que réelles. » Face à la complicité du gouvernement face aux massacres, la CGT appelle à organiser une pression sociale suffisante pour mettre fin au génocide et permettre au peuple palestinien de vivre libre et en paix :

« La CGT, organisation libertaire et internationaliste, refuse de rester passive face à la souffrance de milliers de personnes prises dans un conflit qui dure depuis trop longtemps. En tant qu'anarcho-syndicalistes, nous ne pouvons pas attendre que les institutions réagissent, c'est pourquoi la CGT organise, encourage et participe à toutes les actions visant à rendre visible ce génocide. Les mobilisations, de plus en plus massives dans toute l'Europe, doivent maintenant se transformer en une pression sociale déterminante pour mettre fin à ce crime et garantir le droit du peuple palestinien à vivre libre et en paix. »

En Espagne, le mouvement pour la libération de la Palestine connaît un nouvel élan, porté ces dernières semaines par la solidarité autour des flottilles. Cette dynamique gagne en intensité et ouvre la voie à une grève anti-impérialiste. La Global Sumud Flotilla, symbole de cette solidarité internationale, est elle-même partie d'Espagne. C'est dans ce contexte que la CGT a répondu à l'appel du collectif Global Movement to Gaza, membre de la Global Sumud Flotilla, adressé à l'ensemble des syndicats de l'État espagnol. Outre cet appel, de nombreuses mobilisations récentes témoignent de la vitalité du mouvement, comme l'action menée lors du Tour d'Espagne à Bilbao, qui a attiré l'attention sur la complicité européenne dans le génocide en cours et le sportwashing d'Israël.

Pendant ce temps, le gouvernement espagnol, malgré quelques gestes symboliques – la reconnaissance de l'État de Palestine – ou hypocrites – l'escorte fournie à la Global Sumud Flotilla, qui a toutefois abandonné en chemin la flottille avant l'attaque d'Israël tout en lui enjoignant de faire demi-tour – a montré son alignement sur l'ordre impérialiste et la poursuite de la colonisation. En témoigne le soutien explicite du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez au plan ultra-colonial de Trump. Ce plan offre une porte de sortie à Israël, enlisé dans sa guerre génocidaire, tout en voulant enterrer la cause palestinienne en transformant la Bande de Gaza en un protectorat colonial, en retirant notamment à la population palestinienne toute autonomie politique.

Face à la situation en Palestine, aucune issue ne viendra des gouvernements bourgeois. Il faut dès aujourd'hui se mobiliser pour construire une grève générale politique. C'est en mettant à genoux la machine de mort israélienne, en sapant ses soutiens en Europe et aux États-Unis, par la grève, par le blocage des envois d'armes et par la rupture des liens commerciaux, scientifiques et militaires que nous pourrons mener la bataille contre le génocide. Les mobilisations massives en Italie, impulsées par le mouvement ouvrier, montrent la voie. Cette dynamique commence à essaimer ailleurs, notamment en Espagne aujourd'hui.

Les travailleurs de France doivent à leur tour rejoindre massivement la lutte concrète contre la colonisation. Déjà, à Fos-sur-Mer, des envois d'armes ont été bloqués en avril, et un appel à un débrayage de deux heures a été lancé en soutien à la Global Sumud Flotilla. Il faut désormais élargir et intensifier cette dynamique, en imposant aux directions syndicales qu'elles rompent avec leur passivité et leur méthode d'interpellations stériles du gouvernement Macron qui se revendiquent du droit international, soit après l'approbation de l'ONU, au plan Trump. Face à la menace d'anéantissement du peuple palestinien, il y a urgence à imposer une réponse à la hauteur de la situation, en suivant l'exemple des travailleurs italiens et espagnols.

La démission de Macron, c’est la base, la suite dépend de nous

14 octobre, par Nicolas Framont — , ,
Hier soir, le Premier ministre Sébastien Lecornu, très proche de Macron, très conservateur et très partisan d'un rapprochement avec l'extrême droite, a nommé un gouvernement (…)

Hier soir, le Premier ministre Sébastien Lecornu, très proche de Macron, très conservateur et très partisan d'un rapprochement avec l'extrême droite, a nommé un gouvernement qui – ça alors – était très à droite. Pourtant, les partis de gauche, hors LFI, ainsi que les syndicats nous ont bassiné pendant trois semaines pour nous dire que ce monsieur était peut-être ouvert à la discussion et que des “ouvertures” étaient possibles. La micro-taxe Zucman sur les ultra-riches, un accord avec le PS… Fabien Roussel, le chef du Parti communiste, déclarait pas plus tard que vendredi que ce serait “raide” de censurer un Premier ministre qui annonçait vouloir renoncer à l'usage du 49-3. Alors que ce qui était vraiment “raide”, Fabien, c'est que ce même Premier ministre annonçait la même semaine vouloir continuer à réduire les impôts des entreprises et donc de leurs actionnaires ! Durant cette pseudo-phase de discussion, non seulement Lecornu n'a rien lâché du tout mais en plus il s'est contenté de maintenir l'essentiel du précédent gouvernement, faisant de la “chute” de début septembre un lointain souvenir. Pire, il a fait revenir un multi-accusé de corruption et camarade de l'ex-président tout juste condamné pour association de malfaiteurs avec un dictateur libyen, notoirement terroriste, Eric Woerth. Ainsi que Bruno Le Maire, artisan de la suppression de l'ISF, de la gabegie d'aides aux entreprises (en réalité aux actionnaires) et grand responsable du déficit record de la France.

6 octobre 2025 | tiré du site Frustrations
https://frustrationmagazine.fr/demission-macron

Ces quelques semaines de mascarade coïncidaient avec la tentative menée par plusieurs centaines de milliers de personnes dans tout le pays, depuis le 10 septembre, de lancer un mouvement social populaire et réellement transformateur. En simulant la discussion et l'ouverture, directions syndicales comme partis de gauche ont tenté de retarder la prise de conscience de l'unique conclusion que l'on doit tirer de tout ça : il n'existe aucun recours parlementaire, aucun “dialogue” possible avec un gouvernement bourgeois corrompu et prêt à tout pour continuer à piller le peuple pour engraisser les riches. On peut s'étonner que ces mêmes personnes aient participé à cette même comédie trois fois de suite (une fois après la chute du gouvernement Attal, puis après celle du gouvernement Barnier, et maintenant après celle du gouvernement Bayrou) mais l'essentiel c'est que les gens ordinaires – ceux qui n'ont pas le syndrome du personnage principal et ne croient pas que la politique soit un épisode claqué de House of Cards – n'avaient aucune espèce d'attente dans cette mascarade. Pour autant, puisque la majeure partie des organisations en place – partis et syndicats – y croyaient, il nous a été difficile d'agir selon notre propre agenda – nous y reviendrons plus loin.

Mais ce faux nouveau gouvernement n'a duré que 12 petites heures. Ce matin, l'éphémère Premier ministre Lecornu a présenté sa démission, ainsi que celle de son gouvernement. Mais ce n'est pas parce que son gouvernement était trop à droite : au contraire, c'est parce qu'il ne l'était pas assez. Bruno Retailleau, ce sombre ministre proche de l'extrême droite et membre d'un parti perdant aux dernières élections (6,97% des suffrages exprimés, soit environ 5% du corps électoral) a protesté, dès l'annonce de sa composition, contre le gouvernement, et donc vraisemblablement entraîné sa chute. Dans son discours de ce matin, l'éphémère Premier ministre Lecornu a expliqué manquer de soutien dans sa propre coalition, donc du côté de ce tout petit parti de droite, qui se rêve encore comme parti hégémonique dans le pays, comme il l'a été pendant cinquante ans.

Si le gouvernement est tombé, ce n'est même pas pour de bonnes raisons vaguement démocratiques : c'est au contraire parce que la caste dirigeante qui se croit maîtresse du pays en demande toujours plus. Aussi, si l'on peut se réjouir de les voir s'entre-déchirer, car ils sont affaiblis, cette démission n'est pas une victoire populaire. Mais elle peut y mener. Que peut-on espérer pour la suite ? Que doit-on revendiquer ? A Frustration, nous avons quelques pistes en tête, que nous souhaitons partager avec vous.

Aujourd'hui circulent sur les groupes issus du mouvement du 10 septembre des appels à se rassembler ce soir, avec casseroles, banderoles et slogans, pour appeler à la démission de Macron. Ce sera aussi l'occasion de discuter de la suite. La démission de Macron, ou son départ forcé, est évidemment une revendication forte, simple, lisible et qui réunit des gens de multiples sensibilités politiques, ainsi que de tous milieux sociaux, à commencer par les ouvriers et les employés qui, eux, l'ont toujours détesté – contrairement aux sous-bourgeois, petits bourgeois, cadres et parfois artistes qui, en 2017, nous chantaient ses louanges. Mais le départ de Macron est à double tranchant, comme le disait Rob Grams dans un article écrit au lendemain de la journée du 18 septembre, où plus d'un million de personnes est descendu dans la rue : « Si le départ de Macron n'est qu'une résolution institutionnelle d'une crise pourtant structurelle, qui n'aboutit qu'à l'élection d'un nouveau macroniste pour “faire barrage” ou bien d'un lepéniste, cela n'aura aucun effet positif pour notre camp social. Si toutefois cela signifiait la fin de la Ve République, cela serait très intéressant. Si des mesures d'austérité entraînent le départ d'un gouvernement puis d'un président, et même la fin d'un régime, cela laissera une trace forte, un traumatisme pour les capitalistes en France et en Europe. Et les politiciens hésiteront avant de s'y lancer trop frontalement. »

La tenue d'une élection présidentielle anticipée, ce serait le retour à la routine rassurante de pseudo-démocratie bourgeoise, à la solitude de l'isoloir pour la masse de citoyennes et de citoyens qui, depuis cet été, sont révoltés contre le système dans son ensemble. Élire de nouveaux représentants, un nouveau chef, ce n'est pas un projet de société désirable : c'est une nouvelle démission, mais du peuple, cette fois-ci. Ne démissionnons pas à nouveau, comme à chaque fois. Aussi, les appels à s'inscrire sur les listes électorales, à se préparer à voter, à reconstituer une nouvelle Nupes, un nouveau NFP, ou tout autre acronyme qui prétend résoudre par des alliances de petits partis déconnectés le désir de liberté et d'égalité de la population sont des leurres. On doit imaginer mieux que ce réflexe électoral totalement démissionnaire. D'autant plus que c'est le scénario auquel la bourgeoisie est le mieux préparé : voici des mois que son matraquage médiatique a permis de déplacer le stigmate politique ultime – celui du parti à qui faire barrage – du RN – que le patronat adore désormais – à la FI. Sa reprise en main autoritaire de l'audiovisuel public, sa mainmise totale sur les médias privées sont des outils obtenus en vue de garantir un scénario électoral qui lui soit favorable, et ce scénario passe par la victoire d'un RN “dédiabolisé”, qui se chargera de nous mener la guerre des classes sur le modèle, raciste et fasciste, de Donald Trump.

Pour contourner ce piège, nous devons reprendre le pouvoir sur nos vies. Et pour cela, il faut que la chute de Macron s'accompagne d'une refonte totale de nos institutions. Les Gilets jaunes ont montré la voie avec leur revendication principale : le RIC, pour référendum d'initiative citoyenne, est une intervention directe du peuple dans les affaires qui le concernent, sans passer par des représentants.

Nous voyons comment le mouvement social avorté de septembre a été contaminé par des décennies de passivité politique. Même lorsque nous nous mobilisons, nous attendons de nos représentants – ici, les syndicats – qu'ils nous disent quoi faire et quand. Et puisque ces représentants n'ont pas les mêmes intérêts ni les mêmes idéaux que nous, comme en témoigne leur participation systématique et naïve aux mascarades post-chute de gouvernement, nous sommes à chaque fois déçus. Il faut vraiment sortir de ce jour sans fin de notre minorité politique. Si nous voulons nous débarrasser d'un système politique conçu exclusivement pour le bien-être des riches et des puissants, il faut que nous sortions de nos attentes déçues, de nos réflexes rassurants. Attendre de nouvelles élections, perdre. Attendre le prochain jour de grève isolé, perdre. Aucune organisation établie – c'est-à-dire institutionnalisée et officielle – ne peut porter autre chose que ces logiques passives et perdantes. Le mouvement du 10 septembre a montré la voie : il a montré à des milliers de gens à travers tout le monde, de milieux sociaux divers, et de la plus grande ville à la plus petite, que nous pouvions agir par nous-mêmes, sans attendre les consignes. C'est un travail de longue haleine, ça ne se fera pas en un jour, mais une chose est sûre : le contexte nous est favorable.

Nombreuses sont nos lectrices et lecteurs qui sont tétanisés par la perspective de l'arrivée au pouvoir du RN. C'est vrai : lorsque la classe bourgeoise connaît une crise de gouvernance de forte intensité, le recours au fascisme est sa voie privilégiée, comme nous le disait le sociologue Ugo Palheta dans cet entretien. Mais ce n'est pas la seule chose que l'Histoire nous enseigne. Elle nous apprend que les crises politiques bourgeoises, c'est-à-dire lorsque la classe dominante est face à trop de contradictions programmatiques – par exemple réduire le déficit public mais continuer d'exonérer d'impôts les patrons et les actionnaires – et que ses factions principales n'arrivent pas à s'entendre, alors les révoltes, voire les révolutions, peuvent survenir. Le pire n'est pas notre seul avenir. Mais il le sera si toutes celles et ceux qui lisent cet article – pour commencer – ne constituent ou ne rejoignent pas un groupe de citoyennes et citoyens déterminés, imaginatifs et accueillants qui lancent dans leur quartier, leur village ou leur ville une série d'actions visant à prendre en main le cours des choses. Des idées, on n'en manque pas :

Des rassemblements festifs, bruyants et évidemment non déclarés. Des pancartes, des casseroles, des bonnes chaussures et c'est parti.
Mettre en place une logistique qui permet de proposer des services gratuits aux gens et mettre en scène la société chaleureuse et solidaire que nous appelons de nos vœux : opération petits déjeuners gratuits devant les France travail ou les CAF, cafés offerts aux ronds-points, collecte d'invendus chez les commerçants sympathisants du mouvement (il y en a partout !)

On peut même penser à des initiatives de santé communautaire, anonyme et gratuite, pour contrer les attaques contre la sécurité sociale et lutter à notre échelle contre les déserts médicaux. Comme les Young Lords l'ont fait aux États-Unis, dans les années 1970, dans les quartiers pauvres, déployer des médecins de gauche, étudiants en médecine, infirmières désireuses d'offrir un accès au soin et du conseil à des gens exclus du système.

Et surtout, préparer nous-mêmes une véritable grève reconductible, par exemple pour la fin du mois, en prenant le temps, d'ici là, de venir directement informer les salariés et fonctionnaires de leurs droits, à la sortie de leurs établissements, car selon de nombreux témoignages reçus dans nos messageries, les grands syndicats ne l'ont peu ou pas fait. Car la grève reconductible, ça marche. A chaque fois dans notre histoire c'est ce qui a permis de réelles avancées (en 1936, en 1968, en 1995… pour ne prendre que les exemples les plus connus). Nous connaissons donc l'arme suprême, il nous reste à travailler à l'activer, en étant bien conscient que les directions des syndicats n'ont aucune intention, une fois de plus, de la préparer. Faisons-le nous-mêmes, avec les nombreux syndicalistes “de base” qui n'en peuvent plus d'être aussi mal représentés.

Pour rejoindre un tel groupe, soit il faut le créer tout simplement (se réunir à 5-6 dans un café suffit amplement, pas besoin de plus de formalités), soit on cherche sur les réseaux sociaux – le plus facile c'est Facebook – la page correspondant au groupe de sa ville (souvent les pages sont nommées “Bloquons tout Rouen” “Blocage Total Saintes” etc.) pour être au courant des prochaines actions et rencontrer des gens. Il existe aussi un index de tous les groupes par ville et département sur Telegram (application de messagerie instantanée réputée plus fiable et confidentielle que Whatsapp mais fonctionnant de la même façon) sur ce site : https://indignonsnous.fr/.

Pour celles et ceux qui sont déjà partie prenante du mouvement du 10 septembre depuis l'été et qui fatiguent un peu : restons attentifs aux nouveaux membres qui vont certainement arriver dans les jours qui viennent. Être accueillant n'est pas toujours un réflexe dans le monde militant où l'on se méfie trop souvent. Or, il suffit parfois d'un café offert, de quelques questions sur son métier, ses études, ses enfants et un échange de prénom pour que le lien se crée et que de nouvelles personnes rejoignent notre combat (et, pour les plus fatigués d'entre nous, prennent un peu le relais).

Le contexte mondial plaide en faveur de mouvements massifs et radicaux. Que ce soit en Italie contre le génocide gazaoui, au Népal contre le gouvernement, au Maroc contre la corruption et la vie chère, aux États-Unis contre les rafles de l'ICE, partout les peuples se révoltent sans attendre les recours légaux boîteux qui leur sont proposés. En Belgique, le 14 octobre est annoncé un soulèvement de type « 10 septembre » qui pourrait lui aussi s'ancrer dans la durée. Pour une fois, l'Histoire est de notre côté : ne laissons pas cette occasion nous échapper en restant de bons élèves, obéissant aux consignes données par un système qui veut notre échec.

Si nous voulons que les choses changent vraiment, il faut agir sans espérer que nos prétendus représentants le fassent à notre place, ni attendre que d'hypothétiques élections nous permettent, une fois encore, de confier notre souveraineté à d'autres.

Face à la crise (France) : Lettre aux organisations fondatrices du Nouveau front populaire

14 octobre, par Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) — , ,
Cher·es camarades, 7 octobre 2025 | tiré d'europe solidaire sans frontières https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76531 Il y a plus d'un an, nous avions (…)

Cher·es camarades,

7 octobre 2025 | tiré d'europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76531

Il y a plus d'un an, nous avions réussi à rassembler et à mettre en mouvement l'ensemble des forces sociales et politiques (partis, syndicats, associations) de notre camp pour les législatives de juin 2024. Le NPA-l'Anticapitaliste a été partie prenante de cette campagne dans la circonscription de Carcassonne, avec la candidature de notre porte-parole Philippe Poutou, et dans l'ensemble des circonscriptions où nos militant·es ont battu le pavé et construit ces campagnes. C'est à ce titre que nous nous adressons à vous aujourd'hui.

Alors que la crise politique et sociale devient de plus en plus aiguë, Macron, plus faible et plus illégitime que jamais, ouvre à nouveau une crise majeure dans le pays en s'accrochant au pouvoir. Il pave la voie au Rassemblement national et à ses idées, dont les réponses racistes et autoritaires tentent une partie de la classe dominante.

Face au danger de l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite, nous avons le devoir de mettre tout en œuvre pour l'empêcher et pour construire une alternative. Il nous faut retrouver la voie d'une unité très large sur la base du programme que nous avions défendu dans le cadre du NFP. Ces revendications ont été portées par des millions de travailleurs·euses et par la jeunesse lors des mobilisations des 10 et 18 septembre, et encore le 2 octobre dernier avec l'ensemble des syndicats, associations, collectifs et les Assemblées « Bloquons tout ». Ces revendications (retraite à 60 ans, augmentation des salaires et des minima sociaux, plafonnement des loyers, interdiction des licenciements, justice fiscale, sociale et écologique, refus du militarisme…) sont clairement majoritaires dans le pays. Elles doivent être mises en œuvre pour faire face à l'urgence sociale et écologique.

Dans un tel contexte, nous avons toutes et tous une grande responsabilité mais, en tant que forces fondatrices du NFP, vous avez une responsabilité particulière. Plutôt que de diviser les forces, il est au contraire indispensable de faire renaître la dynamique du Nouveau Front populaire : une dynamique d'unité, qui rassemble le social et le politique, soit l'ensemble des forces de notre camp. Faire le choix de rassembler une seule partie des organisations du NFP, c'est au contraire nous condamner à la catastrophe.

Toutes les forces sont nécessaires pour changer le rapport de forces : militant·es de la gauche politique, syndicalistes, militant·es pour la Palestine, abstentionnistes, déçu·es de la politique, etc. Tout doit être fait pour faire débattre, organiser, mettre en mouvement l'ensemble de la gauche, de notre camp social et du mouvement ouvrier dans les batailles qui sont devant nous.

À ce titre, nous déplorons la décision d'exclure certaines organisations parties prenantes du NFP des discussions qui ont eu lieu ce mardi 7 octobre. Nous réitérons notre proposition d'une rencontre prochaine réunissant l'ensemble des forces qui ont participé au NFP. Dans l'immédiat, nous souhaitons participer à la réunion appelée notamment par les Écologistes et LFI ce mercredi 8 octobre, qui, selon les formulations publiées, s'adresse à l'ensemble des forces parties prenantes du NFP. Nous devons préparer toutes et tous ensemble la riposte sociale et politique nécessaire pour mettre un terme à la politique de Macron et pour barrer la route à l'extrême droite.

Veuillez croire, cher·es camarades, en l'expression de nos sentiments unitaires et anticapitalistes sincères.

Le Comité exécutif du NPA-l'Anticapitaliste

Montreuil, le 7 octobre 2025

P.-S.
• NPA Publié le Mardi 7 octobre 2025 à 15h00 :
https://npa-lanticapitaliste.org/actualite/politique/lettre-aux-organisations-fondatrices-du-nfp

Titre initial : « Lettre aux organisations fondatrices du Nouveau front populaire » (complété ici pour notre lectorat international).

Nous avons demandé à cinq jeunes Ukrainien·nes pourquoi elles et ils avaient choisi de partir en guerre contre la Russie

Après s'être engagées volontairement dans les forces armées ukrainiennes, beaucoup parviennent encore à concilier la guerre et leurs études universitaires. 7 octobre 2025 | (…)

Après s'être engagées volontairement dans les forces armées ukrainiennes, beaucoup parviennent encore à concilier la guerre et leurs études universitaires.

7 octobre 2025 | tiré du sit entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/07/nous-avons-demande-a-cinq-jeunes-ukrainien%C2%B7nes-pourquoi-elles-et-ils-avaient-choisi-de-partir-en-guerre-contre-la-russie/

Alors que la guerre totale menée par la Russie entre dans sa quatrième année, une génération qui a grandi sous les sirènes d'alerte aérienne est désormais en âge de combattre. Bien qu'elles et ils ne soient pas encore soumis à la conscription, ces jeunes Ukrainien·nes s'engagent volontairement dans l'armée, troquant les amphithéâtres contre les tranchées, ou tentent de concilier les deux mondes.

Leur décision intervient à un moment où l'Ukraine est confrontée à une pression croissante pour remédier à une pénurie critique de main-d'œuvre. En 2024, le gouvernement a abaissé l'âge de la mobilisation de 27 à 25 ans, puis a introduit des « contrats spéciaux » d'un an destinés aux 18-24 ans, avec un salaire de 1 million de hryvnias (24 000 dollars) et une formation supérieure gratuite.

Pendant ce temps, de nombreuses et nombreux jeunes Ukrainiens font un autre choix : quitter le pays, ce qui accentue les craintes d'une crise démographique imminente.

Le Kyiv Independent s'est entretenu avec cinq jeunes Ukrainien·nes pour savoir pourquoi elles et ils se sont engagés, comment elles et ils concilient études et service militaire, et ce qu'elles ou ils espèrent après la guerre.

Serhiy Dodurov, 21 ans

Serhiy Dodurov a envisagé pour la première fois de s'engager dans l'armée au début de l'année 2022. Il venait d'avoir 18 ans et étudiait le droit à l'Académie Mohyla de Kiev.
Au début, il pensait que l'armée « avait suffisamment de soldats », mais la multiplication des annonces de recrutement après la contre-offensive de 2023 l'a fait changer d'avis.
« Cela a été un tournant. Je ne pouvais plus me dire qu'ils n'avaient pas besoin de moi », explique Serhiy.
Il a signé un contrat en janvier 2024 et a pris un congé universitaire ; sa promotion a obtenu son diplôme sans lui. Il dit que cela lui a permis de prendre plus facilement ses distances.
Aujourd'hui, Serhiy sert dans le 412e régiment des systèmes de pilotage, connu sous le nom de Nemesis, où il travaille dans le domaine du renseignement et de l'analyse.
Il craignait de perdre le contrôle de son temps, mais la mort était également présente dans son esprit. Il a rédigé un testament avant de s'engager et prévoit de le mettre à jour.
« Il y a eu des moments dans le Donbass où j'ai vraiment pensé que je ne reviendrais peut-être pas », dit-il.
Aujourd'hui, lorsqu'il entend le mot « planification », il ne pense plus à sa propre vie, mais à ses camarades et à leurs missions.
« Le travail change votre langage et le sens des mots », dit-il.
Il lui est difficile d'imaginer la vie après la guerre.
« Il y a tellement de questions sans réponse. Ici, tout est simple : se réveiller, faire son travail, suivre les cibles, aller dormir. Et recommencer », dit-il.

Oleksandr Romanuk, 20 ans

Depuis son enfance, Oleksandr Romanuk est fasciné par le passé de l'Ukraine.
« J'ai grandi en écoutant des histoires sur les Cosaques, sur des personnes qui ont donné leur vie pour notre État et notre nation », se souvient-il. Sa mère, qui s'était portée volontaire dès le début de la guerre dans le Donbass en 2014, lui racontait souvent ce que vivaient les soldat·es.
Ainsi, lorsque la Russie a lancé son invasion à grande échelle en 2022, Oleksandr, alors âgé de seulement 17 ans, s'est précipité au bureau de recrutement local, mais il a été refoulé en raison de son âge.
Il s'est porté volontaire pour livrer des fournitures et prévoyait de s'enrôler dès qu'il serait en âge de le faire.
Fin 2023, après s'être entraîné et avoir longuement discuté avec sa mère, il a rejoint la 3e brigade d'assaut, l'une des unités ukrainiennes les plus aguerries.
Sa famille a accepté sa décision, non sans verser quelques larmes.
« Tout le monde m'a soutenu. Mais ma sœur de neuf ans a beaucoup pleuré quand je suis parti, et ça a été le plus dur », raconte-t-il.
Il est devenu infirmier de combat dans l'unité surnommée les « Decepticons ». Au début, il pensait que les infirmier·es ne participeraient pas aux assauts dans les tranchées.
« Nous participons à des assauts. Et j'ai réussi à en traverser plus d'un. Je suis fier d'y être parvenu. »
À la veille d'une mission, on lui a demandé de passer ses examens ou de se retirer. Après l'intervention des parent·es de ses camarades de classe, l'université lui a accordé un congé académique jusqu'en 2027.
Il prévoit désormais de rester dans l'armée après la guerre.
« Au début, je pensais retourner à la vie civile. Mais plus je sers, moins cela me semble possible », dit-il.

Deniz, 18 ans

Deniz attendait ce moment depuis l'âge de 15 ans. À l'époque, au début de l'invasion à grande échelle, lui et ses ami·es fabriquaient des cocktails Molotov et parlaient de défendre l'Ukraine.
Quand il a enfin eu 1 ans, il s'est rendu directement au centre de recrutement près de sa ville natale, à Soumy. Bien qu'il ait suivi une formation de chanteur et qu'il aurait pu être affecté à l'orchestre militaire, Deniz a demandé à être affecté à la défense aérienne.
Plusieurs unités l'ont rappelé, mais certaines l'ont refusé en raison de son âge. Il a également dû convaincre sa famille.
« Tout le monde était contre. Alors je leur ai dit que je travaillerais simplement comme instructeur. Pas comme soldat. Comme un emploi normal. Je savais que je finirais par signer le contrat de toute façon », dit-il.
Il est le plus jeune de son unité, entouré d'hommes deux fois plus âgés que lui. Et pourtant, dit-il, le lien qu'il ressent avec eux est unique. Il espère toujours se lancer dans la musique un jour, mais il a le sentiment d'être à sa place aujourd'hui.
« Leur expérience, leur bienveillance… tout cela change votre façon de voir les choses. Aujourd'hui, je ne sais pas comment je pourrais vivre sans tout cela », confie-t-il.

Sofiya Yanchevska, 19 ans

Pour Sofiya Yanchevska, la décision de s'engager semblait presque inévitable. « J'ai toujours su que tôt ou tard, notre génération devrait se battre », dit-elle.
Ses parent·es se sont porté·es volontaires pendant la guerre dans le Donbass en 2014 et sont ensuite devenu·es des vétérans (ancien·nes combattant es).
Lorsque l'invasion à grande échelle a commencé, ses parent·es se trouvaient au bureau d'enrôlement le 25 février. Sofiya, alors âgée de 16 ans, voulait les rejoindre. Trop jeune pour combattre, elle a passé son temps dans une base de volontaires avec les camarades d'armée de ses parent·es, étudiant entre les entraînements.
« Une sœur d'armes m'a appris l'ukrainien, une autre m'a enseigné l'histoire. Nous nous sommes préparées sur la base », raconte-t-elle.
En 2022, elle s'est inscrite à l'Académie Kyiv-Mohyla. Même après avoir signé un contrat avec la 3e brigade d'assaut indépendante à l'âge de 19 ans, elle a poursuivi ses études de droit.
Elle passait ses examens dans des abris ou des caves, interrompant parfois ses épreuves pour évacuer les blessé·es.
Au départ, elle souhaitait étudier l'administration publique afin d'aider les ancien·nes combattant·es, mais son service l'a depuis orientée vers le droit pénal international, afin de voir si celui-ci peut faire la différence et contribuer à enquêter sur les crimes de guerre.
Pendant son service, elle a rencontré son fiancé, Bohdan, 22 ans. Il avait combattu pendant la bataille de Bakhmut dans une unité d'assaut et avait été blessé. Il occupe désormais un poste différent au sein de la même brigade.
« Son rêve est d'ouvrir un bar. Je n'ai pas une vision très précise — il faut d'abord survivre pour le savoir », explique Yanchevska.
« Mais je sais pourquoi je me bats : pour ma famille et pour que mes futurs enfants puissent vivre en Ukraine, parler ukrainien, lire nos livres et regarder nos films. »

Ivanna Tsimerman, 23 ans

Pour Ivanna Tsimerman, la décision de s'engager a été prise le matin du 24 février 2022. À 20 ans, elle s'est rendue dans un bureau de recrutement. « Je m'étais déjà préparée mentalement auparavant, mais lorsque les explosions ont commencé à 4 heures du matin, je n'avais plus aucun doute », se souvient-elle.
Au départ, elle a été affectée à des tâches administratives.
« Ma plus grande crainte à l'époque était de ne pas avoir le temps de combattre avant la fin de la guerre », explique-t-elle.
Cette année-là, elle terminait également sa quatrième année à l'université d'État de Jytomyr. Elle a envisagé d'abandonner ses études, mais son doyen l'a encouragée à continuer. Elle a suivi des cours à distance selon un programme individuel et a obtenu son diplôme tout en servant dans l'armée.
Blessée en 2023 et placée dans les réserves, elle travaille désormais avec la communauté militaire « Company Group » à Kiev.
« Il est difficile de s'éloigner après avoir passé trois ans au combat. L'armée vous offre une communauté, des personnes qui pensent comme vous. C'est très difficile de trouver cela ailleurs », explique-t-elle.
Après son expérience au front, elle a du mal à croire à une paix rapide. « Bien sûr, je veux que cela s'arrête, mais ce ne sera pas un moment heureux. Trop de gens sont morts pour que cela puisse être considéré comme une fête », déclare Tsimerman.

Tania Myronyshena

Tania Myronyshena est stagiaire au Kyiv Independent. Elle a déjà écrit des articles sur la culture et l'histoire pour des médias tels que Ukrainer, Mediamaker et Wonderzine. Elle est titulaire d'une licence en édition et rédaction de l'université Borys Hrinchenko de Kiev.
https://kyivindependent.com/we-asked-5-young-ukrainians-why-they-chose-to-go-to-war/

Note de l'autrice : Bonjour, je m'appelle Tania Myronyshena. En écrivant cet article, je souhaitais montrer les choix auxquels sont confrontés les jeunes Ukrainien·nes dans un pays qui en est maintenant à sa quatrième année de guerre totale. Leur réalité les pousse à assumer la responsabilité non seulement de leur propre avenir, mais aussi de celui de leur pays, et à prendre les risques qui en découlent.

Si vous appréciez ce type de journalisme, pensez à soutenir The Kyiv Independent.

Discours provocateurs des manifestant·es devant les tribunaux russes »

Au cœur de Voices Against Putin's War se trouvent dix discours prononcés devant les tribunaux par des personnes qui se sont opposées à la guerre d'agression menée par la Russie (…)

Au cœur de Voices Against Putin's War se trouvent dix discours prononcés devant les tribunaux par des personnes qui se sont opposées à la guerre d'agression menée par la Russie en Ukraine et qui ont été arrêtées et jugées pour cela. La plupart d'entre elles purgent actuellement de longues peines de prison pour des « crimes » inventés de toutes pièces par la machine répressive de Vladimir Poutine. Outre ces discours, nous avons inclus : d'autres déclarations publiques – publications sur les réseaux sociaux, lettres et interviews – dans lesquelles les protagonistes ont présenté leurs arguments ; les déclarations de deux autres militant·es persécuté·es, faites en dehors du tribunal ; et un résumé de 17 autres discours anti-guerre prononcés devant les tribunaux. Nous espérons que la publication de ces traductions en anglais permettra à un plus large public de connaître les motivations de ces résistant·es.

6 octobre 2025 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/06/introduction-a-voix-contre-la-guerre-de-poutine-discours-provocateurs-des-manifestant%c2%b7es-devant-les-tribunaux-russes/

Les chapitres 1 à 10 sont chacun consacrés à un·e manifestant·e et classés par ordre chronologique en fonction de la date de la première condamnation du manifestant. Unis dans leur opposition à la guerre du Kremlin, ils se répartissent en quatre groupes.

Le premier est Bohdan Ziza (chapitre 3), qui ne vivait pas en Russie mais en Ukraine, en Crimée, occupée par les forces russes depuis 2014. En 2022, Ziza s'est filmé en train de jeter de la peinture aux couleurs du drapeau ukrainien sur un bâtiment administratif municipal. Il a été jugé par un tribunal militaire russe et purge une peine de 15 ans de prison.

Le deuxième groupe est composé de deux jeunes femmes de Saint-Pétersbourg, Sasha Skochilenko (chapitre 6) et Darya Kozyreva (chapitre 8), poursuivies pour avoir mené les manifestations les plus pacifiques qui soient contre la guerre. Skochilenko, qui avait affiché des messages anti-guerre sur des étiquettes dans un supermarché, a été libérée en août 2024 après plus de deux ans derrière les barreaux, dans le cadre d'un échange de prisonniers entre la Russie, la Biélorussie et plusieurs pays occidentaux. Kozyreva purge une peine de deux ans et demi, essentiellement pour avoir cité en public Taras Shevchenko, le poète national ukrainien.

En troisième position, trois jeunes hommes qui ont délibérément endommagé des biens, mais sans blesser personne, afin d'attirer l'attention de leurs compatriotes russes sur la cause anti-guerre. Igor Paskar (chapitre 2) a incendié un bureau du Service fédéral de sécurité (FSB). Alexei Rozhkov (chapitre 9) a incendié un centre de recrutement militaire, une forme de protestation utilisée à des dizaines de reprises à travers la Russie en 2022. Il s'est enfui au Kirghizistan, a été kidnappé, vraisemblablement par les forces de sécurité russes, et renvoyé en Russie pour y être jugé. Ruslan Siddiqi (chapitre 10), citoyen russe et italien, a fait dérailler un train transportant des munitions vers le front ukrainien. Il a été condamné à 29 ans de prison et a déclaré qu'il pouvait être considéré comme un « partisan » et « classé comme prisonnier de guerre », plutôt que comme prisonnier politique.

Le quatrième groupe de protagonistes, emprisonnés pour leurs propos plutôt que pour leurs actes, milite depuis des décennies en faveur de la justice sociale et des droits démocratiques : Alexei Gorinov (chapitre 1), conseiller municipal à Moscou qui a osé qualifier publiquement la guerre menée par la Russie de « guerre » ; Mikhail Kriger, opposant déclaré à la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine depuis 2014 (chapitre 4) ; Andreï Trofimov (chapitre 5) ; et Aleksandr Skobov (chapitre 7), qui a été emprisonné pour la première fois pour dissidence politique en 1978, en Union soviétique, et qui, 47 ans plus tard, en 2025, a déclaré au tribunal : « Mort aux envahisseurs fascistes russes ! Gloire à l'Ukraine ! »

Deux militants poursuivis pour des actions anti-guerre, qui ont fait leurs déclarations devant le tribunal, sont présentés dans les chapitres 11 et 12. Kirill Butylin (chapitre 11) a été la première personne arrêtée pour avoir incendié un bureau de recrutement militaire, en mars 2022. Il n'existe aucune trace de sa comparution devant le tribunal, mais son message provocateur sur les réseaux sociaux est le suivant : Je n'irai pas tuer mes frères ! » Savelii Morozov (chapitre 2) a été condamné à une amende pour avoir dénoncé la guerre devant une commission de recrutement militaire à Stavropol, alors qu'il demandait à effectuer un service alternatif (non militaire).

Les dix discours anti-guerre prononcés devant le tribunal et consignés dans cet ouvrage ne sont en aucun cas les seuls. Dix-sept autres sont résumés au chapitre 13. Ces discours, ainsi que d'autres prononcés par des accusé·es qui ont dénoncé l'anéantissement de la liberté d'expression ou protesté contre des montages grotesques, ont été rassemblés et publiés par le site web « Poslednee Slovo » (« Dernier mot »).

Des personnalités politiques russes de premier plan emprisonnées pour avoir tenu tête au Kremlin ont également prononcé des discours anti-guerre devant les tribunaux, notamment Ilya Yashin, du Parti de la liberté du peuple, condamné à huit ans et demi de prison en décembre 2022 pour avoir dénoncé les massacres de civil·es ukrainien·nes à Boutcha et Irpin, et Vladimir Kara-Murza, condamné en avril 2023 à 25 ans de prison pour trahison. Tous deux ont été libérés, ainsi que Sasha Skochilenko, lors de l'échange de prisonniers d'août 2024. D'autres personnalités politiques de premier plan restent en détention pour s'être opposées à la guerre, notamment Boris Kagarlitsky, sociologue et écrivain marxiste, condamné en février 2024 à cinq ans de prison pour « apologie du terrorisme », et Grigory Melkonyants, coprésident du groupe d'observation électorale Golos, condamné en mai 2025 à cinq ans de prison pour avoir collaboré avec une « organisation indésirable ». Des dizaines de journalistes et de blogueurs/blogeuses sont également derrière les barreaux.

Ces personnalités politiques connues ne représentent qu'une fraction des milliers de personnes persécutées par le Kremlin. Les cas recensés par les organisations de défense des droits humains comprennent des milliers d'Ukrainien·nes détenu·es dans les territoires occupés. Dans de nombreux cas, leur sort et leur lieu de détention sont inconnus : elles et ils peuvent être mort·es ou emprisonné·es. Des milliers d'autres Russes qui se sont prononcés contre la guerre ou qui ont été pris par hasard dans les filets impitoyables de la répression sont derrière les barreaux. Il en va de même pour les « partisans·e ferroviaires » qui ont saboté des trains de ravitaillement militaire et pour d'autres personnes qui ont dénoncé le soutien de leur régime à la guerre de Poutine, en Biélorussie.

Au chapitre 14, nous décrivons la résistance à la guerre du Kremlin, la répression mise en place en réponse à celle-ci et l'ampleur du goulag du XXIe siècle qui a été créé. Les notes, qui indiquent les sources de tous les éléments contenus dans le livre, se trouvent à la fin.

Depuis des siècles, dans de nombreux pays, les personnes qui résistent à l'injustice ont recours aux tribunaux comme tribune publique. Les rebelles irlandais contre la violence coloniale britannique ont commencé à le faire à la fin du XVIIIe siècle. En Russie, cette tradition remonte au moins aux années 1870, lorsque les Narodniki (populistes), s'adressant aux juges qui les jugeaient pour des manifestations violentes, dénonçaient la dictature autocratique. Les mouvements ouvriers qui ont abouti aux révolutions de 1917 ont largement utilisé la propagande dans les salles d'audience. Lorsque la répression stalinienne a atteint son apogée dans les années 1930, les grands procès de purge ont été conçus pour l'éliminer : leur format était prédéterminé, avec des aveux abjects et faux. Cette pratique a réapparu après le « dégel » post-stalinien, lors du procès de 1965 des écrivains dissidents Andreï Siniavski et Yulii Daniel.

Les discours prononcés dans les salles d'audience sont redevenus une arme redoutable sous Poutine, et la dictature du Kremlin trouve des moyens de se venger. Elle a ajouté trois ans à la peine d'Andrei Trofimov (chapitre 5) – pour les « délits » fantaisistes et mensongers de diffusion de fausses informations sur l'armée et d'« apologie du terrorisme » – en se basant uniquement sur ce qu'il avait déclaré lors de son premier procès. D'autres prisonniers anti-guerre, dont Alexei Gorinov (chapitre 1), ont vu leur peine alourdie de plusieurs années, sur la base de « preuves » mensongères fournies par des agents pénitentiaires ou des prisonnier·es terrorisé·es par ces derniers.

Pourquoi ont-iels agi ainsi ? Pourquoi nos protagonistes ont-ils mené des actions de protestation qui risquaient de leur valoir de nombreuses années dans l'enfer du système pénitentiaire russe ? Pourquoi, lorsqu'elles ou ils ont été traduits en justice, ont-ils choisi de faire ces déclarations qui les exposaient à un risque supplémentaire ? Elles et ils ont pesé leurs mots et se sont exprimés eux-mêmes ; nous ne tenterons pas ici de résumer leurs propos. Il convient toutefois de noter qu'elles et ils ont tous adressé leurs discours à leurs concitoyen·nes, et non au gouvernement.

Andrei Trofimov a déclaré au tribunal lors de son deuxième procès que « l'Ukraine est mon public », car « la société russe est morte et il est inutile d'essayer de lui parler » – mais il a néanmoins fait des efforts extraordinaires pour s'assurer que son message court et percutant lors de son premier procès, qui se terminait par « Poutine est un connard », soit largement diffusé dans les médias russes.

Les autres avaient davantage d'espoir dans la société russe, notamment l'Ukrainien Bohdan Ziza qui, dans la vidéo pour laquelle il a été emprisonné, soulignait : « Je m'adresse avant tout aux Criméen·nes et aux Russes ». Au tribunal, il a déclaré que son action était « un cri du cœur » adressé à « celles et ceux qui avaient et ont peur – tout comme j'avais peur » de s'exprimer, mais qui ne voulaient pas la guerre.

Alexei Rozhkov était convaincu que « des millions de mes concitoyen·nes, femmes et hommes, jeunes et vieux, sont contre la guerre », mais qu'elles et ils étaient privés de tout moyen de l'exprimer. Kirill Butylin a appelé les autres à mener des actions de protestation similaires afin que « les Ukrainien·nes sachent que les Russes se battent pour elles et pour eux, que tout le monde n'a pas peur et que tout le monde n'est pas indifférent·e ». Quant au gouvernement, « que ces enfoirés sachent que leur propre peuple les déteste ».

Aleksandr Skobov, aujourd'hui âgé de 67 ans et en mauvaise santé, s'est adressé explicitement aux jeunes générations. Dans une lettre ouverte écrite depuis sa prison, il a rappelé qu'en tant que socialiste, il avait été la « brebis galeuse » parmi les dissident·es de l'ère soviétique, dont la plupart sont aujourd'hui décédés·e. « Les coups tombent sur d'autres personnes, pour la plupart beaucoup plus jeunes. » Bien que sceptique quant aux « déclarations pompeuses sur la transmission des traditions et de l'expérience », il souhaite néanmoins « que les jeunes qui subissent les coups aujourd'hui sachent que les quelques dissident·es soviétiques qui restent se sont tenu·es à leurs côtés, sont resté·es avec elles ou eux et ont partagé leur parcours ».

Compte tenu de cette unité d'intention, qui consiste à chercher, sans succès, à établir un lien avec l'ensemble de la population, nous pourrions considérer que les protagonistes pratiquent la « propagande par l'action » – non pas au sens où cette expression était utilisée au début du XXe siècle par les politiciens et les policiers, à savoir comme des actes de violence, mais dans son sens original et plus large : toute action, violente ou non, qui incite ses concitoyen·nes à défendre une cause juste. Car si certain·es de celles et ceux dont les propos figurent dans cet ouvrage ont recouru à la violence contre des biens, et si certain·es ont spécifiquement justifié la violence militaire ukrainienne contre l'agression russe, aucun n'a recouru à la violence contre des personnes.

Voici deux autres observations. Premièrement, si tous et toutes les résistant·es anti-guerre partageaient un objectif commun, elles et ils partaient de visions du monde très diverses. Un profond sens moral du devoir transparaît dans certaines de leurs déclarations. « Est-ce que je regrette ce qui s'est passé ? » a demandé Igor Paskar à ses juges. « Oui, j'aurais peut-être voulu que ma vie se déroule différemment, mais j'ai agi selon ma conscience, et ma conscience reste claire. » Ou, comme l'a dit Alexei Rozhkov : « J'ai une conscience, et j'ai préféré m'y tenir. » Dans le même esprit, Andreï Trofimov a déclaré lors de son deuxième procès que « dans l'ensemble, il s'agit d'une question d'instinct de conservation » – non pas « la conservation du corps en soi, de sa santé physique », mais la conservation de la conscience dans cette situation difficile, « ma capacité à distinguer le noir du blanc, le mensonge de la vérité et, surtout, ma capacité à dire haut et fort ce que je crois être vrai ».

Ruslan Siddiqi a exprimé sa motivation différemment, en termes d'idées politiques visant à changer la société. Dans des lettres adressées à Mediazona, un média d'opposition, il a décrit son cheminement vers l'anarchisme. Exprimant son aversion pour la « rigidité » de certain·es anarchistes et communistes, il envisageait néanmoins une transition « d'un État totalitaire vers d'autres formes de gouvernement offrant davantage de libertés et évoluant vers des communautés autonomes ». L'invasion de l'Ukraine a changé la donne : toute personne qui s'y opposait était déclarée traître par le gouvernement. « Dans une telle situation, il n'est pas surprenant que certain·es préfèrent quitter le pays, tandis que d'autres prennent les armes. Réalisant que la guerre allait être longue, j'ai décidé à la fin de l'année 2022 de passer à l'action militaire. »

Alexei Gorinov, en revanche, a fondé sa défense sur des principes pacifistes et a cité Léon Tolstoï sur « la folie et la criminalité de la guerre ». Jugé « pour mon opinion selon laquelle nous devons chercher à mettre fin à la guerre », il ne pouvait « que dire que la violence et l'agression n'engendrent rien d'autre que de la violence réciproque. C'est la véritable cause de nos problèmes, de nos souffrances, de nos sacrifices insensés, de la destruction des infrastructures civiles et industrielles et de nos maisons ». Sasha Skochilenko a été encore plus explicite : « Oui, je suis pacifiste », a-t-elle déclaré au tribunal. Les pacifistes « croient que la vie est la valeur suprême » ; elles ou ils « croient que tout conflit peut être résolu par des moyens pacifiques. Je ne peux même pas tuer une araignée – j'ai peur d'imaginer qu'il soit possible de prendre la vie de quelqu'un. […] Les guerres ne prennent pas fin grâce aux guerriers, mais grâce aux pacifistes. Et lorsque vous emprisonnez les pacifistes, vous éloignez le jour tant attendu de la paix. »

Savelii Morozov a déclaré à la commission de recrutement militaire qu'il ne refuserait pas de combattre dans toutes les guerres, mais dans cette guerre particulière et injuste. Une guerre pour défendre sa patrie pourrait être justifiée, mais pas le « crime » perpétré en Ukraine.

Pour Darya Kozyreva, la question centrale est le droit de l'Ukraine à l'autodétermination, affirmé par la force des armes. La guerre est une « intrusion criminelle dans la souveraineté de l'Ukraine », a-t-elle déclaré devant le tribunal. Tout en se présentant dans une interview comme une patriote russe – « une patriote au sens propre du terme, et non au sens que les propagandistes donnent à ce mot » –, Kozyreva a justifié la résistance militaire ukrainienne. L'Ukraine n'a pas besoin d'un « grand frère » ; elle combattra quiconque tentera de l'envahir, a-t-elle déclaré. En Russie, même certain·es opposant·es politiques de Poutine « ne réalisent pas toujours que l'Ukraine, qui a payé sa souveraineté au prix du sang, déterminera son propre avenir ». Elle veut croire en « un avenir radieux où la Russie renoncera à toute ambition impériale ».

Aleksandr Skobov a exprimé l'espoir que la Russie soit vaincue militairement en des termes encore plus catégoriques. Il a énoncé devant le tribunal les trois principes de son organisation politique, le Forum pour une Russie libre : « la restitution inconditionnelle à l'Ukraine de tous ses territoires internationalement reconnus occupés par la Russie, y compris la Crimée » ; le soutien à tous ceux et toutes celles qui luttent pour cet objectif, y compris les citoyen·nes russes qui ont rejoint les forces armées ukrainiennes ; et le soutien à « toute forme de guerre contre la tyrannie de Poutine à l'intérieur de la Russie, y compris la résistance armée », à l'exclusion des attentats terroristes « répugnants » contre des civil·es.

Deuxièmement, ces discours anti-guerre nous en apprennent beaucoup non seulement sur la Russie et l'Ukraine, mais aussi sur le monde de plus en plus dangereux dans lequel nous vivons, où la dérive autoritaire de Poutine a été suivie par des virages autoritaires à droite aux États-Unis et dans certains pays européens. La guerre d'agression impérialiste de la Russie a été suivie par l'offensive génocidaire d'Israël à Gaza, au cours de laquelle de multiples crimes de guerre – meurtres de masse de civil·es, utilisation de la famine comme arme, blocage délibéré de l'aide humanitaire et prise pour cible de journalistes, de travailleurs et travailleuses humanitaires et d'agences internationales – ont été facilités par les mêmes puissances occidentales qui prétendent défendre les droits nationaux de l'Ukraine.

Les deux nations agressives, Israël et la Russie, alignées sur des camps géopolitiques différents, sont soumises à des forces motrices analogues. L'idéologie nationaliste l'emporte sur la gestion économique rationnelle ; la violence expansionniste l'emporte sur la démocratie ; le déclin de l'hégémonie néolibérale occidentale ouvre la voie à la violence militariste. Le besoin de contrôle social du capital sous-tend des méthodes de gouvernement quasi fascistes. Les lecteurs reconnaîtront peut-être, dans les efforts dystopiques déployés par l'État russe en 2022-2023 pour punir ses citoyen·nes dissidents·e en les qualifiant de « terroristes » et de « traîtres », des schémas qui se retrouvent dans les chasses aux sorcières déchaînées de 2024-2025 aux États-Unis et en Europe occidentale, contre les opposant·es au massacre de Gaza.

Les pouvoirs des deux côtés du fossé géopolitique ont peur des mêmes choses : la défiance et la résilience des opposant·es à la guerre de Poutine, et la colère qui a poussé des millions de personnes à descendre dans les rues des villes nord-américaines et européennes pour protester contre le génocide de Gaza. Ils ont peur des convictions qui se forment, sous diverses formes, selon lesquelles l'humanité peut et doit aspirer à une vie meilleure et plus riche que celle offerte par les bellicistes et les dictateurs. Certaines de ces convictions sont exprimées dans les chapitres de ce livre.

Simon Pirani, 4 octobre 2025
https://ukraine-solidarity.eu/news-and-analyses/introduction-to-voices-against-putins-warprotestors-defiant-speeches-in-russian-courts
Traduit par DE

De l'auteur :
Trump soutient Poutine contre l'Ukraine. L'histoire prend un tournant plus sombre
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/02/25/trump-soutient-poutine-contre-lukraine-lhistoire-prend-un-tournant-plus-sombre/
La Palestine, l'Ukraine et la crise des empires
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/04/30/la-palestine-lukraine-et-la-crise-des-empires/
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https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/04/18/la-russie-transforme-les-zones-occupees-de-lukraine-en-camp-arme/
Même en pleine guerre, l'avenir énergétique de l'Ukraine est en jeu
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/13/meme-en-pleine-guerre-lavenir-energetique-de-lukraine-est-en-jeu/
Solidarité internationale en faveur de l'Ukraine : trois points de vue
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/08/14/solidarite-internationale-en-faveur-de-lukraine-trois-points-de-vue/
Ukraine : les origines de la menace d'une guerre généralisée
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/03/29/22-solidarite-avec-la-resistance-des-ukrainien·nes-retrait-immediat-et-sans-condition-des-troupes-russes-22/

La répression de la dissidence reste une priorité du régime en Chine

14 octobre, par Pierre-Antoine Donnet — , ,
Plusieurs exemples récents confirment que la chasse impitoyable à toute forme de dissidence ou de déviance idéologique demeure l'une des priorités du régime chinois. (…)

Plusieurs exemples récents confirment que la chasse impitoyable à toute forme de dissidence ou de déviance idéologique demeure l'une des priorités du régime chinois. L'illustration d'une paranoïa qui atteste de sa fragilité alors même qu'il voudrait démontrer sa toute-puissance sur la scène internationale.

Tiré de The asialyst. Photo : Zhang Yadi dans une zone tibétaine dans le Yunnan (sud-sud-ouest de la Chine). Crédit ONG Free Tibet.

On pourrait croire que le pouvoir absolu qu'incarne le président Xi Jinping s'estime assez fort pour faire fi d'expressions non-conformes à l'idéologie communiste qui ne représentent guère de danger pour la stabilité du régime. La réponse est exactement inverse : ceux qui dérangent sont systématiquement châtiés, le signe d'une paranoïa dans laquelle le régime semble se complaire.

Dernier exemple en date, l'étudiante chinoise résidente en France Zhang Yadi (张雅笛), 22 ans, qui a disparu en Chine fin juillet. Elle était, comme chaque année, rentrée dans son pays natal le 5 juillet pour rendre visite à sa famille à Changsha (centre du pays) puis avait poursuivi son voyage à Shangri-La, une zone dans les contreforts de l'Himalaya à forte présence d'ethnies tibétaines dans la province du Yunnan (sud-ouest).

Le 30 juillet, Yadi ne répond plus à son compagnon, un Tibétain installé en Allemagne. Elle devait être formellement arrêtée un peu plus tard et accusée d'« incitation au séparatisme, » un « crime » qui, en Chine, est passible de cinq ans de prison. Une peine qui pourrait passer à quinze ans si elle devait être reconnue coupable d'être une meneuse.

La jeune femme écrivait régulièrement pour le site d'information en mandarin Chinese Youth Stand for Tibet (华语青年挺藏会 – la Jeunesse chinoise défend le Tibet), média issu du groupe du même nom qui avait émergé après les « manifestations des pages blanches » de novembre 2022. Durant celles-ci, de jeunes manifestants chinois avaient brandi des feuilles de papier vierges dans les rues de grandes villes en signe d'opposition à la politique draconienne « zéro-Covid » de Pékin ainsi qu'à la politique du Parti communiste chinois (PCC).

Le site publie des articles sur la plateforme Substack qui visent à « favoriser une meilleure compréhension de la culture tibétaine au sein des communautés de langue chinoise, à remettre en question et déconstruire le chauvinisme Han, et à dissiper les conflits et les préjugés ethniques. »

Ancienne étudiante de l'Ecole supérieure de commerce ESCP à Paris, Zhang Yadi qui, outre le mandarin, parle couramment le tibétain, le français et l'anglais, comptait poursuivre sa formation à la célèbre School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres. Projet aujourd'hui pour le moins compromis car en Chine une personne arrêtée pour un tel motif politique n'échappe qu'exceptionnellement à la rigueur d'une justice au service du pouvoir.

« Les autorités chinoises menacent d'emprisonner pendant des années Zhang Yadi, une étudiante activiste de 22 ans, pour avoir dénoncé l'injustice raciale et exercé pacifiquement ses droits, comme le font de nombreux jeunes gens dans le monde entier, » souligne Yalkun Uluyol, chercheur sur la Chine à Human Rights Watch. « Les autorités semblent craindre que les personnes qui construisent des ponts entre les ethnies ne s'écartent de la ligne officielle du Parti communiste chinois. »

Zhang Yadi « est sincère, passionnée et très courageuse, » relève Ginger Duan, la responsable de ce site où sont publiés des articles en anglais et en mandarin, cité par le quotidien Le Monde. Dans l'un de ses articles, le plus lu, elle tournait en dérision le narratif officiel de la propagande chinoise sur la « libération pacifique » en 1950 par l'Armée populaire de libération d'un Tibet prétendument soumis à un système de servage, le qualifiant de « plus grand mensonge de la propagande ethnique du PCC. »

Le monde des arts également visé

Le monde des arts n'échappe pas non plus aux sanctions du pouvoir communiste dès lors qu'il est jugé non orthodoxe. C'est ainsi que le 26 août 2024, une trentaine de policiers ont débarqué dans le studio des artistes renommés Gao Brothers à Yanjiao (Hebei), aux portes de Pékin, pour y mener une perquisition et saisir des documents, des ordinateurs, des disques durs et des œuvres.

Enchaînement classique : peu après, le Bureau de la Sécurité Publique chinois ordonne l'arrestation de Gao Zhen (高兟) qui, avec son frère Gao Qiang (高强), représente un binôme d'artistes dont la reconnaissance mondiale est établie de longue date.

Détenteur d'une carte verte américaine, il a été interpellé alors qu'il s'apprêtait à quitter la Chine pour les États-Unis avec sa compagne et leur fils de sept ans. Depuis ce jour, Gao Zhen est en détention à la prison de Sanhe (Hebei) en attente d'un procès pour « avoir attenté à la réputation et à l'honneur des martyrs et héros. » Il encourt trois ans d'emprisonnement. À 69 ans, sa situation physique et psychique est, selon son frère, devenue très préoccupante. Son avocat a demandé une libération anticipée pour lui permettre des soins urgents.

« De quoi Gao Zhen, un artiste et poète résolument humaniste, est-il coupable aux yeux des autorités chinoises cette fois-ci ? D'offrir au monde, depuis près de 40 ans, matière à voir, à penser, à imaginer ou à critiquer à travers les toiles, les sculptures, les poèmes, les installations et les photographies conçus avec son frère. Dans un régime politique comme celui de la Chine aujourd'hui, il paie de sa santé et de sa liberté le fait d'exercer cette activité essentielle et pacifique, » réagissent deux de ses amis en France, les sinologues Marie Holzman et Florent Villard.

Ce sont, semble-t-il, quelques créations anciennes proposant une représentation satirique de la figure sacralisée du « Président Mao » qui justifient la détention et la probable condamnation de Gao Zhen. Dans son réquisitoire, la justice chinoise ne retiendra sans doute que ces œuvres anti-autoritaristes ancrées dans l'histoire tragique et violente de la Chine populaire. Or, l'histoire contemporaine et les dirigeants de ce pays ne sont plus, depuis longtemps, le motif principal des œuvres des Gao Brothers. Ils vivent maintenant aux États-Unis et leurs créations les plus récentes portent sur des enjeux qui dépassent le contexte politique chinois, estiment ces deux sinologues.

Le procès de Gao Zhen est imminent. Il aurait refusé de signer des aveux de culpabilité contre « seulement » trois ans de prison, car, à l'évidence, il n'est pas coupable. Il sera défendu par Mo Shaoping, avocat de l'ancien prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, mort en détention en 2017.

Gao Zhen, artiste renommé et résident américain, ne menait aucune activité directement politique contre le régime de Pékin. Il risque aujourd'hui une lourde peine de prison pour avoir simplement fait valoir son droit à l'expression artistique, relèvent Marie Holzman et Florent Villard. La description par Gao Zhen transmise à son frère de ses conditions de détention est terrifiante :

« Une vingtaine d'agents ont soudainement fait irruption et m'ont emmené. Après des heures d'interrogatoire – qui a commencé à 13 heures et s'est terminé à 3 heures du matin –, ils m'ont jeté dans une minuscule cellule humide de 5 à 6 mètres carrés. En ce moment, je suis assis à la fenêtre d'une cellule de 30 mètres carrés qui abrite quinze personnes et je t'écris cette lettre. La télévision hurle, les conversations des autres détenus saturent l'atmosphère. Au milieu du bruit, mes pensées dérivent à travers le temps et l'espace qui séparent ton passé de mon présent. Cela semble surréaliste, comme si je racontais une histoire lointaine. Et pourtant, tout ce qui se trouve devant moi est indéniablement réel. À l'instant, la porte de la cellule s'est ouverte. Un nouveau détenu vient d'arriver. Je dois m'arrêter là. »

Acharnement contre une lanceuse d'alerte sur le Covid

Autre exemple encore d'un véritable acharnement du régime : Zhang Zhan (张展), âgée de 42 ans, avocate et lanceuse d'alerte devenue lauréate du prix de Reporters sans frontières (RSF) pour la liberté de la presse, est incarcérée pour avoir publié sur le Web des vidéos sur l'épidémie de SARS-CoV-2 à Wuhan dès le début de l‘explosion de la pandémie de Covid-19 début 2020.

Elle est condamnée une première fois le 28 décembre 2020 à quatre ans de prison pour « crime d'incitation à des troubles à l'ordre public » et diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux à la suite de la mise en ligne de plusieurs séries de vidéos prises autour de l'hôpital central et de l'Institut de virologie de Wuhan début 2020, lorsque le virus alors inconnu du Covid-19 se met à circuler dans la ville de Wuhan, au centre du pays.

Dans ses quelques 120 vidéos diffusées, elle documente le premier confinement, montre les couloirs d'hôpitaux saturés de malades, les crématoriums qui tournent à plein régime, filme un mort dans la rue, rend un hommage vibrant au docteur Li Wenliang, qui avait, lui aussi, tenté d'alerter avant d'être harcelé par le régime. Il est lui-même décédé du Covid-19.

Le 13 mai 2020, elle se filme sur le parvis de la gare centrale de Wuhan et déclare : « Mon sentiment est que les autorités gèrent cette ville uniquement par l'intimidation et la menace. C'est vraiment la tragédie de ce pays, ou la tragédie de cette ville. »

La frêle jeune femme disparaît peu après. L'ONG Amnesty International apprend son arrestation, pieds liés, les mains menottées jour et nuit, nourrie de force par un tube lorsqu'elle a entamé une grève de la faim. En décembre 2020, elle devient la première des « citoyens-journalistes » chinois ayant osé raconter la réalité du Covid-19 à être condamnée.

Verdict : quatre ans de prison. Sa condition physique se détériore rapidement au point de friser la mort, selon des témoignages. Libérée en mai 2024 au terme de sa peine, elle reste sous étroite surveillance mais se remet à témoigner sur YouTube et y évoque le harcèlement subi par d'autres activistes.

Elle est à nouveau arrêtée en août 2024. Pendant son année de détention provisoire qui a précédé un nouveau procès, elle proteste encore contre le sort qui lui est réservé en refusant de s'alimenter et est à nouveau alimentée de force, selon RSF. Le 22 septembre, elle est condamnée à une nouvelle peine de quatre ans de prison pour le même motif : « incitation à des troubles publics. »

Pour Sarah Brooks, directrice pour la Chine à Amnesty International, « cette deuxième condamnation de Zhang Zhan trahit la priorité affichée par la Chine de faire respecter l'état de droit. À l'instar de […] tant d'autres, l'engagement de Zhang Zhan en faveur de la défense des droits humains et son refus de se taire – même après une peine de prison qui a mis sa santé et sa vie en danger – font d'elle une cible. »

Pékin a le bras long pour poursuivre ses dissidents à l'étranger

S'il n'est jamais bon en Chine de se rebeller ouvertement contre le système, il l'est encore moins de persister. Ceux qui font amende honorable ou se livrent à une auto-critique peuvent espérer sa mansuétude et même une certaine réhabilitation s'ils ont occupé des fonctions importantes comme Jack Ma, l'ancien chef du géant de la vente en ligne Alibaba qui, après une longue disparition, est récemment réapparu. Ceux qui, comme Zhang Zhan, s'obstinent, non. Car le régime veut en faire des exemples pour ceux qui seraient tentés de suivre la même voie.

Pour ceux qui ont réussi à fuir, dont notamment les anciens leaders des manifestations monstres contre l'ingérence de la Chine à Hong Kong en 2019 et 2020, le régime les poursuit sans relâche là où ils se trouvent, allant jusqu'à offrir des mises à prix et des récompenses pour ceux qui offriraient des informations permettant leur arrestation. Il en va de même des activistes ouïghours réfugiés à Paris ou ailleurs dans le monde, régulièrement harcelés par des agents de Pékin.

De plus, Pékin a le bras de plus en plus long pour contraindre des gouvernements étrangers à les extrader vers la Chine ou à leur refuser l'entrée sur leur sol. C'est ainsi que le militant prodémocratie à Hong Kong Nathan Law s'est vu refuser l'entrée à Singapour à son arrivée le 27 septembre en provenance de San Francisco, les autorités estimant que sa présence dans la Cité-Etat était contraire « à l'intérêt national de Singapour. »

L'un des principaux activistes du Mouvement des parapluies à Hong Kong, Nathan Law est réfugié politique au Royaume-Uni depuis sa fuite en exil en 2020. Il était pourtant porteur d'un visa à son arrivée à l'aéroport de Changi. Recherché par la police chinoise, il devait participer à une conférence privée à Singapour. Il a été retenu pendant quatre heures par les services d'immigration avant d'être expulsé. « On ne m'a posé aucune question et personne ne m'a donné de raisons pour ce refus, » a-t-il expliqué à la BBC.

« Les autorités de Hong Kong exhortent M. Law à cesser de mettre en danger la sécurité nationale et à retourner à Hong Kong, » a indiqué le ministère de l'Intérieur de Singapour qui a conclu un accord d'extradition avec Hong Kong.

Un défi rocambolesque lancé contre le régime

Mais tout système totalitaire doté d'un système de surveillance le plus sophistiqué soit-il peut demeurer défaillant comme le montre un épisode incroyable que raconte l'expert de la Chine Jean-Paul Yacine dans les colonnes de Questions Chine, site gratuit d'informations sur la Chine.

« Le 29 août dernier, vers 10h du soir, à Chongqing, l'immense mégapole de 32 millions d'habitants devenue une gigantesque municipalité autonome dans la province du Sichuan, un activiste a réussi l'exploit de projeter à distance sur la façade d'un immeuble une série de slogans critiquant la gouvernance du parti. Projetées par laser, les protestations défiant l'appareil au nez et à la barbe de la police pourtant omniprésente étaient sans équivoque, » écrit-il.

La teneur du message était celle-ci : « Vous qui refusez d'être des esclaves révoltez-vous (拒绝成为奴隶的人起来) […] Renversez la tyrannie du parti – fascisme rouge (推翻党的暴政 红色法西斯主义) […] La liberté n'est pas un cadeau reprenez-la (自由不是一份礼物, 收回它) […] Plus de mensonges, nous voulons la vérité. Plus d'esclavage, nous voulons la liberté (不再有谎言, 我们想要真相. 不再有奴役, 我们想要自由.) »

Il a fallu 50 minutes à la police pour localiser l'origine du laser qui venait d'un hôtel voisin, aussitôt fermé. Mais « contrairement à ce que tout le monde croyait, la mesure n'a pas mis fin aux projections. Quelques heures plus tard, la foule des curieux qui avaient commencé à se disperser, eut la surprise de voir en très grand format, toujours sur les vastes façades, une vidéo montrant cinq policiers entrant dans la chambre d'hôtel à l'origine du faisceau laser, » ajoute-t-il.

Alors que quatre policiers s'efforçaient d'éteindre le projecteur, les passants ont clairement vu les images en grand format d'un cinquième en train de désigner du doigt une caméra de surveillance pour alerter ses collègues qu'ils étaient filmés. Sur une table basse de la chambre se trouvait en évidence une lettre manuscrite adressée à la police : « Même si vous êtes aujourd'hui bénéficiaires du système, un jour vous en deviendrez inévitablement les victimes […] Alors, s'il vous plaît, traitez les gens avec bienveillance. »

Le lendemain, décidément insaisissable, le virtuose du laser projetait une image extraite d'une vidéo de caméra de surveillance, montrant sa vieille mère frêle et voutée interrogée par les policiers devant la maison familiale de son village. Mais, précise Jean-Paul Yacine, « le plus extraordinaire qui laissa les policiers interloqués fut que, quand ils investirent la chambre d'hôtel des projections, le coupable du nom de Qi Hong, 43 ans, avait déjà quitté la Chine avec sa femme et ses filles. »

Cet épisode qui a tourné la police en ridicule et défié l'appareil avait en réalité été piloté à distance depuis le Royaume-Uni. Les vidéos filmées par les téléphones portables ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux. L'une d'entre elles, selon Jean-Paul Yacine, a été vue 18 millions de fois avant qu'elle ne soit censurée. Un internaute du nom de Li Ying avait écrit « Qi Hong a déjoué la police et l'appareil d'État – et ils ne pouvaient pas y faire grand-chose ». « Coup dur porté aux autorités qui ont consacré d'énormes ressources pour assurer la stabilité avant le défilé du 3 septembre, » ajoutait-il pour conclure ainsi : « Qi Hong a montré que le contrôle du PCC n'était pas infaillible. Ce n'est pas comme si nous ne pouvions rien faire. »

« Nous ne voulons pas d'un autocrate »

Après le célèbre « Tank Man, » cet homme qui avait osé défier une colonne de chars qui se dirigeait en direction du cœur de Pékin avant le massacre de la place Tiananmen le 4 juin 1989 et dont la photo avait fait le tour du monde, d'autres ont fait preuve d'un courage similaire, dont Peng Lifa (彭立发) qui, le 31 octobre 2022, avait réussi à déployer d'immenses banderoles critiques de Xi Jinping sur un pont enjambant l'un des grands axes de la capitale chinoise.
Condamné deux ans plus tard en secret à neuf ans de prison selon plusieurs sources, il avait mené cette action publique spectaculaire en déployant des banderoles sur le pont Sitong à Pékin juste avant le début du 20e Congrès du Parti communiste chinois.

Il fut un temps un symbole international de courage pour ses banderoles qui véhiculaient des messages forts pendant la politique « Zéro-COVID » de la Chine. Parmi eux, ceux-ci : « Nous ne voulons pas de tests Covid, nous voulons de la nourriture », « Nous ne voulons pas de révolution culturelle, nous voulons des réformes. Nous ne voulons pas de confinement, nous voulons la liberté », « Nous ne voulons pas d'un autocrate, nous voulons des votes. Nous ne voulons pas de mensonges, nous voulons de la dignité. Nous sommes des citoyens, pas des esclaves. »

Pour autant, la surveillance en Chine est telle que tout acte de dissidence organisée, toute manifestation d'envergure et, a fortiori, toute entreprise de déstabilisation sont rapidement tués dans l'œuf au point qu'autant ces actes peuvent paraître héroïques, autant ils ne constituent en aucun cas une menace réelle pour un régime qui est là pour durer.

Par Pierre-Antoine Donnet

Israël-Iran, la course à l’abîme

Une nouvelle conflagration entre Israël et l'Iran paraît inévitable et, peut-être, toute proche, les Européens ayant délibérément choisi de s'aligner sur les faucons de (…)

Une nouvelle conflagration entre Israël et l'Iran paraît inévitable et, peut-être, toute proche, les Européens ayant délibérément choisi de s'aligner sur les faucons de l'administration Trump dans le contentieux nucléaire. Au risque d'être entraînés dans un conflit majeur et incontrôlable. Analyse.

Tiré d'Orient XXI. Traduit de l'anglais par Philippe Agret. Cet article a été initialement publié le 11 août 2025 dans Foreign Policy sous le titre « The Next Israel-Iran War Is Coming ».

Israël va-t-il se lancer dans une autre guerre contre l'Iran ? Téhéran s'attend à cette attaque et s'y prépare. Lors de la dernière guerre, en juin 2025, il avait misé sur le long terme et programmé ses attaques de missiles dans l'optique d'un conflit prolongé. Pour le prochain round, cependant, il n'est pas exclu que l'Iran frappe de manière décisive dès le début des hostilités dans le but de dissiper toute idée qu'il puisse être asservi à une domination militaire d'Israël.

Ainsi, la guerre à venir sera probablement beaucoup plus sanglante que la première. Si le président étatsunien Donald Trump cède à nouveau à la pression de Tel-Aviv et se mêle au combat, les États-Unis pourraient être confrontés à une guerre totale avec l'Iran qui ferait de l'invasion de l'Irak en 2003 une promenade de santé en comparaison.

La guerre des 12 jours en juin n'a jamais porté uniquement sur le programme nucléaire iranien. Il s'agissait plutôt de modifier l'équilibre des forces au Proche-Orient, les capacités nucléaires iraniennes étant certes un facteur important, mais pas décisif. Depuis plus de 20 ans, Israël presse les États-Unis d'intervenir militairement contre l'Iran afin de l'affaiblir et de rétablir un équilibre régional en sa faveur — un équilibre qu'Israël ne saurait atteindre seul.

Une guerre sans vainqueur

Dans ce contexte, les bombardements israéliensavaient trois objectifs principaux, au-delà de l'affaiblissement des infrastructures nucléaires iraniennes : entraîner les États-Unis dans un conflit militaire direct avec l'Iran, décapiter le régime iranien et transformer l'Iran en nouvelle Syrie ou Liban — des pays qu'Israël peut bombarder en toute impunité et sans aucune réaction étatsunienne. Un seul des trois objectifs a été atteint. Pire, Trump n'a pas « anéanti » le programme nucléaire iranien. Et ce dernier n'a pas été ramené au point où la question pourrait être considérée comme réglée.

En d'autres termes, en ayant attaqué l'Iran en juin, Tel-Aviv n'a remporté, au mieux, qu'une victoire partielle. Israël aurait préféré que Trump s'engage pleinement en ciblant à la fois les forces conventionnelles et les infrastructures économiques de l'Iran. Mais si la Maison Blanche était favorable à une opération militaire éclair et déterminante, Donald Trump craignait une guerre totale. Sa stratégie visant à bombarder les installations nucléaires iraniennes avait donc pour objectif de limiter toute escalade plutôt que de l'amplifier. À court terme, Donald Trump a réussi — au grand dam d'Israël — mais, à plus long terme, il a laissé Israël le piéger dans une logique de confrontation.

Son refus d'agir au-delà d'une campagne limitée de bombardements est l'une des raisons pour lesquelles Israël a accepté un cessez-le-feu. Au fur et à mesure que la guerre perdurait, Israël subissait des pertes sérieuses : sa défense aérienne a été dégradée et l'Iran a gagné en efficacité pour la pénétrer avec ses missiles. Alors qu'Israël aurait probablement poursuivi la guerre si les États-Unis s'y étaient totalement engagés, son calcul a changé dès lors qu'il est devenu clair que les frappes ordonnées par Trump étaient limitées. Certes, Israël a réussi à attirer Trump et les États-Unis dans le conflit, mais il a échoué à les y maintenir.

Les illusions d'un soulèvement

Les deux autres objectifs d'Israël, toutefois, furent clairement des échecs. Malgré les premiers succès du renseignement israélien — comme l'assassinat de 30 officiers supérieurs et de 19 scientifiques nucléaires — Tel-Aviv n'a pu que perturber temporairement les opérations iraniennes de commandement et de contrôle. En l'espace de 18 heures, l'Iran a remplacé la plupart, sinon la totalité, de ces hauts gradés. Il a aussi lancé un puissant barrage de missiles, démontrant sa capacité à absorber des pertes importantes tout en initiant une contre-attaque intense.

Israël espérait que ses premières frappes sèmeraient la panique au sein du régime iranien et précipiteraient sa chute. Selon le Washington Post, des agents du Mossad, parlant couramment le farsi, ont appelé les portables de hauts responsables iraniens en menaçant de les tuer, eux et leurs familles, s'ils ne tournaient pas des vidéos dénonçant le régime et s'ils ne faisaient pas ouvertement défection. Plus de 20 appels de ce genre ont été passés pendant les premières heures de la guerre, alors que l'élite dirigeante iranienne était encore sous le choc de pertes importantes (1). Pourtant, il n'y a aucune preuve qu'un seul général iranien a capitulé face à ces menaces.

Contrairement aux espoirs de Tel-Aviv, l'assassinat d'officiers supérieurs des Gardiens de la révolution (IRGC) n'a pas conduit à des manifestations de masse ou à un soulèvement contre la République islamique. Au lieu de cela, les Iraniens de toute obédience politique se sont rassemblés autour du drapeau, sinon du régime lui-même, tandis qu'une vague de nationalisme déferlait à travers le pays.

Le régime n'est pas tombé

Israël n'a pu tirer profit de l'impopularité du régime. Presque deux ans après avoir commis des atrocités à Gaza et lancé une attaque violente contre l'Iran en pleine négociation sur le nucléaire, seule une minuscule fraction d'Iraniens — principalement dans la diaspora — considère Israël positivement.

De fait, au lieu de mobiliser la population contre les autorités, Israël a réussi à redonner de l'air à une République islamique à bout de souffle. Plutôt que de condamner le régime pour avoir investi dans un programme nucléaire, une industrie de missiles et un réseau de groupes alliés non étatiques, de nombreux Iraniens sont aujourd'hui furieux que ces éléments de la dissuasion iranienne se soient avérés insuffisants. C'est ce qu'a expliqué un artiste de Téhéran à Narges Bajoghli, anthropologue à l'Université étatsunienne Johns Hopkins :

  1. J'étais de ceux qui scandaient pendant les manifestations de ne pas envoyer d'argent iranien au Liban ou en Palestine. Mais maintenant, je comprends que les bombes auxquelles nous sommes tous confrontés sont les mêmes et que si nous ne disposons pas de défenses solides dans toute la région, la guerre viendra à nous (2).

Il n'est pas certain que cet état d'esprit durera. Mais à court terme, les attaques israéliennes semblent avoir paradoxalement renforcé le régime en affermissant la cohésion interne et en réduisant le fossé entre l'État et la société.

Campagne électorale aux États-Unis

Israël n'a pas non plus réussi à transformer l'Iran en une seconde Syrie ni à imposer dans la durée une domination des airs qui ne dépendait pas de l'allié étatsunien. Bien qu'Israël ait pris la maîtrise de l'espace aérien iranien pendant la guerre, il n'a jamais pu opérer en toute impunité. Et la réponse des missiles lui a infligé des dégâts inacceptables.

Sans une aide substantielle des États-Unis — y compris l'utilisation du quart de leurs intercepteurs de missiles THAAD en seulement 12 jours — Israël aurait peut-être été incapable de continuer la guerre. Et c'est ce qui rend probable une nouvelle offensive israélienne. Le ministre de la défense Israël Katz et le chef d'état-major Eyal Zamir n'en font pas mystère. La guerre de juin n'était que la première phase, selon Zamir, pour qui Israël « ouvre maintenant une nouvelle phase » du conflit (3).

Que l'Iran reprenne ou non l'enrichissement de l'uranium, Israël est déterminé à ne pas lui laisser le temps de reconstituer son arsenal balistique, ni de restaurer ses systèmes antiaériens, ni de déployer des dispositifs améliorés. Cette logique est au cœur de la stratégie israélienne dite de la « tonte de la pelouse » (tactique appliquée aussi à Gaza) : frapper préventivement et de manière répétée afin d'empêcher l'adversaire de développer des capacités qui pourraient défier la domination militaire israélienne.

Cela signifie que, l'Iran ayant déjà reconstitué ses ressources militaires, Israël a intérêt à frapper le plus tôt possible. Le rétablissement le 28 septembre 2025 par l'Europe des sanctions contre Téhéran via le mécanisme « snapback » (4) aux Nations unies pourrait fournir à Israël un prétexte politique pour relancer la guerre. En réponse, Téhéran a menacé de suspendre sa coopération avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

En outre, la fenêtre pour attaquer se refermera probablement une fois que les États-Unis entreront en campagne pour les élections de mi-mandat de novembre 2026, car cela compliquera la marge de manœuvre politique de Trump. Les frappes pourraient donc bien prendre place dans les tout prochains mois.

« Tondre la pelouse »

C'est évidemment ce que les dirigeants iraniens veulent empêcher. Pour dissiper toute illusion que la stratégie israélienne de « la tonte de la pelouse » fonctionne, l'Iran, lui, est susceptible de frapper fort et vite dès le déclenchement de la prochaine guerre.

« Si l'agression se répète, nous n'hésiterons pas à réagir de manière encore plus décisive et qui sera IMPOSSIBLE à dissimuler », a promis le ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, sur X le 28 juillet 2025. Les dirigeants iraniens estiment que le coût pour Israël doit être exorbitant, faute de quoi les capacités balistiques de l'Iran seront progressivement érodées, laissant le pays sans défense.

Puisque la guerre de juin s'est terminée sans victoire tangible, l'issue du prochain conflit dépendra du camp qui aura le mieux appris et qui saura agir le plus rapidement. Israël est-il capable de reconstituer ses intercepteurs plus rapidement que l'Iran peut reconstruire ses lanceurs et approvisionner son arsenal de missiles ? Le Mossad est-il toujours profondément implanté en Iran ou bien la plupart de ses ressources ont-elles été épuisées pendant la dernière guerre en cherchant en vain à provoquer la chute du régime ? Téhéran a-t-il acquis plus de connaissances quant à la pénétration des défenses aériennes israéliennes qu'Israël en a acquis pour l'en empêcher ? Pour l'instant, aucune des deux parties ne peut répondre positivement à ces questions.

Et c'est précisément parce que l'Iran ne peut être certain qu'une réponse plus forte neutralisera la stratégie israélienne qu'il est susceptible de réévaluer sa posture nucléaire — surtout maintenant que d'autres piliers de sa dissuasion, y compris l'« axe de la résistance » et la doctrine de l'ambiguïté nucléaire, se sont avérés impuissants.

La réponse de Trump à une deuxième guerre entre Israël et l'Iran pèsera évidemment. Déjà, il ne semble pas disposé à s'engager dans un conflit prolongé. Politiquement, les frappes qu'il a ordonnées en juin ont déclenché une « guerre civile » au sein du mouvement MAGA (Make America Great Again).

Au plan militaire, cette guerre de 12 jours a révélé des lacunes graves dans le stock de missiles des États-Unis. Résultat, Trump et l'ex-président Joe Biden ont épuisé une partie substantielle des intercepteurs antiaériens dans une région que ni l'un ni l'autre ne considèrent comme vitale pour les intérêts fondamentaux des États-Unis. Mais en donnant son feu vert à la première salve israélienne, Trump est tombé dans le piège d'Israël — et il n'est pas certain qu'il puisse en sortir, surtout s'il s'accroche à « l'enrichissement zéro » comme base d'un accord avec l'Iran. Et un engagement limité n'est probablement plus une option. Trump devra soit entrer de plain-pied en guerre, soit rester en retrait. Et rester à l'écart exige davantage qu'un simple refus une fois pour toutes — cela demande une résistance soutenue face aux pressions israéliennes. Jusqu'à présent, le président étatsunien n'en a montré ni la force ni même la volonté.

Subordination européenne

Le rôle de l'Europe dans cette équation est devenu de plus en plus négatif. La troïka européenne dite E3 (Allemagne, France et Royaume-Uni) justifie le « snapback » comme un levier nécessaire pour faire pression sur l'Iran afin qu'il revienne à la table des négociations, même si Téhéran était sérieusement engagé dans la voie diplomatique lorsqu'Israël a décidé de bombarder cette table. Si les exigences de l'UE à l'égard de l'Iran semblent raisonnables à première vue — comme celle de donner aux inspecteurs de l'AIEA l'accès à ses sites nucléaires —, les réserves de Téhéran ne sauraient être réduites à un simple entêtement.

Les responsables iraniens soupçonnent depuis longtemps que des informations sensibles partagées avec l'AIEA se sont retrouvées entre les mains du renseignement israélien, permettant la campagne d'assassinats du Mossad contre des scientifiques nucléaires iraniens. Téhéran craint également que la divulgation de l'emplacement de son stock d'uranium enrichi ne livre à Washington — ou à Israël — une carte des futures cibles lors de la prochaine série de frappes aériennes.

Mes conversations avec les diplomates de l'UE m'ont laissé une forte impression que le groupe E3 était déterminé à déclencher le « snapback » quoi qu'il arrive. Il a, par conséquent, présenté ses exigences en sachant que l'Iran allait probablement les rejeter, au moins en partie. Les raisons de ce choix reposent sur l'évolution de l'environnement géopolitique en Europe — et la dépendance accrue de l'Europe vis-à-vis des États-Unis depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Punir Téhéran, suivre Washington

En réalité, il s'agit moins du programme d'enrichissement de l'Iran que des questions portant sur la Russie, l'Ukraine et les relations transatlantiques. Le dossier nucléaire iranien apparaît comme un simple pion dans le camp de la troïka.

L'approfondissement du partenariat de l'Iran avec la Russie dans le conflit ukrainien est apparu comme une menace directe aux yeux des Européens. Les liens économiques de l'Union avec Téhéran sont négligeables après des années de sanctions. Tandis que la sujétion de l'Europe vis-à-vis de la relation transatlantique — militaire, politique et économique — est bien plus contraignante qu'elle ne l'était en 2003. Dans ce contexte, l'escalade avec l'Iran sert deux objectifs européens : tout d'abord punir Téhéran pour s'être aligné sur Moscou, en faisant passer le message que tout soutien à la Russie à un coût élevé. Ensuite, aligner l'Europe sur les éléments bellicistes de l'administration Trump, au moment où ses relations avec les États-Unis traversent une crise historique. Pour les dirigeants européens désespérés d'entretenir la bonne volonté de Washington, l'Iran est devenu une offrande sacrificielle commode, même si cela doit mener à la guerre.

Jeu dangereux

Rien de tout cela ne relève de la spéculation. Le chancelier allemand Friedrich Merz a récemment estimé qu'en bombardant l'Iran, Israël « fait le sale boulot pour nous tous ». Sa remarque était inhabituellement franche. Merz a ainsi exprimé ce que beaucoup dans les capitales européennes concèdent en privé : les actions militaires d'Israël contre l'Iran servent les intérêts européens en affaiblissant un État désormais allié à la Russie.

Mais sous-traiter la guerre à Israël est un jeu dangereux. Cela risque d'entraîner l'Europe dans un conflit qu'elle ne contrôlera pas et ne pourra contenir. Elle n'échapperait pas aux retombées si la confrontation devait dégénérer en guerre régionale étendue — entraînant les États du Golfe, perturbant l'approvisionnement énergétique mondial et provoquant des représailles iraniennes dans toute la région.

En rétablissant les sanctions contre l'Iran, le trio européen place l'alignement tactique avec Washington et Tel-Aviv au-dessus de son propre intérêt à long terme dans la stabilité régionale. Il confond punition et stratégie, coercition et diplomatie. Et elle le fait en sachant parfaitement que le résultat le plus probable n'est pas la relance des pourparlers, mais la reprise de la guerre.

Il y a vingt ans, les Européens l'avaient bien compris. En 2003, le courage de résister à la pression américaine en faveur d'une guerre avec l'Iran avait permis d'éviter un deuxième désastre au Proche-Orient après l'invasion malavisée de l'Irak. En 2025, l'Europe risque de se mettre au service d'un autre désastre dans la région.

Notes

1- Warren P. Strobel, Souad Mekhennet et Yeganeh Torbati, « Israeli warning call to top Iranian general : “You have 12 hours to escape” » Washington Post, 23 juin 2025.

2- Narges Bajoghli, « The Generation Iranian Hard-Liners Have Been Waiting for », Foreign Policy, 29 juillet 2025.

3- Yoni Ben Menachem,« Israel and Iran Prepare for a New Round of Fighting », Jerusalem Center for Security and Foreign Affairs, 29 juillet 2025.

4- NDLR. Clause de sauvegarde, introduite en 2015 dans l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, permet à tout membre signataire constatant un manquement de saisir le Conseil de sécurité.

Un bilan amer, deux ans après le début de la catastrophe

Bilan de deux ans de guerre génocidaire et de son résultat potentiel. 8 octobre 2025 Gilbert Achcar Professeur émérite, SOAS, Université de Londres Abonné·e de Mediapart (…)

Bilan de deux ans de guerre génocidaire et de son résultat potentiel.

8 octobre 2025
Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/081025/un-bilan-amer-deux-ans-apres-le-debut-de-la-catastrophe

Malgré les intenses efforts d'Israël pour commémorer les événements tragiques du 7 octobre 2023 et la forte sympathie occidentale dont il bénéficia à la suite de l'opération Déluge d'al-Aqsa, ce qui domine la conscience mondiale aujourd'hui – deux ans après l'opération – est avant tout la tragédie bien plus grande que l'État sioniste a infligée depuis lors au peuple de Gaza et de la Palestine.

La reconnaissance que les actes d'Israël au cours des deux dernières années constituent un génocide est maintenant largement acceptée par les experts et l'opinion publique dans les pays occidentaux traditionnellement favorables à Israël. Un sondage récent montre que près de 40 % des Juifs américains reconnaissent eux-mêmes qu'« Israël a commis un génocide » (10 % restent indécis). Aujourd'hui, seule une minorité dans les pays occidentaux – ainsi que les gouvernements et les organisations qui restent pro-israéliens – nient la réalité de ce génocide. Certes, tout génocide a ses négationnistes, comme c'est le cas pour le génocide arménien ou la Shoah.

Le fait que l'horreur de la guerre génocidaire de l'armée sioniste ait généré au fil du temps une condamnation mondiale intense et une sympathie croissante pour le peuple de Gaza offre cependant peu de réconfort, comparé à l'ampleur de la catastrophe en cours. Pire encore, le « règlement pacifique » qui se profile à l'horizon menace d'être bien pire encore que le cadre déjà désastreux établi par les accords d'Oslo de 1993.

Il y a deux ans, il était facile de prédire la catastrophe qui allait se produire pour Gaza (voir « Le déluge d'al-Aqsa risque d'emporter Gaza », Al-Quds al-Arabi, 10 octobre 2023, en arabe). L'opération menée par le Hezbollah en 2006 – en traversant la frontière au Sud-Liban, tuant trois soldats israéliens et en enlevant deux autres – conduisit à une attaque israélienne dévastatrice contre les zones civiles dominées par le parti, y compris la banlieue sud de Beyrouth, connue sous le nom de Dahiya. Hassan Nasrallah admit plus tard que s'il en avait su les conséquences, il n'aurait pas ordonné l'opération. Compte tenu de l'ampleur bien plus grande de l'opération menée par le Hamas à travers la frontière de Gaza le 7 octobre 2023 – entraînant la mort de 1200 personnes et l'enlèvement de plus de 250 du côté israélien – il était clair qu'une tragédie bien plus grande s'ensuivrait.

Cela sans parler du fait que le gouvernement sioniste de l'époque, toujours en place à ce jour, est le plus extrémiste de l'histoire d'Israël. Ainsi, les organisateurs de l'opération Déluge d'al-Aqsa Flood ne pouvaient pas dire « Si j'avais su », à l'instar du chef du Hezbollah (voir« La démence de la violence sioniste de la Dahiya à Gaza », Al-Quds al-Arabi, 7 novembre 2023, en arabe). De fait, lorsqu'il y a quelques mois, un membre de la direction politique du Hamas tenta d'exprimer quelques regrets sur ce qui s'était passé, l'aile militaire eut vite fait de réfuter sa déclaration (voir « Le “Si j'avais su” de Moussa Abou Marzouk », Al-Quds al-Arabi, 25 février 2025, en arabe).

Les dirigeants de l'aile militaire du Hamas, et ceux de l'aile politique qui partagent leur point de vue, ont toujours maintenu que leur stratégie était justifiée, malgré l'issue catastrophique (voir « Sur la logique de l'aile maximaliste du Hamas », Al-Quds al-Arabi, 20 mai 2025, en arabe). Il y a huit mois, ils revendiquaient encore la victoire comme résultat de l'opération du 7 octobre (voir « Hamas :“Nous sommes le déluge... Nous sommes le jour d'après” », Al-Quds al-Arabi, 11 février 2025, en arabe). Mesurons cette revendication de victoire à l'aune du résultat et considérons la déclaration du Hamas sur le plan récemment annoncé par Donald Trump, plan rédigé par son gendre, Jared Kushner, et le tristement célèbre ancien premier ministre britannique Tony Blair (voir un premier commentaire sur ce plan dans l'article de la semaine dernière).

Dans sa déclaration publiée vendredi dernier, le Hamas annonce qu'il a adopté une « position responsable » vis-à-vis du plan américain et qu'il est prêt à contribuer à un « cadre national palestinien inclusif » (c'est-à-dire avec l'Autorité palestinienne de Ramallah) « en pleine responsabilité » – comme s'il voulait reconnaître que ses positions précédentes étaient moins « responsables ». La déclaration affirme que le mouvement « apprécie […] les efforts du président américain Donald Trump, appelant à la fin de la guerre dans la bande de Gaza, à un échange de prisonniers, à l'entrée immédiate de l'aide, au rejet de l'occupation de la bande de Gaza et au déplacement de notre peuple palestinien hors d'elle ». Ceci, malgré le fait que Trump, qui s'est fièrement vanté d'être le président le plus pro-israélien de l'histoire des États-Unis et qui a déjà approuvé l'annexion par Israël de la Jérusalem arabe et du plateau du Golan syrien, est le même qui a permis au gouvernement Netanyahu d'affirmer ouvertement son intention de déplacer les résidents de Gaza (en prétendant, bien sûr, parler simplement de migration « volontaire », un point réitéré dans le dernier plan) et transformer l'enclave en une « Riviera » sous contrôle américain.

Le nouveau plan stipule que Trump lui-même présidera un « Conseil de la paix » quasi-colonial, comptant Tony Blair parmi ses membres, qui supervisera le « comité palestinien technocratique et apolitique » chargé de gouverner Gaza, dans le but de mettre en œuvre le « Plan Trump de développement économique » (sic). Il ne fait aucun doute que, dans l'esprit du président américain, ce dernier plan vise à transformer la bande de Gaza en une « Riviera » contrôlée par les États-Unis. Quant au « rejet de l'occupation de la bande de Gaza », le plan affirme en effet qu'« Israël n'occupera ni n'annexera Gaza », mais il ne fixe pas de calendrier pour le retrait des forces armées israéliennes, le soumettant plutôt à des conditions fort difficiles à réaliser. De plus, le plan permet à Israël de garder le contrôle d'un « périmètre de sécurité » le long des frontières de Gaza, y compris la frontière avec l'Égypte (le corridor de Philadelphie), aussi longtemps qu'il le juge nécessaire.

Il ne s'agit pas ici, bien sûr, de prétendre que le Hamas aurait dû se battre jusqu'au dernier Gazaoui. L'argument est plutôt que le mouvement aurait pu obtenir un meilleur résultat et épargner à Gaza de la dévastation, s'il avait adopté une approche plus « responsable » dès le départ. Cette possibilité existait encore ces derniers mois (voir « Pitié pour le peuple de Gaza ! », Al-Quds al-Arabi, 3 juin 2025), lorsqu'il devint clair que le cessez-le-feu déclaré plus tôt cette année n'était qu'une pause temporaire, permettant à l'armée sioniste de se regrouper et de préparer une nouvelle phase d'invasion. Pendant ce temps, Israël a délibérément infligé une famine à la population de Gaza en coopération avec l'administration de Donald Trump, dont le Hamas « apprécie » maintenant les « efforts ».

Le mouvement s'est retrouvé acculé par la reprise du génocide par l'armée sioniste, parallèlement à la pression croissante des États arabes et musulmans alignés sur l'administration Trump. Hamas a donc été confronté à un dilemme difficile : soit il rejetait le plan américain et proclamait sa détermination à continuer à se battre, assumant ainsi encore plus de responsabilité dans la catastrophe en cours à Gaza et s'exposant à la perte de financement de la part de ses sponsors arabes et musulmans ; ou il capitulait, ce qui semble être son cours actuel. Le Hamas a maintenant offert de renoncer à la dernière carte qu'il avait en main en libérant tous les otages qu'il détient en échange de la libération par Israël de 250 prisonniers palestiniens et du retour de 1700 Gazaouis que l'armée sioniste a pris en otages au cours des deux dernières années.

Tout comme Netanyahou a accepté le plan initial de Trump il y a cinq ans – sachant pertinemment que les Palestiniens le rejetteraient – il a approuvé maintenant le nouveau plan. Son objectif principal est la libération des otages, après quoi il serait beaucoup plus libre de maintenir son emprise sur Gaza. Il sait très bien que les termes du plan américain sont conçus pour être si inégaux et humiliants qu'ils sont susceptibles d'être rejetés par la plupart des Palestiniens, y compris l'Autorité de Ramallah elle-même éventuellement.

* Dernier ouvrage paru : Gaza, génocide annoncé. Un tournant dans l'histoire mondiale.

Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 7 octobre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Gaza : le cimetière des stratégies ratées

Les Palestiniens devront faire face à la plus dure des vérités : quelle que soit la voie qu'ils choisissent – la soumission silencieuse ou la résistance armée –, le monde a (…)

Les Palestiniens devront faire face à la plus dure des vérités : quelle que soit la voie qu'ils choisissent – la soumission silencieuse ou la résistance armée –, le monde a déjà échoué à empêcher le génocide de leur peuple. C'est un fait irréversible.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

« Les mots n'ont plus aucun sens. » C'est l'un des sentiments les plus courants que j'entends de mes proches, amis et collègues qui sont encore à Gaza. Deux ans après le génocide implacable perpétré par Israël, il ne nous reste plus seulement une suite de cadavres et de ruines, mais aussi un effondrement brutal du sens même. Des mots tels que « atrocité », « siège », « résistance » et même « génocide » ont été vidés de leur sens à force d'être répétés, incapables de soutenir le poids de ce que les Palestiniens ont enduré jour après jour, nuit après nuit.

Au cours des premiers jours qui ont suivi le 7 octobre, je parlais autant que possible au téléphone avec mes proches, sachant que chaque conversation pouvait être la dernière fois que j'entendais leur voix. Nous parlions généralement de leur angoisse, de leur désespoir et de leur peur que la mort se rapproche d'eux. Certains m'envoyaient leurs dernières volontés ou leur testament ; d'autres commençaient même à souhaiter la mort comme un répit à cette apocalypse sans fin.

Mais après 24 mois, le silence s'est installé. Tout a été dit, chaque sentiment a été exprimé à maintes reprises, au point d'être complètement vidé de son sens. Lorsque je parle à ceux et celles qui sont encore pris au piège à Gaza, leur silence s'accompagne de la honte de mendier de l'aide – une tente, de la nourriture, de l'eau ou des médicaments – et ma honte est encore plus grande, car je suis incapable de leur obtenir quoi que ce soit.

Mes proches sont devenus les fantômes d'eux-mêmes. Ils ont été brisés à maintes reprises au cours de 730 jours de bombardements incessants, de famine et de déplacements. Ils en sont réduits à courir après de la nourriture et un abri, tout en étant attaqués partout où ils vont. Chaque aspect de leur vie est devenu une lutte acharnée pour la survie.

Ceux qui parviennent à s'échapper de ce camp de concentration sont physiquement transformés. J'ai récemment rencontré ma cousine dans les rues du Caire et je ne l'ai pas reconnue. Autrefois grande et en bonne santé, âgée d'une quarantaine d'années, elle était désormais réduite à l'état de squelette, le visage ridé et noirci, les yeux enfoncés et pâles. Ma grand-mère de 77 ans est également sortie squelettique et est alitée depuis lors.

Pour ceux et celles qui sont encore piégés à l'intérieur, les dégâts physiques sont presque impossibles à décrire avec des mots. Mon cousin, Hani, est actuellement assiégé dans la ville de Gaza, n'ayant pas pu payer le coût exorbitant d'une fuite vers le sud avant que les chars israéliens n'encerclent son quartier. Bien qu'il n'ait qu'une quarantaine d'années, la maigreur causée par la campagne de famine menée par Israël lui donne l'apparence de mon grand-père juste avant sa mort à l'âge de 107 ans.

Et cela sans même tenir compte du coût psychique du génocide sur la population de Gaza. L'ampleur réelle de ce coût ne sera claire qu'une fois les bombardements terminés et que les survivant·e·s auront retrouvé l'énergie mentale nécessaire pour traiter les souvenirs et les émotions que leur cerveau a longtemps refoulés pendant qu'ils étaient en mode survie.

Gaza est devenue un endroit où la mort est si constante et la survie si compromise que même le silence parle désormais plus fort que n'importe quel appel à la justice. Et l'héritage de ce génocide nous accompagnera pendant des générations, car Israël a accordé à chaque habitant de Gaza une vendetta personnelle.

« Dans l'au-delà, je demanderai une seule chose à Dieu : forcer les Israéliens à se consacrer eux aussi à la chasse à l'eau et à la nourriture sous des frappes aériennes, tous les jours, toute la journée », disait mon défunt ami Ali, avant d'être tué dans une frappe aérienne l'année dernière alors qu'il marchait près de l'hôpital Al-Aqsa à Deir Al-Balah.

Changement de soutien au Hamas

Il est difficile de prédire comment le traumatisme collectif résultant de l'anéantissement de Gaza façonnera les convictions des Palestiniens à long terme. Mais récemment, deux tendances prédominantes sont apparues, qui semblent quelque peu contradictoires.

D'une part, il y a un ressentiment croissant envers le Hamas pour avoir lancé les attaques du 7 octobre, même parmi les propres membres et les hauts dirigeants de l'organisation. Plusieurs responsables arabes m'ont confié que Khaled Mechaal, l'un des fondateurs du Hamas et dirigeant de longue date de son bureau politique, ainsi que d'autres personnalités partageant les mêmes idées au sein de l'aile modérée de l'organisation, ont qualifié cette attaque de « téméraire » et de « désastre » à huis clos, tout en critiquant la manière dont le Hamas a géré la guerre.

Ce printemps a également été marqué par plusieurs jours de manifestations populaires spontanées contre le Hamas dans toute la bande de Gaza, exigeant que le groupe mette fin à la guerre à tout prix avant de se retirer du pouvoir. Mais ces manifestations ont finalement été de courte durée, en particulier après que le gouvernement israélien [conjointement à des médias mainstream « occidentaux »] a commencé à les exploiter à la fois pour justifier sa campagne militaire en cours et pour détourner l'attention des atrocités commises sur le terrain.

Pourtant, dans le même temps, le génocide perpétré par Israël et la menace existentielle d'une expulsion massive de Gaza ont transformé certains des détracteurs les plus virulents du Hamas en ses plus fervents partisans. Même parmi ceux qui critiquent les événements du 7 octobre, la crainte est largement répandue que si le Hamas est écrasé, Israël occupera Gaza indéfiniment avec une opposition minimale de la part de la communauté internationale. Selon ce point de vue, seule une insurrection militaire continue du Hamas peut empêcher la prise de contrôle permanente par Israël et le nettoyage ethnique complet de l'enclave.

Un exemple typique est celui d'une femme appelée Asala, qui n'avait que 7 ans lorsque des militants du Hamas ont tué son père, colonel de l'Autorité palestinienne (AP), pendant le conflit entre le Hamas et le Fatah en 2007. Cette perte dévastatrice l'a marquée de manière indélébile, alimentant une haine profonde envers le Hamas qu'elle a conservée à l'âge adulte. Avant 2023, elle les critiquait régulièrement sur les réseaux sociaux en des termes très virulents, même si elle restait à Gaza. Mais à mesure que les attaques israéliennes s'intensifiaient, elle a commencé à louer les militants du Hamas pour avoir défié la présence de l'armée israélienne à Gaza et s'être vengés.

En effet, les horreurs dont Asala a été témoin pendant 24 mois de bombardements, de déplacements et de famine l'avaient transformée. « Les massacres ont accru notre ressentiment envers Israël », m'a-t-elle confié. « [Les Palestiniens] devraient mettre de côté leur rancœur et diriger leur haine uniquement contre l'occupation israélienne. »

De même, Mohammed, un journaliste d'investigation gazaouite qui a été kidnappé et torturé par le Hamas, est récemment devenu un fervent partisan des factions de résistance armée à Gaza. Il m'a confié que le génocide perpétré par Israël, pleinement soutenu par les gouvernements occidentaux, avait renforcé sa conviction en la résistance armée. « Il y a des gens qui n'ont jamais soutenu le Hamas ou la résistance, mais après que leurs familles ont été tuées par Israël, leur point de vue a changé et ils réclament désormais justice », a-t-il déclaré.

Ce soutien à la résistance armée persistera, voire s'intensifiera, tant que le génocide se poursuivra ou si l'armée israélienne reste à Gaza après un cessez-le-feu, empêchant la reconstruction. Mais si un accord permanent est signé, prévoyant le retrait complet d'Israël, la levée du siège asphyxiant imposé par Israël et un horizon politique visible, les Gazaouis n'auront plus guère de raisons de s'accrocher à la lutte armée. En fait, bon nombre de ceux qui soutiennent l'insurrection du Hamas seront les premiers à dénoncer le groupe dès la fin de la guerre.

« La résistance armée n'a pas réussi à changer les choses »

Ce qui a historiquement donné le plus de crédibilité à la stratégie de résistance armée du Hamas parmi les Palestiniens, ce n'est pas l'appel à la violence ou au sacrifice, mais plutôt l'échec de toutes les autres alternatives. La diplomatie, les négociations, les plaidoyers auprès des instances et tribunaux internationaux, la persuasion morale et la résistance non violente ont tous été accueillis par un silence mondial, tandis qu'Israël continue de tuer des Palestiniens et Palestiniennes et de les expulser de leurs terres.

Avant le génocide, chaque fois que je demandais à un dirigeant du Hamas pourquoi l'organisation ne reconnaissait pas officiellement Israël et ne renonçait pas à la violence, la réponse était toujours la même : « Abu Mazen [le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas] a fait tout cela et plus encore, il collabore avec Israël. Pouvez-vous citer une seule chose positive qu'ils lui ont donnée en échange ? » Ils poursuivaient en décrivant comment Israël non seulement ignore les compromis d'Abbas, mais humilie, prive de financement, punit et diabolise l'Autorité palestinienne.

Aujourd'hui, cependant, après la plus longue guerre de l'histoire palestinienne, la même question sera posée au Hamas : qu'avez-vous obtenu de tout cela ?

En effet, ces deux dernières années ont sapé les principales raisons qui soutenaient l'engagement du Hamas en faveur de la résistance armée. La première était la conviction que seule la force militaire pouvait efficacement contester le blocus et l'occupation israéliens. Comme l'a fait valoir en 2018 le journaliste israélien chevronné Gideon Levy, « si les Palestiniens de Gaza ne tirent pas, personne ne les écoute ». Quatre ans plus tard, un membre de la Knesset m'a dit la même chose : « Dès que Gaza cesse de tirer des roquettes, elle disparaît, et personne ne se donne la peine d'en parler. »

Mais après chaque escalade avec Israël depuis son arrivée au pouvoir en 2007, le Hamas n'a obtenu que ce que les Gazaouis appelaient des « analgésiques et des anesthésiques » : un retour au statu quo ante et quelques promesses verbales d'assouplissement du blocus israélien qui ne se sont jamais concrétisées. Il s'agissait là de la stratégie explicite d'endiguement et de pacification mise en œuvre par Israël.

Des années avant d'être assassiné lors d'une frappe israélienne sur Beyrouth en janvier 2024, Saleh Al-Arouri, membre du Hamas, a reconnu l'échec de cette approche dans un appel téléphonique qui a fuité. « Franchement, la résistance armée n'a pas réussi à changer les choses », a-t-il admis. « La résistance a donné des exemples héroïques et mené des guerres honorables, mais le blocus n'a pas été brisé, la réalité politique n'a pas changé et aucun territoire n'a été libéré. »

Le Hamas défendait également son approche comme une forme de dissuasion contre l'escalade israélienne en Cisjordanie ou à Jérusalem. Cela s'est clairement manifesté lors de l'« Intifada de l'unité » de mai 2021, lorsque le Hamas a tiré des roquettes vers Jérusalem en réponse à la montée du terrorisme des colons et à l'expulsion forcée de familles palestiniennes de leurs maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah. Mais dès qu'un cessez-le-feu a été conclu après 11 jours, Israël n'a fait qu'intensifier ses attaques en Cisjordanie, et les deux années qui ont suivi ont été les plus meurtrières dans ce territoire depuis 2005.

C'est également en 2021 que les dirigeants du Hamas ont été séduits par l'idée d'une escalade majeure sur plusieurs fronts qui forcerait Israël à satisfaire les revendications palestiniennes. Ils envisageaient une offensive depuis Gaza et une intifada en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à l'intérieur d'Israël, associées à des attaques depuis la Syrie, le Liban, le Yémen, l'Irak et l'Iran, tandis que les populations arabes de Jordanie et d'Égypte se soulèveraient simultanément et marcheraient vers leurs frontières avec Israël, ce qui mettrait le gouvernement israélien au pied du mur.

Après le 7 octobre, cependant, cette stratégie s'est également effondrée. Ce qui avait commencé comme une confrontation limitée sur plusieurs fronts a pris fin lorsque Israël a réussi à conclure des cessez-le-feu avec le Hezbollah et l'Iran, tandis que l'Autorité palestinienne et Israël ont réprimé toute possibilité de soulèvement populaire. Seuls les Houthis du Yémen restent actifs comme dernier front de cet ancien « axe de la résistance ».

« Les Palestiniens ne peuvent rien faire »

Il y a peu de chances que le Hamas lance une autre attaque du type de celle du 7 octobre dans un avenir prévisible. De nombreux analystes s'accordent à dire que ce qui a permis à l'assaut de réussir, c'est qu'il a pris Israël complètement au dépourvu – un élément de surprise qui a depuis longtemps disparu, tout comme la probabilité qu'Israël répète les mêmes échecs tactiques et en matière de renseignement.

Le Hamas en est bien conscient, c'est pourquoi, lors des négociations de cette semaine sur le dernier plan du président américain Donald Trump pour mettre fin à la guerre, il a signalé aux médiateurs sa volonté de mettre hors service ses « armes offensives » tout en conservant des « armes défensives » légères, telles que des fusils et des missiles antichars. L'accent mis sur ces armes défensives découle de la crainte qu'Israël revienne sur son retrait de Gaza ou mène régulièrement des raids sans rencontrer de résistance, comme en Cisjordanie.

Le Hamas pourrait également avoir besoin de ces armes légères pour faire respecter le cessez-le-feu et obtenir l'adhésion de ses propres membres, ainsi que d'autres groupes plus petits mais plus radicaux. Il pourrait également estimer qu'un désarmement complet créerait un vide sécuritaire à Gaza, qui pourrait être comblé par des groupes salafistes et djihadistes ou des gangs criminels, comme la milice Abu Shabab soutenue par Israël. Et, bien sûr, il y a la crainte de représailles sociales, de personnes attaquant les membres du Hamas dans les rues.

Mais même si le Hamas parvient à conclure un accord pour mettre fin à la guerre, qui inclut le retrait complet d'Israël et permet au groupe de conserver des « armes défensives », la résistance armée – autrefois considérée comme la dernière carte à jouer après l'échec des négociations, de la diplomatie et des appels à la morale – repose désormais dans le même cimetière des stratégies ratées. Deux ans après le début du génocide, ce qui reste n'est pas la conviction, mais l'effondrement : celui du langage, de l'espoir, de la politique et de tous les appels lancés par les Palestiniens face à leur anéantissement.

L'année dernière, j'ai demandé à un haut responsable de l'Union européenne ce que les Palestiniens devraient faire différemment, selon lui, et quels conseils il donnerait à l'Autorité palestinienne, au Hamas et au peuple palestinien. Après y avoir réfléchi, il s'est affalé dans son fauteuil, désespéré. « Les Palestiniens ne peuvent rien faire », a-t-il admis. « Ils ont tout essayé. »

Au mieux, le dernier plan de Trump mettra fin à la guerre, mais ce qui perdurera, ce n'est pas une feuille de route, mais un vide politique. Et dans ce vide, les Palestiniens devront faire face à la plus dure des vérités : quelle que soit la voie qu'ils choisissent – la soumission silencieuse ou la résistance armée –, le monde a déjà échoué à empêcher le génocide de leur peuple. C'est un fait irréversible.

Publié sur le site +972, 7 octobre 2025

Traduction rédaction A l'encontre

Double standard

Le conflit israélo-palestinien se poursuit, surtout au détriment des Gazaouis. S'il suscite tant de passions en Occident, c'est qu'il en révèle les contradictions les plus (…)

Le conflit israélo-palestinien se poursuit, surtout au détriment des Gazaouis. S'il suscite tant de passions en Occident, c'est qu'il en révèle les contradictions les plus fondamentales. L'appui longtemps inconditionnel de la plupart des classes politiques occidentales à l'État hébreu en constitue l'illustration éloquente.

Pour s'y retrouver et y porter un point de vue pertinent, il importe d'insister sur certains points fondamentaux. Il faut commencer par déboulonner certaines idées reçues qui persistent sournoisement encore parmi les chancelleries occidentales comme depuis longtemps dans les médias, tant écrits qu'électroniques.

1- Tout d'abord, on ne peut excuser la violence israélienne antipalestinienne et condamner celle des Palestiniens. Dans le premier cas, on invoque toujours « le droit à l'autodéfense » d'Israël alors qu'on qualifie la résistance palestinienne de « terroriste ». Ce dernier terme, surutilisé depuis une cinquantaine d'années sert à dénigrer toute une série de phénomènes de violence politique, allant de groupes marginaux armés jusqu'à un authentique mouvement de résistance nationale, comme celui des Palestiniens. On oublie ou on feint de ne pas voir qu'il ne s'agit pas d'une catégorie impartiale de la science politique mais d'une définition très partisane. On est toujours le résistant ou le terroriste de quelqu'un, tout dépendant de quel côté de la barrière politique on se situe.

2- Les bien-pensants pro-israéliens et les sionistes s'indignent de l'offensive du Hamas du 7 octobre 2023 (qu'ils qualifient de « pogrom » à cause grand nombre de victimes civiles israéliens qu'elle a entraînées). On ne peut que déplorer cette action, mais il faut préciser qu'elle ne visait pas les citoyens israéliens en tant que Juifs mais comme ressortissants d'une puissance ennemie. Ils condamnent donc sans appel le Hamas et refusent sa participation aux futurs pourparlers de paix qui finiront bien par arriver un jour, vu le caractère intenable de la situation qui prévaut non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Mais ont-ils jamais dénoncé clairement l'ampleur de la violence israélienne antipalestinienne par les différents gouvernements en poste à Tel-Aviv ? Au mieux, certains des leurs ont émis des réserves à l'endroit des gouvernements israéliens responsables de plusieurs carnages antipalestiniens. Par exemple, lors de l'offensive contre Gaza en 2014, qui a fait environ 2,000 victimes (dont 200 enfants), on n'a pas entendu de protestations indignées de leur part.

3- Une tactique fréquemment utilisée par les sionistes (juifs et non juifs) consiste à accuser les tenants d'une Palestine libre et de la légitimité de la lutte armée palestinienne « d'antisémitisme ». En premier lieu, cela illustre un manque flagrant de respect à la mémoire des innombrables victimes de l'Holocauste, car les propalestiniens n'ont rien contre les Juifs ; on ne peut donc assimiler l'antisionisme à du racisme antijuif. En effet, s'opposer au projet sioniste de judaïser tout le territoire s'étendant de la Méditérranée au Jourdain ne revient pas à appuyer les mouvements antijuifs présents et passés tant en Europe qu'ici, mais à soutenir la lutte pour la liberté palestinienne. Il existe cependant un racisme très réel dans ce dossier : c'est celui de l'argument si longtemps invoqué « d'Israël, seul État démocratique du Proche-Orient », ce qui équivaut à insinuer en effet que « les Arabes » sont des sous-hommes, faute d'être des « Blancs », et de posséder une culture politique différente de la nôtre, bon chic bon genre. Bien sûr, au sein de la population israélienne existent différentes nuances, allant de l'attitude la plus extrémiste et intransigeante jusqu'à la plus molle. Tous ses membres ne sont pas de dangereux fanatiques antipalestiniens (comme les colons juifs en Cisjordanie), mais il existe une méfiance généralisée parmi eux contre les Palestiniens, fondée sur les préjugés habituels en pareil cas.

4- Nos gouvernements doivent rompre avec la complaisance, ouverte ou larvée, envers Israël, qui devient intenable. Cette attitude a poussé les classes politiques occidentales, et en particulier l'américaine, à laisser passer de vraies chances d'établir enfin la paix entre Israël et la Palestine, ce qui a favorisé, à la longue la montée des extrémismes des deux côtés. Il importe donc d'abandonner enfin cette tendance et adopter les moyens de pression nécessaires sur Tel-Aviv afin que le gouvernement en place entame des négociations sincères avec ses vis-à-vis palestiniens, lesquels doivent pouvoir par ailleurs choisir librement ceux et celles qui les représenteront lors de ces futures négociations cruciales. La liberté ne débute-t-elle pas par là ?

Jean-François Delisle

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Palestine. À New York, la subversion du droit international

Voici un texte publié par Orient XXI avant l'entente de cessez-le-feu intervenue récemment. Il retrace l'inaction des Etats capitalistes, y compris ceux qui avaient reconnu le (…)

Voici un texte publié par Orient XXI avant l'entente de cessez-le-feu intervenue récemment. Il retrace l'inaction des Etats capitalistes, y compris ceux qui avaient reconnu le principe d'un Etat palestinien devant l'ONU. Cette reconnaissance va à l'encontre du droit international et risque de perpétuer la situation coloniale qui est celle de la Palestine depuis 1948.

Tiré d'Orient XXI.

La reconnaissance d'un État palestinien par plusieurs pays occidentaux est présentée comme le point fort de la prochaine réunion de l'Assemblée générale de l'ONU à New York, du 9 au 23 septembre 2025. En réalité, la France et l'Arabie saoudite chercheront à convaincre l'ensemble des États membres des Nations Unies de se rallier à une déclaration posant les principes de règlement du « conflit israélo-palestinien ». Un texte qui pourrait sceller l'abandon du droit international concernant la Palestine.

Il y a plus d'un an, dans son avis historique du 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a rappelé les éléments essentiels du droit international s'agissant de l'occupation par Israël du territoire palestinien, y compris Gaza. Donnant suite à cet avis, l'Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a adopté, le 18 septembre 2024, une résolution engageant les États à adopter des mesures de sanction contre Israël afin de l'obliger à se retirer du territoire palestinien occupé, et ceci dans le délai d'un an, soit en septembre 2025. Par ailleurs, dans ses ordonnances relatives à Gaza, la Cour rappelait les obligations de tous les États Parties à la Convention sur le génocide aux fins de prévenir et de ne pas se rendre complices d'un génocide. Fin septembre 2024, le cadre était donc clairement posé aux Nations unies, sur la base d'une analyse objective du droit international. Mais plusieurs inflexions sont rapidement apparues.

D'abord, la majorité des États s'est abstenue de prendre les mesures exigées. Puis, l'Assemblée générale a décidé de soutenir une conférence internationale (résolution 79/81 du 3 décembre 2024) dont la présidence sera assurée par la France et l'Arabie saoudite. Enfin, au lieu d'accentuer ses demandes de sanctions face à un génocide mis en œuvre, notamment, par la privation de biens essentiels à la survie, l'Assemblée générale s'est contentée de demander à la CIJ un nouvel avis sur l'entrave à l'aide humanitaire sans même mentionner le génocide (résolution 79/232 du 19 décembre 2024). En présence de résolutions extrêmement décevantes, on pouvait s'attendre aux résultats de la Conférence de New York, présidée, fin juillet 2025, par la France et l'Arabie Saoudite, et à laquelle n'ont pourtant participé ni Israël ni les États-Unis. Ces résultats frappent tout de même par leur potentiel de subversion du droit rappelé par la CIJ en 2024.

Un État diminué

Le texte avancé sous la présidence française et saoudienne de la Conférence de New York annonce les principes de règlement du « conflit israélo-palestinien ». Cette « déclaration sur le règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États » est aussi soutenue par les États ou organisations régionales ayant animé les « groupes de travail » de la Conférence. Se sont donc déjà ralliés à cette déclaration 15 États (1), ainsi que la Ligue des États arabes et l'Union européenne. Tout l'enjeu est désormais, pour la France et l'Arabie saoudite, d'obtenir de l'ensemble des États membres des Nations unies qu'ils approuvent la déclaration, comme en témoigne la lettre adressée par la France et l'Arabie saoudite aux délégations étatiques à New York le 29 juillet 2025 (2).

C'est bien sûr la « solution à deux États » qui est promue dans ce document. Mais la nature de l'État palestinien qu'il est question de soutenir rend cette solution plus qu'incertaine. Saluant les engagements récemment pris par le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, la déclaration souligne en effet que la Palestine « n'a pas l'intention de devenir un État militarisé ». Dans ce contexte, c'est un processus de « désarmement, démobilisation et réintégration » (DDR) qui doit être mené à bien, dans lequel le Hamas devrait remettre ses armes à l'Autorité palestinienne (§ 11 de la déclaration). D'un point de vue politique, il s'agit aussi d'écarter le Hamas du pouvoir à Gaza puis, après un cessez-le-feu, d'organiser des élections démocratiques dans le délai d'un an. Pourtant, la « compétition démocratique » envisagée ne serait soutenue que si elle s'organise « entre acteurs palestiniens engagés à respecter le programme politique et les engagements internationaux de l'OLP » (§ 22 de la déclaration). Sous couvert d'une aide à l'émancipation palestinienne, le texte soutient en réalité la création d'un État palestinien démilitarisé, qui sera donc soumis à l'expansionnisme israélien. Les expressions politiques autorisées dans le cadre des élections espérées seraient également limitées, de même, d'ailleurs, que les choix de politique économique que pourrait retenir le prétendu « État » de Palestine.

Car s'il est question de « promouvoir le développement économique de la Palestine », ce sera pour « faciliter le commerce » et « améliorer la compétitivité du secteur privé palestinien » sur la base d'une révision du Protocole de Paris relatif aux relations économiques, conclu dans le cadre du processus d'Oslo (§ 27 de la déclaration). L'assistance internationale, présentée comme relevant de « donateurs », devrait permettre à l'Autorité palestinienne de « mettre en œuvre son programme de réformes ». Ces « réformes crédibles » devront mettre l'accent « sur la bonne gouvernance, la transparence, la viabilité des finances publiques, la lutte contre l'incitation à la violence et les discours de haine, la fourniture de services, l'environnement des affaires et le développement » (§ 21 de la déclaration). Ces formules résonnent bien comme un programme libéral, obérant les choix souverains de l'État à venir et exigeant — de manière apparemment incongrue, mais en réalité significative — un contrôle sur la liberté d'expression.

Dans la même veine, résolument inquiétante, le texte envisage la fin de l'action de l'UNRWA, l'Agence onusienne en charge des réfugiés palestiniens, puisque celle-ci devrait « remettre ses “services publics” dans le territoire palestinien aux institutions palestiniennes dûment habilitées et préparées ». Ceci interviendra « lorsqu'une solution juste au problème des réfugiés » aura été trouvée (§ 14 de la déclaration), dans un « cadre régional et international apportant une aide appropriée au règlement de la question des réfugiés, tout en réaffirmant le droit au retour » (§ 39 de la déclaration). La formule, particulièrement floue, n'envisage pas de mettre en œuvre ou faciliter le droit au retour. Elle ne vise probablement que la compensation due en cas de non-retour, sur la base de la résolution 194 de l'Assemblée générale de décembre 1948.

Cet ensemble de principes semble bien soutenir en partie l'agenda israélien, qui, comme le souligne Monique Chemillier-Gendreau dans son dernier ouvrage, est de « rendre impossible un État palestinien » (3). Il s'agit de rendre impossible un État souverain, en soutenant une entité sous contrôle, un État privé des attributs essentiels de la souveraineté. D'ailleurs, en matière sécuritaire, l'État à venir devra, « dans le rejet constant de la violence et du terrorisme », « travailler à des arrangements de sécurité bénéfiques pour toutes les Parties », en l'occurrence Israël (§ 20 de la déclaration). C'est donc le prolongement de la coopération sécuritaire de l'Autorité palestinienne avec Israël qui conditionnera le déploiement de la « mission internationale temporaire de stabilisation » annoncée dans la déclaration. Cette mission, comprenant des forces armées, viendrait faciliter le respect du cessez-le-feu et de l'accord de paix à venir, en apportant des « garanties de sécurité à la Palestine et à Israël » (§ 16 de la déclaration). Elle devrait être mandatée par le Conseil de sécurité, ce qui apparaît totalement illusoire et omet le rôle que pourrait tenir l'Assemblée générale dans le déploiement d'une opération visant à forcer le siège de Gaza.

Tels sont les principes qui sont présentés à l'ensemble des États membres de Nations unies : ils relèvent d'une ingénierie politique vouée soit à l'échec, soit à la soumission.

Condamnation de la lutte armée, innocence d'Israël

Mais une version encore plus radicale de ce programme, annonçant l'effacement des responsabilités d'Israël, est également présentée par plusieurs États lançant, fin juillet 2025, un « Appel de New York ». Il s'agit d'une brève déclaration de quinze États occidentaux, parmi lesquels on trouve étonnamment l'Espagne, l'Irlande et la Slovénie (4). Cet appel vient, de manière quasi indécente, effacer la réalité des crimes commis par Israël et stigmatiser la lutte armée palestinienne.

L'appel commence par une référence au 7 octobre 2023, les États condamnant « l'odieuse attaque terroriste antisémite perpétrée ». Ils reprennent ainsi d'emblée la rhétorique israélienne, assimilant la lutte armée palestinienne à une entreprise visant, par nature, les juifs. S'agissant de la situation humanitaire contemporaine à Gaza, les États se limitent en revanche à exprimer « une vive préoccupation », sans imputer à quiconque la responsabilité « du nombre élevé de victimes civiles » (sic). Ce qui est soutenu immédiatement, pour Gaza, est beaucoup plus favorable à Israël que l'accord de cessez-le-feu pourtant présenté par les États-Unis au printemps 2024, et validé par le Conseil de sécurité avant d'être rompu par Israël en mars 2025. Les quinze États de l'appel de New York se contentent d'exiger « un cessez-le-feu immédiat, la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages détenus par le Hamas et la restitution de leurs dépouilles, ainsi que la garantie d'un accès humanitaire sans entraves ». Il n'est pas ici question d'échanges de prisonniers, ni du retrait de la bande de Gaza par Israël ou de la fin du siège génocidaire. Il s'agit plutôt d'une demande de reddition, teintée de considérations humanitaires, puisque le « jour d'après » à Gaza devra comprendre « le désarmement du Hamas ».

En définitive, l'appel de New York n'est pas un appel à la reconnaissance de la Palestine, dont on peut rappeler qu'elle est déjà reconnue par 148 États et considérée comme un État non membre de l'ONU depuis 2012. Il s'agit, littéralement, d'un appel à la normalisation, c'est-à-dire à la reconnaissance d'Israël par ceux des États qui ne l'ont pas encore formellement reconnu. Les quinze signataires affirment sans ambiguïté, en fin de texte, appeler « les pays qui ne l'ont pas encore fait à établir des relations normales avec Israël et à exprimer leur volonté d'entamer des discussions concernant l'intégration régionale de l'État d'Israël ». Les relations avec Israël doivent donc être « normales », alors même que des sanctions ont été soutenues, comme on l'a rappelé, par la CIJ puis l'Assemblée générale, en raison des violations patentes de normes fondamentales du droit international par cet État. Ces violations devraient plutôt conduire à envisager d'exclure Israël de l'ONU ou des travaux de son organe plénier. Dans l'appel, le soutien à la Palestine est, à l'inverse, étroitement conditionné aux engagements pris par Mahmoud Abbas qui sont dûment rappelés, comme dans la déclaration de New York évoquée ci-dessus. Les États « saluent » ainsi :

  1. les engagements pris (…), à savoir : (i) condamner les attaques terroristes du 7 octobre (ii) appeler à la libération des otages et au désarmement du Hamas (iii) mettre un terme au système de versements aux prisonniers (iv) réformer le système éducatif (v) demander l'organisation d'élections dans l'année à venir pour insuffler un renouvellement des générations et (vi) accepter le principe d'un État de Palestine démilitarisé.

Dans l'appel, comme dans la déclaration, toute référence au génocide en cours est proscrite. Il n'y est même jamais question des ordonnances de la CIJ visant Israël ou l'Allemagne, et rappelant tous les États Parties à la Convention de 1948 à leurs obligations de prévenir ou de faire cesser le génocide.

Effacer les acquis judiciaires de 2024

La validation par l'Assemblée générale des Nations unies de la déclaration de New York scellerait donc une nouvelle trahison de la Palestine. Basée sur l'illusion prolongée d'une possible acceptation par Israël d'un État palestinien, elle préconise aussi une méthode éculée, celle de la négociation bilatérale sous influence occidentale. Il s'agit en effet de « soutenir la conclusion et la mise en œuvre d'un accord de paix entre Israël et la Palestine (…) conformément au mandat de Madrid, notamment le principe de l'échange de territoires contre la paix » (§ 7 de la déclaration). En l'absence de négociations entre les Parties, c'est la reconnaissance conditionnée de la Palestine qui devrait initier la solution politique promue (§ 25 de la déclaration).

Mais doit-on finalement parler d'illusion ? À ce stade génocidaire de l'oppression des Palestiniens, il ne s'agit plus seulement « d'illusions néfastes »,, mais d'un « aveuglement volontaire » prospérant sur une « ambiguïté entretenue » de soutien à la Palestine, des tendances déjà dénoncées par Monique Chemillier-Gendreau (5), et qui ne trompent plus. Le projet franco-saoudien est bien la dernière étape, à ce jour, de la « guerre contre la Palestine » décrite par l'historien Rashid Khalidi (6). En plus de l'effacement des obligations de prévenir et faire cesser le génocide, les sanctions devant être adoptées par les États pour mettre fin à l'occupation sont minimisées (§§ 32 et 33 de la déclaration). Et si le droit à l'autodétermination est bien évoqué dans la déclaration (§§ 25 et 30), son essence est profondément affectée par l'ingénierie retenue : pas de souveraineté politique ni économique pour l'État à venir, pas de capacités de défense, mais un système de police visant à assurer la sécurité d'Israël. C'est le prolongement d'Oslo, c'est-à-dire la garantie de l'inexistence d'un gouvernement palestinien indépendant. Certes, le projet ne consacre pas directement l'expansionnisme israélien ni le génocide de Gaza : c'eût été impossible. Mais il n'envisage jamais la responsabilité juridique d'Israël. En somme, on peut sérieusement affirmer que les promoteurs de la Conférence de New York ont cherché à effacer l'acquis judiciaire de l'année 2024. Ils n'ont pas plus l'intention de favoriser une autodétermination réelle qu'ils n'ont l'intention de forcer Israël à mettre un terme à son occupation illicite et au génocide, ou de mettre en œuvre la responsabilité de cet État.

L'Assemblée générale des Nations unies acceptera-t-elle en septembre 2025, contre ses propres résolutions, d'effacer le droit international dit par la CIJ en 2024 ? Il faudrait alors reconsidérer le sens que l'Assemblée générale a, un temps, donné à sa « responsabilité permanente » s'agissant de la Palestine, et admettre qu'elle soutient désormais, en situation de génocide, une injustice majeure, sous couvert de la reconnaissance d'un État palestinien fantoche. Les peuples doivent exiger de leurs gouvernements qu'ils ne contribuent pas à cet enterrement du droit international.

Notes

1- Il s'agit du Brésil, du Canada, de l'Égypte, de l'Espagne, de l'Indonésie, de l'Irlande, de l'Italie, du Japon, de la Jordanie, du Mexique, de la Norvège, du Qatar, du Royaume-Uni, du Sénégal et de la Turquie.

2- Lettre du 29 juillet 2025 : « Les 19 coprésidents encouragent votre mission permanente à approuver ce document final avant la fin de la 79e session de l'Assemblée générale à New York ».

3- Monique Chemillier-Gendreau, Rendre impossible un État palestinien, l'objectif d'Israël depuis sa création, Textuel, 2025.

4- Les quinze sont : Andorre, Australie, Canada, Espagne, Finlande, France, Irlande, Islande, Luxembourg, Malte, Norvège, Nouvelle-Zélande, Portugal, Saint-Marin, Slovénie.

5- Monique Chemillier Gendreau, op.cit.

6- Rashid Khalidi, The Hundred years' war on Palestine, Profile Books, 2020.

La raison sinistre pour laquelle Trump brûle d’envie d’invoquer la Loi sur l’insurrection

14 octobre, par Natasha Lennard — , ,
Rêve de tout autoritaire, la loi sur l'insurrection est mûre pour être détournée, et le cabinet de Trump prépare déjà les arguments qui justifieront son utilisation. 7 (…)

Rêve de tout autoritaire, la loi sur l'insurrection est mûre pour être détournée, et le cabinet de Trump prépare déjà les arguments qui justifieront son utilisation.

7 octobre 2025 | tiré d'intercept | Photo : Le président américain Donald Trump, à gauche, et Doug Burgum, secrétaire à l'Intérieur des États-Unis, dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche à Washington, le lundi 6 octobre 2025. Trump a annulé une décision de l'administration Biden qui bloquait la construction du projet Ambler Road en Alaska, une mesure qu'il a présentée comme un moyen d'ouvrir de nouveaux projets énergétiques et miniers « essentiels ». Aaron Schwartz/CNP/Bloomberg via Getty Images
https://theintercept.com/2025/10/07/trump-insurrection-act/?utm_medium=email&utm_source=The%20Intercept%20Newsletter

Le président Donald Trump a laissé entrevoir lundi après-midi une dangereuse escalade, menaçant d'invoquer la Loi sur l'insurrection pour envoyer l'armée dans les villes américaines, si des juges récalcitrants et des dirigeants d'États continuaient à contrecarrer ses ambitions d'attaquer et d'occuper les États « bleus ».

« Nous avons une Loi sur l'insurrection pour une raison », a déclaré Trump aux journalistes dans le Bureau ovale. « Si je devais la mettre en œuvre, je le ferais — si des gens étaient tués et que les tribunaux nous bloquaient, ou que des gouverneurs ou des maires nous bloquaient. »

Ses propos montrent clairement la forme que prend son projet autoritaire : déployer l'armée dans des villes américaines. Trump a précisé qu'il ne voyait pas, pour l'instant, la nécessité immédiate d'invoquer cette loi fédérale. Mais ses déclarations montrent bien ses intentions : envoyer les troupes dans les villes libérales après qu'un juge fédéral lui a interdit de déployer des soldats à Portland, en Oregon.

Comme tant d'autres prises de pouvoir de son régime, cette menace est à la fois choquante et prévisible.

Il veut ardemment l'utiliser

L'intérêt de Trump pour la Loi sur l'insurrection n'est pas nouveau. Il avait déjà envisagé de l'invoquer lors de son premier mandat. Il brûlait d'envie de s'en servir pour envoyer l'armée écraser les soulèvements de 2020 après le meurtre de George Floyd, mais avait alors fait face à l'opposition de son secrétaire à la Défense de l'époque, Mark Esper. Plus aucun obstacle de ce genre aujourd'hui : le président compte sur la loyauté aveugle de Pete Hegseth, son actuel « secrétaire de la guerre ».

Des alliés de Trump avaient également appelé le président à recourir à cette loi pour se maintenir illégalement au pouvoir après l'élection de 2020. Et pendant sa campagne présidentielle de 2024, Trump avait promis d'utiliser la Loi sur l'insurrection pour réprimer les troubles et la dissidence.

Préparer le terrain

Depuis le début de son second mandat, ses conseillers et ses collaborateurs s'emploient à préparer l'opinion à cette éventualité, afin que les partisans de MAGA acceptent sans broncher un nouveau geste ouvertement dictatorial.

Ce n'est pas un hasard si plusieurs membres de son cabinet ont utilisé à répétition les termes « insurrection » et « insurrectionnistes » pour qualifier les manifestant⸱es qui s'opposent aux opérations de type Gestapo menées par le service de l'immigration et des douanes (ICE). Et Stephen Miller, l'architecte sinistre de la machine de déportation de Trump, a qualifié la décision de la juge fédérale de l'Oregon de « rébellion juridique ».

Tel un sortilège, ils invoquent le mot « insurrection » pour faire exister le concept — et ainsi justifier l'usage de la Loi sur l'insurrection, même lorsque rien de tel n'existe dans la réalité.

« L'administration Trump suit toujours le même scénario : provoquer le chaos, créer la peur et la confusion, faire passer des manifestant⸱es pacifiques pour une foule déchaînée en leur tirant dessus avec des balles de gaz et des grenades lacrymogènes », a déclaré lundi JB Pritzker, gouverneur démocrate de l'Illinois, où les troupes fédérales de Trump sèment déjà le désordre à Chicago. « Pourquoi ? Pour créer le prétexte d'invoquer la Loi sur l'insurrection afin d'envoyer l'armée dans notre ville. »

Une loi taillée pour les abus

La loi elle-même semble faite sur mesure pour être détournée par un autocrate comme Trump.
Les juristes mettent en garde depuis longtemps contre ce texte vieux de deux siècles, dangereusement large et en urgence de réforme, précisément parce qu'il constitue un outil parfait pour un président aux penchants dictatoriaux.

D'abord, cette loi confère un pouvoir discrétionnaire immense au seul président, qui peut décider qu'une « insurrection » a lieu sur le territoire américain et déployer les forces armées contre la population. Elle constitue aussi l'une des rares exceptions à la Loi Posse Comitatus, qui interdit aux forces armées fédérales d'intervenir dans des opérations de maintien de l'ordre civil.

Une relique historique dévoyée

Si, comme l'a dit Trump lundi, il y a « une raison » d'avoir cette loi, elle est purement historique et n'a guère de rapport avec la situation actuelle. Issue du Militia Act de 1792, et adoptée pour la première fois en 1807, la Loi sur l'insurrection « n'a pas été révisée de manière significative depuis plus de 150 ans, elle est dangereusement vague et propice aux abus », écrit Joseph Nunn du Brennan Center for Justice.

Son langage flou est un cadeau pour un président animé d'intentions despotiques : elle autorise l'exécutif fédéral à déployer des troupes pour réprimer « toute insurrection, violence intérieure, association illégale ou conspiration » dans un État qui « s'oppose à l'exécution des lois des États-Unis ou entrave la justice en vertu de ces lois ».

« Rien dans le texte de la Loi sur l'insurrection ne définit les termes “insurrection”, “rébellion”, “violence intérieure” ou les autres expressions clés qui en fixent les conditions d'application », précise Nunn. « En l'absence d'une définition légale, la Cour suprême a décidé dès le XIXe siècle que cette décision relevait du seul président. »

Créer le prétexte

La crainte que Trump invoque cette loi pour prendre le contrôle des villes dirigées par les démocrates est loin d'être exagérée. Nos villes sont déjà occupées par une armée fédérale de nervis — l'ICE — chargée d'enlever et d'emprisonner nos voisin⸱es, en plus des violences policières ordinaires. Trump a déjà fédéralisé et déployé la Garde nationale à Los Angeles et à Washington, des excès qui font déjà l'objet de contestations judiciaires.

Et la situation pourrait bien empirer encore.

Invoquer la Loi sur l'insurrection ne transformerait pas du jour au lendemain la démocratie américaine en régime fasciste : ce serait plutôt l'extension d'un fascisme déjà existant, un outil supplémentaire permettant au président d'intensifier la répression de la dissidence.

Il est tentant d'appeler les manifestant⸱es à éviter tout prétexte à l'escalade. Ce serait une erreur tragique. Même Pritzker reconnaît que c'est le régime présidentiel lui-même qui « créera le prétexte », quelle que soit la nature pacifique des manifestations.

Dans l'imaginaire trumpiste — nourri du mythe d'un vaste réseau criminel de gauchistes financé⸱es — aucun vrai prétexte n'est nécessaire pour approfondir la fusion de l'État policier et militaire.

En statuant que la prétendue menace grave contre les agents fédéraux n'était fondée sur aucune réalité, la juge Karin Immergut a affirmé que Trump ne pouvait ignorer les faits sur le terrain.
Mais les propos du président lundi ont montré qu'il a pleinement l'intention de le faire.

C'est encore pire qu'on ne le pensait

Ce que nous voyons aujourd'hui de Donald Trump, c'est une prise de contrôle autoritaire totale du gouvernement américain. Ce n'est pas une exagération.

Les ordonnances judiciaires sont ignorées. Les loyalistes MAGA ont été placés à la tête de l'armée et des agences fédérales. Le Département de l'efficacité gouvernementale a retiré au Congrès son pouvoir budgétaire. Les médias qui osent contester Trump ont été bannis ou placés sous enquête.

Et pourtant, beaucoup continuent de traiter l'attaque de Trump contre la démocratie comme s'il s'agissait de politique ordinaire, avec des titres complaisants le décrivant comme « anticonformiste », « testant les limites » ou « exerçant son pouvoir de manière agressive ».

The Intercept couvre depuis longtemps les régimes autoritaires, les oligarques milliardaires et les démocraties en déliquescence dans le monde entier. Nous savons le défi que représente Trump — et l'importance vitale de la liberté de la presse pour défendre la démocratie.

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États-Unis : Contre le nouveau maccarthysme - Construire la résistance après l’assassinat de Kirk

14 octobre, par Ashley Smith — , ,
Ayant perdu le consentement des gouverné.e.s, Trump a recours à la coercition pour mettre en œuvre son programme d'extrême droite. Il a saisi l'occasion de l'assassinat de (…)

Ayant perdu le consentement des gouverné.e.s, Trump a recours à la coercition pour mettre en œuvre son programme d'extrême droite. Il a saisi l'occasion de l'assassinat de Charlie Kirk et utilisé ses funérailles pour lancer une chasse aux sorcières maccarthyste contre la gauche et les organisations libérales. Ashley Smith soutient que la gauche doit rejeter à la fois le piège de la civilité dans lequel sont tombés les Libéraux et les Démocrates, qui ne fait que légitimer le fanatisme de Kirk en faisant croire que c'est une question qui relève du débat, mais aussi l'impasse de la violence individualiste. La tâche des socialistes consiste à promouvoir et à développer la capacité d'organiser des actions collectives, des manifestations et des grèves afin de faire avancer les revendications démocratiques.

30 septembre 2025 | tiré d'europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76513

L'administration Trump est en train de détruire l'ordre national et international mis en place par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Elle tente une mutation autoritaire et nationaliste à grande échelle de notre société, de l'État américain et de sa position dans l'ordre international.

Mais elle se heurte à une opposition croissante de la majorité de la population américaine. Ayant perdu le consentement des gouverné.e.s, Trump a recours à la coercition pour mettre en œuvre son programme d'extrême droite. Il a saisi l'occasion de l'assassinat de Charlie Kirk et a utilisé ses funérailles pour lancer une chasse aux sorcières maccarthyste contre la gauche et les organisations libérales, en particulier les ONG qui ont joué un rôle central dans la résistance.

Malgré la perte du soutien populaire, dans un contexte économique morose marqué par des inégalités croissantes entre les classes et une oppression de plus en plus forte, l'administration Trump est plus dangereuse que jamais. Elle a clairement affiché son intention de recourir à des moyens encore plus dictatoriaux pour imposer son programme. N'oublions pas que Trump a promis d'être un dictateur dès le « premier jour » de sa présidence.

Face à cette offensive, la gauche doit militer en faveur d'un front uni des syndicats, des organisations de mouvements sociaux et des groupes politiques afin de défendre toutes les personnes attaquées. Nous devons rechercher activement des occasions de mettre en place ce type d'organisation. Par exemple, la gauche devrait soutenir l'appel de la coalition May Day Strong à organiser des rencontres pour informer, former et organiser des actions de masse perturbatrices, notamment des grèves politiques visant à protéger nos droits démocratiques, ainsi que nos emplois, nos salaires et nos prestations sociales.

Trump : autoritaire, incompétent et impopulaire

Dès avant l'assassinat de Kirk, le régime de Trump était en crise. Sa tentative de mettre en œuvre le programme de Project 2025 s'est heurtée à une opposition croissante, non pas de la part des Démocrates et des grandes entreprises, mais dans les sondages d'opinion et les manifestations de masse.

Dans l'ensemble, 57 % des personnes interrogées désapprouvent Trump et 62 % pensent que le pays va dans la mauvaise direction, ce qui constitue un niveau historiquement bas pour un président à ce stade de son mandat. La majorité s'oppose même à lui sur ses deux thèmes phares : l'immigration et l'économie. Elle désapprouve également les droits de douane imposés par Trump, son soutien à la guerre génocidaire menée par Israël et son abandon de l'Ukraine. Cette opposition massive a poussé la population à manifester en masse, de Hands Off ! à May Day, No Kings, Labor Day, en passant par des mobilisations de masse contre l'ICE et la Garde nationale dans plusieurs villes des États-Unis.

Néanmoins, Trump a poursuivi à toute vitesse la mise en œuvre de son programme autoritaire. À l'étranger, il a bafoué l'ordre international prétendument fondé sur des règles, traitant ses amis et ses ennemis sur le mode des relations d'affaires et imposant des droits de douane censés profiter au capital américain. Il a également vendu l'Ukraine à la Russie tout en donnant son feu vert au génocide israélien en Palestine, et en faisant campagne pour obtenir le prix Nobel de la paix.

Sur le plan intérieur, Trump a purgé l'État américain des bureaucrates libéraux, a utilisé ses structures réorganisées comme une arme contre les travailleurs et les groupes opprimés, et a lancé une guerre des classes totale : réduction des impôts pour les milliardaires, démantèlement des réglementations sur les entreprises et suppression des programmes destinés aux travailleurs et aux pauvres. Cela a plongé dans le chaos une société déjà en crise, en proie à des inégalités sociales et de classe héritées de « l'âge d'or », avec tous les maux qui en découlent.

La combinaison des droits de douane, de l'expulsion massive des travailleuses et travailleurs migrants et des revirements politiques brutaux a produit les résultats prévus : pénurie de main-d'œuvre, hausse des prix, baisse des investissements dans le secteur manufacturier et ralentissement économique menant à une récession. Le cauchemar de la stagflation qui a frappé le capitalisme américain dans les années 1970 semble sur le point de revenir.

Les assauts de l'administration contre la bureaucratie d'État menacent sa capacité à assurer de manière adéquate les services économiques et sociaux essentiels. Les coupes budgétaires de DOGE ont fait des ravages dans des organismes tels que la National Oceanic and Atmospheric Administration, qui émet des alertes précoces en cas d'ouragan, mettant ainsi en danger la vie des gens dans un contexte de catastrophes climatiques croissantes. Et les attaques de Robert Kennedy Jr. contre la science, les Centres de contrôle et de prévention des maladies et les protocoles de vaccination mettent en danger la vie de millions de personnes.

Le « Big Beautiful Bill » de Trump menace de plonger l'État dans une crise budgétaire. Il va faire grimper les dépenses, en particulier celles du Pentagone et de l'ICE, tout en réduisant les recettes grâce à des réductions d'impôts pour les riches. Ces mesures ne peuvent qu'entraîner des mesures d'austérité de la part du gouvernement actuel et des gouvernements futurs, quel que soit le parti capitaliste au pouvoir.

Toutes les institutions sociales sont dans le collimateur du régime, en particulier l'enseignement supérieur, où des institutions phares comme Harvard, qui forment l'élite dirigeante qui fournit les cadres des grandes entreprises et de l'État, ont été privées de financement et soumises à des purges politiques.

Et un nombre croissant de villes, à commencer par Los Angeles et Washington D.C., ont subi le déploiement de l'ICE et de la Garde nationale pour mener la guerre raciste de Trump contre les migrant.e.s, mettre fin à une vague de criminalité imaginaire et servir de provocateurs pour justifier une répression accrue.

Impopulaire, divisé en factions et empêtré dans la crise Epstein

Cette stratégie du tout ou rien ne s'est pas seulement retournée contre le régime de Trump et son programme national et international. La coalition Trump a commencé à se fracturer en conflits factionnels, dont le meilleur exemple est le divorce amer du président avec Elon Musk. D'autres divisions ont commencé à apparaître sur tous les sujets, du Big Beautiful Bill à la politique étrangère. Mais le conflit le plus important a été celui des révélations sur la relation de longue date entre Trump et Jeffrey Epstein, pédophile et trafiquant sexuel condamné. Tout cela a plongé la base MAGA dans la tourmente.

Trump lui-même a alimenté cette folie en promettant, pendant la campagne électorale, de divulguer la liste des clients d'Epstein. Mais après que sa procureure générale Pam Bondi lui eut dit qu'il était cité dans les dossiers, il en a bloqué la divulgation. Se sentant trahis, les dirigeants du MAGA, comme Marjorie Taylor Greene, ont dénoncé Trump, Bondi et le directeur du FBI Kash Patel, dont les facultés mentales sont altérées.

Les fidèles du MAGA ont même perturbé le sommet Turning Point USA Student Action Summit de Charlie Kirk pour exiger la publication de la liste des clients. Désespérant de détourner l'attention du scandale qui prenait de l'ampleur, Trump a multiplié les actions de type « Agitation autour d'un faux problème » destinées à galvaniser à nouveau sa base, allant d'attaques terroristes de canots à moteur au large des côtes du Venezuela à des menaces de déploiement de la Garde nationale à Chicago et Memphis.

L'assassinat de Kirk : un cadeau politique à Trump

Au milieu de cette crise, l'assassinat de Charlie Kirk a été un cadeau politique offert à Trump et à son régime. Trump en a profité pour galvaniser les factions d'extrême droite, transformant les funérailles de Kirk en un rassemblement politique d'extrême droite afin d'annoncer une guerre sainte pour venger sa mort.

Devant plus de 100 000 personnes réunies et des millions de téléspectateurs, Trump, Vance et le chef de cabinet adjoint Stephen Miller ont déchaîné la foule. Alors que les participant.e.s brandissaient des pancartes « Never Surrender » (Ne jamais capituler), Miller a déclaré la guerre à « nos ennemis » avec une « armée » prête à se battre pour « sauver cette civilisation, sauver l'Occident, sauver cette république » et « vaincre les forces des ténèbres et du mal ».

Alors que la veuve de Kirk a pardonné au tireur présumé, Trump l'a contredite (lors des funérailles de son mari !) : « Je déteste mes adversaires et je ne leur souhaite pas le meilleur. » La dernière chose que Trump souhaite, c'est la réconciliation ; il veut se venger de la perte d'un de ses guerriers sacrés.

Kirk n'était pas un propagandiste ordinaire exerçant son droit au premier amendement pour participer à des débats sur les campus universitaires. Comme le démontre Ta-Nehisi Coates, il utilisait le « débat » comme couverture pour répandre le racisme, le sexisme, la transphobie, l'antisémitisme, l'islamophobie, la xénophobie et toutes les autres formes imaginables de fanatisme envers les opprimé.e.s.

Il a traité George Floyd de « salaud », dénoncé Martin Luther King comme « épouvantable », déclaré que la loi sur les droits civiques était « une énorme erreur », défendu la « théorie du grand remplacement » raciste selon laquelle les Démocrates remplacent les Blancs par des immigrants de couleur, et promis que Trump « libérerait » le pays de « l'occupation ennemie par des hordes d'étrangers ». Kirk a également proclamé que « les donateurs juifs ont été les principaux bailleurs de fonds des politiques radicales en faveur de l'ouverture des frontières, néolibérales et quasi-marxistes, des institutions culturelles et des organisations à but non lucratif. C'est un monstre créé par les juifs laïques ».

Kirk a créé son groupe, Turning Point USA, doté d'un budget de 80 millions de dollars et fort de 250 000 adhérent.e.s étudiant.e.s, dans le but d'intimider et de faire pression, en particulier sur les enseignant.e.s. Il a créé la Liste de surveillance des professeur.e.s et encouragé ses membres à signaler et dénoncer les enseignant.e.s qui « font de la discrimination envers les étudiant.e.s conservateur.rice.s et font la promotion de la propagande de gauche dans leurs cours ».

Kirk a également approuvé et organisé des violences. Par exemple, il a encouragé des groupes d'hommes à former une chaîne pour bloquer l'accès à la piscine à la nageuse transgenre Lia Thomas, en lui disant : « Hé, gros dur, tu veux entrer dans la piscine ? Eh bien, tu devras d'abord te frayer un chemin à travers nous. »

Il a exigé que Joe Biden soit « emprisonné et/ou condamné à mort pour ses crimes contre l'Amérique ». Et il a affirmé que la nouvelle administration Trump utiliserait le pouvoir de l'État pour réprimer la dissidence, avertissant que « la récréation est terminée. Et si un démocrate se met en travers de notre chemin, eh bien, Matt Gaetz pourrait très bien vous arrêter ».

Il a soutenu Kyle Rittenhouse, un milicien raciste qui a tué deux personnes et en a blessé une autre lors d'une manifestation Black Lives Matter à Kenosha, dans le Wisconsin. Kirk l'a qualifié de « héros pour des millions de personnes » lors de la conférence d'extrême droite AmericaFest.

En outre, il a apporté son soutien à la tentative de Trump de revenir sur les résultats de l'élection de 2020 le 6 janvier. Il s'est vanté de ce que Turning Point « envoyait plus de 80 bus remplis de patriotes à Washington pour se battre pour ce président ».

Kirk était plus qu'un simple homme de main idéologique et un organisateur au service de Trump ; il était de facto un élément constitutif du régime, profondément intégré dans les opérations quotidiennes de la Maison Blanche. Trump le considérait comme un conseiller loyal quilui était resté fidèle après l'insurrection manquée, l'avait aidé à attirer 46 % des votes des jeunes et l'avait aidé à remporter la présidence pour la deuxième fois. J.D. Vance a même attribué à Kirk le mérite d'avoir obtenu sa nomination à la vice-présidence.

Trump a tenu la « gauche radicale » pour responsable de la violence politique et même de l'assassinat de Kirk. Ce n'est pas le cas. En réalité, comme le montrenr même les documents du CATO Institute, l'extrême droite, qu'elle soit organisée ou non, est la principale source de violence politique. Mais Trump a cyniquement ignoré ces faits, sans même mentionner les attentats contre des Démocrates, notamment le meurtre de deux personnalité politiques dans le Minnesota.

L'affirmation de Trump selon laquelle il lutte contre la violence politique dégage l'odeur puante de l'hypocrisie. Son régime est, pour reprendre une expression de Martin Luther King, « le plus grand pourvoyeur de violence dans le monde aujourd'hui » ; il a paraphé un budget de mille milliards de dollars pour le Pentagone, lancé des attaques terroristes d'État contre des bateaux vénézuéliens, donné son feu vert et armé le génocide israélien en Palestine, embauché des milliers de nouveaux agents de l'ICE pour détenir et expulser les immigrant.e.s, et déployé des troupes pour réprimer les Noirs et les personnes de couleur à Los Angeles et à Washington.

L'escalade du nouveau maccarthysme

Même avant l'assassinat de Kirk, Trump avait déjà entamé une purge des institutions et des espaces dans lesquels travaillent les organisations de gauche et libérales. Ce faisant, Trump s'appuie sur ce qu'ont accompli l'administration Biden, les dirigeants universitaires libéraux et les entreprises qui ont lancé le nouveau maccarthysme en réprimant les militant.e.s solidaires de la Palestine sur les campus et sur les lieux de travail dans tout le pays.

Trump a aggravé ce que les Démocrates avaien engagé en envoyant des agents de l'ICE pour appréhender, placer en détention et tenter d'expulser des militant.e.s tels que Mahmoud Khalil, Rumeysa Ozturk et Mohsen Mahdawi. Il a utilisé le prétexte de l'antisémitisme pour priver les universités de financement, les contraindre à suspendre et à licencier des enseignant.e.s, et à remanier leurs cursus pour les conformer à son programme d'extrême droite. Après l'assassinat, Trump a fait passer ce maccarthysme à la vitesse supérieure.

L'hypocrisie de ces attaques est ahurissante. Dans son discours d'investiture, Trump avait promis de « mettre immédiatement fin à toute censure gouvernementale et de rétablir la liberté d'expression en Amérique » ; il avait annoncé que « jamais plus l'immense pouvoir de l'État ne serait utilisé comme une arme pour persécuter les opposants politiques ».

En dépit de ces engagements, Trump a déclaré la guerre à la gauche, menaçant de « faire la peau » aux « cinglés de la gauche radicale », dont « la rhétorique est responsable du terrorisme que nous connaissons aujourd'hui dans notre pays ». Il a promis : « Nous allons régler ce problème ». Il a étrangement pointé du doigt Antifa, qui n'est pas un groupe et qui existe à peine en tant que mouvement, et l'a désigné comme une menace terroriste, prélude à une attaque contre toutes les organisations progressistes.

Stephen Miller est allé jusqu'à affirmer que la gauche était à l'origine d'un « vaste mouvement terroriste national » et a brandi la menace suivante : « Nous allons utiliser toutes les ressources dont nous disposons [...] au sein du gouvernement pour identifier, désorganiser, démanteler et détruire ces réseaux. »

Le vice-président J.D. Vance a élargi la liste des cibles pour y inclure les organisations libérales, en particulier celles qui sont soutenues par la Fondation Ford et George Soros, qui, selon lui, bénéficient d'un « traitement fiscal généreux ». Il s'est emporté : « Nous allons nous attaquer au réseau d'ONG qui fomente, facilite et commet des actes de violence. »

Le secrétaire d'État Marco Rubio a déclaré que « des révocations de visas sont en cours » pour les visiteurs, les travailleurs et les étudiants étrangers qui « applaudissent l'assassinat public d'une personnalité politique ». Il a averti ceux qui seront reconnus coupables par son » cabinet secret » personnel : « Préparez-vous à être expulsés. Vous n'êtes pas les bienvenus dans ce pays. »

Dans une intervention diffusée sur le podcast de Charlie Kirk, Vance a appelé les gens à s'espionner et à se dénoncer mutuellement auprès de l'État et de leurs patrons. « Si vous voyez quelqu'un se réjouir du meurtre de Charlie, dénoncez-le », a-t-il déclaré avec rage. « Et bon sang, appelez son employeur. Nous ne croyons pas à la violence politique, mais nous croyons à l'esprit civique, et il n'y a rien de civique dans le fait de se réjouir d'un assassinat politique. »

Ainsi, l'extrême droite, qui a fait campagne contre la prétendue « culture de l'annulation » et utilisé la liberté d'expression comme couverture pour son intolérance, son harcèlement et sa campagne d'intimidation contre les groupes opprimés, utilise désormais le pouvoir de l'État pour censurer, licencier et réduire au silence ses opposant.e.s. Trump a déjà publié un décret qui désigne Antifa comme « organisation terroriste nationale ».

Ce n'est que le début d'une attaque contre tous les membres de la résistance et l'ensemble de la population. Tous nos droits démocratiques sont désormais menacés.

Les socialistes s'opposent au terrorisme

Face à la déclaration farfelue de Trump selon laquelle la gauche serait responsable de l'assassinat de Kirk, nous devons affirmer très clairement qu'aucun groupe organisé de gauche et aucune organisation libérale ne soutient les actes de terrorisme individuels et qu'ils ne cautionnent certainement pas le meurtre de Kirk. Il s'agit d'un mensonge qui ne trouve nulle part de confirmation factuelle.

En tant que socialistes, nous prônons l'organisation collective, les manifestations et les grèves pour faire progresser nos revendications démocratiques. Nous mettons en œuvre ce potentiel populaire pour obtenir des réformes immédiates et renforcer la confiance en elle des masses laborieuses afin qu'elles exigent davantage de nos dirigeants. Le socialisme vise fondamentalement à approfondir nos droits démocratiques collectifs.

Les actes terroristes individuels ne font pas avancer un tel mouvement, mais le font plutôt reculer. Les bureaucrates d'État, les patrons d'entreprise et les fanatiques d'extrême droite sont tous remplaçables. Et les pouvoirs en place utiliseront ces meurtres pour lancer des campagnes de répression comme celle que nous subissons actuellement.

Comme l'a écrit Léon Trotsky, « l'État capitaliste ne repose pas sur les ministres du gouvernement et ne peut être éliminé avec eux. Les classes qu'il sert trouveront toujours de nouvelles personnes ; le mécanisme reste intact et continue de fonctionner ».

«

Mais le désordre introduit dans les rangs des masses laborieuses elles-mêmes par une tentative terroriste est beaucoup plus profond. S'il suffit de s'armer d'un pistolet pour atteindre son objectif, pourquoi faire des efforts dans la lutte des classes ? Si une pincée de poudre à canon et un petit morceau de plomb suffisent pour transpercer le cou de l'ennemi, pourquoi a-t-on besoin d'une organisation de classe ? S'il est pertinent de terrifier les personnalités haut placées par le fracas des explosions, pourquoi a-t-on besoin de parti ? Pourquoi organiser des réunions, des campagnes de masse et des élections si l'on peut si facilement viser le banc des ministres depuis la tribune du parlement ?

»

À nos yeux, le terrorisme individuel est inadmissible précisément parce qu'il minimise le rôle des masses dans leur propre conscience, les résigne à leur impuissance et tourne leurs regards et leurs espoirs vers un grand vengeur et libérateur qui viendra un jour accomplir sa mission.

"

Dans le cas de l'assassinat de Charlie Kirk, le tireur présumé, Tyler Robinson, n'avait aucun lien avec la gauche organisée ou les organisations libérales. Il n'avait pas été formé aux idées radicales par des professeurs de gauche, ayant abandonné ses études après un semestre dans l'une des écoles les plus conservatrices du pays, l'Utah State University.

Il a grandi dans une famille mormone conservatrice, avec à sa tête un père « fervent partisan de MAGA », imprégnée de la culture des armes à feu de l'extrême droite. Ce milieu intolérant et violent a piégé Robinson dans une horrible contradiction entre son environnement politique d'extrême droite et sa relation avec son partenaire en transition.

Cela semble l'avoir poussé à tuer Kirk, admettant « en avoir assez de sa haine ». Ces conditions n'excusent ni ne justifient bien sûr le meurtre, mais elles l'expliquent. Comme Malcolm X l'a fait valoir lorsqu'on lui a demandé son avis sur l'assassinat du président John F. Kennedy dans le contexte de la guerre impérialiste menée par les États-Unis, en particulier au Vietnam, on récolte ce que l'on sème. L'assassinat était un retour de flamme déclenché par le fanatisme. Il n'avait rien à voir avec la gauche.

Les libéraux tombent dans le piège de l'esprit civique

La plupart des commentateurs libéraux et des responsables politiques du Parti démocrate ont capitulé devant la chasse aux sorcières menée par Trump. Ils ont accepté le cadre défendu par la droite selon lequel Kirk avait été un adepte du débat civique, sans tenir compte du fait qu'il avait utilisé la liberté d'expression comme couverture pour mener des actions de harcèlement et d'intimidation motivées par le sectarisme.

Plutôt que de lutter contre le maccarthysme de Trump, l'establishment du Parti démocrate s'y adapte et sacrifie les groupes opprimés pris pour cible par Kirk.

Le chroniqueur Ezra Klein a publié une chronique intitulée « Charlie Kirk aisait de la politique de la bonne manière ». Sérieusement ? Kirk a ressuscité le racisme et l'antisémitisme de l'époque antérieure aux droits civiques. Kirk et Turning Point, comme le soutient Ta-Nehisi Coates, « ont recommandé de faire du mal aux gens pour promouvoir les résultats politiques qu'ils souhaitaient ».

La présidente du Barnard College, Loren Ann Rosenbury, a repris presque mot pour mot les arguments de Klein dans « Now is the Time for Colleges to Host Difficult Speakers » (Il est temps que les universités accueillent des conférenciers controversés). Rosenbury a plaidé en faveur d'un dialogue civil sur les différences, y compris avec des semeurs de haine comme Kirk, mais elle n'est pas une défenseuse convaincue du droit des étudiant.e.s à s'organiser et à s'exprimer. Comme d'autres présidents d'université à travers le pays, elle a expulsé des dizaines de militant.e.s solidaires de la Palestine pour avoir protesté contre le génocide. Pour ces personnes, Kirk reste dans les limites de la civilité, contrairement aux étudiants qui protestent contre le gouvernement néofasciste d'Israël et ses crimes contre l'humanité.

Les responsables politiques du Parti démocrate sont également tombés dans le piège de la civilité tendu par les Républicains, se joignant au chœur qui légitime le sectarisme de Kirk. Ils ont commencé à le faire avant même son assassinat, dans le cadre de leur virage à droite pour s'attirer les faveurs des électeurs centristes et de droite.

Gavin Newsom, idole des libéraux, a invité Kirk à participer à son podcast. Après son assassinat, les Démocrates se sont associés à la célébration de ce semeur de haine en observant des minutes de silence. Les sénateurs démocrates, dont Bernie Sanders, ont soutenu les Républicains dans un vote unanime visant à faire du 14 octobre la « Journée nationale du souvenir de Charlie Kirk ».

Plutôt que de lutter contre le maccarthysme de Trump, l'establishment du Parti démocrate s'y adapte et sacrifie les groupes opprimés ciblés par Kirk. Par exemple, un ancien assistant du leader du Sénat Harry Reid vient de lancer un nouveau groupe de réflexion, le Searchlight Institute, qui demande au parti de minimiser les questions telles que les droits des transgenres et de limiter l'influence des organisations progressistes.

Méfiéz-vous de la docilité opportuniste des patrons et des bureaucrates

Au lieu de défendre la liberté d'expression, les autorités publiques, les patrons et les administrateurs universitaires ont obéi à l'injonction de Trump de licencier, suspendre et censurer des dizaines de travailleurs et de travailleuses en raison de leurs déclarations, articles et publications sur les réseaux sociaux. Cela ne devrait surprendre personne. La plupart des patrons et des hauts fonctionnaires sont des centristes ou des conservateurs.

Ils n'ont concédé de meilleures conditions salariales, de travail, des programmes et des réformes que sous la pression venue d'en bas. Ils sont donc prédisposés à pratiquer une « docilité opportuniste » au maccarthysme de Trump, comme ils l'ont fait dans les années 1950 lorsqu'ils ont éliminé la gauche des lieux de travail et des universités.

La droite ne s'engage pas dans un dialogue civil ni dans aucune forme de politique électorale bourgeoise classique ; elle mène une contre-révolution politique visant à établir un État autoritaire et à réduire à néant tous les acquis obtenus par les mouvements sociaux et syndicaux dans les années 1930 et 1960.

Les menaces de l'administration de supprimer les financements, de refuser les certifications et d'annuler les contrats les ont poussés à capituler complètement. Le gouvernement a mis de nombreux fonctionnaires en congé ; ABC a temporairement suspendu le comédien Jimmy Kimmel ; le Washington Post a licencié sa seule chroniqueuse noire, Karen Attiah ; les universités ont licencié et suspendu des enseignant.e ;ss et des membres du personnel, et ont également expulsé des étudiant.e ;s ; les compagnies aériennes ont retenu leurs pilotes au sol ; et les hôpitaux ont même licencié des professionnel.le.s de santé.

Et dans l'un des cas les plus inquiétants, Berkeley, berceau du mouvement pour la liberté d'expression des années 1960, a livré les noms de 160 professeurs, dont la juive antisioniste Judith Butler, et a ouvert une enquête à leur sujet pour antisémitisme présumé. Tout cela a semé une vague de panique dans l'enseignement supérieur, comme on n'en avait plus vu depuis les années 1950.

Ne vous adaptez pas au nouveau maccarthysme

La gauche doit rejeter le cadre de civilité imposé par la droite, réfuter ses allégations absurdes contre nos organisations et rallier les forces de résistance à une défense unie des droits démocratiques de tous et toutes. Malheureusement, certains membres de la gauche réformiste ont cédé du terrain à la droite.

Dans « Le meurtre de Charlie Kirk est une tragédie et un désastre », Ben Burgis et Meagan Day présentent d'abord un argumentaire clair contre la violence politique et soulignent à juste titre que de tels actes donnent à la droite une excuse et une justification pour la répression. Mais ils poursuivent en imitant l'appel à la civilité lancé par l'establishment libéral, mettent en garde contre le danger d'une « violence de représailles » et d'une « chute de nos cultures politiques dans un tribalisme déshumanisant », et reprochent aux personnes de gauche de faire preuve d'un « manque d'empathie » envers Kirk et sa famille.

Qualifier la polarisation politique entre la droite et la gauche de « tribalisme » est problématique, non seulement en raison des connotations racistes et colonialistes du terme, mais aussi parce que cela implique que le conflit entre le régime et la gauche pourrait être résolu par un « comportement plus adulte », des débats, des discussions et des élections démocratiques. C'est au mieux naïf.

Je le répète, la droite ne s'engage pas dans un dialogue civil ou dans une quelconque politique électorale bourgeoise normale ; elle mène une contre-révolution politique visant à établir un État autoritaire et à réduire à néant tous les acquis obtenus par les mouvements sociaux et syndicaux dans les années 1930 et 1960.

La droite l'a clairement fait savoir. Stephen Bannon s'est emporté dans son podcast, The War Room : « Les gens me contactent pour me dire : « Hé, tu peux venir ici pour débattre du premier amendement ? » Nous ne débattons de rien. Nous agissons. » Il a ensuite lancé cet avertissement : « Nous avons maintenant un scalp, celui de Jimmy Kimmel. Et il y en aura beaucoup, beaucoup d'autres. »

Nous ne devrions pas débattre avec des gens comme Kirk, comme l'ont fait Newsom et Burgis. Nous n'avons pas d'échange d'idées raisonné avec eux ; nous sommes engagés dans une lutte existentielle contre un régime d'extrême droite qui utilise l'État comme une arme pour mener une guerre maccarthyste contre la gauche et ce qui reste de la démocratie. Nous devrions plutôt organiser des manifestations et des grèves pour défendre nos droits et nos emplois.

De plus, la gauche ne devrait pas exiger des opprimé.e.s qu'ils fassent preuve d'empathie envers leurs oppresseurs, en particulier ceux comme Kirk qui ont craché leur intolérance, se sont livrés à du harcèlement et à de l'intimidation, et ont soutenu la tentative de Trump de revenir sur les résultats de l'élection de 2020. Nous ne devrions pas non plus réprimander les gens pour avoir publié des messages de colère sur les réseaux sociaux, surtout lorsque la droite s'en sert comme justification pour licencier des gens en masse. Soyons clairs : la grande majorité des violences politiques proviennent des forces organisées de la droite et d'individus non organisés inspirés par la destruction des normes démocratiques.

Trump se trouve donc dans une position plus faible que d'autres autocrates comme Viktor Orban, qui a pris le pouvoir avec 68 % des sièges au Parlement en 1998 et a conservé jusqu'à récemment le soutien de la population à sa transformation autoritaire de la Hongrie. Trump, en revanche, est profondément impopulaire, dispose d'une majorité très faible au Congrès et son soutien a encore diminué depuis l'assassinat de Kirk.

Pourtant, si l'autoritarisme de Trump et ses politiques ne feront qu'aggraver les crises de la société américaine, rien ne garantit que ce sont les forces les plus populaires qui bénéficieront le plus du mécontentement populaire.

Au lieu de lutter contre Trump, l'establishment capitaliste et ses représentants politiques au sein du Parti démocrate ont capitulé, soit en cherchant à s'attirer les faveurs du régime, soit en adoptant la stratégie de James Carville , qui consiste à faire le mort et à espérer en récolter les fruits lors des élections de mi-mandat. Mais il est loin d'être certain qu'ils l'emporteront.

Les démocrates sont en fait moins populaires que Trump. Et même s'ils obtenaient la majorité à la Chambre ou au Sénat – ce qui n'est pas gagné d'avance compte tenu des plans du régime en matière de charcutage électoral et de suppression des électeurs –, la plupart des nouveaux élus seraient des clones de Hakeem Jeffries et Harry Reid. Ce sont des forces qui, au mieux, s'engagent à rétablir le statu quo ante et qui, afin de s'assurer les votes des centristes, se sont adaptées et, dans certains cas, ont adopté les positions de la droite.

Même dans le cas improbable où les Démocrates trouveraient miraculeusement la volonté de se battre, Trump a montré qu'il était prêt à passer outre les prétendus freins et contrepoids de la Constitution et à gouverner par décret. Et les responsables politiques de gauche qui veulent se battre sont une infime minorité piégée dans un Parti démocrate hostile.

Nous ne pouvons pas non plus supposer que la gauche, les syndicats et la résistance combleront le vide. Cela dépend des positions politiques, de la stratégie et des tactiques que nous adopterons. La plupart des responsables syndicaux, des dirigeants d'ONG et de la gauche restent principalement concentrés sur les élections.

Ils considèrent que le fait d'occuper un poste équivaut à avoir le pouvoir de mettre en œuvre des réformes. En réalité, même les réformateurs les plus sincères se retrouvent, une fois élus, piégés par les limites de l'État capitaliste et par la dépendance de celui-ci vis-à-vis de la croissance et du profit capitaliste pour générer des revenus. Ils se retrouvent donc dans l'incapacité de tenir leurs promesses.

Cela vaut particulièrement pour ceux qui sont élus à des fonctions exécutives, comme les maires des villes. Le maire de Chicago, Brandon Johnson, par exemple, qui n'a pas été en mesure de tenir la plupart de ses promesses, a commencé par se plier aux exigences des forces de droite, notamment la police, et fait désormais l'objet d'attaques incessantes de la part de Trump et du monde des affaires.

Tout cela a fait chuter la cote de popularité de Johnson à 26 %. Il n'est donc pas du tout certain que l'expérience de la mairie de Johnson ait renforcé les forces de la gauche à Chicago. Sans une lutte sociale et de classe de grande ampleur à partir de la base, et sans le type d'organisation que cela présuppose, toute personne élue à un poste exécutif connaîtra le même triste sort, y compris Zohran Mamdani s'il remporte la course à la mairie de New York.

Pour une lutte sociale et de classe de grande ampleur

C'est pourquoi la classe ouvrière organisée – les travailleurs syndiqués – et les mouvements sociaux revêtent une importance décisive. Seul notre pouvoir de classe – notre capacité à paralyser le système par des grèves – peut arrêter Trump, défendre la démocratie et garantir des réformes.

M ais certains syndicats, plutôt que de lutter, se sont accommodés de Trump, notamment l'UAW et les Teamsters. Le président de l'UAW, Sean Fain, a soutenu à tort le protectionnisme de Trump dans l'espoir de garantir des emplois, tandis que Sean O'Brien, des Teamsters, est allé jusqu'à prendre la parole lors du festival d'extrême droite de la haine appelé Convention nationale républicaine.

Une telle complaisance aura l'effet inverse de celui escompté, exposant les travailleurs désespérés, inquiets pour leur emploi et leur niveau de vie, aux arguments racistes et xénophobes de Trump, semant ainsi la division au sein de notre classe. Pire encore, sans le pouvoir des travailleurs organisés, les mouvements sociaux et la résistance générale s'en trouveront affaiblis.

Trump utilise les attaques contre les Palestiniens et les personnes transgenres pour mener une guerre de classe contre nous tous. Nous devons donc lui opposer une résistance symétrique, en défendant toutes les personnes visées et en soutenant leurs revendications. Nous devons déclarer carrément que si vous essayez d'attaquer l'un d'entre nous, vous devrez vous en prendre à nous tous et toutes.

Ce qu'il nous faut, ce sont des mouvements de protestation massifs et dérangeants, et surtout des grèves politiques comme celles qui ont eu lieu en Corée du Sud et qui ont bloqué la tentative de coup d'État du président, ou comme celles qui paralyse actuellement la France pour empêcher Emmanuel Macron de nommer de manière antidémocratique un Premier ministre chargé d'imposer l'austérité aux travailleurs. Nous devons rendre ce pays ingouvernable pour empêcher Trump de s'emparer du pouvoir de manière autoritaire.

Mais nous ne sommes pas encore en mesure d'organiser ce type de grèves politiques. Le développement le plus prometteur qui ait le potentiel d'organiser une telle résistance massive de la classe ouvrière est May Day Strong ; il s'agit là du plus important front uni regroupant des syndicats, des mouvements sociaux et de larges formations de résistance telles que 50501.

Il a joué un rôle essentiel dans le soutien aux manifestations nationales du 1er mai et du Labor day, qui ont été parmi les plus importantes de l'histoire récente, mais qui sont encore loin d'avoir atteint l'ampleur et le caractère militant nécessaires en ce moment. Afin de consolider et d'étendre son réseau, May Day Strong a appelé à la tenue de conférences régionales réunissant les syndicats, les mouvements sociaux et les structures de résistance pour des activités d'éducation, de formation et de consolidation des réseaux.

L'objectif est de forger un front uni encore plus large et plus implanté, capable d'organiser des actions de protestation massives et perturbatrices pour préparer les actions syndicales à venir et même des grèves politiques pour le 1er mai 2026. Toutes les personnes de gauche et les mouvements de résistance au sens large devraient répondre à leur appel.

Si nous nous battons, nous pouvons gagner. Prenons l'exemple de Jimmy Kimmel. Après sa suspension, cinq syndicats d'Hollywood ont protesté pour défendre la liberté d'expression et ont organisé des rassemblements de masse, tandis que les acteurs ont signé une pétition massive et que les consommateurs ont menacé de boycotter Disney. Après une chute de 2,39 % de son action, qui lui a coûté près de 5 milliards de dollars en valeur boursière, la société a cédé et l'a réintégré à l'antenne.

Les yeux rivés sur l'objectif

May Day Strong n'est pas sans problèmes ni débats. À ce stade, le calendrier d'action de la coalition ne s'étend que jusqu'au 1er mai 2026. Cela reflète probablement l'orientation des syndicats et des ONG vers les élections de mi-mandat, qui battront leur plein après le 1er mai.

Les socialistes au sein de la coalition May Day Strong, et au sein de toutes les structures de résistance, doivent s'opposer à tout changement de stratégie qui nous éloignerait de la construction d'une lutte de masse pour nous orienter vers une campagne pour les élections de mi-mandat.

Nous devons garder les yeux rivés sur l'objectif qui consiste à organiser des manifestations et des grèves de masse tout au long du calendrier électoral.

Ces actions doivent être notre priorité collective absolue, indépendamment du choix de chacun dans l'isoloir. Tout temps, argent et énergie détournés de la lutte pour la campagne du Parti démocrate feront reculer la résistance, et non pas la faire avancer.

La gauche doit également contester l'argument selon lequel la résistance doit minimiser des questions telles que la Palestine et les droits des transgenres afin d'élargir le mouvement.

Une telle concession à la droite repose sur une lecture erronée de la conscience de masse et sur l'hypothèse que le fait d'aborder ces questions nous divisera.

En fait, les sondages montrent que la plupart des gens ont radicalement basculé à gauche sur ces questions dites « clivantes ». Prenons l'exemple de la Palestine. En août, un sondage Quinnipiac a révélé que 60 % des Américain.e.s s'opposent à l'envoi d'armes par les États-Unis à Israël, et 77 % des Démocrates pensent qu'Israël commet un génocide à Gaza.

Sur la base de ces faits, nous devrions contester les arguments-ouvriéristes des « réductionnistes de classe » qui prétendent que nous ne pouvons construire un mouvement de masse de la classe ouvrière qu'en mettant en avant de supposées « revendications communes à la classe » et en minimisant les revendications des opprimé.e.s. En réalité, la classe ouvrière est composée de groupes opprimés, des personnes transgenres aux personnes de couleur, en passant par les migrant.e.s et nos frères et sœurs d'autres pays, en particulier les Palestinien.ne.s.

S'en prendre à un.e seul.e, c'est s'en prendre à tou.te.s

La seule façon d'unir une classe aussi multiraciale, multiethnique et multinationale est de défendre les revendications de toutes les personnes opprimées. Si nous ne le faisons pas, nous risquons d'exclure des contingents importants dans la lutte des classes, d'aliéner des mouvements sociaux entiers et de rendre notre camp vulnérable à la stratégie de Trump qui consiste à diviser pour mieux régner.

Trump utilise les attaques contre les Palestiniens et les personnes transgenres pour mener une guerre des classes contre nous tous et toutes. Nous devons donc être symétriques dans notre opposition, en défendant toutes les personnes ciblées et en embrassant leurs revendications. Nous devons déclarer carrément que si vous essayez d'attaquer l'un.e d'entre nous, vous aurez affaire à nous tous et toutes.

Nous devons débattre de tout cela d'une manière qui ne coupe pas les ponts et qui permette de surmonter les désaccords dans le cadre de structures démocratiques de lutte. La solidarité, même au milieu des divergences, est essentielle, car personne ne viendra nous sauver, sauf nous-mêmes : nos syndicats, nos mouvements sociaux et la gauche dont nous avons hérité du passé, avec toutes leurs forces, mais aussi leurs défauts et leurs faiblesses.

Nous sommes engagés dans un combat pour nos vies. Nous devons nous unir, discuter, nous organiser et déployer notre pouvoir dans des actions de masse et des grèves pour défendre nos droits démocratiques, ainsi que nos emplois, nos salaires et nos acquis sociaux.

Nous devons construire la résistance de la classe ouvrière en nous appuyant sur le slogan classique du mouvement syndical : « Une attaque contre l'un ou l'autre d'entre nous, c'est une attaque contre tous et toutes ». Seule une telle solidarité avec toutes les personnes qui sont attaquées, sans exception, peut nous unir afin de vaincre le régime Trump.

Ashley Smith

P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de Deeplpro.

Source - Tempest. Publié le 30 septembre 2025 :

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« Il faut faire vite » : Jane Fonda relance le groupe de son père en faveur de la liberté d’expression

14 octobre, par Amy Goodman, Jane Fonda — , ,
Quand nous les visons au porte-monnaie (l'action porte). (...) C'est ce que nous devons faire. Et nous allons le faire. Je suis très confiante. L'expérience actuelle est (…)

Quand nous les visons au porte-monnaie (l'action porte). (...) C'est ce que nous devons faire. Et nous allons le faire. Je suis très confiante. L'expérience actuelle est nouvelle. Pas au cours des années 1920 ou 1930 quand les États-Unis flirtaient avec le fascisme. Même pas quand ils ont attaqué les (Black) Panthers avec toute la violence que les Panthers ont subi et ce qui est arrivé durant les années 1950. Maintenant c'est différent. Je ne pense pas que nous allons rester assis.es sur nos chaises.

Democracy Now ! 3 octobre 2025
Traduction, Alexandra Cyr

Amy Goodman : (…) Nous nous tournons maintenant vers l'actrice gagnante d'un Oscar et militante, Jane Fonda. Elle relance l'organisation de lutte pour la liberté d'expression de son père, le Comité pour le premier amendement. Henry Fonda l'a fondé en 1947 pour combattre le McCarthysme.

Voici une prise de position de ce comité : « Le gouvernement fédéral encore une fois s'est engagé dans une campagne structurée pour réduire au silence ses critiques dans le gouvernement, les médias, les tribunaux, les universités et dans l'industrie du divertissement. Nous refusons de ne rien faire et de laisser cela arriver ».

Avant d'interviewer Jane, je veux vous faire entendre un extrait d'une émission de radio produite par le Comité pour le premier amendement dans les studios de ABC en 1947. Voici la chanteuse et actrice Judy Garland :

« Je suis Judy Garland. Êtes-vous allés.es au cinéma cette semaine ? Vous y allez ce soir ou demain ? Regardez dans la salle. Y a-t-il des journaux sur le sol, des magazines sur votre table, des livres sur les étagères ? Vous avez toujours eu le droit de lire quoi que ce soit, à votre guise.

Mais maintenant il semble que tout devienne plus compliqué. Au cours de la semaine passée, à Washington, le Comité de la Chambre sur les activités anti américaines a enquêté sur l'industrie du film. Je n'ai jamais été membre de quelque organisation politique que ce soit, mais j'ai suivi cette enquête et je n'aime pas ça. Il n'y a pas beaucoup de stars ici pour vous parler. Nous faisons partie du « show business » mais nous sommes aussi des citoyen.nes américains.es. Tant pis si on nous qualifie de mauvais.es acteur.rices. Ça fait mal mais on peut le prendre. C'est autre chose si on vous qualifie de mauvais.es Américains.es. On le subit ».

A.G. : C'était Judy Garland qui avec Henry Fonda a contribué à fonder le Comité pour le premier amendement en 1947 pour combattre le McCarthysme.

Jane, c'est super que vous soyez avec nous sur Democacy Now ! Vous relancez l'organisation de votre père. Pourquoi maintenant ? Et pourquoi pensez-vous que ce qui se passe maintenant se compare à ce que votre père a connu ?

Jane Fonda : Les esperts.es des régimes autoritaires (ce que vous venez de diffuser m'a mis les larmes aux yeux) disent être vraiment inquiets.es en voyant ce qui se passe qui serait la plus rapide et agressive confiscation du pouvoir dans une démocratie industrielle. J'apprends que les autoritaires prennent généralement 18 à 22 mois pour consolider leur pouvoir. Cette administration avance très vite, nous devons donc aller vite. Il faut faire tout ce que nous pouvons pour arrêter ce processus avant qu'il ne devienne la norme, avant qu'il ne s'institutionnalise.

De multiples secteurs de la société sont attaqués. Mais comme mon père, Judy Garland et beaucoup d'autres vedettes des années 1950 le savaient, nous avons la liberté chevillée au corps. La liberté d'expression est essentielle pour la créativité des rédacteur.rices d'histoires que nous sommes. Nous allons nous battre. Nous allons montrer que nous avons les capacités, parce que nous sommes si créatif.ves, d'être à la hauteur de CNN dans la non-violence, la non-coopération, pour la résistance et être un modèle pour le reste du pays.

(…) Quand j'ai accepté mon : Sreen Actors Guild Life Achievement Award, j'ai déclaré : « Nous visionnons tous des documentaires comme (ceux portant sur) les sit-ins aux comptoirs lunch au Mississipi et au Tennessee, des gens qui se font battre, des chiens qui attaquent, etc. et nous nous demandons si nous aurions été aussi braves ». C'est le genre de documentaire dans lequel nous sommes en ce moment. Allons-nous être assez braves pour nous tenir debout ? Parce que la seule chose qui puisse arrêter ce qui se passe c'est un mouvement massif de gens non-violents et unifiés. C'est ce que nous tentons d'encourager et d'inspirer.

Nous le faisons de l'intérieur de l'industrie du divertissement en espérant que cela va en inspirer d'autres.
(…)
Laissez-moi (ajouter) ceci Amy. Au lancement, hier, nous avons reçu 550 signatures. En quelques heures, des centaines et des centaines de personnes de plus de cette industrie ont aussi signé. C'est excitant et donne vraiment de l'espoir.

A.G. : Je veux retourner en mai quand nous avons interviewé l'estimée historienne du McCarthysme, Mme Ellen Schrecker à propos de son article « Worse Than McCarthysm : Universities in the Age of Trump, sur The Nation.

Ellen Schrecker : Le pire qui soit arrivé aux universités à l'époque, c'est que des centaines de professeurs, la plupart avec des postes permanents, ont été congédiés et placés sur une liste noire. Presque toutes les grandes institutions civiles du pays ont subi ce sort. Malgré que les universités se vantent de leur liberté académique, peu importe ce que cela veut dire, elles ont collaboré avec les forces répressives qui imposaient fermement un climat de peur. L'autocensure régnait dans toute la société.

Aujourd'hui, ce qui se passe est pire, tellement pire, nous sommes dans une nouvelle phase du phénomène, Je ne sais pas ce que ça deviendra, mais durant la période de McCarthy seuls les professeurs étaient attaqués individuellement sur la base de leurs activités politiques de gauche en dehors de leur travail dans le passé ou au moment présent. Aujourd'hui, la répression venant de Washington s'attaque à tout ce qui bouge sur les campus américains.

A.G. : C'était l'historienne Ellen Schrecker qui parlait des campus. Qu'est-il arrivé à votre père à Hollywood ? Pouvez-vous nous parler les listes noires d'écrivains.es, d'acteur.rices et de scénaristes, de ce qui est arrivé à Hollywood durant cette période et pourquoi dites-vous que c'est pire en ce moment ?

J.F. : À cette époque qui que ce soit, membre de quelque organisation que ce soit, était accusé.e d'être communiste et perdait son emploi. Plusieurs ont été emprisonné.es et leur carrière a été détruite. C'est ce contre quoi mon père, avec beaucoup d'autres, protestaient. Je pense que cette dame le dit très justement : c'était les individu.es qui étaient attaqué.es et emprisonné.es. Nous voyons cela actuellement partout dans le pays et massivement. Nous ne pouvons laisser faire.

A.G. : Dans cette ère du McCarthysme, je veux vous faire entendre un enregistrement du Président Nixon en septembre 1971 où il vous mentionne :

Président R. Nixon : Pour l'amour du ciel qu'est-ce qui ne va pas avec Jane Fonda ? Je suis si désolé pour Henry Fonda qui est une chic personne. Oui, oui elle aussi, réellement. C'est une grande actrice et elle est belle. Mais ma foi, elle est si souvent sur le mauvais chemin.

A.G. : C'était donc le Président Nixon. Voici maintenant votre père, Henry Fonda qui reçoit l'American Film Institute Life Achievement Award en 1978 et répond au Président Nixon d'une certaine manière :

Henry Fonda : Depuis que mon père nous a quitté, j'ai fait des choses qu'il approuverait j'en suis sûr. J'espère que j'en ai fait qu'il aurait aussi défendue. Je sais qu'il se pèterait les bretelles ce soir. Il n'a jamais connu mes enfants, mais je sais qu'il en serait fier. Je peux l'entendre répliquer à certaines critiques : « Taisez-vous. Elle est parfaite ».

A.G. : « Taisez-vous. Elle est parfaite » disait Henry Fonda. Les gens qui nous entendent à la radio et qui ne peuvent nous voir ne vous voient pas commencer à pleurer. Mais quelle signification ont les mots de votre père et qu'elle confiance en vous ?

J.F. : Cela m'émeut profondément. Que puis-je dire ?

A.G. : Je voudrais que vous donniez vos impressions à propos de Jimmy Kimmel, l'émotif Jimmy Kimmel de retour sur les ondes de ABC après avoir été suspendu définitivement par le directeur de la Commission des communications, M. Brendan Carr. Il avait menacé le diffuseur et ses affiliés de leur retirer leur licence suite aux commentaire de J. Kimmel. Dans un monologue il avait parlé du regard porté par des comédien.nes de l'étranger sur les États-Unis :

Jimmy Kimmel : Ils et elles savent à quel point nous sommes chanceux.ses ici. Leur admiration va surtout vers notre liberté de parole. Je l'avais toujours pris pour acquis jusqu'à ce que mon ami Stephen (Colbert) soit retiré des ondes et que nos affiliés qui diffusent ce show dans les villes où vous vivez, aient été mis sous pression pour qu'il soit retiré des ondes. C'est illégal. Ce n'est pas américain. C'est sous-américain et dangereux.

A.G. : Finalement tout ça, est revenu à la normale. Mais Sinclair Broadcasting et Nexstar qui sont propriétaires de beaucoup d'affiliés ont refusé de le remettre en onde quand Walt Disney qui détient ABC a décidé de le faire. Il y a eu beaucoup de répercussions : pourquoi Walt Disney a-t-il remis Jimmy Kimmel en onde ? Il faisait référence à son ami Stephen Colbert dont le programme se terminera en mai.

J.F. : L'important ici c'est que 1 million 700 milles Américains.es ont annulé leur financement à Disney. Voilà l'affaire. Ça s'appelle la non coopération. Toucher leur porte-monnaie c'est ce qui compte vraiment. Lors de son premier mandat, D.Trump a décrété une interdiction d'entrée sur le territoire aux musulman.es. Sara Nelson, la brave dirigeante du syndicat des hôtesses de l'air, a appelé à la grève générale. C'est une des actions importantes qui a fait que l'interdiction a été retirée. (Cette grève) aurait mis le trafic aérien à l'arrêt dans tout le pays. Quand nous les visons au porte-monnaie (l'action porte). Comme pour les comptoirs lunch dans le sud durant le mouvement des droits civiques. Les commerces du bas des villes du sud ont été tellement touchés qu'ils ont fait pressions sur les élu.es de tous les niveaux pour que les comptoirs (jusque-là seulement ouverts aux blancs) soient ouverts à tous et toutes.

C'est ce que nous devons faire. Et nous allons le faire. Je suis très confiante. L'expérience actuelle est nouvelle. Pas au cours des années 1920 ou 1930 quand les États-Unis flirtaient avec le fascisme. Même pas quand ils ont attaqué les (Black) Panthers avec toute la violence que les Panthers ont subi et ce qui est arrivé durant les années 1950. Maintenant c'est différent. Je ne pense pas que nous allons rester assis.es sur nos chaises. Nous devons être informé.es et uni.es. Renforcé.es en nombre. Avec le « chacun.e pour soi » nous n'allons pas sauver notre démocratie. Nous devons nous unir à travers tous les secteurs. Ce régime tient sur des piliers : le militaire, les médias, les professions, etc. Si chaque pilier s'organise pour retirer son soutien nous pouvons y arriver. Et il faut le faire vite.

A.G. : Jane Fonda, nous devons nous arrêter ici. Merci d'avoir été avec nous.

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Écocide à Gaza : la destruction des ressources naturelles comme arme de guerre

14 octobre, par Amélie David
Amélie David, correspondante au Moyen-Orient basée à Beyrouth Un cessez-le-feu vient d’entrer en vigueur à Gaza. Une trêve extrêmement fragile qui permet pour certaines (…)

Amélie David, correspondante au Moyen-Orient basée à Beyrouth Un cessez-le-feu vient d’entrer en vigueur à Gaza. Une trêve extrêmement fragile qui permet pour certaines personnes de rentrer chez elles après deux ans de multiples déplacements. Mais l’état des destructions est impressionnant et le (…)

La capacité d’accueil : notion scientifique ou construction politique ?

14 octobre, par Observatoire pour la justice migrante — , ,
16 septembre 2025 | https://www.youtube.com/watch?v=aMfwJLYUWEs Existe-t-il réellement un calcul scientifique qui permet de déterminer la capacité d'accueil du Québec ? À (…)

16 septembre 2025 | https://www.youtube.com/watch?v=aMfwJLYUWEs

Existe-t-il réellement un calcul scientifique qui permet de déterminer la capacité d'accueil du Québec ?

À travers cette capsule et une série de deux articles, l'Observatoire retrace l'histoire de cette notion, explique son usage politique au Canada et au Québec, et met à l'épreuve des faits les discours qui, en politisant l'immigration, nourrissent un imaginaire de submersion et de peur et font porter le fardeau des pénuries dans les services publics aux personnes migrantes et immigrantes.

Pour lire nos deux articles qui accompagnent la capsule, rendez-vous sur opljm.org

Réalisation : KyVy Le Duc
Recherche et idéation : l'équipe de l'OPLJM
Scénarisation : Manal Drissi en collaboration avec Coralie LaPerrière et l'équipe de l'OPLJM
Protagonistes : Mireille Paquet, Coralie LaPerrière et Amel Zaazaa

© 2025 Observatoire pour la justice migrante (OPLJM). Tous droits réservés.
Toute reproduction, diffusion, réutilisation, téléchargement, réédition, découpage, adaptation ou traduction de ce contenu, en tout ou en partie, est interdite sans autorisation écrite préalable de l'OPLJM, sauf dans les limites des exceptions prévues par la Loi sur le droit d'auteur (Canada).

Publiée avec la permission de l'OPLJM (PTAG)

Le prix Nobel de la discorde

14 octobre, par Guy Roy — ,
Il faut avoir une biais idéologique marqué à droite pour ne pas soutenir le Venezuela contre les sanctions que lui impose l'Amérique depuis la nationalisation de son pétrole. (…)

Il faut avoir une biais idéologique marqué à droite pour ne pas soutenir le Venezuela contre les sanctions que lui impose l'Amérique depuis la nationalisation de son pétrole. Dans les années Trente du XXième siècle, les véritables progressistes soutenaient la République espagnole. Aujourd'hui, à défaut de soutenir la personne de Maduro, ils soutiennent le Venezuela dans sa confrontation avec Trump.

Alors le prix Nobel décerné à Maria Corina Machado est pour le moins problématique car il cautionne une opposante de droite radicale à Maduro et lui concède un prestige qu'elle ne mérite pas.

En effet cette personne, traquée dans son pays, a plaidé pour un référendum contre Hugo Chavez. Elle a encouragé les émeutiers d'extrême droite qui ont brulé des garderies populaires et mis le feu à des hôpitaux à Caracas, détruisant des biens publics. Elle s'est associée à toutes les défaites aux élections légitimes qui ont eu lieu au Venezuela. Et il y en eu des élections : 10 en moins de 20 ans !

Ce prix est une véritable honte pour le comité Nobel. Il a été accordé à quelqu'un qui a appelé à l'invasion militaire de son pays par les États-Unis contre son propre peuple comme si la souveraineté du Venezuela ne valait rien à ses yeux. Elle s'est compromise dans des appels à la guerre. Elle a soutenu le génocide à Gaza et demandé à Netanyahou de frapper le territoire vénézuélien.

Ses positions d'extrême droite ne semble susciter aucune réprobation dans les médias de ces démocraties libérales qui font la leçon au Venezuela pour son totalitarisme alors que Maduro a été porté au pouvoir par des élections on ne peut plus démocratiques plus souvent que n'importe chef d'État occidental. C'est se moquer de la Paix.

Une organisation pacifiste américaine, Code Pink, déclare pour sa part que le prix Nobel de la Paix aurait dû être remis aux journalistes morts à Gaza qui ont fait plus pour la paix que cette égérie d'extrême droite.
Je ne doute pas que si vous avez le moindre penchant en faveur de la paix, vous vous prononcerez contre les tactiques militaires américaines de guerre dans les Caraïbes à l'encontre du Venezuela au nom de la lutte au narco trafique. Des civils ont été sauvagement agressés et tués sans accusation ni procès comme de vulgaires sous-hommes si chers aux nazis que seraient les citoyens du Venezuela.

Malcom X a dit des grands médias « qu'ils vous feront croire que les opprimés sont des oppresseurs et que les oppresseurs sont opprimés ». Ne vous y trompez pas, la vérité a plus de poids progressiste que les mensonges et les menaces de guerre de l'impérialisme.

Guy Roy

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2025 - 6e action de la Marche mondiale des femmes

13 octobre, par Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF) — , ,
Le 18 octobre prochain, on débarque en force à Québec ! Sous le thème « Encore en marche pour transformer le monde », des féministes de toutes les régions se rassemblent pour (…)

Le 18 octobre prochain, on débarque en force à Québec ! Sous le thème « Encore en marche pour transformer le monde », des féministes de toutes les régions se rassemblent pour une grande journée de mobilisation collective. Ensemble, nous marcherons pour dénoncer la pauvreté, les violences faites aux femmes et la crise environnementale afin d'opposer une vision d'un monde juste, solidaire et féministe.

Orientations

Dénoncer le continuum de la violence envers les filles et les femmes

Nous nous mobilisons contre toutes les formes de violence sexiste générées par le système patriarcal dont la forme ultime est le féminicide ;

Nous nous mobilisons contre les discriminations qui font violence aux femmes à la croisée des systèmes d'oppressions ;

Nous nous mobilisons contre l'industrie de la guerre et de l'armement en complicité avec les gouvernements qui amplifient les violences envers les femmes ;

Dénoncer la pauvreté qui représente une violence systémique

Nous nous mobilisons contre l'appauvrissement généré par la division sexuelle et genrée du travail de même que par la non-reconnaissance du travail invisible, ici comme ailleurs ;

Nous nous mobilisons contre tous les préjugés qui portent atteinte à la dignité des filles, des femmes et de toute personne ;

Nous nous mobilisons contre les choix politiques qui nuisent à la redistribution de la richesse et qui promeuvent la privatisation des services publics ;

Dénoncer le capitalisme responsable de la crise climatique et de l'effondrement de la biodiversité au détriment de la santé et de la vie des populations et celles des prochaines générations ;

Nous nous mobilisons contre le pouvoir des entreprises transnationales et nationales et leurs impacts négatifs sur le quotidien des femmes, sur la démocratie et l'environnement ;

Nous nous mobilisons contre les choix d'actions gouvernementales pour la défense de la biodiversité et du climat en connivence avec les intérêts des entreprises au détriment du bien commun dont la privatisation des ressources naturelles ;

Nous marchons pour

Le droit des filles et des femmes de vivre en paix et en sécurité ;

Le droit des filles et des femmes de pouvoir faire leurs propres choix libres et éclairés et que ceux-ci soient respectés ;

Le droit à un revenu décent garantissant une autonomie économique aux femmes pour vivre dans la dignité ;

Le droit à un accès gratuit et universel à des services publics de qualité, notamment en santé et services sociaux, en éducation, etc.

Le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux des humains, des communautés et de la biodiversité ;

Nous marchons pour une société basée sur les valeurs féministes qui place l'économie au service du vivant

Porte-paroles

Les orientations sont portées politiquement par les 3 porte-paroles officielles de la MMF au Québec. Ces dernières ont été élu par les membres de la CQMMF pour leur expérience, leur pertinence et leur analyse transversale des enjeux.

Pénélope Guay

Julie Antoine

Emilia Castro

Pour approfondir comment elles défendent les 3 positions politique de la MMF 2025, nous vous invitons à consulter la page suivante où elles se prononcent sur chacun des thèmes.

Pour approfondir.

Pour poursuivre la lecture.

Maroc : la jeunesse se soulève

13 octobre, par Laila Abed Ali
Laila Abed Ali, correspondante en stage. Depuis fin septembre 2025, le Maroc connait une vague de mobilisations sans précédent portée par des jeunes. Ce mouvement, dénommé GenZ (…)

Laila Abed Ali, correspondante en stage. Depuis fin septembre 2025, le Maroc connait une vague de mobilisations sans précédent portée par des jeunes. Ce mouvement, dénommé GenZ 212, s’inscrit dans une tendance mondiale : au Népal, à Madagascar dont le président vient de fuir le pays, en Serbie, (…)

Des employés de Safeway dénoncent des mauvais traitements

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/10/Capture-decran-2025-10-12-121809.png12 octobre, par Manitoba Committee
Des travailleurs de l'épicerie Safeway de River et Osbourne à Winnipeg se plaignent d'être surchargés de travail, sous-payés, maltraités et exposés à la violence "sans avoir de (…)

Des travailleurs de l'épicerie Safeway de River et Osbourne à Winnipeg se plaignent d'être surchargés de travail, sous-payés, maltraités et exposés à la violence "sans avoir de recours". Quelle est la source de ces problèmes ? Les employés affirment que l'entreprise ne se soucie pas de leur (…)

Portrait de l’itinérance en Outaouais

12 octobre, par Rédaction

L’inégalité face aux conditions de vie est manifeste : la pauvreté n’est pas une simple conséquence de choix individuels, mais le résultat d’un système économique et social défaillant. L’Outaouais, une région où la classe ouvrière s’appauvrit de plus en plus, nous montre bien que derrière chaque chiffre, chaque statistique, se cachent des vies humaines et des familles qui luttent pour survivre.

Un revenu digne pour toutes et tous

Le niveau de revenu pose une question cruciale et déstabilisante. Alors qu’un niveau décent de revenu devrait être un droit fondamental, il peut constituer un véritable enjeu de santé publique. Ainsi, un seul revenu, loin de remplir son rôle de couvrir les besoins de base, est souvent insuffisant et met à risque des citoyennes et citoyens de vivre une situation d’itinérance.

Il est impossible de parler de revenu sans parler de travail. La vie telle qu’on la connait repose sur l’argent, un système qui tourne autour de la production et de la création de richesse. Travailler fait partie intégrante de notre existence; nous sommes appelé·e·s à accomplir des tâches rattachées à un salaire ou à un autre type de revenu, ce qui crée inévitablement des écarts, car chaque revenu n’est pas égal. Ce système ne parvient pas à rémunérer décemment toutes celles et ceux qui créent la richesse.

Certains diront qu’il y a le salaire minimum, cette « planche de salut » censée protéger la dignité. À 15,75 $ l’heure, montant à peine réévalué en mai 2024, il ne fait qu’enfoncer un peu plus les citoyennes et citoyens dans un quotidien de lutte. Imaginons la situation suivante : être le seul pourvoyeur de sa famille, travailler 40 heures par semaine et voir son revenu englouti par un loyer de 1 500 $ par mois, sans compter les frais alimentaires et autres dépenses essentielles. Ce scénario est vécu par des milliers de familles condamnées à vivre dans la précarité, une situation qui n’épargne pas les femmes, qui constituent 58 % des travailleurs au salaire minimum dont 40 % travaillent à temps plein. Imaginons ce que ces femmes, ces mères monoparentales, doivent faire pour pallier les différents manques, une réalité d’autant plus crue quand elles doivent cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts.

La conjoncture est tout aussi déplorable pour les personnes prestataires de l’aide de dernier recours. Censée être une bouée de sauvetage, cette aide plonge davantage ces personnes dans l’impasse, un cercle vicieux où la pauvreté devient un fardeau presque impossible à briser. En 2023, la région de l’Outaouais comptait 12 962 personnes ayant eu recours à l’assistance sociale, dont 6 180 étaient des femmes avec 1 758 enfants à charge. Se retrouvant à peine au-dessus du seuil de pauvreté, elles survivent avec un peu moins ou un peu plus de 900 $ par mois, un montant bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour couvrir les besoins essentiels.

Il faut faire très attention aux déclarations ! Une erreur administrative ou une déclaration inexacte peut entrainer une sanction, ce qui réduit drastiquement cette aide à 600 $ par mois pour certaines personnes. Perçues comme des fautes de parcours et non comme des erreurs de bonne foi, ces erreurs n’empêchent pas l’État de serrer la vis aux plus fragiles, exacerbant ainsi la précarité. Quand l’invalidité au travail et la pauvreté s’entrelacent, il devient de plus en plus évident que le revenu ne suffit pas à garantir la dignité humaine, ce qui expose encore là les personnes ou les communautés fragilisées ou à risque à habiter temporairement la rue.

Le Portrait des communautés de l’Outaouais 2021 réalisé par l’Observatoire du développement de l’Outaouais (ODO)[1] fait état de 19 885 ménages consacrant plus de 30 % de leur revenu à leur loyer, et de 6 320 qui y consacrent plus de 50 %. Comme les politiques publiques continuent de marginaliser et de pénaliser les plus vulnérables, alors il ne s’agit plus d’une crise économique : il s’agit d’une crise de solidarité et de valeurs humaines. Il devient impératif de contester l’ordre établi et de revendiquer un revenu qui ne soit pas seulement un chiffre sur un papier, mais bien un moyen pour chaque citoyenne et citoyen de vivre dignement, en paix et sans discrimination.

L’itinérance en Outaouais en chiffres

Afin de bien dresser le portrait de l’itinérance en Outaouais, il est important de donner quelques chiffres pour illustrer les particularités de notre région. Dans le rapport du dénombrement du 11 octobre 2022[2], les données recueillies sont criantes : on a recensé 534 personnes en situation d’itinérance, soit une augmentation de 268 % du nombre de personnes dans cette situation en Outaouais, la plus forte hausse au Québec. Dans ce rapport, les raisons rapportées pour la perte de logement attirent l’attention : 24 % à la suite d’une expulsion, 18 % en raison d’un manque de revenu et 14 % à cause de conflits avec une conjointe ou un conjoint, comparativement aux causes généralement ciblées comme les problèmes de consommation de substances (11 %) et de santé mentale (5 %).

À la suite de ce rapport, la Ville de Gatineau, en concertation avec les organismes du milieu, a produit un Portrait de l’itinérance dans la Ville de Gatineau[3] dans le but d’apporter un volet plus qualitatif aux données provinciales publiées par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Dans ce contexte, un deuxième recensement a été organisé dans la nuit du 18 octobre 2023, se concentrant cette fois sur le nombre d’installations et de ressources d’hébergement disponibles. Les résultats montrent 167 abris de fortune installés dans tous les secteurs de la ville, 216 places en hébergement d’urgence et 364 places en hébergement de transition.

Sur le terrain

Lorsqu’on parle de l’itinérance en Outaouais, on pense à l’aréna Robert-Guertin, au Ruisseau de la Brasserie et aux nombreux abris de fortune qui s’y sont installés depuis la pandémie. C’est en 2023 que la Ville de Gatineau a cessé de démanteler régulièrement les campements installés aux abords du Gîte Ami et a désigné l’espace Guertin comme une zone de tolérance.

Le phénomène de l’itinérance a pris une telle ampleur en Outaouais qu’il ne s’agit plus seulement d’une réalité urbaine. Différentes initiatives se développent présentement dans chaque municipalité régionale de comté (MRC) de la région pour répondre aux besoins de la population itinérante qui, autrefois, se serait dirigée vers Gatineau, où se retrouvent les services, mais qui choisit maintenant de rester dans son secteur car les services sont saturés.

Cette nouvelle réalité de l’itinérance rurale apporte son lot de défis. Ces milieux disposent de peu, voire d’aucune ressource allouée ou spécialisée pour couvrir des territoires excessivement vastes. De plus, souvent les personnes en situation d’itinérance se cachent par peur de se faire chasser, ce qui rend difficile leur repérage afin de leur offrir l’aide disponible.

L’itinérance chez les personnes âgées

Le phénomène de l’itinérance chez les personnes âgées constitue une problématique croissante et une réalité saisissante, exacerbée par le manque d’hébergements, et aggravée par les coupes, les fermetures et les changements administratifs dans les résidences pour ainé·e·s (RPA). Le Gîte Ami, un refuge de la région, signale qu’en 2023, plus de 35 personnes âgées de 60 ans et plus ont utilisé leurs services, plusieurs étant à leur première expérience d’itinérance. Les conditions dans lesquelles ces personnes sont forcées de survivre ne permettent pas de maintenir une bonne santé. Selon le Portrait des personnes en situation d’itinérance[4], le taux de mortalité des personnes en situation d’itinérance est de 3 à 4 fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population. Un regard sérieux et des efforts concertés sont nécessaires pour développer des solutions adaptées et offrir un soutien adéquat à cette population.

L’itinérance chez les femmes

Les femmes en situation d’itinérance développent des stratégies de survie uniques, car elles sont exposées à des risques accrus de violence, à des responsabilités parentales supplémentaires et à des obstacles spécifiques dans l’accès aux services. Par exemple, certaines femmes choisissent de rester avec un conjoint violent ou de maintenir une relation avec une personne qu’elles n’apprécient pas, en échange de faveurs sexuelles, pour éviter de se retrouver en situation d’itinérance. Elles peuvent aussi être amenées à partager une tente ou un espace de vie avec un homme qu’elles ne désirent pas, mais encore une fois, ce choix est dicté par des considérations de sécurité, qu’il s’agisse de violence physique, sexuelle ou autre. Ces stratégies de survie sont souvent le fruit de l’absence de solutions de rechange viables et mettent en lumière les réalités complexes auxquelles ces femmes sont confrontées au quotidien.

L’itinérance chez les familles

Même les familles sont à risque d’itinérance; cela nécessite une collecte de données plus détaillée et la mise en place de services adaptés afin de mieux comprendre les besoins et mieux leur répondre. L’Observatoire du développement de l’Outaouais[5] démontre que le statut socioéconomique a un impact direct sur la qualité de vie. En plus de faire le point sur la situation, le rapport de l’Observatoire donne un aperçu de ce qui s’en vient : la ville comptait 6 840 ménages de toutes tailles ayant des besoins impérieux en matière de logement. Cela signifie que les résidences de ces familles sont considérées comme inadéquates, inabordables ou d’une taille non convenable. Un nombre insuffisant de logements sociaux contraint les familles à vivre dans des conditions indignes : dans des logements trop chers, insalubres ou mal adaptés. Cela condamne certaines familles à vivre de l’itinérance cachée ou à être contraintes d’habiter temporairement la rue.

L’itinérance cachée

L’itinérance cachée (aussi nommée couch surfing) désigne les personnes qui, bien qu’elles ne vivent pas dans la rue, n’ont pas de domicile stable, sécuritaire et adéquat. Elles peuvent résider temporairement chez des ami·e·s ou chez des membres de la famille, dans des logements insalubres ou surpeuplés, ou encore dans des véhicules. Cette situation est souvent invisible, ce qui rend difficile l’évaluation précise de l’ampleur du phénomène. Une étude menée en 2023 par la Table de développement social des Collines-de-l’Outaouais (TDSCO)[6], à laquelle le Collectif régional de lutte à l’itinérance (CRIO) a participé, a révélé que 40 % des 219 répondantes et répondants considéraient leur situation de vie comme instable. Cette enquête a également mis en lumière que 66 enfants et 108 adultes vivaient avec ces personnes en situation de précarité. Ces données soulignent la nécessité de développer des stratégies adaptées pour identifier et soutenir les personnes en situation d’itinérance cachée en Outaouais, en tenant compte des spécificités rurales et urbaines.

Ces choix de survie sont souvent liés à un manque d’options et à des conditions de vie extrêmement difficiles, ce qui provoque malheureusement un exode. De plus en plus de familles ou de jeunes adultes qui voudraient rester dans la région sont contraints de chercher un logement ailleurs, souvent dans des villes plus éloignées où les prix sont plus « abordables ». Certaines régions rurales comme le Pontiac et la Vallée-de-la-Gatineau écopent tout autant. Cela révèle une dilution du filet social et un déséquilibre dans certaines communautés.

Crise de l’habitation

L’inflation, dont l’effet cumulé a été de plus de 20 % depuis 2018[7], s’inscrit dans un système qui ne suit pas la tendance des réels besoins de la population. Un fort taux d’occupation des logements, la hausse des loyers et l’étalement urbain exercent une pression croissante sur le marché immobilier. L’Outaouais traverse une période complexe marquée par une crise de l’habitation persistante qui ne se résume pas à un simple manque de logements. Plusieurs facteurs sont en cause : l’inflation, la surenchère, les rénovictions, les locations Airbnb ainsi que la loi 31[8], et ce, tout en tenant compte des enjeux de revenu exposés plus haut.

Plusieurs éléments participent à la surenchère. La hausse des prix des matériaux et la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la construction ont radicalement augmenté les coûts du développement immobilier. Cela a pour conséquence de réduire l’offre de nouveaux logements accessibles. Ainsi, malgré la disponibilité de ceux-ci, les personnes marginalisées, vulnérables et vivant sous le seuil de la pauvreté se retrouvent dans l’impossibilité de les louer. Cette situation affecte non seulement la stabilité économique des individus, mais également leur santé mentale et physique. Des conditions de logement précaires, comme la surpopulation, l’humidité ou la mauvaise qualité de l’air, peuvent entrainer de graves problèmes de santé. Les familles à faible revenu, les étudiantes et étudiants et les jeunes adultes entrant sur le marché du travail sont directement touchés par cette pénurie de logements abordables.

En Outaouais, comme dans plusieurs régions du Québec, les locataires ne sont pas à l’abri d’être rénovincés. Cette problématique est devenue particulièrement préoccupante dans les grands centres urbains comme Gatineau. Le terme rénoviction fait référence à une pratique où des propriétaires avides, voyant une opportunité d’augmenter leurs profits, demandent à leurs locataires de quitter leur logement sous prétexte de rénovations majeures. Cependant, dans plusieurs cas, ces rénovations ne sont qu’un prétexte pour hausser les loyers ou pour transformer l’espace afin de le louer à un tarif bien plus élevé, rendant le logement inaccessible à l’ancienne ou à l’ancien locataire.

Une fois de plus, des lois charognardes du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), comme la loi 31, viennent fragiliser davantage les locataires. Le retrait d’un des plus grands leviers dont celles-ci et ceux-ci disposaient pour exercer un certain contrôle sur l’explosion du prix des loyers – le droit de céder leur bail – a été charcuté au profit des propriétaires. Ces derniers ne sont désormais plus dans l’obligation légale d’accepter qu’une ou un locataire transfère son contrat de location à une ou un autre. Il est encore difficile d’évaluer les impacts économiques et sociaux de cette mesure, notamment en Outaouais, mais il est évident qu’elle aggrave la crise locative en ajoutant rigidité et contrainte à l’accès au logement. Se loger, rappelons-le, est un droit fondamental qui ne devrait pas être soumis aux logiques du profit.

À propos de profit, examinons le cas d’Airbnb. Selon AirDNA, une agence qui recueille les statistiques canadiennes des locations à court terme, le secteur de Gatineau comptait en moyenne 957 annonces actives sur une période de 12 mois en 2024, dont 21 % étaient des locations disponibles à temps plein. Cela signifie qu’environ 200 logements sont devenus inaccessibles à la location résidentielle pendant l’année. Malgré les réglementations mises en place pour encadrer ces locations, l’Outaouais n’échappe pas aux nombreux cas de contournement observés. Selon une enquête du média Pivot[9], plusieurs annonces ne respectent pas les restrictions en vigueur, ce qui met en lumière les défis liés à ce genre de pratiques qui précarisent encore davantage les communautés vulnérables, au profit des propriétaires.

Hausse en flèche de l’aide alimentaire

Encore une fois, l’inflation frappe et n’épargne pas le marché de l’alimentation : impossible d’aller à l’épicerie sans en ressortir avec un goût amer. Moisson Outaouais[10] affirme d’ailleurs dans son bilan 2023-2024 que l’organisation a répondu à 94 653 requêtes d’aide alimentaire, une augmentation considérable de 107 % par rapport à 2019. Elle observe aussi que l’augmentation des demandes chez les travailleuses et travailleurs à faible revenu a presque doublé depuis deux ans. Ayant distribué 1 680 048 kg de nourriture en 2023-2024, en partenariat avec 48 organisations qui agissent contre l’insécurité alimentaire, chacune d’elles observe le même phénomène grandissant et les besoins criants. Le lien entre l’augmentation du coût des loyers et l’augmentation de l’utilisation des services d’aide alimentaire dans la région est évident. Un loyer trop cher force les citoyennes et citoyens à négliger d’autres besoins essentiels, comme la nourriture.

Désert alimentaire

La précarité liée à l’accès difficile aux supermarchés ne doit pas être négligée. Elle représente un obstacle majeur en milieu rural et dans certains quartiers. Elle contraint les personnes vulnérables à consommer davantage de produits alimentaires transformés, moins chers et souvent moins nutritifs, des choix alimentaires qui ont des répercussions sur la santé. Il est aussi important de se figurer les obstacles discriminatoires et le profilage auxquels une personne en situation d’itinérance peut être confrontée en matière d’accès aux supermarchés.

Une réponse désorganisée

Une des grandes difficultés dans la lutte contre l’itinérance est la question de la responsabilité : qui est responsable de quoi ? Évidemment, on peut se tourner vers la Politique nationale de lutte contre l’itinérance[11], votée à l’unanimité en 2014 par le gouvernement péquiste, mais celle-ci est vague et non contraignante, ce qui laisse la porte grande ouverte à un jeu de patate chaude auquel se livrent les différents paliers gouvernementaux. Le meilleur exemple régional de ce lançage de balle demeure la halte-chaleur installée dans l’ancien aréna Robert-Guertin à l’hiver 2022-2023. Un organisme communautaire opérait un service dans cet édifice municipal, loué au CISSS de l’Outaouais. Lorsque les toilettes se sont bouchées, la Ville a refusé d’intervenir parce que l’édifice était loué au CISSS, qui, à son tour, a refusé d’intervenir parce que l’édifice appartenait à la ville. Lorsque l’organisme a tenté de faire intervenir des plombiers privés, ceux-ci ont refusé, car c’était un édifice municipal. Le résultat a été désastreux : la halte-chaleur a été inondée d’eaux d’égout, contaminant tout ce qui s’y trouvait, dont les quelques matelas donnés, les effets personnels des personnes utilisant le service et la santé de toutes et tous les employé·e·s et personnes hébergées.

Depuis le Sommet municipal sur l’itinérance de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) en septembre 2023, les municipalités ont commencé à réclamer davantage de pouvoirs et de responsabilités en matière d’itinérance. Bien que nous ayons d’abord vu d’un bon œil l’implication des villes en tant que gouvernements de proximité, plus près de la réalité terrain, nous nous rendons vite compte que l’arrivée de ce nouveau joueur comporte son lot de défis. Le partage des pouvoirs entre la province et les villes n’ayant pas encore été clarifié, l’implication de celles-ci repose essentiellement sur la bonne volonté des élu·e·s qui siègent aux différents conseils municipaux. On peut prendre ici l’exemple de la ville de Gatineau, qui, en 2023, avait annoncé une somme de cinq millions de dollars pour la construction d’une halte-chaleur permanente, une infrastructure revendiquée par le milieu communautaire depuis plus de 20 ans. Un an plus tard, à la suite d’un changement au conseil municipal dû à la démission de la mairesse, on a annoncé des investissements de près de 25 millions de dollars sur cinq ans pour un plan d’action en itinérance, mais sans halte-chaleur permanente.

Que ce soit au palier municipal, provincial ou fédéral, force est de constater que la lutte contre l’itinérance repose essentiellement sur la volonté politique des partis en place. Bien que ce soit les organismes communautaires qui œuvrent directement auprès des populations à risque ou aux prises avec des problématiques, ces organismes sont largement dépendants du bon vouloir de l’État et de ses représentantes et représentants, qui décident de l’attribution du financement et du montant qui leur est consenti. Les élu·e·s décident de la grosseur de la tarte, l’administration la divise et les organismes doivent se battre pour les miettes.

En 2023, la gestion du programme Vers un chez-soi, financé par le fédéral, a été confiée à la province, et au mois de novembre, nous apprenions que les hébergements jeunesse de l’Outaouais ne seraient plus financés par cette enveloppe. Ceci n’est qu’un exemple de la fragilité à laquelle sont confrontés les organismes communautaires. Au cours des 30 dernières années, le financement à la mission, qui leur permettait de fonctionner, d’innover et de répondre aux besoins de la communauté en temps réel, par une analyse des besoins et une construction du bas vers le haut, s’est vu remplacé par de minces financements par projet, contraignants et accompagnés de longues redditions de comptes.

Pistes de solution

Dans le communautaire, des personnes créatives, il n’en manque pas ! C’est ainsi que sont mis sur la table des pistes de solution, des idées et des concepts, de l’aide atypique adaptée à la réalité du milieu, une panoplie de programmes mis en place, et ce, avec les moyens du bord. Explorons différents projets.

Un Québec sans pauvreté

Comme la campagne Revenu de base du Collectif pour un Québec sans pauvreté le suggère, un revenu de base adapté à la réalité économique d’aujourd’hui permettrait de réduire les inégalités économiques et sociales en garantissant à chacune et chacun un niveau de vie où les besoins de base sont comblés. Le collectif propose que ce revenu de base soit financé par une révision de la fiscalité, avec des augmentations d’impôts ciblées pour les plus riches et pour les grandes entreprises, afin d’assurer une redistribution équitable des ressources. Le financement du revenu de base pourrait également passer par la réduction de certaines dépenses publiques qui seraient moins nécessaires dans un système où chacune et chacun reçoit un revenu de base garanti.

Des logements sociaux et accessibles

C’est là une réponse à la crise qui profiterait à chaque citoyenne et citoyen, pas seulement aux plus privilégié·e·s. En Outaouais, de nombreuses personnes à faible revenu, y compris des familles monoparentales, des personnes âgées ou des travailleuses et travailleurs à faible revenu, sont particulièrement vulnérables à l’exclusion sociale. La construction de plus de logements sociaux permettrait de briser ce cercle et d’offrir des opportunités d’intégration sociale. Le logement social jouant un rôle clé dans la lutte contre la pauvreté et la conservation du filet social, il est aberrant d’apprendre que seulement 11 % du marché locatif est social. Comme le scande la campagne du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), La clé, c’est le logement social ! Ajoutons à cela un de leurs principes fondamentaux : le logement est un droit humain. L’accès à des logements sociaux permettant de répondre à leurs besoins garantirait à des citoyennes et citoyens contraints à la précarité d’avoir un toit décent dont le coût ne mange pas la moitié de son salaire. Ces logements peuvent aussi créer un environnement propice à l’installation d’autres services, par exemple des épiceries, améliorant ainsi la dynamique et l’accessibilité.

Un registre des loyers

En encourageant un marché stable et responsable, le registre des loyers proposé par l’organisme Vivre en Ville est un outil centralisé qui permet de suivre les prix des loyers locatifs, une solution indispensable pour inciter les propriétaires à une transparence équitable, pour éviter les abus et les prix excessifs du marché. Dans un contexte de crise de l’habitation, comme en Outaouais, un tel registre pourrait avoir plusieurs avantages, tant pour les locataires que pour les propriétaires, ainsi que pour les autorités municipales qui souhaitent assurer un marché immobilier plus juste et accessible à toutes et tous. Il agirait ainsi comme un rempart contre l’embourgeoisement.

La clause G du bail

Pour éviter une hausse de coût excessive entre le nouveau loyer et l’ancien, tout en protégeant la ou le locataire à la signature du bail, il faut jeter un coup d’œil à la clause G, page 3 du bail. C’est à cette section que le propriétaire doit inscrire le montant du loyer le plus bas payé dans les douze derniers mois. Clause difficilement respectée par les propriétaires, il est impératif d’en renforcer l’application. Il faut d’abord en parler avec le propriétaire concerné. Si ce dernier décline, il est possible de faire une réclamation au Tribunal administratif du logement (TAL).

Abroger la loi 31

Un des seuls leviers forts que les locataires québécois avaient, en dépit des avantages et du profit des propriétaires, était le droit de céder leur bail. Comme nous l’avons exposé précédemment, la cession de bail permettait au locataire de trouver une nouvelle personne pour reprendre son contrat, ce qui gardait ainsi le logement à un prix raisonnable, qui ne suit pas l’inflation du marché que l’on connait présentement. La loi 31 de la CAQ abolit ce droit, retirant par défaut un bon nombre de logements accessibles à une population précaire et exposant encore une fois plusieurs personnes à vivre leurs premiers épisodes d’itinérance.

Le programme TAPAJ

Créé à Montréal en 2000 par l’organisme communautaire Spectre de Rue, et ayant inspiré plusieurs villes au Québec ainsi qu’en Europe, le programme TAPAJ (Travail alternatif payé à la journée) a fait ses preuves. Dans la région de l’Outaouais, ce programme est porté par l’organisme Réseau Outaouais ISP (ROISP). C’est une initiative de réduction des méfaits qui offre un dépannage économique ponctuel aux personnes en situation de précarité sociale et économique. Ce programme propose des plateaux de travail rémunérés à bas seuil d’exigences, qui ne nécessitent ni qualification ni expérience préalable. Les participantes et participants sont accompagnés par des intervenantes et intervenants, qui travaillent « coude à coude » avec elles et eux pour favoriser la création de liens et l’amélioration de leurs conditions de vie. TAPAJ vise à prévenir la désaffiliation sociale et à favoriser la réaffiliation en offrant un environnement de travail sécuritaire et respectueux, où les participantes et participants peuvent travailler sans avoir à cesser ou à réduire leur consommation de substances psychoactives. Grâce à cette approche inclusive et pragmatique, le programme permet aux personnes en situation de précarité de recevoir un soutien financier immédiat tout en développant des compétences professionnelles et psychosociales.

Des centres de jours adaptés

Finalement, citons un dernier projet : des centres de jour adaptés, répartis sur l’ensemble du territoire, accueillants et offrant des services qui répondent aux besoins identifiés par les acteurs du milieu. Ces centres s’appuient sur le rythme des personnes en situation d’itinérance ou de précarité et à risque de l’être. Ils orientent les personnes utilisatrices de leurs services vers des démarches sociocommunautaires qui ne les renvoient pas dans un système qui les a déjà échappées. Ces centres pourraient regrouper infirmières, travailleuses et travailleurs sociaux, dentistes, etc., toutes et tous sous un même toit.

Pour conclure, soulignons que l’itinérance en Outaouais est démographiquement complexe et qu’elle présente des défis qui concernent surtout l’encadrement par les diverses instances politiques. Car il est encore difficile de faire reconnaitre le phénomène dans certaines municipalités qui manquent d’empathie et qui interviennent avec dureté.

Par Vanessa L. Constantineau et Alexandre Gallant, respectivement agente de liaison et coordonnateur du Collectif régional de lutte à l’itinérance en Outaouais


  1. Observatoire du développement de l’Outaouais, Portrait des communautés de l’Outaouais 2021.
  2. Ministère de la Santé et des Services sociaux, Dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible au Québec, Rapport de l’exercice du 11 octobre 2022, Annexe : Résultats supplémentaires pour l’Outaouais.
  3. Portrait de l’itinérance dans la Ville de Gatineau, 2022.
  4. Gouvernement du Québec, Portrait des personnes en situation d’itinérance.
  5. Observatoire du développement de l’Outaouais, Portrait des communautés de l’Outaouais, 2021.
  6. Comité Vers un chez-soi La Table de développement social des Collines-de-l’Outaouais, Portrait de l’itinérance dans les Collines-de-l’Outaouais, Cantley, Table de développement social des Collines-de-l’Outaouais (TDSCO), 2024.
  7. <https://www.banqueducanada.ca/taux/renseignements-complementaires/feuille-de-calcul-de-linflation/>.
  8. Loi sur l’habitation sanctionnée le 21 février 2024 et qui a, entre autres, enlevé la possibilité pour une ou un locataire de faire une cession de bail ou une sous-location à profit.
  9. Zachary Kamel, « Le roi du Airbnb à Montréal : quadrupler les loyers et remplacer les locataires par des hôtels fantômes », Pivot, 28 juillet 2023.
  10. Moisson Outaouais, Rapport annuel 2023-2024, Gatineau, 2024.
  11. Ministère de la Santé et des Services sociaux, Politique nationale de lutte à l’itinérance. Ensemble pour éviter la rue et en sortir, Québec, gouvernement du Québec, 2014.

 

Conteurs à gages : Des récits pour se réconcilier avec la/notre nature

11 octobre, par Étienne Laforge, Félix Morissette, Samuel Raymond — , , , ,
Étienne Laforge et Félix Morissette, surnommés les « Conteurs à gages », créent pour, par et avec des groupes citoyens, des contes écologiques au cœur du quartier (…)

Étienne Laforge et Félix Morissette, surnommés les « Conteurs à gages », créent pour, par et avec des groupes citoyens, des contes écologiques au cœur du quartier Rosemont—La-Petite-Patrie à Montréal. Nous nous sommes entretenus avec eux pour en apprendre sur leurs ambitions, et plus particulièrement sur le rôle de l'art du conte pour réfléchir notre rapport à la nature, nourrir l'imaginaire, et construire des récits ancrés dans les quartiers. Propos recueillis par Samuel Raymond.

À bâbord ! :Une part de votre mission est de « susciter la curiosité et inspirer la transition écologique ». Pourquoi avoir choisi l'art du conte ?

Étienne Laforge : En fait, il s'est imposé. En pandémie, Félix et moi marchions dans les ruelles de notre enfance et nous trouvions qu'il y avait là une mythologie existante issue de communautés, de parents, et d'enfants qui se voisinaient. Le conte, c'est l'art de se raconter. On voulait rassembler le monde.

Félix Morissette : On l'a aussi choisi pour deux de ses forces. Premièrement, on a un grand besoin de tirer nos imaginaires par les. Un·e conteur·euse est toujours en train de modeler son histoire en fonction de qui il ou elle s'adresse, et selon le contexte. C'est ancré dans une réalité. On avait envie d'infinies variations pouvant être portées par plein de voies différentes. Deuxièmement, le conte permet de grandes libertés. Par exemple, il permet de réfléchir à des êtres non humains très facilement. La forme est simple, a peu de règles et favorise l'improvisation. Tout ça facilite la création de situations ou de personnages éclatés. On peut évoquer les grands peupliers du parc Lafontaine et automatiquement, on est en présence d'eux.

ÀB ! : Dans votre processus, pourquoi mettre autant l'accent sur la question de la relation des humains avec la nature ?

F. M. : La pandémie nous a permis de ralentir et, comme plusieurs artistes, de prendre contact avec notre quartier. Et puis, on voyait la nature reprendre ses droits. Ça donnait envie de se renseigner, de sortir un livre, de commencer à identifier les plantes, de faire un jardin de balcon. On a fait beaucoup de recherches pour mieux comprendre ce qui nous entoure, nos différences d'avec les autres êtres. Par exemple, le Merle d'Amérique. Comment fonctionne-t-il ? Qu'est-ce qu'il fait pendant l'hiver ? Tout ça donnait des filons narratifs aux histoires qui venaient s'ajouter à une série de réflexions à propos de situations personnelles et collectives.

É. L. : La pandémie a été un moment de reconnexion avec la nature. Dans leurs derniers retranchements, c'est souvent là où les gens vont. Toutefois, le discours écologiste me mine parfois. La lutte écologiste vient des fois avec des impératifs qui sont trop portés par les individus. Et dans la fiction, c'est soit postapocalyptique et l'humanité a échoué, soit on cherche une échappatoire. On veut refaçonner positivement la façon dont on parle de notre relation à la nature. C'est par ce lien qu'on va trouver une façon de calmer notre anxiété. C'est une urgence de créer de nouveaux récits.

ÀB ! : Quelles est votre intention avec vos créations ?

F. M. : Qu'à la fin de l'un de nos contes, une personne reparte, prenne une respiration, observe les feuilles rougir, le petit temps frette. Notre désir est d'amener une reconnaissance, une appréciation de ce qui nous entoure. Puis, on veut mettre l'accent sur la valeur, l'impact et l'apport de différents êtres de la nature d'une manière poétique plutôt qu'avec un point de vue utilitaire à partir duquel, par exemple, on dirait que les arbres peuvent nous permettre d'économiser de l'argent en réduisant l'écoulement de l'eau. On veut que les gens sortent de nos heures de conte avec un sentiment de connexion. Nourrir l'imaginaire avec ces histoires optimistes nous rend plus à même de reconnaître les initiatives positives. On comprend l'urgence actuelle, mais ça prend un ballant.

É. L. : On se représente souvent la nature comme si on en était extérieur, mais le conte peut faire en sorte que les gens s'identifient à elle. Que ce soit à propos de l'histoire de la job d'un cloporte dans une craque de ruelle ou la job d'une saison qu'on a imaginé. Si on peut se reconnaître dans ces éléments-là, je pense qu'il y a un côté amoureux de la nature qui va émerger. C'est ces petites poésies qui m'accrochent et me font embrasser les éléments autour. Un jour, on a fait un lancement lors d'une grosse tempête de neige. Le monde est arrivé en retard. C'était la folie. À la fin du spectacle, j'ai reçu des messages de gens enthousiastes de vivre la tempête. Il y a comme eu une adéquation avec les éléments qui est née des histoires racontées. C'est le résultat qui se révèle à nous après avoir raconté une histoire.

F. M. : C'est un processus par lequel on arrête d'être toujours en lutte avec la nature. Dans l'histoire de notre relation à l'environnement au Québec, la religion catholique nous a amené·es dans un rapport sacré à la nature. Une œuvre de Dieu parfaite et belle. L'humain est séparé de la nature tout en étant au-dessus d'elle. Puis, on a évolué pour être davantage dans une relation de contrôle et de lutte. Ces deux visions du monde sont en nous. On essaie de trouver d'autres façons de s'engager, de dévoiler notre interdépendance, de jouer avec la nature. On explore comment on peut établir une relation avec elle sans être dans un romantisme fini ni dans une relation de domination.

ÀB ! : Quelles sont vos inspirations ?

F. M. : Je m'inspire de notre héritage canadien-français, mais aussi des cultures grecque et romaine. Dans ces cultures, on peut fouiller et trouver des éléments féconds pour la création de contes en jouant avec leurs codes. Ensuite, la culture canadienne-française agricole a développé des rites et des relations à l'environnement qui sont fortes et riches. Je pense à ma grand-mère et sa ferme comme une influence importante.

Sinon, des éléments qu'on prend rarement le temps d'analyser sont tout aussi inspirants. Je pense par exemple aux quatre saisons pour lesquelles nous avons créé une série de contes. Les gens sont souvent en lutte contre elles. Ainsi, l'automne est souvent dur pour le moral. On a donc écrit un conte sur le mois de novembre en retournant notre apriori négatif pour voir comment, en se nourrissant de la mort, novembre crée la première neige qui est l'un des plus beaux moments de l'année.

É. L. : Mon arrière-grand-père a été mineur et bûcheron en Abitibi. Mon grand-père a été mineur et étudiant. Dans leur mode de vie, il y a quelque chose de très proche de la nature, un travail de la terre, et à la fois, une exploitation des ressources. Ce n'est pas très loin de notre génération. De cet héritage, un de nos thèmes importants est celui de la nature qui nous donne, mais qui est aussi indomptable.

ÀB ! : En ce qui concerne les contes créés par votre duo, comment les testez-vous ?

F. M. : On présente généralement un premier jet devant les groupes citoyens. Ça nous aide à placer beaucoup de choses. Quand tu te retrouves devant quelqu'un·e et que tu racontes une histoire pour la première fois, c'est là que tu réalises que, maudit que c'était pas clair ton affaire ! Le conte permet de travailler une relation, tu t'adresses à quelqu'un·e. Tant que tu n'as pas cette relation, ce n'est pas clair ton ancrage est où.

É. L. : C'est agréable de présenter ces premières versions dans un contexte de communauté qui te connaît. Il y a plus de chance qu'elle te dise ce qui ne marche pas. On se sent aussi plus à l'aise. Il y a un lien de confiance qui s'est créé.

ÀB ! : Comment se déroule votre processus de création avec les groupes citoyens ?

É. L. : Durant la dernière année, on s'est intégré dans des groupes citoyens de Rosemont—La-Petite-Patrie à travers deux projets de recherche-création et d'accompagnement de projet participatif. Le but est que ces groupes puissent définir leurs propres récits. La première année servait davantage à la création d'une programmation culturelle. On a offert des contes et il y a eu des prestations de plusieurs artistes de différentes disciplines pour mobiliser et faire connaître le projet. Pour la deuxième année, on veut permettre à ces communautés d'écrire leurs propres récits, qui s'inspireront de la forme de ceux de Conteurs à gages en s'intéressant notamment aux enjeux socioécologiques de leur quartier. Ce qui est plaisant avec les communautés avec lesquelles on tisse des liens, c'est qu'on sent qu'elles ont le goût de jouer. Notre rôle est donc de partager nos outils pour qu'elles puissent s'épanouir dans des récits qui sont bien édifiés et inspirants.

F. M. : Le processus de création dépend de ce sur quoi on écrit. Quand tu écris des contes sur un territoire, des milieux de vie ou un parc, il faut qu'il y ait un ancrage personnel ou collectif. L'objectif est de développer des outils pour créer de nouveaux récits et que les gens puissent se les approprier. Par exemple, on a vécu plusieurs expériences au parc de Gaspé avec un groupe. Il y a un moment où t'as un déclic. Tu te rends compte que tu appartiens au parc. Il vit un peu en toi et fait partie de ton imaginaire. Quand tu ressens ça, tu peux commencer à travailler parce que tu es arrivé à une véritable relation au lieu. Ensuite, les filons émergent. Dans notre cas, les personnes qui vivent près de l'endroit sont celles qui le connaissent le mieux. C'est eux et elles qui portent l'histoire. Le groupe n'a pas nécessairement tous les outils pour structurer un conte, élaborer des personnages, créer un événement déclencheur et confectionner des retournements créatifs. On est là pour explorer ça avec lui, l'accompagner en utilisant nos outils. Par exemple, le concept de « héros doux », celui de filon, celui d'ancrage. On veut aussi travailler sur les forces de chaque personne. Ensuite, ces histoires pourront être écrites, structurées, imprimées et finalement, transmises. Une ruelle verte pourra avoir son recueil de contes qui explique, par exemple, l'origine de la ruelle ou qui raconte des histoires de voisinage.

ÀB ! : Vous incorporez parfois de courts commentaires éditoriaux dans vos contes. Comment composez-vous avec cet aspect ?

É. L. : Les éléments plus éditoriaux et politiques nous aident à démarrer une idée, mais vont rapidement se décliner en des enjeux plus grands et plus profonds. Après ça, dans la relation avec le public, ces éléments peuvent revenir. Je pense à un de nos contes qui s'appelle Le printemps silencieux. Il a tout le potentiel d'aborder la crise du logement actuelle, mais il traite aussi de tensions dans la société, de fiertés, de pouvoirs et de désir d'avoir plus.

ÀB ! : Que se passe-t-il pour Conteurs à gages dans les prochains mois ?

F. M. et É. L. : À la fin de l'hiver et au début du printemps, Conteurs à gage sera en écriture. L'univers des contes de saison continue de fleurir. Notre premier conte, Automne est paru en format audio le 17 octobre. On souhaite d'ailleurs remercier les artistes audios et visuels qui travaillent avec nous. Sinon, les groupes de citoyens qu'on accompagne seront en processus d'écriture de leurs contes. Puis, un troisième univers s'ouvre l'été prochain. Ce sont les contes et légendes des boisés de Laval en association avec l'organisme Canopée. Il rassemble des habitantes de Laval qui entretiennent des relations avec les boisés. Elles nous serviront de guide pour rédiger de nouvelles histoires…

Illustration : Laurie-Anne Deschênes. Photo : Conteurs à gages du 13 octobre 2023 (Masson Village).

Auprès de la mort

Le présent article rassemble les témoignages de trois femmes âgées offrant une fenêtre sur leur expérience de vie et leurs réflexions quant aux thèmes du deuil et de la mort. (…)

Le présent article rassemble les témoignages de trois femmes âgées offrant une fenêtre sur leur expérience de vie et leurs réflexions quant aux thèmes du deuil et de la mort. Il s'agit d'une invitation à l'écoute de personnes ayant leur propre vécu, sensibilités et visions du monde. Une brève tribune pour une parole humaine intime remettant ainsi à jour l'éternelle question : « Mort, où est ta victoire ? »

Face au suicide, créer des garde-fous

Rita, gestionnaire d'un programme d'aide aux résident·es d'un complexe immobilier

Sarah [1] était une résidente à laquelle je me suis tout de suite attachée. Bipolaire, après des moments de grande euphorie, elle sombrait dans des états dépressifs qui l'ont conduite à mon bureau. Je suis alors entrée dans ses confidences sur une vie très solitaire, marquée par le décès d'une maman adorée et des relations qui n'en étaient pas avec un fils impossible à convaincre de lui laisser voir sa petite-fille, dont la mère s'opposait à toute visite d'une femme aussi « dérangeante » qu'elle.

Quant à moi, je trouvais plaisant de l'entendre parler de ses joies d'enfant apprentie-peintre parce que j'admirais ses œuvres d'adulte. Je comprenais avoir affaire à une véritable artiste, douée non seulement pour la peinture, mais aussi pour la sculpture. Elle avait une façon de se raconter là-dessus qui pouvait être très drôle. Mais tout le monde n'était pas comme moi en position d'apprécier son goût de la facétie. Avec les autres résident·es, par exemple, quand elle commençait à se confier sur ses déboires, elle n'en finissait plus. Aussi évitaient-elles-ils de la croiser dans les corridors.

L'étonnant là-dedans, c'est qu'elle avait, parallèlement, un côté misanthrope qui l'amenait à aller faire ses courses en soirée de façon à ne rencontrer personne de connaissance. De peur qu'on ne la remarque, elle m'avait bien fait comprendre qu'elle ne viendrait me voir qu'après les heures de bureau. Cette après-midi-là, quand elle est arrivée vers 16h15, j'étais très fatiguée de ma journée de travail, je ne souhaitais qu'une chose : rentrer chez moi. Mais elle insistait. Je lui ai alors répondu que, non, pas cette fois-ci, elle n'avait qu'à venir plus tôt.

Les jours suivants, alarmée de ne plus la voir passer comme d'habitude, je me fis accompagner d'un gardien de sécurité pour ouvrir sa porte. Mon inquiétude était fondée, elle gisait morte, une bouteille vide d'eau de Javel à ses côtés.

Vous décrire mon sentiment de culpabilité après cette effroyable découverte, je n'y parviendrais pas. Et puis, j'ai réfléchi et compris que je n'étais pas responsable de son choix. Alors, j'ai réagi en me lançant dans une période d'activité intense où j'allais créer deux programmes, les Appels d'amitié et la Tournée des appartements avec un·e représentant·e du SPVM, afin de détecter les besoins d'aide de personnes vulnérables ou fragilisées.

Ces programmes ont prouvé depuis qu'ils peuvent faire la différence. Là réside ma consolation.

À l'approche d'une fin de vie, se tourner vers le concret

Diane, militante, traductrice et entrepreneure

Il refuse de m'entendre parler de mort prochaine, mais ne répugne pas à aborder le sujet lui-même, et je comprends tout à fait son attitude. Peut-être parce que, depuis que je le connais, je le vois vivre dans la douleur – avec une faiblesse pulmonaire doublée d'arthrose et des hanches artificielles. Fils d'un père tuberculeux, il a vécu son enfance entouré de constantes précautions. Il en a gardé la phobie d'être touché, ce qui aurait pu me poser problème. Mais non, le lien entre nous s'est avéré sentimental d'abord et avant tout.

Il faut dire que, jeune femme, j'ai connu pendant cinq ans l'enfer d'un premier ménage violent et ce, à l'étranger puisque mon mari de l'époque et moi avons commencé notre vie commune à Paris où nous étions étudiants tous les deux. Mon désarroi d'alors m'a conduite à me tourner vers le féminisme, lequel m'a permis de comprendre l'étendue de la maltraitance envers les femmes et de militer contre.

De retour au pays, douze ans ont passé pendant lesquels j'ai vécu seule. Échaudée, je ne cherchais pas à me remarier ni ne voulais d'enfant. Mon travail de traductrice et d'enseignante à l'Université me prenait tout mon temps, au point qu'à un moment donné, j'ai eu peine à honorer tous mes contrats. Ma rencontre avec Jean-Jacques, qui œuvrait aussi en traduction, m'a tirée d'affaire. Je l'ai mis à l'essai. Avec succès : il avait un style apte à bonifier le texte le plus médiocre ! Si bien qu'ensemble, nous avons fondé une entreprise.

Et les choses se sont enchaînées. Dans la maison que j'avais achetée sur les entrefaites, bien que chacun de nous y faisait appartement à part, notre relation nous est vite devenue indispensable, car, avons-nous découvert, nous pouvions y exprimer notre colère respective contre nos enfances muselées.

Sans doute faut-il voir dans notre histoire si atypique l'explication de notre rapprochement, encore plus grand depuis l'annonce faite par une pneumologue en janvier 2023 qu'il serait dorénavant forcé de recourir à une bonbonne d'oxygène en permanence. Et me voilà devenue assistante à la prise de pilules, aux déplacements, au réglage du CO2, au tri de papiers. Maintenant, chaque jour compte, nous le passons à discuter des aménagements concrets à faire dans notre mode de vie pour améliorer cette nouvelle phase de notre histoire commune. Le meilleur et le pire se sont confondus. J'espère qu'il en sera ainsi jusqu'à la fin.

En exil, s'ouvrir aux autres

Micheline, épouse aimante

Le mari avec qui vous me voyez aujourd'hui, ce n'est plus le même homme. Atteint d'Alzheimer, il redevient un enfant, et c'est en acceptant cette nouvelle forme de relation, que je continue de lui démontrer mon amour.

Au moment de notre mariage, début des années '70, il venait de sortir de l'Université avec un Bac en électrotechnique et une mineure en enseignement. Premier dans toutes les matières, il a reçu une invitation de la Québec Cartier Mining à venir visiter Gagnon, où on lui offrait un poste bien rémunéré et une maison sur place. Nous étions jeunes, ouverts à l'aventure ; de plus, cette invitation arrivait juste à point, car je venais d'être mise à pied par mon employeur. Notre réponse fut un « oui » enthousiaste.

Cette première expérience d'exil eut ses bons et mauvais côtés, mais elle ne nous découragea pas d'aller vivre ailleurs. C'est ainsi qu'au début de la décennie '80, cinq ans après notre expérience nordique, mon mari fut approché, cette fois, par la section internationale d'Hydro-Québec pour aller enseigner sa spécialité en Afrique. Là encore, nous fûmes partants, même si, nous avertit l'Ambassade, nous aurions, une fois sur le terrain, à censurer nos lettres et à éviter de prendre des photos. C'est seulement là-bas, que, face au spectacle déstabilisant de la misère de nos voisins autochtones, nous avons réalisé qu'en ce pays, le destin était le maître.

Parce que nous nous démarquions des colons sur place par notre simplicité de manières et notre absence de préjugés, on nous a adoptés, ce qui nous a protégés. Partant en voyage, par exemple, nous fûmes avertis de ne pas passer par un certain endroit. Mais la présence d'un danger toujours à redouter, me faisait peur. Par moments, il m'arrivait même de paniquer à la pensée de rester sans possibilité de retour.

Cette période reste pourtant dans mon souvenir comme la plus vivante de mon existence. Nous étions loin de chez nous dans un pays où la mort guette, c'est vrai, mais jamais nous n'avons oublié l'accueil des Africain·es quand ils ont compris que nous n'étions pas venus pour les humilier. Avec eux-elles, qui prenaient le temps de me saluer lors de mes promenades quotidiennes, je me sentais exister comme humaine. Cette sensation, impossible de l'avoir en restant dans son cocon, alors que, sur le qui-vive, la vie apparaît toujours belle et précieuse.


[1] Prénom fictif

Geneviève Manceaux est psychopédagogue et écrivain.

Le texte fait écho à notre dossier « La mort. Territoire politique et enjeu de pouvoir » paru dans notre numéro 98 et qui abordait le sujet selon ses dimensions politiques. Dans la même veine, nous vous invitons aussi à redécouvrir le dossier « Vieillir » de notre numéro 84.

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Il n’y a pas de mémoire révolutionnaire sans illustrations

11 octobre, par Élisabeth Doyon, Rémo — , , ,
Remi, alias Rémo, est illustrateur et bédéiste engagé. Depuis 2017, il réalise du dessin militant sur différentes causes et mobilisations, comme la grève de l'UQAM de 2019 ou (…)

Remi, alias Rémo, est illustrateur et bédéiste engagé. Depuis 2017, il réalise du dessin militant sur différentes causes et mobilisations, comme la grève de l'UQAM de 2019 ou les luttes décoloniales. Il s'est aussi investi auprès de la revue Fêlure. À l'occasion de la sortie de sa bande dessinée autobiographique L'Enfant-Homme, publiée par le collectif d'impression et d'édition féministe indépendant La Guillotine, À bâbord ! a souhaité s'entretenir avec lui.

À bâbord ! : Peux-tu nous parler un peu de ta BD ?

Rémo : Je l'ai rédigée et dessinée en 2020, en plein dans la pandémie. C'est ma première bande dessinée complète, c'est la première fois pour moi. Le thème central, c'est les abus, les abus sexuels, les abus de pouvoir. C'est un récit qui est tiré de ma réalité. Plus jeune, j'ai vécu une situation d'abus grave avec un ami de mon père qui est devenu mon employeur. Je travaillais de manière informelle chez lui : faire du jardinage, du ménage, des petits travaux… J'y ai vécu toutes sortes de violences : psychologiques, verbales et sexuelles. Bien sûr, j'étais très peu payé, bien en dessous du salaire minimum de l'époque. Cet homme compensait mon petit salaire en me donnant de l'alcool à volonté. Très jeune, je me suis donc mis à boire beaucoup, sur mon milieu de travail, c'était en quelque sorte ma paye. Ce contexte, le fait de lier ça au travail, ça a ouvert la porte aux abus. Je le pense maintenant : il n'y a pas une grande distance à parcourir entre être le maître des actions de quelqu'un et être le maître du corps de quelqu'un.

ÀB ! : Comment as-tu représenté ce contexte difficile ?

R. : D'abord il y a la présence continue de l'alcool, mais aussi une dimension cognitive, la mémoire, l'oubli. Subir la violence c'est trop douloureux, trop traumatisant. Ta mémoire l'élimine. Tu l'oublies, même si c'est arrivé la même journée. L'alcool augmentait cet effet. On veut oublier les abus et la violence sexuelle parce que ça fait trop mal. L'alcool endommageait ma mémoire et moi, je voulais qu'elle soit endommagée.

ÀB ! : À qui s'adressent ta BD et ton récit ?

R. : Premièrement, je l'ai fait pour moi. Je suis le premier lecteur, je l'ai fait parce que j'avais besoin de la faire. C'est un moyen de ne pas oublier. Il ne me restait que des flashs. En créant le récit et en le mettant sur papier, il ne peut plus s'envoler. Après, ça s'adresse à beaucoup de gens ! C'est sûr qu'il y a une expérience difficile et il faut une certaine maturité. Ça peut s'adresser autant à des adolescent·es qu'à des adultes. Mon but avec cette publication c'est de montrer une preuve des agressions, une version du moins. Ça se peut. Moi, je l'ai vécu. Si d'autres ont le même vécu, la BD est là pour leur dire : « moi aussi j'en ai vécu, de la violence sexuelle, ça existe ». Aussi, mon vécu est celui d'une agression au masculin, d'un homme et d'un adolescent. On en parle de plus en plus des agressions sexuelles et c'est une très bonne chose. Cette œuvre peut participer à la conversation d'un point de vue masculin, mais aussi le contexte d'abus liés au travail qui est très peu discuté.

ÀB ! : Quelle est la place de la BD pour aborder des sujets aussi difficiles ?

R. : La BD a sa place parmi les arts visuels dans l'ensemble, mais je pense que BD est en expansion au Québec. Il y a de plus en plus de gens qui en lisent, adolescent·es comme adultes. Il y a beaucoup de personnes au Québec qui sont intimidées par l'écrit, pour elles, la BD est un média plus accessible, moins intimidant qu'un roman ou des essais. La BD est un moyen artistique de plus. Aussi, il y a le récit comme tel. Pour moi, c'était très sensoriel : des ambiances, des sensations, des postures corporelles. Je me voyais mal passer ça par l'écrit. Il me fallait des illustrations. Par exemple, dans ma BD, il n'y a pas de décor, c'est des fonds noirs. Ça représente le souvenir, un morceau de mémoire qui flotte dans le vide, comme un cauchemar. Je me voyais mal faire flotter l'écriture pour transmettre ce message. Aussi, le personnage de l'agresseur, il avait plusieurs formes – c'était un ami de mon père, je l'aimais aussi, donc son visage se transforme. Avec la BD, ça passe mieux, on est habitué de voir les personnages changer selon la situation : la malléabilité des formes aidait mon propos avec la force de l'illustration.

Une amie m'a déjà dit : « il n'y a pas de mémoire révolutionnaire possible sans illustration ». Ça m'a marqué, je suis d'accord. Les causes et les difficultés décrites par les gens ont besoin de symboles. L'illustration est un marqueur facile : elle pose des bornes dans la mémoire.

Sans voix : carnets de recherche sur la radicalisation et l’islamophobie

Bochra Manaï, Sans voix : carnets de recherche sur la radicalisation et l'islamophobie, Éditions du Remue-Ménage, 2022, 144 pages. Dans le cadre de la lutte à la (…)

Bochra Manaï, Sans voix : carnets de recherche sur la radicalisation et l'islamophobie, Éditions du Remue-Ménage, 2022, 144 pages.

Dans le cadre de la lutte à la radicalisation, Bochra Manaï souhaite « faire émerger les récits marginalisés et amplifier les paroles absentes ». C'est donc dans un souci de « jeter les bases d'une réelle conversation transformatrice » qu'elle partage la voix des personnes principalement concernées et affectées par le phénomène de radicalisation, mais aussi celle de diverses personnes musulmanes, dont elle-même, dans un contexte national et international d'islamophobie. À travers le partage de son expérience personnelle, des entrevues et rencontres tenues au cours de son projet de doctorat, des interpellations publiques et politiques, de la triste actualité qui opère en parallèle et de la couverture médiatique qui en découle, nous sommes amené·es à découvrir toute la toile d'influences de cette problématique sociale.

En situant ce contexte social et son impact sur les communautés ou les individus, l'autrice réoriente la réflexion autour des sources de la colère ou de la rupture pouvant mener à la radicalisation plutôt que d'associer cette source à la religion, qui ne devient qu'un instrument pour la canaliser. Elle déconstruit l'idée de la radicalisation comme état et met plutôt en lumière le processus d'exclusion qui mène à cette violence. Cette exclusion découle de la création d'un Autre, généralement défini par les systèmes d'oppressions comme le patriarcat, le racisme et l'âgisme. Bochra Manaï nous invite alors à réfléchir à « ce qui se trame derrière nos dénis dès qu'il s'agit d'islamité ou de jeunesse ». Le refus de reconnaître l'islamophobie ou le racisme systémique mène à l'incapacité de saisir l'exclusion sociale, notamment sur la question de légitimité de la parole, de la reconnaissance de l'expérience ou de l'opinion, d'une réelle écoute et donc, d'une rencontre. Cet argument est étayé d'exemples concrets de tensions sociales ayant émergées des événements autour de la présence musulmane : les débats polarisants sur les accommodements raisonnables, la création de la Charte des valeurs ou l'instauration de la loi 21, par exemple.

Pour briser ce cycle, les paroles rapportées et la proximité avec les réflexions et les émotions de l'autrice permettent la rencontre avec l'humain. Manaï nous invite à porter un regard honnête, empathique et sensible sur les vies qui sont impliquées dans ces enjeux souvent réduits à l'actualité polémique et à une action politique déconnectée. L'exemple du plan d'action gouvernemental créé afin d'agir sur la radicalisation démontre l'incompréhension, sinon le refus, de reconnaître et d'agir sur les fondements de cet enjeu et ce, malgré les demandes effectuées par les communautés musulmanes lors des consultations préalables. En effet, dans ce plan, la radicalisation semble déjà uniquement tournée vers les musulman·nes, mais de plus, l'enjeu de l'islamophobie n'y est simplement pas abordé. On en vient rapidement à voir comment une supposée mobilisation politique et citoyenne contre la radicalisation a, en fait, instrumentalisé, omis ou occulté les principaux concerné·es et les racines du problème en accroissant plutôt la sécurité et la vigilance au nom du vivre-ensemble. Sans surprise, un raté.

Au fur et à mesure, on prend aussi conscience de notre propre rôle comme lecteur·rice. Dans un contexte politique et médiatique où toutes les énergies du gouvernement caquiste servent à nier le racisme systémique et l'islamophobie plutôt qu'à essayer de les comprendre, et alors que le sensationnalisme l'emporte, personne n'est à l'abri de la polarisation. Et puisque la radicalisation découle, selon Bochra Manaï, d'une rupture sociale créée par une incompréhension mutuelle, ces carnets permettent la rencontre et favorisent le regard critique et la compréhension.

Fake news - Tout sur la désinformation

Nereida Carrillo et Aberto Montt, Fake news - Tout sur la désinformation, Les 400 coups, 2023, 120 pages. Le tandem à la source de ce livre sur les nouvelles frelatées (…)

Nereida Carrillo et Aberto Montt, Fake news - Tout sur la désinformation, Les 400 coups, 2023, 120 pages.

Le tandem à la source de ce livre sur les nouvelles frelatées s'avère des plus pertinents à l'heure où, tellement souvent, nous sommes englué·es dans la toile et ses méandres. L'ouvrage, tant sur le front documentaire que sur celui d'une proposition graphique percutante, vient stimuler notre curiosité naturelle en prenant soin de nous épauler à devenir plus alertes et critiques face à l'information pléthorique se trouvant sur les internets. Par exemple, le principe de vérification a quelque chose d'incontournable afin de contre-valider l'actualité. On nous y présente ainsi des méthodes de vérification utiles comme PANTERA (provenance, auteur, nouveauté, ton, éléments de preuve, réplique, agrandir). Le grand mérite de ce livre n'est pas de fournir des vérités mais de laisser des questions ouvertes ; notamment au niveau de l'élargissement des perspectives quant à l'information ou encore, pourquoi tel sujet et pas tels autres ? Journaliste, chercheuse, enseignante – et aussi animatrice du projet d'éducation aux médias Learn to Check – Nereida est acrobate sur tous ces sujets. Il en va de même pour le dessinateur Alberto Montt, dont les personnages hyperréalistes et un peu fous (son trait a des parentés avec Gary Larson et Farside Gallery) ajoutent une valeur certaine au contenu. Le Pinocchio en couverture l'illustre à merveille…

Travailler moins ne suffit pas

Julia Posca, Travailler moins ne suffit pas, Écosociété, 2023, 144 pages. Nous rêvons tous de moins travailler. Mais étant donné la place incontournable qu'occupe le (…)

Julia Posca, Travailler moins ne suffit pas, Écosociété, 2023, 144 pages.

Nous rêvons tous de moins travailler. Mais étant donné la place incontournable qu'occupe le travail dans nos vies, nous nous rendons rapidement compte qu'il y a un fossé à franchir entre cette pensée et sa réalisation. On se pose les questions suivantes : est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Quelles en seront les conséquences ? C'est à ces questions que répond adroitement la sociologue Julia Posca dans Travailler moins ne suffit pas.

La réduction du temps de travail a été une des grandes victoires du mouvement social depuis le XIXe siècle, alors qu'un ouvrier pouvait travailler de 10 à 16 heures par jour, pour un nombre estimé à 3000 heures par année. Les progrès sont tels que la prochaine étape consisterait à passer à la semaine de quatre jours, un choix parfaitement envisageable, d'après la démonstration de Posca. Mais avec la pénurie de main-d'œuvre, sera-t-il encore possible de poursuivre dans cette direction ? L'autrice montre que cette pénurie affecte surtout les secteurs où le travail est le plus difficile et les salaires les plus bas, là où les femmes sont majoritaires : le travail du soin et les services. Dans ces cas, il faut bien plus que la semaine de quatre jours pour empêcher ces personnes d'être traitées « comme de simples ressources susceptibles d'être reléguées à tout moment au rang de vulgaire déchet. »

Moins travailler a des conséquences sur la consommation, et incidemment, sur l'environnement. Il s'agit là d'un des aspects les plus intéressants de cet essai. Le développement du capitalisme, surtout dans sa période fordiste, a associé la diminution des heures de travail à une plus grande consommation qui fait rouler l'économie. Aujourd'hui, avec le réchauffement climatique et la crise environnementale, ce modèle ne peut plus tenir. Pour résoudre ce problème, il faut changer la forme des entreprises. La surproduction, les emplois inutiles, mais valorisés, les performances boursières des grandes entreprises sont autant d'obstacles qui font que même si on arrive à une réduction des heures de travail, le monde dans lequel nous vivons sera de plus en plus fragilisé. Julia Posca propose donc de mettre fin à la course au profit, par l'économie sociale, les services publics et les organismes sans but lucratif, davantage préoccupés par la qualité de vie et la justice sociale.

L'essai de Julia Posca, concis et très pédagogique, développe une réflexion globale sur le travail. Les sujets dont on parle beaucoup, comme la pénurie de main-d'œuvre, le rêve de prendre sa retraite à quarante ans, ou les liens entre travail et consommation, sont abordés dans une large perspective qui ramène les débats à leur racine : tout, dans le fond, demeure une question d'organisation sociale, et celle qui est la nôtre n'est pas une fatalité.

Mélanie Joly et ses conflits d’intérêts visés par les postiers en grève

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/10/31cfbaea-432f-49cd-9e68-17e6ba4e89921-scaled-e1760128442865-1024x506.jpg10 octobre, par Comité de Montreal
Les travailleurs de Postes Canada à Montréal ont dérangé ce matin une allocution de la ministre fédérale de l’Industrie. Celle-ci s’adressait dès 8h30 à un événement fermé (…)

Les travailleurs de Postes Canada à Montréal ont dérangé ce matin une allocution de la ministre fédérale de l’Industrie. Celle-ci s’adressait dès 8h30 à un événement fermé réservé à l’élite économique montréalaise. Il fallait débourser 130$ par personne pour assister à son discours de moins (…)
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