Recherche · Dossiers · Analyses
Toujours au devant

Les médias de gauche

Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

Derniers articles

Écofacisme, la menace fantôme

15 avril, par Philippe Vion-Dury — ,
Le terme d « écofascisme », qui désigne une tendance à l'écologisation de l'extrême droite. Les récents événements politiques en France et ailleurs tendent pourtant à montrer (…)

Le terme d « écofascisme », qui désigne une tendance à l'écologisation de l'extrême droite. Les récents événements politiques en France et ailleurs tendent pourtant à montrer tout le contraire : c'est un bien un carbofascisme » qui monte en puissance, accro aux combustibles fossiles et totalement indifférent, sinon hostile, aux impératifs écologiques.

tiré de Fracas, Le média des combats écologiques, no. 2, Hiver 2025 | Illustration Asis percales

Assistons-nous au retour du fascisme' ? Pour les uns, la réponse ne fait aucun doute, comme en témoignent la percée électorale des extrême droites européennes, la stabilisation du trumpisme au pouvoir, ou encore la naturalisation dans le débat public d'idées naguère considérées comme racistes ou attentatoires aux libertés publiques et à la démocratie. Pour les autres, goguenards, la gauche continuerait de crier au loup dans un accès de panurgisme incantatoire, et le mot de fascisme n'aurait plus aucune substance. D'ailleurs, nous disent-ils, on voit bien qu'il y a peu de ressemblance entre un Jordan Bardella cravaté et un Waffen SS botté. Nul besoin, pourtant, que le néo-fascisme soit un duplicata du fascisme du XXe siècle : celui-ci émerge, en temps que force historique, d'une époque particulière et d'une crise qui détermine sa forme.

L'historien du fascisme Robert Paxton nous adressait ainsi cette mise en garde, il y a tout juste 20 ans, alors que le libéralisme triomphant pérorait encore avec Fukuyama sur une supposée « fin de l'histoire » : « Le fascisme du futur - réaction en catastrophe à quelque crise non encore imaginée- n'a nul besoin de ressembler craie pour craie, par ses signes extérieurs et ses symboles, au fascisme classique. Un mouvement qui, dans une société en proie à des troubles, voudrait "se débarrasser des institutions libres « afin d'assurer les mêmes fonctions de mobilisation des masses pour sa réunification, sa purification et sa régénération, prendrait sans aucun doute un autre nom, et adopterait de nouveaux symboles. Il n'en serait pas moins dangereux. » [1]

Il est évidemment tentant de voir dans la catastrophe écologique cette « crise encore non imaginée » qui viendrait, en interaction avec d'autres crises, mettre sous pression les systèmes politiques et sociaux, et contribuer à modeler un corps nouveau au fascisme. De plus en plus d'observateurs osent en tout cas l'affirmer. « Tout semble en place pour une réinvention du vieux fascisme européen autour de la question environnementale », écrit ainsi le journaliste au Monde et spécialiste de l'écologie Stéphane Foucart [2]. Et effectivement, non seulement est-il difficile de concevoir que le fascisme au XXIe siècle puisse s'abstraire de la catastrophe écologique, mais l'enjeu écologique est, par définition, un défi lancé à toutes les traditions politiques, du socialisme au capitalisme, et qui leur impose de se réinventer à l'aune de contraintes nouvelles.

D'où l'émergence progressive dans l'arène politique de deux approches : l' « écofascisme" et le « fascisme fossile »- ou le « carbofascisme », comme l'a aussi désigné l'historien de l'énergie Jean-Baptiste Fressoz. [3] Là où l'écofascisme entend régler la question écologique en s'y adaptant, l'autre la rejette entièrement. Comme deux frères siamois ... mais il ne pourra pourtant en rester qu'un.

Écofascisme ou carbofascisme

Les deux courants répondent aux impératifs caractéristiques du fascisme théorique : réunifier un peuple menacé, le régénérer en retrouvant un âge d'or fantasmé, le purifier par le nettoyage de l'ennemi intérieur et la défense contre l'ennemi extérieur. De là, leurs approches diffèrent pourtant radicalement. L'écofascisme pense avant tout depuis le local ct le terroir. Selon l'idéologie écofasciste, la communauté autochtone fait corps avec son environnement direct auquel elle serait adaptée, et ce lien organique serait menacé par l'arrivée de populations « allochtones », étrangères, inadaptées culturellement comme biologiquement. Le « grand remplacement », concept raciste et paranoïaque de l'idéologue d'extrême droite Renaud Camus, devient aussi un écocide, où l'on peut critiquer à la fois le musulman qui n'aurait aucun respect pour la terre qu'il vient occuper et l'artificialisation des terres nécessaire à son accueil. Le théoricien écofasciste Pierre Vial se sent ainsi autorisé à écrire : « Est-il hérétique de dire qu'il y a quelque raison pour qu'un Congolais soit plus à l'aise au bord de son fleuve que dans les forêts de Haute Savoie ? ». C'est donc un exercice de synthèse que tente de mener l'écofascisme, prétendant à l'instar d'Alexandre de Galzain, le rédacteur en chef du média d'extrême droite Livre Noir, qu'il « n'y a rien d'incompatible à lutter à la fois contre le grand remplacement et contre le grand réchauffement ». Voire même de prétendre, toute honte bue, comme l'influenceur d'extrême droite Julien Rochedy, que l'écologie aurait été dérobée à la droite par la gauche. [4]

Le carbofascisme, lui, se pense avant tout à partir du cadre national, et en épousant une logique de puissance et de domination. li faut « déchaîner la domination énergétique des Etats-Unis », a ainsi déclaré l'élu Lee Zeldin dès sa nomination par Trump comme nouveau directeur de l'Agence de protection de l'environnement, l'organe gouvernemental chargé de lutter contre les émissions et la pollution. De la nature, du terroir, des liens organiques qui lieraient un peuple et son biotope, le carbofascisme n'en a cure, sauf lorsqu'il s'agit d'instrumentaliser la figure de l'agriculteur ou les survivances d'un passé mythifié. « Contrairement aux fascismes européens du début du XXe siècle, qui prospéraient sur un Etat fort et valorisaient le terroir, le paysage et la nature comme des éléments précieux de l'identité nationale, les fascismes émergents sont devenus les compagnons d'une idéologie libertarienne qui prône le démantèlement de l'État, la dérégulation totale de l'activité industrielle, et la poursuite sans entraves de la destruction de la nature et du climat », remarque Stéphane Foucart. Un rapport à l'enjeu écologique qui se réduit à l'enjeu climatique, que le carbofascisme nie- un « canular » et une « escroquerie », selon le 47e président des États-Unis - en alimentant par tous les moyens la machine du doute sur la réalité du changement climatique et son ampleur. « Le carbofascisme implique une fuite en avant à tous les niveaux, résume l'essayiste Pierre Madelin. Accra aux combustibles fossiles, totalement indifférent aux conditions écologiques de sa survie, il est disposé à emporter dans sa tombe le legs de plusieurs milliards d'années d'évolution. » [5]

Plus qu'un refus de comprendre, certains voient même dans l'éloge débridé des énergies fossiles et du mode de vie écocidaire qu'elles soutiennent le signe d'un coup d'État climatique. Le philosophe Mark Alizart identifie le carbofascisme comme « une nécessité plus perverse qui est tout simplement celle de faire en sorte que la crise écologique ait lieu, et dans les plus grandes proportions possibles » [6]. Le philosophe y voit une volonté de régénération du capitalisme, et s'en réfère à l'analyse de Léon Trotski, presque un siècle plus tôt : « Le fascisme est le visage monstrueux que le capitalisme prend quand il ne peut plus se perpétuer qu'à la condition de liquider ses stocks. »

L'IDIOT (UTILE) DU VILLAGE

S'il est toujours hasardeux de se laisser aller à l'exercice de la prospective, difficile de croire, dans un avenir proche, que l'écofascisme puisse l'emporter sur son alter ego accro aux hydro-carbures. li bénéficie certes d'une histoire plus longue, d'un corpus théorique plus solide, de figures. li a aussi pu avoir quelque influence sur des partis, comme les « Localistes » Pierre Juvin et Andréa Kotarac, un temps écoutés au RN, mais sans impact décisif Bref, l'écofascisme n'a pas réussi à dépasser le pittoresque ...

« L'écofascisme, s'interroge Pierre Madelin, aussi sincères puissent être certains de ses idéologues dans leur volonté de décroître et de préserver la nature, n'est-il pas appelé à devenir l'idiot utile, l'apparat idéologique d'une extrême droite qui en ferait un usage stratégique pour parvenir au pouvoir avant d'en revenir, une fois celui-ci conquis, à une politique carbofasciste ? » [7]. Le village, le terroir, les travailleurs au champ ... de belles images à convoquer opportunément contre la dilution « mondialiste », comme l'a mis en lumière l'instrumentalisation par l'extrême droite en France et en Europe de la crise agricole de l'hiver 2024.

Car c'est bien le carbofascisme qui, partout, progresse ou triomphe. L'AfD, le parti allemand d'extrême droite qui remporte victoires sur victoires, s'emportait en 2023 contre l'« hystérie irrationnelle du CO2, qui détruit structurellement notre société, notre culture et nos modes de vie » [8] , et faisait l'apologie, sur ses affiches, du diesel, en revendiquant de pouvoir « rouler avec sa bagnole comme on veut. En France mais aussi en Italie, où l'extrême droite est déjà au pouvoir, on veut serrer les freins sur la transition énergétique et masquer sa politique écocidaire derrière le voile d'une relance nucléaire irréaliste. En Pologne, premier producteur européen de charbon, le parti d'extrême droite Confédération Liberté et Indépendance a choisi pour slogan : « une maison, une pelouse, un barbecue, deux voitures, des vacances ». Que dire de Donald Trump qui vient de nommer Chris Wright, ex-patron de l'entreprise d'exploration et de production pétrolière Stroud Energy, comme ministre de l'Energie, mais s'est aussi engagé à lever toutes les limitations au forage, fait l'éloge de la fracturation hydraulique, et veut maintenir le statut des États-Unis de premières puissance pétrolière du monde. Difficile, pour les forces écologistes et de gauche, de se tromper d'adversaire. « Partout dans le monde, remarque Mark Alizart, le véritable affrontement politique de notre temps se décante et se cristallise : ce n'est pas celui entre le centre mou libéral et le souverainisme conservateur, mais entre l'écosocialisme et le carbofascisme. [9]


[1] Robert Paxton, Le fascisme en action, Paris, Seuil, 2004

[2] Stéphane Foucart, Tout semble en place pour la réinvention du fascisme autour de la question environnementale », Le Monde, 17 novembre 2024.

[3] Jean-Baptiste Fressoz, « Bolsonaro, Trump, Duterte…, La montée de l'écofascisme », Libération, 18 octobre 2018.

[4] Pour se document sur l'écofascisme, ses théoriciens issus de la Nouvelle droite, ses courants et figure en France et aux États-Unis, se rapporter à l'ouvrage de Pierre Mandelin, La tentation écofasciste, Écosociaété 2023.

[5] Pierre Madelin, La tentation écofasciste, Écosociété, 2023

[6] Mark Alizart, Le coup d'État climatique, PUF, 2020

[7] Op.cit.

[8] Grégory Rzepski, Droites en fusion. Le Monde diplomatique, juin 2024.

[9] Op.cit

La grande hypocrisie « verte » nord-sud

15 avril, par Bernard Duterme — ,
L'édito de la dernière parution de la collection Alternatives Sud, Business vert en pays pauvres. 9 avril 2025 - Source : Alternatives sud (…)

L'édito de la dernière parution de la collection Alternatives Sud, Business vert en pays pauvres.

9 avril 2025 - Source : Alternatives sud
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/09/la-grande-hypocrisie-verte-nord-sud/

Quatre ou cinq brèves assertions pour entamer cet éditorial. Quatre ou cinq truismes certes, mais que l'on se sent l'obligation de rappeler avant d'aller plus loin. L'ampleur du désastre écologique d'abord, sa centralité, son urgence. Annoncé par les scientifiques et les activistes depuis des lustres, il explose aujourd'hui dans toute son irréversibilité, par l'hypothèque qu'il fait peser sur la préservation de la biodiversité et des équilibres naturels. Son injustice ensuite, les premières et principales victimes de la crise environnementale et climatique n'étant pas ses premiers et principaux responsables. Les populations vulnérables et les pays pauvres d'un côté, les populations aisées et les pays riches de l'autre. En cause, les répercussions du productivisme et du consumérisme abusifs de ces derniers, la couche démographique la plus opulente – et donc la plus pollueuse – de la planète, moins d'un quart de l'humanité.

D'où, troisième point, la « dette écologique » considérable [1]… dont les « gros mangeurs » sont redevables aujourd'hui envers les nations ou les personnes qui font les frais du festin auquel elles n'ont pas pris part. Or, quatrième évidence, au lieu de l'honorer à la hauteur et à la vitesse requises, cette dette écologique, les grandes puissances économiques, publiques et privées, sont occupées à la creuser davantage encore. En menant des politiques dites de « développement durable » ou de « Green Growth », qui tendent à aggraver les fractures sociales et environnementales. Business vert en pays pauvres, c'est précisément l'objet de ce livre, la grande hypocrisie Nord-Sud consistant à « déplorer les effets dont on continue à chérir les causes », selon la formule consacrée. Prétendre contrer l'effondrement en l'empirant. Qu'en pensent celles et ceux, au Sud, qui y voient du « néocolonialisme vert » ? Tel est le propos des pages et des articles qui suivent.

Néocolonialisme vert

Et d'ailleurs, que faut-il entendre par « néocolonialisme vert » ? À quoi renvoie, au Sud, la notion de néocolonialisme vert ? Ou plutôt, à quoi cette notion renvoie-t-elle en pays pauvres, car au Sud, depuis quelques décennies déjà, ont émergé de nouveaux pays industrialisés (NPI), de nouvelles puissances plus ou moins dominantes, des pays riches… qui, aux yeux des pays pauvres, se rendent également responsables de néocolonialisme vert. Et ce, sur le même mode ou presque que les pays du Nord, soit les pays d'ancienne industrialisation, les premiers grands pollueurs historiques, ainsi que leurs multinationales qui, mondialisation aidant, ont pris pied aux quatre coins du Sud global.

Le colonialisme, le néocolonialisme, on connaît, mais en fonction de quoi peut-on désormais le taxer de « vert » ? À partir de quel moment doit-on colorier en vert de très actuelles entreprises d'exploitation de territoires étrangers ou de nouvelles dynamiques d'assujettissement politico-économique d'anciennes colonies ? La réponse est simple : dès que ces entreprises et dynamiques invoquent des motifs écologiques pour justifier leur ingérence. En d'autres mots, dès qu'un acteur dominant, public ou privé, mobilise des raisons de préservation de la biodiversité ou de sauvegarde des équilibres climatiques pour légitimer ses interventions intéressées en terrain dominé, l'utilisation de la formule « néocolonialisme vert » prend tout son sens.

Pour autant, au Sud, en pays pauvres, il n'y a pas nécessairement consensus quant à ce qui doit être dénoncé (ou pas) comme du néocolonialisme vert. Les opinions publiques, les États, les gouvernements, les entreprises privées, les organisations sociales divergent, forcément. Différentes formes de conservatisme vs de progressisme prévalent, différents degrés de nationalisme ou de souverainisme également, l'aspiration à l'amélioration urgente des conditions matérielles de vie demeurant centrale, tandis que la sensibilité « écosocialiste » – partagée par la plupart des « Points de vue du Sud » réunis dans cet Alternatives Sud – y est plutôt minoritaire. Et même chez ces derniers, intellectuel·les et militant·es plus ou moins critiques de l'Occident ou du capitalisme ou du productivisme…, la cible « néocoloniale verte » peut varier sensiblement.

Pour beaucoup, c'est l'instrumentalisation de l'impératif écologique par les pays riches qui pose problème, qu'elle soit convictionnelle ou concurrentielle, c'est-à-dire qu'elle ait pour objectif prioritaire de « sauver la planète » ou de « grossir les taux de profit ». Ainsi, le protectionnisme vert aux frontières occidentales, l'imposition de normes « durables » aux échanges commerciaux ; les réticences ou les conditionnalités mises au transfert des technologies propres ou aux financements des politiques d'atténuation des catastrophes environnementales, mais surtout de réparation et d'adaptation à leurs effets déjà irréversibles ; la ruée vers « les minerais de la transition » ou la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières agroforestières, nécessaires au verdissement des économies dominantes ; ainsi que d'autres mesures encore, liées au marché du carbone notamment, apparaissent comme les principaux vecteurs du néocolonialisme écologique pratiqué par les pays les plus puissants à l'égard des pays pauvres.

Comme le soulignent Audrey Gaughran et Bart-Jaap Verbeek (2024) du centre d'étude SOMO, cette tendance protéiforme est l'expression de la « course géopolitique » que se livrent les premières économies mondiales – les États-Unis, l'Union européenne, la Chine, auxquelles on ajoutera les pétromonarchies du Golfe notamment – « pour gagner la transition verte ». Prioritairement, les grandes puissances « s'efforcent de s'assurer qu'elles et leurs entreprises arrivent en tête, en contrôlant les technologies vertes et en accroissant leurs économies. Elles partent avec des avantages considérables – fondés sur de profondes injustices historiques, surtout pour le pôle occidental – et leurs approches compétitives sapent les perspectives de développement durable de la plupart des autres pays. »

La concurrence entre géants économiques surdétermine l'ensemble. Les grands cadres politiques et législatifs prétendument « durables » définis par les États-Unis et l'Union européenne dans l'après-pandémie – tels que l'Inflation Reduction Act en 2022 à Washington ou l'European Green Deal et le Critical Raw Materials Act à Bruxelles en 2023 et 2024 – sont d'ailleurs à considérer d'abord comme des réponses à la politique du Made in China lancée dès 2015 par Pékin. Dans tous les cas, il s'agit de donner « un coup de pouce massif à leurs industries et entreprises » par le biais « de subventions et d'aides publiques diverses », en exerçant « une influence sur la politique étrangère en leur nom » et en s'appuyant sur « un ensemble de lois inéquitables en matière de commerce, d'investissement et de fiscalité, rédigées de manière à favoriser les intérêts du Nord global » (Gaughran et Verbeek, 2024) ou ceux des nouvelles puissances du Sud global.

Même dénonciation du néocolonialisme vert chez Jomo Kwame Sundaram, économiste malaisien, figure tiers-mondiste et chercheur associé au CETRI, selon lequel les nouvelles politiques affichées « équitables et durables » du Nord global sont empreintes d'une hypocrisie qui laisse intacts les mécanismes de domination, dont les effets aggravent tant les inégalités sociales que les dérèglements écologiques. Il en va ainsi, par exemple, du « Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM) » dont s'est récemment doté l'Union européenne. Mécanisme qui va lui permettre d'imposer un surcoût une « taxe carbone » – aux importations de fer, d'acier, de ciment, d'engrais, d'aluminium, d'électricité et d'hydrogène produites hors Europe par des entreprises non soumises, comme leurs concurrentes européennes, à des normes environnementales les contraignant à payer un prix pour les gaz à effet de serre émis. Pour Sundaram, cet instrument qui vise officiellement à réduire les émissions ne va qu'accentuer les fractures Nord-Sud (Sundaram, 2024).

Dans cette configuration de rapports asymétriques qui tend à prévaloir en matière de politiques « écologiques », de nombreux pays, africains, asiatiques et latino-américains pour la plupart, se voient confirmer, d'une part, leur rôle historique de fournisseurs de matières premières – des matières premières toujours transformées ailleurs, mais à des fins de préservation de la nature cette fois – et d'autre part, leur destin subalterne d'acheteurs – incités à l'être, pour le moins – de technologies vertes vendues par les États-Unis, l'Union européenne et la Chine pour l'essentiel. Kudakwashe Manjonjo et Karabo Mokgonyana du groupe de réflexion Power Shift Africa y voient aussi les marqueurs du green neo-colonialism à l'œuvre dans les rapports Nord-Sud. Les mesures prises ces dernières années par ces trois géants mondiaux « renforcent l'inégalité des échanges commerciaux, qui empêche l'Afrique et les autres pays en développement de développer leurs propres économies vertes » (2024).

La priorité des grandes puissances est de « gagner la course aux énergies renouvelables, la guerre économique mondiale de l'industrialisation verte. Or, quand les éléphants se battent, c'est l'herbe qui souffre. L'Union européenne, les États-Unis et la Chine sont déterminés à l'emporter, à sortir vainqueurs, et se moquent de savoir qui perd, tant que ce n'est pas eux. Dans cet affrontement, il semble que l'Afrique soit une fois de plus l'herbe qui souffre. (…) Les ‘partenariats verts' injustes entre le Nord et le Sud amplifient la dégradation de l'environnement et aggravent les inégalités. Les puissances extérieures profitent d'accords commerciaux inéquitables et des schémas historiques d'extraction des richesses, tandis que les communautés africaines supportent l'essentiel des coûts » (Manjonjo et Mokgonyana, 2024).

Parmi les principaux contempteurs du « néocolonialisme vert » des pays dominants, on le devine, figurent une bonne part des gouvernements du Sud, lesquels mettent davantage en cause l'imposition de régulations écologiques – hautement préjudiciables par exemple à l'Afrique du Sud, où le charbon reste une source d'énergie majeure – que la logique même du capitalisme mondialisé. Fortes d'un des grands principes d'équité Nord-Sud entérinés par la communauté internationale dès le Sommet de la Terre de 1992 – celui des « responsabilités communes mais différenciées », qui octroie aux « pays développés », en vertu de leur passif (environnemental) et de leurs actifs (financiers et technologiques), le plus grand devoir de résolution des crises écologiques –, ces voix officielles du Sud dénoncent urbi et orbi tout obstacle mis par les économies du Nord, au nom de la décarbonation énergétique, à la libre circulation de leurs exportations. « À vous de faire les efforts, pas à nous », l'empreinte environnementale d'un individu africain moyen étant encore sept fois moindre que celle de son équivalent européen.

C'est ce même discours que le président Lula notamment, poussé par les grands groupes du business brésilien, martèle dans les enceintes internationales. Une exacte copie inversée du plaidoyer libre-échangiste/protectionniste de Trump, Xi Jinping, von der Leyen et consorts pour « plus de libéralisation chez eux et moins chez nous ». Ouvrez vos frontières, nous protégeons les nôtres. Un « anticolonialisme de marché » en quelque sorte, pour paraphraser la caractérisation que fait Le Monde diplomatique (24 octobre 2024) du positionnement des BRICS+, le nouvel héraut autoproclamé du Sud global. Peu ou pas de mise en cause en tout cas des fondamentaux du modèle conventionnel de développement tiré par les investissements transnationaux, l'afflux de capitaux étrangers et les exportations. En témoigne une nouvelle fois, exemple parmi d'autres, la tonalité anti-clauses sociales et environnementales des positions des pays du cône sud de l'Amérique latine dans les négociations de l'accord commercial entre le Mercosur et l'Union européenne (Wintgens, 2024).

En cela, note l'organisation asiatico-africaine IBON lors d'un webinaire consacré aux alternatives locales aux politiques climatiques mainstream (https://climatejusticehub.org, 30 septembre 2024), le bras de fer Sud-Nord sur ces questions renforce, davantage qu'il ne questionne, les solutions par le marché et la pleine subordination au commerce mondial. Incidemment, quand elle se focalise sur les seules tentatives de régulation environnementale, cette dénonciation par le Sud du néocolonialisme vert peut aussi coïncider, si pas converger, avec le bashing systématique de l'écologie dite « punitive » et le déni climatique auquel se livrent, avec force approbation populaire, les droites nationales-populistes occidentales [2]. Et partant, participer de la perpétuation d'un modèle de développement capitaliste prédateur, quand bien même le productivisme effréné et le consumérisme des privilégiés qu'il nourrit sont responsables des écarts sociaux et des catastrophes écologiques qui affectent d'abord les couches sociales et les pays les plus vulnérables.

À relever enfin le peu de réceptivité des opinions publiques du Sud, en particulier dans les milieux démunis, à l'« éco-anxiété » occidentale ou, plus concrètement, aux campagnes « écoresponsables » de gestion des déchets par exemple, lancées là-bas par les institutions internationales concernées (PNUE, etc.) et relayées par les autorités locales. Là où les besoins matériels de base – accès à l'électricité, à l'eau courante… – ne sont pas assouvis, peu de place forcément pour les préoccupations « postmatérialistes » sur l'état de la biodiversité et les dérèglements climatiques. La sensibilité écologique, on le sait, reste très située socialement et culturellement (CETRI, 2020). Comment s'émouvoir de « la fin du monde » quand « la fin du mois », de la semaine, de la journée requiert toutes les énergies mentales et physiques ? Peu d'anticapitalisme non plus, dès lors, dans les allergies populaires au néocolonialisme vert, et encore moins d'antiproductivisme ou d'appels à une sobriété postdéveloppementiste, mais un rejet épidermique de toute norme « durable » ou frein politiquement correct à l'accès à la consommation… vitale.

Fausses solutions

Dans les articles qui composent cet Alternatives Sud en revanche, le réquisitoire contre le « néocolonialisme vert » pratiqué en pays étrangers par les acteurs économiques dominants, publics et privés, colle de près à la critique du système capitaliste et/ou du développement productiviste. Elle en est même le corrélat, la condition. La supposée « transition » climatique ou énergétique « hégémonique » menée par ces acteurs n'est pas « juste », ni socialement ni écologiquement. Elle repose sur l'implémentation d'un éventail de « fausses solutions » en pays pauvres qui, les unes ajoutées aux autres, perpétuent la logique antédiluvienne du modèle de développement prédateur, repeint en « nouveau pacte durable », administré par les empires coloniaux et postcoloniaux dans leurs zones d'influence tropicales.

Sous ce leitmotiv de « fausses solutions », on trouve en vrac : les mégaprojets de compensation carbone en échange de droits de polluer, la mise sous cloche conservationniste d'aires protégées à distance des populations locales (mais pas des « écotouristes »…), les politiques de dépossession des terres, de privatisation, d'extraction de minerais, les accords commerciaux sur les ressources [3], les monocultures d'agrocarburants, la financiarisation du vivant, la marchandisation des services écosystémiques, le green businessdu capital naturel, etc. L'ensemble procède d'une absorption de l'écologie par la combinaison d'une double logique : celle, libérale, d'accumulation privative et celle, néocoloniale, d'emprise contrainte. La tendance grève d'autant la dette écologique des pays riches à l'égard des pays pauvres. Et éloigne les uns et les autres des voies d'un développement partagé, juste et équilibré.

La chercheuse et militante Mary Ann Manahan, également associée au CETRI et qui signe l'un des articles de cet Alternatives Sud, ne disait pas autre chose lors d'une conférence de l'organisation Focus on the Global South l'été dernier aux Philippines. « Dans la course des grandes puissances mondiales à la primauté géoéconomique, la rhétorique des Green Deals qui se succèdent évoque des ‘alliances vertes' et des ‘matières premières durables', mais sans jamais nous expliquer comment l'extractivisme le deviendrait, durable, et les relations Nord-Sud, moins asymétriques. En réalité, ces politiques ‘environnementales' présentent deux caractéristiques. Premièrement, elles ne sont pas axées sur la préservation des écosystèmes naturels, mais sur l'accumulation de capital. Deuxièmement, partant du principe que certaines régions du monde et certaines populations sont naturellement au service des autres, elles ont une portée coloniale. »

La façon dont ces deux dimensions structurent les différentes politiques dites « vertes » menées en pays à bas revenus ou vis-à-vis de ceux-ci est illustrée à l'envi dans cet Alternatives Sud, au fil des analyses critiques présentées. Ce que Maristella Svampa et Breno Bringel y appellent « le consensus de la décarbonation » donne le « la ». Cette nouvelle source mondiale de légitimité du modèle capitaliste vise officiellement à transformer le système énergétique basé sur les combustibles fossiles en un système à émissions de carbone faibles, basé sur les énergies renouvelables. Réduisant en cela la crise écologique à une seule de ses pourtant multiples causes – le CO₂ rejeté dans l'atmosphère [4] –, elle entend lutter contre les dérèglements climatiques en promouvant une transition énergétique tirée par l'électrification de la consommation et la numérisation.

Ce faisant, le consensus de la décarbonation entraîne une double dynamique délétère en pays pauvres, qui englobe une part importante des « fausses solutions » dénoncées par les autrices et auteurs de cet ouvrage. Il s'agit, d'une part, de l'extractivisme à des fins « durables », qui consiste à s'assurer de l'approvisionnement en quantités considérables de matières premières critiques (minières, agricoles ou forestières, tels le bois de balsa, le lithium, le cobalt, le nickel, l'huile de palme, etc.), nécessaires à la production ou au fonctionnement des technologies « propres » de la transition énergétique (CETRI, 2011, 2013b, 2023). Il s'agit, d'autre part, du conservationnisme à des fins de « neutralité carbone », qui consiste à considérer comme puits de CO₂ sûrs et quantifiables de nouveaux territoires (sols, sous-sols, eaux, forêts…), précisément utilisés pour les « valoriser » en zones de capture et de stockage, naturels ou artificiels, d'émissions polluantes.

Les marchés du carbone et les mécanismes visant à en compenser la surproduction, discutés par plusieurs des articles de cet Alternatives Sud, jouent à plein dans ce volet conservationniste des dynamiques induites par le consensus de la décarbonation. Régulés ou volontaires, ils offrent la possibilité aux États, entreprises et individus pollueurs qui peinent à réduire leurs émissions, de s'acheter des « crédits carbone » qui compensent leurs excès supposés « irrépressibles », en finançant des projets (conservation de forêts ou reboisement, technologies de séquestration, mais aussi parcs éoliens, etc.) censés réduire, éviter ou retirer une quantité équivalente de gaz à effet de serre de l'atmosphère. Or ces projets prennent l'eau de toutes parts : en raison, au mieux, de leur « inutilité » [5], des réductions fictives d'émissions qu'ils mettent en vente, de l'exonération à bas coûts des pollueurs et de l'enrichissement de sociétés courtières qu'ils autorisent ; au pire, en raison des impacts négatifs de ce green grabing pour les populations locales, souvent dépossédées de leur souveraineté sur leurs propres ressources. [6]

Le tout a été rappelé lors de la dernière COP Climat de Bakou face au nouvel accord, bancal, adopté en la matière, qui prétend mieux réguler une partie des crédits carbone mais qui ne rassure pas sur l'effectivité, la durabilité et la fiabilité des mécanismes validés. « Commencer la COP29 par l'adoption de règles risquées et pleines de lacunes sur les marchés du carbone, c'est un signal clair envoyé au monde : les gens et la planète ne sont pas la priorité. On légitime un mécanisme défectueux dont on a constaté à maintes reprises qu'il causait des dommages et qu'il ne fonctionnait tout simplement pas. Cette décision aura des effets désastreux » (Rachel Rose Jackson, https://corporateaccountability.org). Proclamer que « les compensations carbone constituent une solution viable au chaos climatique est l'un des récits mondiaux les plus préjudiciables. Elles sont devenues un obstacle au changement structurel, en permettant à l'économie dépendante des combustibles fossiles de se maintenir dans l'illusion de l'action climatique, (…) en truquant les chiffres » (Joanna Cabello & Ilona Hartlief, https://www.somo.nl).

Plus globalement, au-delà de ce que ces « fausses solutions » discutées dans cet ouvrage induisent concrètement en matière d'extractivisme, de conservationnisme ou de productivisme « verts », le principal trait commun des politiques « écologiques » menées par les acteurs les plus puissants en pays pauvres, généralement avec l'assentiment intéressé des élites nationales, renvoie à la marchandisation, à la privatisation et à l'accaparement du vivant. Ce que Manahan appelle dans ces pages « la financiarisation de la question environnementale » : la mise en vente des ressources naturelles, biologiques, génétiques… au plus offrant, pour mieux « sauver la planète ». Car, le dogme est formel, la valorisation du « capital naturel » (l'attribution d'un prix – le coût de la conservation – à telle ou telle fonction écosystémique) a pour vertu de le sortir de son invisibilité économique, de le préserver, voire de le faire fructifier, le marché mondial étant mieux à même que les autorités publiques ou les populations locales d'assurer la durabilité d'un bien dont dépendent ses taux de profit.

Rappelons-nous, c'était déjà le credo de « l'économie verte » célébrée à Rio+20 en 2012, seule en mesure selon ses promoteurs (du PNUE à l'Union européenne, en passant par le Forum de Davos, la Banque mondiale, le G20, PricewaterhouseCooper, etc.) de « découpler » croissance de l'économie et hausse des pollutions. Ou, mieux dit, de réconcilier capacité à faire du profit et capacité à protéger l'environnement, en valorisant la nature comme actif monétaire ou financier dans les stratégies d'accumulation (CETRI, 2013a). À ce stade pourtant, force est de constater que ces politiques menées depuis une trentaine d'années au nom du « développement durable » d'abord, de la « Green Growth » ensuite ou encore de tel ou tel « nouveau pacte vert » – qui, selon les mots du président du Conseil européen en 2020, « convertissent une nécessité existentielle pour la planète en opportunités économiques » – n'ont fait la preuve ni d'un renversement de logique ni même d'une inversion de tendances. Le « capitalisme vert » est un oxymore, la quantification de ses impacts écocidaires n'en finit pas de le confirmer.

Solutions postcapitalistes ou postdéveloppementistes ?

À gauche, au Sud comme au Nord, parmi les forces politiques réellement préoccupées et mobilisées par le désastre socio-environnemental en cours, on trouve divers courants qui – en simplifiant pour mieux les distinguer – situent les causes premières des déséquilibres soit dans la perpétuation d'un mode d'exploitation économique source de toutes les dominations, soit dans la quête infinie d'une croissance forcément insoutenable sur le plan écologique. Les premiers s'attaquent au néolibéralisme ou, pour les plus conséquents, au capitalisme, fût-il estampillé « responsable », « vert » ou « inclusif » ; les seconds entendent déconstruire le développementisme, souvent associé à l'occidentalisme, voire à l'idée même de progrès ou de modernisation.

Ces courants sont-ils irréconciliables ? Leurs divergences sont-elles rédhibitoires ? Paradoxalement peut-être, le dépassement de leurs désaccords, même fondamentaux, apparaît moins difficile à atteindre que ne devrait l'être le ralliement dans les opinions publiques d'une « masse critique ». C'est-à-dire le franchissement du seuil d'adhésion populaire à partir duquel l'inévitabilité et le bienfondé des ruptures préconisées et des propositions avancées rendront ces dernières démocratiquement applicables. Dit encore autrement, des deux défis à relever – « accorder les violons » puis « remplir la salle du concert » –, si l'un n'est pas gagné, l'autre semble plus laborieux encore à envisager.

Certes, ce qui divise anticapitalistes et antidéveloppementistes – y compris parmi les autrices et auteurs de cet Alternatives Sud – n'est pas à sous-estimer. Les premiers, plus socialistes qu'écologistes, reprochent aux seconds, plus écologistes que socialistes, leurs tergiversations à l'égard du capitalisme, ainsi que l'incongruité des concepts de sobriété et de décroissance dans les couches sociales qui peinent à assouvir leurs besoins de base. À l'inverse, les seconds réprouvent les atermoiements des premiers à l'égard du productivisme, ainsi que l'impudence des droits au développement et à l'industrialisation face à la finitude et à l'état de la planète. D'un côté, l'exploitation capitaliste, responsable de toutes les injustices socio-environnementales, est la mère des forteresses à vaincre ; de l'autre, c'est le rapport suprémaciste et utilitariste des modernes à la nature qui recèle en lui, intrinsèquement, les racines de l'inéluctable effondrement. La porte de sortie devra donc être postcapitaliste et/ou postdéveloppementiste.

Ce qui réunit ces deux pôles ne peut non plus être sous-estimé. Et permet de penser à l'articulation de la gauche égalitariste et de l'écologie politique, voire de l'« écosocialisme » et de la « décroissance » dont, parmi d'autres, Daniel Tanuro, auteur de L'impossible capitalisme vert et Timothée Parrique, auteur de Ralentir ou périr : l'économie de la décroissance, envisagent sérieusement la possibilité (Tanuro préfacé par Parrique, 2024). Des deux côtés, c'est sûr, on partage la conscience que l'augmentation des financements climat et l'accélération de l'application des politiques vertes mainstream ne suffiront pas. Que les solutions technologiques et de géo-ingénierie que l'on nous annonce depuis des lustres ne seront, pour les plus réalistes et les moins néfastes d'entre elles, que très partiellement à la hauteur des défis. Et surtout que la résolution de la crise écologique passe nécessairement par une transformation en profondeur des modes de production, de transport et de consommation actuellement à l'œuvre.

Les deux courants convergent dans la priorité à donner à l'indispensable « justice sociale et environnementale », ainsi que sur les principaux mécanismes politiques à mobiliser pour l'atteindre. Et ce, parce qu'en amont, ils réussissent également à s'accorder sur les justifications éthiques de cette convergence, ramassées ici par Jacques Bouveresse. « Qu'il puisse se révéler nécessaire d'imposer des limites même à l'aspect qui est le plus tangible et le moins contestable du progrès – à savoir l'amélioration des conditions et du niveau de vie des êtres humains – devrait être une chose tout à fait logique. Et c'est une idée qui, contrairement à ce que les défenseurs du progrès affectent généralement de croire, est tout à fait compatible avec la conviction qu'il est impératif et urgent d'améliorer sérieusement les conditions d'existence des millions de personnes qui vivent aujourd'hui de façon misérable » (2023).

Découlant de ces convictions partagées, les solutions préconisées par les autrices et auteurs de cet Alternatives Sud sont autant de ruptures avec la plupart des politiques « vertes » imposées à ce jour. Du global au local, elles parient sur le respect d'un ensemble de lignes de force, de principes génériques tous déclinables et d'ailleurs déclinés en un grand nombre de mesures à prendre, considérées comme « faisables », immédiatement opérationnelles… en fonction des situations et de rapports de force plus ou moins favorables à l'intérêt général, plutôt que dominés par des intérêts privés. Ces propositions alternatives vont de la planification écologique et de la relocalisation économique à la démocratisation sociale, la redistribution agraire, la justice fiscale, l'équité commerciale, le protectionnisme solidaire, la souveraineté alimentaire, la multipolarité internationale, l'autodétermination politique, la démondialisation, etc.

Ces solutions de rupture passent dès lors nécessairement et peut-être d'abord par le remboursement intégral de la dette écologique (Kolinjivadi et Vansintjan, 2024), la restriction draconienne des activités polluantes liées au productivisme et au consumérisme, l'interdiction de toute subsidiation publique des secteurs nuisibles à l'environnement, la régulation drastique des marchés financiers et la sanction de tout placement socialement et écologiquement toxique, la déspécialisation des territoires, la démarchandisation des biens communs, la limitation des droits des uns (élites patrimoniales, financières, industrielles, transnationales…) là où ils empiètent sur les droits des autres et de la biodiversité, l'instauration d'un revenu maximum autorisé, etc.

Pour bien la distinguer de l'idée de transition (et même de transition juste) cooptée ces dernières années (et vidée de son sens transformateur) par le capitalisme vert et les institutions internationales alignées, les « points de vue du Sud » réunis dans cet ouvrage invitent et réinvitent à comprendre la « transition écosociale » à mener comme un processus de réélaboration radicale tant du rapport à la nature des sociétés contemporaines que des rapports sociaux, des rationalités politiques et du modèle économique. Cette transition est « déjà à l'œuvre dans de multiples expériences communautaires localisées tant en zones rurales qu'urbaines », insistent Lang, Bringel et Manahan dans leur article commun. « C'est dans ces éco-utopies de ‘réexistence' territorialisées – collectifs populaires d'énergie propre, maraîchages participatifs urbains, économies locales circulaires diversifiées, dynamiques agroécologiques redistributives… – que résident les alternatives les plus concrètes au colonialisme vert. »

Le principal obstacle à leur articulation régionale, nationale et internationale et à la constitution de forces politiques à même de les relayer et de les orchestrer réside précisément, selon la philosophe Nancy Fraser entre autres, dans le développementisme dominant et l'hégémonie du capitalisme. Une hégémonie qui « en soumettant de vastes aspects de la vie sociale à la ‘loi du marché' (c'est-à-dire aux grandes entreprises), nous prive de la capacité de décider collectivement ce que nous voulons produire et en quelle quantité, sur quel principe énergétique et selon quels modes de relations sociales. Elle nous prive également des moyens de décider de l'emploi du surplus social produit collectivement, de la relation que nous voulons avec la nature et les générations futures, de l'organisation du travail de reproduction sociale et de son rapport à la production » (Fraser, 2025).

Reste dès lors un grand nombre de défis et de questions irrésolues, dont celles posées par Barbesgaard, Zhang, Hertanti, Gagyi et Vervest en fin de leur contribution dans cet Alternatives Sud. Quelle est le poids populaire réel des alternatives pratiques déjà en marche ? Quelles sont les bases sociales potentielles d'un modèle postcapitaliste ou postdéveloppementiste, au Sud et au Nord ? Quelles coordinations ou confluences politiques entre ces dernières ont-elles réussi à prendre forme et à déployer leurs orientations ? Quelle articulation envisager par exemple, très concrètement, entre syndicats de travailleur·euses du secteur des véhicules électriques, luttes des populations affectées par l'exploitation minière nécessaire à cette industrie et revendications sociales des mineurs eux-mêmes ?

Au-delà, quelle politique industrielle verte en pays pauvre sera-t-elle capable de maximiser, nationaliser et socialiser les bénéfices socioéconomiques locaux, tout en minimisant les dégâts causés à la biodiversité ? Avec quels acteurs, quels mouvements sociaux et quels États mettre en œuvre, dans les relations commerciales, les configurations guerrières et les bras de fer inter-impériaux en cours, un programme de meilleure répartition des richesses, juste et équitable, et des manières de faire indolores sur le plan écologique, c'est-à-dire qui, globalement, produisent, transportent et consomment nettement moins ? Et enfin, en deçà, au sein même des résistances au néocolonialisme vert, comment arbitrer entre les accents mis sur la notion de « souveraineté » ou sur celle d'« autonomie », de « public » ou de « commun », sur l'étatisme ou le communalisme, sur le progressisme, l'universalisme ou la revalorisation des cultures indigènes, ou encore sur le matérialisme ou le postmatérialisme ? Pour sûr, la sortie de la catastrophe écologique ne sera ni un dîner de gala ni un long fleuve tranquille.

Notes

[1] Lire CETRI, « Le Nord remboursera-t-il un jour sa ‘dette écologique' au Sud ? », 18 juin 2024, Equal Times
[2] À l'heure d'écrire ces lignes, un membre du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) rappelle publiquement (https://auvio.rtbf.be/media/matin-premiere) que, d'après une étude publiée en 2024 (https://www.carbonbrief.org/analysis-trump-election-win-could-add-4bn-tonnes-to-us-emissions-by-2030/), la réélection du républicain Donald Trump à la présidence des États-Unis va coûter à l'humanité, rien qu'en émissions carbone, en quatre ans et sur le plan strictement domestique, plus du double de ce que la « transition énergétique mondiale » est parvenue à épargner ces cinq dernières années.
[3] Dans cet Alternatives Sud, l'article de González et Verbeek notamment explique par le détail les différents instruments politiques et juridiques utilisés par l'Union européenne dans les négociations commerciales pour assurer le caractère asymétrique des accords conclus. Des accords qui, par exemple, illégalisent les restrictions à l'exportation des minéraux critiques que nombre de pays du Sud tentent d'imposer pour en promouvoir le traitement sur leur territoire, y créer de la valeur ajoutée et développer sur cette base leur propre industrie verte.
[4] Laissant donc de côté, par exemple, la dissémination en hausse des plastiques dans l'environnement, l'arrosage tous azimuts de pesticides chimiques, la production de quantités toujours plus considérables de déchets, peu ou mal recyclés, l'artificialisation croissante des sols, la pollution de l'air par les particules fines, la contamination des eaux par un cocktail de nouveaux polluants, la surexploitation des nappes phréatiques, des terres et des mers, l'impact délétère grandissant de la ruée minière, etc.
[5] « La majorité des projets de compensation qui ont vendu le plus grand nombre de crédits carbone sont ‘vraisemblablement de la camelote' (likely junk) » conclut entre autres une étude de Corporate Accountability relayée par The Guardian du 19 septembre 2023 : « Revealed : top carbon offset projects may not cut planet-heating emissions ».
[6] Pour une analyse fouillée et balancée des conditions d'efficacité, des risques et des effets pervers des multiples instruments de marché (techniques, financiers et juridiques : compensation biodiversité, certifications, fiscalité écologique, processus REDD+, paiements pour services environnementaux, Green Bonds, fonds fiduciaires conservationnistes, accès et partage des avantages (APA) des ressources génétiques, droits de propriété intellectuelle, etc.) mis à la disposition des grands pollueurs afin de concevoir leurs politiques environnementales, lire notamment les travaux d'Alain Karsenty du CIRAD (https://catalogue-formation.cirad.fr/formation/136/instruments-economiques-et-financiers-pour-le-climat-et-la-biodiversite/175).

Bibliographie
Bouveresse J. (2023), Le mythe moderne du progrès, Marseille, Agone, collection Éléments.
CETRI (2011), Agrocarburants : impacts au Sud ? , Paris, Syllepse, collection Alternatives Sud.
CETRI (2013a), Économie verte : marchandiser la planète pour la sauver ?, Paris, Syllepse, collection Alternatives Sud.
CETRI (2013b), Industries minières – Extraire à tout prix ?, Paris, Syllepse, collection Alternatives Sud.
CETRI (2020), L'urgence écologique vue du Sud, Paris, Syllepse, collection Alternatives Sud.
CETRI (2023), Transition verte et métaux critiques, Paris, Syllepse, collection Alternatives Sud.
Fraser N. (2025), Le capitalisme est un cannibalisme, Marseille, Agone, collection Contre-feux.
Gaughran A. et Verbeek B-J. (2024), « Green Industrial Policies – The ‘win-lose' approach of major economic powers undermines any hope of a just transition », SOMO, 26 août.
Gelin R. (2024), « La décroissance, nouveau sens commun ? », GRESEA, 18 mars.
Kolinjivadi V. et Vansintjan A. (2024), « Nothing can be ‘green' or ‘eco-friendly' until the ecological debt is paid », CETRI, 19 décembre.
Manjonjo K. et Mokgonyana K. (2024), « Foreign countries are lining up to exploit Africa's critical minerals », Other News, 29 octobre.
Merlant M. et al. (2021), L'écologie, un problème de riches ?, Paris, Ritimo.
Steinfort L. et al. (2023), Les multinationales « vertes » démasquées, Common Findings Report, TNI, CorpWatch, ODM, ODG, ENCO.
Sundaram J.K. (2024), « Rich Nation Hypocrisy Accelerating Global Heating », CETRI, 24 avril.
Tanuro D. & (préface de) Parrique T. (2024), Écologie, luttes sociales et révolution, Paris, La Dispute.
Wintgens S. (2024), UE-Mercosur : faire de l'accord commercial un levier de développement durable, Note politique, Bruxelles, CNCD.

Bernard Duterme

https://www.cetri.be/La-grande-hypocrisie-verte-Nord
https://www.syllepse.net/business-vert-en-pays-pauvres-_r_22_i_1114.html

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les talibans arrêtent et torturent des militantes LGBT

Kaboul Afghanistan – Les talibans ont arrêté et emprisonné deux militantes LGBT+ afghanes de premier plan, Maryam Ravish, une lesbienne, et Abdul Ghafoor Sabery, une femme (…)

Kaboul Afghanistan – Les talibans ont arrêté et emprisonné deux militantes LGBT+ afghanes de premier plan, Maryam Ravish, une lesbienne, et Abdul Ghafoor Sabery, une femme transgenre qui se fait appeler Maeve Alcina Pieescu. Leur vie est gravement menacée.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Mariam, 19 ans, et Maeve, 23 ans, devaient s'enfuir de Kaboul à bord d'un vol de Mahan Airlines à destination de l'Iran avec Parwen Hussaini, 20 ans, la partenaire de même sexe de Mariam, le 20 mars 2025, avec l'aide de Roshaniya, le réseau LGBT+ afghan.

Roshaniya travaille avec la Fondation Peter Tatchell à Londres pour faire connaître leur situation et faire pression pour leur libération.

Nemat Sadat, directeur général de Roshaniya, a déclaré :

« Lorsque Maryam et Maeve sont montées à bord de l'avion, elles ont été arrêtées par l'unité de renseignement des talibans qui a fouillé leurs téléphones et découvert des contenus LGBT+. Maeve et Maryam ont été battues par les talibans. On s'attend à ce qu'elles soient torturées pour révéler les noms d'autres LGBT et qu'elles soient condamnées à une longue peine de prison, voire exécutées.

Parwen Hussaini, la partenaire lesbienne de Maryam, a réussi à prendre le vol et se trouve maintenant en Iran, mais sans l'amour de sa vie. Parwen et Maryam avaient prévu de se marier dans une ville européenne.

Parwen Hussaini a enregistré une vidéo documentant en farsi ce qui s'est passé. En voici la traduction :

« Salaam. Je m'appelle Parwen, j'ai 20 ans et je viens de Kaboul. Je suis l'une des LGBT afghanes, je défends les droits des êtres humains et je suis membre de l'organisation LGBT+ Roshaniya, dirigée par Nemat Sadat. (Depuis que Maryam et Maeve ont été capturées par les talibans, la famille de Maryam est entrée en contact avec moi et a menacé ma vie et celle de ma propre famille.

« Maeve et Maryam sont toujours retenues en captivité par les talibans et elles ont été très violemment battues. La famille de Maeve n'a pas pris contact avec nous et n'a pas essayé de faire libérer Maeve… Iels ont rejeté notre demande de collaboration. Nous n'avons pas de nouvelles de Maryam, nous ne savons pas dans quelle situation elles se trouvent maintenant. Il est possible qu'elles soient placées à l'isolement et lapidées à mort – il est possible qu'elles soient condamnées à la peine de mort.

« Je vous demande de bien vouloir nous aider, de travailler avec Nemat Sadat et notre équipe à Roshaniya, afin que nous puissions être relogées dans un endroit sûr – moi, Maryam et Maeve – pour échapper aux menaces existentielles auxquelles nous sommes confrontées de la part des talibans et de nos proches. Nous demandons aux organisations de défense des droits des êtres humains et aux organisations internationales LGBT+ qui s'efforcent d'aider les personnes LGBT+ de nous aider à retrouver notre liberté et à sauver nos proches », a déclaré Mme Hussaini.

Susan Battaglia, la sœur de Maeve, qui vit aujourd'hui dans le Michigan (États-Unis), a déclaré :

« Maeve est ma sœur et je suis bouleversée par son emprisonnement. Ma famille en Afghanistan est très inquiète à l'idée que Maeve soit torturée et tuée. Au cours de l'interrogatoire des talibans, Maeve a avoué qu'elle n'était pas musulmane et qu'elle ne croyait pas en l'islam. C'est effrayant pour notre famille, car l'apostasie est passible de la peine de mort en vertu de la charia. Nous demandons aux gouvernements du monde entier d'exiger que Maeve soit libérée de prison et qu'elle puisse quitter le pays en toute sécurité ».

Nemat Sadat, directeur général de Roshaniya :

« Dans le cas de Maryam, sa famille a refusé d'accepter sa sexualité en tant que lesbienne et l'a forcée à épouser un homme. Elle a tenté de s'échapper et Maeve, une personne transgenre, l'a aidée au péril de sa vie. Maryam et Maeve risquent aujourd'hui la peine de mort pour avoir simplement voulu être libres et heureuses. Unissez-vous à nous pour exiger la libération immédiate de Maryam Ravish et de Maeve Alcina Pieescu ».

« La source réelle de ce problème est enracinée dans l'interprétation par les talibans de la charia islamique, qui considère que l'homosexualité est interdite et que la place d'une femme est à la maison, ce qui explique pourquoi les femmes afghanes doivent être accompagnées d'un chaperon masculin si elles souhaitent quitter la maison et voyager seules », a déclaré M. Sadat.

Nous demandons à toutes les organisations de défense des droits des êtres humains (en particulier Human Rights Watch et Amnesty International) et aux organisations LGBT+ (en particulier OutRight International, ILGA Asia, Stonewall, Rainbow Railroad et Human Rights Campaign) de nous aider à faire connaître l'arrestation de Mariam et Maeve et de faire pression sur le régime taliban pour qu'il libère ces deux courageuses défenseures afghanes des droits des êtres humains LGBT+ », a ajouté M. Sadat.

31 mars 2025

https://www.petertatchellfoundation.org/taliban-arrest-torture-lgbt-activists/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les lesbiennes ripostent également en Australie Questions à poser au sujet sur les lesbiennes

Discours prononcé le 21 mars 2025 au Forum de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies 69/Beijing+30 Tiré de Entre les lignes et les mots ht

Discours
prononcé le 21 mars 2025 au Forum de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies 69/Beijing+30

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/01/les-lesbiennes-ripostent-egalement-en-australie/?jetpack_skip_subscription_popup

Aujourd'hui, je m'adresse à vous depuis le pays aborigène de Djiru, situé dans l'extrême nord du Queensland, où je vis et travaille, et je reconnais respectueusement leurs droits de possession de leurs terres et leurs voies navigables. Je salue également les nombreuses femmes qui, tout au long de l'histoire, ont lutté pour la liberté des femmes et des lesbiennes, souvent au prix de leur vie.

Je vais entamer mon discours aujourd'hui par quelques citations de lesbiennes qui ont été victimes de violences, notamment de viols correctifs, de tortures, de grossesses et de mariages forcés, d'emprisonnements et du châtiment ultime, le meurtre. Je rends hommage à toutes ces lesbiennes pour leur force, leur résistance et leur amour pour les lesbiennes. Et je soulève des questions en leur nom et au nom de toutes les lesbiennes.

Je présente ce matériel qui provient de recherches que j'ai menées depuis 2003. Si vous souhaitez en savoir plus, ces histoires et bien d'autres sont racontées dans les essais suivants :
Vortex : The Crisis of Patriarchy (Spinifex Press, 2020)

Lesbian : Politics, Culture, Existence (Spinifex Press, 2024)

Passons maintenant aux paroles des lesbiennes

En Sierra Leone, le 29 septembre 2004, FannyAnn Eddy a été retrouvée morte après avoir été violée à plusieurs reprises. Elle venait de témoigner devant la Commission des droits de l'homme des Nations unies en 2004, quelques mois seulement avant son meurtre :

Le silence crée de la vulnérabilité. Vous, membres de la Commission des droits de l'homme, pouvez briser le silence. Vous pouvez reconnaître que nous existons, dans toute l'Afrique et sur tous les continents, et que des violations des droits de l'homme fondées sur l'orientation sexuelle ou l'identité de genre sont commises chaque jour. Vous pouvez nous aider à lutter contre ces violations et à obtenir la pleine jouissance de nos droits et libertés, dans toutes les sociétés, y compris dans ma chère Sierra Leone. (Eddy, 2004).

Elle travaillait dans les bureaux de l'Association des lesbiennes et des gays de la Sierra Leone le jour de son assassinat. Quelles mesures la Commission des droits de l'homme des Nations unies a-t-elle alors prises ? Quelles mesures sont prises actuellement ?

Je pose la question : pourrions-nous essayer de ressentir l'horreur de ce qui est arrivé aux lesbiennes ? (Hawthorne 2020, p.106).

En 1976, sous le régime de Pinochet au Chili, Consuelo Rivera-Fuentes a été torturée et s'est ensuite réfugiée en Angleterre….

aucune séance d'entraînement ne m'avait préparée à cette douleur intense … ma douleur … celle que je n'ai pas choisie … toute cette aliénation, ce vide … mon corps, mon esprit, ma douleur … ce n'est pas en train d'arriver … je suis un petit point dans l'univers … quel univers ? … le monde n'est plus … Je suis … en train de me désintégrer … petit à petit … cri après cri … électrode après électrode … La douleur … toute cette douleur ici et là, là-bas dans mon vagin … l'agonie … où suis-je ? Où est mon moi ? (Rivera-Fuentes et Birke, 2001, p.655 ; italiques et ellipses dans l'original).

« Où est mon moi ? » demande Consuelo Rivera-Fuentes après avoir été torturée. Elle demande aussi où est mon moi de lesbienne. Où le caractère central du vécu des lesbiennes est-il enregistré et reconnu ? Où est la reconnaissance du fait que la violation des lesbiennes se poursuit jour après jour, et que personne n'en parle ?

Une réfugiée lesbienne iranienne anonyme parle d'expérience :

À Kashan, ils m'ont attachée à une voiture et m'ont traînée sur le sol. Que dois-je dire, à qui dois-je le dire ? … Pourquoi personne ne nous écoute ? Où sont ces « droits de l'homme » ? (Darya et Baran, 2007).

Ou, comme le dit une lesbienne péruvienne anonyme :

Quand je parle de mon droit à ma propre culture et à ma propre langue en tant que femme indigène, tout le monde est d'accord avec mon autodétermination. Mais quand je parle de mon autre identité, mon identité lesbienne, mon droit d'aimer, de déterminer ma propre sexualité, personne ne veut écouter.(Bulletin de l'ILIS, 1994, p.13)

Au Zimbabwe, au milieu des années 1980, Tina Machida raconte :

Ils m'ont enfermée dans une pièce et ont fait venir cet homme tous les jours pour me violer afin que je tombe enceinte et m'ont forcé à l'épouser. Ils m'ont fait ça jusqu'à ce que je devienne enceinte. (Machida, 1996).

Dans mon livreVortex : The Crisis of Patriarchy, je documente également les meurtres de lesbiennes en Afrique du Sud (bien que l'orientation sexuelle soit une caractéristique protégée par la Constitution sud-africaine) ainsi que les meurtres de lesbiennes aux États-Unis (voir Brownworth, 2015 ; Gartrell, 2023).

Quels sont les éléments qui, réunis, rendent si difficile la réussite des campagnes en faveur des lesbiennes ?

Voici quelques dimensions et caractéristiques de la façon dont les lesbiennes sont traitées et dont l'oppression se manifeste dans leur vie.

* Lorsque les colonisateurs conquièrent un territoire, leurs premiers comptes rendus à l'empire contiennent généralement des propos du genre « les indigènes n'ont pas de culture ». Ils s'excusent ainsi pour la conquête et la dépossession des autres. C'est de la même manière que l'on dit des lesbiennes qu'elles n'ont pas de culture.

* Déni de l'existence lesbienne, qui est une façon de leur briser l'âme.

* Destruction des connaissances et de la culture lesbiennes.

* Hétérosexualité imposée.

* Isolement, un problème particulier pour les jeunes lesbiennes, les lesbiennes handicapées et les lesbiennes âgées.

* Criminalisation des lesbiennes : les sanctions vont jusqu'à la peine de mort, de longues peines d'emprisonnement et de la torture, y compris le viol et les violences sexuelles humiliantes.

* Meurtre, crimes dits « d'honneur » et viols répétés, de sorte que la lesbienne tombe enceinte contre son gré.

* Viol dit « correctif » par des bandes de jeunes hommes, des gardiens de prison et des membres de la famille.

* Services médicaux de qualité inférieure, tels que la non-reconnaissance de nos partenaires comme proches parents.

* Traitement en tant que citoyennes de seconde zone, discrimination directe ou indirecte.

* Refus des gouvernements à reconnaître les lesbiennes dans le droit en tant que groupe distinct soumis à la discrimination.

* Si une lesbienne parvient à intenter une action en justice contre un agresseur, il y a de fortes chances qu'elle soit contrainte de signer un accord de non-divulgation. Cela a pour conséquence de rendre des crimes invisibles en tant que crimes commis contre des lesbiennes.

* Les lesbiennes sont humiliées et on attend d'elles qu'elles deviennent hétérosexuelles ou qu'elles changent de sexe.

* La honte crée l'isolement, l'ostracisme peut entraîner des brimades, des railleries et des coups. Tout cela crée ce que l'écrivaine indienne Maya Sharma appelle « un discours de catastrophe » (Sharma 2006, p.38, cité dans Hawthorne 2020 p.176).

* Les lesbiennes sont déclarées folles.

* Les lesbiennes qui résistent de manière publique sont attaquées à la fois en ligne et dans la vie réelle.

* Si une lesbienne devient célèbre, soit on se souviendra d'elle soit pour sa sexualité (auquel cas ses réalisations restent cachées), soit pour ses réalisations alors que sa sexualité sera occultée. Tout cela découle de la honte infligée et rend très difficile la documentation de l'histoire lesbienne.

Est-il étonnant, donc, que les lesbiennes réfugiées ont un trajet si pénible à parcourir pour acquérir un statut de réfugiées ?

En 1987, onze ans après sa sortie de prison et alors que le Chili était connaissait désormais en apparence un régime démocratique, un piège a été tendu à Consuelo Rivera-Fuentes. Un policier s'est rendu sur son lieu de travail au Commissariat britannique et lui a dit qu'il devait l'accompagner au commissariat après l'avoir convaincue qu'elle n'avait rien à craindre. Il l'a conduite à travers le bâtiment où elle avait été torturée et dans une pièce où un officier était assis à une table. Cet officier voulait lui imposer des relations sexuelles avec sa maîtresse. Consuelo a compris qu'il s'agissait d'un piège et a accepté de ne le revoir que deux semaines plus tard. Elle a quitté le Chili cinq jours plus tard. Elle avait déjà prévu de se rendre au Royaume-Uni et s'était inscrite à un cours d'études féministes là-bas.

L'activiste nigériane Aderonke Apata n'a pas eu autant de chance. Il lui a fallu 13 ans pour obtenir l'asile au Royaume-Uni. L'un des points de friction, selon Theresa May, qui dirigeait alors le ministère de l'Intérieur, était qu'Aderonke avait prétendu être lesbienne pour obtenir l'asile au R.U. Elle a été placée en isolement pendant une semaine au centre de rétention de Yarl's Wood en 2012. L'accusation de prétention était due au fait qu'elle était mère d'un enfant, et l'hypothèse a donc été qu'elle devait être hétérosexuelle. Mais, comme nous le savons, de nombreuses lesbiennes sont mères. Certaines se sont mariées parce que c'était une protection temporaire pour elles, ou elles ont été mariées de force. De même, si une lesbienne n'a pas de partenaire féminine (actuelle), la question que l'on pose devient : est-elle VRAIMENT lesbienne ? Une lesbienne sans partenaire féminine glisse par défaut vers le statut d'hétérosexuelle.

Au camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya, les lesbiennes sont placées dans le bloc 13, réservé aux personnes LGBT, un groupe qui n'est pas nécessairement sécuritaire pour les lesbiennes. Les lesbiennes sont régulièrement maltraitées et persécutées au sein du camp. Cela ressemble à ce qui arrive aux lesbiennes incarcérées. Christine, une lesbienne ougandaise, a non seulement été torturée par les gardiens, mais aussi violée par d'autres prisonniers.

Une réfugiée lesbienne qui souhaite obtenir l'asile en Australie se heurte à un parcours difficile. Les obstacles sont innombrables. Parmi eux, la nécessité de fournir une documentation interminable sur les abus et les traumatismes qu'une lesbienne a subis de la part de sa famille, de sa communauté, de groupes religieux, de la police et du gouvernement. Certains gouvernements ne maintiennent pas une distance suffisante entre ceux qui évaluent les demandes de statut de réfugié et ceux qui appliquent les lois pénales contre les lesbiennes. Il en résulte que la demandeuse d'asile lesbienne est vulnérable aux sanctions dans le pays qu'elle tente de fuir. Avec un système bureaucratique aux délais énormes dans le pays où elle souhaite s'installer, son existence même est constamment menacée. Les frais juridiques liés à l'engagement d'un-e avocat -e spécialisé-e en droit de l'immigration sont considérables (des milliers de dollars) et chaque demandeuse a besoin de lettres de soutien qui confirment l'importance de son besoin d'asile.

Le mot « lesbienne » n'est même pas mentionné par le gouvernement australien dans son neuvième rapport périodique au CEDAW de janvier 2025. Si l'on utilise l'expression vide de sens « identité de genre », comment les lesbiennes ayant une orientation sexuelle de femme à femme peuvent-elles être protégées par la loi ou obtenir l'accès à l'Australie lorsqu'elles demandent l'asile en tant que réfugiées lesbiennes ?

Les membres de la Coalition of Activist Lesbians (CoAL), une très petite organisation non financée, tentent actuellement d'aider deux lesbiennes qui demandent l'asile en Australie. On nous dit que la période d'attente sera probablement de six ans avant qu'une décision ne soit prise. Voir à ce sujet le site web de la CoAL, auhttps://coal.org.au/
Lignes directrices pour les fonctionnaires qui interrogent les réfugiées lesbiennes

* Certaines femmes peuvent être persécutées en raison de leur association avec des hommes menacés. Si elles sont lesbiennes, leur niveau de risque peut être accru.

* Il ne faut pas supposer qu'une femme mariée ne peut pas être lesbienne. Dans certains pays, le mariage est le tout premier niveau de protection qu'une lesbienne peut rechercher.

* Les lesbiennes qui demandent l'asile sont susceptibles d'être politiquement actives, mais même les lesbiennes qui ne le sont pas sont menacées dans certains pays.

* Ne présumez pas que, parce qu'une femme n'utilise pas le mot lesbienne pour se décrire, elle n'est pas lesbienne. Il se peut qu'il ait été trop dangereux pour elle, pendant trop longtemps, de prononcer à haute voix le mot lesbienne (ou l'équivalent dans sa langue).

* Ne présumez pas que, parce qu'il n'y a pas de mot pour désigner les lesbiennes dans une langue donnée, il n'existe pas de lesbiennes dans cette société ou ce groupe linguistique.

* Ne présumez pas que si une femme vient d'un pays où il n'est pas illégal d'être lesbienne, elle ne peut pas prétendre avoir été torturée ou avoir été en danger de torture ou d'autres préjudices externes.

* Ne supposez pas que votre interprète est réceptif à son expérience. L'interprète peut s'avérer hostile à sa requête.

* Les lesbiennes qui ont été torturées auront du mal à parler de leur expérience. Parler à un étranger est difficile, parler à un homme étranger peut être impossible. Les hommes en uniforme peuvent précipiter des souvenirs de l'expérience de torture.

* En raison du traumatisme, certaines lesbiennes peuvent être incapables de raconter cette expérience ou peuvent sembler détachées et sans émotion. Cela ne doit pas être interprété comme une preuve de faux témoignage.

* Les lesbiennes réfugiées peuvent également être en danger du fait de leur famille, en particulier des hommes de leur famille. Le témoignage confidentiel d'une lesbienne ne doit pas être partagé en posant des questions sur son orientation sexuelle à des membres de sa famille. (Voir Hawthorne, 2020, pp. 164-165)

Si l'on est indifférent à l'enjeu des violences infligées aux lesbiennes, et si les lesbiennes restent extérieures au champ d'application de la réforme de la justice sociale, alors les droits civils et politiques de tout le monde restent menacés. Les réformes politiques les plus difficiles à mettre en œuvre sont, à long terme, les plus importantes, car elles nous informent sur les limites de notre disposition à vivre une existence éthique. Si nous sommes incapables de nous préoccuper de la vie et du bien-être des personnes les plus différentes, alors nous sommes incapables de défendre la justice pour tous et pour toutes, même au niveau le plus élémentaire, celui de la liberté d'association, de la liberté d'aimer (Hawthorne 2024, p. 141-142).

Je soutiendrais que lorsque des lesbiennes sont victimes d'une agression, leur cas constitue un signal d'alarme. Elles jouent le rôle de canaris dans la mine. Et si les auteurs de ces agressions s'en tirent à bon compte, d'autres agressions suivront. Nous devons donc protester contre chaque agression infligée à des lesbiennes, car c'est le signe d'une haine présente dans le système social. Si les lesbiennes ne sont pas protégées, les personnes qui ne correspondent pas à une autre dimension sociale ne seront pas non plus à l'abri d'agressions. Protégez votre sœur lesbienne et observez l'effet que cela a sur la société (Hawthorne 2020, pp. 171-172).

Susan Hawthorne

Notes :
Brownworth, Victoria A. 2015. ‘Erasing Our Lesbian Dead : Why don't murdered lesbians make the news ?' Curve.

http://www.curvemag.com/News/Erasing-Our-Lesbian-Dead-510/ (Accessed 17/7/2015).

Darya and Baran. 2007. ‘Interview with Iranian Lesbian in order to convey her protest to the world'. p. 2. Iranian Queer Organization. Translated by Ava.

http//irqo.net/IRQO/English/pages/071.htm Accessed 17 August 2007.

Eddy, FannyAnn. 2004.. ‘Testimony by FannyAnn Eddy at the UN Commission on Human Rights.

Item 14 – 60th session, UN Commission on Human Rights

http://hrw.org/english/docs/2004/10/04/sierra9439.htm
Gartrell, Nate (June 14, 2023).

« ‘The most depraved crime I ever handled' : Transgender activist gets life in prison for murdering Oakland family ». The Mercury News.
Hawthorne, Susan. 2020. Vortex : The Crisis of Patriarchy. Mission Beach : Spinifex Press.

Hawthorne, Susan. 2024. Lesbian : Politics, Culture, Existence. Mission Beach : Spinifex Press.
ILIS Newsletter, 1994. Vol 15, No. 2.

Machida, Tina. 1996. ‘Sisters of Mercy' in Monika Reinfelder (ed.) Amazon to Zami : Toward a global lesbian feminism. London : Cassell, pp. 118-129.

Rivera-Fuentes, Consuelo and Lynda Birke. 2001. ‘Talking With/In Pain : Reflections on Bodies under Torture'. Women's Studies International Forum. Vol. 24, No. 6, pp. 653-668.

Sharma, Maya. 2006. Loving Women : Being Lesbian in Underprivileged India. New Delhi : Yoda Press.

Remerciements
Merci au Comité et aux membres de la Coalition of Activist Lesbians (CoAL) pour leurs réactions et leurs suggestions touchant cette présentation. J'adresse des remerciements particuliers à Viviane Morrigan, Deborah Staines et Barbary Clarke. Merci également à Sand Hall pour des éléments d'histoire, aux membres du groupe Lesbian Action for Visibility Aotearoa (LAVA) pour leur combativité et à The Feminist Legal Clinic pour leur défense active des lesbiennes en Australie. Merci à Consuelo Rivera-Fuentes pour son amitié et à toutes les lesbiennes qui tiennent tête aux obstacles bureaucratiques qu'implique une demande d'asile. Merci enfin aux lesbiennes de partout dans le monde qui continuent à résister aux horreurs de la violence et à combattre pour toutes les personnes sont les vies ont été directement impactées par la violence.
CoAL (Coalition of Activist Lesbians) Inc Australia
A Lesbian Feminist U.N. Accredited Human Rights Advocacy Group
Address : 81-83 Campbell Street, Surry Hills, NSW 2010
Email : admin@coal.org.au
Website : coal.org.au

Susan Hawthorne
Traduction : TRADFEM
https://tradfem.wordpress.com/2025/03/27/les-lesbiennes-ripostent-egalement-en-australie/

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Procès de Mazan, analyse féministe

15 avril, par Francine Sporenda — , ,
Ce texte est basé sur près d'une centaine d'articles que j'ai consultés sur ce procès, parus dans Libération (les 50 biographies des accusés), Mediapart, l'Obs, l'Express et (…)

Ce texte est basé sur près d'une centaine d'articles que j'ai consultés sur ce procès, parus dans Libération (les 50 biographies des accusés), Mediapart, l'Obs, l'Express et sur les deux livres de la fille de Gisèle Pelicot, Caroline Darian « Et j'ai cessé de t'appeler papa », Harper Collins Poche, éditions Jean-Claude Lattès, 2022, et « Pour que l'on se souvienne », éditions Jean-Claude Lattès, 2025 (kindle). Dans ce texte écrit pour un public anglophone, j'ai essayé de fournir les informations de base sur l'affaire de Mazan mais aussi de donner des détails et des points de vue que les médias ont peu couvert ou ignoré.

Traduction française de la version longue de la présentation/webinar du 02/03/2025 pour Women's Declaration International.

Source : https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/06/proces-de-mazan-analyse-feministe/

Rappel, quelques chiffres

Mazan est une petite ville d'environ 7 000 habitants dans le département du Vaucluse. La plus proche ville moyenne est Avignon, où le procès a eu lieu. Jusqu'à ce procès, Mazan était surtout connu parce que le château local, maintenant en ruine, a été la propriété du marquis de Sade et de sa famille.

Il y avait 51 hommes sur le banc des accusés mais 54 ont été identifiés, sur 73 violeurs possibles. L'un d'entre eux (Hassan O.) s'est échappé au Maroc et a été jugé in absentia, un autre est décédé entretemps et deux autres relâchés faute de preuves. Si 73 hommes ont été identifiés comme ayant participé aux viols, la police n'a pas pu retrouver la trace de 18 d'entre eux, « qui eux continuent à mener leur vie sans être inquiétés » (DarianPQL 2). Les hommes qui ont été arrêtés avaient de 21 à 63 ans quand ils ont violé. Au moins deux d'entre eux étaient des homosexuels qui ont dit qu'ils étaient venus à Mazan pour avoir des rapports sexuels avec Dominique Pelicot en échange de violer sa femme. Le premier viol recensé date du 23 juillet 2011 en région parisienne (Darian 142) et ils ont pris fin en 2020. D'après le commissaire de police Jérémie Bosse-Plattière, comme certains violeurs sont revenus plusieurs fois, le nombre total de viols pourrait se situer autour de 200. Gisèle Pelicot était endormie principalement avec du Temesta et du Zolpidem, deux médicaments de la famille des benzodiazépines (tranquillisants). Ce sont des médicaments délivrés sur ordonnance, et ils ont été initialement prescrits à Gisèle ou Dominique par le frère de Dominique, Joël Pelicot, qui était médecin, et ensuite par des médecins locaux. Pas moins de 780 comprimés de Temesta ont été administrés à Gisèle.

Tous ces hommes venaient d'une zone à distance de 30 à 40 km autour de Mazan. On n'avait pas affaire ici à une grande ville « décadente » comme Paris ou Marseille, Mazan est une petite ville, un bourg de campagne, et dans cette petite zone autour de Mazan, il y avait au moins 73 hommes qui étaient volontaires pour violer une femme de 60 ans inconnue et inconsciente proposée par son mari.

Ces hommes sont entrés en contact avec Dominique Pelicot sur le site pornographique Coco qui a été fermé depuis, et qui abritait toutes sortes de perversions « de niche » et de trafics, ainsi que des annonces prostitutionnelles. Sur ce site, des échangistes et autres libertins pouvaient discuter de leurs fantasmes, proposer des scénarios et inviter d'autres hommes à les réaliser avec eux. Tous les hommes impliqués fréquentaient le site Coco et d'autres sites pornographiques. 13 d'entre eux évoluaient dans les milieux échangistes, 5 avaient des images pédopornographiques sur leur téléphone ou leur ordinateur (voir annexe). Ce procès a été baptisé « le procès de la soumission chimique » mais on pourrait aussi le nommer « procès de la (consommation de) pornographie ».

Violences sexuelles étant enfant

Sur un total de la cinquantaine d'« invités » de Pelicot, 7 disent qu'ils ont été victimes de violences sexuelles quand ils étaient enfants – viol, inceste, « attouchements sexuels » – (voir annexe). Tous les perpétrateurs de ces violences étaient des hommes. 4 autres d'entre eux auraient été victimes de violences non-sexuelles par des pères autoritaires. Pour certains, ces violences sexuelles sont attestées par des membres de leur famille ou des amis, pour d'autres, c'est juste ce qu'ils disent – il est connu que l'explication du « violeur violé » (les hommes violent parce qu'ils ont été violés étant enfant) est invoquée dans presque tous les procès pour viol par les accusés et les avocats de la défense. 7 violeurs disent avoir été victimes de violences sexuelles quand ils étaient enfants. Cela ne met pas en évidence un déterminisme clair et rigide entre le fait d'avoir été victime de ces violences dans l'enfance et la reproduction de ces violences une fois adulte : le pourcentage est ici de 14% (si aucun de ces hommes ne mentait). Ce chiffre n'est pas loin de l'estimation du pourcentage de garçons victimes de violences sexuelles dans la population générale de garçons, qui est de 17% [1]. Et un nombre presque égal de violeurs déclare avoir eu une enfance heureuse, « choyée », avoir grandi dans « une famille unie » (voir annexe). Un expert psychiatre nommé pour ce procès, Laurent Layet, déclare : « il n'y pas de relation de cause à effet. Ce n'est pas parce qu'on a été victime qu'on devient perpétrateur, il n'y a aucune littérature scientifique qui le prouve [2].

Sur la base du fait qu'il y avait 9 conducteurs de camion impliqués dans ces viols, on pourrait aussi bien dire qu'être camionneur implique le même risque (en fait légèrement supérieur) de commettre des violences sexuelles que celui d'en avoir été victime étant enfant. Mais corrélation n'est pas causalité ; ce que les personnes cherchant des explications sensées devraient plutôt examiner est le nombre de ces hommes qui étaient des consommateurs de porno. C'est-à-dire tous, puisqu'ils ont rencontré Pelicot et discutaient avec lui sur un site porno.

D'après ce que certains de ces violeurs qui ont violé Gisèle P. « une seule fois » ont dit, après avoir passé quelque temps avec Pelicot et sa femme inconsciente, ils ont réalisé que la situation était bizarre, que quelque chose ne collait pas. C'est pourquoi ils auraient refusé quand Pelicot a mis la pression sur eux pour qu'ils reviennent. Un de ces hommes, Charly A. accro au porno, est venu pas moins de 6 fois. Il envisageait de violer sa mère sous sédatif et a dit que Pelicot l'aurait encouragé à le faire (« et ta mère, quand est-ce qu'on la baise ? » « si ce n'est pas ce week end, ça sera pour le week end prochain »). Il dit qu'il ne l'a pas fait, mais a dit à Pelicot qu'il le ferait, pour que celui-ci lui fiche la paix. Il est venu 6 fois, et il a prétendu que c'est seulement à la quatrième fois qu'il a commencé à sentir que quelque chose n'allait pas. 4 des accusés sont venus 6 fois.

Chronologie

Le 12 septembre 2020, Dominique Pelicot a été pris en train de filmer sous la jupe de 3 femmes (upskirting) avec son portable caché dans un sac au supermarché Leclerc de la ville voisine de Carpentras. D'après ce que j'ai lu initialement, c'est Thibaut Rey, un agent de sécurité du supermarché qui a remarqué le comportement de Pelicot, l'a arrêté, a saisi son portable contenant les images incriminantes avant que Pelicot puisse les supprimer et a incité les 3 femmes à porter plainte. Au départ, ces femmes ne voulaient pas porter plainte, mais il les a convaincues. Il a été présenté comme un héros de cette affaire, l'homme sans qui le procès de Mazan n'aurait pas eu lieu, et a été décoré de la Légion d'honneur pour son intervention.

Mais des amies féministes (merci à elles) ont attiré mon attention sur cette information, qui a été presque complètement ignorée par les médias : c'est en fait une femme, un autre membre du personnel de sécurité qui surveillait les écrans de sécurité, qui a remarqué le manège de Pelicot la première. Elle devait rester à surveiller les écrans, elle a donc alerté un agent de sécurité masculin, qui a arrêté Pelicot immédiatement (la vidéo de cette arrestation est en ligne). C'est typique que la bonne réaction de l'agent de sécurité masculin ait été mentionnée et louée dans les médias mais que la bonne réaction de la femme agente de sécurité ait été ignorée. Sans ces deux personnes, Pelicot et ses complices courraient encore…

Evidemment, un autre élément qui a changé la plainte initiale des 3 femmes de Carpentras en quelque chose de bien plus grave a été le fait que Pelicot ait filmé les viols qu'il a organisés et a enregistré ces images dans son ordinateur. Ces vidéos ont fait toute la différence : dans la plupart des affaires de viol, on n'a pas ce genre de preuves, on ne croit pas ce que dit la femme parce que c'est une situation de « parole contre parole ». Là, il y avait 94 vidéos de viols et environ 20 000 images pornographiques. Elles étaient soigneusement classées par date, genre d'actes sexuels, noms des participants, etc. Le classement était si méthodique que les policiers ont pensé initialement à une affaire de chantage. Pelicot a aussi pris des photos de sa fille inconsciente et dénudée, Caroline, et de ses deux belles-filles, Céline et Aurore, éveillées et nues ou presque nues, grâce à des caméras cachées dans les chambres et les salles de bain et les a postées sur Coco assorties de commentaires orduriers : « la fille de la salope » (Darian PQL 2). Suite à la découverte de ces vidéos, Gisèle et Pelicot sont convoqués par la police le 2 novembre 2020, et il est arrêté et placé en garde à vue.

« le procès de la soumission chimique »

Les médias ont nommé ce procès « le procès de la soumission chimique ». Des féministes ont souligné que c'était une façon de faire disparaître les violeurs, dans la même ligne que cette stratégie qui consiste à utiliser la forme passive quand les médias parlent d'affaires de viols : « une femme a été violée ». On ne voit jamais des titres de journaux annonçant « un homme a violé une femme ». Comme une féministe l'a dit, le viol est un crime avec victimes mais sans criminels ».

Dominique Pelicot

Dominique Pelicot est né en 1952, comme sa femme. Il décrit son père comme dominateur et maltraitant envers une mère soumise. Il dit que celui-ci aurait eu des relations incestueuses avec une fille adoptée par la famille, qu'il aurait été violé à l'âge de 9 ans par un infirmier de sexe masculin lors d'un séjour en hôpital, et que plus tard, il aurait été forcé à participer à un viol collectif à l'âge de 14 ans, alors qu'il était apprenti dans le bâtiment. Le frère de Pelicot, Joël, parle d'une famille aimante et de parents faisant de leur mieux pour donner une bonne éducation à leurs enfants – il est lui-même devenu médecin – mais ayant parfois recours aux punitions corporelles, comme c'était l'usage dans les années 50. S'il a fini par accepter que son père ait pu violer une petite fille adoptée, il doute du viol allégué par son frère, qu'il décrit comme un menteur et un manipulateur précoce, doué pour moduler son discours en fonction de son public. D'après lui, sa famille était consciente de sa personnalité manipulatrice mais il était le plus jeune enfant, le « chouchou », et rarement puni. Dominique ayant raconté à ses parents les agissements dont il dit avoir été victime à l'hôpital, ceux-ci prennent contact avec l'hôpital qui leur signale que, contrairement à ce que leur a raconté leur fils, il n'y avait que des infirmières en service, raconte Joël Pelicot [3]. Difficile de savoir qui dit la vérité.

A l'école, Pelicot était un élève médiocre et il a abandonné ses études en 5ème. Il a travaillé pendant un moment dans le bâtiment, comme électricien, et plus tard a décidé de lancer sa propre affaire, d'abord une agence immobilière, ensuite une entreprise de téléphonie. Les deux ont fait faillite, et c'est Gisèle, avec son job stable dans une compagnie liée à EDF, qui faisait marcher la maison financièrement. Quand elle était en activité, ils ont vécu dans différentes villes de la région parisienne (Brunoy, Combs la Ville, Gournay sur Marne…), et se sont installés dans le Vaucluse quand elle a pris sa retraite. Leur relation n‘a pas été sans heurts : Gisèle a eu une liaison avec un collègue de travail marié dans les années 80, et Dominique l'a quittée pour une femme plus jeune. Ils ont divorcé (surtout pour une question de dettes) en 2007, ils se sont remariés et ont divorcé de nouveau en août 2024.

D'après différentes sources, le succès professionnel de Gisèle semble avoir suscité humiliation et ressentiment chez son mari : la « castration » du mari dont la femme gagne plus d'argent que lui ? Caroline écrit que « plus d'une fois, nous l'avons senti frustré et envieux (Darian EJC 102). Pelicot était financièrement et professionnellement un raté, un loser, qui avait une revanche personnelle et sociale à prendre sur sa femme. Les mots dégradants qu'il utilisait à son propos durant les viols et dans les commentaires qu'il postait sur Coco sont révélateurs : « salope de bourgeoise ! » [4]. Aussi, pour expliquer les viols, il a dit qu'il voulait « soumettre une femme insoumise » [5]. Gisèle n'avait rien d'une femme insoumise : elle est revenue à son mari après sa liaison avec un collègue, elle l'a repris après qu'il l'ait abandonnée pour une femme plus jeune et elle a fermé les yeux pendant longtemps sur ses déviances sexuelles, comme on va le voir plus loin.

Mais le peu de limites qu'elle lui posait, c'était encore trop pour lui : elle a refusé d'accepter de pratiquer l'échangisme comme il le lui demandait. Comme elle a eu cette liaison avec un collègue de travail, des avocats de la défense ont avancé l'argument que Pelicot aurait organisé ces viols pour se venger de l'infidélité de sa femme – mais les viols ont eu lieu 30 ans après cette infidélité.

Pelicot apparait comme un manipulateur qui ment et se contredit sans vergogne jusqu'à ce qu'on le confronte à des preuves irréfutables : en ce qui concerne les photos de sa fille Caroline en slip, il a changé plusieurs fois de versions : d'abord, selon lui, ce n'était pas Caroline mais Gisèle sur les photos, ensuite, c'était bien Caroline mais ce n'était pas lui qui avait pris les photos, puis c'était bien lui mais il n'a rien fait à sa fille (Darian PQL 5) . Mais Caroline s'est reconnue, les policiers l'ont reconnue, son mari Pierre l'a reconnue et Pelicot avait créé lui-même un dossier pour ces photos, intitulé « ma fille à poil » [6].

Comme je l'ai mentionné, Pelicot a aussi violé d'autres femmes, celles des hommes qu'il rencontrait sur Coco : Pelicot leur faisait violer sa femme et en échange ils lui laissaient violer la leur. Et surtout il pourrait aussi être un meurtrier et même un serial killer : suite à l'enquête lancée en 2020, son ADN enregistré en 2010 dans le fichier national des empreintes génétiques (FNEG) a matché avec celui recueilli suite au viol de Marion, une jeune fille de 19 ans, à Villeparisis en 1999. Le mode opératoire de ce viol était le suivant : un homme appelle une agence immobilière et demande à visiter une maison ou un appartement sous un faux nom, une agente lui donne rendez-vous sur place, une fois dans la place il lui met un bâillon imprégné d'éther sur le visage, la pousse à terre, la frappe, l'étrangle et essaie de la violer. Dans cette affaire de Villeparisis, l'agente s'est défendue, est arrivée à s'échapper et s'est enfermée dans une des pièces, attendant qu'il parte. Elle a formellement reconnu Pelicot comme l'auteur de l'agression, dit qu'elle a craint pour sa vie et pense que si elle ne s'était pas échappée, son violeur l'aurait tuée. Et la police s'intéresse aussi à d'autres cold cases similaires, des viols ou tentatives avec le même mode opératoire. Lors de l'un d'eux, une agente immobilière nommée Sophie Narme, agée de 23 ans, a été violée et assassinée à Paris, rue Manin dans le 19ème arrondissement en décembre 1991. Il est regrettable que le sperme prélevé lors de l'autopsie post mortem ait été perdu, ce qui n'a pas permis de savoir avec certitude si Pelicot était le meurtrier en comparant avec son ADN. En tout cas, il était dans la région à la date du meurtre et une enquête est en cours sur la base d'indices nombreux et convergents, dont le mode opératoire [7]. Les viols de Mazan ont commencé en 2011, mais qu'a fait Pelicot entre 1999 et 2010 ? Il est peu probable qu'il n'ait commis aucune agression sexuelle durant cette période.

Examiné par des experts psychiatres désignés par la cour, il a été évalué comme n'ayant aucune pathologie ou anomalie mentale mais présentant diverses déviances sexuelles et paraphilies : voyeurisme, exhibitionnisme, candaulisme (regarder sa femme avoir des relations sexuelles avec un autre homme), somnophilie (violer une femme endormie ou inconsciente). Ces experts ont noté une personnalité perverse, manipulatrice, egocentrique, sans empathie, manifestant un grand sang-froid en toutes circonstances :« le voyeurisme fait partie de sa dynamique psychosexuelle, il y a chez lui « une propension à considérer l'autre comme un objet qu'on peut manipuler » (Annabelle Montagné). Et il cultivait « le mensonge et le secret » (Marianne Douteau).

Gisele P.

L'intérêt pour la psychologie de Gisèle n'a pas été tout à fait aussi vif que pour celle de son mari, comme c'est le cas dans la plupart des affaires criminelles : l'assomption implicite pour ce moindre intérêt est que les victimes sont souvent vues comme ordinaires, sans histoire, ennuyeuses et ternes, alors que les meurtriers sont exceptionnels, excitants et audacieux – les victimes sont vues comme des perdantes. Et l'immense majorité des criminels sont des hommes, et les hommes sont généralement vus comme plus intéressants que les femmes.

Gisèle Pelicot est la fille d'un militaire qu'elle décrit comme strict. Sa mère est morte quand elle avait 9 ans, elle a rencontré son mari quand elle avait 18 ans, c'était son premier amour et ils se sont mariés peu après. Ils ont eu trois enfants : David en 1973, Caroline en 1978 et Florian en 1986. A 30 ans, Gisèle a rejoint une entreprise associée à EDF, et a eu ensuite une belle carrière, comme cadre (préparatrice logistique) dans cette compagnie qui intervenait dans les centrales nucléaires.

À première vue, Gisèle P. apparait comme une femme gentille qui s'est généralement conformée aux normes sociales en vigueur : elle s'est mariée jeune avec son premier amour, elle a eu trois enfants et les a élevés comme une mère aimante. Elle a décroché un travail stable à l'âge de 30 ans et gagnait confortablement sa vie alors que son mari lançait de petites entreprises qui ont toutes fait faillite. Elle était le soutien de la famille, c'était elle qui faisait rentrer l'argent alors que son mari accumulait les dettes. Mais elle l'aimait et elle était persuadée qu'il était un homme bien et un bon père. Quand la police l'a convoquée après avoir trouvé les vidéos, un policier lui a posé des questions sur sa relation avec son mari. Sa réponse a été : « mon mari est une personne bienveillante, attentionnée, toujours prête à rendre service. Il est très apprécié par nos relations. Nous avons eu des hauts et des bas mais nous avons toujours réussi à les surmonter » (Darian EJC 47).

Mais quand on lit le livre de sa fille, c'est une image très différente de la version à l'eau de rose de Gisèle P. qui émerge : elle a été manipulée et sous l'emprise de son mari pendant 50 ans. Quand Caroline trie le contenu de la maison de ses parents avant le déménagement de sa mère, elle trouve un tableau peint par son père, une femme nue qui pourrait être sa mère. Au dos du tableau, son titre, glaçant : « L'emprise, août 2016 » (EJC 51).

Pelicot a fait subir à sa femme toutes sortes de violences : physiques et psychologiques, sexuelles et économiques.

Violence economique

L'exploitation financière était présente dès le début de la relation : Gisèle et Dominique Pelicot se sont rencontrés quand ils avaient 18 ans et se sont mariés environ 2 ans après. Se marier aussi jeune n'est généralement pas de bon augure pour ce qui est de l'autonomie féminine. Peu après leur rencontre, Pelicot s'est plaint à Gisèle que son père lui prenait tout l'argent qu'il gagnait comme apprenti. Gisèle, compatissante, a proposé de l'aider. Quand son mari a décidé d'abandonner son job stable d'électricien et de lancer sa propre entreprise, c'est encore elle qui lui a fourni une partie des fonds nécessaires. Mais Dominique était un piètre businessman, il s'est associé avec des individus véreux et ses deux entreprises ont mordu la poussière. Elle a dû payer pour le sortir d'affaire, ainsi que ses enfants et son frère Joël. A plusieurs reprises, il a contracté des emprunts auprès de différentes banques, et il a souscrit ces prêts au nom de jeune fille de sa femme – ce qui fait qu'elle en était légalement responsable.

Comme Pelicot ne gagnait pratiquement pas d'argent, c'est elle qui faisait vivre la famille, elle qui travaillait dur pour nourrir tout le monde. Son job de cadre pour cette compagnie associée à EDF lui donnait droit à un logement de fonction, une grande villa près de la Marne. Ces viols en série et l'administration massive de tranquillisants ont probablement commencé plus tard, quand Gisèle est partie en retraite : quand elle était en activité, elle avait besoin de toute sa tête pour faire son travail. Psychopathe mais pas fou : Pelicot savait d'où venait l'argent.

Il a ainsi accumulé une dette énorme, que sa femme a découverte quand la police a fouillé dans son ordinateur : elle a alors appris qu'elle avait été violée et ruinée. Comme beaucoup de femmes qui font confiance à leur conjoint, elle lui avait laissé l'entière responsabilité de la gestion de leurs finances. Dans son livre, Caroline dit ne pas pouvoir comprendre comment sa mère a pu laisser la gestion de tout ce qu'ils possédaient à un aussi mauvais manager, sans jamais rien vérifier. À un moment, leurs meubles ont fait l'objet d'une saisie par huissier. Comment Gisèle a-t-elle pu voir tout son mobilier emmené par un huissier et continuer à faire confiance aveuglément à son mari, s'interroge Caroline ? Qui écrit à son propos : « tu as monté des entreprises, elles ont toujours coulé, tu avais toujours une embrouille quelque part » (Darian EJC 24).

Violences conjugales

Gisèle a donné une image presque idyllique de son mariage mais, derrière les portes closes, la réalité était différente. Sa fille rapporte des disputes fréquentes entre sa mère et son père, pendant lesquelles elle se réfugiait chez des ami/es. Elle a entendu son père mal parler à sa mère : « il pouvait même rembarrer maman » (Darian EJC 42). Elle a vu une fois son père agresser physiquement sa mère : « j'ai vu mon père soulever ma mère de ses deux mains par le col de sa chemise. Elle était plaquée contre le mur de la salle de bains, à quelques centimètres du sol. À cette époque, je crois que ma mère souhaitait le quitter » (Darian EJC 99). Il est typique que ces violences aient eu lieu au moment où Gisèle voulait quitter son mari. Elle a elle-même reconnu ces violences mais elle les a minimisées, en précisant qu'elles n'avaient eu lieu « que » lorsque son mari avait découvert son infidélité : quand celui-ci apprend que sa femme a eu une aventure avec un collègue ingénieur marié, il y a une violente dispute et Gisèle P. se réfugie en Bretagne, chez ses parents. Pelicot « arrive comme un fou » pour la récupérer de force mais elle l'aime, elle lui pardonne et revient à lui [8].

Dans une des lettres illégales (non visées par l'administration judiciaire) qu'il a envoyées à sa femme lorsqu'il était en prison, Pelicot pleure sur lui-même, se plaint qu'il souffre horriblement, lui demande d'être « indulgente », la supplie de lui pardonner, et il conclut que sa femme est « une sainte ». On a l'impression que c'est justement parce qu'elle est une sainte, une personne gentille, généreuse et pardonnante qu'il l'a tellement abusée : Pelicot se comporte comme les personnages du marquis de Sade, le seigneur de Mazan et auteur de « Les infortunes de la vertu », qui ont besoin d'une jeune fille pure, douce, innocente et naïve (l'orpheline Justine dans ce livre) pour augmenter l'excitation qu'ils ressentent à dégrader les femmes et à les transformer en goules débauchées : on ne peut pas dégrader une « femme tombée », une putain. Dans les scénarios pervers de son mari, Gisèle était la Vertu martyrisée par le Vice : en la faisant violer par des dizaines d'hommes, il transformait la sainte en putain et en tirait une excitation sadique.

Violences sexuelles

Pelicot a filmé 94 viols, commis par lui-même ou par des étrangers. Il emmenait aussi Gisèle sur des aires de routiers pour la faire violer par des camionneurs. Son mode opératoire pour organiser ces viols était le suivant : il postait des photos de sa femme en tenue porno sur le forum de discussion « à son insu » qu'il avait créé sur le site Coco et il offrait aux hommes qui venaient sur ce forum de violer sa femme, seuls ou avec d'autres hommes : « cherche des complices pervers pour abuser de ma femme endormie par mes soins en tournante à deux chez moi » était sa proposition (Darian PQL 11). Les instructions qu'il donnait confirmaient qu'elle serait inconsciente : pas de parfum, interdiction de fumer, pas de portable, interdiction de parler à voix haute, pas de mains froides, se laver les mains avec de l'eau chaude, rien qui puisse la réveiller. Seulement 30% des hommes contactés ont décliné sa proposition de violer sa femme inconsciente. Caroline Darian ajoute à propos des vidéos de ces viols : « lorsqu'ils constatent qu'elle est inconsciente, ça ne semble pas les freiner, au contraire » (Darian EJC 95). Sur Coco, quand Pelicot planifiait des visites chez d'autres hommes pour violer leur femme, il précisait que, s'il y avait des enfants dans la maison, ils sont « à shooter au diner » (Darian EJC 93), c'est-à-dire que leur père devait leur administrer des sédatifs pour les endormir.

Destruction de sa santé

Pelicot a détruit sa santé, et c'est un miracle qu'elle ait survécu : les quantités énormes de Temesta et de Zolpidem qu'il lui a fait avaler plongeaient fréquemment sa femme dans un état comateux. Elle avait des pertes de mémoire effrayantes : d'un jour à l'autre, elle oubliait qu'elle avait parlé au téléphone avec sa fille. Elle ne se souvenait plus d'avoir été chez le coiffeur. Elle parlait de façon incohérente, comme si elle était ivre. Elle pensait qu'elle avait Alzheimer. Elle s'effondrait comme une poupée de chiffon, elle perdait connaissance. En 8 ans, elle a perdu 10 kg, elle perdait ses cheveux. Elle aurait pu mourir d'une overdose, d'une crise cardiaque. Elle a consulté des médecins pour cette intoxication causée par cette administration massive d'anxiolytiques. Un premier médecin lui a diagnostiqué un « ictus amnésique », un autre a parlé d'un « terrain anxieux ». Et lui a prescrit un calmant ! Il est typique que, quand des docteurs ne peuvent identifier le problème médical d'une patiente, ils lui prescrivent des calmants. Aucun d'entre eux n'a envisagé qu'elle aurait pu être droguée. Elle a attrapé 4 STDs, y compris le papillomavirus qui requiert des examens médicaux réguliers parce qu'il peut déclencher un cancer de l'utérus (cervix). Un des violeurs était séropositif [9] mais heureusement non-contagieux (elle a été testée négative au HIV) : son mari non seulement n'exigeait pas le port du préservatif mais même parfois l'interdisait, d'après ce que rapporte Caroline. Et pendant tout ce temps, cet homme qui la tuait à petit feu était attentionné, aux petits soins pour elle, disait s'inquiéter pour sa santé, lui recommandait de ne pas se surmener quand elle s'occupait de ses petits-enfants, la conduisait chez le docteur…

Red flags et avertissements

Il y en a eu beaucoup. Une première fois, en 2010, Pelicot a été pris en train de filmer sous les jupes des femmes au Carrefour de Collégien en Seine et Marne (Damian PQL 64). Il a été emmené au commissariat, son ADN a été enregistré au fichier national des empreintes génétiques des délinquants et criminels (FNEG) et il a reçu une amende de 100 Euros. Il se masturbait devant son ordinateur en regardant du porno dans son bureau, porte grande ouverte, une de ses belles-filles l'a surpris et a alerté son mari (Darian EJC 108). Ses fils ont remarqué qu'il regardait beaucoup de porno [10]. Il proposait à ses petits-enfants de « jouer au docteur » et il est passé à l'acte avec l'un d'eux, Nathan, à qui il imposait des « caresses forcées » et de se doucher devant lui, rapporte Caroline (Darian PQL 25). Comme Caroline, Nathan a porté plainte contre lui. Les filles d'Aurore (la femme de Florian), lui ont parlé du jeu que leur a proposé Pelicot : « elles auraient des bonbons si elles acceptaient de soulever leur t-shirt dans un supermarché » (Darian PQL 26).

Son fils Florian ne voulait plus le laisser seul avec ses enfants [11]. Pelicot prenait des photos de ses belles-filles nues, avec des caméras cachées dans les chambres ou la salle de bains, et Caroline en a informé sa mère. Pour Céline, la femme de David, il y a eu une centaine de clichés s'échelonnant sur des années, postés en ligne avec des commentaires obscènes (Darian PQL 25). La police a aussi trouvé dans l'ordinateur de Pelicot des images où il se masturbait dans les sous-vêtements d'Aurore [12]. Il a mis la pression sur sa femme pour qu'elle accepte de pratiquer l'échangisme, mais elle a refusé. Il prenait des photos d'elle nue quand elle s'habillait ou se déshabillait. Il consommait des quantités massives de Viagra. Gisèle a attrapé 4 fois des MSTs. Des avocats de la défense ont posé la question : « comment ne pouvait-elle pas s'étonner qu'elle ait attrapé des MSTs 4 fois ? » Comment ne pouvait-elle pas réaliser, quand elle dormait 18 heures d'affilée, qu'elle avait été droguée ? Elle a fini par avoir des soupçons et a demandé une fois à son mari : « est-ce que tu m'as droguée ? » Il est probable que les quantités massives de tranquillisants que lui administrait son mari aient contribué à son aveuglement.

La meilleure amie de Gisèle, la marraine d'une de ses fils, une amie de 20 ans qui était comme un membre de la famille (dans son livre, Caroline Darian la nomme Pascale) avertit Gisèle que Pelicot lui faisait des avances : « tu ne sais pas avec qui tu vis. Il serait temps d'ouvrir les yeux. Ton mari n'est pas celui que tu crois » (Darian EJC 38). Bien entendu, Pelicot a nié. Furieuse de cette révélation, Gisèle a rompu avec son amie. Pour expliquer cette rupture, elle a dit que c'était au contraire Pascale qui s'intéressait de trop près à son mari. Réaction typique de nombreuses épouses aveugles : quand leur conjoint infidèle fait des avances à une autre femme, c'est la femme qui l'a provoqué.

Pelicot a été pris une deuxième fois en train de filmer sous les jupes des femmes en 2020. Il s'est confessé à Gisèle mais il lui a menti : il lui a parlé de deux femmes et n'a pas mentionné qu'il filmait (Darian EJC 45). Gisèle lui a pardonné mais lui a dit que s'il recommençait, elle le quitterait, et qu'il fallait qu'il se fasse soigner. Ensuite, la police les a convoqués pour leur faire visionner les vidéos et entendre ce qu'ils avaient à dire là-dessus. Caroline note que, quand Pelicot s'est rendu à cette convocation, il ne parait nullement inquiet : « il pense qu'il va passer entre les mailles du filet » (une fois de plus) et qu'il ne s'agit que d'une « simple formalité administrative » (Darian EJC 47). La chronologie des événements montre qu'il a même organisé un dernier viol après la première convocation par la police.

Deni et syndrome de Stockholm

Lorsque Gisèle voit les vidéos où elle est violée, sa première réaction est l'incrédulité et le déni : « êtes-vous sûrs qu'il n'y a pas une erreur sur la personne » ? (Darian EJC 48). Quand son mari est en garde-à-vue (GAV), après les révélations des vidéos, « elle lave, sèche et repasse les vêtements de mon père, lui prépare un sac de rechange pour lui apporter au commissariat » (Darian EJC 50). Même déni quand elle voit les photos de sa fille, endormie, en slip, prises à deux endroits différents avec le même slip. Caroline remarque que ce slip ne lui appartient pas, elle ne croit pas qu'elle dorme naturellement, avec une lumière très forte, dans une position bizarre et alors qu'elle ne dort jamais en slip. Et elle aussi a eu des problèmes gynécologiques récurrents. Elle pense qu'elle a été droguée par son père, et qu'elle a été victime d'inceste. Quand elle en parle à sa mère, Gisèle refuse d'envisager cette possibilité. Bien sûr, Pelicot nie tout, et Gisèle le croit. Caroline déteste la façon dont sa mère se fait manipuler par son père, dont elle s'apitoie sur lui quand il est en prison et qu'elle se sente même coupable des viols qu'il lui a fait subir : « ton père n'est pas bien là où il est, il souffre, j'ai sans doute dû rater quelque chose durant ces dernières années ». Ces sentiments de culpabilité sont typiques des victimes de violences sexuelles. Et Caroline diagnostique : « ok, empathie avec le bourreau. Syndrome de Stockholm » (Darian EJC 83).

Les lettres illégales envoyées par Pelicot de sa prison augmentent l'irritation de Caroline. Dans la première, Pelicot se plaint de ses conditions de détention, pleure sur lui-même : « ici, c'est affreux (…) Je vous demande d'être indulgents (…) C'est assez dur pour moi (…) Je n'en dors pas la nuit, je perds du poids (…) Dites-leur que je leur demande pardon ». (Darian EJC 86-87). Et Caroline commente : « tout tourne autour de lui, de ses besoins et de sa petite personne » (Darian EJC 87).

Les droits de Pelicot sont tels qu'il ne réalise même pas l'incongruité, l'obscénité qu'il y a à demander le pardon d'une femme qu'il a fait violer et violée des centaines de fois. Gisèle cache ces lettres à sa fille. Caroline se pose la question : « qui cherche-t-elle à protéger au juste ? Si je récapitule, ma mère est au courant pour les photos de moi dénudée (…) Elle ne m'a pas accompagnée à l'hôpital psychiatrique et elle me cache maintenant l'existence de ce courrier. À croire qu'elle se range du côté de son débauché de mari. À cause de mon père, je suis en train de perdre ma mère » (Darian EJC 84). Gisèle n'a pas non plus rendu visite à sa fille quand celle-ci était en hôpital psychiatrique, effondrée après avoir vu ces photos, elle ne voit pas que son mari veut la monter contre Caroline. Désormais, il y a deux camps dans la famille.

Syndrome st

Incompréhensiblement, après avoir vu ces vidéos où Pelicot la fait violer par des dizaines d'inconnus, Gisèle continue à se soucier des besoins de son mari emprisonné : « maman veut que mon père puisse disposer de ses affaires en prison. Elle lui a donc préparé un sac, avec des vêtements chauds, et quelques effets personnels qu'elle va laisser à la loge du centre pénitentiaire du Pontet » (Darian EJC 104).

Dans une seconde lettre illégale, Pelicot va encore plus loin dans le mensonge et la manipulation : il écrit à sa femme qu'il est en danger… à cause de Caroline. Selon lui, « Caroline a tout raconté aux parents de mon codétenu qui ne veut plus être avec moi. Essayez de la calmer car on va me lyncher ici, ça ne pardonne pas, c'est urgent » (Darian EJC 122). Caroline commente : « il veut nous dresser les uns contre les autres » ; sa mère ne voit toujours pas son manège, elle trouve des circonstances atténuantes à son mari. Quand Caroline évoque la possibilité de l'inceste, elle lui déclare : « arrête de te faire du mal, ton père n'a pas pu faire une chose pareille. Je ne peux m'y résoudre sinon cela achèverait de me détruire » (Darian EJC 137). Venant d'une femme qui a vu les 94 vidéos de ses viols, et les images dénudées de sa fille et de ses belles-filles, le niveau de déni est stupéfiant. Caroline « en veut à sa mère qui se laisse duper », qui lui reproche son « ingratitude » envers son père et qui lui rappelle qu'« il a beaucoup fait pour toi mais aussi pour tes frères ». Et qui conclut par « j'ai été heureuse avec lui, je l'ai tant aimé, je préfère garder en mémoire les bons moments » (Darian EJC 158). Et elle demeure convaincue que l'homme qui l'a fait violer au moins 94 fois l'aimait…

À la date du procès, Gisèle ne reconnait toujours pas la possibilité de l'inceste (bien que ses avocats lui aient recommandé de dire qu'elle ne l'exclut pas). Caroline voit dans ce déni un « abandon de trop » (Darian PQL 43) et en conclut qu'elle devra se « passer d'une relation-mère fille qui lui tenait tant à cœur » (Darian PQL 43). Et quand elle explose face à son père qui ment, change plusieurs fois de version et se contredit face aux juges, sa mère lui dit de « ne pas se donner en spectacle » (Darian PQL 45)…

Nous savons que le déni est une stratégie de survie : elle permet à celleux qui l'utilisent d'ignorer un aspect de la réalité trop douloureux pour qu'iels puissent l'admettre. Nous savons aussi que l'identification à l'agresseur est aussi un mécanisme de défense. Les deux sont clairement présents chez Gisèle : elle s'identifie à son mari, contre sa fille. Une avocate s'adresse ainsi à Pelicot : « entre Caroline et vous, M. Pelicot, elle (Gisèle) vous a incontestablement choisi vous » (Darian PQL 44).

Les médias ont présenté Gisèle Pelicot comme une icône féministe. Est-elle une icône féministe ? Elle a eu le courage de porter plainte, alors que la plupart des femmes violées par leur conjoint n'osent même pas y penser – mais son cas était à une toute autre échelle – il s'agissait de dizaines de viols par des inconnus. Elle a refusé le huis-clos habituel et a décidé de rendre ce procès public, dans l'intérêt de la protection des femmes, a-t-elle déclaré. En discutant avec les intrépides féministes locales qui sont venues en masse pour la soutenir, elle a exprimé un intérêt pour les idées féministes. À cause des vidéos, il ne pouvait y avoir aucun doute sur la réalité des viols, donc Gisèle a été qualifiée de « victime parfaite ».

L'expression signifie que, vu les preuves écrasantes découvertes dans l'ordinateur de Pelicot, personne ne pouvait douter de la réalité de ces viols. Mais cette expression a un autre sens, plus dérangeant : dans les sociétés patriarcales, les femmes sont censées être des victimes, des « long suffering wives », des machines à souffrir. C'est aussi parce que des femmes comme Marilyn Monroe ou Gisèle P. sont des « victimes parfaites » qu'elles suscitent un tel intérêt : elles ont été victimes des hommes tout au long de leur vie, elles ont été complètement détruites par les hommes. Le patriarcat aime ces femmes détruites qui ont enduré d'énormes violences de la part des hommes, et qui pourtant survivent, le fait qu'elles aient supporté toutes ces violences étant la preuve qu'elles sont de bonnes femmes, de bonnes épouses, des « stand by your man women » qui restent avec leur homme quoi qu'il leur fasse, même en cas de violences physiques et sexuelles, même s'il les rend malade et les a presque tuées, même s'il se fait entretenir par elles et qu'il les a ruinées. C'est un spectacle inspirant quand une femme piétinée par un homme pendant des années finit par se révolter et le traîne en justice mais on peut aussi considérer qu'une femme qui ne se laisse pas détruire par un homme est une meilleure icône féministe. Le patriarcat aime ces femmes détruites par les hommes et célèbre leur « résilience » mais les flots d'empathie qu'il leur témoigne sont teintés d'excitation sadique. Lola Lafon dit qu'elle « voudrait qu'on arrête de célébrer le courage et la force des femmes (…) Qu'on cesse enfin de glorifier leur capacité à encaisser » [13].

Les épreuves que Gisèle P. a subies et son attitude digne et courageuse pendant le procès forcent l'empathie et le respect mais son déni face aux comportements sexuellement déviants de son mari doit être passé au crible de l'analyse féministe : il ne s'agit pas de lui jeter la pierre individuellement pour son aveuglement mais de mettre en lumière le contexte socio-culturel qui l'a produit, à savoir la socialisation féminine conventionnelle qu'elle a profondément intériorisée, et les croyances et illusions dangereuses qu'elle véhicule et autour desquelles elle a construit sa vie : l'amour doit être central dans la vie des femmes et tous les clichés qui vont avec cette assertion ( « l'amour triomphe de tout », le mariage et la maternité sont la vocation naturelle des femmes et elles doivent tout faire et tout accepter pour sauver leur couple). Gisèle a été si totalement aveuglée par l'amour qu'elle portait à son mari qu'elle n'a pas voulu voir ce qu'elle voyait, entendre ce qu'on lui disait. Mazan, « procès de la soumission chimique », procès de la pornographie, procès de l'emprise, du contrôle physique et psychologique de Pelicot sur sa femme mais surtout, procès des illusions et des mystifications auxquelles les femmes sont conditionnées – et de l'aveuglement qui en résulte et qui permet aux hommes de se comporter horriblement sans qu'elles se rebellent, sauf à la toute dernière extrémité. Autrement dit, c'est l'adhésion de Gisèle à ces mythes de l'amour et du couple comme valeurs suprêmes et suprêmes accomplissements des femmes qui a préparé le terrain aux manipulations de son mari et à sa mise sous emprise. Et l'aveuglement dont elle a fait preuve n'est pas exceptionnel : les femmes des accusés de Mazan ne se doutaient pas de la double vie criminelle de leurs maris, et beaucoup les ont défendus et leur ont pardonné.

Enfin, 7 accusés (soit 14%) ont dit avoir été victimes de violences sexuelles étant enfant, contre un nombre presqu'égal qui disent avoir eu une enfance heureuse : ces hommes, les ex-enfants choyés comme les ex-enfants agressés, ont pareillement violé Gisèle Pelicot. Sur la base de ces chiffres, (et comme l'a signalé l'expert psychiatre Laurent Layet cité plus haut), on ne peut donc pas avancer que le fait d'avoir été victime de violences sexuelles étant enfant est un facteur déterminant dans la reproduction de ces violences une fois adulte. Cette théorie du « violeur violé » est un mythe patriarcal utilisé de façon récurrente par les avocats de la défense et les agresseurs eux-mêmes et un élément de la culture de l'excuse qui les protège et qui, en leur trouvant des circonstances atténuantes, vise à minimiser leur responsabilité dans les crimes qu'ils commettent. Mais surtout l'explication des violences sexuelles masculines par des circonstances biographiques individuelles permet d'en gommer le caractère systémique.

Par contre, au moins 10 de ces hommes fréquentaient les milieux « libertins » (soit 20%), 18 (soit 36%) avaient déjà été condamnés pour des délits ou/et crimes avant le procès (dont 8 pour des violences sexuelles ou physiques envers leurs femmes et enfants), 4 étaient détenteurs d'images pédopornographiques et 2 étaient des clients réguliers de la prostitution. L'explication de leur passage à l'acte est sans doute multifactorielle, mais il y a un de ces facteurs que tous ces hommes avaient en commun, c'est leur consommation régulière de porno.

Mazan est le procès de la soumission chimique mais c'est aussi le procès du biberonnage de ces hommes au porno : visiteurs réguliers de sites pornos, ils exposaient leurs fantasmes pornos sur un site porno, Coco, où ils cherchaient des complices pour les réaliser. Mazan est aussi le procès du soi-disant « libertinage » qui, sous l'alibi du « libre » consentement des parties intéressées, n'est le plus souvent que le consentement des femmes à des pratiques dégradantes et dangereuses sous la pression insistante de leur conjoint, si même ces femmes ne sont pas droguées, comme dans le cas de Mazan.

Mais le plus évident dénominateur commun des accusés, c'est qu'ils sont tous des hommes, des hommes ayant profondément intériorisé les normes comportementales de la masculinité patriarcale. Comme tel, Mazan est finalement le procès de la masculinité : « les accusés qui défilent à la barre apportent la preuve que notre société est structurellement sexiste et malade de sa domination masculine » [14]. « Ils rejettent la culpabilité partout et sur tout le monde, sauf sur eux-mêmes ». Sur leur enfance malheureuse, sur leur ignorance, sur leur consommation d'alcool ou de cannabis, sur Pelicot et parfois même sur Gisèle elle-même, que certains ont accusée d'être complice de son mari [15]. Quand ils sont venus à Mazan pour la violer, certains de ces hommes ne l'ont même pas regardée, n'ont même pas vu son visage, « n'ont pas prêté attention ». Presque tous « expriment un désintérêt total pour la victime au moment des faits » et, durant le procès, ils ne pensent qu'à eux-mêmes [16]. Ce que tous les hommes de Mazan ont en commun, en plus de leur consommation de porno, c'est leur désastreuse image de la femme : Gisèle était une femme « réduite à un corps et un corps réduit au rang d'objet à disposition pour le seul plaisir des hommes » [17]. Et depuis ce procès, et face à la double vie criminelle des accusés et à l'aveuglement de leurs compagnes, quelle femme en couple hétérosexuel ne se demande pas si elle connait vraiment l'homme avec qui elle vit…

En conclusion : est ce que les violeurs sont des monstres ou est-ce que ce sont des Monsieur Tout le Monde, des hommes ordinaires ? La réponse est : les deux. Parce ce que dans le patriarcat, les hommes sont (socialisés à être) des monstres.

Francine Sporenda

[1] https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire-des-viols-de-mazan/comment-le-garcon-que-j-ai-connu-a-pu-devenir-cette-chose-la-au-proces-des-viols-de-mazan-joel-pelicot-regle-ses-comptes-avec-son-frere_6825956.html
[2] https://www.mediapart.fr/journal/france/161124/laurent-layet-expert-au-proces-mazan-ce-n-est-pas-parce-qu-ete-victime-qu-devient-auteur
[3] https://www.bfmtv.com/police-justice/affaire-des-viols-de-mazan-le-frere-de-l-accuse-temoigne-pour-la-premiere-fois_AN-202311160524.html
[4] https://www.laprovence.com/article/region/1236183214288415/proces-des-viols-de-mazan-12-ans-requis-contre-jean-t-employe
[5] https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/proces-des-viols-de-mazan-soumettre-une-femme-insoumise-c-etait-mon-fantasme-avoue-dominique-pelicot-3834300
[6] https://www.ladepeche.fr/2024/11/19/proces-de-mazan-ma-fille-a-poil-jouer-au-docteur-avec-son-petit-fils-dominique-pelicot-est-il-aussi-coupable-dinceste-12332977.php
[7] https://www.20minutes.fr/faits_divers/4130459-20241221-proces-viols-mazan-meurtre-sophie-narme-tentative-viol-dominique-pelicot-vise-autres-affaires
[8] https://www.slate.fr/societe/quand-vient-la-nuit/affaire-viols-mazan-dans-cette-famille-cache-larmes-partage-rires-proces-avignon-vaucluse-gisele-dominique-pelicot
[9] https://www.europe1.fr/Police-Justice/viols-de-mazan-un-seropositif-un-menteur-invetere-huit-nouveaux-accuses-passes-au-crible-4276927
[10] https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/il-droguait-sa-femme-pour-que-des-hommes-la-violent-quel-est-le-profil-de-dominique-p-juge-aux-cotes-de-50-accuses-a-partir-de-ce-lundi-2-septembre-2024-2317350.html
[11] https://www.ladepeche.fr/2024/11/19/proces-de-mazan-ma-fille-a-poil-jouer-au-docteur-avec-son-petit-fils-dominique-pelicot-est-il-aussi-coupable-dinceste-12332977.php
[12] https://www.ladepeche.fr/2024/11/19/proces-de-mazan-ma-fille-a-poil-jouer-au-docteur-avec-son-petit-fils-dominique-pelicot-est-il-aussi-coupable-dinceste-12332977.php
[13] Laurence Rosier, « La Riposte », 75.
[14] https://www.mediapart.fr/journal/france/161124/proces-des-viols-de-mazan-le-grand-deballage-de-la-masculinite
[15] Idem
[16] Idem
[17] https://www.mediapart.fr/journal/france/091124/au-proces-des-viols-de-mazan-la-terrible-image-de-la-femme-des-accuses?at_medium=rs-cm&at_campaign=mastodon&at_account=mediapart

Voir les annexes sur le site : Révolution féministe
https://revolutionfeministe.wordpress.com/2025/03/29/proces-de-mazan-analyse-feministe/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Commission de la condition de la femme : « le poison du patriarcat est de retour »

À l'ouverture de la nouvelle session de la Commission de la condition de la femme, qui se réunit au siège de l'ONU à New York du 10 au 21 mars, des hauts responsables des (…)

À l'ouverture de la nouvelle session de la Commission de la condition de la femme, qui se réunit au siège de l'ONU à New York du 10 au 21 mars, des hauts responsables des Nations Unies ont, lundi, déploré la lenteur des progrès visant à résorber les inégalités entre hommes et femmes.

Tiré de Entre les lignes et les mots

La 69e session de cet événement annuel, organisé par l'ONU pour dénoncer la violence et les discriminations dont font l'objet les femmes dans le monde, coïncide avec le trentième anniversaire de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing, qui avaient fixé des objectifs ambitieux en matière d'égalité entre les genres.

« Nous avons toujours su que cela ne se ferait pas du jour au lendemain, ni même au bout de plusieurs années », a souligné le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, à la tribune de l'Assemblée générale de l'organisation.

« Mais trois décennies plus tard, cette promesse semble plus lointaine que nous n'aurions jamais pu l'imaginer », a-t-il reconnu.

Selon le Président de l'Assemblée générale, Philémon Yang, au rythme actuel, il faudra 137 ans pour sortir toutes les femmes de l'extrême pauvreté et 68 ans pour mettre fin au mariage des enfants.

« Ces réalités sont inacceptables et devraient tous nous alarmer », a dénoncé M. Yang lors de la cérémonie d'ouverture de la session.

Des progrès « significatifs »…

Le Président de l'Assemblée générale a toutefois salué les progrès selon lui « significatifs » enregistrés au fil des décennies.

Davantage de pays disposent notamment de lois visant à promouvoir l'égalité des sexes, à sanctionner la violence à l'égard des femmes et à lutter contre la discrimination.

Sur le plan politique, M. Yang a noté que, même si la parité totale reste difficile à atteindre, il y a désormais beaucoup plus de femmes parlementaires.

En 30 ans, leur proportion est ainsi passée de 11 à 20% à l'échelle mondiale. Davantage de filles sont également scolarisées qu'en 1995.

Ces avancées, quoique positives, sont insuffisantes.

…mais « en recul »

Pire encore, selon le Secrétaire général de l'ONU, « les progrès difficilement réalisés sont en recul ».

Il a notamment cité la menace qui pèse sur les droits reproductifs et l'abandon de nombreuses initiatives en faveur de l'égalité entre les sexes partout dans le monde.

En Afghanistan, a-t-il constaté, les femmes ont à nouveau été privées de leurs droits fondamentaux et il leur est désormais interdit de faire entendre leur voix en public.

Parallèlement, le développement de l'intelligence artificielle (IA) normalise la misogynie et le « revenge porn ».

« Jusqu'à 95% des deepfakes en ligne sont des images pornographiques non consensuelles et 90% représentent des femmes », a-t-il dénoncé.

-* Retour du « poison patriarcal »

Pour M. Guterres, ce qui est à l'œuvre n'est ni plus ni moins qu'une contre-révolution.

« Le poison patriarcal est de retour », a-t-il estimé.

Un retour en force caractérisé selon le chef de l'ONU par les disparités salariales, à hauteur de 20% d'écart entre hommes et femmes, et par les violences que subit un tiers des femmes dans le monde, notamment en période de conflit, où elles font souvent l'objets d'abus sexuels systématiques, comme c'est le cas actuellement en Haïti et au Soudan.

M. Guterres a rappelé que les femmes sont toujours privées de droits fondamentaux dans de nombreux pays, comme le droit de ne pas être violée par son mari, de posséder des biens, d'obtenir la citoyenneté sur un pied d'égalité avec les hommes ou encore d'accéder au crédit sans devoir obtenir la permission de son mari.

Obstacles structurels

Selon M. Guterres, la pandémie deCOVID-19 a entraîné une recrudescence des violences à l'encontre des femmes et une baisse de leur participation sur le marché du travail.

La crise de la dette, l'aggravation des catastrophes climatiques, la multiplication des conflits dans le monde et l'absence de perspective de genre dans les législations nationales sont autant d'obstacles structurels qui frappent plus durement les femmes que les hommes.

Raviver le Programme d'action de Beijing

Le Secrétaire général a appelé à redynamiser la Commission de la condition de la femme afin de favoriser la mise en oeuvre du Programme d'action de Beijing.

C'est l'un des volets, a-t-il rappelé, du Pacte pour l'avenir signé en septembre dernier par les gouvernements mondiaux, qui se sont engagés à aider à mobiliser 300 millions de dollars pour les organisations de femmes touchées par les conflits et les situations de crise.

« En ces temps périlleux pour les droits des femmes, nous devons nous rassembler autour de la Déclaration de Beijing », a insisté M. Guterres, « pour faire de la promesse du respect des droits, de l'égalité et de l'autonomisation une réalité pour chaque femme et chaque fille, dans le monde entier ».

Six priorités, selon ONU Femmes

Pour accélérer ces transformations, ONU Femmes, l'agence des Nations unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, a entrepris un examen rigoureux des rapports des Etats membres sur la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing.

Sur cette base, l'agence a identifié six domaines d'action prioritaires, à commencer par la nécessité d'exploiter la technologie au service de l'égalité.

« La fracture numérique est désormais la frontière de l'inégalité », a estimé la Directrice exécutive d'ONU Femmes, Sima Bahous, qui participait à l'ouverture de cette 69e session de la Commission de la condition de la femme.

Mme Bahous a appelé à combler l'écart actuel pour les 259 millions de femmes qui n'ont toujours pas accès à Internet, afin de parvenir à l'égalité d'accès aux compétences numériques, services financiers numériques et marchés de l'emploi.

Par ailleurs, la Directrice exécutive a souligné la nécessité d'investir dans l'autonomisation économique des femmes, dont près d'une sur dix vit aujourd'hui dans l'extrême pauvreté.

Elle a également appelé à renforcer l'application des lois contre les violences à l'égard des femmes et l'accès aux services à destination des survivantes.

« L'investissement dans la prévention de la violence ne permet pas seulement de construire des communautés plus sûres, il crée également les bases de l'égalité et du bien-être pour tous », a insisté Mme Bahous.

Rappelant que les trois quarts des sièges parlementaires dans le monde sont occupés par des hommes, la cheffe d'ONU Femmes a en outre demandé davantage de parité sur le plan de la représentation politique.

« Les démocraties sont plus fortes lorsque les femmes sont au cœur de la prise de décision », a-t-elle dit.

De la même façon, lorsque les femmes ont une voix égale dans les processus de paix, la paix dure plus longtemps, a déclaré Mme Bahous, rappelant que ces dernières représentent moins de 10% des négociateurs de paix dans le monde.

Face à la crise climatique, elle a insisté sur l'importance d'investir dans des emplois verts pour les femmes, afin de créer 24 millions d'emplois d'ici 2030, alimentant à la fois l'économie mondiale et la durabilité environnementale.

« Une nouvelle vague d'activisme courageux et mené par des jeunes monte partout dans le monde », a-t-elle déclaré avec enthousiasme.

https://news.un.org/fr/story/2025/03/1153796

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Rojava : Une délégation internationale de femmes rencontre les YPJ

15 avril, par Kurdistan au féminin — , ,
SYRIE / ROJAVA – Une délégation composée de femmes venues du Canada, d'Espagne et de Catalogne a rencontré les Unités de protection des femmes (YPJ) et a discuté avec les (…)

SYRIE / ROJAVA – Une délégation composée de femmes venues du Canada, d'Espagne et de Catalogne a rencontré les Unités de protection des femmes (YPJ) et a discuté avec les dirigeantes des YPJ de la lutte des femmes combattantes, de l'approche du régime syrien et du concept d'extrémisme religieux ciblant les femmes.

Tiré de Entre les lignes et les mots

La délégation, qui comprenait des responsables de défense des droits humains, de l'Union des femmes, l'Union pour les droits des travailleurs et les droits sociaux, une députée et plusieurs avocates, a visité le nord et l'est de la Syrie et a rencontré les unités de protection des femmes (en kurde : Yekîneyên Parastina Jin, YPJ).

La délégation a été reçue par Sozdar Dêrik, membre du commandement général du YPJ, ainsi que par des membres du Conseil militaire du YPJ, dont Destina Halab, la responsable de la sécurité Israa et le membre du Conseil arménien Talin.

La délégation en visite a discuté de plusieurs questions, notamment de l'acquisition d'une meilleure compréhension des unités de protection des femmes, ainsi que de la lutte des femmes contre la domination patriarcale.

« Les femmes se sentent libres grâce à la lutte »

Sozdar Dêrik, membre du commandement général des YPJ accueillant la délégation, a déclaré : « Nous sommes en contact avec toutes les femmes et toutes les communautés de la région. En tant que femmes, nous souhaitons connaître toutes les communautés et leur faire connaître notre combat, qui inclut la défense des libertés des femmes et des droits des différentes nationalités. »

« Nous ne permettrons pas que la Syrie devienne l'Afghanistan »

La réunion s'est poursuivie par des discussions sur l'évolution de la situation en Syrie et la lutte des femmes contre l'extrémisme religieux. Suzdar Dêrik a déclaré à ce sujet : « En tant que femmes, nous nous opposons au fanatisme national et religieux. Nous rejetons la mentalité d'une nation, d'une religion, d'une langue, d'une idéologie et d'une secte. Le régime Baas a imposé une idéologie nationaliste au peuple, et le régime actuel applique la charia aux femmes. En Afghanistan, la charia est appliquée, et nous ne permettrons pas que la Syrie devienne un autre Afghanistan. Nous nous opposons à la charia et sommes convaincues que les nations démocratiques garantissent une vie paisible et sûre. »

Sozdar Dêrik a conclu en réaffirmant son engagement à poursuivre son combat politique et militaire pour une société libre et égalitaire : « Nous souhaitons que toutes les femmes et toutes les communautés de la région débattent du modèle idéal pour la Syrie. Le Kongra et le Rassemblement des femmes de Zenobia déploient des efforts conjoints pour étudier la représentation des femmes dans la nouvelle constitution syrienne. Nous ferons tout notre possible pour protéger et préserver nos acquis. » (ANHA)

https://kurdistan-au-feminin.fr/2025/04/04/rojava-une-delegation-internationale-de-femmes-rencontre-les-ypj/

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les 85 ans de San Isidro : les femmes au cœur de la résistance paysanne

Le petit ejido [1] de San Isidro, au Mexique, est un symbole de la propriété collective des terres depuis les années 1940, lorsque l'ancien président Lázaro Cárdenas a accordé (…)

Le petit ejido [1] de San Isidro, au Mexique, est un symbole de la propriété collective des terres depuis les années 1940, lorsque l'ancien président Lázaro Cárdenas a accordé 536 hectares aux paysan·nes de la localité qui s'étaient organisé·es et avaient revendiqué le droit d'autogérer leurs terres.

Tiré de Entre les lignes et les mots

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/04/larticulation-des-femmes-decvc-envoie-une-lettre-ouverte-a-hansen-sur-la-position-des-femmes-dans-la-vision-pour-lagriculture-et-lalimentation-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup

Aujourd'hui, San Isidro fait partie des plus de 29 000 ejidos et autres 2 400 communautés enregistrées comme « propriété sociale » au Mexique, un héritage des réformes agraires nées de la révolution mexicaine et inscrites dans la Constitution de 1917. Ces réformes ont limité la propriété foncière privée à 100 hectares etont placé plus de 50% du territoire national (82% d'ejidos et 17% de terres communales) sous propriété collective, les protégeant ainsi de la vente ou de la saisie par les banques.

Mais l'histoire de San Isidro ne se limite pas à la terre ; elle concerne aussi l'eau, les forêts et les habitant·es qui ont lutté pour les préserver. Les ejidos comme celui de San Isidro détiennent 70% des forêts du Mexique et deux tiers de ses ressources en eau. Pourtant, depuis les années 1990, ces terres communales sont menacées. La réforme constitutionnelle de 1992, la crise économique et l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ont ouvert la voie à la privatisation, permettant la conversion des terres d'ejidos en propriétés privées. Plus de 22% des parcelles de propriété sociale ont depuis été privatisées, souvent sous le couvert de l'autonomisation des femmes.

« Ce sont les femmes qui seront propriétaires » devint le cri de ralliement des partisans de la privatisation, notamment la Banque mondiale et la FAO. Mais les femmes de San Isidro savaient qu'il s'agissait de promesses trompeuses.

Dans les campagnes mexicaines, les inégalités de genre sont flagrantes. Les femmes représentent plus de la moitié de la population rurale, mais elles ne détiennent que 28% des titres de propriété sociale. Les femmes rurales sont également confrontées à des conditions de travail plus difficiles : 46 % d'entre elles gagnent le salaire minimum ou moins, contre 32% des hommes.

En 2024, les exportations agricoles du Mexique ont atteint un niveau record, les cultures gourmandes en eau, comme les avocats et les petits fruits figurant parmi les principales exportations. Ces monocultures, motivées par la demande mondiale, ont eu un coût élevé pour des communautés comme San Isidro.

Pour Trinidad de la Cruz, une ejidataria vivant depuis toujours à San Isidro, l'arrivée des fermes d'avocats et des serres a eu des effets dévastateurs. « Nous continuons à planter la milpa et les cuamiles (maïs, haricots, courges, nopal et piments), mais ce n'est plus comme avant », explique-t-elle. « Nous ne sommes plus soutenus par des politiques ou des crédits, de sorte que de nombreux ejidatarios louent leurs terres à des étrangers pour y produire des avocats, des agaves et des cultures horticoles. »

San Isidro est aujourd'hui entourée de plantations d'avocats, et même si peu de membres de la communauté louent leurs terres à des étrangers, la pression monte. « Beaucoup partent en ville ou aux États-Unis pour trouver du travail », explique Trinidad. « Je loue mes 4 hectares à un voisin qui cultive du maïs et du sorgho parce que je suis âgée et que je ne peux pas travailler la terre seule. Mais je ne louerai pas aux entreprises de culture d'avocats. Nous devons préserver l'ejido. »

Dans l'ejido voisin d'Alista, la situation est encore pire. « Environ 80% des terres sont louées pour la culture d'avocats, d'agave et de raisins », explique Ilma María Cruz, une habitante d'Alista. « Les vignes sont irriguées jour et nuit, ce qui ne laisse pas d'eau pour la communauté. Nous avions une source dans les collines, mais maintenant l'eau ne coule plus que deux jours par semaine, pendant environ trois heures. Comment pouvons-nous produire de la nourriture dans ces conditions ? »

La privatisation des terres et de l'eau s'est accélérée après l'ALENA, explique Evangelina Robles, une avocate qui travaille en étroite collaboration avec la communauté de San Isidro. « Les concessions d'eau sont devenues beaucoup plus rapides et les entreprises se sont facilement emparées des ressources. » L'une des premières à s'installer a été l'entreprise étasunienne Amway/Nutrilite, qui a acheté des terres destinées à l'ejido de San Isidro et a commencé à y installer des serres pour la production horticole.

« Ils ont promis des emplois et des salaires équitables », explique Trinidad. « Mais dans les serres, toute la main d'œuvre vient de l'extérieur. Les gens travaillent de longues heures, paient eux-mêmes leur transport et leur hébergement, et accumulent les dettes. Les femmes s'occupent de couper et de nettoyer les fruits, tandis que les hommes et les enfants travaillent dans les champs. C'est de l'exploitation. »

Ilma, une camarade de lutte de Trinidad, ajoute que les impacts sur la santé sont graves. Bien qu'elle ne soit pas elle-même une ejidataria, Ilma est devenue une figure clé de la communauté. « Les pesticides sont partout. On peut les sentir dans l'air, comme du piment. Beaucoup de gens tombent malades, mais les entreprises s'en moquent. »

La résistance
Malgré les difficultés, des femmes comme Trinidad et Ilma sont à l'avant-garde de la résistance. « J'ai été l'une des premières femmes ejidatarias à San Isidro », explique Trinidad. « À la mort de mon mari, le titre de propriété est resté à mon nom et j'ai obtenu le droit de participer aux assemblées. Aujourd'hui, sur environ 80 ejidatarios, près de 25 sont des femmes. C'est à nous qu'incombe la responsabilité de prendre soin de la terre, des enfants et des personnes âgées. »

« Nous avons décidé d'arrêter de louer nos terres et de nous lancer dans la culture agroécologique », explique Ilma. « Nous utilisons des semences indigènes, nous récupérons l'eau de pluie et nous cultivons du maïs, des haricots, des courges et des arbres fruitiers. C'est plus sain et plus durable. »

Leurs efforts s'inscrivent dans une lutte plus large visant à récupérer les terres et l'eau accaparées par l'agrobusiness. En juin 2022, San Isidro a remporté une victoire juridique contre Amway, qui était censée restituer 280 hectares de terres acquises illégalement. Mais l'entreprise a fait appel et a même porté l'affaire devant la Banque mondiale, réclamant 3 millions de dollars des États-Unis à l'État mexicain.

« La communauté a maintenant accès à environ 60 hectares, mais ce n'est pas simple », explique Eva Robles. « Elle doit faire face à des menaces et à une présence armée. Mais des femmes comme Trinidad et Ilma sont les piliers de cette résistance. Elles incarnent la permanence de la communauté face à la spoliation. »

Pour les femmes de San Isidro, la lutte dépasse la simple question des terres : il s'agit de préserver un mode de vie. « Nous nous battons pour nos enfants, pour notre communauté et pour l'avenir », déclare Trinidad. « Cette terre est notre héritage et nous ne laisserons personne nous l'enlever. »

Tandis que les monocultures s'étendent et que l'eau se raréfie, les femmes de San Isidro incarnent la puissance de la résistance collective. Leur histoire nous rappelle que la lutte pour la terre, l'eau et la dignité est loin d'être terminée, mais qu'elle est également loin d'être perdue.

https://grain.org/fr/article/7263-la-voix-des-femmes-semons-la-resistance-a-l-agriculture-industrielle

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

USAID : L’Afrique dûrement frappée par la suspension du financement vital

15 avril, par Marie-Michaelle Vadeboncoeur — , ,
L'Agence américaine pour le développement international (USAID) annonçait, le 26 février dernier, la réduction dramatique de 92 % de ses programmes d'aide internationale. Une (…)

L'Agence américaine pour le développement international (USAID) annonçait, le 26 février dernier, la réduction dramatique de 92 % de ses programmes d'aide internationale. Une semaine plus tard, le secrétaire d'État des États-Unis, Marco Rubio, confirmait cette décision en précisant que 83 % des programmes d'aide humanitaire seraient supprimés. Une grande partie de cette aide était offerte aux pays africains, où elle jouait un rôle crucial pour la survie de millions d'individus en situation précaire.

Tiré du Journal des alternatives.

Dès son retour à la Maison-BlancheDépartement de l'efficacité gouvernementale — DOGE, Elon Musk qualifiait USAID d'« organisation criminelle » sur son réseau X : il était « temps pour elle de mourir » !

USAID, c'est 42 % de l'aide au développement dans le monde

Fondée en 1961 par John Kennedy, l'USAID est une agence américaine qui assumait 42 % de l'aide humanitaire mondiale, avec un budget annuel de 42,8 milliards de dollars. En 2023, les États-Unis ont consacré. 64 milliards de dollars à l'aide au développement auprès de 209 pays, ce qui représentait seulement 1 % du budget des États-Unis.

Le décret gelant l'aide humanitaire s'inscrit dans la politique extrémiste de l'administration Trump de « réévaluer les intérêts américains », qui met de l'avant l'« America First ». USAID avait pour mission de promouvoir la démocratie et le développement au sein des pays les plus défavorisés du monde, et ce par une politique américaine de « soft power ». Aujourd'hui anéantie par une idéologie nationaliste, le programme connaît un tournant historique dans la politique étrangère des États-Unis avec des conséquences désastreuses pour les populations les plus marginalisées des pays dépendants de cette aide étrangère.

Le démantèlement soudain de USAID laisse le secteur de l'aide humanitaire complètement mutilé et réduit presque à néant le financement de milliers d'ONG, leur laissant la seule option de licencier leur personnel et d'interrompre leurs services. L'effet domino impacte drastiquement les populations les plus vulnérables comme les enfants, les femmes, les minorités religieuses, les individus appartenant à la communauté 2ELGBTQI+ et plusieurs autres groupes.

Une fatalité pour les pays africains

Plusieurs pays africains tirent aujourd'hui la sonnette d'alarme, soulignant que des millions de personnes dépendent de cette aide pour survivre. De nombreux pays africains dépendent de USAID pour financer une part importante de leur budget, parfois jusqu'à 50 %. La suspension de cette aide a des conséquences immédiates sans précédentes où des millions de personnes se retrouvent privées de programmes vitaux, tandis que les économies les plus fragiles, déjà en situation de précarité, sont menacées d'effondrement.

Selon les données de 2023 du gouvernement américain, les bénéficiaires de l'USAID en Afrique étaient l'Éthiopie, la Somalie, le Nigeria, la République démocratique du Congo (RDC), le Kenya, le Mozambique et le Soudan du Sud. L'USAID assurait ainsi au sein de ces pays l'accès aux médicaments pour les personnes séropositives, le financement de camps de personnes réfugiées, la garantie d'une sécurité alimentaire, l'accès à l'éducation, le service d'eau potable, la lutte contre les épidémies et plus encore.

La fin du programme contre le SIDA et des soins de santé vitaux

L'arrêt du financement de l'USAID entraîne ainsi la suspension du Plan présidentiel d'aide d'urgence à la lutte contre le VIH/sida (PEPFAR), un programme lancé en 2003 par le président George W. Bush. En deux décennies seulement, celui-ci a sauvé plus de 20 millions de vies dans le monde atteint par le VIH. En 2024, le PEPFAR permettait encore à 20,6 millions de personnes dans plus de 55 pays d'accéder aux traitements antirétroviraux.

En Afrique du Sud, ce sont six millions de personnes qui vivent avec le VIH, soit le taux le plus élevé au monde. Le gel du financement de USAID oblige la fermeture de cliniques. Les stocks de médicaments s'épuisent et des millions de vies sont en danger du jour au lendemain. Cette situation ne concerne pas seulement l'Afrique du Sud, mais aussi plusieurs autres pays africains dont l'Éthiopie, la RDC, le Malawi, le Mozambique, le Kenya. Ce n'est que la pointe de l'iceberg dans ces pays touchés par cette infection fatale sans traitements.

En République démocratique du Congo (RDC) en 2025, la contribution attendue du PEPFAR s'élevait à 105 millions de dollars, un montant crucial nécessaire pour traiter la moitié des 520 000 personnes qui vivent avec le VIH dans ce pays. Au Mozambique, ce sont plus de deux millions de personnes qui dépendent de la fourniture régulière de médicaments antirétroviraux pour prévenir la propagation du sida.

Insécurité alimentaire

L'Éthiopie est le plus grand bénéficiaire de l'USAID en Afrique subsaharienne, recevant plus d'un milliard de dollars en 2023. Ce soutien était crucial pour contrer l'insécurité alimentaire qui plonge des millions de personnes dans la famine. Avec la suspension soudaine de l'aide étrangère, c'est 34 880 tonnes d'huile végétale, de légumineuses et de sorgho qui sont bloquées au port de Djibouti. Cette cargaison aurait pu nourrir près de 2,1 millions de personnes pendant un mois. Selon la Commission de gestion des risques de catastrophe du Tigré, l'aide alimentaire a été arrêtée pour un million de personnes vivant en Éthiopie.

Déchiré par une guerre qui perdure depuis près de deux ans, le Soudan traverse l'une des pires crises humanitaires de son histoire, plongeant des millions de personnes dans une situation d'insécurité alimentaire. En 2023, les États-Unis avaient alloué plus de 500 millions de dollars d'aide d'urgence au Soudan. La fermeture soudaine des cuisines collectives prive ainsi le pays d'un outil essentiel au sein de sa lutte contre la malnutrition où l'aide américaine finançait près de 80 % de ces cuisines communales. La fermeture de ce service provoque l'inaccessibilité à la nourriture pour un demi-million de Soudanaises et de Soudanais selon l'International Rescue Committee.

La crise alimentaire heurte aussi en RDC où une grande partie de la population souffre également de malnutrition et où des milliers d'enfants se retrouvent maintenant en danger de mort. En 2023, le pays avait reçu près d'un milliard de dollars d'aide humanitaire de USAID. Le pays est également confronté à un afflux massif de déplacés, conséquence des affrontements entre l'armée et le groupe rebelle M23. Selon l'International Rescue Committee, c'est 25 000 enfants au Nigeria qui souffrent de malnutrition et qui perdront l'accès à l'aide alimentaire.

Les populations réfugiées abandonnées

Terre d'accueil, l'Éthiopie reçoit un grand nombre de personnes réfugiées issues du Soudan, de la Somalie et de l'Érythrée. Sans l'aide internationale, il devient presque impossible d'offrir des services essentiels à la survie de cette population déplacée.

En Somalie, l'annonce du gel de l'aide américaine a provoqué une onde de choc, tant pour les ONG que pour les personnes séropositives qui dépendaient également des traitements antirétroviraux. L'interruption brutale de ce soutien met en péril les programmes d'assistance médicale ainsi que l'aide humanitaire apportée aux trois millions de personnes réfugiées au pays.

Au Soudan du Sud, c'est plus de 60 % de la population qui souffre de la famine. En parallèle, l'afflux de réfugié.es aggrave la situation, rendant l'approvisionnement alimentaire encore plus difficile. Selon l'ONU, le pays est au bord d'une nouvelle guerre civile, plongeant la nation dans une instabilité politique et humanitaire croissante. D'après M. Haysom, chef de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS), les violences armées et politiques ont déjà contraint 63 000 personnes à fuir leurs domiciles. La suspension de l'aide représente un coup dur pour la plus jeune nation du monde. Selon l'International Rescue Committee, c'est plus de 115 000 personnes qui n'auront plus accès à des soins de santé et à des services de nutrition de qualité.

Repenser la solidarité internationale

Il est encore trop tôt pour mesurer pleinement les conséquences du démantèlement de l'USAID. Chose est certaine, cette décision aura un coût humain tragique. Face à cette crise, il devient urgent de repenser la solidarité internationale. Le rôle du Canada dans cette nouvelle configuration internationale mérite d'être interrogé. La déstabilisation suite à l'arrêt de l'influence américaine dans le monde ouvre et un espace à l'influence géopolitique accrue de la Chine et de la Russie. La communauté internationale ne peut rester passive face au désastre humanitaire en cours, elle doit tout mettre en œuvre pour agir et se responsabiliser, car il s'agit d'une question de vie ou de mort.

Sources

U.S. Foreign Assistance Agency (2025) https://foreignassistance.gov/agencies

Faruk, F. (2025), Le gel des fonds de l'USAID paralyse l'aide humanitaire en Somalie, notamment L'Actualité, 11 février 2025 https://lactualite.com/actualites/le-gel-des-fonds-de-lusaid-paralyse-laide-humanitaire-en-somalie-notamment/

Harter F. (2025), The impact has been devastating' : how USAid freeze sent shockwaves through Ethiopia, The Guardian, 25 février 2025. https://www.theguardian.com/global-development/ng-interactive/2025/feb/21/the-impact-has-been-devastating-how-usaid-freeze-sent-shockwaves-through-ethiopia

ONU (2025), Le Soudan du Sud au bord de la guerre civile, selon l'ONU. 24 mars 2025 https://news.un.org/fr/story/2025/03/1154246

Silveiro, C. (2025), En RDC, l'interruption de l'aide américaine à la réponse au VIH pourrait coûter des milliers de vies, ONU, 12 mars 2025 https://news.un.org/fr/story/2025/03/1153896

Mednick S., Mcmakin, W. et Pronczuk, M. (2025), USAID cuts are already hitting countries around the world. Here are 20 projects that have closed, Associated Press, 1er mars 2025 https://apnews.com/article/usaid-cuts-hunger-sickness-288b1d3f80d85ad749a6d758a778a5b2

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La place de l’Afrique dans le nouvel ordre mondial

15 avril, par Will Shoki — , , ,
L'Afrique se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins, coincée entre des crises internes, une évolution des rapports de force internationaux et le lent délitement de l'ordre (…)

L'Afrique se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins, coincée entre des crises internes, une évolution des rapports de force internationaux et le lent délitement de l'ordre politique post-libéral. Sur l'ensemble du continent, les partis au pouvoir qui ont autrefois acquis une légitimité en tant que forces de libération nationale perdent peu à peu leur emprise ; pourtant, l'offre gouvernementale alternative de l'opposition reste fragmentée et peu convaincante.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Source - Amandla !, mercredi 2 avril 2025.

Les élections mozambicaines de 2024 sont l'un des exemples les plus frappants de ce déclin, le parti au pouvoir, le Frelimo, ayant proclamé sa victoire dans le prolongement d'un scrutin largement dénoncé comme frauduleux. Le chef de l'opposition, Venâncio Mondlane, se présentait sous la bannière du nouveau parti Podemos. Il a accusé le gouvernement d'avoir orchestré une manipulation électorale massive après que des comptages parallèles des voix eurent fait apparaître qu'il avait en réalité gagné. Le parti au pouvoir a répondu aux manifestations de masse par une répression violente. Cela s'inscrit dans une tendance à la répression de la dissidence politique par des moyens de plus en plus autoritaires.

L'illégitimité croissante de ces gouvernements issus de l'après-guerre de libération ne se limite pas au Mozambique. En Afrique du Sud, l'ANC a perdu sa majorité absolue pour la première fois depuis 1994, ne recueillant qu'environ 40 % des voix aux élections de 2024. Après des décennies de domination politique, le parti se retrouve désormais dans une coalition précaire et extrêmement fragile avec l'Alliance démocratique (DA), son rival de longue date. Cela a contraint l'ANC à adopter une position gouvernementale plus centriste, limitant sa capacité à poursuivre les politiques que sa base traditionnelle pouvait attendre.

Si certains au sein de l'ANC considèrent cette coalition comme un compromis nécessaire pour maintenir la stabilité, d'autres y voient une trahison de la mission historique du parti, en particulier compte tenu de l'orientation politique néolibérale de la DA. Les conséquences de cette entente restent incertaines : la coalition durera-t-elle, provoquera-t-elle une nouvelle fracture au sein de l'ANC ou donnera-t-elle naissance à des mouvements d'opposition plus forts en dehors du processus électoral traditionnel ?

Le déclin de l'ANC s'inscrit dans une tendance plus large en Afrique australe. Au Zimbabwe, le Zanu-PF reste bien ancré grâce à la répression plutôt qu'au soutien populaire, s'appuyant sur le pouvoir judiciaire et la commission électorale pour écarter toute concurrence sérieuse de l'opposition. Parallèlement, le Swapo namibien et le BDP botswanais ont tous deux fait face à des défis électoraux sans précédent (le BDP ayant perdu une élection pour la première fois depuis l'indépendance), ce qui montre que même les partis au pouvoir autrefois stables ne sont plus assurés de victoires faciles. Le délitement de ces mouvements suggère que les références à la lutte de libération, autrefois si efficaces, ne suffisent plus pour asseoir leur légitimité au pouvoir.

Conflit

L'essoufflement de ces gouvernements s'inscrit dans un contexte de conflits et d'instabilité croissants ailleurs sur le continent.

Le Soudan demeure plongé dans une guerre dévastatrice entre les forces armées soudanaises et les paramilitaires des Forces de soutien rapide. Ce conflit a entraîné le déplacement de millions de personnes et s'est de plus en plus internationalisé, l'Égypte et les Émirats arabes unis soutenant les camps opposés. La guerre a non seulement exacerbé l'effondrement économique du Soudan, mais menace également la stabilité régionale, avec des retombées au Tchad, au Soudan du Sud et en Éthiopie.

La République démocratique du Congo (RDC) continue de faire face à des insurrections armées, en particulier à la résurgence du M23, dont le soutien de la part du Rwanda a attisé les tensions régionales. Les accusations d'ingérence transfrontalière mettent encore plus à mal les relations diplomatiques.

Ces crises ne sont pas isolées ; elles témoignent d'un échec plus profond des gouvernements dans toute l'Afrique, où l'État est souvent incapable de trouver des solutions aux revendications sociales et économiques sans recourir à la violence.

L'effet Trump

En plus de ces crises, l'Afrique est également confrontée à un ordre international en pleine mutation. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a déjà commencé à remodeler les relations entre les États-Unis et l'Afrique. On observe un mouvement vers une approche plus axée sur les transactions et un regain d'intérêt pour la sécurité au détriment du développement. L'une des premières mesures importantes de Trump en matière de politique étrangère a été de réduire considérablement l'aide étrangère, de démanteler l'USAID et de couper les financements de grands programmes dans le domaine de la santé, dont le PEPFAR. Des millions de personnes se sont ainsi retrouvées privées d'accès au traitement du VIH et à d'autres services essentiels.

Les pays où les systèmes de santé sont déjà très en difficulté ont été les plus touchés, ce qui a exacerbé les crises de santé publique et pourrait avoir des effets déstabilisateurs à long terme. La justification de ces coupes budgétaires par l'actuelle administration s'enracine dans son principe général « America First ». L'aide étrangère y est considérée comme une dépense inutile plutôt que comme un investissement stratégique dans la stabilité.

Et cela a coïncidé avec un durcissement de la politique américaine en matière d'immigration. L'actuelle administration envisage une suppression généralisée des visas qui pourrait affecter des dizaines de pays africains, limitant les déplacements des étudiants, des travailleurs et des touristes. Cette politique rappelle les restrictions aux déplacements imposées par Trump lors de son premier mandat. Elle traduit un isolationnisme croissant des États-Unis vis-à-vis de l'Afrique, le continent étant davantage considéré comme un risque en matière de sécurité et de migration que comme un partenaire diplomatique ou économique.

Trump et l'Afrique du Sud

L'hostilité de l'administration envers l'Afrique du Sud est particulièrement frappante. Trump a expulsé l'ambassadeur sud-africain et imposé des sanctions. Il s'agissait d'une réaction aux mesures d'expropriation foncières de Pretoria et à ses positions en matière de politique étrangère, en particulier à ses initiatives visant à exiger d'Israël qu'il rende des comptes pour les actes de génocide commis à Gaza. L'administration Trump accuse l'Afrique du Sud de sympathie envers le Hamas et l'Iran.

Ces mesures punitives reflètent le malaise plus général de cette administration à l'égard des gouvernements qui remettent en question l'hégémonie américaine, en particulier ceux des BRICS. En qualifiant les positions politiques de l'Afrique du Sud d'« antiaméricaines », Trump a effectivement rompu les liens diplomatiques les plus étroits qui existaient entre les États-Unis et une puissance africaine. Cela s'inscrit également dans la volonté plus générale de son administration de privilégier les États de droite, aux tendances autoritaires, tout en isolant les gouvernements perçus comme étant de gauche ou indépendants.

Les ressources des États-Unis, de la Chine et de l'Afrique

Dans le même temps, l'administration Trump privilégie un type d'échanges différent avec d'autres États africains, notamment dans le secteur des ressources. Elle négocie actuellement un accord « minerais contre sécurité » avec la RDC. Elle propose une assistance militaire en échange d'un contrôle exclusif sur des minerais essentiels aux industries de pointe américaines, notamment dans les secteurs de la technologie et de la défense. Cet accord permettrait aux entreprises américaines d'exercer un contrôle étendu sur le cobalt et d'autres minerais essentiels. Cela reflète un changement de stratégie des États-Unis, qui passent de l'aide au développement à une activité directe d'extraction.

L'administration affirme que ce partenariat contribuera à stabiliser la RDC en lui apportant une aide en matière de sécurité. Les détracteurs mettent en garde contre le risque d'une aggravation de la dynamique néocoloniale qui reviendrait à privilégier l'extraction des ressources au détriment d'un véritable développement économique.

Dans le même temps, l'approche de la Chine à l'égard de l'Afrique est également en train de changer. Pendant deux décennies, Pékin a été le principal partenaire économique du continent, finançant les infrastructures et le commerce à une échelle inégalée par toute autre puissance extérieure. Cependant, avec le ralentissement que connaît l'économie chinoise, la propension de Pékin à accorder des prêts à grande échelle aux gouvernements africains s'amenuise. Des pays comme la Zambie et le Kenya, fortement endettés envers la Chine, ont déjà ressenti les effets de la nouvelle stratégie chinoise en matière de prêts. Il se pourrait que l'époque où la Chine octroyait facilement des crédits pour de grands projets d'infrastructure soit sur le point de prendre fin, laissant les États africains dans une position précaire. De nombreux gouvernements, qui ont organisé leur économie tout entière autour de la poursuite des investissements chinois, ont désormais du mal à s'adapter à cette nouvelle réalité. Ce tournant a pour effet de réduire les possibilités de financement extérieur de l'Afrique, les institutions financières occidentales ayant également durci leurs conditions de prêt, en particulier pour les pays fortement endettés.

Une nouvelle politique possible ?

Pour les gouvernements africains, ces évolutions soulèvent des questions difficiles en matière de stratégie politique et économique. Le déclin des mouvements de libération nationale n'a pas encore abouti à l'émergence d'alternatives progressistes crédibles. Dans toute la région, les partis d'opposition ont largement adopté des modèles de gouvernance néolibérale au lieu de définir de nouvelles perspectives de transformation économique. Loin d'évoluer vers un renouveau démocratique, une grande partie du continent semble osciller entre une répression étatique accrue et des oppositions fragmentées. De nombreux partis d'opposition, bien que critiques envers les gouvernements au pouvoir, n'ont pas réussi à proposer des programmes économiques qui rompent avec le paradigme néolibéral dominant. Ainsi, même lorsque les partis au pouvoir sont confrontés à un déclin électoral, rien n'indique que leurs remplaçants soient susceptibles de modifier fondamentalement le paysage politique ou économique.

Alors que les mouvements enracinés dans les luttes ouvrières et populaires continuent de faire pression pour le changement, leur capacité à remettre en question les pouvoirs bien établis reste incertaine. La faiblesse des alternatives de gauche en Afrique aujourd'hui reflète des tendances mondiales plus larges, où les forces socialistes et social-démocrates peinent à s'affirmer dans un monde façonné par le capital financier et le pouvoir des grandes entreprises.

Cependant, certains signes indiquent que cela pourrait changer. Sur tout le continent, on assiste à une montée des exigences de souveraineté économique et de renforcement des programmes de protection sociale, ainsi qu'à une résistance accrue aux diktats financiers extérieurs. Si ces luttes finissent par se cristalliser en formations politiques plus cohérentes, elles pourraient constituer le fondement d'un nouveau type de projet politique, rompant à la fois avec les échecs des partis issus des luttes de libération et les limites des forces d'opposition libérales.

L'ordre politique post-libéral en Afrique est en train de s'effondrer, mais ce qui va suivre est loin d'être clairement défini. L'érosion de la légitimité des partis au pouvoir ne s'est pas encore traduite par une transformation significative du système. Dans de nombreux cas, elle a simplement ouvert la porte à de nouvelles formes de manœuvres des élites. En cette période de transition, la véritable bataille ne porte pas seulement sur les élections, mais sur la nature même de l'État, de l'exercice du pouvoir économique et de la place de l'Afrique dans un ordre mondial en pleine mutation. Tant que des modèles alternatifs ne remettront pas en question la dépendance du continent vis-à-vis de la finance mondiale, de l'extraction des ressources et de la croissance induite par la dette, l'Afrique restera enfermée dans des cycles d'instabilité, avec ou sans les anciens mouvements de libération à sa tête.


Will Shoki

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Génocide au Soudan : les reflets d’un passé violent à l’horizon

15 avril, par Marie-Ève Godin — , ,
Les Forces armées soudanaises (FAS) ont repris en mars le contrôle de la capitale du pays, Khartoum, qui était aux mains de la milice des Forces de support rapide (FSR) depuis (…)

Les Forces armées soudanaises (FAS) ont repris en mars le contrôle de la capitale du pays, Khartoum, qui était aux mains de la milice des Forces de support rapide (FSR) depuis le début de la guerre en 2023. Il s'agit d'un moment décisif du conflit qui arrive à la suite d'une série de gains clés récents des FAS, mais la sécurité de la population soudanaise sur le terrain reste en péril.

Tiré du Journal des alternatives.

Selon Awad Ibrahim, professeur titulaire à la faculté d'éducation et vice-recteur en matière d'équité, de diversité et d'inclusion à l'Université d'Ottawa, « ce qui se passe dans les médias et [la réalité] sur le terrain sont deux choses complètement différentes » au Soudan.

Notamment, les Forces armées soudanaises bénéficient d'une légitimation plus grande que les Forces de support rapide étant donné leur rôle d'armée nationale, leur place dans les médias et l'appui de pays tels que la Turquie, l'Iran, la Russie et l'Ukraine. Awad Ibrahim considère cependant qu'une victoire des FAS, dirigés par le général Abdel Fattah al-Burhan, n'assurerait pas pour autant la sécurité et la défense des intérêts du peuple soudanais.

Les FSR sont néanmoins responsables d'attaques sur la population plus violentes et plus fréquentes que leurs adversaires. En janvier 2025, les États-Unis ont d'ailleurs déclaré que les FSR avaient commis un génocide au Soudan pendant le conflit, plus particulièrement dans la région du Darfour. En mars le Soudan a intenté devant la Cour internationale de justice une requête accusant les Émirats arabes unis d'avoir facilité le génocide contre le peuple Masalit en offrant aux FSR du financement, des armes et leurs propres agents.

Cependant, les FAS et les FSR sont tous deux accusés d'avoir commis des attaques ciblant des groupes minoritaires.

La violence ethnique, mode opératoire des FSR depuis les premiers jours

Au début de cette guerre, des mois d'avril à novembre 2023, des attaques répétées ciblant le peuple Masalit, largement situé dans l'état du Darfour de l'Ouest, ont fait des milliers de victimes et ont forcé des centaines de milliers à fuir la région. Le chef des FSR, connu sous le nom de Hemetti, et son frère, Abdel Raheem Hamdan Dagalo, sont accusés d'avoir orchestré la décimation de villages en majorité masalit. Dans la ville de Al-Genaïna seulement, 10 à 15 milliers de personnes avaient été tués par les FSR à la fin de 2024.

Dans l'état du Darfour du Nord, toujours à l'ouest du pays, les FSR détiennent le contrôle de la majorité du territoire depuis novembre 2023. De nombreuses attaques commises par ce groupe et des milices arabes associées ciblent délibérément des groupes africains minoritaires depuis, notamment les peuples Fur et Zaghawa.

En janvier, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a lancé l'alerte par rapport à l'augmentation des violences ciblées envers certains groupes ethniques minoritaires au Soudan. Cette fois-ci, ce sont les FAS qui auraient commis des actes de violence à caractère ethnique. Dans l'état d'Al Jazira, des attaques visées contre les Kanabis, un groupe marginalisé, ont fait au moins 21 victimes cette année. Dans des vidéos témoignant de l'attaque, les victimes sont sujettes à des insultes déshumanisantes et les exactions sommaires sont qualifiées de « nettoyage », alors que des hommes vêtus d'uniformes des FAS sont présents.

Des actes faisant écho au passé

Pour Awad Ibrahim, le génocide actuel au Soudan suggère que les leçons du passé n'ont pas été apprises. « On est en train de répéter pas seulement la même chose, mais [aussi] de la même façon ».

Au début des années 2000, les autorités soudanaises se sont alliées aux Janjawids, des milices arabes, en réponse au soulèvement de groupes rebelles de la région du Darfour qui dénonçaient la marginalisation économique de la région par la capitale. Le gouvernement soudanais et les Janjawids ont lancé des attaques sanglantes ciblées envers les peuples Fur, Zaghawa et Masalit dont étaient issus les groupes dissidents. Le viol a également couramment servi d'arme de guerre contre les femmes et les filles du Darfour lors du génocide. Pendant la période de 2003 à 2005, plus de 200 000 civiles ont été tué.es et deux millions ont été.es déplacé.es de force.

Les actes de violence à caractère ethnique au Darfour commis lors du conflit actuel rappellent à la fois ce génocide peu lointain, mais aussi les racines politiques des chefs des FSR et des FAS. Tous deux ont eu leur part à jouer dans les violences précédentes aux Darfour. Lors du conflit de 2003 à 2005, Hemetti est devenu un des dirigeants des milices janjawid, alors que Al-Burhan était un colonel responsable des renseignements militaires et de la planification des attaques en concert avec les Janjawids.

Quelles solutions pour la population soudanaise ?

La reprise de Khartoum par les FAS, qui aurait pu annoncer un certain répit pour les Soudanais.es, est pourtant teintée par ses actions récentes dans la même région.

« On s'attendait à ce que les choses s'améliorent si l'armée pousse les FSR, mais malheureusement on a vu des incidents où elle a montré que les gens continuent à souffrir », soutient Awad Ibrahim. Depuis la reprise du nord de Khartoum en janvier, qui précède la prise officielle du palais présidentiel, près d'une vingtaine de civil.es ont été la cible d'exactions sommaires perpétrées par des militaires associés aux FAS.

Pour Awad Ibrahim, c'est la preuve qu'au Soudan, « Ce qu'on appelle “l'armée”, ce n'est pas vraiment ce qu'on pense [être] l'armée ».

« Malheureusement, ils sont tellement infiltrés par les Frères musulmans et les extrémistes, qu'on peut [les désigner comme] “armée”, mais seulement entre guillemets », ajoute-t-il. Les Frères musulmans, une organisation islamiste transnationale, possède une présence et une influence de longue date au pays. Ces accusations d'infiltration du groupe au sein des FAS inquiètent, puisqu'un gouvernement islamiste pourrait exacerber la persécution subie par les groupes religieux minoritaires.

Le professeur titulaire considère que les Forces armées soudanaises doivent d'abord changer de chef, car avec la poursuite des pratiques du général Abdel Fattah al-Burhan, « l'armée risque de répéter [les actes du passé], de continuer la guerre et même de diviser le pays ».

« Il faut absolument garder l'espoir, mais l'espoir réaliste », soutient Awad Ibrahim. Pour ce dernier, cet espoir réaliste signifie notamment d'abord de retracer les fondements de la guerre pour comprendre comment les événements des deux dernières années ont pu se produire afin d'éviter qu'ils surviennent à nouveau. Il s'agirait également ensuite de mener une analyse qui permettra d'arriver à un consensus de l'identité soudanaise qui conserve la diversité culturelle, linguistique et religieuse du pays.

Une résistance en attente

La résistance soudanaise a par le passé su montrer sa résilience et sa capacité de bousculer les forces au pouvoir, mais la précarité de la situation actuelle entrave les rassemblements collectifs. En effet, en 2018 et 2019, les soulèvements populaires avaient grandement contribué à mettre un terme au règne d'Omar el-Bechir, qui était à la tête du pays depuis 30 ans. Cependant, en 2019, les FAS et les FSR, qui formaient alors une coalition gouvernementale militaire de transition, ont tué plus de 120 militant.es qui appelaient à la formation d'un gouvernement civil.

Après le coup d'État de 2021, grâce auquel al-Burhan a obtenu le pouvoir de force et s'est défait de toute forme de gouvernement civil, des centaines de milliers de manifestant.es sont descendus dans les rues. Encore une fois, la répression de l'armée face à ces manifestations fut violente. Si les soulèvements populaires se sont poursuivis en 2022, le déplacement de la population, la violence et la famine qu'a amenés la guerre civile découragent aujourd'hui la révolte.

« Dès qu'il y a une forme de paix, il y a pas mal de gens qui sont prêts à entrer tout de suite, [peut-être] pas en confrontation avec l'armée, mais à commencer à reconstruire le pays », affirme Awad Ibrahim. « Il y a une continuation quand même de cette rébellion de 2018-2019, qui a été amenée par les jeunes. On a encore des jeunes, je le vois et je le sais », précise-t-il néanmoins.

Soudan, l’impunité des Emirats arabes unis

15 avril, par Leslie Varenne — , ,
L'armée soudanaise a poursuivi ses avancées et libéré Khartoum, ce qui a donné lieu à des scènes de liesse dans tous les pays où se trouvent des réfugiés, principalement au (…)

L'armée soudanaise a poursuivi ses avancées et libéré Khartoum, ce qui a donné lieu à des scènes de liesse dans tous les pays où se trouvent des réfugiés, principalement au Caire où ils sont les plus nombreux. Des centaines de milliers d'entre eux sont déjà rentrés. Mais la joie du retour a un goût de cendres devant l'ampleur des exactions commises par les Forces de soutien rapide dirigées par Hemedti et soutneus par les Émirats Arabes Unis.

Tiré de MondAfrique.

Les FSR jouent leurs dernières cartes en attaquant Al-Fasher, la capitale du Darfour. Il espère ainsi compter encore politiquement en faisant de cette région une base de repli. Mais avant même que la guerre ne soit terminée, le gouvernement soudanais, dirigé par le général Al-Burhan, a ouvert un nouveau front en poursuivant les Emirats arabes unis, soutiens de cette milice, devant la Cour de Justice internationale. Khartoum s'attaque à forte partie…

C'est un bien triste anniversaire que le Soudan fête ce 15 avril. Depuis deux ans jour pour jour, les forces armées soudanaises dirigées par le général Al-Burhan combattent les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Dogolo dit Hemedti. Si au début du conflit, les deux généraux putschistes pouvaient être renvoyés dos à dos, au fil du temps, Al-Burhan a incarné l'Etat soudanais, la légalité en dirigeant l'armée soudanaise, puis la légitimité en étant soutenu par une majorité de la population en grande partie en raison des exactions commises par les FSR, ces successeurs des Janjawid de sinistre mémoire[i].

Les supplétifs des FSR sans foi ni loi

Il est vrai que ces derniers se sont surpassés. Lors des libérations des villes où des villages, les rescapés des camps de tortures, des prisons improvisées, racontent lorsqu'ils le peuvent encore, les privations, les tortures moyenâgeuses, les humiliations. Leurs corps décharnés et leurs regards hagards laissent sans voix. Par dignité, ils omettent de décrire les viols qu'ils ont subis.

Le 10 avril, Amnesty international a publié un rapport sur les violences sexuelles commises envers les femmes, cependant cette pratique a concerné également les hommes, preuve qu'elle a été utilisée comme arme de guerre. D'autres témoignages reçus de Soudanais relatent parfois l'indicible comme l'enfermement de dizaines de personnes vivantes dans des containers saupoudrés de piment jusqu'à ce que mort s'ensuive. Dans quels cerveaux malades peut naître une telle imagination macabre ?

Si ces faits sont mis en lumière par la force des témoignages des survivants, les exactions des FSR ne sont pas nouvelles, de nombreuses étaient déjà fort bien documentées. Cependant, tout au long de ces deux années, les condamnations n'ont pas été à la hauteur des drames humanitaires vécus par le peuple soudanais. Cette frilosité s'explique par le soutien que le groupe paramilitaire reçoit des Emirats arabes unis, un pays qui, pour plusieurs raisons, jouit d'une incontestable impunité.

Le 6 mars, afin de mettre la pression sur Abou Dhabi pour qu'elle cesse son soutien au FSR, le gouvernement soudanais a engagé une procédure devant la Cour Internationale de Justice. Khartoum accuse les Emirats de complicité de génocide au Darfour envers la communauté Massalit. Lors de la première journée d'audience, le 10 avril, les Emiratis ont balayé ses accusations d'un revers de main en les qualifiant de « de théâtre politique ». Ils ont nié les faits bien qu'ils soient indéniables, établis, documentés(1)[ii]. Comme l'écrit le gouverneur du Darfour Mini Minawi sur X ; « Le monde n'a pas besoin de preuves supplémentaires pour condamner les FSR et l'Etat qui les finance. » Mais même si cette Cour se déclarait compétente et prenait des décisions contraignantes, elle ne dispose d'aucun moyen de les faire respecter, comme l'a démontré le cas de la Palestine.

L'impunité de MBZ

Mohamed Ben Zayed, le chef de l'Etat de ce pays du golfe, ne craint donc pas la justice internationale et pas non plus les réactions de ses partenaires et alliés occidentaux. Depuis deux ans, les Etats-Unis, comme l'Union européenne et la France se sont bien gardés de les pointer du doigt. L'administration Biden a toujours pris soin de renvoyer les deux camps dos à dos. Et avant lui, Donald Trump avait fait, durant son premier mandant, son interlocteur privilégié au Moyen Orient.

Si Bruxelles, a plaidé pour un renforcement des enquêtes de la Cour Pénale internationale ou a exhorté au respect de l'embargo sur les armes, violé sans interruption depuis deux ans par les Emirats, aucun document officiel ne les mentionne. Idem à Paris, qui a condamné à plusieurs reprises les attaques des FSR contre les civils et soutenu les sanctions du Conseil de Sécurité contre les généraux d'Hemedti, mais sans jamais nommer leurs parrains. Cette hypocrisie, ces doubles standards ne sont pas nouveaux, cependant ils renforcent la crise de légitimité que vivent aujourd'hui les Occidentaux.

Ces dizaines de milliards qui ruissellent

Cette difficulté à prononcer un nom s'explique par la puissance tentaculaire du soft power émirati et de leurs fonds qui irriguent les économies dans tous les secteurs. Pour ne prendre que le cas de la France, les 30 à 50 milliards d'euros d'investissement dans l'intelligence artificielle pour la construction de data center dans l'Hexagone, promis en février dernier, ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Paris a signé des partenariats avec Abu Dhabi dans la culture avec le Louvre, l'université avec la Sorbonne, la Défense avec la base militaire et les ventes de matériels militaires etc. Les situations sont identiques au Royaume-Uni, en Allemagne, à Bruxelles, aux Etats-Unis. Qui prendrait le risque de fâcher un si puissant partenaire et ainsi tuer la poule aux œufs d'or ?

L'impunité des Emirats s'explique également par des raisons géopolitiques. Le Soudan occupe une position stratégique en Afrique à la croisée de la mer Rouge et du monde arabe. Si la guerre qui fait rage depuis deux ans a bien évidemment des dynamiques internes, elle a aussi des influences extérieures avec des enjeux pour nombre de puissances. Ce conflit est un prolongement des crises du Proche et Moyen-Orient. D'ailleurs, comme l'a rappelé le professeur Jeffrey Sachs devant le Parlement européen en mars, puis de nouveau cette semaine lors d'un colloque en Turquie, le Soudan figurait sur la liste des sept pays avec l'Irak, la Syrie, le Liban, la Libye et la Somalie, à attaquer et à détruire selon un responsable du Pentagone (1)[iii].

Si les raisons économiques sont invoquées pour justifier l'implication des Emirats, leur poids réel reste limité. Ils achetaient l'or et la gomme du Soudan avant 2023, ils n'avaient pas besoin d'un conflit pour continuer à le faire. En revanche, comme lors de la guerre au Yémen, les Emirats cherchent à étendre leur influence sur les ports stratégiques de la mer rouge, une région clé pour le commerce mondial et les routes pétrolières et pour leurs ambitions maritimes. Abu Dhabi cherche également à renforcer sa position dans la Corne de l'Afrique et à contrer d'autres puissances régionales comme la Turquie ou l'Egypte qui soutiennent l'armée soudanaise.

Les Israéliens courtisés

Dans cette stratégie, comme pendant les dix ans de guerre au Yémen, ils bénéficient du soutien à minima tacite de leurs alliés occidentaux. Tout comme ils bénéficient de leur alliance avec Israël. Signataires des accords d'Abraham depuis 2020, ils entretiennent des liens économiques et stratégiques avec ce pays qui n'est jamais très loin lorsqu'il s'agit du Soudan, comme de tous les Etats qui ont accès à la mer rouge. Bien conscient de ces enjeux, le général Al-Burhan a envoyé un émissaire à Tel-Aviv dans la première semaine d'avril. Cette rencontre avait plusieurs objectifs : demander des livraisons d'armes en échange d'une normalisation avec Israël ; justifier la récente coopération soudano-iranienne ; demander une médiation avec les Emirats arabes unis et enfin obtenir le soutien des Etats-Unis. Cette réunion qui devait être secrète a néanmoins largement été médiatisée par la presse israélienne (2)[iv].

Dans cette équation où la normalisation avec Israël, comme les data center en France, financent l'hypocrisie des capitales occidentales et où les alliances stratégiques priment sur le droit international, l'impunité reste encore une monnaie d'échange diplomatique. Dans ce grand jeu où tout est permis, qui arrêtera les Emirats ? Hier la tragédie yéménite, aujourd'hui le drame soudanais et demain ?

Notes

I- Les Janjawid sont une milice soudanaise qui s'est illustrée par sa violence lors des guerres du Darfour à partir de 2003. Soutenues alors par le gouvernement soudanais elle a perpétré massacres, viols, pillages et déplacement forcés contre les populations non-arabes de la région.

II- https://adf-magazine.com/2024/11/uae-support-for-rsf-blamed-for-prolonging-war-in-sudan/
https://www.middleeastmonitor.com/20250304-the-uae-should-stop-its-violations-of-the-un-arms-embargo-in-darfur/

https://x.com/SudanTrends/status/1910716777094668378
https://www.middleeastmonitor.com/20250304-the-uae-should-stop-its-violations-of-the-un-arms-embargo-in-darfur/
https://adf-magazine.com/2024/11/uae-support-for-rsf-blamed-for-prolonging-war-in-sudan/

III- https://x.com/KevorkAlmassian/status/1911494598708379802

VI- https://www.i24news.tv/fr/actu/israel/diplomatie-defense/artc-le-representant-du-dirigeant-soudanais-aurait-effectue-une-visite-secrete-en-israel

https://www.jpost.com/israel-news/politics-and-diplomacy/article-849304
https://www.radioj.fr/actualite-27417-l-envoye-du-dirigeant-soudanais-s-est-rendu-en-israel-pour-des-discussions-secretes

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Les généraux de l’horreur : la Jep accuse des hauts gradés de l’armée colombienne pour le meurtre de 604 civils – les « faux positifs »

Parmi les victimes, on compte 31 Autochtones des peuples Wiwa, Wayúu et Kankuamo, 26 mineurs et 14 femmes, dont une était enceinte. Par : Isabel Cortés Dans une décision (…)

Parmi les victimes, on compte 31 Autochtones des peuples Wiwa, Wayúu et Kankuamo, 26 mineurs et 14 femmes, dont une était enceinte.

Par : Isabel Cortés

Dans une décision qui marque l'histoire, la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) de Colombie a porté des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité contre 28 militaires à la retraite, dont trois majors généraux et deux brigadiers généraux, pour leur rôle dans 604 assassinats extrajudiciaires, surnommés « faux positifs », sur la côte caraïbe entre 2002 et 2008. Ces décès, faussement présentés comme des pertes au combat, dévoilent un chapitre noir du conflit armé colombien, teinté d'une violence systématique contre des civils pour gonfler les résultats militaires. Ce jugement représente une avancée majeure vers la justice, mais pour les familles des victimes – incluant 31 Autochtones, 26 enfants et 14 femmes – la quête de vérité et de réparation reste une plaie vive.

Un système de tromperie et de mort

La Chambre de reconnaissance de la vérité de la JEP a analysé 796 décès rapportés comme des résultats opérationnels par 19 unités militaires sur la côte caraïbe de la Colombie, concluant que 604 – près de 76 % – étaient des exécutions illégales de civils. L'enquête a mis au jour un stratagème macabre : des commandants militaires, sous pression pour afficher des résultats dans leur lutte contre les groupes armés, ont orchestré des assassinats et des camouflages. Les victimes étaient attirées par de fausses promesses d'emploi, exécutées, puis présentées comme des guérilleros pour simuler des victoires opérationnelles.

Parmi les accusés, on retrouve les majors généraux à la retraite Hernán Giraldo Restrepo, Jorge Enrique Navarrete Jadeth et Raúl Antonio Rodríguez Arévalo, qui ont dirigé des unités comme la Xᵉ Brigade blindée et le Bataillon d'artillerie n° 2 La Popa. S'ajoutent les brigadiers généraux à la retraite Fabricio Cabrera Ortiz et Adolfo León Hernández Martínez, sept colonels, dont William Hernán Peña Forero, ainsi que 16 officiers et sous-officiers. La JEP a établi que ces militaires ont soit propagé cette politique d'exécutions, soit participé directement à des crimes comme l'homicide, la disparition forcée et la torture.

L'enquête a révélé un système d'incitatifs tordu. Les commandants offraient des récompenses – promotions, congés ou argent – pour un grand nombre de « pertes » ennemies, tandis que ceux qui échouaient risquaient des sanctions ou le renvoi. Un message consigné sommait : « Un soldat qui ne produit pas de résultats, on l'élimine du système. » Cette pression s'est accentuée après la démobilisation paramilitaire de 2004, lorsque les unités militaires se sont tournées vers des civils pour maintenir leurs chiffres.

Un impact dévastateur sur les peuples autochtones

Le bilan humain est bouleversant. Parmi les 604 victimes, 31 étaient des Autochtones des peuples Wiwa, Wayúu et Kankuamo, dont les communautés ont subi des dommages disproportionnés. Les assassinats ont provoqué des déplacements forcés, une insécurité alimentaire et la fracture des liens culturels. Dans ces communautés, les femmes sont des piliers de la tradition, et leur perte – comme celle de Yajaira Cristina Nieves Oñate, une mère Wiwa enceinte tuée en 2006 – a frappé durement les générations futures.

Les enfants n'ont pas été épargnés. La JEP a recensé 26 cas, dont une adolescente Wiwa de 16 ans et deux frères de 13 et 15 ans, attirés par des promesses mensongères et exécutés. Ces actes violent le droit international humanitaire, qui exige la protection des mineurs. À ce jour, 122 victimes demeurent non identifiées, laissant leurs familles dans une attente déchirante. La JEP a réussi à identifier et remettre 14 corps, un pas modeste, mais significatif, vers la dignité.
Un système macrocriminel

La JEP a qualifié ces assassinats de partie intégrante d'un « modèle macrocriminel » reposant sur trois piliers : une pression implacable pour obtenir des résultats, des récompenses pour ceux qui s'y pliaient et un camouflage systématique. Les unités militaires collaboraient avec des recruteurs civils pour cibler des personnes vulnérables, comme des jeunes sans emploi ou en situation de pauvreté. Dans un cas marquant, 11 jeunes de Tolú Viejo, dans le département de Sucre, ont été dupés en 2007 avec des promesses de travail dans des fermes, pour ensuite être tués et déclarés comme insurgés par l'unité Gaula Córdoba.

Les camouflages étaient sophistiqués. Les scènes étaient truquées avec des armes placées sur les lieux, et les plaintes étaient balayées du revers de la main, qualifiées de « guerre juridique » menée par des groupes subversifs. Cela garantissait l'impunité, permettant aux exécutions de se propager dans sept départements : Atlántico, Bolívar, Cesar, Córdoba, La Guajira, Magdalena et Sucre.

Ces constats s'inscrivent dans un contexte plus large du conflit colombien. Entre 2002 et 2008, sous la présidence d'Álvaro Uribe, la JEP estime qu'il y a eu 6 402 faux positifs à l'échelle nationale. Le cas de la côte caraïbe fait partie du dossier 03, qui enquête sur ces exécutions dans plusieurs régions. Jusqu'à maintenant, plus de 100 officiers ont été accusés, dont 92 ont reconnu leur responsabilité.

Et après ?

Les 28 accusés ont 30 jours pour accepter ou rejeter les accusations. S'ils reconnaissent leur responsabilité et livrent une vérité complète, ils pourraient écoper de sanctions restauratives, comme des travaux communautaires, après des audiences publiques avec les victimes. S'ils nient les faits, ils feront face à un procès qui pourrait mener à des peines allant jusqu'à 20 ans de prison. Le processus met l'accent sur la vérité et la réparation, conformément au mandat de la JEP issu des accords de paix de 2016.

Les victimes, dont 4 271 sont reconnues dans le dossier 03, peuvent soumettre des observations. Leurs voix sont cruciales, car elles réclament non seulement la justice, mais aussi le retour des dépouilles de leurs proches. Pour les communautés autochtones, cela inclut le rétablissement des pratiques culturelles perturbées par les déplacements forcés.

Un appel mondial à la justice

Les faux positifs de la Colombie rappellent à quel point des politiques étatiques peuvent dégénérer en atrocités. Le travail de la JEP propose un modèle de justice transitionnelle, alliant reddition de comptes et quête de vérité. Mais les défis persistent : des victimes toujours non identifiées, des menaces pesant sur les survivants et ceux qui dénoncent, ainsi que des résistances politiques au processus de paix.

À l'échelle mondiale, ce cas trouve un écho dans les débats sur la responsabilité militaire, que ce soit en Ukraine ou au Myanmar. Il souligne l'urgence de mettre en place des mécanismes solides pour protéger les civils dans les conflits. Alors que la Colombie fait face à son passé, le monde doit amplifier la voix des victimes.

Source : Communiqué officiel de la JEP, 8 avril 2025.
https://www.jep.gov.co/Sala-de-Prensa/Paginas/jep-imputa-crimenes-de-guerra-y-de-lesa-humanidad-a-28-miembros-retirados-del-ejercito-nacional-entre-ellos-tres-generales.aspx

Foire aux questions (FAQ) sur les « faux positifs » en Colombie.

1. C'est quoi, les « faux positifs » en Colombie ?

Les « faux positifs » sont des assassinats extrajudiciaires commis par des membres de l'armée colombienne, surtout entre 2002 et 2008, sous la présidence d'Álvaro Uribe Vélez. Dans ce système, des civils innocents étaient tués et présentés à tort comme des guérilleros ou des insurgés abattus au combat pour gonfler les résultats militaires et faire croire à des « succès » dans la lutte contre les groupes armés. Les victimes, souvent des gens vulnérables comme des jeunes sans emploi, étaient attirées par de fausses promesses de travail, exécutées, puis déguisées avec des uniformes ou des armes pour faire semblant qu'il y avait eu un affrontement.

2. Quelles sont les principales chiffres des « faux positifs » dans ce cas et à l'échelle nationale ?

À l'échelle nationale, sous le gouvernement d'Álvaro Uribe, la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) estime qu'il y a eu 6 402 « faux positifs ». Dans le dossier 03, qui couvre plusieurs régions, des accusations ont été portées contre plus de 100 officiers de l'armée colombienne, dont 92 ont plaidé coupable et assumé leur responsabilité. Ces chiffres montrent l'ampleur d'une « politique de sécurité » qui mettait les résultats militaires avant la vie et les droits des citoyens. Les Colombiens comptaient sur leur armée pour les protéger dans un contexte de conflit armé, mais au lieu de la sécurité, plusieurs communautés ont été trahies et frappées par la mort. C'est scandaleux et bouleversant de savoir que des soldats, en quête de médailles, de promotions et de reconnaissance dans leur carrière militaire, ont assassiné des innocents, transformant les forces armées en une menace pour les gens qu'elles devaient protéger. Ce cas-là met en lumière l'importance de surveiller l'usage du pouvoir militaire partout dans le monde.

3. Comment la Colombie s'y prend-elle pour réparer les torts causés aux victimes de ces crimes ?

La JEP, mise sur pied après les accords de paix de 2016, est à la tête des efforts pour garantir justice et réparation. Dans le cas de la côte caraïbe, 14 corps ont été identifiés et remis aux familles, une étape vers la dignité, même si 122 victimes restent toujours sans nom. Les victimes, incluant 4 271 personnes reconnues dans le dossier 03, peuvent prendre part au processus pour exiger la vérité, la justice et le retour des dépouilles de leurs proches. Pour les communautés autochtones, la réparation passe aussi par le rétablissement des pratiques culturelles bousculées par les déplacements forcés.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

République Dominicaine : Quand la peur dicte le retour des Haïtiens sans papiers

Dans les quartiers de Friusa et de Mata Mosquitos, à l'est de la République Dominicaine, un étrange silence s'est installé. Là où, jusqu'à récemment, les rues vibraient de (…)

Dans les quartiers de Friusa et de Mata Mosquitos, à l'est de la République Dominicaine, un étrange silence s'est installé.

Là où, jusqu'à récemment, les rues vibraient de l'activité des travailleurs haïtiens, l'ambiance est désormais marquée par l'absence et l'angoisse. En l'espace de 48 heures, plus de 600 ressortissants haïtiens en situation irrégulière ont quitté volontairement le territoire, poussés par la montée en puissance des opérations migratoires menées par la Direction Générale des Migrations, épaulée par les Forces Armées dominicaines.

Officiellement, il s'agit de départs « volontaires ». Mais dans les témoignages recueillis, le terme prête à débat. « On n'a pas été frappés, mais on nous a dit que si on ne partait pas maintenant, ce serait pire », confie un jeune ouvrier de la construction croisé à la frontière de Dajabón. La peur d'être arrêté, enfermé, voire renvoyé de force, pousse beaucoup à devancer l'appel. D'autres fuient simplement pour préserver ce qui leur reste de dignité.

Ces opérations massives s'inscrivent dans une dynamique plus large : une politique migratoire de plus en plus stricte prônée par les autorités dominicaines, dans un contexte électoral tendu et de crispations identitaires croissantes. Le président Luis Abinader a fait de la régulation de l'immigration un pilier de son programme. Mais à quel prix humain ?

Du côté haïtien, ces retours précipités mettent sous tension des villes frontalières déjà débordées, sans aucun mécanisme d'accueil structuré. Aucun soutien, aucune coordination entre les deux États pour encadrer ces flux. Les autorités haïtiennes, embourbées dans leurs propres crises, restent spectatrices de cette tragédie silencieuse.

À Friusa, certains locaux dominicains se disent soulagés. Mais d'autres s'inquiètent : « Ce sont eux qui faisaient tourner nos chantiers et nos hôtels. On ne sait pas comment on va faire », murmure un entrepreneur. Le départ des Haïtiens, au-delà du choc humain, pourrait bien avoir des répercussions économiques imprévues pour la République voisine.

Entre politique migratoire, enjeux de sécurité et humanité bafouée, ce « retour » massif des Haïtiens sans papiers est le symptôme d'une fracture profonde que seule une coopération binationale sérieuse pourra commencer à réparer.

Smith PRINVIL

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La gauche en ordre dispersé

15 avril, par Pablo Castaño — , ,
Les pays d'Amérique du Sud sont frappés de manière inégale par la hausse des taxes imposée par les États-Unis et doivent en outre gérer les expulsions de migrants ordonnées par (…)

Les pays d'Amérique du Sud sont frappés de manière inégale par la hausse des taxes imposée par les États-Unis et doivent en outre gérer les expulsions de migrants ordonnées par l'administration. Désunis, les dirigeants agissent de façon isolée tout en évitant la confrontation avec Donald Trump. Désunis, les dirigeants agissent de façon isolée tout en évitant la confrontation avec Donald Trump.

10 avril 2025 | tiré de Politis
https://www.politis.fr/articles/2025/04/monde-en-amerique-latine-face-a-trump-droits-de-douane-gauche-ordre-disperse/

Expulsions massives de migrants et tarifs douaniers inédits depuis des décennies sur les exportations des pays latino-américains : telles sont les principales menaces brandies par Donald Trump contre l'Amérique centrale et du Sud. Des promesses qui se concrétisent aux cent premiers jours à la Maison Blanche, à un rythme effréné. Le retour au pouvoir de Trump coïncide avec la présence de gouverne- ments progressistes dans plusieurs pays clés de la région. Pourtant, leur réponse demeure loin d'être unanime, et la coordination entre les pays menacés ne dépasse pas les déclarations de protestation.

Lors de son discours d'investiture, le nouveau président avait annoncé une vague d'expulsions de migrants en situation irrégulière, majoritaire- ment latino-américains. « C'est une exacerba- tion des politiques traditionnelles des États-Unis. La sécurité et l'immigration ont toujours été une obsession des derniers gouvernements, analyse Anna Ayuso, chercheuse au Barcelona Centre for International Affairs (Cidob). Joe Biden menait une politique tout aussi dure en matière migra- toire. » Durant sa dernière année au pouvoir, l'administration Biden a expulsé, en moyenne, 57 000 personnes par mois, soit 35 % de plus que les déportations ordonnées par Trump lors de son premier mois à la présidence.

La véritable nouveauté réside dans la guerre commerciale lancée par le président milliardaire contre le monde entier, y compris l'Amérique latine. Après les tarifs douaniers imposés aux exportations provenant du Mexique – pourtant lié aux États-Unis et au Canada par un accord de libre-échange –, une nouvelle vague de mesures a été annoncée le 2 avril. Des droits de douane de 10 % ont été instaurés pour la plupart des pays de la région, à laquelle la nouvelle admi - nistration états-unienne porte une attention accrue comparée à ses prédécesseurs. « Pour sa première visite officielle, le secrétaire d'État Marco Rubio est allé au Panama, au Costa Rica, en République dominicaine et au Salvador, ce qui était une première, souligne Anna Ayuso. Hormis le Mexique, la région était reléguée au second plan de la politique étrangère américaine ces dernières années. Désormais, on observe un intérêt spécifique… mais en mal. »

Pour Luciana Cadahia, professeure de philo - sophie à l'Université nationale de Córdoba, en Argentine, il faut distinguer politiques migra - toires et commerciales. « Les premières ont une teinte strictement idéologique et visent son électorat. Trump sait que ses soutiens sont majoritairement des Blancs de classe moyenne et populaire, imprégnés d'une logique supré - maciste. Montrer qu'on expulse des Latinos renforce cet esprit. » À l'inverse, « les mesures commerciales n'ont pas d'origine idéologique et ne ciblent pas spécifiquement les gouver- nements progressistes : Donald Trump les applique sans distinction politique. » De fait, la hausse générale de 10 % a été imposée à toute la région, sauf au Mexique (avec qui Trump est en train de négocier de manière bilatérale), à Cuba (déjà sous embargo), ainsi qu'au Venezuela et au Nicaragua, frappés par des taxes encore plus élevées. Aucune excep- tion n'a été faite pour les alliés, comme l'Argen - tine, en dépit du fait que son président, Javier Milei, adopte une position de « subordination » à Trump, explique Luciana Cadahia.

Outre les expulsions de migrants et la hausse des tarifs, Anna Ayuso anticipe un impact majeur du retrait de USAID, surtout en Amérique centrale et aux Caraïbes. En 2023, l'agence de coopération internationale a distribué plus de 1,7 milliard de dollars dans la région, les princi- paux bénéficiaires étant la Colombie, Haïti et le Venezuela. De son côté, Luciana Cadahia consi- dère que « l'interruption des aides de l'USAID joue paradoxalement en faveur de l'Amérique latine, car l'USAID a créé la logique des ONG, décapitalisant les états et promouvant l'idéolo- gie du libre marché plutôt que des États forts et démocratiques qui bénéficient aux peuples ».

/ Des critiques mais pas de mesures concrètes

« Chacun agit de son côté », résume Anna Ayuso à propos de la réaction des gouvernements pro- gressistes latino-américains face à Trump. « Leur point commun est qu'ils évitent la confronta- tion directe et cherchent à prévenir une guerre commerciale », explique celle qui est aussi doc- teure en droit international. L'exemple le plus frappant est celui de la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum. La cheffe d'État a accepté de déployer 10 000 soldats à la frontière pour bloquer les migrants, en échange d'une suspen- sion des menaces de hausse des taxes doua- nières brandies par Trump. « Plus de 70 % du commerce mexicain dépend des États-Unis : ils sont obligés de négocier. » Pour la chercheuse, le fait que Trump ait exclu le Mexique de la nou- velle vague de tarifs prouve que « la stratégie d'apaisement a marché, le lobby des industries états-uniennes étant plus affecté par les droits de douane avec le Mexique et le risque d'une récession aux États-Unis » si un mur d'impôts commerciaux était érigé entre la grande puis- sance et son voisin du Sud.

Le seul à avoir ouvertement, et brièvement, défié le chef d'État états-unien est Gustavo Petro. Le 26 janvier, le président colombien a interdit l'atterrissage d'un avion transpor- tant des migrants expulsés et menottés. « Sa réponse a été forte, mais chaotique », commente Alejandro Mantilla, professeur de sciences poli- tiques à l'Université nationale de Colombie. « À 3 heures du matin, Gustavo Petro a décidé d'in- terdire l'atterrissage. » S'est ensuivi un échange d'attaques verbales entre les deux dirigeants, puis la menace américaine d'imposer un tarif de 25 % sur les produits colombiens. Bogotá a finalement accepté de payer les vols à condi - tion que les expulsés ne soient plus menottés. Une sortie de crise présentée comme une vic- toire par les deux camps. En mars, la secré- taire américaine à la Sécurité intérieure, Kristi Noem, a signé avec Gustavo Petro un accord sur l'échange de données biométriques, destiné à renforcer le contrôle migratoire. « Une trêve temporaire », selon Alejandro Mantilla.

Les présidents chilien et brésilien ont aussi critiqué Donald Trump. « Nous devons être pré- parés, mais nous n'allons pas nous prosterner ni supplier les États-Unis pour qu'ils renoncent », a déclaré Gabriel Boric à propos des possibles taxes sur le cuivre, principale exportation du pays andin vers les États-Unis. De son côté, Lula da Silva a dénoncé le « traitement dégradant » des migrants brésiliens expulsés. Dans le même temps, le Congrès brésilien a adopté une loi don- nant au gouvernement des outils pour contrer les barrières commerciales états-uniennes.

Pourtant, ces actions n'ont pas été, pour l'ins- tant, suivies de mesures concrètes. « Les dirigeants évitent l'affrontement direct et jouent la carte multilatérale, notamment le Brésil avec les Brics », explique Anna Ayuso. Le Brésil et le Chili ont annoncé des recours à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) contre les droits douaniers de Trump, à l'instar de la Chine, mais leur efficacité reste limitée : « L'OMC est paralysée, et ces procédures prennent des années. »

/ Une intégration régionale affaiblie

Au début des années 2000, plusieurs pays latino-américains gouvernés par la gauche avaient renforcé leur intégration pour résister aux États-Unis. « L'acte fondateur fut le rejet de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) en 2005, à Mar del Plata, voulue par George W. Bush. Cela a lancé un mouvement souverainiste opposé aux politiques américaines », rappelle la chercheuse argentine Luciana Cadahia. Une unité dans laquelle le président vénézuélien Hugo Chávez a joué un rôle central.

« Le Venezuela a beaucoup œuvré pour l'inté- gration mais, aujourd'hui, il est un frein », estime Anna Ayuso, les progressistes étant divisés sur la situation du pays. « Lula a parié sur des élec- tions pour réintégrer le Venezuela dans la région, mais cela n'a pas marché », tandis que Gabriel Boric s'est toujours frontalement opposé à Nicolás Maduro. Alejandro Mantilla abonde : « En théorie, Trump pourrait provoquer une unifica- tion tactique des progressismes, mais leurs divi- sions internes l'empêchent. »

Après son clash avec Trump, le président colombien et la présidente hondurienne, Xiomara Castro, ont tenté d'organiser une réunion de la Communauté d'États latino- américains et des Caraïbes (Celac) pour préparer une réponse commune. Mais des gou - vernements conservateurs alignés sur la poli- tique de Trump ont bloqué l'initiative. D'autres organisations régionales, comme l'Unasur et le Mercosur, sont aussi affaiblies. « L'Unasur a explosé. Lula a tenté de la relancer, mais le cas vénézuélien bloque tout. Quant au Mercosur, l'Argentine et le Brésil y sont désormais peu compatibles », explique Anna Ayuso.

L'imprévisibilité de la Maison Blanche com - plique encore plus la coordination. « Il fau- dra attendre le Sommet des Amériques en République dominicaine fin 2025 pour voir où va Trump et si des positions communes émergent », estime la docteure en droit public international à l'Université autonome de Barcelone. Pour l'heure, le Républicain fait face à une mosaïque de gouvernements divisés, qui tentent de protéger leurs économies et leurs migrants des effets du virage protectionniste et xénophobe américain.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Paradis - Enfer ou Le trou noir de l’économie souterraine

15 avril, par Gaétan Roberge — ,
L'évasion fiscale et l'évitement fiscal des jumeaux non identiques qui ne partagent pas la même couche, mais proviennent de la même souche. Ils occupent des demeures semblables (…)

L'évasion fiscale et l'évitement fiscal des jumeaux non identiques qui ne partagent pas la même couche, mais proviennent de la même souche. Ils occupent des demeures semblables situées dans les mêmes paradis, pensent de la même manière et stockent leur pactole sous les mêmes palmiers.

Ils adorent le silence, ne se pointent pas au guichet automatique et n'ont jamais rien à déclarer lorsqu'ils franchissent les barrières des douanes sociétales. Ils sont sans frontières ni États et sont donc partout et nulle part à la fois … Et leur paradis est notre enfer.

Un désastre annoncé

L'ONG britannique Tax Justice Network (TJN)révélait dans une étude publiée en novembre 2024 que le coût combiné des abus fiscaux transfrontaliers commis par des multinationales et des particuliers possédant des avoirs non déclarés à l'étranger estimés à 492 milliards de dollars américains. Soit 347,6 milliards perdus en raison de l'abus transfrontalier de l'impôt sur les sociétés par les multinationales et 144,8 milliards perdus en raison de l'évasion fiscale des personnes fortunées. On estime que le Canada a jusqu'à 30 milliards par année en impôts perdus ! Le Canada figure au rang du cinquième plus grand contributeur au problème mondial des paradis fiscaux et du secret financier. Eh oui ! Selon une formule née du franglais torturé de Jean Chrétien, ancien Premier ministre : « Le Canada est le plus meilleur pays du monde ».

L'État des lieux : une fourmilière de déliquescents délinquants

Toujours selon la même étude, certains pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui établissent pourtant les règles, sont eux-mêmes responsables de la majorité́ des pertes fiscales mondiales sur les sociétés. On les surnomme « les Huit nuisibles » – L'Australie, le Canada, la Corée du Sud, les États-Unis d'Amérique, l'Israël, le Japon, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni – car ils tentent d'empêcher le monde entier de convenir, au sein des Nations-Unies, de règles fiscales susceptibles de mettre un terme aux abus fiscaux à l'échelle mondiale. Ce petit groupe qui représente à peine 8 % de la population mondiale est pourtant responsable des pertes fiscales infligées à d'autres pays pour une valeur de 212 milliards de dollars par an … Quelle arnaque et quelle gang d'affreux tricheurs et prédateurs.
Braquage légal ? – Immoral et tragique !

Voici des extraits éloquents et révoltants concernant ces détournements de capitaux planétaires tirés de l'édition Justice fiscale : État des lieux en 2024. « Parmi les pays de l'OCDE, les plus mauvais élèves sont encore une fois le Royaume-Uni et son réseau de territoires d'outre-mer et de dépendances de la Couronne, souvent appelés le deuxième empire du Royaume-Uni (surnommé aussi toile d'araignée britannique), et l'axe plus large de l'évasion fiscale, qui comprend le deuxième empire du Royaume-Uni ainsi que les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse. … le deuxième empire du Royaume-Uni est responsable d'environ un tiers des 145 milliards d'impôts que le monde perd chaque année à cause de l'évasion fiscale des fortunes offshores, ce qui coûte au monde plus de 48.3 milliards d'impôts perdus. L'axe de l'évasion fiscale est responsable de plus de 43 % des 145 milliards de dollars américains que le monde perd chaque année à cause de l'évasion fiscale du patrimoine offshore, ce qui coûte au monde 62.7 milliards en impôts perdus ».

Sous l'impulsion de la mondialisation à partir des années 1980, l'ouverture des marchés de capitaux, la déréglementation des échanges et la présence accrue des multinationales dans l'économie ainsi que le développement du numérique ont favorisé le développement des paradis fiscaux et de l'évasion fiscale.

Ainsi, bon nombre d'entre nous réalisons que ce titanesque et ténébreux piratage de fonds fonctionne, perdure et même se raffine grâce à la cupidité des personnes et des entreprises, le concours d'institutions, de banques et la servilité d'États riches. Comment ? Grâce à l'opacité des structures, l'inventivité des stratagèmes utilisés, le camouflage derrière des organigrammes complexes de sociétés-écrans ainsi qu'à l'aide de réglementations complaisantes mises en place par leurs laquais de dirigeants et cautionné par la soumission, voire l'abdication latente des populations pourtant directement concernées. Évidemment, tout cela est rendu possible avec la complicité de paradis fiscaux et bien aux vues dans de florissants chapelets de cathédrales flottantes mondiales du capitalisme financier et au double standard adopté par des banques dans ces manèges dont, entre autres, Goldman Sachs, UBS et Crédit Suisse. – Précisons que la banque d'investissement Goldman Sachs faisait partie des trois principales banques américaines responsables de la crise des Subprimes en 2007-2008. Cette crise fomentée, appréhendée de longue date et dissimulée par ces mêmes institutions financières, d'ailleurs mal encadrées par les organismes de régulation des marchés, a tragiquement appauvri et scandaleusement endetté et brisé la vie de millions de familles non seulement aux États-Unis, mais également ailleurs dans le monde –. Oui ! Bravissimo à ces troupeaux de salauds coupables de ce gâchis, demeurés en liberté et toujours confortablement juchés dans leur cache d'acier et de verre et s'offrant du bon temps avec le cash du monde « à l'abri » dans leurs portefeuilles à malice.

Splendeur et décadence ou Le triomphe de la provocation

Si tout au moins les indigestes extraterritoriens de l'opulence gaspillaient leur (le nôtre) fric à bouffer frénétiquement leurs milliards de « BigMacaviars » – Ça va prendre combien d'éternités ? – bien fourrés aux volatiles indices boursiers, saupoudrés aux humeurs factices des boursicoteurs et copieusement nappés à la sauce de la croissance sans fin. Et, si cette amoncellement souvent gargantuesque de richesses n'avait aucune incidence, nous contemplerions alors peut-être – Tout en se maintenant à bonne distance. – l'explosion de cette obésité financière morbide et fétide. Hélas, c'est rarement le cas. Au contraire. Au final, l'existence de ces paradis fiscaux fragilise et menace la survie des États démocratiques en portant atteinte directe à leur souveraineté politique, mais dépossède en plus les pays de manière abjecte et calculée. Leurs actions délétères engendrent de faux déficits et créent un abyssal « trou noir » dans l'économie mondiale ainsi que de lourdes pertes en revenus fiscaux dues aux faramineux gains accumulés par ces meutes de chacals dont on dresse tous les ans un palmarès avec une certaine ostentation … Quelle honte ! L'existence et la publication d'un tel palmarès, entre autres celui du magazine Forbes, ne constitue pas uniquement en soi un terrible scandale. En vérité, il illustre davantage une arrogante et altière provocation qui établit en parfaite symbiotique la démonstration d'une distorsion inique du capitalisme financier actuel et du démantèlement des fondements de la société et de l'effritement de ses valeurs universelles.

Évasion fiscale et l'évitement fiscal – Duplicité et pauvreté endémique

Ce psychodrame économico-socialo-mondialisé monté de toutes pièces contraint les États à emprunter leur propre argent à fort taux entraînant des déficits ainsi que d'injustes privations et de dures souffrances pour les populations dont les services publics sont alors morcelés et les mailles des filets sociaux transpercées. En définitive, nous nous retrouvons face à des détournements colossaux de richesses qui briment la destinée de millions de personnes. Selon la Banque mondiale en 2024, près de 700 millions de personnes, soit 8,5% de la population mondiale, vivent aujourd'hui avec moins de 2,15 $ par jour. – Chez nous, une baguette de pain vaut 2,99 $ et un Big Mac 5,64 $ –. Selon le même rapport, 44 % de la population mondiale vit avec moins de 6,85 $ par jour, ce qui est considéré comme le seuil de pauvreté dans les pays émergents. Selon un rapport des Nations-Unies, environ 10 % de la population mondiale vit dans des conditions d'extrême pauvreté et se bat pour satisfaire des besoins élémentaires tels la santé, l'éducation, l'accès à l'eau et à un système sanitaire. Actuellement, le 1 % des personnes les plus riches captent plus de richesse que 95 % de la population. Quant au Québec, soulignons que des milliers de ménages vivent uniquement d'une paie à l'autre. Que les ménages s'appauvrissent de plus en plus, les banques alimentaires ont constamment faim et viennent en aide 872, 000 personnes et sans compter que lors des dix dernières années le prix de l'immobilier résidentiel a augmenté deux fois plus rapidement que le revenu des ménages. Présentement, le salaire des PDG est 226 fois plus grand que celui du travailleur moyen selon une analyse de l'Observatoire québécois des inégalités. – Il y a vraiment de quoi s'indigner. –

Le pouvoir – Nouveau paradis des offshoriens et des oligarques

Face à tant de richesses dormantes qui profitent exclusivement à une coterie d'ultra-riches et qui par surcroit ne viennent en aide à personne avec leur fortune, mais qui au contraire les appauvrissent davantage, il apparaît une autre dramatique et inique réalité que l'on pourrait qualifier selon l'expression de Frantz Fanon de : « Les Damnés de la terre ». Une récente déclaration d'Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, illustre fort bien cela, à savoir que : « Quelque 3,3 milliards de personnes, soit près de la moitié de l'humanité vivent dans des pays qui dépensent plus « au paiement des intérêts » de leur dette que pour l'éducation et la santé. » Et pour ajouter l'insulte à l'injure et faire plaisir à ces pseudo-élites financières, des décrets sont promulgués, des législations votées, incluant des pénalités et imposant le commun des mortels au détriment des corporations et des multinationales. Et ces dernières n'en continuent pas moins de bénéficier légalement et à profusion d'alléchantes assiettes fiscales garnies de bonbons confits aux contributions du peuple et jouissant d'un lucratif assortiment de subventions et d'avantages financiers, le tout soigneusement enrobés d'allégements fiscaux et s'amusant à surfer sur les humeurs fluctuantes des marchés et profiter de la saveur boursière aseptisée du jour. En vérité, même si ces personnes et ces corporations tentent de se dédouaner en invoquant la « légalité » de l'évitement fiscal – Une légalité souvent contraire à « l'esprit de la loi. » – plutôt que l'évasion fiscale. À l'épreuve de la vérité, il n'en demeure pas moins que les procédés employés permettent à tous d'eux d'éviter le paiement d'impôts et de dissimuler des patrimoines et que pour y parvenir ils utilisent des canaux analogues à ceux de l'évasion fiscale et trouvent refuge dans les mêmes paradis.

En définitive, quel admirable exercice de sémantique et formidable éthique « élastomère » ! Les nantis de ce monde sont résolument parvenus à élaborer des écrans de fumée « blanchie » aux vertus presque analgésiques cuirassant l'acceptabilité sociale et teintés d'une prospérité à peine voilée solidement amalgamée à une irrévocable fatalité. Après la mondialisation et ses avatars polymorphes de surabondance vient de s'installer une administration étatsunienne déjantée et voyou, abonnée à la brutalité et au chantage et grassement commanditée aux sesterces numériques et cautionnée par l'obédience des oligarques des GAFAM. Ces oligarques allergiques aux valeurs universelles telles l'empathie, la compassion et la justice sont brusquement en train d'ouvrir les vannes à un courant protectionniste et isolationniste. Ils se complaisent et s'auto-congratulent en démantelant cavalièrement les socles de l'État de droit et buldozant les relations internationales. Nous replongeant alors bien malgré nous et de manière violente à l'époque des miséreux vassaux à la merci des lubies de leurs opulents et intransigeants Seigneurs. Ces autocrates pour qui la terre entière est redevenu leurs châteauforts protégés par des ponts-levis infranchissables qu'ils défendront avec acrimonie et exploiteront comme bon leur semble, et jusqu'à la fin … S'il le faut ! Cela explique d'ailleurs la raison pour laquelle ils affichent « une tête intelligente artificielle » nourrie aux algorithmes cryptés de la misère et confortablement engoncée dans la crasse doctrinale de certains groupes et l'évanescence mensongère de réseaux sociaux et l'opacité des nuages lucratifs. Car ils demandent à la Lune toujours plus de richesses et qu'ils possèdent depuis le temps des crocs financiers bien affutés. Ainsi, avec leurs yeux de chacals plus gros que la panse, ils pensent et salivent au juteux sol au coulis de minéraux rares de la planète rouge ainsi qu'ils fantasment aux nouveaux habits verts griffés d'Hugo Boss avec lesquels ils se pavaneront fièrement dans leurs gigantesques casemates dorées marquées d'un « X » et solidement implantées et fortifiées dans les Gate City interstellaires de la planète Mars … Un petit pas pour les pauvres, un grand pas pour les riches ! Voilà le New Deal de Citizen Trump alias l'éternel cruel Joker obnubilé par ses tarifs et son claironnant et ostentatoire MASGA : « MAke Stupidity Great Again »

Un modus operandi venu du haut du pavé

À titre d'exemple, l'ancien ministre des Finances et Premier ministre du Canada,Paul Martin, dont l'entreprise Canada Steamship Lines était enregistrée à l'époque à la Barbade, les Paradise Papers nous ont révélé, en 2017, qu'une demi-douzaine de ses filiales enregistrées là-bas avaient été transférées aux Bermudes, en 2012 et 2013, où « le taux d'imposition est nul ».– Dire que ce personnage public aura tout de même siégé, sans difficulté et sans ressentir le moindre embarras, à titre « d'Honorable » au Parlement canadien à la fois comme ministre des Finances et Premier ministre pendant 13 longues années …– Voici un autre exemple éloquent et plus récent celui-là. L'éventuel Premier ministre du Canada, Mark Carney, qui a voulu s'évader de l'évasion fiscale en sachant pertinemment en tant qu'ancien banquier comment l'éviter, a dans ses fonctions de président du conseil d'administration enregistré deux fonds d'investissement dans un paradis fiscal lorsqu'il officiait chez Brookfield Asset Management (BAM) qui gère un portefeuille global de 510,6 milliards de dollars, l'équivalent du quart du PIB du Canada. Il a tenté de se justifier en affirmant : « … qu'il souhaitait maximiser les rendements des investisseurs en enregistrant les fonds évalués en tout à 25 milliards de dollars US aux Bermudes », à l'évidence un paradis fiscal reconnu. Il également enregistré un fonds d'investissement de 5 milliards aux Îles Caïmans. – Merci de ne pas applaudir. –

Ô surprise ! On retrouve parmi ces investisseurs la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) ainsi que le Régime de retraite des enseignantes et enseignants de l'Ontario. Ô autre surprise ! Tout d'abord, Brookfield n'a payé aucun d'impôt depuis trois ans et pendant cette même période l'entreprise enregistrait des profits nets cumulés de plus d'un milliard de dollars américains et que pas moins 14 de ses entreprises apparaissaient, en 2021, dans les Pandoras Papersdu Consortium international des journalistes d'investigation. En contrepartie, selon une étude de l'Institut Fraser réalisée en 2024, une famille canadienne au revenu moyen accordait une plus grande partie de son revenu aux impôts (taxes de vente, taxes foncières et les impôts payés au fédéral, provincial et municipal), environ 43 %, qu'au logement ainsi qu'à l'achat de nourriture et de vêtements évalués à 36 %. Voilà une illustration manifeste d'une forme d'injustice sociale et fiscale.

Ô, autres surprises pénibles ! Brookfield Asset Management et son associé Ballast Investments sont les plus gros propriétaires de logements de San Francisco et le Comité du droit au logement de San Francisco y recense des pratiques associées à la « rénoviction » telles des hauses de loyer abusives, des pertes de services, du mauvais entretien, des travaux non terminés et l'usage d'intimidation et de harcèlement etc. – Notons au passage que ce type d'alliance de grands propriétaires fonciers et de fonds d'investissement contribue directement au fléau de la « financiarisation » du logement et de la spéculation malheureusement en progression dans les grands centres urbains et aux conséquences désastreuses pour les populations résidentes. – Brookfield est également tenu responsable d'avoir rasé 9000 hectares de savane brésilienne, soit deux fois et demie la superficie de Montréal, pour y planter du soja entre 2012 et 2021. Il faut savoir qu'entre 1968 et 2017, la production mondiale du soja a crû de 751 %. Bravo pour la sauvegarde de la forêt amazonienne … Ce poumon de la planète produit 20 % de l'oxygène que nous respirons. – Les sauvegardes ne se sont plus réalisées à l'aide d'un disque dur, elles sont plutôt évaporées dans les nuages à l'image des actions discutables et condamnables ! – « Est-il normal que je paie moins d'impôts que ma secrétaire ? » Warren Buffet

Les Panama Papers : Le Canada, opiniâtre et talentueux cancre de la classe

Le quotidienLa Presse nous apprenait, dans la foulée des Panama Papers, que près de 2 milliards de dollars avaient été récupérés dans le monde. Il s'agissait en fait de la fuite de 11,5 millions de documents édités entre 1977 et 2015 par la firme panaméenne Mossack Fonseca. Et depuis tout ce temps, l'Agence de revenu du Canada n'a réussi à réclamer qu'un maigre 83 millions de dollars. Quant à Revenu Québec, ses contrôles fiscaux ont permis des réclamations à la hauteur de 41 millions de dollars. Une bien piètre performance que la nôtre comparée à d'autres pays comme le Royaume-Uni avec 360 millions de dollars, la Suède avec 338 millions de dollars. Comme le déclarait si bien Jonathan Farrar, professeur de fiscalité à l'Université de Waterloo : « C'est un peu lamentable ». Cela revient à envoyer le message selon lequel les contribuables fortunés peuvent tricher sans courir de grands risques. « Et même s'ils se font prendre, ils pourront s'en sortir », estime-t-il. Quant aux États-Unis eux, ils n'ont à ce jour jamais fourni de chiffres concernant le résultat de leurs enquêtes fiscales. Et ça, c'est encore plus déplorable, pour ne pas dire inquiétant … À se demander qui protège qui et pourquoi ? Et, avons-nous vraiment l'intention de mettre un terme à cette outrageante coexistence de deux classes citoyennes.

Que la Fête continue ! ou Que l'on mette fin à la mascarade ?

Ainsi, c'est donc avec la raison à off qu'hélas nous contribuons au maintien et à la croissance de ce double standard totalement injustifié, protégée et toléré de cette économie au noir. En définitive, nous nous trouvons à financer à même nos maigres économies et nos lourds impôts et taxes, l'acquisition de ce Colt 45 – Approuvé par la National Rifle Association (NRA). – qu'ils nous braquent au corps et prennent évidemment soin de dissimuler sous le secret bancaire, cet obscur voile corporatif. Ce fameux voile qui constitue dorénavant la nouvelle forme d'hidjab légalement porté par les libertariens ! Et dire que ces pillards s'insurgent contre la libre pensée. Qui elle, se réclame pourtant de la raison et de la science, du bien commun et si nécessaire de la désobéissance civile, contrairement à leur version empoisonnée qui entraîne des perturbations sans précédent, le pillage éhonté du monde et le torpillage à grande échelle des échos-systèmes de la planète.

Toutefois, la bataille n'est pas perdue afin de mettre un terme à ce fléau. Chez-nous, depuis plus de vingt ans, Attac Québec a livré de nombreuses batailles pour la justice fiscale et sociale par ses activités d'éducation et de mobilisation. Attac a toujours porté l'idée de taxer les transactions financières pour contrer la spéculation, aider les citoyennes et les citoyens et financer les biens et les services publics. Car, pour Attac : « Il n'y a pas de justice sociale sans justice fiscale et qu'il faut mettre fin aux paradis fiscaux, … et faire en sorte que les individus comme les entreprises paient leur juste part d'impôt ».

Selon l'organisme Tax Justice Network (TJN), une solution globale pointe enfin à l'horizon et je cite : « Le monde est à l'aube d'une réforme fondamentale de la gouvernance fiscale internationale. Une convention fiscale ambitieuse des Nations Unies, qui sera adoptée d'ici 2027, aura de profondes répercussions sur la capacité des populations du monde entier à profiter des avantages d'États efficaces, en utilisant le superpouvoir social offert par une politique fiscale progressiste pour réaliser des progrès inclusifs en matière de bien-être humain. Dans le même temps, la convention fiscale des Nations Unies pourrait marquer un changement profond dans les inégalités de pouvoir entre les pays, en mettant fin à la capacité de quelques-uns d'empêcher l'imposition effective de leurs acteurs économiques dans d'autres pays ». En espérant que « les huit nuisibles » cessent de bloquer cette réforme sans précédent. Et d'ici-là, il ne tiendra alors plus qu'à nous d'exercer des pressions, tout au moins sur le Canada, afin qu'il adhère entièrement à cette Convention fiscale des Nations-Unies. Puis, qu'il la défende avec force et conviction sur diverses tribunes et la fasse respectée ici afin de mettre fin à cette mascarade planétaire qui sème le chaos dans les esprits et exacerbe les inégalités sociales en creusant un fossé de plus en plus abyssal entre riches et pauvres Car cette économie souterraine avec ses tentaculaires détournements de capitaux, déstabilise l'économie mondiale, fragilise les fondements des États, gangrènent le destin des populations et entravent la marche des Nations.

« Que l'État se contente d'être juste, nous nous chargeons d'être heureux. » Benjamin Constant

Gaétan Roberge

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Rutte : armement contre sécurité sociale

15 avril, par Francisco Louça — , ,
Mark Rutte, le flamboyant secrétaire général de l'OTAN [depuis le 1er octobre 2024, premier ministre des Pays-Bas d'octobre 2010 à juillet 2024], a déclaré lors d'une (…)

Mark Rutte, le flamboyant secrétaire général de l'OTAN [depuis le 1er octobre 2024, premier ministre des Pays-Bas d'octobre 2010 à juillet 2024], a déclaré lors d'une conférence de presse, dans les derniers jours de l'année dernière, que « lorsque vous regardez ce que les pays dépensent pour les retraites, la sécurité sociale et la santé, nous avons besoin d'une fraction de cela pour garantir que les dépenses de défense atteignent un niveau qui nous permette de maintenir à long terme notre dissuasion ». Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de relire cette phrase pour en reconnaître la clarté. Pour les dirigeants de l'OTAN, ce n'est pas une question de discrétion, c'est une question de franc-parler : ils nous disent qu'il faut vraiment réduire les dépenses de retraite ou de santé pour financer les armements.

7 avril 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/europe/rutte-armement-contre-securite-sociale.html

Trois mois plus tard, et réalisant que Trump s'affirme comme le plus grand danger pour l'Europe, ce discours est devenu plus confus, mais aussi plus insistant sur la nécessité de changer la stratégie d'investissement de l'Europe. En un mot, ces dirigeants veulent que ce qui est nécessaire pour l'armement soit prélevé sur la sécurité sociale ou les retraites. Fini le temps où l'Union européenne annonçait des plans verts ou des investissements massifs dans la « transition énergétique », le nouveau vert est devenu marron ou noir.

La Commission est ainsi passée d'un discours environnementaliste à un discours guerrier, et il y a même des dirigeants qui prévoient une guerre dans trois ans. Une fois de plus, le champion de la démesure, Rutte, nous a carrément sommés d'apprendre le russe, la langue des nouveaux maîtres qui nous guettent à nos frontières, si nous n'acceptions pas ce dévoiement de ressources pour financer la guerre.

Le problème, c'est que les données ne collent pas. Les pays de l'Union européenne dépensent chaque année trois fois plus que la Russie en armement. En d'autres termes, chaque année, l'écart entre leur capacité militaire et celle des forces armées russes se creuse ; et elles se sont montrées inopérantes face à un adversaire faible comme l'Ukraine. L'Europe dispose d'une supériorité militaire gigantesque sur la Russie (et, soit dit en passant, dépense plus en dépenses militaires que la Chine). (3 avril 2025, traduction rédaction A l'Encontre)

Francisco Louça est professeur d'économie à l'Université de Lisbonne. Un des animateurs du Bloco de Esquerda. Se présente à Braga à l'occasion des législatives de mai 2025, entre autres pour mener le combat contre l'extrême droite. Cette brève intervention fait partie d'un podcast hebdomadaire sur le site du quotidien Publico, conjointement au journaliste Fernando Alvez et à la poétesse Rita Taborda Duarte.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Un nouveau souffle pour le média de l’écologie

15 avril, par Amélie Mougey, Hervé Kempf — , ,
Ce lundi 14 avril, Hervé Kempf, fondateur du média Reporterre, passe la main. Amélie Mougey prend sa suite et devient directrice de la rédaction. Ce même jour, Reporterre (…)

Ce lundi 14 avril, Hervé Kempf, fondateur du média Reporterre, passe la main. Amélie Mougey prend sa suite et devient directrice de la rédaction. Ce même jour, Reporterre publie son rapport d'activité et affiche une très bonne santé.

Tiré de Reporterre. Légende de la photo : Hervé Kempf et Amélie Mougey à Paris le 21 mars 2025. Photo Mathieu Génon / Reporterre.

Dans la déjà longue vie de Reporterre, un chapitre s'ouvre, et va faire des étincelles : après douze ans à la tête du média, Hervé Kempf passe la main à Amélie Mougey, qui sera la nouvelle directrice de la rédaction.

Ce passage de relais se fait dans les meilleures conditions. Comme en témoigne notre rapport d'activité publié ce jour, Reporterre se porte bien. Grâce à l'engagement de près de 46 000 donatrices et donateurs — ce média est le leur —, une équipe de 29 personnes salariées, dont 24 journalistes (4 embauches depuis début 2025), assure tous les jours un suivi affûté de l'actualité écologique. Sa mission : porter sans relâche ces sujets dans le débat public.

Notre modèle, basé à 97 % sur le don, est unique en France et il est le garant de notre indépendance : Reporterre est un média sans publicité, sans actionnaire, en accès libre pour que l'information soit à la portée de toutes et tous. Chaque mois, ce sont plus de 2 millions de visiteurs uniques qui viennent lire nos enquêtes, reportages, entretiens, tandis que des centaines de milliers de personnes regardent nos vidéos et reçoivent nos lettres d'info, s'informant ainsi sur la santé de la planète… et de l'humanité.

Après avoir porté haut le média qu'il a fondé, constitué une équipe talentueuse, joyeuse et solidaire, Hervé Kempf va prendre une retraite — sans doute un poil active, mais il avoue volontiers qu'il sera content de dormir le matin —, tandis qu'Amélie Mougey va apporter son énergie, son talent et sa jeunesse pour animer une rédaction en pleine forme. Venue de La Revue dessinée, qu'elle a dirigée pendant huit ans après avoir fait ses armes à Libération, puis dans l'information écologique à Terra Eco, elle a convaincu l'équipe qu'elle était « la bonne personne, à la bonne place ».

Élan nouveau

Les défis qui nous attendent sont majeurs. Alors que la situation écologique mondiale est pire que jamais, que le fascisme s'affirme sans honte, que les ultrariches et le système capitaliste bloquent la société dans une impasse technosolutionniste délétère, enquêter sans relâche, maintenir une information libre défendant les valeurs de l'écologie, de la justice et de la solidarité est une tâche vitale.

Pour faire face aux vents contraires, Reporterre doit même continuer à se développer, à grandir, à diversifier les formats pour toucher le plus grand nombre tout en restant fidèle à sa ligne : porter plus largement les valeurs d'égalité et d'émancipation et se faire l'écho des 1 000 initiatives qui conjurent un avenir désastreux. Car il y a des bonnes nouvelles et un élan nouveau pour inventer et raconter un monde vivable et désirable.

Pour découvrir cette rédaction pas comme les autres, ses valeurs, son fonctionnement, son quotidien, écoutez le podcast Le média du monde d'après de Rémi Dybowski-Douat.

Pour tout savoir du développement et de la situation financière de Reporterre, notre rapport d'activité est en ligne !

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Contrer Trump : la gauche se réveille

15 avril, par Catherine Tricot — , ,
Après une période de sidération universellement partagée, la gauche recommence à penser et à parler. 10 avril 2025 | regards.fr https://regards.fr/la-lettre-du-10-avril-2/ (…)

Après une période de sidération universellement partagée, la gauche recommence à penser et à parler.

10 avril 2025 | regards.fr
https://regards.fr/la-lettre-du-10-avril-2/

Puisque Donald Trump nous en donne l'occasion, prenons le temps de cette pause dans la guerre des droits de douane américains pour regarder comment les gauches – qui ne furent pas laudatrice de la mondialisation libérale – se positionnent. Les réactions face à ce moment de remise en cause, majeur par son ampleur, sa soudaineté et sa violence révèlent les structures de pensées et de projets. Mille nuances se dessinent.

Mélenchon : faire mieux

Logiquement, Jean-Luc Mélenchon écrit dans sa dernière note de blog : « Les crises sont aussi des opportunités politiques pour se redéployer et pour pouvoir appliquer des méthodes jusque-là réputées impossibles à mettre en œuvre. Les dominés doivent en profiter. » Jugeant l'augmentation des droits de douane inadaptée, il développe deux pistes principales pour la France. La première vise les entreprises de la tech : « Il s'agit de taxer l'ensemble du chiffre d'affaires que ces compagnies réalisent sur notre territoire puisqu'aujourd'hui elles ne le sont pas. On en tirera la possibilité d'une relève relocalisée chez nous bien plus rapide que pour des aciéries ou des usines de nickel ». La seconde piste est celle d'une « taxation des droits intellectuels contenus dans les marchandises ». Il précise : « Cela inclut tous les secteurs où les droits (brevets, marques, droits d'auteur, etc.) sont essentiels : pharma, tech, cinéma, musique, logiciels, etc. 30% à 50% de la production mondiale est concernée, directement ou indirectement, par des droits de propriété intellectuelle (paiement de redevances, licences, etc.). Et les États-Unis sont de loin le leader mondial en la matière. »

Tondelier : l'improbable synthèse

Début avril, Marine Tondelier, fidèle à sa volonté de mettre tout le monde d'accord, écrivait un post sur Instagram qui rejoignait les inquiets de la remise en cause du libre-échange, se rangeait du coté de ceux qui veulent une riposte forte au niveau européen et s'affirmait du côté du souverainisme. Joli ! La secrétaire nationale des Écologistes se veut très critique face à l'actuel chambardement : « Par l'annonce d'une hausse massive des droits de douane, les États-Unis souhaitent redéfinir le libre échange international, mettant en péril notre industrie et alourdissant la facture pour les consommateurs ». Elle en appelait à l'Europe : « Face à cette attaque, l'Europe doit réagir avec fermeté. L'annonce d'une riposte sur les services numériques est un premier pas, mais elle doit être suivie d'autres mesures fortes ». Elle s'affirmait dans le camp des souverainistes : « Notre souveraineté énergétique et industrielle est menacée à force de délocalisations ». Et appelait à « reprendre le contrôle et protéger nos travailleuses, travailleurs et nos industries ! »

Ruffin : mobilisation générale

François Ruffin veut lui aussi voir dans ce moment un levier pour promouvoir d'autres logiques. Sur France Inter ce 9 avril, il énonce : « Donald Trump rompt de manière unilatérale, brutale et agressive avec un ordre mondial libéral. Il est stupide d'abord pour son pays. » Mais il enchaîne avec un détonnant « Tant mieux ! C'est une chance pour l'Europe et pour la France. Il y a un enjeu à avoir des protections et des régulations pour une sortie, en partie, de la mondialisation. […] Il faut le plan des 100 produits sur lequel on veut retrouver notre autonomie avec pour cela des barrières et des régulations. » François Ruffin propose un plan qui allie quotas d'importation, barrières douanières, politique de la commande publique. « L'Europe doit penser différemment. Il y a faire changer ce qui se passe au niveau européen et la France doit peser en ce sens. » Il juge « ridicule » la riposte envisagée par la commission européenne. Et, pour celui qui s'avance sur le chemin de 2027, il affirme que la France peut agir : « Il ne faut plus de capitaux américains et il faut mobiliser les capitaux nationaux. […] La commande publique a permis de préserver une industrie de défense en s'exonérant des règles de l'OMC. On peut rassembler le pays sur un tel projet. »

L'Après : l'esprit public face aux empires

Dans son édito sur le site de L'Après – l'association créée par Clémentine Autain, Alexis Corbière, Danielle Simonnet, Raquel Garrido –, le député Hendrik Davi interroge : « De quoi cette guerre commerciale est-elle le nom ? » Il note « l'interruption brutale du fantasme néolibéral d'une concurrence libre et non faussée sur un marché mondiale unifié […] Nous pourrions nous en féliciter. Mais nous ne sommes pas pour opposer les travailleurs des différents pays. » Hendrik Davi propose « de repartir des besoins et de notre nécessaire souveraineté alimentaire, sanitaire, énergétique ou industrielle. Nous avons besoin d'un nouvel ordre économique mondiale basée sur la coopération et non sur la compétition. » Reprenant la proposition portée par Clémentine Autain, le député de Marseille suggère « pour faire face aux enjeux écologiques et sociaux […] nous devons défendre l'esprit public avec une sécurité sociale de l'alimentation ou la refondation de services publics de l'énergie, du transport ou des médicaments ». Il conclut : « Face aux nouveaux empires, il n'a jamais été aussi urgent de défendre un nouvel internationalisme qui défende la justice sociale et écologique. Le NFP doit rapidement mettre cette question à son agenda. »

Roussel : battre le dollar

En meeting à Vénissieux ce 8 avril, Fabien Roussel affirme : « Les peuples d'Europe sont aussi menacés par la guerre économique mondiale lancée par monsieur Trump et sa clique d'ultra-riches. La guerre de Trump est une guerre sérieuse, dangereuse. Trump n'est pas fou. Il compte ses sous, et il en veut beaucoup, beaucoup, et il le dit comme ça ! Mais le capitalisme américain est malade, le dollar est malade et, aujourd'hui, les États-Unis sont en crise, traversés par une crise, dépassés par la Chine. Alors, comme une personne qui se noie, ils s'agitent et ils entraînent avec eux ceux qui veulent leur apporter de l'aide […] Nous ne devons pas accepter ce qui se passe, bien sûr de la part de Trump, mais y compris la mauvaise réponse actuelle de l'Europe à cette politique. Investissons massivement pour relocaliser nos entreprises, l'industrie en France et en Europe ! Investissons dans la production d'énergie décarbonée. Divisons par deux, par trois, par quatre, le prix de l'électricité et nous serons beaucoup plus compétitifs par rapport aux États-Unis ! Il faut que le message soit clair : les traîtres n'auront pas de place ici en France ! S'ils veulent partir, qu'ils partent, mais sans les capitaux et sans l'outil de travail, parce que nous le réquisitionnerons et ça restera chez nous. Enfin, il faut oser remettre en cause l'hégémonie du dollar. Des pays mettent en débat l'idée d'une autre monnaie que le dollar pour faire commerce entre nous. Avançons sur cette idée. Mettons en place une autre monnaie pour une autre mondialisation, respectant les peuples, respectant la planète. »

Catherine « Tricot »

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le « racisme anti-Blancs » n’existe pas

15 avril, par Pierre Jacquemain — , ,
Face à la montée de l'antisémitisme, du racisme et de l'islamophobie, les défenseurs de la « France aux Français » allument le contre-feu d'un racisme anti-Blancs imaginaire. (…)

Face à la montée de l'antisémitisme, du racisme et de l'islamophobie, les défenseurs de la « France aux Français » allument le contre-feu d'un racisme anti-Blancs imaginaire. Une invention de l'extrême droite, que même la porte-parole du gouvernement reprend désormais.

25 mars 2025 | tiré de Politis.fr |Article paru dans l'hebdo N° 1855 | Photo : Manifestation contre le racisme et le fascisme à Paris, le 22 mars 2025. © Bertrand GUAY / AFP
https://www.politis.fr/articles/2025/03/parti-pris-le-racisme-anti-blancs-nexiste-pas

Alors que les actes antisémites progressent de manière significative, de même que les actes racistes et islamophobes, les défenseurs de la France aux Français, les bons, les blonds, les Blancs, allument un contre-feu, et dénoncent avec force et vigueur le « racisme anti-Blancs ». C'est dire si leur combat contre l'antisémitisme est sincère. Et prioritaire. En réalité, ils ne font que hiérarchiser leur haine. Les Arabes et les Noirs d'abord, les juifs ensuite.

Voilà des siècles d'oppression, de colonisation, d'esclavage, qui ont fait de l'homme blanc le maître en la matière de racisme, réduits à peau de chagrin. A-t-on déjà vu un homme blanc arrêté par la police parce que son teint pâle faisait de lui un suspect ? A-t-on déjà entendu parler d'une femme blanche discriminée à l'emploi pour n'avoir pas eu la bonne couleur de peau ? A-t-on déjà refusé un logement à cet homme blanc ou cette femme blanche pour la même raison ?

Sur le même sujet : Le colonialisme installe le racisme

Si, de manière isolée et marginale, des Blancs ont pu être victimes de violences, de discrimination, d'injustices, ça n'est pas le fait de leur couleur de peau. Le racisme, c'est un système. Un Blanc peut se rendre dans la plupart des pays du monde sans être victime de ce système qui stigmatise, hiérarchise, exclut, agresse. Même dans un espace où le Blanc se retrouve en position numérique inférieure, donc minoritaire, il reste un dominant. Il pourra toujours faire l'objet de haine, par son statut notamment, ça ne sera jamais du racisme.

Jamais les Blancs n'ont été visés en tant que groupe blanc par des politiques oppressives au profit de minorités non blanches et ce du seul fait de leur couleur.
R. Diallo

Parce que le rapport de force, aux quatre coins du monde, depuis des siècles, est en sa faveur. Comme le rappelle à la perfection Rokhaya Diallo : « Jamais les Blancs n'ont été visés en tant que groupe blanc par des politiques oppressives au profit de minorités non blanches et ce du seul fait de leur couleur. Jamais ils n'ont fait l'objet de théories raciales faisant d'eux des êtres inférieurs et se traduisant dans des pratiques institutionnelles. Certes, des Blancs étrangers peuvent être exposés à la xénophobie, des Blancs ont été réduits à l'esclavage par le passé, des Blancs juifs ont vécu la tragédie du génocide. Personne ne peut nier ces horreurs. Toutefois, elles n'ont jamais été justifiées du fait de leur couleur de peau. » Voilà ce qu'est le racisme. Voilà pourquoi le racisme anti-Blancs n'existe pas.

Sur le même sujet : SOS « Racisme Anti-Blancs »

Les fachos n'aiment pas la science. Encore moins les sciences sociales. Pourtant, elles nous enseignent ce qu'est le racisme. Elles démontrent pourquoi le racisme anti-Blancs est une vue de l'esprit, un argument politique infondé, pourquoi il n'existe pas. Invité de France Culture il y a quelques années, le sociologue Éric Fassin avait déclaré ceci : « Le racisme anti-Blancs n'existe pas pour les sciences sociales, ça n'a pas de sens. En revanche, c'est très présent dans le discours public, on en parle beaucoup : il y a un écart entre ce que racontent les disciplines scientifiques et ce dont on parle dans le débat public. »

Cette affirmation-là, autrefois exclusive à l'extrême droite, est justifiée jusque dans les rangs desdits ‘modérés'.

Il est tellement présent que cette affirmation-là, autrefois exclusive à l'extrême droite, est justifiée jusque dans les rangs desdits « modérés », qui n'ont plus rien de modéré, à l'instar de la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, qui a fait sienne cette thèse. Et il en va ainsi, tranquillement, de plateaux de télévision en studios de radio. « Oui, le racisme anti-Blancs existe », a lancé le journaliste Alain Duhamel sur BFM, en débat avec un journaliste de Valeurs actuelles. Les mêmes qui vous expliquent désormais que Jordan Bardella et Marion Maréchal sont définitivement lavés de tout soupçon d'antisémitisme parce qu'ils sont invités en Israël par le gouvernement d'extrême droite de Benyamin Netanyahou. Glaçant !

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Ce n’est pas notre Europe

15 avril, par Franco Turigliatto — , ,
Ce qui s'est passé la semaine dernière sur et entre les deux rives de l'Atlantique exprime plastiquement une accélération politique et historique ; des images et des (…)

Ce qui s'est passé la semaine dernière sur et entre les deux rives de l'Atlantique exprime plastiquement une accélération politique et historique ; des images et des déclarations vues et entendues par des centaines de millions de personnes photographient un nouveau monde et ouvrent une nouvelle phase historique. En réalité, ce nouveau monde était déjà présent depuis quelques années ; aujourd'hui, certaines hypocrisies qui le rendaient moins perceptible et le dissimulaient aux masses sont tombées ; il s'agit du choc entre les différents impérialismes, entre les puissances capitalistes dominantes et leurs conflits pour se partager le monde.

Tiré de Inprecor
9 avril 2025

Par Franco Turigliatto

Photothèque Rouge / JMB

La nouvelle phase historique et la loi du plus fort

La nouvelle phase historique se caractérise par de nombreux éléments : les crises multiples du système capitaliste, l'accélération de la crise environnementale, la course de plus en plus effrénée au profit, l'accaparement des ressources de la planète et des terres rares, une compétition économique encore plus forte qui ébranle les structures antérieures de la mondialisation, des guerres commerciales qui s'intensifient, et enfin la course effrénée au réarmement et à la multiplication des guerres. Sur le plan politique, les nationalismes et les idéologies réactionnaires et fascistes prolifèrent avec la croissance quasi exponentielle des forces politiques qui les représentent. Les droits de la planète à préserver un équilibre écologique, les droits des peuples à disposer d'eux-mêmes, les droits sociaux et démocratiques conquis par les classes populaires sont remis en cause ; l'état de droit international résultant des équilibres antérieurs entre les grandes puissances, nés après la Seconde Guerre mondiale, et ceux, encore plus précaires, nés de la disparition de l'Union soviétique, sont remis en cause. Il y a tant d'ennemis aujourd'hui ! Des puissants de la terre qui ne font que soutenir et pratiquer ouvertement la loi du plus fort.

S'il y a un mérite à reconnaître à Trump, c'est d'avoir ouvertement exposé les choix de domination de toutes les grandes forces capitalistes. Trump massacre et massacrera des couches sociales de plus en plus larges de la population américaine au profit de ses amis et acolytes super-riches ; Trump vise ouvertement un accord avec la Russie pour partager le monde, ce que souhaite en retour l'autocrate de Moscou ; il tente de mettre fin à la guerre en Ukraine parce qu'il pense qu'il devra en mener une plus importante dans l'Indo-Pacifique afin de maintenir l'hégémonie américaine ; entre-temps, il ramène chez lui (l'accord avec Zelensky est sur le point d'être signé) l'accaparement d'une grande partie des ressources de l'Ukraine.

Les alliés, petits et grands, ne sont que des vassaux qui doivent s'adapter par la ruse (chantage) à ses intérêts et à ses choix, y compris l'Union européenne, qui a été mise sur la touche et sur laquelle une partie des coûts économiques et militaires doit être rejetée afin de préserver les intérêts du capitalisme américain. En réalité, après l'affrontement dans le bureau ovale et les positions de propagande des dirigeants de l'UE, la situation évolue. Le Premier ministre britannique tisse la toile qui tient ensemble les négociations économiques et la recherche d'un accord entre les États-Unis et l'Europe dans lequel il y a aussi la question ukrainienne, à tel point qu'il a incité Zelensky à déclarer : « Prêt à travailler pour la paix sous la direction du président des États-Unis ».

Ce sont les puissances impériales en difficulté ou en déclin qui montrent le plus ouvertement leur visage agressif. Lorsque Trump déclare « We will make America Great Again », il prend acte du déclin américain (notamment de l'énorme dette qui pèse sur les États-Unis) en proposant de réaffirmer l'hégémonie mondiale par de multiples moyens, comme l'a également montré le troublant discours de l'Union dans lequel a été réaffirmée la volonté d'annexer le Groenland et de reprendre le Panama.

La Russie, elle-même en grande difficulté après la disparition de l'URSS, s'est reconstruite en tant que puissance capitaliste sous le régime autocratique et réactionnaire de Poutine et a rapidement repris le contrôle par la force des zones qui configuraient l'empire tsariste à l'est ; puis elle s'est tournée vers l'ouest pour « garantir sa propre sécurité », cherchant une nouvelle partition avec les puissances occidentales et passant rapidement aux faits avec l'invasion brutale de l'Ukraine, niant le droit à l'existence et à l'autodétermination d'une nation et d'un peuple entiers.

Il a fait un mauvais calcul parce qu'il pensait arriver rapidement à Kiev avec l'effondrement de l'État ukrainien et qu'il s'est retrouvé face à une résistance populaire massive avec l'aide des armes occidentales. L'opération spéciale de Poutine s'est transformée en une guerre terrible et prolongée. Mais l'Europe capitaliste et les États-Unis de Biden ont également fait un mauvais calcul, ils pensaient que la guerre pouvait être gagnée et/ou qu'il était dans leur intérêt qu'elle se poursuive longtemps, afin d'épuiser la Russie et peut-être même que le régime de Poutine entre en crise.

L'Europe n'a jamais envisagé de rechercher une solution politique, si tant est qu'elle soit possible. La réalité a été bien différente des projets de Poutine et de ce qu'imaginent les gouvernements européens et nos talk-shows télévisés.

Après trois ans de guerre, on compte aujourd'hui un million de morts et de blessés de part et d'autre, des générations entières de jeunes des deux pays sont tombées au combat, des dizaines de milliers de civils ukrainiens sont morts sous les bombes russes, d'immenses territoires ont été détruits. Et la guerre ne peut qu'alimenter les pires nationalismes réactionnaires. C'est pourquoi il faut un cessez-le-feu.

En attendant, les dirigeants européens et américains, s'ils disent vouloir défendre les droits à la liberté du peuple ukrainien, utilisent en même temps le « deux poids, deux mesures » : ils soutiennent politiquement et aussi militairement les actions du gouvernement israélien, totalement complice du massacre du peuple palestinien et de la négation de tous ses droits. Encore une fois, Trump est celui qui expose le plus ouvertement les intérêts de toutes les puissances occidentales et du gouvernement sioniste, l'expulsion des Palestiniens de leurs terres, le renforcement du pouvoir néocolonial sioniste, fer de lance au Moyen-Orient.

Reconstruire une UE grande et armée jusqu'aux dents

L'UE montre aujourd'hui toutes ses limites, politiques, sociales et démocratiques. Les bourgeoisies européennes n'ont pas réussi à construire un État fédéral et une gouvernance politique centralisée correspondant à leur puissance économique (voir les reproches de Draghi), elles ont donc été conditionnées et prisonnières des choix des États-Unis, en payant très cher : Trump les menace maintenant de tarifs douaniers et a déjà obtenu que l'UE prenne en charge des dépenses militaires massives, en achetant encore plus d'armes aux fabricants américains.

Depuis plus de 20 ans, les élites européennes pratiquent des politiques d'austérité brutales qui ont progressivement démantelé l'État-providence, drastiquement dégradé les conditions de vie des classes populaires, et donc aussi favorisé le développement de forces réactionnaires et fascistes ; elles ont de plus en plus repris les politiques des partis de droite contre les migrants ; les forces d'extrême droite sont désormais intégrées dans la gouvernance politique européenne ; et sur le plan institutionnel, elles glissent vers des organes autoritaires et antidémocratiques.

Ils ont également pu le faire parce qu'ils ont vaincu les forces sociales et politiques qui, tout au long du XXe siècle, ont « forcé » les pays d'Europe à être un peu meilleurs que les autres pays du monde en termes de droits sociaux, civils et démocratiques : il s'agit des classes ouvrières. Ils ont déchiré le mouvement syndical qui était la colonne vertébrale de ce « compromis social ». Et ils ont pu le faire aussi parce que les directions sociales-démocrates et les bureaucraties syndicales se sont adaptées aux choix libéraux des bourgeoisies. Sans le rôle moteur et actif des classes laborieuses, il n'y a pas de véritable démocratie.

La rhétorique d'une Europe démocratique et progressiste est donc complètement fausse face à la réalité des faits.

Le drapeau de l'UE qu'aujourd'hui le courant libéraliste de la bourgeoisie exprimé par La Repubblica propose pour une manifestation nationale est un faux drapeau à l'ombre duquel les pires choix ont été faits ces dernières années, c'est le drapeau du capitalisme qui a produit la crise actuelle. Lire l'éditorial d'Il Manifesto à ce sujet ainsi que l'article de Marco Bersani.

L'Europe communautaire née après la Seconde Guerre mondiale pour mettre fin aux contrastes entre les capitalismes français et allemand, au nom d'une politique de paix et orientée vers une politique sociale-démocrate pendant l'âge d'or du capitalisme, a commencé à s'éroder dès les années 1980 avec les premiers choix libéraux, puis s'est renforcée au fil des ans jusqu'à la domination totale de l'austérité. Nous vous renvoyons à cet article de fond sur le chemin de l'unité européenne.

Aujourd'hui, nous assistons à une nouvelle étape avec le président de la Commission, mais c'est aussi l'option de Draghi, qui conçoit l'avenir de l'Europe à travers un gigantesque plan de rappel militaire. Non pas l'Europe de la justice sociale, des droits et des choix respectueux de l'environnement comme outils pour affronter l'avenir et les défis de la multi-crise mondiale, mais l'Europe de l'augmentation exponentielle des dépenses militaires qui seront chargées sur les épaules des classes laborieuses.

Nous sommes en train de faire revivre le slogan usé de l'empire romain : « Si tu veux la paix, prépare la guerre », avec une référence au fascisme italien lorsqu'il est dit qu'il faut renoncer au « beurre » pour obtenir des « canons ».

Nous ne participerons donc en aucun cas à la manifestation ambiguë et bidon promue par La Repubblica, sous une bannière qui a été souillée par les pires choix.

Une autre Europe est possible et nécessaire

Nous sommes cependant plus que jamais pour l'unité de l'Europe, mais d'une autre Europe, différente de l'Europe capitaliste et impérialiste.

Cela n'est possible que par l'activité et l'unité des classes populaires du continent, la relance et la réorganisation du mouvement ouvrier pour défendre leurs droits et leurs conditions sociales, la répartition du travail existant, des salaires décents, une scolarisation et une santé financées de manière adéquate pour toutes et tous, l'imposition des riches et des nantis ; au centre des choix économiques et politiques, la vie des peuples et non les profits et les intérêts des entreprises et plus encore des conglomérats de guerre. C'est aussi la seule façon de vaincre les tendances réactionnaires et fascistes.

Et encore : des dépenses publiques pour garantir réellement une transition verte rapide, pour sauver l'environnement et lutter contre le réchauffement climatique, une politique de paix, au sens d'une action visant à garantir le droit à l'autodétermination de toutes les populations et aussi des différentes minorités, une forte offensive de masse en faveur d'une politique de désarmement. C'est peut-être précisément cela qui peut rendre plus difficile l'action des différents dirigeants impériaux, pour ouvrir des brèches sociales dans d'autres pays.

La perspective de construire une fédération d'États européens, c'est-à-dire les États unis d'Europe qui ont traversé le XXe siècle, doit être ravivée, elle doit constituer un projet alternatif, un objectif de classe, dans une perspective de société écosocialiste pour faire face aux terribles défis économiques, sociaux et environnementaux que pose cette époque.

Nous ne pensons pas que la solution et le contraste à l'impérialisme hégémonique américain peuvent venir des autres puissances capitalistes et impérialistes qui ne sont pas moins oppressives envers leurs peuples et à la recherche de nouveaux espaces économiques et géopolitiques que certains identifient faussement aux BRICS.

Plus que jamais nous pensons pouvoir partir des classes exploitées et opprimées, de leur organisation, du renforcement de leur conscience de classe, de leur unité au-delà des frontières en combattant tous les nationalismes réactionnaires et les doubles standards pratiqués par tous les puissants de la terre au gré de leurs alliances.

Nous pouvons ainsi résumer le cadre politique stratégique qui caractérise notre organisation, très différent de celui des autres forces de gauche, mais qui ne nous empêche certainement pas d'être présents dans toutes les manifestations sociales et politiques contre les politiques capitalistes, les forces fascistes et les politiques de guerre :

Contre la barbarie capitaliste qui détruit les personnes, les peuples et l'environnement.

Contre tous les impérialismes et toutes les formes d'oppression et d'exploitation.

Pour la fin de la guerre, de la course folle aux armements et de la spirale suicidaire du militarisme.

Pour le droit des peuples à l'autodétermination.

Aux côtés des classes laborieuses et des opprimés de tous les pays, pour soutenir leurs droits et leurs revendications économiques, sociales, environnementales et démocratiques,

Pour l'unité et la solidarité internationalistes des classes opprimées et exploitées afin de construire une alternative écosocialiste.

Publié le 5 mars 2025 par Sinistra Anticapitalista.
*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Italie : Pour Meloni, l’urgence, c’est la répression

15 avril, par Checchino Antonini — , ,
Meloni championne du contournement du Parlement, et le « paquet Sécurité » devient un décret. Comment les mouvements sociaux vont-ils réagir ? 8 avril 2025 | tiré du site (…)

Meloni championne du contournement du Parlement, et le « paquet Sécurité » devient un décret. Comment les mouvements sociaux vont-ils réagir ?

8 avril 2025 | tiré du site Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74446

Ils l'ont appelé « Dispositions urgentes en matière de sécurité publique, de protection du personnel en service ainsi que des victimes de l'usure, et d'organisation pénitentiaire ».

Jusqu'à présent, il était appelé « paquet Sécurité » ou « projet de loi 1660 ». Nous l'avions qualifié de manifeste politique et idéologique dans lequel le gouvernement Meloni combine répression politique, contrôle social, populisme pénal, prohibitionnisme, culture patriarcale, racisme de classe et xénophobie.

23 nouvelles infractions qui viennent s'ajouter aux 47 autres créées à l'époque où Salvini était au ministère de l'Intérieur et qui risquent de marquer un point de non-retour dans une phase politique marquée par les tentations autoritaires de gouvernements de toutes sortes dans le contexte inquiétant qui caractérise la post-démocratie et l'atmosphère de guerre.

La nouveauté majeure est qu'il ne s'agit plus d'un projet de loi mais d'un décret-loi, car ainsi, le gouvernement de droite saute à pieds joints par-dessus la discussion parlementaire, même s'il n'y avait pas d'autre obstacle que la « corvée » d'une troisième lecture en séance plénière, avec le risque d'assurer une certaine publicité à la discussion. De plus, quelques heures plus tard, l'un des partenaires minoritaires de la coalition aurait pu, lors du congrès de son parti, la Ligue, se vanter du résultat obtenu.

C'est ainsi que, le vendredi 4 avril, le Conseil des ministres, « sur proposition de la présidente Giorgia Meloni, du ministre de l'Intérieur Matteo Piantedosi, du ministre de la Justice Carlo Nordio et du ministre de la Défense Guido Crosetto », a approuvé ce décret-loi alors que non loin du Palazzo Chigi, un imposant déploiement de forces empêchait (y compris à coups de matraque) qu'un petit cortège (3 à 400 personnes), rassemblé en toute hâte dès que l'on a appris le passage du ddl au décret, n'approche de ce bâtiment, Montecitorio ou Palazzo Madama.

Un abus inquiétant du décret-loi

On nous a appris dès notre plus jeune âge que l'utilisation abusive du décret-loi viole la séparation des pouvoirs, élément indispensable d'une démocratie constitutionnelle. Il faut dire qu'aucune des gouvernements qui se sont succédé ces dernières années n'a renoncé à la tentation de légiférer par décret. Une tendance que l'on retrouve également dans d'autres « démocraties ». Il suffit de penser aux abus de Macron et, avant lui, de Hollande pour imposer, respectivement, la réforme des retraites et la loi travail.

Selon le décompte d'Openpolis, « dès 2023, l'exécutif actuel était numéro un en termes de nombre moyen de décrets-lois publiés par mois (3,6). Il est suivi par les gouvernements Draghi (3,2) et Conte II (3,18). 55,8 % des lois approuvées au cours de la législature actuelle sont des décrets convertis. C'est le chiffre le plus élevé de ces dernières années. Sur les 39 décrets promulgués, 11 sont des textes omnibus. C'est-à-dire qu'ils traitent simultanément de sujets différents, même très éloignés les uns des autres."

La tendance est de plus en plus inquiétante et rappelle désormais de manière frappante les paroles de Mussolini qui, à l'époque du débat sur la loi Acerbo, expliquait que le gouvernement intervient « au sens le plus élevé mais aussi le plus concret comme une instance capable de résoudre de la manière la plus rapide, ferme et univoque toutes les questions multiples qui se présentent dans l'action quotidienne, sans être gêné par des compromis préalables, entravé par des interdictions insurmontables, étouffé par des dissensions, non affecté à l'origine par des divergences intrinsèques de points de vue et d'orientations ».

Un maquillage pour satisfaire le Quirinal

Les révisions du Quirinal, sur lesquelles reposaient les espoirs de beaucoup, se sont traduites par quelques arrondissements des angles, comme dans le cas des mères détenues ou de la demande de document pour la vente de cartes SIM aux étrangers (l'autorisation n'est pas nécessaire mais il y a obligation de présenter une pièce d'identité). Ou bien ils ont fait l'objet d'opérations de maquillage, comme lorsqu'il est précisé, à propos de la résistance passive en prison, que les ordres dont le non-respect est puni concernent le maintien de l'ordre et de la sécurité, ce qui veut dire tout et son contraire. Ainsi, en ce qui concerne la disposition relative à l'aggravation des sanctions poure les auteurs d'actions contre les « grands travaux », la référence aux travaux publics ou aux infrastructures stratégiques est remplacée par « les infrastructures destinées à la fourniture d'énergie, de services de transport, de télécommunications ou d'autres services publics ». Par contre, on peut se réjouir de la suppression de l'obligation faite aux administrations publiques et aux universités de collaborer avec les services secrets, en dérogation au droit à la confidentialité.

En bref, dans ce que Nordio (vous vous souvenez du temps où il était considéré comme un garant du respect des procédures ?) appelle les « 34 articles substantiels du texte », il y a pratiquement tout, les nouvelles infractions et les aggravations de l'ancien projet de loi 1660 : le délit de blocage routier, la peine abusive pour occupation de bâtiments, l'extension du dispositif de surveillance des personnes dans les lieux publics, etc. Toutes les critiques du « paquet sécurité » énumérées par l'Union des chambres pénales italiennes « concernant l'introduction inutile de nouvelles catégories de délits, les multiples augmentations disproportionnées et injustifiées des peines, l'introduction de circonstances aggravantes dénuées de toute justification rationnelle, la criminalisation de la marginalité et de la dissidence, et l'introduction de nouveaux obstacles à l'application de mesures alternatives à la détention ».

Que faire ?

Et maintenant ? Les espoirs que quelque part dans le cheminement parlementaire, le parcours de ce catalogue de mesures répressives se retrouve bloqué se sont désormais évanouis, tout comme l'illusion concernant de prétendues divisions - sur le sujet particulier de ces dispositions - entre les trois partis de la majorité. Il ne reste que les ambiguïtés des oppositions, en particulier du Parti démocrate, sur l'hypothèse même de la légitimité du conflit social : Si les antécédents de Minniti au ministère de l'Intérieur (de 2016 à 2018 ndt) ne suffisaient pas, car il est celui qui a inventé les mesures d'éloignement (Daspo) pour les militants syndicaux, il suffit de penser à la façon dont le mouvement « Yes Tav »( ligne à grande vitesse Lyon-Turin ndt).par la voix de l'ancien sénateur Esposito, a réclamé l'assimilation de l'infraction de blocage routier au délit très grave d'enlèvement de personne.

Il persiste une timidité du monde politique, qui a pourtant su organiser la manifestation nationale du 14 décembre dernier, à organiser une convergence efficace entre les mouvements, qui seront probablement submergés ou anéantis par l'entrée en vigueur du décret. Car il est bon de rappeler que la précarité, l'extractivisme, le réarmement, les grands travaux, le prohibitionnisme et la répression sont les piliers du néolibéralisme. Pour bloquer les mécanismes de la répression, il faut une énorme dose de créativité collective, d'autant plus que l'un des effets du décret de sécurité est qu'il affecte immédiatement le répertoire des formes de lutte déjà menacées de devenir une série de rites à l'usage et pour la consommation des moyens de communication de masse. Repenser les formes de lutte, dans une optique de convergence des mouvements sociaux d'en bas, signifierait ouvrir ces espaces militants (ou bien les rouvrir) qui ont trop souvent été caricaturés ou sacrifiés au nom de la recherche de l'hégémonie de telle ou telle composante, ou bien dans un « sauve qui peut » de la part de secteurs de la classe politique à l'heure du naufrage des corps intermédiaires. Et tout cela va à contre-courant de la pensée commune, intoxiquée par des décennies d'alertes sécuritaires et mise à mal par un cocktail mortel de coupes dans le système de protection sociale et de représentation, d'intrigues électorales et de lois sur la précarité. C'est une porte étroite par laquelle nous devrons passer ensemble.

Le détail du décret

Le texte prévoit, en particulier, des nouveautés significatives en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, d'administration des biens saisis et confisqués, de sécurité urbaine, de protection du personnel des secteurs de la sécurité, de la défense et des secours publics, ainsi que de traitement des personnes détenues et des activités de travail à l'intérieur et à l'extérieur des établissements pénitentiaires.

En particulier, sous la rubrique « Sécurité urbaine », une nouvelle infraction est introduite afin de lutter contre le phénomène de l'occupation illégale de biens immobiliers. La procédure est engagée d'office si l'infraction est commise sur des biens publics ou à usage public. La peine sera de deux à sept ans d'emprisonnement. Les peines pour les infractions commises en milieu urbain sont alourdies. Une nouvelle circonstance aggravante est prévue pour les délits commis sans intention de nuire à la vie et à l'intégrité physique et morale des personnes, à la liberté individuelle et au patrimoine, ou qui portent atteinte au patrimoine, s'ils sont commis à l'intérieur ou à proximité immédiate des gares ferroviaires et des métros ou à l'intérieur des trains de passagers. La peine est également alourdie pour le délit de dégradation à l'occasion de manifestations publiques. Le dispositif DASPO urbain est étendu aux personnes qui ont été dénoncées ou condamnées, même par un jugement non définitif, au cours des cinq années précédentes, pour des délits contre la personne ou contre les biens commis à l'intérieur et aux abords des installations ferroviaires, aéroportuaires, maritimes et des équipements de transport public local, urbain et extra-urbain. L'arrestation en flagrant délit différé est étendue au délit de blessures graves ou très graves infligées à un agent public en service de maintien de l'ordre, commises à l'occasion de manifestations dans un lieu public ou ouvert au public. L'infraction administrative de blocage routier est érigée en délit, passible d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à un mois et d'une amende pouvant aller jusqu'à 300 euros. En cas d'infraction commise par plusieurs personnes, la peine d'emprisonnement va de six mois à deux ans.

En matière d'exécution de la peine, l'obligation de report de la peine est supprimée pour les femmes enceintes et avec enfants et le report facultatif est exclu si cela entraîne une situation dangereuse, d'une importance exceptionnelle, de commission d'autres délits. Il est prévu de différencier les modalités d'exécution de la peine entre la mère d'enfants âgés de moins d'un an et les mères d'enfants âgés de 1 à 3 ans. Des mesures de lutte contre la délinquance urbaine sont instaurées, avec l'augmentation de la peine pour incitation à la mendicité en cas d'emploi de mineurs de moins de 16 ans et d'une circonstance aggravante si l'infraction est commise avec violence ou menace. Les dispositions relatives à la culture et à la filière agro-industrielle du chanvre sont modifiées, avec la spécification, entre autres que la réglementation en vigueur ne s'applique pas aux produits constitués de inflorescences de chanvre, même sous forme semi-finie, séchée ou broyée, ou contenant de telles inflorescences , y compris les extraits, les résines et les huiles qui en sont dérivés. En outre, la production de chanvre destiné à l'horticulture ornementale est limitée à l'horticulture ornementale professionnelle. L'interdiction expresse d'importer, de céder, de traiter, de distribuer, de commercialiser, de transporter, d'envoyer, d'expédier et de livrer des inflorescences est également réaffirmée, car ces activités sont soumises aux dispositions pénales et administratives prévues au titre VIII du décret présidentiel 309/1990. Enfin, dans le périmètre de la légalité de la culture, il a été prévu la production agricole de semences destinées aux usages autorisés par la loi dans les limites de contamination établies par le décret du Ministre de la Santé.

Protection des forces de police, des forces armées et du corps national des pompiers et des organismes du Système d'information pour la sécurité de la République : une circonstance aggravante est introduite pour le crime de violence ou de menace et de résistance à un agent de la fonction publique si l'acte est commis à l'encontre d'un officier ou d'un agent de police judiciaire ou de sécurité publique, avec une augmentation de la peine pouvant aller jusqu'à la moitié, et une circonstance aggravante supplémentaire en cas d'actes de violence commis dans le but d'entraver la réalisation d'ouvrages d'infrastructure. Il est prévu de doter les forces de police de dispositifs de vidéosurveillance portables (bodycam), permettant d'enregistrer les activités opérationnelles des unités de maintien de l'ordre public, de contrôle du territoire, de surveillance des sites sensibles et dans le domaine ferroviaire et à bord des trains, ainsi que d'utiliser des dispositifs de vidéosurveillance, y compris portables, dans les lieux et les environnements où sont détenues des personnes soumises à une restriction de liberté individuelle. En matière de protection juridique des membres des forces de police, du corps national des pompiers et des forces armées pour des faits liés à leurs activités de service, le montant maximal pouvant être versé pour chaque phase de la procédure est porté à 10 000 euros. La protection des biens mobiliers et immobiliers affectés à l'exercice de fonctions publiques est renforcée par la mise en place, en cas de dégradation et de salissure de ces biens, d'une peine d'emprisonnement de six mois à un an et demi et d'une amende de 1 000 à 3 000 euros, avec une augmentation de la peine d'emprisonnement maximale (trois ans) et de l'amende (jusqu'à 12 000 euros) en cas de récidive ; les sanctions sont renforcées en cas de violation des prescriptions et des obligations imposées par les agents des forces de l'ordre en service de police routière, prévoyant également la sanction accessoire de la suspension du permis de conduire de 15 à 30 jours, en cas de récidive pour les infractions prévues. Le nouveau délit de « révolte au sein d'un établissement pénitentiaire » est ajouté, qui punit l'incitation, l'organisation ou encore la direction et la participation à une révolte perpétrée au sein d'un établissement pénitentiaire par trois personnes ou plus réunies, par des actes de violence ou de menace, des tentatives d'évasion ou des actes de résistance

La peine est alourdie pour quiconque incite au non-respect des lois si l'acte est commis à l'intérieur d'un établissement pénitentiaire ou par le biais de lettres ou de communications adressées à des personnes détenues. Un type de délit équivalent à la révolte dans un établissement pénitentiaire est également instauré pour les faits commis à l'intérieur des centres de rétention pour migrant.e.s en situation irrégulière. La compétence déjà conférée aux organismes d'information et de sécurité de demander la collaboration des administrations publiques et des entités qui fournissent, sous régime d'autorisation, de concession ou de convention, des services d'utilité publique est définie de manière plus stricte. Il est également stipulé que les modalités de cette collaboration doivent être définies par des conventions qui peuvent également prévoir la transmission d'informations, par dérogation aux obligations de confidentialité prévues par la réglementation propre au secteur.

En outre, des mesures sont prises pour protéger le personnel lui-même dans le cadre de la lutte contre les comportements liés aux menaces terroristes et subversives. Par ailleurs, une sanction administrative complémentaire est introduite, à savoir la fermeture de l'entreprise ou de l'activité pendant 5 à 30 jours dans les cas où les établissements autorisés à vendre des cartes SIM de téléphonie mobile ne respectent pas les obligations d'identification des clients, par l'exigence de la copie du titre de séjour, s'il s'agit d'un ressortissant non européen. L'interdiction de passer des contrats avec les opérateurs pendant une période comprise entre six mois et deux ans est également ajoutée en tant que peine accessoire pour les personnes condamnées pour le délit de substitution de personne commis dans le but de pouvoir souscrire un contrat de téléphonie mobile.

Checchino Antonini
P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.

Source - Anticapitalista (Gauche anticapitaliste), 8 avril 2025 :
https://anticapitalista.org/2025/04/08/repressione-lurgenza-di-meloni/

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Allemagne : la coalition CDU/SPD acte un programme militariste, antisocial et xénophobe

15 avril, par Gregorio Oneto — , ,
Ce mercredi 9 avril a été révélé l'accord de coalition entre la CDU, la CSU et le SPD, fruit de plusieurs semaines de négociations. Face à la crise politique et économique que (…)

Ce mercredi 9 avril a été révélé l'accord de coalition entre la CDU, la CSU et le SPD, fruit de plusieurs semaines de négociations. Face à la crise politique et économique que traverse actuellement l'Allemagne les deux partis historiques tentent d'y répondre par un durcissement autoritaire, mêlant course aux armements, offensive anti-migratoire et attaques néolibérales.

9 avril 2025 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Allemagne-la-coalition-CDU-SPD-acte-un-programme-militariste-antisocial-et-xenophobe

Ce mercredi 9 avril à 15h, l'accord de coalition entre les trois futurs partis de gouvernement, CDU, CSU et SPD, a été présenté en conférence de presse par les quatre dirigeants politiques de ces partis : Friedrich Merz (CDU), Markus Söder (CSU), Lars Klingbeil et Saskia Esken (tous deux SPD). Le sourire aux lèvres, ces anciens rivaux politiques ont présenté les lignes directrices de leur future gouvernance. Mais celles-ci sont loin d'être réjouissantes : à la profonde crise politique et économique que traverse actuellement l'Allemagne, les deux partis institutionnels tentent de répondre par un durcissement autoritaire sans précédent. Loin de nous surprendre, comme l'a prétendu Merz lors de son discours, le contenu de cet accord de coalition est un mélange de mesures néolibérales et autoritaires aux airs de déjà vu, en pleine continuité avec les tendances internationales à l'œuvre.

Une offensive mêlant militarisme, autoritarisme et xénophobie

Au fondement de l'ensemble du projet gouvernemental réside la volonté de « rendre à l'Allemagne sa force ». Cette force est au sens le plus littéral la puissance militaire : suivant les annonces choc des derniers mois concernant un investissement de 1000 milliards dans l'armée et les infrastructures, l'accord de coalition prévoit un plan pluriannuel de renforcement de la Bundeswehr, dont les modalités ne sont toutefois pas encore détaillées.

À cet investissement massif s'ajoute toutefois une nouvelle mesure : l'instauration d'un service militaire sur le modèle suédois, sur la base du volontariat. S'inscrivant dans une tendance générale de retour du service militaire en Europe, cette mesure tente de répondre aux difficultés de recrutement de l'armée en stimulant l'enrôlement de la jeunesse. Approfondissant la militarisation de la société, l'existence de ce dispositif est un premier pas qui pourrait conduire dans le futur à un service militaire obligatoire, si les volontaires se révélaient trop peu nombreux.

Le futur gouvernement ne s'attache pas seulement à « renforcer » l'Allemagne face à ses ennemis extérieurs, mais aussi face aux ennemis intérieurs. Revendiquant une politique de « tolérance zéro » face aux « ennemis de la démocratie », parmi lesquels sont cités pêle-mêle l'extrême-droite, l'islamisme et l'extrême-gauche, la coalition revendique un accroissement des moyens de répression internes de l'État, que ce soit par un accroissement des financements, par une plus grande licence dans l'usage de données personnelles et biométriques ou dans l'usage de l'intelligence artificielle. Une cible privilégiée de ce saut répressif sera le mouvement en solidarité avec la Palestine, alors que celui-ci a déjà subi une criminalisation inouïe depuis deux ans en Allemagne.

Ces moyens de répression seront également le principal outil d'une offensive xénophobe sans précédent en Allemagne. La CDU de Merz s'était illustrée durant la campagne électorale par un discours très proche de celui de l'AfD sur l'immigration illégale en Allemagne. L'accord de coalition prépare à une lutte sans merci contre les étrangers n'ayant pas pu obtenir le droit d'asile, à travers une véritable « offensive de rapatriements ». Fin des programmes d'accueil humanitaire dans des pays comme l'Afghanistan, accélération des procédures de demande d'asile, facilitation des procédures d'expulsions, augmentation du nombre de pays d'origine considérés comme « sûrs » et pour lesquels le rapatriement est donc autorisé, limitation des possibilités de regroupement familial : la batterie de mesures prévues promet une véritable chasse aux immigrés clandestins qui fait tristement écho aux attaques xénophobes battant leur plein outre-atlantique. Si le SPD a hypocritement fait insérer dans le texte que l'Allemagne veut rester un pays « ouvert au monde » et « accueillant pour les migrants », le parti de centre-gauche a de fait souscrit à une offensive xénophobe qui ne ferait pas rougir l'AfD.

Un programme néolibéral et anti-ouvrier pour redresser la puissance économique allemande

Le début de la guerre en Ukraine et la hausse brutale des prix de l'énergie qui a suivi ont plongé l'économie allemande dans la tourmente. En récession depuis deux ans, l'Allemagne est atteinte en son cœur industriel, la chimie, l'ingénierie et l'automobile, qui avait pu prospérer au début du XXIe siècle grâce à l'accès au gaz russe bon marché. Redonner à l'Allemagne sa force signifie donc pour la nouvelle coalition revigorer ces secteurs, dans lesquels s'enchaînent ces derniers mois les plans de licenciements. Pour ce faire, la recette trouvée brille par son manque d'originalité : une politique de l'offre des plus classiques, avec des baisses d'impôts, tout particulièrement de l'impôt sur les sociétés et des impôts sur l'énergie, associées à des subventions aux entreprises. À cette politique s'ajoutent certaines incitations à l'achat, notamment pour stimuler la demande de véhicules électriques, segment sur lequel les constructeurs allemands sont peu compétitifs.

Outre ces mesures, la coalition promet une véritable offensive « anti-bureaucratique » dans la plus pure tradition néolibérale : le programme se fixe l'objectif d'une réduction des coûts de fonctionnement de la bureaucratie de 25 %, ce qui passera par la suppression et la simplification d'une multitude de procédures. La mesure phare de cette simplification : la suspension de la loi allemande sur les chaînes d'approvisionnement (Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz), à savoir une loi qui impose aux entreprises une diligence raisonnable en matière de droits de l'homme dans ses chaînes d'approvisionnement. Cette loi devra être remplacée par une nouvelle loi plus « simple » et « efficace », mais, avant l'entrée en vigueur de cette nouvelle loi, toutes les obligations des entreprises concernant les droits humains des travailleurs ne seront plus sanctionnées.

À cette attaque des droits des travailleurs s'ajoute une mise au travail forcée des inactifs, à travers la suppression du Bürgergeld (l'équivalent allemand du RSA) et l'instauration d'une nouvelle aide bien plus restrictive : limitée aux personnes cherchant activement un emploi, cette allocation sera suspendue en cas de refus répété d'offres d'emplois. À l'image de ce qu'ont imposé d'autres pays, comme l'Italie de Meloni, cette mesure a pour but de fournir aux patrons une main d'œuvre disponible contrainte d'accepter n'importe quel salaire et n'importe quelles conditions de travail.

La simplification « bureaucratique » a donc pour but principal de lever les protections juridiques les plus élémentaires des travailleurs, afin de faciliter l'exploitation à outrance de la main d'œuvre par le capital allemand. Contre la séduction des discours chauvinistes et nationalistes, il faut bien avoir conscience du caractère anti-ouvrier de la politique de « retour de l'Allemagne a sa grandeur économique ». Celle-ci ne pourra en effet être mise en œuvre que par une intensification de l'exploitation des travailleurs, condition de la rentabilité du capital allemand et de la compétitivité des exportations allemandes sur le marché mondial.

Une crise politique encore ouverte, dont l'issue dépendra de la lutte des classes

Alors que le tournant droitier que Merz a impulsé à la CDU a pu susciter des controverses dans ses propres rangs, en provenance notamment de l'ancienne chancelière Merkel, sa politique xénophobe et sécuritaire semble désormais faire l'unanimité : ayant pu obtenir quelques concessions, comme l'investissement dans les infrastructures ou une hausse du SMIC horaire à 15 euros (ce qui ne fait en vérité que rattraper l'inflation), le SPD s'accommode sans scrupules du projet de chasse aux immigrés porté par son partenaire de coalition. Si, en tant que parti dirigeant du gouvernement précédent, le SPD avait déjà initié le réarmement de l'Allemagne tout en menant une politique extrêmement répressive à l'égard des militants pro-palestiniens, cette nouvelle coalition avec la CDU de Merz signale un virement à droite de l'ensemble de la classe politique allemande.

Alors que la nouvelle coalition promet de fournir une réponse « ambitieuse » à la crise dans laquelle s'enlise l'Allemagne depuis quelques années, cette réponse est en vérité loin de pouvoir résoudre l'ensemble des contradictions du pays, que ce soit sur le plan économique ou politique. Disposant d'une majorité relativement faible au Parlement, le futur gouvernement n'a pu imposer la levée relative du frein à l'endettement que grâce au vote antidémocratique de l'ancien Parlement. De plus, dans un contexte de crise économique mondiale accentuée par la politique tarifaire de Trump, le retour à l'ancienne compétitivité de l'industrie allemande semble être un véritable mirage.

Une seule chose est certaine : pour défendre sa rentabilité, le capital allemand en crise va s'attaquer aux droits des travailleurs les plus élémentaires et tenter d'accroître leur exploitation. Mais face à ces attaques et face au durcissement autoritaire que prévoit le gouvernement, les travailleurs allemands pourraient bien sortir de leur passivité pour défendre leurs droits par la lutte. Contre les bureaucraties syndicales qui jouent à la conciliation de classe en soutenant la course aux armements, il est essentiel pour les travailleurs allemands de s'opposer tout autant à la politique militariste qu'à la politique xénophobe de leur futur gouvernement, car ces offensives ne sont que le revers de la médaille des attaques qu'eux-mêmes vont subir dans les prochaines années. Cette nouvelle coalition entre SPD et CDU n'est en réalité qu'une réponse extrêmement précaire à la crise politique allemande, dont le succès est loin d'être certain : c'est en dernière instance la lutte des classes qui va déterminer l'issue de la crise en cours.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

HANDS OFF ! En France aussi. Éditorial du 09 avril 2025.

15 avril, par Arguments pour la lutte sociale — , ,
La situation française comme la situation mondiale est sous le choc de la guerre commerciale et du krach boursier, qui se développe, ce mercredi, en krach obligataire pour les (…)

La situation française comme la situation mondiale est sous le choc de la guerre commerciale et du krach boursier, qui se développe, ce mercredi, en krach obligataire pour les États-Unis, où affaiblissement et violence impérialiste du trumpisme se combinent.

9 avril 2025 | tiré du site aplutsoc
https://aplutsoc.org/2025/04/09/hands-off-en-france-aussi-editorial-du-09-avril-2025/

Nous devons insister sur un fait central : il y a eu nettement plus de trois millions de manifestants aux États-Unis samedi 5 avril, jusqu'à 6 millions disent certaines sources ; dans tout le pays ce fut un premier déferlement contre Trump, Musk, Vance, leur politique et leurs méthodes de gangsters qu'ils sont. La courbe de la situation sociale nord-américaine va vers l'affrontement alors même que les peuples ukrainien et palestinien sont menacés dans leur existence et que les peuples d'Europe sentent qu'ils vont devoir, comme c'est déjà le cas dans les Balkans, intervenir sur la scène de l'histoire.

A cette aune, la faiblesse et l'atonie des manifestations ou « journées d'action » les plus récentes en France semblent faire cruellement contraste. Mais elles s'expliquent par cette situation même. Un appel clair ou bien la réalisation par en bas d'un affrontement clair, visant à la fois l'Axe fasciste mondial Trump/Poutine et l'exécutif Macron / Bayrou / Retailleau, verrait une vraie dynamique, une vraie mobilisation. Il faut donc y travailler.

Dimanche dernier, la victoire politique, par effet du vide et/ou de la division à gauche, est revenue à Attal. Mais la relance des dépenses militaires « sans hausser les impôts » et pas du tout pour aider immédiatement et urgemment l'Ukraine, les attaques à l'évidence influencées par un Musk pour un « choc de simplification » contre les organismes publics, et même l'apologie par Attal de son « choc des savoirs » – qu'avait soutenu le RN ! – en réalité très mal en point, montrent à l'évidence que le « macronisme » de la V° République ne nous protégera pas de l'Axe fasciste, pas plus que la Commission européenne de Mme Van Der Leyen.

Il faut reconstituer la mobilisation indépendante par en bas qui avait porté le Nouveau Front Populaire, empêché le gouvernement Macron-Bardella, et réalisé la grève du 5 décembre 2024 dans l'enseignement public. De quoi y-a-t' il besoin pour cela ? De quoi a besoin le combat contre les obstacles de la division ?

Avant tout d'une désignation frontale de l'ennemi mondial : l'Axe fasciste Trump/Poutine, et de l'explication que cet Axe ne sera pas vaincu par les gouvernants européens actuels mais par la mobilisation des peuples, comme le peuple américain lui-même nous l'a montré avec puissance en commençant à entrer en mouvement samedi dernier !

La condamnation de Mme Le Pen et de sa bande, victoire judiciaire et démocratique contre le RN et contre les mœurs de la V° République, est et doit être un point d'appui, et le sera si la lutte contre le RN, pour la défense de la démocratie, est reliée clairement à la lutte contre l'Axe fasciste Trump/Poutine, et réciproquement.

Manifester dès dimanche à Paris contre le RN, comme y a appelé Marine Tondelier, n'était pas en soi une mauvaise idée, bien au contraire. Mais la division, qui a fait ses dégâts jusque dans le rassemblement lui-même, division liée au manque de clarté dans la désignation de l'adversaire, a radicalement affaibli la riposte nécessaire.

Nous voulons la démocratie, contre la V° République et l'exécutif antidémocratique

Macron/Bayrou/Retailleau. La démocratie passe par une assemblée constituante et par la prééminence du pouvoir législatif sur l'exécutif, et du politique sur l'économie, donc par une assemblée de députés mandatés, dotés d'un vrai pouvoir et pleinement responsables et donc révocables en fonction de leur mandat selon des modalités à déterminer, et par des assemblées locales ayant pleinement pouvoir d'auto-administration, et par des conseils gérant la production et la distribution. Elle exclut présidentialisme et plébiscites, qu'ils soient « révocatoires » ou non.

Mais un tel régime démocratique ne peut perdurer que par la garantie des droits et des institutions constituant la démocratie radicale en République – République sociale, démocratique et laïque : une justice indépendante c'est-à-dire ne dépendant que des lois et d'une jurisprudence transparente et objet de débat, une fonction publique aux statuts garantis, une laïcité institutionnelle dans l'État et dans l'école, et, couronnant le tout et permis par ces dispositions, la garantie des droits humains, sociaux et environnementaux fondamentaux.

Toute l'histoire du XX° siècle oblige les partisans de la démocratie radicale, celle des constituantes imposées par en bas et des premiers soviets, à se faire les défenseurs des normes juridiques et à reprendre tout l'acquis historique du droit.

La responsabilité des élus en fait donc, pleinement et dans l'égalité des droits, des justiciables. Ce principe central est précisément celui que remettent en cause centralement les Trump, Poutine, Netanyahou, Erdogan, Milei, Bolsonaro …

Toute ambiguïté, telle que cultivée par un J.L. Mélenchon, sur ces questions démocratiques, affaiblit le combat pour la démocratie et donne matière et prétexte à la division.

Le combat pour le droit et le combat contre l'Axe fasciste Trump/Poutine, le combat contre le RN et contre la V° République en France, se rejoignent étroitement. Les dissocier, c'est y renoncer.

C'est pourquoi, après le ratage de ce dimanche, Aplutsoc appelle à appuyer les rassemblements et manifestations de samedi prochain 12 avril, lancés par diverses organisations dans un « appel de la société civile pour la défense de l'État de droit », dont la Ligue des Droits de l'Homme, la CGT, la FSU, Solidaires, l'Union Étudiante, l'UNEF, le Collectif National pour les Droits des Femmes, le RAAR, Golem … dans lesquels et pour lesquels la bataille pour l'unité sur des bases claires va à nouveau se dérouler et pourra remporter plus d'une victoire locale et dans tout le pays, condition pour de vraies mobilisations.

Les prochaines luttes sociales et bien entendu le 1° mai ont besoin d'une telle perspective.

De la même façon, un regroupement tel que le RESU (Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine) qui a encore réalisé un travail d'information, de mobilisation et de liens unitaires considérable au regard de ses forces militantes pour la manifestation de samedi dernier 5 avril, ne peut pas se tenir pour satisfait de l'état actuel de la solidarité avec le peuple ukrainien. En fait, la signature par l'intersyndicale (sauf FO) d'un appel à cette manifestation, combinée à la quasi-absence ou la totale absence de la plupart des organisations syndicales dans la manifestation elle-même, est à présent un problème : un appel unitaire ne saurait être un alibi pour faire croire que l'on agit. Cette manifestation, combative mais réduite, fut suivie du rassemblement de solidarité avec les manifestations aux États-Unis : il est évident que les deux auraient pu et dû se regrouper.

Car la défense du peuple ukrainien et l'exigence qu'on lui envoie des armes, tout de suite, pour repousser l'impérialisme russe dont Trump est le complice, constitue la pointe avancée, dans la lutte des classes en France, de ce combat pour dégager la voie à la lutte frontale contre l'Axe fasciste Trump/Poutine et rouvrir les vannes de la lutte sociale et démocratique dans ce pays. Un regroupement tel que le RESU aurait donc par exemple toute sa place dans les manifestations contre le RN et pour l'indépendance de la justice, sortant de son cadre habituel et portant, dans la vie et les combats directs « nationaux », l'exigence de cet affrontement.

De Washington à Moscou en passant par Paris :

Hands off !
Bas les pattes, Trump/Poutine/Le Pen !
Indépendance de la justice et jugement des tyrans et des corrompus partout !

Le 09/04/2025.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

À Bruxelles, une conférence militante et internationaliste en solidarité avec l’Ukraine

Nous publions le compte rendu de la conférence Solidarité avec l'Ukraine écrit par Dick Nichols(1), correspondant européen de GreenLeft (Gauche verte) qui a participé à (…)

Nous publions le compte rendu de la conférence Solidarité avec l'Ukraine écrit par Dick Nichols(1), correspondant européen de GreenLeft (Gauche verte) qui a participé à l'organisation de la conférence Solidarité avec l'Ukraine.

Tiré de Gauche anticapitaliste
10 avril 2025

Posted by Dick Nichols

La conférence Solidarité avec l'Ukraine, qui s'est tenue à Bruxelles du 26 au 27 mars, a rassemblé environ 200 militantEs d'une vingtaine de pays, en soutien aux droits nationaux et sociaux du peuple ukrainien.

Ce rassemblement était organisé par le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (ENSU) et les Campagnes de solidarité avec l'Ukraine (USC) d'Angleterre, du Pays de Galles et d'Écosse . Il visait à renforcer la solidarité entre les peuples, alors que la menace d'une partition et d'un pillage de l'Ukraine par les gouvernements de Vladimir Poutine et de Donald Trump se fait de plus en plus grande.

La conférence s'est également déroulée dans le contexte du conflit actuel entre les mouvements syndicaux, féministes, environnementaux, de défense des droits civiques et politiques progressistes d'Ukraine et les politiques intérieures néolibérales du gouvernement de Volodymyr Zelensky.

Le choix de Bruxelles comme ville hôte a été déterminé par la nécessité de renforcer le dialogue et la collaboration entre les nombreux mouvements sociaux ukrainiens, les groupes de solidarité avec l'Ukraine et les députés européens (MPE- membres du Parlement européen) et nationaux des formations de gauche, vertes, sociales-démocrates et progressistes en faveur de l'indépendance nationale.

Ces parlementaires — notamment l'ancienne ministre finlandaise de l'Éducation Li Andersson(Alliance de gauche) et Jonas Sjöstedt (ancien dirigeant du Parti de gauche suédois) — ont pris la parole lors d'un événement organisé le 26 mars au Parlement européen par le groupe de gauche au PE (« Solidarité avec l'Ukraine : reconstruction et société civile ») et lors de la conférence Solidarité avec l'Ukraine elle-même.

Dans son discours au Parlement européen, Sjöstedt a souligné le caractère à double face de la solidarité progressiste : « La guerre en Ukraine ne fait pas seulement rage en première ligne. Les combats menés par les défenseurs des droits des travailleurs, les militants pour le climat et les militants des droits des femmes façonnent et continueront de façonner l'avenir de l'Ukraine. Nous devons être solidaires de ces mouvements, surtout en temps de guerre, et nous continuerons de le faire. »

« Nous devons continuer à défendre les droits des travailleurs lors de l'élaboration de nouveaux codes du travail en Ukraine, nous devons lutter pour les professionnels de la santé qui travaillent dans des conditions encore plus difficiles, et nous devons continuer à impulser le changement pour mettre un terme à la flotte fantôme russe écologiquement désastreuse [de pétroliers rouillés]. »

Tanya Vyhovsky

L'intervention d'autres éluEs a ouvert la voie à d'autres sujets clés de discussion lors de la conférence. Tanya Vyhovsky, sénatrice progressiste-démocrate du Vermont, en est un exemple frappant : elle a abordé de front la menace de Trump contre l'Ukraine.

« Ce n'est pas une situation normale, et malheureusement, la grande majorité des démocrates agissent comme si c'était le cas… le programme Musk-Trump est un programme fasciste et le programme Musk-Trump-Poutine est un programme fasciste mondial. »

Elle a ajouté : « Il est important pour moi personnellement [en tant qu'Ukraino-Américaine] que la guerre en Ukraine se termine par une paix véritable. Cela signifie pas d'occupation, pas d'annexion de territoire ; cela signifie que les troupes russes rentrent chez elles. Cela ne signifie pas prendre le peuple ukrainien en otage pour des ressources. »

Résister au programme Trump-Poutine ne se limitait pas à défendre les droits des UkrainienNEs : « Ceux /celles qui pensent que ce programme ne les menace pas se trompent ; il nous menace touTEs. Il menace notre société et notre climat. »

Pour Vyhovsky, la seule réponse possible est de « construire un réseau mondial de solidarité. Les oligarques, les milliardaires et (à vrai dire) les mafieux qui ont pris le contrôle du gouvernement américain ont des connexions dans le monde entier […]. Ils ont pour projet de se partager le monde, en le considérant à travers le prisme du capital, comme s'il s'agissait uniquement d'actifs. »

« Nous devons mettre un terme à cela. Et nous le pouvons, en développant la solidarité internationale de la classe ouvrière et en nous rappelant que nous sommes liés. Ce qui arrive à l'Ukraine nous concerne tous. »

Li Andersson

L'euro-députée finlandaise Li Andersson a mené le débat sur une politique de défense progressiste : comment fournir simultanément à l'Ukraine les armes dont elle a besoin pour expulser l'envahisseur russe et pour la défense des pays menacés par les ambitions de Poutine, tout en n'adhérant pas à la logique militariste du plan de 800 milliards d'euros de la Commission européenne pour les « dépenses de défense », récemment lancé sous couvert de « soutien à l'Ukraine ».

Un point clé soulevé par Andersson était la nécessité d'une politique de défense progressiste qui rejette les objectifs de dépenses de défense fixés en proportion du produit intérieur brut : « Je pense vraiment que fixer un tel objectif est une façon absurde de mesurer les capacités de défense. Les dépenses de défense ne devraient pas être fondées sur des objectifs abstraits, mais sur les besoins et les priorités. »

Il y a eu, par exemple, des moments où la Finlande a dû acheter de nouveaux avions. Dans ce cas, les dépenses de défense augmentent. Une fois l'investissement réalisé, cependant, elles peuvent et doivent être réduites, même en dessous de l'objectif de 2 % fixé par l'OTAN.

La séance plénière sur le thème « Quelle paix ? » a vu les interventions de l'eurodéputé vert français Mounir Satouri(président de la sous-commission des droits de l'homme du Parlement européen) et du député danois de l'Alliance rouge-verte Søren Søndergaard. Tous deux se sont concentrés sur les conditions nécessaires pour qu'un règlement juste de la guerre contre l'Ukraine puisse au moins être envisagé.

Pour Søndergaard, une paix juste était impensable sans la défaite de l'invasion de Poutine et l'implication de l'Ukraine dans les négociations sur son propre avenir : quels que soient les accords de cessez-le-feu que l'Ukraine pourrait être obligée d'accepter dans l'intervalle, le soutien militaire des pays de l'UE devrait être maintenu et augmenté si l'administration Trump réduisait ou même mettait fin à son soutien à l'Ukraine.

Des militantEs ukrainienNEs inspiréEs par la solidarité

La conférence a été marquée par la participation de dirigeantEs et d'activistes du mouvement social ukrainien, le deuxième plus grand contingent présent après les Belges locaux.

Les interventions comme celles de l'avocat du travail Vitaliy Dudin (activiste du Mouvement social ukrainien de gauche), Oksana Slobodiana (leader du syndicat des travailleurs de la santé Be Like Us), le leader des travailleurs du bâtiment Vasyl Andreiev (vice-président de la Fédération des syndicats d'Ukraine, majoritaire) et Yuri Levchenko (leader du Pouvoir populaire, initiative pour construire un parti ukrainien du travail), ont fait ressortir avec force les souffrances et les sacrifices impliqués dans la résistance à l'invasion russe.

Ce fardeau repose en grande partie sur les épaules des travailleurEs ukrainienNEs.

L'importance de la solidarité de la classe ouvrière et des syndicats avec le mouvement ouvrier ukrainien a été le fil rouge de la conférence et a fait l'objet d'une attention particulière lors d'une session qui a réuni Sacha Ismail, responsable de liaison syndicale de l'USC (Angleterre et Pays de Galles), Cati Llibre(vice-présidente de l'Union générale des travailleurs de Catalogne) et Félix Roux de la confédération syndicale radicale française Solidaires.

Le thème le plus abordé ensuite était celui de la lutte féministe en Ukraine et le rôle des femmes dans la reconstruction du pays. Yvanna Vynna, de l'organisation féministe Bilkis, a présenté de manière mémorablele rôle de son organisation, qui soutient simultanément l'effort de défense et la lutte pour les droits des femmes.

La lutte continue pour la défense des libertés civiles, notamment dans les territoires occupés, a été traitée par Mykhailo Romanov, représentant du Groupe de protection des droits de l'homme de Kharkiv, et Bernard Dréano, président du Centre d'initiatives et d'études sur la solidarité internationale, basé en France, et initiateur de la pétition People First (exigeant la libération de tous les captifs résultant de l'invasion russe).

Un message important a été transmis lors d'un atelier par des opposants russes exilés à la guerre de Poutine. Maria Menshikova, correspondante du magazine interdit Doxa, Dmitrii Kovalev (Gauche pour une paix sans annexions)et Viktoria (représentante de la Résistance féministe anti-guerre) ont touTEs souligné que toute victoire de « l'opération militaire spéciale » de Poutine serait une défaite pour le mouvement pour les droits démocratiques en Russie même.

Le succès de la conférence s'est mesuré à l'aune de la réaction des participantEs ukrainienNEs. Lors de la séance publique de clôture, Oksana Dutchak, rédactrice en chef de la revue ukrainienne Commons, a comparé son humeur avant et après l'événement : sombre avant, compte tenu des manœuvres de Trump et Poutine visant à « réparer » l'Ukraine à son insu, et inspirée après par la vague de solidarité suscitée lors de la conférence.

La solidarité compte. Après Bruxelles, il s'agit de la renforcer et de mieux la coordonner. Un outil pour y parvenir serale projet de Déclaration de Bruxelles, qui sera adopté dans sa version définitive lors d'une prochaine téléconférence et bientôt ouvert à la discussion et aux amendements.

Traduction de l'anglais par Deepl revue par Catherine Samary.

Compte rendu initialement publié le 10 avril sur le site de l'Anticapitaliste

Note

1. https://www.greenleft.org.au/content/brussels-conference-lifts-ukraine-solidarity-higher-plane

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La riposte contre l’assaut MAGA

15 avril, par East Bay Syndicalists Group — ,
Depuis que Trump est revenu au pouvoir et qu'il a fait appel à l'oligarque milliardaire Elon Musk et à son équipe de hackers pour mener une opération de démantèlement de (…)

Depuis que Trump est revenu au pouvoir et qu'il a fait appel à l'oligarque milliardaire Elon Musk et à son équipe de hackers pour mener une opération de démantèlement de nombreux programmes et organes du gouvernement fédéral, le président et son équipe ont lancé une offensive tous azimuts, avec pour but de désorienter l'opposition par un tir de barrage de déclarations scandaleuses, de décrets illégaux, de licenciement de milliers de travailleurs du gouvernement fédéral et de coupes dans le financement des services.

Mercredi 2 avril 2025 / DE : East Bay Syndicalists Group
Source : Publication originale de Z. À diffuser sans restriction.
Traduction Johan Wallengren

Le régime en place poursuit une stratégie conçue pour étourdir, désorienter et submerger les médias et l'opposition en attaquant massivement sur tous les fronts (les maîtres mots sont « flood the zone », pour la surcharge d'information souvent contradictoire, et « shock and awe » pour le choc et la sidération produits par une attaque concentrée). Terroriser jusqu'à la paralysie sous un feu nourri de menaces et de tactiques d'intimidation, tel est le modus operandi. Dans ces conditions, il importe plus que jamais d'insister sur le fait que nous avons le pouvoir de contre-attaquer, à condition de nous organiser et de nous mobiliser de manière à réunir une force collective.

Dans la structure constitutionnelle américaine, le Congrès a le pouvoir d'allouer des fonds, d'adopter des lois et de créer des agences et des conseils administratifs indépendants et une fois que cette autorité a statué, un président ou les membres de son cabinet ne peuvent pas simplement fermer des agences ni rediriger des financements comme bon leur semble. Ce serait illégal. Déjà, la loi de 1974 sur le contrôle des saisies (Impoundment Control Act) exige du président qu'il dépense chaque cent que le Congrès a affecté à un objectif donné. Dans une récente mise en garde adressée à M. Trump, la sénatrice républicaine Susan Collins a eu ces mots : « Tout comme le président ne dispose pas d'un droit de veto direct, il n'a pas la possibilité de choisir les dépenses d'urgence qu'il souhaite engager ». Et cela vaut pour toutes les dépenses que le Congrès affecte à un objectif particulier.

Mais Trump rejette ces dispositions de la Constitution. « Je suis la loi », s'est-il permis de déclarer. L'administration Trump doit maintenant faire face à un nombre considérable de poursuites judiciaires. Les seules poursuites pour licenciement abusif sont susceptibles de coûter de nombreux millions de dollars aux contribuables. Comme l'a dit un avocat spécialisé dans le droit du travail : « Ces licenciements effectués sans respecter la loi auront pour conséquence que des milliers d'employés fédéraux mis à pied pourront réclamer des arriérés de salaire, des intérêts, des avantages sociaux et des frais d'avocat. Lorsque la facture arrivera, elle sera monumentale ».

Les violations de la loi sont une caractéristique intentionnelle du régime MAGA – il s'agit d'une tentative de faire sauter les garde-fous de la constitution américaine – en vue d'établir un pouvoir présidentiel unitaire et autocratique. Comme la constitution américaine n'est pas des plus démocratiques et que le président se trouve en position de décideur en chef, le danger a toujours été là, en latence. Trump a sans doute anticipé les contestations juridiques qui percolent actuellement dans les tribunaux. Un juge fédéral a ordonné la réintégration de milliers d'employés fédéraux dans une cause portée devant la justice par le syndicat des employés fédéraux, l'American Federation of Government Employees. Un autre tribunal a ordonné la réintégration du personnel d'autres organes gouvernementaux dans le cadre d'un procès intenté par les gouvernements des États. Trump a fait appel de cette décision, mais a dû accepter de réembaucher 25 000 personnes qui avaient été licenciées. L'administration MAGA espère pouvoir faire sauter des garde-fous constitutionnels établis de longue date avec l'aide des valets politiques de droite à la Cour suprême et de la veule majorité républicaine au Congrès.

L'intimidation est une autre tactique MAGA. Reuters a rapporté que plusieurs juges fédéraux de la région de Washington avaient reçu des pizzas envoyées anonymement à leur domicile. La police a interprété ces gestes comme « une forme d'intimidation destinée à faire comprendre que l'adresse d'une cible est connue. » Le régime Trump est également en position d'exiger du congrès républicain, qui lui est acquis, entériner ses décisions.

Elon et ses rats musqués prétendent débusquer « corruption, fraude et gaspillage ». Or, Trump a illégalement licencié les chiens de garde indépendants chargés de véritablement faire avec minutie la chasse « à la corruption, à la fraude et au gaspillage ». Au fil des ans, le Congrès a mis en place divers conseils administratifs dont les mandats peuvent déborder des quatre années des mandats présidentiels, le but visé étant de protéger leur indépendance. Le Conseil national des relations du travail (National Labor Relations Board, NLRB), par exemple, peut offrir une certaine protection aux travailleurs, comme la réintégration s'ils sont mis à la porte pour avoir « parlé syndicat ». Or, Trump a illégalement licencié un membre du NLRB et nommé à sa place un hacker antisyndical. Trump a également émis un décret illégal privant de nombreux employés fédéraux de droits syndicaux ou de négociations collectives. Selon Labor Notes, « les premières estimations indiquent que cette mesure concerne 700 000 à 1 million de travailleurs fédéraux, notamment au sein de l'Administration des anciens combattants (U.S. Department of Veterans Affairs, VA) et dans les départements de la défense, de l'énergie, de l'État, de l'intérieur, de la justice, du Trésor, de la santé et des services sociaux, et même de l'agriculture. » Cette attaque n'est pas sans rappeler le coup de force de Reagan contre le syndicat des contrôleurs aériens en 1981. Pour l'instant, Trump ne s'en est pas pris aux syndicats de la poste. Or, le demi-million de travailleurs postaux constitue la plus grande force de travail syndiquée du gouvernement fédéral.

L'opération de démolition de Trump-Musk a également visé le Conseil de protection financière des consommateurs (Consumer Financial Protection Board), qui a veillé à restituer des millions de dollars à des personnes qui s'étaient vu imposer des frais bancaires illégaux ou avaient été victimes d'autres escroqueries de la part d'entreprises. Un juge est intervenu pour bloquer ces mesures, mais Trump fait appel de ces décisions judiciaires. Trump s'est aussi emparé illégalement de la poste en limogeant le conseil d'administration de l'US Postal Service.

Les licenciements ont déjà des effets néfastes. Le nouveau patron placé par Trump à la tête de la VA, Doug Collins, prévoit supprimer 80 000 emplois au sein de l'administration des vétérans. Parmi les mille premiers employés de la VA qui ont perdu leur emploi se trouvaient « des employés travaillant sur les traitements pour les vétérans atteints de cancer, ayant des problèmes respiratoires, vivant avec des membres manquants ou souffrant d'une addiction aux opioïdes ». Le ministère de l'Agriculture a été contraint de réembaucher 6 000 employés qui avaient été démis de leurs fonctions, principalement des agents d'entretien des forêts du Service des forêts (Forest Service), après qu'un organisme public défendant les droits des fonctionnaires américains, le Merit Systems Protection Board, a ordonné leur réintégration. Parallèlement, Leland Dudek – le nouveau patron de la sécurité sociale (Social Security Administration, SSA) désigné par Trump – prévoit licencier la moitié des 60 000 employés de cette administration et de fermer de nombreux bureaux de sécurité sociale. Il sera donc très difficile pour les personnes qui viennent de partir à la retraite de s'acquitter des formalités pour recevoir leurs paiements ; les temps d'attente dans les bureaux de la sécurité sociale deviendront insupportables. Le sous-financement des services est utilisé par les administrations de droite pour diminuer le soutien du public et préparer le terrain à la privatisation. Or, la privatisation de la sécurité sociale est un objectif de Wall Street depuis des décennies.

Une autre mesure illégale est le décret de Trump qui exigerait une pièce d'identité avec photo conforme aux normes dites « Real ID » pour pouvoir voter. L'obtention d'une telle pièce d'identité nécessite des documents que certains ne possèdent pas, ainsi qu'un déplacement au bureau des immatriculations (Department of Motor Vehicles, DMV), ce qui peut s'avérer coûteux pour des personnes démunies. Cela constituerait une violation de l'amendement constitutionnel interdisant l'imposition d'une taxe de vote. Le décret est illégal, car ce sont les États qui déterminent les conditions d'admission au vote. Comme d'autres mesures de suppression des votes, il s'agit d'une tentative d'enracinement du pouvoir républicain. Les républicains ont également présenté au Congrès la loi SAVE (Safeguard American Voter Eligibility), qui pourrait priver des millions de personnes de leur droit de vote faute de pouvoir accomplir les formalités exigées.

Les diatribes contre l'« État profond » masquent des attaques contre les services publics.

En tant qu'anarcho-syndicalistes, nous sommes opposés à l'État bureaucratique à hiérarchie verticale. D'une part, l'État est un vecteur d'oppression des travailleurs – par la subordination des travailleurs à la hiérarchie managériale descendante de l'État. Mais nous ne sommes pas opposés aux services publics ; au contraire, nous voulons qu'ils soient étendus – comme l'éducation gratuite pour les étudiants à tous les niveaux, les soins de santé universels gratuits pour tous et l'avortement gratuit sur demande. Dans notre vision des choses, les hôpitaux, les cliniques et les usines de médicaments du pays seraient autogérés par le biais d'un organisme démocratique contrôlé par les travailleurs, et non par une bureaucratie managériale à hiérarchie descendante. Nous envisageons que les services postaux soient également gérés par une organisation du personnel démocratique et contrôlée par les travailleurs. De façon générale, nous sommes favorables à une réorganisation de l'ensemble de l'économie sur la base de l'autogestion des travailleurs – avec une prise de décision distribuée – unie dans une fédération sociale en remplacement des grandes entreprises et l'État bureaucratique à hiérarchie descendante.
Nonobstant les dénonciations MAGA d'un supposé « État profond » opérant dans l'ombre, l'offensive est une attaque directe contre les services publics fournis par le gouvernement fédéral – de la « pension du peuple » (sécurité sociale) aux services médicaux fournis par l'AV ou le programme d'assurance-maladie Medicaid, en passant par les aides financières aux étudiants. Les personnes limogées, loin d'appartenir à quelque obscur centre décisionnel, sont les travailleurs censés faire le travail et fournir les services publics auxquels les Américains devraient normalement pouvoir s'attendre.

Depuis plus d'un siècle, le personnel politique qui dirige le gouvernement fédéral joue le rôle de médiateur entre les revendications de la classe moyenne et de la classe ouvrière, d'une part, et l'oligarchie capitaliste qui est le pouvoir dominant dans ce pays, d'autre part. Les personnes qui dirigent l'État doivent pouvoir être en mesure de gouverner. Réduire le niveau d'agitation sociale et les mouvements de masse rend leur travail moins difficile à exécuter. Ainsi, la sécurité sociale, le salaire minimum légal, les protections juridiques minimales offertes en vue de permettre des recours sur le lieu de travail et une syndicalisation des travailleurs en vertu de la loi nationale sur les relations de travail (National Labor Relations Act) sont autant de concessions obtenues grâce à la rébellion massive de la classe ouvrière – vagues de grèves massives, luttes contre les expulsions et ainsi de suite – au cours des années 1930. Une vague massive de grèves pendant la Première Guerre mondiale pour réclamer la journée de travail de huit heures a permis de rallier le gouvernement à la cause. Les mouvements sociaux, les grèves sauvages et les rébellions urbaines des années 1960-1970 ont permis d'ajouter de nouveaux programmes fédéraux en guise de concessions aux mouvements sociaux de l'époque – tels que les lois sur les droits civiques, Medicare, les lois sur la pureté de l'air et de l'eau et la création de l'Agence pour la protection de l'environnement (Environmental Protection Agency) et de l'Administration de la sécurité et de la santé au travail (Safety and Health Administration). Les diverses « minorités militantes » de la gauche radicale qui se sont illustrées ont joué un rôle important dans l'éducation et l'organisation populaires.

Mais ces dernières années, le mouvement syndical s'est essoufflé. Malgré les efforts prometteurs déployés par les travailleurs au bas de l'échelle pour créer des syndicats, seuls 6 % des travailleurs du secteur privé sont syndiqués. En ajoutant les syndiqués du secteur public, on arrive à un chiffre de 10 % de l'ensemble des salariés.

La gauche radicale aux États-Unis est également très affaiblie. L'autoritarisme et les échecs du socialisme d'État au 20e siècle ont eu tendance à saper le soutien au socialisme, même si certaines factions de la gauche s'accrochent aux idées obsolètes de cette époque.

Une frange de capitalistes américains, avec leurs think tanks et leurs partisans des médias sociaux, considèrent la faiblesse actuelle de la gauche et du mouvement ouvrier comme une opportunité – une opportunité pour un assaut politique majeur contre tous les programmes du gouvernement fédéral résultant des concessions accumulées aux époques précédentes de luttes ouvrières et de mouvements de masse.

Une convergence de courants d'extrême droite

Au cours des dernières décennies, une faction de l'oligarchie américaine a progressivement contribué à financer un mouvement d'extrême droite de masse qui s'est mué en MAGA. Bien que ce mouvement diffère du fascisme classique des années 1920 et 1930, il présente un certain nombre de similitudes frappantes.

Dans les décennies qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale, le fascisme était un mouvement de masse voué à écraser le mouvement socialiste en expansion et le mouvement ouvrier en voie de radicalisation, qui étaient perçus comme une grave menace pour le système capitaliste. La menace néo-fasciste MAGA actuelle diffère de cette forme antérieure de fascisme en ce sens qu'il n'existe pas aujourd'hui de mouvement socialiste fort ou de militantisme ouvrier puissant qui puisse représenter une telle menace actuelle pour le capitalisme.

Mais il y a des similitudes : Par exemple, le recours à l'intimidation et aux menaces de poursuites à l'encontre des « ennemis » perçus et la confiance dans le potentiel d'action violente des groupes d'autodéfense. Selon des sondages récents, 11 % des adultes aux États-Unis jugent légitimes les attaques extraconstitutionnelles violentes contre des ennemis politiques présumés. Ce même sondage a révélé que 14 % des personnes interrogées soutiennent la violence armée extraconstitutionnelle et sont donc même favorables aux grâces accordées aux personnes condamnées pour violence lors de l'attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole des États-Unis. En outre, 14 % d'entre eux sont également en faveur du fait que Trump passe outre la constitution américaine existante en refusant de reconnaître l'autorité des tribunaux ou l'État de droit, définissant ainsi la présidence comme un pouvoir autocratique. Ce sont là des vues explicitement fascistes.

Tout comme le mouvement MAGA a été financé par des secteurs du capital privé de diverses manières, les mouvements fascistes antérieurs ont souvent bénéficié d'un financement initial ou d'un soutien de la part d'éléments de l'élite capitaliste. La classe des petites entreprises représente le principal groupe d'électeurs de masse du mouvement MAGA, comme cela était également le cas pour les mouvements fascistes classiques.

Le mouvement MAGA fait souvent des allégations absurdes en prétendant que le régime réglementaire modéré appliqué par le parti démocrate est « socialiste » ou « communiste ». Pourquoi ? Pour l'expliquer, il faut examiner les tendances idéologiques qui ont convergé dans le mouvement MAGA. L'opposition extrémiste à l'utilisation du gouvernement comme moyen de protéger la société en réglementant les activités destructrices du capital ou en fournissant des systèmes de prestations sociales a une longue histoire aux États-Unis. Le mot liberal (libéral) est initialement apparu aux États-Unis en tant que terme politique pour désigner une nouvelle faction du parti républicain dans les années 1870. Les « libéraux » critiquaient les gouvernements républicains du Sud, dirigés par des Noirs, qui tentaient de fournir des terres et des services (comme des écoles) à la population noire récemment libérée. Les libéraux s'opposaient à toute action gouvernementale visant à fournir des prestations publiques ou à toute loi visant à réglementer le travail, comme les lois sur les huit heures ou le travail des enfants. L'un des partisans les plus connus de ce point de vue est William Graham Sumner, professeur à Yale, qui a acquis une large audience grâce à ses essais populaires. Sumner s'opposait à toute aide sociale en faveur des personnes qu'il jugeait « faibles » ou « inférieures » – les pauvres, la classe ouvrière, les Noirs, les femmes. Pour Sumner, la concurrence vue comme une lutte à mort (« dog eat dog ») du capitalisme de laissez-faire était « l'ordre naturel » dans lequel la « lutte pour l'existence » devait se déployer.

Cette forme extrême de libéralisme de laissez-faire concernait une faction minoritaire du parti républicain dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1960, Murray Rothbard et d'autres ont décidé de remettre cette ancienne forme de libéralisme au goût du jour et de la désigner comme libertarienne (« libertarian »). C'est de ce mode de pensée que découle l'affirmation MAGA selon laquelle les systèmes de prestations publiques et la réglementation du capitalisme sont « socialistes » ou « communistes ». Pour certains républicains, seul le laisser-faire, la « lutte de tous contre tous », est le « vrai » capitalisme. Cette opposition extrémiste à toute réglementation gouvernementale séduit une grande partie de la classe des petites entreprises qui craignent le poids des réglementations gouvernementales et détestent les syndicats. Mais certains éléments de l'oligarchie capitaliste ont également considéré les systèmes de prestations élargies et les réglementations environnementales des années 1960 et 1970 comme une « attaque contre le système de la libre entreprise » – ce dont fait foi le célèbre mémo de Lewis Powell en 1971, alors qu'il était l'un des dirigeants de la Chambre de commerce.

Dans la forme extrême du « libertarianisme », comme l'« anarcho-capitalisme » de Rothbard, la proposition consiste à supprimer la démocratie et à privatiser les fonctions de l'État, comme la propriété directe de la police et des tribunaux par l'oligarchie capitaliste. Cette fusion du pouvoir privé et public rend cette idéologie néo-féodale. La séparation d'un domaine public géré par un gouvernement « démocratique » et des libertés civiles est un élément clé qui différencie le capitalisme du 19e siècle de la société féodale qui l'a précédé.

La philosophie néo-fasciste des « lumières obscures » de Curtis Yarvin, élaborée au début des années 2000, est une évolution de ce milieu « anarcho-capitaliste » – particulièrement présent dans l'environnement techno-capitaliste californien. Yarvin considère l'évolution libérale vers l'État régulateur comme l'« échec » de l'humanisme des Lumières et du libéralisme. Celui-ci est ingénieur en logiciel et philosophe pour le PDG milliardaire de Palantir, Peter Thiel. Il propose de supprimer la démocratie et de réorganiser le monde en un univers néo-féodal et multipolaire d'autocraties contrôlées directement par l'oligarchie et dirigées par des autocrates de type PDG. Dans son plaidoyer en faveur de la « science de la race », il est aussi explicitement raciste.

Le soutien financier de Peter Thiel a joué un rôle important dans la carrière politique de JD Vance. Vance et Musk sont tous deux des adeptes de l'idéologie de Yarvin. L'opération de démolition de Musk au sein du gouvernement fédéral peut être considérée comme une tentative de mettre en œuvre le plan RAGE (Retire All Governmental Employees) de Yarvin visant à mettre à pied tous les employés gouvernementaux. Dans d'autres déclarations, Musk a admis que DOGE n'avait pas pour but d'économiser de l'argent mais de « détruire une base de pouvoir pour le libéralisme ».

Pete Hegseth a son engagement idéologique gravé dans la peau, comme le montrent ses tatouages nationalistes chrétiens. Les nationalistes chrétiens soutiennent le projet 2025, qui prévoit également le licenciement d'un grand nombre de fonctionnaires. C'est là que l'on constate la convergence de diverses idéologies d'extrême droite. Comme mis de l'avant dans un article récent sur un site de la droite religeuse américaine, le nationalisme chrétien est « la notion anti-démocratique selon laquelle l'Amérique est une nation par et pour les chrétiens exclusivement. Le nationalisme chrétien est une idéologie qui contribue à la pratique de la droite religieuse consistant à contourner les lois et les réglementations visant à protéger une démocratie pluraliste, telles que les protections contre la discrimination envers les personnes LGBTQI+, les femmes et les minorités religieuses. L'idéologie patriarcale de la droite religieuse est à la base de la guerre contre l'avortement.

Le mouvement MAGA diffère du fascisme des années précédant la Seconde Guerre mondiale par sa volonté de contrôle direct du pouvoir d'État par des éléments de l'oligarchie capitaliste. Non seulement le régime parachute l'homme le plus riche du monde pour « faire exploser l'État administratif », mais le cabinet Trump compte 13 milliardaires. Cela correspond davantage à l'idéologie « anarcho-capitaliste » enracinée dans l'ère du capitalisme des barons voleurs de l'âge d'or de la fin des années 1800.

Il n'en demeure pas moins que la stigmatisation de minorités (on pense notamment à l'acharnement obsessionnel contre les personnes transgenres), les attaques contre les immigrants, le racisme et la misogynie (à peine voilés) du mouvement MAGA sont similaires au fascisme classique, tout comme les méthodes d'intimidation et les menaces de poursuites de l'État contre les « ennemis » politiques. La suppression des termes « justice climatique » et « DEI » (diversité, équité et inclusion) des sites web fédéraux est une forme de novlangue à la Orwell.

Les États-Unis ont été fondés sur une idéologie de suprématie blanche qui justifiait l'asservissement des populations africaines et l'accaparement des terres par la spoliation des communautés autochtones. Cette idéologie a profondément marqué les esprits de la population blanche des États-Unis. Du mouvement abolitionniste du 19e siècle au mouvement pour la liberté des Noirs des années 1960, les pratiques racistes systémiques ont été combattues sur une longue période.

Cependant, les progrès réalisés en ce qui concerne l'amélioration des opportunités pour les groupes non blancs aux États-Unis – en matière d'embauche, de prêts bancaires ou d'éducation – ont été mal perçus par une fraction non négligeable de la population blanche, et le mouvement MAGA attire ces personnes. De nombreux partisans MAGA décrivent ces efforts comme du « racisme contre les Blancs ». L'embauche d'une femme ou d'une personne de couleur noire peut être délégitimée parce qu'on lui attribue une « origine DEI ». Le racisme est également implicite dans la haine des systèmes de prestations publiques qui pourraient bénéficier à « ces gens-là » (les groupes méprisés par le noyau dur MAGA). L'idéologie suprématiste blanche était explicite dans le récent décret de Trump attaquant le complexe muséal Smithsonian Institution de Washington. Trump s'en est particulièrement pris à une exposition intitulée The Shape of Power : Stories of Race and American Sculpture (La forme du pouvoir : histoires de race et de sculpture américaine) et en particulier à cette phrase : « La race est une invention humaine ». Trump aurait en particulier déclaré que cette exposition « promeut l'idée que la race n'est pas une réalité biologique mais une construction sociale ». Pour lui, mettre le doigt sur la réalité du racisme, du sexisme ou d'autres formes d'oppression serait errer par « révisionnisme historique », selon ses propres mots. À n'en point douter, la race est une invention. L'élite coloniale en Amérique du Nord a conçu l'idée d'une division entre « race blanche » et « race noire » à la fin du 17e siècle pour justifier la mise en place d'un système d'esclavage à vie réservé aux personnes d'ascendance africaine. Or, les organisations professionnelles de biologie et d'anthropologie se sont prononcées sur la question de la race, considérant que ce concept repose sur une pseudo-science, la notion de race biologique n'ayant aucun fondement empirique. Il s'agit d'un mythe créé pour servir les intérêts des colonisateurs et des propriétaires de plantations exploitant des esclaves.

Le ministère de la défense, sous la direction de Pete Hegseth, dans le cadre de sa croisade anti-DEI, a pris l'initiative de supprimer des milliers de pages de texte et d'images de femmes, de Navajos, d'Américains d'origine japonaise et de militaires noirs des sites web du gouvernement (certaines de ces pages ont été rétablies sous la pression de l'indignation populaire). Le secrétaire de presse du Pentagone, John Ullyot, a déclaré ce qui suit à NBC News : « La notion d'IED est morte au Département de la Défense (Defense Department). L'idéologie discriminatoire de l'équité est une forme de marxisme culturel « woke »qui n'a pas sa place dans notre armée. Elle divise la force, érode la cohésion de l'unité et interfère avec la mission principale de combat de nos forces ». Le « marxisme culturel » est une théorie du complot néo-fasciste antisémite qui considère qu'un petit groupe d'intellectuels marxistes (l'École de Francfort) est en quelque sorte responsable des soulèvements urbains, des luttes pour les droits civiques et des mouvements sociaux des années 1960. Pour ce qui est de « diviser la force », c'est ce que font le racisme et la misogynie.

Bien que le mouvement MAGA qui s'est aggloméré autour de Trump présente des caractéristiques néo-fascistes, le régime Trump opère toujours – plus ou moins – dans le cadre de la structure gouvernementale américaine héritée du passé et n'a pas complètement mis en œuvre une autocratie gouvernementale fasciste. De fait, nous constatons une certaine résistance de la part des juges et des gouvernements des États et des collectivités locales. Et des manifestations de rue anti-MAGA ont lieu dans tout le pays.

L'attaque MAGA contre la transition écologique

La lutte contre le réchauffement climatique est essentielle pour veiller à ce qu'une planète vivable soit léguée aux générations futures. Le réchauffement climatique est en bonne partie généré en brûlant des combustibles fossiles. À mesure que la pollution due aux combustibles fossiles cuit la planète, les meurtrières vagues de chaleur et tempêtes se feront de plus en plus fréquentes et puissantes, et le niveau des mers s'élèvera. L'un des objectifs généraux visé par le mouvement pour la justice climatique est de parvenir à des émissions de dioxyde de carbone nettes nulles d'ici à 2050. Mais le secrétaire à l'énergie de Trump, Chris White, juge que le « Net Zero 2050 » est un « objectif sinistre ». Trump a qualifié le réchauffement climatique de « canular ».

L'industrie des combustibles fossiles et ses think tanks généreusement dotés constituent un autre fil conducteur de l'idéologie néo-fasciste contemporaine. De fait, l'extrême droite s'attaque au consensus scientifique qui fournit des informations sur l'urgence que constitue le problème du réchauffement climatique et soutient l'objectif de l'industrie des combustibles fossiles de continuer à tirer profit de la production d'émissions qui font cuire la planète. Et ce n'est pas là une position exclusivement MAGA. Le parti néo-fasciste Alternativ für Deutschland, en Allemagne, se chauffe du même bois.

L'administration Trump s'est engagée dans une virulente offensive d'envergure contre le mouvement opposé à la pollution par les combustibles fossiles et en faveur de la transition verte. Le régime MAGA voit au licenciement de milliers d'employés chargés de surveiller l'évolution de la pollution et de collecter des données pour l'Agence de protection de l'environnement (Environmental Protection Agency, EPA), l'Administration nationale océanique et atmosphérique (National Oceanic and Atmospheric Administration), ainsi que d'autres organes gouvernementaux. Selon un rapport récent, les abolitions de postes prévues à l'EPA élimineront le bureau de recherche scientifique et pourraient « supprimer les emplois de plus de 1 000 scientifiques et autres employés contribuant à fournir les bases scientifiques des règles protégeant la santé humaine et les écosystèmes contre les polluants environnementaux ». Seraient visés plus d'un millier de chimistes, de biologistes, de toxicologues et d'autres scientifiques, soit 75 % du personnel du programme de recherche.

La loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act, IRA) a constitué un premier pas imparfait sur la voie d'une transition verte, sur le chemin vers la substitution des énergies renouvelables aux combustibles fossiles. Ces jours-ci, le régime Trump cherche par des moyens illégaux à empêcher que des subventions soient distribuées dans le cadre de l'IRA pour financer des programmes prévoyant des aides pour les installations solaires dans des communautés à faible revenu et le remplacement des systèmes de chauffage au gaz par des pompes à chaleur. Du Maine à l'Alaska, des projets visant à réduire les émissions de dioxyde de carbone des flottes de pêche grâce à des systèmes de réfrigération plus efficaces se voient désormais privés du financement qui leur avait été promis. Le régime MAGA a également retiré les États-Unis d'un fonds international destiné à indemniser les pays les plus pauvres pour les dommages causés par le réchauffement climatique.

Le régime MAGA a également pris des mesures pour éliminer les chargeurs de véhicules électriques sur les lieux des bâtiments gouvernementaux. Comble de la folie, le FBI a gelé le compte bancaire d'Habitat for Humanity (Habitat pour l'humanité), l'accusant, ainsi que plusieurs autres institutions telles que la DC Green Bank (banque verte de Washington), de « conspiration visant à frauder le gouvernement » en obtenant des subventions dans le cadre de l'IRA. Le raisonnement est que si Habitat for Humanity souhaite utiliser les fonds distribués pour améliorer l'efficacité des habitations ou installer des panneaux solaires ou des pompes à chaleur, il s'agit d'une « fraude », eu égard à l'a priori que le réchauffement climatique serait un « canular ». Ces poursuites du FBI seront probablement rejetées par les tribunaux. La juge fédérale Tanya Chutkan a déjà exigé des preuves de fraude ou d'illégalité. Mais en attendant, les organismes visés devront dépenser de l'argent en frais de justice ; il s'agit donc d'une forme d'intimidation.

La Pax Americana dynamitée

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis – puissance impérialiste dominante au plan mondial– ont régné comme un hégémon. Dans l'histoire antérieure, les empires se construisaient par la conquête militaire, le colonialisme et les barrières commerciales mercantilistes ayant pour fonction de conserver le butin impérial pour soi et d'en priver les autres pays.

Mais les États-Unis ont créé un nouveau type d'impérialisme. Durant les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, l'élite capitaliste américaine et sa nomenklatura n'ont pas ménagé leurs efforts pour conclure des pactes commerciaux et des alliances militaires afin d'intégrer les autres élites capitalistes dans un système supervisé par les États-Unis. Les États-Unis ont également construit une marine très puissante et un vaste réseau de bases militaires dans le monde entier. L'OTAN, en tant qu'alliance, a servi à sécuriser le capitalisme d'Europe occidentale par la protection militaire américaine. Cela a permis aux pays capitalistes européens de dépenser moins d'argent pour développer leur force militaire. Du fait que les puissances européennes et d'autres pays achetaient des équipements militaires construits aux États-Unis, les coûts des nouveaux systèmes d'armement étaient répartis entre plusieurs pays et les États-Unis y ont beaucoup gagné en créant ainsi une énorme industrie nationale de l'armement. Cela aurait été beaucoup plus coûteux pour les États-Unis s'ils avaient dû faire cavalier seul.

Une caractéristique étrange du régime MAGA est la façon dont il fait voler en éclats la Pax Americana. Une faction de l'oligarchie américaine semble être arrivée à la conclusion que c'est « trop cher ». Ils ne se rendent pas compte que la richesse et le pouvoir du régime capitaliste américain depuis la Seconde Guerre mondiale ont été construits sur l'agrégat de ce réseau complexe d'alliances militaires et de relations commerciales. Ils envisagent un retour à une ère antérieure où le chacun pour soi régnait parmi les puissances impérialistes. Les pressions MAGA exercées pour que les États-Unis fassent cavalier seul semblent refléter à la fois la crise du capitalisme mondialiste américain et la mentalité insulaire de « l'Amérique d'abord » (America First), ainsi que la vision de Curtis Yarvin d'un monde multipolaire d'autocraties contrôlées directement par l'oligarchie locale.

L'attaque du régime MAGA contre la Pax Americana prend diverses formes – de l'utilisation mafieuse par Trump des menaces de tarifs douaniers comme arme d'intimidation et de l'instrumentalisation de ceux-ci pour battre en brèche les relations avec les principaux partenaires commerciaux des États-Unis (Canada, Mexique et Europe) aux menaces de conquêtes impérialistes du Groenland et du canal de Panama, en passant par la destruction des programmes d'aide humanitaire de l'USAID, le discours de retrait de l'OTAN et de la fin à la participation à la défense de l'Europe et la volonté de Trump d'abandonner l'Ukraine à la conquête impérialiste de Poutine.

En tant qu'anarcho-syndicalistes, nous sommes des opposants à l'impérialisme américain. Nous proposons plutôt un internationalisme de solidarité transfrontalière de la classe ouvrière. C'est pourquoi nous nous joignons aux syndicats, aux socialistes et aux anarchistes ukrainiens pour soutenir la résistance militaire de l'Ukraine face à la quête impérialiste de Poutine de conquérir l'Ukraine. Nous suivons en cela l'exemple du militant anarchiste Errico Malatesta qui a soutenu la résistance arabe à la conquête par l'Italie de la Libye en 1911.

L'USAID a été une forme relativement peu coûteuse du « soft power » américain qui a permis d'acheter le soutien d'organisations et de pays par le biais de ses programmes d'assistance médicale et alimentaire. La gauche radicale a longtemps critiqué la façon dont l'USAID a été utilisée pour soutenir des groupes antisocialistes et des syndicats de droite. Mais la destruction des programmes d'assistance médicale et alimentaire de l'USAID par la bande de démolisseurs de Musk a des conséquences destructrices pour les pauvres dans les camps de réfugiés et ailleurs. L'annulation de 5 000 contrats avec des organisations à but non lucratif luttant contre le SIDA en Afrique signifie que des personnes séropositives n'auront plus accès à des médicaments rétroviraux empêchant cette maladie de se développer. Des gens vont mourir à la suite de l'arrêt soudain de l'aide médicale et alimentaire.

L'éclatement du système d'alliances et des relations commerciales établies sera très destructeur pour les États-Unis. L'industrie américaine de l'armement perdra de nombreux contrats lucratifs. Le Portugal a récemment annulé ses achats d'avions de chasse F-35, par exemple, ce qui entraînera des licenciements. Les mesures de rétorsion et les boycotts de consommateurs, que ce soit au Canada ou en Europe, entraîneront une baisse des échanges commerciaux et les droits de douane imposés par Trump feront augmenter les prix. Les droits de douane sont payés par les importateurs américains, qui répercuteront les coûts. Les droits de douane élevés sur les importations de l'industrie automobile en provenance du Mexique et du Canada entraîneront une hausse considérable des prix des voitures.

Les républicains vont affirmer que l'augmentation des prix des importations stimulera la production américaine. L'idée est qu'un prix plus élevé pour les produits importés les rend moins compétitifs par rapport aux produits fabriqués aux États-Unis. Mais les installations de production sont un investissement coûteux qui ne peut être rentable qu'à long terme. Les droits de douane peuvent être facilement supprimés à l'avenir et n'offrent donc pas aux investisseurs de garantie suffisante pour faire des investissements massifs.

Le licenciement de milliers d'employés fédéraux contribuera à réduire la demande des consommateurs. Si l'on ajoute à cela la perte de contrats militaires et l'inflation due aux droits de douane, une récession est très probable.

Se mobiliser pour une riposte efficace

Trump et son équipe ont poursuivi une stratégie de choc et de sidération (« shock and awe ») caractérisée par un flux constant d'attaques ciblant de nombreux groupes différents – de la rafle illégale d'immigrants légaux titulaires d'une carte verte à l'interdiction illégale des droits syndicaux pour les travailleurs fédéraux, en passant par le licenciement de milliers de ces travailleurs, la propagande anti-DEI visant à reconstruire la suprématie blanche, les attaques contre les personnes trans, les assauts contre les soins de santé pour les anciens combattants, l'interdiction de l'avortement et le fait de semer la peur parmi des millions d'Américains relativement à leur accès à la sécurité sociale ou au financement des soins de santé. Cette stratégie de raz de marée (« flood the zone ») est conçue pour exploiter les divisions sociales et désorienter l'opposition potentielle.

Mais cette stratégie présente un risque majeur pour le régime MAGA. Tomber à bras raccourcis sur autant de groupes en même temps revient à les inciter a se regrouper, à bâtir des coalitions et à en appeler à la solidarité de chacun pour créer un front de résistance plus large susceptible de prendre de l'ampleur. Avec les licenciements massifs de travailleurs fédéraux et l'anéantissement de leurs droits syndicaux légaux, cette démonstration de pouvoir par ce régime autoritaire contrôlé par des milliardaires constitue également une menace pour l'ensemble de la classe ouvrière, et ce de diverses manières.

Une stratégie pour construire une contre-attaque efficace nécessite des efforts d'organisation et d'éducation populaire, pour gagner la « bataille des idées » et contrer la machine médiatique de droite. La propagande MAGA prétend que son camp se bat pour la « liberté ». Faisons remarquer que l'objectif visé est de maximiser la « liberté » des capitalistes de traiter leurs travailleurs comme ils l'entendent, de polluer en toute impunité et de piller le trésor fédéral pour leur propre enrichissement. Or, cela signifie une attaque contre notre liberté – la liberté sur le lieu de travail, la liberté d'organisation, la liberté de dissidence.

Un élément utile de la stratégie tirée de l'expérience des organisateurs syndicaux est l'idée de montée en puissance. On entend par là qu'on ne peut pas s'attendre à ce que la résistance atteigne une intensité maximale dès départ, mais que nous nous efforçons de stimuler le potentiel d'intervention et de perturbation en vue d'une mobilisation progressive. Nous voyons déjà les signes d'une opposition croissante. Des groupes se sont formés et sont descendus dans la rue partout au pays, comme on l'a vu avec le mouvement Indivisible (indivisible.org), parmi d'autres. Des rassemblements sont organisés devant les concessionnaires Tesla et des appels au boycott de cette marque sont lancés. Il y a également eu des débrayages d'étudiants et des actes de résistance communautaire aux raids des forces policières de l'autorité de l'immigration et des douanes (Immigration and Customs Enforcement, ICE).

Par la suite, il s'agira de constituer des coalitions réunissant un plus grand nombre de groupes pour élaborer un programme commun répondant à leurs diverses préoccupations. Les personnes LGBT, les travailleurs du gouvernement fédéral, les défenseurs de l'environnement préoccupés par le réchauffement climatique, les communautés d'immigrés et d'autres groupes ont intérêt à miser sur les possibilités de riposte.

Une fois que les gens commencent à participer à des manifestations ou à des réunions, ils ont à cœur de trouver des modes d'action plus efficaces. Faire les premiers pas dans cette direction peut les aider à dépasser la peur que le régime MAGA tente d'instiller pour faire taire les gens.

Dans une stratégie d'escalade, l'idée est d'utiliser des tactiques plus faciles ou moins effrayantes pour initialement galvaniser les gens et vaincre la passivité ou la peur. L'étape suivante consiste à passer à des formes de perturbation, telles que l'occupation de bureaux pour interrompre les activités courantes, l'occupation d'un concessionnaire Tesla ou un débrayage d'une journée seulement.

C'est en créant de la perturbation que la classe ouvrière commence à exercer son pouvoir potentiel. Le pouvoir ultime de la classe ouvrière réside dans sa capacité à faire fermer des lieux de travail – en rendant inopérants les organismes gouvernementaux ou en empêchant les bénéfices de remplir les caisses des entreprises. Les mouvements de grève atteignent leur plein potentiel lorsqu'ils prennent la forme d'une grève générale, les travailleurs ayant construit des réseaux intersyndicaux et intersectoriels sur lesquels prendre appui pour affirmer le pouvoir de la classe ouvrière à l'échelle de la société. Avec un régime très répressif au pouvoir, les fonctionnaires au sommet de l'échelle de rémunération sont susceptibles de craindre toute action perturbatrice qui violerait les dispositions contractuelles ou menacerait directement l'État. La solution à ce problème réside dans l'organisation de la base et la création de comités et de réseaux indépendants des plus hauts représentants syndicaux. Dans une situation où les dirigeants des syndicats fédéraux sont déjà terrorisés par le régime Trump, les travailleurs fédéraux construisent déjà des réseaux intersyndicaux, comme le réseau informel de syndicalistes Federal Unionist Network. Un autre exemple de ce type d'organisation est l'union des travailleurs du secteur ferroviaire Railroad Workers United, qui a vu le jour à la suite de la capitulation des hauts responsables des syndicats de métier des chemins de fer. Une grève générale nationale exercerait une énorme pression en retour sur le régime MAGA. Il est probable qu'un mouvement de ce type devrait provenir de l'organisation et de la motivation de la base.

Un autre élément essentiel de la stratégie à déployer est la vision ou l'objectif – pour motiver les troupes en les poussant dans une certaine direction. Le régime Trump est sans précédent dans l'histoire américaine à bien des égards, mais il profite des points faibles d'une constitution américaine qui trahit son âge et dont les républicains exploitent depuis des années les faiblesses. Étant donné que le mouvement MAGA veut « faire exploser l'État administratif », piétiner la constitution et détruire un siècle de concessions obtenues par la lutte de la classe ouvrière, il ne sera pas facile de remettre la pâte à dents dans le tube.

L'émergence d'une faction de l'oligarchie soutenant le programme « tout faire sauter » du régime MAGA et le projet de pillage de l'État constituent en eux-mêmes un symptôme d'un capitalisme en crise. La vision d'avenir doit dépasser les limites héritées du cadre capitaliste américain. En tant que syndicalistes verts, notre programme appelle à une accélération rapide du programme de transition verte – arrêt de l'extraction des combustibles fossiles, fermeture progressive des raffineries de pétrole, remplacement du plastique pétrolier par d'autres substances et développement d'une économie verte décarbonée articulée autour des énergies renouvelables. Et tout cela avec des aides à la « transition juste » pour maintenir les revenus, les soins de santé et les garanties de retraite pour les travailleurs n'ayant pu conserver leur poste.

Nous envisageons également l'autogestion– le contrôle direct du processus de travail – des travailleurs, comme ceux des usines fabriquant des poêles électriques, des pompes à chaleur, des panneaux solaires, des autobus et des camions de livraison alimentés par des batteries pour l'économie verte. Notre objectif est d'obtenir un changement fondamental pour évoluer vers une société construite autour de l'autogestion démocratique – où les gens auraient leur mot à dire au sujet des décisions qui les concernent.

Plutôt qu'un État bureaucratique à hiérarchie descendante, nous proposons comme base d'une économie verte l'autogestion par les travailleurs au niveau des secteurs d'activité. Ainsi, nous envisageons que l'industrie pharmaceutique et le secteur des soins de santé soient gérés par une organisation démocratique du personnel opérant à l'échelle de la société – un système où les gens qui font le travail prennent les décisions. Avec des soins de santé universels et gratuits financés par la société, les résultats en matière de santé peuvent être grandement améliorés.

Nous proposons que les secteurs de la communication – tels que ceux des services postaux et des télécommunications – soient gérés par une organisation industrielle contrôlée par les travailleurs, sans propriété capitaliste ni bureaucratie managériale descendante surplombant les travailleurs. Pour que le transport de marchandises sur de longues distances repose sur des bases écologiques saines, nous sommes d'accord avec la campagne « Public Rail Now », qui prône la propriété publique du réseau ferroviaire. Mais nous proposons que le contrôle des chemins de fer soit assuré par des organisations industrielles régionales démocratiquement autogérées par les cheminots. Avec l'électrification des chemins de fer et une politique industrielle favorisant le rail (y compris les camions sur wagons plats) pour le transport de marchandises sur de longues distances, l'industrie du fret est susceptible de fonctionner avec une réduction considérable des émissions de gaz à effet de serre.

Ces considérations ne représentent que certains des éléments de la vision nécessaire pour concrétiser la transformation sociale voulue.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Elon Musk risque de s’enrichir encore plus alors que Trump soutient un budget de 1000 milliards de dollars pour le Pentagone

15 avril, par Amy Goodman, Juan Gonzalez, William Hartung — , ,
Alors que les agences fédérales sont confrontées à des coupes sombres et sont contraintes de supprimer des services essentiels, le président Trump a annoncé qu'il chercherait à (…)

Alors que les agences fédérales sont confrontées à des coupes sombres et sont contraintes de supprimer des services essentiels, le président Trump a annoncé qu'il chercherait à obtenir un budget de 1 000 milliards de dollars pour le Pentagone, un chiffre record qui marquerait le niveau le plus élevé des dépenses de défense des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. William Hartung, chercheur principal au Quincy Institute for Responsible Statecraft, qualifie le budget promis de « complètement inutile » et affirme que « les fabricants d'armes seraient presque les seuls bénéficiaires ». M. Hartung évoque également l'influence politique croissante des startups de la Silicon Valley spécialisées dans les technologies de défense, notamment Palantir d'Alex Karp et SpaceX d'Elon Musk.

https://www.democracynow.org/2025/4/9/william_hartung

9 avril 2025

Alors que de nombreuses agences fédérales sont confrontées à des coupes paralysantes et sont contraintes de réduire les services essentiels, le président Trump a annoncé qu'il demanderait un budget de 1 billion de dollars pour le Pentagone. Il a fait ce commentaire alors qu'il s'adressait aux journalistes aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

PRÉSIDENT DONALD TRUMP : Nous avons également, essentiellement, approuvé un budget, qui est dans l'installation – vous aimerez l'entendre – d'un billion de dollars, 1 billion. Et personne n'a jamais rien vu de tel. Nous devons construire notre armée. Et nous sommes très soucieux des coûts, mais l'armée est quelque chose que nous devons construire.

AMY GOODMAN : Nous sommes maintenant rejoints par William Hartung, chercheur principal au Quincy Institute for Responsible Statecraft. Son nouvel article pour Forbes s'intitule « L'Amérique a-t-elle vraiment besoin d'un budget de 1000 milliards de dollars du Pentagone ? » Il est également co-auteur du livre à paraître, The Trillion Dollar War Machine, qui sortira plus tard cette année.

Alors, Bill Hartung, répondez à votre propre question : le Pentagone a-t-il vraiment besoin d'un budget de 1000 milliards de dollars ? Parlez de ce qui se passe ici, en tant que DOGE, alors que l'administration Trump découpe et coupe en dés, supprime et élimine d'autres agences.

WILLIAM HARTUNG : Eh bien, la question « Avons-nous besoin d'un billion ? » est une question une sorte de question molle, parce que la réponse est absolument non. Nous dépensons déjà trop.
Et cela dément vraiment l'idée qu'il s'agit d'efficacité. Ils ont presque éliminé l'Agence pour le développement international, éliminé le Ministère de l'Éducation, supprimé les Centers for Disease Control, s'en prenant à Medicaid, réduisant le personnel de l'Administration de la sécurité sociale.
S'ils sont axés sur l'efficacité, tout d'abord, ils ne pourraient pas le faire du jour au lendemain. Ils devraient étudier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Donc, en gros, ils déciment notre gouvernement civil, qui fournit des services nécessaires ici et à l'étranger, et ils récompensent les entrepreneurs du Pentagone, y compris Elon Musk, qui a un pouvoir sans précédent. Vous savez, les militaristes de la Silicon Valley n'ont même pas besoin de faire pression sur cette administration, parce qu'ils sont intégrés en elle. JD Vance a été formé par Peter Thiel, le militaire de la Silicon Valley. Vous avez Musk. Vous avez des gens répartis dans ces différentes agences.

Il y avait un peu d'espoir à cause de la rhétorique de Trump. Il a dit : « Eh bien, si nous pouvions, vous savez, nous réchauffer avec la Chine et la Russie, nous pourrions réduire le budget militaire de moitié. Vous savez, les armes nucléaires coûtent trop cher. J'étais à peu près sûr que c'était juste une sorte d'os pour ceux de sa base, dont certains en ont marre des guerres sans fin, ne font pas confiance à ces entreprises. Mais je ne m'attendais pas à ce qu'il l'accepte vraiment. Et c'est effectivement le cas. Et il va – il parle de construire un « Golden Dome », qui est un peu semblable au bouclier antimissile impénétrable de Reagan dans Star Wars, ce que presque tous les scientifiques disent qu'il n'est pas possible de faire. C'est donc un gros gâchis pour les anciennes sociétés, comme Lockheed Martin, et les nouvelles sociétés, comme Anduril et Palantir.

Et puis, bien sûr, ce nouvel avion de chasse, qu'il a décidé d'appeler le F-47 parce qu'il est le 47e président. Je veux dire, autant mettre son nom sur le côté. Rien n'indique que cela va fonctionner. Andrew Cockburn, un analyste de longue date, a écrit un article à ce sujet.

Donc, en même temps, ils disent, vous savez, ils vont préserver chaque centime, le dépenser judicieusement, ils mettent de l'argent dans ces nouveaux gâchis. Bien sûr, ils n'ont jamais passé un audit. Ils ont payé beaucoup plus cher qu'ils n'auraient dû pour les pièces de rechange. Ils se sont débarrassés des inspecteurs généraux indépendants qui pourraient vérifier s'il y a de la corruption.

Il s'agit donc vraiment d'un effort pour militariser notre société, ce contre quoi Eisenhower a mis en garde, que nous ne voulions pas que l'Amérique devienne un État de garnison. Et pour se débarrasser du sida, vous savez, le visage de l'Amérique au monde maintenant va être presque entièrement militaire. Bien que l'AID ait eu ses problèmes, elle a également fourni de l'eau potable, de la nourriture, des services de prévention du SIDA et du VIH, ce qui a aidé des millions de personnes dans le monde.

Donc, je pense que c'est vraiment mauvais pour l'influence de l'Amérique dans le monde. C'est mauvais pour un grand nombre de gens. Les entrepreneurs en armement seront presque les seuls bénéficiaires. Et, bien sûr, ce sera le budget le plus élevé du Pentagone depuis la Seconde Guerre mondiale, donc plus élevé que le pic de la Corée et du Vietnam, plus élevé que le pic des guerres d'Afghanistan et d'Irak. Et c'est complètement inutile, et cela va en fait nous rendre moins sûrs.

JUAN GONZÁLEZ : Et, Bill, vous avez écrit d'autres articles mettant en doute le fait que le budget officiel du Ministère de la Défense soit en fait beaucoup plus important, peut-être deux fois plus important que le budget militaire des États-Unis. Pourriez-vous nous parler de cet écart entre le budget officiel et les dépenses réelles des États-Unis ?

WILLIAM HARTUNG : Oui. Eh bien, ce n'est pas seulement le budget du Pentagone qui a un but militaire ou qui est le résultat d'une politique étrangère militarisée. Vous savez, les ogives nucléaires sont fabriquées par le Ministère de l'Énergie. Une partie de notre aide militaire se trouve dans le budget des Affaires internationales au lieu du budget du Pentagone. Bien sûr, l'administration des anciens combattants s'est multipliée pour s'occuper des vétérans d'Irak et d'Afghanistan, dont des centaines de milliers ont des blessures physiques, un SSPT et ainsi de suite. Et puis, vous savez, une partie de nos intérêts sur la dette est attribuable à nos énormes dépenses militaires, et ces intérêts vont bientôt être plus élevés que ceux de presque toutes les autres agences gouvernementales.

Donc, que vous soyez préoccupé par la responsabilité fiscale ou les services de base, ce n'est tout simplement pas la voie à suivre. Et la raison en est ce genre de stratégie de couverture mondiale, que nous avons besoin de 750 bases militaires, de 11 porte-avions, essentiellement de bases aériennes flottantes, de plus d'armes nucléaires.

Nous avons besoin d'une stratégie différente. Vous savez, cette idée de durcir le ton et de faire la paix par la force a été un désastre au cours de ce siècle, si vous regardez les résultats des guerres en Irak et en Afghanistan, qui étaient censées être gagnées grâce à une technologie supérieure, mais ensuite, parce que l'opposition connaissait le terrain local, la culture locale, a mis au point des contre-mesures bon marché comme des engins explosifs improvisés. Toute la technologie du monde n'allait pas gagner ces guerres. Donc, l'idée que nous allons adopter la même approche contre un grand pays puissant comme la Chine pourrait être une recette pour un désastre. Les principaux arguments sur ce front viennent des militaristes de la Silicon Valley, comme Peter Thiel, Palmer Luckey et ainsi de suite, ...

JUAN GONZÁLEZ : Oui, Bill, je voulais vous poser une question à ce sujet en particulier. Vous avez récemment écrit pour Monthly Review une critique d'un livre d'Alex Karp, le PDG de Palantir. Et vous dites là-bas – à propos de ces militaristes de la Silicon Valley, vous dites : « Tous sont convaincus qu'à un moment donné, à l'avenir, en supplantant les fabricants d'armes de la vieille école comme Lockheed Martin et Northrop Grumman, ils inaugureront un âge d'or de la primauté mondiale américaine fondée sur une technologie toujours meilleure. » Pouvez-vous nous parler de cette montée des militaristes de la Silicon Valley ?

WILLIAM HARTUNG : Bien sûr. À l'origine, j'ai écrit cela pour TomDispatch, qui permet aux gens d'écrire ce genre de choses, ce qui n'est pas facile à faire nulle part.

Mais Karp a un livre, et c'est essentiellement un peu comme, vous savez, l'idéologie du XIXe siècle avec la technologie du XXIe siècle. Il dit que l'Amérique s'est égarée, que nous ne croyons pas au concept de l'Occident, que nous ne sommes pas patriotes et que nous avons besoin d'une mission nationale unificatrice. Son idée de cette mission est un nouveau projet Manhattan pour militariser l'intelligence artificielle. Pour moi, c'est une vision assez appauvrie de ce que devrait être notre mission en tant que nation. Vous savez, notre mission est censée être la tolérance, la démocratie, la prospérité, la diversité – toutes les choses qui sont attaquées en ce moment. C'est donc complètement à l'envers.

Et le truc, c'est que, vous savez, Palantir, par exemple, a été l'une des rares entreprises à encourager la guerre contre Gaza. Une partie de leur technologie a été utilisée pour le ciblage. Karp a décidé de tenir la réunion du conseil d'administration en Israël pendant la guerre de Gaza. Et ils pensent aussi – vous savez, une fois que nous maîtriserons l'IA, nous serons en mesure de battre la Chine dans une guerre, et ainsi de suite.

C'est donc une race différente. Vous savez, le patron de Lockheed Martin, il financera des groupes de réflexion qui font, vous savez, un cas sympathique, mais il n'est pas avec un porte-voix qui dit : « Dominons le monde », parce qu'il a l'impression que c'est une mauvaise image pour quelqu'un qui profite de cela, alors que ces gens de la Silicon Valley sont sans vergogne. Ils pensent vraiment qu'ils sont nos sauveurs, qu'ils peuvent faire les choses mieux que le gouvernement. Et ils ont des idées folles, comme Peter Thiel qui fait des recherches sur la façon de vivre éternellement, et Elon Musk qui veut la colonisation massive de l'espace, et Palmer Luckey qui est essentiellement un joueur qui a décidé de fabriquer des armes. Ce ne sont pas ces personnes que vous voulez voir façonner votre politique étrangère. Je veux dire, s'ils avaient un projet qui valait la peine pour la défense, achetez le produit. Ils devraient être des vendeurs. Ils ne devraient pas essayer de façonner notre politique, notre vision du monde, notre gouvernement. Et ils ne devraient pas être autorisés à le faire.

AMY GOODMAN : Bill Hartung, pouvez-vous nous en dire plus sur Elon Musk et ses conflits d'intérêts alors qu'il s'en prend à ces autres agences ? Ce n'est pas seulement qu'ils augmentent, et Hegseth a annoncé ce budget de 1000 milliards de dollars du Pentagone. C'est qu'Elon Musk a des contrats de plusieurs millions de dollars avec le Pentagone. Si vous pouviez discuter de cela, et aussi du fait que le Pentagone cite à plusieurs reprises la Chine comme son principal adversaire ? Maintenant, il y a une guerre commerciale qui se profile. Comment voyez-vous cela se dérouler ?

WILLIAM HARTUNG : Eh bien, Musk a plus de pouvoir que l'ensemble du Cabinet réuni. Il est presque co-président. Et il possède une [entreprise], SpaceX, qui va faire une version de Starlink pour l'armée, qui lance beaucoup de nos satellites militaires. Il a un nouveau produit appelé le Starship, qui sera censé être capable de mettre plus de charge utile dans l'espace que n'importe quelle autre arme. Et le Pentagone considère cela comme un moyen de battre la Chine dans la course à l'espace. Ses contrats avec le Pentagone ne feront donc que croître. Et il pourrait bien se déplacer, essayer de transférer de l'argent vers ses alliés de la Silicon Valley. Il a détruit le F-35, ce qui est raisonnable, mais il a dit : « Remplaçons-le par des drones sans pilote. »

C'est donc une situation sans précédent que d'oindre un milliardaire non élu pour avoir ce genre de pouvoir, et surtout depuis le Pentagone – il a, vous savez, un conflit d'intérêts très évident. Je n'ai jamais rien vu de tel. Je veux dire, ces gens vérifiaient les gens pendant la transition pour savoir qui pouvait travailler au Pentagone. Et, bien sûr, Musk – ils ont en quelque sorte fait croire qu'il s'agissait d'un conseil, mais ils sont en fait, en gros, en train de démanteler le gouvernement, de licencier des scientifiques et des experts dont nous avons besoin pour des choses comme la lutte contre les pandémies. Il est donc en conflit d'intérêts ambulant.

AMY GOODMAN : Bill, pour être très clair, je veux me corriger. J'ai dit « des millions de dollars ». L'US Space Force a annoncé vendredi qu'elle attribuerait des contrats à SpaceX - SpaceX est la société d'Elon Musk, une société privée - elle attribuerait à SpaceX des contrats d'une valeur d'environ 5,9 milliards de dollars, 6 milliards de dollars.

WILLIAM HARTUNG : Oui, et il ne fera que croître à l'avenir. En fait, Bloomberg a dit qu'il s'agissait en quelque sorte de l'entrepreneur d'armement des années à venir. Reste à savoir s'ils peuvent, vous savez, surpasser Lockheed Martin, qui reçoit 40 ou 50 milliards de dollars par an.

Mais il va y avoir une bataille. Vous savez, la Silicon Valley est ancrée dans le pouvoir exécutif. Lockheed Martin a une énorme influence au Congrès parce qu'ils ont des installations dans la plupart des États, ils embauchent d'anciens fonctionnaires pour faire pression en leur faveur, ils financent des groupes de réflexion, ils siègent à des commissions gouvernementales qui élaborent des politiques. Il s'agit donc soit d'un choc des titans, soit, comme cela arrive souvent, ils vont simplement pousser le budget assez haut pour financer les deux. Et donc...

AMY GOODMAN : Nous n'avons que 30 secondes. Pourriez-vous répondre sur la Chine ?

WILLIAM HARTUNG : Oui, eh bien, la Chine est le cadeau qui continue de donner. Exagérer la menace de la Chine est un moyen de financer ces entreprises. Je veux dire, fondamentalement, à Washington, si nous disons « Chine », vous savez, c'est un autre milliard de dollars fourni aux entrepreneurs d'armes. En fait, nous devrions trouver des accommodements avec la Chine, et non nous préparer à une guerre avec elle.

AMY GOODMAN : Nous allons en rester là, et je tiens à vous remercier infiniment de vous être joint à nous, Bill Hartung, chercheur principal au Quincy Institute for Responsible Statecraft.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Du « jour de la libération » au chaos : Trump suspend la plupart des tarifs douaniers tout en intensifiant la guerre commerciale avec la Chine

15 avril, par Amy Goodman, Joseph E. Stiglitz, Nancy Qian, Nermeen Shaikh — , ,
Le président Trump a annoncé une pause de 90 jours sur les nouveaux droits de douane pour la plupart des pays et une forte augmentation des droits de douane sur la Chine. Le (…)

Le président Trump a annoncé une pause de 90 jours sur les nouveaux droits de douane pour la plupart des pays et une forte augmentation des droits de douane sur la Chine. Le taux de droits de douane de 125 % appliqué à la Chine fait suite aux représailles de cette dernière dans le cadre de l'escalade de la guerre commerciale entre les deux plus grandes économies du monde. Pour la plupart des autres pays, les droits de douane de 10 % restent en vigueur, mais les droits de douane plus élevés ont été suspendus quelques heures seulement après leur entrée en vigueur, ce qui a provoqué une remontée des marchés boursiers mondiaux après un plongeon historique.

https://www.democracynow.org/2025/4/10/tariffs_trade_war_china_markets

10 avril 2025

Nous nous entretenons avec deux économistes, Nancy Qian et Joseph Stiglitz, sur le « chaos » de la semaine écoulée depuis que M. Trump a dévoilé son plan tarifaire le 2 avril, qu'il a qualifié de « jour de la libération ». Il n'y a « aucune théorie économique derrière ce qu'il fait », déclare Stiglitz. Il qualifie M. Trump de « tyran de cour d'école » qui bouleverse les marchés internationaux sur la base d'une compréhension erronée du rôle des déficits commerciaux et de la possibilité de réintroduire l'industrie manufacturière dans l'économie américaine. « Nous n'avons jamais rien vu de tel auparavant », déclare M. Qian, qui ajoute que la Chine semble se préparer à la guerre commerciale de longue haleine que M. Trump vient de déclencher.

NERMEEN SHAIKH : Les marchés boursiers mondiaux ont bondi mercredi après que le président Trump a annoncé une pause de 90 jours sur les nouveaux tarifs douaniers radicaux pour la plupart des pays, tout en intensifiant la guerre commerciale des États-Unis avec la Chine. M. Trump a porté les droits de douane sur la Chine à 125 % après que la Chine a augmenté les droits de douane sur les produits américains à 84 % à la suite des premières augmentations de droits de douane de l'administration Trump. La Chine a également pris d'autres mesures de rétorsion, notamment de nouvelles restrictions sur les exportations de terres rares vers les États-Unis.

En ce qui concerne la majeure partie du reste du monde, des droits de douane de 10 % restent en place, mais les droits de douane plus importants ont été suspendus quelques heures à peine après leur entrée en vigueur. Les marchés boursiers mondiaux se sont effondrés depuis que M. Trump a annoncé les nouveaux tarifs le 2 avril, à l'occasion de ce qu'il a appelé le « jour de la libération ».

AMY GOODMAN : L'administration Trump a donné des explications contradictoires sur les raisons de son revirement. Le secrétaire au Trésor Scott Bessent a déclaré que c'était la « stratégie de Trump depuis le début », mais Trump lui-même a ouvertement admis qu'il était préoccupé par l'effondrement du marché obligataire américain.

PRÉSIDENT DONALD TRUMP : Le marché obligataire est très délicat. Je l'ai observé. Mais si vous le regardez maintenant, c'est - c'est magnifique. Le marché obligataire est magnifique en ce moment. Mais j'ai vu hier soir que les gens commençaient à se sentir un peu mal à l'aise. Je pense que tout avait - eh bien, le grand mouvement n'était pas ce que j'ai fait aujourd'hui. Le grand mouvement, c'est ce que j'ai fait le jour de la libération.

NERMEEN SHAIKH : Mercredi, le S&P 500 a grimpé de 9,5 % et le Nasdaq de plus de 12 %, après que M. Trump a annoncé la pause tarifaire dans un message publié sur Truth Social juste avant 13h30. Plus tôt dans la journée, M. Trump avait écrit, je cite : « C'EST LE MOMENT D'ACHETER ! DJT ».

Le sénateur démocrate Adam Schiff demande maintenant au Congrès de déterminer si l'administration Trump s'est livrée à un délit d'initié ou à une manipulation du marché. Bloomberg rapporte que les personnes les plus riches du monde ont ajouté 304 milliards de dollars à leur valeur nette combinée mercredi, le gain le plus important en une journée dans l'histoire de l'indice Bloomberg Billionaires.

AMY GOODMAN : Nous sommes rejoints par deux invités. Nancy Qian est avec nous depuis Rome, en Italie. Elle est professeur d'économie à l'université Northwestern, codirectrice du Global Poverty Research Lab de l'université Northwestern et directrice fondatrice du China Econ Lab. Son dernier article pour Project Syndicate s'intitule « Americans Can't Win from Trump's Trade War » (Les Américains ne peuvent pas gagner à la guerre commerciale de Trump).

Joseph Stiglitz est avec nous en studio ici à New York, économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l'université de Columbia, ancien président du Conseil des conseillers économiques. Le professeur Stiglitz est également l'économiste en chef de l'Institut Roosevelt. Son dernier livre, The Road to Freedom : Economics and the Good Society.

Nous vous souhaitons à tous deux la bienvenue à Democracy Now ! Professeur Stiglitz, commençons par vous. Il s'agit d'une réponse globale à ces montagnes russes. Et si quelqu'un a des doutes sur le fait que le tollé mondial est important et que les protestations dans le monde entier font une différence, comme ce qui s'est passé ce week-end, eh bien, il suffit de regarder ce qui s'est passé hier. Pouvez-vous nous parler de votre réponse, Professeur Stiglitz ?

JOSEPH STIGLITZ : C'est le chaos total. Et l'une des choses que nous savons, c'est que le chaos est mauvais pour le marché. Mais les dégâts sont déjà durables. Vous savez, au cours des 80 dernières années, nous avons essayé de créer un monde sans frontières. Au moins, les frontières avaient moins d'importance. Tout à coup, les frontières sont plus importantes. Et il ne s'agit pas seulement des frontières avec ceux que vous n'aimez pas. Il s'agit de frontières avec nos meilleurs amis, au Canada. Nous vivons donc dans un monde nouveau où chaque pays doit se poser une question qu'il ne s'est jamais posée auparavant : Quelle est l'étendue de notre souveraineté économique nationale ? Que se passera-t-il si un fou d'un autre pays - des États-Unis, par exemple - augmente soudainement les droits de douane de 20 %, 10 %, 20 %, 50 %, 100 % ? Il n'y a donc aucune fiabilité dans nos relations, qu'elles soient amicales ou non.

Ce qui est également clair, c'est que Trump n'a aucune théorie économique derrière ce qu'il fait. Et je pense que c'est ce qui est le plus inquiétant, à la fois pour moi en tant qu'économiste et pour ceux qui sont de l'autre côté dans les négociations. J'ai parlé à certains d'entre eux et ils m'ont dit : « Nous ne savons pas comment négocier, parce que l'autre partie n'est pas un négociateur normal ». Normalement, l'autre partie sait ce qu'elle veut. Il existe une théorie sur le fonctionnement du commerce. Ce n'est pas le cas ici. Le monde est différent.

Laissez-moi vous donner un exemple. Trump pense que les déficits commerciaux en eux-mêmes, et en particulier les déficits commerciaux dans le domaine des biens, reflètent le fait que quelqu'un nous traite de manière injuste. Il part en quelque sorte du principe que nous sommes meilleurs que les autres pays et que les gens devraient donc nous acheter plus de marchandises que nous n'en achetons à eux. C'est absurde. L'ampleur du déficit commercial multilatéral est simplement déterminée par la disparité entre l'épargne globale, d'une part, et - l'épargne nationale et l'investissement national global, d'autre part. Et si l'épargne diminue, le déficit sera plus important. Or, sa proposition d'une forte réduction d'impôts, non financée, est en fait une diminution de l'épargne nationale, ce qui aura pour effet d'accroître le déficit commercial multilatéral.

Ensuite, il y a la microéconomie. Il fait une grande différence entre les biens et les services. Mais nous sommes au XXIe siècle, pas en 1950. Les services constituent la majeure partie de notre économie. La production de biens, l'industrie manufacturière, représente 9 %, 10 %. Quels sont les principaux secteurs de services ? Le tourisme, l'éducation, la santé. Que fait-il à ces secteurs ? Regardez ce qu'il a fait ces dernières semaines. Il a dévasté notre système éducatif. La façon dont ses agents des frontières et de l'immigration ont traité ceux qui voulaient entrer dans notre pays avec des passeports et des visas valides a découragé le tourisme. Il s'acharne donc à nuire aux principales industries exportatrices de l'Amérique, le tourisme et l'éducation. Il ne fait qu'empirer les choses, au niveau microéconomique et au niveau macroéconomique.

NERMEEN SHAIKH : Avant de donner la parole au professeur Nancy Qian, je voulais vous demander - vous avez dit tout à l'heure que le chaos est mauvais pour le marché. C'est indiscutable. Mais comment expliquez-vous - les gens sont absolument perplexes- c'est aussi ce que nous avons dit dans l'introduction. Comment se fait-il qu'au moment où Trump a déclaré une pause sur ces droits de douane, les marchés se sont envolés ? Et pas seulement en flèche, je veux dire, pour le plus grand gain journalier depuis 2008, le S&P. Comment cela s'explique-t-il ?

JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, n'oubliez pas que le marché avait énormément baissé, presque en territoire baissier, au cours des deux jours précédents.

NERMEEN SHAIKH : Oui.

JOSEPH STIGLITZ : Il y a parfois beaucoup d'exubérance irrationnelle sur le marché. Je pense qu'ils ont fait une erreur. Et la raison pour laquelle je pense qu'il y a une erreur est que l'importance du commerce avec la Chine, à bien des égards, est bien plus grande que le commerce avec l'Europe, et que nous dépendons énormément des biens en provenance de Chine. Nous achetons des voitures en Europe. Si nous n'avons pas de voitures européennes, nous souffrons un peu, mais ce n'est pas grave. Si nous n'avons pas les ingrédients qui entrent dans la composition d'un grand nombre de nos produits, ou si ces ingrédients voient leur prix doubler, c'est une grande perturbation. Je m'attends donc à ce que ces droits de douane énormes et sans précédent - permettez-moi d'insister sur le terme « sans précédent » - imposés à la Chine, ainsi que les représailles de la Chine, y compris les restrictions imposées aux exportations de minéraux et de terres rares dont nous avons besoin pour notre production, provoquent une très grande perturbation.

NERMEEN SHAIKH : Professeur Nancy Qian, pourriez-vous nous parler de l'ampleur de ces droits de douane et nous dire quel sera, selon vous, l'impact sur l'économie chinoise et sur l'économie américaine de ces droits de douane de 125 % imposés par les États-Unis à la Chine et de 84 % imposés par la Chine aux États-Unis ?

NANCY QIAN : Comme l'a dit le professeur Stiglitz, ces tarifs douaniers sont sans précédent. Ils sont si élevés qu'il est vraiment difficile pour nous de calibrer exactement le coût pour tout le monde, sauf que nous savons qu'il sera énorme. Vous savez, nous voyons déjà des contrats annulés entre des fournisseurs chinois et des importateurs américains. Des relations d'affaires qui ont pris des décennies à se construire sont maintenant interrompues, parce que ces droits de douane sont si élevés que personne ne peut être rentable, ne peut rester en activité et continuer à importer.

Et, vous savez, le problème avec les tarifs douaniers, c'est que si vous les augmentez un peu, peut-être que les gens pourront encaisser le coup. Par « les gens », j'entends les entreprises, les exportateurs et les importateurs. Mais si vous les augmentez beaucoup et qu'ils ne peuvent pas atteindre leurs objectifs, alors ils doivent tout simplement arrêter. Et nous n'avons jamais rien vu de tel auparavant.

Qu'est-ce que cela signifie pour les États-Unis si nous ne pouvons pas obtenir de pièces détachées en Chine ? Et qu'est-ce que cela signifie pour la Chine si elle doit fermer des usines, des usines qui font vivre des familles, vous savez, et des enfants, qui dépendaient de ces emplois à l'exportation ? Je pense donc que le coût pour les deux économies sera colossal. Nous en verrons un peu les effets à court terme. Et si cela continue, nous verrons les choses s'aggraver au fil du temps.

AMY GOODMAN : Permettez-moi de vous interroger, professeur Qian, sur les commentaires du secrétaire au Trésor, M. Bessent, lorsqu'il a déclaré que tout cela avait été planifié. La question est, bien sûr, de savoir si les délits d'initiés étaient planifiés : Les délits d'initiés étaient-ils planifiés ? Trump s'est vanté hier de la plus forte hausse du marché boursier que le pays ait jamais connue. Et, bien sûr, la question est de savoir comment ces milliardaires et, peut-être - je ne peux pas le dire, je le sais - je ne le sais pas - que Trump lui-même a profité hier de la hausse, en achetant tôt ? Mais le commentaire de Bessent, « On pourrait même dire que [Trump] a poussé la Chine », et ils se sont montrés le « mauvais acteur » qu'ils sont. Votre commentaire, Professeur Qian ? Je crois que nous venons de perdre le professeur Qian à Rome, en Italie, alors nous allons poser la question au professeur Stiglitz.

JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, je ne pense pas qu'ils aient anticipé ce type de réponse. Le langage qu'ils ont utilisé était celui d'une brute de cour d'école. Ils ont dit : « Ils ne nous ont pas montré de respect ». Et, bien sûr, la Chine a estimé que les États-Unis avaient enfreint le droit économique international. Nous disposons d'un cadre international, l'OMC, qui est censé déterminer comment les pays définissent leur politique commerciale. Et nous avons tout simplement jeté à la poubelle l'ensemble de cet accord, dans la rédaction duquel nous avons joué un rôle clé. L'argument selon lequel « Oh, il ne m'a pas montré de respect » est le genre de langage que l'on entend de la part des brutes. Je ne pense pas que nous nous attendions à ce qu'ils réagissent de la sorte.

J'étais en Chine il y a environ deux semaines, et il était très clair qu'ils étaient prêts pour un autre round, parce qu'ils avaient vu à quel point Trump était erratique. Et il existe une asymétrie fondamentale que Trump et son équipe n'ont, à mon avis, pas bien comprise. Cette asymétrie réside dans le fait que la Chine connaîtra un déficit de la demande globale en raison de la perte de ses exportations. Il est possible de réorienter cette demande vers la production intérieure. C'est ce qu'elle essaie de faire depuis un certain nombre d'années, et c'est ce qui va se produire. Il est beaucoup plus difficile de modifier l'offre. Je pense donc que nous sommes dans une situation plus difficile que la Chine.

AMY GOODMAN : Le professeur Qian est de retour parmi nous. Professeur Qian, ce commentaire du secrétaire au Trésor selon lequel tout cela était planifié et que Trump a réussi à aiguillonner la Chine pour qu'elle se montre comme le mauvais acteur qu'elle est ? Et le commentaire de Vance la veille, faisant référence aux « paysans chinois » ?

NANCY QIAN : Il est vraiment difficile de croire que tout cela ait été planifié comme une stratégie pour atteindre la Chine, vous savez, pour un tas de raisons différentes. Tout d'abord, la relation conflictuelle unique entre la Chine et les États-Unis est bien connue et dure depuis la première guerre commerciale. Il n'y a donc pas vraiment de nouvelles informations à apprendre.

Deuxièmement, les Chinois et les Américains ont négocié, et les Chinois ont montré qu'ils étaient prêts à négocier et qu'ils ne souhaitaient pas de guerre commerciale. C'est ce que l'on constate, par exemple, dans les négociations sur l'accord TikTok. Sous l'administration Biden, il a été demandé à TikTok de se séparer de ses propriétaires chinois, ByteDance. À l'époque, le gouvernement chinois a dit : « Pas question, nous ne laisserons jamais ByteDance vendre TikTok à des Américains. » Mais ensuite, sous l'administration Trump, ce que nous avons vu, c'est que les négociations ont avancé assez rapidement. Et deux jours avant que cela ne devienne officiel, les États-Unis ont augmenté les droits de douane sur la Chine de 34 % supplémentaires. Cela ne ressemble donc pas à une stratégie bien planifiée.

Une autre façon de poser la question est de dire : « Qu'est-ce que le gouvernement américain a obtenu aujourd'hui qu'il n'aurait pas pu obtenir sans augmenter les droits de douane pour le monde entier ? » N'est-ce pas ? Qu'a-t-il obtenu en augmentant les droits de douane pour les îles où il n'y a que des pingouins ? Quel était l'intérêt de cette mesure ? Est-ce que cela nous a appris quelque chose sur la puissance américaine ou sur la Chine ? Et la réponse doit être non.

AMY GOODMAN : Il y a un dessin animé qui circule : « Ils sont d'abord venus pour les chats. Puis ils sont venus pour les pingouins. » Nermeen ?

NERMEEN SHAIKH : Je voulais vous interroger sur les implications plus larges d'une réduction massive des échanges entre les États-Unis et la Chine. L'Organisation mondiale du commerce a déclaré mercredi que cette escalade tarifaire pourrait réduire de 80 % les échanges de marchandises entre les deux pays, alors que le commerce entre la Chine et les États-Unis représente 3 % du commerce mondial, de l'ensemble du commerce mondial. Qu'est-ce que cela signifie ? Quelles en seraient les retombées sur d'autres pays, aux économies beaucoup plus modestes ? Et, professeur Stiglitz, vous avez dit que les États-Unis avaient enfreint le droit économique international. Bernie Sanders a publié hier une déclaration disant que ce qu'il a fait est en fait inconstitutionnel, que M. Trump n'a pas le pouvoir d'imposer les tarifs douaniers qu'il a imposés. Pourriez-vous commenter ces deux points ?

JOSEPH STIGLITZ : Permettez-moi de commencer par souligner qu'il y aura un effet économique important sur les États-Unis, parce que le temps nécessaire pour ramener la fabrication aux États-Unis, même si cela réussissait, n'est pas de trois mois, ni même d'un an, mais de deux ans. J'ai parlé à des entreprises qui ont envisagé de ramener la fabrication aux États-Unis. Elles disent : « Nous n'avons pas la logistique. Nous n'avons pas les chaînes d'approvisionnement dont vous avez besoin pour ramener une fabrication complexe. » Et la fabrication moderne est robotisée. Ainsi, même si nous ramenions l'industrie manufacturière, il n'y aurait pas beaucoup d'emplois. La réalité, c'est que son idée de nous ramener aux années 1950 n'arrivera jamais, jamais.

Mais que se passera-t-il entre-temps ? Nous ne serons pas en mesure d'obtenir les biens dont les Américains ont besoin. Nous avons vu ce qui s'est passé lorsque les chaînes d'approvisionnement ont été interrompues après la pandémie et après l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Les prix ont grimpé, certains produits plus que d'autres. C'est le monde dans lequel nous allons nous retrouver. Cela affectera, bien sûr, non seulement les États-Unis, mais aussi tous les autres pays. Si la Fed agit comme elle le fait habituellement lorsque les prix augmentent, en augmentant les taux d'intérêt, nous allons retomber dans la stagflation.

AMY GOODMAN : Qui a l'oreille de Trump ? Je veux dire, vous avez le chuchoteur du commerce, Peter Navarro - n'est-ce pas ? qui était, vous le savez, le principal responsable du commerce économique dans la première administration, qui est ensuite allé en prison, qui est maintenant sorti, et qui cite continuellement l'économiste « Ron Vara » pour expliquer pourquoi il est important de faire du commerce - d'imposer des droits de douane. Il s'avère que Ron Vara n'est qu'une anagramme de Navarro. Il n'existe même pas. Cela ne s'invente pas. Et maintenant, bien sûr, Donald Trump a appelé les journalistes pendant des années sous le nom de « John Barron », c'est donc très similaire, et il s'agit également d'une personne fictive. En fait, c'était Donald Trump. Alors, qui le conseille ? Et qu'en est-il du fait que des gens comme Elon Musk se sont joints à la broligarchie, aux autres milliardaires, contre ce qu'il faisait, ont attaqué Navarro sans relâche, le traitant de « crétin » et de « sac de briques », mais ont dit que c'était une insulte aux briques ?

JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, je veux dire qu'il ne semble écouter personne. À bien des égards, Trump donne une mauvaise réputation au protectionnisme. On peut dire que des politiques soigneusement élaborées peuvent aider à construire des industries particulières. Mais...

AMY GOODMAN : Le président de l'UAW, Shawn Fain, avance cet argument.

JOSEPH STIGLITZ : Oui, dans certaines industries. Il faut que ce soit fait sur mesure. C'est plus important pour les pays en développement que pour les pays développés. Nous n'en avons pas autant besoin qu'un pays pauvre en développement. Il est parfois possible d'utiliser des politiques commerciales soigneusement élaborées pour y parvenir. Mais ses politiques générales, ses attaques contre le Canada, ses attaques contre les pingouins, n'ont absolument aucun sens.

Et ce qu'il ramène, c'est la préoccupation que nous avons, que les économistes politiques ont depuis très longtemps : Il pourrait s'agir d'une source de corruption. Lorsque vous négociez de manière non transparente, des pots-de-vin sont versés. Vous dites : « Enlevez mon tarif et je vous donnerai de l'argent, soit directement à vous, soit dans les coffres de votre campagne ». Nous retournons donc dans un monde non transparent, où, par exemple, les milliardaires de la technologie peuvent contribuer à façonner la politique technologique mondiale dans le cadre du commerce international, au détriment du monde entier. Il l'a déjà fait. Il a fait tout un plat de la modification par l'UE de ses lois visant à créer une concurrence dans la sphère technologique, à garantir la sécurité de l'IA et des médias sociaux, ainsi que la modération des contenus. Il s'est attaqué à ces lois fondamentales. Et tout cela va se passer en secret et avec beaucoup de choses sales.

AMY GOODMAN : Et il se vante, comme il l'a fait l'autre soir, « J'ai tous ces pays qui embrassent mon … » - je ne le dirai pas, mais ça rime avec « tutu ». Nermeen ?

NERMEEN SHAIKH : Et juste avant de conclure, Professeur Qian, si vous pouviez nous donner une idée : Que se passe-t-il en Chine ? Qu'entendez-vous sur la façon dont les industries chinoises se préparent à l'avenir ?

NANCY QIAN : En Chine, les voix sont étonnamment calmes. Vous savez, le gouvernement essaie de trouver un équilibre entre la préparation de la population aux difficultés économiques à venir et la mise en place d'un état d'esprit de solidarité. Vous savez, ils rejettent la faute - évidemment, ils rejettent tout - ces hausses de tarifs sur l'administration Trump et le gouvernement américain. Et les gens trouvent cela convaincant dans ce cas.

En même temps, ils essaient aussi de ne pas attiser trop le nationalisme. Ils ont donc pris soin de censurer l'ampleur des hausses tarifaires imposées par les États-Unis. Et, vous savez, mon interprétation de ce qui se passe est qu'ils créent un espace pour pouvoir se sortir de cette situation - n'est-ce pas ? - afin d'avoir un moyen de sauver la face pour négocier et sortir de cette guerre commerciale si l'occasion se présente. En attendant, les banquiers centraux, les industries, tout le monde se prépare à une longue et profonde guerre commerciale.

AMY GOODMAN : Je tiens à vous remercier, Nancy Qian, de nous avoir rejoints, professeur d'économie à l'université Northwestern de Chicago, mais qui nous a rejoint depuis Rome, en Italie, et Joseph Stiglitz, économiste lauréat du prix Nobel et professeur à l'université Columbia.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

« Combattre l’oligarchie » : Bernie Sanders vent debout contre Trump et Musk

15 avril, par El Watan — , ,
Nebraska, Colorado, Arizona, Nevada... le ténor de la gauche progressiste attire le peuple anti-Trump, sonné par le manque de résistance politique face au milliardaire (…)

Nebraska, Colorado, Arizona, Nevada... le ténor de la gauche progressiste attire le peuple anti-Trump, sonné par le manque de résistance politique face au milliardaire républicain. À 83 ans, Bernie Sanders refuse de se retirer de la scène politique. Le sénateur du Vermont, figure emblématique de la gauche américaine, a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes ce samedi à Los Angeles, affirmant son rôle de principal opposant audible face au retour de Donald Trump.

Tiré d'El Watan.

S'adressant à la foule, Sanders a salué la mobilisation en affirmant qu'il s'agissait du plus grand rassemblement qu'il ait connu, dépassant même ceux de ses campagnes présidentielles de 2016 et 2020. Il a ironisé en déclarant que cette affluence devait rendre nerveux Donald Trump et Elon Musk, déclenchant l'enthousiasme du public.

Depuis deux mois, l'élu indépendant mène une tournée intitulée « Combattre l'oligarchie » à travers plusieurs États comme le Nebraska, le Colorado, l'Arizona et le Nevada. Partout, il attire un public anti-Trump en quête de figures politiques combatives, dans un contexte où la résistance face au milliardaire républicain semble s'essouffler. À Los Angeles, le rassemblement a rempli le parc Gloria Molina, avec la participation du chanteur engagé Neil Young, qui a lancé le slogan « Reprenez l'Amérique ! » sur fond de guitare électrique.

La foule, inquiète face aux menaces sur les droits sociaux, les coupes annoncées dans les programmes fédéraux, ou encore la remise en cause du droit du sol, exprime une colère croissante. Elon Musk, désormais chargé par Donald Trump de réduire drastiquement les dépenses de l'État, cristallise une grande partie de ces critiques.

Pour beaucoup, Bernie Sanders incarne désormais la voix lucide d'une contestation sociale ancienne mais toujours actuelle. Il a dénoncé la mainmise d'une élite ultra-riche sur la vie économique et politique du pays, affirmant que l'administration Trump conduisait les États-Unis vers une forme d'autoritarisme.

L'objectif de cette tournée n'est pas électoral pour le sénateur, qui ne brigue pas la présidence pour 2028. Il espère cependant encourager l'émergence de nouveaux candidats indépendants, porteurs d'un projet politique ancré dans la solidarité de classe plutôt que dans les logiques partisanes. Aux côtés de lui, Alexandria Ocasio-Cortez incarne cette nouvelle génération progressiste. L'élue de 35 ans a insisté sur l'universalité du mouvement, appelant à dépasser les divisions identitaires pour construire une lutte collective face aux inégalités.

Intervention de Bernie Sanders lors du festival Coachella Valley Music and Arts. Ce festival a lieu chaque année en Californie et est connu pour ses programmations variées (pop, rock, hip-hop, électro…).

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La « lettre à Columbia » de Mahmoud Khalil depuis sa prison

15 avril, par Mahmoud Khalil — , ,
Dans une lettre cinglante rédigée depuis le centre de détention de l'ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) où il est retenu en Louisiane, Mahmoud Khalil (…)

Dans une lettre cinglante rédigée depuis le centre de détention de l'ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) où il est retenu en Louisiane, Mahmoud Khalil fustige le rôle de l'université de Columbia dans son enlèvement et dans le ciblage d'autres étudiants militants par l'administration Trump.

Par Mahmoud Khalil, 6 avril 2025

9 avril 2025 | Légende : Manifestation au parc Thomas Paine à New York, contre la détention de Mahmoud Khalil, militant palestinien et étudiant à Columbia, le 10 mars 2025. (Photo : Wikimedia Commons)
https://agencemediapalestine.fr/blog/2025/04/09/la-lettre-a-columbia-de-mahmoud-khalil-depuis-sa-prison/

À Columbia – une institution qui a préparé le terrain pour mon enlèvement – et à ses étudiant·e·s, qui ne doivent pas renoncer à leur responsabilité de résister à la répression,

Depuis mon enlèvement le 8 mars, l'intimidation et le kidnapping d'élèves internationaux qui défendent la Palestine n'ont fait que s'accélérer. Le 9 mars, Yunseo Chung a saisi la justice et demandé une ordonnance du tribunal pour empêcher les services de l'immigration et des douanes des États-Unis de la garder en détention en raison de ses activités militantes. Le 11 mars, Ranjani Srinivasan a choisi de traverser la frontière pour se rendre au Canada, persuadée que Columbia était prête à la livrer à l'ICE. Passées les portes de Columbia, Leqaa Kordia, Badar Khan Suri et Rümeysa Öztürk ont tous été embarqués et arrêtés par l'État. Cette situation me rappelle étrangement le moment où j'ai fui la brutalité du régime de Bachar al-Assad en Syrie pour chercher refuge au Liban.

Le mode opératoire utilisé par le gouvernement fédéral pour nous cibler, moi et mes pairs, est un prolongement direct du manuel de répression de Columbia pour ce qui concerne la Palestine.

Pendant les 18 mois qui ont suivi le début de la campagne génocidaire à Gaza, Columbia a non seulement refusé de reconnaître les vies sacrifiées des Palestiniens au nom du colonialisme de peuplement sioniste, mais elle a aussi activement repris le langage destiné à justifier les massacres. Vous avez reçu d'innombrables courriels de l'ancienne présidente de l'université Minouche Shafik, de l'ancienne présidente par intérim de l'université Katrina Armstrong et des doyens de vos écoles qui ont fabriqué une panique collective à propos de l'antisémitisme, sans mentionner une seule fois les dizaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes assassiné·e·s sous des bombes fabriquées avec vos dollars.

Columbia a supprimé toute forme de contestation étudiante au nom de la lutte contre l'antisémitisme.

L'an dernier, Columbia a remis au Congrès les dossiers disciplinaires des étudiants et a créé le groupe de travail contre l'antisémitisme (Task Force on Antisemitism) qui a largement qualifié le sentiment anti-israélien de discours de haine pour museler les protestations.

Au début du mandat de Katrina Armstrong, Columbia a créé le Bureau de l'équité institutionnelle (Office of Institutional Equity), qui confère aux membres de l'administration supérieure un contrôle unilatéral sur « l'examen et l'arbitrage de tous les rapports de discrimination et de harcèlement discriminatoire à Columbia », réduisant ainsi le pouvoir du Conseil judiciaire de l'université, un groupe d'étudiants, de professeurs et de membres du personnel, dont le rôle est d'entendre « toutes les accusations de violation » des règles de conduite de l'université. Alors qu'il est censé superviser les cas de violations des titres VI, VII et IX, le Bureau de l'OIE est devenu un mécanisme permettant de persécuter les étudiants pro-palestiniens sans aucune procédure régulière. Le contenu de cette lettre, aussi absurde que cela puisse paraître, pourrait lui-même être signalé à l'OIE.

Le mouvement pour la liberté et la justice palestinienne à Columbia et à travers les États-Unis a toujours été orienté sur l'aide à la communauté. Des centaines d'entre vous ont rejoint le campement au printemps dernier. Vous êtes nombreux et nombreuses à continuer de vous impliquer dans le mouvement. Ensemble, vous avez organisé un fonds d'aide mutuelle pour les familles de Gaza grâce à des ventes de pâtisseries et des campagnes de financement. Vous avez créé des espaces d'étude, des cercles de lecture et une solidarité entre les mouvements sociaux.

Ce mouvement est toujours parti des bases. Il a été mené par des étudiants, souvent plus jeunes que moi, qui ont risqué leur carrière, leurs diplômes et leur avenir pour exiger le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS). Quiconque a déjà milité dans le mouvement sait que les affirmations selon lesquelles ses objectifs et son but sont ancrés dans l'antisémitisme ne sont que pure invention.

Par une ironie cruelle, les étudiants qui médiatisent des préoccupations factices de sécurité concernant l'antisémitisme sont les mêmes qui se présentent régulièrement à vos événements en quête de provocation, et qui en repartent déçus. Certains de vos camarades de classe administrent en collaboration avec l'université de Columbia des plateformes de doxxing, communiquent nos noms à des sites web et à des groupes comme Canary Mission et Betar, et mettent une cible sur nos existences. Alors qu'ils sont confortablement assis derrière leurs écrans, leurs actions ont des conséquences très concrètes pour le reste d'entre nous. Si je suis privé de mon enfant dans les premiers instants de sa vie, c'est en partie à cause de ces étudiants.

Au regard du programme de double diplôme de Columbia avec l'université de Tel Aviv, je ne peux m'empêcher de penser que si j'étais en Palestine, certains de ces mêmes étudiants et étudiantes m'arrêteraient aux checkpoints, feraient des descentes dans mon université, piloteraient les drones qui surveillent ma communauté, ou tueraient mes voisins dans leurs maisons. Pendant que des étudiants construisaient la solidarité à Columbia, d'autres étudiants pro-israéliens participaient au génocide en tant que personnel militaire sur leurs vacances scolaires, pour ensuite revenir sur le campus et revendiquer le statut de victime dans la salle de classe.

Ces étudiants qui nous ont diffamés et attaqués ont également bénéficié du soutien de l'université et du gouvernement fédéral. Incapables de créer un mouvement soutenu par leurs pairs, ces étudiants ont plutôt rencontré des membres de la droite du Congrès pour faire pression sur Columbia afin qu'elle prenne des mesures de répression. Abandonnant tout prétexte de neutralité, la vice-présidente de l'université Angela Olinto et Katrina Armstrong ont également rencontré le ministre israélien de l'éducation. Ensemble, les deux coalitions ont fait peser le poids du gouvernement fédéral sur les étudiants.

Je vous pose la question : qui est réellement menacé ici ?

Aux étudiants qui restent indifférents au mépris de Columbia pour la vie humaine et à sa volonté de négliger la sécurité des étudiants : Alors que la pression du gouvernement fédéral s'intensifie, sachez que votre neutralité sur la Palestine ne vous protégera pas. Lorsque le moment sera venu pour le gouvernement fédéral de s'attaquer à d'autres causes, ce seront vos noms que Columbia offrira sur un plateau d'argent, ce seront vos appels qui resteront lettre morte, ce seront vos nobles causes qui seront entravées.

La seule préoccupation de cette institution a toujours été la vitalité de sa situation financière, et non la protection des étudiants juifs. Telle est la raison pour laquelle Columbia n'était que trop heureuse d'adopter un programme progressiste superficiel tout en continuant à ignorer la Palestine, et telle est la raison pour laquelle elle se retournera bientôt contre vous aussi.

Tout récemment, cela s'est manifesté par l'affectation d'agents de la sécurité publique à l'arrestation d'étudiants, la présence d'agents de la police de New York et du ministère de la sécurité intérieure sur le campus et aux alentours, l'utilisation croissante des technologies de surveillance et les interventions maccarthystes et racistes à l'encontre des centres de recherche sur le Moyen-Orient, l'Asie du Sud et l'Afrique. L'institution de Columbia a systématiquement vidé de leur substance toutes les valeurs qu'elle prétend défendre afin de mieux endosser le rôle de bras armé de l'État.

S'il restait encore une illusion, elle a volé en éclats la semaine dernière lorsque le conseil d'administration a opéré une manœuvre historique en prenant le contrôle direct de la présidence de l'université. Faisant fi de tout intermédiaire, le conseil d'administration a nommé une autre administratrice, Claire Shipman, à la tête de l'institution. Qui peut encore prétendre que Columbia demeure un établissement d'enseignement et non un « Vichy sur l'Hudson » ?

Face au mouvement de désinvestissement qu'ils n'ont pu écraser, vos administrateurs ont choisi de mettre le feu à l'institution qui leur a été confiée. Il incombe à chacun d'entre vous de reprendre possession de l'Université et de rejoindre le mouvement étudiant pour poursuivre le travail de l'année écoulée.

Aux membres de la faculté de Columbia qui se félicitent de leurs convictions progressistes mais se limitent à des déclarations performatives : que faudra-t-il de plus pour que vous résistiez à la destruction de votre université ? Vos positions académiques valent-elles plus que la vie de vos étudiants et l'intégrité de votre travail ?

Dans son dernier message adressé au monde qui l'a trahi, le très apprécié journaliste palestinien Hossam Shabat a déclaré : « J'ai fait tout cela parce que je crois en la cause palestinienne. Je crois que cette terre est la nôtre, et mourir en la défendant et en servant son peuple a été le plus grand honneur de ma vie ».

De même, nous pensons que c'est le plus grand honneur de notre vie que de lutter pour la cause palestinienne. Le mouvement étudiant continuera à porter haut le flambeau d'une Palestine libre.

L'histoire nous donnera raison. Ceux qui se seront contentés d'attendre sur la touche : votre silence restera à jamais gravé dans les mémoires.

Traduction : JC pour l'Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

6646 résultat(s).
Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

gauche.media

Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

En savoir plus

Membres