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Lettre ouverte : Pour une démocratie pleine et entière, même pour les petits partis, surtout en temps de crise

Nous avons tous deux relevé le défi de rassembler 100 signatures de citoyen·ne·s de Laurier–Sainte-Marie afin de faire entendre nos voix dans cette campagne électorale. Ce n'est pas une mince tâche pour de petits partis.
Par Chantal Poulin, candidate du Parti Rhinocéros, et Michel Labelle, candidat du Parti Marxiste-Léniniste du Canada dans Laurier–Sainte-Marie
Et pourtant, nous avons été exclus du seul débat communautaire de la circonscription. La raison évoquée ? Il aurait été « impossible » de réorganiser le temps de parole pour nous inclure.
Soyons clairs : un débat sans l'ensemble des candidat·e·s n'est pas un véritable débat. C'est une mise en scène où seules certaines idées, certains partis, certains intérêts sont jugés « légitimes ». Dans une démocratie digne de ce nom, la pluralité des idées ne devrait jamais être perçue comme un fardeau logistique, mais comme un fondement non négociable.
Exclure des candidat·e·s pour simplifier l'horaire, c'est appauvrir le débat démocratique. Ce sont souvent les petits partis qui osent poser les vraies questions : Pourquoi les riches ont-ils encore plus d'influence que les électeurs ? Pourquoi les gouvernements tergiversent-ils sur l'urgence climatique ? Pourquoi le racisme systémique persiste-t-il dans nos institutions ? Pourquoi si peu de candidat·e·s osent dénoncer clairement le génocide en cours en Palestine ?
Pendant que l'extrême droite s'organise, gagne du terrain et banalise des discours racistes, islamophobes et transphobes, les voix antiracistes, internationalistes et anticoloniales sont systématiquement marginalisées. Dans le contexte actuel, où même le mot « cessez-le-feu » semble trop radical pour certains élu·e·s, il est impératif que des voix s'élèvent pour défendre le droit des peuples à vivre, à résister, à exister.
En écartant les petits partis des débats publics, on retire aussi de la scène politique les voix qui refusent de se plier au consensus mou, qui défendent la justice sociale, qui parlent d'écologie sans compromis, de solidarité internationale, de désarmement, de redistribution des richesses.
Un récent article de La Presse révélait que plusieurs jeunes choisissent de ne pas voter. Ils ne se reconnaissent pas dans les discours, les priorités ou les partis dominants. C'est précisément en élargissant la palette des idées qu'on peut reconnecter avec ces personnes. Il n'est pas surprenant que tant de gens se tournent vers l'abstention, quand les seuls débats auxquels ils ont accès sont ceux qui évitent soigneusement les sujets qui fâchent.
Nous ne sommes pas candidat·e·s pour faire joli. Nous sommes là parce que nous croyons, malgré tout, en la démocratie. Parce que nous croyons que les votes annulés, comme ceux pour le Parti Rhinocéros, devraient être comptés comme des voix de contestation légitime. Parce que nous croyons que confronter Steven Guilbeault à son bilan environnemental, ou dénoncer les inégalités criantes du système capitaliste, ou défendre le peuple palestinien, est non seulement légitime, mais urgent.
Nous ne demandons pas un traitement de faveur. Nous demandons simplement d'être traités comme des candidat·e·s à part entière. C'est une question de respect pour les électeurs et électrices qui nous ont appuyé·e·s, une question de principe démocratique, et une question de justice.
Nous appelons les organisateurs de débats, les institutions citoyennes, les médias locaux, et surtout, la population de Laurier–Sainte-Marie, à exiger mieux. À réclamer des débats ouverts, courageux, où les voix marginalisées ont toute leur place.
Parce que la démocratie, ce n'est pas seulement le droit de voter. C'est aussi le droit d'être entendu. Et parfois, de déranger.
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Retroussons nous les manches : Un programme fédéral d’infrastructures pour la prospérité à long terme et la résilience climatique de nos collectivités

En tant que leaders municipaux aux quatre coins du pays, nous sommes témoins, jour après jour, des impacts bien réels des changements climatiques dans nos collectivités. Chaleurs extrêmes, feux de forêt, inondations, tempêtes destructrices : les effets de la crise climatique se multiplient et leurs coûts deviennent impossibles à ignorer.
Depuis des décennies, nous sommes en première ligne des efforts visant à protéger les
personnes, les familles et les infrastructures des aléas climatiques. Nous avons investi pour
renforcer la résilience de nos communautés et pour réduire les émissions à la source.
Ces actions demeurent cruciales mais il est clair que, pour assurer la sécurité et la prospérité à
long terme de nos collectivités, tous les paliers de gouvernement doivent en faire plus pour
enrayer la crise climatique et accélérer la transition vers l'économie de demain. Un engagement
fédéral plus ferme est indispensable pour atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de
serre et bâtir une économie libérée des combustibles fossiles — des priorités maintes fois
affirmées, mais trop peu concrétisées au cours des vingt dernières années.
Cette ambition est d'autant plus nécessaire à l'heure où des menaces sans précédent pèsent
sur notre économie et sur la souveraineté de notre territoire. En réduisant notre dépendance
aux énergies fossiles, nous protégeons notre économie contre la volatilité des marchés
mondiaux et contre les pressions de partenaires commerciaux hostiles, tout en nous
positionnant pour réussir dans une économie mondiale en voie de décarbonation.
En tant qu'élus municipaux, nous appelons le gouvernement fédéral à adopter une vision plus
ambitieuse et des mesures plus audacieuses pour protéger l'économie tout en répondant à
l'urgence climatique. Une stratégie cohérente qui articule les défis climatiques et économiques
permettra de réduire les coûts liés aux impacts climatiques pour les municipalités, d'améliorer
l'abordabilité au sein de nos communautés et de favoriser une prospérité durable pour
l'ensemble de la population. Ce projet structurant, à l'échelle fédérale, générera des retombées
concrètes tant pour le Québec que pour l'ensemble du pays.
Voici cinq grandes idées pour orienter nos actions dans la bonne direction. Elles ne constituent
ni une liste exhaustive des mesures que doit prendre le gouvernement fédéral, ni un substitut
aux efforts déjà engagés par l'ensemble des paliers gouvernementaux pour atténuer les
impacts des changements climatiques et s'y adapter. Il s'agit plutôt de projets concrets et
ambitieux, capables de générer des retombées majeures sur le plan climatique et de renforcer
la résilience économique du Québec et du Canada — dès aujourd'hui et pour les générations à
venir. Ces projets exigeront une forte coordination entre nos différents paliers de gouvernement.
Cinq politiques pour des communautés plus fortes et plus résilientes
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Bâtir un réseau électrique propre d'est en ouest et du sud au nord
L'électrification constitue l'avenir de l'économie canadienne. Pour répondre à la demande
croissante des véhicules, bâtiments et industries, il faudra au minimum doubler — voire tripler
— la capacité actuelle de production d'électricité à travers le Canada. Ce chantier d'envergure
permettra à lui seul de créer quelque 60 000 emplois dans le secteur de l'électricité.
Parallèlement, il est essentiel de renforcer les interconnexions entre les réseaux régionaux afin
d'assurer la fiabilité du système et de faire baisser les coûts pour les consommateurs. Le
gouvernement fédéral peut assumer un rôle déterminant dans la promotion et la nature des
interconnexions. Accélérer le déploiement d'un réseau électrique propre, d'est en ouest et
jusqu'au nord, renforcerait considérablement la résilience du Canada face aux incertitudes des
marchés internationaux.
Contrairement aux pipelines, qui traversent les territoires sans offrir de retombées locales
significatives, les réseaux électriques génèrent des occasions économiques concrètes pour les
collectivités et les entreprises qui s'y raccordent.
Un déploiement public des infrastructures de transmission à l'échelle canadienne nécessiterait
un investissement estimé à 30 milliards de dollars au cours des prochaines décennies. Il
s'agirait toutefois d'un investissement rentable, puisque la transmission d'électricité constitue
une infrastructure génératrice de revenus. Ce projet permettrait également de libérer des
investissements publics et privés majeurs dans les capacités de production d'énergies
renouvelables (solaire, éolien, géothermique, marémotrice et hydroélectrique) — un potentiel
déjàmis à profit par de nombreuses communautés autochtones.
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Construire des millions de logements hors-marchés, efficaces énergétiquement, à grande échelle
Nos collectivités sont confrontées à une crise du logement d'une ampleur sans précédent. Pour
répondre aux besoins d'ici 2030, on devra construire près desix millions de nouveaux
logements, dont une part importante devra être hors marché afin de garantir l'abordabilité pour
tous les types de ménages.
Le gouvernement fédéral a déjàassumé un rôle de chef de file en matière de logement, mais
très peu d'unités hors marché ont été construites au cours des trente dernières années.
Aujourd'hui, miser sur desconstructions modulaires et à haute efficacité énergétique représente
une occasion unique de conjuguer accessibilité au logement et la réduction des émissions de
GES. Les investissements publics dans ce domaine peuvent également favoriser un
aménagement du territoire durable, en privilégiant des quartiers piétonniers bien desservis par
le transport collectif, et à l'abri des risques d'inondation ou d'incendie.
Fixer un objectif d'un million de logements abordables et éco-efficients au cours des prochaines
années permettrait de faire une différence concrète sur le marché. Viser deux ou trois millions
d'unités constituerait une véritable transformation à l'échelle du pays.
Bien que la construction de logements publics exige des investissements initiaux importants,
elle permet la création d'actifs collectifs stables, tout en générant des retombées économiques
significatives pour les travailleuses et travailleurs ainsi que pour l'ensemble de la chaîne
d'approvisionnement du secteur de la construction.
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Rénover l'ensemble des logements pour les personnes à faible revenu et des immeubles à logements multiples
Les avantages de l'efficacité énergétique ne doivent pas se limiter aux nouvelles constructions.
Rénover le parc immobilier existant représenteune occasion unique de réduireles coûts
énergétiques, de diminuer les émissions de GES et de stimuler l'emploi local.
Or, les programmes fédéraux de rénovation ont historiquement souffertd'un sous-financement
chronique ou d'une durée trop limitée. Ces programmes ont surtout bénéficié aux ménages
aisés habitant des maisons unifamiliales, laissant souvent de côté les ménages à faible revenu
et les immeubles à logements multiples.
Le gouvernement fédéral a l'occasion de lancer une vaste vague de rénovations en finançant
l'efficacité énergétique des immeubles à logements multiples et en offrant des travaux
entièrement gratuits aux ménages en situation de précarité. Un investissement annuel de 2
milliards de dollars suffirait à concrétiser cette vision.
Ce chantier d'envergure permettrait de créer des centaines de milliers d'emplois à travers nos
collectivités. De plus, la croissance de la demande pour des technologies comme les
thermopompes offrirait d'importantes occasions de développement pour la fabrication locale.
Les politiques d'achat du gouvernement fédéral pourraient être mises à profit pour créer une
demande continue pour des produits et des matériaux fabriqués au Canada.
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Construire un système interprovincial de trains à grande vitesse et d'autobus interurbains
Au 19ᵉ siècle, le chemin de fer a été le pilier de notre économie. Au 21ᵉ, le train à grande
vitesse peut jouer ce rôle de nouveau. Pourtant, nos territoires accusent un sérieux retard dans
ce domaine à l'échelle internationale.
Un réseau de TGV permettrait de remplacer bon nombre de vols court-courriers et de trajets en
voiture, tout en réduisant considérablement les émissions. Ce réseau doit être complété par un
maillage d'autobus régionaux, essentiel pour relier les petites collectivités et assurer une
couverture équitable du territoire. L'échec des sociétés d'autobus privées à livrer des services
de transport collectif en régions exige l'intervention du secteur public.
Le projet Alto, qui vise le corridor Toronto–Québec, constitue une première étape importante.
Mais il reste limité à une partie du pays et n'inclut aucun nouveaux services de desserte
régionale par autobus. De plus, son modèle fondé sur un partenariat public-privé a montré ses
faiblesses ailleurs.
Ce qu'il faut, c'est un véritable service public de TGV desservant le pays d'est en ouest au nord,
soutenu par des réseaux d'autobus régionaux. Un tel projet entraînerait des bénéfices pour
toutes les communautés qui y seraient reliées. Si l'ensemble des véhicules est électrique, les
retombées climatiques seraient majeures. Par ailleurs, l'augmentation de la demande pour ces
véhicules, couplée à des investissements publics dans le secteur manufacturier et des
nouvelles normes de contenu canadien pourrait devenir un puissant moteur de développement
industriel.
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Mettre en œuvre une stratégie canadienne de résilience, d'intervention et de reconstruction
Les catastrophes survenues à Lytton, Jasper, Fort McMurray et Slave Lake illustrent les
conséquences humaines dramatiques des changements climatiques. Ces communautés ne
sont malheureusement pas des cas isolés. Sans action rapide à l'échelle mondiale, les
dommages pour le Canada pourraient atteindre 100 milliards de dollarspar an d'ici 2050.
Le gouvernement fédéral dispose des leviers nécessaires pour agir, mais les investissements
actuels en adaptation demeurent largement insuffisants. Pourtant, chaque dollar investi en
prévention permet d'éviter entre 13 et 15 dollars en pertes futures.
En cas de catastrophe, le gouvernement fédéral doit aussi jouer un rôle plus actif pour soutenir
la reconstruction des communautés. Un soutien inadéquat ralentit leur relance et alourdit les
impacts économiques. Désigner un ministre responsable de l'intervention et de la reconstruction
serait une première étape essentielle pour bâtir une réponse plus rapide, plus cohérente et plus
efficace. Le gouvernement fédéral doit également disposer des ressources nécessaires afin
d'appuyer les efforts d'intervention et de reconstruction qui impliquent plusieurs paliers de
gouvernement et de nombreux acteurs privés.
Comment financer ces mesures
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Renforcer le principe du pollueur-payeur
La loi fédérale oblige les pollueurs à assumer les coûts que leurs activitésimposent à la société
— généralement par des programmes de responsabilité élargie des producteurs ou des
paiements directs aux gouvernements. Par exemple, en cas de déversement pétrolier, c'est à
l'exploitant de l'oléoduc de financer le nettoyage. Pourtant, ce principe demeure largement
inappliqué dans le contexte climatique.
L'industrie des combustibles fossiles est la principale source de pollution carbone au Canada,
responsable deprès du tiers des émissionsde gaz à effet de serre à l'échelle fédérale.
Pourtant, elle n'est pas tenueresponsable des dommages climatiques qu'elle engendre.
Pour appliquer concrètement le principe du pollueur-payeur à cette industrie, on pourrait
instaurerune taxe sur les dommages climatiques — sous forme de surtaxe ou de redevance
supplémentaire sur la production de pétrole, de gaz et de charbon. Les revenus générés
seraient versés directement à un fonds national de résilience, d'intervention et de
reconstruction. Selon le niveau de taxation retenu, des milliards de dollars seraient redirigés des
activités polluantes vers la sécurité et la protection de nos collectivités.
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Réaffecter les subventions à la production de combustibles fossiles
Entre 2021 et 2023 — dernières années pour lesquelles des données sont disponibles —
l'industrie pétrolière et gazière a généré 138 milliards de dollars de profits au Canada, tout en
contribuant très peu aux efforts collectifs de lutte contre les changements climatiques. Malgré
cela, elle continue de bénéficier d'un soutien financier massif de la part du gouvernement
fédéral.
Ce soutien prend la forme de subventions directes à l'infrastructure, comme pour l'expansion de
l'oléoduc Trans Mountain, ou encore de garanties de prêt et d'un financement public offerts par
des sociétés d'État telles qu'Exportation et développement Canada. Ces subventions
reviennent à imposer un prix négatif sur le carbone, ce qui a pour effet d'encourager davantage
la pollution.
Bien que les montants varient d'une année à l'autre, les subventions fédérales à l'industrie
fossile ont comptabilisé au moins 75 milliards de dollars au cours des cinq dernières années —
un chiffre qui ne tient pas compte des échappatoires dans le système de tarification du carbone
industriel, qui représentent à elles seules environ3 milliards de dollars par an.
Mettre un terme à ces subventions libérerait chaque année plusieurs milliards de dollars en
fonds publics, qui pourraient être investis dans la transition vers une économie plus propre, plus
juste et plus durable.
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Créer une banque publique de développement
Au-delà des dépenses directes, le gouvernement fédéral peut jouer un rôle clé pour stimuler les
investissements sobres en carbone et générateurs d'emplois, en mobilisant une finance
publique au service d'objectifs collectifs. Contrairement à l'Allemagne, à la Chine, au Brésil et à
bien d'autres pays, le Canada ne dispose pas d'unevéritable banque nationale de
développement.Les sociétés d'État fédérales existantes soutiennent principalement les
investissements privés à but lucratif.
La création d'une banque publique de développement, axée sur des projets climatiques d'intérêt
public, permettrait de faciliter l'accès au capital pour les municipalités et les groupes
communautaires.
Cette banque exigerait une capitalisation publique initiale de plusieurs milliards, voire de
dizaines de milliards de dollars. Toutefois, en tant que prêteuse et détentrice d'actifs, elle
générerait des revenus pour le gouvernement fédéral tout en accélérant les efforts de
décarbonation portés par les collectivités et le secteur public à travers le pays.
Signataires :
Conseiller Francis Allaire, Blainville
Conseiller Pierre-Luc Arsenault, Chandler
Conseiller Adam Baden-Clay, Antigonish County
Conseillère Lori Baldwin-Sands, St. Thomas
Conseillère Anne Barabé, Boucherville
Mairesse Évelyne Beaudin, Sherbrooke
Maire Merlin Blackwell, Clearwater
Conseillère Loïc Blancquaert, Saint-Lambert
Conseiller Jacques Bouchard, Saint-Jérôme
Conseiller Phil Brennan, Severn
Conseillère Gabrielle Brisebois, Montmagny
Maire Vickey Brown, Cumberland
Conseillère Sue Cairns, Kimberley
Maire adjoint Godwin Chan, Richmond Hill
Conseiller Debbie Chapman, Kitchener
Maire Scott Christian, Region of Queens
Conseiller Karen Cilevitz, Richmond Hill
Conseiller Jean Cloutier, Deschambault-Grondines
Conseiller Will Cole-Hamilton, Courtenay
Maire Spencer Coyne, Princeton
Conseillère Catherine Craig-St-Louis, Gatineau
Conseiller David Croal, Gibson
Maire Martin Damphousse, Varennes
Conseiller Etienne Decelles, Sainte-Angèle-de-Monnoir
Conseillère Kacy DeLong, District of Lunenburg
Conseillère Anik Des Marais, Gatineau
Conseiller Alicia Despins, Québec
Maire Corrie DiManno, Banff
Conseiller Deborah Doherty, Collingwood
Conseiller Étienne Dupuis, Crabtree
Conseillère Hilary Eastmure, Nanaimo
Conseiller Jon Farmer, Owen Sound
Conseillère Jane Fogal, Halton Hills
Maire Adrian Foster, Clarington
Mairesse adjointe Sarah Fowler, Tahsis
Conseiller Skylar Franke, London
Conseillère Danielle Fraser, Westville
Conseiller David Froh, Regina
Conseiller Pete Fry, Vancouver
Directeur de secteur Justine Gabias, Halfmoon Bay
Conseillère Mélodie Georget, Mont-Saint-Hilaire
Maire Pierre Germain, Prévost
Conseiller Derek Giberson, Oshawa
Conseillère Christine Gingras, Plessisville
Conseillère Alison Gu, Burnaby
Conseiller Pierre Guénard, Chelsea
Maire Marc-André Guertin, Mont-Saint-Hilaire
Maire adjoint Benjamin Hendriksen, Yellowknife
Conseiller Linda Heshka, Melville
Conseiller Doug Hillian, Courtenay
Conseiller David Huggins-Daines, Sainte-Adèle
Maire Richard Ireland, Jasper
Conseiller Michael Janz, Edmonton
Conseiller Evan Jolicoeur, Courtenay
Conseillère Susan Kim, Victoria
Maire Sean Krausert, Canmore
Maire Dan Kutcher, Summerside
Conseillère Joy Lachica, Peterborough
Conseiller Jérémy Laplante, Paspébiac
Conseiller Joey Leckman, Prévost
Conseillère Line Légaré, Saint-Adolphe-d'Howard
Conseiller Martin Leprohon, Saint-Basile-le-Grand
Conseillère Laure Letarte-Lavoie, Sherbrooke
Maire Adam Lordon, Miramichi
Conseillère Cecilia Macedo, Laval
Conseillère Leah Main, Silverton
Conseiller John Manuel, Golden
Mairesse Maude Marquis-Bissonnette, Gatineau
Directrice de secteur Robyn Mawhinney, Strathcona Regional District
Conseiller Reid McAlpine, Markham
Maire Dorothy McCabe, Waterloo
Conseillère Melanie McCollum, Courtenay
Conseiller Ian McGrath, Truro
Conseillère Jessica McIlroy, North Vancouver
Conseiller Tom McLennan, Yellowknife
Conseillère Jennifer Meilleur, Comox
Conseiller Shawn Menard, Ottawa
Conseillère Kim Méthot, Saint-Basile-le-Grand
Conseillère Wendy Morin, Courtenay
Conseiller David Morin, Mont-Saint-Hilaire
Conseillère Lenore Morris, Whitehorse
Conseillère Joy-Anne Murphy, Camrose
Directrice de secteur Alison Nicholson, Cowichan Valley Regional District
Conseiller Troy Nixon, Fernie
Mairesse adjointe Sheilagh O'Leary, St. John's
Conseiller Aaron Paquette, Edmonton
Conseillère Valérie Patreau, Outremont, Montréal
Conseiller Laura Patrick, Salt Spring Island / Islands Trust
Conseillère Leslie Payne, Nelson
Conseiller Chris Pettingill, Squamish
Conseillère Teale Phelps Bondaroff, Saanich
Mairesse Valérie Plante, Montréal
Maire Jacques Poulin, Fossambault-sur-Le-Lac
Conseillère Sherri Rollins, Winnipeg
Conseillère Bridget Ryan, Erin
Conseillère Dianne Saxe, Toronto
Conseillère Margo Sheppard, Fredericton
Conseiller Evan Spencer, Calgary
Maire Michelle Staples, Duncan
Conseillère Wendy Stephen, Kingston
Conseillère Jenny Tan, Maple Ridge
Conseillère Keren Tang, Edmonton
Conseiller Alvin Tedjo, Mississauga
Conseiller Jonathan Théorêt, Chertsey
Conseiller Troy Therrien, Cumberland
Conseillère Natacha Thibault, Otterburn Park
Conseiller Sam Trosow, London
Conseiller Alexandre Turcotte, Otterburn Park
Conseiller Benjamin Turcotte, Val-d'Or
Conseiller Tony Valente, North Vancouver
Mairesse Mélanie Villeneuve, Otterburn Park
Conseillère Mary Wagner, Langford
Conseiller Courtney Walcott, Calgary
Conseiller Nick Ward, Cumberland
Conseiller Pat Warren, Kawartha Lakes
Conseiller Alexandre Warnet, Laval
Maire Bob Wells, Courtenay
Conseiller Howard Williams, Wolfville
Conseillère Michael Wolfe, Richmond
Conseiller Jesse Wright, District of Mackenzie
Conseillère Shanon Zachidniak, Regina
Conseiller Margaret Zwart, Clarington
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La Coalition Halte-Air Saint-Hubert interpelle les candidat.e.s aux élections fédérales

Longueuil, 11 avril 2025. - La Coalition Halte-Air Saint-Hubert vient d'adresser un sondage d'une quinzaine de questions aux candidat.e.s des différentes formations politiques pour connaître leur position sur le développement de l'aéroport Saint-Hubert de Longueuil. Ce sondage est accompagné d'un dossier d'information qui est public.
La Coalition rappelle que les aéroports sont de juridiction fédérale, et conséquemment, les députés fédéraux des circonscriptions proches de l'aéroport Saint-Hubert non seulement se doivent d'avoir un positionnement politique, mais aussi un pouvoir d'intervention sur tout projet d'expansion qui aura des impacts sur la vie, la santé, les finances de leurs électrices et électeurs, et de leurs familles.
De plus, la question des conséquences climatiques de l'expansion de l'aéroport est d'autant plus pertinente qu'Environnement Canada a annoncé début janvier que « 2025 sera l'une des trois années les plus chaudes jamais enregistrées depuis l'ère préindustrielle ». La Coalition rappelle qu'en 2019 le Bloc Québécois, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le Parti Vert ont endossé la Déclaration citoyenne universelle d'urgence climatique, puis qu'avec le Parti Libéral (PLC), ces partis se sont aussi engagésfin 2024 à respecter le Consensus québécois en environnement. Parmi ces engagements, figurent :
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"Nous croyons que les changements climatiques sont un enjeu prioritaire et nous sommes engagés à agir pour réduire les émissions de GES de notre province." " Nous voulons nous déplacer de manière plus durable et avoir accès à des options de transport moins polluantes, efficaces et abordables."
Dans ce contexte, la Coalition invite les candidat.e.s à prendre leurs responsabilités et à remplir le sondage rapidement. La Coalition en publiera les résultats sur les réseaux sociaux et en informera les 6000 personnes qui ont signé sa pétition.
Les quelques candidat.e.s dont les coordonnées ne sont pas encore connues ou rendues publiques sont invité.e.s à contacter la Coalition pour recevoir toute l'information nécessaire.
Pour information : coalition.halteair@gmail.com
https://www.facebook.com/coalitionhalteairSH
instagram.com/coalitionhalteairsh/
https://twitter.com/Coalition_YH
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Le CNC demande à Carney et Poilievre de mettre cartes sur table à propos de l’assurance-emploi

Montréal, le 14 avril 2025 – À l'approche des débats des chefs, le Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC) demande aux chefs des libéraux et des conservateurs d'expliciter leurs positions respectives sur l'assurance-emploi.
« Si le NPD et le Bloc Québécois ont fait preuve de clarté, il faut que les électeurs et électrices sachent quels sont les plans à propos de l'assurance-emploi de ceux qui aspirent à les gouverner. Dans le contexte actuel de guerre commerciale et d'incertitude économique généralisée, il est fondamental pour les chefs de faire preuve de clarté », a déclaré Selma Lavoie, co-porte-parole du CNC.
Ainsi, le CNC formule deux questions précises pour les chefs du Parti libéral et du Parti onservateur :
• Après l'annonce de mesures temporaires par son gouvernement, est-ce Mark Carney conserve
l'engagement de son parti quant à l'implémentation d'une réforme permanente de l'assurance emploi, permettant une couverture plus élargie et des protections pour les travailleurs et travailleuses saisonniers et autonomes, notamment ?
• Dans le contexte de la guerre commerciale, est-ce que Pierre Poilievre considère toujours qu'améliorer l'admissibilité de l'assurance-emploi conduirait à « une augmentation permanente du
chômage » (comme il le disait en 2009, en pleine crise économique, et en 2016) et que les programmes d'aide sont une façon pour le gouvernement de « payer les gens pour ne pas travailler » (comme il le disait en 2021, en pleine pandémie) ?
« Les deux principaux partis n'ont a pas encore publié de plateformes véritables : nous attendons leurs réponses avec impatience », a conclu Milan Bernard, co-porte-parole du CNC.
Le CNC en campagne !
Avec le slogan, « QUAND LA MENACE PLANE, ÇA PREND UNE VRAIE ASSURANCE-EMPLOI ! », le CNC compte faire de l'assurance-emploi un enjeu important de l'élection. Dans cet objectif, il s'est inscrit comme « tiers » auprès d'Élections Canada, et déploie en ce moment sur l'ensemble du territoire québécois des milliers de pancartes de type électoral et une large panoplie d'outils de communication en ligne.
Pour en savoir plus : www.lecnc.com/pensezy
Source : Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC)
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Le Pee Wee Jagmeet Singh

Il y a quelque chose d'irréel à voir évoluer le Nouveau Parti démocratique (NPD). Son leader Jagmeet Singh fait figure d'égaré dans l'immense joute électorale qui se déroule en ce moment. Il s'est replié sur les thèmes traditionnels du parti, qui tournent autour de la justice redistributive essentiellement. "Faisons payer les riches", clame-t-il à tout propos.
Il a raison bien sûr, mais dans le contexte du présent l'affrontement canado-américain, sa candidature au poste de Premier ministre ou même de chef de l'Opposition officielle ne peut être prise au sérieux. Il ne s'illusionne pas lui-même là-dessus en dépit du fait qu'il ne l'admettra jamais publiquement.
Le parti stagne à 8% d'intentions de votes, tout juste devant les Verts. Singh a beau répondre qu'il se soucie de faire campagne et de défendre les thèmes chers à sa formation, il ne peut pas ne pas s'apercevoir qu'elle se dirige vers une marginalisation peut-être irrémédiable. L'avenir le dira. Mais il descend de 17% du vote obtenu en 2021 à 8% selon les derniers sondages. La chute est donc considérable. Le parti se trouve plus isolé que jamais et son chef ne parvient pas à rassembler et galvaniser ses militants et électeurs. Le NPD est coincé entre deux géants de la politique fédérale, le Parti libéral dirigé par Mark Carney et le Parti conservateur de Pierre Poilievre. L'ensemble de l'électorat ne prête pas une oreille attentive aux dénonciations convenues de Jagmeet Singh contre les riches. L'électorat porte toute son attention sur Carney et Poilievre pour savoir lequel est le plus en mesure d'affronter le président américain Donald Trump afin de défendre les intérêts canadiens dans l'immense conflit commercial qui se déploie sous nos yeux en ce moment. Le Canada se trouve à un moment-charnière de son histoire.
Carney et Polievre dirigent deux partis importants, les seuls à vocation de pouvoir. Les petits joueurs (comme le NPD, le Bloc québécois et les Verts) ne sont guère écoutés par la masse de l'électorat, qui les perçoit comme ne faisant guère le poids dans ce duel de titans. En ce sens, Jagmeet Singh rame dans le vide, en dépit de la pertinence de plusieurs de ses propositions.
Il a perdu beaucoup de ses appuis traditionnels au profit des libéraux, ce qui n'a rien de surprenant quand on y regarde de plus près. Plusieurs partisans néo-démocrates sont en effet des libéraux de gauche qui veulent empêcher à tout prix l'arrivée au pouvoir des conservateurs de Pierre Poilievre et mettre en place un premier ministre capable de tenir tête à Donald Trump. Alors que monsieur Singh se contente de radoter les thèmes traditionnels du parti sur toutes les tribunes, c'est Mark Carney qui rafle la mise comme meilleur premier ministre capable de contrecarrer les plans de Trump. Que cette perception soit juste ou erronée, elle impose à monsieur Singh l'image d'un rêveur plus ou moins compétent en matière de relations avec les États-Unis "trumpiens".
Autre erreur de monsieur Singh : vu qu'il a détenu la balance du pouvoir après le scrutin de 2021, il s'est exagéré la force de son parti en forçant Justin Trudeau à adopter quelques mesures progressistes issues de son programme. Il faut dire que la conquête de la présidence par Trump a depuis radicalement a changé la donne, autant partisane que diplomatique.
Il faut mentionner le sempiternel problème du manque d'audience du NPD au Québec. Jagmeet Singh n'est venu que rarement dans "la Belle Province" où seul Alexandre Boulerice "tient le fort" dans le comté montréalais de Rosemont-La Petite-Patrie. Monsieur Singh n'a jamais adopté de plan cohérent pour affirmer une présence néo-démocrate ici. Aucune équipe substantielle ne fut constituée, aucun lieutenant éminent de monsieur Singh n'a jamais parcouru les comtés du Québec. On n'a observé aucun effort de sa part pour mettre sur pied une équipe de candidats inspirants aptes à drainer le vote populaire québécois. Considérerait-il donc le Québec comme obstinément réfractaire à son parti ?
Pourtant, l'électorat québécois avait donné 59 députés au NPD lors du scrutin fédéral de 2011 sous Jack Layton (un anglo-montréalais), ce qui prouve au contraire que le Québec n'est pas une terre stérile pour le parti quand il consent aux efforts requis pour y conquérir une audience. On est présentement loin du compte. Les successeurs de monsieur Layton, Thomas Mulcair d'abord puis ensuite Jagmeet Singh ont gaspillé cet héritage, laissant reculer le parti en termes de votes et de députés. Seul Alexandre Boulerice a réussi à se maintenir en place, mais survivra-t-il politiquement cette fois encore ? On ne peut guère le prévoir, mais il faut l'espérer.
Libéraux et néo-démocrates sont deux formations qui se voient comme multiculturalistes et, par conséquent, qui se méfient du nationalisme québécois, en particulier sous sa forme indépendantiste. Les mesures qu'ils mettent de l'avant s'inspirent d'une centralisation qui heurte l'autonomisme québécois. Le Parti libéral étant une formation à vocation de pouvoir et le NPD se complaisant généralement dans le rôle de "bonne conscience" sociale du Parlement, les libéraux peuvent se présenter comme des centristes de gauche, capables de mettre en oeuvre des politiques progressistes. On le sait, les libéraux sont très habiles à piller les propositions de leurs adversaires conservateurs et néo-démocrates pour accroître leur audience auprès de la population.
En négligeant le Québec et son importante frange nationaliste (que ce soit sous sa version autonomiste ou indépendantiste), les néo-démocrates se coupent de la province la plus importante en termes de population et de comtés, après l'Ontario.
Enfin, Jagmeet Singh n'est pas le chef approprié pour percer au Québec et sortir le parti du pétrin, en dépit de sa bonne volonté et de la sympathie qu'il peut inspirer. Après la probable victoire libérale du 28 avril prochain, et le score sans doute minable que son parti récoltera si on se fie aux sondages actuels, ce qui reste de militants et de militantes lui montreront sans doute la porte. Il faudra reconstruire le NPD.
Cela constituerait le moment idéal pour lui redonner un nouveau souffle et le doter d'une autre direction dont la conquête du Québec constituerait une des principales missions. Sinon, on peut craindre qu'il ne sombre dans une marginalité définitive, prélude à sa possible disparition. En résumé, il doit se doter d'une culture du pouvoir, à moins de vouloir demeurer indéfiniment dans l'opposition. La politique est l'art du possible, lequel repose largement sur celui du compromis. Le pragmatisme doit l'emporter si on veut changer les choses en profondeur.
Jean-François Delisle
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Résister à la droite conservatrice : un champ miné de doutes

L'élection fédérale de 2025 soulève des enjeux cruciaux quant à la lutte contre la montée généralisée de l'extrême droite populiste, démagogique et destructrice des acquis des droits sociaux, culturels et économiques depuis la Deuxième Guerre mondiale.
On ne peut ignorer l'expansion des dérives autoritaires de l'extrême droite dans plusieurs pays, au premier chef aux États-Unis, mais ce phénomène a ses avatars en Europe, en Argentine (Milei), au Brésil (Bolsonaro) et au Canada avec le parti conservateur sous la main de fer de Pierre Poilièvre déguisé en agneau avec son image surannée du bon père de famille. Ses discours trahissent sa source d'inspiration, soit la mouvance libertarienne radicale du développement capitaliste. Comme acteur politique, il incarne le combattant suprême contre l'État, institution centrale garante de la promotion et de la protection de principes démocratiques pour maintenir une forme de cohésion et des dérives abusives. Sa proposition phare consiste à annoncer des baisses d'impôts ; il n'a pas encore sorti la tronçonneuse comme Milei et Musk, mais ça s'en vient. Derrière les baisses de taxes se profilent les coupures et l'affaiblissement de l'État et de ses services. En d'autres termes, les politiques sociales en faveur du bien commun sont remises en question.
La conjoncture actuelle correspond à une étape plus poussée dans la transformation accélérée de l'impérialisme et des moyens de production et de communication contrôlée par une bourgeoisie de plus en plus riche et de plus en plus conquérante. Dans un contexte déroutant, Donald Trump clame devant le monde entier : « Libération ! » Son exclamation vise à célébrer tous ses espoirs dans les modes de production libertariens qui se veulent par essence sans foi ni loi. Les capitalistes se veulent complètement libres de faire croître leur capital sans aucunes restrictions sans se préoccuper des intérêts et des besoins des travailleurs, des travailleuses et de l'ensemble des citoyens et des citoyennes. Plus près de nous, le nouveau prêcheur canadien du capitalisme libertarien, Pierre Poilièvre, déclame sa prophétie fallacieuse : « si vous travaillez fort, vous pourrez vous bâtir une maison… » Il pourrait le dire autrement en explicitant sa pensée pour réduire le rêve individuel à sa dimension matérielle et à la propriété privée, sans autre horizon que de réduire la vie de chaque individu aux limites d'un bungalow. Comme prêcheur de la méritocratie individualiste, il n'est que le reflet de cette logique libertarienne. Et c'est ce qui le rend dangereux et toxique, car les citoyens et les citoyennes sont réduits à la passivité, trop occupés à payer leur hypothèque à la banque, obligation perçue comme une laisse sans fin.
Les sirènes d'un bonheur factice.
Le bonheur promu par Pierre Polièvre et ses fidèles correspond à leur credo libertarien ; le chef utilise tous les canons de la propagande pour promouvoir une société complètement dominée par les forces dynamiques du marché : fabrication d'ennemis imaginaires (ses opposants, les fonctionnaires, les journalistes, les intellectuels, etc.) ; promotion de l'individualisme et du paternalisme ; mépris des institutions (Poilièvre a souvent qualifié des maires et mairesses d'incompétents, par exemple) ; l'utilisation d'avanies multiples si nécessaires ; la promotion d'une sorte de paradis mythique fondé sur l'argent, etc. Comme le souligne Edgar Morin dans son dernier livre, Cheminer vers l'essentiel, « "En politique, on peut même dire que l'imaginaire est plus réel que le réel. Au nom d'une idée, d'une idéologie, on peut massacrer une population tout entière. Donc, l'imaginaire est plus fort que le réel. Nous sommes guidés par des obsessions, des fantasmes répétitifs, des images culturelles qui nous poursuivent. Nous cherchons un visage mythique à travers les visages réels, et le visage mythique est plus important que le visage réel sur lequel se plaque le mythe pour exister.1"
Pierre Poilièvre est le promoteur du perpétuel chantier des constructeurs d'une société productiviste en croissance perpétuelle pour nourrir la consommation… rentable pour l'élite économique et financière. Et ces césars ne chôment jamais. Ils arrivent à convaincre la masse que leur sort dépend de leurs capacités individuelles et qu'accéder à la capacité de consommer est le comble du bien-être. Cela dit, nous savons très bien comme l'a formulé clairement K. Marx et je paraphrase : les conditions d'existence des êtres humains dans la dynamique des rapports de production déterminent leur niveau de conscience. Dans une société de consommation, la plupart des gens peuvent très bien se satisfaire de protéger leur capacité à consommer sans percevoir la nécessité de s'inscrire dans la dynamique du développement pour le bien commun ; les valeurs sont réduites à la sphère personnelle. Dans un tel contexte, il est très difficile d'espérer que la masse puisse développer une conscience critique qui induit la capacité à agir et à dénoncer les mécanismes de domination et d'exploitation sur le plan politique. Par contre, souvent d'une manière surprenante, les gens simples perçoivent facilement où se trouvent leurs intérêts et cherchent quelles stratégies adopter pour les protéger et les promouvoir. Personne n'est indifférent au drame socioéconomique et politique qui se joue actuellement dans le grand théâtre international et sur la scène canadienne.
Une position circonstanciée.
Dans cette conjoncture, il me semble opportun de tenter une analyse circonstanciée, marquée par le doute. Reportons-nous à l'importante résistance organisée rapidement par une stratégie de résistance à l'envahisseur nazi. Louis Aragon, militant de la première heure a élaboré un discours national pour alimenter la réflexion de militant.e.s et de démocrates et les convaincre d'unir leurs forces pour combattre les envahisseurs, pas dans la perspective de gagner la guerre, mais de nuire à leurs avancées sur le terrain militaire, politique et idéologique. Les positions des résistant.e.s ne tenaient pas à un discours de circonstance, car ce sont bien les circonstances qui ont propulsé ce discours comme un outil de combat efficace contre la dictature fasciste. Comme le disait Aragon lui-même : « Je suis à la recherche d'un langage, un langage qui soit celui de notre temps, de notre peuple, et à la fois de la plus haute vague. Dans cette année, j'ai lu beaucoup de poèmes, les poèmes des autres […] je me dis qu'il faut étudier ce que les autres écrivent (Aragon 1935c : 1220).2 » Sa position indique qu'il cherchait le langage d'une position articulée et cohérente qui s'inscrirait dans les circonstances de son époque traversée par le doute sur l'avenir de l'Europe et de la France, en particulier, face à l'occupation allemande.
Comme le mentionne Fernando Pessoa dans son livre Livro do desassassossego3 (Le livre du doute) : « parfois on établit des théories en les pensant patiemment et honnêtement pour parfois agir contre elles ». Au moment d'écrire ces lignes, même en scrutant l'horizon le plus lointain, je ne vois aucun parti politique fédéral en mesure de présenter une remise en question fondamentale du système de domination capitaliste dans sa forme actuelle, bien au contraire. La mouvance du développement capitaliste libertarien progresse toutes voiles dehors. De plus en plus, l'élite bourgeoise économique mondiale cherche à éliminer toutes les entraves à la course à l'accumulation : affaiblissement de l'État, coupures dans les services, baisses de taxes et d'impôts, abandon de politiques sociales inspirées de la recherche d'une plus grande égalité socioéconomique, abandon de politiques fondées sur la promotion des droits socioéconomiques, abandons de la recherche de solutions à des problématiques cruciales comme le réchauffement climatique, etc. Certains économistes théoriciens derrière Trump proposent même d'abolir tous les impôts et de laisser la société être régulée selon les lois du marché. Adieu aux politiques sociales. En fait, on attaque les acquis historiques sur le plan des droits fondamentaux et socioéconomiques sur tous les plans. Devant les ignominies causées par l'élection de D. Trump, prototype du monstre déguisé en pierrot qui tente de nous faire danser devant l'autodafé des progrès sociaux, culturels, politiques et économiques, diverses formes de mobilisations créatrices s'imposent pour contrer les conséquences négatives de politiques destructrices. Tout n'est pas dit.
Signe encourageant, de plus en plus de gens protestent contre les politiques funestes de la droite, mais à ce jour, les révoltes populaires agissent sans une direction politique organisée et structurante. Aux États-Unis le parti démocrate semble en panne d'inspiration et les forces progressistes condamnées au doute et au silence cheminent à vau-l'eau. Est-ce que ce mouvement va se traduire en des positions susceptibles de faire bouger les partis politiques ? Difficile à dire, mais deux questions se posent à l'heure actuelle dans le cadre de la logique électoraliste canadienne :
Quel parti politique peut soutenir ou, à la limite, « récupérer » le mouvement social de protestation et d'affirmation contre les politiques libertariennes ?
Quel parti est le plus susceptible de protéger les principaux acquis sur le plan des droits individuels et des droits socioéconomiques ?
Dans le cadre de notre système électoral bipartite hérité de l'impérialisme britannique, les vieux partis bourgeois (conservateurs ou libéraux) alternent au pouvoir,4 mais la trame de fond reste toujours la même : maintenir les règles du jeu propre au développement capitaliste. Les tiers partis (NPD, Verts, Bloc Québécois et autres) jouent aussi dans le même film, trop souvent tout simplement comme figurants. Chaque capitaine des trois partis négligés s'accroche au cordage de son rafiot ballotté par des vents contraires en tentant de tendre la grande voile vers une victoire illusoire. Rien n'y fait. Bien sûr, ils représentent la partie congrue des électeurs et électrices porteurs de préoccupations fondées sur la recherche de la justice sociale, économique et culturelle et qui n'ont pas d'autres voix au gouvernement, mais leur voix est condamnée à l'opposition ; à l'occasion, ils arrivent à proposer des politiques alternatives, mais leur discours est emporté par le vent dominant. Cela dit, sans jamais pouvoir accéder aux commandes, les partis dits tiers restent condamnés à poser des questions et à tenter d'influer sur le cours des affaires politiques.
La conjoncture actuelle invite à la résistance.
Les événements historiques, incluant les actuels, sont en bonne partie déterminés par l'évolution des moyens de production et des superstructures que sont les institutions juridiques, politiques et la culture. Les conditions du développement sont imposées arbitrairement depuis fort longtemps ; nous héritons d'un passé vicié par un type de développement qui contribue à maintenir les inégalités sociales et économiques imposées par une caste dominante toujours avide d'une croissance continue afin de faciliter l'accumulation accélérée de dividendes. La lutte de classe se vit de mille manières selon les dimensions d'une conjoncture particulière. Aujourd'hui, La masse subit le sillage de la domination impérialiste des États-Unis. Tout le monde cherche une esquive, sans trop de succès.
Si je résume grossièrement, les gens de gauche, hier comme aujourd'hui, nous sommes toujours condamnés à voter pour un parti qui signifie voter pour le moindre mal. Dans la conjoncture actuelle, considérant les aspirations populaires en marche pour lutter contre les abus de pouvoir de la clique de plouques milliardaires à Washington, nous voilà forcés d'analyser sérieusement quel chef et quel parti est le plus en mesure de faire barrage à la montée de l'extrême droite au Canada et aux États-Unis ? En un sens, je pourrais dire simplement : poser la question, c'est y répondre, mais ce n'est pas tout à fait le cas. En réalité, les partis de l'opposition (NPD, BQ et verts), se retrouvent un peu K.O. devant la mouvance de la droite, même réduits à proposer des « réformettes » qui tombent à plat dans le contexte actuel. De leur côté, les deux protagonistes principaux sur la scène (PLC et PC) jouent la partition de la promotion des politiques conformes aux canons du néolibéralisme économique qui cherche à se redéfinir avec une fausse symphonie harmonieuse sur les rapports sociaux et des enjeux cruciaux (développement économique et commercial, lutte contre le changement climatique, maintien des programmes sociaux, immigration, développement militaire, etc.). Le PC, avec à sa tête Pierre Poilièvre, minus avatar de Trump, porteur d'un dogmatisme obtus, présente le capitalisme libertarien comme la « libération » absolue du bon peuple captif du méchant monstre que serait un gouvernement libéral à la tête de l'État. Pierre Poilièvre joue l'ange avec un nez de Pinocchio pour annoncer le paradis libertarien à venir qui serait marqué par un négativisme assumé :
1) Diminution de la taille de l'État en évoquant le trop grand nombre de fonctionnaires, trop de services inutiles, trop d'incompétents, etc.
2) Attaques frontales des droits sociaux et des politiques sociales.
3) Remise en question des institutions ;
4) Contrôle des communications (attaque des journalistes, attaque contre CBC, etc.) ;
5) Développement d'une dynamique de confrontation avec les ennemis de l'intérieur inventés de toutes pièces.
6) Renforcement des politiques militaristes ;
7) Ignorance des enjeux environnementaux et promotion de stratégies extractives surannées.
8) Remise en question des droits des minorités.
9) Et la liste des discours et des pratiques propagandistes mensongers et porteurs d'ignominies s'allonge au jour le jour.
Devant cet état de fait propre à la conjoncture actuelle, sommes-nous condamnés à l'abstention ou à voter pour le parti qui offre une chance de bloquer le renforcement d'une droite destructrice, intolérante et violente ? Peu importe les dimensions de notre analyse, nous nous butons à une aporie de fond qui ne peut être le dernier mot au sujet du vote dans cette élection. J'insiste, nous sommes face à une attaque frontale des acquis et des droits sociaux gagnés de haute lutte. Alors se pose la question la plus sagace : que faire ? Difficile de formuler une réponse claire et exhaustive… C'est frustrant. Encore là, Edgar Morin nous rappelle que « nous sommes dans un temps où nous devrions prendre conscience de l'aveuglement issu de notre mode de connaissance unilatéral et compartimenté, incapable de saisir les grands problèmes globaux qui nous assaillent. Nous avons besoin d'une prise de conscience vitale, de la complexité de nos problèmes et de notre monde.5 » Mais alors ? Nous agissons dans une dynamique de résistance ; comme le répétait Louis Aragon dans la résistance face à l'occupation allemande :
« Rien n'est jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix.6 »
Le doute est intrinsèque à toute forme de résistance.
Sans illusion, sans l'espoir d'un changement en profondeur des règles du jeu du système actuel, le moindre mal consiste-t-il à élire le PLC porté par un économiste en chef qui a au moins les compétences et les capacités intellectuelles et (je l'espère, morales) de comprendre l'importance de protéger l'essentiel des acquis quant aux droits sociaux et économiques. C'est fondamental. Mark Carney semble être le seul en mesure d'envoyer Pierre Poilièvre à l'ombre sur les banquettes de l'opposition, limitant ainsi les torts que les stratégies conservatrices pourraient causer au peuple canadien. Dr Mark Carney est-il le magicien susceptible de présenter une ligne de défense solide face au gouvernement de Donald Trump ? À cette étape-ci de la campagne électorale, il a réussi à garder D. Trump à distance. Dans une dynamique de résistance, toutes les stratégies démocratiques sont permises, même si elles peuvent paraître bancales et lacunaires.
Personnellement, par conviction, je ne votais pas habituellement pour le PLC au cours de ma longue vie. Alors, même si je suis loin d'être d'accord avec toutes les propositions du PLC, notamment sur le plan militaire et environnemental, au risque de passer pour un renégat, je crois pertinent de voter pour le PLC. Il me semble que dans la conjoncture actuelle, sur le plan de l'éthique politique, ce parti peut au moins réduire la capacité de nuire du PC pendant les années à venir et présenter une ligne de défense cohérente face au gouvernement de Donald Trump.
En bout de piste, voter demain me questionne sur le plan éthique : comment devrais-je voter ? Annuler mon vote ou voter pour un projet en m'inscrivant dans une perspective de résistance ? Annuler serait la pire option, car cela signifierait tolérer l'intolérable présence de l'insignifiant petit seigneur populiste et dogmatique du capital qu'est Pierre Poilièvre, lequel aspire à siéger comme chef d'un parti qui se prétend le parangon moral d'un développement paradisiaque pour une grande partie des citoyens et des citoyennes du Canada. Triste scénario. En réalité, chaque citoyen et chaque citoyenne doit voter, en son âme et conscience, pour le candidat ou la candidate de sa circonscription susceptible de faire progresser les droits fondamentaux, sociaux et économiques de l'ensemble de la population.
Somme toute, nous sommes confrontés aux mêmes questions que posait Platon, le fameux philosophe grec, auteur de La république, ouvrage élaboré en réaction aux avanies des pouvoirs autarciques. Il met de l'avant l'idée fondamentale que la Cité doit être construite selon le modèle de la recherche du Bien en soi et que l'action politique est le plus grand devoir des citoyens (dans l'Antiquité, les femmes étaient exclues de la politique).
Les questionnements légitimes peuvent paraître platoniques et ne pas rejoindre la masse des gens dans leur vie quotidienne ni dans l'immédiat de la campagne électorale, mais ils méritent considération afin d'aller au-delà des apparences. Le débat n'est pas clos.
André Jacob
Terrebonne, le 14 avril 2025
Notes
1.Morin, Edgar (2024). Cheminer vers l'essentiel. Paris, Albin Michel, p. 84.
2.Bismuth, Hervé (2014). Aragon résistant : la construction d'un discours national in Le temps guérit toutes les blessures : la résistance à l'autorité de l'Histoire dans les concepts de nation et de nationalisme.. Textes & contextes. Numéro 9.
https://preo.ube.fr/textesetcontextes/index.php?id=1136
3.“Establecer teorias, pensando - as paciente e honestamente, so para depois agirmos contrea elas – agirmos e justificar as nossas açoes com teorías que as condenam.”
Pessoa, Fernando (2017). Livro do desassassossego. Porto, Assirio & Alvim, p. 52.
4.Une réforme du mode de scrutin n'est pas pour demain, elle fait même l'objet d'une promesse de changement reniée par Justin Trudeau. Mais c'est un autre débat.
5. Morin, Edgar avec Marc de Smedt (2024). Cheminer vers l'essentiel. Paris, Albin Michel, p. 248.
6.ARAGON Louis (2007). « Il n'y a pas d'amour heureux », vv. 1-3, 13-18, 25-27, La Diane française dans les Œuvres Poétiques complètes, Barbarant Olivier (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, p. 1004.
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Environnement L’effet boule de neige

L'environnement doit devenir notre principale préoccupation et nous devons donc lui accorder une place prépondérante dans la couverture et l'analyse de l'information. La tâche peut sembler difficile, eu égard aux chamboulements politiques et économiques en cours, mais elle n'est pas hors de portée. Les moyens d'y parvenir, sous nos yeux, doivent être considérés avec ouverture.
(Ce texte a d'abord été publié dans l'édition d'avril du journal Ski-se-Dit.)
À court terme, nous devons, le 28 avril, élire un gouvernement canadien qui ne s'oppose pas à la lutte aux changements climatiques et – je tiens à mettre l'accent sur ce deuxième point – qui ne s'emploiera pas à démanteler notre précieux service public d'information et de nouvelles qu'est Radio-Canada/CBC. Parce que c'est sur le socle d'un gouvernement canadien qui ne sera pas dirigé par le Parti conservateur du Canada que nous devons remettre la protection de l'environnement au centre de nos préoccupations.
Une fois cela fait, nous devrons concentrer nos efforts sur nos réseaux d'information, et en premier lieu sur notre diffuseur public Radio-Canada/CBC. Ce service public doit continuer de se développer. Il doit être le mieux possible en mesure de diffuser de l'information, des nouvelles et des analyses honnêtes, axées sur des démarches et recherches rigoureuses, en toute indépendance. Nous devrons lui fournir ces moyens d'action en lui assurant entre autres un financement adéquat qui lui permette d'assurer cette pleine indépendance et donc, tant sur le plan journalistique que culturel, en interdisant toute forme de publicité privée et même partiellement privée sur son réseau de stations de radio et de télévision. Une information de grande qualité et indépendante des contraintes imposées par le secteur privé est fondamentale pour redonner aux questions sociales et environnementales l'importance qu'elles méritent. D'autres pays le font. Nous pouvons le faire aussi.
Cet important jalon pourrait assurément nous amener à réaliser l'importance d'une presse libre et d'une presse communautaire indépendante, près des gens, tant pour les questions environnementales que sociales, et d'en assurer la diffusion et le financement. Je pense en particulier à de précieux journaux indépendants comme Ski-se-Dit et les journaux de l'Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ), qui sont près de nos préoccupations et qui survivent à grande peine. Un effet boule de neige, nous le souhaitons, qui ferait progressivement de la lutte aux changements climatiques et de la défense de l'environnement des questions hautement prioritaires.
Pour reprendre le titre du plus récent essai d'Alain Saulnier, il faudra également, dans ce même élan, « tenir tête aux géants du web » (Apple, Meta [Facebook, Instagram, WhatsApp et Oculus VR], Amazon, Microsoft et d'autres encore). Nous avons les outils pour agir en ce sens et il est essentiel de procéder vigoureusement, efficacement et avec diligence pour contrer la désinformation et la mésinformation qu'ils favorisent, l'impact des algorithmes de leurs médias sociaux sur le discours ambiant et leur attrait, plus particulièrement auprès des plus jeunes générations, aux détriment de nos médias écrits et électroniques qui nous offrent assurément une information plus honnête et de meilleure qualité.
C'est là en grande partie le travail du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Avec l'adoption des projets de loi C-11 et C-18, des contrôles ont été érigés par l'organisme quant à la circulation des entreprises numériques sur notre territoire, mais nous devons aller plus loin. Ces géants du web doivent contribuer financièrement à une presse libre et de qualité, ici comme ailleurs, à partir de redevances ou de taxes sur l'ensemble de leurs produits. Une population mieux informée par des réseaux d'information réellement indépendants et de qualité saurait assurément mieux épauler les gouvernements fédéral et provinciaux pour agir dans cette perspective. Elle pourrait du même coup les amener à exiger que tous les téléviseurs intelligents vendus ici soient par défaut dotés des applications pour accéder prioritairement aux services québécois et canadiens.
Nous devons gagner la lutte pour une information de qualité, soustraite au contrôle direct ou indirect des intérêts financiers. À défaut de quoi les questions d'environnement, comme les questions sociales, n'occuperont jamais qu'une place secondaire dans le perpétuel fouillis des communications et intérêts financiers de toutes sortes. Le maintien et l'indépendance réelle d'un réseau d'information public de qualité, puis d'autres médias d'information, pourraient être le fer de lance d'un vaste mouvement de conscientisation aux nombreux et graves défis environnementaux auxquels nous nous devons de faire face. L'effet boule de neige de tels gains, l'un après l'autre, est envisageable…
Pour aller plus loin
Une telle presse libre et indépendante pourrait revigorer le journalisme d'enquête et nous permettre de mieux faire la lumière sur une foule de questions liées à l'environnement. Nous pourrions ainsi envisager des enquêtes plus exhaustives et des données précises sur le transport terrestre, maritime et aérien, sur les nouvelles technologies de plus en plus énergivores, avec l'émergence de l'intelligence artificielle, sur l'utilisation des cryptomonnaies, la prolifération des superordinateurs et centres de données partout dans le monde, cachés au regard et à la connaissance des populations, sur l'impact de la multiplication des câbles sous-marins, des rejets dans l'atmosphère, sur la gestion des déchets de toutes sortes, sur le recyclage et ses ratés, sur les conséquences des guerres sur l'environnement, sur l'énergie nucléaire et ses dangers, etc.
Elle pourrait aussi mieux faire connaître les différents organismes locaux et nationaux voués à la protection de l'environnement, de la faune et de la flore, de la qualité de l'air, de l'eau, des sols, et faire connaître les solutions envisagées et les efforts déployés pour y parvenir.
Elle pourrait aussi et surtout permettre l'émergence d'un discours résolument environnemental, qui remette en question les fondements mêmes de nos sociétés consuméristes, inégalitaires et polluantes, propulsée vers l'abîme que nous assure l'actuelle croissance sans fin du capitalisme. Un discours qui nous permette en somme d'envisager, dans l'état actuel des choses, ce qu'il y a de mieux pour nous.
Sources : Le Devoir, Le Monde diplomatique, Les barbares numériques (Alain Saulnier), Ski-se-Dit, Tenir tête aux géants du Web (Alain Saulnier).
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Canada : Une crise de légitimité en gestation

158 ans après sa fondation, le Canada traverse une profonde crise de légitimité. Malgré les efforts des pouvoirs exécutif, judiciaire et provinciaux pour maintenir une image de stabilité, ce qui était autrefois dissimulé s'infiltre désormais dans des couches sociales de plus en plus larges. La fracture devient de plus en plus visible.
La répression de la communauté Wet'suwet'en, menée en collusion avec les entreprises extractivistes, le gouvernement fédéral et plus tard les tribunaux, a marqué un tournant. Face à toute remise en question de sa structure, l'État canadien ne répond ni par le dialogue ni par la transformation, mais par des lois répressives. Et lorsque ces lois ne suffisent pas, il n'hésite pas à recourir à la force. Il agit comme si sa survie dépendait de la neutralisation de toute forme de résistance. À l'image d'Israël.
À bien des égards, le Canada est un pays profondément dépendant. Plutôt que de forger une identité culturelle propre — qui pourrait intégrer la diversité migrante et les cultures ancestrales des Premières Nations —, il a choisi d'imiter le modèle anglo-américain, en adoptant ses travers les plus notoires : individualisme extrême, obsession de l'image, et superficialité déguisée en progrès.
Gouvernée par une élite blanche qui légifère et administre avec une vision étroite, la société canadienne multiethnique est systématiquement exclue de la représentation. Dans les médias, en politique, dans les récits nationaux, il est difficile de se voir reflété quand on est une femme, un·e migrant·e, une personne autochtone, arabe, latine ou racisée. Le Canada a été construit à l'image d'une minorité qui détient encore les rênes du pouvoir.
L'absence d'une vision nationale partagée et inclusive — un projet à moyen et long terme auquel les habitant·es pourraient réellement participer — aggrave ce sentiment d'aliénation. Le système politique est structuré de telle manière que la participation réelle est quasiment réservée aux étudiant·es et aux retraité·es. Pour les autres — pris·es au piège entre longues journées de travail, dettes et manque de temps — la politique devient inaccessible, et les élites exploitent ce vide pour consolider leur pouvoir. Le capitalisme.
Les défis du Canada futur se dessinent déjà. La crise climatique frappera particulièrement durement les régions nordiques du pays, transformant radicalement les territoires et les modes de vie des communautés autochtones qui y vivent encore. Parallèlement, la migration climatique — provenant d'un États-Unis de plus en plus inhabitable et de pays asiatiques gravement touchés — entraînera de nouvelles tensions autour de l'usage du territoire et de l'appartenance.
La polarisation politique, axée sur la compétition plutôt que sur la coopération de bon sens, éloignera encore davantage les citoyen·nes du cadre politique officiel, laissant place à l'émergence de réseaux alternatifs de soin et de solidarité, notamment à la base. Se soutenir mutuellement, ou périr.
Pendant ce temps, la classe politique adopte de plus en plus les discours du conservatisme américain : diabolisation des idées adverses, rejet de la diversité, et justification de l'injustifiable — comme on le voit dans la position officielle du Canada sur la Palestine —, transformant peu à peu le pays en un espace hostile à l'exercice des libertés civiles. Les idées de Trump et de Poilievre se répandent sans résistance.
Le Canada est à la croisée des chemins. Il peut continuer à approfondir un modèle qui exclut, réprime et fait semblant d'être stable — ou il peut enfin écouter les voix qui, depuis des décennies, réclament une terre réellement juste, plurielle et vivable.
Manuel Tapial
Coordinateur de projets de Palestine Vivra
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Les tentes sur le chemin de la militante sahraouie Aiza Azna Zreibih

Témoignage disponible dans le livre El Amal raconte le voyage au camp de réfugiés en 1972
Tiré de la page web de Capire
21/03/2025
photo Ignacio Azael Pérez Nuño
Ceci est un extrait du témoignage « Cette histoire est longue », d'Aiza Azna Zreibih, disponible dans le livre El Amal, historia de mujeres saharauis [El Amal, histoire des femmes sahraouies], une publication de Editorial Universidad de Guadalajara (2022). Le livre contient des témoignages de femmes sahraouies qui ont trouvé refuge dans des jaimas (tentes) de personnes rencontrées sur la route ou qui ont construit elles-mêmes des jaimas, qui fournissaient un abri à d'autres personnes et constituaient un espace pour la construction de la lutte. Dans le témoignage d'Aiza, elle raconte comment son voyage de lutte s'est déroulé depuis la ville de Tan-Tan, dans l'actuel territoire sahraoui occupé, comment s'est déroulée la traversée à pied vers les camps de réfugiés et son action politique en faveur des femmes.
La 6e Action de la Marche Mondiale des Femmes a pour devise « Nous marchons contre les guerres et le capitalisme ! Nous défendons la souveraineté des peuples et le bien vivre ! » et le symbole de cette action sont les tentes féministes et solidaires. Comme l'explique le texte de lancement, « La tente représente non seulement le capitalisme des catastrophes, des guerres, des déplacements et les personnes migrantes, mais aussi un refuge pour les personnes, la sagesse et les connaissances ancestrales dans de nombreuses cultures, et la résistance. À partir de ces réflexions, nous avons proposé la construction globale de notre Tente de Solidarité Féministe, un espace où se matérialise ce que nous voulons pour l'avenir de notre planète en tant que mouvement populaire féministe ».
Cette histoire est longue
(…) En 1972, à Tan-Tan, des citoyens et citoyennes sahraouis manifestaient en territoire marocain pour réclamer l'indépendance du Sahara, lorsque huit de ces jeunes ont été arrêtés. Pour cette raison, nous, les femmes, avons été appelées à l'action, et j'ai donc participé. Nous avons été témoins de la façon dont la police marocaine nous a battus et a essayé de nous faire taire. Je ne comprenais pas encore beaucoup de choses, mais c'est à partir de ce moment que j'ai commencé à me poser de nombreuses questions. Dans le cadre du mouvement, les jeunes révolutionnaires intellectuelles ont commencé à composer des chansons, qui nous étaient dictées pour qu'on les écrive, ce qui a commencé à mobiliser la conscience des filles. Une des chansons ressemblait à ceci :
Notre ennemi vit dans ce peuple
agissant par principe et prêt à tout dans ce combat.
Hassan craint pour ce peuple
Parce que nous commençons à articuler,
Nous préparons cette tente ;
Qui est la tente de tout le monde.
Une autre chanson, pour mobiliser les femmes, ressemblait à ceci :
Plus de pression sur les femmes
Des femmes libres, c'est ce que nous voulons.
En écoutant ces chansons, les femmes ont commencé à se mobiliser, ce qui a également aidé à soulager la pression que nous subissions et nous avons commencé à nous sentir plus libres. J'étais moi-même sous la pression de ma famille, mais avec ce mouvement, nous avons commencé à avoir plus de liberté. J'ai rejoint l'organisation politique, je suis allée à des réunions pour écouter et étudier. Il fut un temps où j'étais si active que la police marocaine a commencé à me suivre. J'avais un jeune fils, Husein, qui était encore allaité, et parce qu'ils continuaient à me suivre, je n'avais d'autre choix que de fuir. J'ai dû m'enfuir aussi, entre autres raisons, parce que mon mari ne voulait pas que je participe à la révolution, et je lui ai dit : « Je participerai, que tu le veuilles ou non », puis nous nous sommes séparés. (…)
Quand le soleil s'est couché, nous avons pris le chemin. Avant de partir, ils nous ont montré quelles étoiles nous devrions suivre. Nous devrions toujours être guidées par une étoile qui ne disparaît pas, la mettre sous nos yeux et la suivre. Nous étions plus ou moins familiarisées avec le voyage, car certaines des femmes étaient des bédouines. Parmi nous se trouvaient deux femmes enceintes et trois enfants qui savaient déjà marcher. Au cours de notre marche, nous avons fait diverses choses pour effacer nos traces ; lorsque nous avons trouvé des chèvres, nous les avons mises à marcher autour de nous et à effacer nos pas.
(…)
Après avoir marché longtemps, nous avons trouvé une tente et y sommes entrées. Nous étions déjà très fatiguées. Voyant que nous étions entrées, les parents de cette famille sont sortis terrifiés et nous ont laissés seules, mais peu de temps après, une des filles de cette famille est arrivée, qui apparemment ramassait du bois de chauffage, et c'est elle qui nous a aidées. Nos jambes étaient ensanglantées et craquelées. La fille a commencé à appliquer du henné avec un peu d'huile sur nos jambes et a bandé nos pieds avec des chiffons. Elle nous a donné de la nourriture et de l'eau, nous a offert deux chameaux, a mis la selle sur les deux. La femme qui venait d'accoucher est montée dans l'un, la femme enceinte dans l'autre, et nous sommes parties.
Lorsque nous avons traversé la frontière, nous avons été capturées par la police espagnole. Au début, ils nous ont encerclées parce que, quelques jours auparavant, ils avaient capturé un groupe de Marocains armés, alors ils pensaient que nous faisions partie de ce groupe. La police voulait que nous montions dans les véhicules, disant que cela nous mènerait à Al Mahbes, en territoire espagnol, mais nous avons refusé d'entrer. Ils sont partis, mais un hélicoptère survolait toujours nos têtes. Parmi les policiers, j'ai reconnu un homme sahraoui, qui ne m'a pas parlé, ni moi à lui.
Quand nous étions près d'Al Mahbes, un groupe de sahraouis est apparu, en voiture, et nous a emmenées dans une maison où d'autres femmes sont apparues, qui nous ont offert des melphas [vêtements traditionnels des femmes sahraouies], nous ont nettoyées, nous ont donné des couettes, de la nourriture, des pansements pour les pieds etc. Apparemment, cet homme sahraoui qui était avec les policiers a répandu la nouvelle qu'il y avait un groupe de femmes qui arrivaient et qui n'acceptaient pas d'entrer dans les véhicules, alors tout le monde nous a accueillies avec beaucoup de plaisir et de joie.
À peine arrivées dans la maison où nous avons été accueillies, l'enfant de la femme enceinte est né. Nous sommes restées à Al Mahbes jusqu'à l'arrivée du fondateur du Front Polisario, qui donnait des instructions à quiconque voulait se rendre dans les camps de réfugiés de Rabuni. Dès que je suis arrivée dans les camps, je suis allée à l'entraînement militaire et là j'ai appris à manier les mines terrestres, même si nous faisions un peu de tout. Parfois j'étais dans la cuisine, d'autres fois j'étudiais, je donnais des conférences etc.
Quand je suis arrivée à Rabuni, vers 1976, j'habitais dans la seule maison qui avait été construite, appelée la Maison des femmes. Petit à petit, de plus en plus de gens ont commencé à arriver de tous les coins, des Sahraouies qui, comme moi, ont été expulsées de là où elles vivaient. À cette époque, j'étais en charge du secrétariat des femmes, dans lequel je les aidais à résoudre tout problème qu'elles avaient, si elles devaient partir, si elles devaient aller à l'hôpital, bref, tout problème lié aux femmes.
Dès lors, j'ai continué à travailler devant des femmes. L'une des choses que nous avons faites ensemble a été d'écrire des lettres pour que le monde entier sache ce qui arrivait aux femmes sahraouies au milieu du désert. Je pense qu'au milieu de tous ces problèmes, nous, les femmes sahraouies, ne pensions pas comme des femmes normales, nous pensions juste à faire ce que nous pouvions pour survivre et faire savoir au monde ce qui se passait ici.
Dans un groupe de plusieurs femmes, nous sommes allées en Algérie et en Libye pour sensibiliser les autres. Après trois ans, je me suis remariée avec un combattant et j'ai eu une fille. Je suis restée un peu à l'écart pour pouvoir me consacrer à ma fille, mais j'ai continué à m'occuper de la daïra [centres dans les camps sahraouis], et ce n'est pas un travail facile, car il s'agit de résoudre tous les problèmes que les gens ont avec l'eau, la nourriture etc. J'ai également participé à la création de l'école pour femmes, car j'ai toujours aimé continuer à progresser et élargir mes connaissances.
De 2003 à 2009, je me suis consacrée à travailler dans des congrès pour la participation des femmes, mais fin 2009, j'ai dû faire une pause en raison d'un problème cardiaque. Cependant, bien que je ne puisse pas faire grand-chose en ce moment à cause de mon état de santé, je reste fidèle à la cause et aux femmes sahraouies jusqu'au bout, surtout à elles, car j'ai vu tout ce qu'elles ont vécu, à quel point elles sont courageuses, braves, participent à l'armée, sont médecins, infirmières, enseignantes, économistes, éducatrices, politiciennes, diplomates etc. Et c'est nous, les femmes, qui élevons ce peuple de la meilleure façon possible.
(…)
Je pense qu'à ce stade de ma vie, la seule chose qui me reste à faire est de dire aux nouvelles générations de continuer à prendre soin et à se battre pour notre culture, notre tradition et notre éthique sahraouie et, surtout, de maintenir l'unité de notre peuple, car c'est grâce à cette unité que nous sommes arrivées là où nous sommes arrivées et nous ne pouvons pas nous disperser. Il est très important que nos nouvelles générations fassent de leur mieux pour continuer à étudier et à se préparer à utiliser cette sagesse à l'avenir.
Je vois une grande différence entre ma génération de femmes et les générations actuelles, c'est-à-dire la génération de ma fille et la génération de mes petites-filles. À mon époque, beaucoup de femmes sahraouies – pas seulement moi – ont dû fuir, se battre et tout affronter, improviser pendant que nous portions nos enfants. Maintenant, les nouvelles générations ont déjà de l'espace, elles ont déjà pu vivre d'autres choses, elles sont dans un endroit stable, elles peuvent se préparer, elles peuvent étudier. Ce que je souhaite donc, c'est que ces femmes, les filles des filles et les filles de ces autres filles, puissent faire encore plus, agir avec plus de vigueur, car toutes les mères de ces générations précédentes ont beaucoup souffert et il n'y a pas une seule famille qui n'a pas perdu un membre de sa famille au combat, à cause de l'épidémie ou à cause des circonstances dans lesquelles nous vivons. Je pense donc que les femmes d'aujourd'hui ont plus de responsabilités parce qu'elles ont une culture, une éducation, qu'elles connaissent d'autres langues et qu'elles peuvent aller où elles veulent.
Enfin, je dois dire que lorsque j'ai quitté Tan-Tan, je n'ai plus jamais revu mes parents. J'ai seulement appris que mon père était mort prisonnier dans une prison marocaine et que ma mère était décédée peu de temps après à El Aiune. Deux de mes frères sont morts au combat, mais j'ai encore deux frères qui continuent de vivre à El Aiune, une ville occupée. En 2005, avec la visite organisée par l'ONU, j'ai pu retourner voir ce qu'il restait de ma famille et de ma ville. Quand j'étais là-bas, j'ai beaucoup pleuré, car certaines militantes comme moi n'ont pas eu la même chance, elles ont été capturées et ont passé plus de 20 ans en prison. Marcher dans les rues et se souvenir de ce qu'était la ville quand j'y vivais m'a rendu très triste. Je voulais reconnaître certains détails d'El Aiune dont je me souvenais.
Nous sommes un peuple humain qui ne cherche ni la guerre, ni la mort, nous ne demandons que ce qui nous revient de droit, nous ne demandons que notre liberté, la liberté de ma patrie. Où est le monde, où est l'humanité qui, voyant comment les gens sont torturés, comment les droits sont piétinés, comment les prisons ont des femmes qui y passent des décennies juste pour défendre une cause, n'y fait rien ? Je me demande : où est l'humanité ? Où sont la justice et le droit ?
Quand je vois certaines photos, cela me donne beaucoup de nostalgie et de tristesse, car beaucoup de personnes que j'ai rencontrées et qui sont sur ces photos ne sont plus en vie, elles sont mortes sans voir la liberté de notre peuple. La photo que j'ai entre les mains date de l'époque où j'étais en formation militaire à Rabuni et, malgré toutes ces circonstances que nous vivions, j'ai pu sourire.
Écrit par Bianca Pessoa
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
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USA : La résistance grandit

Des millions de personnes dans les 50 États, ont rejoint 1 600 manifestations dans les grandes villes et les petites villes pour protester contre le président Donald Trump et son homme de main, le milliardaire Elon Musk, le 5 avril, avec un certain nombre de petites manifestations de solidarité dans les villes européennes.
Hebdo L'Anticapitaliste - 749 (10/04/2025)
Par Dan La Botz
traduction par la rédaction
Les manifestations « Hands off » (Bas les pattes), les plus grandes manifestations anti-Trump à ce jour, ont exigé que Trump ne touche pas à la démocratie, aux droits humains, aux droits reproductifs, à la sécurité sociale, à Medicaid, aux écoles publiques, aux immigréEs et aux personnes LGBT. À New York, où j'ai rejoint la manifestation sous la bruine, quelque 50 000 personnes ont participé à une marche animée, avec de nombreuses pancartes et banderoles créatives fabriquées. On pouvait lire : « Hands off Our Planet » (Ne touchez pas à notre planète) ; « Disparaître pour parler = fascisme » et « Ne touchez pas à nos corps, à notre démocratie, à notre liberté, à notre Constitution ». Quelques pancartes de soutien à l'Ukraine étaient également disséminées dans la manifestation, mais peu d'entre elles évoquaient le génocide palestinien.
Première mobilisation pour de nombreuses personnes
Dans l'État de l'Ohio, dominé par les Républicains, Common Cause, un groupe qui œuvre en faveur d'élections libres et équitables, a contribué à l'organisation de la manifestation. Mia Lewis, de Common Cause Ohio, a déclaré : « Pour de nombreuses personnes, il s'agit de la première manifestation à laquelle elles participent. Elles ne viennent pas pour démolir quoi que ce soit, mais pour défendre la Constitution, l'État de droit et notre démocratie. Trop c'est trop ! »
Au Colorado, un État contrôlé par les démocrates, 8 000 personnes se sont rendues au Capitole de Denver. « Nous nous attendions à une bonne participation, mais c'est mieux que ce que nous pensions », a déclaré Morgan Miransky, organisateur bénévole. « Nous espérons que d'autres personnes viendront nous rejoindre, et nous espérons que cela se transformera en un mouvement de résistance plus large à l'échelle nationale. »
Des manifestations majoritairement blanches
Les manifestations ont été convoquées par diverses organisations, notamment des groupes du parti démocrate comme Indivisible, des groupes de travailleurEs comme le Federal Unionists Network, et des groupes de défense de l'environnement, de la religion, des droits humains et des droits civiques. Toutefois, à New York, les plus grands syndicats, tels que le Service Employees International Union et l'American Federation of State, County, and Municipal Employees, qui comptent de nombreux membres noirs, n'ont pas réussi à mobiliser leurs rangs. Le syndicat des travailleurEs de la City University of New York a fait exception à la règle. La plupart des syndicats n'ont pas réussi à mobiliser leurs membres au niveau national, bien que des travailleurEs fédéraux, dont beaucoup venaient d'être licenciéEs, se soient joints aux manifestations.
La manifestation de New York était très majoritairement blanche, avec seulement un petit nombre de participantEs noirEs, dans une ville où les NoirEs représentent 20 %, les Latinos 28 % et les Asiatiques 15 % de la population. Certains Latinos sont peut-être restéEs chez eux par crainte d'être détenuEs et expulséEs, car Trump est actuellement engagé dans une campagne d'expulsion massive. Certains influenceurs noirs sur les médias sociaux ont dit à leurs adeptes de rester chez eux, que la marche ne les concernait pas. La faible participation des NoirEs a été un problème presque partout.
La légitimité des démocrates toujours en question
Dans certaines villes, en particulier à Washington, mais aussi dans d'autres, des politiciens du Parti démocrate ont pris la parole pour tenter de regagner le soutien des membres du parti qui ont été profondément déçus par l'incapacité des démocrates à lutter contre Trump. Jamie Raskin, membre influent du Congrès du Maryland, a déclaré à la foule : « Ils pensent que la démocratie est condamnée et qu'un changement de régime est à notre portée si seulement ils peuvent s'emparer de notre système de paiement. S'ils pensent qu'ils vont renverser les fondements de la démocratie, ils ne savent pas à qui ils ont affaire ». Dans tout le pays, en particulier dans les capitales des États, les démocrates ont tenté de séduire les électeurs, mais il sera difficile de convaincre les nombreux déçus de la campagne de la sénatrice Kamala Harris ou du soutien des démocrates à la guerre génocidaire d'Israël.
Ces manifestations ont constitué un grand pas en avant mais les grands syndicats ne sont toujours pas vraiment dans la bataille, et il n'y a pas de leadership commun ni de consensus sur la question de savoir si les démocrates ou les manifestations de masse représentent l'avenir. La gauche n'a qu'une faible présence et joue peu de rôle jusqu'à présent.
Dan La Botz, traduction par la rédaction
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Écoféminisme : la force des femmes pour attaquer le mal à la racine

L'écoféminisme refuse de choisir entre justice sociale et environnementale : il les lie, il les brandit. Porté par des femmes qui soignent, enseignent, militent et résistent, il s'attaque aux racines des crises en transformant colère et soin en actes de résistance. Parce qu'on ne sauvera pas le monde sans celles qui, chaque jour, le tiennent debout.
Tiré de Ma CSQ.
Je suis assis dans une salle où ça sent le café tiède et la volonté farouche de ne pas sombrer dans le désespoir. Sur la scène, Laurie Gagnon-Bouchard, politologue spécialisée sur les enjeux de socioécologie et d'écologie politique, rappelle qu'en temps de crise, ce sont les femmes qui sont sur les lignes de front.
Ce jour-là, au réseau conjoint de l'action féministe et du Mouvement ACTES, on ne fait pas que parler de féminisme et d'écologie : on déterre une vérité crue, enterrée sous des couches de rapports gouvernementaux et d'études. Une vérité qui pue l'arsenic, la poussière minière et la résignation, qui dit que ce sont les femmes – encore – qui ramassent les morceaux d'un monde en décomposition. Elles le font, sans tambour ni trompette, en militant, en enseignant, en prenant soin, en agissant, parce que personne d'autre ne le fera à leur place.
Fabriquer de l'espoir à la petite cuillère
Vous croyez que les établissements scolaires sont juste des usines à bulletins ? Détrompez-vous. Grâce au Mouvement ACTES de la CSQ, des femmes – beaucoup de femmes – transforment les écoles en petits laboratoires de transition. Jardins, ateliers zéro déchets, projets écolos : ça grouille d'idées. Ce n'est peut-être pas grand-chose, mais c'est précisément ce « pas grand-chose » qui empêche le monde de s'écrouler plus vite et qui crée les brèches par où les révolutions peuvent pousser.
Lors de sa conférence présentée à près de 200 militantes et militants, Laurie Gagnon-Bouchard rappelle avec brio que ces gestes du quotidien sont politiques. Ils ont une portée bien plus grande qu'un vote tous les quatre ans ou un « j'aime » sur une pétition Facebook. Ces gestes, ce sont des actes de résistance, d'amour lucide et de soin. Et ce soin, les écoféministes le brandissent comme arme massive de reconstruction en arrêtant de l'invisibiliser comme le voudrait le modèle capitaliste.
Le care, ou l'art de s'occuper du monde quand il brûle
C'est peut-être ça, l'arme secrète de la guerre qu'on mène à l'apathie face à la crise climatique : ce foutu care. Oui, comme dans « le prendre soin et l'accompagnement », mais aussi comme dans « se soucier ». Des femmes – mères, éducatrices, militantes, infirmières, enseignantes – socialisées à plier sans casser, à prendre soin sans (trop) se plaindre, à porter le monde sur leurs épaules sans jamais s'asseoir pour pleurer. Ce sont elles qui sentent le danger venir, qui changent les habitudes de consommation, qui s'organisent quand les enfants tombent malades à cause des métaux lourds dans l'air. Ce sont les femmes qui savent, sans qu'on leur dise, que les catastrophes sont rarement naturelles.
Vous vous souvenez de Rachel Carson, cette biologiste qui a osé dire en 1962 que les pesticides allaient tuer tout ce qui chante ? Celle qui, avec son livre Silent Spring, a éveillé les consciences et élevé le débat ? Les puissants l'ont traitée d'hystérique, de lesbienne, de naïve. Et puis on l'a écoutée… Trop tard, mais on l'a écoutée, comme toutes ces femmes avant et après elle qui tirent la sonnette d'alarme pendant que nos gouvernements déroulent le tapis rouge aux fossoyeurs de la nature.
Le vrai courage, c'est de crier quand on vous dit de vous taire
Rouyn-Noranda, arsenic dans l'air, enfants contaminés, Mères au front. Tout cela vous dit quelque chose ? Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est à quel point les femmes deviennent des guerrières du détail. Elles lisent des rapports techniques comme d'autres lisent des romans. Elles traquent les contradictions, posent les bonnes questions, mettent les élus dans le coin. Et tout ça, elles le font avec une colère contenue qui provient de leur tendresse infinie pour leurs enfants et leur communauté.
Dans le récit écoféministe, le héros, ce n'est pas un sauveur tombé du ciel, mais une femme debout, qui agit à sa mesure et avec ce qu'elle a sous la main. Parfois, c'est avec une affiche dans une manifestation, d'autres fois, avec un micro dans une réunion publique pour dire « Non, ça ne passe pas ! »
Et si le syndicalisme, c'était ça, l'avant-garde de l'écologie politique ?
Dans les récits de transition écologique, on parle peu des syndicats. Pourtant, au Québec, la CSQ (avec son Mouvement ACTES) trace une autre voie qui fait des liens entre les conditions de travail, le climat, le prendre soin et l'accompagnement, et les inégalités. Cette voie, c'est celle où la justice environnementale devient une extension naturelle du combat syndical, où on comprend que lutter pour un air respirable, c'est aussi lutter pour une éducation digne, des services publics solides et des communautés vivantes.
Les syndicats, ce sont des lieux de transformation qui offrent des espaces où il est possible de créer ensemble. Ce sont des incubateurs de résistances durables.
Le monde ne va pas s'effondrer tout seul, il a besoin d'un coup de main
Alors, qu'est-ce qu'on fait avec tout ça ? On pleure un bon coup, on recycle davantage ? La colère et le découragement sont valides, mais pour y faire face, il faut agir à sa mesure, là où on se trouve : dans sa classe, dans son syndicat, dans son quartier.
Il faut parler à ses collègues, créer des mouvements collectifs, soutenir Mères au front, militer pour des programmes d'approvisionnement en circuit court, acheter local ou seconde main, faire du covoiturage, etc. Bref, il ne faut pas que critiquer le capitalisme, il faut le contourner et préparer la suite. Écoutons les écoféministes, pas comme des prophètes, mais comme des guides pratiques de survie affective et politique.
Et surtout, rappelons-nous que ce monde, même fracturé, mérite encore que nous nous battions pour lui. Pas avec des armes, mais avec de la solidarité, du soin et de l'organisation.
La transition écologique ne doit pas se faire au prix de notre santé, de notre dignité ou de nos enfants, car il y a des choses trop précieuses pour être marchandisées. Ce monde ne tient pas grâce aux puissants, mais grâce à toutes celles – et tous ceux – qui, chaque jour, décident de ne pas baisser les bras.
Et vous, quel soin portez-vous au monde ?
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Congrès 2025 Se préparer aux luttes à venir

Québec, le 12 avril 2025 — Dans un contexte économique plus incertain que jamais et face à la montée de la droite un peu partout sur la planète, le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) a profité de son congrès 2025, tenu du 9 au 12 avril à Québec, pour s'outiller en vue des inévitables luttes à venir.
Des enjeux importants comme le gel d'embauche, la sous-traitance abusive et coûteuse, la lutte aux discriminations de toutes sortes, l'intelligence artificielle et la protection du droit de grève vont notamment occuper le syndicat dans les prochaines années. « L'histoire nous a appris que les changements les plus significatifs sont souvent nés de la volonté collective d'agir. Chaque geste, chaque action, chaque voix compte. Individuellement, nos actions ont des impacts. Ensemble, nous pouvons transformer la société. J'y crois profondément », a lancé Guillaume Bouvrette, président du SPGQ.
Internationale des services publics
L'événement, tenu sous le thème Écoutons, mobilisons, fonçons, a notamment permis d'accueillir une grande conférence de Daniel Bertossa, secrétaire général de l'Internationale des services publics. « Le syndicalisme – et en particulier les syndicats des services publics – est la dernière barrière contre le programme des forces de droite. Ces dernières vont maintenant s'en prendre à nous. Le temps de la modération est révolu. Le nouveau monde exige que nous présentions des alternatives et que nous nous battions pour elles. Notre objectif doit toujours être d'organiser les travailleuses et les travailleurs et de renforcer notre pouvoir et notre capacité d'action. », a-t-il souligné aux personnes participantes.
Orientations
Près d'une quarantaine d'orientations politiques inspirantes ont été adoptées pour guider les actions du syndicat dans les prochaines années. Parmi celles-ci, les déléguées et délégués souhaitent notamment se préparer à l'arrivée de l'intelligence artificielle dans l'optique de préserver les emplois, lutter contre la sous-traitance, promouvoir l'autonomie professionnelle de ses membres et valoriser les emplois du secteur public.
Statuts et règlements
Ce 12e congrès a aussi été l'occasion d'apporter des modifications aux statuts et règlements de l'organisation. « Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont fait des propositions et toutes les personnes présentes pour leur participation à cet exercice important pour l'organisation », souligne Josée Néron, secrétaire du SPGQ.
La Personnelle, fière partenaire de l'événement
Le SPGQ tient également à remercier ses partenaires d'avoir contribué à l'événement, notamment La Personnelle qui a une fois de plus montré son soutien à la cause syndicale en devenant le partenaire principal de l'événement. Le syndicat souhaite également remercier tout son personnel dévoué pour son travail pour faire de cet événement un véritable succès.
À propos du SPGQ
Le SPGQ est le plus grand syndicat de personnel professionnel du Québec. Créé en 1968, il représente plus de 35 000 spécialistes, dont environ 26 000 dans la fonction publique, 6 000 à Revenu Québec et 3 000 répartis dans les secteurs de la santé, de l'enseignement supérieur et au sein de diverses sociétés d'État.
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Manif : Stoppons Stablex

Le 5 avril dernier, près de 2000 citoyennes et citoyens ont bravé la pluie à Blainville pour manifester contre TOUT agrandissement du site de déchets toxiques de Stablex. Leur message, clair et sans équivoque : ni sur le site actuel, ni ailleurs dans la Grande tourbière. Et surtout, pas plus près des maisons.
Pourtant, que retient-on des reportages des médias traditionnels ? Qu'il s'agissait d'une manifestation contre la loi 93. Faux. Notre mobilisation n'avait rien à voir avec la position de la mairesse Poulin. Alors, comment expliquer cette distorsion ?
La diversion bien orchestrée de la mairie
Juste avant la manifestation, la Ville de Blainville tenait une conférence de presse. Autour de la mairesse Liza Poulin : Virginie Dufour (PLQ), Catherine Gentilcore (PQ), Christine Labrie (QS) et un représentant de la CMM. Leur message : s'opposer à la loi 93 et à l'ingérence dans les pouvoirs municipaux, mais promouvoir un autre site d'agrandissement pour Stablex, encore plus proche des quartiers résidentiels.
En clair : ils ne s'opposent pas à Stablex avec son traitement défaillant et sa contamination, ils veulent simplement déplacer de quelques centaines de mètres le site pour que Stablex puisse faire son agrandissement d'enfouissement de déchets toxiques. C'est exactement ce que nous dénonçons.
Les journalistes ont-ils écouté la foule ?
Plutôt que de rapporter fidèlement le cœur de notre mobilisation, plusieurs médias ont choisi de relayer le message de la mairesse et ses acolytes, comme s'ils parlaient au nom de tous. Fausser le message d'une manifestation de 2000 personnes, est-ce là le rôle du journalisme ? Où est l'intégrité ? Où est l'écoute citoyenne ?
La fausse urgence… encore un écran de fumée
La Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex rappelle que l'urgence invoquée par Stablex et répétée par la CAQ, la mairesse Poulin et les 3 oppositions PLQ, PQ et QS est contredite noir sur blanc par le rapport du BAPE. La cellule actuelle pourrait durer encore au moins 4 ans, et jusqu'à 10 ans si l'on cesse les importations de déchets toxiques des États-Unis, qui représentent près de 50 % du volume.
Nous avons le temps de repenser totalement la gestion des déchets dangereux au Québec.
Blainville ne doit plus être la poubelle toxique des États-Unis, de l'Ontario et du Québec, tout comme Rouyn-Noranda n'a pas à empoisonner ses citoyens à l'arsenic.
Un message clair : STOP à Stablex. Ici, c'est notre santé, notre eau, notre territoire qui sont en jeu.
Marie Claude Archambault
Pour la Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex
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La guerre change l’élite russe. Ksenia Kirillova : En Russie, il y a des processus qui mènent au reformatage « naturel » des élites

Le Kremlin fait tout pour ne pas laisser les vétérans de la guerre avec l'Ukraine entrer au pouvoir. Cependant, les élites économiques, militaires et culturelles de la Russie en guerre sont naturellement transformées, et leur influence sur le leadership du pays ne contribue pas non plus à la fin rapide des hostilités.
10 avril 2025 |
https://samizdat2.org/la-guerre-change-lelite-russe-ksenia-kirillova-en-russie-il-y-a-des-processus-qui-menent-au-reformatage-naturel-des-elites/
par Kirillova, Ksenia, le 10 avril 2025
Le mois dernier, nous avons déjà mentionné que la direction des partis pro-Kremlin sabotait délibérément l'appel de Vladimir Poutine à faire des vétérans de guerre « une nouvelle élite russe ». Les responsables font de leur mieux pour ne pas laisser de nouveaux « faucons » générés par la guerre prendre leur place. Cependant, des processus ont lieu en Russie qui conduisent au reformatage « naturel » des élites.
Tout d'abord, il s'agit de la redistribution de la propriété, qui révise largement les résultats de la privatisation des années 90. Des experts indépendants identifient plusieurs étapes et directions de cette redistribution depuis février 2022. Dans la première étape, il s'agissait de la nationalisation et de la redistribution des actifs des entreprises occidentales qui ont quitté le marché russe. Les actifs saisis ont été distribués en récompense à des hommes d'affaires fidèles et à des groupes d'entreprises proches du pouvoir : le clan Kadyrov, Rotenberg, Rosneft et les forces de sécurité.
La deuxième direction de la « déprivatisation » était la nationalisation des entreprises du complexe industriel de la défense et d'autres entreprises « stratégiques ». Contrairement au programme précédent, ces entreprises n'étaient pas des entreprises étrangères. Les chercheurs notent que même si leurs propriétaires ont fait preuve de loyauté envers les autorités et se sont débarrassés des actifs à l'étranger, une telle entreprise pourrait toujours être retirée si elle intéressait l'État. Pour ce faire, il n'était nécessaire que de le déclarer « stratégique » et, sur cette base, d'annuler rétroactivement la décision de le privatiser. C'est le système utilisé pour nationaliser le plus grand producteur principal de Russie « Dalpolimetal ».
Cependant, pour comprendre le processus de reformatage des élites, deux domaines ultérieurs de déprivatisation sont les plus intéressants. La troisième direction peut être décrite comme une vengeance pour la déloyauté. L'année dernière, le chef adjoint du ministère des Finances, Alexei Moiseev, a directement reconnu la saisie de biens auprès des propriétaires dans le cas où le propriétaire actuel « ne peut pas effectuer une gestion efficace de la propriété » ou « dirigerait les fonds gagnés en Russie pour soutenir les forces armées ukrainiennes ».
Le plus souvent, ces biens ne vont pas à l'État, mais sont transférés à des hommes d'affaires plus loyaux qui, selon l'oligarque Vladimir Potanin, « suivent le fairway de la politique de l'État », c'est-à-dire, en paroles et en actes, démontrent leur soutien à la guerre.
La chaîne de télégrammes « Nezygar », liée à l'administration présidentielle, a écrit à l'automne sur le retour sous le contrôle de l'État des actifs industriels privatisés en 1990-2010 pour un montant d'environ 1,2 billion de roubles. Selon lui, la propriété saisie « appartenait à « déplacement sur « SVO » (comme les autorités russes appellent la guerre contre l'Ukraine – KR), ce qui, en règle générale, parle négativement de la politique actuelle de l'État » et « sera utilisé au profit des résidents fidèles au gouvernement ».
Le quatrième domaine de privatisation est la saisie des entreprises non seulement des hommes d'affaires russes « déloyaux », mais aussi de ceux qui ont une nationalité étrangère ou un permis de séjour. En avril 2023, des amendements à la législation ont été adoptés, reconnaissant ces personnes comme des « investisseurs étrangers » et facilitant la transformation des entreprises « stratégiquement importantes » qu'ils gèrent en revenus pour l'État. Dans le même temps, on a assisté à une consolidation des méga-holdings sectorielles gérées par les personnes et les bénéficiaires les plus fiables du régime : Roskhim, la méga-agroholding supervisée par le vice-premier ministre
Ces processus changent considérablement l'environnement des affaires de Poutine. Ceux qui, au contraire, s'avèrent être les bénéficiaires de la guerre et sont intéressés par sa poursuite prennent leur place.
Des changements ont lieu non seulement dans l'élite des affaires, mais aussi dans les officiers de l'armée russe. Nous avons déjà mentionné comment ses officiers envoient des soldats dans des « assauts de viande » sans espoir de survivre à la moindre culpabilité, et forcent les blessés à retourner sur la ligne de front sans traitement approprié. Cependant, ce n'est qu'une petite partie de ce qui se passe dans les forces armées.
De plus en plus, l'armée enregistre des vidéos du front devenant un chef de crime organisé, où le trafic de drogue, le pillage et le vol d'équipement acheté sont florissants. Après cela, les auteurs de la vidéo sont de manière prévisible transférés dans des unités d'assaut et envoyés à la mort, et les blogueurs Z confirment que de tels cas se produisent partout.
En outre, des journalistes indépendants ont rapporté que le principal bureau du procureur militaire avait interdit l'examen des plaintes contre les commandants de première ligne. Dans le même temps, ils notent que les soldats et leurs proches se plaignent en masse de coups, de tirs, d'ordres criminels et d'extorsion. Les soldats reçoivent souvent une grenade sous leur gilet pare-balles et sont forcés de se faire exploser. Ils peuvent être battus, placés dans des fosses froides sans eau ni nourriture, ou même abattus à bout portant. Dans le même temps, le bureau du procureur a reçu l'ordre d'« enterrer » toute plainte de ce type et de ne pas lui donner suite.
En conséquence, les « vérités » sont simplement liquidées, tandis que les sadiques et les meurtriers en toute impunité restent en poste de commandement. Cette pratique conduit au remplacement du corps des officiers, qui n'avait pas été distingué par des normes morales élevées auparavant, par des criminels absolus. La poursuite du temps de guerre est bénéfique pour ces personnes, car elle leur donne une pleine indulgence à toute action illégale.
Un autre domaine où les élites sont reformatées est le domaine de la culture. Dès le tout début de la guerre à grande échelle, les autorités ont clairement indiqué qu'elles étaient prêtes à punir les célébrités même pour des apparences inappropriées « lors d'une opération spéciale » .
Les écrivains indésirables ont été déclarés « agents étrangers », et certains même , terroristes et extrémistes. Mais après que l'ancien ministre de la Culture Vladimir Medinsky soit devenu à la tête de l'Union des écrivains en février de cette année, l'Union s'est finalement transformée en un autre outil pour construire un « vertical du consensus ».
Les salutations au congrès extraordinaire de l'Union des écrivains à la fin du mois de février ont été envoyées personnellement par Vladimir Poutine, le ministre des Affaires étrangères Sergei Lavrov et le premier adjoint de l'administration présidentielle Sergei Kirienko. À cet époque, Medinsky a annoncé la consolidation de toutes les forces créatives sur la base de vues pro-russes, et d'autres participants au congrès ont appelé à abandonner la dissidence et à « revenir au positif qui était en URSS ».
À en juger par le comportement de la Russie sur le front ukrainien, le Kremlin, n'ayant pas les ressources pour intensifier les hostilités, se sent néanmoins assez à l'aise avec l'intensité actuelle de la guerre. Maintenant, il y a de plus en plus de personnes dans l'entourage de Vladimir Poutine qui ont un intérêt personnel à poursuivre la guerre, et il est important d'en tenir compte lors de l'évaluation du degré de préparation du Kremlin pour la paix.
https://www.kasparov.ru/material.php?id=67F4D54339E4B
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Trump, les droits de douane et la transformation du capitalisme

Les réactions publiques à la décision de Trump d'augmenter les droits de douane mobilisent un argument principal, celui de la déstabilisation de l'économie mondiale qui en découle avec le démarrage d'une guerre commerciale qui serait le signe de l'abandon du libre-échange.
Billet de blog 8 avril 2025 | Gilles Rotillon est économiste, professeur émérite à Paris-Nanterre
https://blogs.mediapart.fr/gilles-rotillon/blog/080425/trump-les-droits-de-douane-et-la-transformation-du-capitalisme-0
Cette position oppose une politique protectionniste néfaste au libre-échange de la période précédente, sous-entendant que le « monde d'avant », que Trump semble vouloir quitter, était bien meilleur que celui qu'il tente d'installer.
Ce point de vue, qui reprend le refrain d'une mondialisation heureuse qui aurait amélioré le bien-être collectif est non seulement simpliste, mais complètement faux. Il oublie que la mondialisation a d'abord été une réponse à la recherche de rentabilité du capital à base de délocalisations pour baisser le coût du travail, d'éclatement des chaînes de valeur induisant une explosion des transports très émetteurs de gaz à effet de serre et d'inégalités abyssales.
Cette évolution du capitalisme, durant l'ère néolibérale, qui met la compétitivité au cœur du modèle économique est d'ailleurs une forme de guerre qui n'est pas à proprement parler commerciale (même si le but reste de vendre ses propres marchandises en concurrence avec les autres), mais une guerre entre systèmes sociaux différents qui converge vers la réduction des services publics, l'abandon de toute ambition environnementale et le moins-disant fiscal. Elle a aussi créé, de par l'éclatement des chaînes de valeur, une interdépendance des pays dont la production, qu'elle soit de biens ou de services, est toujours sous le risque d'être empêchée par manque d'un composant indispensable comme l'a montré la crise de la covid.
Ces transformations du capitalisme viennent d'une baisse des gains de productivité qui fait que la rentabilité des capitaux est de plus en plus difficile.
Comme l'explique parfaitement Romaric Godin, « les gains de productivité ont exclu de l'industrie une part importante de la main-d'œuvre qui devient rentable pour les activités à forte intensité de travail et très peu productives. Celles-ci se développent avec la marchandisation de la vie quotidienne et les besoins de rentabilité du capital. Ce sont les services à la personne et aux entreprises qui créent le plus d'emplois actuellement. Mais ce sont aussi des emplois peu productifs, où la valeur créée dépend de la compression salariale et de la dégradation des conditions de travail ».
Mais le fait que la mondialisation à base d'un libre-échange érigé en norme économique vertueuse nous ait conduit à la crise économique mondiale que connaît le capitalisme (qu'il soit occidental, chinois ou russe), n'implique pas que le retour à un protectionnisme tel celui que Trump met en place soit une meilleure solution. Au stade où il en est aujourd'hui, il n'y a pas de solution dans le cadre du capitalisme. Et sa régulation est une chimère.
Aussi, la « solution Trump » est en réalité aussi inefficace dans les coordonnées d'une gestion du capitalisme qui prétendrait résoudre ses contradictions qu'un retour à une mondialisation libre-échangiste. Les analyses qui cherchent à en montrer l'irrationalité en s'appuyant sur un temps passé idéalisé sont tout aussi peu convaincantes.
On peut toutefois comprendre la politique de Trump qui isole les États-Unis comme le signe de la justesse du diagnostic réalisé par Arnaud Orain dans Le monde confisqué[1].
Contrairement aux nostalgiques de la mondialisation, il montre que « l'utopie néolibérale d'une croissance globale et continue des richesses est désormais derrière nous ». Aujourd'hui, ce qui caractérise ce capitalisme c'est la « fermeture et privatisation des mers avec un « commerce » de convois militarisés, constitution de silos impériaux en rivalité armée les uns avec les autres pour s'approprier des espaces physiques et cybers, conflits de souveraineté multipliés entre États et compagnies-États ».
Avec son slogan MAGA[2], Donal Trump ne fait que suivre ce mouvement, qui était déjà commencé avant son arrivée au pouvoir, d'un repli sur son territoire où « il s'agit moins de réguler le monde à son profit que de se replier sur un système économique protecteur et même autarcique focalisé sur son silo impérial ».
Ce qui est en train de se mettre en place, c'est une nouvelle partition du monde en grands blocs (USA, Chine, Europe, Russie[3]) qui cherchent à être le moins dépendants possibles les uns des autres, en maîtrisant les flux essentiels dont ils dépendent (ressources, technologies, industries jugées motrices de croissance, transports sécurisés, …)[4].
A quoi il faut ajouter l'importance des grandes firmes monopolistiques, dont l'existence même (qui ne date pas d'hier), infirme l'air enchanté d'une mondialisation pacifique. Et ce n'est pas un hasard si Musk est étroitement associé à la politique américaine.
Un tel monde est évidemment beaucoup moins pacifique que celui où les pays étaient beaucoup plus interdépendants et là aussi les exemples ne manquent pas.
Mais ce qui est sûr dans cette situation, c'est que les problèmes globaux comme le changement climatique ou la perte de biodiversité et l'amélioration des conditions dans lesquelles l'humanité s'humanise n'ont pas la moindre chance d'être résolus.
Notes
[1] Arnaud Orain, Le monde confisqué, Flammarion, 2025.
[2] Make America Great Again.
[3] Les deux premiers à la pointe de cette évolution étant nettement plus avancés que les deux autres.
[4] Les « revendications » de Trump vis-à-vis du Canada et du Groënland en sont des illustrations, comme la guerre en Ukraine pour la Russie, l'influence grandissante de la Chine en Amérique du Sud ou les luttes entre USA, Europe et Chine pour la mainmise sur l'Afrique.
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Stoppons Stablex – Une démonstration de résistance citoyenne à Blainville

Blainville, le 11 avril 2025 – À la suite de la manifestation du 5 avril dernier qui a rassemblé près de 2000 personnes sous la pluie pour dénoncer l'agrandissement du site d'enfouissement toxique de Stablex, la Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex et Climat Québec annoncent la tenue d'une formation de résistance citoyenne, suivie d'une démonstration publique.
L'événement se déroulera le samedi 12 avril à 14 h devant le site de Stablex à Blainville. Une formation théorique sera offerte en matinée pour préparer les « réservistes Stoppons Stablex », et sera suivie d'un exercice pratique en après-midi, en plein air devant Stablex.
La vérité cachée d'un procédé défaillant qui menace la santé publique
« Il y a une vérité cachée dans tout le dossier de Stablex : le procédé est défaillant. Les prétentions de l'entreprise, selon lesquelles leurs déchets sont stabilisés, neutralisés et solidifiés, sont fausses. Les preuves sont là, accablantes, mais il règne une omerta, un bâillon troublant, qui empêche cette vérité de surgir au grand jour. » a déclaré Martine Ouellet, cheffe de Climat Québec
Des conclusions accablantes émergent de plusieurs sources crédibles : le rapport de la Commission Charbonneau sur les déchets toxiques, celui de la Police verte, le témoignage d'un ancien sous-traitant devant le BAPE affirmant que les vapeurs provenant du site étaient si toxiques qu'elles ont fait décoller la peinture de son camion, et même les propres déclarations de Stablex, admettant que le lixiviant – l'eau contaminée au fond des cellules – est considéré comme déchet toxique et doit être pompé à perpétuité. Si le produit était réellement inerte, il ne contaminerait pas l'eau.
Le procédé défaillant de Stablex menace l'ensemble du bassin versant en aval de son site : le ruisseau Lockhead, la rivière aux Chiens, puis la rivière des Mille Îles, à partir de son point de déversement à Lorraine jusqu'au fleuve Saint-Laurent. La santé de nombreux citoyens est en jeu — pensons notamment aux résidents de Terrebonne, dont la prise d'eau potable se situe un peu en aval de Lorraine.
NON aux deux projets : Legault et Poulin
Les deux groupes citoyens s'opposent fermement à tout projet d'agrandissement, que ce soit celui imposé par le gouvernement Legault ou celui proposé par la mairesse de Blainville, Liza Poulin.
« En tentant de détourner l'attention avec un projet "alternatif", Liza Poulin cherche à s'acheter une virginité environnementale aux dépens de ses propres citoyens. Son projet est encore plus proche des résidences, tout aussi toxique, tout aussi irresponsable. Elle joue dans le même camp que Legault, celui de Stablex, au lieu de défendre sa population. » a pour sa part déclaré Marie-Claude Archambault, pour la Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex
Une formation pour passer à l'action
La formation du 12 avril, donnée par Philippe Duhamel, militant et formateur en action directe non-violente depuis plus de 40 ans, visera à préparer les participants à des actions citoyennes de résistance, dans un cadre sécuritaire, pacifique et solidaire.
Stablex est actuellement en train de détruire la dernière grande tourbière de la région métropolitaine de Montréal afin d'agrandir son site d'enfouissement. Non seulement Stablex persiste dans ses activités toxiques, mettant en danger la santé publique, mais elle détruit également une zone humide vitale pour la biodiversité et la régulation naturelle de l'eau.
Les citoyens sont invités à se mobiliser afin de protéger leur territoire, leur santé et leur avenir.
AIDE-MÉMOIRE
DÉMONSTRATION DE RÉSISTANCE CITOYENNE
STOPPONS STABLEX
DATE : SAMEDI LE 12 AVRIL
HEURE : 14 H
LIEU : DEVANT STABLEX
760 boulevard industriel, Blainville
SOURCE :
Relations médias communications@climat.quebec
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Mobilisation 6600 Parc-Nature dénonce l’octroi des dérogations à Ray-Mont logistiques

Montréal, 9 avril 2025** – Le principal mouvement d'opposition à l'installation du gigantesque terminal de conteneurs et transbordement intermodal de l'entreprise Ray-Mont Logistiques dans Mercier-Hochelaga-Maisonneuve dénonce la décision de la Ville de Montréal d'accorder les dérogations demandées par l'entreprise, laquelle projette d'accroître ses activités de près de 1500% dans un secteur habité.
Les conclusions du rapport de la consultation publique portant sur le projet de Ray-Mont Logistiques, paru en mars dernier, sont pourtant claires : le projet doit être revu. Les dérogations ne doivent pas être accordées tant que le projet n'a pas fait l'objet d'une évaluationglobale avec toutes les parties prenantes. Or, devant le refus de l'entreprise de surseoir à l'adoption de ces dérogations, le temps de réévaluer adéquatementle projet, la Ville de Montréal abdique le seul pouvoir qu'il lui reste, celui de refuser les dérogations.
« Accorder les dérogations,c'est une solide gifle pour les 1800 personnes qui ont participé à laconsultation publique. C'est un déni de démocratie. Les gens ont l'impression d'avoir été conviés à un dîner de cons. Le moment est très mal choisi pour nourrir la désillusion et la colère », prévient Cassandre Charbonneau-Jobin,co-porte-parole de Mobilisation 6600 Parc-Nature.
La consultation publique sur lesdérogations a eu lieu dans le contexte d'une entente hors-cour survenue entre la ville et Ray-Mont Logistiques. Cette dernière poursuivait la Ville pour 373millions de dollars, le plus gros montant de son histoire. La Ville a conclu une entente où elle s'engage à payer des dédommagements et divers aménagements (mesures anti-bruit, acquisition de la bande CN, accès routiers, etc) dont le montant total est inconnu mais représente au bas mot 150 millions de dollars.
« Si la ville ne peut pas modifier l'entente hors cour de la poursuite bâillon sans l'accord de Ray-Mont et qu'il n'est pas d'accord, alors que la ville la déchire cette entente, qui n'est bénéfique qu'à Ray-Mont ! », expose Anaïs Houde, co-porte-parole de la Mobilisation.« Dans Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, Ray-Mont Logistiques, c'est endurer des trains de 100 wagons nuit et jour, des grues, un îlot de chaleur démesuré,15 000 conteneurs, des milliers de camions, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Etqu'est-ce que Ray-Mont propose ? Planter des arbres et faire un comité de bonvoisinage ! Et la Ville accepte ça ? On se moque de nous. », fulmine-t-elle.
« À quoi ça sert de nous faire écrire des mémoires, de prendre congé de nos jobs pour se rendre à l'OCPM, depayer des commissaires qui confirment que ce projet est une très mauvaise idéepour notre santé pour qu'au bout du compte, nos opinions et les conclusions des commissaires ne soient pas écoutées ?! », dénonce Émilie Pelletier, quiréside tout près du terrain de Ray-Mont Logistiques.
Depuis 9 ans, Mobilisation 6600 a participé à toutes les instances de concertation, à toutes les consultations et a fait preuve d'ouverture à l'égard de l'entreprise, jusqu'à engager le dialogue avec son représentant lors du tout récent Sommet de l'Est, afin de solliciter des mesures significatives et adéquates de la part de l'entrepreneur pour protéger la population. Les résultats se font attendre.
La colère des habitant.es du quartierse fera entendre lors d'une manifestation qui se tiendra devant l'hôtel deVille le 14 avril prochain, avant le Conseil municipal, où les dérogations devraient être adoptées.
Rappel des faits
**. **Mobilisation 6600 Parc-Nature MHM** **est****une mobilisation populaire née du choc créé par l'arrivée de Ray-MontLogistiques dans un quartier habité et vivant, dansMercier-Hochelaga-Maisonneuve pour y mener des activités de nature portuaire.
**.** En 2016, Ray-Mont acquiert unterrain industriel dans MHM en vue d'accroître son volume de 1500% tout endiminuant sa distance et ses coûts de camionnage. La population craintl'augmentation de la pollution sonore, de la pollution de l'air et des îlots dechaleur dans un secteur fragilisé.
**.** Ray-Mont possède dansPointe-Saint-Charles, un terminal de transbordement sur un terrain 5 fois pluspetit qui le limite à un volume d'environ 1000 conteneurs.
**. **Depuis 2016 Mobilisation 66600Parc-Nature se bat pour la préservation de la santé de la population et lapréservation des espaces verts de la population de l'Est de Montréal.
**Source : **Mobilisation 6600 Parc-Nature MHM https://resisteretfleurir.info https://resisteretfleurir.info/
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Adresses n°11 : Sur la Chine

"Nous avons précédemment abordé l'importance du droit international et de la Cour pénale internationale et Cour internationale de justice. Aujourd'hui, non seulement des gouvernements ultraréactionnaires ne reconnaissent pas ces instances au nom de leur « souveraineté » mais s'allient pour leurs destructions, d'autres – fidèles en cela aux traditions des fascismes historiques – remettent en cause le droit et la justice au niveau national. Nous poursuivons aussi, sans nostalgie aucune, les interrogations du passé. Ici, en convoquant la figure de Flora Tristan, Eleni Varikas nous invite, entre autres, à explorer l'articulation de l'universel et du particulier.
Après un premier « Parti pris » paru dans le numéro 4 d'Adresses en septembre 2024, nous publions ici un nouveau dossier « Partis pris ». À propos des questions de défense qui ont surgi sur le devant de la scène, il offre quelques pistes de réflexion qui, partant de la « réalité concrète », permettent de dépasser les répétitions stériles de formules toutes faites ou les mots d'ordre désuets et tentent de saisir les dangers et les contradictions àl'oeuvre. Une discussion s'ouvre alors que la militarisation d'un côté et le pacifisme des campistes de l'autre aboutissent à déposséder les peuples de leur droit à s'autodéterminer et donc à se défendre".

Pour un « désarmement mondial synchronisé »

À l'heure où tout s'emballe à l'Est, où des alliances aussi maléfiques que le duo Donald Trump et Vladimir Poutine se nouent, et où nos dirigeants prônent le réarmement, on a voulu prendre le temps d'y réfléchir. Avec Gilbert Achcar, spécialiste en relations internationales et prof à l'Université de Londres, on a parlé des moyens de soutenir l'Ukraine tout en rejetant une guerre généralisée.
Paru dans CQFD n°240 (avril 2025) | Illustré par Alex Less
https://cqfd-journal.org/Pour-un-desarmement-mondial
Les États-Unis, sous la présidence de Trump, menacent de se retirer du Vieux continent. La Russie ne tarit pas d'ambitions impérialistes. La guerre en Ukraine dure depuis plus de trois ans. Et les Européens sont sous pression. Comment analysez-vous la situation ?
« Effectivement c'est un grand chambardement. L'invasion russe de l'Ukraine en 2022 avait initialement redonné vigueur à l'OTAN. Mais on peut aujourd'hui interpréter ce regain comme le chant du cygne d'une organisation déclinante depuis déjà une dizaine d'années. Cela souligne toutefois cruellement la dépendance vis-à-vis des États-Unis dans ce conflit. Et celle-ci concerne autant les Européens que les Ukrainiens.
Côté Russie, depuis trois ans, cet immense pays aux moyens militaires considérables hérités de l'Union soviétique – seul domaine où l'URSS rivalisait vraiment avec l'Occident – n'a toujours pas réussi à s'emparer de tous les territoires annexés en Ukraine. Ce n'est pas une défaite puisque les troupes russes continuent d'avancer à pas de tortue, mais ce n'est clairement pas une victoire.
« Il serait absurde d'envisager sérieusement une invasion russe de l'Europe »
Quant à la menace russe qui pèserait sur l'Europe, rappelons seulement que l'Union européenne (UE) dispose d'une population plus de trois fois plus nombreuse, d'une économie plus de dix fois supérieure et que ses dépenses militaires, en incluant le Royaume-Uni, sont trois fois plus importantes que celle de la Russie – cela malgré le fait que celle-ci soit directement engagée dans une guerre de grande envergure et donc au maximum de ses capacités, contrairement à l'Europe. Dans ces conditions, il serait absurde d'envisager sérieusement une invasion russe de l'Europe. »
Pourtant, à entendre Emmanuel Macron, il existerait une « menace existentielle russe ».
« L'idée avancée par Emmanuel Macron relève davantage d'une manœuvre politique visant à positionner la France comme leader stratégique et protecteur exclusif de l'Europe. Ce positionnement flatte son rôle présidentiel tout en bénéficiant directement à l'industrie militaire française. Mais cette rhétorique est dangereuse car elle nous rapproche précisément des périls qu'elle prétend prévenir. »
Mais il est vrai que la Russie de Poutine, autoritaire, multiplie les ingérences : cyberattaques, tentatives d'influences dans les élections des États européens... Et de l'autre côté de l'Europe, les pays baltes, eux, craignent pour leurs frontières.
« Moscou mène une guerre psychologique et une campagne de désinformation. Mais la meilleure option serait une riposte équivalente : une campagne de rétablissement des faits, à l'adresse de la population russe. En tant que puissance impérialiste, la Russie a certainement des ambitions vis-à-vis des pays baltes. Mais Poutine s'est brûlé les doigts en Ukraine. Même en cas de désengagement américain, il sait qu'il ne dispose pas des moyens suffisants pour affronter l'Europe sur le terrain. »
Un autre argument avancé pour justifier le réarmement européen consiste à affirmer que cela réduirait notre dépendance vis-à-vis des États-Unis.
« C'est vrai. Et vu comme cela, ça paraît positif. D'autant que l'administration étatsunienne prend un virage politique de plus en plus inquiétant et qu'elle multiplie les ingérences en soutenant ouvertement les extrêmes droites européennes.
Mais l'argument est hypocrite. D'abord parce que ceux qui parlent le plus de relocaliser la production en Europe sont les pays possédant déjà une industrie d'armement avancée, comme la France. Pour eux, c'est une aubaine ! Ensuite, les investissements annoncés ne vont pas remplacer les armes américaines par des équipements européens. En réalité, se passer de composants venant des États-Unis ne se fait pas en un claquement de doigts. Ces fonds vont donc surtout servir à augmenter la production !
Enfin, le terme de “réarmement” est en lui-même problématique. Il suggère faussement que l'Europe serait désarmée, ce qui est loin d'être le cas : chaque pays consacre déjà en moyenne 2 % de son PIB à la défense – la Pologne et les pays baltes, bien davantage encore.
Une approche véritablement progressiste consisterait plutôt à œuvrer pour un désarmement mondial synchronisé, comme l'ont préconisé une cinquantaine de prix Nobel de sciences de la nature1, afin d'investir dans la lutte contre le réchauffement climatique et la pauvreté. »
« Plus qu'une invasion, c'est la possibilité d'une confrontation nucléaire qui m'inquiète »
L'Europe est-elle en train de franchir une ligne rouge qui pourrait entraîner une confrontation plus directe avec la Russie ?
« L'escalade rhétorique et la course à l'armement augmentent les tensions et le risque d'incidents à telle ou telle frontière. Une erreur de trajectoire d'un missile ou une violation accidentelle d'un espace aérien pourrait vite dégénérer.
Mais, plus qu'une invasion, c'est la possibilité d'une confrontation nucléaire qui m'inquiète. Face à ses difficultés en Ukraine, Poutine a déjà menacé plusieurs fois d'utiliser son arsenal nucléaire. Il sait que son pays est la première puissance nucléaire du monde. En face, la puissance nucléaire européenne se résume aux arsenaux de la France et de la Grande-Bretagne. Pas de quoi rivaliser. Poutine pourrait utiliser des armes nucléaires tactiques (aux impacts plus limités), estimant qu'aucun de ses adversaires n'osera une riposte stratégique (capable de détruire des surfaces immenses). Dans le cadre de la dissuasion nucléaire, c'est surtout la Russie qui dissuade ! »
Vous avez appelé à un référendum dans les territoires ukrainiens annexés afin que les populations décident par elles-mêmes de leur destin. Pouvez-vous en dire plus ?
« Le droit international interdit l'acquisition de territoires par la force, ce que la Russie a pourtant fait en Crimée en 2014 et dans l'est de l'Ukraine en 2022. Mais sur le terrain, la situation est complexe. Dans ces régions, des russophones et des Russes manifestent parfois un sentiment d'appartenance plus fort envers la Russie qu'envers l'Ukraine. En Crimée par exemple, on n'a pas vu de résistance populaire notoire lors de l'entrée des forces russes. Pour éviter davantage d'effusion de sang, je suis donc pour un référendum d'autodétermination, organisé sous l'égide des Nations unies, avec des garanties et sur la base du registre électoral des populations présentes avant l'invasion.
Concrètement, il faudrait que les troupes russes se retirent dans leurs bases durant toute la durée du processus et soient remplacées par celles de l'ONU. Il ne serait pas réaliste d'exiger leur retour préalable aux frontières antérieures à 2022 ou 2014 : un tel scénario serait inacceptable pour la Russie et empêcherait un règlement politique du conflit au long terme. Enfin, le déploiement d'observateurs internationaux garantirait la transparence du scrutin. C'est, à mon sens, le seul moyen pour éviter les rancœurs productrices d'irrédentisme au long cours. Cette approche est démocratique et conforme au droit international. »
Comment conserver une ligne critique vis-à-vis de l'OTAN tout en maintenant une solidarité active envers les Ukrainiens victimes des bombardements ?
« Je pense qu'il faut dans un premier temps reconnaître la légitimité des Ukrainiens à défendre leur pays et les soutenir. Reconnaître et soutenir leur droit à s'armer. Ne pas s'opposer à la livraison d'armes défensives. Et j'insiste sur le terme “défensif” : il s'agit de toutes les armes “anti” – antimissiles, antichars, antiaériennes. Enfin, s'engager dans une pression internationale pour l'organisation d'un référendum sur l'autodétermination des régions de l'Est ukrainien et de la Crimée.
J'ajoute qu'il serait temps d'arrêter d'ignorer l'éléphant au milieu de la pièce : la Chine. Celle-ci a très tôt manifesté son soutien à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Mais Washington a préféré ignorer cette main tendue et d'emblée accuser la Chine d'être de mèche avec la Russie. Aujourd'hui, les négociations sont menées en Arabie Saoudite entre la Russie, les États-Unis et l'Ukraine. Volodymyr Zelensky est isolé, soumis à des pressions qui le poussent à accepter des conditions de paix bien pires que celles que j'ai évoquées. Or la Chine, qui n'a pas intérêt à voir ce conflit se prolonger en tant que grand importateur d'hydrocarbures, pourrait être un allié de taille pour inciter les acteurs à revenir à la table des Nations unies. »
Propos recueillis par Gaëlle Desnos
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Narcissisme et stupidité

Divers mouvements ont contribué à transformer l'ère moderne, notamment une sécularisation, une mondialisation, une métropolisation, une spécialisation accrue, une technologisation et ainsi de suite, reflétant des changements sociétaux et sociaux d'envergure.
L'arrivée de l'Internet constitue assurément un important agent d'impact sur les communications, mais aussi sur la possibilité d'ouvrir les écrans à n'importe qui sur n'importe quoi, peu importe la classe, le genre, la couleur, le niveau d'instruction et de richesse. Dans un retournement de situation perçu comme étant drastique, alors que l'individu s'élève dans le groupe ou plutôt aspire à se réaliser, l'image de soi à partager semble être idolâtrée. En même temps, l'abondance de ces images semble ouvrir autant sur le talent que la stupidité. Mais au narcissisme de l'individu se joint un narcissisme collectif, car ce qui se ressemble s'assemble.
Deux ou trois petites choses au sujet de Narcisse
Narcisse est un personnage de la mythologie grecque. Il était jeune et d'une si grande beauté, qu'il attirait toutes les femmes qu'il croisait. Il était également orgueilleux au point qu'il repoussait l'amour qu'on lui manifestait avec dédain et mépris. Un jour Narcisse voulut se désaltérer à une fontaine. C'est alors qu'en apercevant son reflet dans l'eau, il tomba amoureux, sur le coup, de son propre visage. L'histoire raconte qu'il s'y prit à plusieurs reprises pour saisir cette image de lui-même, mais en vain. Nous reviendrons en conclusion sur le sort que connut Narcisse.
Le règne de Narcisse
Que ce soit dans le vedettariat, l'art, la politique, le sport, une forme de séduction s'impose afin d'attirer le regard et de glorifier des prestations. Il y a toutefois une distinction à apporter entre la performance et l'image. Si dans la société actuelle, la puissance est valorisée, tandis que l'impuissance fait craindre, cela s'explique sur la base d'une image dépeinte dépassant la prestation. Plus encore, elle sert à personnifier la valeur débattue, à élever une personne qui incarnera donc cette image. Mais ce culte de l'image provoque chez le fidèle son pendant pervers : la peur de déplaire, la peur de perdre ses supporters, la peur de ne plus refléter cette puissance. À ce titre s'entrevoit d'ailleurs la valorisation de la jeunesse (de la beauté, de la rigueur, de la force) en voulant ainsi s'éloigner le plus possible de la vieillesse (de la laideur, de l'atonie, de l'impuissance). Selon Gilles Lipovetsky (1993), nous sommes entrés depuis les années quatre-vingt-dix dans l'hyper individualisme. Autrement dit, ce nouveau stade se nomme le « narcissisme », c'est-à-dire « le surgissement d'un profil inédit de l'individu dans ses rapports avec lui-même et son corps, avec autrui, le monde et le temps, au moment où le ‘‘capitalisme'' autoritaire cède le pas à un capitalisme hédoniste et persuasif » (Lipovetsky, 1993, p. 72).
Dans l'ère des écrans et des communications, ce narcissisme s'expose dans la pléthore des diffusions de toute nature, alors que l'acte de communiquer devient plus important que son contenu, alourdissant la masse de propos insignifiants, dans le simple but manifeste de s'exprimer pour s'exprimer. Lipovetsky (1993, p. 23) le dit lui-même à sa façon : « Communiquer pour communiquer, s'exprimer sans autre but que de s'exprimer et d'être enregistré par un micropublic, le narcissisme relève ici comme ailleurs sa connivence avec la désubstantialisation post-moderne, avec la logique du vide ». Or, il y a lieu d'élargir le micropublic, lorsque l'individu possède une position sociale enviée. C'est alors que ses propos prennent des proportions inimaginables et risquent de créer des effets néfastes pour plusieurs individus, voire même des communautés et des sociétés. Narcisse est ainsi placé dans un réseau, cherche à rendre universels ses idéaux et souhaite regrouper sous une force de frappe les individus qui les partagent. Mais la montée des différents Narcisse, dans une société d'individus où chacun peut être en guerre avec chacun, semble faire apparaître de plus en plus des discours extrêmes, intolérants, à la rigueur stupides.
La stupidité humaine
Il faut toutefois relativiser cette précédente impression, dans la mesure où peut-être n'y a-t-il pas plus de stupidité dans notre monde qu'auparavant, mais seulement les moyens de communication et de diffusion permettent de la rendre davantage visible. Néanmoins, nous ne pouvons passer sous silence les avertissements de Carlo M. Cipolla (2012[1976]), exprimés sous la forme de « Lois fondamentales de la Stupidité humaine ». Autrement dit, il ne faut pas sous-estimer le nombre d'individus stupides dans le monde et leur puissance destructrice, mais accepter le fait que la stupidité est la chose la « mieux partagée et répartie dans une proportion constante », éviter de s'y allier et surtout avoir en tête que l'individu stupide est le type le plus dangereux.
Selon Cipolla (2012[1976]), l'humanité se divise entre les crétins, les gens intelligents, les bandits et les stupides. Pour les distinguer, il faut tenir compte des conséquences des actes de chacun : le crétin pose des gestes qui créent un gain pour les autres et non pour lui-même, le bandit vise le gain pour soi au détriment des autres, tandis que la personne intelligente agit de manière à créer un rapport gagnant-gagnant. Et le stupide ? Non seulement crée-t-il une perte (des ennuis, des embarras, des difficultés, du mal) aux autres, mais se nuit en plus à lui-même. Mais il importe de considérer des variantes, par exemple un bandit peut être intelligent ou encore il agit, selon les circonstances, en stupide. De la même façon qu'une personne intelligente peut poser des actes crétins ou bandits, le crétin parvient à agir intelligemment, tout en sombrant aussi dans la stupidité. Peut-on alors envisager un stupide intelligent, bandit ou crétin ? Non. Car il est foncièrement stupide. Cipolla (2012[1976], p. 69) explique ensuite comment la stupidité se veut dangereuse : « Les créatures essentiellement stupides sont dangereuses et redoutables parce que les individus raisonnables ont du mal à imaginer et à comprendre les comportements déraisonnables. Un être intelligent peut comprendre la logique d'un bandit. Les actions du bandit obéissent à un modèle rationnel ; d'une rationalité déplaisante, peut-être, mais rationnel tout de même. » Ce côté rationnel disparaît devant le stupide, capable d'attaquer, sans que nous puissions savoir quand, comment et pourquoi : « Parce que les actions des gens stupides ne sont pas conformes aux règles de la rationalité, il s'ensuit que : a) Leur attaque nous prend en général au dépourvu ; b) Même lorsqu'on prend conscience de l'attaque, nous ne pouvons organiser aucune défense rationnelle, parce que l'attaque est elle-même dépourvue de toute structure rationnelle » (Cipolla, 2012[1976], pp. 70-71). Voilà donc pourquoi l'individu stupide est dangereux, surtout s'il détient le pouvoir.
Comment un stupide atteint le pouvoir
C'est ici que le narcissisme de Lipovetsky se joint à la théorie de Cipolla. Si par le passé, la classe ou toute autre structure sociale (et/ou religieuse) assurait la continuité du gouvernement dans une catégorie comportant un nombre restreint de stupides (royauté, aristocratie), la démocratisation et la politisation de plusieurs groupes ont ouvert la voie à une réalité d'élections. Et l'hyper individualisme fragilise les anciennes mentalités, de façon à donner la parole à des individus prêchant leurs idéaux qu'ils souhaitent généraliser ; d'où aussi une tendance populiste évoquant surtout l'orientation que doit prendre, selon eux, la population afin de réclamer ses aspirations. Mais dans une démocratie, « les élections générales sont un instrument tout à fait efficace pour garantir le maintien d'une fraction […] [proportionnelle de stupides GB et YP] parmi les puissants », soutient Cipolla (2012[1976], pp. 65-66) qui rajoute : « N'oublions pas […] [qu']un pourcentage […] [proportionnel GB et YP] des électeurs est composé d'individus stupides et que les élections leur offrent à tous à la fois une occasion formidable de nuire à tous les autres sans rien y gagner ». Autrement dit, les élections offrent l'occasion à tous les groupes (crétins, intelligents, bandits et stupides) de dire leur mot, et les élu.e.s contiennent aussi leur part de stupides, d'où les chances d'en retrouver un au sommet. Or, il faut aussi additionner dans le camp des stupides, les crétins et les bandits à tendance stupide, ce qui augmente leur puissance.
Un contexte sociétal mérite aussi une attention : les sociétés moins performantes laissent davantage de marges de manoeuvre aux gens stupides. Cipolla (2012[1976], p. 87) souligne en ce sens :
« Que l'on envisage l'Antiquité, le Moyen Âge, les temps modernes ou l'époque contemporaine, on est frappé de constater que tout pays sur la pente ascendante a son inévitable fraction […] d'individus stupides. Les pays en plein essor comptent aussi un très fort pourcentage de gens intelligents qui réussissent à tenir en respect la fraction […] [proportionnelle de stupides GB et YP] et en même temps à garantir le progrès en produisant assez de gains pour eux-mêmes et pour les autres membres de la communauté. Dans un pays sur la pente descendante, la fraction d'être stupides reste égale à [la proportion de stupides GB et YP] ; cependant, dans le reste de la population, on remarque parmi ceux qui détiennent le pouvoir une prolifération inquiétante de bandits à tendance stupide […] et, parmi ceux qui ne sont pas au pouvoir, une augmentation tout aussi inquiétante du nombre de crétins […] ».
S'il y a un peu de positif, c'est du côté d'un constat historique qui sous-entend un monde actuel pas si différent du passé.
Conclusion
Face à une société plus narcissique, plus ouverte aux propos pouvant même être dérangeants, discriminatoires, intolérants, extrêmes, cela n'empêche point de créer des regroupements… bien que narcissiques. Mais dans une civilisation qui vacille de la sorte, une interprétation complémentaire peut porter sur l'occasion des écrans rendant ainsi visibles des discours crétins, bandits et stupides. Donner le pouvoir à un être stupide est dangereux, redoutable et annonce des périodes très difficiles. Parce que le stupide fait du tort à autrui et à lui-même, se perd dans ses illusions (souvent narcissiques), créant de ce fait une imprévisibilité nuisant à tout le monde. C'est dans la mort que Narcisse se libéra de l'amour de sa propre beauté, de son propre moi. Et aujourd'hui, face à un tel personnage narcissique, peu de choses peuvent servir à le contrer, au point de retenir ce propos de Cipolla (2012[1976], p. 71) citant l'écrivain allemand Friedrich von Schiller : « ‘‘contre la stupidité les dieux mêmes luttent en vains'' ».
Nous, les personnes humaines, sommes inaptes à vaincre au jeu des prédictions face à l'avenir. Nous ne connaissons pas le sort qui attend Donald Trump. Une chose par contre semble certaine à son sujet, à ce moment-ci : il est un être qui colle parfaitement à son époque hyper moderne et en ce sens il est un hyper narcissique.
Guylain Bernier
Yvan Perrier
10 avril 2025
10h50
Références
Cipolla, Carlo M. (2012[1976]). Les lois fondamentales de la stupidité humaine. Paris, France : Presses Universitaires de France.
Hamilton, Edith. (1997[1940]). La mythologie : Ses dieux, ses héros, ses légendes. Paris, France : Marabout.
Lipovetsky, Gilles. (1993). L'ère du vide. Essais sur l'individualisme contemporain. Paris, France : Gallimard.
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Le défaitisme révolutionnaire, hier et aujourd’hui

Simon Hannah examine les différentes positions de la gauche après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et la position de Lénine sur le « défaitisme révolutionnaire » au regard de cette guerre en cours.
Tiré de Inprecor 731 - avril 2025
9 avril 2025
Par Simon Hannah
Fraternisation de la foule avec les soldats dans les rues de Petrograd, 1917. © Paris Berlin
Le débat au sein de la gauche à propos de la guerre en Ukraine a mis en lumière de sérieux désaccords sur les questions internationales, dont certains couvaient et se sont approfondis depuis plus d'une décennie. Entre 2001 et 2011, il y avait une unité globale au sein de la gauche sur la question de l'impérialisme et la manière d'y répondre. C'était une période d'attaques explicites et évidentes contre la souveraineté de pays comme l'Afghanistan ou l'Irak par les États-Unis, le Royaume-Uni et d'autres forces impérialistes. Cette agression impérialiste à visage découvert a provoqué des mouvements de masse dans le monde entier contre la prétendue « guerre contre le terrorisme ».
Pour les socialistes, l'attitude face à l'invasion de l'Afghanistan ou de l'Irak était aussi simple que face à l'invasion étatsunienne du Vietnam : s'opposer à la guerre et aussi soutenir le droit de ce peuple à résister à la colonisation. Nous ne choisissons pas si nous défendons (ou non) un pays en raison de la nature de son gouvernement ou de la direction de son mouvement de résistance nationale, pas plus que nous ne rejetons les aspirations nationales des Palestinien·nes à cause de la politique réactionnaire du Hamas. C'est là une position de base, pas même de gauche, mais simplement démocratique bourgeoise : toute nation a le droit à l'autodétermination et aucune autre nation ne peut imposer un changement de régime en utilisant des missiles et des tanks. Ce sont des principes clairs et évidents, tellement évidents que la grande majorité de la gauche s'est unifiée autour d'eux à l'époque.
Une nouvelle forme de campisme
Mais on a connu un début de divergence et une fracturation de la perspective générale à propos de la Lybie en 2011. Au cours du Printemps arabe, il y a eu un soulèvement armé contre Mouammar Kadhafi, mené par différents groupes ethniques, soulèvement dans un premier temps désorganisé et chaotique. C'était la première guerre du 21e siècle, dans laquelle division et subdivision impérialistes sont devenues plus compliquées. Au départ, cela s'expliquait par le rôle joué par les mouvements démocratiques contre des dictatures « anti-impérialistes ». Alors, progressivement, certains au sein de la gauche ont commencé à minimiser le rôle des puissances impérialistes qui ne se situaient pas en Europe occidentale ou en Amérique du Nord, plus précisément la Russie et la Chine.
Sentant l'opportunité de renverser un régime qui avait parfois été une épine dans le flanc de l'Occident, l'OTAN est intervenue pour soutenir le soulèvement et lui fournir un appui aérien pour éviter qu'il ne soit complètement anéanti par les troupes de Kadhafi. Ce n'était pas la célébration d'une révolte populaire par l'impérialisme occidental, mais un calcul pragmatique selon lequel le renversement de Kadhafi était conforme aux intérêts des impérialistes occidentaux. C'était également conforme aux intérêts des Libyen·nes, bien sûr.
Une vision déformée
Et puis, il y a eu la Syrie. Le mouvement pour les droits démocratiques a été brutalement réprimé par le régime de Bachar el-Assad, plongeant le pays dans une guerre civile qui a duré 10 ans. Les impérialistes occidentaux étaient beaucoup moins réticents à intervenir dans cette affaire, alors que l'impérialisme russe aidait généreusement son allié Assad, en fournissant du matériel, des mercenaires, des conseillers militaires et en soutenant financièrement le gouvernement. L'Iran et le Hezbollah sont également intervenus pour écraser le soulèvement populaire. Les États-Unis sont intervenus dans le nord de la Syrie pour prêter main-forte aux Kurdes du YPG (Unités de défense du peuple) en ciblant l'État islamique, tout en se gardant de contribuer à détruire l'armée du gouvernement syrien. Ce conflit a provoqué une énorme scission au sein de la gauche internationale, certains se rangeant du côté du soulèvement des Kurdes, et d'autres du côté du régime d'Assad parce qu'il serait « anti-impérialiste », alors qu'il était en réalité dépendant de l'impérialisme russe. Certains au sein de la gauche étaient ambivalents en ce qui concerne le soulèvement arabe contre Assad, mais très favorables aux Kurdes parce qu'ils les considéraient comme un authentique mouvement de libération nationale doté d'une orientation politique de gauche. Au final, la révolution populaire a été écrasée et certains à gauche ont acclamé la chute d'Alep, le même type de gens « de gauche » que ceux qui ont soutenu l'invasion de la Hongrie par les tanks russes en 1956 pour y renverser le soulèvement des ouvriers.
Le cas de l'Ukraine
La guerre en Ukraine a suscité une vive polémique sur la tactique et la stratégie, et un complet désaccord sur le rôle de l'impérialisme dans ce conflit. Le désaccord essentiel porte sur jusqu'à quel degré l'Ukraine a le droit de se défendre contre l'invasion par une puissance impérialiste. Certains au sein de la « gauche » encouragent la Russie et croient que c'est une guerre engagée par la Russie pour dénazifier l'Ukraine. Je ne vais pas traiter cet argument tellement il est manifestement ridicule. Mais d'autres concluent que parce que l'Ukraine est dans l'orbite occidentale – par exemple, elle a demandé à rejoindre l'OTAN – alors Volodymyr Zelensky et son gouvernement sont des agents par procuration de Washington, Londres, Paris et Berlin. Ils voient donc le conflit comme l'exemple d'une guerre inter-impérialiste entre la Russie et l'Occident qui se bat à travers son subordonné de Kiev.
Les socialistes qui refusent à l'Ukraine le droit de se défendre contre l'invasion par une puissance impérialiste à cause de l'orientation politique du gouvernement ukrainien ont perdu toute compréhension de la question nationale et de la façon dont le peuple d'Ukraine a réellement répondu à l'invasion russe. En pratique, ils s'opposent au droit à l'autodétermination parce qu'ils n'aiment pas le gouvernement ukrainien, ce qui n'est pas pertinent par rapport à la discussion sur les principes. Avec un tel raisonnement, personne ne devrait soutenir les Tigres tamouls, les combattants du Hamas ni même les Républicains irlandais, tous ces mouvements qui ont eu (et ont encore) des positions réactionnaires sur nombre de sujets et étaient pro-capitalistes. Ils se servent aussi de l'excuse selon laquelle l'Ukraine veut rejoindre l'OTAN pour suggérer qu'elle est elle-même une puissance impérialiste.
Comme l'Ukraine est vue comme agissant par procuration pour l'Occident et qu'elle reçoit des missiles contre les tanks et les avions, certains tracent un signe d'égalité entre la Russie et l'Ukraine et en concluent que les deux côtés doivent perdre. Comment les deux côtés peuvent-ils perdre ? En réalité, ce serait une impasse de longue durée qui durerait des années, avec d'innombrables morts.
Mythes et réalités
D'autres essaient d'être plus nuancés et disent que les peuples d'Ukraine devraient résister, mais qu'ils devraient d'abord renverser leur gouvernement parce que leur gouvernement soutient l'impérialisme américain. Ainsi, prétendent-ils, en face de l'invasion actuelle, alors que les tanks et les véhicules blindés russes foncent sur ses principales villes, la classe ouvrière ukrainienne aurait besoin de former un mouvement des masses avec une conscience de classe. Ils présument qu'un tel mouvement serait révolutionnaire par nature, serait doté d'une compréhension complète du rôle réactionnaire de l'OTAN et de l'impérialisme occidental et réussirait à renverser le gouvernement avant de proclamer un nouveau gouvernement du type de celui de la Commune de Paris. Alors seulement il serait légitime d'impulser une « défense socialiste » du pays. En quoi est-il utile pour le peuple ukrainien qu'en Occident des socialistes souhaitent que sa situation politique soit totalement différente et beaucoup plus favorable ?
En réponse à l'invasion d'une armée, sous le commandement de ceux qui ont supervisé le massacre de la révolution syrienne et la destruction de Grosny, il est pourtant compréhensible que le peuple ukrainien – même ceux qui n'aiment pas Zelensky et se sont opposés à lui et à sa politique – défende son pays et ses communautés contre l'occupation russe. Comme le dit Lénine : « quand le travailleur dit qu'il veut défendre son pays, c'est l'instinct d'un homme opprimé qui parle en lui » (1).
La militarisation
Cependant, c'est clair que le gouvernement Zelenski doit être renversé, exactement comme celui de Poutine, ou celui de Joe Biden, ou celui de Boris Johnson ou celui de Victor Orban, de même que tous les autres gouvernements bourgeois. Et la guerre en Ukraine fournit une chance d'explosion révolutionnaire contre l'ordre existant (2). Mais pour passer de « les Russes sont les envahisseurs, nous devons défendre nos foyers » à « tout le pouvoir au soviet d'Ukraine », il faut un sérieux travail de front unique au côté de la grande masse du peuple ukrainien mobilisé par le gouvernement dans le cadre des unités de défense populaire. Cela signifie être un pas en avant des masses, pas quinze kilomètres en avant.
La création d'unités de défense populaire signifie qu'il existe désormais une milice en Ukraine, milice qui est armée mais avec un entrainement militaire terriblement rudimentaire. Les socialistes qui défendent l'idée de boycotter ces unités sont des pacifistes, même s'ils citent Lénine pour justifier leur position. En réalité, Lénine défendait que la « militarisation » de la société au cours d'une guerre en est l'un des rares aspects positifs : « Actuellement, la bourgeoisie impérialiste militarise, non seulement l'ensemble du peuple, mais même la jeunesse. Demain, elle entreprendra peut-être de militariser les femmes. Nous devons dire à ce propos : tant mieux ! Qu'on se hâte ! Plus vite cela se fera, et plus sera proche l'insurrection armée contre le capitalisme. Comment les social-démocrates pourraient-ils se laisser effrayer par la militarisation de la jeunesse, etc., s'ils n'oubliaient pas l'exemple de la Commune de Paris ? » (3)
Ici Lénine évoque l'armement d'une nation impérialiste, pas d'une semi-colonie ou d'une colonie.
Sur les armes et leur origine
Certains socialistes ont défendu le droit des Ukrainien·nes à résister à l'occupation, mais aussi que les nations impérialistes occidentales ne devraient pas fournir de matériel et d'armements pour les combats. Leur position est que la fourniture d'armes antitanks par Londres modifie fondamentalement le caractère de classe de la résistance nationale et qu'il n'est donc pas possible de fournir des armes aux Ukrainiens. D'autres affirment que les armes ne doivent être fournies qu'aux organisations ouvrières ukrainiennes mais, si ces organisations ne sont pas identifiées et ne sont pas une réalité concrète, il ne s'agit que d'un prétexte pour ne pas fournir un armement plus important au pays. Lorsque l'on est confronté à l'armée russe, l'appel à désarmer l'Ukraine est essentiellement un appel à ce que la Russie puisse triompher plus facilement.
Il faut répéter que l'identité de ceux qui fournissent des armes à un mouvement de libération nationale ou à un pays qui résiste à une invasion impérialiste est secondaire par rapport à la légitimité du combat lui-même. Il était justifié que les Kosovars obtiennent des armes fournies par l'Occident dans les années 90. Il était justifié que la résistance syrienne et les Kurdes obtiennent des armes pendant la révolution syrienne. Ces armes ont-elles été livrées avec des contraintes ? Parfois oui, mais on ne peut ignorer l'autonomie d'un peuple qui mène un combat légitime pour la liberté, au motif des manipulations impérialistes.
Impérialismes et pays dominés
Certains à gauche tiennent apparemment pour acquis que dans le système du monde moderne, l'impérialisme, chaque semi-colonie parmi les plus pauvres se situe dans l'orbite d'un autre pays impérialiste et qu'en conséquence la question nationale est superflue. Il ne s'agit pas là d'une idée nouvelle. Dans la brochure de Junius (4), Rosa Luxemburg affirme que le monde a d'ores et déjà été divisé par l'impérialisme et que, en conséquence, tous les conflits sont à un degré ou à un autre des conflits inter-impérialistes. La question nationale est donc renvoyée au passé et seul le socialisme est maintenant à l'ordre du jour. Le problème est que cette approche ignore totalement toutes les authentiques questions nationales qui pourraient exister, par exemple lorsque votre pays est envahi par une nation beaucoup plus puissante qui se situe juste à votre frontière et dont les dirigeants ont publié des textes affirmant que votre pays est une erreur et ne devrait pas exister (5).
Dans des écrits de 1916, pour partie en réponse à ce type de positions, Lénine affirmait :
« Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre « grande » puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d'elles-mêmes, que les nombreux exemples d'utilisation par la bourgeoisie des mots d'ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les socio-démocrates à renier leur républicanisme » (6).
Ces questions sont cruciales car nous entrons dans un monde multipolaire dans lequel une analyse basée sur la guerre froide ne fonctionne plus. Alors que la Russie et la Chine déploient leur puissance impérialiste, il y aura de plus en plus de conflits dans lesquels un pays très pauvre ou un groupe ethnique cherchera du secours auprès de l'Occident. Si les socialistes utilisent alors une vision simpliste des relations internationales pour orienter leur réflexion, alors nous serons pris à contre-pied. Nous ne pouvons pas simplement mettre un signe moins là où la bourgeoise occidentale met un signe plus. Nous devons utiliser la théorie pour éclaircir et expliquer, pas pour ériger des barrières en face de la réalité.
Le conflit en Ukraine a aussi vu certains socialistes appeler à la défaite pour les deux côtés du conflit, faisant reposer leur position sur celle défendue par Lénine entre 1914 et 1916. La suite de cet article va examiner ce que cette politique signifie – et ce qu'elle ne signifie pas – en pratique et son utilité pour développer aujourd'hui une politique socialiste cohérente à propos de l'Ukraine.
Que signifie « défaitisme révolutionnaire » ?
Le point de vue de Lénine sur les guerres inter-impérialistes semble assez simple :
« La bourgeoisie de toutes les grandes puissances impérialistes : Angleterre, France, Allemagne, Autriche, Russie, Italie, Japon, États-Unis, est devenue tellement réactionnaire, elle est tellement animée du désir de dominer le monde que toute guerre de la part de la bourgeoisie de ces pays ne peut être que réactionnaire. Le prolétariat ne doit pas seulement être opposé à toute guerre de ce genre, il doit encore souhaiter la défaite de “son” gouvernement dans ces guerres et les mettre à profit pour déclencher une insurrection révolutionnaire si l'insurrection en vue d'empêcher la guerre n'a pas réussi » (7).
Tout·e travailleur·se ayant une conscience de classe se méfiera des actions de son gouvernement et de sa classe capitaliste dans le cadre d'une guerre, que cette nation soit une nation impérialiste ou non. Dans une guerre impérialiste, tout·e travailleur·se ayant une conscience de classe méprisera les politiciens bellicistes et les appels des patrons à « l'unité dans l'effort de guerre », à travailler plus, à accroître la production, à travailler gratuitement le week-end, à interdire les grèves et les réunions publiques, etc. Vous ne souhaitez pas la victoire de votre gouvernement parce que vous savez qu'il en résultera nationalisme, patriotisme et chauvinisme débridés, qui sont les ennemis du socialisme. Cela lierait les masses à leur bourgeoisie à travers la glorification des succès de la nation, toutes choses qui sapent et diluent la conscience de classe.
Il y a du vrai dans l'idée qu'une guerre impérialiste qui tourne mal contribue à développer la contestation radicale contre un gouvernement. La révolution russe de 1917 a été largement rendue possible parce que la guerre était si désastreuse pour la Russie qu'elle causait une misère indicible dans le pays et que les paysans, envoyés se battre et mourir sur le front, étaient excédés et désiraient la paix. Si la guerre avait bien tourné et que la Russie avait pénétré dans d'autres pays et s'était emparée de nouveaux territoires, tout cela sous la brillante direction du tsar, cela aurait alors créé au sein du peuple un sentiment nationaliste plus important. Et les révolutions de Février et d'Octobre n'auraient sans doute pas eu lieu.
De même, lorsque la guerre du Vietnam a mal tourné pour les États-Unis, le sentiment d'une crise nationale grandissante s'est exacerbé et a approfondi les autres contradictions sociales, s'est articulé avec d'autres thématiques en les radicalisant, et particulièrement la lutte contre le racisme. Le sentiment que le gouvernement est en crise et que son pouvoir impérial faiblit donne un sentiment de force à la classe ouvrière et aux opprimés pour s'organiser et riposter sur d'autres fronts – bien que cela rende aussi la classe dominante encore plus brutale et violente sur le plan intérieur afin de maintenir l'ordre.
Le problème qui surgit, si l'on considère chacun des slogans formulés aux différents moments de la guerre comme un appel pratique et immédiat à l'action, est que cela télescope différents niveaux d'analyse et d'activité. La position de Lénine sur le défaitisme était en grande partie une réaction propagandiste à la trahison du socialisme qu'était la position défensiste, particulièrement lorsque, dans toute l'Europe, les socio-démocrates ont soudainement commencé à soutenir les objectifs de guerre de leur propre gouvernement sous prétexte qu'il s'agissait de conflits « défensifs ». On devait alors contester le slogan de « défense de la mère-patrie » parce qu'il s'agissait clairement d'un mensonge pour promouvoir une guerre d'expansion et d'agression. Une grande partie de la propagande impérialiste à propos de la Première Guerre mondiale reposait sur l'idée que cette guerre avait été déclenchée par quelqu'un d'autre et que chaque pays belligérant ne faisait que se défendre face aux actions de ses voisins belligérants. C'est la capitulation des socialistes devant les buts de guerre impérialistes de leur propre classe dominante que combattait Lénine avec sa politique du défaitisme.
Les formes concrètes du slogan
Il y a une interprétation souple et une interprétation stricte des conclusions pratiques induites par le défaitisme révolutionnaire. Dans une guerre impérialiste, l'interprétation souple consiste à ne pas encourager les buts de guerre de son propre gouvernement et à défendre des slogans principiels comme « pas un sou ni un homme pour la machine de guerre ». Dans l'agitation, on utilise chaque défaite militaire pour souligner que la guerre est vaine, qu'elle provoque un bain de sang inutile, et que le gouvernement doit être renversé pour nous avoir plongés dans ce chaos au profit des grands industriels. On poursuit la lutte des classes – on l'intensifie même, si c'est possible – sans tenir compte des appels à l'unité nationale lancés par des dirigeants syndicaux et des politiciens bourgeois.
Il existe une interprétation plus stricte, à laquelle Lénine a parfois eu recours et qui, pour certains socialistes, est devenue une sorte d'orthodoxie, essentiellement à cause du combat fractionnel qui s'est déroulé au sein du Parti communiste russe dans les années 20. Dans cette conception, vous ne souhaitez pas seulement la défaite de votre gouvernement, vous travaillez activement à la défaite militaire de l'effort de guerre par le sabotage, « l'exécution des officiers », etc. Ainsi, Lénine défendait l'idée que la défaite de la Russie devant l'armée allemande était un « moindre mal » par rapport à une victoire du tsarisme que Lénine considérait comme le gouvernement le plus barbare et le plus réactionnaire d'Europe.
Le problème avec cette vision, comme l'a souligné Hal Draper (8), c'est qu'elle ne correspond pas vraiment à ce que disaient les bolcheviks en Russie ni aux conséquences pratiques du slogan de défaitisme. D'abord, il n'y avait pas réellement d'unité chez les bolcheviks sur la question du défaitisme, dont la signification a varié selon les périodes dans les écrits de Lénine. Beaucoup d'entre eux ont utilisé la formulation souple, sur laquelle il y avait peu de désaccords avec les autres socialistes opposés à la guerre. Mais, dans sa forme plus stricte, le défaitisme n'est pas une politique opérationnelle pour le travail d'agitation au sein de la masse des soldats, mais une réaction polémique à la faillite de tant de socialistes en faveur d'une politique de « défense de la mère-patrie ». Imaginez-vous distribuer des tracts à des conscrits âgés de 19 ans pour leur expliquer que votre politique, pour ce qui les concerne directement, consiste à ce qu'ils rentrent à la maison dans des sacs mortuaires…
Étudions plutôt les positions pratiques que les bolcheviks ont défendues lors des conférences internationales contre la guerre, dont la plus importante fut celle de Zimmerwald : il n'y était pas fait mention du « défaitisme révolutionnaire » et le propos était concentré sur la poursuite de la guerre de classe dans le pays et la politisation de toutes les luttes ouvrières en luttes plus générales contre le capitalisme et l'impérialisme.
« Le prélude à ce combat [pour le socialisme] est le combat contre la guerre mondiale et pour une fin rapide au massacre des peuples. Ce combat nécessite le rejet des crédits de guerre, la sortie des gouvernements, la dénonciation du caractère capitaliste et antisocialiste de la guerre, dans l'arène parlementaire, dans les colonnes des publications légales et, si nécessaire, illégales, en parallèle avec une lutte franche contre le social-patriotisme. On doit s'appuyer sur chaque mouvement populaire qui naît des conséquences de la guerre (appauvrissement, lourdes pertes, etc.) pour organiser des manifestations de rue contre les gouvernements, pour développer une propagande en faveur de la fraternisation dans les tranchées, pour mettre en avant des revendications pour des grèves économiques, et pour redoubler les efforts pour transformer de telles grèves, lorsque c'est possible, en luttes politiques. Le mot d'ordre, c'est : guerre civile, pas paix civile ! » (9)
Théorie et pratique
Si la position de Lénine sur le défaitisme révolutionnaire apporte une certaine clarté, quelle est sa signification sur le terrain ? Lénine met en garde : « Il n'est nullement question de “faire sauter des ponts”, d'organiser des mutineries vouées à l'échec et, en général, d'aider le gouvernement à écraser les révolutionnaires » (10). Qu'en est-il de l'agitation dans l'armée ? C'est un point de vue populaire chez certains socialistes : l'agitation bolchévique dans l'armée aurait été focalisée sur des actions radicales, y compris des appels aux soldats à fusiller leurs officiers ou des appels à ce que des régiments entiers se soulèvent et combattent les troupes loyales au gouvernement et non les puissances étrangères.
Le mot d'ordre de « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » est compris comme une revendication immédiate en direction des soldats et des travailleurs pour qu'ils ouvrent un second front dans leur pays, et luttent pour renverser le gouvernement alors que leur pays est envahi. Néanmoins, c'est une démarche que les socialistes d'aujourd'hui envisagent rarement en termes concrets, tactiques. Ils proclament ce slogan comme un principe, comme si dès le premier jour la revendication immédiate des soldats était de tourner leurs armes contre leur gouvernement. Mais transformer ce slogan révolutionnaire général en revendication tactique lors du déclenchement de la guerre est une posture ultragauche. Tenter de lancer une guerre civile, alors que la conscience de la classe ouvrière est très majoritairement focalisée par le désir de défendre ses droits nationaux, conduit à l'isolement et à la mort de la gauche.
À l'inverse, la politique pratique des bolcheviks dans l'armée était concentrée sur une agitation générale contre le caractère de classe de la guerre, en instruisant les ouvrier·es et les soldats sur ce que signifiait l'impérialisme et en dénonçant les buts de guerre du gouvernement. De la fin 1916 jusqu'à l'été 1917, les bolcheviks ont de plus en plus centré leurs revendications sur les droits des soldats.
De l'antimilitarisme à la révolution
Pour les bolcheviques, en Russie, le point de bascule majeur s'est produit après février 1917 lorsque le tsarisme a été renversé par une révolution populaire et qu'un régime démocratique dirigé par Alexandre Kerenski l'a remplacé et a annoncé qu'il voulait poursuivre la guerre. À gauche, certains sont rentrés dans le rang après Février, défendant l'idée que la tâche était désormais de défendre une Russie plus démocratique contre le Kaiser allemand, maintenant que le caractère du gouvernement avait changé. Cependant, Lénine et ses camarades ont renforcé leur opposition et, quand la guerre a continué, et mal continué, sous Kerenski, c'est cette orientation principielle qui leur a finalement permis d'arracher le pouvoir aux capitalistes en Octobre 1917.
Quel était le matériel que les bolcheviks distribuaient à la veille du Congrès panrusse des soviets en avril 1917 ?
« Tout le pouvoir au Soviet des députés ouvriers et soldats ! Ce qui ne veut pas dire qu'il faille rompre tout de suite avec le gouvernement actuel et le renverser. Tant qu'il est suivi de la majorité du peuple […] nous ne pouvons pas diviser nos propres forces par des mutineries isolées. Jamais ! Ménagez vos forces ! Réunissez des meetings ! Adoptez des résolutions ! » (11)
Il est clair que la stratégie révolutionnaire ne consistait pas en une mutinerie immédiate, ni au refus de combattre débouchant sur un combat révolutionnaire contre le gouvernement bourgeois, mais en un travail patient de construction du soutien aux idées révolutionnaires et anti-guerre.
Finalement, la classe ouvrière, dirigée par des forces révolutionnaires, est arrivée au pouvoir en Octobre, grâce à une politique qui n'était pas « fusillez vos officiers ! » ou une agitation active pour la défaite de l'armée, mais une politique qui réclamait « le pain, la paix, la terre ». De telles revendications ne pouvaient être satisfaites qu'en prenant le pouvoir aux capitalistes russes et aux politiciens libéraux afin d'assurer la paix à un pays épuisé et détruit par la guerre. Pour sortir la Russie de la guerre, les bolchéviks ont immédiatement fait la paix avec l'Allemagne, signant le traité de Brest-Litovsk, un traité très défavorable concédant de vastes territoires pour prix de la paix. Dans le cadre des débats à propos de la ratification du traité de Brest-Litovsk, Lénine a fait la remarque suivante :
« [Kamkov] a entendu dire que nous avons été défaitistes et s'en souvient au moment où nous avons cessé de l'être. […] Nous étions défaitistes sous le tsar, nous ne l'étions plus sous Tsérételi et Tchernov [ministres du gouvernement Kerenski] » (12).
Après la révolution de Février, Lénine a défendu l'idée que les bolcheviks devaient abandonner les slogans en faveur du défaitisme, bien qu'en pratique de tels slogans n'aient existé qu'au niveau propagandiste entre 1914 et 1916 et aient été mis de côté dès 1917. Ils avaient été remplacés par des appels plus concrets et pratiques en faveur des droits démocratiques des soldats et une avancée vers le double pouvoir dans l'institution militaire à mesure que le soulèvement révolutionnaire radicalisait de plus en plus de régiments.
La guerre révolutionnaire de défense
En septembre 1917, même Lénine faisait des déclarations qui n'étaient plus fondées sur le défaitisme révolutionnaire mais qui, pour l'essentiel, plaidaient pour une guerre révolutionnaire de défense, et expliquait comment défendre avec succès le pays contre l'invasion :
« Il est impossible de rendre le pays apte à se défendre sans un sublime héroïsme du peuple accomplissant avec hardiesse et résolution de grandes réformes économiques. Et il est impossible de faire naître l'héroïsme dans les masses sans rompre avec l'impérialisme, sans proposer à tous les peuples une paix démocratique, sans transformer ainsi la guerre criminelle de conquête et de rapine en une guerre juste, défensive, révolutionnaire. » (13)
Cela démontre une fois de plus que Lénine utilisait le mot d'ordre de défaitisme révolutionnaire essentiellement face au tsarisme et avait l'idée qu'une défaite de l'armée du tsar créerait les conditions de son remplacement par un régime plus radical et démocratique. Et sur ce point, il avait raison.
En temps de guerre, les choses vont vite. Lorsque Lénine revient d'exil et commence à parler aux ouvriers et aux soldats russes, il découvre un autre état d'esprit, il est parfaitement raisonnable de ne pas vouloir que son pays soit envahi et occupé, et c'est ce sentiment que Lénine exprime alors, utilisant même le vocabulaire de la guerre révolutionnaire défensive qu'il avait rejeté en avril 1917. Le point crucial était alors de s'opposer aux buts de guerre expansionnistes et impérialistes de la classe bourgeoise.
Conclusions pratiques
Quand un pays impérialiste envahit un pays plus pauvre pour redécouper le monde, défendre le droit de ce pays à résister et défendre son droit à l'autodétermination est une revendication démocratique de base. Même dire que l'on est pour la victoire de la nation la plus petite est une position correcte et de principe.
Même lorsque l'on se situe dans une nation impérialiste et que l'on est envahi par une autre nation impérialiste, alors il est inévitable que la population veuille ne pas être envahie et ne pas être occupée par une puissance étrangère.
Dans les deux cas, les socialistes devraient mener une agitation et une propagande contre la guerre, faire ressortir les contradictions de classe entre d'un côté ce que veulent les impérialistes et de l'autre les travailleurs qui sont envoyés s'entretuer. Nous devrions tisser des liens avec les socialistes qui se trouvent dans le pays envahisseur, organiser des collectifs de base dans l'armée et dans les syndicats et construire des liens entre les ouvriers et les soldats, tout en affirmant clairement que le gouvernement ne parle pas au nom du peuple, qu'il faut mettre fin à cette guerre barbare et que seul un gouvernement socialiste peut l'arrêter.
Le 19 mai 2022
Cet article est paru dans le magazine en ligne Tempest. Traduit par François Coustal. Le terme « socialist », qui signifie pour l'auteur la gauche hors du Labor Party, est tantôt traduite par « la gauche », tantôt par « les socialistes ».
1. « Report at a meeting of bolshevik delegates to the all-russia conference of soviets of workers' and soldiers' deputies april 4 (17), 1917 », Lénine, publié dans la Pravda le 7 novembre 1924.
2. « A strategy for the working class in ukraine », Simon Hannah, Anticapitalist Resistance, 10 mars 2022.
3. « Le programme militaire de la révolution prolétarienne », Lénine, septembre 1916.
4. « La crise de la social-démocratie », Rosa Luxemburg, 1915. Le texte deviendra célèbre sous le nom de « brochure de Junius », pseudonyme utilisé par l'autrice, en référence à un pamphlétaire anti-absolutiste anglais.
5. Article de Vladimir Poutine « sur l'unité historique des Russes et des Ukrainiens », 12 juillet 2021.
6. « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes », Lénine, janvier-février 1916.
7. « Le programme militaire de la révolution prolétarienne », idem.
8. « Le mythe du “défaitisme révolutionnaire” de Lénine », Hal Draper, 1953-195, New International.
9. « Projet de résolution sur la guerre mondiale et les tâches de la social-démocratie » présenté par la gauche de Zimmerwald, 1915.
10. « De la défaite de son propre gouvernement dans la guerre impérialiste », Lénine, Le Social-Démocrate n°32, 26 juillet 1915, Œuvres complètes, tome 21, p. 284.
11. « Le bolchévisme et la « désagrégations de l'armée », Lénine, Pravda n°72, 16 juin 1917, Œuvres complètes, tome 24, p. 589
12. « Discours de clôture sur le rapport concernant la ratification du traité de paix », 15 mars 1918, Pravda n°49 (19 mars 1918), Œuvres complètes, tome 27, p. 198.
13. « La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer », Lénine, septembre 1917, Œuvres complètes, tome 25, p. 347.
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La gauche face à la course européenne aux armements

« Réarmer l'Europe » est le nouveau mot d'ordre des élites politiques européennes. Un nouveau centre d'intérêt qui a même dépassé les vieux dogmes des limites de l'endettement public. Dans ce dossier, Esquerda.net explore une pluralité d'analyses provenant de différents points de la gauche européenne sur cette nouvelle course aux armements. Un dossier organisé par Carlos Carujo.
Tiré de Inprecor
9 avril 2025
Par Carlos Carujo
Soudainement, la politique institutionnelle européenne a trouvé un centre d'intérêt : la course aux armements. Avec Poutine et Trump négociant les dépouilles de guerre en Ukraine et ce dernier indiquant clairement que l'ancienne mission atlantiste des États-Unis ne cadrait pas avec ses nouveaux plans impérialistes, un sentiment de désorientation semblait s'être emparé des classes politiques dominantes du continent. Ce vide a été comblé lorsque la Commission européenne a présenté un plan pour « réarmer l'Europe » au nom de la « sécurité » et contre une menace russe présentée comme imminente. Une décision qui a ouvert une exception millionnaire aux vieux dogmes des limites du déficit et de l'investissement public qui ont dominé le centre continental.
Ce dossier porte sur les réponses de la gauche à ce virage stratégique de la politique de l'Union européenne vers les dépenses liées au commerce des armes. Il comprend ainsi des visions diverses, avec des centres d'intérêt et des portées différenciés, que nous présentons comme des moments d'un débat en cours sur la nature de ce qui est vécu. Les articles présentés ici ne prétendent pas résumer toutes les positions existantes, et ce dossier ne prétend pas être une synthèse. Encore moins a-t-il été pensé comme un recueil d'opinions favorables dans le même sens. Ainsi, comme dans tous les cas d'articles signés, mais à plus forte raison dans ce cas particulier, il convient de souligner que les idées exprimées dans ces textes ne reflètent pas nécessairement les positions d'Esquerda.net.
En outre, il est important de souligner que l'objectif n'était pas de se concentrer sur les spécificités des débats internes aux gauches de chaque pays, mais de visiter des analyses et des arguments plus généraux sur la question. C'est pourquoi sont exclus, par exemple, les débats au sein de la gauche espagnole où le gouvernement est divisé, avec le PSOE s'engageant dans l'armement européen et son partenaire de l'exécutif, Sumar, votant ce jeudi en faveur d'une résolution présentée par le député du Bloc nationaliste galicien, Néstor Rego, contre le plan européen d'augmentation des dépenses militaires et pour la sortie de l'OTAN, auquel se sont joints Bildu et Podemos, avec l'abstention de la Gauche républicaine de Catalogne concernant le point sur l'OTAN.
Est également exclue la polémique suscitée par le vote favorable, ce vendredi, des représentants de Die Linke à la Chambre haute du parlement allemand, le Bundesrat, aux amendements constitutionnels qui mettent fin au frein à l'endettement public dans le cas des dépenses de « défense » et de « sécurité », c'est-à-dire dans les politiques d'armement. Cela va à l'encontre de la position adoptée par la direction du parti et du sens du vote de ses députés à la Chambre basse, le Bundestag.
Il convient de rappeler que le Bundesrat représente indirectement les différents États du pays et est composé de membres nommés par les gouvernements des Länder. En Mecklembourg-Poméranie occidentale et à Brême, Die Linke fait partie de ces gouvernements aux côtés du SPD, et ce sont ces sénateurs qui ont voté, justifiant leur décision par les conséquences en termes de « marge de manœuvre financière » pour la gouvernabilité locale et jurant qu'ils continueront à lutter, non pas contre le paquet d'investissement militaire mais pour l'extension de la fin du frein à la dette aux dépenses sociales.
Cette décision a suscité la révolte des bases (par exemple, une lettre ouverteenvoyée aux sénateurs la veille du vote a rassemblé des milliers de signatures plaidant pour le rejet des modifications constitutionnelles) et ses conséquences politiques ne sont pas encore claires dans un parti qui avait été donné pour mort politiquement et qui a fait un retour politique impressionnant lors des élections législatives du mois dernier à partir d'une campagne de proximité.
La première pièce de ce dossier est la résolution du Bureau national du Bloc de gauchesur la politique internationale, approuvée aujourd'hui, qui voit « l'Europe dans le piège de l'axe Trump-Poutine » et qui défend que « l'impérialisme des États-Unis est encore le plus agressif et constitue une superpuissance que d'autres puissances impérialistes cherchent à combiner avec l'existence de pôles mondiaux » , un processus qui « avance, tantôt par le conflit, tantôt par la coopération entre les pouvoirs et par l'intégration capitaliste transnationale ». Pour le Bloc de gauche, il existe plusieurs impérialismes et « aucun d'entre eux n'aura un rôle progressiste car tous agissent en fonction des intérêts de leurs élites capitalistes ». Par conséquent, « reconnaître cette réalité est vital dans l'élaboration d'une proposition internationaliste capable d'offrir un avenir à l'humanité et de concevoir un ordre démocratique des peuples ».
Pour la compléter, une réflexion de Luís Fazenda sur la façon d'échapper à la spirale du militarisme créée « oblige à une position de rupture avec l'OTAN qui est le cancer du bellicisme ». Pour lui, le contexte rend « beaucoup plus clair pour les Européens que celle-ci ne leur sert pas de protection ».
Miguel Urbán, quant à lui, voit dans cette remilitarisation un « changement de paradigme » et une « stratégie de choc » utilisée « non seulement pour accomplir son objectif de longue date d'intégration militaire européenne, mais aussi pour renforcer un modèle de fédéralisme oligarchique et technocratique » et pour « promouvoir une réindustrialisation européenne selon des lignes militaires ».
La spécialiste de la culture de la paix Ana Villellaspréfère critiquer une militarisation qui ne s'efforce même pas de présenter des preuves qu'elle peut répondre aux menaces qu'elle énonce comme justifications. Selon elle, « s'éloigner de la logique de la force militaire et promouvoir d'autres formes de relations internationales et une architecture de sécurité sur le continent basée sur la sécurité partagée et le droit international exige du courage politique, une vision à court et à long terme et beaucoup de travail de chœur, avec les citoyens eux-mêmes et aussi avec d'autres acteurs d'autres continents ».
La perspective de Daniel Tanurose concentre sur l'idée que le pacte Trump-Poutine vise à diviser l'Europe et à imposer des régimes autoritaires-austéritaires-réactionnaires et belliqueux dans leurs zones d'influence respectives. Et sur la façon dont cela remet en question l'avenir des droits démocratiques et sociaux qui sont nés en Europe aux XIXe et XXe siècles à la suite de la lutte des travailleurs contre l'exploitation capitaliste.
Dans le même sens, Franco Turigliatto croit qu'en ces temps de résurgence du slogan de l'empire romain « si tu veux la paix, prépare-toi à la guerre », l'unité d'une « Europe différente de la capitaliste et impérialiste » est nécessaire « plus que jamais », ce qui « n'est possible que par l'activité et l'unité des classes travailleuses ».
Pour sa part, Jean-Luc Mélenchon ironise en posant la question : l'après-Trump consiste-t-il à obéir à ses exigences ? Car, révèle-t-il, ce qui a été annoncé comme dépense militaire européenne par von der Leyen est en fait exactement le montant exigé par Trump pour l'augmentation des dépenses militaires des Européens. Il souligne également que la situation tant aux États-Unis qu'en Europe est celle d'une « transition vers une économie de guerre » avec pour objectif d'« inaugurer une ère d'expansion et d'accumulation sans risques pour le capital flottant mondial et pour l'énorme réserve d'épargne disponible » et de « reconstituer la capacité de production industrielle ».
L'idée que nous sommes face à une économie de guerre est contredite par les chiffres dans l'analyse d'Adam Tooze. À travers les graphiques qu'il nous présente, nous suivons l'histoire des dépenses militaires de l'Europe et des États-Unis tout au long de l'histoire contemporaine. Des données avec lesquelles il entend illustrer la conclusion que « cela ne nous servira à rien si nous aggravons notre anxiété en superposant à la réalité actuelle des fantômes et des visions d'une époque dont l'histoire de la violence militaire était encore plus sombre que la nôtre ».
Également du point de vue économique, Thomas Pikettys'efforce de démonter un autre aspect qu'il considère comme un mythe : l'idée du déclin de l'Europe qui aurait besoin de se serrer la ceinture et de réduire les dépenses sociales pour miser sur les dépenses militaires. L'économiste français montre que l'Europe « enregistre des excédents solides de la balance des paiements depuis des années » et que « plus qu'une cure d'austérité, ce dont elle a réellement besoin, c'est d'une cure d'investissement ». Un investissement qui doit être prioritairement dans le bien-être humain, le développement durable et les infrastructures collectives.
Encore un autre économiste, Michael Roberts, se consacre à démonter l'une des versions qui, même à gauche, finit par se convaincre avec le projet de « réarmement ». Il s'agit de l'idée qu'un keynésianisme militaire européen arrive qui améliorerait les conditions de vie de la classe ouvrière, en réindustrialisant le continent. Il montre que, contrairement à ce que disent ses partisans, non seulement ce n'est pas un keynésianisme militaire qui a sorti l'économie des États-Unis de la Grande Dépression, mais que cela ne fonctionne pas comme le pensent ses partisans. Et, en plus et surtout, cela est, au fond, « contre les intérêts des travailleurs et de l'humanité ».
Entre économie et politique, Yanis Varoufakis défend une restructuration institutionnelle européenne face à un système dans lequel « personne n'a de légitimité démocratique pour décider quoi que ce soit ». Concluant que « en l'absence d'institutions pour mettre en œuvre un keynésianisme militaire, la seule façon dont l'Europe peut se réarmer aujourd'hui est de détourner des fonds de son infrastructure sociale et physique en ruine » qui « mènera presque certainement l'UE à un déclin économique encore plus profond ».
En dehors de l'UE, les Britanniques assistent également à une course aux armements. Le député et ancien leader travailliste Jeremy Corbyn dénonce les mesures du gouvernement du parti qui l'a exclu de la militance. Il utilise pour cela le Yémen, où en plus des attaques directes, les armes fabriquées par les Britanniques tuent des civils. Et il plaide pour une « approche adulte de la politique étrangère » qui « analyserait les causes sous-jacentes de la guerre et les atténuerait » au lieu de « choisir d'accélérer le cycle de l'insécurité et de la guerre » et de soutenir « ceux qui profitent de la destruction ».
À partir du même point géographique, Chris Bamberyconsidère que le prix que les Européens devront payer est clair : « plus d'austérité » et « des économies qui ne vont nulle part rapidement », ce qui fera augmenter le rejet des gouvernements centristes qui disaient jusqu'à présent qu'il n'y avait pas d'argent pour les politiques sociales et peut bénéficier à l'extrême droite. Dans sa lecture, il est évident que « Poutine ne va pas envahir la Pologne, les États baltes et encore moins l'Europe occidentale ».
D'un point de vue ukrainien, Hanna Perekhodan'est pas d'accord avec cette considération et entre en polémique directe avec la France Insoumise de Mélenchon. Comme certaines autres positions venant de la gauche nordique et de l'est, l'historienne prend très au sérieux la menace russe : « alors que la France, l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne peuvent ne pas faire face à une menace militaire immédiate, pour la Pologne, les États baltes et les pays nordiques, le danger est direct », évalue-t-elle, puisque la Russie est l'une des plus grandes puissances militaires du monde « qui a violé tous les principaux accords internationaux de la dernière décennie », « bombarde quotidiennement les villes ukrainiennes » et « dépasse tous les pays européens en dépenses militaires ».
Sa critique se concentre sur le fait qu'elle trouve « isolationniste » la position de certaines gauches qui chercheraient seulement à préserver de manière égoïste leur modèle social, ignorant les « menaces à la sécurité » et refusant de voir l'Europe comme un projet commun. Elle défend au contraire « une stratégie de défense dans laquelle la sécurité ne soit pas financée par des coupes dans les programmes sociaux, mais par l'augmentation des impôts sur les ultra-riches ».
Christian Zeller lui répond directement en disant que nous ne pouvons en aucun cas approuver l'armement des puissances impérialistes européennes qui utiliseront la puissance pour faire valoir leurs revendications par la force dans le contexte d'une rivalité croissante pour les minéraux rares et coûteux, les terres rares, les terres agricoles et même l'eau, que ce soit en Afrique, en Asie ou en Europe ou ailleurs.
Il soutient que « la rivalité impérialiste et la consommation matérielle d'armement provoqueront une augmentation massive des émissions de gaz à effet de serre » et que ce « réarmement » conduira à une distribution encore plus inégale des ressources et à l'enrichissement des secteurs les plus pervers du capital.
Traduit pour l'ESSF par Adam Novak, publié par Esquerda.net
Pas de licence spécifique (droits par défaut)
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Les effets de l’IA sur le travail

La complexification et la requalification du travail à partir de l'usage des nouvelles technologies ne forment qu'une des facettes du phénomène de l'automation.
10 avril 2025 |Hebdo L'Anticapitaliste - 749 | Crédit Photo : Wikimedia Commons
Le chercheur Antonio Casilli refuse la prophétie de la disparition du travail qui remonte à l'aube de l'industrialisation et met l'accent sur la quantité de travail qui se cache derrière l'automation ainsi que sur son processus de digitalisation.
« En attendant les robots », l'expansion du digital labor
Il s'agit pour lui d'une métamorphose du geste productif humain en micro-opérations sous-payées ou non payées afin d'alimenter une économie informationnelle qui se base principalement sur l'extraction des données. Le « digital labor » est défini comme un « travail tâcheronnisé et datafié (mouvement de mise en tâche et de mise en donnée) des activités productives humaines à l'heure de l'application de solutions d'intelligence artificielle et d'apprentissage automatique au contexte économique » 1. Celui-ci sert donc à entraîner les systèmes automatiques et est rendu possible par deux phénomènes : l'externalisation et la fragmentation du travail, deux tendances réconciliées par les technologies de l'information et de la communication. Il se situe au croisement complexe de formes d'emplois non standard, de free lancing, du travail à la pièce micro-rémunéré (notamment sur des plateformes comme Mechanical Turk), de l'amateurisme professionnalisé (comme celui des créateurEs de contenus sur les réseaux sociaux), de loisirs monétisés et de la production plus ou moins visible de données. Le digital labor est destiné à se développer d'une façon croissante car les IA ont besoin d'être calibrées, dressées et entretenues par les humains.
Le travail des usagé-es
Dans ce nouveau modèle économique, le travail des usagers permet de produire trois typologies de valeur : la valeur de qualification (tri de l'information, commentaires, évaluation de services et produits) ; la valeur de monétisation (prélèvement des commissions sur des plateformes de travail à la demande comme Etsy, Uber ou Airbnb ou revente des données aux annonceurs sur Facebook ou YouTube) et, enfin, la valeur d'automation (l'utilisation des données et des contenus produits par les usagers pour entraîner les IA).
Antonio Casilli affirme qu'au final, ce ne sont pas les machines qui travaillent pour les hommes mais ce sont les hommes qui réalisent du « digital labor » pour les machines : un travail du doigt, du « digitus », qui clique, pointe, compte, en tant que tâche fragmentée d'entraînement de la machine. L'IA accélère alors une forme particulière de gestion des activités productives qui consiste à mettre au travail un nombre croissant de personnes, tout en les mettant en même temps hors travail et hors protections sociales.
Le digital labor s'articule à des pratiques professionnelles plus traditionnelles en les reconfigurant : celles des enseignantEs qui saisissent les résultats des épreuves nationales dans les plateformes ministérielles, qui trient les dossiers sur Parcoursup ou encore celles des radiologues qui interprètent les images des patientEs afin de produire de nouveaux exemples pour l'IA.
La persistance des divisions sociale et raciale du travail à l'heure de l'IA
Une étude comparative de l'OCDE menée en 2016 montrait que si 50 % des tâches s'apprêtaient à être considérablement modifiées par l'automatisation, seulement 9 % des emplois seraient réellement susceptibles d'être éliminés par l'introduction des IA et des processus automatiques. C'est le scénario qui semble se dessiner aujourd'hui.
L'IA accélère donc le processus de division du travail qui avait déjà été identifié à la fin des années 1990 par M. Castells. Il parlait d'une séparation entre l'espace des flux et l'espace des lieux, entre le travail d'une minorité d'ingénieurs des réseaux et de manipulateurs de symboles et celui, automatisé, de la masse de la main-d'œuvre jetable, qui peut être licenciée, précarisée et délocalisée dans le Sud global 2. La flexibilité, favorable à la diffusion des connaissances et des innovations dans la Silicon Valley, est synonyme de précarité pour la plupart des autres travailleurEs de la planète.
Organiser le prolétariat numérique en pleine expansion, construire une conscience écosocialiste, deviennent des tâches centrales de la période. Notre projet de société est celui d'une victoire des communs, numériques et naturels, sur les processus d'accaparement et de prédation du capitalisme, quels que soient ses nouveaux habits.
Hélène Marra
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Le corps dans tous ses états

La nouvelle génération, qui a grandi avec les médias sociaux, est-elle plus complexée ou a-t-elle accès à davantage de modèles qui favorisent une meilleure estime de soi ?
L'essai *Le corps dans tous ses états *de *Jessica Beauplat *publié dans la collection Radar aux éditions Écosociété arrivera en librairie le *30 avril. *
*En bref *
On ne l'a pas choisi et pourtant il nous suit partout : notre corps. Qu'il soit source de complexes, d'inconforts ou de plaisirs, accepter notre corps peut représenter tout un défi. Dans notre culture de l'image, l'apparence physique est devenue un haut lieu de performance où il n'y a qu'un pas
entre le bien-être et l'obsession.
*À propos du livre*
On voudrait ressembler aux corps qu'on voit sur Instagram, TikTok ou dans les magazines et les publicités. Cette médiatisation des corps dicte les critères du beau et du laid et impose des normes rigides.
Pour contrer cette culture de l'image parfaite, Jessica Beauplat donne la parole à des personnes qui posent un regard positif sur leur corps : danseuse, poète, athlète, entraineur, neurologue, comédien, mannequin, etc. Ces témoignages proposent des manières créatives d'habiter son corps, d'exploiter son pouvoir et d'en prendre soin. Ils nous invitent à regarder autrement notre corps et celui des autres en créant de nouvelles lignes de désir ; à dépasser les restrictions imposées par notre couleur de peau, notre physionomie, notre type de cheveux et toutes les contraintes culturelles.
Si les réseaux sociaux regorgent de personnes dont les corps répondent aux idéaux de l'époque, heureusement, on peut aussi y trouver plusieurs modèles alternatifs et des espaces pour rencontrer des gens qui nous ressemblent. En somme, Jessica Beauplat propose un essai inspirant qui permet de voir les corps de manière plus libérée.
*À propos de l'autrice *
*Jessica Beauplat* est scénariste, autrice et chroniqueuse. Sa pièce *Touche pas à mes cheveux (et autres principes de base) *a permis à plusieurs de découvrir son travail. Ses textes sont parus dans La Presse, Le Devoir, The Toronto Star et The Globe & Mail. *Le corps dans tous ses états* est son premier essai.
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“Sonia ou l’avant-garde”

Voici la parution de mon roman “Sonia ou l'avant-garde” (Editions Infimes). Très peu de fictions abordent sérieusement la politique, et notamment le projet communiste (et non pas le stalinisme) en allant au fond des choses. Ce livre pourrait intéresser tous ceux et celles qui s'intéressent à
l'idée collectiviste.
« Un mouvement profond attaquait le corps social et sapait ses fondations, entraînant l'ensemble dans un effrayant glissement. Ces camarades avaient toutes les raisons de proclamer l'urgence du combat. La nécessité de s'affranchir de la bestiale loi des plus forts était en train d'être effacée - et l'humanité, fragile vaisseau, dérivait sans défense.
Le plus terrible était que l'ennemi s'était incorporé à la société ; l'agent infectieux était d'origine humaine. Il avait perfusé dans les organes principaux, les esprits, et gagné tous les continents, il avait investi les institutions, les lois, la pensée. Le projet de débarrasser la société de ce poison paraissait un défi vertigineux. Certains qui autrefois avaient lutté se réfugiaient dans une résignation lassée, ou se drapaient d'un mépris ricanant du genre humain, d'autres fuyaient dans le déni au prix de ces sombres mensonges qu'on se fait à soi-même. »
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L’indomptable Mammouth

L'indomptable Mammouth
De l'assurance-maladie à Santé Québec : un demi-siècle de réformes en santé
un essai de Marie-Michèle Sioui et Pascal Mailhot
En librairie le 29 avril
Écrit dans un style clair et accessible, cet essai journalistique immensément humain nous permet de découvrir les coulisses du système de santé québécois.
Depuis l'entrée en vigueur de l'assurance maladie en 1970, le réseau de la santé québécois est étudié par des commissions, disséqué dans des rapports et bouleversé par des réformes. Dans _L'indomptable Mammouth_, l'ex-conseiller politique Pascal Mailhot et la journaliste Marie-Michèle Sioui explorent les multiples tentatives de réforme du mastodonte qu'est devenu le système de santé québécois.
À travers des entrevues avec 30 personnalités, dont trois premiers ministres : François Legault, Philippe Couillard et Pauline Marois, leur récit raconte la récente création de _Santé Québec_ et met en lumière un réseau façonné par les ambitions politiques, les résistances corporatistes et les rêves de ceux qui ont voulu, chacun à leur manière, mettre au pas le « mammouth » de la santé.
On y retrouve plusieurs jeux de coulisses, des documents inédits, des révélations et des faits méconnus.
LES AUTEUR·ICE·S
Marie-Michèle Sioui est journaliste depuis 2011 et correspondante parlementaire pour _Le Devoir_ à Québec depuis mars 2017. En 2021, elle a remporté le prix _Judith-Jasmin_ de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec dans la catégorie « Enquête » pour son travail sur les relations entre les Autochtones et le système de santé québécois.
Pascal Mailhot a occupé des postes au cabinet du premier ministre pendant les mandats de Lucien Bouchard, Bernard Landry et François Legault. Il a coécrit _À la conquête du pouvoir : Comment une troisième voie politique s'est imposée au Québec_, publié aux Éditions du Boréal en 2024
Extrait – _L'indomptable Mammouth_
« Le premier ministre François Legault s'apprête à plonger le Québec en campagne électorale. Avec le slogan « Continuons », la CAQ réclame, en cette fin de l'été 2022, un deuxième « mandat fort ». Mais un poids lourd du gouvernement sortant hésite, lui, à « continuer »... Christian Dubé est catégorique : il ne sera pas sur les rangs si le gouvernement ne met pas sur pied une entité indépendante chargée de gérer les opérations dans le réseau de la santé. « Oui, oui… », lui assurent mollement des membres de l'entourage du premier ministre. Dubé les juge trop évasifs. Pour lui, pas question de partir en campagne électorale sans avoir annoncé l'intention du gouvernement de créer Santé Québec. » Marie-Michèle Sioui et Pascal Mailhot
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« L’Autobiographie de Malcolm X » : retour sur une histoire éditoriale (1965 - 2025)

Publié pour la première fois en octobre 1965, et indisponible en français depuis plus de 30 ans, « L'Autobiographie de Malcolm X » a été rééditée en janvier en français aux éditions Hors d'atteinte. L'occasion de se replonger dans l'histoire de ce livre emblématique coécrit par le journaliste Alex Haley, au moment où l'on célèbre le centenaire de la naissance de Malcolm X.
Tiré du blogue de l'auteur.
L'après-midi du 21 février 1965, Malcolm X appelle le journaliste Alex Haley pour faire le point sur un projet de livre sur lequel ils travaillent ensemble depuis plus de deux ans.
Au téléphone, le journaliste informe le leader afro-américain que le manuscrit est quasiment terminé et sera envoyé à la maison d'édition à la fin de la semaine suivante. Ce soir-là, Malcolm X est invité à prononcer un discours au Audubon Ballroom à Harlem. Peu après son entrée sur scène, un tumulte éclate dans la salle. Trois hommes armés se précipitent vers la scène et tirent 21 balles à bout portant. Transporté d'urgence à l'hôpital, Malcolm X est déclaré mort peu après.
L'Autobiographie de Malcolm X paraît neuf mois plus tard, en octobre 1965. Le livre devint un best-seller dès les premières années de sa publication. Pièce centrale de l'héritage politique de Malcolm X, L'Autobiographie explore les multiples facettes de sa vie : son enfance marquée par la violence raciale, son passé de délinquant, sa conversion à l'islam, son engagement (puis sa rupture) au sein de la Nation of Islam, et son combat pour les droits des Noirs Américains.
Aujourd'hui largement reconnue comme une œuvre essentielle dans l'histoire de la lutte pour les droits des Noirs au XXe siècle aux États-Unis, L'Autobiographie de Malcolm X figure au programme de nombreux lycées et universités à travers le pays. En 1998, le magazine Time le classait même parmi les dix ouvrages de non-fiction les plus influents du XXe siècle.
Aux origines du livre
À l'origine de ce livre se trouve une rencontre. En mars 1960, Alex Haley réalise une interview de Malcolm X pour un article du Reader's Digest. À l'époque, Malcolm X était déjà une figure montante de la Nation de l'Islam, une organisation nationaliste noire. Haley, quant à lui, venait de quitter les garde-côtes américains après vingt ans de service et nourrissait l'ambition de devenir écrivain à plein temps. Tout dans leurs parcours et leurs convictions politiques les opposait.
Alex Haley raconte que cette première rencontre avec Malcolm X fut assez tendue. Ce dernier était méfiant envers les journalistes, et il lui aurait déclaré : « Vous êtes une marionnette de l'Homme Blanc envoyée pour m'espionner ! ». La méfiance de Malcolm X peut se comprendre, quand on sait qu'il était surveillé depuis plusieurs années par le FBI. Alex Haley raconte que lorsqu'il invitait Malcolm X chez lui, ce dernier criait : « Tests ! Tests ! » quand il entrait, car il était convaincu que le FBI avait mis son studio sur écoute.
Mais petit à petit, Alex Haley réussit à gagner sa confiance. Il réalisa deux autres interviews avec lui [The Saturday Evening Post et Playboy], et cette collaboration attira l'attention de la maison d'édition Doubleday[1]., qui demanda en 1963 à Haley s'il voulait bien essayer d'obtenir l'autobiographie exclusive de Malcolm X. Quand Haley transmit la proposition à Malcolm X, ce dernier l'accueillit avec réserve. « Ce fut l'une des rares fois où je le vis hésiter » se rappelle Alex Haley. Il finit par accepter, mais posa plusieurs conditions : il voulait que les droits d'auteur soient versés à la Nation of Islam (ce qui ne sera finalement pas le cas, puisqu'il quittera le mouvement l'année suivante), et insista pour que le livre soit une véritable œuvre collaborative : « Je veux un écrivain, pas un interprète ».
Le contrat d'édition fut finalement signé le 27 mai 1963, et l'à-valoir divisé en deux parts égales entre les deux co-auteurs.
Pendant les deux années suivantes, Alex Haley a recueilli les confidences de Malcolm X lors d'entretiens réguliers, organisés trois à quatre soirs par semaine dans son studio de Greenwich Village. Entre 1963 et l'assassinat de Malcolm X au début de l'année 1965, les deux hommes ont ainsi passé près de mille heures à échanger dans ce petit appartement.

Au fil des entretiens, Haley dactylographie les paroles de Malcolm X, puis les réorganise et rédige le texte à la première personne, comme si Malcolm X racontait lui-même sa vie. Malgré son agenda chargé, ce dernier prend le temps de lire les ébauches du manuscrit au fur et à mesure qu'il les reçoit, qu'il corrige soigneusement à la main.
Alex Haley était convaincu du potentiel commercial du livre. Avant même sa publication il écrit à son éditeur « Messieurs, il n'y a pas eu depuis plus de dix ans, et peut-être plus encore, un livre comme celui-là qui embrasera le marché telle une traînée de poudre comme celui-ci le fera [...] Ce livre est riche de millions de ventes potentielles, voire davantage ».
Son intuition était juste : L'Autobiographie de Malcolm X s'est vendu à six millions d'exemplaires en vingt ans. Et son impact a largement dépassé les frontières des États-Unis.
1965 - 1993 : Les premières éditions françaises
Au moment où L'Autobiographie paraît aux Etats-Unis, Malcolm X a déjà un public en France. En novembre 1964, le leader nationaliste fait escale à Paris. Il donne une interview dans les locaux de la libraire Présence Africaine, rue des Ecoles (où elle existe toujours), et réalise une conférence à La Mutualité. Sa présence est même redoutée par les autorités françaises. En février 1965, alors qu'il tente de revenir en France, il est refoulé à son arrivée à l'aéroport. Jugé « indésirable » par le ministère de l'Intérieur, il est interdit d'entrée sur le territoire en raison des risques de « troubles à l'ordre public » que sa participation à une manifestation aurait pu engendrer.
En 1966, L'Autobiographie de Malcolm X paraît pour la première fois en France, dans une traduction de Anne Guérin, et connaît une réception très positive. L'ancien directeur du Monde déclare ainsi à son sujet : « Voici certainement l'un des livres les plus extraordinaires qui aient paru depuis longtemps. »

Toutefois, cette première édition française est incomplète – Le Monde parle d'un « texte mutilé » –, omettant un chapitre entier et plusieurs passages de l'œuvre originale.
En 1993, le livre est réédité en grand format par Grasset et en poche par Pocket, à l'occasion de la sortie en France du film Malcolm X de Spike Lee (Ces rééditions reprennent toutefois la version tronquée de 1966).

Mais suite à ces rééditions en 1993, l'ouvrage n'est plus réédité. Dés lors, L'Autobiographie de Malcolm X devient indisponible jusqu'à cette année. Un mystère. Comment expliquer qu'un livre aussi culte ait pu disparaître en France pendant plus de 30 ans ?
Années 1990 - 2025 : L'Autobiographie indisponible en France
« Mon interprétation, c'est qu'il y avait un désintérêt complet des éditeurs français, affirme Pierre Fourniaud, éditeur à La Manufacture de livres. Tout le monde a pensé que c'est à l'occasion du film que le livre a pu avoir du succès. Et donc le film étant de l'histoire ancienne, peu d'éditeurs ont songé à rééditer le livre ».
Il compare cette situation à celle de la biographie de J. Edgar Hoover, qu'il a réédité en 2020. « C'est un peu la même histoire : le livre avait eu une première édition au Seuil il y a 20 ans. Il a été réédité en poche au moment de la sortie du film avec DiCaprio, et ensuite les éditeurs ont laissé tomber les droits. Les éditeurs grand format ont considéré que ce livre n'avait plus d'actualité dans la mesure où il n'y avait plus de film. Alors que la biographie vaut par elle-même. C'est un personnage historique majeur, comme Malcolm X. »
Au sujet de L'Autobiographie de Malcolm X, Pierre Fourniaud raconte qu'il a découvert en 2020 que le livre était indisponible. « Ce qui m'a étonné, c'est que personne ne s'intéresse à republier Malcolm X au moment des manifestations Black Lives Matter suite à la mort de George Floyd », explique-t-il. Il contacte alors les éditions Pocket à ce sujet, et leur propose de leur racheter la traduction. Parallèlement, il se rapproche d'une agence littéraire et, par leur intermédiaire, il fait une proposition aux ayants-droit. Mais sans succès. « Je suis revenu à la charge une fois, deux fois... J'étais monté jusqu'à 10 000 euros, mais mon offre restait insuffisante pour eux », explique-t-il.
Le nombre important d'ayants-droit rend la négociation complexe. Les droits de L'Autobiographie sont détenus par les successions des deux co-auteurs et un grand nombre de parts signifie qu'il faut un plus grand gâteau à partager. D'où une réticence de leur part à accepter des offres trop faibles. Au bout du compte, Pierre Fourniaud renonce à rééditer le livre. « J'ai été très déçu de ne pas avoir pû le faire, mais ce sont des choses qui arrivent ».
Il n'est pas le seul à avoir buté sur la question des ayants-droits. Quelques années plus tôt, le rappeur Disiz a lui aussi essayé d'obtenir les droits afin de rééditer L'Autobiographie de Malcolm X. À l'époque, il racontait : « Je voulais offrir son bouquin à un petit de chez moi qui est en prison pour une affaire de stupéfiants. Je pensais que ça serait simple de trouver le bouquin, mais au final après une semaine de recherche, impossible. Il n'est plus édité depuis 93. Comme j'ai écrit des romans, j'ai pu discuter avec Grasset qui avait acheté le livre en 1965 au moment de sa sortie. Ils l'ont réédité en 93 pour la sortie du film de Spike Lee. Et depuis, ils n'ont pas refait de tirage. En voyant le contrat, je me suis rendu compte qu'ils n'avaient plus le droit de le faire. Donc j'étais libre de proposer aux ayants droit de Malcolm X une nouvelle traduction. »
Après deux années passées à tenter, en vain, de contacter les ayants droit, Disiz reçoit enfin une réponse : le représentant de la famille de Malcolm X lui propose d'organiser un concert pour célébrer le 90e anniversaire de la naissance de Malcolm X. Pour Disiz, cette réponse sonne comme un défi à relever. Le 19 mai 2015, il met sur pied un concert hommage au Bataclan, à Paris, avec l'espoir que le succès de cet événement l'aide à plaider sa cause. Si le concert a bien eu lieu, le projet de réédition de L'Autobiographie n'a jamais abouti. Disiz aurait finalement abandonné le projet à cause de problèmes juridiques.
Au moment de sa publication en 1965, toutes les éditions du livre mentionnaient Alex Haley et Betty Shabazz, la veuve de Malcolm X, comme détenteurs des droits d'auteur. Mais en 1997, le décès de Betty Shabazz a provoqué une rupture familiale. Son héritage, estimé à environ un million d'euros, devient source de discorde entre trois de ses filles — Malikah, Ilyasah et Malaak — qui s'accusent mutuellement de mauvaise gestion. Cette situation a entraîné une accumulation de dettes fiscales et de pénalités, atteignant deux millions de dollars, soit bien au-delà de la valeur initiale de la succession. Ces disputes autour de l'héritage entre les filles de Malcolm X pourraient expliquer en partie les difficultés des éditeurs français à récupérer les droits, ces 30 dernières années.
2025 : L'Autobiographie enfin rééditée

Le 24 janvier 2025, le livre est enfin réédité aux éditions Hors d'atteinte. Cette nouvelle édition est « publiée pour la première fois dans sa version intégrale » en rétablissant les parties absentes des éditions précédentes. Marie Hermann, fondatrice et directrice des éditions Hors d'atteinte explique : « Dans les précédentes éditions, il manquait un chapitre, mais ce n'est pas le seul problème. Beaucoup de passages ont été coupés. Il est difficile d'en comprendre la logique. Ce n'était manifestement pas une censure politique, mais peut-être une volonté de traduire au plus vite. Il y a des passages où Malcolm X parle de jazz par exemple, et ce sont d'assez longues listes, donc il y a peut-être eu une tentative de rendre le texte plus lisible. Nous, il nous a paru indispensable de restituer le texte dans son intégralité en tant qu'objet historique ».
La maison d'édition a choisi de repartir de la traduction originale d'Anne Guérin, parue en 1966. Un choix motivé à la fois par le respect du travail initial et par la difficulté de désigner un nouveau traducteur perçu comme légitime pour un texte aussi symbolique. Marie Hermann explique avoir « longuement hésité sur la manière de procéder », mais a finalement choisi de conserver cette base pour « rendre hommage à Anne Guérin, qui a beaucoup œuvré pour la circulation du livre ».
Cette version a toutefois été largement remaniée par la traductrice Gaëlle Differt et par Marie Hermann elle-même. « Pour la compléter, puisque il manquait en réalité la moitié du texte, on a tout revu, on a vraiment modernisé la traduction. À l'époque, la traduction a été faite au passé simple, on est passé au présent. On a ajouté tout un appareil de notes, totalement absent de la 1re version. On a veillé à contextualiser les événements, les personnages dont il est question dans le livre. On s'est beaucoup questionné sur les mots à utiliser, notamment le mot "nègre", le mot "indien. On a fait une note au début, on est revenu dessus aussi dans l'ouvrage. C'est une traduction totalement fidèle au texte original. »
[1]. Doubleday a finalement rompu le contrat d'édition au moment de l'assassinat de Malcolm X, par crainte pour la sécurité de ses employés. L'Autobiographie de Malcolm X fut finalement publiée Grove Press.
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Palestine, 1947-1949 : la guerre de l’histoire. À propos du livre d’Ilan Pappé

Le philosophe Matthieu Renault discute le grand livre de l'historien Ilan Pappé, Le Nettoyage ethnique de la Palestine, initialement paru aux éditions Fayard mais que cette maison a décidé – quelques semaines après le 7 octobre – de retirer des ventes. Les éditions La Fabrique ont pris l'initiative, ô combien salutaire, de mettre à disposition ce livre fondamental.
8 avril 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/palestine-guerre-histoire-ilan-pappe-nettoyage-ethnique/

Ilan Pappé, Le Nettoyage ethnique de la Palestine (trad. Paul Chemla), Paris, La fabrique, 2024 (2006)
Le 13 mai 2024, Ilan Pappé, historien israélien, Professeur à l'Université d'Exeter au Royaume-Uni, est retenu à l'aéroport de Détroit et interrogé pendant deux heures par deux membres du Département de la Sécurité intérieure des États-Unis à propos de ses opinions sur le Hamas et sur la riposte israélienne à l'attaque sanglante du 7 octobre 2023, ainsi que sur ses liens avec les communautés arabe et musulmane américaines[1].
« Saviez-vous, écrit-il dans un message posté deux jours plus tard sur le réseau social Facebook, qu'un professeur d'histoire âgé de 70 ans pouvait constituer une menace pour la sécurité nationale américaine ? ».
Nulle participation à une quelconque conspiration politique contre Israël ou les États-Unis ne pouvait en effet justifier cet interrogatoire dans les règles de l'art, et force est de reconnaître que c'est en tant qu'historien, critique et engagé certes, que Pappé faisait figure de suspect idéal pour les autorités étasuniennes. Son délit : avoir inlassablement remis en cause le « roman national » israélien-sioniste, contesté le récit officiel de la guerre de 1947-1948 et de la naissance de l'État d'Israël, en s'efforçant de mettre au jour les mécanismes politiques et les opérations militaires qui, au lendemain du vote du Plan de partage de l'ONU et de l'annonce du retrait des troupes britanniques, avaient conduit à l'expropriation et l'expulsion d'environ 800 000 Palestiniens, soit deux tiers de la population arabe (musulmane et chrétienne) qui peuplait alors le territoire de la Palestine historique.
On imagine mal, à l'heure qu'il est du moins, un épisode comme celui qui vient d'être relaté se produire à l'aéroport Charles de Gaulle ou ailleurs sur le territoire français. Heureusement, il existe d'autres manières, plus douces, de tenter de réduire au silence des voix dissidentes comme celles de Pappé : il suffit, comme l'ont fait les éditions Fayard le 7 novembre 2023, un mois jour pour jour après l'attaque sanglante du Hamas et alors que la guerre de représailles mené par Israël ne faisait que commencer, de déclarer « épuisé pour cause d'arrêt de commercialisation » un livre phare de l'auteur, Le nettoyage ethnique de la Palestine, publié en anglais en 2006 et qui était disponible en traduction française depuis 2008.
Si l'éditeur a prétexté d'un contrat devenu « caduc », les chiffres de vente de l'ouvrage après le 7 octobre laissent penser qu'avec un peu de bonne volonté, et ne serait-ce que pour des raisons commerciales, le problème aurait pu être résolu, et que la soudaine indisponibilité du livre avait d'autres motivations, de nature politique, même si celles-ci sont condamnées à rester obscures[2]. On doit aux éditions La fabrique[3] d'avoir depuis acquis les droits du livre et assuré au Nettoyage ethnique de la Palestine une seconde vie à un nouveau moment crucial du combat pour la cause palestinienne, en tant que celui-ci est aussi et inséparablement – et c'est sur cet dimension que se centrera la présente lecture – un combat historiographique.
Il convient à ce titre de souligner que les conclusions de Pappé ne sont pas l'œuvre d'un franc-tireur isolé, mais le résultat de l'effort collectif mené, depuis 1978 et l'ouverture des archives israéliennes et britanniques de la guerre de 1948, par les « nouveaux historiens » israéliens, lesquels se sont patiemment attachés à déboulonner les mythes entourant la fondation d'Israël.
Ces historiens ont notamment remis en cause la représentation consacrée de la lutte héroïque du David israélien contre le Goliath arabe en démontrant que les forces juives-sionistes étaient en réalité bien mieux préparées, armées et organisées que leurs adversaires arabes, sur lesquelles elles disposaient en outre, si ce n'est pendant un court laps de temps, d'un notable avantage numérique. Mais le véritable tour de force des « nouveaux historiens » est d'avoir réfuté, preuves implacables à l'appui, l'idée selon laquelle l'exode massif de la population palestinienne aurait résulté de l'appel des dirigeants arabes à déserter les zones d'affrontement ; idée qui présentait cet insigne avantage d'exonérer l'armée et l'État israéliens de toute responsabilité dans les souffrances vécues par les exilé.es palestinien·nes[4].
Il revient ainsi à Benny Morris d'avoir posé en 1987 la première pierre de cette édifice critique dans son ouvrage séminal The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947-1949[5], en montrant que l'expulsion des Palestiniens avait été littéralement orchestrée par les armées sionistes et s'était accompagnée de pillage des biens, d'expropriation et de destruction des habitations, voire à l'occasion d'exécutions sommaires.
Il y a toutefois un pas que Morris, au risque de se contredire, s'est toujours refusé à faire ; c'est celui qui consistait à soutenir que le déplacement forcé de la population palestinienne n'avait pas été un malheureux aléas de la guerre, une stratégie adoptée dans le feu du combat, mais le fruit, intentionnel, de l'exécution d'un programme mûrement réfléchi ; autrement dit, qu'une telle « évacuation » avait été soigneusement préméditée et coordonnée par les hautes sphères de l'Agence juive puis du jeune État israélien et de son organe paramilitaire, la Haganah, avec David Ben Gourion en maître d'oeuvre.
C'est précisément ce pas que fait témérairement Pappé. Celui-ci souligne en ce sens la fonction pratique endossée par les fichiers de villages arabes constitués dès avant la Seconde Guerre mondiale par la Haganah, et interprète le document établi en mars 1948 et connu sous le nom de Plan Daleth (« D » en hébreu), comme un véritable blueprint qui, scrupuleusement appliqué, aurait conduit au « transfert » de la population palestinienne et à la destruction de 500 villages et 11 agglomérations urbaines, avec pour point de non-retour le massacre de Deir Yassin du 9 avril 1948.
C'est depuis cette perspective que, sur quelques centaines de pages, Pappé, accumulant des faits plus accablants les uns que les autres, réexamine méticuleusement les opérations conduites entre décembre 1947 et janvier 1949 par la Haganah, et ses alliés inavoués pendant cette séquence, l'Irgoun et le groupe Stern en particulier.
Ce récit de violences vient nourrir la thèse centrale du livre, à savoir que ce qui a eu lieu sur le territoire de la Palestine, et à l'encontre des Palestinien·nes, sur cette période d'à peine plus d'un an, n'est rien d'autre qu'un nettoyage ethnique au sens strict que le terme a recouvert dans le contexte des guerres de Yougoslavie des années 1990 ; guerres dont Pappé cite en épigraphe de plusieurs chapitres des documents et analyses, notamment cet essai de définition donnée par le juriste Dražen Petrović :
« [L]e nettoyage ethnique est une politique bien définie d'un groupe particulier de personnes, visant à éliminer systématiquement d'un territoire donné un autre groupe sur la base de l'origine religieuse, ethnique ou nationale. Cette politique […] est à exécuter par tous les moyens possibles, de la discrimination à l'extermination, et implique des violations des droits humains et du droit humanitaire international. » (p. 25)[6].
C'est sur le déni du mal délibérément causé à la population palestinienne, et qui nourrit chez cette dernière un profond traumatisme, que vit selon Pappé la société israélienne toute entière, en sorte qu'il ne pourra y avoir d'issue, non seulement sur le plan (géo)politique, mais aussi sur le plan moral et existentiel, qu'à condition que « les Juifs israéliens [admettent] qu'ils sont devenus le miroir de leur proche cauchemar » (p. 302).
On ne s'étonnera guère que ces thèses aient suscité l'ire des historiens sionistes, qu'il suffise de citer une recension du Nettoyage ethnique de la Palestine publiée dans le Journal of Israeli History sous le titre « Cleansing History of its content » (Nettoyer l'histoire de son contenu) par Mordechai Bar-On, historien qui avait auparavant offert ses services à Tsahal et siégé à la Knesset. Déclarant que Pappé « ne mérite certainement pas le titre d'“historien” », lui reprochant de falsifier et fabriquer les faits, l'auteur ajoute : « Pappé ne cherche pas la vérité, comme un historien devrait au moins essayer de le faire, mais il prête sa plume aux efforts de propagande des éléments palestiniens les plus extrêmes pour tenter de délégitimer Israël et le sionisme. »
On pourrait simplement ignorer ce jugement lapidaire s'il n'émanait pas de quelqu'un qui, argument de façade ou non, en appelle dans le même temps Israël à reconnaître « le prix terrible que les Palestiniens ont dû payer pour la réalisation des aspirations juives en Palestine, mais aussi son propre rôle dans ce processus » [7], et s'il ne rejoignait pas ce faisant les arguments formulés par Benny Morris après son tournant (au début des années 2000 et à la suite de l'échec du sommet de Camp-David) vers un sionisme décomplexé, ouvertement anti-arabe, qui l'a conduit à assumer sans vergogne la nécessité de l'expulsion de la population palestinienne jusqu'à regretter que Ben Gourion n'ait pas osé prendre l'initiative de mener cette entreprise jusqu'au bout en vidant entièrement le territoire israélien de la présence palestinienne.
Dans une recension du livre précédent de Pappé, A History of Modern Palestine. One Land, Two Peoples (2004) publié dans The New Republic, Morris écrivait ainsi :
« Pappé est un fier postmoderniste. Il pense qu'il n'existe pas de vérité historique, mais seulement un ensemble de récits aussi nombreux que les participants à un événement ou à un processus donné ; et chaque récit, chaque perspective serait aussi valable et légitime, aussi vrai, que les autres[8]. »
Ce qui est reproché à Pappé, ainsi repeint en disciple d'Haydn White (ou de sa caricature), est en substance un mépris de l'objectivité induisant un relativisme extrême qui, certes, n'invaliderait pas sa restitution et son interprétation des faits comme telles, mais les rendraient ni moins ni plus crédibles que toutes les autres, dans une irréductible multiplicité à laquelle n'échapperaient en somme que des historiens de la trempe de Morris capables de surplomber le théâtre de la lutte et d'observer cette dernière à distance, avec un regard détaché et désintéressé.
Pappé ne tarda pas à répondre à Morris en retraçant les véritables coordonnées d'un conflit indissociablement historiographique et politique :
« Le débat qui nous oppose se situe à un certain niveau entre les historiens qui croient reconstruire purement objectivement le passé, comme Morris, et ceux qui revendiquent leur statut d'êtres humains subjectifs s'efforçant de raconter leur propre version du passé, comme moi. Lorsque nous écrivons des histoires, nous construisons des arcs sur une longue période de temps et nous forgeons un récit à partir du matériel que nous avons sous les yeux. Nous croyons et espérons que ce récit est une reconstruction fidèle de ce qui s'est passé, quoique […] nous ne puissions pas remonter dans le temps pour le vérifier. »[9]
Pappé poursuit en soulignant que les historiens israéliens qui produisent des récits historiques sur la genèse d'Israël et plus largement sur le conflit israélo-palestinien sont par nécessité « profondément impliqués dans le sujet sur lequel ils écrivent » ; qu'ils le veuillent ou nous, ils en font eux-mêmes partie, ce qui ne doit pas être considéré comme un « défaut » mais plutôt comme une « bénédiction ».
Ce n'est pas donc la reconnaissance et l'assomption de ce positionnement, mais au contraire sa négation, son refoulement, qui constitue une grave entorse à la probité intellectuelle de l'historien. Plus encore, il n'y a aucune honte à affirmer qu'un tel effort historiographique, visant à faire « valoir un point de vue » par rapport à d'autres, a toujours de manière avouée ou inavouée un soubassement « idéologique » ou « politique » ; en témoignent de manière éloquente les prises de position publiques de Morris lui-même, que celui-ci ne peut qu'avec une mauvaise foi avérée déclarer indépendantes de son travail scientifique, et réciproquement[10].
Un tel conflit de points de vue n'est nulle part plus manifeste, plus tranché, selon Pappé, que dans l'opposition entre l'historiographie sioniste et l'historiographie palestinienne :
« Les historiens sionistes voulaient prouver que le sionisme était valable, moral et juste, et les historiens palestiniens voulaient montrer qu'ils étaient des victimes et avaient été lésés[11]. »
Nous en arrivons à un des principaux points de contentieux entre Pappé et Morris, à savoir leurs rapports respectifs à la parole palestinienne, et en l'occurrence au (contre-)récit de la Nakba, terme introduit dès 1948 dans un livre de de l'historien et théoricien du nationalisme arabe Constantin Zureik : Ma'na al Nakba (La signification de la catastrophe). Sans rien dénier de l'apport des « nouveaux historiens » israéliens, scientifiquement en tant qu'historien, et politiquement en tant qu'Israéliens, force est de constater que la découverte de l'expulsion des Arabes n'en était nullement une du point de vue palestinien. Comme le dit Edward Said dans un entretien donné en novembre 2000, au lendemain du déclenchement de la seconde Intifada :
« Les archives sionistes sont très claires à ce propos, et plusieurs historiens israéliens ont écrit à ce sujet. Bien sûr, les Arabes n'ont jamais cessé de le dire[12]. »
Traduction d'une expérience traumatique, à la première personne, ce récit a nourri la littérature palestinienne et arabe post-1948 – voir par exemple les romans de Ghassan Kanafani Des hommes sous le soleil et Retour à Haïfa – mais a également fait l'objet fait d'une riche élaboration historiographique, et cela dès les années 1960, bien avant l'ouverture des archives, ainsi qu'en atteste l'essai pionnier « Plan Dalet. Master Plan for the Conquest of Palestine »[13] signé par Walid Khalidi, historien palestinien qui a documenté sans relâche les épisodes de la Nakba[14].
S'il arrivait à Morris de se référer au travail de Khalidi, ne se manifeste pas moins chez lui, comme chez d'autres une défiance tenace à l'égard des sources palestiniennes, là où Pappé, lui, n'hésite pas à affirmer qu'elles lui semblent souvent « plus fiables » que les sources israéliennes, et souligne ce qu'est susceptible d'apporter une connaissance de « terrain » de la vie dans les territoires occupés couplée à des contacts étroits avec des interlocuteur.ices palestinien.nes[15].
Bien qu'il ne le formule pas en ces termes, la relecture qu'il opère de la séquence 1947-1949 est indissociable d'un geste épistémologico-politique de refus de ce qu'on peut désigner comme un apartheid historiographique, dont tout un ensemble de perspectives sur l'histoire d'Israël, aussi critiques soient-elles, continuent de respecter et de reproduire scrupuleusement les frontières ; geste qui suppose, simplement, de reconnaître à l'autre, la capacité, à parts égales, de dire l'histoire ; geste enfin qui n'est pas sans implication politique puisqu'elle conduit Pappé dans Le nettoyage ethnique de la Palestine, à endosser, comme condition préalable à tout « processus de paix », une revendication fondamentale des Palestinien.es depuis la Nakba : le « droit au retour », qui « a été reconnu par l'Assemblée générale de l'ONU en décembre 1948 » et est « ancré dans le droit international » et est « en harmonie avec toutes les idées de justice universelle » (p. 311).
Pappé ne sous-estime pas l'ampleur de la tâche tant le « problème démographique », soulevé dès la fin du XIXe siècle par les idéologues sionistes, demeure prégnant en Israël, où les Palestiniens « ne peuvent pas ne pas comprendre qu'ils sont considérés comme un problème », voire comme un « danger » (p. 309-311). Ils le sont depuis le début dans la mesure où le projet sioniste s'est donné « pour objectif de construire puis de défendre une forteresse “blanche” (occidentale) dans un monde “noir” (arabe) », similaire à celle qu'avaient bâti les « colons blancs d'Afrique du Sud », avec pour paroxysme le régime d'Apartheid ; en sorte qu'Israël fait aujourd'hui figures de « dernière enclave européenne postcoloniale dans le monde arabe » (p. 315).
Ces thèses ne sont pas nouvelles en soi : les filiations entre les projets coloniaux-« civilisationnels » des puissances européennes des XIXe-XXe siècles, et l'idéologie sioniste, dans sa codification par Theodor Herzl déjà, ont été établies de longue date. Mais il n'en reste pas moins notable, et salutaire, qu'un historien israélien s'efforce de briser ce qu'Edward Said, amateur lui aussi de parallèles entre Israël et l'Afrique du Sud, a désigné comme une épistémologie de la séparation, corrélative de la séparation politico-légale des populations juive et arabe, et qui, visant à rendre par avance nulle et non avenue toute tentative de comparaison critique du conflit israélo-palestinien avec d'autres situations géo-historiques (conquête des Amériques, Algérie française ou autres), constitue une pièce nodale de l' « idéologie de la différence » sur laquelle a reposé jusqu'à ce jour l'existence d'Israël[16].
Le livre de Pappé peut en définitive être lu comme une invitation à resituer systématiquement le cas israélo-palestinien, au sein d'une histoire globale des colonialismes, de peuplement plus spécifiquement, sans rien avoir à dénier de sa singularité. Mais c'est plus encore dans le sillage d'une riche tradition, celle des historiographies anticoloniales et antiracistes, historiographies de combat par excellence, que gagnerait à être réinscrit Le nettoyage ethnique de la Palestine ; un livre qui, pour ne prendre qu'un exemple, aussi étrange qu'il puisse paraître au premier abord, trouverait à dialoguer fructueusement avec l'œuvre de l'intellectuel africain-américain W.E.B. Du Bois, dont la pensée était toute entière gouvernée par une question lancinante : « quel effet ça fait [pour le Noir] d'être un problème ?[17] »
Pour Du Bois, prendre le contrepied des déformations et dénégations imposées par une historiographie dominante (blanche) masquant les logiques de pouvoir qui la sous-tendent, imposait d'assumer la particularité d'un point de vue situé, minoritaire, de s'engager sur le champ de bataille de l'écriture de l'histoire en rejetant la possibilité même de la neutralité sinon de l'impartialité, et in fine de se livrer à une authentique « propagande de la vérité »[18]. Mis à part le fait qu'il est lui-même issu de la « majorité », Pappé dit-il et fait-il aujourd'hui réellement autre chose que ce que disait et faisait Du Bois hier ?
Ce qu'il s'agit en définitive de (re)lier pour les éclairer mutuellement et ainsi miner l'idée de l'absolue exceptionnalité d'Israël, ce sont donc non seulement les formes d'oppression, coloniales, raciales ou autres, mais aussi les pratiques de résistance, et en l'occurrence de résistance historiographique, au passé et au présent, en œuvrant à ce qu'il conviendrait d'appeler une épistémologie de la connexion des luttes.
Notes
[1] « Ilan Pappé : « Pourquoi j'ai été arrêté et interrogé sur Israël et Gaza dans un aéroport américain », publié le 22 mai 2024.
[2] Voir Hocine Bouhadjera, « Fayard éclipse en catimini un de ses ouvrages sur la Palestine », publié le 8 décembre 2023.
[3] Les éditions La Fabrique avaient déjà fait paraître de manière précoce deux ouvrages d'Ilan Pappé : La guerre de 1948 en Palestine. Aux origines du conflit israélo-arabe en 2000 et Les démons de la Nakbah. Les libertés fondamentales dans l'université israélienne en 2004.
[4] Voir en français sur les « nouveaux historiens » israéliens, le travail de « passeur » joué en France par le journaliste Dominique Vidal : avec Joseph Agalzy, Le péché originel d'Israël. L'expulsion des Palestiniens revisitée par les “nouveaux historiens” israéliens, Paris, Les éditions de l'Atelier, 1998.
[5] Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947-1949, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 2004 (1986).
[6] Faisons remarquer que Pappé n'a pas eu de scrupules à qualifier de « génocide » les opérations militaires israélienne de fin 2023-2024 sur la bande de Gaza (Rachida El Azzouzi, Entretien avec Ilan Pappé, « La guerre à Gaza n'est pas de l'autodéfense, mais un génocide », publié le 24 juin 2024).
[7] Mordechai Bar-On, « Cleansing history of its content : Some critical comments on Ilan Pappe's The Ethnic Cleansing of Palestine », The Journal of Israeli History, vol. 27, no 2, septembre 2008, p. 269-270. On notera que la pure attitude de déni de l'expulsion des Palestiniens n'a pas disparu en Israël. Ne citons qu'un exemple éloquent : Eliezer Tauber The Massacre That Never Was. The Myth of Deir Yassin and the Creation of the Palestinian Refugee Problem, Washington, ASMEA et New Milford, The Toby Press, 2021.
[8] Benny Morris, « reviewing A History of Modern Palestine : One Land, Two Peoples by Ilan Pappe », The New Republic, publié le 22 mars 2004.
[9] Ilan Pappé, « Benny Morris's Lie about my book », History News Network, publié le 5 avril 2004. Exerçant son droit de réponse, Pappé avait initialement adressé son texte à The New Republic, qui refusa de le publier.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] « Intifada 2000. The Palestinian Uprising » (2000), in David Barsamiam et Edward Said, Culture and Resistance. Conversations with Edward Said, Cambridge, South End Press, 2003, p. 31.
[13] Walid Khalidi, « Plan Dalet. Master Plan for the Conquest of Palestine » (1961), reproduit in Journal of Palestinian Studies, vol. 18, no 1, automne 1988, p. 4-33.
[14] Voir en français, Walid Khalidi, Nakba, 1947-1948, Beyrouth, Institut d'études palestiniennes et Arles, Sindbad-Actes Sud, 2012.
[15] Ilan Pappé, « Benny Morris's Lie about my book », loc. cit.
[16] Edward Said, « An Ideology of Difference », Critical Inquiry, vol. 12, no 1, automne 1985, « “Race, Writing, and Difference », p. 38-58, reproduit in The Politics of Dispossession. The Struggle for Palestinian Self-Determination, 1969-1994, New York, Pantheon Books, 1994, p. 78-100.
[17] W. E. B. Du Bois, Les Âmes du peuple noir, trad. fr. M. Bessone, Paris, La Découverte, 2007, p. 11.
[18] W. E. B. Du Bois, Dusk of Dawn. An Essay Toward an Autobiography of a Concept of Race, New York, Oxford University Press, 2007 (1940), p. 113. Sur la pratique duboisienne de l'histoire, voir en particulier W. E. B. Du Bois, Black Reconstruction in America. An Essay Toward a History of the Part Which Black Folk Played in the Attempt to Reconstruct Democracy in America, 1860-1880 , NewYork, Oxford University Press, 2007 (1935).

Comptes rendus de lecture du mardi 15 avril 2025


Zones sacrifiées
Oeuvre collective sous la direction d'Anaïs Barbeau-Lavalette, Véronique Côté, Isabelle Fortin-Rondeau, Steve Gagnon et Jennifer Ricard Turcotte
Cet ouvrage à plusieurs voix s'inscrit dans la lutte contre les émissions toxiques émises par la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda avec leurs effets délétères sur la population. Le complexe industriel rejette en effet sur la ville depuis plusieurs décennies un véritable cocktail de polluants comprenant des métaux lourds, comme de l'arsenic, du plomb, du nickel et du cadmium. Il émet par exemple jusqu'à 100 nanogrammes d'arsenic par mètre cube, ce qui est de loin supérieur à la norme prévue par le gouvernement du Québec, qui est de 3 nanogrammes par mètre cube. Un véritable cri du coeur... auquel nous devrions joindre notre voix.
Extrait :
Depuis des décennies, les gouvernements connaissent la vérité. Pourtant, ils laissent faire la compagnie, et la population qui leur demande des comptes est trop peu nombreuse, trop loin, trop isolée pour être considérée. Mais il n'est pas trop tard pour faire corps.

Les lettres de prison de Nelson Mandela
Nelson Mandela
Versions originales en afrikaans, en isiXhosa et en anglais
Je n'étais pas né quand Nelson Mandela a été emprisonné en 1962, et j'en avais presque vingt-sept lorsqu'il a enfin été libéré en février 1990. La lecture de cette sélection de 255 lettres de prison à sa femme Winnie, à ses enfants et à ses proches et amis, mais aussi aux autorités des prisons et à des officiels gouvernementaux, sur une si longue période de temps – et de ma propre vie – m'a permis de bien mesurer la détermination et l'héroïsme de ce grand combattant pour l'égalité des populations noires et blanches sous le sinistre régime de l'apartheid de l'Afrique du Sud. Un recueil de précieuses lettres qui disent toute la vérité sur une société profondément raciste !
Extrait :
En 1968, la mère de Mandela, Nosekeni, mourut. On refuse à Mandela l'autorisation d'assister à l'enterrement. L'année suivante, son fils aîné, Thembi, fut tué dans un accident de voiture. À nouveau, sa demande d'aller sur sa tombe fut ignorée. Il resta incarcéré pendant que ses amis et ses parents tenaient sa place à l'enterrement. Les lettres qu'il écrivit à cette époque disent sa profonde angoisse devant ces pertes terribles.

La saga des Béothuks
Bernard Assiniwi
C'est le plus connu des trois romans de Bernard Assiniwi et assurément le plus significatif. Il nous raconte l'histoire des Béothuks, cette nation amérindienne qui occupait l'île de Terre-Neuve et qui fut exterminée par les Anglais au XIXe siècle - sa dernière représentante, Shanawditith, mourant en 1829. Il se divise en trois parties : la première, qui commence vers l'an 1000 avec un jeune Béothuk, Anin, qui part à la découverte de l'île et y fait entre autres la découverte des Vikings ; c'est la plus agréable, puisqu'elle correspond en quelque sorte à l'âge d'or de la nation ; la seconde couvre plus ou moins les XVIe et XVIIe siècles et voit l'arrivée dans les eaux entourant l'île des navires européens – portugais, espagnols, français et anglais - à la découverte et à la conquête du monde ; la dernière couvre les deux siècles suivants avec l'implantation des Anglais dans l'île et le triste sort réservé aux Béothuks ; c'est alors pour ceux-ci la longue décente aux enfers… Le roman est jalonné de faits et de personnages réels. C'est assurément un roman à lire pour tous ceux qui s'intéressent à la véritable histoire des peuples autochtones et à leur triste – et continuel – asservissement.
Extrait :
Comment pouvez-vous même oser dire que vous êtes Béothuks si vous affichez de telles mines de morts vivants ? Vous n'avez pas le droit de laisser tomber. Vous devez continuer à vous battre, ou alors ayez le courage de vous suicider tous, sans exception. Lorsqu'on n'a plus la force de vivre, il faut au moins avoir le courage de mourir. C'est la seule dignité qui vous reste. Ayez au moins la dignité, si vous n'avez pas de courage. Moi, j'ai décidé de vivre. Que ceux qui ne désirent plus voir le ciel, les rivières et les arbres se retirent de ma vie. Je ne veux voir près de moi que des gens qui veulent vivre. Les autres, allez tous vous jeter devant les fusils des Anglais. Vous ne méritez pas mieux.
Les mots
Jean-Paul Sartre
Jean-Paul Sartre nous raconte ici son enfance. Il ne nous la raconte pas avec nostalgie, comme la plupart l'ont fait avant lui, en nous faisant l'éloge de leurs belles années perdues. Il nous raconte plutôt, avec sagacité, comment, à travers les mots, il a découvert l'existence, Il le fait sans complaisance et avec lucidité, et c'est ce qui donne toute sa richesse au récit.
Extrait :
J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres. Dans le bureau de mon grand-père, il y en avait partout ; défense était faite de les épousseter sauf une fois l'an, avant la rentrée d'octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs, je sentais que la prospérité de notre famille en dépendait. Elles se ressemblaient toutes, je m'ébattais dans un minuscule sanctuaire, entouré de monuments trapus, antiques, qui m'avaient vu naître, qui me verraient mourir et dont la permanence me garantissait un avenir aussi calme que le passé. Je les touchais en cachette pour honorer mes mains de leur poussière mais je ne savais pas trop qu'en faire et j'assistais chaque jour à des cérémonies dont le sens m'échappait : mon grand-père si maladroit, d'habitude, que ma mère lui boutonnait ses gants – maniait ces objets culturels avec une dextérité d'officiant. Je l'ai vu mille fois soulevé d'un air absent, faire le tour de sa table, traverser la pièce en deux enjambées, prendre un volume sans hésiter, sans se donner le temps de choisir, le feuilleter en regagnant son fauteuil, par un mouvement combiné du pouce et de l'index puis, à peine assis, l'ouvrir d'un coup sec « à la bonne page » en le faisant craquer comme un soulier. Quelquefois je m'approchais pour observer ces boîtes qui se fendaient comme des huîtres et je découvrais la nudité de leurs organes intérieurs, des feuilles blêmes et moisies, légèrement boursouflées couvertes de veinules noires qui buvaient l'encre et sentaient le champignon.
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