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13 octobre, par Laila Abed Ali
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Laila Abed Ali, correspondante en stage. Depuis fin septembre 2025, le Maroc connait une vague de mobilisations sans précédent portée par des jeunes. Ce mouvement, dénommé GenZ 212, s’inscrit dans une tendance mondiale : au Népal, à Madagascar dont le président vient de fuir le pays, en Serbie, (…)

Des employés de Safeway dénoncent des mauvais traitements

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Des travailleurs de l'épicerie Safeway de River et Osbourne à Winnipeg se plaignent d'être surchargés de travail, sous-payés, maltraités et exposés à la violence "sans avoir de recours". Quelle est la source de ces problèmes ? Les employés affirment que l'entreprise ne se soucie pas de leur (…)

Portrait de l’itinérance en Outaouais

12 octobre, par Rédaction

L’inégalité face aux conditions de vie est manifeste : la pauvreté n’est pas une simple conséquence de choix individuels, mais le résultat d’un système économique et social défaillant. L’Outaouais, une région où la classe ouvrière s’appauvrit de plus en plus, nous montre bien que derrière chaque chiffre, chaque statistique, se cachent des vies humaines et des familles qui luttent pour survivre.

Un revenu digne pour toutes et tous

Le niveau de revenu pose une question cruciale et déstabilisante. Alors qu’un niveau décent de revenu devrait être un droit fondamental, il peut constituer un véritable enjeu de santé publique. Ainsi, un seul revenu, loin de remplir son rôle de couvrir les besoins de base, est souvent insuffisant et met à risque des citoyennes et citoyens de vivre une situation d’itinérance.

Il est impossible de parler de revenu sans parler de travail. La vie telle qu’on la connait repose sur l’argent, un système qui tourne autour de la production et de la création de richesse. Travailler fait partie intégrante de notre existence; nous sommes appelé·e·s à accomplir des tâches rattachées à un salaire ou à un autre type de revenu, ce qui crée inévitablement des écarts, car chaque revenu n’est pas égal. Ce système ne parvient pas à rémunérer décemment toutes celles et ceux qui créent la richesse.

Certains diront qu’il y a le salaire minimum, cette « planche de salut » censée protéger la dignité. À 15,75 $ l’heure, montant à peine réévalué en mai 2024, il ne fait qu’enfoncer un peu plus les citoyennes et citoyens dans un quotidien de lutte. Imaginons la situation suivante : être le seul pourvoyeur de sa famille, travailler 40 heures par semaine et voir son revenu englouti par un loyer de 1 500 $ par mois, sans compter les frais alimentaires et autres dépenses essentielles. Ce scénario est vécu par des milliers de familles condamnées à vivre dans la précarité, une situation qui n’épargne pas les femmes, qui constituent 58 % des travailleurs au salaire minimum dont 40 % travaillent à temps plein. Imaginons ce que ces femmes, ces mères monoparentales, doivent faire pour pallier les différents manques, une réalité d’autant plus crue quand elles doivent cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts.

La conjoncture est tout aussi déplorable pour les personnes prestataires de l’aide de dernier recours. Censée être une bouée de sauvetage, cette aide plonge davantage ces personnes dans l’impasse, un cercle vicieux où la pauvreté devient un fardeau presque impossible à briser. En 2023, la région de l’Outaouais comptait 12 962 personnes ayant eu recours à l’assistance sociale, dont 6 180 étaient des femmes avec 1 758 enfants à charge. Se retrouvant à peine au-dessus du seuil de pauvreté, elles survivent avec un peu moins ou un peu plus de 900 $ par mois, un montant bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour couvrir les besoins essentiels.

Il faut faire très attention aux déclarations ! Une erreur administrative ou une déclaration inexacte peut entrainer une sanction, ce qui réduit drastiquement cette aide à 600 $ par mois pour certaines personnes. Perçues comme des fautes de parcours et non comme des erreurs de bonne foi, ces erreurs n’empêchent pas l’État de serrer la vis aux plus fragiles, exacerbant ainsi la précarité. Quand l’invalidité au travail et la pauvreté s’entrelacent, il devient de plus en plus évident que le revenu ne suffit pas à garantir la dignité humaine, ce qui expose encore là les personnes ou les communautés fragilisées ou à risque à habiter temporairement la rue.

Le Portrait des communautés de l’Outaouais 2021 réalisé par l’Observatoire du développement de l’Outaouais (ODO)[1] fait état de 19 885 ménages consacrant plus de 30 % de leur revenu à leur loyer, et de 6 320 qui y consacrent plus de 50 %. Comme les politiques publiques continuent de marginaliser et de pénaliser les plus vulnérables, alors il ne s’agit plus d’une crise économique : il s’agit d’une crise de solidarité et de valeurs humaines. Il devient impératif de contester l’ordre établi et de revendiquer un revenu qui ne soit pas seulement un chiffre sur un papier, mais bien un moyen pour chaque citoyenne et citoyen de vivre dignement, en paix et sans discrimination.

L’itinérance en Outaouais en chiffres

Afin de bien dresser le portrait de l’itinérance en Outaouais, il est important de donner quelques chiffres pour illustrer les particularités de notre région. Dans le rapport du dénombrement du 11 octobre 2022[2], les données recueillies sont criantes : on a recensé 534 personnes en situation d’itinérance, soit une augmentation de 268 % du nombre de personnes dans cette situation en Outaouais, la plus forte hausse au Québec. Dans ce rapport, les raisons rapportées pour la perte de logement attirent l’attention : 24 % à la suite d’une expulsion, 18 % en raison d’un manque de revenu et 14 % à cause de conflits avec une conjointe ou un conjoint, comparativement aux causes généralement ciblées comme les problèmes de consommation de substances (11 %) et de santé mentale (5 %).

À la suite de ce rapport, la Ville de Gatineau, en concertation avec les organismes du milieu, a produit un Portrait de l’itinérance dans la Ville de Gatineau[3] dans le but d’apporter un volet plus qualitatif aux données provinciales publiées par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Dans ce contexte, un deuxième recensement a été organisé dans la nuit du 18 octobre 2023, se concentrant cette fois sur le nombre d’installations et de ressources d’hébergement disponibles. Les résultats montrent 167 abris de fortune installés dans tous les secteurs de la ville, 216 places en hébergement d’urgence et 364 places en hébergement de transition.

Sur le terrain

Lorsqu’on parle de l’itinérance en Outaouais, on pense à l’aréna Robert-Guertin, au Ruisseau de la Brasserie et aux nombreux abris de fortune qui s’y sont installés depuis la pandémie. C’est en 2023 que la Ville de Gatineau a cessé de démanteler régulièrement les campements installés aux abords du Gîte Ami et a désigné l’espace Guertin comme une zone de tolérance.

Le phénomène de l’itinérance a pris une telle ampleur en Outaouais qu’il ne s’agit plus seulement d’une réalité urbaine. Différentes initiatives se développent présentement dans chaque municipalité régionale de comté (MRC) de la région pour répondre aux besoins de la population itinérante qui, autrefois, se serait dirigée vers Gatineau, où se retrouvent les services, mais qui choisit maintenant de rester dans son secteur car les services sont saturés.

Cette nouvelle réalité de l’itinérance rurale apporte son lot de défis. Ces milieux disposent de peu, voire d’aucune ressource allouée ou spécialisée pour couvrir des territoires excessivement vastes. De plus, souvent les personnes en situation d’itinérance se cachent par peur de se faire chasser, ce qui rend difficile leur repérage afin de leur offrir l’aide disponible.

L’itinérance chez les personnes âgées

Le phénomène de l’itinérance chez les personnes âgées constitue une problématique croissante et une réalité saisissante, exacerbée par le manque d’hébergements, et aggravée par les coupes, les fermetures et les changements administratifs dans les résidences pour ainé·e·s (RPA). Le Gîte Ami, un refuge de la région, signale qu’en 2023, plus de 35 personnes âgées de 60 ans et plus ont utilisé leurs services, plusieurs étant à leur première expérience d’itinérance. Les conditions dans lesquelles ces personnes sont forcées de survivre ne permettent pas de maintenir une bonne santé. Selon le Portrait des personnes en situation d’itinérance[4], le taux de mortalité des personnes en situation d’itinérance est de 3 à 4 fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population. Un regard sérieux et des efforts concertés sont nécessaires pour développer des solutions adaptées et offrir un soutien adéquat à cette population.

L’itinérance chez les femmes

Les femmes en situation d’itinérance développent des stratégies de survie uniques, car elles sont exposées à des risques accrus de violence, à des responsabilités parentales supplémentaires et à des obstacles spécifiques dans l’accès aux services. Par exemple, certaines femmes choisissent de rester avec un conjoint violent ou de maintenir une relation avec une personne qu’elles n’apprécient pas, en échange de faveurs sexuelles, pour éviter de se retrouver en situation d’itinérance. Elles peuvent aussi être amenées à partager une tente ou un espace de vie avec un homme qu’elles ne désirent pas, mais encore une fois, ce choix est dicté par des considérations de sécurité, qu’il s’agisse de violence physique, sexuelle ou autre. Ces stratégies de survie sont souvent le fruit de l’absence de solutions de rechange viables et mettent en lumière les réalités complexes auxquelles ces femmes sont confrontées au quotidien.

L’itinérance chez les familles

Même les familles sont à risque d’itinérance; cela nécessite une collecte de données plus détaillée et la mise en place de services adaptés afin de mieux comprendre les besoins et mieux leur répondre. L’Observatoire du développement de l’Outaouais[5] démontre que le statut socioéconomique a un impact direct sur la qualité de vie. En plus de faire le point sur la situation, le rapport de l’Observatoire donne un aperçu de ce qui s’en vient : la ville comptait 6 840 ménages de toutes tailles ayant des besoins impérieux en matière de logement. Cela signifie que les résidences de ces familles sont considérées comme inadéquates, inabordables ou d’une taille non convenable. Un nombre insuffisant de logements sociaux contraint les familles à vivre dans des conditions indignes : dans des logements trop chers, insalubres ou mal adaptés. Cela condamne certaines familles à vivre de l’itinérance cachée ou à être contraintes d’habiter temporairement la rue.

L’itinérance cachée

L’itinérance cachée (aussi nommée couch surfing) désigne les personnes qui, bien qu’elles ne vivent pas dans la rue, n’ont pas de domicile stable, sécuritaire et adéquat. Elles peuvent résider temporairement chez des ami·e·s ou chez des membres de la famille, dans des logements insalubres ou surpeuplés, ou encore dans des véhicules. Cette situation est souvent invisible, ce qui rend difficile l’évaluation précise de l’ampleur du phénomène. Une étude menée en 2023 par la Table de développement social des Collines-de-l’Outaouais (TDSCO)[6], à laquelle le Collectif régional de lutte à l’itinérance (CRIO) a participé, a révélé que 40 % des 219 répondantes et répondants considéraient leur situation de vie comme instable. Cette enquête a également mis en lumière que 66 enfants et 108 adultes vivaient avec ces personnes en situation de précarité. Ces données soulignent la nécessité de développer des stratégies adaptées pour identifier et soutenir les personnes en situation d’itinérance cachée en Outaouais, en tenant compte des spécificités rurales et urbaines.

Ces choix de survie sont souvent liés à un manque d’options et à des conditions de vie extrêmement difficiles, ce qui provoque malheureusement un exode. De plus en plus de familles ou de jeunes adultes qui voudraient rester dans la région sont contraints de chercher un logement ailleurs, souvent dans des villes plus éloignées où les prix sont plus « abordables ». Certaines régions rurales comme le Pontiac et la Vallée-de-la-Gatineau écopent tout autant. Cela révèle une dilution du filet social et un déséquilibre dans certaines communautés.

Crise de l’habitation

L’inflation, dont l’effet cumulé a été de plus de 20 % depuis 2018[7], s’inscrit dans un système qui ne suit pas la tendance des réels besoins de la population. Un fort taux d’occupation des logements, la hausse des loyers et l’étalement urbain exercent une pression croissante sur le marché immobilier. L’Outaouais traverse une période complexe marquée par une crise de l’habitation persistante qui ne se résume pas à un simple manque de logements. Plusieurs facteurs sont en cause : l’inflation, la surenchère, les rénovictions, les locations Airbnb ainsi que la loi 31[8], et ce, tout en tenant compte des enjeux de revenu exposés plus haut.

Plusieurs éléments participent à la surenchère. La hausse des prix des matériaux et la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la construction ont radicalement augmenté les coûts du développement immobilier. Cela a pour conséquence de réduire l’offre de nouveaux logements accessibles. Ainsi, malgré la disponibilité de ceux-ci, les personnes marginalisées, vulnérables et vivant sous le seuil de la pauvreté se retrouvent dans l’impossibilité de les louer. Cette situation affecte non seulement la stabilité économique des individus, mais également leur santé mentale et physique. Des conditions de logement précaires, comme la surpopulation, l’humidité ou la mauvaise qualité de l’air, peuvent entrainer de graves problèmes de santé. Les familles à faible revenu, les étudiantes et étudiants et les jeunes adultes entrant sur le marché du travail sont directement touchés par cette pénurie de logements abordables.

En Outaouais, comme dans plusieurs régions du Québec, les locataires ne sont pas à l’abri d’être rénovincés. Cette problématique est devenue particulièrement préoccupante dans les grands centres urbains comme Gatineau. Le terme rénoviction fait référence à une pratique où des propriétaires avides, voyant une opportunité d’augmenter leurs profits, demandent à leurs locataires de quitter leur logement sous prétexte de rénovations majeures. Cependant, dans plusieurs cas, ces rénovations ne sont qu’un prétexte pour hausser les loyers ou pour transformer l’espace afin de le louer à un tarif bien plus élevé, rendant le logement inaccessible à l’ancienne ou à l’ancien locataire.

Une fois de plus, des lois charognardes du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), comme la loi 31, viennent fragiliser davantage les locataires. Le retrait d’un des plus grands leviers dont celles-ci et ceux-ci disposaient pour exercer un certain contrôle sur l’explosion du prix des loyers – le droit de céder leur bail – a été charcuté au profit des propriétaires. Ces derniers ne sont désormais plus dans l’obligation légale d’accepter qu’une ou un locataire transfère son contrat de location à une ou un autre. Il est encore difficile d’évaluer les impacts économiques et sociaux de cette mesure, notamment en Outaouais, mais il est évident qu’elle aggrave la crise locative en ajoutant rigidité et contrainte à l’accès au logement. Se loger, rappelons-le, est un droit fondamental qui ne devrait pas être soumis aux logiques du profit.

À propos de profit, examinons le cas d’Airbnb. Selon AirDNA, une agence qui recueille les statistiques canadiennes des locations à court terme, le secteur de Gatineau comptait en moyenne 957 annonces actives sur une période de 12 mois en 2024, dont 21 % étaient des locations disponibles à temps plein. Cela signifie qu’environ 200 logements sont devenus inaccessibles à la location résidentielle pendant l’année. Malgré les réglementations mises en place pour encadrer ces locations, l’Outaouais n’échappe pas aux nombreux cas de contournement observés. Selon une enquête du média Pivot[9], plusieurs annonces ne respectent pas les restrictions en vigueur, ce qui met en lumière les défis liés à ce genre de pratiques qui précarisent encore davantage les communautés vulnérables, au profit des propriétaires.

Hausse en flèche de l’aide alimentaire

Encore une fois, l’inflation frappe et n’épargne pas le marché de l’alimentation : impossible d’aller à l’épicerie sans en ressortir avec un goût amer. Moisson Outaouais[10] affirme d’ailleurs dans son bilan 2023-2024 que l’organisation a répondu à 94 653 requêtes d’aide alimentaire, une augmentation considérable de 107 % par rapport à 2019. Elle observe aussi que l’augmentation des demandes chez les travailleuses et travailleurs à faible revenu a presque doublé depuis deux ans. Ayant distribué 1 680 048 kg de nourriture en 2023-2024, en partenariat avec 48 organisations qui agissent contre l’insécurité alimentaire, chacune d’elles observe le même phénomène grandissant et les besoins criants. Le lien entre l’augmentation du coût des loyers et l’augmentation de l’utilisation des services d’aide alimentaire dans la région est évident. Un loyer trop cher force les citoyennes et citoyens à négliger d’autres besoins essentiels, comme la nourriture.

Désert alimentaire

La précarité liée à l’accès difficile aux supermarchés ne doit pas être négligée. Elle représente un obstacle majeur en milieu rural et dans certains quartiers. Elle contraint les personnes vulnérables à consommer davantage de produits alimentaires transformés, moins chers et souvent moins nutritifs, des choix alimentaires qui ont des répercussions sur la santé. Il est aussi important de se figurer les obstacles discriminatoires et le profilage auxquels une personne en situation d’itinérance peut être confrontée en matière d’accès aux supermarchés.

Une réponse désorganisée

Une des grandes difficultés dans la lutte contre l’itinérance est la question de la responsabilité : qui est responsable de quoi ? Évidemment, on peut se tourner vers la Politique nationale de lutte contre l’itinérance[11], votée à l’unanimité en 2014 par le gouvernement péquiste, mais celle-ci est vague et non contraignante, ce qui laisse la porte grande ouverte à un jeu de patate chaude auquel se livrent les différents paliers gouvernementaux. Le meilleur exemple régional de ce lançage de balle demeure la halte-chaleur installée dans l’ancien aréna Robert-Guertin à l’hiver 2022-2023. Un organisme communautaire opérait un service dans cet édifice municipal, loué au CISSS de l’Outaouais. Lorsque les toilettes se sont bouchées, la Ville a refusé d’intervenir parce que l’édifice était loué au CISSS, qui, à son tour, a refusé d’intervenir parce que l’édifice appartenait à la ville. Lorsque l’organisme a tenté de faire intervenir des plombiers privés, ceux-ci ont refusé, car c’était un édifice municipal. Le résultat a été désastreux : la halte-chaleur a été inondée d’eaux d’égout, contaminant tout ce qui s’y trouvait, dont les quelques matelas donnés, les effets personnels des personnes utilisant le service et la santé de toutes et tous les employé·e·s et personnes hébergées.

Depuis le Sommet municipal sur l’itinérance de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) en septembre 2023, les municipalités ont commencé à réclamer davantage de pouvoirs et de responsabilités en matière d’itinérance. Bien que nous ayons d’abord vu d’un bon œil l’implication des villes en tant que gouvernements de proximité, plus près de la réalité terrain, nous nous rendons vite compte que l’arrivée de ce nouveau joueur comporte son lot de défis. Le partage des pouvoirs entre la province et les villes n’ayant pas encore été clarifié, l’implication de celles-ci repose essentiellement sur la bonne volonté des élu·e·s qui siègent aux différents conseils municipaux. On peut prendre ici l’exemple de la ville de Gatineau, qui, en 2023, avait annoncé une somme de cinq millions de dollars pour la construction d’une halte-chaleur permanente, une infrastructure revendiquée par le milieu communautaire depuis plus de 20 ans. Un an plus tard, à la suite d’un changement au conseil municipal dû à la démission de la mairesse, on a annoncé des investissements de près de 25 millions de dollars sur cinq ans pour un plan d’action en itinérance, mais sans halte-chaleur permanente.

Que ce soit au palier municipal, provincial ou fédéral, force est de constater que la lutte contre l’itinérance repose essentiellement sur la volonté politique des partis en place. Bien que ce soit les organismes communautaires qui œuvrent directement auprès des populations à risque ou aux prises avec des problématiques, ces organismes sont largement dépendants du bon vouloir de l’État et de ses représentantes et représentants, qui décident de l’attribution du financement et du montant qui leur est consenti. Les élu·e·s décident de la grosseur de la tarte, l’administration la divise et les organismes doivent se battre pour les miettes.

En 2023, la gestion du programme Vers un chez-soi, financé par le fédéral, a été confiée à la province, et au mois de novembre, nous apprenions que les hébergements jeunesse de l’Outaouais ne seraient plus financés par cette enveloppe. Ceci n’est qu’un exemple de la fragilité à laquelle sont confrontés les organismes communautaires. Au cours des 30 dernières années, le financement à la mission, qui leur permettait de fonctionner, d’innover et de répondre aux besoins de la communauté en temps réel, par une analyse des besoins et une construction du bas vers le haut, s’est vu remplacé par de minces financements par projet, contraignants et accompagnés de longues redditions de comptes.

Pistes de solution

Dans le communautaire, des personnes créatives, il n’en manque pas ! C’est ainsi que sont mis sur la table des pistes de solution, des idées et des concepts, de l’aide atypique adaptée à la réalité du milieu, une panoplie de programmes mis en place, et ce, avec les moyens du bord. Explorons différents projets.

Un Québec sans pauvreté

Comme la campagne Revenu de base du Collectif pour un Québec sans pauvreté le suggère, un revenu de base adapté à la réalité économique d’aujourd’hui permettrait de réduire les inégalités économiques et sociales en garantissant à chacune et chacun un niveau de vie où les besoins de base sont comblés. Le collectif propose que ce revenu de base soit financé par une révision de la fiscalité, avec des augmentations d’impôts ciblées pour les plus riches et pour les grandes entreprises, afin d’assurer une redistribution équitable des ressources. Le financement du revenu de base pourrait également passer par la réduction de certaines dépenses publiques qui seraient moins nécessaires dans un système où chacune et chacun reçoit un revenu de base garanti.

Des logements sociaux et accessibles

C’est là une réponse à la crise qui profiterait à chaque citoyenne et citoyen, pas seulement aux plus privilégié·e·s. En Outaouais, de nombreuses personnes à faible revenu, y compris des familles monoparentales, des personnes âgées ou des travailleuses et travailleurs à faible revenu, sont particulièrement vulnérables à l’exclusion sociale. La construction de plus de logements sociaux permettrait de briser ce cercle et d’offrir des opportunités d’intégration sociale. Le logement social jouant un rôle clé dans la lutte contre la pauvreté et la conservation du filet social, il est aberrant d’apprendre que seulement 11 % du marché locatif est social. Comme le scande la campagne du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), La clé, c’est le logement social ! Ajoutons à cela un de leurs principes fondamentaux : le logement est un droit humain. L’accès à des logements sociaux permettant de répondre à leurs besoins garantirait à des citoyennes et citoyens contraints à la précarité d’avoir un toit décent dont le coût ne mange pas la moitié de son salaire. Ces logements peuvent aussi créer un environnement propice à l’installation d’autres services, par exemple des épiceries, améliorant ainsi la dynamique et l’accessibilité.

Un registre des loyers

En encourageant un marché stable et responsable, le registre des loyers proposé par l’organisme Vivre en Ville est un outil centralisé qui permet de suivre les prix des loyers locatifs, une solution indispensable pour inciter les propriétaires à une transparence équitable, pour éviter les abus et les prix excessifs du marché. Dans un contexte de crise de l’habitation, comme en Outaouais, un tel registre pourrait avoir plusieurs avantages, tant pour les locataires que pour les propriétaires, ainsi que pour les autorités municipales qui souhaitent assurer un marché immobilier plus juste et accessible à toutes et tous. Il agirait ainsi comme un rempart contre l’embourgeoisement.

La clause G du bail

Pour éviter une hausse de coût excessive entre le nouveau loyer et l’ancien, tout en protégeant la ou le locataire à la signature du bail, il faut jeter un coup d’œil à la clause G, page 3 du bail. C’est à cette section que le propriétaire doit inscrire le montant du loyer le plus bas payé dans les douze derniers mois. Clause difficilement respectée par les propriétaires, il est impératif d’en renforcer l’application. Il faut d’abord en parler avec le propriétaire concerné. Si ce dernier décline, il est possible de faire une réclamation au Tribunal administratif du logement (TAL).

Abroger la loi 31

Un des seuls leviers forts que les locataires québécois avaient, en dépit des avantages et du profit des propriétaires, était le droit de céder leur bail. Comme nous l’avons exposé précédemment, la cession de bail permettait au locataire de trouver une nouvelle personne pour reprendre son contrat, ce qui gardait ainsi le logement à un prix raisonnable, qui ne suit pas l’inflation du marché que l’on connait présentement. La loi 31 de la CAQ abolit ce droit, retirant par défaut un bon nombre de logements accessibles à une population précaire et exposant encore une fois plusieurs personnes à vivre leurs premiers épisodes d’itinérance.

Le programme TAPAJ

Créé à Montréal en 2000 par l’organisme communautaire Spectre de Rue, et ayant inspiré plusieurs villes au Québec ainsi qu’en Europe, le programme TAPAJ (Travail alternatif payé à la journée) a fait ses preuves. Dans la région de l’Outaouais, ce programme est porté par l’organisme Réseau Outaouais ISP (ROISP). C’est une initiative de réduction des méfaits qui offre un dépannage économique ponctuel aux personnes en situation de précarité sociale et économique. Ce programme propose des plateaux de travail rémunérés à bas seuil d’exigences, qui ne nécessitent ni qualification ni expérience préalable. Les participantes et participants sont accompagnés par des intervenantes et intervenants, qui travaillent « coude à coude » avec elles et eux pour favoriser la création de liens et l’amélioration de leurs conditions de vie. TAPAJ vise à prévenir la désaffiliation sociale et à favoriser la réaffiliation en offrant un environnement de travail sécuritaire et respectueux, où les participantes et participants peuvent travailler sans avoir à cesser ou à réduire leur consommation de substances psychoactives. Grâce à cette approche inclusive et pragmatique, le programme permet aux personnes en situation de précarité de recevoir un soutien financier immédiat tout en développant des compétences professionnelles et psychosociales.

Des centres de jours adaptés

Finalement, citons un dernier projet : des centres de jour adaptés, répartis sur l’ensemble du territoire, accueillants et offrant des services qui répondent aux besoins identifiés par les acteurs du milieu. Ces centres s’appuient sur le rythme des personnes en situation d’itinérance ou de précarité et à risque de l’être. Ils orientent les personnes utilisatrices de leurs services vers des démarches sociocommunautaires qui ne les renvoient pas dans un système qui les a déjà échappées. Ces centres pourraient regrouper infirmières, travailleuses et travailleurs sociaux, dentistes, etc., toutes et tous sous un même toit.

Pour conclure, soulignons que l’itinérance en Outaouais est démographiquement complexe et qu’elle présente des défis qui concernent surtout l’encadrement par les diverses instances politiques. Car il est encore difficile de faire reconnaitre le phénomène dans certaines municipalités qui manquent d’empathie et qui interviennent avec dureté.

Par Vanessa L. Constantineau et Alexandre Gallant, respectivement agente de liaison et coordonnateur du Collectif régional de lutte à l’itinérance en Outaouais


  1. Observatoire du développement de l’Outaouais, Portrait des communautés de l’Outaouais 2021.
  2. Ministère de la Santé et des Services sociaux, Dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible au Québec, Rapport de l’exercice du 11 octobre 2022, Annexe : Résultats supplémentaires pour l’Outaouais.
  3. Portrait de l’itinérance dans la Ville de Gatineau, 2022.
  4. Gouvernement du Québec, Portrait des personnes en situation d’itinérance.
  5. Observatoire du développement de l’Outaouais, Portrait des communautés de l’Outaouais, 2021.
  6. Comité Vers un chez-soi La Table de développement social des Collines-de-l’Outaouais, Portrait de l’itinérance dans les Collines-de-l’Outaouais, Cantley, Table de développement social des Collines-de-l’Outaouais (TDSCO), 2024.
  7. <https://www.banqueducanada.ca/taux/renseignements-complementaires/feuille-de-calcul-de-linflation/>.
  8. Loi sur l’habitation sanctionnée le 21 février 2024 et qui a, entre autres, enlevé la possibilité pour une ou un locataire de faire une cession de bail ou une sous-location à profit.
  9. Zachary Kamel, « Le roi du Airbnb à Montréal : quadrupler les loyers et remplacer les locataires par des hôtels fantômes », Pivot, 28 juillet 2023.
  10. Moisson Outaouais, Rapport annuel 2023-2024, Gatineau, 2024.
  11. Ministère de la Santé et des Services sociaux, Politique nationale de lutte à l’itinérance. Ensemble pour éviter la rue et en sortir, Québec, gouvernement du Québec, 2014.

 

Conteurs à gages : Des récits pour se réconcilier avec la/notre nature

11 octobre, par Étienne Laforge, Félix Morissette, Samuel Raymond — , , , ,
Étienne Laforge et Félix Morissette, surnommés les « Conteurs à gages », créent pour, par et avec des groupes citoyens, des contes écologiques au cœur du quartier (…)

Étienne Laforge et Félix Morissette, surnommés les « Conteurs à gages », créent pour, par et avec des groupes citoyens, des contes écologiques au cœur du quartier Rosemont—La-Petite-Patrie à Montréal. Nous nous sommes entretenus avec eux pour en apprendre sur leurs ambitions, et plus particulièrement sur le rôle de l'art du conte pour réfléchir notre rapport à la nature, nourrir l'imaginaire, et construire des récits ancrés dans les quartiers. Propos recueillis par Samuel Raymond.

À bâbord ! :Une part de votre mission est de « susciter la curiosité et inspirer la transition écologique ». Pourquoi avoir choisi l'art du conte ?

Étienne Laforge : En fait, il s'est imposé. En pandémie, Félix et moi marchions dans les ruelles de notre enfance et nous trouvions qu'il y avait là une mythologie existante issue de communautés, de parents, et d'enfants qui se voisinaient. Le conte, c'est l'art de se raconter. On voulait rassembler le monde.

Félix Morissette : On l'a aussi choisi pour deux de ses forces. Premièrement, on a un grand besoin de tirer nos imaginaires par les. Un·e conteur·euse est toujours en train de modeler son histoire en fonction de qui il ou elle s'adresse, et selon le contexte. C'est ancré dans une réalité. On avait envie d'infinies variations pouvant être portées par plein de voies différentes. Deuxièmement, le conte permet de grandes libertés. Par exemple, il permet de réfléchir à des êtres non humains très facilement. La forme est simple, a peu de règles et favorise l'improvisation. Tout ça facilite la création de situations ou de personnages éclatés. On peut évoquer les grands peupliers du parc Lafontaine et automatiquement, on est en présence d'eux.

ÀB ! : Dans votre processus, pourquoi mettre autant l'accent sur la question de la relation des humains avec la nature ?

F. M. : La pandémie nous a permis de ralentir et, comme plusieurs artistes, de prendre contact avec notre quartier. Et puis, on voyait la nature reprendre ses droits. Ça donnait envie de se renseigner, de sortir un livre, de commencer à identifier les plantes, de faire un jardin de balcon. On a fait beaucoup de recherches pour mieux comprendre ce qui nous entoure, nos différences d'avec les autres êtres. Par exemple, le Merle d'Amérique. Comment fonctionne-t-il ? Qu'est-ce qu'il fait pendant l'hiver ? Tout ça donnait des filons narratifs aux histoires qui venaient s'ajouter à une série de réflexions à propos de situations personnelles et collectives.

É. L. : La pandémie a été un moment de reconnexion avec la nature. Dans leurs derniers retranchements, c'est souvent là où les gens vont. Toutefois, le discours écologiste me mine parfois. La lutte écologiste vient des fois avec des impératifs qui sont trop portés par les individus. Et dans la fiction, c'est soit postapocalyptique et l'humanité a échoué, soit on cherche une échappatoire. On veut refaçonner positivement la façon dont on parle de notre relation à la nature. C'est par ce lien qu'on va trouver une façon de calmer notre anxiété. C'est une urgence de créer de nouveaux récits.

ÀB ! : Quelles est votre intention avec vos créations ?

F. M. : Qu'à la fin de l'un de nos contes, une personne reparte, prenne une respiration, observe les feuilles rougir, le petit temps frette. Notre désir est d'amener une reconnaissance, une appréciation de ce qui nous entoure. Puis, on veut mettre l'accent sur la valeur, l'impact et l'apport de différents êtres de la nature d'une manière poétique plutôt qu'avec un point de vue utilitaire à partir duquel, par exemple, on dirait que les arbres peuvent nous permettre d'économiser de l'argent en réduisant l'écoulement de l'eau. On veut que les gens sortent de nos heures de conte avec un sentiment de connexion. Nourrir l'imaginaire avec ces histoires optimistes nous rend plus à même de reconnaître les initiatives positives. On comprend l'urgence actuelle, mais ça prend un ballant.

É. L. : On se représente souvent la nature comme si on en était extérieur, mais le conte peut faire en sorte que les gens s'identifient à elle. Que ce soit à propos de l'histoire de la job d'un cloporte dans une craque de ruelle ou la job d'une saison qu'on a imaginé. Si on peut se reconnaître dans ces éléments-là, je pense qu'il y a un côté amoureux de la nature qui va émerger. C'est ces petites poésies qui m'accrochent et me font embrasser les éléments autour. Un jour, on a fait un lancement lors d'une grosse tempête de neige. Le monde est arrivé en retard. C'était la folie. À la fin du spectacle, j'ai reçu des messages de gens enthousiastes de vivre la tempête. Il y a comme eu une adéquation avec les éléments qui est née des histoires racontées. C'est le résultat qui se révèle à nous après avoir raconté une histoire.

F. M. : C'est un processus par lequel on arrête d'être toujours en lutte avec la nature. Dans l'histoire de notre relation à l'environnement au Québec, la religion catholique nous a amené·es dans un rapport sacré à la nature. Une œuvre de Dieu parfaite et belle. L'humain est séparé de la nature tout en étant au-dessus d'elle. Puis, on a évolué pour être davantage dans une relation de contrôle et de lutte. Ces deux visions du monde sont en nous. On essaie de trouver d'autres façons de s'engager, de dévoiler notre interdépendance, de jouer avec la nature. On explore comment on peut établir une relation avec elle sans être dans un romantisme fini ni dans une relation de domination.

ÀB ! : Quelles sont vos inspirations ?

F. M. : Je m'inspire de notre héritage canadien-français, mais aussi des cultures grecque et romaine. Dans ces cultures, on peut fouiller et trouver des éléments féconds pour la création de contes en jouant avec leurs codes. Ensuite, la culture canadienne-française agricole a développé des rites et des relations à l'environnement qui sont fortes et riches. Je pense à ma grand-mère et sa ferme comme une influence importante.

Sinon, des éléments qu'on prend rarement le temps d'analyser sont tout aussi inspirants. Je pense par exemple aux quatre saisons pour lesquelles nous avons créé une série de contes. Les gens sont souvent en lutte contre elles. Ainsi, l'automne est souvent dur pour le moral. On a donc écrit un conte sur le mois de novembre en retournant notre apriori négatif pour voir comment, en se nourrissant de la mort, novembre crée la première neige qui est l'un des plus beaux moments de l'année.

É. L. : Mon arrière-grand-père a été mineur et bûcheron en Abitibi. Mon grand-père a été mineur et étudiant. Dans leur mode de vie, il y a quelque chose de très proche de la nature, un travail de la terre, et à la fois, une exploitation des ressources. Ce n'est pas très loin de notre génération. De cet héritage, un de nos thèmes importants est celui de la nature qui nous donne, mais qui est aussi indomptable.

ÀB ! : En ce qui concerne les contes créés par votre duo, comment les testez-vous ?

F. M. : On présente généralement un premier jet devant les groupes citoyens. Ça nous aide à placer beaucoup de choses. Quand tu te retrouves devant quelqu'un·e et que tu racontes une histoire pour la première fois, c'est là que tu réalises que, maudit que c'était pas clair ton affaire ! Le conte permet de travailler une relation, tu t'adresses à quelqu'un·e. Tant que tu n'as pas cette relation, ce n'est pas clair ton ancrage est où.

É. L. : C'est agréable de présenter ces premières versions dans un contexte de communauté qui te connaît. Il y a plus de chance qu'elle te dise ce qui ne marche pas. On se sent aussi plus à l'aise. Il y a un lien de confiance qui s'est créé.

ÀB ! : Comment se déroule votre processus de création avec les groupes citoyens ?

É. L. : Durant la dernière année, on s'est intégré dans des groupes citoyens de Rosemont—La-Petite-Patrie à travers deux projets de recherche-création et d'accompagnement de projet participatif. Le but est que ces groupes puissent définir leurs propres récits. La première année servait davantage à la création d'une programmation culturelle. On a offert des contes et il y a eu des prestations de plusieurs artistes de différentes disciplines pour mobiliser et faire connaître le projet. Pour la deuxième année, on veut permettre à ces communautés d'écrire leurs propres récits, qui s'inspireront de la forme de ceux de Conteurs à gages en s'intéressant notamment aux enjeux socioécologiques de leur quartier. Ce qui est plaisant avec les communautés avec lesquelles on tisse des liens, c'est qu'on sent qu'elles ont le goût de jouer. Notre rôle est donc de partager nos outils pour qu'elles puissent s'épanouir dans des récits qui sont bien édifiés et inspirants.

F. M. : Le processus de création dépend de ce sur quoi on écrit. Quand tu écris des contes sur un territoire, des milieux de vie ou un parc, il faut qu'il y ait un ancrage personnel ou collectif. L'objectif est de développer des outils pour créer de nouveaux récits et que les gens puissent se les approprier. Par exemple, on a vécu plusieurs expériences au parc de Gaspé avec un groupe. Il y a un moment où t'as un déclic. Tu te rends compte que tu appartiens au parc. Il vit un peu en toi et fait partie de ton imaginaire. Quand tu ressens ça, tu peux commencer à travailler parce que tu es arrivé à une véritable relation au lieu. Ensuite, les filons émergent. Dans notre cas, les personnes qui vivent près de l'endroit sont celles qui le connaissent le mieux. C'est eux et elles qui portent l'histoire. Le groupe n'a pas nécessairement tous les outils pour structurer un conte, élaborer des personnages, créer un événement déclencheur et confectionner des retournements créatifs. On est là pour explorer ça avec lui, l'accompagner en utilisant nos outils. Par exemple, le concept de « héros doux », celui de filon, celui d'ancrage. On veut aussi travailler sur les forces de chaque personne. Ensuite, ces histoires pourront être écrites, structurées, imprimées et finalement, transmises. Une ruelle verte pourra avoir son recueil de contes qui explique, par exemple, l'origine de la ruelle ou qui raconte des histoires de voisinage.

ÀB ! : Vous incorporez parfois de courts commentaires éditoriaux dans vos contes. Comment composez-vous avec cet aspect ?

É. L. : Les éléments plus éditoriaux et politiques nous aident à démarrer une idée, mais vont rapidement se décliner en des enjeux plus grands et plus profonds. Après ça, dans la relation avec le public, ces éléments peuvent revenir. Je pense à un de nos contes qui s'appelle Le printemps silencieux. Il a tout le potentiel d'aborder la crise du logement actuelle, mais il traite aussi de tensions dans la société, de fiertés, de pouvoirs et de désir d'avoir plus.

ÀB ! : Que se passe-t-il pour Conteurs à gages dans les prochains mois ?

F. M. et É. L. : À la fin de l'hiver et au début du printemps, Conteurs à gage sera en écriture. L'univers des contes de saison continue de fleurir. Notre premier conte, Automne est paru en format audio le 17 octobre. On souhaite d'ailleurs remercier les artistes audios et visuels qui travaillent avec nous. Sinon, les groupes de citoyens qu'on accompagne seront en processus d'écriture de leurs contes. Puis, un troisième univers s'ouvre l'été prochain. Ce sont les contes et légendes des boisés de Laval en association avec l'organisme Canopée. Il rassemble des habitantes de Laval qui entretiennent des relations avec les boisés. Elles nous serviront de guide pour rédiger de nouvelles histoires…

Illustration : Laurie-Anne Deschênes. Photo : Conteurs à gages du 13 octobre 2023 (Masson Village).

Auprès de la mort

Le présent article rassemble les témoignages de trois femmes âgées offrant une fenêtre sur leur expérience de vie et leurs réflexions quant aux thèmes du deuil et de la mort. (…)

Le présent article rassemble les témoignages de trois femmes âgées offrant une fenêtre sur leur expérience de vie et leurs réflexions quant aux thèmes du deuil et de la mort. Il s'agit d'une invitation à l'écoute de personnes ayant leur propre vécu, sensibilités et visions du monde. Une brève tribune pour une parole humaine intime remettant ainsi à jour l'éternelle question : « Mort, où est ta victoire ? »

Face au suicide, créer des garde-fous

Rita, gestionnaire d'un programme d'aide aux résident·es d'un complexe immobilier

Sarah [1] était une résidente à laquelle je me suis tout de suite attachée. Bipolaire, après des moments de grande euphorie, elle sombrait dans des états dépressifs qui l'ont conduite à mon bureau. Je suis alors entrée dans ses confidences sur une vie très solitaire, marquée par le décès d'une maman adorée et des relations qui n'en étaient pas avec un fils impossible à convaincre de lui laisser voir sa petite-fille, dont la mère s'opposait à toute visite d'une femme aussi « dérangeante » qu'elle.

Quant à moi, je trouvais plaisant de l'entendre parler de ses joies d'enfant apprentie-peintre parce que j'admirais ses œuvres d'adulte. Je comprenais avoir affaire à une véritable artiste, douée non seulement pour la peinture, mais aussi pour la sculpture. Elle avait une façon de se raconter là-dessus qui pouvait être très drôle. Mais tout le monde n'était pas comme moi en position d'apprécier son goût de la facétie. Avec les autres résident·es, par exemple, quand elle commençait à se confier sur ses déboires, elle n'en finissait plus. Aussi évitaient-elles-ils de la croiser dans les corridors.

L'étonnant là-dedans, c'est qu'elle avait, parallèlement, un côté misanthrope qui l'amenait à aller faire ses courses en soirée de façon à ne rencontrer personne de connaissance. De peur qu'on ne la remarque, elle m'avait bien fait comprendre qu'elle ne viendrait me voir qu'après les heures de bureau. Cette après-midi-là, quand elle est arrivée vers 16h15, j'étais très fatiguée de ma journée de travail, je ne souhaitais qu'une chose : rentrer chez moi. Mais elle insistait. Je lui ai alors répondu que, non, pas cette fois-ci, elle n'avait qu'à venir plus tôt.

Les jours suivants, alarmée de ne plus la voir passer comme d'habitude, je me fis accompagner d'un gardien de sécurité pour ouvrir sa porte. Mon inquiétude était fondée, elle gisait morte, une bouteille vide d'eau de Javel à ses côtés.

Vous décrire mon sentiment de culpabilité après cette effroyable découverte, je n'y parviendrais pas. Et puis, j'ai réfléchi et compris que je n'étais pas responsable de son choix. Alors, j'ai réagi en me lançant dans une période d'activité intense où j'allais créer deux programmes, les Appels d'amitié et la Tournée des appartements avec un·e représentant·e du SPVM, afin de détecter les besoins d'aide de personnes vulnérables ou fragilisées.

Ces programmes ont prouvé depuis qu'ils peuvent faire la différence. Là réside ma consolation.

À l'approche d'une fin de vie, se tourner vers le concret

Diane, militante, traductrice et entrepreneure

Il refuse de m'entendre parler de mort prochaine, mais ne répugne pas à aborder le sujet lui-même, et je comprends tout à fait son attitude. Peut-être parce que, depuis que je le connais, je le vois vivre dans la douleur – avec une faiblesse pulmonaire doublée d'arthrose et des hanches artificielles. Fils d'un père tuberculeux, il a vécu son enfance entouré de constantes précautions. Il en a gardé la phobie d'être touché, ce qui aurait pu me poser problème. Mais non, le lien entre nous s'est avéré sentimental d'abord et avant tout.

Il faut dire que, jeune femme, j'ai connu pendant cinq ans l'enfer d'un premier ménage violent et ce, à l'étranger puisque mon mari de l'époque et moi avons commencé notre vie commune à Paris où nous étions étudiants tous les deux. Mon désarroi d'alors m'a conduite à me tourner vers le féminisme, lequel m'a permis de comprendre l'étendue de la maltraitance envers les femmes et de militer contre.

De retour au pays, douze ans ont passé pendant lesquels j'ai vécu seule. Échaudée, je ne cherchais pas à me remarier ni ne voulais d'enfant. Mon travail de traductrice et d'enseignante à l'Université me prenait tout mon temps, au point qu'à un moment donné, j'ai eu peine à honorer tous mes contrats. Ma rencontre avec Jean-Jacques, qui œuvrait aussi en traduction, m'a tirée d'affaire. Je l'ai mis à l'essai. Avec succès : il avait un style apte à bonifier le texte le plus médiocre ! Si bien qu'ensemble, nous avons fondé une entreprise.

Et les choses se sont enchaînées. Dans la maison que j'avais achetée sur les entrefaites, bien que chacun de nous y faisait appartement à part, notre relation nous est vite devenue indispensable, car, avons-nous découvert, nous pouvions y exprimer notre colère respective contre nos enfances muselées.

Sans doute faut-il voir dans notre histoire si atypique l'explication de notre rapprochement, encore plus grand depuis l'annonce faite par une pneumologue en janvier 2023 qu'il serait dorénavant forcé de recourir à une bonbonne d'oxygène en permanence. Et me voilà devenue assistante à la prise de pilules, aux déplacements, au réglage du CO2, au tri de papiers. Maintenant, chaque jour compte, nous le passons à discuter des aménagements concrets à faire dans notre mode de vie pour améliorer cette nouvelle phase de notre histoire commune. Le meilleur et le pire se sont confondus. J'espère qu'il en sera ainsi jusqu'à la fin.

En exil, s'ouvrir aux autres

Micheline, épouse aimante

Le mari avec qui vous me voyez aujourd'hui, ce n'est plus le même homme. Atteint d'Alzheimer, il redevient un enfant, et c'est en acceptant cette nouvelle forme de relation, que je continue de lui démontrer mon amour.

Au moment de notre mariage, début des années '70, il venait de sortir de l'Université avec un Bac en électrotechnique et une mineure en enseignement. Premier dans toutes les matières, il a reçu une invitation de la Québec Cartier Mining à venir visiter Gagnon, où on lui offrait un poste bien rémunéré et une maison sur place. Nous étions jeunes, ouverts à l'aventure ; de plus, cette invitation arrivait juste à point, car je venais d'être mise à pied par mon employeur. Notre réponse fut un « oui » enthousiaste.

Cette première expérience d'exil eut ses bons et mauvais côtés, mais elle ne nous découragea pas d'aller vivre ailleurs. C'est ainsi qu'au début de la décennie '80, cinq ans après notre expérience nordique, mon mari fut approché, cette fois, par la section internationale d'Hydro-Québec pour aller enseigner sa spécialité en Afrique. Là encore, nous fûmes partants, même si, nous avertit l'Ambassade, nous aurions, une fois sur le terrain, à censurer nos lettres et à éviter de prendre des photos. C'est seulement là-bas, que, face au spectacle déstabilisant de la misère de nos voisins autochtones, nous avons réalisé qu'en ce pays, le destin était le maître.

Parce que nous nous démarquions des colons sur place par notre simplicité de manières et notre absence de préjugés, on nous a adoptés, ce qui nous a protégés. Partant en voyage, par exemple, nous fûmes avertis de ne pas passer par un certain endroit. Mais la présence d'un danger toujours à redouter, me faisait peur. Par moments, il m'arrivait même de paniquer à la pensée de rester sans possibilité de retour.

Cette période reste pourtant dans mon souvenir comme la plus vivante de mon existence. Nous étions loin de chez nous dans un pays où la mort guette, c'est vrai, mais jamais nous n'avons oublié l'accueil des Africain·es quand ils ont compris que nous n'étions pas venus pour les humilier. Avec eux-elles, qui prenaient le temps de me saluer lors de mes promenades quotidiennes, je me sentais exister comme humaine. Cette sensation, impossible de l'avoir en restant dans son cocon, alors que, sur le qui-vive, la vie apparaît toujours belle et précieuse.


[1] Prénom fictif

Geneviève Manceaux est psychopédagogue et écrivain.

Le texte fait écho à notre dossier « La mort. Territoire politique et enjeu de pouvoir » paru dans notre numéro 98 et qui abordait le sujet selon ses dimensions politiques. Dans la même veine, nous vous invitons aussi à redécouvrir le dossier « Vieillir » de notre numéro 84.

Visuel : Rrawpixel

Il n’y a pas de mémoire révolutionnaire sans illustrations

11 octobre, par Élisabeth Doyon, Rémo — , , ,
Remi, alias Rémo, est illustrateur et bédéiste engagé. Depuis 2017, il réalise du dessin militant sur différentes causes et mobilisations, comme la grève de l'UQAM de 2019 ou (…)

Remi, alias Rémo, est illustrateur et bédéiste engagé. Depuis 2017, il réalise du dessin militant sur différentes causes et mobilisations, comme la grève de l'UQAM de 2019 ou les luttes décoloniales. Il s'est aussi investi auprès de la revue Fêlure. À l'occasion de la sortie de sa bande dessinée autobiographique L'Enfant-Homme, publiée par le collectif d'impression et d'édition féministe indépendant La Guillotine, À bâbord ! a souhaité s'entretenir avec lui.

À bâbord ! : Peux-tu nous parler un peu de ta BD ?

Rémo : Je l'ai rédigée et dessinée en 2020, en plein dans la pandémie. C'est ma première bande dessinée complète, c'est la première fois pour moi. Le thème central, c'est les abus, les abus sexuels, les abus de pouvoir. C'est un récit qui est tiré de ma réalité. Plus jeune, j'ai vécu une situation d'abus grave avec un ami de mon père qui est devenu mon employeur. Je travaillais de manière informelle chez lui : faire du jardinage, du ménage, des petits travaux… J'y ai vécu toutes sortes de violences : psychologiques, verbales et sexuelles. Bien sûr, j'étais très peu payé, bien en dessous du salaire minimum de l'époque. Cet homme compensait mon petit salaire en me donnant de l'alcool à volonté. Très jeune, je me suis donc mis à boire beaucoup, sur mon milieu de travail, c'était en quelque sorte ma paye. Ce contexte, le fait de lier ça au travail, ça a ouvert la porte aux abus. Je le pense maintenant : il n'y a pas une grande distance à parcourir entre être le maître des actions de quelqu'un et être le maître du corps de quelqu'un.

ÀB ! : Comment as-tu représenté ce contexte difficile ?

R. : D'abord il y a la présence continue de l'alcool, mais aussi une dimension cognitive, la mémoire, l'oubli. Subir la violence c'est trop douloureux, trop traumatisant. Ta mémoire l'élimine. Tu l'oublies, même si c'est arrivé la même journée. L'alcool augmentait cet effet. On veut oublier les abus et la violence sexuelle parce que ça fait trop mal. L'alcool endommageait ma mémoire et moi, je voulais qu'elle soit endommagée.

ÀB ! : À qui s'adressent ta BD et ton récit ?

R. : Premièrement, je l'ai fait pour moi. Je suis le premier lecteur, je l'ai fait parce que j'avais besoin de la faire. C'est un moyen de ne pas oublier. Il ne me restait que des flashs. En créant le récit et en le mettant sur papier, il ne peut plus s'envoler. Après, ça s'adresse à beaucoup de gens ! C'est sûr qu'il y a une expérience difficile et il faut une certaine maturité. Ça peut s'adresser autant à des adolescent·es qu'à des adultes. Mon but avec cette publication c'est de montrer une preuve des agressions, une version du moins. Ça se peut. Moi, je l'ai vécu. Si d'autres ont le même vécu, la BD est là pour leur dire : « moi aussi j'en ai vécu, de la violence sexuelle, ça existe ». Aussi, mon vécu est celui d'une agression au masculin, d'un homme et d'un adolescent. On en parle de plus en plus des agressions sexuelles et c'est une très bonne chose. Cette œuvre peut participer à la conversation d'un point de vue masculin, mais aussi le contexte d'abus liés au travail qui est très peu discuté.

ÀB ! : Quelle est la place de la BD pour aborder des sujets aussi difficiles ?

R. : La BD a sa place parmi les arts visuels dans l'ensemble, mais je pense que BD est en expansion au Québec. Il y a de plus en plus de gens qui en lisent, adolescent·es comme adultes. Il y a beaucoup de personnes au Québec qui sont intimidées par l'écrit, pour elles, la BD est un média plus accessible, moins intimidant qu'un roman ou des essais. La BD est un moyen artistique de plus. Aussi, il y a le récit comme tel. Pour moi, c'était très sensoriel : des ambiances, des sensations, des postures corporelles. Je me voyais mal passer ça par l'écrit. Il me fallait des illustrations. Par exemple, dans ma BD, il n'y a pas de décor, c'est des fonds noirs. Ça représente le souvenir, un morceau de mémoire qui flotte dans le vide, comme un cauchemar. Je me voyais mal faire flotter l'écriture pour transmettre ce message. Aussi, le personnage de l'agresseur, il avait plusieurs formes – c'était un ami de mon père, je l'aimais aussi, donc son visage se transforme. Avec la BD, ça passe mieux, on est habitué de voir les personnages changer selon la situation : la malléabilité des formes aidait mon propos avec la force de l'illustration.

Une amie m'a déjà dit : « il n'y a pas de mémoire révolutionnaire possible sans illustration ». Ça m'a marqué, je suis d'accord. Les causes et les difficultés décrites par les gens ont besoin de symboles. L'illustration est un marqueur facile : elle pose des bornes dans la mémoire.

Sans voix : carnets de recherche sur la radicalisation et l’islamophobie

Bochra Manaï, Sans voix : carnets de recherche sur la radicalisation et l'islamophobie, Éditions du Remue-Ménage, 2022, 144 pages. Dans le cadre de la lutte à la (…)

Bochra Manaï, Sans voix : carnets de recherche sur la radicalisation et l'islamophobie, Éditions du Remue-Ménage, 2022, 144 pages.

Dans le cadre de la lutte à la radicalisation, Bochra Manaï souhaite « faire émerger les récits marginalisés et amplifier les paroles absentes ». C'est donc dans un souci de « jeter les bases d'une réelle conversation transformatrice » qu'elle partage la voix des personnes principalement concernées et affectées par le phénomène de radicalisation, mais aussi celle de diverses personnes musulmanes, dont elle-même, dans un contexte national et international d'islamophobie. À travers le partage de son expérience personnelle, des entrevues et rencontres tenues au cours de son projet de doctorat, des interpellations publiques et politiques, de la triste actualité qui opère en parallèle et de la couverture médiatique qui en découle, nous sommes amené·es à découvrir toute la toile d'influences de cette problématique sociale.

En situant ce contexte social et son impact sur les communautés ou les individus, l'autrice réoriente la réflexion autour des sources de la colère ou de la rupture pouvant mener à la radicalisation plutôt que d'associer cette source à la religion, qui ne devient qu'un instrument pour la canaliser. Elle déconstruit l'idée de la radicalisation comme état et met plutôt en lumière le processus d'exclusion qui mène à cette violence. Cette exclusion découle de la création d'un Autre, généralement défini par les systèmes d'oppressions comme le patriarcat, le racisme et l'âgisme. Bochra Manaï nous invite alors à réfléchir à « ce qui se trame derrière nos dénis dès qu'il s'agit d'islamité ou de jeunesse ». Le refus de reconnaître l'islamophobie ou le racisme systémique mène à l'incapacité de saisir l'exclusion sociale, notamment sur la question de légitimité de la parole, de la reconnaissance de l'expérience ou de l'opinion, d'une réelle écoute et donc, d'une rencontre. Cet argument est étayé d'exemples concrets de tensions sociales ayant émergées des événements autour de la présence musulmane : les débats polarisants sur les accommodements raisonnables, la création de la Charte des valeurs ou l'instauration de la loi 21, par exemple.

Pour briser ce cycle, les paroles rapportées et la proximité avec les réflexions et les émotions de l'autrice permettent la rencontre avec l'humain. Manaï nous invite à porter un regard honnête, empathique et sensible sur les vies qui sont impliquées dans ces enjeux souvent réduits à l'actualité polémique et à une action politique déconnectée. L'exemple du plan d'action gouvernemental créé afin d'agir sur la radicalisation démontre l'incompréhension, sinon le refus, de reconnaître et d'agir sur les fondements de cet enjeu et ce, malgré les demandes effectuées par les communautés musulmanes lors des consultations préalables. En effet, dans ce plan, la radicalisation semble déjà uniquement tournée vers les musulman·nes, mais de plus, l'enjeu de l'islamophobie n'y est simplement pas abordé. On en vient rapidement à voir comment une supposée mobilisation politique et citoyenne contre la radicalisation a, en fait, instrumentalisé, omis ou occulté les principaux concerné·es et les racines du problème en accroissant plutôt la sécurité et la vigilance au nom du vivre-ensemble. Sans surprise, un raté.

Au fur et à mesure, on prend aussi conscience de notre propre rôle comme lecteur·rice. Dans un contexte politique et médiatique où toutes les énergies du gouvernement caquiste servent à nier le racisme systémique et l'islamophobie plutôt qu'à essayer de les comprendre, et alors que le sensationnalisme l'emporte, personne n'est à l'abri de la polarisation. Et puisque la radicalisation découle, selon Bochra Manaï, d'une rupture sociale créée par une incompréhension mutuelle, ces carnets permettent la rencontre et favorisent le regard critique et la compréhension.

Fake news - Tout sur la désinformation

Nereida Carrillo et Aberto Montt, Fake news - Tout sur la désinformation, Les 400 coups, 2023, 120 pages. Le tandem à la source de ce livre sur les nouvelles frelatées (…)

Nereida Carrillo et Aberto Montt, Fake news - Tout sur la désinformation, Les 400 coups, 2023, 120 pages.

Le tandem à la source de ce livre sur les nouvelles frelatées s'avère des plus pertinents à l'heure où, tellement souvent, nous sommes englué·es dans la toile et ses méandres. L'ouvrage, tant sur le front documentaire que sur celui d'une proposition graphique percutante, vient stimuler notre curiosité naturelle en prenant soin de nous épauler à devenir plus alertes et critiques face à l'information pléthorique se trouvant sur les internets. Par exemple, le principe de vérification a quelque chose d'incontournable afin de contre-valider l'actualité. On nous y présente ainsi des méthodes de vérification utiles comme PANTERA (provenance, auteur, nouveauté, ton, éléments de preuve, réplique, agrandir). Le grand mérite de ce livre n'est pas de fournir des vérités mais de laisser des questions ouvertes ; notamment au niveau de l'élargissement des perspectives quant à l'information ou encore, pourquoi tel sujet et pas tels autres ? Journaliste, chercheuse, enseignante – et aussi animatrice du projet d'éducation aux médias Learn to Check – Nereida est acrobate sur tous ces sujets. Il en va de même pour le dessinateur Alberto Montt, dont les personnages hyperréalistes et un peu fous (son trait a des parentés avec Gary Larson et Farside Gallery) ajoutent une valeur certaine au contenu. Le Pinocchio en couverture l'illustre à merveille…

Travailler moins ne suffit pas

Julia Posca, Travailler moins ne suffit pas, Écosociété, 2023, 144 pages. Nous rêvons tous de moins travailler. Mais étant donné la place incontournable qu'occupe le (…)

Julia Posca, Travailler moins ne suffit pas, Écosociété, 2023, 144 pages.

Nous rêvons tous de moins travailler. Mais étant donné la place incontournable qu'occupe le travail dans nos vies, nous nous rendons rapidement compte qu'il y a un fossé à franchir entre cette pensée et sa réalisation. On se pose les questions suivantes : est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Quelles en seront les conséquences ? C'est à ces questions que répond adroitement la sociologue Julia Posca dans Travailler moins ne suffit pas.

La réduction du temps de travail a été une des grandes victoires du mouvement social depuis le XIXe siècle, alors qu'un ouvrier pouvait travailler de 10 à 16 heures par jour, pour un nombre estimé à 3000 heures par année. Les progrès sont tels que la prochaine étape consisterait à passer à la semaine de quatre jours, un choix parfaitement envisageable, d'après la démonstration de Posca. Mais avec la pénurie de main-d'œuvre, sera-t-il encore possible de poursuivre dans cette direction ? L'autrice montre que cette pénurie affecte surtout les secteurs où le travail est le plus difficile et les salaires les plus bas, là où les femmes sont majoritaires : le travail du soin et les services. Dans ces cas, il faut bien plus que la semaine de quatre jours pour empêcher ces personnes d'être traitées « comme de simples ressources susceptibles d'être reléguées à tout moment au rang de vulgaire déchet. »

Moins travailler a des conséquences sur la consommation, et incidemment, sur l'environnement. Il s'agit là d'un des aspects les plus intéressants de cet essai. Le développement du capitalisme, surtout dans sa période fordiste, a associé la diminution des heures de travail à une plus grande consommation qui fait rouler l'économie. Aujourd'hui, avec le réchauffement climatique et la crise environnementale, ce modèle ne peut plus tenir. Pour résoudre ce problème, il faut changer la forme des entreprises. La surproduction, les emplois inutiles, mais valorisés, les performances boursières des grandes entreprises sont autant d'obstacles qui font que même si on arrive à une réduction des heures de travail, le monde dans lequel nous vivons sera de plus en plus fragilisé. Julia Posca propose donc de mettre fin à la course au profit, par l'économie sociale, les services publics et les organismes sans but lucratif, davantage préoccupés par la qualité de vie et la justice sociale.

L'essai de Julia Posca, concis et très pédagogique, développe une réflexion globale sur le travail. Les sujets dont on parle beaucoup, comme la pénurie de main-d'œuvre, le rêve de prendre sa retraite à quarante ans, ou les liens entre travail et consommation, sont abordés dans une large perspective qui ramène les débats à leur racine : tout, dans le fond, demeure une question d'organisation sociale, et celle qui est la nôtre n'est pas une fatalité.

Mélanie Joly et ses conflits d’intérêts visés par les postiers en grève

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/10/31cfbaea-432f-49cd-9e68-17e6ba4e89921-scaled-e1760128442865-1024x506.jpg10 octobre, par Comité de Montreal
Les travailleurs de Postes Canada à Montréal ont dérangé ce matin une allocution de la ministre fédérale de l’Industrie. Celle-ci s’adressait dès 8h30 à un événement fermé (…)

Les travailleurs de Postes Canada à Montréal ont dérangé ce matin une allocution de la ministre fédérale de l’Industrie. Celle-ci s’adressait dès 8h30 à un événement fermé réservé à l’élite économique montréalaise. Il fallait débourser 130$ par personne pour assister à son discours de moins (…)

COP 30 : les communautés autochtones en première ligne pour l’environnement

10 octobre, par Mariam Jama-Pelletier
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Des vinyles de grève au streaming militant : le retour du son collectif

9 octobre, par Mégane Arseneau
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Mégane Arseneau, correspondante en stage À l’heure du streaming et des écouteurs individuels, Strike While the Needle Is Hot de Josh MacPhee ressuscite une culture militante oubliée : celle des albums créés par des grévistes. L’auteur explore comment le vinyle a servi d’outil de solidarité (…)

Îlot de la Caserne : poursuite des expropriations sur l’Île de Hull

9 octobre, par Rédaction
L’histoire du Vieux-Hull, qui constitue le centre-ville du Gatineau actuel, est celle des expropriations et des évictions. Dans les années 1960 et 1970, des rues complètes ont (…)

L’histoire du Vieux-Hull, qui constitue le centre-ville du Gatineau actuel, est celle des expropriations et des évictions. Dans les années 1960 et 1970, des rues complètes ont été rayées de la carte pour faire place à des bâtiments publics, principalement du gouvernement fédéral. Il y eut des milliers de personnes déplacées. Certains parlent de 6000 exproprié·e·s et quelque 2000 logements démolis.[1]

Aujourd’hui, la ville de Gatineau vit une crise du logement[2]. Pourtant, les démolitions continuent. Sur l’Île de Hull, un parc immobilier vieillissant et souvent mal entretenu et un gouvernement municipal à l’écoute des promoteurs se combinent pour inviter à la spéculation immobilière et à la démolition. L’embourgeoisement fait son œuvre. On expulse les citoyens et citoyennes de leur quartier et on modifie le visage « ouvrier » historique du Vieux-Hull.

L’histoire de l’Îlot de la Caserne s’avère un microcosme de cette transition. Nous remercions Anna Salter et Bill Clennett de nous avoir accordé du temps pour documenter cette histoire. Anna est à l’origine d’un projet d’histoire orale qui expose le point de vue des personnes déplacées[3] et Bill Clennett est un militant de longue date à la défense des plus démuni·e·s, notamment pour revendiquer plus de logement social.

L’histoire de l’Îlot de la Caserne se déroule en 2023 et 2024 sur l’Île de Hull, à l’ombre du pont interprovincial reliant Gatineau à Ottawa. Un promoteur immobilier montréalais, Oktodev, y propose la construction d’un immeuble de 10 étages, comprenant 298 logements, à l’angle des boulevards Maisonneuve et des Allumettières. Puisque le secteur se situe à une relative proximité de la rivière des Outaouais, il est convoité depuis longtemps par les promoteurs.

Douze terrains sont au cœur de la saga de l’Îlot de la Caserne. La moitié de ceux-ci sont habités, ce qui soulève d’importants problèmes humains. Les six autres lots sont vacants et appartiennent à la municipalité de Gatineau. Cette partie de l’histoire pose l’enjeu du passage de terrains publics à des intérêts privés.

Le projet Îlot de la Caserne fait partie d’une nouvelle vague d’expropriations et d’expulsions sur l’Île de Hull, cette fois-ci l’œuvre des forces du marché. Les démolitions récentes[4] et celles revendiquées par les promoteurs se situent dans un continuum historique. Débutant par les expropriations massives des années 1970 par les gouvernements du Canada et du Québec, le continuum se poursuit plus récemment par la déstructuration et l’embourgeoisement de ce vieux quartier ouvrier avec l’arrivée de grandes tours. Plusieurs maisons acquises par les promoteurs, vidées de leurs occupantes et occupants, sont laissées à l’abandon en attendant le pic des démolisseurs.

Dans ce contexte, le projet de l’ensemble résidentiel de l’Îlot de la Caserne n’est pas insignifiant. Il illustre bien les contradictions d’une ville où les intérêts économiques liés à son développement – et donc, forcément, aux promoteurs – passent trop souvent avant ceux des citoyens et citoyennes qui l’habitent.

Évictions, démolitions : un enjeu humain

En novembre 2023, les ménages habitant au 206 boulevard Maisonneuve et du 223 au 237 rue Champlain reçoivent une lettre les avisant de quitter les lieux avant le 31 mars 2024, quelle que soit la date d’échéance de leur bail. Signé par une entreprise de gestion immobilière, Gestion Vesta[5], cet avis d’éviction les informe aussi que les démolitions commenceront en avril 2024, soit le mois suivant leur départ.

L’avis d’éviction a l’effet d’un électrochoc sur les personnes touchées. La majorité d’entre elles vivaient dans le quartier depuis plusieurs années, certaines depuis des décennies. Conscients de la possibilité d’un développement futur de leur quartier, tous ont un bail et se croient protégés par les lois du Québec. Personne ne s’attend à un déracinement brutal.

En raison d’un manque de connaissance de leurs droits, dont les droits spécifiques aux cas de démolition[6], les locataires n’ont pas compris qu’ils avaient le droit de rester dans leur logement jusqu’à la fin de leur bail. Ils ne le savaient pas, mais ni le promoteur ni la Municipalité ne les en ont informés. Avec une meilleure connaissance de la loi, les locataires auraient pu gagner un peu de temps. Par contre, même une connaissance fine de la règlementation gatinoise n’aurait pas permis à ce groupe de locataires de savoir que, par rapport à 2021, leurs droits de locataires étaient réduits. Cela, les locataires n’auraient pu le savoir, car la Ville de Gatineau est loin d’être transparente…

Un brin d’histoire

Que s’est-il passé en 2021, soit quelque temps avant la saga de l’Îlot de la Caserne ? Le même promoteur que celui derrière le projet de l’Îlot de la Caserne présente alors le projet Éléonore dans le même quartier, soit dans l’axe des rues Marston et Notre-Dame-de-l’Île. Celui-ci s’appuie aussi sur l’éviction de plusieurs locataires et la démolition de huit bâtiments, dont six « maisons allumettes ».

Les maisons allumettes

Les maisons allumettes dominent le paysage urbain de Hull depuis plus de 150 ans. Construites en bois, ces maisons revêtent une apparence particulière. D’une façade étroite, construites en hauteur, avec un toit très pentu à deux versants, elles sont historiquement alignées les unes à côté des autres. Selon certains, cet agencement leur donne l’apparence d’allumettes cordées dans leur boite.

L’historienne Michelle Guitard offre une autre interprétation de l’expression « maison allumette ». À l’époque, on achetait ces immeubles sur des catalogues. Sur la couverture d’un des catalogues, on retrouvait un dessin d’allumettes, un clin d’œil à la fabrique d’allumettes d’E.B. Eddy, un grand employeur de la région au début du XXe siècle.

Peu importe l’origine du nom, pendant longtemps ce sont surtout les familles ouvrières qui habitent ces maisons.

Aujourd’hui, les maisons allumettes sont menacées. Depuis 2021, la Ville de Gatineau a autorisé la démolition de 31 d’entre elles sur l’Île de Hull. En janvier 2025, un moratoire empêchant les démolitions futures est adopté, le temps de faire le point sur l’avenir de ce patrimoine bâti.

Photo : JeanPaulGRingault, 13 mars 2021, CC-BY-SA-4.0

Anna Salter, citoyenne nouvellement arrivée à Gatineau, vit à proximité du projet immobilier Éléonore, proposé par Oktodev. S’appuyant sur les règlements mêmes de la municipalité, Anna et un voisin demandent à la Ville de Gatineau de tenir des audiences publiques avant que les démolitions ne s’enclenchent. Les deux intervenants estiment que le promoteur ne respecte pas la procédure inscrite dans le règlement municipal concernant les droits des locataires.

La Ville refuse la demande, prétendant que les deux intervenants ne sont pas des « parties intéressées » puisqu’ils n’habitent pas les maisons touchées. Le promoteur obtient le feu vert et les démolitions se font. La Ville réécrit même le règlement municipal pour éliminer toute référence aux droits des locataires en cas de démolition. On y revient à la fin de l’article.

Impact sur les personnes

Les douze ménages du secteur de l’Îlot de la Caserne qui ont reçu un avis d’éviction en novembre 2023 pour une démolition prévue en avril 2024 croient qu’ils n’ont que quatre mois pour quitter les lieux, trouver un nouveau logement et déménager. Aux dires de Bill Clennett, « tout cela se fait au milieu d’une crise du logement sans précédent, avec des centaines de personnes sans-abri dans les rues de Gatineau… »

Au moins l’un des locataires évincés évoque ouvertement sa peur de se retrouver dans la rue : « Dès que je reçois l’avis d’éviction, je me précipite pour trouver un nouveau logement ». L’anxiété le pousse à quitter son domicile des mois avant d’y être obligé. Premier locataire à partir, il finit par payer beaucoup plus cher que pour son logement sur la rue Champlain, et cela, pour vivre dans un appartement situé dans un sous-sol et infesté de vermine.

Tous les locataires sont dévastés à la fois par leur éviction rapide et par l’incapacité qui en résulte de trouver un logement convenable. Tous paient un loyer beaucoup plus élevé après la relocalisation que celui payé avant.

« Donc, pour être clair, ces personnes ont été expulsées par une entreprise qui n’a pris aucune responsabilité pour leur trouver un autre logement convenable. » (Anna Salter)

Bref, toutes et tous se sentent laissés pour compte et seuls pour faire face à une situation qui leur est imposée, et ce, malgré les belles paroles rassurantes de Gestion Vesta que l’on retrouve dans l’avis d’éviction : « Sachez que nous travaillerons étroitement avec vous pour vous aider à vous trouver un nouveau logement et que nous demeurons disponibles pour tout questionnement que vous avez à ce sujet ».

Dans les faits, la compagnie ne respecte les droits des locataires ni en matière d’indemnisation ni par rapport au paiement de frais de déménagement tels que déterminés par la loi. À un locataire qui demande de l’aide, le gestionnaire affirme que la relocalisation incombe à l’évincé et que c’est le problème du locataire si son nouveau logement coûte trop cher !

Un témoignage résume bien la situation de chaque ménage exproprié :

«Je ne pouvais même pas trouver un 3 ½ pour un prix similaire à Gatineau, Et certainement pas un 4 ½ comme le logement d’où je me suis fait expulser. Je suis un employé de la ville de Gatineau, mais je ne réside plus à Gatineau, je ne peux plus me le permettre. J’ai été gentrifié de la ville qui est mon employeur[7]

Plus que des bâtiments

Le projet de l’Îlot de la Caserne démolit bien plus que six bâtiments. Il détruit un écosystème urbain complexe, à commencer par sa communauté de vie. Outre le fait que certains locataires y vivent depuis des décennies, c’est une communauté d’une diversité remarquable : économiquement (fonctionnaires fédéraux et municipaux, camionneurs, employé·e·s de Postes Canada, étudiants et étudiantes, retraité·e·s), socialement (familles monoparentales, avec enfants, couples queers, célibataires), linguistiquement (anglais et français, entre autres langues) et composée de groupes variés (autochtones, haïtiens, asiatiques, africains).

« En tant que société, nous parlons souvent d’inclusion. Cette histoire est un exemple parfait de la façon dont notre discours sur l’inclusion est trop superficiel. Comme société, nous avons littéralement jeté un microcosme de diversité dans la rue. » (Anna Salter)

En détruisant un environnement mature du centre-ville, le projet immobilier de l’Îlot de la Caserne comporte un prix écologique. Un locataire déplore les répercussions du projet sur les oiseaux et les arbres de sa cour. Le nouvel immeuble de 10 étages perturbe l’équilibre architectural du quartier. Plusieurs maisons allumettes sont rasées. Les 298 logements prévus attireront une clientèle d’une autre classe sociale qui n’est pas celle qui réside sur l’île de Hull depuis plus de 150 ans. Et, ironie du sort, la caserne de pompiers numéro 3, citée comme patrimoniale en 1991 et dont le secteur porte le nom, sera largement éclipsée par le bâtiment moderne présentement en construction.

La cession de terrains publics à des intérêts privés

Pour réaliser le projet de l’Îlot de la Caserne, le promoteur a dû acquérir une douzaine de terrains. Pendant qu’il mettait la main sur des terrains habités en procédant à l’expulsion des locataires, il a dû conclure une entente avec la Ville de Gatineau pour acquérir des terrains vacants !

Un règlement de la Ville l’oblige à faire un appel d’offres public pour toute vente ou cession de terrains municipaux, mais quelques exceptions permettent à la Ville d’outrepasser le processus d’examen public. Dans le cas de l’Îlot de la Caserne, la Municipalité s’est justement prévalue d’une exception et la cession des terrains municipaux s’est faite sans examen public.

Claude Royer, de l’Association des Résident·e·s de l’Île-de-Hull (ARIH) l’a soulevé lors d’une audition du conseil municipal de Gatineau le 28 février 2023 : « Il est publiquement apparu dès 2022 qu’Oktodev comptait acheter les terrains de la Ville pour son projet, une vente à laquelle la Ville allait acquiescer sans vraiment suivre ses propres règles de mise en vente d’actifs immobiliers[8] ».

Bill Clennett abonde dans le même sens : « La vente des six terrains municipaux au promoteur pour son projet n’était pas conforme à la politique relative aux transactions immobilières. Les autorités municipales ont changé quatre fois leur justification de la vente de ces terrains pour conclure qu’elle était conforme à la politique à cause d’une offre d’achat, offre qui n’existait pas au moment où elles ont confirmé leur intention de recommander la vente des terrains[9] ».

Bref, en pleine crise du logement et peu de temps avant que la municipalité héberge des personnes itinérantes dans des conteneurs, la Ville a contourné son propre règlement pour faciliter le passage de terrains publics à des promoteurs privés. C’est comme si les autorités municipales ne saisissaient pas la belle occasion d’utiliser ses terrains disponibles pour des fins sociales, dont la construction de logements sociaux ou coopératifs.

Conséquences de l’embourgeoisement sur le Vieux-Hull

Les paroles déjà citées d’un employé municipal évincé de son logement à cause du projet de l’Îlot de la Caserne sont éloquentes : « J’ai été gentrifié de la ville qui est mon employeur ». Le projet immobilier de l’Îlot, comme ceux de Ludger-Duvernay et Éléanore, et celui à venir sur les rues Kent et Laval près de Victoria contribuent à la modification du visage « ouvrier » de l’Île de Hull. Un tel virage est voulu par les autorités municipales. En effet, le plan d’urbanisme s’appuie simultanément sur l’embourgeoisement du centre-ville et sur l’expulsion des personnes en situation de pauvreté. Le projet de l’Îlot de la Caserne s’insère dans ce plan.

Une autre façon de « moderniser » le centre-ville consiste à reconfigurer les logements existants. Autrefois, on subdivisait une maison allumette en deux ou trois logements, multipliant ainsi le nombre de logements sur un même espace. Maintenant, l’intention de la Ville est d’encourager les professionnel·le·s et leurs familles à racheter ces logements, à en expulser les locataires, et à les utiliser ensuite comme une maison unifamiliale haut de gamme.

Une situation qui amène Bill Clennett à conclure : « Entre la démolition de logements populaires existants au profit d’immeubles plus hauts et plus chers et la rénovation d’une partie du parc immobilier restant, la Ville obtient ce qu’elle veut. Et ce n’est rien de bon pour les gens qui vivent ici depuis de nombreuses années ».

Les retombées

Le court délai entre l’avis d’éviction et le début des démolitions n’a pas facilité une mobilisation citoyenne large pour s’opposer au projet de l’Îlot de la Caserne. Vu sur un continuum entre les projets passés et ceux à venir, cela témoigne que la soif de projets immobiliers ne s’étanche pas en ce qui concerne le centre-ville de Hull.

Cependant l’Îlot de la Caserne a réveillé les gens du quartier et a sensibilisé l’Association des Résident·e·s de l’Île-de-Hull sur l’enjeu des droits des locataires. Ce réveil n’a pas permis de faire dérailler le projet, mais la suite démontre une implication accrue des citoyennes et citoyens qui font davantage de pressions auprès des élu·e·s et dans les instances municipales concernant l’enjeu des droits et celui de la disparition du patrimoine bâti.

L’histoire de l’Îlot de la Caserne illustre le peu d’information disponible pour les personnes évincées concernant leurs droits de locataires qui doivent faire face à une éviction en vue d’une démolition. Le plus choquant est que les locataires évincés lors du projet précédent étaient « protégés » par un règlement municipal qui a été réécrit subséquemment… mais ils ne le savaient pas. Bref, la Ville de Gatineau a enlevé la protection des droits des locataires dans son règlement sur les démolitions.

Pour combler le manque d’information sur les droits des locataires, l’ARIH a produit, en 2023, un dépliant qui rassemble dans un même endroit les différents règlements municipaux que les locataires doivent connaitre pour pouvoir défendre leurs droits et pour effectuer une contestation en cas d’une démolition annoncée.

L’ARIH a aussi publié un recueil, Une histoire orale de démolition et d’éviction sur l’île de Hull : le projet de l’îlot de la caserne[10], qui permet aux citoyennes et citoyens impliqués dans les évictions à l’Îlot de la Caserne de faire entendre leurs voix. L’Association a utilisé ainsi l’histoire orale comme un outil pour la justice sociale et le changement social. Pour reprendre les mots de l’historien social anglais, Paul Thompson : « L’histoire ne doit pas seulement réconforter ; cela doit offrir un défi et une compréhension qui aident au changement ».

L’Histoire orale

« J’adorerais que le livret soit lu et que son histoire rayonne. Parce que son objectif était de dire, vous savez, que les promoteurs ont gagné dans le sens où ils ont réussi à expulser prématurément les locataires et à ne donner à la majorité d’entre eux aucune compensation financière.

Mais cela ne veut pas dire qu’en tant que quartier, nous avons complètement perdu notre voix. En fait, nous avons essayé de reconquérir notre pouvoir à travers quelque chose comme cette histoire orale. Nous avons toujours une voix. »  (Anna Salter)

Petite victoire

En janvier 2025, à la suite des nombreuses interventions de l’ARIH et des citoyennes et citoyens concernés, la Municipalité de Gatineau adopte des modifications significatives au règlement municipal sur les démolitions, dont des modifications en faveur des droits des locataires. Ce faisant, la Ville « répare l’erreur de 2021 », selon l’élu du district de Hull-Wright, Steve Moran.

L’erreur en question était le retrait de l’obligation pour les promoteurs eux-mêmes, ou pour leur compagnie de gestion immobilière, d’informer les locataires de leurs droits dans le cas d’une démolition. Ces droits portent sur le délai pour évincer un locataire et sur les indemnisations.

Les interventions du milieu n’ont pas forcé le promoteur à reculer sur le projet de l’Îlot de la Caserne, mais elles ont forcé les autorités municipales à revoir leurs règlements injustes. Il reste à revendiquer et à obtenir l’obligation de consulter la population si jamais une autre administration municipale tente de restreindre à nouveau les droits des locataires.

Par Vincent Greason, militant sociocommunautaire


  1. Cet article se base sur une entrevue effectuée en anglais avec Bill Clennett et Anna Salter le 24 janvier 2025. L’entrevue a été réalisée par Vincent Greason.
  2. François Saillant, La situation du logement à Gatineau et son impact sur les droits humains, Montréal, Ligue des droits et libertés, 2021.
  3. Daniel Cayley-Daoust et Anna Salter, Une histoire orale de démolition et d’éviction sur l’île de Hull : le projet de l’îlot de la caserne, Gatineau, Association des Résident·e·s de l’Île-de-Hull (ARIH), 2024.
  4. Anne-Charlotte Carignan, « Une trentaine de démolitions de maisons allumettes autorisées depuis 2021 », Radio-Canada, 28 mars 2024.
  5. Gestion Vesta est une compagnie gatinoise embauchée par les promoteurs montréalais principalement pour ramasser l’argent des loyers des locataires.
  6. Le cas de l’Îlot de la Caserne met en relief la différence entre les droits des locataires évincés lors d’une « rénoviction » et ceux évincés lors d’une démolition. Les locataires faisant face à une rénoviction sont protégés par le Tribunal administratif du logement (TAL), autrefois la Régie du logement. La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme encadre les cas de locataires en situation d’une démolition. Voir aussi : Martin Comtois, « Adieux difficiles aux maisons allumettes : des locataires plient bagage à contrecœur », Radio-Canada, 29 mars 2024.
  7. Cayley-Daoust et Salter, 2024, op. cit., p. 23.
  8. Cayley-Daoust et Salter, ibid., p. 59.
  9. Ibid., p. 55.
  10. Cayley-Daoust et Salter, 2024, op. cit.

 

L’âme de l’île Saint-Barnabé

9 octobre, par Marc Simard
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Salvador : les mouvements sociaux au front contre les attaques de Bukele

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Insurrection judiciaire ?

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C'est l'expression employée par Stephen Miller, suprémaciste blanc et actuel chef-adjoint du cabinet de Donald Trump, après qu'un juge de l'Oregon ait eu le culot de suspendre la décision d'envoyer 300 militaires de la garde nationale dans les rues de Portland.

Contrairement à cet épigone du propagandiste nazi Joseph Goebbels, le juge n'a pas réussi à voir dans les mobilisations contre la chasse aux migrant·es et l'Immigration and Customs Enforcement (ICE), un « danger de rébellion ». Il n'a pas non plus constaté que la ville était une « zone de guerre » infestée de « terroristes de l'intérieur ».

Pour la défense de Stephen Miller, on doit reconnaitre que le silence assourdissant des Démocrates et l'apathie sidérante des centrales syndicales étatsuniennes, peuvent laisser croire que les juges et le système judiciaire étatsuniens sont effectivement l'avant-garde de la résistance et les seuls capables de se soulever contre l'ordre établi, contre les atteintes aux droits des femmes, les licenciements de masse de ces « traitres » de fonctionnaires et la politique néofasciste et écocidaire de Trump, Vance, Hegseth, Bondi etc. On entend effectivement davantage parler du succès de la formule « See you in court » lancée par la gouverneure du Maine, Janet Mills, à Donald Trump en février 2025, des « revers judiciaires » de son administration en matière de droits de douane, des actions judiciaires de jeunes militant·es contre la politique pétrolière de l'administration Trump, des petits cabinets d'avocats « prêts à en découdre », que des appels à la mobilisation de l'AFL-CIO ou des Démocrates.

Certain·es pourraient avoir la même impression au Québec. L'absence d'alternative crédible à gauche et de mobilisations syndicales contribuent également à laisser croire que seuls les tribunaux sont aujourd'hui en mesure de s'opposer aux attaques systémiques du gouvernement Legault contre les services publics, les droits de la classe ouvrière, des femmes, des étrangères et des étrangers, contre l'environnement et plus récemment, contre les fonctionnaires qui se « revirent de bord » .

De fait, à chaque nouveau projet de loi liberticide, à chaque remise en cause des droits des travailleurs et des travailleuses (laïcité, PL21 ; droit de grève, PL89 ; liberté syndicale, PL993 ; Santé et sécurité au travail, PL101 etc.), à chaque nouveau scandale financier ou environnemental (Northvolt, Saaqlic, IBM, Stablex, Amazon, Fonderie Horne, Airbus etc.) Québec solidaire et les centrales syndicales ne manquent pas de s'insurger avec véhémence, dans les médias ou en commission parlementaire et d'organiser des petites manifestations. Ils clament que la « coupe est pleine », que « trop c'est trop », qu'on ne se laissera pas faire etc. Puis, le temps d'un nouveau scandale, on apprend qu'un recours judiciaire a été déposé. Et on passe au scandale suivant et au recours suivant.

Certes, les victoires judiciaires sont toujours bonnes à prendre ; que ce soit l'annulation d'une procédure d'expulsion d'un sans-papier, la suspension d'un décret qui restreint le droit à l'avortement ou, pour prendre un exemple exotique et rafraichissant car tellement inespéré, la condamnation d'un ancien président de la République française pour association de malfaiteurs. Pour toutes ces raisons, il n'est pas question ici de suggérer de déposer l'arme du droit sans combattre.

Mais faut-il pour autant délaisser le terrain de la construction de solidarités, de l'unité et de la mobilisation sociale ? En effet, comment expliquer l'effacement des Démocrates et de l'AFL-CIO lors des manifestations historiques du « No kings protests » de juin 2025 ? Comment expliquer l'effacement de Québec solidaire et la division syndicale lors de la grève historique des enseignantes, à l'automne 2023 ? Comment expliquer qu'après la plus importante attaque de ces quarante dernières années contre le droit du travail, selon les centrales syndicales elles-mêmes, il ait fallu plus de huit mois pour qu'elles appellent à une manifestation intersyndicale... le 29 novembre prochain ?

En attendant des réponses, ces éléments factuels peuvent effectivement donner l'impression que le « See you in court » s'est substitué au « On se voit à la manif » ; que l'espoir d'une insurrection judiciaire, historiquement et sociologiquement hautement improbable, s'est substitué à celui d'une insurrection socialiste, antiraciste, féministe, écologique, internationaliste qui n'a peut-être jamais été si nécessaire et urgente.

Martin Gallié, 8 octobre 2025

PS : et pour se faire une idée de Portland comme "zone de guerre", une vidéo d'une manifestation devant les bureaux de l'ICE à Portland, le 7 octobre 2025 : https://www.facebook.com/jamie.alongi.33/videos/24710589775260304/?idorvanity=959208695816460

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2 octore 2025

Intelcom Courier Inc. était à l'époque un important donateur libéral, dont le fondateur et président-directeur général, Daniel Hudon, était également collecteur de fonds et ancien membre du comité des finances de l'aile québécoise du Parti libéral du Canada, dont le président était nul autre que… Clément Joly, père de Jean-Sébastien et Mélanie Joly (1)

André Ouellet, le PDG de Poste Canada qui avait autorisé le rachat d'Intelcom par la société d'État avait été éclaboussé en 2004 par un rapport de vérification de la firme Deloitte Touche, commandé dans la foulée du scandale des commandites, qui lui reprochera d'être « intervenu à maintes reprises dans l'attribution de contrats totalisant 35 millions » et d'avoir « demandé à ses subalternes de trouver du travail à plus de 80 personnes ». (2)

Ancien directeur financier chez Mediagrif, Jean-Sébastien Joly s'est joint à Intelcom en 2007 comme vice-président, finances et opérations, et a racheté l'entreprise à son fondateur, Daniel Hudon, en 2017, avec la participation de la Caisse de dépôt et de la Banque de développement du Canada (BDC). (3)

Avec le soutien de la CDPQ (Caisse de dépôt et placement du Québec), reconnue pour son mépris des travailleurs, le frère de la ministre Joly entame une grande expansion des activités de la compagnie. En quelques années, l'entreprise fait bâtir des centres de tri à Montréal et Toronto qui représentent des investissements de 31 millions de dollars. Durant la même période, leur nombre d'employés passe de 300 à 2500 plus 3000 « indépendants » qui sont en réalités des travailleurs précaires.

Pendant la grève de décembre 2024, Postes Canada a d'ailleurs fait appel à des briseurs de grève en ayant recours à des sous-traitants comme Purolator et Intelcom pour expédier des colis qui devaient être traités par les grévistes.

Jusqu'en 2022, aucune mesure de prévention des conflits d'intérêts n'empêche Mélanie Joly de donner un traitement préférentiel à la compagnie de son frère. Il y a trois ans, un « filtre » anti-conflits d'intérêts, administré par la sous-ministre et la cheffe de cabinet de Joly, est mis en place pour s'assurer que la ministre ne favorise pas l'entreprise de son frère. (4)

Mais ce n'est que de la poudre aux yeux, Melanie Joly n'a plus besoin de favoriser l'entreprise de son frère, c'est déjà fait. Elle et son gouvernement, en s'activant à démanteler le système postal public, visent nécessairement à avantager les compagnies privées comme Intelcom au détriment de Poste Canada.

L'acharnement du gouvernement libéral n'a rien à voir avec la supposée problématique de rentabilité. Cette offensive est de deux ordres, premièrement le transfert du service de livraison des colis vers les compagnies privées, qui font dans l'ensemble d'énormes profits, et l'affaiblissement de la combativité ouvrière. Donc des profits plus grands pour leurs amis, les dirigeants de ces compagnies et la réduction des salaires ainsi que l'affaiblissement des conditions de travail et surtout de la combativité ouvrière.

Tel est le motif du Parti Libéral de Carney en ce moment, affaiblir les syndicats, les salaires et conditions de travail pour enrichir encore plus les entreprises. Le cas d'Intelcom en est un exemple. Il n'exploite pas de véhicules de livraison puisqu'e cette compagnie le donne en sous-traitance à de petites et moyennes entreprises qui offrent ce genre de service. (5) Ce fonctionnement rend encore plus difficile la syndicalisation puisque ce sont des employéEs assujettis à contrat individuel. Au lieu de travailleurs et travailleuses syndiqués avec des conditions de travail et salariales décents, le travail est transféré vers des entreprises où les travailleurs sont atomisés et sans rapport de force.

Le gouvernement libéral ainsi que la direction de Poste Canada ont donc fabriqué un récit de crise financière qui camoufle leur véritable objectif. Pour ajouter au scandale, Poste Canada a du admettre, lors d'une période de questions avec des députés, avoir versé des millions de dollars en primes à sa haute direction au cours des deux dernières années. Si une entreprise perd de l'argent et se dirige vers la faillite, pourquoi ses dirigeants recevraient-ils des primes ? (6)

Postes Canada est actionnaire à 91 % de Purolator. Les revenus de Purolator au cours des quatre dernières années se sont élevés en moyenne à environ 2,5 milliards de dollars. Postes Canada a donc sommes toutes beaucoup d'argent, mais ce que cela signifie également c'est que si Postes Canada avait le privilège exclusif de la livraison du colis comme c'est le cas pour la poste-lettre, il serait bien au-dessus du seuil de rentabilité.

Suite à la création d'un syndicat, Amazon a fermé ses sept installations au Québec, ce qui a entrainé le licenciement d'environ 2000 personnes. Intelcom avait déjà signalé, qu'elle était prête à prendre la relève. « Nous avons une relation de longue date avec [Amazon] et nous continuerons de collaborer étroitement pour équilibrer leurs besoins de livraison au Québec », avait souligné l'entreprise dans une déclaration. Mais Intelcom n'exploite pas de véhicules de livraison, les employéEs licenciéEs ne seront donc pas repris et les emplois sont maintenus en situation précaire de sous-traitance.

Postes Canada persiste à imposer des reculs, la mobilisation s'organise

Selon le syndicat pratiquement tout ce qui figurait dans les offres patronales de mai dernier reste inchangé. Les dernières offres comportent toutefois quelques nouveaux reculs, notamment l'abolition de la sécurité d'emploi, une zone de réaménagement des effectifs de 60 km lors des réorganisations et des suppressions d'emplois directe. La présidente du syndicat Jan Simpson dénonce l'attitude de Postes Canada qui a fait attendre les membres du syndicat 45 jours pour leur présenter des offres pires que celles rejetées en août. Postes Canada savait pertinemment que les membres ne pourraient pas accepter ces nouvelles offres, elle cherche clairement à gagner du temps. (7)

Les membres du syndicat ont démontré leur détermination. Ils ont été mobilisés partout à travers le Canada. À Montréal ils ont innové en organisant conjointement une manifestation avec le Syndicat des employées d'entretien de la STCUM (CSN) également en grève. Devant une offensive patronale et gouvernementale qui s'en prend à tous les syndicats, l'organisation d'une riposte intersyndicale est une initiative qu'il faut saluer, il faut maintenant qu'elle devienne populaire. Tous les mouvements et organismes progressistes de gauche doivent maintenant emboiter le pas dans ce mouvement.

Sources :

(1) https://www.lautjournal.info/20250523/melanie-joly-amazon-et-intelcom-un-parfum-de-favoritisme-et-de-privilege
(2) Idem
(3) https://etoiledunord.media/2025/03/la-compagnie-sous-traitante-pour-amazon-au-quebec/
(4) Idem
(5) https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2025-01-24/sous-traitant-d-amazon/grosse-prise-immobiliere-pour-intelcom.php#
(6) https://www.prpeak.com/sponsored/postal-workers-have-their-say-9902307
(7) https://www.sttp.ca/fr/postes-canada-ne-prend-pas-les-n%C3%A9gociations-au-s%C3%A9rieux

Un LOUPerivois dans la bergerie : Les gars, sacrament !

7 octobre, par Marc Simard
J’roule déjà à 95 kilomètres à l’heure dans une zone de 90. J’pousse même un peu parce qu’on dirait que le tarla qui m’colle au cul veut manger le darrière de mon char. Dans (…)

J’roule déjà à 95 kilomètres à l’heure dans une zone de 90. J’pousse même un peu parce qu’on dirait que le tarla qui m’colle au cul veut manger le darrière de mon char. Dans mon rétroviseur : sa face crispée par la rage, les plis sur son front qui font comme le lit d’une rivière asséchée, ses (…)

L’État sans la libération : la réponse de l’Europe face au génocide en Palestine

7 octobre, par Diana Buttu, Inès Abdel Razek, Yara Hawari — , ,
Depuis octobre 2023, l'assaut colonial d'Israël contre Gaza a produit l'une des plus grandes catastrophes de l'histoire récente — un génocide en cours rendu possible par les (…)

Depuis octobre 2023, l'assaut colonial d'Israël contre Gaza a produit l'une des plus grandes catastrophes de l'histoire récente — un génocide en cours rendu possible par les puissances occidentales qui soutiennent Israël, et qui se poursuit sans relâche malgré l'immense solidarité mondiale pour la Palestine.

En réponse à cette catastrophe, plusieurs États européens ont commencé à reconnaître l'État de Palestine. En septembre 2025, la France, le Royaume-Uni, la Belgique, entre autres, ont reconnu l'État palestinien. La vague récente de reconnaissances symboliques, initiée en 2024, semble désormais être la seule mesure que beaucoup de puissances européennes soient disposées à prendre face au génocide, après deux années de soutien moral, militaire et diplomatique continu au régime israélien.

Parce qu'il est impératif de faire entendre les voix palestiniennes à ce sujet, nous publions cet entretien avec trois analystes politiques du think tank palestinien al-Shabaka— Diana Buttu, Inès Abdel Razek, et la codirectrice d'al-Shabaka, Yara Hawari – initialement publiésur leur site.

Réalisé le 14 août 2025 sous la forme d'une table-ronde, cet entretien aborde les questions suivantes : pourquoi les pays européens reconnaissent aujourd'hui l'État palestinien, soit près de quarante ans après sa proclamation en 1988 ? Quels intérêts politiques motivent cette vague de reconnaissances ? Et que signifie reconnaître un État palestinien, sur le papier, tout en soutenant l'État colonial israélien ?

1 octobre 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/palestine-etat-sans-liberation-genocide/

La reconnaissance de l'État palestinien constitue-t-elle une réelle avancée ?

Diana Buttu : Il est essentiel de replacer la vague actuelle de reconnaissances dans un contexte historique. L'effort pour obtenir la reconnaissance de l'État palestinien n'a pas commencé en 2024 comme réponse au génocide ; il remonte à 2011. À la suite de l'assaut israélien sur Gaza en 2008-2009, l'Autorité Palestinienne (AP) s'est retrouvée politiquement démunie.Avec l'effondrement du cadre de négociation basé sur la solution à deux États et sans processus de paix en vue, le président Mahmoud Abbas s'est tourné vers l'arène internationale.

Privé de stratégie viable, Abbas a lancé la campagne pour la reconnaissance avec deux objectifs : renforcer la position de l'Autorité Palestinienne — dont le rôle d'entité transitoire avait depuis longtemps expiré — et retrouver une place sur la scène politique. Désormais surtout connue pour son rôle de sous-traitant sécuritaire du régime israélien, l'AP avait un besoin urgent de légitimité. En même temps, la campagne offrait aux États européens un moyen d'éviter la confrontation avec Israël — confrontation qui aurait exigé des mesures telles que des sanctions ou des embargos.

Ce cas de figure s'est répété en 2024, lorsque l'Irlande, l'Espagne, la Norvège, la Slovénie, et plus récemment la France et le Royaume-Uni, ont accordé une reconnaissance en réponse au génocide en cours. La stratégie sert à la fois l'AP et les États européens : elle soutient une autorité discréditée tout en offrant aux puissances occidentales un moyen commode d'éviter toute responsabilité.

D'où un certain illusionnisme politique. L'idée selon laquelle la reconnaissance déclenchera une action internationale est sans fondement. Si le monde n'est pas capable d'intervenir pour arrêter un génocide, pourquoi agirait-il simplement parce qu'un État membre de l'ONU en occupe un autre ?

Inès Abdel Razek : Ce que nous voyons dans la dernière vague de reconnaissances européennes n'est pas un soutien à l'autodétermination palestinienne ; c'est une approbation politique de l'Autorité palestinienne (AP). Par exemple, la Norvège a centré sa reconnaissance sur l'AP et son infrastructure institutionnelle. Ce recadrage mine l'autodétermination palestinienne et ne satisfait même pas aux critères juridiques les plus élémentaires de l'État. Après tout, l'Autorité Palestinienne n'exerce aucun contrôlesur les frontières, l'espace aérien, les ressources naturelles ou le territoire — Israël s'en charge. La reconnaissance de la Norvège a donc été accordée à une entité politique opérant sous contrôle israélien, dépourvue tant de souveraineté que de légitimité démocratique.

Pire encore, les gestes symboliques comme la reconnaissance passent souvent pour des actes de courage moral là où il est surtout question, en réalité, d'assurer ses arrières diplomatiques. Même les lobbyistes pro-israéliens ont reconnu que de telles démarches ne changent rien à la réalité sur le terrain. Elles permettent plutôt aux États de donner l'impression d'agir tout en éludant leurs obligations légales d'imposer des sanctions à Israël.

Tout ceci reste en phase avec la stratégie globale d'Israël : détruire, déposséder, puis pousser les Palestinien·nes à négocier des miettes selon des conditions dictées par la puissance occupante. Des accords d'Oslo dans les années 1990 jusqu'aux mécanismes humanitaires actuels à Gaza, le régime israélien a constamment manœuvré pour rester maître du jeu. La reconnaissance symbolique d'un État palestinien ne fait que récompenser cette manipulation. L'indignation affichée par les responsables étatsuniens et israéliens face à la reconnaissance de l'État palestinien est, bien entendu, purement théâtrale.

Dans ce contexte, le génocide à Gaza, en guise de conséquences, a droit à des cérémonies. L'AP reste avant tout préoccupée par son image et les États occidentaux font des gestes symboliques, tandis que les Palestinien·nes restent privé·es à la fois de justice et d'État, et que se creuse le fossé entre la réalité vécue et les gesticulations internationales.

Yara Hawari : Nous devons être clairs sur ce qui est réellement reconnu lorsque des États déclarent leur soutien à « l'État de Palestine ». Loin d'être une reconnaissance de souveraineté, il s'agit avant tout d'une fiction diplomatique. Fondamentalement, elle codifie un récit de partition coloniale visant la fragmentation de la Palestine historique en enclaves géographiques et politiques.

Ce type de reconnaissance n'est pas seulement inefficace — il est dangereux. Il renforce un cadre étroit de partition qui réduit la « Palestine » à la Cisjordanie et à Gaza, et le peuple palestinien à moins de la moitié de ce que nous sommes.

Pour les États européens, la reconnaissance sert de diversion face à leur complicité. Ces déclarations ne s'accompagnent le plus souvent d'aucune sanction, d'aucun embargo sur les armes, ni d'aucun engagement concret en faveur du démantèlement de l'occupation ou l'apartheid. Elles opèrent plutôt comme des gestes symboliques dans le domaine juridique tout en protégeant Israël de toute responsabilité pour crimes de guerre et violations systémiques.

L'affirmation selon laquelle la reconnaissance donnerait accès à des forums internationaux et pourrait aider à équilibrer le terrain diplomatique est à la fois naïve et trompeuse. Les États ne sont pas égaux dans l'ordre mondial. Les États-Unis, avec leur droit de veto, s'assurent qu'Israël n'a jamais aucun compte à rendre. Et en tant que principal allié d'Israël, ils font en sorte que les Palestinien·nes ne négocieront jamais sur un pied d'égalité.

Et c'est tout le problème : nous ne sommes pas un État souverain. Nous sommes un peuple colonisé, assiégé et occupé, confronté à un génocide à Gaza. Tout engagement politique sérieux doit partir de cette réalité, et non de l'illusion d'un État qui n'existe pas. Au lieu de stopper le génocide et la famine forcée — largement facilités par ces mêmes États qui offrent une reconnaissance — on nous demande de nous concentrer sur un État chimérique que personne n'est disposé à faire advenir. Voilà une incohérence qui en dit long.

Que révèle la récente vague de reconnaissances de l'État palestinien sur la manière dont les États abordent leurs responsabilités juridiques au regard du droit international ?

Inès Abdel Razek : La plupart des gouvernements continuent d'opérer dans le cadre dépassé du soi-disant processus de paix au Moyen-Orient. Ce cadrage domine encore la façon dont la Palestine est abordée et oriente presque toutes les décisions politiques actuelles. Nous l'avons vu, par exemple, lors de la conférence sur la solution à deux États, co-parrainée par l'Arabie saoudite et la France à l'ONU, à New York, fin juillet.

Tout l'événement a été structuré autour de l'idée qu'il y a « deux parties » en conflit. Ce cadrage reste omniprésent, comme en témoignent les remarques récentes du Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, affirmant que la seule solution viable demeure la solution à deux États, « avec Israël et la Palestine vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ». Ce langage présente la situation comme un différend mutuel entre égaux, escamotant la réalité de l'occupation, de l'apartheid et d'une agression unilatérale.

Nul mention de colonisateur et de colonisé. Aucune reconnaissance d'un agresseur et d'un peuple assailli. Aucun constat d'occupation ou d'apartheid. Cette fausse équivalence n'est pas seulement trompeuse — c'est un piège politique dangereux.

Il faut en finir avec ce paradigme du processus de paix, et sur le terrain juridique, les choses sont déjà claires quant à l'action que les États devraient mener. La Cour internationale de justice (CIJ), dans ses avis consultatifs de 2004 et 2024, font valoir un cadre juridique de responsabilité qui offre un recours à l'impasse politique du cadre à deux États.

En effet, les avis juridiques de la CIJ placent la communauté internationale devant la responsabilité qu'elle a à agir, et non à s'en tenir au rôle de médiatrice. Pourtant, les grandes puissances continuent de s'abriter derrière leur prétendue neutralité et la fausse symétrie, protégeant Israël contre toute conséquence et éludant toute responsabilité. Tant qu'on parlera des « deux côtés », l'impunité israélienne se renforcera, et le génocide ne fera que s'aggraver.

Diana Buttu : Ce qui est particulièrement troublant, c'est que même cette reconnaissance symbolique reste piégée dans la logique des négociations bilatérales. Elle est encore enracinée dans l'idée que les Palestinien·nes doivent négocier chaque aspect de leur liberté, comme si la libération devait toujours être conditionnelle, graduelle et soumise à l'appréciation de leur colonisateur. Et nous n'arrivons pas à sortir de cette logique.

C'est précisément ainsi que l'Europe, en particulier, a cherché à s'absoudre de responsabilités plus profondes. Les gouvernements européens continuent d'agir comme s'ils étaient des observateurs neutres, comme si leurs mains étaient liées. Mais ils ne sont pas neutres. Ce sont des acteurs tiers avec des obligations contraignantes en droit international : reconnaître l'occupation pour ce qu'elle est, ne pas en favoriser la poursuite et travailler à y mettre fin. Ce sont des obligations qu'ils choisissent d'ignorer.

Yara Hawari : Je préférerais voir les États reconnaître le génocide plutôt que de reconnaître un État palestinien. En droit international, la reconnaissance d'un génocide entraîne des obligations claires : les États sont tenus de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour le prévenir et l'arrêter. Je ne me fais pas d'illusion sur le fait qu'ils rempliraient ces obligations, mais au moins le cadre juridique existe, et la pression qu'il induit est réelle.

Choisir plutôt de se focaliser sur la reconnaissance d'un État palestinien permet commodément aux États de se décharger de leurs responsabilités juridiques au titre de la Convention sur le génocide et du droit international humanitaire. On fait ainsi mine d'agir, tout en s'épargnant le fardeau qu'impliquerait tout engagement significatif.

De manière plus générale, on a investi une énergie démesurée — même parmi certains alliés et soutiens — dans la reconnaissance de l'État palestinien. Mais si nous devons continuer à nous engager dans l'arène juridique internationale, l'accent doit être mis sur la responsabilité. La responsabilité est le seul chemin viable pour arrêter les horreurs qui se déroulent à Gaza et le seul moyen d'empêcher qu'elles ne se répètent.

De plus, la reconnaissance d'un État palestinien ne dissuade en rien de nouvelles violences. Elle n'a pas la même force juridique, et n'entraîne pas les conséquences requises par la reconnaissance d'un génocide en cours — en ce moment même — à Gaza.

L'Europe utilise-t-elle la reconnaissance d'un État palestinien pour faire avancer la normalisation arabo-israélienne ?

Yara Hawari : Nous avons récemment vu émerger un nouveau récit : l'idée que la reconnaissance d'un État palestinien par des pays européens pourrait servir de passerelle à la normalisation saoudienne avec Israël. De cette façon, la reconnaissance ne concerne pas les droits ou la justice pour les Palestinien·nes, mais devient une monnaie d'échange dans le cadre plus vaste de la géopolitique régionale. L'idée est simple : plus les États européens sont nombreux à reconnaître la Palestine, plus il devient facile pour l'Arabie saoudite de justifier la normalisation de ses liens avec Israël.

C'est une logique profondément transactionnelle et un marché de dupes. Comme nous l'avons déjà dit, la reconnaissance est au mieux symbolique. Elle n'offre aucune garantie aux Palestinien·nes d'arrêt du génocide, de démantèlement de l'occupation, ou de réalisation de leurs droits inaliénables. Mais pour le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, la reconnaissance fournit une couverture politique commode pour ce qu'il vise depuis longtemps : des relations normalisées avec Israël.

C'est ce qui rend ce moment si dangereux. L'anti-normalisation – autrefois position de principe à échelle régionale, considérant qu'Israël est un régime colonial de peuplement construit sur la dépossession des Palestinien·nes – a été presque entièrement abandonnée au niveau étatique. Un système de récompenses s'y est durablement substitué : normalisez avec Israël, et vous bénéficierez de mesures incitatives, militaires, économiques ou diplomatiques, en particulier de la part des États-Unis.

Les Accords d'Abraham ont rendu cette logique explicite ; accords transactionnels et non réalignements idéologiques. Malgré cela, les opinions publiques dans la région restent fortement attachées à laPalestine et opposées à la normalisation. Mais les gouvernements continuent d'agir en sens inverse.

Ce à quoi nous assistons à présent, c'est la reconnaissance utilisée non pas comme outil de justice, mais comme leurre politique. Les reconnaissances européennes donnent aux régimes arabes, en particulier à l'Arabie saoudite, l'excuse dont ils ont besoin pour normaliser leurs relations avec Israël, tandis que les Palestinien·nes continuent de faire face au génocide, à la famine et à l'occupation.

Diana Buttu : Ce qui est frappant à propos de la normalisation, c'est que les Israéliens, dans l'ensemble, y sont indifférents. Ce n'est même plus un sujet de débat public. Même lors des négociations de normalisation de 2020 dans le cadre des Accords d'Abraham, la chose n'eut pratiquement aucun écho dans l'opinion publique israélienne ; ni enthousiasme, ni grand débat.

Après tout, ces accords ne se sont accompagnés d'aucune interactions entre les peuples concernés eux-mêmes. A ce niveau-là, ils furent un échec. Et en termes d'avantages pour les États signataires, ils n'ont rapporté guère plus que des contrats sécuritaires et une coopération en matière de renseignement, qui étaient probablement l'objectif principal dès le départ.

En réalité, les informations concernant une éventuelle normalisation avec l'Arabie saoudite n'ont que peu de signification pour le public israélien. Cela ne les concerne tout simplement pas. Plus le prince héritier saoudien et les dirigeants européens poussent à la normalisation — désormais liée à la reconnaissance de l'État palestinien — plus l'enjeu semble déconnecté des réalités populaires.

Les sondages montrent que la majorité des Israéliens s'opposent à de telles démarches, non pas par solidarité avec les Palestinien·nes, mais parce que la normalisation ne leur apporte rien. Beaucoup d'Israéliens ne peuvent même pas citer cinq pays arabes, et encore moins exprimer un intérêt pour la région. Leur orientation culturelle et politique est tournée vers l'Europe, pas vers le monde arabe.

En fait, nous sommes face à un paradoxe étrange. Les dirigeants régionaux et occidentaux promeuvent avec empressement la reconnaissance et la normalisation, comme si ces démarches devaient apporter des changements fondamentaux, alors que sur le terrain — pour les Palestinien·nes comme pour les Israéliens — elles ne correspondent à peu près à rien. Et en particulier, pour le Premier ministre Benjamin Netanyahou et sa base, elles sont sans objet.

Et cela nous ramène au point central : la reconnaissance d'un État palestinien n'a rien à voir avec de vraies solutions ou un changement significatif. Tout ici est affaire d'image, de mise en scène donnant une impression d'effervescence, tout en ne faisait à peu près rien pour arrêter le génocide.

Inès Abdel Razek : Du point de vue des États arabes, en particulier ceux qui flirtent avec la normalisation, il devient de plus en plus difficile de justifier l'inaction. L'expansion coloniale d'Israël ne se limite pas à la Palestine. Ses forces d'occupation intensifient leurs campagnes militaires au Liban — occupant des parties du sud — tout en poursuivant leurs opérations et leur enracinement en Syrie. L'annexion du plateau du Golan a été progressivement normalisée, les frontières de l'impunité étant sans cesse repoussées. La situation est devenue de plus en plus inconfortable pour les régimes arabes et perturbatrice pour les dynamiques régionales, sans toutefois déclencher de réactions à la hauteur, à l'évidence.

Nous sommes très éloignés du type de réponses observées lors de la guerre d'octobre 1973, lorsque l'Égypte et la Syrie ont lancé une campagne militaire coordonnée pour reprendre les territoires occupés, et que les régimes arabes ont imposé un embargo pétrolier aux États-Unis et à leurs alliés en protestation contre leur soutien à Israël. Ce moment de pression collective paraît aujourd'hui un souvenir lointain. De nos jours, la volonté d'en découdre a cédé la place aux gestes symboliques et à la diplomatie d'évitement.

Pendant ce temps, Israël poursuit sa stratégie de terre brûlée, détruisant tout sur son passage, annexant des terres et poussant les Palestinien·nes au seuil de la mort. Dans ce contexte, même le plus petit geste, comme autoriser un seul camion d'aide à entrer à Gaza, est présenté comme une percée et un acte de bienveillance censé signaler une issue enfin positive. Les régimes arabes sont acquis à ce scénario.

Tout comme les anciennes formules comme la « paix économique » et la « reconstruction de Gaza » ont permis au régime israélien de mener ses campagnes militaires en sachant que les bailleurs internationaux en financeraient les conséquences, aujourd'hui, c'est la livraison de biens essentiels comme la farine et le carburant qui fait figure d'intervention stratégique.

Pourquoi la solution à deux États reste-t-elle le principal cadre d'approche pour l'autodétermination palestinienne — et que faudrait-il pour aller au-delà ?

Yara Hawari : Une partie de la réponse réside dans le fait que la direction qui porte cette stratégie — la solution à deux États, la reconnaissance et la partition — n'opère pas avec un mandat élu ou populaire. Cette direction n'a aucune légitimité réelle auprès des Palestinien·nes et ne correspond pour nous à aucune représentation démocratique valable. C'est pourquoi il est si important — surtout en ce moment — de nous demander : que signifie la souveraineté au-delà de la logique de la partition et de la fragmentation coloniale ? À quoi ressemble l'autodétermination si nous rejetons les limites de la « faisabilité » qui nous sont imposées depuis des décennies ?

On nous répète, encore et encore, que l'État palestinien et la reconnaissance internationale sont les seules voies viables. Pourtant, l'une reste perpétuellement hors de portée et l'autre n'est guère plus qu'un discours diplomatique. Ces cadres ne nous libèrent pas ; ils nous enferment, nous diminuent, et reformulent notre lutte dans des termes acceptables pour ceux qui ont intérêt à maintenir le statu quo, pas à obtenir la justice.

Bien sûr, il est difficile ne serait-ce que d'engager ces débats en plein génocide. D'une certaine manière, cela semble un privilège de débattre d'horizons politiques alors que les habitants de Gaza sont bombardés, affamés et exterminés en temps réel. Mais je pense aussi que c'est précisément ce qui rend ces débats encore plus urgents.

En tant que Palestinien·nes, c'est notre responsabilité de poser ces questions et de les adresser directement à notre soi-disant direction. Notre souveraineté ne peut, et ne doit pas, être définie par des cadres prenant pour acquis notre fragmentation. Nous devons imaginer quelque chose de plus — car ce qui est proposé n'est pas la libération. C'est l'endiguement.

Inès Abdel Razek : Nous devons aussi reconnaître que beaucoup de gouvernements occidentaux continuent de traiter Israël comme un acteur de bonne foi dans le cadre de la perspective à deux États, lui renouvelant le bénéfice du doute malgré les preuves écrasantes qu'Israël n'est digne d'aucun crédit.

En réalité, Israël continue d'être considéré comme un acteur crédible et digne de foi, alors que la tromperie est depuis longtemps une caractéristique centrale de sa stratégie diplomatique et militaire. Qu'il s'agisse de couvrir l'assassinat de la journaliste Shireen Abu Aqleh (1971-2022), de justifier le bombardement d'hôpitaux, ou d'attaquer la crédibilité de l'UNRWA, le régime israélien s'est systématiquement appuyé sur des versions des faits mensongères pour s'épargner d'avoir à rendre des compte. Cette attitude est aussi systématique que délibérée.

Pourtant, de nombreux États occidentaux prennent ces versions pour argent comptant. Ils reçoivent souvent des documents officiels israéliens en hébreu, langue que peu de fonctionnaires de leurs ministères des affaires étrangères maîtrisent, et pourtant ces notes d'information sont accueillies sans être questionnées, et sont présumées crédibles. Au-delà du parti pris politique, ces attitudes reflètent une vision du monde plus profonde, souvent racialisée : Israël est perçu comme moderne, rationnel et crédible. Les Palestiniens et les Palestiniennes, en revanche, sont perçu·es comme irrationnel·les, suspect·es ou sans intérêt.

À moins de déconstruire intégralement cette logique, rien ne changera. Tant que le régime israélien sera vu comme agissant de bonne foi, il n'y aura pas aucune obligation à rendre des comptes. Et tant que la communauté internationale ne s'attaquera pas au schéma israélien de tromperie et d'expansion coloniale, la justice pour les Palestinien·nes — et la reconnaissance de leur droit d'exister et de résister — restera hors de portée.

Diana Buttu : Je me souviens que, lors des négociations post-Oslo, nous demandions souvent : pourquoi limitons-nous notre vision de la libération à un État sur seulement 22 % de notre patrie historique — un État qui exclut la majorité des Palestinien·nes et n'offre aucune véritable perspective pour le retour ?

Et la réponse qu'on nous donnait — à l'époque comme maintenant — était que les colonies sont un cancer. C'était le mot : cancer. La logique suivait que, pour arrêter ce cancer, il nous fallait un processus — n'importe quel processus — qui puisse stopper l'expansion des colonies, ralentir la colonisation et préserver la possibilité d'un État.

Cette logique imprègne aujourd'hui le débat sur la reconnaissance. Les diplomates insistent sur le fait que reconnaître un État palestinien est urgent parce que cela pourrait aider à stopper ce cancer. La reconnaissance, affirment-ils, pourrait freiner l'annexion, tracer une ligne rouge politique, ou au moins geler l'expansion des colonies.

Mais nous savons que ce n'est pas vrai. La reconnaissance n'a pas stoppé le cancer. C'est un geste symbolique ponctuel, qui déploie du capital politique sans modifier les rapports de forces. Au final, Israël s'en tire non pas avec moins, mais au contraire avec plus de légitimité.

La direction palestinienne aurait pu choisir un autre chemin. Elle aurait pu lancer une campagne sérieuse et tenace pour mettre le régime israélien devant ses responsabilités, en réclamant des sanctions, des embargos sur les armes, et en mobilisant les mécanismes juridiques.

Oui, l'AP n'a aucune légitimité électorale, mais cela ne veut pas dire qu'elle n'a aucune capacité. La direction de l'AP aurait pu lutter pour sa survie plutôt que pour sa capitulation. Elle a préféré mettre de côté — et parfois même saboter — la quête de justice.

Voilà le cœur du problème : si, au milieu d'un génocide, la revendication politique suprême est « s'il vous plaît, reconnaissez-nous », comment prétendre revenir ensuite pour exiger des sanctions ou la justice ? Accepter la reconnaissance symbolique comme suffisante, c'est saper la crédibilité de toute exigence future de reconnaissance réelle des responsabilités.

***

Diana Buttu est une avocate palestinienne-canadienne, spécialiste du droit international et des droits humains. Elle a été conseillère juridique auprès de l'équipe de négociation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) au début des années 2000, dans le cadre du processus de paix post-Oslo, avant de la quitter en 2005. Elle a contribué à la procédure portée devant la Cour internationale de justice contre le mur de séparation israélien, qui a abouti à l'avis consultatif de 2004. Elle a enseigné à Harvard, et a été experte invitée en résidence à Georgetown University au Qatar. Elle publie régulièrement dans The New York Times, The Guardian et Al Jazeera.

Inès Abdel Razek est diplomate et analyste politique palestinienne, directrice exécutive du Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD). Spécialiste des relations internationales et de la communication politique, elle a travaillé pour la délégation générale de la Palestine auprès de l'Union européenne et pour l'Union pour la Méditerranée. Diplômée de Sciences Po Paris (master en affaires publiques internationales), elle écrit sur la diplomatie publique, la solidarité internationale et les droits des Palestinien·nes. Elle publie notamment dans Le Monde diplomatique et Middle East Eye, et intervient régulièrement dans des médias internationaux.

Yara Hawari est chercheuse et analyste politique palestinienne, codirectrice d'Al-Shabaka : The Palestinian Policy Network. Elle est titulaire d'un doctorat en politique du Moyen-Orient de l'Université d'Exeter, où elle a également enseigné. Ses travaux portent sur le colonialisme de peuplement, la résistance palestinienne et les stratégies de narration politique. Elle intervient régulièrement comme commentatrice dans The Washington Post, The Independent, Al Jazeera English et Middle East Eye. Elle est aussi l'autrice de The Stone House (Hajar Press, 2021), un court roman explorant mémoire, exil et attachement à la terre.

Al-Shabaka : The Palestinian Policy Network est un think tank transnational palestinien fondé en 2009. Indépendant et à but non lucratif, il regroupe des analystes, chercheur·euses et militant·es de Palestine et de la diaspora. Sa mission est de produire des analyses critiques et accessibles afin de promouvoir la libération, l'autodétermination et la justice pour le peuple palestinien.

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Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq et Thierry Labica.

Illustration : « Al-Quds » (Jérusalem), 1983. Tableau de Sliman Mansour, peintre palestinien.

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Les incels. Du clic à l’attentat

7 octobre, par Annvor Seim Vesthreim — , ,
Les incels. Du clic à l'attentat Annvor Seim Vesthreim | Préface de Léa Carrier Parution le 28 octobre 2025 au Québec Parution le 20 février 2026 en Europe Qui sont donc (…)

Les incels. Du clic à l'attentat
Annvor Seim Vesthreim | Préface de Léa Carrier
Parution le 28 octobre 2025 au Québec
Parution le 20 février 2026 en Europe

Qui sont donc les incels, cette communauté de « célibataires involontaires » qui gagne de plus en plus d'adeptes à travers le monde ? Ne sont-ils qu'une bande de trolls prisonniers de leur univers numérique, et dont il faudrait avoir pitié ?

Annvor Seim Vestrheim s'est plongée dans le plus grand forum du genre en ligne pour mieux analyser cette sous-culture de la manosphère. Elle y découvre un langage codé et un ensemble complexe de règles et de normes bien définies. Unis par la frustration d'un soi-disant rejet par les femmes, animés par une soif de vengeance, les membres qu'elle croise justifient leurs difficultés amoureuses et sexuelles par la biologie évolutionniste. Plusieurs défendent sans gêne la suprématie mâle, tandis que d'autres héroïsent les auteurs d'attentats...

Des Chads aux Stacys, en passant par la pilule noire, ces idées misogynes finissent par se frayer un chemin dans l'espace public et chez les jeunes. Bienvenue dans la terrifiante nébuleuse des incels.

Annvor Seim Vestrheim vit en Norvège, où elle travaille comme journaliste et conseillère sur des questions de langue, de médias et de culture. Elle est titulaire d'une maîtrise en science politique de l'Université du Québec à Montréal.

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La reconnaissance de la Palestine doit s’accompagner d’actions concrètes

Le 1er octobre 2025 — La reconnaissance de la Palestine doit s'accompagner d'actions concrètes : pour sauver des vies, les États doivent mettre fin aux crimes d'Israël et (…)

Le 1er octobre 2025 — La reconnaissance de la Palestine doit s'accompagner d'actions concrètes : pour sauver des vies, les États doivent mettre fin aux crimes d'Israël et garantir l'autodétermination du peuple palestinien, plaident plus de 20 organisations indépendantes dans une déclaration commune.

La majorité des pays reconnaissent l'État de Palestine, mais les violations du droit international par Israël s'accélèrent, dans une impunité quasi totale, provoquant des déplacements massifs, des décès généralisés et une crise humanitaire de plus en plus grave dans l'ensemble du Territoire palestinien occupé. Pour un impact réel et afin d'éviter toute complicité, les États doivent transformer leurs expressions de solidarité en actions concrètes et salvatrices. Toute feuille de route future doit placer le peuple palestinien au centre, en tant que véritable architecte de son propre avenir.

La reconnaissance de l'État palestinien est une étape importante et bienvenue vers la réalisation du droit du peuple palestinien à l'autodétermination. Mais elle ne peut rester symbolique ni être traitée comme une récompense. Elle n'exonère pas les États membres de leurs obligations juridiques et morales de mettre fin à l'occupation israélienne du Territoire palestinien occupé (Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est) – une occupation que la Cour internationale de justice a jugée illégale en ce qu'elle constitue une violation du droit du peuple palestinien à l'autodétermination – et de faire cesser ce que la Commission d'enquête des Nations unies a qualifié de génocide perpétré par Israël à Gaza.

La crise humanitaire qui en résulte est largement documentée et bien connue. Au cours des deux dernières années, les ordres d'expulsion, les démolitions, les blocus, les arrestations arbitraires et les attaques directes menés par Israël ont entraîné le plus grand déplacement forcé en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, depuis le début de l'occupation en 1967. En 2024, le plus vaste accaparement de terres depuis trois décennies a été officiellement approuvé, et les violences commises par les colons ont atteint un niveau sans précédent. À Gaza, les autorités israéliennes mènent une opération militaire meurtrière qui a tué ou blessé plus de 136 000 personnes, forcé 2 millions de personnes à fuir à plusieurs reprises, et détruit 90 % des bâtiments. Partout à Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, les forces israéliennes ont attaqué près de 1 650 installations de santé. Elles ont restreint la liberté de circulation – par des postes de contrôle militaires, des portails, des barrières, des corridors et des zones interdites – avec des conséquences dévastatrices sur la capacité des communautés à accéder aux moyens de subsistance, aux soins de santé, à l'éducation et à d'autres services essentiels.

Les dirigeants mondiaux ne peuvent prétendre ignorer la situation. Même si quatre pays sur cinq dans le monde reconnaissent l'État de Palestine, le Parlement israélien a récemment approuvé une motion visant à annexer complètement la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, où vivent 3,3 millions de Palestiniens. Des responsables israéliens ont réaffirmé leur volonté d'exercer une « souveraineté complète » sur la Cisjordanie, déclarant qu'« il n'existe pas de peuple palestinien ni d'État palestinien », et que « cette terre appartient aux Israéliens ». Des intentions similaires ont été clairement exprimées pour l'ensemble de Gaza.

Ces déclarations ne sont plus marginales : elles révèlent ce qui motive l'effacement accéléré d'un peuple. La fragmentation et l'annexion par Israël de terres reconnues internationalement comme palestiniennes rendent la perspective d'un État palestinien viable de moins en moins réaliste.

Agir n'est pas une option. En juillet 2024, la Cour internationale de justice a précisé que tous les États membres de l'ONU sont tenus de ne pas reconnaître ni soutenir l'occupation illégale d'Israël, y compris par le commerce et les investissements. Par ailleurs, la Commission d'enquête des Nations unies a conclu que tous les États doivent « prendre toutes les mesures nécessaires pour tenter d'éviter ou d'arrêter la commission d'un génocide ».

Au cours des quelques semaines écoulées depuis que plusieurs pays supplémentaires ont reconnu l'État de Palestine, des centaines de Palestiniennes et de Palestiniens ont été tués et plus de 1 500 blessés par des tirs israéliens dans l'ensemble du Territoire palestinien occupé. La prise militaire de la ville de Gaza s'est intensifiée dans son ampleur et sa brutalité : des frappes meurtrières contre des tentes, des logements et des bâtiments publics ont contraint des dizaines de milliers de personnes à fuir à nouveau, alors que la majorité n'a nulle part où aller. Plusieurs établissements de santé dans le nord ont dû fermer, laissant des centaines de milliers de personnes avec un accès extrêmement limité aux soins médicaux. En Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, les attaques de colons, les incursions militaires et les arrestations se sont intensifiées. Des dizaines de structures palestiniennes ont été démolies. La Commission de la sécurité nationale du Parlement israélien a fait avancer les discussions visant à restreindre l'accès humanitaire aux prisons, où sont détenus plus de 9 500 Palestiniens et Palestiniennes, ainsi qu'un projet de loi autorisant la peine de mort pour les personnes détenues.

Chaque heure de retard signifie une famille brisée de plus, un enfant affamé de plus, une maison réduite en poussière de plus, un autre pan de la vie palestinienne effacé.

Pour éviter un scénario où il ne resterait qu'un État palestinien sans le peuple palestinien, et pour empêcher les forces israéliennes et les colons d'imposer de nouvelles représailles aux communautés, les États doivent mobiliser tous les outils politiques, économiques et juridiques à leur disposition pour :

* Un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza, permettant au peuple palestinien de concevoir et diriger lui-même ses projets et processus de (re)construction, conformément à son droit inaliénable à l'autodétermination ;
* La fin de l'occupation illégale par Israël de l'ensemble du Territoire palestinien occupé, afin de garantir les conditions nécessaires au maintien du peuple palestinien sur ses terres ;
* Un accès humanitaire sans restriction, coordonné par l'ONU et protégé conformément au droit international humanitaire, dans tout le Territoire palestinien occupé ;
* La fin du commerce avec les colonies illégales, y compris la fourniture de services et les investissements ;
* L'arrêt immédiat de toutes les ventes et de tous les transferts d'armes vers Israël ;
* La responsabilisation pour les crimes commis ;
* La réouverture immédiate d'un corridor entre Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, pour les évacuations médicales et autres besoins humanitaires.

Les signataires (en ordre alphabétique) :

1. ActionAid International
2. Al Awda Health and Community Association
3. American Friends Service Committee (AFSC)
4. Arab Educational Institute - Pax Christi Palestine
5. Bystanders No More
6. Churches for Middle East Peace (CMEP)
7. CIDSE - International Family of Catholic Social Justice Organisations
8. Emmaus International
9. Global Centre for the Responsibility to Protect
10. Global Legal Action Network (GLAN)
11. HelpAge International
12. Insecurity Insight
13. Médecins du Monde International Network (MdM)
14. Norwegian People's Aid
15. Oxfam International
16. PARC - Agricultural Development Association
17. Pax Christi International
18. Palestinian Institute for Climate Strategy (PICS)
19. Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
20. Sabeel-Kairos UK
21. The Middle East Children's Alliance
22. Terre des Hommes Italy
23. United Against Inhumanity

Notes

* En 2025, les politiques et pratiques israéliennes ont forcé au moins 40 000 Palestiniens et Palestiniennes à quitter leur domicile dans le nord de la Cisjordanie — un record depuis le début de l'occupation israélienne en 1967 — en raison de démolitions ordonnées par Israël, d'expulsions et de l'intensification des attaques menées par des colons et les forces armées. Au moins 66 800 autres personnes sont directement menacées de transfert forcé, environ 663 km² de terres étant vulnérables à la colonisation ou à l'expansion des colonies.

* En juillet 2024, les autorités israéliennes ont approuvé le plus vaste vol de terres en Cisjordanie depuis trois décennies, ainsi que la construction de plus de 15 000 unités de logement et de 22 nouvelles colonies illégales rien qu'en 2025, et l'établissement de plus de 121 nouveaux avant-postes. Il y a quelques semaines, les autorités israéliennes ont donné leur approbation finale au projet de colonie « E1 », qui isole de facto Jérusalem-Est de la Cisjordanie occupée, fragmentant davantage le territoire.

* Depuis deux ans, les forces israéliennes bombardent Gaza sans relâche. L'opération militaire a tué au moins 66 000 personnes, blessé 170 000 autres, et forcé près de 2 millions de personnes à fuir à plusieurs reprises. Plus de 92 % des unités d'habitation et 90 % des bâtiments scolaires sont désormais détruits, et seulement 1,5 % des terres agricoles sont encore utilisables.

* Depuis 2007, les autorités israéliennes bloquent l'entrée de biens essentiels à Gaza, y compris un siège total de 11 semaines plus tôt cette année, qui a provoqué une famine extrême, confirmée dans le nord de Gaza, ainsi que des pénuries critiques dans les infrastructures de santé.

* Depuis octobre 2023, les forces israéliennes ont attaqué près de 1 650 établissements de santé à travers l'ensemble du Territoire palestinien occupé.

* Les autorités israéliennes ont imposé d'innombrables restrictions à la liberté de circulation dans tout le Territoire palestinien occupé, notamment sous la forme de corridors militarisés, de postes de contrôle et de zones interdites à Gaza (82 % du territoire est désormais inaccessible), et de plus de 800 portails, checkpoints et barrières en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, avec des conséquences dévastatrices sur la capacité des populations à accéder à leurs moyens de subsistance, aux soins de santé, à l'éducation et à d'autres services vitaux.

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Chicago veut repousser les forces trumpistes

7 octobre, par aplutsoc — , ,
Trump avait annoncé la bataille de Chicago pour son investiture, c'est-à-dire le lâcher des troupes de l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) sur les migrants et étrangers (…)

Trump avait annoncé la bataille de Chicago pour son investiture, c'est-à-dire le lâcher des troupes de l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) sur les migrants et étrangers réels et supposés et leurs proches, et s'était dégonflé. La mobilisation s'était amorcée, autour notamment des écoles et du syndicat de l'enseignement, le Chicago Teachers Union, pour' protéger les enfants et les familles latinos et au delà.

La bataille de Chicago a été annoncée par un incroyable tweet de Trump, pas du tout un fake, datant du 7 septembre au matin. Entre janvier 2025 et maintenant l'affrontement, démocratique et donc social, n'a cessé de grandir aux Etats-Unis. L'ICE a massivement recruté des nervis : l'équivalent des milices fascistes s'y concentre. Le langage et les objectifs du pouvoir sont clairement la guerre : la guerre, la Civil War, aux Etats-Unis, contre les pouvoirs locaux et contre la démocratie. Et il fait référence au ministère des Armées, confié au taré masculiniste Egseth, qu'il vient précisément de rebaptiser ministère de la Guerre. Voici le tweet de Trump :

Il fut un temps, pas lointain, où un POTUS (président des Etats-Unis) qui annonçait ainsi vouloir anéantir militairement une grande ville du pays, car à la lettre c'est cela le message de Trump, subissait immédiatement une procédure de destitution. Ne cherchons pas à faire l'autruche en disant « oui mais c'est du Trump, c'est du cinéma, on voit bien qu'il fait le bravache et qu'il s'amuse ». Qu'il fait le bravache, certainement. Qu'il s'amuse, non : Trump ne sait pas ce que c'est. La référence est le colonel fou du film Apocalypse Now qui fait bombarder au napalm les villages vietnamiens au son de la chevauchée des Walkyries de Wagner. Symbole de la connerie furieuse impérialiste, symbole connoté très positivement pour Trump, qui paraphrase sa phrase fétiche, « J'aime l'odeur du napalm au petit déjeuner » : « J'aime l'odeur des déportations au petit matin ».

Voici le fascisme 2.0, nourri à l'Axe Trump/Poutine et à la synthèse MAGA-libertarianisme-masculinisme-accélérationnisme du capital-extractivisme fou. « Oui mais où sont les Sections d'Assaut qui détruisent le mouvement ouvrier organisé ? », réciteront encore quelques fossiles politiques incapables de saisir le réel. Faut-il attendre que les Sections d'Assaut aient fait leur office pour reconnaître l'ennemi mortel ?

Les habitants de Chicago ne s'y sont pas trompés. C'est la plus grande manifestation de cette année qui a éclaté à Chicago en réaction au tweet de Trump.

Le Chicago Teachers Union appelle à la mobilisation, sans toutefois envisager l'organisation de l'autodéfense physique pour interdire à l'ICE et éventuellement à la Garde nationale et à l'armée l'entrée dans la ville et les quartiers, cela bien lorsqu'il parle de résistance à l'occupation annoncée :

Mais une rumeur concernant le maire démocrate de Chicago (où le conseil municipal ne comporte pas de républicains et comprend une opposition de gauche formée d'élus socialistes-démocratiques par ailleurs liés au Chicago Teachers Union), Brandon Johnson, selon laquelle il avait donné un signal fort en faisant intervenir les services municipaux pour disposer des sacs de sable et de sel sur les lieux d'entrée dans la ville, et positionner les camions anti-neige en barricades, rumeur à laquelle nous avons cru car elle a dominé pendant quelques heures les réseaux sociaux américains … s'est avérée fausse.

Le maire n'a pas voulu faire de la résistance passive à l'ICE suggérant en fait une résistance active. En fait, ce positionnement de camions serait une mesure banale liée à des manifestations dans la ville …

N'empêche : la rumeur ne dénonce-t-elle pas la nécessité ? Ne faut-il pas des barricades modernes, avec les travailleurs organisés pour repousser et infliger, avec le moins de pertes possibles, la raclée nécessaire aux bandes de l'ICE ? Un peu plus sérieuse en effet que les alignements de camions à sel, qui donnent quand même une idée !

Oui, il faut organiser l'auto-défense physique et donc armée quand c'est nécessaire contre les raids trumpistes ! L'illégalité est de leur côté : la défense de la démocratie est avec la résistance, et la résistance doit passer à la contre-attaque :

CONTRE TRUMP ET SES BANDES

GREVE ET AUTODEFENSE SONT INDISPENSABLES !

Le 07/09/2025.

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L’opinion des Américains.es au sujet du socialisme démocratique

7 octobre, par Bhaskar Sunkara, Jared Abbott — , ,
Depuis la candidature contestataire de Bernie Sanders à la nomination présidentielle en 2016, le socialisme démocratique est sorti des marges de la politique américaine et est (…)

Depuis la candidature contestataire de Bernie Sanders à la nomination présidentielle en 2016, le socialisme démocratique est sorti des marges de la politique américaine et est devenu un courant visible et populaire. Les socialistes démocratiques des États-Unis, (DSA) présentent et soutiennent maintenant des candidatures qui ont un réel pouvoir dans les conseils municipaux et dans les législatures des États partout dans le pays. Ils ont ainsi ramené des demandes économiques progressistes dans les débats.

Jared Abbott et Bhaskar Sunkara
Tiré de Jacobin.com, septembre 2025
https://jacobin.com/2025/09/democratic-socialism-poll-economic-populism
Traduction, Alexandra Cyr

Note : J'ai choisi d'utiliser les mots « socialisme démocratique » plutôt que sociale démocratie parce que j'estime que les deux termes ne désignent pas la même chose dans le contexte américain du texte. A.C.

Plus récemment, l'élu de la Chambre de l'État de New-York, Zohran Mamdani a choqué l'establishment politique en gagnant très franchement la candidature DSA à la mairie de la ville. Il a battu les autres candidats favoris qui visaient le remplacement de l'actuel maire, Eric Adams. Son succès repose grandement sur l'attention précise qu'il a porté sur les enjeux de coût de la vie ce qui a rejoint directement les soucis matériels de New-Yokais.ses les moins fortunés.es. Il offre un test pour le potentiel des politiques sociales démocratiques et pour les rhétoriques populistes disciplinées.

Mais cela soulève aussi des questions plus étendues. Comment les socialistes démocratiques voient-ils les États-Unis dans leur ensemble ? Est-ce que leur appel se confine pour l'instant, aux grandes villes démocrates ? Et est-ce que les candidats.es qui annoncent leur identité socialiste risquent d'atténuer la force de leur populisme économique ?

Pour y voir plus clair sur ces questions, le Fond DSA, Jacobin et le Rosa Luxembourg Stiftung ont procédé du 22 au 24 août à un sondage national auprès de 1,257 personnes susceptibles de voter (aux prochaines élections). L'échantillon a été calibré par âge, genre, éducation, race, géographiquement, et par rapport au vote présidentiel. Quelques résultats émergent de l'enquête qui nous aident à nous situer à la fois sur l'état du socialisme démocratique dans la politique américaine et le potentiel de visibilité que pourraient avoir des campagnes contestataires du style Mamdani dans les zones plus conservatrices du pays.

Premièrement, le socialisme démocratique est maintenant reconnu à l'intérieur du parti démocrate. Les démocrates qui ont participé au sondage préfèrent le socialisme démocratique au capitalisme par une bonne marge. Leur préférence va vers les socialistes démocrates comme B. Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez plutôt qu'aux Démocrates comme Chuck Schumer et Hakeem Jeffries. Leur soutient va autant aux candidats.es se présentant comme socialistes démocrates qu'à ceux et celles qui s'affichent simplement comme Démocrates. Deuxièmement, même si ce n'est pas uniforme, l'ouverture aux socialisme démocrate dépasse la base du Parti démocrate. Il y a chez les Latinos.as et dans la classe ouvrière des espaces de réceptivité même si les termes » « socialisme démocratique » puissent être un véritable repoussoir dans les contextes plus républicains et conservateurs. Cela soulève la question des moyens les plus adaptés pour présenter ce type de politiques à des électorats qui ont peut-être des penchants pour l'économie populiste mais restent sceptiques devant le socialisme démocratique tel qu'ils l'entendent. Troisièmement, le populisme économique est le moyen le plus étendu pour présenter le socialisme démocratique à l'ensemble de la population, soit, un appui important aux messages sur les salaires, les coûts de la vie, la corruption, la bonne gouvernance des entreprises et de leur pouvoir, les coupes en liens avec les positions partisanes, l'ethnicité, les classes sociales, et la géographie.

Pour tirer avantage des progrès immenses que le socialisme démocratique a fait au cours des dernières décennies, les progressistes doivent continuer le travail commencé vers la construction d'un pôle d'économie populiste robuste dans les politiques américaines qui rejette les fausses promesses des deux partis dominants. Tout en étant sérieusement confrontés.es aux compromis électoraux surtout dans les circonscriptions déterminantes, l'expansion doit se faire en dehors des bastions démocrates.

Suivent quelques réflexions clés tirés de ce sondage.

1- Les démocrates sont déjà favorables au socialisme démocratique. D'autres peuvent être convaincu.

Malgré des appels de Démocrates renommés.es comme le représentant Tom Suozzi, à ce que les socialistes démocrates forment leur propre parti, le sondage DSA Fund/Jacobin/Rosa Luxembourg Stiftung montre que les Démocrates sont vraiment heureux.ses que ce courant soit dans leurs rangs. Ce sondage montre aussi que 45% de l'électorat soutien le socialisme démocratique. C'est une modeste remontée par rapport aux 36-39% recueillis dans les sondages nationaux au cours des décennies passées. L'approbation dans l'électorat démocrate a augmentée sérieusement : 74% y sont favorables. C'est une progression par rapport à un.e membre sur dix déclarant cette position en 2016. Aussi, les Démocrates participant au sondage sont plus d'accord avec A. Occasion-Cotez, B. Sanders et Z. Mamdani que les actuels dirigeants, C. Shumer, K. Jeffries et l'ancienne présidente de la Chambre, Mme N. Pelosy par 20 points de différence (53% contre 33%). Leur préférence va aussi légèrement plus vers les socialistes démocrates (79%) que vers les « Démocrates » (77%).

Ce sondage laisse aussi entrevoir un espace important pour élargir les rangs devant des politiques sociales démocrates. Des 54% de répondants.es qui n'en avaient jamais entendu parler, 43% y étaient plus favorables par rapport au capitalisme ; seuls.es 38% soutenaient cette option. Cette ouverture présente donc un grand potentiel ; il y a là un groupe d'électeurs.trices sympatisants.es qui doivent être invités.es dans le travail de campagne, dans les chapitres locaux et les coalitions.

La proposition socialiste rejoint des parties de l'électorat assez surprenantes. Par exemple, presque une personne sur 6, soit 15% de l'échantillon, qui a voté pour D. Trump en 2024, déclare quand même préférer le socialisme démocratique au capitalisme. Si on compare cet échantillon avec ceux et celles qui ont voté pour D. Trump, on peut voir qu'il est âgé de moins de 45 ans, et plus facilement de couleur autre que blanche. Ce sont les deux groupes qui ont migré vers les Républicains en 2024. Ces électeurs.trices ne constituent pas un groupe figé et représentent une ouverture pour les appels du socialisme démocratique en faveur de ses politiques envers le coût de la vie. C'est une opportunité d'écoute sympathique.

Les dirigeants.es sociaux démocratiques sont aussi percus.es plus favorablement que les Démocrates traditionnels.les parmi toute une série de blocs électoraux déterminants pour le maintien desquels les Démocrates se sont battu dans leurs rangs au cours des dernières années. L'aile Sanders/AOC est perçue plus favorablement que l'establishment du parti par une marge de 42% c. 28% par les répondants.es au sondage membres de la classe ouvrière. De même chez les Latinos.as par 59% c. 29%, chez les ruraux par 37% c.29%, et les électeurs.trices sans diplômes universitaires par 37% c. 29%. Par contre, chez les répondants.es avec une éducation universitaire et qui sont en dehors de la classe ouvrière, l'appui au courant Démocrate traditionnel se tient entre 43% c. 38% pour les premiers et 36% c. 28% pour les autres. Ces résultats démentissent l'idée que le socialisme démocratique n'intéresse que les électeurs.trices professionnels.les possédant un haut niveau d'éducation.

2- L'image des socialistes démocratiques s'améliore mais il reste du travail à faire

La nouvelle la plus inquiétante est que parmi l'électorat démocrate, l'étiquette « socialisme démocratique » peut coûter cher. En présentant un message avec une candidature sur une plateforme dédiée au coût de la vie, remplacer couramment le mot « Démocrate » par « Socialiste démocratique », dans le sondage, l'appui y tombait sérieusement dans les circonscriptions progressistes clés. Il faudrait donc développer des forces électorales en dehors de la structure démocrate. Parmi les indépendants.es la chute va de 77% à 59% mais ce niveau est encore important. Chez les Républicains.es on passe de 58% à 40%. Cette chute est aussi importante en zone rurale à hauteur de 25 points, substantielle chez les sans diplômes universitaires (-12 points), et au sein de la classe ouvrière, par 11 points.

Plus largement, le concept de socialisme démocratique n'est en faveur de celui de capitalisme que par quelques points. Mais, parmi les indépendants.es et les Républicains.es la différence est de 11 points pour les premiers.ères et un énorme 60 points pour les autres. Les résultats indiquent aussi que la géographie a un impact dans l'attitude envers le socialisme démocratique. L'électorat urbain le favorise par 54% mais les ruraux le font à 52%, les banlieusards.es à 49% contre 40% pour le capitalisme. Si on s'arrête sur les emplois, les travailleurs.euses manuels.les préfère le capitalisme à 57%, les cols bleus à 46% et les employés.es de services à 44 quand même, 41% appuient le socialisme démocratique. Mais chez les travailleurs.euse du secteur socio culturel, les professionnels.les comme les avocats, les universitaires et les journalistes, la faveur va fortement vers le socialisme démocratique à hauteur de 54% c. 35% d'appuis au capitalisme.

Ce portrait ne constitue pas une raison de retrait. Au contraire il milite pour une stratégie (adaptée). Parmi l'électorat sensible aux idées de gauche, une présentation franchement socialiste démocrate, pourrait clarifier les ambiguïtés dans le Parti démocrate et dynamiser l'électorat progressiste. Dans les circonscriptions républicaines ou plus conservatrices, les candidats.es sociales démocrates devraient réfléchir et être créatifs.ves pour trouver une manière de maximiser leur option avec des termes politiques auxquels les indépendants et même quelques Républicains.es puissent se rallier.

3- Parler des enjeux polarisants mais avec précaution et stratégie

Le sondage s'est aussi intéressé aux succès des candidats.es selon leur manière de parler des enjeux polarisants ou de se taire. Le but était d'évaluer si les candidats.es socialistes perdaient des appuis face à leurs politiques économiques les plus déterminantes par rapport à d'autres positions moins populaires qu'ils et elles peuvent prendre selon certains.es critiques. Les résultats sont à la fois encourageants et imposent une sérieuse réflexion.

D'une part, le sondage révèle que prendre position contre la police de l'immigration et des frontières (ICE) mène à une sérieuse augmentation pour le soutien à celles en faveur de l'amélioration du coût de la vie chez les candidats.es qui en font une priorité. L'augmentation est à deux chiffres chez les indépedants.es et même à 40 points de plus chez les Démocrates. Ce phénomène est aussi présent chez les répondants.es de la classe ouvrière (+11 pts) et dans l'électorat sans diplômes universitaires (+7 pts). De même lorsque les candidats.es s'affichent en faveur des droits civiques des personnes transsexuelles, de ceux du peuple Palestinien au lieu de ne rien dire à ces sujets, la baisse d'approbation est négligeable de l'ordre de 3 à 4 points. Même que le soutien au droit des personnes transsexuelles, ne change pas l'appui des indépendants.es. Chez les Démocrates il en est de même, et pour les deux enjeux.

Par ailleurs, les candidats.es qui expriment leur opposition à ICE, voient leur appuie décliner de 20 points chez les Républicains.nes et ceux et celles qui défendent les droits des transsexuels.es y perdent 32 points. De même l'appui en milieu rural baisse de 7 points comme parmi l'électorat sans diplôme universitaire, de 21 points dans celui des personnes de couleur, de 15 points dans celui de la classe ouvrière. Aussi, parler de la cause palestinienne fait baisser de 21 points l'appui des Républicains.nes de 11 points celui des indépendants.es, de 18 points dans l'électorat rural et de 11 points dans celui de ceux et celles qui ne détiennent pas de diplôme universitaire.

Ces résultats ne signifient pas que les socialistes démocratiques devraient changer leurs positions pour se plier aux convictions de l'électorat plus centriste, ou encore de ne pas parler des enjeux moraux importants de notre époque. Ils nous invitent à une approche très disciplinée pour faire campagne autour des enjeux polarisants qui impliquent des différences radicales dans des contextes politiques et sociaux, selon les districts.

Ces réalités en action, qui pèsent sur les séquences et encadrent ( les activités de campagne) peuvent s'avérer critiques spécialement là où la victoire dépend de dépasser la base démocrate et d'atteindre les rangs des indépendants.es et même des Républicains.es.

4- L'économisme populiste est le point d'appui immédiat pour construire les chances du socialisme démocratique

Comme beaucoup d'autres recherches récentes, ce sondage démontre que, indépendamment de leurs allégeances politiques, de leur ethnicité, de leur classe sociale et de leur lieu de résidence, les électeurs.trices prennent à partie directement le pouvoir des entreprises et demandent une amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière dans notre pays.

L'énoncé : « notre système économique est biaisé en faveur des entreprises et des riches » est soutenu par 60% des participants.es dans tous les groupes démographiques sondés. Les Républicains.nes le soutienne tout juste en dessous de ce niveau. L'appui monte à 70% chez les personnes qui ne détiennent pas de diplôme universitaire, chez les personnes de couleur et les Latinos.as et chez les moins de 45 ans. Au moins six répondants.es sur 10 dans tous les groupes démographiques sont d'accord avec l'énoncé : « les entreprises et les plus riches ont trop d'influence dans le parti pour lequel je vote habituellement ». De même, dans tout l'échantillon, la vaste majorité accuse les propriétaires et les banques de profiter de la crise du logement. Alors qu'une mince majorité de Républicains.nes trouve qu'il est bon que le nombre de multimillionnaires augmente, la majorité des Démocrates rejette cette assertion comme la majorité des indépendants.es, des gens de couleur, des blancs.ches, des diplômés.es universitaires, de ceux et celles qui n'en détiennent pas et des membres de la classe ouvrière.

Ces résultats invitent à un programme comme celui que mettent de l'avant Z. Mamdani et B. Sanders et comme un progressiste économique populiste qui ne se présente pas comme socialiste. Dit clairement, il s'agit d'augmenter les salaires, diminuer les prix, faire cesser les arnaques sur les prix, punir la corruption, protéger les droits des travailleurs.euses à se syndiquer et négocier collectivement, investir pour de bons emplois et les biens publics qui réduiront les dépenses des ménages. Même si l'étiquette « socialisme démocratique » peut être repoussante pour certains.nes, le programme socialiste assis sur la lutte pour le pain et le beurre génère une surprenante large coalition.

Au cours de la dernière décennie, un pôle socialiste démocratique crédible s'est construit dans la politique américaine. Au cours de la prochaine nous devrions voir s'il peut arriver à un programme économique populiste majoritaire tout en encadrant les véritables responsabilités d'une certaine partie de l'électorat et en naviguant entre les entre les enjeux sociaux polarisants en dehors des rangs démocrates. Le faire et faire campagne comme le fait Z. Mamdani ne sera pas qu'animer, ce sera une réaction spontanée prouvant que les politiques concernant les travailleurs.euses d'abord et avant tout peuvent pénétrer partout dans le pays et gagner.

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« Le rejet de l’écologie est largement déterminé par des intérêts matériels »

7 octobre, par Antoine Dubiau — , ,
L'invitation de Paul Watson à des événements de gauche cet été a suscité des polémiques. Paul Watson est invité parce qu'il apparaît comme une figure écologiste aux yeux du (…)

L'invitation de Paul Watson à des événements de gauche cet été a suscité des polémiques.

Paul Watson est invité parce qu'il apparaît comme une figure écologiste aux yeux du grand public : sa présence permet tout simplement de faire venir du monde sur des événements qui en ont besoin. Par contre, toutes les invitations ne sont pas équivalentes. Le festival Climax à Bordeaux ou l'université d'été de REV (Révolution écologique pour le vivant, le parti d'Aymeric Caron) ont invité l'activiste canadien en le laissant contrôler le récit de son engagement, sans apporter de véritable contradiction. Le cas de la fête de l'Humanité est différent, puisque Paul Watson a été interrogé sur certains sujets à propos desquels ses positions sont critiquées — en particulier son rapport à l'immigration. Des figures comme lui ayant déjà accès à toutes les tribunes médiatiques qu'iels souhaitent, continuer de les inviter nourrit des critiques légitimes. Toutefois, le dispositif proposé par l'Huma me semble plutôt intéressant : cela permet de pousser Paul Watson dans ses retranchements, plutôt que de simplement lui dérouler le tapis rouge.

D'une certaine manière, son intervention à la fête de l'Huma fut plutôt « utile » puisqu'elle a permis de voir à quel point sa pensée était creuse et inoffensive. Malgré son action et son esthétique radicales, presque anarchistes, le « capitaine » mène un combat extrêmement consensuel aux yeux de la société occidentale puisqu'il ne s'attaque pas vraiment aux intérêts de celle-ci. L'écologie de Paul Watson n'est pas apolitique comme il l'affirme, elle est plutôt dépolitisée puisqu'elle ne désigne pas vraiment d'adversaire dont il faudrait cibler les intérêts à perpétuer le ravage écologique. Ce contraste entre radicalité pratique et consensualité politique confère à l'activiste canadien un large capital sympathie, jusqu'au sommet de l'État.

Hebdo L'Anticapitaliste - 769 (02/10/2025)
https://lanticapitaliste.org/opinions/ecologie/le-rejet-de-lecologie-est-largement-determine-par-des-interets-materiels

Dès lors, peut-on vraiment le considérer comme un écofasciste ?

Bien qu'il ait récemment endossé lui-même le terme dans un texte publié par Sea Shepherd France, je ne caractériserais pas Paul Watson comme un véritable écofasciste. Dans son discours écolo, on ne retrouve pas les deux caractéristiques fondamentales de l'écofascisme que sont la défense de l'enracinement (un supposé lien écologique entre un individu ou une communauté et son territoire d'origine) et le fait de considérer la nature comme un ordre intangible qui ­structurerait la société. En revanche, Paul Watson est assurément écomalthusien, obsédé par la démographie mondiale : il répète systématiquement qu'il y a trop d'humains sur Terre.

Probablement conscient du racisme qui fonde presque tous les discours sur la surpopulation, il prétend se contenter de poser des constats sans dicter de programme politique pour réduire la population. Sauf qu'en agitant la question démographique de la sorte, Paul Watson alimente le racisme écomalthusien même s'il affirme ne pas s'y ancrer lui-même. Bien que je ne le considère pas comme écofasciste lui-même, son rapport dépolitisé et malthusien à l'écologie fait de lui un acteur majeur du processus de fascisation de l'écologie que j'ai tenté de circonscrire dans mon livre.

Tu articules désormais deux notions, celle d'écofascisme, qui était au cœur de ton livre, et celle de carbofascisme.

Malgré la critique courante dont il fait l'objet dans les espaces militants, l'écofascisme présente un risque relativement marginal par rapport au risque fasciste plus général. Au sein de l'extrême droite contemporaine, le rejet de l'écologie reste dominant : c'est ce que le concept de « carbofascisme » permet de caractériser, en évitant certains écueils.

Le rejet de l'écologie par l'extrême droite est souvent considéré comme relevant du climatoscepticisme. Ce constat n'est pas faux (et certaines déclarations récentes de Trump l'ont encore montré), mais il cadre le problème de manière relativement idéaliste : le rejet de toute politique climatique ou écologique découlerait d'un manque de connaissances ou d'une absence de croyance dans la science climatique ou écologique. En réalité, ce rejet est largement déterminé par des intérêts matériels, menacés par une politique climatique ou écologique ambitieuse, qu'il faut prendre en compte. Plus que de climatoscepticisme, il serait ainsi plus judicieux de parler d'obstruction climatique ou écologique : cela permet de pointer concrètement les entraves à la recherche comme aux politiques publiques, plutôt que de rester au niveau des discours.

L'obstruction climatique est une composante particulièrement visible du carbofascisme, qui reste le rapport à l'écologie dominant au sein de ce camp politique. Ce concept désigne la convergence d'intérêts entre le capital fossile et l'extrême droite organisée. Pour le capital fossile, il s'agit de s'allier avec une force politique lui étant favorable afin de garantir ses intérêts économiques directs, en pérennisant la réalisation de profits par l'extraction et l'exploitation d'hydrocarbures. Pour l'extrême droite, les intérêts en jeu sont plutôt politiques : elle prétend défendre une « civilisation occidentale » fantasmée, laquelle est largement adossée aux énergies fossiles. Dans de nombreux cas, la convergence d'intérêts ressemble plutôt à un vrai partage, puisque certains acteurs jouent sur les deux tableaux. En France, c'est notamment le cas de Vincent Bolloré : son empire logistique repose sur la consommation d'hydrocarbures tandis que son offensive médiatique vise explicitement à consolider le camp réactionnaire sur le plan politique. Aux États-Unis, le capital fossile est un soutien indéfectible de Donald Trump depuis 2016. Sa dernière campagne était financée à plus de 15 % par des acteurs du secteur, directement par des entreprises ou par des milliardaires à titre individuel. L'autre exemple particulièrement manifeste de carbofascisme, c'est la Russie de Poutine : plusieurs oligarques russes sont à la tête de grandes firmes d'extraction et d'exploitation d'hydrocarbures. Pour le Kremlin, les ressources fossiles sont également un moyen de pression géopolitique permettant de garantir les intérêts impériaux de la Russie.

Le carbofascisme est-il porté uniquement par le grand capital ou sa base sociale est-elle plus composite ?

Les principaux travaux sur le sujet se sont focalisés sur le grand capital, notamment le fameux Fascisme fossile du Zetkin Collective (La Fabrique, 2020). Pour compléter ce panorama, il faudrait aussi caractériser la base sociale du carbofascisme. Celle-ci recouvre la classe d'encadrement ainsi qu'une fraction stabilisée (dans l'emploi, dans la propriété, dans le modèle familial nucléaire) des classes populaires, notamment implantées dans les espaces périurbains. Cette situation géographique rend ces populations dépendantes de la voiture individuelle pour leurs déplacements quotidiens, comme l'ont documenté de nombreuses analyses — notamment pendant les Gilets jaunes. Parce qu'elle est garante d'une certaine stabilité du mode de vie adopté et du confort y étant associé, la voiture individuelle fait aussi l'objet d'une forme d'attachement, qui ne s'oppose pas à la dépendance mais qui s'y ajoute.

Fondé sur un échange écologique inégal permettant aux sociétés occidentales de profiter de la prédation des ressources du Sud global, le mode de vie dont la voiture individuelle est un reflet peut ainsi être considéré comme impérial, ainsi que le font les sociologues allemands Brand et Wissen dans Le mode de vie impérial. Ainsi, la base sociale du (carbo)fascisme contemporain repose sur des intérêts matériels bien spécifiques, plutôt que sur la seule circulation du climatoscepticisme dans la société. Les rapports entre écologie et extrême droite ne sont donc pas qu'une affaire sectorielle : l'analyse écologique peut permettre de décrire la dynamique générale de l'extrême droite, tant dans ses rapports avec le grand capital que dans la constitution de sa base sociale.

Propos recueillis par la rédaction

Manifestation unitaire contre le Budget et en soutien à Gaza.

7 octobre, par Omar Haddadou — , ,
Cinq Premiers ministres se sont brûlés les ailes ! La France connait une crise institutionnelle inédite depuis la seconde guerre mondiale. Poussé aux abois par la Gauche, (…)

Cinq Premiers ministres se sont brûlés les ailes ! La France connait une crise institutionnelle inédite depuis la seconde guerre mondiale. Poussé aux abois par la Gauche, Macron voit, depuis hier, le sol de l'Elysée se dérober sous ses pieds. Lecornu aussi ! Entre guerre des Chefs (ffes) et chienlit, la France vacille !

France

De Paris, Omar HADDADOU

Embourbée dans une instabilité politique inédite, la France de Macron n'incite pas à franchir le pas pour Matignon !
Aux abois, Emmanuel, qui soutient « qu'il prendra ses responsabilités en cas d'échec », sent le vent de sa destitution ou de démission souffler derrière la porte de l'Elysée. Son gouvernement est démissionnaire depuis hier 6 octobre 2025, dans un contexte de brumaille et de passage à la trappe irréversible.

L'heure n'est plus à la prise en charge des affaires courantes, mais à la sauvegarde des contreforts de la République, secouée par des dissolutions en file indienne.

Dans l'urgence, le Président a demandé au Premier ministre de mener, d'ici mercredi, les ultimes consultations que d'aucuns avaient rejetées d'un revers de main.

La Gauche assiste à ce qui s'apparente à la « chute d'un Monarque », décontenancé par l'accélération de la déroute brutale que cette dernière lui a patiemment accommodée.

Hier, Manuel Bompard, Porte-parole de la France Insoumise (LFI), n'a pas mâché ses mots pour pousser le Président - en chute dans les derniers sondages - vers la sortie, qualifiant l'obstination de Macron de « Spectacle affligeant ».

Le Député « déplore une situation d'une gravité absolue » et exige « la démission du chef de l'Etat ». Plus furax, la Présidente de LFI sentencie : « La politique de Macron a été battue 3 fois dans les urnes. Lecornu a été censuré sous les gouvernements Barnier / Bayrou. Il a été pourtant nommé Premier ministre. Et a démissionné. Mais Macron charge ce même Lecornu de continuer cette politique qui n'a plus aucune légitimité. La fin de règne de la Macronie est interminable. Qu'ils s'en aillent tous ! », a-t-elle martelé.

En proie au chaos politique et à la disgrâce, le Président a accordé, hier soir (sous forme d'ultimatum) au très volatil et ressuscité aléatoirement, Sébastien Lecornu, deux jours pour former son gouvernement. La démission de Lecornu a mis à nues les inimitiés et les appétits au sein de la Droite (LR).

Le jeu des accointances avec le Chef du gouvernement sortant défraie la chronique.

Bruno Retaillau, antérieurement Ministre de l'Intérieur, mentor des Républicains aux ambitions présidentielles ardentes, voit son aura et sa gravitation au-dessus du lot, compromises par l'entrée en lice d'un poids lourd en la personne de Michel Barnier.

D'où sa sortie, in extrémis : de ne pas participer, ce mardi, à la réunion du Socle commun.

Le « flingueur » des Immigrés, manœuvre en coulisse et par téléphone en vue d'une rencontre en tête à tête avec Sébastien Lecornu.

Côté Socialistes (PS), Olivier Faure, honni par les Insoumis, a abattu insolemment ses cartes sans rougir, annonçant qu'il « répondrait positivement, s'il était appelé à Matignon ».

Se voulant conciliante, la Secrétaire générale des Ecologistes, Marine Tondellier souhaite une réunion de tous (tes), après avoir échangé avec l'ensemble des partis de gauche.
Le climat délétère de fragmentation de la classe politique française, témoigne du rejet d'un Budget injuste et une politique macaroniste courtisant le Patronat.
D'où le coup de gueule de Sophie Binet, Secrétaire générale de la CGT,, samedi 4 octobre à la Place d'Italie lors de la gigantesque manif contre le Budget du Premier ministre, Sébastien Lecornu. En première ligne du cortège, elle a aussitôt mis en garde le locataire de Matignon : « Soit il répond aux exigences sociales, soit il ne répond pas, et il ira très vite au cimetière des Premiers ministres ! » .

Le Budget 2025 acte la mort d'un modèle social et les acquis arrachés de très haute lutte. L'intersyndicale et les manifestants (es) ont promis de dégommer les Politiques qui entraveraient leur combat pour une Justice sociale s'articulant autour de la Retraite, le Chômage, la Santé, etc.

Parmi les slogans frappants, on notera : « Des milliards pour les salaires pas pour la guerre ! Des milliards pour la Paix, pas pour l'Armée ! ».

La cause palestinienne a été au cœur d'un cortège en ébulition, avec les emblèmes et incontournables cris de rage : « Palestine vivra, Palestine vaincra ! ».

Contre le Budget de l'austérité eten soutien à la lutte pour la dignité, Paris et la flottille restent mobilisés !

O.H

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Caricature

7 octobre, par Kaël Mercader — ,

François Legault ou la volonté de recomposition autoritaire du capitalisme québécois

7 octobre, par Bernard Rioux — ,
Le discours de François Legault, prononcé le 30 septembre dernier à l'Assemblée nationale manifeste un virage populiste conservateur dans l'espoir d'en tirer un maximum de (…)

Le discours de François Legault, prononcé le 30 septembre dernier à l'Assemblée nationale manifeste un virage populiste conservateur dans l'espoir d'en tirer un maximum de soutien électoral aux élections de 2026. Sous des airs de gestion responsable et de fierté nationale, le premier ministre a formulé ce qui ressemble de plus en plus à un programme de recomposition nationaliste autoritaire du capitalisme québécois. Derrière les slogans de « prospérité », de « sécurité » et de « valeurs québécoises » se profile une offensive systématique contre les syndicats, les services publics et les migrant·es, en faisant les responsables de tous les maux de la société québécoise.

Un projet de classe pour le grand capital

Legault a voulu présenter son discours comme un appel à « se retrousser les manches » pour assurer la croissance du Québec. Mais pour qui ? Il ne s'adresse pas à la majorité laborieuse, ni aux femmes travaillant dans les services publics, ni aux jeunes étouffé·es par le coût du logement. Son message est clair : le gouvernement se met au service du capital industriel et financier, et il mobilisera la Caisse, Hydro-Québec et Investissement Québec pour soutenir le développement des grandes entreprises.

Il promet qu'Investissement Québec pourra soutenir les industries de l'armement, au nom de l'indépendance de cette industrie vis-à-vis des États-Unis ! Quand il parle d'une « Baie-James du XXIᵉ siècle », il s'agit d'une plateforme de subventions massives et d'accès à des blocs d'électricité au capital extractif.

Derrière l'efficacité, la déréglementation et la casse sociale

L'État, selon François Legault, sera chargé de garantir la rentabilité du capital sous prétexte de transition énergétique, alors qu'il envisage dans un même temps la déréglementation environnementale, la privatisation partielle d'Hydro et la mise au pas des communautés locales. La transition énergétique et l'électrification de l'économie ne sont pas envisagées comme un plan de lutte contre les changements climatiques mais comme une stratégie pour créer des avantages compétitifs pour les entreprises d'ici et d'ailleurs.

Le mot d'ordre de Legault est clair : « simplifier, accélérer, alléger ». La « réduction de la bureaucratie » annoncée n'est rien d'autre qu'un plan de compressions et de centralisation autoritaire. Moins de fonctionnaires, plus de sous-traitance, plus de contrats aux firmes privées. Mais il ne dit rien sur la perte d'expertise de la fonction publique et des organismes gouvernementaux au profit du privé avec les pertes d'argent public qui en découlent, comme l'a illustré le scandale de SAAQclic.

Une attaque frontale contre les syndicats

Dans le même souffle, il s'en prend directement aux syndicats, accusés d'être « favorisés » et responsables du « trop grand nombre de grèves ». En réalité, c'est le pouvoir collectif des travailleurs et des travailleuses qui est visé. « Il est temps, affirme le premier ministre, que les syndicats recentrent leurs actions sur leur mission essentielle. » Il vise essentiellement à réduire les capacités des syndicats à intervenir sur les problèmes de société par une ingérence dans l'utilisation des finances syndicales. Il s'attaque également au droit de grève, dans la perspective de soumettre les syndicats aux volontés patronales. Comble d'insulte, l'ineffable ministre du Travail, Jean Boulet, parle de défendre les syndiqué·es contre les syndicats.

L'austérité sélective et le mirage fiscal

Legault se vante d'avoir « remis de l'argent dans le portefeuille des Québécois ». Mais ces baisses d'impôts et aides ponctuelles ne visent qu'à acheter la paix sociale et à se construire une rente électorale. Elles profitent surtout aux classes moyennes et supérieures, tout en préparant le terrain à une nouvelle phase d'austérité.

Pour le premier ministre Legault, si les finances publiques ont un problème, ce n'est pas que les banques, les grandes entreprises et les plus riches ne paient pas leur juste part, c'est qu'on dépense trop et qu'il faudra donc couper dans les services publics. Pendant ce temps, il se vante de subventionner les grandes entreprises minières à coup de centaines de millions de dollars. Il ne faut d'ailleurs pas oublier Northvolt et l'argent qu'il a tiré par les fenêtres.

Sécurité, ordre et répression

La « sécurité » est un autre volet de son projet. Il vise le renforcement des pouvoirs policiers et pénaux. Il promet plus d'arrestations, plus de prisons, plus de sanctions. Mais il ne dit rien des causes sociales de la violence : pauvreté, crise du logement, mauvaises conditions de travail, problèmes de santé mentale. Son approche est purement répressive, orientée contre les plus pauvres, les sans-abri, les toxicomanes.

Cette politique s'inscrit dans une vision du monde profondément conservatrice : celle où l'État protège l'ordre établi, la propriété privée et les “valeurs traditionnelles”, au lieu de protéger la dignité et les droits des citoyennes et des citoyens.

Identité et laïcité : le masque de la division

La dernière partie du discours, consacrée à la « protection des valeurs québécoises », dévoile le cœur idéologique du projet de ce gouvernement. En invoquant la menace des « islamistes radicaux » tout en affirmant ne pas viser les musulmans, la déclaration semble équilibrée. En réalité, cette nuance est au cœur d'une stratégie de communication bien rodée : dire tout haut ce que plusieurs pensent tout bas, mais sous une forme politiquement correcte. En séparant les « bons musulmans » des « islamistes radicaux », le premier ministre se protège contre l'accusation d'islamophobie, tout en entretenant le soupçon que la menace viendrait de l'intérieur de cette même communauté. C'est ce qu'on appelle une dénégation performative : on nie vouloir stigmatiser un groupe, tout en le présentant comme porteur potentiel du danger.

Ce double langage n'est pas accidentel. Il est central à la rhétorique du populisme identitaire : affirmer la tolérance pour mieux légitimer la peur. En d'autres mots, François Legault souffle le chaud et le froid. Il prétend apaiser, mais il excite les réflexes de méfiance qui traversent déjà une partie de la société québécoise. En ciblant les « islamistes radicaux », Legault construit un ennemi intérieur racialement marqué, légitimant des mesures coercitives et un contrôle accru sur les communautés musulmanes. Cette logique nourrit le nationalisme conservateur bâti sur la peur de disparaître face à l'autre, la peur du métissage culturel et linguistique.

C'est une vieille stratégie : diviser pour régner. En désignant des boucs émissaires – immigrants temporaires, musulmans, demandeurs d'asile, comme responsables de tous les maux qui frappent la société québécoise – François Legault détourne la colère populaire de sa véritable cible : le capitalisme québécois et ses alliés politiques. Il habille ce nationalisme de mots nobles : laïcité, culture, langue. Mais derrière cette rhétorique se cache une offensive idéologique contre la gauche, les mouvements syndicaux, féministes et antiracistes, et contre toute forme de solidarité de classe.

La laïcité est au cœur du discours de Legault. Mais la laïcité qu'il invoque n'a plus grand-chose à voir avec la neutralité de l'État ou la liberté de conscience. Elle est devenue une bannière nationaliste, voire un instrument de contrôle culturel. La laïcité devrait servir à libérer l'espace public des discriminations, pas à les justifier.

Un projet de Constitution du Québec respectant la constitution canadienne et élaboré sans intervention de la majorité du peuple québécois.

Le projet d'une « Constitution du Québec » participe de cette même logique. « Je vous annonce aussi que, pour renforcer notre autonomie juridique, pour défendre nos valeurs communes et notre identité, le gouvernement va bientôt déposer à l'Assemblée nationale un projet de constitution du Québec. Ce qui nous définit, c'est aussi beaucoup notre culture. Notre belle langue française, notre histoire, notre patrimoine, les arts et ce qu'on appelle nos productions culturelles. » La constitution n'est pas vue comme un instrument de souveraineté populaire où le peuple se prononcerait sur les institutions et la mise en place d'une démocratie citoyenne, il s'agit pour ce gouvernement conservateur d'imposer un cadre institutionnel au nationalisme bourgeois, recentré sur l'ordre, l'autorité et la compétition économique.

Reconstruire une contre-hégémonie populaire

Le moment est grave, mais il peut devenir un moment de bascule. Car ce projet de recomposition autoritaire du capitalisme québécois ne triomphera que si le peuple n'approfondit pas sa mobilisation et son unité. À l'inverse, chaque lutte – des syndicats, du mouvement étudiant, des locataires, du mouvement écologiste, des communautés autochtones – peut contribuer à bâtir une contre-hégémonie populaire au discours conservateur et nationaliste.

Conclusion

Le discours de François Legault est un manifeste de classe : celui d'un bloc nationaliste bourgeois qui veut consolider sa domination en conjuguant le néolibéralisme économique, l'autoritarisme politique et le nationalisme identitaire et régressif.

Une résistance victorieuse du camp populaire au bloc nationaliste bourgeois ne peut s'appuyer que sur la convergence des luttes : celles pour le contrôle collectif de l'énergie et des ressources ; celles pour les réinvestissements massifs dans nos services publics ; celles pour le droit à un logement décent ; celles en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes ; celles contre le racisme systémique ; celles pour la justice migratoire ; celles pour la redistribution des richesses par une réforme de la fiscalité ; celles pour la défense du syndicalisme comme pouvoir collectif et démocratique des travailleurs et des travailleuses ; et finalement, celles pour la souveraineté populaire dans la définition d'une constitution réellement démocratique et indépendantiste. C'est seulement par une telle convergence des luttes que nous pourrons inverser le rapport de force, briser l'hégémonie conservatrice et rouvrir la voie à un Québec indépendant, égalitaire, féministe, écologiste, antiraciste et véritablement démocratique.

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