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Un avant et un après l’UNOC 3 ?

Si la conférence sur les océans, tenue à Nice durant la deuxième semaine de juin, a été grandement médiatisée et a permis plusieurs développements prometteurs pour la protection des océans, beaucoup de ceux-ci ne sont que des étapes dans la réalisation de projets encore à venir et de nombreux espoirs y ont fait naufrage.
La Conférence des Nations unies sur l'océan (UNOC), a réunis du 9 au 13 juin à Nice sur la Côte d'Azur plus de 100 000 personnes, 12 000 délégations de 175 pays, 115 ministres, 64 chefs d'État et 28 responsables d'organisations onusiennes, représentant au total près de 85 % du volume des ressources de la planète et plus de 90 % des zones économiques exclusives mondiales.
Une conférence nécessaire
Michel Prieur, professeur de droit de l'environnement et président du centre international de droit comparé de l'environnement, participait à l'UNCO 3. Il explique que cette conférence est nécessaire pour avoir une vision globale des enjeux qui s'entremêlent quand il est question de la mer. « Il y a déjà de nombreux traités sur la mer », affirme-t-il en mentionnant le traité de portée générale sur les droits de la mer de 1982 et de nombreuses conventions spéciales sur des pollutions particulières qui ont été instituées il y a assez longtemps et n'intègrent pas les nouvelles données environnementales. « Donc, il était nécessaire de réactiver le droit lié aux océans. C'est depuis Rio 92 ou il a été démontré que la mer était un milieu fragile qui était victime de pollution. » C'est d'abord toutes les catastrophes des déversements d'hydrocarbures qui ont alerté l'opinion publique et les gouvernements. Il y a aussi eu les découvertes scientifiques sur les richesses de la mer, la biodiversité, la crise alimentaire et la surpêche. « Tout ça faisait un ensemble. On ne pouvait pas traiter séparément la pollution par les hydrocarbures, les poissons, les recherches sous-marines. Il fallait une réflexion intégrée horizontale et c'est l'objet des conférences sur les océans. » Celle à Nice en est la troisième.
Avancées
Les organisateurs sont satisfaits de l'événement. L'envoyé spécial de la France et organisateur de l'UNOC 3, Olivier Poivre d'Arvor, affirme à ce sujet que « Nice a gagné le pari de l'océan ». Les avancées sur le traité international de protection de la haute mer et de la diversité marine ont motivé le président Macron à annoncer sa mise en vigueur en janvier 2026, bien qu'il manque quelques voix promises. Pour Rym Benzina Bourguiba, présidente de la saison bleue (Tunisie), obtenir 55 ratifications fermes alors qu'auparavant il y en eût 22 ou 23, c'est un bon pas, considérant ceux qui seraient à venir. « Avec 15 autres ratifications qui vont venir d'ici septembre, ça va être annoncé à New York, ce moratoire sur la haute mer, c'est très important. » Enseignant-chercheur à Sciences Po Bordeaux et à Bordeaux Sciences Agro, Pierre Blanc, auteur de « Géopolitique et climat », considère que les avancées de l'UNOC 3 montrent une vivacité du fonctionnement multilatéral.
La résolution de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) d'interdire les subventions aux techniques destructrices, qui a été ratifiée par 103 États, serait une autre avancée. « Cela représente environ 3 000 bateaux, il en faudrait 3 600, soit 10 pays supplémentaires, pour que la résolution entre en vigueur », a affirmé le directeur des politiques internationales de la Fondation Tara, André Abreu.
En ce qui concerne la réduction de la production de plastique, 96 pays ont signé une déclaration d'intention en ce sens. Ils représentent plus de la moitié des 170 pays impliqués dans les négociations du « traité plastique » qui dure depuis 2022 et dont le cinquième round doit reprendre en août à Genève. La ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, est directe à ce sujet. « Ce que nous voulons, c'est un traité qui fixe un objectif de long terme avec une trajectoire de réduction à respecter ». Le ministre de l'Environnement des îles Salomon, Trevor Manemahaga affirme que « C'est la pollution de l'océan qui est en jeu, la santé de nos enfants qui est en jeu, l'avenir de la planète qui est en jeu. » Il y aurait environ 460 millions de tonnes de plastique qui auraient été produites en 2024, une quantité qui pourrait tripler d'ici à 2060.
Moins bon point
La conférence a cependant essuyé certaines critiques, notamment au sujet des engagements financiers jugés insuffisants et du manque de progrès concret obtenu. La chef de délégation de Greenpeace International à l'UNOC, Megan Randles, commente à ce sujet : « Nous avons entendu beaucoup de belles paroles ici à Nice, mais elles doivent se transformer en actions. »
Il y a aussi eu 100 milliards de dollars d'aide qui ne se sont pas matérialisés. Cet argent serait nécessaire. Selon le président de la Polynésie française (300 000 habitants sur 118 îles), Moetai Brotherson, les nations insulaires sont « des colosses avec des épaules gigantesques et des tout petits pieds », puisqu'ils représentent moins de 0,1 % du PIB mondial réparti sur un tiers de la surface du globe.
La présidente des îles Marshall (42 000 habitants sur 29 îles), Hilda C. Heine, a affirmé que « trop peu de choses sont faites et trop lentement. »
Le président des Palaos (21 000 habitants sur 340 îles), Surangel Whipps Jr. demande aux pays riches de mettre en pratique leurs discours sur la protection des océans, mettant au défi ces pays : « Si vous voulez vraiment protéger les océans, prouvez-le. »
Le ministre de l'Environnement du Vanuatu (320 000 habitants sur 83 îles), Ralph Regenvanu, a affirmé « Nous vivons votre avenir. Si vous pensez être en sécurité, vous ne l'êtes pas. » Son pays a d'ailleurs saisi la justice internationale pour obliger les États développés à réduire leurs émissions de CO2.
Principales responsables du réchauffement climatique, les énergies carbonées ont aussi été peu discutées à la conférence. Selon l'ancien émissaire américain pour le climat, John Kerry, présent à Nice, « il est impossible de protéger les océans sans s'attaquer à la principale cause de leur effondrement : la pollution due aux combustibles fossiles injectés sans relâche dans l'atmosphère. » Bruna Campos, de l'ONG Ciel commente à ce sujet que d'« ignorer l'impératif de sortir du pétrole et du gaz offshore n'est pas seulement une injustice : c'est inadmissible. »
Une conférence historique malgré ses faiblesses ?
Pour l'artiste fondateur du projet archipel de l'UNOC, Yacine Aït Kaci, cette conférence lui fait penser à la COP21 à Paris. « Il y a vraiment eu un avant et un après, en tout cas au niveau de la mobilisation de la société civile et de la prise de conscience collective. Je crois qu'il s'est vraiment passé quelque chose à Nice cette semaine, et donc, dans le monde. »
Dans une entrevue donnée à TV5 Monde diffusée le 14, juin, le docteur François Gemenne qui est un des auteurs du dernier rapport du GIEC, considère que la conférence sur l'océan à Nice est aussi une opération de communication qui permet de mettre le sujet dans l'actualité et de créer une certaine forme de dynamique politique, comme cela se serait produit avec le traité sur la haute mer. L'UNOC 3 serait donc aussi un exercice de communication. « Sincèrement, sur quel autre sujet peut-on aujourd'hui trouver autant de gouvernements avec un but commun ? Il ne reste quasiment plus que l'environnement, il faut bien le dire. »
Michel Gourd
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Cinéma expérimental et mépris de classe : une histoire critique (partie 2)
ANNÉES 45 À AUJOURD’HUI : LE MÉPRIS PAR LE CINÉMA SE DONNE DES MOYENS
Pour aider à vous souvenir où j’en étais la dernière fois, voici des extraits de la conclusion de mon premier article : La première génération expérimentale trouve son origine dans une partie de la classe petite-bourgeoise intellectuelle européenne, qui utilise le cinéma pour se distinguer à la fois par sa production et par sa cinéphilie, des classes supérieures, moyennes et travailleuses qui participent ensemble à la production sociale (au sens large) dominante du cinéma. La petite-bourgeoisie expérimentale de première génération se distingue de toutes ces classes : elle passe par des circuits de production (circulation, distribution, publicité, etc.) parallèles, dans les cas où elle se soucie d’être un minimum vue, ce qui empêche la consommation de masse de ses films ; elle rend aussi ses films incompréhensibles pour la cinéphilie dominante. Le cinéma parlant, en augmentant drastiquement le prix de la fabrication des films, causera des obstacles productifs à l’autonomie intellectuelle de cette classe, autonomie qu’elle ne laissera même pas tomber pour intégrer par exemple la production militante ouvrière des années 20-30. La première génération ne saura pas résoudre le problème du financement de son cinéma, véritable obstacle à son autonomie, et en conséquence le cinéma expérimental s’essoufflera, jusqu’à son relancement par la deuxième génération après la Deuxième Guerre mondiale. En effet, dans les années 30-45, en Europe, le développement des esthétiques précédemment associées au cinéma expérimental (souvent sous la forme des courants) diminue, et presque aucun film marquant rattaché aujourd’hui au cinéma expérimental n’est produit. Le projet de la création d’organisations de production (au sens plus strict) autonome, sous forme notamment de coopératives, est cependant déjà envisagé.
Raphaël Simard

Entre les deux générations : des problèmes de production et de transmission
Dans les années 30 et jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (donc 1930-1945), le cinéma expérimental est surtout constitué de courants mineurs et/ou plus isolés que dans la décennie 20[i]. Les faits décisifs de ces années dans le relancement ultérieur du cinéma expérimental sont l’émergence du cinéma expérimental états-unien (et non plus européen comme dans la première génération), dont la première avant-garde nationale de 1927 à 1934 est d’ailleurs composée de critiques et de cinéastes et non plus d’artistes d’autres disciplines (comme c’était le cas souvent dans la première génération) ; et le rôle joué par des passeurs « entre la première avant-garde européenne [que l’on a vu dans le précédent article] et l’avant-garde américaine d’après-guerre », comme le Tchécoslovaque Alexander Hackenschmied qui anticipait déjà le « cinéma de transe » des années 40 dans son film de 1930 :
Émigré aux États-Unis après avoir réalisé avec Herbert Kline et Hans Burger le long-métrage Crisis, pour Frontier Films [une structure de cinéma militant], sur la montée du fascisme dans son pays, [Hackenschmied] épouse Maya Deren et coréalise avec elle […] le film fondateur de la nouvelle avant-garde américaine : Meshes of the Afternoon (1943). Oskar Fischinger et Hans Richter […] quittent eux aussi l’Allemagne et deviennent de remarquables passeurs.[ii]
L’avant-garde américaine des années 30 reste donc « composée de cinéastes isolés[iii] ». Ce n’est pas surprenant : la distinction sociale par le capital culturel telle que la décrite Pierre Bourdieu ne se fait pas de manière mécanique, sans intervention des sujets collectifs — les classes dominantes doivent en effet transmettre le capital culturel à la prochaine génération, sans quoi leur position sociale ne persisterait pas :
[Le modèle bourdieusien de la distinction] octroie tout d’abord une place importante à la stratification temporelle des goûts et des pratiques, qui se manifeste en particulier, dans l’espace de la production comme dans celui de la consommation culturelle, à travers les cycles d’innovation et la succession des avant-gardes. Les productions culturelles sont soumises, comme l’ensemble des produits, à un phénomène de cycle de vie qui s’agrémente de mouvements inverses de banalisation et de réhabilitation culturelle déplaçant périodiquement la frontière qui sépare le domaine de la culture savante de celui de la culture populaire. Cette dynamique temporelle entre de ce fait en composition avec une série de clivages générationnels.[iv]
C’est exactement ce qu’il faudra attendre pour voir un relancement de la production de films expérimentaux. Nous verrons que la transmission se fera sur la base d’une nouvelle cinéphilie, et que la nouvelle génération aura la particularité par rapport à la première (les premières avant-gardes européennes) de se doter de moyens productifs plus grands pour assurer au long cours la transmission du capital culturel qui fait qu’encore aujourd’hui il y a du cinéma expérimental[v].
La deuxième cinéphilie dominante est une cinéphilie petite-bourgeoise intellectuelle
La seconde grande cinéphilie qui se développe au XXe siècle, appelée cinéphilie « moderne » ou « savante » par Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, se construit dans une certaine mesure en opposition à la première cinéphilie dominante (la cinéphilie que j’appelais « de masse » ou « ordinaire » dans le premier article)[vi]. Le dédain et le silence sur la première cinéphilie dans la recherche universitaire en cinéma, et ce au moins encore en 2010, en rendent compte, comme le soulignent les deux auteurs, en accord avec le critique Philippe d’Hugues[vii]. Cette nouvelle cinéphilie peut être considérée comme la deuxième cinéphilie dominante selon moi, au sens qu’elle sera défendue par des moyens matériels qui en assureront la domination idéologique et la reproduction, qu’elle sera en accord avec les aspirations d’une classe plus dominante que dominée, et qu’elle servira d’outil idéologique participant au maintien des classes (antagonistes ou non). Je veux en effet défendre que cette deuxième cinéphilie dominante est portée par le sujet collectif de la petite-bourgeoisie intellectuelle en général et non en partie (tout comme la première génération). Cette seconde génération s’inscrira dans le cours de ce que Jullier et Leveratto appellent « l’institutionnalisation de l’expertise cinématographique » dans les décennies 40 et 50, en Europe et aux États-Unis[viii]. Le rôle joué conjointement par les universités et les États y est primordial : en France par exemple, cela passe par la « création par l’État d’un dispositif de contrôle économique de l’industrie cinématographique, le CNC, d’un dispositif de valorisation de la production française, le Festival de Cannes, mais aussi par la reconnaissance officielle de l’importance de son étude à l’Université. »[ix] Le rôle matériel fondamental que seront amenés à jouer les universités et les États dans le cinéma expérimental de deuxième génération se comprend à la lumière du coût plus grand des films avec le cinéma parlant, qui obligeait, comme nous l’avons déjà vu, à trouver une source de financement plus grande et plus stable pour le cinéma expérimental. Cette condition matérielle était selon moi un frein à l’aspiration d’autonomie intellectuelle de la classe petite-bourgeoise intellectuelle du cinéma expérimental, et explique qu’elle trouvera le relancement de sa production de films seulement dans des institutions lui promettant une relative autonomie productive. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la deuxième génération sera surtout impulsée, sans s’y réduire du tout, par des États-Uniens. Les universités américaines ont commencé avant les universités des autres nations à s’intéresser au cinéma de manière scientifique : elles commencent à « intégrer, dans les années 20, [l’étude du cinéma] dans leurs cursus littéraires, économiques et sociologiques. Des cours d’enseignement apparaissent [aux États-Unis dès cette époque]. »[x] En un mot, la recherche cinématographique est progressivement intégrée à l’Université que ce soit en France vers 1940 ou aux États-Unis dans les années 20. Ce phénomène traduisait le fait que l’Université en général est un lieu particulièrement peu accessible pour les classes travailleuses. En France à l’époque : « [l’] Université […] ne connaît pas encore le phénomène de démocratisation des études supérieures que vont instaurer les années 60. »[xi] Jullier et Leveratto affirment qu’en France, la composition sociale de l’Université et l’autonomie obtenue grâce et face aux institutions publiques mènent au postulat fondamental de la conception du cinéma de la cinéphilie savante : l’autonomie revendiquée de l’art, dont le cinéma, par rapport à la société[xii]. Cependant, ce postulat de la cinéphilie savante donne lieu à deux attitudes, une socio-politique et une esthétique, qui se contredisent : cette cinéphilie présente d’un côté la volonté d’étudier le cinéma en montrant péjorativement le fait qu’il est assujetti aux grandes entreprises et aux idéologies « conservatrices » ; la même cinéphilie présente, de l’autre côté, l’affirmation d’une valeur intrinsèque et artistique du cinéma, par sa seule forme, donc qui devrait être étudié en dehors de son contexte social[xiii]. Le postulat de cette cinéphilie mène à des postures et des pratiques (comme nous le verrons), en apparence contradictoires, qui ne peuvent donc pas définir cette cinéphilie : je tenterai de trouver l’unité de celle-ci encore une fois dans la cohérence avec une même condition matérielle et un même usage du cinéma comme outil de distinction et de prise d’autonomie intellectuelle.
On peut considérer généralement la deuxième cinéphilie dominante comme une position permise par une autonomie matérielle partielle par rapport à l’État et au marché du film que n’avait pas (même si les critiques professionnels avaient une certaine indépendance vis-à-vis du marché du film) la petite-bourgeoisie intellectuelle intégrée au marché dans les années 20-30. En effet, aux États-Unis, selon Jullier et Leveratto (et on peut le supposer en Europe aussi), les nouvelles classes moyennes vont utiliser les universités comme moyen pour développer une cinéphilie qui leur permettra de se distinguer de la cinéphilie de masse d’alors :
Shyon Baumann [chercheur] rend compte […] du fondement sociologique de ce processus d’émergence d’une expertise cinéphile savante et de sa promotion d’une valeur artistique du cinéma. S’appuyant sur La distinction de Pierre Bourdieu, il y reconnaît un phénomène de revendication par les classes moyennes nouvelles, dont l’expansion a été favorisée par l’énorme développement du secteur des services à partir de la seconde guerre mondiale, d’une consommation culturelle commune jusqu’alors relativement méprisée. Aux États-Unis cette conversion du cinéma en instrument de distinction culturelle est alimentée, à partir des années 50, par l’importation de films européens [dont des films expérimentaux] et d’écrits de critiques étrangers […]. La consommation avide de ces films et de ces écrits, diffusés par les Art Houses (les [salles de cinéma] d’art et d’essai) et les Universités, a ainsi permis d’instituer la légitimité culturelle d’une certaine forme de consommation cinématographique qui est devenue un marqueur de supériorité culturelle de celui qui la maîtrise. On observe donc aux États-Unis comme en France, ce que Shyon Baumann caractérise comme la conversion d’un certain discours sur le cinéma en capital culturel […].[xiv]
Il y a un véritable mépris pour le cinéma de masse d’alors, tant dans plusieurs des facteurs ou critères de son goût qu’est la cinéphilie de masse que dans son mode de production au sens large des films, c’est-à-dire la valeur marchande établie par les grandes entreprises. Comme mentionné plus haut, le cinéma produit par le cinéma expérimental choquera parfois les goûts de la masse, par sa morale ou son propos politique, mais d’autres fois il se rendra incompréhensible pour le consommateur ordinaire, montrant à ce dernier ainsi l’invalidité ou l’incapacité de son jugement cinématographique :
Réservé aux individus capables de faire l’effort de personnaliser leur jugement, ce jugement [le jugement de la cinéphilie savante] n’est pas accessible à la masse des consommateurs attentifs uniquement au plaisir que leur procure le film [ceci est une tournure ironique qui fait référence notamment à l’importance des émotions dans la cinéphilie de masse]. La qualité cinématographique se définit du même coup par sa capacité à décevoir l’attente du consommateur ordinaire, incapable de vraiment juger les films.[xv]
Un lien étroit entre progressisme socio-politique et progressisme des formes esthétiques est évident dans cette cinéphilie : la « tradition » esthétique est associée au conservatisme au sens politique et social, l’innovation esthétique est associée au progressisme[xvi]. Les consommateurs ordinaires, typiquement les classes populaires, sont considérés comme pris dans la tradition et le conservatisme, et il convient de le leur montrer, en faisant des films qui leur rappelle leur incapacité : « on peut dire [de cette cinéphilie qu’elle est] “moderne” au sens où elle fait des cinéphiles qui ne se soumettent pas à son esthétique des “autres”, prisonniers de la tradition, victimes de leur sens [leurs émotions, par exemple], et dupés par la magie cinématographique des blockbusters. »[xvii] Or, cette disposition à la lutte politique, que n’avaient presque pas les cinéastes expérimentaux de la première avant-garde européenne, se verra dans le cinéma expérimental de deuxième génération, mais surtout dans les années 60 :
Les années 60 voient la contestation [dans la société en général] embraser tous les domaines : lutte contre la censure ([Jonas] Mekas ira en prison) pour avoir projeté Un chant d’amour, de Jean Genet), contre la guerre du Vietnam, pour les droits civiques des minorités, pour la reconnaissance de la culture gay [on pourrait ajouter : pour les droits reproducteurs féminins]. Le cinéma underground [appellation d’un courant plus précis de cette époque et dominant le cinéma expérimental] est en phase avec tous ces mouvements.[xviii]
Dès lors, on peut comprendre les films politiques choquants (pour le cinéphile de masse) de la seconde avant-garde du cinéma expérimental, avant-garde qui sera aussi intégrée à l’Université (nous le verrons plus bas), comme une rupture avec la première cinéphilie qui valorisait l’éthique dans le jugement cinématographique, rupture permise par l’autonomie partielle du sujet collectif qui les produit face à l’État et au marché : « L’irrévérence, la réhabilitation du corps, l’hédonisme fonctionnent comme autant de détonateurs au sein d’un cinéma encore marqué par les contraintes du code Hays, le code moral régissant la production américaine de 1930 à 1968. »[xix] Ainsi sont unifiées les deux postures contradictoires fondamentales de la deuxième cinéphilie dominante, l’une socio-politique et l’autre esthétique, par une même distinction de classe et par une revendication d’autonomie.
À la lumière de la base matérielle et du postulat fondamental de la deuxième cinéphilie dominante, nous pourrons désormais comprendre le rapport entre les deux cinéphilies dominantes du XXe siècle. Plus exactement, il faut expliquer pourquoi la cinéphilie savante reprend en général les présupposés de la cinéphilie de masse que j’ai identifiés bien plus haut : le rapport affectif/émotionnel au cinéma, le statut du cinéma comme art au-delà de la production capitaliste, l’intérêt pour la technique du cinéma, le respect d’une certaine éthique au cinéma, et la conception du cinéma comme création personnelle[xx]. Avant tout, il faut dire que la reprise des présupposés n’est pas surprenante, dans la mesure où la cinéphilie savante provient de classes moyennes nouvelles, donc en partie de transfuges venant des classes travailleuses accédant à l’Université, et en partie de la petite-bourgeoisie intellectuelle autrefois intégrée au marché (du cinéma) et qui entre désormais à l’Université ; en somme, toutes des classes qui partageaient la cinéphilie de masse. Selon la théorie bourdieusienne, « certains domaines culturels qui relèvent de la culture populaire d’une génération peuvent […] s’incorporer à la culture savante des générations suivantes » ; la reprise que je vais décrire n’est donc pas étrangère du tout au processus de transmission générationnelle du capital culturel[xxi]. La position elle-même de la petite-bourgeoisie intellectuelle qui développe la cinéphilie savante la met dans un rapport ambivalent à la société : bien que l’Université lui donne une autonomie certaine dans la recherche, elle dépend tout de même de l’État et du marché dans une grande mesure pour continuer son activité, ce qui la pousse selon moi à s’intéresser au cinéma de masse, au cinéma valorisé par la cinéphilie de masse. Ce qui change dans la cinéphilie savante et le cinéma expérimental de deuxième génération, par rapport à la précédente cinéphilie, c’est que l’usage de ces présupposés n’est plus accessible à la masse comme il l’était dans la critique professionnelle des années 30 ou dans les livres d’histoire du cinéma des années 20 ; seuls ceux ayant ce capital culturel, cette cinéphilie savante, ses codes précis, peuvent les utiliser, les maîtriser ; ces présupposés deviennent autant de manières de se distinguer de la masse, et ils le permettent d’autant plus qu’ils sont des présupposés communément partagés par la masse[xxii].
Je veux repasser les points que j’ai énoncés au début de ce dernier paragraphe qui formaient la première cinéphilie, pour voir leur redéploiement dans la seconde. Le rapport affectif/émotionnel au cinéma n’est plus une capacité de tous les spectateurs : il demande désormais de faire l’effort de se créer un jugement personnel, c’est-à-dire en réalité d’intégrer les codes du bon discours sur les œuvres, les références à connaître, le vocabulaire scientifique de la recherche, etc.[xxiii] Autrement dit, l’émotion et « le plaisir que […] procure le film » ne peuvent plus être simplement vécus et exprimés dans le langage courant, car ils sont vus comme opposés, antinomiques à l’analyse formelle du cinéma, anti-scientifiques[xxiv]. Elle doit être intégrée à un discours savant sur les qualités formelles du film, discours qui remplace l’écoute en tant que moment propice à l’émotion. Le statut du cinéma comme art ayant une valeur supplémentaire, supérieure à celle du profit fait par la grande production, conception qui était en germe dans la cinéphilie de masse, devient avec la cinéphilie savante une catégorisation entre les films d’art produits et défendus par les cinéphiles savants, et les films commerciaux aimés par la masse parce que cette dernière est jugée fondamentalement conservatrice (typiquement les blockbusters)[xxv]. L’intérêt pour la technique du cinéma passe désormais par le retour à un art abstrait et plastique déjà présent dans la cinéphilie de la première génération expérimentale (« agir sur la pellicule même, grattée, trouée, striée, maculée de peinture cellulosique, rayée ou brûlée, ou chez d’autres artistes, […] retravailler le film numériquement[xxvi] »), ou même sans image (comme dans le cinéma « structurel » de Tony Conrad où il n’y a parfois que des clignotements) ou sans histoire ressemblant de près ou de loin à la réalité du consommateur de masse (comme le « film de transe » qui montre une expérience subjective, dans un monde ressemblant au rêve sans que le film rende explicite qu’il s’agisse d’un rêve)[xxvii]. Le respect d’une certaine éthique au cinéma passe désormais parfois par un cinéma qui choque, car il s’attaque à la morale des films ou de la société (pensons au « cinéma du corps » et à ses scènes de violence et de sang, ou encore aux scènes érotiques mêlant violence et fluides corporels d’un Kenneth Anger), et ce, de manière souvent trop excessive pour être recevable pour le consommateur moyen habitué en plus à une éthique du cinéma fortement teintée par la religion chrétienne. En général aussi, la séparation entre le cinéma et la grande production capitaliste — qu’elle soit revendiquée dans la théorie et la critique, ou qu’elle soit actée par la production dans d’autres circuits — s’accompagne d’une prétention à une supériorité morale ou éthique selon Jullier et Leveratto[xxviii]. La conception du cinéma comme création personnelle du cinéaste passe désormais notamment par ceci que les cinéastes du cinéma underground « se veulent uniquement cinéastes et expriment [par leur film et leur activité de cinéaste] leur moi profond (ils jouent eux-mêmes dans leurs films) plutôt que les préceptes d’une école [comme c’était le cas dans l’avant-garde européenne][xxix] ». Aussi, il est intéressant de remarquer que, si la cinéphilie savante se distingue des cinéphiles de la masse, elle admet les mêmes présupposés que cette dernière. Pour faire cela, elle a besoin au surplus d’appliquer ces présupposés sur des objets culturels de masse, par exemple dans sa théorie ou sa critique. Autrement dit, elle a besoin de regarder et commenter les films regardés par la masse, au contraire de la cinéphilie expérimentale de la première génération qui rejetait le cinéma dominant d’un bloc[xxx]. Elle s’adresse à tout le monde comme le faisaient les critiques professionnels, mais pour dire à tout ce monde qu’il ne vaut pas la peine qu’elle lui parle, tant il est incompétent[xxxi].


En bref, la cinéphilie savante développe un postulat fondamental, socio-politique et esthétique, d’autonomie du cinéma, postulat conditionné par l’autonomie matérielle partielle que la petite-bourgeoisie intellectuelle acquiert face soit au marché pour la petite-bourgeoisie qui lui était intégrée dans les années 20-30, soit au milieu de l’art moderniste pour les expérimentaux des mêmes années, en intégrant l’Université et les institutions publiques. Les deux postures contradictoires fondamentales de la deuxième cinéphilie dominante, l’une socio-politique et l’autre esthétique, trouvent leur unité, leur cohérence dans une même distinction de classe et par une revendication d’autonomie. Cette autonomie partielle la place dans une situation de dépendance en même temps que d’indépendance matérielle face à toutes celles-ci, ce qui l’oblige à s’intéresser au cinéma de masse. Elle reprend donc les présupposés de la cinéphilie de masse, mais de manière à mépriser la capacité de jugement cinématographique des classes inférieures et moyennes qui partagent cette cinéphilie de masse. Du même souffle, elle veut critiquer la capacité de production cinématographique des classes supérieures qui produisent le cinéma de masse. Toutes ces classes seraient les prisonniers et/ou les défenseurs du « conservatisme » de la forme cinématographique (esthétique) et de la société (socio-politique).
La deuxième génération du cinéma expérimental : sa classe et sa cinéphilie
Le cinéma expérimental de deuxième génération, quant à lui, se développe selon moi à partir de la cinéphilie savante, si bien qu’on ne peut pas lui reconnaître de cinéphilie propre, distincte. Les théoriciens et pratiquants expérimentaux n’« adoptent » pas ni ne « créent » à eux seuls la cinéphilie savante : ils la développent en même temps que les cinéastes, théoriciens et chercheurs du cinéma intégrés au milieu universitaire, dans les deux décennies de l’après-guerre, à cause donc d’une même base matérielle d’existence. En effet, « l’institutionnalisation de l’expertise cinématographique », ou autrement dit le développement de la cinéphilie savante, se produit en même temps que l’institutionnalisation du cinéma expérimental. Comme mentionné précédemment, c’est bien aux États-Unis, pays particulièrement précoce à intégrer le cinéma dans la recherche universitaire, que le cinéma expérimental de deuxième génération naît. En fait, le passage par l’Université deviendra désormais au cours des deux décennies d’après-guerre chose de plus en plus fréquente, avant d’être un passage presque obligé, pour les individus et courants expérimentaux ; soit en début de carrière pour jouer le rôle d’innovation, soit en fin de carrière pour jouer le rôle de passeur aux nouvelles générations. En effet, le milieu universitaire avait été le lieu dans les années 20-30 de « vives réserves formulées par les cinéastes et théoriciens de gauche [particulièrement intéressés par le cinéma et y œuvrant en tant que critiques, historiens et cinéastes] ([Sergueï] Eisenstein, [Léon] Moussinac, [Béla] Balázs, Walter Benjamin) quant à l’existence d’un cinéma indépendant en régime capitaliste[xxxii] ». Désormais, entre nombreux autres, Hans Richter, passeur par excellence entre les avant-gardes européenne et américaine, enseigne au Film Institut du City College de New York, de 1942 à 1957[xxxiii]. De même, le théoricien P. Adams Sitney « met au point, au cours des années 1960 et 1970, toute une typologie [ici : étude des types de film] visant à créer un corpus linguistique spécifique au cinéma expérimental », et un de ses articles, Film Culture (1969), influencera grandement le courant dit « structurel » du cinéma expérimental[xxxiv].

À la place d’énumérer les individus et petits groupes intégrés à l’Université, une manière de révéler le rôle fondamental de l’institutionnalisation dans le cinéma expérimental de deuxième génération est d’expliquer le développement d’une unité cinéphilique dans ce cinéma. Les facteurs matériels suivants, provenant de l’intégration à l’Université et aux institutions publiques, détermineront leur unité cinéphilique : l’intégration à des lieux d’activité similaires entre les penseurs et pratiquants du cinéma expérimental, ainsi que les moyens matériels stables que leur donneront les organisations nommées. Dans la dimension intellectuelle, la cinéphilie dominante qui domine ces organisations sera adoptée par le cinéma expérimental. Par exemple, après 1969, dans l’underground, « un extraordinaire foisonnement d’écritures voit le jour » ; cette tendance à la théorisation de la pratique de cinéaste, laissant paraître une approche scientifique conditionnée par l’Université, dépasse largement celle de la première génération expérimentale (et ses quelques manifestes et « hypothèses esthétiques ») et sera typique désormais du cinéma expérimental (de ses théoriciens évidemment, mais aussi de ses pratiquants)[xxxv]. Plus généralement, Barbara Turquier affirme en effet que le cinéma expérimental de deuxième génération est conditionné par l’Université : à la fin des années 60, « la marge du cinéma expérimental [en résumé, ceux de l’underground, qui sera le premier terme de ralliement de la seconde génération expérimentale] s’est imposée au sein de structures institutionnelles telles le musée ou l’université, de sorte que la question des conventions liées aux attentes de ces structures [institutionnelles, le musée ou l’Université,] se pose avec acuité[xxxvi] ». Les théoriciens et cinéastes expérimentaux acceptent d’ailleurs si bien les conventions universitaires qu’à la dissolution de l’underground après le cinéma structurel, en fin 1970, les « principaux cinéastes du mouvement sont reconnus [au sens où ils sont reconnus dans l’Université] : ils enseignent et ont accès à des bourses pour réaliser quelques projets[xxxvii] ». Autrement dit, en s’intégrant à l’Université, la petite-bourgeoisie intellectuelle expérimentale s’approprie des pratiques universitaires qui lui serviront à assurer son unité et la continuité dans le temps de son objet culturel : l’enseignement aux prochaines générations, la théorie qui donne une compréhension commune au sujet collectif de l’objet culturel qu’il produit, la fabrication de films dans le cadre de l’Université avec tout ce que cela a pu impliquer de compromis (qu’on a vus à travers les changements entre la première cinéphilie expérimentale et la deuxième cinéphilie dominante à laquelle les expérimentaux adhèrent). Cette intégration générale des différentes générations du cinéma de l’avant-garde américaine (« les “anciens” comme Kenneth Anger, James Broughton, Gregory Markopoulos, Bruce Conner, Jonas Mekas, Stan Brakhage [, etc.] et des nouveaux venus, comme Hollis Frampton, Ernie Gehr, Ken Jacobs, George Landow, Michael Snow, Andy Warhol ») à l’Université et à d’autres institutions publiques (musée, etc.) en vient à son terme. Dans les années 60, le cinéma expérimental de deuxième génération trouve une forme d’unité qu’il a relativement conservée depuis[xxxviii]. Un processus semblable en Europe, bien que décalé dans le temps, s’est sans doute passé : les conditions matérielles (des expérimentaux et de la cinéphilie dominante) entre les deux régions étaient semblables (les conditions d’accès des classes sociales à l’Université et l’entrée du cinéma dans la recherche scientifique, par exemple) comme nous l’avons dit ; et la cinéphilie des expérimentaux qui en a découlé en Europe ressemble aujourd’hui à la cinéphilie des expérimentaux aux États-Unis.
L’unité expérimentale de deuxième génération, obtenue décidément vers la fin des années 1960 grâce à l’intégration des différentes générations aux institutions universitaire et publique,se fera dans un premier temps autour du terme underground qui ne doit cependant pas être considéré comme un courant cinématographique au sens propre : « [il] ne marque pas la naissance d’une nouvelle avant-garde, mais sa généralisation ; les pratiques artistiques y sont des plus disparates, et c’est plutôt cette hétérodoxie qui le caractérise, comme, d’ailleurs, tout le cinéma expérimental à venir.[xxxix] » Autrement dit, cette unité se fait sur la centralité de l’œuvre individuelle autonome du cinéaste, en accord avec la cinéphilie savante : le temps du développement collectif par courants artistiques ou cinématographiques est révolu. Cela s’explique selon moi par la nouvelle habitude de la petite-bourgeoisie expérimentale de passer par l’Université, habitude acquise en fin 70, Université qui permet sans doute aux cinéastes et théoriciens expérimentaux (et non expérimentaux) de gagner un certain contrôle sur leurs films et leur cinéphilie, sans passer par l’affiliation à un courant d’art moderniste comme le faisaient les avant-gardes européennes, ou encore à un des grands groupes expérimentaux des années 40 à 70 (films de transe, new American Cinema, underground, et film structurel, selon Bassan). En fait, ce n’est qu’après cette autonomisation que, selon Raphaël Bassan, la vision et la pratique dites « évolutives » du cinéma expérimental prennent fin, et que ce dernier prend un tournant de recherche esthétique individuelle qui est encore le sien aujourd’hui : « l’affiliation aux courants est remplacée au profit d’individualités et de groupes singuliers qui expérimentent toutes les pratiques[xl] ».
Nous avons vu que le cinéma expérimental est dans sa deuxième génération encore une fois produit socialement par la petite-bourgeoisie intellectuelle, classe qui entre à l’Université et dans les institutions publiques entre 45 et 65, sans épargner les expérimentaux. Or, cette intégration a offert des lieux d’activité similaires et des moyens matériels stables, et a poussé les expérimentaux à adopter des pratiques universitaires (enseignement, théorie, fabrication de films avec du financement obtenu par l’Université, etc.), toutes des conditions matériellesqui leur ont permis d’obtenir une unité de cinéphilie au bout du processus d’intégration vers 70. Cette cinéphilie est fondamentalement la même que la deuxième cinéphilie dominante, elle-même portée par la petite-bourgeoisie intellectuelle dans les organisations nommées. En effet, la cinéphilie du cinéma expérimental de deuxième génération trouve son unité cinéphilique dans la valorisation de la multiplicité des pratiques choisies par l’artiste autonome individuel, et non par des groupes ou familles esthétiques rigides. Et ce postulat fondamental est le même que celui de la cinéphilie dominante : l’autonomie socio-politique et esthétique du cinéma. On ne peut donc pas parler d’une cinéphilie propre au cinéma expérimental de deuxième génération.
Le cinéma expérimental est l’expression cohérente du cinéma de la petite-bourgeoisie intellectuelle
Un problème reste : si la cinéphilie de la deuxième génération du cinéma expérimental est essentiellement la même que la deuxième cinéphilie dominante, pourquoi la catégorie de cinéma expérimental reste-t-elle si importante, débattue, revendiquée encore aujourd’hui (repensons aux ouvrages récents de définition du cinéma expérimental) ? Pour comprendre, il faut selon moi tenter d’expliquer la ressemblance partielle, non pas des présupposés, mais bien du processus de distinction sociale et de l’aspiration à l’autonomie, entre la cinéphilie de la première avant-garde (européenne) et cette cinéphilie savante ou deuxième cinéphilie dominante. En général, il faut déterminer ce qui fait la particularité du cinéma expérimental dans l’expression cinématographique des aspirations de toute la petite-bourgeoisie intellectuelle.
D’une part, le processus de distinction sociale qui fut celui des petits-bourgeois intellectuels du cinéma expérimental de première génération, par rapport aux classes travailleuses et aux classes moyennes et supérieures intégrées au marché du cinéma, est de nature semblable à celui qu’opère la petite-bourgeoisie à l’Université. En effet, ces deux distinctions sociales ont été effectuées par la petite-bourgeoisie intellectuelle : dans le premier cas, la fraction non intégrée au marché et pratiquant dans les milieux de l’art moderniste, alors que les intellectuels des années 20 et la critique professionnelle ont été intégrés au marché et ont adopté la cinéphilie de masse ; dans le second cas, la fraction intégrée à l’Université et aux institutions publiques, ce qui ne représente évidemment pas toute la petite-bourgeoisie. Ces deux situations particulières — qui ont mené chacune à la formation d’une cinéphilie par la petite-bourgeoisie — expliquent le commun mépris pour la cinéphilie de masse entre ces cinéphilies, venant d’une même position intermédiaire entre la bourgeoisie et le prolétariat ; mais aussi la différence dans la manière de mépriser et d’autonomiser la cinéphilie petite-bourgeoise, qui provient de la différence entre les deux situations particulières que sont les milieux de l’art moderniste dépendant de mécènes, et l’Université et l’État. La cinéphilie savante, pour se distinguer de la cinéphilie de masse, utilise une stratégie de reprise des présupposés de la cinéphilie de masse. Cette stratégie répond à la situation concrète du sujet collectif qui produit cette cinéphilie : intégré dans l’État et l’Université et donc dépendant de ceux-ci, et provenant de classes qui partageaient la cinéphilie de masse, le lien de ce sujet collectif avec la société et donc sa cinéphilie dominante est plus solide que celui de la première génération, ce qui fait qu’il façonnera sa cinéphilie à partir de la dominante ; mais sa situation est aussi celle d’une certaine autonomie intellectuelle permise par sa position, donc sa cinéphilie sera un moyen pour elle d’exprimer et de renforcer son autonomie vis-à-vis des autres classes partageant la cinéphilie de masse. Quant à elle, la première génération, non intégrée au marché, à l’Université et à l’État, mais dépendante des milieux artistiques petits-bourgeois et de mécènes, donc beaucoup moins liée matériellement à la cinéphilie de masse, ne reprend pas ses présupposés, ne fait que s’y opposer, se rendre incompréhensible pour les classes qui la partagent. En même temps, elle développe sa cinéphilie en adéquation avec les présupposés de l’art moderniste, principalement en rejetant la fiction au profit de l’abstraction. Ceci l’amène à ne pas utiliser de personnages vivant des émotions et auxquels on peut s’identifier (dans une histoire ayant au moins une apparence de réalité)… bref à rejeter tous les présupposés de la cinéphilie de masse. Elle revendique le cinéma comme art et comme art moderne. La différence entre les situations matérielles des deux générations à partir desquelles chacune effectue son processus de distinction débouche donc sur deux différences cinéphiliques majeures : la propension de la cinéphilie savante à la politique et à la critique des films de masse (pour les critiquer évidemment et ainsi se distinguer, comme déjà dit). On a déjà compris que la première découlait du postulat fondamental d’autonomie socio-politique et esthétique du cinéma, qui était lui-même l’expression de l’autonomie et du contrôle pris sur sa cinéphilie par la petite-bourgeoisie intellectuelle ; alors que celle intégrée au marché dans les années 20-30 dépendait de ce marché, et que celle expérimentale de première génération dépendait des mécènes et des milieux de l’art moderniste. La seconde différence majeure, que j’ai déjà expliquée par la dépendance-autonomie de la petite-bourgeoisie intellectuelle intégrée aux institutions face au reste de la société, ne doit pas être négligée. En fait, tout un pan des expérimentaux de la deuxième génération d’avant-garde s’intéresse dans ses films et théorisations au cinéma de masse, jusqu’à aujourd’hui, souvent en utilisant ce matériau pour le détourner, ce qui relève de la distinction sociale à même le cinéma de masse. Ces pratiques se retrouvaient dans des cas isolés de la génération 20-30, par des surréalistes : « [Bruce] Conner [cinéaste de la deuxième génération] […] se réfère à la culture populaire, illégitime (comme jadis les surréalistes et plus tard Jack Smith, Andy Warhol et Kennet Anger [tous des cinéastes de la deuxième génération] avec Scorpio Rising, 1963)[xli] ». Par exemple, l’intérêt pour le cinéma de masse se voit dans l’insertion théorique du cinéma expérimental dans toute l’histoire du cinéma (dont le cinéma de masse donc) par le courant expérimental lettriste, notamment dans le texte de l’influent Isidore Isou ; et ce, toujours pour distinguer le cinéma expérimental (ici dans son courant lettriste), dans ce cas comme l’étape supérieure du cinéma[xlii]. On peut enfin percevoir cet intérêt pour le cinéma de masse dans la pratique du found footage du cinéma expérimental dans les années 70 puis 90, qui réutilise des images et plans d’autres films pour en faire de nouveaux[xliii] ; ou encore, dans les années 2010, la réutilisation de « films, d’actualités — guerres, cataclysmes, tragédies humaines, mises à mort — » piochés sur Internet (Youtube, Vimeo, les différents médias) pour en faire des dystopies critiquant les médias de masse[xliv].

D’autre part, la relative différence entre les deux processus de distinction sociale ne signifie pas que ce ne puisse pas être le même sujet collectif à la source des deux cinéphilies et des deux distinctions. Autrement dit, selon moi, la contradiction cinéphilique et productive entre les petits-bourgeois intellectuels intégrés au marché et ceux qui ne l’étaient pas, pendant la période de la première génération expérimentale, ne signifie pas que le cinéma expérimental ne puisse pas être l’objet culturel de l’ensemble de la classe et aux différentes époques. Prenons le cas de la première génération expérimentale. On a vu qu’il y avait eu une distinction de celle-ci par rapport aux classes participant à la cinéphilie de masse, dont la petite-bourgeoisie intégrée au marché. La cinéphilie de masse est celle de plusieurs classes, elle ne réalise pas de distinction sociale par le cinéma : si la petite-bourgeoisie intégrée au marché affirme que le cinéma a une valeur supplémentaire au profit de la classe capitaliste qui produit du cinéma, cette petite-bourgeoisie reste totalement dépendante de la vente des journaux et revues de cinéma (entre autres médias) aux consommateurs majoritairement travailleurs, et publicise les films produits par la grande entreprise capitaliste dont elle est donc dépendante. La place pour son autonomie est en somme faible. À ce moment, la cinéphilie expérimentale exprime une aspiration à l’autonomie intellectuelle et une distinction de classe intermédiaire, même si elle reste dépendante des milieux de l’art moderniste et de mécènes. L’autonomie des deux petites-bourgeoisies intellectuelles est partielle, mais on voit bien que celle du cinéma expérimental est plus grande par sa situation spécifique ; en conséquence, l’expression, par les films et les écrits, de son désir d’autonomie, est beaucoup plus manifeste, culminant à l’idée de coopératives au Congrès de 1929. Dès cette époque, la cinéphilie du cinéma expérimental est déjà celle de la couche la plus consciente de la classe petite-bourgeoise intellectuelle : elle effectue déjà une distinction sociale, et pense déjà une recherche d’autonomie, alors que la couche intégrée au marché doit s’y plier pour faire carrière. Prenons maintenant le cas de la deuxième génération. Depuis l’avènement de la cinéphilie savante, la différence de pratique au sens large du cinéma, entre ceux des individus de la petite-bourgeoisie intellectuelle (intégrée à l’Université et à l’État) qui sont non expérimentaux, et ceux qui sont expérimentaux, n’en est, comme nous l’avons vu, désormais plus fondamentalement une de cinéphilie (alors qu’il y avait une différence de cinéphilie entre les expérimentaux et la critique professionnelle des années 30), de conception idéelle du cinéma. Selon moi, elle en sera surtout une de production au sens de fabrication et de distribution du cinéma : les individus qui ont revendiqué le cinéma expérimental, ou alors ceux que l’histoire du cinéma a retenus comme en faisant partie, se démarqueront généralement par une certaine tension vers l’autonomie de leur production du cinéma par rapport non plus seulement au marché, mais à l’État et à l’Université, en ce qui a trait à la fabrication et à la distribution des films. En effet, il ne faut pas passer sous silence le rôle, conjoint à celui des universités et institutions étatiques, de l’organisation de la production sociale des films de manière autonome vis-à-vis du grand capital producteur de cinéma, dont se dotera la petite-bourgeoisie du cinéma expérimental dans la lignée des projets promulgués par les congressistes de 1929 en Europe. En fait, à la fin de la période d’intégration du cinéma expérimental à l’Université et à l’État, vers 1965-1970, une multitude de coopératives, de collectifs de distribution et/ou de production, de festivals (qui assurent la distribution des films) et de manifestations (au sens large de présentations ou rassemblements publics, lieux par exemple d’un spectacle ou de projection de films) sont fondés et organisés[xlv]. Ils suivent l’exemple fameux de la « révolution [qui] se produit dans l’arène cinématographique underground lorsque le 18 janvier 1962 est fondée, à New York, par Jonas Mekas et ses proches, la Film Makers’ Cooperative, association de diffusion à but non lucratif, qui permet aux cinéastes expérimentaux de projeter leurs œuvres en dehors des circuits commerciaux et des grandes manifestations d’arts plastiques.[xlvi] » Raphaël Bassan parle alors du début de la formation d’une véritable « microsociété de cinéastes, de critiques, de théoriciens, d’enseignants », tendance qui durera au-delà de la décennie 60, dans les décennies 70 et 80 et jusqu’à aujourd’hui :
Le modèle américain [de la coopérative] fait tache d’huile : la London Film-Makers’ Co-op est fondée en 1966, suivie par l’Austrian Filmmakers Cooperative à Vienne (1968), le Collectif Jeune Cinéma (CJC) à Paris (1971), le Canadian Filmmakers Distribution Centre à Toronto (1972). Le festival international de Knokke-le-Zoute (Belgique) popularise à travers toute l’Europe, dans ses éditions de 1963 et 1967, le cinéma underground. Sa tâche est facilitée par les tournées préfestivalières que Jonas Mekas et P. Adams Sitney font régulièrement sur le Vieux Continent, avec un large échantillon d’œuvres de leurs amis. La manifestation Avant-Garde pop et beatnik, conçue par Sitney, qui se tint à l’automne de 1967 à la Cinémathèque française, marque durablement les cinéastes et les critiques français, intrigués et séduits par le cinéma underground. En France, le festival d’Hyères devient, de 1971 à 1983, une importante vitrine du cinéma expérimental. Sa section « Cinéma différent », gérée par Marcel Mazé, cofondateur et premier président du Collectif Jeune Cinéma, accueille des cinéastes venus de tous les pays. Deux autres coopératives se créent en France : la Paris Films Coop., en 1974, et Light Cone, en 1982. Cette dernière, sous la responsabilité du cinéaste Yann Beauvais, son cofondateur, donne au cinéma expérimental français et international une visibilité qui en accroît sa reconnaissance.[xlvii]
On pourrait voir selon moi une autre expression de cette tension vers l’autonomie dans le mouvement des laboratoires, mouvement dont il faudrait faire une étude plus approfondie bien sûr pour en connaître les conditions précises d’émergence : « Au mouvement des coopératives des années 1970 et 1980 succède celui des laboratoires [dans les décennies 1990 et 2000 surtout] qui permet enfin aux cinéastes de contrôler toutes les étapes de la fabrication d’un film.[xlviii] » Cette organisation autonome de la production des films réalise des objectifs nés de la tension aussi présente chez l’avant-garde européenne, laquelle avait ses revues, mais n’avait pas les moyens autonomes de produire des films en grand nombre. Cette dernière dépendait surtout de ses mécènes, et ses films demandaient très peu de financement, entre autres en raison de leur abstraction. Quand elle commence à penser aux solutions à ce besoin d’autonomie, les nouveaux besoins du film parlant faisaient déjà ralentir sa production de films. Selon moi, on peut expliquer cette organisation autonome de la production de films par ceci que la relative autonomie qu’autorisent l’Université et les institutions publiques (musées, etc.) n’est pas toujours suffisante pour une partie, une couche de la petite

La voix des femmes : semons la résistance à l’agriculture industrielle

Bien qu'elles représentent près de la moitié de la main-d'œuvre agricole mondiale, les femmes possèdent moins de 15% des terres agricoles et sont rémunérées près de 20% de moins que leurs homologues masculins. Ces disparités ne sont pas de simples statistiques : elles reflètent des expériences vécues qui déterminent les luttes quotidiennes des femmes rurales. Partout dans le monde, les petites productrices alimentaires affrontent une réalité difficile. Qu'il s'agisse de l'accès à la terre, des politiques publiques, des conditions de travail ou du pouvoir décisionnel, les femmes se heurtent à des obstacles systémiques qui perpétuent les inégalités sociales.
Tiré de Entre les lignes et les mots
À mesure que l'agriculture dominée par les grandes entreprises s'étend, les pratiques agricoles traditionnelles sont de plus en plus évincées, exacerbant ainsi les vulnérabilités des communautés rurales. Les femmes, déjà marginalisées, subissent de plein fouet ces changements. Elles prennent soin de leurs familles et de leurs communautés, mais remplacent aussi leurs partenaires masculins quand ces derniers émigrent pour trouver du travail. Et ce sont également elles qui assurent la survie des personnes âgées et des enfants. Leur bien-être n'est pas qu'un enjeu personnel : c'est toute la résilience rurale qui en dépend.
Pourtant, les contributions et les luttes des femmes restent souvent invisibles, tout comme les préjudices spécifiques qu'elles subissent en raison de l'agriculture industrielle.
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Aux indifférentes

Ce texte est destiné à interpeller toutes les femmes qui croient que mettre négligemment une croix dans un carré d'extrême-droite [au Portugal on a un seul bulletin de vote et on doit cocher le carré correspondant à la liste que l'on a choisie] n'a rien à voir avec leurs droits fondamentaux.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Gramsci, dans un texte de 1917, proclamait sa haine de l'indifférence, « poids mort de l'histoire », de la passivité et de l'absentéisme qui, de toute façon, agissent sur le monde. Ce texte s'adresse aux indifférentes. Non pas avec haine, mais avec une profonde inquiétude, espérant obstinément qu'une part de cette indifférence individualiste puisse encore se transformer en empathie et en solidarité. Ce texte interpelle toutes les femmes qui pensent que tout cela ne les concerne pas et qui considèrent qu'une croix apposée négligemment sur un bulletin de vote n'a rien à voir avec leurs droits fondamentaux.
L'extrême droite commence par nos corps, nos droits, notre liberté. Cette affirmation peut paraître déplacée, étant donné que tant de mouvements d'extrême droite contemporains sont dirigés par des femmes ou comptent des femmes parmi ses dirigeants. Permettez-moi de commencer par dire ceci : aucun fasciste n'est féministe. Il n'y a rien de progressiste dans le triomphe électoral de quelqu'un qui aspire à un monde dont on pensait que la page était définitivement tournée. Derrière le visage d'une femme – que l'on pourrait même comparer à Jeanne d'Arc ou à la République française elle-même, comme c'est le cas de la tristement célèbre Marine Le Pen – se cachent parfois les plus sinistres machinations misogynes et vengeresses. Le vote en faveur d'une femme d'extrême droite, avec toutes les explications qui pourraient inciter différents types de femmes à voter, représente l'acceptation tacite de la vague de régression, presque comme un accord à la suppression de nos droits, à condition que ces mesures punissent davantage celles qui sont encore plus faibles que nous.
Voyons maintenant ce que l'extrême droite nous fait subir. Le Rassemblement national de Le Pen a systématiquement voté contre les avancées et les progrès en matière de droits des femmes : en matière d'égalité salariale, de lutte contre le harcèlement et les violences sexistes, et contre la parité. Giorgia Meloni, cette « girlboss » fasciste, s'oppose aux quotas de genre, renforce le rôle des mère des femmes dans ses discours publics, a voulu restreindre le droit à l'avortement et pénaliser celles qui y ont recours, et même empêcher les couples lesbiens d'avoir des enfants ensemble. En Allemagne, Alice Wiedel – peut-être l'incarnation même de cette dissonance cognitive des femmes au sein de l'extrême droite contemporaine – dirige un parti qui défend la « famille traditionnelle », attaque « l'idéologie du genre », s'oppose au mariage homosexuel et prône le retour des femmes à « l'ancien temps », loin de la corruption du féminisme. Toutes, tout en attaquant les droits des femmes, prétendent vouloir protéger les femmes européennes – autrement dit, les femmes blanches – des hommes racisés, des migrants qui viennent les harceler et les violer, malgré l'absence de corrélation statistique entre les deux réalités. Nous avons ici un parti qui leur ressemble beaucoup : contre « l'idéologie du genre », antiféministe et qui utilise nos corps comme justification à ses politiques xénophobes.
Est-ce que je dis quelque chose qui vous concerne ? Peut-être que cela vous laisse indifférente, que cela ne vous concerne pas, après tout. Votre vie va bien. Vous pensez peut-être que cela ne vous concerne pas parce que vous n'avez jamais avorté ? Parce que vous avez un bon salaire ? Parce que vous n'avez jamais été agressée par votre partenaire ? Parce que vous pouvez voter et participer à la vie politique ? Parce que vous n'avez jamais ressenti de discrimination ? Parce que votre mari vous aide même à la maison ? Peut-être même dites-vous que vous n'êtes pas féministes ? Vous vous trompez.
Si vous avez pu envisager de ne pas avorter, c'est parce que la contraception est devenue accessible à toutes et qu'elle vous permet de choisir d'être mère ou non. Si vous avez un bon salaire, c'est parce que des milliers de femmes se sont battues pour avoir simplement le droit d'avoir quelque chose à soi (c'était le bon temps quand nos économies appartenaient au mari, non ?), pour être admises à l'université et à des emplois qualifiés, et pour ne pas subir de discrimination salariale. Si vous n'avez jamais subi de violences psychologiques, sexuelles ou physiques de la part de votre partenaire, vous avez de la chance d'échapper au poids des statistiques sur la violence, mais vous savez certainement que si vous êtes agressée, votre agresseur aura commis un crime public et qu'il est du devoir de chacun de le signaler.
Si vous pouvez voter et être politiquement actives, c'est parce que des milliers de femmes dans le monde entier ont renoncé à une vie d'indifférence fataliste et se sont battues – parfois jusqu'à la mort – pour qu'aujourd'hui vous puissiez choisir qui vous voulez pour vous gouverner et même vous gouverner vous-même Si vous pensez n'avoir jamais été victime de discrimination, je peux vous dire que vous êtes l'exception à la règle : un tiers des femmes dans l'UE ont été victimes de harcèlement au travail, la moitié l'ont été à un moment de leur vie, vingt-cinq femmes ont été assassinées au Portugal par leur partenaire, 32% des femmes dans l'UE ont subi des violences conjugales, les viols ont augmenté de 10% au Portugal l'année dernière et, surtout, nous savons que tous ces chiffres sont largement sous-représentés car la plupart de ces crimes ne sont pas signalés. Si vous n'avez jamais été victime, demandez-vous si aucune de vos amies, membres de votre famille ou connaissances n'en a été victime. Si vous pensez qu'il suffit que Manuel aide à la maison, comme si cette tâche vous incombait et qu'il daigne gentiment mettre vos vêtements dans le panier à linge, détrompez-vous. Si vous ne vous sentez pas dépassée par les doubles, voire triples, tâches ménagères et familiales, sachez qu'en moyenne, les femmes effectuent 74% de ce travail au Portugal. Votre père changeait-il les couches ? Votre grand-père cuisinait-il ? Qu'est-ce que ta mère et tes grands-mères ont arrêté de faire pour que tu puisses grandir ?
Si tout cela vous dérange – j'imagine que ce lecteur a de l'empathie – vous ne pouvez pas dire que vous n'êtes pas féministe. Tout ce qui a changé a été fait par des féministes. Avec le plus grand sérieux, sans crainte d'être qualifiées d'hystériques, de prostituées, de frigides, d'ennuyeuses. Elles ont fait ça pour nous. Ne donnez pas votre vote à ceux qui veulent tout défaire. Ne soyez pas indifférentes.
Je vis, je suis un militant – disait Gramsci à la fin du texte précité. Ne soyons ni dupes ni complaisants. J'ajoute : je vis, je suis féministe.
Léonor Rosas
Diplômée en sciences politiques et relations internationales de la NOVA-FCSH. Étudiante en master d'anthropologie sur le colonialisme, la mémoire et l'espace public à la FCSH. Députée du Bloc de gauche au Parlement de Lisbonne. Étudiante et militante féministe.
Article publié dans Gerador le 28 mai 2025
Communiqué par FP et JJM
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Contrôle de l’âge pour les sites pornos : quand le « business » passe avant la protection des enfants.

Alors que la France s'apprête enfin, le 6 juin 2025, à mettre en œuvre la loi SREN du 21 mai 2024 imposant un contrôle effectif de l'âge pour accéder aux sites pornographiques, le géant Aylo, propriétaire de Pornhub, RedTube et YouPorn, décide de rendre ses plateformes inaccessibles depuis le territoire français et d'afficher en page d'accueil un texte de lobbying s'opposant à cette loi. Un « coup de com » visant à devancer le blocage imminent que pourrait ordonner l'ARCOM.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/08/controle-de-lage-pour-les-sites-pornos-quand-le-business-passe-avant-la-protection-des-enfants/?jetpack_skip_subscription_popup
Depuis plus de quatre ans, l'industrie pornographique multiplie les recours dilatoires contre une loi aux visées pourtant claires : empêcher les enfants d'être exposés à des contenus violents, sexistes, racistes, dégradants et souvent illégaux. Pourquoi une telle résistance de la part de l'industrie ?
Tout simplement car le cœur du modèle économique de cette industrie repose sur l'exposition massive des mineur·es à la pornographie.
Une stratégie cynique : accrocher les enfants, fidéliser les clients
Durant l'enfance et l'adolescence, le cerveau est en pleine construction. Ainsi, l'exposition précoce à des contenus sexuels violents modifie durablement les repères affectifs, émotionnels, empathiques. Plus l'exposition est prématurée, plus la dépendance est profonde et durable. Comme l'a rappelé le Haut Conseil à l'Égalité dans son rapport Pornocriminalité (2023), l'exposition des enfants à la pornographie « développe le système limbique, responsable des pulsions, et inhibe le développement du cortex préfrontal, siège de l'empathie et du discernement ». Ce visionnage à un jeune âge constitue un véritable « viol psychique » selon la chercheuse en neurosciences Maria Hernandez. Il influence profondément la construction des sexualités, en les imprégnant de rapports de domination virilistes, de racisme et de misogynie, renforce l'adhésion à la culture du viol, accroit le risque de passages à l'acte violents.
Les mineur·es sont une cible stratégique pour l'industrie, car un enfant accro à la pornographie devient un adulte captif.
Protéger les mineur·es de la pornographie est aussi un enjeu de lutte contre l'inceste et la pédocriminalité. Outre le fait que ces plateformes abritent de la pédopornographie, très souvent des vidéos de violences diffusées par les pédocriminels, la pornographie est également utilisée dans la stratégie des agresseurs pour semer la confusion, inverser la honte et la culpabilité, et sidérer les victimes ciblées. Les survivant·es de pédocriminalité voient l'irruption dans leur psychisme de scripts pornographiques dans ce qu'ils ont de plus oppressifs, discriminants, chosifiants, et peuvent par le visionnage compulsif et anxieux de pornographie se retrouver dans un état d'anésthésie émotionnelle dissociative, qui profite aux agresseurs.
Assez d'hypocrisie : la loi est claire, les moyens existent
Depuis 2020, la loi française oblige les éditeurs de sites pornographiques à mettre en place un véritable contrôle de l'âge de leurs utilisateurs et utilisatrices. Le cadre juridique est complet : le décret d'application est en vigueur, un référentiel technique a été publié, et la CNIL a validé plusieurs solutions respectueuses du RGPD, notamment la vérification par un tiers de confiance, l'utilisation de la carte bancaire ou encore l'analyse faciale sans recours à la reconnaissance biométrique. Les moyens existent.
Alors comment expliquer qu'une industrie aux moyens colossaux, habituellement en tête des innovations majeures de la tech (paiement en ligne, streaming vidéo, VR, IA, robotique), serait incapable de développer un simple système de vérification d'âge ? La réponse est simple : elle ne veut pas.
Un tournant juridique historique
Le 6 juin, l'ARCOM pourra bloquer sans passer par un juge les sites qui refusent d'appliquer la loi. Le blocage volontaire des sites Pornhub, YouPorn et RedTube en France révèle ce que l'industrie pornographique tente depuis des années de dissimuler : son refus obstiné de toute régulation, même minimale, pour protéger les mineur·es. Cette industrie multimilliardaire préfère mobiliser ses ressources pour combattre toute tentative de régulation, à grand renfort d'avocats et de lobbyistes, plutôt que de renoncer à un accès inconditionnel et gratuit qui alimente son modèle économique fondé sur la violence et sur l'érotisation de toutes les oppressions. Face à cela, l'application stricte de la loi et la mobilisation collective sont essentielles. Le contrôle de l'âge sur les sites pornographiques est un impératif de santé publique, de protection de l'enfance et d'égalité entre les sexes, qui doit primer sur les profits de l'industrie pornocriminelle.
Osez le Féminisme appelle à :
– Appliquer sans délai les mesures de contrôle d'âge sur tous les sites pornographiques accessibles depuis la France.
– Renforcer la coopération européenne pour sortir la pornographie de la zone de non-droit numérique.
– Reconnaître les dommages causés aux enfants, aux femmes et à toute la société par la pornographie et agir en conséquence.
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Pénalisation des agentes de la Fonction publique pendant la grossesse, une attaque inacceptable

La baisse de la rémunération dès le deuxième jour d'arrêt maladie rend coupable tous les agents et agentes d'être malades : elle est intrinsèquement injuste et nous continuons de la dénoncer. Mais, au XXIe siècle, rien ne peut justifier qu'un gouvernement, prétendument attaché à l'égalité entre les femmes et les hommes, puisse faire peser sur les agentes enceintes une sanction financière injuste sans tenir compte des réalités médicales, sociales ou professionnelles liées à leur grossesse.
Tiré du site de la CGT
Bagnolet, vendredi 6 juin 2025
Monsieur François Bayrou
Premier ministre
Madame Aurore Bergé
Ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations
Monsieur Laurent Marcangeli
Ministre de l'Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification
Objet : pénalisation des agentes de la fonction publique pendant la grossesse, une attaque inacceptable
Monsieur le Premier ministre,
Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,
Nos organisations syndicales dénoncent solennellement une mesure discriminatoire d'une gravité inacceptable à l'encontre des femmes en situation de grossesse exerçant dans la fonction publique. À compter du 1er mars 2025, vos choix politiques impliquent que les femmes en situation de grossesse placées en congé maladie ordinaire – hors congé pour grossesse pathologique ou congé maternité - subiront une perte de rémunération de 10 % dès le premier jour d'arrêt. Ainsi, une femme dont la grossesse est déclarée mais qui serait contrainte de s'arrêter quelques jours sur avis de son médecin verra sa rémunération amputée.
Ce choix politique constitue une discrimination sexiste manifeste et une attaque contre les droits des femmes et leurs conditions matérielles de vie. Il renvoie à une époque que nous pensions révolue où les droits des travailleuses étaient suspendus à leur capacité à rester « productives » malgré les difficultés physiques liées à la maternité.
Est-ce ainsi que votre gouvernement entend défendre les droits des femmes ?
La baisse de la rémunération dès le deuxième jour d'arrêt maladie rend coupable tous les agents et agentes d'être malades : elle est intrinsèquement injuste et nous continuons de la dénoncer. Mais, au XXIe siècle, rien ne peut justifier qu'un gouvernement, prétendument attaché à l'égalité entre les femmes et les hommes, puisse faire peser sur les agentes enceintes une sanction financière injuste sans tenir compte des réalités médicales, sociales ou professionnelles liées à leur grossesse. Cette décision est d'autant plus scandaleuse qu'elle touche un secteur, la fonction publique, où les inégalités salariales, les retards de promotion, les carrières hachées, les temps partiels imposés et la précarité contractuelle sont structurellement présentes. Vous ajoutez à ces inégalités une violence économique supplémentaire.
Et pour rappel, en 2018, le Parlement avait corrigé par amendement la dimension sexiste de l'instauration du jour de carence en le supprimant pour les femmes enceintes, montrant sa capacité à entendre les alertes et revendications, dont celles portées par nos organisations syndicales.
Nous exigeons :
– le retrait immédiat de la baisse de la rémunération des jours d'arrêt maladie, injuste pour l'ensemble des agent⋅es de la fonction publique ;
– la garantie pleine et entière du maintien de salaire pour toute femme enceinte placée en congé maladie ordinaire sur avis médical quelle qu'en soit la nature ;
– des politiques de santé au travail dans la fonction publique qui prennent réellement en compte la santé globale des femmes au travail mais aussi les parcours de maternité et le retour à l'emploi.
Pour nos organisations syndicales, sanctionner les femmes parce qu'elles sont enceintes ne relève pas d'une politique liée aux contraintes budgétaires : c'est une régression, c'est une attaque contre toutes les femmes et c'est une faute.
Nous attendons donc un retrait clair et assumé de cette mesure inégalitaire.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, en notre détermination collective.

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Lettre ouverte intersyndicale Mayotte aux ministres des Outre-Mers et du travail

Mayotte, 101e département français, a été dévastée le 14 décembre dernier par le cyclone Chido. Les dégâts sont considérables, tant du fait de la force du vent, que de la fragilité voire de l'absence d'infrastructures. L'heure est à la reconstruction mais depuis 6 mois nos équipes constatent que passés les travaux d'urgence, les chantiers n'avancent plus.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Lettre ouverte Mayotte
M. Le ministre des Outre-Mer,
Mme la Ministre du travail
Les dessertes de la barge, indispensables pour relier l' île de petite terre à celle de grande terre, sont toujours très limitées. Ceci, cumulé à l'absence totale de transports en commun organisés, engorge totalement le trafic et la population du territoire passe des heures en voiture chaque jour pour aller travailler. Le Centre Hospitalier de Mayotte n'a toujours pas été mis hors d'eau. Une part importante de sa surface est toujours inutilisable et le reste est protégé par des bâches donc inondé à la première pluie. La prise en charge sanitaire des habitant.e.s, et notamment des accouchements est indigne.
Par manque d'enseignant.e.s et de places dans les établissements, les élèves ne sont pris en charge qu'à mi-temps dans les écoles (et seulement trois heures par jour pour l'école élémentaire). Avant même la saison sèche, l'eau est déjà coupée plusieurs jours par semaine et le prix des bouteilles d'eau explose. Les travailleurs et les travailleuses n'en peuvent plus, une majorité n'ont toujours pas réussi à reconstruire leur maison, par manque de matériaux mais aussi de moyens, l'essentiel des habitations n'étant pas assurées. Nous demandons une aide d'urgence pour les ménages dont le toit ou l'habitat est abîmé par le cyclone. Alors qu'il s'agit d'une réserve de biodiversité au plan mondial, la situation environnementale, notamment en termes de traitement des déchets, est extrêmement inquiétante.
Le contexte est d'autant plus catastrophique que Mayotte est le territoire le plus pauvre de France. 77% des habitant.e.s vivent sous le seuil de pauvreté. L'économie informelle domine. Seuls 35% des plus de 65 ans ont une pension de 270€ en moyenne, le RSA et les allocations familiales sont à 50% de la métropole et les aides au logement n'existent pas. Chaque salarié fait donc vivre sa famille élargie, parfois 10 à 20 personnes, alors que le Smic mahorais est toujours inférieur de 25% au Smic du reste de la France, abattement répercuté sur la quasi-totalité des salaires. Pourtant, les prix sont en moyenne supérieurs de 30% à ceux de la métropole, mais beaucoup plus en réalité. Pourquoi ? Parce qu'à Mayotte comme dans les autres DROM COM subsiste une économie de comptoir avec des monopoles privés.
Le projet de loi de reconstruction de Mayotte doit faire avancer concrètement la situation pour l'ensemble de la population. Il est donc très attendu. Les mahoraises et les mahorais veulent une mise en place rapide de la convergence des droits sociaux prévue à ce stade seulement d'ici 2031. Pourtant, dans le même temps, le projet de loi prévoit que les entreprises bénéficieraient d'une exonération totale des cotisations sociales et des impôts dès 2026 pour 5 ans via la mise en place d'une zone franche sur le territoire mahorais et ce sans aucune contrepartie. Il ne faut pas créer un sentiment d'inégalité de traitement entre les aides aux entreprises et l'égalité réelle des droits à mettre en place pour la population.
Mme et M. les Ministres, nous vous alertons solennellement car la situation à Mayotte est explosive. Les habitant-es de l'île n'en peuvent plus d'être traité.e.s comme des citoyen.ne.s de seconde zone. Il faut prendre la mesure des besoins immenses de l'archipel notamment en matière de services publics, si on veut le sortir de la crise que le cyclone Chido n'a fait qu'amplifier. Nous nous associons aux conclusions du rapport que vient de publier le CESE et nous exigeons que les lois de la République s'appliquent pleinement à Mayotte en commençant par celles concernant l'immigration.
La revendication de nos syndicats à Mayotte n'est pas la remise en cause du droit du sol mais la fin du visa territorialisé, ce visa dérogatoire qui enferme ses détenteurs à Mayotte et les empêche de rejoindre la métropole. Nous le réaffirmons, la convergence sociale doit être mise en place au plus vite, en commençant par mettre fin à l'abattement du Smic mahorais dès 2026. Pour cela, nous demandons l'ouverture de concertations au plus vite, à Paris, avec des modalités permettant l'association directe de nos organisations locales pour enfin mettre en place l'égalité des droits.
Marylise Léon
Secrétaire générale de la CFDT
Sophie Binet
Secrétaire générale de la CGT
Laurent Escure
Secrétaire général de l'UNSA
Murielle Guilbert et Julie Ferua
Co-porte-paroles de Solidaires
Caroline Chevée
Secrétaire générale de la FSU
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Génocide à Gaza, menace sur l’information en France !

Le traitement médiatique général pour le moins biaisé de ce qui se passe à Gaza dans une grande partie des rédactions est en train de détruire la crédibilité de la presse française et de valider la thèse mortifère du « choc des civilisations ».
Tiré du blogue de l'auteur. Aussi disponible sur librinfos74
Ce vendredi 13 juin en fin d'après-midi, la chaleur étouffante, ayant allègrement dépassée les 30°c toute la journée, ne s'est pas encore estompée. Cela n'empêche pas les bénévoles de s'agiter tous azimuts dans les jardins de l'ECREVIS[1], le fameux tiers-lieu de Meythet, en périphérie d'Annecy, afin que tout soit prêt. Au menu ce soir, concerts de rap et d'électro engagés, entrecoupés de témoignages en provenance de Gaza, l'ensemble des fonds récoltés devant aller aux associations locales soutenant la cause palestinienne. Des membres des associations ITHAR 74[2] et AFPS Annecy[3] tiennent d'ailleurs des stands à proximité du bar, leur garantissant une certaine fréquentation tout au long de la soirée.
L'équipe de l'ECREVIS ouvre le bal sur une petite scène extérieure en bois, présentant la soirée comme une volonté de « laisser parler et danser nos corps face à l'horreur du génocide en cours ». Francesca, de l'AFPS d'Annecy, en témoigne ensuite : « La Palestine est une société où l'art a une fonction majeure, celle d'une forme de résistance ». Alors il s'agit de « célébrer la beauté ce soir, et la vie malgré tout ». Parmi les différents témoignages lus sur scène, les mots glaçants de Racha, fillette palestinienne de dix ans qui avait rédigé un… testament, avant d'être ensuite tuée avec toute sa famille dans un bombardement israélien : « je souhaite que mes vêtements aillent aux personnes dans le besoin », avait-elle écrit. L'émotion est alors palpable dans l'assemblée. Environ 200 personnes sont présentes ce soir dans les jardins de l'ECREVIS, et toutes les générations sont représentées.
Face à une opinion de plus en plus choquée, l'éditocratie en roue libre !
Ce vendredi soir à l'ECREVIS, à première vue que des gens ordinaires, choqués à juste titre par ce qui se passe à Gaza. Pas d'abayas et de voiles intégraux en vue, ni stand du Hamas, du Hezbollah ou encore des Frères Musulmans. Heureusement que Caroline Fourest n'est pas là, car elle risquerait de qualifier l'ensemble des personnes présentes d'« idiots utiles des islamistes ».

En effet, alors que l'évidence d'un génocide en cours à Gaza est de plus en plus difficile à nier et que les opinions publiques partout sur la planète, y compris en France, semblent de plus en plus choquées par ce qui se passe au Proche-Orient[4], une bonne partie de nos « journalistes », appelons-les plutôt « éditorialistes » ou « doxosophes », continuent de nous offrir un festival de mauvaise foi et d'indignation à géométrie variable, qui devrait ôter définitivement toute crédibilité à leurs propos. Le César de la malhonnêteté intellectuelle pourrait être décernée la semaine écoulée à Caroline Fourest, pour sa « couverture » de la « flottille de la liberté », renommée « la flottille s'amuse »[5] selon un jeu de mots pour le moins douteux, n'ayant pas hésité à faire dans l'insulte et l'outrancier[6]. Une éditorialiste d'autant plus dangereuse qu'elle pare toujours ses démonstrations d'un certain nombre d'informations tout à fait factuelles mais amplifiées à dessein, et jamais resituées dans leur contexte, comme dans le cas de Zaher Birawi, cofondateur de la « flottille de la liberté » et accusé d'être un « agent du Hamas »[7]. Et les liens entre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le Hamas, on en parle ?[8] Et le traitement d'un journaliste français détenu illégalement par Israël[9], on en parle ?
Heureusement que de véritables journalistes, qui vont sur le terrain et se donnent la peine d'interroger les principaux concernés, sauvent l'honneur de la profession, comme cette semaine dans Envoyé Spécial[10]. Ils sont malheureusement trop souvent noyés par le bruit de fond permanent des éditorialistes des chaînes d'infos en continu, devenus un véritable cancer de l'information. L'absurde est que ces derniers continuent de pérorer sur les ondes sur le mode « le droit d'Israël à se défendre » alors que parmi les Israéliens eux-mêmes, de plus en plus de voix dissidentes commencent à émerger pour dénoncer le génocide en cours et exiger un cessez-le-feu immédiat et des sanctions à l'égard d'Israël[11]. Et alors que plus de 200 journalistes palestiniens sont morts eux pour avoir effectué le métier d'essayer d'informer[12].Alors pourquoi cet acharnement à refuser de voir l'évidence ? Et si la véritable raison n'était pas surtout leur vision raciste de la société française, à mille lieux de la géopolitique proche-orientale ?
Israël, bras armé des nouveaux croisés contre l'Islam
C'est en lisant notamment un des derniers ouvrages de Pascal Boniface, Permis de tuer, Gaza : génocide, négationnisme et Hasbara, que ce mystère de l'acharnement médiatique français à défendre inconditionnellement les exactions israéliennes s'éclaircit un peu. L'expert en géopolitique, auteur de nombreux ouvrages de relations internationales[13], part notamment du constat objectif de différence totale de traitement médiatique entre l'agression russe de l'Ukraine, qui a scandalisé à raison, et la destruction totale de Gaza par l'armée israélienne, qui continue de bénéficier d'une complaisance médiatique absolument indéfendable en droit international. Il explique ce « tropisme pro-israélien dans la plupart des médias français » par des raisons légitimes comme « la culpabilité par rapport à l'antisémitisme – concernant en particulier Vichy et la Shoah » et des motivations beaucoup moins « nobles ». Pascal Boniface écrit : « Israël est aussi soutenu pour être la pointe avancée du combat contre l'Islam. Pour ceux qui ont mal digéré la guerre d'Algérie, ou pour ceux qui, pour d'autres raisons éprouvent un racisme anti-arabe, qui assimilent islam et terrorisme, Israël « fait le boulot ». »

Benyamin Netanyahou joue d'ailleurs à fond cette carte, ayant déclaré sur TF1 en mai 2024[14] :
« Notre victoire c'est la victoire d'Israël contre l'antisémitisme, c'est la victoire de la civilisation judéo-chrétienne contre la barbarie. C'est la victoire de la France. »
On comprend tout de suite mieux cet amour inconditionnel d'Israël qui illustre surtout l'islamophobie ambiante dans une France gangrénée par la lepénisation des esprits et la bollorisation des médias[15]. Et cela rejoint les mots de la prix Nobel de littérature Annie Ernaux, tout récemment dans la Grande Librairie : « Cela suppose que soit nommé et interrogé l'imaginaire raciste à l'égard des Arabes qui est au cœur de l'acceptation du martyre de Gaza »[16].
Alors que la peur de l'Islam ne cesse d'être instrumentalisée par le gouvernement actuel, sous perfusion idéologique d'un Rassemblement national plus fort que jamais, entre hystérie autour du voile[17] et fabrication de toutes pièces d'une menace « frériste »[18], alors que des milliardaires d'extrême droite comme Vincent Bolloré ou Pierre-Edouard Stérin[19] tentent d'imposer leur agenda réactionnaire, le traitement médiatique dominant en France sur le génocide de Gaza vient parfaitement illustrer cette vision du monde antirépublicaine de « choc des civilisations », entre une civilisation judéo-chrétienne fantasmée dont Israël serait le premier bras armé en terre sarrasine et un Islam global perçu comme un bloc idéologique monolithique barbare par nos éditorialistes hémiplégiques, dont l'analyse du monde relève surtout des propos de bistrot racistes.
Bien plus que les Frères musulmans, ce sont ces nouveaux croisés des plateaux télé qui sont véritablement dangereux pour notre vivre ensemble et nos principes républicains de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité. A quand un rapport parlementaire sur le séparatisme de Pascal Praud ?
En attendant, l'horreur du génocide en cours à Gaza heurte à raison notre conscience universelle, comme elle fut heurtée le 7 octobre 2023, sans jamais avoir l'indignation à géométrie variable. Car pour la majorité des personnes sincères que l'on croise dans les rassemblements comme celui du 13 juin à l'ECREVIS, la vie d'un enfant palestinien vaut celle d'un enfant israélien. Mais même sans nous projeter jusqu'à Gaza, le traitement médiatique ici de la situation là-bas est très lourd de dangers pour notre propre liberté d'expression, notre droit à une information honnête et sourcée, notre vivre ensemble, nos principes républicains, et au final notre propre démocratie.
Alors indignons-nous sous toutes les formes possibles contre le génocide en cours, car si on ne le fait pas pour les Gazaouis, faisons-le au moins pour nous.
Comme l'écrit la jeune auteure gazaouie Nour Elassy : « Si les droits humains, la morale, ont un sens, Gaza est l'endroit où ces valeurs doivent subsister ou mourir. Car si le monde peut nous regarder disparaître sans rien faire, rien de ce qu'il prétend défendre n'est réel. »
Benjamin Joyeux
Notes
[1] Ecouter notre podcast : https://librinfo74.fr/radio-librinfo-episode-1-ebullition-a-lecrevis/
[2] https://www.instagram.com/ithar_74/
[3] https://www.instagram.com/afpsannecy/
[4] Voir le sondage Odoxa selon lequel 74% des personnes interrogées soutiennent la prise de sanction à l'égard d'Israël : https://www.publicsenat.fr/actualites/international/gaza-les-trois-quarts-des-francais-soutiennent-la-position-de-la-france-et-des-sanctions-contre-israel
[5] Voir https://www.franc-tireur.fr/la-flotille-samuse
[6] Lire https://www.acrimed.org/Flottille-pour-Gaza-la-hargne-de-l-editocratie
[8] Lire par exemple https://fr.timesofisrael.com/pendant-des-annees-netanyahu-a-soutenu-le-hamas-aujourdhui-on-en-paie-le-prix/
[12] Voir https://www.youtube.com/watch?v=FiREi0vtRM0
[13] Par ailleurs directeur de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques, boycotté depuis plusieurs années par nos principaux médias audiovisuels, lire https://www.lecourrierdelatlas.com/le-nouveau-livre-de-pascal-boniface-sur-gaza-ignore-par-les-medias/
[15] Lire notamment https://www.humanite.fr/en-debat/arcom/quelle-riposte-a-la-bollorisation-des-medias
[18] Lire https://theconversation.com/les-freres-musulmans-menacent-ils-reellement-la-republique-257303
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Entre sursaut populaire et menace nucléaire

L'engrenage armé au Moyen-Orient a pour point d'orgue la destruction des capacités nucléaires de l'Iran et l'occupation de la Palestine. C'est le dessein affiché par Benjamin Netanyahu. Hier lundi, le Premier ministre déclarait que « tuer Khamenei mettra fin au conflit ». Annonce faite au moment où 40 Palestiniens (es) sont tués par son armée. A Paris, ce samedi, la colère était à son paroxysme !
De Paris, Omar HADDADOU
L'escalade armée au Moyen-Orient tombe à point nommé pour Trump et les Européens afin de finaliser des commandes civiles et militaires colossales. Ce lundi 16 juin, pendant qu'on enterrait à Gaza les 40 victimes des bombardements israéliens sur un site de distribution d'aide humanitaire, géré par la Fondation GHF, le Président américain avait la tête focalisée sur le choix d'agréer ou d'exclure la demande de Volodymyr Zelensky quant à l'achat de matériel militaire. C'est dire l'état d'esprit qui prédomine la Géopolitique.
Trump dont les bruits de couloir susurrent qu'il aspirerait à un Prix Nobel de la Paix, aura quand même réussi à se hisser au rang d'excellent Promoteur des Belligérances !
Ce climat de reconfiguration de la planète en un immense Souk d'Intérêts stratégiques des puissances occidentales, a ouvert le champ à toutes les conquêtes et les coups de boutoir à l'égard des dominés.
Comble de l'indignité à consigner, l'organisation du Salon du Bouget (Vitrine des Avionneurs européens) en France, au moment où le bilan à Gaza dépasse les 55 000 morts et 12 blessés. Syndicats et Journalistes de Gauche ont fustigé l'évènement, le qualifiant de honte !
La folie des Puissants nous passionne ! L'Humanité restera -t-elle sans défense face à l'empiètement du Droit International par Neatanyahu et Trump ? L'assentiment claironné du Président américain, a conforté l'empressement de son alter égo à détruire les capacités nucléaires de l'Iran, en passe d'atteindre le nombre requis de centrifugeuses pour l'enrichissement de l'uranium (à Natanz) et l'acquisition de l'arme nucléaire.
D'où l'entreprise d'éliminer les ténors de l'Etat-Major, les Eminences grises et la promesse d'abattre le Guide suprême iranien : « Tuer Khamenei, mettra fin au conflit » « Nous changerons la face du Moyen-Orient. Nous les éliminerons un par un ! » annonçait -il-hier, à la télé.
Quelques heures plus tard, avant minuit, l'Iran procédait à des frappes jusqu'à l'aube sur l'Etat hébreu. Le monde pourrait basculer dans un troisième conflit mondial par le triomphe de l'Injustice (Hogra !)
En France, comme partout en Europe, l'escalade mortifère a suscité une vague d'indignations et de rassemblements impressionnants pour dénoncer l'impunité et la politique génocidaire de Netanyahu.
Le retour de la « Flottille de la Liberté » impulsée par la franco-palestinienne, Rima Hassan et les membres d'équipage, a était un moment fort, donnant lieu, ce samedi 14 juin, à une mobilisation de grande ampleur contre le génocide à Gaza. Ils étaient plus de 150 000 manifestants (es) à battre le pavé entre République et Nation. Dans le cortège, les Syndicats poids lourds, tels que CFDT, CGT, FO, FSU, UNSA, etc, insufflaient une dynamique contestataire assourdissante.
La présence des étudiants (es) et la jeunesse militante, brandissant des slogans pour la Paix, est de loin la plus importante au cœur de la ferveur de la marche. Il serait évidemment indélicat de ne pas citer les familles avec leurs enfants à bas âge, les retraités, les travailleurs (es), les Magistrats, les Demandeurs d'Emploi, les Sans-Papiers, etc, qui criaient de toute leur force de « cesser le massacre des innocents et des bébés ! ».
Notons l'investissement fédérateur et puissant de la France-Insoumise, d'Urgence Palestine (menacée par l'épée de Damoclès), d'EuroPalestine, des Ecologistes, ainsi que d'autres collectifs, scandant d'une seule voix : « Rima, Rima, Paris est avec toi ! » Puis en arabe : « Tahya tahya Falestine (Vive, vive Palestine) », « Ertah ertah ya chahid ! Sa nouasal el Kifah ! (Repose-toi Martyr, nous poursuivrons le combat ! » « Sahyouni Bara ! Falestine Houra ! (Sioniste dehors ! Palestine, libre ! » « Cessez-le feu ! Cessez-le feu ! Nous sommes tous des Palestiniens ! ». Et la voix de Rima de galvaniser les milliers de manifestants (es) sous les yous yous des femmes : « Nous continuerons, jusqu'à la libération de la Palestine ! ».
O.H
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Grande manif à Paris après le retour de Rima Hassan et la "Flottille de la liberté" et en continuation à la mobilisation massive pour Gaza.
Impulsée par la France Insoumise et l'Intersyndicale, la dynamique va reprendre dès demain au Trocadéro.LE DEUXIEMME BATEAU EST DEJA PRET A PARTIR !C'est un point de non retour de la lutte du Peuple auquel nous assistons, ici comme partout dans le monde !









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Quelques jours après un meurtre d’extrême-droite, Retailleau dissout la Jeune Garde : faisons front !

Ce jeudi 12 juin, Bruno Retailleau a annoncé avoir dissous la Jeune Garde en conseil des ministres. Alors que l'extrême droite se félicite de cette offensive, l'ensemble des organisations de la gauche syndicale et politique doit faire front en solidarité avec l'organisation antifasciste et contre le durcissement autoritaire.
12 juin 2025 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Quelques-jours-apres-un-meurtre-d-extreme-droite-Retailleau-dissout-la-Jeune-Garde-faisons-front
Crédits photo : Compte X de Raphaël Arnault
« Je me félicite que les organisations La Jeune Garde et Lyon Populaire aient été dissoutes ce matin ». C'est par ces mots que le ministre de l'Intérieur a publiquement annoncé ce jeudi la dissolution de l'organisation antifasciste la Jeune Garde, en parallèle de celle d'une organisation d'extrême-droite, qui sert de caution à la répression des antifascistes.
Bruno Retailleau avance ainsi dans la procédure administrative annoncée le 29 avril dernier contre la Jeune Garde, mais aussi Urgence Palestine, dont il n'a pour le moment pas annoncé la dissolution. Cette nouvelle dissolution constitue une offensive autoritaire d'ampleur du gouvernement, que l'extrême-droite n'a pas tardé à saluer. « Victoire du Rassemblement national, la Jeune Garde a été dissoute ! » a ainsi réagi Julien Odoul du RN sur X. De fait, avec la dissolution de la Jeune Garde, cofondée par le député LFI Raphaël Arnault, Bruno Retailleau accorde à l'extrême-droite une revendication de longue date.
L'annonce de l'attaque avait eu lieu quelques jours à peine après le meurtre islamophobe d'Aboubakar Cissé, assassiné dans la mosquée Khadidja à La Grand-Combe. Un moment symbolique choisi pour ré-affirmer son soutien à une extrême droite de plus en plus décomplexée et violente, contre laquelle la Jeune Garde lutte depuis sa création en 2018.
De la même façon, ce jeudi, la nouvelle annonce survient au lendemain des obsèques d'Hichem Miraoui, victime d'un meurtre raciste début juin. Ces dernières semaines, la Jeune Garde s'est mobilisée contre sa dissolution, notamment en manifestant en nombre le 1er mai, mais aussi contre la dissolution d'Urgence Palestine.
Cette dissolution n'est pas seulement celle d'une organisation antifasciste, mais aussi d'une organisation qui soutient la Palestine et dénonce le génocide à Gaza, et ce au moment où celui-ci s'accélère. Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, la Jeune Garde dénonce le rôle du gouvernement dans le renforcement du racisme, note que « c'est la première fois depuis 1945 que l'organisation d'un député d'opposition est dissoute » et annonce porter un recours auprès du Conseil d'État
L'ensemble des organisations politiques et syndicales de gauche doivent apporter leur soutien à la Jeune Garde et opposer le front le plus large possible en défense des droits démocratiques. Contre les procédures bâillons qui visent à réprimer le mouvement social, du soutien à la Palestine, aux collectifs contre l'islamophobie comme le CCIF, jusqu'aux collectifs antifascistes, le mouvement ouvrier doit prendre l'initiative d'une large mobilisation contre la répression et l'offensive anti-démocratique. Face à la cabale de l'extrême droite et d'un ministre ultra-réactionnaire contre une organisation… antifasciste, il faut à nouveau faire front !
Podcast avec deux militant-es de la Jeune Garde - et Ugo Palheta - publié par Spectre

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Mouvement étudiant en Serbie : « soit on s’arrête, soit ce sera la guerre civile »

Depuis novembre 2024, les étudiants serbes mènent une révolte sans précédent contre le gouvernement corrompu de Vučić. Avec deux camarades belges de la Gauche Anticapitaliste, je suis allée à Belgrade à leur rencontre.
12 juin 2025 | tiré d'International View Point
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article9039
Devant la Faculté de philosophie de Belgrade, une table et des chaises de camping sont installées. Une dizaine d'étudiants, emmitouflés dans des duvets, surveillent l'entrée. Sur la table, des sudokus et des paquets de cigarettes pour passer le temps. Les étudiants se relaient dès 8 h du matin pour garder la faculté, devenue à la fois dortoir et Assemblée populaire. Plusieurs fois par semaine, des cours y sont organisés, ouverts à toutes et tous. On y tient aussi des assemblées décisionnelles où se dessine l'avenir du mouvement. Les étudiants nous accueillent avec le sourire, prennent la parole tour à tour, puis tous en même temps. Ils nous disent être là depuis le jour 0, soit déjà six mois.
Petit rappel : le 29 novembre dernier, l'auvent de la gare de Novi Sad s'est effondré, causant la mort de 15 personnes (1). Les étudiants se sont rapidement mobilisés contre le régime autoritaire d'Aleksandar Vučić, accusé d'avoir attribué les travaux à des entreprises corrompues et incompétentes.(2) Dans un pays où il est difficile de critiquer le pouvoir en place, les étudiants ont réussi un tour de force : ils ont « dépolitisé » le mouvement, refusant d'en faire un combat partisan dans un pays profondément divisé. Cette stratégie leur a permis de rassembler au-delà des clivages idéologiques. Ils ont structuré leur mobilisation autour de quatre revendications simples :
– 1. Publication de tous les documents relatifs à la reconstruction de la gare de Novi Sad, actuellement inaccessibles au public.
– 2. Confirmation par les autorités compétentes de l'identité de toutes les personnes raisonnablement soupçonnées d'avoir agressé physiquement des étudiants et enseignants, et ouverture de poursuites pénales.
– 3. Abandon des charges contre les étudiants arrêtés pendant les manifestations, et suspension de toutes les procédures judiciaires.
– 4. Augmentation de 20 % du budget alloué à l'enseignement supérieur.
La réponse à ces revendications a été massive. Les étudiants ont réussi à rallier une large partie du pays, à l'aide de diverses techniques de mobilisation, comme les marches nationales pour contrer la propagande d'État. Le mouvement a atteint son apogée le 15 mars 2025, lorsque 400 000 personnes ont afflué vers la capitale.(3)
Mais que s'est-il passé depuis ? Pourquoi les médias ont-ils cessé de parler des Balkans ?
Le gouvernement joue la carte de l'usure face à une jeunesse épuisée
Face à cette contestation persistante, le gouvernement a rapidement réagi en jouant la montre et en utilisant le calendrier universitaire à son avantage. Fin mai, les examens approchent. Le gouvernement en profite pour exercer une pression supplémentaire sur les étudiants. Ces derniers ont pris leur décision : ils passeront les examens, en sachant qu'ils vont les rater. Ils ont choisi de sacrifier une année d'études pour l'avenir de leur pays.
En réponse à cet échec massif potentiel, le gouvernement serbe menace de privatiser les universités, sous prétexte que le secteur public ne garantit pas le succès des étudiants. Face à cette stratégie de l'échec, les rangs se clairsement : « au début, les gens venaient, maintenant on est à bout ». Bien qu'encore soutenu par une majorité de la population, le nombre d'activistes actifs diminue : « nous ne sommes pas assez nombreux, maintenant nos gardes vont de 8 h à 11 h ». De moins en moins d'entre eux viennent garder les barricades universitaires : « nous sommes les derniers soldats courageux », disent les irréductibles.
À la pression du gouvernement s'ajoute sa guerre psychologique : propagande, campagnes de discrédit, manœuvres déloyales. Les étudiants dénoncent le groupe « Studenti koji žele da studiraju » – littéralement « les étudiants qui veulent étudier » – mis en place par le pouvoir et installé devant le Parlement pour contrecarrer les manifestants.(4)
Malgré la fatigue et les stratégies politiques vicieuses, le mouvement résiste, notamment grâce à une structure horizontale bien rodée.
Un mouvement se revendiquant non hiérarchique, apolitique et non partisan
Les étudiants s'expriment à tour de rôle devant l'université, aucun ne se distingue particulièrement. Au début du mouvement, certains ont tenté de s'imposer, mais ont vite été écartés. Le mouvement ne reconnaît aucun leader. Dans les médias, on ne voit jamais les mêmes visages : « nous voulons mettre en avant les revendications, pas les personnes ». Il revendique une organisation totalement horizontale : « nous sommes contre la hiérarchie ». Ils se veulent également apolitiques et non partisans, afin de rassembler le plus largement possible et de déjouer les tentatives de récupération par l'opposition ou certains enseignants cherchant à obtenir des postes dans un éventuel gouvernement technocratique.
Mais en réalité, le mouvement est traversé de profondes divisions politiques
Derrière cette façade apolitique, une ligne idéologique plus affirmée se dessine. Des étudiants de la faculté de philosophie expliquent : « c'est un mouvement communiste par essence ». Ils défendent l'idée d'un Front social donnant le pouvoir au peuple : « que le peuple décide ». Le Front social n'existe pas encore formellement en Serbie, mais c'est une proposition politique issue du mouvement étudiant. Il vise à créer un large réseau horizontal rassemblant étudiants, travailleurs, agriculteurs et autres groupes sociaux, unis contre la corruption et l'autoritarisme du régime Vučić. Ce projet veut dépasser les clivages traditionnels, rejeter la manipulation partisane et promouvoir une démocratie directe et participative. (5)
La faculté de philosophie à laquelle appartiennent les étudiants rencontrés, ancrée à gauche, critique ouvertement d'autres établissements jugés trop conciliants avec les institutions libérales. Elle défend une ligne anti-européenne et souverainiste, convaincue que l'UE méprise la jeunesse serbe. À plusieurs reprises, l'UE est tenue pour responsable des bombardements de 1999 : « nous n'aimons pas l'UE »(6). À l'inverse, d'autres universités restent tournées vers Bruxelles et semblent attendre une réponse de l'Union européenne, souhaitant reproduire les sociétés libérales d'Europe occidentale. Mi-mai, une vingtaine d'étudiants ont couru 2000 km de Novi Sad à Bruxelles dans l'espoir d'une réponse des institutions européennes, qui soutiennent discrètement le gouvernement Vučić (7).
L'Europe et la France négocient-elles encore les droits humains et la démocratie ?
La France, ou la « grande démocratie européenne » qui vend des Rafale à un autocrate
Le 9 avril, Emmanuel Macron a reçu le président Vučić, sans un mot sur le mouvement étudiant ni sur la dérive autocratique du pays (8). Comment se fait-il que, face à un tel déni de démocratie, les pays européens détournent le regard ?
La complicité silencieuse de la France s'explique par des intérêts économiques et géopolitiques. Depuis sa réintégration dans les Balkans en 2019, la stratégie française privilégie la coopération sécuritaire et économique, au détriment des exigences démocratiques. Paris préfère ouvrir un marché à ses investisseurs plutôt que de lutter contre la corruption. En juillet 2023, Vučić a signé un contrat historique avec Macron : l'achat de 12 avions de chasse Rafale pour 3 milliards d'euros. Le président français a alors salué une « démonstration de l'esprit européen ».
Une somme colossale pour un pays où le salaire minimum ne dépasse pas 400 euros mensuels, mais qui renforce les liens militaro-industriels entre Paris et Belgrade. Et la France ne s'arrête pas là. Elle est impliquée dans plusieurs projets stratégiques en Serbie : Vinci exploite l'aéroport de Belgrade, Michelin a une usine de pneus à Pirot, et des discussions sont en cours pour construire des centrales nucléaires en partenariat avec EDF et Framatome.
Cette politique s'inscrit dans un cadre plus large appelé stabilocratie (9), c'est-à-dire le soutien tacite à des régimes autoritaires tant qu'ils garantissent une stabilité politique et un accès aux marchés. En privilégiant ses contrats à ses principes, la diplomatie française alimente un statu quo géopolitique qui renforce un régime autoritaire au détriment d'une société civile en lutte pour la démocratie.
L'Europe du marché, pas des peuples
Le silence français fait écho au silence européen. Le président serbe a même été publiquement félicité par Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, saluant son « sens des responsabilités » et le « potentiel économique » du pays, sans un mot sur les atteintes à la démocratie ou la corruption. En 2023, sous prétexte de « transition écologique »(10), l'UE a relancé le projet minier très controversé de Rio Tinto, suspendu en 2022 grâce aux mobilisations écologistes. Un projet d'extraction de lithium destiné à l'industrie européenne, sans égard pour les écosystèmes locaux ni les populations concernées. La jeunesse serbe est sacrifiée sur l'autel de la transition « verte » européenne.
La même année, la Serbie a reçu la plus importante subvention européenne de son histoire : plus d'un demi-milliard d'euros pour la rénovation du corridor ferroviaire Belgrade-Niš.
La Serbie est aussi un point stratégique pour Bruxelles. Elle se trouve sur la route des Balkans et permet de sous-traiter le contrôle migratoire. La Serbie agit comme tampon et se permet des refoulements illégaux, des violences policières et le non-respect des droits humains (11). Ainsi, l'Europe garde les mains propres et Vučić, en jouant le rôle de gardien de la « forteresse », s'achète l'indulgence politique de Bruxelles. L'UE redoute aussi un basculement vers la Russie, partenaire économique et marché potentiel. Bien qu'elle soit candidate à l'adhésion, la Serbie refuse d'aligner ses sanctions sur celles de l'UE contre Moscou. Vučić joue habilement de cette position « non alignée », oscillant entre promesses d'intégration européenne et proximité assumée avec le Kremlin. Ce double jeu inquiète Bruxelles, qui craint que Belgrade devienne un cheval de Troie russe au cœur du continent.
Tous ces intérêts économiques et géostratégiques justifient que les dirigeants européens ferment les yeux sur un gouvernement illibéral et des pratiques autoritaires. On peut alors se demander : à quoi sert l'Union européenne si elle sacrifie sa jeunesse au nom du libre-échange, de la sécurité et des relations géopolitiques (12) ?
Et maintenant ? « Soit on s'arrête, soit ce sera la guerre civile »
La mobilisation s'essouffle (13). Vučić assure à ses partisans que « l'histoire est finie ». Lucides, les étudiants de la faculté de philosophie n'envisagent plus que deux issues : « soit on s'arrête, soit ce sera la guerre civile ». Ils insistent encore : leur objectif est avant tout de mobiliser les Serbes : « nous voulons mobiliser notre peuple ». Il ne s'agit pas seulement de changer le gouvernement, mais de changer de système.
À l'heure où les étudiants serbes nous rappellent que l'émancipation ne viendra ni des gouvernements ni des institutions, mais des peuples en lutte, nous pouvons nous demander : quel est notre rôle dans cette solidarité internationaliste qu'il reste à construire ?
5 juin 2025 –
Notes
1] Euronews, 30 December 2024 “Serbian prosecutors indict 13 over deadly canopy collapse that sparked mass protests”.
[2] For more context see “Serbian students cycle to Strasbourg, Macron prefers to receive the autocrat Vučić”, “Chronology of the struggle in Serbia”, “Student protests in Serbia : "The movement cannot afford to stop now"”, “Serbia's Mass Protests Against a Crony-Capitalist Government”.
[3] BBC, 16 March 2025, “Serbia's largest-ever rally sees 325,000 protest against government”.
[4] See Ćaciland Protest Camp.
[5] Contretemps, 25 February 2025 “Mouvement étudiant en Serbie : « Un État-providence, c'est ce dont notre pays a besoin »”, Cerises la Coopérative, 4 April 2025, “Serbie : un nouveau front étudiants-travailleurs”.
[6] Modern Diplomacy, 18 March 2025, “Remembering 1999 : How the NATO Bombing Shaped Serbian National Identity”.
[7] Brussels TImes, 13 May 2025, ‘From my village to Brussels' : Serbian student protest reaches Belgium.
[8] Euronews, 10 April 2025 “President Vučić gets strategic support from France for Serbia's ‘European destiny'”.
[9] Fondation Jean-Jaurès, 2 June 2022, “Sortir de la ‘stabilocratie' : repenser l'approche française des Balkans occidentaux”.
[10] Reporterre, 13 May 2025, “En Serbie, la lutte contre le lithium alimente une révolte historique”.
[11] Amnesty International “Human rights in Serbia”.
[12] Fondation Jean-Jaurès, 20 January 2025 “En Serbie, une ultime bataille pour la démocratie fait rage dans l'indifférence de l'Europe”.
[13] RFI, 22 May 2025, “Serbie : malgré des résultats, les manifestations anti-Vucic perdent de leur ampleur”.
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En Pologne, victoire électorale de la droite dure

Au second tour de l'élection présidentielle polonaise, le 1er juin, Karol Nawrocki, soutenu par la droite extrême (PiS, parti Droit et Liberté) et l'extrême droite illibérale et fascisante a gagné avec 50,89 % contre 49,11 % à Rafal Trzaskowski, le candidat libéral soutenu par le gouvernement actuel de Donald Tusk (PO, Plateforme civique).
Tiré de Inprecor
11 juin 2025
Par Jan Malewski
© Karole Nawrocki sur Facebook
Le taux de participation a atteint 71,63 %, plus qu'à toutes les élections présidentielles précédentes. Au premier tour (18 mai) Trzaskowski (31,36%) était légèrement (31,36%) devant Nawrocki (29,54%), mais les candidats de la droite fascisante et pro-poutiniste ont obtenu 22,69 % alors que celles et celui se réclamant de la gauche seulement 10,18 %. Il s'agit donc d'une sérieuse défaite et la coalition gouvernementale pourrait se décomposer, laissant ainsi la place à un gouvernement ultra conservateur, voire à une coalition avec l'extrême droite.
Tusk incapable de répondre aux questions démocratiques et sociales
Si la République en Pologne est moins présidentialiste qu'en France et que le gouvernement n'est pas dirigé par le président, ce dernier peut bloquer le gouvernement en refusant de signer les lois adoptées par le Parlement. De plus, le gouvernement Tusk n'a toujours pas été capable de remettre sur pied la justice et le tribunal suprême que les gouvernements précédents du PiS ont déformé.
En octobre 2023, la mobilisation populaire contre l'autoritarisme gouvernemental du PiS et surtout pour les droits des femmes bafoués avait permis la victoire électorale de la coalition menée par Tusk. Plus d'un an après, le nouveau gouvernement s'est avéré incapable de réaliser ses promesses en matière des droits démocratiques, qui comprenaient l'abandon du néolibéralisme technocratique au profit d'une gouvernance plus humaine et démocratique, des réformes telles que la libéralisation de la loi sur l'avortement, une politique de logement social et un investissement plus important dans la culture et l'éducation.
Pire, il commencé à céder à des réflexes illibéraux en durcissant le discours contre l'immigration et en créant un Comité gouvernemental pour la déréglementation qui se donne pour but d'alléger la responsabilité des hommes d'affaires et, à terme, de réduire leurs impôts… Même la nouvelle radio-télévision publique, remplaçant la machine de propagande du PiS, s'est avérée incapable de réaliser un journalisme indépendant.
Deux choix, une seule option : le marché
En absence d'une forme stable d'auto-organisation des mouvements de protestation précédents la société polonaise et en particulier la classe ouvrière est restée atomisée, espérant de moins en moins du gouvernement libéral, voire se retournant contre lui. Ainsi, chez les électeurs n'ayant qu'un niveau d'éducation primaire, Nawrocki a obtenu 73,4 %, et dans le groupe des électeurs ayant suivi une formation professionnelle, 68,3 %. La répartition par profession révèle une situation similaire. Nawrocki a triomphé parmi les agriculteurs (84,6 %) et les travailleurs manuels (68,4 %). Il arrive même en tête parmi les chômeurs (64,7 %). Et si les femmes ont plus voté en faveur de Trzaskowski (52,8%), Nawrocki l'emporte parmi l'électorat le plus jeune (53,2 % chez les 18-29 ans et 54 % chez 30-39 ans). Les jeunes ont voté plus contre le gouvernement que pour lui.
Car le choix était entre deux candidats liés au dogme du marché libre et à l'austérité fiscale. La seule différence est que le libéralisme économique de Trzaskowski privilégie les déréglementations telles que la réduction des cotisations sociales des entreprises (sans toucher à celles des travailleurs), tandis que Nawrocki est pour un contrôle autoritaire de l'État au service des élites économiques.
C'est un nouvel épisode d'une lente décomposition du libéralisme post-stalinien, tel qu'il a été conçu depuis 1989. Cela laisse la porte ouverte à la droite radicale, qui peut ainsi s'emparer du ressentiment accumulé.
Publié par L'Anticapitaliste le 12 mai 2025
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Grèce : une offensive inquiétante contre le pluralisme médiatique

En Grèce, le gouvernement Mitsotakis met en œuvre une stratégie de contrôle sur l'information dans un contexte de mécontentement public et de scandales. Des actions récentes, comme la fermeture d'Attica TV, la révocation de licence pour Dimokratia FM et l'encadrement des créateurs YouTube, soulèvent des questions sur le pluralisme médiatique et la liberté d'expression déjà limités dans le pays.
Tiré du blogue de l'auteur.
La démocratie hellénique semble aujourd'hui prise au piège d'une stratégie gouvernementale insidieuse, orchestrée pour museler toute voix dissonante au sein de son paysage médiatique. Sous l'égide du gouvernement de droite de Kyriakos Mitsotakis, au pouvoir depuis 2019, la Grèce assiste, non sans inquiétude, à une succession d'événements qui dessinent un plan délibéré visant à asseoir un contrôle hégémonique sur l'information. Cette offensive survient dans un climat de colère populaire exacerbée, alimenté par des scandales à répétition et l'indignation face à l'inaction du pouvoir.
Colère populaire et scandales à répétition
Le peuple grec, déjà exaspéré, a exprimé son "ras-le-bol" lors de manifestations d'une ampleur inédite, notamment en février dernier, avec des rassemblements massifs en Grèce et à l'étranger. Au cœur de cette colère, la tragédie ferroviaire de Tempe, qui a coûté la vie à 57 personnes en février 2023, incarne la perception d'une gouvernance clientéliste et opaque. La dissimulation et le déni de responsabilité face à ces défaillances des systèmes de sécurité ferroviaire sont perçus comme une insulte par les familles des victimes et une grande partie de la population. Cette défiance s'est aggravée avec l'éclatement du scandale du logiciel espion "Predator". En 2022 il a été révélé que le téléphone du leader de l'opposition socialiste, avait été mis sur écoute par les services secrets grecs, en parallèle d'une tentative d'infection par "Predator qui a visé des centaines d'autres personnes.
Ces révélations ont déjà causé des dommages électoraux au parti de la Nouvelle Démocratie au pouvoir. La corruption est toujours endémique dans le pays et le gouvernement Mitsotakis a mis en place, depuis 2019, un système de pouvoir clientéliste et centralisé, marginalisant les institutions indépendantes et la voix de la société civile. Par ailleurs, le creusement des inégalités produit par les politiques en faveur de l'oligarchie, l'alignement atlantiste absolu au niveau de la politique étrangère et la proximité affiché avec Trump et Netanyahu ne fait que renforcer le ressentiment de la majorité de la population. C'est dans ce contexte de colère populaire exacerbée et de déliquescence institutionnelle que s'intensifie l'offensive du gouvernement contre la liberté de la presse. En l'espace de seulement quinze jours, trois événements majeurs illustrent cette manœuvre visant à étouffer toute voix qui n'a pas accepté d'être corrompue et qui continue de lui faire face.
La fermeture d'Attica TV
L'épisode le plus révélateur est sans conteste la fermeture abrupte d'Attica TV. Cette chaîne, connue pour sa proximité avec l'opposition de centre gauche, a annoncé l'arrêt immédiat de ses opérations à ses quelque soixante-dix employés. La fréquence d'Attica TV appartenait à la municipalité d'Aspropyrgos et était exploitée par la société Media Time, liée aux hommes d'affaires Dimitris Bakos, Giannis Kaimenakis et Alexandros Exarchou. Alors que leur contrat de location courait jusqu'en septembre 2025, la décision fut prise d'y mettre fin prématurément, sous le prétexte d'un désaccord sur le renouvellement du bail. Il a été révélé que la proposition des propriétaires de réduire drastiquement le loyer mensuel, de 20 000 à 5 000 euros, était manifestement une manœuvre destinée à provoquer l'échec des négociations. Il est crucial de souligner que Messieurs Bakos, Kaimenakis et Exarchou, bien que moins médiatisés, jouissent d'un portefeuille d'investissements colossaux, se chiffrant en milliards d'euros, couvrant des secteurs aussi lucratifs que la construction, la banque et l'énergie, avec 132 entreprises recensées sous leur influence. Dans ce contexte, des pertes annuelles de l'ordre de 3 à 3,5 millions d'euros pour Attica TV étaient parfaitement gérables pour des entités de cette envergure. La cessation d'activité est donc perçue, non comme une nécessité économique, mais comme un désengagement politique calculé de l'opposition de centre-gauche, annonçant un "mauvais présage" pour la pluralité des médias grecs.
Le retrait de la licence de Dimokratia FM
Parallèlement à cette liquidation, une tentative flagrante de museler la station de radio "Dimokratia FM" a été mise en œuvre. Le groupe Filippakis, propriétaire des journaux "Dimokratia" et "Estia", avait entrepris de lancer cette nouvelle entité radiophonique sur la fréquence 102.7 FM. Le journal "Dimokratia" est connu pour son opposition très forte au gouvernement de Kyriakos Mitsotakis, incarnant la voix d'une droite populaire radicalement opposé à Mitsotakis. Cette fréquence appartenait légalement au parti d'extreme droite LAOS depuis 2010, et son examen de licence aurait dû avoir lieu il y a treize ans, après le départ de LAOS du Parlement en 2012. Étonnamment, c'est précisément à l'annonce du projet de "Dimokratia FM" que le gouvernement, par l'intermédiaire du vice-ministre auprès du Premier ministre, Pavlos Marinakis, a déposé une disposition parlementaire, le 6 juin, visant à révoquer cette licence. Cette manœuvre est clairement interprétée par les observateurs comme une machination gouvernementale dont le but ultime est la censure, cherchant à empêcher qu'une opinion dissidente n'atteigne un public plus vaste par les ondes radiophoniques.
Le contrôle de YouTube
Le bras de fer gouvernemental ne s'arrête pas aux médias traditionnels ; il s'étend désormais à la sphère numérique, particulièrement YouTube. Des dizaines de créateurs de contenu sur cette plateforme ont reçu un courriel du Conseil National de la Radio et de la Télévision (ESR), les contraignant à s'inscrire à son registre. Une telle injonction les place de facto sous la supervision de l'ESR. Le gouvernement est parfaitement conscient que des millions d'internautes grecs se sont tournés vers YouTube pour une information alternative, délaissant les bulletins des chaînes conventionnelles. La décision 1/2022 de l'ESR, qui fonde cette exigence d'enregistrement, est volontairement vague quant aux critères précis (nombre d'abonnés, fréquence de publication), mais elle affirme explicitement que la radio et la télévision sont soumises au contrôle direct de l'État. Cette imprécision confère à l'ESR le pouvoir d'imposer des amendes exorbitantes aux YouTubers pour leur contenu, constituant ainsi un outil de pression redoutable contre les chaînes d'opposition.
Ces initiatives, survenues en l'espace d'une quinzaine de jours seulement, ne sauraient être considérées comme des coïncidences isolées. Elles révèlent un plan gouvernemental visant à étouffer l'opposition médiatique. Cette stratégie s'inscrit dans un contexte plus large de détérioration de la liberté de la presse et de la confiance dans les médias en Grèce, un pays qui dégringole d'ailleurs dans les classements internationaux. La manipulation médiatique est déjà omniprésente, avec des médias largement subventionnés par le gouvernement qui soutiennent sans réserve ses politiques. L'ensemble de ces manœuvres — la suppression d'un média d'opposition traditionnel, l'obstruction à l'établissement d'une nouvelle radio critique, et l'assujettissement des plateformes numériques — ne sont pas de simples ajustements réglementaires. Elles constituent une escalade alarmante dans la tentative du gouvernement Mitsotakis de façonner un récit unique et de neutraliser toute contestation significative. Si Attica TV et Dimokratia FM à eux seuls ne suffiraient pas à garantir un troisième mandat à Mitsotakis, l'extension de ce contrôle au paysage numérique marque une étape cruciale. Cette dérive autoritaire pose de graves questions sur la santé de la démocratie grecque et la survie de la pluralité médiatique, laissant présager un avenir incertain pour la liberté d'expression dans le pays.
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Italie : sur les référendums, nous avons perdu, nous recommençons à partir des mouvements sociaux

Comme on pouvait largement s'y attendre, les référendums sur le travail et la citoyenneté n'ont pas atteint le quorum requis de la moitié plus un des électeurs. C'est une nouvelle défaite pour la classe ouvrière et pour la société, une nouvelle confirmation du climat politique dégradé dans lequel les patrons font la pluie et le beau temps, au mépris des principes fondamentaux de justice, de démocratie et de solidarité humaine.
11 juin 2025 | Source - Anticapitalistas
https://anticapitalista.org/2025/06/11/sui-referendum-abbiamo-perso-ripartiamo-dai-movimenti-sociali/
Seuls 30 % des électeurs, soit environ 15 millions de personnes, ont voté, soit près de 10 millions de moins que le nombre nécessaire. Parmi eux, environ 12 millions ont voté oui aux quatre questions posées par la CGIL (entre 87 % et 89 %), mais seulement 9 millions à la question sur la citoyenneté. Un chiffre très faible, compte tenu du fait que les travailleurs et travailleuses salarié.e.s sont environ 19 millions, sans compter les retraités.e.s, les chômeurs.euses et les travailleurs.euses au noir. Un référendum qui n'a même pas mobilisé l'ensemble de la classe ouvrière, qui est bien loin de percevoir que la défense des droits de ses secteurs les plus faibles est fondamentale pour inverser les rapports de force sociaux. Le résultat de la question sur la citoyenneté, qui n'a obtenu que 65 % de oui et qui aurait probablement été rejetée même si le quorum avait été atteint grâce à une participation plus importante de votant.e.s probablement orienté.e.s à droite, est particulièrement inquiétant.
Les règles facilitant le licenciement, même abusif, des travailleurs et travailleuses, resteront en vigueur, sans possibilité de réintégration, et dans les petites entreprises, l'indemnisation éventuelle ne pourra dépasser six mois de salaire ; les entreprises sous-traitantes continueront d'être déresponsabilisées en matière de sécurité des travailleurs et travailleuses ; il restera possible de recourir à des contrats de travail précaires à durée déterminée sans même avoir à fournir de motif ; enfin, les travailleurs et travailleuses migrants continueront d'être victimes de discrimination et plus facilement victimes de chantage pendant au moins dix ans, privés des droits de citoyenneté alors qu'ils vivent, travaillent et paient leurs impôts en Italie.
Le gouvernement s'en sort renforcé
Bien que les questions référendaires n'aient pas contesté des lois mises en place par les forces politiques actuellement au pouvoir, ce sont pourtant bien les forces de droite qui se réjouissent de l'échec des référendums. Cela démontre clairement le lien indissoluble qui unit la droite aux classes dominantes et son mépris pour les droits de celles et ceux qui travaillent.
Objectivement, la droite au pouvoir sort renforcée par ce résultat. Elle a misé sur l'abstention pour faire échouer les référendums, en exploitant un ventre mou largement dépolitisé qui ne vote plus, à tel point que même lors des dernières élections européennes de 2024, moins de la moitié des électeurs inscrits s'étaient rendus aux urnes. Les fluctuations électorales devront être analysées en profondeur, mais il est probable que celles et ceux qui ne votent pas aux élections politiques ne se sont pas non plus rendus aux urnes lorsqu'il s'agissait de se prononcer directement sur des lois. Une fois de plus, il ne faut pas se faire d'illusions sur le potentiel « subversif » de l'abstention.
Maigre réconfort que celui que les partis du « grand centre » trouvent dans le fait que le nombre de « oui » soit supérieur à celui obtenu aux élections européennes par les forces de la majorité. S'il est vrai que Fratelli d'Italia, Forza Italia et la Ligue n'ont obtenu « que » 11 millions de voix en 2024, ces formations peuvent aujourd'hui revendiquer une hégémonie sur la grande majorité des électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes. En ce sens, le centre-gauche a eu tort de politiser le référendum en le présentant comme une consultation sur l'action du gouvernement.
La palme du pire parmi les partis du « Camp large » revient au Mouvement 5 étoiles, qui n'a donné aucune indication de vote sur le référendum sur la citoyenneté, allant ainsi dans le sens des perceptions racistes et de droite, comme il l'avait déjà fait en 2018 lorsqu'il avait accepté de gouverner avec la Ligue de Salvini. La nature interclassiste (mais avec une direction petite-bourgeoise) de cette formation politique ne s'est pas démentie, même dans cette épreuve. Le PD n'était pas non plus très homogène dans ses indications de vote, une partie de la direction restant campée sur la ligne de Renzi [ancien dirigeant du PD, au gouvernement de 2014 à 2016, responsable avec le Jobs Act des dégradations sur lequel portait le referendum ndt], tandis qu'une partie de son électorat, comme le montrent les premières analyses des résultats, semble avoir voté non à la question sur la citoyenneté.
Après l'adoption par le parlement du « décret sécurité » puis le résultat de ce référendum, le gouvernement post-fasciste italien devient de plus en plus dangereux. Avec le décret sécurité, dispositif fortement répressif et antidémocratique, les luttes que nous pourrons mener à l'avenir sont menacées, instaurant un climat intérieur en phase avec les vents de guerre. La prochaine bataille fondamentale sera celle du militarisme, avec les investissements considérables dans le réarmement proposés par la Commission européenne et accueillis avec enthousiasme par la droite italienne ainsi que par les droites qui gagnent du terrain en Europe.
Le référendum n'est pas l'instrument adéquat
Sinistra Anticapitalista n'a pas été l'un des promoteurs des questions référendaires mais a participé à la campagne en recommandant de voter cinq fois oui. Nous n'avons pas choisi ce terrain de bataille, mais nous ne nous sommes pas soustraits à la tâche de le mener avec toutes les forces militantes dont nous disposons.
Lorsque nous nous sommes trouvés face à la possibilité d'engager cette bataille sur les droits du travail et des migrants, nous n'avons pas hésité, et quoi qu'il en soit, au-delà du résultat, il était important de rouvrir le débat sur le travail et la citoyenneté et d'en discuter sur les marchés, dans les quartiers, sur les lieux de travail. Deux lois, le Jobs Act et la loi sur la citoyenneté, qui sont de véritables piliers de l'exploitation du travail, qui tiennent les travailleurs en otage, les soumettant encore plus au pouvoir patronal, l'une avec la menace du licenciement, l'autre avec celle de l'expulsion, les permis de séjour étant conditionnés à l'emploi. L'impunité des patrons en matière de sécurité, avec un carnage sur les lieux de travail qui fait en moyenne trois victimes par jour et la précarité généralisée avec le recours aveugle aux contrats à durée déterminée, complètent le tableau.
Cette bataille a toutefois démontré une fois de plus, comme ce fut le cas en 1984, toutes choses égales par ailleurs, sur l'échelle mobile, que le référendum ne peut être considéré comme le principal instrument auquel faire confiance pour obtenir des acquis – ou même simplement défendre les droits – de la classe ouvrière. Il serait facile de citer le Marx de la Première Internationale, selon lequel « l'émancipation de la classe ouvrière doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes », pour rappeler qu'on ne peut pas remettre à un référendum, où la bourgeoisie a aussi le droit de vote, le destin de celles et ceux qui vivent de leur travail. Si l'on pense ensuite au référendum sur la citoyenneté, sur lequel les personnes directement concernées n'avaient même pas le droit de vote, l'erreur est encore plus évidente.
Il est vrai que grâce aux référendums, d'importantes batailles de civilisation ont été gagnées (le divorce, l'avortement, la chasse, le nucléaire, l'eau comme bien public), mais il s'agissait précisément de questions qui concernaient l'ensemble de la société et sur lesquelles les secteurs les plus avancés de la classe ouvrière et des mouvements sociaux avaient réussi à construire une hégémonie, grâce aussi à leur force propre, à leur capacité à s'organiser et à gagner d'abord sur leur lieu de travail, dans les familles et dans la société en général. Le sentiment commun sur ces questions était plus avancé que le législateur. Aujourd'hui, ce n'est manifestement pas le cas en matière de travail et de citoyenneté.
Le référendum est en outre un instrument de démocratie directe faussé qui ne peut être utilisé que dans des limites très étroites (et la droite propose déjà de les rendre encore plus étroites en augmentant le nombre de signatures nécessaires pour le demander). Il ne peut être sollicité sur différents sujets, en particulier ceux qui auraient une incidence sur le budget ; il nécessite un quorum de participation qui, depuis plus de trente ans, est difficile à atteindre ; il permet uniquement d'annuler des lois déjà approuvées ou de confirmer des réformes constitutionnelles qui n'ont pas obtenu une majorité qualifiée au Parlement. Mais surtout, le référendum est loin de la véritable démocratie directe. Dans ce cadre, les assemblées sur le lieu de travail ou territoriales pourraient prendre des décisions sur ce qui les concerne directement ou élire des représentants temporaires et révocables dans des assemblées de niveau supérieur pour décider de questions plus larges, au cours d'un débat qui permettrait de s'exprimer et de débattre de différentes propositions, plutôt que de se contenter de voter « oui » ou « non » sur des questions déterminées. Voilà la démocratie directe que nous voulons construire avec l'écosocialisme. Les référendums actuels ne sont qu'un simulacre de démocratie directe, et cela dit sans même parler de l'influence sur le vote des médias de masse, les réseaux sociaux informatisés y compris, sur lesquels la classe ouvrière n'a évidemment aucun contrôle. Il suffit de penser au silence médiatique qui a entouré ce référendum ou à la censure systématique des manifestations de solidarité avec le peuple palestinien.
Surtout dans cette phase historique, où l'hégémonie du capital et de la droite politique est si forte sur la société en Italie comme dans le reste du monde, confier le destin des travailleurs et des migrants au vote référendaire a été une décision aventureuse, qui a exposé la classe à une défaite tout à fait prévisible qui risque également d'affaiblir les autres luttes en cours. Peut-être que lorsque Landini a fait prendre l'initiative de ces référendums par la CGIL, il a misé sur l'effet d'entraînement d'une sixième question, celle sur l'autonomie différenciée [entre les régions ndt], dont la Cour constitutionnelle a refusé qu'elle soit soumise au vote. Mais il est probable que même cette question n'aurait pas permis d'atteindre le quorum, comme l'a montré la difficulté de mobiliser la société ces dernières années contre cet autre projet destructeur de la droite, partagé également par certains secteurs du centre-gauche dans les régions du Nord. Cet argument ne peut toutefois servir de justification à une direction de la CGIL qui, au lieu de se positionner de manière combative et radicale dans le conflit social, a déplacé la bataille sur le terrain référendaire, comme en témoigne le slogan « Le vote est notre révolte ! ». Il est indispensable de prendre en compte la masse de toutes celles et tous ceux, dans les périphéries et au sein même de la classe ouvrière, sont dépolitisé.e.s et désyndicalisé.e.s à la suite de la défaite historique du mouvement ouvrier, des reculs constants en matière de salaires et de droits, des trahisons de ceux qui auraient dû la représenter et des désillusions sur les expériences réformistes, de l'absence de mouvements sociaux significatifs en mesure de renverser le rapport de force entre les classes.
Les droits et l'hégémonie se reconquièrent par les grèves
Le référendum étant maintenant derrière nous, il est temps de revenir à la réflexion sur la manière de se défendre contre le gouvernement de droite et la toute-puissance patronale et de reconquérir les droits et les salaires. Contrairement aux élections politiques et aux référendums, les récentes élections des représentants syndicaux dans le secteur public ont enregistré un taux de participation très élevé (environ 70 %), et la CGIL est arrivée première dans tous les secteurs de la fonction publique. C'est précisément à partir des lieux de travail et des représentations syndicales qu'il faut repartir pour construire une manière différente de militer syndicalement, sur une base de lutte et solidarité. L'urgence salariale doit être affrontée avec détermination, en luttant pour obtenir des renouvellements contractuels qui redonnent sa dignité au travail, en particulier dans les secteurs publics et chez les métallurgistes, dont les conventions collectives ont expiré et n'ont pas encore été renouvelées. Si les métallos se sont mobilisés par plusieurs mouvements de grève (environ 40 heures à ce jour), trop peu est fait dans les secteurs publics, car on part de l'idée qu'il n'y aurait pas de ressources pour permettre de récupérer la perte causée par l'inflation au cours de la période 2022-2024, ce qui revient en fait à renoncer à lancer une mobilisation décidée et continue pour obtenir que le gouvernement budgète ces moyens.
Il y a également beaucoup à faire dans le domaine de la défense de l'emploi et de l'environnement. L'expérience des travailleurs de GKN, qui continuent de lutter pour un projet d'usine socialement intégrée et financée par des fonds publics, montre la voie à suivre pour apporter une réponse globale à la crise industrielle et environnementale qui touche différents secteurs du monde du travail. La nécessaire reconversion écologique et numérique de la production ne peut être laissée au marché capitaliste, qui produit chômage de masse, destruction de l'environnement et concurrence à la baisse entre les travailleurs et travailleuses de différents pays. Il est nécessaire que la classe ouvrière se mobilise pour une intervention publique massive en faveur de la reconversion écologique de l'économie, tout en préservant les emplois.
Pour parvenir à obtenir ces acquis, il faut renouer avec la pratique de grèves sérieuses, comme nous l'ont enseigné les luttes qui ont conduit à l'adoption du Statut des travailleurs en 1970 ou, plus récemment, comme nous l'avons vu en France contre la réforme des retraites. La grève doit redevenir un outil central pour la reconstruction d'un nouveau mouvement ouvrier. La préparation de la grève générale sert à cimenter la solidarité dans la lutte entre les différents secteurs de la classe ouvrière, à redonner confiance aux travailleuses et aux travailleurs dans leur capacité à s'auto-organiser et à gagner la lutte. Seule une classe ouvrière consciente de sa force peut espérer construire un bloc social autour d'elle et gagner l'hégémonie pour faire pièce à l'autoritarisme et a barbarie capitaliste.
Les syndicats devraient organiser et mobiliser la classe ouvrière avec une approche intersectionnelle, se réapproprier l'outil qu'est la grève et y apporter leur soutien lorsqu'il est mis en œuvre par d'autres mouvements. Par exemple, la grève des mouvements féministes et transféministes organisée depuis des années par Non Una Di Meno le 8 mars contre le patriarcat et la violence de genre, qui associe les revendications féministes à celles de la classe ouvrière, qu'elle soit autochtone ou migrante. Dans cette optique, le syndicat devrait s'engager au maximum pour le succès de la mobilisation contre le réarmement européen du 21 juin.
Les mobilisations sur le terrain et nos engagements futurs
Le pire effet de cette défaite référendaire pourrait être la démoralisation des militant·e·s politiques, sociaux et syndicaux qui se sont généreusement engagé·e·s dans cette campagne. Pourtant, depuis quelques mois, nous assistons à une reprise des mobilisations sociales importantes qui doivent se poursuivre et s'approfondir dans les semaines à venir. Les neuf millions qui ont voté oui aux cinq questions sont certes insuffisants pour remporter le référendum, mais si une partie importante de ces personnes se mobilisait, en descendant dans la rue ou en participant aux grèves dans les semaines à venir, nous oublierions rapidement cette défaite et ce serait le début d'une nouvelle saison politique où la solidarité de classe redeviendrait un élément central.
Le mouvement contre le génocide et pour la solidarité avec le peuple palestinien descend dans la rue ces jours-ci pour protester contre l'arrestation de la Flottille de la liberté : un groupe d'activistes qui, avec Greta Thunberg, a tenté d'apporter solidarité et aide à la Palestine et a été attaqué par l'armée israélienne avec des gaz lacrymogènes, puis arrêté illégalement. Le génocide perpétré par Israël doit cesser et les gouvernements occidentaux doivent immédiatement mettre fin à toute forme de complicité avec le gouvernement criminel de Netanyahou. Nous voulons une grève générale pour protester contre les accords commerciaux et militaires entre l'Italie, l'UE et Israël.
Nous soutenons la révolte en cours à Los Angeles contre la politique raciste et autoritaire de l'administration Trump à l'égard des migrant·e·s et de celles et ceux qui se mobilisent en solidarité. Les politiques du gouvernement italien à l'égard des réfugié·e·s et l'adoption du décret sur la sécurité vont dans le même sens. Fermons les CPR (centres de rétention pour migrant·e·s) en Italie aussi, les immigrant·e·s ne peuvent pas être détenu·e·s comme des criminel·le·s. Mobilisons-nous pour l'accueil et la liberté de circulation des personnes.
Le 20 juin, une grève des métallurgistes est prévue pour le renouvellement de leur contrat, une occasion essentielle de montrer que le syndicat et les travailleurs ne cèdent pas face à l'arrogance des patrons et du gouvernement. La majorité de droite a rejeté les propositions de loi sur le salaire minimum en affirmant hypocritement que les salaires minimums doivent être garantis et augmentés par la négociation collective. Eh bien, le moment est venu d'augmenter significativement les salaires !
Le 21 juin, une manifestation nationale aura lieu à Rome dans le cadre de la campagne Stop Rearm EU, avec des mobilisations dans toute l'Europe à l'occasion du sommet de l'OTAN à La Haye, pour protester contre le plan de réarmement présenté par la Commission européenne, contre l'augmentation des dépenses militaires, en solidarité avec la Palestine et contre l'autoritarisme. Nous serons dans la rue contre tous les impérialismes, à commencer par celui de l'Europe et de l'OTAN, mais aussi contre la guerre que l'impérialisme russe continue de mener contre le peuple ukrainien.
11 juin 2025
Communiqué de la direction nationale de Sinistra Anticapitalista
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide DeepLpro
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Soutien au journaliste de Blast, Yanis Mhamdi, détenu arbitrairement en Israël

À l'appel de Reporters sans frontières et de Blast, 250 sociétés de journalistes, dont celle de Mediapart, associations, organisations syndicales et journalistes exigent que l'État français se mobilise pour mettre un terme à la détention du reporter, qui avait embarqué à bord du « Madleen » dans le cadre de la Flottille de la liberté pour Gaza.
Tiré du blogue de l'auteur.
Nous, journalistes, signataires de cette tribune, exprimons notre profonde inquiétude et notre entière solidarité envers notre confrère Yanis Mhamdi, journaliste pour le média Blast, actuellement détenu de manière arbitraire par les autorités israéliennes.
La semaine dernière, Yanis Mhamdi a embarqué à bord du navire humanitaire Madleen, dans le cadre de la mission civile Freedom Flotilla, afin de documenter l'acheminement d'aide humanitaire à destination des civils gazaouis. Avec son confrère Omar Faiad, journaliste pour le média Al Jazeera, il accompagnait de nombreuses personnalités, parmi lesquelles l'activiste Greta Thunberg et l'eurodéputée française Rima Hassan. Il s'y trouvait en qualité de journaliste, dans l'exercice strict de ses fonctions, missionné par son média.
Dans la nuit du 8 au 9 juin 2025, le navire Madleen a été intercepté illégalement dans les eaux internationales par l'armée israélienne, en violation manifeste du droit international. L'ensemble des passagers a été placé en détention. Tandis que certains ont pu regagner leur pays d'origine, Yanis Mhamdi demeure détenu, pour avoir refusé de signer un document aux conditions obscures.
Depuis cette arrestation, ses proches et ses conseils n'ont pu obtenir que des informations fragmentaires sur son état et ses conditions de détention. Il a été privé de nourriture durant plus de seize heures, menacé par des armes, et retenu dans un lieu inconnu, dans des conditions que rien ne justifie.
Cette situation soulève des questions graves : il est aujourd'hui impensable qu'un journaliste français, mandaté par son média, soit privé de liberté pour avoir simplement exercé son métier. En assimilant un journaliste à un militant, en entravant délibérément le travail d'un professionnel de l'information, c'est l'ensemble de notre profession qui se trouve menacée.
Cette détention arbitraire s'inscrit dans la continuité du traitement des journalistes à Gaza, systématiquement empêchés de faire leur travail, voire pris pour cibles, puisque selon la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et Reporters sans frontières (RSF), près de 200 d'entre eux ont été tués par les forces israéliennes.
L'arrestation et la séquestration de notre confrère fait planer une menace directe et inquiétante sur la liberté d'informer, sur la capacité des journalistes à couvrir les conflits armés et les situations humanitaires à travers le monde.
En maintenant Yanis Mhamdi en détention, c'est le droit de chacun à être informé qui vacille à nouveau. Or, préserver la liberté d'expression, la liberté de la presse et le droit à l'information ne saurait être une option : c'est une obligation démocratique.
Nous demandons à l'État français de prendre ses responsabilités et d'exiger publiquement la libération immédiate de notre confrère. Le silence, l'ambiguïté ou la passivité ne sont plus acceptables.
La liberté de la presse n'est pas négociable. Elle est le garant du débat public, et par là même, le socle de toute démocratie.
Organisations signataires
Reporters sans frontières (RSF)
Blast
La Société des journalistes de France 24
La Société des journalistes et du personnel de Libération (SJPL)
La Société des journalistes de Radio France Internationale (RFI)
La Société des journalistes de Mediapart
Syndicat National des Journalistes (SNJ)
La Société de Journalistes de Télérama
la Société des personnels de l'Humanité
L'Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·e·s (AJAR)
Le Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT)
SDJ Konbini
Listes des signataires
Agnès Briançon-Marjollet, journaliste, co-première secrétaire générale du SNJ
Aïda Amara, journaliste indépendante
Aïda Delpuech, journaliste indépendante
Aissata Soumare, journaliste indépendante
Alex Talandier, journaliste indépendant
Alexandra Henry, journaliste indépendante
Alexandre-Reza Kokabi, journaliste à Reporterre
Ambrine Ziani, journaliste
Amel Zaki, Libération
Amina Kalache, journaliste indépendante
Amine Abdelli, journaliste pigiste
Amira Souilem, reporter, RFI
Anaïs Delmas, journaliste indépendante
Anissa Rami, journaliste indépendante
Anna Margueritat, rédactrice indépendante
Anne Bocandé, directrice éditoriale, Reporters sans frontières
Anne Paq, photographe indépendante
Annie Fiore, journaliste indépendante
Antoine Cariou, journaliste
Antoine Chuzeville, journaliste, co-premier secrétaire général du SNJ
Antoine Comte, journaliste France 3
Antoine Portoles, journaliste l'Humanité
Aouregan Texier, journaliste La Dépêche
Ariane Lavrilleux, Disclose
Arnaud Froger, journaliste, Reporters sans frontières
Aurélien Devernoix, journaliste à RFI, délégué syndical SNJ
Aziz Oguz, journaliste pigiste
Baptiste Mas, reporter indépendant
Barbara Gouy, journaliste indépendante
Benjamin Barthe, Le Monde
Benjamin Beraud, journaliste indépendant
Camelia Kheiredine, ARTE
Camille Miloua Giraudea, Courrier International
Camille Regache, journaliste indépendante, membre de l'AJL
Camille Scali, journaliste et artiste-auteur
Caroline Constant, journaliste à l'Humanité
Catherine Maubert, BFMTV
Célia Gueuti, journaliste indépendante, Association des journalistes antiracistes et racisé.e.s
Céline Beaury, journaliste indépendante, (Collectif La Friche)
Cemil SANLI, journaliste indépendant
Charlotte Vautier, journaliste
Chloé Dubois, journaliste indépendante
Christelle Murhula, journaliste indépendante, membre de l'AJAR
Claire Billet, journaliste réalisatrice
Clara Monnoyeur, journaliste, StreetPress
Clarisse Feletin, journaliste pour Off Investigation
Claudine Cordani, journaliste indépendante
Clément Pouré, journaliste indépendant
Coline Charbonnier, journaliste 15-38 Méditerranée
Cyril Castelliti, journaliste à La Provence
Cyril Theophilos, journaliste reporter d'images, France 2
Dalal Mawad, Correspondante, Al Araby TV
Dan Israel, journaliste
Danae Corte, journaliste AEF info
Daphné Deschamps, journaliste, StreetPress
David Hury, journaliste indépendant
David Zurmely, ARTE
Dominique Pradalié, journaliste, présidente, Fédération internationale des journalistes
Donia Ismail, journaliste indépendante
Donnia Ghezlane-Lala, journaliste
Dorian Mao, journaliste indépendant
Dounia Rachati, journaliste indépendante
Edwy Plenel, journaliste, Mediapart
Eliott Brachet, journaliste indépendant
Elisabeth Fleury, journaliste à l'Humanité
Élise Courant, journaliste
Elodie Safaris, Arrêt sur images
Elsa Miske, journaliste AJ+
Emilio Meslet, journaliste à l'Humanité
Emma Villeroy, journaliste indépendante
Emmanuel Clévenot, journaliste à Reporterre
Emmanuelle Veil, journaliste
Ervan Couderc, journaliste, jhm quotidien
Erwan Blanchard, journaliste à Radio Breizh
Esther Meunier, journaliste indépendante
Etienne Milliès-Lacroix, monteur OFF Investigation
Fabien Gay, directeur de L'Humanité
Fabien Rives, Off investigation
Fabrice Wuimo, journaliste, chef du pôle “Actu”, Le Média TV
Fanny Marlier, journaliste indépendante, membre du collectif Hors Cadre
Focus, collectif de journalistes et de documentaristes indépendant·es
Frédérique Le Brun, journaliste indépendante, membre de Reporters solidaires
Gallagher Fenwick, éditorialiste indépendant
Gilles Bader, photoreporter La Provence
Gnamé Diarra, journaliste indépendante
Gwenaelle Lenoir, journaliste, Mediapart
Haïfa Mzalouat, journaliste, Reporters sans frontières
Hajar Ouahbi, journaliste, ARTE Tracks
Hakim Mokadem, journaliste
Héléna Khattab, France 24
Houda Benallal, journaliste
Hugo Coignard, journaliste indépendant
Ibrahim Banaïssa, Blast
Inès El Kaladi, Libération
Isma Le Dantec, Fracas
Issa Sedraoui Cochet, étudiant en journalisme et pigiste
Isya Okoué Métogo, journaliste à Off Investigation
Jean-Baptiste Rivoire, fondateur de Off investigation
Jeanne Gobin, photojournaliste indépendante, Agence Encrage
Jili Martin, Radio Gâtine
Jimmy Hutcheon, journaliste indépendant
Jonathan Dagher, journaliste, Reporters sans frontières
Jose Rexach, journaliste Blast
Julie Tomiche, journaliste indépendante
Julien Coquelle-Roëhm, journaliste à RFI, élu de la SDJ de RFI
Julien Sauvaget, rédacteur en chef des matinales vsd à france24
Julien Théry, Le Média
Justine Fontaine, journaliste, RFI
Justine Guitton-Boussion, journaliste, Reporterre
Justine Segui, journaliste
Khadija Toufik, journaliste indépendante
Khedidja Zerouali , journaliste à Mediapart et membre de l'AJAR
Laura Wojcik, journaliste, Mediapart
Laurent Dauré, journaliste indépendant
Léa Gorius, journaliste Reporterre
Lea Martinez, journaliste Off Investigation
Léa Masseguin, Libération
Leïla Beratto, 15-38 Méditerranée
Léo Roussel, journaliste indépendant
Lina Rhrissi, journaliste StreetPress et membre de l'AJAR
Lisa Lap, journaliste à Le Média
Lisa Morison, journaliste Fréquence Protestante
Lisa Noyal, journaliste indépendante
Louis Blanchard, journaliste à Ouest-France
Louis Bontemps, journaliste indépendant
Louis Witter, journaliste
Louisa Benchabane, journaliste indépendante
Louise Bihan, L'Insurgée
LouizArt, photographe indépendante
Lucas Chedeville, journaliste StreetPress
Lucas Martin-Brodzicki, journaliste indépendant
Lucile Gimberg, journaliste à RFI
Lynn S.K., photographe indépendante.
Maëliss Orboin, journaliste indépendante
Maïlys Khider, journaliste indépendante
Malik Habchi, l'Usine Nouvelle
Manal Fkihi, journaliste indépendante, membre AJAR
Manuel Magrez, journaliste
Margaux Houcine, journaliste Mediapart
Margaux Seigneur, journaliste indépendante
Maria Aït Ouariane, journaliste StreetPress
Mariane Truffert, ARTE
Marianne Skorpis Rimo, journaliste ARTE
Marion Lopez, journaliste, Le Média
Marius Sort, journaliste
Martin Bizeray, journaliste
Martin Roux, journaliste, Reporters sans frontières (RSF)
Mathieu Magnaudeix, journaliste, Mediapart
Mathilde Goanec, journaliste Mediapart
Maxime Lahuppe, journaliste pigiste
Maya Elboudrari, journaliste pigiste
Méline Pulliat, journaliste indépendante
Mellit Derre, France 24
Meriem Laribi, journaliste indépendante et auteure
Merwane Mehadji, journaliste Le Parisien
Méwain Petard, journaliste indépendant
Mohamed Farhat, France 24
Mona Hammoud, journaliste et réalisatrice indépendante
Morad Ait Habbouche, agence de presse Elle est pas belle la vie
Moran Kerinec, journaliste à Reporterre
N'namou Sambu, journaliste indépendante
Nabia Makhloufi, France 24
Nada Didouh, journaliste
Nadia Bouchenni, journaliste indépendante
Nadia Henni-Moulaï, Faktuel
Nadia Sweeny, journaliste, Le Média
Nadiya Lazzouni, journaliste Le Média
Nassira El Moaddem, journaliste
Nathalie Olivier, journaliste Le Parisien
Nathan Lautier, journaliste pigiste
Nathanaël Vittrant, journaliste et président de la SDJ de RFI
Nicolas Cortes, Photoreporter
Nicolas Mayart, journaliste au Média TV
Nicolas Turcev, Les Surligneurs
Nina Hubinet, journaliste indépendante
Nina Moreno, Libération
Nina Pareja, journaliste indépendante
NnoMan - photojournaliste Agence ENCRAGE
Olivia Snaije, journaliste indépendante
Ouissem, URBANIA
Pablo Aiquel, journaliste, SG du SNJ-CGT, vice-président de la Fédération européenne des journalistes
Paloma de Dinechin, journaliste indépendante
Patricia Blettery, journaliste RFI
Paulina Benavente, RMC BFM, déléguée syndicale SNJ
Pauline Bock, journaliste, Arrêt sur images
Pauline Chamignon, étudiante en journalisme
Quentin Muller, journaliste indépendant
Quentin-Mathéo Pihour, journaliste indépendant
Rachida El Azzouzi, journaliste à Mediapart
Radidja Cieslak, Libération
Redwane Telha, France Inter
Régis Roiné, TF1
Rémi-Kenzo Pagès, journaliste pigiste
Romain Mahdoud, journaliste indépendant
Rosa Moussaoui, journaliste à L'Humanité
Rouguyata Sall, journaliste indépendante (Collectif La Friche)
Roxanne D'Arco, journaliste Nice-Matin
Sabrine Mimouni, journaliste indépendante
Sabrine Zahran, journaliste Le Progrès
Safa Bannani, journaliste MEE
Salah-Eddine Gakou, journaliste
Salim Saab, journaliste indépendant
Salomé Parent-Rachdi, journaliste indépendante
Samba Doucouré, directeur de publication d'Africultures
Samira Benzaïd, journaliste indépendant
Sania Mahyou, journaliste indépendante
Sara Kheladi, journaliste indépendante
Sarah Benichou, journaliste indépendante, Youpress et AJAR
Sarah Bos, journaliste indépendante
Sarah Bosquet, journaliste indépendante
Sarah Boumghar, journaliste indépendante
Sarah Lapied, AJ+ français
Sarah-Samya Anfis, ancienne correspondante en Irak et en Tunisie
Sayeh Bouchouicha, journaliste Bondy Blog
Sephora Lukoki, journaliste, SLK News et membre de l'AJAR
Shad De Bary, pigiste
Sheerazad Chekaik-Chaila, journaliste
Simon Guichard, journaliste L'Humanité
Simon Mauvieux, journaliste pigiste
Société des personnels de l'Humanité
Sofiane Alsaar, journaliste, AFP
Solène Guili, journaliste, Rue89Lyon
Sophie Bourlet, journaliste indépendante
Sophie Larré, journaliste indépendante
Soraya Morvan-Smith, journaliste, France 24, secrétaire général adjointe du SNJ-CGT
Souhila Sbaihi, journaliste
Splann !, média
Stéphane Foucart, Le Monde
Sylvain Mercadier, journaliste indépendant
Théo Bourrieau, journaliste à l'Humanité
Théophile Kouamouo, rédacteur en chef le Média TV
Thibaut Bruttin, Reporters sans frontières
Thilelli Chouikrat, journaliste indépendante
Thomas Porlon, journaliste StreetPress
Tom Demars-Granja, journaliste l'Humanité
Ulysse Mathieu, journaliste
Valérie Thorin, journaliste Fréquence Protestante
Victor Guinebert, Off Investigation
Vincent Lucchese, journaliste à Reporterre
Vincent Morel, journaliste Mediapart
Vincent Ortiz, Le Vent Se Lève
Walid Bourouis, Journaliste indépendant
Widad Ketfi, journaliste indépendante
William Lacaille, journaliste
Xavier Regnier, 20 Minutes
Xavier Ridon, journaliste, radio La Clé des Ondes
Yemcel Sadou, journaliste indépendant
Yunnes Abzouz, journaliste Mediapart
Zoé Cottin, journaliste indépendante
Zoé Neboit, journaliste pigiste
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Les dépenses militaires à travers le monde

En dollars, le budget de la défense américain domine toujours le reste du monde, fait savoir l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) dans sa dernière étude, rapportant que l'année dernière, les dépenses militaires dans le monde ont augmenté de 10% et que l'Ukraine est le numéro un mondial pour la dépense militaire en fonction de son PIB.
3 juin 2025 | tiré de Mondafrique
Le classement annuel du SIPRI compare les dépenses militaires selon le montant brut en dollars et la part du PIB. Ainsi, cela montre ainsi que la position américaine n'est pas aussi importante que les chiffres bruts le suggèrent, la palme revenant à l'Ukraine.
Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires sont en hausse de 37% entre 2015 et 2024. « Les dépenses militaires moyennes en proportion des dépenses publiques ont atteint 7,1% en 2024 et les dépenses militaires mondiales par personne ont atteint leur plus haut niveau depuis 1990, 334 dollars », continue le SIPRI.
Pour la deuxième année consécutive, les dépenses militaires ont augmenté dans les cinq régions du monde, reflétant l'intensification des tensions géopolitiques à travers le monde. Cette croissance des dépenses mondiales, observée depuis dix ans, peut être en partie attribuée à la hausse des dépenses en Europe, largement imputable au conflit russo-ukrainien en cours, et au Moyen-Orient, alimentée par la guerre de Gaza et d'autres conflits régionaux plus vastes. « De nombreux pays se sont également engagés à augmenter leurs dépenses militaires, ce qui entraînera de nouvelles augmentations mondiales dans les années à venir », stipule l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
Selon le SIPRI, « les deux plus gros dépensiers, les États-Unis et la Chine, ont représenté près de la moitié des dépenses militaires mondiales en 2024 ». La Russie arrive en troisième position. Elle est suivie de l'Allemagne, de l'Inde, du Royaume-Uni, de l'Arabie saoudite, de l'Ukraine et de la France.
Avec 997 milliards de dollars en 2024, les dépenses militaires américaines étaient supérieures de 5,7% à celles de 2023 et de 19% à celles de 2015.
La Chine, deuxième plus gros dépensier militaire au monde, a alloué environ 314 milliards de dollars à son armée en 2024, soit une hausse de 7% par rapport à 2023. Il s'agit de la plus forte augmentation annuelle des dépenses militaires chinoises depuis 2015 et de la 30e année consécutive de croissance — la plus longue série ininterrompue enregistrée pour un pays dans la base de données des dépenses militaires du SIPRI.
En 2024, les dépenses militaires de la Russie ont atteint environ 149 milliards de dollars, soit 38% de plus qu'en 2023 et le double de 2015.
En 2024, les dépenses militaires de l‘Allemagne ont augmenté pour la troisième année consécutive, atteignant 88,5 milliards de dollars, soit 1,9% du PIB. Ce pays est ainsi devenu le quatrième plus grand dépensier au monde et le premier en Europe centrale et occidentale pour la première fois depuis la réunification. Les dépenses militaires de l'Allemagne ont augmenté de 28% par rapport à 2023 et de 89% par rapport à 2015, grâce à la mise en œuvre d'un fonds extrabudgétaire de 100 milliards d'euros (105 milliards de dollars en 2022) créé en 2022 pour renforcer le budget militaire.En 2024, l'Allemagne a fourni 7,7 milliards de dollars d'aide financière militaire à l'Ukraine, soit le deuxième don le plus important à l'Ukraine sur l'année, après les États-Unis.
En 2024, le Royaume-Uni a augmenté ses dépenses militaires de 2,8%, pour atteindre 81,8 milliards de dollars. Cela équivaut à 2,3% du PIB, contre 2,2% en 2023. Le Royaume-Uni s'est engagé à consacrer 2,5% de son PIB à l'armée d'ici 2027, soit un changement par rapport à l'objectif initial de 2030, et a pour objectif à long terme de porter ce chiffre à 3%. Le Royaume-Uni s'est également engagé à soutenir l'Ukraine à hauteur de 3,8 milliards de dollars par an d'aide militaire (y compris l'aide financière et l'équipement) jusqu'en 2030 au moins. En 2024, il a fourni 3,3 milliards de dollars d'aide financière militaire à l'Ukraine.
En 2024, les dépenses militaires de l'Ukraine ont augmenté de 2,9% pour atteindre 64,7 milliards de dollars, soit 43% des dépenses de la Russie sur l'année et 54% des dépenses totales du gouvernement ukrainien. L'Ukraine a de loin le fardeau militaire le plus lourd au monde : ses dépenses militaires en pourcentage du PIB s'élevaient à 34% en 2024, contre 37% en 2023. La totalité des recettes fiscales ukrainiennes a été entièrement absorbée par les dépenses militaires en 2024, tandis que toutes les dépenses socio-économiques non militaires ont été financées par l'aide étrangère. L'Ukraine a reçu au moins 60 milliards de dollars d'aide militaire financière en 2024, principalement des États-Unis, de l'Allemagne et d'autres pays européens. Le SIPRI inclut l'aide militaire dans l'estimation des dépenses du pays donateur et non du pays bénéficiaire, ce qui signifie que ces 60 milliards de dollars ne sont pas inclus dans le total pour l'Ukraine. Si l'on en tenait compte, les dépenses militaires de l'Ukraine auraient totalisé 125 milliards de dollars en 2024, ce qui en aurait fait le quatrième pays le plus dépensier au monde.
En 2024, les dépenses militaires de la France ont augmenté de 6,1% pour atteindre 64,7 milliards de dollars, soit 2,1% du PIB. Cette augmentation s'inscrit dans le cadre de la loi de programmation militaire 2024-2030 qui vise à renforcer l'autonomie stratégique de la France et à adapter son industrie d'armement à une « économie de guerre » soutenue par l'innovation industrielle. En février 2024, la France et l'Ukraine ont signé un accord bilatéral prévoyant une aide militaire supplémentaire à l'Ukraine pouvant atteindre 3 milliards de dollars en 2024.
A noter, qu'Israël arrive à la 12è place et que ses dépenses militaires ont augmenté de 65% en 2024 pour atteindre 46,5 milliards de dollars.
« Les dépenses militaires totales en Europe ont augmenté de 17% pour atteindre 693 milliards de dollars en 2024. Tous les pays européens ont augmenté leurs dépenses militaires en 2024, à l'exception de Malte. En 2024, les dépenses militaires totales des membres de l'OTAN se sont élevées à 1.506 milliards de dollars, soit 55% des dépenses mondiales. Les membres européens de l'OTAN ont dépensé 454 milliards de dollars au total. Sur les 32 membres de l'OTAN, 18 ont consacré au moins 2% de leur PIB à leurs forces armées en 2024, contre 11 en 2023 », conclut l'IFRI qui signale que l'Ukraine est le seul pays à avoir les dépenses en pourcentage du PIB les plus élevées de tous les pays, « soit 34% de son PIB ». En comparaison, les États-Unis ont dépensé 3,4% de leur PIB, la Chine 1,7%, la Russie 7,1%, l'Allemagne 1,9%, l'Inde 2,3%, le Royaume-Uni 2,3%, l'Arabie saoudite 7,3%, la France 2,1% et Israël 8,8% de son PIB en 2024.
Si on considère les souhaits de Donald Trump de voir les pays de l'OTAN réaliser des dépenses militaires à 5% du PIB, c'est bien l'Ukraine qui gagne le défi titanesque.
Pierre Duval

Pour les néofascistes, seule compte la loi de la jungle

D'où vient l'axe néofasciste mondial et vers où se dirige-t-il ? Quels effets déstabilisateurs la guerre de la Russie contre l'Ukraine peut-elle avoir ? Ilyá Budraitskis et Gilbert Achcar discutent de la conjoncture actuelle.
14 juin 2025 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/para-los-neofascistas-solo-tiene-sentido-la-ley-de-la-jungla/
Ilyá Budraitskis : Avec le début du second mandat de Trump, le monde connaît un immense bouleversement géopolitique, et j'aimerais en parler en lien avec la question de l'avenir de l'OTAN. Aujourd'hui, il est évident que l'alliance traverse une crise stratégique et idéologique majeure. Les États-Unis, membre clé du bloc, entretiennent désormais une relation distincte avec la Russie, anciennement considérée comme l'adversaire principal de l'OTAN, tandis que l'Europe parle de réarmement et d'organiser sa propre sécurité selon un format nouveau. Quelles sont les origines de cette crise actuelle de l'OTAN ? Pourrait-elle mener à la désintégration effective du bloc, et qu'est-ce qui pourrait la remplacer ?
Gilbert Achcar : Il ne faut pas oublier que l'OTAN était déjà en crise avant l'actuelle présidence américaine. On se souvient qu'au cours du premier mandat de Trump, le président français Emmanuel Macron avait déclaré que l'OTAN était en état de « mort cérébrale ». Ce diagnostic était pertinent, car Trump n'a jamais caché son aversion pour les gouvernements libéraux européens et pour l'ordre mondial libéral fondé sur des règles, né avec l'Alliance atlantique pendant la Seconde Guerre mondiale.
L'invasion de l'Ukraine par les troupes russes a clairement redonné vie à l'OTAN. Cela lui a donné une nouvelle mission, au moment même où un président très atlantiste – je parle évidemment de Joe Biden – revenait à la Maison-Blanche. Dans les cercles de l'OTAN, on était plutôt satisfait de cette nouvelle pertinence retrouvée. Mais avec le recul, cela ressemble au chant du cygne, à une dernière décharge d'énergie avant une nouvelle agonie.
C'est là que nous en sommes. Comme tu l'as souligné, il y a désormais un divorce clair entre les deux rives de l'Atlantique – ou du moins entre les États-Unis et le reste de l'OTAN. Ce divorce n'est pas géographique, mais politique et idéologique : le Canada appartient au camp libéral, tandis que la Hongrie d'Orbán partage la même famille idéologique néofasciste que Donald Trump. Cette fracture pousse les gouvernements libéraux européens à transformer l'Union européenne – l'alternative dont ils disposent – en une sorte d'alliance de défense et de force militaire, en coopération avec le Royaume-Uni. L'Europe occidentale, la Pologne et les pays baltes ont besoin de la Grande-Bretagne, l'une des deux seules puissances nucléaires d'Europe de l'Ouest et l'une des principales forces armées. C'est ce qui est en train de se jouer.
La pression que Trump exerce sur l'Ukraine pour qu'elle accepte en substance les conditions de Poutine vide aussi de sens la mission de l'OTAN. Au lieu de défendre un allié de l'OTAN, Washington cherche à lui imposer ce qui est fondamentalement une capitulation… même si, comme nous le savons, Trump est imprévisible et change constamment d'avis. Quoi qu'il en soit, les signaux qu'il a envoyés – du moins durant ses cent premiers jours – montrent une forte affinité néofasciste avec Vladimir Poutine.
Il est clair que nous sommes entrés dans ce que j'appelle « l'ère du néofascisme ». Elle se préparait depuis plusieurs années au XXIe siècle. Le retour de Trump à la Maison-Blanche a achevé cette mutation. Nous assistons ainsi à l'émergence d'un puissant axe néofasciste mondial, de Trump à Netanyahou en Israël, Milei en Argentine, Orbán en Hongrie, Meloni en Italie (dans une certaine mesure, car son gouvernement comprend le néofasciste déclaré Salvini), Modi en Inde, Erdogan en Turquie, etc. J'ai décrit brièvement cette nouvelle époque dans un article intitulé L'ère du néofascisme et ses traits distinctifs.
Il est difficile de prédire combien de temps cela va durer. On peut seulement souhaiter que ce mouvement s'enlise dans ses propres contradictions et échecs, et non qu'il débouche sur une guerre mondiale, comme ce fut le cas avec l'ère précédente du fascisme au XXe siècle. On peut percevoir les signes de ce chaos dans les résultats catastrophiques de la présidence Trump aux États-Unis. Cela pourrait marquer un coup d'arrêt au trumpisme. Une réaction est déjà en cours dans des pays comme le Canada ou l'Australie, où les néofascistes locaux ou les admirateurs de Trump ont vu leur popularité affectée par la dégradation de l'image de Trump. Il y a donc de l'espoir, même si la situation reste extrêmement grave.
Ilyá Budraitskis : Peux-tu décrire les perspectives de politique étrangère de ce projet néofasciste ? À quoi voudraient-ils que ressemble le monde futur ? L'affinité idéologique entre plusieurs régimes néofascistes dans différents pays signifie-t-elle la possibilité d'une alliance, ou bien cela peut-il coexister avec des conflits croissants entre ces pays ?
Gilbert Achcar : La première chose à souligner est que, pour les forces d'extrême droite, il n'existe aucune valeur commune qui dépasse le nationalisme. Les libéraux peuvent adhérer à certains principes qu'ils estiment supérieurs au nationalisme étroit, et ils essaient généralement de s'en écarter. Certains se disent même internationalistes – l'« internationalisme libéral » est un terme souvent utilisé aux États-Unis pour désigner une partie de leur appareil diplomatique. À l'inverse, l'extrême droite est toujours ultra-nationaliste. Pour elle, c'est « l'Amérique d'abord », « Israël d'abord », « la Hongrie d'abord », « la Russie d'abord », chacun pour son propre pays. C'est une vision strictement nationaliste.
Ils convergent lorsque leurs intérêts nationalistes peuvent s'accorder, mais cela n'exclut pas les tensions entre gouvernements néofascistes en cas de conflit d'intérêts, par exemple économiques. Certains gouvernements néofascistes d'Europe de l'Est souffrent des politiques tarifaires de Trump. Il en va de même pour d'autres gouvernements – Modi, Erdogan – qui cherchent à négocier avec les États-Unis mais doivent le faire sous la contrainte économique exercée par la Maison-Blanche.
Voici leurs limites. Les néofascistes s'unissent généralement contre les libéraux, contre le libéralisme – leur ennemi commun – même si les libéraux actuels sont largement dévoyés. Une des raisons de la montée du néofascisme réside d'ailleurs dans l'attitude des libéraux occidentaux qui, au lieu de s'opposer à l'extrême droite, se sont adaptés à elle, en reprenant de larges pans de son idéologie et de son programme, à commencer par les mesures anti-immigration et d'autres initiatives racistes, sur fond d'austérité néolibérale continue – véritable terreau socio-économique du néofascisme. C'est ce qui explique l'accélération de sa montée au XXIe siècle : la crise économique de 2008, puis celle déclenchée par la pandémie de COVID-19, ont fortement alimenté l'extrême droite.
Concernant cette ère néofasciste, les perspectives sont là encore très préoccupantes. Le Rassemblement national est à un pas du pouvoir en France pour la présidentielle de 2027. Le Reform Party britannique, qui incarne l'extrême droite, croît très rapidement, au détriment des conservateurs et d'un Parti travailliste affaibli et très néolibéral.
La Chine est l'ennemi commun de nombreuses forces néofascistes. Elle est dans le collimateur de Trump, mais pas seulement : les États-Unis dans leur ensemble la considèrent comme une puissance rivale majeure. Washington pousse l'extrême droite européenne dans cette direction. Les États-Unis voient la Chine comme une nouvelle Union soviétique – leur principal adversaire mondial – à la différence que la Chine connaît une croissance rapide, contrairement à l'URSS qui stagnait dès les années 1970.
La Chine n'est pas un État néofasciste. C'est un régime dictatorial et autoritaire d'origine stalinienne-maoïste, une dictature de parti unique, mais sans mobilisation idéologique réactionnaire de masse, comme c'est le cas avec le trumpisme ou le poutinisme. Grâce à sa croissance continue, l'État chinois n'a pas à craindre une menace populaire. Son autorité repose sur un développement économique fort et une amélioration du bien-être. C'est pourquoi Pékin a adopté ces dernières décennies un profil plutôt pacifique, à l'intérieur comme à l'extérieur, son principal facteur de légitimation étant le développement. Il ne faut pas oublier que la Chine reste un pays en développement : son PIB est colossal, mais rapporté à sa population, cela reste un pays à revenu intermédiaire.
En parallèle, Poutine considère que le jeu géopolitique se joue à trois. Opposé aux États-Unis – notamment sous Biden – il a cultivé « l'amitié éternelle » avec Pékin. Mais Poutine n'est pas idiot, et tant qu'il ne peut pas compter sur la présence durable des néofascistes au pouvoir à Washington, il ne mettra pas en péril sa relation avec la Chine.
Si Washington devenait une dictature semblable à celle de Moscou, cela pourrait changer, car la Russie préférerait clairement un allié idéologique occidental. En Russie, il y a du racisme envers les Chinois, un ressentiment à l'idée de dépendre d'un voisin avec lequel il y a eu des conflits frontaliers. Rien de tel avec les États-Unis. Et les États-Unis restent plus puissants que la Chine, surtout sur les plans technologique, économique, et bien sûr militaire.
C'est le jeu auquel nous assistons. Il est certain que Poutine ne prendra pas le risque de compromettre sa relation avec Pékin tant que Trump sera aussi chaotique. Il sait que ce n'est pas une valeur sûre et ne modifiera pas fondamentalement ses alliances internationales sur la base de simples promesses américaines.
Ilyá Budraitskis : Un autre processus mondial effrayant est la remise en question par certains pays de leur rapport aux armes nucléaires. La Russie de Poutine est en tête de cette révision, ayant modifié sa doctrine l'an dernier. Elle prévoit désormais l'usage possible d'armes nucléaires en réponse à diverses formes de menaces conventionnelles. Depuis quelques années, les propagandistes russes évoquent même la possibilité d'une frappe nucléaire préventive pour désamorcer toute menace à la sécurité nationale au sens large. Ainsi, les armes nucléaires cessent d'être un outil de dissuasion pour devenir un élément clé d'une possible guerre mondiale. Dans quelle mesure cette doctrine nucléaire s'étend-elle à l'échelle mondiale ?
Gilbert Achcar : Ce n'est pas difficile à comprendre : c'est une question élémentaire de stratégie. L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a révélé que ce que l'on croyait être un géant militaire avait en réalité des pieds d'argile. Jusqu'alors, Poutine croyait que la Russie était une puissance militaire toute-puissante. Il avait annexé la Crimée et pénétré dans l'est de l'Ukraine en 2014 sans difficulté. La réaction du gouvernement Obama fut très modérée et limitée. Ensuite, Poutine envoya ses troupes en Syrie en septembre 2015, d'abord pour tester la réaction occidentale. Quelques semaines après l'intervention, il annonça même que la mission était accomplie et qu'il retirait ses troupes.
Face à l'absence de toute pression significative de la part des États-Unis, il poursuivit ses plans et commença à déployer des forces régulières ou des mercenaires du groupe Wagner dans d'autres pays du Moyen-Orient, notamment en Libye et au Soudan, et de plus en plus en Afrique subsaharienne. Nous avons assisté à une vaste expansion militaire extérieure de la Russie de Poutine, en contraste avec l'expansion très limitée de l'Union soviétique hors de sa sphère d'influence d'après-guerre. La première et seule fois que l'URSS sortit de cette sphère fut lors de l'invasion de l'Afghanistan en 1979. Avant cela, elle avait limité ses interventions militaires à l'Europe de l'Est : Hongrie, Allemagne de l'Est, Pologne, toujours dans les limites fixées à Yalta.
Ilyá Budraitskis : Mais l'influence soviétique était aussi présente en Afrique.
Gilbert Achcar : C'est vrai, mais elle s'exerçait par le biais de conseillers et de la fourniture d'armes, non pas de troupes combattantes. Moscou favorisait l'intervention de troupes cubaines plutôt que d'envoyer des soldats soviétiques. Il y a eu beaucoup de confusion autour du prétendu caractère agressif de l'URSS, comme le clamait la propagande occidentale. En réalité, la bureaucratie soviétique post-stalinienne était profondément conservatrice, par peur de provoquer un chaos qui pourrait se retourner contre elle. C'est cela la racine du conservatisme bureaucratique. Elle ne pouvait se résoudre à devenir prédatrice à l'échelle mondiale comme l'est Poutine.
Ce dernier est allé bien plus loin que l'URSS en matière d'interventions étrangères. Un facteur explicatif est la combinaison d'une population relativement faible et de revenus élevés tirés du gaz et du pétrole, qui alimentent l'économie russe et offrent une grande marge de manœuvre sans trop de préoccupations économiques. Comme on l'a vu depuis l'invasion de l'Ukraine, l'économie russe a montré une résilience bien plus forte face aux sanctions occidentales que ne l'avaient prévu les analystes.
Poutine s'appuie aussi sur un autre pilier hérité de l'URSS : le complexe militaro-industriel, seul secteur où l'Union soviétique rivalisait réellement avec l'Occident, développant toute la gamme des technologies militaires, des forces conventionnelles aux armes nucléaires et spatiales. Cela explique en partie pourquoi l'économie soviétique s'est épuisée, contrainte de rivaliser avec des économies occidentales bien plus riches.
Quand Poutine a envahi l'Ukraine en février 2022, il pensait que ses troupes entreraient à Kyiv et renverseraient le gouvernement, comme l'avaient fait les troupes américaines à Bagdad en 2003. C'était son argument : « Vous avez changé le régime en Irak, je vais faire de même en Ukraine. En fait, j'ai plus de droits sur l'Ukraine que vous n'en aviez sur l'Irak. » Mais il a lamentablement échoué. La guerre dure depuis trois ans et la Russie n'a même pas réussi à envahir entièrement les oblasts qu'elle a annexés formellement. Son armée progresse toujours, mais au pas de tortue. Cela montre les limites de sa puissance militaire. Qu'une grande puissance militaire comme la Russie cherche le soutien de soldats nord-coréens en dit long sur ses faiblesses.
Que reste-t-il à Poutine, alors ? Cela renforce automatiquement l'importance de l'autre facteur où il dispose d'une supériorité — en fait, la plus grande au monde, supérieure à celle des États-Unis — à savoir sa force nucléaire. La faiblesse de sa guerre conventionnelle en Ukraine augmente donc immédiatement la valeur stratégique de la force non conventionnelle. C'est une équation stratégique classique. D'où le changement de doctrine que tu as évoqué, comme si Poutine disait : « Vous m'avez vu faible sur le plan conventionnel, mais ne vous avisez pas d'en profiter, car je n'hésiterai pas à utiliser des armes nucléaires tactiques. Et je sais que si je le fais, vous ne répondrez pas, encore moins par une escalade, car je dispose de bien plus d'armes nucléaires stratégiques que n'importe lequel d'entre vous. »
Personne ne prendra le risque d'une escalade nucléaire. C'est fondamentalement la logique de la situation — une logique très dangereuse, très préoccupante. Pense aussi à l'impact de tout cela sur le reste du monde : nous avons maintenant l'Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires, au bord de l'affrontement militaire, ce que tout le monde espère voir évité car cela provoquerait une terrible catastrophe.
Cela montre à quel point le monde est devenu dangereux. Il ne fait aucun doute que Poutine a joué un rôle majeur dans la détérioration de la paix mondiale et des relations internationales. Je n'ai jamais été indulgent envers l'OTAN, mais quelle que soit la responsabilité de l'OTAN et de l'Occident, cela ne saurait excuser ce qu'a fait Poutine : avoir embourbé la Russie dans cette guerre absurde à l'est de l'Ukraine, qui coûte à la Russie et au peuple russe — sans même parler des Ukrainiens — bien plus que la valeur économique ou idéologique de ces territoires disputés. Il n'y a pas beaucoup d'enthousiasme en Russie pour ces oblasts de l'est ukrainien. C'est une grave erreur de calcul stratégique de Poutine, qui le mène à l'échec.
Ilyá Budraitskis : Trump a affirmé que la guerre était de la faute de l'Ukraine, car elle aurait dû accepter toutes les conditions de la partie la plus forte — c'est-à-dire la Russie — pour éviter l'invasion. Cela coïncide exactement avec la position de Moscou. Ceux qui ne disposent pas d'armes nucléaires ou de ressources similaires ne peuvent pas rejeter un ultimatum d'une des principales puissances militaires du monde. Peut-on imaginer que ce principe soit appliqué à d'autres pays d'Europe de l'Est, comme les pays baltes ou la Moldavie ? Et dans quelle mesure l'Union européenne et l'OTAN acceptent-ils cela pour éviter un conflit plus large ?
Gilbert Achcar : Eh bien, c'est une caractéristique cruciale du néofascisme, qu'il partage avec le vieux fascisme : la loi du plus fort, comme tu l'as bien résumé. « Nous sommes plus forts et vous devez accepter ce que nous décidons. » Et c'est là, encore une fois, la différence entre eux et l'ordre qui a suivi la défaite de l'Axe fasciste en 1945 : cela a ouvert la voie à ce que nous appelons l'ordre international libéral fondé sur des règles, concrétisé par la création de l'ONU, sa Charte et un ensemble de principes censés régir les relations internationales. Bien sûr, les États-Unis ont été les premiers à violer ouvertement cet ordre mondial dont ils avaient pourtant été les principaux architectes.
Cette logique est extrêmement dangereuse pour les relations internationales, car c'est une recette pour des guerres permanentes. La Russie a été de plus en plus impliquée dans des conflits ces dernières années. À l'échelle internationale, nous assistons à un regain très préoccupant des guerres. Nous sommes tous témoins de la guerre génocidaire actuelle menée par Israël à Gaza, qui est la première guerre génocidaire conduite par un État technologiquement avancé, soutenu par l'Occident, depuis 1945. Il y a eu plusieurs génocides depuis 1945, mais la plupart ont eu lieu dans le Sud global, à l'exception du prétendu génocide bosniaque — qualification qui reste controversée. Mais aucun de ces génocides n'a été perpétré par un État industriel avancé aussi étroitement lié à l'Occident qu'Israël.
Ce n'est pas un hasard si cela survient sous la direction d'une coalition de néofascistes et de néonazis qui gouvernent Israël. En fait, avant Poutine, le principal précurseur du néofascisme — et même modèle pour toute une série de forces néofascistes, y compris Poutine lui-même — a été Benjamin Netanyahou. Ce dernier, revenu au pouvoir en 2009 et y étant resté presque sans interruption, est devenu très tôt un phare du néofascisme. Une différence entre le néofascisme et le vieux fascisme est la prétention de respecter les régimes démocratiques. Tant qu'ils peuvent se maintenir au pouvoir par des élections relativement libres, les néofascistes s'en contentent, tout en modifiant le système électoral à leur avantage.
Gilbert Achcar (suite) :
Bien sûr, la situation change lorsqu'un gouvernement craint une montée massive de l'opposition populaire, comme ce fut le cas en Russie après 2012. Le régime de Poutine est alors entré dans une logique de panique, adoptant une politique entièrement coercitive et mettant fin, de fait, à la démocratie électorale. Néanmoins, tant qu'ils peuvent conserver le pouvoir par le biais d'élections au moins partiellement crédibles, les néofascistes préfèrent cela, car la légitimité politique, à l'époque moderne, exige au minimum une apparence de démocratie — contrairement aux années 1930, où l'idée même de dictature pure pouvait être populaire. Dans des pays comme l'Allemagne ou l'Italie, il est évident que Mussolini et Hitler bénéficiaient d'une popularité réelle, et n'étaient pas perçus comme des ennemis de la démocratie.
Netanyahou a été un pionnier du néofascisme « démocratique » et un allié majeur de la plupart des autres néofascistes, parce que presque tous partagent une même base idéologique : le racisme anti-musulman. Il existe un parallèle clair entre l'invasion de l'Ukraine par Poutine et la nouvelle invasion de Gaza par le gouvernement israélien d'extrême droite. Cela a rendu l'hypocrisie occidentale et le deux poids, deux mesures plus flagrants que jamais. Et en même temps, il est frappant de constater que le gouvernement israélien n'a jamais critiqué la Russie, et entretient même de bonnes relations avec Poutine.
Ilyá Budraitskis :
Poutine est lui aussi resté plutôt ambivalent au sujet de Gaza.
Gilbert Achcar :
Lavrov a même déclaré : « Nous faisons la même chose : les Israéliens combattent les nazis à Gaza, nous combattons les nazis en Ukraine. »
Ilyá Budraitskis :
Oui, et tous deux qualifient leurs guerres « d'opérations militaires spéciales ». Passons à ma prochaine question : il y a près de dix ans, la Russie est intervenue dans la guerre civile syrienne pour sauver le régime d'Assad. Lors de notre entretien à l'époque, tu disais que cela résultait de l'échec de la politique américaine dans la région, et que c'était une victoire pour l'Iran et la Russie, qui élargissaient leur influence. Quel impact l'effondrement d'Assad a-t-il eu sur le rapport de forces ? Dans quelle mesure peut-on dire que la Turquie en est la principale bénéficiaire ? Et à ton avis, quelles sont les évolutions possibles en Syrie ?
Gilbert Achcar :
Le régime d'Assad a survécu ces dix dernières années grâce à deux piliers : le soutien iranien et le soutien russe. En 2013, le régime était sur le point d'être défait, et c'est à ce moment-là que les Iraniens sont intervenus — principalement via le Hezbollah libanais, mais aussi avec des troupes iraniennes envoyées directement en Syrie. Même cela n'a pas suffi à le sauver, en partie parce que l'Iran ne possède pas de force aérienne significative. Il faut le dire : l'Iran est un pays très affaibli, soumis depuis longtemps à un embargo international. Il n'a que quelques vieux avions américains.
C'est pourquoi la Russie est intervenue en 2015. Son aide fut bien plus décisive. Il y avait des troupes iraniennes, mais pas d'avions ; alors que la Russie a fourni des avions, des missiles, sans troupes engagées dans les combats terrestres, mais leur aviation a fait une énorme différence, permettant au régime de rester debout.
Or, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, la Russie est engluée dans l'est ukrainien et a dû retirer la plupart de ses avions de Syrie. Selon des sources israéliennes, il ne restait que quinze avions russes en Syrie lorsque le régime d'Assad s'est effondré. Parallèlement, l'Iran a subi un revers majeur avec l'attaque israélienne contre le Hezbollah au Liban l'automne dernier, qui a tellement affaibli la milice pro-iranienne qu'elle n'était plus en mesure d'intervenir en Syrie.
Les deux soutiens majeurs du régime syrien étant quasi neutralisés, les forces islamistes syriennes liées à la Turquie ont décidé de lancer une offensive. Elles ont probablement été très surprises de voir à quelle vitesse le régime s'est effondré. On sait que les régimes fantoches maintenus uniquement par un soutien étranger s'écroulent comme des châteaux de cartes dès que ce soutien disparaît. L'exemple précédent le plus marquant fut le régime de Kaboul en 2021, lorsque Biden a décidé de retirer les troupes américaines d'Afghanistan : on a vu le régime s'effondrer en un clin d'œil.
Maintenant, bien sûr, la Turquie profite de la situation, mais il y a un gros bémol : les forces islamistes en Syrie ne disposent en rien de la puissance militaire dont disposait le régime d'Assad. Elles ont quelques dizaines de milliers de combattants, mal équipés. Jusqu'à l'effondrement du régime, Israël considérait Assad comme « le diable que l'on connaît » et ne le percevait pas comme une menace, car il n'avait jamais autorisé d'attaques contre l'occupation israélienne du Golan. C'était la frontière israélienne occupée la plus calme. Et surtout, Israël faisait confiance à la Russie pour contrôler la Syrie et bénéficiait du feu vert russe pour frapper les forces iraniennes sur place.
Il y avait clairement une coordination entre Israël et Moscou sur ces opérations, car bien que la Russie et l'Iran soutenaient tous deux Assad, ils rivalisaient aussi pour le contrôle de la Syrie. Ainsi, dès la chute du régime, Israël a immédiatement détruit tout le potentiel militaire syrien : ce qui restait de son aviation, de ses stocks de missiles, même sa force navale, tout a été neutralisé dans les jours qui ont suivi.
Cela a encore affaibli le nouveau gouvernement syrien autoproclamé à Damas, qui ne contrôle qu'une petite portion du territoire — bien moins que ce que contrôlait Assad avec l'appui russe et iranien. Ce gouvernement est militairement plus faible que les forces kurdes présentes dans le nord-est du pays. Il y a des forces dans le sud et le nord-est, certaines soutenues par les États-Unis, qui ne se reconnaissent pas dans ce nouveau pouvoir.
Syrie est donc devenue un pays disputé entre puissances régionales. La Turquie et le Qatar ont toujours soutenu les forces islamistes qui ont pris le dessus. En face, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l'Égypte et la Jordanie — pro-occidentaux, mais entretenant aussi de bonnes relations avec la Russie — forment une autre alliance régionale, en rivalité avec l'axe turco-qatarien. Les deux camps se disputent les faveurs du nouveau gouvernement syrien. Ce dernier en profite opportunément pour tenter d'élargir sa marge de manœuvre. La situation en Syrie est désormais extrêmement volatile. Il est très difficile de formuler une prévision, sinon celle d'une instabilité prolongée.
Ilyá Budraitskis :
Dans tes textes récents, tu affirmes que les Nations unies pourraient jouer un rôle décisif dans un accord de paix en Ukraine. Penses-tu que cela soit réaliste, étant donné que la Russie a ignoré la majorité des résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU concernant l'Ukraine, et que toute reconnaissance du droit de la Russie sur les territoires occupés violerait les fondements du droit international sur lesquels repose l'ONU ? De manière générale, que peut faire l'ONU dans la situation actuelle, marquée par une détérioration rapide du droit international et une division du monde en blocs politico-militaires ?
Gilbert Achcar :
Tu as raison de souligner l'effet très limité des Nations unies face à ce qui se passe en Ukraine depuis 2022. Cela est dû à la paralysie du Conseil de sécurité. Tout ce que l'on a, ce sont des résolutions de l'Assemblée générale, mais celles-ci ne sont pas contraignantes. La Russie peut les ignorer facilement avec le soutien de quelques rares alliés. De façon étonnante, on a même vu récemment les États-Unis et Israël voter aux côtés de la Russie et de ses alliés traditionnels à propos de l'Ukraine.
Mais ce n'est pas à cela que je faisais référence en disant que l'ONU pourrait jouer un rôle clé dans les événements en Ukraine. Je parlais du Conseil de sécurité, bien entendu, qui est le bras exécutif des Nations unies. Et là, l'éléphant dans la pièce, c'est la Chine. Dès le début de l'invasion, en février 2022, le gouvernement chinois a clairement exprimé sa position : il a déclaré sans ambiguïté son soutien à l'intégrité territoriale — c'est le terme exact qu'il a utilisé — et à la souveraineté de tous les États, « y compris l'Ukraine », a-t-il ajouté explicitement.
C'était une déclaration forte, tout comme les douze points du document intitulé Position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne, publié à l'occasion du premier anniversaire de l'invasion. Si les États-Unis et leurs alliés occidentaux avaient saisi ces opportunités pour tenter de coopérer avec Pékin au Conseil de sécurité afin de hâter la fin de cette agression et de trouver une solution négociée dans le cadre du droit international, nous n'en serions pas là aujourd'hui.
Or, le gouvernement Biden, tout en revenant sur certaines autres politiques de Trump, a maintenu l'approche de sa première présidence sur deux points essentiels. L'un est l'hostilité à l'égard de la Chine. Sur ce point, il y a une continuité entre Trump I, Biden et Trump II, en contraste avec la relation relativement pacifique et amicale qu'Obama avait entretenue avec Pékin. Le deuxième point, c'est bien sûr Israël : sur ce sujet, la présidence Biden s'est inscrite dans la continuité totale de celle de Trump. En dehors de quelques différences mineures que l'on peut relever entre Trump et Biden concernant la Chine ou Israël, leurs politiques sont en réalité très proches. Cette attitude a conduit le gouvernement Biden, dès le départ, à accuser Pékin de soutenir l'invasion russe sans présenter la moindre preuve.
C'est ainsi qu'une grande occasion a été manquée. Je continue de penser que si les pays occidentaux demandaient aujourd'hui à la Chine de coopérer en faveur d'une solution négociée dans le cadre du droit international et des Nations unies — ce qui est, rappelons-le, un objectif déclaré à maintes reprises de la politique étrangère chinoise — alors la donne pourrait changer. La politique étrangère de Pékin est fondée sur le droit international et le respect du principe de non-ingérence dans les affaires internes des États. La Chine ne veut pas que d'autres s'ingèrent dans ses propres affaires, mais en matière de relations interétatiques, elle a toujours défendu les Nations unies, les institutions internationales, le multilatéralisme et le droit international. Et nous savons que la Russie n'aurait pas été capable de s'opposer seule à l'Occident et à la Chine.
La Chine exerce à cet égard une influence décisive. Zelensky a été plus intelligent sur ce point : à un moment donné, il a tenté de se rapprocher de Pékin. Mais récemment, dans son empressement à plaire à Trump, il a fait des déclarations antichinoises. En réalité, c'est Washington qui a empêché une issue négociée avec la participation de la Chine, et en ce sens, il porte une lourde responsabilité dans la prolongation de la guerre en Ukraine.
Mettre la Chine à l'écart, c'est une recette efficace pour plonger le monde dans le chaos, comme on le voit aujourd'hui. Les commentateurs occidentaux ignorent souvent cette réalité et se contentent de diaboliser la Chine. Mais maintenant, avec la montée du néofascisme, on voit l'Europe occidentale commencer à réviser sa position vis-à-vis de Pékin. Les États-Unis, sous Biden comme sous Trump, ont poussé les pays d'Europe occidentale à adopter une posture de plus en plus hostile envers la Chine, allant même jusqu'à élargir à la Chine la « zone d'intérêt » de l'OTAN, au-delà des limites territoriales du Traité de l'Atlantique Nord.
Aujourd'hui, cependant, les Européens commencent à reconsidérer cela, en raison de l'attitude des États-Unis, tant pour des raisons économiques que politiques et militaires. On voit apparaître une tendance à normaliser à nouveau les relations avec la Chine, à un moment où les tensions avec le gouvernement Trump se ravivent. C'est ce qu'on observe en France, au Royaume-Uni, et encore plus clairement en Allemagne, qui entretient des liens économiques très forts avec Pékin. Ces pays tendent désormais à privilégier leurs propres intérêts économiques plutôt que de s'aligner systématiquement sur Washington.
Entretien publié le 14 mai 2025, dans Posle, traduit par Viento Sur.
Entretien réalisé en coopération avec l'Institute for Global Reconstitution, dans le cadre du programme Partenariat Oriental.

La Gaza-ïfication de l’Occident

Alors que le storytelling occidental présente la politique génocidaire d'Israël comme de simples « opérations militaires » se joue en réalité à Gaza l'expérimentation de technologies de domination meurtrières. L'Europe, plus que spectatrice, est activement complice de cette nécropolitique ; son silence révèle la proximité de son imaginaire avec celui d'un État d'Israël qu'elle ne condamne pas, tant ils partagent la même obsession du terrorisme islamiste et de contrôle biopolitique de ses populations immigrées.
9 juin 2025 | tiré de AOC medias
https://aoc.media/opinion/2025/06/08/la-gaza-ification-de-loccident/
Dans le théâtre médiatique contemporain, Gaza s'est muée en un laboratoire du storytelling géopolitique. Chaque image, chaque témoignage, chaque chiffre devient un élément narratif dans une bataille de récits qui dépasse largement les frontières géographiques du conflit. Il y a les morts de Gaza, et il y a leur disparition programmée dans les récits médiatiques occidentaux. Entre les deux, une machine narrative d'une efficacité redoutable transforme un génocide en un « conflit complexe », les bourreaux en victimes, et les témoins en « antisémites ». Comment une puissance militaire génocidaire et ses alliés peuvent simultanément massacrer un peuple et gagner la bataille des récits.
Dans les think tanks de Washington et les agences de Hasbara, une armée de storytellers travaille jour et nuit à retourner la réalité. Chaque école bombardée devient un « nid de terroristes », chaque hôpital détruit cachait des « tunnels du Hamas », chaque journaliste tué était un « combattant déguisé ». Gaza n'est plus seulement un territoire de 365 kilomètres carrés où s'entassent deux millions d'êtres humains. Gaza est devenue une histoire, ou plutôt un champ de bataille d'histoires… Dans les couloirs feutrés des ministères et des agences de communication, on ne parle plus de « guerre » mais d'« opération », plus de « bombardements » mais de « frappes chirurgicales », plus de « morts civils » mais de « dommages collatéraux ». Le vocabulaire militaire s'est mué en novlangue marketing, façonné par des « spin doctors » qui transforment la réalité en une histoire formatée à l'intention des opinions publiques occidentales.
S'il est une chose qui est occultée par l'exposition récurrente dans les médias des « narratifs » israélien et palestinien (autodéfense et résistance) et la fausse symétrie des forces en présence, c'est bien la nature de cette guerre qui bouleverse dans sa rationalité extrême tout ce qu'on pensait savoir sur la guerre totale, la guerre civile ou la guerre coloniale.
C'est une guerre multidimensionnelle, menée dans les airs, sur la terre et jusque dans les sous-sols de la bande de Gaza. Les opérations militaires synchronisent la puissance de frappe de l'aviation, assistée des moyens de l'intelligence artificielle, le génie civil des bulldozers et les incursions des Merkava tanks que survolent les hélicoptères Apache fournis par l'Armée américaine… Les images satellites révèlent l'étendue des destructions d'habitations, d'écoles et d'hôpitaux (90 % des bâtiments), mais aussi l'effacement des deux tiers du réseau routier sans cesse redessiné par le passage des bulldozers et des chars, les plus modernes au monde et les plus lourds. …
À perte de vue ce ne sont que chantiers à ciel ouvert, collines éventrées, déforestations. Paysages en lambeaux sur lesquels s'acharne une violence industrieuse. Cadastrale. L'action concertée des bombes et des bulldozers ne vise pas seulement des objectifs militaires identifiés, mais la vie civile dans sa fragilité, l'espace même de la civilité, places, rond points, marchés, le paysage lui-même n'est pas épargné, où ne subsiste plus rien de la végétation jusqu'au souvenir d'un arbre ou d'une plante. La géographie, disait le géographe Yves Lacoste, ça sert d'abord à faire la guerre. À Gaza, la guerre a détruit la géographie.
La machine à broyer le territoire s'active en permanence ; elle écrase, brise, déchiquette, concasse, déplace les amoncellements de ruines qu'elle accumule. Ce n'est nouveau que par son ampleur apocalyptique. Il y a une vingtaine d'années, à l'occasion d'un voyage en Palestine d'une délégation du Parlement International des écrivains, j'avais pu observer de près cette guerre des « bulldozers ». Le bulldozer que l'on croisait partout au bord des routes apparaissait tout aussi stratégique dans la guerre en cours que le tank. Jamais un engin aussi inoffensif ne m'était apparu porteur d'une telle violence muette. Comment, dans un paysage politique en ruines, reconstituer la vérité des faits en partie effacés. L'architecture forensique d'Eyal Weizman en a tiré toutes les conclusions. Il développe une approche basée sur des techniques en partie héritées de la médecine légale et de la police scientifique : impacts de balles, trous de missiles, ombres projetées sur les murs de corps annihilés par le souffle d'une explosion… « L'objectif, écrit Raphaël Bourgois dans un entretien avec Eyal Weizman pour AOC, chercher des preuves visibles dans l'urbanisme et les bâtiments, mais aussi se servir de la spatialisation, de maquettes, pour faire advenir la vérité ».
Libération a récemment donné un visage humain à cette guerre des bulldozers. C'est le portrait du rabbin soldat Avraham Zarbiv, surnommé « l'aplatisseur de Jabalia ». Un personnage mythologique né dans les ruines de Gaza. Revenu d'une de ses missions, il raconte comme un ingénieur des travaux publics sur un chantier : « Nous avons utilisé des tracteurs, des D9, des excavatrices… nous avons appris le métier, nous sommes devenus très professionnels. On ne peut pas imaginer ce que c'est que de démolir des immeubles – sept, six, cinq étages – les uns après les autres ». Où qu'il opère il applique la même méthode, se vante-t-il, découverte en poussant sa petite fille sur une balançoire. « Et là, je réalise un truc : il faut faire comme avec la balançoire ! Une première explosion – boum – on attend que la structure balance de l'autre côté, et là, on envoie un deuxième boum. » Au sein de sa compagnie, raconte Check News, un néologisme est né à partir du nom du rabbin pour désigner l'action de détruire des bâtiments palestiniens : on les « zarbivise ».
Theodor Adorno écrivait à propos d'images de la prise de l'archipel des Mariannes pendant la deuxième guerre mondiale, « L'impression qui s'en dégage n'est pas qu'on livre des combats mais qu'on procède à des travaux mécanisés de dynamitage et d'infrastructures routières à grande échelle et avec une énergie incroyable, ou encore qu'il s'agît d ‘ « enfumer » et d'exterminer des insectes à l'échelle planétaire. On mène les opérations jusqu'au point où il ne reste plus aucune végétation. L'ennemi est dans le rôle d'un patient et d'un cadavre ».
Personne n'est épargné, jusqu'aux embryons d'un centre de fécondation in vitro bombardé intentionnellement en décembre 2023, selon un rapport d'une commission d'enquête internationale de l'ONU qui a détruit environ 4 000 embryons dans une clinique qui accueillait entre 2 000 et 3 000 patients par mois à Gaza, comme si on cherchait à effacer l'avenir avant même qu'il ne voie le jour. Une image saisissante du concept de « nécropolitique » forgé par Achille Mbembe selon lequel l'expression ultime de la souveraineté réside largement dans le pouvoir et la capacité de dire qui pourra vivre et qui doit mourir.
Loin de se réduire à un épisode de la lutte immémoriale entre Arabes et Juifs ou entre Musulmans et Juifs, ni même de se ramener au conflit entre deux peuples, ce qu'elle est aussi, la guerre à Gaza représente la combinaison explosive de plusieurs phénomènes enchevêtrés qui s'échelonnent sur un siècle et qui la rendent illisible pour la plupart. Ces phénomènes vont de l'irruption de l'impérialisme au Moyen-Orient à la montée des nationalismes, du colonialisme de peuplement au contrôle de la population palestinienne et à la société de surveillance, de la résistance palestinienne aux méthodes postmodernes de colonisation de peuplement.
Dans un livre à paraître[1], l'historien Rashid Khalidi reconstitue l'écheveau complexe de cette histoire tout au long du XXe siècle. Il en restitue les raisons profondes et les responsabilités jusqu'à l'épilogue sanglant dont nous sommes les témoins. « Le total de quelque 70 000 morts à Gaza au cours des dix-huit derniers mois, écrit-il, est probablement plus élevé que la somme de tous les Palestiniens tués par Israël depuis 1948 ». Dans cette histoire l'Occident n'est nullement réduit au rôle de spectateur, ni même à celui de médiateur, il apparaît comme un acteur de premier plan de l'interminable conflit qui ronge le proche Orient depuis un siècle.
Sous l'égide de la Grande Bretagne jusqu'à la deuxième guerre mondiale puis des États-Unis depuis 1948, l'Occident inspire, arme et finance Israël. Sa responsabilité dans l'épisode génocidaire actuel et peut-être terminal si rien n'est fait, n'en est que plus accablante. Elle se double depuis l'installation de Donald Trump à la Maison Blanche, d'une participation assumée à l'entreprise d'extermination de la population palestinienne par les voies du financement de l'effort de guerre, de la livraison directes d'armes destructrices et jusqu'à la stratégie visant à affamer la population, à la priver des soins médicaux élémentaires, d'eau et d'électricité.
Les entreprises françaises, allemandes, italiennes d'armement et de sécurité ne sont pas de simples spectatrices du siège de Gaza. Elles en bénéficient et y collaborent.
Bien sûr le plan « Gaza-Riviera » de Trump restera dans les mémoires comme un épisode grotesque du théâtre trumpiste de la cruauté. Mais comme le rappelle Rashid Khalidi « Le soutien vigoureux de Biden au siège de Gaza par Israël, qu'il a qualifié de « légitime défense », son écho à la rhétorique israélienne et son dénigrement de l'humanité des victimes palestiniennes ont renforcé chez les Palestiniens et leurs partisans le sentiment d'une hostilité viscérale des États-Unis à leur égard, ce qui lui a valu le surnom de « Génocide Joe ».
De nombreux chefs d'État européens mériteraient ce surnom tant leur silence laisse pantois, là où il faudrait mobiliser une résistance coordonnée et des sanctions massives contre le gouvernement israélien. Mais il y a bien plus que de la lâcheté dans cette combinaison de complicités et de divergences en trompe-l'œil entre l'Occident et Israël. Car derrière les déclarations de circonstance sur les « préoccupations humanitaires » et les appels rituels au « respect du droit international », se cache une vérité plus sombre : l'Europe laisse faire le gouvernement d'Israël parce qu'elle a en commun avec lui quelque chose de plus profond et de plus troublant : son imaginaire colonial.
La passivité européenne face à Gaza révèle ainsi la vraie nature de l'ordre occidental contemporain : non plus un ensemble de valeurs partagées mais un système de domination qui s'appuie sur la désignation permanente d'ennemis intérieurs et extérieurs. Gaza n'est que la version la plus visible de cette logique qui traverse désormais toute la politique occidentale.
La question n'est donc plus de savoir pourquoi l'Europe se tait face à Gaza, mais pourquoi nous continuons à feindre l'étonnement devant ce silence. Car ce silence dit tout de ce que l'Europe est devenue : un complice qui préfère regarder ailleurs plutôt que de regarder en face ce qu'elle est en train de devenir.
Depuis deux décennies, l'Europe a construit sa politique sécuritaire autour des mêmes phobies. L'islam politique comme menace existentielle, l'immigration comme facteur de déstabilisation, la « radicalisation » comme obsession permanente, les banlieues comme territoires perdus à reconquérir. La diffusion du rapport sur l'« entrisme » des Frères musulmans en est le dernier symptôme parmi des centaines d'autres. Gaza est devenu le laboratoire de la guerre que l'Occident mène contre ses propres populations, un endo-colonialisme dont la Palestine est le terrain d'expérimentation pour des systèmes de surveillance, de contrôle des populations et d'enfermement territorial. Les entreprises européennes d'armement et de sécurité y testent leurs innovations avant de les déployer dans les banlieues françaises ou les camps de migrants. Les technologies de reconnaissance faciale, de surveillance numérique, ou de gestion des frontières y sont testées dans des conditions extrêmes. Gaza fonctionne comme un miroir grossissant des politiques européennes.
Auteur d'un essai paru en 2023 sur le « laboratoire palestinien »[2], Antony Loewenstein explique, lors d'un entretien accordé le 12 janvier 2024 au Malcom H. Kerr Carnegie Middle East Center, que « depuis des années, Israël teste et essaie un nombre considérable de technologies d'oppression sur les Palestiniens, qui sont ensuite promues sur les champs de bataille tout autour de la planète. Gaza a souvent été considéré comme le terrain d'essai ultime pour les armes de destruction et de surveillance ». « L'armée israélienne ne s'en cache pas, constatait en janvier 2024 dans Mediapart, la journaliste indépendante Gwenaëlle Lenoir, des armes nouvelles ainsi que des algorithmes sont utilisés pour la première fois dans la bande de Gaza. La guerre contre le Hamas est également une vitrine du savoir-faire israélien en la matière ».
« Ce que nous avons vu ces trois derniers mois, après le massacre brutal du Hamas, c'est que la réponse israélienne a été d'une brutalité accablante. Mais au-delà, Israël fait ce qu'il fait toujours, c'est-à-dire tester et essayer de nouvelles armes de destruction et de surveillance ». Au niveau de la gestion biopolitique, la bande de Gaza constitue un cas d'étude sur la gouvernance de populations entières dans des conditions de précarité contrôlée – gestion de l'accès aux ressources, aux soins, à l'emploi, créant une forme de dépendance administrée.
Netanyahou a fait pression pendant plus d'une décennie pour qu'Israël devienne l'un des principaux développeurs technologiques mondiaux, avec une expertise en matière d'armes, de surveillance et de cyberoutils, une expertise valorisée par l'expérience acquise sur le terrain contre les Palestiniens réduits à une population cobaye. Israël a perfectionné et dirigé l'« industrie de la pacification mondiale », une expression inventée par l'anthopologue israélo-américain Jeff Halper, Director of the Israeli Committee Against House Demolitions (ICAHD), dans son livre Guerre contre le peuple : Israël, les Palestiniens et la pacification mondiale.
Il explique que l'occupation ne constitue pas un fardeau financier pour l'État, mais tout le contraire, la Palestine étant un terrain laboratoire précieux pour de nouveaux équipements destinés à une puissance militaire mondiale au service d'autres armées à travers le monde. « Israël est un petit pays qui se bat pour se tailler une place au sein du complexe militaro-industriel transnational » a déclaré Jeff Halper. « Le laboratoire israélien de Palestine prospère grâce aux perturbations et à la violence mondiales. La prudence israélienne à l'égard de la Russie en 2022 n'est pas surprenante, car la société de surveillance israélienne Cellebrite a vendu à Vladimir Poutine une technologie de piratage téléphonique qu'il a utilisé contre des dissidents et des opposants politiques des dizaines de milliers de fois. Quelques jours après l'agression russe en Ukraine, les cours mondiaux des actions des entreprises de défense ont grimpé en flèche, notamment celle du plus grand acteur israélien, Elbit Systems, dont l'action a grimpé de 70 % par rapport à l'année précédente. L'une des armes israéliennes les plus recherchées est un système d'interception de missiles. L'ex-ministre israélienne de l'Intérieur, Ayelet Shaked, a déclaré qu'Israël en bénéficierait financièrement, car les nations européennes voulaient des armements israéliens. “Nous avons des opportunités sans précédent, et le potentiel est fou”.
L'aggravation de la crise climatique profitera au secteur de la défense israélien dans un avenir où les États-nations ne réagiront pas par des mesures actives pour réduire les impacts de la hausse des températures, mais se ghettoïseront plutôt, à la manière d'Israël. Concrètement, cela se traduit par des murs plus hauts et des frontières plus strictes, une surveillance accrue des réfugiés, la reconnaissance faciale, des drones, des clôtures intelligentes et des bases de données biométriques ».
D'ici 2025, le complexe industriel de surveillance des frontières est estimé à 68 milliards de dollars américains, et les entreprises israéliennes comme Elbit sont assurées d'en être parmi les principaux bénéficiaires. En septembre 2022, le chef de la police des frontières israélienne, le général de division Amir Cohen, a été reçu par son homologue américain, Raul Ortiz, chef de la patrouille frontalière américaine. Ortiz s'est dit intéressé par les méthodes « non létales » utilisées par les Israéliens pour disperser et réprimer les manifestations. Cohen a présenté un drone israélien qui largue des gaz lacrymogènes sur les manifestants.
Les entreprises françaises, allemandes, italiennes d'armement et de sécurité ne sont pas de simples spectatrices du siège de Gaza. Elles en bénéficient et y collaborent. Le transfert de technologie opère dans les deux sens. Leurs technologies y sont testées, affinées, perfectionnées avant d'être redéployées dans les banlieues de Marseille, les camps de Moria ou les frontières polonaises. Une situation que l'intellectuelle brésilienne Berenice Bento qualifie de « palestinisation du monde ».
Cette économie politique de la violence révèle pourquoi l'Europe ne peut condamner vraiment Israël sans se condamner elle-même. Les techniques de contrôle territorial, de fragmentation urbaine, de surveillance biométrique des populations « à risque » que teste Israël à grande échelle, l'Europe les applique de manière plus discrète mais tout aussi efficace et systématique. Gaza fonctionne comme un laboratoire où se perfectionnent les techniques de domination que l'Occident applique ailleurs : murs « intelligents », drones de surveillance, contrôle biométrique des populations, fragmentation territoriale.
Condamner les crimes de guerre de Tsahal forcerait l'Europe à assumer sa complicité dans la militarisation de ses frontières. Comment critiquer la gestion israélienne des territoires occupés sans questionner la gestion européenne des Roms, des migrants, des musulmans ? Comment dénoncer l'apartheid territorial israélien sans remettre en cause sa propre ségrégation urbaine ? Quand Israël parle de « terrorisme palestinien », l'Europe entend « terrorisme islamiste ». Quand Israël évoque la nécessité de « sécuriser ses frontières », l'Europe pense à Frontex et à ses propres murs anti-migrants.
Quand Israël justifie la surveillance de masse de sa population arabe, l'Europe y reconnaît ses propres pratiques dans les quartiers dits « sensibles ». Cette synchronisation des imaginaires sécuritaires explique pourquoi les dirigeants européens regardent Gaza sans intervenir : ils y voient leur propre reflet.
Christian Salmon
Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)

Au Mali, Wagner s’en va, l’Africa Corps s’installe

Les troupes du Groupe Wagner, présentes au Mali depuis 2021, seront réintégrées au sein de l'Africa Corps, une structure contrôlée par le ministère de la Défense russe. Revenant sur le bilan en demi-teinte des mercenaires russes dans la lutte contre le terrorisme, le site guinéen “Le Djely” craint que ce passage de témoin ne renforce l'emprise du Kremlin sur les affaires maliennes.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Le logo du groupe de mercenaires privés à Novossibirsk, dans le sud de la Russie, le 24 août 2023. Les contingents du groupe Wagner vont être réintégrés au sein de l'Afrika Corps, sous le contrôle du ministère de la défense russe. Lundi 9 juin 2025, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a réaffirmé la volonté de Moscou de renforcer ses liens militaires avec l'Afrique. Photo Vladimir Nikolayev/AFP
Au Mali, la fête de la Tabaski [fête musulmane de l'Aïd El-Kébir] célébrée vendredi dernier [6 juin] a coïncidé avec une autre actualité marquante : l'annonce de la fin de mission du groupe paramilitaire russe Wagner. Ce partenaire, engagé depuis trois ans aux côtés des autorités maliennes dans la lutte contre le terrorisme et l'insécurité, met un terme à sa présence sur le sol malien. Une annonce confirmée par le groupe fondé par le défunt Evgueni Prigojine.
Mais, dans la foulée, l'Africa Corps, entité militaire soutenue par Moscou et apparue après la mort de Prigojine, en août 2023 [dans un accident d'avion deux mois après s'être rebellé contre le commandement de Moscou], déclarait qu'elle prendrait automatiquement le relais. Un message clair : la Russie reste au Mali, même si les visages changent.
Ce passage de témoin intervient toutefois dans un contexte marqué par une intensification des attaques terroristes, en particulier contre les installations militaires. Cela interroge le bilan flatteur que Wagner s'est attribué à l'heure de son retrait, et suscite des doutes sur ce que l'on peut véritablement attendre d'Africa Corps.
Aveu d'échec

On tente visiblement de faire passer cette relève pour une transition planifiée de longue date. Peut-être. Mais il est difficile de ne pas établir un lien entre ce changement et la recrudescence des attaques menées par les groupes djihadistes, notamment le JNIM [Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans mené par Iyad Ag Ghali]. De ce point de vue, le départ de Wagner peut être interprété comme l'aveu d'un échec, ou du moins comme la nécessité de réadapter le dispositif russe face à un ennemi devenu plus redoutable.
Car il faut bien le reconnaître : la coopération militaire avec Wagner n'a pas permis de restaurer la sécurité au Mali. Les récentes attaques contre les camps de Dioura, Boulkessi, Tombouctou ou encore Sikasso en sont la preuve. Certes, la reprise de Kidal reste un acte fort et symbolique pour les autorités de transition, mais elle ne masque pas les limites de l'approche sécuritaire adoptée.
Pire, à l'insécurité persistante s'ajoutent de graves bavures, souvent commises contre des populations civiles soupçonnées à tort de collusion avec les terroristes. Dans ce climat, la collaboration avec Wagner a également permis à la junte de renforcer sa posture autoritaire et antidémocratique, en s'appuyant sur un partenaire peu regardant sur les droits humains.
Emprise accrue ?
Difficile donc d'imaginer qu'Africa Corps fasse mieux. Le contexte reste tendu, et le défi sécuritaire est d'autant plus complexe qu'il repose sur un amalgame dangereux entre djihadistes et certaines communautés civiles. Un amalgame qui, en alimentant les frustrations, ne fait que renforcer les rangs des groupes armés. De plus, contrairement à Wagner, les membres d'Africa Corps seraient directement subordonnés au ministère de la Défense russe. Ce lien hiérarchique plus strict pourrait réduire les marges de manœuvre de Bamako et accroître l'emprise de Moscou sur les affaires maliennes.
Cela remet en question la rhétorique souverainiste du colonel Assimi Goïta [l'actuel homme fort du pays, qui a pris le grade de général] et de ses compagnons. Car si, entre 2013 et 2021, l'argument selon lequel la présence française incarnait une nouvelle forme de colonialisme pouvait être défendable, on peut se demander si le Mali ne s'achemine pas vers une autre forme de tutelle – russe cette fois, et peut-être plus durable.
Boubacar Sanso Barry
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Le tableau accablant des atrocités de Wagner au Mali

Depuis leur arrivée au Mali en 2021, les mercenaires russes de Wagner ont kidnappé et détenu des centaines de civils sur d'anciennes bases de l'ONU et dans des camps militaires partagés avec l'armée malienne. Dans le cadre du projet Viktoriia, Forbidden Stories révèle l'existence de ces prisons secrètes où sévices et tortures sont perpétrés en toute impunité
Tiré de MondAfrique. Photo : Yevgeny Prigozhin, chef du groupe Wagner maintenant décédé, sert le repas à Vladimir Poutine.
En partenariat avec France24, Forbidden Stories a enquêté sur les prisons secrètes du groupe Wagner au Mali. Une investigation qui met à jour un vaste système de centres de détention présent sur des bases militaires. © Forbidden Stories

Un article écrit par Guillaume Vénétitay (Forbidden Stories)
Les cris ne parviennent plus jusqu'à ses oreilles. Ils sont recouverts par un son épais, presque furieux. « C'était leur musique russe. Ils la mettaient à chaque fois qu'il y avait un interrogatoire », raconte Wangrin*.
Face à lui, deux autres civils maliens, ligotés et capturés plus tôt dans la journée. Ils sont amenés, torses nus, à tour de rôle devant une bassine remplie d'eau. Les trois geôliers leur attrapent la tête, puis la plongent dans le récipient pendant de longues secondes. « Moi, ils me l'ont fait trois fois, jusqu'à ce que je ne parvienne plus à respirer », témoigne Wangrin, passé au supplice le 5 août 2024. Les cerbères alternent les simulacres de noyade avec des coups. Au ventre, à la tête, parfois avec des bâtons. « C'est comme s'ils étaient en train de tuer des chiens, se remémore l'ancien détenu d'une voix frêle. J'ai commencé à pleurer en les voyant frapper. »

Durant sept jours, chaque soir, le travailleur humanitaire entend ces chansons russes. Un funeste rituel qui indique que les nouveaux prisonniers de la base militaire de Nampala, dans le centre du Mali, sont soumis à la torture. Comme lui, plusieurs centaines de civils maliens ont été raflés puis détenus au secret par les mercenaires russes du groupe Wagner, présents au Mali depuis fin 2021.
Forbidden Stories et ses partenaires des Observateurs de France 24, du Monde et IStories ont enquêté sur ces détentions secrètes de civils par les mercenaires russes au Mali. Une investigation réalisée dans le cadre du projet Viktoriia, en mémoire de la journaliste ukrainienne Viktoriia Roschyna, capturée par la Russie à l'été 2023 alors qu'elle enquêtait sur les détentions illégales de civils en territoires occupés par les Russes. Elle a été déclarée morte en captivité le 19 septembre 2024.
Notre enquête révèle la duplication de ce système d'enfermement et de torture de civils au Mali. Deux continents et deux contextes très différents, mais les mêmes schémas sont appliqués par les mercenaires russes : enlèvements, arrestations arbitraires, absence de contact avec le monde extérieur, recours à la torture systématique – parfois jusqu'à la mort. Forbidden Stories, dont la mission est de poursuivre le travail des reporters tués, emprisonnés ou menacés, est allé à la rencontre des rares témoins de ce système de détention et de torture au Mali, où le nom de Wagner est synonyme de terreur pour les journalistes. « Au Mali en général, dans le nord et le centre en particulier, aucun média n'ose parler de Wagner par peur de représailles », racontait un reporter malien dans un rapport publié en 2023 par Reporters sans frontières, qui a classé le pays à la 119e place (sur 180) dans son baromètre annuel. « Aucun journaliste sur place n'ose enquêter sur la présence de Wagner », continuait un de ses confrères.
Les civils maliens délibérément ciblés par Wagner et l'armée malienne
À la suite des deux coups d'État orchestrés par le colonel Assimi Goïta en 2020 et 2021, le pouvoir malien s'est rapproché de la Russie, en louant les services des « musiciens », comme ils se surnomment entre eux. Les hommes du groupe Wagner, connus pour leur carte de visite sanglante en Ukraine, en Syrie ou encore en Centrafrique sous la houlette d'Evguéni Prigojine – mort en août 2023, soutiennent les opérations de l'armée malienne contre les jihadistes et les séparatistes touareg.
Leur arrivée dans le pays a été facilitée par le départ de la France, finalisé en 2022 après neuf ans d'engagement militaire face aux groupes terroristes, et la fin de la mission de stabilisation de l'ONU (Minusma) presque un an et demi plus tard. « Les Maliens voulaient certainement changer leur manière de mener la guerre et se débarrasser des yeux extérieurs qui jugeaient la façon dont fonctionnait leur armée, analyse Yvan Guichaoua, chercheur au Bonn International Centre for Conflict Studies. Et en faisant venir les Russes, cela a une implication directe sur la manière dont ils utilisent la force. »
Depuis leur arrivée, les mercenaires russes sont régulièrement accusés d'exactions et de crimes contre les civils lors d'opérations conjointes avec les Forces armées maliennes (FAMa) contre les groupes jihadistes dans le centre et le nord du pays. « Les civils sont délibérément ciblés depuis le déploiement de Wagner, poursuit Yvan Guichaoua. Les forces de sécurité tendent à considérer comme complices des mouvements jihadistes les populations qui vivent dans leur aire d'influence. »
Pour retrouver les survivants des prisons secrètes de Wagner au Mali, il faut se rendre à Mbera, en Mauritanie. À un jet de pierre de la frontière, dans le désert du Sahara vivent environ 270 000 Maliens, dont 118 000 dans un camp géré par les Nations unies, qui ont fui les zones de combat. À Mbera, les ex-détenus peuvent témoigner plus librement qu'au Mali. En recoupant ces récits de prisonniers, notre consortium a pu identifier six bases militaires dans lesquelles des civils maliens ont été détenus et torturés par Wagner entre 2022 et 2024 : Bapho, Kidal, Nampala, Niafunké, Sévaré, Sofara.

Wangrin vit depuis dix mois à Mbera, mais il est toujours hanté par la musique russe. Après avoir passé quelques jours à Fassala, une commune mauritanienne à la frontière avec le Mali, il s'est rendu dans le camp. Là, il habite un abri de fortune et cherche un emploi auprès d'ONG, sans succès pour le moment.
Pour raconter sa captivité à l'abri des regards, il donne rendez-vous à Bassikounou, une ville étape à moins de 20 kilomètres du camp. Wangrin a conservé des détails extrêmement précis de sa semaine de détention : la tasse de riz blanc avec du sel pour seul repas, les coups portés avec des câbles électriques, et ce codétenu qui ne pouvait plus marcher tant il avait été frappé. La veille de son arrestation dans la boutique d'un grand frère, une patrouille menée conjointement par Wagner et les FAMa dans son village de Nampala avait déjà terrorisé les habitants.
Ce dimanche 4 août 2024, les soldats ordonnent aux hommes et aux garçons de sortir de leur domicile. Ils sont rassemblés sur le terrain de sport, à côté d'un puits. Le soleil castagne. « On a passé toute la journée là. Les gens ne comprenaient pas ce qu'il se passait », remet Wangrin. Les villageois patientent pendant que les soldats maliens et les mercenaires russes notent des noms, fouillent des maisons et frappent parfois des habitants. Ils sont à la recherche d'un talkie-walkie qu'ils soupçonnent de faciliter la communication avec les jihadistes du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM). La mise en œuvre concrète de ce que l'armée répète à longueur de communiqués : « la traque » et « la neutralisation » des terroristes comme priorité lors de ses opérations.
« Des prisons presque partout où Wagner opère »
Comme Wangrin, Abdallah* fait partie des nombreux civils victimes de ces rafles. Le mardi 6 décembre 2022, cet aide-soignant touareg débarque de bonne heure à la foire hebdomadaire de Kita, un village de la commune de Dioura, dans le centre du Mali, près de la frontière mauritanienne. Il est 7 h du matin. « J'ai été surpris de voir des hélicoptères et j'ai entendu des tirs. La poussière se dissipe et j'aperçois des soldats qui ont été déposés », se souvient-il. Des militaires FAMa accompagnés de nervis du groupe Wagner débutent, au sol, leur opération et en profitent pour piller des marchandises, comme des boissons, des parfums ou de la viande. Cinq personnes sont tuées, trois autres blessées par les tirs des FAMa et Wagner.
En début d'après-midi, Abdallah et huit personnes sont embarqués. « Ils m'ont ligoté, bandé les yeux et mis dans l'hélicoptère. Nous étions couchés et les mercenaires ont mis leurs pieds sur mon dos. Je pensais qu'ils m'emmenaient ailleurs pour me tuer », détaille-t-il. L'hélicoptère atterrit une heure plus tard. Les prisonniers sont regroupés dans une cour. Des soldats maliens leur demandent alors s'ils connaissent un jihadiste qu'ils recherchent. Aucune réponse positive. En fin de journée, les détenus ont droit à une gorgée d'eau, puis parviennent à échanger dans la cour avec un autre prisonnier, captif depuis quelques jours de plus. « Il nous a dit : ‘Vous êtes à Sévaré. Priez Dieu pour ne pas subir la même chose que nous.' Il avait été torturé », explique Abdallah.
« Wagner a des prisons presque partout où il opère, dans les camps où les Wagner stationnent. Toutes les personnes arrêtées et qui n'ont pas été tuées lors de leurs opérations finissent là. Ce sont des bergers, des commerçants, des transporteurs routiers », décrypte un analyste avisé de la situation au Sahel.

Plusieurs de ces prisons sont situées à l'intérieur de bases militaires FAMa, où les mercenaires russes cohabitent parfois avec les Maliens. Leur localisation varie en fonction des opérations sur le terrain. Le nombre total de lieux de détention durant la mission de Wagner dans le pays est probablement bien plus élevé que les six prisons identifiées lors de notre enquête, comme le mentionnent de nombreux observateurs contactés par le consortium.
L'analyse d'images satellites par Forbidden Stories et les Observateurs de France 24 montre par exemple la présence d'hélicoptères de fabrication russe sur la base de Sévaré, durant la période de l'incident de la foire de Kita. La construction d'un nouveau hangar pour hélicoptères a également commencé à la fin de l'année 2022.

Parfois, les prisons secrètes de Wagner se nichent dans des lieux plus symboliques, comme des anciennes bases des forces de l'ONU au Mali, la Minusma. C'est le cas à Kidal, bastion historique des rebelles touareg dans le nord du pays. La reprise de la ville par l'armée malienne et Wagner, en novembre 2023, fut une victoire marquante pour la junte de Bamako et leurs supplétifs russes. Au point de faire sortir les soudards de leur légendaire discrétion. Les hommes de feu d'Evguéni Prigojine sont allés jusqu'à hisser leur drapeau – une tête de mort sur fond noir – sur le fort de Kidal.
« Ce drapeau, c'était une manière de faire comprendre qu'ils avaient fait l'essentiel du boulot », souligne Yvan Guichaoua. Avec un contingent de plus de 2 400 hommes au plus haut de sa présence au Mali, le groupe Wagner a pu compter sur des nervis chevronnés qui effectuent des rotations entre leurs différents théâtres d'opération, du front ukrainien en passant par la Syrie et la Centrafrique. Avec, en prime, l'importation de matériel militaire et des pires « savoir-faire » acquis sur les autres terrains.
Sur la base de Kidal, nos partenaires des Observateurs de France 24 ont identifié un Chekan, véhicule blindé spécialement conçu pour le groupe Wagner, au milieu de conteneurs qui ont longtemps servi de stockage pour la Minusma. Le 12 août 2024, Ali* est arrêté à son domicile par les mercenaires et un soldat malien, avant d'être jeté dans une de ces « boîtes » à Kidal. À ses côtés, un homme de 40 ans, sans pantalon, ni chaussures et décharné par quatre mois de détention. « L'autre prisonnier m'a dit qu'il avait seulement le droit de boire et manger au crépuscule », témoigne le travailleur humanitaire, captif durant 24 heures.

La détention dans des conteneurs est un des modes opératoires de Wagner au Mali. Omar* a été capturé le 20 janvier 2024, puis mis dans une « boîte » sur la base de Niafunké. Le tailleur de 25 ans, à la silhouette adolescente et à la voix fluette, se rappelle de la chaleur à l'intérieur. « Le conteneur était exposé en plein soleil. La nuit, il faisait très noir. Quelques trous en haut laissaient passer la lumière. Il y avait juste une planche sur le sol, décrit-il. Nous avons été au maximum une dizaine dans le conteneur durant mes 40 jours de détention. » Les prisonniers n'ont pas le droit d'en sortir, sauf pour aller aux toilettes, situées à quinze mètres, à la condition d'être accompagnés d'un maton. « Parfois, j'ai eu droit à du travail forcé. Je devais mettre du sable dans un camion, creuser des trous. Je me demandais si j'allais quitter un jour cet endroit ou mourir là », rapporte Omar, passé à tabac jusqu'à perdre conscience dès le premier jour de sa captivité.
Climat de terreur
Les sévices et la torture reviennent dans les témoignages de chaque ancien détenu rencontré. À Nampala, Abdoulaye* a été enfermé quatre jours au début du mois d'août 2024. Rencontré dans un village situé à une trentaine de kilomètres de Mbera, ce boutiquier peul d'1,90 m nous montre deux cicatrices. « Ils m'ont frappé à la tête jusqu'à ce que je m'évanouisse, j'ai perdu beaucoup de sang, Ils ont aussi pris un briquet pour me brûler le ventre », explique celui qui dit avoir été attaché dans une douche, complètement nu, pendant sa détention.

« La plupart des gens meurent en détention », appuie Attaye Ag Mohamed Aboubacrine, secrétaire général adjoint de l'association de défense des droits humains Kal Akal. Ce qui accentue le climat de peur qu'inspire le nom de Wagner. « Ces disparitions et les exactions commises par les FAMa et Wagner, qui sont soutenus et encadrés par la Russie, sont emblématiques de cette stratégie, c'est-à-dire semer la terreur auprès de la population pour la forcer à l'exil », embraye Boubacar Ould Hamadi, président du Collectif pour la défense des droits du peuple de l'Azawad (CD-DPA), qui a recensé 304 enlèvements ou disparitions forcées entre octobre 2024 et mars 2025.
- Ces disparitions et les exactions commises par les FAMa et Wagner […] sont emblématiques de cette stratégie, c'est-à-dire semer la terreur auprès de la population pour la forcer à l'exil.
Les FAMa n'interviennent pas pour réfréner leurs partenaires russes, qui semblent priser leur autonomie. « Les Wagner prennent eux-mêmes les gens sur le terrain et les FAMa n'ont pas leur mot à dire », se défend un officier malien, sous couvert d'anonymat, auprès de nos partenaires du Monde. Des prisonniers peuvent être libérés contre des rançons. « Certains enlèvements sont clairement motivés par des gains financiers directs. Souvent perpétrés dans l'Azawad et le centre du Mali, ils relèvent de pratiques qui croisent à la fois le mercenariat, le banditisme organisé et les méthodes de la terreur », expose Attaye Ag Mohamed Aboubacrine.
Certains rescapés sont ensuite livrés aux autorités maliennes, qui risquent de judiciariser leur statut une fois sorti de prison. Abdallah assure avoir été déposé à la gendarmerie 48 heures après son arrestation à Kita. Une double peine : après sa détention illégale, le voici sous la menace d'une condamnation sur des accusations factices. Il a finalement obtenu un classement sans suite moins d'une semaine plus tard et affirme avoir été libéré contre le paiement de près d'1,5 million de francs CFA (environ 2 288 euros, NDLR) par sa famille.

Pour les familles des disparus – 668 personnes arrêtées, enlevées ou disparues entre novembre 2023 et avril 2025 selon l'association Kal Akal –, rester sans nouvelle est un calvaire. Berger nomade, Moussa* marchait avec ses deux frères et leurs centaines de moutons dans le cercle de Goundam quand ils ont été arrêtés par une patrouille conjointe FAMa-Wagner, en février 2025. Les trois hommes sont gardés toute une nuit en pleine brousse. Au matin, Moussa, ligoté et laissé pour compte sur le sable, voit les mercenaires embarquer ses petits frères. « Je ne sais pas s'ils sont morts ou vivants. J'aimerais savoir. S'ils ne sont plus de ce monde et qu'il n'y a plus d'espoir, je serais apaisé », explique-t-il. Sous sa chemise, Moussa montre une autre trace indélébile sur son torse. Cette nuit-là, ses geôliers se sont amusés à lui brûler la poitrine avec un mégot.
*Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé.
**Le ministère des armées malien, le ministère de la Défense russe, l'ambassade de Russie au Mali et des mercenaires du groupe Wagner n'ont pas répondu à nos sollicitations.
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Afrique, le « travel ban » anti migrants de Donald Trump

Les ressortissants de sept pays africains sont interdits d'accès au territoire américain, selon une logique basée sur la proportion de « visa overstay » mais qui souffre d'incohérences. Amnesty International y voit une mesure « discriminatoire, raciste et carrément cruelle ».
Tiré de Mondafrique
7 juin 2025
Par Nicolas Beau
Le locataire de la Maison-Blanche a annoncé le 4 juin le rétablissement d'une interdiction d'entrée sur le territoire qui concerne les ressortissants d'une vingtaine de pays. Soit plus que son premier “travel ban”.
“Le président Donald Trump a proclamé mercredi une nouvelle interdiction de voyager très large, touchant les ressortissants de 19 pays, au nom de risques pour la sécurité nationale”, rapporte Politico.
Douze de ces pays sont visés par une interdiction complète d'entrer aux États-Unis à compter du 9 juin, tandis que certains types de visas seront suspendus pour sept autres pays. Quelques exceptions sont prévues, notamment pour les résidents permanents et ceux qui détiennent déjà un visa.
D'après The New York Times, qui a publié une carte montrant l'ensemble des pays ciblés, “ces mesures touchent davantage de régions du monde que les interdictions d'entrée du même type adoptées durant la première présidence Trump, et elles pourraient affecter plus de gens”.
“Peu après son entrée en fonctions en 2017, Trump avait tenté de barrer l'accès aux voyageurs de sept pays à majorité musulmane, rappelle le quotidien. Cinq de ces pays se trouvent sur la nouvelle liste, avec plusieurs autres nations d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient, ainsi que Cuba, Haïti et le Venezuela.”
Des contestations devant la justice
En 2017, la mesure avait été attaquée devant la justice, et “Trump s'était vu forcé de modifier l'interdiction de voyager à deux reprises avant que la Cour suprême n'avalise finalement une version de la mesure en 2018, reconnaissant les pouvoirs du président en matière de sécurité nationale”, complète Politico. Le démocrate Joe Biden avait mis fin à l'interdiction lors de son arrivée à la Maison-Blanche, en 2021.
À lire aussi : États-Unis. Quand Trump banalise la corruption à la Maison-Blanche : “Plus personne ne s'offusque”
“D'après les autorités, les États-Unis considèrent que les pays inclus dans l'interdiction n'ont pas de contrôles de sécurité suffisants à l'émission des passeports et autres documents de voyage ; ils ont aussi un taux élevé de ressortissants dépassant la date de validité de leur visa”, explique The Washington Post.
Malgré la décision de la Cour suprême en 2018, favorable à Trump, les nouvelles mesures devraient à nouveau être contestées en justice, souligne le journal de la capitale fédérale.
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Pillage des eaux africaines

La baisse des ressources halieutiques sur les côtes africaines est notamment la conséquence d'une surpêche au profit des entreprises agroalimentaires des pays riches.
Les constats faits par les pêcheurs artisanaux des côtes africaines sont identiques, il y a de moins en moins de poissons et les prises révèlent une diminution de leur taille. Les experts considèrent que les 51 espèces présentes dans les eaux africaines, source d'alimentation pour les populations, sont en voie d'extinction.
Inquiétudes économiques
Au Sénégal par exemple en cinq ans le nombre de sardinelles a baissé de 80%. Ce petit pélagique est largement consommé par les populations pour son prix abordable et se cuisine parfaitement dans le plat national, le thiéboudiène.
La raréfaction des produits halieutiques provoque une anxiété pour nombre d'africains. Dans certains pays côtiers, le poisson représente près de la moitié des sources de protéine animale. Les économistes estiment que la pêche artisanale en Afrique correspond globalement entre les pécheurs, mareyeurs, fumeurs et vendeurs à près de 12 millions d'emplois.
Les deux raisons principales de la baisse des ressources sont le dérèglement climatique et la surpêche.
Si les températures augmentent sur terre elles augmentent aussi dans les océans, bouleversant des écosystèmes complexes. Les conséquences sont la disparition des coraux, la migration des espèces côtières vers des eaux plus froides ou la destruction des mangroves, particulièrement inquiétante pour l'Afrique. En effet ces zones, souvent comparées à des nurseries pour les poissons sont des abris face aux prédateurs, le temps d'atteindre l'âge adulte. Elles sont aussi des aires permettant la riziculture.
Pêche industrielle délétère
La seconde raison est la surpêche. Elle est provoquée par un afflux en augmentation constante de pêcheurs artisanaux. Avec un chômage massif frappant la jeunesse, beaucoup tentent leur chance dans ce secteur. En Sierra Leone petit pays d'Afrique de l'Ouest, leur nombre en 20 ans a doublé passant de 75 000 à 150 000. Ce phénomène cependant ne doit pas cacher que l'essentiel de l'affaiblissement des ressources est la conséquence de la pêche industrielle.
Des véritables bateaux usines sillonnent les côtes africaines toute l'année et avec d'immenses filets raclent les fonds marins et capturent toute la faune marine, occasionnant des dégâts écologiques considérables.
Selon les pays, les règles légales encadrant la pêche dans leur zone économique exclusive sont différentes, mais de l'avis des professionnels artisanaux mais aussi des militants écologistes, elles sont largement insuffisantes et peu respectées. Toujours en Sierra Leone, l'achat d'un permis de pêche varie selon le tonnage du bateau entre 15 000 à 20 000 euros permettant au titulaire de pêcher toute l'année. Un contournement des règles très usité est l'utilisation de prête-nom locaux permettant d'obtenir des droits de pêche près des côtes ainsi que des exonérations sur les carburants et des aides pour les frais administratifs et d'enregistrement au port.
L'essor des usines de farine
Enfin la pêche dite INN c'est-à-dire illicite, non déclarée et non réglementée profite largement des faiblesses et défaillances des moyens maritimes des Etats africains pour surveiller et arraisonner les navires contrevenants.
Si la pêche industrielle est en constante augmentation, c'est certes pour répondre aux demandes des pays occidentaux mais aussi pour fournir les innombrables usines de fabrication d'huile et de farine de poisson.
Une soixantaine de ces usines a vu le jour ces dernières années sur les côtes ouest africaines. Ainsi les ressources halieutiques sont détournées de la consommation des populations locales. Greenpeace considère que chaque années 500 000 tonnes de poisson, qui auraient pu nourrir 33 millions de personnes en Afrique sont utilisées pour produire les farines. Elles sont utilisées pour engraisser des poissons d'élevage largement consommés en Europe et en Chine comme le thon ou le saumon, ou bien utilisés dans les fermes industrielles porcines.
Paul Martial
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Silence coupable : justice et réparation exigées pour les victimes de violences armées en Haïti

Port-au-Prince, 15 juin 2025 — Depuis mai 2024, l'Institut National pour la Défense des Droits Économiques, Sociaux et Culturels (INDDESC) n'a cessé d'exiger la création d'une Commission nationale indépendante chargée d'enquêter sur les exactions commises par les groupes armés en Haïti. Cette demande, qui vise à documenter les violations des droits humains et à assurer justice et réparation aux victimes, reste sans réponse plus d'un an plus tard.
Par Smith PRINVIL
Cette inaction institutionnelle survient alors que la crise humanitaire s'aggrave : des milliers de personnes déplacées vivent dans des conditions précaires dans des camps de fortune, exposées à la malnutrition, au choléra, à l'insalubrité et à la pauvreté extrême. Selon l'INDDESC, cette situation constitue une grave violation des droits fondamentaux, une atteinte à la dignité humaine et un mépris des engagements internationaux pris par Haïti.
Face à ce mutisme institutionnel, l'INDDESC renouvelle ses exigences : la mise en place immédiate d'une Commission nationale indépendante de proximité, la création d'un Fonds public national de réparation pour soutenir matériellement et psychologiquement les victimes, ainsi que la saisie et la vente des biens mal acquis par les groupes armés et leurs complices pour alimenter ce fonds.
L'institut réclame également l'organisation d'un procès public et équitable, supervisé tant au niveau national qu'international, afin de juger tous les auteurs, commanditaires et complices de ces crimes, qu'ils soient civils, politiques ou économiques. Ce procès devra être conduit par un tribunal spécial composé de magistrats spécialisés en droit pénal international et droit humanitaire.
L'INDDESC rappelle que la justice et la réparation sont des obligations légales de l'État haïtien, fondées sur plusieurs instruments internationaux, tels que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, et la Convention contre la torture, entre autres.
« Le peuple haïtien ne peut plus attendre. L'impunité doit cesser. La justice doit triompher. La dignité des victimes doit être restaurée », conclut l'INDDESC.
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Des voix de la République dominicaine : « La souveraineté alimentaire est le droit à la vie et le droit de bien vivre »

Ce concept implique le droit des peuples à définir leurs propres politiques et stratégies en matière de production, de distribution et de consommation d'aliments durables, dans le respect de leurs cultures et de leurs marchés locaux. Portée principalement par les mouvements sociaux et les organisations paysannes, la souveraineté alimentaire va au-delà de la sécurité alimentaire, qui se concentre sur la disponibilité et l'accès à la nourriture. Elle met l'accent sur le contrôle démocratique du système alimentaire par les personnes qui le produisent, le distribuent et le consomment, plutôt que par les entreprises et les marchés mondiaux. Faire de la souveraineté alimentaire une réalité plus large est un engagement quotidien porté par des dizaines de personnes paysannes dirigeantes à travers l'Amérique latine et les Caraïbes. Saludable Saberlo s'est entretenu avec l'une de ses figures clés, Elsa Sánchez, membre de l'Articulation nationale paysanne (ANC) et de la Confédération nationale des femmes paysannes (CONAMUCA) de la République dominicaine.
9 juin 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/09/des-voix-de-la-republique-dominicaine-la-souverainete-alimentaire-est-le-droit-a-la-vie-et-le-droit-de-bien-vivre/
Qu'est-ce que la souveraineté alimentaire ?
La souveraineté alimentaire, dans notre environnement, dans nos espaces paysans, est avant tout une proposition politique du mouvement paysan. Ensuite, elle constitue une réponse à une production paysanne organisée, articulée et coordonnée. D'après ce que nous comprenons, il ne s'agit pas de produire ce que les grandes entreprises ou l'agro-industrie nous imposent en matière de production alimentaire, mais ce que nous intégrons dans une production saine, au sein de nos communautés locales, à partir d'une approche agroécologique qui garantit une production respectueuse de la santé, des conditions nutritionnelles, et du droit de produire les aliments que nous souhaitons.
Autrement dit, je n'ai pas à recevoir l'ordre de produire des avocats toute l'année. Si je peux créer une ferme en polyculture, je n'ai pas à me conformer à l'idée que je dois produire des citrons verts persans simplement parce que cela rapporte plus. Ce que je dois faire, c'est mettre en place une ferme agroécologique ou une association qui garantisse la durabilité environnementale, qui permette de dire non à la monoculture.
Autrement dit, la souveraineté alimentaire est une proposition articulée du mouvement paysan, liée à une proposition politique en matière d'alimentation, de territoires, de biens communs et de l'ensemble de notre environnement. C'est pourquoi nous affirmons que, dans nos communautés, nous devons garantir cela afin d'assurer une durabilité environnementale et productive avec les personnes paysannes. Mais la souveraineté alimentaire est aussi un drapeau de lutte du mouvement. Cela fait plus de 30 ans que nous la célébrons, car c'est une conquête : celle de la prise de conscience, par les paysan·nes du monde, que produire selon une logique de souveraineté alimentaire, c'est garantir tous ces éléments : la terre, l'eau, le marché, une production durable, et l'accès à l'alimentation pour les communautés paysannes.
C'est tout un ensemble d'éléments qui convergent pour garantir la production et la consommation alimentaires à ces échelles, mais aussi pour faire en sorte que les agriculteur·rices puissent bénéficier d'avantages productifs issus de marchés sûrs, de circuits solidaires, d'échanges de semences — car tous ces éléments font partie intégrante de la souveraineté.
Qui sont les acteur·rice·s clés et quel rôle devraient-iels jouer pour rendre la souveraineté alimentaire possible ?
Récemment, nous avons parlé de l'agriculture familiale. En effet, dans de nombreux endroits, comme dans notre propre pays (la République dominicaine), il existe un plan national pour l'agriculture familiale. Pourquoi ? Parce que les acteur·rice·s clés de ce processus sont les familles, les paysan·ne·s, avec une vision de la production qui prend aussi en compte la perspective des femmes.
Ces dernières années, nous avons également pris conscience que nous faisons partie de ce rôle productif dans le pays, bien que nous soyons souvent invisibilisé·e·s. Les jeunes aussi, qui, d'une certaine manière, à travers tout le processus que nous menons, se sont engagé·e·s dans la production au niveau national. C'est pourquoi nous comprenons également qu'iels sont des acteur·rice·s clés de la production paysanne.
Depuis ces espaces, nous avons compris que nos pays doivent s'engager dans ce que beaucoup d'autres ont déjà accompli : une réforme agraire intégrale. Je peux vous dire qu'en République dominicaine, nous sommes actuellement en lutte autour de l'Institut agraire dominicain, qui a proposé une résolution visant à l'intégrer au Ministère de l'Agriculture, et non à en faire un organe autonome. Or, nous pensons que ce n'est pas juste, car la première chose dont doit disposer un·e paysan·ne, c'est la terre. Une terre légale, sécurisée, qui garantisse, à travers une proposition de réforme, la possibilité de produire.
C'est pourquoi les acteur·rice·s clés dans ce pays luttent pour l'accès à la terre, malgré le fait que nous ayons une loi agraire, un code, et même – sur la question de genre – une résolution inscrite dans le code foncier qui garantit le droit des femmes à la propriété foncière. Tout ce processus est en cours et cette résolution sera transmise au ministère de l'agriculture.
Toute cette lutte historique du monde paysan est en train de se perdre, car ici, dans ce pays, le processus de cadastrage et de réorganisation foncière a commencé en 1951, et les paysan·ne·s y ont participé activement. Aujourd'hui, les acteur·rice·s que nous avons identifié·e·s dans les propositions de lois, les programmes que nous avons portés pour garantir la souveraineté alimentaire ainsi que la propriété foncière et des ressources dans ce pays, continuent de brandir, comme on dit, le drapeau de la lutte, car nous avons le sentiment que le fruit de tant d'années de travail est en train de nous échapper.
Ce sont donc ces acteur·rice·s-là qui sont aujourd'hui au cœur du processus. Pour conclure : les femmes et les jeunes sont des act·eur·rice·s essentiel·le·s. Il est crucial de les rendre visibles parmi les acteur·rice·s et les décideur·euse·s, sur la base des propositions juridiques que je viens d'évoquer – des propositions issues directement de la paysannerie – et qui, aujourd'hui, doivent être appliquées de manière plus efficace pour soutenir ce que nous faisons en tant que product·eur·rice·s nationaux·ales.
Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels est confrontée la souveraineté alimentaire dans la région ?
Je pense que le premier défi, c'est de faire en sorte que la souveraineté alimentaire fasse partie de l'agenda des décideur·euse·s, qu'elle continue à être un drapeau de lutte, d'action, d'influence pour les mouvements sociaux. Qu'elle reste aussi au cœur du savoir et de la formation des nouvelles générations. Car nos jeunes doivent comprendre que ce n'est pas juste un concept abstrait : c'est un principe qui doit se transformer en action, en garantie d'accès aux ressources, à ce que nous possédons, à ce que nous produisons.
Je vous donne un exemple : il y a actuellement une lutte très forte autour de l'extractivisme minier. Pourquoi ? Parce qu'il détruit nos forêts, nos eaux, parce que la production alimentaire a diminué. Parce que beaucoup considèrent aujourd'hui qu'il vaut mieux importer que produire localement. La production alimentaire a diminué par rapport à il y a 10 ou 15 ans.
Pour nous, le grand défi est de maintenir vivante cette proposition comme agenda d'État, comme agenda pour le mouvement, des communautés et pour tout ce qui nous arrive, à nous, les nouvelles générations qui arrivent. Je pense que la question de la formation basée sur l'objectif de la souveraineté alimentaire constitue également un grand défi.
Nous préparons actuellement notre grand congrès latino-américain de la Coordination latino-américaine des organisations rurales (CLOC), un acteur de premier plan dans la défense de la souveraineté alimentaire. Même si cette proposition vient initialement de l'agenda de La Via Campesina Internationale, elle a été largement adoptée par la CLOC, qui l'a transformée en actions concrètes.
En ce moment, nous nous organisons pour faire en sorte que la souveraineté alimentaire ne soit pas simplement un axe transversal, mais bien un pilier central de tout le processus de formation, de coordination et d'organisation de ce grand congrès, qui se tiendra au Mexique. Nous devons l'intégrer dans tout ce que nous faisons : dans le cadre de ce mécanisme, de cette grande feuille de route internationale caribéenne, mais aussi à travers des alliances stratégiques. Il faut faire comprendre à la paysannerie qu'elle a le droit de produire et de consommer ce qu'elle cultive, et que cela ne sera possible qu'à travers un véritable processus d'éducation, d'autonomisation et de reconnaissance de ses savoir-faire.
Prenons l'exemple de la commercialisation : c'est un combat très difficile, car les intermédiaires nous encerclent, et chaque jour, ils remplacent la production paysanne par des monocultures.
Par exemple, moi, je vis dans une région caféière. Nos fermes pratiquent une agriculture en association : café, baies, chayotes, et toutes ces cultures qui nous nourrissent. Mais on a fini par croire qu'il fallait récolter le café et tout arracher pour planter des avocats, parce que c'est ce qui rapporte de l'argent. Résultat : une production qui ne nourrit même plus les paysan·ne·s, qui épuise nos sols et aggrave la crise de l'eau, l'un des principaux axes de travail actuellement.
En République dominicaine, il existe un institut appelé Institut latino-américain Florinda Soriano Muñoz, que nous appelons Mama Tingó. L'un des aspects essentiels de notre travail, sur les fermes que nous visitons dans le cadre de différents projets menés au sein des communautés, est la mise en valeur des fermes agroécologiques.
Ces fermes sont en cours de préparation, d'organisation, et servent de lieux de pratique et d'échange avec les jeunes, mais aussi au sein même de la paysannerie. Nos groupes s'appellent des convites, parce que nous avons compris que ce sont comme des invitations à se rencontrer et à partager.
Sur ces fermes, nous mettons aussi en œuvre toute une série de mesures visant à garantir l'aspect agroécologique de l'environnement dans lequel nous évoluons. C'est pourquoi nous travaillons, par exemple, à la plantation d'arbres d'essence forestière, à l'évaluation des types de cultures déjà présents, pour élargir l'association culturale selon la taille de la parcelle, les variétés disponibles, les ressources en eau, et l'impact du changement climatique dans la zone.
Nous menons ce travail dans plusieurs régions, notamment là où nous avons des étudiant·e·s impliqué·e·s. Les mesures que nous adoptons incluent également les échanges de semences à travers des foires communautaires, et toute notre signalétique est alignée sur les principes de la souveraineté alimentaire. Nous élaborons aussi des brochures et des matériaux pédagogiques, afin que les paysan.ne.s comprennent et partagent les savoirs liés à tous les processus que nous mettons en place. C'est cette approche que nous privilégions : que les paysan·ne·s puissent non seulement en parler, mais aussi la mettre en pratique, avec par exemple des barrières vivantes, des cultures associées ou encore de la production animale.
Nous organisons aussi des foires. Par exemple, dans ma communauté, il y a une foire appelée Peralta Puede, où l'on expose et vend tout ce qui est produit localement, aussi bien dans la communauté qu'à la campagne. Ces foires sont de véritables espaces d'échange – culturel, agricole, social. Nous y partageons nos savoirs et animons de nombreux ateliers et discussions sur ces thématiques. Nous préparons également une sorte de moment symbolique et mystique, car ces foires, qui ont lieu en août, sont aussi des moments de célébration.
Je pense qu'il faut faire connaître tout cela, le faire entendre, car je vous le dis : les 30 ans de célébration de la souveraineté alimentaire dans le cadre de la CLOC–Via Campesina, ça a demandé énormément d'efforts, d'échanges, de visibilité, d'ateliers, de forums, de webinaires, de tout… Parce que, malgré tout cela, le concept reste encore mal compris.
Et en plus, il y a eu sur ce chemin des processus négatifs : des discours, des politiques, des intérêts qui nous vendent une vision totalement contraire à la nôtre. Et pourtant, nous sommes toujours là.
Parce que la sécurité alimentaire n'est pas la souveraineté alimentaire. Et pour garantir une véritable sécurité alimentaire, il faut d'abord assurer la souveraineté alimentaire. Ce sont là des éléments que nous avons réussi à mettre en lumière au fil du temps, sans affrontement, mais en partant des réalités concrètes que vivent les communautés. C'est ainsi que, peu à peu, nous avons commencé à rendre visible ce qui était invisibilisé.
Que diriez-vous aux gens sur l'importance de la souveraineté alimentaire ?
Je dirais que les effets du changement climatique que nous vivons aujourd'hui peuvent être atténués grâce aux fermes agroécologiques. Et que même la production animale, qui a diminué ces dernières années, fait partie de ce que nous devons défendre comme revendication paysanne.
Comme je l'ai dit au début : c'est une proposition paysanne, et je suis convaincue qu'elle n'est possible que si nous nous unissons davantage, si nous l'intégrons en nous, et surtout, si nous la mettons en pratique. Il faut que la ou le paysan·ne à côté de vous comprenne qu'il ou elle ne peut pas avancer seul·e, car l'équilibre écologique du territoire est alors perdu. Il faut sensibiliser nos communautés au fait que la souveraineté alimentaire, c'est la garantie d'une terre saine, la garantie de notre eau, la garantie d'une production paysanne durable, et la garantie d'une alimentation saine, respectueuse des conditions sanitaires essentielles. C'est aussi la préservation de nos forêts et de nos équilibres naturels.
La souveraineté alimentaire, il faut la défendre dans son ensemble, dans toute sa globalité. Comme le disent nos camarades d'Amérique centrale : le droit à la vie, c'est la souveraineté alimentaire, c'est le droit au bien-vivre. Le droit à la vie et le droit au bien-vivre.
C'est pour cela que nous disons la souveraineté alimentaire, c'est maintenant — pas plus tard. Parce que les générations futures, si nous n'agissons pas, ne la trouveront plus. C'est maintenant qu'il faut garantir ce droit fondamental.
L'appel est donc le suivant : unissons-nous d'une seule voix, d'une seule main, avec nos propositions, avec nos décisions, et lorsque nous nous asseyons avec les décideurs pour prendre des décisions, nous partons avec des propositions claires.
Cette année, un événement majeur aura lieu, totalement aligné avec les principes de la souveraineté alimentaire, où les expériences du monde entier seront mises en lumière. C'est donc un appel à l'unité, à la coordination, et à l'engagement, pour que nous participions à tout ce qui peut être construit au niveau national, régional et continental.
Cet article est une version traduite de l'interview qui a été publiée pour la première fois sur Saludable Saberlo.
Cette publication est également disponible en English.
https://viacampesina.org/fr/des-voix-de-la-republique-dominicaine-la-souverainete-alimentaire-est-le-droit-a-la-vie-et-le-droit-de-bien-vivre/
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Dix ans après Ni Una Menos : Féminisme, résistance et avenir

Le 3 juin 2015, le meurtre de Chiara Páez, une adolescente enceinte de Santa Fe, par son petit ami, a déclenché l'une des mobilisations les plus puissantes de l'histoire récente de l'Argentine. Sous le slogan #NiUnaMenos (Pas une de moins), une foule est descendue dans la rue pour dire « Ça suffit » au féminicide et à toutes les formes de violence fondée sur le genre. Cette journée a marqué un tournant dans le processus d'organisation féministe qui s'est déployé depuis le retour de la démocratie dans les communautés, les syndicats, les établissements de santé et d'enseignement, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'État. Ce rassemblement massif a donné le coup d'envoi d'un cycle de mobilisation sociale féministe contre le néolibéralisme, qui s'est rapidement étendu à toute l'Amérique latine.
13 juin 2025
Depuis lors, Ni Una Menos a cessé d'être une simple expression. Il est devenu un slogan transversal, intergénérationnel et continental. Sur les places de Buenos Aires, Lima, Santiago, Montevideo et Mexico, des milliers de femmes et de dissidents ont commencé à s'organiser. Des assemblées, des réseaux de soutien, des collectifs artistiques, des grèves féministes et des campagnes pour la légalisation de l'avortement là où il n'existait pas encore ont vu le jour. Cela a créé les conditions pour la réémergence d'un sujet politique qui avait été très présent depuis le milieu des années 70 et tout au long de la décennie suivante : Le féminisme populaire latino-américain, qui a transformé la douleur en organisation et la colère en force de transformation.
Nous sommes tous des travailleuses : Entre violence sexiste et violence économique
Dès sa création, le mouvement Ni Una Menos a montré que la violence sexiste ne pouvait être comprise isolément : elle est profondément liée à l'inégalité économique, à la précarité de l'emploi, à l'endettement et aux multiples formes d'exploitation qui touchent particulièrement les femmes et les dissident-es. Mais elle a aussi forgé une scène de réarticulation de l'énergie féministe dans toutes les sphères de la vie sociale, organisationnelle et politique.
À travers les grèves internationales des femmes - promues depuis 2016 par une assemblée dynamisée par des collectifs féministes, des mouvements sociaux, des syndicats, des partis politiques, des groupes de diversité de genre, des réseaux antiracistes et des groupes de migrant-es - le slogan a été amplifié : « Si nos vies ne valent rien, produisez sans nous ». La grève féministe a remis en question le système économique d'un point de vue radical. Elle a mis en évidence le fait que le travail de soins, qui est principalement non rémunéré et féminisé, soutient le fonctionnement du capitalisme. Elle a exigé que l'on reconnaisse que nous sommes toutes des travailleuses, non seulement dans l'emploi formel, mais dans tous les espaces où la vie est produite et reproduite.
En outre, Ni Una Menos a intégré la dénonciation de l'endettement comme forme d'assujettissement : de nombreuses femmes sont contraintes de s'endetter pour survivre ou pour couvrir ce que l'État ne garantit pas. Cette violence économique est aussi une violence de genre. Ainsi, le féminisme a proposé un nouveau cadre pour penser la justice sociale : il ne peut y avoir d'émancipation sans redistribution, ni de liberté sans autonomie économique.
Ce n'est pas la liberté, c'est le néolibéralisme : La guerre contre la justice sociale
Dix ans après les premiers 3J (3 juin, date de la première mobilisation du mouvement qui a tout déclenché), le féminisme est confronté non seulement à ses luttes historiques, mais aussi à une offensive conservatrice globale qui cherche à délégitimer les transféminismes et toutes les formes de mobilisation populaire de la dernière décennie, dans le cadre d'un renforcement idéologique de la droite radicalisée dans le réarmement du néolibéralisme financier, dans sa phase la plus extrême et la plus néocoloniale.
En 2024, le gouvernement argentin de Javier Milei est entré en fonction en promettant de réaliser « le plus grand ajustement du monde ». Sur le total des réductions de dépenses en 2024, les pensions contributives et les prestations de retraite représentaient 24 %, les investissements directs réels dans les travaux publics 15 %, les transferts aux provinces 16 %, les subventions énergétiques 10 %, les programmes sociaux 11 % et les salaires 8 %.
Sous la rhétorique de la « liberté » individuelle, de l'austérité fiscale et de la « tronçonneuse », se cache une politique de destruction de l'État et d'ajustement structurel qui frappe les secteurs les plus vulnérables : les retraité-es dont les pensions ont perdu jusqu'à 35 % de leur valeur en raison de l'inflation, couplée à des coupes dans les médicaments gratuits essentiels et à une augmentation de 29 % de la pauvreté. La réaction comprend des coupes budgétaires dans les politiques d'égalité des sexes, la criminalisation de l'activisme féministe et l'amplification de la violence sociale et de rue à l'encontre des minorités sexuelles et de genre. On tente de revenir au discours de la famille traditionnelle, de remettre en question l'éducation sexuelle complète et d'effacer le langage inclusif.
Cet assaut conservateur est également soutenu par le discrédit jeté sur des acquis tels que l'avortement légal, les lois sur l'identité sexuelle et les quotas d'emploi pour les transsexuel-les. Au nom de l'« ordre » fiscal, l'économie populaire est également démantelée par l'élimination des politiques de soutien aux coopératives et aux travailleurs et travailleuses informelles, ce qui plonge des milliers de personnes dans la pauvreté.
Dans le même temps, la mémoire, la vérité et la justice sont persécutées : les politiques en matière de droits humains sont démantelées, les institutions historiques sont délégitimées et le terrorisme d'État est nié. Le personnel de l'État dans les secteurs des soins, y compris la santé et l'éducation, est déficitaire et asphyxié par des réductions de salaire. Ces secteurs sont considérés comme des dépenses, tout comme ceux qui se consacrent spécifiquement à la promotion des connaissances scientifiques et techniques dans le pays.
Ces actions ne représentent pas une véritable liberté, mais plutôt une offensive néolibérale qui transforme les droits en privilèges, redistribue le pouvoir et les ressources à des secteurs de pouvoir concentrés, vide l'État de son rôle et s'attaque au cœur même de la justice sociale gagnée au fil de décennies de lutte.
Face à ce scénario, le mouvement féministe se trouve à un nouveau carrefour : comment maintenir ses acquis, protéger ses espaces et répondre à la haine par une plus grande organisation et davantage d'actions de rue. Les réseaux construits au cours des dix dernières années seront la clé de la résistance. Mais il est également nécessaire de renouveler les stratégies, d'ajouter de nouvelles voix et de renforcer la coordination avec d'autres mouvements sociaux.
Dix ans après Ni Una Menos : unir les luttes contre l'avancée du néofascisme
Le féminisme n'est pas seulement une lutte pour les droits des femmes. Aujourd'hui, plus que jamais, il s'agit d'une lutte contre toutes les formes d'autoritarisme et d'exclusion. Dans un contexte mondial où les projets politiques néo-fascistes - xénophobes, anti-féministes et anti-droits - progressent, le défi est clair : construire une unité large, plurielle et combative qui affronte la haine par le bas.
Dix ans après Ni Una Menos, dans un contexte difficile pour la stratégie de rue, les organisations féministes ont appelé à l'unification des luttes pour la défense des retraité-es, qui depuis des mois se mobilisent et font face à une répression hebdomadaire de la part du gouvernement libertarien, mais aussi de toutes les personnes affectées par ce projet politique visant à redonner le pouvoir de classe aux secteurs concentrés du pouvoir, principalement le secteur financier.
Le 4 juin 2025, une foule nombreuse et diversifiée s'est mobilisée devant le Congrès argentin pour protester contre les coupes budgétaires promues par le président Javier Milei. La marche a rassemblé des retraité-es, des enseignant-es, des scientifiques, des médecins, des personnes handicapées, des activistes sociaux et des féministes, unifiant des revendications qui avaient été exprimées séparément.
L'expérience féministe de cette décennie a montré qu'il est possible de changer les règles du jeu. Mais elle a aussi montré une extraordinaire sensibilité aux conflits auxquels la société est confrontée face aux processus de dépossession des droits et de destruction des conditions de vie de la majorité populaire.
Lors du dernier 4J, convoqué par Ni Una Menos, les rues sont redevenues un territoire de résistance. Ce fut peut-être la plus plébéienne de toutes ces dix dernières années à cette date, soutenue notamment par les réseaux économiques et politiques déployés dans les quartiers populaires. Malgré l'objectif du néolibéralisme libertarien de briser tous les liens de solidarité communautaire et de décourager toute forme de participation politique et sociale, iels étaient là, aux côtés de leurs camarades, embrassant les travailleuses de Garrahan - le principal centre de soins pédiatriques à haute complexité d'Argentine - en lutte, les familles de personnes handicapées qui ont été la cible d'attaques de la part des fonctionnaires, et les travailleuses qui se sont mobilisées avec leurs syndicats.
La place était également remplie de camarades féministes de la table ronde œcuménique qui accompagne systématiquement la mobilisation des retraité-es, et la communauté travestie-trans était également présente, qui depuis 2014 s'organise pour exiger des réparations historiques pour la persécution systématique et la violence institutionnelle qu'elle a historiquement subies.
Cette place nous a également rappelé que, face à la peur et au sentiment de vulnérabilité et de malaise, il existe une force plus puissante : la solidarité, l'empathie, la résistance et l'organisation de la base. Parce qu'unies, réorganisées et avec de la mémoire, nous continuons à crier : Pas une de moins, nous voulons vivre, libres et sans dettes.
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Argentine : En chemin vers octobre, en passant par septembre

Les récentes élections en ville autonome de Buenos Aires (Ciudad Autónoma de Buenos Aires), des législatives de troisième ordre découplées des nationales pour la première fois, ont eu un fort impact politique, et ont pris une dimension et une importance sans équivalent jusqu'ici, qui dépasse le nombre de sièges obtenus par les différentes forces. C'est à dire que leurs résultats influeront sur les législatives nationales d'octobre prochain et très possiblement se ressentiront jusqu'à la présidentielle de 2027.
Tiré de Inprecor
11 juin 2025
Par Edouardo Lucita
Javier Milei © United States of America - CC BY-SA 2.0
Les urnes ont désigné La liberté avance (LLA, la coalition de droite qui soutient Milei) pour vainqueur indiscutable. À la différence des cinq élections provinciales antérieures, là, le pouvoir en place localement a perdu. L'insistance présidentielle à vouloir nationaliser et donner aux élections de cette année (spécialement aux nationales d'octobre) un caractère plébiscitaire sur la gestion de son gouvernement a transformé ces législatives locales en une sorte de quasi référendum. Avant cela, il devra passer par les élections de septembre dans la Province de Buenos Aires.
Les résultats des autres forces politiques, qui nécessiteraient des analyses particulières, permettent d'anticiper un macrisme qui est en train de perdre son identité et s'estompe de jour en jour, et un péronisme qui n'a pas fait une mauvaise élection mais qui n'est pas arrivé à dépasser son score historique dans la ville. En fonction des résultats d'octobre, il est possible que commence à se dessiner la future carte politique.
Pendant ce temps, l'économie continue en mode électoral. Comme je l'ai signalé dans une note antérieure, le gouvernement a besoin que le plan anti-inflation fonctionne pour gagner les élections, en même temps qu'il a besoin de gagner les élections pour que le plan ait des possibilités de fonctionner au-delà d'octobre.
Trois aspects émergents de ces élections provoquent des controverses interprétatives et de sérieux défis. En synthèse :
a) Caractérisation du triomphe de LLA : ceux qui essaient de minimiser le coût de ce triomphe ajoutent que 30 % des votes exprimés obtenus par cette alliance, représentent seulement 17 % de l'ensemble des électeurs. Que ce vote a eu besoin de l'appui du grand patronat, de l'accord du FMI et de la pression du ministre de l'Économie sur les faiseurs de prix pour garder le dollar et l'inflation sous contrôle. Qu'il a dû tirer parti, pendant la campagne, de la figure présidentielle, car effectivement, le candidat a juste réussi à dire « Je suis Milei ».
Comme d'autres, nous donnons une autre valeur à ces résultats électoraux, nous ne méconnaissons pas l'impact de ces variables et le poids de l'appareil d'État, mais nous reconnaissons que plusieurs d'entre elles font partie du jeu pré-électoral. Le résultat fournit au gouvernement un fort soutien politique et LLA peut se présenter comme étant le représentant dominant (pas encore hégémonique) de la droite et de l'ultradroite native. En général et comme cela a été signalé dans un article de La Nacion, « la politique continue à l'état liquide, même si Milei et les siens représentent le plus solide de cette scène ».
Cette montée en puissance lui permet d'affronter les prochaines élections nationales avec les plus grands espoirs quant à sa représentation parlementaire et surtout d'avancer dans les réformes structurelles en accord avec le FMI et le grand patronat, et aussi d'incarner, durant les deux prochaines années de mandat son projet de transformation radicale intégrale (économique, sociale et culturelle) de la société argentine. Au cours de cette semaine, il a déjà enclenché différentes initiatives régressives, abrogation de droits, changement dans la politique des droits humains et dans les études historiques, en même temps qu'une nouvelle et plus forte répression lors de la marche des retraités.
b) Taux bas de participation : la participation aux élections est une autre donnée centrale de cette élection. Elle a baissé de 12 points par rapport aux élections antérieures locales, de plus de 20 par rapport à la moyenne historique de ce type d'élections. Et cela, dans le district électoral le plus politisé et avec les citoyens les plus informés du pays. Ce qui renforce la tendance nationale qui s'exprime élection après élection depuis plusieurs années.
Le vote témoigne aussi d'une coupure de classe. Cela le différencie des temps du macrisme, qui progressait dans toutes les communes. Au contraire, maintenant, dans les communes du nord où se situent les revenus familiaux les plus élevés, c'est LLA qui a gagné, alors que dans les grands bidonvilles de Buenos Aires et dans le sud où se concentre la population la plus humble et pauvre, c'est le péronisme qui a gagné, et c'est même dans certaines de ces communes que le FITU a enregistré le plus haut pourcentage. Mais c'est aussi dans ces communes sudistes qu'a été enregistré le taux d'abstention le plus élevé. Les résultats dans la Commune 8 sont emblématiques qui vont dans ce sens, selon les analystes. Cette Commune anticipe d'habitude le vote de toute la périphérie de Buenos Aires…
La baisse continue de la participation est vue par certains secteurs comme un acte de rébellion face à l'insatisfaction généralisée. À tel point qu'un programme l'a caractérisée comme étant un silencieux « qu'ils s'en aillent tous ». Cette caractérisation part des élections précédentes de 2001 où il y a eu de l'abstention mais aussi beaucoup de votes blancs et nuls. Et comme nous le savons, il y a des différences qualitatives entre les utilisations de l'un ou de l'autre. Le blanc et le nul impliquent une attitude active du votant, qui prend la peine d'aller voter pour manifester son rejet et son indignation, alors que l'abstention est, dans le meilleur des cas, l'expression d'un non-conformisme passif. Je crois que ce dernier a prévalu dans ces élections, un non-conformisme qui peut aussi être interprété comme résignation, reflet de vastes secteurs de la société qui se sont installés dans la crise et qui attendent que celle-ci se résolvent toute seule. LLA s'accommode de ce niveau d'abstention. Dans des contextes d'apathie généralisée, ceux qui réussissent à consolider des noyaux durs peuvent s'imposer, sans nécessité de construire d'ample majorité. Je m'en remets à ce que dit l'un des consultants qui était décrit : « On voit très clairement comment le bas niveau de participation bénéficie à LLA (La Liberté Avance), qui est en train de consolider un noyau dur et, avec des scores aux élections entre 30 et 35 %, est en train de s'imposer », avertit le consultant Santiago Giorgetta.
c) Le problème démocratique. Le régime démocratique libéral est remis en question par la logique du gouvernement. C'est aussi une tendance mondiale. La dévalorisation des institutions, l'accoutumance aux discours violents qui dévalorisent ou empêchent la politique, le recours aux décrets spéciaux émis par le président, la possibilité de verser de l'argent sur le marché sans en connaître la provenance, la persécution des journalistes, les répressions continues, l'agression des autres forces politiques, et maintenant plus seulement de gauche… Ce qui s'est passé avec la fausse vidéo sur laquelle Macri changerait sa position politique est un appel à la vigilance. Si cela se passe lors d'une élection de troisième ordre, que peut-il arriver sur le chemin vers octobre, et même pire lors de la présidentielle ?
Lentement, l'idée fait son chemin d'un bon sens qui accepterait de remettre en cause les droits civils, et lentement se dessine un chemin chaque jour plus autoritaire. Cela fait partie de la bataille culturelle qu'impulse le président Milei. Une dérive des plus périlleuse si la riposte n'arrive pas à temps.
Le 20 mai 2025
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Etats-Unis - Los Angeles. « Il s’agit d’un projet d’ingénierie démographique déguisé sous le langage de l’application de la loi »

[La police de Los Angeles a déclaré avoir procédé à plus de 300 arrestations de manifestants au cours des deux derniers jours. Selon The Guardian du 11 juin, ces arrestations seraient une sorte de contrefeu déclaré par le gouverneur démocrate Gavin Newsom pour faire échec à l'administration Trump qui a mobilisé l'armée et la Garde nationale « pour accompagner les agents de l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) lors de leurs raids dans toute la ville de Los Angeles ». Ce qui qualifie, à sa façon, l'orientation politique du démocrate Gavin Newsom face à l'offensive suprémaciste blanche de Donald Trump et Stephen Miller.
Or, comme le souligne The Guardian, « des travailleurs agricoles ont rapporté que des agents de l'immigration ont envahi le cœur agricole de la Californie, les agents fédéraux ciblant apparemment les champs et les entrepôts de la côte centrale jusqu'à la vallée de San Joaquin. Des groupes de défense des immigrants ont déclaré que les agents poursuivaient les travailleurs dans les champs de myrtilles et menaient des opérations dans des installations agricoles. »
L'économie de la Californie repose très largement dans son secteur agricole sur le travail des travailleurs et travailleuses immigré·e·s – « réguliers ou irréguliers ». La vague de répression – sous l'égide de l'ICE – déstabilise la structuration de l'emploi dans ce secteur, ce qui susciter quelques oppositions de grands propriétaires. En effet, « selon le département de l'Université de Californie consacré à la situation des travailleurs agricoles, l'UC Merced, environ 255 700 travailleurs agricoles en Californie sont sans papiers ».
Toujours selon The Guardian, les raids contre les ouvriers du textile, les employés des stations de lavage, les diverses catégories de travailleurs journaliers s'inscrivent d'abord dans l'objectif fixé par Stephen Miller, le chef de cabinet adjoint de Trump, d'atteindre le quota de 3000 arrestations par jour, mais s'insèrent aussi dans une bataille politique contre des dirigeants démocrates. Toutefois, il faut replacer cette offensive anti-immigré·e·s dans un contexte d'une sorte de guerre aux couleurs du suprémacisme blanc. Ce qui se révèle dans les termes du discours militaire de Trump qui qualifie de manifestant·e·s Los Angeles d'« animaux » et se propose de « libérer Los Angeles ». Ce que l'écrivaine Jean Guerrero soulignait déjà le 10 juin dans l'entretien que nous publions ci-dessous. – Réd. A l'Encontre]
11 juin 2025 - tiré du site alencontre.org - Photo : Jean Guerrero (à g.). « Retourner chez nous sans danger, nous ne le pouvons pas » (à d.)
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-los-angeles-il-sagit-dun-projet-dingenierie-demoa-lgraphique-deguise-sous-le-langage-de-lapplication-de-loi.html
***
Entretien avec l'écrivaine et journaliste Jean Gerrero conduit par Amy Goodman et Juan González du média en ligne Democracy Now !
Amy Goodman : Pourriez-vous commencer par nous décrire les manifestations dans les rues à Los Angeles ? Y avez-vous participé ? Et parlez-nous de ce recours sans précédent de la force militaire, et du Parti républicain, le parti qui défend les droits des Etats, ainsi que du président Trump qui met en question les droits des Etats en faisant intervenir l'armée américaine [Garde nationale et Marines, ces derniers mobilisés suite à l'ordre du secrétaire à la Défense Pete Hegseth], contre la volonté de la maire locale, Karen Bass, et du gouverneur de Californie, le gouverneur démocrate de Californie Gavin Newsom.
Jean Guerrero : Je tiens à être claire sur ce qui se passe ici à Los Angeles. Le gouvernement fédéral envahit les communautés multiculturelles de Los Angeles pour les terroriser. L'ICE (Immigration and Customs Enforcement) se présente devant les écoles, devant les magasins Home Depot [chaîne de distribution pour l'équipement de la maison], devant d'autres lieux de travail. Ils arrêtent des gens dans la rue, devant leur domicile, devant leurs enfants, souvent sans mandat.
Mais ce qui se passe au cours des manifestations, c'est que des personnes de toutes les races et de tous les horizons risquent leur vie pour protéger leurs amis, leurs voisins, les membres de leur famille contre ces arrestations. Et c'est magnifique à voir. Hier [9 juin], j'étais à l'une de ces manifestations, où j'ai parlé à des grands-mères blanches, qui sortent pour protéger les personnes qu'elles aiment et qu'elles craignent de voir arrêtées par l'ICE. J'ai parlé à des Latinas qui ont peur d'être victimes de profilage racial et d'être arrêtées en raison du caractère aveugle de ces arrestations, mais qui n'hésitent pas à risquer leur vie, car elles sont citoyennes et croient qu'elles doivent utiliser leur privilège pour défendre les personnes qui leur sont chères.
Et ces manifestations ont été largement pacifiques. Vous savez, ce sont des gens qui veulent dire à l'ICE qu'ils ne sont pas les bienvenus dans leurs communautés. Et ce à quoi nous assistons, c'est à une provocation. Vous savez, le déploiement de la Garde nationale et des Marines contre la volonté des dirigeants californiens, c'est une atteinte à la souveraineté de l'Etat de Californie, et c'est une tentative de provoquer les Angelenos [habitants de Los Angeles, « originaires de Los Angeles »] pour les pousser à un affrontement violent. Ils veulent que les manifestant·e·s réagissent violemment pour détourner l'attention de ce qui se passe réellement, à savoir que des familles sont séparées, que nos communautés sont dévastées et que les habitants de Los Angeles se lèvent pour dire : « Nous ne tolérerons pas cela. » Mais l'administration tente de les pousser à la violence, de les qualifier de rebelles afin de justifier une répression fédérale généralisée et de créer des images virales qui détourneront l'attention des Américains de la réalité effroyable : l'ICE kidnappe des membres estimés de la communauté et détruit des familles.
Juan González : Et, Jean, vous avez publié sur les réseaux sociaux : « Le programme de Trump en matière d'immigration n'a rien à voir avec la loi et l'ordre. Il s'agit de remodeler la démographie raciale de ce pays. » Pourriez-vous développer cette idée, notamment en ce qui concerne le fait que Stephen Miller, le conseiller clé de Trump, a qualifié cela de « lutte pour la civilisation » ?
Jean Guerrero : Vous savez, cette répression est une affaire personnelle pour Stephen Miller. Comme je le raconte dans mon livre, Hatemonger, lorsqu'il était lycéen à Los Angeles, il s'en prenait souvent à ses camarades latino-américains et immigrés, leur disant de « parler anglais » et de retourner dans leur pays d'origine. A l'époque, il était critiqué pour ses opinions, et il a passé sa carrière à essayer de punir les communautés qui l'avaient rejeté.
Ces expulsions massives n'ont rien à voir avec la sécurité aux frontières. Elles n'ont rien à voir avec la criminalité. Elles visent à détruire le tissu multiculturel de villes comme Los Angeles. Et je tiens à le répéter : il ne s'agit pas de lutter contre la criminalité. N'oublions pas que dès son premier jour au pouvoir, le président Trump a gracié les personnes qui ont violemment agressé les forces de l'ordre lors de l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Trump et Miller ne sont donc pas contre la criminalité. Ils ne sont pas contre les membres de gangs. En fait, dans mon livre, je relate en détail les rêves de jeunesse de Miller, qui voulait devenir gangster. Ce qu'ils font, c'est diriger un Etat mafieux qui utilise les immigrant·e·s comme boucs émissaires pour nous asservir tous.
Donc, encore une fois, ils se moquent de l'ordre public. L'obsession centrale de Miller n'a jamais été l'immigration illégale. Elle a toujours été l'immigration légale. C'est pourquoi, dès le premier jour, vous avez assisté à une attaque d'ensemble contre les demandeurs d'asile : l'étouffement du régime d'asile, les restrictions à l'obtention de la carte verte (carte de résident permanent), l'attaque contre le droit du sol. Et maintenant on tente d'invoquer la loi sur l'insurrection pour expulser des personnes sans distinction, simplement en raison de la couleur de leur peau. Donc, encore une fois, il ne s'agit pas de sécurité nationale. Il s'agit d'un projet idéologique d'ingénierie démographique déguisé sous le langage de l'application de la loi. Et Los Angeles résiste.
Juan González : Pourriez-vous nous parler du nombre de journalistes qui ont également été blessés par les forces de l'ordre ces derniers jours à Los Angeles ?
Jean Guerrero : Plusieurs journalistes, dont certains de mes collègues, ont été touchés par des balles en caoutchouc. Certains ont été hospitalisés. Je crois que PEN America [organisation créée en 1922 pour la défense des droits de l'homme, la libre expression et le développement de la littérature] a recensé au moins 27 agressions contre des journalistes à Los Angeles depuis le 6 juin. Les reporters sont visés par des balles en caoutchouc et des gaz. Et c'est très inquiétant, car ces balles dites non létales peuvent, en fait, être mortelles. Le journaliste chicano respecté Rubén Salazar a été tué par une grenade lacrymogène en 1970 alors qu'il couvrait des manifestations à Los Angeles. Ce souvenir reste vivant dans l'esprit des journalistes de la ville, en particulier des journalistes latino-américains qui tentent de dénoncer les injustices qui se produisent dans leurs communautés.
Amy Goodman : Jean Guerrero, pouvez-vous nous parler de ce qui se passe actuellement à Los Angeles, où toute l'attention est concentrée en raison de la décision sans précédent de Trump et de Hegseth, le secrétaire à la Défense, de faire appel aux Marines et à des milliers de membres de la Garde nationale et de les fédéraliser ? Mais en réalité, cela se produit dans tout le pays. Pouvez-vous nous en dire plus sur les deux hommes dont vous parlez dans votre livre, Hatemongers : Stephen Miller, Donald Trump, and the White Nationalist Agenda ? Stephen Miller dit que les agents de l'ICE doivent se rendre dans les magasins 7-Eleven et Home Depot, ce qui est très différent de Trump qui parle d'arrêter les meurtriers et les violeurs et de porter le nombre d'arrestations à 3000 par jour. On assiste donc à des arrestations massives au Texas et en Arizona. A ce stade, nous n'y prêtons même pas attention à cause de la militarisation de Los Angeles.
Jean Guerrero : Ce que vous voyez, c'est en quelque sorte une amplification exponentielle de ce que nous avons vu pendant le premier mandat, à savoir que des ressources sont retirées d'enquêtes sérieuses sur la sécurité intérieure, sur le trafic de drogue et la traite des êtres humains, pour financer l'ICE et atteindre ces quotas d'êtres humains à arrêter afin de satisfaire l'appétit de Miller pour la répression des immigrant·e·s, qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière.
Et une chose qui n'a pas reçu suffisamment d'attention et que je tiens à souligner, c'est que ce qui se passe à Los Angeles, c'est que les gens risquent leur vie non seulement pour résister à ce qui se passe, pour résister à ces enlèvements de membres estimés de leur communauté, mais aussi pour documenter, dénoncer et témoigner de ce qui se produit. Ils enregistrent des vidéos de mères arrachées à leurs enfants, arrêtées devant les tribunaux, de femmes enceintes malmenées dans la rue et placées en détention, de pères séparés de leurs filles en larmes. Et ces images sont cruciales, car chaque acte documenté ébranle la réalité alternative que Trump et Stephen Miller ont créée. Cette « réalité alternative » dans laquelle ils sont censés réprimer les gangsters, les violeurs et les criminels dangereux. Je ne saurais trop insister sur l'importance de cela.
L'administration intensifie les expulsions à un rythme sans précédent, ce qui signifie qu'elles sont plus visibles que jamais. Auparavant, elles se déroulaient dans l'ombre. Aujourd'hui, tout le monde peut les voir partout. Et les gens sortent leurs téléphones. Ils enregistrent ce qui arrive à leurs proches, à leurs amis, à leurs voisins. Du coup, ces expulsions, ces arrestations sont de plus en plus difficiles à présenter sous un faux jour, ce qui menace le discours que Trump et Stephen Miller ont passé des années à répandre.
Je crois donc sincèrement que si Los Angeles refuse de se laisser entraîner dans la violence, reste disciplinée et continue à dénoncer sans relâche la manière dont l'ICE kidnappe les innocents et ce que l'ICE fait réellement aux membres éminents de notre communauté, tout cela finira par se retourner contre l'administration Trump. Ainsi, la tentative de Trump de semer le chaos dans nos communautés finira par s'effondrer sous le poids de sa propre cruauté.
Juan González : Je voulais vous interroger sur le conflit qui oppose manifestement les élus californiens et l'administration Trump. Vous savez, j'étais là-bas en tant que journaliste en 1992, lors des émeutes de Los Angeles [suite à l'acquittement de 4 policiers blancs qui avaient, en mars 1991, passé très brutalement à tabac Rodney King, un Afro-Américain]. Et il n'y a vraiment aucune comparaison possible entre les événements du week-end dernier et ceux de 1992. A l'époque, 60 personnes – plus de 60 personnes – ont été tuées, 12 000 ont été arrêtées, plus d'un millier de bâtiments ont été endommagés. Et même lorsque le président George H.W. Bush [1989-1993] a fait appel à la Garde nationale, 30 personnes avaient déjà été tuées. Et il l'a fait à la demande d'un gouverneur républicain, Pete Wilson, et d'un maire démocrate, Tom Bradley. Parlez-nous de la différence entre la réaction des élus actuellement et l'excuse invoquée par Trump pour faire appel à la Garde nationale et aux Marinesw.
Jean Guerrero : Comme je l'ai dit, la majorité de ces manifestations sont pacifiques. Vous voyez des enfants dans ces rassemblements.
Ce sont des personnes qui essaient simplement de manifester pacifiquement et de dire au gouvernement fédéral qu'elles ne veulent pas que les personnes qu'elles aiment à Los Angeles soient kidnappées. La dernière fois qu'un président a pris une telle mesure, c'est-à-dire envoyer la Garde nationale contre la volonté du gouverneur, c'était en 1963 pour faire respecter la déségrégation en Alabama [assurer l'accès aux écoles ségréguées face à la campagne de la droite raciste républicaine, entre autres le gouverneur de l'Alabama George Wallace]. La mobilisation présente de la Garde nationale et des Marines est donc vraiment sans précédent.
Et honnêtement, c'est de l'autoritarisme pur et simple. Vous voyez bien que Trump parle maintenant d'arrêter Gavin Newsom et d'autres dirigeants californiens ! D'un côté, c'est choquant, mais de l'autre, c'est tout à fait prévisible. C'est ce que font les gouvernements autoritaires. Ils utilisent les immigrant·e·s comme prétexte pour s'en prendre à l'opposition. Et les immigré·e·s ne sont que la première cible. Si vous lisez la littérature nationaliste blanche qui a inspiré des gens comme Stephen Miller, elle diabolise non seulement les immigrés respectueux de la loi, mais aussi tous ceux qui les défendent. Les pires ennemis dans cette littérature ne sont pas les immigrés, même s'ils sont décrits comme des monstres, des bêtes et des menaces pour la civilisation occidentale. Les pires ennemis dans cette littérature – et je parle ici de livres comme Le Camp des Saints [roman dystopique de Jean Raspail datant de 1973 dans lequel il décrit la destruction de la civilisation occidentale par les immigrés] que Stephen Miller a ouvertement promu – les pires ennemis sont les alliés blancs des immigrants, les politiciens, les militants et les gens ordinaires qui leur témoignent de l'empathie. Ce sont ces gens qui sont, je cite, « contaminés par le lait de la bonté humaine », comme le dit l'un des livres qui a formaté Miller.
Ainsi, la conclusion logique des politiques de Trump n'est pas seulement le nettoyage ethnique, mais aussi le nettoyage idéologique. Il s'agit d'une purge non seulement des personnes, mais aussi des principes. Ils veulent éliminer tous ceux qui croient en la compassion envers « les étrangers », qui croient aux droits des immigré·e·s, qui croient en une démocratie multiculturelle ou multiraciale. C'est une vision des Etats-Unis où vous n'êtes américain que si vous choisissez cette haine. Et si vous choisissez l'amour ou la compassion, vous faites partie de ceux qui empoisonnent le sang de ce pays. Je ne suis donc pas surprise de voir le président s'en prendre à des innocents qui ne sont pas seulement les immigrants de nos communautés, mais aussi ceux et celles qui les défendent, qu'ils soient blancs, noirs, bruns, de toutes les couleurs, et qui expriment simplement leur humanité et leur compassion pour les autres. (Transcription partielle de l'entretien avec Jean Gerrero animé par Amy Goodman et Juan González du média en ligne Democracy Now !, 10 juin 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Jean Guerrero est chroniqueuse au New York Times et autrice du livre Hatemonger : Stephen Miller, Donald Trump, and the White Nationalist Agenda (? William Morrow Paperbacks, 2021).
Dans Le Monde du 10 juin, Piotr Smolar décrit « l'idéologue en chef de la Maison Blanche », Stephen Miller. Piotr Molnar écrit que Stephen Miller célébrait le 1er mai l'initiative de Donald Trump pour combattre « la culture communiste “woke” cancérigène qui détruisait notre pays, nous conduisant à croire que les hommes sont des femmes, que les femmes sont des hommes, que la discrimination raciale [contre les Blancs] est bonne, que le mérite est mauvais, et que la sûreté et la sécurité physique importent moins que les sentiments des idéologues libéraux ».
*****
Une offensive conjointe
David Huerta

L'offensive de Trump et Miller contre les travailleurs migrants participe aussi de l'attaque contre le mouvement syndical, ce qui fait partie du programme de Trump et de la Heritage Foundation. Une illustration de la pratique de ce régime autoritaire est fournie par l'arrestation du dirigeant syndical David Huera, ce que décrivent le 9 juin deux journalistes du Guardian, Michael Sainato et Chris Stein. – Réd.]
David Huerta, président du Service Employees International Union California et du SEIU United Service Workers West, servait d'observateur communautaire lors d'une opération de l'ICE à Los Angeles vendredi 6 juin, lorsque des agents fédéraux l'ont arrêté pour entrave à l'exercice de leurs fonctions.
Il a d'abord été hospitalisé pour des blessures subies lors de son arrestation, puis libéré vendredi soir. Des vidéos diffusées en ligne montrent des agents plaquant au sol David Huerta, avant de lui passer les menottes.
« Ce qui m'est arrivé ne me concerne pas personnellement ; il s'agit de quelque chose de beaucoup plus important. Il s'agit de la manière dont nous, en tant que communauté, nous nous unissons et résistons à l'injustice qui se produit », a déclaré David Huerta. « Des personnes qui travaillent dur, des membres de notre famille et de notre communauté, sont traités comme des criminels. Nous devons tous nous opposer collectivement à cette folie, car ce n'est pas justice. C'est une injustice. Et nous devons tous nous ranger du côté de la justice. »
David Huerta a finalement été inculpé de complot visant à entraver l'action d'un agent et libéré lundi sous caution de 50 000 dollars, à l'issue d'une audience à Los Angeles. Mais sa détention est devenue un cri de ralliement pour des dirigeants syndicaux à travers les Etats-Unis, qui ont appelé à la fin des rafles contre les immigré·e·s et à l'utilisation de la Garde nationale pour réprimer les manifestations à Los Angeles. […]
« David a été le premier à dire qu'il ne s'agissait pas seulement de lui », a déclaré Becky Pringle, présidente de la National Education Association, le plus grand syndicat du pays. « Nous savons ce que fait cette administration, c'est pourquoi nous disons à Donald Trump et à tous ses alliés : nous ne ferons pas, nous ne ferons pas des immigré·e·s des boucs émissaires. »
Jaime Contreras, vice-président exécutif du SEIU 32BJ, qui représente les travailleurs du nord-est des Etats-Unis, a déclaré que le combat de David Huerta servirait de cri de ralliement pour ses membres et ses partisans, car « il y a beaucoup plus de gens qui sont d'accord avec nous qu'avec eux. David est pour nous… un leader syndical, un frère, un membre du syndicat, un leader respecté en Californie, et nous sommes ici pour lui faire savoir qu'il n'est pas seul. Nous n'allons pas rester les bras croisés. Il y a toujours une prochaine élection, donc nous ferons payer tout le monde dans les urnes le moment venu. » [Une affirmation qui traduit la permanence d'une orientation d'une grande partie de l'appareil syndical face au système bipartisan. – Réd.]
A New York, le président du SEIU 32BJ, Manny Pastreich, a déclaré aux membres du syndicat et aux manifestants qui soutenaient David Huerta : « Tout ce qui nous est cher est attaqué. Les syndicats, les travailleurs, la liberté, les communautés immigrées, les soins de santé, la Constitution, nos frères et sœurs syndicalistes. » (Extraits de l'article du Guardian du 9 juin ; traduction rédaction A l'Encontre)
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États-Unis. Projet de loi budgétaire et guerre sociale

Si un satiriste avait tenté de parodier une loi visant à voler les salarié·e·s pour enrichir les riches, il n'aurait pas pu faire mieux que le « grand et beau projet de loi » que la Chambre des représentants des Etats-Unis a adopté à une voix près le 22 mai [215 pour, 214 contre, dont deux républicains].
2 juin 2025 - tiré du site alencontre.org - Photo : Donald Trump et le président républicain de la Chambre des représentants Mike Johnson s'adressant à la presse à propos du « One Big Beautiful Bill Act », 20 mai 2025.
Trump a baptisé de ce nom ridicule de « grande et belle loi » ce projet massif de 1100 pages qui augmente le déficit budgétaire des Etats-Unis de 4000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie [1]. Il intègre tous les plans du Parti républicain visant à réduire les impôts des plus riches, tout en augmentant les dépenses et en mettant en péril la santé et l'éducation de millions de membres des classes laborieuses.
Dans le même temps, il prévoit pour la première fois un budget militaire supérieur à 1000 milliards de dollars par an et une expansion considérable de l'appareil de déportation de migrant·e·s (U.S. Immigration and Customs Enforcement's-ICE) qui est au cœur du programme de Trump.
Dans quelle mesure cette « grande et belle loi » favorise-t-elle les riches ? Le Congressional Budget Office (en date du 20 mai), un organisme non partisan, a montré que ce projet de loi réduirait les revenus des ménages les plus pauvres (les 10% les plus pauvres) jusqu'à 4% par an, tout en augmentant les revenus des plus riches (les 10% les plus riches) jusqu'à 4% par an. Si l'on examine ces transferts en dollars, on constate que les 40% les plus pauvres de la population perdent de l'argent, tandis que les 0,1% les plus riches gagnent environ 390 000 dollars !
Ces changements sont le résultat cumulé de réductions d'impôts qui favorisent les revenus les plus élevés et de coupes drastiques dans le programme Medicaid (l'assurance maladie publique pour les personnes pauvres et handicapées) et le programme SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program – aide alimentaire pour les personnes à faibles revenus). Les coupes dans ces deux programmes essentiels s'élèvent à plus de 1200 milliards de dollars sur dix ans. Le journaliste spécialisé dans les statistiques G. Elliott Morris a résumé la situation ainsi : « Les républicains veulent que vous payiez plus pour avoir moins. » (Strengh In Numberts, 23 mai 2025)
Une autre conséquence moins connue sera la réduction obligatoire de 500 milliards de dollars du budget de Medicare, le programme d'assurance maladie publique pour les personnes âgées. Avec les prestations de sécurité sociale versées aux personnes âgées et handicapées, Medicare est si populaire qu'il est généralement considéré comme « à l'abri » des coupes budgétaires. A l'origine formelle de cette mesure d'austérité se trouve la loi « Pay As You Go Act » – adoptée par le Congrès démocrate en 2010, dirigé par la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi et le président Barack Obama – qui impose des coupes obligatoires dans ces programmes si le déficit budgétaire fédéral dépasse certains niveaux.
Les conséquences de ces coupes seront dévastatrices dans un pays où 4 personnes sur 10 ne peuvent pas réunir 400 dollars en cas de nécessité urgente et où près de 80% des habitants déclarent vivre « au jour le jour » (Forbes, 2 avril 2024). Les analystes prévoient que jusqu'à 15 millions de personnes perdront leur couverture santé, car le gouvernement fédéral impose des restrictions plus strictes sur les personnes pouvant bénéficier des prestations sociales et les Etats ne sont pas en mesure de combler les lacunes.
Medicaid n'est pas seulement un programme destiné aux Américains les plus pauvres. Grâce à la loi de 1997 sur l'assurance maladie pour les enfants (Children's Health Insurance Act) et à la loi de 2010 sur les soins abordables (Affordable Care Act), Medicaid fournit désormais une aide à l'assurance maladie à près de 80 millions d'Américains. En fait, il compte plus d'adhérents que Medicare.
Ainsi, à bien des égards qui ne sont pas tout à fait évidents, Medicaid est un soutien essentiel pour des millions d'Américains de la classe laborieuse. Il est le principal bailleur de fonds des maisons de retraite et des soins à domicile pour les personnes âgées et handicapées. Dans de nombreuses régions urbaines et rurales des Etats-Unis, il soutient les infrastructures de santé publique. Une enquête de la Kaiser Family Foundation a révélé que 65% des personnes interrogées ont bénéficié de Medicaid, soit elles-mêmes, soit un membre de leur famille ou un ami proche.
Ces coupes budgétaires ne sont pas populaires. Dans aucune des 435 circonscriptions électorales, il y a plus de 15% des électeurs et électrices qui soutiennent les coupes dans le programme d'aide alimentaire SNAP. Même Steve Bannon, le conseiller d'extrême droite de Trump, a mis en garde les républicains contre les coupes dans Medicaid. Mais ils l'ont fait quand même. Et même les républicains de la Chambre des représentants qui avaient juré de ne pas soutenir un projet de loi réduisant Medicaid ont voté en sa faveur. Ils vont maintenant passer des mois à jouer sur les mots pour essayer d'expliquer que leur vote n'était pas en faveur d'une « réduction », mais pour autre chose.
Dans une autre attaque contre les classes populaires, le projet de loi réduit également les bourses d'études qui aident les étudiants à faibles revenus à financer leurs études universitaires. Jusqu'à 4 millions d'étudiants seront touchés. Et de nouvelles dispositions applicables aux prêts étudiants augmenteront les remboursements et allongeront la durée de la dette pour la plupart des bénéficiaires.
Ce compte rendu ne s'est concentré que sur les coupes dans les soins médicaux, l'aide alimentaire et le soutien à l'éducation. L'idée que Trump et les républicains soient désormais en quelque sorte un « parti de la classe ouvrière » est donc risible.
Mais le reste du projet de loi est une liste de souhaits trumpistes, qui prévoit notamment : une multiplication par 13 du budget du système carcéral de l'ICE ; la possibilité pour l'administration de supprimer le statut d'exonération fiscale de toute organisation à but non lucratif qu'elle juge politiquement inacceptable ; l'interdiction pour les Etats de réglementer les technologies d'intelligence artificielle ; et même la limitation de la capacité des plaignants à demander des injonctions judiciaires pour bloquer les mesures prises par l'administration.
Le projet de loi est désormais entre les mains du Sénat, où certains républicains ont promis de ne pas le soutenir et ont appelé à des modifications importantes, etc. Ne les croyez pas. La plupart des détracteurs estiment que ce projet de loi ne va pas assez loin dans la réduction des dépenses. L'appel du sénateur Josh Hawley (républicain du Missouri) à « ne pas réduire Medicaid » dans une tribune publiée dans le New York Times du 12 mai relève davantage du spectacle politique que de la conviction.
En fin de compte, ce projet de loi représente l'intégralité du programme de politique intérieure de Trump et des républicains. Et même si le Sénat peut y apporter quelques modifications mineures, il sera adopté par le Congrès dans son intégralité. Au Sénat, où le Parti républicain détient une majorité de 53 sièges contre 47, trois républicains peuvent voter contre et le projet de loi sera tout de même adopté grâce à la voix décisive du vice-président JD Vance.
D'ici l'automne, la classe laborieuse des Etats-Unis commencera à subir la plus grave attaque législative dont elle ait été victime depuis plus d'un demi-siècle. (Article reçu le 31 mai ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Donald Trump, sur sa plateforme Truth Social, a réagi ainsi à l'adoption du budget : « La grande et belle loi a été adoptée à la Chambre des représentants ! C'est sans doute le texte législatif le plus important qui sera signé dans l'histoire de notre pays. »
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ICE, hors de Los Angeles ! Retirez la Garde nationale ! Arrêtez la campagne de terreur contre les communautés immigrées !

Depuis plusieurs jours, des manifestations ont éclaté contre les raids de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) dans les communautés immigrées populaires de la région de Los Angeles. La plupart des raids de l'ICE ont eu lieu dans le quartier des ateliers de confection et dans les lieux de rassemblement des travailleurs immigrés journaliers à la recherche d'un emploi. Plus de 100 travailleurs prétendument sans papiers, originaires du Mexique et d'Amérique centrale, ont été arrêtés. Une centaine d'autres ont été arrêtés pour avoir défendu ces travailleurs, dont David Huerta, président du California Service Employees International Union (SEIU). Huerta a dû être hospitalisé pour les blessures qu'il a subies.
10 juin 2025 - tiré d'Inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4797
En réponse à la résistance de la communauté latino-américaine à ce terrorisme de l'ICE, le gouvernement Trump a mobilisé la Garde nationale californienne contre les manifestants, tandis que Peter Hegseth, le secrétaire à la Défense, a menacé de faire appel aux Marines. Gavin Newsom, gouverneur de Californie, et Karen Bass, maire de Los Angeles – tous deux démocrates – se sont publiquement opposés à l'appel de la Garde nationale, mais ils n'ont pas demandé à la Garde nationale californienne ni au département de police de Los Angeles (LAPD) de refuser de coopérer. En fait, sous la direction de Bass, le LAPD a collaboré avec les autorités fédérales tant lors des raids que lors de la répression des manifestations. Un journaliste a déjà été blessé par balle.
Cette descente est une escalade de la détermination de l'équipe Trump à terroriser les communautés immigrées. Mais ces communautés et leurs alliés ont pris la défense des immigrés. Avide de combat, Trump a mobilisé la Garde nationale afin de souligner sa vision d'une Amérique blanche.
Le Comité national de Solidarity est solidaire des communautés immigrées et de ceux qui protestent contre ce terrorisme. Nous demandons le retrait immédiat de toutes les forces armées et la libération immédiate de tous les manifestants.
Cessez de qualifier les immigrés de criminels ! Cessez de terroriser les immigrés !
Garde nationale et autres forces armées, sortez de Los Angeles ! ICE, sortez de nos villes et de nos communautés !
Amnistie pour le leader du SEIU David Huerta et tous les manifestants arrêtés !
Défendez le droit de manifester !
Publié le 9 juin 2025 par Solidarity
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États-Unis : soulèvement des migrant·es et des secteurs populaires

Mégaphone en main, la femme crie : « Nous les voyons pour ce qu'ils sont, une organisation terroriste. ICE (Immigration and Customs Enforcement), hors de Paramount. Vous n'êtes pas les bienvenus ici. » À leurs côtés, d'autres femmes brandissent des drapeaux américains et mexicains et des banderoles rejetant les raids et les déportations, entourées de nuages de gaz lacrymogènes tirés par la Garde nationale depuis ses véhicules blindés.
12 juin 2025 - tiré du Entre les lignes entre les mots -
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/12/etats-unis-soulevement-des-migrants-et-des-secteurs-populaires-et-autres-textes/
Pendant que cela se passait à Los Angeles, le président Trump a envoyé deux mille soldats. Mais les manifestants ont tenu tête à l'ICE et aux agents de l'immigration, ce qui a donné lieu à plus de 50 arrestations en deux jours, déclenchant une crise politique alors que les autorités locales rejettent les décisions du gouvernement fédéral.
La chasse aux migrants – l'ICE poursuivait littéralement les gens dans la rue – a provoqué une réaction populaire qui a mis en évidence les fissures dans les institutions de l'État, les chefs de la police de la ville et du comté de Los Angeles s'étant désolidarisés des actions, affirmant que leurs subordonnés n'étaient pas impliqués dans les arrestations. Dans certains cas, les manifestants ont encerclé les installations de l'État où les migrants étaient acheminés par bus.
L'épicentre de la révolte des migrants est la ville de Paramount, une ville de 51 000 habitants dont huit sur dix sont d'origine latinoaméricaine. Depuis la ville voisine de Los Angeles, nous avons contacté Lucrecia, une migrante mexicaine autochtone, qui nous a fait part de ses réflexions.
« Ce que nous voyons dans les rues, c'est le mécontentement de nombreuses personnes contre ce gouvernement fasciste. Ces deux dernières années, il a été important de voir comment la communauté des migrants et d'autres secteurs de la société de ce pays sont descendus dans la rue. Toutes les manifestations de l'année dernière contre le génocide en Palestine montrent que les gens en ont assez. Ce que nous voyons, c'est la force et le courage des jeunes qui ont des papiers, mais qui se rebellent contre l'état actuel des choses ».
Lucrecia raconte : « J'ai été impressionnée par la façon dont on s'occupait des sans-papiers, et ce sont eux qui sortent maintenant dans la rue pour éviter d'être expulsés. Cette solidarité qui est née depuis l'année dernière, l'attention portée aux personnes les plus vulnérables, est quelque chose de remarquable. Ceux qui mettent leur corps dans la rue sont des citoyens avec des papiers qui sont contre la politique de Trump ».
Interrogée sur le rôle des différents secteurs, sexes et générations, elle déclare : « Les femmes et les jeunes ont joué un rôle fondamental dans ce processus. Il y a une génération de jeunes et d'adultes dont les parents ont émigré et qui sont nés ici, qui constituent la grande majorité de ceux qui sont dans la rue. Les jeunes apprennent avec des personnes âgées de 40 à 60 ans, et ce n'est pas un hasard si cela se produit à Los Angeles, car il y a ici une histoire de résistance qui leur permet d'élargir l'horizon de leurs luttes, parce que les jeunes apprennent des luttes du passé, et maintenant ils parlent de fascisme, de racisme, de colonialisme, et cela les amène à voir leur lutte non pas comme quelque chose d'isolé, mais comme liée à ce qui se passe au niveau international ».
Lucrecia est convaincue que ce qui se passe en Californie est très similaire au scénario que nous observons habituellement en Amérique latine. Les gens continuent de sortir, de les affronter et n'ont pas peur d'eux. La peur est due à la forte présence de l'État, mais les gens savent qu'il est temps de s'organiser et de descendre dans la rue. La plupart des personnes qui sont dans la rue ont réglé leur statut migratoire. C'est très important car ils ne se battent pas pour quelque chose de personnel, mais pour la dignité de l'emploi et de la vie ».
Enfin, nous l'avons interrogée sur la continuité des manifestations, car en d'autres occasions, il y a eu des explosions qui se sont ensuite calmées. « Il est très difficile de maintenir des manifestations dans ce pays. Après les grandes manifestations sur la Palestine, on ne parle plus et on ne mentionne pas la façon dont l'État réprime de manière très profonde. Mais la répression ne va pas arrêter ce qui a déjà été déclenché. Cela ne s'arrêtera pas, même si la façon dont ils répriment est dévastatrice. Non, il n'y a aucun moyen d'arrêter cela. Les gens connaissent les conséquences, mais ils continuent. »
Raúl Zibechi
Source : https://desinformemonos.org/estados-unidos-levantamiento-de-migrantes-y-sectores-populares/
https://www.cdhal.org/etats-unis-soulevement-des-migrants-et-des-secteurs-populaires/
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