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Comptes rendus de lecture du mardi 21 octobre 2025

21 octobre, par Bruno Marquis — , ,
Comment tout peut changer Naomi Klein avec Rebecca Steffof Traduit de l'anglais J'aime bien Naomi Klein, dont j'ai lu plusieurs livres au cours des années. « Comment tout (…)

Comment tout peut changer
Naomi Klein avec Rebecca Steffof
Traduit de l'anglais

J'aime bien Naomi Klein, dont j'ai lu plusieurs livres au cours des années. « Comment tout peut changer » est un excellent guide pour conscientiser les adolescents aux réalités du réchauffement planétaire et les mobiliser en vue de la justice climatique et sociale. Naomi Klein et Rebecca Steffof y décrivent l'état du réchauffement, son historique et les solutions envisagées jusqu'ici. Elles offrent surtout un grand nombre d'exemples d'implication chez les jeunes et de précieux outils pour s'attaquer sérieusement au problème. Le livre fait superbement le tour de la question, que ce soit pour les plus jeunes ou non, mais il le fait malheureusement – et c'est le seul reproche que j'ai à lui faire – en grande partie et presque exclusivement en référence à l'anglosphère.

Extrait :

Alors que les générations précédentes de militants se concentraient sur les symptômes de la crise environnementale et climatique, la vôtre s'attaque au système même qui accorde la priorité aux profits au détriment de la vie et de l'avenir du climat. Plastique : le grand emballement

Le Secret du star-system américain
Paul Warren

Ce livre avait tout pour me plaire et il m'a plu. Les techniques les plus efficaces des films de Hollywood sont invisibles nous raconte l'auteur. Elles sont invisibles, mais jamais innocentes. En se déroulant en nous, à notre insu, elles nous enroulent dans les mythes fondateurs de la culture américaine. En bref, « Le Secret du star-system américain » démonte pour nous les produits de la machine hollywoodienne pour nous en exhiber les rouages. Ce livre nous amène à jeter un regard bien différent sur l'essentiel des films américains.

Extrait :

Je me propose d'analyser les stratégies du réaction shot à travers une quinzaine de films américains qui ont été, qui sont, des succès de box-office. Nous verrons comment cette technique est déterminante dans l'articulation et l'entraînement de la séquence filmique, dans le dressage de l'œil et l'arrimage de la salle à l'écran ; comment elle produit le montage invisible et, partant, l'impression de réalité nécessaire au processus d'identification générateur de suspense ; combien elle contribue au comportement réaliste de l'acteur, au people acting de la star, ce type de jeu qui donne l'impression au spectateur qu'il réagirait ainsi s'il se trouvait dans la même situation, mieux, que c'est ainsi qu'il réagit puisque aussi bien il se trouve, par vedette interposée, dans cette situation-là.

Hommes de maïs
Miguel Ángel Asturias
Traduit de l'espagnol

Ce chef-d'œuvre de la littérature de l'écrivain guatémaltèque Miguel Ángel Asturias a été publié en 1949. L'intrigue tourne autour d'une communauté indigène isolée, formée de descendants mayas, les hommes de maïs, dont la terre est menacée par des étrangers qui cherchent à en faire une exploitation purement commerciale. Gaspar Hom, l'un des leurs, mène la résistance contre les colons qui, en le tuant dans l'espoir de contrecarrer la rébellion, en font un héros populaire. Pourtant, rien ne semble pouvoir empêcher les hommes de maïs de perdre leurs terres… Son style lyrique, inspiré des traditions orales mayas, et sa singularité font des « Hommes de maïs » un roman exceptionnel.

Extrait :

Le maïs pousse pour que l'homme puisse manger, l'avoine pour nourrir les chevaux, l'herbe pour faire brouter le bétail, les fruits pour régaler les oiseaux ; mais les fuchsias ne sont que des ornements aux couleurs exquises, des porcelaines vivantes où le plus savant artiste a combiné les tons les plus simples. Il arriverait à la fin de ses jours, en mâchant du copal, sans avoir éclairci ce problème. Celui qui fait quelque chose, c'est pour que quelqu'un l'en admire, mais la nature produit ces fleurs dans des endroits où personne ne les voit. L'homme qui saurait créer ces miniatures de porcelaine avec tout le mystère de leurs colorations et qui les laisserait se détériorer sans les sortir de son atelier passerait pour un égoïste ou pour un fou ; et lui-même, en voyant son talent si mal apprécié, sentirait que son effort était une chose vaine, une duperie. La duperie dont ces belles fleurs étaient victimes chagrinait Chigüichon Culebro.

Une belle histoire du temps
Stephen Hawking
Traduit de l'anglais

Stephen Hawking, décédé en 2018, était un grands physicien. « Une belle histoire du temps » est une œuvre de vulgarisation qui réussit à nous rendre compréhensibles les grandes théories scientifiques des derniers siècles. L'auteur s'arrête plus longuement sur Galilée, Newton et Einstein, mais nous fait aussi découvrir les nombreuses théories développées depuis les anciens Grecs jusqu'à maintenant. Il nous éclaire sur les différentes tentatives d'explication de l'Univers, de la théorie de la gravitation de Newton à la relativité d'Einstein, en passant par l'accélération de l'expansion de l'Univers et les trous noirs. Une belle histoire sur l'état de nos connaissances de l'Univers jusqu'à maintenant.

Extrait :

Nos idées actuelles sur les mouvements des corps remontent à Galilée et Newton. Avant eux, tout le monde croyait Aristote, qui pensait que l'était naturel des corps était le repos et qu'ils ne se mettaient en mouvement que sous l'effet d'une force ou d'une poussée. Ce qui sous-entendait qu'un corps lourd devait tomber pus vite qu'un corps léger puisqu'il subissait une attraction plus forte vers la Terre. Par ailleurs, la tradition aristotélicienne prétendait qu'on pouvait déduire de notre seule réflexion toutes les lois gouvernant l'Univers : nul besoin de vérifier par l'observation. Si bien que personne avant Galilée n'avait pris la peine de vérifier si des corps de poids différents tombaient à des vitesses différentes. La légende veut que ce soit en lâchant plusieurs poids du haut de la tour penchée de Pise que Galilée démontra qu'Aristote se trompait. L'anecdote a peu de chance d'être vraie ; en revanche, il réalisa une expérience équivalente en faisant rouler sur un plan incliné des balles de poids différents. Le procédé s'apparente à celui qui consiste à laisser tomber des corps verticalement, mais l'observation est facilitée par le fait que la vitesse du corps en déplacement est plus faible. Les mesures de Galilée montrèrent que la vitesse de tous les corps augmente de la même façon. Par exemple, si vous laissez rouler une boule sur une pente qui décline d'un mètre tous les dix mètres, la boule descendra à une vitesse d'environ un mètre par seconde, que que soit son poids. Évidemment, dans la pratique, un morceau de plomb tombe plus vite qu'une plume, mais c'est parce que la plume est ralentie par la résistance de l'air. Si on lance des objets qui offrent peu de résistance à l'air, comme des morceaux de plomb de poids différents, ils arriveront en même temps – nous verrons pourquoi par la suite. Sur la Lune, où il n'y a pas d'air pour ralentir les objets, l'astronaute David R. Scott en fit l,expérience en 1971, durant la mission Apollo 15, et constata qu'effectivement le morceau de plomb et la plume touchaient le sol en même temps.

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Le plan de « Paix » de Donald Trump compromis par le Hamas ?

Précisons d'emblée qu'au sens du droit international, le Hamas n'est pas considéré comme une organisation « terroriste » mais comme un organe de « résistance » (toujours au (…)

Précisons d'emblée qu'au sens du droit international, le Hamas n'est pas considéré comme une organisation « terroriste » mais comme un organe de « résistance » (toujours au sens de ce même droit international qu'Israël bafoue impunément depuis huit décennies) à l'occupation israélienne « illégale » des territoires palestiniens qui, de fait, est « en droit » d'utiliser les moyens nécessaires (incluant la violence armée) pour exercer ce « droit » en tant qu'ils constituent un acte de « légitime défense » à cette occupation. Ce statut officiel qui reconnaît l'existence légitime d'un (ou plusieurs) groupe organisé dans sa lutte de « libération » ne signifie pas que les actions entreprises par celui-ci échappent aux règles de la guerre instituées par l'ONU depuis 1945 ; ce « droit », qui veut encadrer, autant que faire se peut, les conflits entre Nations (ou pays, entités nationales, ethniques, politiques, religieuses) se concentre principalement (quoique non seulement) sur la sécurité des civils lorsque ces conflits dégénèrent en guerres ouvertes qui vont nécessairement causer des dommages qu'on dit « collatéraux » ; en d'autres termes, il s'agit de protéger ceux qui ne participent pas directement aux altercations et qui se retrouvent, bien souvent malgré eux, au cœur des bombardements de part et d'autre, des attaques, contre-attaques, mouvements de troupes, échanges de tirs, de roquettes, envois de missiles, etc.

À ce titre, l'intrusion du Hamas (accompagné par d'autres factions de résistance palestinienne) en Israël le 7 octobre peut être considérée comme une infraction à ce « droit » encadrant la sécurité des civils dans la mesure où des citoyens, n'ayant rien à voir directement avec l'occupation israélienne des territoires palestiniens (ni avec le corps armé d'Israël), ont été pris en otage ou ont péri sous le coup de la fusillade qui a accompagné cette opération « militaire ». Il faut toutefois être très prudent avec ce type d'accusation étant donné l'instrumentalisation qu'en ont fait des responsables de l'armée israélienne après l'événement et qui ont été reproduite telle quelle par les grands médias occidentaux sans aucune vérification d'usage afin d'en confirmer l'exactitude.

Ce n'est qu'en vérifiant, après coup, auprès d'intervenants « crédibles » (parce que « neutres » dans ce conflit) et expérimentés en la matière2, que l'on a pu se rendre compte de l'arnaque médiatique qui tenait lieu d'information à propos de cette attaque soi-disant « terroriste » menée par plusieurs organisations de résistance palestinienne en territoire israélien. Mentionnons seulement ces faits et ce contexte qui permettent de suspendre, ne serait-ce que temporairement, notre jugement sur le caractère « illégal » de l'opération « Déluge d'Al-Aqsa » : le festival de musique tenu à la frontière de la Bande de Gaza était inconnu de la part des milices palestiniennes avant leur intervention car, à l'origine, elles avaient l'intention de capturer des soldats israéliens et non pas des civils ; des responsables israéliens avaient prévenus de la dangerosité de la tenue de ce rendez-vous « culturel » à ce moment et à cet endroit sans que cet avertissement ait été pris au sérieux par les organisateurs ; un grand nombre de victimes « civiles » l'ont été du fait de la panique des forces de l'ordre israéliennes, décontenancées par l'opération (« Déluge d'Al-Aqsa ») qu'elles n'avaient pas prévue ; elles ont tiré à qui mieux mieux dans la foule, sacrifiant ainsi leurs compatriotes sans distinction ; de toute façon, la Directive « Hannibal » délivrée par le Commandement de l'armée stipule qu'en cas de prise d'otages, les militaires ont le choix de ne pas tenir compte des prisonniers dans leurs interventions, ceux-ci constituant une entité négligeable dans la lutte contre le terrorisme islamique. C'est cette Directive qui a été mise en œuvre.

Pour le reste de cette entente supposée garantir la « Paix » à Gaza, on est face à des propositions, des processus, des conditions tout à fait grotesques tellement elles frisent le ridicule et l'imposture. Exiger le désarmement du Hamas alors qu'Israël mène délibérément une guerre dans l'enclave, c'est retirer aux Palestiniens ce qu'il leur reste encore de possibilité d'auto-défense et de résistance à l'occupation « sauvage » de leur territoire par l'État hébreu qui ne cache plus sa volonté colonisatrice de réduire les habitants de la Palestine de confession « non-juive » à un statut citoyen de seconde zone (inscrit à même la Constitution) et de réaliser le projet sioniste du Grand Israël au Proche-Orient comme le souhaite l'extrême-droite présente à la Knesset ; cette même extrême-droite suprémaciste qui affirme sans ambages son objectif premier dans cette « négociation » : installer des « colonies » juives dans cette région enfin débarrassée des Musulmans dont l'infériorité « naturelle » face aux Juifs permet à ces derniers d'en disposer à leur guise.

On croirait à une énorme « farce » (ou à un malicieux canular) si les suites de cet échec annoncé ne représentaient pas un clou de plus enfoncé dans le cercueil des droits de l'Homme bafoués avec fierté par Nétanyahou et son gouvernement, guidés dans leur délire génocidaire par des fanatiques tels Ben-Gvir et Smotrich (Force Juive) qui souhaitent ouvertement terminer le « nettoyage » entamé depuis la création de l'État d'Israël (et accéléré depuis le 7 octobre 2023) avec la complicité des puissances occidentales. Comme dans le théâtre de l'absurde, c'est sur le mode de la « dérision » et du propos loufoque qu'il faut considérer cette initiative de « Paix » venant d'un des plus grands bouffons que notre modernité ait secrété et qui va vraisemblablement se terminer en queue de poisson ; et non pas sur le mode sérieux, volontaire et sincère tel qu'adopté par la plupart des médias qui ne semblent pas se rendre compte de la digression utilisée pour mener à terme le somptueux projet immobilier d'une Riviera palestinienne, érigée sur les décombres de ce qu'aura été un crime contre l'Humanité.

Mario Charland

Notes
1.« Les armes du Hamas pointées sur le plan de paix de Donald Trump », Le Devoir, 15 octobre 2025.
2.Je pense, en particulier, au Colonel suisse Jacques Baud qui a une longue expérience « diplomatique » en matière de géopolitique et qui prend toujours position de façon rigoureuse en s'évertuant à rendre compte des faits de façon « objective », même ceux qui interpellent notre sens de l'humanité de façon tragique...

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Shawinigan

L’Organisation maritime internationale confrontée à des producteurs de pétrole

21 octobre, par Michel Gourd — ,
Des pays majoritairement producteurs de pétrole ont réussi à faire reculer d'un an l'adoption d'une réglementation qui aurait permis une décarbonisation totale dans le (…)

Des pays majoritairement producteurs de pétrole ont réussi à faire reculer d'un an l'adoption d'une réglementation qui aurait permis une décarbonisation totale dans le transport maritime vers 2050.

Après quatre jours d'intenses négociations, les États-Unis, la Russie, l'Arabie saoudite, et d'autres pays ont réussi le 17 octobre à bloquer une taxe mondiale sur les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime. La proposition de reporter d'un an le vote sur l'adoption de la nouvelle réglementation a été portée au vote par l'Arabie Saoudite et l'Organisation maritime internationale (OMI) a ajourné sa réunion.

Cette situation contraste avec ce qui s'était produit en avril. Le secrétaire général de l'OMI, Arsenio Dominguez, exultait alors quand plusieurs des plus grandes nations maritimes du monde avaient décidé d'imposer une taxe minimale de 100 $ US pour chaque tonne de gaz à effet de serre émise par les navires au-delà de certains seuils. L'OMI estimait que cette première taxe mondiale sur les émissions de gaz à effet de serre, qui devait être entérinée le 17 octobre, générerait des recettes annuelles entre 11 et 13 milliards $ US qui devaient être versées au fonds « zéro émission nette ». Cet argent devrait soutenir des pays en développement et investir dans un transport maritime vert. Le plan contraindrait dès 2028 les navires à réduire progressivement leurs émissions, jusqu'à la décarbonisation totale vers 2050. Il devrait changer la situation actuelle alors que les émissions du transport maritime ont augmenté au cours de la dernière décennie pour atteindre environ 3 % du total mondial.

Forte réaction des producteurs de pétrole

Ce report arrive à la fin d'une semaine de tractations à Londres, alors que les États-Unis ont menacé de pénalités commerciales, de restrictions de visas ou de frais portuaires supplémentaires les délégations qui voteraient pour le projet. « Les États-Unis ne toléreront pas cette nouvelle taxe écologique mondiale frauduleuse sur le transport maritime », a affirmé à ce sujet Donald Trump.

Le ministre français des Transports, Philippe Tabarot, a dénoncé les actions pour faire dérailler l'accord. Il considère que c'est un très mauvais signal. C'est que ces pressions pourraient convaincre des pays qui seraient en position de faiblesse.

De plus, Washington proposait un changement de procédure pour l'acceptation de ce projet. Les nouvelles réglementations de l'OMI sont considérées comme acceptées (l'acceptation tacite) sauf si un tiers de ses 176 membres ou l'équivalent de la moitié de la flotte marchande mondiale déclarent s'y opposer. Les États-Unis proposent une « acceptation explicite », qui demanderait que deux tiers des pays votent pour l'adoption. Le représentant brésilien a dénoncé en plénière les méthodes américaines, disant espérer que cela ne remplacera pas la manière habituelle de prendre des décisions au niveau mondial.

Les actions des membres de l'administration Trump face à cette nouvelle réglementation sont compréhensibles puisque la quasi-totalité des accords commerciaux qu'elle signe oblige l'achat de gaz ou de pétrole américain. Le directeur des programmes internationaux au sein du Natural Resources Defense Council, Jake Schmidt, affirme qu'« on observe une tentative plus systématique d'intégrer une stratégie de priorité aux énergies fossiles dans toutes leurs actions. »

L'ancienne envoyée spéciale de l'Allemagne pour le climat, Jennifer Morgan, considère que les membres de cette administration « utilisent clairement divers instruments pour tenter d'accroître la consommation mondiale d'énergies fossiles, au lieu de la réduire. » Un exemple de cela serait l'accord commercial avec l'Union européenne que l'administration Trump a conclu le mois dernier. En échange de réduire certains droits de douane, elle a imposé l'achat de 750 milliards de dollars de pétrole et de gaz américains sur trois ans.

Un an pour régler le problème

Le secrétaire général de l'OMI, Arsenio Dominguez a réagi laconiquement à ce report. « Je n'ai pas grand-chose à vous dire pour l'instant. Ça n'arrive pas souvent. » Il se déclare engagé à trouver un moyen d'avancer normalement.

La chef de la diplomatie climatique chez Opportunity Green, Emma Fenton, invite les pays à continuer à faire preuve de l'esprit de solidarité dont ils ont fait preuve en avril.

D'autres acteurs du domaine sont prêts à relever leurs manches. « Ce n'est pas une très bonne nouvelle, mais le travail continu dès la semaine prochaine sur le contenu du texte », affirme la déléguée générale de l'association Wind Ship, Lise Detrimont, « Il s'agit maintenant de faire en sorte que ce qui bloque aujourd'hui soit plus abouti dans un an. » L'organisme, qui développe le marché des navires propulsés par le vent, considère que beaucoup d'efforts ont été faits à partir de 2015 pour réduire l'intensité carbone de chaque navire. Malheureusement, les émissions de gaz à effet de serre continuent d'augmenter en raison de l'augmentation du trafic. « C'est pour cela qu'il faut des navires très fortement décarbonés, si on veut réussir à réduire l'empreinte du transport. »

« En approuvant une norme mondiale sur les carburants et un mécanisme de tarification des gaz à effet de serre, l'OMI a franchi une étape cruciale pour réduire l'impact climatique du transport maritime », affirme Natacha Stamatiou de l'Environmental Defense Fund.

« En votant pour l'adoption de ce cadre, les gouvernements entreront dans l'histoire avec la première tarification mondiale du carbone et ouvriront la voie à la réduction de l'impact mondial du transport maritime sur le climat », a expliqué John Maggs, représentant de la Clean Shipping Coalition à l'OMI.

Michel Gourd

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Points de bascule climatiques : la planète au bord d’un gouffre imprévisible

21 octobre, par Vincent Lucchese — ,
L'humanité a trop déstabilisé le climat, au point de l'avoir rapproché de « points de bascule » au potentiel cataclysmique, alertent 160 scientifiques dans un nouveau rapport. (…)

L'humanité a trop déstabilisé le climat, au point de l'avoir rapproché de « points de bascule » au potentiel cataclysmique, alertent 160 scientifiques dans un nouveau rapport.

Tiré de Reporterre
14 octobre 2025

Par Vincent Lucchese

Le monde vient d'entrer « dans une nouvelle réalité ». Celle où de nombreuses composantes du système climatique menacent de basculer à tout moment vers un nouvel état qui ferait encourir « des risques catastrophiques à des milliards de personnes ». Telle est l'alerte solennelle lancée par 160 scientifiques de 23 pays, dans le rapport Global Tipping Points, publié le 13 octobre et coordonné par Timothy Lenton, professeur à l'université d'Exeter en Angleterre.

Ces chercheurs figurent parmi les plus grands spécialistes au monde dans l'étude de ce que l'on appelle les points de bascule climatiques. Le terme désigne le seuil critique au-delà duquel un élément clé du climat terrestre (calottes polaires, courants océaniques, forêts tropicales, etc.) peut basculer dans un nouvel état, de manière souvent irréversible.

Le système peut relativement bien résister à un certain degré de déstabilisation (le réchauffement global, la déforestation, etc.), jusqu'à ce qu'un petit changement de trop le fasse basculer. Le point de bascule est en quelque sorte la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Or, le seuil de 1,5 °C de réchauffement planétaire pourrait bien s'avérer être cette goutte de trop. Nous avons pour la première fois franchi cette température fatidique sur l'année 2024, de manière temporaire. Et nous devrions, selon toute probabilité, la franchir définitivement d'ici quelques années, alertent les chercheurs. Avec le risque d'effets en cascade à travers la planète. Nous entrons ainsi dans l'ère des points de bascule.

On peut expliquer les points de bascule avec l'image d'une bille roulant sur un terrain accidenté. L'altitude de la bille symbolise l'état d'un système : il reste relativement stable même en s'approchant d'un trou. Mais si la bille fait le mouvement de trop, elle franchit le point de bascule, ce qui enclenche sa chute inéluctable dans le trou, d'où il sera bien plus difficile de sortir que d'entrer… (© Reporterre / Antoine Levesque. D'après Steffen et al. 2018)

Deux ans après leur premier rapport, les membres de l'initiative Global Tipping Points soulignent à quel point la situation s'est déjà dégradée. Première mauvaise nouvelle : les points de bascule concernant la biosphère « se rapprochent plus vite qu'on ne le pensait », dit le rapport.

Ainsi des récifs coralliens tropicaux. À l'instar de la Grande Barrière de corail, ils ont connu en 2024-2025 leur pire épisode de blanchissement, provoqué par les chaleurs extrêmes de l'océan. Bien que les situations diffèrent selon les régions du globe, les chercheurs estiment que leur point de bascule moyen se situerait autour de 1,2 °C de réchauffement global. Autrement dit, nous aurions déjà franchi ce premier point de bascule.

Risque de « savanisation » en Amazonie

La situation n'est guère plus enviable pour la forêt amazonienne. Soumise aux nombreux stress provoqués par le réchauffement, dont d'intenses sécheresses, elle doit aussi affronter les ravages de la déforestation. Si trop d'arbres disparaissent, cette forêt tropicale qui a la caractéristique merveilleuse de produire en partie sa propre pluie pourrait entrer dans un cercle vicieux : produire de moins en moins de précipitations et, n'ayant plus assez d'humidité pour survivre, se transformer en savane.

Ce point de bascule serait là aussi plus proche que précédemment estimé, se situant en dessous des 2 °C de réchauffement, selon les auteurs du rapport. Des travaux cités par les chercheurs avancent l'hypothèse qu'une perte de 20 % de la surface actuelle de la forêt amazonienne, combinée à un réchauffement global compris entre 1,5 et 2 °C, pourrait faire franchir un point de bascule aux deux tiers de l'Amazonie.

Les incertitudes sont toutefois importantes. Les scientifiques estiment que le risque de « savanisation » est crédible avec un haut degré de confiance pour certaines zones de l'Amazonie à l'échelle locale, mais avec une confiance seulement faible à l'échelle du continent.

Des océans d'imprévisibilité

La situation est aussi particulièrement critique pour les glaces du globe. Notamment pour les calottes polaires. La calotte glaciaire de l'Antarctique de l'ouest et celle du Groenland sont les deux systèmes glaciaires dont la vulnérabilité est la plus certaine : leur effondrement, une fois enclenché, se poursuivrait sur plusieurs décennies à plusieurs siècles, voire des millénaires, entraînant plusieurs mètres de montée du niveau des mers. Or, ce point de bascule pourrait avoir déjà été déclenché. Il menace de l'être depuis que nous avons franchi la barre de 1 °C de réchauffement.

Les courants océaniques, comme l'Amocet la gyre subpolaire, sont eux aussi menacés de franchir des points de bascule dès le niveau actuel de réchauffement, bien que la compréhension et l'évolution de ces systèmes soient entourés d'incertitudes importantes, notent les chercheurs.

Basculements en cascade

L'autre point saillant et particulièrement inquiétant du rapport, c'est l'interconnexion qu'il documente entre la plupart des 20 points de bascule qui ont été évalués. Lorsqu'un élément franchit un point de bascule, il est souvent susceptible d'avoir des effets, la plupart du temps déstabilisateurs, sur d'autres composantes du système climatique, menaçant de leur faire à leur tour franchir un point de bascule.

L'Amoc est le meilleur exemple de ces multiples effets en cascade possibles. L'affaiblissement de ce courant atlantique, au rôle crucial dans les échanges de chaleur entre l'océan et l'atmosphère, pourrait par exemple aggraver la déstabilisation des glaces de l'Antarctique de l'ouest. Ou encore déstabiliser le phénomène El Nino dans le Pacifique, qui à son tour affaiblirait encore davantage la forêt amazonienne.

Ce schéma, simplifié par rapport à l'original, montre une partie des 20 points de bascule évalués par les chercheurs. Dans un cercle vicieux, le déclenchement de certains d'entre eux peut venir en déstabiliser d'autres ou, plus rarement, contribuer à les stabiliser. La majorité de ces points de bascule aurait, en outre, un effet aggravant sur le réchauffement global, alimentant encore la réaction en cascade. (© Reporterre / Antoine Levesque. Source : Rapport Global Tipping Points 2025.)

Les effets en cascade ne s'arrêtent pas aux systèmes climatiques : les catastrophes climatiques provoquées menaceraient de faire courir des risques majeurs à des éléments clés de la stabilité de nos sociétés, « comme la sécurité alimentaire, les infrastructures énergétiques, la stabilité économique et la cohésion sociale, affectant des milliards de personne à travers le monde », écrivent les auteurs.

« Les dégâts causés par les points de bascule seront très différents des dégâts classiques du changement climatique. Nous ne sommes pas prêts pour ça ! Nos décideurs ne comprennent pas ce que signifient les points de bascule », appuie Manjana Milkoreit, chercheuse à l'université d'Oslo et co-autrice du rapport.

Grosses incertitudes

Ce concept de points de bascule est d'autant plus difficile à faire émerger à l'agenda politique que la survenue de ces phénomènes reste entourée de beaucoup plus d'incertitudes que d'autres catastrophes climatiques à venir.

Au sein même de la communauté scientifique, tout le monde n'est pas d'accord sur l'opportunité de communiquer trop fortement sur ces points de bascule. Certains craignent que ces mécanismes complexes et encore mal compris ne détournent l'attention. Alors même que les efforts d'adaptation aux effets beaucoup plus directs et étayés du changement climatique, comme l'intensification des sécheresses, des tempêtes, des inondations et autres, sont déjà largement insuffisants.

« Les points de bascule sont un sujet extrêmement important, mais on n'est pas sûr de savoir où sont les seuils. Il y a des estimations sur la bascule de l'Amazonie, mais ça peut advenir à 1,5 °C comme à 3 °C, on n'a pas de certitude », dit Freddy Bouchet, directeur du Laboratoire de météorologie dynamique et l'un des coordinateurs de ClimTip, l'un des deux grands projets européens sur les points de bascule.

« C'est une question de gestion des risques : est-ce qu'il faut s'adapter en urgence aux risques davantage certains, présentés dans les rapports du Giec, ou bien anticiper les risques potentiellement encore bien plus graves mais plus incertains ? Personnellement, je pense qu'il faut tout faire à la fois », ajoute-t-il.

Des « points de bascule positifs »

C'est bien l'avis des auteurs de rapport Global Tipping Points, qui rappellent une caractéristique essentielle de ces phénomènes irréversibles : une fois franchis, il sera trop tard pour agir.

La bonne nouvelle (il y en a), c'est qu'en termes d'atténuation, il n'y a pas à choisir. Que l'on cible les points de bascule ou les effets plus classiques du changement climatique, les changements structurels et radicaux auxquels appellent les climatologues restent les mêmes, pour réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, atteindre la neutralité carbone en 2050 et tout faire pour limiter au maximum le réchauffement global.

L'autre avantage du concept de points de bascule, c'est qu'il peut aussi être appelé à la rescousse pour entretenir l'espoir et mobiliser la société. Le rapport évoque ainsi les possibilités de franchir des « points de bascule positifs ». Transports en commun, agriculture et alimentation durables, écosystèmes... Ceux-ci sont également nombreux.

À l'image de la baisse fulgurante récente du coût des panneaux photovoltaïques, le développement de solutions ne suit pas une trajectoire linéaire. Mieux : un petit effort supplémentaire pourrait parfois suffire à entraîner le basculement technologique ou sociétal qui paraissait, l'instant d'avant, n'être qu'une utopie lointaine.

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Climat : les principaux gaz à effet de serre atteignent des niveaux record

21 octobre, par Mickaël Correia — ,
Selon l'Organisation météorologique mondiale, la planète a enregistré sa plus forte hausse annuelle de taux de CO2 dans l'atmosphère. En cause, les émissions dues aux activités (…)

Selon l'Organisation météorologique mondiale, la planète a enregistré sa plus forte hausse annuelle de taux de CO2 dans l'atmosphère. En cause, les émissions dues aux activités humaines et aux mégafeux, mais aussi aux écosystèmes qui absorbent de moins en moins bien le carbone.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
15 octobre 2025

À la veille de la COP30, ce sont des résultats qui sonnent comme un dur rappel à la réalité climatique. Selon un bulletin annuelde l'Organisation météorologique mondiale (OMM), les concentrations moyennes des trois principaux gaz à effet de serre dans l'atmosphère – le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d'azote (N2O) – ont atteint des niveaux sans précédent en 2024.

Selon les chercheurs et chercheuses de l'organisme onusien, les taux de croissance du CO2, le premier gaz contributeur à l'augmentation de l'effet de serre, « ont triplé depuis les années 1960 », passant d'une hausse annuelle moyenne de 0,8 ppm (partie par million) par an à 2,4 ppm par an au cours de la décennie 2011-2020.

Mais l'année dernière, la concentration moyenne mondiale de CO2 a enflé de 3,5 ppm, soit « la plus forte augmentation annuelle depuis le début des mesures scientifiques en 1957 », souligne l'OMM dans son rapport. Ce chiffre dépasse le précédent record de 3,3 ppm, enregistré entre 2015 et 2016.

Enfin, si leur hausse sur 2024 est inférieure à la moyenne annuelle observée au cours de la dernière décennie, les concentrations atmosphériques de méthane et de protoxyde d'azote continuent de croître. En 2024, elles avaient respectivement augmenté de 166 % et de 25 % par rapport aux niveaux préindustriels.

« Depuis l'accord de Paris sur le climat, qui fête cette année son dixième anniversaire, nous devrions être en train de réduire nos émissions et non pas de battre un nouveau record de concentration de gaz à effet de serre », se désole auprès de Mediapart Davide Faranda, directeur de recherche en climatologie au CNRS et auteur principal du prochain rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec).

Cercle vicieux climatique

D'après l'OMM, la raison « probable » de cette croissance record est « la forte contribution des émissions provenant des feux de forêt » ainsi que « la réduction de l'absorption du CO2 par les terres et les océans ».

En effet, l'Amazonie et l'Afrique australe ont connu des incendies exceptionnels en 2023-2024, en raison de sécheresses sévères accentuées par le chaos climatique et l'effet El Niño – un phénomène naturel cyclique qui réchauffe le Pacifique équatorial tous les deux à sept ans – qui avait cours durant cette période. Résultat, les émissions liées aux feux de forêt sur le continent américain ont ainsi atteint des niveaux historiques en 2024.

La biosphère est de moins en moins apte à répondre aux perturbations climatiques.
Gilles Ramstein, paléoclimatologue

Par ailleurs, si les émissions mondiales de CO2 liées à la combustion d'énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) sont restées pratiquement stables en 2023-2024, les forêts, les prairies et les milieux marins ont absorbé moins de carbone que prévu.

Environ la moitié du CO2 total émis chaque année est recapturée par la Terre. Toutefois, le changement climatique est en train de changer la donne. Au fur et à mesure que la surchauffe planétaire s'intensifie, les océans piègent moins de carbone à cause de la diminution de la solubilité du CO2 dans les mers à des températures plus élevées, rappellent les scientifiques de l'OMM. De même, les sécheresses extrêmes affectent de plus en plus les capacités des végétaux des écosystèmes naturels à capter du carbone.

Dans son rapport, l'OMM parle ainsi de « cercle vicieux climatique » et craint « fortement » que les puits de carbone terrestres et océaniques perdent de leur efficacité, « ce qui augmenterait la proportion de CO2 anthropique restant dans l'atmosphère et accélérerait ainsi le changement climatique ».

« Ce qui saute aux yeux dans ces données, c'est que la biosphère est de moins en moins apte à répondre aux perturbations climatiques. Le dernier rapport du Giec rappelle que d'ici à la fin du siècle, si on continue à émettre toujours plus de gaz à effet de serre, les écosystèmes ne pourront plus absorber 50 % mais seulement 35 % du dioxyde de carbone émis », analyse pour Mediapart Gilles Ramstein, paléoclimatologue et directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement.

« La réduction de la capacité d'absorption des puits de carbone naturels, modélisée depuis des années par les scientifiques, se traduit désormais dans le réel, ajoute Davide Faranda. Nous sommes en train de nous apercevoir que les dérèglements climatiques provoquent des effets rebonds et de boucles de rétroaction qui rendent encore plus difficile le combat pour sauver le climat. »

L'année 2024 avait déjà été marquée par deux faits climatiques sans précédent : elle a été l'année la plus chaude jamais enregistrée et la première à dépasser le seuil symbolique de 1,5 °C de réchauffement.

« C'est l'histoire d'une accélération annoncée,conclut Gilles Ramstein. Ce qui est effrayant, c'est que ça ne percole toujours pas dans le monde politique : aux États-Unis, la droite veut désormais interdire les procès contre l'industrie pétrolière. Et en France, nos émissions de gaz à effet de serre stagnent... »

Mickaël Correia

P.-S.

• Mediapart. 15 octobre 2025 à 20h09 :
https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/110825/face-au-chaos-climatique-l-incroyable-indifference-du-gouvernement

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Journée mondiale des enseignants : Enseignantes en Iran sous oppression et discrimination

Chaque année, le 5 octobre est marqué comme la Journée mondiale des enseignants dans le calendrier de l'UNESCO, une journée instaurée en 1994 pour honorer les efforts, le (…)

Chaque année, le 5 octobre est marqué comme la Journée mondiale des enseignants dans le calendrier de l'UNESCO, une journée instaurée en 1994 pour honorer les efforts, le statut social et les droits professionnels des enseignants dans le monde.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Elle rappelle l'engagement mondial à défendre les droits des enseignants, à améliorer la qualité de l'éducation et à souligner leur rôle indispensable dans la construction de l'avenir de la société.

En Iran, les enseignants ont toujours été au cœur des transformations sociales et culturelles, jouant un rôle majeur dans l'éducation de générations conscientes. Parmi eux, les enseignantes, en plus de porter la lourde responsabilité de l'enseignement, ont également subi le poids des discriminations sexistes et des pressions sociales.

Violations systématiques des droits des enseignants

À la veille de la Journée mondiale des enseignants, le système éducatif en Iran ressemble davantage à un appareil sécuritaire qu'à une institution d'enseignement. L'identification, l'arrestation et la répression brutale des militants syndicaux enseignants qui revendiquent leurs droits sont devenues les caractéristiques principales de ce système.

Les conseils de discipline administrative et les bureaux de sécurité du ministère de l'Éducation se sont transformés en bras exécutifs des services de renseignement. Les licenciements, mises à l'écart forcées et suspensions comptent parmi les outils utilisés pour faire taire la voix des enseignants.

Le pouvoir judiciaire et les agences de sécurité en Iran classent régulièrement les activités syndicales des enseignants comme des « crimes contre la sécurité nationale », prononçant des peines lourdes. Au moins 45 enseignants et militants syndicaux ont été arrêtés, convoqués ou interrogés durant l'été 2025, sans la moindre garantie d'un procès équitable.

Entre la mi-juin et le 1 septembre 2025, la répression contre les enseignants et les membres des syndicats s'est intensifiée dans plusieurs provinces, de Kerman et du Kurdistan au Gilan, Azerbaïdjan occidental, Ispahan et Téhéran. Derrière cette vague répressive se cache la peur du régime face à la poursuite des protestations, surtout à la suite du soulèvement national de 2022.

Le 4 août 2025, cinq enseignantes à Kerman, avec trois autres militants syndicaux, ont été condamnés à un total de 8 ans et demi de prison pour des accusations liées à la sécurité et pour « propagande contre le régime ».

Fatemeh Yazdani, Mitra Nikpour, Zahra Azizi, Leila Afshar et Shahnaz Rezaei Sharifabadi ont chacune été condamnées par la justice cléricale à 10 mois de prison pour « appartenance à un groupe d'opposition dans l'intention de perturber la sécurité » et pour « propagande contre le système ». En appel, ces peines ont été commuées en une amende de 700 millions de rials chacune.

Le régime clérical utilise délibérément les sanctions financières comme outil d'oppression économique contre les enseignantes, ciblant directement les moyens de subsistance des familles et imposant une pression supplémentaire aux enseignantes.

En juin 2025, Sakineh Maleki Hedak, enseignante de lycée à Bandar Anzali avec 28 ans de service au ministère de l'Éducation, a été contrainte à la retraite obligatoire par une décision finale de la Cour administrative de justice.

Le 2 août 2025, le Conseil d'appel pour les violations administratives à Sanandaj a rendu des jugements définitifs de mise à laretraite forcée, de licenciement et de suspension contre sept enseignants, dont deux enseignantes. Selon ces verdicts, Nasrin Karimi (titulaire d'un master en sociologie et 27 ans de service) a été condamnée à la retraite forcée avec une rétrogradation de deux échelons, et Leila Zarei (titulaire d'une licence en éducation primaire et 30 ans de service) a été rétrogradée de son poste de directrice adjointe et contrainte à la retraite avec une rétrogradation d'un échelon.

Les écoles publiques confrontées à une pénurie d'enseignants

Les licenciements et les pressions structurelles contre les enseignants surviennent au moment où les écoles publiques en Iran font face à une grave crise de ressources humaines.

L'Iran connaît une pénurie de plus de 176 000 enseignants, alors que plus de 85% des élèves du pays sont inscrits dans les écoles publiques. Beaucoup d'écoles ont été contraintes de fermer en raison du manque d'enseignants, ou ont vu la qualité de l'éducation chuter dramatiquement. (Eghtesad24 – 20 mars 2024)

Tejarat News a également rapporté :
« Les écoles publiques ont toujours souffert d'un manque d'enseignants, mais les licenciements massifs ont aggravé cette crise. La qualité de l'éducation dans les écoles publiques s'est effondrée, et l'équité éducative a pratiquement disparu. » (Tejarat News – 14 septembre 2024)

Le régime ne se contente pas d'étouffer les droits syndicaux des enseignants, mais par ses politiques erronées et le licenciement de personnels qualifiés, il prive aussi les élèves, et la société dans son ensemble, du droit à une éducation équitable.

Crise chronique des moyens de subsistance et précarité de l'emploi

La mise en œuvre incomplète de la loi sur le classement des enseignants s'est transformée en une crise grave. Les retraités, en particulier ceux partis à la retraite en 2022, ont perdu une part importante de leurs droits légaux. Cette violation constitue en réalité une forme d'oppression économique à travers des formules bureaucratiques.

Par ailleurs, l'insécurité de l'emploi continue de peser sur les enseignants informels. Ce groupe, qui inclut les enseignants indépendants, les instituteurs de maternelle et les formateurs du mouvement d'alphabétisation, est en grande majorité composé de femmes, qui enseignent depuis des années dans les conditions les plus dures, sans assurance ni sécurité de l'emploi.

Selon Eghtesad Online (15 août 2025), malgré des augmentations salariales occasionnelles, les salaires des enseignants en Iran restent bien en dessous de la moyenne mondiale. Les salaires mensuels des enseignants iraniens vont de 15 à 30 millions de tomans (environ 150 à 300 USD), tandis qu'en Allemagne ils s'élèvent à 3 500 à 5 000 dollars, aux États-Unis à 3 000 à 5 500 dollars, au Japon à environ 4 000 dollars, et en Finlande à près de 3 500 dollars. Même dans la Turquie voisine, le salaire moyen d'un enseignant est de 800 à 1 200 dollars par mois.

Cette comparaison démontre que les enseignants iraniens vivent dans des conditions bien inférieures aux standards mondiaux, poussés de fait dans un état de pauvreté structurelle.

Discrimination et double fardeau pour les enseignantes

En plus de la répression générale, les enseignantes font face à des formes spécifiques de discrimination :

Bien que les femmes représentent 60 à 64% du personnel éducatif, leur part dans les postes de direction n'est que d'environ 7%.

Salaires bas, paiements retardés et pressions psychologiques ont provoqué une dépression et un épuisement généralisés chez les enseignantes.

Affectations forcées dans des zones reculées et coûts élevés de transport.

Absence de structures de garde d'enfants publiques et horaires de travail incompatibles avec les mères enseignantes.

Pressions culturelles et disciplinaires, y compris l'application stricte du code vestimentaire au travail.

Ces conditions placent les enseignantes dans une situation où elles doivent lutter non seulement pour leurs droits syndicaux, mais aussi pour leurs droits humains les plus fondamentaux.

La voie à suivre

La Journée mondiale des enseignants en Iran présente un tableau d'enseignants soumis à des pressions systématiques, économiques et sécuritaires. Les enseignantes, qui constituent l'épine dorsale du système éducatif du pays, en sont les plus touchées, subissant oppression économique, discriminations structurelles et pressions culturelles.

Célébrer cette journée en Iran n'aura de sens que lorsque les droits syndicaux des enseignants, la sécurité de l'emploi et l'égalité de genre, en particulier pour les femmes, seront garantis. Dans le système éducatif misogyne du régime clérical, cette promesse reste un mirage.

Pour les enseignants iraniens, la Journée mondiale des enseignants est, jusqu'à la chute du régime des mollahs, non pas un rappel de reconnaissance, mais un symbole de lutte et de résistance.

Dans un Iran libre de demain, la résistance iranienne établira un système éducatif fondé sur la liberté, la démocratie et l'égalité.

https://wncri.org/fr/2025/10/04/journee-mondiale-des-enseignants-enseignan/

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Turquie. L’enfance volée des fillettes

TURQUIE / KURDISTAN – Chaque année, d'innombrables familles kurdes se rendent dans l'Ouest de la Turquie, pour travailler dans les champs agricoles, avec leurs enfants en âge (…)

TURQUIE / KURDISTAN – Chaque année, d'innombrables familles kurdes se rendent dans l'Ouest de la Turquie, pour travailler dans les champs agricoles, avec leurs enfants en âge d'aller à l'école. Parmi eux, une majorité de fillettes au corps cabossé et à l'enfance volée…

Tiré de Entre les lignes et les mots

Avec l'aggravation de la pauvreté, l'entrée sur le marché du travail est devenue quasi inévitable pour les enfants vivant en périphérie des villes. Le travail des enfants est devenu une tradition dans de nombreux ateliers, notamment dans les industries textiles, les cultures maraîchères et les vergers d'agrumes.

Dans le champ, une fillette de 12 ans est constamment penchée. Une autre du même âge bine la terre. Une autre sème des graines. Chaque minute, s'accroupir lui fait mal. C'est une grande perte pour ces filles d'être obligées de passer leurs journées aux champs, car cela les empêche de s'instruire. En Anatolie, on voit surtout des femmes et des filles employées comme ouvrières agricoles. On voit beaucoup de jeunes filles travailler pieds nus pendant les heures de classe. Cette fillette doit biner davantage et se donner encore plus de mal pour répondre aux besoins du champ. J'interroge Kadriye, une ouvrière agricole adulte : combien de travailleuses mineures a-t-elle rencontrées dans son entourage ? Une ouvrière qui cultive et récolte des tomates à Söke, Aydın, répond : « Il y a des filles parmi elles dans nos fermes, même des moins de 16 ans. Ce sont les filles de familles venues de l'Est [régions kurdes] pour travailler dans les champs. Les propriétaires des champs acceptent des jeunes de 14 ans. »

Elle a quitté l'école pour travailler

Le travail des enfants est une tradition dans de nombreux ateliers, notamment dans le textile, les cultures maraîchères et les vergers d'agrumes. Une lacune dans la législation sur les cultures et les récoltes a considérablement réduit l'âge du travail des enfants. Les filles peuvent récolter dès 10 ans ! Zeynep a dû commencer à travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Bien qu'elle n'ait terminé que la sixième année, elle a abandonné l'école et a rejoint sa famille comme travailleuse saisonnière dans les champs maraîchers. La plupart d'entre nous ignorent que les betteraves destinées à la production de sucre et les pommes de terre destinées aux chips sont confiées à des petites filles. Un nombre croissant de jeunes travailleurs travaillent d'une récolte à l'autre pendant l'été. Malheureusement, le seul moyen pour les travailleurs agricoles d'échapper à la pauvreté est le travail de leurs enfants.

« Le travail des enfants devrait être interdit »

Tarım-Sen est un syndicat indépendant dans ce domaine. Lorsque je l'ai interrogé à ce sujet, ils ont publié une déclaration exposant leurs positions générales. Il incluait les points suivants :« Le travail des enfants est très répandu parmi les travailleurs agricoles en Turquie. Comme les travailleurs agricoles saisonniers migrent vers d'autres villes en familles entières, les enfants sont hébergés aux mêmes endroits qu'eux. Ils sont mis au travail dans les champs. En tant que syndicat, nous militons pour l'interdiction du travail des enfants. L'utilisation des enfants comme main-d'œuvre dans l'agriculture est une pratique traditionnelle. Les familles paysannes pauvres et défavorisées, les travailleurs agricoles sans terre, sont contraints de mener des activités agricoles aux côtés de leurs enfants. Il s'agit d'un système d'exploitation fondé sur le profit et le profit. Créer un monde sans travail des enfants dans l'agriculture est impossible du jour au lendemain. Cependant, ce monde sera possible grâce aux luttes que nous mènerons pour que les travailleurs agricoles puissent vivre dans la dignité humaine. En tant que syndicat, nous luttons pour un monde où les enfants ne sont pas exploités, où ils ne meurent pas dans des accidents du travail ou sur la route. La protection et le renforcement des droits des enfants travailleurs sont également l'un des piliers de notre lutte. »

S'habituer à travailler avec des blagues

Şirin Yıldırım, l'une des dirigeantes du syndicat, a commencé à travailler dans les champs à l'âge de six ans et a ensuite continué comme ouvrière en serre. Şirin partage ses souvenirs d'enfance de cette époque, de son temps d'ouvrière. « J'avais six ans quand je suis partie travailler pour la première fois dans les champs de coton. Je ne savais même pas comment planter du coton. Les adultes jouaient avec nous, faisaient des blagues, et nous pensions que c'était réel. Par exemple, ils disaient : « On peut grimper à une branche de coton en grimpant à une échelle », et j'y croyais. Quand j'allais aux champs, je m'attendais à voir une échelle. À six ans, j'allais travailler pendant 15 jours, puis à l'école pendant 15 jours. C'était un monde inconnu, des gens, des métiers et des choses inconnus. Le travail était très exigeant. Pour nous consoler, les enfants, ils nous disaient : « Je vous ferai arrêter à midi. » Ensuite, ils disaient : « Allez, ce sera fini ce soir ». C'est comme ça que le travail se termine. On est fatigué à la fin de la journée… On travaille toute la journée en espérant que le travail sera terminé.

« Je n'ai même jamais eu de poupée »

Şirin était une petite fille qui ramassait des feuilles dans les champs de tabac. Nous continuons à l'écouter. « On chargeait ce lourd keletir (un grand panier à deux anses) sur mon dos. Les champs où je travaillais étaient proches de la mine. Ils avaient des pentes raides et difficiles. Je devais porter l'énorme panier sur ces pentes à seulement 11 ou 12 ans. Le travail des champs est trop dur, même pour les adultes ; que peuvent faire les petites filles ? Elles allaient et venaient sans cesse parmi les abeilles (*), sous un soleil de plomb. Commencer à travailler si jeune entraîne des maladies plus tard. Par exemple, j'ai développé une hernie à 36 ans. J'ai dû subir une opération. Ces maladies sont la conséquence du poids du seau pendant l'enfance, du travail pénible commencé à cet âge. Même le médecin était surpris. Il m'a demandé : « Quel âge as-tu ? Qu'as-tu fait ? » J'ai cru que j'aurais été paralysée sans l'opération. J'y suis allée avec une telle douleur. Je ne pouvais ni marcher, ni m'asseoir pour manger, ni dormir, j'ai rampé pendant un mois et demi. Je n'oublierai jamais ces jours-là. C'était le prix à payer pour un travail pénible si jeune. Ça… Je n'ai jamais connu l'enfance. Je n'ai même pas eu de poupée à cause du travail des champs. Je suis devenue mère à un âge où l'on pouvait de toute façon me considérer comme une enfant. »

S'il a suffisamment grandi pour contenir une branche…

Les fruits, les légumes et les céréales arrivent sur les marchés de tout le pays, mais c'est comme ça ! Malgré les progrès technologiques, le besoin de main-d'œuvre agricole est plus grand que jamais. Et les filles sont toujours impliquées dans ce travail. Comme employer les femmes et les hommes ne suffit pas, les enfants sont malheureusement aussi impliqués dans l'agriculture. Car ils constituent la main-d'œuvre la moins chère. Dès que les filles sont en âge de tenir une branche, elles tracent le chemin vers les fermes. Tout comme Şirin, dont nous avons entendu l'histoire. De toute façon, on ne les envoyait pas à l'école ; on les faisait toujours travailler. Il est presque impossible de partager cette expérience d'enfance : « Si vous allez aux champs pour un salaire journalier, surtout si vous êtes une fille, c'est difficile d'accéder à l'éducation. Il y a un fossé énorme entre les garçons et les filles. On essaie de les éduquer, on les tient en haute estime. Les filles sont considérées comme des biens. Dès qu'elles grandissent, on dit : « Quittes la maison, sauves ta vie » On te marie. Tu as ta propre poupée avant même de pouvoir en tenir une. Qui sait où j'en serais aujourd'hui si j'avais fait des études, si j'avais étudié ? J'étais excellente en maths. J'adorais l'école, mais on ne m'a pas laissée y aller. Ne pas pouvoir étudier est un nœud qui me serre le cœur. »

« Ils avaient tous des chemins qui traversaient les ateliers. »

O., une femme qui se rend aux abords des villes et dans les quartiers défavorisés pour recueillir des preuves des dures conditions de travail des enfants. Nous rencontrons également la sociologue Hazal Hürman, qui se trouvait également à Antep et a rencontré des enfants travailleurs. Elle a une thèse de doctorat sur les enfants travailleurs. Son objectif principal est de se concentrer sur les enfants travailleurs en ville. Par « ville », j'entends les bidonvilles en périphérie. Pour satisfaire notre curiosité, elle partage des informations sur ses recherches :« Ma thèse de doctorat examine l'évolution des politiques et des perceptions de l'enfance en Turquie ces dernières années, et leur impact sur la vie quotidienne des enfants. Ces expériences d'enfance diffèrent selon la classe sociale, le sexe et l'origine ethnique. J'ai rencontré de nombreux enfants que j'ai eu l'occasion d'interviewer pour des raisons telles que l'aggravation de la pauvreté ces dernières années et les changements du système éducatif. Je leur ai parlé. Leurs parcours les ont tous menés vers des ateliers, des chantiers, des champs et des MESEM(*). »

Entrer dans la vie active est presque inévitable

Hazal est également la fondatrice d'une organisation appelée « AltıÜstü Collectif d'art pour enfants et jeunes ». Elle a participé à de nombreuses activités dans ce cadre. Elle explique : « Nous avons beaucoup travaillé au sein de ce collectif, entièrement dirigé par des filles. L'une d'elles consistait à tourner un documentaire. Dans ce cadre, nous nous sommes également rendues à Gaziantep. J'y ai rencontré des enfants travailleurs par l'intermédiaire du syndicat Bir Tek-Sen. Face à la pauvreté croissante, l'entrée sur le marché du travail est quasiment inévitable pour les enfants vivant en périphérie des villes. À Gaziantep, nous avons discuté du travail avec des filles et des garçons en nous appuyant sur leurs propres expériences. Je collaborais avec le syndicat. Nous avons exploré ensemble des pistes pour aborder le travail des enfants. »

Le fardeau du travail domestique incombe également aux enfants

Hazal, qui a constaté que si les secteurs les plus importants pour les garçons sont le textile, la construction, l'automobile et le tourisme saisonnier, les filles ont tendance à travailler dans les services et l'agriculture saisonnière, a déclaré : « Un autre problème constamment souligné par les filles du collectif était que tous les membres de la famille, adultes comme enfants, étaient contraints de travailler. Dans ces circonstances, la charge des tâches domestiques leur était également imposée. Nous avons discuté de deux transformations fondamentales du système éducatif. La possibilité de suivre une formation externe par l'enseignement à distance et la prolifération des MESEM ont été deux des principaux facteurs qui ont poussé les filles à travailler. La hausse des coûts de l'éducation et le manque de confiance dans le rôle de l'éducation pour assurer un avenir ont éloigné de nombreux enfants et jeunes interrogés de l'idée même d'aller à l'école. »

La plupart du temps, ils ne sont pas payés

Selon Hazal, les MESEM, connus pour leurs bas salaires et leurs mauvaises conditions de travail, poussent les enfants à abandonner complètement l'école et à chercher un emploi à temps plein dans le secteur privé. La situation des enfants qui travaillent n'est pas encourageante. Nous écoutons. « J'ai également discuté avec des enfants syriens, réfugiés, roms et kurdes. Ils m'ont expliqué qu'ils étaient fréquemment victimes de harcèlement et qu'ils ne recevaient souvent pas leur salaire ». Nous abordons également le meurtre d'Hilal Özdemir, une ouvrière de 15 ans, tué il y a deux semaines alors qu'elle travaillait à l'université du Bosphore. Elle partage son opinion : le cas d'Hilal Özdemir est malheureusement un exemple frappant d'un modèle de violence devenu sans avenir. Même avec la législation actuelle, un enfant de 15 ans ne devrait pas être contraint de travailler la nuit. Les processus socio-économiques qui engendrent le travail des enfants, combinés à la suspension croissante des mesures de protection de l'enfance, ouvrent la voie à l'usurpation du droit à la vie des enfants. Dans ce contexte, une lutte globale contre les conditions sociales qui favorisent le travail des enfants est nécessaire. Nous sommes convaincus que la protection des enfants contraints au travail doit s'accompagner d'efforts visant à définir leurs droits. Notre Collectif des Enfants d'AltıÜstü s'efforce de renforcer la solidarité entre les enfants travailleurs et de mieux les protéger contre les conditions de travail précaires auxquelles ils sont soumis.

Les filles sont les plus vulnérables

Dilan Kaya, présidente de l'Association pour la surveillance et la prévention du travail des enfants, souligne l'augmentation constante du nombre de filles travaillant dans l'agriculture, ajoutant : « Tous les enfants de 15 à 16 ans sont aux champs ! » Selon les informations partagées par Kaya, le nombre d'enfants travailleurs âgés de 15 à 17 ans a augmenté de 101 000 en 2022, pour atteindre 620 000. L'association, présente à Adana depuis 2018 et qui a également créé un « Centre d'information contre le travail des enfants », prend position contre les violations subies par les enfants qui travaillent. Kaya déclare : « Les filles sont l'un des groupes les plus vulnérables face au problème du travail des enfants ». Attirant l'attention sur les liens entre travail des enfants et genre, Dilan définit l'axe de lutte suivant : « Nous continuerons à œuvrer pour le droit des filles exploitées dans l'agriculture à une vie digne et saine. »

Les filles de 12 à 17 ans sont convoitées pour leur travail. Des milliers d'entre elles travaillent dans les champs, suant abondamment, travaillant la terre. Elles courent de récolte en récolte en été. C'est, en réalité, une « récolte de la honte ». « L'école, quelle justice devrions-nous rendre ? » Malheureusement, nos aînés, au pouvoir, sont bien conscients de l'enfance volée de ces petites filles. Ils restent muets.

* Arık : Fosses creusées en forme de rainures sur les bords des plantes utilisées pour l'écoulement de l'eau
* MESEM : « Centre de formation professionnelle »

Reportage d'Ayla Önder pour la plateforme İşçi Sağlığı ve İş Güvenliği Meclisi (ISIG) (Observatoire de la santé et de la sécurité au travail)
https://kurdistan-au-feminin.fr/2025/09/24/turquie-lenfance-volee-des-fillettes/

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Les femmes paysannes sont des femmes : La violence à l’égard des femmes rurales en Afrique australe et orientale persiste

21 octobre, par Via Campesina Southern and Eastern Africa (LVC SEAf) — , ,
(Maputo, 24 septembre 2025) Les inégalités entre les hommes et les femmes sont particulièrement évidentes en Afrique australe et orientale lorsqu'il s'agit des rapports de (…)

(Maputo, 24 septembre 2025) Les inégalités entre les hommes et les femmes sont particulièrement évidentes en Afrique australe et orientale lorsqu'il s'agit des rapports de force et de l'accès aux ressources de base telles que les semences, l'eau et la terre.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/15/les-femmes-paysannes-sont-des-femmes-la-violence-a-legard-des-femmes-rurales-en-afrique-australe-et-orientale-persiste/?jetpack_skip_subscription_popup

Dans les zones rurales, la lutte pour éradiquer la violence sexiste s'avère difficile. Le nombre de femmes maltraitées et tuées continue d'augmenter malgré les campagnes contre la violence faite aux femmes et la diffusion massive d'informations. Les paysannes de notre mouvement qui font intégralement partie des communautés rurales, sont également touchées par cette réalité. La discrimination et la violence à l'égard des femmes peuvent se produire à la maison, dans les lieux publics et même dans les lieux où nos organisations et nos mouvements prennent des décisions.

La Via Campesina Afrique australe et orientale (LVC SEAf), en partenariat avec l'UNAC, lance aujourd'hui officiellement sa publication intitulée « Les paysannes sont des femmes : portrait de la violence à l'égard des femmes rurales en Afrique australe et orientale, volume II ». Ce rapport est riche de témoignages poignants et met en lumière les formes multiples de violence auxquelles sont confrontées les paysannes de la région.

Cette publication s'appuie sur le premier volume intitulé « Les paysannes sont des femmes : comprendre la violence à l'égard des femmes rurales en Afrique australe et orientale ». Le premier ouvrage mettait en lumière les réalités quotidiennes et les stratégies que les femmes utilisent pour résister à l'oppression et transformer leurs communautés. Ce nouveau rapport révèle d'une part, le déni systématique des droits fonciers des femmes et leur déplacement en raison de l'accaparement des terres et des projets extractivistes, mais aussi les menaces qui pèsent sur la souveraineté semencière. En effet, l'agriculture industrielle, les lois restrictives sur les semences et les OGM sapent les systèmes semenciers gérés par les paysan⋅nes. Le patriarcat au sein des organisations paysannes limite la participation des femmes aux espaces de direction et de prise de décision. De plus, la violence sexiste, y compris les violations des droits sexuels et reproductifs, les mariages forcés et les pratiques traditionnelles néfastes, ainsi que l'exclusion des jeunes femmes et des femmes handicapées, les rendent vulnérables et sous-représentées.

« La majorité des terres en Afrique du Sud appartient toujours à des agriculteurs blancs, et peu de femmes y possèdent des terres. La plupart du temps, nous, les peuples autochtones d'Afrique du Sud, sommes exploités de nombreuses façons alors que nous travaillons comme main-d'œuvre bon marché dans ces fermes appartenant à des Blancs. Même certains de nos collègues et alliés masculins dans la lutte continuent de discriminer les femmes en matière d'accès à la terre. » – Constance Marubini

Malgré ces défis, le rapport documente également des exemples de résistance, de résilience et de solidarité de la part de femmes qui ont obtenu des titres fonciers collectifs, créé des banques de semences communautaires et accédé à des postes de direction au sein de mouvements paysans.

« Avant d'acquérir mon autonomie grâce au programme de formation sur le Féminisme paysan et populaire de La Via Campesina, je ne savais pas que j'avais le droit de faire figurer mon nom sur notre titre foncier. Je pensais que la terre était réservée aux hommes. Les enseignements de LVC SEAf m'ont donné le courage de parler à mon mari et d'exiger que mon nom soit ajouté. Aujourd'hui, mon nom figure sur le titre foncier, ce qui signifie que personne ne peut me prendre la terre sur laquelle je travaille. Je me sens en sécurité, respectée et habilitée à continuer de nourrir ma famille et ma communauté. » – Beatrice Katsigazi

« Cette publication n'est pas seulement une recherche, c'est un appel à l'action. Elle nous rappelle que la lutte pour la souveraineté alimentaire ne peut être séparée de la lutte pour la justice de genre. Les femmes rurales ne sont pas seulement des victimes ; elles sont des leaders et des actrices du changement, et nous devons les soutenir. » – Susan Owiti

En tant que femmes paysannes, nous appelons les gouvernements, nos alliés et les autres parties prenantes à :

Investir dans les services ruraux, les mécanismes de protection et l'accès à la justice pour les survivantes de violences sexistes.

Garantir l'égalité des droits des femmes à la terre, aux semences et aux territoires.

Respecter et promouvoir le leadership et la participation des femmes paysannes dans les espaces politiques et décisionnels.

Unir leurs efforts pour démanteler les systèmes oppressifs du patriarcat, du capitalisme et du néocolonialisme qui perpétuent les inégalités.

Ce rapport s'inscrit dans le cadre de la campagne mondiale menée par La Via Campesina pour mettre fin à la violence contre les femmes et de l'engagement du mouvement à promouvoir le féminisme paysan et populaire comme outil pour construire l'égalité et la souveraineté alimentaire. Cette publication est disponible dans 4 langues en anglais, français, Portugais, et Swahili

Télécharger le rapport :Women-Peasants-are-Women-French-

https://viacampesina.org/fr/les-femmes-paysannes-sont-des-femmes-la-violence-a-legard-des-femmes-rurales-en-afrique-australe-et-orientale-persiste/

Women Peasants Are Women : Portraying Violence against Rural Women in Southern and Eastern Africa
https://viacampesina.org/en/2025/09/women-peasants-are-women-portraying-violence-against-rural-women-in-southern-and-eastern-africa/

Publicación : “Las campesinas son mujeres” – Retratando la violencia contra las mujeres rurales en África del Sur y del Este
https://viacampesina.org/es/las-campesinas-son-mujeres-retratando-la-violencia-contra-las-mujeres-rurales-en-africa-meridional-y-oriental/

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Des promesses de Beijing aux ruines de Gaza : les femmes face à la guerre

À l'ONU, lundi, la scène avait tout d'un rituel : discours solennels, chiffres alarmants, appels à l'action. Mais derrière la gravité des mots, un constat s'imposait. Un quart (…)

À l'ONU, lundi, la scène avait tout d'un rituel : discours solennels, chiffres alarmants, appels à l'action. Mais derrière la gravité des mots, un constat s'imposait. Un quart de siècle après l'adoption d'un texte fondateur promettant de placer les femmes au cœur des efforts de paix, le monde reste plus violent que jamais – et les femmes, plus souvent victimes que décideuses.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/18/des-promesses-de-beijing-aux-ruines-de-gaza-les-femmes-face-a-la-guerre/?jetpack_skip_subscription_popup

« Trop souvent, nous nous réunissons dans des salles comme celle-ci, pleins de conviction et de détermination, sans finalement parvenir à changer véritablement la vie des femmes », a déploré le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, devant le Conseil de sécurité, reconnaissant que les ambitions affichées dans la résolution 1325 « n'ont pas véritablement changé la vie des femmes et des jeunes filles prises dans un conflit »

.

Ce texte, adopté en 2000 par le Conseil, avait pourtant marqué un tournant historique : pour la première fois, l'organisation affirmait que la paix ne pouvait être durable sans la participation active des femmes. Il ouvrait la voie à un vaste programme baptisé Femmes, paix et sécurité, destiné à transformer la manière dont la communauté internationale conçoit la guerre – non plus seulement comme un affrontement militaire, mais comme une crise humaine, où l'inégalité entre les sexes nourrit la violence et freine la réconciliation.

Cette nouvelle approche prolongeait l'élan né cinq ans plus tôt de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing, premier cadre mondial pour l'égalité entre les sexes. Mais trois décennies plus tard, la promesse s'est effritée. En 2024, selon les Nations Unies, 676 millions de femmes vivaient dans un rayon de 50 kilomètres d'un conflit meurtrier, le plus haut niveau depuis les années 1990.

De Beijing à Gaza : la paix introuvable

Si les engagements politiques se multiplient, les réalités du terrain rappellent leur fragilité. « Les femmes continuent à bâtir la paix », a souligné Sima Bahous, directrice exécutive d'ONU Femmes, l'agence onusienne chargée de la défense des droits des femmes. Des travailleuses humanitaires au Yémen, en passant par les soldates de la paix République centrafricaine, l'ex-diplomate jordanienne a salué celles qui « réduisent la violence communautaire ». Mais elle a aussi dénoncé les « coupes budgétaires sans vision à long terme » qui minent le travail de terrain : « Elles ferment des cliniques, compromettent l'éducation des filles et érodent les chances de paix ».

À ses mots d'inquiétude a fait écho un cri de colère. Noura Erakat, avocate américaine d'origine palestinienne spécialisée dans les droits humains, a pris la parole « au nom de ses sœurs palestiniennes », privées de la possibilité de s'exprimer. Décrivant la guerre à Gaza comme un « génocide », elle a dressé un tableau insoutenable : « En 2024, le taux de fausse couche a augmenté de 300% à Gaza », a-t-elle affirmé, évoquant aussi les attaques contre les maternités et les cliniques, contraignant les femmes enceintes de l'enclave à « accoucher dans les toilettes publiques » ou « par ces césariennes sans anesthésie ».

Deux interventions, deux tonalités, mais une même idée : les femmes ne sont pas seulement des victimes de guerre, elles en sont aussi les témoins – celles qui refusent d'abandonner le lien entre la vie et la paix.

L'ombre des nouvelles technologies

À côté des récits de guerre, un autre champ de bataille s'impose : celui du numérique. Olga Ouskova, fondatrice du groupe Cognitive Technologies, une entreprise informatique basée à Moscou, a alerté le Conseil sur les dangers d'un monde où la technologie précède la morale. « Le développement de l'IA et des réseaux sociaux a ouvert la voie à une manipulation massive des consciences », a-t-elle averti. Selon elle, les femmes et les enfants sont « les premières victimes » de ces nouvelles formes de violence – qu'elles soient symboliques ou physiques, médiatiques ou militaires.

Pour cette pionnière de la robotique agricole, la menace est double : déshumanisation numérique d'un côté, automatisation létale de l'autre. « Il faut de nouvelles règles internationales sur la conduite des guerres utilisant des armes à base d'intelligence artificielle », a-t-elle plaidé, appelant aussi à la création d'un organe onusien chargé de détecter les deepfakes et les contenus manipulés destinés à attiser la haine.

Sa mise en garde technologique, venue de Russie, répondait étrangement aux avertissements de Noura Erakat venus de Gaza : deux univers, deux expériences, mais un même sentiment d'urgence face à une guerre qui se réinvente, échappant à la fois au droit, à la morale et à la raison.

Entre volonté et recul

Ces voix multiples renvoient à un paradoxe : jamais le discours sur l'égalité n'a été aussi présent, et jamais les reculs n'ont été aussi manifestes. António Guterres l'a rappelé : « Les femmes sont des leaders de la paix pour toutes et tous ». Pourtant, les faits démentent cette conviction. Dans plusieurs régions, les régimes autoritaires restreignent les droits des femmes ; ailleurs, les budgets consacrés à leur autonomisation sont rognés au profit des dépenses militaires.

« Notre monde n'a pas besoin qu'on répète cette vérité, mais de résultats qui l'incarnent »

Pour ONU Femmes, l'heure n'est plus aux déclarations, mais aux actes : imposer des quotas de femmes contraignants dans les négociations, sanctionner les violences sexuelles, financer directement les organisations locales dirigées par des femmes. C'est à ce prix, seulement, que l'esprit de 2000 pourrait reprendre vie.

Mais comme l'a résumé le chef de l'ONU, « notre monde n'a pas besoin qu'on répète cette vérité, mais de résultats qui l'incarnent ».

Une promesse à réinventer

Depuis la Déclaration de Beijing, en 1995, l'ONU a fait de l'égalité des sexes un pilier de la paix. Pourtant, le monde n'a jamais compté autant de femmes déplacées, violées ou assassinées. L'idéalisme des débuts s'est heurté à la realpolitik et à l'érosion du multilatéralisme.

Désormais, une évidence s'impose : pour que l'agenda Femmes, paix et sécurité survive, il ne suffit plus de convoquer des réunions périodiques, comme le traditionnel débat annuel de lundi au Conseil. Il faut redonner sens à l'engagement initial – non pas un hommage aux femmes victimes, mais un mandat de pouvoir pour celles qui refusent d'être effacées.

https://news.un.org/fr/story/2025/10/1157626

Donne, dalle promesse di Pechino alle rovine di Gaza
https://andream94.wordpress.com/2025/10/18/done-dalle-promesse-di-pechino-alle-rovine-di-gaza/

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Peine de mort en Iran : le régime craint le rôle pionnier des femmes

21 octobre, par Kurdistan au féminin — , ,
IRAN / ROJHILAT – La militante kurde d'Iran, Çîmen Ciwanrudî a déclaré que des menaces de mort directes sont proférées contre les femmes en Iran et qu'il est important à cet (…)

IRAN / ROJHILAT – La militante kurde d'Iran, Çîmen Ciwanrudî a déclaré que des menaces de mort directes sont proférées contre les femmes en Iran et qu'il est important à cet égard d'annoncer les noms des femmes détenues, de documenter les violations en prison, de mener des campagnes médiatiques et de s'adresser aux institutions internationales.

Les politiques oppressives du régime à l'encontre des femmes en Iran s'aggravent chaque jour. La prison d'Evin, située à Téhéran, est connue pour être l'une des prisons où les femmes qui résistent au régime sont le plus emprisonnées et risquent d'être exécutées. Des organisations internationales de défense des droits humains ont annoncé que la prison d'Evin détenait environ 70 prisonnières politiques, dont certaines risquent d'être exécutées. Des dizaines de femmes y sont détenues sous une forte oppression en raison de leur identité politique et de leur combat. Parmi elles figurent les femmes politiques kurdes Pakhshan Azizi et Warisha Moradi, menacées d'exécution.

Chimen Ciwanrudi, membre du Comité central de l'Association des militants politiques et des personnes en détresse en Iran, a déclaré que le régime tente d'intimider la société en menaçant les femmes de la peine de mort et qu'il a peur du pouvoir croissant des femmes.

Çîmen Ciwanrudî a déclaré que non seulement l'emprisonnement et la torture, mais aussi la menace directe d'exécution sont désormais appliqués, ajoutant : « Cette méthode vise à envoyer un message clair au public. Les femmes sont arrêtées dès qu'elles franchissent les limites fixées par l'État, sont soumises à de lourdes sanctions, et la peine de mort vise à les réduire au silence. Cette menace ne vise pas seulement à punir individuellement ; elle vise également à limiter les libertés des femmes au niveau sociétal, à affaiblir leur rôle de dirigeantes sociales et politiques et à créer un effet démoralisant sur la société dans son ensemble. »

Ciwanrudî, soulignant que les quatre femmes menacées d'exécution sont des militantes kurdes, a souligné que le régime iranien a historiquement combiné deux lignes d'oppression fondamentales. Ciwanrudî a déclaré : « D'une part, il vise à confiner strictement les femmes à des rôles sociaux patriarcaux et à limiter, opprimer et contrôler leur leadership dans la vie sociale, politique et culturelle dans tous les domaines. D'autre part, des politiques discriminatoires, d'exclusion et de marginalisation sont mises en œuvre contre tous les groupes minoritaires, en particulier les Kurdes, restreignant systématiquement leurs droits et leurs libertés. Le ciblage spécifique des militantes kurdes aujourd'hui représente l'intersection de ces deux lignes d'oppression et de répression, révélant clairement qu'une politique systématique d'oppression et d'intimidation est mise en œuvre, fondée à la fois sur leur genre et leur identité ethnique. »

« Le régime recourt désormais à la violence pure et simple. »

Çîmen Ciwanrudî a déclaré que le régime avait tenté par le passé de contrôler les femmes principalement par le biais de restrictions « juridiques », précisant que le port obligatoire du foulard et l'interdiction de certaines professions en étaient des exemples. Cependant, elle a affirmé que le leadership croissant des femmes dans les mouvements sociaux, notamment après le meurtre de Jîna Mahsa Amînî, avait poussé le régime à recourir à des méthodes plus dures. « Le régime recourt désormais à la violence flagrante. La menace d'exécution contre les femmes démontre que les mécanismes doux se sont complètement effondrés et ont été remplacés par des formes de punition politiques et dramatiques », déclaré Çîmen Ciwanrudî.

« Les femmes ne sont pas seulement des participantes mais aussi des pionnières du mouvement ‘Jin, Jiyan, Azadî' »

Çîmen Ciwanrudi a déclaré que les femmes étaient non seulement des participantes, mais aussi des dirigeantes du mouvement « Jin, Jiyan, Azadî », et que des personnalités comme Pakhshan Azizi et Varisheh (Warisha) Moradi étaient des symboles de ce leadership. Çîmen Ciwanrudi a déclaré : « La grave répression dont elles sont victimes n'est pas une simple attaque individuelle ; c'est une tentative de briser le leadership social des femmes et de détruire les symboles de la lutte pour la liberté dans la société. » Soulignant que la menace de peine de mort contre les militantes n'était pas une simple punition personnelle, Çîmen Ciwanrudi a déclaré qu'il s'agissait d'une manœuvre politique calculée visant à intimider la société dans son ensemble. « Ces menaces témoignent également clairement de la crainte du régime envers le pouvoir que les femmes ont acquis dans les sphères sociales et politiques et l'unité qu'elles ont créée au sein de la population », a ajouté Çîmen Ciwanrudi.

« La lutte unie est une nécessité stratégique »

Çîmen Ciwanrudî a déclaré que si la solidarité se développe aujourd'hui davantage symboliquement et par le biais des médias, l'unité organisationnelle totale n'a pas encore été atteinte entre les femmes du Kurdistan et les mouvements de femmes des autres régions d'Iran. Malgré cela, Çîmen Ciwanrudî a souligné que des femmes comme Pexşan, Werîşe, Şerife et Nergîs représentent un féminisme de résistance radical, affirmant : « La foi en la lutte unie des femmes est claire. Développer cette conviction aux niveaux stratégique et organisationnel est la tâche la plus fondamentale pour l'avenir. Par conséquent, la lutte unie est une nécessité stratégique dès maintenant. »

Ciwanrudi a noté que malgré la grave oppression dont sont victimes les femmes en prison, diverses formes de solidarité se sont développées. Il a souligné l'importance de rendre publics les noms des femmes détenues, de documenter les violations en prison, de mener des campagnes médiatiques en ligne et de faire appel aux institutions internationales. Il a également insisté sur la nécessité d'apporter un soutien juridique et psychologique aux familles, de protéger les avocats et de développer des campagnes conjointes avec les mouvements féministes internationaux. (Agence Mezopotamya)

https://kurdistan-au-feminin.fr/2025/09/28/peine-de-mort-en-iran-le-regime-craint-le-role-pionnier-des-femmes/

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Rapport du Haut Conseil à l’Égalité : Le viol, un crime massif et impuni

21 octobre, par Osez le féminisme — , ,
Rapport du Haut Conseil à l'Égalité : le viol, un crime massif et impuni – Osez le Féminisme alerte sur l'urgence d'une réponse politique et judiciaire à la hauteur Tiré de (…)

Rapport du Haut Conseil à l'Égalité : le viol, un crime massif et impuni – Osez le Féminisme alerte sur l'urgence d'une réponse politique et judiciaire à la hauteur

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/27/rapport-du-haut-conseil-a-legalite-le-viol-un-crime-massif-et-impuni/?jetpack_skip_subscription_popup

Le Haut Conseil à l'Égalité (HCE) publie aujourd'hui un rapport accablant sur le viol en France. Ses chiffres confirment l'analyse portée de longue date par le mouvement féministe : malgré l'explosion des plaintes depuis #MeToo, la justice française abandonne les victimes et laisse la majorité des violeurs impunis. L'association Osez le Féminisme (OLF) salue ce travail et appelle à l'adoption rapide d'une loi intégrale contre les violences sexuelles et sexistes.

Un crime sexiste, massivement commis par des hommes

Les données du HCE sont sans appel :

* En une seule année, 153 000 personnes majeures ont été victimes de viol et 217 000 d'agression sexuelle

* 93% des victimes majeures de viol sont des femmes, 84% des victimes mineures sont des filles.

* 97% des mis en cause pour viol sont des hommes ou des garçons.

Ces violences, nourries par une culture du viol persistante, traduisent une domination masculine systémique, qui ne cesse d'inverser la culpabilité : 21% des français·es (et 30% des 18-24 ans) pensent que les femmes « peuvent prendre du plaisir à être forcées ».

Un crime largement impuni

En 2023, 19 155 plaintes pour viol ont été enregistrées, soit à peine 12,5% des victimes déclarées.

* Seules 2 465 affaires ont été renvoyées devant une juridiction.

* Au final, 636 condamnations en Cour d'assises ont été prononcées, soit 0,4% des victimes déclarées et seulement 3,3% des plaintes déposées.

« La France tolère que le viol reste un crime sans conséquence. », dénonce Céline Piques, porte-parole d'Osez le Féminisme et rapportrice du rapport du Haut Conseil à l'Egalité sur le viol « L'embolie judiciaire est totale dès qu'il s'agit des violences sexistes. L'impunité est un choix politique. »

La vague #MeToo se heurte à l'inertie judiciaire

Depuis 2016, les plaintes explosent :

* +200% pour viols sur majeur·es (7 169 en 2016, 22 352 en 2024),

* +100% pour agressions sexuelles sur majeur·es (8 401 en 2016, 17 486 en 2024).

Mais les condamnations n'ont progressé que de 30% (de 1 017 à 1 300). Résultat, le taux de condamnation a été divisé par deux en moins de dix ans :

* En 2016, 1 plainte sur 15 aboutissait à une condamnation.

* En 2022, 1 plainte sur 30 seulement aboutissait à une condamnation.

Un système judiciaire sous-dimensionné pour un crime de masse

Même avec ces faibles taux, les viols représentent déjà 62% des crimes condamnés en 2023, bien plus que les homicides (25%) ou le terrorisme (0,7%).

Si toutes les plaintes allaient jusqu'au procès, il faudrait multiplier par dix le nombre de procès criminels en France.

Des condamnations de la France par la CEDH

En avril et septembre 2025, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné à quatre reprises la France pour revictimisation judiciaire : interrogatoires fondés sur la culture du viol, refus de caractériser la contrainte, délais excessifs, qualifiant ces pratiques de « traitements inhumains et dégradants », de « discrimination » et de non « respect à la vie privée ».

Osez le Féminisme appelle à un sursaut politique : La condamnation par la CEDH de la France nous y oblige. Le Haut Conseil à l'Egalité le demande instamment et propose 61 recommandations pour changer de paradigme et mettre fin à l'impunité.

Pour Osez le Féminisme, l'impunité actuelle n'est pas une fatalité. Avec plus de 120 associations membres de la Coalition féministe pour une loi intégrale, nous appelons le gouvernement à :

* Adopter rapidement un projet de loi cadre intégrale, s'appuyant sur les 140 mesures déjà proposées, sans attendre que d'autres scandales ou condamnations internationales imposent un changement.

* Allouer dans le budget 2026-2027 les financements nécessaires tels que demandés : au moins les 2,6 milliards pour les violences sexistes et sexuelles, avec une part significative pour les violences sexuelles.

* Impliquer la société civile, les associations, les victimes elles-mêmes dans la construction et le suivi de la loi : ce sont elles qui vivent le parcours, elles connaissent les freins, elles doivent avoir une place dans l'évaluation.

* Renforcer les moyens de la justice : Cours d'assises, formation obligatoire des magistrats et magistrates, spécialisation des parquets.

* Garantir l'accompagnement des victimes : aide juridictionnelle automatique, déploiement de 300 structures pluridisciplinaires type Maisons des femmes, renforcement des UMJ et des centres de psychotraumatologie.

« Les femmes portent plainte. L'État doit répondre. Nous exigeons une loi intégrale contre les violences sexuelles, à la hauteur de l'urgence. » – Céline Piques, porte-parole d'Osez le Féminisme et rapportrice du rapport du Haut Conseil à l'Egalité.

https://osezlefeminisme.fr/rapport-du-haut-conseil-a-legalite-le-viol-un-crime-massif-et-impuni/

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Madagascar : la volonté d’une rupture radicale

21 octobre, par Paul Martial — , ,
Alors que les pressions internationales se multiplient pour exiger le rétablissement de l'ordre constitutionnel, les jeunes de la Gen Z et les salariés esquissent ce que (…)

Alors que les pressions internationales se multiplient pour exiger le rétablissement de l'ordre constitutionnel, les jeunes de la Gen Z et les salariés esquissent ce que pourrait être le Madagascar de demain.

Un nouveau pouvoir s'est installé à Madagascar en la personne du colonel Michel Randrianirina, dirigeant du CAPSAT (Corps d'Armée des Personnels et des Services Administratifs et Techniques), en charge de la logistique de l'armée. Cette unité, au terme de deux semaines de luttes exemplaires de la jeunesse malgache baptisée Gen Z, s'était rangée du côté des manifestants.

Pression et menace

Cette prise de pouvoir a été aussitôt dénoncée par Andry Rajoelina, désormais ancien président, considérant qu'il s'agit d'un coup d'État. Rappelons que lui-même était arrivé au pouvoir en 2009 dans des conditions similaires, il déclarait alors : «  Le pouvoir appartient à la population, c'est la population qui donne le pouvoir et qui reprend le pouvoir. »

Le « respect de l'ordre constitutionnel » est désormais entonné par tous les tenants de l'ordre établi. Macron n'est pas en reste : il met en garde contre les interférences étrangères dans la Grande Île, lui qui a organisé l'exfiltration de Rajoelina pour le soustraire à une éventuelle comparution devant la justice de son pays.

L'Union africaine (UA) tient un discours identique sur le respect de la Constitution. Elle offre à Rajoelina des marges de manœuvre en ouvrant la voie à une pression économique sur les nouvelles autorités du pays. La menace plane d'une suspension de l'aide, estimée à environ 700 millions de dollars par an, tant que l'ordre constitutionnel ne serait pas rétabli. Une UA qui passe pourtant son temps à entériner les mascarades électorales qui se déroulent sur le continent.

Construire l'après

Autre défi de taille : le risque d'une confiscation de la révolution. Lors du rassemblement sur la place du 13‑Mai à Antananarivo, la capitale, organisé pour rendre hommage aux victimes de la répression et fêter la victoire, les officiers de l'armée, les politiciens et les prêtres ont tenté, en vain, de reléguer les jeunes à l'arrière‑plan.
Cependant, la volonté largement partagée d'une rupture radicale avec l'ancien ordre politique reste vivace. Déjà, un « Manifeste citoyen pour une nouvelle gouvernance équilibrée à Madagascar » a vu le jour, et des réunions sont prévues pour discuter « d'un changement de système ».

Cette effervescence s'observe également du côté des travailleurs. A la compagnie aérienne Madagascar Airlines, par exemple, le syndicat a lancé un ultimatum exigeant le départ du directeur général, un ancien cadre d'Air France et de tous les consultants étrangers. En cas de refus, le syndicat appelle à ne plus obéir aux ordres de la direction et à constituer une instance collégiale chargée de la gestion de la compagnie.

Si la situation reste difficile, les jeunes et les travailleurs, conscients des expériences du passé, notamment celle de 2009, s'efforcent de construire collectivement un Madagascar nouveau.

Paul Martial

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Madagascar, la divine surprise d’une fraternisation des militaires avec la « génération Z »

21 octobre, par Michel Galy — , ,
Depuis le début de la crise malgache, les militaires, les gendarmes et les policiers s'étaient rangés aux cotés du président Rajoelina. Les hommes du CAPSAT, chargés notamment (…)

Depuis le début de la crise malgache, les militaires, les gendarmes et les policiers s'étaient rangés aux cotés du président Rajoelina. Les hommes du CAPSAT, chargés notamment des munitions, se sont déclarés les premiers en faveur des manifestants en provoquant un tournant décisif au sein de la majorité des forces sécuritaires qui devrait aboutir à la fin du régime. Le malheureux général nommé tout récemment dans la précipitation au poste de Premier ministre pour souder l'armée autour du pouvoir a pris la fuite en avion privé pour débarquer à l'Ile Maurice après avoir vu se refuser l'accès au terridoire de la Réunion.

Par la rédaction de Mondafrique -
13 octobre 2025

Un article de Michel Galy

Les militaires des services administratifs et techniques (CAPSAT)

MICHAËL RANDRIANIRINA, patron du CAPSAT

Les événements se sont accélérés ce samedi 11 octobre à Madagascar. Après l'insurrection soudaine de la « génération Z » il y a 15 jours et sa répression brutale (24 morts selon les Nations unies), le président Andry Rajoelina s'est rapproché de l'armée en nommant le 6 octobre un proche, le général Zafisambo comme nouveau premier ministre.

Comme dans un remake de prises de pouvoir récurrentes à Madagascar, les militaires du Capsat (corps d'armée des personnels et des services administratifs et techniques, contrôlant notamment les munitions ) se sont insurgés samedi dans une vidéo choc diffusée sur les réseaux sociaux contre la répression, et ont invité les autres armes à se rallier.

On a lors assisté en fin d'après midi à des scènes de liesse et de fraternisation avec les civils, tandis que les blindés du Capsat fonçaient avec la foule vers le centre ville , notamment vers Ambotsatova, devenu l'épicentre de la contestation politique.

Le gouvernement intérimaire et les responsables politiques, dont le Premier ministre qui a fui à l'Ile Maurice, sont aux abonnés absent, et le président Rajoalina aurait quitté la capitale , peut-être en direction de Majunga où des activités aériennes ont été observées, en vue d'une éventuelle exfiltration. Selon une autre version de dimanche , le président Rajoelina serait encore dans un lieu sécurisé de la capitale en espérant reprendre les commandes.

La culture du coup d'État

L' ironie de la situation ,encore floue et instable, est que Rajoelina, ancien DJ et maire de la capitale est arrivé au pouvoir par une insurrection similaire en 2009 , renversant son rival, le président Ravalomnana.

S'appuyant sur un clan et des hommes d'affaires aussi puissants que contestés, tel le milliardaire « Mamy » Ravatomanga, Rajoelina s'est maintenu au pouvoir à coup d'élections truquées et de distribution de prébendes. Malgré l‘acquisition discrète de la nationalité française en 2014 ( ce qui légalement le rendit inéligible), Andry Rajoelina est tenu en piètre estime par la diplomatie française, ce que vient de révéler Mondafrique dns une note confidentielle.

Les images de la vidéo des officiers du Capsat à Antananrivo en rappellent d'autres. Il ne s'agit pas pourtant pas d'un putsch devenu classique comme dans les trois pays du Sahel, mais d'un processus en cours rappelant la victoire récente de la « Génération Z « au Népal en empruntant aussi des formes typiquement malgaches de la contestation et de la chute des régimes successifs.

Révolutions populaires et directoires militaires.

Depuis 1972, Madagascar, un des pays les plus pauvres de la planète, connaît des crises successives , marquées par des pillages et des violences sporadiques, une corruption rampante, et l'exclusion constante des plus déshérités, notamment en Imerina, sur les Hautes terres, les descendants d' « Andevo » (anciens esclaves d'une société encore castée), sujet tabou s'il en est.

Effectivement la révolution populaire de 1972 renversa un pouvoir très inféodé à Paris , si ce n'est ouvertement néo colonial, de Philibert Tsitsiranana, premier président malgache après l'indépendance formelle de 1960.

Sa chute, en 1972 entraîna paradoxalement la prise de pouvoir par un directoire militaire, du général Ramanantsoa au colonel Ratsimandrava dont la très brève présidence( six jours) s'acheva par son assassinat en février 1975.

Du très long règne chaotique du capitaine de frégate – puis amiral Didier Ratsiraka(1975 1993 puis 1997 2002), de la prise de pouvoir de Marc Ravalomanana ( 2002 2009) à celle du jeune putschiste Andry Rajoelina en 2009, on retiendra le véritable tabou pour la culture malgache des assassinats d'opposants, qui provoquèrent irrémédiablement leur chute. Les 24 victimes civils de la récente insurrection, et hier le premier soldat du Capsat tombé pour défendre la population devraient marquer la fin plus ou moins proche du régime Rajoelina.

Partie d'une révolte du petit peuple à propos des coupures de l'eau et de l'électricité, le mouvement s'est radicalisé, comme ailleurs , par l'activité de très jeunes militants de la « Gen Z 261 » sur le serveur Discord- avant de passer dans le réel des manifestations des rues et de l'interposition de l'armée.

Il y a un modèle ancien des mouvements cycliques des « rotaka » (émeutes violentes ) à Madagascar, marquée par des pillages de commerces , notamment de la minorité karane, d'incendies et d'anomie -où les déshérités se revanchent par la violence. Rien de tel dans le « modèle népalais » et asiatique, où l'armée désignerait un civil de consensus pour une brève transition avant des élections libres. Personne ne peut dire encore quel modèle politique va l'emporter.

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Maroc : la jeunesse se soulève

21 octobre, par Laila Abed Ali — , ,
Depuis fin septembre 2025, le Maroc connait une vague de mobilisations sans précédent portée par des jeunes. Ce mouvement, dénommé GenZ 212, s'inscrit dans une tendance (…)

Depuis fin septembre 2025, le Maroc connait une vague de mobilisations sans précédent portée par des jeunes. Ce mouvement, dénommé GenZ 212, s'inscrit dans une tendance mondiale : au Népal, à Madagascar dont le président vient de fuir le pays, en Serbie, avec la Palestine, partout dans le monde des jeunes se lèvent pour dénoncer l'oppression, les inégalités, la corruption, et le manque d'action des États. Le Maroc ne fait plus exception.

Tiré du Journal des alternatives.

Un cri né d'un drame

Au cours des deux derniers mois, plusieurs femmes ont perdu la vie après des césariennes à l'hôpital public Hassan II d'Agadir. Pour beaucoup, ces drames ne sont plus vus comme des cas isolés, mais comme le signe d'un système de santé à bout de souffle.

Depuis des années, la population marocaine dénonce les failles du système de santé et la dégradation des services publics. Les écoles manquent de moyens, les soins sont souvent inaccessibles et les jeunes peinent à trouver un emploi stable. Le taux de chômage chez les 15 à 24 ans dépasse les 35 %, un chiffre qui alimente la frustration et la perte d'espoir.

À cela s'ajoute un sentiment d'injustice. Beaucoup reprochent à l'État de mettre l'accent sur les grands chantiers visibles, comme les routes, les stades et les projets liés à la Coupe du monde 2030, alors que la santé et l'éducation restent délaissées. Ainsi, derrière les images de modernité, la vie quotidienne de millions de jeunes reste difficile.

GenZ 212 : « Nous voulons des hôpitaux, pas des stades »

GenZ 212 est un collectif jeune, informel, sans tête unique clairement identifiée. Le mouvement s'est répandu très vite grâce aux réseaux sociaux : Discord, TikTok, Instagram.

Les manifestations viennent de partout au Maroc, des grandes villes comme Casablanca et Rabat, mais aussi de villes plus petites, rurales ou éloignées. Elles sont composées de différents milieux : étudiant, du monde du travail, mais aussi des cadres et de jeunes en situation de chômage.

Dans un manifeste publié en ligne, le mouvement GenZ 212 a énoncé plusieurs revendications précises. Les jeunes demandent avant tout un accès égal à une santé publique de qualité, partout au Maroc et sans discrimination. Le manifeste réclame aussi une éducation publique plus performante et véritablement accessible, avec de meilleures conditions pour les élèves comme pour le personnel enseignant.

L'emploi figure également parmi leurs priorités : ils veulent plus d'opportunités, de formations et de soutien, surtout pour celles et ceux qui vivent dans les zones rurales. À cela s'ajoute une exigence de justice sociale et de transparence dans la gestion publique, ainsi qu'une lutte réelle contre la corruption. Enfin, les manifestants et manifestantes appellent au respect des libertés publiques, notamment la liberté d'expression et le droit de manifester pacifiquement. Leur mot d'ordre résume bien l'esprit du mouvement : « Nous voulons des hôpitaux, pas des stades ».

Déroulement des manifestations : mobilisation, tensions et arrestations

Les manifestations ont débuté le 27 septembre dans plusieurs villes du pays, notamment à Rabat, Casablanca, Agadir, Marrakech et Tanger.

À l'origine, le mouvement GENZ 212, s'inscrivait dans une démarche résolument pacifique. Les rassemblements se tenaient en journée, dans les lieux publics, avec des revendications claires et légitimes. Ces jeunes manifestaient avant tout leur désir de changement dans le respect et la non-violence.

Cependant, au fil des soirées, la tension est montée dans certaines villes, et la réponse des autorités s'est durcie. Des interventions policières ont été signalées, accompagnées d'arrestations arbitraires, d'actes de répression et d'un usage disproportionné de la force. Face à ces pressions, quelques débordements ont eu lieu, mais ils restent marginaux et ne sauraient masquer l'esprit initial du mouvement, fondé sur la justice et la détermination citoyenne.

Selon les chiffres officiels, les autorités ont procédé à 409 arrestations, et 286 personnes ont été gravement blessées. Plusieurs jeunes sont aujourd'hui poursuivis en justice : à Salé, certains ont été condamnés à des peines allant de 15 à 20 ans de prison pour des actes qualifiés de vandalismes, à Agadir, un jeune homme a écopé de quatre ans de prison et d'une lourde amende pour « incitation via les réseaux sociaux ».

Entre attentes sociales et réponses politiques limitées

Le gouvernement est resté longtemps silencieux, malgré l'ampleur croissante des manifestations. Lors de son discours d'ouverture du Parlement, le roi Mohammed VI a rappelé l'importance des prochaines élections et le rôle central que devra y jouer la jeunesse. Un message perçu comme une invitation au renouvèlement politique, tandis que beaucoup regrettent l'absence de réponses concrètes du gouvernement aux attentes de réformes sociales et économiques.

GenZ 212 rappelle que beaucoup de jeunes ressentent un sentiment d'abandon. Ils estiment que les politiques publiques n'écoutent pas leurs besoins réels. Ils veulent un État plus proche, qui soit là pour les soins, pour l'école, et pour l'équité. Ce sont des revendications de dignité.

Le mouvement montre combien les nouvelles générations peuvent s'organiser en ligne, avec rapidité, sans structure hiérarchique visible. Leur capacité à se mobiliser de manière autonome traduit une conscience citoyenne en pleine affirmation, une énergie collective dont le pays semblait avoir besoin pour se battre pour ses droits.

Une génération consciente de ses droits

Le mouvement GenZ 212 n'est pas qu'un simple éclat de colère. Il exprime un besoin urgent de justice sociale, de rééquilibrage des priorités nationales, et de soin aux plus vulnérables. Il rappelle que les promesses politiques doivent se concrétiser. Le Maroc traverse une période décisive. Le gouvernement a devant lui une possibilité : répondre aux attentes, et restaurer la confiance. Ou au contraire, laisser la frustration grandir, avec toutes les conséquences que cela pourrait entrainer.

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Gaza. Les États arabes et musulmans face au plan Trump

Si elle permet l'arrêt des massacres, la sortie de guerre proposée par le président étatsunien n'augure rien de bon pour le peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie. Elle ne (…)

Si elle permet l'arrêt des massacres, la sortie de guerre proposée par le président étatsunien n'augure rien de bon pour le peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie. Elle ne met pas un terme à la politique aventuriste d'Israël dans la région. Une réalité qui ne pousse pas pour autant les États de la région à revoir leur manière de traiter avec Donald Trump.

Tiré d'Orient XXI.

Commençons par dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas : le plan Trump, du nom du président étatsunien, ne vise pas à instaurer une paix durable dans la région. Il ne vise pas non plus à reconstruire Gaza, ni à servir les intérêts de sa population, ni à créer un État palestinien, ni à accorder aux Palestiniens, détenteurs légitimes de cette terre, les droits d'une citoyenneté pleine au sein d'un seul État binational, démocratique et laïc, répondant aux idéaux des systèmes occidentaux.

À court terme, ce plan vise à atteindre trois objectifs principaux : le premier est la libération des otages en échange d'un certain nombre de prisonniers palestiniens. Le deuxième objectif — qui a échoué entretemps — était pour Donald Trump de décrocher le prix Nobel de la paix. Le troisième, et sans doute le plus important, est de sauver la réputation d'Israël, entachée par deux ans de massacres dans les territoires occupés.

À moyen et long terme, le plan vise quatre objectifs. Le premier est d'établir l'hégémonie de Tel-Aviv sur la région, en rendant notamment obsolètes les frontières traditionnelles et en garantissant à Israël une liberté de mouvement pour frapper qui il veut, quand il veut et où il veut. Il bénéficiera pour ce faire d'une couverture logistique et de l'assistance de tous les pays de la région qui abritent des bases américaines ou qui entretiennent des relations militaires stratégiques avec les États-Unis.

Le deuxième objectif consiste à exploiter davantage les fonds du Golfe pour financer le Conseil de la paix qui serait présidé par Donald Trump (1), la force de stabilisation internationale qui l'accompagnera et préparer le plan de développement économique de Trump pour Gaza, qui sera mis en œuvre par ce même conseil (2). C'est sans doute à ce plan que le ministre des finances israélien, Bezalel Smotrich, faisait référence en septembre 2025, en qualifiant Gaza de « bonanza » de l'immobilier, c'est-à-dire une occasion en or pour un enrichissement facile et rapide. Smotrich avait alors déclaré qu'Israël avait mis en place des plans, en coordination avec les États-Unis, qui se trouvaient sur le bureau de Trump, en attente d'exécution. Une sorte de projet « Riviera + ». Un conseil consultatif économique nommé par Trump, toujours dans le cadre de son plan de paix, permettra de faire de Gaza une ville semblable aux cités miracles du Golfe, avec la participation de magnats venus du monde de l'immobilier et des affaires.

Le troisième objectif est l'élimination de toute forme de résistance dans les territoires occupés, la liquidation de la cause palestinienne et le déplacement forcé de la population qui ne peut pas être enrôlée comme main-d'œuvre dans les projets de construction de Trump et de ses collaborateurs. Le but est d'éradiquer l'idée même de la résistance dans la région et de parvenir à un changement de régime en Iran, à travers des stratégies d'isolement — international et régional — et de désarmement — direct ou en empêchant tout soutien politique et financier.

Quatrième et dernier objectif : normaliser la présence d'Israël dans la région et ses relations avec tous les pays arabes, en particulier l'Arabie saoudite. Il s'agit de fournir à cette dernière une porte de sortie pour revenir sur sa position ingénieuse faisant de la création d'un État palestinien la condition préalable de sa normalisation avec Israël.

Des États conscients des objectifs d'Israël

Plusieurs États arabo-musulmans (3) ont salué ce plan en essayant de mettre en avant, aux yeux de leurs populations, les objectifs réalisés : le cessez-le-feu, l'entrée de l'aide, le refus du déplacement forcé et de l'annexion, le retrait complet des forces israéliennes et la création d'un État palestinien. Cela n'empêche pas qu'ils soient conscients des objectifs cités plus haut. Ils sont toutefois contraints d'accepter le plan Trump, et même de faire pression sur le Hamas, ainsi que sur la résistance et sur l'Autorité palestinienne, afin qu'ils acceptent le plan Trump, au vu des exigences et des menaces, explicites ou voilées, qu'ils subissent eux-mêmes. On peut citer, à titre non exhaustif, le raid israélien contre Doha, le rappel sans cesse des difficultés économiques de l'Égypte, des problèmes que pose le barrage de la Renaissance dont l'Éthiopie vient de finir la construction, et qui risque d'affecter la part de l'Égypte des eaux du Nil, et les plaintes de Tel-Aviv contre Le Caire, auprès des États Unis, pour avoir posté dans le Sinaï un nombre de soldats et d'armements qui dépasse ce qui été prévu par les accords de paix de Camp David. Enfin, les États du Golfe n'oublient pas le discours de Donald Trump lors de son premier mandat (2017 – 2021) où il a évoqué un appel téléphonique avec le roi d'Arabie saoudite, Salman Ben Abdelaziz Al-Saoud, à qui il avait demandé de payer pour la protection américaine (4). Sans quoi…

Pour traiter avec Trump, ces États arabo-musulmans suivent la même approche adoptée par les pays européens : ils le flattent, évitent de le contredire publiquement et ne lésinent pas sur les offrandes. Ils tentent ensuite de faire évoluer sa position, ou du moins de l'interpréter après coup à l'aune de leurs priorités : s'ils ne peuvent les réaliser, ils tentent au moins de sauver la face devant leur opinion publique.

Or, cette approche pose deux problèmes fondamentaux dans le contexte actuel. Lors de sa conférence de presse avec Donald Trump à la Maison Blanche le lundi 29 septembre 2025, Benyamin Nétanyahou avait défini les priorités d'Israël, à savoir : la libération des otages, le désarmement du Hamas et son éradication, le démantèlement de toute capacité militaire à Gaza, la garantie de la liberté de mouvement et du contrôle sécuritaire israélien sur Gaza et le maintien d'une présence militaire permanente autour de Gaza. Celles-ci sont stipulées de manière claire et sans équivoque dans les clauses du plan, auquel Trump affirme son soutien sans réserve. Les priorités des pays arabo-musulmans, si elles sont mentionnées dans le plan, sont en revanche vagues et ambiguës. Elles dépendent de négociations aux contours indéfinis, et sont conditionnées à la réalisation de tâches quasi impossibles à mettre en œuvre, comme la démilitarisation de Gaza. Leur évaluation est laissée à la discrétion du Conseil de la paix présidé par Trump, qui serait secondé par Tony Blair, l'ancien premier ministre britannique impliqué dans un nombre de scandales financiers, et un des acteurs de l'invasion de l'Irak en 2003.

Comment résister aux États-Unis ? Comme l'Europe ou comme la Russie ?

Le second problème, plus important, mais aussi plus simple à comprendre, est que cette approche de flatterie et ces tentatives de séduction et d'interprétation se sont révélées vaines du côté européen, tant sur le dossier ukrainien qu'en matière de guerres commerciales et de droits de douane.

En réalité, la seule approche qui a porté ses fruits avec Trump jusqu'à présent est celle adoptée par la Russie : poursuivre ses propres objectifs sans accorder le moindre poids aux paroles et aux positions du président étatsunien, puis savourer les revirements successifs de ce dernier, qui lui ont valu le surnom de TACO de la part de ses opposants pour « Trump Always Chickens Out » (« Trump se dégonfle toujours »). Il en est de même côté chinois où la réciprocité est de mise face aux menaces économiques et commerciales, tout en signifiant être prête pour une confrontation militaire si nécessaire.

Ironiquement, Trump lui-même a recommandé d'adopter cette approche pour faire face aux actes d'intimidation. Il l'a préconisé lors de la fameuse entrevue avec le roi Abdallah II de Jordanie à la Maison Blanche en février 2025, où il l'a enjoint à accueillir les Palestiniens déplacés de Cisjordanie, après lui avoir rappelé les bienfaits des États-Unis envers son pays. Durant cette rencontre, Trump avait déclaré que, devant les tentatives d'intimidation du Hamas, il fallait poser des limites, car toute concession serait contreproductive.

Tout ceci ne devrait-il pas inciter les États arabes et musulmans à repenser leur méthode consistant à faire pression sur la résistance palestinienne pour qu'elle accepte le plan de Trump ? L'ouverture des « portes de l'enfer », comme ne cessait de menacer Trump, n'aurait-elle pas pu constituer pour les Palestiniens une occasion historique d'exploiter le soutien international croissant et sortir, par ces mêmes portes, de l'enfer dans lequel Israël les a plongés avec le soutien des États-Unis, depuis le 7 octobre 2023 ?

Maintenant que le Hamas a accepté la mise en œuvre de la première phase du plan — libération des otages en échange d'un cessez-le-feu, entrée de l'aide, libération d'un nombre important de prisonniers palestiniens et un retrait limité des forces israéliennes —, un sommet mondial s'est tenu à Charm El-Cheikh, à l'initiative de l'Égypte — auquel ni le prince héritier saoudien, ni le président des Émirats arabes unis n'ont participé —, pour obtenir une reconnaissance internationale de son rôle dans la région. Trump, qui n'a pas osé inviter les dirigeants arabes à signer son plan lors de sa présentation à Washington le 29 septembre, a saisi l'occasion de ce sommet pour promouvoir à la hâte et légitimer internationalement son plan machiavélique et ambigu d'un nouveau Proche-Orient. Il n'a pas hésité non plus à lancer des invitations au sommet égyptien, une démarche inhabituelle qui fait fi du protocole. Il ne serait pas surprenant qu'une démarche soit ensuite entreprise auprès des Nations unies pour faire adopter le plan de Trump, à l'image de la déclaration de New York de la France et de l'Arabie saoudite.

L'impossible paix sans les Palestiniens

Rappelons que cette déclaration a servi de base pour introduire l'idée du désarmement du Hamas et de la réforme de l'Autorité palestinienne comme conditions pour toute action internationale future (5), tout en omettant de demander des comptes à Israël pour les crimes qu'il commet.

Le problème de ces déclarations, tout comme celui des accords d'Abraham (6), est qu'elles ne s'attaquent jamais aux problèmes de fond. Elles prennent l'avis de tout le monde sans prendre en compte celui des principaux concernés, les Palestiniens, ni même les inviter à participer. Elles tentent ensuite de manœuvrer habilement pour réaliser des desseins complexes, élaborés à des milliers de kilomètres de là où les choses se passent, afin d'instrumentaliser la communauté internationale ou régionale pour atteindre des objectifs très éloignés d'une solution juste au conflit, respectant l'équilibre des intérêts des parties et prenant en compte la réalité du terrain. Et l'on s'étonne ensuite que le conflit ne se résolve pas. De l'art de reprendre toujours le même modus operandi en s'attendant miraculeusement à un résultat différent.

Notes

1- Ce Conseil de la paix rappelle l'idée du Conseil de tutelle qui avait accompagné la création de l'Organisation des Nations unies (ONU) et dont le rôle était de surveiller l'administration des territoires sous mandat, afin de les faire progresser vers l'autonomie ou l'indépendance. Ironique quand on pense aux conséquences du mandat britannique sur la Palestine.

2- C'est la seule explication à l'élaboration de nouveaux plans à but lucratif qui ignorent le plan de reconstruction supervisé par l'Égypte en coordination avec l'ONU et diverses organisations concernées, et qui a été adopté lors du sommet extraordinaire de la Ligue arabe autour de la Palestine en mars 2025, et salué par l'ONU, l'Union européenne et même les États-Unis.

3- Il s'agit des représentants de huit États arabes et musulmans : l'Arabie Saoudite, l'Égypte, les Émirats Arabes Unis, l'Indonésie, la Jordanie, le Qatar, la Turquie et le Pakistan avaient rencontré Trump durant l'Assemblée générale de l'ONU pour discuter son plan.

4- « Trump : Saudis need to pay if they want US troops to stay in Syria », Al Jazeera, 4 avril 2018.

5- Michael D. Shear, Steven Erlanger and Roger Cohen, « Behind Europe's Anguished Words for Gaza, a Flurry of Hard Diplomacy », The New York Times, 10 août 2025.

6- Vivian Nereim, « Why Trump's Abraham Accords Have Not Meant Mideast Peace », The New York Times, 13 juillet 2025.

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Contre le fascisme tardif : être ce qu’ils craignent. Entretien avec Alberto Toscano

21 octobre, par Alberto Toscano, Pablo Elorduy — ,
Ces quinze dernières années, l'extrême droite 2.0 est devenue presque partout un phénomène de masse, un moteur électoral, tant parmi ceux qui votent pour elle que parmi ceux (…)

Ces quinze dernières années, l'extrême droite 2.0 est devenue presque partout un phénomène de masse, un moteur électoral, tant parmi ceux qui votent pour elle que parmi ceux qui la craignent, mais aussi un sujet éditorial attrayant. Des dizaines d'essais ont traité, avec plus ou moins de succès, de la montée d'une série de tendances qui semblaient avoir disparu à l'époque de la prétendue « mondialisation heureuse » et qui sont revenues en force après l'effondrement de Lehman Brothers et le réveil de l'austérité militarisée.

Tiré du site de la revue Contretemps.

Dans cet entretien, le philosophe Alberto Toscano revient sur l'histoire du fascisme et défend l'usage actuel de cette catégorie, en particulier dans un monde bouleversé par le génocide en cours à Gaza. Son ouvrage Fascisme tardif : Généalogies de l'extrême-droite contemporaine (éditions de la Tempête, 2025) figure parmi les plus suggestifs de la production consacrée à la nouvelle jeunesse — ou seconde réincarnation — du fascisme, notamment parce qu'il refuse de limiter le sens du mot « fascisme » aux seules expériences italienne et allemande des années 1930-1940 et déplace l'enquête vers les expressions fascistes du monde libéral antérieures à ces expériences — plus précisément vers le crime des incursions coloniales.

Toscano relie en outre l'histoire du fascisme au présent, et plus précisément au génocide en cours à Gaza, soutenu et financé par des dirigeants qui n'ont pas été, et ne seront pas, fascistes, mais qui n'en partagent pas moins des désirs et des horizons communs avec les leaders d'extrême droite.

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Pablo Elorduy – Que représente Israël aujourd'hui pour l'idée du fascisme tardif ?

Alberto Toscano – On peut commencer par rappeler brièvement le débat sur le fascisme en Israël même, débat assez ancien qui, comme beaucoup de questions abordées dans le livre, démarre dans les années 1970. La toute petite gauche antisioniste en Israël s'est alors mise à discuter — surtout après l'ascension de Menachem Begin, de la possibilité de qualifier Israël de forme sui generis de fascisme. C'est intéressant et symptomatique, parce que le cas israélien montre très bien comment la catégorie de fascisme peut servir non seulement à nommer et analyser, mais aussi à occulter certains phénomènes. Ainsi, au sein d'un sionisme libéral — si le terme a encore un sens, sans doute moins aujourd'hui qu'hier —, l'idée d'une fascisation d'Israël a aussi servi à justifier ou légitimer le sionisme dans sa forme classique. On véhiculait l'idée que le fascisme pouvait n'être qu'une dérive, un moment de crise.

Pablo Elorduy – D'où vient cette idée d'assimilation entre sionisme classique et fascisme ?

Alberto Toscano – L'un des courants les plus intéressants de cette dissidence antisioniste de gauche — microscopique mais très productif intellectuellement — fut un groupe trotskiste des années 1970. Il critiquait vigoureusement le fait que certains communistes israéliens qualifient la période Begin de fasciste, car cela normalisait, selon eux, ce qui avait précédé. On observe également cette tendance quand de nombreux centristes, progressistes et libéraux, présentent le fascisme non comme un produit potentiel ou dialectique du statu quo, mais comme une violation, une exception. Ce discours perdure. Dans Haaretz, on lit quantité d'articles, publiés à divers moments critiques de la politique israélienne, parlant de fascisme. Le dernier épisode, très révélateur, fut la crise autour de la Cour suprême, avant le 7 octobre 2023.

Pablo Elorduy – Dans quel sens ?

Alberto Toscano – Dans des entretiens avec des intellectuels sionistes libéraux et progressistes, on entendait : « si la réforme autoritaire de la Cour suprême voulue par le gouvernement Netanyahou est adoptée, nous entrerons dans une logique de fascisation où, par exemple, la police viendra chez les gens les sortir de leur lit ; l'armée aura licence de faire ce qu'elle veut… ». Sans s'en rendre compte, ils décrivaient exactement ce que vivent les Palestiniens dans les territoires occupés — et nombre de Palestiniens qui sont officiellement citoyens d'Israël depuis 1948. Aujourd'hui, le discours sur le fascisme offre aussi cette possibilité d'auto-exonération d'un libéralisme, d'un centrisme, qui considère comme des exceptions des phénomènes qu'il a produits — ou dont il est complice.

Pablo Elorduy – Nous voyons aujourd'hui l'extrême droite internationale tomber dans les bras d'Israël.

Alberto Toscano – La question est bien de savoir comment et pourquoi l'extrême droite internationale, cette internationale fasciste–tardif en train de se recomposer partout, s'identifie autant à Israël au moment où celui-ci déploie sa violence coloniale la plus extrême : génocidaire, exterminatrice. On peut l'interpréter de multiples façons selon les contextes, mais ce qu'on observe ici, c'est la façon dont l'histoire profonde et la préhistoire du fascisme — sa relation constitutive avec le colonialisme et le capitalisme racial — font qu'Israël apparaît, aux yeux d'une droite raciste, occidentalisée, suprémaciste, comme l'affirmation, presque utopique, de ses idées : la possibilité d'être libre de dominer l'autre — l'autre racialisé, l'indigène — en toute impunité, au sein d'une société néolibérale, capitaliste et technologiquement avancée.

Pablo Elorduy – Il y a une identification absolue.

Alberto Toscano – C'est comme si l'inconscient colonial de la droite pouvait désormais s'exprimer librement. Bien sûr, la situation diffère en Inde ou en Amérique latine, mais, dans le cas européen, c'est « parfait » : cette identification à un État ethnocratique qui mène une guerre d'extermination permet en même temps à l'Europe de s'immuniser — ou de se blanchir — de l'accusation d'antisémitisme et de racisme, et d'être identifiée à l'Holocauste. C'est pourquoi j'ai trouvé grotesque, mais symptomatique, la tenue, fin mars 2025, à Jérusalem d'une rencontre « pour la défense du monde juif » avec des fascistes au passé et au présent antisémites.

Pablo Elorduy – La référence fondamentale est les États-Unis, où il n'y a pratiquement aucune différence dans le traitement réservé à Israël entre l'establishment du Parti Démocrate, les Républicains et Trump. Comment fonctionne cette adhésion dans ce cas ?

Alberto Toscano – Dans la version spécifiquement étatsunienne, tout l'imaginaire du sionisme chrétien nationaliste extrême joue aussi : une identification ouverte, quasi irréfléchie, au colonialisme racial. C'est une logique différente, peut-être plus significative et plus nocive. On peut y rattacher la déclaration du chancelier allemand selon laquelle les Israéliens font « notre sale boulot ». Elle part de l'idée que tout acte de guerre ou de violence israélien relève par définition de la légitime défense. Israël serait le fer de lance de l'Occident, et la violence qu'il déchaîne serait toujours une contre-violence. D'où, symptôme parlant, ce message du ministère allemand des Affaires étrangères condamnant l'« agression iranienne » avant même le tir de missiles iraniens, mais après le bombardement de Téhéran par Israël.

Pablo Elorduy – Vous avez déjà rappelé que des pratiques fascistes, intolérables à l'intérieur des sociétés européennes, étaient tolérées et applaudies lorsqu'elles visaient des nations colonisées. Avons-nous oublié cet héritage ?

Alberto Toscano – Dans sa forme classique, c'est l'analyse qui se trouve dans le Discours sur le colonialisme, d'Aimé Césaire, et c'est la logique de ce qu'on appelle désormais assez couramment le « boomerang » colonial. On peut comprendre le fascisme comme le moment où ces méthodes et violences coloniales — et les idéologies raciales qui vont avec — franchissent la frontière sacrée de l'Europe. Mais elles n'ont jamais été exceptionnelles pour leurs victimes coloniales ou indigènes. C'était tout l'argument de la pensée noire radicale anticolonialiste dès les années 1920-1930. Le milieu des années 1930 est une conjoncture cruciale : l'invasion italienne de l'Éthiopie en 1935 et, bien sûr, la guerre d'Espagne en 1936.

Pablo Elorduy – Que se passe-t-il alors ?

Alberto Toscano – Le Komintern et l'Union soviétique changent de stratégie : on passe de l'idée « classe contre classe », de l'antagonisme total contre le fascisme et contre la social-démocratie, à une logique de Front Populaire. Et dans cette logique, en 1935 — ainsi que dans les débats sur la Société des Nations —, s'installe l'idée qu'il faut distinguer entre un impérialisme raciste/fasciste et un impérialisme « démocratique », qui fonctionnerait comme un moindre mal.

Face à cela, toute une série d'intellectuels radicaux, communistes, marxistes venus du monde colonial, mais en diaspora à Paris et à Londres, élaborent une autre tendance de la pensée critique du fascisme, qui met sur la table la relation fondamentale entre fascisme et colonialisme. Ils disent : ce que vous tenez pour abomination ou exception, c'est notre expérience du colonialisme — y compris du colonialisme français, britannique, « démocratique » et libéral. On pense aux textes de George Padmore (1903-1959), d'Aimé Césaire (1913-2008), de C. L. R. James (1901-1989) et d'autres.

C'est à ce moment et pour cette raison que ces dissidents quittent le Komintern et la Troisième Internationale, puis développent diverses dissidences marxistes et socialistes. Dans le cas de l'invasion de l'Éthiopie, ils tentent de construire un discours de solidarité internationale autour de l'idée de sanctions ouvrières, de boycott ouvrier. C'est intéressant, car c'est la même tradition qui sera explicitement invoquée contre l'apartheid et contre la dictature au Chili. Elle se diffuse surtout parmi les travailleurs des ports, les marins.

Pablo Elorduy – Un héritage dont la gauche continentale se souvient peu.

Alberto Toscano – Il importe non seulement de voir comment se développe, au sein d'une pensée anticapitaliste et anticoloniale, une perspective politique très différente, mais aussi de se rappeler qu'elle résulte d'une série de débats stratégiques et pratiques. Ces autres théories du fascisme émergent au moment même où l'antifascisme « officiel » — libéral, ou, pour les années 1930, celui de la Troisième Internationale — traite le colonialisme occidental libéral comme un moindre mal. C'est un rappel très important aujourd'hui.

Pablo Elorduy – Le débat se joue aussi aux États-Unis, sur fond de ségrégation raciale, avant le mouvement des droits civiques.

Alberto Toscano – Oui, avec d'autres inflexions, dont cette idée — l'une des citations qui ouvrent mon livre — formulée par le poète Langston Hughes (1901-1967) : ce que les Européens découvrent comme nouveau avec le fascisme est très familier à celles et ceux qui ont connu l'esclavage, mais aussi tout le régime d'apartheid de Jim Crow qui a régi une large part des États-Unis.

Pablo Elorduy – À gauche, on a toujours revendiqué des utopies. Or l'expérience montre que l'utopie traverse les idéologies et, très souvent, est par définition exclusive. L'Utopie de Thomas More (1478-1535) l'était déjà ; aujourd'hui, on voit qu'Israël, à sa manière, propose sa propre utopie, avec l'aide de Trump et de ses vidéos pleines d'apparat et de casinos. La gauche doit-elle problématiser sa revendication de l'utopie ?

Alberto Toscano – Les mouvements radicaux européens ont entretenu des relations très complexes — et assez problématiques — avec le colonialisme, y compris dans les utopies concrètes qu'ils ont proposées.

Il y a quelques années, je travaillais sur les écrits du géographe anarchiste Élisée Reclus (1830-1905). À certains moments, nombre de révolutionnaires exilés au XIXe siècle — anarchistes, mais aussi communistes —, surtout après les défaites de 1848 et de la Commune de Paris, ont tenté de construire des îles, des enclaves utopiques, mais dans des situations de colonialisme de peuplement. Et il y a un débat, chez les anarchistes français, sur la possibilité de « coloniser », non pas au sens de dominer, mais au sens de trouver des terres libres, inoccupées.

La question de la décolonisation de l'utopie est complexe. Si l'on regarde la science-fiction, notamment étatsunienne, avec tous ses fantômes historiques, on voit à quel point l'idée du colonialisme de peuplement est sédimentée dans ses récits.

Pablo Elorduy – L'utopie de droite se développe sans ces problématiques.

Alberto Toscano – Je pense qu'il existe une ambivalence, et aussi de fortes contradictions, au sein des droites, y compris la droite radicale ou extrême contemporaine, quant à ce qu'est l'utopie. L'une des raisons pour lesquelles j'ai commencé à parler de « fascisme tardif », c'est qu'en 2016-2017, en pensant à des phénomènes comme Trump ou l'extrême droite européenne, il me semblait que la charge utopique y était assez faible.

Pablo Elorduy – Quelle est la différence avec le fascisme classique à cet égard ?

Alberto Toscano – Dans les analyses des années 1930 de figures hétérodoxes du marxisme et de la théorie critique comme Ernst Bloch (1885-1977) et Georges Bataille (1897-1962) —, on soulignait que l'élément utopique du fascisme était sous-estimé. On reconnaissait que c'était bien une perversion, mais aussi une utopie, et qu'à ce titre elle avait la capacité de canaliser certaines forces, certains désirs, certains fantasmes débordants de la société. Ils critiquaient l'erreur d'un marxisme trop rationaliste qui ne saurait s'y opposer — voire, chez Bataille, l'absence de tentative pour en capter aussi les énergies.

Pablo Elorduy – Pourtant, vous dites que le désir utopique de l'extrême droite actuelle est faible. Pourquoi ?

Alberto Toscano – Beaucoup de figures de l'extrême droite se tournent vers des fascismes plus ésotériques, mais la plupart de ces mouvements sont très conservateurs dans leurs formes, leurs modes de vie et leurs imaginaires. Toute l'idée — mimésis inversée du communisme et des utopies de gauche des années 1920-1930 — d'un « homme nouveau » ou d'un avenir radicalement différent, d'une révolution nationale avec son esthétique et sa culture, n'est pas centrale pour les droites actuelles.

Pablo Elorduy – Pourquoi ?

Alberto Toscano – D'une certaine manière, ces extrêmes droites ont le succès électoral et culturel qu'elles ont parce qu'elles n'exigent pas grand-chose de leurs followers — et j'emploie sciemment ce mot lié aux réseaux sociaux. On ne te demande pas de changer de vie, à peine d'imaginer faire des sacrifices.

Un épisode curieux, au moment des droits de douane : après un discours de Trump, des gens furent choqués parce qu'il avait dit — de façon étrange et misogyne — que les petites Américaines devaient se contenter de trois poupées et non de trente. Même cette modeste réduction de consommation fut perçue comme une rupture d'un contrat symbolique. C'est symptomatique de ce conservatisme subjectif, existentiel.

S'il y a des éléments utopiques, ils sont plus banals : petites utopies de domination domestique, de domination sur les migrant.es ; pas l'idée d'une rupture ou d'une transformation de la vie quotidienne.

Pablo Elorduy – Là encore, Israël représente une utopie totalisante, avec l'idée du « Grand Israël » portée par l'extrême droite sioniste.

Alberto Toscano – C'est peut-être la raison pour laquelle certaines extrêmes droites s'identifient fortement à Israël et en sont attirées : parce qu'il semble y avoir, dans son extrême violence et sa capacité à briser toute une série de cadres géopolitiques, à piétiner le droit international, une idée utopique de nouveaux espaces jadis inimaginables, de nouvelles implantations. Tout cela ne fait pas partie de l'imaginaire concret de la droite européenne tardive ou post-fasciste, qui n'a plus vraiment d'imaginaires expansionnistes, pas même au plan territorial.

C'est la différence — je ne sais pas si cela fonctionne bien en espagnol [la langue dans laquelle a été menée cet entretien] — entre la « frontière » (frontier) et la « frontière » (border). La frontière peut s'étendre à l'infini — jusqu'à Mars chez Elon Musk —, mais la border, la frontière politique…[1]

Pablo Elorduy – La frontière politique.

Alberto Toscano – Oui. C'est quelque chose qui doit rester fixe et sert à tenir l'Autre dehors, non à conquérir. Un imaginaire conservateur, traversé de tensions. Même faible, un élément utopique demeure nécessaire — d'où sa projection ailleurs.

Pablo Elorduy – Aux États-Unis, Trump garde les évangélistes à ses côtés grâce à la promesse d'un nouvel âge d'or, qui résonne avec la pensée religieuse radicale.

Alberto Toscano – En effet, l'ambassadeur des États-Unis en Israël a décrit Trump comme une figure presque messianique.

Pablo Elorduy – Cette vision transcendante, qui flirte avec l'Apocalypse ou l'Antéchrist, n'est pas présente dans les extrêmes droites européennes comme Fratelli d'Italia, Alternative pour l'Allemagne, le Rassemblement National ou Vox. Pourquoi ?

Alberto Toscano – Je pense qu'il y a beaucoup de calcul réaliste dans les extrêmes droites contemporaines. Un discours, une raison cynique, affirme : « il n'y a pas d'horizon de croissance ». Même si cela est parfois nié violemment, la question de l'urgence climatique et de la finitude du monde fait partie de l'imaginaire qui donne sa force à la droite. L'idée, c'est que les choses vont empirer ; que l'avenir n'offre pas un horizon très positif ; et que, par conséquent, le rôle de la politique est une redistribution antagoniste, exclusive, dominatrice, de ressources qui se raréfient.

Cela fait partie du contrat symbolique et psychique établi avec des formations comme Fratelli d'Italia. Il y a des éléments de jouissance symbolique, psychologique, mais une part de leur force vient de ce cynisme : « Nous savons toutes et tous qu'il faut rester dans le monde thatchérien du “There Is No Alternative”, que le capitalisme est ce qu'il est ; mais nous allons limiter la capacité des Autres, internes ou mondiaux, à s'approprier les ressources, et nous vous promettons aussi un élément de jouissance : un permis psychologique pour briser toutes les règles du politiquement correct, du “wokisme” ; nous vous autoriserons vos discours identitaires raciaux, nationaux, de genre ; nous vous permettrons d'insulter et d'humilier. »

Pour une grande partie de la droite contemporaine, ce cynisme — ce fatalisme de base — est presque explicite. Pour reprendre W. E. B. Du Bois (1868-1963), il y a beaucoup de salaire psychologique, mais bien peu de salaire matériel — et c'est presque explicite dans le contrat qui se signe.

Pablo Elorduy – Il n'y a pas d'alternative — et il y en a encore moins pour l'Autre étranger.

Alberto Toscano – Un phénomène significatif de cette droitisation et de cette nationalisation de la politique fut le Brexit, en Angleterre, où j'ai vécu. Des sondages curieux montraient alors une différence notable entre celles et ceux qui voulaient rester dans l'UE et celles et ceux qui votaient pour le Brexit : la majorité des pro-Brexit pensaient que cela ne changerait rien. 70 % disaient : « Bien sûr que rien ne va changer — les politiciens sont corrompus, vendus —, mais je vais affirmer mon identité. » Alors que, de l'autre côté, la majorité des partisans du maintien pensaient qu'il y aurait des conséquences matérielles. J'y ai vu un signe de ce cynisme ou de ce fatalisme expliquant la montée de la droite.

Aux États-Unis, c'est une autre histoire en raison de la question évangélique : certains sondages indiquent que 40 % des habitant.es pensent que l'Antéchrist va arriver — les charges utopiques sont différentes. Mais, sur le Vieux Continent, le caractère de redistribution plutôt symbolique et de politiques identitaires sans véritable horizon de changement est très fort.

Pablo Elorduy – Une autre « famille » de l'extrême droite étatsunienne est aujourd'hui celle des multimillionnaires de la Silicon Valley. Pourquoi des gens comme Elon Musk, et d'autres comme Peter Thiel (1967), ont-ils embrassé ces idéologies et les ont-ils théorisées ?

Alberto Toscano – L'histoire de la Silicon Valley est depuis longtemps profondément marquée à droite — Malcolm Harris (1988) la retrace très bien dans Palo Alto : A History of California, Capitalism, and the World.

C'est une longue histoire de pensée eugéniste, d'imaginaires de domination ou de suprématie intellectuelle à forte connotation raciale, etc. Et cette histoire commence avant les ordinateurs, dans les années 1920-1930 à Stanford. Ajoutez des niveaux d'inégalités stratosphériques et la formation d'une conscience de classe exorbitante — multimillionnaire. Cela me rappelle une belle phrase du théoricien communiste italien Mario Tronti (1931-2023) :

  1. « Notre histoire est celle d'un capitalisme qui cherche à s'affranchir de la classe ouvrière ; aujourd'hui, nous assistons à une tentative de s'affranchir de la Terre elle-même — jusqu'à Mars. »

Mais cette projection dans les étoiles nous amène aussi à affronter une réalité beaucoup plus concrète.

Pablo Elorduy – Quoi ?

Alberto Toscano – Ce groupe de capitalistes de la Big Tech — Peter Thiel (1967) et Marc Andreessen (1971) mis à part — avait un certain modus vivendi avec le centrisme, avec le néolibéralisme progressiste du Parti Démocrate, qui semblait être l'idéologie organique de la Silicon Valley. Cela a changé surtout à la fin des années 2010, et au moment de la révolte qui a suivi le meurtre de George Floyd par la police. Des mouvements éthico-politiques significatifs ont alors émergé en interne : songeons à No Tech for Apartheid, No Tech for ICE

Toutes celles et ceux qui avaient pris au sérieux le branding libéral et progressiste de ces entreprises en sont venus à exiger que Google, Amazon, etc., ne fonctionnent pas — comme c'est en réalité le cas — comme des piliers de l'infrastructure répressive de l'État, en particulier de l'appareil militaro-industriel et, ce qui est aujourd'hui très significatif, de la répression des migrants et de la militarisation des frontières. Idéologiquement et matériellement, c'est là le fonds de commerce d'Amazon, de Google, de Musk : leur véritable intérêt matériel réside dans les contrats liés aux infrastructures militaires et répressives de l'État, et non dans les applications ludiques destinées au grand public.

Pablo Elorduy – La technologie de la répression.

Alberto Toscano – Il y a aussi une psychologie politique du fondateur (founder), qui se perçoit comme une figure méta- ou para-politique : le génie, l'inventeur, le capitaliste plus ou moins souverain, qui ne tolère pas que ses employé·es — très bien payé·es, mais avec peu de droits — organisent des formes éthico-politiques, syndicales, en interne. C'est intéressant, car ces gens pourraient accepter toutes les exigences de leurs salarié·es et conserver des sommes d'argent avec lesquelles personne ne saurait quoi faire — mais la question de leur pouvoir matériel et symbolique ressurgit là.

Pablo Elorduy – Il y a des contradictions entre ce secteur des millionnaires et le mouvement MAGA.

Alberto Toscano – S'est nouée une alliance curieuse, non sans conflits — Steve Bannon (1953), par exemple, a dénoncé la Silicon Valley comme un État d'apartheid —, mais une convergence s'est produite : une amalgamation autour d'un ennemi commun — le « wokisme », les universités, les élites intellectuelles —, imaginés à la fois comme ceux qui brident la capacité du fondateur à déployer toute son inventivité transformative, et comme ceux qui dominent l'ouvrier blanc nationaliste — plutôt fantasmé. Une étrange alliance de solidarité négative s'est ainsi constituée entre diverses figures de l'extrême droite.

Pablo Elorduy – Peter Thiel, le fondateur de Palantir, est l'un des pôles majeurs de l'extrême droite étatsunienne. Que représente-t-il aujourd'hui ?

Alberto Toscano – Palantir incarne le moment de pleine « autoconscience » de l'idée selon laquelle la Silicon Valley doit se transformer ouvertement en projet civilisationnel et nationaliste, en raison de la « menace » chinoise et d'autres facteurs. On peut lire ce texte soporifique, mais délirant et très étrange, d'Alex Karp (1967), patron de Palantir et ami de Thiel, The Technological Republic (2025). Le discours est le suivant : il faut éliminer ce virus du libéralisme — cette faiblesse —, injecter davantage d'énergie virile dans le monde de la Silicon Valley.

C'est un refrain repris par Mark Zuckerberg. Karp ajoute qu'à l'ère de l'IA, des drones et des algorithmes, il faut recréer la même synthèse entre identité technologique et domination géopolitique qu'aux heures fortes de la guerre froide et du Projet Manhattan. Voilà leur utopie — devenue hyper-étatiste : presque plus néolibérale, mais autre chose, un capitalisme d'État hyper-technologique.

Pablo Elorduy – Avec des accents monarchiques.

Alberto Toscano – Oui, avec des accents monarchiques — à la Curtis Yarvin (1973) — qui promeuvent l'idée du PDG comme figure de souveraineté, d'anti-démocratie.

Pablo Elorduy – Des personnages comme Yarvin posent la question : faut-il vraiment prendre au sérieux ce bric-à-brac théorique autrement que comme justification de pratiques de domination ? Est-ce du folklore ou un programme cohérent ?

Alberto Toscano – Difficile à discerner. Parfois, ces références semblent ornementales. Bannon, Thiel, et d'autres, lisent Julius Evola (1898-1974) ou Oswald Spengler (1880-1936) — mais quelle importance réelle ? C'est une pathologie professionnelle : philosophes et historien·nes des idées s'orientent naturellement vers cela.

En même temps, il est significatif que cette galaxie de la droite extrême organisée autour de Trump soit, curieusement, beaucoup plus europhile que le Parti Républicain d'hier. Certes, il y a une forte composante évangélique, nationaliste, chrétienne, mais il existe aussi ce groupe tourné vers des éléments de la Nouvelle Droite ; toute cette mouvance qui lit Le Camp des Saints de Jean Raspail (1925-2020), un peu d'Alain de Benoist (1943), etc., et une organisation assez significative comme le National Conservatism[2], qui constitue un autre lien avec Israël et le sionisme.

Pablo Elorduy – Dans quelle mesure la culture de la nouvelle extrême droite est-elle importante pour comprendre l'extension politique du phénomène cette dernière décennie ?

Alberto Toscano – Il y a un désir d'intellectualité à droite qui m'est familier, ayant vu l'extrême droite italienne depuis les années 1970 — jusqu'à CasaPound[3]— pleine de revues, colloques, groupes de lecture ; des murs ornés de Gottfried Benn (1886-1956), Ernst Jünger (1895-1998), Giovanni Gentile (1875-1944), Gabriele D'Annunzio (1863-1938), etc. Difficile d'apercevoir quelque chose d'organique dans toute cette galaxie. On risque de trop se focaliser sur les lectures de Bannon.

Mais, en réalité, une production beaucoup plus ennuyeuse, une intellectualité plus concrète, façonne fortement les politiques trumpistes : tout le travail gris, quasi anonyme, de certains think tanks. Lisez le Project 2025 : surtout au plan juridique et légal — là s'exprime une profonde intellectualité technique, très particulière aux États-Unis, mais avec ses imaginaires politiques — chrétiens, nationalistes, identitaires, homophobes et misogynes. C'est l'épine dorsale qui agrège ces autres éléments.

On peut penser à l'idéologie européenne du « grand remplacement » des années 1990 ; mais, aux États-Unis, cela s'imbrique avec 150 ans de pratique et de pensée anti-immigration — déjà présentes dans les lois contre les travailleurs chinois au XIXᵉ siècle [4] — et qui structurent l'appareil légal et constitutionnel. Sur cette base se synthétisent d'autres éléments, non négligeables, mais opérants parce qu'existe cette infrastructure idéologico-juridique plus profonde.

Pablo Elorduy – Comment l'extrême droite étatsunienne influence-t-elle les partis post-fascistes européens ?

Alberto Toscano – L'influence stylistique est claire — logique dans un continent sub-impérial où l'hégémonie culturelle et géopolitique étatsunienne est forte. L'idée d'avoir des « frères » idéologiques à la Maison-Blanche a été clé pour ouvrir un champ des possibles. La figure de Bannon a compté par sa tentative de nouer des réseaux intellectuels et de mimésis réciproque. Il ne s'agit pas que des guerres culturelles : certaines tactiques et stratégies institutionnelles étatsuniennes ont été importées, tout comme l'idée d'un nouvel illibéralisme institutionnel — Viktor Orbán en est un exemple.

Un nouveau cycle, un autre horizon semblent possibles. Des éléments de contre-révolution juridiques étatsuniens ont été repris sur les questions de genre, de sexualité et de reproduction ; en Italie, même les débats sur le port d'armes. Il y a mimésis, mais dans des traditions juridiques et des formes institutionnelles très différentes. On le voit dans les relations entre Javier Milei et Musk, Meloni et Orbán, Orbán et Ron DeSantis : un monde de possibilités politiques s'est ouvert.

On pourrait dire qu'au plan formel, ce n'est pas si différent des gauches radicales européennes allant observer l'Équateur, le Venezuela ou le Brésil — non pour opérer techniquement, mais comme climat d'époque. Il est significatif de voir comment s'articulent, dans ces droites extrêmes, l'identitarisme et le provincialisme avec l'idée d'appartenir à un mouvement assez global.

Pablo Elorduy – Le post-fascisme puise sa force dans une revendication de la « liberté » qui n'était pas présente de la même façon dans le fascisme classique.

Alberto Toscano – Je ne suis pas d'accord. Dans la préhistoire coloniale du fascisme, il y a une promesse utopique au sens d'être libres de dominer, libres de jouir de sa domination, dans certains espaces. On la retrouve dans des enclaves ou des moments des fascismes historiques d'entre-deux-guerres. C'est l'un des thèmes du livre de l'historien français Johann Chapoutot, (1978) Libres d'obéir : jusque dans l'idéologie managériale et subjective des SS, on trouve l'idée que tu as un objectif, mais que la façon de l'atteindre est ton espace de liberté, d'autonomie.

Un obstacle à la pensée critique du fascisme classique — et surtout du fascisme tardif —, c'est tout ce sens commun hérité de la guerre froide qui fait du fascisme un « totalitarisme » entendu comme système bureaucratique d'obéissance totale et quasi mécanique. Cette image d'un État-Moloch est éloignée de la réalité, des désirs et des formes de subjectivité de l'extrême droite contemporaine. D'où ces relations complexes entre autoritarismes extrêmes et idéologies économiques libertariennes : des figures comme Javier Milei sont symptomatiques.

Je pense aux travaux de l'historien Quinn Slobodian sur les « bâtards de Hayek », et aux tendances raciales et coloniales au cœur de l'histoire du néolibéralisme. Si l'on définit le fascisme par une statolâtrie exorbitante, on s'interdit de penser ses rapports avec l'anarcho-capitalisme. Or, dès les textes et discours de Mussolini autour de la marche sur Rome, on trouve une curieuse identification à l'État minimal libéral : le fascisme comme méthode de violence pour briser l'échine du mouvement ouvrier, l'autonomie paysanne et ouvrière, les organisations de solidarité — afin de rendre possible « moins d'État ».

La généalogie du fascisme entretient des relations compliquées avec l'idée de liberté économique : liberté d'entreprendre, liberté de propriété — donc liberté d'exploiter, de dominer, etc.

Pablo Elorduy – Vous citez cette formule : « Qui n'est pas prêt à parler du capitalisme devrait aussi se taire sur le fascisme ». La question est de savoir si la graine de ce qui se passe aujourd'hui n'était pas là avant 2008, avant Lehman Brothers et l'austérité.

Alberto Toscano – Pour Karl Polanyi (1896-1964), cela existe déjà avec David Ricardo (1772-1823). J'ai trouvé très curieuse l'idée du virus, un virus qui était peut-être en suspens, dormant, mais qui était déjà là. Pourquoi ?

On peut aussi penser qu'il existe un virus fasciste parce que la modernité politico-économique est hautement contradictoire, parce que l'universalisation des droits politiques et l'universalisation de la citoyenneté ont une relation conflictuelle avec le capitalisme. Non seulement celui-ci doit reproduire diverses formations hiérarchiques et parasiter les formations hiérarchiques qui sont son héritage pré-capitaliste, mais il crée aussi continuellement des populations excédentaires, jetables.

Je lisais la belle édition d'Akal de Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, de Karl Marx[5], et dans ce livre, on trouve l'idée que le césarisme bonapartiste qui se manifeste au milieu du XIXe siècle est comme le symptôme de cette contradiction et de cette quasi-impossibilité constitutive.

Pablo Elorduy – Comment cela ?

Alberto Toscano – C'est aussi la thèse du théoricien japonais Kojin Karatani (1941) : le fascisme est une variante de la forme transcendante et contradictoire de la politique sous le capitalisme. L'autoritarisme bonapartiste devient la solution capitaliste au problème de la nécessité d'une politique de masse dans une société fondée sur une exploitation hiérarchique qui génère des populations excédentaires. En ce sens — non pas « le fascisme aux bottes noires » —, comme solution violente nécessitant une politique de masse et des imaginaires, des utopies d'égalité antagoniste (colons contre indigènes, hétérosexuels contre « anormaux », etc.), cette solution est invariante mais se répète sous des formes très différentes.

Pablo Elorduy – Que retenir alors de l'étude du fascisme classique pour affronter la situation actuelle ?

Alberto Toscano – Quand j'ai commencé le livre, un débat faisait rage aux États-Unis sur les analogies et différences avec le fascisme. J'ai trouvé très utile de penser à partir de textes de gens ayant connu directement le fascisme : Hannah Arendt, Primo Levi, Césaire — et d'autres —, toujours lucides sur le fait que la potentialité et la répétition du fascisme demeurent, sans qu'il revienne sous les mêmes formes. Marcuse, par exemple, dit qu'il peut y avoir du fascisme aux États-Unis, mais que ses manifestations ne seront pas reconnaissables comme telles.

Théoriquement, nous sommes donc obligé·es de penser ce que recouvrent exactement ce processus et cette potentialité. Rien de mystérieux pourtant si l'on admet que le fascisme lui-même, que la politologie fige historiquement, n'a jamais été homogène : ses moments sont radicalement différents.

Pablo Elorduy – Le livre propose une petite espérance : devenir ce que l'extrême droite croit que la gauche est – anti-blanche, queer, métisse.

Alberto Toscano – Ma modeste proposition, c'est la version antifasciste de l'idée de Nietzsche : « Deviens ce que tu es ». Être ce qu'ils pensent que tu es. Réaliser l'ennemi imaginaire qu'ils projettent.

Pablo Elorduy – Se « réveiller » vraiment — être woke en pleine conscience.

Alberto Toscano – Mais c'est un idéal régulateur assez utopique. Le moment est extrême, symboliquement, et matériellement marqué par des excès de violence militaire. Ce qui me frappe, en Europe comme en Amérique du Nord, c'est le vide béant au cœur des idéologies de l' « extrême centre ». Tout ce qui prétend reproduire une normalité occidentale tourne à la caricature creuse. Le mantra — répété comme par des zombies — « Israël a le droit de se défendre » est glaçant.

Non pas matériellement – car, comme le souligne Ilan Pappé (1954), le sionisme traverse une crise terminale, susceptible de durer et de se traduire par des phases particulièrement violentes -, mais symboliquement : le suprémacisme occidental, dans sa version libérale et libérale-progressiste, s'effondre. Et c'est dans cet effondrement que les fascismes trouvent leur humus, leur terrain de croissance.

Combien de temps cela peut-il durer sans contrepoids, sans réactions ? Empiriquement, on observe une désaffiliation massive : le soutien à la guerre contre l'Iran ou à ce qui se passe à Gaza est très faible dans l'opinion publique. Même en Allemagne — où le soutien inconditionnel à Israël frôle le délire —, les critiques au sein de la population ne diffèrent pas tellement de celles qu'on entend en Espagne ou en Italie. Je ne sais donc pas combien de temps cette façade, ce vide politique, peut encore se maintenir tel quel.

Pablo Elorduy – Le programme, ce serait provoquer la fin du suprémacisme occidental ?

Alberto Toscano – Oui, ce serait un bon programme. Comme l'« euthanasie de la rente »[6], l'euthanasie du suprémacisme occidental.

*

Alberto Toscano est enseignant à la School of Communication de l'Université Simon Fraser (Canada) et codirige le Centre for Philosophy and Critical Theory à Goldsmiths, Université de Londres. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages récents : Late Fascism : Race, Capitalism and the Politics of Crisis (Verso, 2023), traduction française : Fascisme tardif. Généalogie des extrêmes droites contemporaines, Éditions La Tempête, 2025 ; Terms of Disorder : Keywords for an Interregnum (Seagull, 2023) ; et Fanaticism : On the Uses of an Idea (Verso, 2010 ; 2ᵉ éd. augmentée, 2017), disponible en français sous le titre Le Fanatisme. Modes d'emploi (La Fabrique, 2011). Toscano a également traduit en anglais des textes d'Antonio Negri, d'Alain Badiou, de Franco Fortini et de Furio Jesi. Il vit à Vancouver.

Pablo Elorduy est né à Madrid en 1978 ; il est diplômé en histoire de l'art et exerce le journalisme depuis 2008. Il a débuté au journal Diagonal (2008–2017), avant de co-fonder en 2017 le quotidien militant en ligne El Salto, où il coordonne la rubrique politique. Il est l'auteur d'El Estado feroz (Verso, 2023), une enquête sur les mécanismes répressifs de l'État espagnol après la crise financière, parmi lesquels le lawfare (instrumentalisation du droit à des fins politiques) et le deep state (réseaux opaques de pouvoir au sein de l'appareil d'État).

Il intervient régulièrement dans des débats radiophoniques comme Hora 25 (Cadena Ser), Carne Cruda ou sur Canal Red.

Cet entretien a été initialement publié dans le journal El Salto et traduit de l'espagnol (castillan) pour Contretemps par Christian Dubucq.

Notes

[1] En anglais, frontier désigne la « frontière » au sens d'un espace mobile, ouvert à l'expansion (par ex. la conquête de l'Ouest, ou l'exploration spatiale). Border renvoie à la limite politico-juridique fixe entre États. Le français ou le castillan ne disposent pas de cette distinction lexicale, ce qui explique la précision d'Alberto Toscano.

[2] Le National Conservatism (ou « conservatisme national ») est un courant idéologique forgé à la fin des années 2010 autour de Yoram Hazony (1964) et de la National Conservatism Conference. Derrière son discours de défense de la « nation » contre le « globalisme », il promeut une vision ethno-nationaliste, patriarcale et autoritaire, qui sert de ciment aux nouvelles droites radicales aux États-Unis comme en Europe. Israël joue ici un rôle stratégique : présenté comme modèle d'« État-nation fort » fondé sur l'identité juive et l'exclusion des Palestiniens, il devient à la fois une source d'inspiration et un point de ralliement idéologique pour cette mouvance.

[3] CasaPound Italia est un mouvement néofasciste fondé à Rome en 2003, qui se revendique du « fascisme du troisième millénaire ». Inspiré par Ezra Pound, poète et propagandiste fasciste, CasaPound a combiné occupations de bâtiments, concerts, librairies, bars et revues pour diffuser et normaliser une culture néofasciste dans l'Italie contemporaine. S'il reste marginal électoralement, son activisme militant et culturel a joué un rôle central dans la banalisation des discours racistes, sexistes et nationalistes au sein de la droite italienne.

[4] La « loi d'exclusion des Chinois »), (Chinese Exclusion Act), adoptée aux États-Unis en 1882, fut la première loi fédérale à interdire l'immigration d'une nationalité entière, sur une base explicitement racialisée. Elle criminalisait l'arrivée de nouveaux travailleurs chinois, refusait la naturalisation à celles et ceux déjà présents, et légitimait une vague de violences racistes enracinées depuis des décennies. Renouvelée par le Geary Act (1892) puis rendue permanente en 1902, elle n'est formellement abrogée qu'en 1943 (Magnuson Act) — non par souci de justice, mais dans le contexte de l'alliance militaire avec la Chine contre le Japon ; l'abrogation ne concédait alors qu'un quota dérisoire (105 entrées annuelles) et la naturalisation, tandis que d'autres barrières demeuraient. Cette loi inaugure un régime d'immigration et de citoyenneté racialisé, ensuite étendu à d'autres populations asiatiques et non européennes, et constitue un jalon majeur du racisme institutionnel aux États-Unis. Voir l'article « Loi d'exclusion des Chinois », Wikipédia.

[5] Karl Marx, El 18 Brumario de Luis Bonaparte, Madrid, Ediciones Akal, coll. « Básica de Bolsillo », 2003 (nombreuses rééd.).

[6] L'expression « euthanasie de la rente » renvoie à John Maynard Keynes (Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, 1936), qui anticipait la disparition des revenus de rente dans le développement du capitalisme.

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Javier Milei, produit des mutations du capitalisme

21 octobre, par Sylvain Pablo Rotelli — , ,
Qui sort véritablement gagnant de l'arrivée au pouvoir de Javier Milei ? Ou plutôt, quels groupes sociaux sont en mesure d'orienter la politique menée par le président argentin (…)

Qui sort véritablement gagnant de l'arrivée au pouvoir de Javier Milei ? Ou plutôt, quels groupes sociaux sont en mesure d'orienter la politique menée par le président argentin ? La montée du miléisme est moins la conséquence d'une soudaine adhésion des masses aux idées libertariennes que d'une reconfiguration des rapports de forces entre différentes fractions de la bourgeoisie argentine d'une part, et du manque d'alternative politique pour les masses laborieuses lors de son élection.

16 octobre 2025 | tiré d'AOC media
https://aoc.media/analyse/2025/10/15/javier-milei-produit-des-mutations-du-capitalisme

Les Development studies, aujourd'hui dominés par les projets de la coopération internationale et « d'aide au développement », ont toutefois connu une solide période structuraliste, qui demeure très éclairante jusqu'à nos jours pour analyser les dynamiques économiques et politiques de nombreux « pays du Sud ».

Le la est donné par la publication du théorème Prebisch-Singer en 1949, sous forme de note à la CEPAL. Se basant sur une étude quantitative, agrégeant des données issues des comptes nationaux de nombreux pays latino-américains, les auteurs avancent une découverte majeure, qui tord le cou aux tenants du libéralisme. Ils montrent qu'avec l'enrichissement mondial, les prix internationaux des biens primaires – que les pays du Sud exportent – augmentent moins vite que ceux des biens industriels, dans lesquels se spécialisent les pays du Nord, car « mieux dotés en capital ».

Dès lors, la spécialisation productive apparaît comme un piège pour les trajectoires de développement les pays du Sud. La théorie de la dépendance est ainsi née, et devient la pierre angulaire à l'école du Structuralisme latinoaméricain. Si Cardoso, coauteur de Faletto devient président du Brésil en 1995 et applique une politique néolibérale, d'autres courants de cette école se rapprochent du marxisme et ressemblent furieusement à la théorie de l'impérialisme de Lénine et de Rosa Luxembourg, où les « pays du sud » sont en réalité les « pays dominés par l'impérialisme ». Nous pensons ici à Ruy Mauro Marini par exemple, opposé au réformisme de Raul Prebisch.

La théorie de la dépendance, et plus largement le structuralisme latinoaméricain éclairent particulièrement bien l'histoire économique argentine.

En effet, lorsque l'Argentine se constitue en tant qu'État indépendant au XIXe siècle, sa place dans la division internationale du travail lui est déjà attitrée. Sa forte dotation en terres arables en fait un exportateur de biens primaires de choix. Par ailleurs, le génocide du peuple paraguayen, plus connu sous « la guerre de la Triple Alliance » rappelle ce qu'il en coûte de s'industrialiser et de concurrencer les manufactures britanniques.

Au début du XXe siècle, l'Argentine est peu peuplée et dispose d'une rente d'exportation faramineuse. Cela fait dire à Milei, qui reprend maladroitement les estimations d'Angus Maddison, que l'Argentine était le pays à plus haut PIB par habitant, et que le péronisme – et plus généralement l'intervention de l'État – serait venu tout gâcher. Hormis le fait que le calcul du PIB n'existe pas avant 1950, que le classement d'Angus Maddison est estimatif et nécessairement biaisé, qu'il ne prend en compte que vingt pays, que l'Argentine ne se classe pas première mais huitième sur cette liste, Milei semble oublier la variable la plus explicative de l'évolution de la position de l'Argentine sur le classement des pays en termes de PIB par habitant : sa croissance démographique. En effet, entre 1885 et 1947, la population passe de quatre millions d'habitants à près de seize millions, une croissance démographique qu'une croissance économique par tête basée presque exclusivement sur une rente d'exportation peine à égaler, encore moins à surpasser durablement.

Sur la même période, les pays européens connaissent une croissance démographique bien plus faible. N'ayant pas à compenser une population qui se quadruple en quarante ans, un taux de croissance plus faible de leur PIB suffit – 1% sur longue période selon Thomas Piketty – pour que leur PIB par habitant croisse plus vite que celui de l'Argentine, dont le classement diminue mécaniquement. On imagine mal un pays agro-exportateur et périphérique avoir un taux de croissance du PIB par habitant supérieur à celui des pays industrialisés sur une longue période.

Mais pourquoi l'Argentine ne diversifiait pas sa production ? Pourquoi l'économie du pays était tirée exclusivement par son secteur agro-exportateur ?

La réponse est donnée par l'un des effets pervers de la dépendance à l'exportation de biens primaires. En effet, lorsque l'Argentine exporte quelque chose, elle reçoit des devises comme moyen de payement. Lorsqu'elle importe quelque chose, elle adresse un payement en devises au reste du monde. Dans ce contexte, s'industrialiser signifie cesser d'importer certains biens industriels, ce qui en revient à réduire le flux de devises adressé au reste du monde. En retour, le reste du monde réduit le flux de devises adressé à l'Argentine, ce qui signifie très concrètement que cette dernière voit ses exportations diminuer. Étant donné que ses exportations sont constituées quasi exclusivement de la production du secteur agro-exportateur, nous comprenons la farouche opposition de ce dernier à toute tentative d'industrialisation.

Cependant, la crise de 1929, puis la Deuxième guerre mondiale viennent modifier cet équilibre. Cette fois-ci, la logique s'inverse. La demande adressée à la production argentine s'effondre dans tous les cas, ce qui contraint le pays à entamer une phase d'industrialisation par substitution d'importations (ISI) afin de maintenir sa stabilité macroéconomique. Le secteur agraire se divise sur la question, notamment lors de la signature du pacte Roca-Runciman en 1933. Ce traité concède à l'Argentine une niche pour ses exportations agraires au sein du marché britannique, que les grands propriétaires terriens s'empressent de remplir. Une fois leur production assurée, ils deviennent favorables à un développement de l'industrie légère sur leur territoire, contrairement aux petits et moyens producteurs qui soutiennent farouchement le libre-échange.

Seulement, cette fenêtre ne se refermera jamais plus.

En effet, les transformations socio-politiques provoqués par la mutation des bases productives argentine ne permettent pas de retour en arrière. En s'industrialisant, l'Argentine voit se développer une classe ouvrière, issue des villes mais aussi de l'exode rural. Cette classe ouvrière s'organise, se syndique, se structure et reçoit l'influence des mouvements ouvriers européens au point qu'au début des années 1940, quatre grandes tendances existent en son sein : le communisme, l'anarchisme, le socialisme, et le syndicalisme révolutionnaire.

Cette dernière tendance, avec le soutien d'une partie des socialistes, investit la construction du Partido Laborista en 1945, dont les statuts ressemblent fortement à ceux du Labour Party britannique. Toutefois, sa version argentine investit un front électoral en 1945 qui soutient la candidature d'un certain Juan Domingo Perón.

Les politiques protectionnistes et industrialisantes que met en place ce dernier durant ses deux premiers mandats – le deuxième est interrompu par un sanglant coup d'État militaire en 1955 – favorisent deux groupes socio-économiques a priori antagonistes. De larges fractions de la classe ouvrière, d'une part, qui obtiennent la mise en place de revendications de longue date relatives à la sécurité sociale, aux congés payés, à la hausse des salaires. Dans une logique keynésienne somme toute très classique, le développement du marché intérieur favorise aussi différentes sous-fractions de la bourgeoisie industrielle, déjà choyée par la politique commerciale du péronisme, qui passe par la nationalisation du commerce extérieur et la redistribution des excédents vers l'industrie.

Le soutien au péronisme du patronat industriel n'est pas homogène selon les sous-fractions qui le composent et varie également selon le taux de profit sectoriel. En effet, selon Basualdo (2005), lorsque celui-ci passe en dessous d'un certain niveau, le capital industriel étranger, ainsi que certaines fractions nationales dépendantes de celui-ci se mettent à œuvrer activement pour un changement de régime, que le secteur agro-exportateur appelle également de ses vœux.

Toutefois, un retour au modèle agro-exportateur pur en revient à exclure la classe ouvrière du processus de production, ainsi que certaines fractions de la bourgeoisie. Nombreuse, politiquement organisée et hautement syndiquée, capable de voter pour des gouvernements industrialisateurs, la classe ouvrière argentine représente le rempart contre le retour à la république bananière.

Depuis lors, l'Argentine se trouve en situation de « match nul hégémonique », où aucun modèle – agro exportateur ou industriel – ne parvient durablement à s'imposer, et par conséquent aucune fraction des classes dominantes ne peut entièrement dominer les autres.

L'élection de Javier Milei, conséquence de la financiarisation du capitalisme argentin ?

L'arrivée au pouvoir de Javier Milei représente une sérieuse tentative de remise en question du match-nul hégémonique. En effet, l'équilibre entre fractions de classes crée un espace pour que s'y faufile la fraction montante : la bourgeoisie financière, dont le développement est concomitant à celui du secteur financier.

Cependant, Milei a souvent été présenté comme un outsider de la politique, image qu'il a largement contribué à construire. Habitué des plateaux télé, l'économiste libertarien compense le manque de reconnaissance de ses pairs par une popularité médiatique basée sur les prises de position prétendument disruptives. L'État serait l'ennemi à abattre. L'entité qui a privé de liberté les Argentins durant la pandémie est aussi celle qui leur « vole leurs richesses » à travers les impôts. Au nom d'une liberté radicale, il appelle à privatiser les trottoirs, à déréguler la vente d'organes, à détruire l'État, à brûler la Banque Centrale et à dollariser l'économie. Mais surtout, il s'agit de « combattre la caste », qui serait globalement composée de la classe politique, de l'ensemble des fonctionnaires et bien sûr, des syndicalistes.

Ce discours fait rapidement mouche chez une catégorie de la population jusqu'alors peu identifiée par la science politique argentine : les insuffisamment pauvres pour accéder aux aides sociales, et insuffisamment insérés socialement pour jouir des conquêtes du mouvement ouvrier liées au salariat formel (Ruggeri, 2023). Souvent jeunes, peu diplômés, auto-entrepreneurs à faible revenus vivant chez leurs parents, percevant les intellectuels de gauche comme donneurs de leçons, les allocataires comme des assistés, ces électeurs adhèrent rapidement à un discours qui leur procure l'occasion de prendre une certaine revanche sociale.

Les statistiques électorales du second tour vont en ce sens, qui oppose le candidat du péronisme Sergio Massa à Javier Milei. Ce dernier obtient 63,5% des voix des auto-entrepreneurs (contre 30% pour Massa), presque neuf militaires sur dix et sept policiers sur dix votent pour le candidat libertarien. Il obtient aussi le soutien du secteur financier, avec 52% du personnel de la finance qui vote pour lui (contre 39% pour Massa) ou encore des inactifs, qui le plébiscitent à hauteur de 51,9% des voix (contre 41,8% pour Massa).

S'arrêter ici pourrait valider l'idée selon laquelle la sociologie électorale d'un candidat dévoilerait sa vraie nature. Ce campisme électoral ne permet pas de voir que le simple fait que de très nombreux ouvriers votent pour un parti ne suffit pas à faire de celui-ci un parti ouvrier. Preuve s'il en est, Milei est majoritaire chez les ouvriers (52,3%), alors que le candidat péroniste ne fait que 41,6%. Affirmer que le parti La Libertad Avanza serait un parti ouvrier serait au mieux une incroyable pirouette intellectuelle et au pire un acte fabuleux de mauvaise foi.

Autre chiffre surprenant : le vote par affiliation partisane. Alors que l'on pourrait s'attendre à ce que les adhérents au Partido Justicialista (le parti péroniste) votent comme un seul homme pour le candidat péroniste, un tiers de cette catégorie préfère donner sa voix à Javier Milei. De quoi remettre en question les – déjà peu opérants – clivages partisans.

Mais aussi, Milei obtient de très bons scores chez les salariés du secteur public (45,3%) ou encore chez les scientifiques et autres « professions intellectuelles supérieures » (56,8%).

La première leçon à tirer de ces résultats est que Sergio Massa, le ministre de l'économie d'Alberto Fernandez (péroniste de centre-droit), n'a pas représenté une alternative pour les travailleurs. Sa stratégie de « décornerisation », basée sur le présupposé qu'il ne faut pas « effrayer l'électorat », que son virage à droite permettrait de d'empiéter sur les plate-bandes de Javier Milei tout en ayant comme garantie que tout ce qui se trouve à sa gauche votera pour lui paraissait infaillible sur un plan logique, mais s'est avérée être une catastrophe électorale. A croire que le seul clivage gauche-droite ne recouvrirait pas toute la réalité politique d'un pays.

Un plan de stabilité macroéconomique très profitable pour le secteur financier

Dans la mesure où le vote Milei est somme toute très transversal, sa sociologie ne permet pas vraiment de caractériser politiquement le personnage.

Alors, de quoi Javier Milei est-il le nom ? Est-il l'outsider anti-caste qu'il disait être ? Cette question pouvait être répondue dès le second tour, lorsque son parti réalise un accord électoral avec le PRO, le parti de la droite traditionnelle argentine. Autrement dit, avant d'entrer en fonction, Milei s'apprête déjà à gouverner avec « la caste » qu'il dénonçait la veille.

Les accointances de Javier Milei avec Elon Musk ou avec des agents dominants du champ de la finance et de l'e-commerce en Argentine ne sont pas simplement idéologiques. Derrière les mises en scène spectaculaires, comme lorsque le Président argentin offre une tronçonneuse dorée à Elon Musk, se cache la relation entre le secteur financier étranger et domestique – en montée – et son poulain libertarien.

Car si la sociologie électorale de l'intéressé ne permet pas d'en déduire totalement la teneur politique, sa politique économique est bien plus éclairante à ce sujet. Sous couvert de recherche de stabilité macro et de combat contre l'inflation, se cache en réalité un transfert de ressources considérable vers le secteur financier. L'exemple le plus concret est celui du carry trade, qui donne lieu à ce que les Argentins surnomment « la bicyclette financière ».

Le mécanisme est simple. Afin de stopper – officiellement – la dépréciation du peso, les autorités monétaires argentines cherchent à rendre la monnaie nationale attirante. Pour cela, certaines administrations publiques – dont la Banque Centrale – émettent des titres libellés en pesos, très rémunérateurs, et à durée de vie relativement courte. Avec ce système, si l'on démarre, par exemple, avec 100 dollars US, il est possible de les échanger contre des pesos à un taux X. Puis, en plaçant ces mêmes pesos dans les titres tout juste mentionnés, l'investisseur empoche une juteuse rentabilité, toujours en pesos, qui surpasse amplement l'inflation domestique et la dépréciation. L'investisseur n'a plus qu'à racheter des dollars, s'il veut sortir du jeu, au même taux X et empocher une rentabilité dollars US cette fois-ci. Lors de certaines périodes ce système a permis, avec une mise de départ de 100 dollars US, d'en retirer 125 un an plus tard.

Il est évident qu'un investissement financier dans un pays périphérique comportant une rentabilité en dollars de 25% est clairement insoutenable. En effet, d'où sortent les 25 dollars US supplémentaires de notre exemple ? Très concrètement, de la dette extérieure et de la surexploitation des travailleurs argentins.

Mais alors, que se passe-t-il lorsqu'un pays du Sud fait défaut sur sa dette extérieure ? Les créanciers effacent amicalement les comptes ? Le FMI regarde ailleurs ? Non, bien entendu. La domination impérialiste qu'il subit s'abat de toutes ses forces en faisant main basse sur ses ressources. En clair : derrière les accolades avec Elon Musk se cache le pillage du lithium pour les batteries Tesla.

La montée en puissance du secteur financier se voit reflétée dans la production législative. Illustrant l'idée selon laquelle l'État agit comme garant des intérêts des dominants, le gouvernement fait voter un ensemble de lois sous le nom de « Régime d'incitation pour les grands investissements » (RIGI), très favorables à l'extractivisme sans contrôle et au secteur financier, notamment à travers les nombreuses exonérations et incitations destinées à « attirer des capitaux ».

Les perdants du modèle : les travailleurs, le secteur industriel et agro exportateur

La progressive consolidation d'un nouveau bloc dominant, ou bien la montée en puissance de la fraction financière de la bourgeoisie argentine, se traduit par une tentative de mise au pas des autres fractions. Autrement dit, le « modèle Milei » peut se voir comme une tentative de vampirisation du secteur financier envers non seulement les travailleurs mais aussi le secteur agro-exportateur et l'industrie.

Cela se comprend tout d'abord avec la politique monétaire et commerciale argentine. L'ouverture aux importations défavorise logiquement le secteur industriel, au profit des importateurs. Mais aussi, les taux d'intérêt élevés, nécessaires au carry trade, sont une mise à mort de l'industrie nationale, tout comme le peso fort, qui favorise les importations.

Le peso fort est aussi défavorable au secteur agro-exportateur, qui perd en compétitivité, notamment vis-à-vis du géant brésilien.

La vampirisation emprunte aussi la voie de la politique fiscale. Sérieusement mis à contribution sur l'autel de la dette, le secteur industriel mais aussi le secteur agro exportateur sont bien plus imposés que ce que la campagne anti-état et anti-impôts du feu libertarien laissait le supposer. À titre d'exemple, la production métallurgique à la sortie de l'usine est imposée à hauteur de 32% en moyenne, sans compter la TVA, soit deux fois plus qu'au Mexique ou au Brésil. Avec la TVA, ce taux grimpe à 44%.

La dérégulation du commerce extérieur, le peso fort et cette politique fiscale expliquent en bonne partie qu'entre novembre 2023 et août 2024, 38 532 emplois aient été perdus dans le secteur industriel et 879 entreprises dans l'industrie manufacturière aient mis la clé sous la porte.

Les exportations de soja, quant à elles, ont été taxées depuis le début du mandat de Milei – excepté un bref interlude – à hauteur de 33%. La force de frappe de la fraction terrienne de la bourgeoisie argentine a récemment permis de faire passer ce taux à 26%, témoignant de l'existence d'un rapport de forces encore en négociation.

Les principaux sacrifiés demeurent néanmoins les travailleurs et les retraités qui, contrairement à leurs homologues français, sont très touchés par la pauvreté. Le minimum retraite s'élève actuellement à 290 dollars, dans un pays où un jean de marque coûte environ 150 dollars. Le pouvoir d'achat recule, les retraites ne sont pas revalorisées au rythme de l'inflation, et les coupes budgétaires en matière de santé et d'éducation sont drastiques.

Leur triste sort contraste particulièrement avec le traitement réservé à l'un des amis du Président, Marcos Galperin. Ce Jeff Bezos argentin est le CEO de Mercado Libre, le concurrent d'Amazon en Amérique latine, entreprise qui reçoit cent millions de dollars de subsides de l'Etat par an.

Dans le même temps, les manifestations de retraités sont régulièrement réprimées, tandis que la gendarmerie déloge des piquets de grève, et la police de Buenos Aires criminalise les vendeurs de rue, ou les collecteurs de déchets informels.

La montée de personnages comme Javier Milei est davantage la conséquence des mutations récentes du capitalisme et des rapports de force entre les fractions dominantes que le fruit d'une soudaine adhésion des masses à des idées réactionnaires. Elle est aussi rendue possible par le manque d'alternative politique pour les travailleurs, ainsi que par les rouages du scrutin majoritaire à deux tours. En effet, Milei n'arrive qu'en deuxième position au premier tour, avec 30% des voix et force est de constater que Sergio Massa, le « ministre de l'inflation » n'a pas séduit les masses.

On pourra rétorquer que le phénomène Milei n'est pas nouveau, et que l'Argentine a connu des gouvernements ouvertement fascistes – comme la dictature de Videla et Galtieri – et/ou néolibéraux, comme le gouvernement de Mauricio Macri (2015-2019).

Cependant, ce qui semble constituer une nouveauté est la capacité de la fraction financière à diriger durablement le cycle d'accumulation présent. La baisse récente des impôts sur le soja prouve néanmoins qu'elle doit faire certaines concessions à d'autres fractions, capables, dans une certaine mesure, de différer leurs exportations et par là même, de compromettre la stabilité du taux de change.

Dès lors, si les mutations du capitalisme laissent prévoir l'apparition de nouveaux Javier Milei, l'avenir de celui-ci dépend essentiellement de la résolution des conflits entre fractions dominantes mais aussi – et surtout – de la résistance que pourra lui opposer le prolétariat organisé. Par conséquent miser sur l'organisation des travailleurs devient plus que jamais nécessaire.

Sylvain Pablo Rotelli

Sociologue, Maître de conférences en Sociologie à l'Université Toulouse Capitole

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Venezuela : accélération autoritaire et répression de la gauche critique. Entretien avec Edgardo Lander

21 octobre, par Anderson Bean, Edgardo Lander — , ,
Depuis les élections de 2024 au Venezuela, le gouvernement de Nicolás Maduro a intensifié son virage autoritaire déjà ancien. Plus de 2 000 personnes ont été arrêtées dans les (…)

Depuis les élections de 2024 au Venezuela, le gouvernement de Nicolás Maduro a intensifié son virage autoritaire déjà ancien. Plus de 2 000 personnes ont été arrêtées dans les jours qui ont suivi le scrutin, et la persécution ciblée s'est étendue aux journalistes, aux syndicalistes, aux universitaires et aux défenseurs et défenseuses des droits humains.

15 octobre 2025 | tiré de contretemps.eu

La militante des droits humains Marta Lía Grajales a disparu pendant deux jours après avoir dénoncé le passage à tabac brutal de mères qui réclamaient la libération de leurs enfants emprisonné·es. María Alejandra Díaz, avocate chaviste et ancienne membre de l'Assemblée constituante, a été radiée du barreau et harcelée après avoir appelé à la transparence dans le dépouillement des votes. Ces cas illustrent une stratégie plus large d'intimidation et de criminalisation.

La répression s'abat avant tout sur la gauche critique. Ces derniers mois, les médias officiels ont accusé Edgardo Lander, Emiliano Terán Mantovani, Alexandra Martínez, Francisco Javier Velasco et Santiago Arconada d'avoir formé un prétendu « réseau d'ingérence étrangère » déguisé en travail universitaire et environnemental. Des institutions telles que la Faculté des sciences économiques et sociales de l'Université centrale du Venezuela, le CENDES, l'Observatoire d'écologie politique et la Fondation Rosa Luxemburg ont également été diffamées dans le cadre de cette prétendue conspiration.

En effet, en contexte d'avancée impérialiste sur la Caraïbe, d'exécutions extrajudiciaires de vénézuéliens par les EEUU avec l'excuse de la lutte contre la drogue, la notion d'anti-impérialisme est instrumentalisée par le gouvernement Maduro pour taire la dissidence et réprimer la population. Dynamique qui doit aussi être mise en perspective avec l'octroi à Maria Corina Machado, figure de l'extrême droite vénézuélienne, du prix Nobel de la Paix. Elle dédie son prix à Donald Trump lui-même, et remercie son soutien pour ce qu'elle appelle la lutte pour la démocratie au Venezuela. Une curieuse conception de la démocratie si l'on prend en compte ses alliances non seulement avec l'administration états-unienne, mais aussi avec les extrêmes droites de l'Amérique latine dont Milei et Bolsonaro, et européennes dont le parti Vox en Espagne ou encore le parti d'extrême droite européen « Patriots for Europe ».

Edgardo Lander — sociologue, professeur retraité de l'Université centrale du Venezuela et figure de proue des débats latino-américains sur la démocratie, l'extractivisme et l'avenir de la gauche — fait lui-même partie des personnes visées. Son travail critique sur l'arc minier de l'Orénoque et son insistance sur la pensée indépendante l'ont placé dans le collimateur du gouvernement[1]. On pourra également relire deux entretiens avec Edgardo Lander que nous avions publié antérieurement : en janvier 2009où il se demandait alors où en était le « processus bolivarien », et en 2018 où il proposait (avec Miriam Lang) un bilan de l'expérience des gouvernements progressistes en Amérique latine de la fin des années 1990 aux années 2010.

***

Anderson Bean – Depuis les élections controversées de 2024, la répression contre les voix critiques s'est intensifiée, avec plus de 2 000 personnes arrêtées et une multiplication des cas de persécution ciblée. Comment décririez-vous le climat général de répression au Venezuela depuis les élections ?

Edgardo Lander – Ces élections ont été, à bien des égards, un tournant dans le processus bolivarien au Venezuela. Ces dernières années, des limites qu'on croyait infranchissables ont été, à maintes reprises, allègrement franchies.

Jusqu'aux élections présidentielles vénézuéliennes de l'année dernière, le système était, dans l'ensemble, fiable. Certes, il y avait eu quelques cas isolés de fraude évidente, comme lors des élections des gouverneurs à Bolívar et Barinas, mais ceux-ci n'avaient pas eu d'incidence sur les résultats au niveau national. Le système de vote électronique automatisé du Venezuela, avec ses multiples garanties, rendait très difficile toute fraude à grande échelle.

Le processus était simple : vous votiez, la machine affichait votre choix sur un écran, puis imprimait un reçu papier. Vous vérifiez qu'il correspondait à votre vote et le déposiez dans une urne. À la fin de la journée, les machines produisaient un rapport et, en présence de témoins, les urnes étaient ouvertes et comparées aux résultats des machines. Les procès-verbaux étaient signés par les témoins pour certifier que les décomptes électroniques et papier correspondaient. C'est pourquoi, jusqu'à ce moment-là, les élections vénézuéliennes étaient, je le répète, fondamentalement fiables.

Mais cette fois-ci, lorsque le gouvernement a commencé à recevoir les résultats, il s'est rendu compte qu'il n'allait pas seulement perdre, mais perdre lourdement. Il pensait peut-être pouvoir se permettre une défaite serrée, puis manipuler les résultats dans quelques États pour s'en sortir avec une victoire. Mais l'écart était tellement important que cela s'est avéré impossible. Ils ont donc balayé les règles du jeu.

Ils ont prétendu que le système avait été piraté depuis la Macédoine du Nord. Puis le président du Conseil National Électoral est apparu, littéralement une serviette à la main [2], et a lu des chiffres sans rapport avec le vote réel. Peu de temps après, Maduro a été déclaré vainqueur.

Il s'agissait là d'une ligne rouge très importante, car elle marquait le passage d'un gouvernement qui, certes, manipulait les ressources publiques, menaçait les fonctionnaires, réprimait et intimidait l'opposition, empêchait les partis d'opposition de mener leurs activités, etc., mais où, le jour même des élections, les votes des citoyens étaient au moins fidèlement enregistrés par les machines. Pour la première fois, ils ont décidé, sans vergogne, d'enfreindre les règles du jeu et de supprimer la notion même d'élections du jeu politique ou démocratique. C'était un pas vers un régime qui se révélait ouvertement autoritaire, au mépris de la Constitution et des normes électorales.

Naturellement, cela a déclenché des manifestations massives, auxquelles le gouvernement a répondu par des arrestations massives. Bon nombre de ces arrestations étaient tout à fait arbitraires : des jeunes qui se trouvaient devant leur maison ou qui venaient d'aller acheter du pain ont été accusés de terrorisme et emmenés. Le gouvernement a en substance admis qu'il ne pouvait obtenir le soutien de la majorité et que, s'il voulait rester au pouvoir, il devait recourir à la répression et instiller la peur dans la population.

C'est pourquoi, après le jour du scrutin, il y a eu deux jours de manifestations importantes. Au moins 25 000 personnes sont descendues dans la rue et près de 2 000 ont été arrêtées dans le cadre d'une répression brutale. Cela leur a permis de semer la terreur et de renvoyer les gens chez eux.

Depuis lors, cette logique de répression systématique s'est poursuivie à tous les niveaux. Elle s'est traduite par l'arrestation de journalistes, d'économistes pour avoir publié des chiffres qui déplaisaient au gouvernement, de syndicalistes et d‘universitaires. Après la vague d'arrestations massive qui a suivi les élections, la répression est devenue plus sélective, tout en glissant vers une intolérance quasi totale à l'égard de la dissidence

Le gouvernement a fermé davantage de médias et invoqué une série de lois[3] ces derniers mois – la « loi anti-haine », la « loi anti-terrorisme » et d'autres – visant à criminaliser tout acte d'opposition, aussi pacifique soit-il, car tout acte de ce type est immédiatement qualifié de terrorisme.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un gouvernement qui tente de nier toute possibilité d'expression de la dissidence, tout espace où elle pourrait exister. Cela explique les attaques contre les universités, les journalistes et la campagne systématique contre les ONG. Comme le gouvernement insiste pour présenter tout comme une bataille entre un « gouvernement révolutionnaire » et « l'agression impérialiste », les ONG sont qualifiées d'instruments financés par l'étranger, dirigés par la CIA, dont le but est de saper le gouvernement. Plus récemment, cela a consisté à cibler la Fondation Rosa-Luxemburg[4] et à qualifier les dénonciations de l'arc minier de l'Orénoque (AMO)[5] d'« attaques contre l'État ».

Une étape très récente et significative dans la dérive autoritaire a été franchie avec l'assaut contre la veillée des mères de prisonnier·es politiques. Ces mères, dont les enfants sont emprisonné·es, avaient fait le tour des bureaux du pouvoir judiciaire jusqu'à ce qu'on leur dise que seul le président de la Cour suprême pouvait statuer sur leur cas. Elles se sont rendues au tribunal, ont demandé une audience, se sont vu refuser, puis ont décidé d'organiser une veillée sur la place devant le bâtiment. Elles ont monté une tente, rejointes par des militant·es des droits humains, et avaient même emmené des petits enfants avec elles. Vers 22 heures, la garde permanente devant le tribunal a été retirée, les lumières de la zone ont été éteintes, puis quelque 80 membres de colectivos[6] pro-gouvernementaux, dont certains masqués, sont arrivés. Ils ont battu les mères, leur ont volé leurs téléphones portables et leurs cartes d'identité, et les ont chassées de la place au milieu de la nuit. Beaucoup de mères venaient de province et se sont retrouvées bloquées dans la ville, sans moyen de communication.

C'était vraiment scandaleux, une nouvelle escalade de la logique autoritaire. Et lorsque les mères ont essayé de porter plainte auprès du bureau du procureur général et du médiateur, on leur a répondu qu'on ne pouvait rien faire, car il s'agissait d'une « action privée » des colectivos, et non de la police — une affirmation absurde.

Cette offensive contre les intellectuels, contre l'Université Centrale du Venezuela – qui est devenue un espace important de réflexion et de dissidence – s'inscrit dans une stratégie plus large : tout lieu où peuvent s'exprimer des voix différentes de celles du gouvernement doit être traité comme un ennemi, comme un agent de l'impérialisme, et être persécuté. Telles sont les nouvelles règles du jeu.

Anderson Bean – Au cours de l'année écoulée, nous avons vu des cas où même des personnes issues du milieu chaviste ont été réprimées – par exemple, Marta Lía Grajales, qui a été forcée à monter dans une camionnette banalisée et détenue après avoir dénoncé le passage à tabac violent de mères qui manifestaient pour la libération de leurs enfants, un épisode que vous venez de décrire, et María Alejandra Díaz, avocate et ancienne membre de l'Assemblée constituante, qui a été radiée du barreau après avoir exigé de la transparence lors des élections de 2024. Que révèlent ces cas sur la volonté du gouvernement Maduro de s'en prendre à ses anciens alliés et à sa propre base ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur leur situation et sur leur importance ?

Edgardo Lander – Marta Grajales (1980) a en fait disparu pendant environ deux jours et demi. Son mari et des organisations de défense des droits humains ont fait le tour des centres de détention habituels où les personnes sont emmenées dans ces circonstances, et dans chacun d'entre eux, on leur a répondu qu'elle n'était pas là. La réaction a été si forte – mobilisation de l'opinion publique latino-américaine, du monde universitaire, des réseaux d'organisations sociales et même d'une partie de la base chaviste – que le gouvernement, apparemment (je ne peux pas l'affirmer avec certitude, mais cela semble probable), a été surpris par la force de la réaction et a décidé de libérer Marta immédiatement.

Cela ne signifie pas pour autant qu'elle est libre : elle fait toujours l'objet d'accusations extrêmement graves qui pourraient lui valoir jusqu'à dix ans de prison si son affaire est jugée et qu'elle est condamnée. Mais ce qui est déjà clair, c'est qu'il ne s'agit pas ici de réprimer l'opposition de droite. Marta n'est pas une femme de droite, c'est une compañera, une militante chaviste de longue date. Le fait est qu'il n'importe plus désormais d'avoir une carte du parti, un passé militant ou des années d'identification au gouvernement. Être chaviste n'est plus une protection.

C'est pourquoi je souligne l'une des caractéristiques clés de la situation politique actuelle, résumée dans un hashtag qui a accompagné de nombreuses déclarations du gouvernement ces derniers jours : « Douter, c'est trahir ». Ils le répètent sans cesse. Et c'est un signe de faiblesse, d'insécurité, car il y a des gens au sein des forces armées, de la police et même de la base chaviste qui ne sont pas d'accord avec ce qui se passe. Dans ce contexte, non seulement il est interdit de dénoncer les abus, mais il est même interdit de douter. Quiconque a des doutes doit les garder pour lui, car exprimer ses doutes est considéré comme une trahison.

Il s'agit d'un nouveau modèle autoritaire dans lequel non seulement les organisations autonomes sont interdites, mais même les syndicats ont été déclarés obsolètes – Maduro a annoncé qu'il créerait une nouvelle structure pour les remplacer. Il a également déclaré la création de milices sur les lieux de travail : 450 000 personnes armées sur les lieux de travail à travers le pays, soi-disant pour résister à l'impérialisme lorsque les Marines arriveront. Tout cela ferme tout espace démocratique possible, toute possibilité d'expression libre. L'objectif est de générer la peur – la peur de sortir dans la rue, la peur de s'exprimer, la peur parmi les journalistes qui s'autocensurent – afin qu'au final, nous nous retrouvions avec un régime fermé sans aucune option.

Les relations de Maduro avec la gauche à travers le continent se sont considérablement détériorées. Les seuls gouvernements avec lesquels il s'aligne encore sont ceux de Cuba, du Nicaragua et, dans une certaine mesure, de la Bolivie, du moins jusqu'aux récentes élections. Au-delà de cela, le Venezuela est très isolé. Bien sûr, il existe encore un secteur de la gauche qui s'accroche à l'idée que « l'ennemi est toujours l'impérialisme – quiconque s'oppose à l'impérialisme est mon allié, quiconque ne s'y oppose pas est mon ennemi ». Ainsi, même dans ce contexte de dénonciations graves, le Forum de São Paulo[7]– qui regroupe de nombreux partis de gauche « officiels » d'Amérique latine (pas tous, mais un nombre important) – a publié une déclaration qui ne fait aucune mention des droits humains, des persécutions ou des détentions. Il n'évoque que les menaces que représentent les États-Unis pour la souveraineté vénézuélienne, abordant ainsi un tout autre sujet.

C'est extrêmement grave. J'insiste toujours sur le fait que la pire chose que l'on puisse faire à la gauche, à toute option anticapitaliste ou progressiste dans le monde d'aujourd'hui, c'est d'appeler ce qui existe au Venezuela « socialisme » ou « gouvernement de gauche ». Car cela provoque un tel rejet que les gens disent, à juste titre : « Si c'est ça la gauche, si c'est ça le socialisme, alors je voterai pour la droite. » C'est pourquoi je considère la position du Forum de São Paulo comme perverse : elle perpétue le mythe selon lequel les gouvernements de Cuba, du Nicaragua et du Venezuela sont des gouvernements révolutionnaires, progressistes et démocratiques. Et pourtant, n'importe qui peut lire les journaux pour voir la réalité.

Dans le cas du Venezuela, c'est encore plus évident en raison du nombre considérable de migrant.es qui ont quitté le pays. Leurs récits de première main sur ce qu'ils et elles ont enduré ne peuvent être réduits au silence ou niés : il y a tout simplement trop de voix qui disent la même chose. Demandez-leur pourquoi ils ont dû partir, et les réponses s'accumulent : à cause de ceci, de cela et de cela. Les témoignages sont accablants.

Anderson Bean – Dans ce contexte, vous et d'autres universitaires éminents avez été accusés dans les médias officiels de faire partie d'un prétendu « réseau d'ingérence politique déguisé en travail universitaire et environnemental ». Pourriez-vous commencer par expliquer en quoi consistent réellement ces accusations et d'où elles proviennent ? À partir de là, comment interprétez-vous la signification plus large de ces attaques pour la liberté académique et le débat critique au Venezuela ? Pourquoi pensez-vous que ces attaques ont lieu maintenant, et que révèlent-elles sur les priorités et les craintes du gouvernement à l'heure actuelle ?

Edgardo Lander – Je pense que ces accusations ne sont qu'une autre expression de ce que j'ai décrit : un gouvernement qui cherche à empêcher toute forme de désaccord avec ses politiques. Il ne s'agit pas seulement de réprimer les travailleur·ses qui se mobilisent pour obtenir des salaires décents, ou les mères qui exigent la libération de leurs enfants emprisonné·es. Il s'agit aussi de faire comprendre que la communauté intellectuelle elle-même, simplement en menant des recherches sur les politiques de l'État, commet une infraction.

Prenons le cas des recherches sur ce qui se passe dans l'arc minier de l'Orénoque. Il s'agit simplement d'enquêter, de se demander ce qui arrive aux populations autochtones. Des études montrent, par exemple, que les enfants autochtones ont des taux élevés de mercure dans le sang. C'est cela, la recherche : documenter ce qui se passe réellement. Mais pour le gouvernement, il s'agit d'une atteinte à son autorité, à son droit de définir les politiques qu'il juge appropriées.

Ainsi, lorsqu'ils me citent personnellement, ce n'est pas parce que j'aurais accompli quelque chose d'extraordinaire — au-delà du fait d'exprimer des opinions, de participer à des débats ou de diffuser des idées à travers l'Amérique latine. Le gouvernement considère tout cela comme un danger, une menace, et cherche à le faire taire. Il tente d'amener les intellectuel·les, même celles et ceux qui ne formulent que des critiques modérées, à s'autocensurer ou à éviter de mener des recherches susceptibles de mettre en lumière des réalités embarrassantes pour le pouvoir.

Il s'agit d'un véritable resserrement de l'étau, d'un siège qui, peu à peu, se referme jusqu'à étouffer tout espace de respiration.

Anderson Bean – Outre des personnes comme vous, des institutions bien connues telles que la Faculté des sciences économiques et sociales de l'UCV, le CENDES[8] et l'Observatoire d'Écologie Politique[9] ont également été attaquées. Parmi elles, le cas de la Fondation Rosa Luxemburg se distingue, notamment en raison de ses liens publics avec le parti allemand Die Linke. Pour ceux qui ne la connaissent pas, pourriez-vous expliquer ce qu'est cette fondation, quel type de travail elle a mené au Venezuela et pourquoi elle pourrait aujourd'hui être la cible d'attaques ?

Edgardo Lander – Tout d'abord, pour ceux qui ne connaissent pas bien les fondations politiques allemandes, il convient d'expliquer leur fonctionnement. Dans le système politique allemand, les partis qui dépassent un certain seuil de représentation parlementaire reçoivent un financement public pour une fondation politique liée à ce parti. Les sociaux-démocrates ont une fondation – la Fondation Ebert, le Parti chrétien-démocrate en a une – la Fondation Adenauer – et le parti de gauche, Die Linke, a la Fondation Rosa Luxemburg.

Ces fondations travaillent principalement en dehors de l'Allemagne et se concentrent sur le débat culturel et politique. Elles ne sont en aucun cas des activistes politiques intervenant directement dans les affaires d'autres pays. Dans le cas de la Fondation Rosa Luxemburg, elle dispose de bureaux dans toute l'Amérique latine : au Mexique (couvrant le Mexique, l'Amérique centrale et les Caraïbes), au Brésil, en Argentine (pour le Cône Sud) et à Quito, qui couvre le Venezuela, la Colombie, l'Équateur et la Bolivie.

Pendant les années de gouvernements progressistes, la Fondation Rosa Luxemburg – et en particulier son bureau andin à Quito – a travaillé sur une question qui est au cœur des débats de la gauche et des mouvements sociaux en Amérique latine depuis le début du siècle : l'extractivisme. La question de savoir ce que signifie continuer à repousser la frontière minière vers de nouveaux territoires, et la dévastation que cela cause aux terres autochtones à travers le continent.

D'une part, les gouvernements progressistes ont encouragé, célébré et activé des processus d'organisation populaire, des secteurs populaires urbains aux peuples autochtones, en passant par les éleveurs et les paysans. Mais les politiques extractivistes ont également signifié que lorsque les peuples autochtones ont résisté à l'occupation de leurs territoires, l'État a répondu par la répression.

La question de l'extractivisme et du modèle de développement plus large poursuivi par les gouvernements progressistes est donc liée à la crise civilisationnelle à laquelle nous sommes confrontés. Elle touche aux limites de la planète, aux droits des peuples autochtones, aux menaces environnementales. Il s'agit là de questions intrinsèquement politiques, qui ne sont pas neutres ni purement académiques. Elles affectent directement la vie des gens.

C'est pourquoi, au Venezuela aujourd'hui, même la recherche ou la critique publique de la politique extractiviste – comme la remise en cause de la stratégie du gouvernement dans l'arc minier de l'Orénoque – est considérée comme une attaque directe contre l'État. Tout récemment, la Fondation Rosa Luxemburg a été désignée comme l'ennemi principal, précisément parce qu'elle a soutenu des débats, des études et des mouvements qui remettent en question les coûts sociaux et environnementaux de l'exploitation minière et de l'extractivisme. Ce qui est en réalité un travail de recherche universitaire et de soutien aux mouvements sociaux est présenté par le gouvernement comme une subversion politique.

Prenons l'exemple de l'eau. Il est difficile d'imaginer aujourd'hui, où que ce soit dans le monde, un mouvement de défense de l'eau qui ne soit pas politique. Car si les gens défendent l'eau, c'est parce que quelqu'un fait quelque chose pour la contaminer ou l'épuiser. Cela en fait nécessairement un sujet de débat, et le débat implique toujours des positions politiques.

Le fait n'est donc pas que la Fondation Rosa Luxemburg soit apolitique. Les questions sur lesquelles elle travaille – l'extractivisme, les droits des autochtones, les menaces environnementales – ont inévitablement une dimension politique. Mais il ne s'agit en aucun cas d'une fondation qui soutient ou finance des politiques visant à saper le gouvernement vénézuélien.

Si des groupes enquêtent sur l'arc minier de l'Orénoque et que leurs rapports montrent les effets extrêmement négatifs de l'exploitation minière illégale dans cette région, le gouvernement considère cela comme une attaque contre lui-même. Et à partir de là, la seule alternative qui reste est le silence : personne ne dit rien sur quoi que ce soit.

L'affirmation selon laquelle la Fondation Rosa Luxemburg est financée par le gouvernement allemand et fait donc partie d'un projet impérialiste américain visant à affaiblir le Venezuela est, outre le fait qu'elle relève de la paranoïa, une simple tentative de tout mettre dans le même sac et d'attaquer les ONG dans leur ensemble.

Bien sûr, il existe de nombreuses petites organisations diverses qui travaillent sur des questions telles que les élections, l'environnement, les droits humains, les droits des femmes, etc. Dans toute l'Amérique latine, beaucoup de ces groupes reçoivent des financements extérieurs, parfois des églises, parfois de l'Union européenne, parfois d'autres sources. Et le gouvernement tente de présenter tout cela comme faisant partie d'une grande stratégie impérialiste visant à financer ces organisations afin de renverser le gouvernement.

Cela n'a pas vraiment de sens d'un point de vue concret, mais d'un point de vue politique, cela a tout son sens pour convaincre la base qui soutient le gouvernement que le Venezuela est attaqué et que toute personne qui semble neutre – ou même sympathisante du chavisme – mais qui critique ensuite les politiques gouvernementales sur des questions que l'État considère comme vitales, rejoint immédiatement le camp ennemi. Et l'ennemi doit être combattu.

Cela place bien sûr la Fondation Rosa Luxemburg dans une situation très difficile. Il lui devient extrêmement difficile de mener à bien son travail. Et les communautés avec lesquelles elle travaille – petits agriculteurs, paysans et autres – finissent par perdre le soutien dont elles bénéficiaient jusqu'à présent.

Quoi qu'il en soit, il est important d'être clair : il s'agit d'une petite fondation. Elle ne dispose pas de millions et de millions de dollars. Ses projets sont modestes.

Anderson Bean – Pourquoi pensez-vous que ces attaques ont lieu maintenant, et que révèlent-elles sur les priorités et les craintes du gouvernement à l'heure actuelle ?

Edgardo Lander – Je pense que ce qui se passe actuellement est lié à ce que j'ai déjà mentionné : le gouvernement se sent de plus en plus isolé. Il se sent de plus en plus isolé sur la scène internationale et de plus en plus discrédité au sein de la gauche mondiale, même s'il existe des tensions et des contradictions dans ce domaine. Et bien sûr, il constate également un mécontentement au sein de sa propre base.

Tout d'abord, cela s'explique par le fait que les conditions de vie des citoyens ordinaires ne s'améliorent pas. Aujourd'hui, le salaire minimum au Venezuela est inférieur à un dollar étatsunien par mois. Il est partiellement compensé par diverses primes, distribuées arbitrairement à qui bon leur semble, quand bon leur semble, et utilisées comme un outil de contrôle politique sur la population.

Nous avons affaire à un gouvernement qui a depuis longtemps abandonné tout projet politique. Tout le discours sur l'approfondissement de la démocratie, sur le socialisme, a tout simplement disparu de l'horizon. Le seul objectif du gouvernement est désormais de se maintenir au pouvoir.

Pour se préserver, il comptait auparavant sur un certain niveau de soutien populaire. Mais comme ce soutien n'a cessé de diminuer, la répression est devenue sa seule option. C'est pourquoi son discours s'appuie désormais fortement sur des appels au patriotisme, au nationalisme, à l'anti-impérialisme et aux menaces extérieures. Dans ce discours, tout est mis dans le même sac. Les ONG sont également incluses, car le gouvernement a besoin de présenter tout cela non pas comme des menaces pour lui-même, mais comme des menaces pour le Venezuela.

Anderson Bean – Enfin, bon nombre de ceux qui sont attaqués, y compris vous-même, collaborent depuis longtemps avec des mouvements et des camarades à l'étranger. Quelles formes de solidarité internationale sont les plus utiles à ce stade ?

Edgardo Lander – Tout d'abord, en parlant non seulement de la situation actuelle, mais aussi dans un sens plus durable, je voudrais revenir sur un point que j'ai soulevé précédemment. Pour les secteurs de la gauche vénézuélienne qui ont vécu et souffert de ce qui s'est passé dans ce pays au cours de ces dernières années, il est très douloureux de voir des intellectuel·les, des organisations et des journalistes de gauche continuer à décrire le Venezuela comme un gouvernement de gauche, un gouvernement socialiste ou un gouvernement révolutionnaire. C'est déchirant, profondément douloureux, car cela revient à ignorer toutes les preuves de ce qui se passe réellement dans le pays, à fermer les yeux sur la réalité — tout cela au nom de la lutte contre l'impérialisme.

Mais lutter contre l'impérialisme doit nécessairement signifier offrir un mode de vie meilleur que celui qu'offre l'impérialisme, et non pire. C'est pourquoi je pense que le travail que vous faites et l'initiative de votre livre sont si précieux : ils créent un espace pour une discussion sérieuse, réfléchie et raisonnée sur ce qui se passe réellement, plutôt que de tomber dans un débat simpliste et manichéen entre « les bons et les méchants » ou « les anti-impérialistes contre les pro-impérialistes ».

Il s'agit d'une question de solidarité — non pas de solidarité avec un gouvernement, mais de solidarité avec les peuples. Et cela est important non seulement pour le Venezuela, mais aussi au niveau international. Le mot « socialisme » devient de plus en plus populaire dans certaines parties du monde ; en fait, il attire de plus en plus de personnes. Mais lorsque le « socialisme » est assimilé au Venezuela, cela nuit à son attrait. C'est pourquoi il est absolument essentiel de distinguer l'expérience vénézuélienne du rêve d'un autre monde possible.

À l'heure actuelle, la réaction internationale à la détention de Marta Lía Grajales, puis aux accusations portées contre l'Université centrale du Venezuela, le CENDES et la Fondation Rosa Luxemburg, a sans doute surpris le gouvernement, en raison de l'ampleur du rejet qu'elle a suscité. Et l'une des caractéristiques déterminantes de la gauche a toujours été la notion d'internationalisme.

Si nous voulons réfléchir à la crise civilisationnelle, aux alternatives au développement et à la résistance à l'extractivisme, nous ne pouvons le faire dans les limites d'une seule nation. Il faut aborder ces questions à travers des réseaux qui traversent les frontières. Par exemple, lors de la lutte contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA/ALCA) il y a vingt ans, il y eut un niveau remarquable de coordination à l'échelle du continent : syndicats, étudiant·es, travailleur·euses du secteur public, paysan·nes, organisations autochtones, mouvements féministes — de toute l'Amérique latine, y compris du Canada et des États-Unis. Ces coordinations ont créé des réseaux, des savoirs, des contacts personnels et des moyens de partager l'information.

Ces réseaux et ces savoirs sont toujours vivants en Amérique latine. Ils n'ont plus la vigueur qu'ils avaient durant la lutte contre la ZLEA, mais ils perdurent. C'est pourquoi, très souvent, lorsqu'un événement se produit dans un pays de la région, il y a une réaction à l'échelle du continent, car les canaux permettant de communiquer ce qui se passe et d'appeler à réagir sont toujours là.

*

Anderson M. Bean est sociologue, Teaching Assistant Professor à la North Carolina A&T State University (Greensboro). Spécialiste du Venezuela et de la démocratie participative, il est l'auteur deCommunes and the Venezuelan State : The Struggle for Participatory Democracy in a Time of Crisis (Lexington Books, 2022/2023) et l'éditeur du volume Venezuela in Crisis. Socialist Perspectives (Haymarket Books, 2025). Il a notamment publié « Venezuela, Human Rights and Participatory Democracy, » Critical Sociology 42, no. 7–8 (2016).

Edgardo Lander (né en 1942 à Caracas) est un sociologue vénézuélien, professeur retraité de l'Université centrale du Venezuela (UCV). Titulaire d'un doctorat en sociologie de l'Université de Harvard (1977), il est l'auteur de travaux majeurs sur la démocratie, la mondialisation néolibérale, l'extractivisme et la pensée décoloniale. Membre du comité international du Forum social mondial (Caracas, 2006), il est également associé au Transnational Institute (TNI) et au Grupo Permanente de Trabajo sobre Alternativas al Desarrollo. Parmi ses publications : Neoliberalismo, sociedad civil y democracia : ensayos sobre América Latina y Venezuela (Nueva Sociedad, 1995), et l'ouvrage collectif qu'il a dirigé, La colonialidad del saber : eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas (CLACSO, 2000). Ses recherches récentes portent sur les contradictions du processus bolivarien et sur les impacts sociaux et écologiques de l'Arc minier de l'Orénoque.

Cet entretien a été conduit en espagnol par Anderson Bean. Une première traduction anglaise a été publiée sur le site de Tempest (11 septembre 2025).

Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.

Photo : Yoletty Bracho.

Notes

[1] L'interview a eu lieu avant l'attaque navale illégale menée le 2 septembre 2025 par les États-Unis contre un bateau battant pavillon vénézuélien dans la mer des Caraïbes, qui a causé la mort des 11 personnes à bord (NDLR).

[2] Lors de l'annonce officielle des résultats, le président du Conseil national électoral, Elvis Amoroso, est apparu à la télévision une serviette à la main, visiblement interrompu en pleine digestion. L'image, devenue virale, a illustré à sa manière le caractère improvisé — sinon indigeste — de la proclamation des résultats.

[3] La Loi contre la haine, pour la coexistence pacifique et la tolérance (Ley contra el odio, 2017) punit jusqu'à vingt ans de prison tout message jugé « incitant à la haine », permettant la censure de médias et la répression d'opposant·es. La Loi organique contre le crime organisé et le financement du terrorisme (Ley Orgánica contra la Delincuencia Organizada y Financiamiento al Terrorismo, 2012, révisée) est fréquemment utilisée pour poursuivre des syndicalistes, des chercheur·ses et des ONG accusé·es de « terrorisme » ou « d'ingérence étrangère ». Ces textes constituent aujourd'hui les principaux instruments juridiques de la dérive autoritaire du gouvernement vénézuélien.

[4] Fondation Rosa-Luxemburg (Rosa-Luxemburg-Stiftung, RLS) — Fondation politique allemande proche de Die Linke. Son bureau régional andin (Quito, ouvert en 2010) coordonne des projets en Équateur, Colombie, Bolivie et Venezuela, autour de l'éducation populaire, des droits sociaux et de la critique de l'extractivisme (par ex. le groupe « Alternatives au développement »). Au Venezuela, la coordination a notamment impliqué la sociologue Alexandra Martínez (1982), activiste engagée dans des processus de renforcement du pouvoir populaire. La RLS et plusieurs universitaires critiques (dont E. Lander, E. Terán Mantovani, A. Martínez) ont été accusés par les médias officiels de former un prétendu « réseau d'ingérence étrangère » ; ces accusations ont été dénoncées comme infondées par la Faculté des sciences économiques et sociales de l'Université centrale du Venezuela (UCV), tandis que la RLS a rejeté toute « ingérence » et réaffirmé son rôle de soutien à la réflexion critique et aux mouvements sociaux.

[5] Arc minier de l'Orénoque (AMO) — Zone spéciale de 111 843 km², située dans les États de Bolívar et Amazonas, désignée en février 2016 par Nicolás Maduro comme « zone de développement stratégique national » pour l'exploitation d'or, diamant, coltan et autres minerais. Le projet, qui couvre près de 12 % du territoire vénézuélien, est dénoncé par des chercheurs, ONG et organisations autochtones pour ses effets : déforestation, pollution au mercure, violences liées à l'extraction illégale et violations des droits des peuples originaires. Le gouvernement qualifie fréquemment ces critiques d'« attaques contre l'État ».

[6] Colectivos — Groupes organisés de base, nés dans les quartiers populaires vénézuéliens dans les années 2000, initialement liés à l'auto-organisation communautaire et au soutien au processus bolivarien. Beaucoup ont évolué en groupes armés pro-gouvernementaux, jouant un rôle de contrôle social et participant à des actions de répression, souvent en coordination informelle avec les forces de sécurité de l'État.

[7] Le Forum de São Paulo (Foro de São Paulo) est une instance régionale de concertation fondée en 1990 à l'initiative du Parti des travailleurs (PT) brésilien et de Fidel Castro, dans le but de coordonner les forces de gauche latino-américaines après la chute du bloc soviétique. Il rassemble aujourd'hui environ 120 partis et mouvements politiques issus de 27 pays d'Amérique latine et des Caraïbes, couvrant un large spectre allant des partis sociaux-démocrates aux formations se réclamant du socialisme révolutionnaire. Le Forum continue de se réunir régulièrement : sa XXVIIe rencontre s'est tenue à Tegucigalpa (Honduras) en juin 2024, et un Groupe de travail permanent s'est encore réuni à Caracas en janvier 2025. Voir : Foro de São Paulo, “Documento Base del XXVII Encuentro del Foro de São Paulo”, Fondation Perseu Abramo, 2024, en ligne : fpabramo.org.br.

[8] CENDES — Centro de Estudios del Desarrollo (Centre d'études du développement) de l'Université centrale du Venezuela (UCV), fondé en 1961 avec le soutien de la CEPAL, comme institut interdisciplinaire dédié à la recherche, à la formation et à la planification en matière de développement économique et social. Il a contribué à moderniser la réflexion sur le développement en Amérique latine, en intégrant l'économie, la sociologie, la santé publique et l'aménagement du territoire. Le centre édite les Cuadernos del CENDES, l'une des principales revues de sciences sociales au Venezuela. Depuis les années 2000, il s'est particulièrement illustré par ses travaux critiques sur l'extractivisme, l'Arc minier de l'Orénoque (AMO) et les contradictions du modèle rentier vénézuélien.

[9] Observatorio de Ecología Política de Venezuela (OEP) — Collectif créé en 2016, rassemblant chercheurs et militants pour documenter les conflits socio-environnementaux liés à l'extractivisme pétrolier et minier, à la déforestation et aux violations des droits des peuples autochtones. L'OEP publie rapports, cartes et dossiers (notamment via l'Environmental Justice Atlas) et s'est distingué par ses critiques de l'Arc minier de l'Orénoque, ce qui lui a valu d'être récemment accusé par les médias officiels d'« ingérence » aux côtés du CENDES et de la Fondation Rosa Luxemburg.

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Des milliers de personnes descendent dans les rues du Pérou après la chute d’un nouveau gouvernement

21 octobre, par Jorge Escalante — , ,
La chute de Dina Boluarte de la présidence péruvienne a été provoquée par le fujimorisme et ses alliés réactionnaires au parlement. Le Congrès a décidé de destituer la (…)

La chute de Dina Boluarte de la présidence péruvienne a été provoquée par le fujimorisme et ses alliés réactionnaires au parlement. Le Congrès a décidé de destituer la présidente quelques mois avant l'élection présidentielle, prévues pour le 12 avril 2026. Le controversé président du Congrès, José Jerí, a pris la présidence.

« 20 » octobre 2025 | tiré d'inprecor.org
https://inprecor.fr/des-milliers-de-personnes-descendent-dans-les-rues-du-perou-apres-la-chute-dun-nouveau-gouvernement

Le premier objectif de cette manœuvre était pour ces secteurs de se décharger de la grande crise générée par leur propre coalition ultra-conservatrice, en rejetant toute la responsabilité sur Boluarte. Le deuxième objectif était de désamorcer le processus de mobilisation initié par les jeunes, ainsi que les grèves des transports, dans un contexte de mécontentement énorme d'une population souffrant d'insécurité (5 000 personnes ont déjà été assassinées par des tueurs à gages).

Mais la coalition réactionnaire qui a porté Boluarte au pouvoir puis l'a renversée n'a pas réussi à démanteler le processus. L'appel à une journée nationale de lutte le 15 octobre a pris de l'ampleur. Le gouvernement intérimaire de José Jerí Oré a tenté une vieille recette, en appelant au dialogue, cherchant à désamorcer la mobilisation sociale qui s'annonçait déjà comme l'une des plus importantes depuis décembre 2022.

Le plan de Jerí consistait à proposer une table de dialogue, convoquée pour le 14 octobre, en coordination avec le maire de Pataz.

Ce dernier a décidé de baisser les drapeaux de la lutte, de faire confiance à Jerí et de ne pas participer à la journée d'action du 15, au grand dam des milliers de manifestant·es qui avaient parcouru plus de mille kilomètres. Dans le même temps, le nouveau président a organisé une série de réunions avec des gouverneurs, des maires, des recteurs d'université et des artistes, ainsi qu'avec un groupe qui prétendait représenter la Fédération des étudiants du Pérou (FEP).

Tout était conçu pour donner l'image d'un État prêt à écouter. Mais en réalité, il s'agissait d'une opération de désamorçage politique, consistant à ouvrir de petites soupapes pour que la vapeur sociale ne fasse pas exploser la chaudière.

Tout en parlant de dialogue, José Jerí a nommé un cabinet encore plus réactionnaire, avec un passé putschiste. Il a placé Ernesto Álvarez Miranda, un ultra-conservateur qui était magistrat à la Cour constitutionnelle et doyen de la faculté de droit de l'USMP, à la tête du Conseil des ministres. Jerí a clairement indiqué que ce serait un gouvernement dont la politique d'État serait la répression. Il avait déjà qualifié sur les réseaux sociaux les jeunes mobilisé·es de « gang qui veut prendre d'assaut la démocratie » et d'« héritiers du MRTA ». Il ne s'agissait pas d'une excentricité, mais plutôt d'une préparation idéologique à la répression : criminaliser la protestation pour justifier l'usage de la force.

Les événements du 15 octobre

La mobilisation, initialement menée par des groupes de jeunes de la génération Z, s'est transformée en un mouvement national impliquant des étudiant·es plus âgé·es, des enseignant·es, des artistes, des streamers, des syndicats et des communautés locales, ainsi que des organisations de la gauche péruvienne. Les principales revendications des manifestants visaient Jerí lui-même et le Congrès. Ils ont appelé à la démission du nouveau président, qui fait partie de la mafia putschiste au sein du parlement et qui fait l'objet d'une accusation de tentative de viol. Beaucoup ont réclamé la dissolution du Congrès actuel.

Des manifestations ont eu lieu dans les 24 régions administratives. À Arequipa, les marches ont coïncidé avec la visite du roi d'Espagne au Congrès international de la langue espagnole, créant une scène symbolique : des jeunes confrontés à la fois au régime putschiste et à l'ancien ordre colonial. À Lima, la journée s'est terminée avec des dizaines de blessés et souillée par le sang d'Eduardo Ruiz Sáenz (« Trvko »), un rappeur de 32 ans. Ruiz a été abattu sur la Plaza Francia, loin de l'épicentre des événements de la journée. Le meurtre d'Eduardo a encore attisé la colère populaire. Outre la mort du jeune homme, un autre meurtre a été commis et des centaines de personnes ont été blessées par des balles en caoutchouc. La demande de punition des meurtriers est un important cri de ralliement.

Des témoins ont déclaré que c'était un policier en civil du groupe Terna qui avait tiré les coups de feu. Le gouvernement a réagi avec cynisme : Jeri a parlé d'« un petit groupe d'infiltrés », tentant d'effacer la mort du jeune homme et de transformer la tragédie en bruit. Le sang d'Eduardo Ruiz n'était pas le résultat d'un « excès de zèle policier ». Il confirmait la nature répressive du régime putschiste de Jeri et de son Congrès.

Des élections au milieu de la lutte ?

Il est très improbable que les élections générales de 2026 se déroulent sans incident. Ce dont les travailleur·ses, les étudiant·es et le peuple péruvien en général avaient désespérément besoin est en train de devenir réalité : une alliance sociale a commencé à se former entre les lycéen·nes et les étudiant·es, qui défilent aux côtés des enseignant·es, des associations artistiques, des collectifs de quartier et des mouvements indigènes, tous avec pour objectif d'abroger toutes les lois adoptées par le Congrès mafieux et de traduire en justice et de punir les responsables des meurtres commis par la police. Le 15 octobre est donc une date historique, un jour où les jeunes, les travailleur·ses et les peuples du Pérou ont brisé la passivité imposée par la peur et la fragmentation.

Mais chaque étincelle a besoin d'être organisée pour devenir un incendie. Le moment est très délicat et complexe. Nous sommes à six mois des élections générales, auxquelles participeront 43 partis, dont 99 % sont de droite ou de centre-droit. La coalition encore au pouvoir souhaite que seuls les candidat·es de droite accèdent au second tour. À gauche, on trouve l'alliance Venceremos, qui regroupe Nuevo Perú por el Buen Vivir et Voces del Pueblo, auxquels se sont joints Unidad Popular, Tierra Verde et Patria Roja, ainsi que certains syndicats tels que la CUT et des mouvements sociaux. Il est essentiel de lutter également sur ce terrain.

Si la présentation d'une alternative de gauche unifiée dans le processus électoral est une nécessité, la tâche la plus difficile consiste à aider les jeunes, les travailleur·ses et les mouvements populaires à passer de l'indignation à la construction d'un espace large, unifié et démocratique pour coordonner la lutte contre le régime. Un espace qui ne soit pas accaparé par les bureaucraties ou les sectaires, qui discute démocratiquement des mesures à prendre, des prochaines actions et d'un plan national de lutte pour une nouvelle Assemblée constituante nationale.

Le 18 octobre 2025, publié par International Viewpoint

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Equateur : Chasse aux sorcières contre les dirigeant·es et militant·es des mouvements sociaux

21 octobre, par Correspondencia de prensa — , ,
L'Équateur est à la croisée des chemins. Tout en intensifiant la répression contre les manifestations [avec au moins trois morts ces dernières semaines], Noboa a lancé une (…)

L'Équateur est à la croisée des chemins. Tout en intensifiant la répression contre les manifestations [avec au moins trois morts ces dernières semaines], Noboa a lancé une chasse aux sorcières contre les dirigeant·es et militant·es des mouvements sociaux.

20 octobre 2025 | Correspondencia de Prensa

D'une part, une nouvelle phase de lutte sociale a commencé. Depuis le 23 septembre, la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur) organise des manifestations, qui ont jusqu'à présent été les plus intenses dans les provinces d'Imbabura, Pichincha, Cotopaxi et Chimborazo, en réponse à l'augmentation des prix du diesel. Mais quelques jours plus tôt, le 16 septembre, une manifestation de masse rassemblant 100 000 personnes a défilé dans la ville de Cuenca pour défendre le bien commun qu'est l'eau, dont les sources sont menacées par les licences environnementales accordées par le gouvernement à des entreprises transnationales.

Quelques semaines auparavant, à l'initiative du FUT (Front unitaire des travailleurs), une vingtaine d'organisations avaient formé le Front pour la défense de la santé, de l'éducation publique, du travail décent, de la sécurité sociale, des droits humains et de la nature. Le FUT et ce nouveau Front ont organisé plusieurs actions, manifestations et sit-in pour protester contre les lois antidémocratiques sur l'intégrité, la sécurité et le renseignement (qui instaurent une sorte d'état d'urgence permanent et étendent les possibilités d'espionnage contre les organisations et les dirigeants sociaux), contre un projet de réforme de la loi sur la sécurité sociale qui ouvrira la porte aux banques privées pour contrôler certaines parties de la BIESS (la banque de l'Institut équatorien de sécurité sociale), contre les milliers de licenciements dans le secteur public (on estime que le gouvernement licenciera 70 000 travailleur·ses) et contre la crise que l'inaction du gouvernement a provoquée dans le domaine de la santé publique.

Mais, d'autre part, la réponse du gouvernement a été la persécution, l'espionnage et la répression. Cela n'est pas surprenant car, depuis janvier 2024, Noboa s'est employé à mettre en place et à perfectionner un régime autoritaire qui subordonne et menace les autres fonctions de l'État afin de les mettre au service du président et de son groupe : s'il s'est retourné contre son vice-président au début de son premier mandat, il a préféré ces derniers mois s'en prendre à la Cour constitutionnelle. Bien que la Cour ait cédé au référendum de Noboa et à sa proposition d'Assemblée constituante, avec laquelle il espère démanteler tous les droits restants, elle n'a pas accepté toutes les dispositions des lois antidémocratiques de Noboa. Le président se venge en accusant la Cour d'être responsable de la violence du trafic de drogue.

Le président a pu faire avancer la conception de son régime autoritaire en se cachant derrière la « guerre interne » qu'il a déclarée contre le « terrorisme » et en utilisant comme prétexte la peur de la population face à la violence liée à la drogue. Cependant, il est désormais clair que cette guerre était en réalité préparée contre les protestations sociales.

Au lieu d'écouter la voix du peuple, Noboa renforce le caractère antidémocratique de son régime. Dès l'annonce des manifestations des autochtones, le président a menacé de « les dénoncer pour terrorisme » et de les envoyer « en prison pour 30 ans ». Lors des premières manifestations, Noboa a déclaré qu'« il ne s'agissait pas de manifestations, mais d'actes de terrorisme », qu'il s'agissait de « la même vieille mafia » et que les manifestations étaient financées par des cartels miniers et de la drogue illégaux.

Les manifestations ont été sévèrement réprimées, et l'armée a même fait des descentes dans des maisons des communautés autochtones pour arrêter des jeunes. D'autres personnes ont été arrêtées sans avoir participé aux manifestations. Parmi les personnes détenues figurent 12 jeunes autochtones d'Otavalo qui ont été transférés arbitrairement vers des prisons à Esmeraldas et Portoviejo, où un nouveau massacre a eu lieu quelques heures plus tôt, faisant une trentaine de morts. En les transférant vers ces prisons, le gouvernement met en danger la vie de ces jeunes militant·es.

Il a immédiatement ordonné le gel des comptes bancaires des dirigeant·es de la CONAIE et du Conseil de l'eau de Cuenca. Dans le même temps, il a lancé des poursuites par l'intermédiaire du ministère public. Ces derniers jours, le parquet chargé de la criminalité organisée, transnationale et internationale a « demandé des informations » à Edwin Bedoya, président du FUT (Front unitaire des travailleurs) et du CEDOCUT (Confédération équatorienne des organisations classistes pour l'unité des travailleurs), Andrés Quishpe, président de l'UNE (Union nationale des éducateurs), Gary Esparza, président de la FENOCIN (Confédération nationale des organisations paysannes, indigènes et noires), et Nery Padilla, président de la FEUE (Fédération des étudiants universitaires de l'Équateur).

Parallèlement, le ministère public a ouvert une enquête « pour enrichissement personnel injustifié » contre 58 militants et dirigeants de la CONAIE, du Front national anti-mines et de plusieurs autres organisations sociales et ONG environnementales liées aux mouvements sociaux.

Marlon Vargas, président de la CONAIE, Leonidas Iza, ancien président de la CONAIE, et Guillermo Churuchumbi, coordinateur de Pachakutik, ont également été inculpés par le ministère public de la ville de Riobamba pour avoir organisé la grève. Dans le même temps, les médias communautaires, tels que la chaîne de télévision du Mouvement indigène et paysan de Cotopaxi (MICC), sont censurés.

Les mobilisations de ces dernières semaines marquent un nouveau tournant dans la lutte sociale en Équateur, car elles montrent qu'une opposition populaire se forme contre le gouvernement antidémocratique et néolibéral de Daniel Noboa. C'est déjà un fait, quelle que soit l'ampleur et la profondeur des manifestations actuelles. Dans le même temps, les luttes cherchent des moyens de se rassembler et de créer des espaces d'unité plus larges.

Les deux sont considérés comme une menace par le gouvernement et les oligarchies au pouvoir, qui réagissent donc avec tant de violence et de mauvaise foi. Face à cela, la solidarité avec les organisations, leurs dirigeant·es et les luttes qu'ils mènent est urgente.

Le 28 septembre 2025

Publié à l'origine dans Correspondencia de Prensa.

Vous trouverez ci-joint le document Chers camarades afin que les organisations sociales, syndicales ou politiques puissent l'adapter à leur manière (les parties formelles, pas le contenu) et l'envoyer au président du CEDOCUT (Edwin Bedoya) presidenciaced… ou même l'adapter pour l'envoyer aux consulats ou ambassades équatoriens.

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Instaurer la Journée du mouvement féministe ukrainien

21 octobre, par Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine (RESU) — , ,
Au nom des femmes ukrainiennes, nous vous proposons de soutenir l'initiative visant à instaurer le 8 décembre comme Journée du mouvement féministe ukrainien. Le 8 décembre est (…)

Au nom des femmes ukrainiennes, nous vous proposons de soutenir l'initiative visant à instaurer le 8 décembre comme Journée du mouvement féministe ukrainien. Le 8 décembre est une date historique dans l'histoire du mouvement féministe ukrainien.

Ce jour-là, en 1884, à Stanislavov (aujourd'hui Ivano-Frankivsk), à l'initiative de la fondatrice du mouvement féministe Natalia Kobrinska, la « Société des femmes ruthènes » a été créée. Il s'agissait de la première institution féminine officiellement créée, dotée de ses propres statuts, objectifs et domaines d'activité, qui a marqué le début de l'ère du mouvement féministe ukrainien et a réuni les femmes ukrainiennes de l'époque autour de valeurs communes : l'accès à l'éducation, le travail intellectuel, l'entraide, l'égalité sociale et le droit de vote.

C'est à l'initiative de la « Société des femmes ruthènes » qu'a été publié en 1887 le premier almanach .féminin au monde, « Perchyj vinok » (La première couronne), qui est devenu un exemple sans précédent d'organisation des femmes de l'Ukraine, alors divisée par l'empire. L'appel de l'almanach – « Au nom de notre unité nationale » – a instauré une tradition de coopération active entre les femmes des deux côtés de la frontière, a stimulé les processus de construction nationale et a établi une tradition d'écriture féminine et de sororité littéraire. L'importance immuable de cette date réside également dans le fait qu'elle est devenue un repère historique pour les luttes des femmes des générations suivantes, qui, à différentes époques, ont commémoré cette date en organisant des congrès, des éditions, diverses manifestations commémoratives, démontrant ainsi le lien historique étroit avec l'expérience de leures prédécesseures et développant, sur la base de leurs réalisations, la nouvelle pensée du féminisme ukrainien. Au fil des siècles, les femmes ukrainiennes ont été des participantes actives des mouvements de libération et continuent aujourd'hui à lutter consciemment pour le droit de vivre sur leur terre et de préserver leur culture et leurs traditions. Le 140e anniversaire du mouvement féministe ukrainien, célébré l'année dernière, a montré que les femmes souhaitaient vivement que cette date soit officiellement commémorée.

En témoigne l'ampleur du retentissement des événements organisés à l'occasion du 140e anniversaire, qui ont rassemblé les femmes ukrainiennes non seulement dans différentes régions d'Ukraine, mais aussi dans les communautés ukrainiennes à travers le monde. Compte tenu de ces arguments, et à l'occasion du 140e anniversaire du mouvement des femmes ukrainiennes, nous demandons que le 8 décembre soit déclaré Journée du mouvement des femmes ukrainiennes.

Date de début de la collecte des signatures : 16 septembre 2025
Autrice : Tetyana Mykolaivna Chernetskaya.

* Natalia Kobrinska (1851 1920) a animé de 1893 à 1896, sa maison d'édition La cause des femmes.

Publié dans Lettre du RESU du 7 octobre
Télécharger la lettre du RESU : Lettre du RESU 7:10:2025

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Contrat et ordre du jour : nouvelle architecture de projet militaire

Qu'est-ce qui change dans le projet militaire à partir du 1er octobre ? Comment l'État mobilise-t-il les citoyens pour la guerre contre l'Ukraine ? Comment fonctionne le (…)

Qu'est-ce qui change dans le projet militaire à partir du 1er octobre ? Comment l'État mobilise-t-il les citoyens pour la guerre contre l'Ukraine ? Comment fonctionne le nouveau modèle de contrôle des conscrits ? Le journaliste Daniil Gorodetsky répond à ces questions.

10 octobre 2025 | tiré d'Inprecor.fr

Le 22 juillet, un projet de loi a été soumis à la Douma d'État, qui modifie considérablement l'ordre habituel de la conscription militaire. Si auparavant la convocation était remise deux fois par an – au printemps et en automne – maintenant les bureaux d'enregistrement et d'enrôlement militaires garderont les consrits inscrits toute l'année : du 1er janvier au 31 décembre. L'envoi aux troupes est toujours prévu pour le printemps et l'automne, mais l'ensemble du processus préparatoire – commissions, inspections et émission de convocations – deviendra continu.

Le document a été rédigé par Andreï Kartapolov, président de la Commission de la Défense de la Douma d'État, et son premier adjoint, Andreï Krasov. Selon eux, l'initiative est purement « technique » : elle vise à alléger la charge de travail des bureaux de recrutement militaire, à éliminer les procédures d'urgence traditionnelles et à rendre les examens médicaux plus approfondis.

Mais il y a aussi une motivation différente dans les déclarations publiques. Le vice-président du Comité, Alexey Zhuravlev, a déclaré directement : « il n'y aura pas de fenêtres pour la détente ». C'est-à-dire que les pauses habituelles, lorsqu'il était possible de gagner du temps, disparaissent. Maintenant, l'ordre du jour peut venir à tout moment de l'année, et pour ceux qui espéraient s'asseoir entre les appels, la marge de manœuvre est réduite au minimum.

Le 24 septembre, la Douma d'État a adopté le projet de loi en première lecture. En l'absence d'objections sérieuses de la part des députés, il pourrait être définitivement approuvé dans les prochaines semaines, et la conscription annuelle débuterait le 1er janvier 2026.

« Officiellement, la conscription ne réduit pas le nombre de reports, mais elle permet aux conscriptions de se dérouler toute l'année. Cela élimine les habituelles « fenêtres » entre les campagnes, où l'on pouvait gagner du temps ou profiter des frais de procédure », a déclaré Valeria Vetoshkina, avocate du Mouvement des objecteurs de conscience, à After.Media. « Désormais, une convocation peut arriver à tout moment, ce qui réduit la marge de manœuvre. De plus, à compter de cette année, la décision du comité de conscription est valable 12 mois dans tout le pays ; elle ne peut plus être annulée par un déplacement ou une modification de l'inscription. »

Les avocats soulignent que plus une personne reste longtemps sous le contrôle du bureau d'enrôlement militaire, plus elle a de chances de se voir proposer un contrat avant même d'être affectée à son unité. Officiellement, ce sera volontaire, mais en pratique, il est souvent difficile de refuser, d'autant plus que les derniers moyens légaux de différer son service militaire disparaissent. Les inquiétudes sont d'autant plus vives que la disparition des « fenêtres de temps » traditionnelles prive nombre de ces derniers moyens légaux de différer son service ou d'obtenir un sursis légal. Désormais, on peut se retrouver au bureau d'enrôlement militaire n'importe quel mois, sans répit ni possibilité de « se reposer » entre deux conscriptions.

Tout cela se produit dans un contexte de rapports croissants faisant état de pressions croissantes sur les nouvelles recrues et les conscrits pour qu'ils signent un contrat. Pour certains, c'est une occasion de gagner de l'argent, pour d'autres, un piège difficile à échapper, surtout à l'approche du front.

Le cas de Nikita Berketov, 18 ans, incorporé en juillet, est révélateur. Selon sa sœur, il a subi des pressions systématiques pendant deux mois au sein de l'unité militaire n° 16871 : le commandement a tenté de monter ses camarades contre lui et a eu recours à des punitions collectives.

Le point culminant est survenu le 1er septembre, lorsque Nikita a été contraint de signer un contrat sur place, à l'infirmerie. Le soldat a été pris de panique et privé de son téléphone, empêchant sa famille d'intervenir. La famille de Berketov a porté plainte auprès du parquet et de la commission d'enquête, exigeant que le contrat soit invalidé.

Les soldats sous contrat sont-ils en rupture de stock ?

La politique militaire russe continue de s'appuyer sur un système de recrutement contractuel pour les opérations de combat en Ukraine. Cependant, ces dernières années, on observe une tendance constante au ralentissement des taux de recrutement. Selon les données officielles, au quatrième trimestre 2024, le nombre quotidien moyen de contrats signés était d'environ 1 700, soit une baisse de 30 % par rapport à la même période en 2023.

Malgré l'augmentation constante des paiements en espèces et l'élargissement des prestations sociales, on observe une baisse constante du nombre de citoyens disposés à signer un contrat de service militaire. Ce phénomène s'explique par une combinaison de facteurs socioéconomiques et politico-psychologiques.

  • Il y a d'abord l'effet de saturation : l'État a réussi à mobiliser les groupes les plus fidèles et socialement vulnérables de la population (les habitants des régions défavorisées, les personnes à faibles revenus, les migrants de nationalité russe), mais cette réserve de personnel s'épuise progressivement.
  • Deuxièmement, une meilleure connaissance des risques. Alors que les combats en Ukraine s'éternisent et que les rapports faisant état de nombreuses victimes se multiplient, les soldats contractuels potentiels sont plus réalistes dans leur évaluation de la probabilité de participer aux combats et des risques associés.
  • Troisièmement, l'efficacité des incitations matérielles diminue. Les paiements financiers, initialement perçus comme importants, perdent progressivement de leur attrait dans un contexte d'inflation, de hausse des prix et de baisse du pouvoir d'achat. De plus, les risques sociaux (perte de santé, décès) commencent à l'emporter sur les avantages économiques.
  • Quatrièmement, le facteur psychologique et culturel. La lassitude du public face à la guerre, l'anxiété accrue et la désillusion face aux perspectives de conflit créent un environnement négatif qui complique le recrutement.

Ainsi, l'augmentation des paiements remplit une fonction compensatoire, mais ne résout pas les problèmes structurels du recrutement. La baisse de la volonté de la population de servir sous contrat démontre les limites des ressources mobilisables dans un conflit militaire prolongé.

Face à la perte d'efficacité des mécanismes traditionnels de recrutement, l'État est contraint d'élargir la gamme des outils administratifs et organisationnels visant à attirer de nouveaux soldats contractuels et à maintenir les conscrits sous contrôle militaire. L'augmentation des salaires et des avantages sociaux a cessé d'être une incitation suffisante, ce qui a conduit à une évolution vers des pratiques réglementaires plus strictes.

Dans ce contexte, le projet de loi sur le passage à une conscription annuelle doit être considéré comme faisant partie d'un ensemble de mesures visant à renforcer le contrôle du contingent de mobilisation. Le caractère continu de la campagne de conscription minimise les possibilités de report et d'évasion, crée des conditions de pression administrative constante sur les conscrits et étend la durée de leur participation au service obligatoire et au recrutement contractuel.

De telles initiatives représentent donc non seulement une amélioration technique des procédures de conscription, mais aussi un outil de gestion des ressources de mobilisation face à la baisse de la motivation volontaire pour le service. Leur émergence reflète une évolution des méthodes de recrutement essentiellement incitatives vers des stratégies limitant les alternatives et renforçant les éléments coercitifs.

Expérience 2022 : Le prix est trop élevé

Une analyse de la politique actuelle de recrutement des forces armées montre que la stratégie de resserrement progressif des pratiques de conscription et d'élargissement du système de contrat reste préférable pour les autorités russes par rapport à une répétition de la mobilisation à grande échelle de 2022. Cela est dû aux coûts politiques et socio-économiques élevés que le régime encourrait si un tel scénario était mis en œuvre.

La mobilisation de l'automne 2022, qui a vu l'appel d'environ 300 000 militaires, a eu des conséquences importantes. Selon diverses estimations, le pays a dû faire face à un exode de près d'un million de citoyens valides de Russie, ce qui a aggravé la pénurie de main-d'œuvre et mis sous pression des secteurs clés de l'économie. De plus, la mobilisation a alimenté des tensions sociales accrues, exprimées à la fois par des protestations et par une anxiété et une défiance accrues envers les institutions gouvernementales.

Pris ensemble, ces facteurs ont conduit à considérer la mobilisation générale comme un outil comportant des risques politiques critiques et des menaces pour la stabilité économique. Par conséquent, les dirigeants continuent de privilégier des formes « hybrides » de soutien à la mobilisation, allant de l'incitation au service contractuel au renforcement législatif des contrôles sur les conscrits. La mobilisation de masse, comme l'a démontré l'expérience de 2022, est considérée comme un dernier recours, auquel les autorités ne sont prêtes à recourir qu'en cas de menace immédiate de défaite militaire.

Nouveau modèle de contrôle

Ainsi, le passage à une conscription annuelle ne doit pas être considéré comme une innovation isolée, mais comme un élément d'une transformation institutionnelle plus large du système de recrutement militaire. Sa principale caractéristique est sa synchronisation avec l'introduction d'un registre électronique complet des conscriptions, qui, pris ensemble, renforce considérablement le contrôle de l'État sur les ressources de mobilisation.

Le registre électronique est déjà opérationnel : depuis 2023, les convocations sont publiées sur les comptes personnels du site web de Gosuslugi et sont automatiquement considérées comme délivrées, même si le citoyen ne les a pas ouvertes. Le système prévoit également une série de mesures restrictives pour les réfractaires au service militaire, notamment l'interdiction de voyager à l'étranger, d'enregistrer des biens immobiliers, d'obtenir un permis de conduire et d'obtenir un prêt. Ce mécanisme a été expérimenté dans plusieurs régions et, depuis 2024, il est progressivement déployé à l'échelle nationale, devenant un outil standard pour les bureaux d'enregistrement et d'enrôlement militaires. La numérisation élimine ainsi le principal inconvénient de la pratique antérieure : la possibilité de contester le fait d'avoir servi ou de se soustraire à une convocation.

La continuité du processus de conscription élimine les délais de report, et la numérisation du mécanisme de notification minimise les possibilités de résistance individuelle aux pratiques administratives. Il en résulte l'émergence d'un nouveau modèle d'interaction entre l'État et le citoyen, dans lequel les obligations de mobilisation deviennent un facteur permanent de la réalité sociale, rendant toute tentative de les contourner extrêmement difficile.

Sur le plan politique et juridique, cela marque une transition d'un recrutement essentiellement incitatif et temporaire vers un contrôle systématique, assisté par la technologie, des conscrits et des soldats contractuels potentiels. Prises ensemble, ces mesures témoignent de la volonté des autorités d'institutionnaliser les ressources de mobilisation tout en évitant la répétition de campagnes de mobilisation à grande échelle, politiquement dangereuses et coûteuses.

Publié le 1er octobre 2025 par Postle, traduit par Samzdat2.

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Résister à la machine de guerre de Vladimir Poutine

En Russie et dans l'Ukraine occupée, des milliers de civils ont été emprisonnés ou ont été victimes de disparitions forcées pour s'être exprimés contre l'invasion. Ces chiffres (…)

En Russie et dans l'Ukraine occupée, des milliers de civils ont été emprisonnés ou ont été victimes de disparitions forcées pour s'être exprimés contre l'invasion. Ces chiffres témoignent d'une répression sans précédent depuis les années 1950.

14 Octobre 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières Simon Pirani
https://europe-solidaire.org/spip.php?article76616

Le 16 mai 2022, l'artiste ukrainien Bohdan Ziza a déversé de la peinture bleue et jaune — les couleurs du drapeau de son pays — sur un bâtiment de l'administration municipale de sa ville natale, Ievpatoria, en Crimée.

Ziza a publié une vidéo de cette action en ligne, avec un appel aux « adeptes de la culture du graffiti, à tous les vandales de Crimée, de Russie et de Biélorussie » pour protester contre « la guerre la plus horrible » déclenchée par « [Vladimir] Poutine et la machine d'État ». Il a rapidement été arrêté et inculpé pour « acte terroriste » et « incitation au terrorisme ».

En juin 2023, Ziza a utilisé sa déclaration finale devant le tribunal militaire russe qui l'a condamné à quinze ans de prison pour dénoncer à nouveau la guerre : « Mon action était un cri du cœur, de ma conscience, à ceux qui avaient peur — comme j'avais peur — mais qui ne voulaient pas non plus de cette guerre ».

Ziza est l'un des dix manifestants pacifistes dont les discours sont publiés ce mois-ci, en traduction anglaise, dans Voices Against Putin's War : protesters' defiant speeches in Russian courts [1]. Le recueil comprend également deux déclarations faites hors tribunal, des entretiens et lettres connexes, un résumé de dix-sept autres discours pacifistes devant les tribunaux, ainsi qu'une enquête sur le mouvement de protestation contre la guerre et la répression qu'il subit.

En Russie, les dissidents utilisent depuis les rebelles populistes [2] des années 1870 leur déclaration finale devant le tribunal pour appeler à la résistance au pouvoir. Cette tradition a prospéré dans les mouvements ouvriers qui ont précédé la révolution de 1917, a été brisée par les procès staliniens des années 1930 avec leurs confessions stéréotypées, et est née de nouveau après le « dégel » des années 1950, avec des dissidents tels que les écrivains Andreï Siniavski et Iouri Daniel.

En 2022, l'invasion totale de l'Ukraine par la Russie a été suivie d'une répression brutale de la société civile dans les territoires occupés, Crimée comprise, ainsi que d'une répression de la dissidence intérieure. La protestation a été chassée des rues. Des actions directes non violentes individuelles comme celle de Ziza, ou le fait d'écrire ou de parler contre la guerre, ont été punis de longues peines de prison, comme celles que purgent actuellement la plupart des protagonistes de Voices Against Putin's War.

Ruslan Siddiqi, l'anarchiste russo-italien, est allé plus loin : il purge une peine de vingt-neuf ans de prison pour avoir fait dérailler un train transportant des munitions vers des unités de l'armée russe en Ukraine. Devant le tribunal, il s'est déclaré prisonnier de guerre, plutôt que prisonnier politique : « Mes cibles étaient l'équipement militaire russe et les chaînes logistiques utilisées pour transporter le matériel militaire et le carburant. Je voulais entraver les opérations militaires contre l'Ukraine ».

Agir selon sa conscience, dans un monde dystopique de militarisme et de gros mensonges, était une considération centrale pour de nombreux protagonistes.

Alexeï Rojkov, qui a incendié un centre de recrutement militaire dans la région de Sverdlovsk [3], s'est enfui au Kirghizistan sous caution avant d'être kidnappé par les forces spéciales russes et ramené pour être jugé. Il a déclaré au tribunal qui l'a condamné à seize ans : « Bien que je n'aie jamais été un politicien ou un homme d'État, je ne pouvais pas rester indifférent lorsque la guerre a commencé. J'ai une conscience, et j'ai préféré m'y accrocher ».

Les protagonistes du livre s'opposent à la guerre à partir d'un large éventail de points de vue politiques. D'un côté, il y a des pacifistes comme Sacha Skotchilenko, l'artiste condamnée à sept ans de prison pour avoir remplacé des étiquettes dans un supermarché par des messages pacifistes manuscrits (et libérée plus tard lors d'un échange de prisonniers entre la Russie et des pays occidentaux), qui a déclaré au tribunal : « Les guerres ne se terminent pas grâce aux guerriers — elles se terminent grâce aux pacifistes ».

D'autre part, il y a des militants politiques qui ont parlé du droit de l'Ukraine à résister militairement à la Russie. Aleksandr Skobov, soixante-sept ans, le plus âgé des protagonistes, emprisonné pour la première fois pour son activité dans l'aile socialiste du mouvement dissident soviétique en 1978, a refusé de se lever lorsque le juge est entré dans le tribunal. Il a souhaité la mort à « l'assassin, tyran et scélérat Poutine ». Il a déclaré qu'il ne cesserait jamais d'appeler les Russes honnêtes à rejoindre les forces armées ukrainiennes et de réclamer des frappes aériennes sur les installations militaires russes.

Tout aussi résolue dans son soutien à l'Ukraine était la plus jeune protagoniste, Daria Kozyreva, dix-neuf ans, condamnée à deux ans et huit mois de prison pour avoir déposé des fleurs et un poème devant la statue de Taras Chevtchenko [4], le poète national d'Ukraine, à Saint-Pétersbourg.

Devant le tribunal, Ziza a dénoncé non seulement l'invasion de 2022 mais aussi l'assaut frénétique contre les organisations tatares de Crimée qui l'a précédée en Crimée, que la Russie a annexée en 2014. « Ceux qui recherchent si passionnément des “nazis” en Ukraine n'ont pas ouvert les yeux sur le nazisme en Russie, avec son éphémère “monde russe” », avec lequel les forces armées ont « tenté d'extirper l'identité ukrainienne ». (Le mois dernier, Ziza, à sa propre demande, s'est vu révoquer la citoyenneté russe qui lui avait été imposée ainsi qu'à tous les résidents de Crimée. Il se trouve aujourd'hui dans la prison centrale de Vladimir [5], où les « politiques » sont incarcérés depuis le XIXe siècle.)

Voices Against Putin's War résulte du travail d'un petit groupe de traducteurs bénévoles soutenant les organisations pacifistes russes, dont j'ai fait partie, et est soutenu par le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine [6]. En plus des discours publiés, nous avons résumé dix-sept autres discours provenant du merveilleux site Internet Poslednee Slovo [7].

Les procès mis en lumière dans le livre fournissent également un aperçu du virage de la Russie en temps de guerre vers une forme de fascisme. Contre ceux qui entreprennent des actions directes non violentes, les accusations en vertu des lois antiterroristes ont été standardisées en 2022, avec des peines de prison allant de dix à vingt ans. La torture des détenus est systématique.

Les longues peines sont conçues pour terroriser les gens et les réduire au silence : Andreï Trofimov a reçu dix ans pour des publications sur les réseaux sociaux justifiant les actions militaires ukrainiennes contre la Russie. Pour son discours de deux minutes devant le tribunal militaire, qui s'est terminé par « Gloire à l'Ukraine ! Poutine est un connard », il a été accusé d'« approbation du terrorisme » et de « diffamation de l'armée » : trois années supplémentaires ont été ajoutées à sa peine.

La monstruosité de la répression intérieure russe ne peut être correctement comprise que dans le contexte du bain de sang qu'elle a infligé à l'Ukraine, et en particulier aux territoires occupés. Des centaines de milliers de soldats russes et ukrainiens ont été tués et blessés au combat, et des millions de civils ukrainiens ont été déracinés de leurs foyers par les bombardements. À cela s'ajoute, dans les zones occupées, l'imposition forcée de la citoyenneté russe, les déportations massives y compris d'enfants (la base d'une affaire contre Poutine à la Cour pénale internationale), le nihilisme judiciaire et un effondrement économique.

L'instrument principal de discipline sociale dans les zones occupées est les disparitions forcées, y compris l'emprisonnement. En septembre 2024, le registre ukrainien des personnes « disparues dans des circonstances particulières » comptait quelque 48 324 noms, dont 4 700 ont été confirmés par le gouvernement ukrainien comme étant en captivité, bien que le nombre réel puisse être bien plus élevé.

L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe [8] a estimé que 16 000 personnes du registre étaient des civils adultes. Le Groupe de protection des droits humains de Kharkiv [9] a identifié 5 000 victimes de disparitions forcées lors de la préparation de matériel pour la Cour pénale internationale, et l'ombudsman ukrainien travaille sur 1 700 de ces cas. (Tous ces chiffres concernent des civils détenus ou disparus, distincts des prisonniers de guerre ukrainiens, dont il y en a environ 8 000 à 10 000.)

En bref, la Russie a fait de nombreux milliers de prisonniers civils dans les territoires occupés, dont le sort reste souvent inconnu. Beaucoup sont des prisonniers politiques : 585 journalistes, responsables communautaires et militants des territoires nouvellement occupés identifiés par des organisations de défense des droits humains, 265 recensés par le Groupe des droits humains de Crimée et d'autres. En outre, il y a les milliers de prisonniers civils emprisonnés par les soi-disant « Républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk [10] entre 2014 et 2022, y compris pour des délits politiques, qui ont été transférés dans des prisons en Russie.

Parallèlement à cette orgie de violence, la machine de répression intérieure de la Russie s'est emballée. Une série de nouvelles lois de censure — par exemple, pénalisant la « diffusion d'informations sciemment fausses sur l'armée russe » (ce qui inclut le fait d'appeler la guerre une guerre) — se sont ajoutées aux lois préexistantes sur les « agents étrangers », les « organisations indésirables » et l'« extrémisme » de la dernière décennie. Les rafles policières délirantes de personnes dont les commentaires critiques sont récoltés sur les réseaux sociaux se sont intensifiées.

La principale organisation de défense des droits humains Political Prisoners Support : Memorial [11], désormais basée à l'étranger, recense plus de 3 000 détenus politiques aujourd'hui, contre seulement cinquante en 2015 et 420 en 2021. Après le « dégel » post-stalinien, les historiens estiment que le nombre de détenus politiques en Union soviétique est tombé à 5 000-10 000 dans les années 1970 (dans l'union de quinze républiques, avec une population presque deux fois supérieure à celle de la Russie seule). La tendance reflétée dans ces chiffres justifie le terme que nous avons utilisé dans Voices Against Putin's War : un « goulag du XXIe siècle ».

Au milieu d'une marée internationale d'autoritarisme de droite et de militarisme croissants, culminant avec le génocide à Gaza, les discours du livre sont significatifs bien au-delà de la Russie. Dans sa préface, John McDonnell [12], ancien député travailliste de gauche en Grande-Bretagne, les qualifie d'« inspiration pour tous ceux à travers le monde qui voient une injustice et qui refusent de se conformer passivement », des objecteurs de conscience israéliens aux militants de Palestine Action [13] en Grande-Bretagne, en passant par les femmes manifestant pour la vie et la liberté en Iran. C'est là que réside l'espoir en ces temps sombres.

Simon Pirani a dirigé l'édition de Voices Against Putin's War. Il est professeur honoraire à l'université de Durham et auteur de livres sur la Russie et l'Ukraine, ainsi que sur les systèmes énergétiques. Il tient un blog sur People and Nature.

P.S.
https://jacobin.com/2025/10/putin-ukraine-dissent-political-prisoners

Traduit pour ESSF par Adam Novak

Notes

[1] Voix contre la guerre de Poutine : discours de défi de manifestants devant les tribunaux russes, recueil publié par Resistance Books

[2] Mouvement révolutionnaire russe des années 1860-1880 qui prônait le retour au peuple et l'organisation de la société autour des communes rurales traditionnelles

[3] Également appelée région d'Ekaterinbourg, située dans l'Oural

[4] Poète, écrivain et artiste ukrainien (1814-1861), figure emblématique de la littérature ukrainienne et symbole de l'identité nationale ukrainienne

[5] Prison située à environ 180 km à l'est de Moscou, construite au XVIIIe siècle, qui a hébergé de nombreux prisonniers politiques sous le régime tsariste et soviétique

[6] European Network for Solidarity With Ukraine, coalition d'organisations de la société civile européenne créée après l'invasion russe de 2022

[7] « Le dernier mot » en russe, site qui archive les déclarations finales de prisonniers politiques devant les tribunaux

[8] OSCE, organisation régionale de sécurité regroupant 57 États d'Europe, d'Asie centrale et d'Amérique du Nord

[9] Organisation ukrainienne de défense des droits humains créée en 1992

[10] Entités séparatistes pro-russes autoproclamées dans l'est de l'Ukraine en 2014, reconnues par la Russie en 2022 juste avant l'invasion à grande échelle

[11] Organisation de défense des droits humains fondée en 1989 pour documenter les répressions soviétiques, dissoute en Russie en 2021-2022 mais poursuivant ses activités depuis l'étranger

[12] Député travailliste britannique de gauche (2015-2024), ancien ministre du cabinet fantôme sous Jeremy Corbyn

[13] Réseau militant britannique menant des actions directes contre les entreprises complices de l'occupation israélienne

Crise politique (France) : Suspension de la réforme des retraites : un tour de passe-passe qui ne doit pas démobiliser

21 octobre, par NPA / NPA l'Anticapitaliste — , ,
Après le cirque politique de la semaine dernière et la nomination de ce gouvernement de macronistes pur sucre et de repris de justice, Sébastien Lecornu a donc prononcé sa (…)

Après le cirque politique de la semaine dernière et la nomination de ce gouvernement de macronistes pur sucre et de repris de justice, Sébastien Lecornu a donc prononcé sa déclaration de politique générale.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
15 octobre 2025

Par NPA / NPA l'Anticapitaliste

Cette déclaration de politique générale comporte une provocation : l'annonce d'inscrire l'accord de Bougival sur la Kanaky dans la Constitution avant la fin de l'année. Cet accord est un scandale imposé par l'État colonial contre le peuple Kanak, qui remet en cause le processus de décolonisation dans lequel la France s'est pourtant engagée en signant les accords de Nouméa et Matignon. En faisant ce choix, Lecornu soigne la droite et l'extrême droite, il flatte les courants réactionnaires attachés à la France coloniale et impérialiste, mal en point et chassée de ses zones d'influence et d'ingérence traditionnelles. Cette décision provoquera une colère légitime des Kanak, que le NPA-l'Anticapitaliste soutiendra.

Mais le principal effet de manche de cette déclaration de politique générale est la proposition de suspendre la « réforme » des retraites. Cette suspension n'est ni un report ni une abrogation. Il n'y aura certes ni relèvement de l'âge jusqu'en janvier 2028, ni augmentation des trimestres – qui restent bloqués à 170, soit 42,5 annuités. Mais, dès janvier 2028, la mesure phare des 64 ans sera relancée et la réforme Touraine (43 annuités) se poursuivra. En 2023, les travailleurEs se sont très largement mobiliséEs – par la grève et par leur présence par millions dans la rue – pour l'abrogation de cette réforme injuste, pas pour sa suspension. Lecornu s'est acheté du temps en faisant une concession au PS, qui ne votera pas la censure. En faisant ce choix, le PS laisse le gouvernement proposer un budget d'austérité qui va aggraver la régression sociale menée par Macron depuis 2017.

Car ce que le gouvernement feint de lâcher sur la réforme des retraites, il le prend sur la sécurité sociale et sur le dos des travailleurEs. Les principales mesures antisociales du budget de Bayrou sont ici reprises :

• année blanche pour les agentEs publics, pour les pensions et les prestations sociales ;

• suppressions de postes dans les services publics ;

• gel du barème de l'impôt qui va faire basculer 400 000 foyers fiscaux dans l'impôt ;

• doublement des franchises médicales…

• 7,1 milliards de coupes budgétaires sont prévues dans la santé, et le gouvernement entend poursuivre ses attaques contre le montant et la durée des indemnités journalières.

Bref, poursuivre la feuille de route macroniste : faire payer les travailleurEs pour continuer de gaver le patronat et les milliardaires.

Ce qui l'a contraint à cette suspension, c'est la situation politique ouverte par les mobilisations depuis la rentrée. Les journées « Bloquons tout » du 10 septembre puis de grèves intersyndicales des 18 septembre et 2 octobre ont imprimé un climat social et un rapport de force qui ont fait chuter Bayrou et donc permis cette suspension. Mais il est urgent de reprendre le chemin des luttes, de la rue, de la grève pour gagner sur nos revendications, et en premier lieu l'abrogation totale de la réforme des retraites.

C'est dans cette perspective que le NPA-l'Anticapitaliste continuera d'interpeller publiquement les autres forces politiques de gauche en portant deux éléments essentiels : la nécessité de faire barrage à l'extrême droite et la construction d'un front social et politique portant un programme basé sur les revendications de notre classe, portées par l'intersyndicale et le programme du NFP de juin 2024.

Il y a urgence, et les forces de la gauche sociale et politique doivent se réunir rapidement pour construire la seule réponse que Macron pourra entendre : le rapport de force, classe contre classe.

Montreuil, le 15 octobre 2025

NPA-l'Anticapitaliste

P.-S.

• NPA. Publié le Mercredi 15 octobre 2025 à 11h58 :
https://npa-lanticapitaliste.org/communique/suspension-de-la-reforme-des-retraites-un-tour-de-passe-passe-qui-ne-doit-pas

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Le gouvernement Lecornu et la contre-réforme des retraites : une suspension en trompe-l’œil

21 octobre, par Michaël Zemmour — , ,
Au cœur du deal noué entre le Premier Ministre et le Parti socialiste, la suspension de la réforme des retraites est présentée comme une grande victoire par Olivier Faure afin (…)

Au cœur du deal noué entre le Premier Ministre et le Parti socialiste, la suspension de la réforme des retraites est présentée comme une grande victoire par Olivier Faure afin de justifier la non-censure du gouvernement.

Ce triomphalisme semble pourtant complètement décalé par rapport aux annonces de Sébastien Lecornu. L'annonce du Premier Ministre laisse prévoir un décalage du calendrier de la réforme de 2023, d'environ 3 mois pour les générations 1964 à 1968. La cible des 64 ans et 172 annuités continuerait d'être poursuivie au même rythme, simplement décalé d'une année de naissance.

L'économiste Michaël Zemmour décrypte à chaud les annonces du Premier Ministre.

15 octobre 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/suspension-reforme-retraites-lecornu-mensonge/

Le Premier Ministre a annoncé lors de son discours de politique générale du 14 octobre 2025 : « C'est pourquoi, je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu'à l'élection présidentielle. Aucun relèvement de l'âge n'interviendra à partir de maintenant jusqu'à janvier 2028, comme l'avait précisément demandé la CFDT. En complément, la durée d'assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu'à janvier 2028. »

Sous un jeu d'hypothèse raisonnables, et sous réserve de voir comment l'amendement gouvernemental sera rédigé voici ce qu'on peut comprendre :

Il s'agit d'un décalage du calendrier de la réforme qui fait en sorte que le prochain « pas » d'âge et de durée qui devait être franchi en 2026 soit franchi au cours de l'année 2028.

Il maintient par la suite l'avancée de la réforme menant l'âge à 64 ans et la durée de cotisation à 172 trimestres à un rythme accéléré (nous faisons l'hypothèse qu'il le maintien au même rythme mais cela pourrait être plus rapide).

Les générations 1964 à 1968 (3,5 millions de personnes) gagneraient 3 mois d'âge et les générations 1964 à 1965 3 mois de durée. Les suivantes seront intégralement touchées par la réforme de 2023, en l'absence de toute nouvelle loi.

Il ne s'agit pas d'un gel de la réforme (« suspension ») au sens où la réforme n'est pas arrêtée au point qu'elle a atteint en 2025 : l'âge cible de 64 ans reste inscrit dans la loi et serait atteint en 2033 au lieu de 2032. La durée cible de 172 trimestres serait atteinte en 2029 au lieu de 2028.

Un scénario alternatif au gel (« suspension ») serait différent budgétairement et pour les personnes concernées à partir de 2028. La différence est qu'en l'absence de toute intervention, il bloque l'avancée de la réforme après 2027 (en vert sur le graphique).

En effet la loi ne peut pas « ne rien dire » pour les générations 1966 et suivante. Ce qu'elle dit est important car c'est ce qui arrivera par défaut en l'absence de nouvelle loi.

Détail des calculs

Actuellement l'âge de départ est de 62 ans et 9 mois et la durée de cotisation de 170 trimestres.

Pas d'augmentation avant janvier 2028, veut dire a priori, que toutes les générations qui partiront entre aujourd'hui et 2027 partiront à 62 ans et 9 mois et 170 trimestres.

Les personnes qui auront 62 ans et 9 mois en décembre 2027, les dernières qui seront concernées par cette mesure, sont nées en mars 1965. On peut en déduire que les personnes nées en avril 1965 partiront à 63 ans et 171 trimestres. Puis la réforme poursuivra son cours ordinaire (on peut même imaginer que ça aille plus vite).

Au total, les générations 1964, 1965, 1966, 1967 et 1968 (3,5 millions de personnes) gagnent probablement un trimestre d'âge et un trimestre de durée (et même peut être 6 mois pour les personnes nées en début d'année 65). Les autres générations ne gagnent rien et voient l'âge de 64 ans et l'accélération de la réforme Touraine toujours inscrits dans la loi.

*

Cette analyse a été faite en peu de temps et publiée sur le blog d'Alternatives Économiques. Toutes les remarques et amendements sont les bienvenus.

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Belgique. Epreuve de force après le succès de la manifestation contre l’austérité

21 octobre, par Mateo Alaluf — , ,
Ce mardi 14 octobre une marée humaine a une nouvelle fois envahi les rues de Bruxelles. Aucun avion au départ ni à l'arrivée des aéroports, écoles fermées, entreprises à (…)

Ce mardi 14 octobre une marée humaine a une nouvelle fois envahi les rues de Bruxelles. Aucun avion au départ ni à l'arrivée des aéroports, écoles fermées, entreprises à l'arrêt, transports publics paralysés ; il n'y avait plus que les trains dont le trafic avait augmenté pour acheminer les manifestant·e·s vers Bruxelles. La mobilisation à l'appel du front commun syndical (FGTB socialiste, CSC chrétienne et CGSLB libérale) et de nombre d'associations (OXFAM, Greenpeace, Réseau de lutte contre la pauvreté, ONG de développement…) a donc été très largement entendue. Les manifestant·e·s, bien plus de 100 000, étaient cette fois encore plus nombreux que lors des mobilisations précédentes.

Tiré de A l'Encontre
18 octobre 2025

Par Mateo Alaluf

Bruxelles, 14 octobre 2025. (Capture d'écran)

Le déni du gouvernement

Les mobilisations, grèves et manifestations ont été nombreuses depuis la formation, il y a 9 mois, du gouvernement présidé par le nationaliste flamand Bart de Wever et composé de deux grandes formations de droite, la Nouvelle alliance flamande (NVA) et les libéraux conservateurs francophones du Mouvement réformateur (MR), ainsi que de trois formations du centre, les démocrates chrétiens flamands du CD&V, les francophones des Engagés et ex-socialistes flamands, reconvertis en centristes sous l'appellation de Vooruit (en avant) [1]. Son programme n'annonçait-il pas le pire pour les chômeurs et chômeuses, les pensionné·e·s, les demandeurs d'asile et les services publics ? On mesure à présent les effets des mesures sur le chômage, des restrictions sur l'éducation, la culture et la santé, du blocage des salaires et de la diminution des pensions de retraite. Les réductions de cotisations sociales sur les hauts salaires illustraient, presque à l'excès, que « ce sont toujours les mêmes poches que l'on sollicite ». Sans parler de l'acceptation enthousiaste de l'injonction de Donald Trump par le gouvernement de doubler les dépenses militaires.

C'était aussi ce 14 octobre, jour de rentrée parlementaire à la Chambre, que le Premier ministre devait présenter la déclaration de politique générale. Par contraste avec la foule qui manifestait dans les rues, les bancs du gouvernement étaient pourtant vides. La majorité n'avait pu trouver d'accord sur le budget et avait reporté sa déclaration. Les députés de l'opposition soulignaient le manque de respect pour le Parlement. Ceux de la majorité avaient-ils, malgré tout, entendu le signal donné au même moment sous leurs fenêtres par les manifestants ? Axel Ronse, chef de groupe de la NVA, principal parti de la majorité, l'avait bien entendu, « un signal – déclara-t-il sous les applaudissements du groupe MR (deuxième parti de la majorité) – des cinq millions de personnes qui ont travaillé mardi ». Selon les dires de Georges-Louis Bouchez, président du MR, les manifestants ne pèsent pas lourd face aux électeurs de son parti. Encore mieux : prétextant de quelques incidents mineurs et des dommages causés à la façade du bâtiment de l'Office des étrangers, Théo Francken, ministre de la Défense NVA, de retour d'une visite aux Etats-Unis, a plaidé pour équiper les policiers d'armes non létales et faire usage à l'avenir de balles en caoutchouc contre les manifestants [2].

Comme partout en Europe, l'Etat social a été grignoté en Belgique depuis près d'un demi-siècle, par les politiques néo-libérales. Mais la capacité de mobilisation des organisations syndicales est demeurée forte et l'érosion du Parti socialiste est restée limitée et a été compensée par la montée importante du Parti du travail PTB (gauche radicale). La gauche avait donc été en mesure de limiter la dégradation de la sécurité sociale, des services publics et des salaires grâce notamment au maintien d'un système d'indexation automatique des salaires et des allocations sociales.

Au lendemain de sa victoire électorale et de la constitution d'un gouvernement à son image, la droite croit à présent le moment venu pour achever son œuvre. Les deux partis de droite, NVA (nationalistes flamands) et MR (libéraux conservateurs francophones) qui dominent la coalition, sont décidés à faire épouser au pays l'air du temps. Ils avaient déjà engagé le combat culturel contre le « wokisme », la lutte contre « l'assistanat », contre les mesures climatiques « excessives » et pour libérer les entreprises des « charges sociales » et du « conservatisme des syndicats ». Ils n'ont dès lors aucune intention de maintenir encore le système des négociations collectives, qui avait jusqu'ici régi la vie sociale, mais sont résolus à mettre hors-jeu le mouvement syndical, principal obstacle à leur politique.

Question sociale et tournant autoritaire

La coalition gouvernementale dispose d'une majorité à même de porter son projet politique. Face à la résolution du gouvernement d'imposer sa politique d'austérité les organisations syndicales sont au pied du mur. Elles ne pourront plus se contenter de mobilisations dont l'enjeu est de créer un rapport de force alors qu'elles sont privées de perspective réelle de négociation. Dès lors, le but du mouvement devient de plus en plus la chute du gouvernement.

Malgré sa détermination, la difficulté d'élaborer un budget laisse transparaître les failles de la coalition gouvernementale. Les deux partis de droite conservatrice, dopés au « trumpisme », parviendront-ils à entraîner jusqu'au bout leurs partenaires centristes dans cette guerre de classes ? Ainsi un député Vooruit (ex-socialistes flamands) confiait au journal Le Soir (15/10) que la mobilisation ne lui ferait pas quitter le gouvernement mais permettrait « de refuser les mesures les plus dingues ». Si bien qu'à la suite des manifestants, Jean-François Tamellini, président de la FGTB Wallonne, affirmait que l'enjeu du mouvement est bien la chute du gouvernement.

Mais le déni de la contestation dont fait l'objet le gouvernement donne la mesure de la fracture profonde de la société. En réalité la question sociale se double d'un tournant sécuritaire qui menace l'Etat de droit et d'un engagement atlantiste qui privilégie les dépenses militaires. Le rapport de l'Institut fédéral des droits humains (IFDH) institué par le Parlement fait état de la non-exécution de procédures de justice par l'Etat (essentiellement en matière d'accueil), de « procédures bâillons, restrictions des libertés fondamentales », sans parler de l'avant-projet de loi liberticide visant l'interdiction d'organisations jugées radicales. L'IFDH rappelle également la lettre ouverte, cosignée par le Premier ministre Bart de Wever et huit autres chefs d'Etat européens, mettant en cause la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) en matière de migration. Par ailleurs 34 milliards d'investissements supplémentaires seront consacrés aux dépenses d'armement dans le cadre de l'OTAN, dont l'achat d'avions F35 supplémentaires.

Le mouvement social qui traverse la Belgique depuis la formation du gouvernement est incontestablement de grande envergure. Comme le dit Thierry Bodson, président de la FGTB, « le combat contre le gouvernement Arizona[3] n'est pas celui d'une journée, d'une année mais d'une génération entière qui refuse qu'on détruise en six mois ce que nos parents et grands-parents ont mis du temps à bâtir » [4].

Ce combat est mené aussi par une génération qui est engagée dans une lutte contre l'austérité, l'autoritarisme et, comme les générations précédentes pour l'Algérie et le Vietnam, celle-ci l'est pour la Palestine et le droit international. Sera-t-elle à même de gagner en Belgique contre un gouvernement porteur de la révolution conservatrice menée par l'extrême droite qui, depuis les Etats-Unis, commence pays après pays à étouffer l'Europe ?

Mateo Alaluf, professeur émérite de sociologie de l'Université libre de Bruxelles, auteur de l'ouvrage Le socialisme malade de la social-démocratie, éditions Syllepse et Page deux, mars 2021. Un des animateurs de l'Institut Marcel Liebman.


[1] En Belgique, tous les partis politiques se sont scindés suivant leur appartenance linguistique. Seul le Parti du Travail de Belgique PTB (gauche radicale) est demeuré unitaire.

[2] En fait, quelques incidents mineurs lors de la manifestation ont donné lieu à des violences policières largement étayées par la presse, des images et témoignages. Même le Comité P, la police des polices, fait état de l'usage de plus en plus agressif du gaz lacrymogène.

[3] Arizona est le nom donné à la coalition gouvernementale fédérale dominée par les nationalistes flamands NVA (couleur jaune) et les libéraux francophones MR (bleu), comprenant également les socialistes flamands (rouge) et les chrétiens démocrates flamands et francophones (orange). Ces couleurs correspondent à celles du drapeau de l'Etat de l'Arizona. Après le succès de la droite aux dernières élections législatives, la coalition Arizona a succédé au gouvernement Vivaldi de centre gauche.

[4] La Libre Belgique, 15/10/2025.

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Suède : Le nouveau gouvernement s’en prend aux pauvres

21 octobre, par Internationalen — , ,
À compter du 1er octobre, la nouvelle loi sur l'assurance chômage entrera en vigueur, ce qui détériorera considérablement les choses pour toutes les personnes qui recevront une (…)

À compter du 1er octobre, la nouvelle loi sur l'assurance chômage entrera en vigueur, ce qui détériorera considérablement les choses pour toutes les personnes qui recevront une notification de prestations à partir de cette date. Cependant, les personnes déjà au chômage continueront de percevoir des prestations selon l'ancien système pendant les 300 premiers jours, ce qui reste maigre mais ne constitue pas une détérioration.

14 octobre 2025 | Internationalen

C'est lors d'une conférence de presse en février dernier que le gouvernement a annoncé les changements qui deviennent aujourd'hui réalité. Nous pouvons constater une amélioration dans la nouvelle loi, dans la mesure où le plafond est légèrement relevé pour le montant que vous pouvez gagner tout en continuant à percevoir 80 % de vos indemnités – jusqu'à un revenu mensuel de 34 000 couronnes pendant les 100 premiers jours –, mais sinon, tout va dans le sens contraire.

Aujourd'hui, on touche 80 % pendant les 200 premiers jours de chômage, mais désormais, ce taux sera ramené à 70 % après 100 jours. Actuellement, le taux est de 70 % entre le 200e et le 300e jour, mais la coalition Tidö le ramène à 65 %.

Cependant, ce sont les chômeurs de longue durée qui perçoivent actuellement une aide à l'activité qui sont les plus touchés par ces mesures, une catégorie dans laquelle on entre après 300 jours sans emploi et dont le niveau d'indemnisation est de 65 %. Les partis de gauche souhaitent maintenir la limite à ce niveau, mais la réduire de cinq points de pourcentage tous les 100 jours, pour atteindre un seuil final de 365 couronnes après impôts pour chaque jour ouvrable normal. Les personnes qui bénéficient déjà d'une aide à l'activité seront également touchées par cette détérioration après 100 jours d'indemnisation à compter du 1er octobre.

Aujourd'hui, certains chômeurs ne perçoivent qu'un peu plus de 9 000 couronnes suédoises nettes par mois d'aide, mais avec 365 couronnes suédoises par jour, cela signifierait une détérioration significative, avec moins de 8 000 couronnes suédoises par mois à leur disposition. Mais comment peut-on vivre avec cela, avec un loyer de peut-être 5 000 à 6 000 couronnes ? La vérité est que davantage de chômeurs sont contraints de demander une aide sociale, que les coûts sont répercutés sur les municipalités et qu'un fardeau encore plus lourd pèse sur les services sociaux déjà en sous-effectif et surchargés. De plus, les personnes qui vivent déjà dans des conditions extrêmement précaires sont encore plus mises sous pression, avec tout ce que cela implique en termes de souffrance personnelle et de risque de troubles psychologiques. Mais lors de la conférence de presse de l'année dernière, le ministre du Travail de l'époque, Johan Persson (L), a déclaré avec aplomb : « Nous renforçons désormais notre politique en faveur de l'emploi. L'assurance chômage doit être un tremplin vers de nouvelles perspectives, et non un hamac dans lequel on risque de rester coincé pendant longtemps ».

L'attaque des partis conservateurs contre les chômeurs de longue durée est purement inhumaine et n'est rien d'autre qu'une chasse aux pauvres en Suède, avec l'idée sous-jacente que certaines personnes n'ont tout simplement pas le droit de donner un peu de lustre à leur existence. Nous devons toutefois garder à l'esprit que cela ne devrait pas nécessairement se passer ainsi, et que cela n'a d'ailleurs pas toujours été le cas en Suède : jusqu'au 1er juillet 1993, le niveau d'indemnisation des chômeurs était de 90 % pendant 300 jours, et même pendant 450 jours pour les personnes âgées de plus de 50 ans ! Ce n'est pas non plus cette indemnisation généreuse qui a fait grimper le chômage. Au contraire, pendant plusieurs décennies, il n'atteignait même pas un tiers de son niveau actuel.

Il est également essentiel de comprendre que cette politique de droite repose sur un véritable objectif de classe. En effet, la seule possibilité pour la classe ouvrière de s'imposer face aux détenteurs du capital est de refuser, collectivement et individuellement, de travailler dans n'importe quelles conditions. Pour ce faire, deux choses sont nécessaires : une caisse de grève et une caisse de chômage. La caisse de grève est le fondement de l'organisation syndicale et ce qui donne au collectif la possibilité de faire grève pour faire valoir ses revendications.

. L'assurance chômage fixe un seuil minimum pour le salaire et les conditions de travail de chaque individu, une dernière bouée de sauvetage qui permet de refuser des emplois aux salaires et conditions de travail abusifs. La prétendue « ligne de force » de la droite n'a jamais visé à réduire le chômage, mais à utiliser celui-ci pour détériorer la situation de tous les travailleurs. Une partie importante de cette stratégie consiste à détériorer les conditions d'octroi des allocations chômage.

Pour réduire réellement le chômage, la politique du gouvernement Tidö – qui repose principalement sur la détérioration des conditions pour les demandeurs d'emploi et la baisse des impôts – est totalement contre-productive. Nous aurions aujourd'hui besoin de beaucoup plus de mains pour remettre en état et développer le système de protection sociale. Pensez également à toutes les ressources qui devraient être consacrées à la mise en place d'une véritable transition climatique verte. De plus, il est grand temps de procéder enfin à une réduction significative du temps de travail. Un changement radical de politique ouvrirait la voie à une réduction drastique du chômage !

Publié par Internationalen le 3 octobre 2025, traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro

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Je soutiens Mamdani, le candidat démocrate à la mairie de New York — point final !

21 octobre, par Dan La Botz — , ,
Je soutiens Zohran Mamdani, le candidat démocrate à la mairie, et je le fais sans réserve et de tout cœur. Et c'est ce que j'aurais souhaité que Solidarity décide et déclare. (…)

Je soutiens Zohran Mamdani, le candidat démocrate à la mairie, et je le fais sans réserve et de tout cœur. Et c'est ce que j'aurais souhaité que Solidarity décide et déclare. Au lieu de cela, Solidarity a adopté une position qui suggère qu'il ne souhaite pas vraiment soutenir Mamdani, qu'il considère qu'il risque d'échouer, voire de trahir ses principes. La déclaration de Solidarity est tellement pleine de réserves, d'avertissements et de présages de catastrophe qu'il est difficile d'imaginer qu'elle encourage les gens à voter pour lui, et encore moins à faire campagne pour lui.

Voici quelques-unes des réserves et mises en garde de Solidarity :

Mamdani a clairement choisi de se présenter au sein du Parti démocrate, et non de suivre une voie indépendante. Nous ne sommes pas d'accord avec cette perspective ; en fait, nous la considérons comme une contradiction avec les exigences de la campagne....

Mamdani s'est toujours engagé à se présenter comme candidat au sein du Parti démocrate et il est fort probable qu'il construise sa coalition gouvernementale avec des éléments de l'appareil du parti qui insisteront sans aucun doute pour supprimer la dimension radicale de son programme.

... il est beaucoup plus probable que les pressions du pouvoir et les exigences de l'establishment démocrate érodent la force de Mamdani et de son mouvement.

Eh bien, bon sang, si c'est le cas, pourquoi se donner tant de mal ? Pourquoi voter pour ce type qui ne fera que se laisser dominer par l'appareil du parti et succomber aux exigences de l'establishment démocrate ?

La réponse de Solidarity est que, même si elle ne le soutient pas vraiment, elle soutient son mouvement. Le mouvement populaire enthousiaste qui le soutient n'est organisé que dans le cadre de sa campagne électorale. Solidarity veut soutenir le mouvement, mais le mouvement veut élire son candidat.

Solidarity déclare également qu'il est d'accord avec une grande partie de son programme – ses appels à réduire les loyers, à rendre les bus gratuits et à fournir des services de garde d'enfants aux familles qui travaillent – et avec sa politique pro-palestinienne. Bien sûr, elle prévient que « si des éléments importants du programme de Mamdani sont conformes aux principes socialistes, la campagne ne remet toutefois pas en cause le cadre de l'économie capitaliste ». Alors, ce n'est peut-être pas si génial que ça... ?

Solidarity aurait vraiment souhaité que Mamdani ne se présente pas comme démocrate, mais plutôt comme socialiste démocratique indépendant. Cependant, les membres de Solidarity savent qu'il aurait été pratiquement impossible pour Mamdani de lancer une campagne indépendante. Ses camarades du Democratic Socialists of America (DSA), qui constituent le noyau de son organisation de campagne, ne l'auraient pas soutenu. Les syndicats ne l'auraient pas soutenu. Les médias l'auraient ignoré et exclu. La collecte de fonds pour un candidat inconnu aurait été extrêmement difficile.

Je parle de cette question d'après mon expérience personnelle. En 2010, je me suis présenté non pas comme candidat démocrate, mais comme candidat du Parti socialiste au Sénat américain pour l'Ohio, avec le soutien de quelques autres organisations socialistes. J'ai obtenu 25 368 voix, soit 0,7 % du total, tandis que le candidat républicain Rob Portman en a obtenu 2 125 810 et le candidat démocrate Lee Fisher 1 448 092. Mon score représentait une part plus importante des voix que celle obtenue par les autres candidats socialistes dans l'Ohio au cours des dernières décennies.

La majorité de Solidarity a adopté la déclaration sur la campagne de Mamdani – qualifiée de « soutien critique » lors des discussions de notre groupe – car elle permet aux membres de Solidarity de dire : « Regardez, nous avons les mains propres. Nous n'avons jamais soutenu le Parti démocrate capitaliste et impérialiste. Et même si nous avons apprécié son mouvement et même une grande partie de son programme, nous n'avons jamais dit que nous soutenions Mamdani. » Très bien, tant mieux pour vous, cela figure dans votre dossier permanent.

Mais posez-vous la question suivante : serions-nous, nous les socialistes, dans une meilleure position si Mamdani s'était présenté en tant qu'indépendant, avait recueilli 1 ou 2 % des voix, mais que nous pouvions dire que nous avions mené un combat juste et pur ? Ou s'il devenait réellement maire de la plus grande ville des États-Unis et pouvait mettre en œuvre quelques programmes qui amélioreraient la vie des gens, renforçant ainsi la réputation du socialisme en général ?

Le Parti démocrate est un parti capitaliste et je m'oppose, par principe, à voter pour les démocrates comme un moindre mal. Comme mes camarades, j'aimerais voir émerger un parti politique indépendant, issu de la classe ouvrière et engagé en faveur du socialisme démocratique. Je pense qu'un tel parti est en fait susceptible de voir le jour grâce aux luttes menées pour des positions progressistes et de gauche au sein du Parti démocrate.
À l'heure actuelle, Mamdani n'est pas seulement un moindre mal, mais un candidat qui représente un bien positif et qui construit les forces susceptibles de remettre en cause le système. Nous devons nous organiser et voter pour lui.

Dan La Botz
Mon dernier livre.
Radioactive Radicals Un roman sur le travail et la gauche
Rendez-vous sur danlabotzwritings.com, puis sur « Books » (Livres).

Publié le 18 octobre 2025 par Solidarity : https://solidarity-us.org/i-support-mamdani-the-democratic-party-candidate-for-nyc-mayor-period/

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L’impérialisme de Trump en échec

21 octobre, par Dan La Botz — , ,
Trump tente de réaffirmer la domination mondiale des États-Unis, ce qui met en péril le peu de stabilité qui subsiste dans les relations internationales et accroît le risque de (…)

Trump tente de réaffirmer la domination mondiale des États-Unis, ce qui met en péril le peu de stabilité qui subsiste dans les relations internationales et accroît le risque de nouvelles guerres.

Hebdo L'Anticapitaliste - 771 (16/10/2025)

Par Dan La Botz
traduction d'Henri Wilno

Les États-Unis ont toujours fait la guerre et étendu leur territoire. Ils ont fait la guerre aux peuples amérindiens, au Mexique (dont ils ont pris la moitié du territoire), puis à l'Espagne, s'emparant de Cuba, de Porto Rico et des Philippines. Les États-Unis sont devenus une grande puissance au début de la Première Guerre mondiale et la puissance mondiale dominante à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans l'après-guerre, ils ont mené des coups d'État en Iran, au Guatemala et au Chili, et ont fait la guerre au Vietnam.

Mais au 21e siècle, les États-Unis sont confrontés à la concurrence économique de la Chine partout dans le monde et à la concurrence militaire de la Russie en Europe. Trump tente aujourd'hui de redonner aux États-Unis leur puissance d'antan, de « rendre sa grandeur à l'impérialisme américain ». Mais jusqu'à ­présent, il a échoué.

Échec face à la Chine et à la Russie

Trump s'efforce d'étouffer l'économie chinoise et de manœuvrer la Russie pour l'amener à conclure une sorte de partenariat. Trump a frappé la Chine avec des droits de douane astronomiques de 50 % et a restreint les transferts de technologie, tandis que la Chine a réagi en imposant des restrictions sur les terres rares. Mais Trump n'a pas réussi à forcer la Chine à se soumettre.

Les États-Unis et l'OTAN n'ont pris aucune mesure importante lorsque la Russie a pris la Crimée à l'Ukraine en 2014 et n'ont pas réagi dans un premier temps à l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie en février 2022. Trump n'a pas réussi à mettre fin à la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine et a tenté à plusieurs reprises de flatter, de séduire et de bluffer le président russe Vladimir Poutine, sans succès. Aujourd'hui, les drones russes survolent non seulement l'Ukraine et la Moldavie, mais aussi l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Danemark, la Norvège, la Roumanie, la Pologne et l'Allemagne et Poutine menace d'utiliser des armes nucléaires.

Échec au Moyen-Orient

Dans l'espoir de rétablir la domination américaine au Moyen-Orient, Trump a négocié les accords d'Abraham, initialement signés par Israël, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et le Maroc en 2020. Mais ce plan a été mis à mal par l'attaque du 7 octobre et par la guerre génocidaire menée depuis deux ans par Israël contre Gaza. Après avoir fourni au moins 21,7 milliards de dollars à Israël pour la guerre, Trump est aujourd'hui salué pour avoir mis fin au conflit. Mais cette guerre, qui pourrait ne pas prendre fin, a saboté le plan de Trump pour la réorganisation de la région.

Bellicisme en Amérique latine

En Amérique latine, Trump a pris certaines de ses mesures les plus énergiques pour prendre le contrôle. Il a récemment ordonné la destruction de quatre bateaux dans les Caraïbes, affirmant sans preuve qu'il s'agissait d'un « conflit armé » avec des « organisations narco-terroristes », tuant 11 personnes en violation du droit international. Cela semble être une préparation au renversement de Maduro au Venezuela, sur la tête duquel il a mis une prime de 50 millions de dollars. L'attribution du prix Nobel de la paix à Maria Corina Machado, une politicienne d'extrême droite qui a encouragé Trump à envahir le pays, pourrait faciliter un coup d'État soutenu par les États-Unis. Le Mexique, que Trump a menacé de bombarder pour détruire les cartels de la drogue, observe la situation avec méfiance. Trump, intervenant dans la politique intérieure du Brésil, a imposé des droits de douane de 40 % à ce pays parce que ses tribunaux ont condamné l'ancien président d'extrême droite Bolsonaro. Et en Argentine, pour soutenir un autre président d'extrême droite, Javier Milei, Trump organise un plan de sauvetage de 20 milliards de dollars.

Trump tente de refaire des États-Unis le leader mondial, mais jusqu'à présent, il échoue.

Dan La Botz, militant de DSA (Democratic Socialists of America), traduction Henri Wilno

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Zohran Mamdani : « Notre heure est venue »

21 octobre, par Zohran Mamdani — , ,
Hier soir (13 octobre), lors d'un rassemblement électoral, Zohran Mamdani s'est adressé à ses partisan·es : « Pendant trop longtemps, nous avons essayé de ne pas perdre. Il est (…)

Hier soir (13 octobre), lors d'un rassemblement électoral, Zohran Mamdani s'est adressé à ses partisan·es : « Pendant trop longtemps, nous avons essayé de ne pas perdre. Il est maintenant temps de gagner. »

https://jacobin.com/2025/10/mamdani-mayor-nyc-campaign-speech

14 octobre 2025

Hier soir, lors d'un rassemblement à l'United Palace, le candidat socialiste démocrate à la mairie de New York, Zohran Mamdani, s'est adressé à ses partisan·es. Nous reproduisons ici l'intégralité de son discours.

Merci aux élu·es, aux dirigeant·es syndicaux et aux leaders de mouvements sociaux qui sont parmi nous ce soir. Et merci à la procureure générale de New York, Tish James. Pendant des années, vous vous êtes battue pour les New-Yorkais·es, et maintenant, c'est à notre tour de nous battre pour vous.

Il y a quelque chose de spécial dans cette salle ce soir. C'est le pouvoir. C'est le pouvoir de centaines de milliers de New-Yorkais·es uni·es, prêt·es à inaugurer une nouvelle ère. C'est le pouvoir d'un mouvement qui a remporté la bataille pour l'âme du Parti démocrate. Qui a relégué la vision d'Andrew Cuomo, faite d'austérité et de mesquinerie, à la place qui lui revient : sur une ligne électorale dont personne n'a jamais entendu parler.

C'est un pouvoir plus grand que celui de n'importe quelle personne travaillant seule pour un New York où la dignité est accordée à tous.

Et c'est le pouvoir d'une campagne qui, pour la deuxième fois en cinq mois, est au bord de la victoire. Dans trois semaines à compter de demain, nous gagnerons à nouveau.

Cela n'est possible que grâce à vous. Cette campagne a mobilisé le plus grand nombre de bénévoles de toute l'histoire de la ville de New York. Il y a 3 200 personnes dans cette salle ce soir. Et à vos côtés, il y en a plus de 80 000 autres à travers notre ville — à Brownsville, à Parkchester, à Flushing et ici même à Washington Heights, des New-Yorkais·es qui ont frappé aux portes, passé des appels téléphoniques et inscrit des électeur·ices jour après jour, semaine après semaine, mois après mois. Vous avez travaillé si dur pour une raison simple : réinventer fondamentalement ce qui est possible à New York.

Aujourd'hui, certain·es s'opposent à cette vision. Des milliardaires comme Bill Ackman et Ronald Lauder ont investi des millions de dollars dans cette course électorale, car ils affirment que nous représentons une menace existentielle.

Et je suis ici pour admettre une chose. Ils ont raison.

Nous représentons une menace existentielle pour les milliardaires qui pensent que leur argent peut acheter notre démocratie.

Nous représentons une menace existentielle pour un statu quo défaillant qui étouffe la voix des travailleurs et des travailleuses au profit des entreprises.

Et nous sommes une menace existentielle pour un New York où une dure journée de travail ne suffit pas pour gagner une bonne nuit de sommeil.

Et nous sommes absolument une menace existentielle pour les politiciens discrédités comme Andrew Cuomo, qui sapent la confiance du public, harcèlent les femmes et ne cachent pas leur désespoir de collaborer avec Donald Trump et ses donateurs.

Nous sommes une menace existentielle pour les milliardaires qui pensent que leur argent peut acheter notre démocratie.

Soyons clairs. Ce n'est pas le moment de capituler. Nous traversons une période d'obscurité politique. Donald Trump et ses agents de l'ICE enlèvent nos voisin·es immigré·es de notre ville en plein jour, sous nos yeux. Son administration autoritaire mène une campagne de représailles sans merci contre toustes celleux qui osent s'opposer à elle, contre les tribunaux qui osent lui demander des comptes et contre nos voisin·es transgenres et homosexuel·les qui osent simplement être elleux-mêmes.

Et encore et encore, Trump a rompu la promesse qu'il avait faite au peuple américain de se battre pour la classe ouvrière en s'attaquant à la crise du coût de la vie. Au cours des neuf derniers mois, nous avons assisté au plus grand transfert de richesse des pauvres vers les riches de l'histoire.

Trump est comme Andrew Cuomo : redevable aux milliardaires et aux oligarques. Et comme Cuomo, il s'est plié à leur volonté.

Les ravages qu'il a laissés dans son sillage sont stupéfiants. Des dizaines de millions d'Américains, dont des millions ici même à New York, vont perdre leur Medicaid, leur Medicare, leurs prestations SNAP. À cause de la corruption de Trump, des enfants vont se coucher le ventre vide. Des malades vont mourir. Quelle que soit la manière dont on mesure les choses, nos vies se sont détériorées.

Je repense au pasteur avec qui je me suis assise il y a quelques semaines à East Flatbush. Il m'a raconté comment, en septembre, une jeune femme de sa congrégation l'avait abordé après la messe. Elle lui avait dit qu'elle faisait l'objet d'une mesure d'expulsion. Il la connaissait bien et savait qu'elle travaillait avec des jeunes handicapé·es dans cette ville. Elle lui avait dit qu'elle n'avait pas les moyens de payer un·e avocat·e et qu'elle n'avait personne d'autre vers qui se tourner. Elle lui a demandé s'il pouvait l'accompagner au 26 Federal Plaza. Il a accepté.

Dans la salle d'audience, le juge lui a dit de se préparer à partir avec les vêtements qu'elle portait. Il lui a demandé si elle avait fait ses adieux à sa famille. Elle s'est mise à pleurer.

Puis, comme par miracle, le juge a changé d'avis. Il a décidé de faire passer son ordonnance de statut de protection temporaire avant l'ordonnance d'expulsion. Pendant un instant, le danger a semblé écarté.

Mais le pasteur savait que l'ICE attendait dehors. Ils se moquaient bien de l'ordonnance du tribunal, car ils se moquaient bien de l'état de droit.

Il s'est tourné vers quelques observateur·ices présent·es dans la salle et leur a demandé de sortir les premier·es. Il a demandé à un autre homme de retenir l'ascenseur. Il a pris la jeune femme sous les bras, a ouvert les portes, l'a fait passer rapidement devant les agents de l'ICE pour l'emmener dans l'ascenseur, puis dans une voiture qui attendait, avant de repartir à toute vitesse vers Brooklyn.

Pendant tout ce temps, ses pieds n'avaient même pas touché le sol. Il m'a dit que cela lui avait fait penser au chemin de fer clandestin. Et pourtant, il savait qu'elle était loin d'être en sécurité.

Nous vivons à une époque dont nous avons entendu parler dans les livres. Je sais que beaucoup d'entre nous, lorsque nous repensons à des moments de l'histoire qui ressemblent à ceux que nous vivons aujourd'hui, où la tyrannie régnait et où l'État imposait la violence avec une joie sinistre, nous nous demandons ce que nous aurions fait. Nous n'avons pas besoin de nous poser la question. Ce moment est arrivé.

Et je suis fier de voir cette foule, ces New-Yorkais·es qui, malgré le désespoir, ont continué à croire en un monde meilleur. À chaque pâté de maisons parcouru, à chaque signature obtenue, vous avez refusé de normaliser une politique de cruauté, de cupidité et d'exploitation. Vous avez affirmé votre pouvoir.

Nous voyons ce pouvoir lorsque les infirmier·es, les enseignant·es et les chauffeurs et chauffeuses de bus, ces hommes et ces femmes travailleuses et travailleurs syndiqués, terminent leur service et se rendent directement à une réunion électorale.

Nous le voyons lorsque ces mêmes New-Yorkais·es qui se rendent à pied au travail consacrent leurs week-ends à se battre pour des bus rapides et gratuits pour des inconnu·es qu'ils et elles ne rencontreront jamais.

Et nous le voyons lorsque des grands-parents dont les enfants sont depuis longtemps adultes se battent pour la mise en place d'un système universel de garde d'enfants afin qu'une jeune famille qu'ils n'ont jamais rencontrée, vivant à l'autre bout de la ville, puisse se permettre de rester ici.

Avec autant de ténèbres, il faut du courage pour éclairer une nouvelle voie. Comme l'a dit un jour Thomas Sankara, « Le changement fondamental ne vient que du courage de tourner le dos aux anciennes formules, du courage d'inventer l'avenir. » Ensemble, c'est exactement ce que nous avons fait.

Pendant trop longtemps, on nous a demandé de nous contenter d'abstractions et de lettres au ton ferme ; de nous satisfaire d'une politique bâtie sur des fondations fragiles, fondée uniquement sur ce à quoi nous nous opposons, sans jamais déclarer ce que nous soutenons réellement ; d'accepter des dirigeant·es prêt·es à nous vendre au plus offrant.

Ce n'est pas ce qu'est ce mouvement, et il ne le sera jamais. Nous savons ce que nous défendons, et nous ne reculerons pas. Un mouvement par le peuple et pour le peuple ne répond qu'au peuple.

À vingt-deux jours de la clôture des urnes, exprimons haut et fort ce que nous croyons afin que le monde entier le sache. Nous croyons que dans la ville la plus riche du pays le plus riche de l'histoire du monde, les travailleurs et travailleuses méritent une vie digne.

Nous croyons que les bus devraient être rapides et [la foule crie : « gratuits ! »]

Nous croyons que le logement est beaucoup trop cher. Nous allons construire des centaines de milliers de logements abordables, nous attaquer aux mauvais propriétaires et geler les [la foule crie : « loyers ! »]

Et nous croyons que les frais de garde ne devraient pas coûter autant qu'une année de scolarité au City College. C'est pourquoi nous allons mettre en place un système universel [la foule crie : « de garde d'enfants ! »].

Ce ne sont pas seulement des slogans. Ce sont des engagements. Nous ne les prononçons pas simplement pour inspirer, mais parce que c'est ce que nous allons réaliser. Nous croyons en des écoles qui reçoivent les investissements dont elles ont besoin, en des infrastructures résistantes aux effets croissants de la crise climatique et en un budget qui finance entièrement nos parcs et nos bibliothèques.

Nous croyons en une sécurité publique qui garantit réellement la sécurité et la justice. Nous pouvons faire de cette ville un endroit où personne n'a peur de marcher dans la rue ou de prendre le métro. Une ville où nos policier·es se concentrent sur les crimes graves et où ce sont les professionnel·les de la santé mentale qui s'occupent des crises de santé mentale.

Pendant trop longtemps, nous avons essayé de ne pas perdre. Il est maintenant temps de gagner.
À New York, nous croyons qu'il faut défendre celles et ceux que nous aimons. Au cours des neuf derniers mois, nous avons vu l'homme le plus puissant du monde dépenser une énergie considérable pour s'en prendre à ceux et celles qui ont le moins. Que vous soyez un·e immigrant·e, un·e membre de la communauté transgenre, l'une des nombreuses femmes noires que Donald Trump a licenciées d'un emploi fédéral, une mère célibataire qui attend toujours que le prix des produits alimentaires baisse, ou toute autre personne acculée au pied du mur, votre combat est aussi le nôtre.

Ne vous y trompez pas, notre mouvement sait exactement pour qui et pour quoi nous nous battons. Nous n'avons pas peur de nos propres idées. Pendant trop longtemps, nous avons essayé de ne pas perdre. Il est maintenant temps de gagner.

Je sais que depuis notre victoire du 24 juin, certain·es se sont demandé si ce à quoi nous aspirons est possible. Que les jeunes dont on parle comme étant l'avenir pourraient aussi être le présent. Que la gauche qui a critiqué pourrait aussi être la gauche qui tient ses promesses.

À cela, mes ami·es, j'ai une réponse très simple : oui.

Et à celles et ceux qui doutent, qui n'arrivent pas à y croire, qui partagent notre vision mais ont peur de se permettre d'espérer, je vous demande : quand la dignité a-t-elle jamais été donnée ?

Les mêmes questions qui nous ont été posées ont été posées aux syndicats, au mouvement des droits civiques, à tous ceux et à toutes celles qui ont eu le courage d'exiger un avenir sans pouvoir encore le voir : ne pouvait-on pas attendre ? Ne voyait-on pas qu'on en demandait trop ?

Ils et elles savaient que nous ne pouvons pas déterminer l'ampleur de la crise à laquelle nous sommes confrontés. Nous ne pouvons que décider de la manière dont nous y répondons. Nous savons que chaque grande victoire doit être remportée, car elle ne sera jamais donnée.

Lorsque les syndicats ont obtenu le week-end, afin que les travailleurs et travailleuses aient le temps de se reposer, c'était un pouvoir conquis, pas accordé. Lorsque celles et ceux qui nous ont précédés ont manifesté pour le droit de vote et les droits civiques, ils et elles ont triomphé parce qu'iels ont osé rêver, pas parce qu'iels en ont reçu la permission d'un establishment politique satisfait du statu quo.

Lorsque des millions de personnes âgées ont été sorties de la pauvreté grâce à la sécurité sociale, c'est parce que les Américain·es en avaient assez d'une situation qui ne leur convenait pas et en voulaient une nouvelle. Et le New York que nous aimons a été construit par celles et ceux
qui refusent de se contenter de moins. De grands leaders comme Fiorella La Guardia nous ont appris que l'ambition est quelque chose à embrasser, et non à traiter comme un crime. Lorsque nous nous libérons du carcan des petites attentes, notre ville construit des parcs et des hôpitaux, et nous montrons au monde que l'ambition et la compassion sont en fait étroitement liées.

En cette période sombre, New York peut être une source de lumière. Et nous pouvons prouver une fois pour toutes que la politique que nous menons ne doit pas nécessairement être fondée sur la peur ou la médiocrité. Le pouvoir et les principes ne doivent pas nécessairement être en conflit à la mairie. Car nous utiliserons notre pouvoir pour transformer les principes en possibilités.

Dans douze jours, les New-Yorkais·es commenceront à voter. Nous élirons notre prochain maire. Mais plus que cela, nous ferons un choix très simple.

Un choix entre la démocratie et l'oligarchie. Un choix entre une ville abordable ou plus de la même chose. Un choix entre un maire qui travaille pour celles et ceux qui ont du mal à payer leurs courses ou celles et ceux qui ont du mal à acheter une élection. Un choix entre l'espoir d'un avenir meilleur et un passé brisé.

Pendant des années, pour reprendre les mots du Dr Martin Luther King, on nous a demandé d'attendre une saison plus propice. On nous a dit que le changement n'était pas encore tout à fait possible, que ce n'était pas encore notre tour, qu'il viendrait bientôt.

On nous a dit d'attendre alors que nos ami·es et nos voisin·es ont déménagé. On nous a dit d'attendre alors que notre ville est devenue de plus en plus inabordable. On nous a dit d'attendre alors qu'une vie agréable est devenue hors de portée.

Mes ami·es, nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d'attendre. Car trop souvent, attendre revient à faire confiance à ceux qui nous ont menés à cette situation.

Nous pouvons exiger un gouvernement qui améliore nos conditions de vie. Nous pouvons dire aux milliardaires que cette ville ne leur appartient pas. Nous pouvons dire à Donald Trump qu'il ne peut pas acheter cette élection. Et nous pouvons dire à Andrew Cuomo que New York n'est pas à vendre.

Ainsi, le soir du 4 novembre, lorsque le monde apprendra que nous avons encore gagné, il connaîtra notre réponse à la question : nous choisissons l'avenir. Car à tous ceux et toutes celles qui disent que notre heure viendra, mes ami·es, notre heure est venue.

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