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Economie. Dollar, déficits et crises

Le 9 avril, alors que le cours des actions s'effondrait à Wall Street et dans le reste du monde, il y a eu des ventes massives de « bons du Trésor » (Treasury Bonds – titre obligataire).
16 avril 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/economie-dollar-deficits-et-crises.html
« Les bons du Trésor américain sont liquidés à un rythme inhabituel, des niveaux qui ont historiquement provoqué une intervention de la Réserve fédérale », a déclaré Lale Akoner, analyste des marchés mondiaux auprès de la firme de courtage eToro. Ces ventes ont entraîné une baisse des prix des titres, avec pour contrepartie une augmentation des rendements : le mercredi 9 avril, le taux des obligations à 10 ans est passé de 3,9% à 4,5% ; le taux des obligations à 30 ans a augmenté à 4,79%. Il s'agissait de la plus forte hausse depuis la pandémie, en 2020. Etant donné qu'il est indexé sur le taux des obligations d'Etat, le taux hypothécaire à 20 ans a augmenté de 20 points de base. Les rendements des obligations d'entreprises les moins bien notées (junk bonds – « obligations pourries ») ont également augmenté. Il en a été de même pour les obligations du Royaume-Uni, de l'Australie et du Japon.
Dans les jours qui ont suivi, les rendements ont baissé (c'est-à-dire que les prix des obligations se sont redressés), mais la question de savoir pourquoi les titres ont chuté reste posée. D'autant plus que cela va à l'encontre de ce qui s'est produit lors des crises précédentes, où les investisseurs qui quittaient le marché boursier demandaient des bons du Trésor, comme un refuge. Par exemple, lorsque la crise financière de 2008-2009 a éclaté, les bons du Trésor ont augmenté. Pourquoi n'en a-t-il pas en été de même lors de la crise actuelle ?
Trois explications
Une première explication avances pour la chute des prix des bons du Trésor est que la Chine a vendu massivement, en réponse à la guerre commerciale déclenchée par Washington. C'est une explication plausible, mais rien n'indique que la Chine ait augmenté de manière significative ses ventes d'obligations ces derniers jours. Plus important encore, la détention chinoise de bons du Trésor américain a diminué ces dernières années ; elle s'élève aujourd'hui à environ 800 milliards de dollars.
Une deuxième explication (avancée entre autres par les analystes d'UBS) est que les hedge funds ont été contraints de se défaire de leurs positions qui misaient sur la hausse des actifs. Ces fonds opèrent avec un fort effet de levier [il permet, grâce à l'emprunt, d'acquérir des actifs avec un minimum de fonds propres, ce qui correspond à se constituer un capital grâce à l'endettement]. Ainsi, lorsque le marché n'évolue pas dans le sens de leurs paris (à la hausse ou à la baisse), ils doivent se procurer des liquidités à tout prix, soit parce qu'ils doivent reconstituer les garanties stipulées dans les contrats avec les prêteurs, soit parce qu'ils doivent rembourser les clients qui demandent le remboursement de leurs investissements. D'où les ventes forcées de titres du Trésor, qui sont très liquides.
La troisième explication de la chute des prix des obligations est liée à une question fondamentale : la méfiance des investisseurs. En d'autres termes, la demande de titres du Trésor n'aurait pas augmenté dans la même mesure que l'offre parce que la confiance des investisseurs serait en baisse. C'est pourquoi les bons du Trésor n'ont pas servi de réserve de valeur face à la crise. Selon un analyste de Bloomberg, « un message a été envoyé… la confiance des investisseurs ne peut plus être considérée comme garantie. Il est possible que les Etats-Unis deviennent un endroit moins attrayant pour les investissements à long terme. L'imprévisibilité des politiques et la baisse de la croissance peuvent susciter une plus grande inquiétude quant à la viabilité budgétaire. »
Rappelons deux précédents : en 2011, Standard & Poor's a abaissé, pour la première fois de l'histoire, la note de la dette états-unienne, de AAA à AA+. Et Fitch a fait de même en 2023. L'argument était le déficit budgétaire croissant et « le manque de gouvernance ». L'effet n'a pas été significatif, en termes pratiques, mais il manifeste la crainte qu'à un moment donné les Etats-Unis ne puissent pas payer leur dette. Ou qu'ils doivent augmenter considérablement les taux offerts pour refinancer la dette. Ce qui aggraverait considérablement le poids des services de la dette, en plus d'avoir un impact sur la valeur des autres actifs financiers.
Ces questions sont liées aux déficits des comptes courants et budgétaires, ainsi qu'à l'évolution de la position d'investissement des Etats-Unis. Nous les présentons brièvement dans les trois graphiques suivants.
Déficit du compte courant, position d'investissement nette et déficit budgétaire des Etats-Unis en perspective
Le premier graphique présente l'évolution du compte courant au cours des 44 dernières années. Pour les lecteurs qui ne sont pas économistes, nous rappelons que la balance courante enregistre le commerce des biens (automobiles, puces, soja, etc.) et des services (fret, tourisme, etc.) ; ainsi que les sorties ou entrées de capitaux pour les intérêts, les bénéfices et les profits, les redevances, les salaires, etc.

Entre 2022 et 2024, le déficit annuel moyen était supérieur à 1000 milliards de dollars. En 2024, il a atteint 1130 milliards de dollars.
Si le solde du compte courant est négatif, il doit être financé par un excédent du compte de capital. En d'autres termes, les résidents doivent vendre des actifs à des étrangers ou contracter des emprunts. Et si l'entrée de capitaux ne couvre pas le déficit du compte courant, c'est-à-dire si la balance des paiements est déficitaire, la Banque centrale perdra des réserves ; l'inverse se produit s'il y a un excédent de la balance des paiements.
La position nette d'investisseur international en résulte. Il s'agit de la différence entre les investissements réalisés par les résidents du pays à l'étranger (actifs) et les investissements réalisés par les étrangers dans le pays (passifs). Nous la présentons dans le deuxième graphique :

Depuis 1990, la position extérieure nette des Etats-Unis est négative, et de plus en plus négative. A la fin de 2024, elle s'élevait à 26 230 milliards de dollars : les actifs (assets) totalisaient 35 890 milliards de dollars et les passifs (liabilities) 62 120 milliards de dollars. A la fin de 2023, la position nette était négative de 19 850 milliards de dollars. C'est-à-dire qu'elle a augmenté de plus de 30% entre 2023 et 2024.
Enfin, nous présentons un troisième graphique sur l'évolution de la dette nationale brute au cours de la dernière décennie.

Rappelons que la dette nationale est le montant d'argent emprunté que le gouvernement fédéral a accumulé au fil du temps. Elle se compose de la dette détenue par le public et de la dette envers les agences gouvernementales (par exemple, la sécurité sociale). La plus importante d'un point de vue économique est celle qui est détenue par le public. Cette dette a été vendue sur les marchés du crédit et influence directement les taux d'intérêt. Elle consiste en des investissements dans des bons du Trésor : des obligations (Treasury Bonds, échéance à 10 ans et plus), des T-Notes (échéance entre 1 et 10 ans) et des billets du Trésor (T-bills, échéance de 4 à 52 semaines), commercialisés dans le cadre d'opérations privées.
La dette publique en mars 2025 atteint 36 220 milliards de dollars. La dette détenue par le public s'élève à 28 960 milliards de dollars. La dette intra-gouvernementale s'élève à 7260 milliards de dollars. 77% de la dette totale est détenue par des résidents américains (la Réserve fédérale est le principal détenteur, avec 520 milliards de dollars, soit 15% du total). 23% sont des dettes extérieures (les créanciers sont des banques centrales et d'autres entités étatiques, des investisseurs et des entreprises étrangères). Le Japon détient 1100 milliards de dollars, soit 3% du total ; la Chine 800 milliards de dollars, soit 2% ; la Grande-Bretagne 690 milliards de dollars, soit 2%. D'autres pays détiennent 5300 milliards de dollars [la Suisse détient 300 milliards de dette américaine] (Charted : Here's Who Owns U.S. Debt).
Mondialisation du capital, le dollar et le déficit de la balance courante
Commençons par les deux premiers graphiques, le déficit de la balance courante et la position de plus en plus débitrice de l'économie américaine. Le cadre est la mondialisation, ou globalisation du capital. Cela signifie que la relation capitaliste s'est étendue, et que la planète dans son ensemble est le terrain d'opération des capitaux les plus concentrés.
L'une des conséquences fondamentales de cette mondialisation est que la mobilité des investissements a accru le pouvoir du capital sur le travail. Une tendance qui s'est intensifiée depuis la crise capitaliste du milieu des années 1970. Compte tenu de l'intensification de la concurrence qui s'est produite au cours de ces années (en particulier l'entrée d'entreprises japonaises et allemandes sur le marché états-unien) et de la surproduction, les capitaux les plus puissants des pays centraux ont déplacé de nombreux investissements vers des pays ou des régions où les salaires étaient plus bas. Ils se sont également tournés vers des pays qui leur accordaient des avantages fiscaux ou un accès privilégié aux sources de matières premières, en plus de bas salaires et de taux d'exploitation élevés.
Les firmes menaçaient ouvertement les syndicats de transférer leurs activités dans le « tiers monde » si elles ne se pliaient pas à leurs exigences. Et, en réalité, elles l'ont fait. Le nord du Mexique, avec les maquiladoras, en est un exemple. Les chaînes de valeur mondiales, à travers les pays industrialisés et en « retard » de développement, en sont un autre. Les entreprises qui fabriquent des baskets au Vietnam ou au Cambodge en sont un exemple supplémentaire, et nous pourrions continuer ainsi. Ce processus a été particulièrement intense aux Etats-Unis. En conséquence, la part de l'emploi industriel dans l'emploi total y est passée de 25% en 1977 à moins de 10% en 2019.
La mondialisation de la production et de la réalisation de la valeur et de la plus-value était donc une caractéristique dominante de l'époque. Il n'y a pas eu d'escroquerie aux Etats-Unis (ce délire n'est le fait que d'un personnage grotesque comme Trump), mais une exploitation intensifiée et mondialisée du travail. Ce qui a contribué à rétablir la rentabilité du capital. Lorsqu'une entreprise, par exemple, investit ou a investi au Mexique pour vendre son produit aux Etats-Unis, en ne payant qu'une fraction du salaire qu'elle paierait aux Etats-Unis et en produisant avec une technologie de pointe, elle s'approprie une plus-value extra. Et cela s'est produit, et continue de se produire, à l'échelle mondiale.
Cependant, le processus n'est pas linéaire, car les espaces nationaux de valeur ne sont pas homogènes. L'économie mondiale n'est pas un tout abstrait et plat, mais concret. Les espaces nationaux ou régionaux de valeur s'érigent sur différents niveaux de productivité (développement technologique) et de valeurs de la force de travail, et sont reliés par les taux de change. Ce qui renvoie à une hiérarchie des monnaies, avec le dollar comme monnaie mondiale.
Nous tenons à souligner que la domination du dollar en tant que monnaie mondiale a survécu à l'effondrement du système de Bretton Woods et à la diminution de la part du PIB des Etats-Unis dans le PIB mondial. De plus, sa part dans le montant des échanges commerciaux mondiaux, dans la dette internationale et dans le crédit international non bancaire dépasse sa part dans le commerce, dans l'émission internationale d'obligations et d'emprunts et dans les prêts transfrontaliers. Même après la crise financière de 2008-2009, sa part dans la dette internationale et les emprunts bancaires a augmenté. Aucune monnaie n'a rivalisé avec le dollar dans ce rôle. Au début des années 2000, il a semblé que l'euro pourrait le défier, mais cela ne s'est pas produit. Le rôle de l'euro en tant que monnaie internationale est bloqué [à quelque 20%]. Pour l'instant, le renminbi n'a pas non plus réussi à supplanter le rôle du dollar. (Nous nous basons ici sur « The Stealth Erosion of Dollar Dominance : Active Diversifiers and the Rise of Nontraditional Reserve Currencies », Serkan Arslanalp, Barry Eichengreen et Chima Simpson-Bell, IFM, WP/22/58, 2022).
Cela signifie que le capital-argent – accumulation de plus-values produites au niveau mondial – tant qu'il est maintenu comme réserve de valeur, ou thésaurisé, le fait principalement par l'achat d'actifs financiers états-uniens et/ou libellés en dollars. Une telle situation prend une importance particulière lorsque se produit ce que Marx a appelé une pléthore de capital : les capitaux sont conservés à l'état liquide, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas réinvestis dans la production. Valorisés par la plus-value produite et réalisée dans différents pays et régions, ces capitaux considèrent le dollar et l'économie américaine comme des refuges sûrs. Une grande partie de ces capitaux sont entrés durant les années précédant la crise financière. D'où l'afflux de capitaux qui financent le déficit de la balance courante, participent au financement du déficit budgétaire et contribuent pour l'instant à soutenir la valeur du dollar.
La perspective d'une crise du dollar en tant que monnaie mondiale
Il existe donc un conflit entre le rôle du dollar en tant que devise nationale et son rôle en tant que devise mondiale. En tant que monnaie nationale, et selon les modèles classiques du commerce international, le dollar devrait se déprécier en raison du déficit de la balance courante. Mais dans son rôle de devise mondiale, il est essentiel qu'il incarne la valeur et qu'il soit un moyen de thésaurisation. Ajoutons que ce rôle explique l'entrée de capitaux et le financement des déficits qui en résulte.
Le problème est cependant que le dollar en tant que devise mondiale flotte sur un océan de dettes, ce qui est intrinsèquement contradictoire avec son rôle de monnaie mondiale. Les besoins de financement des deux déficits – courant et budgétaire – continuent de croître. Par exemple, en 2025, le gouvernement américain devra refinancer la dette pour un montant de 7000 milliards de dollars. Le déficit de la balance courante ne diminue pas et les mesures protectionnistes que Washington vient de mettre en œuvre ne feront qu'empirer les choses. La perspective d'une récession mondiale – dans un contexte de surproduction, de guerres des prix et de confrontations géopolitiques – est réelle. Une dépression mondiale déclencherait une destruction gigantesque de valeurs. Le dollar n'y échapperait pas. Cependant, en tant que monnaie mondiale, il se doit d'être le pouvoir, « cette forme sociale absolue de la richesse, toujours prête et prompte à la riposte » (Marx, Le Capital, Ed. Sociales, 1983, p. 148, Livre I). C'est à partir de là qu'elle « fonctionne comme moyen de paiement universel, comme moyen d'achat universel et comme matérialisation sociale absolue de la richesse en général (universal wealth) » (Marx, Le Capital, Ed. Sociales, 1983, p. 162, Livre I). Cette contradiction entre le rôle du dollar en tant que monnaie mondiale et les dettes gigantesques qui s'accumulent est la cause ultime de la méfiance des investisseurs.
Les symptômes ne sont pas nouveaux. Ces dernières années, la Chine, la Russie (avant l'invasion de l'Ukraine) et la Turquie ont acheté de l'or. L'Inde aussi, en 2024. Entre 2022 et 2024, les banques centrales ont acheté plus de 1000 tonnes d'or par an. La justification : « c'est l'argent sans risque ». C'est aussi « le seul actif qui n'est le passif d'aucun gouvernement ». De leur côté, la Chine, l'Arabie saoudite et le Brésil ont réduit leurs avoirs en bons du Trésor.
La chute des prix des bons du Trésor pendant la crise actuelle est un autre signal d'alarme. Tout indique que la contradiction mentionnée qui traverse le dollar devrait aboutir, à un moment donné, à une crise monétaire et financière de grande ampleur. Par exemple, si les investisseurs commencent à exiger des taux plus élevés pour financer le déficit budgétaire des Etats-Unis, ou si l'entrée de capitaux aux Etats-Unis est freinée. Dans ce dernier cas, il y aurait une crise de la balance des paiements qui pousserait à une dévaluation du dollar. Avec le facteur aggravant que les Etats-Unis peuvent payer leurs dettes en émettant leur propre monnaie. Si cela se produisait, la dépréciation du dollar s'accélérerait et les créanciers (banques centrales, institutions financières, entreprises et autres détenteurs de titres du Trésor) subiraient des pertes énormes. Chacun de ces scénarios déclencherait une crise à l'intérieur des pays concernés. Il sera notamment nécessaire de suivre l'évolution de la crise immobilière qui se développe en Chine. Ainsi que les changements qui se produisent au niveau géopolitique, qui, par moments, indiqueraient la formation de blocs économiques de plus en plus en tension.
(Article publié sur le blog de Rolando Astarita en date du 15 avril 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
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Une nouvelle audience du procès de Pinar Selek dans une période incertaine pour la Turquie

Le 25 avril à 10h30 aura lieu au Palais de Justice d'Istanbul une nouvelle audience du procès de Pinar Selek, écrivaine et sociologue vivant à Nice (France). En 27 ans, après 4 acquittements et la démonstration sans faille de sa totale innocence, Pınar Selek, est toujours sous la menace d'une condamnation à perpétuité, en Turquie, pour un attentat qui n'a jamais eu lieu.
Tiré de la pinarselek.fr
Publié le 10 avril 2025
Exilée en France, devenue citoyenne française, enseignante en sociologie et sciences politiques à l‘Université Côte d'Azur, à Nice, elle continue à lutter pour la justice, la démocratie, le respect des droits humains et la paix. Aujourd'hui, la justice turque s'en prend également aux libertés académiques pour chercher à l'atteindre dans son travail de recherche universitaire sur les minorités. Déjà soutenue dans ses combats par de grandes voix comme Angela Davis, Annie Ernaux ou encore Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix, elle a aujourd'hui, et plus que jamais, besoin de soutiens d'élu-e‑s et de représentant-e‑s du monde juridique, afin que son cauchemar prenne fin. Le 25 avril, Pinar Selek doit être libérée définitivement des accusations fausses et sans fondements qui entravent sa vie depuis tant d'années.
L'arrestation du Maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu et d'une cinquantaine de ses collaborateurs, l'interpellation de plus de 2 000 manifestants en moins d'une semaine, ou encore l'arrestation de plus de 300 personnes à la mi-février accusées d'être des « membres présumés d'organisation terroristes » au moment où Ankara négocie avec le chef du PKK, modifient le contexte du procès de Pinar Selek. Elles sont le signe d'une volonté manifeste de réprimer toute velléité d'opposition dans ce pays et confirment la volonté de porter des coups graves à la démocratie et à l'état de droit.
Dans cette situation, la mobilisation internationale est plus déterminante que jamais pour obtenir l'acquittement définitif de Pinar Selek et donner un signal fort à l'ensemble des prisonniers d'opinion actuellement emprisonnés en Turquie. Au-delà de l'acharnement juridico-politique à l'encontre de Pinar Selek, il en va aujourd'hui des libertés d'expression, de recherche, et plus généralement des droits démocratiques. C'est pourquoi une forte délégation internationale sera à nouveau présente à Istanbul pour réaffirmer une solidarité sans faille avec Pinar Selek, et pour exiger le respect du Droit.
La Coordination des collectifs de solidarité avec Pinar Selek.
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L’articulation des femmes d’ECVC envoie une lettre ouverte à Hansen sur la position des femmes dans la Vision pour l’agriculture et l’alimentation

Les inégalités d'accès aux terres sont profondément ancrées dans des schémas de succession et d'acquisition foncière inéquitables et genrés. De plus, les femmes dans l'agriculture assurent souvent un travail de préservation de la nature, telles que la conservation des semences et la préservation des sols. L'augmentation du prix des terres provoquée par la spéculation, alliée à celle d'autres coûts liés aux semences NTG brevetées et à des solutions digitales onéreuses, menace de pousser de plus en plus de femmes à quitter l'agriculture.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Monsieur le Commissaire, Madame Gafo Gomez-Zamalloa
A l'occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, l'Articulation des femmes de la Coordination Européenne Via Campesina (ECVC) souhaite réagir à la Vision pour l'agriculture et l'alimentation récemment publiée par la Commission européenne.
Pour la première fois, dans la PAC 2023-2027, l'égalité de genre et une participation accrue des femmes dans l'agriculture font parties des objectifs spécifiques de la PAC.
De tous temps, les femmes ont en effet joué un rôle essentiel dans le développement de systèmes agricoles résilients et en particulier ceux fondés sur des pratiques agroécologiques qui non seulement améliorent la production alimentaire mais en outre sont en harmonie avec la nature. Pourtant, les femmes actives dans le secteur agricole continuent d'être marginalisées et invisibilisées. Elles subissent de nombreuses formes de discriminations et font face à des obstacles systémiques, notamment concernant l'accès aux ressources, aux services publics et professionnels ou à la formation. Cela empêche leur pleine participation sur les plans économique et social au secteur, ainsi qu'aux organisations locales et aux espaces publics de prise de décisions. Enfin, les femmes sont affectées de manière disproportionnée par les problématiques centrales qui ont poussé les agriculteurs et agricultrices à prendre la rue l'année dernière.
Il est par conséquent grand temps de se donner les moyens d'atteindre l'égalité des genres. L'Articulation des femmes d'ECVC expose ci-après des mesures spécifiques et concrètes à intégrer dans la Vision pour l'agriculture et l'alimentation, afin de résoudre les inégalités existantes.
« Plateforme des femmes dans l'agriculture »
ECVC se félicite de l'annonce, dans la Vision, de la création d'une Plateforme des femmes dans l'agriculture visant à « renforcer la participation des femmes et à favoriser l'égalité des chances dans le secteur agricole ». Cela étant, La Commission européenne doit s'attaquer aux causes premières des difficultés rencontrées par les agriculteurs, qui touchent de manière disproportionnée les agricultrices. Il est crucial que les femmes, les jeunes et d'autres groupes marginalisés de la population soient consultés de manière structurelle et systématique, et non de manière isolée ou purement symbolique. Les femmes doivent aussi bénéficier des conditions nécessaires pour participer pleinement à ces espaces politiques. Cela implique la prise en charge des coûts d'interprétation, des frais de déplacement, et des soins aux enfants, ces derniers restant une responsabilité genrée et constituant un frein particulièrement important à la participation des femmes.
Régulation du marché pour garantir des prix justes aux agriculteur·ices
La Commission européenne doit veiller à mettre en œuvre des régulations de marché garantissant que les prix payés aux agriculteur·ices couvrent adéquatement les coûts de production, y compris les cotisations de sécurité sociale et un salaire équitable pour les agriculteur·ices et les travailleur·euses agricoles. Cela devrait se faire par une procédure accélérée de modification de la directive sur les Pratiques commerciales déloyales et une révision du Règlement sur l'organisation commune des marchés. Ce point est particulièrement important pour les agricultrices car elles ne bénéficient pas, pour le moment, d'un accès équitable aux prestations de sécurité sociale en raison de facteurs tels que la prédominance masculine dans la propriété des exploitations, le manque de reconnaissance de leur travail dans les fermes familiales et le travail de soin non rémunéré qu'elles effectuent. Leur assurer un revenu décent est dès lors crucial.
Inclure une perspective genre intersectionnelle dans la PAC, les plans stratégiques nationaux et le budget de la PAC
Certaines annonces au sujet de la PAC, telles que le plafonnement et la dégressivité des subventions, ainsi que le soutien ciblé aux fermes en polyculture, aux fermes situées dans des zones soumises à contraintes naturelles, ainsi qu'aux jeunes et nouveaux agriculteurs. Il est toutefois impératif que la PAC fasse l'objet d'une révision et qu'y soit inclue une perspective de genre intersectionnelle, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre. Selon les données de la Commission européenne, les femmes gèrent environ 29% des fermes de l'UE, lais ne reçoivent que 12% des subventions de la PAC (Cour des comptes européenne, 2019), tandis que les hommes en reçoivent 60%. Cette disparité souligne les inégalités structurelles dans l'accès au capital.
Cela s'explique en partie par le système actuel de subventions basé sur la superficie qui favorise les grandes exploitations agroindustrielles au détriment des petites fermes et/ ou agroécologiques. Ce système désavantage de manière directe les femmes car elles ont généralement de plus petites fermes que les hommes (6,4 ha en moyenne, contre 14,4 ha). Les subventions doivent servir à aider les petites et moyennes fermes, à encourager les pratiques agricoles diversifiées et prévoir un soutien spécifique pour les nouveaux entrants, en particulier les agricultrices qui font face à des obstacles systémiques comme un accès limité à la terre et aux crédits.
L'Union européenne et les états membres au niveau national doivent encourager une budgétisation sensible au genre pour le budget de la CAP et les plans nationaux stratégiques (PNSs). Les femmes dans l'agriculture rencontrent des défis importants dans l'accès aux ressources financières. Les normes budgétaires doivent tenir compte des réalités des fermes détenues et gérées par des femmes, et à forte main-d'œuvre féminine, qui fonctionnent souvent différemment des ferles tenues par des hommes.
En outre, dans les réformes à venir de la PAC, l'égalité de genre devrait être un objectif spécifique et se voir imposée comme obligatoire dans tous les Plans stratégiques nationaux de la PAC.
De l'accès à la terre
Nous prenons acte de la mise en place de l'Observatoire européen des terres agricoles, mais pour faciliter l'accès à la terre pour les femmes nous la collecte de données ventilées par sexe, et d'autres indicateurs agricoles clés afin de mieux suivre les disparités et informer des politiques dans ce sens.
Les inégalités d'accès aux terres sont profondément ancrées dans des schémas de succession et d'acquisition foncière inéquitables et genrés. De plus, les femmes dans l'agriculture assurent souvent un travail de préservation de la nature, telles que la conservation des semences et la préservation des sols. L'augmentation du prix des terres provoquée par la spéculation, alliée à celle d'autres coûts liés aux semences NTG brevetées et à des solutions digitales onéreuses, menace de pousser de plus en plus de femmes à quitter l'agriculture. C'est pourquoi, une directive européenne sur la terre doit être introduite pour faciliter l'accès à la terre au niveau de l'UE pour les femmes, les jeunes, les nouveaux entrants et les personnes sans terre.
Conditionnalité sociale
La conditionnalité sociale, avancée majeure de la dernière réforme de la PAC, devient obligatoire en 2025 pour tous les Etats membres de l'UE ; elle exige de tous les bénéficiaires de subventions de la PAC qu'ils respectent le droit social et du travail. Le respect des droits des travailleurs ruraux est essentiel pour les femmes, en particulier pour les travailleuses rurales migrantes, régulièrement exposées à des conditions de travail précaires et, dans certains cas, au harcèlement sur leur lieu de travail [1].
La clause de conditionnalité sociale ne s'applique pourtant pas aux fonds opérationnels par lesquels les secteurs des fruits et des légumes sont principalement subventionnés et grâce auxquels de nombreuses femmes et travailleuses migrant·es sont embauché·es [2]. La conditionnalité sociale doit absolument s'appliquer à tous les financements européens.
L'UE devrait par ailleurs évaluer de manière critique les Plans Nationaux Stratégiques devant permettre aux Etats membres de mettre cette conditionnalité sociale en œuvre, et prendre la responsabilité directe de sanctionner les bénéficiaires qui n'en respectent pas les dispositions. Un mécanisme de plainte devrait permettre aux syndicats et aux travailleur·euses concerné·es de signaler les infractions (voir la publication d'ECVC à ce sujet [3]).
L'Articulation des femmes d'ECVC s'attèle à défendre les droits des paysannes et travailleuses agricoles ; elle continuera d'œuvrer en faveur de l'égalité des genres et de politiques agricoles et rurales équitables, dans le respect de l'esprit de l'article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, portant sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des paysannes et des autres femmes travaillant en milieu rural.
Au nom de l'articulation des femmes de ECVC
Alessandra Turco, ECVC Coordination Committee
Supported by :
Agroecology and Food Systems Chair (UVIC-UCC)
Centro Internazionale Crocevia
Friends of the Earth Europe
OXFAM Solidariteit.
Cette publication est également disponible enEspañol.
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Bilkis : Une organisation féministe ukrainienne

Deux membres de l'organisation féministe ukrainienne Bilkis, Tania Vynska et Yana Dotsenko, étaient à New York pour la 69e session de la Commission des Nations Unies sur la condition de la femme (CSW69), la plus grande conférence mondiale sur les femmes, qui s'est tenue au siège des Nations Unies du 10 au 21 mars 2025. La conférence était axée sur l'examen et l'évaluation de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing adoptés en 1995. Vous pouvez trouver ici une déclaration officiellesur la situation des femmes en Ukraine publiée sur le site web de la CSW69.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/11/bilkis-une-organisation-feministe-ukrainienne/?jetpack_skip_subscription_popup
photo : Le logo de Bilkis est le vagina dentata ou vagin denté associé à une figure mythique ukrainienne…
Tania et Yana étaient également venues pour rencontrer des féministes d'autres pays et pour établir des réseaux avec d'autres ONG et donateurs. Dan La Botz de New Politics a profité de leur visite pour en apprendre davantage sur leur organisation.
NP – Merci de prendre le temps de discuter avec moi afin que les lecteurs de New Politics puissent en apprendre davantage sur votre organisation et sur la situation des femmes en Ukraine. Pourquoi avez-vous fondé Bilkis à l'origine ?
Yana – Nous avons fondé Bilkis à Kharkiv en 2019 parce que nous n'avions aucun projet ou groupe comme Bilkis à cette époque. Il y avait quelques groupes féministes, mais nous ne nous reconnaissions pas en eux, car ils n'avaient pas de point de vue de gauche dans leur programme. Nous voulions vraiment créer un groupe qui changerait les idées sociales sur le genre.
NP – Quelles étaient ces idées de gauche que vous pensiez importantes d'intégrer dans un groupe féministe ?
Yana – Nous voulions inclure les idées de classe, la question de la pauvreté des femmes. Les femmes sont l'un des principaux groupes souffrant de la pauvreté. Souvent en Ukraine, les ONG travaillent dans un milieu de classe supérieure ou moyenne. Les groupes existants à cette époque travaillaient avec des femmes d'affaires, mais je pense que ce n'est qu'après l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie que les choses ont changé, en raison des besoins accrus dans la société. Beaucoup d'ONG ont commencé à fournir de l'aide humanitaire aux personnes dans le besoin, mais leur discours portait toujours sur le leadership des femmes, devenir une femme d'affaires, et elles n'ont jamais critiqué les problèmes économiques institutionnels.
NP – Quelle était votre alternative aux idées des autres ONG ?
Tania – Les principaux enjeux de Bilkis sont le féminisme et l'intersectionnalité, donc nous incluons différentes formes de lutte contre la discrimination, par exemple, lorsque nous pensons à aider les gens, nous pensons à des groupes tels que les jeunes filles, les femmes et les personnes LGBTQ. Nous reconnaissons le fait que les femmes pauvres pourraient avoir besoin de plus d'aide que les femmes de classe moyenne ou supérieure.
Nous avons trois valeurs fondamentales partagées. Ce sont l'équité sociale, la décolonialité et l'horizontalité. En ce qui concerne la décolonialité, nous sommes opposées à tous les États impériaux et également pour la libération des nations colonisées. Il y a aussi le colonialisme économique. Et la conscience coloniale.
NP – Donc vous êtes pour la « décolonisation »…
Yana – Nous utiliserions le mot « décolonialité ». Autrefois, des pays étaient conquis et occupés, mais aujourd'hui nous avons toujours du colonialisme économique et il y a toujours des idées coloniales. Tout cela signifie que nous devons penser en termes de décolonialité. Prenez la Russie, par exemple. Les Russes se comportent de manière très coloniale envers nous. De plus, dans la sphère culturelle, les Russes sont très dominants. Par exemple, les acteurs jusqu'à récemment étaient censés connaître le russe s'ils voulaient obtenir de bons rôles, même s'ils vivaient en Ukraine. Cela a un peu changé depuis l'invasion à grande échelle, mais c'était comme ça pendant longtemps.
Tania – Nous avons toujours ce problème que la musique russe est la plus populaire, l'idée que la culture russe est supérieure continue d'exister dans la conscience de notre pays.
Nous croyons également à l'horizontalité, c'est-à-dire que nous sommes contre l'organisation hiérarchique. Nous avons basé la prise de décision sur le consensus, ce qui a fonctionné pour nous pendant six ans.
NP – Et quels types de projets ou de campagnes menez-vous ?
Tania – Nous avions pendant un temps un projet appelé « espace des choses », un endroit où vous pouvez donner vos vêtements ou d'autres objets, et vous pouvez prendre ce dont vous avez besoin. Nous avons poursuivi ce projet pendant deux ans. Yana a lancé l'espace des choses après l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie. Les femmes, les enfants et les personnes pauvres pouvaient y aller et prendre ce dont ils avaient besoin.
NP – Quels sont vos projets aujourd'hui ?
Tania – Nous faisons beaucoup de travail éducatif et menons des campagnes sur les réseaux sociaux sur les féminismes, le genre, les inégalités de genre. Je suis la créatrice de notre projet d'essais vidéo YouTube, il s'appelle « Cher Journal ». C'est principalement un regard féministe queer sur la société, les films et la culture.
Yana – Nous avons également un club de cinéma féministe dans lequel nous regardons et discutons de films queer ou féministes. Nous nous réunissons deux fois par mois dans notre bureau et regardons et parlons de films sur les inégalités sociales.
Nous avons également mené une campagne de seize jours d'activisme contre la violence basée sur le genre, du 25 novembre au 10 décembre, et d'autres organisations ont démarré à partir de cette campagne. Nous avons recueilli des histoires de femmes qui ont survécu à la violence basée sur le genre et les avons publiées sur nos pages Instagram.
Tania – Nous avons également organisé des actions de rue pendant cette période. Nous avons mené une campagne contre Drunk Cherry (Piana Vyshnya), une entreprise de boissons alcoolisées, qui avait une publicité très sexiste, non seulement des images sexistes de femmes, mais aussi suggérant dans leur texte que les hommes n'avaient pas à entendre le « Non » d'une femme. Notre campagne les a poussés à changer leur publicité, bien que cela n'ait pas complètement résolu le problème. De plus, nous menons de nombreuses campagnes médiatiques sur la culture du consentement et pourquoi il est mauvais d'avoir une culture du viol et de la violence basée sur le genre contre les femmes.
NP – Vous n'avez pas mentionné les droits reproductifs…
Tania – En Ukraine, la question de l'avortement n'est pas vraiment un sujet central du débat politique. Les femmes et les filles ukrainiennes ont ce droit. Cependant, il peut parfois être difficile de l'exercer en raison de l'impact des croyances chrétiennes, de la stigmatisation de ce que les femmes devraient faire avec leur corps, ou de la peur d'être jugées dans leurs communautés, surtout dans les communautés rurales.
Il y a aussi beaucoup de campagnes d'éducation sexuelle qui sont principalement menées par des blogueurs ou des organisations de la société civile. Certains d'entre eux donnent même des conférences dans les écoles publiques. Ainsi, les enfants dès leur jeune âge sauraient, par exemple, l'idée de l'autonomie corporelle, et ils apprendraient où quelqu'un pourrait trouver des contraceptifs et pourquoi la menstruation n'est pas quelque chose d'intrinsèquement mauvais.
Tania – Nous devrions également mentionner que certains de nos membres ont rejoint l'armée. Deux membres de Bilkis, Dasha et Ivanka, combattent dans la guerre en ce moment.
DL – Quel est l'avenir pour les femmes et le féminisme en Ukraine ?
Yana – Honnêtement, je veux dire que pour moi personnellement, je ne peux pas penser à une fin de la guerre. Ce que je vois dans le monde, c'est qu'il y a plus de tension entre différents pays. Je n'ai pas une vision optimiste. Maintenant nous sommes en guerre, et je ne pense pas que cela se terminera dans un an ou deux. Il pourrait y avoir une sorte de cessez-le-feu, mais je ne vois pas que la Russie quittera toutes nos terres. Et pour moi, parler de reconstruction n'a pas de sens avant que la Russie ne se retire de Crimée, de Louhansk, de Donetsk et de toutes nos villes. Pour ma part, j'ai passé une très grande partie de ma vie à penser que je devrais rejoindre l'armée. Je ne vois aucun sens dans la vie civile. Parce que si la Russie occupe notre territoire, nous sommes fichus. Je pense que seul ce combat sur la ligne de front est très important.
Tania – Si l'Ukraine est vaincue et que la Russie conquiert l'Ukraine, cela signifierait la fin des organisations de la société civile, et surtout des groupes féministes LGBT. Mais si l'Ukraine est soutenue par l'Union européenne avec des armes et de l'aide humanitaire, alors cela signifie qu'il y a un avenir pour les femmes et pour l'organisation féministe, mais il y aura beaucoup de travail pour reconstruire l'Ukraine et aussi revenir à une vie normale.
NP – Merci à vous deux de partager votre perspective.
Voici une autre discussion avec les membres de Bilkis.
Et un autre article ici.
Et unautre ici.
Vous pouvez trouver Bilkis sur Facebook ici.
Yana Dotsenko & Tanya Vynska
Interview par Dan La Botz – New Politics
https://newpol.org/bilkis-a-ukrainian-feminist-organization/
Traduit pour l'ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74411
Ucraina, intervista a Bilkis,
https://andream94.wordpress.com/2025/04/12/ucraina-intervista-a-bilkis-organizzazione-femminista/
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Indonésie : Appauvries, Tuées, Criminalisées ! Les femmes ripostent et défient l’État !

L'Alliance des Femmes Indonésiennes (API), comprenant plus de 30 organisations incluant des groupes de femmes, des travailleurs, des personnes handicapées, des étudiants, des LGBTIQ+, des journalistes, des défenseurs des droits humains et d'autres groupes pro-démocratie, a organisé une Action de Protestation en réponse et en défi à l'échec du gouvernement Prabowo-Gibran à protéger les femmes.
Tiré de Entre les lignes et lesm ots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/15/indonesie-appauvries-tuees-criminalisees-les-femmes-ripostent-et-defient-letat/?jetpack_skip_subscription_popup
Des coupes dans les budgets sociaux, de santé et d'éducation, l'exploitation des ressources naturelles, l'affaiblissement des poursuites contre la corruption jusqu'à la répression croissante de la liberté d'expression, l'administration Prabowo-Gibran a joué un rôle majeur dans l'appauvrissement des femmes, la perpétuation de la violence contre les femmes, la criminalisation de la résistance des femmes et même en permettant le meurtre de femmes.
Femmes appauvries : La sécurité de l'emploi promise par le gouvernement Prabowo-Gibran n'est que du vent. Après qu'au moins 80 000 travailleurs aient été licenciés en 2024, en 2025, ce chiffre pourrait potentiellement augmenter pour atteindre 280 000 travailleurs. L'industrie textile, où la majorité des travailleurs sont des femmes, est le secteur industriel qui procède à ces licenciements massifs. Les licenciements actuels sont une forme d'appauvrissement structurel des femmes et une violation des droits humains.
Le gouvernement n'a jamais sérieusement protégé le droit au travail et à la sécurité des revenus. Le projet de loi sur les travailleurs domestiques, qui devait fournir un accès à des garanties de travail décent grâce à la reconnaissance des travailleurs domestiques en tant que main-d'œuvre formelle, a en réalité fait un pas en arrière, loin de l'espoir d'être rapidement promulgué sous l'administration Prabowo-Gibran.
Les femmes handicapées luttent pour accéder à l'emploi car les certificats de santé physique et mentale restent l'une des exigences pour le recrutement de main-d'œuvre. Cela a clairement un impact sur l'exclusion des personnes handicapées en tant que travailleurs. De plus, les lieux de travail ne fournissent pas l'accessibilité appropriée et les aménagements raisonnables comme l'exige la loi sur le handicap, ce qui ajoute certainement aux difficultés des personnes handicapées au travail. La loi sur la création d'emplois est également discriminatoire, permettant explicitement aux employeurs de licencier des travailleurs sur la base du handicap.
Les pratiques d'accaparement des terres et l'exclusion des femmes du discours sur l'autosuffisance alimentaire ont entraîné un appauvrissement structurel des femmes autochtones. Cela perpétue les processus de migration forcée qui placent les femmes dans des emplois à bas salaires vulnérables à la violence.
Femmes tuées : Il y a une augmentation des féminicides ou des cas de femmes assassinées soit par des étrangers, soit par leurs proches : maris (48 cas), partenaires, membres de la famille, parents, voisins. La Commission Nationale sur la Violence contre les Femmes a enregistré plus de 700 cas de féminicide survenant en seulement 3 ans de 2020 à 2023, sans compter les cas non signalés.
La faible application de la loi dans les cas de féminicide, le manque de protection pour les dénonciateurs de cas de féminicide, les femmes ayant des handicaps mentaux et intellectuels étant légalement classées comme incapables de prendre des décisions, et le manque de traitement systémique par la police et le gouvernement, y compris le Parlement qui a le pouvoir de réviser les politiques pour mieux protéger les femmes, montrent que l'État est complice du meurtre de femmes ! Ils ignorent l'application de la loi sur l'élimination de la violence domestique et la loi sur les crimes de violence sexuelle.
Femmes criminalisées : La Commission Nationale sur la Violence contre les Femmes a enregistré au moins 15 cas de criminalisation contre les défenseuses des droits humains utilisant des articles du Code pénal et de la loi sur l'information et les transactions électroniques au cours de la période 2018-2021. L'intimidation généralisée, les menaces et la criminalisation menacent la liberté d'expression des femmes dans la lutte pour leurs droits.
Pendant ce temps, des milliers de femmes souffrant de handicaps psychosociaux sont confinées dans des établissements de réhabilitation mentale et subissent des violences, des violences sexuelles et de la torture. Elles subissent une contraception/stérilisation forcée, du harcèlement sexuel et des viols. Jusqu'à ce jour, les femmes souffrant de handicaps psychosociaux ne peuvent pas signaler leurs cas aux services de plainte/à la police car elles sont confinées dans des institutions semblables à des prisons, aggravées par des services de plainte/de signalement qui attendent passivement que les victimes se manifestent.
La criminalisation est exercée contre les agriculteurs qui luttent pour leurs terres, comme les communautés agricoles de Kapa au Sumatra occidental, Kubu Raya au Kalimantan occidental, Kwala Langkat au Sumatra du Nord ; les éducateurs, les universitaires et les militants écologistes qui critiquent les dommages environnementaux ; les travailleurs migrants qui luttent pour améliorer leur vie comme Sofiatun ; et la divulgation publique de données personnelles de défenseurs des droits humains qui s'expriment.
Demandes de l'Alliance des Femmes Indonésiennes :
Face aux diverses pratiques de politique étatique de plus en plus anti-femmes, anti-pauvres et de plus en plus nuisibles à l'environnement, nous :
1. Exigeons que le gouvernement Prabowo-Gibran garantisse immédiatement le droit à un travail décent pour chaque personne en mettant en œuvre des politiques qui protègent les travailleurs, y compris les travailleuses, les travailleuses domestiques, les travailleuses migrantes, les agricultrices, la reconnaissance des femmes pêcheurs, les femmes conductrices de taxi-moto en ligne et d'autres transports publics, les femmes handicapées, les femmes autochtones, les éducatrices et universitaires, les étudiantes, les femmes LBTIQ+, les filles et les femmes victimes de violence, y compris la violence sexuelle et le meurtre ou féminicide.
2. Exigeons que le gouvernement Prabowo-Gibran arrête les divers Projets Stratégiques Nationaux qui perpétuent les pratiques d'accaparement des terres, la destruction des forêts et de l'environnement, et déplacent les femmes et les communautés autochtones de leurs espaces de vie.
3. Exigeons que le gouvernement Prabowo-Gibran cesse les mesures d'efficacité budgétaire dans les institutions qui fournissent des services aux femmes victimes de violence, améliore la mise en œuvre des lois sur la violence domestique et la violence sexuelle, y compris en tendant la main aux institutions de réhabilitation mentale pour fournir une protection aux femmes handicapées qui sont victimes de violence institutionnelle et dissolve les institutions de réhabilitation en tant que sources de privation de liberté pour les femmes souffrant de handicaps psychosociaux ; et réforme les forces de sécurité et les tribunaux de district dans toute l'Indonésie pour suivre les cas de violence contre les femmes, de la violence sexuelle au féminicide, avec une perspective de justice de genre.
4. Exigeons que le gouvernement Prabowo-Gibran cesse de réduire les budgets d'éducation et réalise immédiatement une éducation gratuite et démocratique.
5. Exigeons que la Chambre des représentants adopte immédiatement le projet de loi sur les travailleurs domestiques, le projet de loi sur la justice climatique, le projet de loi sur les peuples autochtones avec une perspective de genre et révise la loi sur la protection des travailleurs migrants pour assurer la protection des travailleurs migrants en tant que responsabilité de l'État de protéger, reconnaître et respecter les droits des communautés, en particulier les femmes, et abroge toutes les politiques pro-investissement et anti-démocratie, y compris la loi sur la création d'emplois qui crée un appauvrissement à visage féminin.
6. Invitons tous les éléments de la société civile et les organisations à continuer de faire entendre activement leurs défis face à la situation nationale actuelle préoccupante et à lutter contre les actions discriminatoires du gouvernement et des groupes qui commettent des violences contre les femmes et les minorités, y compris nos amis LGBTIQ+.
Alliance des Femmes Indonésiennes
Traduit pour ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74481
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Perempuan Mahardhika condamne le système de santé et de sécurité délabré au Indonesia Morowali Industrial Park

Le capitalisme continue de démontrer sa cruauté dans le traitement des êtres humains. Les travailleurs, qui devraient être traités équitablement et protégés en tant qu'humains, sont au contraire considérés simplement comme des objets dont on peut extraire travail et temps uniquement pour le profit. De plus, ces profits ne profitent qu'aux capitalistes eux-mêmes.
Ce scénario reflète ce qui est arrivé à Marjan Daud, membre de la division plaidoyer du Syndicat des Travailleurs de l'Industrie de Morowali (SPIM) PT. OSMI. Marjan est décédé tragiquement suite à un accident du travail le 16 février 2025.
Pendant la maintenance de la production, la victime nettoyait du HB (fluide Mate durci) sur le londer (canal de fluide). Marjan Daud poussait le HB à l'extrémité du londer à main nue lorsque son gant s'est accroché au HB, qui pesait environ 150 kilogrammes, et celui-ci a heurté le côté droit de sa tête.
La tragédie qui a frappé Marjan prouve à quel point le Système de Santé et de Sécurité est délabré, problème qui n'a pas été sérieusement traité par le propriétaire de la zone PT. IMIP (Indonesia Morowali Industrial Park). Cet incident a également été condamné par SPIM-KPBI.
Le Président Quotidien du SPIM-KPBI, Komang Jordi, a critiqué le fait que son organisation n'a pas vu de mesures concrètes de la part de la direction, car les travailleurs continuent d'être victimes des activités de production.
« Je considère que l'entreprise a échoué et commis un génocide contre les travailleurs en raison du système chaotique de santé et de sécurité. Pire encore, quelques heures seulement après l'incident, le processus de production a repris, » a-t-il critiqué.
SPIM-KPI continue collectivement d'exiger que PT. IMIP rende justice à Marjan Daud et améliore le système de santé et de sécurité pour assurer la protection de tous les travailleurs afin qu'il n'y ait plus d'autres victimes.
Solidarité de Perempuan Mahardhika
Perempuan Mahardhika, une organisation de femmes qui défend la protection et la justice pour les travailleurs, a également exprimé son opinion sur cet incident. Perempuan Mahardhika a exprimé ses profondes condoléances à la famille de la victime de l'accident du travail.
Vivi Widyawati de Perempuan Mahardhika a déclaré qu'ils condamnent à la fois PT IMIP et le Ministère indonésien de la Main-d'œuvre pour avoir négligé la sécurité et la santé des travailleurs employés chez tous les locataires de PT. IMIP.
« Les conditions de travail chez PT IMIP sont très mauvaises et présentent un risque élevé pour tout travailleur de subir des accidents du travail. PT IMIP doit prendre ses responsabilités en fournissant une indemnisation appropriée à la victime et à la famille de la victime et en mettant en œuvre un système de travail décent. »
« Non seulement cela, PT IMIP est également responsable de payer des salaires décents, de réduire les heures de travail, de respecter les droits des travailleuses, et de mettre en œuvre des normes de santé et de sécurité conformes aux normes de l'OIT, » a-t-elle affirmé.
Perempuan Mahardhika s'engage à travailler avec les syndicats de Morowali pour superviser les demandes adressées à PT IMIP. Perempuan Mahardhika continuera également à lutter pour la justice et la protection des travailleuses.
Disya Halid : Journaliste, membre de Perempuan Mahardhika de la ville de Samarinda. Une femme qui s'intéresse à mieux comprendre les droits des femmes dans la vie quotidienne. Une femme qui ne cesse d'apprendre.
https://mahardhika.org/sampai-kapan-pt-imip-renggut-nyawa-buruh/
Traduit pour ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74483
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Climat : l’Europe est le continent qui se réchauffe le plus vite

Selon l'Organisation météorologique mondiale et l'observatoire Copernicus, 2024 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée en Europe. Les tempêtes et les inondations ont touché l'an dernier sur le continent environ 413 000 personnes et causé au moins 335 morts.
15 avril 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | source : mediapart.fr
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74585
Un tableau de bord dont tous les voyants clignoteraient en rouge : telle est la funeste impression qui affleure à la lecture du huitième rapport annuel sur l'état du climat en Europe. Publiée mardi 15 avril par l'Organisation météorologique mondiale et l'observatoire européen du climat Copernicus, cette étude a été pilotée par une centaine de scientifiques, qui ont rassemblé environ soixante ensembles de données ayant trait à la température de l'air, aux précipitations, au rayonnement solaire ou encore à la couverture neigeuse.
« En combinant informations satellitaires et données de surface relevées sur le terrain, nous pouvons obtenir une image extrêmement précise de l'état actuel de la planète. Et nos mesures démontrent que l'Europe est le continent qui se réchauffe le plus au monde »,indique Florence Rabier, directrice générale du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme, acteur clé de Copernicus.
Selon le rapport, la température moyenne de la planète a augmenté de 1,3 °C depuis l'ère préindustrielle, mais l'Europe s'est déjà réchauffée de 2,4 °C. Une surchauffe qui s'intensifie puisque 2024 a été l'année la plus chaude jamais mesurée sur le continent.

L'Europe du Sud-Est a connu treize jours consécutifs de canicule durant l'été 2024, soit la plus longue vague de chaleur jamais enregistrée dans la région. Les scientifiques soulignent que le 17 juillet 2024, 20 % du territoire européen a été frappé par un « stress thermique très fort », à savoir une température maximale ressentie d'au moins 38 °C, un record depuis le début des relevés en 1950.
Idem pour la température de surface des eaux européennes. Elle a été en 2024 la plus élevée jamais relevée, avec, pour la mer Méditerranée, un mercure qui a atteint 1,2 °C au-dessus de la moyenne. Ces mesures confirment, comme l'a souligné le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), que ce bassin est une des régions mondiales les plus touchées par le réchauffement.
Une Europe de l'Ouest sous les pluies
« Le deuxième point saillant de notre étude est qu'on a observé un contraste assez marqué entre l'ouest et l'est de l'Europe, explique à Mediapart Julien Nicolas, climatologue à l'observatoire Copernicus. Si l'Europe centrale et orientale a connu des températures annuelles moyennes record, en revanche, en Europe de l'Ouest, 2024 a été une des dix années les plus humides depuis 1950. »
En conséquence, le continent a enregistré ses plus grandes inondations depuis 2013. Les chercheurs et chercheuses avancent que 30 % du réseau fluvial européen a été sujet à des crues importantes. Par exemple, en septembre, les fortes précipitations apportées par la tempête Boris ont touché des centaines de milliers de personnes en Allemagne, en Italie, en Hongrie ou en Slovaquie. Le long d'un total cumulé de 8 500 kilomètres de cours d'eau, les débits des rivières ont alors atteint au moins le double de leur maximum annuel moyen.

Des habitants nettoient les routes après les inondations dans la région de Valence (Espagne), le 30 octobre 2024. © Photo Alex Juarez / Anadolu via AFP
Puis fin octobre, en Espagne, la province de Valence et les régions voisines ont connu des précipitations extrêmes causant 232 décès. La France n'est pas en reste, avec des pluies exceptionnelles mesurées en mai dans l'est du pays, puis en octobre dans les départements de l'Ardèche, de la Loire ou de la Seine-et-Marne. D'après les scientifiques, les tempêtes et les inondations ont touché en 2024 environ 413 000 Européen·nes et causé la mort d'au moins 335 personnes.
L'urgence de l'adaptation
« On voit dans ce rapport que les événements climatiques extrêmes en Europe, alors qu'on parle de sociétés qui ont commencé à intégrer les contraintes du réchauffement global, font déjà beaucoup de dégâts et de victimes », analyse pour Mediapart Davide Faranda, directeur de recherche en climatologie au CNRS.
L'étude conjointe de Copernicus et de l'Organisation météorologique mondiale dévoile par ailleurs que l'année 2024 a été marquée par des pertes de masse record pour les glaciers du nord de l'Europe, notamment en Scandinavie et dans les îles du Svalbard – un archipel norvégien situé à l'est du Groenland. Quant aux Alpes, elles demeurent une des régions de la planète où les glaciers diminuent le plus.
Pour terminer, les mégafeux eu Europe ont touché l'an dernier environ 42 000 personnes. Rien qu'au Portugal, en septembre 2024, les incendies ont ravagé 110 000 hectares de végétation en une semaine, soit environ un quart de la superficie totale brûlée cette année sur l'ensemble du continent.
D'après le climatologue Julien Nicolas, le fait que l'Europe soit un hot spot (ou point chaud)du changement climatique s'explique par le réchauffement qui provoque « des dérèglements de la circulation atmosphérique mondiale, et donc du mouvement des masses d'air à grande échelle ayant tendance, en Europe, à faire augmenter les températures ». De plus, le continent est situé à la fois à proximité de l'Arctique, dont la température s'élève presque quatre fois plus rapidement que sur le reste du globe, et de la Méditerranée, une mer fermée qui se réchauffe à grande vitesse.
« Chaleurs extrêmes, pluies et inondations catastrophiques, fonte des glaciers : toute cette série d'événements en 2024 montre l'urgence pour l'Europe de s'adapter à ces nouvelles conditions climatiques », conclut Julien Nicolas.
Les dégâts causés par les seules tempêtes et les inondations survenues en Europe en 2024 sont estimés à au moins 18 milliards d'euros, souligne le rapport. Si l'étude salue le fait que 51 % des villes européennes ont adopté des plans d'adaptation au changement climatique, elle rappelle que le Vieux Continent est une des zones de la planète où l'on prévoit la plus forte augmentation du risque d'inondation et où un réchauffement de 1,5 °C pourrait entraîner 30 000 décès par an en raison de la chaleur extrême.
Mais à l'heure de l'ébullition climatique, le chemin politique de l'adaptation et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre semble de plus en plus se rétrécir en Europe. Après que l'Union européenne a lancé en 2020 son « Pacte vert » – un plan climat visant une baisse des émissions de 55 % d'ici à 2030 –, la Commission européenne et le Parlement européen ont débuté depuis quelques semaines le détricotage de textes clés de cette feuille de route climatique.
Le 8 avril, selon l'observatoire européen Copernicus, les températures européennes ont pourtant encore atteint des records, le mois de mars 2025 ayant été le plus chaud jamais enregistré depuis l'ère préindustrielle.
Mickaël Correia
P.-S.
• Mediapart. 15 avril 2025 à 07h11 :
https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/150425/climat-l-europe-est-le-continent-qui-se-rechauffe-le-plus-vite
Les articles de Mickaël Correia sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/mickael-correia-0
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Kanaky-Nouvelle-Calédonie : expédiés à l’autre bout du monde du jour au lendemain

Depuis l'insurrection qui a embrasé la Nouvelle-Calédonie en mai 2024, des dizaines de détenus à la prison de Nouméa ont été transférées vers des prisons de l'Hexagone. Qualifiés de « déportations » par plusieurs associations, qui y voient l'expression d'une justice post-coloniale, ces transferts ont eu lieu dans la plus grande opacité, sans que les personnes concernées aient été prévenues.
Tiré du blogue de l'auteur.
L'incarcération inopinée de sept militants indépendantistes kanak dans l'Hexagone, le 22 juin 2024, a fait grand bruit. En revanche, le transfert de dizaines de prisonniers du Camp-Est vers des établissements pénitentiaires hexagonaux, ces derniers mois, est passé très largement inaperçu. Dans une rare prise de parole à ce sujet, fin novembre, le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas, a évoqué « une soixantaine »[1] de personnes concernées. Mais il est bien difficile de savoir précisément qui elles sont, où elles ont été affectées, et en combien de trajets. Ces transferts n'ont fait l'objet d'aucune communication officielle de la part de l'administration pénitentiaire, qui n'a pas non plus répondu aux questions de l'OIP – mais a fini par lui transmettre quelques chiffres.
En croisant la liste établie par le collectif Solidarité Kanaky, qui vient en aide aux personnes détenues de Nouvelle-Calédonie présentes dans les prisons de l'Hexagone, et celle que l'OIP a dressée au fil des derniers mois, on compte au moins 63 personnes arrivées du Camp-Est entre juin et novembre 2024. Un chiffre qui recoupe les données transmises par la Direction de l'administration pénitentiaire (Dap), faisant état de 35 transferts en juin, 23 en juillet, puis « moins de 5 » en octobre comme en novembre. L'OIP a identifié a minima cinq convois différents sur cette période, en plus de celui qui a acheminé les sept militants de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT)[2] : un premier serait parti le 8 juin, suivi d'un convoi distinct de celui de la CCAT le 22 juin[3], puis d'autres le 10 juillet, le 18 octobre et le 11 novembre.
Si la pratique du transfèrement dans l'Hexagone de personnes originaires de Nouvelle-Calédonie, et plus généralement d'Outre-mer, est ancienne, elle semble prendre des formes nouvelles depuis le mois de mai, tant dans son ampleur que dans ses formes. Entre 2021 et mai 2024, d'après la Dap, le nombre de transferts mensuels avait toujours été nul ou inférieur à cinq, à deux exceptions près[4]. Et outre ceux qui en faisaient la demande, cela concernait principalement des personnes soumises à une évaluation à la suite de leur condamnation à une longue peine, ou à une « évaluation de la dangerosité » en fin de peine, dans le cadre d'une demande d'aménagement. Aucun des six centres nationaux d'évaluation (CNE) n'est en effet situé en Outre-mer. En début de peine, les personnes ainsi transférées se voient le plus souvent proposer une affectation dans l'Hexagone, les établissements pour peine d'Outre-mer étant peu nombreux et saturés[5]. Si cette pratique perdure, malgré les critiques dont elle fait l'objet et les demandes faites à la Dap de développer une procédure plus respectueuse des droits des personnes détenues[6], les transferts de 2024 répondent à une logique différente.
Des opérations longtemps nébuleuses
Dès le mois de mai, au plus fort de l'insurrection en Nouvelle-Calédonie, Éric Dupond-Moretti, alors garde des Sceaux, disait envisager le transfèrement de « criminels arrêtés et placés sous mandat […] pour qu'il n'y ait pas de contamination des esprits les plus fragiles, et pour assurer la sécurité au sein des établissements pénitentiaires[7] ». Outre le flou de l'expression – les personnes venant alors d'être arrêtées n'étaient pas encore jugées, sauf par des procédures rapides dont sont exclus les auteurs présumés d'actes criminels –, la démarche semblait donc s'inscrire dans une réaction sécuritaire face aux tensions qui embrasaient l'archipel. Pourtant, si l'on peut supposer que certains transfèrements effectués depuis mai ont pu viser les participants aux mutineries qui ont alors affecté le Camp-Est, ils semblent ne pas avoir concerné, pour l'essentiel, les personnes arrêtées dans le cadre des émeutes. D'après le procureur de la République Yves Dupas en novembre, il s'agit plutôt de personnes condamnées à de longues peines ou ayant encore des reliquats conséquents à effectuer. L'opération est ainsi présentée comme une tentative de désengorgement du centre pénitentiaire de Nouméa, dont le taux d'occupation menaçait d'exploser sous le double effet des incarcérations liées aux événements et des incendies de cellules lors des mutineries au sein de la prison : « Cela a été très important pour […] avoir une capacité de traitement judiciaire [des émeutes], une capacité d'incarcération pour les faits les plus graves », indiquait le procureur de la République[8].
D'après les informations collectées par l'OIP, toutefois, s'il y a bien des personnes condamnées à de longues peines ou devant encore effectuer plusieurs années derrière les barreaux parmi les personnes transférées, beaucoup d'autres étaient condamnées à des peines plus courtes, avec parfois des dates de sortie proches. L'une d'elles, arrivée contre son gré en juin, est ainsi sortie de prison au mois de novembre, et se trouve contrainte de rester dans l'Hexagone pendant les 18 mois de sa libération conditionnelle. La majorité des personnes détenues contactées dans le cadre de cette enquête ont entre 20 et 30 ans et plusieurs sont en couple, voire parents. Le fils de l'une d'elles venait de naître lorsqu'elle a été transférée. Des liens familiaux qui n'ont pourtant pas fait obstacle aux transferts, pas plus que certains parcours de réinsertion. « [Mes clients] ne comprennent pas. Ils avaient des parcours familiaux, un étayage, il leur restait des peines inférieures à un an pour certains. Cela me semble ubuesque ! », commente Sophie Devrainne, avocate au barreau de Nouméa. « Et l'administration ne semble avoir aucun élément officiel à produire concernant les décisions de transfert, c'est très nébuleux ».
En la matière, l'État dispose d'une latitude importante : le transfèrement relève de l'autorité du ministère de la Justice ou de la direction interrégionale des services pénitentiaires, et il peut concerner toute personne détenue, avec tout de même l'obligation, en principe, de faire valoir « un fait ou élément d'appréciation nouveau » lorsqu'elle est déjà affectée en établissement pour peine. Si l'administration peut y procéder « dans l'intérêt de la personne détenue » (en lien avec un projet de sortie, une prise en charge médicale, etc.), elle peut aussi invoquer son « comportement », son « profil » ou le « maintien du bon ordre et de la sécurité », ce qui peut s'appliquer à une multitude de situations. Quand les transferts visent à « réguler le taux d'occupation » des maisons d'arrêt, la circulaire de 2012 préconise certes de « se fonder, autant que possible, sur le volontariat » et d'« éviter » de transférer les personnes qui reçoivent des visites, sont scolarisées, suivent une formation ou ont un projet d'aménagement de peine ; mais ces principes s'effacent devant toute « urgence caractérisée ». La procédure est d'ailleurs simplifiée « en cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles », et la procédure contradictoire n'est plus requise[9].
En ce qui concerne les transfèrements depuis le Camp-Est, l'omerta est telle que de nombreux avocats et familles ont été pris de court, sans nouvelles de leur client ou proche détenu et ne parvenant pas à savoir où il se trouvait (voir p.45). Et pour cause : les personnes promises au transfert n'ont pas été autorisées à prévenir leur famille. « La détention avait coupé toutes les cabines pour qu'on ne puisse pas les joindre », assure Monsieur B., ce que confirme l'ensemble des proches interrogés. « Normalement, quand j'écris à un détenu qui a été transféré sans que je le sache, le Camp-Est me renvoie le courrier en me précisant sa nouvelle adresse », ajoute Marie-Katell Kaigre, avocate au barreau de Nouméa. « Sauf que là je n'ai eu aucun retour, pour l'instant c'est assez hermétique pour moi ».
« Ils m'ont dit de signer un papier »
Les conditions dans lesquelles ont eu lieu les transfèrements renforcent l'impression d'une administration s'efforçant d'agir en toute discrétion. Outre l'impossibilité de prévenir les proches, l'ensemble des témoins directs décrivent un départ précipité, sans qu'on leur demande véritablement leur avis. « Ils sont venus à 15h, m'ont dit de signer un papier et que je partais dans la nuit », raconte Monsieur B. « Sinon, j'allais direct dans les geôles sans faire mes affaires ». En effet, les personnes ayant refusé de signer le document qu'on leur tendait ont dû partir sans aucune affaire personnelle : « Ils m'ont demandé si j'étais d'accord pour partir faire ma peine en France. J'ai dit non ! Ils m'ont dit que je ne pouvais pas aller chercher mes affaires. Les Eris[10] m'ont mis à nu et m'ont mis de nouveaux linges, je n'ai plus revu les miens. Les autres, ils avaient leur paquetage, mais pas moi. » Pris par surprise, certains ne se souviennent même pas s'ils ont signé, ou disent l'avoir fait avant de revenir en arrière, en vain : « Un de mes clients était d'accord sur le moment, mais il a voulu annuler sa signature, parce qu'il ne s'était pas rendu compte de ce que cela signifiait. Je ne suis pas sûre qu'on leur ait toujours précisé la destination du transfert », s'interroge Sophie Devrainne. Beaucoup considèrent qu'on leur a arraché leur signature, par le double effet de la surprise et de l'impossibilité de récupérer leurs affaires en cas de refus. Mais il semble de toute façon que ce n'était qu'une formalité : « Ils nous ont fait signer un papier en nous disant : “C'est de gré ou de force” », indique Monsieur O. De fait, le seul document auquel l'OIP a pu avoir accès est un « ordre de transfert », sur lequel la signature n'indique pas un accord mais seulement une « notification ».
Certains ont cependant accepté leur transfert, à commencer par ceux qui en sollicitaient un depuis longtemps, et qui ont vu leur demande soudainement débloquée. D'autres s'y sont résignés pour quitter un centre pénitentiaire déjà régulièrement épinglé par la justice pour ses conditions indignes de détention, et où la surpopulation exacerbée par l'incendie de dizaines de cellules pendant les mutineries rendait le quotidien intenable. « J'ai accepté parce que j'en avais marre des conditions dans lesquelles j'étais incarcéré », explique l'un d'eux. « Mais mes cousins, mes amis, ont été transférés de force ! J'ai vu des petits frères effrayés, d'autres en pleurs ! » « Ils nous ont foutu dehors. Ils nous ont dit que si on refusait d'entrer dans l'avion, ils nous tabasseraient et nous y mettraient de force », témoigne quant à lui Monsieur N.
Placés dans des cellules d'attente sans même repasser par leur cellule, ceux qui ont refusé de signer disent avoir été progressivement rejoints par ceux qui avaient signé, et avaient pu récupérer une partie de leurs affaires. « Ils nous ont donné juste un carton pour mettre les affaires, donc pas assez pour emporter tout », remarque Monsieur B. Tous ont dû passer plusieurs heures ainsi entassés : « Après m'avoir fouillé trois fois, dont une fouille intégrale, “à poil”, ils m'ont mis avec onze personnes dans une petite cage pour attendre le départ. Il s'est écoulé 4 heures d'attente dans un endroit prévu pour une personne », se souvient Monsieur E.
Menottés pendant tout le trajet
Tous les transférés, ainsi que les sept membres de la CCAT placés en détention provisoire dans l'Hexagone, ont d'abord été conduits vers l'aéroport militaire de Magenta, où ils ont pris place à bord d'un avion militaire vers l'aéroport international de la Tontouta. De là, la plupart des convois ont fait escale à Tokyo, avant d'atterrir à Paris. D'autres ont atterri à I'aéroport militaire d'Istres, après un transit, dans le cas des membres de la CCAT, par Hawaï et la Nouvelle-Orléans. « C'était digne des films d'Hollywood, du grand cinéma en réel ! », ironise Brenda Wanabo, responsable communication de la CCAT, arrivée au matin du 24 juin à la maison d'arrêt de Dijon après un ultime atterrissage à l'aéroport militaire de Vélizy-Villacoublay (voir p.36). « L'État français a mis en œuvre un gros dispositif, qui a dû coûter beaucoup d'argent ! »
Plusieurs personnes détenues au Camp-Est décrivent un déploiement impressionnant de forces de l'ordre venues de l'Hexagone, comme des équipes du Raid (unités de Recherche, assistance, intervention, dissuasion) ou des équipes régionales d'intervention et de sécurité (Eris). Un nombre important de surveillants était également présent. D'après une source pénitentiaire, des appels à volontariat avaient été lancés dans les établissements de l'Hexagone pour participer aux opérations de transfert.
Les personnes détenues sont généralement restées menottées pendant tout le trajet, soit plus de 24 heures, y compris pour prendre les repas et aller aux toilettes, et n'ont pas pu sortir de l'avion pour se dégourdir les jambes lors des courtes escales. « Le jour du transfert, j'étais hyper mal, j'étais malheureux de quitter ma famille. Dans l'avion j'avais peur, j'avais froid, j'ai cru que j'allais mourir », confie Monsieur T. « [Les surveillants] m'ont donné des cachets de Séresta », indique Monsieur I., ce que confirment plusieurs témoins : « Ils lui en ont donné pendant tout le trajet. Dans l'avion, il n'y avait que des surveillants, aucun infirmier, aucun médecin. Il était tellement pris dans les cachets que quand il s'est réveillé, il ne savait pas où il était ! », précise Monsieur N.
Contrairement aux militants de la CCAT, conduits à leur établissement de destination dès leur arrivée dans l'Hexagone, les personnes arrivant du Camp-Est ont d'abord transité – parfois une nuit, parfois plusieurs – dans une prison d'Île-de-France, généralement le centre pénitentiaire du Sud-Francilien, plus rarement celui de Fresnes, avant d'être dispersées à travers tout le territoire. Si la plupart ont été affectées dans des établissements pour peine, certaines personnes se retrouvent en maison d'arrêt ou en quartier maison d'arrêt, comme à Aix-Luynes, à Troyes ou à Tarbes, où le taux d'occupation atteignait 177% à l'arrivée de monsieur H. « Aujourd'hui je suis dans un établissement fermé [quartier maison d'arrêt d'un centre pénitentiaire]. J'attends d'être affecté dans un établissement pour peine et le délai est long, 18 mois minimum », se désole Monsieur R.
Après le choc d'un transfert soudain, les personnes transférées subissent celui du déracinement et de l'isolement (voir p. suiv.). « Ça a été un grand saut imposé vers l'inconnu », résume Monsieur B., arrivé en juillet dans un centre de détention du nord de la France. Monsieur I., affecté dans un autre centre de détention du nord de la France, confie pour sa part : « Je ne m'attendais personnellement pas à tout ça, et maintenant je suis perdu. »

Cet article est paru dans la revue de l'Observatoire international des prisons – DEDANS DEHORS n°125 – Kanaky – Nouvelle-Calédonie : dans l'ombre de la prison.
Notes
[1] Entretien sur Radio Rythme Bleu, 29 novembre 2024.
[2] Le Comité de soutien aux prisonniers politiques de Kanaky (CSPPK), lié à la CCAT, évoque quant à lui des départs « réguliers et continus » de Nouméa vers l'Hexagone, par « groupes de vingt ».
[3] Une liste de 23 personnes transférées à cette occasion a été publiée sur les réseaux sociaux par plusieurs groupes de solidarité ou d'information sur la situation des prisonniers de Nouvelle-Calédonie.
[4] À savoir six transferts en juillet 2021, puis cinq le mois suivant.
[5] Certains acceptent cette affectation, dans l'espoir de meilleures conditions de détention et en l'absence de réelle opportunité de réinsertion sur le Caillou. D'autres la refusent, préférant sacrifier un suivi plus adapté au profit de leur ancrage local et de leurs liens familiaux. Sur le premier cas, voir : Yoram MOUCHENIK, Recherche-action sur la pertinence d'une prise en charge spécifique en Outre-mer pour les populations autochtones, Université Sorbonne Paris Nord, septembre 2020, p. 395-396.
[6] François Bès, « Centre national d'évaluation en Outre-mer. Pour la DAP, c'est non », Dedans Dehors, n°109, juillet 2019, p. 35.
[7] « “Fermeté, rapidité, systématicité” : Dupont-Moretti détaille la “circulaire pénale” appliquée en Nouvelle-Calédonie », Outremer La 1ère, 17 mai 2024.
[8] Entretien sur Radio Rythme Bleu, op. cit.
[9] Circulaire JUSK1240006C du 21 février 2012 relative à l'orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues.
[10] Equipes régionales d'intervention et de sécurité, faisant partie de l'administration pénitentiaire et spécialisées dans les situations de crise.
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Brouille entre l’Algérie et le Mali : le jeu dangereux du pouvoir algérien au Sahel

Dans un communiqué officiel publié le 6 avril 2025 à Bamako, on lit : « Le Collège des Chefs d'État de la Confédération des États du Sahel (AES) a vivement condamné un acte jugé hostile et irresponsable de la part du régime algérien. En effet, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, un drone appartenant aux Forces Armées et de Sécurité de la République du Mali, immatriculé TZ-98D, a été abattu dans le secteur stratégique de Tin-Zaouatène, dans le cercle d'Abeibara, région de Kidal. Un geste que les autorités de l'AES considèrent comme une provocation grave et injustifiée, en violation flagrante du droit international et de la coopération régionale en matière de lutte contre le terrorisme.
Tiré d'Afrique en lutte.
Selon les premières informations rendues publiques, le drone malien détruit menait une mission de surveillance et de neutralisation d'un groupe terroriste actif dans la zone frontalière entre le Mali et l'Algérie. D'après les conclusions de l'enquête diligentée par les autorités compétentes, l'appareil aurait été sciemment visé par une frappe émanant du territoire algérien. Ce tir a interrompu une opération cruciale qui visait à empêcher des attaques terroristes contre les populations et les forces de l'AES.
A cette déclaration, le gouvernement algérien répond ceci : « Par son communiqué, le gouvernement de la transition au Mali porte de graves accusations contre l'Algérie. En dépit de leur gravité, toutes ces allégations mensongères ne dissimulent que très imparfaitement la recherche d'exutoires et de dérivatifs à l'échec manifeste de ce qui demeure un projet putschiste qui a enfermé le Mali dans une spirale de l'insécurité, de l'instabilité, de la désolation et du dénuement…L'échec de cette clique inconstitutionnelle est patent à tous les niveaux, politique, économique et sécuritaire. Les seuls succès dont cette même clique peut se prévaloir sont ceux de la satisfaction d'ambitions personnelles au prix du sacrifice de ceux du Mali, de l'assurance de sa survie au détriment de la protection du Mali et de la prédation des maigres ressources de ce pays frère aux dépens de son développement ».
Rappelons que les débris du drone abattu, ont été retrouvés à 9 kms de la frontière du côté malien. Tandis que l'Algérie revendique la destruction pour intrusion sur son territoire, le Front de Libération de l'AZAWAD (FNLA) dit que c'est lui qui a abattu le drone. Est-ce à dire alors que, l'armée algérienne et le (FNLA), c'est la même chose ?
Que comprendre de toute cette situation ?
1) Le communiqué du gouvernement algérien en réponse à celui du Mali et du collège des chefs d'Etat du Sahel s'en prend de façon agressive au pouvoir en place au Mali dont il va jusqu'à nier la légitimité. On croirait, en lisant ces lignes, entendre Macron et le gouvernement français dans leurs fureurs contre les pouvoirs de l'AES.
2) Mais l'histoire interne récente de l'Algérie donne un éclairage sur la politique et la situation à la frontière de l'Algérie. En effet, il faut savoir que le 26 décembre 1991, le Front Islamique de Salut (FIS), un parti politique algérien qui prône l'instauration de la charia, a remporté les élections législatives au premier tour avec 47% et 188 sur 231 sièges possibles au premier tour, sachant que le Parlement compte 420 députés. Les prévisions lui donnaient une majorité écrasante au 2ème tour qui devait se tenir le 16 janvier 1992. Le 11 janvier 1992 l'armée algérienne annule le deuxième tour des élections et dissout le FIS. Les Islamistes en réaction à ce coup de force déclenchent des massacres à travers tout le pays. L'armée de son côté ne cessait de les traquer. Cette guerre aurait fait, de 1992 à l'an 2000, entre 150.000 et 200.000 morts. Depuis là, c'est toujours l'armée qui est aux commandes en Algérie. Alors, quand le pouvoir algérien parle de junte en s'adressant au pouvoir malien, c'est l'hôpital qui se moque de la charité. Lorsqu'en 2000, le pouvoir algérien promulgue une loi sur la concorde nationale, beaucoup de chefs terroristes se sont retirés au Sahel avec la condition de cesser toute activité terroriste en Algérie.
3) Après l'assassinat du colonel Kadhafi et pour éviter la résistance de sa garde prétorienne sahélienne, la France a fait un deal avec celle-ci en lui promettant un Etat dans le nord -Mali si elle se retirait avec armes et bagages en cette direction. C'est ce qui fut fait. C'est la jonction entre les terroristes venant d'Algérie et ceux revenus de Lybie, qui sera à la base des évènements que nous connaissons aujourd'hui au Sahel. Cela a commencé par la revendication de la création de l'AZAWAD indépendantiste soutenue par les puissances impérialistes au désir de création d'un Etat Islamique au Sahel et dans toute l'Afrique.
4) Il est de notoriété publique que les terroristes se servent du sud de l'Algérie comme base arrière pour leurs basses besognes. C'est là qu'ils s'approvisionnent en carburant et en produits divers. Beaucoup de leurs chefs se cachent aussi là-bas. Depuis plus d'un an, l'Algérie abrite l'Iman réactionnaire, pro-français et protecteur des terroristes, Mahmoud Dicko.
5) Le pouvoir algérien est mécontent parce que le pouvoir malien a déchiré les accords d'Alger qui ont été imposés au Mali dans un moment de faiblesse et qui font la part belle aux groupes terroristes. Cela ne devait pas être, car le Mali a décidé de lutter pour sa souveraineté et son intégrité territoriale et l'Algérie se doit de respecter cette position.
6) Après la brouille récente entre la France et l'Algérie, et dans le cadre de sa résolution, le ministre des affaires étrangères de France, Jean-Noël Barrot en visite à Alger a déclaré que la France était prête à conclure avec l'Algérie, une alliance stratégique à propos du Sahel. Qu'est-ce à dire ? Que viendrait chercher la France en reconquête coloniale à côté de l'Algérie au Sahel ?
Tout ceci suscite des interrogations au niveau des peuples africains qui sont engagés dans le processus de leur indépendance réelle. Le pouvoir algérien a intérêt à ne pas ruiner le prestige de l'Algérie qui, par sa lutte héroïque pour l'indépendance contre le colonialisme français a le respect des autres peuples du monde et ceux d'Afrique en particulier.
Voilà pourquoi il faut dénoncer le jeu dangereux que joue le pouvoir algérien avec cette crise qu'il vient de provoquer avec le Mali et la Confédération des Etats du Sahel.
Afia
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Soudan contre Emirats Arabes Unis : une bataille juridique historique

Ce 10 avril 2025, un événement historique a eu lieu à La Haye. La Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire des Nations unies, a entamé l'examen d'une plainte déposée par l'État soudanais contre les Émirats arabes unis. Pour la première fois, un pays africain ose porter devant la justice internationale les ingérences d'une puissance du Golfe.
Tiré du blogue de Sudfa.
Ce 10 avril 2025, un événement historique a eu lieu à La Haye. La Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire des Nations unies, a entamé l'examen d'une plainte déposée par l'État soudanais contre les Émirats arabes unis (EAU). Le gouvernement soudanais accuse en effet les Emirats de soutenir activement les Forces de soutien rapide (FSR), la milice paramilitaire accusée de génocide et crimes de guerre au Darfour mais aussi dans tout le Soudan.
Ce procès ouvre une nouvelle page dans les relations internationales et met en lumière le rôle trouble de certaines puissances régionales dans la déstabilisation de l'Afrique.
Une accusation grave : le soutien à un génocide en cours
Lors de la première audience, le ministre soudanais de la Justice, Muawiya Osman, n'a pas mâché ses mots. Il a affirmé devant la Cour que « les Émirats arabes unis sont la force motrice du génocide perpétré au Darfour contre la tribu des Massalit », et que ce soutien militaire, logistique et financier à la milice FSR est un facteur central de la violence qui ravage aujourd'hui l'ouest du Soudan.
Depuis le début du conflit en avril 2023, la milice FSR est accusée d'avoir mené des campagnes d'exécutions, de viols de masse, de déplacements forcés et de pillages systématiques. Ces crimes, documentés par beaucoup d'activistes, d'associations, notamment via le témoignage des survivants, ont conduit le Soudan à invoquer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (fondée en 1948), pour laquelle la CIJ est compétente.
Le rôle des Émirats arabes unis dans la région : entre ingérence et influence
Les accusations portées par le Soudan ne surprennent pas les analystes. Depuis plusieurs années, les Émirats arabes unis ont joué un rôle actif – et souvent controversé – dans divers conflits régionaux, notamment en Libye, au Yémen, et dans la Corne de l'Afrique. Leur stratégie s'appuie sur un mélange de soutien militaire aux groupes armés, de diplomatie économique agressive, et d'influence médiatique massive, à travers des chaînes satellitaires et des campagnes sur les réseaux sociaux.
Mais au Soudan, le scénario a déraillé. Contrairement à d'autres pays où le gouvernement emirati a su imposer son agenda sans grande résistance, la population soudanaise – forte de son expérience révolutionnaire depuis 2019 – ainsi que l'armée nationale, ont opposé une résistance farouche aux tentatives de mainmise extérieure. Face à cet échec, les EAU ont opté pour une guerre de l'information, lançant des campagnes de désinformation et de dénigrement contre les institutions soudanaises et leurs dirigeants.
Une guerre médiatique parallèle
Cette offensive médiatique a été particulièrement visible depuis 2023. Des centaines de pages Facebook, de comptes X (Twitter) et d'influenceurs ont été mobilisés pour attaquer l'armée soudanaise et semer la confusion au sein de l'opinion publique. Objectif : diviser, affaiblir, et briser toute tentative d'unité nationale. Une stratégie qui, selon plusieurs experts, reflète l'ampleur de la frustration des Émirats face à un pays qui refuse de céder à leur domination. Ils soutenaient la milice FSR dans l'objectif précis que celle-ci était une force d'opposition à l'armée ces dernières années.
Cette guerre de l'image s'est aussi traduite par le silence des grandes chaînes arabes – souvent financées ou influencées par les EAU – sur la plainte déposée devant la CIJ. Selon l'activiste Hisham Othman, cette absence de couverture « illustre la lâcheté de nombreux médias arabes, qui préfèrent se taire malgré la sympathie réelle des peuples arabes envers la cause soudanaise ».
Une bataille diplomatique et juridique à fort impact
L'audience de la CIJ pourrait marquer un tournant. Même si une décision définitive prendra des mois, voire des années, ce procès ouvre plusieurs perspectives. D'un point de vue politique, il met les Émirats arabes unis sous les projecteurs, les obligeant à répondre publiquement à des accusations graves. Leur réputation internationale, longtemps protégée par leur puissance économique, se trouve fragilisée. D'un point de vue juridique, la CIJ peut émettre des mesures conservatoires – comme interdire tout soutien militaire aux FSR – et renforcer la pression sur Abou Dhabi.
Selon l'activiste Anas Mansour, il s'agit d'un moment historique : « Pour la première fois, un pays africain ose porter devant la justice internationale les ingérences d'une puissance du Golfe, en s'appuyant sur un traité vieux de plus de 75 ans. »
Une leçon pour les ingérences futures
La situation actuelle montre les limites d'un modèle d'influence par la force et l'argent. Là où les EAU ont pu imposer leur vision en exploitant la fragilité institutionnelle d'autres pays, le Soudan offre un contre-exemple puissant : celui d'un peuple en lutte, d'un message porté par des militant.e.s et des collectifs infatigables, et d'une mobilisation nationale pour la souveraineté, soutenues par des membres du gouvernement.
Le vrai enjeu, désormais, dépasse le cadre du tribunal. Il s'agit pour le Soudan de maintenir l'unité nationale, de résister aux tentatives de déstabilisation, et de faire entendre sa voix dans un système international souvent biaisé. Construire et reconstruire un avenir loin de la manipulation géopolitique et économique internationale de différences ethniques locales, ayant servi de justification à un génocide sanglant. Cette plainte, bien que tardive, est un pas vers la reconnaissance de la vérité, la fin de l'impunité, et peut-être, l'ouverture d'un nouveau chapitre pour la justice en Afrique.
Par Hamad Gamal
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Soudan. « Deux ans de guerre par les milices soudanaises (FAS et FSR). Etre du côté de la Révolution et non pas avec les seigneurs de guerre »

Cela fait aujourd'hui deux ans que la guerre contre-révolutionnaire a commencé le 15 avril 2023 entre les deux milices au pouvoir au Soudan : les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, et les Forces de soutien rapide (FSR), dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo, alias Hemetti.
Tiré d'À l'encontre.
Cette guerre n'a pas pour but de protéger le Soudan et sa population. C'est une guerre pour le pouvoir et le profit, une attaque directe contre les revendications de la révolution de 2018, lorsque des millions de personnes se sont soulevées pour réclamer la liberté, la paix et la justice.
Les deux milices, autrefois partenaires dans la répression, déchirent aujourd'hui le pays. Des centaines de milliers de personnes ont été assassinées. Plus de 13 millions de personnes ont été chassées de chez elles. Les systèmes de santé et d'éducation du Soudan se sont effondrés. Les usines et les infrastructures ont été détruites. Le viol est utilisé comme arme de guerre [1]. La nourriture et les médicaments ne parviennent pas à ceux qui en ont besoin. La moitié de la population soudanaise, soit 25 millions de personnes, souffre de la faim. La famine a déjà été confirmée dans 10 régions.
Cette dévastation n'est pas seulement le fait des généraux soudanais. Les puissances régionales et internationales ont travaillé activement pour faire avorter la révolution soudanaise et ont alimenté cette guerre pour servir leurs propres intérêts. L'Egypte, l'Arabie saoudite, la Turquie et l'Iran soutiennent les Forces armées soudanaises (FAS). Les Emirats arabes unis (EAU) et le Kenya soutiennent les Forces de soutien rapide (FSR) et profitent de la contrebande d'or soudanais. La Russie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis fournissent des armes aux deux camps, directement ou par l'intermédiaire de leurs mandataires régionaux.
Les gouvernements occidentaux, sous couvert de « pourparlers de paix » [2], offrent des tribunes aux mêmes seigneurs de guerre qui détruisent le pays. Ces pourparlers n'apportent pas la paix, ils apportent une légitimité à la contre-révolution. Tous les acteurs étrangers impliqués aujourd'hui au Soudan sont complices de la prolongation de la guerre.
Nous, membres de MENA Solidarity, soutenons fermement le mouvement révolutionnaire soudanais, les comités de résistance, les syndicalistes, les militantes féministes et les réseaux locaux qui risquent tout pour construire un avenir différent depuis la base.
Nous appelons les syndicalistes, les militants anti-guerre et les activistes du monde entier à s'opposer à toute vente d'armes aux milices soudanaises et aux Etats qui les soutiennent, à exiger des gouvernements qu'ils ouvrent des voies sûres et accordent l'asile aux réfugiés soudanais, et à construire une solidarité active avec les forces révolutionnaires soudanaises qui luttent pour une véritable démocratie, la justice et la fin du régime militaire. (Déclaration publiée par MENA Solidarity Network. Solidarity with Workers in the Middle East, le 15 avril 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
Notes
[1] Sur « le viol comme arme de guerre », les lecteurs et lectrices peuvent se reporter à cette récente analyse d'Amnesty International du 10 avril : « Soudan. Le recours atroce et généralisé aux violences sexuelles par les Forces d'appui rapide détruit des vies »
Ce 15 avril, Amnesty International Belgique, dans un article intitulé « Soudan, deux années de conflit et d'indifférence de la communauté internationale », écrit : « Depuis deux ans, les forces armées soudanaises, les Forces d'appui rapide et leurs alliés ont commis des crimes atroces, notamment des violences sexuelles contre des femmes et des filles, ont torturé et affamé des civil·e·s, ont procédé à des arrestations et perpétré des homicides, et ont bombardé des marchés, des camps pour personnes déplacées et des hôpitaux. Ces atrocités constituent des crimes de guerre. » (Réd. A l'Encontre)
[2] Sur le site Middle East Eye, le 15 avril 2025, Imran Mulla et Daniel Hilton écrivent : « Une conférence sur le conflit au Soudan a débuté à Londres alors que des massacres se déroulent dans le nord du Darfour, avec plus d'un million de personnes à El-Fasher [capitale de la province du Darfour du Nord] qui implorent la protection alors que les forces paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) avancent sur la ville. La Grande-Bretagne co-organise le sommet de mardi aux côtés de l'Union africaine, de l'Union européenne, de la France et de l'Allemagne, et a annoncé une aide de 120 millions de livres sterling au début de la conférence. […] Mardi 15, les travailleurs humanitaires et les analystes ont déclaré que le sommet devait donner la priorité à la protection des civils plutôt que de se limiter à une conférence portant sur des promesses de dons. “La protection des civils ne peut pas être laissée de côté”, a déclaré Kate Ferguson, codirectrice exécutive de l'ONG Protection Approaches, aux journalistes avant la réunion. » (Réd. A l'Encontre)
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Des États-Unis au Nigeria, la fabrique d’un « génocide des chrétiens »

Aux États-Unis, des responsables politiques chrétiens, en particulier évangéliques, affirment que les croyants au Nigeria seraient victimes de violences, voire de « génocide ». Le politiste Marc-Antoine Pérouse de Monclos, spécialiste des violences en Afrique, questionne la méthodologie scientifique des études sur lesquelles se basent ces dénonciations et les biais des promoteurs de ces thèses.
Tiré d'Afrique XXI.
Mars 2025 : à la suite d'auditions sur les persécutions contre les chrétiens, des membres du Congrès des États-Unis demandent au président Donald Trump de mettre en place des sanctions contre le Nigeria. Ils accusent les autorités d'Abuja de ne pas suffisamment veiller au respect de la liberté de religion dans un pays régulièrement présenté comme un cas d'école du choc des civilisations sur une ligne de fracture opposant un Nord « musulman » et sahélien à un Sud « chrétien » et tropical. Alors que le président Bola Tinubu est lui-même musulman, les néoconservateurs états-uniens en tiennent pour preuve le nombre de chrétiens tués par des groupes djihadistes ou des milices peules. À en croire certains, le géant de la région enregistrerait, en effet, plus de conflits religieux que tous les autres pays d'Afrique réunis (1).
Indéniablement, le Nigeria connaît des niveaux élevés de violence. Depuis la guerre de sécession du Biafra en 1967-1970, les accusations de génocide y sont fréquentes. Elles ont alimenté les conflits des années 1990 puis 2000, du soulèvement des Ogonis contre l'exploitation pétrolière dans le delta du Niger, sur la côte atlantique au sud, jusqu'aux confrontations entre migrants et autochtones dans la Middle Belt, à l'interface entre les aires de cultures islamique et chrétienne. Ainsi, le sultan de Sokoto, Muhammad Sa'ad Abubakar, et des chefs traditionnels peuls du Nord ont, à plusieurs reprises, dénoncé un prétendu génocide des musulmans installés à Jos, chef-lieu administratif et symbolique de l'État du Plateau, dans la ceinture centrale du pays.
De leur côté, des lobbies chrétiens ont accusé les migrants haoussas et peuls de massacrer les minorités autochtones de la région avec la complicité de l'armée. Musulman peul originaire de l'État septentrional du Katsina, le président au pouvoir de 2015 à 2023, Muhammadu Buhari, a notamment été soupçonné par les Églises pentecôtistes les plus extrémistes d'avoir couvert, voire coordonné une campagne de persécutions contre les chrétiens de la Middle Belt (2). Ces assertions ont parfois été relayées en Europe et aux États-Unis par des groupes de la mouvance évangélique, des parlementaires de droite ou des essayistes tels que Bernard-Henri Lévy.
Privilégiant la médiation, l'Église catholique du Nigeria a, quant à elle, pris soin de se tenir à l'écart des allégations les plus farfelues. En 2014, elle a suspendu sa participation à la Christian Association of Nigeria (CAN) pour se dissocier des déclarations belliqueuses de son président pentecôtiste, Ayo Oritsejafor. En 2019, une ONG états-unienne, Jubilee Campaign, a approché la Cour pénale internationale à La Haye afin de déposer une plainte contre les djihadistes de Boko Haram pour génocide. Dans un rapport intitulé « The Genocide is Loading » (qui n'a pas été mis en ligne), l'organisation soutenait que 4 194 chrétiens avaient été tués au Nigeria entre 2014 et 2016.
Des accusations qui ne sont pas nouvelles
Tout cela n'est pas complètement nouveau. À l'époque de la sécession biafraise, déjà, les rebelles avaient donné une tournure religieuse à leur combat et cherché à gagner le soutien des pays occidentaux en se présentant comme les cibles d'un génocide perpétré par les Haoussas et par les Peuls musulmans du Nord contre les Ibos chrétiens du Sud-Est (3). Les insurgés avaient avancé le chiffre de 1 à 2 millions de morts, essentiellement du fait d'un blocus militaire qui avait provoqué une effroyable famine mais qui n'avait pas débouché sur l'élimination des survivants après la victoire des « fédéraux », en 1970. Une fois défaits et écartés du pouvoir, les Ibo avaient continué de se dire victimes d'un génocide silencieux afin de dénoncer leur marginalisation politique et économique. L'un d'eux, Herbert Ekwe-Ekwe, soutenait ainsi dans Biafra Revisited (African Renaissance, 2007) qu'ils auraient compté près de 18 000 personnes des 20 000 assassinées par les forces de sécurité nigérianes entre 1999 et 2006, cela sans indiquer ni sources ni mode de calcul.
Aujourd'hui, les accusations et contre-accusations de génocide continuent de s'appuyer sur des assertions invérifiables. Du côté chrétien, elles se focalisent non seulement sur les affrontements dans l'État du Plateau, mais aussi sur le banditisme peul dans le Nord-Ouest et sur les insurrections djihadistes dans le Nord-Est qui les prennent souvent pour cible, même si la très grande majorité des victimes des factions de la mouvance Boko Haram est musulmane. Sans citer de sources, des représentants de la Christian Association of Nigeria (CAN) ont ainsi prétendu que des Peuls « radicalisés » avaient assassiné quelque 6 000 chrétiens de la Middle Belt pendant les six premiers mois de l'année 2018 (4). Au cours de la même période, une obscure ONG ibo d'Onitsha, International Society for Civil Liberties & the Rule of Law (Intersociety), avançait, pour sa part, que 2 400 fermiers chrétiens avaient été tués par des éleveurs et des « extrémistes » peuls, dans un article publié par le Christian Post.
Les chercheurs nigérians eux-mêmes n'ont pas forcément été plus regardants lorsqu'ils ont mobilisé des chiffres « sortis de leur chapeau » dans un pays où il n'existe ni données policières ni statistiques officielles à propos des homicides. Selon l'un d'eux, Charles Abiodun Alao, auteur de l'article « Islamic radicalisation and violence in Nigeria » publié par Routledge en 2013, la « radicalisation de l'islam » aurait ainsi causé la mort de 50 000 personnes entre 1980 et 2012.
Les chiffres arbitraires d'Open Doors
En général, les organisations évangéliques des pays occidentaux veillent, certes, à citer des sources lorsqu'elles recourent à des arguments quantitatifs pour démontrer l'ampleur de tueries à caractère génocidaire. Mais leurs références sont hautement discutables sur le plan scientifique. Citons, par exemple, Christian Solidarity Worldwide (CSW), un lobby britannique mené par une figure du parti conservateur anoblie par le gouvernement de Margaret Thatcher, ou bien encore le Global Terrorism Index et World Watch Monitor : le premier est un think tank australien qui a la particularité de désigner l'ensemble des éleveurs peuls « militants » comme un groupe terroriste ; le second, un collectif qui défend les droits des chrétiens dans le monde. Les distorsions statistiques sont parfois flagrantes. Dans un rapport publié en 2019, une ONG protestante, Open Doors, estimait ainsi que le Nigeria était le pays où l'on tuait le plus grand nombre de chrétiens dans le monde, avec 3 731 morts recensés en 2018 (5). Par la suite, le classement ne devait guère varier, avec quelque 3 100 meurtres sur un total de près de 4 500 à l'échelle planétaire en 2024.
Pour autant, il n'est pas évident que toutes les victimes comptabilisées par Open Doors aient été ciblées en raison de leur confession. Dans son rapport pour l'année 2024, l'ONG admettait que des bergers peuls tuaient des chrétiens « pour les empêcher d'élever du bétail », donc dans le cadre de rivalités relevant d'une compétition économique plus que de disputes d'ordre religieux.

En 2017, des discussions entamées par l'auteur de cet article avec les documentalistes d'Open Doors avaient par ailleurs révélé une forte inclination à interpréter tendancieusement des statistiques tirées d'une base de données, NigeriaWatch, qui comptabilise les morts violentes et qui est actualisée par des chercheurs de l'université d'Ibadan. Pour appuyer son propos, l'ONG avait en effet appliqué un taux uniforme de 30 % de chrétiens dans le Nord à dominante musulmane du pays. Cette proportion était pour le moins arbitraire, sachant qu'il n'existe plus de données publiques et officielles sur les affiliations confessionnelles de la population depuis le recensement de 1963. En extrapolant, l'ONG n'en avait pas moins estimé que 30 % des personnes tuées dans les douze États du nord de la fédération nigériane devaient forcément être chrétiennes.
Mieux encore, Open Doors a considéré qu'une bonne partie de ces victimes étaient mortes en raison de leurs croyances, alors même qu'elles avaient tout aussi bien pu succomber du fait d'attaques liées à des crimes de droit commun : pour leur portefeuille et non pour leur foi.
Des victimes forcément chrétiennes
Indéniablement, il existe des discriminations et des persécutions antichrétiennes dans le nord du Nigeria. À l'occasion, il arrive aussi que des chrétiens soient tués en raison de leur confession, notamment lors d'attaques menées contre des lieux de culte par des djihadistes de la mouvance Boko Haram, par des gangs de criminels ou, très rarement, par des membres d'Églises rivales. Mais il importe de ne pas exagérer l'ampleur démographique de ces incidents et de les remettre en perspective dans un pays, le plus peuplé du continent, qui compte plus de 200 millions d'habitants. D'après les données de NigeriaWatch, les victimes de violences impliquant au moins une organisation religieuse représentent, en réalité, une part infime des homicides, tandis que les confrontations interconfessionnelles restent exceptionnelles.
Sur le plan méthodologique, les allégations d'un comité du nom d'International Committee On Nigeria (ICON) se révèlent être tout aussi fragiles. Dans un rapport publié aux États-Unis en 2020, celui-ci dénonce le génocide des chrétiens par les djihadistes de Boko Haram. À l'en croire, le groupe aurait tué 27 000 civils depuis 2009, davantage que l'État islamique en Irak et en Syrie. Les sources citées proviennent tout à la fois du Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), un projet d'agrégation de données sur les conflits armés, du Nigeria Security Tracker (NST), une initiative d'un ancien diplomate états-unien autrefois en poste à Lagos, et de Study of Terrorism and Responses to Terrorism (START), une émanation du ministère états-unien de l'Intérieur. Elles sont prétendument vérifiées et recoupées par des enquêtes de terrain menées par un réseau de militants chrétiens au Nigeria (6).
La liste des incidents fournie en annexe par ICON ne couvre cependant qu'une période de deux mois, de décembre 2019 à janvier 2020. Elle comporte beaucoup de pages blanches et présente de nombreux problèmes. D'abord, il y a parfois des doublons : un même événement est répertorié plusieurs fois quand il est rapporté par des sources différentes, journalistiques ou policières. De plus, les additions ne correspondent pas toujours aux chiffres annoncés, tandis que certains incidents sont mentionnés dans le texte mais pas dans le répertoire en annexe. Surtout, le comité ICON reconnaît lui-même qu'il est « très difficile, voire impossible, de connaître exactement le nombre de personnes tuées ou déplacées par Boko Haram et les milices peules » depuis 2009 (7).
Comme pour Open Doors, les arguments présentés en vue de prouver mathématiquement l'existence d'un génocide ne sont pas non plus convaincants. Les 27 000 victimes de Boko Haram sont qualifiées de civiles mais rien ne dit qu'elles sont chrétiennes. De plus, ICON mélange dans son décompte les attaques létales des groupes djihadistes et celles des bandits peuls, quitte à y inclure les décès résultant de conflits fonciers entre des communautés qui ne s'affrontent pas pour des raisons religieuses, même si elles sont parfois de confessions différentes.
Donald Trump invité dans le débat
Les partisans de la thèse d'un génocide religieux révèlent ainsi de sérieuses lacunes sur le plan scientifique. Soucieux de défendre leur argumentaire, ils prennent d'abord bien soin de ne pas citer de sources susceptibles de contredire leurs assertions. Quant à ceux dont les bases de données s'appuient sur des articles de presse, ils ne cherchent pas non plus à analyser les sensibilités politiques et les biais confessionnels de journalistes nigérians surtout concentrés dans les villes du Sud et qui, pour des raisons historiques et d'héritage colonial, comprennent essentiellement des chrétiens au vu des déficiences d'accès à une éducation moderne pour les musulmans du Nord. L'absence de questionnement sur la qualité, la fiabilité et la cohérence des sources utilisées est tout à fait significative à cet égard.
En témoigne le rapport publié en 2024 par l'Observatoire de la liberté religieuse en Afrique, (Observatory of Religious Freedom in Africa, ORFA). Celui-ci est intéressant à plus d'un titre car il a, entre autres, servi à alimenter l'argumentaire des parlementaires états-unien qui, en mars 2025, ont accusé le Nigeria de laisser faire la persécution des chrétiens et demandé au président Donald Trump de mettre en place des sanctions contre le pays.
A priori, l'étude de l'ORFA semble de bien meilleure facture que les habituelles incartades des organisations de plaidoyer pentecôtistes (8). Pour démontrer que les chrétiens sont davantage visés que les musulmans, elle fournit ainsi d'impressionnantes listes de tableaux statistiques en annexe. Supervisée par un politiste de l'université du Costa Rica, elle dit ne pas vouloir prendre parti, prétend s'en tenir à la collecte des faits et n'évoque pas l'existence d'un génocide.
Un méli-mélo de sources et de données
Sa méthodologie ne pose pas moins problème. En effet, elle se base sur des sources très différentes : des réseaux sociaux, des partenaires locaux au Nigeria, des rapports d'ONG, des articles de presse, ACLED et le NST. Mais on ne sait pas comment, concrètement, l'ORFA procède pour fusionner, pondérer et apprécier la fiabilité des données recueillies à partir de capteurs aussi hétérogènes. En outre, les sources ne sont pas cohérentes pendant toute la période considérée dans l'étude, d'octobre 2019 à septembre 2023. L'ORFA a ainsi commencé à élargir son corpus en octobre 2021 et à intégrer les données d'ACLED en octobre 2022, cela tout en renonçant à employer celles du NST, interrompues depuis juillet 2023. Or ces discontinuités constituent autant de distorsions susceptibles de fausser les résultats. Dans son rapport, l'ORFA reconnaît d'ailleurs que la proportion de victimes dont l'affiliation religieuse n'a pas pu être déterminée était beaucoup plus élevée en 2020 et en 2021, avant que l'organisation décide d'élargir et d'affiner son corpus.
À défaut d'enquête de terrain dans un pays dépourvu d'état civil, on peut également se demander comment l'Observatoire distingue les civils des combattants et les chrétiens des musulmans. Sur ce dernier point, les rédacteurs du rapport de 2024 disent avoir recoupé leurs informations avec des partenaires locaux qui ne peuvent pas être nommés, « pour des raisons de sécurité », mais qui sont très vraisemblablement des militants chrétiens, sachant que l'ORFA émane en réalité d'une fondation hollandaise établie en 2010 et financée par des Églises évangéliques d'Amérique latine, Platform for Social Transformation. Sous prétexte de respecter leur anonymat, l'Observatoire déroge ainsi à un principe de base de la science, à savoir la possibilité de vérifier, de tester et de trianguler les sources utilisées, les faits collectés et les résultats obtenus. Seuls les chiffres sont rendus publics, avec 16 769 chrétiens tués sur un total de 30 880 civils morts en quatre ans, dont 6 235 musulmans et 7 722 victimes non identifiées.
Par ailleurs, selon les données de l'ORFA, les musulmans seraient davantage visés que les chrétiens dans certaines communes du nord-ouest du Nigeria. Dans une démarche scientifique, il aurait été intéressant de se demander pourquoi, même si la géographie des tueries et celle des enlèvements ne se recoupent pas parfaitement. Il n'aurait pas été inutile non plus d'affiner l'analyse en s'interrogeant davantage sur la composition religieuse des diverses régions touchées par des violences. Mais l'ORFA ne cherche guère à s'aventurer sur ce terrain et, là encore, la méthodologie utilisée ne manque pas de surprendre. En effet, les rédacteurs anonymes du rapport de 2024 appliquent dans chaque État du pays des taux de musulmans et de chrétiens invariables d'une année sur l'autre. Aucune source n'est citée pour expliquer la provenance de ces chiffres pour le moins mystérieux dans un pays dépourvu, depuis plus de soixante ans, de statistiques publiques à propos de la ventilation confessionnelle de la population.
Des catégorisations embrouillées
Les approximations ne s'arrêtent pas là. Les rédacteurs de l'ORFA soutiennent que les chrétiens du Nigeria sont essentiellement tués par des bergers peuls et des mouvements terroristes autres que Boko Haram et l'État islamique en Afrique de l'Ouest. Cette catégorie des « autres terroristes » ne manque pas d'intriguer. D'après la note méthodologique de l'ORFA, il s'agit de divers groupes qui n'ont pas pu être identifiés, qui seraient très décentralisés et qui comprendraient aussi des bandits engagés dans des milices ethniques aux côtés des bergers peuls. Les lignes de distinction paraissent d'autant plus embrouillées que, dans le même temps, les pasteurs peuls sont également assimilés à un groupe « terroriste », « le plus meurtrier » d'entre tous, selon le rapport d'ORFA déjà cité. À suivre ce raisonnement, il n'y aurait pas de bandits au Nigeria, seulement des « terroristes » : un narratif qui révèle bien les apories d'un Observatoire décidément peu au fait de la prudence de la communauté académique quant à l'emploi tous azimuts d'un qualificatif disqualifiant.
Comme Open Doors et le comité ICON, l'ORFA peine ainsi à démontrer que les chrétiens sont tués en raison de leur croyance. Les deux témoignages anonymes cités à l'appui de ses dires mettent, certes, en évidence des discriminations d'ordre religieux. Dans certains cas, les otages musulmans qui pouvaient réciter des sourates du Coran afin de prouver leur foi ont effectivement été relâchés sans payer de rançon, tandis que les chrétiens étaient brutalisés, exécutés pour les hommes ou violés pour les femmes. Mais dans d'autres cas, c'est l'inverse. Des captifs musulmans aux mains des djihadistes de la mouvance Boko Haram ont été tués ou recrutés de force pour commettre des attentats-suicides, tandis que les chrétiens étaient épargnés parce que leurs ravisseurs avaient l'espoir d'en tirer un bon prix.
D'une manière générale, on peut s'interroger sur la portée des deux témoignages cités par l'ORFA à l'échelle d'un pays aussi gigantesque que le Nigeria. Les approximations et les biais méthodologiques des partisans de la thèse du génocide desservent, en réalité, la cause des chrétiens. Sur le fond, il n'y a pas besoin d'exagérer l'ampleur des drames humains pour s'inquiéter de violences endémiques et de discriminations qui tiennent bien autant à des questions d'appartenance confessionnelle que de statut social, dans le cadre d'un système politique qui accorde une forte préférence régionale aux autochtones de chacun des trente-six États du pays.
Pour garantir son sérieux, une analyse pondérée et scientifique des persécutions à caractère religieux devrait ainsi s'intéresser aussi aux musulmans qui, dans le sud du Nigeria, sont désignés à la vindicte populaire et parfois lynchés parce qu'ils font figure d'étrangers facilement identifiables par leur habillement et leurs scarifications tribales. Les causes des violences sont fort complexes. Au-delà des disputes macabres sur le nombre de victimes, le problème est d'abord de nature politique. Qu'il s'agisse du sort des chrétiens ou de celui des musulmans, les récits sur un génocide « religieux » doivent en conséquence être compris sur un registre profane. Les polémiques dont le Nigeria fait aujourd'hui l'objet mériteraient certainement, à cet égard, de tirer les leçons des controverses qui ont autrefois pu attiser les tensions à propos de la guerre du Biafra.
Notes
1- Charles Abiodun Alao, « Islamic radicalisation and violence in Nigeria », in Militancy and Violence in West Africa : Religion, Politics and Radicalisation, Routledge, p. 42, 2013.
2- International Committee on Nigeria, « Nigeria's Silent Slaughter : Genocide in Nigeria and the Implications for the International Community », 2020.
3- Numéro spécial du Journal of Genocide Research, vol. 16, n° 2-3, 2014.
4- Rev Bewarang, Dr. Soja, « Statement by church leaders in Plateau State », 2018.
5- Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Les persécutions antichrétiennes en Afrique, un sujet sensible », The Conversation, 2019. À lire ici.
6- International Committee on Nigeria et International Organisation for Peace Building and Social Justice, « Nigeria's Silent Slaughter : Genocide in Nigeria and the Implications for the International Community », 2020.
7- International Committee On Nigeria et International Organisation for Peace Building and Social Justice, « Nigeria's Silent Slaughter : Genocide in Nigeria and the Implications for the International Community », 2020.
8- ORFA, « Countering the myth of religious indifference in Nigerian terror (10/2019–9/2023) », 2024.
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Ukraine : Ce que pensent les Ukrainiens de la « paix impériale » de Trump

Un mois après le lancement du canal de négociation entre Washington et Moscou, les pourparlers qui visent à mettre fin à l'invasion russe de l'Ukraine ont connu une nouvelle étape à Riyad, capitale saoudienne, entre le 23 et le 25 mars.
14 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/14/ukraine-ce-que-pensent-les-ukrainiens-de-la-paix-imperiale-de-trump/#more-92655
Un sommet secret, médiatisé par les Saoudiens, avec des délégations séparées pour la Russie et l'Ukraine, mais avec le même directeur en arrière-plan : les États-Unis et, à distance, leur président Donald Trump. L'objectif officiel, promu par Trump depuis la campagne électorale à travers la rhétorique de la fin de la guerre « en 24 heures », est de désamorcer le conflit, au moins partiellement, à partir d'un cessez-le-feu temporaire.
Mais les prémisses de cette dernière sont déjà fragiles. Les négociations ont débuté à la mi-février, lorsque les délégations russe et américaine se sont rencontrées pour la première fois dans la capitale saoudienne, suivies de la rencontre désastreuse à la Maison Blanche entre Volodymyr Zelensky et Trump le 28 février. Enfin, la semaine dernière, ce fut le tour de l'appel téléphonique entre Trump et Poutine, qui a duré quatre-vingt-dix minutes, qui a réduit les attentes élevées proposées par la communication de Trump.
Selon les médias américains, les négociations américaines ont duré plusieurs jours : d'abord, la rencontre entre la délégation ukrainienne conduite par Rustem Umerov et Pavlo Palisa ; puis avec son homologue russe Grigori Karasine et Sergueï Beseda, ancien haut responsable du FSB ; nouvelle confrontation entre l'Ukraine et les États-Unis mardi. À court terme, deux questions principales étaient sur la table : la sécurité de la navigation en mer Noire et la suspension mutuelle des attaques contre les infrastructures énergétiques pendant un mois.
Le président russe Vladimir Poutine a officiellement approuvé l'idée américaine, soutenant la proposition de Trump d'un gel mutuel des bombardements des réseaux énergétiques pendant 30 jours. Une décision amplifiée par les mégaphones des médias d'État russes, TASS et RIA Novosti, qui ont souligné que l'autocrate russe soutenait les propositions de Trump et a ordonné aux forces armées russes de s'abstenir de frapper les infrastructures ukrainiennes.
Après des discussions à Riyad, la Russie et l'Ukraine ont également convenu d'un cessez-le-feu limité en mer Noire, mais Moscou conditionne sa mise en œuvre à la levée des sanctions. Zelensky conteste les concessions américaines, craignant une partition du pays par l'arrière. Il est ensuite revenu à la critique de l'administration Trump, l'accusant de complicité avec le Kremlin, après un allègement de la rhétorique suite à l'embuscade dans le Bureau ovale.
La signification de la paix pour les Ukrainiens
Si l'on tient compte des limites des sondages d'opinion, notamment lors d'une guerre d'invasion, le tableau peut paraître contradictoire. 77% des Ukrainiens évaluent positivement la proposition d'un cessez-le-feu de 30 jours, mais 79% considèrent les conditions dictées par Poutine comme totalement inacceptables. Deux chiffres qui, lus hors contexte, pourraient prêter à des interprétations commodes pour ceux qui veulent vendre à l'opinion publique internationale un récit de volonté de compromis – qui, dans les exigences du Kremlin, équivaut à une capitulation irrévocable de Kiev.
Les données recueillies par l'Institut international de sociologie de Kiev (KIIS) entre le 12 et le 25 mars révèlent une position beaucoup plus complexe et profondément enracinée. La population ukrainienne est prête à envisager une trêve, mais seulement si elle n'implique pas de concessions ou d'illusions sur un changement de posture de l'agresseur russe.
« D'un côté, la victoire de Trump [à l'élection présidentielle de 2024, NDLR ] a été accueillie avec un certain espoir en Ukraine ; de l'autre, ses premiers pas ont provoqué une déception au sein de la société ukrainienne. L'état d'esprit général, à mon avis, est plus ou moins le suivant : la partie patriotique active de la société, la minorité influente, visible dans les médias et sur les réseaux sociaux, est catégoriquement opposée à toute concession et favorable à une guerre jusqu'à une paix juste ; les citoyens ordinaires, la “majorité silencieuse”, sont de plus en plus déterminés à mettre fin à la guerre », explique à Valigia Blu Konstantin Skorin, chercheur indépendant et expert en histoire politique du Donbass (ses analyses ont été publiées par le Moscow Times, Foreign Affairs et Carnegie Politika ) .
« Mais la fin à tout prix , par la capitulation devant Poutine, n'est certainement pas l'opinion dominante de cette “majorité silencieuse”. Les gens sont prêts à faire des concessions pour mettre fin aux morts d'Ukrainiens, même sur certains territoires comme la Crimée et le Donbass, mais pas à une capitulation totale devant la Russie, précisément parce que personne ne croit aux promesses de paix de Poutine », ajoute Skorkin.
Ceci est démontré par le fait que, parmi ceux qui voient la proposition de trêve de manière positive, la majorité (47%) le font parce qu'ils considèrent qu'il est utile de démontrer que c'est la Russie qui ne veut pas la paix, ou qu'elle continuera de toute façon à violer les accords. 12% supplémentaires interprètent la trêve comme un outil possible pour débloquer l'aide militaire, et seulement 18% la considèrent comme « un premier pas vers la fin de la guerre dans des conditions acceptables pour Kiev ».
En d'autres termes, l'appréciation de la trêve relève davantage d'un désir de dénoncer Moscou ou de gagner du temps que d'une réelle confiance dans le processus de négociation. Que la situation sur le terrain tourne en faveur du Kremlin est désormais un fait rapporté par les services de renseignement américains, et même des alliés fidèles de Kiev, comme le président tchèque Petr Pavel, avertissent de la nécessité d'envisager des concessions territoriales.
Dans le même temps, le soutien à la trêve s'effondre de manière spectaculaire si des garanties de sécurité ne sont pas fournies. Selon la même enquête, 62% des personnes interrogées ont déclaré qu'elles ne soutiendraient pas un cessez-le-feu en l'absence de garanties concrètes. Si, par exemple, la présence de soldats de la paix occidentaux était proposée, 60% des personnes interrogées seraient prêtes à accepter un arrêt temporaire des combats. Si la garantie consistait en un rapprochement de l'OTAN ou en un renforcement des défenses ukrainiennes, le soutien resterait supérieur à 55%, mais jamais total. Le consensus ne se consolide que lorsque la sécurité ukrainienne reste sous contrôle direct ou multilatéral et jamais subordonnée à la volonté russe.
« Je pense que personne ne prend vraiment au sérieux le soi-disant “plan de paix” de Trump, pas même Trump lui-même. Ce n'est pas vraiment un plan de paix ; il s'agit de “partager certaines ressources”, comme Trump lui-même l'a dit. Ceux qui suivent l'actualité le comprennent. Quant à la volonté de Poutine de s'en tenir à un accord, il est évident qu'il ne le fera pas, comme il ne l'a jamais fait par le passé. Très peu de personnes en Ukraine, voire aucune, croient réellement en la bonne volonté de Trump ou de Poutine », explique Hanna Perekhoda, historienne et chercheuse à l'Université de Lausanne, à Valigia Blu . Cela dit, il y a toujours des gens prêts à troquer la sécurité à long terme de leur communauté contre leur propre sécurité apparente à court terme. Cela ne signifie pas qu'ils font confiance à Trump ou à Poutine ; cela reflète plutôt le choix fondamental entre risquer leur vie en agissant ou rester immobile. Nombreux sont ceux qui choisissent la seconde option, poussés par la peur et le manque d'identification à leur communauté.
En revanche, les conditions posées par Moscou pour la trêve – cessation des mobilisations, blocage de l'aide occidentale, interruption des opérations de renseignement américaines – sont jugées inacceptables par la majorité des Ukrainiens. Il s'agit là aussi d'un rejet transpartisan, unissant le centre et l'ouest du pays à l'est, et reflétant la conviction partagée que toute concession accélère la possibilité d'une nouvelle agression, et non d'une trêve.
Les données du KIIS, collectées dans les jours qui ont immédiatement suivi la suspension temporaire de l'aide américaine début mars, montrent un approfondissement de l'idée de résistance comme principe national, traversant les classes, les territoires et les orientations politiques. Même dans les régions de l'est, historiquement les plus vulnérables à l'influence russe, ce chiffre reste à 78%.
Cette structure sociale et militaire n'est pas née de nulle part. Une lettre touchante d'une militante féministe et anti-autoritaire, aujourd'hui médecin militaire au sein des forces armées ukrainiennes, témoigne de la détermination qui persiste malgré la fatigue accumulée : « Oui, nous pourrions perdre cette guerre. Mais tous les combattants de la liberté ont-ils gagné ? Nombre d'entre eux ont combattu avec bien moins de chances que l'Ukraine. Nous avons encore de bonnes chances si les pays européens nous soutiennent. La fin de la guerre, l'avenir de l'Ukraine, dépendent directement de vous et de moi, de la solidarité avec les opprimés, du sens de la collectivité et de la volonté de liberté. »
Et puis il y a un autre élément, de nature existentielle et culturelle, qui émerge en filigrane entre les lignes des mêmes enquêtes et dans les récits recueillis : la conscience que la guerre est devenue la lentille à travers laquelle les Ukrainiens se réinterprètent eux-mêmes, leur place dans le monde et la qualité des alliances sur lesquelles ils peuvent compter. Il ne s'agit pas seulement d'une question de survie ou de souveraineté, mais aussi de dignité collective. Selon le médecin activiste, tous les combattants de la liberté ne gagnent pas, mais tous font une différence.
Dans ce contexte, la proposition américaine – perçue par beaucoup comme une tentative de pacification imposée, davantage axée sur la stabilité mondiale que sur la justice – risque d'être contreproductive. Loin de favoriser un compromis, cela risque d'alimenter le soupçon déjà fort que l'avenir de l'Ukraine se négocie ailleurs, et que la rhétorique des « valeurs communes » est désormais remplacée par le langage cynique des échanges géopolitiques.
Le début d'une trêve partielle : un pas vers la paix ou de la fumée dans les yeux ?
Le compromis, pour le moment, s'articule donc en deux points : une trêve navale en mer Noire, toujours suspendue en raison des conditions imposées par Moscou, et un moratoire de 30 jours sur les attaques contre les infrastructures énergétiques, déjà en vigueur mais de fait violé.
Quelques heures après l'accord, en effet, la Russie a lancé une attaque de drone contre un hôpital et une sous-station électrique à Sloviansk. « Il y a déjà une alerte aérienne, donc ce cessez-le-feu ne fonctionne pas », a commenté Zelensky .
Déjà au cours du week-end précédent, l'armée russe avait lancé plus de 100 drones par jour contre des villes ukrainiennes pendant trois jours consécutifs, provoquant plusieurs morts civiles, notamment dans la capitale Kiev. Le jour central des négociations saoudiennes, les Russes ont bombardé le centre de Soumy, une grande ville de l'est de l'Ukraine relativement éloignée des combats, blessant 88 personnes, dont 17 enfants.
La situation est encore plus ambiguë en raison de l'asymétrie entre les déclarations des parties. La Maison Blanche a parlé d'une « pause dans les combats en mer Noire » et d'un « engagement à éliminer l'usage de la force », tandis que le Kremlin a réitéré que le cessez-le-feu naval n'interviendrait qu'avec l'assouplissement des sanctions occidentales, notamment celles qui visent les exportations agricoles russes, comme l'accès au système Swift ou l'assurance maritime.
Un détail qui est loin d'être marginal, et que la version américaine a complètement omis. En fait, les Américains promettent aux Ukrainiens de les aider à échanger des prisonniers, y compris le retour de dizaines de milliers de mineurs enlevés par les forces russes, tandis que Moscou promet d'assouplir les sanctions économiques – ces dernières, selon Politico, précédemment acceptées sous condition par Kiev également.
Trump, qui avait initialement cherché à obtenir un cessez-le-feu global pour créer un espace politique propice à un grand accord de paix, a dû admettre publiquement le revirement de la Russie. « Peut-être qu'ils essaient de gagner du temps », a-t-il déclaréà Newsmax , ajoutant – avec son ambiguïté habituelle – que lui aussi avait utilisé des tactiques similaires dans le passé pour « rester dans le jeu ».
Les critiques ne se sont pas fait attendre, notamment de la part de Kyiv. Le président ukrainien a accusé Trump et ses émissaires de parler « de nous sans nous », en réponse à une déclaration antérieure de Trump qui avait laissé entendre qu'une partie des discussions avec Moscou concernait la division territoriale de l'Ukraine. Son entourage a fait savoir qu'aucune discussion sur le Donbass, Zaporizhzhya ou Kherson n'a eu lieu du côté ukrainien, et que les exigences russes – le contrôle total des trois régions – restent inacceptables.
Parallèlement, alors que les négociations se poursuivaient, la pression militaire sur le terrain ne cessait pas. Et même sur un plan symbolique, le Kremlin a réaffirmé son contrôle sur la centrale nucléaire de Zaporijia, niant toute possibilité de la céder, comme l'ont supposé des sources américaines.
Dans l'ensemble, la première phase de la trêve semble avoir donné un résultat largement favorable à la Russie. L'arrêt temporaire des bombardements stratégiques gèle en fait l'une des campagnes militaires les plus réussies de l'Ukraine, contre les gazoducs, les raffineries et les centres énergétiques situés au cœur du territoire russe, et sauve l'industrie des hydrocarbures de Moscou pendant au moins un mois. Au contraire, les attaques russes contre la population civile – de l'oblast de Soumy, relativement proche des combats, jusqu'aux zones plus occidentales – se poursuivent, utilisant souvent des techniques de double frappe ou ciblant les hôpitaux.
Trump présente l'accord comme une victoire diplomatique, utile pour ouvrir une fenêtre vers des négociations plus larges. Mais pour Kiev, qui ne reçoit ni garanties de sécurité ni progrès réels sur le plan politique, le sentiment est celui d'être pris entre l'agression russe et le cynisme américain.
Lutter contre Poutine et Trump en même temps est très difficile, et la position de l'Union européenne reste fondamentale à cet égard : elle n'a cependant pas réussi, la semaine dernière, à trouver un consensus pour l'allocation de 40 milliards à la défense de Kiev. Mais les dirigeants européens devraient d'abord se préoccuper des conséquences pour l'Europe d'un processus de paix injuste et imposé de haut en bas en Ukraine, plutôt que des intérêts nationaux et des querelles personnelles. Cette prise de conscience ne semble pas encore arrivée.
Les récentes déclarations de l'envoyé spécial américain pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, qui remplace également Keith Kellogg pour les relations avec l'Ukraine et la Russie, ne laissent aucune place au doute. Dans une interview avec Tucker Carlson, Witkoff a essentiellement répété la propagande du Kremlin sur la légitimité des référendums : à la fois en Crimée et dans le Donbass en 2014, et dans les territoires occupés en 2022.
« Des dizaines de milliers de civils dans les régions occupées ont été enlevés, torturés, détenus dans des prisons secrètes, et des milliers ont disparu : personne ne sait même où leurs corps sont enterrés. Un contexte idéal pour la libre expression démocratique. Seuls deux États – la Corée du Nord et la Syrie – ont reconnu ces “référendums”, ce qui en dit long sur leur crédibilité démocratique », déclare Perekhoda, originaire de Donetsk. Si l'administration américaine reconnaissait un jour la légitimité de ces votes, il n'y aurait aucun doute : elle cautionnerait et promouvrait une norme mondiale de “démocratie” où des hommes armés débarqueraient chez vous pour vous forcer à “voter”. Il est clair que les visions de la démocratie de Trump, Poutine, Xi et Erdogan sont très similaires à cet égard. Ceux qui ne perçoivent pas le danger de ce modèle en feront payer le prix fort à tous, tôt ou tard.
« L'équipe Trump fait semblant de reconnaître les résultats du vote, dont l'opacité et le manque de démocratie ont été reconnus par toutes les institutions internationales, car cela les arrange de faire des affaires avec Poutine. C'est très triste à voir », ajoute Skorkin. « Pour moi et mes amis, qui avons été contraints de quitter le Donbass dès 2014, il est tout simplement offensant de voir comment les représentants d'un pays démocratique occidental font semblant de croire aux résultats d'un référendum organisé littéralement sous la menace des armes. »
Andrea Braschayko
ValigiaBlu
https://www.valigiablu.it/colloqui-pace-arabia-saudita-ucraini-trump/
Traduit pour l'ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74422
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Conférence de Bruxelles : solidarité avec l’Ukraine

.La conférence Solidarité avec l'Ukraine, qui s'est tenue à Bruxelles du 26 au 27 mars, a rassemblé environ 200 militantEs d'une vingtaine de pays, en soutien aux droits nationaux et sociaux du peuple ukrainien.
Compte rendu de la conférence Solidarité avec l'Ukraine écrit par Dick Nichols [greenleft.org], correspondant européen de GreenLeft (Gauche verte) qui a participé à l'organisation de la conférence Solidarité avec l'Ukraine
15 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/15/conference-de-bruxelles-solidarite-avec-lukraine/#more-92733
Ce rassemblement était organisé par le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine(ENSU) et lesCampagnes de solidarité avec l'Ukraine (USC) d'Angleterre, du Pays de Galles et d'Écosse. Il visait à renforcer la solidarité entre les peuples, alors que la menace d'une partition et d'un pillage de l'Ukraine par les gouvernements de Vladimir Poutine et de Donald Trump se fait de plus en plus grande.
La conférence s'est également déroulée dans le contexte du conflit actuel entre les mouvements syndicaux, féministes, environnementaux, de défense des droits civiques et politiques progressistes d'Ukraine et les politiques intérieures néolibérales du gouvernement de Volodymyr Zelensky.
Le choix de Bruxelles comme ville hôte a été déterminé par la nécessité de renforcer le dialogue et la collaboration entre les nombreux mouvements sociaux ukrainiens, les groupes de solidarité avec l'Ukraine et les députés européens (MPE – membres du Parlement européen) et nationaux des formations de gauche, vertes, sociales-démocrates et progressistes en faveur de l'indépendance nationale.
Ces parlementaires — notamment l'ancienne ministre finlandaise de l'Éducation Li Andersson(Alliance de gauche) et Jonas Sjöstedt (ancien dirigeant du Parti de gauche suédois) — ont pris la parole lors d'unévénement organisé le 26 mars au Parlement européen par le groupe de gauche au PE (« Solidarité avec l'Ukraine : reconstruction et société civile ») et lors de la conférence Solidarité avec l'Ukraine elle-même.
Dans son discours au Parlement européen, Sjöstedt a souligné le caractère à double face de la solidarité progressiste : « La guerre en Ukraine ne fait pas seulement rage en première ligne. Les combats menés par les défenseurs des droits des travailleurs, les militants pour le climat et les militants des droits des femmes façonnent et continueront de façonner l'avenir de l'Ukraine. Nous devons être solidaires de ces mouvements, surtout en temps de guerre, et nous continuerons de le faire. »
« Nous devons continuer à défendre les droits des travailleurs lors de l'élaboration de nouveaux codes du travail en Ukraine, nous devons lutter pour les professionnels de la santé qui travaillent dans des conditions encore plus difficiles, et nous devons continuer à impulser le changement pour mettre un terme à la flotte fantôme russe écologiquement désastreuse [de pétroliers rouillés]. »
Tanya Vyhovsky
L'intervention d'autres éluEs a ouvert la voie à d'autres sujets clés de discussion lors de la conférence. Tanya Vyhovsky, sénatrice progressiste-démocrate du Vermont, en est un exemple frappant : elle a abordé de front la menace de Trump contre l'Ukraine.
« Ce n'est pas une situation normale, et malheureusement, la grande majorité des démocrates agissent comme si c'était le cas… le programme Musk-Trump est un programme fasciste et le programme Musk-Trump-Poutine est un programme fasciste mondial. »
Elle a ajouté : « Il est important pour moi personnellement [en tant qu'Ukraino-Américaine] que la guerre en Ukraine se termine par une paix véritable. Cela signifie pas d'occupation, pas d'annexion de territoire ; cela signifie que les troupes russes rentrent chez elles. Cela ne signifie pas prendre le peuple ukrainien en otage pour des ressources. »
Résister au programme Trump-Poutine ne se limitait pas à défendre les droits des UkrainienNEs : « Ceux /celles qui pensent que ce programme ne les menace pas se trompent ; il nous menace touTEs. Il menace notre société et notre climat. »
Pour Vyhovsky, la seule réponse possible est de « construire un réseau mondial de solidarité. Les oligarques, les milliardaires et (à vrai dire) les mafieux qui ont pris le contrôle du gouvernement américain ont des connexions dans le monde entier […]. Ils ont pour projet de se partager le monde, en le considérant à travers le prisme du capital, comme s'il s'agissait uniquement d'actifs »
« Nous devons mettre un terme à cela. Et nous le pouvons, en développant la solidarité internationale de la classe ouvrière et en nous rappelant que nous sommes liés. Ce qui arrive à l'Ukraine nous concerne tous. »
Li Andersson
L'euro-députée finlandaise Li Andersson a mené le débat sur une politique de défense progressiste : comment fournir simultanément à l'Ukraine les armes dont elle a besoin pour expulser l'envahisseur russe et pour la défense des pays menacés par les ambitions de Poutine, tout en n'adhérant pas à la logique militariste du plan de 800 milliards d'euros de la Commission européenne pour les « dépenses de défense »,récemment lancé sous couvert de « soutien à l'Ukraine ».
Un point clé soulevé par Andersson était la nécessité d'une politique de défense progressiste qui rejette les objectifs de dépenses de défense fixés en proportion du produit intérieur brut : « Je pense vraiment que fixer un tel objectif est une façon absurde de mesurer les capacités dedéfense. Les dépenses de défense ne devraient pas être fondées sur des objectifs abstraits, mais sur les besoins et les priorités. »
Il y a eu, par exemple, des moments où la Finlande a dû acheter de nouveaux avions. Dans ce cas, les dépenses de défense augmentent. Une fois l'investissement réalisé, cependant, elles peuvent et doivent être réduites, même en dessous de l'objectif de 2% fixé par l'OTAN.
La séance plénière sur le thème « Quelle paix ? » a vu les interventions de l'eurodéputé vert français Mounir Satouri(président de la sous-commission des droits de l'homme du Parlement européen) et du député danois de l'Alliance rouge-verte Søren Søndergaard. Tous deux se sont concentrés sur les conditions nécessaires pour qu'un règlement juste de la guerre contre l'Ukraine puisse au moins être envisagé.
Pour Søndergaard, une paix juste était impensable sans la défaite de l'invasion de Poutine et l'implication de l'Ukraine dans les négociations sur son propre avenir : quels que soient les accords de cessez-le-feu que l'Ukraine pourrait être obligée d'accepter dans l'intervalle, le soutien militaire des pays de l'UE devrait être maintenu et augmenté si l'administration Trump réduisait ou même mettait fin à son soutien à l'Ukraine.
Des militantEs ukrainienNEs inspiréEs par la solidarité
La conférence a été marquée par la participation de dirigeantEs et d'activistes du mouvement social ukrainien, le deuxième plus grand contingent présent après les Belges locaux.
Les interventions comme celles de l'avocat du travail Vitaliy Dudin (activiste du Mouvement social ukrainien de gauche), Oksana Slobodiana (leader du syndicat des travailleurs de la santé Be Like Us), le leader des travailleurs du bâtiment Vasyl Andreiev (vice-président de la Fédération des syndicats d'Ukraine, majoritaire) et Yuri Levchenko (leader du Pouvoir populaire, initiative pour construire un parti ukrainien du travail), ont fait ressortir avec force les souffrances et les sacrifices impliqués dans la résistance à l'invasion russe.
Ce fardeau repose en grande partie sur les épaules des travailleurEs ukrainienNEs.
L'importance de la solidarité de la classe ouvrière et des syndicats avec le mouvement ouvrier ukrainien a été le fil rouge de la conférence et a fait l'objet d'une attention particulière lors d'une session qui a réuni Sacha Ismail, responsable de liaison syndicale de l'USC (Angleterre et Pays de Galles), Cati Llibre (vice-présidente de l'Union générale des travailleurs de Catalogne) et Félix Roux de la confédération syndicale radicale française Solidaires.
Le thème le plus abordé ensuite était celui de la lutte féministe en Ukraine et le rôle des femmes dans la reconstruction du pays. Yvanna Vynna, de l'organisation féministe Bilkis, a présenté de manière mémorable le rôle de son organisation, qui soutient simultanément l'effort de défense et la lutte pour les droits des femmes.
La lutte continue pour la défense des libertés civiles, notamment dans les territoires occupés, a été traitée par Mykhailo Romanov, représentant du Groupe de protection des droits de l'homme de Kharkiv, et Bernard Dréano, président du Centre d'initiatives et d'études sur la solidarité internationale, basé en France, et initiateur de la pétition People First (exigeant la libération de tous les captifs résultant de l'invasion russe).
Un message important a été transmis lors d'un atelier par des opposants russes exilés à la guerre de Poutine. Maria Menshikova, correspondante du magazine interdit Doxa, Dmitrii Kovalev (Gauche pour une paix sans annexions) et Viktoria (représentante de la Résistance féministe anti-guerre) ont touTEs souligné que toute victoire de « l'opération militaire spéciale » de Poutine serait une défaite pour le mouvement pour les droits démocratiques en Russie même.
Le succès de la conférence s'est mesuré à l'aune de la réaction des participantEs ukrainienNEs. Lors de la séance publique de clôture, Oksana Dutchak, rédactrice en chef de la revue ukrainienne Commons, a comparé son humeur avant et après l'événement : sombre avant, compte tenu des manœuvres de Trump et Poutine visant à « réparer » l'Ukraine à son insu, et inspirée après par la vague de solidarité suscitée lors de la conférence.
La solidarité compte. Après Bruxelles, il s'agit de la renforcer et de mieux la coordonner. Un outil pour y parvenir sera le projet de Déclaration de Bruxelles, qui sera adopté dans sa version définitive lors d'une prochaine téléconférence et bientôt ouvert à la discussion et aux amendements.
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L’Alliance autoritaire entre Trump et Poutine représente un danger pour nous tous

Il y a un peu plus d'une semaine, nous avons assisté à un changement significatif dans la politique mondiale et les relations internationales lorsque Trump et JD Vance ont humilié le président ukrainien Zelensky lors de sa visite à la Maison Blanche. Bien que les grandes puissances comme les États-Unis aient, tout au long de l'histoire, exploité les États plus petits, il est exceptionnel de voir cela se faire aussi ouvertement.
15 avril 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/15/lalliance-autoritaire-entre-trump-et-poutine-represente-un-danger-pour-nous-tous/
L'événement à la Maison Blanche était le résultat de nombreux autres développements au cours des dernières semaines. À l'Assemblée générale de l'ONU, les États-Unis ont voté avec la Russie, la Corée du Nord, la Biélorussie et Israël contre une résolution condamnant la guerre d'agression de la Russie en Ukraine. De plus, Trump a tenté de faire pression sur Zelensky pour qu'il signe l'accord sur l'exploitation des ressources minérales de l'Ukraine afin que les États-Unis n'abandonnent pas militairement le pays – sans promettre de garanties de sécurité. Cela a été précédé par les déclarations de Trump affirmant que Zelensky est un dictateur et que l'Ukraine avait déclenché une guerre « inutile » avec la Russie. Le dernier rebondissement de la politique mondiale bouleversante de Trump a été l'annonce de la suspension de l'aide militaire « jusqu'à ce que l'Ukraine s'engage pour la paix. »
Bien que les intérêts géopolitiques des États-Unis et de la Russie ne soient toujours pas alignés, Trump a clairement montré son alignement idéologique avec Poutine. Auparavant, le porte-parole du Kremlin avait déclaré que la Russie était « complètement d'accord » avec l'administration américaine sur l'Ukraine. Cela constitue une menace importante car la collaboration entre Trump et Poutine implique la naissance potentielle d'une nouvelle alliance idéologique entre deux dirigeants autoritaires de grandes puissances.
Ces derniers jours, j'ai lu certains commentateurs se demandant pourquoi l'Europe ne se contenterait pas de la paix et pourquoi nous voudrions que la guerre en Ukraine continue.
Je vais donc réitérer une fois de plus : tout le monde veut la paix en Ukraine. Mais la façon dont cette paix est obtenue et le type de paix dont il s'agit ont une grande importance.
Si la paix en Ukraine résulte de la décision de deux dirigeants autoritaires de superpuissances sur ses conditions, sans tenir compte des besoins ou de la souveraineté de l'Ukraine, cela renforcera Poutine et Trump, ainsi que leur pouvoir de décider des affaires des autres. Ce sera une « paix » qui renforce leur vision du monde et leur idéologie autoritaire.
Dans leur vision, la politique étrangère repose encore plus qu'actuellement sur la supériorité des grandes superpuissances, le droit de prendre ce qu'ils veulent entre leurs mains, et sur la violence. Sur le plan intérieur, cette idéologie perçoit la démocratie, les droits humains et la diversité comme une menace. Le renforcement de cette vision du monde ne rend le monde ni plus sûr ni plus stable pour quiconque – bien au contraire. Trump a déclaré qu'il voulait prendre le contrôle du canal de Panama et du Groenland. Poutine a déjà occupé la Crimée et occupe actuellement un cinquième du territoire ukrainien. Ces politiques représentent l'impérialisme et le colonialisme du 21e siècle : elles incarnent la mentalité de ces hommes selon laquelle, lorsqu'on est assez grand et puissant, on peut faire ce que l'on veut.
Trump et le manuel de l'extrême droite
En Finlande, le parti d'extrême droite Les Finlandais, actuellement au gouvernement dans le cadre de la coalition la plus à droite que la Finlande ait jamais connue, a tenté de contourner les positions gênantes de Trump en déclarant que, bien que ses positions sur l'Ukraine ne soient pas bonnes, ses politiques sont par ailleurs bonnes. Le ministre finlandais du Développement et du Commerce extérieur, Ville Tavio, par exemple, s'est dit heureux que les États-Unis mettent fin au « wokisme ». Il a également mentionné que les politiques de Trump sont « exemplaires à bien des égards ». La vice-première ministre finlandaise, Riikka Purra, a également fortement salué le discours de JD Vance à la Conférence de Munich sur la sécurité.
Cependant, ces déclarations politiques intérieures ne sont pas distinctes des positions de Trump et Poutine sur l'Ukraine. Elles sont des expressions de la même vision du monde et de la même idéologie. JD Vance a déclaré à Munich qu'il n'est pas le plus préoccupé par la Russie, la Chine ou toute autre menace extérieure par rapport à l'Europe – il est le plus préoccupé par la « menace de l'intérieur ».
Cette rhétorique fait partie du même manuel que l'extrême droite utilise aux États-Unis et en Europe depuis des années. C'est le langage de Poutine et aussi, par exemple, des partis d'extrême droite comme l'AfD en Allemagne, le RN en France ou Vox en Espagne. Ces forces soutiennent depuis longtemps que l'Europe se dégrade et s'affaiblit en raison de ses valeurs liées à la diversité et à la démocratie – et non parce que rien n'a été fait concernant les inégalités ou les politiques industrielles communes. La démocratie, la diversité sociale, l'État de droit et l'égalité, ou comme l'a dit Musk – l'empathie, ces valeurs sont présentées comme des menaces internes et des valeurs qui sont la raison de l'affaiblissement de l'Europe. En politique étrangère, cette même pensée apparaît en traitant ces valeurs comme totalement sans valeur ou non pertinentes.
L'administration Trump a immédiatement interdit certains mots aux États-Unis et a commencé à « purger » illégalement l'administration et à fermer toutes les activités promouvant la diversité au sein du gouvernement. Ce sont des actions qui reflètent exactement la même vision du monde autoritaire et conservatrice que Poutine représente depuis longtemps – une vision où les droits des minorités sexuelles et de genre, l'État de droit et les « valeurs européennes » symbolisent la faiblesse et la décadence morale.
De nombreux commentateurs de gauche ont mis en garde contre l'idéologie de Trump bien avant sa réélection. Ces avertissements étaient basés, entre autres, sur l'hostilité de Trump envers les droits humains et ses déclarations sur le retrait de l'Accord de Paris sur le climat. Pendant longtemps, les commentateurs officiels de la politique étrangère finlandaise ont soutenu que l'élection de Trump n'apporterait pas de changements significatifs aux relations transatlantiques. Je crois que c'était une erreur de jugement similaire à celle commise avec Poutine. Pendant trop longtemps, la droite a pensé que son autoritarisme et son idéologie ne seraient un problème que pour les minorités vivant en Russie, et que cela n'aurait pas de conséquences en politique étrangère. Dans le cas de la Russie, c'était une mauvaise analyse, et la même erreur est maintenant répétée avec Trump, potentiellement avec des conséquences encore plus importantes.
C'est encore un exemple de la façon dont la droite traditionnelle a permis l'émergence de ces dirigeants autoritaires et des forces d'extrême droite. Leurs politiques économiques ont créé la frustration et la colère que l'extrême droite canalise, et en plus de cela, leur position de compréhension ou d'adoption des politiques de l'extrême droite a permis leur montée au pouvoir et leur normalisation.
Que signifie cette situation politique et l'alliance des forces autoritaires pour l'Europe ?
Il est crucial de comprendre les risques que le renforcement de la vision du monde représentée par Poutine et Trump apporte au monde, à la paix et à la coopération multilatérale fondée sur des règles.
Le monde a besoin urgemment de voix qui agissent comme alternatives à l'idéologie de ces hommes. Le concept d'autonomie stratégique est maintenant encore plus important pour l'Europe, et un concept très utile pour la gauche. Les objectifs clés devraient être la préparation de l'Europe à se tenir sur ses propres pieds, à réduire les dépendances vis-à-vis des États-Unis, et à chercher à promouvoir une paix juste en Ukraine, en tenant compte des défis que les circonstances actuelles présentent pour cet objectif.
Sept conclusions politiques pour l'Europe
Voici les principales conclusions politiques que je crois nécessaires pour l'UE et les États membres :
1. Stratégie « Achetez européen » pour l'industrie de la défense
L'administration Trump a clairement indiqué que l'Europe devrait prendre davantage de responsabilités pour sa propre sécurité et moins compter sur le soutien américain. Faisons-le et commençons par diriger tous les fonds actuellement destinés à l'industrie américaine de l'armement vers l'industrie européenne. Le rapport Draghi a souligné que 63% des achats de défense de l'UE de 2022-2023 sont allés aux États-Unis. Adoptons le principe « Achetez européen » et dirigeons ces fonds entièrement vers l'industrie européenne pour renforcer les capacités européennes aussi rapidement que possible.
2. OTAN européenne – ou une nouvelle alternative
La nouvelle politique étrangère américaine signifie que la confiance aveugle de l'Europe dans son soutien au sein de l'OTAN est exposée comme naïve. Par conséquent, il est temps de développer des structures européennes pour la coopération en matière de défense. Ce travail peut avoir lieu au sein de l'UE, du JEF, de l'OTAN ou de tout autre cadre de coopération similaire, mais l'objectif stratégique clé est de construire des solutions de sécurité européennes basées sur l'Europe, et non sur les États-Unis.
3. Augmentation du soutien à l'Ukraine – si nécessaire, avec une dette commune et incluant l'annulation de la dette souveraine de l'Ukraine
Si et quand Trump réduira le soutien financier et militaire américain à l'Ukraine, l'Europe doit être prête à augmenter son soutien en conséquence. Cela comprend le soutien aux armes, l'aide humanitaire, la coopération au développement et la vaste reconstruction du pays. La Finlande ne devrait pas catégoriquement rejeter la dette commune si elle est nécessaire pour garantir le soutien à l'Ukraine. L'Europe doit également prendre une position négative face aux tentatives américaines d'exploiter les ressources minérales de l'Ukraine. En plus de cela, l'annulation de la dette souveraine de l'Ukraine doit être à l'ordre du jour.
4. Sécurisation d'un possible cessez-le-feu et d'un plan de paix européen
L'une des plus grandes erreurs des dirigeants de l'UE est que l'Europe aurait dû prendre l'initiative et créer son propre plan de paix avec l'Ukraine même avant l'arrivée au pouvoir de Trump. Il est vrai que l'Europe a manqué d'une stratégie claire sur la façon d'assurer une paix juste en Ukraine, mais maintenant cela doit être créé ensemble. Une question clé dans laquelle l'Europe devrait jouer un rôle est d'assurer la sécurité d'un éventuel cessez-le-feu ou accord de paix.
5. Promotion de l'adhésion de l'Ukraine à l'UE avec urgence
Une question cruciale concernant l'avenir de l'Ukraine et la prévention de nouvelles guerres est de savoir à quelle communauté politique ou architecture de sécurité l'Ukraine adhérera. Les États-Unis ont publiquement exclu l'adhésion à l'OTAN, et cela semble également irréaliste étant donné que certaines zones de l'Ukraine resteront probablement sous occupation russe. Pour ces raisons, je considère l'adhésion à l'UE comme l'option la plus viable.
6. L'UE doit changer sa politique pour renforcer les institutions du droit international
L'un des développements les plus dangereux de la politique internationale est l'érosion du droit international et des institutions qui le soutiennent. L'un des principaux contributeurs à cela est l'UE elle-même, qui, en particulier à travers ses politiques sur Gaza, a contribué de manière significative à un monde où les règles peuvent être ignorées quand cela convient. Si l'UE veut assumer le rôle de défenseur des droits humains et du droit international, elle doit commencer par changer ses propres politiques.
7. L'autonomie stratégique et la sécurité sont plus que la simple défense
Comme prévu, les discussions sur le rôle de l'Europe se sont fortement concentrées sur la défense. Cependant, l'autonomie stratégique est bien plus que la défense. La sécurité est plus que la simple défense militaire. Il est extrêmement préoccupant et condamnable que le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, suggère que les États membres de l'UE devraient financer des investissements de défense supplémentaires en réduisant les services de santé ou de sécurité sociale. De telles politiques doivent être catégoriquement rejetées car elles cimenteraient la montée de l'extrême droite en Europe et créeraient ainsi de nouveaux problèmes de sécurité dangereux.
L'Europe doit comprendre à la fois l'importance clé de la dimension sociale pour la sécurité intérieure et la signification plus large de l'autonomie stratégique. Une partie cruciale de la réduction des dépendances concerne, par exemple, la limitation du pouvoir des oligarques de l'économie numérique. En plus d'investir massivement dans le développement des capacités de l'économie numérique européenne et de l'infrastructure de services numériques publics, l'UE doit également maintenir et renforcer la taxation et la réglementation des grandes entreprises de médias sociaux. Elon Musk ne s'oppose pas à la réglementation des plateformes numériques en raison de préoccupations concernant la liberté d'expression, mais parce que cela concerne sa propriété et son pouvoir. Il ne veut aucune restriction à ce sujet. L'énergie est un autre secteur essentiel. L'UE devrait poursuivre la transition verte et promouvoir fortement la réduction des dépendances énergétiques externes.
Nous sommes dans une situation nouvelle et dangereuse dans la politique mondiale, mais nous ne devons pas être confus. Avec la dangereuse coopération entre Trump et Poutine et la montée de l'extrême droite, il y a aussi de la place pour une alternative. Le monde a plus que jamais besoin de voix alternatives, et la gauche doit être en première ligne pour créer ces alternatives.
Li Andersson
Li Andersson est membre du Parlement européen pour l'Alliance de gauche finlandaise.
https://rosalux.nyc/trump-and-putin/
Traduit pour ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74502
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Extrême droite : ascension résistible, lutte impérative

Alors que les commentaires qui ont suivi la condamnation récente de Marine Le Pen (et de nombreux membres de la direction du FN-RN) illustrent une fois de plus la normalisation de l'extrême droite et les complicités dont elle bénéficie dans les champs politique et médiatique, un livre récent – paru aux éditions Amsterdam – fournit un vaste panorama et de nombreuses analyses des différentes dimensions de sa résistible ascension. Ce faisant, il permet de saisir les forces mais aussi les faiblesses de cette famille politique, et d'insister sur le fait que son accession au pouvoir n'a rien d'inévitable.
Tiré de la revue Contretemps
16 avril 2025
Par Ismaël Chanard

Extrême droite : la Résistible ascension (coord. Ugo Palheta), Éditions Amsterdam, 2024
Paru aux éditions Amsterdam en août 2024, Extrême droite : la résistible ascension compile des textes issus de journées d'étude organisées en octobre 2023 par l'Institut La Boétie, institut d'étude et de formation affilié à la France Insoumise.
Coordonné par Ugo Palheta, l'ouvrage se propose d'établir un panorama de l'extrême droite en France afin de mieux la combattre, dans les urnes mais aussi et surtout dans les esprits. Riches de contributions très diverses rédigées par des spécialistes du sujet, ce livre constitue une solide référence sur l'extrême droite française contemporaine mais également une réponse de gauche au contexte national et international particulièrement préoccupant au moment de sa parution (dissolution de l'Assemblée nationale et élections législatives anticipées en France, guerre génocidaire menée par Israël à Gaza).
La première partie du livre intitulée « Conquérir le pouvoir, progression électorale et convergence des blocs », est centrée sur l'analyse de la progression du vote pour le Front National/Rassemblement National (FN/RN) depuis les années 1980. À rebours des analyses largement reprises et diffusées dans les médias grand public sur la « France périphérique » ou de l'idée selon laquelle les classes populaires seraient désormais largement acquises au Rassemblement national (RN), cette partie propose une grille d'analyse plus fine des comportements électoraux.
Néolibéralisme et vote d'extrême-droite, les deux faces d'une même pièce ?
Les politiques néolibérales menées en France par les gouvernements successifs depuis les années 1980 ont fragilisé le statut de salarié et conduit à l'avènement du précariat. En opérant un virage « social » au début des années 2000, le FN/RN a réussi à conquérir une partie de l'électorat populaire en se présentant comme le parti des victimes de la mondialisation.
Toutefois, le parti lepéniste n'a jamais renoncé au néolibéralisme, ne cessant de conspuer l'État social tout en promouvant la responsabilité individuelle. La proposition politique de l'extrême droite repose en effet principalement sur une position défensive, celle de maintenir le statu quo économique et social en faisant reposer les coûts du néolibéralisme sur les fractions les plus précaires et les groupes désignés comme extérieurs à la communauté nationale. Cette stratégie a permis à l'extrême droite de conquérir une partie de l'électorat populaire.
Mais la montée en puissance de l'extrême droite s'explique également par le ralliement d'une partie du « bloc bourgeois », celle-ci s'érigeant en « dernier rempart du néolibéralisme » (p. 38) comme l'analyse Stéfano Palombarini. En effet, le mécontentement populaire vis-à-vis des réformes néolibérales ne permet plus à la bourgeoisie de s'assurer le pouvoir, cela engendrant « la tentation au sein d'une grande partie de la bourgeoisie […] de rallier une extrême droite dont elle ne partage pas toujours les « valeurs », mais qui pourrait bientôt se poser en seule garante des rapports sociaux de domination » (Palombarini, p. 38-40).
La convergence entre bloc bourgeois et bloc d'extrême droite, dont les intérêts divergent mais ayant en partage l'adhésion au néolibéralisme, constitue le principal défi pour la gauche de rupture, seul bloc proposant une sortie du néolibéralisme. Cette convergence des droites est ce qui a permis l'accession au pouvoir de Giorgia Meloni en Italie comme le décrivent Aurélie Dianara et Salvatore Prinzi dans leur contribution.
Classes populaires et vote FN/RN
Les succès électoraux du FN/RN sont généralement attribués à son implantation dans les classes populaires. On peut toutefois relativiser l'adhésion de l'électorat populaire à l'extrême droite.
Commençons par rappeler, comme le souligne Félicien Faury dès l'introduction de son article, que le principal comportement électoral chez les ouvriers reste l'abstention. Yann Le Lann signale par ailleurs que si le vote FN/RN est prépondérant dans les fractions les moins diplômées et les mieux dotées économiquement des ouvriers et des employés, il reste très rare chez les personnes issues de l'immigration et relativement moins développé dans les fractions les plus pauvres de la population.
En tenant compte de critères tels que le type ou la durée du contrat de travail, le niveau de diplôme ou la propriété ou non de son logement, il apparaît que la fragilisation du statut de salarié ne s'exprime pas uniquement par un vote RN/FN : chez un nombre non-négligeable d'employés et d'ouvriers, cela peut également se traduire par un vote en faveur de la France Insoumise.
Dans son article, Yann Le Lann démontre qu'il existe une polarisation du vote des classes populaires, entre extrême-droite et gauche de rupture. Cela ne doit cependant pas être interprété comme un vote « contestataire » qui se distribuerait indifféremment entre extrême-droite et une supposée extrême-gauche : le vote des classes populaires dépend de la structuration de leurs capitaux mais également de la culture politique des individus.
Reprenant les principaux arguments de son travail de thèse mené auprès d'électeurs RN dans la région Sud-Paca [1], Félicien Faury indique que ce ne sont pas tant les classes les plus populaires qui se tournent vers le FN/RN mais les « petites classes moyennes stabilisées » : des individus retraités ou occupant un emploi en CDI dans un secteur peu menacé par la concurrence internationale et généralement propriétaire de leur logement. L'extrême-droite progresse auprès d'électeurs qui ont quelque chose à perdre, tant sur le plan matériel que symbolique, et qui se sentent menacés par le néolibéralisme.
Bien que regroupant des individus issus de milieux sociaux divers, la population étudiée par Félicien Faury présente des caractéristiques communes, à commencer par le territoire de résidence marqué par une forte concurrence résidentielle et la difficulté à accéder à des services publics de qualité. D'autres fractions de l'électorat FN/RN, ne partagent pas nécessairement ces caractéristiques et les déterminants de leur vote répondent à d'autres logiques [2].
Rappelons enfin qu'une proportion non négligeable de la bourgeoisie se range désormais derrière l'extrême-droite comme nous l'avons vu précédemment. Ainsi, le vote FN/RN n'est pas comme on le présente trop souvent un vote populaire contestataire mais bien un vote très interclasse, agrégeant des intérêts de classes antagonistes.
Le racisme, matrice du vote FN/RN
Dès lors, comment expliquer l'hétérogénéité du vote d'extrême-droite ? Pour Stéfano Palombarini, bien qu'ayant différentes attentes, les électeurs RN/FN partagent une même vision idéologique du monde social : en premier lieu, ils sont hostiles à l'État social et à la redistribution des richesses, ce que Félicien Faury qualifie de « ressentiment fiscal ». l'État est accusé d'entretenir une population inactive perçue comme parasitaire.
La mondialisation et la précarisation qu'elle a entraînée a favorisé l'émergence de ce qu'Olivier Schwartz a qualifié de « conscience triangulaire » au sein des classes populaires. Celles-ci ne se situent socialement plus uniquement en distinction de « ceux d'en haut » mais également de « ceux d'en bas ». Ainsi, pour Yann Le Lann « une partie des couches populaires développe une forme de dignité sociale fondée sur la distinction vis-à-vis des migrants comme des chômeurs » (p.52), ces deux catégories étant perçues comme oisives et parasitaires.
Comme l'indique Félicien Faury, le FN/RN entretient et attise cette conscience triangulaire dans une stratégie de racialisation de l'assistanat, articulant affects racistes et rapports de classe. Les immigrés sont désignés comme surnuméraires et improductifs et doivent donc payer les pots cassés du néolibéralisme. Ainsi, si l'adhésion à une vision du monde raciste n'est pas toujours le principal facteur du vote FN/RN n'en reste pas moins un de ses déterminants, la racialisation du monde social étant au cœur de l'idéologie de l'extrême-droite.
La première partie de l'ouvrage nous livre une analyse très précise des comportements électoraux à l'extrême-droite. Mais celle-ci ne progresse pas uniquement dans les urnes : l'extrême-droite gagne du terrain sur le plan de la bataille culturelle comme le montre la deuxième partie de l'ouvrage, intitulée « Mettre au pas la société, les combats culturels de l'extrême-droite ».
Double consensus raciste et falsification de la laïcité
Dans le premier chapitre de cette partie, Ugo Palheta revient sur la construction d'un « double consensus raciste » (p. 89) en France à partir des années 1980. La constitution progressive de l'immigration comme un « problème » puis la désignation des musulmans comme une menace pour la République ont conduit à l'émergence d'un nouveau sens commun anti-immigrés et anti-musulmans. Les partis de gouvernement ont joué un rôle important dans ce processus en acceptant le cadrage d'extrême-droite sur l'immigration puis en falsifiant la laïcité [3] en l'instrumentalisant à des fins islamophobes.
L'entreprise de politisation du racisme qui est celle du FN/RN a donc été permise et amplifiée par « la complicité d'acteurs centraux du jeu politique et médiatique » (p. 95), favorisant la montée en puissance de l'extrême droite en France.
L'extrême-droite entre réaction et appropriation des valeurs libérales
Les extrêmes-droites françaises ont connu une importante restructuration au moment de la « Manif pour tous » en 2012 [4]. Ce mouvement social réactionnaire a permis la rencontre de différents cercles d'extrême-droite et a fait des questions de genre un enjeu central pour ce camp politique : il s'agissait de défendre une vision essentialiste et d'apporter une réponse idéologique à la troisième vague du féminisme. Le discours anti-féministe trouve plus tard son actualisation dans le discours anti-trans qui, comme le montrent Cassandre Begous et Fanny Gallot, réactive les forces politiques fédérées au sein de la « Manif pour Tous ».
Mais l'extrême-droite ne fait pas que rejeter les valeurs libérales : il peut arriver qu'elle se les approprie et les intègre à sa matrice raciste et identitaire. En ce qui concerne l'égalité entre les femmes et les hommes, l'extrême-droite – ainsi qu'une partie des néolibéraux mais également des institutions ou personnalités féministes – opère une racialisation du sexisme [5] conduisant à l'émergence d'un discours fémonationaliste [6]. Comme le montre Charlène Calderaro, plus qu'une instrumentalisation, il s'agit d'une réelle appropriation : l'extrême-droite intègre ces questions de manière cohérente dans son logiciel et leur propose une réponse politique.
Zoé Carle montre dans sa contribution que de la même manière, le FN/RN a dû se positionner vis-à-vis des enjeux climatiques et écologiques, désormais incontournables dans le champ politique. En puisant dans un corpus déjà constitué dans les milieux néopaïens et identitaires, l'extrême-droite défend une « écologie intégrale » ancrée localement et respectueuse du vivant. Ne reposant sur aucune base scientifique, ce cadrage s'inscrit de façon cohérente dans un imaginaire plus large, rejetant la mondialisation et défendant la vie sous toute ses formes (rejoignant ainsi le refus de l'avortement).
Médias et extrême-droite : la fabrique de l'opinion
Deux articles reviennent sur le rôle que jouent les médias sur la diffusion de l'idéologie d'extrême-droite. Dans sa contribution, Samuel Bourron étudie comment la structuration du champ médiatique permet la mise en circulation de concepts d'extrême-droite et impose un cadrage idéologique. En instrumentalisant les faits-divers et grâce à une stratégie de communication efficace, l'extrême-droite est en mesure de générer des paniques morales et ainsi diffuser son discours sécuritaire, réactionnaire et raciste.
Cette diffusion est largement facilitée par le fait que de nombreux médias sont aux mains de grandes fortunes cherchant à faire progresser l'extrême-droite, au premier rang desquelles Vincent Bolloré. Pauline Perrenot propose dans sa contribution d'analyser comment les médias ont d'abord banalisé puis promu les discours d'extrême-droite.
La deuxième partie de l'ouvrage permet d'élargir la focale et de ne pas assimiler l'extrême-droite française au seul FN/RN. Les différentes contributions nous donnent à voir les liens et circulations d'idées qui existent entre la forme électorale et partisane de l'extrême-droite (RN et marginalement Reconquête !) et des mouvements plus informels ou marginaux en capacité de produire une pensée puis de la diffuser plus largement. A ce titre, il semble manquer une contribution portant sur l'influence de l'extrême-droite sur internet et les réseaux sociaux. En effet, une partie importante de la bataille culturelle sur l'hégémonie se joue sur internet où la fachosphère a pignon sur rue pour diffuser ses idées [7].
Intitulée « Maintenir l'ordre bourgeois, des réseaux tissés en complicité avec l'oligarchie », la dernière partie compile différents articles portant sur des sujets divers et donne plutôt l'impression d'un patchwork. Elle s'ouvre par un entretien avec Didier Fassin sur la police rappelant que ce corps est désormais largement acquis au FN/RN et en mesure d'imposer son agenda aux gouvernements qui sont par ailleurs dépendants de celle-ci pour imposer par la force leurs mesures impopulaires et réprimer les mouvements sociaux et de défense de l'environnement.
Figure également un article de Vincent Berthelier sur la notion de style dans la littérature d'extrême-droite française. Dénotant par son sujet, cette contribution signale que bien que les sciences sociales semblent actuellement plus adaptées pour ce qui est de diffuser et défendre des idées, la littérature et son enseignement restent un enjeu politique et ne doivent pas être abandonnés à l'extrême-droite. Outre l'article de Pauline Perrenot sur les médias et la banalisation de l'extrême-droite dont nous avons précédemment traité, deux articles méritent une attention particulière et viennent combler certains manques de l'ouvrage dans son ensemble.
Libertarianisme autoritaire et internationale fasciste
Dans une contribution très riche, Marlène Benquet propose d'analyser la progression de l'extrême-droite non pas du côté de la « demande » politique émanant des électeurs, mais plutôt de « l'offre », c'est-à-dire des partis et de leur structuration.
L'article se propose plus particulièrement d'étudier les liens existant entre milieux d'affaire et réseaux d'extrême-droite : afin de gagner en influence, les partis d'extrême-droite cherchent à donner toujours plus de gages aux milieux d'affaire et les rassurer sur les conséquences économiques et financières dans le cas où ils accéderaient au pouvoir. Il existe ainsi de nombreux et puissants réseaux d'influence ou think tanks financés par les milieux d'affaires et des grandes fortunes œuvrant à faire progresser l'extrême-droite [8].
Pour Benquet, la conversion des milieux d'affaires – auparavant favorables à des politiques libérales et conservatrices – à une doctrine libertarienne autoritaire et réactionnaire s'explique par la transformation des modes d'accumulation. Le capitalisme est passé depuis une vingtaine d'années d'une économie d'endettement administré (première financiarisation) à une seconde financiarisation reposant sur la gestion de capitaux d'autres institutions par des pôles d'accumulation.
Cela a favorisé l'émergence et la diffusion de la doctrine libertarienne autoritaire reposant sur trois principes fondamentaux : la volonté des acteurs économiques de s'émanciper de la régulation étatique et des organisations régionales, la réduction de l'État à sa seule fonction de garant de la propriété privée et la mise en actif des individus et du vivant. Nombre de responsables politiques se sont déjà rangés derrière cette doctrine libertarienne (au premier rang desquels Trump et Milei), rejoints par une part de plus en plus importante de la bourgeoisie et du patronat.
Cet article est un des seuls (avec celui de Aurélie Dianara et Salvatore Prinzi en première partie) à mettre en lumière le fait que l'extrême-droite s'organise à l'échelle internationale, formant ce qu'Ugo Palheta a désigné comme une internationale fasciste [9]. Ce décentrage de la focale permet de contrebalancer la dimension franco-centrée du reste de l'ouvrage.
Le compromis nationaliste entre le RN et les groupuscules violents
La contribution de Mathieu Molard revient sur les liens que continue d'entretenir le FN/RN avec les groupuscules d'extrême-droite extraparlementaires. Le FN repose dès sa création sur l'idée de « compromis national » [10] entre les différentes chapelles d'extrême-droite française sans imposer de cadrage idéologique autre que l'ethno-nationalisme, le culte du chef et un conservatisme réactionnaire.
Le parti offre alors une « maison commune » aux différents courants d'extrême-droite – y compris les plus radicaux et violents – qui continuent d'exister en dehors du jeu électoral. Au sein de l'appareil du parti, les différents courants coexistent et luttent pour imposer leur hégémonie. C'est notamment le cas pour la doctrine identitaire de Dominique Venner ou de la théorie du « Grand Remplacement » de Renaud Camus, toutes deux issues de mouvances extra-parlementaires et désormais reprises par le RN/FN.
Malgré la stratégie de dédiabolisation du parti depuis l'arrivée de Marine Le Pen à sa tête, des liens subsistent entre le FN/RN et les groupuscules violents. C'est notamment le cas de la Cocarde étudiante ou d'anciens responsables du GUD que l'on retrouve parmi les collaborateurs de Marine Le Pen. Bien que tenus publiquement à distance, ces militants violents constituent une force mobilisable lors des campagnes électorales ou pour mener certaines actions de terrain. Ils détiennent également une importante capacité de nuisance lorsqu'il s'agit de mener des campagnes de cyber-harcèlement coordonnées contre telle ou telle personnalité ou organisation.
Cet article nous rappelle que si l'extrême-droite progresse électoralement, elle resurgit également dans nos rues. Que l'on songe à l'expédition punitive à Roman-sur-Isère après la mort de Thomas à Crépol en 2023 : des dizaines de nervis, membres de différents groupuscules fascistes, se sont coordonnés pour organiser une véritable ratonnade. Le soir de la victoire du FN/RN aux élections européennes de 2024, des agressions racistes et LGBTphobes ont été recensées à travers la France. L'extrême-droite représente une menace électorale mais également un danger physique pour un nombre important de personnes, membres de minorités et/ou opposants politiques.
Une résistible ascension ?
L'ensemble des contributions de l'ouvrage nous donnent à voir comment l'extrême-droite progresse en France sur tous les terrains. La lecture donne ainsi parfois le vertige, la victoire lui semblant d'ores et déjà acquise. Ce sentiment est renforcé par le fait que les articles sont avares en propositions stratégiques, se concluant rarement sur des pistes politiques. On pourrait arguer qu'il est nécessaire de bien connaître son ennemi pour le vaincre ou que le rôle des chercheurs n'est pas de proposer un programme d'action. Ces deux arguments se tiennent mais on reste toutefois sur notre faim quant à la promesse tacite du titre du livre, celle de nous convaincre que tout n'est pas perdu.
D'intéressantes réponses sont toutefois à trouver dans la postface de Clémence Guetté, s'inscrivant pleinement dans la stratégie électorale de la France Insoumise. Reprenant la plupart des constats posés précédemment, elle identifie certaines faiblesses de l'extrême-droite et comment celles-ci peuvent être exploitées pour la vaincre.
Le principal danger selon la députée et co-présidente de l'Institut La Boétie n'est pas tant le FN/RN que le processus d'extrême-droitisation de la société française. La gauche ne contrera pas cette évolution en allant sur le terrain de l'extrême-droite ou en acceptant son cadrage idéologique : face à l'extrême-droite, à son racisme et à son autoritarisme, il faut apporter une réponse ferme et intransigeante. En effet, « quand un point de résistance apparaît contre les idées d'extrême-droite, il devient un point de ralliement pour beaucoup » (p.253).
En appelant à la justice après la mort de Nahel Merzouk à l'été 2023 ou en dénonçant le génocide en Palestine, la France Insoumise a offert un espace politique respirable là où le reste des discours était saturé par une rhétorique sécuritaire et islamophobe étouffante. Là où certains dénoncent un opportunisme électoral, il s'agit plutôt de défendre des convictions politiques : comme le souligne Clémence Guetté, l'opportunisme serait justement d'abandonner ces convictions pour aller là où l'on pense que l'opinion publique nous attend.
La lutte contre l'extrême-droite repose également sur la mobilisation du bloc populaire et le ralliement des abstentionnistes, à commencer par la jeunesse et les quartiers populaires. Cela suppose notamment de défendre l'accès aux services publics et de susciter une dynamique d'union populaire via les syndicats, les associations et les habitants des territoires. Cette mobilisation passe par le fait de se saisir de sujets tels que l'antiracisme, la lutte contre les discriminations, le rôle de la police ou l'écologie radicale : « [ce] ne sont pas des repoussoirs. Ce sont des sujets concrets de politisation pour des millions de gens que nous avons besoin de voir entrer dans l'action » (p. 256).
Pour Clémence Guetté, il s'agit par ailleurs de réintroduire un clivage vertical (travailleurs contre patrons) face au clivage horizontal (Français contre immigrés) imposé par l'extrême-droite.
Enfin, la principale force de l'extrême-droite est de capitaliser sur la résignation et l'impossibilité d'imaginer autre chose. La gauche doit alors proposer de nouveaux horizons, un monde désirable et imposer un contre-récit hégémonique.
Pour un antifascisme populaire, partout, tout le temps
Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, Extrême-droite, la résistible ascension est un ouvrage très complet synthétisant des contributions des principaux chercheurs actuels spécialistes de l'extrême-droite. Le livre est riche d'enseignements et constitue une solide introduction aux travaux des contributeurs.
On pourrait regretter une analyse parfois trop centrée sur les enjeux électoraux, l'extrême-droite française étant souvent assimilée au FN/RN. Les pistes stratégiques avancées par Clémence Guetté en postface sont pertinentes mais souffrent également de ce biais : il n'y est que peu question de combattre l'extrême-droite au quotidien, la victoire ne semblant passer que par les urnes (et la France Insoumise). Plutôt que de construire et imposer un contre-récit entre chaque échéance électorale, ne devrions-nous pas multiplier les actes de résistance ?
La gauche doit être présente et identifiable sur tous les terrains pour progresser et faire face à une extrême-droite omniprésente dans les médias. Cela passe par le syndicalisme dans nos entreprises et services publics, le mouvement social et les actions militantes mais aussi l'investissement de collectifs et associations locales. François Ruffin – dont Johann Chapoutot fait à de nombreuses reprises mention dans la préface du livre – a de longue date défendu cette dynamique militante quotidienne et ancrée localement. On regrette qu'il n'ait depuis pas tenu compte d'un autre point fondamental : la gauche ne doit rien céder avec l'extrême-droite, à commencer par l'antiracisme et la solidarité avec les peuples opprimés.
Face à l'extrême-droite, la gauche se doit d'être radicale, c'est-à-dire puiser dans ses racines et construire un antifascisme du quotidien, reposant sur des solidarités de classe et refusant que certains soient laissés derrière.
Notes
[1] Félicien Faury, “Vote FN et implantation partisane dans le Sud-Est de la France : racisme, rapports de classe et politisation”, thèse de doctorat en sciences politiques soutenue en 2021. Cette thèse a donné lieu à la publication d'un livre Des électeurs ordinaires, enquête sur la normalisation de l'extrême-droite, Le Seuil 2024.
[2] Voir notamment Benoît Coquard, Ceux qui restent, La Découverte, 2019.
[3] Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte 2012
[4] Magali Della Sudda, Les nouvelles femmes de droite, Hors d'atteinte, 2022
[5] Christelle Hamel. De la racialisation du sexisme au sexisme identitaire. Migrations Société, 2005
[6] Sara R. Farris, In the Name of Women's Rights. The Rise of Femonationalism, Duke University Press, 2017
[7] On pourra à ce titre se référer au livre de Pierre Plottu et Maxime Macé, Pop fascisme, comment l'extrême-droite a gagné la bataille culturelle sur internet, Divergences, 2024
[8] Citons notamment les réseaux Atlas et Stockholm, think tanks libertariens fédérant de nombreuses organisations. Dans un récent article, l'Observatoire des multinationales alertait sur l'influence grandissante du réseau Atlas en France et en Europe.
[9] Ugo Palheta, La nouvelle internationale fasciste, Textuel, 2022
[10] Mathieu Molard reprend ici la formule de Charles Maurras, figure tutélaire de l'extrême-droite française, qui propose aux différents groupes d'extrême-droite une alliance tactique et circonstancielle en 1934.
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Lettre ouverte de l’APRÈS à l’ensemble des organisations qui composent ou soutiennent le Nouveau Front Populaire.

Chères et chers camarades, la situation politique est extrêmement préoccupante, chacun·e en conviendra. À l'échelle internationale, elle est profondément bouleversée par l'élection de D. Trump. C'est à cette échelle qu'il faut désormais penser l'absolue nécessité de battre l'extrême droite. Pour la France, le choc d'une victoire du Rassemblement national serait catastrophique. Ses effets dépasseraient très largement les frontières nationales.
Publié par L'APRÈS le 08 avril 2025
Or dans les sondages d'opinion, et malgré la condamnation de Marine Le Pen, l'extrême droite atteint aujourd'hui en scores cumulés 45% des voix au premier tour.
Face au néofascime, mesurons l'irresponsabilité qu'il y aurait à considérer que seul importe d'arriver demain le premier ou la première des vaincu·es.
À L'APRÈS, nous ne cessons de plaider pour l'union de la gauche et des écologistes, sur un programme de transformation de la société, en partant de celui qui a fait accord en 2022 avec la NUPES puis en 2024 avec le NFP. Il n'y a pas de raccourci : l'union la plus complète est une condition indispensable pour pouvoir envisager la victoire.
C'est aussi, nous en sommes persuadé·es, la conviction très majoritaire au sein du peuple de gauche, celui qui a su se mobiliser pour battre l'extrême droite aux élections législatives provoquées par la dissolution de l'Assemblée nationale. Nous sommes les 9 millions d'électrices et d'électeurs qui ont placé le NFP en tête !
Dans l'unité de toute la gauche, la victoire est possible. Face au Rassemblement national elle est impérative. La tâche est immense mais le renoncement serait un poison mortel. Or le spectacle désastreux qu'offre la gauche aujourd'hui contribue à faire croître le doute.
Camarades du Parti socialiste, qui allez tenir votre congrès, nous vous conjurons de réaffirmer votre attachement au NFP et le choix de l'unité aux prochaines échéances électorales.
Camarades des Écologistes, gageons que votre congrès sera l'occasion de concrétiser votre choix d'une candidature commune à la prochaine élection présidentielle.
Camarades du PCF, engagez-vous sans tarder dans la dynamique unitaire qui a fait votre histoire depuis le Front populaire.
Camarades de La France Insoumise, renouez avec l'esprit de la NUPES et du NFP dont vous avez été la force première et engagez-vous sans exclusive ni préalable dans la construction d'une candidature commune.
Aucun·e candidat·e, quelles que soient ses qualités, ne réglera par sa seule candidature les difficultés.
Avec Génération·s et Picardie Debout !, conformément à l'objectif que nous nous sommes fixés ensemble depuis plusieurs mois, nous voulons avancer résolument dans la construction d'une force politique commune qui sera un trait d'union du NFP.
Notre objectif : construire un cadre de rassemblement qui inclue l'ensemble des organisations politiques qui ont soutenu le NFP ainsi que les forces sociales, citoyennes, culturelles qui se sont levées l'été dernier.
Il y a urgence à se mettre au travail pour actualiser le programme et proposer un récit commun. Il y a urgence à définir ensemble une méthode de désignation de notre candidature à la présidentielle de 2027 et des candidatures communes dans toutes les circonscriptions aux législatives. Il y a urgence à sortir des divisions et des querelles de l'entre-soi pour s'adresser au pays, ensemble. Mettons-nous en campagne dans l'unité, avec détermination.
Ainsi nous ferons ce à quoi nous a enjoint la jeunesse le soir du 9 juin 2024 : « ne nous trahissez pas ! unissez vous ! », et nous pourrons multiplier les initiatives pour renouer avec la dynamique du NFP, appuyée sur la société civile, notamment autour du 30 juin, où nous pourrions fêter l'anniversaire de son irruption électorale.
L'APRÈS vous propose de nous rencontrer au plus vite pour avancer.
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Allemagne : La balance penche vers la barbarie, mais le socialisme refait surface

L'Allemagne se dirige vers une nouvelle Große Koalition – la coalition entre CDU/CSU (droite conservatrice) et SPD qui a aussi marqué le gouvernement sous Angela Merkel. Mais ce n'est plus la coalition d'antan : un virage à droite des deux partenaires annonce des années sombres pour la justice sociale, la lutte contre l'extrême droite et la défense des droits des migrant·es.
Tiré de Inprecor
14 avril 2025
Par Franziska Meinherz
« Friedrich [Merz – dirigeant de la CDU/CSU] + Alice [Weidel – vice-présidente de l'AfD] : des ami·es bien à droite. Honte à vous ! », manifestation « Main dans la main, nous sommes le pare-feu contre l'extrême droite », Berlin, 16 février 2025
En 2021, Angela Merkel démissionne après 16 ans au pouvoir. Sa démission marque la fin de la coalition CDU/CSU – SPD qui a longtemps dirigé l'Allemagne. Une coalition tripartite entre SPD (parti social-démocrate), Vert·exs et FDP (droite libérale) accède au pouvoir avec le chancelier Scholz. Cette coalition promet un programme de changement et d'innovation radical.
Les Vert·es réussissent à faire aboutir certaines de leurs revendications électorales comme l'abonnement mensuel pour tous les trains régionaux, la sortie du charbon pour 2038, ou l'interdiction d'installer des nouveaux chauffages fossiles. Le SPD réussit à introduire un salaire minimum (certes insuffisant) et à augmenter (très légèrement) l'aide sociale.
Cependant, dès le début, la coalition tripartite est marquée par des conflits et disputes internes. Le FDP fait du frein à l'endettement son cheval de bataille et l'utilise pour bloquer la mise en œuvre de nombreux points de l'accord de coalition. Le taux de soutien à la coalition tripartite chute à 16%.
Les trois partis gouvernementaux perdent ainsi des voix lors des élections européenne de 2024, tandis que l'extrême droite (AfD) sort grande gagnante. Dans une moindre mesure, la droite conservatrice (CDU/CSU) réussit également à améliorer son score.
Par la suite, les partis au pouvoir ainsi que le CDU/CSU effectuent un impressionnant virage à droite. Les ailes néolibérales du SPD et des Vert·exs prennent le devant. Ces partis défendent désormais l'économie allemande (lire : l'industrie automobile), plutôt que les acquis sociaux et la justice sociale et climatique.
Tous les partis membres du parlement fédéral hormis Die Linke (gauche radicale) adoptent un discours anti-migration et entrent dans une compétition rhétorique à « qui peut renvoyer le plus de monde le plus rapidement possible ». Ces discours anti-migrations sont couplés à des discours islamophobes et à une volonté politique de réduire l'immigration des personnes issues de pays musulmans et de faciliter leur renvoi, auxquels se rallient y compris la social-démocratie et les Vert·exs.
La coalition explose en novembre 2024 quand le chancelier Scholz licencie le ministre des finances FDP pour rupture de l'accord de coalition. Dans la même semaine, des documents internes du FDP sont rendus publics. Ils montrent que le parti planifiait lui-même de faire exploser la coalition. Des élections fédérales anticipées sont organisées en février 2025.
Une campagne électorale dominée par une rhétorique anti-migration
La « lutte contre l'immigration incontrôlée » domine la campagne électorale, main dans la main avec un nationalisme décomplexé. Le SPD abreuve les villes et routes principales d'énormes affiches 4×2 mètres montrant leur chancelier Scholz devant un gigantesque drapeau allemand – alors que le fait d'afficher le drapeau national était jusqu'à récemment principalement associé avec les milieux d'extrême droite.
Peu avant les élections, le CDU/CSU propose un texte anti-migration au parlement, dont l'adoption dépend du soutien de l'AfD, brisant par là un tabou et l'accord interpartis de ne jamais constituer des majorités avec ce parti d'extrême-droite. Les médias et la population feignent la grande surprise et des manifestations s'organisent pour dénoncer cette alliance « contre-nature » entre un parti « démocratique » et l'extrême droite. Cependant, Friedrich Merz, chef du CDU/CSU, avait déjà par le passé annoncé être prêt à des coalitions avec l'AfD au niveau communal, et il a successivement aligné le CDU/CSU sur une ligne politique qui a plus de points d'accord que de désaccord avec l'AfD.
Les mois précédant les élections anticipées révèlent également une fois de plus la force et l'influence des réseaux d'extrême droite qui gangrènent l'Allemagne et ses institutions. Lors de rencontres secrètes, qui réunissent des membres de l'AfD et des figures de l'extrême droite autrichienne et suisse, des stratégies électorales et programmes politiques qui misent sur un ethnonationalisme blanc et chrétien sont élaborés. Pendant la campagne électorale, l'AfD reçoit également des discours de soutien d'Elon Musk et de l'ancien Conseiller fédéral suisse Ueli Maurer (UDC), lui-même affilié avec les milieux conspirationnistes d'extrême droite en Suisse.
La fuite vers la droite généralisée renforce avant tout l'extrême droite
La stratégie d'un virage à droite pour faire concurrence à l'AfD, poursuivie par la droite libérale et conservatrice ainsi que par la social-démocratie ne paie pas. L'AfD sort la grande gagnante des élections anticipées. Elle arrive en tête en Allemagne de l'Est, avec des taux entre 35 et 45%, et devient le deuxième parti après le CDU/CSU en Allemagne de l'Ouest, avec des taux entre 15 et 25%. Le SPD perd 1,76 millions de voix au profit du CDU/CSU et 720000 voix au profit de l'AfD, montrant la faiblesse d'une politique sociale-démocrate historiquement plus proche de la droite que de la gauche. Le CDU/CSU perd un millions de voix au profit de l'AfD, montrant qu'un rapprochement rhétorique et politique avec l'extrême droite renforce en premier lieu cette dernière. Les Vert·exs déçoivent leur électorat de gauche qui leur a permis d'entrer au gouvernement en 2021. Leurs pertes alimentent principalement Die Linke.
Parmi les trois partis membres de la coalition sortante, les Vert·exs sont ceux qui perdent le moins de voix (– 3,11%), tandis que le FDP perd 7,1% et le SPD 9,3%. Pourtant, durant la dernière année de la coalition, le FDP et le CDU/CSU ont fait des Vert·exs le bouc émissaire de la stagnation économique, de l'inflation et d'une présupposée augmentation de la criminalité. Mais les électeur·icexs ne sont pas dupes : ce n'est pas la politique climatique qui est à l'origine de la perte du pouvoir d'achat, mais bien le refus du CDU/CSU, FDP et du SPD d'imposer les fortunes et leurs rendements, d'augmenter la progressivité de l'impôt, et d'enterrer le frein à l'endettement.
Le succès de Die Linke, qui arrive en tête à Berlin avec 19,9% mais qui cartonne également en Allemagne de l'Est avec des taux entre 10 et 15% (contre 8,77% au niveau fédéral), montre qu'une politique de gauche conséquente et radicale sait convaincre non seulement la population jeune et urbaine, mais aussi des personnes de la périphérie est-allemande précarisées par le renchérissement et le manque d'investissements dans les services et infrastructures publiques.
Die Linke réussit également à dominer le BSW, un nouveau parti fondé début 2024 par des démissionnaires de Die Linke qui défendent une politique pro-russe qui lie des propositions sociales à une politique anti-migration. Même dans ses fiefs en Allemagne de l'Est, le BSW n'atteint qu'entre 8 et 12%. Au niveau fédéral, il ne parvient pas à entrer au gouvernement. Le FDP est également éjecté non seulement du gouvernement mais aussi du parlement ; signe que la population ne soutient plus le sacro-saint frein à l'endettement qui assèche les services publics et la prive des investissements dont elle a besoin.
Comment combattre la majorité d'extrême droite ?
Malgré le succès de Die Linke, c'est donc l'extrême droite qui sort gagnante : l'AfD en Allemagne de l'Est, et le CDU/CSU, dont les discours sont désormais largement identiques à ceux de l'AfD, en Allemagne de l'Ouest. La nouvelle coalition entre CDU/CSU et SPD qui s'annonce sera dirigée par Friedrich Merz, un chancelier aux discours d'extrême droite, qui promet de fermer les frontières, de renvoyer massivement et qui prévoit si nécessaire de gouverner avec le soutien parlementaire de l'AfD. Le contraste avec la coalition CDU/CSU-SPD dirigée par Merkel ne pourrait pas être plus grand : tandis que la première a surpris l'Europe avec une politique de migration qui misait sur des passages sûrs et une politique d'accueil, l'actuelle représente un régime de frontières meurtrier, des renvois massifs et la stigmatisation des personnes musulmanes et/ou racisées.
Plus que jamais, un militantisme explicitement antiraciste et antifasciste s'impose. Souvent décrit comme un vote de contestation contre la politique économique antisociale du gouvernement sortant, le vote pour l'AfD montre surtout la droitisation de la société allemande. Un sondage récent révèle que plus de la moitié de la population allemande estime que « l'AfD est le seul parti qui adresse l'augmentation de la criminalité et de l'insécurité » et près de la moitié affirme « trouver bien que l'AfD veuille réduire le nombre d'étrangers et de réfugiés ».
Ces avis sont partagés par 99% de l'électorat de l'AfD. Seulement 8% de l'électorat AfD vote pour ce parti en raison de sa politique économique, et 6% en raison de ses propositions contre le renchérissement. Bien que l'AfD est particulièrement fort dans les régions économiquement défavorisées de l'Allemagne de l'Est, il a également massivement recruté dans des circonscriptions aisées en Allemagne de l'Ouest, notamment au sud (Baden-Württemberg et Bavière).
Pour combattre l'extrême droite, il faut certes combattre les politiques néolibérales qui mettent en concurrence les classes travailleuses allemandes et migrantisées, et lutter pour une redistribution des richesses et des meilleurs services publics. Mais les gens votent pour l'extrême droite aussi parce qu'ils adhèrent à ses idées. Il faut donc également lutter contre la normalisation des discours et positions d'extrême droite et contre la fascisation de la société.
Les grandes manifestations contre l'extrême droite en Allemagne n'ont jusqu'à présent pas su se positionner clairement contre les discours racistes et xénophobes ambiants : on y reproduit le discours de l'immigré utile, valorisé pour sa force de travail, au lieu d'insister sur le fait que les immigré·exs sont en premier lieu des êtres humains avec des droits inaliénables. Les premières interventions de la nouvelle fraction parlementaire de Die Linke à ce sujet donnent de l'espoir : ses membres dénoncent explicitement l'islamophobie des autres partis. Espérons que les mobilisations dans les rues deviennent également plus radicalement antiracistes.
Paru le 11 avril dans SolidaritéS
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Empêchons l’expulsion du député de gauche Glauber Braga du Congrès brésilien : Un appel international à la solidarité

Camarades, ceci est un appel à l'action. Le député fédéral Glauber Braga, figure éminente du PSOL (Parti Socialisme et Liberté), l'un des partis les plus combatifs de la gauche brésilienne, fait face à une attaque politique sans précédent. Son mandat est aujourd'hui menacé, non pas pour une quelconque faute éthique ou morale, mais en raison de sa position intransigeante contre la corruption, l'autoritarisme et le détournement des ressources publiques. Glauber est désormais en grève de la faim au sein même du Congrès brésilien, déterminé à résister à cette agression contre la démocratie et la vérité.
Nous appelons les forces progressistes du monde entier à signer le manifeste international de solidarité et à faire monter la pression contre cette persécution politique.
16 avril 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74566
Suivez Glauber Braga pour rester informé de ce combat :
📷 [Instagram - @glauberbraga_oficial](https://www.instagram.com/glauberbraga_oficial/)
📷 [Ministre Paulo Teixeira - @pauloteixeira13](https://www.instagram.com/pauloteixeira13/)
Pourquoi Glauber Braga est-il ciblé ?
La posture combative et l'intégrité éthique de Glauber Braga font de lui une cible pour l'establishment conservateur brésilien. L'acte qui lui vaut aujourd'hui la tentative d'expulsion est sa dénonciation constante du « Budget Secret » (Presupuesto Secreto) — un mécanisme opaque qui permettait à des parlementaires proches de l'ancien président de la Chambre Arthur Lira de distribuer des milliards de fonds publics sans aucun contrôle démocratique. Rien qu'en 2025, plus de 50 milliards de réals (environ 9 milliards d'euros) ont été alloués de manière discrétionnaire par ce biais.
De la tribune du Congrès à la Cour suprême fédérale en passant par les médias, Glauber a dénoncé avec courage ce système corrompu. C'est cela, et non une quelconque faute, qui lui vaut aujourd'hui d'être persécuté.
Son parcours en témoigne : lors de la destitution de l'ancienne présidente Dilma Rousseff, Glauber fut l'un des premiers à dénoncer un coup d'État parlementaire, qualifiant Eduardo Cunha — l'architecte de cette manœuvre — de « gangster ». Il s'est opposé à la persécution judiciaire de Lula, dénonçant Sergio Moro comme un juge corrompu. Lors des débats sur la privatisation de Petrobras, il osa demander à Arthur Lira s'il n'avait pas honte de brader une entreprise stratégique du peuple brésilien.
Oui, je veux attirer l'attention — sur l'injustice »
Glauber ne recule pas. Depuis la salle plénière du Congrès, il a annoncé sa grève de la faim :
« Je suis en grève de la faim après que la Commission d'éthique a recommandé ma destitution. Certains diront que je cherche à attirer l'attention. Oui, c'est exactement ce que je veux : attirer l'attention sur ce qui se passe ici. Cette tentative de m'expulser est directement liée à mes dénonciations du Budget Secret, orchestré par Arthur Lira, qui s'est acheté une maison de 10 millions de réals (environ 1,8 million d'euros), bien au-delà de ses revenus déclarés. Faut-il se taire pendant que des milliards sont manipulés ? Tout le monde ici sait que je suis persécuté. Je pourrais rentrer chez moi et accepter, mais je ne le ferai pas. Aujourd'hui, ils font taire ma voix. Demain, ils feront taire d'autres. Lira a le pouvoir et l'argent, mais il ne peut pas acheter ce que j'ai dans la tête. »
Le véritable « crime » : avoir défendu l'honneur de sa mère
Le prétexte retenu par la Commission d'éthique ? Le 16 avril 2024, un provocateur d'extrême droite est entré au Congrès avec l'intention manifeste de harceler Glauber. Il l'a insulté personnellement et a également proféré des attaques indignes contre sa mère, alors hospitalisée pour la maladie d'Alzheimer et décédée peu après.
En réaction, Glauber a défendu l'honneur de sa mère et a expulsé le provocateur. C'est ce geste, profondément humain, qui lui vaut aujourd'hui une demande d'expulsion du Congrès. Qui parmi nous n'aurait pas fait de même ?
Une procédure truquée, dirigée par les corrompus
La procédure lancée contre lui est truffée d'irrégularités et de conflits d'intérêts. Le rapporteur du dossier, Paulo Magalhães, est lui-même compromis : en 2001, il a agressé un journaliste à l'intérieur du Congrès. Il est donc disqualifié moralement pour juger qui que ce soit. Son rapport est biaisé, truffé d'incohérences, et défend ouvertement Arthur Lira — qui n'est même pas censé être au cœur de cette procédure.
Fait révélateur : Magalhães a lui-même reçu des millions de réals du Budget Secret, ce qui entache toute sa légitimité. Le rapport demandant la destitution de Glauber n'est rien d'autre qu'un rapport acheté.
L'impunité pour l'extrême droite, la sanction maximale pour la gauche
Le contraste est accablant. Voici quelques cas récents passés sous silence :
- Chiquinho Brazão, accusé d'être l'un des commanditaires de l'assassinat de Marielle Franco, est toujours rémunéré comme député, bien qu'en résidence surveillée.
- Delegado Da Cunha, auteur de violences contre son ex-compagne, n'a écopé que d'un blâme jamais lu publiquement.
- Carla Zambelli, qui a poursuivi un journaliste avec une arme à feu en pleine rue pendant la campagne de 2022, n'a jamais été sanctionnée malgré les conclusions du Tribunal suprême fédéral.
- Daniel Silveira, condamné pour avoir incité à des actes antidémocratiques et fait l'apologie de la dictature, n'a été démis de ses fonctions que grâce à la justice, et non à la Commission d'éthique.
Face à ces faits graves, le « cas Glauber » n'est ni un crime ni une faute : c'est un acte de résistance. Et pourtant, c'est lui qu'on veut chasser du Congrès.
Une défense large et historique de Glauber
Ce qui est frappant — et inspirant — dans cette affaire, c'est l'ampleur et l'unité du mouvement de soutien. C'est, de l'avis général, la mobilisation la plus unifiée de la gauche brésilienne depuis des années : toutes les tendances du PSOL, y compris celles rarement d'accord entre elles, se sont ralliées. Des secteurs encore plus à gauche, comme le PSTU, ainsi que des membres du gouvernement Lula, ont aussi pris position. Ce front commun, du radical au modéré, est exceptionnel.
Des figures du PT, comme sa présidente Gleisi Hoffmann, des ministres, ainsi que de nombreux mouvements sociaux sont venus exprimer leur solidarité, certains rendant visite à Glauber sur place, dans le Congrès même, alors qu'il mène sa grève de la faim. Le ministre du Développement agraire, Paulo Teixeira, lui a personnellement témoigné son soutien.
Mais malgré cette vague de soutien, le danger est réel. La droite reste majoritaire à la Chambre des députés et pousse avec vigueur pour que Glauber soit destitué. Ce sont les mêmes forces conservatrices qui ont orchestré la destitution de Dilma Rousseff en 2016 qui mènent aujourd'hui cette offensive.
Et pendant ce temps, le président Lula reste silencieux.
Votre voix compte. Rejoignez le combat.
Nous sommes à un tournant. Glauber Braga est visé non parce qu'il aurait commis une faute, mais parce qu'il dit la vérité et dérange les puissants. Le faire taire créerait un dangereux précédent — pour le Brésil, mais aussi pour toutes celles et ceux qui, dans le monde, luttent contre l'autoritarisme et pour la justice.
La pression internationale peut faire la différence. Votre signature, votre mobilisation, peuvent aider à sauver ce mandat démocratique.
*Signezle manifeste international de solidarité
Ne les laissons pas faire taire l'une des voix les plus courageuses de la gauche brésilienne. Glauber doit rester.
P.-S.
Cet article est compilé à partir de sources et témoignages publiés dans les médias brésiliens.
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Victoire de la droite à l’élection présidentielle en Équateur

En plein cœur d'un état d'urgence décrété la veille de l'élection présidentielle en Équateur, plus de 13 millions d'électeur.rices ont été appelé.es aux urnes le dimanche 13 avril. Avec un taux d'appui de 56 %, le président sortant Daniel Noboa débutera un second mandat à la présidence. L'impact de cette élection est majeur au sein du pays, qui traverse une période de violences extrêmes. Il l'est également à l'échelle internationale, alors que l'administration Trump aux États-Unis bénéficie désormais d'un nouvel allié de droite en Amérique latine.
15 avril 2025 | tiré du Journal des alternatives
https://alter.quebec/victoire-de-la-droite-a-lelection-presidentielle-en-equateur/
https://gauche.media/
En plein cœur d'un état d'urgence décrété la veille de l'élection présidentielle en Équateur, plus de 13 millions d'électeur.rices ont été appelé.es aux urnes le dimanche 13 avril. Avec un taux d'appui de 56 %, le président sortant Daniel Noboa débutera un second mandat à la présidence. L'impact de cette élection est majeur au sein du pays, qui traverse une période de violences extrêmes. Il l'est également à l'échelle internationale, alors que l'administration Trump aux États-Unis bénéficie désormais d'un nouvel allié de droite en Amérique latine.
Les résultats promettaient d'être beaucoup plus serrés entre le président réélu et son opposante Luisa Gonzáles, qui a récolté 44 % des voix au sein du parti Revolución Ciudadana. Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle en février dernier ont favorisé de très peu Noboa (44,17 %) face à González (43,97 %), pour laquelle l'appui est demeuré le même au second tour.
Représentante de gauche et issue du « corréisme » de l'ancien président Rafael Correa, Luisa González aspirait à devenir la première femme à occuper la présidence de l'Équateur et avait misé sur une importante alliance avec les peuples autochtones.
Leónida Iza, président de la Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur (Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador — CONAIE) et troisième candidat en lice à la première ronde de l'élection présidentielle sous les couleurs du parti Pachakutik, avait récemment publiquement appuyé la candidature de González. Il affirmait ne vouloir céder aucun vote à la droite de Noboa (ni un solo voto a la derecha).
Hausse des violences en Équateur
L'élection présidentielle équatorienne a pris place dans un contexte marqué par la violence depuis plusieurs années. Si l'Équateur était connu pour être un des pays d'Amérique latine les plus calmes et stables, le portrait actuel se dissocie de cette image et a été en grande partie façonné par la croissance du narcotrafic. Ayant d'abord profité de l'instauration d'un état d'urgence en 2020 et d'une hausse de la pauvreté chez la population, le crime organisé a progressivement pris de l'ampleur dans le pays.
Du fait de son économie dollarisée et de son positionnement géographique entre la Colombie et le Pérou, où se concentrent les plus grandes productions mondiales de cocaïne, l'Équateur s'est converti en point stratégique pour le développement du narcotrafic.
En 2023, le syndicaliste Fernando Villavicencio, candidat à la présidence ayant tenté de dénoncer l'infiltration des narcotrafiquants dans la campagne électorale, s'est fait assassiner. En 2024, des groupes criminels ont pris le contrôle de plusieurs prisons équatoriennes, et ont même mené une attaque armée contre une chaîne de télévision nationale.
Aujourd'hui, selon les données du ministère de l'Intérieur de l'Équateur, environ 26 homicides y sont commis quotidiennement. Ce nombre dépasse largement celui de 2022 — auparavant considérée l'année la plus violente de l'histoire du pays — où étaient enregistrés 22 homicides par jour.
Consolidation d'un « noboisme » ou rejet du « corréisme » ?
Fils de l'homme le plus riche d'Équateur et héritier d'une centaine d'entreprises d'exportation de bananes, Daniel Noboa est issu de l'oligarchie équatorienne. Il a d'abord été élu à la présidence en 2023 après la destitution de l'ancien président Guillermo Lasseo.
En plus de défendre des positions associées à la droite néolibérale — politiques d'austérité, renforcement de la sécurité nationale et augmentation des investissements privés à l'étranger — Noboa incarne une image de renouveau qui s'oppose fermement au « corréisme » lié à Rafael Correa.
Vaincu en 2017, l'ancien président de gauche continue d'être une figure extrêmement influente et polarisante en Équateur. Si le fait de se présenter comme la successeure de Correa a pu avoir un effet positif sur la candidature de Luisa González, notamment en rappelant une période de stabilité et de réduction de la pauvreté en Équateur, les détracteur.rices de Correa peuvent rapidement associer ses erreurs à la candidate vaincue. La division sociale créée par le « corréisme » en Équateur a eu tendance à s'intensifier lors d'élections présidentielles, et plus précisément au second tour.
Un facteur pouvant avoir influencé le dénouement de l'élection présidentielle équatorienne est l'arrivée de Donald Trump à la tête des États-Unis. Les premiers mois de son administration ont été marqués par le lancement d'une guerre tarifaire mondiale lourde de conséquences économiques pour les individus partout dans le monde, notamment celles et ceux qui détiennent des dollars américains. C'est le cas en Équateur.
Daniel Noboa a rencontré Trump deux semaines avant l'élection présidentielle. En démontrant la construction d'un lien avec le président des États-Unis — qui a rapidement félicité l'arrivée d'un « grand dirigeant pour le merveilleux peuple d'Équateur » sur Truth Social — Noboa se présente comme une figure rassurante et capable de négocier avec la source de la menace.
La candidate de gauche a de son côté refusé de reconnaître le résultat de l'élection présidentielle. Elle dénonce entre autres le décret d'un état d'exception la veille de l'élection et demande un recomptage.
Renforcement de l'administration Trump
L'élection de Daniel Noboa représente à la fois une victoire de la droite latino-américaine et de l'administration Trump, qui semble pour l'instant s'être acquis un nouvel allié en Amérique du Sud. Alors que les liens unissant de nombreux pays aux États-Unis se sont récemment détériorés en raison de la guerre tarifaire lancée par Trump,l'Équateur figure parmi les premiers pays à vouloir réapprofondir sa relation commerciale avec la puissance américaine.
Ce lien entre les deux gouvernements n'est pas tout à fait nouveau. Une grande part de la stratégie de sécurité déployée par Noboa pour adresser la violence et l'insécurité généralisées en Équateur s'est concentrée sur la militarisation du pays pour contrer le narcotrafic, notamment en contractant les mercenaires de l'entreprise militaire américaine Academi (anciennement Blackwater Worldwide).
L'entreprise privée Academi — la plus grande société privée fournissant des services de sécurité et de défense à diverses entités, notamment des gouvernements — a été fondée par le milliardaire Erik Prince, qui a également été secrétaire à l'Éducation dans la première administration Trump. Prince a ouvertement soutenu la candidature de Noboa sur le réseau social X.
Une avancée qui peut forger la résistance
Malgré la défaite électorale de la gauche équatorienne, il importe de reconnaître l'importante mise en commun qui a mené à l'obtention de 44% des voix par Luiza González. Dans un contexte international très peu favorable à l'union des mouvances de gauche, l'alliance conclue entre les partis Revolución Ciudadana et Pachakutik représentait une puissante volonté politique d'unir les mouvements sociaux et les peuples autochtones en Équateur pour avancer vers un but commun.
Une telle entente est historique et n'a qu'un seul antécédent similaire dans le contexte équatorien, soit la coalition de gauche Movimiento Alianza PAIS. Formée en 2006 par Rafael Correa, cette alliance a formé le gouvernement de l'Équateur jusqu'en 2017.
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Haïti : terreur et stratégie de l’impuissance

La suspension des activités de Médecins sans frontières (MSF) dans deux centres de santé et l'assassinat, le 31 mars 2025, de deux sœurs religieuses sont autant de marqueurs de la descente aux enfers d'Haïti. L'Église a réagi en dénonçant l'inaction du pouvoir, dont l'impuissance renvoie à l'histoire du pays et à l'ingérence internationale.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/21/la-double-dette-dhaiti-1825-2025-une-question-actuelle-autres-textes/
Le 31 mars dernier, un nouveau massacre a eu lieu en Haïti. Parmi les victimes figurent Evanette Onezaire et Jeanne Voltaire, deux sœurs catholiques. Une semaine plus tard, à la suite d'une attaque ciblée survenue le 15 mars contre un convoi de MSF, l'organisation a annoncé suspendre ses activités dans deux structures. Ce double événement consacre à la fois l'extension territoriale des gangs au sein et en-dehors de la capitale Port-au-Prince, contrôlée à 85% par les bandes armées, et l'étendue de leur emprise, à laquelle plus aucun espace ni symbole – social, culturel ou religieux – n'échappe.
Ces quatre dernières années, MSF a dû, à plusieurs reprises, suspendre ses activités et déplacer ses centres en fonction des attaques et de l'avancée des gangs. En avril 2021, des hommes lourdement armés étaient entrés, en plein office, dans une église adventiste pour kidnapper quatre personnes. La vidéo avait fait le tour des réseaux sociaux. Une dizaine de jours plus tard, c'est un groupe de sept religieux catholiques, dont deux Français, qui étaient enlevés. Dénonçant la « dictature du kidnapping » par laquelle les gangs s'enrichissent, l'Église catholique avait appelé alors, phénomène inédit, à la grève des écoles, universités et hôpitaux dans son giron afin de protester contre l'insécurité.
Depuis lors, les religieux n'échappent pas à la violence. Dans la nuit de dimanche à lundi, l'église Sacré-Cœur de Turgeau, dans le cœur de la capitale (et où se situait l'un des centres de MSF qui a suspendu ses activités), a été attaquée. À l'instar des autres institutions – publiques, médiatiques (les locaux de trois médias ont été saccagés le mois dernier), culturelles (c'est aujourd'hui la fondation emblématique FOKAL qui risque à tout moment de tomber entre les mains des gangs) –, les églises sont devenues des cibles. Elles n'offrent plus aucun refuge à une population cernée de toutes parts et abandonnée par l'État, qui ne cesse de résister.
Descente aux enfers
De 2021 à aujourd'hui, la même image revient – celle d'une « descente aux enfers » –, la même prière et la même dénonciation de l'inaction des autorités. Ainsi, dans son dernier communiqué, la Conférence haïtienne des religieux a exprimé « sa profonde douleur, mais aussi sa colère devant la situation infrahumaine », critiquant les « soi-disant leaders de ce pays, [qui] tout en s'accrochant au pouvoir, sont de plus en plus impuissants ».
De 2021 à 2025, de l'assassinat du président Jovenel Moïse au Conseil présidentiel de transition actuel, en passant par les deux ans et demi du gouvernement catastrophique d'Ariel Henry, soutenu à bout de bras par la communauté internationale, l'effondrement du pays s'est aggravé et accéléré. Plus d'un million de personnes, dont une majorité de femmes et d'enfants, sont déplacés par la violence et la moitié de la population a besoin d'une aide humanitaire.
Les autorités haïtiennes se succèdent, la violence s'accroit, l'impunité se renforce. L'embargo sur les armes – dont la quasi-totalité provient des Etats-Unis – et le régime de sanctions décidés par l'ONU sont peu ou pas appliqués, tandis que les quelques mille policiers de la mission multinationale armée, sur place depuis des mois, paraissent peu actifs et, de toute façon, inefficaces. L'échéance électorale de cet automne est un mirage auquel, par lâcheté ou intérêt, seules la classe politique haïtienne et la communauté internationale s'accrochent, pour ne pas reconnaître la faillite de la stratégie poursuivie jusqu'à présent. La transition est bloquée et il n'y aura pas d'élections.
À la merci des forces destructrices
À juste titre, l'église dénonce tout à la fois les exactions des gangs armés et l'inaction, sinon la complicité du pouvoir. Mais la passivité et l'indifférence de la classe politique en Haïti sont le pendant de l'interventionnisme de Washington et d'une oligarchie tournant le dos à la population pour mieux répondre aux injonctions internationales. Quelle puissance publique, quelle volonté politique peuvent en effet se déployer dans un pays piégé dans une équation internationale saturée par la dépendance et l'ingérence ?
La matrice néocoloniale s'est cristallisée en 1825 avec l'imposition par la France à son ancienne colonie d'une indemnité de 150 millions de francs pour dédommager les planteurs qui avaient perdus, avec leurs terres et leurs esclaves, toutes leurs richesses. À défaut de pouvoir recoloniser Haïti, on s'assurait de son contrôle. En échange, l'État français « concédait » une indépendance acquise vingt-et-un ans plus tôt, en 1804, à la suite du soulèvement des esclaves et d'une révolution qui avait chassé les troupes napoléoniennes.
Cette rançon contribua à enfermer le pays dans une spirale d'endettement, de crises et d'interventions étrangères. Elle consolida dans le même temps l'élite haïtienne et la logique impériale. Au fil du temps, Washington se substitua à Paris et la dépendance changea de direction. Demeure l'exigence des Haïtiens et Haïtiennes d'obtenir réparation de la France et de se dégager de l'emprise états-unienne.
« L'absence de réaction efficace face à l'insécurité persistante est un échec grave qui met en péril la nation abandonnée à la merci des forces destructrices » affirme la Conférence haïtienne des religieux. Les manifestations contre l'insécurité et la passivité des autorités en place se multiplient ; manifestations lourdement réprimées par la police. Le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) dénonce un « terrorisme d'État, qui, depuis 2018, est établi comme mode de gouvernance » et l'absence de plan des autorités, qui « cantonne l'institution policière dans un rôle de sapeurs-pompiers ». L'impuissance du gouvernement, la terreur des gangs, l'ingérence internationale ne sont pas des fatalités, mais des manières de gouverner dont les Haïtiens et Haïtiennes veulent se libérer.
Frédéric Thomas
https://www.cetri.be/Haiti-terreur-et-strategie-de-l
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Afghanistan : plus de 10% de la population pourrait être privée de soins fin 2025 faute d’aide américaine

Plus de 10 % des habitants d'Afghanistan risquent de ne plus avoir accès aux soins d'ici la fin de l'année 2025 à la suite de l'arrêt de l'aide américaine, a alerté l'Organisation mondiale de la Santé. Le système de santé, déjà affaibli, se retrouve dans une situation critique depuis que les États-Unis ont suspendu leur soutien en janvier. Il y a un mois, l'OMS signalait déjà que 1,6 million de personnes n'avaient plus accès à des soins vitaux en l'absence de financements alternatifs.
Tiré d'El Watan.
Aujourd'hui, ce chiffre s'élève à trois millions de personnes, selon Edwin Ceniza Salvador, représentant de l'organisation en Afghanistan, qui estime que deux à trois millions d'Afghans supplémentaires pourraient bientôt être dans la même situation. Le pays, qui compte environ 45 millions d'habitants, est l'un des plus pauvres du monde. Depuis la fin du financement américain, 364 centres de santé ont déjà fermé et 220 autres sont menacés. L'OMS s'inquiète du risque croissant de décès liés à cette crise sanitaire. Malgré les efforts d'autres donateurs pour compenser l'arrêt du soutien américain, l'écart à combler reste considérable. Les États-Unis, qui étaient jusque-là les premiers contributeurs humanitaires dans le pays, ont supprimé 83 % des programmes de leur agence de développement USAID, représentant 42 % de l'aide humanitaire mondiale consacrée à l'Afghanistan.
En parallèle, la situation migratoire s'aggrave. Près de 60 000 Afghans ont été contraints de retourner dans leur pays entre le 1er et le 13 avril après l'annonce par le Pakistan d'une campagne d'expulsion massive visant des centaines de milliers de migrants. L'Organisation internationale pour les migrations a précisé que ces retours se sont effectués principalement via les postes-frontières de Torkham et de Spin Boldak. Avec ces retours massifs, les besoins humanitaires explosent, notamment dans les régions frontalières et les zones d'accueil déjà sous pression, selon Mihyung Park, responsable de l'OIM en Afghanistan.
Actuellement, trois millions d'Afghans vivent au Pakistan. Parmi eux, 800 000 ont perdu leur carte de résident en avril, tandis que 1,3 million bénéficient encore d'un permis de séjour temporaire valide jusqu'au 30 juin grâce à leur enregistrement auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Les autres vivent sans papiers officiels, dans une grande précarité.
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Sri Lanka : Fabriqué au Sri Lanka, taxé en Amérique et abandonné par le FMI

Le 2 avril 2025, le président américain Donald Trump a annoncé les tarifs douaniers du « Jour de la Libération », imposant des mesures commerciales aux partenaires du monde entier. Cette politique comprenait un tarif de base de 10% sur toutes les importations, ainsi que des « tarifs réciproques » stricts et spécifiques à chaque pays, visant à reproduire les tarifs que ces pays ont imposés sur les exportations américaines. Le Sri Lanka, un pays fortement dépendant des exportations de vêtements vers les États-Unis, a été frappé par un tarif stupéfiant de 44%.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Publié en anglais dans Polity. Source de l'image.
Cette décision a envoyé des ondes de choc à travers l'industrie des vêtements prêts-à-porter (RMG) de cette nation insulaire, un secteur qui emploie 15% de la main-d'œuvre industrielle totale du pays, dont beaucoup de femmes, et contribue significativement aux recettes d'exportation et au PIB (Sri Lanka Export Development Board 2025). Au-delà du secteur de l'habillement, les répercussions économiques pourraient être vastes et profondes. Une baisse des exportations de vêtements mettrait à rude épreuve les revenus en devises étrangères du Sri Lanka, élargirait son déficit commercial et exercerait une pression à la baisse sur la roupie. Une monnaie plus faible, à son tour, augmente le coût des importations, entraînant une inflation plus élevée et faisant monter le coût de la vie. L'effet combiné des pertes d'emplois, de la baisse des recettes d'exportation et de l'augmentation des coûts pourrait faire passer le Sri Lanka d'une position déjà fragile à une crise économique et financière encore plus profonde.
« L'Amérique d'abord » ou effondrement économique ? Analyse de la guerre tarifaire de Trump
La décision de Trump d'imposer des tarifs douaniers étendus, même sur des « pays amis » comme le Sri Lanka, est mieux comprise à travers le prisme du populisme de droite et de la crise structurelle du capitalisme américain. Sa stratégie politique s'est constamment appuyée sur le populisme de droite, qui se nourrit de rhétorique nationaliste, de protectionnisme économique et de la représentation des nations étrangères, qu'elles soient alliées ou rivales, comme des menaces économiques pour les travailleurs américains. En imposant des tarifs sans discrimination, Trump renforce son image de défenseur de l'industrie manufacturière américaine et des emplois face à la mondialisation. Il a capitalisé sur la colère populaire, particulièrement parmi sa base électorale de la classe ouvrière, tout en ignorant commodément le rôle joué par les puissantes entreprises américaines dans l'exploitation des règles du libre-échange pour délocaliser leurs opérations à la recherche de profits plus élevés, une pratique qui est le résultat direct des incitations capitalistes et des politiques économiques néolibérales qui ont encouragé de tels comportements (O'Connor 2020). De plus, Trump a déformé la compréhension publique de la question en la présentant comme si d'autres pays « profitaient » et « escroquaient » les États-Unis (Dillon 2018). Cette guerre tarifaire permet à Trump de maintenir sa légitimité politique en démontrant son engagement envers les politiques « L'Amérique d'abord », même si elles perturbent des relations économiques de longue date (The White House 2025).
D'un point de vue systémique, la guerre tarifaire peut également être comprise dans la logique du capital, particulièrement la tendance à la baisse du taux de profit, une contradiction clé du capitalisme identifiée par les économistes marxistes (Harvey 2010). Au cours des dernières décennies, le capitalisme américain a fait face à des crises de rentabilité résultant de la délocalisation de la production vers des marchés du travail moins chers, des avancées technologiques, etc., et le pays a continué à s'appuyer de plus en plus sur la spéculation financière, la croissance tirée par la dette et des stratégies géopolitiques pour maintenir les profits (Foster et McChesney 2012). Dans ce contexte, les tarifs protectionnistes fonctionnent comme une tentative de reconfigurer le commerce mondial en faveur du capital américain en extrayant de meilleures conditions commerciales par la coercition économique. Même les tarifs sur les nations amies servent cette stratégie plus large : ils font pression sur les exportateurs étrangers pour qu'ils absorbent les coûts ou négocient des concessions qui, en fin de compte, profitent au capital américain.
Quand les rêves néolibéraux rencontrent le cauchemar tarifaire de Trump
La guerre tarifaire de Trump, en particulier le sévère tarif de 44% sur les exportations du Sri Lanka, justifie les critiques de gauche concernant la dépendance du gouvernement du Pouvoir Populaire National (NPP) aux prescriptions néolibérales soutenues par le FMI et à un modèle de croissance tiré par les exportations. Les prévisions budgétaires 2025 du gouvernement NPP dépendent fortement d'une reprise des recettes d'exportation, notamment du secteur de l'habillement, pour soutenir la consolidation budgétaire et financer les services publics essentiels. Selon la dernière politique commerciale et d'exportation du Sri Lanka, le gouvernement vise à atteindre un revenu annuel d'exportation de 18,2 milliards USD d'ici 2025, le secteur de l'habillement devant être le principal moteur, ciblant 5,2 milliards USD de revenus (Rizkiya 2025). Cependant, avec le plus grand marché d'habillement du Sri Lanka désormais effectivement fermé par un tarif de 44%, ces projections d'exportation deviennent rapidement irréalistes. Cela confirme ce que la gauche a longtemps soutenu : qu'une économie liée à la demande externe et aux flux de capitaux mondiaux est intrinsèquement instable, particulièrement lorsqu'elle est soumise à des politiques commerciales impérialistes et aux caprices de pays puissants comme les États-Unis (Chang 2002 ; Rodrik 2007). Au lieu d'isoler le pays des chocs externes, le cadre néolibéral axé sur les exportations du FMI a rendu le Sri Lanka plus dépendant et vulnérable.
De plus, le programme du FMI est fondé sur la restructuration de la dette souveraine du Sri Lanka, largement détenue par des créanciers étrangers. Pour gagner leur confiance, le gouvernement a été contraint de s'engager à des objectifs fiscaux ambitieux grâce à l'augmentation des revenus provenant des exportations (Fitch Wire 2025). Cependant, avec ces revenus maintenant menacés, le Sri Lanka risque de ne pas atteindre ses objectifs budgétaires et de service de la dette, mettant en péril le processus de restructuration et risquant plus d'instabilité, voire un défaut de paiement. Cela met en évidence une autre critique fondamentale de la gauche : la perte de souveraineté dans le cadre de la restructuration dirigée par le FMI, où les priorités nationales sont subordonnées aux exigences des créanciers et des marchés mondiaux (Stiglitz 2002).
Conclusion
La guerre tarifaire de Trump fait plus que causer des dommages à l'économie d'exportation du Sri Lanka. Elle expose les failles profondes et structurelles du néolibéralisme dirigé par le FMI. Comme l'affirme Ha-Joon Chang (2002), des pays riches comme la Grande-Bretagne et les États-Unis se sont industrialisés grâce à une utilisation intensive de politiques protectionnistes et d'intervention étatique, pour ensuite « retirer l'échelle » et faire pression sur les pays en développement pour qu'ils adoptent le libre-échange. Chang rejette l'affirmation néolibérale selon laquelle « Il n'y a pas d'alternative », soulignant plutôt que la mondialisation et le développement économique sont façonnés davantage par des décisions politiques que par une inévitabilité technologique (Chang 2007).
La gauche s'appuie sur cette critique en soutenant que les réussites en matière de développement ne sont pas issues de l'orthodoxie du marché libre, mais d'un mélange pragmatique de protectionnisme, d'entreprises publiques et de flexibilité stratégique. Par exemple, le développement rapide de la Corée du Sud a impliqué une forte direction gouvernementale, une politique industrielle et une approche sélective de la mondialisation (Chang 2002). Ils rejettent également l'économie du ruissellement, dont Thomas Piketty (2014) a montré qu'elle approfondit les inégalités plutôt que de promouvoir une prospérité partagée. De même, Dani Rodrik (2007) démontre que les pays qui ont ouvert leurs économies progressivement et selon leurs propres termes ont connu un développement plus stable et équitable que ceux qui ont suivi une libéralisation complète sous la pression du FMI ou de la Banque mondiale.
Des critiques comme Stiglitz (2002) et Chang (2007) avertissent que le libre-échange, dans sa forme actuelle, tend à privilégier les gains à court terme en matière de consommation tout en sapant les fondements structurels du développement à long terme. Il exacerbe souvent les inégalités et érode les industries nationales. En même temps, les institutions financières internationales comme le FMI appliquent un double standard : alors que les économies avancées déploient des stimuli fiscaux et une expansion monétaire pendant les ralentissements économiques, les pays en développement sont poussés vers l'austérité. Ces mesures, telles que l'augmentation des taux d'intérêt et la réduction des dépenses publiques, suppriment directement l'investissement, la croissance et l'emploi (Stiglitz 2002 ; Weisbrot et al. 2009).
Dans cette optique, les tarifs du « Jour de la Libération » sur le Sri Lanka ne sont pas seulement un événement économique, mais un tournant politique. Ils mettent à nu à quel point le modèle néolibéral actuel est dicté de l'extérieur et vulnérable. C'est un signal d'alarme pour le gouvernement du Pouvoir Populaire National. L'argument de longue date de la gauche résonne maintenant plus que jamais : la véritable reprise ne peut pas venir de la poursuite de marchés d'exportation volatils ou de la dépendance aux prêts étrangers. Au contraire, elle nécessite de reconstruire la souveraineté économique par la production nationale, la sécurité alimentaire et énergétique, et le contrôle démocratique sur la politique fiscale.
Dans un monde de plus en plus façonné par le protectionnisme et le nationalisme économique, le Sri Lanka doit repenser sa voie. La poursuite d'une croissance tirée par les exportations au détriment de la résilience nationale n'est plus défendable. Un modèle de développement enraciné dans l'équité, la durabilité et l'autonomie n'est pas seulement possible, il est crucial.
Taniya Silvapulle est chercheur à l'Association des Scientifiques Sociaux.
Références
Chang, Ha-Joon. (2002). Kicking Away the Ladder : Development Strategy in Historical Perspective. Londres : Anthem Press.
Chang, Ha-Joon. (2007). Bad Samaritans : The Myth of Free Trade and the Secret History of Capitalism. New York : Bloomsbury Press.
Dillon, Sara A. (2018). « Getting the 'message' on free trade : Globalization, jobs and the world according to Trump. » Santa Clara Journal of International Law 16 (2) : 1-44. Disponible sur https://digitalcommons.law.scu.edu/scujil/vol16/iss2/1/
Fitch Wire. (2025). « Sri Lanka's revenue raising drive key to credit profile. » Fitch Ratings (19 février). Consulté le 04/04/2025. Disponible sur https://www.fitchratings.com/research/sovereigns/sri-lankas-revenue-raising-drive-key-to-credit-profile-19-02-2025
Foster, John Bellamy, et McChesney, Robert W. (2012). The Endless Crisis : How Monopoly-Finance Capital Produces Stagnation and Upheaval from the USA to China. New York : Monthly Review Press.
Harvey, D. (2010). The Enigma of Capital and the Crises of Capitalism. New York : Oxford University Press.
O'Connor, Brendon. (2020). « Who exactly is Trump's 'base' ? Why white, working-class voters could be key to the US election. » The Conversation (28 octobre) : https://theconversation.com/who-exactly-is-trumps-base-why-white-working-class-voters-could-be-key-to-the-us-election-147267
Piketty, T. (2014). Le Capital au XXIe siècle. Traduit par Arthur Goldhammer. Londres : Harvard University Press.
Rizkiya, Nuzla. (2025). « Sri Lanka aims US$ 18.2bn in export revenue for 2025. » Daily Mirror (17 janvier) : https://www.dailymirror.lk/business-news/Sri-Lanka-aims-US-18-2bn-in-export-revenue-for-2025/273-300272
Rodrik, Dani. (2007). One Economics, Many Recipes : Globalization, Institutions, and Economic Growth. New Jersey : Princeton University Press.
Sri Lanka Export Development Board. (2025). « Sri Lankan apparel industry capability. » Consulté le 05/04/2025. Disponible sur https://www.srilankabusiness.com/apparel/about/industry-capability.html?utm
Stiglitz, Joseph E. (2002). Globalization and Its Discontents. New York : W.W. Norton & Company.
Weisbrot, Mark, Rebecca Ray, Jake Johnston, Jose Antonio Cordero, et Juan Antonio Montecino. (2009). IMF-Supported Macroeconomic Policies and the World Recession : A Look at Forty-One Borrowing Countries. Washington, D.C. : Center for Economic and Policy Research (CEPR). Disponible sur https://cepr.net/publications/imf-supported-macroeconomic-policies-and-the-world-recession-a-look-at-forty-one-borrowing-countries/
The White House. (2025). « America First Investment Policy. » (21 février). Consulté le 04/04/2025. Disponible sur https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/02/america-first-investment-policy/
Taniya Silvapulle
Traduit pour l'ESSF par Adam Novak
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Syrie : le fragile redémarrage post-Assad

Après plus de dix ans de guerre civile, la population est confrontée à un processus de relance et de reconstruction extrêmement complexe. Les premières mesures prises par le gouvernement en témoignent.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Source - Istituto per gli studi di politica internazionale, 18 avril 2025.
La chute du régime d'Assad en décembre 2024 avait rallumé l'espoir d'un avenir meilleur pour la Syrie. Cependant, après seulement quelques mois, de nombreuses difficultés sont apparues ou se sont aggravées : fragmentation territoriale et politique, ingérence et occupation par des forces étrangères, tensions sectaires, en particulier après le massacre des Alaouites dans la région côtière, et absence d'une transition politique inclusive et démocratique. Ces dynamiques constituent autant d'obstacles à une reprise économique et à un processus de reconstruction, tous deux urgents et nécessaires.
Les difficultés actuelles
Plus de la moitié des Syriens sont toujours des personnes déplacées, à l'intérieur du pays ou à l'étranger. 90 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, selon les Nations unies, 16,7 millions de personnes – soit trois sur quatre – se sont trouvées dans le besoin d'une aide humanitaire.
L'amélioration des conditions socio-économiques est donc déterminante tant pour l'avenir de la Syrie que pour que la population syrienne s'implique davantage dans la transition politique actuelle. De plus, la reprise et la reconstruction nécessiteront l'aide financière internationale.
On estime que le coût de la reconstruction de la Syrie se situera entre 250 et 400 milliards de dollars. L'aide financière internationale, associée à l'implication de l'État, devrait être utilisée pour reconstruire les logements des populations déplacées et relancer les secteurs productifs de l'économie, en évitant d'alimenter les dynamiques spéculatives et commerciales.
Les investissements étrangers restent toutefois entravés par les sanctions imposées à la Syrie et à Hayat Tahrir Cham (HTC). Fin février 2025, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont suspendu les sanctions visant certains secteurs et certaines institutions syriennes. Les sanctions américaines de grande ampleur restent le principal obstacle. En janvier, l'administration Biden a assoupli celles qui frappaient le secteur énergétique et les transferts de fonds personnels. La nouvelle administration Trump, en revanche, n'a pas encore défini de politique claire à l'égard de la Syrie ni de position sur les sanctions.
Cela dit, même abstraction faite de ces mesures restrictives, la Syrie est confrontée à de profonds problèmes économiques structurels qui ralentissent la reprise économique et compromettent les perspectives d'avenir du processus de reconstruction.
L'instabilité de la livre syrienne (SYP) pose un autre problème important. Au lendemain de la chute du régime d'Assad, sa valeur sur le marché noir a grimpé en flèche en raison de l'afflux de devises étrangères, des anticipations d'un soutien de la part d'acteurs régionaux et occidentaux, des politiques monétaires visant à réduire l'offre de SYP sur le marché et de la dollarisation informelle. Mais le chemin vers la stabilisation de la SYP est encore long, ce qui décourage les investisseurs à la recherche de rendements rapides ou à moyen terme.
En outre, certaines régions du nord-ouest utilisent depuis plusieurs années la livre turque pour stabiliser les marchés affectés par la forte dépréciation de la SYP. Le dollar américain est également largement utilisé dans le pays. La réintroduction de la SYP comme monnaie principale pourrait donc s'avérer problématique dans un contexte d'instabilité.
Les infrastructures et les réseaux de transport syriens sont encore sévèrement endommagés. Les coûts de production sont élevés et de graves pénuries de biens essentiels et de ressources énergétiques persistent. La Syrie souffre également d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée et la question de savoir si et quand ces travailleurs spécialisés reviendront reste ouverte.
Le secteur privé, composé principalement de petites et moyennes entreprises aux capacités limitées, doit encore faire l'objet d'une modernisation et d'une restructuration importantes après plus de treize ans de guerre et de destruction. Les ressources publiques sont également très réduites, ce qui limite encore davantage les possibilités d'investissement dans l'économie.
Les principales ressources pétrolières syriennes sont concentrées dans le nord-est du pays, actuellement sous le contrôle de l'Administration autonome du nord-est de la Syrie (AANES) à direction kurde. Un accord récent entre la présidence syrienne et l'AANES devrait faciliter l'accès de Damas à ces ressources. Cependant, la production syrienne de pétrole et de gaz naturel a continué de baisser considérablement depuis 2011. La production de pétrole est passée de 385 000 barils par jour en 2010 à 110 000 au début de 2025, une quantité largement insuffisante pour répondre aux besoins locaux. Avant la chute d'Assad, la Syrie était en grande partie approvisionnée en pétrole par l'Iran, mais ce soutien a depuis cessé.
Avec l'augmentation continue du coût de la vie et la dévaluation de la SYP, les Syriens sont devenus de plus en plus dépendants des envois de fonds. Le volume de ces derniers est supérieur à la fois aux investissements directs étrangers en Syrie, qui ont été minimes depuis 2011, et à l'aide humanitaire, qui a dépassé en moyenne 2 milliards de dollars par an ces dernières années.
Les premières décisions
Dans le même temps, l'orientation et les décisions économiques du gouvernement, qui outrepassent son mandat temporaire et imposent ou promeuvent sa vision économique comme modèle d'avenir pour la Syrie, consolident et accélèrent la mise en place d'un modèle néolibéral, accompagné de mesures d'austérité. Cette politique favorise principalement les intérêts des classes entrepreneuriales. Le chef du HTC, Ahmad al-Charaa, et ses ministres ont en effet organisé de nombreuses rencontres avec des hommes d'affaires syriens, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, afin de leur exposer leurs visions économiques et d'écouter leurs demandes, dans le but de satisfaire leurs intérêts.
En outre, des signes concordants indiquent que le HTS accélère le processus de privatisation et met en œuvre des mesures d'austérité dans le pays. Avant sa participation au Forum économique mondial de Davos, le ministre syrien des Affaires étrangères, Asaad al-Chaibani, a déclaré au Financial Times que les nouveaux dirigeants avaient l'intention de privatiser les ports et les entreprises publiques, d'attirer les investissements étrangers et d'accroître le commerce international. Il a également ajouté que le gouvernement « étudiera les partenariats public-privé afin d'encourager les investissements dans les aéroports, les chemins de fer et les routes ».
En ce qui concerne les mesures d'austérité, de nombreuses décisions ont déjà été prises. Le prix du pain subventionné a été augmenté de 400 SYP (pour 1100 grammes) à 4 000 SYP (initialement pour 1500g, ensuite ramené à 1200g). Au cours des mois suivants, la fin des subventions pour le pain a été annoncée, dans le cadre de la libéralisation du marché. Quelques semaines plus tard, le ministre de l'Électricité, Omar Shaqrouq, a déclaré dans une interview accordée en janvier 2025 au site The Syria Report que le gouvernement prévoyait une réduction progressive, voire même la suppression, des subventions sur l'électricité, car « les prix actuels sont très bas, inférieurs à leur coût, mais seulement de manière progressive et à condition que les revenus moyens augmentent ». Actuellement, l'approvisionnement en électricité du réseau public dans les principales villes du pays ne dépasse pas deux heures par jour. Dans le même temps, le prix de la bouteille de gaz domestique subventionnée a été augmenté de 25 000 SYP (2,1 dollars) à 150 000 SYP (12,5 dollars), ce qui a de graves répercussions pour les familles.
En outre, le ministre de l'Économie et du Commerce extérieur a annoncé le licenciement d'un quart ou d'un tiers du personnel de l'État, ce qui correspond aux employé.e.s qui, selon les nouvelles autorités, percevaient un salaire sans travailler. À l'heure actuelle, il n'y a pas d'estimation du nombre total de travailleurs licenciés, alors que certain.e.s employé.e.s sont en congé payé pendant trois mois dans l'attente d'éclaircissements sur leur situation professionnelle réelle. À la suite de cette mesure, des protestations de travailleurs licenciés ou suspendus ont éclaté dans tout le pays.
Bien qu'une augmentation de 400 % des salaires des travailleurs ait été annoncée pour février 2025, portant le salaire minimum à 1 123 560 SYP (environ 93,6 dollars), cette mesure, qui n'a pas encore été mise en œuvre, reste insuffisante pour faire face à l'augmentation du coût de la vie. Selon les estimations du quotidien Kassioun à la fin du mois de mars 2025, le coût minimum de la vie pour une famille syrienne de cinq personnes résidant à Damas s'élève à 8 millions de livres syriennes par mois (soit l'équivalent de 666 dollars). [1]
Fin janvier 2025, Damas a réduit les droits de douane sur plus de 260 produits turcs. Les exportations turques vers la Syrie au premier trimestre de cette année se sont élevées à environ 508 millions de dollars, soit une augmentation de 31,2 % par rapport à la même période en 2024 (près de 387 millions), selon le ministère turc du commerce. Les responsables syriens et turcs ont également exprimé leur volonté de rouvrir les négociations sur l'accord de libre-échange entre la Syrie et la Turquie de 2005, suspendu depuis 2011, dans le but d'élargir la coopération économique. Toutefois, cela pourrait avoir un impact négatif sur la production nationale syrienne, en particulier dans les secteurs manufacturier et agricole, qui pourrait avoir du mal à soutenir la concurrence des importations turques. L'accord précédent, conclu en 2005, avait eu des effets dévastateurs sur l'industrie locale, entraînant la fermeture de nombreuses usines, notamment dans les banlieues des grandes villes.
En conclusion, la Syrie est confrontée à des défis socio-économiques pressants. Dans un tel contexte, les problèmes sociaux et économiques doivent être traités rapidement afin d'améliorer les conditions de vie et la faculté de la population à participer à la vie politique pendant la période de transition. Cependant, l'orientation économique et politique du nouveau gouvernement, caractérisée par une volonté de libéralisation accrue, de privatisation, d'austérité et de réduction des subventions, ne fera qu'accroître les inégalités sociales, l'appauvrissement, la concentration des richesses entre les mains d'une minorité et l'absence de développement productif, autant d'éléments qui ont été à l'origine du soulèvement populaire de 2011.
Joseph Daher
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde.
Notes
[1] À la veille du ramadan, le Conseil norvégien pour les réfugiés a interrogé diverses personnes avec des revenus différents, qui ont estimé que le coût mensuel de la nourriture, du loyer et des services publics s'élevait à 3 millions de livres syriennes, soit 300 dollars américains, par famille, principalement en raison de la fluctuation constante du taux de change et de la volatilité du marché.
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L’armée israélienne transforme 30 % de la bande de Gaza en zone tampon, un demi-million de personnes sont déplacées et des dizaines d’autres sont tuées

L'armée israélienne affirme avoir transformé 30 % de la bande de Gaza en « zone tampon », tandis que l'ONU déclare qu'un demi-million de Gazaouis ont été déplacés depuis mars.
Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : A Deir al-Balah, les gens se réfugient dans un espace extrêmement surpeuplé, 3 juin 2024 © UNRWA
L'armée israélienne a annoncé que ses forces avaient pris le contrôle d'environ 30 % de la bande de Gaza, la transformant en un « périmètre de sécurité opérationnel », alors que l'agence de défense civile de Gaza a déclaré qu'au moins 37 personnes, dont la plupart se trouvaient dans des campements de civils déplacés, avaient été tuées lors d'attaques israéliennes jeudi.
L'armée a également affirmé dans un communiqué avoir attaqué environ 1 200 « cibles terroristes » depuis les airs et mené plus de 100 autres opérations ciblées depuis qu'elle a violé l'accord de cessez-le-feu et repris la guerre contre la bande de Gaza le 18 mars.
Elle a ajouté que la zone tampon élargie a permis à Israël de « parvenir à un contrôle opérationnel total sur plusieurs zones et itinéraires clés de la bande de Gaza ».
Parallèlement, les Nations unies ont indiqué qu'environ 500 000 Palestiniens ont été déplacés depuis la fin du cessez-le-feu à Gaza, lorsqu'Israël a repris ses attaques militaires sur le territoire palestinien dévasté.
« Nos partenaires humanitaires estiment que depuis le 18 mars, environ un demi-million de personnes ont été nouvellement déplacées ou déracinées une fois de plus », a déclaré mercredi Stéphanie Tremblay, porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres.
Plus petit et plus isolé
Israël a également déclaré qu'il continuerait à empêcher l'entrée de l'aide humanitaire dans l'enclave, malgré les avertissements de plus en plus nombreux des groupes de défense des droits humains concernant des conditions proches de la famine, les produits de première nécessité venant rapidement à manquer.
« La politique d'Israël est claire : aucune aide humanitaire n'entrera à Gaza », a réaffirmé le ministre israélien de la défense, Israël Katz, ajoutant que le blocage de l'aide était « l'un des principaux outils de pression » utilisés contre le Hamas.
L'armée laisse également la bande de Gaza « plus petite et plus isolée », a-t-il poursuivi.
Un groupe d'activistes israéliens, Breaking the Silence, a condamné ces commentaires dans un message sur X, déclarant que la soi-disant « zone tampon » était un « nettoyage ethnique à grande échelle ».
La diminution des ressources à Gaza, associée au blocus de l'aide, a entraîné une augmentation de la malnutrition aiguë chez les enfants, a déclaré l'OCHA, l'agence des Nations unies pour les affaires humanitaires.
L'organisation a déclaré le mois dernier qu'au moins 3 696 enfants palestiniens avaient été diagnostiqués comme souffrant de malnutrition aiguë.
Le bureau du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a également publié une déclaration mercredi soir, indiquant qu'il avait demandé à son équipe de négociation de poursuivre ses efforts pour obtenir la libération des prisonniers détenus à Gaza.
Il a ajouté que M. Netanyahu avait procédé à une « évaluation de la situation » par téléphone avec l'équipe de négociation et les responsables des services de sécurité, et qu'il leur avait demandé de poursuivre « les démarches visant à faire avancer la libération des captifs ».
Des dizaines d'habitants de Gaza tués dans des frappes
L'agence de défense civile de Gaza a déclaré jeudi que 37 personnes avaient été tuées dans les frappes israéliennes, la plupart d'entre elles étant des personnes déplacées qui s'abritaient dans des tentes dans le territoire dévasté.
Les survivants ont décrit une forte explosion dans le campement densément peuplé qui a mis le feu à plusieurs tentes.
« Nous étions assis paisiblement dans la tente, sous la protection de Dieu, quand nous avons soudain vu quelque chose de rouge qui brillait, puis la tente a explosé et les tentes environnantes ont pris feu », a déclaré à l'AFP Israa Abu al-Rus.
« C'était censé être une zone sûre à Al-Mawasi, et l'endroit a explosé. Nous avons fui la tente en direction de la mer et nous avons vu les tentes brûler ».
Après qu'Israël a déclaré Al-Mawasi zone sûre en décembre 2023, des dizaines de milliers de Palestiniens ont afflué vers ses dunes de sable le long de la côte méditerranéenne pour se réfugier des bombardements israéliens.
Mais depuis, la zone a été touchée par des frappes israéliennes répétées.
Des sources médicales à Gaza ont également déclaré qu'Israël avait tué au moins 35 personnes tôt ce mercredi.
Israël a intensifié ses attaques sur la bande de Gaza jeudi matin, une canonnière israélienne stationnée au large de la côte du territoire tirant sur l'ouest de la ville de Gaza, avant que d'autres attaques ne frappent d'autres zones, notamment Rafah et Khan Younis.
Les hommages ont également afflué pour une journaliste palestinienne nommée Fatima Hassouneh et 10 autres membres de sa famille qui ont été tués par une frappe aérienne israélienne visant leur maison dans la ville de Gaza mercredi.
Le bureau des médias du gouvernement de Gaza a déclaré que plus de 50 000 Palestiniens ont été tués par Israël dans la bande de Gaza depuis octobre 2023, sans compter les milliers de personnes piégées sous les décombres qui sont présumées mortes.
Traduction : AFPS
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L’internationalisme de combat antidote au poison nationaliste du fascisme renaissant !

« La seconde histoire est liée au ghetto de Wilna. Jusqu'à son extermination, une partie des hommes étaient conduits hors du ghetto pour travailler dans une usine d'armement. Le directeur de l'usine était un jeune officier SS (on peut trouver son nom dans le livre de Kovner) qui chaque matin regardait attentivement les hommes qui venaient travailler. Ayant compris que Kovner était leur dirigeant, il s'arrange pour le voir tète à tête et lui demande de but en blanc : « Les gars, vous avez besoin d'armes ? » Kovner est sidéré.
Par Yorgos Mitralias
Il craint une provocation mais l'autre lui tend un revolver et depuis ce jour-là, chaque jour. Au moment du départ du convoi, il répète cette opération fort dangereuse pour tous les deux. Bien des années plus tard, lors du procès de Eichmann à Jérusalem, Kovner qui était un témoin de l'accusation, évoqua devant le tribunal l'histoire de cet officier. Eichmann, dans sa cage de verre, qui écoutait d'un air tendu, a brusquement éclaté : « Je connais ce traitre, nous n'avons pas pu l'anéantir ». C'est possible. Mais malheureusement il n'y a personne a qui demander s'il est encore en vie ». (1)
Cette incroyable histoire de l'officier SS qui pourvoie en armes ses détenus juifs destinés à la mort, afin qu'ils se libèrent de leurs bourreaux nazis, est tirée du passionnant livre autobiographique « Les sentiers du passé » (Ed. Syllepse) du grand historien de l'URSS Moshe Lewin. Et elle nous est venue en tête en lisant les dernières nouvelles concernant le -toujours plus grand- mouvement des réservistes Israéliens qui refusent de servir à Gaza, et qui ont comme mot d'ordre le très éloquent « Œil pour œil et nous devenons tous aveugles »…
Évidemment, ce n'est pas un hasard que tant Eichmann que Netanyahou utilisent le même mot, le mot « traitre » pour qualifier leurs compatriotes qui désobéissent à leurs ordres et refusent de participer à leurs guerres. D'ailleurs, tant Eichmann que Netanyahou emploient aussi le même mot, le mot « terroristes » pour rendre imprésentables leurs « ennemis » Juifs d'alors pour l'un, palestiniens d'aujourd'hui pour l'autre !
Cependant, au-delà de leurs analogies, sinon de leurs similitudes, force est de constater qu'il y a au moins une différence de taille qui sépare ces deux cas de refus d'obéir aux ordres des supérieurs. Dans l'actuel cas israélien, comme le constate le média israélien +972 « qui s'est entretenu avec plusieurs associations de défense des "refuzniks", la plupart des réservistes ayant défié ces derniers mois les ordres d'enrôlement n'ont aucune "objection idéologique réelle à la guerre". Ils sont plutôt "démoralisés, lassés ou excédés par sa durée interminable".*
Tout autre a été la motivation de l'officier SS qui armait les jeunes détenus -et partisans- Juifs de Vilnius. Lui, il a fait quelque chose qualitativement très différent : il ne s'est pas contenté ni de refuser la guerre par pure pacifisme, ni de montrer de la compassion pour les travailleurs « esclaves » juifs de son usine d'armement, ni même de les cacher et les aider à survivre, comme l'a fait l'officier de la Wehrmacht Wilhelm Hosenfeld pour le pianiste juif du ghetto de Varsovie Władysław Szpilman (2), ce qui serait déjà énorme. Lui est allé beaucoup plus loin en se joignant, tout a fait consciemment , à ces juifs, en leur offrant, jour après jour, des armes, sans qu'eux les lui demandent (!), pour qu'ils se battent contre son Allemagne nazie et son armée dont lui-même était un officier ! En somme, cet officier SS est le parfait « traitre » car il a changé de camp, passant du camp des bourreaux à celui de leurs victimes, afin de se battre avec eux -les armes à la main- contre la barbarie génocidaire !
Ceci étant dit, le grand problème actuel de la population juive d'Israël, et par conséquent de tout le Moyen Orient, est que, à quelques exceptions (héroïques) près, il manque cruellement de tels « traitres. Des admirables « traitres » de leur État raciste et génocidaire, qui sauveraient l'honneur non seulement de leur nation juive mais aussi de l'humanité entière en décidant de changer de camp pour se battre avec les victimes de leur propre pays, expropriés, humiliés, opprimés, massacrés, déportés, ethniquement nettoyés et exterminés dans ce qui est la definition du genocide !
Toutefois, ce qui devient de plus en plus évident c'est que le besoin urgent de ces « traitres » se fait sentir maintenant bien au-delà d'Israël et du Moyen Orient, pratiquement partout sur notre terre. Et cela parce qu'au moment où la peste brune refait surface, on a un besoin plus que vital de ces « traitres » et de leur exemplaire internationalisme pratique en tant qu'antidote aux démons nationalistes de l'entre-deux-guerres qui semblent plus menaçants que jamais. On a besoin des gens qui poussent jusqu'au bout leur logique antifasciste ou anticolonialiste comme par exemple l'a fait le Français Georges Boudarel quand il a décidé de se joindre aux maquisards Viet Minh qui combattaient l'impérialisme français au début des années '50. Ou comme l'ont fait ces jeunes trotskistes Français qui ont osé l'impensable, en éditant et en diffusant parmi les soldats Allemands de la base de sous-marins de Brest, le journal ronéotypé « Arbeiter und Soldat » (Travailleur et Soldat). Inutile de dire que tous ont payé très cher leur initiative internationaliste : Boudarel s'est trouvé jusqu'à la fin de sa vie dans le viseur des colonialistes impenitents Français qui voulaient se venger, tandis que la trentaine des militants français et de soldats allemands du groupe de Brest, ont été soit exécutes soit envoyés au Front de l'Est ou dans des camps de concentration. Quant au dirigeant de ce groupe, le jeune revolutionnaire Juif Berlinois Martin Monath alias Widelin, après qu'il a survécu miraculeusement à une première exécution par la Gestapo (deux balles à la tête et à côté du cœur), il a été repris et pendu.
A quelques jours du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Boucherie Mondiale, et au moment où le spectre de Hitler et de sq peste brune planent de nouveau sur notre vieux continent, il est plus qu'utile de se rappeler de ces héroïques internationalistes et de constater que leurs combats exemplaires sont d'une actualité brulante…
Notes
1. Abba Kovner : Juif, combattant, poète, sioniste de gauche. Après avoir tenté d'organiser l'insurrection du ghetto de Wilna (Vilnius), il s'enfuit par les égouts avec ses camarades pour gagner les forêts, où il devient une légende par ses exploits au combat à la tête d'un millier de garçons et filles juives, en lien avec des partisans soviétiques. Après la guerre, voulant se venger, il tente, heureusement sans succès, d'empoisonner l'eau des grandes villes allemandes. Une fois en Israël, il est actif dans la gauche sioniste et justifie les massacres des Palestiniens.
2. Voir le très beau film « Le pianiste » que Roman Polanski a consacré à la destruction du ghetto de Varsovie et à l'histoire du Juif Szpilman et de son sauveur officier de la Wehrmacht.
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Bande de Gaza : ce que la guerre fait aux femmes

Dans la guerre israélienne contre le territoire palestinien, les femmes sont encore plus victimes que les hommes. À la mort et aux blessures s'ajoutent des souffrances sociales et intimes, aujourd'hui mises en lumière par un rapport qui décrit tous les aspects de ces vies brisées.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
16 avril 2025
Par Gwenaëlle Lenoir
Dans la bande de Gaza, environ 12 000 femmes sont mortes dans les bombardements ou sous les tirs israéliens depuis octobre 2023, victimes des avions, des navires, des drones, des chars et des soldats de l'infanterie. Avec pour conséquence la « destruction complète du tissu social de Gaza », affirme le rapport « Violations israéliennes et inaction internationale, les femmes de Gaza brisées par une violence multiple » du Centre palestinien pour les droits humains (PCHR), publié au mois de février.
« Des femmes qui travaillent, des journalistes, des médecins, des soutiens de famille et des épouses ont été prises pour cibles, laissant des milliers d'enfants sans leur mère. Plus de 6 000 familles ont perdu leur mère, laissant un vide irréparable dans leur vie », écrit l'organisation en préambule.
Parmi ces victimes, deux avocates de cette ONG, Nour Abou al-Nour et Dana Yaghi, chargées justement de recueillir la parole des femmes et de leur apporter une assistance légale. Elles ont été tuées, avec plusieurs de leurs proches, dans les bombardements de leurs maisons familiales, où elles avaient trouvé refuge après leur déplacement forcé. La première le 20 février 2024 ; la deuxième quatre jours plus tard. Leur sort est emblématique de celui des femmes de Gaza.
En huit chapitres, le rapport du PCHR décrit tous les aspects de ces vies brisées. Chacun de ces chapitres est accompagné de témoignages collectés sur le terrain par les employé·es de l'organisation, qui risquent aussi leur vie. Ce sont pas moins de huit cents femmes de tous âges et toutes conditions sociales qui ont été longuement interrogées pour cette étude, à travers l'ensemble du territoire. Elles ont été choisies dans un échantillon plus large de 2 602 femmes. Célibataires, veuves, divorcées, mères de famille... tous les statuts maritaux sont représentés.
Blessures physiques, mort ou disparition de proches, perte des sources de revenus, politique de la faim menée par Israël, déplacements forcés, épidémies, séparations familiales, arrestations arbitraires : tous les aspects de la destruction de la vie des femmes sont abordés. Et ce, avec des détails et des précisions qui dessinent un paysage glaçant et rendent palpables les souffrances physiques et mentales de ces victimes et leur désarroi.
Des vies amputées
Les blessures physiques des femmes de Gaza conduisent souvent, dans la grande misère médicale du territoire palestinien, à l'amputation d'un membre inférieur ou supérieur. Ce qui induit une perte d'autonomie, des difficultés à accomplir leurs tâches habituelles, prendre soin des enfants par exemple. En l'absence de chirurgie réparatrice, les corps blessés ne sont que « rafistolés », et le sentiment de perte de leur féminité affecte la plupart des témoins. Cette souffrance-là est habituellement peu abordée, et c'est une des qualités du rapport d'en rendre compte.
« Les blessures et les défigurations ont non seulement marqué mon corps, mais ont également laissé une profonde cicatrice dans mon âme qui restera avec moi longtemps. Je vis maintenant avec une douleur constante, non seulement à cause de la santé que j'ai perdue, mais aussi à cause du sentiment d'impuissance et de faiblesse qui me hante chaque jour, comme si je m'étais perdue », témoigne Ferial Ibrahim Souleiman al-Jamal, une veuve de 33 ans, grièvement blessée sur tout le corps par des éclats lors d'un bombardement aérien.
Même avec un corps intègre, les Gazaouies sont blessées économiquement, socialement, mentalement. La société de la bande de Gaza est conservatrice, et les rôles y sont fortement genrés. Dans une famille, le rôle du gagne-pain et du protecteur est généralement dévolu aux hommes. Perdre ce soutien – mort, disparu ou arrêté – produit de l'anxiété et de la dépression. Les femmes sombrent ainsi dans un sentiment d'isolement, renforcé par les déplacements forcés multiples qui séparent les familles et par la situation économique désastreuse.
La guerre n'a pas seulement détruit ma maison et mon projet ; elle m'a volé ma stabilité.
Wafa Abdullah Hassan al-Majdalawi, habitante de Gaza
Celles qui travaillaient ont perdu leur activité, que ce soit dans un bureau, une administration, une boutique, sur un marché, aux champs, et ne peuvent plus faire face aux besoins de leur famille et de leurs enfants quand elles en ont. Elles se retrouvent entièrement dépendantes de l'aide humanitaire et vivent dans l'angoisse.
Israa Atef Khamis Abou al-Ata, 27 ans, est mère de deux fillettes. Son mari, pêcheur, a été tué par des missiles israéliens avec un de ses compagnons le 25 octobre 2024 alors qu'il rangeait sa petite embarcation sur la plage. Elle s'est confiée à propos de ses deux enfants : « Aujourd'hui, je suis à la fois leur mère et leur père, assumant toutes les responsabilités que mon mari avait l'habitude de porter seul. Nous n'avons plus aucune source de revenus et je ne peux pas subvenir à nos besoins essentiels. »
Elle poursuit : « Je ramasse du bois de chauffage et je fais la queue pendant des heures pour obtenir de l'eau potable. La nourriture est rare et limitée, principalement des conserves. Je compte sur l'aide et la nourriture fournies par les cuisines caritatives, qui se composent principalement de pâtes et de lentilles. Cela ne suffit pas à répondre à mes besoins ni à ceux de mes enfants. Ma santé mentale s'est considérablement détériorée depuis la perte de mon mari. »
Des dignités brisées
Les femmes qui travaillaient se sentent tout aussi démunies. Ainsi Wafa Abdullah Hassan al-Majdalawi, 46 ans, habitante du camp de réfugié·es de Chati et déplacée dans une école de l'Unrwa servant d'abri, explique qu'elle a perdu la pâtisserie qu'elle avait montée à force de travail et de volonté : « Au plus fort de mon activité, je faisais travailler treize femmes, dit-elle. Malheureusement, la guerre a complètement détruit mon projet et j'ai perdu la source de revenus que j'avais construite pendant plus de onze ans. Ce projet était la sécurité économique de ma famille, et maintenant il ne reste plus rien. »
« J'ai essayé de lancer un petit projet avec des ressources modestes dans le refuge, mais les conditions difficiles l'ont rendu presque impossible, ajoute Wafa Abdullah Hassan al-Majdalawi. Le manque de matières premières dû au blocus sévère et aux déplacements répétés causés par les ordres d'évacuation israéliens empêchent toute forme de stabilité. Rien ne peut compenser ce que j'ai perdu. La guerre n'a pas seulement détruit ma maison et mon projet ; elle m'a volé ma stabilité et m'a arrachée à une vie que je croyais autrefois sûre, me laissant des blessures profondes et un fardeau insupportable. »
Les déplacements forcés et multiples obligent beaucoup de femmes à vivre dans des abris précaires ou des lieux surpeuplés où toute intimité est impossible. Leur dignité est brisée par les longues heures de queue devant les rares sanitaires, durant lesquelles elles sont exposées au regard de tous – une humiliation dans cette société. Elle l'est aussi par les files d'attente interminables pour obtenir l'aide alimentaire, l'eau potable.
Le cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier, accompagné d'une reprise conséquente de l'aide humanitaire, avait laissé espérer un mieux pour la population, en particulier pour les femmes. Mais la rupture de la trêve, dans la nuit du 17 au 18 mars, par l'armée israélienne, la reprise des tueries et des ordres de déplacement, permettent d'assurer que le prochain rapport sur le situation des femmes à Gaza sera encore plus alarmant.
Gwenaelle Lenoir
P.-S.
• Mediapart. 416 avril 2025 à 12h23 :
https://www.mediapart.fr/journal/international/160425/bande-de-gaza-ce-que-la-guerre-fait-aux-femmes
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Le génocide perpétré par Israël a repris, tout comme l’incapacité des médias à le couvrir

Israël a repris ses massacres à grande échelle à Gaza. Les médias occidentaux ont repris la même couverture désastreuse des 18 derniers mois.
Tiré de agence médias Palestine
15 avril 2025
Par Assal Rad
Le 18 mars, Israël a rompu le prétendu “cessez-le-feu” en vigueur depuis deux mois à Gaza en lançant l'attaque la plus meurtrière depuis novembre 2023 et en tuant plus de 400 Palestiniens, dont près de la moitié étaient des enfants. Depuis, la violence s'abat sans répit. L'Organisation des Nations unies estime qu'au moins 100 enfants sont tués ou blessés à Gaza chaque jour.
La décision d'Israël de reprendre le massacre à grande échelle n'a pas seulement replongé Gaza dans les profondeurs du carnage. Elle a également constitué un nouveau test pour les médias occidentaux. Après tant de mois de mort, et alors qu'Israël a clairement rejeté la paix, allaient-ils enfin accorder au génocide des Palestiniens le traitement médiatique qu'il mérite ?
Personne ne devrait être surpris de constater que la réponse à cette question a été un non retentissant. Alors que le génocide entre dans son 19e mois et que les atrocités se poursuivent, la faillite des médias continue.
Si des groupes de défense des droits de l'homme comme Amnesty International ont rapidement condamné les attaques du 18 mars et dénoncé « le génocide israélien et ses frappes aériennes illégales », les médias occidentaux se sont empressés de rationaliser les crimes d'Israël et de présenter les attaques comme étant « contre le Hamas ».
En focalisant leurs titres sur le Hamas plutôt que sur les nombreuses victimes civiles, les médias se font le relais des arguments israéliens sans tenir compte des vidéos rendues publiques qui montrent clairement qu'Israël bombarde à nouveau Gaza de manière indiscriminée.
Ce qui rend cette pratique des médias occidentaux d'autant plus indigne, c'est qu'ils traitent la plupart du temps les affirmations d'Israël – un État qui commet un génocide – comme des faits, tout en laissant planer le doute sur les autorités palestiniennes avec le préambule désormais couramment utilisé de « dirigé par le Hamas ». Pire encore, en privilégiant le langage de l' « accusation » plutôt que celui des faits, les médias minimisent les recherches et les rapports fondés sur des preuves d'institutions éminentes telles que les Nations unies, Amnesty International et Human Rights Watch.
Le 18 mars, à mesure que nos écrans affichaient le carnage causé par les frappes aériennes israéliennes et les images horribles des corps d'enfants palestiniens qui s'empilaient, les médias traditionnels ont bien été obligés de couvrir l'événement, mais sans le caractère d'urgence ou l'indignation que justifiait un tel moment. Les médias ont continué à parler d'un « cessez-le-feu fragile » ou à affirmer que la décision d'Israël de rompre unilatéralement son accord avec le Hamas avait mis le cessez-le-feu « en doute » – et non complètement détruit.
Cette affirmation absurde et le refus de qualifier les actions d'Israël de violation du cessez-le-feu – en particulier au lendemain d'un massacre israélien – illustrent la façon dont les médias occidentaux ont défini la notion de « cessez-le-feu » pour les Palestiniens depuis le début de la trêve censée avoir commencé le 19 janvier.
Dans les faits, Israël a tué en moyenne trois Palestiniens par jour au cours de cette période. Pourtant, les grands titres occidentaux ont continué à faire référence à un cessez-le-feu.
Les médias utiliseraient-ils le même langage si trois Israéliens en moyenne étaient tués chaque jour ? On peut gager qu'une telle situation ferait plutôt l'objet d'une couverture approfondie, avec des unes sur les violations répétées de l'accord de cessez-le-feu.
Seulement quelques jours avant le massacre du 18 mars, une seule attaque israélienne a tué neuf Palestiniens, un incident que les médias n'ont toujours pas caractérisé comme une violation de l'accord.
Cela illustre également le caractère trompeur et mensonger du discours israélien selon lequel « il y a eu un cessez-le-feu le 6 octobre ». Pour les Palestiniens qui vivent sous l'occupation militaire, le blocus et l'apartheid, et qui sont constamment menacés de perdre leur maison, leur terre et leur vie, il n'y avait pas de paix avant le 7 octobre. Le récit occidental diffusé par les médias renforce donc l'idée qu'il s'agit d'un cessez-le-feu tant que les Israéliens sont en sécurité, alors que les vies palestiniennes sont sacrifiables.
Quand l'effusion de sang par Israël a repris, la déformation la plus flagrante de la part des médias a sans doute été de la présenter comme un retour à la « guerre » ou aux « combats ».
En dépit des rapports des Nations unies, d'Amnesty International, de Human Rights Watch et d'autres experts qui concluent qu'Israël commet un génocide à Gaza, les médias occidentaux persistent à refuser ce terme. À ce titre, les médias commettent effectivement un déni de génocide.
Confrontés aux conclusions d'un autre rapport récent des Nations unies, selon laquelle Israël a « commis des actes génocidaires en détruisant systématiquement des installations de soins de santé sexuelle et reproductive », les médias occidentaux ont recouru au registre familier de la mise en « accusation ».
https://x.com/AssalRad/status/1844601069831324053
Plutôt que de présenter ces conclusions comme une preuve supplémentaire du consensus mondial croissant selon lequel Israël commet un génocide, les médias occidentaux ont remis en question ces conclusions en les plaçant entre guillemets évasifs.
Même lorsqu'Israël ne laisse aucune place à l'ambiguïté, les médias s'empressent de la créer.
Le 2 mars, Israël a ouvertement déclaré qu'il cesserait toute aide à Gaza, ce qui constitue une nouvelle violation de l'accord de cessez-le-feu et du droit international. Une semaine plus tard, les autorités israéliennes ont ajouté qu'elles couperaient l'électricité en plus de la nourriture et du carburant, une décision qu'Amnesty International a qualifiée de « nouvelle preuve du génocide perpétré par Israël contre les Palestiniens de la bande de Gaza occupée ».
Comment les médias ont-ils couvert ces transgressions évidentes ? Les médias occidentaux ont présenté la décision d'Israël de bloquer délibérément l'aide à la population civile – un acte de punition collective – comme une tactique de guerre légitime pour « faire pression sur le Hamas » et obtenir des concessions, puis ont répété le même schéma une semaine plus tard lorsqu'Israël a annoncé qu'il couperait l'électricité à Gaza.
Quelques jours seulement après qu'Israël a officiellement mis fin au « cessez-le-feu », une vidéo a été diffusée le 21 mars montrant les forces israéliennes en train de démolir sciemment le seul hôpital de Gaza spécialisé dans le traitement du cancer. Cette vidéo d'une explosion délibérée, un crime de guerre éhonté à la vue et au su de tous, n'a suscité pratiquement aucune réaction de la part des grands médias. Lorsque, quelques jours plus tard, Israël a attaqué un autre hôpital, tuant cinq personnes, dont un garçon de 16 ans, ces derniers ont tenté de justifier les frappes contre les hôpitaux avec le prétexte de « cibler le Hamas ».
Dans les semaines qui ont suivi le 18 mars, le génocide ininterrompu s'est poursuivi sans relâche. Qu'il s'agisse de prendre pour cible des hôpitaux et des bâtiments des Nations unies, d'attaquer le siège de la Croix-Rouge ou d'assassiner des journalistes comme Hossam Shabat, les forces israéliennes semblent n'avoir aucune retenue dans la violence impitoyable qu'elles continuent d'exercer contre les civils palestiniens, les travailleurs humanitaires et toutes les personnes jouissant d'une protection.
Chacune de ces histoires d'horreur aurait dû faire l'objet d'une couverture médiatique et d'une indignation unanime. La plupart n'ont pas fait l'objet d'une couverture médiatique suffisante et n'ont ni permis à Israël de répondre de ses crimes, ni même de qualifier ses actes de criminels.
Le cas récent d'Israël tuant 15 médecins et secouristes palestiniens, puis les enterrant dans une fosse commune avec leurs véhicules d'urgence écrasés, fournit un exemple flagrant de la manière dont les grands médias évitent de rapporter chacune de ses atrocités.
Les Palestiniens ont rapporté qu'Israël avait pris pour cible les secouristes pendant plus d'une semaine avant que les médias occidentaux ne publient l'histoire. Israël a même admis avoir tiré sur leurs véhicules quelques jours auparavant, sans que cela ne suscite d'intérêt. Ce n'est que lorsque le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies et des fonctionnaires tels que Jonathan Whittall ont mis en ligne des vidéos confirmant les rapports que les médias grand public ont finalement été contraints de couvrir ce crime odieux commis par Israël.
Cependant, comme pour leurs autres reportages, de nombreux articles ont préféré titrer “Les Nations unies accusent” – en dépit des preuves vidéo – et ont relayé les justifications des massacres par Israël. C'est cette tendance à minimiser et à blanchir les crimes de guerre d'Israël qui pose la question de la complicité des médias. Après tout, qu'y a-t-il de plus digne d'intérêt pour les médias qu'Israël reprenant son génocide en force ?
Traduction : JC pour l'Agence Média Palestine
Source : The Nation
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Le grossier chantage à l’antisémitisme

Comme il fallait s'y attendre, Donald Trump reprend à son compte une idée reçue dans la plupart des cercles politiques américains : pour justifier leur tentative de réduire l'indépendance des universités et leur liberté intellectuelle, lui et son entourage ont recours à l'argument aussi faux qu'éculé de "l'antisémitisme" qu'auraient démontré des militants et militantes lors de manifestations propalestiniennes.
Photo Serge d'Ignazio
Les classes politiques occidentales et surtout l'américaine ont souvent utilisé cet argument pour discréditer l'activisme en faveur de la cause palestinienne. Quelques manifestants ont pu utiliser des mots malheureux dans leurs discours et slogans vis-à-vis d'Israël et porter à son égard des accusations injustes, mais cela n'en fait pas pour autant des racistes, les mots dépassant parfois la pensée. Il faut surtout éviter de généraliser. Une mise au point s'impose donc une fois de plus sur ce sujet délicat. Nous allons procéder par ordre.
1- Tout d'abord, les Juifs et Juives ne sont pas des Sémites. Ils ne forment pas une ethnie. Il n'existe pas d'hérédité juive. Il s'agit d'adhérents à une religion, d'une culture, d'une mystique, au même titre que le christianisme et l'islam. Il existe des nations à majorité catholique, mais aucune hérédité catholique. Les gens de confession juive peuvent abandonner leur foi quand ils veulent, tout comme d'autres personnes ont la liberté de s'y convertir. Mais pendant des siècles, la cohérence religieuse était si intense un peu partout qu'on a fini par confondre les adhérents à telle ou telle religion avec une "race". Cela explique (sans les justifier, bien entendu) les multiples persécutions dont les Juifs ont souffert dans l'Europe chrétienne au Moyen-Âge. Il vaudrait donc mieux parler d'antijudaïsme, tout comme il y eu de l'anticatholicisme de la part des gouvernements protestants (par exemple, celui des Anglais contre les Irlandais) et de l'antiprotestantisme en France à l'époque des guerres de religion au seizième siècle. Les Irlandais ne sont pas pas davantage génétiquement catholiques qu'une majorité de Britanniques ne sont congénitalement protestants.
2- On doit ensuite distinguer judaïsme et sionisme. Ce dernier représente un courant idéologique qui prône le retour des gens de religion juive sur la terre supposée de leurs ancêtres, au Proche-Orient. Cet aspect politique du judaïsme ne fait d'ailleurs pas l'unanimité chez les Juifs eux-mêmes. Pour des considérations spirituelles, mystiques, humanistes et religieuses, un certain nombre d'entre eux s'opposent en effet aux sionistes. Les manifestations universitaires propalestiniennes récentes aux États-Unis comptaient parmi leurs rangs un certain nombre de ces personnes qui estiment que le sionisme trahit l'idéal judaïque. Ils prennent fait et cause pour le peuple dépossédé, les Palestiniens. Il faut savoir que si dans l'Antiquité, les Romains ont déporté un certain nombre de révoltés de confession judaïque, une majorité de la population est demeurée sur place. Certains déportés ont fait des convertis en Europe, mais ceux-ci et leurs descendants n'ont jamais vécu en Palestine. La population demeurée sur place a continué à pratiquer sa religion, jusqu'à la conquête arabe du septième siècle qui a entraîné sa conversion à l'islam. Ce sont les ancêtres des Palestiniens d'aujourd'hui. Une minorité d'entre eux a cependant continué à adhérer au judaïsme. Elle a vécu en bonne entente avec ses compatriotes convertis à l'islam. Mais tout a changé, pour le pire, lorsque des Juifs européens, inspirés par le sionisme ont commencé à affluer en Palestine (alors sous mandat britannique) au début du vingtième siècle. On connaît la suite.
3- Il existe bel et bien une composante de racisme dans toute cette histoire, mais elle ne se niche pas où on la situe habituellement. Plusieurs sionistes (des Européens pour la plupart) partageaient les préjugés occidentaux contre les "Arabes" . À cette époque impérialiste (à l'orée du vingtième siècle) où les puissances colonialistes (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Pays-Bas) s'enorgueillissaient de leurs possessions outre-mer et parlaient de la "mission civilisatrice de l'homme blanc", bien des Juifs européens étaient imprégnés à divers degrés de cette mentalité. De leur point de vue, la population locale palestinienne était inférieure et elle occupait des terres que leurs aïeux avaient supposément possédées. C'est donc sans état d'âme que les militants et dirigeants sionistes ont commencé à envahir la Palestine, d'autant que plusieurs de leurs compatriotes fuyaient les persécutions antijudaïques en Europe, particulièrement en Allemagne. Mais ce faisant, ils créaient un autre problème grave, celui-là au Proche-Orient.
Les dirigeants occidentaux et israéliens invoquent toujours le supposé "droit à l'existence" de l'État hébreu (même s'il s'est établi sur les ruines de l'ancienne Palestine arabe) et s'appuient pour ce faire, sur la mémoire des multiples victimes de l'Holocauste. N'est-ce pas au contraire lui faire injure, la trahir en quelque sorte que de légitimer l'injustifiable à l'endroit d'un autre peuple qui n'a jamais rien fait à personne et qu'on martyrise parce qu'il ose se défendre ?
Jean-François Delisle
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Etats-Unis : Enseignements des enlèvements et de la terreur

L'ENLÈVEMENT de Mahmoud Khalil, l'étudiant palestinien titulaire d'un diplôme universitaire et d'une carte verte, enlevé le 8 mars à son domicile de l'université de Columbia, est désormais associé à d'autres détentions très médiatisées et à des menaces d'expulsion, sans compter des dizaines, voire des centaines de cas méconnus. Le secrétaire d'État Marco Rubio s'en vante ouvertement.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
12 avril 2025
Par Against the Current
La résistance s'organise ! Photo : Dan La Botz
Ces arrestations et disparitions mettent en évidence le règne de la terreur auquel sont confrontés les titulaires de visas étudiants et même de cartes vertes. Elles combinent plusieurs aspects étroitement liés des cinq grandes situations d'urgence en matière de droits civils et humains aux États-Unis et au sein de l'empire américain dans le monde :
• Le génocide israélo-américain en Palestine, qui se traduit désormais par la menace ouverte de l'exode forcé de Gaza, le nettoyage ethnique de masse et l'annexion imminente de la Cisjordanie par Israël.
La criminalisation des actions de protestation contre le génocide, en particulier sur les campus universitaires.
La collusion entre l'extrême droite sioniste pro-israélienne et chrétienne-nationaliste, avec notamment Campus Watch, Betar USA et Canary Mission, qui recensent les étudiants et les professeurs militants pour les cibler, les expulser et/ou les déporter.
• L'intention de l'administration Trump de détruire les universités américaines en tant qu'institutions vouées à la pensée scientifique, culturelle et critique, et la lâcheté spectaculaire des administrations des universités de Columbia, du Michigan et d'autres encore qui ont capitulé face à ces attaques.
• Le comportement illégal du gang Trump, y compris sa violation flagrante des ordonnances des tribunaux qui ont fermé les portes aux déportations.
• Les liens entre les campagnes d'extrême droite menées aux États-Unis et en Israël, visant à consolider un régime autoritaire dans les deux pays.
Nous aborderons certains cas en particulier. Mais tout d'abord, il s'agit de bien prendre conscience que les groupes ciblés aux États-Unis, sans parler de la Palestine, vivent un épisode terrifiant, tout comme les dizaines de millions de personnes dans le monde confrontées à des épidémies à grande échelle ou à la famine en raison de la suppression par les États-Unis du financement de programmes qui sont essentiels à leur survie.
Dans le même temps, les services vitaux fournis par les agences gouvernementales fédérales et leurs effectifs sont systématiquement démantelés, avec des conséquences désastreuses pour la santé publique, les soins aux anciens combattants, les écoles publiques, le service postal et bientôt la sécurité sociale et l'assurance maladie.
Comment résister à une attaque sur plusieurs fronts clairement conçue pour avoir un effet paralysant ? Tout d'abord, il est nécessaire de reconnaître le caractère systématique et coordonné des attaques, afin que les cibles ne se retrouvent pas cloisonnées et que les actions de défense ne restent pas isolées et divisées.
Les cibles
Mahmoud Khalil, le Dr Rasha Alawieh et le professeur Badar Khan Suri ne sont pas des cas indépendants de, par exemple, la menace de couper 175 millions de dollars de subventions fédérales à l'Université de Pennsylvanie pour le crime consistant à autoriser un athlète transgenre à participer à une compétition sportive féminine, ou d'un décret présidentiel annulant les conventions collectives et le droit de négociation du syndicat des employés fédéraux.
Ces interactions sont en partie à l'origine de la mobilisation de plusieurs millions de personnes le 5 avril dans les rues de centaines de villes américaines, grandes et petites, bleues, rouges ou violettes, qui ont scandé « Hands Off » (Ne touchez pas à nos droits), exaspérées par les crimes du gang Trump-Musk et sidérées par la chute libre stupéfiante des marchés provoquée par le déchaînement tarifaire de Trump contre l'économie mondiale.
La détermination de cette résistance populaire n'a pas encore été mise à l'épreuve, mais le 5 avril a été un sacré début.
Pour rappeler quelques faits essentiels : Mahmoud Khalil, diplômé de Columbia, détenteur d'une carte verte et dont la femme, Noor Abdalla, était enceinte de huit mois, a été appréhendé par des agents en civil du ministère de la Sécurité intérieure alors que le couple regagnait son logement en résidence universitaire.
Columbia avait ignoré les demandes de protection de Khalil, qui s'était senti suivi. Figure de proue du mouvement de protestation de l'année dernière et négociateur d'un règlement pacifique de l'occupation, Khalil n'a jamais été accusé d'aucun crime ni sanctionné de quelque manière que ce soit par l'université.
Après s'être vu signifier la « révocation » de son « visa étudiant » (inexistant) puis de sa carte verte, Mahmoud a été emmené dans le New Jersey et expédié dans un centre de détention isolé de Louisiane avant que les tribunaux n'aient pu intervenir. Un juge fédéral a ordonné le renvoi de l'affaire dans le New Jersey. À l'heure actuelle, il reste à voir si le régime Trump se conformera à cette décision judiciaire comme à d'autres.
Yunseo Chung, une étudiante de Columbia âgée de 21 ans, est une résidente permanente qui vit aux États-Unis depuis l'âge de 7 ans. Actuellement dans un lieu tenu secret, elle a intenté une action en justice pour empêcher son expulsion après que des agents de l'immigration ont perquisitionné et fouillé des résidences universitaires de Columbia sous prétexte que l'établissement ou ses résidences « hébergent et cachent des étrangers en situation irrégulière sur son campus ».
Ni « illégale » ni accusée de quoi que ce soit, en vertu de quelle hypothétique thèse juridique Mme Chung est-elle passible d'expulsion ? Supposément, sa participation à des manifestations pro-palestiniennes fait d'elle « un obstacle aux objectifs de la politique étrangère américaine » en vertu d'une loi de 1952 datant de l'ère McCarthy autorisant l'expulsion pour ces motifs.
Le Dr Rasha Alawieh, néphrologue, chirurgienne et professeure adjointe à la faculté de médecine de l'université Brown, de retour d'un voyage au Liban, a été détenue pendant trente-six heures puis placée sur un vol de retour, en violation d'une ordonnance d'urgence du tribunal interdisant son expulsion.
Les prétendus « motifs d'expulsion » : La présence du Dr Alawieh aux funérailles de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah assassiné par Israël, en présence de dizaines de milliers de Libanais.e..
Ces cas sont loin d'être les seuls où les agents de Trump ont contourné une décision de justice, comme l'illustre l'expulsion collective de présumé.e.s « membres de gangs » vénézuéliens ou salvadoriens — sans preuve ni la moindre procédure légale — vers la prison mortelle « super-max » au Salvador.
Bien qu'il ait admis une « erreur administrative », le gouvernement affirme que les tribunaux n'ont « aucune compétence » pour ordonner le retour de Kilmar Armando Abrego Garcia, un père de famille bénéficiant d'un statut protégé aux États-Unis, qui a été arrêté le 12 mars à Baltimore après avoir terminé sa journée de travail en équipe à l'usine.
Ranjani Srinivasan, une étudiante indienne dont le doctorat en urbanisme est presque terminé, a été « désinscrite » de l'université Columbia après que des agents de l'immigration sont venus à son appartement et, n'ayant pas réussi à entrer pour procéder à son arrestation, ont déclaré que son visa était annulé et lui ont dit qu'elle avait 15 jours pour quitter le pays.
Elle demande maintenant l'asile au Canada, mais ne révèle pas où elle se trouve pour des raisons de sécurité. Elle a déclaré à CBC News qu'elle n'avait en fait pas participé aux manifestations sur le campus (elle aurait été aperçue dans la foule au printemps dernier, alors que l'accès à sa résidence universitaire avait été fermé).
Grant Miner, président du syndicat des étudiants de troisième cycle de Columbia et doctorant de cinquième année, a été licencié la veille du début des négociations sur le renouvellement de la convention collective et expulsé pour ses activités pro-palestiniennes.
Le comportement méprisable de Columbia, qui a réprimé et expulsé des étudiants l'année dernière, est désormais aggravé par sa lâche servilité face à une série de demandes draconiennes de la Maison Blanche et de Trump. Ces mesures comprennent le renforcement des pouvoirs de la police du campus, l'interdiction des masques et la mise sous tutelle externe de son très réputé centre d'études sur le Moyen-Orient, l'Afrique et l'Asie.
De forts soupçons pèsent sur les membres du conseil d'administration de l'université qui auraient balancé Khalil au gouvernement. Comme l'a écrit le professeur émérite et historien de renom Rashid Khalidi dans The Guardian (25 mars 2025) :
« Après la capitulation de vendredi, Columbia mérite à peine le nom d'université, puisque son enseignement et ses recherches sur le Moyen-Orient, et bientôt bien d'autres encore, seront bientôt contrôlés par un « vice-recteur principal pour la pédagogie inclusive », en réalité un vice-recteur principal pour la propagande israélienne.
« Les partisans d'Israël, furieux que les études sur la Palestine ait trouvé leur place à Columbia, l'ont surnommée « Bir Zeit sur l'Hudson ». Mais à supposer qu'elle mérite encore le nom d'université, elle devrait s'appeler Vichy sur l'Hudson. » [Bir Zeit est la principale université palestinienne de Cisjordanie. « Vichy » fait référence au régime fantoche français de la Seconde Guerre mondiale sous l'occupation nazie — ndlr.]
Badar Khan Suri est professeur à Georgetown et chercheur postdoctorant sur la religion et les processus de paix au Moyen-Orient et en Asie du Sud. Il se trouve légalement aux États-Unis grâce à une bourse de recherche et à un visa universitaire. De nationalité indienne, il vit avec sa femme, citoyenne américaine, et leurs trois enfants à Rosslyn, en Virginie. Lorsqu'il est rentré chez lui le 17 mars après un repas de rupture du jeûne du ramadan, des agents fédéraux masqués l'ont placé en détention sans qu'il ne soit accusé d'aucun acte criminel.
En un peu plus de 72 heures, il a été transféré dans plusieurs centres de détention pour immigrants, puis dans un centre de transit de l'ICE à Alexandria, en Louisiane. Les collègues du professeur Suri soupçonnent l'administration de viser en réalité son épouse palestinienne Mapheze Saleh, qui est citoyenne américaine et ne peut donc pas être arrêtée pour être expulsée.
Le 25 mars, des agents masqués du département de la Sécurité intérieure ont également appréhendé sur le trottoir Rumeysa Ozturk, une étudiante activiste de l'université Tufts, et l'ont fait monter de force dans une voiture banalisée. Comme Mahmoud Khalil, Rumeysa a été emmenée dans un centre de détention de l'ICE en Louisiane à l'insu de ses avocats et de sa famille.
L'invocation de la « sécurité des Juifs » et la nécessité de lutter contre un antisémitisme prétendument répandu et persistant (une exagération insensée, s'il en est) à Harvard, Columbia, etc., devraient également être considérées comme une version d'un stratagème classique de la droite.
Ce stratagème pervers vise à amener les cibles de ces attaques illégales et antidémocratiques à « en rendre les Juifs responsables ». Cela est fait pour détourner l'attention des objectifs de la droite (MAGA, sionistes chrétiens, etc.) qui cherchent à saper l'autorité des institutions universitaires libérales ; à détourner l'attention de l'antisémitisme qui existe réellement à droite et au sein même de l'administration Trump ; à empêcher que la vérité soit dite sur ce qui se passe à Gaza ; à mener une campagne visant à renforcer l'idéologie suprémaciste blanche dans l'éducation et ailleurs ; et bien plus encore.
Nous devons nous opposer aux esprits capitulateurs dans le monde universitaire et ailleurs qui accordent du crédit à ces mensonges, et ne pas permettre cette exploitation grossière de l'identité juive, et ce, tant dans l'intérêt des Palestiniens que pour l'avenir de tout le monde. Un exemple éloquent en a été donné le 2 avril par des étudiant·e·s juifs et juives de Columbia qui se sont enchaîné·e·s aux grilles du campus pour réclamer la libération de leur ami Mahmoud Khalil.
Contre-attaque face à la crise et à l'urgence
Ce qui se passe actuellement - du passage en force par décret à la terreur exercée sur les communautés d'immigré·e·s et les militant·e·s de la cause palestinienne, en passant par l'abolition du droit du sol - conduit à la destruction substantielle du gouvernement constitutionnel aux États-Unis, ne laissant qu'un papier peint décoratif pour dissimuler la pourriture.
À la lâcheté de nombreuses administrations universitaires s'ajoute celle de certains grands cabinets d'avocats qui capitulent devant Trump. À l'opposé, les organisations de défense des libertés civiles et les avocat·e·s des personnes menacées d'expulsion s'impliquent énergiquement dans les procédures judiciaires et tirent la sonnette d'alarme dans les médias. Mais les hauts dirigeants du Parti démocrate gardent un silence assourdissant sur la destruction de la Palestine.
Le discours-marathon du sénateur Cory Booker, du 31 mars au 1er avril, a mis en évidence de multiples exactions commises par Trump et Musk, mais n'a pas trouvé le temps de faire référence au massacre en Palestine. Ce nouveau héros des démocrates ne s'est pas non plus joint aux quinze sénateurs qui ont voté en faveur de la résolution de Bernie Sanders rejetant la nouvelle livraison massive d'armes américaines à Israël. Et si des dizaines de membres démocrates du Congrès ont signé une lettre contestant la détention de Mahmoud Khalil, le nom du dirigeant de la minorité Hakeem Jeffries brille par son absence.
Il est certain que la répression à laquelle nous assistons s'inscrit dans une crise beaucoup plus large. Elle englobe les attaques ouvertes des suprémacistes blancs contre les programmes de diversité, d'équité et d'inclusion ; l'effacement de l'histoire et de la lutte des Noirs dans les musées du Smithsonian, au Kennedy Center à Washington DC, sur le site web du ministère de la Défense et ailleurs.
Il est également possible que la frénésie tarifaire de Trump engendre un marasme économique aux États-Unis, en Amérique du Nord et dans le monde. Certains de ces problèmes sont abordés dans ce numéro d'Against the Current, notamment l'article de Kim Moody sur l'économie et l'incapacité des démocrates à réagir efficacement.
La riposte dépend de la base et commence par la défense de toutes les personnes prises pour cible par la frénésie répressive de Trump. Bien entendu, tout partisan des droits fondamentaux du Premier Amendement devrait exiger la libération immédiate de Mahmoud Khalil, quelle que soit leur opinion sur ce que doit être l'activité militante en faveur de la Palestine.
En même temps, l'agitation et l'engagement pour la liberté des Palestiniens et contre le génocide doivent se poursuivre, inspirés par l'exemple et le courage de Khalil.
Nous devons insister sur le fait que le sort du peuple palestinien, sacrifié en masse sur l'autel du cynisme politique, de l'impérialisme et du régime de peuplement colonial, n'est pas un cas isolé. Il est inextricablement lié aux luttes dans notre propre société et à notre avenir à tous.
Les éditeurs, Against the Current
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.
Source - Against the Current. À paraître dans le numéro de mai-juin 2025 d'ATC, ATC 236 :
https://againstthecurrent.org/lessons-of-abductions-
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