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La résistance chilienne à Montréal (1973-1983)
Le Chili, exploité par diverses puissances depuis le XVIe siècle, connaît un tournant majeur lorsque Salvador Allende, leader de l’Unité populaire, est élu en 1970, introduisant des réformes socialistes. Cependant, les États-Unis soutiennent le coup d’État de Pinochet en 1973, qui conduit à une dictature violente. Victimes d’une féroce répression, des milliers de Chiliens s’exilent. Plusieurs d’entre eux s’installent à Montréal. Ces exilés mettent en place des mouvements culturels et politiques pour lutter contre la dictature, établissant des liens de solidarité avec les mouvements progressistes québécois. Cette publication est une version bonifiée d’un article originellement publié dans le numéro 30 des Nouveaux Cahiers du Socialisme (automne 2023).
Alexis Lafleur-Paiement
Depuis le XVIe siècle, le Chili a été exploité par l’Espagne pour son bétail et son blé, puis par les compagnies britanniques pour son salpêtre et son cuivre. Après 1929, les États-Unis prennent le contrôle économique du pays et lui imposent, malgré les gouvernements socio-démocrates des années 1940 et 1950, des réformes libérales sous la direction de la mission Klein-Saks (1955-1958)[1]. Alors que la bourgeoisie nationale se contente de gérer l’agriculture ou l’extraction au profit des entreprises américaines, les mouvements de défiance envers l’impérialisme et le patronat local se multiplient. En 1953, plusieurs organisations se regroupent dans la très combative Centrale unique des travailleurs (CUT), conjointement à l’ascension du Parti communiste (malgré son interdiction de 1948 à 1958) et du Parti socialiste, devenu officiellement marxiste-léniniste en 1967. L’opposition se durcit face aux gouvernements de Jorge Alessandri (1958-1964) et d’Eduardo Frei Montalva (1964-1970) appuyés par les États-Unis[2]. Des grèves se propagent à partir de 1968, avant que les différentes tendances de gauche s’allient dans l’Unité populaire (UP) en 1969.
Le 4 septembre 1970, la coalition remporte les élections avec 36,3 % des voix et son leader Salvador Allende est nommé président de la République. L’Unité populaire, composée de communistes, de socialistes, de socio-démocrates et de syndicalistes, est appuyée par un large mouvement et jouit d’une grande légitimité au Chili comme à l’étranger, ce qui paralyse momentanément l’interventionnisme américain. Allende lance une réforme agraire visant une redistribution des terres et nationalise plusieurs secteurs de l’économie, dont les banques et l’industrie minière (liée aux intérêts américains). La coalition postule qu’il est possible, pour un pays capitaliste sous-développé, d’effectuer une transition démocratique et non-violente vers le socialisme. En plus des nationalisations, l’UP propose d’autres importantes réformes comme une augmentation des salaires et la participation démocratique des travailleurs et travailleuses dans la production. La victoire de l’Unité Populaire semble montrer qu’il est possible d’atteindre le socialisme et l’indépendance économique par les urnes.
Mais c’est sans compter l’hostilité des États-Unis et de l’administration Nixon envers Allende. Depuis l’instauration de la doctrine Monroe au début du XIXe siècle, les États-Unis considèrent l’Amérique latine comme leur chasse-gardée. L’émergence, après Cuba, d’un deuxième régime « marxiste » et anti-impérialiste dans la région met en péril l’influence de l’Oncle Sam. Les nationalisations prévues par Allende menacent les investissements miniers américains, mais aussi le remboursement des prêts octroyés au Chili. Pour tirer leur épingle du jeu, les États-Unis orchestrent des pressions économiques globales et, en sous-main, encouragent les dissensions sociales pour affaiblir le gouvernement d’Allende. Ils bloquent les prêts internationaux au Chili, tandis que la Central Intelligence Agency (CIA), aidée par les firmes ITT et Anaconda Copper, finance des journaux d’opposition et travaille à déstabiliser le pays.
Si l’Unité populaire a été élue dans les règles de la démocratie représentative, de nombreux éléments s’opposent au régime d’Allende. Certains partis de la coalition trouvent que le nouveau président est trop socialiste, alors que les partis de droite cherchent activement à le battre aux prochaines élections. Ces opposants ont peu de marge de manœuvre puisque Allende jouit encore d’un support populaire important et semble en voie d’augmenter son nombre de députés lors du prochain scrutin. Des éléments plus radicaux de la droite, notamment les propriétaires terriens et certains militaires, cherchent donc à évincer Allende par la force. En juin 1973, une première tentative de coup d’état échoue. Le 11 septembre 1973, avec l’aval des États-Unis, Augusto Pinochet, commandant de l’armée chilienne, procède à un putsch, cette fois réussi. Salvador Allende se suicide, alors que les militaires prennent le pouvoir. C’est le début d’une sanglante dictature qui durera plus de 15 ans[3].

Répression politique et exil des militants chiliens
Dès septembre, le Congrès est dissous et la répression s’abat sur l’ensemble des forces progressistes du pays. Les militants de gauche, surtout communistes et socialistes, sont emprisonnés dans de vastes lieux publics, comme le Stade national de Santiago qui verra défiler plus de 40 000 détenus. Des personnes y sont torturées publiquement, dont le chanteur communiste Victor Jara (1932-1973), mutilé puis exécuté le 15 septembre[4]. Malgré les condamnations de l’Organisation des Nations unies (ONU), le nouveau régime s’impose par la violence et grâce au soutien des États-Unis qui normalisent leurs relations diplomatiques avec lui, accueillant même Pinochet à Washington en 1977. Des centaines de milliers de personnes sont pourtant emprisonnées de 1973 à 1989, plus de 35 000 subissent des tortures et plus de 3 200 sont assassinées. Les femmes sont particulièrement ciblées par des pratiques massives de viol et des enlèvements d’enfants[5].
Alors que l’État chilien noie dans le sang la résistance populaire et impose une libéralisation économique brutale à la demande des États-Unis, un exode se dessine. Pour une population estimée à 9 000 000 d’habitants lors du coup d’État, entre 500 000 et 1 000 000 de personnes quittent le pays, soit possiblement 10 % de la population. Ces migrants sont majoritairement liés à des organisations de gauche ou sont du moins des objecteurs de conscience opposés à la dictature. De manière générale, ceux qui possèdent un capital économique et culturel supérieur parviennent à émigrer vers des pays du Nord, dont la France et la Suède, alors que les ouvriers et les employés semblent plutôt émigrer dans divers pays latino-américains[6]. Des milliers de Chiliens, en majorité des intellectuels et des membres de la classe moyenne, s’installent au Canada. Ils sont notamment dirigés vers Montréal en raison de leur latinité, considérée comme une caractéristique francotrope appréciable pour la métropole[7].
Cette vague migratoire représente environ 3 500 personnes arrivées entre 1973 et 1978. Sa politisation et sa concentration à Montréal ont pour effet de produire un vivier politique et culturel dans la région, porteur de valeurs socialistes, anti-impérialistes et anti-fascistes. Ce dynamisme s’exprime au sein de la communauté chilienne et en jonction avec les mouvements politiques locaux, dans la lutte contre la dictature au Chili et pour transformer la société québécoise dans une perspective progressiste. Deux univers se recoupent et se répondent : celui des Chiliens qui organisent la résistance à la dictature depuis Montréal et celui des militants québécois – communistes, socialistes, socio-démocrates, indépendantistes, chrétiens – qui s’insurgent contre la situation au Chili et se solidarisent avec la lutte pour la démocratie, voire s’identifient avec le combat des Chiliens qui, comme les Québécois, « luttent contre l’impérialisme yankee ».

Le militantisme chilien à Montréal
Les premières initiatives des militants chiliens à Montréal reproduisent celles auxquelles ils sont habitués, soit des fêtes engagées (les peñas), la mise sur pied de comités politiques et le militantisme culturel, principalement musical. Alors que les immigrants arrivent au Québec et organisent leur nouvelle existence, tout en essayant de reconstituer leurs réseaux familiaux, amicaux et politiques, et en cherchant à aider celles et ceux qui sont encore au Chili, le réseautage festif prend une place importante. Les peñas sont une tradition qui permet de se rencontrer sous prétexte d’une fête, tout en permettant la discussion et l’organisation politique. Les peñas montréalaises favorisent la reconstruction des réseaux de sociabilité, ainsi que des ex-partis de l’Unité populaire (communiste, socialiste, etc.). Diverses stratégies organisationnelles, en vue principalement d’agir sur la situation au Chili, en émergent. Les premières années d’immigration sont marquées par une volonté de se retrouver à Montréal dans le but de se ressaisir, puis de passer à l’offensive contre la dictature au Chili et d’y reprendre la marche démocratique vers le socialisme.
L’organisation informelle entre migrants chiliens remplit un rôle de stabilisation et de consolidation de la communauté, mais se révèle limitée pour agir à plus large échelle. Un double objectif s’impose : se doter de groupes politiques chiliens à Montréal et faire connaître la cause aux Québécois. En raison de la complexité de la question organisationnelle, beaucoup de militants chiliens choisiront de s’impliquer dans les groupes de soutien existants, initiatives sur lesquelles nous reviendrons. Pourtant, une action « proprement » chilienne voit le jour, soit l’Association des Chiliens de Montréal (ACM, 1974-1980), formée de diverses tendances issues de l’UP. L’Association, qui réunit environ 500 membres, cherche à lutter contre la dictature tout en offrant des services sociaux à la communauté par l’entremise de son local du 3955, boul. Saint-Laurent (Montréal). Elle publie en 1977 un texte-manifeste intitulé Pour l’unité antifasciste vers la défaite de la junte, mais sa modération entraîne des tensions avec le Comité de solidarité Québec-Chili (CSQC). L’Association lance malgré tout de nombreuses campagnes, entre autres pour dénoncer la présence de la police politique pinochiste (la DINA) à Montréal en 1977 et une grève de la faim en 1978. Les divisions internes et des problèmes financiers ont raison de l’Association des Chiliens de Montréal au début de l’année 1980.
Une seconde organisation chilienne, de moindre envergure, émerge aussi au Québec, soit le Bureau des prisonniers politiques du Chili (1975-1979). Ce groupe, représentation officielle du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR, fondé en 1965), vise à défendre les prisonniers politiques enfermés au Chili et à financer la lutte armée contre la dictature. Le tournant stratégique adopté par le MIR en 1979, préconisant le retour au pays des militants exilés afin qu’ils participent directement à la lutte au Chili, met fin à l’expérience du Bureau à Montréal. Celui-ci réussit tout de même à structurer les appuis québécois du MIR et à aider directement la lutte au pays. Par-delà l’ACM et le Bureau des prisonniers politiques, les efforts des militants chiliens se concentrent sur la mise en lumière de leur cause par la chanson et le théâtre, des médiums qui dynamisent la vie communautaire et qui touchent un large public québécois.
Dans les années 1960, la musique folklorique chilienne opère une jonction avec la politique de gauche, débouchant sur la « nouvelle chanson chilienne » (nueva canción chilena). Cette musique accessible traite des problèmes des classes laborieuses et soutient les mouvements socialistes, au premier rang desquels l’Unité populaire. Après le coup d’État, les représentants de ce style sont forcés à l’exil, tels le chanteur Ángel Parra (France) ou les groupes Inti-Illimani (Italie) et Quilapayún (France). La nueva canción accompagne ceux qui s’exilent à Montréal lors des peñas et des concerts publics organisés pour la cause chilienne. Des albums sont enregistrés pour faire connaître leurs luttes et dénoncer la dictature. Le premier disque qui paraît à Montréal s’intitule Chili : le printemps renaîtra ! (hiver 1973-1974), édité par Juan et Mariana Muñoz, et comprend des chansons d’une dizaine d’artistes de la nouvelle chanson chilienne. Le Comité de solidarité Québec-Chili fait paraître, en collaboration avec des militants parisiens, la compilation ¡ Karaxu ! Chants de la résistance populaire chilienne (1974), suivi d’une coproduction Québec-Chili, les Chansons et musique de la résistance chilienne (1975). Ce dernier est tiré à 3 000 exemplaires qui s’écoulent en quelques semaines, forçant un pressage de 2 000 copies supplémentaires. Ces disques visent à « faire mieux connaître aux Québécois la musique chilienne, musique et chansons engagées » et « apporter un soutien moral et financier au peuple chilien »[8].

Le dynamisme politico-culturel s’incarne aussi dans le duo Los Emigrantes, formé en 1957 au Chili par Enrique San Martin et Carlos Valladares. Après une séparation à la suite du coup d’État, les deux chanteurs se retrouvent à Montréal pour enregistrer et diffuser leur disque Il faut parcourir un chemin (1976). L’album est accompagné d’un long pamphlet expliquant la situation chilienne en espagnol, en français et en anglais. La « résistance musicale » chilienne atteint un sommet le 10 mars 1979, alors qu’Isabel Allende, la fille de Salvador, est présente à Montréal pour dénoncer la dictature et qu’un concert-bénéfice réunit le groupe Quilapayún et les chanteurs québécois Claude Gauthier, Claude Léveillée, Paul Piché et Gilles Vigneault[9]. La convergence se fait naturellement entre les artistes chiliens et québécois, alors que les premiers luttent pour la libération de leur peuple et que les seconds sont favorables à l’émancipation du Québec, le tout dans une perspective de gauche partagée. Enfin, la solidarité musicale est incarnée, de 1979 à 1989, par le chanteur en exil Pedro Riffo, qui offre des concerts-bénéfice chaque semaine pour appuyer le Chili, le Nicaragua et le Salvador. Au-delà de cette richesse musicale, le théâtre sert de lieu d’expression et de levier pour la lutte, dans la continuité du « théâtre des opprimés » préconisé par Augusto Boal[10].

Une première troupe appelée Teatro del Ande monte la pièce Splendeur et mort de Joaquin Murieta (écrite par Pablo Neruda) à Montréal en 1976, suivie de plusieurs autres. Le projet le plus emblématique de cet engagement scénique est le Théâtre latino-américain du Québec, fondé en 1977 par Gastón Iturra. Cet auteur, actif au Chili dès les années 1960, appuie le gouvernement de l’Unité populaire et promeut un art didactique, ainsi que la création collective. En exil à Montréal, Iturra continue de pratiquer un théâtre politique et démocratique qu’il décrit comme « son fusil, sa façon de faire la résistance à l’extérieur »[11]. Sa troupe présente des spectacles qui parlent des conditions de vie des travailleurs, accusent les dictatures à la solde des États-Unis et promeuvent le socialisme, comme en témoigne la pièce Torquemada, écrite par Augusto Boal pour dénoncer la junte brésilienne, montée à Montréal en 1977. Dans les années 1980, la troupe La Barraca, aussi dirigée par Iturra, prend le relais, toujours avec des pièces politiques, comme Grandeur et misère du IIIe Reich de Bertolt Brecht, présentée en espagnol au théâtre Calixa-Lavallée (Montréal) en mars 1987. D’autres projets théâtraux visent aussi l’éducation, le soutien au peuple chilien et la promotion du socialisme démocratique. C’est le cas du Théâtre populaire du Québec (TPQ, 1963-1996) qui s’intéresse aux problèmes du Chili dans les années 1970 avec la présentation de la pièce Chile vencera, écrite par Juan Fondon. Une tournée comprenant une vingtaine de dates en Abitibi, en Outaouais, dans les régions de Montréal et de Québec, en Estrie et dans le Bas-du-Fleuve est présentée de mars à mai 1976[12].
En somme, les réseaux familiaux et amicaux, les rencontres festives, les associations communautaires, la chanson et le théâtre sont tous des moyens mobilisés par les exilés chiliens de Montréal dans les années 1970 afin de consolider la lutte contre la dictature de Pinochet et pour le socialisme démocratique. La dénonciation de la dictature chilienne par les arts fonctionne particulièrement bien, car elle s’arrime à une pratique d’engagement culturel au Québec, marquée par la lutte pour l’indépendance et pour le socialisme. L’intérêt pour l’art chilien engagé est visible dans plusieurs publications, par exemple le numéro 9 de la revue Dérives (1977), élaboré en collaboration avec l’Association des Chiliens de Montréal et consacré à la poésie, au théâtre, au cinéma et à la chanson chilienne[13]. À cet univers culturel s’ajoute celui des organisations politiques de solidarité dans lesquelles les Chiliens exilés s’impliquent massivement.

Solidarité internationale et groupes anti-impérialistes
Les expériences politiques chiliennes obtiennent un écho particulier au Québec, en amont comme en aval du coup d’État de 1973. En effet, les militants d’ici sont sensibles, à la suite du trauma causé par l’occupation militaire du Québec à l’automne 1970, à l’idée d’une voie démocratique vers le socialisme. La stratégie de l’Unité populaire crée la sympathie, alors que le rôle joué par les syndicalistes dans la politique chilienne s’accorde avec la stratégie combative des grandes centrales québécoises. Après le putsch de Pinochet, jugé illégitime et répréhensible, les groupes militants s’identifient fortement au peuple chilien qui est victime de l’impérialisme américain et de la violence militaire. Cette assimilation est patente dans le film Richesse des autres (1973) qui dénonce l’exploitation des compagnies minières en faisant alterner des images de René Lévesque et de Salvador Allende[14]. De fait, de nombreux projets de soutien à l’Unité populaire apparaissent dès 1970 et se multiplient après 1973[15].
Dès l’élection de l’UP au Chili, des initiatives de collaboration émergent au Québec. Dans l’esprit de la stratégie du « deuxième front » adoptée par la Confédération des syndicats nationaux (CSN) qui prône la prise en charge des problèmes politiques par les syndicats dans un horizon socialiste, Michel Chartrand[16] séjourne au Chili pour une conférence internationaliste (avril 1973). Ce voyage revêt une grande importance puisqu’il inspire l’organisation d’une Conférence internationale de solidarité ouvrière qui se réunit à Montréal en juin 1975. Le coup d’État de 1973 a laissé des traces et l’évènement accorde une place importante aux militants en exil et à la question politique chilienne. Lorsque la Conférence se transforme en Centre international de solidarité ouvrière (CISO) en 1976, une même place est accordée aux enjeux concernant le Chili, un intérêt qui se manifeste par la diffusion de textes, l’organisation de campagnes de solidarité et le financement de groupes chiliens. Ces activités durent jusqu’à la chute de la dictature, alors que le CISO continue son travail jusqu’à nos jours[17].
En 1973, le Comité de solidarité Québec-Chili[18] est fondé à Montréal dans la perspective de l’internationalisme prolétarien. Rassemblant initialement des militants québécois qui appuient le gouvernement de l’Unité populaire (printemps 1973), le groupe se transforme en organe de solidarité internationale dès l’automne. Il intègre progressivement des militants syndicaux, populaires et chiliens pour devenir, à terme, le porte-parole le plus visible de la cause chilienne au Québec jusqu’à l’agonie de la dictature à la fin des années 1980. Le Comité se donne un double objectif d’éducation et de soutien à la résistance populaire au Chili, en prenant comme assise l’idée que le Québec et le Chili subissent une exploitation capitaliste comparable qui profite à quelques multinationales aux dépens des classes populaires. Le Comité connaît une grande vitalité au niveau des manifestations et des conférences, avec par exemple un rassemblement de 5 000 personnes au Forum de Montréal en décembre 1973 et une manifestation de 2 000 personnes dans les rues de la métropole en septembre 1974. Des manifestations massives sont ensuite organisées chaque mois de septembre à Montréal, jusqu’en 1979.


Avec l’appui financier de la CSN, le groupe produit différents documents, notamment le bulletin Chili-Québec informations (1973-1982) avec un tirage important de 1 500 à 3 500 copies[19], Le Gueulard (1978-1980) et Liaison Québec-Chili. Le CSQC a pignon sur rue au 356, rue Ontario Est (Montréal) et entretient des liens directs avec des membres du Parti socialiste en exil, tout en finançant des réseaux de résistance liés au Mouvement de la gauche révolutionnaire. Il anime des campagnes politiques, comme celles pour libérer des prisonnières et des prisonniers au Chili ou le boycottage d’entreprises profitant de la dictature, dont Noranda Mines. Ainsi, le Comité organise un travail politique au Québec qu’il tente de lier organiquement aux luttes chiliennes, dans un horizon socialiste et internationaliste. Dans les années 1980, le Comité se consacre principalement à la diffusion d’informations, avec des périodes de dormance. Un regain a lieu de 1987 à 1989, durant la décomposition de la dictature de Pinochet, avant la dissolution officielle du CSQC[20].
Un élément important au CISO comme au CSQC est le lien qu’ils établissent entre la situation au Canada et celle au Chili, alors que les gouvernements des deux pays s’entendent pour favoriser les industries transnationales aux dépens des travailleurs[21]. Leurs analyses croisées permettent une convergence d’intérêt qui dynamise les initiatives militantes. « Une série d’analyses, publiées entre 1976 et 1980 dans le journal Solidarité [édité par le CISO], rapporte les conséquences que l’entente signée entre la Noranda Mines Limitée et le gouvernement chilien, dans la foulée du coup d’État militaire de septembre 1973, engendrait respectivement pour les classes ouvrières du Québec et du Chili. »[22] Grosso modo, l’entente prévoit de fermer des mines au Québec et d’y entretenir le chômage, poussant les salaires à la baisse, alors que la compagnie profite d’une main-d’œuvre sous-payée et contrôlée par la junte militaire au Chili, qui elle-même tire une redevance lui permettant de se financer malgré l’isolement international. Ce cas montre la compréhension qui se développe au Québec concernant la manière dont le capitalisme international tire profit des régimes autoritaires, encourageant la jonction entre les luttes locales et la solidarité avec le peuple chilien.
D’autres organisations existent, dont un éphémère Comité québécois pour un Chili démocratique, fondé en décembre 1978 dans une perspective sociale-démocrate. Les éditeurs indépendantistes considèrent aussi que la situation chilienne doit être traitée, avec l’idée que les peuples québécois et chilien sont tous deux victimes de l’impérialisme américain. Les Éditions québécoises publient en 1973 l’ouvrage Chili : une lutte à finir, alors que les éditions Parti Pris impriment Les documents secrets d’ITT au Chili (1974), accompagnés de textes de Salvador Allende. Les organisations marxistes-léninistes, dont En Lutte ! (1972-1982) et la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada (1975-1983) s’intéressent également au Chili dans une perspective révolutionnaire, critique de la voie pacifique choisie par Salvador Allende qui aurait facilité le putsch militaire. Ces groupes valorisent le Mouvement de la gauche révolutionnaire qui prône l’instauration de la dictature du prolétariat et l’armement du peuple pour lutter contre l’impérialisme[23]. Cette posture n’a pas empêché le MIR d’appuyer le gouvernement d’Allende, tout en dénonçant son insouciance face aux dangers de l’impérialisme, une inquiétude compréhensible puisque les États-Unis ont commandité ou facilité onze coups d’État « préventifs » contre des gouvernements de gauche en Amérique latine, uniquement de 1962 à 1968[24]. Par-delà les groupes de solidarité, l’ensemble des forces progressistes au Québec considère que la question chilienne est importante.
Au final, la solidarité, voire l’identification, avec la cause chilienne traverse profondément la société québécoise des années 1970. La voie démocratique vers le socialisme comme l’obscénité du coup d’État touchent les syndicalistes, les internationalistes, les socialistes, les marxistes et les indépendantistes. Les groupes de solidarité, très marqués à gauche, trouvent un terrain d’action favorable au Québec, leur permettant de diffuser massivement leurs analyses et de structurer les luttes anti-impérialistes. En particulier, le Comité de solidarité Québec-Chili parvient à unir les militants québécois et chiliens dans un combat transfrontalier contre les grandes industries et les États capitalistes complices dans l’exploitation des travailleurs. Cette activité politique aura une longue postérité jusqu’à nos jours, alors que la question chilienne demeure importante au Québec, comme en témoigne l’intérêt pour la grève étudiante et la révolte populaire chiliennes de 2019, ainsi que pour le processus constituant toujours en cours.

Déclin de la gauche et reflux de la question chilienne
Le début des années 1980 est marqué, au niveau mondial, par le ressac de la gauche. À la suite du déclin des modèles socialistes (URSS, Chine), de la répression étatique et de la restructuration de l’économie afin d’atomiser les travailleurs, un grand nombre d’organisations militantes disparaissent ou se replient dans le lobbyisme. L’imposition de politiques néo-libérales brutales et la crise économique contraignent les groupes qui subsistent à se concentrer sur des « problèmes domestiques ». Avec un chômage de 12 % au Canada en 1983 et une diminution des salaires de 20 % imposée aux travailleurs du secteur public par le gouvernement provincial de René Lévesque la même année, les énergies sont concentrées sur les enjeux économiques locaux. Dans ce contexte, la majorité des organisations de solidarité internationale disparaissent ou diminuent fortement leurs activités. Le Théâtre latino-américain du Québec meurt, alors que le CISO et le CSQC perdent en vitalité. Le Parti québécois est absorbé par sa lutte contre les travailleurs, pendant que les organisations marxistes-léninistes se décomposent.
Pourtant, les grandes expériences anti-impérialistes et de solidarité de la décennie 1973-1983 demeurent riches d’enseignement. Il faut d’abord souligner l’intérêt d’une voie démocratique vers le socialisme qui a été populaire à une large échelle, même si l’expérience chilienne nous apprend qu’il faut nous outiller pour contrer l’impérialisme belliqueux. Ensuite, l’usage des arts à des fins d’éducation demeure inspirant, particulièrement dans les formes toujours populaires de la chanson et du théâtre. Surtout, la capacité à comprendre de manière globale la situation des Amériques et à lier les militants québécois et chiliens reste exemplaire. Les mouvements actuels devraient renouer avec une telle perspective internationaliste qui éclaire la manière dont les gouvernements bourgeois s’épaulent au niveau mondial et défendent la grande industrie aux dépens des travailleurs. Forts de ces éclaircissements, il devient possible et souhaitable de développer des groupes de solidarité et des organisations révolutionnaires transnationales capables de lutter contre l’impérialisme. En ce sens, le Comité de solidarité Québec-Chili peut servir de référence[25].
Malgré le recul politique de la gauche au niveau mondial, le peuple chilien lance un grand mouvement de défiance contre la dictature de Pinochet à partir de 1983. La pauvreté généralisée, liée à un chômage avoisinant les 30 % et à la répression étatique, met le feu aux poudres. De grandes grèves paralysent le pays, avant qu’une partie du mouvement se militarise. La contestation réussit à forcer la tenue d’un référendum sur la présidence d’Augusto Pinochet en octobre 1988. Le dictateur perd le vote, ainsi que l’élection de décembre 1989 au profit de Patricio Aylwin qui entre en fonction en mars 1990. Cette victoire ne doit pas faire illusion : le pays se retrouve avec un président qui choisit de négocier avec les militaires, tout en défendant le néo-libéralisme. De fait, le Chili vit de 1990 à 2019 sous un régime « démocratique » aux relents autoritaires, acquis aux grands propriétaires et à l’industrie, proche des États-Unis et opposé aux revendications populaires. Cette situation larvée est attaquée en 2019 par un mouvement étudiant et social qui impose un processus constituant à partir de 2020. À la suite du rejet de la constitution proposée par l’Assemblée en septembre 2022, une nouvelle constitution devra être soumise au peuple en décembre 2023[26]. Espérons que les forces progressistes du Chili restent mobilisées pour briser le cycle de la politique réactionnaire. Comme le dit un slogan de l’Unité populaire : « Un peuple uni jamais ne sera vaincu. »
Notes
[1] À ce sujet, voir l’étude classique de FRANK, André Gunder. Capitalisme et sous-développement en Amérique latine, Paris, Maspero, 1968.
[2] Ces deux gouvernements sont commandités par les États-Unis via le mécanisme financier de l’Alliance pour le progrès (1961-1973). La campagne électorale d’Eduardo Frei Montalva de 1964 est par ailleurs financée à hauteur de trois millions de dollars par la CIA.
[3] Pour une contextualisation des enjeux continentaux et chiliens, voir DABÈNE, Olivier. L’Amérique latine à l’époque contemporaine, Paris, Armand Colin, 2011. Pour une synthèse de l’histoire du Chili post-colombien, voir SARGET, Marie-Noëlle. Histoire du Chili de la conquête à nos jours, Paris L’Harmattan, 1996.
[4] Pour comprendre l’horreur de la répression, on écoutera la Lettre à Kissinger (1975), une chanson écrite par Julos Beaucarne en hommage à son ami Victor Jara et qui présente son martyre.
[5] AMNESTY INTERNATIONAL. Le Chili d’Augusto Pinochet, AMR 22/009/2013, 2013.
[6] JEDLICKI, Fanny. « Les exilés chiliens et l’affaire Pinochet. Retour et transmission de la mémoire » dans
Cahiers de l’Urmis, no 7, 2001, page 3.
[7] Pour une étude détaillée de l’immigration chilienne au Québec qui dépasse largement le cadre de l’exil politique, voir DEL POZO, José. Les Chiliens au Québec. Immigrants et réfugiés, de 1955 à nos jours, Montréal, Boréal, 2009.
[8] Chansons et musique de la résistance chilienne (1975), texte de présentation au verso de la pochette.
[9] TRUDEL, Clément. « Les Chiliens sont en train de reconquérir le Chili » dans Le Devoir, 10 mars 1979, page A18.
[10] BOAL, Augusto. Théâtre de l’opprimé, Paris, La Découverte, 2007 [1971].
[11] JONASSAINT, Jean et Gastón ITURRA. « Le théâtre chilien : un art engagé et démocratique » dans Dérives, no 9, 1977, page 12.
[12] Le programme est disponible en ligne : https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2631374
[13] Disponible en ligne : https://archivesrevolutionnaires.com/wp-content/uploads/2020/10/derives-no.9.pdf
[14] Richesse des autres (1973), long-métrage de Maurice Bulbulian et de Michel Gauthier produit par l’Office national du film (ONF), disponible en ligne : https://www.onf.ca/film/richesse_des_autres/
[15] Pour une analyse des rapports entre la gauche québécoise et la vie politique chilienne durant cette période, on consultera BARRY-SHAW, Nikolas. RÊVE / CAUCHEMAR: Allende’s Chile and the Polarization of the Québec Left, 1968-1974, mémoire de maîtrise, Université Queen’s, 2014.
[16] Président du conseil central de Montréal, affilié à la CSN, de 1969 à 1978.
[17] Sur l’histoire du CISO, voir DE SÈVE, Nicole. Centre international de solidarité ouvrière 1975-2015, Montréal, autoédité, 2015.
[18] Le Comité de solidarité Québec-Chili se présente parfois sous le nom de Comité Québec-Chili, y compris dans certaines de ses propres publications. Notons aussi qu’il avait, suivant les années, des activités à Hull, Trois-Rivières, Sherbrooke, Rimouski et Chicoutimi.
[19] Plusieurs numéros sont disponibles en ligne : https://40ans.cdhal.org/revues/quebec-chili-informations/
[20] Sur les premières années du CSQC, voir Le Comité Québec-Chili (1973-1978). Son équipe et ses acquis, Montréal, autoédité, 1978, disponible en ligne : https://40ans.cdhal.org/wp-content/uploads/2017/08/Bilan_Comit%C3%A9-Qu%C3%A9bec-Chili-1973-1978.pdf
[21] Le Canada a normalisé ses relations avec la dictature dès le 23 septembre 1973, soit moins de deux semaines après le putsch. Pour cette raison, le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau est accusé de duplicité, malgré son programme d’accueil pour les exilés chiliens.
[22] DORAIS, Geneviève. « La solidarité intersyndicale Québec-Amérique latine et le Centre international de solidarité ouvrière, 1975-1984 » dans Histoire sociale / Social History, no 115, mai 2023, page 39.
[23] Cet intérêt pour le MIR s’accompagne d’un bémol, car les organisations marxistes-léninistes québécoises lui reprochent une stratégie trop guévariste, insuffisamment axée sur le travail de masse.
[24] Argentine (mars 1962), Pérou (juillet 1962), Guatemala (mars 1963), Équateur (juillet 1963), République dominicaine (septembre 1963), Honduras (octobre 1963), Brésil (avril 1964), Bolivie (novembre 1964), Argentine (juin 1966), Pérou (octobre 1968) et Panama (octobre 1968).
[25] L’histoire de la militance anti-impérialiste au Québec reste à écrire afin qu’elle puisse nous servir d’appui. Pour un premier effort concernant les groupes chiliens, voir HERVAS SEGOVIA, Roberto. Les organisations de solidarité avec le Chili, Montréal, 5 continents, 2001, qui reprend le mémoire de l’auteur déposé en 1997 à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
[26] Pour comprendre l’échec de la gauche chilienne au référendum de 2022 et s’informer sur les tentatives de relance du mouvement populaire, on pourra lire VIELMAS, Sebastián et Consuelo VELOSO. « Rejet de la nouvelle constitution : implications pour la gauche chilienne » dans Nouveaux Cahiers du socialisme, n° 29, 2023, pages 208-213, ainsi que de nombreux articles dans la revue Contretemps, en ligne : https://www.contretemps.eu/?s=chili
Gaza : un appel à la paix par un Gaspésien
Pourquoi le gouvernement interfère-t-il dans les négos de Postes Canada ?
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Manifestation au G7 contre les « 7 génocidaires » et pour les droits humains

De Tunis à Gaza, de Montréal à Rafah : briser le siège, refuser le silence

Il est des gestes qui ne relèvent ni du secours humanitaire ni du symbole abstrait, mais bien de l'histoire. La Marche mondiale vers Gaza en fait partie. Plus qu'un simple rassemblement international, c'est un soulèvement moral et politique. Un refus collectif de l'indifférence. Une réponse populaire, transnationale, résolue et indocile à la mise à mort programmée d'un peuple.
Le 15 juin 2025, des milliers de personnes venues de plus de trente pays convergeront vers la frontière de Rafah. De Tunis à Vancouver, de Dakar à Santiago, une génération dispersée mais insoumise a choisi d'écrire une autre page de notre histoire. Elle incarnera une conviction profonde : la solidarité n'est pas une option morale, c'est un impératif politique.
Cette initiative n'est ni charitable, ni symbolique. Elle est une riposte, une dénonciation vivante de l'ordre mondial qui laisse mourir de faim un peuple entier dans un silence organisé. C'est le cri de celles et ceux qui refusent de normaliser le génocide, de réduire Gaza à une parenthèse humanitaire dans un monde saturé de cynisme.
Née dans l'urgence d'un monde anesthésié, la Marche mondiale pour Gaza est le fruit d'un refus : celui de détourner les yeux alors qu'un des pires génocides du XXIe siècle s'accomplit sur nos écrans, en toute impunité. Depuis octobre 2023, plus de 55 000 Palestinien·nes ont été martyrisé·es, soit environ 2,4 % de la population de Gaza. Et ce chiffre, déjà insoutenable, reste sous-estimé. Selon The Lancet, revue scientifique de référence, le nombre réel de martyrs pourrait avoir atteint 186.000 dès juin 2024. Imaginons ce qu'il en est aujourd'hui.
Face à cette barbarie orchestrée, la Marche est une insurrection morale. Une coordination citoyenne mondiale rassemblant plusieurs réseaux :
* la Freedom Flotilla Coalition, qui tente de briser le blocus par la mer ;
* la Marche Mondiale vers Gaza, mobilisée par voie aérienne ;
* et la Coordination de l'action commune pour la Palestine, partie de Tunisie, qui emprunte la voie terrestre.
Et c'est justement de Tunis, ma ville natale, que le convoi Al-Soumoud, la caravane terrestre de la ténacité a choisi de faire ses premiers pas. Tunis, témoin d'une solidarité enracinée avec la cause palestinienne, terre d'accueil de l'Organisation de Libération Palestinienne (OLP) après les massacres de Sabra et Chatila en 1982, terre d'exil des résistant·es jusqu'au retour à Gaza en 1994, et terre frappée par les bombes israéliennes lors de l'attaque aérienne du 1e octobre 1985 contre le quartier général de l'OLP à Hammam Chott. Ici, Gaza n'est pas une abstraction, mais une mémoire vivante. Une mémoire populaire, que ni la répression ni les renoncements gouvernementaux n'ont pu effacer. Une ville qui continue de dire non, même bâillonnée.
Je suis aussi Canadienne, de cette terre qui m'a accueillie, et c'est depuis Montréal que je m'engage au sein de la coordination nationale de la Marche mondiale pour Gaza. Cette double appartenance n'est pas une contradiction, mais une richesse : celle de pouvoir tisser des ponts entre les rives, relier les récits, faire dialoguer les mémoires, et assumer les responsabilités qui découlent de chaque côté de l'océan.
Car le Canada n'est pas neutre. Il continue d'exporter des armes, de signer des contrats militaires, de soutenir Israël diplomatiquement, et de voter contre les droits des Palestinien·nes dans les instances internationales. Marcher depuis ici, c'est refuser cette complicité active. C'est agir depuis le cœur même de l'Empire. Car ce génocide est commis avec notre argent, nos lois, nos impôts, et surtout nos silences.
La délégation canadienne, dont je fais partie, composée de militant·es, de syndicalistes, de professionnel·les de la santé, de jeunes et d'artistes engagé·es s'inscrit pleinement dans cette dynamique. Nous marchons parce que ce faux lointain, cette illusion de distance, expose crûment notre participation, passive ou structurelle, au système qui rend le massacre possible. Nous marchons pour dire que nous refusons d'être complices. Que nos passeports ne nous protègent pas de la honte. Que nous aurons des comptes à rendre à nos enfants, et aux leurs.
Depuis le 2 mars 2025, Israël impose une fermeture totale des points de passage vers Gaza, empêchant toute entrée de nourriture, médicaments et aide humanitaire. Le blocus de Rafah a provoqué famine, effondrement sanitaire, déplacements forcés à grandes échelle. Face à cette situation, la Marche mondiale pour Gaza porte trois revendications claires : la levée immédiate du blocus de Gaza, l'ouverture inconditionnelle du passage de Rafah, l'entrée de l'aide humanitaire et la fin des complicités internationales qui rendent ce génocide possible et durable.
Nous ne sommes pas naïfs. Nous savons que les États ne plient pas sous la seule pression morale. Mais nous savons aussi que l'histoire avance par accumulation : de cris, de pas, de ruptures. Sans cette marche, nous serions plus seul·es et sans doute plus honteux·euses. Elle est un acte de mémoire, mais aussi un pari sur l'avenir. Elle affirme que la Palestine vit encore : dans chaque slogan, chaque keffieh, chaque regard levé.
Nous ne marchons pas pour nous donner bonne conscience. Nous marchons pour ouvrir une brèche dans le mur de l'indifférence. Pour rappeler à nos peuples que la lutte palestinienne est aussi la nôtre : une lutte contre le colonialisme, pour la justice globale, pour le droit à la vie, à la dignité, à la terre et au rêve.
Je marcherai pour Gaza, oui. Mais aussi pour mes enfants et pour les enfants de Tunis, ceux que j'ai vus écrire encore sur les murs : « القدس لنا / À nous Jérusalem ». Je marcherai pour les jeunes de Montréal qui ne comprennent pas pourquoi les bombes reçoivent plus de soutien que les vies. Pour toutes celles et ceux qui croient encore que marcher, c'est résister ; que résister, c'est espérer ; et qu'espérer, c'est déjà se battre.
Cette marche, enfin, est une promesse. Celle de ne pas céder. Car tant qu'il y aura des peuples qui marchent, il y aura des peuples qui résistent. Et tant qu'il y aura des résistances, le projet colonial ne dormira jamais tranquille. Palestine vaincra !
Safa Chebbi est militante décoloniale et membre de la coordination nationale canadienne de la Marche mondiale pour Gaza.
Crédit photo : Yassine Gaidi.

La lutte des travailleurs et travailleuses des postes, une lutte de toute la population ouvrière et populaire

Dans un geste sans précédent dans l'histoire du mouvement ouvrier au Canada, la ministre de l'emploi et des familles, Patty Hajdu, a annoncé le 12 juin dernier qu'elle exercerait son pouvoir en vertu du paragraphe 108.1(1) du Code canadien du travail afin d'ordonner un vote sur les offres finales que Postes Canada a soumises au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) le 28 mai 2025. Le Conseil canadien des relations industrielles sera chargé de tenir ce vote.
Selon la présidente nationale du STTP Jan Simpson, la décision de la ministre constitue une nouvelle atteinte aux droits de négociation collective du syndicat. Elle vient s'ajouter aux autres que le STTP a subi en l'espace de quelques mois. En décembre dernier, Steven MacKinnon, alors ministre du Travail, a utilisé l'article 107 du Code canadien du travail pour mettre la grève légale sur « pause », et l'article 108 pour créer une Commission d'enquête sur les relations de travail. Chaque fois qu'il est intervenu, le gouvernement l'a fait en faveur de la direction de Postes Canada : suspension de notre grève légale ; création d'une Commission d'enquête dotée d'un mandat qui favorise les positions patronales ; et maintenant, imposition d'un vote malgré la forte opposition du Syndicat.
Le président du Conseil régional FTQ Montréal-Métropolitain Marc-Édouard Joubert, lui-même membre du STTP réagissait en ces termes : « Voici les effets de la normalisation du discours antisyndical. Le droit de représentation est donc maintenant soumis aux décisions de la ministre du travail. Celle-ci force le vote sur l'offre finale de PC. L'habitude de l'ingérence gouvernementale est une dangereuse dérive qui vient plomber ni plus ni moins les règles de saine négociation et le rapport de force souhaité. C'est absolument abject ! Jour noir de l'histoire ouvrière. Lorsque l'offre finale ne peut plus être remise en question, à quoi sert donc le concept de négociation libre ? »
Éliminer la position de ministre du travail pour mieux préparer l'offensive antisyndicale
De surcroit, le titre de ministre du Travail a disparu en mars lorsque M. Carney a formé son premier cabinet. Il a créé une nouvelle fonction de ministre de l'Emploi et de la Famille, ainsi que ministre responsable de l'Agence fédérale de développement économique pour le Nord de l'Ontario et nommé Patty Hajdu à ce poste.
Son cabinet est ainsi le premier depuis 1909 à ne pas compter de ministre dédié au travail. La situation ne s'est pas améliorée après les élections, Carney n'ayant officiellement attribué au travail qu'un portefeuille de « secrétaire d'État », qui n'est pas un poste ministériel. Aucun premier ministre n'a accordé moins de place officielle aux travailleurs au cours des 120 dernières années. (1)
Stéphanie Chouinard Professeure de science politique au Collège militaire royal et à l'Université Queen's, à Kingston en Ontario et panéliste à Radio-Canada expliquait que la position de Carney d'éliminer la position de ministre du Travail indiquait une réorientation vers « l'économie » au détriment des travailleurs. C'est le moins qu'on puisse dire.
Faire un exemple avec l'offensive actuelle contre le STTP, un des syndicats le plus combatif au Canada
Dans le contexte des tentatives de négociation avec notre voisin du sud, qui s'avéraient jusqu'à maintenant très ardues, cette offensive antisyndicale envoie un message clair. Le gouvernement canadien sera côte à côte avec Trump dans son offensive anti ouvrière.
L'Alliance de la Fonction Publique du Canada (AFPC)abonde dans ce sens et affirme dans un communiqué récent : « Donald Trump a lancé une des offensives antisyndicales les plus agressives de l'histoire des États-Unis. D'un coup de stylo, il a balayé le droit à la négociation collective d'un million de fonctionnaires fédéraux. Cette attaque sans précédent, qui retire à ces personnes leurs protections syndicales, s'inscrit dans un effort plus vaste visant à réduire au silence les syndicats ayant « déclaré la guerre » aux programmes du président, selon une fiche d'information de la Maison-Blanche.
Bien plus qu'un coup de hache dans la fonction publique américaine, c'est un avertissement pour la population canadienne.
Quand les gouvernements s'en prennent aux syndicats, les travailleuses et travailleurs perdent leurs droits, les salaires stagnent et les services publics écopent. La propagande de la droite a convaincu des millions de personnes aux États-Unis de voter contre leurs propres intérêts. On ne peut pas laisser ce scénario se produire ici. Les actions de Trump établissent un dangereux précédent et ouvrent la voie à l'adoption de lois semblables au Canada. » (2)
Des revendications syndicales pour un meilleur service à moindre coût
Dans une entrevue accordée à Presse-toi à gauche en décembre dernier, Renaud Viel, président de la section locale de Montréal du STTP (3) expliquait que les propositions syndicales apportaient des solutions financières et critiquait les dépenses inutiles de Postes Canada. Celui-ci fournit maintenant des véhicules à tous les facteurs et factrices, ce qui est complètement inutile, couteux et anti environnemental. Le syndicat s'oppose au contraire à cette nouvelle pratique et avance en plus des solutions alternatives. Il propose que toutes les compagnies privées de livraison de colis livrent régionalement dans des entrepôts de Poste Canada, comme par exemple à la succursale de Repentigny, et ce sont les facteurs qui livreraient le dernier kilomètre à la résidence appropriée. Cela aurait pour conséquence qu'il y aurait beaucoup moins d'autos et de camions de livraison sur la route et beaucoup moins d'embouteillage et de pollution.
Vers une mobilisation générale
Le STTP est en ce moment le premier sur la ligne de front. Dans le contexte actuel nous ne pouvons pas le laisser seul contre l'offensive du gouvernement Carney. Si le STTP perd la bataille, ce sera le signal d'offensive contre tout le mouvement syndical mais aussi tout le mouvement populaire. Tout le mouvement ouvrier, populaire, féministe et environnemental est concerné et doit se mobiliser sinon nous y passerons tour à tour.
Organisons des mouvements de soutien et des manifestations d'appui afin de créer une mobilisation unitaire au Canada et au Québec, on ne peut laisser passer cette offensive !
André Frappier
(1) https://canadiandimension.com/articles/view/mark-carney-is-already-betraying-voters-who-made-him-pm
(2) https://syndicatafpc.ca/ne-laissons-pas-visees-antisyndicales-trump
(3) https://www.pressegauche.org/Entretien-avec-Renaud-Viel-president-de-la-section-locale-de-Montreal-du
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La montée de Die Linke dans un contexte de croissance de l’extrême droite

Ce texte a été adapté d'après l'enregistrement sonore de la conférence tenue à New-York le 26 février 2025. Cet événement était co-organisé par Rosa-Luxemburg-Stiftung (RLS), une institution d'éducation civique à but non lucratif, progressiste et internationale, proche du Parti de la gauche allemande (DIE LINKE) et Jacobin Magazine.
Stefan Liebich est directeur du bureau new-yorkais (pour les États-Unis, le Canada et les Nations unies) de la Fondation Rosa Luxemburg. Il a été élu au Bundestag trois fois (en 2009, 2013 et 2017) en tant que représentant de Die Linke à Berlin-Pankow.
Sofia Leonidakis est députée de Die Linke au Parlement de Brême depuis 2015 et présidente du groupe parlementaire de Die Linke au Parlement de Brême depuis août 2019.
Bhaskar Sunkara est rédacteur en chef fondateur de la revue Jacobin et président de la revue The Nation. Il est anciennement vice-président des Democratic Socialists of America, la plus grande organisation socialiste aux États-Unis.
Stefan Liebich
Je voudrais vous présenter Bhaskar Sunkara. Il est bien sûr le fondateur du magazine Jacobin, mais aussi le président de l'hebdomadaire The Nation. Nous sommes très heureux de vous accueillir et nous vous remercions de votre coopération. Je m'appelle Stefan Liebich. Je suis le directeur du Rosa Luxemburg Stiftung, et j'ai été membre du Parlement allemand de 2009 à 2021.
Je vais immédiatement changer de rôle, n'étant pas l'animateur mais l'un des panélistes. Rosa Luxemburg Stiftung est l'une des six fondations allemandes financées par les contribuables et associées à des partis politiques allemands. En Allemagne, la loi prévoit que chaque parti politique élu pour trois mandats consécutifs au Bundestag, le parlement allemand, reçoit des fonds gouvernementaux dédiés à l'éducation politique. Notre fondation est liée à Die Linke, le Parti de gauche..
Je vous remercie donc pour cette journée. À présent, je passe la parole à Bhaskar, et j'espère que nous en ferons une utilisation intéressante.
Bhaskar Sunkara
Je pense qu'il serait utile de commencer par un petit historique. Je suppose que si vous vous rendez à un événement juste après le travail à 18 heures, vous êtes probablement familiers avec la politique allemande ou avec le sujet dont nous traitons. Je vais donc partir du principe que vous avez un bon niveau de connaissances. Mais, pour commencer, je pense qu'il serait utile que vous dressiez rapidement le paysage de la politique allemande, afin que nous sachions quels sont les cinq partis qui sont entrés au Parlement et où ils se situent sur l'échiquier politique.
Stefan Liebich
Bien sûr. Je vais passer en revue les résultats des élections. Les élections de dimanche dernier ont été remportées par la CDU. Il s'agit de l'Union chrétienne-démocrate et de son parti frère bavarois, la CSU. Je dirais qu'il s'agit d'un parti de centre droit. Certains diraient conservateur. Il a obtenu son deuxième plus mauvais résultat dans l'histoire de l'Allemagne, mais il a remporté les élections avec 28 % des voix. Il a malheureusement été suivi par ce que l'on appelle Alternative pour l'Allemagne (AfD). Il s'agit d'un parti de droite, voire d'extrême droite, que l'on peut même qualifier de fasciste en Allemagne. Malheureusement, ce parti a doublé le nombre de ses voix et est arrivé en deuxième position avec 20 % des voix. Le troisième est un parti qui a actuellement la chancellerie, le parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), qui est le plus ancien parti d'Allemagne. Il n'a obtenu que 16 % des voix, ce qui est le pire résultat de son histoire. Vient ensuite le Parti des Verts avec 11 % des voix, ce qui représente également une perte, moins importante que celle subie par les sociaux-démocrates, mais suffisante pour que leur principal candidat décide de se retirer et de ne plus participer à la vie politique.
Mais la grande surprise était la performance de Die Linke, qui a obtenu 8,8 %, un résultat auquel personne ne s'attendait vraiment. Je parlerai du parti plus tard. Ensuite, c'est vraiment pour les accros de la politique. Il y a une personne élue au sein du SSW (Südschleswigscher Wählerverband). Nous avons une loi supplémentaire pour la minorité danoise. Elle n'a pas l'obligation d'atteindre le seuil de 5 % exigé par le scrutin proportionnel mixte, c'est pourquoi elle a obtenu un siège pour être représentée au parlement. Ce sont tous les partis qui siègent actuellement au parlement. Le Parti démocrate libre (FDP), favorable aux entreprises, a été exclu du parlement. Il faisait partie du dernier gouvernement. Ils avaient le ministre des Finances de l'Allemagne, ils ont été écartés. Ensuite, il y a eu un projet de vanité en guise de BSW (Partei Bündnis Sahra Wagenknecht), dont nous n'avons pas besoin de parler. Nous pourrons y revenir si cela vous intéresse.
L'histoire du parti, Die Linke, Le Parti de la gauche, commence en RDA. Le Parti communiste de la RDA, ou Parti de l'unité socialiste, s'est transformé en Parti du socialisme démocratique. Au cours de cette transformation, ce parti a perdu 90 % de ses membres et est devenu un parti totalement différent, passant de 2 millions de membres à 100 000. Le PDS était très fort à l'est et très faible à l'ouest. Il a obtenu environ 5 % aux élections fédérales, mais il a sombré dans la crise. Il y a eu un moment où un groupe né de la scission du parti social-démocrate, mené par son ancien président, Oskar Lafontaine, et par le PDS, a initié une fusion. En 2009 Die Linke a été fondé. Ce parti s'est présenté pour la première fois en 2005 au Bundestag allemand. Nous avons obtenu 8 %, puis même 12 %, puis 8 %, puis 9 %, et lors de la dernière élection, terrible défaite, même pas 5 %. Il y a quelques semaines, si vous m'aviez posé la question, je n'étais pas sûr que Die Linke reviendrait au Bundestag allemand. Nous sommes maintenant revenus à 8 %. 8 %, c'est vraiment formidable.
Bhaskar Sunkara
Il y a quelques semaines, la plupart de mes discussions avec mes amis allemands portaient sur la question de savoir si Die Linke serait en mesure d'obtenir trois ou quatre députés lors de la prochaine élection. Mais il y a un retournement de situation assez stupéfiant dans les sondages. Tout est relatif, encore une fois. Nous sommes de gauche, socialistes. Pour nous, 9 % en 2025, avec les forces montantes de l'extrême droite, ce serait un peu notre version du soviet de Petrograd ou quelque chose comme ça. Mais nous devons tous remettre les choses dans leur contexte. Les résultats sont passés d'environ 3 % à environ 9 %. Je me demandais si vous pouviez nous parler un peu de la campagne qui a été menée. Selon vous, quels sont les messages qui ont trouvé un écho auprès des électeurs ordinaires qui ont décidé de soutenir Die Linke, même s'ils auraient pu envisager de voter pour ce parti dans le passé ?
Sofia Leonidakis [deputé de die Linke à Bremen]
Personne ne s'y attendait, même un mois avant. Nous figurions dans de nombreux sondages autour de 3 %. Nous n'apparaissions même pas comme un parti connu. Nous étions mélangés à d'autres partis. Nous n'étions plus visibles dans le paysage politique. On peut dire que nous n'étions plus une force politique. Il y a plusieurs raisons à cela. L'une d'entre elles est que nous nous sommes battus entre nous à l'intérieur de la gauche pendant des années. Un membre de notre parti, Sarah Wagenknecht, a quitté le parti avant l'année dernière. Elle a fait cela il y a un an et demi. Pendant longtemps, elle a affaiblit Die Linke de l'intérieur parce que nous nous battions constamment. Elle s'est toujours opposée aux positions démocratiquement décidées et a su s'imposer en s'opposant à nous. Elle a fait beaucoup de mal à notre parti, mais c'est maintenant du passé et nous pouvons aller de l'avant.
Il y a donc beaucoup d'autres éléments, comme le travail sur les médias sociaux qui a été intensifié, dix fois plus qu'avant. Il a fait l'objet d'un investissement important. Mais je pense que l'élément essentiel est que nous avons travaillé ensemble, nous ne nous sommes pas battus publiquement. Nous ne nous sommes pas opposés les uns aux autres, mais nous avons parlé d'une seule voix. Puis, le gouvernement s'est effondré, et nous avons dû mener une campagne électorale en l'espace d'un mois. Mais auparavant, elle avait été préparée avec une nouvelle stratégie qui consistait à diffuser des messages simples. La base était là, sur la base d'une autre culture politique au sein du parti lui-même, entre nous, et aussi sur une base stratégique. Ces deux bases existaient déjà. Nous avons donc pu mener cette campagne électorale. Dans le cadre de cette campagne, différents éléments ont été mis en place pour aller à la rencontre des électeurs. Nous avons frappé à plus de 600 000 portes en Allemagne, ce qui est énorme. Le message était le suivant : nous ne sommes pas des faiseurs de promesses, mais nous avons une réponse claire aux questions sociales, à la sécurité sociale et à une plus grande justice sociale.
Et nous avons écouté les problèmes des gens. C'est la raison pour laquelle aller à la rencontre des gens était un élément très important de notre campagne électorale.
Bhaskar Sunkara
Je pense donc qu'il serait bon d'évoquer le spectre de la perte du soutien historique de la classe ouvrière aux partis de gauche en Allemagne. À bien des égards, l'Allemagne a été le berceau du premier véritable parti de masse des travailleurs. Le SPD était le parti le plus important de la Deuxième Internationale et le parti le plus important du mouvement ouvrier européen au 19e siècle. C'est le parti qui a créé la démocratie moderne en Europe, en dehors de la Grande-Bretagne. Il a contribué à créer le modèle qui a permis d'instaurer le suffrage universel en Europe et de créer toutes ces autres voies pour diverses formes de gains de la classe ouvrière. Lorsque nous parlons de la perte de certains bastions de la social-démocratie européenne, nous parlons de quelque chose d'encore plus significatif que le Parti démocrate perdant des endroits qui ont voté bleu pendant 30 ou 40 ans, ce qui, bien sûr, est également significatif, mais des endroits qui ont voté selon des lignes de classe pendant 140 ans. Je pense donc que ce à quoi je veux en venir, c'est si vous pouviez discuter de manière générale de ce qui arrive en particulier au SPD et à Die Linke. En ce qui concerne ce dernier, je suppose que la perte des électeurs traditionnels de Die Linke dans l'Est fut compensé —et dites-moi si j'interprète mal la démographie du parti— par des électeurs issus de la classe ouvrière et de l'immigration dans certaines villes d'Allemagne, mais aussi par des étudiants, des jeunes travailleurs, des transfuges de partis comme les Verts. On assiste donc à un déplacement de la base de l'Est vers l'Ouest. Dans le cas du SPD, il s'agit moins d'un changement de coalition que d'une perte sèche pour ces travailleurs.
Je critique également le BSW, mais je pense que pour offrir une interprétation de bonne foi de la tentative initiale, il s'agissait de dire : « Nous perdons radicalement toute une couche de la classe ouvrière à l'Est, et nous devons répondre à leurs préoccupations ». Die Linke a essayé de rejoindre les travailleurs sur des questions comme les loyers et l'État-providence, tout en restant fidèle à ses principes sur l'immigration. Le BSW a peut-être eu moins de confiance dans la capacité des Allemands ordinaires à voter sur ces questions économiques sans faire le jeu de certains éléments sociaux conservateurs. C'est donc une grande question. Mais je me demande si nous pourrions discuter davantage du SPD, puis du lien et de l'évolution de la composition de ces partis.
Stefan Liebich
Oui, et ces deux histoires, Die Linke et le SPD, sont liées. Parfois, les gens se souviennent avec un peu de nostalgie de l'époque où le SPD était un parti de travailleurs. Cependant, il faut tenir compte d'un certain type de représentation des travailleurs. En Allemagne de l'Ouest, le taux d'emploi des femmes était très faible. Ce n'est pas un modèle que nous recherchons actuellement. Le modèle ouest-allemand était également basé sur ce qu'ils appelaient, et c'est vraiment désagréable, les travailleurs invités (Gastarbeiter). L'Allemagne invitait des gens de Turquie, d'Italie, de Grèce et d'autres pays de venir travailler en Allemagne avec l'idée folle qu'ils viendraient travailler et rentreraient ensuite chez eux. Lorsqu'ils ne rentraient pas et qu'ils avaient des familles, ce n'était pas du tout ce que voulaient certaines personnes en Allemagne. Ce modèle, l'ancien modèle ouest-allemand, n'est en fait pas un modèle auquel je souhaite revenir. Mais c'était aussi un état d'esprit que nous avions dans notre parti avec ces gens qui sont maintenant dans le SPD parce qu'ils avaient une certaine nostalgie. Ce qu'ils ont réalisé est que lorsque Tony Blair a commencé avec son « New Labour », Gerhard Schröder, qui était le chancelier social-démocrate, essayait de l'imiter, et il intimait ‘Nous ne sommes plus du tout pour les travailleurs'. C'est un peu comme les démocrates ici. On réclame les services publics et ils nous laissent tomber. Ce processus a été très difficile. Ils ont supprimé de nombreux programmes très importants pour soutenir les chômeurs, etc. Le parti social-démocrate a suscité une énorme déception. De cette déception est née la scission qui a donné naissance, avec le PDS, au nouveau parti Die Linke. Le parti social-démocrate n'a cessé de s'effondrer. Le problème, réside dans notre système de coalition. Les Américains aiment parfois notre système de vote proportionnel. Je comprends pourquoi, parce qu'on peut voter pour une certaine orientation politique sans aimer toute la tendance. Le problème, c'est qu'après les élections, les partis doivent former des coalitions. La déception s'est prolongée parce que le parti social-démocrate a dû former des coalitions, soit avec la CDU, soit, dans ce cas, avec le FDP, et aussi parce qu'il existe une tendance conservatrice au sein même du SPD. Je pense que l'issue de cette élection est le sentiment qui se propage parmi les travailleurs et les personnes moins riches que ce parti ne les représente plus. C'est là le problème du SPD.
Si nous parlons de Die Linke, il y a également une mécompréhension. J'entends parfois des gens dire que Die Linke doit revenir à l'époque où il était un parti ouvrier. Pour être honnête, le PDS, le Parti du socialisme démocratique, n'a jamais été un parti ouvrier. Il a fait de la politique pour les travailleurs. Il a réalisé de bonnes avancées pour les travailleurs. Mais la plupart de leurs membres et électeurs étaient des personnes déçues par la manière dont la réunification s'est déroulée. Il s'agit de personnes qui travaillaient pour le gouvernement de la DDR (République démocratique allemande). Les travailleurs des trois premières élections ont voté pour la CDU parce qu'ils voulaient la réunification. Il n'y a eu qu'un seul moment, juste après la fusion entre le PDS et une fraction pro-travailleur qui a quitté le parti social-démocrate, où nous avons bénéficié d'un soutien important de la part des syndicats et des travailleurs. Mais ce fut un court moment de notre histoire. Ensuite, vous avez raison, un problème qui existe parmi les partis de gauche dans le monde entier — ou un défi, je ne veux pas le décrire comme un problème — est de savoir sur quoi se concentrer.
Bien sûr, nous sommes en faveur du féminisme. Nous voulons appuyer les migrants. Nous luttons pour la paix dans le monde, etc. Mais la question est de savoir comment rejoindre une majorité de la population allemande pour avoir la force de faire tout cela. Je pense que c'était une stratégie intelligente dans cette élection, comme Sophia l'a mentionné, de mettre l'accent sur deux messages : les prix élevés du logement et des denrées alimentaires. Nous en avons parlé sans cesse. C'est un message qui résonne. La différence avec le BSW, c'est qu'il a, en même temps, livré en pâture les minorités et les personnes défavorisées de la société. Ce n'était pas juste qu'ils ciblaient surtout les travailleurs blancs. Au même moment, ils se sont officiellement opposés aux migrants. Ils ont voté avec l'aile droite, avec les fascistes et avec le Bundesrat allemand. Ils se sont battus contre les personnes LGBTQ+ en Allemagne. Je pense que c'est aussi l'une des raisons pour lesquelles ils ont perdu. Je pense que notre idée, à savoir de ne pas abandonner les minorités et les personnes défavorisées, et de se battre pour elles, mais de se concentrer, lors d'une campagne électorale, sur des questions économiques telles que les prix élevés, était la bonne.
Bhaskar Sunkara
Je pense donc que cela vaut la peine de parler de ce que c'est que d'être au gouvernement et de faire partie d'une force qui construit sa crédibilité au niveau national parmi les travailleurs ordinaires, sur la base d'une force d'opposition. Historiquement, du moins depuis ma première rencontre avec la gauche allemande il y a environ 10 ou 15 ans, il semble qu'il y ait toujours eu un clivage très fort entre—et encore une fois, il s'agit d'une généralisation grossière—les personnes qui sont plus orientées vers l'électoralisme et la recherche de crédibilité, en particulier après l'expérience du PDS au pouvoir, en cherchant à obtenir des gouvernements d'État en particulier à l'Est, et les militants qui se concentrent davantage sur l'extraparlementaire, il y a toujours eu cette tension. Je pense que nous avons été déçus par les différents gouvernements de coalition qui ont été formés avec Die Linke dans le passé. Sa participation très précoce à un gouvernement dans l'Est est l'une des raisons pour lesquelles le BSW n'a pas atteint son seuil. Je vous demande donc, en tant que personne ayant participé à la tâche complexe d'essayer de gérer un gouvernement existant dans un état capitaliste dans l'intérêt des travailleur.e.s, comment vous gérez certains des compromis que vous devez faire en tant que coalition en maintenant ce profil d'opposition et en vous affichant comme un parti différent du SPD et différent de beaucoup de ces partis de l'establishment dont les gens sont de plus en plus désenchantés.
Sofia Leonidakis
Je vais répondre à votre question, mais permettez-moi d'abord d'ajouter deux points à la discussion précédente, car nous ne les avons pas mentionnés. Une autre raison de notre succès est que nous avions un excellent personnel. Ils sont célèbres. Ils ont des millions de « likes » sur les réseaux sociaux, donc les gens les connaissent. Lorsqu'ils organisent un événement, les gens font même la queue pour leur parler. Ils font des centaines de kilomètres et quittent leur travail pour venir nous voir. Aujourd'hui, ils sont vraiment célèbres parce qu'ils ont fait ce travail sur les réseaux sociaux et qu'ils ont pris en charge le travail des médias. C'est la première raison. La deuxième raison, que je voudrais ajouter car nous ne l'avons pas mentionnée, c'est qu'il y a eu, au Bundestag, deux semaines avant les élections, un débat organisé par le parti conservateur sur un projet de loi, et ils ont obtenu une majorité avec l'AfD d'extrême droite. Ils le savaient avant le débat, car ils n'obtiendraient une majorité que s'ils acceptaient les votes de l'AfD.
C'était donc la première fois qu'au Bundestag, un projet de loi était voté avec la majorité de l'extrême droite fasciste de l'AfD. C'était peut-être le moment crucial de la période préélectorale, car c'est à ce moment que Heidi Reichinnek, la chef de Die Linke au Bundestag, a prononcé un discours où elle s'en est pris de manière très virulente à Friedrich Merz, le chef des conservateurs. Cette colère a vraiment touché les gens, car ils étaient des millions dans les rues. Un groupe de recherche médiatique a publié que l'AFD prévoyait d'enfoncer et de briser la Constitution de l'Allemagne tout en planifiant l'expulsion de millions de personnes ayant un héritage étranger, comme les migrants. Il s'agissait donc, une fois de plus, de mobiliser des milliers de personnes dans les rues pour dénoncer cette coalition malsaine des conservateurs et de l'AFD fasciste. Nous étions au bon endroit, au bon moment, avec la bonne personne, avec un discours qui rejoignait les gens.
Pour répondre à votre question, à Bremen nous avons deux ministères, le ministère de l'Économie et le ministère des Droits des femmes et de la Santé. Je pense que nous avons fait du très bon travail. Pendant la pandémie de COVID-19, nous avons été l'État fédéral avec le meilleur taux de vaccination, car nous avons mené une politique d'aide axée sur le social. Notre ministre de la Santé a envoyé des autobus afin de vacciner les gens dans les zones pauvres, pour vacciner tout le monde, parce que les études de santé publique montrent que plus les gens sont pauvres, moins ils ont accès aux soins de santé. Il s'agissait là d'une politique sociale de santé exemplaire, et elle a été couronnée de succès. Et je pense que c'est l'une de nos recettes pour faire de la politique sociale ou de la politique de gauche au niveau fédéral. Je pense qu'il est clair que nous ne gouvernons pas uniquement pour gouverner, mais que nous gouvernons pour améliorer la vie des citoyen.ne.s. Tant que nous y parviendrons, nous continuerons. Si nous ne pouvons pas continuer avec les sociaux-démocrates et les Verts, nous quitterons la coalition gouvernementale de Bremen.
Jusqu'à présent, nous continuons. Nous nous préoccupons aussi du logement. Nous faisons également beaucoup de choses en matière de politique de santé et d'égalité des droits pour tous les genres. Et je pense que le parti en général reconnaît que nous pouvons réaliser des choses pour améliorer la vie des gens. Je pense que le parti de gauche ne devrait pas toujours s'attarder sur ce qui nous divise. Devons-nous gouverner ou ne pas gouverner ? Quelle est la bonne voie ? Ce qu'il faut nous demander est comment nous pouvons être utiles pour la population. Par exemple le parti a développé une application permettant de vérifier si les loyers étaient trop élevés conformément à la loi. De nombreuses personnes ont constaté qu'elles payaient un loyer trop élevé et ont récupéré des milliers d'euros. Cette politique était donc véritablement utile dans l'opposition. En ce qui nous concerne, nous faisons également des choses très utiles quant aux transports publics, entres autres. Il faut voir de quelle manière on pourrait être plus utile. Si vous gouvernez simplement pour gouverner, sans rien accomplir, alors ne le faites pas. Cela ne peut que vous nuire, car vous perdez alors votre crédibilité. Et pour un parti, la crédibilité est la chose la plus importante.
Bhaskar Sunkara
Pendant longtemps, l'Allemagne a conservé une grande partie de sa base manufacturière. À une époque où les États-Unis perdaient beaucoup d'emplois dans les années 90, principalement à cause de l'automatisation, mais aussi un peu à cause de l'ALENA, en Allemagne, il y a eu une véritable tentative concertée de créer un système qui, en gros, supprimait les salaires, mais permettait de maintenir l'emploi dans l'industrie manufacturière, de maintenir la position de l'Allemagne en tant qu'exportateur en Europe et au-delà. Il semble que ce modèle ait soudainement été détruit au cours des dernières années. Il est évident que l'augmentation des prix de l'énergie et d'autres facteurs qui expliquent ce manque de compétitivité. Mais je me demande quel est l'effet de cette situation ? Pensez-vous que la montée de la droite et la chute du SPD sont dues à des problèmes culturels plus larges ? Pensez-vous que c'est directement lié à ces changements ?
Stefan Liebich
Je pense qu'il s'agit des deux. Vous avez mentionné le modèle du passé. L'économie allemande était basée sur l'énergie bon marché en provenance de Russie, sur la défense payée par les habitants du pays, puis sur l'exportation de toutes nos belles voitures dans le monde entier, tout en essayant de consolider ce modèle. Le pire, c'est lorsque la crise financière a frappé le pays de plein fouet. En Europe, de nombreux pays du sud ont été frappés de plein fouet. L'Allemagne a consolidé son système de manière très brutale, et le sud de l'Europe a été laissé pour compte. C'est aussi une grande perte pour l'Europe. Aujourd'hui, en Allemagne l'économie ne croît plus. Nous avons également des différences entre les régions. Il y a la différence évidente entre l'Est et l'Ouest, mais c'est plus complexe que ça. Tout d'abord, pour expliquer l'Est et l'Ouest, si vous regardez une carte électorale en ce moment, vous verrez que les frontières de l'ancienne RDA sont toutes bleues. Il y a quelques points rouges, mais c'est surtout du bleu, ce qui signifie en Allemagne un appui pour l'AfD, le parti de l'extrême droite.
Il faut bien comprendre que dans notre système proportionnel, cela ne veut pas dire qu'une majorité a voté pour eux. Cela signifie que l'AFD est arrivée en tête avec environ 30 %. Ainsi, même en Allemagne de l'Est, deux tiers des citoyens n'ont pas voté pour l'AfD. Mais c'est tout de même un résultat très élevé. On constate également que l'Allemagne de l'Est est à la traîne quant aux salaires, à l'emploi et à la richesse. Je n'offre pas cela comme une excuse. Je n'excuse personne d'avoir voté pour un parti fasciste, mais nous devons garder cela à l'esprit. J'ai dit qu'il ne s'agissait pas d'un tableau complet, car il y a actuellement d'autres régions en Allemagne de l'Ouest, comme Bremerhaven ou la Sarre en Allemagne de l'Ouest, qui ne se portent pas très bien non plus. D'autre part, il y a des régions en Allemagne de l'Est, comme Leipzig, Halle et Rostock, pour ne citer que celles là, où la situation est plutôt bonne. Néanmoins, l'image générale que vous avez est celle d'un AfD fort là où les gens sont économiquement moins bien nantis. C'est un problème dont nous devons discuter, et c'est aussi un sujet qui fait l'objet de vives controverses entre nous.
S'il y a des gens qui sont déçus par la situation économique, nous pouvons peut-être leur expliquer que son problème n'est pas les immigrants mais les milliardaires, pour l'exprimer dans un style très populiste. C'est ainsi que nous essayons de gérer la situation actuelle. Je dois mentionner une chose qui est particulière à l'Allemagne qui est le frein à l'endettement. Lorsque j'étais membre du Parlement d'État de Berlin, cela m'embêtait qu'on a pris la décision en 2009 que l'État allemand ainsi que les États fédéraux ne seraient plus autorisés à s'endetter autant qu'ils le souhaitent parce que la Constitution a été modifiée pour l'empêcher. Au début, cela ne posait pas de problème. Bien sûr, nous avions une économie forte et tout allait bien. Mais la guerre en Ukraine et la crise COVID-19 sont arrivées. Nous avons donc fait des exceptions pour faire face à la pandémie. Puis avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie il y a eu une autre exception. Mais aujourd'hui, ils ne peuvent plus investir. Les États-Unis ont investi, mais ils ont bénéficié de nombreux investissements de la part de l'État, avec l'argent des contribuables. L'Allemagne n'a pas été autorisée à le faire, ce qui a constitué un problème qui n'était vraiment pas nécessaire.
Bhaskar Sunkara
Mais je pense que ça vaut la peine de parler davantage de la base de l'AfD. Qui sont ces gens ? Quel est le programme de leurs dirigeants ? Et comment expliquer leur politique en ce qui concerne leur base de masse ? En d'autres termes, utilisons-nous le terme « fasciste » principalement pour décrire la montée remarquable d'un parti d'extrême droite en Allemagne, ou pensons-nous réellement qu'ils ont un programme fasciste plutôt qu'un programme populiste de droite, dans la mesure où nous pouvons faire ces distinctions ? Je commencerai par Sophia.
Sofia Leonidakis
Le caractère de l'AfD a changé au fil des ans. Elle a été fondée en tant que parti contre le projet de l'union européenne et contre l'euro en tant que monnaie, puis elle s'est rapidement tournée vers la droite et est devenue un parti anti-immigrant. Comme j'ai mentionné, sa position anti-immigrant et ses positions racistes sont également contre la Constitution de l'Allemagne à plusieurs égards. Ils ont même inscrit dans leur programme électoral le terme « remigration », qui est un code pour la déportation de millions de personnes. C'était la première fois qu'il figurait dans le programme électoral, mais l'AfD avait déjà déposé au Bundestag des projets de loi concernant la remigration. Ils se sont alors tournés vers l'extrême droite. Björn Möcke, le leader de l'AfD à Thuringe est même qualifiable de fasciste, car ses positions sont clairement antisémites et racistes.
Leur objectif est de procéder à un nettoyage ethnique de l'Allemagne en déportant les personnes ayant des ancêtres étrangers. Même s'ils ont un passeport allemand, ils ne sont pas reconnus comme de vrais Allemands. Il s'agit des éléments fascistes de l'AFD lesquels comptent environ 10 000 personnes, ce qui n'est pas négligeable. Ils dominent l'orientation du programme ainsi que les décisions prises au sein de l'AfD. La co-chef du parti, Alice Weidel, vit en Suisse, était candidate au poste de chancelier. Elle a utilisé le terme « remigration » dans ses discours et elle écrit sur cette thématique. C'est leur stratégie. C'est le racisme stratégique. L'AfD est également le centre organisationnel de l'extrême droite allemande. Il entretient de nombreux liens avec les think-tanks de l'extrême droite, avec les bailleurs de fonds de l'extrême droite et avec le mouvement identitaire qui est comme un mouvement fasciste sur le terrain. Il s'agit d'un mouvement de jeunesse fasciste qui a des liens étroits avec l'extrême droite en Autriche et aux États-Unis. Ils sont donc très bien connectés.
L'AfD est maintenant le parti des travailleurs dans le sens que c'est le parti qui gagne la part majeure des votes des travailleurs. Ensuite, c'est Die Linke. L'AfD reçoit aussi la plus grande part des votes parmi les syndiqués. C'est là que réside le vrai problème. On comprend que les membres de la classe ouvrière votent pour l'AFD pour des raisons sociales. Une enquête réalisée quelques semaines avant les élections a montré qu'une augmentation des loyers d'un euro entraînait une hausse de 4 % de votes pour l'AfD. L'injustice sociale et les questions de sécurité sociale expliquent donc le soutien de l'AfD, mais ce n'est pas la seule raison. Les sondages que j'ai fait pendant de nombreuses années affirment qu'il existe en Allemagne un public réceptif aux idées fascistes, racistes, antiféministes et au darwinisme social. L'AfD lui offre maintenant une voix.
Stefan Liebich
Oui, et ce qui est vraiment horrible, c'est que les idées économiques de l'AFD vont totalement à l'encontre des intérêts des personnes qui votent pour eux. Ils sont contre la syndicalisation et pour les grandes corporations. C'est tellement triste de voir les gens voter pour un parti qui, rendu au gouvernement, aggraverait encore la situation. C'est vraiment atroce que ce parti ait doublé son pourcentage de vote.
Il faut faire la distinction entre l'AfD et la CDU. Il y a des membres libéraux au sein de la CDU. Cependant, ensemble la CDU-CSU et l'AfD disposent d'une majorité au Bundestag. Ils ne gouvernent pas ensemble parce qu'il y a ce qu'on appelle un ‘pare-feu' entre les deux partis, et la CDU dit toujours qu'elle ne veut pas former un gouvernement avec l'AfD. Cependant, de plus en plus de membres de la CDU sont prêt à bruler ce pare-feu. C'est un vrai risque. Cela soulève aussi une question très complexe que Bhaskar a un peu abordée : quelle est la bonne stratégie pour un parti socialiste de gauche ? Alors que la CDU serait peut-être ouverte lors des prochaines élections à un gouvernement avec l'AfD, comment pouvons nous les empêcher d'accéder au pouvoir ? La seule autre majorité possible serait une majorité du centre-gauche. Mais la situation actuelle entre le Parti social-démocrate, le Parti vert et Die Linke ne s'aligne pas pour former une coalition à mon avis. Je pense finalement que nous avons eu un peu de chance lors de cette élection, mais nous ne sommes pas à l'abri. Il est possible qu'un gouvernement CDU-AfD se mette en place dans un État de l'est au cours des prochaines années, et ensuite, qui sait ce qui se passera.
Bhaskar Sunkara
Nous avons donc fait une grande erreur stratégique en commençant par l'optimisme. Nous parlons de Die Linke et de la lutte abstraite contre les propriétaires et tout le reste. Puis nous avons fini par parler des succès bien plus importants de la droite allemande.
Questions et réponses
Q : Quelles sont les coalitions les plus probables ? Est-ce qu'elles vont inclure un tiers parti ?
Sofia Leonidakis
Il n'y a en effet qu'une seule possibilité de former une majorité au Bundestag sans l'AfD, et il s'agit d'une coalition du CDU/CSU avec le parti social-démocrate. Ce dernier, qui avait jusqu'à présent la chancellerie, sera désormais le partenaire junior, car le parti conservateur est plus fort que le parti social-démocrate.
Bhaskar Sunkara
Y a-t-il des chances que les Verts acceptent d'entrer dans une coalition ? Je sais que ce n'est pas nécessaire d'un point de vue mathématique, mais est-ce que les dirigeants des Verts accepteraient d'entrer à nouveau au gouvernement ?
Sofia Leonidakis
Les Verts traversent actuellement une crise profonde, car les co-leaders ont démissionné. Ils doivent régler leurs problèmes, à mon avis, et aussi il n'y a pas de majorité possible avec les Verts. Aussi, la CDU-CSU, qui fait partie de l'Union conservatrice, a décidé de ne pas s'associer au parti vert, donc ni les Verts ni le parti conservateur ne souhaitent former une coalition ensemble. Le pays sera donc dirigé par une coalition de sociaux-démocrates et de conservateurs, ces derniers étant devenus plus à droite ces dernières années. La situation sera donc difficile pour le parti social-démocrate. Il sera contraint de devenir plus conservateur. Il a en effet perdu environ 1,7 millions de voix au profit du parti conservateur. Je pense que le gouvernement allemand va se tourner vers la droite.
Q : Ma question porte sur le mouvement syndical en Allemagne, sa réaction sociale, et jusqu'à quel point le mouvement syndical a diminué ou a reculé devant l'assaut du néolibéralisme. Pensez-vous que la réponse réactionnaire des travailleurs syndiqués soit liée à l'effondrement de la syndicalisation, ou y a-t-il un autre processus en cours ?
Stefan Liebich
Je vais parler de la syndicalisation et des blocs d'électeurs. Le système syndical allemand est très différent. Nous sommes organisés par secteurs : Il n'y a pas des syndicats plus à gauche, plus au centre ou plus conservateurs ; il y a des travailleurs de la métallurgie et des services publics. Vous avez raison, le nombre de membres a baissé pendant toute la période néolibérale. Mais nous avons encore des syndicats forts, et les syndicats ont plus de droits qu'ici aux États-Unis. Parfois, ils siègent même dans les conseils d'administration et prennent des décisions. Mais ils sont également intégrés dans l'ensemble du système allemand, ce qui fait qu'ils ne sont pas très politiques. Ils ne font pas de grève politique. Ils n'y sont même pas autorisés, pas plus qu'à faire une grève générale. Ils se préoccupent — et cela n'est pas sans importance — de se battre pour des meilleurs salaires, pour des meilleures conditions de travail et pour une meilleure protection de l'environnement. A l'approche des élections, s'ils sont courageux, ils peuvent déclarer qu'ils ne votent pas pour l'AfD, mais c'est tout. La plupart des dirigeants syndicaux sont des sociaux-démocrates, donc traditionnellement ils sont tous liés au parti social-démocrate, mais évidemment, cela ne signifie pas que le parti social-démocrate est fort. Bien sûr, je suis toujours en faveur du renforcement des syndicats, mais ils ne sont pas la force politique qu'ils pourraient être.
Q : J'ai entendu dire que de nombreux jeunes électeurs avaient voté pour l'AFD.
Sofia Leonidakis
En fait, Die Linke était le premier choix des jeunes. Nous avons obtenu 27 % des voix des jeunes de moins de 27 ans. Je pense que nous devons ce résultat aux réseaux sociaux. Mais l'AfD réussit également grâce à son travail sur les réseaux sociaux. Des enquêtes ont été menées auprès des jeunes, à qui l'on a demandé pourquoi ils votaient pour l'AfD. Ils ont répondu : « Nous voulons un changement rapide. » Les Verts ont également perdu beaucoup de jeunes parce que la question du changement climatique n'était pas un enjeu auprès des jeunes. C'est dommage qu'il n'ait pas été abordé, mais il était écarté par le thème de l'immigration.
Stefan Liebich
Dans l'est, L'AfD était particulièrement fort chez les jeunes hommes. Dans les régions rurales la culture d'extrême droite chez les jeunes était complètement dominante.
Q : Ma question est la suivante : vous avez dit que l'immigration était le sujet dominant dans le discours public. En effet, si l'on regarde les débats politiques pendant les élections ici, chaque débat dure 30 minutes, les 30 premières minutes étant consacrées à l'immigration, à la sécurité nationale, etc. Comment pouvons-nous faire en sorte que l'immigration ne soit plus le sujet principal du discours public ?
Sophia Leonidakis
Comment changer le discours ? C'est une question très importante. En Allemagne dans les derniers mois, il y a eu trois agressions au couteau qui ont été commises par des immigrants qui étaient des islamistes et souffraient aussi de problèmes psychologiques. L'extrême droite et le parti conservateur se sont servis de ces événements pour radicaliser le débat politique et le transformer en un discours général contre les migrants, quoique les victimes de ces agressions étaient eux aussi des immigrants.
La réalité est que plus de 30 % des 20 millions d'Allemands ont des ancêtres immigrants. Notre message est donc de ne pas faire des généralisations et de mettre l'accent sur les individus. Je pense que cela a fonctionné un peu. On a adopté une stratégie de pas trop parler de l'immigration, mais de souligner que les partis conservateurs et d'extrême droite se servent des immigrants comme bouc émissaire, tel qu'ils ont fait le cas des agressions, en blâmant tous les immigrants pour les actions d'une très petite minorité. Beaucoup de gens comprennent que cela n'est pas correct.
Nous avons donc ramené la question à un autre niveau. Mais je pense que c'est nécessaire, en tant que parti de gauche, de participer à ces débats.
Q J'ai écouté la semaine dernière une analyse de votre élection. L'animateur de l'émission parlait de l'Allemagne de l'Est et il disait que certaines personnes parlent de sécession et de la nécessité de diviser à nouveau le pays. J'aimerais savoir s'il y a des discussions en Allemagne sur ce sujet et comment les gens de l'Est pourraient survivre avec l‘écart économique qui existe entre l'Ouest et l'Est. Et aussi le lien avec le vote pour la droite.
Stefan Liebich
Je suis né en Allemagne de l'Est et j'ai grandi en RDA. Il y a un sentiment des deux côtés. Quand les gens sont très en colère, ils disent : « Reconstruisons le mur. Construisons-le deux fois plus haut qu'avant. » Mais je vous le dis, personne, personne, personne ne le ferait en réalité. Même les habitants de la RDA qui se plaignent de la réunification ont de bonnes raisons. Beaucoup de choses vont mal. De l'autre bord, il n'y aurait qu'un très petit nombre d'Allemands de l'Est qui occupent des postes importants, comme ceux d'ambassadeur ou de professeur. Les plaintes sont fondées. Mais si vous leur demandez « voulez-vous vraiment revenir en arrière ? » Vous voulez attendre 10 ans avant d'obtenir votre belle voiture (qui était un drôle de voiture) ou attendre 10 ans pour faire un voyage en la belle Tchécoslovaquie ? À l'époque on ne pouvait même plus aller en Pologne… Je crois que personne ne voudrait remonter dans le temps.
Q : Il me semble que ce que je n'entends pas, c'est une vision stratégique, en particulier d'un point de vue socialiste. Nous devons faire face aux changements climatiques, qui sont réels. Nous sommes également confrontés à une productivité supérieure à nos besoins. Nous pouvons produire plus de choses qu'il n'en faut pour le monde entier dans une petite partie du monde, ce qui signifie que différentes régions sont en concurrence pour être producteurs de biens, comme on voit en Allemagne dans le cas de voitures, par exemple. Il me semble que nous devons commencer à créer une nouvelle vision, avoir une nouvelle conversation, et ne pas nous contenter de fonctionner avec les mêmes vieilles indicateurs de performance et les mêmes idées de comment l'économie devrait être structurée dans l'Ouest.
Sofia Leonidakis
Le secteur automobile allemand connaît une crise en partie parce qu'il a pris du retard dans la transition à l'électrification du transport individuel. C'est pourquoi on leur refuse l'accès au marché. Mais il y a aussi de la surproduction. Et nous, à Die Linke, nous pensons qu'il faudrait réduire la capacité de production et mettre l'accent sur les transports publics plutôt que sur le transport individuel. En même temps, des processus de changement de la production industrielle et de décarbonation de celle-ci sont également en cours. Des changements sont en cours, mais ils sont trop lents. Ce que nous avons fait dans cette campagne électorale, c'est de démontrer une contradiction claire entre les classes. C'était là notre principale distinction politique : être un parti de classe et présenter les milliardaires comme notre adversaire. Le chef de notre parti, quand il s'est présenté lors du discours juste avant son élu, a déclaré : « Je suis jeune et je pense que nous ne devrions pas avoir de milliardaires ». Et nous misé sur des images plus simples à comprendre que la surproduction en mettant l'accent sur le gaspillage économique des milliardaires qui ont des jardins et qui utilisent des avions privés.
Stefan Liebich
En revenant à la question de comment changer le discours et puisque nous voulons terminer sur une note positive, je vais donner un exemple de quelque chose qui a vraiment réussi à changer le discours : la question du logement. Dans la ville de Berlin, dans la capitale de l'Allemagne, Die Linke s'est imposée comme la force politique la plus puissante de la ville, dans les deux parties de Berlin, l'Est et l'Ouest. Je pense que l'une des raisons importantes est qu'à Berlin, notre parti est perçu comme un parti qui se bat pour des loyers plus bas et des prix du logement plus abordables. Ce n'est pas seulement une question de la campagne électorale, c'est une longue histoire. À un moment donné, nous faisions partie du gouvernement à Berlin. La ministre du logement était une femme de notre parti, et elle a instauré un plafond de loyer à l'échelle de la ville et cela a permis aux gens de voir que leurs propriétaires n'étaient plus autorisés à augmenter les loyers à cause de nous. Mais après notre départ du gouvernement l'administration suivante a mis fin à cette mesure et les loyers ont augmenté. Nous avons aussi organisé, en concertation avec un mouvement social, un référendum pour l'expropriation des grandes sociétés de logement. Ce référendum a obtenu la majorité. Mais la nouvelle administration n'a pas répondu aux attentes des citoyens exprimées lors du référendum.
Je pense que l'on peut changer le discours si on parle de sujets qui intéressent une majorité de gens, comme l'immigration, et que l'on peut livrer quelque chose et que les gens croient que vous pouvez leur apporter quelque chose qui a un impact dans leur vie.
Sofia Leonidakis
Si vous me permettez d'ajouter quelque chose. À Brême, nous avons obtenons le meilleur résultat du parti de gauche en Allemagne de l'Ouest, à l'exception de Neukölln. Et au niveau fédéral, nous sommes l'État qui a obtenu le meilleur résultat avec près de 15 %. Nous avons donc été très forts. Nous aussi, nous avons beaucoup insisté sur le logement. Nous avons pris une décision en janvier, un mois avant les élections— et c'était l'initiative de Die Linke à Brême—de fixer des quotas de logements sociaux à 60 % dans les quartiers riches et à un pourcentage plus bas (moins de 60 %) dans les quartiers plus pauvres. Il s'agit d'assurer la mixité sociale de la ville et d'éviter cette division sociale typique des villes allemandes, qui se traduit par une énorme division ethnique et sociale des quartiers. Nous voulons aller à l'encontre de cela. Nous avons présenté un projet de loi en ce sens, qui a été adopté en janvier, et les gens en sont vraiment conscients. Je pense donc que la campagne menée conjointement au niveau national par Die Linke à Brême, en faisant du logement le thème principal, et au niveau fédéral, en soutenant également cette stratégie de mettre l'accent sur les questions de logement, a été vraiment fructueuse et utile.
Andréa Levy et André Frappier
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Les travailleurs de DHL Express en grève après avoir été lockoutés

Il est minuit moins une pour le peuple palestinien : le Canada doit radicalement changer d’approche

La Coalition du Québec URGENCE Palestine avait le projet de publier cette lettre, « Il est minuit moins une pour le peuple palestinien : le Canada doit radicalement changer d'approche » dans Le Devoir du samedi 14 juin. Elle a été endossée par une liste impressionnante de 159 organisations (syndicats, groupes communautaires, de femmes et de défense des droits humains, etc.), 165 personnalités publiques (politicien·nes, artistes, intellectuel·les, etc.) et 694 autres signataires (citoyen·nes, militant·es, etc.). Le Devoir a décliné au motif qu'ils allaient publier le 10 juin « une lettre qui partage plusieurs arguments semblables ». La Coalition a alors soumis le texte à La Presse, de même qu'aux six médias régionaux de la Coopérative nationale de l'information (CN2i : Le Soleil, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien et la Voix de l'Est), dont elle n'a reçu que quelques accusés de réception automatisés ! Dans les circonstances, la Coalition invite toutes les organisations signataires à faire connaitre dans leurs réseaux cette importante prise de position et le fait qu'elles l'ont co-signée. Notez que ce texte a été écrit avant l'agression d'Israël contre l'Iran. La réponse du Canada à cette agression (« droit d'Israël de se défendre ! ») montre à quel point le Canada maintient son appui à Israël malgré ses crimes et assure toujours son impunité. Un changement radical de la politique canadienne s'impose donc toujours.
Solidairement,
– Raymond Legault, pour la Coalition du Québec URGENCE Palestine
Sous les bombes depuis 20 mois, la population de Gaza y est tuée, blessée, terrorisée, déplacée sans arrêt. Ses moyens de survie ont été anéantis. Le blocus l'a amenée au bord de la famine. C'est dans ce contexte, qu'Israël a lancé, le 18 mai, une invasion terrestre dont l'objectif avoué est de déplacer la population dans à peine 20 % du territoire et de compléter la destruction de ce qui reste d'infrastructure civile, de telle sorte que la population n'ait « nulle part où retourner ». Le 21 mai, Benjamin Netanyahou a même inclus dans ses exigences l'application du « plan Trump » : expulsion des Palestinien·nes et contrôle étasunien de la bande de Gaza.
Le Canada doit cesser d'être complice du génocide d'Israël
Le 19 mai, le Canada, dans une déclaration commune avec la France et le Royaume-Uni, haussait nettement le ton à l'endroit d'Israël et demandait l'entrée libre de l'aide humanitaire et la fin de la nouvelle offensive, en brandissant la menace « d'autres actions concrètes » ou de « sanctions ciblées ». Mais ce sont là des paroles, alors que c'est le temps d'agir… depuis très longtemps.
Au-delà de l'extrême urgence actuelle, l'enjeu à saisir n'est PAS qu'Israël laisse entrer l'aide en ce moment ni qu'il stoppe son offensive actuelle. Comme l'ont rappelé, le 8 mai dernier, près d'une quarantaine de rapporteurs spéciaux et experts de l'ONU, les États du monde sont confrontés au choix décisif suivant : « mettre un terme au génocide en cours ou le voir mettre fin à la vie à Gaza ».
Le Canada doit opter pour l'autodétermination palestinienne d'abord et avant tout
Depuis plus de 30 ans, le Canada a soutenu des « processus de paix » sous le couvert desquels Israël a, ouvertement et en toute impunité, accentué sa dépossession, sa violence et son humiliation à l'égard du peuple palestinien, jusqu'au génocide actuel à Gaza. Depuis octobre 2023, nous n'assistons pas à une « escalade tout à fait disproportionnée » en riposte aux attaques du Hamas, mais à la mise en œuvre, déjà très avancée, du plan d'Israël de saisir ce moment pour mettre un terme définitif à la possibilité même d'un État pour le peuple palestinien sur son territoire.
Le Canada, la France et le Royaume-Uni ont à nouveau professé leur « collaboration avec l'Autorité palestinienne, des partenaires régionaux, Israël et les États-Unis afin de parvenir à un consensus sur les dispositions à prendre concernant l'avenir de Gaza ». La poursuite dans cette voie est, en fait, une négation du droit du peuple palestinien à l'autodétermination, parce qu'elle désigne unilatéralement ses représentants et subordonne l'exercice de ce droit à un consensus à trouver avec un État génocidaire et la superpuissance qui a soutenu et armé cet État génocidaire jusqu'à ce jour. À défaut de rompre avec cette vision et de mettre fin à toute forme de collaboration à ce projet ignoble, le Canada demeurera complice de tous les crimes d'Israël.
Le Canada doit agir résolument
Le Canada doit prendre résolument le parti d'honorer ses obligations en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et en vertu de l'avis du 19 juillet 2024 de la Cour internationale de justice selon lequel l'occupation et la colonisation israéliennes de Gaza et de la Cisjordanie sont illégales et doivent cesser « dans les plus brefs délais » (un délai que l'Assemblée générale des Nations Unies a fixé au 17 septembre 2025).
Seules des actions d'une grande force peuvent faire reculer Israël. S'il ne veut pas demeurer complice des crimes d'Israël, le Canada doit déployer IMMÉDIATEMENT TOUS LES MOYENS d'action politique et économique à sa disposition, en tant qu'État. Et ils sont nombreux : reconnaître immédiatement l'État de Palestine, appliquer un réel embargo bilatéral sur tout matériel militaire, se joindre à des actions devant les cours internationales, résilier des ententes économiques et militaires, imposer des sanctions, rompre les relations diplomatiques, pour n'en nommer que quelques-uns.
Le Canada doit aussi œuvrer à ce que tous ses alliés fassent de même et que cette pression internationale réelle soit maintenue jusqu'à ce que soient obtenus non seulement la levée immédiate et permanente du blocus israélien de même qu'un cessez-le-feu immédiat et permanent, mais aussi le respect intégral, non négociable, du droit international par Israël et l'exercice, rapide et sans condition, du droit à l'autodétermination du peuple palestinien.
Liste des signataires de la lettre ouverte : Il est minuit moins une pour le peuple palestinien : le Canada doit radicalement changer d'approche (En date du 15 juin 2025)
PERSONNALITÉS PUBLIQUES (163) 5
AUTRES SIGNATAIRES (680) 12
ORGANISATIONS (159)
Action Autonomie le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal
Action Cancer du Sein du Québec
Action dignité de Saint-Léonard
Afternoon Drag Café
Agir Montréal
Alternatives Internationales
Association culturelle islamique de l'Estrie
Association des travailleurs grecs du Québec
Association générale étudiante de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines (AGEFLESH – Univ. de Sherbrooke)
Association of Graduate Students Employed at McGill (AGSEM-CSN)
Association québécoise des organismes de coopération internationale
Attac-québec
Au bas de l'échelle
Avec des Elles
Bureau d'animation et information logement du Québec métro
Café Agora de Salaberry-de-Valleyfield
CALACS de Charlevoix
CALACS de l'Est du BSL
CALACS de l'Ouest-de-l'Île
Carrefour international bas-laurentien pour l'engagement social (CIBLES)
Centre Binetna
Centre Culturel Libanais
Centre de Femmes en Mouvement
Centre de femmes Entre Ailes
Centre de Femmes Les Elles du Nord (Chibougamau)
Centre de femmes l'Essentielle
Centre de ressources sur la non-violence
Centre de solidarité lesbienne
Centre d'éducation et d'action des femmes de Montréal
Centre des femmes de Laval
Centre des femmes de Longueuil
Centre des femmes d'ici et d'ailleurs
Centre des Femmes du ô Pays
Centre des femmes Memphrémagog
Centre des travailleurs et travailleuses immigrant·es / Immigrant Workers Centre
Centre Entre-Femmes (Rouyn-Noranda)
Centre femmes de La Mitis
Centre international de solidarité ouvrière (CISO)
Centre-femmes Catherine-Leblond inc.
Cercle citoyen au coeur de la cité
Chaire Claire Bonenfant- Femmes, Savoirs et Sociétés
Clinique pour la justice migrante
Club Ami
Coalition du Québec URGENCE Palestine
Coalition Haitienne au Canada contre la Dictature en Haiti (CHCDH)
Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles
Collectif de convergence citoyenne d'Ahuntsic-Cartierville
Collectif de défense des droits de la Montérégie
Collectif de lutte et d'action contre le racisme (CLAR)
Collectif de Québec pour la paix
Collectif Églantine
Collectif Soignons la Justice Sociale
Collective centre de femmes de Nicolet-Yamaska
Comité de Femmes Immigrantes de Québec
Comité de Solidarité/Trois-Rivières
Comité logement Bas-Saint-Laurent
Comité logement Rive-Sud
Comité logement Rosemont
Comité Palestine des Mères au front
Comité social Centre-Sud
Concordia Research and Educational Workers Union – CREW-CSN
Confédération des syndicats nationaux (CSN)
Conseil central du Montréal métropolitain – CSN
Conseil régional FTQ Montreal métropolitain
Coopérative de solidarité l'Euguélionne
Coordinating Council for Palestine- Montreal
Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF)
Co-Savoir
DETAILS Agency
Éditions du remue-ménage
Éditions Guido Amabili
Entraide Sein-Pathique
Fédération autonome de l'enseignement (FAE)
Fédération de l'enseignement collégial (FEC-CSQ)
Fédération des femmes du Québec
Fédération des syndicats de l'action collective (FSAC-CSQ)
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)
Fédération du Québec pour le planning des naissances
Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN)
Femmes de diverses origines (FDO)
Femmes du monde à Côte-des-Neiges
Fondation Béati
Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
Front pour l'indépendance nationale
Groupe culturel Montréal Serai
Groupe de recherche et de formation sur la pauvreté au Québec (GRFPQ)
Halte-Femmes Montréal-Nord
Harambec, renaissance du collectif féministe Noir
Health workers Alliance for Palestine (HAP)
Histoire Engagée
Jeunesse Lambda
Journal des Alternatives
La Marie Debout, centre d'éducation des femmes
Ligue des droits et libertés
L'R des centres de femmes du Québec
Maison des Jeunes de l'Ile-Perrot – Martin Bernier
Maison Norman Bethune
Médecins du Québec contre le génocide à Gaza
Mémoire d'encrier
Mères au front du Haut-Richelieu et ses allié.es
Mères au front- National
Mères au front Rive-Sud
Mères au front Rouyn-Noranda
Montréal for a World BEYOND War
Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi
Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (MÉPACQ)
Mouvement des Travailleurs Chrétiens MTC
Oblates Franciscaines de St-Joseph
Organisation des retraité-es de la CSN (ORCSN)
Organisation populaire des droits sociaux
Palestine Vivra
Palestiniens et Juifs unis (PAJU)
Parti marxiste-léniniste du Québec
Parti Vert du Quebec
Projet accompagnement solidarité Colombie
Québec solidaire
Regroupement des femmes de la Côte-Nord
Regroupement des femmes La Sentin'Elle
Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale
Regroupement des Haitiens vivant à Montréal Contre l'Occupation d'Haiti (REHMONCOH)
Regroupement des organismes en défense collective des droits (RODCD)
Regroupement des organismes en hébergement pour les personnes migrantes (ROHMI)
Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ)
Regroupement des tables de concertation de La Petite-Patrie (RTCPP)
Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises (RRSE)
Regroupement québécois des CALACS
Réseau d'intervention auprès des personnes ayant subi la violence organisée (RIVO)
Réseau d'action des femmes en santé et services sociaux
Réseau des groupes de femmes Chaudière-Appalaches
Réseau des lesbiennes du Québec
Réseau d'intervention auprès des personnes ayant subi la violence organisée (RIVO)
Salon rouge/Sala roja/Red saloon écrivain-e-s
Soeurs auxiliatrices
Soeurs de Notre-Dame des Apôtres
Solidarité Laurentides Amérique centrale (SLAM)
Solidarité populaire Estrie
Solidarité Sherbrooke – Palestine
STTCSN
Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ)
Syndicat des employé.e.s du Centre de formation populaire
Syndicat des employées de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec
Syndicat des Étudiant·es Employé·es de l'Université du Québec à Montréal – SÉTUE
Syndicat des professeures et des professeurs du cégep Édouard-Montpetit
Syndicat des professeures et professeurs enseignants de l'UQAM
Syndicat des travailleurs et travailleuses du Centre de santé Tulattavik de l'Ungava (CSN)
Syndicat du personnel enseignant du Collège Ahuntsic
Table de concertation de Laval en condition féminine
Table de concertation des groupes de femmes Bas-Saint-Laurent
Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes
Table de concertation du mouvement des femmes Centre-du-québec
Table de concertation féministe · Gaspésie – Îles-de-la-Madeleine
Table de concertattion de solidarité Québec-Cuba
Table des groupes de femmes de Montréal (TGFM)
Table régionale des organismes communautaires de la Montérégie
Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC)
TROVEP Outaouais
Union des Africains du Québec et amis solidaires de l'Afrique (UAQASA)
Union United Church
Voix Juives Indépendantes Canada – Section Montréalaise
PERSONNALITÉS PUBLIQUES (163)
Mélikah Abdelmoumen, autrice
Paul Ahmarani, acteur
Alain Ambrosi, médiactiviste et réalisateur
Anita Anand, auteure et traductrice
Rachad Antonius, professeur associé, UQAM
Francoise Armand, professeure émérite, prix Georges Emile Lapalme 2024
Charlotte Aubin, actrice
Catherine Audrain, sociologue, créatrice de projets jeunesses
Manon Barbeau, cinéaste
Nicolas Basque, musicien
Michel Beaudin, professeur honoraire de l'Institut d'études religieuses de l'Univ. de Montréal
Louise Bédard, chorégraphe
Marc-François Bernier, professeur émérite, journalisme, Université d'Ottawa
Gilles Bibeau, professeur émérite, Université de Montréal
Louise Boivin, chercheuse, professeure associée à l'UQO
Haroun Bouazzi, député à l'Assemblée nationale du Québec
Nicole Boudreau, ex-présidente Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Stéphanie Boulay, autrice-compositrice-interprète
Alexandre Boulerice, député fédéral
Simon Boulerice, auteur
Kaveh Boveiri, auteur
Ian Boyd, producteur
Marie Brassard, actrice, autrice, metteure en scène
Fanny Britt, autrice
Alexia Bürger, metteure en scène
Laurence-Anne C. Gagné, musicienne
Bonnie Campbell, professeure émérite
Denise Campillo, artiste peintre
Claudette Carbonneau, ex-présidente de la CSN (2002-2011)
Paul R. Carr, professeur, UQO
Jean-François Casabonne, acteur
Dominic Champagne, auteur metteur en scène
Hejer Charf, cinéaste
Suzanne-G. Chartrand, retraitée de l'enseignement, militante écologique et pour la paix
May Chiu, avocate
Bibi Club, musicienne
Thomas Collombat, professeur, UQO
André-Pierre Contandriopoulos, professeur émérite de santé publique Université de Montréal
Larissa Corriveau, actrice
Véronique Côté, autrice, metteure en scène et comédienne
Pierre Curzi, acteur
Catherine De Léan, actrice
Denys Delâge, sociologue, historien et professeur
Martine Delvaux, écrivaine
Maxime Denommée, comédien et metteur en scène
Sophie Desmarais, actrice
Claude Despins, acteur
Daniel Desroches, environnementaliste, auteur et professeur au collégial
Bernard Dionne, historien, auteur
Catherine Dorion, artiste
Nathalie Doummar, autrice et comédienne
Nicole Doummar, réalisatrice, scénariste et actrice
Amélie Duceppe, travailleuse culturelle
Geraldine Eguiluz, musicienne
Najat El-Khairy, artiste peintre sur porcelaine conférencière du patrimoine palestinien
Julie Faubert, artiste et professeure
Nicole Filion, ex-coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés
Raphaël Foisy-Couture, travailleur culturel
Anna Louise Fontaine, écrivaine
Martin Forgues, journaliste, auteur, cinéaste et ancien combattant
Virginie Fortin, humoriste
Jean-Pierre Gariépy, cinéaste
Maud Gauthier-Chung, professeure de philosophie et autrice
Gary Geddes, autrice
Myriam Gendron, auteure-compositrice-interprète
John Gilmore, auteur
Alexandre Goyette, acteur, auteur
Etienne Grandmont, député de Taschereau à l'Assemblée nationale du Québec
Gaëlle Graton, réalisatrice
Joanna Gruda, auteure
Fatima Zahra Hafdi (La Zarra), auteur interprète
Raed Hammoud, documentariste, animateur
Louise Harel, députée 1981|2008 Assemblée nationale du Québec, ministre, Présidente
Lauren Hartley, actrice
Joane Hétu, compositrice, musicienne
James Hyndman, acteur auteur
Ali Ihmayed, auteur
François Jacob, cinéaste
Caroline Jarry, journaliste à la retraite
Pierre Jobin, ex-vice-président de la CSQ
Daniel Lachance, ex-vice-président de la CEQ/ CSQ
René Lachapelle, chercheur au Centre de recherche et de consultation en organisation communautaire
Ève Lamont, cinéaste
Diane Lamoureux, professeure émérite, Université Laval
Coralie LaPerrière, humoriste, autrice
Maxime Laplante, ex-enseignant, ex-président de l'Union paysanne
Catherine Larochelle, historienne
Gérald Larose, président CSN 1983-1999, professeur associé UQAM
Maryse Latendresse , scénariste
Hugo Latulippe, cinéaste
Soleil Launière, Artiste multidisciplinaire
David Laurin, acteur et codirecteur artistique
Philippe Lavalette, cinéaste
Alexandre Leblanc, cinéaste
dom lebo, artiste de la chanson
Louise Lecavalier, danseuse
Dominique Leduc, actrice
Jean-Philippe Lehoux, auteur
Marie-Christine Lê-Huu, autrice, actrice
Claude Lessard, professeur émérite et ex-président du Conseil Supérieur de l'éducation
Macha Limonchik, actrice
Nadine Ltaif, écrivaine, poétesse
Leila Mahiout, présidente Alchimes Créations et Cultures – Producteur du Festival du Monde Arabe de Montréal
Marie Malavoy, ancienne députée et ministre
Léa Marinova, cinéaste
Denis Marleau, metteur en scène
Manon Massé, députée Québec solidaire
Réal Ménard, ex-député du Bloc Québécois et ancien maire de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve
Donna Mergler, professeure émérite, Université du Québec à Montréal
Maguy Métellus, militante afroféministe
Rafael Montano, professeur émérite (University of Western Ontario)
Sylvie Moreau, actrice, autrice, professeur.
Pierre Mouterde, sociologue et essayiste
Aly Ndiaye (alias Webster), artiste hip-hop, historien indépendant
Alex Norris, conseiller municipal, conseiller associé au comité exécutif, Ville de Montréal
Osvaldo Nuñez, ancien député fédéral
Nicole O'Bomsawin, conteuse
Isabel Orellana, professeure retraitée, Université du Québec à Montréal
Hermine Ortega, éditrice
Lorraine Pagé, ex-présidente CSQ (1988-99)
Sarah Pagé, musicienne
André Paradis, ex-directeur général, Ligue des doits et libertés / ex-président, Amnistie internationale Canada francophone
Solène Paré, metteure en scène
Francine Pelletier, journaliste, documentariste et professeure
Luc Picard, acteur
Carole Poliquin, réalisatrice
Andrée Poulin, auteure d'une soixantaine de livres pour les jeunes
Brigitte Poupart, autrice, metteure en scène, réalisatrice et actrice
Louise Proulx, actrice
Pierre Provencher, P.D.G. Centre québécois de philanthropie
Lilyane Rachédi, professeure École de travail social UQAM
Virginie Ranger-Beauregard, actrice
Sandrine Ricci, sociologue
Vincent Roberge, Les Louanges
Geneviève Rochette, actrice
Joanne Rochette, écrivaine
Vincent Romani, professeur de science politique, UQAM
Alice Ronfard, metteure s'en scéne
Ted Rutland, professeur, Université Concordia
Anne-Marie Saint-Cerny, auteur
Céline Saint-Pierre, professeure émérite
Samir Saul, professeur d'histoire, Université de Montréal
Craig Sauvé, conseiller municipal de Montréal (arrondissement du Sud-Ouest)
Lucie Sauvé, professeure émérite, UQAM
Carolyne Scenna, artiste visuelle
Michel Seymour, professeur honoraire Université de Montréal
Samir Shaheen-Hussein, pédiatre urgentiste, professeur agrégé (université McGill), et auteur
Ian Thomas Shaw, romancier, éditeur, traducteur, diplomate canadien à la retraite
Marie-Claude St-Laurent, actrice et autrice
Annie St-Pierre, cinéaste
Gina Thésée, professeure, Sciences de l'éducation, UQAM
Phara Thibault, actrice
Jean-Simon Traversy, metteur en scène
Celeste Trianon, créatrice de contenus, gérante de clinique juridique
Pierre Trudel, anthropologue
Jean Trudelle, ex-président de la FNEEQ-CSN
Rodrigue Turgeon, auteur, avocat
Frédérique Ulman-Gagné, artiste et chargée de cours à l'UQAM
Francis van den Heuvel, réalisateur, monteur, producteur
Louise Vandelac , professeure titulaire sociologie UQAM
Elyze Venne-Deshaies, professeure, musicienne et artiste
Benoit Vermeulen, metteur en scène
Karen Young, chanteuse
Alejandra Zaga Mendez, députée de Verdun
Sol Zanetti, député à l'Assemblée nationale du Québec
AUTRES SIGNATAIRES (680)
Mélikah Abdelmoumen, autrice
Paul Ahmarani, acteur
Alain Ambrosi, médiactiviste et réalisateur
Anita Anand, auteure et traductrice
Rachad Antonius, professeur associé, UQAM
Francoise Armand, professeure émérite, prix Georges Emile Lapalme 2024
Charlotte Aubin, actrice
Catherine Audrain, sociologue, créatrice de projets jeunesses
Manon Barbeau, cinéaste
Nicolas Basque, musicien
Michel Beaudin, professeur honoraire de l'Institut d'études religieuses de l'Univ. de Montréal
Louise Bédard, chorégraphe
Marc-François Bernier, professeur émérite, journalisme, Université d'Ottawa
Gilles Bibeau, professeur émérite, Université de Montréal
Louise Boivin, chercheuse, professeure associée à l'UQO
Haroun Bouazzi, député à l'Assemblée nationale du Québec
Nicole Boudreau, ex-présidente Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
Stéphanie Boulay, autrice-compositrice-interprète
Alexandre Boulerice, député fédéral
Simon Boulerice, auteur
Kaveh Boveiri, auteur
Ian Boyd, producteur
Marie Brassard, actrice, autrice, metteure en scène
Fanny Britt, autrice
Alexia Bürger, metteure en scène
Laurence-Anne C. Gagné, musicienne
Bonnie Campbell, professeure émérite
Denise Campillo, artiste peintre
Claudette Carbonneau, ex-présidente de la CSN (2002-2011)
Paul R. Carr, professeur, UQO
Jean-François Casabonne, acteur
Dominic Champagne, auteur metteur en scène
Hejer Charf, cinéaste
Suzanne-G. Chartrand, retraitée de l'enseignement, militante écologique et pour la paix
May Chiu, avocate
Bibi Club, musicien.ne.s
Thomas Collombat, professeur, UQO
André-Pierre Contandriopoulos, professeur émérite de santé publique Université de Montréal
Larissa Corriveau, actrice
Véronique Côté, autrice, metteure en scène et comédienne
Pierre Curzi, acteur
Catherine De Léan, actrice
Denys Delâge, sociologue, historien et professeur
Martine Delvaux, écrivaine
Maxime Denommée, comédien et metteur en scène
Sophie Desmarais, actrice
Claude Despins, acteur
Daniel Desroches, environnementaliste, auteur et professeur au collégial
Bernard Dionne, historien, auteur
Catherine Dorion, artiste
Nathalie Doummar, autrice et comédienne
Nicole Doummar, réalisatrice, scénariste et actrice
Amélie Duceppe, travailleuse culturelle
Geraldine Eguiluz, musicienne
Najat El-Khairy, artiste peintre sur porcelaine conférencière du patrimoine palestinien
Julie Faubert, artiste et professeure
Nicole Filion, ex-coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés
Raphaël Foisy-Couture, travailleur culturel
Anna Louise Fontaine, écrivaine
Martin Forgues, journaliste, auteur, cinéaste et ancien combattant
Virginie Fortin, humoriste
Jean-Pierre Gariépy, cinéaste
Maud Gauthier-Chung, professeure de philosophie et autrice
Gary Geddes, autrice
Myriam Gendron, auteure-compositrice-interprète
John Gilmore, auteur
Alexandre Goyette, acteur, auteur
Etienne Grandmont, député de Taschereau à l'Assemblée nationale du Québec
Gaëlle Graton, réalisatrice
Joanna Gruda, auteure
Fatima Zahra Hafdi (La Zarra), auteur interprète
Raed Hammoud, documentariste, animateur
Louise Harel, députée 1981|2008 Assemblée nationale du Québec, ministre, Présidente
Lauren Hartley, actrice
Joane Hétu, compositrice, musicienne
James Hyndman, acteur auteur
Ali Ihmayed, auteur
François Jacob, cinéaste
Caroline Jarry, journaliste à la retraite
Pierre Jobin, ex-vice-président de la CSQ
Daniel Lachance, ex-vice-président de la CEQ/ CSQ
René Lachapelle, chercheur au Centre de recherche et de consultation en organisation communautaire
Ève Lamont, cinéaste
Diane Lamoureux, professeure émérite, Université Laval
Coralie LaPerrière, humoriste, autrice
Maxime Laplante, ex-enseignant, ex-président de l'Union paysanne
Catherine Larochelle, historienne
Gérald Larose, président CSN 1983-1999, professeur associé UQAM
Maryse Latendresse , scénariste
Hugo Latulippe, cinéaste
Soleil Launière, Artiste multidisciplinaire
David Laurin, acteur et codirecteur artistique
Philippe Lavalette, cinéaste
Alexandre Leblanc, cinéaste
dom lebo, artiste de la chanson
Louise Lecavalier, danseuse
Dominique Leduc, actrice
Jean-Philippe Lehoux, auteur
Marie-Christine Lê-Huu, autrice, actrice
Claude Lessard, professeur émérite et ex-président du Conseil Supérieur de l'éducation
Macha Limonchik, actrice
Nadine Ltaif, écrivaine, poétesse
Leila Mahiout, présidente Alchimes Créations et Cultures – Producteur du Festival du Monde Arabe de Montréal
Marie Malavoy, ancienne députée et ministre
Léa Marinova, cinéaste
Denis Marleau, metteur en scène
Manon Massé, députée Québec solidaire
Réal Ménard, ex-député du Bloc Québécois et ancien maire de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve
Donna Mergler, professeure émérite, Université du Québec à Montréal
Maguy Métellus, militante afroféministe
Rafael Montano, professeur émérite (University of Western Ontario)
Sylvie Moreau, actrice, autrice, professeur.
Pierre Mouterde, sociologue et essayiste
Aly Ndiaye (alias Webster), artiste hip-hop, historien indépendant
Alex Norris, conseiller municipal, conseiller associé au comité exécutif, Ville de Montréal
Osvaldo Nuñez, ancien député fédéral
Nicole O'Bomsawin, conteuse
Isabel Orellana, professeure retraitée, Université du Québec à Montréal
Hermine Ortega, éditrice
Lorraine Pagé, ex-présidente CSQ (1988-99)
Sarah Pagé, musicienne
André Paradis, ex-directeur général, Ligue des doits et libertés / ex-président, Amnistie internationale Canada francophone
Solène Paré, metteure en scène
Francine Pelletier, journaliste, documentariste et professeure
Luc Picard, acteur
Carole Poliquin, réalisatrice
Andrée Poulin, auteure d'une soixantaine de livres pour les jeunes
Brigitte Poupart, autrice, metteure en scène, réalisatrice et actrice
Louise Proulx, actrice
Pierre Provencher, P.D.G. Centre québécois de philanthropie
Lilyane Rachédi, professeure École de travail social UQAM
Virginie Ranger-Beauregard, actrice
Sandrine Ricci, sociologue
Vincent Roberge, Les Louanges
Geneviève Rochette, actrice
Joanne Rochette, écrivaine
Vincent Romani, professeur de science politique, UQAM
Alice Ronfard, metteure s'en scéne
Ted Rutland, professeur, Université Concordia
Anne-Marie Saint-Cerny, auteur
Céline Saint-Pierre, professeure émérite
Samir Saul, professeur d'histoire, Université de Montréal
Craig Sauvé, conseiller municipal de Montréal (arrondissement du Sud-Ouest)
Lucie Sauvé, professeure émérite, UQAM
Carolyne Scenna, artiste visuelle
Michel Seymour, professeur honoraire Université de Montréal
Samir Shaheen-Hussein, pédiatre urgentiste, professeur agrégé (université McGill), et auteur
Ian Thomas Shaw, romancier, éditeur, traducteur, diplomate canadien à la retraite
Marie-Claude St-Laurent, actrice et autrice
Annie St-Pierre, cinéaste
Gina Thésée, professeure, Sciences de l'éducation, UQAM
Phara Thibault, actrice
Jean-Simon Traversy, metteur en scène
Celeste Trianon, créatrice de contenus, gérante de clinique juridique
Pierre Trudel, anthropologue
Jean Trudelle, ex-président de la FNEEQ-CSN
Rodrigue Turgeon, auteur, avocat
Frédérique Ulman-Gagné, artiste et chargée de cours à l'UQAM
Francis van den Heuvel, réalisateur, monteur, producteur
Louise Vandelac , professeure titulaire sociologie UQAM
Elyze Venne-Deshaies, professeure, musicienne et artiste
Benoit Vermeulen, metteur en scène
Karen Young, chanteuse
Alejandra Zaga Mendez, députée de Verdun
Sol Zanetti, député à l'Assemblée nationale du Québec
AUTRES SIGNATAIRES (694)
Lahssen Abbassi
Nadia Abdelaziz
Amanda Abdelhadi
Saadatou Abdoulkarim
Flavie Achard
Mohamed Achour
Danielle Adam
Zahia Agsous
Sarah Albos
Alexandra Alexandra Templier
Zahida Ali
Walid ALIEH
Nadia Ali-Khodja
Maria Alzate
Michel Andraos
Jacynthe Angers-Beauvais
Dominic Antoine
Wedad Antonius
Sepideh Anvar
Aline Apostolska
Emiliano Arpin-Simonetti
Sara Arsenault
Marcel Arteau
Michèle Asselin
Sylvie Aubut
Myreille Audet
Marie Auer Labonté
Jiad Awad
Diane Azar
Marc Azar
Louis Azzaria
Maryse Azzaria
Denise Babin
Charles-Antoine Bachand
Rémi Bachand
Jean Baillargeon
Rebecca Bain
Celine Bak
Jean-Claude Balu
Manuela Banfi
Khadija Barbe
Christiane Baril
Sabine Barnabé
Fanie Barnabé-Heider
Louise Baron
Lise Baroni
Linda Barriault
Laurence Barthelemy
Michèle Bayard
Mustapha Bayou
Hannah Beattie
Emilie Beauchesne
Marc Beaudet
Melissa Beaudoin
Jocelyn Beaudry
Ghislaine Beaulieu
Jean-Jacques Bédard
Abdenour Yacine Bekka
Sophie Bélair Clément
Yasmine Belam
Odile Bélanger
Sylvie Bélanger
Nicola Bélanger-Labreceque
Madeleine Belley
Nicole Belley
Joel Belliveau
Marie-Michelle Bellon
Jean-François Belzile
Hend Ben Salah
Florence Bengle
Claude Benoit
Amira Bensahli
Nancy Bento
Kahina Benzaid
Mustapha Amine Benzaïd
Maya Berbery
Yvonne Bergeron
Audrey Bernard
Justine Bernatchez
Myriam Bernet
Christyane Bernier
Colette Bernier
Marie-Andrée Bernier
Robert Bernier
Serge Bernier
Nina Bianchi
Robert Bibeau
Marion Bilodeau
Thérèse Binet
Yanick Binet
Guy Biron
Jean Bissonnette
Sophie Bissonnette
Priscilla Bittar
Catherine Blais
Denise M. Blais
Mélissa Blais
Julie Blaquiere
Jean-Pierre Boisclair
Jean-François Boisvert
René Boisvert
Paul Boivin
Marc Bonhomme
Pierre Bonin
Michel Bonnette
Mathieu Bonsaint
Jacques Bordeleau
Sacha Bordes
Grégoire Bornais
Brahim Boualem
Jacques Bouchard
Isabelle Boucher
Jérémy Bouchez
Ginette Boudreau
Marie Marik Boudreau
Monique Boudreau
Anne-Josée Boudreault
Abdeslam Bouhired
Emma Bouillard
Jones Boukaline
Lyso-Pierre Boulé
Carole Boulebsol
Suzanne Boulet
Naima Boulmane
Isma Bounila
Nathalie Bourassa
Denis Bourdeau
Pierre Bourdeau
Joane Bourget
Denis Bourque
Elmejdoub Boutarf
Fanny Boutrouille
David Bouvet
John Bradley
Bijed Brahimi
Marie Brion
Yolande Brisebois
Fannie Brisson
Janot Brochu
Carole Brodeur
Michelle Brulé
Julianna Bryson
Michel Bteich
Maria Burelle Hurtubise
Peter Burton
Camille Butzbach
Kemal Cakir
»Yves Camus
Jacinthe Carbonneau
Arianne Cardinal
Lady Cardona
Huguette Carle
Catherine Caron
Isabelle Catafard
Josette Catellier
Ginette Caza
Joceline Chabot
Nadia Chalal
Amel Chamakh
Elise Chamberland
Yolande Champoux
Dahlia ChanTang
Constance Chaput-Raby
Claude Charest
Mathilde Charest
Lau Charette
Catherine Charron
Robert Chartier
Julie Chateauvert
Daphnée Chauvette
jacqueline Chavignot
Maurice Chayer
Pier-Philippe Chevigny
Yveline Chevillard
Guy Chiasson
Charles Choinière
Sihem Chouicha
Carmen Chouinard
Nagnalén Cissé
Sarah Clément
Réal Cliche
André Cloutier
Myriam Cloutier
Clara Cobbett Labonte
Garnet Colly
Bassima Luce Corban Turcot
Danielle Corbeil
Manon Cornellier
Marie-José Corriveau
Sylviane Cortial
Gina Cortopassi
Daniel Cossa
Julie Cossette
Valerie Costanzo
Pierre-Alain Cotnoir
Olivier Coulombe
Élisabeth Cyr
Guillaume Cyr
Christiane Dabbagh
Nada Dabbagh
Amélie Daigle
Mario D'Astous
Mary Ellen Davis
Danielle De coninck
Laetitia De Coninck
Sissi de la Côte
Françoise de Montigny-Pelletier
Ivar Alberto Delgado Sifuentes
Taira Demisheva
Chantal Denis
Jamie Depolla
Acila Derbal
Nine Desbaillet
Brigitte Deschamps
Jaky Deschamps
Gilles Desmarais
Christine Desrochers
Geneviève Desrochers
Julie Desrochers
Lina Dib
Tahar Dilmi
Tahar Dilmi
Yvon Dinel
Hélènw Dion
Fannie Dionne
Marie Céline Domingue
Claire Doran
Lorraine Doré
Fernand Dorval
Stéphane Doucet
Lydia Douida
Fernand Doutre
Laura Doyle Péan
Clara Dubé
Cynthia Lisa Dubé
Will Dubitsky
Noah Ducharme
Morgane Duchene Ramsay
Hélène Duchesne
Andree-Anne Duchesneau
Gisèle Dufour-Zambo
Audrey Dugas
Benoît Dugas
Marcel Duhaime
Hélène Dumais
Léa Dumoulin
Frédérique Dunn
Emmanuel Dupont
Caroline Dupuis
Elisabeth Dupuis
Florence Dupuis
Rebecca Dyck
Philip Eerhart
Aroa El Horani
Christo El Morr
Sophia El Ouazzani
Abdelkader El Yasnasni
Mariam El-Amine
Jouman El-Asmar
Ilyes Elblidaoui
Nour Elian
Martine Eloy
Nadine Ezzeddine
Jean Fahmy
Miriam Fahmy
Marie-Andrée Farmer
Paul Fauteux
William Fayad
Monique Felbacq
France Fernet
Marielle Ferragne
Monika Firl
Michelle Fleury
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Anna Louise E. Fontaine
Ludivine Fontaine
Martin Fontaine
Lucille Forget
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Laurent Fortin
Marc Fortin
Roxana Fotouhi
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Kathryn Fournier
Jean-Guy Fournier
Réjean Fournier
Rachèle Fournier-Noël
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Richard Guillemette
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Taieb Hafsi
Abdelilah Hamdache
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Hélène Hélène Narayana
Marc Hendawie
Lamiae Himdi
Martin Hotte
Marc-André Houle
Najlaa Houssaini
André Huot
Lorne Huston
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André Jacob
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Miguel Jimenez
Vania Jimenez
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Danielle Jodoin
Hélène Jodoin
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François Prévost
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Naima Sebbah
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Badiaa Sekfali
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Dalel Semmache
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Zoya Shahzamani-Griggs
Sandra Shatilla
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Judith Sigouin
Noemi Sigouin
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Marie-Ève Simard
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Colette St-Hilaire
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Lise St-Pierre
Martine St-Pierre
Stephania Suarez Zelaya
Christine Sylvestre
Annie Tabard
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Jeremy Tan
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Marie Vanier
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Marco Veilleux
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Claudette Vermette
Andrée Verreault
Valérie Vézina
Josée villeneuve
Monique Voisine
Wafa Warrak
Feliks

L’automne braudélien de l’Amérique. Les fractions du capital sous la deuxième administration Trump

Selon l'historien Fernand Braudel, le déclin de l'hégémonie s'accompagne historiquement d'une financiarisation. Face à la baisse de la profitabilité de la production et des échanges (commerce), les détenteurs de capitaux transfèrent de plus en plus leurs actifs vers la finance. Selon Braudel, il s'agit là d'un « signe de l'automne », lorsque les empires « se transforment en une société de rentiers-investisseurs à l'affût de tout ce qui pourrait leur garantir une vie tranquille et privilégiée ». [1]
30 mai 2025 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/lautomne-braudelien-de-lamerique-les-factions-du-capital-sous-la-deuxieme-administration-trump.html
Ce spectre du déclin braudélien hante les figures clés de la deuxième administration Trump. « Dites-moi ce que toutes les anciennes monnaies de réserve ont en commun », s'interrogeait (le 13 juin 2024) Scott Bessent, aujourd'hui secrétaire au Trésor, pendant la campagne électorale. « Le Portugal, l'Espagne, les Pays-Bas, la France, le Royaume-Uni… Comment ont-ils perdu leur statut de monnaie de réserve ? » La réponse : « Ils se sont fortement endettés et n'ont plus été en mesure de financer leur armée. » Si Bessent, ancien gestionnaire de fonds spéculatifs, nie officiellement l'existence d'un programme de dépréciation du dollar, les spéculateurs font baisser le taux de change de la devise américaine depuis l'arrivée au pouvoir de Trump, en janvier 2025. Le secrétaire d'Etat Marco Rubio est l'auteur d'un rapport datajt de 2019 sur « l'investissement américain au XXIe siècle », dans lequel il fustige Wall Street pour son régime de valeur actionnariale qui « oriente les décisions des entreprises vers un rendement rapide et prévisible pour les investisseurs plutôt que vers le renforcement des capacités à long terme des entreprises ». Son point de vue sur la finance est partagé par des « populistes » républicains autoproclamés tels que Josh Hawley [sénateur du Missouri].
Cette hostilité latente envers Wall Street a marqué une rupture idéologique au cours des premiers mois du second mandat de Trump : d'un côté, les droits de douane imposés par le président à l'occasion du « Jour de la libération » [2 avril 2025] ont secoué les marchés financiers ; de l'autre, Wall Street a riposté en provoquant une panique financière afin de discipliner la Maison Blanche. La question centrale du second mandat de Trump reste de savoir si la coalition entre les « populistes » autoproclamés du MAGA et la base électorale de Trump – qui attend une amélioration du niveau de vie et la sécurité de l'emploi grâce à une relance de l'industrie manufacturière états-unienne par le biais de droits de douane et à un raffermissement du marché du travail par le biais de l'expulsion des immigrés – est viable. Les entreprises du secteur des énergies fossiles et les entreprises technologiques orientées vers la défense, telles que Palantir et Anduril, trouvent beaucoup d'intérêt dans le natio-militarisme. Mais la politique commerciale de Trump nuit clairement au secteur financier privé et aux grandes entreprises technologiques, deux secteurs qui ont toujours soutenu Trump et qui s'attendent à être récompensés. S'attaquer à ces secteurs risque d'aliéner les factions mêmes du capital états-unien qui l'ont propulsé à la présidence.
Pour ces factions du capital, le déclin des Etats-Unis est relatif et peut – à l'instar du Japon – être géré avec élégance (voir Jacobin, « A More Graceful American Decline », par Dominik A. Leusder, 8 avril 2025) Comme l'a observé Giovanni Arrighi en 1994, la finance a toujours joué un rôle d'intermédiaire dans les transitions hégémoniques, dont elle a donc tiré profit.[2] Aujourd'hui, les géants de la gestion d'actifs profitent à la fois du rééquilibrage des portefeuilles américains, qui s'éloignent de l'hégémon en déclin, et de l'accès aux actifs américains qu'ils offrent aux pools de capitaux en forte croissance de la Chine et d'autres économies asiatiques émergentes. Les grandes entreprises technologiques, quant à elles, visent le contrôle général de la connaissance et la coordination économique.[3] Elles ont beaucoup à perdre d'une fragmentation géoéconomique qui pourrait les priver de l'accès aux données, réduire leurs avantages de réseau, augmenter le coût de leurs infrastructures matérielles et pousser les politiques non alignées à rechercher la souveraineté numérique.
Dans ses efforts pour relancer l'empire américain, l'administration Trump devra donc trouver un équilibre délicat entre les intérêts des nationalismes axés sur l'industrie manufacturière et ceux des factions capitalistes dont les intérêts s'étendent à l'échelle mondiale. La gestion de ces agendas concurrents constituera un défi énorme pour la longévité de la coalition trumpienne et pour la stabilité du système financier mondial dans son ensemble.
Le secteur financier privé soutient Trump
Les élections de 2016 ont provoqué une scission spectaculaire au sein de Wall Street. Alors que les banques trop grandes pour faire faillite et les gestionnaires d'actifs « publics » se sont alignés dans leurs discours sur les démocrates, les gestionnaires de « capitaux privés », ou gestionnaires d'actifs alternatifs (capital-investissement, capital-risque et fonds spéculatifs), se sont révélés être les fervents partisans de la première candidature de Trump à la présidence. Cette division reflétait celle du Royaume-Uni, où un groupe enhardi de magnats du capital-investissement et des fonds spéculatifs avait apporté son soutien au Brexit, tandis que la finance traditionnelle avait tendance à soutenir le camp du maintien dans l'Union européenne.[4]
Les gestionnaires d'actifs alternatifs ne veulent que deux choses : des privilèges fiscaux et la déréglementation. Le facteur le plus important derrière l'ascension inexorable des patrons du secteur financier privé dans le classement Forbes 400 est la niche fiscale des intérêts reportés. Au cours des vingt-cinq dernières années, le « carry » – la rémunération basée sur la performance des gérants de fonds privés – s'est élevé à un montant stupéfiant de 1000 milliards de dollars[5]. En 2010, Obama a tenté – sans succès – de supprimer cette niche fiscale, une initiative que Stephen Schwarzman, PDG de Blackstone [plus grand fonds d'investissement états-unien], a néanmoins jugé approprié de comparer à l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie ! Le maintien de cette niche fiscale a été la requête de dernière minute de la sénatrice Kristen Sinema [sénatrice de l'Arizona, « indépendante » depuis 2022] concernant la loi sur la réduction de l'inflation [Inflation Reduction Act-IRA] du gouvernement Biden, qui vient s'ajouter à l'échec plus général de toute hausse des impôts sur les entreprises et les riches pendant les années Biden.
Sur le front de la déréglementation, le plus grand gain pour la faction financière privée est l'accès à l'immense réservoir que constituent les actifs de la prévoyance individuels. A l'heure actuelle, les fonds de capital-investissement et les fonds spéculatifs engrangent des bénéfices colossaux grâce aux particuliers fortunés et aux détenteurs d'actifs institutionnels. Leur principale clientèle est de loin constituée par les fonds de pension à prestations définies, tant publics que privés, c'est-à-dire des investisseurs institutionnels ayant des engagements à long terme. Depuis la crise financière de 2008, cependant, les plans individuels à cotisations définies, tels que les plans 401(k) et IRA, ont connu une croissance deux fois plus rapide que leurs homologues collectifs. Aujourd'hui, un peu moins de 10 000 milliards de dollars sont détenus dans ces deux types de plans, tous gérés par les piliers de la faction libérale de Wall Street : BlackRock, Vanguard et State Street, entre autres.
Dans sa quête à long terme pour accéder à cette gigantesque réserve d'argent, la faction de la finance privée a remporté sa première victoire sous Trump I. En 2020, le sous-secrétaire au ministère du Travail (DOL-Department of Labor), Eugene Scalia, fils du juge conservateur Antonin Scalia, membre éminent de la Cour suprême, a publié une lettre indiquant que les règles existantes autorisaient déjà les promoteurs de plans 401(k) à allouer l'argent des plans à des sociétés de capital-investissement. Certes, une lettre du DOL, contrairement à une modification réglementaire contraignante de la SEC (Security and Exchange Commission), repose sur des bases juridiques fragiles, mais elle n'en reste pas moins significative. Peu après l'entrée en fonction de Trump pour son second mandat, les géants du capital-investissement ont redoublé d'efforts pour ouvrir le robinet des 401(k), qui, selon eux, pourrait doubler la demande pour leurs fonds.
La détermination des sociétés de capital-investissement à accéder aux 60 millions de participants aux plans 401(k) n'a rien de mystérieux. Leur stratégie est claire : en limitant leurs options d'investissement aux actions et obligations cotées en bourse, les régulateurs privent les détenteurs de plans 401(k) de diversification et de rendements. Marc Rowan, directeur général d'Apollo, s'est plaint que les fonds 401(k) « sont investis dans des fonds indiciels liquides quotidiens, principalement le S&P 500 » [indice boursier possédé et géré par Sandard&Poor's]. Larry Fink, PDG de BlackRock, qui s'est récemment lancé dans les actifs d'infrastructure, a également déploré que ces actifs soient « sur des marchés privés, enfermés derrière des murs élevés, dont les portes ne s'ouvrent qu'aux acteurs les plus riches ou les plus importants du marché ». L'entrée de BlackRock dans le capital-investissement reflète le glissement général vers la droite des gestionnaires d'actifs publics, qui vendent l'accès aux rendements du capital-investissement aux épargnants états-uniens comme un pas vers une plus grande démocratie financière.
En réalité, le secteur du capital-investissement cherche à obtenir un plan de sauvetage pour ce que l'économiste Ludovic Phalippou [université d'Oxford] appelle son « usine à milliardaires ».[6] Depuis 2006, les rendements des fonds de capital-investissement n'ont pas réussi à surpasser ceux du marché boursier, alors même que le nombre de milliardaires est passé de trois en 2005 à 22 en 2020. Ces dernières années, ces fonds de rachat (buyout funds) ont eu du mal à se désengager de leurs investissements, les transmettant plutôt à d'autres acteurs du secteur dans un jeu de chaises musicales. En 2024, le secteur du capital-investissement a connu sa première contraction depuis des décennies (Financial Times, 5 mars 2025). Les opérations de fusion-acquisition, dans le collimateur de l'administration Biden, offrent une voie de retour à la croissance. « Le secteur a battu le tambour pour le retour des fusions-acquisitions, en partie pour justifier les capitaux levés », a récemment déclaré aux investisseurs le directeur des investissements du gestionnaire d'actifs alternatifs Sixth Street. « Le problème, c'est que les gens ont payé trop cher pour des actifs entre 2019 et 2022, et que personne ne veut vendre ces actifs sans un rendement acceptable. »
Avec des attentes de rendement irréalistes qui s'accumulent, le moyen le plus sûr d'assurer une sortie rentable aux investisseurs actuels est d'attirer de nouveaux investisseurs. Selon la logique du secteur, l'apport de 1000 milliards de dollars provenant des fonds de retraite 401(k) permettrait aux fonds de pension, aux fonds souverains et aux grands fortunés de se défaire de leurs participations avec un bénéfice. Les petits épargnants se retrouveraient alors avec un portefeuille d'actifs surévalués. En d'autres termes, un système de Ponzi.
Réalignement des grandes entreprises technologiques
Alors que le monde de la finance se divisait en deux factions politiques, l'élite de la Silicon Valley a marché vers la droite dans une unité étonnante [voir Sylvie Laurent, La Contre-révolution californienne, Seuil/Libelle, mai 2025 – réd.]. Pendant trois décennies, les entrepreneurs de la technologie et les financiers privés ont pu « aller vite et casser des portes » sans avoir à craindre de répercussions majeures imposées par l'Etat. Ayant eu la vie trop facile, ces super-prédateurs ont décidé qu'il fallait mettre un terme à la lutte antitrust menée par l'administration Biden et le Parti démocrate. En ce sens, leur ralliement à la bannière de Trump vise à rétablir le statu quo ante antitrust Obama-Trump. Evoquant l'inquiétude des dirigeants du secteur, le capital-risqueur Marc Andreessen [du fonds Andreessen Horowitz] a décrit les signes d'une « révolution sociale » sur les campus et dans la Silicon Valley comme « une renaissance de la Nouvelle Gauche » qui a radicalisé la main-d'œuvre.
« Il est très clair que les entreprises sont en train d'être détournées pour servir de moteurs au changement social et à la révolution sociale. Les employés se rebellent. Sous l'ère Trump [I], plusieurs entreprises que je connais ont eu l'impression d'être à quelques heures d'émeutes violentes sur leurs propres campus, menées par leurs propres salariés. »
Il s'avère que le libéralisme de la Silicon Valley n'était qu'une phase temporaire liée à une période désormais révolue de liquidité maximale et de réglementation minimale du capitalisme états-unien. Puis la Covid a frappé, et le gouvernement a accordé des aides substantielles aux salariés, dont certains se sont sentis habilités à formuler de nouvelles revendications. Dans le même temps, la branche la plus activiste de l'administration Biden, la Commission fédérale du commerce de Lina Khan [qualifiée de « trusbuster », « tueuse de trusts »], a orienté son action antitrust vers les géants de la technologie. Ajoutez à cela la coordination internationale timide de la secrétaire au Trésor de Biden, Janet Yellen, en matière de fiscalité des entreprises et le soutien rhétorique du président démocrate à la mobilisation syndicale, et vous comprendrez pourquoi Andreessen a vécu cela comme « un moment radicalisant » et a passé énormément de temps sur des groupes de discussion à promouvoir la conscience de classe des milliardaires.
Ce sont ces circonstances qui ont conduit les grandes entreprises technologiques à rejoindre la finance privée en tant que deuxième faction capitaliste soutenant le retour de Trump. Le rassemblement des patrons des grandes entreprises technologiques le jour de l'investiture a scellé cette alliance. Ils ont été rapidement récompensés par une série de décrets présidentiels qui ont supprimé les garde-fous en matière de régulation publique pour les entreprises d'IA et les obstacles réglementaires pour les entreprises de cryptomonnaie. En effet, contrairement à la réaction rapide de l'administration Biden contre le projet de Facebook de créer un système de paiement mondial appelé Libra, lancé en 2019 et abandonné en 2022, la nouvelle administration semble prête à soutenir le secteur des cryptomonnaies avec toute la confiance et le crédit de l'Etat.
Les acteurs du secteur des cryptomonnaies ont adopté la stratégie des fonds d'investissement privés en cherchant à attirer les fonds de pension. Depuis la réélection de Trump, vingt-trois Etats ont introduit une législation autorisant les entités publiques à investir dans les cryptomonnaies. Dans plusieurs cas, les projets de loi mentionnent spécifiquement les fonds de pension publics. Et tandis que la loi « Guiding and Establishing National Innovation for US Stablecoins » (Genius), qui vise à fournir un cadre réglementaire permissif pour les stablecoins [monnaie numérique dite stable], a franchi une étape importante au Sénat, l'assaut lancé par DOGE (Département de l'efficacité gouvernementale) contre les agences de régulation financière – de la Securities Exchange Commission (SEC) au Consumer Financial Protection Bureau (CFPB) – affaiblit la surveillance et incite à la prise de risques dans l'ensemble du système financier. Rien ne s'oppose au projet d'Elon Musk de créer un « X Money Account » en partenariat avec Visa (New York Times, 12 février 2025). Les germes sont semés d'une version beaucoup plus importante de la crise de la Silicon Valley Bank [en mars 2023, faillite la plus importante après la crise de 2008].
Il en résulte que les graves tensions financières qui ont perturbé les premiers mois de la nouvelle administration pourraient être autant une caractéristique qu'un bug de la coalition d'entreprises du président. Les ambitions de la nouvelle élite de la Silicon Valley ne se limitent pas à paralyser la bureaucratie fédérale, mais visent également à détrôner Wall Street.
Le dilemme de la Fed
Cela nous amène à l'arbitre décisif dans tout affrontement entre la finance et l'Etat : la Réserve fédérale américaine (Fed). Malgré une crise financière majeure, la Fed a joui d'une solide position dominante en matière de politique monétaire dans le cadre de la politique macroéconomique états-unienne. Une fois l'inflation repartie, la politique monétaire a offert un instrument prometteur pour la stabilité financière et des prix, la politique budgétaire passant au second plan. La high-pressure economy [avec une croissance supérieure à la moyenne et un taux de chômage bas], mise en place sous la stratégie « go-big-go-early » [voir grand, voir tôt] de Janet Yellen en réponse à la récession pandémique, combinée à la hausse des prix due aux retards dans les chaînes d'approvisionnement, a justifié le resserrement de la politique monétaire de la Fed afin de déflater les marchés financiers et les marchés du travail.
Sous Trump II, cependant, la Fed s'engage sur une voie beaucoup plus périlleuse. Les droits de douane imposés par Trump et l'affaiblissement du dollar rendent très probable le retour des pressions inflationnistes. Une administration compétente et disciplinée pourrait peut-être empêcher la hausse des prix des produits de première nécessité grâce à des stocks stratégiques et à un contrôle des prix.[7] Cependant, l'administration actuelle n'est ni compétente ni disciplinée, et l'assaut systématique du DOGE contre le gouvernement fédéral ne fait que renforcer l'impression que la responsabilité de la maîtrise de l'inflation incombera uniquement à la Fed.
Jerome Powell [président de la Réserve fédérale-Fed] se trouve ici face à un dilemme. Si les pressions inflationnistes s'intensifient sous le double effet des droits de douane et de l'affaiblissement du dollar, on s'attendrait normalement à ce que la Fed relève ses taux. La Fed autorise déjà une hausse des rendements obligataires. Cependant, l'aggravation des tensions financières due à des taux d'intérêt plus élevés que prévu et à une croissance des revenus plus faible que prévu (les propriétaires de voitures enregistrent le taux le plus élevé de défauts de paiement de crédits depuis trois décennies) pourrait contraindre la Fed à intervenir pour soutenir la valeur des actifs, comme elle l'a fait fin 2019 et début 2023, par le biais de prêts d'urgence et d'achats d'actifs. De plus, Trump et Bessent ont clairement indiqué qu'ils souhaitaient une baisse des taux d'intérêt sur la dette publique américaine, une perspective qui complique considérablement tout projet de resserrement monétaire. [Il semble que suite à la rencontre Trump-Powell du 29 mai le statu quo pour la Fed restera en vigueur lors de la réunion de juin.]
Le dilemme de Powell est d'autant plus urgent que l'atout le plus important semble être en jeu : le statut des bons du Trésor américain en tant qu'actif refuge mondial, et donc le statut du dollar américain en tant que monnaie de réserve et de financement mondiale. L'appétit des gestionnaires de réserves officielles pour les titres américains est en baisse depuis des années, la part du dollar dans les réserves mondiales étant passée de 71% en 2000 à 57% en 2024. Des signes d'inquiétude croissante parmi les investisseurs obligataires sont apparus dès février, lorsque le directeur des investissements du gestionnaire d'actifs français Amundi a déclaré, en réponse aux mesures prises par la Maison Blanche pour assouplir la réglementation des valeurs mobilières, que « de plus en plus de mesures […] pourraient commencer à éroder la confiance […] dans le système américain, dans la Fed et dans l'économie américaine ». Au cours des semaines suivantes, cette menace à peine voilée a commencé à se concrétiser par une forte correction des marchés boursiers et, plus inquiétant encore, par une hausse des rendements des bons du Trésor américain. Après l'annonce par Trump de droits de douane « réciproques » le 2 avril 2025, les Etats-Unis ont connu un phénomène extraordinaire : la fuite des capitaux. Si la Fed est contrainte de laisser les taux d'intérêt réels baisser alors que l'inflation augmente, une fuite des capitaux à une échelle beaucoup plus grande est une possibilité réelle.
On sait depuis longtemps que les objectifs d'élimination du déficit commercial américain et de préservation du statut de monnaie de réserve du dollar sont incompatibles. Depuis les travaux de Robert Triffin à la fin des années 1950 sur la « surabondance du dollar », les économistes monétaires internationaux ont compris que la croissance économique mondiale par le commerce dépendait de la disponibilité des réserves. En l'absence d'un nouvel étalon de réserve, cela a été interprété comme nécessitant une offre abondante de dollars, fournie au reste du monde par le biais de déficits commerciaux américains permanents. Si un monde d'eurodollars et de flux financiers transfrontaliers bruts illimités signifie que la liquidité mondiale n'est pas nécessairement liée au compte courant américain, les idées de l'administration pour dissocier les deux ne sont guère rassurantes. Elles comprennent notamment la promesse de « promouvoir le développement et la croissance de stablecoins légales et légitimes adossées au dollar dans le monde entier ». Eric Monnet a qualifié cette stratégie de « cryptomercantilisme » (The European Money and Finance Forum, 10 avril 2025), visant à prolonger, plutôt qu'à affaiblir, la domination du dollar dans le système monétaire mondial, puisque la valeur des stablecoins sera adossée à des actifs en dollars.
Les pièges du pouvoir de la classe dirigeante
Le retour de Trump au pouvoir a mis en évidence les failles au sein de la coalition qui a contribué à sa victoire. Les factions populaires du MAGA se sont appuyées sur Trump en raison de sa position nationaliste, qui n'a guère de points communs avec les intérêts de la finance traditionnelle et du secteur technologique en faveur de marchés financiers et numériques mondiaux ouverts. La technologie et le MAGA pourraient potentiellement se rejoindre dans leur ambition de relancer la base industrielle américaine, mais cela remettrait en cause le fondement même du dollar fort dont dépendent tant le secteur financier traditionnel que le secteur privé pour conserver leur primauté. Même si, comme le dit Steve Bannon, « beaucoup de partisans du MAGA bénéficient de Medicaid » (Financial Times, 27 mars 2025), le budget fédéral récemment adopté par la Chambre des représentants, contrôlée par le Parti républicain, prévoit des coupes radicales dans les prestations sociales, défendues par le secteur financier privé. Malgré les discours, ces coupes budgétaires ne compensent pas les réductions d'impôts : les déficits publics vont se poursuivre, tout comme le programme de droits de douane et de déréglementation de l'administration menace la stabilité financière.
Les théoriciens de l'Etat soutiennent depuis longtemps que « la classe dirigeante ne dirige pas ». Selon l'expression heureuse de Fred Block, les démocraties libérales se caractérisent par une division du travail entre les capitalistes, qui dirigent leurs entreprises, et les « gestionnaires de l'Etat », qui dirigent le gouvernement[8] Comme les capitalistes individuels ont tendance à avoir du mal à voir au-delà de leurs propres résultats financiers, leur fortune dépend de la capacité des gestionnaires de l'Etat à maintenir les conditions nécessaires à la reproduction sociale, écologique et financière.
Selon Fred Block, l'Etat capitaliste assure sa propre survie en agrégeant les intérêts. La question se pose désormais : le gouvernement américain actuel, dans son état émacié, sera-t-il capable d'agréger les intérêts des multiples factions rivales qui sous-tendent Trump II ? Des droits de douane qui préservent les intérêts manufacturiers américains dans le secteur technologique en Chine tout en apaisant les nationalistes pro-Trump, combinés à une dévaluation du dollar orchestrée à l'échelle internationale, contribueraient grandement à soutenir le boom des investissements manufacturiers de la Bidenomics. La déréglementation financière et l'ouverture des vannes des 401(k) au capital-investissement pourraient être combinées avec un retour des taux d'imposition élevés sur les revenus de 37% à leur niveau d'avant 2017, soit 39,6%, comme l'a suggéré Trump lors du débat à la Chambre sur le budget fédéral. Reste toutefois à voir si un tel consensus émergera. Après seulement quelques mois, les antinomies de la Trumponomics sont déjà pleinement visibles, sans solution évidente. (Article publié le 29 mai 2025 sur le site Phenomenal World, traduction rédaction A l'Encontre)
Notes
Braudel, F. (1984). Civilization and capitalism, 15th-18th century. University of California Press, pp. 246 and 266-267.
Arrighi, G. (1994). The long twentieth century : Money, power, and the origins of our times. Verso.
Durand, C. (2024). How Silicon Valley Unleashed Techno-feudalism : The Making of the Digital Economy. Verso Books.
Marlène Benquet and Théo Bourgeron, Alt-Finance : How the City of London Bought Democracy, Pluto : London, 2022.
Phalippou, L. (2024). The Trillion Dollar Bonus of Private Capital Fund Managers (SSRN Scholarly Paper No. 4860083). https://papers.ssrn.com/abstract=4860083
Ludovic Phalippou, “An Inconvenient Fact : Private Equity Returns and the Billionaire Factory,” The Journal of Investing, December 2020, 30 (1) 11 – 39.
Weber, I. M., Lara Jauregui, J., Teixeira, L., & Nassif Pires, L. (2024). Inflation in times of overlapping emergencies : Systemically significant prices from an input–output perspective. Industrial and Corporate Change, 33(2), 297–341. https://doi.org/10.1093/icc/dtad080
Block, F. (1987). The ruling class does not rule : Notes on the Marxist theory of the state. In Revising state theory : Essays in politics and postindustrialism (pp. 51–68). Temple University Press.
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Pour devenir une « superpuissance énergétique », le Canada veut écraser les droits autochtones

Pam Palmater se joint à Desmond Cole dans l'émission The Breach Show pour discuter des efforts législatifs visant à accélérer les projets d'extraction de ressources au détriment des droits et de la souveraineté des peuples autochtones.
Desmond Cole : Bienvenue à The Breach Show, une émission consacrée à l'analyse politique et aux mouvements sociaux au Canada. Je suis votre hôte, Desmond Cole. Alors que j'enregistre cet épisode aujourd'hui, des feux de forêt font rage dans les Prairies, et la fumée s'étend non seulement jusqu'à mon arrière-cour à Toronto, mais traverse même l'Atlantique jusqu'en Europe. Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées — environ 200 feux sont en activité — et de nombreuses communautés autochtones sont touchées.
Au beau milieu de cette crise climatique, le gouvernement fédéral et plusieurs provinces choisissent d'ajouter de l'huile sur le feu. Une pression croissante s'exerce pour accélérer les projets d'extraction, du pétrole et du gaz aux minéraux dits « critiques », en utilisant les menaces économiques de Trump comme couverture politique — piétinant les droits autochtones et démantelant les protections environnementales et du travail au passage.
Pour en parler, mon invitée aujourd'hui est Pamela Palmater, bien connue des auditeurs de The Breach. Pam est avocate, professeure, autrice, membre de la Première Nation de Eel River Bar. Elle dirige la Chaire de gouvernance autochtone à l'Université métropolitaine de Toronto, intervient régulièrement dans les médias, et est l'autrice de plusieurs ouvrages, dont Indigenous Nationhood : Empowering Grassroots Citizens et Warrior Life.
5 juin 2025 | tiré de The Breach media
https://breachmedia.ca/indigenous-rights-energy-superpower-canada-bulldoze/
Cole : Ravi de vous retrouver, Pam.
Pam Palmater : Merci de m'avoir invitée, Desmond. Il y a beaucoup de choses à dire.
Cole : Beaucoup, en effet. Allons-y. Lors de notre dernière conversation, pendant la campagne électorale fédérale, vous vous inquiétiez de ce que le développement des ressources menace la souveraineté autochtone. Il semble que tout ce que vous aviez anticipé est en train de se produire — qu'il s'agisse du Cercle de feu en Ontario, ou de l'absence d'engagement clair de Mark Carney envers les relations avec les peuples autochtones, contrairement à son prédécesseur Justin Trudeau.
Quel regard portez-vous aujourd'hui, alors que les peuples autochtones se mobilisent en Colombie-Britannique et en Ontario contre de nouvelles lois visant à accélérer le développement des ressources, pendant que le premier ministre Carney poursuit son projet de faire du Canada une « superpuissance énergétique » ?
Palmater : Tout ce que vous avez dit est extrêmement inquiétant. Je dirais que les provinces sont les pires fautives, car elles pensent : « Ces ressources naturelles sont à nous. On en fait ce qu'on veut. Et s'il y a des enjeux autochtones, c'est au fédéral d'en prendre soin. » Cela nie complètement ce que disent la loi, la Constitution, la Cour suprême du Canada. Et vu que certains projets traversent les frontières provinciales, le gouvernement fédéral est forcément impliqué.
Je suis toujours à l'affût de ce que j'appelle les « mots-fuyants ». Ayant travaillé au ministère de la Justice du Canada, je sais repérer ces tournures. C'est facile de dire « réconciliation », « partenariat », « réconciliation économique ». Mais tant qu'on ne dit pas clairement : « Nous respecterons le consentement libre, préalable et éclairé (CLPE), tel que défini dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée avec la Loi C-15 », tant que je n'entends pas ces mots-là, je n'ai pas confiance.
Et puis, il y a eu les propos du ministre de la Justice disant que les Premières Nations « n'ont pas de droit de veto ». Ce n'est pas ça, le CLPE. Il a un peu reculé depuis, mais pas assez pour me rassurer sur le respect de nos droits.
Cole : Le ministre Sean Fraser a effectivement déclaré qu'il y avait un devoir de consultation, mais pas nécessairement de consentement. Il a affirmé que les communautés autochtones n'ont pas de droit de veto sur les projets. Doug Ford a dit la même chose — « bien sûr qu'on veut consulter, mais pas pendant deux ou trois ans ». Ce qui semble ignorer le sens même de ces processus.
Palmater : Ce n'est pas juste une incompréhension, c'est une déformation totale de la loi. Ils disent : « On vous consulte un peu, on vous informe », mais ce n'est pas ce que dit la loi canadienne.
La Cour suprême du Canada a établi un devoir de consultation, d'accommodement, et souvent de consentement.
C'est dans la Constitution, et les droits constitutionnels sont supérieurs à tous les autres. En plus, il y a la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) et son exigence de consentement libre, préalable et éclairé. Les deux sont maintenant imbriqués. Même si un projet commence à l'échelle provinciale, s'il traverse des frontières, il devient fédéral et doit respecter la Loi C-15.
Le public est désinformé. Ce n'est pas nous qui ralentissons les projets : ce sont les gouvernements qui nous poursuivent en justice, qui demandent des injonctions, qui ne traitent pas avec nous dès le départ.
Nous ne sommes pas opposés au développement ou à l'économie. Mais vous ne pouvez pas présumer que notre seule option est de dire oui.
Si vous voulez avoir une relation sexuelle, vous devez obtenir un consentement. Et si quelqu'un dit non, est-ce un veto ? Si vous allez à l'hôpital pour une chirurgie, vous signez un formulaire de consentement. Si vous dites non, est-ce un veto ? Non. Le consentement est binaire : oui ou non. Ce n'est pas juste « on discute, mais vous ne pouvez pas dire non ». Ce n'est pas comme ça que le droit du consentement fonctionne, dans aucun contexte.
Cole : Très clair. Parlons maintenant de certaines législations en cours au Canada. En Colombie-Britannique, le premier ministre David Eby a fait adopter fin mai, à une seule voix près, la Loi sur les projets d'infrastructure. Le gouvernement dit que cette loi est nécessaire parce que les projets sont ralentis par des « tracasseries administratives ». Désormais, la province peut contourner les permis et les évaluations environnementales, non seulement pour les écoles, hôpitaux, routes, mais aussi pour les projets privés de pétrole, de gaz et de mines. Et ce, malgré les avertissements des chefs autochtones qui affirmaient que la loi allait gravement nuire aux relations avec les Premières Nations. Que vous dit l'adoption de cette loi sur les priorités du gouvernement de la C.-B. ?
Palmater : Le contraste est choquant. La Colombie-Britannique était la seule province à avoir adopté une loi pour appliquer la DNUDPA. Or cette loi dit qu'il faut obtenir un consentement libre, préalable et éclairé. Et maintenant, ils font exactement le contraire.
Je pense que cette loi pourrait être contestée sur plusieurs plans. Le plus important, c'est qu'on ne peut pas contourner la Constitution et faire passer les intérêts privés avant les droits protégés par la Constitution. La Cour suprême l'a dit clairement : les droits autochtones sont supérieurs aux intérêts commerciaux ou récréatifs. Les entreprises n'ont pas de droits constitutionnels. Nous, oui.
Et puis, comme l'ont dit des environnementalistes : à quoi sert d'avoir des lois de protection de l'environnement, des espèces en péril, de l'eau, si on peut les ignorer d'un trait de plume ? C'est une violation manifeste de l'état de droit.
Cole : En Ontario, le premier ministre Doug Ford tente lui aussi de faire passer une loi. Son projet s'intitule Loi pour protéger l'Ontario en libérant notre économie. Il promet d'accélérer les grands projets d'infrastructure et d'extraction en réduisant les délais et en éliminant ce qu'il appelle les « dédoublements » dans le processus d'approbation. Mais cette semaine, plus d'un millier de chefs autochtones et de groupes environnementaux ont manifesté contre ce projet de loi devant Queen's Park, à Toronto. Ils affirment que cette loi piétine les droits issus des traités et menace gravement l'environnement. Pam, qu'est-ce qui vous frappe dans la proposition de Doug Ford ?
Palmater : C'est essentiellement la même chose. Rappelons-nous que lors de sa campagne, Pierre Poilievre utilisait sans cesse les mots « libérer », « débloquer » — qui sont juste d'autres façons de dire : voler.
Peu importe ce qu'ils disent, on fait fi des droits constitutionnels, des traités, du droit international, de l'eau potable, des terres agricoles. On va voler ce qu'on veut, aussi vite que possible, avant même que les tribunaux aient le temps de réagir.
Et une fois les dégâts faits, même si un tribunal déclare que Doug Ford a eu tort, il aura déjà donné le feu vert à des entreprises qui en profiteront. Et ne nous leurrons pas : ce sont les intérêts corporatifs qui en profiteront — ce qui touche aussi les droits des travailleurs, leurs protections.
Si on accorde aux entreprises, qui ont des comptes bancaires partout sauf au Canada, le droit d'agir sans entraves, où sont les négociations sur la main-d'œuvre qualifiée ? Où sont les protections pour les travailleuses et travailleurs ? On est en train de contourner toutes les lois. Et ils se plaignent des retards et de la paperasse.
Mais la protection de l'environnement, les droits autochtones, les droits des travailleurs, ce ne sont pas des « tracasseries administratives ». La vraie paperasse, c'est de devoir remplir 50 fois le même formulaire ou d'attendre qu'un tampon soit apposé. Les droits légaux ne sont pas de la paperasse. Ce sont des fondements juridiques.
Cole : Sur le plan fédéral, le gouvernement pousse aussi très fort pour l'extraction des ressources, au nom de la « construction nationale » et de l'ambition de faire du Canada une « superpuissance énergétique ». Mark Carney, depuis son arrivée au pouvoir, a rencontré des dirigeants de l'industrie pétrolière — encore cette semaine — pour les rassurer : ses plans d'infrastructure ne menaceront pas leur industrie. Et autre chose qu'il a dite cette semaine, Pam, c'est qu'il veut exporter nos ressources naturelles vers de nouveaux marchés internationaux. Il parle d'un concept qu'il appelle « pétrole décarboné ». Pour ceux qui ne le savent pas : l'idée de « pétrole décarboné » est plutôt absurde — c'est un euphémisme utilisé par l'industrie pétrolière, que Mark Carney semble avoir adopté. Le pétrole, par définition, contient du carbone. Même un de ses conseillers a dit que le gouvernement se ridiculisait en reprenant ces slogans industriels au lieu de reconnaître des faits de chimie de niveau secondaire. Qu'en pensez-vous ?
Palmater : Dès qu'on entend « superpuissance », on doit se méfier, parce que cela implique souvent de piétiner les droits des gens et de l'environnement.
Quant à la « décarbonisation », peut-être qu'ils devraient lire des manuels de science. Décarboner, cela veut dire réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Mais s'ils pensent que ça consiste à transporter du pétrole ailleurs sans brûler de carburant… c'est une distorsion grotesque du concept.
Ça embrouille les Canadiens. Pour moi, décarboner le Canada, ce serait investir dans l'éolien, l'hydroélectricité, le solaire — des énergies vertes — plutôt que dans les combustibles fossiles.
Cole : Autre point important : le dioxyde de carbone ne vient pas seulement de la production de pétrole. Même si c'est la principale source d'émission de CO₂, les feux de forêt y contribuent massivement. Et 2023 a été l'année la pire jamais enregistrée. Un article du Guardian disait qu'on estime que les feux de 2023 ont rejeté trois fois plus de CO₂ que l'ensemble de l'économie canadienne. Mais ces émissions liées aux feux ne sont même pas comptabilisées dans le total officiel du Canada.
Palmater : Il faut vraiment un niveau absurde de dissonance cognitive pour être entouré de feux de forêt causés directement par les changements climatiques, dus aux émissions de CO₂, et dire : « Tu sais quoi ? On devrait extraire encore plus de pétrole. » C'est irrationnel. Ces PDG dans leurs tours à l'étranger, ce ne sont pas eux qui respirent la fumée. Ce ne sont pas eux qui perdront leur maison ou leur famille. Certaines communautés risquent d'être entièrement détruites — et ça prend du temps à reconstruire.
Ils sont complètement déconnectés de la réalité. Et tout ça, sous prétexte que Trump aurait créé une situation d'urgence ?
Sauf s'il y a une guerre mondiale, il n'y a aucune raison valable de contourner la loi et de compromettre la santé, la sécurité et le bien-être des gens.
Je suis à Thunder Bay aujourd'hui, avec des Premières Nations du Nord. Partout, des alertes à la fumée. On nous dit de ne pas faire d'activités extérieures, de surveiller les feux dans les communautés. Ce sont toujours les peuples autochtones et les communautés pauvres qui paient les premiers le prix de ces décisions irresponsables. Ce n'est pas nous que ça enrichit : ce sont les actionnaires de multinationales.
Cole : Je suis content que vous ayez rappelé l'argument invoqué par les gouvernements : selon eux, Trump nous menace, donc il faut agir maintenant. Hier encore, Trump a annoncé qu'il comptait augmenter ses tarifs douaniers à 50 %, sur l'aluminium et l'acier notamment. L'industrie dit : « On a besoin d'aluminium pour construire les projets pétroliers et gaziers, donc c'est maintenant ou jamais. »
Que pensez-vous de cette justification ?
Palmater : C'est un prétexte stratégique. À l'échelle mondiale, il devient de plus en plus difficile de dire ouvertement : « On se fiche de l'environnement. »
Donc ils utilisent Trump pour instiller la peur. « Oh non, regardez Trump ! Le Canada va sombrer ! Il faut foncer maintenant avant qu'il nous envahisse ou que la Russie passe par l'Arctique ! »
C'est comme ça que les gouvernements fonctionnent : la peur. Ils veulent que les citoyens soient effrayés pour qu'ils ne remettent pas en question des décisions absurdes. Mais Trump ne sera pas là éternellement. La planète, elle, oui. Et on ne devrait pas la détruire à cause de la personne en poste à la Maison-Blanche.
Cole : On entend dire que la résistance actuelle pourrait annoncer une sorte de « Idle No More 2.0 ». Ce sont les termes que certains utilisent. Que pensez-vous des similitudes avec les mobilisations précédentes ? Et qu'est-ce qui est différent aujourd'hui ?
Palmater : Je comprends la comparaison. Mais je ne suis pas sûre que ce qui s'en vient atteindra l'ampleur de Idle No More.
C'était une mobilisation très particulière, à la fin du règne de Stephen Harper, marqué par le mépris, les lois omnibus, l'absence de débat. Il nous traitait comme des terroristes, des menaces à la sécurité. Et les Canadiens aussi étaient indignés. On était tous unis contre Harper.
Aujourd'hui, avec un nouveau premier ministre, les gens attendent encore de voir. Et la résistance est plus locale, plus ciblée. Ce sera peut-être un recours judiciaire, une manifestation, une action directe — mais ce ne sera pas nécessairement une mobilisation nationale.
Cela dit, tout dépendra de la réaction des gouvernements, du fédéral, des provinces, des corps policiers. S'ils répriment durement, cela pourrait embraser le pays. Déjà, la situation s'enflamme en Ontario et en C.-B. en même temps. Ça pourrait déboucher sur quelque chose de plus vaste.
Je doute que ça devienne Idle No More, mais qui sait ? Si ça arrive, j'en serai.
Cole : Ce que je vous entends dire, c'est que ces mouvements sont organiques. On ne peut pas planifier une révolte populaire.
Palmater : Exactement. Il faut dire au gouvernement qu'on va se battre. Le prévenir qu'il va avoir une résistance. Mobiliser en coulisse. Mais ne jamais annoncer publiquement ce qu'on va faire. Sinon on est piégés.
Si vous dites « on va manifester », et que vous ne le faites pas, vous perdez en crédibilité. Si vous le faites, vous êtes limités à ça, et le gouvernement peut vous dire : « Allez-y, marchez, on continue quand même. »
Chaque nation réagit à sa façon. En Ontario, les Premières Nations ont bien fait de s'opposer. Le gouvernement a apporté quelques amendements à la loi — pas suffisants — mais ils n'auraient jamais été faits sans la menace de la mobilisation.
Cole : On en avait parlé lors des élections fédérales et provinciales. Et je suis certain qu'on en parlera encore. Merci, Pam, de toujours nous éclairer.
Palmater : Merci à vous. On doit s'unir, tous ceux qui se soucient des gens et de la planète.
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Presse-toi à gauche prends une pause

Presse-toi à gauche prends une pause afin de refaire le plein d'énergie pour être en mesure d'affronter le vent de face qui s'annonce. Nou serons de retour le 19 août. D'ici là, nous vous souhaitons un été pas trop caniculaire, des lectures passionnantes, des idées géniales pour confronter la montée des extrême-droite de tous poils et des va-t'en-guerre conquérants.
Seule la section des communiqués sera mise à jour régulièrement. Nous vous invitons à préparer vos contributions dès maintenant pour la rentrée de façon à entreprendre cette rentrée suer une base solide. Nous vous invitons également à faire un don à PTAG afin d'appuyer nos initiatives et notre couverture de l'actualité de la gauche politique et sociale. Encore une fois, nous vous souhaitons un bel été rempli de rencontres passionnantes, de lectures au souffle créateur et de réflexions inspirées. Et bonne lecture de cette dernière édition estivale de PTAG.
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Le dôme d’or de Trump dope la machine de guerre - et Carney veut nous faire payer pour cela

Le revirement du Premier ministre sur une « nouvelle relation » avec les États-Unis entraînera le Canada sur une voie coûteuse et dangereuse.
9 juin 2025
Le revirement du Premier ministre sur une « nouvelle relation » avec les États-Unis entraînera le Canada sur une voie coûteuse et dangereuse.
Donald Trump veut construire un « Dôme d'or » pour l'Amérique - et il veut que les Canadiens l'aident à le payer.
Le projet de défense antimissile de plusieurs milliards de dollars, annoncé il y a deux semaines par le président américain, pourrait déclencher une nouvelle course aux armements nucléaires et conduire à la militarisation de l'espace.
Et le coût qui pourrait être supporté par les Canadiens pour participer à cette folie ? Au moins 83,6 milliards de dollars, voire beaucoup plus.
Alors pourquoi le Premier ministre Mark Carney envisage-t-il de se joindre au projet de Trump ?
Au lendemain d'une élection fédérale qui reposait sur la promesse des libéraux d'accroître la distance entre le Canada et les États-Unis, la confirmation par le Premier ministre Carney qu'il envisageait de faire adhérer le Canada à l'initiative de défense antimissile, d'une valeur de plusieurs milliards de dollars, a laissé de nombreux observateurs abasourdis.
« Lloyd Axworthy s'est interrogé dans un article d'opinion du Globe and Mail : »Est-ce bien réel ? "Le Canada envisage-t-il sérieusement d'adhérer à la dernière idée farfelue de M. Trump ?
Cette décision semble être le résultat d'une tempête parfaite : une tentative téméraire de M. Carney de se plier au chantage de M. Trump, tout en cédant à la pression exercée depuis longtemps par le lobby des entreprises canadiennes en faveur d'une plus grande intégration militaire avec les États-Unis.
Outre son coût exorbitant et probablement croissant, le projet déclenchera une course aux armements de plus en plus intense, tout en profitant aux grands marchands d'armes américains et aux milliardaires de la technologie comme Palantir, l'entreprise de logiciels de Peter Thiel.
En bref, le Dôme d'Or ne rendra probablement pas les Canadiens plus sûrs, mais enrichira presque certainement certains des oligarques les plus réactionnaires de la planète.
Le Dôme est une illusion - et une recette pour une course aux armements
L'annonce de Trump fait suite à son décret de janvier intitulé « Dôme de fer pour l'Amérique », inspiré par le système de défense aérienne israélien.
Des experts et des scientifiques ont qualifié ce projet de « fantaisie », de “mirage” et de « science-fiction ».
Laura Grego, de l'Union of Concerned Scientists, a qualifié la comparaison avec le Dôme de fer de complètement erronée. Elle souligne que le système israélien a été conçu pour intercepter des missiles non nucléaires à courte portée sur de petites zones géographiques. La vision de M. Trump, en revanche, est de protéger l'ensemble des États-Unis contre les missiles balistiques intercontinentaux qui « voyagent 100 fois plus loin et sept fois plus vite ».
"Invoquer le Dôme de fer n'est que du marketing, dit-elle, en essayant de donner de la crédibilité à quelque chose qui n'a jamais fonctionné.
Mais le Dôme d'or n'est pas seulement inapplicable, il est profondément dangereux. Loin d'être une mesure purement défensive, il rendrait le monde moins sûr.
Les experts en prolifération nucléaire avertissent que son véritable objectif serait de donner aux États-Unis l'avantage de la « première frappe », c'est-à-dire la capacité de lancer des attaques nucléaires contre des adversaires tels que la Chine, la Russie, l'Iran ou la Corée du Nord sans craindre de représailles.
Ce serait la recette d'une course aux armements, et non d'une dissuasion : cela inciterait les rivaux géopolitiques à développer leurs propres arsenaux nucléaires en réponse, afin d'échapper aux défenses du Dôme d'or.
L'ampleur de la proposition de M. Trump - dissuader et se défendre contre « toute attaque aérienne étrangère contre la patrie » - dépasse tout ce qui a été tenté par les administrations américaines précédentes. Dans l'environnement nucléaire multipolaire d'aujourd'hui, les analystes préviennent qu'un tel projet pourrait dangereusement « ébranler l'équilibre stratégique » et inspirer un réarmement massif dans le monde entier.
Bien entendu, l'impossibilité technique n'a jamais empêché le complexe militaro-industriel américain de déverser des fonds publics dans un système d'armement.
Le Dôme d'or de Trump n'est que le dernier d'une série de programmes de défense antimissile qui ont échoué pendant des décennies, depuis le tristement célèbre programme « Guerre des étoiles » de Reagan jusqu'au programme de défense antimissile balistique de George W. Bush au début des années 2000.
Comme le souligne M. Grego, les États-Unis ont dépensé plus de 350 milliards de dollars pour ces programmes au cours des 60 dernières années, avec peu de résultats tangibles à la clé, si ce n'est une source fiable de profits pour les fabricants d'armes.
La folie d'embrasser l'anneau du président américain
Le Premier ministre Carney semble désireux de s'aligner sur le projet délirant de M. Trump.
Il a évoqué les menaces potentielles qui pèsent sur le Canada et a présenté la participation au programme comme le seul moyen d'avoir son mot à dire sur la défense de l'hémisphère.
« Oui, c'est une bonne idée d'avoir une protection contre les missiles pour les Canadiens », a-t-il déclaré aux journalistes.
Mais quel type de protection le Canada achète-t-il réellement ?
Il est probable que la véritable « protection » recherchée par M. Carney concerne les politiques commerciales de M. Trump. Les responsables américains ont ouvertement utilisé les droits de douane pour faire pression sur les alliés en vue d'une coopération militaire, et le président considère en fait les accords de sécurité mondiaux comme une sorte de racket de protection mafieux.
Mais tout avantage obtenu en rejoignant le Dôme d'or s'avérera très certainement éphémère.
« S'il s'agit d'un chantage visant à encourager les États-Unis à renoncer à leurs droits de douane », a déclaré un économiste de la Banque Scotia au Globe and Mail, "alors cela pourrait en valoir la peine. Jusqu'au prochain chantage.
L'intégration militaire : un enjeu de longue haleine pour le lobby des entreprises
La volonté apparente de M. Carney de jouer le jeu avec M. Trump est exactement ce que la classe d'affaires canadienne a demandé.
Après une brève aventure avec le nationalisme « coude en l'air », le Conseil canadien des affaires - qui représente les PDG des entreprises les plus puissantes du pays - souhaite maintenant que le pays « stabilise » ses relations avec les États-Unis.
"Nous devons nous rappeler, écrivait récemment Goldy Hyder, président du Conseil, après sa rencontre avec M. Carney, qu'à certains égards, nous voulons être plus intégrés avec les États-Unis.
Le groupe de pression des entreprises a appelé à des liens militaires plus étroits avec les États-Unis, désignant le Dôme d'or comme un domaine où il existe « beaucoup de points communs et de partenariats » sur lesquels les deux pays peuvent s'appuyer.
Ce n'est pas la première fois que le Conseil des entreprises fait pression pour que le Canada participe à de tels projets. Il a également soutenu la participation aux programmes de défense antimissile de Reagan et de George W. Bush.
C'est une véritable volte-face. Lors de la campagne électorale, M. Carney a déclaré à plusieurs reprises que la « vieille relation » entre le Canada et les États-Unis - une relation ancrée dans une intégration économique croissante et une coopération militaire étroite - était « terminée ». Selon un récent sondage, près de 80 % des Canadien-nes sont de cet avis.
Il importe apparemment peu à l'élite des entreprises canadiennes que Mark Carney et les libéraux aient été élus récemment en promettant de faire exactement le contraire de ce qu'ils envisagent aujourd'hui.
La facture d'un désastre technologique
Le coût pour les Canadiens de ce gâchis en cours de réalisation pourrait bien se chiffrer en centaines de milliards.
Lorsque M. Trump a annoncé le projet pour la première fois, il a déclaré à la presse que le Canada paierait sa « juste part ». « Nous travaillerons avec eux sur les prix », a-t-il déclaré.
La semaine dernière, il a été plus précis. Sur la plateforme Truth Social, le président américain a annoncé que la « juste part » du Canada s'élèverait à 61 milliards de dollars américains, soit plus de 83 milliards de dollars canadiens, sur une période de trois ans seulement.
C'est plusieurs fois le coût prévu pour la durée de vie du contrat F-35, en difficulté, que M. Carney a déclaré que son gouvernement allait réévaluer.
Ce montant suffirait également pour construire environ 100 000 logements publics non marchands chaque année, pour mettre en place un régime public universel d'assurance-médicaments, pour éliminer les frais de scolarité dans l'enseignement supérieur et pour développer considérablement les transports en commun.
« Si le Canada s'engage aveuglément dans cette voie, nous pourrions finir par payer la facture d'un désastre technologique », prévient Steven Staples, analyste de la défense et militant anti-guerre, auteur d'un livre sur la saga de la défense antimissile de l'ère Bush, intitulé Missile Defence : Round One. "Cela aura pour effet d'évincer toutes les autres priorités du gouvernement, qu'il s'agisse des soins de santé ou de la réduction du déficit.
Bien entendu, la facture du système de défense antimissile flattant la vanité de Trump sera presque certainement plus élevée que prévu.
Le prix pourrait atteindre 830 milliards de dollars américains, selon le Congressional Budget Office. Un sénateur républicain a même comparé le projet à la création de la bombe atomique ou à l'alunissage d'Apollo, comme s'il allait « coûter des milliers de milliards si le Dôme d'or est achevé ».
Une aubaine pour les fabricants d'armes et les titans de la technologie
Une chose est sûre : le projet de Dôme d'or - aussi irréalisable ou géopolitiquement imprudent soit-il - sera une énorme manne pour les fabricants d'armes et les oligarques de la Silicon Valley.
SpaceX, la société d'Elon Musk, a été désignée par plusieurs sources du gouvernement américain comme la favorite pour les contrats de défense lucratifs qui résulteront de ce projet de plusieurs milliards de dollars, selon un rapport de Reuters datant d'avril. (La querelle sur les réseaux sociaux entre Musk et le président Trump a depuis lors jeté le doute sur ce contrat).
Les partenaires de SpaceX pour le projet seraient probablement Palantir, la société de logiciels de Peter Thiel, et le fabricant de drones Anduril, fondé par un groupe d'anciens élèves de Palantir.
Thiel et Musk ont ouvertement fait part de leur mépris pour la démocratie et de leur volonté d'instaurer un nouvel ordre autoritaire aux États-Unis.
Renouveler notre opposition à la défense antimissile
Les Canadiens se sont élevés contre de tels projets par le passé, notamment lorsque George W. Bush a tenté d'intimider le Canada pour qu'il soutienne son programme de défense antimissile balistique, comme pénitence pour l'opposition canadienne à l'invasion désastreuse et immorale de l'Irak.
Le gouvernement libéral de l'époque, dirigé par Paul Martin, était favorable à la défense antimissile et désireux de se réconcilier avec les États-Unis, tout comme les entreprises canadiennes.
En réaction, le Conseil des Canadiens, l'Institut Polaris et un certain nombre de groupes anti-guerre mobilisés contre la guerre en Irak se sont réunis pour lancer la Campagne canadienne d'opposition à la défense antimissile. Surfant sur la vague de colère contre le militarisme américain au Canada, la campagne s'est appuyée sur des manifestations, des lettres ouvertes de célébrités (« Stars Against Star Wars ») et une tournée de promotion du livre de Steve Staples.
Pendant les élections de 2004, la campagne a développé un réseau pancanadien de militant-es qui ont organisé de petites manifestations lors des étapes de la campagne de Paul Martin, avec un préavis extrêmement court. Dans ce qui fut peut-être l'un des premiers exemples de campagne numérique réussie au Canada, la campagne a envoyé plus de 50 000 courriels aux député-es pour exprimer leur opposition au projet de défense antimissile, ce qui a provoqué la division du caucus libéral sur la question.
Comme l'a admis un collaborateur libéral, « la défense antimissile ne fait pas gagner de voix ». À la tête d'un gouvernement minoritaire et confronté à une révolte du caucus, Paul Martin a annoncé officiellement en février 2005 que le Canada ne participerait pas au dangereux projet de l'administration Bush.
Alors que Mark Carney trahit sa promesse électorale d'affronter Donald Trump, un nouveau mouvement anti-guerre doit se lever pour empêcher le Canada de s'engager dans cette voie coûteuse et dangereuse.
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Stablex : Plus qu’une Loi ...un appel à l’action antidémocratique !

Les récents événements survenus dans une petite localité au nord de Montréal où des citoyens et citoyennes ont voulu se faire entendre en rapport avec la menace d'un puissant industriel américain indésirable, mérite des précisions.
Pour en arriver à écraser une poignée de citoyens mécontents de la présence de ce pollueur menaçant (et j'ai nommé) Stablex qui fait du Québec la principale poubelle de déchets dangereux en Amérique (!), les gouvernements
(municipal/provincial) ont choisi la voie politique radical pour repousser toutes les oppositions : le décret adopté sous baîllon.
C'est plus de 14 M de tonnes métriques, soit l'équivalent en poids de 9 Tours jumelles, que ce méga enfouisseur s'apprête à enfouir des milliers de rejets hautement contaminés en provenances de partout en Amérique (dont la
moitié, bon an mal an, des États-Unis). Le magnat dont la maison mère est américaine, se nomme Republic Services et est le 2e industriel états-uniens en importance en matière de traitement et d'enfouissement de déchets
dangereux.
Les citoyens assistés d'un écotoxicologue de notoriété, Daniel Green, ont fait la démonstration imparable du risque que les quartiers avoisinants étaient exposés à des eaux de surfaces (Ruisseau Lockhead) dangereusement contaminées. On parle ici d'un taux à 320 X dépassant la norme acceptable de Cadmium (hautement cancérogène). Ces ruissellements sont accessibles facilement (sans aucune barrière physique) par les enfants, animaux domestiques et animaux sauvages. Ce qui a fait dire à Daniel Green, dans le cadre d'une Conférence alertant les populations, qu'il ne faut pas laisser les enfants s'approcher de ces eaux d'une toxicité importante.
Bien des éléments soulevant des doutes quant au contrôle du Ministère de l'Environnement du Québec (MELCCFP) ont été mis au jour dans le cadre de la lutte citoyenne. Ne mentionnons que l'historique de délinquance sous plusieurs rapports de l'industriel américain depuis son implantation en 1983. Plus de 129 incidents déclarés au Ministère entre 1992 et 2023, dont plusieurs blessés suite à certains accidents rapportés par les médias. Il y a une certaine entrevue à Radio-Canada (émission 15-18 du 13 juin 2023), alors que deux portes-paroles de l'entreprise rapportaient candidement n'avoir "*jamais vu le MELCCFP dans leurs installations*"
En avril 2024, le Ministre Charrette déclare que son Ministère aurait fait 69 interventions ces dernières années. Par accès à l'information, j'ai obtenu la nature de ces "interventions"...il s'agissait essentiellement "d'interventions téléphoniques" ! Trouver l'erreur !? Mais surtout ...le menteur !
Toute cette saga, pour avoir milité depuis plus de 2 ans, présente une opacité et des contradictions qui pointent davantage vers l'effort de diversion quant aux véritables FAITS et tant qu'on accèdera pas à la revendication fondamentale des citoyens-nes qui exige L'ARRÊT DES OPÉRATIONS EN PLEINE VILLE, nous sommes devant une "bête" indomptable et sans véritables contrôles qui, inéluctablement, finira par une catastrophe sans précédent. L'analyse des impacts des rejets toxiques de toutes natures ne sont pas effectués avec probité compte tenu de la politisation et du lobbyisme américain qui a gangrené cette affaire depuis des décennies. La municipalité de Blainville et la Direction de la Santé Publique refusent d'accéder à la demande des citoyens-nes qui exigent une étude épidémiologique sanitaire en règle. Une autre couche à cette affaire douteuse qui fait dire qu'on ne souhaite pas trop faire les constats empiriques démontrant ce que tout le monde soupçonne. Après plus de 40 années d'opération d'une usine traitant des matières dangereuses, occasionnant des rejets eau-sol-air, est-ce trop demander d'obtenir un examen médical des résidents de la région !? Pourquoi cette résistance ?
Le fait que l'État québécois ait traité cette affaire avec l'artillerie politique lourde, savoir un décret présentant des dispositions antidémocratiques et accordant à une entreprise privée (de surcroît, américaine !) d'ignorer toutes les lois environnementales en vigueurs, est un indicateur fort qu'on a affaire ici à un dossier peu commun. Même les juristes se disaient ébaubis par cette décision hors normes au plan du droit. Une jurisprudence..."grave", pour notre société de droit, disait Mtre Turp*, professeur émérite de droit.
Chose certaine, en adoptant un tel décret (Loi 93), c'est une invitation de ce gouvernement qui déclare que pour que les choses avancent 1-il faut agir antidémocratiquement 2-au-delà des lois 3-favorisant les plus forts ...je
suis inquiet pour la suite.
À diriger par décret, on suscite la révolte populaire.
Claude Beaudet, résident de Blainville et militant
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Offensive contre l’Iran : Israël plonge le Proche-Orient dans le chaos

Comme le président américain Georges W. Bush, lançant son armée à l'assaut de l'Irak en 2003, Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien inculpé par la Cour pénale internationale (CPI) pour crime de guerre et crime contre l'humanité, vise, bien au-delà de l'Iran, à « redessiner la carte du Proche-Orient ».
Tiré d'Orient XXI.
Si les néoconservateurs pensaient que la prise de Bagdad ouvrirait une ère démocratique dans toute la région, les dirigeants de Tel-Aviv se voient dans une lutte d'apocalypse contre « le Mal », avec pour alibi la défense de la soi-disant « civilisation judéo-chrétienne ». Mais cette nouvelle agression israélienne alimente les flammes des conflits qui vont rendre la région et les pays invivables. Israël se vante de mener une guerre sur « sept fronts » : Gaza, le Liban, la Cisjordanie, l'Irak, l'Iran, le Yémen et la Syrie ; il aurait pu ajouter Jérusalem-Est où l'expansion des colonies et la confiscation de propriétés palestiniennes s'intensifient.
L'Iran est la cible principale des récentes attaques sous le prétexte fallacieux de la menace nucléaire, aussi mensonger que l'étaient les armes de destruction massive dissimulées par Saddam Hussein. Les bombardements israéliens adviennent d'ailleurs alors que les négociations autour du programme nucléaire de l'Iran et pour la levée des sanctions économiques se poursuivaient entre Washington et Téhéran, avec une médiation omanaise. Pour la deuxième fois donc, Israël sabote une issue diplomatique.
En mai 2018 déjà, c'est encouragé par Nétanyahou que Donald Trump retire la signature des États-Unis du traité sur le nucléaire iranien signé trois ans auparavant, et qui avait été avalisé dans deux résolutions par le Conseil de sécurité des Nations unies. Dans la foulée, le président étatsunien intensifie les sanctions contre l'Iran, bien plus dures que celles en place avant 2015, frappant toute entreprise qui ferait affaire avec ce pays, qu'elle soit américaine ou non, interdisant de facto à Téhéran de vendre son pétrole et ses produits pétrochimiques. C'est un étranglement progressif d'un pays membre des Nations unies, des mesures illégales qui ont suscité bien peu de réactions de la « communauté internationale ». Quant à l'idée que l'Iran était à la veille de posséder l'arme nucléaire, il suffit de reproduire quelques déclarations reprises complaisamment par les médias pour se rendre compte que l'épouvantail ne date pas d'aujourd'hui (voir encadré ci-dessous).
Inversion de la culpabilité
Depuis plusieurs décennies, Téhéran est invariablement présentée comme la principale menace pour la stabilité du Proche-Orient, tant pour ses ambitions en matière de nucléaire qu'à cause de la nature islamique de son régime. On a maintes fois entendu Benyamin Nétanyahou marteler cette assertion, jusque devant l'Assemblée générale de l'ONU, alors même qu'il menait une entreprise de nettoyage ethnique à Gaza et qu'il bombardait les villes et villages du Sud-Liban et des quartiers entiers de Beyrouth. Si cette rhétorique a longtemps été soutenue par l'Arabie saoudite, la réaction de Riyad — première capitale à dénoncer l'offensive israélienne — puis des autres pays du Golfe, souligne l'aspiration des pays de la région à la stabilité. Qui aurait la naïveté — pour ne pas dire la mauvaise foi — de croire que ce rôle de menace régionale est tenu par un autre État de la région qu'Israël ?
Cette menace israélienne est d'autant plus incontrôlable qu'elle est — ô surprise — soutenue sans l'ombre d'une nuance par les chancelleries occidentales. Fermée la parenthèse qui venait à peine de s'ouvrir de la critique de Tel-Aviv pour le génocide qu'il conduit depuis 20 mois à Gaza ; disparue la velléité de tracer une quelconque ligne rouge aux dirigeants israéliens, même si elle se traduisait souvent par l'incrimination du seul Benyamin Nétanyahou, afin de préserver l'innocence israélienne, alors même que les forces politiques du pays et une grande partie de son opinion publique soutenaient sa politique à Gaza. L'union sacrée occidentale est de retour, invoquant à nouveau le fameux « droit d'Israël à se défendre », en violation totale du droit international.
Jamais d'ailleurs le programme nucléaire israélien et le refus catégorique de Tel-Aviv d'un contrôle par l'Agence internationale d'énergie atomique (AIEA) n'ont ému les dirigeants occidentaux. Dans sa conférence de presse du vendredi 13 juin, le président français Emmanuel Macron n'a eu aucun mot pour les victimes civiles iraniennes, alors que le nombre de morts s'élève à 224 jusque-là, suggérant que seules les installations militaires et nucléaires ont été visées par Israël. Comble de l'inversion de la culpabilité, il a fait porter à l'Iran la « lourde responsabilité dans la déstabilisation de toute la région ». On croirait entendre l'ancienne première ministre israélienne Golda Meir reprocher aux « Arabes » d'obliger les Israéliens à « tuer leurs enfants ».
Une menace bien plus grande pèse d'ailleurs sur la population civile iranienne ainsi que sur les pays de la région tant que dureront les bombardements israéliens : celle d'une catastrophe nucléaire et écologique. Le site d'enrichissement d'uranium de Natanz, situé entre les villes de Kashan et d'Ispahan, a été touché vendredi 13 juin par des bombardements israéliens. Une situation que le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, a qualifiée d'« extrêmement préoccupante ». Si la famine organisée à Gaza fait à peine sourciller les dirigeants occidentaux, un risque de radiation pour les populations du Proche-Orient les fera-t-il réagir ?
Faire oublier Gaza
En ouvrant ce nouveau front, Israël a confirmé la rupture avec sa doctrine militaire stratégique qui préconisait des guerres courtes et contre un nombre limité d'adversaires. Aujourd'hui, il ne cherche pas la fin des hostilités mais leur prolongation, y compris en violant les accords qu'il a entérinés. Ainsi, Tel-Aviv a signé un texte sur le cessez-le-feu avec le Liban entré en vigueur le 27 novembre 2024. Malgré cela, il continue à occuper une partie du territoire et a commis 1 500 violations du cessez-le-feu entre cette date et le 3 avril 2025, sans que la France, qui participe à la supervision de l'accord, n'y ait retrouvé à redire.
À Gaza, la trêve est entrée en vigueur le 19 janvier et elle a permis la libération de nombreux otages et de centaines de prisonniers politiques palestiniens. Mais Israël l'a violée et a repris unilatéralement ses bombardements le 18 mars, montrant le peu de cas qu'il fait même des otages. Là aussi, ni les États-Unis ni les Occidentaux n'ont protesté, mais ils ont blâmé le Hamas. Il n'est pas anodin que l'attaque contre l'Iran ait été déclenchée dans les 48 heures qui ont suivi un blackout total sur Gaza — une coupure de tous les moyens de télécommunication après qu'Israël a ciblé un câble de fibre optique. Coupée du monde, Gaza, qui commençait à peine à prendre la place qui aurait dû lui revenir dans la couverture médiatique, pouvait disparaître des unes et le génocide se poursuivre à l'abri des regards. Pendant les trois jours que ce blackout total a duré, des hommes, jeunes souvent, ont été tués par l'armée israélienne en allant chercher de l'aide humanitaire au niveau du corridor de Netzarim pour nourrir leurs familles victimes de la famine organisée. Leur sang s'est mêlé à la vitale poudre blanche qui s'échappait des sacs de farine. Parmi eux, Obeida, le neveu de notre correspondant Rami Abou Jamous. Il avait 18 ans.
S'il existe dans cette volonté de Nétanyahou de s'engager dans une guerre sans fin, une dimension personnelle — la peur du jugement pour ses procès en corruption et d'une commission d'enquête sur ses responsabilités personnelles dans l'échec du 7 octobre 2023 —, on aurait tort de se limiter à cette lecture. Il ne vise pas à faire émerger un Proche-Orient démocratique comme en avaient rêvé les néoconservateurs américains, mais à semer le chaos pour empêcher l'émergence de tout État ou force structurée susceptible de résister dans l'environnement d'Israël.
Son comportement en Syrie est significatif. Tel-Aviv a profité de la chute du régime de Bachar Al-Assad non seulement pour étendre le territoire qu'elle occupe déjà illégalement dans le Golan, mais pour attiser les tensions internes en bombardant régulièrement le territoire, en essayant de nouer des relations avec les « minorités », qu'elles soient druze ou alaouite, pour empêcher la reconstitution d'un État syrien stable. Il renoue ainsi avec une vieille stratégie d'alliance des « minorités » qui a toujours dicté, au moins en partie, la politique israélienne, notamment au Liban durant la guerre civile (1975-1989), à travers l'alliance avec des groupes maronites. Elle a un objectif clair que Michael Young, rédacteur en chef du blog Diwan, explicite dans une tribune publiée par L'Orient-Le-Jour le 16 janvier 2025 :
- Pour les Israéliens, la fragmentation de la Syrie et des pays arabes environnants serait une aubaine. Non seulement cette issue garantirait la faiblesse des voisins d'Israël, mais elle signifierait aussi, dans le cas de la Syrie, qu'il n'y a pas de gouvernement crédible pour contester l'annexion illégale du plateau du Golan. Des États arabes affaiblis ouvrent également d'autres portes, notamment celle qui permet à Israël de procéder à un nettoyage ethnique de la population palestinienne en la poussant vers les pays voisins, sans rencontrer de grande résistance. Tels seraient les avantages d'une partition du pays selon des lignes ethno-confessionnelles, permettant aux Israéliens d'établir des zones tampons près de leurs propres frontières, ou des zones d'influence ailleurs.
Un Proche-Orient chaotique et divisé sur lequel règnerait un État ouvertement affranchi du droit international, voilà la promesse d'Israël, dont les alliés occidentaux s'assurent de lui fournir les moyens pour la mettre en œuvre.
Anthony Cordesman et Khalid Al-Rodhan sont deux chercheurs qui, dans leur livre publié en juin 2006 Iran's Weapons of Mass Destruction : The Real and Potential Threat font le recensement des prévisions des services de renseignement et des responsables sur le délai auquel l'Iran serait susceptible d'accéder à l'arme nucléaire. Les exemples suivants ont été rapportés par Alain Gresh sur son blog Nouvelles d'Orient (1) il y a déjà près de 20 ans.
Fin 1991 : des rapports faits au Congrès et des évaluations de la CIA estiment qu'il existe « une forte probabilité pour que l'Iran ait acquis tous ou virtuellement tous, les composants nécessaires pour fabriquer deux à trois bombes nucléaires ». Un rapport de février 1992 à la Chambre des représentants suggère que ces deux ou trois bombes seraient opérationnelles entre février et avril 1992.
Le 24 février 1993 : le directeur de la CIA James Woolsey affirme que l'Iran était à huit ou dix ans d'être capable de produire sa propre bombe nucléaire, mais qu'avec une aide de l'extérieur, elle pourrait devenir une puissance nucléaire plus tôt.
Janvier 1995 : le directeur de l'agence américaine pour le contrôle des armements et le désarmement John Holum témoigne que l'Iran pourrait avoir la bombe en 2003.
Le 5 janvier 1995 : le secrétaire à la défense William Perry affirme que l'Iran pourrait être à moins de cinq ans de construire une bombe nucléaire, bien que « la rapidité… dépendra de comment ils travaillent pour l'acquérir ».
Le 29 avril 1996 : le Premier ministre israélien Shimon Peres affirme qu'« il croit que d'ici quatre ans, ils (l'Iran) pourraient avoir des armes nucléaires ».
Le 21 octobre 1998 : le général Anthony Zinni, chef de l'US Central Comand affirme que l'Iran pourrait avoir la capacité d'envoyer des bombe nucléaires d'ici cinq ans. « Si j'étais un parieur, je dirais qu'ils seront opérationnels d'ici cinq ans, qu'ils auront les capacités. »
Le 17 janvier 2000 : Une nouvelle évaluation de la CIA sur les capacités nucléaires de l'Iran affirme que la CIA n'exclut pas la possibilité que l'Iran possède déjà des armes nucléaires. L'évaluation se fonde sur la reconnaissance par la CIA qu'elle n'est pas capable de suivre avec précision les activités nucléaires de l'Iran et ne peut donc exclure la possibilité que l'Iran ait l'arme nucléaire.
Notes
1- Alain Gresh, « Quand l'Iran aura-t-il l'arme nucléaire ? », Nouvelles d'Orient, 4 septembre 2006.
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Les larmes de crocodile du libéralisme agonisant

Les dirigeants des gouvernements libéraux occidentaux ont attendu un an et demi après le début de la guerre génocidaire menée par l'armée sioniste contre le peuple de Gaza avant de protester timidement contre le zèle de l'État d'Israël à commettre ce massacre odieux.
11 juin 2025
Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/110625/les-larmes-de-crocodile-du-liberalisme-agonisant
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.
Les dirigeants des gouvernements libéraux occidentaux – Allemagne, Grande-Bretagne, France et Canada – ont attendu un an et demi après le début de la guerre génocidaire menée par l'armée sioniste contre le peuple martyr de Gaza avant de commencer, avec une timidité notable, à protester contre le zèle de l'État d'Israël à commettre ce massacre odieux. Pourtant, leur comportement n'a servi qu'à mettre en évidence leur silence précédent, un silence de cimetières, voire leur complicité flagrante avec le gouvernement sioniste. Ils s'étaient tous rangés, en effet, au côté de l'administration Biden, non seulement pour justifier la nouvelle invasion de la bande de Gaza par ce gouvernement, mais aussi pour rejeter tout appel à un « cessez-le-feu » – dans ce cas, une cessation du génocide.
Ce comportement s'est poursuivi pendant plusieurs mois, jusqu'à ce que la honte commence à les envahir quant à cette position ignominieuse, face à l'indignation populaire suscitée par le massacre, qui a continué à s'étendre avec le passage du temps et le nombre croissant de victimes de la machine à tuer israélienne. Même alors, leur position ne différait pas de celle de l'administration Biden en ce sens qu'ils se sont abstenus de critiquer publiquement le gouvernement de Benjamin Netanyahu ou d'exercer une réelle pression sur lui. Au lieu de cela, ils ont accepté les divers arguments avancés par ce gouvernement pour justifier la poursuite de son génocide, jusqu'à ce qu'ils soient forcés de se différencier de la nouvelle administration américaine, l'administration Trump, lorsqu'il est devenu clair qu'elle était encore plus complice de Netanyahou que son prédécesseur.
Ce spectacle répugnant est l'une des expressions les plus frappantes, si ce n'est la plus frappante, de ce que j'ai appelé il y a dix mois « la chute du libéralisme atlantiste »(voir « L'antifascisme et la chute du libéralisme atlantiste », 14 août 2024). Le fait est que la guerre génocidaire menée par l'État sioniste a surpassé en brutalité et en sadisme tout ce que nous avons connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C'est parce que la brutalité et le sadisme dans le cas présent ne sont pas du genre de ceux pratiqués par des bandes frénétiques dans des pays « arriérés », comme les génocides dont ont été témoins le Rwanda et le Congo avant la fin du siècle dernier, ou celui qui s'est déroulé au Darfour au début du nouveau, ou celui perpétré par l'organisation « État islamique » en Irak il y a une dizaine d'années. Elles ne sont pas non plus du type de celles pratiquées par des gouvernements qualifiés de « barbares », comme les forces armées officielles au Bangladesh ou le gouvernement des « Khmers Rouges » au Cambodge dans les années 1970. À Gaza, brutalité et sadisme sont pratiqués par le gouvernement d'un pays industriellement avancé, appartenant au club mondial des riches qui prétend représenter « la civilisation » face à la barbarie, comme Netanyahou le souligne constamment dans les discours qu'il adresse à l'opinion publique occidentale, en décrivant la guerre qu'il mène.
En d'autres termes, il s'agit de l'un des nombreux génocides perpétrés au nom de « la civilisation », dont l'histoire a connu beaucoup, qu'ils aient été perpétrés au nom de la civilisation en général, ou de la civilisation occidentale ou « aryenne ». On peut citer par exemple le génocide perpétré par le colonialisme belge au Congo à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le génocide perpétré par l'Empire allemand en Namibie, celui perpétré par les Jeunes-Turcs contre les Arméniens et d'autres minorités pendant la Première Guerre mondiale, ou encore le génocide perpétré par l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a cependant une différence importante entre les guerres génocidaires susmentionnées et celle menée par l'État sioniste dans la bande de Gaza : cette dernière est télévisée, et le monde entier peut la voir. Alors que les nazis ont dissimulé le génocide qu'ils perpétraient contre les Juifs et d'autres minorités derrière les clôtures de leurs camps d'extermination, en raison de son conflit avec leurs prétentions civilisationnelles (contrairement aux divers génocides ayant accompagné leur invasion de la Pologne puis de la Russie, qui ont été enveloppés et dissimulés par le brouillard de la guerre), le gouvernement sioniste poursuit aujourd'hui son génocide des Gazaouis, tout en sachant qu'il est exposé aux yeux du monde.
Il est vrai que l'armée sioniste a délibérément tué un nombre record de journalistes à l'intérieur de la bande de Gaza, mais elle sait très bien que rien ne peut cacher la brutalité et le sadisme de ses forces armées, comme en témoigne la fusillade quotidienne abjecte de dizaines de Gazaouis en détresse qui s'épuisent afin d'obtenir la maigre aide que le gouvernement Netanyahu et son allié américain leur distribuent « généreusement ». On a même vu des soldats israéliens contribuer eux-mêmes à la promotion d'images des pratiques sadiques qu'ils commettent, dans la plupart des cas par fierté, plutôt que par désir de les exposer à la stigmatisation.
La guerre génocidaire de l'État sioniste à Gaza et la complicité des gouvernements libéraux occidentaux avec elle ont énormément contribué à stimuler la montée du néofascisme au niveau mondial, conduisant à sa domination à la tête de la plus puissante des superpuissances mondiales, la superpuissance qui a toujours prétendu représenter l'héritage civilisationnel du libéralisme atlantiste tel qu'il résultait de la lutte antifasciste de la Seconde Guerre mondiale. Avant le triomphe du néofascisme, et sur le chemin qui y a conduit, ces guerres et ces complicités avaient déjà mené à son terme la disgrâce de l'héritage libéral atlantiste (toujours hypocrite), de sorte qu'ils l'ont dépouillé de la moindre crédibilité qui lui restait, stimulant ainsi la domination de son adversaire néofasciste.
Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 10 juin. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
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Quand le patrimoine devient cible : Haïti, entre culture en péril et guerre silencieuse
Par Smith PRINVIL
En temps de guerre, les peuples civilisés s'entendent sur certaines règles. Même les conflits armés les plus violents respectent, tant bien que mal, des lignes rouges : les hôpitaux, les écoles, les lieux de culte, et surtout les patrimoines culturels. Ces derniers – forts historiques, musées, bibliothèques, monuments – sont considérés comme les témoins silencieux de la mémoire collective. Ils racontent l'histoire des peuples, leurs luttes, leurs espoirs. Ils méritent, à ce titre, d'être protégés.
Mais en Haïti, le chaos ambiant semble avoir balayé jusqu'à l'idée même de sanctuaire. Des gangs lourdement armés ciblent sciemment ces bastions de la mémoire nationale. Ce n'est plus un hasard. C'est une stratégie de terreur, un effacement programmé.
À Port-au-Prince comme dans certaines communes de l'Artibonite ou du Sud, des bâtiments historiques sont brûlés, pillés, profanés. Des centres culturels, des maisons d'écrivains, des bibliothèques communautaires disparaissent dans les flammes de la violence armée. Le pays n'a pas seulement perdu le contrôle de son territoire, il perd aussi les traces de son héritage.
Ceux qui s'attaquent au patrimoine culturel ne s'attaquent pas qu'à des murs. Ils s'attaquent à l'identité. Ils cherchent à imposer un monde sans racines, une terre de peur et d'amnésie. Et ce qui est plus grave encore, c'est le silence complice des institutions dites de la communauté internationale, pourtant si promptes à brandir la « protection du patrimoine mondial » dans d'autres régions du globe.
Où est l'UNESCO lorsque la mémoire haïtienne est réduite en cendres par des mains armées ? Où sont les voix indignées des défenseurs de la culture, quand des fresques historiques sont mitraillées, quand des écoles d'art sont désertées sous la menace ?
Le peuple haïtien, lui, ne baisse pas les bras. Des collectifs citoyens se battent pour documenter, pour sauver, pour reconstruire. Mais ils ne peuvent lutter seuls contre la machine infernale de l'oubli et de la destruction. Il est temps que cette guerre silencieuse contre la culture soit reconnue pour ce qu'elle est : une attaque contre l'existence même d'un peuple.
Protéger le patrimoine, c'est résister. C'est dire que la mémoire compte. Que la beauté, le savoir, l'histoire ne sont pas négociables. Que les pierres parlent et que leur silence imposé est un crime. Haïti mérite de reconstruire, mais elle doit aussi se souvenir. Et pour se souvenir, elle doit préserver ce qui reste de ses lieux de mémoire.
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Pas de rois ! Liberté ! Des millions de personnes manifestent contre Trump à travers les États-Unis

Au moins cinq millions de personnes ont participé à 2 000 manifestations « No Kings Day » dans les grandes villes et les petites localités des 50 États, la plus grande journée nationale de manifestations de ces derniers temps.
Tiré de Inprecor
16 juin 2025
Par Dan La Botz
Dans une ambiance festive mais combative, accompagnés de fanfares et de tambours, les manifestant·es ont scandé des slogans, chanté des chansons et brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Pas de rois depuis 1776 » ou des messages dénonçant les attaques du président Donald Trump contre le système de santé, les programmes alimentaires pour les enfants et les personnes âgées, ou encore ses attaques contre l'éducation et la science. Certaines banderoles affichaient le slogan « Combattons l'oligarchie ».
Plus de pancartes que lors des manifestations précédentes affichaient le slogan « Combattons le fascisme ! ». Dans toutes les manifestations, on voyait davantage de drapeaux américains et on entendait davantage de chants exprimant le désir d'une réunification nationale. À New York, où j'ai manifesté, les gens scandaient « À qui appartient ce pays ? À nous ! ». À Philadelphie, haut lieu des manifestations, l'historien Timothy Snyder a répété à plusieurs reprises « Pas de rois », ce à quoi la foule répondait « Liberté ! ».
Ces manifestations ont été presque toutes pacifiques et n'ont donné lieu à pratiquement aucun incident. À Riverside, en Californie, un contre-manifestant poursuivi par la police a été trouvé en possession d'une arme à feu dans sa voiture. Et en Virginie, un homme a foncé sur les manifestants avec une grosse voiture, blessant une personne. Ce n'est qu'à Los Angeles, où les affrontements duraient depuis plusieurs jours, que quelques manifestants ont jeté des projectiles sur la police, qui a réagi en frappant et en arrêtant certains d'entre eux, mais il ne s'agissait là que d'un incident mineur dans le cadre d'une manifestation massive.
No Kings Day a coïncidé avec le défilé militaire organisé par Trump pour célébrer le 250e anniversaire de l'armée américaine, mais aussi avec son 79e anniversaire. Trump a dépensé 45 millions de dollars pour cette démonstration de force militaire qui a mobilisé 6 700 soldats, des chars de plusieurs guerres et d'autres véhicules militaires, tandis que des hélicoptères de combat survolaient la parade et que les Golden Knights Parachute Team descendaient du ciel pour remettre un drapeau au président. Des barrières avaient été érigées pour protéger le défilé et Trump avait averti que toute manifestation serait réprimée « avec une force très importante ». Pour éviter tout conflit, les organisateurs de No Kings n'ont prévu aucune manifestation à Washington.
Les marches de la journée No Kings ont été le point culminant d'une semaine de manifestations à Los Angeles et dans 40 autres villes de 23 États contre les raids, les arrestations et les expulsions menés par l'ICE (Immigration and Customs Enforcement), ainsi que contre le déploiement par Trump de la Garde nationale et des Marines à Los Angeles. L'ICE tente d'arrêter et d'expulser 3 000 personnes par jour, en interpellant des immigrant·es sans papiers sur leur lieu de travail dans les quartiers et en arrêtant même des enfants dans les écoles. Lors des précédentes manifestations, les autorités de certaines villes ont tiré des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc et arrêté des centaines de manifestant·es. Les raids et les manifestations locales contre l'immigration se poursuivent.
Les organisateurs ont annulé les manifestations « No Kings » à Saint Paul, dans le Minnesota, en raison de l'assassinat politique de deux députés démocrates dans la région et de la blessure de deux autres personnes. La peur régnait car un tireur actif, déguisé en policier, était toujours en fuite. La police recherche Vance Boelter, un homme blanc de 57 ans, farouche opposant à l'avortement et critique des personnes LGBT. Il a voté pour Trump lors des dernières élections, possédait plusieurs armes à feu, était à la tête d'une société de sécurité privée et dirigeait également une organisation chrétienne à but non lucratif. Au moment où j'écris ces lignes, il est toujours en fuite. Le président Trump, qui a lui-même été la cible de deux tentatives d'assassinat, a condamné les meurtres du Minnesota et a offert des ressources fédérales à l'État.
Les manifestations contre l'ICE et la journée « No Kings Day » ont marqué une nouvelle étape dans la résistance contre Trump. Une fois de plus, les manifestations dans certaines villes, comme à New York, ont souffert d'une participation proportionnellement faible des Noirs et des Latinos. Or, un mouvement comme celui-ci a besoin de plus de puissance, de grèves et d'actes de désobéissance civile massive. La prochaine marche nationale contre Trump est prévue pour le 19 juin, jour de la célébration nationale de la fin de l'esclavage des Noirs.
Le 15 juin 2025
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Quand l’âme d’Haïti rencontre l’avant-garde européenne : le duo Désir & Fiorini envoûte le Citadelic Festival
Par Smith PRINVIL
Au crépuscule de cette dernière journée de mai, le Citadelpark de Gand, en Belgique, s'est lentement métamorphosé. Les oiseaux se taisent. Le vent suspend son souffle. Sur une scène modeste, deux silhouettes s'avancent : Renette Désir, en robe noire, et Fabian Fiorini, en chemise froissée, les mains prêtes à déranger l'ordre des notes. Ce n'est pas un concert qui commence. C'est un rituel. Un dialogue entre continents, entre corps et mémoire, entre le visible et l'invisible.
Pendant cinq jours, le Citadelic Festival, organisé par le label indépendant el Negocito, a déployé une programmation pointue, ouverte à toutes les formes de musique improvisée et de jazz contemporain. Mais ce 1er juin, pour la soirée de clôture, le public a eu droit à une proposition singulière, à la croisée des traditions haïtiennes et de l'avant-garde européenne.
Dès les premières secondes, le public comprend qu'il ne s'agit pas d'un simple récital. La voix de Renette Désir surgit, puissante, enveloppante, chantant en créole des textes nourris de poésie haïtienne contemporaine. Elle ne chante pas pour divertir, mais pour dire, pour invoquer. Dans le ventre du piano, Fiorini frappe le bois, griffe les cordes, fait résonner des tambours imaginaires. Sa technique, mi-orthodoxe mi-expérimentale, brouille les repères et appelle d'autres formes de perception.
Ensemble, ils tissent un espace de tension et d'extase, où le rythme du vodou haïtien entre en collision avec des structures tonales européennes déconstruites. On ne sait plus si l'on est à Port-au-Prince ou à Bruxelles, dans une cérémonie sacrée ou dans une salle de concert contemporaine. Et c'est précisément là que réside la force de leur proposition : dans cette frontière floue où l'émotion prend le pas sur l'esthétique.
La performance du duo s'est appuyée sur leur premier album, "Yo Anpil", sorti en 2019 sous le label el Negocito Records. Mais sur scène, les morceaux prennent une dimension nouvelle. Rien n'est figé. Chaque chant devient un point de départ vers l'inconnu, chaque silence une respiration chargée de sens. "Nous ne jouons pas pour exister dans un marché", confiera plus tard Fiorini dans un échange impromptu avec le public. "Nous jouons pour convoquer ce qui nous dépasse."
Cette démarche a été saluée par la critique. Le magazine Jazz Magazine, présent sur place, a décrit la voix de Désir comme « ronde, claire, souveraine », portée par un piano « abrupt, anti-lyrique, presque sauvage ». Un contraste qui fait naître une tension féconde, une sorte de transe maîtrisée, où chaque note semble chercher son propre territoire.
Au-delà de la performance musicale, ce qui s'est joué ce soir-là au Citadelpark tenait de l'expérience. On a vu des spectateurs fermer les yeux, d'autres pleurer sans bruit, comme traversés par une histoire qui n'était pas forcément la leur. Car ce que propose le duo Désir & Fiorini, c'est une musique de l'origine et de la rupture. Une musique qui parle de l'exil, de l'identité, de l'invisible. Une musique qui refuse de se laisser enfermer dans un genre.
Le Citadelic Festival, en donnant une place à ce type de création, confirme sa vocation de laboratoire artistique : un lieu où l'expérimentation est reine, et où la rencontre entre les cultures devient une urgence poétique.
À l'heure où les festivals se multiplient sans toujours se distinguer, le Citadelic Festival reste un espace rare. Et en accueillant des artistes comme Renette Désir et Fabian Fiorini, il rappelle que la musique est plus qu'un divertissement : c'est un territoire de lutte, de mémoire et de métamorphose.

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« L’esprit du totalitarisme. George Orwell et 1984 face au XXIe siècle »

« L'esprit du totalitarisme. George Orwell et 1984 face au XXIe siècle » par Jean-Jacques Rosat, éditions Hors d'atteinte, collection "Faits & idées", Marseille, 2025. EAN : 9782382572221. 416 pages. Prix : 23 euros. Date de publication : 11 avril 2025. https://horsdatteinte.org/livre/lesprit-du-totalitarisme/
Information publiée le 11 juin 2025 par Marc Escola < escola[a]fabula.org > sur le site internet « Fabula – La Recherche en littérature » < www.fabula.org/actualites/128155/jean-jacques-rosat-l-esprit-du-totalitarisme-george-orwell-et-1984-face-au-xxie-siecle.html >.
Au-delà de son œuvre d'écrivain, Orwell a laissé une pensée politico-philosophique forte, cohérente et novatrice sur l'esprit du totalitarisme. Jean-Jacques Rosat la relie aux régimes totalitaires de la seconde génération, de Xi Jinping à Poutine en passant par des entreprises de domination des esprits à l'œuvre dans les démocraties libérales.
Orwell était hanté par la crainte que les totalitarismes de son époque en engendrent d'autres. Ses idées offrent sur les régimes totalitaires d'aujourd'hui un éclairage qu'on ne trouve chez aucun autre auteur. C'est un penseur pour le XXIe siècle.
« La morale à tirer de ce dangereux cauchemar est simple, déclarait-il en juin 1949 à propos de son roman : Ne permettez pas qu'il arrive. Cela dépend de vous. »
Lire un extrait...
https://horsdatteinte.org/livre/lesprit-du-totalitarisme/#flipbook-df_2546/1/
Agrégé de philosophie et ancien élève de l'ENS-Ulm, Jean-Jacques Rosat a enseigné la philosophie au lycée pendant vingt ans. Il a traduit « La Connaissance objective de Karl Popper » ( Éd. Flammarion, 2009 [1991] ) et publié un livre d'entretiens avec Jacques Bouveresse, « Le Philosophe et le Réel »( Éd. Hachette, 1998).
De 1999 à 2016, il est maître de conférences au Collège de France (1999–2016) dans la chaire de « Philosophie du langage et la connaissance » (Pr. Jacques Bouveresse), puis dans celle de « Métaphysique et philosophie de la connaissance » (Pr. Claudine Tiercelin). En 2000, il crée aux éditions Agone la collection « Banc d'essais », qu'il dirige jusqu'en 2016, où il publie notamment douze livres de Jacques Bouveresse.
Parallèlement, il se consacre à l'œuvre et à la pensée de George Orwell, dont il fait traduire chez Agone trois ouvrages ( « À ma guise » en 2008, « Écrits politiques » en 2009 et « Une vie en lettres » en 2014 – ainsi qu'une biographie ( « John Newsinger, La Politique selon Orwell », 2006). Il traduit et publie par ailleurs « Orwell ou le pouvoir de la vérité » de James Conant ( Éd. Agone, 2012 ) et codirige un dossier intitulé « Orwell, entre littérature et politique » ( revue Agone, n°45, 2011 ). En 2013, il rassemble onze préfaces, articles et conférences qu'il a écrits sur Orwell sous le titre « Chroniques orwelliennes » ( éditions du Collège de France, en ligne ), suivies, en 2022, de « Nouvelles Chroniques orwelliennes » ( disponibles sur le site www.opuscules.fr ).
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En savoir plus : Si « 1984 »est mondialement connu – les mots, les formules et les images de ce livre sont utilisés partout –, Orwell n'est pas reconnu comme un penseur à part entière. Or dans ses écrits de non-fiction depuis 1936 et dans ses deux romans politiques ( La Ferme des animaux et 1984 ), on trouve un ensemble d'idées originales et pertinentes sur le totalitarisme qui, si on les réunit, constituent une pensée politico-philosophique forte, cohérente et novatrice.
Orwell n'était pas en quête d'une théorie, d'un modèle ou d'une essence. Par-delà le « comment » ( la structure de pouvoir et le fonctionnement des régimes totalitaires ), il cherchait le « pourquoi ». Quand Big Brother nous regarde, qu'y-a-t-il au fond de ses yeux ? Qu'ont voulu les fondateurs de ces régimes ? Sur quels principes reposent les choix et les actes de leurs dirigeants ? Ce qu'Orwell a cherché et décrit dans 1984 , c'est l'esprit du totalitarisme.
Arpentant son œuvre depuis plus de vingt-cinq ans, Jean-Jacques Rosat synthétise ici sa démarche et ses idées, en ouvrant grand les yeux sur le monde présent.
Contrairement à un préjugé largement répandu, l'esprit du totalitarisme n'est pas mort avec la chute du Mur de Berlin : nous sommes confrontés aujourd'hui aux régimes totalitaires de la seconde génération. Héritiers de ceux du XXe siècle, la Chine de Xi Jinping et la Russie de Poutine ont leurs inventions propres, et l'avenir leur est ouvert. Simultanément, au sein des démocraties libérales, de nouvelles entreprises de domination des esprits sont à l'œuvre, et des modes de pensée typiques de ce qu'Orwell appelait la mentalité totalitaire se répandent.
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :
"La matrice totalitaire de 1984", par Pascal Engel ( le 10 juin 2025 ).
On croyait que tout avait été dit sur "1984", et l'adjectif « orwellien » est passé dans le langage courant au même titre que « kafkaïen ». Mais Jean-Jacques Rosat vient, par un livre magistral, d'en renouveler l'interprétation, en exposant les principes du système décrit par Orwell, et en approfondissant le concept qu'on croyait dépassé de totalitarisme, qui reprend ainsi toute sa pertinence et son actualité.
URL de référence : https://horsdatteinte.org/livre/lesprit-du-totalitarisme/
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