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Des manifestations ont eu lieu le 15 juillet dans plusieurs grandes villes du pays devant les bureaux d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) pour dénoncer les (…)

Des manifestations ont eu lieu le 15 juillet dans plusieurs grandes villes du pays devant les bureaux d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) pour dénoncer les conséquences mortelles de l'inaction du gouvernement pour les réfugiés palestiniens. Plusieurs d'entre eux sont en attente (…)

(Re)construire l’édifice des droits humains

17 juillet, par Ligue des droits et libertés
Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2025 (Re)construire l'édifice des droits humains  Paul-Etienne Rainville, responsable de dossiers politiques (…)

Retour à la table des matières Droits et libertés, printemps / été 2025

(Re)construire l'édifice des droits humains

 Paul-Etienne Rainville, responsable de dossiers politiques à la Ligue des droits et libertés En février 1949, lors de la grève de l’amiante à Asbestos, les travailleurs de la minière Johns-Manville décident de loger une plainte directement à l’Organisation des Nations unies (ONU) pour violation de droits humains. C’est la toute première fois dans l’histoire du Québec qu’un groupe mobilise la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), adoptée trois mois plus tôt, pour dénoncer les violations de droits qui ont cours au Québec. Ces travailleurs syndiqués – membres de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (ancêtre de la CSN) – dénoncent le déni du droit de grève et les arrestations abusives, les violences et les abus commis par la police provinciale. Dans son plaidoyer, un travailleur fait état des « coups de poings et de garcettes » et des actes de « tortures » infligés par les forces policières. Treize de ses collègues dénoncent les injures, les menaces et les abus physiques qu’ils ont subis dans les « chambres de torture » de la Johns- Manville. Tout au long des années 1950, les syndicats mobiliseront les instances onusiennes dans le cadre de plusieurs grèves, dont celles de Louiseville (1952) et de Murdochville (1957), où des travailleurs sont arrêtés, emprisonnés, blessés, voire tués aux mains des forces de l’ordre. Dans le Québec de la Grande Noirceur, avant l’adoption de la Charte des droits et libertés de la personne, les appels à l’ONU et à la DUDH deviennent un instrument de résistance, de contestation et de mobilisation pour plusieurs groupes de la société civile, dans un contexte où le gouvernement de l’Union nationale multiplie les mesures autoritaires, répressives et liberticides contre les individus et les groupes qui manifestent leur opposition au régime. En pleine guerre froide, Duplessis utilise la loi du cadenas (1937-1957) pour emprisonner, cadenasser la propriété, mettre à l’amende ou emprisonner celles et ceux qu’il qualifie arbitrairement de communistes ou de bolchévistes. En tant que premier ministre et procureur général de la province, il multiplie les attaques envers les droits de certaines minorités religieuses non- catholiques, dont les Baptistes, les Juifs et, surtout, les Témoins de Jéhovah auxquels il livre une véritable guerre sans merci. Comme le fait le gouvernement Legault encore aujourd’hui, Duplessis justifie ses mesures attentatoires aux droits humains en s’appuyant sur le principe de la suprématie du parlement, sur la légitimité de sa majorité démocratique, sur la défense des valeurs québécoises (catholiques) et sur une fausse opposition entre les droits collectifs des Canadiens français et les droits de ces minorités qu’il considère comme « subversives ». En ce 50e anniversaire de la Charte québécoise, il est crucial de se rappeler cette période, pas si lointaine, où il n’existait au Québec virtuellement aucun garde-fou pour protéger les droits humains contre les agissements d’un gouvernement autoritaire et hostile à la dissidence, aux minorités et aux droits humains.

Une révolution pas si tranquille…

La Révolution tranquille entraîne plusieurs avancées majeures en matière de droits humains. Il faut dire qu’au début des années 1960, il reste énormément de chemin à parcourir pour assurer le respect et la protection de ces droits au Québec. Pour ne donner que quelques exemples, notons que l’acte homosexuel est criminalisé, avec tout ce que cela implique de surveillance, de profilage, d’intimidation et de répression. Sous la tutelle de leur mari, les femmes mariées sont considérées comme mineures : elles n’ont pas le droit de signer de contrat ou d’intenter une action en justice. L’avortement est inscrit au Code criminel et la peine de mort est toujours en vigueur. Le Bureau de la censure, dominé par le clergé, exerce son contrôle sur l’enseignement, la littérature, le cinéma, le théâtre et les productions culturelles. Les droits économiques et sociaux sont fragilisés de toutes parts, alors que l’État social se résume à des prestations discrétionnaires et de dernier recours pour les « pauvres méritants ». En ce début de la Révolution tranquille, le Québec est l’une des dernières provinces au Canada où il est encore parfaitement légal de discriminer une personne sur la base de sa race, de son sexe ou de sa religion dans les domaines du travail, du logement et de l’accès aux lieux publics. Dans le contexte des importantes agitations sociales de l’époque, plusieurs manifestations sont violemment réprimées par les forces de l’ordre ; que l’on pense au samedi de la matraque lors de la visite de la Reine en 1964 ou encore au lundi de la matraque lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste de 1968. Ainsi, malgré les avancées de la Révolution tranquille, le Québec d’avant la Charte québécoise reste un endroit où il est risqué de contester l’ordre établi, de défendre ses droits, de revendiquer des changements sociaux et d’appartenir à des groupes minoritaires ou marginalisés1.

Aux lendemains de la Crise d’octobre en 1970, où près de 500 personnes sont emprisonnées, et de la grève du Front commun de 1972, qui culmine avec l’emprisonnement des trois principaux chefs syndicaux de la province, il devient plus évident que jamais qu’un État de droit digne de ce nom doit protéger les droits de l’ensemble des personnes, indépendamment de leur origine, de leur sexe, de leur statut social, de leur religion, de la couleur de leur peau ou de leurs opinions politiques.

Vers la Charte québécoise de 1975

L’adoption de la DUDH, le 10 décembre 1948, marque la naissance d’un mouvement pour la défense des droits humains au Québec, qui marquera de son empreinte les décennies à venir. Plusieurs groupes et organisations au Québec uniront leurs efforts pour réclamer l’adoption d’une charte des droits, inspirée de la DUDH. C’est le cas notamment des Comités ouvriers des droits de l’homme créés à la fin des années 1940 pour lutter contre la discrimination raciale et religieuse. Des associations des communautés noires (Negro Citizenship Association) et juives (Congrès juif canadien, Comité ouvrier juif) mènent aussi des campagnes pour que le Québec et le Canada se dotent de chartes et de lois antidiscrimination. Des associations étudiantes et des organisations féministes font de même, tout comme plusieurs groupes d’intellectuel-le-s et de militant-e-s des franges libérale, catholique de gauche, réformiste et sociale-démocrate. Jusqu’à la mort de Duplessis, en septembre 1959, leurs demandes restent toutefois lettre morte! Ce dernier leur répond que le Québec est l’endroit où les minorités sont les mieux traitées au Canada, que les devoirs et les droits collectifs doivent primer sur les droits individuels, que les droits de l’homme sont hérités de la sanglante Révolution française et qu’ils trouvent leur formulation la plus achevée dans l’Évangile! Le contexte agité des années 1960 galvanise le mouvement pour l’adoption d’une charte au Québec. Des groupes nationalistes, syndicaux et radicaux, portés notamment par l’idéologie du socialisme de décolonisation, réclament une charte provinciale à la fois pour se protéger de la répression politique et pour affirmer le droit du Québec à l’autodétermination. Des associations étudiantes mettent sur pied des comités des droits de l’homme pour dénoncer les brutalités policières commises lors des manifestations organisées par la jeunesse, notamment montréalaise. Les communautés autochtones du Québec font des représentations à l’ONU pour défendre leur droit à l’autodétermination. Des organisations féministes et des groupes ethniques et racisés luttent contre la discrimination en se réclamant des principes du droit international des droits humains. Fondée en 1963 par des militant-e-s qui ont fait leurs premières armes contre Duplessis, la Ligue des droits de l’homme (LDH)2 fera de l’adoption d’une charte provinciale l’un de ses principaux chevaux de bataille, et fera des pressions soutenues en ce sens auprès du gouvernement provincial dans les années qui suivront. Tous ces groupes ont en commun d’avoir été, à un moment où l’autre de leur histoire, victime d’entorses à leurs droits et d’avoir ainsi compris la nécessité d’assurer le respect des droits de toutes et tous, sans discrimination, et de protéger un socle de droits contre les dérives potentielles des gouvernements. Et plusieurs voient en cette période d’intense réformisme une occasion de construire un État qui s’appuie sur les principes inscrits en 1948 dans la DUDH, puis dans les deux pactes internationaux3 de 1966. Aux lendemains de la Crise d’octobre en 1970, où près de 500 personnes sont emprisonnées, et de la grève du Front commun de 1972, qui culmine avec l’emprisonnement des trois principaux chefs syndicaux de la province, il devient plus évident que jamais qu’un État de droit digne de ce nom doit protéger les droits de l’ensemble des personnes, indépendamment de leur origine, de leur sexe, de leur statut social, de leur religion, de la couleur de leur peau ou de leurs opinions politiques. C’est dans ce contexte que la LDH lance, en 1973, une vaste campagne pour réclamer l’adoption d’une charte des droits. Son projet de charte « à partir des citoyens » est distribué à 500 000 exemplaires, et sera largement débattu dans les médias et plusieurs organisations de la société civile. La LDH interpelle plus d’une centaine de groupes pour avoir leur avis sur son projet et connaître leurs préoccupations au sujet des violations de droits humains qui ont cours dans leurs milieux. Des centaines d’organisations répondent à l’appel! Tous, sauf le Conseil du patronat, adhèrent au projet de charte proposé par la LDH.
Et si la Charte québécoise est encore à ce jour considérée comme un « document unique dans l’histoire législative canadienne », c’est parce qu’elle est le résultat de ces luttes historiques pour la liberté, l’égalité et la justice sociale, […]
 C’est dans la foulée de cette campagne que le gouvernement libéral dépose, le 29 octobre 1974, le projet de loi no 50 - Loi concernant les droits et libertés de la personne et que, la Charte des droits et libertés de la personne sera adoptée à l’unanimité en juin 1975. Le ministre de la Justice de l’époque, Jérôme Choquette, souligne alors que cette Charte est l’incarnation des valeurs de la société québécoise. De fait, elle apparaît comme l’aboutissement de nombreuses années de luttes et de mobilisations d’actrices et d’acteurs de tous les secteurs de la société civile. Elle incarne la transformation profonde de la culture des droits humains qui s’est opérée au Québec depuis l’adoption de la DUDH. Et si la Charte québécoise est encore à ce jour considérée comme un « document unique dans l’histoire législative canadienne », c’est parce qu’elle est le résultat de ces luttes historiques pour la liberté, l’égalité et la justice sociale, mais aussi parce qu’elle est l’un des documents (quasi)constitutionnel les mieux arrimés au droit international des droits humains.

Un demi-siècle plus tard…

La Charte québécoise a permis des avancées majeures, dont témoignent plusieurs articles dans ce dossier de Droits et libertés. Elle a contribué à l’avancement des droits des femmes, à l’inclusion des personnes en situation de handicap, à la lutte contre la discrimination des personnes LGBTQ+, à protéger les enfants et les personnes âgées contre l’exploitation, à combattre le racisme systémique, le profilage et la discrimination raciale, à protéger les libertés civiles et bien d’autres choses encore. Ce dossier ouvre une réflexion sur l’impact de la Charte québécoise sur l’évolution de la société québécoise depuis les 50 dernières années. Il propose une première section qui traite de ces avancées : celles de la Charte québécoise elle-même, mais aussi le rôle joué par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et le Tribunal des droits de la personne dans sa mise en œuvre depuis leur création, en 1976 et 1990. La seconde partie donne la voix à des organismes communautaires et de défense collective des droits impliqués au quotidien dans la défense des droits humains. Elle expose leur vision de la Charte québécoise, de son utilité et de ses limites, et du cadre de référence des droits humains. Tout en célébrant les avancées permises par la Charte québécoise, ces groupes apportent des perspectives parfois critiques sur ses limites et sur la manière dont elle pourrait être renforcée pour défendre les droits de toutes et tous. En mettant en lumière l’interdépendance des droits, cette section est avant tout un appel à considérer l’interdépendance de nos luttes. Car si les droits humains sont aujourd’hui au fondement de notre État de droit, ils demeurent fragiles. Et leur histoire, comme leur devenir, reste tributaire de nos luttes, de nos mobilisations et de nos solidarités.
  1. Lucie Laurin, Des luttes et des Antécédents et histoire de la Ligue des droits de l’homme de 1936 à 1975, Montréal, Éditions du Méridien, 1985; Paul-Etienne Rainville, De l’universel au particulier : les luttes en faveur des droits humains au Québec, de l’après-guerre à la Révolution tranquille. Thèse (Histoire), Université du Québec à Trois-Rivières, 2008.
  2. En 1978, la Ligue des droits de l’homme change de nom pour la Ligue des droits et libertés.
  3. Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
 

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Il fallait se défendre. L’histoire du premier gang de rue haïtien à Montréal

17 juillet, par Christian Goyette — , , ,
Maxime Aurélien et Ted Rutland, Il fallait se défendre. L'histoire du premier gang de rue haïtien à Montréal, Mémoire d'encrier, 2023, 263 p. Fruit d'une collaboration (…)

Maxime Aurélien et Ted Rutland, Il fallait se défendre. L'histoire du premier gang de rue haïtien à Montréal, Mémoire d'encrier, 2023, 263 p.

Fruit d'une collaboration entre Maxime Aurélien et l'universitaire et activiste Ted Rutland, Il fallait bien se défendre raconte l'histoire des Bélanger, le premier gang de rue haïtien de Montréal. L'essai prend la forme d'un récit écrit au « je » où Aurélien raconte sa jeunesse et comment il est devenu, sans trop s'en rendre compte, le chef d'un gang de rue.

Ayant grandi au cœur de la communauté haïtienne de Saint-Michel, dont ses parents sont des figures rassembleuses, Aurélien se retrouve jeune adulte sans famille au début des années 1980 alors que son père veuf le quitte pour New York avec ses frères et sœurs. L'appartement d'Aurélien devient alors le quartier général informel d'une bande d'amis partageant un vécu marqué par les défis de la pauvreté et du racisme, ainsi que diverses tactiques pour subvenir à leurs besoins – comme des vols par effraction. Habitués de subir constamment la violence sous forme de discriminations, d'insultes et de menaces racistes, les amis décident un jour de s'organiser pour riposter. Adoptant une tactique de défense de groupe, ils battent de leurs poings les racistes qui les insultent. De tels moments leur procurent fierté et exaltation : ils n'acceptent plus les menaces, ils se défendent et défendent leur place dans cette ville.

Mais de telles batailles finissent par faire les manchettes. Dès lors, qualifiés de gang de rue et ciblés par la police comme des criminels durs, baignant dans un milieu social offrant peu d'espace à des aspirations individuelles légitimes et faisant face à la violence liée à l'émergence d'autres gangs rivaux, Aurélien et certains de ses amis quittent les Bélanger tandis que d'autres, galvanisés par la répression policière et le visionnement de vidéocassettes du Parrain, s'engagent dans une criminalité plus sophistiquée.

Ce livre est exemplaire dans sa capacité à rendre compte des effets de la violence et du racisme systémique ordinaire. Aussi, au récit de Maxime Aurélien, déjà fascinant, s'ajoutent divers éléments d'information et de mise en contexte amenés par Rutland – lequel présente ses questionnements et constats théoriques dans l'introduction et l'épilogue. Nous invitant à renverser notre compréhension habituelle des gangs de rue, largement influencée par le récit des autorités que relaient les médias, les auteurs mettent en évidence le rôle joué par le racisme ambiant et la répression policière dans la consolidation de ces gangs de rue – un terme symptomatiquement appliqué exclusivement à la criminalité perpétrée par des groupes de jeunes racisés. Bref, cet ouvrage nous permet d'accéder à une version de l'histoire que nous entendons rarement, et il est en cela précieux.

Seule ombre au tableau : le souci de conserver quelque chose de l'oral dans le récit (qui fut rédigé par Rutland à partir d'entrevues avec Aurélien) donne parfois lieu à des difficultés de lecture.

Montréal fantasmagorique. Ou la part d’ombre des animations lumineuses urbaines

Josianne Poirier, Montréal fantasmagorique. Ou la part d'ombre des animations lumineuses urbaines, Lux Éditeur, 2022, 195 p. Les grandes villes du monde compétitionnent (…)

Josianne Poirier, Montréal fantasmagorique. Ou la part d'ombre des animations lumineuses urbaines, Lux Éditeur, 2022, 195 p.

Les grandes villes du monde compétitionnent entre elles pour se tailler une réputation de destination touristique de choix et de centre économique dynamique attractif pour les investissements. Plusieurs procédés sont utilisés pour créer ce « branding » urbain, mais il est marquant de constater que toutes les villes utilisent les mêmes éléments pour façonner leur image de marque. L'un de ces procédés est l'utilisation d'installations lumineuses qui mettent de l'avant des monuments ou des moments de l'histoire de la ville en question. De la tour Eiffel au pont Jacques-Cartier, nous nous retrouvons donc avec la même iconographie. Or, ces installations lumineuses cachent les inégalités sociales qui traversent le tissu urbain pour suggérer une image de la ville pacifiée. C'est en ce sens que Josianne Poirier explore plusieurs exemples de l'utilisation de la lumière et des techniques numériques à Montréal pour révéler l'envers du décor de ces propositions artistiques. Tout d'abord, l'autrice s'attarde à retracer l'histoire de l'éclairage urbain pour démontrer que ce désir d'illuminer les rues montréalaises a été pensé dans une optique de surveillance et de contrôle des populations marginalisées vues comme dangereuses. Encore de nos jours, ces installations lumineuses ont bien souvent comme conséquence de repousser certaines populations des espaces publics maintenant destinés aux touristes et aux consommateur·rices.

À travers des exemples concrets comme l'illumination du pont Jacques-Cartier, le parcours historique Connexion vivante du Vieux-Montréal ou la signature visuelle du Quartier des spectacles, l'autrice montre comment ces projets occultent plusieurs tensions résultant du colonialisme et des rapports de classe. De fait, dans le parcours historique de Connexion vivante, la place des Autochtones est réduite à un seul tableau, soit la Grande Paix de Montréal. Le Quartier des spectacles, en utilisant l'imaginaire visuel associé au Red Light, soit une boule de lumière rouge qui s'affiche sur l'ensemble du quartier, nie spécifiquement la présence du travail du sexe qui existe toujours sur son territoire.

De façon plus globale, l'autrice remet en doute l'utilisation des nouvelles technologies associées à ce que la Ville de Montréal nomme « la créativité numérique », concept central à sa politique culturelle de 2017. Dans celle-ci, tout contenu culturel produit à partir d'un support numérique devient une façon de faire rayonner la ville. Pour l'autrice, il s'agit à la fois d'une marchandisation de la culture soumise aux impératifs économiques ainsi qu'une instrumentalisation de la culture où la démarche créative n'est plus une fin en soi, mais un moyen d'encourager le développement économique et touristique.

Bien que ce phénomène de « branding » urbain soit mondial, l'étudier à travers la réalité montréalaise permet aux lecteurs et lectrices une meilleure compréhension des exemples proposés. Il est d'autant plus facile de suivre la thèse de l'autrice quand les installations lumineuses qui y sont décortiquées nous sont connues. Dans cette étude des animations numériques urbaines, l'autrice nous rappelle que celles-ci créent toujours des pans d'ombre qu'il convient de dévoiler pour mieux comprendre les réalités qui sont mises en lumière.

La nature de l’injustice

Sabaa Khan et Catherine Hallmich (dir.), La nature de l'injustice, Écosociété, 2023, 276 p. Avec raison, il y a péril en la planète, les changements climatiques sont en (…)

Sabaa Khan et Catherine Hallmich (dir.), La nature de l'injustice, Écosociété, 2023, 276 p.

Avec raison, il y a péril en la planète, les changements climatiques sont en tête des préoccupations de notre monde, en effet, nous sommes sur une pente savonneuse et, en persistant dans notre course capitaliste à la consommation et à l'exploitation effrénée, les dommages et les contrecoups, parfois appelés « catastrophes naturelles », sont notre lot. Notre lot !? Ce regroupement de textes remet les pendules à l'heure : encore une fois, nous ne sommes pas égaux, loin de là, puisqu'en matière d'environnement, pas plus qu'en matière d'emploi ou de logement, on n'échappe pas aux discriminations économiques et raciales. Particulièrement avec le principe pas dans ma cour, mon quartier (ou même mon pays), « les systèmes politiques et juridiques fondés sur le capitalisme et le colonialisme » agissent pour pelleter hors de notre vue des déchets dignes de Frankenstein, des axes routiers exponentiels, l'exploitation vorace des ressources et de belles usines propres, propres, propres, pour ne donner quelques exemples de ce qui se trouve au sommaire de cette vingtaine de textes, d'autant de plumes acérées, qui éclairent nos lanternes vacillantes ; ne sommes-nous pas à l'ère des informations généralistes et la prolifération de la publicité. L'urgence climatique appelle à fourbir des perspectives intergénérationnelles. La première partie de ce livre, auquel est associée la Fondation David Suzuki, pose d'emblée cet enjeu des discriminations climatiques, avec des chapitres comme « Racisme et environnement dans les communautés afro-néo-écossaises : un héritage de lutte, de résistance et de survie » et « Réalités Inuit au Nunavik, disparition des terres et incidence sur la subsistance ». Les claims miniers, la pollution dans l'Arctique canadien, la menace de disparition des quartiers chinois, mais aussi, à l'international, l'économie de l'arachide au Sénégal ou les questions liées aux gens du voyage. Ce panorama de textes aux analyses étayées démultiplie notre regard, voire notre appui vis-à-vis de luttes d'autant de personnes qui refusent de se taire devant de nouveaux pillages ou de nouvelles dérives liées à l'environnement et choisissent plutôt de toujours augmenter la pression sur les damnés de la Terre.

Résister et fleurir

Jean-Félix Chénier et Yoakim Bélanger, Résister et fleurir, Écosociété, 2023, 171 p. Que sont devenues nos luttes depuis 2012 ? Où en sont les mouvements sociaux (…)

Jean-Félix Chénier et Yoakim Bélanger, Résister et fleurir, Écosociété, 2023, 171 p.

Que sont devenues nos luttes depuis 2012 ? Où en sont les mouvements sociaux aujourd'hui ? Voilà des questions qui préoccupent plusieurs d'entre nous. Résister et fleurir, la bande dessinée du politologue Jean-Félix Chénier et de l'artiste Yoakim Bélanger, permet d'entrevoir des éléments de réponses et de documenter la force des mouvements sociaux émergents.

En pleine pandémie, Chénier doit enseigner à distance au Collège de Maisonneuve son cours intitulé « Pensées et cultures politiques ». Où trouver l'espoir de la transformation sociale quand tout s'arrête ? semble se demander l'enseignant. En nous invitant à pénétrer dans son quotidien pédagogique, cette BD nous fait découvrir comment il a amené ses élèves à explorer le potentiel politique que recèle l'univers des utopies et des dystopies, au cœur du cours.

Résister et fleurir mobilise le bagage intellectuel et les réminiscences liés à une série d'œuvres de fiction, rendues populaires grâce à différents supports : livre, cinéma, télé, peinture, etc. Les aquarelles de Yoakim Bélanger décuplent le pouvoir évocateur de ces œuvres, mobilisées afin de mieux se saisir du langage critique généré par les utopies ou les dystopies.

Le chapitre le plus important concerne le moment où le cours se déplace in situ, plus exactement sur le territoire qui est au cœur d'une lutte citoyenne menée dans Hochelaga-Maisonneuve, pour la préservation d'un des derniers grands espaces verts de l'Est de Montréal. Le destin de cette terre en friche où la nature a repris ses droits est menacé par une dystopie, celle de la croissance ininterrompue de la production et des profits. Le livre fournit des pistes de compréhension de la lutte menée par Mobilisation 6600 Parc nature MHM et par Mères au front à l'aide de plusieurs notions de sciences sociales comme les communs, la décroissance, l'écoanxiété, la dialectique sphère privée/sphère publique… Le combat pour épargner cette Zone à défendre (ZAD) permet de saisir les jalons de l'apparition d'une utopie à la fois significative et porteuse pour le quartier. « Le paysage est politique », peut-on lire. Résister et fleurir propose de déconstruire le regard qu'on pose sur le monde. Il nous dit de refuser de voir un vulgaire terrain vague là où s'épanouissent la nature et la vie. Le silence aussi a une grande valeur ; il est partie prenante des communs lorsqu'on choisit collectivement de cesser d'externaliser les coûts de la pollution sonore. Le silence est la condition permettant d'apprécier le chant de l'une ou l'autre des 140 espèces d'oiseaux peuplant ce parc en devenir.

Un mot sur la grande maîtrise des pinceaux par Yoakim Bélanger. L'aquarelle est une technique difficile, que l'artiste mobilise ici avec talent et succès. La beauté des planches ajoute beaucoup de lumière à ce récit consacré à un sujet qui peut paraître exigeant. Le travail pictural dans son ensemble cherche à dépeindre un maximum de sensibilité chez les protagonistes de cette belle aventure citoyenne, notamment les personnes étudiantes, les activistes, l'enseignant et le site à protéger.

Rapailler nos territoires. Plaidoyer pour une nouvelle ruralité

Stéphane Gendron, Rapailler nos territoires. Plaidoyer pour une nouvelle ruralité, Écosociété, 2022, 144 p. L'auteur de Rapailler nos territoires. Plaidoyer pour une (…)

Stéphane Gendron, Rapailler nos territoires. Plaidoyer pour une nouvelle ruralité, Écosociété, 2022, 144 p.

L'auteur de Rapailler nos territoires. Plaidoyer pour une nouvelle ruralité est un personnage surprenant. Ex-maire de la petite municipalité de Huntington, Stéphane Gendron fut un temps polémiste populiste, un « homme en colère » comme il se décrit, qui n'avait pas fait parler de lui pour les bonnes raisons. Rien à voir avec le contenu de cet essai publié chez Écosociété dans lequel il offre une analyse percutante de la situation actuelle des régions rurales au Québec.

Reconnaissant que notre modèle de développement a atteint ses limites, Gendron affirme qu'il est nécessaire de repenser la ruralité en intégrant les enjeux environnementaux et en favorisant la mixité sociale, la renaissance de la paysannerie et les nouvelles technologies. Son constat sur l'état du monde rural, qu'il connait et documente très bien, est sans appel : un changement de cap est nécessaire.

Il rappelle ainsi que si l'on souhaite une occupation dynamique du territoire québécois, il est nécessaire de renverser la tendance à la baisse du nombre de fermes plutôt que d'encourager des mégaexploitations visant les marchés extérieurs. En plus de devoir faire face à cette déstructuration, le monde agricole devra également s'adapter aux changements climatiques et au manque de main-d'œuvre. Si l'auteur semble prendre le pari (risqué ?) des nouvelles technologies, il insiste également sur l'importance de prendre conscience de l'inévitable évolution de la population. Entre néoruraux (favorisés par le télétravail) et travailleurs étrangers, la mixité ne serait plus seulement un sujet urbain. L'auteur rappelle en effet que le tiers de la main-d'œuvre agricole du Québec est constitué de travailleurs étrangers qui sont passés de 7800 en 2014 à 17 000 en 2019.

Outre sa sensibilité particulière pour le monde agricole, Stéphane Gendron lance un pavé dans la mare de la démocratie municipale en région en appelant à une nouvelle vague de fusions. En plus du faible taux de participation aux élections, l'auteur pointe du doigt plusieurs problèmes, notamment en ce qui concerne les 711 municipalités (sur 11 107) qui comptent moins de 2000 habitant·es. Il qualifie ces dernières de « micro-entités » qui manquent à la fois de légitimité et de ressources pour pouvoir faire face aux défis à relever. L'auteur insiste donc sur la nécessité de réformer la gouvernance, mais également le financement des collectivités municipales, principalement basé sur l'impôt foncier, ce qui perpétue les inégalités entre les régions riches et pauvres.

Gendron met en lumière un élément trop souvent mis de côté, soit le besoin de repenser le rôle des municipalités rurales en les encourageant à devenir des acteurs politiques capables de mobiliser leur communauté par la participation citoyenne. Rapailler nos territoires est un essai ambitieux et bien documenté qui incite à réfléchir sur l'avenir des régions rurales du Québec. Ce livre est donc une lecture plus que conseillée pour toustes ceux et celles qui s'intéressent à ces enjeux cruciaux.

Pelote dans la fumée

17 juillet, par Valentin Tardi — , ,
Miroslav Sekulic-Struja, Pelote dans la fumée, Actes Sud BD, 2023, 240 p. Cette intégrale des deux doubles saisons de Pelote dans la fumée, <

Miroslav Sekulic-Struja, Pelote dans la fumée, Actes Sud BD, 2023, 240 p.

Cette intégrale des deux doubles saisons de Pelote dans la fumée, I. L'automne/L'été (2013) et II. L'hiver/Le printemps (2016) s'imposait dans la mesure où la publication de Petar & Liza (Actes Sud BD, 2022) a créé une onde de choc en mettant à l'avant-plan un auteur croate à nul autre pareil : Miroslav Sekuli-Struja. Cet artiste, à l'origine un peintre curieux d'autres médiums dont la BD et le cinéma d'animation, a gagné un concours de jeunes auteur·es à Angoulême en 2010 avec un style très précis, ménageant mille détails (graffitis, déchets, « laideur », errants atypiques et autres choses sur lesquelles les créatifs font plutôt l'impasse) et un sens narratif ancré dans le social, et un réalisme dans la lignée d'un Otto Dix. Véritable électrochoc, le propos de cet auteur recoupe les malmené·es de la Terre, des relents dantesques dans un quotidien où les enfants, ici dans un orphelinat dépassé par la guerre et une pauvreté galopante, se trouvent piégé·es. Assurément, Sekulic n'est pas que visionnaire : il a bel et bien été dans cette misère qui nous rattrape peu à peu à force de persister dans un programme où les démesures pharaoniques ne gavent que les ultra-capitalistes de par le vaste monde !

Fouillés à nu, menottés, et laissés dans un froid glacial

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/07/Untitled.png16 juillet, par Southern Ontario Committee
L'ombudsman de l'Ontario sonne l'alarme au sujet de la « crise grandissante » dans les prisons provinciales, affirmant qu'une réforme urgente est nécessaire. Un nombre record (…)

L'ombudsman de l'Ontario sonne l'alarme au sujet de la « crise grandissante » dans les prisons provinciales, affirmant qu'une réforme urgente est nécessaire. Un nombre record de 6 870 plaintes concernant les conditions de détention dans les établissements correctionnels de l’Ontario ont été (…)

18 677 enfants pour la guerre : la confession des FARC qui secoue la Colombie

15 juillet, par Isabel Cortés
Isabel Cortés, correspondante Dans un moment historique pour le système de justice transitionnelle de la Colombie, six anciens commandants des Forces armées révolutionnaires de (…)

Isabel Cortés, correspondante Dans un moment historique pour le système de justice transitionnelle de la Colombie, six anciens commandants des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), aujourd’hui dissoutes, ont reconnu leur responsabilité dans le recrutement forcé de plus de 18 000 (…)

Lettre ouverte à la classe politique mondiale de la part de la dissidence russe en prison

15 juillet, par Rédaction-coordination JdA-PA
Kagarlitsky, Darya Kozyreva, Dmitry Pchelintsev, Andrei Trofimov, Ilya Shakursky, Alexander Shestun, Artem Kamardin, Azat Miftakhov Cliquez sur la légende pour obtenir des (…)

Kagarlitsky, Darya Kozyreva, Dmitry Pchelintsev, Andrei Trofimov, Ilya Shakursky, Alexander Shestun, Artem Kamardin, Azat Miftakhov Cliquez sur la légende pour obtenir des détails sur le cas de chaque personne prisonnière. Nous, prisonniers politiques russes, faisons appel à toutes lespersonnes (…)

Dan Gallin, syndicaliste internationaliste (1931-2025)

15 juillet, par Rédaction-coordination JdA-PA
Peter Rossman1 — 7 juin 2025 – sur le site du Global Labour Column – traduction par Johan Wallergren, pour le Journal des Alternatives Dan Gallin, ancien secrétaire général de (…)

Peter Rossman1 — 7 juin 2025 – sur le site du Global Labour Column – traduction par Johan Wallergren, pour le Journal des Alternatives Dan Gallin, ancien secrétaire général de l’UITA (Union internationale des travailleuses et travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de (…)

La puissance diasporique, source vive d’une solidarité sans frontières

14 juillet, par Maria Kiteme
Maria Kiteme, correspondante À l’heure où les crises et les conflits géopolitiques se multiplient, les modes de coopération évoluent profondément à l’échelle mondiale. La (…)

Maria Kiteme, correspondante À l’heure où les crises et les conflits géopolitiques se multiplient, les modes de coopération évoluent profondément à l’échelle mondiale. La hausse des mouvements de population et le nombre croissant de personnes réfugiées amènent à repenser les modèles (…)

Corps de femme, un terrain de domination : chronique d’un système sexiste

14 juillet, par Mégane Arseneau
Mégane Arseneau, correspondante Si la médecine prétend être objective, universelle et neutre, elle reste pourtant profondément marquée par les logiques de domination. (…)

Mégane Arseneau, correspondante Si la médecine prétend être objective, universelle et neutre, elle reste pourtant profondément marquée par les logiques de domination. Historiquement façonné par le patriarcat, le savoir médical a invisibilisé les femmes, réduit leur corps à des fonctions (…)

L’après-Facebook des médias d’info

Le torchon brûle entre les médias d'information canadiens et le géant numérique Meta. Il est fort possible que le blocage des nouvelles canadiennes sur Facebook, Instagram et (…)

Le torchon brûle entre les médias d'information canadiens et le géant numérique Meta. Il est fort possible que le blocage des nouvelles canadiennes sur Facebook, Instagram et consorts soit définitif. Quelles leçons tirer de cette confrontation, tant dans l'immédiat que pour les futures batailles dans la sphère numérique ?

La Loi sur les nouvelles en ligne adoptée par le gouvernement libéral de Justin Trudeau devait assurer une redistribution des richesses de Google et Meta vers les médias d'information. Mais la loi est fondamentalement mal pensée : elle se contente d'inciter ces entreprises à négocier des ententes financières avec les médias d'information. Malgré ce qu'en disent Libéraux fédéraux et plusieurs analystes dans des sorties hyperboliques, le blocage opéré par Meta ne contrevient pas à cette loi. Seulement, Meta l'applique d'une manière que n'avaient pas suffisamment anticipée le gouvernement et les lobbyistes du milieu de l'information [1].

Faiblesses dans l'analyse

En conséquence, la riposte de Meta à la Loi sur les nouvelles en ligne pourrait avoir des effets catastrophiques sur la visibilité de nombreux médias, notamment plusieurs médias numériques ainsi que des médias indépendants. Si l'attitude de Meta est ce qu'il faut dénoncer en tout premier lieu, la situation actuelle révèle des faiblesses importantes dans l'analyse du milieu journalistique et du gouvernement libéral, tant sur le plan théorique que stratégique.

En effet, la Loi sur les nouvelles en ligne (comme d'autres lois du gouvernement Trudeau venant réguler les géants du numérique) ne s'attaque pas au pouvoir démesuré des GAFAM. Elle se contente d'inciter ces entreprises à exercer ce pouvoir de manière plus raisonnable, ce que Meta n'a visiblement pas l'intention de faire.

Les analyses plus radicales — qui vont à la racine du pouvoir de ces entreprises — existent pourtant depuis longtemps. Dès 2007, un an à peine après que Facebook ait ouvert sa plateforme au grand public, le militant et programmeur Aaron Swartz sonnait l'alarme : « On commence à voir le pouvoir se centraliser sur des sites tels que Google. Ce sont des sortes de gardiens qui vous disent où vous voulez aller sur internet, des gens qui vous fournissent vos sources d'information et de nouvelles. » [2]

De l'avis de bien des adeptes du logiciel libre et autres « hacktivistes », c'est le fait même d'avoir laissé des secteurs aussi névralgiques de la communication numérique à des entreprises privées qu'il fallait contester. Il est regrettable que leur analyse ait été ignorée par plusieurs voix québécoises critiques des GAFAM (et qu'elle le soit toujours, d'ailleurs).

Comment expliquer cela ? Le milieu journalistique québécois, dans sa vaste majorité, n'entretient pas une culture militante. Au contraire, les mouvements sociaux sont souvent perçus avec méfiance et scepticisme. La critique journalistique ne vise pas à s'en prendre au pouvoir des GAFAM, mais cherche à rétablir la position des médias dans de nouvelles circonstances. De toute manière, l'idéal libriste et hacktiviste, qui valorise la parole populaire, le travail collaboratif ainsi que le partage au détriment du droit d'auteur, vient bousculer plusieurs a priori du milieu, ce qui le rend irritant.

Fenêtre d'opportunités

On pourrait en rester à ce « on vous l'avait bien dit et vous n'avez pas écouté », mais l'amertume ne livre pas de plus grandes victoires que le corporatisme. D'autant plus que la situation actuelle pourrait aussi ouvrir une fenêtre d'opportunités.

De fait, lorsqu'on observe au-delà du Canada, on constate que l'information a de moins en moins la cote auprès des médias sociaux. Meta délaisse le contenu informatif depuis l'éclatement du scandale de Cambridge Analytica en 2018, et la tangente se poursuit en 2023 [3]. L'époque où les golden boys de la Silicon Valley aspiraient à édifier la « place du village du 21e siècle » pourrait être derrière nous. Le contenu informatif et politique est peut-être trop complexe à gérer pour des entreprises qui cherchent d'abord à maximiser leurs revenus et à minimiser les coûts de modération de leurs plateformes numériques.

Si cette hypothèse était avérée, cela signifierait qu'un espace s'ouvrirait pour les médias d'information. Comment en profiter ? Dans l'urgence de cette situation catastrophique, tous les médias incitent à se tourner vers leurs applications, leur site Web ou leur infolettre. Est-il possible de faire mieux, de faire plus ? Peut-on s'approprier les potentialités que permettent un média social et le traitement collaboratif de l'information ?

En août dernier, l'auteur et analyste Alain Saulnier proposait la création d'un « réseau social public » [4]. L'idée est séduisante, notamment parce qu'elle reconnaît l'importance de médias sociaux orientés vers le bien commun plutôt que le profit. Mais sa mise en œuvre concrète est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et soulève plusieurs questions. Pourquoi un réseau national alors que le numérique permet d'outrepasser les frontières ? Comment les critères de modération seraient-ils établis et quelle voix aurait le public à ce sujet ? À qui reviendrait la responsabilité de modérer cet espace ? Et pourquoi une alternative comme Mastodon ne pourrait-elle pas répondre aux besoins identifiés par l'auteur ?

Autrement dit, cette solution est bien intentionnée et inspirante, mais semble quelque peu improvisée. Encore une fois, on ne fait pas appel à l'expertise libriste et hacktiviste ni aux analyses critiques des technologies en sciences sociales, qui rappelleraient que si on ne s'attaque pas au pouvoir monopolistique des géants du numérique, une telle alternative aura de grandes difficultés à percer — comme Mastodon, d'ailleurs.

RSS : un rendez-vous manqué

En attendant que des initiatives aussi ambitieuses voient le jour, il faudrait voir à la mise en place de solutions à court terme qui assureraient une plus grande visibilité aux contenus des médias d'information — les grands comme les petits indépendants. Chez ces derniers, l'idée d'un simple agrégateur d'articles circule beaucoup. Du côté anglophone, Darren Atwater a créé (rapidement et avec peu de ressources, selon toute vraisemblance) Daily Canada (dailycanada.ca), un site qui regroupe en un endroit les publications de nombreux médias à travers le pays.

La situation critique que nous vivons pourrait nous amener à renouer avec des technologies comme RSS. Cocréé par le même Aaron Swartz, lancé en 1999 et très utilisé dans les années 2000, ce système permet de constituer un fil de nouvelles à partir de publications de sites. En quelque sorte, il y a là la possibilité de bénéficier de plusieurs fonctionnalités des médias sociaux d'aujourd'hui, mais à l'aide d'une architecture ouverte et contrôlée par l'usager·ère. Hélas, les médias sociaux commerciaux ont rapidement marginalisé cette approche avec leurs plateformes clés en main et centralisées, attirant vers eux des médias d'info pressés d'« optimiser » leurs contenus pour les algorithmes des géants en ascension.

Il y a quelque chose d'émouvant à voir qu'une solution trop rapidement écartée ait le potentiel d'être réactualisée dans un tout autre contexte. Il n'est pas tant ici question de revenir en arrière que de regarder où on a fait fausse route il y a une quinzaine d'années, de manière à repenser l'idée même de média social.

Plutôt que de suivre la piste hasardeuse d'un média social d'État, la conjoncture actuelle nous invite plutôt à davantage d'expérimentation. La réinvention de ce qu'est un média véritablement social ne viendra pas de technocrates d'Ottawa, mais d'initiatives communautaires et d'organisation collective. Malgré tous leurs défauts, les médias sociaux capitalistes ont rappelé que les médias d'info devaient aussi faire communauté et que l'information fait désormais partie d'un écosystème. C'est sur ces bases qu'il faut concevoir l'après-Facebook des médias d'information.


[1] J'ai développé cette analyse de manière plus détaillée dans le texte « L'échec annoncé de la Loi sur les nouvelles en ligne », Le Devoir, 28 juin 2023. Disponible en ligne ici :https://www.ledevoir.com/opinion/idees/793692/medias-l-echec-annonce-de-la-loi-sur-les-nouvelles-en-ligne

[2] Cité dans le film de Jamie King, Steal this film II, 44 min. Disponible sur archive.org. Ma traduction.

[3] Voir Oliver Darcy, « Publishers see dramatic drop in Facebook referral traffic as the social platform signals exit from news business », CNN, 17 août 2023. Disponible en ligne.

[4] « Plaidoyer pour la création d'un réseau social public », La Presse, 17 août 2023. Disponible en ligne.

Photo : Aaron Swartz (Crédit : Sage Ross, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0).

Droit au logement : « Nous sommes au début d’une très longue lutte »

Le Comité d'action de Parc-Extension (CAPE), qui défend les droits des locataires de ce quartier montréalais, est l'avant-garde de la lutte contre la gentrification et la crise (…)

Le Comité d'action de Parc-Extension (CAPE), qui défend les droits des locataires de ce quartier montréalais, est l'avant-garde de la lutte contre la gentrification et la crise du logement. Les locataires qui s'y mobilisent sont parmi les plus vulnérables au pays et font face à une spéculation immobilière féroce, mais iels ont aussi organisé cet été une manifestation historique contre les attaques caquistes envers le droit au logement. À bâbord ! s'est entretenue avec un groupe qui a beaucoup à nous apprendre. Propos recueillis par Isabelle Larrivée et Claire Ross.

À bâbord ! : Quelles sont les particularités du phénomène de gentrification dans Parc-Extension ?

CAPE : L'une des particularités de Parc-Extension est que le quartier a historiquement abrité de nombreuses communautés immigrantes, dont beaucoup vivent avec de faibles revenus et un statut d'immigration précaire. Mais c'est également un quartier où de nombreux réseaux informels existent autour de groupes communautaires, d'associations culturelles et d'espaces religieux, qui aident souvent les locataires à trouver du travail, un logement et les ressources dont iels ont besoin pour survivre.

Ces réseaux ne sont pas faciles à reproduire ailleurs dans la ville et les locataires sont souvent confronté·es à une grande précarité lorsqu'iels sont déraciné·es du quartier. Par conséquent, de nombreux locataires tentent de rester dans le quartier à tout prix, que ce soit en payant la quasi-totalité de leurs revenus en loyer, en partageant des appartements avec d'autres familles, en tolérant des logements en mauvais état ou en endurant le harcèlement et l'intimidation incessants de la part des propriétaires.

À ce jour, le quartier a également connu moins de développement de condos et de gentrification commerciale. Cela est dû en grande partie à la résistance des locataires, qui ont réussi à bloquer quelques projets de développement d'appartements de luxe et à obtenir l'acquisition des sites 'pour les fins de logement social. Nous avons également eu la chance d'apprendre des luttes contre la gentrification dans d'autres quartiers de la ville, comme Saint-Henri, Pointe-Saint-Charles, Verdun, Hochelaga et le Plateau, pour n'en nommer que quelques-uns.

Cela dit, nous savons que nous sommes au début d'une très longue lutte et nous devrons redoubler d'efforts pour défendre le quartier et maintenir les locataires à Parc-Ex.

ÀB ! : Comment la situation s'est-elle aggravée dans Parc-Ex ces dernières années ?

CAPE : Le principal responsable de la gentrification de Parc-Ex reste le Campus MIL [le nouveau campus de l'Université de Montréal construit entre Parc-Ex et Outremont]. L'UdeM aurait pu construire des logements étudiants sur le campus, mais elle a préféré vendre ces terrains à des promoteurs immobiliers. Elle aurait pu donner suite aux nombreuses recommandations présentées par les groupes communautaires au fil des années, mais elle a refusé de le faire. Elle a promis un plan d'action pour remédier à son impact sur le quartier, à la suite de l'appel de l'Office de consultation publique de Montréal à un « plan Marshall » pour contrer la gentrification à Parc-Ex, mais plus d'un an plus tard, nous n'avons toujours pas vu ce plan se concrétiser. De plus, tous les niveaux de gouvernement savaient que

l'ouverture du campus entraînerait le déplacement des locataires de Parc-Ex, mais ils n'ont pas agi pour contrer l'escalade de la crise du logement et ont plutôt abandonné le quartier à la spéculation immobilière.

Tout cela a été aggravé par la gentrification des quartiers environnants, entraînant un afflux de locataires venu·es du Plateau, du Mile-End, de la Petite-Patrie et de Villeray, qui ont été attiré·es par Parc-Ex en tant que futur quartier soi-disant « branché ». Cela se traduit par des loyers jamais vus, des évictions à la hausse, des immeubles vidés et des histoires quotidiennes de harcèlement, d'intimidation et de discrimination de la part des propriétaires.

Il faut également noter que la crise du logement à Parc-Ex a été aggravée par l'absence d'un programme de régularisation pour les personnes migrantes sans statut. Il y a près d'un an et demi, le gouvernement Trudeau a fait part de son intention de mettre en place un programme de régularisation large et inclusif pour donner un statut officiel aux personnes sans papiers, mais il tarde à passer à l'action. Le fait d'être sans papiers exclut les locataires des logements sociaux subventionnés et complique leurs efforts pour défendre leurs droits. Nous avons vu des cas où des locataires ont hésité à défier leurs propriétaires ou se sont retiré·es devant des cas d'évictions qui auraient pu être gagnés, de peur que leur propriétaire ne les dénonce aux services frontaliers. Chaque retard du programme fédéral de régularisation entraîne un risque de déplacement pour les locataires sans papiers ou à statut précaire, que ce soit en raison d'évictions ou de déportations.

ÀB ! : La ministre caquiste de l'Habitation, France-Élaine Duranceau, a récemment présenté un projet de loi « rénovant » le droit du logement, et il est loin de s'attaquer à la crise en cours – au contraire. Il permet notamment aux propriétaires de s'opposer sans motif sérieux à ce que les locataires se cèdent leur bail entre eux. Qu'est-ce que cela veut dire pour les locataires de Parc-Ex ?

Il était déjà difficile pour les locataires de Parc-Extension de faire valoir leurs droits concernant les cessions de bail. Dans un contexte où le quartier se gentrifie rapidement et où les propriétaires espèrent profiter de l'arrivée des résident·es plus aisé·es, les propriétaires s'opposent invariablement aux cessions de bail. Compte tenu des délais importants au Tribunal administratif du logement (TAL) et du risque de devoir payer un loyer dans deux logements pendant plusieurs mois le temps qu'un dossier se règle, la situation devient rapidement intenable et plusieurs locataires choisissent d'abandonner la procédure.

Cela dit, le fait que, pour le moment, les cessions de bail ne puissent pas être refusées par un propriétaire sans un prétexte valable signifie que lorsque les locataires persistent à contester l'opposition d'un propriétaire, iels obtiennent souvent gain de cause. Ainsi, les cessions de bail ont souvent permis aux locataires de s'entraider, tout en leur offrant un moyen de contourner les hausses de loyer abusives et la discrimination omniprésente à laquelle sont confronté·es de nombreux·ses locataires de Parc-Extension.

Ainsi, non seulement le projet de loi 31 ne répond pas aux besoins du quartier, mais il élimine également l'un des seuls freins à la hausse des loyers et laisse les locataires – en particulier les immigrant·es, les personnes racisées et les familles – avec encore moins d'options pour accéder à un logement abordable.

ÀB ! : La possible limitation des cessions de bail a fait beaucoup de bruit, mais ce n'est pas la seule menace contenue dans le PL31. Qu'est-ce qui vous inquiète, dans Parc-Ex ?

Bien que nous ayons beaucoup parlé des cessions de bail, le projet de loi 31 comporte bien d'autres aspects inquiétants. Si le fait que la charge d'ouvrir un dossier d'éviction devant le TAL incomberait désormais aux propriétaires pour agrandir, subdiviser ou changer l'affectation d'un logement lorsque les locataires n'acceptent pas d'emblée est une bonne nouvelle, il reste que le PL31 n'empêche pas les expulsions. En fait, en établissant des compensations plus importantes pour les locataires, il pourrait servir à normaliser les évictions et à envoyer le message qu'il est juste de déplacer les locataires si l'on offre suffisamment d'argent.

Par ailleurs, le projet de loi introduit également un nouveau langage dans le Code civil, remplaçant les références aux logements sociaux par des logements abordables, et permettrait aussi aux Offices municipaux d'habitation (OMH) de vendre les logements sociaux existants s'ils construisent de soi-disant logements « abordables » – malgré le fait qu'ils soient rarement réellement abordables et ne répondent pas aux besoins des locataires à faibles revenus. Cette disposition nous inquiète particulièrement à Parc-Ex, étant donné qu'un HLM de 60 logements pour personnes âgées a été évacué en octobre 2022 en raison de problèmes structurels et que plus de la moitié des HLM existants dans le quartier sont en mauvais ou en très mauvais état.

ÀB ! : Un gros problème avec ce projet de loi, c'est aussi tout ce qu'il laisse de côté. Quelles sont les demandes de longue date des organismes et des locataires qui sont restées ignorées par la CAQ ?

CAPE : À plusieurs égards, le projet de loi 31 est plus remarquable pour tout ce qu'il n'inclut pas. La CAQ aurait pu opter pour un contrôle obligatoire et universel des loyers, incluant un plafonnement des loyers et un registre des baux, mais elle ne l'a pas fait. En pleine crise du logement, elle aurait pu suspendre les évictions, mais elle les normalise et se contente d'offrir plus d'indemnités. Il n'y a aucun moratoire sur les reprises de logement ni de balises imposées sur les rénovations majeures, malgré le fait qu'un nombre croissant de propriétaires recourent à ces tactiques pour expulser les locataires de longue date et augmenter les loyers.

En ce sens, le PL31 n'offre pratiquement aucune avancée aux locataires et impose plutôt un important recul, alors que la crise du logement persiste et s'aggrave.

ÀB ! : Déposé sans crier gare à la veille des vacances d'été, le PL31 doit revenir sur la table cet automne et ce sera le moment de se mobiliser. Le CAPE a déjà organisé une manifestation qui a mobilisé 4000 personnes à la fin juin. À quoi ressemble la suite ? Comment s'organiser pour gagner ?

CAPE : La manifestation organisée en collaboration avec le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) a été potentiellement la plus grande manifestation pour le droit au logement de l'histoire du Québec et un point fort de la mobilisation, mais nous savons que nous ne pouvons pas nous arrêter là.

La décision de la CAQ de présenter le projet de loi au moment où elle l'a fait n'est pas une coïncidence – au contraire, elle comptait probablement sur la dissipation de la rage collective au cours de l'été, lorsque les membres des comités logement partiraient en vacances, dans l'espoir que l'attention du public se détournerait ailleurs et que le projet de loi puisse être adopté discrètement à l'automne. C'est pourquoi nous pensons qu'il est essentiel de maintenir la mobilisation au cours des prochaines semaines.

À cette fin, nous pensons qu'il sera important de construire un large front de lutte, impliquant non seulement les groupes de logement, mais aussi les syndicats, les étudiant·es, les groupes féministes, les réseaux de justice pour les migrant·es, les collectifs queer et trans, pour ne citer que quelques exemples. Bien que les grandes manifestations soient importantes pour démontrer le momentum collectif, nous pensons que nous devons également multiplier nos tactiques et nous engager dans des actions plus dérangeantes. Nous trouvons encourageant de voir des groupes autonomes, tels que le Front de lutte pour un immobilier populaire (FLIP) et le Syndicat de locataires autonomes (SLAM), prendre les devants sur ce front.

Au cours des prochains mois, nous espérons qu'un mouvement combatif et sans relâche se construira afin non seulement de forcer le recul de la CAQ sur le PL31, mais aussi d'obtenir des gains sur le droit au logement de façon plus générale.

ÀB ! : Suffira-t-il de faire reculer le gouvernement sur les cessions de bail, voire sur le PL31 en général ? Ne s'agit-il pas d'une diversion, qui nous fait battre contre un recul plutôt que pour de véritables avancées ?

CAPE : Absolument pas – le projet de loi 31 et l'attaque contre les cessions de bail, ce n'est qu'une manifestation de la tendance du gouvernement Legault à faire des concessions aux intérêts privés, aux dépens des locataires.

En même temps, il est clair que le PL31 a touché une corde sensible et a été un moment de réveil pour de nombreux·ses locataires. À plusieurs égards, il a montré le vrai visage de ce gouvernement et a mis en évidence, une fois de plus, son mépris pour la classe populaire. Nous espérons que cela pourra être canalisé pour déclencher un mouvement qui se battra pour des gains plus importants, comme un gel des loyers, la construction de plus de logements sociaux et communautaires, et l'accès à un logement décent et accessible pour toutes et tous.

ÀB ! : En quoi le PL31 s'inscrit-il dans une approche plus large du logement par le gouvernement Legault ? Quelle est cette approche et qui sert-elle, si ce n'est pas les locataires ?

CAPE : Beaucoup ont affirmé que le gouvernement Legault est déconnecté, mais ce n'est pas le cas – il est, en fait, très bien connecté aux réalités des promoteurs, des spéculateurs immobiliers et des propriétaires. Il part du principe que si nous « libérons » l'entrepreneur, des logements vont se construire.

Nous en voyons déjà la preuve dans son approche du logement social : la CAQ a abandonné le programme de logement social AccèsLogis, cherchant plutôt à faire des concessions au secteur privé et à mettre les fonds publics entre les mains des promoteurs pour qu'ils bâtissent des logements prétendûment « abordables ». Le peu que nous avons entendu sur le Plan d'action en habitation n'augure rien de bon non plus, puisque la ministre de l'Habitation, France-Élaine Duranceau, a ouvertement lancé l'idée de créer un fonds pour les propriétaires qui ont vu leurs logements « saccagés », alors qu'il n'y a aucune preuve de ce phénomène.

Nous craignons que la CAQ continue de déployer une approche néolibérale, au lieu d'une approche fondée sur le droit au logement.

ÀB ! : Que pensez-vous de l'idée caquiste selon laquelle le problème, c'est qu'on n'a pas assez de logements au Québec ? Que dire des dérives racistes et anti-immigration qui accompagnent parfois cette idée ? Suffit-il de construire, construire, construire pour sortir de la crise ?

CAPE : Au cours des derniers mois, nous voyons de plus en plus de politicien·nes opportunistes prétendre que la crise du logement est aggravée par l'arrivée des personnes migrantes. Non seulement cela stigmatise les migrant·es et en fait des boucs émissaires, mais en plus cela est faux. Si les loyers et les évictions montent en flèche, c'est parce que les intérêts des propriétaires et des promoteurs ont été autorisés à prévaloir sur ceux des locataires. Si les logements sociaux manquent, c'est parce que le gouvernement Legault refuse de les financer depuis des années. En effet, les loyers ont commencé à augmenter de façon vertigineuse en 2020, alors que la frontière était pratiquement fermée en raison de la pandémie de COVID-19. De même, si la crise du logement est causée par l'immigration, pourquoi est-elle aussi vive dans des régions comme Lanaudière et le Saguenay, qui accueillent comparativement peu d'immigrant·es ?

La crise du logement n'a pas été causée par l'immigration, mais plutôt parce que le logement est traité comme une marchandise et une opportunité de profit.

Les mêmes forces du marché qui nous ont mis dans cette situation n'apporteront pas de solution. Depuis les années 1970, les différents gouvernements – à tous les niveaux et sur tout le spectre politique – insistent sur la nécessité d'augmenter l'offre de logements. Si cette stratégie était efficace, elle aurait déjà porté fruit. Par ailleurs, nous ne pensons pas que le fait d'allouer davantage de fonds publics aux promoteurs immobiliers pour qu'ils construisent des condos et des appartements de luxe qui restent vides contribuera à faire baisser les prix du logement. Au contraire, le coût des loyers dans les nouvelles constructions est souvent bien plus élevé que le loyer moyen, et a tendance à faire augmenter les loyers dans des quartiers comme Parc-Extension

Une réponse durable et structurante à la crise du logement doit plutôt passer par la construction massive de logements sociaux et communautaires, accompagnée par des mesures comme le contrôle des loyers et les mesures pour freiner les évictions.

L'équipe du Comité d'action de Parc-Extension est composée de Sohnia Karamat Ali, Amy Darwish, Josh Fichman-Goldberg, Irtaza Hussain, Niel Ladode, Mohammad-Afaaq Mansoor, et André Trépanier.

Photos : Manifestation contre le projet de loi 31, co-organisée par le CAPE dans Parc-Extension, le 22 juin 2023. Plus de 4000 personnes ont marché pour le droit au logement, selon les chiffres des organisateur·trices, un nombre historique (Claire Ross).

Être queer, c’est révolutionnaire et ça doit le rester

Du 7 au 11 juin derniers, les queers montréalais·es se sont rassemblé·es au festival Brûlances pour célébrer et défendre leurs identités. Quel est le lien entre Brûlances et (…)

Du 7 au 11 juin derniers, les queers montréalais·es se sont rassemblé·es au festival Brûlances pour célébrer et défendre leurs identités. Quel est le lien entre Brûlances et les initiatives queers précédentes ? Qu'est-ce qui motive cette renaissance ? Quels sont les défis auxquels la communauté queer du Québec doit faire face aujourd'hui et à l'avenir ? Propos recueillis par Jahanzeb Hussain.

À bâbord ! : Pouvez-vous nous parler des origines de Brûlances ? Quelle était votre intention quand vous avez commencé ?

Mathilde : L'année passée, j'ai été en contact avec le groupe Archives Révolutionnaires, qui faisait une série d'articles sur les dix ans de la grève étudiante de 2012. On était en 2022 et il y avait l'idée de célébrer finalement cette décennie et de voir quelles sont les traces qui sont restées de cette grosse mobilisation. J'ai accepté la proposition et j'ai fait une entrevue avec trois personnes qui étaient dans le P !nk Bloc à l'époque [1].

C'était vraiment juste pour retracer l'histoire. D'où venait le P !nk Bloc ? C'était quoi ses inspirations ? Un pink bloc, c'est une action qui vise à assurer une présence queer dans des manifestations [de toutes sortes], mais aussi un groupe d'action révolutionnaire qui vise à organiser des événements, des actions pour lutter contre la queerphobie, la transphobie, l'homophobie.

Et on a décidé, suite à la publication de l'article, de faire un événement pour parler de ça et inviter des personnes qui étaient présentes en 2012. Et à ce moment-là, on a senti un enthousiasme et une envie de repartir le P !nk Bloc.

Rapidement, l'idée de créer un festival queer est née parce qu'il faut savoir que le P !nk Bloc en 2012 s'inspirait beaucoup et était vraiment en lien avec la Radical Queer Semaine. Ce n'était pas juste un festival queer, c'était vraiment un festival anticapitaliste queer.

ÀB ! : Comment le regard de la société québécoise sur les communautés LGBTQ+ a-t-il évolué au fil des années et comment vous placez-vous dans ces enjeux ?

Mathilde : Je vais parler en mon nom plutôt qu'au nom de tout Brûlances, parce qu'on a sûrement plein d'avis vraiment différents là-dessus, même si ça se recoupe sûrement à plein d'égards.

Il y a eu tellement d'évolution dans nos communautés dans les dernières décennies. On est vraiment parti·es d'une marginalisation extrême, d'une violence politique, institutionnelle, et sociale concrète, matérielle, de toutes les personnes de la communauté. Il y a eu vraiment des décennies de luttes incroyables qui ont été menées par des générations de personnes qui aujourd'hui, hélas, sont oubliées, pas assez racontées, invisibilisées.

La société, à travers les dernières décennies, s'est mise à beaucoup plus accepter – les communautés gaies et lesbiennes, en tout cas. Ce n'est pas généralisé non plus. Il ne faut pas invisibiliser le fait que même si c'est beaucoup plus facile aujourd'hui d'être gai et lesbienne, ce n'est pas vrai dans toutes les familles, dans tous les milieux, dans toutes les régions.

Donc il y a comme une transformation qui s'est opérée. Plus d'acceptation, plus de visibilité, surtout au niveau de la représentation médiatique, des films, des livres, des journaux. Il y a eu une avancée énorme au niveau d'une certaine représentation, mais il y a encore beaucoup travail à faire, parce qu'il reste que l'on continue à voir des attaques transphobes, des attaques homophobes, des attaques queerphobes, des attaques généralisées qui se passent au niveau légal, par exemple.

Grandir comme queer aujourd'hui, ce n'est pas comme quand moi j'ai grandi comme queer. On a accès à beaucoup plus de choses, beaucoup plus de modèles. Mais le risque, c'est aussi une dépolitisation du queer, sachant qu'on est de moins en moins connecté·es aux luttes historiques associées à ces communautés. C'est un des objectifs de Brûlances de reconnecter différentes générations, de nous reconnecter à notre histoire de luttes et au fait qu'être queer, c'est révolutionnaire, en fait, et ça doit le rester. Ça doit rester quelque chose de politique – et qui ne touche pas juste à nos identités.

Moi je ne suis pas juste queer : je suis aussi anticolonialiste, je suis aussi féministe, je suis aussi anticapitaliste. Je pense qu'il y a énormément de valeurs et de luttes et de fronts sur lesquels les queers doivent se retrouver, pas juste au niveau des luttes qui les concernent directement.

Lou : Le contexte actuel est vraiment favorable à des identités, mais pas à des luttes queers. C'est-à-dire qu'il y a une respectabilité de qui nous sommes à travers des manières de s'exprimer, de consommer, et aussi à travers des lois, à travers l'État et à travers des manières de prendre du pouvoir. Mais nous, avec Brûlances et avec le P !ink Bloc, ce qu'on essaie de critiquer, c'est le pouvoir en lui-même. Si être queer, c'est de passer par l'État, de passer par le capitalisme, ça, ça ne nous intéresse pas. Le but, c'est d'être queer révolutionnaire : queer anticapitaliste, anticolonialiste, anticapacitiste et contre toute forme d'oppression.

Mathilde : On veut un changement radical de la société. On ne veut pas juste être assimilé·es, on ne veut pas juste être accepté·es. C'est ça qu'il y a dans la réappropriation des insultes qui nous sont lancées depuis des décennies : quand on se les réapproprie, on leur renvoie que, ben oui, on est des déviant·es de la société. Cette société-là, on ne veut pas juste qu'elle nous accepte, on veut radicalement la transformer. On a envie d'être dans une société où la justice fonctionne différemment, une société qui pense autrement les questions d'autonomie, de partage, de solidarité, d'organisation matérielle concrète.

On peut même parler d'écologie et de changements climatiques. On ne s'appelle pas Brûlances pour rien : c'est hallucinant, le festival a commencé alors qu'il y avait des feux de forêt partout au Québec, avec des gens qui sont relocalisés. On est dans une crise majeure et, en tant que queers, on a une place et une voix aussi à prendre dans ces luttes-là.

Là, dernièrement, on a un projet de loi qui est annoncé pour empêcher les cessions de bail et les recours par rapport aux évictions. Il y a des luttes qui nous concernent parce qu'on est précarisé·es. Mais aussi parce qu'on est en solidarité avec des personnes marginalisées : que ça nous concerne directement ou non, en fait, ça nous concerne.

Il va falloir qu'on soit un peu partout. Mais ça vient avec le défi, des fois, de devoir choisir nos priorités. C'est qu'on n'est pas nombreux·ses. Ça pose un problème.

En ce moment, il y a des Atikamekw qui bloquent les entreprises forestières sur le chemin de Wemotaci et qui appellent à de l'aide, à ce qu'on soit sur le terrain et qu'on les appuie pour empêcher l'entreprise de couper. Et on n'est pas là.

Il y a une lutte qui s'organise au terrain vague dans Hochelaga et on n'y est pas non plus.

ÀB ! : Quels sont les principaux défis auxquels vous allez faire face en tant que communauté à l'avenir, selon vous ?

Mathilde : On remarque depuis quelques années des fractures générationnelles et je pense que ces fractures vont continuer. J'espère qu'on va réussir à les atténuer et à créer des ponts et des espaces de rencontre, pour que ce qui va façonner nos nouvelles générations ne soit pas déconnecté de ce qui a façonné les anciennes. Il faut absolument qu'on empêche les brisures que d'autres générations n'ont pas réussi à empêcher, pour plein de raisons.

On va avoir le défi de continuer à être connecté·es malgré nos différences en matière de langage, de culture, de l'univers social dans lequel on grandit. C'est n'est pas pareil : grandir dans les années 2000, dans les années 2010, dans les années 2020, c'est plein d'autres réalités, de technologies, de manières de se rencontrer, de codes. Il va y avoir des enjeux à ce niveau-là.

Lou : Les principaux défis, c'est aussi de créer des liens de solidarité et de faire face à l'atomisation de nos liens.

Par exemple, on a plus d'espaces gratuits pour se retrouver, alors que dans un climat de queerphobie de transphobie, être visible devient de plus en plus difficile, parce qu'il y a une recrudescence constante des violences, que ce soit dans les espaces publics ou privés.

Et nos solidarités ne doivent pas être que locales. Il faut reconnaître tout le travail qui est fait par toutes les personnes qui agissent dans d'autres espaces, qui sont confrontées constamment aux violences des contextes nationaux dans lesquels elles essaient de survivre, aux violences des frontières, aux violences de la migration.

Le défi dans lequel Brûlances s'inscrit, c'est de créer des liens de solidarité entre nous alors que le système nous atomise et nous individualise constamment.


[1] Archives Révolutionnaires, « 2012. P !NK BLOC : un “ printemps érable ” sexy et funky ». En ligne : archivesrevolutionnaires.com/2022/05/04/2012-pink-bloc-un-printemps-erable-sexy-et-funky/

Cette entrevue est d'abord parue sur Pivot : pivot.quebec/2023/06/30/etre-queer-cest-revolutionnaire-et-ca-doit-le-rester/

Photo : La manifestation Rad Pride, tenue à Montréal le 12 août 2023, vise à repolitiser la Fierté (André Querry).

Lutter pour la dignité. Le combat des chauffeurs de taxi haïtiens dans les années 1980

Au début des années 1980, le ressac des luttes sociales, la crise économique et le triomphe politique d'une droite dure entraînent un renouveau de l'exploitation des (…)

Au début des années 1980, le ressac des luttes sociales, la crise économique et le triomphe politique d'une droite dure entraînent un renouveau de l'exploitation des travailleur·euses et des divisions au sein de la classe ouvrière. À Montréal, les chauffeurs de taxi d'origine haïtienne [1] subissent des violences redoublées de la part de leurs employeurs et le racisme de nombreux collègues blancs. Rapidement, ces chauffeurs haïtiens s'organisent afin de lutter pour leurs droits, jusqu'à l'explosion de l'été 1983.

À partir de la fin des années 1950, l'instauration de la dictature de François Duvalier en Haïti force de nombreuses personnes à l'exil, dont plusieurs intellectuel·les et militant·es de gauche qui s'installent à Montréal. Au départ, le gouvernement canadien accueille surtout des professionnel·les, une situation qui change vers 1972 afin de combler un manque de main-d'œuvre peu ou pas qualifiée dans différents secteurs. Dans les années suivantes, la communauté haïtienne de Montréal est présente dans les domaines de l'éducation et de la santé, mais aussi dans les manufactures et dans l'industrie, par exemple à la fonderie Shellcast, ainsi que dans le domaine du taxi. Cette communauté participe aux luttes de l'époque, qu'elles soient culturelles, politiques ou ouvrières. Malheureusement, avec la décomposition des mouvements de gauche et l'imposition graduelle d'un néolibéralisme intransigeant, les travailleur·euses haïtien·nes se trouvent de plus en plus isolé·es, ouvrant la porte aux attaques patronales et racistes. C'est particulièrement le cas pour les chauffeurs de taxi, un « métier de crève-faim » [2].

Le taxi, « poubelle de l'emploi »

Depuis son apparition au début du XXe siècle, le métier de chauffeur de taxi est très difficile. Coincés entre la situation de travailleurs indépendants ou le monopole de compagnies voraces (dont Taxi Diamond et Murray Hill), les chauffeurs doivent travailler plus de douze heures par jour, souvent sept jours par semaine, sans sécurité d'emploi. Malgré les luttes des années 1960, menées notamment par le Mouvement de libération du taxi (MLT) [3], les conditions ne sont guère meilleures dans les années 1970, et s'aggravent à nouveau avec la crise économique du début des années 1980. Au Canada, le taux de chômage atteint 12 % en 1983, nuisant fortement à la capacité de négociation des travailleur·euses, surtout des plus précaires. De nombreux chauffeurs de taxi indépendants font faillite ou se trouvent obligés de travailler pour les compagnies. Les propriétaires de flotte en profitent pour diminuer les salaires, tout en encourageant les rivalités entre les chauffeurs, notamment selon un principe racial. Les chauffeurs haïtiens subissent une double violence économique et symbolique, tout en étant confrontés au racisme grandissant de plusieurs collègues.

Lutter contre un système raciste

De 1978 à 1982, le nombre de chauffeurs d'origine haïtienne à Montréal passe d'environ 300 à plus de 1 000. Pour faire face aux avanies de l'époque, ils créent l'Association haïtienne des travailleurs du taxi (AHTT) en mars 1982, dont le premier geste marquant est de porter plainte auprès de la Commission des droits de la personne du Québec (CDPQ) pour « discrimination raciale dans l'industrie deux ans, et qui démontre la structuration raciste du monde du taxi à l'époque. Ainsi, dix des quinze compagnies montréalaises de taxi ont des pratiques indiscutablement discriminatoires, notamment en refusant d'embaucher des chauffeurs noirs, en les licenciant les premiers ou en leur attribuant les zones et les horaires les moins payants. Ces stratagèmes permettent aux compagnies de maximiser leurs profits et entretiennent les divisions entre chauffeurs blancs et noirs, nuisant à leur potentielle coalition. Le racisme fait doublement l'affaire des gros propriétaires qui peuvent aussi s'appuyer sur une négrophobie sociale plus large. Quant à la question du racisme de plusieurs chauffeurs blancs, Antonin Dumas-Pierre analyse bien la situation : « L'agressivité à l'égard du compagnon de travail noir est une réaction commode qui permet d'économiser les frais d'une lutte contre ceux qui font de tous les chauffeurs des crève-la-faim. » [4]

En parallèle des travaux de la CDPQ, les travailleurs haïtiens du taxi appellent à boycotter l'aéroport de Dorval, régi depuis avril 1982 par un nouveau système imposant le paiement d'une redevance annuelle de 1 200 dollars pour pouvoir y travailler et un quota de chauffeurs. Des manifestations sont aussi organisées afin de mettre la pression sur les propriétaires de flotte et le gouvernement. Le 28 juin 1983, avec l'appui de la Ligue des Noirs du Québec (LNQ), les chauffeurs se rassemblent devant le Palais de justice de Montréal (rue Saint-Antoine). En juillet, ils manifestent devant le siège social de la Coop de l'Est dans le quartier de Montréal-Nord, une corporation qui refuse d'embaucher des chauffeurs noirs. En août, ces derniers participent à une grande manifestation dénonçant le racisme dans l'emploi et l'éducation, ainsi que le harcèlement policier au Québec. Ces mobilisations portent fruit, alors que la question du racisme systémique dans le taxi et dans la société québécoise fait les manchettes durant tout l'été, provoquant une véritable « crise du racisme ». Pourtant, le combat se poursuit afin de traduire cette visibilité en gains concrets pour les travailleurs d'origine haïtienne.

Victoires et luttes à mener

Une première étape est franchie en novembre 1984 lors du dépôt du rapport final de la Commission d'enquête qui reconnaît et documente le racisme structurel dans le milieu du taxi [5], en imposant notamment une amende à la Coop de l'Est. En mars 1985, un « comité de surveillance » est mis sur pied, alors que la création du Bureau du taxi de Montréal (BTM) en 1986 consolide les acquis des chauffeurs, en mettant en place des mesures diminuant l'hégémonie des compagnies de taxi et leur pouvoir discrétionnaire sur les chauffeurs, dont ceux issus de l'immigration. Mais ces gains sont partiels puisque le cadre légal mis en place tend à individualiser le problème du racisme tout en se montrant frileux à trop empiéter sur le sacro-saint droit des propriétaires de gérer leur flotte à leur guise. Le manque de structures permettant aux chauffeurs de s'organiser collectivement pour défendre leurs intérêts demeure un obstacle important pour lutter contre les discriminations et l'exploitation économique. En somme, les luttes des chauffeurs haïtiens ont rompu le silence autour des violences racistes qu'ils subissaient et ont débouché sur un cadre légal plus avantageux, mais n'ont malheureusement pas permis une réorganisation du monde du taxi qui aurait brisé le cercle de l'isolement et de la pauvreté des chauffeurs.

Quarante ans plus tard, il est important de se rappeler le combat des travailleurs haïtiens du taxi, le contexte dans lequel ils ont lutté et les stratégies qu'ils ont développées. Nous devons être sensibles au fait que les crises économiques demeurent un contexte de réajustement pour les capitalistes et que les propriétaires, comme ce fut le cas dans les années 1980, profitent de ces moments pour réimposer des conditions d'exploitation abusives aux travailleur·euses et s'attaquer aux organisations ouvrières. Dans ce contexte, le racisme est un outil de prédilection pour paupériser et diviser. La seule réponse à de telles situations de crise et de racisme demeure l'auto-organisation, sur le modèle par exemple de l'AHTT. Par contre, il demeure essentiel que de tels groupes soient en mesure de forger des alliances larges, tout en luttant sur les plans économiques et politiques. De tels résultats n'ont guère pu être obtenus dans le contexte difficile des années 1980, suivant le paradoxe selon lequel les situations les plus accablantes nécessitent les organisations les plus fortes. Puisque les crises du capitalisme sont cycliques, il faut nous préparer et garder nos communautés mobilisées pour la lutte contre les exploiteurs et pour l'égalité.


[1] Le masculin est employé pour désigner les chauffeurs de taxi, quasi exclusivement des hommes à l'époque.

[2] À ce sujet, voir Warren, Jean-Philippe. Histoire du taxi à Montréal, Montréal, Boréal, 2020.

[3] À ce sujet, voir : archivesrevolutionnaires.com/2019/05/04/mouvement-de-liberation-du-taxi/

[4] Cité par WARREN. Histoire du taxi, page 286, note 34.

[5] Le rapport final de l'Enquête sur les allégations de discrimination raciale dans l'industrie du taxi à Montréal comprend trois volumes qui détaillent tous les aspects de ce racisme structurel.

Alexis Lafleur-Paiement est membre du collectif Archives Révolutionnaires (www.archivesrevolutionnaires.com).

Des travailleurs d’Amazon se syndiquent à Delta, en C.B.

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/07/10760004-119c-4374-84a6-52b4bf967037-1024x768.jpg13 juillet, par West Coast Committee
Les travailleurs du centre de distribution YVR2 d'Amazon, situé à Delta (Colombie-Britannique), ont obtenu la reconnaissance officielle de leur syndicat à la suite d’une (…)

Les travailleurs du centre de distribution YVR2 d'Amazon, situé à Delta (Colombie-Britannique), ont obtenu la reconnaissance officielle de leur syndicat à la suite d’une décision de la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique (BCLRB). Cette décision a donné raison à la (…)

GAFAM : Conclusions

J'ai proposé précédemment dans cette série d'articles une synthèse de ce qui fait la domination des GAFAMs. Nous pouvons maintenant chercher ce qu'il y a de commun à leurs (…)

J'ai proposé précédemment dans cette série d'articles une synthèse de ce qui fait la domination des GAFAMs. Nous pouvons maintenant chercher ce qu'il y a de commun à leurs histoires respectives.

NLDR. Les autres articles de la série sont également disponibles sur notre site : « Amazon. Le capitalisme mégalomane » ; « Google. Ne pas être malveillant » ; « Microsoft. Adopter, étendre, anéantir » ; « Apple. Le géant des apparences » ; « Facebook. La tyrannie de la popularité ».

L'objectif initial de cette série [1] était de résumer ce qu'on reproche concrètement à chacune de ces compagnies et de mieux comprendre la nature de leurs activités. Cela m'apparaissait nécessaire après avoir constaté que l'on confond parfois la critique des GAFAMs avec une critique des « médias sociaux », sans tenir compte de la diversité des activités de ces géants.

En guise de conclusion, nous chercherons à déterminer si le phénomène des GAFAMs est dû à une particularité du numérique ou bien s'il est l'effet naturel de la mécanique capitaliste.

Une histoire de tournevis

Considérons l'histoire d'une compagnie fictive produisant un objet simple, utilisé autant dans l'industrie que chez les particuliers : le tournevis. La compagnie Turnu a récemment pris la première place dans son secteur d'activité. Le fondateur de la compagnie a eu quelques idées nouvelles concernant l'outil, ce qui explique le succès de son produit. À l'aide d'un dispositif de son invention placé au bout du manche, il est pratiquement impossible de rendre une vis inutilisable en faisant de faux tours. Le brevet obtenu assure à Turnu l'utilisation exclusive du dispositif. Les revenus d'un premier succès commercial à l'échelle nationale permettent à Turnu d'investir pour développer une version électrique du tournevis ainsi qu'une gamme de tournevis destinés à un usage industriel.

La commodité du nouveau dispositif est telle qu'il est rapidement adopté comme outil de choix à l'échelle mondiale et par toutes les organisations privées et publiques faisant usage de tournevis. Turnu est maintenant en bourse et ses actionnaires demandent un plan pour accroire leurs dividendes. La compagnie y parvient en adoptant différentes stratégies : la recherche intensive sur le processus de fabrication permet de réduire les coûts de production de 5 %. L'inventivité de l'équipe d'ingénieurs a aussi permis de diminuer les coûts des matières premières tout en développant un tournevis industriel plus léger. Quelques petites compagnies réussissent à créer des dispositifs stabilisateurs concurrents assez originaux pour ne pas enfreindre le brevet de Turnu, mais les capitaux mondiaux de Turnu lui permettent d'acheter ces brevets, voire les compagnies qui les détiennent avant que leur compétition ne devienne un problème.

Malgré le fait que Turnu est maintenant la plus profitable de tout son secteur industriel, la pression des investisseurs pousse Turnu encore plus loin dans la quête de profit. Après avoir embauché une firme d'avocats spécialisés dans l'action antisyndicale et sous-traité le gros de sa production à une usine dans un pays où les normes du travail sont très faibles, elle se tourne vers l'évitement fiscal. Tous ses profits internationaux seront dorénavant enregistrés dans une banque d'une île État du Pacifique, ce qui lui permet de payer moins de 4 % d'impôt sur ses revenus. Elle trouve aussi une nouvelle source de minerais pour fabriquer les composantes les plus délicates de son dispositif. Comme les travailleurs et travailleuses de cette mine sont principalement des enfants et qu'elle est située est dans un pays autoritaire avec un niveau de corruption élevé, Turnu peut réduire les coûts de production de chaque tournevis et ainsi augmenter ses profits.

La compagnie lance peu après une nouvelle vis, type U, totalement incompatible avec les tournevis produits par d'autres compagnies, mais pouvant réduire de 20 % le temps requis pour visser si on utilise les tournevis Turnu. La justice interviendra et Turnu se retrouvera devant les tribunaux pour avoir utilisé sa position dominante pour imposer sa vis type U. Après un procès de cinq ans, elle s'en tirera avec une entente hors cour avec le gouvernement qui la forcera à autoriser la production de vis type U par d'autres compagnies. Les producteurs voulant produire des vis de type U passent des ententes avec Turnu et bientôt les vis étoiles, carrées et plates ont pratiquement disparues des quincailleries.

Toujours plus gourmande, la compagnie utilisera les services de firmes de lobbyistes locaux, ayant à leur service des anciens élus de chacun des pays où elle est présente. Elle réussit à convaincre les gouvernements que la création d'emplois locaux dus à l'ouverture d'usines de fabrication de vis de type U méritait une généreuse subvention. Ces efforts d'influence viseront notamment à faire adopter des normes rendant obligatoire l'utilisation de la vis type U dans l'industrie et pour les travaux publics, prétextant que le gain de productivité dans les opérations de vissage réduirait les dépenses des fonds publics. Du même coup, elle tentera aussi d'influencer les programmes d'enseignement pour que l'utilisation du tournevis Turnu devienne la norme pour mieux préparer au nouveau marché du travail où le tournevis Turnu domine.

À quel moment de cette histoire avez-vous commencé à avoir envie de manifester contre Turnu ? Toutes les tactiques commerciales utilisées par la compagnie fictive l'ont réellement été par au moins un des GAFAMs. Cet exemple fictif montre cependant que ces agissements détestables ne sont pas des caractéristiques exclusives au secteur technologique.

Une nouvelle incarnation du capitalisme ?

Si, dans les grandes lignes, les stratégies ayant permis aux GAFAMs de devenir des géants ont déjà été utilisées par d'autres grandes compagnies, on peut se demander quelles particularités du numérique pourraient expliquer qu'ils aient pu supplanter ainsi les autres secteurs économiques. Plusieurs analyses ont déjà été proposées ; on en présente ici trois. Elles proposent différentes mises à jour de la critique marxiste du capitalisme pour tenir compte des effets propres de l'informatisation sur la production, le travail, la consommation, etc.

Selon le spécialiste de l'économie numérique Nick Srnicek, nous sommes témoins de l'émergence du « capitalisme de plateformes », c'est-à-dire une forme de capitalisme où les interactions entre fournisseurs et consommateurs de services passent par des « infrastructures numériques ». On pense immédiatement aux plateformes comme Uber, qui servent à mettre en contact des travailleurs et travailleuses avec leurs clients. Il y a cependant d'autres types de plateformes, moins connues du grand public : les plateformes publicitaires (Facebook et Google) qui vendent des informations pour mieux cibler la publicité, les plateformes industrielles, utilisées pour optimiser la production ou la distribution industrielle, et même les « plateformes de plateformes », souvent appelées « infonuagique », servant à simplifier la création de nouvelles plateformes. À travers le monde, les institutions gouvernementales utilisent de plus en plus les « plateformes de plateforme » d'Amazon, de Microsoft et de Google.

D'autres considèrent plutôt que nous sommes entré·es dans l'ère du « capitalisme algorithmique ». Selon cette perspective, le capitalisme repose de plus en plus sur l'exploitation d'une nouvelle ressource : les « données ». Les plus grandes compagnies accumulent ainsi d'énormes quantités d'informations sur les utilisateurs et sur les comportements collectifs. À l'aide d'algorithmes variés, ce « capital » permet l'amélioration du profilage publicitaire ou encore l'automatisation et l'optimisation de diverses tâches, comme la prise de décision ou l'organisation de services publics.

Une troisième analyse est une actualisation du concept d'« économie de l'attention », introduit en 1969 par Herbert A. Simon. Déjà à cette époque, certains économistes considéraient que la production industrielle était partiellement remplacée dans le cycle économique par la connaissance et l'information. Pour Simon, « l'attention » nécessaire pour la production de ces deux nouvelles ressources était une donnée économique et pouvait être analysée selon la logique de l'offre et de la demande. Le concept a été repris et adapté à la critique de la réalité récente, notamment en considérant l'attention comme une forme de travail.

Le choc avec l'immatériel

On ne doit pas oublier certaines caractéristiques propres au monde informatique. Bien que les ordinateurs aient une existence matérielle, les logiciels et l'information qu'ils manipulent sont immatériels. Contrairement à un outil ou à un livre, un logiciel ou un fichier de données peut être dupliqué et distribué à l'infini à un coût pratiquement nul. Les mécanismes tels que les droits d'auteur et les brevets, élaborés bien avant cette possibilité, ont été exploités par l'industrie informatique pour imposer sa conception de l'utilisation et du développement des logiciels. Une conception guidée par les perspectives de croissance de leurs revenus et non par le bien commun.

L'organisation complexe des interactions numériques fait aussi oublier l'existence de conventions techniques qui font en sorte que les outils informatiques peuvent interagir entre eux de manière fluide. Ces « standards » sont adoptés par différents mécanismes sur lesquels le public a peu d'influence. Un jeu de pouvoir important s'exerce en coulisses pour que ces conventions techniques soient à l'avantage d'une compagnie ou d'une autre. La popularité d'un produit est un atout important dans ce jeu de pouvoir. Cette notoriété est elle aussi une forme de capital pour des géants du numérique. La valeur d'un outil informatique semble souvent être liée davantage au nombre de personnes qui l'utilisent qu'à son efficacité réelle pour accomplir une tâche.

Et si c'était une affaire de capital… financier

Ces nouvelles conceptions de capital algorithmique, d'attention ou de notoriété sont utiles à l'analyse, mais il ne faut pas négliger le classique capital financier. La genèse des géants s'explique aussi par leur rôle d'investisseurs. La Silicon Valley est devenue une sorte de Wall Street de la côte ouest, un paradis de la finance dont les bulles spéculatives affectent toute l'économie, avec ses propres mythes justifiant leur importance. Comme décrit par Wendy Liu dans Abolish Silicon Valley, on y trouve une culture nocive poussant le secteur à se développer à l'aide d'investissements dans des « startups » ou dans des projets aux promesses mirobolantes. L'autrice rappelle que les investissements visant à développer ou exploiter de nouvelles idées sont guidés par des objectifs financiers et non par des objectifs sociaux.

Un mythe répandu dans le milieu informatique est que toute idée menant à s'enrichir doit nécessairement être bonne pour la société. Une variante de ce mythe est qu'une idée informatique rentable libère les travailleuses et travailleurs du travail répétitif tout en augmentant la productivité. Le plus souvent, ces innovations sont conçues avant tout pour augmenter les profits des compagnies qui les utilisent. En réalité, elles n'apportent rien de bon pour leurs employé·es qui, au mieux, voient se détériorer leurs conditions de travail ou, au pire, doivent se trouver un nouveau travail.

Les GAFAMs ne sont que les cinq compagnies ayant la plus grande capitalisation boursière, c'est-à-dire les cinq compagnies pour lesquelles les investisseurs sont prêts à débourser le plus en bourse. Cette définition montre que ce statut est le reflet d'une perception généralisée de leur potentiel de croissance. L'expression « GAFAM » est donc un raccourci provenant du monde de la finance pour mieux désigner sur quelle compagnie il serait avantageux de parier. Elle est déjà désuète : en plus des changements de noms de certaines de ces compagnies, une grande dégringolade boursière dans la dernière année a changé la donne. Alors que Meta/Facebook passait au 8e rang, la compagnie pétrolière Saudi Aramco, quant à elle, s'élevait au 3e rang mondial.

L'adoption de l'expression « GAFAM » pour la critique des géants du numérique, par exemple dans plusieurs titres d'ouvrages récents et même dans le titre de cette série de textes, est sans doute une erreur qui peut avoir semé une certaine confusion. Elle peut détourner l'attention des autres compagnies en tête du capitalisme mondial dans une diversité de secteurs économiques. Bien qu'au moment d'écrire ces lignes, les GAFAMs occupent à eux seuls environ le quart de la capitalisation boursière totale des 100 plus importantes compagnies, les noms de ces autres géants font aussi partie du quotidien de milliards de personnes : Visa, Mastercard, Coca-Cola, McDonalds, Nestlé, Starbucks, Johnson & Johnson, Pfizer, Novartis, Astra Zeneca, Walmart, Home Depot, Cosco, United Parcel Services, L'Oréal, Dior, Shell, Nike, Boeing, Toyota, Tesla, Adobe, Samsung, Verizon, Total, Netflix, la Banque Royale du Canada, Phillip Morris, Walt Disney, etc.

L'inventivité et la créativité technologique et logistique ont un impact immense sur la vie de tous·tes et cela n'est pas exclusif au numérique. Doivent-elles fatalement être au service du capitalisme ? Peut-on imaginer un développement technologique guidé par le bien commun et sans dépendre d'intérêts capitalistes ? C'est un champ d'action qui mériterait d'être davantage investi par la gauche.


[1] Cette série sur les GAFAMs a commencé au no 89 « Municipales 2021 : Une autre ville est possible », publié à l'automne 2021.

Photo : Pixabay

Des militants bloquent les colis d’Amazon à un entrepôt MAERSK

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M. François Philippe Champagne, ministre fédéral des finances M. Éric Girard, ministre des finances du Québec Je dois mentionner tout d'abord que je suis très impliqué comme (…)

M. François Philippe Champagne, ministre fédéral des finances
M. Éric Girard, ministre des finances du Québec

Je dois mentionner tout d'abord que je suis très impliqué comme bénévole avec le groupe Nos choses ont une deuxième vie, un organisme sans but lucratif qui s'affaire à remettre en circulation des objets de seconde main
donnés par les gens du milieu de la région de Québec.

Puisque nous n'avons pas réussi (comme la majorité des groupes depuis quelques années) à se faire reconnaître comme organisme de bienfaisance par le gouvernement fédéral, nous devons payer les taxes de vente pour les
objets d'occasions que nous vendons. Nous ne pouvons les charger car les gens ne s'attendent pas à payer des taxes pour des objets usagés. Ceci nous pénalise à hauteur de 15% de nos ventes. Comme l'atteinte de l'autofinancement est très difficile dans ce type de commerce, le fait de devoir payer les taxes de ventes nous pénalise considérablement. Or plutôt que de nous pénaliser les gouvernements devraient nous aider car nous apportons de nombreux bienfaits sur les plans économiques, sociaux et environnementaux à la population locale.

Nous vous demandons donc de mettre dans votre prochain budget l'élimination de la taxe de vente pour les objets seconde main comme le propose d'ailleurs le Bloc Québécois. Ceci se justifie d'autant que les taxes ont déjà été payées lors de la vente de ces objets lorsqu'ils étaient neufs. De plus, c'est un encouragement à l'achat local dans une version seconde main, même si les articles ont été à l'origine fabriqués à l'étranger.

Merci de votre considération,

Pascal Grenier sec.-trés.
Nos choses ont une deuxième vie

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Depuis environ dix ans, la société Eramet extrait le zircon dans la zone des Niayes au Sénégal, transformant ce territoire en un cratère de souffrances et d’injustices qui réclament d’urgence votre attention. Les cimetières ancestraux de plusieurs villages ont été déplacés dans des conditions (…)

Héritage colonial et racisme systémique : briser le mythe de l’Autre

9 juillet, par Maria Kiteme
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Maria Kiteme, correspondante en stage Pour les panélistes de l’atelier organisé par les Nouveaux Cahiers du Socialisme (NCS) à La Grande Transition, le refus des gouvernements de reconnaître la réalité de la racisation comme processus sociohistorique perpétue des tensions sociales dont les (…)

Saguenay - Nitassinan : les anarchistes repensent le communautaire

Depuis environ huit ans, à Saguenay, sur les territoires volés du Nitassinan [1], le Collectif Emma Goldman met de l'avant le principe de l'Action sociale anarchiste, une (…)

Depuis environ huit ans, à Saguenay, sur les territoires volés du Nitassinan [1], le Collectif Emma Goldman met de l'avant le principe de l'Action sociale anarchiste, une approche alternative de l'intervention sociale et communautaire. Nous vous présentons ce que nous avons tissé au fil de nos discussions, expériences pratiques et réflexions collectives.

L'Action sociale anarchiste est un moyen d'intervenir directement dans la communauté en préfigurant des rapports égalitaires. Elle est réalisée sur la base du volontariat, sans salaire et au sein de collectifs politiques, afin de dépasser les conditions sociales et économiques présentes. Au Saguenay, elle a pris la forme des Marmites autogérées (distribution de repas gratuits), de marchés gratuits, de l'Espace social libre (un centre social autogéré), du Parc du 19 juillet (un parc autogéré) et même d'une halte-chaleur en mode squat cet hiver. On peut observer trois objectifs qui se déploient conjointement à travers l'Action sociale anarchiste et sa réponse directe aux besoins : la reprise du pouvoir individuel et collectif dans une perspective de changement social, la construction de rapports de force avec les autorités et le développement d'espaces autonomes défiant les rapports marchands et oppressifs.

Reprendre le pouvoir sur nos vies

En commençant, notre approche place les militant·es comme simples participant·es parmi les autres partageant leur condition. Nous rejetons la relation paternaliste et autoritaire professionnelle/clientèle fortement inspirée du modèle médical. Notre action se veut horizontale et n'est pas enfermée dans une définition statique. Nous cherchons plutôt le développement de processus autoconstitués, c'est-à-dire des formes de luttes originales au potentiel subversif et émancipateur émanant des réalités vécues, de pair avec les autres participant·es. L'empowerment par en haut est une chimère.

L'éducation populaire est un processus participatif qui implique une co-construction des savoirs par l'analyse collective des situations vécues en approfondissant mutuellement notre compréhension des causes structurelles. Ce n'est pas un outil neutre. C'est un outil des dominé·es pour s'émanciper, prendre conscience de leur position dans les luttes de classes et s'organiser. Il permet de mieux comprendre les dynamiques inégalitaires dans la société, de discerner ceux et celles qui profitent de cet état des choses et ceux et celles qui le subissent. En concevant davantage la complexité des situations, nous pouvons enfin préparer ensemble des cibles et des moyens d'action plus efficaces tout en prenant soin des un·es et des autres.

Nous cherchons à nous faire complices des efforts d'auto-organisation en offrant notre soutien aux initiatives et actions. Le « care » (prendre soin) est coutumier parmi les membres de bien des groupes marginalisés comme les personnes immigrantes, queers, trans, autochtones, etc. La formation de réseaux informels est une question de survie pour plusieurs d'entre elles. Ces expériences d'action sociale sont toutes aussi valides même si elles sont plus « underground », à l'abri des regards et invisibilisées. L'Action sociale anarchiste a beaucoup à apprendre d'elles. Cette auto-organisation du « care » est souvent une solution de rechange aux rapports de domination vécus avec les professionnelles. Elle est d'autant plus essentielle dans une perspective d'émancipation des formes d'oppressions spécifiques. Nous concevons qu'il est impossible de libérer d'autres groupes à leur place ; cette tâche revient aux membres concerné·es de manière autonome.

L'action directe permet aux personnes de faire l'expérience de leur capacité d'agir ensemble contre les problématiques du système et de leur milieu. Elle nourrit le pouvoir d'agir (l'empowerment) des individus en leur redonnant confiance en leurs moyens non pas dans l'optique d'une quête d'ascension sociale individualiste, mais dans celle de l'engagement dans les luttes collectives et la construction de contre-pouvoirs. Pour préciser le sens que nous donnons au concept d'empowerment, il est intéressant de faire appel à l'esprit de révolte formulé par Kropotkine. Il définissait celui-ci comme la pulsion de vie présente chez tout être humain, une volonté qui se réveille à travers le passage à l'action et qui fait germer les consciences, l'insubordination et l'audace contre l'ordre social inégalitaire. La société a cassé les gens. Pour s'en sortir, ils et elles doivent pouvoir reprendre confiance en leurs capacités (plutôt que de se résigner à un sordide conformisme) et tisser de nouveaux liens de solidarité. Le principe est simple : il faut pouvoir agir pour s'épanouir et transformer le monde. Enfin, sur le plan collectif, les petites victoires, qui semblent parfois anodines, construisent des contre-pouvoirs et peuvent engendrer de grands récits mobilisateurs. Le boycott en opposition à la ségrégation raciale des bus de la ville de Montgomery, dans l'Alabama, au milieu des années 1950, en est un bel exemple.

Construire des rapports de force

La conflictualité est au cœur de l'Action sociale anarchiste. Nous ne souhaitons pas seulement nous sortir la tête de l'eau, mais transformer durablement la société et nous attaquer aux racines de nos problèmes. Tout cela part des conditions matérielles. Nous devons appeler par leur nom les rapports de domination, les privilèges et les systèmes d'oppression. Nous nous opposons donc à toutes les forces et organisations qui soutiennent l'organisation inégalitaire et autoritaire de la société (patrons, propriétaires, élu·es, polices, capitalistes, oppresseurs, etc.). Nous ne souhaitons en aucune façon être la béquille d'un système malade. Nous voulons plutôt créer des moments de rencontre pour souffler sur les braises d'une rage qui sommeille. Pour produire des étincelles, il nous apparaît important de rejeter le soutien des intermédiaires opportunistes que sont les élu·es, les institutions étatiques et leur argent. Le salariat et les cadres étatiques mutilent et emprisonnent le potentiel transformateur de l'action sociale. Les moyens choisis sont déterminants quant aux fins possibles. Nous voulons libérer la rage et non pas soutenir la reproduction de l'impuissance, de la domination et des systèmes de contrôle social. De même, nous ne nous gênons pas pour transgresser les réglementations et lois qui ont pour vocation de nous transformer en bétail servile.

Développer des espaces autonomes

Face au quadrillage des villes et villages par les systèmes de domination et de contrôle, l'autonomie collective doit trouver des endroits où faire son nid et créer des brèches, voire des machines de guerre urbaine [2], pour reprendre une expression de la philosophe Manola Antonioli. En le faisant nous-mêmes et en le revendiquant sur nos différents moyens d'affichage et d'information, nous incitons chacun et chacune à la réappropriation directe de l'espace public, soit l'occupation des lieux sans la permission des autorités. C'est d'une part un geste de résistance face à la guerre de l'espace menée par les classes dominantes qui embourgeoisent nos quartiers, par les rapports marchands qui bouffent le temps de nos vies et atomisent les communautés, par la police qui réprime, criminalise et profile, puis par les racistes et les LGBTQ+phobes qui harcèlent et agressent. C'est libérer temporairement un espace pour pratiquer des formes d'autonomie collective. Nous souhaitons la prolifération d'espaces autonomes où les rapports oppressifs sont remis en question et où l'on se défend contre les oppresseurs, où la valeur marchande se dissipe dans l'entraide, la solidarité et la gratuité, où l'on prépare les contre-attaques et plus encore. Nos actions sont certainement des gouttes d'eau devant la violence d'un système, mais ce qui s'y construit est aussi important que les besoins qui sont comblés. Le futur n'est pas écrit ; soyons créatifs et créatives. « Il n'y aura pas d'avenir, soulignait Henri Laborit, si nous ne l'imaginons pas ».


[1] Territoire ancestral du peuple innu.

[2] Les formes d'organisation (lieux et usages improvisés) dans l'espace qui échappent à l'Autorité et à l'urbanisme.

Le Collectif Emma Goldman est une organisation anarchiste/autonome active au Saguenay, territoires innus du Nitassinan, depuis bientôt 15 ans. Ses membres et sympathisant·es militent pour une transformation révolutionnaire de la société. Ils et elles prennent part aux luttes sociales et organisent différentes initiatives, dont l'Action sociale anarchiste. Le Collectif produit et diffuse un blogue et différentes publications (journaux, brochures et tracts). Il a également publié quatre livres à ce jour : Radio X Les vendeurs de haine (2013), Combattre l'extrême droite et le populisme (2020), le Dictionnaire anarchiste des enfants (2022) et L'Anarchie expliquée aux enfants (2023).
Pour plus de détails sur les idées présentées dans cet article, vous pourrez retrouver le texte « L'action sociale anarchiste, une approche libertaire du travail social et de l'organisation communautaire » sur le blogue du Collectif Emma Goldman : https://ucl-saguenay.blogspot.com/2022/10/laction-sociale-anarchiste-une-approche.html

Photo : Collectif Emma Goldman

Caribous et vieilles forêts, même combat !

Pour protéger le caribou des bois, il faut conserver des massifs de vieilles forêts. C'est bénéfique pour le climat et la biodiversité… et c'est un pas vers un aménagement (…)

Pour protéger le caribou des bois, il faut conserver des massifs de vieilles forêts. C'est bénéfique pour le climat et la biodiversité… et c'est un pas vers un aménagement durable.

Fantômes gris des forêts, les caribous forestiers sont tellement discrets qu'il est rare d'en croiser en nature. Il faut s'enfoncer assez au nord dans la forêt boréale pour avoir la chance d'en apercevoir. Pourtant, lors de son premier voyage le long de la Côte-Nord en 1603, Samuel de Champlain avait vu plusieurs de ces bêtes, de la taille, précise-t-il, d'« ânes sauvages ». L'explorateur ne mentionne pas qu'ils ressemblent aux rennes du nord de l'Europe, mais quelques années plus tard, il les identifie comme des caribous, d'un mot qui, dans la langue mi'kmaq, signifie « celui qui creuse avec ses sabots ».

La chasse puis l'exploitation forestière ont décimé ce cervidé. Dès 1850, il se faisait déjà rare au sud du fleuve Saint-Laurent. Dans le Nord, de grandes populations subsistaient, mais dans le sud de la province, les hardes, petites et isolées, diminuaient à vue d'œil. Aujourd'hui, on en sait beaucoup plus sur le caribou, devenu entretemps une véritable icône de la faune québécoise, mais sa situation a continué à se détériorer.

L'espèce se présente sous trois catégories ou écotypes : le caribou de la toundra, migrateur ; le caribou forestier, plutôt sédentaire et vivant en forêt boréale ; et le caribou montagnard, qui n'est présent sur le territoire du Québec que sur les hauts plateaux de la Gaspésie et dans les monts Torngat. Ces deux derniers écotypes sont les plus menacés. Au fédéral, le caribou est classé depuis 2003 comme espèce menacée en regard de la Loi sur les espèces en péril, un cran au-dessus d'espèce en voie de disparition. Au niveau provincial, il est inscrit comme espèce vulnérable, un statut équivalent. La petite harde de caribous montagnards de la Gaspésie est considérée comme étant en voie de disparition, puisqu'elle ne compte qu'une quarantaine d'individus.

Les responsabilités étatiques

Les lois fédérales et provinciales sur les espèces menacées créent des obligations aux gouvernements d'intervenir pour protéger ces espèces. Elles prévoient aussi que des plans de maintien et de rétablissement soient mis en œuvre. De tels plans concernant le caribou se sont donc succédé au fil des années, mais leur mise en œuvre reste un échec. La cause principale tient à l'opposition de l'industrie forestière et à l'inaction des ministères concernés.

Il faut savoir que le caribou forestier a besoin de grandes superficies de forêts mûres ou âgées pour s'alimenter, soit des forêts de plus de 70 ans en moyenne. Mais la récolte de bois et la multiplication des chemins forestiers fragmentent et dégradent l'habitat essentiel de cette espèce. Aussi, lorsque le couvert végétal se renouvelle après une coupe, cela crée des conditions favorables à son concurrent, l'orignal. De plus, en suivant les chemins forestiers, le loup gris envahit le territoire et exerce son travail de prédateur. Enfin, la coupe de bois conduit aussi à l'augmentation de la présence d'arbustes producteurs de petits fruits, ce qui attire l'ours noir, qui s'attaque aux faons.

Toutes ces données sont connues et font consensus. En revanche, on ne s'entend pas sur ce qu'on appelle le taux de perturbation maximal qui peut être toléré avant que le caribou finisse par périr. Ce taux est un indice qui caractérise la menace à l'habitat de l'espèce. Certains biologistes ont établi que pour être viables, les populations de caribous forestiers ont besoin d'un habitat dont le taux de perturbation ne dépasse pas 35 %. Or, pour la plupart des populations du Québec, ce taux est largement dépassé, atteignant même 75 % dans le cas de la harde de Val-d'Or.

Pour bien des experts·es universitaires, c'est une erreur de se baser sur ce critère. Récemment, le Centre d'étude sur la forêt, le Centre d'études nordiques et le Centre de la science de la biodiversité du Québec ont répété avec force leur opposition à cette approche [1].

Les qualités écologiques des vieilles forêts

Par ailleurs, comme le caribou forestier se déplace beaucoup et a besoin d'un vaste territoire pour s'approvisionner, son habitat englobe celui de 90 % des espèces d'oiseaux et de mammifères de la forêt boréale. En le protégeant, on favorise le maintien de toutes ces espèces. La conclusion est claire : pour protéger le caribou et toutes ces espèces, il faut conserver une grande proportion de vieilles forêts [2].

Mais qu'est-ce qu'une « vieille forêt » ? Les spécialistes vous diront que c'est une forêt où une grande proportion des arbres meurent de vieillesse, ce qui varie selon le type et la latitude. Cependant, la plupart des juridictions nord-américaines fixent la limite inférieure à 100 ans d'âge moyen.

Si cette forêt abrite une certaine quantité de vieux arbres de moindre qualité pour l'industrie, elle possède toutes les qualités écologiques pour maintenir une forte biodiversité. Les arbres vieillissants et morts poursuivent leur vie très longtemps et abritent une faune et une flore très importantes. Dans un seul tronc d'érable en décomposition peuvent vivre une trentaine d'espèces d'insectes. Beaucoup de petits mammifères et d'oiseaux en profitent ; les mousses s'installent, le sol s'enrichit lors de la lente décomposition et cela permet le recyclage des éléments nutritifs.

Tout ceci est vrai a fortiori d'une forêt primaire, qui par définition n'a jamais été exploitée par les humains. On a par ailleurs établi que les forêts primaires stockent jusqu'à un tiers de carbone de plus que les forêts aménagées.

En résumé, sur le plan écologique, les vieilles forêts, et en particulier celles qui sont primaires, sont des réservoirs de biodiversité, des puits de carbone et constituent une sorte d'assurance pour l'avenir de la vie sur Terre. Elles sont aussi plus résilientes face aux perturbations naturelles comme les feux et les épidémies d'insectes, des événements qui risquent de se multiplier avec le réchauffement climatique. Malheureusement, la proportion de vieilles forêts décline rapidement au Québec, si bien qu'il est urgent d'intervenir pour préserver ce qu'il en reste.

Une autre manière d'exploiter la forêt

Or, chaque fois qu'on soulève la question du caribou, on tombe dans un débat sur les impacts économiques de ces mesures, comme la réduction de la récolte de bois et la perte d'emplois. C'est une vision erronée et à courte vue, comme l'ont dénoncé des écologistes, des syndicalistes et des responsables de municipalités régionales de comtés devant la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards. Il faut considérer le contexte global. Certains massifs forestiers pourraient être fermés à l'exploitation (même selon l'industrie, ils ne sont pas rentables), tandis que d'autres pourraient supporter un aménagement plus intensif, par exemple avec des plantations, comme on le fait couramment en Finlande ou en Nouvelle-Zélande, deux pays qui ont fortement étendu leurs aires protégées.

La foresterie durable a besoin de vieilles forêts, tout comme la lutte contre les changements climatiques et l'érosion de la biodiversité. Et tout cela aide à la survie du caribou. Pour protéger son habitat, il faut créer quelques grandes aires protégées en forêt boréale, si possible vieilles, et si possible interconnectées. Cela passe par une baisse des récoltes de bois dans certains secteurs clés. Mais ces baisses seront légères et ne se traduiront pas nécessairement par d'importantes pertes d'emplois. Par ailleurs, la conservation peut également contribuer à créer des emplois et avoir des retombées économiques régionales importantes. Par exemple, le démantèlement des chemins forestiers est une activité susceptible de s'étaler sur une ou deux décennies. Le secteur touristique profitera aussi de ce virage vers une forêt polyvalente. Enfin, il faut consulter les peuples autochtones et leur confier un rôle de premier plan, alors qu'ils ont subi depuis trop longtemps le déclin provoqué de cet animal qui a pour eux une profonde signification économique, historique et culturelle.


[1] Analyse critique des scénarios de conciliation des activités socio-économiques et des impératifs de rétablissement (…), Mémoire présenté à la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, mai 2022, p. 43.

[2] Équipe de rétablissement du caribou forestier du Québec, Plan de rétablissement du caribou forestier (Rangifer tarandus caribou) au Québec 2013-2023, Québec, 2013, 110 pp.

Jean-Pierre Rogel est journaliste, naturaliste et auteur de l'essai Demain la nature : elle nous sauvera si nous la protégeons, publié en septembre 2023 aux Éditions La Presse.

Illustration (monoprint) : Elisabeth Doyon

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