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Un colloque révisant la stratégie éolienne du Québec

Trois-Rivières, mercredi le 11 juin juin 2025 – Alors que la pénurie d'électricité annoncée par Hydro-Québec s'effrite à vue d'œil, en grande partie à cause de l'abandon de projets industriels énormément énergivores, la direction d'Hydro-Québec s'obstine à foncer tête baissée dans la construction de parcs éoliens démesurés.
Des experts et citoyens réclament un développement démocratique et transparent
Rappelons que ces nouvelles éoliennes prévues en Mauricie comme dans plusieurs autres régions du Québec mesureront plus de 200 m de haut, soit deux fois la hauteur du pont Laviolette à Trois-Rivières, et pourraient atteindre jusqu'à 40 unités dans un seul village.
Un colloque d'envergure intitulé « Repenser l'éolien au Québec », réunira experts, élus et citoyens le 14 juin prochain au cégep de Trois-Rivières, visera justement à remettre en question la gouvernance énergétique actuelle et à proposer une vision lucide, ancrée dans l'intérêt public.
Les 10 000 MW prévus, soit environ 1 500 mégaéoliennes imposées aux communautés, n'ont plus aucune justification. La stratégie précipitée du gouvernement Legault et de Michael Sabia, fondée sur une pénurie désormais remise en question, est mise à nu. Puisque tout le développement éolien repose sur cette fausse prémisse, il est urgent d'instaurer un moratoire tant que la lumière n'aura pas été faite sur les besoins réels du Québec.
Ce moratoire, c'est ce que demandait déjà en conférence de presse, le 29 janvier 2025, une large coalition citoyenne : 25 comités citoyens éoliens, dans presque autant de MRC, en plus de groupes syndicaux, de chercheurs, et de deux partis politiques. Cette pause servirait à instaurer une démarche cohérente profitant au bien commun et non à des intérêts particuliers. Aux termes d'un débat public et d'un BAPE générique sur l'éolien, il serait alors possible d'orienter ce développement en fonction des recommandations d'experts, des populations visées et de différents groupes de la société civile, et non pas seulement pour servir un programme politique affairiste.
Il est urgent de rectifier le tir alors que l'approche actuelle laisse fuir des milliards de profits vers le secteur privé et les paradis fiscaux, qui va se traduire immanquablement en une augmentation importante du coût de l'électricité pour les consommateurs et les PME.
« Ce qu'on veut pour le Québec, c'est un développement éolien justifié, cohérent, démocratique, public, transparent et respectueux du territoire et de ses habitants », déclare Janie Vachon-Robillard, porte-parole du collectif Pour un choix éclairé dans Nicolet-Yamaska et co-organisatrice de l'événement.
« Nous assistons à l'accélération de la privatisation de l'énergie éolienne. Les citoyens ruraux subissent les impacts tandis que de précieuses forêts et terres agricoles sont sacrifiées. Les profits enrichissent seulement quelques actionnaires au lieu de bénéficier à toute la société québécoise à travers Hydro-Québec », souligne Louise Morand, coordonnatrice au Regroupement vigilance énergie Québec (RVEQ).
Trois tables rondes d'experts
L'événement réunira 12 panélistes répartis en trois tables rondes thématiques animées par des spécialistes reconnus :
Choix énergétiques – Justice et durabilité
Municipalités – Démocratie – Acceptabilité sociale
Agriculture – Forêt – Santé
Le colloque sera également marqué par le lancement d'un numéro spécial sur l'éolien de la prestigieuse revue L'Action Nationale.
« Les questions sont nombreuses et légitimes : combien d'hectares de terres agricoles seront sacrifiés ? Quels sont les impacts sur la santé animale et humaine ? Quelles sont les alternatives aux projets en cours ? », énumère Rachel Fahlman, conseillère municipale à Saint-Zéphirin-de-Courval et présidente de Vent d'élus.
« L'absence de consultation publique mine la cohésion sociale. Les Québécois méritent d'être consultés sur des décisions qui transformeront leur territoire pour les décennies à venir », affirme Carole Neill, porte-parole du collectif Toujours Maître chez nous.
Détails pratiques
Quoi : Colloque « Repenser l'éolien au Québec »
Quand : 14 juin 2025, 9h à 17h
Où : Cégep de Trois-Rivières, Pavillon des Humanités, local HC-1000
Inscription :https://rveq.ca/colloque
Organisé par le Regroupement vigilance énergie Québec
En collaboration avec : Vent d'élus, Toujours Maître chez Nous, Pour un choix éclairé dans Nicolet-Yamaska, Climat Québec, L'action Nationale et le Syndicat canadien de la fonction publique Québec
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Gaza : quand les mots occultent la réalité

Dans le conflit israélo-palestinien, il est des habitus rhétoriques médiatiques et politiques à déconstruire. Les mots qui occultent la réalité, comme le silence, sont un choix – et une arme qui tue aussi sûrement que les bombes.
Tiré du blogue de l'autrice.
Quand les mots occultent la réalité
Dans le conflit israélo-palestinien, il est des habitus rhétoriques médiatiques et politiques à déconstruire. Au-delà des sempiternels « Israéliens sauvagement assassinés par des terroristes » et des « Palestiniens morts dans des heurts avec l'armée », où la déshumanisation est flagrante, il y a une inversion lexicale tenace qui mérite d'être examinée.
En effet, à force de convoquer des termes aussi lourds de sens que « extermination », « combat existentiel », « isolement », ou encore « non-reconnaissance » au sujet d'Israël, il devient impératif de confronter ces mots à la réalité, non pas celle projetée dans les discours officiels ou les intentions supposées, mais celle qui s'impose dans les faits chaque jour sur le terrain, dans les chiffres, dans les corps.
L'extermination : du fantasme idéologique au fait concret
L'invocation d'une volonté d'extermination du peuple israélien, notamment attribuée au Hamas, appelle une mise au point. Le Hamas est une organisation autoritaire, radicale et classée terroriste par l'Union européenne, les États-Unis, le Canada et d'autres. L'attaque du 7 octobre 2023 en constitue une illustration tragique.
Il est nécessaire de rappeler que ces attaques ne ciblaient pas des Juifs parce que Juifs, mais des Israéliens à proximité de l'enclave sous blocus depuis 17 ans parce qu'Israéliens et donc considérés comme appartenant à la puissance occupante. D'ailleurs des victimes non juives ont été recensées. Il n'en reste pas moins que ces attaques relèvent d'un mode opératoire terroriste et qu'à ce titre elles doivent être condamnées. Pourtant, en dépit de sa violence, ce mouvement ne possède ni la puissance militaire, ni les capacités logistiques pour anéantir un État souverain doté de l'un des arsenaux les plus sophistiqués au monde.
À l'inverse, sous nos yeux, c'est bien le peuple palestinien qui subit aujourd'hui une dynamique d'effacement méthodique : physique, démographique, territorial. Selon les Nations Unies, plus de 52 000 Palestiniens ont été tués à Gaza depuis octobre 2023. The Lancet, publication scientifique de référence, dont la méthodologie et la rigueur sont internationalement reconnues, estime que ce chiffre est sous-évalué de 40%.
À l'échelle d'un territoire aussi exigu que la bande de Gaza, ce bilan constitue un fait historique d'une gravité exceptionnelle. S'y ajoutent des dizaines de milliers de blessés et une multitude de morts indirectes, causées par l'absence de soins, de médicaments, de nourriture ou d'eau potable. Le PAM, l'UNICEF et l'OCHA alertent sur une famine généralisée et une malnutrition aiguë frappant massivement les enfants. Cette hécatombe n'est pas un dommage collatéral.
Elle résulte d'une stratégie militaire ciblant délibérément les infrastructures civiles, les hôpitaux, les écoles, les camps de réfugiés. Le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme parle ouvertement d'une punition collective, en violation flagrante des Conventions de Genève.
En Cisjordanie, les colons armés par des membres du gouvernement israélien et soutenus par l'armée israélienne sur le terrain orchestrent des expulsions violentes de camps et de villages. Ces forces d'occupation perpétuent une colonisation agressive, un harcèlement administratif, judiciaire et militaire incessant, au mépris du droit international et dans une impunité totale. Le quotidien des Palestiniens y devient invivable.
La bataille existentielle : qui disparaît vraiment ?
L'expression « combat existentiel » revient régulièrement dans les discours israéliens, mais à la lumière des faits, on peut se demander qui mène réellement une lutte pour sa survie ? Israël est une puissance régionale majeure, alliée stratégique des États-Unis, dotée de l'arme nucléaire et d'une armée des plus performantes au monde. Aucun acteur régional ne dispose aujourd'hui des moyens de remettre en cause son existence, pas même l'Iran dont les missiles balistiques n'ont causé aucun dommage en Israël.
À l'inverse, les Palestiniens, eux, sont littéralement menacés de disparition. Le peuple se disloque, le territoire est morcelé, l'économie est asphyxiée et l'avenir politique confisqué. À Gaza comme en Cisjordanie, c'est l'existence biologique collective des Palestiniens qui est en péril, et ce n'est pas une menace symbolique ni fantasmée.
L'isolement : un renversement trompeur
L'idée selon laquelle Israël serait isolé sur la scène internationale relève d'une inversion discursive majeure. En réalité, Israël bénéficie d'un appui stratégique, diplomatique et financier sans équivalent. Le pays reçoit chaque année plusieurs milliards de dollars d'aide militaire américaine, entretient des relations commerciales solides avec l'Union européenne, première zone économique mondiale, et multiplie les partenariats sécuritaires et énergétiques avec des puissances émergentes. Plusieurs Etats arabes se sont même déjà engagés dans une normalisation diplomatique.
Israël n'a d'ennemis que ses voisins menacés par ses velléités expansionnistes, pas ceux dont il ne menace pas l'intégrité territoriale. À l'inverse les Palestiniens vivent dans un isolement presqu'absolu : Gaza subit un blocus total depuis plus de dix-sept ans, sans accès libre à la mer, à l'espace aérien, à l'importation d'équipements essentiels.
La Cisjordanie est morcelée par le Mur, militairement occupée et économiquement dépendante. Dans les territoires palestiniens, l'Autorité palestinienne ne contrôle ni les frontières, ni l'état civil, ni la monnaie. La voix politique palestinienne, marginalisée, ne trouve d'écho que dans des rapports d'ONG ou les couloirs de l'ONU.
La reconnaissance d'Israël : une formule creuse
L'injonction à reconnaître Israël est devenue une formule politique sans substance, voire une arme rhétorique. L'existence d'un pays qui dispose d'un siège aux Nations Unies est-elle réellement questionnable ? Aucun pays d'envergure ne nie l'existence d'Israël. L'Initiative de paix arabe de 2002 proposait une reconnaissance diplomatique pleine et entière (donc de nouer des relations diplomatiques) en échange d'un retrait israélien dans les frontières de 1967, conformément aux résolutions de l'ONU.
Or Israël entretient sciemment un flou autour de ses frontières : Jérusalem-Est, la Cisjordanie, le Golan restent annexés ou colonisés, sans cadre légal reconnu. Dès lors, parler de « non-reconnaissance » est une diversion rhétorique masquant le refus israélien de se soumettre au droit international.
À l'inverse, l'OLP a reconnu Israël dès 1988 puis avec les Accords d'Oslo en 1993. Mais Israël n'a jamais reconnu d'Etat palestinien, tout en rendant sa viabilité impossible par la colonisation continue et le morcellement de son territoire. Conditionner aujourd'hui, comme le fait le Président français, la reconnaissance de l'Etat palestinien à des exigences irréalistes revient à ajouter à la punition collective militaire, une punition collective politique qui fait porter à la population palestinienne la responsabilité de se débarrasser d'une faction armée minoritaire qu'est le Hamas et conforte le gouvernement israélien extrémiste dans son objectif d'assimiler tous les Palestiniens à des terroristes pour ne jamais avoir à reconnaître la Palestine.
Terrorisme et extrémisme : un miroir déformant
Le Hamas est un mouvement dont l'idéologie islamiste radicale est avérée. Il est né en 1987 dans la bande de Gaza, en opposition au Fatah de Yasser Arafat, et avec le soutien d'Israël1 soucieux de diviser l'OLP puis d'affaiblir l'Autorité palestinienne. Ce parti a pris le pouvoir à Gaza en 2007 au lendemain des élections législatives de 2006, mais sa gestion brutale et sa corruption ouverte l'a rendu impopulaire et largement contesté (par ex. la Marche du retour en 2018-2019 et encore des manifestations jusqu'à très récemment).
Aucune élection n'a eu lieu dans les territoires palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie depuis 2006 donc la majorité de la population n'a jamais voté (en 2006, 60% de la population de Gaza avait moins de 18 ans ; en 2023, plus de 50% des 2,1 millions de Gazaouis avaient moins de 20 ans) et le Hamas n'a jamais dirigé la Cisjordanie où vivent plus de 3 millions de Palestiniens. Ce mouvement est donc minoritaire dans l'architecture institutionnelle palestinienne. La dénonciation du Hamas et de ses actes terroristes est fondée en droit, d'ailleurs, il figure toujours sur les listes noires.
À l'inverse, en Israël, l'extrémisme n'est pas un danger marginal, il est institutionnalisé. Les extrémistes ne sont pas dans l'opposition, ils sont au pouvoir. Les figures messianiques, xénophobes, homophobes, suprémacistes, issues de la mouvance kahaniste – autrefois interdite en Israël –, comme Itamar Ben Gvir ou Bezalel Smotrich, siègent aujourd'hui au gouvernement et dirigent des ministères clés.
Ils ont été élus démocratiquement. Et ce vote populaire est assumé puisqu'encore 82% de la population juive israélienne soutient la politique suprémaciste et le projet de nettoyage ethnique des territoires palestiniens2. Ces ministres extrémistes israéliens sont reçus à Bruxelles, à Washington, à Londres, à Paris. Ils signent des accords, posent pour des photos officielles. Ils sont armés, financés par les plus grandes puissances du monde et bénéficient de l'impunité diplomatique que confère la puissance.
Dès lors, une question fondamentale se pose : lequel des deux régimes exprime le mieux l'état réel de son opinion publique ? Un mouvement extrémiste palestinien qui a confisqué le pouvoir par les armes depuis 2006, ou un gouvernement israélien qui incarne fidèlement le choix de la majorité des électeurs ?
Et que signifie ce basculement de la majorité israélienne vers des partis prônant ouvertement l'annexion, le transfert de population, et la supériorité ethnico-religieuse ? Cette radicalisation démocratiquement validée, mériterait une attention au moins équivalente à celle accordée au Hamas. A défaut, le double standard constitue une faute politique, mais aussi une compromission morale historique.
Sortir de la fiction symétrique
Il ne s'agit pas ici de relativiser les crimes de l'un par ceux de l'autre. Il s'agit de voir que l'asymétrie est totale : militaire, diplomatique, narrative, humaine. Ceux qui meurent ne sont pas ceux que l'on dit. Ceux qui disparaissent ne sont pas ceux que l'on craint. Ceux qui résistent sont criminalisés. Ceux qui dominent sont légitimés.
Cette inversion du réel devient ici l'arme la plus efficace de l'impunité. Elle anesthésie les consciences et dévoie les mots. Pourtant la responsabilité intellectuelle demeure : regarder en face, c'est déjà refuser la complicité. L'Histoire jugera. Mais en attendant, les mots qui occultent la réalité, comme le silence, sont un choix – et une arme qui tue aussi sûrement que les bombes.
Notes
1- Tal Schneider, “For years Netanyahu propped up Hamas…”, Times of Israel, 08.10.2023 ; Nitzan Horowitz, “Netanyahou a explicitement
renforcé le Hamas”, Le Grand Continent, 11.10.2023.
2 Shay Hazkani, Tamir Sorek, “Yes to Transfer : 82% of Jewish Israelis Back Expelling Gazans”, Haaretz, 28.05.2025.
Hydro-Québec attaqué !
La CAQ sombre de plus en plus dans une forme de duplessisme. Elle s'acoquine avec les classes dirigeantes économiques actuelles, nous tient des propos populistes et ce, au détriment
de la collectivité.
Chers citoyen(ne)s et représentant(e)s de notre belle démocratie.
Je vous interpelle du fond du cœur, face au récent bâillon du gouvernement, concernant Hydro-Québec et leur transition énergétique (PL69). Le geste posé est une attaque frontale à nos droits sociaux ; tant au niveau démocratique, économique, qu'écologique. À la suite du bâillon, j'ai ressenti une véritable claque identitaire et une désappropriation de notre joyau national qu'est Hydro-Québec. La CAQ sombre de plus en plus dans une forme de duplessisme. Elle s'acoquine avec les classes dirigeantes économiques actuelles, nous tient des propos populistes et ce, au détriment
de la collectivité. Je ne m'attends pas à des excuses de ce gouvernement, pas plus qu'il ne recule en fin de mandat… Mais *ce bâillon peut et doit être contesté considérant son **atteinte à la démocratie, à **l'absence de
justification et au risque de manipulation*.
Le « nationalisme économique » prôné par l'actuel gouvernement est plutôt une vieille recette régressive de capitalisme sauvage guidée par l'État. Je viens de Shawinigan et dans notre région, un énorme chantier d'éolienne privée est en cours. Je ne suis pas contre les éoliennes et je ne suis pas la famille Chrétien, l'obscure et puissante firme étatsunienne Halliburton et les stratégies d'insertion sociale, m'inquiètent au plus haut point. Le mégaprojet de TES Canada, au-delà des nombreux impacts socioécologiques, détourne notre attention sur les avantages de ces empires de devenir
d'importants distributeurs d'électricité privée. Avec ce projet de loi, ils ont le vent dans les voiles pour enfoncer le clou de la privatisation et contribuer au démantèlement de notre force collective qu'est Hydro-Québec.
La CAQ mène une attaque en règle contre le bien commun et nous musèle. J'ai le devoir de me battre avec amour et colère contre l'usurpation de Nos droits, le vol de nos ressources et la destruction de notre habitat. Je refuse d'être colonisé davantage. Je vous invite à joindre votre voix et vos actions pour faire reculer ce gouvernement. J'implore la majorité des acteurs de la société civile et les élu(e)s qui ne sont pas sous la domination caquiste ou impérialiste, à se défendre et à contester le bâillon.
*Sébastien Bois,*
*Citoyen de Shawinigan*
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Environnement : Les défis de la conscientisation

Notre principal espoir de changer la donne en matière d'environnement, chez nous et ailleurs dans le monde, passe par la conscientisation des populations. Et cette conscientisation passe à son tour par une presse libre, entièrement affranchie des intérêts privés, comme je l'ai déjà souligné, pour redonner aux questions environnementales et aux défis que posent les changements climatiques la priorité absolue dans le traitement et l'analyse de l'information.
(Ce texte a d'abord été publié dans l'édition de juin du journal Ski-se-Dit.)
Plusieurs intellectuels et militants relèvent ces temps-ci l'intérêt que l'on porte dans les médias à une foule de sujets secondaires au détriment du génocide en cours à Gaza. C'est bien sûr tout à fait déplorable ! Et il en est de même depuis des décennies pour ce qui est du réchauffement de la planète et de l'environnement en général auquel on accorde, somme toute, très peu de place dans les médias. Comme le soulignent pourtant depuis plus de vingt ans les plus éminents climatologues et scientifiques, « l'avenir de l'humanité est en jeu ».
Le principal obstacle
Nous vivons dans des sociétés où la presse écrite et électronique et les médias sociaux sont dominés par le monde des affaires et de vastes conglomérats qui en sont bien souvent d'ailleurs les propriétaires. Quand ces moyens de communication ne sont pas directement la propriété des forces de l'argent, ce qui n'est manifestement pas souvent le cas, ils sont alors soumis indirectement aux contraintes imposées par la publicité, les grands annonceurs ne permettant pas que l'on fasse la promotion de valeurs et de mesures qui puissent nuire au développement de leurs produits et services.
On peut bien sûr aborder les questions d'environnement et les questions sociales dans nos médias, mais alors de façon secondaire, dans les marges en quelque sorte, comme une quelconque soupape de sécurité, perdues dans le fouillis des communications de toutes sortes, à travers des petits et grands scandales, des questions d'argent, des accidents de la route, des faits divers, des potins et des sports. Quant aux médias sociaux, ils sont entre les mains d'intérêts financiers et de propriétaires très à droite sur le plan politique et ont en grande partie sombré dans le mensonge et la désinformation.
Nous avons évité le pire, lors des dernières élections fédérales, en ne portant pas au pouvoir le Parti conservateur du Canada, parti qui s'était engagé à démanteler progressivement notre diffuseur public Radio-Canada/CBC. Il n'est pas difficile de mesurer l'ampleur de ce qu'aurait été cette perte en matière d'indépendance journalistique et de qualité des informations et des analyses. Parce qu'il est essentiel que notre réseau public d'information radio et télévision qu'est Radio Canada/CBC continue d'exister et, plus encore, qu'il devienne véritablement – en changeant de cap – un réseau d'information totalement indépendant des intérêts privés et financiers.
Comme je l'ai mentionné dans ma précédente chronique sur l'environnement, nous devrons lui fournir ces moyens d'action en lui assurant un financement adéquat qui lui permette d'assurer cette pleine indépendance et donc, tant sur le plan journalistique que culturel, en interdisant toute forme de publicité privée et même partiellement privée sur son réseau de stations de radio et de télévision. Une information de grande qualité et indépendante des contraintes imposées par le secteur privé est fondamentale pour redonner aux questions sociales et environnementales l'importance qu'elles méritent. Nous pouvons le faire ! D'autres pays le font aussi !
Seule une presse indépendante devrait d'ailleurs pouvoir profiter directement et indirectement de l'aide gouvernementale si nous voulons bâtir une presse écrite et électronique libre et en mesure d'accorder aux questions environnementales et sociales la place primordiale qui leur revient. Je songe ici aux journaux communautaires et à tous les journaux d'idée sans buts lucratifs qui ne bénéficient pas du soutien financier - même sporadique - d'entreprises ou de mécénats. L'argent est disponible. Il suffirait entre autres, dans un premier temps, de taxer les géants du Web et de les bien réglementer. De faire de même, dans un deuxième temps, avec les grandes institutions financières et grandes entreprises qui engrangent chaque année d'indécents profits. Et dans le même ordre d'idée, de permettre et de soutenir la mise en place de médias sociaux entièrement publics, peut-être comme composante de Radio-Canada/CBC, réseaux qui appartiendraient à l'ensemble de la population, plutôt qu'à de riches entreprises américaines qui nous manipulent et nous désinforment plus qu'autre chose avec leurs détestables algorithmes.
Le politique suivra
« C'est énoncer une vérité désormais banale que de dire que ce sont les idées qui mènent le monde » écrivait Ernest Renan dans « L'avenir de la science » en 1848. Si banale qu'elle soit, cette vérité est cependant trop oubliée de nos jours, avec la mainmise graduelle des entreprises privées et conglomérats sur le monde des médias et de la culture au cours du dernier siècle. Parce que le capitalisme, appelons-le par son nom, ne détruit pas seulement notre environnement, la vie de foules et de foules d'individus sur terre, d'animaux et de plantes ; il pervertit et détruit aussi le monde des idées, des communications, des médias, qui nous permettraient de mener le monde… vers la justice sociale, l'égalité et un environnement sain pour l'avenir de l'humanité, et de la faune et de la flore.
Parce que ce dont tous les médias devraient parler, en priorité, à la une, en début de bulletins de nouvelles, quotidiennement, régulièrement, de façon encourageante dans la mesure du possible, c'est d'environnement, de décroissance, de justice sociale, d'égalités réelles. Le politique, dans une société représentative comme la nôtre et même dans d'autres formes d'organisation finirait par suivre la poussée populaire en faveur de réels changements.
L'information essentielle, celle qui porte sur la protection de notre environnement, la nécessaire décroissance, la justice sociale et l'égalité entre les êtres doit commencer à occuper toute la place, sinon presque toute la place, dans nos nouvelles, nos analyses et même nos loisirs et nos activités culturelles.
En matière de défense et de protection de l'environnement en particulier, il n'y a pas de demi-mesures. Un changement de cap s'impose ! Nous ne pouvons continuer à tergiverser avec des engagements de réduction des gaz à effet de serre jamais tenus de la part d'oligarchies uniquement soucieuses de la croissance sans fin du capital. Ni de mesures de substitutions, toujours ancrées dans un monde en perpétuelle croissance, elles aussi, comme le passage de formes d'énergie plus polluantes à des formes d'énergies moins polluantes ou supposées telles.
Pour finir
J'aimerais terminer cette chronique d'abord en soulignant l'importance de la présence de journaux communautaires ou indépendants comme le journal Ski-se-Dit pour contribuer à de tels changements, journaux dont la survie financière n'est jamais assurée, qui survivent contre vents et marées, en nous assurant chaque mois une présence médiatique proche de nos réalités quotidiennes. Je suis d'ailleurs très reconnaissant à la direction de ce journal de me permettre de m'y exprimer avec cette liberté de parole qui n'est pas toujours admise, quoi qu'on en pense, sans jamais tenter, à aucun moment, d'en réduire la portée.
J'aimerais aussi profiter de cette précieuse tribune pour vous suggérer quelques ouvrages sur l'environnement et des sujets qui y sont liés de près dans notre lutte pour un monde meilleur :
(Je tiens à commencer par l'essai le plus connu de Serge Mongeau, le père de la simplicité volontaire, qui nous a quittés au cours du dernier mois.)
– La simplicité volontaire – Serge Mongeau – Écosociété.
– Aux origines de la décroissance – Cédric Biagini, David Murray, Pierre Thiesset et plusieurs autres – Écosociété.
– Le plastique est mort, vive le bioplastique ! – Paul Lavallée – Écosociété.
– L'Entraide, l'autre loi de la jungle – Pablo Servigne et Gauthier Chapelle – Éditions Les liens qui libèrent.
– Tenir tête aux géants du web – Alain Sauliner – Écosociété.
– Sens dessus dessous - Eduardo Galeano (traduit de l'espagnol) – Lux Éditeur
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Monde arabe. Quelle culture dans un espace politique contraint ?

Comment mener une réflexion sur la production culturelle dans le monde arabe tout en tenant compte du contexte politique ? Car la culture n'est pas seulement le miroir du réel : elle agit dessus, tout en étant elle-même impactée par ses bouleversements. Au cours de la dernière décennie, le durcissement de la vie politique et le rétrécissement continu de l'espace public observés dans plusieurs pays du Maghreb et du Proche-Orient ont eu une incidence directe et indirecte sur le secteur culturel : restrictions budgétaires, fermeture des lieux dédiés, censure ouverte ou déguisée, coupure progressive avec le public…
Tiré d'Orient XXI.
Entre mémoire, témoignage et résistance
Pour autant, la situation diffère selon les pays. Ainsi, en Jordanie, l'affaiblissement de la scène théâtrale s'explique autant par la marginalisation de la culture dans les politiques publiques que par la répression politique. En Tunisie, certaines formes d'expression tentent d'investir un espace alternatif à la suite de la fermeture des espaces officiels. Tandis qu'en Égypte, la répression institutionnelle qui s'abat sur la culture indépendante n'a pas réussi à empêcher l'émergence de la littérature carcérale comme acte de mémoire et de résistance individuelle. Pour survivre à la guerre et à l'effondrement de leur pays, les écrivains yéménites se réfugient pour leur part dans la littérature, alors qu'en Algérie la culture prospecte de nouveaux espaces – numériques, mais aussi physiques, comme les cafés littéraires – pour permettre la circulation des idées, loin de la censure. Au Liban, le centralisme culturel vole en éclats, grâce à des initiatives qui s'attachent – notamment depuis l'agression israélienne de 2024 – à élargir l'identité collective en restaurant le lien entre le fait culturel et l'appartenance locale.
Et comment ne pas s'arrêter sur le cas de la Palestine, où le génocide en cours à Gaza nous place devant une question fondamentale : quelle signification peut encore avoir l'acte d'écrire, de peindre ou d'exposer alors que des villes sont dévastées et des familles entières, anéanties ? Dans une telle situation, l'œuvre artistique constitue à la fois un témoignage et un acte salvateur : ainsi des installations présentées lors de la dernière biennale de Charjah, aux Émirats arabes unis, qui ont donné à voir des fragments de corps, des décombres et une mémoire disloquée. Le moment n'est pas seulement celui d'une production culturelle, mais aussi celui de l'interrogation sur l'utilité de l'art et sa capacité à exprimer une résistance face à l'anéantissement.
Dans ce nouveau dossier du Réseau des médias indépendants sur le monde arabe, nous verrons comment la culture s'adapte au rétrécissement du champ politique et à son verrouillage en ouvrant un espace alternatif. Mais aussi comment les restrictions laissent de profondes empreintes, et comment la fiction peut devenir un moyen d'appréhender l'impasse. Seront également posées des questions fondamentales : comment maintenir vivante la culture là où la vie publique est vidée de son sens ? L'écriture, la chanson ou la peinture sont-elles des expressions à même de restituer aux populations ce dont elles ont été dépouillées ?
Diversité des expériences
Nous constaterons dans ce dossier la diversité des expériences. Ainsi, en Tunisie, les stades de football apparaissent comme le dernier espace public où la contestation collective est tolérée. Selon le blog Nawaat, constitué de dissidents tunisiens proposant un espace de débat, les groupes d'ultras y sont une force politique et culturelle qui relaie la colère sociale et livre une bataille quotidienne contre la censure et la répression par le biais des chants, des slogans et des tifos. Depuis les gradins des stades jusque sur les murs des villes, l'art du tag a explosé dans la foulée de la révolution tunisienne en 2011, avant de reculer avec le retour de la répression policière et du contrôle de l'espace public. Cette forme de contestation perdurera-t-elle face aux menaces de bâillonnement ?
En Jordanie, la situation est différente : si le théâtre n'y est pas directement en butte à la répression, il se retrouve de fait exclu des politiques culturelles qui ne l'inscrivent pas parmi leurs priorités, déplore le webmédia indépendant jordanien 7iber. On assiste ainsi à l'érosion continue d'un secteur qui perd à la fois ses subventions et son public, tandis que des grand-messes officielles viennent cacher la misère culturelle. Ici, la parole n'est pas étouffée, on la laisse simplement s'éteindre en silence.
Au Liban, Mashallah News nous emmène dans une Tripoli longtemps négligée, où le centre culturel Rumman tente de briser le centralisme beyrouthin. Ouvert dans la foulée du soulèvement d'octobre 2019, cet espace d'expression et de rassemblement a pris une nouvelle dimension après l'explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020. Durant l'agression israélienne contre Gaza et le Sud-Liban en 2024, le lieu a entrepris de faire le lien entre expression culturelle et colère politique. Rumman ne se présente plus uniquement comme une tribune artistique, mais comme un espace où est repensé le rapport de la culture à la société.
En Algérie, où sévit toujours une censure féroce, certains tentent d'instaurer des espaces indépendants de débat et de création. Le portail d'information algérien Maghreb émergent, ouvert en 2010, plusieurs fois censuré, nous explique comment le numérique permet de redéfinir la relation entre les artistes et le public et de promouvoir une culture critique libérée du discours officiel.
Malgré la répression institutionnelle qui frappe la culture égyptienne depuis 2013, l'écriture continue de sourdre des murs : littérature carcérale, tribunes numériques alternatives et projets cinématographiques, selon le média panarabe Assafir Al-Arabi, né en 2012 comme supplément au quotidien libanais de gauche As-Safir avant de continuer en version numérique à la disparition de celui-ci en 2016. Le site documente une réalité qui, à défaut d'être changée, sera du moins sauvée de l'oubli. De l'écriture comme acte de résistance à l'écriture comme tentative d'appréhender la perte : dans un Yémen ravagé par la guerre et son cortège de tragédies, les écrivains privilégient le roman à la poésie, comme si la fiction restait le seul langage possible, constate Orient XXI. En plein essor depuis quelques années, ce genre littéraire apparaît aujourd'hui comme un moyen de conjurer le chaos au sein d'une réalité devenue inintelligible.
Mais c'est en Palestine que la question se pose avec le plus d'acuité. Au moment où des villes sont rayées de la carte et des familles entières, massacrées, l'art se fait à la fois témoignage et cri de détresse, relève le site web d'information égyptien Mada Masr. À la biennale de Charjah, où les participants gazaouis exposent des œuvres porteuses de mémoire, d'affliction et de résistance, l'art se présente comme ultime acte de salut.
Depuis l'Italie, enfin, le site culturel Babelmed.net relaie la voix des artistes de hip-hop d'origine arabe, qui expriment leurs revendications identitaires à travers la musique. Refusant d'être réduits à un statut de migrants, c'est dans leur dialecte qu'ils chantent leurs épreuves afin de s'affirmer dans une société qui ne les reconnaît pas totalement. La culture est ici un instrument d'affirmation par-delà les frontières géographiques.
Ce dossier a été réalisé dans le cadre des activités du réseau Médias indépendants sur le monde arabe. Cette coopération régionale rassemble Assafir Al-Arabi, BabelMed, Mada Masr, Maghreb Émergent, Mashallah News, Nawaat, 7iber et Orient XXI.

Résister par la musique : Les Suds à Arles célèbrent la culture palestinienne

En 2025, alors que les images d'une Palestine meurtrie continuent de traverser les écrans du monde, le festival des Suds, à Arles fait le choix de célébrer, dans toute sa beauté et sa complexité, la culture palestinienne.
Tiré du blogue de l'auteur.
« Dans le tumulte d'un monde conquis par des démons dont nous nous espérions délivrés, célébrer la 30eédition d'un festival conçu comme une ode à la diversité offre l'occasion d'affirmer qu'un autre récit est possible. Celui qui oppose à la verticalité d'une vision exclusive et excluante, l'horizontalité des droits culturels, la fécondité de l'hybridation et du dialogue entre les cultures, la force des émotions partagées. »
– Stéphane Krasniewski
En 2025, alors que les images d'une Palestine meurtrie continuent de traverser les écrans du monde, le festival des Suds, à Arles fait le choix de célébrer, dans toute sa beauté et sa complexité, la culture palestinienne.
Ainsi, lundi 14 juillet, Elias Sanbar conversera avec Farouk Mardam-Bey et Edwy Plenel à l'occasion de la Rencontre Mediapart, et le festival projettera, vendredi 18 juillet, le film Mémoires de Palestine, avec Leïla Shahid comme figure centrale… avant d'applaudir le Trio Joubran venu fêter ses 20 ans sur la scène du Théâtre Antique. Ils rêvaient de n'être que des musiciens, les souffrances de leur peuple leur imposent d'en être plus que jamais les porte-drapeaux. Viscérale, leur musique témoigne, résiste, et alors que de nombreux artistes palestinien·nes sont empêché·es de se produire sur leur propre territoire, leur concert à Arles – accompagnés d'un quintet de cordes et percussions – a une résonance particulière. Leurs cordes entrelacées avaient déjà fait vibrer le cœur du public venu les écouter sur cette même scène en 2018… Et comment ne pas se souvenir du dernier récital du poète palestinien Mahmoud Darwich, le 14 juillet 2008, au Théâtre Antique, entouré de Samir et Wissam Joubran ?
Quelques heures plus tard, dans la Cour de l'Archevêché, un autre regard sur la culture palestinienne prendra vie à travers le live set d'Isam Elias, mêlant sonorités afro-orientales, beats électro et influences trap. Installé en France pour pouvoir faire entendre sa voix par la musique – « Là-bas [en Palestine], on accorde moins d'importance à l'art et à la culture. Je ne peux pas vivre de ça, ni me faire entendre si je reste » [interview Le Courrier de l'Atlas] –, il affirme l'urgence d'une expression artistique libre et politique. Sa musique reflète une jeunesse palestinienne multiple, urbaine et connectée au monde. Là où l'on parle de guerre, il insuffle la fête comme réponse. Là où l'on veut faire taire, il fait danser.
À travers ces propositions, SUDS choisit à nouveau de faire de la scène un lieu d'écoute, de mémoire, et de solidarité. Dans un paysage culturel qui a parfois tendance à l'apolitisme confortable, offrir une scène, un public, une écoute devient une responsabilité éthique pour les institutions culturelles.
Du 14 au 20 juillet 2025 à Arles, on ne viendra pas seulement écouter de la musique. On viendra honorer la force d'un peuple, la beauté d'une culture, et la puissance de l'art comme dernier bastion de liberté.

Océans : jusqu’où faut-il en arriver pour que la situation soit prise au sérieux ?

Alors que s'achève le sommet des océans de Nice, un ensemble de chercheurs en écologie marine et océanographes dresse un premier bilan et propose quelques principes fondamentaux pour susciter le sursaut collectif que la situation appelle. « La conférence UNOC3 aurait pu être l'occasion pour la France de prendre le leadership d'une transition écologique du secteur de la pêche et d'une réelle protection des écosystèmes marins. Mais les mesures annoncées lundi dernier par le Président sont très loin de cela ».
13 juin 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
Les écosystèmes marins subissent les impacts des activités humaines, en particulier dans les zones côtières où ils ont connu d'importantes pertes historiques d'habitat. Plus de la moitié de la surface des océans est soumise à la pêche industrielle et plus d'un tiers des stocks sont considérés comme surexploités[1],[2].
En Europe, la Politique Commune de la Pêche (PCP), malgré les moyens considérables qui lui sont alloués, échoue de manière systémique depuis des décennies à atteindre ses objectifs[3]. À peine la moitié des stocks pêchés dans l'Atlantique sont considérés en bon état, et des espèces emblématiques comme le maquereau et le hareng sont désormais hors de leurs limites de sécurité[4].
Face à ces constats alarmants, l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) et la communauté scientifique recommandent la mise en place d'aires marines protégées dont la couverture spatiale et les niveaux de protection soient suffisamment ambitieux pour produire des effets significatifs (10% sans aucune activité extractive et 20% sans pêche/infrastructures industrielles).
À l'instar de nombreux autres pays, la France a jusqu'à présent mis en avant une ambition essentiellement axée sur l'étendue de ses AMP, au détriment de mesures de protection réellement contraignantes. Les restrictions imposées aux activités humaines y restent souvent limitées, et la pêche industrielle, notamment au chalut (pélagique ou de fond), y est fréquemment permise. L'autorisation dans la très grande majorité des AMP françaises de la pêche au chalut de fond, pourtant reconnue pour ses effets particulièrement destructeurs sur les écosystèmes benthiques, est un enjeu clé pour le gouvernement français.
Cette situation s'inscrit à rebours des travaux scientifiques qui indiquent sans ambiguïté l'inefficacité de demi-mesures de protection[5],[6],[7]. En qualifiant de « protégées » des aires marines qui ne le sont pas, elle traduit aussi un mépris de la sémantique et du débat public sur le sujet.
À l'inverse, des aires marines véritablement protégées apporteraient des bénéfices importants : effets de régénération accompagnés de débordements dans les zones adjacentes (accessibles aux pêcheries)[8],[9], et possibilité pour les scientifiques de démêler les effets de la pêche de ceux du changement climatique. L'usage des AMP comme zones témoin est notamment essentiel pour établir des états de référence, et fournir des informations indispensables à la gestion des milieux marins.
Des bénéfices importants peuvent donc être obtenus avec des aires marines sous protection stricte. Pour autant, les AMP ne sont pas la solution miracle à la surexploitation des ressources marines et à ses effets sur les écosystèmes. Tout d'abord parce qu'elles ne font pas à elles seules diminuer la pression de pêche si cette dernière est simplement reportée hors AMP. Et aussi parce que la définition des AMP ne s'est pas toujours faite sur des critères d'intérêt écologique. C'est particulièrement vrai pour la protection des écosystèmes benthiques, écosystèmes qui restent mal connus, mal cartographiés et mal protégés.
Les niveaux d'exploitation actuels ne sont pas soutenables. Ils menacent à la fois le devenir de nombreux écosystèmes marins et aussi celui des filières de pêche qui en dépendent. C'est d'autant plus vrai que celles-ci sont par ailleurs soumises à un renchérissement tendanciel de l'énergie qui va se raréfier et qu'elles doivent se décarboner. Il est donc indispensable d'engager une transformation profonde de nos modes d'exploitation des ressources marines. Trop rares sont les voix qui abordent le sujet, notamment du côté du gouvernement. Même les constats les plus simples ne sont pas posés.
Avec l'intérêt général en tête, nous proposons ici quelques principes fondamentaux, en espérant susciter le sursaut collectif que la situation appelle.
• Les perturbations écologiques et socio-économiques liées à l'exploitation des écosystèmes marins dans un contexte de changement climatique sont largement imprévisibles. Cette réalité nouvelle rend illusoire la poursuite du statu quo. En particulier, la grande pêche industrielle, et notamment celle pratiquée au chalut de fond par des navires de plus de 25 mètres, doit être considérée comme un mode d'exploitation obsolète.
• Des formes alternatives de pêche existent, notamment en favorisant les arts dormants[10],[11],[12]. Mais à l'heure actuelle ces métiers sont mal reconnus et mal représentés. Ils ont besoin d'être rendus visibles, pris au sérieux et aidés par les pouvoirs publics. Ceci passe notamment par une réorientation des subventions aujourd'hui accordées massivement aux engins de pêche ayant les plus forts impacts environnementaux.
• L'abandon progressif et accompagné de la grande pêche industrielle au profit de filières respectueuses des écosystèmes doit s'accompagner d'une réduction des prises et donc aussi de la consommation. Le poisson pêché dans la nature est un bien rare et doit être consommé comme une fête.
• L'État doit assumer ses responsabilités et permettre à l'ensemble des parties prenantes de définir en concertation les chemins d'une transformation écologique et sociale, compatible avec la nécessaire préservation des écosystèmes marins, la prise en compte du sort des personnes qui travaillent dans les filières et l'accès des classes populaires aux produits de la mer.
La conférence UNOC3 aurait pu être l'occasion pour la France de prendre le leadership d'une transition écologique du secteur de la pêche et d'une réelle protection des écosystèmes marins. Mais les mesures annoncées lundi dernier par le Président sont très loin de cela : les 4 % de zones de « protection forte » n'interdisent que le chalutage de fond, et concernent principalement des zones profondes dans lesquelles cette technique est déjà bannie.
Elles permettent encore le chalutage pélagique, y compris par des navires industriels, et ne répondent toujours pas aux critères de protection stricte de l'UICN. Enfin, aucune vision sur la transition du secteur de la pêche n'a été esquissée. En dépit du volontarisme affiché par E. Macron en faveur du traité sur la haute mer (dont la portée restera très limitée), l'UNOC3 n'a fondamentalement rien réglé des pressions humaines qui dégradent toujours plus l'état des océans et des écosystèmes qu'ils abritent.
Jusqu'où faut-il en arriver pour que la situation soit prise au sérieux ?
Signataires :
Olivier Aumont (chercheur océanographe, IRD),
Xavier Capet (chercheur océanographe, CNRS),
Didier Gascuel (chercheur en écologie marine, Agro Rennes),
Sara Labrousse (chercheure en écologie marine, CNRS)
Notes
[1]IPBES (2019) : Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. https://files.ipbes.net/ipbes-web-prod-public-files/inline/files/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers.pdf
[2]FAO. 2024. La Situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 2024. Pour une transformation des systèmes agroalimentaires axée sur la valeur. Rome. https://doi.org/10.4060/cd2616fr
[3]Rainer Froese et al. Systemic failure of European fisheries management. Science 388,826828 (2025). DOI:10.1126/science.adv4341
[4] Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries (STECF) – 76th Plenary report (STECF-PLEN-24-02), PRELLEZO, R., NORD, J. and DOERNER, H. editor(s), Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2025, https://data.europa.eu/doi/10.2760/1035959, JRC140570.
[5] Turnbull, J. W., Johnston, E. L., & Clark, G. F. (2021). Evaluating the social and ecological effectiveness of partially protected marine areas. Conservation Biology, 35(3), 921-932.
[6] Zupan, M., Fragkopoulou, E., Claudet, J., Erzini, K., Horta e Costa, B., & Gonçalves, E. J. (2018). Marine partially protected areas : drivers of ecological effectiveness. Frontiers in Ecology and the Environment, 16(7), 381-387.
[7] Sala, E., & Giakoumi, S. (2018). No-take marine reserves are the most effective protected areas in the ocean. ICES Journal of Marine Science, 75(3), 1166-1168.
[8] Halpern, B. S., Lester, S. E., & Kellner, J. B. (2009). Spillover from marine reserves and the replenishment of fished stocks. Environmental Conservation, 36(4), 268-276.
[9] Sala, E., Costello, C., Dougherty, D., Heal, G., Kelleher, K., Murray, J. H., ... & Sumaila, R. (2013). A general business model for marine reserves. PloS one, 8(4), e58799.
[10] Zeller, D., & Pauly, D. (2019). Back to the future for fisheries, where will we choose to go ?. Global Sustainability, 2, e11.
[11] McClenachan, L., Neal, B. P., Al-Abdulrazzak, D., Witkin, T., Fisher, K., & Kittinger, J. N. (2014). Do community supported fisheries (CSFs) improve sustainability ?. Fisheries Research, 157, 62-69.
[12] Charles, A. (2023). Sustainable fishery systems. John Wiley & Sons.
P.-S.
• Les invités de Mediapart. 13 juin 2025 :
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/130625/oceans-jusquou-faut-il-en-arriver-pour-que-la-situation-soit-prise-au-serieux

Percer les mystères de l’océan, un défi crucial pour comprendre le climat

Malgré son rôle primordial dans la régulation du climat, l'océan reste sous-étudié par la science, faute de moyens. Dans les abysses, des phénomènes complexes risquent de s'avérer décisifs pour l'avenir, selon les océanographes.
13 juin 2025 | tiré de reporterre.net | Photo : P Ifremer / CC BY 4.0 / Treluyer Loic
https://reporterre.net/Percer-les-mysteres-de-l-ocean-un-defi-crucial-pour-affronter-la-crise-climatique
Une énorme éponge nous protège pour l'instant du chaos climatique : l'océan. Il absorbe 90 % de l'excédent de chaleur généré par nos émissions de gaz à effet de serre. Sans compter qu'il limite, en amont, l'ampleur du changement climatique en absorbant environ le quart de nos émissions de carbone.
Pour combien de temps encore ? L'éponge va-t-elle arriver à saturation ? À quelle vitesse ? Dans quelle proportion et avec quelles conséquences ? Ces questions obsèdent bon nombre de climatologues et océanographes, encore incapables d'y apporter des réponses satisfaisantes.
Acteur majeur du système climatique terrestre, l'océan est paradoxalement sous-étudié par la science. En 2020, les États n'y consacraient, en moyenne, que 1,7 % de leur budget de recherche, déplorait un rapport de l'Unesco.
En amont de l'Unoc 3 (la troisième Conférence des Nations unies sur l'océan qui se tient à Nice du 9 au 13 juin), un congrès scientifique mondial, porté par le CNRS et l'Ifremer, appelait les décideurs politiques à s'engager fortement pour l'océan, notamment en finançant davantage la recherche. Et en matière de relations climat-océan, les zones d'ombre à explorer sont légion.
Les mystérieuses turbulences de l'océan
« Contrairement à l'atmosphère qui est relativement transparente et qu'on observe bien par satellite, l'océan est complètement opaque à tout rayonnement, passé quelques mètres de profondeur », explique Sabrina Speich, océanographe et climatologue, professeure à l'École normale supérieure.
Il faut donc aller mesurer in situ ce qu'il se passe sous la surface. Mais les campagnes océanographiques coûtent cher et peinent à couvrir l'immensité des mers du globe. La tâche est d'autant plus ardue que l'océan est particulièrement turbulent. C'est-à-dire qu'il s'y forme une multitude de tourbillons, rendant la compréhension de la circulation océanique très difficile.
« On a dans l'océan l'équivalent des cyclones et anticyclones dans l'atmosphère sauf que c'est à beaucoup plus petite échelle, de l'ordre de 50 à 100 km de diamètre, là où les anticyclones sont de taille continentale. C'est inévitable puisque l'échelle de turbulence est en partie déterminée par la densité des fluides, et que l'eau est plus dense que l'air », souligne l'océanographe Marina Lévy, directrice de recherche au CNRS.
Les connaissances se sont affinées avec le déploiement, au début des années 2000, du réseau de 4 000 flotteurs automatiques du programme international Argo. Ces bouées dérivent au gré des courants, plongent jusqu'à 2 000 mètres de fond et renseignent la communauté scientifique sur la température et la salinité des eaux un peu partout sur la planète, complétant les nombreux autres réseaux de bouées, marégraphes et navires gérés notamment par le Système mondial d'observation de l'océan, programme appartenant à l'Unesco.
Les modèles numériques peinent à inclure les petits tourbillons
Évidemment, plus la science progresse, plus elle réalise la complexité colossale des phénomènes en jeu. « La topographie très complexe de la dorsale médio-atlantique, ces montagnes sous-marines au milieu de l'Atlantique qui remontent jusqu'à l'Islande, génère des mécanismes océaniques à très petite échelle. On a, pas exemple, des eaux qui vont cascader de 300 m à 2 000 m de profondeur, entre le Groenland et l'Islande », dit Virginie Thierry, physicienne océanographe et coordinatrice de la contribution française à Argo.
Créer des modèles numériques permettant de rendre compte et d'anticiper les évolutions possibles de l'océan s'apparente donc à une gageure. « Pour comprendre la réponse des océans aux évolutions climatiques futures, on a besoin d'un modèle global comprenant toute la surface de la Terre et de prendre en compte le plus de rétroactions possibles. Complexifier ainsi les modèles nécessite de la puissance de calcul, qui est mobilisée au détriment de la finesse de la résolution spatiale des simulations », expose Juliette Mignot, océanographe et directrice adjointe du laboratoire Locean.
La résolution des modèles du système Terre, l'équivalent de leurs pixels, est aujourd'hui de l'ordre de 100 km de large. Tous les phénomènes de plus petite échelle sont difficilement pris en compte et certains processus ne sont pour l'instant pas du tout intégrés.
« Ces modèles sont hydrostatiques, c'est-à-dire qu'ils considèrent la vitesse verticale des eaux comme négligeable. Ces mouvements verticaux sont mal connus », illustre Sabrina Speich. De même, certains petits tourbillons, plus petits que les pixels des modèles, parfois de moins de 15 km de rayon, sont mal pris en compte, « alors même qu'ils semblent avoir un rôle clé dans les échanges avec l'atmosphère », dit l'océanographe.
La circulation océanique détraquée par le réchauffement
Inévitablement imparfaits, les modèles sont tout de même cohérents, corrigés et affinés continuellement en étant confrontés aux observations. Si leur amélioration reste un enjeu crucial, c'est parce qu'ils visent à mieux comprendre la circulation océanique globale, qui constitue le cœur du thermostat planétaire. C'est elle qui fait de l'océan une éponge climatique.
Pour comprendre ce qui concentre les efforts des océanographes, il faut revenir un instant sur le fonctionnement de cette éponge. Le moteur de cette circulation, c'est la différence de densité entre les eaux. Plus une eau est froide et salée, plus elle est dense.
Schéma simplifié de la circulation océanique profonde engendrée par des écarts de température et de salinité des masses d'eau. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Robert Simmon, Nasa/Miraceti
Or, l'océan se refroidit en approchant des pôles. Il y devient également plus salé, car lorsque l'eau se change en glace, elle rejette le sel dans l'eau de mer, où la concentration augmente donc au fur et à mesure de la formation de la banquise. Les masses océaniques aux hautes latitudes sont donc plus denses, et vont plonger en profondeur. Elles entraînent comme un tapis roulant les courants en surface depuis les zones chaudes des tropiques vers les pôles, tandis que les courants en profondeur font le chemin inverse.
Cette boucle gigantesque est appelée « circulation méridienne de retournement » ou Moc, et Amoc pour l'océan Atlantique (Atlantic Meridional Overturning Circulation). Ce mécanisme est essentiel pour les deux facettes de notre éponge planétaire.
D'une part, ce brassage avec les abysses permet de stocker en profondeur la chaleur emmagasinée par l'océan. D'autre part, il transporte le CO2 qui se dissout naturellement à la surface de l'océan jusqu'aux fonds marins, permettant aux couches océaniques de surface de ne pas saturer et de continuer à retirer du CO2 de l'atmosphère. Ce qu'on appelle la « pompe physique à carbone ».

L'Amoc est un ensemble complexe de courants océaniques qui traversent l'Atlantique, dont le fameux Gulf Stream, ici représenté. Il joue un rôle crucial pour redistribuer la chaleur sur le globe. Nasa/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio
Mais le changement climatique perturbe lui-même grandement cette mécanique. La fonte de la banquise et le réchauffement de l'océan vont très probablement ralentir l'Amoc dans les prochaines décennies, en modifiant sa température et sa salinité, d'après le consensus scientifique sur le sujet. Même si l'intensité et la vitesse de cet affaiblissement sont entourés de très vastes incertitudes.
La dangereuse stratification de l'océan
Au-delà de l'Amoc, le réchauffement de l'océan affaiblit dangereusement ce mélange vertical des eaux océaniques. On l'a vu : plus l'eau est chaude, moins elle est dense et moins elle peut plonger vers les profondeurs. Sous l'effet du réchauffement planétaire, la couche de surface de l'océan se réchauffe et il devient de plus en plus difficile de réunir les conditions pour qu'elle se mélange aux eaux très froides des abysses. Autrement dit, plus le contraste de température entre les couches de l'océan est important, plus l'océan est stratifié, plus cette différence de densité entre les eaux va constituer une barrière compliquée à franchir.

La couche de surface de l'océan est mélangée par les vents et absorbe de plus en plus de chaleur atmosphérique. Ajouté à d'autres phénomènes, cela intensifie la stratification et réduit le mélange avec l'océan profond, les couches devenant trop contrastées, comme de l'huile sur de l'eau. © Jean-Baptiste Sallée, Locean (CNRS/MNHN/IRD/Sorbonne Université)
En 2021, une étude, publiée dans la revue Nature et menée par des chercheurs du CNRS, de Sorbonne Université, et de l'Ifremer, s'inquiétait de ce phénomène. Le réchauffement de la couche de surface stabiliserait depuis cinquante ans l'océan à un rythme six fois supérieur aux estimations passées, entravant les capacités de mélange des eaux, donc cette absorption en profondeur de la chaleur et du CO2.
Énième illustration de la complexité et des interactions entre phénomènes océaniques : ce blocage du mélange des eaux limite également les échanges d'oxygène et de nutriments entre la surface et les abysses. Avec pour conséquence de menacer le développement du plancton, ces organismes extrêmement divers qui constituent le socle des écosystèmes marins.

Cette espèce phytoplactonique (Lepidodinium chlorophorum) est responsable de cette eau colorée verte en baie de Vilaine. Lesbats Stephane / CC BY 4.0 / Ifremer
Or, ce plancton absorbe aussi du carbone, qu'il contribue à pomper vers les abysses lorsque les organismes et les particules organiques chutent vers le fond. « Cette pompe biologique contribue à réduire le CO2 dans l'océan de surface et à activer la pompe physique du carbone. Mais on ne sait pas si cette pompe biologique diminue ni quelles en seraient les conséquences. La plupart des modèles intègrent quelques groupes de planctons mais la réalité est beaucoup plus complexe, on travaille à l'intégrer plus finement », dit Marina Lévy.
1 200 capteurs plongeant jusqu'à 6 000 mètres
« Tout l'enjeu de nos travaux, c'est de réduire les incertitudes, résume Virginie Thierry. On connaît très mal l'océan profond mais on sait qu'environ 10 % de la chaleur en excédent va sous les 2 000 m. On a besoin de mieux comprendre la contribution de l'océan pour boucler le bilan énergétique de la planète. »
Explorer l'océan sous les 2 000 m, c'est l'ambition du déploiement des nouveaux flotteurs Argo, baptisés OneArgo, bardés de nouveaux capteurs et dont quelque 1 200 devraient être capables de plonger jusqu'à 6 000 m.
« Un soutien financier durable et renforcé est urgent »
En amont de l'Unoc, Virginie Thierry et des dizaines de ses collègues internationaux signaient un article dans la revue Frontiers in Marine Science. Un appel collectif à investir « en urgence » dans le programme Argo, financé aujourd'hui pour moitié par les États-Unis, dont la politique antiscience fait craindre pour la pérennité du projet.
« Un soutien financier durable et renforcé est urgent pour permettre à OneArgo de se déployer pleinement et donner à nos sociétés les moyens de préserver les nombreux services que l'océan nous rend et de faire face aux défis climatiques et environnementaux majeurs actuels », résume l'Ifremer. La plupart des océanographes dans le monde pourraient en dire autant.

Un avant et un après l’UNOC 3 ?

Si la conférence sur les océans, tenue à Nice durant la deuxième semaine de juin, a été grandement médiatisée et a permis plusieurs développements prometteurs pour la protection des océans, beaucoup de ceux-ci ne sont que des étapes dans la réalisation de projets encore à venir et de nombreux espoirs y ont fait naufrage.
La Conférence des Nations unies sur l'océan (UNOC), a réunis du 9 au 13 juin à Nice sur la Côte d'Azur plus de 100 000 personnes, 12 000 délégations de 175 pays, 115 ministres, 64 chefs d'État et 28 responsables d'organisations onusiennes, représentant au total près de 85 % du volume des ressources de la planète et plus de 90 % des zones économiques exclusives mondiales.
Une conférence nécessaire
Michel Prieur, professeur de droit de l'environnement et président du centre international de droit comparé de l'environnement, participait à l'UNCO 3. Il explique que cette conférence est nécessaire pour avoir une vision globale des enjeux qui s'entremêlent quand il est question de la mer. « Il y a déjà de nombreux traités sur la mer », affirme-t-il en mentionnant le traité de portée générale sur les droits de la mer de 1982 et de nombreuses conventions spéciales sur des pollutions particulières qui ont été instituées il y a assez longtemps et n'intègrent pas les nouvelles données environnementales. « Donc, il était nécessaire de réactiver le droit lié aux océans. C'est depuis Rio 92 ou il a été démontré que la mer était un milieu fragile qui était victime de pollution. » C'est d'abord toutes les catastrophes des déversements d'hydrocarbures qui ont alerté l'opinion publique et les gouvernements. Il y a aussi eu les découvertes scientifiques sur les richesses de la mer, la biodiversité, la crise alimentaire et la surpêche. « Tout ça faisait un ensemble. On ne pouvait pas traiter séparément la pollution par les hydrocarbures, les poissons, les recherches sous-marines. Il fallait une réflexion intégrée horizontale et c'est l'objet des conférences sur les océans. » Celle à Nice en est la troisième.
Avancées
Les organisateurs sont satisfaits de l'événement. L'envoyé spécial de la France et organisateur de l'UNOC 3, Olivier Poivre d'Arvor, affirme à ce sujet que « Nice a gagné le pari de l'océan ». Les avancées sur le traité international de protection de la haute mer et de la diversité marine ont motivé le président Macron à annoncer sa mise en vigueur en janvier 2026, bien qu'il manque quelques voix promises. Pour Rym Benzina Bourguiba, présidente de la saison bleue (Tunisie), obtenir 55 ratifications fermes alors qu'auparavant il y en eût 22 ou 23, c'est un bon pas, considérant ceux qui seraient à venir. « Avec 15 autres ratifications qui vont venir d'ici septembre, ça va être annoncé à New York, ce moratoire sur la haute mer, c'est très important. » Enseignant-chercheur à Sciences Po Bordeaux et à Bordeaux Sciences Agro, Pierre Blanc, auteur de « Géopolitique et climat », considère que les avancées de l'UNOC 3 montrent une vivacité du fonctionnement multilatéral.
La résolution de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) d'interdire les subventions aux techniques destructrices, qui a été ratifiée par 103 États, serait une autre avancée. « Cela représente environ 3 000 bateaux, il en faudrait 3 600, soit 10 pays supplémentaires, pour que la résolution entre en vigueur », a affirmé le directeur des politiques internationales de la Fondation Tara, André Abreu.
En ce qui concerne la réduction de la production de plastique, 96 pays ont signé une déclaration d'intention en ce sens. Ils représentent plus de la moitié des 170 pays impliqués dans les négociations du « traité plastique » qui dure depuis 2022 et dont le cinquième round doit reprendre en août à Genève. La ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, est directe à ce sujet. « Ce que nous voulons, c'est un traité qui fixe un objectif de long terme avec une trajectoire de réduction à respecter ». Le ministre de l'Environnement des îles Salomon, Trevor Manemahaga affirme que « C'est la pollution de l'océan qui est en jeu, la santé de nos enfants qui est en jeu, l'avenir de la planète qui est en jeu. » Il y aurait environ 460 millions de tonnes de plastique qui auraient été produites en 2024, une quantité qui pourrait tripler d'ici à 2060.
Moins bon point
La conférence a cependant essuyé certaines critiques, notamment au sujet des engagements financiers jugés insuffisants et du manque de progrès concret obtenu. La chef de délégation de Greenpeace International à l'UNOC, Megan Randles, commente à ce sujet : « Nous avons entendu beaucoup de belles paroles ici à Nice, mais elles doivent se transformer en actions. »
Il y a aussi eu 100 milliards de dollars d'aide qui ne se sont pas matérialisés. Cet argent serait nécessaire. Selon le président de la Polynésie française (300 000 habitants sur 118 îles), Moetai Brotherson, les nations insulaires sont « des colosses avec des épaules gigantesques et des tout petits pieds », puisqu'ils représentent moins de 0,1 % du PIB mondial réparti sur un tiers de la surface du globe.
La présidente des îles Marshall (42 000 habitants sur 29 îles), Hilda C. Heine, a affirmé que « trop peu de choses sont faites et trop lentement. »
Le président des Palaos (21 000 habitants sur 340 îles), Surangel Whipps Jr. demande aux pays riches de mettre en pratique leurs discours sur la protection des océans, mettant au défi ces pays : « Si vous voulez vraiment protéger les océans, prouvez-le. »
Le ministre de l'Environnement du Vanuatu (320 000 habitants sur 83 îles), Ralph Regenvanu, a affirmé « Nous vivons votre avenir. Si vous pensez être en sécurité, vous ne l'êtes pas. » Son pays a d'ailleurs saisi la justice internationale pour obliger les États développés à réduire leurs émissions de CO2.
Principales responsables du réchauffement climatique, les énergies carbonées ont aussi été peu discutées à la conférence. Selon l'ancien émissaire américain pour le climat, John Kerry, présent à Nice, « il est impossible de protéger les océans sans s'attaquer à la principale cause de leur effondrement : la pollution due aux combustibles fossiles injectés sans relâche dans l'atmosphère. » Bruna Campos, de l'ONG Ciel commente à ce sujet que d'« ignorer l'impératif de sortir du pétrole et du gaz offshore n'est pas seulement une injustice : c'est inadmissible. »
Une conférence historique malgré ses faiblesses ?
Pour l'artiste fondateur du projet archipel de l'UNOC, Yacine Aït Kaci, cette conférence lui fait penser à la COP21 à Paris. « Il y a vraiment eu un avant et un après, en tout cas au niveau de la mobilisation de la société civile et de la prise de conscience collective. Je crois qu'il s'est vraiment passé quelque chose à Nice cette semaine, et donc, dans le monde. »
Dans une entrevue donnée à TV5 Monde diffusée le 14, juin, le docteur François Gemenne qui est un des auteurs du dernier rapport du GIEC, considère que la conférence sur l'océan à Nice est aussi une opération de communication qui permet de mettre le sujet dans l'actualité et de créer une certaine forme de dynamique politique, comme cela se serait produit avec le traité sur la haute mer. L'UNOC 3 serait donc aussi un exercice de communication. « Sincèrement, sur quel autre sujet peut-on aujourd'hui trouver autant de gouvernements avec un but commun ? Il ne reste quasiment plus que l'environnement, il faut bien le dire. »
Michel Gourd
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Cinéma expérimental et mépris de classe : une histoire critique (partie 2)
ANNÉES 45 À AUJOURD’HUI : LE MÉPRIS PAR LE CINÉMA SE DONNE DES MOYENS
Pour aider à vous souvenir où j’en étais la dernière fois, voici des extraits de la conclusion de mon premier article : La première génération expérimentale trouve son origine dans une partie de la classe petite-bourgeoise intellectuelle européenne, qui utilise le cinéma pour se distinguer à la fois par sa production et par sa cinéphilie, des classes supérieures, moyennes et travailleuses qui participent ensemble à la production sociale (au sens large) dominante du cinéma. La petite-bourgeoisie expérimentale de première génération se distingue de toutes ces classes : elle passe par des circuits de production (circulation, distribution, publicité, etc.) parallèles, dans les cas où elle se soucie d’être un minimum vue, ce qui empêche la consommation de masse de ses films ; elle rend aussi ses films incompréhensibles pour la cinéphilie dominante. Le cinéma parlant, en augmentant drastiquement le prix de la fabrication des films, causera des obstacles productifs à l’autonomie intellectuelle de cette classe, autonomie qu’elle ne laissera même pas tomber pour intégrer par exemple la production militante ouvrière des années 20-30. La première génération ne saura pas résoudre le problème du financement de son cinéma, véritable obstacle à son autonomie, et en conséquence le cinéma expérimental s’essoufflera, jusqu’à son relancement par la deuxième génération après la Deuxième Guerre mondiale. En effet, dans les années 30-45, en Europe, le développement des esthétiques précédemment associées au cinéma expérimental (souvent sous la forme des courants) diminue, et presque aucun film marquant rattaché aujourd’hui au cinéma expérimental n’est produit. Le projet de la création d’organisations de production (au sens plus strict) autonome, sous forme notamment de coopératives, est cependant déjà envisagé.
Raphaël Simard

Entre les deux générations : des problèmes de production et de transmission
Dans les années 30 et jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (donc 1930-1945), le cinéma expérimental est surtout constitué de courants mineurs et/ou plus isolés que dans la décennie 20[i]. Les faits décisifs de ces années dans le relancement ultérieur du cinéma expérimental sont l’émergence du cinéma expérimental états-unien (et non plus européen comme dans la première génération), dont la première avant-garde nationale de 1927 à 1934 est d’ailleurs composée de critiques et de cinéastes et non plus d’artistes d’autres disciplines (comme c’était le cas souvent dans la première génération) ; et le rôle joué par des passeurs « entre la première avant-garde européenne [que l’on a vu dans le précédent article] et l’avant-garde américaine d’après-guerre », comme le Tchécoslovaque Alexander Hackenschmied qui anticipait déjà le « cinéma de transe » des années 40 dans son film de 1930 :
Émigré aux États-Unis après avoir réalisé avec Herbert Kline et Hans Burger le long-métrage Crisis, pour Frontier Films [une structure de cinéma militant], sur la montée du fascisme dans son pays, [Hackenschmied] épouse Maya Deren et coréalise avec elle […] le film fondateur de la nouvelle avant-garde américaine : Meshes of the Afternoon (1943). Oskar Fischinger et Hans Richter […] quittent eux aussi l’Allemagne et deviennent de remarquables passeurs.[ii]
L’avant-garde américaine des années 30 reste donc « composée de cinéastes isolés[iii] ». Ce n’est pas surprenant : la distinction sociale par le capital culturel telle que la décrite Pierre Bourdieu ne se fait pas de manière mécanique, sans intervention des sujets collectifs — les classes dominantes doivent en effet transmettre le capital culturel à la prochaine génération, sans quoi leur position sociale ne persisterait pas :
[Le modèle bourdieusien de la distinction] octroie tout d’abord une place importante à la stratification temporelle des goûts et des pratiques, qui se manifeste en particulier, dans l’espace de la production comme dans celui de la consommation culturelle, à travers les cycles d’innovation et la succession des avant-gardes. Les productions culturelles sont soumises, comme l’ensemble des produits, à un phénomène de cycle de vie qui s’agrémente de mouvements inverses de banalisation et de réhabilitation culturelle déplaçant périodiquement la frontière qui sépare le domaine de la culture savante de celui de la culture populaire. Cette dynamique temporelle entre de ce fait en composition avec une série de clivages générationnels.[iv]
C’est exactement ce qu’il faudra attendre pour voir un relancement de la production de films expérimentaux. Nous verrons que la transmission se fera sur la base d’une nouvelle cinéphilie, et que la nouvelle génération aura la particularité par rapport à la première (les premières avant-gardes européennes) de se doter de moyens productifs plus grands pour assurer au long cours la transmission du capital culturel qui fait qu’encore aujourd’hui il y a du cinéma expérimental[v].
La deuxième cinéphilie dominante est une cinéphilie petite-bourgeoise intellectuelle
La seconde grande cinéphilie qui se développe au XXe siècle, appelée cinéphilie « moderne » ou « savante » par Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, se construit dans une certaine mesure en opposition à la première cinéphilie dominante (la cinéphilie que j’appelais « de masse » ou « ordinaire » dans le premier article)[vi]. Le dédain et le silence sur la première cinéphilie dans la recherche universitaire en cinéma, et ce au moins encore en 2010, en rendent compte, comme le soulignent les deux auteurs, en accord avec le critique Philippe d’Hugues[vii]. Cette nouvelle cinéphilie peut être considérée comme la deuxième cinéphilie dominante selon moi, au sens qu’elle sera défendue par des moyens matériels qui en assureront la domination idéologique et la reproduction, qu’elle sera en accord avec les aspirations d’une classe plus dominante que dominée, et qu’elle servira d’outil idéologique participant au maintien des classes (antagonistes ou non). Je veux en effet défendre que cette deuxième cinéphilie dominante est portée par le sujet collectif de la petite-bourgeoisie intellectuelle en général et non en partie (tout comme la première génération). Cette seconde génération s’inscrira dans le cours de ce que Jullier et Leveratto appellent « l’institutionnalisation de l’expertise cinématographique » dans les décennies 40 et 50, en Europe et aux États-Unis[viii]. Le rôle joué conjointement par les universités et les États y est primordial : en France par exemple, cela passe par la « création par l’État d’un dispositif de contrôle économique de l’industrie cinématographique, le CNC, d’un dispositif de valorisation de la production française, le Festival de Cannes, mais aussi par la reconnaissance officielle de l’importance de son étude à l’Université. »[ix] Le rôle matériel fondamental que seront amenés à jouer les universités et les États dans le cinéma expérimental de deuxième génération se comprend à la lumière du coût plus grand des films avec le cinéma parlant, qui obligeait, comme nous l’avons déjà vu, à trouver une source de financement plus grande et plus stable pour le cinéma expérimental. Cette condition matérielle était selon moi un frein à l’aspiration d’autonomie intellectuelle de la classe petite-bourgeoise intellectuelle du cinéma expérimental, et explique qu’elle trouvera le relancement de sa production de films seulement dans des institutions lui promettant une relative autonomie productive. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la deuxième génération sera surtout impulsée, sans s’y réduire du tout, par des États-Uniens. Les universités américaines ont commencé avant les universités des autres nations à s’intéresser au cinéma de manière scientifique : elles commencent à « intégrer, dans les années 20, [l’étude du cinéma] dans leurs cursus littéraires, économiques et sociologiques. Des cours d’enseignement apparaissent [aux États-Unis dès cette époque]. »[x] En un mot, la recherche cinématographique est progressivement intégrée à l’Université que ce soit en France vers 1940 ou aux États-Unis dans les années 20. Ce phénomène traduisait le fait que l’Université en général est un lieu particulièrement peu accessible pour les classes travailleuses. En France à l’époque : « [l’] Université […] ne connaît pas encore le phénomène de démocratisation des études supérieures que vont instaurer les années 60. »[xi] Jullier et Leveratto affirment qu’en France, la composition sociale de l’Université et l’autonomie obtenue grâce et face aux institutions publiques mènent au postulat fondamental de la conception du cinéma de la cinéphilie savante : l’autonomie revendiquée de l’art, dont le cinéma, par rapport à la société[xii]. Cependant, ce postulat de la cinéphilie savante donne lieu à deux attitudes, une socio-politique et une esthétique, qui se contredisent : cette cinéphilie présente d’un côté la volonté d’étudier le cinéma en montrant péjorativement le fait qu’il est assujetti aux grandes entreprises et aux idéologies « conservatrices » ; la même cinéphilie présente, de l’autre côté, l’affirmation d’une valeur intrinsèque et artistique du cinéma, par sa seule forme, donc qui devrait être étudié en dehors de son contexte social[xiii]. Le postulat de cette cinéphilie mène à des postures et des pratiques (comme nous le verrons), en apparence contradictoires, qui ne peuvent donc pas définir cette cinéphilie : je tenterai de trouver l’unité de celle-ci encore une fois dans la cohérence avec une même condition matérielle et un même usage du cinéma comme outil de distinction et de prise d’autonomie intellectuelle.
On peut considérer généralement la deuxième cinéphilie dominante comme une position permise par une autonomie matérielle partielle par rapport à l’État et au marché du film que n’avait pas (même si les critiques professionnels avaient une certaine indépendance vis-à-vis du marché du film) la petite-bourgeoisie intellectuelle intégrée au marché dans les années 20-30. En effet, aux États-Unis, selon Jullier et Leveratto (et on peut le supposer en Europe aussi), les nouvelles classes moyennes vont utiliser les universités comme moyen pour développer une cinéphilie qui leur permettra de se distinguer de la cinéphilie de masse d’alors :
Shyon Baumann [chercheur] rend compte […] du fondement sociologique de ce processus d’émergence d’une expertise cinéphile savante et de sa promotion d’une valeur artistique du cinéma. S’appuyant sur La distinction de Pierre Bourdieu, il y reconnaît un phénomène de revendication par les classes moyennes nouvelles, dont l’expansion a été favorisée par l’énorme développement du secteur des services à partir de la seconde guerre mondiale, d’une consommation culturelle commune jusqu’alors relativement méprisée. Aux États-Unis cette conversion du cinéma en instrument de distinction culturelle est alimentée, à partir des années 50, par l’importation de films européens [dont des films expérimentaux] et d’écrits de critiques étrangers […]. La consommation avide de ces films et de ces écrits, diffusés par les Art Houses (les [salles de cinéma] d’art et d’essai) et les Universités, a ainsi permis d’instituer la légitimité culturelle d’une certaine forme de consommation cinématographique qui est devenue un marqueur de supériorité culturelle de celui qui la maîtrise. On observe donc aux États-Unis comme en France, ce que Shyon Baumann caractérise comme la conversion d’un certain discours sur le cinéma en capital culturel […].[xiv]
Il y a un véritable mépris pour le cinéma de masse d’alors, tant dans plusieurs des facteurs ou critères de son goût qu’est la cinéphilie de masse que dans son mode de production au sens large des films, c’est-à-dire la valeur marchande établie par les grandes entreprises. Comme mentionné plus haut, le cinéma produit par le cinéma expérimental choquera parfois les goûts de la masse, par sa morale ou son propos politique, mais d’autres fois il se rendra incompréhensible pour le consommateur ordinaire, montrant à ce dernier ainsi l’invalidité ou l’incapacité de son jugement cinématographique :
Réservé aux individus capables de faire l’effort de personnaliser leur jugement, ce jugement [le jugement de la cinéphilie savante] n’est pas accessible à la masse des consommateurs attentifs uniquement au plaisir que leur procure le film [ceci est une tournure ironique qui fait référence notamment à l’importance des émotions dans la cinéphilie de masse]. La qualité cinématographique se définit du même coup par sa capacité à décevoir l’attente du consommateur ordinaire, incapable de vraiment juger les films.[xv]
Un lien étroit entre progressisme socio-politique et progressisme des formes esthétiques est évident dans cette cinéphilie : la « tradition » esthétique est associée au conservatisme au sens politique et social, l’innovation esthétique est associée au progressisme[xvi]. Les consommateurs ordinaires, typiquement les classes populaires, sont considérés comme pris dans la tradition et le conservatisme, et il convient de le leur montrer, en faisant des films qui leur rappelle leur incapacité : « on peut dire [de cette cinéphilie qu’elle est] “moderne” au sens où elle fait des cinéphiles qui ne se soumettent pas à son esthétique des “autres”, prisonniers de la tradition, victimes de leur sens [leurs émotions, par exemple], et dupés par la magie cinématographique des blockbusters. »[xvii] Or, cette disposition à la lutte politique, que n’avaient presque pas les cinéastes expérimentaux de la première avant-garde européenne, se verra dans le cinéma expérimental de deuxième génération, mais surtout dans les années 60 :
Les années 60 voient la contestation [dans la société en général] embraser tous les domaines : lutte contre la censure ([Jonas] Mekas ira en prison) pour avoir projeté Un chant d’amour, de Jean Genet), contre la guerre du Vietnam, pour les droits civiques des minorités, pour la reconnaissance de la culture gay [on pourrait ajouter : pour les droits reproducteurs féminins]. Le cinéma underground [appellation d’un courant plus précis de cette époque et dominant le cinéma expérimental] est en phase avec tous ces mouvements.[xviii]
Dès lors, on peut comprendre les films politiques choquants (pour le cinéphile de masse) de la seconde avant-garde du cinéma expérimental, avant-garde qui sera aussi intégrée à l’Université (nous le verrons plus bas), comme une rupture avec la première cinéphilie qui valorisait l’éthique dans le jugement cinématographique, rupture permise par l’autonomie partielle du sujet collectif qui les produit face à l’État et au marché : « L’irrévérence, la réhabilitation du corps, l’hédonisme fonctionnent comme autant de détonateurs au sein d’un cinéma encore marqué par les contraintes du code Hays, le code moral régissant la production américaine de 1930 à 1968. »[xix] Ainsi sont unifiées les deux postures contradictoires fondamentales de la deuxième cinéphilie dominante, l’une socio-politique et l’autre esthétique, par une même distinction de classe et par une revendication d’autonomie.
À la lumière de la base matérielle et du postulat fondamental de la deuxième cinéphilie dominante, nous pourrons désormais comprendre le rapport entre les deux cinéphilies dominantes du XXe siècle. Plus exactement, il faut expliquer pourquoi la cinéphilie savante reprend en général les présupposés de la cinéphilie de masse que j’ai identifiés bien plus haut : le rapport affectif/émotionnel au cinéma, le statut du cinéma comme art au-delà de la production capitaliste, l’intérêt pour la technique du cinéma, le respect d’une certaine éthique au cinéma, et la conception du cinéma comme création personnelle[xx]. Avant tout, il faut dire que la reprise des présupposés n’est pas surprenante, dans la mesure où la cinéphilie savante provient de classes moyennes nouvelles, donc en partie de transfuges venant des classes travailleuses accédant à l’Université, et en partie de la petite-bourgeoisie intellectuelle autrefois intégrée au marché (du cinéma) et qui entre désormais à l’Université ; en somme, toutes des classes qui partageaient la cinéphilie de masse. Selon la théorie bourdieusienne, « certains domaines culturels qui relèvent de la culture populaire d’une génération peuvent […] s’incorporer à la culture savante des générations suivantes » ; la reprise que je vais décrire n’est donc pas étrangère du tout au processus de transmission générationnelle du capital culturel[xxi]. La position elle-même de la petite-bourgeoisie intellectuelle qui développe la cinéphilie savante la met dans un rapport ambivalent à la société : bien que l’Université lui donne une autonomie certaine dans la recherche, elle dépend tout de même de l’État et du marché dans une grande mesure pour continuer son activité, ce qui la pousse selon moi à s’intéresser au cinéma de masse, au cinéma valorisé par la cinéphilie de masse. Ce qui change dans la cinéphilie savante et le cinéma expérimental de deuxième génération, par rapport à la précédente cinéphilie, c’est que l’usage de ces présupposés n’est plus accessible à la masse comme il l’était dans la critique professionnelle des années 30 ou dans les livres d’histoire du cinéma des années 20 ; seuls ceux ayant ce capital culturel, cette cinéphilie savante, ses codes précis, peuvent les utiliser, les maîtriser ; ces présupposés deviennent autant de manières de se distinguer de la masse, et ils le permettent d’autant plus qu’ils sont des présupposés communément partagés par la masse[xxii].
Je veux repasser les points que j’ai énoncés au début de ce dernier paragraphe qui formaient la première cinéphilie, pour voir leur redéploiement dans la seconde. Le rapport affectif/émotionnel au cinéma n’est plus une capacité de tous les spectateurs : il demande désormais de faire l’effort de se créer un jugement personnel, c’est-à-dire en réalité d’intégrer les codes du bon discours sur les œuvres, les références à connaître, le vocabulaire scientifique de la recherche, etc.[xxiii] Autrement dit, l’émotion et « le plaisir que […] procure le film » ne peuvent plus être simplement vécus et exprimés dans le langage courant, car ils sont vus comme opposés, antinomiques à l’analyse formelle du cinéma, anti-scientifiques[xxiv]. Elle doit être intégrée à un discours savant sur les qualités formelles du film, discours qui remplace l’écoute en tant que moment propice à l’émotion. Le statut du cinéma comme art ayant une valeur supplémentaire, supérieure à celle du profit fait par la grande production, conception qui était en germe dans la cinéphilie de masse, devient avec la cinéphilie savante une catégorisation entre les films d’art produits et défendus par les cinéphiles savants, et les films commerciaux aimés par la masse parce que cette dernière est jugée fondamentalement conservatrice (typiquement les blockbusters)[xxv]. L’intérêt pour la technique du cinéma passe désormais par le retour à un art abstrait et plastique déjà présent dans la cinéphilie de la première génération expérimentale (« agir sur la pellicule même, grattée, trouée, striée, maculée de peinture cellulosique, rayée ou brûlée, ou chez d’autres artistes, […] retravailler le film numériquement[xxvi] »), ou même sans image (comme dans le cinéma « structurel » de Tony Conrad où il n’y a parfois que des clignotements) ou sans histoire ressemblant de près ou de loin à la réalité du consommateur de masse (comme le « film de transe » qui montre une expérience subjective, dans un monde ressemblant au rêve sans que le film rende explicite qu’il s’agisse d’un rêve)[xxvii]. Le respect d’une certaine éthique au cinéma passe désormais parfois par un cinéma qui choque, car il s’attaque à la morale des films ou de la société (pensons au « cinéma du corps » et à ses scènes de violence et de sang, ou encore aux scènes érotiques mêlant violence et fluides corporels d’un Kenneth Anger), et ce, de manière souvent trop excessive pour être recevable pour le consommateur moyen habitué en plus à une éthique du cinéma fortement teintée par la religion chrétienne. En général aussi, la séparation entre le cinéma et la grande production capitaliste — qu’elle soit revendiquée dans la théorie et la critique, ou qu’elle soit actée par la production dans d’autres circuits — s’accompagne d’une prétention à une supériorité morale ou éthique selon Jullier et Leveratto[xxviii]. La conception du cinéma comme création personnelle du cinéaste passe désormais notamment par ceci que les cinéastes du cinéma underground « se veulent uniquement cinéastes et expriment [par leur film et leur activité de cinéaste] leur moi profond (ils jouent eux-mêmes dans leurs films) plutôt que les préceptes d’une école [comme c’était le cas dans l’avant-garde européenne][xxix] ». Aussi, il est intéressant de remarquer que, si la cinéphilie savante se distingue des cinéphiles de la masse, elle admet les mêmes présupposés que cette dernière. Pour faire cela, elle a besoin au surplus d’appliquer ces présupposés sur des objets culturels de masse, par exemple dans sa théorie ou sa critique. Autrement dit, elle a besoin de regarder et commenter les films regardés par la masse, au contraire de la cinéphilie expérimentale de la première génération qui rejetait le cinéma dominant d’un bloc[xxx]. Elle s’adresse à tout le monde comme le faisaient les critiques professionnels, mais pour dire à tout ce monde qu’il ne vaut pas la peine qu’elle lui parle, tant il est incompétent[xxxi].


En bref, la cinéphilie savante développe un postulat fondamental, socio-politique et esthétique, d’autonomie du cinéma, postulat conditionné par l’autonomie matérielle partielle que la petite-bourgeoisie intellectuelle acquiert face soit au marché pour la petite-bourgeoisie qui lui était intégrée dans les années 20-30, soit au milieu de l’art moderniste pour les expérimentaux des mêmes années, en intégrant l’Université et les institutions publiques. Les deux postures contradictoires fondamentales de la deuxième cinéphilie dominante, l’une socio-politique et l’autre esthétique, trouvent leur unité, leur cohérence dans une même distinction de classe et par une revendication d’autonomie. Cette autonomie partielle la place dans une situation de dépendance en même temps que d’indépendance matérielle face à toutes celles-ci, ce qui l’oblige à s’intéresser au cinéma de masse. Elle reprend donc les présupposés de la cinéphilie de masse, mais de manière à mépriser la capacité de jugement cinématographique des classes inférieures et moyennes qui partagent cette cinéphilie de masse. Du même souffle, elle veut critiquer la capacité de production cinématographique des classes supérieures qui produisent le cinéma de masse. Toutes ces classes seraient les prisonniers et/ou les défenseurs du « conservatisme » de la forme cinématographique (esthétique) et de la société (socio-politique).
La deuxième génération du cinéma expérimental : sa classe et sa cinéphilie
Le cinéma expérimental de deuxième génération, quant à lui, se développe selon moi à partir de la cinéphilie savante, si bien qu’on ne peut pas lui reconnaître de cinéphilie propre, distincte. Les théoriciens et pratiquants expérimentaux n’« adoptent » pas ni ne « créent » à eux seuls la cinéphilie savante : ils la développent en même temps que les cinéastes, théoriciens et chercheurs du cinéma intégrés au milieu universitaire, dans les deux décennies de l’après-guerre, à cause donc d’une même base matérielle d’existence. En effet, « l’institutionnalisation de l’expertise cinématographique », ou autrement dit le développement de la cinéphilie savante, se produit en même temps que l’institutionnalisation du cinéma expérimental. Comme mentionné précédemment, c’est bien aux États-Unis, pays particulièrement précoce à intégrer le cinéma dans la recherche universitaire, que le cinéma expérimental de deuxième génération naît. En fait, le passage par l’Université deviendra désormais au cours des deux décennies d’après-guerre chose de plus en plus fréquente, avant d’être un passage presque obligé, pour les individus et courants expérimentaux ; soit en début de carrière pour jouer le rôle d’innovation, soit en fin de carrière pour jouer le rôle de passeur aux nouvelles générations. En effet, le milieu universitaire avait été le lieu dans les années 20-30 de « vives réserves formulées par les cinéastes et théoriciens de gauche [particulièrement intéressés par le cinéma et y œuvrant en tant que critiques, historiens et cinéastes] ([Sergueï] Eisenstein, [Léon] Moussinac, [Béla] Balázs, Walter Benjamin) quant à l’existence d’un cinéma indépendant en régime capitaliste[xxxii] ». Désormais, entre nombreux autres, Hans Richter, passeur par excellence entre les avant-gardes européenne et américaine, enseigne au Film Institut du City College de New York, de 1942 à 1957[xxxiii]. De même, le théoricien P. Adams Sitney « met au point, au cours des années 1960 et 1970, toute une typologie [ici : étude des types de film] visant à créer un corpus linguistique spécifique au cinéma expérimental », et un de ses articles, Film Culture (1969), influencera grandement le courant dit « structurel » du cinéma expérimental[xxxiv].

À la place d’énumérer les individus et petits groupes intégrés à l’Université, une manière de révéler le rôle fondamental de l’institutionnalisation dans le cinéma expérimental de deuxième génération est d’expliquer le développement d’une unité cinéphilique dans ce cinéma. Les facteurs matériels suivants, provenant de l’intégration à l’Université et aux institutions publiques, détermineront leur unité cinéphilique : l’intégration à des lieux d’activité similaires entre les penseurs et pratiquants du cinéma expérimental, ainsi que les moyens matériels stables que leur donneront les organisations nommées. Dans la dimension intellectuelle, la cinéphilie dominante qui domine ces organisations sera adoptée par le cinéma expérimental. Par exemple, après 1969, dans l’underground, « un extraordinaire foisonnement d’écritures voit le jour » ; cette tendance à la théorisation de la pratique de cinéaste, laissant paraître une approche scientifique conditionnée par l’Université, dépasse largement celle de la première génération expérimentale (et ses quelques manifestes et « hypothèses esthétiques ») et sera typique désormais du cinéma expérimental (de ses théoriciens évidemment, mais aussi de ses pratiquants)[xxxv]. Plus généralement, Barbara Turquier affirme en effet que le cinéma expérimental de deuxième génération est conditionné par l’Université : à la fin des années 60, « la marge du cinéma expérimental [en résumé, ceux de l’underground, qui sera le premier terme de ralliement de la seconde génération expérimentale] s’est imposée au sein de structures institutionnelles telles le musée ou l’université, de sorte que la question des conventions liées aux attentes de ces structures [institutionnelles, le musée ou l’Université,] se pose avec acuité[xxxvi] ». Les théoriciens et cinéastes expérimentaux acceptent d’ailleurs si bien les conventions universitaires qu’à la dissolution de l’underground après le cinéma structurel, en fin 1970, les « principaux cinéastes du mouvement sont reconnus [au sens où ils sont reconnus dans l’Université] : ils enseignent et ont accès à des bourses pour réaliser quelques projets[xxxvii] ». Autrement dit, en s’intégrant à l’Université, la petite-bourgeoisie intellectuelle expérimentale s’approprie des pratiques universitaires qui lui serviront à assurer son unité et la continuité dans le temps de son objet culturel : l’enseignement aux prochaines générations, la théorie qui donne une compréhension commune au sujet collectif de l’objet culturel qu’il produit, la fabrication de films dans le cadre de l’Université avec tout ce que cela a pu impliquer de compromis (qu’on a vus à travers les changements entre la première cinéphilie expérimentale et la deuxième cinéphilie dominante à laquelle les expérimentaux adhèrent). Cette intégration générale des différentes générations du cinéma de l’avant-garde américaine (« les “anciens” comme Kenneth Anger, James Broughton, Gregory Markopoulos, Bruce Conner, Jonas Mekas, Stan Brakhage [, etc.] et des nouveaux venus, comme Hollis Frampton, Ernie Gehr, Ken Jacobs, George Landow, Michael Snow, Andy Warhol ») à l’Université et à d’autres institutions publiques (musée, etc.) en vient à son terme. Dans les années 60, le cinéma expérimental de deuxième génération trouve une forme d’unité qu’il a relativement conservée depuis[xxxviii]. Un processus semblable en Europe, bien que décalé dans le temps, s’est sans doute passé : les conditions matérielles (des expérimentaux et de la cinéphilie dominante) entre les deux régions étaient semblables (les conditions d’accès des classes sociales à l’Université et l’entrée du cinéma dans la recherche scientifique, par exemple) comme nous l’avons dit ; et la cinéphilie des expérimentaux qui en a découlé en Europe ressemble aujourd’hui à la cinéphilie des expérimentaux aux États-Unis.
L’unité expérimentale de deuxième génération, obtenue décidément vers la fin des années 1960 grâce à l’intégration des différentes générations aux institutions universitaire et publique,se fera dans un premier temps autour du terme underground qui ne doit cependant pas être considéré comme un courant cinématographique au sens propre : « [il] ne marque pas la naissance d’une nouvelle avant-garde, mais sa généralisation ; les pratiques artistiques y sont des plus disparates, et c’est plutôt cette hétérodoxie qui le caractérise, comme, d’ailleurs, tout le cinéma expérimental à venir.[xxxix] » Autrement dit, cette unité se fait sur la centralité de l’œuvre individuelle autonome du cinéaste, en accord avec la cinéphilie savante : le temps du développement collectif par courants artistiques ou cinématographiques est révolu. Cela s’explique selon moi par la nouvelle habitude de la petite-bourgeoisie expérimentale de passer par l’Université, habitude acquise en fin 70, Université qui permet sans doute aux cinéastes et théoriciens expérimentaux (et non expérimentaux) de gagner un certain contrôle sur leurs films et leur cinéphilie, sans passer par l’affiliation à un courant d’art moderniste comme le faisaient les avant-gardes européennes, ou encore à un des grands groupes expérimentaux des années 40 à 70 (films de transe, new American Cinema, underground, et film structurel, selon Bassan). En fait, ce n’est qu’après cette autonomisation que, selon Raphaël Bassan, la vision et la pratique dites « évolutives » du cinéma expérimental prennent fin, et que ce dernier prend un tournant de recherche esthétique individuelle qui est encore le sien aujourd’hui : « l’affiliation aux courants est remplacée au profit d’individualités et de groupes singuliers qui expérimentent toutes les pratiques[xl] ».
Nous avons vu que le cinéma expérimental est dans sa deuxième génération encore une fois produit socialement par la petite-bourgeoisie intellectuelle, classe qui entre à l’Université et dans les institutions publiques entre 45 et 65, sans épargner les expérimentaux. Or, cette intégration a offert des lieux d’activité similaires et des moyens matériels stables, et a poussé les expérimentaux à adopter des pratiques universitaires (enseignement, théorie, fabrication de films avec du financement obtenu par l’Université, etc.), toutes des conditions matériellesqui leur ont permis d’obtenir une unité de cinéphilie au bout du processus d’intégration vers 70. Cette cinéphilie est fondamentalement la même que la deuxième cinéphilie dominante, elle-même portée par la petite-bourgeoisie intellectuelle dans les organisations nommées. En effet, la cinéphilie du cinéma expérimental de deuxième génération trouve son unité cinéphilique dans la valorisation de la multiplicité des pratiques choisies par l’artiste autonome individuel, et non par des groupes ou familles esthétiques rigides. Et ce postulat fondamental est le même que celui de la cinéphilie dominante : l’autonomie socio-politique et esthétique du cinéma. On ne peut donc pas parler d’une cinéphilie propre au cinéma expérimental de deuxième génération.
Le cinéma expérimental est l’expression cohérente du cinéma de la petite-bourgeoisie intellectuelle
Un problème reste : si la cinéphilie de la deuxième génération du cinéma expérimental est essentiellement la même que la deuxième cinéphilie dominante, pourquoi la catégorie de cinéma expérimental reste-t-elle si importante, débattue, revendiquée encore aujourd’hui (repensons aux ouvrages récents de définition du cinéma expérimental) ? Pour comprendre, il faut selon moi tenter d’expliquer la ressemblance partielle, non pas des présupposés, mais bien du processus de distinction sociale et de l’aspiration à l’autonomie, entre la cinéphilie de la première avant-garde (européenne) et cette cinéphilie savante ou deuxième cinéphilie dominante. En général, il faut déterminer ce qui fait la particularité du cinéma expérimental dans l’expression cinématographique des aspirations de toute la petite-bourgeoisie intellectuelle.
D’une part, le processus de distinction sociale qui fut celui des petits-bourgeois intellectuels du cinéma expérimental de première génération, par rapport aux classes travailleuses et aux classes moyennes et supérieures intégrées au marché du cinéma, est de nature semblable à celui qu’opère la petite-bourgeoisie à l’Université. En effet, ces deux distinctions sociales ont été effectuées par la petite-bourgeoisie intellectuelle : dans le premier cas, la fraction non intégrée au marché et pratiquant dans les milieux de l’art moderniste, alors que les intellectuels des années 20 et la critique professionnelle ont été intégrés au marché et ont adopté la cinéphilie de masse ; dans le second cas, la fraction intégrée à l’Université et aux institutions publiques, ce qui ne représente évidemment pas toute la petite-bourgeoisie. Ces deux situations particulières — qui ont mené chacune à la formation d’une cinéphilie par la petite-bourgeoisie — expliquent le commun mépris pour la cinéphilie de masse entre ces cinéphilies, venant d’une même position intermédiaire entre la bourgeoisie et le prolétariat ; mais aussi la différence dans la manière de mépriser et d’autonomiser la cinéphilie petite-bourgeoise, qui provient de la différence entre les deux situations particulières que sont les milieux de l’art moderniste dépendant de mécènes, et l’Université et l’État. La cinéphilie savante, pour se distinguer de la cinéphilie de masse, utilise une stratégie de reprise des présupposés de la cinéphilie de masse. Cette stratégie répond à la situation concrète du sujet collectif qui produit cette cinéphilie : intégré dans l’État et l’Université et donc dépendant de ceux-ci, et provenant de classes qui partageaient la cinéphilie de masse, le lien de ce sujet collectif avec la société et donc sa cinéphilie dominante est plus solide que celui de la première génération, ce qui fait qu’il façonnera sa cinéphilie à partir de la dominante ; mais sa situation est aussi celle d’une certaine autonomie intellectuelle permise par sa position, donc sa cinéphilie sera un moyen pour elle d’exprimer et de renforcer son autonomie vis-à-vis des autres classes partageant la cinéphilie de masse. Quant à elle, la première génération, non intégrée au marché, à l’Université et à l’État, mais dépendante des milieux artistiques petits-bourgeois et de mécènes, donc beaucoup moins liée matériellement à la cinéphilie de masse, ne reprend pas ses présupposés, ne fait que s’y opposer, se rendre incompréhensible pour les classes qui la partagent. En même temps, elle développe sa cinéphilie en adéquation avec les présupposés de l’art moderniste, principalement en rejetant la fiction au profit de l’abstraction. Ceci l’amène à ne pas utiliser de personnages vivant des émotions et auxquels on peut s’identifier (dans une histoire ayant au moins une apparence de réalité)… bref à rejeter tous les présupposés de la cinéphilie de masse. Elle revendique le cinéma comme art et comme art moderne. La différence entre les situations matérielles des deux générations à partir desquelles chacune effectue son processus de distinction débouche donc sur deux différences cinéphiliques majeures : la propension de la cinéphilie savante à la politique et à la critique des films de masse (pour les critiquer évidemment et ainsi se distinguer, comme déjà dit). On a déjà compris que la première découlait du postulat fondamental d’autonomie socio-politique et esthétique du cinéma, qui était lui-même l’expression de l’autonomie et du contrôle pris sur sa cinéphilie par la petite-bourgeoisie intellectuelle ; alors que celle intégrée au marché dans les années 20-30 dépendait de ce marché, et que celle expérimentale de première génération dépendait des mécènes et des milieux de l’art moderniste. La seconde différence majeure, que j’ai déjà expliquée par la dépendance-autonomie de la petite-bourgeoisie intellectuelle intégrée aux institutions face au reste de la société, ne doit pas être négligée. En fait, tout un pan des expérimentaux de la deuxième génération d’avant-garde s’intéresse dans ses films et théorisations au cinéma de masse, jusqu’à aujourd’hui, souvent en utilisant ce matériau pour le détourner, ce qui relève de la distinction sociale à même le cinéma de masse. Ces pratiques se retrouvaient dans des cas isolés de la génération 20-30, par des surréalistes : « [Bruce] Conner [cinéaste de la deuxième génération] […] se réfère à la culture populaire, illégitime (comme jadis les surréalistes et plus tard Jack Smith, Andy Warhol et Kennet Anger [tous des cinéastes de la deuxième génération] avec Scorpio Rising, 1963)[xli] ». Par exemple, l’intérêt pour le cinéma de masse se voit dans l’insertion théorique du cinéma expérimental dans toute l’histoire du cinéma (dont le cinéma de masse donc) par le courant expérimental lettriste, notamment dans le texte de l’influent Isidore Isou ; et ce, toujours pour distinguer le cinéma expérimental (ici dans son courant lettriste), dans ce cas comme l’étape supérieure du cinéma[xlii]. On peut enfin percevoir cet intérêt pour le cinéma de masse dans la pratique du found footage du cinéma expérimental dans les années 70 puis 90, qui réutilise des images et plans d’autres films pour en faire de nouveaux[xliii] ; ou encore, dans les années 2010, la réutilisation de « films, d’actualités — guerres, cataclysmes, tragédies humaines, mises à mort — » piochés sur Internet (Youtube, Vimeo, les différents médias) pour en faire des dystopies critiquant les médias de masse[xliv].

D’autre part, la relative différence entre les deux processus de distinction sociale ne signifie pas que ce ne puisse pas être le même sujet collectif à la source des deux cinéphilies et des deux distinctions. Autrement dit, selon moi, la contradiction cinéphilique et productive entre les petits-bourgeois intellectuels intégrés au marché et ceux qui ne l’étaient pas, pendant la période de la première génération expérimentale, ne signifie pas que le cinéma expérimental ne puisse pas être l’objet culturel de l’ensemble de la classe et aux différentes époques. Prenons le cas de la première génération expérimentale. On a vu qu’il y avait eu une distinction de celle-ci par rapport aux classes participant à la cinéphilie de masse, dont la petite-bourgeoisie intégrée au marché. La cinéphilie de masse est celle de plusieurs classes, elle ne réalise pas de distinction sociale par le cinéma : si la petite-bourgeoisie intégrée au marché affirme que le cinéma a une valeur supplémentaire au profit de la classe capitaliste qui produit du cinéma, cette petite-bourgeoisie reste totalement dépendante de la vente des journaux et revues de cinéma (entre autres médias) aux consommateurs majoritairement travailleurs, et publicise les films produits par la grande entreprise capitaliste dont elle est donc dépendante. La place pour son autonomie est en somme faible. À ce moment, la cinéphilie expérimentale exprime une aspiration à l’autonomie intellectuelle et une distinction de classe intermédiaire, même si elle reste dépendante des milieux de l’art moderniste et de mécènes. L’autonomie des deux petites-bourgeoisies intellectuelles est partielle, mais on voit bien que celle du cinéma expérimental est plus grande par sa situation spécifique ; en conséquence, l’expression, par les films et les écrits, de son désir d’autonomie, est beaucoup plus manifeste, culminant à l’idée de coopératives au Congrès de 1929. Dès cette époque, la cinéphilie du cinéma expérimental est déjà celle de la couche la plus consciente de la classe petite-bourgeoise intellectuelle : elle effectue déjà une distinction sociale, et pense déjà une recherche d’autonomie, alors que la couche intégrée au marché doit s’y plier pour faire carrière. Prenons maintenant le cas de la deuxième génération. Depuis l’avènement de la cinéphilie savante, la différence de pratique au sens large du cinéma, entre ceux des individus de la petite-bourgeoisie intellectuelle (intégrée à l’Université et à l’État) qui sont non expérimentaux, et ceux qui sont expérimentaux, n’en est, comme nous l’avons vu, désormais plus fondamentalement une de cinéphilie (alors qu’il y avait une différence de cinéphilie entre les expérimentaux et la critique professionnelle des années 30), de conception idéelle du cinéma. Selon moi, elle en sera surtout une de production au sens de fabrication et de distribution du cinéma : les individus qui ont revendiqué le cinéma expérimental, ou alors ceux que l’histoire du cinéma a retenus comme en faisant partie, se démarqueront généralement par une certaine tension vers l’autonomie de leur production du cinéma par rapport non plus seulement au marché, mais à l’État et à l’Université, en ce qui a trait à la fabrication et à la distribution des films. En effet, il ne faut pas passer sous silence le rôle, conjoint à celui des universités et institutions étatiques, de l’organisation de la production sociale des films de manière autonome vis-à-vis du grand capital producteur de cinéma, dont se dotera la petite-bourgeoisie du cinéma expérimental dans la lignée des projets promulgués par les congressistes de 1929 en Europe. En fait, à la fin de la période d’intégration du cinéma expérimental à l’Université et à l’État, vers 1965-1970, une multitude de coopératives, de collectifs de distribution et/ou de production, de festivals (qui assurent la distribution des films) et de manifestations (au sens large de présentations ou rassemblements publics, lieux par exemple d’un spectacle ou de projection de films) sont fondés et organisés[xlv]. Ils suivent l’exemple fameux de la « révolution [qui] se produit dans l’arène cinématographique underground lorsque le 18 janvier 1962 est fondée, à New York, par Jonas Mekas et ses proches, la Film Makers’ Cooperative, association de diffusion à but non lucratif, qui permet aux cinéastes expérimentaux de projeter leurs œuvres en dehors des circuits commerciaux et des grandes manifestations d’arts plastiques.[xlvi] » Raphaël Bassan parle alors du début de la formation d’une véritable « microsociété de cinéastes, de critiques, de théoriciens, d’enseignants », tendance qui durera au-delà de la décennie 60, dans les décennies 70 et 80 et jusqu’à aujourd’hui :
Le modèle américain [de la coopérative] fait tache d’huile : la London Film-Makers’ Co-op est fondée en 1966, suivie par l’Austrian Filmmakers Cooperative à Vienne (1968), le Collectif Jeune Cinéma (CJC) à Paris (1971), le Canadian Filmmakers Distribution Centre à Toronto (1972). Le festival international de Knokke-le-Zoute (Belgique) popularise à travers toute l’Europe, dans ses éditions de 1963 et 1967, le cinéma underground. Sa tâche est facilitée par les tournées préfestivalières que Jonas Mekas et P. Adams Sitney font régulièrement sur le Vieux Continent, avec un large échantillon d’œuvres de leurs amis. La manifestation Avant-Garde pop et beatnik, conçue par Sitney, qui se tint à l’automne de 1967 à la Cinémathèque française, marque durablement les cinéastes et les critiques français, intrigués et séduits par le cinéma underground. En France, le festival d’Hyères devient, de 1971 à 1983, une importante vitrine du cinéma expérimental. Sa section « Cinéma différent », gérée par Marcel Mazé, cofondateur et premier président du Collectif Jeune Cinéma, accueille des cinéastes venus de tous les pays. Deux autres coopératives se créent en France : la Paris Films Coop., en 1974, et Light Cone, en 1982. Cette dernière, sous la responsabilité du cinéaste Yann Beauvais, son cofondateur, donne au cinéma expérimental français et international une visibilité qui en accroît sa reconnaissance.[xlvii]
On pourrait voir selon moi une autre expression de cette tension vers l’autonomie dans le mouvement des laboratoires, mouvement dont il faudrait faire une étude plus approfondie bien sûr pour en connaître les conditions précises d’émergence : « Au mouvement des coopératives des années 1970 et 1980 succède celui des laboratoires [dans les décennies 1990 et 2000 surtout] qui permet enfin aux cinéastes de contrôler toutes les étapes de la fabrication d’un film.[xlviii] » Cette organisation autonome de la production des films réalise des objectifs nés de la tension aussi présente chez l’avant-garde européenne, laquelle avait ses revues, mais n’avait pas les moyens autonomes de produire des films en grand nombre. Cette dernière dépendait surtout de ses mécènes, et ses films demandaient très peu de financement, entre autres en raison de leur abstraction. Quand elle commence à penser aux solutions à ce besoin d’autonomie, les nouveaux besoins du film parlant faisaient déjà ralentir sa production de films. Selon moi, on peut expliquer cette organisation autonome de la production de films par ceci que la relative autonomie qu’autorisent l’Université et les institutions publiques (musées, etc.) n’est pas toujours suffisante pour une partie, une couche de la petite-bourgeoisie universitaire s’intéressant au cinéma : une partie de celle-ci en effet cherchera constamment plus d’autonomie, et cette partie concorde généralement avec ce que l

La voix des femmes : semons la résistance à l’agriculture industrielle

Tiré de Entre les lignes et les mots
Bien qu'elles représentent près de la moitié de la main-d'œuvre agricole mondiale, les femmes possèdent moins de 15% des terres agricoles et sont rémunérées près de 20% de moins que leurs homologues masculins. Ces disparités ne sont pas de simples statistiques : elles reflètent des expériences vécues qui déterminent les luttes quotidiennes des femmes rurales. Partout dans le monde, les petites productrices alimentaires affrontent une réalité difficile. Qu'il s'agisse de l'accès à la terre, des politiques publiques, des conditions de travail ou du pouvoir décisionnel, les femmes se heurtent à des obstacles systémiques qui perpétuent les inégalités sociales.
À mesure que l'agriculture dominée par les grandes entreprises s'étend, les pratiques agricoles traditionnelles sont de plus en plus évincées, exacerbant ainsi les vulnérabilités des communautés rurales. Les femmes, déjà marginalisées, subissent de plein fouet ces changements. Elles prennent soin de leurs familles et de leurs communautés, mais remplacent aussi leurs partenaires masculins quand ces derniers émigrent pour trouver du travail. Et ce sont également elles qui assurent la survie des personnes âgées et des enfants. Leur bien-être n'est pas qu'un enjeu personnel : c'est toute la résilience rurale qui en dépend.
Pourtant, les contributions et les luttes des femmes restent souvent invisibles, tout comme les préjudices spécifiques qu'elles subissent en raison de l'agriculture industrielle.
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Aux indifférentes

Ce texte est destiné à interpeller toutes les femmes qui croient que mettre négligemment une croix dans un carré d'extrême-droite [au Portugal on a un seul bulletin de vote et on doit cocher le carré correspondant à la liste que l'on a choisie] n'a rien à voir avec leurs droits fondamentaux.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Gramsci, dans un texte de 1917, proclamait sa haine de l'indifférence, « poids mort de l'histoire », de la passivité et de l'absentéisme qui, de toute façon, agissent sur le monde. Ce texte s'adresse aux indifférentes. Non pas avec haine, mais avec une profonde inquiétude, espérant obstinément qu'une part de cette indifférence individualiste puisse encore se transformer en empathie et en solidarité. Ce texte interpelle toutes les femmes qui pensent que tout cela ne les concerne pas et qui considèrent qu'une croix apposée négligemment sur un bulletin de vote n'a rien à voir avec leurs droits fondamentaux.
L'extrême droite commence par nos corps, nos droits, notre liberté. Cette affirmation peut paraître déplacée, étant donné que tant de mouvements d'extrême droite contemporains sont dirigés par des femmes ou comptent des femmes parmi ses dirigeants. Permettez-moi de commencer par dire ceci : aucun fasciste n'est féministe. Il n'y a rien de progressiste dans le triomphe électoral de quelqu'un qui aspire à un monde dont on pensait que la page était définitivement tournée. Derrière le visage d'une femme – que l'on pourrait même comparer à Jeanne d'Arc ou à la République française elle-même, comme c'est le cas de la tristement célèbre Marine Le Pen – se cachent parfois les plus sinistres machinations misogynes et vengeresses. Le vote en faveur d'une femme d'extrême droite, avec toutes les explications qui pourraient inciter différents types de femmes à voter, représente l'acceptation tacite de la vague de régression, presque comme un accord à la suppression de nos droits, à condition que ces mesures punissent davantage celles qui sont encore plus faibles que nous.
Voyons maintenant ce que l'extrême droite nous fait subir. Le Rassemblement national de Le Pen a systématiquement voté contre les avancées et les progrès en matière de droits des femmes : en matière d'égalité salariale, de lutte contre le harcèlement et les violences sexistes, et contre la parité. Giorgia Meloni, cette « girlboss » fasciste, s'oppose aux quotas de genre, renforce le rôle des mère des femmes dans ses discours publics, a voulu restreindre le droit à l'avortement et pénaliser celles qui y ont recours, et même empêcher les couples lesbiens d'avoir des enfants ensemble. En Allemagne, Alice Wiedel – peut-être l'incarnation même de cette dissonance cognitive des femmes au sein de l'extrême droite contemporaine – dirige un parti qui défend la « famille traditionnelle », attaque « l'idéologie du genre », s'oppose au mariage homosexuel et prône le retour des femmes à « l'ancien temps », loin de la corruption du féminisme. Toutes, tout en attaquant les droits des femmes, prétendent vouloir protéger les femmes européennes – autrement dit, les femmes blanches – des hommes racisés, des migrants qui viennent les harceler et les violer, malgré l'absence de corrélation statistique entre les deux réalités. Nous avons ici un parti qui leur ressemble beaucoup : contre « l'idéologie du genre », antiféministe et qui utilise nos corps comme justification à ses politiques xénophobes.
Est-ce que je dis quelque chose qui vous concerne ? Peut-être que cela vous laisse indifférente, que cela ne vous concerne pas, après tout. Votre vie va bien. Vous pensez peut-être que cela ne vous concerne pas parce que vous n'avez jamais avorté ? Parce que vous avez un bon salaire ? Parce que vous n'avez jamais été agressée par votre partenaire ? Parce que vous pouvez voter et participer à la vie politique ? Parce que vous n'avez jamais ressenti de discrimination ? Parce que votre mari vous aide même à la maison ? Peut-être même dites-vous que vous n'êtes pas féministes ? Vous vous trompez.
Si vous avez pu envisager de ne pas avorter, c'est parce que la contraception est devenue accessible à toutes et qu'elle vous permet de choisir d'être mère ou non. Si vous avez un bon salaire, c'est parce que des milliers de femmes se sont battues pour avoir simplement le droit d'avoir quelque chose à soi (c'était le bon temps quand nos économies appartenaient au mari, non ?), pour être admises à l'université et à des emplois qualifiés, et pour ne pas subir de discrimination salariale. Si vous n'avez jamais subi de violences psychologiques, sexuelles ou physiques de la part de votre partenaire, vous avez de la chance d'échapper au poids des statistiques sur la violence, mais vous savez certainement que si vous êtes agressée, votre agresseur aura commis un crime public et qu'il est du devoir de chacun de le signaler.
Si vous pouvez voter et être politiquement actives, c'est parce que des milliers de femmes dans le monde entier ont renoncé à une vie d'indifférence fataliste et se sont battues – parfois jusqu'à la mort – pour qu'aujourd'hui vous puissiez choisir qui vous voulez pour vous gouverner et même vous gouverner vous-même Si vous pensez n'avoir jamais été victime de discrimination, je peux vous dire que vous êtes l'exception à la règle : un tiers des femmes dans l'UE ont été victimes de harcèlement au travail, la moitié l'ont été à un moment de leur vie, vingt-cinq femmes ont été assassinées au Portugal par leur partenaire, 32% des femmes dans l'UE ont subi des violences conjugales, les viols ont augmenté de 10% au Portugal l'année dernière et, surtout, nous savons que tous ces chiffres sont largement sous-représentés car la plupart de ces crimes ne sont pas signalés. Si vous n'avez jamais été victime, demandez-vous si aucune de vos amies, membres de votre famille ou connaissances n'en a été victime. Si vous pensez qu'il suffit que Manuel aide à la maison, comme si cette tâche vous incombait et qu'il daigne gentiment mettre vos vêtements dans le panier à linge, détrompez-vous. Si vous ne vous sentez pas dépassée par les doubles, voire triples, tâches ménagères et familiales, sachez qu'en moyenne, les femmes effectuent 74% de ce travail au Portugal. Votre père changeait-il les couches ? Votre grand-père cuisinait-il ? Qu'est-ce que ta mère et tes grands-mères ont arrêté de faire pour que tu puisses grandir ?
Si tout cela vous dérange – j'imagine que ce lecteur a de l'empathie – vous ne pouvez pas dire que vous n'êtes pas féministe. Tout ce qui a changé a été fait par des féministes. Avec le plus grand sérieux, sans crainte d'être qualifiées d'hystériques, de prostituées, de frigides, d'ennuyeuses. Elles ont fait ça pour nous. Ne donnez pas votre vote à ceux qui veulent tout défaire. Ne soyez pas indifférentes.
Je vis, je suis un militant – disait Gramsci à la fin du texte précité. Ne soyons ni dupes ni complaisants. J'ajoute : je vis, je suis féministe.
Léonor Rosas
Diplômée en sciences politiques et relations internationales de la NOVA-FCSH. Étudiante en master d'anthropologie sur le colonialisme, la mémoire et l'espace public à la FCSH. Députée du Bloc de gauche au Parlement de Lisbonne. Étudiante et militante féministe.
Article publié dans Gerador le 28 mai 2025
Communiqué par FP et JJM
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Contrôle de l’âge pour les sites pornos : quand le « business » passe avant la protection des enfants.

Alors que la France s'apprête enfin, le 6 juin 2025, à mettre en œuvre la loi SREN du 21 mai 2024 imposant un contrôle effectif de l'âge pour accéder aux sites pornographiques, le géant Aylo, propriétaire de Pornhub, RedTube et YouPorn, décide de rendre ses plateformes inaccessibles depuis le territoire français et d'afficher en page d'accueil un texte de lobbying s'opposant à cette loi. Un « coup de com » visant à devancer le blocage imminent que pourrait ordonner l'ARCOM.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/08/controle-de-lage-pour-les-sites-pornos-quand-le-business-passe-avant-la-protection-des-enfants/?jetpack_skip_subscription_popup
Depuis plus de quatre ans, l'industrie pornographique multiplie les recours dilatoires contre une loi aux visées pourtant claires : empêcher les enfants d'être exposés à des contenus violents, sexistes, racistes, dégradants et souvent illégaux. Pourquoi une telle résistance de la part de l'industrie ?
Tout simplement car le cœur du modèle économique de cette industrie repose sur l'exposition massive des mineur·es à la pornographie.
Une stratégie cynique : accrocher les enfants, fidéliser les clients
Durant l'enfance et l'adolescence, le cerveau est en pleine construction. Ainsi, l'exposition précoce à des contenus sexuels violents modifie durablement les repères affectifs, émotionnels, empathiques. Plus l'exposition est prématurée, plus la dépendance est profonde et durable. Comme l'a rappelé le Haut Conseil à l'Égalité dans son rapport Pornocriminalité (2023), l'exposition des enfants à la pornographie « développe le système limbique, responsable des pulsions, et inhibe le développement du cortex préfrontal, siège de l'empathie et du discernement ». Ce visionnage à un jeune âge constitue un véritable « viol psychique » selon la chercheuse en neurosciences Maria Hernandez. Il influence profondément la construction des sexualités, en les imprégnant de rapports de domination virilistes, de racisme et de misogynie, renforce l'adhésion à la culture du viol, accroit le risque de passages à l'acte violents.
Les mineur·es sont une cible stratégique pour l'industrie, car un enfant accro à la pornographie devient un adulte captif.
Protéger les mineur·es de la pornographie est aussi un enjeu de lutte contre l'inceste et la pédocriminalité. Outre le fait que ces plateformes abritent de la pédopornographie, très souvent des vidéos de violences diffusées par les pédocriminels, la pornographie est également utilisée dans la stratégie des agresseurs pour semer la confusion, inverser la honte et la culpabilité, et sidérer les victimes ciblées. Les survivant·es de pédocriminalité voient l'irruption dans leur psychisme de scripts pornographiques dans ce qu'ils ont de plus oppressifs, discriminants, chosifiants, et peuvent par le visionnage compulsif et anxieux de pornographie se retrouver dans un état d'anésthésie émotionnelle dissociative, qui profite aux agresseurs.
Assez d'hypocrisie : la loi est claire, les moyens existent
Depuis 2020, la loi française oblige les éditeurs de sites pornographiques à mettre en place un véritable contrôle de l'âge de leurs utilisateurs et utilisatrices. Le cadre juridique est complet : le décret d'application est en vigueur, un référentiel technique a été publié, et la CNIL a validé plusieurs solutions respectueuses du RGPD, notamment la vérification par un tiers de confiance, l'utilisation de la carte bancaire ou encore l'analyse faciale sans recours à la reconnaissance biométrique. Les moyens existent.
Alors comment expliquer qu'une industrie aux moyens colossaux, habituellement en tête des innovations majeures de la tech (paiement en ligne, streaming vidéo, VR, IA, robotique), serait incapable de développer un simple système de vérification d'âge ? La réponse est simple : elle ne veut pas.
Un tournant juridique historique
Le 6 juin, l'ARCOM pourra bloquer sans passer par un juge les sites qui refusent d'appliquer la loi. Le blocage volontaire des sites Pornhub, YouPorn et RedTube en France révèle ce que l'industrie pornographique tente depuis des années de dissimuler : son refus obstiné de toute régulation, même minimale, pour protéger les mineur·es. Cette industrie multimilliardaire préfère mobiliser ses ressources pour combattre toute tentative de régulation, à grand renfort d'avocats et de lobbyistes, plutôt que de renoncer à un accès inconditionnel et gratuit qui alimente son modèle économique fondé sur la violence et sur l'érotisation de toutes les oppressions. Face à cela, l'application stricte de la loi et la mobilisation collective sont essentielles. Le contrôle de l'âge sur les sites pornographiques est un impératif de santé publique, de protection de l'enfance et d'égalité entre les sexes, qui doit primer sur les profits de l'industrie pornocriminelle.
Osez le Féminisme appelle à :
– Appliquer sans délai les mesures de contrôle d'âge sur tous les sites pornographiques accessibles depuis la France.
– Renforcer la coopération européenne pour sortir la pornographie de la zone de non-droit numérique.
– Reconnaître les dommages causés aux enfants, aux femmes et à toute la société par la pornographie et agir en conséquence.
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Pénalisation des agentes de la Fonction publique pendant la grossesse, une attaque inacceptable

La baisse de la rémunération dès le deuxième jour d'arrêt maladie rend coupable tous les agents et agentes d'être malades : elle est intrinsèquement injuste et nous continuons de la dénoncer. Mais, au XXIe siècle, rien ne peut justifier qu'un gouvernement, prétendument attaché à l'égalité entre les femmes et les hommes, puisse faire peser sur les agentes enceintes une sanction financière injuste sans tenir compte des réalités médicales, sociales ou professionnelles liées à leur grossesse.
Tiré du site de la CGT
Bagnolet, vendredi 6 juin 2025
Monsieur François Bayrou
Premier ministre
Madame Aurore Bergé
Ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations
Monsieur Laurent Marcangeli
Ministre de l'Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification
Objet : pénalisation des agentes de la fonction publique pendant la grossesse, une attaque inacceptable
Monsieur le Premier ministre,
Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,
Nos organisations syndicales dénoncent solennellement une mesure discriminatoire d'une gravité inacceptable à l'encontre des femmes en situation de grossesse exerçant dans la fonction publique. À compter du 1er mars 2025, vos choix politiques impliquent que les femmes en situation de grossesse placées en congé maladie ordinaire – hors congé pour grossesse pathologique ou congé maternité - subiront une perte de rémunération de 10 % dès le premier jour d'arrêt. Ainsi, une femme dont la grossesse est déclarée mais qui serait contrainte de s'arrêter quelques jours sur avis de son médecin verra sa rémunération amputée.
Ce choix politique constitue une discrimination sexiste manifeste et une attaque contre les droits des femmes et leurs conditions matérielles de vie. Il renvoie à une époque que nous pensions révolue où les droits des travailleuses étaient suspendus à leur capacité à rester « productives » malgré les difficultés physiques liées à la maternité.
Est-ce ainsi que votre gouvernement entend défendre les droits des femmes ?
La baisse de la rémunération dès le deuxième jour d'arrêt maladie rend coupable tous les agents et agentes d'être malades : elle est intrinsèquement injuste et nous continuons de la dénoncer. Mais, au XXIe siècle, rien ne peut justifier qu'un gouvernement, prétendument attaché à l'égalité entre les femmes et les hommes, puisse faire peser sur les agentes enceintes une sanction financière injuste sans tenir compte des réalités médicales, sociales ou professionnelles liées à leur grossesse. Cette décision est d'autant plus scandaleuse qu'elle touche un secteur, la fonction publique, où les inégalités salariales, les retards de promotion, les carrières hachées, les temps partiels imposés et la précarité contractuelle sont structurellement présentes. Vous ajoutez à ces inégalités une violence économique supplémentaire.
Et pour rappel, en 2018, le Parlement avait corrigé par amendement la dimension sexiste de l'instauration du jour de carence en le supprimant pour les femmes enceintes, montrant sa capacité à entendre les alertes et revendications, dont celles portées par nos organisations syndicales.
Nous exigeons :
– le retrait immédiat de la baisse de la rémunération des jours d'arrêt maladie, injuste pour l'ensemble des agent⋅es de la fonction publique ;
– la garantie pleine et entière du maintien de salaire pour toute femme enceinte placée en congé maladie ordinaire sur avis médical quelle qu'en soit la nature ;
– des politiques de santé au travail dans la fonction publique qui prennent réellement en compte la santé globale des femmes au travail mais aussi les parcours de maternité et le retour à l'emploi.
Pour nos organisations syndicales, sanctionner les femmes parce qu'elles sont enceintes ne relève pas d'une politique liée aux contraintes budgétaires : c'est une régression, c'est une attaque contre toutes les femmes et c'est une faute.
Nous attendons donc un retrait clair et assumé de cette mesure inégalitaire.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, en notre détermination collective.

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Lettre ouverte intersyndicale Mayotte aux ministres des Outre-Mers et du travail

Mayotte, 101e département français, a été dévastée le 14 décembre dernier par le cyclone Chido. Les dégâts sont considérables, tant du fait de la force du vent, que de la fragilité voire de l'absence d'infrastructures. L'heure est à la reconstruction mais depuis 6 mois nos équipes constatent que passés les travaux d'urgence, les chantiers n'avancent plus.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Lettre ouverte Mayotte
M. Le ministre des Outre-Mer,
Mme la Ministre du travail
Les dessertes de la barge, indispensables pour relier l' île de petite terre à celle de grande terre, sont toujours très limitées. Ceci, cumulé à l'absence totale de transports en commun organisés, engorge totalement le trafic et la population du territoire passe des heures en voiture chaque jour pour aller travailler. Le Centre Hospitalier de Mayotte n'a toujours pas été mis hors d'eau. Une part importante de sa surface est toujours inutilisable et le reste est protégé par des bâches donc inondé à la première pluie. La prise en charge sanitaire des habitant.e.s, et notamment des accouchements est indigne.
Par manque d'enseignant.e.s et de places dans les établissements, les élèves ne sont pris en charge qu'à mi-temps dans les écoles (et seulement trois heures par jour pour l'école élémentaire). Avant même la saison sèche, l'eau est déjà coupée plusieurs jours par semaine et le prix des bouteilles d'eau explose. Les travailleurs et les travailleuses n'en peuvent plus, une majorité n'ont toujours pas réussi à reconstruire leur maison, par manque de matériaux mais aussi de moyens, l'essentiel des habitations n'étant pas assurées. Nous demandons une aide d'urgence pour les ménages dont le toit ou l'habitat est abîmé par le cyclone. Alors qu'il s'agit d'une réserve de biodiversité au plan mondial, la situation environnementale, notamment en termes de traitement des déchets, est extrêmement inquiétante.
Le contexte est d'autant plus catastrophique que Mayotte est le territoire le plus pauvre de France. 77% des habitant.e.s vivent sous le seuil de pauvreté. L'économie informelle domine. Seuls 35% des plus de 65 ans ont une pension de 270€ en moyenne, le RSA et les allocations familiales sont à 50% de la métropole et les aides au logement n'existent pas. Chaque salarié fait donc vivre sa famille élargie, parfois 10 à 20 personnes, alors que le Smic mahorais est toujours inférieur de 25% au Smic du reste de la France, abattement répercuté sur la quasi-totalité des salaires. Pourtant, les prix sont en moyenne supérieurs de 30% à ceux de la métropole, mais beaucoup plus en réalité. Pourquoi ? Parce qu'à Mayotte comme dans les autres DROM COM subsiste une économie de comptoir avec des monopoles privés.
Le projet de loi de reconstruction de Mayotte doit faire avancer concrètement la situation pour l'ensemble de la population. Il est donc très attendu. Les mahoraises et les mahorais veulent une mise en place rapide de la convergence des droits sociaux prévue à ce stade seulement d'ici 2031. Pourtant, dans le même temps, le projet de loi prévoit que les entreprises bénéficieraient d'une exonération totale des cotisations sociales et des impôts dès 2026 pour 5 ans via la mise en place d'une zone franche sur le territoire mahorais et ce sans aucune contrepartie. Il ne faut pas créer un sentiment d'inégalité de traitement entre les aides aux entreprises et l'égalité réelle des droits à mettre en place pour la population.
Mme et M. les Ministres, nous vous alertons solennellement car la situation à Mayotte est explosive. Les habitant-es de l'île n'en peuvent plus d'être traité.e.s comme des citoyen.ne.s de seconde zone. Il faut prendre la mesure des besoins immenses de l'archipel notamment en matière de services publics, si on veut le sortir de la crise que le cyclone Chido n'a fait qu'amplifier. Nous nous associons aux conclusions du rapport que vient de publier le CESE et nous exigeons que les lois de la République s'appliquent pleinement à Mayotte en commençant par celles concernant l'immigration.
La revendication de nos syndicats à Mayotte n'est pas la remise en cause du droit du sol mais la fin du visa territorialisé, ce visa dérogatoire qui enferme ses détenteurs à Mayotte et les empêche de rejoindre la métropole. Nous le réaffirmons, la convergence sociale doit être mise en place au plus vite, en commençant par mettre fin à l'abattement du Smic mahorais dès 2026. Pour cela, nous demandons l'ouverture de concertations au plus vite, à Paris, avec des modalités permettant l'association directe de nos organisations locales pour enfin mettre en place l'égalité des droits.
Marylise Léon
Secrétaire générale de la CFDT
Sophie Binet
Secrétaire générale de la CGT
Laurent Escure
Secrétaire général de l'UNSA
Murielle Guilbert et Julie Ferua
Co-porte-paroles de Solidaires
Caroline Chevée
Secrétaire générale de la FSU
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Génocide à Gaza, menace sur l’information en France !

Le traitement médiatique général pour le moins biaisé de ce qui se passe à Gaza dans une grande partie des rédactions est en train de détruire la crédibilité de la presse française et de valider la thèse mortifère du « choc des civilisations ».
Tiré du blogue de l'auteur. Aussi disponible sur librinfos74
Ce vendredi 13 juin en fin d'après-midi, la chaleur étouffante, ayant allègrement dépassée les 30°c toute la journée, ne s'est pas encore estompée. Cela n'empêche pas les bénévoles de s'agiter tous azimuts dans les jardins de l'ECREVIS[1], le fameux tiers-lieu de Meythet, en périphérie d'Annecy, afin que tout soit prêt. Au menu ce soir, concerts de rap et d'électro engagés, entrecoupés de témoignages en provenance de Gaza, l'ensemble des fonds récoltés devant aller aux associations locales soutenant la cause palestinienne. Des membres des associations ITHAR 74[2] et AFPS Annecy[3] tiennent d'ailleurs des stands à proximité du bar, leur garantissant une certaine fréquentation tout au long de la soirée.
L'équipe de l'ECREVIS ouvre le bal sur une petite scène extérieure en bois, présentant la soirée comme une volonté de « laisser parler et danser nos corps face à l'horreur du génocide en cours ». Francesca, de l'AFPS d'Annecy, en témoigne ensuite : « La Palestine est une société où l'art a une fonction majeure, celle d'une forme de résistance ». Alors il s'agit de « célébrer la beauté ce soir, et la vie malgré tout ». Parmi les différents témoignages lus sur scène, les mots glaçants de Racha, fillette palestinienne de dix ans qui avait rédigé un… testament, avant d'être ensuite tuée avec toute sa famille dans un bombardement israélien : « je souhaite que mes vêtements aillent aux personnes dans le besoin », avait-elle écrit. L'émotion est alors palpable dans l'assemblée. Environ 200 personnes sont présentes ce soir dans les jardins de l'ECREVIS, et toutes les générations sont représentées.
Face à une opinion de plus en plus choquée, l'éditocratie en roue libre !
Ce vendredi soir à l'ECREVIS, à première vue que des gens ordinaires, choqués à juste titre par ce qui se passe à Gaza. Pas d'abayas et de voiles intégraux en vue, ni stand du Hamas, du Hezbollah ou encore des Frères Musulmans. Heureusement que Caroline Fourest n'est pas là, car elle risquerait de qualifier l'ensemble des personnes présentes d'« idiots utiles des islamistes ».

En effet, alors que l'évidence d'un génocide en cours à Gaza est de plus en plus difficile à nier et que les opinions publiques partout sur la planète, y compris en France, semblent de plus en plus choquées par ce qui se passe au Proche-Orient[4], une bonne partie de nos « journalistes », appelons-les plutôt « éditorialistes » ou « doxosophes », continuent de nous offrir un festival de mauvaise foi et d'indignation à géométrie variable, qui devrait ôter définitivement toute crédibilité à leurs propos. Le César de la malhonnêteté intellectuelle pourrait être décernée la semaine écoulée à Caroline Fourest, pour sa « couverture » de la « flottille de la liberté », renommée « la flottille s'amuse »[5] selon un jeu de mots pour le moins douteux, n'ayant pas hésité à faire dans l'insulte et l'outrancier[6]. Une éditorialiste d'autant plus dangereuse qu'elle pare toujours ses démonstrations d'un certain nombre d'informations tout à fait factuelles mais amplifiées à dessein, et jamais resituées dans leur contexte, comme dans le cas de Zaher Birawi, cofondateur de la « flottille de la liberté » et accusé d'être un « agent du Hamas »[7]. Et les liens entre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le Hamas, on en parle ?[8] Et le traitement d'un journaliste français détenu illégalement par Israël[9], on en parle ?
Heureusement que de véritables journalistes, qui vont sur le terrain et se donnent la peine d'interroger les principaux concernés, sauvent l'honneur de la profession, comme cette semaine dans Envoyé Spécial[10]. Ils sont malheureusement trop souvent noyés par le bruit de fond permanent des éditorialistes des chaînes d'infos en continu, devenus un véritable cancer de l'information. L'absurde est que ces derniers continuent de pérorer sur les ondes sur le mode « le droit d'Israël à se défendre » alors que parmi les Israéliens eux-mêmes, de plus en plus de voix dissidentes commencent à émerger pour dénoncer le génocide en cours et exiger un cessez-le-feu immédiat et des sanctions à l'égard d'Israël[11]. Et alors que plus de 200 journalistes palestiniens sont morts eux pour avoir effectué le métier d'essayer d'informer[12].Alors pourquoi cet acharnement à refuser de voir l'évidence ? Et si la véritable raison n'était pas surtout leur vision raciste de la société française, à mille lieux de la géopolitique proche-orientale ?
Israël, bras armé des nouveaux croisés contre l'Islam
C'est en lisant notamment un des derniers ouvrages de Pascal Boniface, Permis de tuer, Gaza : génocide, négationnisme et Hasbara, que ce mystère de l'acharnement médiatique français à défendre inconditionnellement les exactions israéliennes s'éclaircit un peu. L'expert en géopolitique, auteur de nombreux ouvrages de relations internationales[13], part notamment du constat objectif de différence totale de traitement médiatique entre l'agression russe de l'Ukraine, qui a scandalisé à raison, et la destruction totale de Gaza par l'armée israélienne, qui continue de bénéficier d'une complaisance médiatique absolument indéfendable en droit international. Il explique ce « tropisme pro-israélien dans la plupart des médias français » par des raisons légitimes comme « la culpabilité par rapport à l'antisémitisme – concernant en particulier Vichy et la Shoah » et des motivations beaucoup moins « nobles ». Pascal Boniface écrit : « Israël est aussi soutenu pour être la pointe avancée du combat contre l'Islam. Pour ceux qui ont mal digéré la guerre d'Algérie, ou pour ceux qui, pour d'autres raisons éprouvent un racisme anti-arabe, qui assimilent islam et terrorisme, Israël « fait le boulot ». »

Benyamin Netanyahou joue d'ailleurs à fond cette carte, ayant déclaré sur TF1 en mai 2024[14] :
« Notre victoire c'est la victoire d'Israël contre l'antisémitisme, c'est la victoire de la civilisation judéo-chrétienne contre la barbarie. C'est la victoire de la France. »
On comprend tout de suite mieux cet amour inconditionnel d'Israël qui illustre surtout l'islamophobie ambiante dans une France gangrénée par la lepénisation des esprits et la bollorisation des médias[15]. Et cela rejoint les mots de la prix Nobel de littérature Annie Ernaux, tout récemment dans la Grande Librairie : « Cela suppose que soit nommé et interrogé l'imaginaire raciste à l'égard des Arabes qui est au cœur de l'acceptation du martyre de Gaza »[16].
Alors que la peur de l'Islam ne cesse d'être instrumentalisée par le gouvernement actuel, sous perfusion idéologique d'un Rassemblement national plus fort que jamais, entre hystérie autour du voile[17] et fabrication de toutes pièces d'une menace « frériste »[18], alors que des milliardaires d'extrême droite comme Vincent Bolloré ou Pierre-Edouard Stérin[19] tentent d'imposer leur agenda réactionnaire, le traitement médiatique dominant en France sur le génocide de Gaza vient parfaitement illustrer cette vision du monde antirépublicaine de « choc des civilisations », entre une civilisation judéo-chrétienne fantasmée dont Israël serait le premier bras armé en terre sarrasine et un Islam global perçu comme un bloc idéologique monolithique barbare par nos éditorialistes hémiplégiques, dont l'analyse du monde relève surtout des propos de bistrot racistes.
Bien plus que les Frères musulmans, ce sont ces nouveaux croisés des plateaux télé qui sont véritablement dangereux pour notre vivre ensemble et nos principes républicains de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité. A quand un rapport parlementaire sur le séparatisme de Pascal Praud ?
En attendant, l'horreur du génocide en cours à Gaza heurte à raison notre conscience universelle, comme elle fut heurtée le 7 octobre 2023, sans jamais avoir l'indignation à géométrie variable. Car pour la majorité des personnes sincères que l'on croise dans les rassemblements comme celui du 13 juin à l'ECREVIS, la vie d'un enfant palestinien vaut celle d'un enfant israélien. Mais même sans nous projeter jusqu'à Gaza, le traitement médiatique ici de la situation là-bas est très lourd de dangers pour notre propre liberté d'expression, notre droit à une information honnête et sourcée, notre vivre ensemble, nos principes républicains, et au final notre propre démocratie.
Alors indignons-nous sous toutes les formes possibles contre le génocide en cours, car si on ne le fait pas pour les Gazaouis, faisons-le au moins pour nous.
Comme l'écrit la jeune auteure gazaouie Nour Elassy : « Si les droits humains, la morale, ont un sens, Gaza est l'endroit où ces valeurs doivent subsister ou mourir. Car si le monde peut nous regarder disparaître sans rien faire, rien de ce qu'il prétend défendre n'est réel. »
Benjamin Joyeux
Notes
[1] Ecouter notre podcast : https://librinfo74.fr/radio-librinfo-episode-1-ebullition-a-lecrevis/
[2] https://www.instagram.com/ithar_74/
[3] https://www.instagram.com/afpsannecy/
[4] Voir le sondage Odoxa selon lequel 74% des personnes interrogées soutiennent la prise de sanction à l'égard d'Israël : https://www.publicsenat.fr/actualites/international/gaza-les-trois-quarts-des-francais-soutiennent-la-position-de-la-france-et-des-sanctions-contre-israel
[5] Voir https://www.franc-tireur.fr/la-flotille-samuse
[6] Lire https://www.acrimed.org/Flottille-pour-Gaza-la-hargne-de-l-editocratie
[8] Lire par exemple https://fr.timesofisrael.com/pendant-des-annees-netanyahu-a-soutenu-le-hamas-aujourdhui-on-en-paie-le-prix/
[12] Voir https://www.youtube.com/watch?v=FiREi0vtRM0
[13] Par ailleurs directeur de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques, boycotté depuis plusieurs années par nos principaux médias audiovisuels, lire https://www.lecourrierdelatlas.com/le-nouveau-livre-de-pascal-boniface-sur-gaza-ignore-par-les-medias/
[15] Lire notamment https://www.humanite.fr/en-debat/arcom/quelle-riposte-a-la-bollorisation-des-medias
[18] Lire https://theconversation.com/les-freres-musulmans-menacent-ils-reellement-la-republique-257303

Entre sursaut populaire et menace nucléaire

L'engrenage armé au Moyen-Orient a pour point d'orgue la destruction des capacités nucléaires de l'Iran et l'occupation de la Palestine. C'est le dessein affiché par Benjamin Netanyahu. Hier lundi, le Premier ministre déclarait que « tuer Khamenei mettra fin au conflit ». Annonce faite au moment où 40 Palestiniens (es) sont tués par son armée. A Paris, ce samedi, la colère était à son paroxysme !
De Paris, Omar HADDADOU
L'escalade armée au Moyen-Orient tombe à point nommé pour Trump et les Européens afin de finaliser des commandes civiles et militaires colossales. Ce lundi 16 juin, pendant qu'on enterrait à Gaza les 40 victimes des bombardements israéliens sur un site de distribution d'aide humanitaire, géré par la Fondation GHF, le Président américain avait la tête focalisée sur le choix d'agréer ou d'exclure la demande de Volodymyr Zelensky quant à l'achat de matériel militaire. C'est dire l'état d'esprit qui prédomine la Géopolitique.
Trump dont les bruits de couloir susurrent qu'il aspirerait à un Prix Nobel de la Paix, aura quand même réussi à se hisser au rang d'excellent Promoteur des Belligérances !
Ce climat de reconfiguration de la planète en un immense Souk d'Intérêts stratégiques des puissances occidentales, a ouvert le champ à toutes les conquêtes et les coups de boutoir à l'égard des dominés.
Comble de l'indignité à consigner, l'organisation du Salon du Bouget (Vitrine des Avionneurs européens) en France, au moment où le bilan à Gaza dépasse les 55 000 morts et 12 blessés. Syndicats et Journalistes de Gauche ont fustigé l'évènement, le qualifiant de honte !
La folie des Puissants nous passionne ! L'Humanité restera -t-elle sans défense face à l'empiètement du Droit International par Neatanyahu et Trump ? L'assentiment claironné du Président américain, a conforté l'empressement de son alter égo à détruire les capacités nucléaires de l'Iran, en passe d'atteindre le nombre requis de centrifugeuses pour l'enrichissement de l'uranium (à Natanz) et l'acquisition de l'arme nucléaire.
D'où l'entreprise d'éliminer les ténors de l'Etat-Major, les Eminences grises et la promesse d'abattre le Guide suprême iranien : « Tuer Khamenei, mettra fin au conflit » « Nous changerons la face du Moyen-Orient. Nous les éliminerons un par un ! » annonçait -il-hier, à la télé.
Quelques heures plus tard, avant minuit, l'Iran procédait à des frappes jusqu'à l'aube sur l'Etat hébreu. Le monde pourrait basculer dans un troisième conflit mondial par le triomphe de l'Injustice (Hogra !)
En France, comme partout en Europe, l'escalade mortifère a suscité une vague d'indignations et de rassemblements impressionnants pour dénoncer l'impunité et la politique génocidaire de Netanyahu.
Le retour de la « Flottille de la Liberté » impulsée par la franco-palestinienne, Rima Hassan et les membres d'équipage, a était un moment fort, donnant lieu, ce samedi 14 juin, à une mobilisation de grande ampleur contre le génocide à Gaza. Ils étaient plus de 150 000 manifestants (es) à battre le pavé entre République et Nation. Dans le cortège, les Syndicats poids lourds, tels que CFDT, CGT, FO, FSU, UNSA, etc, insufflaient une dynamique contestataire assourdissante.
La présence des étudiants (es) et la jeunesse militante, brandissant des slogans pour la Paix, est de loin la plus importante au cœur de la ferveur de la marche. Il serait évidemment indélicat de ne pas citer les familles avec leurs enfants à bas âge, les retraités, les travailleurs (es), les Magistrats, les Demandeurs d'Emploi, les Sans-Papiers, etc, qui criaient de toute leur force de « cesser le massacre des innocents et des bébés ! ».
Notons l'investissement fédérateur et puissant de la France-Insoumise, d'Urgence Palestine (menacée par l'épée de Damoclès), d'EuroPalestine, des Ecologistes, ainsi que d'autres collectifs, scandant d'une seule voix : « Rima, Rima, Paris est avec toi ! » Puis en arabe : « Tahya tahya Falestine (Vive, vive Palestine) », « Ertah ertah ya chahid ! Sa nouasal el Kifah ! (Repose-toi Martyr, nous poursuivrons le combat ! » « Sahyouni Bara ! Falestine Houra ! (Sioniste dehors ! Palestine, libre ! » « Cessez-le feu ! Cessez-le feu ! Nous sommes tous des Palestiniens ! ». Et la voix de Rima de galvaniser les milliers de manifestants (es) sous les yous yous des femmes : « Nous continuerons, jusqu'à la libération de la Palestine ! ».
O.H
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Grande manif à Paris après le retour de Rima Hassan et la "Flottille de la liberté" et en continuation à la mobilisation massive pour Gaza.
Impulsée par la France Insoumise et l'Intersyndicale, la dynamique va reprendre dès demain au Trocadéro.LE DEUXIEMME BATEAU EST DEJA PRET A PARTIR !C'est un point de non retour de la lutte du Peuple auquel nous assistons, ici comme partout dans le monde !








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Quelques jours après un meurtre d’extrême-droite, Retailleau dissout la Jeune Garde : faisons front !

Ce jeudi 12 juin, Bruno Retailleau a annoncé avoir dissous la Jeune Garde en conseil des ministres. Alors que l'extrême droite se félicite de cette offensive, l'ensemble des organisations de la gauche syndicale et politique doit faire front en solidarité avec l'organisation antifasciste et contre le durcissement autoritaire.
12 juin 2025 | tiré de Révolution permanente
https://www.revolutionpermanente.fr/Quelques-jours-apres-un-meurtre-d-extreme-droite-Retailleau-dissout-la-Jeune-Garde-faisons-front
Crédits photo : Compte X de Raphaël Arnault
« Je me félicite que les organisations La Jeune Garde et Lyon Populaire aient été dissoutes ce matin ». C'est par ces mots que le ministre de l'Intérieur a publiquement annoncé ce jeudi la dissolution de l'organisation antifasciste la Jeune Garde, en parallèle de celle d'une organisation d'extrême-droite, qui sert de caution à la répression des antifascistes.
Bruno Retailleau avance ainsi dans la procédure administrative annoncée le 29 avril dernier contre la Jeune Garde, mais aussi Urgence Palestine, dont il n'a pour le moment pas annoncé la dissolution. Cette nouvelle dissolution constitue une offensive autoritaire d'ampleur du gouvernement, que l'extrême-droite n'a pas tardé à saluer. « Victoire du Rassemblement national, la Jeune Garde a été dissoute ! » a ainsi réagi Julien Odoul du RN sur X. De fait, avec la dissolution de la Jeune Garde, cofondée par le député LFI Raphaël Arnault, Bruno Retailleau accorde à l'extrême-droite une revendication de longue date.
L'annonce de l'attaque avait eu lieu quelques jours à peine après le meurtre islamophobe d'Aboubakar Cissé, assassiné dans la mosquée Khadidja à La Grand-Combe. Un moment symbolique choisi pour ré-affirmer son soutien à une extrême droite de plus en plus décomplexée et violente, contre laquelle la Jeune Garde lutte depuis sa création en 2018.
De la même façon, ce jeudi, la nouvelle annonce survient au lendemain des obsèques d'Hichem Miraoui, victime d'un meurtre raciste début juin. Ces dernières semaines, la Jeune Garde s'est mobilisée contre sa dissolution, notamment en manifestant en nombre le 1er mai, mais aussi contre la dissolution d'Urgence Palestine.
Cette dissolution n'est pas seulement celle d'une organisation antifasciste, mais aussi d'une organisation qui soutient la Palestine et dénonce le génocide à Gaza, et ce au moment où celui-ci s'accélère. Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, la Jeune Garde dénonce le rôle du gouvernement dans le renforcement du racisme, note que « c'est la première fois depuis 1945 que l'organisation d'un député d'opposition est dissoute » et annonce porter un recours auprès du Conseil d'État
L'ensemble des organisations politiques et syndicales de gauche doivent apporter leur soutien à la Jeune Garde et opposer le front le plus large possible en défense des droits démocratiques. Contre les procédures bâillons qui visent à réprimer le mouvement social, du soutien à la Palestine, aux collectifs contre l'islamophobie comme le CCIF, jusqu'aux collectifs antifascistes, le mouvement ouvrier doit prendre l'initiative d'une large mobilisation contre la répression et l'offensive anti-démocratique. Face à la cabale de l'extrême droite et d'un ministre ultra-réactionnaire contre une organisation… antifasciste, il faut à nouveau faire front !
Podcast avec deux militant-es de la Jeune Garde - et Ugo Palheta - publié par Spectre


Mouvement étudiant en Serbie : « soit on s’arrête, soit ce sera la guerre civile »

Depuis novembre 2024, les étudiants serbes mènent une révolte sans précédent contre le gouvernement corrompu de Vučić. Avec deux camarades belges de la Gauche Anticapitaliste, je suis allée à Belgrade à leur rencontre.
12 juin 2025 | tiré d'International View Point
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article9039
Devant la Faculté de philosophie de Belgrade, une table et des chaises de camping sont installées. Une dizaine d'étudiants, emmitouflés dans des duvets, surveillent l'entrée. Sur la table, des sudokus et des paquets de cigarettes pour passer le temps. Les étudiants se relaient dès 8 h du matin pour garder la faculté, devenue à la fois dortoir et Assemblée populaire. Plusieurs fois par semaine, des cours y sont organisés, ouverts à toutes et tous. On y tient aussi des assemblées décisionnelles où se dessine l'avenir du mouvement. Les étudiants nous accueillent avec le sourire, prennent la parole tour à tour, puis tous en même temps. Ils nous disent être là depuis le jour 0, soit déjà six mois.
Petit rappel : le 29 novembre dernier, l'auvent de la gare de Novi Sad s'est effondré, causant la mort de 15 personnes (1). Les étudiants se sont rapidement mobilisés contre le régime autoritaire d'Aleksandar Vučić, accusé d'avoir attribué les travaux à des entreprises corrompues et incompétentes.(2) Dans un pays où il est difficile de critiquer le pouvoir en place, les étudiants ont réussi un tour de force : ils ont « dépolitisé » le mouvement, refusant d'en faire un combat partisan dans un pays profondément divisé. Cette stratégie leur a permis de rassembler au-delà des clivages idéologiques. Ils ont structuré leur mobilisation autour de quatre revendications simples :
– 1. Publication de tous les documents relatifs à la reconstruction de la gare de Novi Sad, actuellement inaccessibles au public.
– 2. Confirmation par les autorités compétentes de l'identité de toutes les personnes raisonnablement soupçonnées d'avoir agressé physiquement des étudiants et enseignants, et ouverture de poursuites pénales.
– 3. Abandon des charges contre les étudiants arrêtés pendant les manifestations, et suspension de toutes les procédures judiciaires.
– 4. Augmentation de 20 % du budget alloué à l'enseignement supérieur.
La réponse à ces revendications a été massive. Les étudiants ont réussi à rallier une large partie du pays, à l'aide de diverses techniques de mobilisation, comme les marches nationales pour contrer la propagande d'État. Le mouvement a atteint son apogée le 15 mars 2025, lorsque 400 000 personnes ont afflué vers la capitale.(3)
Mais que s'est-il passé depuis ? Pourquoi les médias ont-ils cessé de parler des Balkans ?
Le gouvernement joue la carte de l'usure face à une jeunesse épuisée
Face à cette contestation persistante, le gouvernement a rapidement réagi en jouant la montre et en utilisant le calendrier universitaire à son avantage. Fin mai, les examens approchent. Le gouvernement en profite pour exercer une pression supplémentaire sur les étudiants. Ces derniers ont pris leur décision : ils passeront les examens, en sachant qu'ils vont les rater. Ils ont choisi de sacrifier une année d'études pour l'avenir de leur pays.
En réponse à cet échec massif potentiel, le gouvernement serbe menace de privatiser les universités, sous prétexte que le secteur public ne garantit pas le succès des étudiants. Face à cette stratégie de l'échec, les rangs se clairsement : « au début, les gens venaient, maintenant on est à bout ». Bien qu'encore soutenu par une majorité de la population, le nombre d'activistes actifs diminue : « nous ne sommes pas assez nombreux, maintenant nos gardes vont de 8 h à 11 h ». De moins en moins d'entre eux viennent garder les barricades universitaires : « nous sommes les derniers soldats courageux », disent les irréductibles.
À la pression du gouvernement s'ajoute sa guerre psychologique : propagande, campagnes de discrédit, manœuvres déloyales. Les étudiants dénoncent le groupe « Studenti koji žele da studiraju » – littéralement « les étudiants qui veulent étudier » – mis en place par le pouvoir et installé devant le Parlement pour contrecarrer les manifestants.(4)
Malgré la fatigue et les stratégies politiques vicieuses, le mouvement résiste, notamment grâce à une structure horizontale bien rodée.
Un mouvement se revendiquant non hiérarchique, apolitique et non partisan
Les étudiants s'expriment à tour de rôle devant l'université, aucun ne se distingue particulièrement. Au début du mouvement, certains ont tenté de s'imposer, mais ont vite été écartés. Le mouvement ne reconnaît aucun leader. Dans les médias, on ne voit jamais les mêmes visages : « nous voulons mettre en avant les revendications, pas les personnes ». Il revendique une organisation totalement horizontale : « nous sommes contre la hiérarchie ». Ils se veulent également apolitiques et non partisans, afin de rassembler le plus largement possible et de déjouer les tentatives de récupération par l'opposition ou certains enseignants cherchant à obtenir des postes dans un éventuel gouvernement technocratique.
Mais en réalité, le mouvement est traversé de profondes divisions politiques
Derrière cette façade apolitique, une ligne idéologique plus affirmée se dessine. Des étudiants de la faculté de philosophie expliquent : « c'est un mouvement communiste par essence ». Ils défendent l'idée d'un Front social donnant le pouvoir au peuple : « que le peuple décide ». Le Front social n'existe pas encore formellement en Serbie, mais c'est une proposition politique issue du mouvement étudiant. Il vise à créer un large réseau horizontal rassemblant étudiants, travailleurs, agriculteurs et autres groupes sociaux, unis contre la corruption et l'autoritarisme du régime Vučić. Ce projet veut dépasser les clivages traditionnels, rejeter la manipulation partisane et promouvoir une démocratie directe et participative. (5)
La faculté de philosophie à laquelle appartiennent les étudiants rencontrés, ancrée à gauche, critique ouvertement d'autres établissements jugés trop conciliants avec les institutions libérales. Elle défend une ligne anti-européenne et souverainiste, convaincue que l'UE méprise la jeunesse serbe. À plusieurs reprises, l'UE est tenue pour responsable des bombardements de 1999 : « nous n'aimons pas l'UE »(6). À l'inverse, d'autres universités restent tournées vers Bruxelles et semblent attendre une réponse de l'Union européenne, souhaitant reproduire les sociétés libérales d'Europe occidentale. Mi-mai, une vingtaine d'étudiants ont couru 2000 km de Novi Sad à Bruxelles dans l'espoir d'une réponse des institutions européennes, qui soutiennent discrètement le gouvernement Vučić (7).
L'Europe et la France négocient-elles encore les droits humains et la démocratie ?
La France, ou la « grande démocratie européenne » qui vend des Rafale à un autocrate
Le 9 avril, Emmanuel Macron a reçu le président Vučić, sans un mot sur le mouvement étudiant ni sur la dérive autocratique du pays (8). Comment se fait-il que, face à un tel déni de démocratie, les pays européens détournent le regard ?
La complicité silencieuse de la France s'explique par des intérêts économiques et géopolitiques. Depuis sa réintégration dans les Balkans en 2019, la stratégie française privilégie la coopération sécuritaire et économique, au détriment des exigences démocratiques. Paris préfère ouvrir un marché à ses investisseurs plutôt que de lutter contre la corruption. En juillet 2023, Vučić a signé un contrat historique avec Macron : l'achat de 12 avions de chasse Rafale pour 3 milliards d'euros. Le président français a alors salué une « démonstration de l'esprit européen ».
Une somme colossale pour un pays où le salaire minimum ne dépasse pas 400 euros mensuels, mais qui renforce les liens militaro-industriels entre Paris et Belgrade. Et la France ne s'arrête pas là. Elle est impliquée dans plusieurs projets stratégiques en Serbie : Vinci exploite l'aéroport de Belgrade, Michelin a une usine de pneus à Pirot, et des discussions sont en cours pour construire des centrales nucléaires en partenariat avec EDF et Framatome.
Cette politique s'inscrit dans un cadre plus large appelé stabilocratie (9), c'est-à-dire le soutien tacite à des régimes autoritaires tant qu'ils garantissent une stabilité politique et un accès aux marchés. En privilégiant ses contrats à ses principes, la diplomatie française alimente un statu quo géopolitique qui renforce un régime autoritaire au détriment d'une société civile en lutte pour la démocratie.
L'Europe du marché, pas des peuples
Le silence français fait écho au silence européen. Le président serbe a même été publiquement félicité par Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, saluant son « sens des responsabilités » et le « potentiel économique » du pays, sans un mot sur les atteintes à la démocratie ou la corruption. En 2023, sous prétexte de « transition écologique »(10), l'UE a relancé le projet minier très controversé de Rio Tinto, suspendu en 2022 grâce aux mobilisations écologistes. Un projet d'extraction de lithium destiné à l'industrie européenne, sans égard pour les écosystèmes locaux ni les populations concernées. La jeunesse serbe est sacrifiée sur l'autel de la transition « verte » européenne.
La même année, la Serbie a reçu la plus importante subvention européenne de son histoire : plus d'un demi-milliard d'euros pour la rénovation du corridor ferroviaire Belgrade-Niš.
La Serbie est aussi un point stratégique pour Bruxelles. Elle se trouve sur la route des Balkans et permet de sous-traiter le contrôle migratoire. La Serbie agit comme tampon et se permet des refoulements illégaux, des violences policières et le non-respect des droits humains (11). Ainsi, l'Europe garde les mains propres et Vučić, en jouant le rôle de gardien de la « forteresse », s'achète l'indulgence politique de Bruxelles. L'UE redoute aussi un basculement vers la Russie, partenaire économique et marché potentiel. Bien qu'elle soit candidate à l'adhésion, la Serbie refuse d'aligner ses sanctions sur celles de l'UE contre Moscou. Vučić joue habilement de cette position « non alignée », oscillant entre promesses d'intégration européenne et proximité assumée avec le Kremlin. Ce double jeu inquiète Bruxelles, qui craint que Belgrade devienne un cheval de Troie russe au cœur du continent.
Tous ces intérêts économiques et géostratégiques justifient que les dirigeants européens ferment les yeux sur un gouvernement illibéral et des pratiques autoritaires. On peut alors se demander : à quoi sert l'Union européenne si elle sacrifie sa jeunesse au nom du libre-échange, de la sécurité et des relations géopolitiques (12) ?
Et maintenant ? « Soit on s'arrête, soit ce sera la guerre civile »
La mobilisation s'essouffle (13). Vučić assure à ses partisans que « l'histoire est finie ». Lucides, les étudiants de la faculté de philosophie n'envisagent plus que deux issues : « soit on s'arrête, soit ce sera la guerre civile ». Ils insistent encore : leur objectif est avant tout de mobiliser les Serbes : « nous voulons mobiliser notre peuple ». Il ne s'agit pas seulement de changer le gouvernement, mais de changer de système.
À l'heure où les étudiants serbes nous rappellent que l'émancipation ne viendra ni des gouvernements ni des institutions, mais des peuples en lutte, nous pouvons nous demander : quel est notre rôle dans cette solidarité internationaliste qu'il reste à construire ?
5 juin 2025 –
Notes
1] Euronews, 30 December 2024 “Serbian prosecutors indict 13 over deadly canopy collapse that sparked mass protests”.
[2] For more context see “Serbian students cycle to Strasbourg, Macron prefers to receive the autocrat Vučić”, “Chronology of the struggle in Serbia”, “Student protests in Serbia : "The movement cannot afford to stop now"”, “Serbia's Mass Protests Against a Crony-Capitalist Government”.
[3] BBC, 16 March 2025, “Serbia's largest-ever rally sees 325,000 protest against government”.
[4] See Ćaciland Protest Camp.
[5] Contretemps, 25 February 2025 “Mouvement étudiant en Serbie : « Un État-providence, c'est ce dont notre pays a besoin »”, Cerises la Coopérative, 4 April 2025, “Serbie : un nouveau front étudiants-travailleurs”.
[6] Modern Diplomacy, 18 March 2025, “Remembering 1999 : How the NATO Bombing Shaped Serbian National Identity”.
[7] Brussels TImes, 13 May 2025, ‘From my village to Brussels' : Serbian student protest reaches Belgium.
[8] Euronews, 10 April 2025 “President Vučić gets strategic support from France for Serbia's ‘European destiny'”.
[9] Fondation Jean-Jaurès, 2 June 2022, “Sortir de la ‘stabilocratie' : repenser l'approche française des Balkans occidentaux”.
[10] Reporterre, 13 May 2025, “En Serbie, la lutte contre le lithium alimente une révolte historique”.
[11] Amnesty International “Human rights in Serbia”.
[12] Fondation Jean-Jaurès, 20 January 2025 “En Serbie, une ultime bataille pour la démocratie fait rage dans l'indifférence de l'Europe”.
[13] RFI, 22 May 2025, “Serbie : malgré des résultats, les manifestations anti-Vucic perdent de leur ampleur”.

En Pologne, victoire électorale de la droite dure

Au second tour de l'élection présidentielle polonaise, le 1er juin, Karol Nawrocki, soutenu par la droite extrême (PiS, parti Droit et Liberté) et l'extrême droite illibérale et fascisante a gagné avec 50,89 % contre 49,11 % à Rafal Trzaskowski, le candidat libéral soutenu par le gouvernement actuel de Donald Tusk (PO, Plateforme civique).
Tiré de Inprecor
11 juin 2025
Par Jan Malewski
© Karole Nawrocki sur Facebook
Le taux de participation a atteint 71,63 %, plus qu'à toutes les élections présidentielles précédentes. Au premier tour (18 mai) Trzaskowski (31,36%) était légèrement (31,36%) devant Nawrocki (29,54%), mais les candidats de la droite fascisante et pro-poutiniste ont obtenu 22,69 % alors que celles et celui se réclamant de la gauche seulement 10,18 %. Il s'agit donc d'une sérieuse défaite et la coalition gouvernementale pourrait se décomposer, laissant ainsi la place à un gouvernement ultra conservateur, voire à une coalition avec l'extrême droite.
Tusk incapable de répondre aux questions démocratiques et sociales
Si la République en Pologne est moins présidentialiste qu'en France et que le gouvernement n'est pas dirigé par le président, ce dernier peut bloquer le gouvernement en refusant de signer les lois adoptées par le Parlement. De plus, le gouvernement Tusk n'a toujours pas été capable de remettre sur pied la justice et le tribunal suprême que les gouvernements précédents du PiS ont déformé.
En octobre 2023, la mobilisation populaire contre l'autoritarisme gouvernemental du PiS et surtout pour les droits des femmes bafoués avait permis la victoire électorale de la coalition menée par Tusk. Plus d'un an après, le nouveau gouvernement s'est avéré incapable de réaliser ses promesses en matière des droits démocratiques, qui comprenaient l'abandon du néolibéralisme technocratique au profit d'une gouvernance plus humaine et démocratique, des réformes telles que la libéralisation de la loi sur l'avortement, une politique de logement social et un investissement plus important dans la culture et l'éducation.
Pire, il commencé à céder à des réflexes illibéraux en durcissant le discours contre l'immigration et en créant un Comité gouvernemental pour la déréglementation qui se donne pour but d'alléger la responsabilité des hommes d'affaires et, à terme, de réduire leurs impôts… Même la nouvelle radio-télévision publique, remplaçant la machine de propagande du PiS, s'est avérée incapable de réaliser un journalisme indépendant.
Deux choix, une seule option : le marché
En absence d'une forme stable d'auto-organisation des mouvements de protestation précédents la société polonaise et en particulier la classe ouvrière est restée atomisée, espérant de moins en moins du gouvernement libéral, voire se retournant contre lui. Ainsi, chez les électeurs n'ayant qu'un niveau d'éducation primaire, Nawrocki a obtenu 73,4 %, et dans le groupe des électeurs ayant suivi une formation professionnelle, 68,3 %. La répartition par profession révèle une situation similaire. Nawrocki a triomphé parmi les agriculteurs (84,6 %) et les travailleurs manuels (68,4 %). Il arrive même en tête parmi les chômeurs (64,7 %). Et si les femmes ont plus voté en faveur de Trzaskowski (52,8%), Nawrocki l'emporte parmi l'électorat le plus jeune (53,2 % chez les 18-29 ans et 54 % chez 30-39 ans). Les jeunes ont voté plus contre le gouvernement que pour lui.
Car le choix était entre deux candidats liés au dogme du marché libre et à l'austérité fiscale. La seule différence est que le libéralisme économique de Trzaskowski privilégie les déréglementations telles que la réduction des cotisations sociales des entreprises (sans toucher à celles des travailleurs), tandis que Nawrocki est pour un contrôle autoritaire de l'État au service des élites économiques.
C'est un nouvel épisode d'une lente décomposition du libéralisme post-stalinien, tel qu'il a été conçu depuis 1989. Cela laisse la porte ouverte à la droite radicale, qui peut ainsi s'emparer du ressentiment accumulé.
Publié par L'Anticapitaliste le 12 mai 2025
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Grèce : une offensive inquiétante contre le pluralisme médiatique

En Grèce, le gouvernement Mitsotakis met en œuvre une stratégie de contrôle sur l'information dans un contexte de mécontentement public et de scandales. Des actions récentes, comme la fermeture d'Attica TV, la révocation de licence pour Dimokratia FM et l'encadrement des créateurs YouTube, soulèvent des questions sur le pluralisme médiatique et la liberté d'expression déjà limités dans le pays.
Tiré du blogue de l'auteur.
La démocratie hellénique semble aujourd'hui prise au piège d'une stratégie gouvernementale insidieuse, orchestrée pour museler toute voix dissonante au sein de son paysage médiatique. Sous l'égide du gouvernement de droite de Kyriakos Mitsotakis, au pouvoir depuis 2019, la Grèce assiste, non sans inquiétude, à une succession d'événements qui dessinent un plan délibéré visant à asseoir un contrôle hégémonique sur l'information. Cette offensive survient dans un climat de colère populaire exacerbée, alimenté par des scandales à répétition et l'indignation face à l'inaction du pouvoir.
Colère populaire et scandales à répétition
Le peuple grec, déjà exaspéré, a exprimé son "ras-le-bol" lors de manifestations d'une ampleur inédite, notamment en février dernier, avec des rassemblements massifs en Grèce et à l'étranger. Au cœur de cette colère, la tragédie ferroviaire de Tempe, qui a coûté la vie à 57 personnes en février 2023, incarne la perception d'une gouvernance clientéliste et opaque. La dissimulation et le déni de responsabilité face à ces défaillances des systèmes de sécurité ferroviaire sont perçus comme une insulte par les familles des victimes et une grande partie de la population. Cette défiance s'est aggravée avec l'éclatement du scandale du logiciel espion "Predator". En 2022 il a été révélé que le téléphone du leader de l'opposition socialiste, avait été mis sur écoute par les services secrets grecs, en parallèle d'une tentative d'infection par "Predator qui a visé des centaines d'autres personnes.
Ces révélations ont déjà causé des dommages électoraux au parti de la Nouvelle Démocratie au pouvoir. La corruption est toujours endémique dans le pays et le gouvernement Mitsotakis a mis en place, depuis 2019, un système de pouvoir clientéliste et centralisé, marginalisant les institutions indépendantes et la voix de la société civile. Par ailleurs, le creusement des inégalités produit par les politiques en faveur de l'oligarchie, l'alignement atlantiste absolu au niveau de la politique étrangère et la proximité affiché avec Trump et Netanyahu ne fait que renforcer le ressentiment de la majorité de la population. C'est dans ce contexte de colère populaire exacerbée et de déliquescence institutionnelle que s'intensifie l'offensive du gouvernement contre la liberté de la presse. En l'espace de seulement quinze jours, trois événements majeurs illustrent cette manœuvre visant à étouffer toute voix qui n'a pas accepté d'être corrompue et qui continue de lui faire face.
La fermeture d'Attica TV
L'épisode le plus révélateur est sans conteste la fermeture abrupte d'Attica TV. Cette chaîne, connue pour sa proximité avec l'opposition de centre gauche, a annoncé l'arrêt immédiat de ses opérations à ses quelque soixante-dix employés. La fréquence d'Attica TV appartenait à la municipalité d'Aspropyrgos et était exploitée par la société Media Time, liée aux hommes d'affaires Dimitris Bakos, Giannis Kaimenakis et Alexandros Exarchou. Alors que leur contrat de location courait jusqu'en septembre 2025, la décision fut prise d'y mettre fin prématurément, sous le prétexte d'un désaccord sur le renouvellement du bail. Il a été révélé que la proposition des propriétaires de réduire drastiquement le loyer mensuel, de 20 000 à 5 000 euros, était manifestement une manœuvre destinée à provoquer l'échec des négociations. Il est crucial de souligner que Messieurs Bakos, Kaimenakis et Exarchou, bien que moins médiatisés, jouissent d'un portefeuille d'investissements colossaux, se chiffrant en milliards d'euros, couvrant des secteurs aussi lucratifs que la construction, la banque et l'énergie, avec 132 entreprises recensées sous leur influence. Dans ce contexte, des pertes annuelles de l'ordre de 3 à 3,5 millions d'euros pour Attica TV étaient parfaitement gérables pour des entités de cette envergure. La cessation d'activité est donc perçue, non comme une nécessité économique, mais comme un désengagement politique calculé de l'opposition de centre-gauche, annonçant un "mauvais présage" pour la pluralité des médias grecs.
Le retrait de la licence de Dimokratia FM
Parallèlement à cette liquidation, une tentative flagrante de museler la station de radio "Dimokratia FM" a été mise en œuvre. Le groupe Filippakis, propriétaire des journaux "Dimokratia" et "Estia", avait entrepris de lancer cette nouvelle entité radiophonique sur la fréquence 102.7 FM. Le journal "Dimokratia" est connu pour son opposition très forte au gouvernement de Kyriakos Mitsotakis, incarnant la voix d'une droite populaire radicalement opposé à Mitsotakis. Cette fréquence appartenait légalement au parti d'extreme droite LAOS depuis 2010, et son examen de licence aurait dû avoir lieu il y a treize ans, après le départ de LAOS du Parlement en 2012. Étonnamment, c'est précisément à l'annonce du projet de "Dimokratia FM" que le gouvernement, par l'intermédiaire du vice-ministre auprès du Premier ministre, Pavlos Marinakis, a déposé une disposition parlementaire, le 6 juin, visant à révoquer cette licence. Cette manœuvre est clairement interprétée par les observateurs comme une machination gouvernementale dont le but ultime est la censure, cherchant à empêcher qu'une opinion dissidente n'atteigne un public plus vaste par les ondes radiophoniques.
Le contrôle de YouTube
Le bras de fer gouvernemental ne s'arrête pas aux médias traditionnels ; il s'étend désormais à la sphère numérique, particulièrement YouTube. Des dizaines de créateurs de contenu sur cette plateforme ont reçu un courriel du Conseil National de la Radio et de la Télévision (ESR), les contraignant à s'inscrire à son registre. Une telle injonction les place de facto sous la supervision de l'ESR. Le gouvernement est parfaitement conscient que des millions d'internautes grecs se sont tournés vers YouTube pour une information alternative, délaissant les bulletins des chaînes conventionnelles. La décision 1/2022 de l'ESR, qui fonde cette exigence d'enregistrement, est volontairement vague quant aux critères précis (nombre d'abonnés, fréquence de publication), mais elle affirme explicitement que la radio et la télévision sont soumises au contrôle direct de l'État. Cette imprécision confère à l'ESR le pouvoir d'imposer des amendes exorbitantes aux YouTubers pour leur contenu, constituant ainsi un outil de pression redoutable contre les chaînes d'opposition.
Ces initiatives, survenues en l'espace d'une quinzaine de jours seulement, ne sauraient être considérées comme des coïncidences isolées. Elles révèlent un plan gouvernemental visant à étouffer l'opposition médiatique. Cette stratégie s'inscrit dans un contexte plus large de détérioration de la liberté de la presse et de la confiance dans les médias en Grèce, un pays qui dégringole d'ailleurs dans les classements internationaux. La manipulation médiatique est déjà omniprésente, avec des médias largement subventionnés par le gouvernement qui soutiennent sans réserve ses politiques. L'ensemble de ces manœuvres — la suppression d'un média d'opposition traditionnel, l'obstruction à l'établissement d'une nouvelle radio critique, et l'assujettissement des plateformes numériques — ne sont pas de simples ajustements réglementaires. Elles constituent une escalade alarmante dans la tentative du gouvernement Mitsotakis de façonner un récit unique et de neutraliser toute contestation significative. Si Attica TV et Dimokratia FM à eux seuls ne suffiraient pas à garantir un troisième mandat à Mitsotakis, l'extension de ce contrôle au paysage numérique marque une étape cruciale. Cette dérive autoritaire pose de graves questions sur la santé de la démocratie grecque et la survie de la pluralité médiatique, laissant présager un avenir incertain pour la liberté d'expression dans le pays.

Italie : sur les référendums, nous avons perdu, nous recommençons à partir des mouvements sociaux

Comme on pouvait largement s'y attendre, les référendums sur le travail et la citoyenneté n'ont pas atteint le quorum requis de la moitié plus un des électeurs. C'est une nouvelle défaite pour la classe ouvrière et pour la société, une nouvelle confirmation du climat politique dégradé dans lequel les patrons font la pluie et le beau temps, au mépris des principes fondamentaux de justice, de démocratie et de solidarité humaine.
11 juin 2025 | Source - Anticapitalistas
https://anticapitalista.org/2025/06/11/sui-referendum-abbiamo-perso-ripartiamo-dai-movimenti-sociali/
Seuls 30 % des électeurs, soit environ 15 millions de personnes, ont voté, soit près de 10 millions de moins que le nombre nécessaire. Parmi eux, environ 12 millions ont voté oui aux quatre questions posées par la CGIL (entre 87 % et 89 %), mais seulement 9 millions à la question sur la citoyenneté. Un chiffre très faible, compte tenu du fait que les travailleurs et travailleuses salarié.e.s sont environ 19 millions, sans compter les retraités.e.s, les chômeurs.euses et les travailleurs.euses au noir. Un référendum qui n'a même pas mobilisé l'ensemble de la classe ouvrière, qui est bien loin de percevoir que la défense des droits de ses secteurs les plus faibles est fondamentale pour inverser les rapports de force sociaux. Le résultat de la question sur la citoyenneté, qui n'a obtenu que 65 % de oui et qui aurait probablement été rejetée même si le quorum avait été atteint grâce à une participation plus importante de votant.e.s probablement orienté.e.s à droite, est particulièrement inquiétant.
Les règles facilitant le licenciement, même abusif, des travailleurs et travailleuses, resteront en vigueur, sans possibilité de réintégration, et dans les petites entreprises, l'indemnisation éventuelle ne pourra dépasser six mois de salaire ; les entreprises sous-traitantes continueront d'être déresponsabilisées en matière de sécurité des travailleurs et travailleuses ; il restera possible de recourir à des contrats de travail précaires à durée déterminée sans même avoir à fournir de motif ; enfin, les travailleurs et travailleuses migrants continueront d'être victimes de discrimination et plus facilement victimes de chantage pendant au moins dix ans, privés des droits de citoyenneté alors qu'ils vivent, travaillent et paient leurs impôts en Italie.
Le gouvernement s'en sort renforcé
Bien que les questions référendaires n'aient pas contesté des lois mises en place par les forces politiques actuellement au pouvoir, ce sont pourtant bien les forces de droite qui se réjouissent de l'échec des référendums. Cela démontre clairement le lien indissoluble qui unit la droite aux classes dominantes et son mépris pour les droits de celles et ceux qui travaillent.
Objectivement, la droite au pouvoir sort renforcée par ce résultat. Elle a misé sur l'abstention pour faire échouer les référendums, en exploitant un ventre mou largement dépolitisé qui ne vote plus, à tel point que même lors des dernières élections européennes de 2024, moins de la moitié des électeurs inscrits s'étaient rendus aux urnes. Les fluctuations électorales devront être analysées en profondeur, mais il est probable que celles et ceux qui ne votent pas aux élections politiques ne se sont pas non plus rendus aux urnes lorsqu'il s'agissait de se prononcer directement sur des lois. Une fois de plus, il ne faut pas se faire d'illusions sur le potentiel « subversif » de l'abstention.
Maigre réconfort que celui que les partis du « grand centre » trouvent dans le fait que le nombre de « oui » soit supérieur à celui obtenu aux élections européennes par les forces de la majorité. S'il est vrai que Fratelli d'Italia, Forza Italia et la Ligue n'ont obtenu « que » 11 millions de voix en 2024, ces formations peuvent aujourd'hui revendiquer une hégémonie sur la grande majorité des électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes. En ce sens, le centre-gauche a eu tort de politiser le référendum en le présentant comme une consultation sur l'action du gouvernement.
La palme du pire parmi les partis du « Camp large » revient au Mouvement 5 étoiles, qui n'a donné aucune indication de vote sur le référendum sur la citoyenneté, allant ainsi dans le sens des perceptions racistes et de droite, comme il l'avait déjà fait en 2018 lorsqu'il avait accepté de gouverner avec la Ligue de Salvini. La nature interclassiste (mais avec une direction petite-bourgeoise) de cette formation politique ne s'est pas démentie, même dans cette épreuve. Le PD n'était pas non plus très homogène dans ses indications de vote, une partie de la direction restant campée sur la ligne de Renzi [ancien dirigeant du PD, au gouvernement de 2014 à 2016, responsable avec le Jobs Act des dégradations sur lequel portait le referendum ndt], tandis qu'une partie de son électorat, comme le montrent les premières analyses des résultats, semble avoir voté non à la question sur la citoyenneté.
Après l'adoption par le parlement du « décret sécurité » puis le résultat de ce référendum, le gouvernement post-fasciste italien devient de plus en plus dangereux. Avec le décret sécurité, dispositif fortement répressif et antidémocratique, les luttes que nous pourrons mener à l'avenir sont menacées, instaurant un climat intérieur en phase avec les vents de guerre. La prochaine bataille fondamentale sera celle du militarisme, avec les investissements considérables dans le réarmement proposés par la Commission européenne et accueillis avec enthousiasme par la droite italienne ainsi que par les droites qui gagnent du terrain en Europe.
Le référendum n'est pas l'instrument adéquat
Sinistra Anticapitalista n'a pas été l'un des promoteurs des questions référendaires mais a participé à la campagne en recommandant de voter cinq fois oui. Nous n'avons pas choisi ce terrain de bataille, mais nous ne nous sommes pas soustraits à la tâche de le mener avec toutes les forces militantes dont nous disposons.
Lorsque nous nous sommes trouvés face à la possibilité d'engager cette bataille sur les droits du travail et des migrants, nous n'avons pas hésité, et quoi qu'il en soit, au-delà du résultat, il était important de rouvrir le débat sur le travail et la citoyenneté et d'en discuter sur les marchés, dans les quartiers, sur les lieux de travail. Deux lois, le Jobs Act et la loi sur la citoyenneté, qui sont de véritables piliers de l'exploitation du travail, qui tiennent les travailleurs en otage, les soumettant encore plus au pouvoir patronal, l'une avec la menace du licenciement, l'autre avec celle de l'expulsion, les permis de séjour étant conditionnés à l'emploi. L'impunité des patrons en matière de sécurité, avec un carnage sur les lieux de travail qui fait en moyenne trois victimes par jour et la précarité généralisée avec le recours aveugle aux contrats à durée déterminée, complètent le tableau.
Cette bataille a toutefois démontré une fois de plus, comme ce fut le cas en 1984, toutes choses égales par ailleurs, sur l'échelle mobile, que le référendum ne peut être considéré comme le principal instrument auquel faire confiance pour obtenir des acquis – ou même simplement défendre les droits – de la classe ouvrière. Il serait facile de citer le Marx de la Première Internationale, selon lequel « l'émancipation de la classe ouvrière doit être l'œuvre des travailleurs eux-mêmes », pour rappeler qu'on ne peut pas remettre à un référendum, où la bourgeoisie a aussi le droit de vote, le destin de celles et ceux qui vivent de leur travail. Si l'on pense ensuite au référendum sur la citoyenneté, sur lequel les personnes directement concernées n'avaient même pas le droit de vote, l'erreur est encore plus évidente.
Il est vrai que grâce aux référendums, d'importantes batailles de civilisation ont été gagnées (le divorce, l'avortement, la chasse, le nucléaire, l'eau comme bien public), mais il s'agissait précisément de questions qui concernaient l'ensemble de la société et sur lesquelles les secteurs les plus avancés de la classe ouvrière et des mouvements sociaux avaient réussi à construire une hégémonie, grâce aussi à leur force propre, à leur capacité à s'organiser et à gagner d'abord sur leur lieu de travail, dans les familles et dans la société en général. Le sentiment commun sur ces questions était plus avancé que le législateur. Aujourd'hui, ce n'est manifestement pas le cas en matière de travail et de citoyenneté.
Le référendum est en outre un instrument de démocratie directe faussé qui ne peut être utilisé que dans des limites très étroites (et la droite propose déjà de les rendre encore plus étroites en augmentant le nombre de signatures nécessaires pour le demander). Il ne peut être sollicité sur différents sujets, en particulier ceux qui auraient une incidence sur le budget ; il nécessite un quorum de participation qui, depuis plus de trente ans, est difficile à atteindre ; il permet uniquement d'annuler des lois déjà approuvées ou de confirmer des réformes constitutionnelles qui n'ont pas obtenu une majorité qualifiée au Parlement. Mais surtout, le référendum est loin de la véritable démocratie directe. Dans ce cadre, les assemblées sur le lieu de travail ou territoriales pourraient prendre des décisions sur ce qui les concerne directement ou élire des représentants temporaires et révocables dans des assemblées de niveau supérieur pour décider de questions plus larges, au cours d'un débat qui permettrait de s'exprimer et de débattre de différentes propositions, plutôt que de se contenter de voter « oui » ou « non » sur des questions déterminées. Voilà la démocratie directe que nous voulons construire avec l'écosocialisme. Les référendums actuels ne sont qu'un simulacre de démocratie directe, et cela dit sans même parler de l'influence sur le vote des médias de masse, les réseaux sociaux informatisés y compris, sur lesquels la classe ouvrière n'a évidemment aucun contrôle. Il suffit de penser au silence médiatique qui a entouré ce référendum ou à la censure systématique des manifestations de solidarité avec le peuple palestinien.
Surtout dans cette phase historique, où l'hégémonie du capital et de la droite politique est si forte sur la société en Italie comme dans le reste du monde, confier le destin des travailleurs et des migrants au vote référendaire a été une décision aventureuse, qui a exposé la classe à une défaite tout à fait prévisible qui risque également d'affaiblir les autres luttes en cours. Peut-être que lorsque Landini a fait prendre l'initiative de ces référendums par la CGIL, il a misé sur l'effet d'entraînement d'une sixième question, celle sur l'autonomie différenciée [entre les régions ndt], dont la Cour constitutionnelle a refusé qu'elle soit soumise au vote. Mais il est probable que même cette question n'aurait pas permis d'atteindre le quorum, comme l'a montré la difficulté de mobiliser la société ces dernières années contre cet autre projet destructeur de la droite, partagé également par certains secteurs du centre-gauche dans les régions du Nord. Cet argument ne peut toutefois servir de justification à une direction de la CGIL qui, au lieu de se positionner de manière combative et radicale dans le conflit social, a déplacé la bataille sur le terrain référendaire, comme en témoigne le slogan « Le vote est notre révolte ! ». Il est indispensable de prendre en compte la masse de toutes celles et tous ceux, dans les périphéries et au sein même de la classe ouvrière, sont dépolitisé.e.s et désyndicalisé.e.s à la suite de la défaite historique du mouvement ouvrier, des reculs constants en matière de salaires et de droits, des trahisons de ceux qui auraient dû la représenter et des désillusions sur les expériences réformistes, de l'absence de mouvements sociaux significatifs en mesure de renverser le rapport de force entre les classes.
Les droits et l'hégémonie se reconquièrent par les grèves
Le référendum étant maintenant derrière nous, il est temps de revenir à la réflexion sur la manière de se défendre contre le gouvernement de droite et la toute-puissance patronale et de reconquérir les droits et les salaires. Contrairement aux élections politiques et aux référendums, les récentes élections des représentants syndicaux dans le secteur public ont enregistré un taux de participation très élevé (environ 70 %), et la CGIL est arrivée première dans tous les secteurs de la fonction publique. C'est précisément à partir des lieux de travail et des représentations syndicales qu'il faut repartir pour construire une manière différente de militer syndicalement, sur une base de lutte et solidarité. L'urgence salariale doit être affrontée avec détermination, en luttant pour obtenir des renouvellements contractuels qui redonnent sa dignité au travail, en particulier dans les secteurs publics et chez les métallurgistes, dont les conventions collectives ont expiré et n'ont pas encore été renouvelées. Si les métallos se sont mobilisés par plusieurs mouvements de grève (environ 40 heures à ce jour), trop peu est fait dans les secteurs publics, car on part de l'idée qu'il n'y aurait pas de ressources pour permettre de récupérer la perte causée par l'inflation au cours de la période 2022-2024, ce qui revient en fait à renoncer à lancer une mobilisation décidée et continue pour obtenir que le gouvernement budgète ces moyens.
Il y a également beaucoup à faire dans le domaine de la défense de l'emploi et de l'environnement. L'expérience des travailleurs de GKN, qui continuent de lutter pour un projet d'usine socialement intégrée et financée par des fonds publics, montre la voie à suivre pour apporter une réponse globale à la crise industrielle et environnementale qui touche différents secteurs du monde du travail. La nécessaire reconversion écologique et numérique de la production ne peut être laissée au marché capitaliste, qui produit chômage de masse, destruction de l'environnement et concurrence à la baisse entre les travailleurs et travailleuses de différents pays. Il est nécessaire que la classe ouvrière se mobilise pour une intervention publique massive en faveur de la reconversion écologique de l'économie, tout en préservant les emplois.
Pour parvenir à obtenir ces acquis, il faut renouer avec la pratique de grèves sérieuses, comme nous l'ont enseigné les luttes qui ont conduit à l'adoption du Statut des travailleurs en 1970 ou, plus récemment, comme nous l'avons vu en France contre la réforme des retraites. La grève doit redevenir un outil central pour la reconstruction d'un nouveau mouvement ouvrier. La préparation de la grève générale sert à cimenter la solidarité dans la lutte entre les différents secteurs de la classe ouvrière, à redonner confiance aux travailleuses et aux travailleurs dans leur capacité à s'auto-organiser et à gagner la lutte. Seule une classe ouvrière consciente de sa force peut espérer construire un bloc social autour d'elle et gagner l'hégémonie pour faire pièce à l'autoritarisme et a barbarie capitaliste.
Les syndicats devraient organiser et mobiliser la classe ouvrière avec une approche intersectionnelle, se réapproprier l'outil qu'est la grève et y apporter leur soutien lorsqu'il est mis en œuvre par d'autres mouvements. Par exemple, la grève des mouvements féministes et transféministes organisée depuis des années par Non Una Di Meno le 8 mars contre le patriarcat et la violence de genre, qui associe les revendications féministes à celles de la classe ouvrière, qu'elle soit autochtone ou migrante. Dans cette optique, le syndicat devrait s'engager au maximum pour le succès de la mobilisation contre le réarmement européen du 21 juin.
Les mobilisations sur le terrain et nos engagements futurs
Le pire effet de cette défaite référendaire pourrait être la démoralisation des militant·e·s politiques, sociaux et syndicaux qui se sont généreusement engagé·e·s dans cette campagne. Pourtant, depuis quelques mois, nous assistons à une reprise des mobilisations sociales importantes qui doivent se poursuivre et s'approfondir dans les semaines à venir. Les neuf millions qui ont voté oui aux cinq questions sont certes insuffisants pour remporter le référendum, mais si une partie importante de ces personnes se mobilisait, en descendant dans la rue ou en participant aux grèves dans les semaines à venir, nous oublierions rapidement cette défaite et ce serait le début d'une nouvelle saison politique où la solidarité de classe redeviendrait un élément central.
Le mouvement contre le génocide et pour la solidarité avec le peuple palestinien descend dans la rue ces jours-ci pour protester contre l'arrestation de la Flottille de la liberté : un groupe d'activistes qui, avec Greta Thunberg, a tenté d'apporter solidarité et aide à la Palestine et a été attaqué par l'armée israélienne avec des gaz lacrymogènes, puis arrêté illégalement. Le génocide perpétré par Israël doit cesser et les gouvernements occidentaux doivent immédiatement mettre fin à toute forme de complicité avec le gouvernement criminel de Netanyahou. Nous voulons une grève générale pour protester contre les accords commerciaux et militaires entre l'Italie, l'UE et Israël.
Nous soutenons la révolte en cours à Los Angeles contre la politique raciste et autoritaire de l'administration Trump à l'égard des migrant·e·s et de celles et ceux qui se mobilisent en solidarité. Les politiques du gouvernement italien à l'égard des réfugié·e·s et l'adoption du décret sur la sécurité vont dans le même sens. Fermons les CPR (centres de rétention pour migrant·e·s) en Italie aussi, les immigrant·e·s ne peuvent pas être détenu·e·s comme des criminel·le·s. Mobilisons-nous pour l'accueil et la liberté de circulation des personnes.
Le 20 juin, une grève des métallurgistes est prévue pour le renouvellement de leur contrat, une occasion essentielle de montrer que le syndicat et les travailleurs ne cèdent pas face à l'arrogance des patrons et du gouvernement. La majorité de droite a rejeté les propositions de loi sur le salaire minimum en affirmant hypocritement que les salaires minimums doivent être garantis et augmentés par la négociation collective. Eh bien, le moment est venu d'augmenter significativement les salaires !
Le 21 juin, une manifestation nationale aura lieu à Rome dans le cadre de la campagne Stop Rearm EU, avec des mobilisations dans toute l'Europe à l'occasion du sommet de l'OTAN à La Haye, pour protester contre le plan de réarmement présenté par la Commission européenne, contre l'augmentation des dépenses militaires, en solidarité avec la Palestine et contre l'autoritarisme. Nous serons dans la rue contre tous les impérialismes, à commencer par celui de l'Europe et de l'OTAN, mais aussi contre la guerre que l'impérialisme russe continue de mener contre le peuple ukrainien.
11 juin 2025
Communiqué de la direction nationale de Sinistra Anticapitalista
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide DeepLpro

Soutien au journaliste de Blast, Yanis Mhamdi, détenu arbitrairement en Israël

À l'appel de Reporters sans frontières et de Blast, 250 sociétés de journalistes, dont celle de Mediapart, associations, organisations syndicales et journalistes exigent que l'État français se mobilise pour mettre un terme à la détention du reporter, qui avait embarqué à bord du « Madleen » dans le cadre de la Flottille de la liberté pour Gaza.
Tiré du blogue de l'auteur.
Nous, journalistes, signataires de cette tribune, exprimons notre profonde inquiétude et notre entière solidarité envers notre confrère Yanis Mhamdi, journaliste pour le média Blast, actuellement détenu de manière arbitraire par les autorités israéliennes.
La semaine dernière, Yanis Mhamdi a embarqué à bord du navire humanitaire Madleen, dans le cadre de la mission civile Freedom Flotilla, afin de documenter l'acheminement d'aide humanitaire à destination des civils gazaouis. Avec son confrère Omar Faiad, journaliste pour le média Al Jazeera, il accompagnait de nombreuses personnalités, parmi lesquelles l'activiste Greta Thunberg et l'eurodéputée française Rima Hassan. Il s'y trouvait en qualité de journaliste, dans l'exercice strict de ses fonctions, missionné par son média.
Dans la nuit du 8 au 9 juin 2025, le navire Madleen a été intercepté illégalement dans les eaux internationales par l'armée israélienne, en violation manifeste du droit international. L'ensemble des passagers a été placé en détention. Tandis que certains ont pu regagner leur pays d'origine, Yanis Mhamdi demeure détenu, pour avoir refusé de signer un document aux conditions obscures.
Depuis cette arrestation, ses proches et ses conseils n'ont pu obtenir que des informations fragmentaires sur son état et ses conditions de détention. Il a été privé de nourriture durant plus de seize heures, menacé par des armes, et retenu dans un lieu inconnu, dans des conditions que rien ne justifie.
Cette situation soulève des questions graves : il est aujourd'hui impensable qu'un journaliste français, mandaté par son média, soit privé de liberté pour avoir simplement exercé son métier. En assimilant un journaliste à un militant, en entravant délibérément le travail d'un professionnel de l'information, c'est l'ensemble de notre profession qui se trouve menacée.
Cette détention arbitraire s'inscrit dans la continuité du traitement des journalistes à Gaza, systématiquement empêchés de faire leur travail, voire pris pour cibles, puisque selon la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et Reporters sans frontières (RSF), près de 200 d'entre eux ont été tués par les forces israéliennes.
L'arrestation et la séquestration de notre confrère fait planer une menace directe et inquiétante sur la liberté d'informer, sur la capacité des journalistes à couvrir les conflits armés et les situations humanitaires à travers le monde.
En maintenant Yanis Mhamdi en détention, c'est le droit de chacun à être informé qui vacille à nouveau. Or, préserver la liberté d'expression, la liberté de la presse et le droit à l'information ne saurait être une option : c'est une obligation démocratique.
Nous demandons à l'État français de prendre ses responsabilités et d'exiger publiquement la libération immédiate de notre confrère. Le silence, l'ambiguïté ou la passivité ne sont plus acceptables.
La liberté de la presse n'est pas négociable. Elle est le garant du débat public, et par là même, le socle de toute démocratie.
Organisations signataires
Reporters sans frontières (RSF)
Blast
La Société des journalistes de France 24
La Société des journalistes et du personnel de Libération (SJPL)
La Société des journalistes de Radio France Internationale (RFI)
La Société des journalistes de Mediapart
Syndicat National des Journalistes (SNJ)
La Société de Journalistes de Télérama
la Société des personnels de l'Humanité
L'Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·e·s (AJAR)
Le Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT)
SDJ Konbini
Listes des signataires
Agnès Briançon-Marjollet, journaliste, co-première secrétaire générale du SNJ
Aïda Amara, journaliste indépendante
Aïda Delpuech, journaliste indépendante
Aissata Soumare, journaliste indépendante
Alex Talandier, journaliste indépendant
Alexandra Henry, journaliste indépendante
Alexandre-Reza Kokabi, journaliste à Reporterre
Ambrine Ziani, journaliste
Amel Zaki, Libération
Amina Kalache, journaliste indépendante
Amine Abdelli, journaliste pigiste
Amira Souilem, reporter, RFI
Anaïs Delmas, journaliste indépendante
Anissa Rami, journaliste indépendante
Anna Margueritat, rédactrice indépendante
Anne Bocandé, directrice éditoriale, Reporters sans frontières
Anne Paq, photographe indépendante
Annie Fiore, journaliste indépendante
Antoine Cariou, journaliste
Antoine Chuzeville, journaliste, co-premier secrétaire général du SNJ
Antoine Comte, journaliste France 3
Antoine Portoles, journaliste l'Humanité
Aouregan Texier, journaliste La Dépêche
Ariane Lavrilleux, Disclose
Arnaud Froger, journaliste, Reporters sans frontières
Aurélien Devernoix, journaliste à RFI, délégué syndical SNJ
Aziz Oguz, journaliste pigiste
Baptiste Mas, reporter indépendant
Barbara Gouy, journaliste indépendante
Benjamin Barthe, Le Monde
Benjamin Beraud, journaliste indépendant
Camelia Kheiredine, ARTE
Camille Miloua Giraudea, Courrier International
Camille Regache, journaliste indépendante, membre de l'AJL
Camille Scali, journaliste et artiste-auteur
Caroline Constant, journaliste à l'Humanité
Catherine Maubert, BFMTV
Célia Gueuti, journaliste indépendante, Association des journalistes antiracistes et racisé.e.s
Céline Beaury, journaliste indépendante, (Collectif La Friche)
Cemil SANLI, journaliste indépendant
Charlotte Vautier, journaliste
Chloé Dubois, journaliste indépendante
Christelle Murhula, journaliste indépendante, membre de l'AJAR
Claire Billet, journaliste réalisatrice
Clara Monnoyeur, journaliste, StreetPress
Clarisse Feletin, journaliste pour Off Investigation
Claudine Cordani, journaliste indépendante
Clément Pouré, journaliste indépendant
Coline Charbonnier, journaliste 15-38 Méditerranée
Cyril Castelliti, journaliste à La Provence
Cyril Theophilos, journaliste reporter d'images, France 2
Dalal Mawad, Correspondante, Al Araby TV
Dan Israel, journaliste
Danae Corte, journaliste AEF info
Daphné Deschamps, journaliste, StreetPress
David Hury, journaliste indépendant
David Zurmely, ARTE
Dominique Pradalié, journaliste, présidente, Fédération internationale des journalistes
Donia Ismail, journaliste indépendante
Donnia Ghezlane-Lala, journaliste
Dorian Mao, journaliste indépendant
Dounia Rachati, journaliste indépendante
Edwy Plenel, journaliste, Mediapart
Eliott Brachet, journaliste indépendant
Elisabeth Fleury, journaliste à l'Humanité
Élise Courant, journaliste
Elodie Safaris, Arrêt sur images
Elsa Miske, journaliste AJ+
Emilio Meslet, journaliste à l'Humanité
Emma Villeroy, journaliste indépendante
Emmanuel Clévenot, journaliste à Reporterre
Emmanuelle Veil, journaliste
Ervan Couderc, journaliste, jhm quotidien
Erwan Blanchard, journaliste à Radio Breizh
Esther Meunier, journaliste indépendante
Etienne Milliès-Lacroix, monteur OFF Investigation
Fabien Gay, directeur de L'Humanité
Fabien Rives, Off investigation
Fabrice Wuimo, journaliste, chef du pôle “Actu”, Le Média TV
Fanny Marlier, journaliste indépendante, membre du collectif Hors Cadre
Focus, collectif de journalistes et de documentaristes indépendant·es
Frédérique Le Brun, journaliste indépendante, membre de Reporters solidaires
Gallagher Fenwick, éditorialiste indépendant
Gilles Bader, photoreporter La Provence
Gnamé Diarra, journaliste indépendante
Gwenaelle Lenoir, journaliste, Mediapart
Haïfa Mzalouat, journaliste, Reporters sans frontières
Hajar Ouahbi, journaliste, ARTE Tracks
Hakim Mokadem, journaliste
Héléna Khattab, France 24
Houda Benallal, journaliste
Hugo Coignard, journaliste indépendant
Ibrahim Banaïssa, Blast
Inès El Kaladi, Libération
Isma Le Dantec, Fracas
Issa Sedraoui Cochet, étudiant en journalisme et pigiste
Isya Okoué Métogo, journaliste à Off Investigation
Jean-Baptiste Rivoire, fondateur de Off investigation
Jeanne Gobin, photojournaliste indépendante, Agence Encrage
Jili Martin, Radio Gâtine
Jimmy Hutcheon, journaliste indépendant
Jonathan Dagher, journaliste, Reporters sans frontières
Jose Rexach, journaliste Blast
Julie Tomiche, journaliste indépendante
Julien Coquelle-Roëhm, journaliste à RFI, élu de la SDJ de RFI
Julien Sauvaget, rédacteur en chef des matinales vsd à france24
Julien Théry, Le Média
Justine Fontaine, journaliste, RFI
Justine Guitton-Boussion, journaliste, Reporterre
Justine Segui, journaliste
Khadija Toufik, journaliste indépendante
Khedidja Zerouali , journaliste à Mediapart et membre de l'AJAR
Laura Wojcik, journaliste, Mediapart
Laurent Dauré, journaliste indépendant
Léa Gorius, journaliste Reporterre
Lea Martinez, journaliste Off Investigation
Léa Masseguin, Libération
Leïla Beratto, 15-38 Méditerranée
Léo Roussel, journaliste indépendant
Lina Rhrissi, journaliste StreetPress et membre de l'AJAR
Lisa Lap, journaliste à Le Média
Lisa Morison, journaliste Fréquence Protestante
Lisa Noyal, journaliste indépendante
Louis Blanchard, journaliste à Ouest-France
Louis Bontemps, journaliste indépendant
Louis Witter, journaliste
Louisa Benchabane, journaliste indépendante
Louise Bihan, L'Insurgée
LouizArt, photographe indépendante
Lucas Chedeville, journaliste StreetPress
Lucas Martin-Brodzicki, journaliste indépendant
Lucile Gimberg, journaliste à RFI
Lynn S.K., photographe indépendante.
Maëliss Orboin, journaliste indépendante
Maïlys Khider, journaliste indépendante
Malik Habchi, l'Usine Nouvelle
Manal Fkihi, journaliste indépendante, membre AJAR
Manuel Magrez, journaliste
Margaux Houcine, journaliste Mediapart
Margaux Seigneur, journaliste indépendante
Maria Aït Ouariane, journaliste StreetPress
Mariane Truffert, ARTE
Marianne Skorpis Rimo, journaliste ARTE
Marion Lopez, journaliste, Le Média
Marius Sort, journaliste
Martin Bizeray, journaliste
Martin Roux, journaliste, Reporters sans frontières (RSF)
Mathieu Magnaudeix, journaliste, Mediapart
Mathilde Goanec, journaliste Mediapart
Maxime Lahuppe, journaliste pigiste
Maya Elboudrari, journaliste pigiste
Méline Pulliat, journaliste indépendante
Mellit Derre, France 24
Meriem Laribi, journaliste indépendante et auteure
Merwane Mehadji, journaliste Le Parisien
Méwain Petard, journaliste indépendant
Mohamed Farhat, France 24
Mona Hammoud, journaliste et réalisatrice indépendante
Morad Ait Habbouche, agence de presse Elle est pas belle la vie
Moran Kerinec, journaliste à Reporterre
N'namou Sambu, journaliste indépendante
Nabia Makhloufi, France 24
Nada Didouh, journaliste
Nadia Bouchenni, journaliste indépendante
Nadia Henni-Moulaï, Faktuel
Nadia Sweeny, journaliste, Le Média
Nadiya Lazzouni, journaliste Le Média
Nassira El Moaddem, journaliste
Nathalie Olivier, journaliste Le Parisien
Nathan Lautier, journaliste pigiste
Nathanaël Vittrant, journaliste et président de la SDJ de RFI
Nicolas Cortes, Photoreporter
Nicolas Mayart, journaliste au Média TV
Nicolas Turcev, Les Surligneurs
Nina Hubinet, journaliste indépendante
Nina Moreno, Libération
Nina Pareja, journaliste indépendante
NnoMan - photojournaliste Agence ENCRAGE
Olivia Snaije, journaliste indépendante
Ouissem, URBANIA
Pablo Aiquel, journaliste, SG du SNJ-CGT, vice-président de la Fédération européenne des journalistes
Paloma de Dinechin, journaliste indépendante
Patricia Blettery, journaliste RFI
Paulina Benavente, RMC BFM, déléguée syndicale SNJ
Pauline Bock, journaliste, Arrêt sur images
Pauline Chamignon, étudiante en journalisme
Quentin Muller, journaliste indépendant
Quentin-Mathéo Pihour, journaliste indépendant
Rachida El Azzouzi, journaliste à Mediapart
Radidja Cieslak, Libération
Redwane Telha, France Inter
Régis Roiné, TF1
Rémi-Kenzo Pagès, journaliste pigiste
Romain Mahdoud, journaliste indépendant
Rosa Moussaoui, journaliste à L'Humanité
Rouguyata Sall, journaliste indépendante (Collectif La Friche)
Roxanne D'Arco, journaliste Nice-Matin
Sabrine Mimouni, journaliste indépendante
Sabrine Zahran, journaliste Le Progrès
Safa Bannani, journaliste MEE
Salah-Eddine Gakou, journaliste
Salim Saab, journaliste indépendant
Salomé Parent-Rachdi, journaliste indépendante
Samba Doucouré, directeur de publication d'Africultures
Samira Benzaïd, journaliste indépendant
Sania Mahyou, journaliste indépendante
Sara Kheladi, journaliste indépendante
Sarah Benichou, journaliste indépendante, Youpress et AJAR
Sarah Bos, journaliste indépendante
Sarah Bosquet, journaliste indépendante
Sarah Boumghar, journaliste indépendante
Sarah Lapied, AJ+ français
Sarah-Samya Anfis, ancienne correspondante en Irak et en Tunisie
Sayeh Bouchouicha, journaliste Bondy Blog
Sephora Lukoki, journaliste, SLK News et membre de l'AJAR
Shad De Bary, pigiste
Sheerazad Chekaik-Chaila, journaliste
Simon Guichard, journaliste L'Humanité
Simon Mauvieux, journaliste pigiste
Société des personnels de l'Humanité
Sofiane Alsaar, journaliste, AFP
Solène Guili, journaliste, Rue89Lyon
Sophie Bourlet, journaliste indépendante
Sophie Larré, journaliste indépendante
Soraya Morvan-Smith, journaliste, France 24, secrétaire général adjointe du SNJ-CGT
Souhila Sbaihi, journaliste
Splann !, média
Stéphane Foucart, Le Monde
Sylvain Mercadier, journaliste indépendant
Théo Bourrieau, journaliste à l'Humanité
Théophile Kouamouo, rédacteur en chef le Média TV
Thibaut Bruttin, Reporters sans frontières
Thilelli Chouikrat, journaliste indépendante
Thomas Porlon, journaliste StreetPress
Tom Demars-Granja, journaliste l'Humanité
Ulysse Mathieu, journaliste
Valérie Thorin, journaliste Fréquence Protestante
Victor Guinebert, Off Investigation
Vincent Lucchese, journaliste à Reporterre
Vincent Morel, journaliste Mediapart
Vincent Ortiz, Le Vent Se Lève
Walid Bourouis, Journaliste indépendant
Widad Ketfi, journaliste indépendante
William Lacaille, journaliste
Xavier Regnier, 20 Minutes
Xavier Ridon, journaliste, radio La Clé des Ondes
Yemcel Sadou, journaliste indépendant
Yunnes Abzouz, journaliste Mediapart
Zoé Cottin, journaliste indépendante
Zoé Neboit, journaliste pigiste

Les dépenses militaires à travers le monde

En dollars, le budget de la défense américain domine toujours le reste du monde, fait savoir l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) dans sa dernière étude, rapportant que l'année dernière, les dépenses militaires dans le monde ont augmenté de 10% et que l'Ukraine est le numéro un mondial pour la dépense militaire en fonction de son PIB.
3 juin 2025 | tiré de Mondafrique
Le classement annuel du SIPRI compare les dépenses militaires selon le montant brut en dollars et la part du PIB. Ainsi, cela montre ainsi que la position américaine n'est pas aussi importante que les chiffres bruts le suggèrent, la palme revenant à l'Ukraine.
Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires sont en hausse de 37% entre 2015 et 2024. « Les dépenses militaires moyennes en proportion des dépenses publiques ont atteint 7,1% en 2024 et les dépenses militaires mondiales par personne ont atteint leur plus haut niveau depuis 1990, 334 dollars », continue le SIPRI.
Pour la deuxième année consécutive, les dépenses militaires ont augmenté dans les cinq régions du monde, reflétant l'intensification des tensions géopolitiques à travers le monde. Cette croissance des dépenses mondiales, observée depuis dix ans, peut être en partie attribuée à la hausse des dépenses en Europe, largement imputable au conflit russo-ukrainien en cours, et au Moyen-Orient, alimentée par la guerre de Gaza et d'autres conflits régionaux plus vastes. « De nombreux pays se sont également engagés à augmenter leurs dépenses militaires, ce qui entraînera de nouvelles augmentations mondiales dans les années à venir », stipule l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
Selon le SIPRI, « les deux plus gros dépensiers, les États-Unis et la Chine, ont représenté près de la moitié des dépenses militaires mondiales en 2024 ». La Russie arrive en troisième position. Elle est suivie de l'Allemagne, de l'Inde, du Royaume-Uni, de l'Arabie saoudite, de l'Ukraine et de la France.
Avec 997 milliards de dollars en 2024, les dépenses militaires américaines étaient supérieures de 5,7% à celles de 2023 et de 19% à celles de 2015.
La Chine, deuxième plus gros dépensier militaire au monde, a alloué environ 314 milliards de dollars à son armée en 2024, soit une hausse de 7% par rapport à 2023. Il s'agit de la plus forte augmentation annuelle des dépenses militaires chinoises depuis 2015 et de la 30e année consécutive de croissance — la plus longue série ininterrompue enregistrée pour un pays dans la base de données des dépenses militaires du SIPRI.
En 2024, les dépenses militaires de la Russie ont atteint environ 149 milliards de dollars, soit 38% de plus qu'en 2023 et le double de 2015.
En 2024, les dépenses militaires de l‘Allemagne ont augmenté pour la troisième année consécutive, atteignant 88,5 milliards de dollars, soit 1,9% du PIB. Ce pays est ainsi devenu le quatrième plus grand dépensier au monde et le premier en Europe centrale et occidentale pour la première fois depuis la réunification. Les dépenses militaires de l'Allemagne ont augmenté de 28% par rapport à 2023 et de 89% par rapport à 2015, grâce à la mise en œuvre d'un fonds extrabudgétaire de 100 milliards d'euros (105 milliards de dollars en 2022) créé en 2022 pour renforcer le budget militaire.En 2024, l'Allemagne a fourni 7,7 milliards de dollars d'aide financière militaire à l'Ukraine, soit le deuxième don le plus important à l'Ukraine sur l'année, après les États-Unis.
En 2024, le Royaume-Uni a augmenté ses dépenses militaires de 2,8%, pour atteindre 81,8 milliards de dollars. Cela équivaut à 2,3% du PIB, contre 2,2% en 2023. Le Royaume-Uni s'est engagé à consacrer 2,5% de son PIB à l'armée d'ici 2027, soit un changement par rapport à l'objectif initial de 2030, et a pour objectif à long terme de porter ce chiffre à 3%. Le Royaume-Uni s'est également engagé à soutenir l'Ukraine à hauteur de 3,8 milliards de dollars par an d'aide militaire (y compris l'aide financière et l'équipement) jusqu'en 2030 au moins. En 2024, il a fourni 3,3 milliards de dollars d'aide financière militaire à l'Ukraine.
En 2024, les dépenses militaires de l'Ukraine ont augmenté de 2,9% pour atteindre 64,7 milliards de dollars, soit 43% des dépenses de la Russie sur l'année et 54% des dépenses totales du gouvernement ukrainien. L'Ukraine a de loin le fardeau militaire le plus lourd au monde : ses dépenses militaires en pourcentage du PIB s'élevaient à 34% en 2024, contre 37% en 2023. La totalité des recettes fiscales ukrainiennes a été entièrement absorbée par les dépenses militaires en 2024, tandis que toutes les dépenses socio-économiques non militaires ont été financées par l'aide étrangère. L'Ukraine a reçu au moins 60 milliards de dollars d'aide militaire financière en 2024, principalement des États-Unis, de l'Allemagne et d'autres pays européens. Le SIPRI inclut l'aide militaire dans l'estimation des dépenses du pays donateur et non du pays bénéficiaire, ce qui signifie que ces 60 milliards de dollars ne sont pas inclus dans le total pour l'Ukraine. Si l'on en tenait compte, les dépenses militaires de l'Ukraine auraient totalisé 125 milliards de dollars en 2024, ce qui en aurait fait le quatrième pays le plus dépensier au monde.
En 2024, les dépenses militaires de la France ont augmenté de 6,1% pour atteindre 64,7 milliards de dollars, soit 2,1% du PIB. Cette augmentation s'inscrit dans le cadre de la loi de programmation militaire 2024-2030 qui vise à renforcer l'autonomie stratégique de la France et à adapter son industrie d'armement à une « économie de guerre » soutenue par l'innovation industrielle. En février 2024, la France et l'Ukraine ont signé un accord bilatéral prévoyant une aide militaire supplémentaire à l'Ukraine pouvant atteindre 3 milliards de dollars en 2024.
A noter, qu'Israël arrive à la 12è place et que ses dépenses militaires ont augmenté de 65% en 2024 pour atteindre 46,5 milliards de dollars.
« Les dépenses militaires totales en Europe ont augmenté de 17% pour atteindre 693 milliards de dollars en 2024. Tous les pays européens ont augmenté leurs dépenses militaires en 2024, à l'exception de Malte. En 2024, les dépenses militaires totales des membres de l'OTAN se sont élevées à 1.506 milliards de dollars, soit 55% des dépenses mondiales. Les membres européens de l'OTAN ont dépensé 454 milliards de dollars au total. Sur les 32 membres de l'OTAN, 18 ont consacré au moins 2% de leur PIB à leurs forces armées en 2024, contre 11 en 2023 », conclut l'IFRI qui signale que l'Ukraine est le seul pays à avoir les dépenses en pourcentage du PIB les plus élevées de tous les pays, « soit 34% de son PIB ». En comparaison, les États-Unis ont dépensé 3,4% de leur PIB, la Chine 1,7%, la Russie 7,1%, l'Allemagne 1,9%, l'Inde 2,3%, le Royaume-Uni 2,3%, l'Arabie saoudite 7,3%, la France 2,1% et Israël 8,8% de son PIB en 2024.
Si on considère les souhaits de Donald Trump de voir les pays de l'OTAN réaliser des dépenses militaires à 5% du PIB, c'est bien l'Ukraine qui gagne le défi titanesque.
Pierre Duval

Pour les néofascistes, seule compte la loi de la jungle

D'où vient l'axe néofasciste mondial et vers où se dirige-t-il ? Quels effets déstabilisateurs la guerre de la Russie contre l'Ukraine peut-elle avoir ? Ilyá Budraitskis et Gilbert Achcar discutent de la conjoncture actuelle.
14 juin 2025 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/para-los-neofascistas-solo-tiene-sentido-la-ley-de-la-jungla/
Ilyá Budraitskis : Avec le début du second mandat de Trump, le monde connaît un immense bouleversement géopolitique, et j'aimerais en parler en lien avec la question de l'avenir de l'OTAN. Aujourd'hui, il est évident que l'alliance traverse une crise stratégique et idéologique majeure. Les États-Unis, membre clé du bloc, entretiennent désormais une relation distincte avec la Russie, anciennement considérée comme l'adversaire principal de l'OTAN, tandis que l'Europe parle de réarmement et d'organiser sa propre sécurité selon un format nouveau. Quelles sont les origines de cette crise actuelle de l'OTAN ? Pourrait-elle mener à la désintégration effective du bloc, et qu'est-ce qui pourrait la remplacer ?
Gilbert Achcar : Il ne faut pas oublier que l'OTAN était déjà en crise avant l'actuelle présidence américaine. On se souvient qu'au cours du premier mandat de Trump, le président français Emmanuel Macron avait déclaré que l'OTAN était en état de « mort cérébrale ». Ce diagnostic était pertinent, car Trump n'a jamais caché son aversion pour les gouvernements libéraux européens et pour l'ordre mondial libéral fondé sur des règles, né avec l'Alliance atlantique pendant la Seconde Guerre mondiale.
L'invasion de l'Ukraine par les troupes russes a clairement redonné vie à l'OTAN. Cela lui a donné une nouvelle mission, au moment même où un président très atlantiste – je parle évidemment de Joe Biden – revenait à la Maison-Blanche. Dans les cercles de l'OTAN, on était plutôt satisfait de cette nouvelle pertinence retrouvée. Mais avec le recul, cela ressemble au chant du cygne, à une dernière décharge d'énergie avant une nouvelle agonie.
C'est là que nous en sommes. Comme tu l'as souligné, il y a désormais un divorce clair entre les deux rives de l'Atlantique – ou du moins entre les États-Unis et le reste de l'OTAN. Ce divorce n'est pas géographique, mais politique et idéologique : le Canada appartient au camp libéral, tandis que la Hongrie d'Orbán partage la même famille idéologique néofasciste que Donald Trump. Cette fracture pousse les gouvernements libéraux européens à transformer l'Union européenne – l'alternative dont ils disposent – en une sorte d'alliance de défense et de force militaire, en coopération avec le Royaume-Uni. L'Europe occidentale, la Pologne et les pays baltes ont besoin de la Grande-Bretagne, l'une des deux seules puissances nucléaires d'Europe de l'Ouest et l'une des principales forces armées. C'est ce qui est en train de se jouer.
La pression que Trump exerce sur l'Ukraine pour qu'elle accepte en substance les conditions de Poutine vide aussi de sens la mission de l'OTAN. Au lieu de défendre un allié de l'OTAN, Washington cherche à lui imposer ce qui est fondamentalement une capitulation… même si, comme nous le savons, Trump est imprévisible et change constamment d'avis. Quoi qu'il en soit, les signaux qu'il a envoyés – du moins durant ses cent premiers jours – montrent une forte affinité néofasciste avec Vladimir Poutine.
Il est clair que nous sommes entrés dans ce que j'appelle « l'ère du néofascisme ». Elle se préparait depuis plusieurs années au XXIe siècle. Le retour de Trump à la Maison-Blanche a achevé cette mutation. Nous assistons ainsi à l'émergence d'un puissant axe néofasciste mondial, de Trump à Netanyahou en Israël, Milei en Argentine, Orbán en Hongrie, Meloni en Italie (dans une certaine mesure, car son gouvernement comprend le néofasciste déclaré Salvini), Modi en Inde, Erdogan en Turquie, etc. J'ai décrit brièvement cette nouvelle époque dans un article intitulé L'ère du néofascisme et ses traits distinctifs.
Il est difficile de prédire combien de temps cela va durer. On peut seulement souhaiter que ce mouvement s'enlise dans ses propres contradictions et échecs, et non qu'il débouche sur une guerre mondiale, comme ce fut le cas avec l'ère précédente du fascisme au XXe siècle. On peut percevoir les signes de ce chaos dans les résultats catastrophiques de la présidence Trump aux États-Unis. Cela pourrait marquer un coup d'arrêt au trumpisme. Une réaction est déjà en cours dans des pays comme le Canada ou l'Australie, où les néofascistes locaux ou les admirateurs de Trump ont vu leur popularité affectée par la dégradation de l'image de Trump. Il y a donc de l'espoir, même si la situation reste extrêmement grave.
Ilyá Budraitskis : Peux-tu décrire les perspectives de politique étrangère de ce projet néofasciste ? À quoi voudraient-ils que ressemble le monde futur ? L'affinité idéologique entre plusieurs régimes néofascistes dans différents pays signifie-t-elle la possibilité d'une alliance, ou bien cela peut-il coexister avec des conflits croissants entre ces pays ?
Gilbert Achcar : La première chose à souligner est que, pour les forces d'extrême droite, il n'existe aucune valeur commune qui dépasse le nationalisme. Les libéraux peuvent adhérer à certains principes qu'ils estiment supérieurs au nationalisme étroit, et ils essaient généralement de s'en écarter. Certains se disent même internationalistes – l'« internationalisme libéral » est un terme souvent utilisé aux États-Unis pour désigner une partie de leur appareil diplomatique. À l'inverse, l'extrême droite est toujours ultra-nationaliste. Pour elle, c'est « l'Amérique d'abord », « Israël d'abord », « la Hongrie d'abord », « la Russie d'abord », chacun pour son propre pays. C'est une vision strictement nationaliste.
Ils convergent lorsque leurs intérêts nationalistes peuvent s'accorder, mais cela n'exclut pas les tensions entre gouvernements néofascistes en cas de conflit d'intérêts, par exemple économiques. Certains gouvernements néofascistes d'Europe de l'Est souffrent des politiques tarifaires de Trump. Il en va de même pour d'autres gouvernements – Modi, Erdogan – qui cherchent à négocier avec les États-Unis mais doivent le faire sous la contrainte économique exercée par la Maison-Blanche.
Voici leurs limites. Les néofascistes s'unissent généralement contre les libéraux, contre le libéralisme – leur ennemi commun – même si les libéraux actuels sont largement dévoyés. Une des raisons de la montée du néofascisme réside d'ailleurs dans l'attitude des libéraux occidentaux qui, au lieu de s'opposer à l'extrême droite, se sont adaptés à elle, en reprenant de larges pans de son idéologie et de son programme, à commencer par les mesures anti-immigration et d'autres initiatives racistes, sur fond d'austérité néolibérale continue – véritable terreau socio-économique du néofascisme. C'est ce qui explique l'accélération de sa montée au XXIe siècle : la crise économique de 2008, puis celle déclenchée par la pandémie de COVID-19, ont fortement alimenté l'extrême droite.
Concernant cette ère néofasciste, les perspectives sont là encore très préoccupantes. Le Rassemblement national est à un pas du pouvoir en France pour la présidentielle de 2027. Le Reform Party britannique, qui incarne l'extrême droite, croît très rapidement, au détriment des conservateurs et d'un Parti travailliste affaibli et très néolibéral.
La Chine est l'ennemi commun de nombreuses forces néofascistes. Elle est dans le collimateur de Trump, mais pas seulement : les États-Unis dans leur ensemble la considèrent comme une puissance rivale majeure. Washington pousse l'extrême droite européenne dans cette direction. Les États-Unis voient la Chine comme une nouvelle Union soviétique – leur principal adversaire mondial – à la différence que la Chine connaît une croissance rapide, contrairement à l'URSS qui stagnait dès les années 1970.
La Chine n'est pas un État néofasciste. C'est un régime dictatorial et autoritaire d'origine stalinienne-maoïste, une dictature de parti unique, mais sans mobilisation idéologique réactionnaire de masse, comme c'est le cas avec le trumpisme ou le poutinisme. Grâce à sa croissance continue, l'État chinois n'a pas à craindre une menace populaire. Son autorité repose sur un développement économique fort et une amélioration du bien-être. C'est pourquoi Pékin a adopté ces dernières décennies un profil plutôt pacifique, à l'intérieur comme à l'extérieur, son principal facteur de légitimation étant le développement. Il ne faut pas oublier que la Chine reste un pays en développement : son PIB est colossal, mais rapporté à sa population, cela reste un pays à revenu intermédiaire.
En parallèle, Poutine considère que le jeu géopolitique se joue à trois. Opposé aux États-Unis – notamment sous Biden – il a cultivé « l'amitié éternelle » avec Pékin. Mais Poutine n'est pas idiot, et tant qu'il ne peut pas compter sur la présence durable des néofascistes au pouvoir à Washington, il ne mettra pas en péril sa relation avec la Chine.
Si Washington devenait une dictature semblable à celle de Moscou, cela pourrait changer, car la Russie préférerait clairement un allié idéologique occidental. En Russie, il y a du racisme envers les Chinois, un ressentiment à l'idée de dépendre d'un voisin avec lequel il y a eu des conflits frontaliers. Rien de tel avec les États-Unis. Et les États-Unis restent plus puissants que la Chine, surtout sur les plans technologique, économique, et bien sûr militaire.
C'est le jeu auquel nous assistons. Il est certain que Poutine ne prendra pas le risque de compromettre sa relation avec Pékin tant que Trump sera aussi chaotique. Il sait que ce n'est pas une valeur sûre et ne modifiera pas fondamentalement ses alliances internationales sur la base de simples promesses américaines.
Ilyá Budraitskis : Un autre processus mondial effrayant est la remise en question par certains pays de leur rapport aux armes nucléaires. La Russie de Poutine est en tête de cette révision, ayant modifié sa doctrine l'an dernier. Elle prévoit désormais l'usage possible d'armes nucléaires en réponse à diverses formes de menaces conventionnelles. Depuis quelques années, les propagandistes russes évoquent même la possibilité d'une frappe nucléaire préventive pour désamorcer toute menace à la sécurité nationale au sens large. Ainsi, les armes nucléaires cessent d'être un outil de dissuasion pour devenir un élément clé d'une possible guerre mondiale. Dans quelle mesure cette doctrine nucléaire s'étend-elle à l'échelle mondiale ?
Gilbert Achcar : Ce n'est pas difficile à comprendre : c'est une question élémentaire de stratégie. L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a révélé que ce que l'on croyait être un géant militaire avait en réalité des pieds d'argile. Jusqu'alors, Poutine croyait que la Russie était une puissance militaire toute-puissante. Il avait annexé la Crimée et pénétré dans l'est de l'Ukraine en 2014 sans difficulté. La réaction du gouvernement Obama fut très modérée et limitée. Ensuite, Poutine envoya ses troupes en Syrie en septembre 2015, d'abord pour tester la réaction occidentale. Quelques semaines après l'intervention, il annonça même que la mission était accomplie et qu'il retirait ses troupes.
Face à l'absence de toute pression significative de la part des États-Unis, il poursuivit ses plans et commença à déployer des forces régulières ou des mercenaires du groupe Wagner dans d'autres pays du Moyen-Orient, notamment en Libye et au Soudan, et de plus en plus en Afrique subsaharienne. Nous avons assisté à une vaste expansion militaire extérieure de la Russie de Poutine, en contraste avec l'expansion très limitée de l'Union soviétique hors de sa sphère d'influence d'après-guerre. La première et seule fois que l'URSS sortit de cette sphère fut lors de l'invasion de l'Afghanistan en 1979. Avant cela, elle avait limité ses interventions militaires à l'Europe de l'Est : Hongrie, Allemagne de l'Est, Pologne, toujours dans les limites fixées à Yalta.
Ilyá Budraitskis : Mais l'influence soviétique était aussi présente en Afrique.
Gilbert Achcar : C'est vrai, mais elle s'exerçait par le biais de conseillers et de la fourniture d'armes, non pas de troupes combattantes. Moscou favorisait l'intervention de troupes cubaines plutôt que d'envoyer des soldats soviétiques. Il y a eu beaucoup de confusion autour du prétendu caractère agressif de l'URSS, comme le clamait la propagande occidentale. En réalité, la bureaucratie soviétique post-stalinienne était profondément conservatrice, par peur de provoquer un chaos qui pourrait se retourner contre elle. C'est cela la racine du conservatisme bureaucratique. Elle ne pouvait se résoudre à devenir prédatrice à l'échelle mondiale comme l'est Poutine.
Ce dernier est allé bien plus loin que l'URSS en matière d'interventions étrangères. Un facteur explicatif est la combinaison d'une population relativement faible et de revenus élevés tirés du gaz et du pétrole, qui alimentent l'économie russe et offrent une grande marge de manœuvre sans trop de préoccupations économiques. Comme on l'a vu depuis l'invasion de l'Ukraine, l'économie russe a montré une résilience bien plus forte face aux sanctions occidentales que ne l'avaient prévu les analystes.
Poutine s'appuie aussi sur un autre pilier hérité de l'URSS : le complexe militaro-industriel, seul secteur où l'Union soviétique rivalisait réellement avec l'Occident, développant toute la gamme des technologies militaires, des forces conventionnelles aux armes nucléaires et spatiales. Cela explique en partie pourquoi l'économie soviétique s'est épuisée, contrainte de rivaliser avec des économies occidentales bien plus riches.
Quand Poutine a envahi l'Ukraine en février 2022, il pensait que ses troupes entreraient à Kyiv et renverseraient le gouvernement, comme l'avaient fait les troupes américaines à Bagdad en 2003. C'était son argument : « Vous avez changé le régime en Irak, je vais faire de même en Ukraine. En fait, j'ai plus de droits sur l'Ukraine que vous n'en aviez sur l'Irak. » Mais il a lamentablement échoué. La guerre dure depuis trois ans et la Russie n'a même pas réussi à envahir entièrement les oblasts qu'elle a annexés formellement. Son armée progresse toujours, mais au pas de tortue. Cela montre les limites de sa puissance militaire. Qu'une grande puissance militaire comme la Russie cherche le soutien de soldats nord-coréens en dit long sur ses faiblesses.
Que reste-t-il à Poutine, alors ? Cela renforce automatiquement l'importance de l'autre facteur où il dispose d'une supériorité — en fait, la plus grande au monde, supérieure à celle des États-Unis — à savoir sa force nucléaire. La faiblesse de sa guerre conventionnelle en Ukraine augmente donc immédiatement la valeur stratégique de la force non conventionnelle. C'est une équation stratégique classique. D'où le changement de doctrine que tu as évoqué, comme si Poutine disait : « Vous m'avez vu faible sur le plan conventionnel, mais ne vous avisez pas d'en profiter, car je n'hésiterai pas à utiliser des armes nucléaires tactiques. Et je sais que si je le fais, vous ne répondrez pas, encore moins par une escalade, car je dispose de bien plus d'armes nucléaires stratégiques que n'importe lequel d'entre vous. »
Personne ne prendra le risque d'une escalade nucléaire. C'est fondamentalement la logique de la situation — une logique très dangereuse, très préoccupante. Pense aussi à l'impact de tout cela sur le reste du monde : nous avons maintenant l'Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires, au bord de l'affrontement militaire, ce que tout le monde espère voir évité car cela provoquerait une terrible catastrophe.
Cela montre à quel point le monde est devenu dangereux. Il ne fait aucun doute que Poutine a joué un rôle majeur dans la détérioration de la paix mondiale et des relations internationales. Je n'ai jamais été indulgent envers l'OTAN, mais quelle que soit la responsabilité de l'OTAN et de l'Occident, cela ne saurait excuser ce qu'a fait Poutine : avoir embourbé la Russie dans cette guerre absurde à l'est de l'Ukraine, qui coûte à la Russie et au peuple russe — sans même parler des Ukrainiens — bien plus que la valeur économique ou idéologique de ces territoires disputés. Il n'y a pas beaucoup d'enthousiasme en Russie pour ces oblasts de l'est ukrainien. C'est une grave erreur de calcul stratégique de Poutine, qui le mène à l'échec.
Ilyá Budraitskis : Trump a affirmé que la guerre était de la faute de l'Ukraine, car elle aurait dû accepter toutes les conditions de la partie la plus forte — c'est-à-dire la Russie — pour éviter l'invasion. Cela coïncide exactement avec la position de Moscou. Ceux qui ne disposent pas d'armes nucléaires ou de ressources similaires ne peuvent pas rejeter un ultimatum d'une des principales puissances militaires du monde. Peut-on imaginer que ce principe soit appliqué à d'autres pays d'Europe de l'Est, comme les pays baltes ou la Moldavie ? Et dans quelle mesure l'Union européenne et l'OTAN acceptent-ils cela pour éviter un conflit plus large ?
Gilbert Achcar : Eh bien, c'est une caractéristique cruciale du néofascisme, qu'il partage avec le vieux fascisme : la loi du plus fort, comme tu l'as bien résumé. « Nous sommes plus forts et vous devez accepter ce que nous décidons. » Et c'est là, encore une fois, la différence entre eux et l'ordre qui a suivi la défaite de l'Axe fasciste en 1945 : cela a ouvert la voie à ce que nous appelons l'ordre international libéral fondé sur des règles, concrétisé par la création de l'ONU, sa Charte et un ensemble de principes censés régir les relations internationales. Bien sûr, les États-Unis ont été les premiers à violer ouvertement cet ordre mondial dont ils avaient pourtant été les principaux architectes.
Cette logique est extrêmement dangereuse pour les relations internationales, car c'est une recette pour des guerres permanentes. La Russie a été de plus en plus impliquée dans des conflits ces dernières années. À l'échelle internationale, nous assistons à un regain très préoccupant des guerres. Nous sommes tous témoins de la guerre génocidaire actuelle menée par Israël à Gaza, qui est la première guerre génocidaire conduite par un État technologiquement avancé, soutenu par l'Occident, depuis 1945. Il y a eu plusieurs génocides depuis 1945, mais la plupart ont eu lieu dans le Sud global, à l'exception du prétendu génocide bosniaque — qualification qui reste controversée. Mais aucun de ces génocides n'a été perpétré par un État industriel avancé aussi étroitement lié à l'Occident qu'Israël.
Ce n'est pas un hasard si cela survient sous la direction d'une coalition de néofascistes et de néonazis qui gouvernent Israël. En fait, avant Poutine, le principal précurseur du néofascisme — et même modèle pour toute une série de forces néofascistes, y compris Poutine lui-même — a été Benjamin Netanyahou. Ce dernier, revenu au pouvoir en 2009 et y étant resté presque sans interruption, est devenu très tôt un phare du néofascisme. Une différence entre le néofascisme et le vieux fascisme est la prétention de respecter les régimes démocratiques. Tant qu'ils peuvent se maintenir au pouvoir par des élections relativement libres, les néofascistes s'en contentent, tout en modifiant le système électoral à leur avantage.
Gilbert Achcar (suite) :
Bien sûr, la situation change lorsqu'un gouvernement craint une montée massive de l'opposition populaire, comme ce fut le cas en Russie après 2012. Le régime de Poutine est alors entré dans une logique de panique, adoptant une politique entièrement coercitive et mettant fin, de fait, à la démocratie électorale. Néanmoins, tant qu'ils peuvent conserver le pouvoir par le biais d'élections au moins partiellement crédibles, les néofascistes préfèrent cela, car la légitimité politique, à l'époque moderne, exige au minimum une apparence de démocratie — contrairement aux années 1930, où l'idée même de dictature pure pouvait être populaire. Dans des pays comme l'Allemagne ou l'Italie, il est évident que Mussolini et Hitler bénéficiaient d'une popularité réelle, et n'étaient pas perçus comme des ennemis de la démocratie.
Netanyahou a été un pionnier du néofascisme « démocratique » et un allié majeur de la plupart des autres néofascistes, parce que presque tous partagent une même base idéologique : le racisme anti-musulman. Il existe un parallèle clair entre l'invasion de l'Ukraine par Poutine et la nouvelle invasion de Gaza par le gouvernement israélien d'extrême droite. Cela a rendu l'hypocrisie occidentale et le deux poids, deux mesures plus flagrants que jamais. Et en même temps, il est frappant de constater que le gouvernement israélien n'a jamais critiqué la Russie, et entretient même de bonnes relations avec Poutine.
Ilyá Budraitskis :
Poutine est lui aussi resté plutôt ambivalent au sujet de Gaza.
Gilbert Achcar :
Lavrov a même déclaré : « Nous faisons la même chose : les Israéliens combattent les nazis à Gaza, nous combattons les nazis en Ukraine. »
Ilyá Budraitskis :
Oui, et tous deux qualifient leurs guerres « d'opérations militaires spéciales ». Passons à ma prochaine question : il y a près de dix ans, la Russie est intervenue dans la guerre civile syrienne pour sauver le régime d'Assad. Lors de notre entretien à l'époque, tu disais que cela résultait de l'échec de la politique américaine dans la région, et que c'était une victoire pour l'Iran et la Russie, qui élargissaient leur influence. Quel impact l'effondrement d'Assad a-t-il eu sur le rapport de forces ? Dans quelle mesure peut-on dire que la Turquie en est la principale bénéficiaire ? Et à ton avis, quelles sont les évolutions possibles en Syrie ?
Gilbert Achcar :
Le régime d'Assad a survécu ces dix dernières années grâce à deux piliers : le soutien iranien et le soutien russe. En 2013, le régime était sur le point d'être défait, et c'est à ce moment-là que les Iraniens sont intervenus — principalement via le Hezbollah libanais, mais aussi avec des troupes iraniennes envoyées directement en Syrie. Même cela n'a pas suffi à le sauver, en partie parce que l'Iran ne possède pas de force aérienne significative. Il faut le dire : l'Iran est un pays très affaibli, soumis depuis longtemps à un embargo international. Il n'a que quelques vieux avions américains.
C'est pourquoi la Russie est intervenue en 2015. Son aide fut bien plus décisive. Il y avait des troupes iraniennes, mais pas d'avions ; alors que la Russie a fourni des avions, des missiles, sans troupes engagées dans les combats terrestres, mais leur aviation a fait une énorme différence, permettant au régime de rester debout.
Or, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, la Russie est engluée dans l'est ukrainien et a dû retirer la plupart de ses avions de Syrie. Selon des sources israéliennes, il ne restait que quinze avions russes en Syrie lorsque le régime d'Assad s'est effondré. Parallèlement, l'Iran a subi un revers majeur avec l'attaque israélienne contre le Hezbollah au Liban l'automne dernier, qui a tellement affaibli la milice pro-iranienne qu'elle n'était plus en mesure d'intervenir en Syrie.
Les deux soutiens majeurs du régime syrien étant quasi neutralisés, les forces islamistes syriennes liées à la Turquie ont décidé de lancer une offensive. Elles ont probablement été très surprises de voir à quelle vitesse le régime s'est effondré. On sait que les régimes fantoches maintenus uniquement par un soutien étranger s'écroulent comme des châteaux de cartes dès que ce soutien disparaît. L'exemple précédent le plus marquant fut le régime de Kaboul en 2021, lorsque Biden a décidé de retirer les troupes américaines d'Afghanistan : on a vu le régime s'effondrer en un clin d'œil.
Maintenant, bien sûr, la Turquie profite de la situation, mais il y a un gros bémol : les forces islamistes en Syrie ne disposent en rien de la puissance militaire dont disposait le régime d'Assad. Elles ont quelques dizaines de milliers de combattants, mal équipés. Jusqu'à l'effondrement du régime, Israël considérait Assad comme « le diable que l'on connaît » et ne le percevait pas comme une menace, car il n'avait jamais autorisé d'attaques contre l'occupation israélienne du Golan. C'était la frontière israélienne occupée la plus calme. Et surtout, Israël faisait confiance à la Russie pour contrôler la Syrie et bénéficiait du feu vert russe pour frapper les forces iraniennes sur place.
Il y avait clairement une coordination entre Israël et Moscou sur ces opérations, car bien que la Russie et l'Iran soutenaient tous deux Assad, ils rivalisaient aussi pour le contrôle de la Syrie. Ainsi, dès la chute du régime, Israël a immédiatement détruit tout le potentiel militaire syrien : ce qui restait de son aviation, de ses stocks de missiles, même sa force navale, tout a été neutralisé dans les jours qui ont suivi.
Cela a encore affaibli le nouveau gouvernement syrien autoproclamé à Damas, qui ne contrôle qu'une petite portion du territoire — bien moins que ce que contrôlait Assad avec l'appui russe et iranien. Ce gouvernement est militairement plus faible que les forces kurdes présentes dans le nord-est du pays. Il y a des forces dans le sud et le nord-est, certaines soutenues par les États-Unis, qui ne se reconnaissent pas dans ce nouveau pouvoir.
Syrie est donc devenue un pays disputé entre puissances régionales. La Turquie et le Qatar ont toujours soutenu les forces islamistes qui ont pris le dessus. En face, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l'Égypte et la Jordanie — pro-occidentaux, mais entretenant aussi de bonnes relations avec la Russie — forment une autre alliance régionale, en rivalité avec l'axe turco-qatarien. Les deux camps se disputent les faveurs du nouveau gouvernement syrien. Ce dernier en profite opportunément pour tenter d'élargir sa marge de manœuvre. La situation en Syrie est désormais extrêmement volatile. Il est très difficile de formuler une prévision, sinon celle d'une instabilité prolongée.
Ilyá Budraitskis :
Dans tes textes récents, tu affirmes que les Nations unies pourraient jouer un rôle décisif dans un accord de paix en Ukraine. Penses-tu que cela soit réaliste, étant donné que la Russie a ignoré la majorité des résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU concernant l'Ukraine, et que toute reconnaissance du droit de la Russie sur les territoires occupés violerait les fondements du droit international sur lesquels repose l'ONU ? De manière générale, que peut faire l'ONU dans la situation actuelle, marquée par une détérioration rapide du droit international et une division du monde en blocs politico-militaires ?
Gilbert Achcar :
Tu as raison de souligner l'effet très limité des Nations unies face à ce qui se passe en Ukraine depuis 2022. Cela est dû à la paralysie du Conseil de sécurité. Tout ce que l'on a, ce sont des résolutions de l'Assemblée générale, mais celles-ci ne sont pas contraignantes. La Russie peut les ignorer facilement avec le soutien de quelques rares alliés. De façon étonnante, on a même vu récemment les États-Unis et Israël voter aux côtés de la Russie et de ses alliés traditionnels à propos de l'Ukraine.
Mais ce n'est pas à cela que je faisais référence en disant que l'ONU pourrait jouer un rôle clé dans les événements en Ukraine. Je parlais du Conseil de sécurité, bien entendu, qui est le bras exécutif des Nations unies. Et là, l'éléphant dans la pièce, c'est la Chine. Dès le début de l'invasion, en février 2022, le gouvernement chinois a clairement exprimé sa position : il a déclaré sans ambiguïté son soutien à l'intégrité territoriale — c'est le terme exact qu'il a utilisé — et à la souveraineté de tous les États, « y compris l'Ukraine », a-t-il ajouté explicitement.
C'était une déclaration forte, tout comme les douze points du document intitulé Position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne, publié à l'occasion du premier anniversaire de l'invasion. Si les États-Unis et leurs alliés occidentaux avaient saisi ces opportunités pour tenter de coopérer avec Pékin au Conseil de sécurité afin de hâter la fin de cette agression et de trouver une solution négociée dans le cadre du droit international, nous n'en serions pas là aujourd'hui.
Or, le gouvernement Biden, tout en revenant sur certaines autres politiques de Trump, a maintenu l'approche de sa première présidence sur deux points essentiels. L'un est l'hostilité à l'égard de la Chine. Sur ce point, il y a une continuité entre Trump I, Biden et Trump II, en contraste avec la relation relativement pacifique et amicale qu'Obama avait entretenue avec Pékin. Le deuxième point, c'est bien sûr Israël : sur ce sujet, la présidence Biden s'est inscrite dans la continuité totale de celle de Trump. En dehors de quelques différences mineures que l'on peut relever entre Trump et Biden concernant la Chine ou Israël, leurs politiques sont en réalité très proches. Cette attitude a conduit le gouvernement Biden, dès le départ, à accuser Pékin de soutenir l'invasion russe sans présenter la moindre preuve.
C'est ainsi qu'une grande occasion a été manquée. Je continue de penser que si les pays occidentaux demandaient aujourd'hui à la Chine de coopérer en faveur d'une solution négociée dans le cadre du droit international et des Nations unies — ce qui est, rappelons-le, un objectif déclaré à maintes reprises de la politique étrangère chinoise — alors la donne pourrait changer. La politique étrangère de Pékin est fondée sur le droit international et le respect du principe de non-ingérence dans les affaires internes des États. La Chine ne veut pas que d'autres s'ingèrent dans ses propres affaires, mais en matière de relations interétatiques, elle a toujours défendu les Nations unies, les institutions internationales, le multilatéralisme et le droit international. Et nous savons que la Russie n'aurait pas été capable de s'opposer seule à l'Occident et à la Chine.
La Chine exerce à cet égard une influence décisive. Zelensky a été plus intelligent sur ce point : à un moment donné, il a tenté de se rapprocher de Pékin. Mais récemment, dans son empressement à plaire à Trump, il a fait des déclarations antichinoises. En réalité, c'est Washington qui a empêché une issue négociée avec la participation de la Chine, et en ce sens, il porte une lourde responsabilité dans la prolongation de la guerre en Ukraine.
Mettre la Chine à l'écart, c'est une recette efficace pour plonger le monde dans le chaos, comme on le voit aujourd'hui. Les commentateurs occidentaux ignorent souvent cette réalité et se contentent de diaboliser la Chine. Mais maintenant, avec la montée du néofascisme, on voit l'Europe occidentale commencer à réviser sa position vis-à-vis de Pékin. Les États-Unis, sous Biden comme sous Trump, ont poussé les pays d'Europe occidentale à adopter une posture de plus en plus hostile envers la Chine, allant même jusqu'à élargir à la Chine la « zone d'intérêt » de l'OTAN, au-delà des limites territoriales du Traité de l'Atlantique Nord.
Aujourd'hui, cependant, les Européens commencent à reconsidérer cela, en raison de l'attitude des États-Unis, tant pour des raisons économiques que politiques et militaires. On voit apparaître une tendance à normaliser à nouveau les relations avec la Chine, à un moment où les tensions avec le gouvernement Trump se ravivent. C'est ce qu'on observe en France, au Royaume-Uni, et encore plus clairement en Allemagne, qui entretient des liens économiques très forts avec Pékin. Ces pays tendent désormais à privilégier leurs propres intérêts économiques plutôt que de s'aligner systématiquement sur Washington.
Entretien publié le 14 mai 2025, dans Posle, traduit par Viento Sur.
Entretien réalisé en coopération avec l'Institute for Global Reconstitution, dans le cadre du programme Partenariat Oriental.

La Gaza-ïfication de l’Occident

Alors que le storytelling occidental présente la politique génocidaire d'Israël comme de simples « opérations militaires » se joue en réalité à Gaza l'expérimentation de technologies de domination meurtrières. L'Europe, plus que spectatrice, est activement complice de cette nécropolitique ; son silence révèle la proximité de son imaginaire avec celui d'un État d'Israël qu'elle ne condamne pas, tant ils partagent la même obsession du terrorisme islamiste et de contrôle biopolitique de ses populations immigrées.
9 juin 2025 | tiré de AOC medias
https://aoc.media/opinion/2025/06/08/la-gaza-ification-de-loccident/
Dans le théâtre médiatique contemporain, Gaza s'est muée en un laboratoire du storytelling géopolitique. Chaque image, chaque témoignage, chaque chiffre devient un élément narratif dans une bataille de récits qui dépasse largement les frontières géographiques du conflit. Il y a les morts de Gaza, et il y a leur disparition programmée dans les récits médiatiques occidentaux. Entre les deux, une machine narrative d'une efficacité redoutable transforme un génocide en un « conflit complexe », les bourreaux en victimes, et les témoins en « antisémites ». Comment une puissance militaire génocidaire et ses alliés peuvent simultanément massacrer un peuple et gagner la bataille des récits.
Dans les think tanks de Washington et les agences de Hasbara, une armée de storytellers travaille jour et nuit à retourner la réalité. Chaque école bombardée devient un « nid de terroristes », chaque hôpital détruit cachait des « tunnels du Hamas », chaque journaliste tué était un « combattant déguisé ». Gaza n'est plus seulement un territoire de 365 kilomètres carrés où s'entassent deux millions d'êtres humains. Gaza est devenue une histoire, ou plutôt un champ de bataille d'histoires… Dans les couloirs feutrés des ministères et des agences de communication, on ne parle plus de « guerre » mais d'« opération », plus de « bombardements » mais de « frappes chirurgicales », plus de « morts civils » mais de « dommages collatéraux ». Le vocabulaire militaire s'est mué en novlangue marketing, façonné par des « spin doctors » qui transforment la réalité en une histoire formatée à l'intention des opinions publiques occidentales.
S'il est une chose qui est occultée par l'exposition récurrente dans les médias des « narratifs » israélien et palestinien (autodéfense et résistance) et la fausse symétrie des forces en présence, c'est bien la nature de cette guerre qui bouleverse dans sa rationalité extrême tout ce qu'on pensait savoir sur la guerre totale, la guerre civile ou la guerre coloniale.
C'est une guerre multidimensionnelle, menée dans les airs, sur la terre et jusque dans les sous-sols de la bande de Gaza. Les opérations militaires synchronisent la puissance de frappe de l'aviation, assistée des moyens de l'intelligence artificielle, le génie civil des bulldozers et les incursions des Merkava tanks que survolent les hélicoptères Apache fournis par l'Armée américaine… Les images satellites révèlent l'étendue des destructions d'habitations, d'écoles et d'hôpitaux (90 % des bâtiments), mais aussi l'effacement des deux tiers du réseau routier sans cesse redessiné par le passage des bulldozers et des chars, les plus modernes au monde et les plus lourds. …
À perte de vue ce ne sont que chantiers à ciel ouvert, collines éventrées, déforestations. Paysages en lambeaux sur lesquels s'acharne une violence industrieuse. Cadastrale. L'action concertée des bombes et des bulldozers ne vise pas seulement des objectifs militaires identifiés, mais la vie civile dans sa fragilité, l'espace même de la civilité, places, rond points, marchés, le paysage lui-même n'est pas épargné, où ne subsiste plus rien de la végétation jusqu'au souvenir d'un arbre ou d'une plante. La géographie, disait le géographe Yves Lacoste, ça sert d'abord à faire la guerre. À Gaza, la guerre a détruit la géographie.
La machine à broyer le territoire s'active en permanence ; elle écrase, brise, déchiquette, concasse, déplace les amoncellements de ruines qu'elle accumule. Ce n'est nouveau que par son ampleur apocalyptique. Il y a une vingtaine d'années, à l'occasion d'un voyage en Palestine d'une délégation du Parlement International des écrivains, j'avais pu observer de près cette guerre des « bulldozers ». Le bulldozer que l'on croisait partout au bord des routes apparaissait tout aussi stratégique dans la guerre en cours que le tank. Jamais un engin aussi inoffensif ne m'était apparu porteur d'une telle violence muette. Comment, dans un paysage politique en ruines, reconstituer la vérité des faits en partie effacés. L'architecture forensique d'Eyal Weizman en a tiré toutes les conclusions. Il développe une approche basée sur des techniques en partie héritées de la médecine légale et de la police scientifique : impacts de balles, trous de missiles, ombres projetées sur les murs de corps annihilés par le souffle d'une explosion… « L'objectif, écrit Raphaël Bourgois dans un entretien avec Eyal Weizman pour AOC, chercher des preuves visibles dans l'urbanisme et les bâtiments, mais aussi se servir de la spatialisation, de maquettes, pour faire advenir la vérité ».
Libération a récemment donné un visage humain à cette guerre des bulldozers. C'est le portrait du rabbin soldat Avraham Zarbiv, surnommé « l'aplatisseur de Jabalia ». Un personnage mythologique né dans les ruines de Gaza. Revenu d'une de ses missions, il raconte comme un ingénieur des travaux publics sur un chantier : « Nous avons utilisé des tracteurs, des D9, des excavatrices… nous avons appris le métier, nous sommes devenus très professionnels. On ne peut pas imaginer ce que c'est que de démolir des immeubles – sept, six, cinq étages – les uns après les autres ». Où qu'il opère il applique la même méthode, se vante-t-il, découverte en poussant sa petite fille sur une balançoire. « Et là, je réalise un truc : il faut faire comme avec la balançoire ! Une première explosion – boum – on attend que la structure balance de l'autre côté, et là, on envoie un deuxième boum. » Au sein de sa compagnie, raconte Check News, un néologisme est né à partir du nom du rabbin pour désigner l'action de détruire des bâtiments palestiniens : on les « zarbivise ».
Theodor Adorno écrivait à propos d'images de la prise de l'archipel des Mariannes pendant la deuxième guerre mondiale, « L'impression qui s'en dégage n'est pas qu'on livre des combats mais qu'on procède à des travaux mécanisés de dynamitage et d'infrastructures routières à grande échelle et avec une énergie incroyable, ou encore qu'il s'agît d ‘ « enfumer » et d'exterminer des insectes à l'échelle planétaire. On mène les opérations jusqu'au point où il ne reste plus aucune végétation. L'ennemi est dans le rôle d'un patient et d'un cadavre ».
Personne n'est épargné, jusqu'aux embryons d'un centre de fécondation in vitro bombardé intentionnellement en décembre 2023, selon un rapport d'une commission d'enquête internationale de l'ONU qui a détruit environ 4 000 embryons dans une clinique qui accueillait entre 2 000 et 3 000 patients par mois à Gaza, comme si on cherchait à effacer l'avenir avant même qu'il ne voie le jour. Une image saisissante du concept de « nécropolitique » forgé par Achille Mbembe selon lequel l'expression ultime de la souveraineté réside largement dans le pouvoir et la capacité de dire qui pourra vivre et qui doit mourir.
Loin de se réduire à un épisode de la lutte immémoriale entre Arabes et Juifs ou entre Musulmans et Juifs, ni même de se ramener au conflit entre deux peuples, ce qu'elle est aussi, la guerre à Gaza représente la combinaison explosive de plusieurs phénomènes enchevêtrés qui s'échelonnent sur un siècle et qui la rendent illisible pour la plupart. Ces phénomènes vont de l'irruption de l'impérialisme au Moyen-Orient à la montée des nationalismes, du colonialisme de peuplement au contrôle de la population palestinienne et à la société de surveillance, de la résistance palestinienne aux méthodes postmodernes de colonisation de peuplement.
Dans un livre à paraître[1], l'historien Rashid Khalidi reconstitue l'écheveau complexe de cette histoire tout au long du XXe siècle. Il en restitue les raisons profondes et les responsabilités jusqu'à l'épilogue sanglant dont nous sommes les témoins. « Le total de quelque 70 000 morts à Gaza au cours des dix-huit derniers mois, écrit-il, est probablement plus élevé que la somme de tous les Palestiniens tués par Israël depuis 1948 ». Dans cette histoire l'Occident n'est nullement réduit au rôle de spectateur, ni même à celui de médiateur, il apparaît comme un acteur de premier plan de l'interminable conflit qui ronge le proche Orient depuis un siècle.
Sous l'égide de la Grande Bretagne jusqu'à la deuxième guerre mondiale puis des États-Unis depuis 1948, l'Occident inspire, arme et finance Israël. Sa responsabilité dans l'épisode génocidaire actuel et peut-être terminal si rien n'est fait, n'en est que plus accablante. Elle se double depuis l'installation de Donald Trump à la Maison Blanche, d'une participation assumée à l'entreprise d'extermination de la population palestinienne par les voies du financement de l'effort de guerre, de la livraison directes d'armes destructrices et jusqu'à la stratégie visant à affamer la population, à la priver des soins médicaux élémentaires, d'eau et d'électricité.
Les entreprises françaises, allemandes, italiennes d'armement et de sécurité ne sont pas de simples spectatrices du siège de Gaza. Elles en bénéficient et y collaborent.
Bien sûr le plan « Gaza-Riviera » de Trump restera dans les mémoires comme un épisode grotesque du théâtre trumpiste de la cruauté. Mais comme le rappelle Rashid Khalidi « Le soutien vigoureux de Biden au siège de Gaza par Israël, qu'il a qualifié de « légitime défense », son écho à la rhétorique israélienne et son dénigrement de l'humanité des victimes palestiniennes ont renforcé chez les Palestiniens et leurs partisans le sentiment d'une hostilité viscérale des États-Unis à leur égard, ce qui lui a valu le surnom de « Génocide Joe ».
De nombreux chefs d'État européens mériteraient ce surnom tant leur silence laisse pantois, là où il faudrait mobiliser une résistance coordonnée et des sanctions massives contre le gouvernement israélien. Mais il y a bien plus que de la lâcheté dans cette combinaison de complicités et de divergences en trompe-l'œil entre l'Occident et Israël. Car derrière les déclarations de circonstance sur les « préoccupations humanitaires » et les appels rituels au « respect du droit international », se cache une vérité plus sombre : l'Europe laisse faire le gouvernement d'Israël parce qu'elle a en commun avec lui quelque chose de plus profond et de plus troublant : son imaginaire colonial.
La passivité européenne face à Gaza révèle ainsi la vraie nature de l'ordre occidental contemporain : non plus un ensemble de valeurs partagées mais un système de domination qui s'appuie sur la désignation permanente d'ennemis intérieurs et extérieurs. Gaza n'est que la version la plus visible de cette logique qui traverse désormais toute la politique occidentale.
La question n'est donc plus de savoir pourquoi l'Europe se tait face à Gaza, mais pourquoi nous continuons à feindre l'étonnement devant ce silence. Car ce silence dit tout de ce que l'Europe est devenue : un complice qui préfère regarder ailleurs plutôt que de regarder en face ce qu'elle est en train de devenir.
Depuis deux décennies, l'Europe a construit sa politique sécuritaire autour des mêmes phobies. L'islam politique comme menace existentielle, l'immigration comme facteur de déstabilisation, la « radicalisation » comme obsession permanente, les banlieues comme territoires perdus à reconquérir. La diffusion du rapport sur l'« entrisme » des Frères musulmans en est le dernier symptôme parmi des centaines d'autres. Gaza est devenu le laboratoire de la guerre que l'Occident mène contre ses propres populations, un endo-colonialisme dont la Palestine est le terrain d'expérimentation pour des systèmes de surveillance, de contrôle des populations et d'enfermement territorial. Les entreprises européennes d'armement et de sécurité y testent leurs innovations avant de les déployer dans les banlieues françaises ou les camps de migrants. Les technologies de reconnaissance faciale, de surveillance numérique, ou de gestion des frontières y sont testées dans des conditions extrêmes. Gaza fonctionne comme un miroir grossissant des politiques européennes.
Auteur d'un essai paru en 2023 sur le « laboratoire palestinien »[2], Antony Loewenstein explique, lors d'un entretien accordé le 12 janvier 2024 au Malcom H. Kerr Carnegie Middle East Center, que « depuis des années, Israël teste et essaie un nombre considérable de technologies d'oppression sur les Palestiniens, qui sont ensuite promues sur les champs de bataille tout autour de la planète. Gaza a souvent été considéré comme le terrain d'essai ultime pour les armes de destruction et de surveillance ». « L'armée israélienne ne s'en cache pas, constatait en janvier 2024 dans Mediapart, la journaliste indépendante Gwenaëlle Lenoir, des armes nouvelles ainsi que des algorithmes sont utilisés pour la première fois dans la bande de Gaza. La guerre contre le Hamas est également une vitrine du savoir-faire israélien en la matière ».
« Ce que nous avons vu ces trois derniers mois, après le massacre brutal du Hamas, c'est que la réponse israélienne a été d'une brutalité accablante. Mais au-delà, Israël fait ce qu'il fait toujours, c'est-à-dire tester et essayer de nouvelles armes de destruction et de surveillance ». Au niveau de la gestion biopolitique, la bande de Gaza constitue un cas d'étude sur la gouvernance de populations entières dans des conditions de précarité contrôlée – gestion de l'accès aux ressources, aux soins, à l'emploi, créant une forme de dépendance administrée.
Netanyahou a fait pression pendant plus d'une décennie pour qu'Israël devienne l'un des principaux développeurs technologiques mondiaux, avec une expertise en matière d'armes, de surveillance et de cyberoutils, une expertise valorisée par l'expérience acquise sur le terrain contre les Palestiniens réduits à une population cobaye. Israël a perfectionné et dirigé l'« industrie de la pacification mondiale », une expression inventée par l'anthopologue israélo-américain Jeff Halper, Director of the Israeli Committee Against House Demolitions (ICAHD), dans son livre Guerre contre le peuple : Israël, les Palestiniens et la pacification mondiale.
Il explique que l'occupation ne constitue pas un fardeau financier pour l'État, mais tout le contraire, la Palestine étant un terrain laboratoire précieux pour de nouveaux équipements destinés à une puissance militaire mondiale au service d'autres armées à travers le monde. « Israël est un petit pays qui se bat pour se tailler une place au sein du complexe militaro-industriel transnational » a déclaré Jeff Halper. « Le laboratoire israélien de Palestine prospère grâce aux perturbations et à la violence mondiales. La prudence israélienne à l'égard de la Russie en 2022 n'est pas surprenante, car la société de surveillance israélienne Cellebrite a vendu à Vladimir Poutine une technologie de piratage téléphonique qu'il a utilisé contre des dissidents et des opposants politiques des dizaines de milliers de fois. Quelques jours après l'agression russe en Ukraine, les cours mondiaux des actions des entreprises de défense ont grimpé en flèche, notamment celle du plus grand acteur israélien, Elbit Systems, dont l'action a grimpé de 70 % par rapport à l'année précédente. L'une des armes israéliennes les plus recherchées est un système d'interception de missiles. L'ex-ministre israélienne de l'Intérieur, Ayelet Shaked, a déclaré qu'Israël en bénéficierait financièrement, car les nations européennes voulaient des armements israéliens. “Nous avons des opportunités sans précédent, et le potentiel est fou”.
L'aggravation de la crise climatique profitera au secteur de la défense israélien dans un avenir où les États-nations ne réagiront pas par des mesures actives pour réduire les impacts de la hausse des températures, mais se ghettoïseront plutôt, à la manière d'Israël. Concrètement, cela se traduit par des murs plus hauts et des frontières plus strictes, une surveillance accrue des réfugiés, la reconnaissance faciale, des drones, des clôtures intelligentes et des bases de données biométriques ».
D'ici 2025, le complexe industriel de surveillance des frontières est estimé à 68 milliards de dollars américains, et les entreprises israéliennes comme Elbit sont assurées d'en être parmi les principaux bénéficiaires. En septembre 2022, le chef de la police des frontières israélienne, le général de division Amir Cohen, a été reçu par son homologue américain, Raul Ortiz, chef de la patrouille frontalière américaine. Ortiz s'est dit intéressé par les méthodes « non létales » utilisées par les Israéliens pour disperser et réprimer les manifestations. Cohen a présenté un drone israélien qui largue des gaz lacrymogènes sur les manifestants.
Les entreprises françaises, allemandes, italiennes d'armement et de sécurité ne sont pas de simples spectatrices du siège de Gaza. Elles en bénéficient et y collaborent. Le transfert de technologie opère dans les deux sens. Leurs technologies y sont testées, affinées, perfectionnées avant d'être redéployées dans les banlieues de Marseille, les camps de Moria ou les frontières polonaises. Une situation que l'intellectuelle brésilienne Berenice Bento qualifie de « palestinisation du monde ».
Cette économie politique de la violence révèle pourquoi l'Europe ne peut condamner vraiment Israël sans se condamner elle-même. Les techniques de contrôle territorial, de fragmentation urbaine, de surveillance biométrique des populations « à risque » que teste Israël à grande échelle, l'Europe les applique de manière plus discrète mais tout aussi efficace et systématique. Gaza fonctionne comme un laboratoire où se perfectionnent les techniques de domination que l'Occident applique ailleurs : murs « intelligents », drones de surveillance, contrôle biométrique des populations, fragmentation territoriale.
Condamner les crimes de guerre de Tsahal forcerait l'Europe à assumer sa complicité dans la militarisation de ses frontières. Comment critiquer la gestion israélienne des territoires occupés sans questionner la gestion européenne des Roms, des migrants, des musulmans ? Comment dénoncer l'apartheid territorial israélien sans remettre en cause sa propre ségrégation urbaine ? Quand Israël parle de « terrorisme palestinien », l'Europe entend « terrorisme islamiste ». Quand Israël évoque la nécessité de « sécuriser ses frontières », l'Europe pense à Frontex et à ses propres murs anti-migrants.
Quand Israël justifie la surveillance de masse de sa population arabe, l'Europe y reconnaît ses propres pratiques dans les quartiers dits « sensibles ». Cette synchronisation des imaginaires sécuritaires explique pourquoi les dirigeants européens regardent Gaza sans intervenir : ils y voient leur propre reflet.
Christian Salmon
Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)

Au Mali, Wagner s’en va, l’Africa Corps s’installe

Les troupes du Groupe Wagner, présentes au Mali depuis 2021, seront réintégrées au sein de l'Africa Corps, une structure contrôlée par le ministère de la Défense russe. Revenant sur le bilan en demi-teinte des mercenaires russes dans la lutte contre le terrorisme, le site guinéen “Le Djely” craint que ce passage de témoin ne renforce l'emprise du Kremlin sur les affaires maliennes.
Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Le logo du groupe de mercenaires privés à Novossibirsk, dans le sud de la Russie, le 24 août 2023. Les contingents du groupe Wagner vont être réintégrés au sein de l'Afrika Corps, sous le contrôle du ministère de la défense russe. Lundi 9 juin 2025, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a réaffirmé la volonté de Moscou de renforcer ses liens militaires avec l'Afrique. Photo Vladimir Nikolayev/AFP
Au Mali, la fête de la Tabaski [fête musulmane de l'Aïd El-Kébir] célébrée vendredi dernier [6 juin] a coïncidé avec une autre actualité marquante : l'annonce de la fin de mission du groupe paramilitaire russe Wagner. Ce partenaire, engagé depuis trois ans aux côtés des autorités maliennes dans la lutte contre le terrorisme et l'insécurité, met un terme à sa présence sur le sol malien. Une annonce confirmée par le groupe fondé par le défunt Evgueni Prigojine.
Mais, dans la foulée, l'Africa Corps, entité militaire soutenue par Moscou et apparue après la mort de Prigojine, en août 2023 [dans un accident d'avion deux mois après s'être rebellé contre le commandement de Moscou], déclarait qu'elle prendrait automatiquement le relais. Un message clair : la Russie reste au Mali, même si les visages changent.
Ce passage de témoin intervient toutefois dans un contexte marqué par une intensification des attaques terroristes, en particulier contre les installations militaires. Cela interroge le bilan flatteur que Wagner s'est attribué à l'heure de son retrait, et suscite des doutes sur ce que l'on peut véritablement attendre d'Africa Corps.
Aveu d'échec

On tente visiblement de faire passer cette relève pour une transition planifiée de longue date. Peut-être. Mais il est difficile de ne pas établir un lien entre ce changement et la recrudescence des attaques menées par les groupes djihadistes, notamment le JNIM [Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans mené par Iyad Ag Ghali]. De ce point de vue, le départ de Wagner peut être interprété comme l'aveu d'un échec, ou du moins comme la nécessité de réadapter le dispositif russe face à un ennemi devenu plus redoutable.
Car il faut bien le reconnaître : la coopération militaire avec Wagner n'a pas permis de restaurer la sécurité au Mali. Les récentes attaques contre les camps de Dioura, Boulkessi, Tombouctou ou encore Sikasso en sont la preuve. Certes, la reprise de Kidal reste un acte fort et symbolique pour les autorités de transition, mais elle ne masque pas les limites de l'approche sécuritaire adoptée.
Pire, à l'insécurité persistante s'ajoutent de graves bavures, souvent commises contre des populations civiles soupçonnées à tort de collusion avec les terroristes. Dans ce climat, la collaboration avec Wagner a également permis à la junte de renforcer sa posture autoritaire et antidémocratique, en s'appuyant sur un partenaire peu regardant sur les droits humains.
Emprise accrue ?
Difficile donc d'imaginer qu'Africa Corps fasse mieux. Le contexte reste tendu, et le défi sécuritaire est d'autant plus complexe qu'il repose sur un amalgame dangereux entre djihadistes et certaines communautés civiles. Un amalgame qui, en alimentant les frustrations, ne fait que renforcer les rangs des groupes armés. De plus, contrairement à Wagner, les membres d'Africa Corps seraient directement subordonnés au ministère de la Défense russe. Ce lien hiérarchique plus strict pourrait réduire les marges de manœuvre de Bamako et accroître l'emprise de Moscou sur les affaires maliennes.
Cela remet en question la rhétorique souverainiste du colonel Assimi Goïta [l'actuel homme fort du pays, qui a pris le grade de général] et de ses compagnons. Car si, entre 2013 et 2021, l'argument selon lequel la présence française incarnait une nouvelle forme de colonialisme pouvait être défendable, on peut se demander si le Mali ne s'achemine pas vers une autre forme de tutelle – russe cette fois, et peut-être plus durable.
Boubacar Sanso Barry

Le tableau accablant des atrocités de Wagner au Mali

Depuis leur arrivée au Mali en 2021, les mercenaires russes de Wagner ont kidnappé et détenu des centaines de civils sur d'anciennes bases de l'ONU et dans des camps militaires partagés avec l'armée malienne. Dans le cadre du projet Viktoriia, Forbidden Stories révèle l'existence de ces prisons secrètes où sévices et tortures sont perpétrés en toute impunité
Tiré de MondAfrique. Photo : Yevgeny Prigozhin, chef du groupe Wagner maintenant décédé, sert le repas à Vladimir Poutine.
En partenariat avec France24, Forbidden Stories a enquêté sur les prisons secrètes du groupe Wagner au Mali. Une investigation qui met à jour un vaste système de centres de détention présent sur des bases militaires. © Forbidden Stories

Un article écrit par Guillaume Vénétitay (Forbidden Stories)
Les cris ne parviennent plus jusqu'à ses oreilles. Ils sont recouverts par un son épais, presque furieux. « C'était leur musique russe. Ils la mettaient à chaque fois qu'il y avait un interrogatoire », raconte Wangrin*.
Face à lui, deux autres civils maliens, ligotés et capturés plus tôt dans la journée. Ils sont amenés, torses nus, à tour de rôle devant une bassine remplie d'eau. Les trois geôliers leur attrapent la tête, puis la plongent dans le récipient pendant de longues secondes. « Moi, ils me l'ont fait trois fois, jusqu'à ce que je ne parvienne plus à respirer », témoigne Wangrin, passé au supplice le 5 août 2024. Les cerbères alternent les simulacres de noyade avec des coups. Au ventre, à la tête, parfois avec des bâtons. « C'est comme s'ils étaient en train de tuer des chiens, se remémore l'ancien détenu d'une voix frêle. J'ai commencé à pleurer en les voyant frapper. »

Durant sept jours, chaque soir, le travailleur humanitaire entend ces chansons russes. Un funeste rituel qui indique que les nouveaux prisonniers de la base militaire de Nampala, dans le centre du Mali, sont soumis à la torture. Comme lui, plusieurs centaines de civils maliens ont été raflés puis détenus au secret par les mercenaires russes du groupe Wagner, présents au Mali depuis fin 2021.
Forbidden Stories et ses partenaires des Observateurs de France 24, du Monde et IStories ont enquêté sur ces détentions secrètes de civils par les mercenaires russes au Mali. Une investigation réalisée dans le cadre du projet Viktoriia, en mémoire de la journaliste ukrainienne Viktoriia Roschyna, capturée par la Russie à l'été 2023 alors qu'elle enquêtait sur les détentions illégales de civils en territoires occupés par les Russes. Elle a été déclarée morte en captivité le 19 septembre 2024.
Notre enquête révèle la duplication de ce système d'enfermement et de torture de civils au Mali. Deux continents et deux contextes très différents, mais les mêmes schémas sont appliqués par les mercenaires russes : enlèvements, arrestations arbitraires, absence de contact avec le monde extérieur, recours à la torture systématique – parfois jusqu'à la mort. Forbidden Stories, dont la mission est de poursuivre le travail des reporters tués, emprisonnés ou menacés, est allé à la rencontre des rares témoins de ce système de détention et de torture au Mali, où le nom de Wagner est synonyme de terreur pour les journalistes. « Au Mali en général, dans le nord et le centre en particulier, aucun média n'ose parler de Wagner par peur de représailles », racontait un reporter malien dans un rapport publié en 2023 par Reporters sans frontières, qui a classé le pays à la 119e place (sur 180) dans son baromètre annuel. « Aucun journaliste sur place n'ose enquêter sur la présence de Wagner », continuait un de ses confrères.
Les civils maliens délibérément ciblés par Wagner et l'armée malienne
À la suite des deux coups d'État orchestrés par le colonel Assimi Goïta en 2020 et 2021, le pouvoir malien s'est rapproché de la Russie, en louant les services des « musiciens », comme ils se surnomment entre eux. Les hommes du groupe Wagner, connus pour leur carte de visite sanglante en Ukraine, en Syrie ou encore en Centrafrique sous la houlette d'Evguéni Prigojine – mort en août 2023, soutiennent les opérations de l'armée malienne contre les jihadistes et les séparatistes touareg.
Leur arrivée dans le pays a été facilitée par le départ de la France, finalisé en 2022 après neuf ans d'engagement militaire face aux groupes terroristes, et la fin de la mission de stabilisation de l'ONU (Minusma) presque un an et demi plus tard. « Les Maliens voulaient certainement changer leur manière de mener la guerre et se débarrasser des yeux extérieurs qui jugeaient la façon dont fonctionnait leur armée, analyse Yvan Guichaoua, chercheur au Bonn International Centre for Conflict Studies. Et en faisant venir les Russes, cela a une implication directe sur la manière dont ils utilisent la force. »
Depuis leur arrivée, les mercenaires russes sont régulièrement accusés d'exactions et de crimes contre les civils lors d'opérations conjointes avec les Forces armées maliennes (FAMa) contre les groupes jihadistes dans le centre et le nord du pays. « Les civils sont délibérément ciblés depuis le déploiement de Wagner, poursuit Yvan Guichaoua. Les forces de sécurité tendent à considérer comme complices des mouvements jihadistes les populations qui vivent dans leur aire d'influence. »
Pour retrouver les survivants des prisons secrètes de Wagner au Mali, il faut se rendre à Mbera, en Mauritanie. À un jet de pierre de la frontière, dans le désert du Sahara vivent environ 270 000 Maliens, dont 118 000 dans un camp géré par les Nations unies, qui ont fui les zones de combat. À Mbera, les ex-détenus peuvent témoigner plus librement qu'au Mali. En recoupant ces récits de prisonniers, notre consortium a pu identifier six bases militaires dans lesquelles des civils maliens ont été détenus et torturés par Wagner entre 2022 et 2024 : Bapho, Kidal, Nampala, Niafunké, Sévaré, Sofara.

Wangrin vit depuis dix mois à Mbera, mais il est toujours hanté par la musique russe. Après avoir passé quelques jours à Fassala, une commune mauritanienne à la frontière avec le Mali, il s'est rendu dans le camp. Là, il habite un abri de fortune et cherche un emploi auprès d'ONG, sans succès pour le moment.
Pour raconter sa captivité à l'abri des regards, il donne rendez-vous à Bassikounou, une ville étape à moins de 20 kilomètres du camp. Wangrin a conservé des détails extrêmement précis de sa semaine de détention : la tasse de riz blanc avec du sel pour seul repas, les coups portés avec des câbles électriques, et ce codétenu qui ne pouvait plus marcher tant il avait été frappé. La veille de son arrestation dans la boutique d'un grand frère, une patrouille menée conjointement par Wagner et les FAMa dans son village de Nampala avait déjà terrorisé les habitants.
Ce dimanche 4 août 2024, les soldats ordonnent aux hommes et aux garçons de sortir de leur domicile. Ils sont rassemblés sur le terrain de sport, à côté d'un puits. Le soleil castagne. « On a passé toute la journée là. Les gens ne comprenaient pas ce qu'il se passait », remet Wangrin. Les villageois patientent pendant que les soldats maliens et les mercenaires russes notent des noms, fouillent des maisons et frappent parfois des habitants. Ils sont à la recherche d'un talkie-walkie qu'ils soupçonnent de faciliter la communication avec les jihadistes du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM). La mise en œuvre concrète de ce que l'armée répète à longueur de communiqués : « la traque » et « la neutralisation » des terroristes comme priorité lors de ses opérations.
« Des prisons presque partout où Wagner opère »
Comme Wangrin, Abdallah* fait partie des nombreux civils victimes de ces rafles. Le mardi 6 décembre 2022, cet aide-soignant touareg débarque de bonne heure à la foire hebdomadaire de Kita, un village de la commune de Dioura, dans le centre du Mali, près de la frontière mauritanienne. Il est 7 h du matin. « J'ai été surpris de voir des hélicoptères et j'ai entendu des tirs. La poussière se dissipe et j'aperçois des soldats qui ont été déposés », se souvient-il. Des militaires FAMa accompagnés de nervis du groupe Wagner débutent, au sol, leur opération et en profitent pour piller des marchandises, comme des boissons, des parfums ou de la viande. Cinq personnes sont tuées, trois autres blessées par les tirs des FAMa et Wagner.
En début d'après-midi, Abdallah et huit personnes sont embarqués. « Ils m'ont ligoté, bandé les yeux et mis dans l'hélicoptère. Nous étions couchés et les mercenaires ont mis leurs pieds sur mon dos. Je pensais qu'ils m'emmenaient ailleurs pour me tuer », détaille-t-il. L'hélicoptère atterrit une heure plus tard. Les prisonniers sont regroupés dans une cour. Des soldats maliens leur demandent alors s'ils connaissent un jihadiste qu'ils recherchent. Aucune réponse positive. En fin de journée, les détenus ont droit à une gorgée d'eau, puis parviennent à échanger dans la cour avec un autre prisonnier, captif depuis quelques jours de plus. « Il nous a dit : ‘Vous êtes à Sévaré. Priez Dieu pour ne pas subir la même chose que nous.' Il avait été torturé », explique Abdallah.
« Wagner a des prisons presque partout où il opère, dans les camps où les Wagner stationnent. Toutes les personnes arrêtées et qui n'ont pas été tuées lors de leurs opérations finissent là. Ce sont des bergers, des commerçants, des transporteurs routiers », décrypte un analyste avisé de la situation au Sahel.

Plusieurs de ces prisons sont situées à l'intérieur de bases militaires FAMa, où les mercenaires russes cohabitent parfois avec les Maliens. Leur localisation varie en fonction des opérations sur le terrain. Le nombre total de lieux de détention durant la mission de Wagner dans le pays est probablement bien plus élevé que les six prisons identifiées lors de notre enquête, comme le mentionnent de nombreux observateurs contactés par le consortium.
L'analyse d'images satellites par Forbidden Stories et les Observateurs de France 24 montre par exemple la présence d'hélicoptères de fabrication russe sur la base de Sévaré, durant la période de l'incident de la foire de Kita. La construction d'un nouveau hangar pour hélicoptères a également commencé à la fin de l'année 2022.

Parfois, les prisons secrètes de Wagner se nichent dans des lieux plus symboliques, comme des anciennes bases des forces de l'ONU au Mali, la Minusma. C'est le cas à Kidal, bastion historique des rebelles touareg dans le nord du pays. La reprise de la ville par l'armée malienne et Wagner, en novembre 2023, fut une victoire marquante pour la junte de Bamako et leurs supplétifs russes. Au point de faire sortir les soudards de leur légendaire discrétion. Les hommes de feu d'Evguéni Prigojine sont allés jusqu'à hisser leur drapeau – une tête de mort sur fond noir – sur le fort de Kidal.
« Ce drapeau, c'était une manière de faire comprendre qu'ils avaient fait l'essentiel du boulot », souligne Yvan Guichaoua. Avec un contingent de plus de 2 400 hommes au plus haut de sa présence au Mali, le groupe Wagner a pu compter sur des nervis chevronnés qui effectuent des rotations entre leurs différents théâtres d'opération, du front ukrainien en passant par la Syrie et la Centrafrique. Avec, en prime, l'importation de matériel militaire et des pires « savoir-faire » acquis sur les autres terrains.
Sur la base de Kidal, nos partenaires des Observateurs de France 24 ont identifié un Chekan, véhicule blindé spécialement conçu pour le groupe Wagner, au milieu de conteneurs qui ont longtemps servi de stockage pour la Minusma. Le 12 août 2024, Ali* est arrêté à son domicile par les mercenaires et un soldat malien, avant d'être jeté dans une de ces « boîtes » à Kidal. À ses côtés, un homme de 40 ans, sans pantalon, ni chaussures et décharné par quatre mois de détention. « L'autre prisonnier m'a dit qu'il avait seulement le droit de boire et manger au crépuscule », témoigne le travailleur humanitaire, captif durant 24 heures.

La détention dans des conteneurs est un des modes opératoires de Wagner au Mali. Omar* a été capturé le 20 janvier 2024, puis mis dans une « boîte » sur la base de Niafunké. Le tailleur de 25 ans, à la silhouette adolescente et à la voix fluette, se rappelle de la chaleur à l'intérieur. « Le conteneur était exposé en plein soleil. La nuit, il faisait très noir. Quelques trous en haut laissaient passer la lumière. Il y avait juste une planche sur le sol, décrit-il. Nous avons été au maximum une dizaine dans le conteneur durant mes 40 jours de détention. » Les prisonniers n'ont pas le droit d'en sortir, sauf pour aller aux toilettes, situées à quinze mètres, à la condition d'être accompagnés d'un maton. « Parfois, j'ai eu droit à du travail forcé. Je devais mettre du sable dans un camion, creuser des trous. Je me demandais si j'allais quitter un jour cet endroit ou mourir là », rapporte Omar, passé à tabac jusqu'à perdre conscience dès le premier jour de sa captivité.
Climat de terreur
Les sévices et la torture reviennent dans les témoignages de chaque ancien détenu rencontré. À Nampala, Abdoulaye* a été enfermé quatre jours au début du mois d'août 2024. Rencontré dans un village situé à une trentaine de kilomètres de Mbera, ce boutiquier peul d'1,90 m nous montre deux cicatrices. « Ils m'ont frappé à la tête jusqu'à ce que je m'évanouisse, j'ai perdu beaucoup de sang, Ils ont aussi pris un briquet pour me brûler le ventre », explique celui qui dit avoir été attaché dans une douche, complètement nu, pendant sa détention.

« La plupart des gens meurent en détention », appuie Attaye Ag Mohamed Aboubacrine, secrétaire général adjoint de l'association de défense des droits humains Kal Akal. Ce qui accentue le climat de peur qu'inspire le nom de Wagner. « Ces disparitions et les exactions commises par les FAMa et Wagner, qui sont soutenus et encadrés par la Russie, sont emblématiques de cette stratégie, c'est-à-dire semer la terreur auprès de la population pour la forcer à l'exil », embraye Boubacar Ould Hamadi, président du Collectif pour la défense des droits du peuple de l'Azawad (CD-DPA), qui a recensé 304 enlèvements ou disparitions forcées entre octobre 2024 et mars 2025.
- Ces disparitions et les exactions commises par les FAMa et Wagner […] sont emblématiques de cette stratégie, c'est-à-dire semer la terreur auprès de la population pour la forcer à l'exil.
Les FAMa n'interviennent pas pour réfréner leurs partenaires russes, qui semblent priser leur autonomie. « Les Wagner prennent eux-mêmes les gens sur le terrain et les FAMa n'ont pas leur mot à dire », se défend un officier malien, sous couvert d'anonymat, auprès de nos partenaires du Monde. Des prisonniers peuvent être libérés contre des rançons. « Certains enlèvements sont clairement motivés par des gains financiers directs. Souvent perpétrés dans l'Azawad et le centre du Mali, ils relèvent de pratiques qui croisent à la fois le mercenariat, le banditisme organisé et les méthodes de la terreur », expose Attaye Ag Mohamed Aboubacrine.
Certains rescapés sont ensuite livrés aux autorités maliennes, qui risquent de judiciariser leur statut une fois sorti de prison. Abdallah assure avoir été déposé à la gendarmerie 48 heures après son arrestation à Kita. Une double peine : après sa détention illégale, le voici sous la menace d'une condamnation sur des accusations factices. Il a finalement obtenu un classement sans suite moins d'une semaine plus tard et affirme avoir été libéré contre le paiement de près d'1,5 million de francs CFA (environ 2 288 euros, NDLR) par sa famille.

Pour les familles des disparus – 668 personnes arrêtées, enlevées ou disparues entre novembre 2023 et avril 2025 selon l'association Kal Akal –, rester sans nouvelle est un calvaire. Berger nomade, Moussa* marchait avec ses deux frères et leurs centaines de moutons dans le cercle de Goundam quand ils ont été arrêtés par une patrouille conjointe FAMa-Wagner, en février 2025. Les trois hommes sont gardés toute une nuit en pleine brousse. Au matin, Moussa, ligoté et laissé pour compte sur le sable, voit les mercenaires embarquer ses petits frères. « Je ne sais pas s'ils sont morts ou vivants. J'aimerais savoir. S'ils ne sont plus de ce monde et qu'il n'y a plus d'espoir, je serais apaisé », explique-t-il. Sous sa chemise, Moussa montre une autre trace indélébile sur son torse. Cette nuit-là, ses geôliers se sont amusés à lui brûler la poitrine avec un mégot.
*Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé.
**Le ministère des armées malien, le ministère de la Défense russe, l'ambassade de Russie au Mali et des mercenaires du groupe Wagner n'ont pas répondu à nos sollicitations.

Afrique, le « travel ban » anti migrants de Donald Trump

Les ressortissants de sept pays africains sont interdits d'accès au territoire américain, selon une logique basée sur la proportion de « visa overstay » mais qui souffre d'incohérences. Amnesty International y voit une mesure « discriminatoire, raciste et carrément cruelle ».
Tiré de Mondafrique
7 juin 2025
Par Nicolas Beau
Le locataire de la Maison-Blanche a annoncé le 4 juin le rétablissement d'une interdiction d'entrée sur le territoire qui concerne les ressortissants d'une vingtaine de pays. Soit plus que son premier “travel ban”.
“Le président Donald Trump a proclamé mercredi une nouvelle interdiction de voyager très large, touchant les ressortissants de 19 pays, au nom de risques pour la sécurité nationale”, rapporte Politico.
Douze de ces pays sont visés par une interdiction complète d'entrer aux États-Unis à compter du 9 juin, tandis que certains types de visas seront suspendus pour sept autres pays. Quelques exceptions sont prévues, notamment pour les résidents permanents et ceux qui détiennent déjà un visa.
D'après The New York Times, qui a publié une carte montrant l'ensemble des pays ciblés, “ces mesures touchent davantage de régions du monde que les interdictions d'entrée du même type adoptées durant la première présidence Trump, et elles pourraient affecter plus de gens”.
“Peu après son entrée en fonctions en 2017, Trump avait tenté de barrer l'accès aux voyageurs de sept pays à majorité musulmane, rappelle le quotidien. Cinq de ces pays se trouvent sur la nouvelle liste, avec plusieurs autres nations d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient, ainsi que Cuba, Haïti et le Venezuela.”
Des contestations devant la justice
En 2017, la mesure avait été attaquée devant la justice, et “Trump s'était vu forcé de modifier l'interdiction de voyager à deux reprises avant que la Cour suprême n'avalise finalement une version de la mesure en 2018, reconnaissant les pouvoirs du président en matière de sécurité nationale”, complète Politico. Le démocrate Joe Biden avait mis fin à l'interdiction lors de son arrivée à la Maison-Blanche, en 2021.
À lire aussi : États-Unis. Quand Trump banalise la corruption à la Maison-Blanche : “Plus personne ne s'offusque”
“D'après les autorités, les États-Unis considèrent que les pays inclus dans l'interdiction n'ont pas de contrôles de sécurité suffisants à l'émission des passeports et autres documents de voyage ; ils ont aussi un taux élevé de ressortissants dépassant la date de validité de leur visa”, explique The Washington Post.
Malgré la décision de la Cour suprême en 2018, favorable à Trump, les nouvelles mesures devraient à nouveau être contestées en justice, souligne le journal de la capitale fédérale.
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Pillage des eaux africaines

La baisse des ressources halieutiques sur les côtes africaines est notamment la conséquence d'une surpêche au profit des entreprises agroalimentaires des pays riches.
Les constats faits par les pêcheurs artisanaux des côtes africaines sont identiques, il y a de moins en moins de poissons et les prises révèlent une diminution de leur taille. Les experts considèrent que les 51 espèces présentes dans les eaux africaines, source d'alimentation pour les populations, sont en voie d'extinction.
Inquiétudes économiques
Au Sénégal par exemple en cinq ans le nombre de sardinelles a baissé de 80%. Ce petit pélagique est largement consommé par les populations pour son prix abordable et se cuisine parfaitement dans le plat national, le thiéboudiène.
La raréfaction des produits halieutiques provoque une anxiété pour nombre d'africains. Dans certains pays côtiers, le poisson représente près de la moitié des sources de protéine animale. Les économistes estiment que la pêche artisanale en Afrique correspond globalement entre les pécheurs, mareyeurs, fumeurs et vendeurs à près de 12 millions d'emplois.
Les deux raisons principales de la baisse des ressources sont le dérèglement climatique et la surpêche.
Si les températures augmentent sur terre elles augmentent aussi dans les océans, bouleversant des écosystèmes complexes. Les conséquences sont la disparition des coraux, la migration des espèces côtières vers des eaux plus froides ou la destruction des mangroves, particulièrement inquiétante pour l'Afrique. En effet ces zones, souvent comparées à des nurseries pour les poissons sont des abris face aux prédateurs, le temps d'atteindre l'âge adulte. Elles sont aussi des aires permettant la riziculture.
Pêche industrielle délétère
La seconde raison est la surpêche. Elle est provoquée par un afflux en augmentation constante de pêcheurs artisanaux. Avec un chômage massif frappant la jeunesse, beaucoup tentent leur chance dans ce secteur. En Sierra Leone petit pays d'Afrique de l'Ouest, leur nombre en 20 ans a doublé passant de 75 000 à 150 000. Ce phénomène cependant ne doit pas cacher que l'essentiel de l'affaiblissement des ressources est la conséquence de la pêche industrielle.
Des véritables bateaux usines sillonnent les côtes africaines toute l'année et avec d'immenses filets raclent les fonds marins et capturent toute la faune marine, occasionnant des dégâts écologiques considérables.
Selon les pays, les règles légales encadrant la pêche dans leur zone économique exclusive sont différentes, mais de l'avis des professionnels artisanaux mais aussi des militants écologistes, elles sont largement insuffisantes et peu respectées. Toujours en Sierra Leone, l'achat d'un permis de pêche varie selon le tonnage du bateau entre 15 000 à 20 000 euros permettant au titulaire de pêcher toute l'année. Un contournement des règles très usité est l'utilisation de prête-nom locaux permettant d'obtenir des droits de pêche près des côtes ainsi que des exonérations sur les carburants et des aides pour les frais administratifs et d'enregistrement au port.
L'essor des usines de farine
Enfin la pêche dite INN c'est-à-dire illicite, non déclarée et non réglementée profite largement des faiblesses et défaillances des moyens maritimes des Etats africains pour surveiller et arraisonner les navires contrevenants.
Si la pêche industrielle est en constante augmentation, c'est certes pour répondre aux demandes des pays occidentaux mais aussi pour fournir les innombrables usines de fabrication d'huile et de farine de poisson.
Une soixantaine de ces usines a vu le jour ces dernières années sur les côtes ouest africaines. Ainsi les ressources halieutiques sont détournées de la consommation des populations locales. Greenpeace considère que chaque années 500 000 tonnes de poisson, qui auraient pu nourrir 33 millions de personnes en Afrique sont utilisées pour produire les farines. Elles sont utilisées pour engraisser des poissons d'élevage largement consommés en Europe et en Chine comme le thon ou le saumon, ou bien utilisés dans les fermes industrielles porcines.
Paul Martial
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