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2025 au Québec—privatisations, coupures et lutte de classe

28 décembre, par Comité de Montreal
Cette année, le gouvernement caquiste de François Legault a continué sa croisade en faveur de la classe dominante à une vitesse accélérée. Que ce soit par des lois contre les… (…)

Cette année, le gouvernement caquiste de François Legault a continué sa croisade en faveur de la classe dominante à une vitesse accélérée. Que ce soit par des lois contre les… Source

Koumbit : la technologie autrement

Koumbit est un collectif de travail qui offre une alternative aux solutions piégées de la grande industrie informatique. L'organisation autogérée fête cette année son 20e (…)

Koumbit est un collectif de travail qui offre une alternative aux solutions piégées de la grande industrie informatique. L'organisation autogérée fête cette année son 20e anniversaire, une prouesse militante qui mérite d'être soulignée. Propos recueillis par Yannick Delbecque.

À bâbord ! : Qu'est-ce que Koumbit ?

Koumbit : C'est une bête étrange, car les organismes à but non lucratif dans le secteur technologique sont rares ! De plus, Koumbit n'est pas un environnement de travail hiérarchique. Notre collectif est présentement composé de 14 personnes et nous essayons de faire en sorte qu'aucune ne se retrouve avec plus de pouvoir que les autres.

Contrairement à la majorité des acteurs de l'industrie technologique maintenant avide d'« infonuagique [1] », Koumbit défend toujours l'idéologie originelle de l'Internet. L'Internet promettait d'être décentralisé et démocratisé, les connaissances techniques devaient être accessibles au plus grand nombre, notamment pour l'hébergement des services, comme les sites web et le courriel. Cela devait donner à tous·tes la liberté de participer de manière autonome à la construction d'un outil commun. Nous défendons toujours ces valeurs par le type de services que nous offrons, mais aussi par les choix des technologies que nous utilisons pour assurer ces services, particulièrement l'utilisation de logiciels libres.

ÀB ! : Comment Koumbit est-il organisé et comment prenez-vous les décisions ?

K. : Sur papier, nous sommes un OBNL et nous sommes obligés de faire des assemblées générales et d'avoir un conseil d'administration. Cependant, au quotidien, cet aspect est un peu oublié. En pratique, nous sommes organisés en trois équipes de travail : une pour le développement web, une pour notre infrastructure de serveurs et une pour les tâches administratives. En parallèle de ces équipes, plusieurs comités s'occupent de dossiers spécifiques. Ces comités nous permettent d'organiser notre travail et d'éviter de faire de la microgestion en grand groupe. Ce fonctionnement par comité ressemble à ce qui existe dans les coops d'habitation. Il y a quelques comités jouant des rôles importants. Par exemple, le comité financement s'occupe d'organiser le budget annuel et propose des changements aux horaires ou aux facturables. Le comité ventes s'occupe de la plupart des ventes et décide à qui proposer des rabais solidaires ou même des hébergements solidaires. Les membres du comité « relations humaines » participent au processus d'embauche et organisent notre processus annuel d'évaluation par les pairs. Il y a plusieurs autres comités moins importants, souvent temporaires.

Les grandes orientations de Koumbit sont décidées par notre conseil de travail, formé de tous les gens qui travaillent chez Koumbit. Il se réunit environ à chaque deux semaines pour traiter de questions plus complexes, comme l'embauche, les augmentations de salaire ou nos prix.

ÀB ! : À ses débuts, Koumbit était influencé par les idées de l'économie participative de Michael Albert et Robin Hahnel, notamment la recherche d'équilibre entre les tâches de chaque personne. Est-ce que ces principes guident toujours le fonctionnement de Koumbit ?

K. : Ces idées ont eu une influence certaine dans les premières années de Koumbit, mais nous ne nous y référons plus explicitement aujourd'hui. Cependant, nous tentons toujours de garder un équilibre des tâches et de fonctionner sans hiérarchies.

Dans nos pratiques actuelles, si des personnes de l'équipe sentent un déséquilibre, il sera rapidement nommé. Par exemple, si une personne développe une connaissance d'une technologie spécifique plus poussée que les autres, cette personne risque d'être la seule à pouvoir prendre certaines décisions. Pour éviter de telles situations, nous mettons en place des mesures, comme des formations, pour permettre à tous·tes de participer au plus grand nombre de tâches.

ÀB ! : Koumbit héberge de nombreux sites militants depuis ses origines. Comment contribuez-vous à assurer la sécurité des groupes militants ?

K. : Nous savons qu'il est important pour certains groupes et certaines personnes de protéger leur anonymat. Nous ne cherchons jamais à avoir plus d'information que le minimum nécessaire. Ainsi, nous n'avons rien à dire si on exige de nous de l'information au sujet d'un groupe militant. De plus, tous nos serveurs sont cryptés : s'ils étaient saisis, il n'y a pas grand-chose à en tirer.

La police nous demande plusieurs fois par année de donner des informations au sujet de nos clients ou des informations présentes sur nos serveurs. Contrairement aux plus grandes entreprises, nous refusons systématiquement de donner de l'information à la police si elle ne présente pas de mandat, et même dans ce cas, nous donnons uniquement le minimum requis.

L'extrême droite cherche aussi à s'attaquer à des sites que nous hébergeons, en nous demandant par exemple de les fermer. Dans de telles situations, nous évaluons les risques, et Koumbit fait ce qu'il peut pour se placer en rempart contre l'extrême droite, même si ce n'est pas toujours facile.

Enfin, contrairement aux grandes entreprises offrant de l'hébergement, nous ne vendons pas d'informations au sujet de nos clients. Les grands hébergeurs vendent souvent des données au sujet de leurs clients. Ça peut être des statistiques à leur sujet, sur les visites aux sites hébergés, et même parfois au sujet du contenu des courriels hébergés sur leurs serveurs. Ces informations sont vendues à d'autres entreprises, principalement dans le marketing ou l'intelligence artificielle.

ÀB ! : Comment contribuez-vous à l'idéal d'autonomie technologique ?

K. : Nous ne pouvons pas présumer que tous·tes maîtrisent les technologies que nous considérons comme simples, comme installer un site WordPress. Nous discutons avec chaque groupe et chaque personne pour déterminer s'il y a un désir d'apprendre et nous les épaulons et les guidons vers des ressources pouvant les aider. Nous aimerions donner des formations plus complètes, mais le manque de temps rend cela plus difficile.

Le modèle d'affaires le plus populaire va lier les groupes et personnes ayant leurs propres sites à leur hébergeur. Par exemple, une personne utilisant Google Drive pour héberger ses fichiers peut les récupérer quand elle le désire, mais elle ne peut pas utiliser la plateforme Google Drive autrement que sur les serveurs de Google, ce qui la rend dépendante du géant. Il est possible d'avoir un plein contrôle sur les fichiers et sur la plateforme avec un dépôt de fichier autogéré, par exemple avec Nextcloud, qui l'on peut réinstaller sur le serveur de notre choix. En n'offrant que des plateformes construites avec des logiciels libres, Koumbit permet de recréer les plateformes choisies ailleurs si l'on n'est plus satisfait ou si on a un conflit idéologique avec Koumbit. C'est vraiment la clé de l'autonomie technologique.

ÀB ! : Quelles sont vos prises de positions politiques et idéologiques les plus importantes ?

K. : Contrairement à une association étudiante ou à des organisations similaires, il est plutôt rare que nous prenions le temps de prendre des positions officielles sur des questions précises. Cependant, on peut déduire nos positions politiques d'après les groupes à qui nous offrons de l'hébergement gratuit : des groupes anticoloniaux, féministes, antiracistes, antifascistes. Nous choisissons de travailler avec des gens qui ont des idées politiques similaires aux nôtres, dans un spectre progressiste assez large. Nous défendons historiquement l'autonomie numérique, un Internet libre, le droit à l'anonymat sur Internet, la redistribution des richesses, l'égalité. Nous appuyons quiconque œuvre à une société plus juste et égalitaire, ce qui ratisse très large !

ÀB ! : Quels sont vos projets et défis à relever pour les prochaines années ?

K. : Sur le plan technologique, le défi du moment est l'invasion de robots associés aux différents systèmes d'intelligence artificielle, un fléau sur l'ensemble de l'Internet. Ces robots passent sur les sites que nous hébergeons et en pompent le texte, processus qui demande énormément de ressources à nos serveurs. Nous devons régulièrement travailler de nuit pour prendre des mesures afin d'assurer la continuité de nos services. Les petits hébergeurs comme Koumbit, même s'ils ne veulent pas offrir de services d'intelligence artificielle, sont obligés de prévoir plus de ressources pour survivre à ces robots ou trouver des stratégies pour les contrôler ou les bloquer.

Concernant notre fonctionnement, un défi est d'assurer aux membres de notre collectif de travail un salaire intéressant et qui, idéalement, suit le rythme de l'inflation. Nous avons réussi à suivre ce rythme dans les années passées, mais cela devient un peu plus difficile.


[1] Modèle informatique dans lequel les données sont stockées et traitées sur des serveurs distants.

Photo : Franzisko Hauser (CC BY-NC-NA 2.0)

Solidarité féministe avec la Palestine

27 décembre, par Jade Almeida, Féministes Racisé·es Uni·es et Solidaires (FRUeS) — , , , ,
Féministes racisé·e·s uni·e·s et solidaires (FRUeS) est un groupe non mixte de soutien et de résistance par et pour les personnes s'identifiant comme femmes, fems et personnes (…)

Féministes racisé·e·s uni·e·s et solidaires (FRUeS) est un groupe non mixte de soutien et de résistance par et pour les personnes s'identifiant comme femmes, fems et personnes non-binaires racisé·es. Suite à la violence déchaînée par l'État d'Israël sur la Palestine, le collectif a rédigé ce manifeste que nous partageons ici dans son intégralité. Nous remercions Jade Almeida de leur avoir ouvert les pages de la revue à travers sa chronique !

Répondant à l'appel du Palestinian Feminist Collective, nous avons attendu des institutions universitaires ainsi que des espaces communautaires et militants féministes et LGBTQIA2S+ desquels nous sommes membres qu'ils dénoncent la violence et s'engagent pour la libération palestinienne. Alors que les luttes officiellement revendiquées sont celles de l'intersectionnalité, de l'antiracisme, voire du socialisme, nos institutions ont préféré détourner, empêcher et invisibiliser les questionnements légitimes que soulèvent une telle situation politique.

Voilà maintenant des mois qu'Israël, utilisant la rhétorique du droit de se défendre face aux attaques du 7 octobre orchestrées par le Hamas, mène une opération militaire dont l'objectif est l'annihilation du peuple palestinien. Une opération qui s'inscrit dans plus de 75 ans d'occupation coloniale israélienne sur le territoire palestinien. Les féministes, intersectionnelles, marxistes, matérialistes, queers, décoloniales ou révolutionnaires ne sauraient rester silencieuses face au massacre en cours.

Les morts du 7 octobre, les otages du Hamas, les prisonnier·ères politiques palestinien·nes – elles et eux aussi otages de l'État colonial – qui remplissent les prisons israéliennes, les milliers de mort·es depuis le 7 octobre, les millions de Palestinien·nes contraint·es à l'exil depuis le début de l'Occupation nous engagent à prendre position et à agir.

En premier lieu, il est nécessaire de poser les termes de cette discussion.

Il ne s'agit ni d'une guerre de civilisation ni d'une guerre religieuse

Certaines lectures, que nous dénonçons car essentialistes et réactionnaires, tentent de faire passer une situation coloniale pour une guerre opposant Juif·ves et Musulman·es, entre une civilisation judéo-chrétienne et une civilisation islamique. Il s'agit plutôt d'une histoire de colonialisme et d'impérialisme, de domination et de système d'apartheid, de politique coloniale et suprémaciste, d'occupation et de fascisme.

Il ne s'agit pas non plus d'une guerre opposant deux forces militaires

« Aujourd'hui, deux blocs aux forces et aux moyens radicalement inégaux s'opposent : d'un côté, un État suprémaciste et colonial qui bafoue depuis des décennies le droit international et bénéficie du soutien des puissances occidentales ; de l'autre, une population colonisée, opprimée et dispersée, dont tout acte de résistance est perçu comme illégitime [voire jugé par le même système néocolonial]. » Tsedek, collectif juif décolonial.

Il ne s'agit pas d'un combat antisémite

Notre lutte rejoint, d'une part, toutes les luttes de libération anticolonialiste et, en l'occurrence, le combat antisioniste mené par les Palestinien·nes qui résistent contre l'État d'Israël, dont le colonialisme se manifeste dans la colonisation de peuplement, le génocide, le nettoyage ethnique, l'apartheid et le siège de Gaza, organisés et maintenus structurellement. D'autre part et dans le même temps, nous dénonçons l'antisémitisme en tant qu'idéologie raciste, dont l'histoire est liée à celle de l'islamophobie. L'antisémitisme déshumanise les Juif·ves, avec lesquel·les nous sommes solidaires depuis notre combat antiraciste. Nous dénonçons le flou maintenu par les puissances impérialistes (dont le Canada) entre antisionisme et antisémitisme, conduisant à une lecture essentialiste des communautés juives et musulmanes, les mettant ainsi en danger. Nous dénonçons de fait les récents actes antisémites et islamophobes et nous en imputons la responsabilité à l'inaction de nos dirigeant·es politiques.

Notre solidarité doit être anticolonialiste

En tant que féministes, nous assumons qu'il est de notre responsabilité de résister aux nationalismes sexuels (fémonationalisme et homonationalisme) et à toutes les idéologies et conséquences matérielles qu'ils produisent.

Nous dénonçons le féminisme colonial qui continue de racialiser le patriarcat vécu par les femmes racisées en général (femmes noires, autochtones, latinxs, etc.) et particulièrement dans ce cas-ci les femmes arabes, musulmanes ou perçues comme telles. Un féminisme décrivant les femmes palestiniennes comme victimes d'un patriarcat exclusivement du fait des hommes arabes. Un féminisme qui enferme la question palestinienne entre des hommes sauvages d'un côté et des femmes à sauver de l'autre. Un féminisme blanc qui continue d'ignorer les formes spécifiques des violences genrées et des violences sexuelles inhérentes au colonialisme, au capitalisme racial et aux guerres impérialistes.

Les féministes occidentales, bourgeoises et blanches ont historiquement et épistémologiquement effacé l'agentivité et toutes les luttes et résistances qui sortaient du « cadre acceptable » ou jugé pertinent par l'ordre colonial et impérialiste que celles-ci défendent. Or, il ne nous appartient pas d'imposer, depuis nos tours d'ivoire universitaires, une forme à la résistance à une domination, car ceci participe à reconduire un rapport hiérarchique qui ne correspond en aucun cas à nos valeurs féministes, éminemment décoloniales et révolutionnaires. Soulignons d'ailleurs que les femmes palestiniennes et celles des Suds globaux n'ont attendu personne pour se battre contre les affres de la violence coloniale et porter leur combat de libération.

Affirmer que le génocide en cours en Palestine occupée constitue un progrès pour les droits des personnes LGBTQIA2S+ est une offense à toutes les communautés LGBTQIA2S+ dans le monde. Une telle affirmation nie complètement l'existence des personnes LGBTQIA+ palestiniennes qui sont également victimes de ce génocide, tout comme leurs familles, leurs proches, leur communauté et leur nation. De plus, aucune échelle de « progressisme » ne saurait remettre en question le droit à l'existence d'un peuple.

Les discours libéraux et féministes ayant fleuri depuis le 7 octobre soulignent combien les femmes et les enfants sont les premières victimes du génocide, ce qui est très vrai. Cependant, cet argumentaire s'ancre dans une déshumanisation systématique des hommes arabes et musulmans en marche depuis les débuts de la colonisation occidentale. Il nous importe d'affirmer, au cœur de notre impulsion féministe même, notre solidarité aux hommes également massacrés par la machine coloniale et génocidaire israélienne, que nous n'excluons pas de notre cause, et dont nous sommes aussi les allié·es. Notre féminisme, parce qu'il est décolonial et révolutionnaire, refuse la logique essentialiste qui n'offre son attention que lorsque des femmes sont impliquées, et accueille dans ses rangs tous·tes les Palestinien·nes.

À cet égard, la libération palestinienne est davantage une cause féministe que ne le sont les luttes d'un « féminisme » colonial, parfois libéral, parfois « socialiste » autoproclamé. Car la libération et la résistance palestinienne, en cristallisant les enjeux d'oppression et d'impérialisme à l'international, met en péril les plus grandes puissances impérialistes et profite, ce faisant, à toutes les luttes de libération contre l'ordre néocolonial, cishétéropatriarcal et capitaliste. En cela, dénoncer l'impérialisme de l'État canadien constitue un geste stratégique pour les enjeux internationaux et les enjeux locaux : c'est le même État qui légitime la résurgence de la transphobie actuellement, c'est le même État qui, soumis à la bourgeoisie, n'hésiterait pas à remettre en question nos droits reproductifs, c'est le même État qui se fonde et s'enrichit sur l'exploitation des terres et des populations autochtones qu'il prétend protéger.

Par conséquent, le non-soutien à la libération palestinienne est aussi fondamentalement antiféministe, en plus d'être raciste, et constitue une trahison envers l'héritage des luttes féministes. Pour pouvoir se targuer d'intersectionnalité et de décolonialité, voire de féminisme tout court, il importe de voir comment tous les systèmes oppressifs s'articulent et fonctionnent de concert en s'abreuvant aux mêmes bases inextricables : celles du patriarcat, des LGBTphobies, du colonialisme et du capitalisme.

En ce sens, il est de la responsabilité de tout un chacun d'entendre les appels à la solidarité des Palestinien·nes et de répondre aux engagements soulevés de se positionner ouvertement et publiquement contre le génocide du peuple palestinien et en solidarité avec celui-ci.

Photo : Alexis Gravel (CC BY-SA 2.0)

Une vie entre sociologie et syndicalisme

Première femme embauchée comme conseillère syndicale à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Mona-Josée Gagnon deviendra vingt ans plus tard (…)

Première femme embauchée comme conseillère syndicale à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Mona-Josée Gagnon deviendra vingt ans plus tard professeure d'université et l'une des principales théoriciennes du mouvement syndical québécois [1]. Retour sur ce parcours professionnel et engagé peu commun. Propos recueillis par Thomas Collombat

À Bâbord ! : Votre parcours professionnel est relativement atypique. Comment avez-vous débuté votre carrière de chercheure à la FTQ ?

Mona-Josée Gagnon : J'ai en effet alterné entre deux mondes : le mouvement syndical et l'université. Après un bac en sociologie et une maîtrise en relations industrielles, au début des années 1970, je tenais absolument à travailler pour une organisation syndicale, et plus précisément pour la FTQ. Elle était pour moi l'héritière de la grandeur du syndicalisme nord-américain. Je voulais être dans une organisation qui rendait de vrais services aux ouvriers, qui faisait une différence dans leur quotidien.

À force de solliciter Fernand Daoust, le secrétaire-général de l'époque, celui-ci m'a confié un contrat de recherche sur le projet d'ouverture de l'aéroport de Mirabel. J'ai tout de suite vu la FTQ comme une mine sociologique qui pouvait me donner un accès exceptionnel au terrain. Le weekend après la sortie du mémoire, la centrale m'offrit d'entrer à mi-temps au Service de la recherche. Je devenais la première femme embauchée comme conseillère syndicale à la FTQ et j'allais le rester pour une décennie. La FTQ était à l'image des autres milieux de travail, et elle n'était donc pas épargnée par le machisme. La carence de représentation féminine était généralisée à la FTQ. On comptait seulement 3% de permanentes dans les syndicats affiliés, essentiellement dans le domaine de la confection. Au début des années 70, j'ai organisé la première rencontre qui était exclusivement consacrée aux femmes impliquées à la FTQ. C'est sur cette base que nous avons développé le Comité de la condition féminine, un modèle qui se répandrait par la suite dans de nombreuses organisations.

ÀB ! : La langue française est un autre dossier sur lequel vous avez beaucoup travaillé.

M.-J. G. : En effet, j'étais stupéfaite de voir le nombre de responsables syndicaux élus simplement parce qu'ils étaient les seuls à savoir parler anglais. La négociation, la convention, les griefs… Tout pouvait se faire en anglais même dans des milieux de travail très majoritairement francophones. C'est ce contact avec le terrain qui m'a permis de rédiger le mémoire de la FTQ à la Commission d'enquête sur la situation de la langue française et des droits linguistiques au Québec (dite « Commission Gendron », en 1972) et d'avancer pour la première fois la proposition des comités de francisation dans les milieux de travail. Je siégerai d'ailleurs plus tard au Conseil de la langue française, de 1984 à 1987, une des rares occasions qui m'ait été donnée de représenter la FTQ.

ÀB ! : Comment expliquez-vous que malgré votre rôle central dans l'élaboration des politiques et positions de la centrale, vous n'ayez pas été plus sollicitée pour la représenter ?

M.-J. G. : Honnêtement, je pense que cela est dû à un mélange de misogynie et d'anti-intellectualisme, sur lesquels j'ai d'ailleurs écrit. Pendant longtemps, la légitimité des dirigeants syndicaux se construisait sur leur provenance et leur rapport aux milieux de travail. Ce n'est pas un problème en soi, mais cela devient problématique lorsque ce besoin de légitimité se transforme en mépris des intellectuel·les, voire en caricature de ce que les ouvriers seraient capables de comprendre.

ÀB ! : Comment s'est déroulé votre passage à l'université comme professeure ?

M.-J. G. : J'ai fait une thèse en sociologie car j'avais envie de réfléchir à ce que l'on appelait à l'époque « la concertation » et à tout ce que cela impliquait pour les rapports entre l'État et le mouvement syndical. Je trouvais que nous perdions énormément de temps à participer à de multiples instances qui ne donnaient pas toujours grand-chose et j'avais d'ailleurs rédigé la politique de la FTQ à cet égard, que j'avais baptisée la « présence réelle ».

Lorsqu'en 1989 je postule à l'Université de Montréal comme professeure en sociologie, on fait évaluer mon dossier « atypique » par un expert externe qui considère que j'ai un niveau d'agrégée. Pourtant, sous pression de la direction de l'université, on m'embauche comme professeure adjointe (le rang inférieur à agrégée). Si j'ai connu l'anti-intellectualisme du milieu syndical, j'ai aussi expérimenté l'inverse dans le milieu universitaire, où plusieurs méprisaient les personnes provenant des « milieux de pratique ».

Entre 1994 et 1996, je suis rappelée par la FTQ pour diriger le Service de la recherche. Mais des désaccords avec la direction de la FTQ de l'époque (sans doute dû à l'anti-intellectualisme et aux conceptions de la façon dont la centrale devait être représentée dans le débat public) font en sorte que je retourne finalement à l'UdeM. Là, c'est en devenant directrice des études supérieures que je retrouve une motivation. J'ai adoré aider des étudiant·es à définir leur projet, à structurer leur pensée, en particulier celles et ceux sans référence familiale scolarisée.

ÀB ! : Au final, quelles réflexions vous inspire cette carrière à la frontière entre ces deux mondes ?

M.-J. G. : Je persiste à penser qu'une approche sérieuse du syndicalisme doit être dialectique. J'ai toujours été beaucoup inspirée par des penseurs comme Richard Hyman ou Claus Offe qui montrent que, dans le capitalisme, le mouvement syndical occupe une position tout à fait singulière qui le conduit à la fois à combattre le système et les inégalités qu'il génère, mais aussi à le maintenir en vie en négociant des ententes à plus court terme. Ces contradictions sont fondamentales et elles existent dans toutes les organisations, ce qui m'a toujours fait me méfier des étiquettes un peu simplificatrices, que l'on parle de « syndicalisme d'affaires » ou de « syndicalisme de combat ». C'est ce que j'entendais lorsque j'ai écrit que « tout ce que les syndicats font – et ne font pas – est bel et bien de l'ordre du politique » [2]. Le syndicalisme, quel qu'il soit et quelle que soit la façon dont il se fait, touche aux rapports de pouvoir dans les milieux de travail et dans la société. Il doit à la fois construire une identité collective et la défendre, tout en évitant les écueils de la bureaucratisation et de la cooptation. Il n'y pas d'organisation parfaite et la recherche de cet équilibre dépend de nombreux facteurs, internes comme externes. À cet égard, la recherche peut être engagée, mais elle se doit de rester critique et d'éviter les œillères organisationnelles ou idéologiques.

La meilleure façon de s'en prévenir est incontestablement le rapport au terrain. Je retiens de ma carrière l'extraordinaire accès privilégié aux milieux de travail que m'a donné mon statut de chercheure syndicale. Visiter une entreprise par le biais de son syndicat, ce n'est pas la même chose que quand on est invitée par les ressources humaines. Et cela permet d'établir un rapport direct avec les travailleurs et travailleuses qui critiqueront même parfois leur propre organisation ! C'est cette éthique et cette approche que j'ai essayé d'emporter avec moi à l'université et de communiquer à mes étudiant·es. Afin que la recherche sur le syndicalisme dépasse la simple analyse des discours officiels (toujours partiels voire biaisés, car stratégiques) et s'enracine au contraire dans la réalité des milieux de travail, leur dureté, leurs injustices, mais aussi leur noblesse et leurs solidarités.


[1] Voir notamment Mona-Josée Gagnon, « Les intellectuels critiques et le mouvement ouvrier au Québec : fractures et destin parallèle », Cahiers de recherche sociologique, no. 34, 2000, p. 145-176 et Mona-Josée Gagnon, « Les femmes dans le mouvement syndical québécois » dans Marie Lavigne et Yolande Pinard (dir.), Les femmes dans la société québécoise. Aspects historiques, Montréal, Les éditions du Boréal Express, 1977, p. 145-168.

[2] Mona-Josée Gagnon, « Syndicalisme et classe ouvrière. Histoire et évolution d'un malentendu », Lien social et politiques, no. 49, 2003, p. 15-33.

Illustration : Anne-Laure Jean

POUR EN SAVOIR PLUS

Mona-Josée Gagnon, Le syndicalisme : état des lieux et enjeux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994. En ligne : classiques.uqac.ca/contemporains/gagnon_mona_josee/syndicalisme_etat_enjeux/syndicalisme_etat_enjeux.html

Mona-Josée Gagnon, Le travail : une mutation en forme de paradoxes, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1996.

Cuba, ou comment faire la révolution en Amérique

À la suite de l'occupation militaire de Cuba par les États-Unis (1898-1902), le pays se trouve dominé par quelques grandes compagnies américaines et la mafia, de connivence (…)

À la suite de l'occupation militaire de Cuba par les États-Unis (1898-1902), le pays se trouve dominé par quelques grandes compagnies américaines et la mafia, de connivence avec un régime local corrompu. De 1952 à 1958, la dictature de Fulgencio Batista asphyxie la société, jusqu'à la révolution. À partir de 1959, le peuple cubain mène une véritable expérience socialiste, une première en Amérique malgré l'hostilité des États-Unis. Que retenir de ce pied de nez à l'impérialisme et de cette tentative révolutionnaire confrontée à l'adversité ?

Dans les années 1950, l'économie cubaine est totalement dominée par les États-Unis qui importent la grande majorité de la production sucrière de l'île et qui contrôlent la vente de produits manufacturés. Le sucre, l'agriculture, le pétrole, les mines, les usines, l'électricité et la téléphonie sont accaparés par des compagnies américaines (les profits vont donc à leurs actionnaires), alors que les salaires restent très bas et qu'il n'existe pas de services sociaux dignes de ce nom. Le chômage, qui frappe le tiers de la population active, accentue la détresse et amenuise le rapport de force que pourraient imposer les travailleur·euses. La dictature de Batista [1] étouffe la vie politique et bloque les possibilités de changement social, se réservant le peu de richesse qui demeure sur l'île. La jeunesse militante évolue de la légalité à la clandestinité, puisque les partis progressistes et la grève sont interdits.

Fidel Castro dirige un premier mouvement d'insurrection marqué par l'attaque de la caserne Moncada, avant d'être emprisonné par le régime. Mais le mouvement ouvrier et social grandit à Cuba et force la libération des prisonniers politiques en 1955. L'année suivante, le mouvement socialiste, réorganisé et armé, lance une offensive de grande ampleur contre le gouvernement. Ses positions en faveur des paysan·nes et des ouvrier·ères, ainsi que sa capacité à tenir en échec l'armée régulière au service de la dictature, le rendent de plus en plus populaire auprès des classes laborieuses. La majorité de la population sympathise bientôt avec les guérilleros, voire leur apporte une aide active. En décembre 1958, les insurgés lancent une dernière campagne, appuyée par une grève générale nationale. Batista est défait et, le 1er janvier 1959, La Havane est prise.

¡ Hasta la victoria siempre !

Au départ, Fidel Castro souhaite construire un socialisme proprement cubain, ni soumis à Washington, ni aligné sur Moscou. Ce rêve est de courte durée, puisque les États-Unis refusent tout compromis avec le nouveau pouvoir. La nationalisation de plusieurs entreprises américaines [2], souhaitée par la population cubaine, met le feu aux poudres. Les États-Unis votent des sanctions économiques contre Cuba, puis commanditent l'envoi de troupes contre-révolutionnaires sur l'île en 1961, lors du débarquement de la baie des Cochons. La victoire totale des socialistes lors de cette bataille consomme la rupture entre les deux pays. Les États-Unis imposent un embargo en 1962 et le gouvernement castriste s'allie avec l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Les tensions atteignent un sommet lors de la crise des missiles, lorsque des armes soviétiques doivent être livrées à Cuba, qui recule face à la pression américaine. Un conflit de moindre intensité fait suite à ces épisodes extrêmes.

Malgré les aléas géopolitiques qu'affronte Cuba, les efforts pour bâtir une société nouvelle donnent des résultats. Comme la population a longtemps souffert de l'impérialisme et de la dictature, elle appuie le gouvernement de Castro et participe à la construction du socialisme. Les grandes propriétés terriennes sont nationalisées puis gérées par l'entremise de coopératives agricoles. L'éducation est nationalisée et rendue obligatoire, universelle et gratuite. Un système de santé public est mis en place à la grandeur du pays, lui aussi universel et gratuit. Ces mesures sont particulièrement bénéfiques pour les campagnes, délaissées avant la révolution. Ainsi, il n'existait qu'un hôpital public en région rurale avant 1959. Une dernière mesure est la nationalisation des biens du clergé au profit des systèmes d'éducation et de santé. Grâce à la vision sociale du gouvernement, à la motivation de la population et à l'appui de l'URSS, la société cubaine se développe rapidement et s'attaque aux problèmes hérités de l'ère néocoloniale.

À partir du milieu des années 1960, les forces progressistes de Cuba cherchent à s'unir et à pérenniser les acquis de la révolution. Les différents groupes forment le Parti communiste de Cuba (PCC) en 1965, dirigé par Fidel Castro, avant d'adopter une nouvelle constitution en 1976. Parce que le Parti est une coalition, la vie démocratique et le débat y restent vivants ainsi que la participation de larges franges de la population. L'essoufflement se produit plus tard, en raison de l'embargo américain qui appauvrit l'île, du ressac de la gauche mondiale dans les années 1980 et du contrôle grandissant des cadres du Parti sur la vie politique. Ce dernier élément est favorisé par la pression américaine qui renforce la paranoïa des dirigeants cubains. L'effondrement de l'URSS au début des années 1990 isole Cuba qui se retrouve à la croisée des chemins.

La « période spéciale », défis et avenir

En raison de l'anticommunisme forcené des États-Unis, Cuba a profondément intégré son économie à celle du régime soviétique. Sa disparition entraîne ainsi un effondrement des exportations cubaines, d'autant que l'embargo américain se poursuit. Une politique de rationnement, dite « période spéciale en temps de paix », est proclamée en 1990 afin de préserver l'État social, tout en évitant un appauvrissement prolongé. Les initiatives politiques et citoyennes sont encouragées afin de mobiliser la population et de trouver des solutions novatrices. L'objectif est de canaliser la créativité et la débrouillardise au service du bien commun. Finalement, le déblocage économique se produit grâce aux nouveaux régimes socialistes d'Amérique latine, dont celui du Venezuela qui devient le principal partenaire de Cuba. Politiquement, les évolutions sont plus lentes, car la direction historique du PCC craint que des changements trop brusques n'entraînent la déstructuration des institutions héritées de la révolution.

Depuis le début des années 2000, Cuba évolue dans un environnement complexe où le maintien de l'État social demeure une priorité, alors que les jeunes générations désirent des transformations politiques et économiques. Le problème, c'est que rien ne garantit que l'île puisse préserver ses acquis si elle libéralise son marché. En effet, les régimes socialistes, comme les social-démocraties, résistent mal au néolibéralisme, sans compter qu'ils continuent d'être la cible des États-Unis, comme Cuba, le Venezuela ou la Bolivie. En quête d'équilibre, la constitution cubaine de 2019 reconnaît les droits et libertés individuels, y compris la propriété privée, tout en maintenant un horizon socialiste et le dirigisme économique afin de développer « la pleine dignité de l'être humain » [3].

L'histoire de la révolution cubaine nous enseigne qu'il est possible, dans toutes les situations, de renverser un État corrompu et d'instaurer un gouvernement populaire. Pourtant, dans un monde dominé par l'impérialisme et les cartels, la construction d'une société nouvelle reste délicate. Les pressions économiques et militaires contre les régimes de gauche ne doivent pas être sous-estimées, ainsi que les difficultés sociales et les crispations qu'elles entraînent. Pour y résister, les meilleures pratiques de la révolution cubaine répondaient directement aux aspirations du peuple et le mobilisaient dans leur mise en œuvre. Ce travail commun en vue d'objectifs clairs et légitimes s'est révélé à la fois galvanisant et efficace. De plus, l'internationalisme a permis à Cuba de maintenir sa souveraineté et une économie dynamique, malgré la dépendance envers l'URSS. Le renouvellement du système cubain et plus largement de la gauche doit passer par de telles pratiques collectives en vue d'objectifs globaux, dont la construction de l'État social et d'une économie pour le peuple, ancrés dans un réseau mondial de solidarité. Pour reprendre Castro : « Le communisme d'abondance ne peut être édifié dans un seul pays. » [4]


[1] Fulgencio Baptista a procédé à un coup d'État en mars 1952, avec l'aide de la Central Intelligence Agency (CIA), avant d'instaurer une dictature militaire, pro-américaine et mafieuse.

[2] Notamment les installations pétrolières, l'International Telephone and Telegraph Company (ITT) et la United Fruit Company.

[3] Constitución de la República de Cuba, préambule, 2019, en ligne : https://biblioteca.clacso.edu.ar/clacso/se/20191016105022/Constitucion-Cuba-2019.pdf

[4] CASTRO, Fidel. Révolution cubaine (tome II), Paris, Maspero, 1969, page 122.

Alexis Lafleur-Paiement est membre du collectif Archives Révolutionnaires (www.archivesrevolutionnaires.com).

Photo : Anniveraire de la révolution cubaine (Jasmine Halki, CC BY 2.0).

André Querry, photographe des luttes

27 décembre, par Isabelle Larrivée, André Querry, Claire Ross — , , , , ,
L'important travail d'archivages des luttes sociales qui ont ponctué le Québec à travers les décennies est souvent effectué par des groupes militants et bénévoles qui (…)

L'important travail d'archivages des luttes sociales qui ont ponctué le Québec à travers les décennies est souvent effectué par des groupes militants et bénévoles qui s'évertuent ainsi à garder notre mémoire vivante. Tous et toutes reconnaîtront en ce sens l'apport d'André Querry à ce travail collectif de par les milliers de photos d'innombrables mobilisations des années 80 à aujourd'hui qu'il rend disponible sur sa page Flickr. À bâbord ! s'est entretenu avec le photographe pour en apprendre davantage sur sa démarche. Propos recueillis par Isabelle Larrivée et Claire Ross

À bâbord ! : Depuis quand es-tu engagé dans ce projet de photographie des luttes ?

André Querry : J'ai commencé à prendre mes premières photos militantes le 16 avril 1986, lors de l'occupation de la permanence du Parti libéral du Québec par l'association étudiante de l'UQAM.

ÀB ! : Qu'est-ce qui t'a d'abord poussé à t'y lancer ?

A. Q. : Au mois de janvier 1986, avec quelques camarades, nous avions fondé le groupe Action Socialiste, et nous avions aussi convenu de produire un journal Socialisme Maintenant ! (le nom du journal était ma proposition) Je voulais que notre journal ait ses propres photos des campagnes et des luttes que nous allions soutenir ou organiser. Sans aucune formation, j'ai acheté un appareil photo – un Nikon FG – chez La Baie, au centre-ville de Montréal, au début du mois d'avril 1986 au prix de 325 $.

1986 — Manifestation à Montréal pour la libération de Nelson Mandela.

ÀB ! : Comment définirais-tu ton projet photographique ? Comment crois-tu qu'il contribue aux luttes et à la mémoire des luttes ?

A. Q. : Bien qu'au début, mes photos devaient servir pour notre journal, elles étaient aussi publiées dans des journaux étudiants, ceux de groupes populaires et militants, et parfois dans des journaux d'organisations « adverses » à notre organisation politique, avec le principe que l'important était de faire connaître les luttes présentes.

Comme exemple de ma contribution aux luttes, le 18 mars 2012, j'étais monté sur le pont Jacques-Cartier pour prendre des photos de la manifestation familiale organisée par la CLASSE, la première grande manifestation de la mobilisation de 2012. Mes photos démontraient concrètement la participation de plusieurs milliers de personnes, contrairement aux chiffres de 5 000 fournis par le SPVM. Ce soir-là, lorsque mes photos ont été publiées sur Facebook, j'ai reçu des centaines de notifications et elles ont été tellement partagées, que Facebook avait temporairement suspendu mon compte, croyant qu'il avait été piraté…

Pour ce qui est de la mémoire des luttes, mes photos sont accessibles à tout le monde sur ma page Flickr. J'ai mis des centaines d'heures à tout classer, dater et documenter. Des extraits de reportages sont aussi disponibles.

Selon les commentaires que j'ai reçus et que je continue de recevoir, c'est un travail qui semble très apprécié par les chercheurs et chercheuses sur l'histoire des mouvements sociaux et du Québec.

1990 — Occupation de la rue Sainte-Catherine dans le Village suite à une violente intervention policière homophobe la veille dans une soirée de la communauté LGBT au Sex Garage.

ÀB ! : Comment ton projet a-t-il évolué au fil des développements tant technologiques que sociopolitiques ?

A. Q. : Il faut comprendre que tout ce travail est fait de façon militante. J'ai pratiquement toujours travaillé à temps plein depuis 40 ans, les photos ont été prises pendant mes jours de congé, le matin, sur l'heure du midi, le soir ou la fin de semaine et parfois avec des congés sans solde.

J'ai été très actif pendant les années de 1986 à 1997, mais le contexte politique a fait que je n'avais plus d'endroit où publier mes photos. J'ai donc diminué ma prise de photos militantes. J'ai tout de même continué de photographier quelques manifestations et activités des communautés LGBTQ+, du 1er mai à Québec en 2001, contre la guerre en Irak, quelques manifestations étudiantes, etc.

1990 — Manifestation à Kanesatake lors de la crise d'Oka en appui aux Mohawks.

L'achat de mon premier appareil photo numérique en 2004, un petit Nikon E4100, a commencé à changer la donne. Aujourd'hui, mon téléphone cellulaire est probablement dix fois plus performant que cet appareil. À l'époque de l'argentique, je pouvais prendre environ 36 photos d'une manifestation (72 pour une manifestation plus importante). Sur certains films de 36 poses, j'ai même trois manifestations… Maintenant, je peux prendre 1 000 photos d'une manifestation (pour le dernier défilé de Fierté Montréal, j'en ai pris plus de 1 500…) et voir le résultat instantanément, et non pas deux jours plus tard !

Le plus important est d'avoir un lieu de diffusion, et l'arrivée de Facebook m'a permis de publier mes photos et mes revues de presse. J'ai ouvert ma page Facebook pour combattre Gérald Tremblay, combattre la tutelle de l'arrondissement Ville-Marie et l'hébergement touristique illégal au centre-ville de Montréal dès 2008. Et je n'ai jamais arrêté depuis ce temps !

1990 — Manifestation organisée par Act Up Montreal pour la journée mondiale contre le VIH-SIDA en décembre.

ÀB ! : Depuis les années où tu accompagnes les manifestations, vois-tu une évolution dans les discours, dans les types de luttes se déroulant dans la rue ?

A. Q. : Quand j'étais militant étudiant, une grosse manifestation, c'était 1 500, 2 000 personnes. Les grosses manifestations des années 80 portaient soit sur la question nationale ou sur des manifestations syndicales du Front commun.

Dans les années 1990, nous avons vu les questions des droits LGBTQ prendre de l'ampleur : de 300 personnes pour le défilé de la Fierté du 23 juin 1990, on est passé à 1500 pour la manifestation sur le SexGarage le 29 juillet 1990 et à plusieurs milliers les années suivantes.

Dans les manifestations contre la guerre en Irak, il y avait 15 000 personnes le 26 janvier 1991, et 150 000 le 15 février 2003, ce qui était à l'époque la plus grande manifestation de l'histoire du Québec. Aujourd'hui, une manifestation contre la guerre attire quelques centaines de personnes.

2001 — La grande manifestation du samedi 21 avril contre le Sommet des Amériques qui a réuni plus de 30 000 personnes.

ÀB ! : Quels ont été pour toi les moments culminants, les manifs les plus imposantes ? Quels sont les combats les plus émouvants ou qui te tiennent le plus à cœur ?

A. Q. : J'ai à cœur plusieurs combats, les combats pour la défense des droits, la défense des minorités, contre les différentes discriminations.

Naturellement, la plus grande manifestation est celle sur l'environnement du 28 septembre 2019 avec Greta Thunberg avec 300 000 personnes, selon le SPVM, à 500 000 selon l'organisation de la manifestation, mais moi j'étais dans le désert du Sahara au Maroc cette journée…

J'ai naturellement des photos de centaines de petites manifestations. Parfois, une petite manifestation peut avoir plus de répercussions qu'une manifestation de plusieurs milliers de personnes, par exemple, la manifestation d'une quarantaine de personnes à la première de la pièce de théâtre SLAV le 26 juin 2018 qui a ouvert le débat sur l'appropriation culturelle.

Les manifestations ou rassemblements les plus difficiles sont ceux qui suivent le décès d'une personne tuée par la police, ou d'un « accident » de voiture, alors qu'on écoute les témoignages de la famille, des ami·es de la victime.

2001 — Manifestation pour demander la résidence permanente pour toutes les personnes travaillant dans les milieux hospitaliers pendant l'épidémie de COVID-19.

ÀB ! : À quel destin ou à quel usage sont vouées tes photographies ?

A. Q. : Pour un usage progressiste, pour soutenir la défense des droits et, somme toute, pour faire un rappel de l'histoire de nos luttes.

Photos : André Querry

Le gouvernement canadien arme encore Israël, même s’il dit le contraire

27 décembre, par Comité de Montreal
Même si le gouvernement canadien dit avoir « suspendu » ses exportations d’armes vers Israël, un rapport montre qu’il ment à la population. Des pièces détachées d’avions de (…)

Même si le gouvernement canadien dit avoir « suspendu » ses exportations d’armes vers Israël, un rapport montre qu’il ment à la population. Des pièces détachées d’avions de chasse et des explosifs… Source

Stablex surprit en pleine négligence avec ses produits toxiques

26 décembre, par Comité de Montreal
À Blainville, chaque jeudi soir, des habitants se rassemblent devant l’usine d’enfouissement de déchet toxique Stablex pour la surveiller, disent-ils. Chaque fois, une quantité (…)

À Blainville, chaque jeudi soir, des habitants se rassemblent devant l’usine d’enfouissement de déchet toxique Stablex pour la surveiller, disent-ils. Chaque fois, une quantité importante de policiers et de gardes… Source

Crises alimentaires au Mali et en Haïti

24 décembre, par Mariam Jama-Pelletier
Mariam Jama-Pelletier, correspondante en stage Les crises climatiques qui frappent le Mali et Haïti menacent directement la capacité des familles rurales à se nourrir, alerte (…)

Mariam Jama-Pelletier, correspondante en stage Les crises climatiques qui frappent le Mali et Haïti menacent directement la capacité des familles rurales à se nourrir, alerte le Carrefour de solidarité internationale (CSI). Lors d’une conférence dans le cadre des Journée québécoise de la (…)

Des techniques légères pour reprendre le contrôle de la production

24 décembre, par Rédaction

Il est difficile d’imaginer collectivement de quoi aurait l’air une société non capitaliste. D’abord parce que le capitalisme nous impose des ornières qui limitent notre capacité à imaginer les avenirs possibles, mais aussi parce qu’au sein même de la gauche, différentes visions – souvent implicites – de l’utopie se confrontent. La question de la place de la technique me parait être un bon point de départ pour penser l’avenir socialiste, dans la mesure où il s’agit d’une question qui touche à plusieurs sphères de la vie : temps de travail, « contenu » du travail, organisation politique, rapport à l’environnement, etc. Historiquement, la plupart des penseuses et penseurs socialistes qui se sont penchés sur la question ont adopté la position suivante : la machine, dans le monde actuel, contribue à asservir et à aliéner les êtres humains parce qu’elle est contrôlée par les capitalistes. Mais une fois ce système d’oppression renversé, elle pourra être mise au service de l’émancipation humaine[1].

Le communisme de luxe entièrement automatisé (Fully Automated Luxury Communism) envisagé par un groupe de militantes et militants britanniques est une incarnation récente et attrayante de cette approche[2]. Cette avenue mérite d’être explorée sérieusement, à tout le moins pour en examiner le potentiel et les risques. Je prendrai toutefois la direction inverse, en mettant de l’avant une proposition qui s’inscrit dans une perspective de décroissance. À mesure que les objets techniques qui nous entourent se complexifient, ils exigent souvent des infrastructures de plus en plus lourdes, des réseaux de production de plus en plus vastes et dispersés à travers le monde, ainsi qu’une division du travail de plus en plus poussée. Par conséquent, il devient extrêmement difficile d’envisager un véritable contrôle démocratique de l’économie. Pour remettre la production entre les mains des individus et des communautés, je propose donc de tendre vers une forme d’autosuffisance qui s’appuie sur le développement de techniques légères.

Le crayon de Milton Friedman

Dans un extrait vidéo disponible sur YouTube[3], on voit l’économiste Milton Friedman s’adresser à son public, l’air enthousiaste. Tenant un crayon à mine dans ses mains, il fait une déclaration provocatrice : « Personne sur cette planète ne sait comment fabriquer ce crayon ». En fait, Friedman s’inspire de l’économiste libertarien Leonard Read, dont le texte I, Pencil (1958) se veut une illustration de la puissance de la main invisible du marché. Dans ce court texte[4], le crayon prend la parole pour expliquer la complexité de son processus de fabrication. Il est fait de bois, de graphite, d’un peu de métal et d’une gomme à effacer, mais le bois vient des forêts de l’Oregon, le graphite est extrait des mines du Sri Lanka, tandis que la gomme est fabriquée à partir d’huile de colza provenant de champs indonésiens. À chaque étape de ce processus qui s’étale déjà à l’échelle du monde, des outils ont été employés et des individus ont contribué avec une part de leur force de travail. Les outils ont eux-mêmes dû être fabriqués quelque part, tandis que les travailleuses et travailleurs ont dû être logés et nourris. De plus, chacune des matières premières utilisées a dû être transportée sur de vastes distances, ce qui a nécessité l’usage de camions, de bateaux, d’un réseau de routes et d’installations portuaires. Rapidement, on comprend que la chaine de production prend une ampleur colossale, et que des milliers, voire des millions de personnes ont été mobilisées pour fabriquer ce « simple » crayon, chacune y consacrant une fraction de son temps de travail.

Ce qui fascine Friedman et Read, tous deux farouchement opposés aux mesures de planification économique souhaitées par les marxistes et par les keynésiens, c’est que tout cela s’est produit sans coordination centrale :

Il y a quelque chose d’encore plus étonnant : c’est l’absence d’un esprit supérieur, de quelqu’un qui dicte ou dirige énergiquement les innombrables actions qui conduisent à mon existence. On ne peut pas trouver trace d’une telle personne. À la place, nous trouvons le travail de la Main invisible. C’est le mystère auquel je me référais plus tôt[5].

Évidemment, cette affirmation est discutable. De nombreux aspects du processus reposent sur la planification étatique : construction du réseau routier, formation de la main-d’œuvre, recherche scientifique, etc. De plus, à toutes les étapes du processus, des cadres et des conseils d’administration d’entreprises ont orienté et coordonné le déploiement des ressources nécessaires, en s’appuyant notamment sur une certaine vision englobante de l’économie, provenant d’études de marché ou de prédictions économiques diffusées par les médias. On sait aussi qu’il a pu y avoir collusion entre l’État et les entreprises concernées pour réprimer dans la violence tout mouvement qui freinerait la bonne marche des affaires. Bref, il serait absurde de considérer ce processus comme la somme des actions individuelles, sans tenir compte de toutes les formes de direction et de concertation existantes.

Néanmoins, il est vrai qu’aucune organisation surplombante n’a dirigé l’ensemble du processus. Il est aussi avéré que seule une fraction des personnes impliquées a pu prendre part aux décisions concernant les différentes étapes de la production, d’où l’illusion d’un ordre spontané, « naturel ». Selon Friedman, le plus beau dans tout cela est que cet « ordre spontané » fonctionne alors même que chaque personne impliquée ignore presque tout des autres personnes impliquées et du processus lui-même. Or, ce que Friedman considère comme une vertu m’apparait extrêmement problématique. L’ignorance mutuelle des acteurs et actrices du réseau de production (et de consommation) contribue à perpétuer des situations affligeantes du point de vue social et environnemental. À titre d’exemple, beaucoup de consommatrices et consommateurs des pays occidentaux sont inconscients de la pollution et des conditions de travail exécrables associées à l’industrie électronique.

L’exemple du crayon à mine est intéressant parce qu’il s’agit d’un objet familier et relativement simple. L’affirmation selon laquelle personne au monde ne possède toutes les connaissances et les ressources requises pour en fabriquer un devient alors particulièrement frappante. Mais cette affirmation est d’autant plus vraie pour le nombre incalculable d’objets encore plus complexes qui nous entourent. La trajectoire technologique et socioéconomique empruntée par le monde au cours des dernières décennies a mené à l’approfondissement du modèle décrit par Friedman. De manière générale, le processus de production des objets qui peuplent nos vies est de plus en plus mondialisé et exige une division du travail de plus en plus poussée. Chaque travailleur et chaque travailleuse apparait alors comme un fil d’une vaste toile que personne ne peut saisir dans sa totalité[6].

La conséquence d’une telle division du travail à l’échelle de la planète est sans doute d’accroitre la productivité globale, mais aussi de placer chaque personne dans une situation de dépendance face à des réseaux de production et de distribution sur lesquels il devient pratiquement impossible d’exercer un véritable contrôle démocratique. En effet, comment envisager des mécanismes de participation et de prise de décision qui incluent un nombre considérable de personnes séparées par de vastes distances et par des barrières culturelles et linguistiques ?

C’est toutefois lorsque l’un des réseaux dont nous dépendons s’effondre que l’on prend le plus conscience de notre dépendance à son égard. Ainsi, durant la crise du verglas de 1998, en l’absence de sources d’énergie autonomes, des dizaines de milliers de familles québécoises ont dû assister, impuissantes, au chamboulement de leur mode de vie pendant plusieurs semaines à la suite de l’effondrement du réseau électrique[7]. Notre inscription dans des réseaux de production et de distribution nationaux, continentaux et planétaires peut aussi donner un pouvoir disproportionné aux individus et aux groupes qui contrôlent les maillons clés de ces réseaux. Pensons par exemple aux moments dans l’histoire où les pays producteurs de pétrole ou de gaz naturel ont restreint l’accès à ces deux ressources cruciales à des fins géopolitiques : le choc pétrolier de 1973 ou, plus récemment, en 2014, la coupure par la Russie de l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine.

À une échelle plus locale, une coopérative de production qui se veut non capitaliste, mais qui dépend d’entreprises capitalistes pour l’accès à telle ou telle ressource risque d’être constamment forcée de se compromettre afin de maintenir cet accès. Pour réaliser et rendre durable l’idéal socialiste d’un contrôle démocratique de l’économie, il importe donc de maitriser l’ensemble des réseaux de production et de distribution, un objectif qui semble d’autant plus difficile que ces réseaux sont étendus et dispersés. Une autre voie possible consisterait à miser sur la création de réseaux courts, c’est-à-dire de circuits de proximité qui permettraient une production autosuffisante et qui garantiraient l’autonomie et l’indépendance des personnes concernées[8].

Entre l’ermite et le marché global, la « communauté vécue »

Lorsque l’on parle d’autosuffisance, l’image qui nous vient à l’esprit est souvent celle d’une microcommunauté formée de tout au plus quelques dizaines de personnes. L’indépendance économique doit pourtant être envisagée comme un continuum. À une extrémité, on trouve la figure de l’ermite ou de la survivaliste, qui cherche à combler seul·e l’ensemble de ses besoins. À l’autre extrémité, on peut concevoir une économie entièrement mondialisée, dans laquelle aucun besoin n’est comblé uniquement à partir de ressources locales. La « communauté vécue » représente une position intermédiaire possible.

Le politologue Benedict Anderson a inventé le concept de « communauté imaginée » pour décrire les nations, des sociétés au sein desquelles il est impossible, pour des raisons pratiques, que tous les membres se connaissent entre eux et aient des interactions en personne. À l’inverse, une « communauté vécue » en serait une où chaque personne serait à tout au plus deux degrés de séparation de toutes les autres, c’est-à-dire que chaque personne pourrait rencontrer n’importe quelle autre par l’intermédiaire d’une seule connaissance commune[9]. Partant de cette échelle, je propose le projet d’utopie suivant :

Que chaque communauté vécue détienne les moyens (ressources, compétences, connaissances) de produire ce qu’elle juge essentiel au maintien de son mode de vie et à sa reproduction dans le temps.

Il est impossible de définir a priori ce qu’une communauté jugerait essentiel à son mode de vie, mais il est certain que cela inclurait au minimum l’ensemble des tâches liées au fait de se nourrir, de se loger, de se vêtir et d’accomplir le travail de care. Une telle communauté, dont la taille correspondrait grosso modo à celle d’une petite ville, aurait l’avantage d’être suffisamment petite pour que des principes de démocratie directe puissent y être réalistement appliqués. Elle serait en même temps assez grande pour soutenir une certaine spécialisation du travail, ce qui contribuerait à la productivité générale. En supposant un système d’éducation qui enseignerait à chacune et chacun les rudiments des tâches essentielles, il serait possible, pour chaque individu, de parfaire ses connaissances en rencontrant personnellement les meilleurs artisans et artisanes de chaque tâche. Toute personne préserverait donc potentiellement la capacité de faire sécession de la communauté en apprenant auprès des autres ce qu’il lui faut pour assurer sa propre survie.

Techniques lourdes, techniques légères

Si l’on reprend l’exemple du crayon cité plus haut, et qu’on accepte que sa fabrication exige la mobilisation de millions de personnes comme Friedman et Read le suggèrent, comment peut-on penser qu’une communauté d’au plus quelques dizaines de milliers de personnes pourrait produire ce qu’il lui faut pour que tous ses membres mènent une vie décente ? Pour répondre à cette question, il faut s’attarder à une idée simple que Friedman et Read ne prennent pas en considération : le même objectif – fabriquer un outil servant à écrire – aurait pu être atteint par d’autres moyens.

Le capitalisme industriel s’est développé en misant sur la production de masse et sur l’élargissement constant des marchés. S’appuyant entre autres sur les structures coloniales, il a pris son essor en profitant d’une main-d’œuvre sous-payée et d’un accès facilité aux matières premières tirées des pays du « tiers-monde ». Le développement technique des deux derniers siècles a donc été en phase avec ces conditions socioéconomiques. D’une part, la division internationale du travail a favorisé l’émergence d’immenses plantations en monoculture, qui nécessitent des variétés de plantes adaptées, de la machinerie lourde et des apports constants d’engrais chimiques, d’herbicides et de pesticides[10]. D’autre part, elle a donné lieu à la construction d’usines de grande taille, souvent polluantes et aliénantes, qui utilisent des machines spécialisées pour produire en série des biens dont la durée de vie est limitée et dont la réparation est difficile.

L’expansion du capitalisme industriel a donc reposé sur le développement de techniques lourdes. À l’inverse, il serait possible d’utiliser le savoir existant et d’orienter la recherche vers le développement de techniques légères[11]. Il s’agirait de techniques qui amélioreraient le quotidien ou qui permettraient d’accroitre la productivité du travail, mais qui auraient une empreinte écologique réduite et qui préserveraient l’autonomie des individus et des communautés.

La différence entre l’automobile et le vélo constitue sans doute la meilleure illustration du contraste entre technique lourde et technique légère. La voiture exige un réseau étendu de routes larges capables de supporter un poids de plus d’une tonne et des vitesses élevées. Elle exige aussi une source d’énergie externe capable de faire fonctionner un moteur à explosion. Le vélo, nettement plus léger, n’a besoin que de l’énergie musculaire. De plus, on peut facilement apprendre à le réparer par soi-même et il peut être adapté pour faire face à différentes contraintes comme le vélo à trois roues pour plus d’équilibre ou le vélo à mains pour ceux et celles souffrant d’un handicap. Des exemples de techniques légères existent donc déjà. Quelques pistes peuvent être envisagées pour tendre vers un monde où elles prédomineraient, dont :

  • Prendre en compte systématiquement l’ensemble du cycle de vie d’un objet pour connaitre à la fois son empreinte écologique et ses effets sur la capacité d’agir des individus et des communautés.
  • Appliquer à tous les niveaux les principes de l’économie circulaire, selon laquelle les déchets issus d’un processus de fabrication servent de matières premières pour la conception d’un autre produit. Par exemple, une champignonnière peut produire de la nourriture à partir des drèches d’une microbrasserie locale et du marc de café des torréfacteurs du quartier. Le substrat obtenu peut ensuite servir à enrichir la terre d’un potager.

L’idéal de communautés largement autosuffisantes peut paraitre irréaliste, dans la mesure où il est en contradiction directe avec le modèle économique actuel. Pourtant, tout au long de l’histoire, une partie importante de l’humanité a vécu dans des communautés autarciques. Est-ce à dire que l’idéal proposé ici correspond en quelque sorte à un « retour au Moyen-Âge » ou au « communisme primitif » ? Non, dans la mesure où l’on peut profiter de l’esprit de découverte et d’innovation qui a toujours animé l’être humain et qui lui a permis de faire des bonds technologiques spectaculaires au cours des derniers siècles. Il s’agit cependant de canaliser cet esprit vers le développement de techniques légères, conviviales et adaptées à une échelle humaine.

Par Guillaume Tremblay-Boily, chercheur à l’IRIS


  1. Voir le livre de François Jarrige, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte, 2014, particulièrement les pages 110-120, pour une analyse des positions des socialistes à l’égard des machines et de la technique.
  2. Pour une présentation succincte de cette vision, voir le texte de Brian Merchant, « Fully Automated Luxury Communism », sur le site du journal The Guardian. Pour une critique équilibrée, voir : « Fully Automated Luxury Communism : A Utopian Critique ».
  3. Milton Friedman, Lesson of the Pencil, YouTube, 2009.
  4. Pour la version originale du texte, voir Wikisource : <https://en.wikisource.org/wiki/I,_Pencil#cite_ref-1>. Pour une traduction française, voir le site de l’Institut Coppet, Le marché expliqué par la métaphore du crayon par Damien Theillier, 2012.
  5. Traduction de : « There is a fact still more astounding : The absence of a master mind, of anyone dictating or forcibly directing these countless actions which bring me [the pencil] into being. No trace of such a person can be found. Instead, we find the Invisible Hand at work ». Leonard Read, « I, pencil », The Freeman, décembre 1958.
  6. Même si, bien sûr, certains et certaines ont la possibilité de tirer davantage de ficelles.
  7. La fréquence et l’intensité de ce type d’évènement extrême risquent d’augmenter en raison des changements climatiques. Il s’agit donc d’un facteur à prendre en considération dans notre réflexion sur la société postcapitaliste.
  8. Ces deux voies – (1) remettre entre les mains des travailleurs et travailleuses les vastes réseaux de production et de distribution qui sont en ce moment entre les mains des capitalistes et (2) créer des communautés autosuffisantes – correspondent à deux « horizons utopiques » différents, mais dans le monde actuel, il est envisageable de combiner les deux « stratégies ».
  9. Si l’on conçoit qu’une personne peut raisonnablement en connaitre 200 autres (la taille d’un petit réseau d’amis Facebook) et que chacune de ces personnes peut aussi en connaitre 200, la taille maximale d’une telle communauté serait d’environ 40 000 personnes. La communauté serait vraisemblablement plus petite en raison des contacts communs.
  10. Ce type d’agriculture a généralement un rendement énorme, mais ses coûts sont faramineux : « La synthèse de tous ces herbicides, pesticides et engrais artificiels s’effectue en faisant usage de combustibles fossiles, qui alimentent également toute la machinerie agricole. En un sens, l’agriculture moderne peut donc se voir comme un processus de transformation du pétrole en nourriture […]. Elle consomme environ dix calories d’énergie fossile pour chaque calorie de nourriture effectivement mangée » : Lewis Dartnell, À ouvrir en cas d’apocalypse : petite encyclopédie du savoir minimal pour reconstruire le monde, Paris, Lattès, 2015, p. 97.
  11. Pour désigner un ensemble d’idées semblables, d’autres auteurs ont parlé d’outils conviviaux (Yvan Illich, Tools for Conviviality, New York, Harper & Row, 1973), de techniques douces ou encore de basses technologies (Philippe Bihouix, L’âge des low tech, Paris, Seuil, 2013).

 

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Parmi les sponsors de la Toronto Arts Foundation figurent le géant énergétique Enbridge Gas et l’Association des policiers de Toronto. Si les liens entre les intérêts privés et les arts… Source

Sororités polyglottes : Rencontre avec Aimée Lévesque

21 décembre, par Marc Simard
Photo: Mathieu Gosselin Éprise de voyage et d’érudition, Aimée Lévesque me semble posséder une voix que je ne saurais comparer à aucune autre dans le panorama féministe (…)

Photo: Mathieu Gosselin Éprise de voyage et d’érudition, Aimée Lévesque me semble posséder une voix que je ne saurais comparer à aucune autre dans le panorama féministe québécois actuel. À la fois rigoureuse et agile, sa démarche poétique avance avec une clarté peu commune. Son deuxième recueil, (…)

En C-B, une ville et des intérêts privés contestent un territoire autochtone

20 décembre, par West Coast Committee
Une Première Nation affirme que la Ville de Richmond attise les tensions autour d’une revendication territoriale, appuyée par une entreprise immobilière qui possède près de la (…)

Une Première Nation affirme que la Ville de Richmond attise les tensions autour d’une revendication territoriale, appuyée par une entreprise immobilière qui possède près de la moitié du secteur. La… Source

La guerre de classe dans le monde – novembre 2025 | CRAS (AIT-Russie)

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Résumé de novembre 2025 sur les luttes anarcho-syndicalistes et auto-organisées des travailleuses-travailleurs dans le monde. Informations de la Grande-Bretagne, de (…)

Résumé de novembre 2025 sur les luttes anarcho-syndicalistes et auto-organisées des travailleuses-travailleurs dans le monde. Informations de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de la Géorgie, de l'Espagne, de la Chine, de Cuba, de la Pologne, de la Russie, de la Serbie, de l'Ukraine, de la France…

Démocratie ou barbarie ?

20 décembre, par Rédaction

[1]Je ne remercie pas souvent Elon Musk, mais il a fait un travail remarquable

en montrant ce que nous soutenons depuis des années –

le fait que nous vivons dans une société oligarchique

où les milliardaires dominent non seulement notre politique

et les informations que nous consommons,

mais aussi notre gouvernement et notre économie.

Cela n’a jamais été aussi clair qu’aujourd’hui.

– Bernie Sanders[2]

Nous vivons dans un système politique qui se dit démocratique parce que ses dirigeantes et dirigeants aux divers paliers de gouvernement sont élus par la population. Mais un véritable système démocratique ne peut se limiter à la tenue d’élections ponctuelles, selon d’ailleurs un mode de représentativité fort discutable. Rappelons que le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), au pouvoir presque absolu, dirige avec moins de 41 % du vote et compte 90 sièges, alors que les élu·e·s des autres partis qui cumulent près de 60 % du vote ont 35 sièges. Depuis 1940, au Québec, seuls quatre gouvernements provinciaux ont été élus avec plus de 50 % des suffrages, ceux de 1960, 1962, 1973 et 1985.

On ne compte plus les groupes de citoyennes et de citoyens qui se lèvent pour exiger des mesures visant à assurer la protection de l’eau, une meilleure qualité de l’air, un réel accès aux soins de santé, un système d’éducation démocratique et équitable, des solutions à l’itinérance, des transports en commun accessibles, un salaire minimum digne de ce nom…, ce dont un gouvernement réellement démocratique devrait s’occuper. Chacun de ces groupes se bute à un même mur : nos élu·e·s, ayant prétendu connaitre les besoins de la population, une fois au pouvoir, s’occuperont de leurs affaires. Toutes et tous ces valeureux citoyens engagés vont continuer encore longtemps à éponger le plancher, tant et aussi longtemps qu’on ne se décidera pas à fermer le robinet.

La démocratie représentative est un trompe-l’œil, elle n’a rien à voir avec le sens originel du mot démocratie (du grec dêmokratia : dêmos, peuple et kratos, pouvoir). C’est « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple » comme le répétait Michel Chartrand. Il ne suffit pas de donner la parole aux citoyennes et aux citoyens, une fois tous les quatre ans ou dans les instances des différentes institutions politiques, syndicales, de santé, d’éducation, d’art, d’information, etc. Il faut développer la pratique de la démocratie à tous les niveaux du système social ; c’est un travail difficile, car cela ne va pas de soi.

Dans une authentique démocratie, les élu·e·s gouvernent de manière continue en fonction des valeurs, des aspirations et des besoins de la population qu’ils sont censés représenter. Or, ce n’est en rien le cas aux différents niveaux du système politique actuel ni dans les principales institutions de la société. Il importe donc de tout mettre en œuvre pour que s’y vive une réelle démocratie. Qu’en est-il de notre « démocratie » dans le domaine de l’écologie, de la politique, de l’information, de l’éducation ? C’est ce que nous verrons.

Un pas en avant, deux pas en arrière

Notre gouvernement ne répond pas aux exigences de la population en matière de lutte contre les bouleversements climatiques et de perte de la biodiversité. Les crises environnementales menacent indéniablement et de plus en plus sérieusement l’avenir de l’humanité[3]. D’une COP (Conférence des Parties regroupant 196 États) à l’autre, nos gouvernements dits « démocratiques » s’esquivent. Malgré le mur vers lequel ils nous mènent inexorablement, ils persistent à jouer le jeu de la démocratie représentative, prétendant que le gouvernement représente la population ! Au cours des dernières années, nombre de décisions prises par le gouvernement québécois vont à l’encontre des engagements de la COP de 2024, des avis d’experts, dont ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des désirs et des besoins de la population exprimés par diverses organisations et coalitions écologiques[4].

Citons quelques-unes de ces décisions qui vont à l’encontre de ce qui est désiré par la population :

1) le projet de loi 81 à l’étude en février 2025 donnerait le droit d’autoriser des « travaux préalables » pour des projets avant même l’évaluation par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Avec ce projet de loi, le gouvernement caquiste compte modifier les huit lois sous la responsabilité du ministère de l’Environnement du Québec. L’objectif est notamment d’accélérer l’évaluation environnementale des projets et devrait entrainer « des économies » pour les entreprises[5]. Ce projet de loi prévoit la possibilité de « permettre que certains travaux préalables requis dans le cadre du projet soient entrepris ».

2) malgré l’engagement de la réduction de 37,5 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, le Québec a réduit ses GES de 9 % depuis l’année de référence de 1990 ;

3) les subventions de plusieurs milliards de dollars à Northvolt ;

4) l’inaction devant les dangers attestés de la fonderie Horne  à Rouyn-Noranda ;

5) la protection des aires protégées n’a pas atteint la cible promise de 17 % ;

6) l’inaction face au controversé déboisement du mont Owl’s Head dans les Cantons-de-l’Est ;

7) l’absence de soutien aux producteurs agricoles locaux pour l’élimination des pesticides ;

8) l’absence de sanctions contre la cimenterie McInnis de Port-Daniel en Gaspésie qui, selon les données officielles de 2022, est le plus gros pollueur industriel du Québec, avec des émissions de près de 1,4 million de tonnes de gaz à effet de serre ;

9) la relance des projets d’énergies fossiles GNL Québec et Énergie Est constituent-ils des-mirages[6]  ?

10) les projets de loi 81 et 93 permettant l’enfouissement de déchets dangereux à Blainville.

On pourrait allonger la liste encore et encore. Là, comme ailleurs, nos gouvernements protègent les intérêts financiers des entreprises de pollueurs et de destructeurs de notre écosystème.

La protection de l’environnement doit s’apprendre dès l’enfance, c’est une responsabilité collective où l’école a un rôle important à jouer. D’excellents outils existent pour cela, dont la Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté où se trouvent des pistes d’action structurantes[7]. Il n’est pas trop tard, mais il y a urgence.

La démocratie représentative : un oxymore

Nous serons bientôt en campagne électorale au Québec. Au lendemain de l’élection, chacun des partis, au pouvoir comme dans l’opposition, continuera à affirmer qu’il est l’unique dépositaire de la vérité et que l’autre, quoi qu’il dise ou fasse, sera toujours dans l’erreur. Même si, rationnellement, vous êtes d’accord avec la décision prise par le parti au pouvoir, en tant que membre de l’opposition, vous vous devez de la contester.

L’existence de partis politiques, générateurs de passions collectives, peut difficilement coexister avec la rationalité. Jadis, si vous étiez pour l’indépendance du Québec, vous deviez être membre du Parti québécois (PQ), être d’accord avec l’exploitation des gaz de schiste à l’ile d’Anticosti et avec la construction de la cimenterie McInnis, l’entreprise la plus polluante du Québec : des centaines de milliards de dollars de pertes pour les contribuables québécois ! Le mot partisanerie ne décrit-il pas bien la situation ?

Quelle sera l’équipe gagnante ? Celle dont la caisse électorale sera la mieux garnie, peu importe d’où proviendront les fonds. Ceux qui ont dépensé le plus lors de leur campagne électorale l’emportent. Et les fournisseurs à la caisse électorale s’attendent à une certaine forme de reconnaissance… L’emportera aussi qui maitrisera le mieux l’art de la communication et du marketing, cet art qui réussit à vous faire acheter ce dont vous n’avez pas besoin avec de l’argent que vous n’avez pas.

La démocratie représentative couronne non pas les plus aptes à défendre le bien commun, mais les plus habiles à prendre le pouvoir. Sinon, comment expliquer qu’au fil du temps nous basculons d’un parti à l’autre toujours convaincus que cette fois-ci sera la bonne, d’un parti encensé lors de son accession au pouvoir à conspué un mandat ou deux plus tard ?

Est-ce tout de même préférable à la dictature ? Selon Boris Cyrulnik :

De plus en plus de dictateurs sont démocratiquement élus […] Un brouhaha de théories opposées aggrave alors la confusion dans l’esprit des gens désorientés. Tout le monde a une théorie pour s’en sortir, chacun s’oppose à l’autre […] Arrive alors un sauveur, un homme providentiel qui, lui, sait ce qu’il faut faire. C’est moi ou le chaos, dit ce candidat dictateur, et les gens, avides d’ordre et de paix, ne demandent qu’à le croire. Pour être élu, ce quidam doit disposer d’un ennemi, contre lequel il va dresser la foule de ses supporteurs. S’il n’a pas d’ennemi réel, il en trouvera dans les minorités de son pays ou dans les groupes étrangers à cause de leurs origines différentes, de leur langue pas comme la nôtre, de leurs croyances ou de leurs rituels forcément barbares, non civilisés[8].

Et si la démocratie représentative peut ainsi ouvrir la porte à des dictateurs (on peut déjà en compter dans plus d’une vingtaine de pays, dont l’Algérie, l’Argentine, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, le Burkina Faso, le Burundi, les États-Unis d’Amérique, l’Éthiopie, la Gambie, la Hongrie, l’Italie, Madagascar, la Mauritanie, le Mozambique, le Niger, la Russie, la Serbie, la Turquie), ne peut-elle pas tout aussi bien l’ouvrir à de simples opportunistes désireux de faire profiter les membres de leur caste des largesses de l’État en attendant, au lendemain de leur défaite, un retour d’ascenseur ?

Le rôle dit d’information des médias

La valeur d’une démocratie est indissociable de la qualité de l’information dont disposent les citoyennes et les citoyens pour prendre des décisions rationnelles. Comment un État peut-il se dire démocratique lorsqu’il confie le soin d’informer ses citoyens à des médias de moins en moins nombreux, appartenant à des groupes privés dont les intérêts ne sont pas d’emblée ceux de l’ensemble des citoyens ? Comment peut-on croire que ces groupes privés n’en profiteront pas pour diffuser une information qui favorisera d’abord leurs intérêts et ne seront pas tentés de taire celle dont les citoyens auraient besoin ? Un État qui se prétend démocratique et laisse le secteur de l’information entre les mains du marché et du profit ne dévoile-t-il pas son vrai visage ?

Les journaux, les postes de télévision ou de radio n’ont jamais eu la réputation d’être des entreprises rentables. Le Devoir nous rapportait d’ailleurs que « depuis 2008, 40 journaux quotidiens, 400 journaux communautaires, 42 stations de radio et 11 stations de télévision ont disparu au Canada[9] ». Pourquoi investir dans ce secteur, sinon pour y défendre ses propres intérêts ? Peut-on sérieusement imaginer que des journalistes puissent produire des textes qui iraient à l’encontre des intérêts des propriétaires des journaux qui les emploient ou de leurs annonceurs ? Même là où les propriétaires prétendent n’exercer aucun contrôle sur l’information, leurs journalistes connaissent bien les modes d’attribution des promotions… « L’autocensure intentionnelle ou subconsciente existe chez presque tous les journalistes[10] » regrette Jean Ziegler.

S’il n’est pas rare qu’un média ait une section Affaires financières, pourquoi ne s’y trouve pas une section Affaires syndicales, si ce média prétend représenter les intérêts de tous les citoyens et citoyennes ? Comment expliquer que dans nos médias le mot privé est associé à efficacité et dynamisme et le mot public à lourdeur et gaspillage ? Pourtant, le mot privé pourrait bien évoquer évasion fiscale (le Canada ne se classe-t-il pas au cinquième rang des paradis fiscaux[11] ?), malversation, culture du secret, collusion, cartel, falsification des faits, publicité trompeuse.

Information et publicité

Comment un État peut-il se dire démocratique lorsqu’il confie le soin d’informer ses citoyens et citoyennes à des entreprises financées par la publicité ? L’information dont ont besoin les citoyens doit faire appel à la rationalité, alors que rationalité et publicité font rarement bon ménage. Les publicitaires nous racontent leurs histoires pour qu’on achète leurs produits et les médias nous racontent les leurs pour que les publicitaires qui les financent puissent arriver à nous les vendre. C’est Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe TF1, qui disait : « Nos émissions ont pour vocation de le [le téléspectateur) rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible[12] ».

Quelle attention une ou un téléspectateur accordera-t-il à une information illustrant l’urgence de nous attaquer à la quantité de CO2 que nos modes de vie génèrent lorsqu’elle est suivie par une publicité l’incitant à acheter un « VUS intermédiaire de luxe à 7 places » ou à partir en croisière sur « le plus grand paquebot du monde » ?

Comment expliquer autrement qu’il y ait autant de violence à la télé et dans nos journaux ? La caméra qui nous montre une mère en pleurs tenant dans ses bras un enfant blessé par un obus gardera l’attention des téléspectateurs et téléspectatrices beaucoup plus facilement que le sociologue qui tentera de leur expliquer les dessous de cette guerre. De même, on gardera davantage l’attention du lecteur ou de la lectrice en faisant appel aux sports, générateurs de passions collectives, qu’en faisant appel à sa rationalité. On priorisera le monde des émotions à celui de l’intelligence.

On peut donner de nombreux exemples. « L’affaire Clinton-Lewinsky a été, de loin, la plus couverte par les médias étatsuniens en 1998. ABC, CBS et NBC lui ont consacré plus de temps (43 heures !) qu’à la totalité des autres grandes crises nationales ou internationales[13] ». Alors que Donald Trump reconnaissait Jérusalem comme capitale d’Israël en décembre 2017, provoquant une crise internationale majeure, les médias français n’étaient préoccupés que par le décès du chanteur Johnny Hallyday, dont les obsèques occupaient la presque totalité des antennes[14]. Le 9 aout 2021 parait le premier volet du sixième rapport d’évaluation du GIEC; 24 heures plus tard, le club de football du Paris–Saint-Germain annonce accueillir le joueur Lionel Messi. La seconde nouvelle est relayée dans cinq fois plus d’articles de presse et fait l’objet de 25 fois plus de recherches sur Internet que la première[15].

Informer, c’est, désormais, « montrer l’histoire en marche » ou, en d’autres termes, faire assister (si possible en direct) à l’évènement. Il s’agit, en matière d’information, d’une révolution copernicienne dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences. Car cela suppose que l’image de l’évènement (ou sa description) suffit à lui donner toute sa signification […]. L’objectif prioritaire pour le téléspectateur, sa satisfaction, n’est plus de comprendre la portée d’un évènement, mais de le voir se produire sous ses yeux. Cette coïncidence est considérée comme jubilatoire. Ainsi s’établit, petit à petit, l’illusion que voir, c’est comprendre[16]. Ignacio Ramonet.

Si l’Homo est vraiment sapiens (intelligent, sage, raisonnable, prudent), il serait grand temps qu’on lui laisse la chance d’en faire la démonstration !

Ce dont on parle et ce dont on ne parle pas

On entend parler de la guerre en Ukraine, mais combien de fois a-t-on évoqué la guerre qui sévit au Congo qui a fait plus de quatre millions de morts[17] ? La couverture médiatique des couts de nos services publics se compare-t-elle à celle consacrée à l’Annuaire des subventions au Québec avec ses 2 696 programmes recensés sur 813 pages[18], à l’évasion fiscale, au taux d’imposition des mieux nantis, à la rémunération des PDG déterminée par les membres d’un conseil d’administration qu’ils ont eux-mêmes sélectionnés ? On parle de l’impérialisme de Poutine, mais fort peu des 220 000 soldats étatsuniens déployés à l’étranger dans plus de 900 bases militaires[19]. On parle des espions chinois, mais fort peu des Five Eyes (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), cette alliance de renseignement anglo-saxonne[20]. De même, ne devrait-on pas à tout le moins accorder autant de sympathie à Assange qu’à Navalny ?

Que dire des portes tournantes du lobbyisme ?

Pierre-Elliott Trudeau, Brian Mulroney, Jean Chrétien, Lucien Bouchard, Pierre-Marc Johnson, tous d’ex-premiers ministres, ont été embauchés par de grands bureaux après leur carrière politique, certains avec beaucoup de succès, quelques-uns rapportant beaucoup d’argent pour eux et leur firme. […] Jean Charest pourrait toucher un salaire de base oscillant entre 1 et 1,3 million de dollars […]. Avec les bonis de performance, sa rémunération annuelle pourrait grimper à 1,5, voire 2 millions de dollars par année. […] En fait, le cabinet qui embauchera Jean Charest n’a rien à faire de ses talents d’avocat. Comme la plupart des ex-politiciens, il aura pour rôle d’ouvrir des portes et de rapporter des mandats grâce à ses contacts – nombreux – et sa notoriété[21].

Du financement des partis politiques ? En 2010, au nom de la liberté d’expression, les juges de la Cour suprême des États-Unis éliminent tout plafond au financement des partis politiques[22]. Pourquoi un individu ou un groupe financerait-il la campagne d’un candidat ou d’une candidate, sinon pour s’assurer d’avoir toute son attention au lendemain de son élection ? D’où proviennent les millions de dollars que Marc Carney a reçus pour sa campagne à la chefferie du Parti libéral du Canada[23] ? Les déductions fiscales auxquelles les contributeurs et contributrices ont droit font en sorte que les petits contribuables, par les impôts qu’ils paient, financent les choix politiques des mieux nantis.

De la libre circulation des capitaux ? Elle met les États en concurrence face aux multinationales (Vous nous subventionnez, vous diminuez vos normes environnementales ou on plie bagage) et favorise les paradis fiscaux… Encore une fois, la finance l’emporte sur la démocratie !

Quelle démocratie dans le système scolaire ?

En février 2020, invoquant le peu de participation de la population aux élections scolaires, le gouvernement de la CAQ a aboli les commissions scolaires et les a remplacées par des centres de services scolaires (CSS), dont les dirigeantes et dirigeants sont nommés et révocables par le ministre de l’Éducation. Ce changement de gouvernance des instances régionales (CSS) et locales (établissements scolaires) a créé une plus grande centralisation des pouvoirs et encore moins de démocratie. Récemment, le Mouvement pour une école moderne et ouverte (MÉMO) relevait que le Québec était la seule province canadienne qui ne dispose pas d’un régime où les dirigeantes et dirigeants scolaires sont élus, en plus de maintenir deux modes différents de gouvernance : un pour la communauté francophone et un pour les anglophones. « Nous proposons de tourner le dos à une gouvernance administrative formée de groupes d’intérêt et dont le mandat et les responsabilités ont fondu comme peau de chagrin depuis l’adoption du projet de loi 40 » exigent les auteurs de ce texte[24]. En effet, les conseils d’administration des CSS ne s’avèrent pas plus représentatifs des communautés desservies et ne défendent pas mieux les intérêts des groupes qu’ils disent représenter que le faisaient les commissions scolaires. Depuis cinq ans, on assiste à un mouvement de centralisation autoritaire de la part du ministère de l’Éducation et du gouvernement même s’il a été démontré que, pour un fonctionnement efficace, les centres de décision doivent être le plus près possible des besoins.

Le ministre de l’Éducation peut annuler toute décision d’un CSS « lorsque la décision n’est pas conforme aux cibles, aux objectifs, aux orientations et aux directives qu’il a établis », ou lorsqu’il s’agit d’imposer des coupes de subvention, comme cela fut le cas pour du prêt ou de la location d’équipements sportifs des écoles aux municipalités et aux communautés. Il peut aller jusqu’à vouloir inverser une décision prise par une direction d’école et un conseil d’établissement, comme cela s’est fait au sujet de la grille-matières de l’école Le Plateau de La Malbaie dans Charlevoix[25].

Les écoles s’avèrent-elles plus ouvertes sur leur milieu ? Se préoccupe-t-on mieux des besoins des élèves et des adultes fréquentant les établissements scolaires ainsi que de la communauté ambiante qui devrait bénéficier de l’école et de l’éducation comme d’un bien collectif commun ? Poser la question, c’est y répondre.

L’intelligence collective, résultant de l’interaction entre tous les acteurs et actrices d’un groupe et de leur diversité cognitive[26], est supérieure à la somme des intelligences de chacune et chacun des individus qui le composent et permet de mieux faire face à des situations et à des défis parfois fort complexes. L’éducation à la démocratie doit commencer dès le plus jeune âge par l’expérimentation de la démocratie participative de toutes et tous, des élèves, des personnels scolaires, des parents, des citoyens et citoyennes au sein des conseils d’établissement (CÉ) des écoles, des centres de formation et des conseils d’administration des CSS.

Dès le primaire, les élèves doivent expérimenter la vie démocratique dans leur classe et dans leur école, comme cela se fait avec succès dans certaines écoles dites alternatives, et en constater les bienfaits. Cela implique de comprendre et d’accepter les exigences de la démocratie participative où les élèves apprennent à écouter, à échanger cordialement, à participer à un conseil ou à une assemblée mensuelle réunissant tous les membres de l’école pour échanger sur les bienfaits et les difficultés liées aux décisions prises, faire des propositions et en discuter. Mais qui dit démocratie participative dit collaboration plutôt que compétition. Le système scolaire avec son système de notation qui exige de plus en plus d’épreuves et d’examens entraine la compétition, facteur de stress pour les élèves. D’autres modes d’évaluation des apprentissages des élèves existent et ils ont fait leurs preuves.

Dans ces écoles, les parents sont les bienvenus et assurent plusieurs heures de bénévolat pour soutenir les projets des élèves et de l’école. Un climat de confiance entre les parents et les personnels scolaires stimule l’engagement des élèves et diminue les risques de malentendus et d’insatisfactions. Plus les parents sont impliqués dans l’école de leurs enfants, plus ils sont en mesure de créer à la maison un climat familial propice aux apprentissages. Les enfants, constatant l’intérêt que leurs parents accordent à l’école, seront plus portés à s’y investir.

L’essentielle reconnaissance de la liberté de parole

L’article 2088 du Code civil du Québec précise que le salarié ou la salariée doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution de son travail. L’employé doit éviter de causer un préjudice à l’employeur en privilégiant ses propres intérêts ; ce qui est raisonnable. Aussi, lorsqu’un ou une membre du personnel informe un ou une journaliste d’un problème grave qui concerne la mission de l’école ou le bienêtre des personnes qui y sont dans le but d’améliorer la situation, cela sans révéler d’informations confidentielles, cet employé ne contrevient en rien à ses devoirs inscrits dans cet article du Code civil. Il exerce un droit inscrit dans la Charte des droits et libertés de la personne. Or, la plupart des personnels scolaires ignorent leurs droits ou en ont une compréhension erronée. Le ministère de l’Éducation, les directions des CSS, les syndicats du milieu de l’éducation et la Commission des droits de la personne ont la responsabilité d’informer les personnels scolaires de leurs droits. Il est temps qu’ils le fassent et qu’ils mettent fin à l’omerta qui sévit dans le milieu scolaire.

Construire un fonctionnement démocratique partout, maintenant

Ne serait-il pas temps de prendre conscience de cette illusion qu’est la démocratie représentative et la refuser ? N’attendons plus de réformes administratives et politiques venant d’en haut, car rien n’indique qu’elles remettront en question leur ersatz de démocratie. Combien de partis ont-ils déclaré qu’une fois au pouvoir, ils remettraient en question le système électoral, ce qu’ils n’ont pas fait, ayant été élus par ce système ?

Travaillons à instaurer un réel fonctionnement démocratique dans toutes les organisations et institutions où nous sommes par un patient travail d’éducation politique, par le courage de critiquer ce qui y contrevient dans nos propres organisations, comme dans celles des instances où nous n’avons pas de pouvoir. Des initiatives et l’expérimentation d’une réelle démocratie existent, nous les présenterons dans un prochain texte.

Depuis notre naissance, on nous biberonne l’esprit en nous disant que l’on vit en démocratie. Nous n’avons plus le choix, il s’agit aujourd’hui de l’avenir de l’humanité. Il est temps de cesser de dire sans nuance qu’on vit en démocratie et que nos institutions sont démocratiques, ce sont plutôt des ersatz de démocratie, si pour nous la démocratie est telle que la définissait Michel Chartrand. Sinon, on continuera à s’enfoncer dans la barbarie[27].

Par Jean-Yves Proulx et Suzanne-G. Chartrand, retraités de l’enseignement


  1. L’autrice et l’auteur appliquent les rectifications orthographiques adoptées par l’Académie française en décembre 1990.
  2. Bernie Sanders, « Merci Elon … », ObsAnt, Observatoire Antropocène, 17 février 2025.
  3. Eric Martin, « Communalisme et culture. Réflexion sur l’autogouvernement et l’enracinement », Nouveaux Cahiers du socialisme, n° 24, 2020, p. 94-100.
  4. Lucie Sauvé et Pierre Batellier, « Gaz de schiste et mobilisation citoyenne au Québec : une exigence de démocratie », Nouveaux Cahiers du socialisme, n° 6, 2011, p. 224-236.
  5. Assemblée nationale du Québec, Projet de loi no 81. Loi modifiant diverses dispositions en matière d’environnement.
  6. Les projets d’énergies fossiles au Québec constituent « des mirages », selon 100 organisations et représentant.e.s, communiqué de presse, 19 février 2025.
  7. Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2018.
  8. Boris Cyrulnik et Boualem Sansal, France-Algérie. Résilience et réconciliation en Méditerranée, Paris, Odile Jacob, 2020.
  9. Texte collectif, « Il est temps de mettre fin à l’injustice envers nos médias ! », Le Devoir, 20 février 2025.
  10. Jeaen Ziegler, Le Capitalisme expliqué à ma petite-fille (en espérant qu’elle en verra la fin), Paris, Seuil, 2018.
  11. Éric Desrosiers, « Le Canada au cinquième rang des paradis fiscaux », Le Devoir, 20 novembre 2024.
  12. « Le Lay (TF1) vend “du temps de cerveau humain disponible” », Acrimed, 11 juillet 2004.
  13. Ignacio Ramonet, La tyrannie de la communication, Paris, Gallimard, 2001.
  14. Anne-Cécile Robert, La stratégie de l’émotion, Montréal, Lux, 2018.
  15. Arthur Grimonpont, Algocratie, Paris, Actes Sud, 2022.
  16. Ignacio Ramonet, « S’informer fatigue », Le Monde diplomatique, octobre 1993.
  17. Simon Robinson et Vivienne Walt, « The deadliest war in the world », Time, 28 mai 2006.
  18. Annuaire des subventions au Québec, Répertoire de subventions et incitatifs financiers pour entreprises, organismes à but non lucratif et projets personnels.
  19. Greta Zarro, « The biggest military base empire on Earth », CounterPunch, 23 septembre 2024.
  20. <https://en.wikipedia.org/wiki/Five_Eyes>.
  21. René Lewandowski, « Combien vaut Jean Charest ? », Droit-inc. Le journal des avocats et juristes du Québec, 10 septembre 2012.
  22. François Bougon, « Présidentielle aux États-Unis : les milliardaires arrosent, la démocratie trinque », Mediapart, 25 aout 2024.
  23. Sandrine Vieira, « Mark Carney domine la collecte de fonds avec près de 2 millions de dollars en dons », Le Devoir, 18 février 2025.
  24. Alain Fortier et Catherine Harel Bourdon, « Sur l’état de la démocratie scolaire, cinq ans après l’adoption de la loi 40 », Le Devoir, 8 février 2025.
  25. Kevin Dubé, « L’école du Plateau doit “revoir la décision” d’interdire l’accès aux sports à certains étudiants, demande le ministre de l’Éducation », Journal de Québec, 14 janvier 2025.
  26. Hélène Landemore, « Why the many are smarter than the few and why it matters », Journal of Public Deliberation, vol. 8, n° 1, 2012.
  27. Un emprunt à Cornelius Castoriadis et Claude Lefort qu’ils n’auraient certes pas désavoué :

    Nicolas Poirier (dir.), Cornelius Castoriadis et Claude Lefort : l’expérience démocratique, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2015.

 

Le MRIF ne respectera pas les conventions du programme Québec sans frontières

20 décembre, par Association québécoise des organismes de coopération internationale
Montréal, le 19 décembre 2025 – L’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) prend acte avec inquiétude de l’impossibilité pour le ministère (…)

Montréal, le 19 décembre 2025 – L’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) prend acte avec inquiétude de l’impossibilité pour le ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF) de respecter les conventions du programme Québec sans (…)

Le choix des présidents

Les grandes surfaces d'alimentation ne vendent pas que des produits : elles structurent l'accès à la nourriture, définissant ce qui est accessible, à quel prix et pour qui. (…)

Les grandes surfaces d'alimentation ne vendent pas que des produits : elles structurent l'accès à la nourriture, définissant ce qui est accessible, à quel prix et pour qui. Derrière leurs néons, un système organise les différences sociales, créant des épiceries à plusieurs vitesses où chaque panier raconte une histoire d'inégalités.

Le commerce de détail alimentaire canadien est marqué par un manque criant de concurrence. Derrière la panoplie d'enseignes se cachent en réalité trois grandes chaînes : Loblaw, Metro et Sobeys. En ajoutant Walmart et Costco, cinq géants se partagent près de 80 % du marché. Cet oligopole entretient l'illusion du choix : des commerces différents, mais qui remplissent les mêmes poches. Super C, Adonis, Marché Richelieu et Première Moisson appartiennent à Metro ; IGA, les Marchés Tradition et Kim Phat sont détenus (majoritairement ou en totalité) par Sobeys ; Provigo, Maxi et le Supermarché T&T sont affiliés à ou détenus par Loblaws. Les différences de façade masquent une réalité uniforme : les prix, les produits ainsi que les marges sont décidés par les mêmes directions et leur pouvoir s'étend bien au-delà des tablettes. Ces entreprises possèdent ou contrôlent aussi des pharmacies, des stations-service et les immeubles où elles s'installent, consolidant leur emprise sur le quotidien des Québécois·es.

Or, il n'en a pas toujours été ainsi. En 1986, au moment de l'adoption de la Loi sur la concurrence, le paysage alimentaire canadien comptait encore huit grandes chaînes indépendantes. Quarante ans plus tard, presque toutes ont été avalées. Le Canada ne compte d'ailleurs aucune véritable « épicerie à rabais » : le segment des commerces « à escompte » est intégré au même oligopole. Les rabais y sont calibrés ; la compétition est chorégraphiée. Au Québec, le choix est encore plus restreint : seuls Metro et Loblaw exploitent des enseignes dites « économiques », tandis que Sobeys brille par son absence. L'inflation alimentaire des dernières années a poussé les ménages à traquer les promotions, à remplir leurs paniers de marques maison et à fréquenter davantage ces « magasins à rabais ». Les grands détaillants se sont adaptés à cette nouvelle réalité : Loblaw a converti une soixantaine de Provigo en Maxi, tandis que Metro a multiplié les Super C. Or, cet essor des magasins « à escompte » est trompeur : sous prétexte de nous faire économiser, ils trouvent surtout le moyen de gagner plus.

Une chaîne d'approvisionnement verrouillée

Le contrôle des géants de l'alimentation ne s'arrête pas aux caisses : il s'étend tout au long de la chaîne d'approvisionnement. En effet, ils détiennent un pouvoir immense sur la distribution, dictant aux personnes qui produisent non seulement ce qu'elles peuvent vendre, mais aussi à quelles conditions. Ces dernières négocient souvent à armes inégales : retards de paiement, exigences de rabais et changements de conditions sans préavis.

Cette concentration a aussi un effet d'étouffement sur les épiceries indépendantes, de plus en plus rares. Les trois groupes d'achat ont transformé une industrie qui était jadis dominée par des épiceries de quartier indépendantes. Cette consolidation du marché rend périlleuse la survie des petits commerces, constamment menacés d'être rachetés ou marginalisés par les grandes chaînes. Beaucoup n'ont d'autre choix que de s'approvisionner directement auprès de leurs concurrents : faute d'entrepôts ou de volume suffisant, ils doivent acheter leurs produits à Loblaw ou Sobeys, qui dominent aussi le secteur de la vente en gros. Une absurdité économique qui les empêche de rivaliser sur les prix et les marges.

D'autres obstacles s'accumulent pour les commerces indépendants : l'accès à des emplacements commerciaux est limité, puisque la plupart des locaux adaptés sont déjà contrôlés par ces mêmes géants. Les bannières exigent aussi des frais de placement pour les produits sur leurs tablettes — une pratique inaccessible pour la plupart des petits commerces. Ces mécanismes verrouillent le marché : les géants dictent non seulement ce qui est vendu, mais aussi qui a le droit de vendre.

En aval de la chaîne, ces rapports de force se traduisent directement en magasin. Loin d'être neutre, l'expérience d'achat devient un marqueur social : les grandes bannières segmentent leurs clientèles comme on segmente un marché, calibrant l'ambiance, les produits et même la qualité selon le revenu et le quartier. Loblaw, Maxi et Provigo partagent les mêmes fournisseurs, les mêmes marques maison, parfois les mêmes produits — simplement disposés différemment et vendus à des prix distincts. La même logique s'applique entre Super C et Metro. Entre les différentes enseignes, les tablettes racontent ainsi une histoire de classes : des choix limités dans des allées éclairées au néon pour les ménages à faible revenu ; un éclairage tamisé et un prêt-à-manger invitant pour les personnes plus aisées. Ces écarts ne sont pas le fruit du hasard : ils sont le résultat d'une stratégie méticuleuse de segmentation. Les bannières adaptent leurs marges, leurs assortiments et même leur expérience visuelle à la clientèle qu'elles ciblent. Ce n'est pas seulement le pouvoir d'achat qui détermine l'épicerie où l'on va ; c'est l'épicerie elle-même qui vient dire à qui elle s'adresse.

D'une ville à l'autre, les écarts de dignité persistent, parfois même au sein d'une même bannière. Une bannière n'offre pas la même expérience dans un quartier populaire que dans un milieu plus aisé : qualité des produits, propreté, entretien, fraîcheur — tout varie subtilement selon l'environnement socioéconomique. Ces différences ne tiennent pas seulement aux clientèles, mais aux investissements consentis — ou non — par les sièges sociaux. La géographie urbaine devient ainsi le reflet du pouvoir économique : la qualité du panier et de l'expérience d'achat fluctue selon le code postal. Cette architecture silencieuse du marché alimentaire ne fait pas que refléter les inégalités : elle les entretient. Elle façonne des réalités alimentaires à plusieurs vitesses, où l'accès à la fraîcheur, à la diversité et à la dignité dépend du revenu. L'épicerie n'est plus seulement un lieu d'achat : elle devient le reflet du milieu qui l'abrite.

Une question de justice alimentaire

L'épicerie n'est pas seulement un lieu d'achat, mais un miroir de notre rapport à la nourriture et à celles et ceux qui y accèdent. Quand certaines personnes sont obligées de faire leur épicerie au Dollarama pour trouver des produits à bas prix, tandis que d'autres se procurent des aliments biologiques dans des épiceries spécialisées, c'est une violence ordinaire qui se manifeste : elle révèle les injustices structurelles qui traversent l'accès à l'alimentation.

La fragmentation du marché alimentaire est un enjeu politique : ce qui se retrouve sur les tablettes, ce qui est accessible et à quel prix, cela dépend d'un rapport de force où oligopoles et gouvernements pèsent lourd, tandis que les personnes qui produisent, qui travaillent dans les commerces et qui mangent disposent de bien peu de pouvoir. Ce rapport de force détermine la structure du marché et l'accès à la nourriture. Néanmoins, des alternatives existent : épiceries solidaires, coopératives alimentaires et épiceries publiques explorent des modèles qui redistribuent le pouvoir. Leur poids reste modeste face aux géants du marché, mais elles montrent qu'il est possible de repenser l'accès à l'alimentation comme un droit collectif. Pourtant, tant que le pouvoir restera concentré dans les mains de quelques « présidents [1] », l'alimentation demeurera une marchandise et les épiceries seront traversées par des injustices. Aux côtés des petits commerces de proximité, ces alternatives rappellent que reprendre la table, c'est refuser la résignation face à un oligopole qui contrôle le jeu et ses règles. C'est contester la logique d'exploitation qui détermine l'offre et façonne la demande en exigeant que l'accès à une alimentation adéquate, juste et durable soit garanti pour toustes.


[1] Au moment d'écrire ces lignes, tous les dirigeants des cinq principaux détaillants alimentaires au pays sont des hommes.

Dimitri Espérance est fondateur et directeur général de Ti frais. Vanessa Girard-Tremblayest co-fondatrice de la coop de travail Estuaire.

Photo : Rachel Cheng (鄭凱瑤)

Intérieurs

19 décembre, par Marc Simard
Des millions de touristes déferlent chaque année devant la Joconde au Louvre à Paris. C’est certainement une des œuvres les plus connues et reconnues. Elle est qualifiée de (…)

Des millions de touristes déferlent chaque année devant la Joconde au Louvre à Paris. C’est certainement une des œuvres les plus connues et reconnues. Elle est qualifiée de chef d’œuvre par le milieu de l’art, c’est-à-dire par les spécialistes qui sont des historiens ou des marchands d’art. Il (…)

Antisémitisme et fascisme dans l’actualité en Australie et au Chili.

19 décembre, par André Jacob — , , ,
La lecture de mon journal matinal a provoqué un profond désarroi au fond de moi. Que dire ? Au Chili, le peuple chilien a élu un président d'extrême droite proche du régime (…)

La lecture de mon journal matinal a provoqué un profond désarroi au fond de moi.

Que dire ? Au Chili, le peuple chilien a élu un président d'extrême droite proche du régime militaire du général Pinochet ; d'ascendance allemande, son père a combattu dans l'armée nazie au cours de la guerre 39-45).

En Australie, un attentat contre des Juifs alors qu'ils.elles inauguraient la première flamme rituelle sur le hanoukia (chandelier traditionnel à neuf branches) pour la fête des lumières, Hanouka. Quel est le lien direct entre les deux événements ? Factuellement, aucun, mais les références idéologiques et politiques méritent considération.

Les motifs précis des deux agresseurs (un père et son fils) en Australie ne sont pas encore très explicites et leur geste funeste soulève plusieurs questions ? Est-ce en lien avec l'opposition aux politiques et aux stratégies destructrices et colonisatrices du gouvernement de droite de Benyamin Netanyahou ? Est-ce en vertu d'un antisémitisme radical ? L'hypothèse de l'antisémitisme semble la plus probable. À cette étape-ci, nul ne peut affirmer une explication exhaustive, ce qui n'empêche pas le premier ministre israélien de récupérer ce drame à son avantage politique en affirmant qu'il s'agit d'une attaque antisémite, ce pour maquiller ses politiques jugées criminelles et honnies sur le plan international à l'égard de la Palestine. En réalité, toute forme d'agression contre des Juifs résulte souvent d'une discrimination fondée sur l'antisémitisme. Évidemment, on peut évoquer le même type de discrimination contre des chrétiens, des musulmans ou des bouddhistes en raison de leur croyance et/ou de leur origine ethnique.

Au Chili, la dynamique diffère un peu. Le nouveau président, José Antonio Kast, se définit comme un catholique pratiquant, admirateur du général Pinochet, promoteur assumé de l'expulsion de 340 000 immigrant.e.s du Chili, apôtre de la loi et l'ordre en se présentant comme le champion de la lutte à la criminalité (celle des plus pauvres d'abord), aussi fervent promoteur de l'abolition du droit à l'avortement, même en cas de viol, de réduction de la taille de l'État et des politiques sociales (retraites, etc.) déjà déficientes au Chili, etc. Évidemment, il se proclame champion de l'économie et de réformes favorables aux grandes entreprises d'extraction. Ces positions sont explicites.

Le lien entre les deux événements vient surtout d'une récupération démagogique en vertu d'une supposée menace des étrangers dans le pays comme boucs émissaires responsables de tous les maux, ce qui vaut pour Kast et Netanyahou ; ce dernier prétend que les Palestiniens sont la cause de tous les maux d'Israël.

Dans l'Allemagne de l'avant-guerre, on a mobilisé la population par la propagande antisémite alors que les Juifs participaient à la société allemande sur tous les plans (sociaux, culturels, économiques et politiques). Les nazis mobilisaient l'opinion publique en présentant toujours les Juifs comme une menace à l'égard du peuple allemand. Une majorité d'Allemand.e.s a intégré cette menace et accepté le principe du rejet des Juifs. En évoquant constamment la menace des étrangers, on arrive aussi à réveiller le vieil antisémitisme qui sommeille souvent au fond des tiroirs de l'histoire. On peut penser à l'accusation des juifs ayant tué le Christ, à l'empoisonnement des puits par les juifs, à leur contrôle du monde capitaliste et des médias, etc. Une telle désinformation contribue à réveiller le vieil antisémitisme en dormance et à assimiler l'idée de la menace à l'urgence d'élire un chef qui prétend protéger le bon peuple supposément assailli par des ennemis mystérieux incarnés par les étranger.e.s ou … des Juifs.

La philosophe Hannah Arendt, dans sa réflexion sur l'antisémitisme, a résumé ce sentiment de la menace comme source de l'antisémitisme fondé sur des opinions construites et non sur des faits. Elle réfère au philosophe Platon pour étayer son raisonnement en affirmant que « c'est des opinions que procède la persuasion, mais non point de la vérité (Phèdre, 260) ; elle résume en affirmant que « l'histoire elle-même est détruite, et sa compréhension - fondée sur le fait qu'elle est l'œuvre des hommes et peut donc être comprise par eux – est en danger si les faits ne sont plus regardés comme des composants et des parcelles du monde passé et présent, mais sont utilisés à tort afin de prouver telle ou telle opinion. »

Ces jours-ci, je peux vivre ma solidarité avec mes ami.e.s chilien.nes réfugiés au Québec en les accompagnement dans leur deuil suite à cette élection pour le moins hasardeuse et énigmatique, et avec mes ami.e.s juifs (étant moi-même un descendant de marranes) en allumant le hanoukia, cadeau reçu de la part d'un ami juif il y a plusieurs années.

André Jacob, professeur retraité
École de travail social
UQAM

Terrebonne, le 15 décembre 2025

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Poches vides, ventres vides

19 décembre, par L'Étoile du Nord

Chronique du gars en mots dits : Deuils nationaux

18 décembre, par Marc Simard
2025 se sera révélée tristement prolifique en décès de personnalités québécoises marquantes. Tombées comme des mouches, elles sont allées gonfler les rangs de nos héros et (…)

2025 se sera révélée tristement prolifique en décès de personnalités québécoises marquantes. Tombées comme des mouches, elles sont allées gonfler les rangs de nos héros et héroïnes disparus, en partie rassemblés dans le recueil de portraits Nos Géantes et nos Géants, de Jehane Benoît à Nelly (…)
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Fiertés et résistances – présentation du dossier

18 décembre, par Revue Droits et libertés
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2025/hiver 2026 Fiertés et résistances Delphine Gauthier-Boiteau et Stéphanie Mayer, membres du CA de la Ligue des (…)

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Retour à la table des matières
Droits et libertés, automne 2025/hiver 2026

Fiertés et résistances

Delphine Gauthier-Boiteau et Stéphanie Mayer,
membres du CA de la Ligue des droits et libertés

Ce dossier paraît dans un contexte de précarisation des droits humains des personnes qui dérogent à l’ordre hétérocisnormatif. Ce terme, issu des études queers, éclaire la manière dont les rapports de pouvoir normant les sexualités, les genres et les corps des personnes s’imbriquent avec d’autres systèmes de domination – notamment le patriarcat, le colonialisme et le capitalisme racial. Autrement dit, l’« hétérocisnormativité » correspond à un système reposant sur un ensemble normatif qui se rattache à l’expression du sexe, du genre et des désirs. Les règles de conduite implicites ou explicites qui en découlent, en ce qu’elles fixent les contours du normal et de l’anormal, sont intimement liées aux structures sociales, aux institutions ainsi qu’aux rapports de domination et aux régimes de pouvoir qui les traversent. C’est à partir de ce cadre que ce dossier aborde l’existence, la réalisation et la mise à mal des droits des personnes qui dérogent à ces normes, se prenant en plein visage, dans leur corps et leur cœur, le ressac actuel.

Vous constaterez la diversité des termes employés dans les textes – «queer», «gais  et  lesbiennes»,  «LGBTQ+», «LGBTQIA2S+» – pour aborder ces enjeux de droits. Notre comité éditorial a choisi de respecter la volonté des auteur·ices à cet égard et de conserver ces expressions auto-identificatrices variées, même si elles ne sont pas interchangeables.

Au Québec, évoquer un ressac contre les droits humains LGBTQ+ n’a rien d’exagéré. Malgré des avancées aussi imparfaites que significatives, les droits obtenus ont permis aux personnes dissidentes des normes hétérocisnormatives de gagner en dignité, de se sentir respecté·es et même d’exister avec fierté, peut-être, l’espace d’un moment. Nous assistons à une montée de l’extrême droite et à un glissement faisant en sorte que des idées fascisantes deviennent ou redeviennent plus acceptables au sein de la population. Les personnes LGBTQ+ figurent parmi les premières cibles des discours ultraconservateurs, nationalistes et masculinistes produisant des paniques morales dont les personnes migrantes, racisées, pauvres, vivant avec des enjeux de santé mentale ou un handicap font aussi les frais.

Le cadre hétérocisnormatif proposé plus haut est utile pour comprendre comment la précarisation des droits des personnes LGBTQ+ se déploie  dans  un contexte plus large de politiques autoritaires qui font reculer les droits des minorités, quelles qu’elles soient. En filigrane de cette droitisation se profilent les désastres amorcés et à venir liés à une crise écologique reposant sur la «colonialité du pouvoir», comme le conceptualise le sociologue péruvien Aníbal Quijano, c’est-à-dire sur l’imposition d’un pouvoir voulant toujours aller au-delà et en dehors de lui-même. Notre cadrage hétérocisnormatif rappelle ainsi l’imbrication de l’impérialisme, de la suprématie blanche, du patriarcat, du capitalisme racial et une organisation sociale dont les logiques extractives, expansives et binaires sont reproduites.

Des droits humains à défendre

On constate au Québec, ces dernières années, l’adoption de lois bafouant les principes des droits humains et les protections prévues dans les chartes canadienne et québécoise. L’importante dégradation des conditions socio-économiques de vie des personnes menace directement les droits humains qu’il faut toujours concevoir comme étant indivisibles et interdépendants. Sous la gouverne de François Legault, soulignons l’adoption de dispositions législatives – trop souvent sous bâillon – attentant directement aux droits, en plus du recours répété aux clauses dérogatoires. Cette approche culmine avec le projet de loi 1 (PL1), déposé le 9 octobre 2025, qui prétend imposer une « Constitution » du Québec sans processus constituant et qui affaiblit les droits et libertés sous prétexte de souveraineté parlementaire. Le PL1 constitue une attaque frontale des contre-pouvoirs (judiciaires, communautaires, syndicaux, organismes indépendants, etc.) qui permettent de se prémunir des dérives autoritaires.

Au regard de l’État québécois, l’article de Léo Lecomte explique bien que la réponse caquiste au « jugement Moore » n’est pas si positive qu’on l’imagine et que le gouvernement actuel continue de prendre des décisions à l’encontre des droits des personnes trans. Les possibilités pour les personnes queers de faire famille autrement sont entravées par la non-reconnaissance de la pluriparenté, affirment pour leur part Sophie Parent et Kévin Lavoie. Les politiques menées ont des conséquences bien concrètes sur les corps et la sécurité des personnes, qu’il s’agisse des personnes trans incarcérées, comme l’aborde Samuel Bernard, ou de celles luttant pour l’accès aux soins de santé, la démédicalisation et le respect de l’autonomie corporelle, comme en traite Judith Lefebvre.

Certains textes du dossier adoptent le cadre des droits LGBTQ+ pour réfléchir sur les appropriations libérales de certaines revendications,  de  même  que  sur  la mobilisation et l’instrumentalisation de discours féministes et queers par des groupes nationalistes. Zev Saltiel discute du pinkwashing qui tapisse la propagande de l’État d’Israël dans le contexte du génocide du peuple palestinien. Diane Lamoureux montre comment l’homo et le fémo nationalismes entraînent d’importantes dérives au sein des mouvements LGBTQ+, tandis que Laurence Gauvin-Joyal et Djemila Carron rompent avec la rhétorique libérale canadienne, en dévoilant ce qui se cache sous le couvert du libéralisme et conduit à la reproduction d’un État straight.

Dans le contexte de droitisation actuel, Céleste Trianon décrit une partie de la nébuleuse des groupes actifs contre les personnes trans au Canada ainsi que leurs allié·es, documentant les attaques et les luttes menées sur le front juridique. En ce qui concerne les jeunes, prenant appui sur un récent rapport du Groupe de recherche en intervention sociale de Montréal, Alexis Graindorge, Amélie Charbonneau et Olivier Vallerand apportent une compréhension empirique de ce qui se joue dans les écoles et décrivent les effets du déplacement à droite des discours sur les diversités de genre et les sexualités.

Dans un entretien, Josu Otaegi Alcaide met en exergue les réalités de personnes migrantes au Québec, plusieurs fuyant les persécutions subies dans leur pays d’origine en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Christian Djoko Kamgain témoigne de la criminalisation et de la stigmatisation des personnes appartenant à la diversité sexuelle en Afrique de l’Ouest et du Centre, qui compromettent l’efficacité des réponses à l’épidémie de VIH/sida. L’article de Fabrice Nguena brosse un portrait des personnes queers d’origine africaine ou afro-descendantes, proposant un devenir afroqueer.

D’ailleurs, nombre de textes du dossier font écho à la nécessité de se rassembler pour créer des présents et des devenirs autres. Des espaces physiques sont mis en place autour du besoin de (re)connaître la mémoire militante, les résistances passées et les personnes qui les ont portées. Les textes d’Iain Blair des Archives gaies du Québec et d’Antoine Vogler de la librairie Mes Pants de Queer témoignent de la puissance des solidarités émergeant dans ces lieux grâce aux personnes qui leur donnent vie et qui y participent, établissant des ponts entre le passé et l’avenir. De manière similaire, le projet précurseur de la Maison des RebElles, dont nous parle Lise Moisan en entrevue, montre comment les solidarités lesbiennes et entre femmes permettent d’éviter le risque de retours dans le placard aux personnes vieil-lissantes devant changer de résidence. Puis, relatant l’expérience qu’a constituée l’organisation de la conférence « Toward Trans Joy and Justice », Belen Blizzard et Mar Ibrahim réfléchissent aux espaces éphémères contribuant à l’émergence de savoirs non académiques et à l’expression d’un pouvoir de création, de résistance et de libération.

Souhaits de solidarités à incarner

Nous chérissons le souhait que les sujets abordés dans les différents textes instruisent sur des enjeux peut-être méconnus et sensibilisent à des réalités nouvelles présentées dans toute leur complexité. Nous espérons aussi qu’ils toucheront les cœurs, incitant à faire un pas de côté, pour accueillir les différences et la pluralité, pour aimer véritablement. Mais  aussi,  qu’ils  témoigneront  de la nécessité d’une convergence, de l’impératif de ne pas penser en vase clos (ce qui s’observe sur divers fronts) et de l’étendue des solidarités à bâtir, à incarner et à porter. Voilà le socle de nos aspirations solidaires, actuelles et à venir. En dépit des multiples luttes à mener et des menaces de toutes parts, nous sommes convaincues que les solidarités politiques contre les forces réactionnaires – et la fierté d’agir collectivement qu’elles procurent – sont les seules voies d’avenir pouvant nous conduire vers des mondes de demain plus vivables.

 

 

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Nouveau numéro : Fiertés et résistances

18 décembre, par mobilisation
[caption id="attachment_22313" align="alignleft" width="394"] Illustration : Isadora-Ayesha Lima[/caption] Nouveau numéro! Hiver 2025 / Printemps 2026 Au Québec comme (…)

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[caption id="attachment_22313" align="alignleft" width="394"] Illustration : Isadora-Ayesha Lima[/caption]

Nouveau numéro!

Hiver 2025 / Printemps 2026

Au Québec comme ailleurs, dans un contexte de montée de l'extrême droite, les attaques contre les droits des personnes queer et LGBTQ+ se multiplient - menaçant parfois leur existence même. Elles s'intriquent à d'autres formes d'oppression, entraînant des expériences particulières de stigmatisation, notamment pour les personnes migrantes et/ou racisées.

Ainsi, sur plusieurs fronts, des luttes se poursuivent. Un regard critique s'impose sur de prétendues avancées des droits LGBTQ+, qui n'en sont pas toujours. L'homo ou le fémo nationalisme et le pinkwashing doivent être compris à l'aune des logiques impérialiste, raciale et capitaliste qui se trouvent à leur racine, pour être contrés. En dépit de l'instrumentalisation à des fins politiques des luttes et revendications des mouvements, joie et inspiration émergent dans des espaces de mémoire, de partage, de création et de libération.

Le recul des droits des un·es étant toujours le recul des droits des tous·tes, nous espérons que ce dossier non seulement vous informe sur ces enjeux, mais surtout qu'il nourrisse de nouvelles solidarités.

Bonne lecture !

Table des matières


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Dans ce numéro

Éditorial

La stigmatisation des immigrant·es, une déshumanisation à combattre
Aurélie Lanctôt
Laurence Guénette

Chroniques

Un monde sous surveillance

À Ottawa, un empilage inquiétant de projets de lois
Anne Pineau

Le monde de l'environnement

Loi C-5 : quelles conséquences pour la démocratie, l'État de droit et l'environnement ?
Me Ann Ellefsen

Ailleurs dans le monde

Los Angeles : une population migrante persécutée
Johannes Prins
Mélisande Séguin

Un monde de lecture

Incursion en Iran au cœur d'un mouvement féministe
Catherine Guindon

Dossier principal
Fiertés et résistances

Présentation

Fiertés et résistances
Delphine Gauthier-Boiteau
Stéphanie Mayer

Dossier

Défendre les droits LGBTQ+ comme droits humains
Diane Lamoureux Pinkwashing : pas de quoi être fièr·es !
Entretien avec Zev Saltiel
Propos recueillis par Charlotte Vallée Gagnon Brève histoire de la construction juridico-politique d'un État straight
Djemila Carron
Laurence Gauvin-Joyal Droits des personnes trans : quelles avancées ?
Léo Lecomte Trans sous attaque
Céleste Trianon La libération transféministe commence là où le pouvoir des médecins finit
Judith Lefebvre Enjeux LGBTQ+ : une panique morale qui se sent dans les écoles
Alexis Graindorge
Amélie Charbonneau
Olivier Vallerand En prison, où devraient aller les personnes transgenres ?
Samuel Bernard
À quand la reconnaissance des familles pluriparentales au Québec ?
Sophie Parent
Kévin Lavoie Au service des personnes LGBTQ+ migrantes
Entretien avec Josu Otaegi Alcaide
Propos recueillis par Catherine Caron Réalités afroqueers au Québec
Fabrice Nguena Épidémie de VIH/sida et homophobie en Afrique de l'Ouest et du Centre
Christian Djoko Kamgain Pour ne pas retourner dans le placard
Entretien avec Lise Moisan
Propos recueillis par Diane Lamoureux Archives gaies du Québec : le désir d'évoluer avec son temps
Iain Blair Mes Pants de Queer : un espace de mobilisation et de mémoire
Antoine Vogler Regard sur la conférence « Towards Trans Joy and Justice »
Belen Blizzard
Mar Ibrahim

 


Reproduction de la revue

L'objectif premier de la revue Droits et libertés est d'alimenter la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Ainsi, la reproduction totale ou partielle de la revue est non seulement permise, mais encouragée, à condition de mentionner la source.


 

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Éditorial – La stigmatisation des immigrant·es, une déshumanisation à combattre

17 décembre, par Revue Droits et libertés
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2025/hiver 2026 Aurélie Lanctôt et Laurence Guénette, respectivement membre du CA et coordonnatrice de la Ligue des (…)

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Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2025/hiver 2026

Aurélie Lanctôt et Laurence Guénette, respectivement membre du CA et coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés Au début du mois d’octobre, on apprenait que le ministre québécois de l’Immigration, Jean-François Roberge, songeait à limiter les prestations d’aide sociale aux demandeur·euses d’asile à une durée de neuf mois, en plus de sabrer l’aide aux familles et aux mineur·es non accompagné·es. Un mémoire présenté au Conseil des ministres détaillait d’autres économies de bouts de chandelle que l’on envisageait de réaliser sur le dos des demandeur·euses d’asile : accès réduit à l’aide juridique, aux titres de transport en commun, aux services de francisation. Des broutilles, en somme, à l’échelle du budget de l’État, mais qui procurent un soutien essentiel aux personnes qui s’installent ici, ce type de mesures contribuant directement à l’exercice de plusieurs de leurs droits et libertés. Le gouvernement Legault menace depuis plus d’un an de réduire progressivement le « panier de services » offert aux demandeur·euses d’asile, sous prétexte que le Québec ferait déjà plus que sa part en matière d’accueil. La stratégie est simple : on annonce des coupes dans les services pour envoyer un message à Ottawa et exiger une répartition soi-disant plus équitable des demandeur·euses d’asile à travers le Canada. De plus, on diminue les seuils d’immigration sur la base de la « capacité d’accueil », un concept flou, purement arbitraire et dépourvu d’assise empirique. Les mesures mises de l’avant par le ministre de l’Immigration repoussent les limites de la mesquinerie, d’autant plus que l’empressement à réduire le soutien offert aux personnes en demande d’asile survient à un moment singulier. En effet, pour les premiers mois de l’année 2025, on constate une baisse générale de leur nombre à l’échelle canadienne (données du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale) et une diminution de 60 % des demandes d’aide sociale déposées par ces personnes. Qu’à cela ne tienne, on suggère de couper à la fois dans les mesures de soutien de première ligne et dans l’aide de dernier recours – ce qui représente un montant dérisoire pour l’État. Ces propositions, avant tout idéologiques, s’inscrivent en droite ligne avec la prolifération des discours anti-immigration, qui se sont intensifiés de manière frappante tout au long du dernier cycle électoral. Depuis 2022, les personnes immigrantes et demandeuses d’asile ont été blâmées sans relâche pour tous les maux de la société québécoise par le gouvernement Legault. L’idée que le Québec serait « trop généreux » envers elles a le dos large. On enfonce le clou à chaque occasion. On les a blâmées pour le manque de places en garderie, pour le « poids » qu’iels exercent sur l’ensemble des services publics, pour la pénurie de logements (en dépit de données démontrant que le manque de logements abordables est avant tout le résultat de décennies de politiques sur le logement indifférentes à la condition des ménages locataires), pour le recul du français, pour la hausse des signalements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). On a poussé la note jusqu’à les pointer du doigt pour leur contribution aux accidents de la route! En somme, on a dépeint ces personnes comme représentant une menace tant pour la prospérité et le bien-être de la population que pour les « valeurs québécoises », en particulier l’égalité et la laïcité. Il suffit d’un peu de recul historique pour constater que la stratégie n’est pas neuve. L’idée que les personnes immigrantes constituent une menace pour la paix et l’ordre social, pour les valeurs ou pour l’économie traverse l’histoire des politiques migratoires au Canada. Des immigrant·es « voleurs de jobs » d’hier aux familles immigrantes d’aujourd’hui qui « surchargent les services publics » et s’accaparent des logements, la continuité d’une même idéologie – marquée par le racisme et le sentiment de supériorité des sociétés occidentales – est claire. Or, ces discours sont d’une dangerosité extrême, parce qu’ils alimentent le racisme systémique – l’islamophobie en particulier – et banalisent ses manifestations, des plus frontales aux plus subtiles. Plus largement, ces discours accélèrent les reculs sur le plan des droits : on s’attaque d’abord aux plus vulnérables, puis on élargit – en invoquant la nécessité de défendre le « Nous » face à une menace extérieure (largement fantasmée et fabriquée). Les entorses aux droits des individus prennent alors des airs de vertu. À ce sujet, le tout récent projet de loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec (Projet de loi 1) est un cas d’école. Élaboré en l’absence de toute démarche démocratique, ce projet mal nommé prétend renforcer l’autonomie du Québec et affirmer les droits collectifs de la nation québécoise. Dans les faits, il a pour effet principal d’ébranler l’édifice des droits et libertés au Québec. Dans sa mouture actuelle, il subordonne les droits fondamentaux protégés par la Charte québécoise au principe de « souveraineté parlementaire » alimentant le détournement idéologique qui consiste à faire croire que les droits des individus sont un obstacle à l'exercice démocratique, alors qu'ils constituent en réalité un rempart contre les dérives autoritaires. En plus de limiter la portée de la Charte québécoise et de la déclasser dans la hiérarchie des lois du Québec, le projet entend confisquer un pouvoir considérable à la société civile, en empêchant une série d’organisations recevant des fonds publics de contester la constitutionnalité des lois portant sur les « caractéristiques fondamentales » du Québec. Ces dernières demeurent abstraites, à définir, selon le bon vouloir du législateur. En soi, c'est inquiétant, mais on devine aussi la teneur de ces « caractéristiques fondamentales » : elles se définissent surtout en opposition à un·e « Autre » dont il faudrait se protéger. En arrière-plan, ce discours est alimenté par une nouvelle vague d’austérité : puisque l'ensemble des ressources et des services se raréfient, peut-on vraiment se permettre de partager ? Là encore, la stratégie n'est pas neuve. Elle détourne l'attention des vraies causes des problèmes qui minent les conditions de vie de la population : le manque de logements abordables, la vie chère, l’érosion dramatique de l’égalité des chances dans l’éducation scolaire publique, le manque d’accès aux soins de santé publics de première ligne, l’insuffisance chronique et délibérée de l’aide de dernier recours… Au chapitre des attaques mesquines lancées contre les personnes immigrantes par la Coalition Avenir Québec (CAQ), plus rien n’étonne. En fait, il s’agit d’une stratégie éculée qui permet au parti de faire un maximum de gains politiques auprès de sa base pour un minimum de coûts, sans égard aux dommages causés. Le gouvernement de la CAQ stigmatise les personnes qui se trouvent souvent en situation de précarité – en nourrissant au passage la xénophobie, le racisme ordinaire et systémique, la discrimination – sans avoir trop à craindre une riposte par les urnes. La montée de la rhétorique anti-immigration, alimentée par le gouvernement actuel, s’inscrit dans un discours plus large qui tend à déshumaniser des personnes vulnérables et marginalisées. On parle des personnes immigrantes comme on parle des personnes en situation d’itinérance, ou de celles qui vivent avec des problèmes de santé mentale : avec un manque de considération pour leur dignité humaine et un mépris pour leurs droits. Or cela concerne chacun·e d’entre nous, car cette tendance à la déshumanisation est un symptôme de la dégradation des droits et libertés de tous·tes.

L’article Éditorial – La stigmatisation des immigrant·es, une déshumanisation à combattre est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

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Éditorial – La stigmatisation des immigrant·es, une déshumanisation à combattre

17 décembre, par Revue Droits et libertés
Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2025/hiver 2026 Aurélie Lanctôt et Laurence Guénette, respectivement membre du CA et coordonnatrice de la Ligue des (…)

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Retour à la table des matières Droits et libertés, automne 2025/hiver 2026

Aurélie Lanctôt et Laurence Guénette, respectivement membre du CA et coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés Au début du mois d’octobre, on apprenait que le ministre québécois de l’Immigration, Jean-François Roberge, songeait à limiter les prestations d’aide sociale aux demandeur·euses d’asile à une durée de neuf mois, en plus de sabrer l’aide aux familles et aux mineur·es non accompagné·es. Un mémoire présenté au Conseil des ministres détaillait d’autres économies de bouts de chandelle que l’on envisageait de réaliser sur le dos des demandeur·euses d’asile : accès réduit à l’aide juridique, aux titres de transport en commun, aux services de francisation. Des broutilles, en somme, à l’échelle du budget de l’État, mais qui procurent un soutien essentiel aux personnes qui s’installent ici, ce type de mesures contribuant directement à l’exercice de plusieurs de leurs droits et libertés. Le gouvernement Legault menace depuis plus d’un an de réduire progressivement le « panier de services » offert aux demandeur·euses d’asile, sous prétexte que le Québec ferait déjà plus que sa part en matière d’accueil. La stratégie est simple : on annonce des coupes dans les services pour envoyer un message à Ottawa et exiger une répartition soi-disant plus équitable des demandeur·euses d’asile à travers le Canada. De plus, on diminue les seuils d’immigration sur la base de la « capacité d’accueil », un concept flou, purement arbitraire et dépourvu d’assise empirique. Les mesures mises de l’avant par le ministre de l’Immigration repoussent les limites de la mesquinerie, d’autant plus que l’empressement à réduire le soutien offert aux personnes en demande d’asile survient à un moment singulier. En effet, pour les premiers mois de l’année 2025, on constate une baisse générale de leur nombre à l’échelle canadienne (données du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale) et une diminution de 60 % des demandes d’aide sociale déposées par ces personnes. Qu’à cela ne tienne, on suggère de couper à la fois dans les mesures de soutien de première ligne et dans l’aide de dernier recours – ce qui représente un montant dérisoire pour l’État. Ces propositions, avant tout idéologiques, s’inscrivent en droite ligne avec la prolifération des discours anti-immigration, qui se sont intensifiés de manière frappante tout au long du dernier cycle électoral. Depuis 2022, les personnes immigrantes et demandeuses d’asile ont été blâmées sans relâche pour tous les maux de la société québécoise par le gouvernement Legault. L’idée que le Québec serait « trop généreux » envers elles a le dos large. On enfonce le clou à chaque occasion. On les a blâmées pour le manque de places en garderie, pour le « poids » qu’iels exercent sur l’ensemble des services publics, pour la pénurie de logements (en dépit de données démontrant que le manque de logements abordables est avant tout le résultat de décennies de politiques sur le logement indifférentes à la condition des ménages locataires), pour le recul du français, pour la hausse des signalements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). On a poussé la note jusqu’à les pointer du doigt pour leur contribution aux accidents de la route! En somme, on a dépeint ces personnes comme représentant une menace tant pour la prospérité et le bien-être de la population que pour les « valeurs québécoises », en particulier l’égalité et la laïcité. Il suffit d’un peu de recul historique pour constater que la stratégie n’est pas neuve. L’idée que les personnes immigrantes constituent une menace pour la paix et l’ordre social, pour les valeurs ou pour l’économie traverse l’histoire des politiques migratoires au Canada. Des immigrant·es « voleurs de jobs » d’hier aux familles immigrantes d’aujourd’hui qui « surchargent les services publics » et s’accaparent des logements, la continuité d’une même idéologie – marquée par le racisme et le sentiment de supériorité des sociétés occidentales – est claire. Or, ces discours sont d’une dangerosité extrême, parce qu’ils alimentent le racisme systémique – l’islamophobie en particulier – et banalisent ses manifestations, des plus frontales aux plus subtiles. Plus largement, ces discours accélèrent les reculs sur le plan des droits : on s’attaque d’abord aux plus vulnérables, puis on élargit – en invoquant la nécessité de défendre le « Nous » face à une menace extérieure (largement fantasmée et fabriquée). Les entorses aux droits des individus prennent alors des airs de vertu. À ce sujet, le tout récent projet de loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec (Projet de loi 1) est un cas d’école. Élaboré en l’absence de toute démarche démocratique, ce projet mal nommé prétend renforcer l’autonomie du Québec et affirmer les droits collectifs de la nation québécoise. Dans les faits, il a pour effet principal d’ébranler l’édifice des droits et libertés au Québec. Dans sa mouture actuelle, il subordonne les droits fondamentaux protégés par la Charte québécoise au principe de « souveraineté parlementaire » alimentant le détournement idéologique qui consiste à faire croire que les droits des individus sont un obstacle à l'exercice démocratique, alors qu'ils constituent en réalité un rempart contre les dérives autoritaires. En plus de limiter la portée de la Charte québécoise et de la déclasser dans la hiérarchie des lois du Québec, le projet entend confisquer un pouvoir considérable à la société civile, en empêchant une série d’organisations recevant des fonds publics de contester la constitutionnalité des lois portant sur les « caractéristiques fondamentales » du Québec. Ces dernières demeurent abstraites, à définir, selon le bon vouloir du législateur. En soi, c'est inquiétant, mais on devine aussi la teneur de ces « caractéristiques fondamentales » : elles se définissent surtout en opposition à un·e « Autre » dont il faudrait se protéger. En arrière-plan, ce discours est alimenté par une nouvelle vague d’austérité : puisque l'ensemble des ressources et des services se raréfient, peut-on vraiment se permettre de partager ? Là encore, la stratégie n'est pas neuve. Elle détourne l'attention des vraies causes des problèmes qui minent les conditions de vie de la population : le manque de logements abordables, la vie chère, l’érosion dramatique de l’égalité des chances dans l’éducation scolaire publique, le manque d’accès aux soins de santé publics de première ligne, l’insuffisance chronique et délibérée de l’aide de dernier recours… Au chapitre des attaques mesquines lancées contre les personnes immigrantes par la Coalition Avenir Québec (CAQ), plus rien n’étonne. En fait, il s’agit d’une stratégie éculée qui permet au parti de faire un maximum de gains politiques auprès de sa base pour un minimum de coûts, sans égard aux dommages causés. Le gouvernement de la CAQ stigmatise les personnes qui se trouvent souvent en situation de précarité – en nourrissant au passage la xénophobie, le racisme ordinaire et systémique, la discrimination – sans avoir trop à craindre une riposte par les urnes. La montée de la rhétorique anti-immigration, alimentée par le gouvernement actuel, s’inscrit dans un discours plus large qui tend à déshumaniser des personnes vulnérables et marginalisées. On parle des personnes immigrantes comme on parle des personnes en situation d’itinérance, ou de celles qui vivent avec des problèmes de santé mentale : avec un manque de considération pour leur dignité humaine et un mépris pour leurs droits. Or cela concerne chacun·e d’entre nous, car cette tendance à la déshumanisation est un symptôme de la dégradation des droits et libertés de tous·tes.

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Québec solidaire peut devenir l’alternative politique face aux attaques du gouvernement Legault contre la majorité populaire

16 décembre, par Bernard Rioux — ,
Les attaques du gouvernement Legault contre la majorité populaire ne sont ni isolées ni conjoncturelles. Elles s'inscrivent dans un réalignement politique plus large, structuré (…)

Les attaques du gouvernement Legault contre la majorité populaire ne sont ni isolées ni conjoncturelles. Elles s'inscrivent dans un réalignement politique plus large, structuré par le durcissement autoritaire et impérial de la politique américaine sous Trump et par la vassalisation croissante du Canada à cette orientation.

1. Le cours prédateur et la volonté hégémonique de l'actuelle administration américaine

La nouvelle stratégie de sécurité nationale des États-Unis, fondée sur la militarisation accrue, la domination économique, le contrôle autoritaire des frontières et la défense agressive des intérêts extractifs, exerce une pression directe sur les gouvernements canadien et québécois. Ceux-ci répercutent cette orientation par un virage combinant déréglementation environnementale, répression migratoire, alignement militaire et subordination aux vœux de l'administration américaine.

La nouvelle stratégie du gouvernement américain vise : a) à « recruter, former, équiper et déployer l'armée la plus puissante, la plus redoutable et technologiquement la plus avancée » ; b) à obtenir « la dissuasion nucléaire la plus robuste, la plus crédible et la plus moderne au monde » ; c) à assurer « un contrôle total des frontières et du système d'immigration » ; d) à « veiller à ce que les économies alliées ne soient pas subordonnées à une puissance concurrente » ; e) à assurer la prospérité de la nation, ce « qui ne peut être réalisé sans un nombre croissant de familles traditionnelles et unies, qui contribuent à la naissance d'enfants en bonne santé ». [1]

2. Les conséquences sur le Québec du processus d'inféodation du Canada aux États-Unis

Au Canada, le gouvernement Carney accompagne le nouveau cours du gouvernement américain. Il a, dans un premier temps, répondu aux demandes du président Trump de durcir le contrôle des frontières et de restreindre les possibilités d'immigration sur le territoire canadien. Il a aboli la taxe carbone pour les consommateurs. Il a abandonné le plafond sur les émissions du secteur pétrolier et gazier. Il a adopté un projet de pipeline vers la côte Pacifique, torpillant les objectifs nationaux de réduction de 40 à 45 % des émissions d'ici 2030. Il a supprimé le quota minimal de véhicules électriques imposé aux constructeurs. Il a adopté le projet de loi C-5, qui permet de soustraire tout projet « d'intérêt national » aux normes environnementales. Il a planifié une augmentation massive des dépenses militaires et l'alignement de sa politique commerciale et diplomatique sur Washington, notamment dans la rivalité avec la Chine. Il a entrepris de réduire le nombre de fonctionnaires fédéraux. Ce choix transfère les coûts sociaux et écologiques vers les classes populaires, les femmes, les communautés autochtones et les territoires, tout en consolidant le pouvoir des secteurs extractifs et financiers.

3. Le gouvernement de la CAQ s'inscrit dans une orientation économique et politique marquée par le mépris des droits démocratiques et des conditions d'existence de la majorité populaire

Le gouvernement de la CAQ mène une offensive systématique contre la démocratie et les conditions de vie de la majorité populaire. Son projet de loi no 1 sur la Constitution du Québec, qu'il veut faire adopter, constitue une attaque frontale contre l'État de droit : imposé de manière unilatérale et antidémocratique, il piétine les libertés fondamentales, affaiblit les contre-pouvoirs et perpétue une logique coloniale en escamotant la reconnaissance du droit à l'autodétermination des peuples autochtones. Pendant que la population fait face à une profonde détérioration des services publics, à la crise du logement, à la hausse du coût de la vie et au creusement des inégalités sociales, le gouvernement choisit délibérément de s'en prendre aux droits plutôt que de répondre aux besoins urgents.

Cette orientation autoritaire s'accompagne d'un sabotage conscient de la transition écologique. En niant l'urgence climatique, en démantelant les protections environnementales, en contournant les garde-fous et en se proposant d'abaisser les cibles de réduction des GES, la CAQ sacrifie l'avenir collectif aux intérêts du capital. Les fonds destinés à la lutte contre les changements climatiques sont détournés pour réduire la dette, pendant que la privatisation de l'énergie est encouragée et que le gouvernement a proposé l'accaparement des territoires forestiers par les grandes entreprises, au mépris des droits autochtones. Ces derniers sont parvenus à faire reculer le gouvernement sur ce point.

Fidèle à son rôle de gouvernement au service de la classe dominante, la CAQ distribue des milliards aux multinationales et aux grands groupes industriels sans garanties ni retombées sociales ou créations d'emplois, tout en prétendant manquer de ressources pour les hôpitaux, les écoles, le logement social et la francisation. Cette logique de classe s'étend désormais à la militarisation de l'économie : en voulant faire du Québec un acteur majeur de l'industrie militaire, le gouvernement Legault veut détourner des ressources vitales de la justice sociale et de la transition écologique pour les consacrer à la production d'armes et à l'escalade militaire.

Dans le même temps, la CAQ criminalise les mouvements sociaux, attaque le droit de grève, cherche à réduire l'action syndicale à une simple gestion technocratique des conventions collectives et restreint l'accès à l'immigration et aux programmes d'intégration.

Incapable d'assumer la responsabilité de ses politiques néolibérales, d'austérité et de privatisation, le gouvernement désigne les personnes immigrantes comme boucs émissaires des crises du logement, de la santé et de l'itinérance. Sous couvert de « protection du français » et de « laïcité », il attise les divisions, normalise la discrimination — en particulier envers les personnes racisées, arabes et musulmanes — et tente de reconstruire sa base électorale sur la peur et le repli identitaire. Cette stratégie vise à masquer une réalité fondamentale : ce ne sont ni l'immigration ni la diversité qui détruisent le Québec, mais bien un projet politique autoritaire, néolibéral et antisocial qu'il est urgent de combattre collectivement.

4. La nécessaire construction d'un front commun de résistance… et la discussion sur les stratégies pour bloquer l'offensive caquiste

a) Participer à la construction d'un front uni contre les attaques du gouvernement Legault
Face à cette convergence des droites — fédérale, provinciale, économique et idéologique — aucune lutte sectorielle isolée ne peut suffire. La riposte doit prendre la forme d'un front uni des mouvements sociaux, rassemblant syndicats, groupes communautaires, mouvements féministes, écologistes, autochtones, étudiant·es et organisations de défense des droits. Ce front ne peut se limiter à une coordination ponctuelle : il doit se structurer autour d'un diagnostic commun, d'un programme de rupture et d'une stratégie visant à construire un rapport de forces capable de bloquer politiquement et socialement l'offensive en cours.

Dans ce contexte, la « grève sociale contre les politiques du gouvernement Legault » apparaît comme un outil central. La grève sociale ne doit pas être conçue comme un simple arrêt de travail, mais comme une mobilisation collective élargie qui articule le travail salarié, le travail du care, les services communautaires, les groupes féministes, les artisan·es de la culture, les minorités immigrantes et les peuples autochtones. Une grève sociale commune permet de rendre visible ce que l'État et le capital invisibilisent : sans le travail des travailleuses et travailleurs, sans les femmes, sans les communautés et sans les services publics, ni l'économie ni la société ne peuvent fonctionner. Elle permet aussi d'inscrire la lutte sur le terrain politique et démocratique.

Cette grève sociale doit porter des exigences claires : arrêt de la déréglementation environnementale, réinvestissement massif dans une transition écologique juste, défense des droits sociaux et du logement, refus de la militarisation de l'économie, respect de l'autonomie des communautés et reconnaissance des droits des peuples autochtones. Elle doit également affirmer que la crise climatique et sociale est incompatible avec le modèle extractiviste et néolibéral actuellement imposé.

Dans cette perspective, Québec solidaire a une responsabilité politique particulière. Parce qu'il est issu des mouvements sociaux, parce qu'il articule lutte contre les changements climatiques, justice sociale et démocratie, et parce qu'il refuse l'alignement sur les droites économiques et sécuritaires, Québec solidaire peut et doit se définir comme le défenseur, sur le terrain politique, de ce front uni. Non pas pour se substituer aux mouvements, mais pour amplifier leurs revendications, leur offrir une traduction institutionnelle et préparer une alternative électorale crédible face à la CAQ, au Parti libéral, au Parti québécois et à l'ensemble des forces de droite.

Cette orientation stratégique souligne que Québec solidaire ne saurait négliger l'impact de son insertion dans les mobilisations sociales pour la construction de sa crédibilité politique. Préparer les prochaines élections ne peut donc se faire indépendamment de la mobilisation sociale. Québec solidaire doit chercher à enraciner son projet de société en devenant un parti au cœur des luttes, pour participer à la construction de la grève sociale et de l'unité populaire contre les projets de la classe dominante et des gouvernements à son service.

b) Québec solidaire doit se poser comme le débouché politique incontournable de ce front uni

Si les luttes sur la scène extraparlementaire sont essentielles pour faire reculer le gouvernement Legault et les autres partis liés à la bourgeoisie, il n'en demeure pas moins qu'il faut que le camp populaire pose la question de qui doit diriger cette société s'il veut réellement en finir avec l'offensive actuelle contre ses intérêts.

Relever le défi de défendre activement le projet d'un Québec égalitaire, solidaire, féministe et inclusif ne peut se faire en laissant le pouvoir politique aux mains des partis liés à la classe dominante. S'il faut assumer une défense militante et unitaire contre « les effets dévastateurs de l'austérité caquiste, les politiques antiécologistes et les attaques contre les droits de la majorité populaire », il est tout à fait insuffisant de se contenter « d'interpeller les partis politiques et les candidat·es sur la base des propositions syndicales ou communautaires », vieille stratégie qui a démontré à maintes reprises son inefficacité.

Pour passer à l'offensive, le camp populaire doit se porter candidat au pouvoir politique. Pour parvenir à « sécuriser le revenu tout au long de la vie, à développer l'économie et à créer des emplois de qualité, à consolider les services publics, à lutter contre les changements climatiques et à renforcer la démocratie », c'est l'ordre politique lui-même qui doit être bouleversé.
Si le mouvement syndical québécois et les autres mouvements sociaux veulent assumer leur pleine liberté vis-à-vis des partis politiques liés à la classe capitaliste, nous ne pouvons pas abandonner la lutte pour le pouvoir politique à nos adversaires de classe. Ce serait s'enfermer dans une position défensive qu'il faut à tout prix dépasser pour faire face aux défis posés par l'offensive actuelle de la classe dominante.

Des militantes et militants du mouvement syndical, du mouvement des femmes et des mouvements populaires et étudiants ont lancé Québec solidaire pour défendre un projet de société visant à définir le Québec que nous voulons.

Le mouvement syndical et les mouvements sociaux peuvent, tout en préservant leur autonomie politique et organisationnelle la plus complète, dans le respect de leurs mandats démocratiques, appuyer un parti construit à partir du camp populaire pour en finir avec le pouvoir de la classe dominante et de l'oligarchie politique à son service. Mettre tous les partis politiques dans le même sac, sans discuter de la pertinence d'appuyer un parti au service de la majorité populaire, revient à esquiver des débats essentiels.

Face à l'autoritarisme, à l'extractivisme et à la militarisation, l'enjeu n'est rien de moins que la reconquête démocratique du Québec, la défense des conditions de vie de la population et l'imposition d'un projet écologique et social à la hauteur de la crise historique que nous traversons. Québec solidaire peut et doit être le débouché politique de la résistance aux politiques réactionnaires du gouvernement Legault.

c) Une plate-forme revendicative qui répond aux défis de la majorité populaire

La Commission politique a déterminé les principaux enjeux auxquels devra répondre la plate-forme électorale de Québec solidaire : « coût de la vie et redistribution de la richesse ; logement et habitation ;environnement, transition socioécologique et transports ;santé et services sociaux ;éducation ;indépendance inclusive, féminisme, vivre-ensemble et amour du Québec ; démocratie et droit du travail (lutte contre la dérive autoritaire et défense du syndicalisme) ».
Les débats autour de ces enjeux doivent viser non seulement à définir des revendications précises capables de marquer des ruptures avec les politiques du gouvernement et des partis néolibéraux, mais aussi à établir un ordre de priorité tenant compte du vécu de la majorité et de ses aspirations à améliorer ses conditions d'existence.

La plate-forme électorale devra donc assumer une orientation de lutte, centrée sur la défense des intérêts matériels de la classe ouvrière et des classes populaires, en intégrant explicitement la lutte contre la pauvreté — particulièrement celle des femmes —, la défense des services publics et la lutte contre les discriminations racistes et xénophobes. Cette plate-forme doit renforcer l'unité populaire en s'opposant aux tentatives de division fondées sur le sexisme, le racisme ou le nationalisme conservateur. Les revendications doivent jouer un double rôle : améliorer immédiatement les conditions de vie et ouvrir une dynamique de confrontation avec la classe dominante.

En adoptant la décroissance comme stratégie pour réaliser la transition, la plate-forme ciblera les secteurs économiques les plus polluants et impliquera démocratiquement les populations concernées. De plus, la décentralisation des pouvoirs de l'État vers les régions et les collectivités locales (villes, villages, arrondissements municipaux) leur donnera un véritable pouvoir décisionnel sur les aspects essentiels de la vie quotidienne.

Enfin, la défense des droits démocratiques du mouvement syndical et des organisations de la société civile impliquera d'exiger l'abrogation des lois antidémocratiques et divisives adoptées par le gouvernement de la CAQ au cours de la dernière année, et surtout le retrait du projet de loi no 1 sur la Constitution du Québec, qui vise à limiter les libertés démocratiques et à contourner une véritable démarche de souveraineté populaire.

d) Comment rallier la majorité populaire au projet d'indépendance mis de l'avant ?

Face au carcan que constitue l'État canadien pour la majorité populaire, il n'existe pas de demi-mesures. L'indépendance ne peut se réduire à une dimension identitaire ou culturelle : elle est la condition matérielle d'une rupture réelle avec un État canadien qui sacrifie le territoire, l'environnement, les services publics, les droits démocratiques et les conditions de vie des classes populaires. Sans indépendance, le Québec restera prisonnier d'un régime qui protège les profits des pétrolières, impose des politiques anti-immigration racistes, intensifie la surveillance militarisée et bloque toute transition écologique digne de ce nom.

L'indépendance proposée par PSPP n'est pas une véritable indépendance : le Québec demeurerait assujetti aux politiques de l'empire américain. « Un Québec indépendant devra aligner ses politiques économiques et militaires sur celles des États-Unis, malgré la guerre tarifaire menée par Donald Trump », affirme Paul St-Pierre Plamondon. « Il y a un contexte géopolitique et nos intérêts, au Québec, sont alignés sur ceux des États-Unis », a-t-il déclaré en dévoilant les premiers éléments de son Livre bleu sur un Québec souverain.

Cette vision de l'indépendance implique le refus de remettre en question la société néolibérale, la politique militariste imposée par Washington et le déni de la réalité des changements climatiques. Si le projet d'indépendance accepte l'alignement des politiques économiques et militaires d'un Québec souverain sur celles des États-Unis (adhésion à l'OTAN et au NORAD), il s'agit d'une indépendance néocoloniale, où la souveraineté du peuple est sacrifiée sur l'autel de l'impérialisme américain. L'indépendance du Québec devra être anti-impérialiste, ou elle ne sera pas.

Ce projet du PQ ne permettra pas de rallier une majorité de la population, car il défend un nationalisme identitaire qui divise le Québec entre un « nous » canadien-français et un « eux » étranger. Seule la perspective d'un Québec inclusif, plurinational et intégrant pleinement les Premières Nations dans la démarche indépendantiste peut jeter les bases de la construction d'une majorité pour l'indépendance. Définir l'indépendance comme un avenir indéterminé, comme le propose le PQ, prive la mobilisation indépendantiste d'un ressort essentiel : celui d'un projet de société écologiste, féministe, redistributif et véritablement égalitaire, promettant une amélioration réelle des conditions d'existence et un avenir meilleur pour la majorité populaire. Il ne s'agit pas de poser des conditions à l'indépendance, mais d'identifier les ressorts qui en font une force propulsive.

Des débats importants sont devant nous. Ils ne doivent pas se limiter aux discussions sur le contenu de la plate-forme, aussi importantes soient-elles. Ils doivent aussi porter sur les chemins que devra emprunter la résistance populaire pour bloquer les attaques contre les droits et les conditions d'existence de la majorité, faire face aux politiques de division du camp populaire et identifier les conditions de la construction d'une majorité pour l'indépendance du Québec.

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À propos du livre : Le fascisme tranquille, affronter la nouvelle vague autoritaire

16 décembre, par Jonathan Durand Folco, Pierre Dubuc — , ,
Nous publions ci-dessous un intéressant échange entre Pierre Dubuc, rédacteur de l'Aut'journal et Jonathan Durand Folco à propos du livre de ce dernier, Fascisme tranquille, (…)

Nous publions ci-dessous un intéressant échange entre Pierre Dubuc, rédacteur de l'Aut'journal et Jonathan Durand Folco à propos du livre de ce dernier, Fascisme tranquille, affronter la nouvelle vague autoritaire, livre publié aux éditions Écosociété.

À propos du livre Le Fascisme Tranquille, Pierre Dubuc

2025/11/11 | https://www.lautjournal.info/20251111/le-fascisme-tranquille
L'Autjournal

En 1977, le cinéaste Chris Maker produisait « Le fond de l'air est rouge », un film sur l'émergence d'une nouvelle gauche. Aujourd'hui, la gouvernance de Donald Trump et la montée des partis d'extrême droite inciteraient plutôt à dire que « le fond de l'air est brun ». Aussi, il faut saluer le fait que de plus en plus de livres traitent de la question du fascisme, dont celui de Jonathan Durand Folco, Fascisme tranquille. Affronter la nouvelle vague autoritaire (écosociété, 2025).

Folco soutient « l'étrange hypothèse du fascisme tranquille », qui caractériserait la société québécoise. Le Québec serait rendu à la phase 2 du « niveau émotionnel et idéologique » de « la radicalisation du complexe autoritaire », une typologie qu'il emprunte au politologue américain Robert O. Paxton. Le Québec aurait quitté la phase 1 (Le nationalisme conservateur), et le processus de radicalisation l'entraînerait vers la phase 3 (Régime autoritaire) et la phase 4 (Terreur fasciste).

L'auteur accorde beaucoup d'importance à l'aspect psychologique de la fascisation (77 pages) et énumère différents classements (les 14 signes du fascisme ; les 15 définitions de l'extrême droite ; les 6 racines de l'extrême droite ; les 4 émotions du populisme) avant de se rabattre sur la classification de Paxton.

Le Québec, seul au banc des accusés

La partie la plus intéressante du livre est celle consacrée au technofascisme aux États-Unis. Folco présente une brillante synthèse du passage des géants du web d'une idéologie libertarienne « progressiste » à une alliance avec les représentants des secteurs industriels les plus à droite dans le cadre du trumpisme (63 pages).

Mais le cœur de son livre est consacré au Québec (87 pages). Au départ, soulignons l'absence totale de chapitre sur le Canada. À peine quelques mentions dans cet ouvrage de 415 pages ! Les intellectuels anglophones nous ont habitués à des livres sur le Canada sans mention du Québec, voici un livre sur le fascisme au Canada avec seulement deux petites mentions du Convoi de la « liberté », qui a occupé Ottawa pendant la pandémie, et le nom de Pierre Poilièvre, l'émule de Trump, qui n'apparaît que trois fois ! Faut le faire !

Le Québec est seul au banc des accusés de fascisme – bien que « tranquille » – alors qu'il a bloqué, lors des dernières élections fédérales, l'arrivée de Poilièvre au pouvoir. Le Parti conservateur n'a recueilli que 23,5% des suffrages au Québec contre 44,3% en Ontario et 64,8% en Alberta. À Québec, le gouvernement Legault est certes conservateur, mais il a été élu avec une minorité de votes (40,9%) et ne recueille aujourd'hui que 16% des intentions de vote.

Le gouvernement Carney n'est mentionné que 11 fois, alors que c'est lui qui contrôle les « vrais » pouvoirs, les pouvoirs régaliens (la sécurité, la politique étrangère, la diplomatie, la défense, l'armée, la monnaie, etc.), ces pouvoirs les plus susceptibles de conduire le Canada vers les stades 3 et 4 de la grille de Paxton. Folco n'y porte aucune attention, même si le gouvernement Carney est en train de transformer l'économie du pays en économie de guerre.

L'obsession Bock-Côté

Pour Folco, le danger du fascisme vient du Québec et il cible plus particulièrement Mathieu Bock-Côté (198 occurrences), auquel il consacre un chapitre complet (33 pages). Avec raison, il présente MBC comme le chef de file de la nébuleuse conservatrice québécoise. Il décrit son cheminement politique du conservatisme de jeunesse au « populisme de droite décomplexé », lui faisant jouer le rôle d'un « pont » entre la droite et l'extrême droite, particulièrement en France.

En fait, la « pensée » de MBC n'a pas évolué. Dès 2001, il citait Charles Maurras de l'Action française dans une publication du Forum Jeunesse du Bloc Québécois, s'attirant les foudres du parti. Il a alors compris, comme il l'écrit dans Le Nouveau régime (Boréal, 2017), que, plutôt qu'une « opposition frontale », il valait mieux une « contestation dans les limites du système, en se permettant d'en repousser chaque fois les marges ». MBC a toujours campé du même côté du « pont ». Lors de l'élection présidentielle française de 2022, il a appuyé Éric Zemmour – le plus à droite sur le spectre de l'extrême droite française – dont il est toujours un des proches.

Bien sûr, il faut combattre les idées de MBC et de son entourage – et nous le faisons à L'aut'journal – mais il ne pas laisser croire que l'ensemble du Québec est sous sa coupe.

La nation

Notre divergence principale avec Folco concerne le concept de nation. Au « nationalisme ethnique », il oppose le « nationalisme civique », en faisant référence au débat, qui a lieu après la déclaration malheureuse de Parizeau. Dans ce débat, nous avons démontré dans un texte paru dans le livre Les grands textes indépendantistes (tome 2, Hexagone 2004) et dans un dossier intitulé « Sans nous qui est québécois » publié de la revue L'Apostrophe de L'aut'journal, que ce « nationalisme civique » était le cheval de Troie de la mondialisation.

Il était basé sur les Chartes des droits individuels, réduisant la nation à une simple agrégation d'individus, la coupant de ses racines historiques, de sa langue, de sa culture, de son économie spécifique, pour l'engager dans la libéralisation des échanges sans mesures de protection. André Boisclair, promoteur de ce concept dans les années post-référendaires, et que Folco salue positivement, était un néolibéral dont la source d'inspiration était Tony Blair.

Dans la présentation des objectifs politiques de Folco, le cadre national est totalement absent. Il propose, au plan économique, une société post-capitaliste fondée sur des coopératives autogérées, des systèmes d'échange non monétaires, des communautés de soin et d'entraide, des réseaux de production et de distribution autogérées, le tout dans un système politique postnational basé sur la décentralisation politique. Ce n'est là qu'une reprise du discours anarchiste classique, véhiculé par les tenants de l'altermondialisme, qui n'était que l'envers par effet miroir du néolibéralisme, avec comme caractéristique commune l'oblitération de la nation.

Les termes « classe ouvrière » et « peuple » rebutent Folco. Il propose plutôt comme sujet politique « la multitude » (un concept plus inclusif, à ses yeux) pour affronter « l'oligarchie », un terme plus « accessible » à la grande masse de la population que « capitalisme ». Ce n'est là qu'une réactualisation de la lutte contre le 1% d'Occupy.

Notre position

Pour notre part, nous croyons que le cadre national est le plus approprié pour mener la lutte contre l'extrême droite et le fascisme. Nous nous réclamons, au-delà du nationalisme ethnique ou civique, de la tradition du « nationalisme révolutionnaire » québécois, qui inclut toutes celles et ceux qui veulent participer à notre lutte de libération nationale. Nous développons cette orientation, et notre critique de thèses proches de celles de Folco, dans le carnet Cap sur l'indépendance, que nous venons de publier. Nous y soutenons que la menace de guerre sera l'enjeu principal des prochaines années et que le meilleur moyen de s'y opposer est d'affaiblir le tandem Trump-Carney en visant comme objectif l'indépendance du Québec.

Ceci étant dit, malgré nos divergences, nous sommes prêts à collaborer avec Jonathan Durand Folco et avec tous ceux qui partagent ses vues. Dans cette perspective, nous accueillons avec plaisir sa proposition d'une « gauche transversale » et trouvons fort pertinente sa critique du sectarisme de la gauche intersectionnelle. Nous devons nous unir pour faire barrage à l'extrême droite et au fascisme.

La réponse de Jonathan Durand Folco

3 décembre 2025 | Dernier texte sur Métapolitiques : Critique du fascisme tranquille
https://www.facebook.com/jonathan.durand.folco/posts/dernier-texte-sur-m%C3%A9tapolitiques-critique-du-fascisme-tranquilleje-suis-ravi-pie/26492608413672746/

Je suis ravi : Pierre Dubuc, syndicaliste et rédacteur en chef de L'Aut'Journal, a récemment publié une recension critique de mon ouvrage Fascisme tranquille. Il est en désaccord avec plusieurs de mes analyses, mais il semble saluer mon travail et manifester des points de convergence.

Cela contraste avec la plupart des réactions vis-à-vis mon livre que j'ai reçues jusqu'à maintenant, lesquelles sont souvent tranchées. D'un côté, beaucoup de gens issus de la nébuleuse conservatrice, identitaire et/ou anti-woke s'en donnent à cœur joie en dénigrant le livre simplement en raison du titre, de telle image, citation ou de ma simple présence, me qualifiant de gauchiste extrémiste ou d'autres anathèmes, et ce sans avoir lu une ligne du livre. D'un autre côté, je reçois aussi beaucoup d'éloges du camp progressiste, libéral, socialiste ou antifasciste, qui saluent mon courage, la qualité de mon ouvrage, mes prises de parole sur les médias sociaux, mais sans avoir lu le livre…

J'ai également reçu des échos très positifs de personnes sérieuses ayant lu une bonne partie ou la totalité de l'ouvrage. C'est très flatteur, et je suis heureux de voir que mes réflexions résonnent chez plusieurs personnes qui partagent le même horizon politique que moi.

Cela dit, ça me semble essentiel de recevoir des commentaires critiques sur les angles morts de mon livre, que ce soit par des gens de mon propre camp ou mes adversaires, afin de pousser la réflexion plus loin, apporter des nuances, et rectifier le tir au besoin. Dans sa recension, Dubuc salue l'importance de mon livre, tout en exprimant des critiques qui visent parfois juste. Par exemple, il écrit :
"Mais le cœur de son livre est consacré au Québec (87 pages). Au départ, soulignons l'absence totale de chapitre sur le Canada. À peine quelques mentions dans cet ouvrage de 415 pages ! Les intellectuels anglophones nous ont habitués à des livres sur le Canada sans mention du Québec, voici un livre sur le fascisme au Canada avec seulement deux petites mentions du Convoi de la « liberté », qui a occupé Ottawa pendant la pandémie, et le nom de Pierre Poilièvre, l'émule de Trump, qui n'apparaît que trois fois ! Faut le faire !"

En effet, mon livre n'aborde pas l'émergence du "fascisme tranquille" au Canada, et il aurait été utile d'ajouter un chapitre à cet effet pour éviter de donner l'impression que ce phénomène se limitait seulement au Québec. Les chefs Pierre Poilièvre et Maxime Bernier jouent un rôle clé en ce sens, et l'analyse du contexte québécois doit être liée à celle plus large du Canada et des États-Unis. Je mentionne certes le virage autoritaire de Carney qui épouse les diktats du trumpisme avec un visage libéral, mais mon analyse reste plutôt sommaire.

Cela dit, Dubuc affirme que le Québec serait "seul au banc des accusés", alors que mon introduction affirme le contraire. En fait, la montée de l'autoritarisme et de l'extrême droite affecte la vaste majorité des sociétés à travers le monde, les pays occidentaux et ceux du Sud global. Je spécifie d'emblée que j'analyse les conditions générales du néofascisme à notre époque, tout en me concentrant sur deux "études de cas" : le Québec et les États-Unis. Je ne pouvais pas aborder le cas français dans mon ouvrage, comme la plupart des pays proches de nous, faute d'espace et d'expertise. J'aurais pu certes parler de l'extrême droite au Canada, mais cela m'apparaissait comme un phénomène connexe face à la montée de la droite identitaire au Québec.

Ensuite, Dubuc me reproche de faire une "obsession" sur la figure de Mathieu Bock-Côté. Je dédie en effet un chapitre de mon livre sur son œuvre et sa trajectoire, mais cela représente à peine 33 pages sur 418, soit environ 8% du livre. Je le cite longuement ici :

"Pour Folco, le danger du fascisme vient du Québec et il cible plus particulièrement Mathieu Bock-Côté (198 occurrences), auquel il consacre un chapitre complet (33 pages). Avec raison, il présente MBC comme le chef de file de la nébuleuse conservatrice québécoise. Il décrit son cheminement politique du conservatisme de jeunesse au « populisme de droite décomplexé », lui faisant jouer le rôle d'un « pont » entre la droite et l'extrême droite, particulièrement en France. En fait, la « pensée » de MBC n'a pas évolué. Dès 2001, il citait Charles Maurras de l'Action française dans une publication du Forum Jeunesse du Bloc Québécois, s'attirant les foudres du parti. Il a alors compris, comme il l'écrit dans Le Nouveau régime (Boréal, 2017), que, plutôt qu'une « opposition frontale », il valait mieux une « contestation dans les limites du système, en se permettant d'en repousser chaque fois les marges ». MBC a toujours campé du même côté du « pont ». Lors de l'élection présidentielle française de 2022, il a appuyé Éric Zemmour – le plus à droite sur le spectre de l'extrême droite française – dont il est toujours un des proches. Bien sûr, il faut combattre les idées de MBC et de son entourage – et nous le faisons à L'aut'journal – mais il ne pas laisser croire que l'ensemble du Québec est sous sa coupe.

Je partage ici l'analyse de Dubuc, et je mentionne à la page 202 que MBC défendait déjà en 1998 "la nécessité d'une alliance entre la droite conservatrice et l'extrême droite en France, « la collaboration avec le Front national permettrait de réintégrer dans le giron républicain 15 % de l'électorat de l'Hexagone »."

Mais je souligne aussitôt dans mon livre : "Selon cette grille de lecture, Bock-Côté plaiderait depuis ses débuts pour une « union de toutes les droites », en faisant sauter le cordon sanitaire entre le conservatisme et l'extrême droite. Le ver était déjà dans la pomme, en quelque sorte. Cela dit, à la suite de cette prise de position controversée, Mathieu Bock-Côté fut marginalisé au sein des cercles souverainistes, et il dut prendre un détour pour réhabiliter progressivement un nationalisme conservateur qui allait à contre-courant de la doxa de l'époque. Autrement dit, la thèse selon laquelle Bock-Côté flirtait avec l'extrême droite française au départ n'est pas incompatible avec l'idée d'une radicalisation progressive de sa philosophie et de ses écrits, qui deviennent de plus en plus décomplexés avec le temps."

Enfin, voici un dernier point de divergence avec Pierre Dubuc qui me reproche de délaisser le cadre national au profit d'une vision altermondialiste. Il est vrai que mon livre n'adopte pas une posture nationaliste, bien que je considère que les nationalistes de gauche peuvent faire partie d'un front populaire large opposé à l'extrême droite. Mais pour Dubuc, mon projet de société visant une démocratie économique néglige complètement la question nationale. Il écrit :

"Dans la présentation des objectifs politiques de Folco, le cadre national est totalement absent. Il propose, au plan économique, une société post-capitaliste fondée sur des coopératives autogérées, des systèmes d'échange non monétaires, des communautés de soin et d'entraide, des réseaux de production et de distribution autogérées, le tout dans un système politique postnational basé sur la décentralisation politique. Ce n'est là qu'une reprise du discours anarchiste classique, véhiculé par les tenants de l'altermondialisme, qui n'était que l'envers par effet miroir du néolibéralisme, avec comme caractéristique commune l'oblitération de la nation. [...] Les "termes « classe ouvrière » et « peuple » rebutent Folco. Il propose plutôt comme sujet politique « la multitude » (un concept plus inclusif, à ses yeux) pour affronter « l'oligarchie », un terme plus « accessible » à la grande masse de la population que « capitalisme ». Ce n'est là qu'une réactualisation de la lutte contre le 1% d'Occupy."

Il est vrai que les pistes de solution vers la fin de mon livre ne tournent pas autour de la réhabilitation de la nation comme figure centrale de l'émancipation. Cela dit, il est faux d'affirmer que les termes "classe ouvrière" et "peuple" me rebutent. En réalité, je dis qu'il faut essayer de renouveler notre imaginaire politique en dépassant les idées reçues à l'endroit de la classe ouvrière, du peuple et de la nation, sans répudier ces mots pour autant. On peut par exemple réinterpréter la notion de peuple de manière processuelle et dynamique.

Le peuple peut être vu comme une "multitude" se déployant à travers l'histoire, comme lorsqu'on dit "un peuple ce n'est pas des gens tous pareils, mais des gens tous ensemble". Il faut délaisser l'idée d'un peuple ethnique homogène, au profit d'une conception large d'un peuple en mouvement, qui se redéfinit à travers l'histoire, et dont les intérêts s'opposent directement aux élites et à la concentration du pouvoir.

Outre ces divergences sur la question nationale, je salue tout de même l'ouverture de Pierre Dubuc qui souhaite converger en créant un front plus large contre l'extrême droite. Il termine son texte en disant :

"Ceci étant dit, malgré nos divergences, nous sommes prêts à collaborer avec Jonathan Durand Folco et avec tous ceux qui partagent ses vues. Dans cette perspective, nous accueillons avec plaisir sa proposition d'une « gauche transversale » et trouvons fort pertinente sa critique du sectarisme de la gauche intersectionnelle. Nous devons nous unir pour faire barrage à l'extrême droite et au fascisme."
Je critique effectivement certains excès de la "gauche intersectionnelle" et de la "gauche universaliste" dans mon livre, mais dans l'espoir de trouver des voies de passage et des points de convergence face à la droite décomplexée qui domine le paysage politique, idéologique et médiatique actuel. Malgré les divergences et les querelles de chapelles, il est temps d'élargir le front antifasciste au-delà des cercles des personnes convaincues.

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Le côté autoritaire du conservatisme albertain

16 décembre, par Ryan Kelpin — ,
La question de l'avancée de l'extrême droite au Canada a pris un caractère d'urgence après que la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, ait invoqué pour la quatrième (…)

La question de l'avancée de l'extrême droite au Canada a pris un caractère d'urgence après que la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, ait invoqué pour la quatrième fois en seulement cinq semaines la clause dérogatoire (NWC). Cette clause, qui figure à l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés, permet aux gouvernements fédéral ou provinciaux de suspendre temporairement certains droits garantis par la Charte. Elle a été introduite en 1982 dans le cadre d'un compromis politique visant à protéger l'autonomie des provinces, mais elle est depuis devenue un outil permettant aux gouvernements de soustraire des lois controversées à l'examen judiciaire.

https://canadiandimension.com/articles/view/the-authoritarian-edge-of-alberta-conservatism

1er décembre 2025

Au-delà de la simple lutte contre le populisme de droite et la politique réactionnaire, nous devons désormais faire face à l'utilisation de plus en plus autoritaire des outils constitutionnels pour protéger les projets politiques d'extrême droite de la critique et du contrôle des autres branches du gouvernement.

Si de nombreuses analyses institutionnelles et libérales ont été publiées dans les quotidiens et les grands médias concernant l'utilisation répétée de la NWC par Mme Smith, elles ne parviennent généralement pas à appréhender la politique régressive et réactionnaire qui est au cœur de son projet idéologique. Ce n'est pas une coïncidence – ni même une spécificité provinciale – si Mme Smith a utilisé la NWC contre les travailleurs, les travailleuses et les personnes LGBTQ+ ; en dehors du Québec, ces groupes ont été les principales cibles de cette clause.

En octobre, le gouvernement de l'Alberta a utilisé la NWC, combinée à une loi de retour au travail, pour mettre fin à la grève des enseignant·es de l'Alberta, une grève soutenue par un vote de rejet à 90 % en réponse au refus de la province et des commissions scolaires de négocier de bonne foi. La loi sur la rentrée scolaire (Back to School Act) a imposé une convention collective de quatre ans qui limitait les augmentations salariales à 3 % par an et restreignait les nouvelles embauches dans le secteur public, reflétant essentiellement l'offre que les travailleuses et travailleurs avaient déjà rejetée. Il s'agissait d'une attaque délibérée contre un syndicat spécifique, mais cela correspond également à la manière dont la NWC a été utilisée par d'autres gouvernements de droite contre le mouvement syndical dans son ensemble.

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, a utilisé la NWC pour imposer un contrat aux travailleuses et travailleurs de l'éducation du SCFP en grève à l'automne 2022, ne reculant que face à une large alliance syndicale intersectorielle et à une résistance publique généralisée. Smith et Ford ont toustes deux invoqué la nécessité de défendre les étudiant·es contre les syndicats et d'empêcher les dépenses publiques incontrôlées, revendiquant une responsabilité démocratique pour protéger leurs programmes d'austérité contre les juges et les tribunaux « interventionnistes ». Cela s'inscrit parfaitement dans la longue histoire de l'utilisation de la NWC comme arme contre les travailleuses et les travailleurs : en 1986, la Saskatchewan est devenue le premier gouvernement hors Québec à invoquer cette clause, passant outre la décision de la Cour d'appel provinciale selon laquelle la législation de retour au travail violait la liberté d'association des travailleuses et des travailleurs. Ce fut un moment charnière dans la stratégie juridique antisyndicale de l'État néolibéral.

Au-delà de ses positions politiques anti-syndicales et libertaires, Smith participe depuis longtemps aux campagnes culturelles de la droite, allant de la rhétorique sur les « droits des parents » à une politique réactionnaire plus large contre le mouvement woke. Il était presque inévitable qu'elle cherche à apaiser les mouvements sociaux conservateurs et chrétiens d'extrême droite influents de l'Alberta. Pourtant, elle a initialement affirmé qu'elle n'aurait pas besoin de recourir au NWC pour protéger sa législation anti-trans. Comme dans la plupart des gouvernements d'extrême droite, l'autoritarisme est toujours prêt à être déployé dès que cela est politiquement opportun.

Les trois projets de loi qu'elle a choisi de soumettre au NWC le mois dernier modifient la loi sur l'éducation, la loi sur l'équité dans le sport et la loi sur les professions de santé. Ensemble, ils constituent un ensemble radical de mesures d'extrême droite visant à afficher une vertu hypocrite et à attaquer directement l'existence même des personnes transgenres en Alberta.

Le premier projet de loi exige que les enfants de moins de 16 ans obtiennent le consentement de leurs parents pour changer leur nom ou leur pronom à l'école, avec une notification obligatoire des parents pour les élèves de plus de 16 ans. Il habilite également le ministère provincial de l'Éducation à interdire effectivement l'enseignement de l'identité de genre et de l'orientation sexuelle, remplace l'éducation sexuelle par un système parental optionnel et exige l'approbation du gouvernement pour tout matériel pédagogique provenant de tiers.

Le deuxième projet de loi reflète la législation anti-transgenres aux États-Unis en interdisant aux athlètes transgenres de participer à des sports amateurs féminins et en introduisant un système officiel de signalement des plaintes dans les écoles et les organisations sportives.

Le troisième projet de loi restreint les soins d'affirmation du genre exclusivement aux personnes transgenres, interdisant à toute personne de moins de 16 ans l'accès aux bloqueurs de puberté, à l'hormonothérapie et à la chirurgie du haut ou du bas du corps.

Ces politiques reflètent non seulement la ferveur anti-transgenres qui balaye la droite nord-américaine, mais aussi l'utilisation stratégique de la NWC pour protéger des mesures manifestement inconstitutionnelles et discriminatoires. Elles s'inscrivent dans une tendance régionale plus large : le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a invoqué cette clause en 2023 pour faire adopter une « charte des droits des parents » similaire qui, loin d'être un simple débat sur les pronoms, obligeait en fait à révéler l'identité transgenre des enfants à leurs parents, les exposant ainsi au risque de discrimination et d'abus. Le refus supplémentaire de soins en Alberta pourrait entraîner une augmentation des taux d'automutilation et de suicide chez les jeunes transgenres. Smith a tenté de justifier ces mesures en comparant les soins d'affirmation du genre à la prescription trop permissive d'opioïdes, affirmant que l'État doit imposer des « garde-fous ».

La rhétorique « Sauvez les enfants » a une longue histoire et reste fondamentale pour le mouvement réactionnaire et peu structuré des droits des parents, dont Smith et Moe sont toustes deux des partisan·es éminent·es.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, s'est également rallié à ce mouvement, affirmant dans la biographie flatteuse d'Andrew Lawton que « les droits des parents priment sur ceux des gouvernements » et que les parents devraient avoir le dernier mot sur « les valeurs [...] enseignées aux enfants ». Ce programme s'inscrit dans le droit fil de la politique anti-État providence et des revendications en faveur de la privatisation de l'école, en lien avec le mouvement historique en faveur des chèques-éducation en Alberta et les dépenses record de Smith pour les écoles à charte – près de 10 milliards de dollars –, qui font de l'Alberta le plus grand réseau d'écoles privées et à charte du Canada.

Les mouvements en faveur des bons scolaires et des droits des parents sont de plus en plus fusionnés, car certains stratèges populistes de droite les considèrent comme deux fronts dans une lutte plus large visant à limiter l'autorité de l'État : soit en réduisant le financement public, soit en le redirigeant vers des institutions choisies par les parents. L'utilisation de la NWC contre la soi-disant « idéologie du genre » est justifiée par un discours populiste dans lequel les gouvernements prétendent défendre le « bon sens » contre « l'idéologie gouvernementale » ou les juges activistes socialement libéraux.

Ces développements s'inscrivent également dans la longue histoire de l'Alberta en matière d'utilisation de la NWC contre les personnes LGBTQ+. Après la décision rendue en 1998 par la Cour suprême dans l'affaire Vriend c. Alberta, les groupes chrétiens de droite ont exigé que la province utilise cette clause pour passer outre les protections anti-discrimination dont bénéficient les personnes LGBTQ+ dans le domaine de l'emploi. Menés par la Family Life Coalition et des politiciens tels que Jason Kenney et Stockwell Day, leurs arguments faisaient écho à la même rhétorique sectaire qui refait surface aujourd'hui. Le premier ministre Ralph Klein s'est opposé à l'invocation de cette clause pour des raisons d'autoprotection politique, mais a ensuite adopté une loi menaçant de l'utiliser si le gouvernement fédéral redéfinissait le mariage pour inclure autre chose qu'un homme et une femme (la Cour suprême a finalement déclaré cette loi inconstitutionnelle).

Pour comprendre l'idéologie de Smith, il faut la replacer dans le contexte d'une longue tradition politique anti-planification centrale et anti-État providence qui caractérise le conservatisme albertain depuis plus de 60 ans.

La montée de la rhétorique populiste de droite pour justifier l'utilisation autoritaire de la NWC s'inscrit dans un projet idéologique plus large, auquel il faut opposer une résistance. L'utilisation abusive de cette clause par Ford a été contrée par une mobilisation massive, qui a réussi à convaincre le public que la NWC est un outil autoritaire donnant carte blanche à des gouvernements antidémocratiques pour agir de manière anticonstitutionnelle. Comme je l'ai fait valoir dans Canadian Dimension en 2022, les victoires juridiques sont importantes, mais elles ne peuvent se substituer à une résistance collective soutenue contre les gouvernements régressifs.

Historiquement, la NWC a été utilisée presque exclusivement pour attaquer les travailleurs, les travailleuses et les personnes LGBTQ+, sous prétexte de limiter l'intervention et les dépenses de l'État. En réalité, elle permet une forme d'interventionnisme étatique ancré dans la politique d'extrême droite, se faisant passer pour du populisme alors qu'elle ne sert que des intérêts socialement régressifs. C'est un moyen de contester la judiciarisation des droits dans un pays où les tribunaux ont souvent été plus disposés que les partis politiques à défendre les droits des minorités.

Pour contester cette politique, nous devons nous appuyer à la fois sur l'histoire plus longue de l'utilisation de la NWC et sur son application contemporaine par un gouvernement Smith déterminé à réorienter l'État vers un néolibéralisme plus profond et un conservatisme social réactionnaire.

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