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L’après-Facebook des médias d’info

Le torchon brûle entre les médias d'information canadiens et le géant numérique Meta. Il est fort possible que le blocage des nouvelles canadiennes sur Facebook, Instagram et consorts soit définitif. Quelles leçons tirer de cette confrontation, tant dans l'immédiat que pour les futures batailles dans la sphère numérique ?
La Loi sur les nouvelles en ligne adoptée par le gouvernement libéral de Justin Trudeau devait assurer une redistribution des richesses de Google et Meta vers les médias d'information. Mais la loi est fondamentalement mal pensée : elle se contente d'inciter ces entreprises à négocier des ententes financières avec les médias d'information. Malgré ce qu'en disent Libéraux fédéraux et plusieurs analystes dans des sorties hyperboliques, le blocage opéré par Meta ne contrevient pas à cette loi. Seulement, Meta l'applique d'une manière que n'avaient pas suffisamment anticipée le gouvernement et les lobbyistes du milieu de l'information [1].
Faiblesses dans l'analyse
En conséquence, la riposte de Meta à la Loi sur les nouvelles en ligne pourrait avoir des effets catastrophiques sur la visibilité de nombreux médias, notamment plusieurs médias numériques ainsi que des médias indépendants. Si l'attitude de Meta est ce qu'il faut dénoncer en tout premier lieu, la situation actuelle révèle des faiblesses importantes dans l'analyse du milieu journalistique et du gouvernement libéral, tant sur le plan théorique que stratégique.
En effet, la Loi sur les nouvelles en ligne (comme d'autres lois du gouvernement Trudeau venant réguler les géants du numérique) ne s'attaque pas au pouvoir démesuré des GAFAM. Elle se contente d'inciter ces entreprises à exercer ce pouvoir de manière plus raisonnable, ce que Meta n'a visiblement pas l'intention de faire.
Les analyses plus radicales — qui vont à la racine du pouvoir de ces entreprises — existent pourtant depuis longtemps. Dès 2007, un an à peine après que Facebook ait ouvert sa plateforme au grand public, le militant et programmeur Aaron Swartz sonnait l'alarme : « On commence à voir le pouvoir se centraliser sur des sites tels que Google. Ce sont des sortes de gardiens qui vous disent où vous voulez aller sur internet, des gens qui vous fournissent vos sources d'information et de nouvelles. » [2]
De l'avis de bien des adeptes du logiciel libre et autres « hacktivistes », c'est le fait même d'avoir laissé des secteurs aussi névralgiques de la communication numérique à des entreprises privées qu'il fallait contester. Il est regrettable que leur analyse ait été ignorée par plusieurs voix québécoises critiques des GAFAM (et qu'elle le soit toujours, d'ailleurs).
Comment expliquer cela ? Le milieu journalistique québécois, dans sa vaste majorité, n'entretient pas une culture militante. Au contraire, les mouvements sociaux sont souvent perçus avec méfiance et scepticisme. La critique journalistique ne vise pas à s'en prendre au pouvoir des GAFAM, mais cherche à rétablir la position des médias dans de nouvelles circonstances. De toute manière, l'idéal libriste et hacktiviste, qui valorise la parole populaire, le travail collaboratif ainsi que le partage au détriment du droit d'auteur, vient bousculer plusieurs a priori du milieu, ce qui le rend irritant.
Fenêtre d'opportunités
On pourrait en rester à ce « on vous l'avait bien dit et vous n'avez pas écouté », mais l'amertume ne livre pas de plus grandes victoires que le corporatisme. D'autant plus que la situation actuelle pourrait aussi ouvrir une fenêtre d'opportunités.
De fait, lorsqu'on observe au-delà du Canada, on constate que l'information a de moins en moins la cote auprès des médias sociaux. Meta délaisse le contenu informatif depuis l'éclatement du scandale de Cambridge Analytica en 2018, et la tangente se poursuit en 2023 [3]. L'époque où les golden boys de la Silicon Valley aspiraient à édifier la « place du village du 21e siècle » pourrait être derrière nous. Le contenu informatif et politique est peut-être trop complexe à gérer pour des entreprises qui cherchent d'abord à maximiser leurs revenus et à minimiser les coûts de modération de leurs plateformes numériques.
Si cette hypothèse était avérée, cela signifierait qu'un espace s'ouvrirait pour les médias d'information. Comment en profiter ? Dans l'urgence de cette situation catastrophique, tous les médias incitent à se tourner vers leurs applications, leur site Web ou leur infolettre. Est-il possible de faire mieux, de faire plus ? Peut-on s'approprier les potentialités que permettent un média social et le traitement collaboratif de l'information ?
En août dernier, l'auteur et analyste Alain Saulnier proposait la création d'un « réseau social public » [4]. L'idée est séduisante, notamment parce qu'elle reconnaît l'importance de médias sociaux orientés vers le bien commun plutôt que le profit. Mais sa mise en œuvre concrète est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et soulève plusieurs questions. Pourquoi un réseau national alors que le numérique permet d'outrepasser les frontières ? Comment les critères de modération seraient-ils établis et quelle voix aurait le public à ce sujet ? À qui reviendrait la responsabilité de modérer cet espace ? Et pourquoi une alternative comme Mastodon ne pourrait-elle pas répondre aux besoins identifiés par l'auteur ?
Autrement dit, cette solution est bien intentionnée et inspirante, mais semble quelque peu improvisée. Encore une fois, on ne fait pas appel à l'expertise libriste et hacktiviste ni aux analyses critiques des technologies en sciences sociales, qui rappelleraient que si on ne s'attaque pas au pouvoir monopolistique des géants du numérique, une telle alternative aura de grandes difficultés à percer — comme Mastodon, d'ailleurs.
RSS : un rendez-vous manqué
En attendant que des initiatives aussi ambitieuses voient le jour, il faudrait voir à la mise en place de solutions à court terme qui assureraient une plus grande visibilité aux contenus des médias d'information — les grands comme les petits indépendants. Chez ces derniers, l'idée d'un simple agrégateur d'articles circule beaucoup. Du côté anglophone, Darren Atwater a créé (rapidement et avec peu de ressources, selon toute vraisemblance) Daily Canada (dailycanada.ca), un site qui regroupe en un endroit les publications de nombreux médias à travers le pays.
La situation critique que nous vivons pourrait nous amener à renouer avec des technologies comme RSS. Cocréé par le même Aaron Swartz, lancé en 1999 et très utilisé dans les années 2000, ce système permet de constituer un fil de nouvelles à partir de publications de sites. En quelque sorte, il y a là la possibilité de bénéficier de plusieurs fonctionnalités des médias sociaux d'aujourd'hui, mais à l'aide d'une architecture ouverte et contrôlée par l'usager·ère. Hélas, les médias sociaux commerciaux ont rapidement marginalisé cette approche avec leurs plateformes clés en main et centralisées, attirant vers eux des médias d'info pressés d'« optimiser » leurs contenus pour les algorithmes des géants en ascension.
Il y a quelque chose d'émouvant à voir qu'une solution trop rapidement écartée ait le potentiel d'être réactualisée dans un tout autre contexte. Il n'est pas tant ici question de revenir en arrière que de regarder où on a fait fausse route il y a une quinzaine d'années, de manière à repenser l'idée même de média social.
Plutôt que de suivre la piste hasardeuse d'un média social d'État, la conjoncture actuelle nous invite plutôt à davantage d'expérimentation. La réinvention de ce qu'est un média véritablement social ne viendra pas de technocrates d'Ottawa, mais d'initiatives communautaires et d'organisation collective. Malgré tous leurs défauts, les médias sociaux capitalistes ont rappelé que les médias d'info devaient aussi faire communauté et que l'information fait désormais partie d'un écosystème. C'est sur ces bases qu'il faut concevoir l'après-Facebook des médias d'information.
[1] J'ai développé cette analyse de manière plus détaillée dans le texte « L'échec annoncé de la Loi sur les nouvelles en ligne », Le Devoir, 28 juin 2023. Disponible en ligne ici :https://www.ledevoir.com/opinion/idees/793692/medias-l-echec-annonce-de-la-loi-sur-les-nouvelles-en-ligne
[2] Cité dans le film de Jamie King, Steal this film II, 44 min. Disponible sur archive.org. Ma traduction.
[3] Voir Oliver Darcy, « Publishers see dramatic drop in Facebook referral traffic as the social platform signals exit from news business », CNN, 17 août 2023. Disponible en ligne.
[4] « Plaidoyer pour la création d'un réseau social public », La Presse, 17 août 2023. Disponible en ligne.
Photo : Aaron Swartz (Crédit : Sage Ross, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0).

Droit au logement : « Nous sommes au début d’une très longue lutte »

Le Comité d'action de Parc-Extension (CAPE), qui défend les droits des locataires de ce quartier montréalais, est l'avant-garde de la lutte contre la gentrification et la crise du logement. Les locataires qui s'y mobilisent sont parmi les plus vulnérables au pays et font face à une spéculation immobilière féroce, mais iels ont aussi organisé cet été une manifestation historique contre les attaques caquistes envers le droit au logement. À bâbord ! s'est entretenue avec un groupe qui a beaucoup à nous apprendre. Propos recueillis par Isabelle Larrivée et Claire Ross.
À bâbord ! : Quelles sont les particularités du phénomène de gentrification dans Parc-Extension ?
CAPE : L'une des particularités de Parc-Extension est que le quartier a historiquement abrité de nombreuses communautés immigrantes, dont beaucoup vivent avec de faibles revenus et un statut d'immigration précaire. Mais c'est également un quartier où de nombreux réseaux informels existent autour de groupes communautaires, d'associations culturelles et d'espaces religieux, qui aident souvent les locataires à trouver du travail, un logement et les ressources dont iels ont besoin pour survivre.
Ces réseaux ne sont pas faciles à reproduire ailleurs dans la ville et les locataires sont souvent confronté·es à une grande précarité lorsqu'iels sont déraciné·es du quartier. Par conséquent, de nombreux locataires tentent de rester dans le quartier à tout prix, que ce soit en payant la quasi-totalité de leurs revenus en loyer, en partageant des appartements avec d'autres familles, en tolérant des logements en mauvais état ou en endurant le harcèlement et l'intimidation incessants de la part des propriétaires.
À ce jour, le quartier a également connu moins de développement de condos et de gentrification commerciale. Cela est dû en grande partie à la résistance des locataires, qui ont réussi à bloquer quelques projets de développement d'appartements de luxe et à obtenir l'acquisition des sites 'pour les fins de logement social. Nous avons également eu la chance d'apprendre des luttes contre la gentrification dans d'autres quartiers de la ville, comme Saint-Henri, Pointe-Saint-Charles, Verdun, Hochelaga et le Plateau, pour n'en nommer que quelques-uns.
Cela dit, nous savons que nous sommes au début d'une très longue lutte et nous devrons redoubler d'efforts pour défendre le quartier et maintenir les locataires à Parc-Ex.
ÀB ! : Comment la situation s'est-elle aggravée dans Parc-Ex ces dernières années ?
CAPE : Le principal responsable de la gentrification de Parc-Ex reste le Campus MIL [le nouveau campus de l'Université de Montréal construit entre Parc-Ex et Outremont]. L'UdeM aurait pu construire des logements étudiants sur le campus, mais elle a préféré vendre ces terrains à des promoteurs immobiliers. Elle aurait pu donner suite aux nombreuses recommandations présentées par les groupes communautaires au fil des années, mais elle a refusé de le faire. Elle a promis un plan d'action pour remédier à son impact sur le quartier, à la suite de l'appel de l'Office de consultation publique de Montréal à un « plan Marshall » pour contrer la gentrification à Parc-Ex, mais plus d'un an plus tard, nous n'avons toujours pas vu ce plan se concrétiser. De plus, tous les niveaux de gouvernement savaient que
l'ouverture du campus entraînerait le déplacement des locataires de Parc-Ex, mais ils n'ont pas agi pour contrer l'escalade de la crise du logement et ont plutôt abandonné le quartier à la spéculation immobilière.
Tout cela a été aggravé par la gentrification des quartiers environnants, entraînant un afflux de locataires venu·es du Plateau, du Mile-End, de la Petite-Patrie et de Villeray, qui ont été attiré·es par Parc-Ex en tant que futur quartier soi-disant « branché ». Cela se traduit par des loyers jamais vus, des évictions à la hausse, des immeubles vidés et des histoires quotidiennes de harcèlement, d'intimidation et de discrimination de la part des propriétaires.
Il faut également noter que la crise du logement à Parc-Ex a été aggravée par l'absence d'un programme de régularisation pour les personnes migrantes sans statut. Il y a près d'un an et demi, le gouvernement Trudeau a fait part de son intention de mettre en place un programme de régularisation large et inclusif pour donner un statut officiel aux personnes sans papiers, mais il tarde à passer à l'action. Le fait d'être sans papiers exclut les locataires des logements sociaux subventionnés et complique leurs efforts pour défendre leurs droits. Nous avons vu des cas où des locataires ont hésité à défier leurs propriétaires ou se sont retiré·es devant des cas d'évictions qui auraient pu être gagnés, de peur que leur propriétaire ne les dénonce aux services frontaliers. Chaque retard du programme fédéral de régularisation entraîne un risque de déplacement pour les locataires sans papiers ou à statut précaire, que ce soit en raison d'évictions ou de déportations.
ÀB ! : La ministre caquiste de l'Habitation, France-Élaine Duranceau, a récemment présenté un projet de loi « rénovant » le droit du logement, et il est loin de s'attaquer à la crise en cours – au contraire. Il permet notamment aux propriétaires de s'opposer sans motif sérieux à ce que les locataires se cèdent leur bail entre eux. Qu'est-ce que cela veut dire pour les locataires de Parc-Ex ?
Il était déjà difficile pour les locataires de Parc-Extension de faire valoir leurs droits concernant les cessions de bail. Dans un contexte où le quartier se gentrifie rapidement et où les propriétaires espèrent profiter de l'arrivée des résident·es plus aisé·es, les propriétaires s'opposent invariablement aux cessions de bail. Compte tenu des délais importants au Tribunal administratif du logement (TAL) et du risque de devoir payer un loyer dans deux logements pendant plusieurs mois le temps qu'un dossier se règle, la situation devient rapidement intenable et plusieurs locataires choisissent d'abandonner la procédure.
Cela dit, le fait que, pour le moment, les cessions de bail ne puissent pas être refusées par un propriétaire sans un prétexte valable signifie que lorsque les locataires persistent à contester l'opposition d'un propriétaire, iels obtiennent souvent gain de cause. Ainsi, les cessions de bail ont souvent permis aux locataires de s'entraider, tout en leur offrant un moyen de contourner les hausses de loyer abusives et la discrimination omniprésente à laquelle sont confronté·es de nombreux·ses locataires de Parc-Extension.
Ainsi, non seulement le projet de loi 31 ne répond pas aux besoins du quartier, mais il élimine également l'un des seuls freins à la hausse des loyers et laisse les locataires – en particulier les immigrant·es, les personnes racisées et les familles – avec encore moins d'options pour accéder à un logement abordable.
ÀB ! : La possible limitation des cessions de bail a fait beaucoup de bruit, mais ce n'est pas la seule menace contenue dans le PL31. Qu'est-ce qui vous inquiète, dans Parc-Ex ?
Bien que nous ayons beaucoup parlé des cessions de bail, le projet de loi 31 comporte bien d'autres aspects inquiétants. Si le fait que la charge d'ouvrir un dossier d'éviction devant le TAL incomberait désormais aux propriétaires pour agrandir, subdiviser ou changer l'affectation d'un logement lorsque les locataires n'acceptent pas d'emblée est une bonne nouvelle, il reste que le PL31 n'empêche pas les expulsions. En fait, en établissant des compensations plus importantes pour les locataires, il pourrait servir à normaliser les évictions et à envoyer le message qu'il est juste de déplacer les locataires si l'on offre suffisamment d'argent.
Par ailleurs, le projet de loi introduit également un nouveau langage dans le Code civil, remplaçant les références aux logements sociaux par des logements abordables, et permettrait aussi aux Offices municipaux d'habitation (OMH) de vendre les logements sociaux existants s'ils construisent de soi-disant logements « abordables » – malgré le fait qu'ils soient rarement réellement abordables et ne répondent pas aux besoins des locataires à faibles revenus. Cette disposition nous inquiète particulièrement à Parc-Ex, étant donné qu'un HLM de 60 logements pour personnes âgées a été évacué en octobre 2022 en raison de problèmes structurels et que plus de la moitié des HLM existants dans le quartier sont en mauvais ou en très mauvais état.
ÀB ! : Un gros problème avec ce projet de loi, c'est aussi tout ce qu'il laisse de côté. Quelles sont les demandes de longue date des organismes et des locataires qui sont restées ignorées par la CAQ ?
CAPE : À plusieurs égards, le projet de loi 31 est plus remarquable pour tout ce qu'il n'inclut pas. La CAQ aurait pu opter pour un contrôle obligatoire et universel des loyers, incluant un plafonnement des loyers et un registre des baux, mais elle ne l'a pas fait. En pleine crise du logement, elle aurait pu suspendre les évictions, mais elle les normalise et se contente d'offrir plus d'indemnités. Il n'y a aucun moratoire sur les reprises de logement ni de balises imposées sur les rénovations majeures, malgré le fait qu'un nombre croissant de propriétaires recourent à ces tactiques pour expulser les locataires de longue date et augmenter les loyers.
En ce sens, le PL31 n'offre pratiquement aucune avancée aux locataires et impose plutôt un important recul, alors que la crise du logement persiste et s'aggrave.
ÀB ! : Déposé sans crier gare à la veille des vacances d'été, le PL31 doit revenir sur la table cet automne et ce sera le moment de se mobiliser. Le CAPE a déjà organisé une manifestation qui a mobilisé 4000 personnes à la fin juin. À quoi ressemble la suite ? Comment s'organiser pour gagner ?
CAPE : La manifestation organisée en collaboration avec le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) a été potentiellement la plus grande manifestation pour le droit au logement de l'histoire du Québec et un point fort de la mobilisation, mais nous savons que nous ne pouvons pas nous arrêter là.
La décision de la CAQ de présenter le projet de loi au moment où elle l'a fait n'est pas une coïncidence – au contraire, elle comptait probablement sur la dissipation de la rage collective au cours de l'été, lorsque les membres des comités logement partiraient en vacances, dans l'espoir que l'attention du public se détournerait ailleurs et que le projet de loi puisse être adopté discrètement à l'automne. C'est pourquoi nous pensons qu'il est essentiel de maintenir la mobilisation au cours des prochaines semaines.
À cette fin, nous pensons qu'il sera important de construire un large front de lutte, impliquant non seulement les groupes de logement, mais aussi les syndicats, les étudiant·es, les groupes féministes, les réseaux de justice pour les migrant·es, les collectifs queer et trans, pour ne citer que quelques exemples. Bien que les grandes manifestations soient importantes pour démontrer le momentum collectif, nous pensons que nous devons également multiplier nos tactiques et nous engager dans des actions plus dérangeantes. Nous trouvons encourageant de voir des groupes autonomes, tels que le Front de lutte pour un immobilier populaire (FLIP) et le Syndicat de locataires autonomes (SLAM), prendre les devants sur ce front.
Au cours des prochains mois, nous espérons qu'un mouvement combatif et sans relâche se construira afin non seulement de forcer le recul de la CAQ sur le PL31, mais aussi d'obtenir des gains sur le droit au logement de façon plus générale.
ÀB ! : Suffira-t-il de faire reculer le gouvernement sur les cessions de bail, voire sur le PL31 en général ? Ne s'agit-il pas d'une diversion, qui nous fait battre contre un recul plutôt que pour de véritables avancées ?
CAPE : Absolument pas – le projet de loi 31 et l'attaque contre les cessions de bail, ce n'est qu'une manifestation de la tendance du gouvernement Legault à faire des concessions aux intérêts privés, aux dépens des locataires.
En même temps, il est clair que le PL31 a touché une corde sensible et a été un moment de réveil pour de nombreux·ses locataires. À plusieurs égards, il a montré le vrai visage de ce gouvernement et a mis en évidence, une fois de plus, son mépris pour la classe populaire. Nous espérons que cela pourra être canalisé pour déclencher un mouvement qui se battra pour des gains plus importants, comme un gel des loyers, la construction de plus de logements sociaux et communautaires, et l'accès à un logement décent et accessible pour toutes et tous.
ÀB ! : En quoi le PL31 s'inscrit-il dans une approche plus large du logement par le gouvernement Legault ? Quelle est cette approche et qui sert-elle, si ce n'est pas les locataires ?
CAPE : Beaucoup ont affirmé que le gouvernement Legault est déconnecté, mais ce n'est pas le cas – il est, en fait, très bien connecté aux réalités des promoteurs, des spéculateurs immobiliers et des propriétaires. Il part du principe que si nous « libérons » l'entrepreneur, des logements vont se construire.
Nous en voyons déjà la preuve dans son approche du logement social : la CAQ a abandonné le programme de logement social AccèsLogis, cherchant plutôt à faire des concessions au secteur privé et à mettre les fonds publics entre les mains des promoteurs pour qu'ils bâtissent des logements prétendûment « abordables ». Le peu que nous avons entendu sur le Plan d'action en habitation n'augure rien de bon non plus, puisque la ministre de l'Habitation, France-Élaine Duranceau, a ouvertement lancé l'idée de créer un fonds pour les propriétaires qui ont vu leurs logements « saccagés », alors qu'il n'y a aucune preuve de ce phénomène.
Nous craignons que la CAQ continue de déployer une approche néolibérale, au lieu d'une approche fondée sur le droit au logement.
ÀB ! : Que pensez-vous de l'idée caquiste selon laquelle le problème, c'est qu'on n'a pas assez de logements au Québec ? Que dire des dérives racistes et anti-immigration qui accompagnent parfois cette idée ? Suffit-il de construire, construire, construire pour sortir de la crise ?
CAPE : Au cours des derniers mois, nous voyons de plus en plus de politicien·nes opportunistes prétendre que la crise du logement est aggravée par l'arrivée des personnes migrantes. Non seulement cela stigmatise les migrant·es et en fait des boucs émissaires, mais en plus cela est faux. Si les loyers et les évictions montent en flèche, c'est parce que les intérêts des propriétaires et des promoteurs ont été autorisés à prévaloir sur ceux des locataires. Si les logements sociaux manquent, c'est parce que le gouvernement Legault refuse de les financer depuis des années. En effet, les loyers ont commencé à augmenter de façon vertigineuse en 2020, alors que la frontière était pratiquement fermée en raison de la pandémie de COVID-19. De même, si la crise du logement est causée par l'immigration, pourquoi est-elle aussi vive dans des régions comme Lanaudière et le Saguenay, qui accueillent comparativement peu d'immigrant·es ?
La crise du logement n'a pas été causée par l'immigration, mais plutôt parce que le logement est traité comme une marchandise et une opportunité de profit.
Les mêmes forces du marché qui nous ont mis dans cette situation n'apporteront pas de solution. Depuis les années 1970, les différents gouvernements – à tous les niveaux et sur tout le spectre politique – insistent sur la nécessité d'augmenter l'offre de logements. Si cette stratégie était efficace, elle aurait déjà porté fruit. Par ailleurs, nous ne pensons pas que le fait d'allouer davantage de fonds publics aux promoteurs immobiliers pour qu'ils construisent des condos et des appartements de luxe qui restent vides contribuera à faire baisser les prix du logement. Au contraire, le coût des loyers dans les nouvelles constructions est souvent bien plus élevé que le loyer moyen, et a tendance à faire augmenter les loyers dans des quartiers comme Parc-Extension
Une réponse durable et structurante à la crise du logement doit plutôt passer par la construction massive de logements sociaux et communautaires, accompagnée par des mesures comme le contrôle des loyers et les mesures pour freiner les évictions.
L'équipe du Comité d'action de Parc-Extension est composée de Sohnia Karamat Ali, Amy Darwish, Josh Fichman-Goldberg, Irtaza Hussain, Niel Ladode, Mohammad-Afaaq Mansoor, et André Trépanier.
Photos : Manifestation contre le projet de loi 31, co-organisée par le CAPE dans Parc-Extension, le 22 juin 2023. Plus de 4000 personnes ont marché pour le droit au logement, selon les chiffres des organisateur·trices, un nombre historique (Claire Ross).

Être queer, c’est révolutionnaire et ça doit le rester

Du 7 au 11 juin derniers, les queers montréalais·es se sont rassemblé·es au festival Brûlances pour célébrer et défendre leurs identités. Quel est le lien entre Brûlances et les initiatives queers précédentes ? Qu'est-ce qui motive cette renaissance ? Quels sont les défis auxquels la communauté queer du Québec doit faire face aujourd'hui et à l'avenir ? Propos recueillis par Jahanzeb Hussain.
À bâbord ! : Pouvez-vous nous parler des origines de Brûlances ? Quelle était votre intention quand vous avez commencé ?
Mathilde : L'année passée, j'ai été en contact avec le groupe Archives Révolutionnaires, qui faisait une série d'articles sur les dix ans de la grève étudiante de 2012. On était en 2022 et il y avait l'idée de célébrer finalement cette décennie et de voir quelles sont les traces qui sont restées de cette grosse mobilisation. J'ai accepté la proposition et j'ai fait une entrevue avec trois personnes qui étaient dans le P !nk Bloc à l'époque [1].
C'était vraiment juste pour retracer l'histoire. D'où venait le P !nk Bloc ? C'était quoi ses inspirations ? Un pink bloc, c'est une action qui vise à assurer une présence queer dans des manifestations [de toutes sortes], mais aussi un groupe d'action révolutionnaire qui vise à organiser des événements, des actions pour lutter contre la queerphobie, la transphobie, l'homophobie.
Et on a décidé, suite à la publication de l'article, de faire un événement pour parler de ça et inviter des personnes qui étaient présentes en 2012. Et à ce moment-là, on a senti un enthousiasme et une envie de repartir le P !nk Bloc.
Rapidement, l'idée de créer un festival queer est née parce qu'il faut savoir que le P !nk Bloc en 2012 s'inspirait beaucoup et était vraiment en lien avec la Radical Queer Semaine. Ce n'était pas juste un festival queer, c'était vraiment un festival anticapitaliste queer.
ÀB ! : Comment le regard de la société québécoise sur les communautés LGBTQ+ a-t-il évolué au fil des années et comment vous placez-vous dans ces enjeux ?
Mathilde : Je vais parler en mon nom plutôt qu'au nom de tout Brûlances, parce qu'on a sûrement plein d'avis vraiment différents là-dessus, même si ça se recoupe sûrement à plein d'égards.
Il y a eu tellement d'évolution dans nos communautés dans les dernières décennies. On est vraiment parti·es d'une marginalisation extrême, d'une violence politique, institutionnelle, et sociale concrète, matérielle, de toutes les personnes de la communauté. Il y a eu vraiment des décennies de luttes incroyables qui ont été menées par des générations de personnes qui aujourd'hui, hélas, sont oubliées, pas assez racontées, invisibilisées.
La société, à travers les dernières décennies, s'est mise à beaucoup plus accepter – les communautés gaies et lesbiennes, en tout cas. Ce n'est pas généralisé non plus. Il ne faut pas invisibiliser le fait que même si c'est beaucoup plus facile aujourd'hui d'être gai et lesbienne, ce n'est pas vrai dans toutes les familles, dans tous les milieux, dans toutes les régions.
Donc il y a comme une transformation qui s'est opérée. Plus d'acceptation, plus de visibilité, surtout au niveau de la représentation médiatique, des films, des livres, des journaux. Il y a eu une avancée énorme au niveau d'une certaine représentation, mais il y a encore beaucoup travail à faire, parce qu'il reste que l'on continue à voir des attaques transphobes, des attaques homophobes, des attaques queerphobes, des attaques généralisées qui se passent au niveau légal, par exemple.
Grandir comme queer aujourd'hui, ce n'est pas comme quand moi j'ai grandi comme queer. On a accès à beaucoup plus de choses, beaucoup plus de modèles. Mais le risque, c'est aussi une dépolitisation du queer, sachant qu'on est de moins en moins connecté·es aux luttes historiques associées à ces communautés. C'est un des objectifs de Brûlances de reconnecter différentes générations, de nous reconnecter à notre histoire de luttes et au fait qu'être queer, c'est révolutionnaire, en fait, et ça doit le rester. Ça doit rester quelque chose de politique – et qui ne touche pas juste à nos identités.
Moi je ne suis pas juste queer : je suis aussi anticolonialiste, je suis aussi féministe, je suis aussi anticapitaliste. Je pense qu'il y a énormément de valeurs et de luttes et de fronts sur lesquels les queers doivent se retrouver, pas juste au niveau des luttes qui les concernent directement.
Lou : Le contexte actuel est vraiment favorable à des identités, mais pas à des luttes queers. C'est-à-dire qu'il y a une respectabilité de qui nous sommes à travers des manières de s'exprimer, de consommer, et aussi à travers des lois, à travers l'État et à travers des manières de prendre du pouvoir. Mais nous, avec Brûlances et avec le P !ink Bloc, ce qu'on essaie de critiquer, c'est le pouvoir en lui-même. Si être queer, c'est de passer par l'État, de passer par le capitalisme, ça, ça ne nous intéresse pas. Le but, c'est d'être queer révolutionnaire : queer anticapitaliste, anticolonialiste, anticapacitiste et contre toute forme d'oppression.
Mathilde : On veut un changement radical de la société. On ne veut pas juste être assimilé·es, on ne veut pas juste être accepté·es. C'est ça qu'il y a dans la réappropriation des insultes qui nous sont lancées depuis des décennies : quand on se les réapproprie, on leur renvoie que, ben oui, on est des déviant·es de la société. Cette société-là, on ne veut pas juste qu'elle nous accepte, on veut radicalement la transformer. On a envie d'être dans une société où la justice fonctionne différemment, une société qui pense autrement les questions d'autonomie, de partage, de solidarité, d'organisation matérielle concrète.
On peut même parler d'écologie et de changements climatiques. On ne s'appelle pas Brûlances pour rien : c'est hallucinant, le festival a commencé alors qu'il y avait des feux de forêt partout au Québec, avec des gens qui sont relocalisés. On est dans une crise majeure et, en tant que queers, on a une place et une voix aussi à prendre dans ces luttes-là.
Là, dernièrement, on a un projet de loi qui est annoncé pour empêcher les cessions de bail et les recours par rapport aux évictions. Il y a des luttes qui nous concernent parce qu'on est précarisé·es. Mais aussi parce qu'on est en solidarité avec des personnes marginalisées : que ça nous concerne directement ou non, en fait, ça nous concerne.
Il va falloir qu'on soit un peu partout. Mais ça vient avec le défi, des fois, de devoir choisir nos priorités. C'est qu'on n'est pas nombreux·ses. Ça pose un problème.
En ce moment, il y a des Atikamekw qui bloquent les entreprises forestières sur le chemin de Wemotaci et qui appellent à de l'aide, à ce qu'on soit sur le terrain et qu'on les appuie pour empêcher l'entreprise de couper. Et on n'est pas là.
Il y a une lutte qui s'organise au terrain vague dans Hochelaga et on n'y est pas non plus.
ÀB ! : Quels sont les principaux défis auxquels vous allez faire face en tant que communauté à l'avenir, selon vous ?
Mathilde : On remarque depuis quelques années des fractures générationnelles et je pense que ces fractures vont continuer. J'espère qu'on va réussir à les atténuer et à créer des ponts et des espaces de rencontre, pour que ce qui va façonner nos nouvelles générations ne soit pas déconnecté de ce qui a façonné les anciennes. Il faut absolument qu'on empêche les brisures que d'autres générations n'ont pas réussi à empêcher, pour plein de raisons.
On va avoir le défi de continuer à être connecté·es malgré nos différences en matière de langage, de culture, de l'univers social dans lequel on grandit. C'est n'est pas pareil : grandir dans les années 2000, dans les années 2010, dans les années 2020, c'est plein d'autres réalités, de technologies, de manières de se rencontrer, de codes. Il va y avoir des enjeux à ce niveau-là.
Lou : Les principaux défis, c'est aussi de créer des liens de solidarité et de faire face à l'atomisation de nos liens.
Par exemple, on a plus d'espaces gratuits pour se retrouver, alors que dans un climat de queerphobie de transphobie, être visible devient de plus en plus difficile, parce qu'il y a une recrudescence constante des violences, que ce soit dans les espaces publics ou privés.
Et nos solidarités ne doivent pas être que locales. Il faut reconnaître tout le travail qui est fait par toutes les personnes qui agissent dans d'autres espaces, qui sont confrontées constamment aux violences des contextes nationaux dans lesquels elles essaient de survivre, aux violences des frontières, aux violences de la migration.
Le défi dans lequel Brûlances s'inscrit, c'est de créer des liens de solidarité entre nous alors que le système nous atomise et nous individualise constamment.
[1] Archives Révolutionnaires, « 2012. P !NK BLOC : un “ printemps érable ” sexy et funky ». En ligne : archivesrevolutionnaires.com/2022/05/04/2012-pink-bloc-un-printemps-erable-sexy-et-funky/
Cette entrevue est d'abord parue sur Pivot : pivot.quebec/2023/06/30/etre-queer-cest-revolutionnaire-et-ca-doit-le-rester/
Photo : La manifestation Rad Pride, tenue à Montréal le 12 août 2023, vise à repolitiser la Fierté (André Querry).

Lutter pour la dignité. Le combat des chauffeurs de taxi haïtiens dans les années 1980
Au début des années 1980, le ressac des luttes sociales, la crise économique et le triomphe politique d'une droite dure entraînent un renouveau de l'exploitation des travailleur·euses et des divisions au sein de la classe ouvrière. À Montréal, les chauffeurs de taxi d'origine haïtienne [1] subissent des violences redoublées de la part de leurs employeurs et le racisme de nombreux collègues blancs. Rapidement, ces chauffeurs haïtiens s'organisent afin de lutter pour leurs droits, jusqu'à l'explosion de l'été 1983.
À partir de la fin des années 1950, l'instauration de la dictature de François Duvalier en Haïti force de nombreuses personnes à l'exil, dont plusieurs intellectuel·les et militant·es de gauche qui s'installent à Montréal. Au départ, le gouvernement canadien accueille surtout des professionnel·les, une situation qui change vers 1972 afin de combler un manque de main-d'œuvre peu ou pas qualifiée dans différents secteurs. Dans les années suivantes, la communauté haïtienne de Montréal est présente dans les domaines de l'éducation et de la santé, mais aussi dans les manufactures et dans l'industrie, par exemple à la fonderie Shellcast, ainsi que dans le domaine du taxi. Cette communauté participe aux luttes de l'époque, qu'elles soient culturelles, politiques ou ouvrières. Malheureusement, avec la décomposition des mouvements de gauche et l'imposition graduelle d'un néolibéralisme intransigeant, les travailleur·euses haïtien·nes se trouvent de plus en plus isolé·es, ouvrant la porte aux attaques patronales et racistes. C'est particulièrement le cas pour les chauffeurs de taxi, un « métier de crève-faim » [2].
Le taxi, « poubelle de l'emploi »
Depuis son apparition au début du XXe siècle, le métier de chauffeur de taxi est très difficile. Coincés entre la situation de travailleurs indépendants ou le monopole de compagnies voraces (dont Taxi Diamond et Murray Hill), les chauffeurs doivent travailler plus de douze heures par jour, souvent sept jours par semaine, sans sécurité d'emploi. Malgré les luttes des années 1960, menées notamment par le Mouvement de libération du taxi (MLT) [3], les conditions ne sont guère meilleures dans les années 1970, et s'aggravent à nouveau avec la crise économique du début des années 1980. Au Canada, le taux de chômage atteint 12 % en 1983, nuisant fortement à la capacité de négociation des travailleur·euses, surtout des plus précaires. De nombreux chauffeurs de taxi indépendants font faillite ou se trouvent obligés de travailler pour les compagnies. Les propriétaires de flotte en profitent pour diminuer les salaires, tout en encourageant les rivalités entre les chauffeurs, notamment selon un principe racial. Les chauffeurs haïtiens subissent une double violence économique et symbolique, tout en étant confrontés au racisme grandissant de plusieurs collègues.
Lutter contre un système raciste
De 1978 à 1982, le nombre de chauffeurs d'origine haïtienne à Montréal passe d'environ 300 à plus de 1 000. Pour faire face aux avanies de l'époque, ils créent l'Association haïtienne des travailleurs du taxi (AHTT) en mars 1982, dont le premier geste marquant est de porter plainte auprès de la Commission des droits de la personne du Québec (CDPQ) pour « discrimination raciale dans l'industrie deux ans, et qui démontre la structuration raciste du monde du taxi à l'époque. Ainsi, dix des quinze compagnies montréalaises de taxi ont des pratiques indiscutablement discriminatoires, notamment en refusant d'embaucher des chauffeurs noirs, en les licenciant les premiers ou en leur attribuant les zones et les horaires les moins payants. Ces stratagèmes permettent aux compagnies de maximiser leurs profits et entretiennent les divisions entre chauffeurs blancs et noirs, nuisant à leur potentielle coalition. Le racisme fait doublement l'affaire des gros propriétaires qui peuvent aussi s'appuyer sur une négrophobie sociale plus large. Quant à la question du racisme de plusieurs chauffeurs blancs, Antonin Dumas-Pierre analyse bien la situation : « L'agressivité à l'égard du compagnon de travail noir est une réaction commode qui permet d'économiser les frais d'une lutte contre ceux qui font de tous les chauffeurs des crève-la-faim. » [4]
En parallèle des travaux de la CDPQ, les travailleurs haïtiens du taxi appellent à boycotter l'aéroport de Dorval, régi depuis avril 1982 par un nouveau système imposant le paiement d'une redevance annuelle de 1 200 dollars pour pouvoir y travailler et un quota de chauffeurs. Des manifestations sont aussi organisées afin de mettre la pression sur les propriétaires de flotte et le gouvernement. Le 28 juin 1983, avec l'appui de la Ligue des Noirs du Québec (LNQ), les chauffeurs se rassemblent devant le Palais de justice de Montréal (rue Saint-Antoine). En juillet, ils manifestent devant le siège social de la Coop de l'Est dans le quartier de Montréal-Nord, une corporation qui refuse d'embaucher des chauffeurs noirs. En août, ces derniers participent à une grande manifestation dénonçant le racisme dans l'emploi et l'éducation, ainsi que le harcèlement policier au Québec. Ces mobilisations portent fruit, alors que la question du racisme systémique dans le taxi et dans la société québécoise fait les manchettes durant tout l'été, provoquant une véritable « crise du racisme ». Pourtant, le combat se poursuit afin de traduire cette visibilité en gains concrets pour les travailleurs d'origine haïtienne.
Victoires et luttes à mener
Une première étape est franchie en novembre 1984 lors du dépôt du rapport final de la Commission d'enquête qui reconnaît et documente le racisme structurel dans le milieu du taxi [5], en imposant notamment une amende à la Coop de l'Est. En mars 1985, un « comité de surveillance » est mis sur pied, alors que la création du Bureau du taxi de Montréal (BTM) en 1986 consolide les acquis des chauffeurs, en mettant en place des mesures diminuant l'hégémonie des compagnies de taxi et leur pouvoir discrétionnaire sur les chauffeurs, dont ceux issus de l'immigration. Mais ces gains sont partiels puisque le cadre légal mis en place tend à individualiser le problème du racisme tout en se montrant frileux à trop empiéter sur le sacro-saint droit des propriétaires de gérer leur flotte à leur guise. Le manque de structures permettant aux chauffeurs de s'organiser collectivement pour défendre leurs intérêts demeure un obstacle important pour lutter contre les discriminations et l'exploitation économique. En somme, les luttes des chauffeurs haïtiens ont rompu le silence autour des violences racistes qu'ils subissaient et ont débouché sur un cadre légal plus avantageux, mais n'ont malheureusement pas permis une réorganisation du monde du taxi qui aurait brisé le cercle de l'isolement et de la pauvreté des chauffeurs.
Quarante ans plus tard, il est important de se rappeler le combat des travailleurs haïtiens du taxi, le contexte dans lequel ils ont lutté et les stratégies qu'ils ont développées. Nous devons être sensibles au fait que les crises économiques demeurent un contexte de réajustement pour les capitalistes et que les propriétaires, comme ce fut le cas dans les années 1980, profitent de ces moments pour réimposer des conditions d'exploitation abusives aux travailleur·euses et s'attaquer aux organisations ouvrières. Dans ce contexte, le racisme est un outil de prédilection pour paupériser et diviser. La seule réponse à de telles situations de crise et de racisme demeure l'auto-organisation, sur le modèle par exemple de l'AHTT. Par contre, il demeure essentiel que de tels groupes soient en mesure de forger des alliances larges, tout en luttant sur les plans économiques et politiques. De tels résultats n'ont guère pu être obtenus dans le contexte difficile des années 1980, suivant le paradoxe selon lequel les situations les plus accablantes nécessitent les organisations les plus fortes. Puisque les crises du capitalisme sont cycliques, il faut nous préparer et garder nos communautés mobilisées pour la lutte contre les exploiteurs et pour l'égalité.
[1] Le masculin est employé pour désigner les chauffeurs de taxi, quasi exclusivement des hommes à l'époque.
[2] À ce sujet, voir Warren, Jean-Philippe. Histoire du taxi à Montréal, Montréal, Boréal, 2020.
[3] À ce sujet, voir : archivesrevolutionnaires.com/2019/05/04/mouvement-de-liberation-du-taxi/
[4] Cité par WARREN. Histoire du taxi, page 286, note 34.
[5] Le rapport final de l'Enquête sur les allégations de discrimination raciale dans l'industrie du taxi à Montréal comprend trois volumes qui détaillent tous les aspects de ce racisme structurel.
Alexis Lafleur-Paiement est membre du collectif Archives Révolutionnaires (www.archivesrevolutionnaires.com).
Des travailleurs d’Amazon se syndiquent à Delta, en C.B.

GAFAM : Conclusions

J'ai proposé précédemment dans cette série d'articles une synthèse de ce qui fait la domination des GAFAMs. Nous pouvons maintenant chercher ce qu'il y a de commun à leurs histoires respectives.
NLDR. Les autres articles de la série sont également disponibles sur notre site : « Amazon. Le capitalisme mégalomane » ; « Google. Ne pas être malveillant » ; « Microsoft. Adopter, étendre, anéantir » ; « Apple. Le géant des apparences » ; « Facebook. La tyrannie de la popularité ».
L'objectif initial de cette série [1] était de résumer ce qu'on reproche concrètement à chacune de ces compagnies et de mieux comprendre la nature de leurs activités. Cela m'apparaissait nécessaire après avoir constaté que l'on confond parfois la critique des GAFAMs avec une critique des « médias sociaux », sans tenir compte de la diversité des activités de ces géants.
En guise de conclusion, nous chercherons à déterminer si le phénomène des GAFAMs est dû à une particularité du numérique ou bien s'il est l'effet naturel de la mécanique capitaliste.
Une histoire de tournevis
Considérons l'histoire d'une compagnie fictive produisant un objet simple, utilisé autant dans l'industrie que chez les particuliers : le tournevis. La compagnie Turnu a récemment pris la première place dans son secteur d'activité. Le fondateur de la compagnie a eu quelques idées nouvelles concernant l'outil, ce qui explique le succès de son produit. À l'aide d'un dispositif de son invention placé au bout du manche, il est pratiquement impossible de rendre une vis inutilisable en faisant de faux tours. Le brevet obtenu assure à Turnu l'utilisation exclusive du dispositif. Les revenus d'un premier succès commercial à l'échelle nationale permettent à Turnu d'investir pour développer une version électrique du tournevis ainsi qu'une gamme de tournevis destinés à un usage industriel.
La commodité du nouveau dispositif est telle qu'il est rapidement adopté comme outil de choix à l'échelle mondiale et par toutes les organisations privées et publiques faisant usage de tournevis. Turnu est maintenant en bourse et ses actionnaires demandent un plan pour accroire leurs dividendes. La compagnie y parvient en adoptant différentes stratégies : la recherche intensive sur le processus de fabrication permet de réduire les coûts de production de 5 %. L'inventivité de l'équipe d'ingénieurs a aussi permis de diminuer les coûts des matières premières tout en développant un tournevis industriel plus léger. Quelques petites compagnies réussissent à créer des dispositifs stabilisateurs concurrents assez originaux pour ne pas enfreindre le brevet de Turnu, mais les capitaux mondiaux de Turnu lui permettent d'acheter ces brevets, voire les compagnies qui les détiennent avant que leur compétition ne devienne un problème.
Malgré le fait que Turnu est maintenant la plus profitable de tout son secteur industriel, la pression des investisseurs pousse Turnu encore plus loin dans la quête de profit. Après avoir embauché une firme d'avocats spécialisés dans l'action antisyndicale et sous-traité le gros de sa production à une usine dans un pays où les normes du travail sont très faibles, elle se tourne vers l'évitement fiscal. Tous ses profits internationaux seront dorénavant enregistrés dans une banque d'une île État du Pacifique, ce qui lui permet de payer moins de 4 % d'impôt sur ses revenus. Elle trouve aussi une nouvelle source de minerais pour fabriquer les composantes les plus délicates de son dispositif. Comme les travailleurs et travailleuses de cette mine sont principalement des enfants et qu'elle est située est dans un pays autoritaire avec un niveau de corruption élevé, Turnu peut réduire les coûts de production de chaque tournevis et ainsi augmenter ses profits.
La compagnie lance peu après une nouvelle vis, type U, totalement incompatible avec les tournevis produits par d'autres compagnies, mais pouvant réduire de 20 % le temps requis pour visser si on utilise les tournevis Turnu. La justice interviendra et Turnu se retrouvera devant les tribunaux pour avoir utilisé sa position dominante pour imposer sa vis type U. Après un procès de cinq ans, elle s'en tirera avec une entente hors cour avec le gouvernement qui la forcera à autoriser la production de vis type U par d'autres compagnies. Les producteurs voulant produire des vis de type U passent des ententes avec Turnu et bientôt les vis étoiles, carrées et plates ont pratiquement disparues des quincailleries.
Toujours plus gourmande, la compagnie utilisera les services de firmes de lobbyistes locaux, ayant à leur service des anciens élus de chacun des pays où elle est présente. Elle réussit à convaincre les gouvernements que la création d'emplois locaux dus à l'ouverture d'usines de fabrication de vis de type U méritait une généreuse subvention. Ces efforts d'influence viseront notamment à faire adopter des normes rendant obligatoire l'utilisation de la vis type U dans l'industrie et pour les travaux publics, prétextant que le gain de productivité dans les opérations de vissage réduirait les dépenses des fonds publics. Du même coup, elle tentera aussi d'influencer les programmes d'enseignement pour que l'utilisation du tournevis Turnu devienne la norme pour mieux préparer au nouveau marché du travail où le tournevis Turnu domine.
À quel moment de cette histoire avez-vous commencé à avoir envie de manifester contre Turnu ? Toutes les tactiques commerciales utilisées par la compagnie fictive l'ont réellement été par au moins un des GAFAMs. Cet exemple fictif montre cependant que ces agissements détestables ne sont pas des caractéristiques exclusives au secteur technologique.
Une nouvelle incarnation du capitalisme ?
Si, dans les grandes lignes, les stratégies ayant permis aux GAFAMs de devenir des géants ont déjà été utilisées par d'autres grandes compagnies, on peut se demander quelles particularités du numérique pourraient expliquer qu'ils aient pu supplanter ainsi les autres secteurs économiques. Plusieurs analyses ont déjà été proposées ; on en présente ici trois. Elles proposent différentes mises à jour de la critique marxiste du capitalisme pour tenir compte des effets propres de l'informatisation sur la production, le travail, la consommation, etc.
Selon le spécialiste de l'économie numérique Nick Srnicek, nous sommes témoins de l'émergence du « capitalisme de plateformes », c'est-à-dire une forme de capitalisme où les interactions entre fournisseurs et consommateurs de services passent par des « infrastructures numériques ». On pense immédiatement aux plateformes comme Uber, qui servent à mettre en contact des travailleurs et travailleuses avec leurs clients. Il y a cependant d'autres types de plateformes, moins connues du grand public : les plateformes publicitaires (Facebook et Google) qui vendent des informations pour mieux cibler la publicité, les plateformes industrielles, utilisées pour optimiser la production ou la distribution industrielle, et même les « plateformes de plateformes », souvent appelées « infonuagique », servant à simplifier la création de nouvelles plateformes. À travers le monde, les institutions gouvernementales utilisent de plus en plus les « plateformes de plateforme » d'Amazon, de Microsoft et de Google.
D'autres considèrent plutôt que nous sommes entré·es dans l'ère du « capitalisme algorithmique ». Selon cette perspective, le capitalisme repose de plus en plus sur l'exploitation d'une nouvelle ressource : les « données ». Les plus grandes compagnies accumulent ainsi d'énormes quantités d'informations sur les utilisateurs et sur les comportements collectifs. À l'aide d'algorithmes variés, ce « capital » permet l'amélioration du profilage publicitaire ou encore l'automatisation et l'optimisation de diverses tâches, comme la prise de décision ou l'organisation de services publics.
Une troisième analyse est une actualisation du concept d'« économie de l'attention », introduit en 1969 par Herbert A. Simon. Déjà à cette époque, certains économistes considéraient que la production industrielle était partiellement remplacée dans le cycle économique par la connaissance et l'information. Pour Simon, « l'attention » nécessaire pour la production de ces deux nouvelles ressources était une donnée économique et pouvait être analysée selon la logique de l'offre et de la demande. Le concept a été repris et adapté à la critique de la réalité récente, notamment en considérant l'attention comme une forme de travail.
Le choc avec l'immatériel
On ne doit pas oublier certaines caractéristiques propres au monde informatique. Bien que les ordinateurs aient une existence matérielle, les logiciels et l'information qu'ils manipulent sont immatériels. Contrairement à un outil ou à un livre, un logiciel ou un fichier de données peut être dupliqué et distribué à l'infini à un coût pratiquement nul. Les mécanismes tels que les droits d'auteur et les brevets, élaborés bien avant cette possibilité, ont été exploités par l'industrie informatique pour imposer sa conception de l'utilisation et du développement des logiciels. Une conception guidée par les perspectives de croissance de leurs revenus et non par le bien commun.
L'organisation complexe des interactions numériques fait aussi oublier l'existence de conventions techniques qui font en sorte que les outils informatiques peuvent interagir entre eux de manière fluide. Ces « standards » sont adoptés par différents mécanismes sur lesquels le public a peu d'influence. Un jeu de pouvoir important s'exerce en coulisses pour que ces conventions techniques soient à l'avantage d'une compagnie ou d'une autre. La popularité d'un produit est un atout important dans ce jeu de pouvoir. Cette notoriété est elle aussi une forme de capital pour des géants du numérique. La valeur d'un outil informatique semble souvent être liée davantage au nombre de personnes qui l'utilisent qu'à son efficacité réelle pour accomplir une tâche.
Et si c'était une affaire de capital… financier
Ces nouvelles conceptions de capital algorithmique, d'attention ou de notoriété sont utiles à l'analyse, mais il ne faut pas négliger le classique capital financier. La genèse des géants s'explique aussi par leur rôle d'investisseurs. La Silicon Valley est devenue une sorte de Wall Street de la côte ouest, un paradis de la finance dont les bulles spéculatives affectent toute l'économie, avec ses propres mythes justifiant leur importance. Comme décrit par Wendy Liu dans Abolish Silicon Valley, on y trouve une culture nocive poussant le secteur à se développer à l'aide d'investissements dans des « startups » ou dans des projets aux promesses mirobolantes. L'autrice rappelle que les investissements visant à développer ou exploiter de nouvelles idées sont guidés par des objectifs financiers et non par des objectifs sociaux.
Un mythe répandu dans le milieu informatique est que toute idée menant à s'enrichir doit nécessairement être bonne pour la société. Une variante de ce mythe est qu'une idée informatique rentable libère les travailleuses et travailleurs du travail répétitif tout en augmentant la productivité. Le plus souvent, ces innovations sont conçues avant tout pour augmenter les profits des compagnies qui les utilisent. En réalité, elles n'apportent rien de bon pour leurs employé·es qui, au mieux, voient se détériorer leurs conditions de travail ou, au pire, doivent se trouver un nouveau travail.
Les GAFAMs ne sont que les cinq compagnies ayant la plus grande capitalisation boursière, c'est-à-dire les cinq compagnies pour lesquelles les investisseurs sont prêts à débourser le plus en bourse. Cette définition montre que ce statut est le reflet d'une perception généralisée de leur potentiel de croissance. L'expression « GAFAM » est donc un raccourci provenant du monde de la finance pour mieux désigner sur quelle compagnie il serait avantageux de parier. Elle est déjà désuète : en plus des changements de noms de certaines de ces compagnies, une grande dégringolade boursière dans la dernière année a changé la donne. Alors que Meta/Facebook passait au 8e rang, la compagnie pétrolière Saudi Aramco, quant à elle, s'élevait au 3e rang mondial.
L'adoption de l'expression « GAFAM » pour la critique des géants du numérique, par exemple dans plusieurs titres d'ouvrages récents et même dans le titre de cette série de textes, est sans doute une erreur qui peut avoir semé une certaine confusion. Elle peut détourner l'attention des autres compagnies en tête du capitalisme mondial dans une diversité de secteurs économiques. Bien qu'au moment d'écrire ces lignes, les GAFAMs occupent à eux seuls environ le quart de la capitalisation boursière totale des 100 plus importantes compagnies, les noms de ces autres géants font aussi partie du quotidien de milliards de personnes : Visa, Mastercard, Coca-Cola, McDonalds, Nestlé, Starbucks, Johnson & Johnson, Pfizer, Novartis, Astra Zeneca, Walmart, Home Depot, Cosco, United Parcel Services, L'Oréal, Dior, Shell, Nike, Boeing, Toyota, Tesla, Adobe, Samsung, Verizon, Total, Netflix, la Banque Royale du Canada, Phillip Morris, Walt Disney, etc.
L'inventivité et la créativité technologique et logistique ont un impact immense sur la vie de tous·tes et cela n'est pas exclusif au numérique. Doivent-elles fatalement être au service du capitalisme ? Peut-on imaginer un développement technologique guidé par le bien commun et sans dépendre d'intérêts capitalistes ? C'est un champ d'action qui mériterait d'être davantage investi par la gauche.
[1] Cette série sur les GAFAMs a commencé au no 89 « Municipales 2021 : Une autre ville est possible », publié à l'automne 2021.
Photo : Pixabay
Des militants bloquent les colis d’Amazon à un entrepôt MAERSK
Pour votre information
M. François Philippe Champagne, ministre fédéral des finances
M. Éric Girard, ministre des finances du Québec
Je dois mentionner tout d'abord que je suis très impliqué comme bénévole avec le groupe Nos choses ont une deuxième vie
, un organisme sans but lucratif qui s'affaire à remettre en circulation des objets de seconde main
donnés par les gens du milieu de la région de Québec.
Puisque nous n'avons pas réussi (comme la majorité des groupes depuis quelques années) à se faire reconnaître comme organisme de bienfaisance par le gouvernement fédéral, nous devons payer les taxes de vente pour les
objets d'occasions que nous vendons. Nous ne pouvons les charger car les gens ne s'attendent pas à payer des taxes pour des objets usagés. Ceci nous pénalise à hauteur de 15% de nos ventes. Comme l'atteinte de l'autofinancement est très difficile dans ce type de commerce, le fait de devoir payer les taxes de ventes nous pénalise considérablement. Or plutôt que de nous pénaliser les gouvernements devraient nous aider car nous apportons de nombreux bienfaits sur les plans économiques, sociaux et environnementaux à la population locale.
Nous vous demandons donc de mettre dans votre prochain budget l'élimination de la taxe de vente pour les objets seconde main comme le propose d'ailleurs le Bloc Québécois. Ceci se justifie d'autant que les taxes ont déjà été payées lors de la vente de ces objets lorsqu'ils étaient neufs. De plus, c'est un encouragement à l'achat local dans une version seconde main, même si les articles ont été à l'origine fabriqués à l'étranger.
Merci de votre considération,
Pascal Grenier sec.-trés.
Nos choses ont une deuxième vie
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Saguenay - Nitassinan : les anarchistes repensent le communautaire

Depuis environ huit ans, à Saguenay, sur les territoires volés du Nitassinan [1], le Collectif Emma Goldman met de l'avant le principe de l'Action sociale anarchiste, une approche alternative de l'intervention sociale et communautaire. Nous vous présentons ce que nous avons tissé au fil de nos discussions, expériences pratiques et réflexions collectives.
L'Action sociale anarchiste est un moyen d'intervenir directement dans la communauté en préfigurant des rapports égalitaires. Elle est réalisée sur la base du volontariat, sans salaire et au sein de collectifs politiques, afin de dépasser les conditions sociales et économiques présentes. Au Saguenay, elle a pris la forme des Marmites autogérées (distribution de repas gratuits), de marchés gratuits, de l'Espace social libre (un centre social autogéré), du Parc du 19 juillet (un parc autogéré) et même d'une halte-chaleur en mode squat cet hiver. On peut observer trois objectifs qui se déploient conjointement à travers l'Action sociale anarchiste et sa réponse directe aux besoins : la reprise du pouvoir individuel et collectif dans une perspective de changement social, la construction de rapports de force avec les autorités et le développement d'espaces autonomes défiant les rapports marchands et oppressifs.
Reprendre le pouvoir sur nos vies
En commençant, notre approche place les militant·es comme simples participant·es parmi les autres partageant leur condition. Nous rejetons la relation paternaliste et autoritaire professionnelle/clientèle fortement inspirée du modèle médical. Notre action se veut horizontale et n'est pas enfermée dans une définition statique. Nous cherchons plutôt le développement de processus autoconstitués, c'est-à-dire des formes de luttes originales au potentiel subversif et émancipateur émanant des réalités vécues, de pair avec les autres participant·es. L'empowerment par en haut est une chimère.
L'éducation populaire est un processus participatif qui implique une co-construction des savoirs par l'analyse collective des situations vécues en approfondissant mutuellement notre compréhension des causes structurelles. Ce n'est pas un outil neutre. C'est un outil des dominé·es pour s'émanciper, prendre conscience de leur position dans les luttes de classes et s'organiser. Il permet de mieux comprendre les dynamiques inégalitaires dans la société, de discerner ceux et celles qui profitent de cet état des choses et ceux et celles qui le subissent. En concevant davantage la complexité des situations, nous pouvons enfin préparer ensemble des cibles et des moyens d'action plus efficaces tout en prenant soin des un·es et des autres.
Nous cherchons à nous faire complices des efforts d'auto-organisation en offrant notre soutien aux initiatives et actions. Le « care » (prendre soin) est coutumier parmi les membres de bien des groupes marginalisés comme les personnes immigrantes, queers, trans, autochtones, etc. La formation de réseaux informels est une question de survie pour plusieurs d'entre elles. Ces expériences d'action sociale sont toutes aussi valides même si elles sont plus « underground », à l'abri des regards et invisibilisées. L'Action sociale anarchiste a beaucoup à apprendre d'elles. Cette auto-organisation du « care » est souvent une solution de rechange aux rapports de domination vécus avec les professionnelles. Elle est d'autant plus essentielle dans une perspective d'émancipation des formes d'oppressions spécifiques. Nous concevons qu'il est impossible de libérer d'autres groupes à leur place ; cette tâche revient aux membres concerné·es de manière autonome.
L'action directe permet aux personnes de faire l'expérience de leur capacité d'agir ensemble contre les problématiques du système et de leur milieu. Elle nourrit le pouvoir d'agir (l'empowerment) des individus en leur redonnant confiance en leurs moyens non pas dans l'optique d'une quête d'ascension sociale individualiste, mais dans celle de l'engagement dans les luttes collectives et la construction de contre-pouvoirs. Pour préciser le sens que nous donnons au concept d'empowerment, il est intéressant de faire appel à l'esprit de révolte formulé par Kropotkine. Il définissait celui-ci comme la pulsion de vie présente chez tout être humain, une volonté qui se réveille à travers le passage à l'action et qui fait germer les consciences, l'insubordination et l'audace contre l'ordre social inégalitaire. La société a cassé les gens. Pour s'en sortir, ils et elles doivent pouvoir reprendre confiance en leurs capacités (plutôt que de se résigner à un sordide conformisme) et tisser de nouveaux liens de solidarité. Le principe est simple : il faut pouvoir agir pour s'épanouir et transformer le monde. Enfin, sur le plan collectif, les petites victoires, qui semblent parfois anodines, construisent des contre-pouvoirs et peuvent engendrer de grands récits mobilisateurs. Le boycott en opposition à la ségrégation raciale des bus de la ville de Montgomery, dans l'Alabama, au milieu des années 1950, en est un bel exemple.
Construire des rapports de force
La conflictualité est au cœur de l'Action sociale anarchiste. Nous ne souhaitons pas seulement nous sortir la tête de l'eau, mais transformer durablement la société et nous attaquer aux racines de nos problèmes. Tout cela part des conditions matérielles. Nous devons appeler par leur nom les rapports de domination, les privilèges et les systèmes d'oppression. Nous nous opposons donc à toutes les forces et organisations qui soutiennent l'organisation inégalitaire et autoritaire de la société (patrons, propriétaires, élu·es, polices, capitalistes, oppresseurs, etc.). Nous ne souhaitons en aucune façon être la béquille d'un système malade. Nous voulons plutôt créer des moments de rencontre pour souffler sur les braises d'une rage qui sommeille. Pour produire des étincelles, il nous apparaît important de rejeter le soutien des intermédiaires opportunistes que sont les élu·es, les institutions étatiques et leur argent. Le salariat et les cadres étatiques mutilent et emprisonnent le potentiel transformateur de l'action sociale. Les moyens choisis sont déterminants quant aux fins possibles. Nous voulons libérer la rage et non pas soutenir la reproduction de l'impuissance, de la domination et des systèmes de contrôle social. De même, nous ne nous gênons pas pour transgresser les réglementations et lois qui ont pour vocation de nous transformer en bétail servile.
Développer des espaces autonomes
Face au quadrillage des villes et villages par les systèmes de domination et de contrôle, l'autonomie collective doit trouver des endroits où faire son nid et créer des brèches, voire des machines de guerre urbaine [2], pour reprendre une expression de la philosophe Manola Antonioli. En le faisant nous-mêmes et en le revendiquant sur nos différents moyens d'affichage et d'information, nous incitons chacun et chacune à la réappropriation directe de l'espace public, soit l'occupation des lieux sans la permission des autorités. C'est d'une part un geste de résistance face à la guerre de l'espace menée par les classes dominantes qui embourgeoisent nos quartiers, par les rapports marchands qui bouffent le temps de nos vies et atomisent les communautés, par la police qui réprime, criminalise et profile, puis par les racistes et les LGBTQ+phobes qui harcèlent et agressent. C'est libérer temporairement un espace pour pratiquer des formes d'autonomie collective. Nous souhaitons la prolifération d'espaces autonomes où les rapports oppressifs sont remis en question et où l'on se défend contre les oppresseurs, où la valeur marchande se dissipe dans l'entraide, la solidarité et la gratuité, où l'on prépare les contre-attaques et plus encore. Nos actions sont certainement des gouttes d'eau devant la violence d'un système, mais ce qui s'y construit est aussi important que les besoins qui sont comblés. Le futur n'est pas écrit ; soyons créatifs et créatives. « Il n'y aura pas d'avenir, soulignait Henri Laborit, si nous ne l'imaginons pas ».
[1] Territoire ancestral du peuple innu.
[2] Les formes d'organisation (lieux et usages improvisés) dans l'espace qui échappent à l'Autorité et à l'urbanisme.
Le Collectif Emma Goldman est une organisation anarchiste/autonome active au Saguenay, territoires innus du Nitassinan, depuis bientôt 15 ans. Ses membres et sympathisant·es militent pour une transformation révolutionnaire de la société. Ils et elles prennent part aux luttes sociales et organisent différentes initiatives, dont l'Action sociale anarchiste. Le Collectif produit et diffuse un blogue et différentes publications (journaux, brochures et tracts). Il a également publié quatre livres à ce jour : Radio X Les vendeurs de haine (2013), Combattre l'extrême droite et le populisme (2020), le Dictionnaire anarchiste des enfants (2022) et L'Anarchie expliquée aux enfants (2023).
Pour plus de détails sur les idées présentées dans cet article, vous pourrez retrouver le texte « L'action sociale anarchiste, une approche libertaire du travail social et de l'organisation communautaire » sur le blogue du Collectif Emma Goldman : https://ucl-saguenay.blogspot.com/2022/10/laction-sociale-anarchiste-une-approche.html
Photo : Collectif Emma Goldman

Caribous et vieilles forêts, même combat !

Pour protéger le caribou des bois, il faut conserver des massifs de vieilles forêts. C'est bénéfique pour le climat et la biodiversité… et c'est un pas vers un aménagement durable.
Fantômes gris des forêts, les caribous forestiers sont tellement discrets qu'il est rare d'en croiser en nature. Il faut s'enfoncer assez au nord dans la forêt boréale pour avoir la chance d'en apercevoir. Pourtant, lors de son premier voyage le long de la Côte-Nord en 1603, Samuel de Champlain avait vu plusieurs de ces bêtes, de la taille, précise-t-il, d'« ânes sauvages ». L'explorateur ne mentionne pas qu'ils ressemblent aux rennes du nord de l'Europe, mais quelques années plus tard, il les identifie comme des caribous, d'un mot qui, dans la langue mi'kmaq, signifie « celui qui creuse avec ses sabots ».
La chasse puis l'exploitation forestière ont décimé ce cervidé. Dès 1850, il se faisait déjà rare au sud du fleuve Saint-Laurent. Dans le Nord, de grandes populations subsistaient, mais dans le sud de la province, les hardes, petites et isolées, diminuaient à vue d'œil. Aujourd'hui, on en sait beaucoup plus sur le caribou, devenu entretemps une véritable icône de la faune québécoise, mais sa situation a continué à se détériorer.
L'espèce se présente sous trois catégories ou écotypes : le caribou de la toundra, migrateur ; le caribou forestier, plutôt sédentaire et vivant en forêt boréale ; et le caribou montagnard, qui n'est présent sur le territoire du Québec que sur les hauts plateaux de la Gaspésie et dans les monts Torngat. Ces deux derniers écotypes sont les plus menacés. Au fédéral, le caribou est classé depuis 2003 comme espèce menacée en regard de la Loi sur les espèces en péril, un cran au-dessus d'espèce en voie de disparition. Au niveau provincial, il est inscrit comme espèce vulnérable, un statut équivalent. La petite harde de caribous montagnards de la Gaspésie est considérée comme étant en voie de disparition, puisqu'elle ne compte qu'une quarantaine d'individus.
Les responsabilités étatiques
Les lois fédérales et provinciales sur les espèces menacées créent des obligations aux gouvernements d'intervenir pour protéger ces espèces. Elles prévoient aussi que des plans de maintien et de rétablissement soient mis en œuvre. De tels plans concernant le caribou se sont donc succédé au fil des années, mais leur mise en œuvre reste un échec. La cause principale tient à l'opposition de l'industrie forestière et à l'inaction des ministères concernés.
Il faut savoir que le caribou forestier a besoin de grandes superficies de forêts mûres ou âgées pour s'alimenter, soit des forêts de plus de 70 ans en moyenne. Mais la récolte de bois et la multiplication des chemins forestiers fragmentent et dégradent l'habitat essentiel de cette espèce. Aussi, lorsque le couvert végétal se renouvelle après une coupe, cela crée des conditions favorables à son concurrent, l'orignal. De plus, en suivant les chemins forestiers, le loup gris envahit le territoire et exerce son travail de prédateur. Enfin, la coupe de bois conduit aussi à l'augmentation de la présence d'arbustes producteurs de petits fruits, ce qui attire l'ours noir, qui s'attaque aux faons.
Toutes ces données sont connues et font consensus. En revanche, on ne s'entend pas sur ce qu'on appelle le taux de perturbation maximal qui peut être toléré avant que le caribou finisse par périr. Ce taux est un indice qui caractérise la menace à l'habitat de l'espèce. Certains biologistes ont établi que pour être viables, les populations de caribous forestiers ont besoin d'un habitat dont le taux de perturbation ne dépasse pas 35 %. Or, pour la plupart des populations du Québec, ce taux est largement dépassé, atteignant même 75 % dans le cas de la harde de Val-d'Or.
Pour bien des experts·es universitaires, c'est une erreur de se baser sur ce critère. Récemment, le Centre d'étude sur la forêt, le Centre d'études nordiques et le Centre de la science de la biodiversité du Québec ont répété avec force leur opposition à cette approche [1].
Les qualités écologiques des vieilles forêts
Par ailleurs, comme le caribou forestier se déplace beaucoup et a besoin d'un vaste territoire pour s'approvisionner, son habitat englobe celui de 90 % des espèces d'oiseaux et de mammifères de la forêt boréale. En le protégeant, on favorise le maintien de toutes ces espèces. La conclusion est claire : pour protéger le caribou et toutes ces espèces, il faut conserver une grande proportion de vieilles forêts [2].
Mais qu'est-ce qu'une « vieille forêt » ? Les spécialistes vous diront que c'est une forêt où une grande proportion des arbres meurent de vieillesse, ce qui varie selon le type et la latitude. Cependant, la plupart des juridictions nord-américaines fixent la limite inférieure à 100 ans d'âge moyen.
Si cette forêt abrite une certaine quantité de vieux arbres de moindre qualité pour l'industrie, elle possède toutes les qualités écologiques pour maintenir une forte biodiversité. Les arbres vieillissants et morts poursuivent leur vie très longtemps et abritent une faune et une flore très importantes. Dans un seul tronc d'érable en décomposition peuvent vivre une trentaine d'espèces d'insectes. Beaucoup de petits mammifères et d'oiseaux en profitent ; les mousses s'installent, le sol s'enrichit lors de la lente décomposition et cela permet le recyclage des éléments nutritifs.
Tout ceci est vrai a fortiori d'une forêt primaire, qui par définition n'a jamais été exploitée par les humains. On a par ailleurs établi que les forêts primaires stockent jusqu'à un tiers de carbone de plus que les forêts aménagées.
En résumé, sur le plan écologique, les vieilles forêts, et en particulier celles qui sont primaires, sont des réservoirs de biodiversité, des puits de carbone et constituent une sorte d'assurance pour l'avenir de la vie sur Terre. Elles sont aussi plus résilientes face aux perturbations naturelles comme les feux et les épidémies d'insectes, des événements qui risquent de se multiplier avec le réchauffement climatique. Malheureusement, la proportion de vieilles forêts décline rapidement au Québec, si bien qu'il est urgent d'intervenir pour préserver ce qu'il en reste.
Une autre manière d'exploiter la forêt
Or, chaque fois qu'on soulève la question du caribou, on tombe dans un débat sur les impacts économiques de ces mesures, comme la réduction de la récolte de bois et la perte d'emplois. C'est une vision erronée et à courte vue, comme l'ont dénoncé des écologistes, des syndicalistes et des responsables de municipalités régionales de comtés devant la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards. Il faut considérer le contexte global. Certains massifs forestiers pourraient être fermés à l'exploitation (même selon l'industrie, ils ne sont pas rentables), tandis que d'autres pourraient supporter un aménagement plus intensif, par exemple avec des plantations, comme on le fait couramment en Finlande ou en Nouvelle-Zélande, deux pays qui ont fortement étendu leurs aires protégées.
La foresterie durable a besoin de vieilles forêts, tout comme la lutte contre les changements climatiques et l'érosion de la biodiversité. Et tout cela aide à la survie du caribou. Pour protéger son habitat, il faut créer quelques grandes aires protégées en forêt boréale, si possible vieilles, et si possible interconnectées. Cela passe par une baisse des récoltes de bois dans certains secteurs clés. Mais ces baisses seront légères et ne se traduiront pas nécessairement par d'importantes pertes d'emplois. Par ailleurs, la conservation peut également contribuer à créer des emplois et avoir des retombées économiques régionales importantes. Par exemple, le démantèlement des chemins forestiers est une activité susceptible de s'étaler sur une ou deux décennies. Le secteur touristique profitera aussi de ce virage vers une forêt polyvalente. Enfin, il faut consulter les peuples autochtones et leur confier un rôle de premier plan, alors qu'ils ont subi depuis trop longtemps le déclin provoqué de cet animal qui a pour eux une profonde signification économique, historique et culturelle.
[1] Analyse critique des scénarios de conciliation des activités socio-économiques et des impératifs de rétablissement (…), Mémoire présenté à la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, mai 2022, p. 43.
[2] Équipe de rétablissement du caribou forestier du Québec, Plan de rétablissement du caribou forestier (Rangifer tarandus caribou) au Québec 2013-2023, Québec, 2013, 110 pp.
Jean-Pierre Rogel est journaliste, naturaliste et auteur de l'essai Demain la nature : elle nous sauvera si nous la protégeons, publié en septembre 2023 aux Éditions La Presse.
Illustration (monoprint) : Elisabeth Doyon

Les COP sont-elles bonnes ou mauvaises ?

Les Conférences des Parties, ou COP, qu'elles portent sur le climat ou la biodiversité, restent controversées. Certaines personnes les jugent indispensables pour combattre des problèmes majeurs à une échelle internationale, d'autres considèrent qu'elles lancent des paroles en l'air et qu'elles demeurent inefficaces, voire nuisibles. Qui donc a raison ?
L'égérie des jeunes militant·es, Greta Thunberg, ne s'est pas gênée pour prendre position pendant la COP 26 sur le climat à Glasgow. « Bla, bla, bla », a-t-elle lancé. Les COP ne sont que des opérations de relations publiques, elles ne servent qu'à maintenir le statu quo. Les faits, hélas, semblent lui donner raison. Personne ne peut affirmer que les mesures en provenance des COP pour combattre le réchauffement climatique sont suffisantes.
Pendant la COP 15 sur la biodiversité à Montréal en septembre 2022, la Coalition anticapitaliste et écologiste a été particulièrement active et s'est fait entendre notamment avec son slogan Fuck la COP. Si les manifestations qu'elle a organisées ne sont pas parvenues à bloquer l'événement, elle a réussi à bien diffuser son discours. Elle a fait ses devoirs en proposant un argumentaire bien développé qui méritait d'être entendu. Elle a dénoncé par exemple l'absence de résultat des COP précédentes, le capitalisme vert, le refus de s'attaquer de front à l'extractivisme.
Des COP au service des intérêts pétroliers
La présence des lobbyistes des compagnies pétrolières et gazières, surtout dans les COP sur le climat, a soulevé à juste titre d'importantes objections. Leur nombre est passé de 503 à la COP 27 de Glasgow à 636 à celle de Charm el-Cheikh. Dans les deux cas, il s'agit des délégations les plus nombreuses, toutes catégories confondues. Il est clair que des lobbyistes en si grand nombre pour défendre des intérêts économiques d'entreprises ultrapuissantes agissent efficacement pour retarder la transition écologique, donc pour détourner les COP de leur objectif.
Il faut s'attendre à pire pendant la prochaine COP qui se déroulera – tenez-vous bien – aux Émirats arabes unis, un État au régime autoritaire et une puissance pétrolière qui a un intérêt économique majeur à ce que l'on continue d'exploiter cette ressource (à court terme seulement, il faut le souligner). Le sultan Ahmed al-Jaber a été nommé président de l'événement, alors qu'il est à la fois ministre de l'industrie et des technologies du pays, et PDG du groupe Abu Dhabi National Oil Company (Groupe ADNOC). Or, la présidence d'un pareil événement ne consiste pas seulement à accueillir les invité·es : au contraire, elle a le pouvoir d'orienter les débats et de faire d'importants arbitrages. Comment un homme avec des fonctions en si évidente contradiction avec l'idée d'une transition écologique pourra-t-il y arriver ?
Disons-le franchement : cette 28 COP, qui se tiendra en décembre prochain, est perdue d'avance pour celles et ceux qui ont à cœur l'environnement et la justice climatique. Et ça, alors qu'on ne cesse de parler d'urgence climatique… Mais cela veut-il dire qu'il nous faut rejeter toutes les COP ?
N'oublions pas l'ONU
Rappelons que les grands événements qui ont suscité de vives oppositions chez les altermondialistes et les anticapitalistes pendant les vingt-cinq dernières années étaient planifiés par des acteurs dont on remettait aussi en cause la légitimé : l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM), l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), les G7, le G20 et l'Union européenne (UE). Chacune de ces organisations souffre encore aujourd'hui d'un sérieux déficit démocratique. Elles se sont clairement mises au service des grandes entreprises capitalistes et ont permis un développement économique néocolonial permettant aux pays du Nord de perpétuer leur emprise sur les pays du Sud.
Les COP, par contre, se déroulent dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Certes, les critiques se sont aussi accumulées, à juste titre, contre cette organisation, qui n'a pas rempli ses promesses et souffre de plusieurs maux : mal-financement, incapacité d'agir, inégalités factuelles entre les membres. Sans oublier son Conseil de sécurité désuet et d'une terrifiante inefficacité.
Mais l'ONU reste aussi la seule organisation où tous les pays sont représentés, avec un fonctionnement bel et bien démocratique. Celui-ci a aussi ses failles, notamment son recours aux décisions par consensus, ce qui donne un pouvoir d'obstruction énorme à certains États et crée des jeux de pouvoir, notamment en faveur des pays les plus puissants. Mais ce consensus, avec tous ses inconvénients, assure aussi que les décisions soient mieux respectées. Et n'est-ce pas un mode de décision que l'on retrouve aussi, assez fréquemment, au sein des mouvements sociaux ?
L'ONU est donc ce qui se rapproche le plus d'une forme de gouvernement mondial. Certes, l'idée même d'un tel projet peut paraitre rébarbative à plusieurs. Mais il faut d'importantes concertations internationales pour assurer la justice climatique, pour combattre les inégalités entre le Nord et le Sud et pour maintenir la paix dans le monde, ce qui ne peut se faire qu'à travers une – ou plusieurs – organisation où tous les pays sont impliqués. Le fait que l'ONU soit à l'origine des COP, qu'elle y reconduise sa propre démocratie, avec toutes les imperfections de ce système, en fait donc une organisation qui peut se targuer d'une véritable légitimité.
Le hic avec le réchauffement climatique et les atteintes à la biodiversité, c'est que rien ne peut véritablement se régler juste à l'échelle des États ou des communautés. Le mal se fait en se fichant éperdument des frontières, et si un pays, si des groupes de citoyen·nes développent des modèles vertueux, des innovations remarquables pour se lancer dans une transition juste, ces efforts ne mèneront à aucune amélioration globale si d'autres agissent en sens contraire.
Voilà pourquoi, malgré tous leurs défauts et vices de fonctionnement, les COP ont toujours leur utilité. Sans espaces de la sorte, où l'on peut pendant plusieurs jours par année maintenir un dialogue entre les pays, tout cela préparé par un travail considérable, continu et étoffé entre les conférences, où l'on peut mettre en place des mesures significatives qui affecteront la planète tout entière, la bataille contre le réchauffement climatique et pour la préservation de la biodiversité sera perdue.
Deux problèmes majeurs restent à régler. D'abord, l'infiltration mentionnée de grandes entreprises qui défendent le contraire de ce qu'il faut pour entreprendre la transition écologique. Mais il importe aussi de mentionner toutes les autres qui prétendent être en faveur du changement, qui profitent de l'occasion pour se montrer championnes de l'écoblanchiment et d'ardentes défenderesses du capitalisme vert, des manières plus subtiles d'empêcher des progrès significatifs. Les grandes firmes liées à des intérêts commerciaux ne devraient pas avoir accès aux COP, ni comme lobbyistes ni comme entreprises qui paient pour afficher leurs marques et tenir des kiosques pendant ces événements.
Le second problème est plus complexe et plus difficile à résoudre. Que faire de ces pays, comme la Chine, l'Australie, et dans une certaine mesure, le Canada, qui refusent de collaborer et qui jugent que réduire de façon significative leur consommation d'hydrocarbures serait catastrophique pour leur économie ? Comment, par exemple, prôner la fin de l'usage particulièrement nocif du charbon, comme on l'a fait à la COP 26, alors que des pays producteurs comme ceux mentionnés plus haut, mais aussi l'Inde, la Russie et les États-Unis, jugent important de continuer à l'exploiter ?
L'union des forces de la transformation
Contre ces forces négatives, il est important de maintenir une solide opposition en provenances tant des scientifiques que du mouvement social, dans une large coalition qui rassemble même des opposant·es ou des sceptiques face aux COP : rappeler l'inefficacité des rencontres antérieures, révéler les dangers de l'actuelle inaction fait aussi partie des stratégies pour pousser les décideurs à prendre des actions vraiment significatives. Et ces élu·es et chef·fes d'État, qu'on les estime ou pas, qu'on les reconnaisse ou pas, ont véritablement entre leurs mains des moyens incontournables pour faire changer les choses.
En ce sens, la dernière COP sur la biodiversité, avec son Cadre mondial sur la biodiversité de Kumming à Montréal, a peut-être permis de réaliser ce type d'alliance. Le résultat est non négligeable : protection d'au moins 30 % des terres et des eaux, reconnaissance des savoirs autochtones, réduction de moitié des risques liés aux pesticides, aide financière aux pays en développement (jugée insuffisante, il est important de le mentionner), entre autres.
Certes, il faudra voir comment ces décisions seront appliquées. Ces dernières nécessitent des coûts importants et une véritable volonté politique de les mettre en place, et cela, souvent contre l'intérêt des grands lobbys. Il faut aussi se rappeler que la biodiversité suscite moins d'intérêt et est moins considérée comme une menace de la part des grandes firmes polluantes que la lutte contre le réchauffement climatique, et que ces dernières étaient moins présentes à Montréal. Leur capacité de nuire a donc été moins grande pour l'occasion. Mais pour combien de temps encore ?
Malgré tous leurs défauts, en pensant aux COP, il faut se concentrer sur ce pourquoi on les a mises en place, plutôt que sur ce qu'on en a fait dans le passé. Il est important pour le mouvement social de les investir en plus grand nombre encore, de bloquer la voie aux grandes firmes qui y règnent en maitres, de ne jamais perdre le statut d'observateur et rendre compte de ce qui s'y déroule, de rappeler la nécessité d'écouter la voix des scientifiques et de continuer à faire connaitre les innombrables propositions pour effectuer une véritable transition socioécologique. Il lui faut constamment garder en vue l'objectif incontournable de la justice climatique.
Pour cela, il faut y être, oui, à ces COP, l'extérieur comme à l'intérieur des lieux officiels de rencontre, ne jamais cesser la pression concernant cet enjeu vital pour l'humanité.
Illustration (monoprint) : Elisabeth Doyon

Se faire voler sa fertilité

Des violences obstétricales, gynécologiques et reproductives ciblant en majorité des femmes autochtones, noires et racisées se perpétuent, et ce, dans une grande impunité. Perspectives sur la situation aux États-Unis, au Canada et au Québec.
La mort récente de Frentorish « Tori » Bowie, athlète afro-américaine primée en athlétisme, a causé de vives émotions sur les réseaux sociaux, particulièrement auprès des communautés noires. En juin dernier, après que les résultats de l'autopsie aient été rendus publics, on apprenait que Bowie est décédée, chez elle, alors qu'elle donnait naissance à sa fille Ariana, qui, elle non plus, n'a pas survécu. Parmi les facteurs ayant précipité son décès, on nomme une détresse respiratoire et de l'éclampsie [1]. Bowie était alors enceinte de huit mois. Selon plusieurs de ses proches, elle avait très hâte de devenir mère. Elle n'avait que 32 ans.
Toujours dans le domaine du sport, la célèbre joueuse de tennis Serena Williams révélait à Vogue en 2018 qu'elle avait frôlé la mort lors de la naissance de son premier enfant, Alexis Olympia, âgée aujourd'hui de cinq ans. Williams a expliqué avoir eu beaucoup de mal à respirer dans les jours qui ont suivi la naissance par césarienne de sa fille. Alertant rapidement le personnel médical, ses plaintes n'ont pas été prises au sérieux. Les médecins ont finalement découvert une hémorragie interne. Bien qu'ils soient parvenus à lui sauver la vie, Williams a eu besoin d'être alitée pendant six semaines.
Ces deux cas de figure médiatisés, car portés par des personnalités publiques, ont généré une avalanche de témoignages à propos des violences obstétricales et gynécologiques (VOG) que subissent les femmes noires et d'autres femmes racisées. Ils ont (re)mis en lumière la question de l'accompagnement des femmes noires et racisées dans le système de santé. En outre, une récente analyse des Nations Unies portant sur la santé maternelle des femmes et des filles afrodescendantes dans les Amériques avait mis en lumière que les femmes afro-américaines sont trois fois plus susceptibles de mourir lors de leur grossesse ou dans les 42 jours suivant un accouchement que les femmes latino-américaines et blanches. Cette iniquité persiste, peu importe le revenu ou le niveau d'éducation des Afro-Américaines. Bien que ces cas se soient déroulés chez nos voisins du sud, ils ont une résonance québécoise et canadienne. Ces violences se produisent également ici, et ce, sous diverses formes.
Portrait de la situation au Québec
Selon le collectif Stop VOG-Québec, on entend par « violences obstétricales et gynécologiques » des violences systémiques et institutionnelles qui se situent sur le continuum des violences sexuelles. Plus précisément, « il s'agit d'un ensemble de gestes, de paroles et d'actes médicaux qui vont compromettre l'intégrité physique et mentale des femmes et des personnes qui accouchent de façon plus ou moins sévère. Ces actes ne sont pas toujours justifiés médicalement, et s'opposent parfois aux données et recommandations scientifiques actuelles (IRASF, 2019). De plus, ils sont souvent faits sans le consentement libre et éclairé de la personne qui reçoit les soins ».
En 2021, un reportage de l'équipe d'Enquête de Radio-Canada, titré « On m'a volé ma fertilité », avait mis en lumière que des femmes noires et autochtones sont stérilisées contre leur gré au Québec. Plusieurs d'entre elles avaient témoigné dans le reportage s'être fait ligaturer les trompes, et ce, sans leur plein consentement. Parfois, on leur demandait de signer un formulaire qui autorise cette intervention médicale — le plus souvent, sans que la patiente ne l'ait demandé — après un accouchement, un moment tout sauf un propice à ce genre de prise de décision si importante. D'autres fois, cela pouvait être fait carrément à leur insu ou sans que le personnel médical ne leur explique avec précision les implications et les conséquences irréversibles d'une telle procédure.
Un problème connu depuis au moins 40 ans
Bien que fortement troublantes et choquantes, ces violations flagrantes des droits de la personne n'ont rien de nouveau et ont été maintes fois décriées. Dès 1982, un rapport du Conseil des Atikamekw et des Montagnais sur les soins de santé avait fait état que des femmes autochtones étaient stérilisées sans leur plein consentement. En 2022, une étude basée sur 35 témoignages menée par Suzy Basile, chercheuse et professeure à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, avait documenté le phénomène jusqu'en 2019. Parmi les faits saillants de cette étude, 22 participantes sur 35, soit 63 % d'entre elles, se sont fait proposer une ligature des trompes. L'étude confirme que le plus souvent, ces stérilisations ont été réalisées de façon précipitée, sans réelle justification ou explication, souvent après un accouchement. Le rapport fait état du grave manque de données en la matière et du fait que peu de femmes osent dénoncer ce qu'elles ont vécu en raison de la honte et de la charge émotive qui y est associée.
Pour ce qui est des femmes afro québécoises, le manque de données est encore plus criant en la matière. Un récent rapport déposé aux Nations Unies affirmait notamment que « [l]es femmes noires […] sont plus à risque de subir une stérilisation forcée ou contrainte » et que le manque de données ventilées selon l'appartenance ethnoculturelle crée des lacunes dans la cueillette d'information visant à documenter le racisme antinoir dans le système de santé au Québec. Par conséquent, les reportages télévisés et les études sous-estiment très probablement le nombre de cas réels de ces violences obstétricales, gynécologiques et reproductives.
L'aveuglement volontaire des autorités
En 2019, une porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) du Québec avait déclaré à Radio-Canada que « bien qu'il n'y ait pas de cas de stérilisation forcée recensés au Québec, il s'agit d'une problématique qui nous préoccupe ». Le président du Collège des médecins du Québec Dr Mauril Gaudreault s'est dit « renversé » et « atterré » face aux résultats de l'étude de la professeure Bazile et a réagi en invitant « toutes les personnes, tous les soignants qui ont été témoins de pareilles situations à [dénoncer] au Collège des médecins ». De plus, il avait promis de faire un nouveau rappel aux 25 000 médecins du Québec quant aux stérilisations non consenties. La réaction de « surprise » et le déni de la gravité de la situation des autorités sont choquants compte tenu des nombreux reportages télévisés ayant sonné l'alarme depuis plusieurs décennies. En outre, la décision du gouvernement du Québec en 2019 de ne pas participer à un groupe de travail mis sur pied par Ottawa réunissant les autres provinces et territoires ainsi que le gouvernement fédéral a choqué plusieurs militantes, chercheuses et juristes luttant contre les VOG envers les femmes autochtones.
Une histoire coloniale et esclavagiste
Mais pourquoi les femmes noires, racisées et autochtones sont-elles plus sujettes à vivre ce type de violence ? Une bonne partie de la réponse se trouve dans notre passé colonial et esclavagiste qui a toujours des conséquences contemporaines dans le système de santé en Amérique du Nord. Dans son essai pionnier et primé Medical Apartheid, l'écrivaine et éthicienne médicale afro-américaine Harriet A. Washington a retracé la genèse des expériences médicales non consenties que subissent les Afro-Américain·es depuis la moitié du 18e siècle. Notamment, elle y relate comment James Marion Sims, considéré comme le « père de la gynécologie moderne », a réalisé des expériences sur les corps de femmes noires mises sous esclavage dans le but de mieux comprendre les complications qui peuvent survenir lors d'un accouchement. Ces expériences étaient réalisées sans anesthésie et sans le consentement de ces femmes. Sims adhérait au mythe persistant voulant que les femmes noires soient plus « tolérantes à la douleur » que les femmes blanches.
Ses découvertes, largement saluées par le milieu scientifique, ont permis de sauver plusieurs femmes blanches (avec anesthésie) tout en niant l'accès à ces mêmes soins aux femmes noires. Bien que l'histoire des femmes noires au Canada ait été invisibilisée, à la fois par l'histoire des hommes noirs et celle des femmes blanches, le corps des femmes noires était tout autant objectifié [2], celles-ci étant agressées sexuellement de façon routinière dans le but d'augmenter la population d'esclaves. L'héritage colonial a encore de lourdes conséquences sur les interactions que les femmes autochtones au pays ont avec le personnel de la santé. Ainsi, cette histoire collective continue d'influencer l'expérience de ces femmes en contexte de maternité, et ce, malgré l'abrogation des lois en matière de stérilisation forcée au début des années 1970 [3].
Un combat qui se poursuit
Parmi les recommandations et les revendications de plusieurs groupes luttant contre les VOG, on demande la reconnaissance du racisme systémique au Québec en plus de l'adoption du principe de Joyce [4], deux choses que l'actuel gouvernement caquiste refuse de faire. Malgré cela, les groupes communautaires et les survivantes de ces violences refusent d'abdiquer. Le travail de la Coalition Stop VOG — Québec, qui réunit de nombreux groupes et actrices communautaires comme Action des femmes handicapées Montréal, le Regroupement québécois des Centres d'aide et de lutte aux agressions à caractère sexuel et la consultante périnatale Ariane K. Metellus, se poursuit. De plus, un nombre grandissant d'études qualitatives et quantitatives se préparent actuellement pour documenter davantage ce phénomène. Mais derrière des chiffres et des études, ce sont des vies qui sont chamboulées, voire brisées, et ce, parce que des acteurs et actrices du système de santé — un système où l'on nous promet, en théorie, bienveillance, soin, dignité et accompagnement — ont décidé de voler à plusieurs femmes l'une des choses qu'elles chérissaient le plus : la capacité de pouvoir enfanter.
[1] Selon le site Web Naître et grandir (2020), la prééclampsie est une forme d'hypertension qui affecte le fonctionnement normal des organes. En présence de symptômes tels que des douleurs dans la portion supérieure du ventre, des nausées et des vomissements, des troubles de la vue ou encore une difficulté à respirer, il faut consulter un médecin rapidement, car les risques de complications sont élevés.
[2] Katherine Novello-Vautour, « Discriminer le miracle de la vie : la violence obstétricale chez les personnes noires et autochtones dans les institutions de santé au Canada ». En ligne : ruor.uottawa.ca/bitstream/10393/42722/1/Novello-Vautour_Katherine_2021.pdf
[3] Ibid.
[4] « Le Principe de Joyce vise à garantir à tous les Autochtones un droit d'accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle ». Le Principe de Joyce vise également à honorer la mémoire de Joyce Echaquan décédée dans des circonstances abjectes et déshumanisantes le 28 septembre 2020 à l'Hôpital de Joliette situé près de la communauté Atikamekw de Manawan. Pour plus d'informations : principedejoyce.com
Illustration (monoprint) : Elisabeth Doyon

Ce que la migration temporaire de main-d’oeuvre dit de nous

Les Programmes des travailleurs étrangers temporaires au Canada sont populaires auprès des entreprises canadiennes, des travailleur·euses elleux-mêmes, des gouvernements et des institutions internationales. Ces programmes permettent pourtant une pure et simple exploitation des travailleur·euses, qui doivent endurer des conditions de travail et de vie inacceptables et parfois dangereuses. Et même s'ielles passent des années parmi nous, la plupart d'entre eux et elles n'auront jamais accès à un statut permanent. La migration de main-d'œuvre temporaire est-elle vraiment la voie de l'avenir ?
Les Programmes des travailleurs étrangers temporaires ont le vent dans les voiles. Alors qu'on dévoilait à l'hiver 2023, dans les pages du Devoir, que les immigrant·es temporaires [1] sont plus nombreux·euses que jamais au Québec, le gouvernement canadien s'engageait tout récemment à simplifier l'embauche de travailleur·euses étranger·ères temporaires au pays et à hausser le nombre de visas de travail temporaire octroyés. De nombreuses organisations internationales, dont l'Organisation internationale pour la migration (OIM), encouragent ce type de migration pour diminuer les flux de migration irrégulière et mitiger les dangers qui y sont associés. Et même si le sujet demeure hautement controversé, certaines ONG ont publié des études démontrant les bénéfices de la migration temporaire circulaire par rapport à la migration irrégulière ou à l'absence de toute migration.
Ces encouragements trouvent écho dans les pays d'origine des travailleur·euses. Les gouvernements eux-mêmes s'impliquent de plus en plus dans le recrutement de travailleur·euses pour l'étranger, et les agences de recrutement privées fonctionnent à plein régime, puisque des milliers de travailleur·euses se bousculent à leurs portes pour avoir l'opportunité de travailler temporairement en Amérique du Nord.
Cet enthousiasme contraste avec la réalité dépeinte par de nombreux reportages, études et documentaires réalisés sur ce sujet. On y présente la dure vie de ces travailleur·euses [2], qui sont souvent entièrement dépendant·es de leurs patrons, s'échinent au travail parfois plus de 12 heures par jour, sont isolé·es et sans moyens de transport, ont peu accès à des soins médicaux, et ainsi de suite.
Deux points de vue, mais pourtant une seule réalité. D'un côté, on insiste sur les bénéfices économiques de la main-d'œuvre temporaire ; de l'autre, on souligne la précarité systémique des travailleur·euses étranger·ères. Ce sont deux côtés d'une même médaille, d'un phénomène complexe, qui mérite que l'on s'y attarde.
Les bénéfices actuels et potentiels
Pour les défenseur·euses de la migration temporaire ou circulaire [3], il s'agirait d'un outil indispensable pour lutter à la fois contre certains problèmes économiques et démographiques (la pénurie de main-d'œuvre, le vieillissement de la population) et contre le recours à la migration dite irrégulière vers les pays du Nord. Une migration temporaire bien gérée bénéficierait donc à la fois aux États du Nord et leurs entreprises et aux États du Sud et leurs travailleur·euses. Il n'est donc pas étonnant que, parmi ces défenseur·euses, on trouve autant les gouvernements canadiens et québécois que certaines organisations internationales comme l'OIM, qui a longtemps géré elle-même la migration temporaire de main-d'œuvre guatémaltèque au Canada. Rien d'étonnant non plus à ce que plusieurs pays du Sud global cherchent à développer des partenariats avec des pays du Nord pour qu'un plus grand nombre de leurs ressortissant·es aillent y travailler, puisque l'argent injecté dans l'économie locale par les travailleur·euses migrant·es représente des sommes considérables : au Guatemala, par exemple, selon la Banque Mondiale, les envois de fonds de ces travailleur·euses (remesas) constituaient près de 18 % du PIB en 2021. Ainsi, dans ce même pays, le ministère du Travail et de la prévision sociale a créé en 2019 un département de la mobilité de main-d'œuvre (departamento de movilidad laboral) afin d'encourager le recours à des travailleur·euses guatémaltèques à l'étranger, notamment au Canada.
Selon plusieurs organisations et analystes, la migration temporaire permettrait aussi de freiner les flux de migration irrégulière et les nombreux dangers qui y sont associés en offrant des opportunités de travail régulières à ceux et celles qui fuient leurs pays pour des raisons principalement économiques. En plus de rendre inutile le recours extrêmement coûteux et peu sécuritaire à des passeurs et de permettre aux travailleur·euses d'intégrer le marché du travail du pays hôte de façon légale et réglementée, la migration temporaire régulière aurait des bénéfices plus importants pour les travailleur·euses, leurs familles et leurs communautés que la migration irrégulière ou que l'absence de migration. C'est ce que conclut une récente étude d'Action contre la faim au Guatemala, qui montre que les familles dont l'un·e des membres participe à des programmes de migration temporaire circulaire ont une plus grande sécurité alimentaire, de meilleures conditions de logement et un meilleur accès à l'éducation que les familles qui comptent sur les remesas d'un·e migrant·e en situation irrégulière.
Des impacts positifs, mais à quel prix ?
En théorie, la migration temporaire aurait donc des effets bénéfiques autant pour les gouvernements qui veulent régulariser la migration que pour les travailleur·euses qui cherchent à améliorer leurs conditions de vie. Cependant, quiconque a lu l'un des nombreux reportages sur les conditions de travail des travailleur·euses étranger·ères ou vu le documentaire Essentiels sait bien que tout n'est pas rose au pays de la migration temporaire.
Si les travailleur·euses temporaires au Québec et au Canada ont, en principe, les mêmes droits et obligations que tout autre travailleur·euse, leur vulnérabilité particulière fait en sorte que de nombreux employeurs peu scrupuleux profitent de leur présence pour les exploiter. Les facteurs de vulnérabilité sont nombreux. Tout d'abord, l'isolement est particulièrement problématique pour les travailleurs agricoles. Ceux-ci se retrouvent souvent dans de grandes fermes éloignées des centres urbains, sans moyens de transport. Impossible pour eux non seulement de fraterniser avec les habitant·es du coin, mais aussi d'accéder aux services de santé ou encore aux organismes d'aide aux travailleur·euses, qui sont de plus en plus nombreux. Certains employeurs interdisent aussi les visites dans les logements des travailleur·euses ou n'offrent pas de connexion internet stable.
Bien évidemment, la langue est aussi un facteur de vulnérabilité important, qui participe grandement à l'isolement des travailleur·euses. Même quand ceux et celles-ci ont accès aux ressources disponibles, ils et elles peuvent difficilement les utiliser. Notons cependant que de plus en plus d'organismes indépendants et d'institutions gouvernementales, comme la CNESST, proposent certaines ressources en espagnol ou des services d'interprétation.
Il faut aussi mentionner la précarité systémique du travail temporaire, qui permet, voire encourage le maintien de conditions de vie et de travail parfois inacceptables. Les travailleur·euses temporaires n'ont aucune sécurité d'emploi. Celles et ceux qui effectuent une migration circulaire sont embauché·es sur une base annuelle, sans assurance pour l'année suivante. L'immense majorité d'entre elles et eux n'ont droit qu'à des permis de travail fermés, c'est-à-dire qui les lient irrémédiablement à leur employeur, ce qui fait qu'un·e employé·e mécontent·e de ses conditions de travail ne peut pas simplement chercher un nouvel emploi. De plus, quitter son emploi actuel signifiera qu'il ou elle devra retourner dans son pays d'origine. Les travailleur·euses sont captif·ves, redevables à leur employeur pour leur avoir donné du travail, mais aussi leur logement, leurs moyens de transport, leur accès aux soins de santé. L'employeur est roi et maître de ses employé·es, au point où un groupe de chercheur·euses québécois·es a qualifié le travail temporaire agricole de néo-féodalisme [4].
Qu'on ne s'étonne pas alors que les conditions de vie et de travail parfois abominables avec lesquelles composent les travailleur·euses ne fassent pas l'objet de plus de plaintes et de dénonciations. Les travailleur·euses peuvent bien revendiquer de meilleures conditions de travail ou de logement ou demander de changer d'employeur, rien ne garantit qu'une telle demande ne suffise pas pour qu'ils ou elles se voient écarté·es à jamais des programmes de mobilité de main-d'œuvre.
La principale raison qui justifie — du moins officiellement — ce quasi-asservissement des employé·es étranger·ères temporaires à leurs employeurs tient aux coûts encourus par ces derniers : billets d'avion, études de marché, formulaires d'embauche, assurances, formations, etc. Il n'est effectivement pas simple d'employer des travailleur·euses étranger·ères au Canada, ce pour quoi de nombreuses agences de recrutement ici et à l'étranger se proposent comme intermédiaires et facilitateurs. Il serait cependant naïf d'y voir la seule et unique raison pour laquelle les programmes canadiens et québécois d'embauche de travailleur·euses étranger·ères entérinent depuis longtemps une relation de pouvoir complètement distordue entre les employé·es et les employeurs.
Une main-d'œuvre désespérée
Mais pourquoi diable, pourrait-on se demander, les travailleurs et travailleuses eux et elles-mêmes, surtout ceux et celles qui savent à quoi s'attendre, se précipitent-ils donc avec tant d'engouement dans les programmes de travail temporaire ? Dire que les travailleur·euses que nous accueillons d'un peu partout cherchent de meilleures opportunités économiques est un euphémisme. Nombre d'entre eux fuient carrément la famine. Nous oublions parfois la pauvreté des pays d'Amérique latine, mais les chiffres sont parlants : selon les chiffres de la Banque Mondiale, environ 55 % de la population guatémaltèque et 52 % de la population hondurienne vit sous le seuil de la pauvreté. Et selon un rapport récent de Médecins du Monde, un enfant guatémaltèque sur deux souffrirait de malnutrition chronique.
C'est pourquoi les travailleur·euses étranger·ères mentionnent souvent la chance qu'ils et elles ont d'avoir pu trouver un emploi à l'étranger. L'argent amassé durant ces mois de dur labeur leur permet de nourrir leur famille, d'avoir un logement adéquat, d'envoyer leurs enfants à l'école, et de façon générale d'avoir un niveau de vie décent. Mais cette chance à laquelle réfèrent autant les travailleur·euses qui en bénéficient que les employeurs qui la donnent ne peut servir à justifier des conditions de travail inacceptables.
Lorsque l'on parle des conditions de travail des immigrant·es temporaires, la plupart des acteurs s'entendent pour dire, du moins publiquement, que la situation doit être améliorée. Les gouvernements s'engagent à effectuer de plus nombreuses inspections, les entreprises de recrutement promettent de mieux trier les employeurs, des employeurs eux-mêmes dénoncent les pratiques de certains de leurs collègues. Personne n'est contre la vertu. Cependant, les modalités actuelles des programmes de main-d'œuvre étrangère temporaire laissent sans contredit place à l'abus et à l'exploitation — certain·es diraient même qu'ils sont conçus pour les permettre.
Au-delà de ces modalités particulières, une question plus complexe et plus difficile se pose. La migration temporaire, c'est-à-dire qui ne peut mener à une immigration permanente, est-elle en soi justifiable et légitime ? Devrions-nous dire, comme plusieurs syndicats et groupes de pression, que s'ielles sont « assez bons pour travailler », les travailleur·euses temporaires étranger·ères sont « assez bons pour rester » [5] ?
Les justifications de l'immigration
Comme nous l'avons dit, l'immense majorité des travailleur·euses étranger·ères temporaires ne peuvent aspirer à une immigration permanente. Tant la catégorie d'expérience canadienne, qui s'adresse aux candidat·es à l'immigration ayant déjà acquis de l'expérience de travail au Canada, que le programme d'expérience québécoise, qui s'adresse aux gens ayant étudié ou déjà travaillé au Québec, excluent explicitement les travailleur·euses étranger·ères temporaires qui font partie des catégories d'emplois considérés comme moins qualifiés, ce qui comprend bien entendu les travailleur·euses agricoles.
On mentionne souvent, lorsqu'on parle d'immigration, les objectifs d'intégration, de diversité, d'humanité. On présente la volonté du Canada d'accueillir des immigrant·es comme un exemple de valeurs multiculturalistes. Or, le fait est que l'immigration sert d'abord et avant tout à enrichir le pays hôte. C'est l'objectif avoué de presque toute politique migratoire, au Canada comme ailleurs. Pour les bons sentiments et le devoir humanitaire, il y a l'accueil des réfugié·es et les réunifications familiales. L'immigration « économique », elle, répond seulement à des critères économiques.
Le fameux système de points, qui permet de déterminer si un·e candidat·e à l'immigration pourra obtenir la résidence permanente, sert justement à mesurer les indicateurs de ces critères. On y prend en compte des facteurs comme l'âge, le nombre d'années d'expérience de travail et l'éducation. On tente de prévoir si le candidat paiera suffisamment d'impôts pour rentabiliser sa présence.
Une société démocratique comme la nôtre repose, en principe, sur l'idée que chaque citoyen·ne a un poids politique égal à celui de ses pairs. Nul besoin ici de démontrer les limites structurelles, conjoncturelles et idéologiques de ce principe, trop nombreuses pour être énumérées. Mais il n'en reste pas moins que, notamment à l'heure du choix d'un gouvernement, la voix d'un·e banquier·ère, d'un·e concierge, d'un bénéficiaire de l'aide sociale et d'un·e ingénieur·e ont le même poids, la même valeur. Ce principe d'égalité (de façade, diront certain·es) est valide pour tous·tes les citoyen·nes canadien·nes. Pour celles et ceux qui n'ont pas la chance d'avoir cette citoyenneté et qui la recherchent, en revanche, même la façade est absente. Immigrer au Canada de façon permanente est un privilège, non un droit, et ce privilège est accordé selon la valeur perçue ou prévue du candidat ou de la candidate. On classe les gens selon leur emploi, leur niveau d'éducation, leur patrimoine matériel et financier — bref, selon leur capacité à créer ou à apporter de la richesse au pays. C'est cette discrimination à la base de notre système d'immigration qui explique pourquoi les travailleur·euses étranger·ères temporaires « à bas salaire », « low skilled », ne sont même pas considéré·es comme de potentiel·les résident·es permanent·es. Même si nous avons besoin d'elles et eux, ils et elles ne seraient pas assez « bénéfiques » à notre société pour pouvoir s'y joindre.
Si l'on se permet cette discrimination, n'est-ce pas parce que l'on croit, consciemment ou non, qu'il y a bel et bien une différence de valeur entre une personne qui crée de la richesse et une personne qui ne le fait pas, ou peu ? Et si cette différence de valeur s'applique aux candidat·es potentiel·les à l'immigration, n'est-ce pas parce qu'elle s'applique aussi, implicitement, inconsciemment, à tous·tes ? Que l'on considère que la valeur d'une personne, sa contribution à la société, peut être calculée de façon monétaire ? La travailleuse agricole, le préposé aux bénéficiaires, le soudeur auraient-ils donc moins de valeur que le promoteur immobilier, l'avocate ou la dentiste ? Pour le dire plus simplement : comment devrait se sentir l'employé·e agricole canadien·ne, sachant que ses collègues étranger·ères ne sont même pas considéré·es comme assez valables pour pouvoir un jour s'établir au pays ?
Nous acceptons certain·nes immigrant·es parce qu'ils peuvent nous rendre collectivement plus riches. Pas parce qu'ils et elles se sont intégré·es à la société, pas par souci d'ouverture et de diversité, mais seulement parce qu'ils et elles peuvent faire croître notre PIB. Ce n'est peut-être pas une conclusion si surprenante, alors que toute notre vie tourne déjà autour de l'économie. C'est tout de même une conception affreusement pauvre de l'humanité.
La migration temporaire est-elle légitime ?
Malgré ses défauts, la migration temporaire de main-d'œuvre reste une opportunité pour de nombreuses personnes de se sortir de la misère et de briser le cycle de la pauvreté. Par contre, il est clair que les modalités actuelles des programmes de main-d'œuvre temporaire doivent changer au plus vite. Les permis de travail fermés doivent disparaître. L'accès aux soins de santé, même aux soins à long terme, doit être facilité. Le rapport de force complètement distordu qui existe entre les travailleur·euses temporaires et leurs employeurs doit être corrigé. La bénévolence d'un employeur ne peut être le seul rempart entre les travailleur·euses et l'exploitation.
Si l'on veut d'un système d'immigration qui se rapproche des valeurs d'égalité, de diversité et d'humanité dont notre société se réclame, il est aussi essentiel que les personnes qui viennent travailler à nos côtés depuis des années puissent avoir accès à l'immigration permanente. Tous·tes ne la voudront pas, mais ils et elles doivent avoir la possibilité de le faire. On veut bien sûr s'assurer que les nouveaux·elles immigrant·es pourront s'intégrer et qu'ils et elles ne seront pas un fardeau pour la société. Mais pourquoi seules les personnes ayant un emploi « payant » sont-elles considérées comme aptes à s'intégrer ? Pourquoi ne pas voir la société pour ce qu'elle est, un ensemble complexe de personnes ayant différents besoins, différents métiers, différentes habiletés, et non comme une machine à créer de la richesse ?
[1] Ceci inclut aussi les étudiant·es étranger·ères.
[2] NdlR : Bien qu'une très grande proportion des travailleur·euses étranger·ères temporaires au Canada et aux États-Unis sont des hommes, il existe aussi un nombre de travailleuses étrangères temporaires qui font face à des problèmes spécifiques, comme de la violence sexuelle. Par conséquent, le présent texte a été féminisé pour représenter cette réalité.
[3] La migration circulaire, qui concerne surtout les travailleurs agricoles, est une migration dans laquelle l'individu migrant alterne entre des périodes dans son pays d'origine et des périodes dans le pays d'accueil. D'autres types de migration temporaire existent, par exemple lorsque des travailleurs reçoivent des permis de travail valides pour quelques années.
[4] Gallié, Martin, Ollivier-Gobeil, Jeanne, Brodeur, Caroline, « La néo-féodalisation du droit du travail agricole : Étude de cas sur les conditions de travail et de vie des travailleurs agricoles migrants à Saint-Rémi (Québec) », Cahiers du GRIEPS, Québec, no 8, 2017.
[5] « Good enough to work, good enough to stay » est un slogan utilisé depuis longtemps par plusieurs groupes de défense des droits des travailleurs migrants, comme le Migrant Workers Center et les Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce (TUAC).
François de Montigny travaille dans le domaine humanitaire et le développement international.
Photo : Gerry Dincher (CC BY-SA 2.0)
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