Derniers articles

Critique de film—L’insurrection de la Côte-Nord, racontée par ses acteurs

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/06/871a3156-8386-53ec-b1af-704c40e82841-e1749703585324-1024x529.jpg12 juin, par Comité de Montreal
Le documentaire « Sept-Îles '72: Archives du monde ordinaire », projeté le 5 juin à Montréal dans le cadre d'une séance spéciale avec son réalisateur Etienne Langlois, raconte (…)

Le documentaire « Sept-Îles '72: Archives du monde ordinaire », projeté le 5 juin à Montréal dans le cadre d'une séance spéciale avec son réalisateur Etienne Langlois, raconte de façon captivante un des épisodes les plus mouvementés de l'histoire ouvrière du Québec. Le film s'appuie sur une (…)

Défis nucléaires et environnement par le conseil traditionnel de Kanienkehaka dans le cadre du FSMI

12 juin, par Charlie Wittendal
Abel Marius Oulai, membre du collectif Jeunesse du FSMI Vendredi 30 mai 2025, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), un moment de parole, de mémoire et de conscience (…)

Abel Marius Oulai, membre du collectif Jeunesse du FSMI Vendredi 30 mai 2025, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), un moment de parole, de mémoire et de conscience collective a réuni des participant.es venus écouter, réfléchir et échanger autour d’une question cruciale : (…)

Réactiver l’intersectionnalité : de la théorie aux terrains de lutte

12 juin, par Rédaction-coordination JdA-PA
Ebène Paul — Laboratoire des Résistances, Magma& Fadwa Cherraj — Mission Inclusion, et membres du collectif Jeunesse du FSMI 2025 Lors du Forum social mondial des (…)

Ebène Paul — Laboratoire des Résistances, Magma& Fadwa Cherraj — Mission Inclusion, et membres du collectif Jeunesse du FSMI 2025 Lors du Forum social mondial des initiatives (FSMI), Kimberlé Crenshaw, juriste et théoricienne afro-américaine à l’origine du concept d’intersectionnalité, a (…)

Décoloniser la coopération internationale

11 juin, par Charline Caro
Charline Caro, correspondante L’amphithéâtre de l’Université de Montréal était presque plein au moment où l’animateur est arrivé. Jean-Baptiste Ndiaye est responsable des (…)

Charline Caro, correspondante L’amphithéâtre de l’Université de Montréal était presque plein au moment où l’animateur est arrivé. Jean-Baptiste Ndiaye est responsable des formations à Éduconnexion, un organisme qui «outille les personnes pour qu’elles prennent part à un monde plus juste, (…)

L’entretien de la STM en grève contre le démantèlement du service

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/06/STM-CSN-Entretien-1-1024x591.png11 juin, par Comité de Montreal
En grève depuis hier matin, les travailleurs d’entretien de la STM refusent de voir le service qu'ils donnent à la population être démantelé. Coupes de personnel, baisses de (…)

En grève depuis hier matin, les travailleurs d’entretien de la STM refusent de voir le service qu'ils donnent à la population être démantelé. Coupes de personnel, baisses de services et privatisations ont commencé il y a quelques années, mais s’accélèrent. Bruno Jeannotte, président du syndicat (…)

La Palestine aujourd’hui : résister au génocide

10 juin, par Collectif La grande transition — ,
Un an et demi après le 7 octobre 2023, ce qui se déroule aujourd'hui en Palestine dépasse les logiques de guerre : c'est une entreprise de destruction génocidaire menée à (…)

Un an et demi après le 7 octobre 2023, ce qui se déroule aujourd'hui en Palestine dépasse les logiques de guerre : c'est une entreprise de destruction génocidaire menée à grande échelle, une réalité méthodiquement organisée, médiatiquement atténuée, et politiquement soutenue. La Palestine aujourd'hui, c'est l'histoire d'une complicité internationale, d'un système mondial qui hiérarchise les vies. C'est la mise en lumière de la continuation de pratiques coloniales au XXIe siècle, cachées sous la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Les populations civiles et les infrastructures clés sont exposées quotidiennement à des attaques systémiques aux conséquences humanitaires et sociales catastrophiques.

Pourtant, au cœur de cet effacement planifié d'un territoire, d'une mémoire et d'un futur, la résistance persiste. Cette résistance palestinienne collective et vitale prend diverses formes souvent invisibilisées : préservation et renforcement des liens communautaires, transmission culturelle et linguistique, engagement militant ou encore production intellectuelle. Hors de Palestine, des milliers de voix s'élèvent également et s'organisent pour dénoncer les crimes en cours, contester l'impunité, et porter des revendications claires de justice et de liberté. Cette solidarité globale participe d'une résistance transnationale qui remet en cause les récits dominants et crée des ponts entre luttes.

Comprendre le génocide en Palestine aujourd'hui, c'est donc interroger les rapports de force mondiaux, les logiques coloniales contemporaines, et les possibilités de résistance dans un monde marqué par l'impunité. C'est aussi se questionner sur les rôles et responsabilités des chercheur.e.s, juristes, journalistes, artistes et citoyen.ne.s dans la construction de la justice en Palestine.

Avec Ahmed Abu Shaban, Norma Rantisi et Rachad Antonius. Animé par Zahia El-Masri.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

La France au cœur d’une guerre d’intérêts stratégiques

La Guerre en Ukraine pourrait entrer dans les prochaines heures dans une spirale d'affrontements dramatiques, suite à l'attaque russe, hier lundi 9 juin, sur la Pologne. Un (…)

La Guerre en Ukraine pourrait entrer dans les prochaines heures dans une spirale d'affrontements dramatiques, suite à l'attaque russe, hier lundi 9 juin, sur la Pologne. Un contexte dont profite le constructeur automobile français Renault pour lancer opportunément sa chaine de production de drones.

De Paris, Omar HADDADOU

Couver la guerre biaisée et sauver ses intérêts !
Profit, matoiserie, prédation ! Autant de substantifs qui agitent les pulsions des grandes puissances industrielles, compromettant morale et équilibre géopolitique. L'Europe et les Etats-Unis se livrent à des conquêtes territoriales et énergétiques qui ne reculent devant aucune indignité. Cuirassé de sa puissance de feu, Donald Trump donne le ton dès son 2ème Investiture, le 20 janvier 2025, et dicte sa feuille de route inepte et surréaliste : Conquête du Groenland, récupération du canal de Panama et du Golfe du Mexique, provocation annexionniste envers le Canada, taxes douanières, expulsions massives des immigrés (es) qui se sont soldées par des troubles, ce dimanche 8 juin, à Downtown.
Le géant chinois, lui, ne se laisse pas dévorer par son rival, acculé à trouver un compromis dans une guerre commerciale sans merci.
Le Président américain n'ira pas de main morte à l'égard du protégé de Van der Leyen et ses largesses pécuniaires en millions de dollars. Zelensky, le choyé des Européens, doit payer ! Sa disgrâce est un choc ! La France de Macron en subira pour sa part des contrecoups accablants. Début mai 2025, le Président ukrainien, laminé par son créancier Trump, cède au deal du natif du Queens qui lui fait payer la dette de 500 milliards de dollars (aide militaire) par l'exploitation des minerais stratégiques. Trump part avec un « accord historique ! ».
Oui, il y a à boire et à manger en Ukraine !
Certains Industriels français, mus par l'opportunisme charognard, ne s'offusquent nullement de promouvoir une filière de circonstance pour leur chiffre d'affaires sur des cadavres. Aussi, selon une source d'une radio française, ce lundi 9 juin, le constructeur Automobiles Renault dont l'Etat est actionnaire, réfléchirait à l'opportunité d'installer une usine de fabrication de drones militaires en Ukraine en collaboration avec une PME française.

C'est dire la soif inextinguible du capitalisme français et ses appétits tentaculaires sous les bourrasques apocalyptiques : « Cela peut correspondre à une logique capitalistique. L'Etat français a un pouvoir d'action à l'ancienne régie, comme on dit. Les drones valent 15 ou 20 000 euros. L'idée est peut-être de ramener leur prix 5 000 ou 10 000 euros. Cela fait un effet de rattrapage pour l'industrie française » fait observer Marc Chassillan, Ingénieur militaire de formation. Et d'ajouter : « Il y a une logique industrielle. Les constructeurs automobiles sont les Rois de la production à très grande cadence et à coûts maîtrisés d'objets complexes. C'est exactement ce que cherchent les Ministères de la Défense européens ». Voilà une belle illustration des motivations réelles des engagements de Renault en Ukraine. Purement financières. Une reconversion au grès de l'évolution de la tragédie, savamment entretenue par le succès illusoire.
De grâce ! Pourquoi autant d'enfumage sur l'issue d'une guerre dont on connait l'issue ? N'est-ce pas pervers de bercer Zelensky par des chimères triomphalistes dont l'unique dessein est de s'en mettre plein les poches ? Pourquoi autant d'hypocrisie occidentale, au moment où le front ukrainien fait office de manne providentielle mal dissimulée ?

C'est maintenant ou jamais ! Vendre, vendre ! En priant avec ferveur que le conflit ne connaisse pas de répit. Pauvre Ukraine ! Comment écrire ton histoire ? Toi qui croyait en ta victoire ? Hier, Odessa et Kiev ont subi des attaques massives aériennes russes. Renault a toutes les chances de voir son marché de drones se matérialiser, les doigts dans le nez.

La Pologne ayant réagit, ce lundi, aux attaques intenses de la Fédération de Russie, se porterait certainement comme cliente potentielle pour en faire acquisition. Il va sans dire que l'escalade du conflit conforte formidablement la conquête de ce marché juteux. Des chaines de production sous la houlette du Ministère de la Défense français, seraient bientôt opérationnelles. Les drones FPV pourraient incessamment investir le front et provoquer une autre dynamique, celle de l'enlisement et de l'explosion du carnet de commandes des Industriels et Start-up opportunistes !
O.H

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Assemblée des résistances au FSMI : pour contrer les effets pervers du capitalisme extractiviste

10 juin, par Collectif Jeunes FSMI 2025
Imelda Njiki, membre du collectif Jeunesse du FSMI Une assemblée des résistances s’est mise en place dans le cadre des assemblées des intersections du FSMI le samedi 31 mai à (…)

Imelda Njiki, membre du collectif Jeunesse du FSMI Une assemblée des résistances s’est mise en place dans le cadre des assemblées des intersections du FSMI le samedi 31 mai à la Maison du citoyen Joseph-François Perrault. L’objectif : dénoncer les actes outrageux du capitalisme d’une part, et, (…)

Agir pour un monde plus juste

10 juin, par Collectif Jeunes FSMI 2025
Un atelier participatif au FSMI pour nourrir les États généraux québécois de la solidarité internationale Nina Angerville — membre du Collectif Jeunesse FSMI 2025 L’Association (…)

Un atelier participatif au FSMI pour nourrir les États généraux québécois de la solidarité internationale Nina Angerville — membre du Collectif Jeunesse FSMI 2025 L’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) a tenu un atelier, le 31 mai dernier, dans le cadre du (…)

Le féminisme en 2025 : freiner la montée du masculinisme

10 juin, par Collectif Jeunes FSMI 2025
Marie Couture et Thomas Fontaine, membre du collectif Jeunesse du FSMI Au Québec, un homme sur cinq âgé de 18 à 35 ans considère que « le féminisme est une stratégie pour (…)

Marie Couture et Thomas Fontaine, membre du collectif Jeunesse du FSMI Au Québec, un homme sur cinq âgé de 18 à 35 ans considère que « le féminisme est une stratégie pour permettre aux femmes de contrôler la société » selon un sondage de la firme léger qui paraît en 2023. C’est dans ce contexte (…)

Le féminisme en 2025 : freiner la montée du masculinisme

10 juin, par Collectif Jeunes FSMI 2025
Marie Couture et Thomas Fontaine, membre du collectif Jeunesse du FSMI Au Québec, un homme sur cinq âgé de 18 à 35 ans considère que « le féminisme est une stratégie pour (…)

Marie Couture et Thomas Fontaine, membre du collectif Jeunesse du FSMI Au Québec, un homme sur cinq âgé de 18 à 35 ans considère que « le féminisme est une stratégie pour permettre aux femmes de contrôler la société » selon un sondage de la firme léger qui paraît en 2023. C’est dans ce contexte (…)

Grèves féministes et syndicalisme au Pays Basque

10 juin, par Aiala Elorrieta Agirre, Onintza Irureta Azkune — , ,
Onintza Irureta Azkune et Aiala Elorrieta Agirre 4 juin 20252025-06-04T08:28:08+01:00 Alors que dans de nombreux pays, le syndicalisme connait un certain essoufflement et (…)

Onintza Irureta Azkune et Aiala Elorrieta Agirre 4 juin 20252025-06-04T08:28:08+01:00

Alors que dans de nombreux pays, le syndicalisme connait un certain essoufflement et peine à se renouveler, au Pays Basque, la confédération syndicale Eusko Langileen Alkartasuna (ELA) née il y a plus d'un siècle, est parvenue à se transformer pour s'adapter aux évolutions du salariat et aux exigences des travailleur·ses.

Avec Borrokan !, les Éditions syndicalistes montrent comment ce renouvellement a pu permettre des victoires dans des grèves féministes. Le livre, coordonné par la journaliste Onintza Irureta Azkune et l'économiste Aiala Elorrieta Agirre rejoint le catalogue de la collection Féministes qui veut « contribuer à la féminisation de nos syndicats et à la syndicalisation du féminisme ».

Nous publions ici un extrait qui explique les transformations opérées par le syndicat et revient sur sa structuration, reflétant ses orientations de lutte et démocratiques. Borrokan. Comment gagner une grève féministe, Editions Syndicales, 2025

ELA, un modèle syndical original et efficace

Borrokan ! En lutte ! C'est le mot d'ordre d'ELA, principal syndicat en Euskal Herria (le Pays basque). Mais ce qui fait la force et l'originalité de ce syndicat, c'est qu'il a su faire de cette formule bien plus qu'un slogan. Les militant·es de cette organisation ont su se donner les moyens de mener réellement des luttes et de les gagner, quitte à devoir pour cela bousculer beaucoup d'évidences syndicales solidement ancrées : le poids accordé au dialogue social, la conception masculine de l'action militante, la structuration autour d'une multitude de fédérations de branche, ou encore la focalisation sur le salariat stable. Grâce à cette remise en question permanente, ELA est le syndicat majoritaire en Euskal Herria, avec plus de 40 % de représentativité sur les trois provinces de la Communauté autonome du Pays basque, plus de 100 000 adhérent·es, dont presque la moitié de femmes, soit 10 % du salariat du territoire (c'est environ le taux de syndicalisation en France pour l'ensemble des syndicats)… et une lutte gagnée tous les trois jours.

Mais d'où vient ce modèle syndical qui semble si efficace ? La confédération syndicale ELA, Eusko Langileen Alkartasuna (Solidarité des travailleurs et travailleuses basques), a été fondée en 1911. Elle plonge ses racines dans le courant du syndicalisme chrétien, mais la longue période de la dictature franquiste, la répression et la clandestinité ont changé la donne. En 1976, à son 3e congrès, ELA affirme ses valeurs de base : un projet de construction nationale pour le peuple basque ; un syndicalisme de classe et socialiste. On peut y ajouter une très forte culture d'organisation, notamment interprofessionnelle, ainsi que son indépendance politique et financière.

Grâce à ces appuis solides, ELA a su évoluer peu à peu vers un syndicalisme de contre-pouvoir, délaissant l'intégration institutionnelle pour miser sur l'implantation auprès des travailleurs et des travailleuses, à la base. Cette stratégie porte rapidement ses fruits, et ELA devient le premier syndicat du Pays basque, sans pour autant se reposer sur ses lauriers. Malgré un dynamisme à faire pâlir d'envie la plupart des autres syndicats d'Europe, le congrès de 1990 pose ainsi un constat sans appel : « ELA est refermé sur lui-même, coupé de la société, dénué de capacité d'initiative et incapable de riposter ». ELA anticipe ainsi les transformations en cours du salariat, l'augmentation de la précarité et la destructuration des bastions ouvriers. Pour survivre, la confédération doit sortir de ses viviers de militant·es historiques, et aller au-devant de ces salarié·es plus précaires et fragiles.

Un projet confédéral global

Le cas de cette confédération est particulièrement intéressant sur un aspect : elle a su aller au-delà des constats, et mettre en œuvre les transformations requises dans son organisation et son fonctionnement pour répondre aux évolutions du salariat. Le cadre de ces transformations est l'idée, héritée de la génération issue de la fin du franquisme, que la seule structure qui doit perdurer est la confédération. À l'intérieur, les fédérations comme les unions interprofessionnelles sont des organes fonctionnels, reposant sur les sections syndicales sur les lieux de travail : elles doivent évoluer selon les réalités du salariat et les orientations stratégiques et revendicatives adoptées en congrès. L'organisation interne, adaptée à un moment donné du capitalisme, ne doit pas rester figée pour être en mesure de répondre aux transformations du système productif.

Ainsi, à partir de 1993, les 12 fédérations existantes sont peu à peu regroupées en 3 fédérations : services publics, services privés, et industrie-construction. Chaque fédération correspond à des formes d'organisation du travail, et donc à des manières d'organiser les salarié·es, plutôt qu'à des secteurs bien définis : une pour toute la fonction publique, industrie pour les concentrations d'emploi et les lieux où il y a un collectif de travail stable, et services privés pour les lieux d'emplois éclatés, sans communauté de travail cohérente. Un rôle central – et des moyens importants – sont conférés aux structures interprofessionnelles, les 12 comarcas (qui sont des sortes d'unions interprofessionnelles de bassin d'emploi, se rapprochant des Unions départementales françaises) qui rassemblent les 42 Unions locales. Ces comarcas ne correspondent volontairement pas à un découpage administratif, notamment pour éviter la formation de « baronnies » territoriales.

Les fédérations ont perdu leur rôle identitaire, au profit de la confédération : on est d'abord adhérent·es à ELA, qui collecte les cotisations, avant de l'être à une fédération particulière. Plus encore, c'est la distinction même entre les niveaux professionnels et interprofessionels qui s'efface : les fédérations sont représentées dans chaque comarca, les permanent·es ne sont pas cantonné·es à une structure mais sont amené·es à circuler (un·e permanent·e d'une fédération est ainsi amené·e à devenir permanent·e d'une comarca, puis d'une autre fédération, par exemple). Les élu·es du personnel dans les entreprises sont incité·es à mutualiser une partie de leurs heures de délégation pour appuyer les secteurs moins organisés – car ces heures sont dûes à tout le syndicat, et non aux seul·es salarié·es d'une entreprise donnée. On obtient ainsi un modèle confédéral « compact », véritablement décloisonné et au service des salarié·es, capables d'organiser avec succès le salariat précaire. Le fonctionnement n'est pour autant pas dirigiste, avec une forte culture démocratique et des assemblées générales fréquentes dans les entreprises et les territoires, pour favoriser en permanence l'implication des militant·es.

Les champs professionnel et interprofessionnel ne sont pas isolés l'un de l'autre, mais travaillés ensemble au quotidien : activité permanente vers les petites et moyennes entreprises, élections professionnelles, syndicalisation, tournées des boîtes, luttes locales et négociations, services juridiques, mise en œuvre des orientations stratégiques, alliances avec le mouvement social et associatif (notamment dans le collectif Charte des droits sociaux de Euskal Herria ; mais aussi avec le collectif confédéral d'Action sociale, décliné dans les comarcas, et qui permet aux militant·es de ELA d'allier leur militantisme dans le syndicat et dans le mouvement social), etc. C'est ce que ELA appelle la comarca integral : un outil de mise en œuvre des orientations confédérales, adaptées au niveau du territoire, en concevant le syndicat comme une organisation ouverte sur la société, et non pas enfermée sur le seul lieu de travail.

Une véritable autonomie financière

Une clé de ces transformations est l'autonomie du syndicat : les orientations doivent être définies de l'intérieur, et non pour se couler dans les institutions de dialogue social qui financent le syndicalisme. Une autonomie politique donc, mais qui doit être une autonomie financière pour être réelle. ELA s'est désengagée des institutions du paritarisme, se coupant ainsi des financements qui les accompagnaient, et a misé sur une hausse des cotisations mensuelles : 26 € pour un·e salarié·e à temps plein, 20 € pour un·e salarié·e à mi-temps, chômeur·e ou retraité·e, et 13 € pour les plus précaires (très faible temps de travail, retraité·e ou chômeur·e non indemnisé·e…) [1]. Bilan : aujourd'hui, ELA est financé à plus de 90 % par ses ressources propres – les cotisations de ses membres. Le syndicat est ainsi matériellement autonome de tout support extérieur.

À quoi servent ces cotisations ? Un quart sert à alimenter la « caisse de résistance », caisse de grève confédérale qui permet à ELA de tenir et de remporter des conflits très longs et très durs, de plusieurs mois, voire plusieurs années. La caisse permet de verser une indemnité de 1400 € (par mois et par gréviste), supérieure au salaire minimum, qui peut être renforcée à hauteur de 1600 € si l'entreprise compte suffisamment de syndiqué·es ELA ; voire, si la grève présente un intérêt stratégique pour la confédération, de plus de 2200 € (l'indemnité de grève ne peut pas dépasser le salaire perçu en temps normal). Des dizaines de millions d'euros ont déjà été versés par la caisse, avec à la clé de nombreuses victoires, de meilleurs salaires et plus de syndiqué·es… et donc plus d'argent pour la caisse de grève.

Une partie finance également les services juridiques d'ELA, qui comptent une centaine de personnes, et ont monté des milliers de dossiers chaque année. La présence de juristes permanent·es dans chaque comarca permet de développer la syndicalisation, en particulier des salarié·es les plus précaires, qui viennent souvent pour une assistance juridique immédiate.

Assistance juridique individuelle et collective, accès à la caisse de grève : avec de tels arguments, pas besoin de débattre longtemps des taux de cotisation trop élevés : les syndiqué·es voient bien où va leur argent, et les salarié·es sont prêt·es à adhérer.

Le résultat parle de lui-même : une lutte victorieuse tous les 3 jours en 2023, un niveau de grève au Pays basque qui est le plus élevé d'Europe, des salaires largement supérieurs à ceux du reste de l'Espagne dans de nombreux secteurs… et une marginalisation des syndicats qui ont joué le jeu du dialogue social (CCOO et UGT), en perte de vitesse depuis des années.

Un syndicat en expérimentation permanente

L'autonomie véritable de ELA permet à son fonctionnement et à ses valeurs cardinales de se concrétiser et d'évoluer en fonction des débats, des analyses et des bilans sur la situation politique et socio-économique et les évolutions du salariat.

Par exemple, après avoir appuyé le statut de la Communauté autonome du Pays basque (qui regroupe trois provinces situées sur la partie espagnole), comme cadre pour avancer vers la construction de relations professionnelles et sociales propres au Pays basque, ELA se rend compte que ce statut n'est plus un moyen adapté pour y arriver. Lors de son dernier congrès confédéral en novembre 2021, la confédération adopte la revendication d'une République basque indépendante. Le statut d'autonomie est un cadre épuisé.

On n'entrera pas ici dans les détails des orientations de ELA sur les questions socio-économiques, écologiques, internationales, etc. Elles sont proches de celles que l'on retrouve en France à la CGT, Solidaires ou la FSU. ELA a notamment mis l'accent sur le rôle clé du syndicat dans la transition écologique, et pose « la nécessité d'un changement de système de production, de distribution et de consommation permettant de répondre à la nécessité de faire décroître l'utilisation des ressources ». Cette transition devra faire le passage du « système capitaliste actuel, hétéropatriarcal, raciste, colonialiste et écocide, à un modèle social, féministe, antiraciste et éco-socialiste qui place en son cœur la vie et le soin » [2].

Vers un syndicalisme féministe

Le travail de questionnement et d'évolution permanente de la confédération s'est matérialisé sur un autre thème : celui du genre. ELA s'est donné pour objectif de devenir un syndicat féministe, et après un travail de diagnostic et de réflexion commencé en 2014, le syndicat a adopté un plan d'équité de genre en 2021. Ce plan fait l'objet de bilans d'étapes réguliers, et prévoit des évolutions sur le plan revendicatif comme sur celui du fonctionnement interne du syndicat. Il vise à faire adopter une grille d'analyse en termes de genre à chaque échelon de l'organisation : dans les négociations, la conduite des grèves, le travail juridique, les élections, la formation…

Ce plan ambitieux a pu être effectivement mis en œuvre grâce à la mise en place d'une « architecture de genre » au sein du syndicat : celle-ci consiste en un réseau de militant·es, les Irule, chargé·es de faire le lien entre ce que prévoit le plan d'équité de genre et chaque domaine d'action du syndicat (juridique, formation, négociation collective, bureau d'études, etc.). Grâce à un temps de décharge dédié à cette tâche, iels apportent une perspective de genre à tous les niveaux, et sont aussi chargé·es de collecter des informations et de partager les expériences, via différents lieux de coordination sur le sujet. Cette démarche interroge également le fonctionnement de la confédération, et veut « démanteler le modèle du syndicaliste idéal » en s'attaquant aux obstacles concrets au militantisme des femmes, notamment pour celles qui doivent s'occuper de leurs enfants et ne peuvent militer sur leur temps libre.

Un aspect central de la démarche d'ELA sur le sujet est la stratégie volontariste en direction des secteurs les plus féminisés et les plus précaires. L'organisation du syndicat, avec des services juridiques efficaces et surtout une caisse de grève solide, se sont révélés être des outils très efficaces pour y mener des grèves, dont plusieurs ont été très longues et sont devenues emblématiques. Ces conflits, pas forcément vécus comme féministes au départ par les salariées qui se battent notamment pour des augmentations de salaire, sont devenus des occasions de politisation féministe.

Ce livre raconte deux de ces luttes, étalées sur plusieurs années : celle des maisons de retraite de Bizkaia d'abord, qui totalise des milliers de jours de grève au fil des négociations des conventions collectives successives [3]. On y voit la construction par étapes d'une mobilisation puissante, qui a su sortir des frontières de l'entreprise et mettre en mouvements des milliers de salariées éparpillées dans des établissements répartis sur toute la province… et la naissance d'une véritable conscience de classe sans besoin de regrouper ces salariées dans une fédération propre à leur secteur.

Le deuxième texte relate la lutte des travailleuses du nettoyage, menée sur une base originale[4] : elles ne se sont pas contentées de pointer les écarts de salaire au sein d'une même entreprise ou d'une même branche, mais ont mis en avant l'écart de salaire entre des secteurs dont les salarié·es présentent des qualifications proches. D'un côté, le nettoyage urbain, très masculin, de l'autre, le nettoyage des bureaux, très féminisé. La dimension territoriale de la lutte touche des travailleuses d'employeurs différents, du secteur public comme du secteur privé ; une manière d'adapter nos combats aux évolutions du système capitaliste et l'organisation du travail qui en découle.

Cet ouvrage rend compte de la puissance de l'organisation collective à la base quand elle dépasse les frontières habituelles du syndicalisme. Ce récit de conscientisation, organisation et mobilisation, ce récit de grève, est une leçon d'émancipation dont nous avons tou·tes à apprendre si nous voulons construire un syndicalisme qui soit réellement de lutte de classes.

Aux Éditions syndicalistes comme au sein du collectif Syndicalistes !, les pratiques d'ELA et les victoires rapportées ici nous enthousiasment et nous inspirent. Il est urgent que nos syndicats se transforment à leur tour en profondeur pour aligner les discours et les pratiques. Nous voulons rendre nos luttes plus efficaces et fédératrices au-delà des cercles militants déjà convaincus. Nous voulons nous aussi que multiplier les victoires et unir les classes laborieuses.

Bibliographie en français sur ELA

Christian Dufour & Adelheid Hege, « 12e congrès de ELA, confédération syndicale basque », Chroniques internationales de l'IRES, no 117, 2009, p. 27-36 [en ligne].

— , « Congrès de ELA : redéfinir les priorités syndicales en temps de crise », Chroniques internationales de l'IRES, no 140, 2013, p. 41-54 [en ligne].

— , « À son 14e congrès, la confédération ELA présente un projet “plus politique que jamais” », Chroniques internationales de l'IRES vol. 2, no 158, 2017, p. 27-39 [en ligne].

« Vers une métamorphose féministe », Enbata, 2022 [en ligne].

Jon Las Heras & Lluis Rodriguez, « Un peu de réalisme stratégique. Ou comment faire une caisse de grève efficace », Syndicalistes !, 2023 [en ligne].

« 30 novembre : grève féministe générale en Euskadi » [en ligne] et « Euskadi : succès de la grève générale féministe ! », Syndicalistes !, 2023 [en ligne].

Leire Gallego, « Un bilan de la grève générale féministe du 30 novembre 2023 », Syndicalistes !, 2024 [en ligne].

SDR Amazon : une brèche dans le colosse, Manu Robles-Arangiz Fundazioa, 2025 [en ligne].

*

Traduction, prologue et notes par Baptiste, Laura et Michel, qui participent au site syndicalistes.org

Illustration : Célébration de la victoire le vendredi 27 octobre 2017 après plus de 2 ans de luttes des maisons de retraite privatisées de Biscaye.

Notes

[1]Pour comparaison, le niveau moyen de cotisation à la CGT est inférieur à 13 € par mois, alors même que les salaires sont largement supérieurs en France, et que la cotisation syndicale est ensuite remboursée aux 2/3 par les impôts…).

[2]Résolution au 15e congrès confédéral de ELA.

[3]Cette partie est la traduction d'un ouvrage de Onintza Irureta Azkune (journaliste au média Argia), Berdea da more berria. Bizkaiko egoitzetako grebalarien testigantzak (Le vert [couleur de ELA] est le nouveau violet [couleur de nombreux mouvements féministes] : témoignages de grévistes des résidences de Bizkaia), paru en 2019 chez Argia.

[4]Cette seconde partie est la traduction d'une brochure de Aiala Elorrieta Agirre (économiste à la fondation Manu Robles-Arangiz), Nola garbitu soldata arrakala (Comment combler l'écart salarial), publiée en 2023 par la fondation Manu Robles-Arangiz.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Ukraine : Solidarité avec les millions de personnes déplacées

10 juin, par Réseau Européen de Solidarité avec l'Ukraine (RESU) — , , ,
De la protection temporaire…. Immédiatement après l'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine, le 24 février 2022, un statut de « protection temporaire » a été activé et (…)

De la protection temporaire….
Immédiatement après l'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine, le 24 février 2022, un statut de « protection temporaire » a été activé et défini par une décision du Conseil de l'Union européenne (UE) du 3 mars 2022 pour les personnes déplacées d'Ukraine. Il résulte de la mise en exécution d'une directive européenne de 2001. Les pays de l'UE, à l'exception du Danemark, ont transposé cette directive au niveau national.

2 juin 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/02/ukraine-solidarite-avec-les-millions-de-personnes-deplacees/

En France, sa mise en œuvre a été remodelée à plusieurs reprises dans un sens plus favorable, notamment au niveau des droits sociaux. Son champ d'application a été précisé par la circulaire interministérielle du 10 mars 2022 puis par l'instruction du 22 mars 2022, relative à l'hébergement et au logement.

Le droit au séjour :

Les personnes éligibles à la PT sont :
➤ les ressortissant•es ukrainien•es ayant quitté l'Ukraine à partir du 24 février 2022 ;
➤ les ressortissant•es ukrainien•nes se trouvant en court séjour (moins de 90 jours) sur le territoire de l'UE à la date du 24 février 2022, mais pouvant établir qu'ils ont une résidence permanente en Ukraine ;
➤ les non-Ukrainien•nes bénéficiant en Ukraine du statut de réfugié•e ou apatride ;
➤ les non-Ukrainien•nes qui étaient titulaires d'un titre de séjour en Ukraine avant le 24 février 2022 et qui ne peuvent rentrer dans leur pays dans des conditions « sûres et durables », conditions qui sont appréciée par les préfectures après un entretien individuel ;
➤ les membres des familles des personnes précitées, y compris des ressortissant•es de pays tiers sans que ne leur soit opposable la possibilité de rentrer dans leur pays dans des conditions « sûres et durables ».

Sont exclu.e.s du bénéfice de la PT :

➤ les Ukrainien•nes présent•es en France avant le 24 février 2022 et en situation irrégulière ;
➤ les personnes non-ukrainiennes arrivées en France après le 24 février et dont la préfecture aura estimé qu'elles peuvent retourner dans leur pays d'origine ;
➤ les personnes ayant demandé l'asile en Ukraine (mais qui pourront demander l'asile en Europe, sans que le « règlement de Dublin » ne s'applique).

La revendication d'inclure ces groupes de personnes dans les ayants droit à la PT s'est faite jour en 2022 en France. Cela revenait à appliquer l'article L581-7du CESSE : « Dans les conditions fixées à l'article 7 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, peuvent bénéficier de la protection temporaire des catégories supplémentaires de personnes déplacées qui ne sont pas visées dans la décision du Conseil prévue à l'article 5 de cette même directive, lorsqu'elles sont déplacées pour les mêmes raisons et à partir du même pays ou de la même région d'origine. » La France a ignoré cette possibilité légale, à la différence de l'Espagne ou des Pays-Bas, qui en ont fait une interprétation plus généreuse.

En février 2025, 4 219 975 personnes bénéficiaient de la PT en Europe (Source : Statista), dont 98% d'Ukrainien•nes – la minorité étant composée de Russes (12 381), de Nigérians (4 988) et d'Azéris (4 235). En France, ils et elles étaient 55 680 (source : Statista). Ce sont les préfectures qui délivrent en France les autorisations provisoires de séjour (APS) de six mois renouvelées automatiquement. L'UE a reconduit la PT jusqu'en mars 2026.

Les droits sociaux

Cette APS ouvre automatiquement le droit à l'exercice d'une activité professionnelle, de s'inscrire à Pôle emploi/ France Travail et de percevoir des indemnités chômage.

La PT ouvre le droit à l'allocation pour demandeur•euse d'asile, à l'assurance maladie sans délai de carence ainsi qu'à une complémentaire santé sans examen des ressources, ainsi qu'aux allocations familiales et à l'APL.

Toute personne déplacée d'Ukraine a eu droit à un premier accueil d'urgence, puis un hébergement transitoire a été offert aux personnes bénéficiaires de la PT. Cet hébergement a été souvent le fait d'associations, grâce surtout à l'hébergement citoyen, encouragé. Cette seconde phase, qui a pris fin avec l'absence de budget dédié en 2025, devrait déboucher à terme sur la mise à disposition de logements pérennes par des acteurs publics ou privés. Les bénéficiaires de la PT peuvent demander un logement social.

Le droit aux études

Les étudiant•es bénéficiaires d'une PT inscrit•es pour des études supérieures peuvent obtenir une bourse selon des critères sociaux.

L'apprentissage du français est offert dans le cadre de l'intégration républicaine sans que les personnes aient à signer ledit contrat. Une formation linguistique est prévue dont le contenu a été précisé le 3 mai 2022. Les enfants sont scolarisés obligatoirement jusqu'à 16 ans. L'accueil en crèche est gratuit.

Le droit de vivre en famille

Les bénéficiaires de la PT ont le droit d'être rejoints par les membres de leur famille (conjoint•e, partenaire dans une relation stable, enfant mineur, personne à charge) qu'il soit bénéficiaire de la protection dans un autre État ou qu'il soit hors UE.

Accès au droit d'asile

Les personnes sous PT et les demandeurs d'asile en Ukraine peuvent demander l'asile sans être placées sous procédure Dublin. En cas de rejet, les premières ne perdent pas la PT.

L'accès à la protection temporaire

La personne désirant être protégée doit, dans un délai de 90 jours après son entrée en France, se présenter en préfecture ou via des guichets internet de cette dernière. Ce premier accueil doit informer les personnes, quelle que soit leur nationalité, sur leurs droits au séjour, y compris les personnes en transit, recenser celles présentant des vulnérabilités, évaluer les besoins en hébergement, et prendre en charge les besoins essentiels (alimentation, hygiène, habillement).

… à la demande d'asile

La mise en œuvre de la directive, si elle a eu l'inconvénient de créer une nouvelle catégorie d'exilé•es avec des droits différents, a eu le mérite d'avoir offert aux personnes déplacées d'Ukraine des droits inédits. L'Europe forteresse ne serait donc pas une fatalité. Et la mise à disposition de moyens, quoi qu'il en coûte, s'est révélée une question de volonté politique. Par ailleurs, la mise en œuvre de la directive a révélé que le règlement de Dublin est une fois de plus inapplicable et est passée outre ce dernier.

L'impossibilité de retourner en Ukraine pour beaucoup, le caractère temporaire de cette protection, sa reconduction, incertaine d'année en année, ajoutés à l'exclusion des bénéficiaires de la PT d'un certain nombre de droits – allocation de rentrée scolaire, allocation adultes handicapés, revenu de solidarité active, prime d'activité, allocation personnes âgées, etc., – poussent de plus en plus de bénéficiaires de la PT à demander l'asile en France. En 2024, la demande d'asile des Ukrainien•nes a été multipliée par 4, portant leur nombre à plus de 11 800, ce qui en a fait la deuxième nationalité après les Afghans. Elle concerne des femmes, d'âge mûr, et bénéficiaires de la PT. Deux types de réponses peuvent être apportés :

– le bénéfice du statut de réfugié•e en France, ouvrant le droit à un titre de séjour de dix ans, extrêmement rare en ce qui concerne les Ukrainien•es, du fait des critères définissant le-la « réfugié•e », une personne craignant des persécutions du fait de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions ;
– le bénéfice de la protection subsidiaire (en raison de menace grave et individuelle contre la vie ou la personne du demandeur•euse, en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international) ouvrant le droit à un titre de séjour de quatre ans. Ces critères ont permis d'accorder le bénéfice de cette protection aux Ukrainien•nes venu•es des régions orientales et méridionales de l'Ukraine. Pour les autres, ce sera un refus et leur maintien dans le statut de la PT.

L'après-mars 2026 se prépare en Europe : la Pologne, la République tchèque et l'Italie ont pris des mesures permettant aux personnes de sortir de la PT par l'octroi de permis de séjour basés sur l'emploi, ce que semblait préconiser aussi Michel Barnier : « Accélérer l'accès au séjour des bénéficiaires de la protection temporaire les mieux insérés » (4 décembre 2024)

Télécharger le document complet au format PdF :
4-pages-REFUGIESV6-LB-MS

****

Pour une paix juste et durable en Ukraine plus que jamais renforcer le soutien à la résistance du peuple ukrainien
Télécharger le document complet au format PdF :
resu_4-pages-ukraine_mai-2025

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Qu’est-ce qui empêche la fin de la guerre en Ukraine ? Deux problèmes principaux

9 juin 2025 | Lettre de Vitaly Dudin Malgré certaines attentes, la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine se poursuit et s'intensifie. Chaque jour, je vois (…)

9 juin 2025 | Lettre de Vitaly Dudin

Malgré certaines attentes, la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine se poursuit et s'intensifie. Chaque jour, je vois des images terribles de destructions massives dans ma ville natale de Kyiv, à Kharkiv et dans d'autres belles villes, et qui sont difficiles à imaginer. Des scènes dignes d'un film catastrophe font désormais partie de notre quotidien. Les endroits où nous avions l'habitude de nous promener sont réduits à un tas de cendres et de ruines. Pendant ce temps, les envahisseurs russes lancent de nouvelles attaques, non seulement à l'est et au sud, mais aussi au nord, dans la région de Soumy. Ici, en Ukraine, cette guerre a véritablement le caractère d'une guerre populaire en raison de l'ampleur de la participation de la population à l'effort de guerre : plus d'un million de personnes servent dans l'armée, un peu plus sont engagées dans les secteurs critiques des infrastructures et beaucoup d'autres participent à des activités bénévoles.

Les négociations d'Istanbul cachent les plans expansionnistes de Moscou et ont peu de chances d'aboutir.

Même ma vie de civil et de militant pour les droits du travail a radicalement changé. Je reçois des messages de cheminots qui ont besoin d'argent pour acheter des drones et d'autres équipements ; des proches de travailleurs morts lors de frappes de missiles sur leur lieu de travail m'informent des problèmes liés à l'aide sociale ; des infirmières près de la ligne de front se plaignent de ne pas recevoir les primes auxquelles elles ont droit. Nous parvenons parfois à surmonter ces difficultés, mais nous voulons tous que la guerre se termine le plus rapidement possible.

Bien sûr, la résistance héroïque des défenseurs ukrainiens et les opérations spéciales remarquables menées sur le territoire russe ont largement contribué à démilitariser la machine de guerre du Kremlin. Mais après avoir perdu le soutien militaire des États-Unis, les chances de victoire stratégique de l'Ukraine se sont amenuisées.

Les négociations d'Istanbul ont clairement démontré que la position ukrainienne était devenue beaucoup plus flexible et visait une solution pacifique (un cessez-le-feu de 30 jours, par exemple). Au contraire, les exigences russes semblent encore plus offensives et agressives. Grâce à Donald Trump, la Russie a pris l'initiative sur le champ de bataille, ce qui reflète la réalité objective. L'impossibilité de mettre fin à la guerre découle de la faiblesse de la position de négociation de l'Ukraine et ne peut être surmontée par une mobilisation plus sévère des hommes.

Alors, quels sont les facteurs qui affaiblissent l'Ukraine ?

Problème n° 1 – Le pseudo-pacifisme des forces progressistes occidentales

Le premier problème est particulièrement douloureux à admettre pour moi. Beaucoup de personnes au sein du mouvement socia7liste refusent traditionnellement d'aborder des questions telles que la violence, l'État et la souveraineté. Cela les conduit à une mauvaise compréhension de la situation ukrainienne. Certaines d'entre elles ne reconnaissent pas la nature décoloniale et anti-impérialiste de la lutte ukrainienne. Cette analyse repose sur une vision dépassée du système international, où les États-Unis sont considérés comme le seul impérialiste et la Russie comme sa victime. Même Donald Trump, qui « comprend » chaleureusement le sentiment impérialiste de Poutine, n'a pas changé les conclusions des personnes qui se disent intellectuels de gauche. Les régimes les plus réactionnaires de l'histoire américaine et russe exercent une pression énorme sur l'Ukraine, tandis que certains cherchent des arguments pour expliquer pourquoi la nation attaquée ne mérite pas le soutien international. Je me demande comment les protagonistes de la théorie de la « guerre par procuration » vivent avec le fait que l'Ukraine poursuit son combat sans l'aide directe des États-Unis et malgré leur opposition.

Beaucoup de militants de gauche s'opposent au soutien militaire en raison de leur éthique antimilitariste. Fournir une motivation philosophique sophistiquée pour ne pas envoyer d'armes à un pays envahi conduit à davantage de souffrances pour des innocents. Le caractère contradictoire de cette affirmation devient particulièrement absurde lorsqu'elle est défendue par ceux qui se prétendent révolutionnaires ou radicaux... Pour moi, il est clair que ces rêveurs veulent mener une vie prospère au sein du système capitaliste sans avoir de réelles perspectives de le renverser. Être contre l'armement, c'est se réconcilier avec le mal de l'esclavage.

Vivre sous la protection de l'OTAN et craindre une « militarisation excessive » de l'Ukraine semble hypocrite.

Et l'inverse : si les travailleurs ukrainiens gagnent la guerre, ils seront suffisamment inspirés pour poursuivre leur lutte émancipatrice pour la justice sociale. Leur énergie renforcera le mouvement ouvrier international. L'expérience de la résistance armée et de l'action collective est une condition préalable essentielle à l'émergence de véritables mouvements sociaux qui remettront en cause le système.

Problème n° 2 : l'incapacité de l'État ukrainien à faire passer l'intérêt public avant les intérêts du marché

Les élites au pouvoir en Ukraine promeuvent le libre marché et le système axé sur le profit comme seul mode d'organisation possible de l'économie. Toute idée de planification étatique ou de nationalisation des entreprises peut être rejetée comme un héritage soviétique. Le problème est que la version ukrainienne du capitalisme est totalement périphérique et incompatible avec la mobilisation des ressources nécessaires à l'effort de guerre.

Le dogmatisme idéologique dominant place l'Ukraine dans le piège de la privatisation économique et d'une grande dépendance à l'aide étrangère.

Nous vivons dans un pays où les hommes d'État sont riches et l'État pauvre. Le gouvernement tente de réduire sa responsabilité dans la gestion du processus économique et d'éviter d'imposer une taxe progressive élevée aux riches et aux entreprises. Cela conduit à une situation où le fardeau de la guerre est supporté par les citoyens ordinaires qui paient des impôts sur leurs maigres salaires, qui servent dans l'armée, qui perdent leur maison...

Il est impossible d'imaginer un chômage en période de guerre totale. Mais en Ukraine, il existe parallèlement à un niveau extrêmement élevé d'inactivité économique de la population et à une pénurie incroyable de main-d'œuvre. Ces lacunes s'expliquent par la réticence de l'État à créer des emplois et par l'absence de stratégie visant à impliquer massivement la population dans l'économie par le biais des agences pour l'emploi. Nos politiciens pensent que les déséquilibres historiques sur le marché du travail peuvent être résolus sans intervention active de l'État ! Malheureusement, les réformes de déréglementation mises en place pendant la guerre ont créé de nombreux facteurs dissuasifs qui découragent les Ukrainiens de trouver un emploi salarié. C'est pourquoi la qualité de l'emploi doit être améliorée par une augmentation des salaires, des inspections du travail rigoureuses et un large espace pour la démocratie sur le lieu de travail.

Seule une politique socialiste démocratique peut ouvrir la voie à un avenir durable pour l'Ukraine, où toutes les forces productives travailleront pour la défense nationale et une protection socialement juste.

Nous devons maintenant aller droit au but. Sans un soutien militaire et humanitaire complet, l'Ukraine ne sera pas en mesure de protéger sa démocratie et sa défaite aura des répercussions sur le niveau de liberté politique dans le monde entier. Mais d'un autre côté, nous devons critiquer les responsables gouvernementaux ukrainiens et leur incapacité à mettre fin au consensus néolibéral qui sape l'effort de guerre. Il serait particulièrement difficile de gagner une guerre contre un envahisseur étranger alors que le pays est confronté à de nombreux problèmes internes, liés à une économie capitaliste dysfonctionnelle.

9 juin 2025

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Lettre à Mark Carney sur l’entente de libre-échange Canada-Équateur

10 juin, par Communiqué des réseaux
La lettre suivante a été envoyée au premier ministre Mark Carney par 29 coalitions, organisations de la société civile et syndicats canadiens, dont MiningWatch Canada, le 6 (…)

La lettre suivante a été envoyée au premier ministre Mark Carney par 29 coalitions, organisations de la société civile et syndicats canadiens, dont MiningWatch Canada, le 6 juin 2025. Le très honorable Mark Carney Premier ministre du Canada Cabinet du premier ministre 80, rue Wellington Ottawa (…)

Les élections législatives mises en perspective. Les défis du Bloco de Esquerda

10 juin, par Bloco de Esquerda — , ,
4 juin 2025 | tiré du site alencontre.org | Photo : Mariana Mortágua en conférence de presse. https://alencontre.org/europe/portugal/portugal-dossier-les-elections-legislatives-mi

4 juin 2025 | tiré du site alencontre.org | Photo : Mariana Mortágua en conférence de presse.
https://alencontre.org/europe/portugal/portugal-dossier-les-elections-legislatives-mises-en-perspective-les-defis-du-bloco-de-esquerda.htmlOnintza Irureta Azkune et Aiala Elorrieta Agirre

Les résultats électoraux portugais définitifs des législatives du 18 mai (voir article publié le 21 mai) sont tombés suite à l'enregistrement des résultats recueillis dans les deux circonscriptions de l'émigration (« des expatrié·e·s »). Quatre députés sont élus dans ces circonscriptions. Fin mai, les résultats sont les suivants : 2 élus pour Chega (extrême droite « ça suffit ») et 2 pour l'Alliance démocratique (coalition de droite formée par le Parti social-démocrate (PPD/PSD), le CDS – Parti populaire-CDS-PP et le Parti populaire monarchiste-PPM). Dès lors, la droite AD détient 91 sièges (89 du PSD et 2 du CDS-PP) et Chega devient le deuxième parti en termes de députés, avec 60 élu·e·s. Le PS se retrouve déplacé au troisième rang avec 58 sièges.

Le quotidien Publico du 28 mai souligne que « dans la circonscription européenne, Chega remporte une victoire confortable avec 28,2% des voix, soit 10 points de pourcentage de plus qu'en 2024. L'AD n'a pas dépassé 14,7% et le PS, qui recule de la deuxième à la troisième place en Europe, a obtenu 13,5%. » Chega a obtenu ce résultat en recueillant particulièrement les voix des émigrant·e·s portugais vivant en France, en Suisse, en Belgique et aux Luxembourg. C'est la première fois, depuis 1976, que le PS n'élit pas de députés parmi les émigré·e·s, alors que la circonscription européenne était considérée comme « un bastion social-démocrate ».

Le graphique ci-dessous illustre la situation politique en termes parlementaires, à ce jour, 3 juin, où s'ouvre la XVIIe législature. Nous publions ci-dessous un premier bilan établi par le Bloco de Esquerda et diverses contributions. (Rédaction A l'Encontre)

*****

Le Bloco veut « résister » et « se relever », mais aussi « élargir ses alliances » pour continuer à se battre avec détermination

Par Bloco de Esquerda

Dans sa résolution, la direction du Bloco de Esquerda (Bloc de gauche) tire le bilan des élections législatives du 18 mai, au regard de la conjoncture et de la campagne du parti afin de trouver des réponses pour l'avenir.

Le Bloco de Esquerda a obtenu le pire résultat de son histoire à des élections à l'Assemblée de la République. Le Bloco regarde ces résultats avec préoccupation et entend dresser un bilan qui permette de corriger les erreurs commises, d'écouter l'ensemble de ses militant·e·s ainsi que des personnes qui ne sont pas membres du parti, et de faire porter à maturation une orientation qui assure la pérennité de ce projet politique, de sa présence dans les luttes sociales et de son offre alternative. Ce processus ne peut se faire dans la précipitation ni en cherchant une explication unique. Il exige du temps, de l'humilité, de l'ouverture et la volonté de trouver des voies que nous ne découvrirons qu'ensemble.
Le total des voix des partis à la gauche du PS est le plus bas jamais enregistré, et il en va de même lorsque l'on inclut le PS dans ce total. Ces défaites – de l'ensemble de la gauche et du Bloco – exposent le pays à de graves risques. Pour que nous puissions les comprendre, il faut étudier les facteurs qui ont déterminé ce désastre électoral, ainsi que les spécificités de chaque force politique. Cette résolution examine certaines conditions politiques nationales et internationales et leur impact, en particulier la manœuvre du Premier ministre [Luis Montenegro du PSD], l'effet de la place de l'immigration au cœur du débat politique et encore la peur de la guerre. Elle engage également une réflexion sur notre campagne.

Le contexte des élections

La crise politique créée par le Premier ministre Montenegro à la suite de la violation de son obligation de se consacrer exclusivement à sa tâche [conflit d'intérêts lié au maintien de la gestion de sa société immobilière par sa famille] s'est transformée une manœuvre sans précédent dans l'histoire récente du gouvernement, qui a contribué à la dégradation du climat politique. Elle s'est avérée être un succès pour Montenegro, en lui permettant de retrouver sa capacité d'initiative. Sa première déclaration, en faveur d'une révision constitutionnelle avec le soutien de l'Initiative libérale (IL-Iniciativa Liberal) et Chega (extrême droite), même si elle était enrobée dans une déclaration d'ouverture, est une menace flagrante et très grave contre certains des piliers des acquis démocratiques de la Révolution des Œillets [voir ci-après la contribution de Maria J. Paixão – réd.].

La place centrale prise par la question de l'immigration dans le débat politique a été un facteur important dans la défaite de la gauche. Le Portugal connaît l'une des transformations les plus profondes de sa composition sociale et du profil de sa classe laborieuse. En quelques années, le nombre de travailleurs étrangers a été multiplié par dix et représente aujourd'hui environ un tiers de la population active. Une partie importante de cette nouvelle classe ouvrière ne vient pas des pays lusophones. Dans ce contexte, la défaillance des services d'accueil et de régularisation et le manque de moyens consacrés à des réponses d'ensemble en matière de logement, de services publics et d'accès à la langue ont renforcé le discours de l'extrême droite. Ce discours a été repris par le gouvernement pour justifier la nouvelle législation et légitimé, par ailleurs, par le recul du PS sur cette question. Ce discours a été relayé par le sensationnalisme de certains médias et surtout par la manipulation des masses à travers les réseaux sociaux [1]. En effet, l'extrême droite a réussi à faire de l'immigration l'explication de toutes les difficultés de la population, du logement au système de santé.

Le Bloco et d'autres partis ont été pénalisés dans les urnes en raison de cette situation. La leçon à en tirer est que différents éléments restent essentiels : l'action militante antiraciste et antifasciste, la création d'espaces communs et unitaires, l'intervention dans les quartiers populaires où il faut affronter l'autoritarisme et les discours de haine. Il est indispensable de trouver les moyens d'ouvrir les syndicats aux travailleurs étrangers, de créer des mécanismes d'inclusion, d'empêcher l'exploitation des différences qui nourrissent le ressentiment social. La lutte contre la division de la classe laborieuse est essentielle aujourd'hui comme demain.

La réélection de Trump a des conséquences multiples en matière de politique internationale, qui favorisent l'extrême droite : premièrement, elle encourage le génocide à Gaza et place Netanyahou à l'abri des pressions internationales, en s'en prenant aux gouvernements qui ont dénoncé le génocide des Palestinien·nes, comme celui de l'Afrique du Sud ; deuxièmement, elle recherche une alliance avec Poutine ; troisièmement, elle met en place une internationale réactionnaire qui implique directement l'administration états-unienne dans les élections en Allemagne [soutien de JD Vance à l'AfD] et dans d'autres pays européens ; quatrièmement, elle utilise les droits de douane comme un instrument de politique économique visant à soumettre ses alliés et partenaires et à s'opposer à la Chine.

Dans ce contexte international, le Bloco de Esquerda a bien identifié le risque d'accentuation du virage à droite observé depuis un an, en particulier sous l'effet de la montée de la pression militariste dans ce nouveau contexte. Cette pression suscite la peur et fait basculer la politique vers la droite, amenant les partis du centre à accepter la course aux armements en Europe et la soumission à l'OTAN.

Ces trois facteurs – la stratégie de l'Aliança Democrática (coalition de la droite), qui a repris le discours sur la stabilité qui a donné la majorité absolue au PS en 2022 ; la centralité de la question de l'immigration, déterminante pour toute la politique nationale ; et la peur face à la propagande militariste – ont été déterminants dans le contexte général des élections.

La réponse immédiate à la menace qui pèse sur la Constitution

La plus forte évolution observée le 18 mai a été la progression de Chega. Ce résultat démontre sa capacité à conserver l'électorat qu'il avait récupéré parmi les abstentionnistes en 2024, tout en l'augmentant sur l'ensemble du territoire, en particulier dans les zones les plus défavorisées socialement, à l'intérieur du pays et dans les anciennes ceintures industrielles. Devenu, comme prévu, le deuxième parti en nombre de député·e·s (une fois le dépouillement des votes des circonscriptions électorales de l'émigration terminé), Chega entre désormais bel et bien dans la course pour le gouvernement. Cette nouvelle situation se traduira par une dégradation générale des conditions d'exercice de la démocratie, tant au parlement (où Chega mène depuis plusieurs années une stratégie de sape des conditions de débat et d'expression) que dans la société, avec la banalisation de la violence raciste, machiste, transphobe, homophobe et, plus généralement, fasciste. En devenant majoritaire dans le sud du pays et à Setúbal [à 40 km au sud de Lisbonne], et en renforçant son résultat dans tous les districts, l'extrême droite gagne des voix populaires, y compris de nombreuses voix qui étaient auparavant gagnées par les forces de gauche. Fort de cette représentation, Chega va aggraver sa campagne xénophobe et antidémocratique, en coordination avec les groupes criminels qui gravitent autour de lui (voir la récente attaque contre la manifestation du 25 avril par une bande néonazie, immédiatement applaudie par Chega).

Dans la nouvelle configuration parlementaire, aucun des trois principaux partis ne peut former une majorité avec des partis plus petits. Cependant, pour la première fois, les partis à droite du PS dépassent le seuil des deux tiers qui leur permet de modifier la Constitution. Ce fait prend une importance capitale dans la situation politique actuelle et représente un risque réel de modification régressive du système constitutionnel, compte tenu des antécédents du PSD en la matière, qu'il s'agisse de l'attaque contre les retraites menée dans le cadre du plan d'austérité imposé par la troïka, des propositions de révision de la loi électorale ou encore des récentes déclarations sur le droit de grève. Iniciativa Liberal (IL) et Chega ont déjà annoncé leurs intentions. Le Bloco de Esquerda considère qu'il est essentiel que toutes les voix et toutes les forces politiques qui se reconnaissent dans les valeurs et le texte de la Constitution du 25 avril [1976] s'expriment de manière unie, afin de défendre les libertés et les garanties qu'elle consacre.

Pour le Bloco, l'objectif n'est pas seulement de résister à la vague fasciste et xénophobe ou aux alliances possibles et dangereuses entre la droite et l'extrême droite, ou encore au soutien du PS au gouvernement de Montenegro. L'objectif du Bloco est de se relever, de se reconstruire, de créer et d'élargir des alliances et de lutter avec détermination pour notre peuple.

La campagne du Bloco

Dans le nouveau contexte politique, nous avons revu notre modèle de campagne. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur quelques thèmes essentiels auxquels nous avons accordé la plus grande importance, en cherchant à les placer au centre du débat public : plafonnement des loyers, droits des travailleurs par équipes [3×8]] et impôt sur la fortune. Nous n'avons pas abandonné les autres combats programmatiques qui font l'identité du Bloco, tels que les services publics, l'égalité, le rejet de la xénophobie ou l'opposition à la guerre, mais nous nous sommes concentrés sur ces thèmes afin qu'ils deviennent notre marque distinctive. C'est également ainsi que nous avons évité un débat stérile sur la gouvernabilité, en mettant en avant les mesures qui permettraient d'améliorer la vie d'une partie importante de la population et que notre représentation parlementaire défendrait en toutes circonstances. Cette politique a porté ses fruits : la question du plafonnement des loyers a occupé une place importante dans le débat politique, elle a obligé tous nos adversaires à se prononcer, a été renforcée par les nouvelles de plus en plus alarmantes sur la crise du logement et a été identifiée par la population comme une solution crédible. Elle continuera d'être l'un des combats les plus importants pour la vie de notre peuple – même la majorité des familles de travailleur·ses, qui achètent leur propre maison, savent que leurs enfants ne pourront pas en faire autant et ne parviennent déjà pas à louer un logement. La deuxième proposition, sur le travail par équipes, a été soutenue par des milliers de travailleur·ses. Cependant, aucune de ces propositions n'a permis de relancer la dynamique électorale dans le contexte décrit ci-dessus.

Deuxièmement, notre campagne a favorisé les initiatives décentralisées de contact direct, par le porte-à-porte. Nous avons frappé à plus de vingt mille portes et lancé une forme d'action politique qui sera fondamentale à l'avenir. Nous l'avons fait de manière différenciée dans le pays, en mobilisant des jeunes militant·e·s, des adhérent·e·s récents et plus anciens, qui ont constaté qu'ils pouvaient intervenir directement et non pas en tant que spectateurs de la campagne électorale. Pour la même raison, nous avons remplacé les traditionnels meetings par des « cafés-débats », ouverts au dialogue avec tout le monde, et par des fêtes et des réunions publiques créatives et animées.

Troisièmement, nous avons mobilisé toutes nos forces, y compris avec les candidatures des fondateurs du parti. Ces candidatures n'ont pas eu d'effet électoral, mais elles ont eu un effet militant, dynamisant les campagnes dans les grands districts.

Ces choix n'ont pas permis d'inverser la tendance électorale et le Bloco a subi sa pire défaite. Et sachant que la discussion sur le bilan des élections permettra d'identifier les erreurs et d'évaluer, au-delà des questions mentionnées, les modèles de communication, les formes d'organisation, la pédagogie de la campagne, l'adéquation des réponses aux campagnes diffamatoires, ou d'autres aspects de cette bataille, le Bloco affirme qu'il ne cessera de lutter pour ce que nous avons mis en avant lors de ces élections : pour une politique populaire du logement, pour les droits de qui travaille, contre les inégalités et pour la qualité et le maintien des services publics, contre les menaces fascistes et pour l'unité dans la défense de la vie démocratique et des règles constitutionnelles qui la protègent.

Délibérations

Les 13 et 14 juin, à Porto, le Bloco de Esquerda accueille le congrès fondateur de l'Alliance de la gauche européenne pour les peuples et la planète, un nouveau parti politique européen qui réunit le Bloco de Esquerda (Portugal), La France Insoumise (France), l'Alliance de gauche (Finlande), Podemos (Espagne), l'Alliance verte et rouge (Danemark), Razem (Pologne) et le Parti de gauche (Suède). La montée des forces d'extrême droite et les crises sociales, environnementales et internationales exigent une coopération plus efficace de la gauche verte, féministe et antiraciste européenne. Le Bloco de Esquerda s'engage dans cette nouvelle alliance et invite ses adhérent·e·s et sympathisant·e·s à participer activement à ce temps de débat et d'apprentissage. Lors de ce congrès, ouvert à la participation d'autres forces de gauche, européennes et internationales, ainsi qu'aux mouvements sociaux et militants, nous souhaitons créer de nouvelles formes de travail solidaire et préparer des actions concrètes de mobilisation contre le capitalisme et la guerre, de résistance à l'extrême droite et de reconquête de majorités sociales à gauche.

Le Bloco de Esquerda continuera à préparer ses candidatures aux élections municipales, réaffirmant son engagement en faveur d'accords programmatiques pour une convergence à gauche, que ce soit avec le PS à Lisbonne pour battre Carlos Moedas [maire de Lisbonne depuis 2021, membre du PSD], ou pour affirmer des alternatives municipales à gauche. Même dans les communes où le Bloco a déjà présenté sa liste, il reste ouvert à des rapprochements, dans la mesure du possible, avec le PCP, Livre (les Verts), le PAN [Personnes-Animaux-Nature] et les mouvements citoyens.

Au vu des nombreuses adhésions de jeunes enregistrées tout au long de la campagne électorale et dans les jours qui ont suivi les élections, le Bureau national réitère son appel à participer au « Campement Liberté » qui se tiendra dans le centre du pays du 24 au 27 juillet. Cette rencontre, ainsi que d'autres rencontres élargies de formation et de débat politique, comme « Socialisme 2025 », qui se tiendra du 29 au 31 août, sont essentielles dans cette nouvelle phase de la vie du pays.

Face à la nouvelle situation politique et à la lourde défaite électorale du Bloco, le Bureau national décide de convoquer une nouvelle Convention nationale les 29 et 30 novembre. Il ne s'agit pas de reprendre le processus qui avait été suspendu en raison des élections, car le changement de la situation politique nationale, la nécessité d'une réflexion approfondie et de la définition d'une orientation pour les années à venir ne pouvaient être traités comme la simple conclusion d'un processus entamé en janvier 2025, alors que la convocation d'élections législatives n'était même pas envisagée et que Trump n'avait pas encore pris ses fonctions. Avec cette décision s'ouvre une nouvelle période pour la présentation de motions d'orientation avec une mise à jour de la liste des adhérent·e·s ayant le droit d'élire et d'être élu·e·s délégué·e·s. – 24 mai 2025 (Traduction par Pierre Vandevoorde – ESSF ; édition rédaction A l'Encontre)


[1] Le quotidien Publico, en date du 29 mai, titre « La désinformation augmente au Portugal et Chega est le parti qui y contribue le plus ». L'auteure de cet article, Barabara Baltarejo, cite une étude du MediaLab qui indique que, « parallèlement, André Ventura [chef de Chega] a été le leader politique qui a le plus dominé les réseaux sociaux, tant en termes de portée que de production de contenu. Il a atteint neuf millions de followers sur Facebook et 5,4 millions sur Instagram en seulement une semaine. Il convient de noter que les neuf millions de vues du leader de Chega sur Facebook sont plus de neuf fois supérieures au nombre de vues de tous les autres leaders politiques analysés par MediaLab. Les leaders du PSD, du PS, du BE, du Livre, du CDS et du PAN ont totalisé 724 079 vues. » (Réd. A l'Encontre)

*****

La démocratie et l'Etat social « sont en danger » avec la révision constitutionnelle de la droite

Par Bloco de Esquerda

Une délégation du Bloco de Esquerda composée de la coordinatrice du parti Mariana Mortágua et des dirigeants Fabian Figueiredo et Jorge Costa a été reçue ce jeudi 22 mai au palais de Belém [par le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa. Cette rencontre s'inscrit dans le cadre des consultations menées par le président de la République au sujet des résultats électoraux, qui ne seront définitifs qu'après le dépouillement des votes des expatriés [voir résultats en introduction de ce dossier].

A l'issue de l'audience, Mariana Mortágua a souligné que « la droite n'a pas tardé à dire ce qu'elle pensait », dès les premières déclarations d'intention de l'Initiative libérale [IL] de profiter de la majorité parlementaire avec l'extrême droite [Chega] pour ouvrir un processus de révision constitutionnelle lors de la prochaine législature [voir article ci-après de Maria J. Paixão]. Selon Mariana Mortágua , c'est « la plus importante portée de ce virage à droite » dans le pays. Cette radicalisation « n'est possible que parce que le PSD s'est radicalisé », ouvrant la porte à la discussion du projet de l'IL « qui veut mettre fin aux services publics qui ont construit la démocratie ou de Chega qui veut mettre fin aux libertés individuelles ».

« Toute notre démocratie, l'Etat social, l'éducation, des acquis que nous considérons comme allant de soi, tels que l'accès à la santé, existent parce qu'elles sont inscrites dans la Constitution. Et c'est précisément cette Constitution qui est aujourd'hui menacée et que la droite veut attaquer », a souligné la coordinatrice du Bloco.

Mariana Mortágua a également défendu la nécessité « que toutes les forces de la démocratie et de l'Etat social s'unissent autour d'un objectif qui est d'empêcher la révision de la Constitution du 25 avril [1976] et de la démocratie portugaise ».

Interrogée par les journalistes sur la possibilité d'alliances entre les partis de gauche lors des prochaines élections municipales [septembre/octobre 2025], Mariana Mortágua a révélé que les réunions entre les partis organisées par le Bloco après les élections législatives de l'année dernière [10 mars 2024] « ont donné lieu à des discussions avec Livre (Verts) et le PAN [Personnes-Animaux-Nature] pour des projets de convergence lors des élections municipales ». Mortágua a réitéré son souhait que tous les partis de gauche, y compris le PS, s'unissent à Lisbonne pour battre Carlos Moedas (membre du PSD).

Quant à la perspective d'une stabilité gouvernementale actuellement en discussion, Mariana Mortágua a rappelé que « la dernière période de stabilité que ce pays a connue est celle où le Bloco de Esquerda a déterminé la solution gouvernementale et la majorité parlementaire » [suite aux législatives de 2015].

« A mesure que la politique se rapproche de la droite, ce pays ne connaîtra que l'instabilité. C'est pourquoi nous nous battons pour que la Constitution et la vie des gens soient marquées par la sécurité », a-t-elle conclu. (Article publié sur le site du Bloco le 22 mai ; traduction rédaction A l'Encontre)

*****

« Une Constitution peut-elle survivre à son esprit ? »

Journal de l'Assemblée constituante lors de sa session inaugurale du 2 juin 1975.
Par Maria J. Paixão

La commotion suscitée par les résultats électoraux du 18 mai 2025 était encore palpable lorsque l'Initiative libérale (IL) a attisé le feu en promettant d'entamer un processus de révision constitutionnelle. Ce sera, dans l'histoire de la démocratie portugaise, la première révision constitutionnelle dont l'approbation ne dépend pas de l'accord entre les deux partis du centre traditionnel – le PS et le PSD. En effet, la Constitution de 1976 prévoit que les modifications de son texte doivent être approuvées par une majorité des deux tiers des député·e·s en exercice, majorité détenue, après dimanche 18 mai, par le PSD, Chega et IL.

La Constitution approuvée le 2 avril 1976 constitue, comme toutes ses congénères, un pacte social. Le texte de la loi fondamentale est le fruit des tensions entre les forces politico-sociales qui se sont affirmées au cours des deux années qui ont séparé la révolution d'avril 1974 et la fin des travaux de l'Assemblée constituante [en avril 1975 sont élus 250 députés à une Assemblée constituante pour un mandat d'un an : le PS de Mario Soares obtient 116 députés, le PCP d'Alvaro Cunhal 30, le Mouvement démocratique portugais-MDP 5 ; le PPD-Parti populaire démocratique 81].

Il s'agit donc d'un projet de société issu des concessions mutuelles des mouvements et des idéologies en présence durant un long avril [d'avril 1974 à avril 1976, avec un tournant en novembre 1975 qui modifie les rapports de force socio-politico-militaires]. Ce projet reconnaît la propriété privée aux côtés du droit à l'autogestion et à la constitution de coopératives, ainsi que la propriété publique. Il consacre un large catalogue de droits civils et politiques, à tendance libérale, mais aussi un catalogue ambitieux de droits économiques, sociaux et culturels. Les partis politiques se voient reconnaître la fonction d'organiser et d'exprimer la volonté populaire, mais la mission de réaliser la démocratie économique, sociale et culturelle est également assumée par la mise en œuvre de mécanismes de démocratie participative. Tout au long du texte constitutionnel, on trouve donc des traces et des fragments d'une pluralité de visions du monde et de projets d'organisation sociale. La Constitution, en tant qu'ensemble unitaire, est le produit des confluences et des antinomies entre ces différentes conceptions [et rapports de forces socio-politiques entre classes].

Ainsi, la Constitution est plus qu'un instrument juridique de valeur paramétrique supérieure : c'est un document historique, un projet utopique, un artefact de l'esprit national. Cela ne signifie pas pour autant, soulignons-le, que cette constitution ou tout autre mérite d'être sacralisée. D'ailleurs, les exemples ne manquent pas pour montrer à quel point le fétichisme constitutionnel peut être pernicieux. Il suffit de considérer l'exemple des Etats-Unis, dont la Constitution, vieille de plus de 200 ans, continue d'être canonisée. Il est toujours déconcertant d'observer les acrobaties intellectuelles auxquelles se livrent les Américains pour extraire d'un texte du XIXe siècle [en fait fin du XVIIIe] des réponses aux problèmes du XXIe siècle. Pour toute société qui a connu les tumultes de l'histoire, il est évident qu'aucun texte ne doit lier ad eternum les générations présentes aux choix des générations passées.

Il est toutefois important de reconnaître la nature spécifique de la Loi fondamentale. Il ne s'agit pas d'un simple texte normatif, mais plutôt du symbole du type de société que nous voulons construire un jour, traversée, comme il se doit, par l'histoire des conflits sociaux et politiques qui ont permis d'aboutir au pacte consigné dans le texte.

C'est dans cette optique qu'il convient d'examiner le processus de révision constitutionnelle annoncé par l'IL. Nous pouvons nous faire une idée des propositions qui seront avancées par les partis à partir des projets présentés en 2022, dans le cadre du processus de révision alors ouvert par Chega. Les projets soumis par les partis qui constituent désormais la majorité de droite (PSD, IL et Chega) constituent une modification substantielle du texte fondamental, qui ne se limite pas à de simples arrangements esthétiques. En effet, les modifications proposées, en particulier par l'IL et Chega, impliquent, dans une certaine mesure, une subversion du projet de société et du pacte social inscrits dans la Constitution de 1976. Au vu de ce qui précède, il n'y a rien de fondamentalement mauvais à cela ; les textes constitutionnels ne sont pas immuables. Cependant, il convient d'être clair sur ce que représente cette révision constitutionnelle (contrairement à la plupart des précédentes) : une modification profonde du projet de société que les Portugais ont choisi pour eux-mêmes, ainsi que le rejet d'une certaine histoire de la lutte sociale qui a construit le Portugal que nous connaissons aujourd'hui.

L'obsession quasi frénétique des partis de droite pour la suppression de la référence à la « voie vers une société socialiste » dans le préambule de la Constitution dénote, à deux niveaux, le mépris et le rejet de l'histoire « d'en bas », des mouvements sociopolitiques qui ont donné naissance à la démocratie portugaise. Comme indiqué ci-dessus, la Constitution est également un document historique, notamment en ce qui concerne le préambule, qui n'a pas d'effet juridiquement contraignant. Cette référence n'a jamais fait obstacle (depuis l'adoption de la loi fondamentale) à la reconnaissance de la propriété privée et de l'initiative économique. Elle constitue donc, comme elle l'a toujours fait, un élément symbolique et historique qui ne justifie pas la fixation particulière sur ce thème de l'Initiative libérale, à moins que l'objectif de cette fixation ne soit d'effacer l'histoire de notre démocratie et de refonder le régime.

En ce qui concerne les modifications matérielles du texte constitutionnel, tant le projet de l'IL que celui de Chega présentent une particularité intéressante : tous deux visent à rendre possibles des mesures que les partis défendent tout en sachant qu'elles sont inconstitutionnelles. On pense tout d'abord à la proposition de modification des dispositions qui qualifient le système national de santé et le système éducatif comme des services publics universels. La Constitution a toujours reconnu les services de santé et les établissements d'enseignement comme relevant du secteur public et aussi du secteur privé. Il s'agit donc de supprimer le caractère universel des services publics. En outre, il convient de prendre en considération la proposition visant à supprimer la référence à la fonction de réduction des inégalités sociales exercée par les impôts sur le revenu. Enfin, rappelons les propositions visant à introduire dans le texte constitutionnel la castration chimique et la prison à perpétuité.

La révision constitutionnelle annoncée ne doit donc pas être prise à la légère. C'est peut-être le moment où le projet d'avril rendra enfin son dernier souffle. (Article publié dans l'hebodmadaire Sabado le 25 mai 2025, repris par le site du Bloco ; traduction rédaction A l'Encontre)

Maria J. Paixão est assistante invitée à la Faculté de droit de l'Université de Coimbra et chercheuse dans le domaine du droit climatique. Militante pour la justice climatique au sein de divers mouvements sociaux.

*****

« La solution est à gauche »

Par Fernando Rosas

Dans cette situation grave, nous devons peut-être chercher avec lucidité et courage à réinventer l'antifascisme. Autrement dit, promouvoir une solution de gauche, pluraliste, qui rassemble tout ce qui peut l'être.

Je sais bien que le titre de cet article peut sembler insensé, surtout après la défaite électorale significative de la gauche lors des élections du 18 mai, mais mon point de départ est le suivant : la crise institutionnelle de la démocratie que connaît également notre pays et qui s'est traduite par le résultat des élections trouve son origine dans le discrédit et l'impopularité du monopole alterné PS-PSD au gouvernement. En adoptant des politiques fondamentalement identiques dans des domaines essentiels, il a permis la dégradation des principaux services publics, aggravé les inégalités sociales et les conditions de vie. Cela a semé le mécontentement, l'insécurité, le désespoir et la colère dans de larges secteurs de la population contre le bloc central informel au pouvoir et l'inefficacité socialement injuste de ses gouvernements.

Comme dans d'autres pays, l'extrême droite a également profité et exploité au Portugal, grâce à un large soutien financier et médiatique et à de nouveaux instruments de manipulation algorithmique, ce malaise des couches importantes de la classe moyenne et salariée. Elle a sans vergogne fait appel à la peur et aux instincts primitifs, exploité la désinformation et l'ignorance généralisée, menti tous les jours, manipulé, toujours encouragée par une couverture médiatique dominante généreuse et complice. Et face à l'incapacité de la gauche à s'affirmer comme alternative, elle l'a écrasée et s'est mise en position de prendre le pouvoir, contre tout ce que la démocratie a conquis politiquement et socialement depuis le 25 avril.

La victoire électorale du PSD est donc plus apparente et éphémère que réelle et stabilisatrice pour le régime.

A mon avis, trois solutions s'offrent à la droite classique, formellement victorieuse sans majorité absolue. Premièrement : s'appuyer parlementairement et politiquement sur un accord informel et ponctuel avec le PS – comme celui-ci est disposé à le faire –, en plaçant l'extrême droite dans une position satellite.

Il s'agirait d'une « contention » purement apparente et transitoire : c'est précisément l'épuisement du « situationnisme rotatif » du centre-droit qui a fait croître l'extrême droite. Sa continuité sera probablement le prélude à la prise du pouvoir par l'extrême droite lors des prochaines élections, à court ou moyen terme.

Deuxièmement : le PSD peut jouer sur l'équilibre instable. C'est-à-dire en pêchant délibérément des soutiens dans le camp du PS et en acceptant d'intégrer davantage les politiques de l'extrême droite (sécuritarisme, anti-immigration, restrictions des libertés publiques et des droits du travail…). Le résultat serait le même que dans la première solution, mais en plus rapide : un continuisme plus proche de l'extrême droite précipiterait l'avènement de cette dernière.

Troisièmement : la droite traditionnelle pourrait progressivement abandonner le « non c'est non » [face à Chega : déclaration de Montenegro] et renoncer à son apparence de « cordon sanitaire », comme le réclame une large partie du PSD et comme cela se produit déjà dans toute l'Europe, et ailleurs. Dans ce cas, nous aurions une alliance parlementaire entre la vieille droite et la nouvelle extrême droite, sur la voie d'un nouveau type de régime autoritaire : une sorte de néofascisme adapté au régime historique et aux conditions sociales de l'époque actuelle. Avec tout ce que cela implique.

En réalité, à la lumière de l'avancée démocratique conquise en avril 1974, les solutions apparemment prévisibles pour la droite débouchent sur une voie de régression civique et civilisationnelle à court ou moyen terme. Face à la gravité de la situation, la solution, du point de vue de la liberté et de la justice sociale, doit être recherchée, construite, avec un nouveau cours de politiques alternatives, c'est-à-dire à gauche. En changeant de paradigme. Dans cette situation grave, nous devons peut-être chercher avec lucidité et courage à réinventer l'antifascisme. En d'autres termes, promouvoir une solution de gauche, pluraliste, qui rassemble tout ce qui peut l'être autour d'un double objectif général : défendre la démocratie et la liberté, d'une part, et préserver et approfondir la justice sociale et distributive, d'autre part. Pour cela, en luttant pour des politiques concrètes et urgentes qui répondent à la crise du logement ; pour la défense et l'amélioration du système de santé publique, de l'école publique et des salaires et pensions ; pour la lutte contre le racisme et toutes les formes d'exclusion et de discrimination fondées sur le genre ou l'orientation sexuelle. Un antifascisme qui s'oppose à la guerre et à la folie militariste [dépenses d'armement] qui la promeut et qui se prononce sans tiédeur dégradante contre le massacre génocidaire à Gaza et pour les droits du peuple palestinien.

Ce n'est certainement pas une voie facile dans la foulée d'un revers électoral difficile. Cela exige un dialogue et la conclusion d'accords entre les forces politiques, les mouvements sociaux et la citoyenneté. Mais la dispersion et la division ne sont certainement pas une réponse digne de notre engagement envers le passé et l'avenir. Malgré tout, avril mérite bien qu'on s'entende. Et la tête haute. (Article publié dans le journal Publico le 31 mai 2025 et publié le 1er juin sur le site du Bloco ; traduction rédaction A l'Encontre)

Fernando Rosas est historien, professeur émérite de l'Université de Lisbonne, un des fondateurs du Bloco de Esquerda en 1999.

*****

« Le Bloco fera opposition aux nouvelles politiques de coupes sociales »

Lors de la conférence de presse marquant le début de l'année parlementaire, le Bloco de Esquerda (Bloc de gauche) a présenté ses premières initiatives pour la législature et a commenté la proposition de révision constitutionnelle que la droite libérale et l'extrême droite tentent de faire avancer.

A ce sujet, Mariana Mortágua note que le Premier ministre s'est contenté de dire « qu'il ne s'agirait pas d'un projet immédiat », laissant ainsi planer la « menace » d'une révision constitutionnelle à droite qui suscite des inquiétudes « pour l'Etat social et les libertés collectives et individuelles dans notre pays ».

Mais le Bloco sait qu'au-delà de cela, « des risques se concrétiseront déjà dans le prochain budget de l'Etat » et qu'ils sont indépendants d'une modification constitutionnelle : même sans celle-ci, « il a été possible de privatiser des services publics, de privatiser d'importantes entreprises publiques », de « sabrer dans les retraites, les salaires » et d'« affaiblir l'Etat social ». Le Bloco entend par là qu'il prévoit « de nouvelles politiques de coupes sociales » qui s'ajouteront aux engagements du gouvernement en matière de dépenses militaires.

La coordinatrice du Bloco a également présenté les trois projets déposés le premier jour de la nouvelle législature. Tout d'abord, le viol comme crime public, importante à un moment « où la violence contre les femmes et la violence sexuelle augmentent » et qui répond « au tollé et à la pétition qui a rassemblé plus de 100 000 personnes » en ce sens.

Deuxièmement, la reconnaissance de l'Etat palestinien à un moment où « le génocide à Gaza se poursuit » et où la crise humanitaire qui y règne est reconnue. Pour la députée, « il n'y a aucune raison pour que le gouvernement portugais et l'Etat portugais ne reconnaissent pas l'Etat palestinien », ce qui « est avant tout un acte de respect du droit international, mais aussi un acte symbolique qui déclare le soutien du Portugal au peuple palestinien et la solidarité portugaise avec ce peuple victime d'un génocide qui continue de bénéficier de la complicité des plus grands Etats du monde ».

En troisième lieu, le Bloco insiste sur la réduction du temps de travail, considérant que « le Portugal est l'un des pays où l'on travaille le plus pour un salaire inférieur » [1]. En outre, on estime qu'« il y a eu quelques expériences réussies avec la semaine de quatre jours, un projet pilote qui a donné de bons résultats en termes de productivité et qui a été bien accueilli tant par les entreprises qui y ont participé que par les travailleurs et travailleuses, et que cette expérience doit donc se poursuivre ». Cela n'implique aucune perte de salaire et les projets pilotes doivent se poursuivre dans le secteur privé, dans l'administration publique et dans le secteur public.

Concernant la position générale du Bloco vis-à-vis du gouvernement PSD/CDS, Mariana Mortágua a souligné le « rôle d'opposition », en rappelant ce qui s'est passé l'année dernière : « une politique gouvernementale qui a montré des signes d'incompétence, notamment dans le domaine de la santé » et le projet politique de la droite en matière de logement, de travail, de retraites, de sécurité sociale et de services publics, que le Bloco rejette. (Communiqué du Bloco publié sur son site le 30 mai ; traduction rédaction A l'Encontre)


[1] La limite de la pauvreté au Portugal est située à un revenu effectif de 632 euros mensuels. En 2023, 1,7 millions de personnes disposaient d'un revenu effectif inférieur à 632 euros mensuels. Toutefois, dans une enquête publiée pour la région du Grand Lisbonne et de Setubal, un revenu de 746 euros, étant donné les différences régionales, aboutit à être statistiquement sur la ligne de passage dans la pauvreté. L'enquête (telle que rapportée par Publico le 4 juin 2025) démontre que dans le Grand Lisbonne le taux de pauvreté se situé à 19,2% de la population et à 20% dans la région de Setubal, si la référence est celle de 632 euros. De plus, les 10% des travailleurs les plus pauvres subissent des horaires de travail de plus de 45 heures hebdomadaires. (Réd. A l'Encontre)

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Marine Le Pen célèbre l’Internationale facho

10 juin, par Pablo Pillaud-Vivien — , ,
10 juin 2025 |Tiré de la lettre de Regards.fr 06:10 (il y a 3 heures) Finito la dédiabolisation, la cheffe de l'extrême droite française se « trumpise » avec ses semblables (…)

10 juin 2025 |Tiré de la lettre de Regards.fr
06:10 (il y a 3 heures)

Finito la dédiabolisation, la cheffe de l'extrême droite française se « trumpise » avec ses semblables européens autour d'un adversaire commun : l'UE.

Un an après les élections européennes de juin 2024, Marine Le Pen s'est offert, en plein Loiret, un jubilé de victoire (relative) des extrêmes droites du continent. Dans une mise en scène soigneusement orchestrée, entre drapeaux nationaux et accents martiaux, elle a célébré le premier anniversaire de la création de son groupe au Parlement européen en compagnie de ses alliés : le premier ministre hongrois Viktor Orbán, le néo-franquiste espagnol Santiago Abascal (Vox), le nazillon autrichien Herbert Kickl (FPÖ), le fasciste italien Mateo Salvini (Ligue du Nord) et Jordan Bardella, désormais président de groupe et dauphin désigné. Une Europe des nations, contre Bruxelles. Une Internationale des nationalistes, contre la gauche, les juges, les immigrés et les minorités. Une scène. Et derrière, un virage stratégique majeur.

Marine Le Pen, depuis 2017, s'était appliquée à lisser sa rhétorique sur l'Europe. Finie la sortie de l'euro, oubliée la tentation du Frexit, elle s'était faite gestionnaire de la souveraineté. Mais à Mormant-sur-Vernisson, elle est redevenue ce qu'elle n'a jamais cessé d'être : une adversaire frontale de l'Union européenne. Elle l'a qualifiée de « tombeau de promesses politiques non tenues », de machine « woke et ultra-libérale », jugeant que l'heure n'était plus à la réforme de l'intérieur mais à la reconquête : « Nous ne voulons pas quitter la table. Nous voulons terminer la partie et gagner. »

La formule résume une stratégie : renverser Bruxelles de l'intérieur. Affaiblir la Commission. Asphyxier le Parlement. Coaliser les forces identitaires, climatosceptiques, autoritaires. Et redonner à chaque capitale le droit de s'opposer à la solidarité européenne. L'Union n'est plus un cadre de négociation : c'est un ennemi. Et elle entend le diriger depuis Strasbourg.

Cette offensive est menée avec Viktor Orbán, dont Marine Le Pen se rapproche plus que jamais. Le chef du gouvernement hongrois, mis au ban par Bruxelles pour atteinte à l'État de droit, trônait à ses côtés. Plus qu'un allié, un frère d'armes. Avec lui, Le Pen ne partage pas seulement une alliance stratégique : elle épouse une vision du pouvoir. Répression des ONG, contrôle des médias, priorité nationale à l'économie, rejet de l'immigration et mise au pas des contre-pouvoirs. Ce n'est plus l'extrême droite marginale : c'est un projet d'alternative civilisationnelle.

Ce tournant s'était déjà amorcé le 1er mai 2025 : pour la première fois, Marine Le Pen avait publiquement adopté le lexique anti-« wokisme », jusqu'ici manié avec prudence. Loin de sa rhétorique souverainiste classique, elle a accusé la gauche, les féministes, les antiracistes d'« imposer leur vision du monde », reprenant les codes sémantiques forgés par la droite américaine. L'héritière du FN, longtemps méfiante à l'égard des guerres culturelles, est désormais pleinement engagée dans la bataille culturelle — et idéologique.

Et puis il y a Trump. Longtemps, Marine Le Pen avait tenu à distance le président américain. Trop instable, trop provocateur, trop dangereux. Elle s'en distinguait pour mieux rassurer les électeurs français. Mais voilà qu'aujourd'hui, elle en mime sa posture et adopte son récit de persécution. Après sa récente condamnation judiciaire pour détournement de fonds, elle enfile le costume de la martyre politique, persécutée par l'establishment. Une stratégie directement calquée sur celle du milliardaire américain, devenu modèle plus qu'inspiration. Et si elle y fait référence, ce n'est pas un hasard. C'est qu'elle pense que cela peut marcher. Trump n'est plus, pour son électorat, un épouvantail à moineaux. Il est une force. Il est la revanche des humiliés, des « vrais gens » contre les élites mondialisées. En s'alignant sur lui, Le Pen entend galvaniser sa base : elle veut faire croire que l'Histoire est de son côté. Qu'elle aussi, bientôt, passera de l'opposition au pouvoir. Comme Trump en 2016. Comme Orbán depuis 2010.

Ce repositionnement dur n'est pas qu'européen. Il vise aussi à affirmer son hégémonie sur la droite française. En ligne de mire : Bruno Retailleau. Le président des LR tente, du haut de son magistère de Beauvau, de se positionner comme tête de proue d'une droite ultraconservatrice et autoritaire. Mais il demeure symbole d'un vieux monde politique, asséché, solitaire. En s'affichant avec des chefs d'État et de parti d'envergure continentale, Marine Le Pen se pose en figure d'autorité : elle organise des sommets avec des puissants et prépare l'OPA mondiale des extrêmes droites.

Ce tournant idéologique, stratégique et symbolique n'est pas un simple glissement. C'est une offensive. Marine Le Pen a digéré sa dédiabolisation. Elle veut incarner le pouvoir, la victoire, la force. La gauche ne peut plus se contenter de la renvoyer à son passé familial ou à son programme économique vide. Elle doit comprendre ce que ce discours produit : un sentiment d'ordre, de virilité politique, d'unité culturelle. Si Le Pen se met à parler comme Trump, ce n'est pas une erreur de communication. C'est un calcul : pour le RN, la France aussi est mûre pour l'extrême droite populiste. Pour gouverner avec Orbán. Avec Trump. Et sûrement aussi avec Poutine.

Pablo Pillaud-Vivien

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Notre capitaine Achab

10 juin, par Marc Simard
Quel diable d’homme que ce Victor-Lévy Beaulieu! Il aura poursuivi, sa vie durant, cette baleine blanche qui n’est pas celle de Melville, même si l’auteur de La Nuitte de (…)

Quel diable d’homme que ce Victor-Lévy Beaulieu! Il aura poursuivi, sa vie durant, cette baleine blanche qui n’est pas celle de Melville, même si l’auteur de La Nuitte de Malcomm Hudd a nourri la délirante démesure et l’entêtement singulier du maître à bord du baleinier Pequod, le capitaine (…)

Notre perspective ne peut être qu’un changement radical de société

10 juin, par André Frappier — ,
Le Conseil national des 7 et 8 juin a porté de façon centrale sur les perspectives avancées par Ruba Ghazal. Le Manifeste était au cœur des discussions et la table ronde (…)

Le Conseil national des 7 et 8 juin a porté de façon centrale sur les perspectives avancées par Ruba Ghazal. Le Manifeste était au cœur des discussions et la table ronde qu'elle animait portait sur le thème d'un gouvernement des travailleuses et des travailleurs. Dans cette mesure Ruba a gagné son pari.

Le panel, animé par Ruba Ghazal, a été l'occasion d'aborder entre autres les attaques du gouvernement Legault contre les droits des travailleuses et travailleurs et faisait des comparaisons avec le PL 5 en Ontario. L'annexe 9 de ce projet de loi omnibus, actuellement en deuxième lecture à l'Assemblée législative de l'Ontario, accorderait au gouvernement le pouvoir élargi de désigner, n'importe où dans la province, des « zones économiques spéciales ». Dans ces zones, le gouvernement provincial peut suspendre ou annuler toutes les lois et réglementations existantes concernant les conditions de travail, la santé et la sécurité, et les protections environnementales, ainsi que les règlements municipaux.

Les orientations politiques

La partie cruciale, la crise environnementale, ne faisant pas partie du Manifeste ni de la discussion de ce Conseil national. Plusieurs associations et Comités d'Action Politique (CAP) ont apporté des propositions pour y remédier. L'asso de Maurice-Richard proposait l'amendement suivant concernant le logement :

Il le fera en promouvant un modèle de développement écoresponsable à l'opposé des politiques d'étalement urbain et de gentrification qui exclut les classes populaires et participe à leur appauvrissement. Il n'hésitera pas à légiférer dans ce sens afin de bloquer les projets d'un marché débridé.

Cette proposition a été battue au profit d'une résolution appuyée par un membre du CCN, qui proposait à la place : « en priorisant les projets de développement durable », un concept plutôt sans saveur.
L'ajout d'un texte indiquant que les investissements requis pour rebâtir les services publics devraient être financés par l'augmentation des taxes sur les milliardaires, les surprofits des grandes pétrolières, les surprofits des grandes chaînes d'épicerie, les surprofits des multinationales de la haute technologie telles qu'Amazon, Apple, Meta, et Google a été référé.

En ce qui concerne la Proposition 5 Droits des travailleurs et travailleuses, la résolution du CAP indépendance a été adoptée presque dans sa totalité : Un gouvernement solidaire mettra en œuvre des réformes structurelles pour renforcer la démocratie dans les institutions publiques et les milieux de travail, en favorisant la participation directe des travailleuses et des travailleurs aux décisions, et la transparence dans la gestion.

Un débat très intéressant concernant la transition juste a conduit à l'adoption du texte suivant : un gouvernement de Québec solidaire s'engagera dans une transition sociale et écologique juste, équitable et transformatrice. Il investira massivement dans le transport collectif électrifié et urbain, régional et interrégional, travaillera à la sortie des hydrocarbures et des industries ultrapolluantes et au développement massif des énergies renouvelables, le tout sous contrôle public et démocratique.

Il travaillera de concert avec les mouvements sociaux et syndicaux, les populations vulnérables et les Peuples autochtones afin d'obtenir leur consentement dans la construction d'un mouvement unitaire pour cette transition. Celle-ci doit se faire en planifiant l'avenir avec les travailleurs et travailleuses, pas contre elles et eux. La division entre travailleuses et travailleurs fait le jeu du système capitaliste et des véritables responsables de la crise climatique, dont les grandes entreprises polluantes. En pleine crise du coût de la vie, la culpabilisation des individus est une impasse.

Une position sans équivoque concernant la lutte contre le racisme et les discriminations systémiques,

Pour que les travailleuses et les travailleurs puissent se défendre et conquérir de nouveaux droits, un gouvernement solidaire interdira les lockout, inscrira le droit de grève dans la Charte des droits et libertés de la personne et s'assurera de faire respecter la Charte des droits et libertés et la Loi sur les normes du travail pour toutes les travailleuses et travailleurs, y compris évidemment celles et ceux provenant de minorités ou au statut temporaire.

Il abrogera également toute loi établissant une forme de discrimination ou de racisme systémique contrevenant à l'esprit de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, notamment les articles de loi visant les personnes portant des signes d'appartenance religieuse.

Quatre résolutions d'urgence adoptées

Concernant le 30e anniversaire de la marche Du pain et des roses, le soutien à la Palestine et la dénonciation de la complicité de la Caisse de dépôt et placement du Québec, l'opposition de QS à la réforme énergétique de la loi 69 et à la réforme du régime forestier de la loi 97.

Quelles seront les suites ?

Le congrès de l'automne prochain doit réviser le programme, ce qui est en soi une nécessité afin de mieux répondre à la situation politique actuelle et à la montée du conservatisme et de la droite. Cependant, lors du Conseil national de Saguenay tenu en mai 2024, nous avons adopté la position suivante : [1]

Qu'en prévision de la campagne électorale de 2026, le parti s'engage dans un processus d'actualisation de son programme, qui sera suivi par l'adoption de la plateforme électorale.
Que la Commission politique, le Comité de coordination national et les commissions thématiques soient responsables de coordonner le processus d'actualisation du programme, pour adoption lors d'un Congrès spécial en 2025. Que le processus soit guidé par les balises suivantes :
a. Que le programme prenne la forme d'un document présentant la vision politique de Québec solidaire ainsi que sa philosophie gouvernementale générale et sa vision de la transformation sociale et notre projet visant à renverser le statu quo politique au Québec, afin d'encadrer notamment l'élaboration des plateformes électorales du parti ;
b. Le programme de Québec solidaire ne se limite pas à définir les orientations d'un éventuel gouvernement solidaire, mais aussi les axes de transformations sociales et politiques nécessaires à l'atteinte d'un Québec écologiste, égalitaire, démocratique, féministe, altermondialiste et souverain.
c. Que le programme soit exempt d'engagements politiques trop spécifiques ;
d. Que le programme respecte l'esprit de la « Déclaration de principes » adoptée à la fondation de Québec solidaire ainsi que l'entente de fusion entre Québec solidaire et Option nationale ;
e. Que le programme soit le résultat d'une réflexion impliquant l'ensemble du parti et portant notamment sur les grandes orientations politiques du parti, en dehors des réflexions conjoncturelles ;
f. Que le processus se fasse de façon démocratique, mobilisatrice et en impliquant l'ensemble des membres et des instances statutaires de Québec solidaire ;
g. Qu'au cours du processus de consultation des membres et des instances statutaires de Québec solidaire, ces personnes et ces instances soient invitées à échanger en ateliers autour des grandes orientations du programme.

Avec des paramètres semblables, il sera difficile de faire une campagne politique qui permettra de contrer le discours dominant de droite concernant la culpabilisation des personnes immigrantes qui seraient responsables de la crise du logement, le nationalisme identitaire, l'augmentation du budget militaire. Comment pourrons-nous dans un cadre de débat aussi court et restreint, répondre à une problématique politique de plus en plus intense et complexe ?

De plus, en limitant les changements possibles aux programems et les paramètres de la plateforme à quelques engagements électoraux, nous confinons nos perspectives à une voie parlementariste et non de combat de changement do société.

Voilà nos défis, notre perspective ne peut être qu'un changement radical de société, pour y arriver nous devons élargir le processus de débat, la crise environnementale à elle seule le réclame !

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Abolir le patriarcat. L’utopie féministe de James Henry Lawrence (1773-1840) » par Anne Verjus

10 juin, par Anne Verjus — , ,
Source : https://www.fabula.org/actualites/127912/anne-verjus-abolir-le-patriarcat-l-utopie-feministe-de-james-henry-lawrence-1773-1840.html « Abolir le patriarcat. L'utopie (…)

Source : https://www.fabula.org/actualites/127912/anne-verjus-abolir-le-patriarcat-l-utopie-feministe-de-james-henry-lawrence-1773-1840.html

« Abolir le patriarcat. L'utopie féministe de James Henry Lawrence (1773-1840) » par Anne Verjus, Presses universitaires de Saint-Étienne, collection "Le Genre en toutes lettres", Saint-Étienne, 2025. https://presses.univ-st-etienne.fr/fr/index.html

Se souvient-on encore de James Henry Lawrence et de son roman « L'Empire des Nairs », un rêve d'un monde où les femmes sont libérées de la dépendance des hommes ? À contre-courant des mœurs et des lois de son époque, Lawrence invente un équilibre inédit entre les rôles de genre : il imagine un monde où les femmes transmettent la propriété et le nom de famille, et assument seules l'éducation des enfants.

Comment est né ce livre ? Quelle a été sa destinée ? Quels échos a-t-il suscités à l'époque, et dans quelles traditions intellectuelles peut-on le situer ? Cet essai répond à ces questions et présente une étude inédite de l'auteur.

*Par sa critique du patriarcat et des violences de genre, et par les moyens qu'il met en œuvre pour répondre aux enjeux de la liberté pour les deux sexes, Lawrence se révèle d'une étonnante modernité.*

*Anne Verjus, *directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la Révolution française, explore les logiques du patriarcat à travers ses deux piliers : le mariage et la paternité. Depuis ses premiers travaux, elle considère la recherche comme un levier de transformation sociale.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Comptes rendus de lecture du mardi 10 juin 2025

10 juin, par Bruno Marquis — , ,
Une histoire populaire des États-Unis Howard Zinn Traduit de l'anglais Ce fut un cadeau de ma femme et c'est un livre que tout le monde devrait lire. Cette histoire des (…)

Une histoire populaire des États-Unis
Howard Zinn
Traduit de l'anglais

Ce fut un cadeau de ma femme et c'est un livre que tout le monde devrait lire. Cette histoire des États-Unis nous présente le point de vue des sans voix, de ceux dont les manuels d'histoire parlent peu et au sort desquels on s'intéresse encore moins dans l'actualité. Howard Zinn y confronte la version officielle et héroïque de l'histoire à la réalité et aux témoignages des acteurs les plus modestes : les Indiens, les esclaves en fuite, les soldats déserteurs, les jeunes ouvrières du textile, les syndicalistes, les GI du Vietnam, les activistes et les victimes contemporaines de la politique intérieure et étrangère américaine. « Une histoire populaire des États-Unis » est un livre de référence incontournable.

Extrait :

Deux mois plus tard à Charleston, dans le sud de l'État, il [Abraham Lincoln] déclarait : « Je dirai, donc, que je ne suis pas - et n'ai jamais été - pour l'instauration sur quelque mode que ce soit d'une égalité sociale et politique des races blanche et noire (applaudissements). Je ne suis pas non plus - et n'ai jamais été - pour que l'on accorde aux Noirs le droit de vote ou celui d'être juré ; pas plus que pour autoriser leur accession aux postes administratifs ou les mariages interraciaux. [...] Aussi, comme tout cela leur est interdit et qu'ils doivent rester entre eux, il en découle qu'il doit nécessairement y avoir des supérieurs et des inférieurs. En ce qui me concerne, comme tout le monde, je suis favorable à ce que les Blancs jouissent de ce statut de supériorité. »

La Chine contemporaine
Alain Roux

Alain Roux est l'un de nos plus éminents sinologues. Il a publié sur le sujet de très nombreux ouvrages et de nombreux articles dans Le Monde diplomatique et Manière de voir. Cette sixième édition de son ouvrage « La Chine contemporaine » nous permet de mieux comprendre l'histoire de ce pays depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à nous jours, depuis la chute de l'empire Qing, en passant par l'instauration de la République de Chine en 1912 sous Sun Yat-sen, par la création de la République populaire de Chine en 1949 sous Mao Zedong, par le grand bond en avant et par la révolution culturelle. Il nous explique les luttes et les avancées, les tiraillements, les erreurs coûteuses en vies humaines, les importants jalons aussi, qui ont permis à ce pays longtemps le plus populeux de la planète de lentement émerger d'un siècle de dominations et de misères, d'importants retards technologiques, pour devenir l'une des principales puissances économiques et industrielles de la planète. Une analyse honnête et sans compromis de la Chine, du chemin qu'elle a parcouru et de celui qu'il lui reste à faire.

Extrait :

À la fin du XIXe siècle, à partir des guerres de l'Opium (1840-1860),la Chine des Mandchous paraît vouée à l'éclatement. Les grandes puissances y découpent des zones d'influence, imposent l'humiliation des Traités inégaux à un État incapable de défendre sa souveraineté, tandis que le retard entre l'immense pays et le niveau de développement atteint par les nations les plus dynamiques s'accroît sans cesse. Jadis centre civilisateur rayonnant sur toute l'Asie orientale, l'Empire du Milieu a raté le rendez-vous de la révolution industrielle et n'est plus qu'une province déshéritée du monde moderne.

Sur ma mère
Tahar Ben Jelloun

Tahar Ben Jelloun est reconnu comme l'un des écrivains les plus traduits au monde. Son livre "Sur ma mère" se situe à la frontière entre le roman et le récit. Il porte sur sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer. Pendant des journées entières, alors qu'il vient passer du temps à ses côtés et la veiller, l'auteur l'écoute dans ses moments de lucidité comme dans ceux où elle perd pied et où la réalité n'a plus de prise sur elle. Malgré sa souffrance face à sa propre impuissance, il découvre celle qui lui a donné la vie. Les souvenirs qu'elle lui offre au fur et à mesure de ces longues heures douloureuses permettent à l'écrivain de reconstituer sa vie dans la ville de Fès des années trente et quarante et de plonger dans les ressentis de la fille, de l'épouse et de la mère qu'elle a été. Tahar Ben Jelloun nous dit que ce récit est celui d'une vie dont il ne connaissait rien, ou presque rien. Une œuvre vraiment touchante.

Extrait :

Depuis qu'elle est malade, ma mère est devenue une petite chose à la mémoire vacillante. Elle convoque les membres de la famille morts il y a longtemps. Elle leur parle, s'étonne que sa mère ne lui rende pas visite, fait l'éloge de son petit frère qui, dit-elle, lui apporte toujours des cadeaux. Ils défilent à son chevet et passent de longs moments ensemble. Je ne la contrarie pas. Je ne les dérange pas. Sa femme de compagnie, Keltoum, se lamente : « Elle croit que nous sommes à Fès l'année de ta naissance. »

La condition humaine
André Malraux

Ce fut le premier et seul roman que ma mère m'empêcha momentanément de lire. J'étais assez jeune et c'est l'enthousiasme créé par l'ouverture de notre nouvelle bibliothèque municipale avec ses livres neufs qui sentaient si bon qui m'avait fait choisir ce roman parmi une foule d'autres. Je me suis repris plus tard et plus tard encore. Ce grand roman, le plus connu de Malraux, relate le parcours d'un groupe de révolutionnaires communistes chinois préparant le soulèvement de la ville de Shanghai. Au moment où commence le récit, le 21 mars 1927, communistes et nationalistes préparent une insurrection contre le gouvernement...

Extrait :

Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, et d'où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d'homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d'électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l'un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés !

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Bangladesh : Journée internationale de commémoration des luttes des travailleurs

10 juin, par Bangladesh Sangjukto Building and Wood Workers Federation [Fédération des travailleurs du bâtiment et du bois du Bangladesh] (BSBWWF) — , ,
Aujourd'hui, le 1er mai 2025, la Bangladesh Sangjukto Building and Wood Workers Federation [Fédération des travailleurs du bâtiment et du bois du Bangladesh] (BSBWWF) a (…)

Aujourd'hui, le 1er mai 2025, la Bangladesh Sangjukto Building and Wood Workers Federation [Fédération des travailleurs du bâtiment et du bois du Bangladesh] (BSBWWF) a organisé une réunion-débat pour commémorer le grand 1er mai, Journée internationale de la solidarité des travailleurs, dans ses locaux de Dhaka. Présidée par le président par intérim de la BSBWWF, le camarade Badrul Alam, la réunion a été animée par le secrétaire général de la BSBWWF, AKM Shadul Alam Faruq, et le coordinateur du Progotisheel Krishok Sangram Parishad, Sultan Ahmed Biswas, entre autres.

1er mai 2025 - BSBWWF (Bangladesh)
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article75253

Au début de la réunion, les dirigeants se sont levés pour rendre hommage à toutes les travailleuses et tous les travailleurs au Bangladesh et partout dans le monde qui sont mort.e.s au travail et ont observé une minute de silence à leur mémoire. Ils ont également exprimé leur respect et leurs vœux de rétablissement aux personnes blessées. Leurs familles doivent recevoir une indemnisation. Les orateurs ont également demandé avec force la ratification de la Convention 102 de l'OIT et la mise en œuvre des Conventions 87 et 98 de l'OIT. Ils ont ajouté qu'ils exigeaient la mise en œuvre de tous les droits des travailleurs mentionnés dans la loi sur les syndicats, y compris la protection de la santé au travail et la sécurité sociale dans le secteur de la construction.

Les intervenants ont insisté sur la question de l'augmentation du salaire minimum des travailleurs, de la réouverture des usines qui ont licencié leurs employé.e.s, du paiement des arriérés de salaire, de la mise en œuvre des recommandations des organisations syndicales à la Commission de réforme du travail, de la mise en œuvre des conventions de l'OIT relatives au travail, à la sécurité au travail, de la déclaration d'un salaire minimum de 30 000 Tk, etc.

Bangladesh Sangjukto Building and Wood Workers Federation [Fédération des travailleurs du bâtiment et du bois du Bangladesh] (BSBWWF)

Gaza : la CSI appelle à une action urgente pour mettre fin à la catastrophe humanitaire

10 juin, par Confédération Syndicale Internationale — , , , ,
En réponse à l'escalade de la violence à Gaza et à la catastrophe humanitaire qui s'y déroule, la Confédération syndicale internationale (CSI) appelle à un cessez-le-feu (…)

En réponse à l'escalade de la violence à Gaza et à la catastrophe humanitaire qui s'y déroule, la Confédération syndicale internationale (CSI) appelle à un cessez-le-feu immédiat, à la libération de tous les otages, à une aide humanitaire urgente et à un regain des efforts mondiaux en faveur d'une paix juste et durable fondée sur une solution prévoyant deux États.

Tiré du site de la Confédération syndicale internationale.

« Les horreurs qui se déroulent à Gaza et dans toute la région doivent cesser immédiatement. Nous avons besoin d'un cessez-le-feu immédiat, d'un accès sans entrave à l'aide humanitaire et de la libération de tous les otages conformément au droit international. La vie et la liberté des civils, en particulier des enfants, ne doivent pas être sacrifiées dans les conflits politiques. Les syndicats défendent la paix, la démocratie et la protection de tous les droits humains », a déclaré Luc Triangle, secrétaire général de la CSI.

La CSI exprime sa profonde préoccupation concernant les pertes en vies humaines sans précédent parmi les civils, et en particulier les effets dévastateurs sur les enfants, notamment la malnutrition et la famine généralisées. Elle réaffirme sa condamnation de toutes les attaques contre les populations civiles et des violations du droit humanitaire international, y compris le ciblage de zones résidentielles, le refus d'apporter une aide essentielle à la population civile et la prise d'otages.

Le mouvement syndical international exige :

un cessez-le-feu immédiat et permanent, et la fin de toutes les attaques contre les civils ;

la libération immédiate de tous les otages ;

l'accès humanitaire sans entrave aux populations touchées ;

le soutien à la reconnaissance de l'État de Palestine dans le cadre d'une solution juste prévoyant deux États, fondée sur le droit international ;

la réouverture urgente du marché du travail israélien aux travailleurs palestiniens et le paiement des arriérés de salaires dus à plus de 200 000 travailleurs, conformément à la plainte déposée par la CSI et les Fédérations syndicales internationales auprès du BIT ;

le soutien au travail humanitaire essentiel de l'UNRWA et au programme de l'OIT en faveur du territoire palestinien occupé.

La CSI est solidaire de ses organisations affiliées et des autres forces démocratiques, tant en Palestine qu'en Israël, qui continuent de promouvoir la paix et la réconciliation dans un contexte de grande adversité. Il n'y a pas de place pour les extrémistes dans un processus de consolidation de la paix.

La CSI appelle la communauté internationale à redoubler d'efforts sur le plan diplomatique pour remédier aux causes profondes du conflit, notamment l'occupation illégale, l'expansion des colonies et le déni systémique des droits des Palestiniens. La récente annonce par le gouvernement israélien de l'implantation de 22 nouvelles colonies en Cisjordanie doit dès lors être fermement condamnée. En outre, il convient d'exiger des garanties solides qu'aucune nouvelle attaque de missiles ne sera lancée sur Israël.

« Nous soutenons tous ceux qui, dans les deux camps, s'opposent à la haine et à la division et œuvrent pour un avenir fondé sur la coexistence et la sécurité commune. La communauté internationale doit agir de toute urgence et par principe. Il ne peut y avoir de paix durable sans justice sociale », a indiqué Luc Triangle.

La CSI exhorte tous les gouvernements, institutions multilatérales et syndicalistes du monde entier à renforcer l'appel en faveur de la paix, à soutenir les efforts humanitaires et à rester solidaires des peuples de Palestine et d'Israël dans leur lutte pour la paix et la prospérité.

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le SNJ-CGT soutient les dockers CGT du Golfe de Fos

Le SNJ-CGT exprime sa solidarité totale avec les dockers CGT du Golfe de Fos, qui ont refusé de charger des conteneurs d'armement qui devaient embarquer depuis le port de (…)

Le SNJ-CGT exprime sa solidarité totale avec les dockers CGT du Golfe de Fos, qui ont refusé de charger des conteneurs d'armement qui devaient embarquer depuis le port de Marseille-Fos à destination d'Israël.

Les dockers CGT du Golfe de Fos ont rappelé qu'ils ne sont pas des exécutants aveugles, mais des acteurs conscients et responsables. Nos camarades ont agi dans l'esprit des valeurs fondamentales de la CGT : solidarité internationale, refus de la guerre et défense des droits humains.

Le SNJ-CGT salue cet acte car il est de notre devoir de soutenir celles et ceux qui, au nom de la paix et de la justice, refusent la complicité avec des opérations militaires contraires au droit international et à la dignité humaine.

Alors que les journalistes continuent - malgré les assassinats, les violences et les menaces - de documenter les ravages à Gaza et les violations des droits des Palestiniens en Cisjordanie, l'action des dockers CGT est un geste de fraternité et de résistance qu'il faut saluer.

Le SNJ-CGT appelle l'ensemble des syndicats, des travailleurs et des citoyens à soutenir les dockers CGT du Golfe de Fos et à interpeller les pouvoirs publics pour que la France ne soit plus complice de la guerre.

Pas d'armes pour les criminels de guerre !
Soutien aux dockers CGT du Golfe de Fos !

Montreuil, le 6 juin 2025

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

De la Biélorussie aux risques biologiques : les syndicats revendiquent des initiatives de la part de la Conférence internationale du travail (CIT)

10 juin, par Conférence internationale du travail — ,
Les 187 États membres de l'Organisation internationale du travail se réunissent chaque année en juin à l'occasion de la Conférence internationale du travail (CIT), à Genève, en (…)

Les 187 États membres de l'Organisation internationale du travail se réunissent chaque année en juin à l'occasion de la Conférence internationale du travail (CIT), à Genève, en Suisse. Cette année, la CIT débute le 2 juin et se penchera sur d'éventuelles nouvelles normes internationales relatives à la protection des travailleurs et travailleuses contre les risques biologiques dans l'environnement de travail ainsi qu'au travail décent dans l'économie de plateforme.

27 mai 2025 - tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/03/de-la-bielorussie-aux-risques-biologiques-les-syndicats-revendiquent-des-initiatives-de-la-part-de-la-conference-internationale-du-travail-cit/

Pourquoi la CIT est-elle importante pour les syndicats ?

La Conférence internationale du travail réunit les travailleurs et travailleuses, les gouvernements et les représentants des employeurs sur un pied d'égalité. Par l'intermédiaire du groupe des travailleurs, les organisations syndicales nationales et internationales peuvent influencer les politiques des gouvernements et des employeurs, par exemple lors de l'élaboration des conventions et du suivi de leur mise en œuvre au sein des États membres.

La conférence est également importante pour les syndicats, car :

  • C'est l'occasion de demander aux gouvernements de rendre des comptes sur les violations du droit du travail dans leur pays.
  • Elle offre une exposition internationale aux cas de violation des droits des travailleurs.
  • Elle peut contribuer à résoudre les violations en formulant des recommandations d'action aux gouvernements et en sanctionnant l'assistance technique aux États membres.

IndustriALL participe cette année à la discussion sur d'éventuelles normes internationales sur la protection des travailleurs contre les risques biologiques, ainsi qu'aux discussions sur la promotion de la transition vers des statuts formels dans le cadre du travail décent. IndustriALL fera également partie du groupe des travailleurs dirigé par la CSI au sein du Comité de normalisation sur le travail décent dans l'économie de plateforme.

L'OIT est invitée à appliquer l'article 33 au Myanmar

Au début de cette année, le Conseil d'administration de l'OIT a rédigé une décision sur le rétablissement de la démocratie et le respect des droits fondamentaux au Myanmar, recommandant à la CIT d'envisager des mesures en vertu de l'article 33 de la Constitution de l'OIT pour garantir le respect par le Myanmar du rapport de la commission. Les motifs invoqués sont l'incapacité de la junte militaire à mettre en œuvre les recommandations formulées après qu'une commission d'enquête de l'OIT a constaté de graves violations des protocoles relatifs au travail forcé et à la liberté syndicale.

L'invocation de l'article 33 ne s'est produite que deux fois dans l'histoire de l'OIT, la dernière fois étant à propos de la Biélorussie en 2023, ce qui souligne la gravité des violations des droits des travailleurs commises dans ce pays. La Biélorussie est devenue l'un des pires pays au monde pour les travailleurs, où les syndicats indépendants ont été démantelés, les droits du travail criminalisés et la liberté syndicale complètement supprimée, ce qui a suscité des appels urgents à l'action internationale et à l'intervention de l'OIT.

Qu'est-ce que la Commission de l'application des normes (CAN) ?

La CAN est un élément essentiel du système de contrôle de l'OIT, car elle vérifie la manière dont les normes de l'OIT sont appliquées par les États membres. Il existe une liste préliminaire de 40 cas, dont 24 seront sélectionnés pour être discutés par la CAN. En outre, une séance spéciale de la CAN sur la Biélorussie aura lieu le 7 juin.

Avec les syndicats affiliés présents à Genève pendant la CIT, ainsi que d'autres militants, les Fédérations syndicales internationales prévoient un certain nombre de manifestations auprès de la sculpture dite Broken Chair (Chaise brisée), devant le Palais des Nations. Cette sculpture symbolise la résistance à la violence et sert de point de rencontre pour les manifestations en faveur des droits de l'homme et des droits du travail.

3 juin : rassemblement pour le Myanmar
4 juin : rassemblement pour les travailleurs et travailleuses des plateformes
5 juin : rassemblement pour la Biélorussie
9 juin : rassemblement pour l'Ukraine
https://www.industriall-union.org/fr/de-la-bielorussie-aux-risques-biologiques-les-syndicats-revendiquent-des-initiatives-de-la-part-de

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le nickel, ce “métal du diable” qui ravage la Nouvelle-Calédonie

Indispensable à la fabrication des batteries, le nickel, abondant sur le territoire, est exploité sans limites, créant des dégâts environnementaux et économiques. La colère (…)

Indispensable à la fabrication des batteries, le nickel, abondant sur le territoire, est exploité sans limites, créant des dégâts environnementaux et économiques. La colère gronde chez les Kanaks explique le journal néerlandais “De Volkskrant”.

Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Isabelle Goa cherche des crabes au milieu des mangroves d'Oundjo. Depuis l'arrivée de l'usine de traitement de la mine de nickel de Koniambo, ils se font rares. Photo Sven Torfinn. Article paru à l'origine dans Volkskrant.nl

Les bottes d'Isabelle Goa (57 ans) s'enfoncent dans la boue spongieuse des mangroves d'Oundjo. Penchée en avant, elle progresse lentement vers les vagues du Pacifique, qui viennent s'écraser au loin contre la côte rocheuse. Tous les quelques mètres, elle plonge un bâton dans la vase. Le ressac et le bruit de la terre humide la ramènent à son enfance, à l'époque où sa mère lui apprenait à attraper des crabes, des poissons et des coquillages pour le dîner.

“Les mangroves, c'est notre garde-manger, notre inépuisable potager”, se félicite-t-elle tout en marchant. “Mais regarde un peu ce désastre”, ajoute-t-elle d'emblée en désignant la boue rouge qui colle à ses bottes. Les broussailles se retirent pour faire place à une étendue brune, vaste comme dix terrains de football. “On appelle ça la zone morte. La terre est rougie par les minerais. Tous les arbres sont morts. Et tout ça, c'est à cause de cette machine meurtrière, là-bas un peu plus loin. C'est un monstre.”

Ce “monstre”, c'est l'usine métallurgique de la mine de nickel de Koniambo [dite mine KNS], dans le nord-ouest de la Nouvelle-Calédonie. De loin, elle évoque une cathédrale industrielle faite de tuyaux et de cheminées qui s'élève au-dessus des mangroves. Sortie de terre il y a onze ans au bord d'un lagon d'un bleu azur classé au patrimoine mondial de l'Unesco pour sa richesse corallienne, l'usine permet de traiter et d'exporter en un temps record des quantités gigantesques de nickel vers un marché mondial dont la faim est impossible à assouvir.

Après l'Indonésie, les Philippines et la Russie, la Nouvelle-Calédonie est le quatrième producteur mondial de nickel – une filière stratégique à l'heure de la transition verte. Selon l'Institut de relations internationales et stratégiques, la demande mondiale de nickel devrait augmenter de 75 % d'ici à 2040. Un boom dû à la transition énergétique, censée tourner la page des énergies fossiles et, par la même occasion, de la pollution massive qu'elles représentent et des violations des droits humains qu'elles favorisent.

Le leurre d'un modèle de croissance plus propre

Résistant à la corrosion et recyclable, le nickel est utilisé depuis longtemps dans la fabrication de l'acier inoxydable, mais c'est aussi un matériau clé pour l'industrie “verte”. Il constitue le “N” des batteries NMC (nickel-manganèse-cobalt) des voitures électriques. Les constructeurs automobiles européens et américains préfèrent pour l'instant les batteries NMC à la variante LFP sans nickel, car elles sont plus denses en énergie et donc plus compactes et plus rapides à charger.

Ce que le charbon fut au XIXe siècle, et le pétrole au XXe, le nickel, le cobalt, le lithium et les terres rares le sont au XXIe : les piliers de la révolution industrielle, la troisième. “Au cours des trente prochaines années, nous aurons besoin de plus de minerais que l'humanité n'a pu en extraire en soixante-dix mille ans”, écrivait en 2018 le journaliste Guillaume Pitron dans La Guerre des métaux rares. Le journaliste y démontre que la quête d'un modèle de croissance plus “propre” pourrait paradoxalement entraîner un impact écologique plus lourd encore que l'exploitation pétrolière.

De nombreux militants écologistes et acteurs de l'industrie voient dans la Nouvelle-Calédonie, véritable île au trésor, une préfiguration des conséquences dévastatrices pour la nature et pour l'homme de la ruée vers les métaux dits “moins rares”, comme le nickel, également indispensables à la transition énergétique.

“Rouler à l'électrique ? Non merci, je ne suis pas convaincu. Si vous voulez vraiment protéger l'environnement, déplacez-vous à pied”, lance Jean-Christophe Ponga, ingénieur sur le site minier, en observant le paysage lunaire qui s'étend sous ses yeux, dévasté par les pelleteuses et bulldozers de son entreprise, dans le nord-ouest de l'île.

“N'achetez pas de voiture électrique”, renchérit Glenn Bernanos, barbe grisonnante et short de rigueur pour un militant écologiste. Il travaille pour l'association Environord, qui suit de près l'impact de l'activité minière sur l'archipel. D'où nous sommes, il pointe une autre montagne, décapitée par l'exploitation du nickel. De profonds sillons parcourent le mont Poindas, comme un corps tailladé couvert de cicatrices.

Une industrie qui “pulvérise la biodiversité”

Le père de Glenn était lui-même chauffeur de camion dans cette mine. Aujourd'hui, son fils tient l'industrie pour responsable, non seulement de la destruction des reliefs, mais aussi de la pollution des rivières et du lagon par les métaux lourds, et de la contamination de l'air par les particules fines. L'énergie qui alimente les trois usines de l'île, nécessaires à l'extraction du nickel, provient encore du charbon. Résultat : la Nouvelle-Calédonie (270 000 habitants) figurait parmi les cinq plus gros émetteurs de CO₂ par habitant au monde en 2023 (source : Emissions Database for Global Atmospheric Research). “Si on veut vraiment une économie verte, il va falloir réapprendre à monter à cheval”, ironise Bernanos.

  1. “La révolution verte a peut-être du sens si l'on regarde uniquement la réduction des émissions par rapport aux énergies fossiles. Mais cette industrie rase des montagnes entières, pulvérise la biodiversité. Nos îles se meurent, il ne nous restera bientôt plus qu'un gros caillou percé de trous béants.”

Situé à plus de 1 300 kilomètres à l'est de l'Australie, l'archipel de la Nouvelle-Calédonie est pourtant considéré comme l'un des hauts lieux de biodiversité de la planète. Près de 76 % des espèces végétales qui y poussent sont endémiques, introuvables ailleurs. Cette richesse exceptionnelle s'explique par l'histoire géologique de l'île, née du morcellement du supercontinent Gondwana, celui-là même dont sont issues l'Australie et la Nouvelle-Zélande. La roche y est gorgée de chrome et de nickel, qui recouvre à lui seul près d'un tiers de la surface terrestre de la Grande Terre. Le minerai affleure, on pourrait presque le ramasser à la main.

Cette ressource est longtemps restée intacte, jusqu'à l'arrivée des Français, qui annexent l'île en 1853. Dans les décennies qui suivent la découverte des premiers gisements de nickel, les populations autochtones kanaks sont déplacées de force vers des réserves du Nord et de l'Est. Un siècle plus tard, plus de 300 mines sont en activité sur l'île, et l'industrie attire des foules d'expatriés venues de métropole ou d'Asie.

De la richesse à la malédiction

“On appelle le nickel le métal du diable”, déplore Roch Wamytan, chef coutumier kanak indépendantiste et ancien président du Congrès de Nouvelle-Calédonie. Depuis son bureau, il observe l'usine métallurgique de la Société Le Nickel à Nouméa, première des trois usines de l'archipel. Ses ancêtres, raconte-t-il, ont été chassés de leurs terres à la fin du XIXe siècle pour faire place à l'industrie.

  1. “Nous n'avions pas d'armes pour nous défendre. Si elle tombe entre de mauvaises mains, cette richesse se transforme en malédiction.”

Révoltés par les injustices découlant de l'industrialisation, les Kanaks, peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie, s'engagent dans un conflit armé avec les descendants des colons français dans les années 1980. Des accords politiques sont finalement conclus au cours de la décennie qui suit, promettant aux Kanaks une plus grande part des revenus du nickel. De cette volonté naîtront, en 2010, l'usine du Sud à Goro, et en 2013, la mine KNS, détenue à 51 % par la province Nord kanak.

Les problèmes ne se font toutefois pas attendre. Des eaux usées chargées de métaux lourds s'infiltrent dans les ruisseaux et rivières autour des sites miniers. Le plus grave incident survient en 2014, lorsque plus de 100 000 litres d'eau contaminée et hautement toxique s'échappent de la mine de Goro. Des milliers de poissons meurent. La colère gronde chez les Kanaks, pêcheurs ou agriculteurs. Des jeunes incendient des camions, des bâtiments, du matériel. L'exploitation est interrompue pendant un mois. Le propriétaire de l'époque, le géant brésilien Vale, chiffre les pertes à 30 millions de dollars.

Les protestations violentes se reproduisent par vagues régulières, comme en 2020, après une rumeur sur la possible revente de la mine de Goro au sulfureux investisseur Trafigura. Et en mai dernier encore, lors de manifestations contre un projet de réforme de la Constitution visant à accorder le droit de vote aux Français vivant depuis plus de dix ans sur l'île. Bilan : plus de 1 milliard d'euros de dégâts, treize morts. Après des affrontements avec de jeunes Kanaks armés, la police française coupe l'accès au sud de l'île, devenu zone de tensions.

Une concurrence féroce avec l'Indonésie

“Sans le nickel, les Français ne seraient pas ici. Ils ne nous persécuteraient pas, ne tueraient pas nos enfants”, lance Anne-Marianne Ipere. Venue déposer des fleurs au cimetière de Nouméa, elle se recueille en silence à l'ombre de la colline, tête basse. Son neveu a été abattu par la police française, avec un ami, lors d'émeutes dans le quartier très sensible de Saint-Louis, au sud de la ville. Pour elle, la responsabilité est claire :

  1. “C'est l'industrie du nickel qui est en cause. On n'en veut plus. Elle pollue nos rivières, tandis que l'argent, lui, part ailleurs. Vous avez déjà vu un Kanak riche ? Moi, j'en connais pas.”

Le constructeur américain Tesla, dirigé par Elon Musk, avait investi en 2021 dans la mine de Goro, espérant s'assurer un approvisionnement direct en nickel. Le groupe s'est finalement retiré après les troubles. Idem pour le géant suisse Glencore, actionnaire minoritaire de la mine KNS dans le Nord, qui a quitté le navire en 2024. Depuis août, la mine est à l'arrêt, et ses 1 200 salariés cherchent du travail ailleurs.

  1. Alexandre Rousseau, vice-président et porte-parole de la mine KNS, rejette la faute sur la concurrence déloyale des exploitations de nickel en Indonésie. Celles-ci ne seraient pas soumises aux normes environnementales et sociales en vigueur dans ce territoire français d'outre-mer.

“La concurrence avec l'Indonésie est féroce. Leurs coûts en énergie, en main-d'œuvre et en taxes environnementales sont bien plus bas que les nôtres. Ils cassent littéralement le marché partout dans le monde.”

L'Indonésie produit tant de nickel que le marché mondial en est aujourd'hui saturé. Le cours actuel [en mai 2025], autour de 15 000 dollars la tonne, ne représente même pas le tiers du prix record atteint en 2007 (52 000 dollars la tonne). À ce tarif-là, la faillite menace la dernière usine métallurgique encore en activité en Nouvelle-Calédonie. Ce serait un coup fatal pour l'économie de l'île, dont les exportations sont composées à 90 % de nickel.

Glenn Bernanos, notre militant écologiste, escalade un éperon rocheux. Depuis la crête, il surplombe l'arrière d'une mine de la côte ouest, qui alimente encore la seule usine active de l'île. En contrebas, les camions filent vers le port, moteurs diesel rugissant, soulevant d'énormes nuages de poussière sur leur passage.

Bernanos désigne une nappe de fange rougeâtre qui s'écoule lentement vers les eaux turquoise du lagon. “On aurait dû réfléchir à tout ça avant de lancer les voitures électriques sur le marché. On est allés trop vite, sans mesurer les conséquences.” Pollution, érosion, tensions sociales… Les griefs ici rappellent à s'y méprendre ceux des régions productrices de pétrole. “Les grands investisseurs ne pensent qu'à leur profit. Le reste, ils s'en moquent. C'est la même logique prédatrice qui règne, partout dans le monde.”

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Le capitalisme contre la mondialisation

10 juin, par Benjamin Bürbaumer, Juan Tortosa — , ,
La période actuelle montre que l'affrontement interimpérialiste entre la Chine et les États-Unis conduit ces derniers à extorquer des concessions toujours plus importantes à (…)

La période actuelle montre que l'affrontement interimpérialiste entre la Chine et les États-Unis conduit ces derniers à extorquer des concessions toujours plus importantes à leurs alliés et au reste du monde plus généralement. Autrement dit, en plus d'une économie mondiale aux effets redistributifs hautement inégaux, nombreux sont les pays exposés au racket de Trump, tandis que la Pékin entend mettre en place une réorganisation sino-centrée de l'économie mondiale.

Le capitalisme contre la mondialisation
Posted by Juan Tortosa et Benjamin Bürbaumer | 26/05/2025 | International

Le capitalisme contre la mondialisation

Le développement économique et politique de la Chine initiée par les successeurs de Mao Tsé-toung n'a cessé de surprendre. Le nouvel horizon fixé par la direction de Xi Jinping de devenir la première puissance mondiale économique, technologique et militaire va-t-elle se réaliser ? Quelles sont les contradictions que le régime chinois va affronter dans cette perspective ? Entretien avec l'économiste Benjamin Bürbaumer, invité à l'université de printemps de nos camarades suisses de solidaritéS.

Quelles conséquences pourrait avoir le retour au pouvoir de Donald Trump sur les relations entre les États-Unis et la Chine ?

Beaucoup d'analystes de la politique mondiale mettent en avant des raisonnements individualisants de type « Trump est plus nationaliste et agressif que son prédécesseur, et c'est pour cela que la situation mondiale se dégrade ». Pourtant, Trump n'est pas simplement un fâcheux accident de l'histoire, un homme d'un autre temps tombé du ciel. En réalité, plus qu'une cause, il est avant tout un symptôme – le symptôme d'une rivalité inter-impérialiste croissante entre les États-Unis et la Chine.

Fondamentalement, Trump fait ce que les locataires de la Maison blanche font depuis 10 ans : chacun radicalise un peu plus l'hostilité envers une Chine, qui tente effectivement de remplacer la supervision étasunienne de la mondialisation par un marché mondial sous contrôle chinois. Voilà ce qu'indique une analyse de la situation du point de vue de l'économie politique internationale.

Si Trump n'est donc pas aussi exceptionnel qu'on pourrait le croire, il ne conserve pas moins des particularités. Son recours massif aux droits de douane le distingue d'une politique commerciale plus ciblée sous Joe Biden, tout comme ses tentatives d'extorsion envers les alliés des États-Unis le différencient des autres présidents étasuniens qui voyaient dans l'alliance un multiplicateur de puissance. Ainsi, Trump montre au monde entier à quel point la participation à la mondialisation dépend du bon vouloir des États-Unis. Le mythe du marché autorégulateur n'a plus la moindre crédibilité. Au contraire, le marché mondial est de plus en plus reconnu comme une source de vulnérabilité politique.

En conséquence, la Chine va chercher à accélérer ses tentatives de contourner les infrastructures physiques, numérique, monétaire, technique et militaire sous contrôle étasunien, sur lesquels reposent la mondialisation. Car c'est ce contrôle qui permet, à l'heure actuelle, aux États-Unis d'enregistrer des profits extraordinaires et d'exercer un pouvoir politique extraterritorial. En d'autres termes, Trump incite la Chine à renforcer la mise en cause de la supériorité politique et économique étasunienne, ce qui produira des réactions encore plus hostiles à Washington. Trump est donc l'amplificateur d'une conflictualité, dont les racines profondes dépassent chaque dirigeant politique individuel car elles se trouvent dans le fonctionnement même du capitalisme.

Comment définiriez-vous aujourd'hui la Chine sur les plans politique, économique et militaire ?

La Chine est un pays capitaliste en situation de suraccumulation flagrante. Depuis son retour plein et entier au monde capitaliste à partir des années 1980, le parti-État a mené des politiques hautement favorables aux entreprises. La planification a fortement reculé au profit de logiques marchandes : libéralisation des prix, privatisations, autorisation des licenciements, démantèlement du service public, … En somme, l'économie a été radicalement réorganisée autour du principe du profit, y compris dans les entreprises qui restent formellement sous contrôle étatique.

Au passage, une série de mesures ont été prises afin d'attirer des capitaux étrangers, et ce avec l'objectif d'adapter l'économie chinoise à la concurrence : suppression du monopole public du commerce extérieur, mise en place de zones franches avec un droit du travail et une fiscalité dérogatoire, rapatriement des profits, ouverture des marchés financiers aux étrangers. La Chine, avec ses millions de travailleur·ses bon marché, et comparativement en bonne santé et bien formé·es, est donc une source de profit particulièrement attractive pour le capital des pays les plus riches, les pays européens et les États-Unis en tête.

Dans l'optique de favoriser le développement capitaliste, les autorités chinoises ont maintenu le niveau de rémunération des travailleur·ses à un niveau faible. L'une des conséquences macroéconomiques de cette configuration est une forte suraccumulation depuis plusieurs décennies, et qui s'est particulièrement accentuée depuis la crise de 2008–09. En conséquence, la Chine est contrainte d'exporter des marchandises et des capitaux. La Chine contemporaine est une illustration frappante du caractère inégal et combiné du développement capitaliste.

Régulièrement, on entend des commentateurs recourir à un argument d'inspiration keynésienne selon lequel il suffirait de basculer le régime d'accumulation chinois vers la consommation intérieure pour mettre fin aux déséquilibres économiques et aux problèmes sociaux qui en découlent. Or, cet argument ignore les ramifications politiques de l'accumulation du capital. La hausse de la rémunération des travailleurs indispensable à un tel basculement est susceptible d'exercer une pression sur une rentabilité du capital. On pourrait objecter qu'une telle hausse pourrait stimuler les profits par le biais d'une consommation accrue. Mais encore aurait-il fallu que les dirigeant·es d'entreprise en soient convaincu·es.

Or, face à cette éventualité, ils et elles ont la certitude que leurs coûts de production augmenteraient, tout en nageant en pleine incertitude quant à la répartition des profits potentiels. Mieux vaut éviter de se faire siphonner ces profits par les concurrents en s'opposant à une réorientation fondamentale de l'économie. Un basculement se heurterait aussi à la fraction du capital chinois (et étranger) qui tire ses bénéfices de sa fonction de fournisseur à bas coût dans les chaînes globales de valeur. Son opposition à l'amélioration du pouvoir de négociation des travailleurs est farouche.

Par ailleurs, la réorientation vers la consommation intérieure n'est pas sans risque pour le Parti communiste chinois (PCC). Afin d'en prendre la mesure, il convient de rappeler que la libéralisation fut synonyme de chômage massif en Chine. Dans son fameux texte sur les aspects politiques du plein-­emploi, l'économiste Michał Kalecki indique que la disparition du chômage implique la disparition de son effet disciplinaire : « la position sociale du patron serait ébranlée et l'aplomb et la conscience de classe de la classe ouvrière augmenteraient. Les grèves pour les augmentations de salaires et l'amélioration des conditions de travail créeraient des tensions politiques. » Or le seul tabou absolu de quarante ans de réformes en Chine était celui du pouvoir du PCC. Hors de question d'alimenter des troubles politiques.

Par conséquent, plutôt que de renforcer la consommation populaire domestique, les autorités chinoises privilégient la conquête du marché mondial – au risque d'entrer de plus en plus frontalement en collision avec l'État dont la grande stratégie visait à promouvoir son capital transnational : les États-Unis.

La Chine bénéficie d'une image relativement positive dans les pays du Sud global, contrairement aux États-Unis et à l'Europe. Peut-on considérer que ce pays est un pays impérialiste ?

Selon Rosa Luxemburg, l'impérialisme désigne les tensions entre grandes puissances résultant du processus d'accumulation du capital. La Chine contemporaine cherche précisément à soulager sa suraccumulation domestique par la conquête du marché mondial.

Cette démarche se heurte directement aux États-Unis, qui supervisent le marché mondial depuis des décennies. La Chine voudrait se débarrasser de cette source de vulnérabilité en tentant de remplacer la mondialisation – ce processus sous supervision américaine – par un marché mondial sino-centré. Cela signifie concrètement le remplacement des infrastructures physiques, numériques, monétaires, techniques et militaires américaines, sur lesquels reposent les transactions économiques mondiales à l'heure actuelle.

Tout comme les États-Unis, la Chine vise à masquer la nature impérialiste de sa démarche par le déploiement d'un projet hégémonique. En effet, la supervision de la mondialisation tout comme sa contestation ne peuvent être le fruit de l'action d'un unique pays. Le concept gramscien d'hégémonie permet de comprendre qu'une grande puissance ne l'est durablement qu'à la condition de créer une adhésion volontaire des pays soumis à son autorité. Pour les mêmes raisons, la contestation de l'hēgemon exige un projet de réorganisation suffisamment captivant pour produire un effet d'entraînement sur des pays tiers. La puissance contestataire doit être un pôle d'attraction.

Le projet hégémonique chinois a fait des progrès notables au cours des 15 dernières années. La Chine a fourni énormément de vaccins contre le covid à de nombreux pays périphériques à l'heure où les États-Unis étaient trop préoccupés à protéger les rentes de leurs compagnies pharmaceutiques. Elle pratique une diplomatie de l'éducation très performante alors que les universités étasuniennes exigent des frais d'inscription monumentaux et se ferment de plus en plus aux étudiant·es étranger·es. À travers les Nouvelles routes de la soie, la Chine n'allège pas seulement ses problèmes de suraccumulation, elle finance aussi la construction d'infrastructures physiques dans de nombreux pays pauvres où les routes, les réseaux électriques et les chemins de fer ont été délaissés justement en raison du Consensus de Washington.

La Chine bénéficie également du fait que la politique étrangère de Washington est largement perçue comme hypocrite. Ce reproche est devenu plus saillant face aux réactions contrastées concernant la situation à Gaza et en Ukraine. De multiples pays périphériques ont relevé avec amertume le traitement particulier réservé aux seules victimes ukrainiennes par rapport aux dizaines de milliers de victimes en Palestine. Ils ont également remarqué que les sommes toujours si difficiles à débloquer pour le développement ont été facilement mobilisées pour armer l'Ukraine ou Israël. Dans cette situation, la Chine se positionne comme nouvel intermédiaire pour la gestion des conflits internationaux – tout comme, face à Trump, elle se place en défenseure d'un ordre mondial multilatéral et ouvert. Cette démarche a fortement contribué à améliorer l'image de la Chine en Asie, en Afrique et en Amérique latine.

Bien que ce positionnement, tout comme sa diplomatie sanitaire, éducative et culturelle et ses financements puissent temporairement répondre à de véritables besoins des pays de la périphérie, la Chine ne le fait pas par charité. Elle le fait pour trouver une solution spatiale à sa suraccumulation.

Et même si elle reste loin de l'interventionnisme militaire étasunien, qui, ces 20 dernières années, a causé plus de 4,5 millions de mort·es en Afghanistan, au Pakistan, en Irak, en Syrie et au Yémen, elle augmente fortement ses dépenses militaires et adopte une démarche de plus en plus musclée en Mer de Chine méridionale, notamment contre les alliés les plus proches des États-Unis. Cela la place directement sur les rails de la confrontation avec Washington qui, en particulier depuis le pivot asiatique et grâce à ses innombrables bases militaires dans la région et à ses dépenses militaires exorbitantes, a de facto transformé les océans indien et pacifique en eaux étasuniennes.

La Chine est officiellement un pays communiste dirigé par un Parti communiste. Quel rôle cette idéologie joue-t-elle dans sa politique intérieure et extérieure ?

Déjà en 1978, face aux débuts de la politique menée par Deng Xiaoping et ses alliés au sein du Parti communiste chinois, Charles Bettelheim a observé que lorsque le rôle dirigeant de la classe ouvrière disparaît, la doctrine selon laquelle « faire plus de profit c'est créer plus de richesse pour le socialisme » devient une formule creuse. Dans les faits, la compréhension du socialisme par le PCC se superpose largement à l'idée de modernisation capitaliste. Il y a un certain temps, Chen Yuan, dirigeant du PCC et fils d'un des leaders de la première génération du Parti, a résumé la situation ainsi : « Nous sommes le Parti communiste et nous déciderons de ce que le communisme signifie. » Dans cette optique, la marchandisation est pleinement compatible avec le communisme.

Avec la valorisation du marché vient aussi une révision de l'appréciation des différents groupes dans la société. À cet égard, la gymnastique idéologique du PCC apparaît tout à fait remarquable. Sous son secrétaire général Jiang Zemin (entre 1989 et 2002), l'analyse suivante fut proposée : « À l'époque de l'industrie manufacturière traditionnelle, lorsque Marx a écrit ses textes révolutionnaires, les travailleurs étaient en effet à la pointe de la productivité. Toutefois, à l'ère des technologies de l'information, les hommes d'affaires et les professionnels ont supplanté les travailleurs relativement moins éduqués, sans parler des agriculteurs, en tant qu'avant-garde de la société. » Certes, la référence au socialisme est maintenue, mais elle est vidée de sens.

Un affrontement militaire direct entre les États-Unis et la Chine est-il envisageable ? Les États-Unis semblent vouloir rapprocher la Russie de leur camp dans une logique d'opposition à la Chine. Que signifierait un tel rapprochement pour la Chine, et comment pourrait-elle y réagir ? Quels sont aujourd'hui les principaux alliés de la Chine ?

Depuis plus d'une dizaine d'années la Chine est la priorité numéro 1 de la politique étrangère étasunienne. Cette préoccupation s'intensifie de président en président. Aujourd'hui, le monde connaît une course à l'armement sans précédent, qui est principalement tirée par les États-Unis et la Chine. Cette manne permet la multiplication des exercices militaires autour de la Chine, où cette dernière adopte une démarche de plus en plus musclée et où les États-Unis et leurs alliés régionaux, notamment les Philippines et l'Indonésie, procèdent régulièrement à des démonstrations de force. La boucle s'annonce sans fin. Ces exercices se déroulent sur fond de frictions et attaques régulières entre des bateaux chinois d'un côté et vietnamiens ou philippins de l'autre, qui peuvent déboucher un accident de type collision maritime, susceptible de dégénérer en une guerre désastreuse. À cela s'ajoute que les frictions se multiplient aussi au-delà de Taïwan, dans cette vaste zone nommée indopacifique. Toutefois, le risque de guerre ne vient pas seulement de la probabilité grandissante d'un incident non-intentionnel, Washington et Pékin préparent activement la guerre. Pour ne prendre qu'un exemple très récent : En mars Pete Hegseth, Secrétaire à la Défense des États-Unis, a indiqué à ses services de faire de la préparation d'une guerre avec la Chine une priorité opérationnelle.

Les tensions militaires sont donc dans le prolongement direct du processus d'accumulation du capital. Dans ce cadre, il est utile de garder à l'esprit les ordres de grandeur : les États-Unis disposent de plus de 800 bases militaires dans le monde, la Chine ne dépasse pas la trentaine, tout au plus ; les dépenses militaires étasuniennes représentent près de trois fois celles de la Chine, et les dépenses militaires de l'OTAN – qui, depuis son sommet de Madrid en 2022, a acté l'élargissement de sa sphère d'intérêt de l'Atlantique nord à l'Asie pacifique – sont quatre fois supérieures à celles de la Chine. Les capacités destructrices étasuniennes et la logistique sous-jacente dépassent donc très largement la Chine. Par contraste, cette dernière ne dispose d'aucune alliance militaire comparable à l'OTAN.

La volte-face envers la Russie est certainement le domaine dans lequel Donald Trump est vraiment différent par rapport aux autres présidents étasuniens. Et il est cohérent : depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, l'économie russe s'est beaucoup plus fortement tournée vers la Chine et a notamment donné un coup d'accélérateur important à l'internationalisation de la monnaie chinoise renminbi. Voilà une des conséquences inattendues des sanctions financières de Washington contre la Russie, qui affaiblit directement le contrôle étasunien de l'infrastructure monétaire mondiale. Dans la même veine, Trump pousse les pays européens à augmenter leur budget militaire de 50%, voire de 150%. C'est une gigantesque amplification de la militarisation du Vieux Continent, qui ne vise pas tant à contenir la Russie qu'à soutenir l'effort militaire de Washington contre Pékin. Car cette hausse des budgets européens permettra aux États-Unis de réorienter des ressources supplémentaires substantielles vers la Chine. Réarmer l'Europe c'est in fine alimenter l'escalade militaire en Extrême-Orient et perpétuer la supervision étasunienne de l'économie mondiale dont les peuples européens ne tirent aucun bénéfice.

Existe-t-il aujourd'hui une opposition démocratique au sein de la société chinoise ou la répression du mouvement de Tiananmen a-t-elle définitivement étouffé toute contestation démocratique ?

Il est difficile d'identifier une opposition organisée, notamment en raison des politiques répressives de Pékin. Néanmoins, depuis sa transformation capitaliste, la Chine est régulièrement secouée par des mobilisations importantes. Malgré un rapport de forces peu favorable aux travailleur·ses, le nombre de conflits du travail a considérablement augmenté. En 1994, 78000 salarié·es étaient en conflit ouvert avancé avec leur employeur, en 2007 ce nombre atteignait 650000. Ces conflits concernent principalement les provinces exportatrices où l'exploitation est particulièrement féroce. De plus, les conflits du travail ne restent pas nécessairement inscrits dans le cadre étroit prévu par la loi. On observe au contraire ce que l'historien Eric Hobsbawm a appelé la « négociation collective par l'émeute ». En effet, les chercheurs Eli Friedman et Ching Kwan Lee montrent que « l'accélération de la privatisation, de la restructuration et des licenciements dans le secteur d'État a déclenché des niveaux d'insurrection inconnus dans l'histoire de la République populaire ». La panoplie des actions était large : sit-in, blocage, occupation, grève, émeute, jusqu'au suicide des travailleur·ses et au meurtre des employeur·ses. À titre d'exemple, en 2005, les chiffres officiels faisaient état de 87000 « incidents de masse » de ce type. Jusqu'aujourd'hui la contestation est très active mais éparpillée.

Enfin, il convient d'ajouter que la contestation est souvent à la fois démocratique et sociale. Loin de l'image d'un mouvement libéral porté exclusivement par des étudiant·es et intellectuel·les, les mobilisations de Tiananmen étaient déjà largement des contestations sociales et démocratiques, portées par les travailleur·ses, qui répondaient directement au processus violent de transformation capitaliste entrepris par la fraction libérale du PCC.

Est-il possible pour les peuples de sortir de cette logique de blocs opposés ?

La période actuelle montre que l'affrontement interimpérialiste entre la Chine et les États-Unis conduit ces derniers à extorquer des concessions toujours plus importantes à leurs alliés et au reste du monde plus généralement. Autrement dit, en plus d'une économie mondiale aux effets redistributifs hautement inégaux, nombreux sont les pays exposés au racket de Trump, tandis que la Pékin entend mettre en place une réorganisation sino-centrée de l'économie mondiale. La racine de ce monde de plus en plus conflictuel se trouve dans l'accumulation du capital. L'apaisement définitif passe donc par le remplacement de l'impératif du profit vers la satisfaction des besoins. Dans l'immédiat, une série de pays pourraient décider d'un découplage sélectif par rapport au marché mondial – rétrécissement planifié des chaînes de valeur, conditionnalités environnementales, politiques redistributives. La mise en cause ouverte de certains principes du libre-échange par Trump peut donc constituer une fenêtre d'ouverture.

Propos recueillis par Juan Tortosa

Article initialement publié le 9 mai 2025, sur le site de solidaritéS

Photo : le président de la république populaire de Chine Xi Jinping visite un centre d'innovation à Shanghai, 29 avril 2025

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Pour syndiquer Amazon, perturber les flux

Organiser des géants de la logistique comme Amazon ou Walmart nécessitera que le mouvement syndical revoie en profondeur sa stratégie. Il ne suffira plus de syndiquer des lieux (…)

Organiser des géants de la logistique comme Amazon ou Walmart nécessitera que le mouvement syndical revoie en profondeur sa stratégie. Il ne suffira plus de syndiquer des lieux de travail isolés : il faudra apprendre à perturber la circulation des marchandises à travers toute la chaîne d'approvisionnement.

4 juin 2025 | tiré de Jacobin.com
https://jacobin.com/2025/06/unionize-amazon-disrupt-supply-chain

(Traduction en français de l'article « To Unionize Amazon, Disrupt the Flow », publié dans New Labor Forum)

Organiser des géants de la logistique comme Amazon ou Walmart nécessitera que le mouvement

Héritages industriels et leçons du passé

Dans l'imaginaire collectif, le complexe River Rouge de Ford incarne une époque industrielle révolue. Achevé en 1928 à Dearborn, au Michigan, il comptait 93 bâtiments sur 4 km² et employait jusqu'à 80 000 travailleurs à son apogée. Véritable ville-usine, il comprenait des quais, des chemins de fer, une centrale électrique, une aciérie, et était surveillé par 8 000 hommes de main employés par Ford.

River Rouge représentait tout ce que la désindustrialisation nous a fait perdre : centralisation, intégration verticale, puissance manufacturière et communautés ouvrières denses. Ce n'était pas un cas isolé. Les années 1930 comptaient de nombreux sites similaires – Goodyear à Akron, General Motors à Flint, les abattoirs de Chicago, les aciéries de Pittsburgh, les usines de General Electric à Schenectady et Lynn, etc. Ces lieux étaient les points névralgiques du capitalisme industriel, et le CIO (Congress of Industrial Organizations) les a conquis entre 1937 et 1941.

Là où de tels centres n'existaient pas – dans l'Ouest ou le Sud –, l'organisation syndicale a échoué.
Les deux clés du succès du CIO

Le succès du CIO s'explique par deux facteurs principaux :
1. Un contexte politique relativement favorable, où Roosevelt et le New Deal ne réprimaient pas systématiquement les grèves.
2. Une capacité à surmonter les divisions pour organiser des actions réellement perturbatrices, capables d'arrêter la production.

Par exemple, la célèbre grève du sit-down à Flint fut décisive lorsque les ouvriers prirent le contrôle de l'usine Chevrolet n° 4, la seule qui fabriquait des moteurs. De même, en avril 1941, les travailleurs de Rouge mirent en place des piquets et des barricades automobiles pour bloquer tous les accès à l'usine. Rien ne bougeait sans leur accord.

Ce que cette période nous enseigne n'est pas tant la nostalgie d'un âge d'or industriel, mais une leçon stratégique claire : pour gagner, il faut cibler les grands acteurs et perturber leurs opérations jusqu'à obtenir la reconnaissance syndicale.

De l'usine au flux : un déplacement stratégique

Mais comment appliquer cette leçon aujourd'hui ? Nous ne vivons plus dans l'ère des grands complexes industriels.

Aujourd'hui, les grandes entreprises à cibler – Amazon, Walmart, FedEx, Target, Home Depot, etc. – tirent leur force non de la production, mais de la logistique. La centralité n'est plus dans l'usine, mais dans le flux.

C'est ici que s'ouvre un débat entre deux penseurs du syndicalisme :
• Kim Moody soutient que la concentration logistique dans certaines zones (comme Memphis) peut être comparée à celle des années 1930.
• Eric Blanc, au contraire, estime que la dispersion du travail rend impossible de répliquer les stratégies du CIO.

La vérité se situe entre les deux : oui, certains nœuds logistiques sont stratégiques, mais ils sont moins concentrés, souvent répartis entre plusieurs sous-traitants, avec des chaînes complexes. Mais ce n'est pas parce qu'il y a moins de travailleurs en un même lieu que le potentiel de blocage économique est moindre.

Les ports, par exemple, ont moins de dockers qu'avant, mais restent des points névralgiques.

Perturber les flux plutôt qu'organiser les lieux

La logique d'aujourd'hui doit donc changer : plutôt que d'organiser des lieux de travail, il faut viser à perturber les flux d'opérations.
Qu'impliquerait une telle stratégie ?

Quelques pistes pour une stratégie de perturbation des flux
Cibler les bons nœuds logistiques
Exemple : les sortation centers d'Amazon, cruciaux dans le système hub and spoke, sont moins nombreux que les entrepôts (fulfillment centers), donc plus stratégiques. Les centres de livraison (delivery stations) sont plus faciles à perturber, mais leur impact reste local.
Gagner les techniciens à la cause syndicale
Ils réparent les robots, contrôlent les flux et connaissent les vulnérabilités. Leur soutien peut être décisif.
Dépasser la fiction de la sous-traitance
L'intégration fonctionnelle des sous-traitants rend caduque la séparation juridique. La récente décision du NLRB reconnaissant Amazon comme « employeur conjoint » de ses livreurs est un pas important.
S'appuyer sur les travailleurs déjà organisés
Exemple : en 2021, les dockers de Tacoma ont soutenu des mécaniciens en grève – le syndicat a été reconnu en six heures. Il faut que les syndicats du rail, du transport routier ou portuaire relancent ce type d'action coordonnée.

Vers une approche syndicale en réseau
Le mouvement syndical ne manque pas d'expérience, mais il doit réorienter son action. Quelques éléments pour cela :

• Organiser les travailleuses et travailleurs de points de vente (comme Starbucks ou Home Depot) pour soutenir des grèves dans les centres de distribution dont ils dépendent.
• Développer des accords régionaux avec vérification rapide de l'adhésion (card-checks).
• Agir en fonction de l'effet de levier, et non seulement du nombre de travailleurs à syndiquer.
Ce type d'approche, fondée sur la perturbation stratégique des flux, exige des outils et des institutions capables de penser en termes de réseau, et non plus seulement de lieux de travail.

C'est un défi immense, mais la syndicalisation des géants d'aujourd'hui passe par là.

Traduction réalisée à partir de l'article original publié dans New Labor Forum.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

« Nous nous battons, nous souffrons de traumatismes de guerre, nous existons » : défendre les droits des vétérans LGBT+ en Ukraine

10 juin, par Olena Kifenko, ‍Volha Prokharava — , , ,
Alors que l'Ukraine poursuit son combat pour la liberté, une autre lutte se déroule en parallèle : celle pour l'égalité des droits des militaires LGBT+. Bien qu'ils risquent (…)

Alors que l'Ukraine poursuit son combat pour la liberté, une autre lutte se déroule en parallèle : celle pour l'égalité des droits des militaires LGBT+. Bien qu'ils risquent leur vie au front, beaucoup continuent d'être confrontés à des préjugés et à de l'hostilité, y compris à leur retour chez eux.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le Sunny Bunny Queer Film Festival 2025, qui s'est tenu à Kiev en avril, en est un exemple récent, où des groupes d'extrême droite ont tenté de perturber l'événement. Pourtant, parmi ceux qui se tenaient fièrement debout au festival, il y avait des soldats LGBT+ eux-mêmes, affirmant ouvertement leur droit à la dignité et au respect. L'ONG « Ukrainian LGBT Defenders for Equal Rights » utilise des fonds européens pour fournir une aide juridique, un soutien et une sensibilisation du public à ces personnes courageuses, promouvant ainsi une vision de l'Ukraine où le courage de tous les défenseurs est honoré de la même manière.

« ‍Le sujet des personnes LGBT est encore tabou dans l'armée ukrainienne. La discrimination est profondément ancrée, tant pendant qu'après le service, et trouve ses racines dans les attitudes post-totalitaires qui persistent dans notre société », explique Viktor Pylypenko, directeur de l'ONG « Ukrainian LGBT Defenders for Equal Rights ». Créée en 2018 sous la forme d'une petite communauté de militaires LGBT, elle est devenue en 2021 une organisation officielle qui défend leurs droits dans les forces armées.

La guerre a mis en évidence la vulnérabilité des personnes LGBT. Beaucoup de personnes homosexuelles et transgenres sont émotionnellement fragiles et souffrent de traumatismes liés à la guerre. Malgré cela, elles sont souvent envoyées au combat sans que l'on se soucie de leur bien-être ou de l'efficacité de leur déploiement. « Les gens doivent comprendre que beaucoup seront simplement tués au front, jetés comme de la paille dans un poêle », souligne Viktor, qui connaît la dure réalité du front depuis 2014.

Pendant leur service militaire, les membres du personnel LGBT sont souvent victimes de discrimination et de mauvais traitements systémiques : leurs supérieurs les prennent pour cible avec des ragots, sabotent leur carrière et les affectent délibérément aux missions les plus risquées. Ces abus sont aggravés s'ils dénoncent la corruption ou l'incompétence, ce qui conduit à l'isolement, au désespoir et, dans certains cas, à la désertion. En outre, les partenaires de même sexe ne sont pas reconnus, ce qui les exclut des programmes d'aide de l'État destinés aux familles des militaires. Bien qu'un projet de loi n°9103 sur les partenariats civils ait été préparé il y a longtemps, il n'a toujours pas été adopté, ce qui renforce encore cette inégalité.

Pour lutter contre cette injustice, l'ONG a créé une communauté active de plus de 600 anciens combattants LGBT, y compris des personnes handicapées et démobilisées. Avec le soutien de l'UE via l'International Renaissance Foundation (IRF), ils ont créé un centre pour anciens combattants à Kiev, un espace sûr et inclusif offrant un soutien psychologique, juridique et par les pairs. Ce centre est rapidement devenu un refuge vital pour beaucoup. « Cela nous aide à nous sentir protégés, parmi des personnes qui partagent les mêmes idées, et à nous sentir normaux », explique Dmytro Pavlov (32 ans), un ancien combattant gay.

Dmytro s'est engagé dans l'armée en mars 2022, mais a été blessé trois mois plus tard près de Bakhmut. Pendant sa convalescence, il a découvert la communauté de l'ONG sur Instagram et a contacté Viktor Pylypenko. « C'était une période difficile pour moi : je ne communiquais pas avec mes parents, mes camarades étaient au combat et je n'avais pas beaucoup de soutien », se souvient Dmytro. Au centre, il a vu les exemples inspirants d'autres soldats blessés et a trouvé le courage de faire son coming out, réalisant qu'il voulait « vivre librement et respirer pleinement ». Depuis lors, Dmytro est un membre actif de la communauté, ambassadeur du festival du film Sunny Bunny, participant actif à la Kyiv Pride et aux réunions avec les membres du Parlement.

‍Une défense juridique en première ligne pour l'égalité

L'aide juridique fournie par l'ONG s'est avérée cruciale pour beaucoup. Une infirmière de combat lesbienne de 37 ans, qui a souhaité rester anonyme, a expliqué que les consultations juridiques de l'organisation l'avaient aidée à naviguer dans le processus complexe de démobilisation et l'avaient guidée dans la préparation des documents nécessaires. « L'avocat m'a beaucoup aidée à préparer les documents requis », se souvient la vétérane.

Grâce au financement de l'UE, l'organisation « Ukrainian LGBT Defenders for Equal Rights » traite chaque mois entre 15 et 30 demandes juridiques individuelles, allant des procédures de licenciement et des documents médicaux aux demandes de congé et à la certification du statut de combattant. « 80% de nos clients sont des militaires en service actif », explique Oleksandr Danylov, avocat de l'ONG. « Le besoin d'aide découle souvent d'un manque de réglementation juridique claire, en particulier dans les cas impliquant des personnes LGBT, comme un soldat qui a changé de sexe après avoir obtenu le statut de combattant, ou des partenaires qui ont du mal à accéder à des informations sur leurs proches disparus en raison de l'absence de reconnaissance légale de leur famille. »

Une affaire historique concernait un ancien combattant qui était passé du sexe féminin au sexe masculin après avoir obtenu son certificat de statut de combattant. Les autorités ne savaient pas comment procéder, mais l'ONG a réussi à obtenir la modification du certificat. « C'est très gratifiant de voir que le système fonctionne pour les gens », se réjouit l'avocat.

Malheureusement, toutes les affaires ne se terminent pas par une victoire, souvent en raison de l'absence de cadre juridique. Beaucoup impliquent des cas de harcèlement, de blessures corporelles causées par la haine envers les personnes LGBT, ainsi que des abus commis par des commandants. « L'absence de réglementation souligne le besoin urgent d'une assistance juridique », explique Olexandr. « Malgré des ressources limitées, nous continuons à fournir une aide gratuite pour répondre aux demandes nombreuses non seulement des anciens combattants, mais aussi des militaires en service. »

‍Du champ de bataille à la librairie

En avril 2025, l'ONG a lancé l'une de ses initiatives les plus marquantes : la publication d'un livre révolutionnaire intitulé LGBTIQ+ Veterans of the Russian-Ukrainian War (Les anciens combattants LGBTIQ+ de la guerre russo-ukrainienne). Écrit par Alina Sarnatska, ancienne combattante et défenseuse des droits humains, il rassemble des témoignages de soldats LGBT et de leurs alliés. « Ces histoires sont importantes, non seulement pour la communauté LGBT, mais pour tout le pays. Il ne s'agit pas seulement de reconnaissance, mais de réécrire l'histoire de l'Ukraine pour y inclure tous ses défenseurs. »

Alina est une ancienne combattante et défenseuse des droits humains L'idée derrière ce livre fait écho au passé, rappelant comment, après la Seconde Guerre mondiale, les archives sur la lutte contre les personnes LGBT ont dû être minutieusement rassemblées à partir de sources fragmentées dans différents pays, avec peu de documents disponibles malgré le nombre important de personnes concernées. Ce livre contribue à préserver la culture et la mémoire ukrainiennes, en veillant à ce que les vétérans LGBT ne soient pas effacés de l'histoire.

Un changement visible

Grâce à la reconnaissance croissante de son travail, l'ONG est devenue un acteur important dans la promotion de réformes juridiques, notamment en matière de partenariats civils et de lois anti-discrimination. « Chaque succès est un pas vers l'égalité totale », déclare le directeur de l'ONG. « Nous travaillons avec le ministère de la Défense, le ministère des Anciens combattants, l'Institut des conseillers en matière d'égalité des sexes et les ambassades. Les changements sont lents, mais ils sont réels. » Leur plaidoyer porte ses fruits. Des enquêtes récentes montrent une forte augmentation du soutien de la population ukrainienne aux droits des LGBT, les gens étant témoins du sacrifice de soldats LGBT aux côtés de leurs camarades.

Pour l'Ukraine, la lutte pour les droits des LGBT est étroitement liée à son combat pour la démocratie et l'indépendance. Et pour les militants et les anciens combattants au cœur de cette histoire, la Journée internationale contre l'homophobie, la biphobie et la transphobie, commémorée chaque année le 17 mai, est plus qu'une date : c'est un rappel du courage et du dévouement dont ils font preuve pour défendre les droits des personnes LGBT en temps de guerre. « Nous ne sommes pas des troupes de l'arrière. Nous menons les mêmes missions de combat, nous perdons des êtres chers, nous sommes blessés, nous mourons. Cette ONG nous donne des droits et rend visibles les soldats LGBT », conclut Dmytro.

‍Volha Prokharava et Olena Kifenko
Publié en anglais par EU NeighboursEast
14 mai 2025

******

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

https://www.solidarity-ukraine-belgium.com/post/nous-nous-battons-nous-souffrons-de-traumatismes-de-guerre-nous-existons-defendre-les-droits-des-veterans-lgbt-en-ukraine

Une économie d’armement permanente

10 juin, par Michael Kidron, Stathis Kouvelakis — , ,
Alors que les débats sur l'industrie d'armement prennent une nouvelle tournure depuis l'élection de Donald Trump et les décisions de l'Union européenne quant au plan Rearm (…)

Alors que les débats sur l'industrie d'armement prennent une nouvelle tournure depuis l'élection de Donald Trump et les décisions de l'Union européenne quant au plan Rearm Europe, Contretemps propose de (re)découvrir Michael Kidron, marxiste britannique spécialiste des liens entre économie et guerre. L'article de M. Kidron est précédé d'une présentation de l'auteur par Stathis Kouvelakis, et un prochain article d'Alex Callinicos permettra de mieux saisir la portée de sa théorisation de l'économie d'armement permanente.

Présentation

La relance de la course aux armements et de la remilitarisation de l'Europe, dans un contexte de nouvelle montée des tensions internationales déclenchée par la guerre en Ukraine et l'offensive génocidaire de l'Etat sioniste à Gaza, rendent nécessaire une analyse approfondie de l'économie de guerre et de son rôle dans le capitalisme contemporain. Forts de leur compréhension du lien constitutif entre les guerres, le système étatique mondial et le mode de production régi par le capital, les marxistes ont joué un rôle majeur dans les débats sur cette question, en particulier dans la période qui suit la 2e guerre mondiale.

Parmi eux, l'économiste Michael Kidron (1930-2003) occupe une position de pionnier. Militant et théoricien du courant qui a donné naissance au Socialist Workers Party britannique (qu'il quitte dans les années 1970), il cherche à percer dès les années 1950 ce qui apparaît alors comme une énigme, à savoir les ressorts de la croissance économique sans précédent du capitalisme occidental au cours de ce qu'on a appelé les « 30 glorieuses ». Le défi est en effet de taille pour les marxistes, traditionnellement davantage enclins à prédire, ou constater, les crises du système, pour y lire les signes de son obsolescence, qu'à analyser les mécanismes de son dynamisme. Cette propension a été accentuée depuis la fondation de la 3e Internationale, dont la thèse fondatrice est le capitalisme serait entré, avec l'éclatement du premier conflit mondial, dans une « crise générale » irréversible et quasi-permanente, annonciatrice de son effondrement, de nouvelles guerres et d'inéluctables poussées révolutionnaires, inaugurées par celle d'octobre 1917. Dans ce cadre, les périodes de « stabilisation » ne pouvaient être vues que comme de brefs intermèdes d'un mode de production supposément entré dans sa phase « ultime » de « déclin » accéléré.

Eugène Varga (1879-1964), l'économiste-expert de l'Internationale Communiste, et, pendant un temps, de Staline, avait largement diffusé ces thèses – souvent désignées comme celles du « catastrophisme économiste » – pendant l'entre-deux guerres, thèses auxquelles la Grande Dépression de 1929 et la perspective d'une nouvelle guerre avaient donné une certaine crédibilité. A l'exception de Gramsci, cette vision était quasi-unanimement partagée au sein du mouvement communiste. Ainsi, dans le Programme de transition (1938), Trotsky parle de « capitalisme pourrissant », à « l'agonie », et affirme que « les forces productives de l'humanité ont cessé de croître ». Il ajoute : « Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle. Les crises conjoncturelles, dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste, accablent les masses de privations et de souffrances toujours plus grandes ». Certains courants se réclamant de lui, notamment, en France, le courant « lambertiste », ont maintenu la validité de ces analyses plusieurs décennies après la fin de la guerre.

Du côté de l'« orthodoxie » des partis communistes, la situation n'est pas moins affligeante : Maurice Thorez (1900-1964), secrétaire général du PCF de 1930 à sa mort, défend tout au long des années 1950 et jusqu'au début des années 1960 la thèse d'une « paupérisation absolue de la classe ouvrière », malgré l'embarras croissant que ses positions suscitaient au sein même des spécialistes en économie du parti. Face à cette caricature de marxisme, le mainstream social-démocrate ou libéral n'avait aucun mal à diagnostiquer la réalité du boom économique de l'après-guerre et d'en tirer les conclusions politiques : une ère de croissance illimitée, assurant à tous prospérité et accès à la consommation de masse. La perspective d'une rupture révolutionnaire est déclarée caduque au profit d'un gradualisme réformiste, voire même d'une société d'abondance pacifiée, ayant surmonté à la fois les crises économiques et les antagonismes de classe.

C'est dire donc le mérite d'un Michael Kidron qui, dès ses articles du milieu des années 1950, prend au sérieux les réalités nouvelles du capitalisme de l'après-guerre, façonné par le compromis social mis en place par le gouvernement travailliste qui accède au pouvoir en 1945 – l'équivalent britannique des conquêtes sociales de la Libération : nationalisations, intégration du mouvement syndical dans les instances de négociations, hausse des salaires et de la production etc. A partir du début des années 1960, il met l'accent sur le rôle de l'industrie de l'armement dans cette dynamique d'expansion économique. La guerre dite « froide », en réalité bien « chaude » en-dehors du théâtre européen et occidental, devenait en effet de plus en clairement synonyme de course aux armements entre les deux blocs opposés. En janvier 1961, dans un discours de fin de mandat qui fit date, le président étatsunien Dwight Eisenhower avait déclaré que « nous avons été contraints de créer une industrie permanente de l'armement [c'est quasiment la formulation de Kidron] dans des proportions considérables. En outre, trois millions et demi d'hommes et de femmes sont directement engagés dans l'établissement de la défense. Nous dépensons chaque année pour la sécurité militaire plus que le revenu net de toutes les entreprises américaines ». Dans ce même discours, Eisenhower, pourtant férocement anticommuniste et impérialiste, lançait un avertissement prémonitoire : « nous devons nous prémunir contre l'acquisition d'une influence injustifiée, qu'elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d'une montée en puissance désastreuse d'un pouvoir mal placé existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés ou nos processus démocratiques ».

En fait, dès les années 1940, des marxistes hétérodoxes comme Edward L. Sard (qui forge le terme « économie d'armement permanente »), Michael Kalecki ou Paul M. Sweezy avaient analysé le rôle de l'industrie de l'armement et de l'économie de guerre dans une optique keynésienne – au sens large – centrée sur le rôle de l'intervention étatique et de la dépense publique. Si la thématique n'est donc pas nouvelle, bien que confinée aux marges du débat intellectuel et politique de la gauche, les thèses de Kidron se caractérisent par une volonté d'intégration du débat dans le cadre rigoureusement marxien de la théorie des crises capitalistes, dont l'expression concentrée est, selon lui, à chercher dans la tendance à la baisse du taux de profit.

Cette théorisation trouvera sa présentation la plus complète dans l'article qui suit, publié pour la première fois dans la revue International Socialism au printemps 1967 et resté jusqu'à présent inédit en français. Il s'accompagne d'un article d'Alex Callinicos, écrit spécialement pour Contretemps, qui resitue le parcours de Kidron et le débat auquel son intervention a donné lieu.

Stathis Kouvélakis

*

Une économie d'armement permanente

La plupart des explications avancées pour rendre compte de la stabilité et de la croissance du capitalisme occidental après la Seconde Guerre mondiale reposent sur l'idée que, sans un facteur compensateur particulier, le système sombrerait dans la surproduction et le chômage. Certains ont vu ce facteur dans la planification étatique, d'autres dans le progrès technologique rapide, ou encore dans l'essor du commerce mondial. Cet article partage cette hypothèse de départ. Mais il s'en distingue par un point essentiel : il localise le mécanisme garantissant l'enchaînement de l'emploi élevé, de la croissance et de la stabilité en dehors de cette boucle elle-même.

L'argument selon lequel une menace permanente de surproduction (et non une menace de surproduction permanente) est inséparable du capitalisme repose sur trois propositions empiriques : premièrement, la force concurrentielle d'un capital individuel est, dans une certaine mesure, liée à la taille et à l'étendue de ses opérations ; deuxièmement, les relations entre les différents capitaux sont en grande partie de nature concurrentielle ; troisièmement, les décisions concernant la taille et l'affectation des capitaux individuels sont prises de manière privée par des individus ou des groupes qui ne représentent qu'un petit segment de la société — laquelle doit pourtant vivre avec les conséquences de ces décisions.

Sans les deux premières conditions, il n'y aurait aucune contrainte poussant chaque capital à croître aussi vite que possible par l'« accumulation » (c'est-à-dire l'épargne et l'investissement) et la « concentration » (fusions et acquisitions). Sans la troisième, la croissance ne dépasserait jamais de beaucoup la capacité d'absorption de la société.

Ensemble, ces trois éléments constituent également un mécanisme permettant d'atteindre — et de maintenir — une certaine stabilité : ils accroissent la capacité d'absorption tout en modérant le rythme d'expansion que cette dynamique pourrait entraîner. Idéalement, ce mécanisme devrait fonctionner sans bouleverser de manière excessive les relations entre les capitaux individuels.

Un tel mécanisme se trouve dans un budget d'armement permanent. Dans la mesure où le capital est taxé pour financer les dépenses militaires, il est privé de ressources qui auraient autrement pu être investies ; dans la mesure où ces dépenses concernent un produit final à obsolescence rapide, elles constituent un ajout net au marché des biens de consommation ou « biens finaux ». L'un des résultats évidents de ce type de dépense est le plein emploi, et l'un des effets du plein emploi, ce sont des taux de croissance parmi les plus élevés jamais enregistrés ; ainsi, l'effet modérateur de cette taxation n'est pas immédiatement perceptible. Mais il n'est pas pour autant inexistant. Si le capital pouvait investir l'ensemble de ses profits avant impôt, l'État intervenant pour créer la demande si nécessaire, les taux de croissance seraient bien plus élevés. Enfin, dans la mesure où les armements sont un « luxe » — au sens où ils ne servent ni d'instruments de production ni de moyens de subsistance dans la fabrication d'autres marchandises — leur production n'a aucun effet sur les taux de profit globaux, comme cela sera démontré ci-dessous.

L'augmentation des dépenses mondiales due aux budgets militaires est stupéfiante. En 1962, bien avant que la guerre du Vietnam ne fasse exploser les dépenses militaires américaines (et russes), une étude des Nations Unies concluait qu'environ 120 milliards de dollars (43 000 millions de livres sterling) étaient consacrés chaque année aux dépenses militaires. Cela représentait entre 8 et 9 % de la production mondiale de biens et de services, et au moins les deux tiers — voire jusqu'à l'équivalent — du revenu national de l'ensemble des pays sous-développés. Ce montant était très proche de la valeur des exportations mondiales annuelles de toutes les marchandises. Encore plus saisissante est la comparaison avec les investissements : les dépenses militaires représentaient environ la moitié de la formation brute de capital à l'échelle mondiale.[1]

Leur importance variait considérablement d'un pays à l'autre : 85 % de la dépense totale était concentrée dans sept pays — le Royaume-Uni, le Canada, la Chine, l'Allemagne de l'Ouest, la France, la Russie et les États-Unis.[2] Dans les pays capitalistes occidentaux, les dépenses militaires représentaient, en proportion du produit intérieur brut, entre 9,8 % aux États-Unis (moyenne 1957-1959) et 2,8 % au Danemark (6,5 % pour la Grande-Bretagne). En proportion de la formation brute de capital fixe, elles allaient de près de 60 % aux États-Unis à 12 % en Norvège (42 % au Royaume-Uni).[3] Dans aucun de ces pays, ces dépenses n'étaient négligeables, ni comme débouché pour le marché, ni — et c'est encore plus important — en comparaison des ressources consacrées à l'investissement.

Certaines industries dépendent fortement des dépenses militaires. Aux États-Unis (en 1958), plus de neuf dixièmes de la demande finale pour les avions et leurs pièces provenaient de l'État, la majeure partie à des fins militaires ; il en allait de même pour près de trois cinquièmes de la demande en métaux non ferreux, plus de la moitié pour les produits chimiques et les équipements électroniques, plus d'un tiers pour les équipements de communication et les instruments scientifiques — et ainsi de suite, dans une liste de dix-huit grandes industries dont au moins un dixième de la demande finale provenait de la commande publique. En France (en 1959), cette part allait de 72,4 % pour les avions et pièces détachées à 11 % pour les équipements optiques et photographiques.[4] Au Royaume-Uni, une liste similaire inclurait l'industrie aéronautique, dont 70 % de la production (en 1961) dépendait de commandes publiques, l'électronique industrielle et la radiocommunication (35 % chacune), la construction navale (23 %), ainsi que plusieurs autres secteurs.[5]

L'impact des dépenses militaires sur la croissance et l'innovation est tout aussi direct. Le plein emploi favorise l'innovation technique et l'investissement intensif, ce qui stimule à son tour la recherche. Or, dans ce domaine, les dépenses militaires pèsent d'un poids considérable : elles représentaient 52 % de l'ensemble des dépenses de recherche et développement (R&D) aux États-Unis (1962-63), 39 % au Royaume-Uni (1961-62), 30 % en France (1962) et 15 % en Allemagne (1964, estimation partielle).[6] Pas moins de 300 000 scientifiques qualifiés travaillaient dans la R&D à des fins militaires et spatiales dans la zone OCDE, principalement dans six pays (ceux déjà mentionnés, plus le Canada et la Belgique).[7] Au Royaume-Uni, 10 000 scientifiques y étaient affectés en 1959, soit un cinquième du total national, assistés par environ 30 000 autres chercheurs non qualifiés.

La recherche militaire a joué un rôle crucial dans le développement de produits civils tels que les systèmes de navigation aérienne, les avions de transport, les ordinateurs, les médicaments, les locomotives diesel (issues des moteurs de sous-marins) ou encore le verre renforcé. La production en grandes séries à des fins militaires ont permis de réduire le coût d'autres produits comme les cellules solaires ou les détecteurs infrarouges, jusqu'à les rendre accessibles au marché de masse. Par ailleurs, l'usage militaire a perfectionné de nombreuses techniques à usage général, telles que les turbines à gaz, la transmission hydraulique ou le soudage par ultrasons. Plus important encore, comme le souligne le rapport de l'OCDE sur le gouvernement et l'innovation technique, est le fait que :

« Les résultats de la recherche militaire et spatiale ont eu — et continueront d'avoir — une influence majeure sur l'innovation civile, en stimulant le rythme général du progrès technologique. Par exemple, les exigences de ces recherches, notamment en matière de guidage et de contrôle, ont conduit à des avancées fondamentales et appliquées dans des domaines comme les semi-conducteurs, les microcircuits, les micromodules, la conversion d'énergie ou la métallurgie physique — autant de domaines appelés à avoir un impact sur la technologie civile. De plus, des techniques de planification comme la recherche opérationnelle, la méthode PERT (Program Evaluation and Review Technique), l'ingénierie des systèmes ou l'analyse de la valeur — développées à l'origine pour répondre aux besoins militaires et spatiaux — facilitent désormais l'identification rapide des opportunités d'innovation. Enfin, l'exigence extrême en matière de perfection et de fiabilité dans ces secteurs a permis le développement de méthodes de mesure, de test et de contrôle qui améliorent la qualité et la fiabilité des produits. Cela est particulièrement vrai dans le domaine de l'électronique. »[8]

En ce qui concerne les armements et le commerce international, l'étude des Nations Unies déjà citée estimait que, pour les années 1958 et 1959, la demande militaire annuelle moyenne des pays industrialisés représentait une part importante de la production mondiale de plusieurs matières premières.[9]

Il est difficile de tirer des conclusions définitives sur l'impact des dépenses militaires sur la taille des entreprises. Toutefois, une étude de l'EIU (Economist Intelligence Unit) concernant la Grande-Bretagne révèle que, parmi les entreprises interrogées, les dix-huit plus grandes (celles comptant chacune plus de 10 000 salariés) représentaient 71 % de l'ensemble des emplois, et concentraient 75,2 % des emplois liés à la production d'armement.[10] Aux États-Unis, on observe un phénomène similaire : la majeure partie des contrats de défense profite aux très grandes entreprises. Malgré les efforts officiels pour en répartir les bénéfices, les cent premières entreprises ont reçu, en valeur, les deux tiers de tous les contrats de défense durant la première moitié des années 1950 ; à elles seules, les dix premières en ont capté un tiers.[11]

Cela n'a rien de surprenant : seules les plus grandes entreprises disposent des ressources techniques et technologiques nécessaires pour faire face à la complexité et à l'ampleur de la production d'armement. Une fois intégrées au « club » des bénéficiaires, leur croissance est pratiquement garantie. Les principaux contrats d'armement sont si colossaux que, selon les mots d'un observateur, « même la prétention à un appel d'offres ouvert ne pouvait sérieusement être maintenue pour certains des contrats publics les plus lucratifs ».[12]

En 1963, un secrétaire adjoint à la Défense des États-Unis déclarait devant le Joint Economic Committee du Congrès qu'« établir une nouvelle source de production pour le missile Polaris, par exemple, exigerait jusqu'à trois ans et un investissement de 100 millions de dollars en installations et équipements spécialisés ».[13] Bien que les techniques de contrôle gouvernemental aient été régulièrement renforcées pour gérer cette dépendance à des fournisseurs uniques, les grands contrats, rémunérés sur la base coûts réels en matériaux et temps investis, éliminent tout risque de perte… et donc toute entrave à la croissance. Dans certains cas, les garanties sont si larges et le suivi si faible que les sous-traitants perdent eux-mêmes le contrôle. Ce fut le cas de Ferranti avec son contrat pour le missile Bloodhound, qui l'obligea à restituer 4,5 millions de livres de bénéfices excédentaires sur un contrat de 13 millions en 1964. Mais en règle générale, le capital reste prudent, et les risques pour la croissance sont étroitement neutralisés.

Enfin, les dépenses militaires ont joué un rôle crucial dans le développement de la planification gouvernementale et dans le perfectionnement des techniques de planification. Il existe des preuves officielles indiquant que la planification aux États-Unis fut une réponse directe à l'avance soviétique dans le domaine des missiles balistiques. La surveillance étroite du secteur industriel privée fait désormais partie intégrante de tout grand contrat d'armement. Les méthodes modernes d'audit et de contrôle proviennent directement des besoins militaires. Il en va de même pour un outil devenu de plus en plus essentiel dans la plupart des grands exercices de planification : l'ordinateur. Né de la Seconde Guerre mondiale, il est toujours principalement utilisé dans les domaines militaires, que ce soit pour résoudre des problèmes de conception, simuler des « jeux de guerre » ou gérer les stocks et la production. Les grands ordinateurs restent d'ailleurs soumis à des restrictions d'exportation par les États-Unis pour des raisons militaires.Ces effets directs des dépenses militaires sont interconnectés et forment ensemble une boucle causale qui semble se perpétuer sans nécessiter de stimulus extérieur. Pourtant, bien que cela semble suffisamment probant, tous les problèmes ne sont pas pour autant résolus. Il est possible que d'autres éléments contribuent également à expliquer la stabilité économique. N'importe quel économiste universitaire devrait être capable de construire un modèle dans lequel l'épargne et l'investissement s'équilibrent parfaitement, et où la demande se situe exactement au niveau du plein emploi. Les techniques pour y parvenir ne posent aucune difficulté.

Des non-universitaires, comme John Strachey se sont, non sans mal, efforcés de démontrer, de manière plus pragmatique, que « les dépenses militaires pourraient être remplacées par d'autres formes de dépenses publiques… [pour financer] logements, routes, écoles, etc. » , ou encore que le gouvernement pourrait obtenir un effet similaire en réduisant les impôts sur les petits revenus.[14] Et il n'y a, logiquement, aucune raison de les contredire. Mais la réalité capitaliste est plus résistante que les stylos et le papier des planificateurs. D'une part, des dépenses productives trop importantes de la part de l'État sont exclues. Du point de vue d'un capitaliste individuel, ce type de dépenses représenterait une intrusion directe dans son domaine réservé, par un concurrent infiniment plus puissant et disposant de ressources matérielles bien supérieures : une telle menace doit être combattue sans réserve. Du point de vue du système dans son ensemble, cela entraînerait une augmentation rapide du ratio capital/travail — ce que Marx appelait la composition organique du capital — abaissant fortement le taux moyen de profit, à tel point que la moindre hausse des salaires réels pourrait suffire à provoquer faillites et récession.

Seul le dernier point mérite une explication plus détaillée. Marx a montré — pour le dire simplement — que, sur le long terme et malgré de nombreux mécanismes compensateurs, la hausse de la composition organique du capital du capital entraîne une baisse tendancielle du taux de profit dans une économie capitaliste fermée.[15] Le raisonnement est simple : puisque seul la part non-payée du travail génère du profit, et que la part de l'investissement consacrée à la force de travail diminue constamment, le rendement global du capital est voué à décroître. Marx avait conditionné cette « loi » à plusieurs facteurs et peinait à expliquer pourquoi elle ne se manifeste pas de manière absolue mais comme une tendance à la baisse graduelle. Il la considérait toutefois comme la tendance dominante du capitalisme. Sa démonstration reposait sur deux hypothèses, toutes deux réalistes : d'abord, que toute la production réintègre le système sous forme d'intrants productifs, via la consommation des travailleurs ou des capitalistes. Idéalement, il n'existe ni fuites hors du système ni d'autres usages que ce que l'on appelle aujourd'hui l'investissement et la consommation ouvrière. Ensuite, que, dans un tel système fermé, cette répartition évolue progressivement en faveur de l'investissement.

La première hypothèse est cruciale. Si l'on admet qu'une part de la production est soustraite au cycle productif — par exemple sous forme de dépenses non productives — alors le rapport entre capital et travail devient indéterminé, la seconde hypothèse s'effondre… et la loi avec elle. Marx lui-même avait identifié certaines « fuites » hors du cycle productif — notamment la consommation personnelle des capitalistes (les « produits de luxe ») et la production d'or, mais il avait choisi, à juste titre, de les négliger dans son analyse. Il construisait alors une théorie à partir d'une base abstraite, et ces éléments étaient, à l'époque, relativement marginaux.

Des théoriciens postérieurs, contraints de raffiner le modèle et écrivant aussi à une époque plus prospère, se sont penchés plus en profondeur sur ce Département III non productif. Ladislaus Von Bortkiewicz (1868-1931) a démontré, dans un article publié en 1907[16], que la composition organique du capital dans la production de biens de luxe (la consommation personnelle des capitalistes) n'avait aucun impact sur la détermination du taux de profit global. Piero Sraffa (1898-1983), dans ce qui reste à ce jour[17] [17], la version la plus raffinée d'un système économique « classique », a généralisé cette idée. Il a démontré que :

« Les produits de luxe qui ne sont utilisés ni comme moyens de production, ni comme biens de subsistance dans la fabrication d'autres produits […] ne participent pas à la détermination du système. Leur rôle est purement passif. Si une invention permettait de diviser par deux la quantité de moyens de production nécessaires à la fabrication d'un bien de luxe, son prix serait divisé par deux. Mais cela n'aurait aucun autre effet : ni les prix des autres marchandises, ni le taux de profit n'en seraient modifiés. À l'inverse, une invention affectant la production d'un bien utilisé comme intrant modifierait l'ensemble des prix relatifs ainsi que le taux de profit. »[18]

Bien que Sraffa s'abstienne, comme à son habitude, de donner des exemples concrets, aucun cas n'illustre mieux la catégorie des « produits de luxe » que les armements. Ils ne peuvent en effet servir à la production d'aucune autre marchandise et aucune autre ne peut soutenir la comparaison avec ce qu'ils représentent en termes de poids spécifique et de signification. Du point de vue du système — c'est-à-dire dans une optique strictement théorique — la production d'armement constitue donc le principal, et apparemment durable, contrepoids à la tendance à la baisse du taux de profit.

Mais ce n'est là qu'une des contraintes à la possibilité pour l'État d'utiliser d'autres types de production — non militaires — comme leviers de stabilisation économique. Cette contrainte est d'ailleurs d'autant moins convaincante qu'elle repose uniquement sur une construction théorique. Une autre limite, plus concrète, tient à l'« effet domino » propre aux armements : dès lors qu'un pays s'y engage, les autres grandes puissances sont contraintes de suivre, enclenchant ainsi une course aux armements à l'échelle du système mondial, et se retrouvant prises dans l'engrenage de ce mécanisme stabilisateur.

Il n'existe pas d'autre issue. Si l'absence de planification, la mise en concurrence, ou, pour reprendre le terme de Marx, « l'anarchie de la production » a pu être partiellement atténuée à l'intérieur des États-nations grâce à l'intervention publique, permettant d'anticiper dans une certaine mesure les décisions spontanées des capitaux individuels par des choix politiques globaux, à l'échelle internationale, cette anarchie persiste presque totalement. À quelques exceptions près — celles de petites économies — il n'existe aucune autorité coercitive au-delà de l'État-nation. Le système mondial fonctionne toujours selon le schéma classique : un ajustement permanent entre capitaux nationaux, sans instance de coordination supérieure. C'est pourquoi même un bloc relativement homogène comme celui des puissances capitalistes occidentales continue de régler ses échanges sur la base de l'or — ce symbole par excellence du mysticisme capitaliste autour des rapports sociaux. Et c'est aussi la raison pour laquelle, dans un ensemble pourtant encore plus homogène comme l'Europe de l'Est, le commerce bilatéral reste le mode dominant des échanges. Le fossé entre la réalité concurrentielle et l'illusion de la coopération est immense, même à l'intérieur de blocs étroitement intégrés — et devient incommensurable entre blocs rivaux.

Dans ces conditions, tout pays qui choisirait d'assurer le plein emploi et la stabilité au moyen d'investissements productifs — ou même à travers des activités publiques de substitution non productives — se retrouverait inévitablement en position de faiblesse dans la compétition mondiale. Un tel pays pourrait certes parvenir au plein emploi, mais isolément ; or, cela entraînerait presque immanquablement un certain niveau d'inflation, le rendant moins compétitif et, à terme, le pousserait hors du marché mondial. Pour que cette situation soit tenable, il faudrait empêcher les autres économies de l'affaiblir. Autrement dit, le plein emploi doit être exporté — et quoi de plus incitatif, pour pousser les autres à le « racheter », qu'une menace militaire extérieure ?

Cela ne signifie pas pour autant que les budgets militaires aient été consciemment conçus dans le but de garantir un environnement international propice à la stabilité. On peut admettre que les gouvernements ont souvent accru leurs dépenses de défense à contrecœur ; que les principales hausses n'ont pas toujours coïncidé avec des périodes de ralentissement économique ; que, bien souvent, ces décisions ont été perçues comme contraignantes, imposées ou simplement regrettables. On peut même accepter que le passage initial à une économie d'armement permanente ait résulté d'un concours de circonstances. Mais cela ne modifie pas le fond du problème. L'essentiel est que l'existence même d'appareils militaires nationaux de cette envergure, quelle que soit leur origine, augmente à la fois les chances de stabilité économique et contraint les autres États-nations à adopter une posture similaire sans que cela nécessite un pilotage par une autorité supérieure. Ensemble, ces réponses forment un système dont les éléments sont à la fois interdépendants et autonomes, liés entre eux par des contraintes réciproques — bref, un système capitaliste dans sa forme classique.

Une fois ancrée dans la réalité, l'économie d'armement tend presque inévitablement à devenir permanente. Ce n'est pas seulement parce qu'un système de contraintes réciproques fondé sur la menace militaire s'avère particulièrement impérieux, mais aussi parce qu'il devient de plus en plus difficile de distinguer entre concurrence militaire et concurrence économique. Comme on le voit maintenant [1967], avec les États-Unis et la Russie qui s'engagent à s'équiper en missiles antibalistiques au coût effrayant, la course aux armements pouvait s'intensifier non pour des raisons d'efficacité militaire réelle, mais dans le but d'alourdir les coûts de la préparation militaire pour le concurrent. Le responsable de la rubrique défense du magazine Times le résumait ainsi :

« Une telle décision n'a de sens que si les deux parties entendent se livrer à une guerre économique totale, persuadées que les atouts fondamentaux de leur système économique finiront par l'emporter ; toutes deux convaincues que le poids paralysant de cette nouvelle charge militaire précipitera l'effondrement économique de l'autre. »[19]

Telle est la dynamique entre « ennemis ». Mais entre « alliés », la défense commune peut aussi servir de paravent à des intérêts industriels particuliers, propres à chaque pays. Un exemple parlant : dans le cadre d'un accord de deux ans s'achevant le 30 juin 1967, l'Allemagne [de l'Ouest] s'était engagée à acheter pour 5,4 milliards de marks d'armements aux États-Unis, en compensation des dépenses militaires américaines sur son sol. Dix mois avant l'échéance, 2,4 milliards de marks restaient à commander, « aucune nouvelle commande ne semble se profiler à l'horizon ». Comme le souligne The Economist, « l'obligation pour l'Allemagne d'acheter autant de matériel militaire aux États-Unis… constitue un sérieux désavantage pour l'industrie allemande, en particulier l'industrie aéronautique ».[20] Elle portait également préjudice aux ambitions britanniques, qui tentaient péniblement d'entrer sur le marché allemand de l'armement.

Il n'est pas nécessaire d'en rajouter pour constater que les armements sont devenus une composante permanente de nos économies. L'intense concurrence dans les exportations d'armes — entre blocs rivaux comme au sein même de chaque bloc — en apporte une démonstration éclatante. Les États-Unis disposent de leur propre représentant commercial pour les ventes d'armes. En Grande-Bretagne, le gouvernement travailliste est allé jusqu'à nommer à la fois un ministre du Désarmement et un directeur des ventes de matériel de défense – ce dernier détaché de Racal Electronics, une entreprise d'armement en pleine expansion. Il dispose du pouvoir d'ouvrir des canaux d'exportation privilégiés, d'influencer la conception des équipements dès leur développement[21], de contrôler les délais de livraison, d'utiliser le service diplomatique, etc. Comme l'a déclaré le ministre des Affaires étrangères :

« Tant que nous n'aurons pas obtenu un désarmement généralisé par un accord international, il est raisonnable que ce pays bénéficie d'une part équitable du marché de l'armement. »[22]

L'intégration de l'industrie d'armement dans l'économie générale, en tant que levier de compétitivité, produit des effets considérables. La fonction du budget militaire comme instrument de stabilisation au sein de chaque économie nationale se trouve affaiblie par son rôle dans la concurrence entre économies. Un pays peut développer son arsenal pour des raisons purement internes ; mais cette dynamique entraîne presque immanquablement une réaction de ses concurrents, fondée sur des justifications d'ordre international tout aussi légitimes. Or, rien ne garantit que cette spirale s'interrompe au niveau nécessaire pour assurer la stabilité. Même si un pays réussissait, contre toute attente, à stabiliser ses dépenses militaires à un seuil optimal, cela ne signifierait nullement que les autres en feraient autant — en raison de leurs différences de taille, de structure économique, de niveau de développement, d'alliances, ou d'autres caractéristiques propres aux économies nationales liées par une même base technologique militaire. Certains pays chercheront donc à réduire leurs dépenses pour préserver leur compétitivité civile, d'autres poursuivront leur trajectoire actuelle, et d'autres encore accentueront leur effort militaire. Le désarroi au sein de l'OTAN en fournit une illustration éloquente : la France se retire [du commandement militaire de l'Alliance, en 1965], tandis que les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne s'opposent sur le financement commun et le partage des responsabilités nucléaires. Washington tente de faire pression pour une augmentation des budgets militaires européens, face à une Europe réticente. Le Pacte de Varsovie n'est pas en reste : la Roumanie parvient à « gaulliser » Moscou [c'est-à-dire à adopter, à l'égard de Moscou, une posture d'indépendance comparable à celle de De Gaulle vis-à-vis des États-Unis. NdT].

L'existence d'un plafond économique aux dépenses militaires est un élément clé de l'économie d'armement permanente. Dans une économie de guerre, les limites sont dictées par les ressources physiques disponibles et la capacité de la population à supporter pertes humaines et privations. Dans une économie d'armement, s'ajoute une contrainte propre : la nécessité de rester compétitif à l'échelle globale, sur le plan militaire comme civil.

Ce paradoxe conduit à un affaiblissement de la fonction même de défense. En l'état, celle-ci est minée par la logique suicidaire d'une grande partie de l'arsenal dit « défensif ». Par ailleurs, une préparation militaire limitée – caractéristique des économies d'armement permanentes – ne provoque pas automatiquement d'hostilités, ce qui fait de la fixation des niveaux de dépenses un sujet de débat constant, notamment pour les membres les plus fragiles de la coalition occidentale, souvent incapables de suivre le rythme imposé.

Le contexte est propice à une lente érosion des dépenses d'armement en périphérie, compensée par leur concentration croissante au centre — en l'occurrence, aux États-Unis. Les faits sont parlants : ni Cuba, ni le Vietnam, ni même les tensions aiguës de la période dite de la « confrontation » – entre 1961 et 1963, marquée notamment par la construction du mur de Berlin et la crise des missiles de Cuba – n'ont inversé la tendance à la baisse, en termes réels, des dépenses militaires britanniques depuis le début des années 1950. Malgré la force de frappe de De Gaulle et le réarmement de l'Allemagne, la part des États-Unis dans les dépenses militaires totales des pays de l'OTAN n'a cessé d'augmenter, même avant les importantes hausses liées à la guerre du Vietnam. Cette situation est loin d'être stable.

L'existence d'un plafond de dépenses est importante pour une autre raison. Il constitue une incitation massive à l'augmentation de la productivité (mesurée en millions de morts potentielles par dollar dépensé) et conduit ainsi les industries de l'armement à devenir de plus en plus spécialisées et à s'éloigner de la pratique générale de l'ingénierie. Comme l'indique l'un des rapports de l'OCDE déjà cités :

« le transfert direct vers le secteur civil de produits et de techniques développés à des fins militaires et spatiales est très limité, comparé à l'ampleur globale de la recherche et du développement militaires et spatiaux. En outre, les exigences technologiques de la défense et de l'espace divergent de plus en plus de celles de l'industrie civile, ce qui signifie que les possibilités de transfert direct tendent à diminuer. »[23]

Cette spécialisation va de pair — et découle en partie — d'une intensité croissante en capital et en technologie dans les industries de l'armement. Sur ces deux plans, elles deviennent de moins en moins aptes à soutenir le plein emploi, sauf à franchir les limites jugées acceptables dans une économie d'armement.

La forme insoluble que prend le chômage dans une économie d'armement permanente est étroitement liée à ce phénomène. Les mutations technologiques rapides, non planifiées – et impossibles à planifier – dans les industries d'armement soumises à un niveau plafonné de dépenses créent des aires régionales et industrielles de chômage, qui restent largement insensibles aux remèdes fiscaux et monétaires généraux. Elles créent également des couches de main d'œuvre non qualifiée rendues inemployables par les technologies de pointe, en perpétuelle évolution, mises en œuvre. Une fois encore, le haut niveau de croissance à l'Ouest masque ce phénomène, mais la situation des régions de construction navale ici [au Royaume-Uni] et aux États-Unis, les difficultés rencontrées dans les zones de fabrication aéronautique aux États-Unis, voire les problèmes que rencontrent les Noirs américains, doivent au moins en partie leur intensité aux fluctuations des dépenses militaires et à la complexité croissante de la production militaire.

L'instabilité, en elle-même, ne condamne pas un système. Mais elle peut contribuer à le remettre en question dans son ensemble et ouvrir ainsi la voie à une alternative. Elle peut aussi permettre d'articuler entre elles différentes formes de contestation. En d'autres termes, l'instabilité peut transformer un sentiment diffus d'aliénation ou d'échec — que cette société ne cesse d'alimenter — en conscience de classe et en projet politique. Que ce processus advienne ou non dépend de la réceptivité des travailleurs aux idées de changement radical. Et c'est précisément dans cette réceptivité accrue que l'économie d'armement permanente trouve ses véritables limites.

L'argument a été exposé ailleurs[24] et ne nécessite ici qu'un bref résumé. L'économie d'armement permanente tend à raréfier la main-d'œuvre et à rendre les qualifications coûteuses pour chaque capital individuel, tout en augmentant la taille moyenne du capital et en concentrant le pouvoir dans quelques grands complexes, majoritairement industriels. Ces entreprises sont contraintes de prendre en compte les réformes probables — c'est-à-dire des concessions matérielles aux travailleurs — bien avant de les mettre en œuvre, au moment même de formuler leurs plans à long terme. Parallèlement, l'État est poussé à intervenir activement dans la gestion de l'économie et à créer de l'emploi productif à grande échelle. Son apparente neutralité politique s'effrite, ses politiques apparaissent de plus en plus clairement comme des politiques capitalistes, que ce soit en tant qu'employeur direct, en tant que composante – via les entreprises publiques – des organisations patronales, ou en tant que gestionnaire économique de l'ensemble de l'économie. Son caractère unique en tant qu'agent de réforme, dans le sens évoqué précédemment, est de plus en plus entamé par l'activité du secteur privé dans ce domaine. Après tout, les avantages sociaux dans l'industrie (c'est-à-dire les réformes privées), représentant 13 à 14 % des salaires en moyenne en 1960[25], se comparent très favorablement aux « dépenses sociales » publiques (c'est-à-dire les réformes publiques), qui représentaient 12,6 % des dépenses de consommation cette même année.[26]

La réaction des travailleurs s'en est trouvée profondément transformée. Le réalisme impose que la lutte pour les réformes se mène localement, sur le lieu de travail, de manière directe, plutôt qu'au niveau national, sur le terrain politique, et par l'intermédiaire de représentants parlementaires issus de la classe moyenne. Il est vrai que ce réalisme tend souvent à substituer la solidarité d'équipe à la solidarité de classe, la conscience du poste à la conscience de classe, une éthique entrepreneuriale aux prémices d'une éthique socialiste. Il est également vrai qu'un tel réalisme menace de démolir les étages supérieurs — les organisations de classe traditionnelles — sans attendre que les fondations aient été élargies et consolidées. Pourtant, ce réalisme déplace le centre de gravité de l'activité de « là-bas » vers « ici », de « eux » vers « nous » ; il érode les barrières artificielles entre la classe et ses organes, ainsi que les loyautés souvent contradictoires.

Le révolutionnaire potentiel de demain et le réformiste actif d'aujourd'hui deviennent de plus en plus indiscernables, tandis que les instabilités de l'économie d'armement permanente font de la révolution tout simplement une étape dans les activités de tous les réformistes sincères.

*

Publié pour la première fois dans « International Socialism » (première série), n° 28, printemps 1967, p. 8-12, puis sous forme de brochure par le SWP (GB).

Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.

Notes

[1] Nations Unies, Conséquences économiques et sociales du désarmement (New York 1962).

[2] Ibid., p. 4.

[3] Ibid., tableau 2-1, pp. 55-7. Dans l'étude de l'ONU, les chiffres donnés pour la Grande-Bretagne sont généralement inférieurs à ceux du rapport plus détaillé réalisé par l'Economist Intelligence Unit un an plus tard : The Economic Effect of Disarmament (Londres : EIU, 1963). Cette divergence n'ayant pas d'incidence sur l'argumentation, nous ne tenterons pas d'ajuster les chiffres ici.

[4] OCDE, Les pouvoirs publics et l'innovation technique, p. 27.

[5] EIU, p. 49, 69, 82, et passim.

[6] OCDE, tableau, p. 30. L'EIU donne un chiffre de 49 pour cent pour la Grande-Bretagne en 1958-9 (59,2% en 1955-6, EIU, p. 27).

[7] OCDE, p.30.

[8] Ibid., p. 31-2.

[9] Soit 8,6 % pour le pétrole brut ; 3 % pour le caoutchouc ; 15,2 % pour le cuivre ; 10,3 % pour le nickel ; 9,6 % pour l'étain ; 9,4 % pour le plomb et le zinc ; 7,5 % pour le molybdène ; 6,8 % pour la bauxite ; 5,1 % pour le minerai de fer ; 2,7 % pour le manganèse, et 2,3 % pour la chromite, ibid., tableau 3-3, p. 65.

[10] EIU, p. 22-3.

[11] Cité par John-Kenneth Galbraith, The Modern Corporation, conférences Reith de la BBC, n° 2, The Listener, 24 novembre 1966, p. 756.

[12] Andrew Shonfield, The Modern Capitalism : the Changing Balance of Public and Private Power, Oxford, Oxford University Press, 1966, p. 344.

[13] Cité par Shonfield, ibid.

[14] John Stratchey, Contemporary Capitalism, Londres, Gollancz, 1956, p. 239-246.

[15] Karl Marx, Le Capital, Livre III, t. 1, Paris, Editions sociales, 1974, chap. 13 et 14, p. 225-253. [La composition organique du capital désigne le rapport entre le capital constat (dépensé en moyens de production : machines, bâtiment, matières premières…), dont la valeur est simplement transmise et conservée dans le produit final, et le capital variable (dépensé en salaires), qui produit une valeur supérieure à celle nécessaire à sa reproduction, dont la partie non-payée correspond à la plus-value, que s'approprie le capitaliste. L'hypothèse de Marx est que l'innovation technique conduit à une diminution tendancielle de la part consacrée au capital variable, ce qui conduit à une baisse tendancielle du taux de profit, soit du rapport de la plus-value au total du capital engagé (capital constant + capital variable) NdT].

[16] Cf. Ladislaus von Bortkiewicz, « On the Correction of Marx's Fundamental Theoretical Construction in the Third Volume of Capital », Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, juillet 1907 ; Rudolph Hilferding, Böhm-Bawerk's Criticism of Marx , New York, Kelly, 1949, résumé dans Paul M. Sweezy, The Theory of Capitalist Development, Londres, Dennis Dobson, 1949, p. 115-125.

[17] Piero Sraffa, The Production of Commodities by Means of Commodities , Cambridge, Cambridge University Press, 1960 [trad. française : Production de marchandises par des marchandises, Paris, Dunod, 1977].

[18] Ibid., p. 7-8.

[19] The Times, 10 mai 1966.

[20] The Economist, 21 mai 1966, p. 809-10.

[21] The Times, 12 mai 1966.

[22] Rapport de la Chambre des communes, The Times, 24 mai 1966.

[23] OCDE, p. 31.

[24] Tony Cliff, « The Economic Roots of Reformism », Socialist Review, juillet 1957, repris in Tony Cliff, Neither Washington Nor Moscow , Londres, Bookmarks, 1982 ; Michael Kidron, « Reform and Revolution », International Socialism, n° 7, 1961 ; Tony Cliff et Colin Barker, Incomes Policy, Legislation and Shop Stewards, Londres, 1966, chap. 7 et 9 ; Colin Barker, « The British Labour Movement », International Socialism, n° 28, 1967.

[25] G. L. Reid et D. J. Robinson, « The Cost of Fringe Benefits in British Industry », in G. L. Reid et D. J. Robinson (dir.), Fringe Benefits, Labour Costs and Social Security, Londres, 1965.

[26] BIT, Le coût de la sécurité sociale 1958-1960, Genève, 1964, partie 2, tableau 4, p. 249.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

7329 résultat(s).
Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG)

gauche.media

Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.

En savoir plus

Membres