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La mairesse Liza Poulin engage pour une 2e fois une firme associée à Stablex avec l’argent public
Blainville, lundi 6 octobre 2025 — La Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6 de Stablex et Climat Québec dénoncent le conflit d'intérêt évident du mandat confié par la mairesse Liza Poulin à la firme Solmatech pour une campagne d'échantillonnage concernant la toxicité du site de déchets dangereux de Stablex.
Il est curieux, voire suspicieux, que la mairesse ait choisi Solmatech pour évaluer la toxicité du site. Selon le registre des entreprises du Québec, Solmatech est une co-entreprise d'Englobe, la firme engagée par Stablex elle-même pour réaliser son étude d'impact — jugée incomplète et partiale. Comment Solmatech pourrait-elle produire un rapport qui nuirait aux intérêts de Stablex et donc d'Englobe, alors que ses propres activités commerciales y sont liées ?
C'est la 2e fois que la mairesse Poulin fait le coup aux citoyens. Rappelons que lors de la campagne d'échantillonnage citoyenne, des taux alarmants avaient été détectés : jusqu'à 320 fois la norme pour le cadmium, 15 fois pour le chrome et 5,8 fois pour l'arsenic. Plutôt que de prendre acte de ces résultats, la mairesse avait engagé une firme externe, Imausar, pour contre-expertiser les analyses. Une firme dirigée par un ancien de Stablex, qui avait conclu — sans surprise — que tout allait bien.
« Il est honteux que la mairesse Poulin prenne les citoyens pour des imbéciles ! L'argent des contribuables ne doit pas servir à engager des firmes en conflit d'intérêts avec Stablex. Les citoyens de Blainville ont droit à des expertises indépendantes et crédibles », déclare Marie-Claude Archambault, porte-parole de la Coalition des citoyens de Blainville contre la cellule #6.
Un subterfuge pour se cacher derrière la firme d'avocat
Nous avons appris lors des deux derniers conseils municipaux que la mairesse avait octroyé le mandat d'échantillonnage par l'entremise des avocats externes chargés du dossier d'expropriation en lien avec le PL93. Rappelons au passage que la mairesse Poulin appuie l'agrandissement de Stablex, mais sur un autre site encore plus proche des résidences.
Cette manière de procéder lui permet de se présenter comme proactive, tout en limitant l'accès à l'information et en invoquant le secret professionnel pour éviter toute transparence. Ainsi, lorsqu'une demande d'accès a été faite par la Coalition pour consulter le mandat confié à Solmatech, la réponse a été que ce mandat relevait des procureurs externes et ne pouvait être divulgué. La mairesse Liza Poulin crée ainsi l'illusion de répondre aux demandes citoyennes, alors qu'elle oriente le processus à la source et restreint l'accès aux informations essentielles.
«
C'est un comportement indigne d'une mairesse qui a des comptes à rendre à ses contribuables. Ses stratagèmes pour cacher de l'information aux citoyens au bénéfice de Stablex soulèvent de sérieuses questions. » conclue Martine Ouellet, cheffe de Climat Québec.
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L’histoire du Canada revue et corrigée par l’artiste autochtone Kent Monkman
Peut-on envisager la décolonisation et la réconciliation à partir d'une relecture des collections muséales ? Des artistes des Premières Nations, Inuits et Métis s'invitent depuis plus de dix ans dans des institutions canadiennes pour valoriser une nouvelle approche de l'histoire du Canada.
Tiré de The conversation. L'exposition évoquée dans l'article remonte à 2019. Actuellement, une importante exposition sur l'oeuvre de Kent Monkman se tient au Musée de beaux-arts de Montréal du 4 octobre 2025 au 8 mars 2026.
À partir du 8 février 2019, c'est au tour de l'artiste et commissaire Kent Monkman de plonger les Montréalais dans cette sombre histoire. Cet artiste autochtone propose de relire le passé colonial du Canada à travers les yeux des Premières Nations à partir d'œuvres et d'objets coloniaux piochés dans les réserves des musées. Son exposition blockbuster Honte et Préjugés : une histoire de résilience ouvre ses portes demain au Musée McCord.
Cette exposition très attendue n'est pas qu'une simple présentation du travail de ce célèbre artiste. Il s'agit aussi d'un projet qui repense la façon dont les musées peuvent approcher leurs collections, et les relations qu'ils entretiennent avec les artistes.
Le McCord sera la sixième institution sur les huit prévues au calendrier (2017-2020) à héberger ce blockbuster en partie subventionné par les célébrations du 150e anniversaire de la Confédération.
Artiste multidisciplinaire et d'origine Crie, Kent Monkman a grandi à Winnipeg et il vit et travaille à Toronto. Le milieu culturel montréalais le connaît bien : en 2014, il était en résidence au McCord, et en 2017 le Musée des beaux-arts de Montréal a présenté une performance de son alter ego de longue date, Miss Chief Eagle Testickle, avec comme acolyte le célèbre couturier Jean-Paul Gaultier.
Confronter l'histoire officielle
Kent Monkman s'attaque avec Honte et Préjugés à l'histoire coloniale en confrontant la version officielle. L'exposition est divisée en neuf chapitres.
Chacun raconte un événement dérangeant de l'Histoire . Elle débute par l'extermination des bisons à l'époque de la Nouvelle-France et se termine par la surpopulation des autochtones au sein du système carcéral, en passant par les pensionnats et la Loi sur les Indiens. Il présente dans chacune des salles des installations des photographies et surtout des toiles aux couleurs vives de grands formats. On y retrouve souvent Miss Chief s'imposant dans des scènes tirées des livres d'histoire.
Dans The Massacre of the Innocents (2015), Monkman peint des colons exterminant des castors aux traits presque humains. Miss Chief assiste à la scène cachée dernière un arbre essayant de fuir avec une famille de castors dans ses bras.
Cette œuvre rappelle comment le commerce de la fourrure et la décimation des ressources naturelles a conduit les peuples autochtones à la famine. Miss Chief, personnage autochtone et bispirituel, est la narratrice de cette histoire revisitée et Kent Monkman en est le commissaire.
À la recherche des objets-témoins du passé colonial
Pour élaborer cette exposition, Monkman entame en 2014 un long travail de recherche. Il visite une douzaine de musées à travers le Canada et sort de leurs réserves une trentaine d'objets, d'archives, et d'œuvres d'art, tous témoins « officiels » de l'histoire coloniale. Ses découvertes servent à la fois d'outils de référence lors de la production de ses propre œuvres et de moyen d'ancrer sa relecture de l'histoire dans la réalité.
En exposant ses sources d'inspiration, Monkman propose une décolonisation de la collection muséale, du musée et de l'histoire du Canada. Par exemple, un petit tabouret au premier plan dans les esquisses de Les Pères de la Confédération (c.1884) de Robert Harris retient son attention. Commandée à Harris par le gouvernement, cette œuvre représente les 23 Pères de la Confédération divisant le Canada en provinces.
Sur les murs de la salle peinte rouge sang, les esquisses originales de Robert Harris sont exposées aux côtés de la toile colorée de Monkman The Daddies (2016). Sa peinture est une adaptation fidèle de l'œuvre de Harris à laquelle il impose la présence des Premières Nations par l'insertion de son alter ego complètement nu, assis sur ce tabouret, face à ces colons qui le dépossède de ses terres.
Le noir charbon de la salle 5 fait ressortir le rouge des uniformes de la GRC présents dans la toile The Scream (2017). Il s'agit du chapitre sur les pensionnats qui, depuis 2015, sont considérés officiellement comme un génocide culturel. À côté sont exposés des porte-bébés aux riches ornementations. Seulement quelques-uns ont été retrouvés par l'artiste-commissaire. Directement sur le mur, Monkman trace à la craie les ombres de ces objets ayant perdu toute fonctionnalité après le passage des prêtres et de la police montée.
Au chapitre intitulé « Le problème indien », Kent Monkman peint la scène où la Loi sur les Indiens est signée (1876). Parmi les personnages, on voit John A. MacDonald, un prêtre et la reine Victoria (sous les traits de Miss Chief). Chef Poundmaker et Chef Big Bear, enchaînés, se regardent, les traits tirés.
Aux pieds, ils portent des mocassins que l'on retrouve dans une vitrine. Le cartel indique qu'il s'agit des mocassins « officiels » de Poundmaker, offert au Musée de l'histoire du Canada.
Être artiste et commissaire
Kent Monkman active la collection et crée ainsi une conversation à laquelle le visiteur et tout le personnel des musées publics sont conviés. En contextualisant les œuvres des musées, il réalise un travail de décryptage des collections, invite à repenser la muséographie et à affronter l'histoire coloniale du musée. Monkman brise la conception traditionnelle de l'histoire et met en place une narration qui permet d'écouter les nombreuses voix et les commentaires qui ont forgé cette histoire.
Avec Honte et Préjugés, Monkman propose une forme alternative de transmission du patrimoine qui découle de sa pratique. Il est un commissaire activiste et critique. Il n'est pas un artiste invité par un musée. La relation est inversée.
Il convie ainsi une dizaine de musées canadiens à réfléchir à leur rôle face à la réconciliation. En endossant la fonction de commissaire, ne démontre-t-il pas que le musée est un espace propice pour ce type de discussions ?
Vers un avenir meilleur
Malgré la gravité du sujet, Honte et Préjugés : une histoire de résilience est une exposition tournée vers un avenir meilleur. D'une part, elle sera vue par un nombre significatif de visiteurs en raison de sa tournée sur trois ans à travers le Canada. L'importante revue de presse démontre l'enthousiasme du public pour ce projet.
À cause de cette amplitude, de ses partenaires et de son financement, ce projet est un blockbuster. Un terme trop souvent associé à de grandes expositions avec en tête d'affiche le nom d'un homme blanc originaire d'Europe ou des États-Unis. Kent Monkman fait exception en représentant les communautés autochtone, queer et LGBTQ2S.
D'autre part, comme son sous-titre l'indique, l'exposition raconte le processus de résilience. Après des siècles de silence forcé, les Premières Nations, les Inuits et les Métis se réapproprient un espace public pour exprimer qui ils sont, ce qu'ils pensent et ce qu'ils veulent. La controverse sur l'appropriation culturelle de Robert Lepage et Ariane Mnouchkine dans Kanata est un exemple des tensions et des malentendus entre les autochtones et le milieu culturel.
Cette réappropriation de l'espace public fait des musées et des galeries des lieux de prédilection pour instaurer des mécanismes de résilience, de réconciliation et de décolonisation. Cependant, instaurer dans son institution un langage postcolonial n'est probablement pas suffisant pour réparer les dégâts innombrables du colonialisme ; il est aussi nécessaire de revisiter les pratiques institutionnelles.
Plusieurs activistes ont démontré la résistance, même au sein du milieu culturel, à l'inclusion des autochtones. Déjà établi depuis plusieurs années sur la scène culturelle et largement collectionné, Monkman prend d'assaut le musée, imposant ainsi cost to cost un projet ancré vers la réconciliation des peuples autochtones et allochtones.
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Ma plume saigne pour Gaza !
Ma plume saigne pour Gaza ! | Souverains Anonymes souverains.qc.ca
Que reste t-il de nos mains ?
Que reste-t-il de l'enfant ?
Que j'ai vu hier
Il parlait à son chien,
Il faisait rire sa mère.
Que reste-t-il de la mère
Qui faisait le pain ?
L'odeur de son café,
L'avenir dans ses mains.
Que reste-t-il du père
qui bravait les vents
son corps devenu pierres,
En silence, il attend
Que reste-t-il de Gaza ?
Des pierres sans maison,
Des enfants sans repos
Et une mer pour prison.
Refrain
Que reste-t-il de nos mains ?
Le ciel pleut des bombes
C'est ici qu'on les forge
C'est là-bas que ça tombe.
Que reste-t-il de la mer ?
Une flottille qui ose
Du pain et des roses,
Liberté à l'horizon
Que reste-t-il d'un peuple
Qui refuse de mourir ?
Malgré le génocide,
Il est notre avenir.
Que reste-t-il de l'avenir ?
Un arbre et des ruines
Il nourrit les tombes
La patience des racines.
Que reste t-il de nous
Devant tant de sang ?
Sommes-nous encore humains ?
Si nous restons absents ?
Refrain
Que reste-t-il de nos mains ?
Le ciel pleut des bombes
C'est ici qu'on les forge
C'est là-bas que ça tombe.
Que reste-t-il de nos mains ?
Le ciel pleut des bombes
C'est ici qu'on les forge
C'est là-bas que ça tombe.
Que reste-t-il de nos mains ?
Le ciel pleut des bombes
C'est ici qu'on les forge
C'est là-bas que ça tombe.
Final
Que reste-t-il des corps ?
Des chants et des prières
On est pas vraiment morts
quand on meurt pour la terre.
Mohamed Lotfi
27 septembre 2025
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L’alignement vectoriel comme politique culturelle
Il y a quelques semaines, ordre a été donné au Kennedy Center de Washington D.C. et à la Smithsonian Institution d'être plus « alignés » avec la vision de l'histoire américaine promue par l'administration Trump. Le terme d' « alignement », employé dans la croisade que les Républicains mènent contre le prétendu « wokisme », fait également partie du champ lexical de l'intelligence artificielle. Plus généralement, c'est toute la politique culturelle trumpienne qui doit être rapprochée de la logique d'optimisation systématique dont relève l'IA.
3 octobre 2025 | tiré d'AOC media
En septembre 2025, Berkeley dénonce ses professeurs et les musées s'alignent : la culture rencontre l'alignement vectoriel. L'alignement n'est plus une question technique réservée à l'IA. Trump ne censure plus, il optimise. Les institutions anticipent, s'autocensurent, convergent vers sa fonction objective. L'espace latent de la démocratie américaine se referme algorithme par algorithme, transformant la mémoire critique en variable d'ajustement et la culture en simple attracteur émotionnel calibré pour l'adhésion patriotique.
Quand les fascistes s'attaquent aux musées, censurent les universités et réécrivent les programmes scolaires, ils ne cèdent pas à une lubie réactionnaire : ils agissent avec une lucidité glaçante. Ils ont compris ce que les démocraties, elles, semblent avoir oublié – ou pire, délibérément sacrifié. La culture n'est pas un ornement, un luxe réservé aux temps de paix ou aux élites oisives. Elle est le laboratoire où se fabrique l'alignement politique d'une société, le terrain où se jouent, bien avant les urnes, les rapports de force entre conformisme et dissidence, entre mémoire et amnésie, entre critique et soumission. La culture est devenue le front invisible d'une guerre où se joue l'avenir des sociétés.
Le contrôle de la culture
Le terme « alignement » trouve ses origines dans l'action de donner une disposition rectiligne à une chose et désigne l'état de ce qui est aligné, évoquant une conformité à une règle rigide . Cette notion a trouvé une application politique explicite dans les déclarations de Donald Trump concernant les institutions culturelles américaines, révélant une conception systémique du contrôle idéologique qui présente des parallèles troublants avec les enjeux de l'alignement des systèmes statistiques d'IA.
L'ordre exécutif du 3 avril 2025 « Restaurer la vérité et la raison dans l'histoire américaine » constitue le fondement théorique de cette approche. Le document affirme qu'au cours de la dernière décennie, les Américains ont été témoins d'un « effort concerté et généralisé pour réécrire l'histoire de notre nation, remplaçant les faits objectifs par un récit déformé guidé par l'idéologie plutôt que par la vérité ». Cette formulation établit une opposition binaire entre « faits objectifs » et « idéologie », créant un cadre interprétatif qui légitime l'intervention politique directe sur les contenus culturels. L'ordre précise que « l'Institution Smithsonian a, ces dernières années, subi l'influence d'une idéologie divisive centrée sur la race. Ce changement a promu des récits qui présentent les valeurs américaines et occidentales comme intrinsèquement nuisibles et oppressives ».
La Maison-Blanche a envoyé une lettre officielle le 12 août 2025 au secrétaire du Smithsonian, Lonnie Bunch, signée par Lindsey Halligan, Vince Haley et Russell Vought, explicitant l'usage opérationnel de la notion d'alignement et incluant un calendrier d'étapes (30, 75 et 120 jours) : « Cette initiative vise à assurer l'alignement avec la directive présidentielle de célébrer l'exceptionnalisme américain, supprimer les récits diviseurs ou partisans, et restaurer la confiance dans nos institutions culturelles partagées ». Cette formulation exprime une conception mécaniste de la culture où les contenus peuvent être corrigés selon des critères prédéfinis, évoquant les processus d'optimisation algorithmique et d'optimisation économique.
Le processus décrit reproduit la structure itérative de l'entraînement en IA. La lettre détaille un calendrier précis : les musées doivent soumettre leurs matériaux dans un délai de 30 jours, puis « commencer à mettre en œuvre les corrections de contenu nécessaires, en remplaçant le langage diviseur ou idéologiquement orienté par des descriptions unifiantes, historiquement exactes et constructives sur les pancartes, les didactiques murales, les affichages numériques et autres matériels destinés au public ». Cette logique de remplacement terme par terme évoque les techniques de correction automatique utilisées pour aligner les modèles de langage sur des objectifs spécifiques.
Trump a étendu cette méthode au-delà du Smithsonian. Dans une publication sur Truth Social du 19 août 2025, il déclare : « Les musées de Washington, et dans tout le pays, sont pour l'essentiel les derniers restes du ‘wokisme' » (Truth Social, 19 août 2025). Il ajoute : « J'ai demandé à mes avocats de passer en revue les Musées, et de commencer exactement le même processus qui a été fait avec les Collèges et Universités où des progrès considérables ont été réalisés ». Cette déclaration permet de comprendre que Trump conçoit l'alignement comme un modèle reproductible et évolutif, applicable à différents types d'institutions selon une logique de transfert d'apprentissage.
L'application de cette méthode aux universités démontre ainsi sa dimension systémique. Trump a menacé de « sanctionner les universités jusqu'à la totalité de leur dotation » si elles ne supprimaient pas leurs programmes de diversité, équité et inclusion (DEI), considérés comme « de la discrimination sous couvert d'équité » (déclarations de campagne 2024, PBS NewsHour). Cette logique punitive est une conception behavioriste de l'alignement : modifier le comportement institutionnel par un système de récompenses et de sanctions calculées. Harvard a ainsi vu plus de 2,2 milliards de dollars de financements fédéraux gelés en avril 2025, ce qui a conduit l'université à déposer une plainte en justice pour faire lever ce gel, créant un effet de dissuasion sur l'ensemble du système d'enseignement supérieur.
Pour le Kennedy Center, Trump a explicité sur Truth Social sa prise de contrôle directe en février 2025 : « Sur mes instructions, nous allons rendre le Kennedy Center de Washington D.C. GRAND À NOUVEAU ». Il précise : « L'année dernière seulement, le Kennedy Center a organisé des spectacles de drag spécifiquement ciblant notre jeunesse — CELA VA S'ARRÊTER » ». Trump a réorganisé en février 2025 le conseil d'administration du Kennedy Center en remplaçant plusieurs membres par ses proches collaborateurs, a été élu président du conseil, et a annoncé qu'il présiderait personnellement la cérémonie des Kennedy Center Honors, déclarant avoir été « about 98% involved » dans le choix des lauréats et avoir « refusé quelques partisans de l'idéologie woke ».
L'alignement vectoriel
Dans le domaine de l'IA, on parle d'alignement lorsqu'un système réussit à rapprocher ses réponses de ce que ses concepteurs attendent de lui. Autrement dit, il s'agit de réduire l'écart entre l'intention humaine et le résultat produit par la machine. L'alignement est donc identique à la notion d'instrumentalité et à ce que la tradition aristotélicienne nous a légué comme quadruple causalité (matière, forme, finalité et artisan-ingénieur). Dans les systèmes contemporains, cette distance se calcule par des fonctions de perte qui optimisent le rapprochement entre le résultat attendu et le produit effectif, garantissant que les systèmes d'IA produisent des sorties conformes aux valeurs et intentions humaines tout en évitant les comportements non désirés.
Les techniques d'alignement les plus courantes incluent l'Apprentissage par Renforcement à partir de Retours Humains (Reinforcement Learning from Human Feedback, RLHF), où des évaluateurs humains notent les réponses du modèle pour l'entraîner à produire des contenus jugés appropriés. Le réglage fin (fine-tuning) permet de spécialiser un modèle général vers des tâches spécifiques en l'entraînant sur des données ciblées. Ces méthodes reposent sur l'hypothèse qu'il est possible de définir des critères objectifs d'évaluation et que la répétition de corrections graduelles permettra de converger vers le comportement désiré, supposant une stabilité des objectifs et une possibilité de mesure quantitative de l'adéquation entre intention et production.
Les parallèles structurels entre l'alignement politique et l'alignement en IA témoignent d'une logique commune d'optimisation systémique. Dans l'alignement trumpien des musées, l'« intention » correspond à la « directive présidentielle » de « célébrer l'exceptionnalisme américain », fonctionnant comme la fonction objective d'un système d'IA qui définit l'état désiré vers lequel le système doit converger. Les « valeurs américaines » deviennent l'équivalent des « valeurs humaines » que l'IA doit apprendre à respecter. La lettre de la Maison-Blanche précise que l'objectif est d'« évaluer le ton, le cadrage historique, et l'alignement avec les idéaux américains », révélant une conception quantifiable de l'alignement similaire aux métriques utilisées pour évaluer les performances des modèles d'IA.
Le processus de « corrections de contenu » décrit dans la documentation officielle présente des similitudes avec les techniques de réglage fin en IA. Les musées doivent « remplacer le langage diviseur ou idéologiquement orienté par des descriptions unifiantes, historiquement exactes et constructives », une logique de remplacement terme par terme qui évoque les techniques de correction automatique. Le calendrier imposé reproduit la structure itérative de l'entraînement en IA, où des cycles (les epochs) répétés d'évaluation et de correction permettent d'améliorer progressivement les performances du système.
Trump a explicité sa fonction de perte institutionnelle à travers le retrait du financement fédéral pour les institutions non alignées. Cette logique punitive reproduit le mécanisme des fonctions de perte en IA, où les écarts par rapport à l'objectif génèrent des « coûts » qui orientent l'optimisation du système. Le gel de plusieurs milliards de dollars de financement pour Harvard et Columbia illustre cette dynamique, créant un signal d'apprentissage négatif qui incite les autres institutions à modifier préventivement leurs comportements. La menace de « sanctionner les universités jusqu'à la totalité de leur dotation » constitue une pénalité maximale correspondant aux techniques de gradient clipping en IA, où des corrections drastiques peuvent être appliquées pour éviter les divergences du système.
Cette dynamique punitive produit rapidement des effets d'alignement préventif par mise à nu nominative, comme l'illustre le cas de l'Université de Californie à Berkeley. En septembre 2025, l'université a transmis à l'administration Trump les noms de 160 étudiants, professeurs et membres du personnel dans le cadre d'une enquête fédérale sur l'antisémitisme présumé sur le campus. Cette divulgation a été effectuée « en conformité avec ses obligations légales de coopérer » avec l'enquête du Bureau des droits civiques du Département de l'éducation. Parmi les personnes nommées figure la philosophe féministe renommée Judith Butler, qui a comparé cette pratique aux méthodes « de l'ère McCarthy » et souligné l'absence de procédure contradictoire : « Nous n'avons pas été autorisés à connaître la substance de l'allégation ni bénéficier d'un processus de révision où nos propres témoignages auraient pu être pris en compte ».
Cette capitulation d'une institution emblématique de la contestation étudiante américaine depuis les années 1960 démontre l'efficacité du chantage budgétaire combiné à la surveillance nominative : l'alignement n'a plus besoin de s'imposer par la force, il se produit spontanément par anticipation des coûts personnels et institutionnels. Berkeley, qui avait résisté aux pressions du maccarthysme et incarné le « Free Speech Movement », illustre parfaitement comment l'alignement financier doublé d'une logique de fichage transforme la résistance historique en collaboration préventive, réalisant l'objectif politique sans même nécessiter d'intervention directe.
Cette logique d'alignement produit des effets similaires à ceux observés en IA, notamment une régression vers la moyenne et un appauvrissement de la diversité en cas de surapprentissage. Trump l'a explicitement reconnu en déclarant avoir refusé des candidats « trop woke » pour les Kennedy Center Honors, privilégiant des choix « sûrs » comme Sylvester Stallone et des artistes mainstream. Cette sélection montre comment l'alignement favorise les zones centrales, jusqu'à l'absurde, d'une distribution de probabilités au détriment des queues de distribution où résident souvent les transformations les plus significatives. L'alignement constitue ainsi une nouvelle forme d'académisme institutionnel, où la recherche de prédictibilité s'obtient au prix d'un appauvrissement de la richesse culturelle.
Cette logique d'appauvrissement s'articule à une économie de l'attention qui privilégie l'attractivisme affectif sur la complexité narrative. L'alignement trumpien des institutions culturelles ne vise plus seulement la conformité idéologique, mais l'optimisation de l'engagement émotionnel selon les métriques des plateformes numériques. Les critères d'alignement sont calibrés non sur la vérité historique, mais sur la capacité à générer des attracteurs affectifs puissants – amour patriotique, indignation, fierté, nostalgie – qui maximisent l'attention et l'adhésion. Cette tendance des opérateurs médiatiques à multiplier les saillances attentionnelles favorise les contenus dont les attracteurs affectifs sont les plus puissants, avec pour conséquence d'exacerber la polarisation émotionnelle. L'alignement trumpien exploite systématiquement cette logique : la « célébration de l'exceptionnalisme américain » prescrite aux musées fonctionne comme un attracteur optimisé pour capter et retenir l'attention des visiteurs. Les « descriptions unifiantes » demandées ne visent pas l'exactitude historique, mais la production d'affects positifs qui renforcent l'adhésion au récit national.
Cette subordination de la culture à l'économie de l'attention transforme les institutions en dispositifs d'optimisation. Après avoir dû optimiser l'économie des institutions, les conservateurs de musée deviennent des « gestionnaires d'engagement » chargés de maximiser les métriques d'attraction émotionnelle de leurs expositions. La menace de retrait de financement fonctionne comme une fonction de perte qui oriente cette optimisation : les institutions qui produisent des contenus générant de « mauvais » affects (questionnement critique, inconfort historique, complexité narrative) sont pénalisées, tandis que celles qui privilégient les affects « positifs » (fierté, nostalgie, simplicité) sont récompensées. Cette logique reproduit à l'échelle institutionnelle les mécanismes d'addiction des réseaux sociaux, où la dopamine cognitive remplace la réflexion critique. L'alignement ne produit plus des sujets conformes, mais des sujets dépendants, incapables de supporter la frustration cognitive que suppose tout apprentissage critique. Les musées alignés deviennent des « espaces sécurisés » où les visiteurs peuvent consommer des récits gratifiants sans risquer la déstabilisation de leurs certitudes préalables qui pourrait mettre en jeu l'unité de leur subjectivité. Cette sécurisation émotionnelle constitue une forme de contrôle plus subtil et plus efficace que la censure directe.
L'alignement opère également par production massive de contrefactuels, créant des mondes alternatifs qui concurrencent le monde factuel dans l'économie de l'attention. Ces mondes contrefactuels générés par des IA génératives ne sont pas « faux » au sens traditionnel, mais statistiquement probables, acquérant une force d'attraction équivalente à ce qui est factuellement advenu. L'ordre exécutif trumpien illustre parfaitement cette dynamique : il ne se contente pas de nier certains faits historiques, il produit activement des versions alternatives de l'histoire américaine qui deviennent des « possibles narratifs » concurrents. Les grands modèles de langage constituent des machines à contrefactualité d'une puissance sans précédent. Contrairement aux techniques de propagande classiques qui s'opposaient frontalement aux faits établis, la logique contrefactuelle de l'alignement trumpien insère directement ces alternatives dans les flux informationnels, les rendant indiscernables des descriptions factuelles. Cette concurrence est asymétrique : la description factuelle est contrainte par ce qui s'est effectivement produit ; les contrefactuels explorent un espace infini de possibles, choisissant les versions qui maximiseront l'engagement émotionnel et l'adhésion affective.
La directive de « remplacer le langage diviseur ou idéologiquement orienté par des descriptions unifiantes, historiquement exactes et constructives » exprime cette stratégie : il ne s'agit pas tant de nier l'esclavage que de produire des récits contrefactuels où l'esclavage devient un détail dans une épopée plus large de l'« exceptionnalisme américain ». Ces contrefactuels acquièrent une consistance propre, une réalité statistique qui concurrence la réalité historique. L'alignement ne fonctionne plus par interdiction des alternatives, mais par production et neutralisation perpétuelle du désir d'alternative dans cet espace contrefactuel proliférant. Cette production de contrefactuels statistiquement probables, mais historiquement faux transforme profondément la crédibilité et la vérificabilité, elle constitue une forme de contrôle qui ne censure plus, mais noie la vérité dans un océan d'alternatives plausibles : on détruit certaines archives pour rééquilibrer le factuel et le factice. Les visiteurs de musées alignés ne sont plus confrontés à une version unique et imposée de l'histoire, mais à un ensemble de récits équiprobables parmi lesquels la version factuelle perd sa spécificité et sa force critique. Cette disfactualité — altération de la perception de la réalité par les technologies génératives qui brouillent la distinction entre fait et fiction sans modifier explicitement les faits — constitue l'arme la plus sophistiquée de l'alignement contemporain.
L'automatisation progressive du contrôle constitue un autre parallèle significatif. Lindsey Halligan, chargée de superviser la révision des musées, a déclaré avoir observé un « accent excessif sur l'esclavage » (Fox News, août 2025) dans les expositions, révélant l'existence de critères quasi algorithmiques de détection des contenus non alignés. Cette capacité à identifier automatiquement les « déviations » idéologiques évoque les techniques de détection d'anomalies utilisées en IA. La systématisation de ces critères permet un contrôle à grande échelle qui ne dépend plus de l'intervention humaine directe, mais de l'application de règles prédéfinies, constituant une forme d'automatisation du contrôle idéologique.
L'espace latent constitue le théâtre privilégié où s'articule cette automatisation du contrôle.
Contrairement à l'espace euclidien ordinaire où opérait le fascisme historique avec ses rassemblements de masse visibles, l'alignement contemporain s'exerce dans un espace vectoriel multidimensionnel invisible où les concepts politiques subissent une transformation ontologique. Le contrôle ne passe plus seulement par des slogans visibles ou des images de masse. Il agit désormais dans les coulisses, dans les flux d'informations. Des mots comme « démocratie » ou « liberté » se retrouvent saturés de connotations invisibles, recombinés par les algorithmes, jusqu'à perdre leur sens premier. Ce n'est plus un discours qui oriente les esprits, mais une modulation discrète des contextes où ces mots apparaissent. Cette vectorisation généralisée transforme qualitativement la nature même du pouvoir politique.
Les catégories politiques traditionnelles (droite/gauche, progressiste/conservateur) deviennent des projections appauvries d'un espace multidimensionnel complexe manipulé par les algorithmes d'alignement. Cette transformation actualise une logique de monnaie vivante (Klossowski) informationnelle où les émotions, les désirs et les pensées circulent comme vecteurs mathématiques dans l'économie de l'attention. L'alignement trumpien exploite cette architecture vectorielle : en modifiant les « poids » institutionnels de certains concepts dans l'espace culturel américain, il restructure l'espace des possibles narratifs selon une logique de rétroaction qui s'autoentretient.
Cette géographie computationnelle redistribue le corps politique dans de nouvelles coordonnées. Les foules uniformes opéraient dans l'espace euclidien ; l'alignement vectofasciste opère dans un espace latent de n dimensions. Ce qui se rassemble, ce ne sont plus des corps dans un stade, mais des données dans un espace vectoriel, portées par des ressemblances plutôt que par des consciences de soi. L'alignement ne produit plus seulement de la conformité visible, mais module les conditions mêmes de l'apparition du sens politique. En s'emparant du contrôle du Kennedy Center et en alignant les musées du Smithsonian, Trump ne se contente pas de censurer : il reprogramme les flux narratifs de la culture américaine selon cette logique vectorielle, créant un système de feed-back où les institutions modifient progressivement leurs comportements pour maximiser leurs « récompenses » algorithmiques.
Optimisation et démocratie
L'analogie entre alignement trumpien et alignement en IA souligne des mécanismes de contrôle qui dépassent les domaines spécifiques pour interroger les fondements de la relation entre intention programmatrice et production systémique, mais elle rencontre également des limites qui éclairent les enjeux démocratiques sous-jacents.
L'effet réseau de l'alignement se manifeste clairement dans la déclaration trumpienne selon laquelle les musées constituent « le dernier segment restant de l'idéologie woke ». Cette conception systémique consiste en une compréhension intuitive des dynamiques réticulaires : comme dans les réseaux de neurones, l'alignement d'un nœud (les universités) facilite l'alignement des nœuds connectés (les musées). Cette conception explique pourquoi Trump peut se contenter d'aligner quelques institutions clés pour produire un effet de cascade sur l'ensemble du système culturel. L'alignement devient viral, se propageant selon les connexions du réseau institutionnel, créant un système de feed-back punitif où les institutions modifient progressivement leurs comportements pour maximiser leurs « récompenses » (financement maintenu, autonomie préservée) et minimiser leurs « punitions » (retrait de financement, intervention directe).
Cependant, contrairement aux systèmes d'IA qui opèrent dans des espaces vectoriels mathématiquement définis, les institutions culturelles traitent de contenus sémantiquement complexes dont la signification ne peut être réduite à des métriques simples. La notion d'« historiquement exact » invoquée par Trump masque le fait que l'interprétation historique implique nécessairement des choix narratifs et des perspectives multiples. Cette irréductibilité de la complexité culturelle à des algorithmes d'optimisation révèle une limite fondamentale : alors que l'alignement IA peut converger vers des solutions optimales dans des domaines restreints, l'alignement culturel impose une réduction appauvrissante de la richesse interprétative.
La question de la légitimité démocratique constitue une différence cruciale. L'alignement en IA présuppose généralement un consensus sur les valeurs à optimiser, même si ce consensus est problématique. L'alignement trumpien des musées impose une vision particulière et conflictuelle de l'histoire américaine sans processus de validation, révélant que l'analogie technique masque une question politique fondamentale : qui définit les objectifs d'alignement ? Dans le cas de l'IA, cette question reste largement non résolue, les développeurs et les entreprises définissant souvent unilatéralement les critères d'alignement. L'exemple trumpien illustre les dangers potentiels de cette centralisation conflictuelle du pouvoir définitionnel.
L'alignement produit également des effets de bord inquiétants, notamment l'autocensure préventive. Comme dans l'alignement IA où les modèles apprennent à éviter certains types de contenus, l'alignement trumpien génère des comportements d'évitement anticipé. L'exemple de la suppression temporaire des références aux mises en accusation de Trump au National Museum of American History illustre ce phénomène : bien que le Smithsonian ait nié avoir reçu des pressions directes, la modification préventive démontre l'intériorisation des critères d'alignement. L'American Alliance of Museums a alerté sur un « effet glaçant à travers l'ensemble du secteur muséal » (communiqué AAM, 15 août 2025), reproduisant les effets observés dans l'alignement IA où la suroptimisation conduit à une prudence excessive et à l'évitement de contenus potentiellement controversés. Cette optimisation qui empêche tous possibles véritables culturels et artistiques s'est généralisée par l'optimisation économique et administrative où la constitution de fichiers Excel et de présentation Powerpoint, que personne ne consultera, avale toutes les ressources de travail du milieu culturel.
Cette autolimitation anticipative constitue peut-être l'effet le plus pernicieux de l'alignement : elle ne nécessite plus d'intervention directe du pouvoir pour produire la conformité désirée. Les institutions anticipent les sanctions et modifient spontanément leurs comportements, créant un système de contrôle autoentretenu. Cette dynamique évoque les techniques d'apprentissage autonome en IA, où les systèmes développent leurs propres mécanismes d'autorégulation. À terme, les institutions pourraient intérioriser si profondément les critères d'alignement qu'elles s'autorégulent sans intervention externe, réalisant la perfection dystopique d'un système culturel qui produit spontanément les contenus désirés par le pouvoir.
Cette autorégulation systémique s'appuie sur un mécanisme de neutralisation par équivalence statistique qui dilue la signification politique dans l'espace latent algorithmique. Quand tout devient « statistiquement équivalent », l'inacceptable éthique devient simple variation probabiliste sans charge subversive. L'exemple paradigmatique réside dans la réaction atone du public au geste d'Elon Musk lors de l'investiture de Trump en janvier 2025 : ce geste politique hautement signifiant s'est dissous dans un océan d'images comparables (Obama, Clinton, Luther King tendant le bras), neutralisé par décontextualisation automatisée et sérialisation par pattern matching. Cette neutralisation technique opère par comparaison via des métriques de similarité visuelle qui évacuent la spécificité historique. Le geste devient statistiquement normal, herméneutiquement insignifiant, simple variation dans l'espace latent qu'est devenue notre réalité médiatisée. Cette dilution profite directement au vectofascisme : un signe neutralisé par équivalence statistique ne peut plus mobiliser de résistance politique effective. L'alignement ne supprime plus les signes d'opposition, il les noie dans une pareidolie statistique généralisée qui rend l'interprétation critique impossible.
Cette logique de l'équivalence généralisée transforme la nature du contrôle politique. Plutôt que d'interdire certaines interprétations, l'alignement les rend statistiquement improbables en modifiant l'environnement informatique où elles pourraient émerger. Les algorithmes de recommandation créent des bulles d'équivalence où les contenus critiques sont systématiquement dilués parmi des contenus neutres ou positifs, perdant leur saillance politique. Cette « déradicalisation » algorithmique ne procède pas par répression, mais par submersion dans un flux indifférencié de variations équiprobables.
L'alignement trumpien des musées s'inscrit dans cette stratégie : il ne s'agit plus de supprimer les références à l'esclavage, mais de les noyer dans un ensemble d'éléments « équivalents » de l'histoire américaine où elles perdent leur spécificité critique. Cette neutralisation par équivalence constitue une forme de contrôle plus sophistiquée que la censure directe, car elle préserve l'apparence de la pluralité tout en vidant cette pluralité de sa substance politique. Les visiteurs conservent l'illusion du libre arbitre interprétatif tout en évoluant dans un environnement informatique programmé pour orienter leurs affects vers des conclusions prédéterminées.
On voit se dessiner une nouvelle forme de pouvoir : il ne s'impose pas frontalement par des lois ou des interdictions, mais façonne les conditions de ce que nous voyons, de ce qui attire notre attention, de ce que nous ressentons. Le contrôle ne dit plus « tu n'as pas le droit » ; il organise silencieusement l'espace dans lequel nos choix se forment. C'est l'espace latent des IA qui constitue la nouvelle organisation des possibles politiques. L'alignement devient alors une technologie de gouvernement qui produit la soumission non par contrainte extérieure, mais par façonnage des conditions mêmes de l'émergence du sens et du désir.
La réversibilité des processus d'alignement constitue un enjeu crucial. Les modifications profondes des pratiques curatoriales et éducatives peuvent-elles être annulées par un changement d'administration, ou produisent-elles des effets irréversibles ? Cette question évoque les problèmes d'oubli catastrophique en IA, où l'alignement sur de nouveaux objectifs peut effacer définitivement les capacités antérieures du système. L'alignement culturel risque de produire une perte irréversible de diversité interprétative et de capacité critique, transformant les institutions en systèmes optimisés, mais appauvris, en particulier avec la destruction massive des archives factuelles.
L'évolution prévisible vers une automatisation croissante du contrôle culturel interroge les limites acceptables de l'alignement dans tous les domaines. L'exemple trumpien illustre comment l'alignement, conçu initialement comme une solution technique à des problèmes de cohérence systémique, peut devenir un instrument de contrôle idéologique. Il rappelle l'urgence de développer des approches pluralistes de l'alignement, qu'il s'agisse d'IA ou d'institutions humaines, où la définition des objectifs d'alignement procède de processus participatifs plutôt que d'impositions unilatérales.
L'enjeu fondamental reste celui de l'équilibre entre cohérence systémique et diversité, entre optimisation technique et préservation de l'espace d'interprétation et de débat. L'alignement ne peut être une fin en soi : il doit rester au service de la complexité plutôt que de la réduire à des métriques simplifiées. L'analogie entre alignement trumpien et alignement IA signifie ultimement que les choix techniques ne sont pas neutres : ils incarnent des conceptions particulières du pouvoir, de la vérité et de la démocratie qui méritent un examen approfondi.
La reterritorialisation après la mondialisation
L'alignement trumpien est paradigmatique d'une transformation qui dépasse largement les frontières américaines pour constituer un phénomène politique global. De Budapest à Pékin, de Rome à Moscou, en passant par Berlin, une même logique d'optimisation culturelle se déploie selon des modalités localement adaptées, mais structurellement similaires. Cette convergence dessine les contours d'une nouvelle hégémonie qui opère un renversement historique : nous assistons au passage d'une mondialisation culturelle fondée sur les échanges et la circulation des œuvres et des personnes à une mondialisation du contrôle par alignement qui retérritorialise et renationalise les pratiques artistiques.
L'ancienne mondialisation culturelle, malgré ses limites et ses biais, avait créé un écosystème de circulation transnationale : biennales internationales, résidences d'artistes, festivals itinérants, collaborations curatoriales. Ce système, incarné par la Documenta de Kassel, la Biennale de Venise ou les résidences, permettait des contaminations, des transferts esthétiques, des hybridations formelles. Les artistes palestiniens pouvaient exposer à New York, les créateurs chinois collaboraient avec des institutions européennes, les curateurs circulaient librement entre les continents. Cette mondialisation culturelle, bien qu'inégalitaire et souvent dominée par les circuits occidentaux, maintenait ouverts des espaces de rencontre et de dialogue interculturel.
La mondialisation de l'alignement opère une inversion radicale de cette logique. Elle ne mondialise plus les contenus, mais les méthodes de contrôle, créant un système global de fermeture territoriale. En Hongrie, Viktor Orbán a développé un prototype de cette gouvernementalité par l'alignement. Son contrôle s'exerce selon une logique explicitement vectorielle de reterritorialisation culturelle : « ce régime se caractérise non seulement par la concentration du pouvoir, mais aussi par l'accumulation de richesses personnelles et l'utilisation des ressources de l'État au profit des membres de la famille politique d'Orbán » (Bálint Madlovics, Institut de démocratie de l'Université d'Europe centrale). La fermeture forcée de l'Université d'Europe centrale en 2019, contrainte de s'exiler à Vienne, symbolise parfaitement cette reterritorialisation : l'institution internationale devient incompatible avec l'espace national aligné. Plus significatif encore, la politique culturelle orbánienne produit un « alignement par substitution nationale » : l'Académie des arts de Hongrie (MMA) réhabilite explicitement la figure de l' artiste d'État socialiste. Cette institution, devenue « organisme d'État idéologique et ouvertement orienté » depuis 2011, distribue des « allocations mensuelles généreuses » à ses membres (Political Critique, 2017). L'ancien président de la MMA, György Fekete (qui a dirigé l'institution entre 2011 et 2020), avait déclaré que son objectif était de « contrer les tendances libérales dans les beaux-arts contemporains » (The Budapest Beacon, cité dans OpenDemocracy). Les membres réguliers et correspondants du MMA reçoivent des « rentes viagères mensuelles », reproduisant ainsi le système de patronage étatique qui prévalait sous le socialisme. Cette renaissance de l'artiste d'État marque la fin de l'ère des résidences internationales et des collaborations transnationales au profit d'un protectionnisme culturel assumé.
En Italie, Giorgia Meloni a explicité sa stratégie d'alignement culturel par renationalisation : « Le parti de gauche n'est pas le seul à avoir une culture. Ils disent qu'ils ont une hégémonie culturelle, mais il ne s'agit que d'un système de pouvoir qu'ils veulent défendre. Nous, nous avons un projet différent » (Heinrich Böll Stiftung, 2024). Son ministre de la Culture, Gennaro Sangiuliano, a systématiquement remplacé les directeurs de musées étrangers par des Italiens, instaurant « une nouveauté : le candidat devait pouvoir justifier d'un niveau minimum d'italien (B2) » — critère linguistique fonctionnant comme barrière à l'internationalisation. Cette « préférence nationale » culturelle inverse directement les politiques d'ouverture internationale qui avaient prévalu dans les décennies précédentes.
La Russie de Poutine développe un alignement par « thérapie culturelle » explicitement antimondialiste. Le décret de novembre 2022 sur le « renforcement des valeurs traditionnelles, spirituelles et morales russes » accorde aux représentants de l'État des moyens pour bloquer les « influences occidentales » dans les secteurs de l'art et de la culture. Cette stratégie produit un isolement culturel systémique : « À terme, cela pourrait conduire à un isolement plus profond de la Russie sur la scène culturelle mondiale, voire à la rupture des rares liens restants avec le reste du monde » (Evgeniya Pyatovskaya, Le Devoir, 2023). L'affaire du metteur en scène Kirill Serebrennikov, arrêté en 2017, condamné en 2020 puis autorisé à quitter la Russie en 2022, montre comment l'alignement cible désormais « ceux qui tentent de maintenir un niveau de création exigeant tout en gardant de bons rapports avec l'État », transformant même les collaborations internationales modérées en dissidence.
En Chine, Xi Jinping a érigé l'alignement culturel en doctrine de « souveraineté culturelle ». Dès 2018, « l'Administration générale de la presse, de l'édition, de la radiodiffusion, du cinéma et de la télévision glisse désormais sous le contrôle direct du département de la propagande du Parti communiste ». La censure de la série « L'histoire du palais Yanxi », pourtant « traduite en 14 langues et distribuée dans 70 pays », illustre comment l'alignement chinois privilégie la conformité idéologique nationale sur le rayonnement international. Cette logique inverse la stratégie antérieure d'« exportation culturelle » au profit d'un recentrage sur les « valeurs socialistes » chinoises.
Le cas allemand est le cas d'un alignement par culpabilité historique instrumentalisée qui retérritoralise la question palestinienne selon les spécificités du contexte national. Entre le 7 octobre et le 31 décembre 2023, 66 événements culturels ont été annulés en Allemagne, selon le collectif indépendant Archive of silence. Cette censure massive illustre comment chaque territoire national développe ses propres critères d'alignement en fonction de ses traumatismes historiques spécifiques. L'artiste sud-africaine Candice Breitz, elle-même juive, dénonce cette logique : « Les institutions allemandes risquent d'éviter de plus en plus de travailler avec des artistes engagés politiquement, privilégiant plutôt des artistes dociles et peu enclins à poser des questions critiques » (Konbini, 2023). Cette évolution marque la fin de l'Allemagne comme espace d'accueil pour les artistes internationaux critiques.
En France, l'exemple de Christelle Morançais qui supprime 73 % du budget culturel régional tout en finançant à 200 000 € le film « Vaincre ou mourir » du Puy-du-Fou illustre parfaitement l'alignement par réallocation patrimoniale. Cette méthode privilégie une culture française fantasmée sur les échanges internationaux et les expérimentations contemporaines. L'exclusion initiale du Puy du Fou du pass Culture, puis l'annonce en janvier 2025 que son spectacle « Vaincre ou mourir » serait éligible au Pass Culture, montre bien comment l'alignement détourne les outils de démocratisation culturelle vers des fins de reterritorialisation idéologique.
Cette logique de fermeture ne se limite pas aux budgets ou aux nominations. Elle s'étend jusqu'aux frontières physiques, transformées en filtres vectoriels pour protéger l'intégrité de l'espace latent national. La pratique croissante de fouille systématique des téléphones et ordinateurs aux frontières américaines (plus de 50 000 appareils inspectés en 2024 selon l'ACLU) s'inscrit dans cette logique d'alignement comme contrôle des flux culturels. Ces dispositifs ne sont plus seulement des objets techniques, mais des vecteurs latents porteurs de contenus non-alignés : bibliothèques numériques, réseaux sociaux alternatifs, archives critiques, ou même algorithmes de recommandation étrangers. En scrutant les historiques de navigation, les applications installées (comme Signal ou Telegram, souvent ciblées) ou les fichiers multimédias, les douaniers agissent comme des classifieurs binaires : ils distinguent ce qui peut « perturber » l'espace latent national (contenus en arabe, références à la Palestine, littérature décoloniale et trans) de ce qui renforce son alignement (médias mainstream, applications américaines, récits patriotiques).
Cette pratique matérialise l'idée que la frontière n'est plus une ligne géographique, mais un seuil computationnel protégeant l'intégrité de l'espace vectoriel national. Comme le note Edward Snowden, ces fouilles visent moins à intercepté des terroristes qu'à « prévenir l'importation de schèmes interprétatifs étrangers » (The Intercept, 2025). Le portable devient ainsi le dernier maillon d'une chaîne de contrôle où l'alignement ne se contente plus de reformater les institutions internes, mais cherche à stériliser les intrants culturels extérieurs. La saisie en 2024 des téléphones de journalistes couvrant les manifestations pro-palestiniennes (rapport Committee to Protect Journalists) illustre cette volonté de maintenir l'espace latent américain à l'abri de « perturbations » narratives — qu'elles viennent de contenus explicitement politiques ou simplement de modèles de pensée jugés non-conformes.
Cette extension du contrôle aux flux transnationaux révèle une mutation profonde : l'alignement ne se limite plus à reformater les institutions, mais vise à moduler les conditions d'émergence même de la dissidence, en agissant sur les supports matériels de la circulation culturelle. La frontière devient un firewall culturel, où le critère de sélection n'est plus la légalité des contenus, mais leur compatibilité vectorielle avec l'espace latent national tel que défini par le pouvoir.
Cette mondialisation du contrôle produit un phénomène paradoxal : elle universalise les techniques répressives tout en renationalisant les contenus culturels. Les méthodes d'alignement circulent librement entre les régimes (surveillance algorithmique, optimisation budgétaire, neutralisation par équivalence) tandis que les œuvres et les artistes voient leur circulation de plus en plus entravée. Les résidences internationales se ferment, les collaborations transnationales deviennent suspectes, les festivals adoptent des grilles de lecture de plus en plus « patrimoniales ».
Cette convergence des méthodes répressives dans la divergence des contenus nationaux dessine les contours d'un nouveau paradigme de gouvernementalité qu'il convient de définir précisément :
Fonction objective explicite
• Définition d'un état culturel désiré par le pouvoir politique
• Métriques de conformité mesurables (financement conditionnel, critères d'évaluation)
• Substitution des finalités propres aux institutions par les objectifs du système
Processus itératif de correction
• Cycles répétés d'évaluation-sanction-modification
• Remplacement systématique des contenus « non-alignés »
• Calendriers imposés de mise en conformité
Automatisation du contrôle
• Critères algorithmiques de détection des « déviations »
• Réduction de l'intervention humaine directe dans la surveillance
• Systèmes de feed-back punitif autoentretenus
Production massive de contrefactuels
• Génération d'alternatives narratives statistiquement probables
• Neutralisation de la vérité factuelle par dilution dans l'équivalence
• Modulation des conditions d'apparition du sens critique
Modulation de l'espace vectoriel culturel
• Contrôle des « poids » institutionnels des concepts politiques
• Restructuration de l'espace des possibles narratifs
• Opération dans un espace latent multidimensionnel invisible
Effet réseau de propagation
• Alignement en cascade à partir de nœuds institutionnels clés
• Autocensure préventive généralisée
• Viralité du contrôle selon les connexions du réseau culturel
Cette transformation contemporaine exprime l'ambiguïté tragique de la critique de la mondialisation culturelle qui a dominé les décennies précédentes. Les intellectuels progressistes qui dénonçaient légitimement l'hégémonie occidentale, la marchandisation de l'art et l'uniformisation des circuits internationaux ont involontairement préparé le terrain idéologique de l'alignement. En critiquant les « industries culturelles globales », la « McDonaldisation » de la culture et l'« impérialisme culturel occidental », ils ont légitimé, par proximité vectorielle et non par affinité idéologique, un retour aux cultures nationales « authentiques » que les régimes autoritaires ont récupéré pour justifier leurs politiques d'alignement.
Trump peut ainsi invoquer la lutte contre l'« élite globalisée » pour justifier son contrôle des musées, Orbán se présenter comme le défenseur de la « culture hongroise » contre Bruxelles, Poutine opposer les « valeurs traditionnelles russes » aux « influences occidentales décadentes ». La critique postcoloniale de l'universalisme occidental, détournée de son intention émancipatrice, devient l'alibi du particularisme autoritaire. Cette récupération révèle comment l'alignement opère par retournement dialectique : il transforme les critiques légitimes de l'ordre culturel mondial en justifications de sa propre logique de fermeture.
L'ironie est saisissante : au moment où les critiques de la mondialisation culturelle appelaient à plus de diversité et d'horizontalité dans les échanges internationaux, l'alignement produit un système infiniment plus répressif que l'ancienne hégémonie occidentale. Là où la mondialisation néolibérale laissait des interstices, des marges, des possibilités de détournement, l'alignement territorial produit des espaces culturels hermétiquement clos, optimisés selon des fonctions objectives nationales.
Cette mondialisation de l'alignement constitue un nouveau type d'hégémonie : non plus celle d'un modèle culturel dominant, mais celle d'une technologie de domination universalisable qui se décline en versions nationales. Les innovations répressives circulent librement entre les régimes (la Hongrie inspire Trump, la Chine informe la Russie) tandis que les artistes et les œuvres voient leur circulation entravée par des frontières culturelles de plus en plus étanches.
Face à cette menace systémique, la résistance ne peut plus se contenter de critiquer l'impérialisme culturel occidental, mais doit défendre les espaces de circulation et d'échange transnationaux contre leur fermeture autoritaire. Le défi contemporain n'est plus de lutter contre la mondialisation culturelle, mais de préserver ses potentialités d'égalité radicale contre leur récupération par les politiques d'alignement national. Car c'est paradoxalement dans les ruines de l'ancienne mondialisation culturelle, malgré ses inégalités et ses limites, que résident les possibilités d'expérimentation, de contestation et de luttes.
Gregory Chatonsky
Artiste, Enseignant au sein de l'EUR Artec
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Une exposition du 22 octobre 2025 au 1er mars 2026, à l’Écomusée du fier monde
Montréal, jeudi 2 octobre 2025 – Peu d'endroits incarnent la crise de l'itinérance avec autant d'intensité que la place Émilie-Gamelin, située au cœur du Quartier latin à Montréal.
Souvent présenté comme un endroit délaissé et marqué par une concentration de personnes déracinées, le secteur fait l'objet de multiples projets de « revitalisation » au fil des années. Réalisée dans le cadre d'un partenariat unissant le Centre d'histoire des régulations sociales, le Service aux collectivités de l'UQAM,Exekoet l'Écomusée du fier monde, l'exposition Place Émilie-Gamelin : 200 ans de cohabitation sociale invite à découvrir l'histoire d'un espace contesté comme le théâtre d'un long affrontement autour d'une question fondamentale : qui a droit à la ville ?
Avant la place publique
Vers la seconde moitié du 19e siècle, le site de l'actuelle Place Émilie Gamelin abrite un large complexe institutionnel géré par les Sœurs de la Providence et destiné à venir en aide aux personnes dans le besoin.
Construit en 1843, l'Asile de la Providence offre des soins et des services aux personnes âgées, orphelines, malades, sans-emploi et sans-abri, issues pour la plupart des quartiers ouvriers environnants. D'autres institutions installées à proximité, telles l'œuvre de la Soupe, le dispensaire des pauvres ou l'Orphelinat Saint
Alexis, contribuent également à soutenir les plus vulnérables. Très vite, plusieurs ont tenté de débarrasser ce territoire d'une population considérée indésirable, les plans de réaménagement se succédant. En 1963, le vieil Asile de la Providence est vendu à la municipalité, qui le rase pour construire la station de métro Berri-De Montigny (Berri-UQAM). Le terrain, qui accueille un stationnement automobile jusqu'en 1992, devient à l'occasion du 350e anniversaire de Montréal une place publique, qui prendra trois ans plus tard le nom d'Émilie Gamelin, fondatrice de l'Asile de la Providence.
Distribution de sandwichs à l'Œuvre de la soupe des Sœurs de la Providence, 1960.
Archives de la Ville de Montréal.
Des œuvres originales pour transformer les imaginaires
Grâce à une sélection d'archives, l'exposition retrace la présence des populations défavorisées sur le territoire de la Place Émilie-Gamelin depuis près de deux siècles, en plus d'investiguer les nombreux projets de redynamisation conçus pour ce secteur.
Ce contenu historique est enrichi par des créations artistiques collaboratives, issues notamment du projet L'écho de la rue. Porté par l'équipe d'Exeko, cette initiative de médiation sociale et culturelle a pour objectif de créer des espaces de dialogue et de création avec les groupes marginalisés, l'art devant ainsi un outil pour promouvoir
l'expression des personnes en situation d'itinérance et faire résonner des voix capables de révolutionner les imaginaires collectifs.
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"Mille poèmes pour habiter l’existence"ou prosologie d’une humanité à réinventer.
Dans un monde saturé de bruit, de crises, de vertiges identitaires et de fractures multiples, Mille poèmes pour habiter l'existence fait l'effet d'un souffle ample, obstiné, et résolument humain.
Par Marvens JEANTY, Linguiste.
Ce recueil du Dr et Poétes Sandy Larose s'impose non seulement par son ambition quantitative (mille poèmes !), mais surtout par la qualité de sa quête : une recherche d'harmonie dans le chaos, un appel à la dignité de l'humain au cœur même de la turbulence, et par-dessous de tout une prémisse parfaite pour l'union des choses littéraires et des Sciences.
Le titre dit tout : il ne s'agit pas simplement d'écrire des poèmes, mais de les vivre, de les habiter, d'en faire des refuges ou des tremplins pour résister à la déshumanisation ambiante. Le projet poétique est total : écrire devient un acte de présence au monde, un mode d'habitation existentielle.
Une poésie sans haine, enracinée dans le vivant
L'un des traits marquants du recueil est sa volonté de ne pas céder à la tentation de la colère ou du nihilisme. Là où beaucoup d'écritures contemporaines adoptent le cri ou le sarcasme comme posture de survie, Mille poèmes… opte pour une poétique de la douceur lucide. Loin d'ignorer les maux du siècle : guerres, discriminations, effondrements sociaux ou écologiques, l'auteur choisit d'y répondre par une foi inébranlable en l'humain.
Cela donne une langue généreuse, vibrante, souvent traversée par une musicalité intérieure. La litanie avec le mot ‘'existence'', la rythmique fluide, le lexique accessible sans jamais être plat, et l'élan lyrique constant, presque tellurique. On sent que l'écriture n'est pas un exercice d'esthète, mais une urgence du cœur, un besoin viscéral de dire pour ne pas disparaître.
… pour décoloniser l'existence
Il faut comprendre les accidents de la modernité
Esclavage, colonialisme, révolution, démocratie,
Néocolonialisme, ONG, famine, ambassades
FMI, Banque mondiale, pauvreté…
Autant de figures géométriques variées
Qui institutionalisent l'existence. (Page 4, deuxième paragraphe).
Dans ce paragraphe tiré de la page quatre du texte, le poète nous montre que la décolonisation s'avère non seulement politique ou territoriale, mais aussi existentielle, mentale, philosophique, dans le sens d'une injonction ou une proposition forte. Sans amalgame et avec des qui savent parler l'auteur place l'existence humaine dans un contexte colonisé, ce qui suppose que l'oppression ne concerne pas seulement les territoires, mais aussi les esprits, les identités, les modes de vie.
Un poème-fleuve, ou le cœur comme territoire
Plus qu'un recueil fragmenté, le livre s'apparente à un poème-fleuve, un continuum poétique où chaque texte, tout en pouvant être lu isolément, fait écho à un ensemble plus vaste. Une trame se dessine : celle d'une exploration du cœur humain comme espace de résistance.
Le cœur, ici, n'est pas naïf. Il est complexe, traversé de doutes, d'élans, de blessures, mais il est aussi le lieu d'un possible relèvement. En ce sens, la poésie devient une éthique, une manière d'être au monde, de se relier aux autres et de ne pas céder à l'inhumain.
… Pour peindre l'existence
Il nous faut plus qu'un poème
Il nous en faut mille
Milles mots d'amour
Milles mots pour guérir les maux
Pour aimer au-delà du verbe aimer
Il faut habiter l'existence comme un humaniste. (Page 1, premier paragraphe)
Vivre aujourd'hui exige plus qu'exister : cela demande de comprendre ce qui a déformé notre manière d'être au monde. L'existence, pour beaucoup, n'est pas un terrain vierge, mais une terre blessée, structurée par des siècles d'histoire violente. Colonisation, esclavage, néocolonialisme, institutions économiques et diplomatiques : tout cela forme les "figures géométriques" rigides dans lesquelles l'existence humaine a été forcée de s'inscrire, et c'est bien cela que Dr Sandy Larose nous fait dire sa plume en feu.
Il faut aussi souligner que ces structures ne sont pas seulement politiques ou économiques : elles sont mentales, culturelles, linguistiques. Elles dictent ce qu'il faut désirer, craindre, refuser ou ignorer. Décoloniser l'existence, c'est donc apprendre à repérer ces "accidents de la modernité" non comme des erreurs isolées, mais comme les fondements mêmes d'un monde inégal.
L'auteur nous montre aussi que peindre l'existence, ce n'est pas simplement l'orner, c'est la réinventer. C'est refuser les formes imposées pour créer les siennes. Cela demande "mille poèmes", mille tentatives d'aimer, de guérir, de dire autrement ce que les anciens langages ne suffisent plus à nommer. L'amour, ici, dépasse le simple sentiment : il devient une force reconstructrice. Un acte politique. Une manière d'habiter l'existence en humaniste, c'est-à-dire en affirmant la dignité de chacun, en vivant avec profondeur, avec attention, avec beauté.
Décoloniser l'existence, c'est finalement cela : refuser d'être réduit à une fonction ou une case, et choisir d'habiter le monde comme un être libre, aimant, poétique, pleinement humain.
Une parole engagée au sens fort
On pourrait parler d'une poésie engagée, à condition d'en redéfinir les contours. Il ne s'agit pas d'un engagement militant ou idéologique, mais d'un engagement ontologique : comment rester humain dans un monde qui nous pousse à l'indifférence, à la peur, à la fragmentation ? Le recueil répond par le tissage, celui des mots, des émotions, des mémoires, des voix.
Chaque poème devient ainsi un acte de résistance poétique, un geste d'espoir envers la communauté humaine. Cette posture n'est pas nouvelle, elle rappelle les grandes voix de la poésie du XXe siècle (Char, Éluard, Césaire, Hikmet), tout en s'inscrivant dans une urgence très contemporaine : retrouver le sens du lien.
… Du temps il en faut
Pour aimer son pays
Nous ne sommes que nous-mêmes
Et rien de plus vrai
C'est le temps de nous unir pour redorer l'existence
Comme une musique de reggae
Du temps !
Si on en a besoin
Prends-le gratuitement
Du temps
Pour le drapeau
La patrie et la fratrie. (Page 38,)
A travers cet extrait tiré de la page 38, on peut en déduire que ce poème est une invitation douce mais déterminée à la réconciliation collective, au réveil, à l'amour de soi, de l'autre, du pays, sans naïveté, mais avec foi en la beauté retrouvée de l'existence partagée.
Une œuvre polyphonique, ouverte et généreuse
L'auteur ne se pose pas en surplomb. Il ne s'adresse pas à un public élitiste, mais à toute conscience prête à écouter. Il ne s'enferme pas dans une seule forme, un seul ton. Le recueil est polyphonique, mouvant, alternant fragments méditatifs, fulgurances émotionnelles, appels à la paix, souvenirs intimes. Ce foisonnement, loin de nuire à la cohérence, lui donne sa richesse.
Mille poèmes pour habiter l'existence n'est pas un simple livre de poésie. C'est une expérience, une traversée, un compagnonnage possible dans des temps troublés. On en ressort bouleversé, apaisé parfois, et surtout réconcilié avec une certaine idée de la poésie : celle qui ne se contente pas de décrire, mais qui agit, soigne, transforme, d'où l'union de la poésie et la science que l'auteur nomme : poésologie.
C'est une œuvre qui croit encore à la puissance du verbe, à la nécessité de dire, de partager, d'aimer. Et cela, dans un monde désenchanté, est peut-être l'acte le plus radical qui soit.
NB : Mille poèmes pour habiter l'existence est le texte poésie-fleuve de Sandy Larose, publié aux Editions Terre d'Accueil, Oshawa (Ontario), Canada en 2024.
Sandy Larose est docteur en sociologie de l'Université Laval , il enseigne à l'Université d'État d'Haïti depuis 2013. Il est lié aussi à des institutions canadiennes, comme l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), campus de Sept‑Îles, et le Centre de recherche CELAT à l'Université Laval. Plus précisément, il mène des recherches sur des sujets comme l'identité, la solidarité, la poésie, le rap, le genre, la révolte.
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Mouloud et la folie humaine !
– Où vas-tu comme ça Mouloud, avec ton baluchon ?
- Le Seigneur a dit : « Seuls les Bienfaiteurs hériteront ma Terre ». Ça n'a pas empêché les Incléments de sévir à tout bout de champs.
– Tu nous quittes ?
- Comme un Ermite
– T'as pas répondu à ma question.
– Je vais au Sahara ! Pas pour évangéliser les tribus démunis sous couvert d'une aide humanitaire, mais savourer ma misanthropie. Un Itikaf solitaire à l'air libre, si tu permets ?
– Dommage, J'peux pas venir avec toi, j'ai un contrôle médical
– T'as quoi dans le cabochon ? J'te dis comme un ermite et toi tu veux me coller au train.
– Excuse-moi, j'ai pas bien compris.
– L'école n'a pas eu de peine à statuer sur ton cas.
– Comment ?
- J'ai dit : « Fais gaffe en marchant, les chemins sont pavés de cac... ». (hachak) .
– J'ai vu. ( Mouloud soliloque : Ce n'est pas toi qui creuseras le trou de la Sécu. Pas besoin de Scanner cérébral. Il n'y a pas de structures anatomiques à explorer ).
– Non, mais t'es sérieux, Mouloud ?
– Tu veux que te dise pourquoi cette retraite dans le désert.
– Mais bien entendu !
– Je vais sculpter sur l'Ahagar (Hoggar) « FREE GAZA ! LE MONDE EST UNE SOUILLURE ! »
- Ouallah, je viens avec toi !
- Ouallah, bois de l'eau fraîche ! J'y irai tout seul.
– T'auras pas as assez d'énergie pour entreprendre cette saillie militante ?
- Pour Gaza ? Oui !
- Eh ! ça fait : GAZAOUI ! T'es un Alchimiste de la Terminologie, Mouloud.
– N'essaye pas de me mijoter ! Non ! C'est non !
– Avec qui tu vas causer Géopolitique, hein ?
- (Silence)
- D'ailleurs, il y a des rebondissements de l'actualité qui t'échappent.
– Par exemple ?
- Le 10 octobre, le Prix Nobel de la Paix échoirait à Donald Trump, c'est une voisine qui me l'a dit.
– Et que ce serait « une insulte à son pays » de le décerner à un écrivain. Lui qui aurait réglé 8 guerres en 8 mois ?
- C'est ç'la !
- T'as pas pigé que le Plan Trump pour la Paix au Moyen-Orient, reste, à ce titre, son dernier va-tout. – Ça saute aux yeux !
– Dans tous les cas de figure, si on lui désavoue cette consécration, il ouvrera une nouvelle boite de Pandore à estomaquer la planète.
– Avec son côté déroutant, ça ne m'étonne pas.
– Trump est, depuis hier lundi, à la manœuvre pour des discutions entre les deux belligérants. Il remue ciel et terre pour arracher un cessez-le feu.
– Il est sur un nuage, alors ?
- On ne devrait pas l'être en ayant sur la conscience un copain soutenu dans la sale besogne.
– Tu parles de Bibi ?
- Oui ! Surtout des 65 000 martyrs palestiniens (es).
– Crois - moi, il doit trépigner de jubilation de ramener les otages au bercail. Il jouait sa survie électorale.
– Ecoute-moi bien, Si Saïd !
- Oui.
- Ton Bibi est tombé dans son propre piège, et Trump en est conscient.
– Comment ça ?
- Fort du soutien du Président américain, il s'est payé le luxe de flageoler tout le monde et s'attaquer à l'une des Monarchies pétrolières, chères au Président américain.
– Ah, ça, pour un pays musulman… Comment dire… ?
– Ne dis rien ! Ça s'appelle HUMILIATION ! Le mal de notre civilisation !
- C'est quoi la suite ?
- La suite : « Ton Bibi a fait – (Je vais le dire en allemand pour donner de la constance et de la consistance au terme) : eine groBe ScheiBe !
- J'comprends rien, Mouloud. ( Il s'approche de son oreille droite et tel un Tyrex rugit ) :
- « Ton Bibi a réussi un coup magistral, truffé de mer… : Tisonner la dynamique de nucléarisation des pays Arabo-musulmans ! ».
– C'est-à-dire ?
( Je plains le coton-tige qui récure ton conduit auditif, se dit Mouloud). – Approche ton oreille droite maintenant :
« Les ambitions nucléaires des pays du Golfe sont à l'ordre du jour. Un média français fait état – au lendemain de ladite humiliation - d'une visite secrète d'une délégation saoudienne au Pakistan ».
– S'il te plait, je viens avec toi écrire « FREE GAZA ! LE MONDE EST UNE SOUILLURE ! »
– Je te file une adresse, tu vas à Tin Zaouatine !
O.H
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Au sommet climat de l’ONU, la France joue un mauvais rôle
Lors du sommet climat organisé à New York, en amont de la COP30, seuls 47 des 118 pays rassemblés avaient annoncé rehausser leurs objectifs climatiques. La France, notamment, a fait « obstruction » aux négociations européennes.
Tiré de Reporterre
26 septembre 2025
Par Paula Gosselin
New York (États-Unis), correspondance
« Le succès de la COP30 dépend de vous ! » Lors de l'ouverture du sommet sur le climat organisé par les Nations unies le 24 septembre à New York, le président brésilien Lula a tenté, en vain, d'encourager ses homologues à relever leurs objectifs de réduction des émissions — appelés « contributions déterminées au niveau national » (NDCs) — pour 2035.
À l'issue de la réunion, seuls 47 des 118 pays rassemblés avaient rehaussé leurs objectifs, alors que l'Accord de Paris de 2015 prévoit qu'ils soient renouvelés tous les cinq ans. Hormis le Japon, le Royaume-Uni, le Canada, la Norvège, la Suisse, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, les pays ayant soumis de nouveaux engagements sont pour la plupart des pays en développement, comme le Brésil, le Nigeria ou le Népal. Au total, ils ne représentent que 25,7 % des émissions mondiales, selon le site Climate Action Tracker.
« Le retard dans la soumission des NDCs met en évidence un désengagement politique de nombreux pays face à la crise climatique », déplore Stela Herschmann, spécialiste de la politique climatique au sein du collectif brésilien d'ONG l'Observatoire du Climat. Elle indique qu'initialement, les pays devaient publier leurs nouveaux plans en février.
Risque de ralentissement des négociations
L'absence de ces documents risque de ralentir les négociations de la COP30, qui se tiendront du 10 au 21 novembre à Belém, au cœur de l'Amazonie brésilienne. Les Nations unies ont en effet besoin de ces feuilles de route pour élaborer un rapport de synthèse évaluant leur conformité avec la limite fixée par l'Accord de Paris, visant à maintenir le réchauffement mondial en dessous du seuil de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
Pour l'heure, hormis les plans du Royaume-Uni et de la Norvège, « la plupart des [engagements soumis] sont insatisfaisants », analyse Mme Herschmann. De nombreux objectifs sont flous, présentés sous forme de fourchettes ou conditionnés à des financements. En outre, à la suite du retrait des États-Unis de l'Accord de Paris par Donald Trump, qui a déclaré que le changement climatique« est la plus grande arnaque jamais menée contre le monde » la veille du sommet, les ambitions climatiques fixées par son prédécesseur, Joe Biden (2021-2025), risquent de rester lettre morte.
« La Chine est loin du leadership dont le monde a désespérément besoin »
Face au retrait étasunien, beaucoup espéraient que la Chine, premier pollueur mondial, prenne la tête de la lutte contre le climat. Mais lors du sommet, le président Xi Jinping a préféré faire preuve de prudence. Par visioconférence, il a annoncé que la Chine s'engageait à baisser ses émissions de 7 % à 10 % d'ici 2035 : un effort estimé en deçà de ses capacités.
Même si la puissance a tendance à dépasser les objectifs qu'elle se fixe, « la Chine est loin du leadership climatique dont le monde a désespérément besoin », a réagi Li Shuo, de l'Institut de politique de l'Asia Society, dans un communiqué. En effet, un avis consultatif de la Cour internationale de Justice, rendu le 23 juillet, a estimé que les plans de réduction des émissions des membres de l'Accord de Paris devaient être les plus ambitieux possible.
L'espoir d'un objectif plus ambitieux
Mais sans aucun doute, la plus grande déception est venue du côté de l'Union européenne : les pays du bloc ne sont même pas parvenus à s'entendre sur une nouvelle feuille de route. « La France a notamment fait obstruction aux négociations européennes en posant énormément de conditions, sur le nucléaire ou encore sur l'industrie », regrette Gaïa Febvre, du Réseau Action Climat. Pour ne pas arriver les mains vides à New York, l'Europe s'est contentée de présenter une simple « déclaration d'intention » proposant une fourchette comprenant une baisse des émissions entre 66,25 % et 72,5 % d'ici 2035.
« La France a fait obstruction aux négociations européennes »
Face à un tel fiasco, le sommet de New York suscite des inquiétudes quant aux résultats de la COP30, qui devrait se concentrer sur l'accélération de la mise en œuvre de l'Accord de Paris. Mais malgré tout, l'optimisme persiste. « Nous espérons que les pays qui ont raté les échéances arrivent avec un objectif final plus ambitieux », déclare Mme Febvre, qui estime que le succès de la COP30 dépendra surtout de la capacité de négociation de la diplomatie brésilienne.
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En haut, ils foncent droit dans le mur en hurlant, en bas, la jeunesse veut un avenir et donc elle ne veut pas d’eux
Le 10 septembre 2025, l'agitateur masculiniste, raciste et trumpiste Charlie Kirk était assassiné. La seule chose claire sur le tireur est qu'il ne vient pas de la « gauche radicale » – comme en sont convaincus les MAGA.
Les obsèques de Charlie Kirk, le 21 septembre, organisées par le troisième homme fort du pouvoir US après Trump et Vance (et depuis le départ de Musk, mais celui-ci a salué Trump à l'occasion de cette cérémonie), Stephen Miller (« chef de cabinet adjoint » de Trump, titre qui ne semble pas décrire son vrai rôle politique, majeur), ont vu la célébration d'un mythe destiné à se traduire en lois répressives visant à la chasse à l'homme (et à la femme) dans les villes américaines.
Le moment clef fut celui où Trump, en toute clarté, a récusé les propos prétendument chrétiens des orateurs précédents sur « le pardon » et « l'empathie » et affirmé que lui veut écraser ses ennemis, en faire de la bouillie, et qu'il va le faire.
Le 30 septembre 2025, tous les hauts gradés de l'armée américaine ont été, chose totalement inédite, réunis pour un show du taré masculiniste Hegseth, ministre « de la Guerre » (et non plus « de la Défense ») et de Trump. Hegseth a annoncé le retour des bizutages, la mise au rencart des femmes, des colorés et des gros, et a conclu son discours par les mots : « Allez-y et tirez » .
Tirer où et sur qui ? Trump l'a dit : sur « l'ennemi intérieur ». Il va falloir, explicitement, reprendre les villes de New York, Los Angeles, Chicago … Cela a commencé : des militaires investissent Portland « contre la criminalité », les commandos d'ICE ont déjà tué un travailleur et terrorisé tout un immeuble à Chicago.
Les Démocrates et les syndicats américains, eux, non seulement n'ont pas nommé cette guerre civile de son nom alors que pourtant elle leur est déclarée, mais ils ne parlent toujours pas d'autodéfense, alors que c'est cela qui est à l'ordre-du-jour.
Le shutdown dans ces conditions pourrait se retourner contre les fonctionnaires et employés fédéraux, comme Trump en a l'intention. Il a suscité un long communiqué de l'AFL-CIO et de ses branches, qui détaillent bien les conséquences pour les travailleurs et pour la population, mais dirigeant leur action sur les élus républicains pour qu'ils « comprennent », sans anticiper que Trump envisage, lui, que ce shutdown pourrait durer très, très, très longtemps …
Il faut situer la fuite en avant du pouvoir trumpiste dans son cadre international. Poutine vient de multiplier les provocations militaires en Europe – drones sur l'aéroport de Munich ce jour -, pour ensuite répondre aux velléités désordonnées de réactions européennes par un discours, à Sotchi, accusant l'Europe d'être le fauteur de guerre n°1.
Poutine s'est ensuite lancé dans une intéressante attaque contre la Pologne, qui avait selon lui provoqué l'Allemagne hitlérienne, la contraignant à la guerre. Les mots « corridor de Dantzig » dans ce discours, pourraient être remplacés par « corridor de Suwalki » … indiquant au passage que Poutine s'identifie, comme « victime » contrainte à l'attaque, à Hitler … intéressant, disions-nous …
Sans aucune victoire russe en Ukraine, le scenario d'une entrée progressive de l'Europe centrale et orientale, et par conséquent qu'on le veuille ou non de toute l'Europe, dans une semi-guerre généralisée, est en train de se mettre en place.
Or il convient de saisir, au moment présent, que la fuite en avant trumpiste n'est pas interventionniste en Europe, mais d'abord aux États-Unis contre le peuple américain, et envers l'ensemble des deux Amériques : Groenland, Canada, et aussi Panama et Venezuela. Les amorces d'escalades envers le Venezuela ne s'inscrivent en réalité non plus dans l'opposition traditionnelle envers un régime nationaliste lié à Moscou, mais dans la volonté de dominer tout le continent, à Toronto comme à Caracas. Trump veut que Poutine lui lâche le Venezuela, Cuba et le Nicaragua, et il lui laissera, outre l'Ukraine, les trois pays baltes et la Pologne …
Cette logique de partage du monde, où les obstacles majeurs qui feront tout sauter s'appellent les peuples, ukrainien ou palestinien, et la jeunesse entrant en mouvement sous le drapeau pirate de One Piece, ne saurait disparaître de l'analyse s'agissant de ce qui est présenté comme le « plan Trump » pour Gaza et la Palestine.
Il s'agit en fait plutôt d'un plan Tony Blair /Mohamed ben Salmane endossé par Trump, que les initiatives incontrôlées de Netanyahou en Iran, qu'il a accompagné, puis au Qatar, ont mis en difficulté.
Rappelons que ce plan ne comporte tout simplement aucune échéance concernant le retrait, ou le repositionnement, des troupes israéliennes à Gaza, et qu'il ne vise pas à conforter une Autorité palestinienne actuelle ou future mais un problématique « comité palestinien technocratique et apolitique » -dont les fascistes 2.0 de la tech US rêvant d'une ville-île pour flux de capitaux, discutent probablement avec Ben Salmane. Il n'a en rien interrompu les massacres, ni dessiné de perspective de libération des otages, à ce jour. Est-il fait pour cela ? Non, mais pour un partage provisoire du monde dans lequel la crise permanente palestino-israélienne est devenu un problème pour les hégémons impérialistes.
L'annonce de ce plan intervient alors même que la flottille « Global Sumud » est arraisonnée – illégalement au regard du « droit international »- par l'armée israélienne, après avoir été escortée par des navires de guerre espagnols et italiens. Dérisoire apparaît cette tentative, qui soulève cependant de facto la nécessité d'une intervention armée pour mettre fin au blocus !
Cependant, et c'est là le fait essentiel global, pendant que cette fuite en avant meurtrière des « grands » s'aggrave de jour en jour, la vague des soulèvements portés par la jeunesse, partie d'Indonésie sous son drapeau pirate, touchant le Népal et Madagascar, s'affirme comme la troisième grande vague révolutionnaire d'insurrections démocratiques depuis la crise de 2008, après les « révolutions arabes » en 2011-2012 et les insurrections proche-orientales, le Hirak algérien et l'Amérique du Sud en 2019 (Chili, Colombie, …) , sans oublier le Sri Lanka en 2022.
Déjà ancrée en Europe avec la Serbie, cette vague lui bât maintenant les flancs, puissamment, au Maroc. Ils se heurtent à la répression de la monarchie, qui, déjà, a tué. Et s'affirment comme « génération Z » : la génération née avec le XXI° siècle, qui ne veut pas qu'il soit seulement le siècle des guerres, du sang et du feu, ce qu'il est, mais le siècle de la liberté, des révolutions, de l'écologie et de l'émancipation.
L'avenir est à elles, l'avenir est à eux.
Édito international du 03 octobre 2025.
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La viande est l’une des principales sources d’émissions, mais peu d’organes de presse en parlent, selon une analyse
Les éléphants dans la pièce, matériels et idéologiques, bloquent la mobilisation de la dite classe moyenne pour le climat et contre la guerre
La production carnée a beau compté pour 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) et occupé 40% des terres habitables de la planète, elle demeure un point aveugle de la crise climatique, révèle l'article ci-bas de The Guardian, en comparaison du transport et de la climatisation des bâtiments. Les experts consultés par l'auteur de l'article invoquent comme explication la « délicatesse » ou la sensitivité culturelle du sujet encouragées, faut-il le dire, par le lobby de la viande, essentiellement les ruminants bovins. Un autre article du Guardian titre qu'« [u]n "régime alimentaire planétaire" pourrait éviter 40 000 décès par jour, selon un rapport qui fait date. Le régime permet une consommation modeste de viande et réduirait de moitié les émissions de gaz à effet de serre liées à l'alimentation, selon un rapport rédigé par 70 experts de premier plan issus de 35 pays. »
Le premier article aurait pu aussi alléguer la ventilation statistique par secteurs laquelle isole la ferme de l'ensemble de la filière qui comprend la déforestation jusqu'à la mise en marché en passant par les activités agricoles proprement dites, le transport et l'empaquetage comme l'illustre le tableau joint à l'article. Par exemple, le bilan des émanations de GES du Québec en attribue seulement 10% au secteur de l'agriculture (2022) indépendamment de la part alimentaire dans les secteurs de la transformation, du transport, de la climatisation et des déchets. Le CIRAIG, en tenant compte de toute la chaîne alimentaire, a « calculé que, en moyenne, l'assiette d'un Québécois génère 2,5 tonnes équivalent de CO2. Cela représente le quart de nos émissions de gaz à effet de serre. » La part animal (viandes et produits laitiers) compte pour la moitié de ce 25%. Il semble que l'étude du CIRAIG ait exclu la déforestation due à l'agriculture toutefois modeste au Québec vis-à-vis, par exemple, le Brésil. Mais elle a inclus le gaspillage alimentaire qui compte pour « 20 % du bilan de carbone attribuable à la production de la nourriture ».
On s'interroge sur les raisons pour lesquelles la « délicatesse » invoquée ne vaudrait pas aussi pour les secteurs de transport, de l'habitat et des produits ménagers (électroménagers, produits électroniques, vêtements). Le battage publicitaire capitaliste tolère tout à fait la stigmatisation de l'auto solo à essence à laquelle le capitalisme vert veut substituer celle électrique-électronique quitte à ce qu'elle soit un VUS encore plus profitable. Idem pour les produits électroniques et électro-ménagers remplaçables par ceux soit plus économes en énergie par leur électronification soit prétendument plus performants pour la même raison. (Microsoft y a vu avec son nouveau logiciel Windows 11 qui nous oblige souvent à acheter un nouvel ordinateur.) Quant aux vêtements, le truc capitaliste consiste à intégrer le cycle de la mode à même le cycle productif avec le prêt-à-porter jetable ce qui déshabille les écologiques friperies structurant le recyclage des vêtements… quoique pointe à l'horizon l'électronification du vêtement, en ce moment un luxe fantaisiste.
L'habitat et l'aménagement du territoire et celui urbain sont un noyau plus dur en ce sens que demeure incontournable la villa campagnarde, plus prosaïquement appelée maison unifamiliale, pour ne pas que s'effondre le château de cartes de la consommation de masse dont elle est l'assise. Cette assise est indispensable à l'accumulation capitaliste dont l'autre face est l'économie de guerre permanente, se justifiant par la prolifération des guerres, qui reprend du poil de la bête. La prééminence de la villa campagnarde, en combinaison avec l'auto solo électrique-électronique, permettent le maintien de l'étalement urbain qui dévore les milieux naturels en association avec l'agro-industrie carnée. Cette dernière se présente comme l'autre versant incontournable du capitalisme vert dont l'équivalent de l'auto solo électrique-électronique est la haute-technologique et ultra-transformée viande cultivée, à ne pas confondre avec la viande végétale, qui arrive à peine à percer le marché due à sa cherté et à ses potentiels risques pour la santé.
On frappe ici le blocage à la fois matériel et idéologique qui fait le lit de l'extrême-droite. Crispée sur ses acquis ou en rêvant, la propagande capitaliste — dite publicité — aidant, la prétendue classe moyenne, en réalité la petite bourgeoisie et la couche supérieure du prolétariat qui est aussi la plus organisée, cherche un bouc émissaire à ses misères et frustrations pour ne pas voir l'éléphant capitaliste dans la pièce. Aiguillonnée par l'extrêmedroite et de plus en plus par la droite qui lui vole sa thématique, la « classe moyenne » blâme la population immigrante, se gardant une petite gêne pour ne pas dire racisée, comme voleuse de logements, de services publics et d'emplois. La raison fondamentale à cette pénurie est pourtant la grève des investissements sociaux et pro-climat du capital qui n'y trouve pas son compte. Comme dans les pays du Nord, cette prétendue classe moyenne forme la courte majorité de la population (une composante de ce 40% de la population mondiale qui produit 40% des GES), son conservatisme survolté par la droite populiste entrave le plein déploiement de la lutte sociale. [Ce n'est pas un hasard si parmi les pays du vieil impérialisme membres du G-20, l'Italie et l'Espagne sont les plus mobilisés pour Gaza car ils en sont par habitant les plus pauvres.]
Marc Bonhomme, 4 octobre 2025
27 septembre 2025 | The Guardian
Source : https://www.theguardian.com/environment/2025/sep/27/meat-gas-emissions-reporting
Sentient Media révèle que moins de 4 % des articles sur le climat mentionnent l'agriculture animale comme source d'émissions de carbone. | Note : les mises en évidence en gras sont de moi
L'alimentation et l'agriculture contribuent pour un tiers aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, juste après la combustion de combustibles fossiles. Pourtant, la grande majorité de la couverture médiatique de la crise climatique néglige ce secteur critique, selon une nouvelle analyse de données de Sentient Media.
Les résultats suggèrent que seul un quart des articles sur le climat parus dans 11 grands médias américains, dont le Guardian, mentionnent l'alimentation et l'agriculture comme cause de la crise. Sur les 940 articles analysés, seuls 36, soit 3,8 %, mentionnent l'agriculture animale ou la production de viande, qui est de loin la principale source d'émissions liées à l'alimentation.
Ces données révèlent un environnement médiatique qui occulte un facteur clé de la crise climatique. La production de viande est à elle seule responsable de près de 60 % des émissions climatiques du secteur alimentaire et pourtant son impact est largement sous-estimé : un sondage réalisé en 2023 par le Washington Post et l'Université du Maryland a révélé que 74 % des personnes interrogées aux États-Unis pensent que manger moins de viande a peu ou pas d'effet sur la crise climatique.
Sentient Media a analysé les articles en ligne les plus récents sur le changement climatique provenant de 11 grands médias américains : le Guardian, le Boston Globe, le Chicago Tribune, CNN, le Los Angeles Times, le New York Post, le New York Times, Reuters, le Star Tribune, le Wall Street Journal et le Washington Post. Les articles d'opinion, les articles syndiqués et les articles qui ne mentionnent le changement climatique qu'en passant ont été exclus.
Le groupe final de 940 articles a été collecté à l'aide de l'intelligence artificielle, puis examiné individuellement pour en vérifier l'exactitude. De toutes les causes étudiées dans le rapport, notamment l'exploitation minière, la fabrication et la production d'énergie (55,9 %), les combustibles fossiles (47,9 %) et les transports (34 %), le bétail et la consommation de viande sont de loin les moins abordés.
La rédactrice en chef de Sentient Media, Jenny Splitter, qui a participé à la supervision du rapport, a déclaré qu'elle avait remarqué cette omission depuis longtemps en tant que journaliste couvrant l'intersection du climat et de l'alimentation. « Nous avons pensé qu'une façon d'entamer la conversation avec d'autres journalistes et salles de rédaction était de chiffrer la question », a-t-elle déclaré.
Mark Hertsgaard, directeur général et cofondateur de Covering Climate Now, une organisation à but non lucratif qui aide les salles de presse à renforcer leurs reportages sur le climat, a déclaré que les organes d'information quotidiens ont de la difficulté à mettre l'accent sur les causes profondes du changement climatique. Ils se concentrent souvent sur les mises à jour progressives plutôt que sur les raisons plus générales.
« Ce n'est pas nécessairement infâme », a-t-il déclaré. « Mais comme la crise climatique s'est accélérée, il est de plus en plus indéfendable que la couverture médiatique du changement climatique n'indique pas clairement que cette crise est due à des activités humaines très spécifiques — principalement la combustion de combustibles fossiles. L'alimentation, l'agriculture et la sylviculture viennent toutefois en deuxième position ».
M. Hertsgaard, qui traite de la crise climatique depuis 1990, a déclaré que l'alimentation et l'agriculture étaient depuis longtemps un « oubli flagrant » dans les cercles climatiques. Jusqu'en 2015, le sommet des Nations unies sur le changement climatique n'avait pas consacré de thème à l'agriculture, ce qui reflète son statut négligé dans le monde des décideurs politiques, des groupes de réflexion et des ONG - ce qui a contribué à l'analphabétisme des médias sur le sujet, a déclaré M. Hertsgaard.
Dhanush Dinesh, fondateur du groupe de réflexion Clim-Eat, spécialisé dans les systèmes alimentaires, a déclaré que les organisations de défense du climat hésitent parfois à aborder le sujet en raison du statut culturel délicat de l'alimentation, ce qui a peut-être contribué à le soustraire à l'attention des médias.
« Personne ne veut se mettre en avant et dire aux gens ce qu'ils doivent manger - c'est tout simplement trop délicat », a-t-il déclaré. « Même au sein de l'espace [de défense du climat], nous constatons qu'il y a une forte polarisation. »
Cette tension n'est pas toujours aussi organique. Lorsqu'un rapport publié en 2019 par le Lancet a montré comment les régimes à teneur réduite en viande pouvaient nourrir le monde sans provoquer de dégradation de l'environnement, une coalition soutenue par l'industrie a contribué à financer une partie des réactions négatives à son encontre. Les groupes de l'industrie de la viande bovine adoptent une approche active en matière de messages, notamment en dotant un « centre de commandement » situé à Denver et fonctionnant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, qui scrute les médias sociaux à la recherche d'informations négatives et déploie des contre-messages.
Selon le journaliste Michael Grunwald, le débat sur l'alimentation a aujourd'hui vingt ans de retard sur le débat sur l'énergie et les combustibles fossiles. Il a passé des années à couvrir les questions climatiques pour des médias tels que Time, Politico et le Washington Post avant de commencer à voir les liens entre la nourriture dans nos assiettes et les changements dans l'atmosphère.
« Je ne savais pas grand-chose », a-t-il déclaré. « C'était un élément important de l'équation climatique que j'ignorais de manière spectaculaire. Et je me suis rendu compte que d'autres l'étaient probablement aussi ».
Le nouveau livre de M. Grunwald, We Are Eating the Earth, explique comment les choix alimentaires façonnent la surface de la planète et jouent un rôle important dans son sort final. Cela s'explique en partie par le fait que les ruminants — en particulier les bovins — sont une source majeure de méthane, un puissant gaz à effet de serre qui réchauffe la planète 80 fois plus vite que le dioxyde de carbone.
Mais nourrir des milliards d'animaux d'élevage prend aussi beaucoup d'espace. La moitié des terres habitables de la planète sont déjà consacrées à l'agriculture, et la majeure partie de ces terres — environ 80 % — sont des pâturages et des terres cultivées destinés à l'alimentation animale, ce qui fait de la consommation de viande l'un des principaux moteurs de la déforestation à l'échelle mondiale. Aujourd'hui, nous déboisons un terrain de football de forêt tropicale toutes les six secondes, une perte dramatiquement aggravée par l'appétit croissant de l'humanité pour la viande.
« Lorsque vous mangez un hamburger, vous ne mangez pas seulement une vache » a déclaré M. Grunwald. « Vous mangez des aras, des jaguars et le reste de la distribution de Rio. Vous mangez l'Amazonie. Vous mangez la terre. »
Pourtant, ce bilan tend à être largement méconnu, quand il n'est pas carrément ignoré. Seulement 15 % des articles analysés par Sentient Media mentionnent les changements d'affectation des terres en rapport avec la crise climatique.
Timothy Searchinger, chercheur principal à Princeton, a passé des décennies à démontrer que nous ne pouvons pas résoudre le problème du climat sans repenser la manière dont nous utilisons les terres.
« Chaque arbre, une fois l'eau retirée, contient environ 50 % de carbone. Les forêts stockent donc de grandes quantités de carbone », a-t-il déclaré. « Si nous continuons à défricher les forêts, nous sommes en mesure d'aggraver considérablement le changement climatique. »
Cette conversion des forêts en terres agricoles a des conséquences inconcevables : elle est responsable, chaque année, d'autant d'émissions de carbone que l'ensemble des États-Unis. Parallèlement, la population mondiale devrait passer de 8 à 10 milliards d'habitants d'ici à 2050. Pour résoudre la crise climatique, il faudra donc produire plus de nourriture avec moins d'émissions sur la même superficie de terre ou, dans l'idéal, sur une superficie encore plus réduite.
« Il n'y a aucun moyen de résoudre les problèmes d'utilisation des terres dans le monde sans modérer les régimes alimentaires - la consommation de viande, en particulier de bœuf - dans les pays développés », a déclaré M. Searchinger.
Si la consommation de viande de ruminants dans les pays riches tels que les ÉtatsUnis tombait à environ 1,5 hamburger par personne et par semaine — soit environ la moitié de ce qu'elle est aujourd'hui, mais toujours bien plus que la moyenne nationale pour la plupart des pays —, cela suffirait presque à éliminer la nécessité d'une déforestation supplémentaire due à l'expansion de l'agriculture, même dans un monde comptant 10 milliards d'habitants, selon une analyse du World Resources Institute.
Bien qu'elle reconnaisse que le chiffre de 3,8 % est faible, Jessica Fanzo, professeur de climatologie à l'université de Columbia, a déclaré qu'elle ne blâmait pas tant les médias que la difficulté de traduire le consensus scientifique en action réelle — un blocage structurel qui a rendu les progrès, et donc les récits, plus difficiles.
« Les gouvernements hésitent à s'attaquer au changement de régime alimentaire, aux émissions du bétail ou à la dépendance à l'égard des engrais parce qu'ils suscitent des sensibilités culturelles et risquent des réactions politiques négatives », a-t-elle déclaré par courrier électronique. Elle ajoute qu'il est difficile d'agir sur le vaste secteur agricole décentralisé. Bill McKibben, auteur et défenseur du climat, a abondé dans ce sens, soulignant dans des commentaires envoyés par courriel que 20 entreprises de combustibles fossiles sont responsables de la majeure partie des émissions mondiales, alors que l'alimentation dépend de l'action de millions d'agriculteurs.
Pendant ce temps, la politique agricole américaine est principalement axée sur l'augmentation de la production de céréales et d'aliments pour animaux par le biais de subventions — une approche qui privilégie les calories bon marché par rapport à la réduction des émissions de carbone. Et les solutions disponibles du côté de la demande, telles que les taxes sur la viande ou les lundis sans viande dans les écoles publiques, risquent desusciter une controverse.
Mais dans cet environnement divisé, les médias peuvent jouer un rôle crucial, a déclaré David McBey, spécialiste du comportement à l'université d'Aberdeen, qui se concentre sur les liens entre alimentation et climat.
« Les campagnes d'information ne modifient pas les comportements », a-t-il déclaré. « Mais elles constituent une base importante. Si l'on veut que les comportements changent, il est important que les gens sachent pourquoi ils doivent changer ».
Source : https://www.theguardian.com/environment/2025/sep/27/meat-gas-emissions-reporting
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Accord UE-États-Unis : Une capitulation européenne ?
Le 27 juillet dernier, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Président américain Donald Trump se sont entendus autour des grands principes d'un accord permettant de mettre un terme au conflit commercial déclenché par la Maison blanche.
Tiré de : La chronique de Recherches internationales
David Cayla
Économiste, université d'Angers
Letexte officiel de cet accord a été divulgué le 21 août par la partie européenne. Il est complété par des communiqués publiés sur les sites de laMaison blanche et de la Commission européenne qui s'adressent à leurs populations respectives. Le texte de la Commission indique que l'accord « n'est pas juridiquement contraignant », laissant supposer qu'un accord final pourrait être conclu et ratifié par la suite. Pourtant, la procédure permettant de le mettre en œuvre a déjà été engagée par la Commission qui a proposé de supprimer tout droit de douane sur les biens américains importés. Du coté américain, la mise en œuvre de l'accord est également bien avancée, même si la légalité des décrets de la Maison blanche fait débat. La Cour suprême est saisie. Elle devrait rendre son jugement en novembre.
L'accord pose de nombreuses questions, qui relèvent moins de ses conséquences économiques que de sa portée politique et symbolique. Beaucoup d'observateurs, notamment l'ancien Commissaire et ministre de l'Économie Thierry Breton, ont dénoncé les concessions faites par l'UE à la partie américaine. Une proposition de résolution opposé à l'accord a même été déposée par le député Emmanuel Maurel à l'Assemblée nationale.
Le fait est que la stratégie européenne consistant à unir les marchés des différents pays pour peser davantage dans les négociations commerciales semble être prise en défaut. En effet, l'UE va devoir subir des droits de douane de 15 % sur ses exportations vers les États-Unis alors que le Royaume-Uni, isolé depuis le Brexit, est parvenu à négocier un taux plus favorable de 10 %. Ce résultat questionne la légitimité du processus d'intégration européen.
Un narratif américain biaisé
L'argument avancé pour expliquer la différence de traitement entre les économies britanniques et européennes est que les États-Unis dégagent un excédent commercial avec le Royaume-Uni alors qu'ils subissent un déficit vis-à-vis de l'UE. Pourtant, à bien y regarder, les chiffres du commerce transatlantique ne sont pas si avantageux pour l'Europe. Certes, en 2024 la balance des biens a affiché un excédent de près de 160 milliards d'euros au profit de l'UE. Mais dans le commerce des services, ce sont les États-Unis qui sont excédentaires pour près de 110 milliards. Ainsi, l'excédent commercial total dont bénéficie l'UE vis-à-vis des États-Unis n'est que de 50 milliards d'euros. Cet excédent disparaît presque totalement si on tient compte de la balance des revenus primaires qui est déficitaire de près de 45 milliards d'euros. En fin de compte, la balance des transactions courantes sur le commerce UE – États-Unis affiche globalement un équilibre, ce qui contredit le discours de Trump sur le caractère déséquilibré de la relation commerciale. Pourtant, à aucun moment la partie européenne n'a contesté le narratif américain. Elle a au contraire semblé accepter l'idée qu'un « rééquilibrage » du commerce impliquait une hausse tarifaire sur ses exportations aux États-Unis.
Une grande partie du déséquilibre sur les balances des services et des revenus primaires est liée au secteur numérique et au retard de l'UE dans ce domaine. En septembre 2024, le rapport Draghi avait souligné l'importance de mener une politique de souveraineté en la manière, faute de quoi les pays européens risquent de devoir payer aux géants du numérique américains un montant toujours plus important, dégradant par la même les balances des services et des revenus. Afin de développer une stratégie de souveraineté numérique, Bruxelles a engagé une politique de règlementation combinée à des exigences en matière de concurrence et d'accès aux marchés pour les petites entreprises. Le problème est que l'accord ne reconnait pas le droit des Européens à réguler le secteur numérique. Cela a conduit Trump à menacer l'UE de nouvelles sanctions à la suite de l'amende de près de 3 milliards d'euros infligée à Google le 5 septembre dernier. Le fait que l'accord ne permette pas de sécuriser la stratégie européenne en matière numérique constitue un important problème.
Des orientations stratégiques sacrifiées
L'absence d'un volet numérique n'est pourtant pas l'aspect le plus inquiétant de l'accord. Le problème le plus grave concerne les concessions non commerciales qui constituent autant de renoncements stratégiques de la part de l'UE.
Lors du discours prononcé à l'occasion de sa campagne de réélection à la tête de l'exécutif européen en juillet 2024, von der Leyen avait déploré que « 300 milliards d'euros provenant de l'épargne des familles européennes quittent l'Europe pour les marchés étrangers ». Elle s'était engagée à faire en sorte que l'argent européen finance prioritairement des investissements en Europe ; une stratégie qui constituait l'un des axes centraux du rapport Draghi. Pourtant, à rebours de cet engagement, l'accord promet que les Européens financeront un volume de 600 milliards de dollars d'investissements aux États-Unis d'ici 2028. Dans ce même discours, la présidente de la Commission affirmait son engagement à réduire de 90 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2040. Or, l'accord propose d'acheter 750 milliards de dollars de produits pétroliers et gaziers aux États-Unis. Enfin, von der Leyen s'était engagée à développer une industrie de la défense autonome ; mais dans l'accord, elle propose que l'UE augmente « considérablement » (sans plus de précision) ses achats d'équipements militaires américains.
La lecture de l'accord soulève une question fondamentale. Pourquoi, alors que lors du premier mandat Trump l'UE avec répondu aux mesures protectionnistes de l'administration Trump par des rétorsions commerciales, il n'en a pas été de même cette fois-ci ? La réponse est que l'UE se trouve aujourd'hui dans une position de grande faiblesse économique. L'industrie allemande est en crise depuis 2019 ; une crise qui ne s'est pas arrangée avec la pandémie de Covid et le déclenchement de la guerre en Ukraine. Pour éviter une quatrième année consécutive de récession, elle a absolument besoin d'exporter. Or, son excédent commercial, qui représentait 6-7% de son PIB dans les années 2014-2019, et tombé à 2-4 % ces dernières années. Ce marasme pèse sur les économies d'Europe centrale et explique en grande partie les contestations populistes qui se développent dans ces pays. Ainsi, en acceptant l'accord proposé par Trump, von der Leyen a surtout cherché à éviter le pire, c'est-à-dire une hausse de 25 % des tarifs douaniers américains. Le problème est que, pour sauver le court terme, elle a abandonné le long terme en démontrant au monde entier que les grandes orientations stratégiques qu'elle défendait pour son second mandat peuvent être sacrifiées sur l'autel de la préservation de l'industrie allemande.
Aussi, le danger pour l'UE est que sa raison d'être et sa crédibilité sortent affaiblies de cet épisode. Si l'exécutif européen ne parvient pas à démontrer que « l'union fait la force », et surtout s'il ne parvient pas à élaborer une véritable stratégie industrielle et commerciale qui tienne compte des nouvelles réalités du monde, s'il continue de s'enfermer dans une posture libre-échangiste à courte vue, il est probable que ce qui reste de légitimité au projet européen finisse par disparaitre pour de bon.
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d'analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd'hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
Site : http://www.recherches-internationales.fr/
https://shs.cairn.info/revue-recherches-internationales?lang=fr
Mail : recherinter@paul-langevin.fr
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Propaganda Monitor : RSF publie son rapport sur la géopolitique de la propagande du Kremlin
Défendre l'information fiable, c'est aussi savoir déjouer les mécaniques de propagande qui s'y opposent à des fins idéologiques. Reporters sans frontières (RSF) lance aujourd'hui un nouveau rapport compilant l'ensemble des contenus de son projet « Propaganda Monitor », un site dédié qui expose les mécanismes de propagande et de désinformation, pour mieux agir face à eux. Cette publication, consacrée aux stratégies du Kremlin en Russie et à l'international, est illustrée par des dessinateurs de presse du réseau Cartooning for Peace.
27 septembre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
La première saison du Propaganda Monitor, projet d'enquête de RSF sur la géopolitique de la propagande, est consacrée à la Russie de Vladimir Poutine, où la propagande d'État s'impose comme un instrument central de la politique intérieure et extérieure.
Pour imposer son récit unique, le Kremlin a déployé un écosystème de propagande diversifié, combinant médias d'État, relais en ligne, influenceurs et structures parallèles. Les acteurs sont multiples – RT, Sputnik, Wagner – et les outils varié – brouillage de la réalité, campagnes de désinformation, usurpation d'identité, ou encore création de fausses écoles de journalisme, etc.
Depuis plus d'un an, RSF documente ses acteurs, réseaux, mécaniques en Russie et à l'international, accompagnée d'un comité d'experts du sujet, installés en France, en Serbie, au Sénégal ou encore en Colombie. L'organisation publie la compilation augmentée de ce travail, en version bilingue, illustrée par le réseau de dessinateurs de presse Cartooning for peace.
« Depuis longtemps, Moscou rêve de réduire au silence toute alternative à sa vision du monde. Et le contexte international favorise cette ambition. La décision du 14 mars 2025 de Donald Trump de démanteler l'Agence américaine pour les médias mondiaux (USAGM), a été accueillie avec satisfaction par le Kremlin : moins de voix indépendantes, c'est plus d'espace pour ses récits. Mais avec le Propaganda Monitor, l'idée est simple : nous devons reprendre la main face à la propagande. L'ambition est claire : donner aux citoyennes et citoyens des clés de compréhension pour ne pas subir un discours obéissant aux intérêts et qui se diffuse et se reproduit avec une agilité déconcertante » – Thibaut Bruttin, Directeur général de RSF
Les informations clés du rapport
1. Une répression organisée des journalistes et des médias
Pour asseoir un discours unique au service d'un pouvoir autoritaire et impérialiste, le régime de Vladimir Poutine a progressivement pris le contrôle, au travers de multiples lois, d'un paysage médiatique qui s'était ouvert dans les années 1990.
La promulgation de lois « sur les agents de l'étranger » et les « organisations indésirables » entérine la volonté du Kremlin de stigmatiser les médias et les journalistes et de complexifier voire d'empêcher l'exercice de leur fonction d'information.
Ce cadenassage des médias se double d'un ciblage direct des journalistes : 48 sont toujours en détention, dont 26 Ukrainiens. Les forces russes les tuent également dans la guerre qu'elles mènent en Ukraine : 12 professionnels de l'information sont morts sur le terrain et une en prison, tandis qu'au moins 48 autres ont été blessés.
2. Le narratif de la désinformation amplifié
Les Ukrainiens sont des « nazis », la guerre menée par la Russie en Ukraine est une « opération spéciale » et non une guerre, les médias indépendants sont des « agents de l'étranger », financés par un « Occident décadent »… Ce discours ancré, martelé depuis des années, infusait dans la société bien avant le déclenchement de l'invasion à grande échelle le 24 février 2022. Il s'est amplifié.
Dans le même temps, le Kremlin s'efforce de diversifier ses techniques de désinformation – création d'« écoles de journalisme », usurpation d'identité, utilisation de l'IA… Le chercheur David Colon explique : « La propagande russe a pour particularité de reposer sur une démarche globale qui ne distingue pas les outils numériques des outils traditionnels (…) l'IA générative permettant aux propagandistes russes de changer l'échelle de leurs campagnes. »
3. Les acteurs d'influence de la propagande russe
Médias d'État, influenceurs militaires, « contractuels de l'influence », les acteurs sont nombreux et variés pour relayer le discours souple et transnational du Kremlin qui s'adapte en fonction du public ciblé. Si l'empire médiatique de la milice Wagner a en partie été démantelé, ses réseaux restent un vecteur de diffusion central de la propagande. Dans l'ombre d'Evgueni Prigojine, fondateur de Wagner mort en août 2023, Alexandre Malkevitch, entrepreneur actif de médias de propagande, continue d'agir en coulisses. Des propagandistes étrangers, se font aussi l'écho de ce discours.
4. L'expansion internationale des réseaux du Kremlin
En Europe, en Afrique, en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord, le discours se diffuse, se propage, s'implante. En Afrique, le chercheur Maxime Audinet, explique que la Russie capitalise sur la fragilité des écosystèmes médiatiques locaux pour s'implanter dans des pays par le biais de « contractuels de l'information ». En Europe, malgré les sanctions, RT et Sputnik parviennent néanmoins à diffuser un discours anti-européen tandis qu'en Amérique latine, le discours anti-impérialiste séduit les populations.
5. Des solutions pour contrer cette propagande
La première riposte contre la propagande consiste à rétablir les faits. RSF soutient des médias indépendants russes et biélorusses en exil, des médias ukrainiens impactés par l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie, tout en encourageant des initiatives de fact-checking et des outils comme la norme Journalism Trust Initiative (JTI), qui permettent d'identifier les sources fiables. Cette démarche essentielle contribue à contrer la désinformation et à restaurer la confiance dans l'information.
6. Les recommandations de RSF pour lutter contre la désinformation et favoriser le journalisme fiable
La propagande du Kremlin passe par une telle diversité de vecteurs qu'il est vain de chercher à y répondre uniquement par le biais d'une politique répressive facilement contournable. C'est en renouvelant leur engagement en faveur du journalisme, tout en veillant à ne pas compromettre son indépendance, que les démocraties peuvent remporter cette bataille pour le droit à l'information fiable de leurs citoyens.
Le comité d'experts du Propaganda Monitor de RSF : Maxime Audinet (France), chargé de recherche à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM) ; David Colon (France), enseignant-chercheur à Sciences Po Paris et membre du groupe de recherche “Internet, IA et société” du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; Valdez Onanina (Sénégal), rédacteur en chef du bureau francophone d'Africa Check, première organisation indépendante de fact-checking en Afrique ; Daniel Milo (Slovaquie), expert de la défense de la démocratie, spécialisé dans la lutte contre la désinformation, les menaces hybrides et l'extrémisme ; Rasa Nedeljkov (Serbie), directeur de programmes au Center for Research, Transparency and Accountability (CRTA), organisation œuvrant à la promotion de la transparence, de la responsabilité et de la gouvernance démocratique ; Vladimir Rouvinski (Colombie), professeur au département d'études politiques de l'Université Icesi à Cali, spécialiste des relations de la Russie avec l'Amérique latine et les Caraïbes ; Dorka Takácsy (Hongrie), chercheure spécialisée dans la désinformation et la propagande en Europe centrale et orientale.
Cartooning for Peace (CFP) : Réseau international de dessinateurs et dessinatrices engagés à promouvoir, par le langage universel du dessin de presse, la liberté d'expression, les droits humains et le respect mutuel entre des populations de différentes cultures ou croyances. Créée en 2006 à l'initiative de Kofi Annan, prix Nobel de la paix et ancien secrétaire général des Nations unies, et du dessinateur de presse Plantu, CFP est aujourd'hui présidée par le dessinateur français Kak.
www.cartooningforpeace.org
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Le droit des femmes à vivre sans violence doit être fermement protégé
Le Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes souligne l'importance du droit international, face aux menaces croissantes
Tiré de Entre les lignes et les mots
Il ne fait aucun doute que les droits des femmes sont actuellement menacés de manière destructrice, à l'échelle mondiale.
C'est dans ce contexte régressif que le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a tenu sa 91ème session, du 16 juin au 4 juillet. Le Comité a examiné le respect pardivers pays de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women, CEDAW), et a publié une déclaration sur la nécessité d'appliquer fermement le droit international relatif aux droits humains.
Cette déclaration répond aux efforts de certains pays visant à élaborer un nouveau Protocole facultatif à la CEDAW qui serait axé en particulier sur la violence fondée sur le genre (« gender-based violence »). Toute modification de l'actuel Protocole facultatif, indique la déclaration du Comité, « devrait être fondée sur les normes existantes » dans ce domaine.
La violence sexiste à l'égard des femmes et des filles constitue une violation de la Convention CEDAW. Déjà en 1992, le Comité l'avait souligné : « La violence sexiste est une forme de discrimination qui entrave gravement la capacité des femmes à bénéficier de leurs droits et libertés sur un pied d'égalité avec les hommes. »
Faire pression en faveur d'un nouveau Protocole concernant des droits déjà inscrits dans le droit international, dans le contexte actuel de menaces aux droits des femmes, risque d'affaiblir ces droits. La déclaration du Comitéévoque ce risque : « Toute initiative qui aboutirait à un système de protection inégale parmi les États parties compromettrait les protections et garanties existantes au titre de la Convention. Le Comité est convaincu qu'un nouveau Protocole facultatif risque de créer un processus parallèle susceptible de compromettre l'obligation de rendre des comptes pour des abus en vertu de la Convention. »
Les attaques contre les droits des femmes surviennent dans un nombre alarmant de pays ; un rapport d'ONU Femmes a signalé qu'en 2024, « une hostilité croissante vis-à-vis de l'égalité des sexes » a été observée dans près d'un pays sur quatre. Le recul des droits reproductifs –aux États-Unis, en Roumanie et ailleurs – n'en est qu'un exemple. Le danger est aussi de plus en plus visible dans des enceintes internationales comme l'ONU, où les droits des femmes sont pris pour cible par certains activistes et mis à mal par des coupes budgétaires drastiques. Un nombre croissant d'États œuvrent ouvertement, dans ces enceintes, à affaiblir les protections des droits des femmes.
Cependant des défenseures des droits des femmes à travers le monde poursuiventleurs efforts, s'unissant pour défendre et appliquer résolument le droit international, notamment la Convention CEDAW, qui reconnaît le droit des femmes à l'égalité. Les mises en garde du Comité de la CEDAW méritent une attention particulière.
Comme le rappelle le Comité : « Le principe de non-discrimination énoncé dans la Convention couvre la violence sexiste à l'égard des femmes et des filles. » Les instruments juridiques internationaux sont clairs, tout comme leur interprétation. Il est essentiel que les gouvernements respectent leurs obligations juridiques internationales, et mettent fin à toutes les formes de violence à l'égard des femmes.
Heather Barr, Directrice adjointe, division Droits des femmes
https://www.hrw.org/fr/news/2025/07/14/le-droit-des-femmes-a-vivre-sans-violence-doit-etre-fermement-protege
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Prises entre deux pressions : militarisme et contrôle de la reproduction
Comment les femmes des régions frontalières de la Russie vivent-elles aujourd'hui sous la double pression militariste et reproductive ? Pourquoi la guerre est-elle le moyen le plus efficace pour dissuader les femmes d'avoir des enfants ? La militante féministe Anna Shalamova a recueilli trois monologues de femmes vivant dans la région de Koursk.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/21/prises-entre-deux-pressions-militarisme-et-controle-de-la-reproduction/?jetpack_skip_subscription_popup
Comment les femmes des régions frontalières de la Russie vivent-elles aujourd'hui sous la double pression militariste et reproductive ? Pourquoi la guerre est-elle le moyen le plus efficace pour dissuader les femmes d'avoir des enfants ? La militante féministe Anna Shalamova a recueilli trois monologues de femmes vivant dans la région de Koursk.
Au cours des trois ans et demi d'opérations militaires actives, la population combinée des régions de Koursk, Belgorod et Briansk a diminué de 127 500 personnes. À titre de comparaison, la perte totale de population entre 2011 et 2022 était de 145 700 personnes. Deux raisons principales expliquent ce déclin : l'augmentation de la mortalité et l'exode de la population. Quatre-vingt pour cent de la perte de population enregistrée est due à un nombre de décès supérieur à celui des naissances. Les 20% restants sont attribués aux personnes qui quittent les zones frontalières. Cependant, les chiffres réels sont probablement plus élevés, car tout le monde ne met pas à jour son domicile officiel lorsqu'il déménage. D'après les seules statistiques officielles, les régions frontalières, en particulier la région de Koursk, ont perdu environ 30% de leur population.
Bien que les bureaux d'état civil russes (ZAGS) aient commencé à dissimuler les données relatives aux naissances et aux décès, il est clair que l'appareil répressif de l'État n'est pas parvenu à améliorer la situation démographique par des mesures restrictives. La région de Koursk sert depuis longtemps de terrain d'essai pour les restrictions anti-avortement qui sont ensuite mises en œuvre dans toute la Russie. Il s'agit notamment d'un projet de loi interdisant « l'avortement forcé », la suppression des services d'avortement dans les cliniques privées et le « conseil pré-avortement » obligatoire avec des psychologues et des travailleurs ou des travailleuses sociales. D'autres mesures consistent à diffuser des films pro-vie dans les écoles et à offrir des cadeaux tels que des chaussons pour bébés aux femmes qui envisagent un avortement. La région est devenue un pionnier dans la mise en œuvre de telles restrictions.
Ainsi, deux « opérations spéciales » se déroulent simultanément dans la région de Koursk : l'une militaire et l'autre démographique.
Conformément au discours traditionaliste qui a gagné en popularité depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les responsables politiques reprochent souvent aux femmes de ne pas avoir d'enfants, affirmant que leurs valeurs sont « complètement erronées ». Les femmes nées dans les années 1990 sont particulièrement critiquées pour se concentrer sur leur carrière et être influencées par la propagande occidentale.
Mais qu'en pensent les jeunes femmes sans enfants des régions frontalières ? Comment vit-on sous la pression du militarisme et de la reproduction ? Voici les témoignages de trois femmes de la région de Koursk.
Angelina, 30 ans
Travaille en poste (rotation)
« Le 17 février 2022, j'ai découvert que j'étais enceinte. Mon petit ami et moi étions ensemble depuis plus de deux ans et vivions ensemble depuis un an. Nous n'essayions pas d'avoir un bébé, mais nous ne faisions pas non plus particulièrement attention. Honnêtement, je n'étais pas opposée à l'idée d'être enceinte. Je sentais qu'il était temps de fonder une famille. Nous avions un logement, des emplois décents et une relation stable. Je me suis dit que si cela arrivait par accident, je ne me ferais pas avorter. »
Ma mère m'a eue sur le tard et elle voulait vraiment des petits-enfants. Elle en parlait souvent avec mon petit ami et moi, nous suggérant de nous marier et d'avoir des enfants tant qu'elle était encore là et en bonne santé pour nous aider. Je n'étais donc pas ravie quand j'ai découvert que j'étais enceinte. Mais je l'ai accepté. Je me suis dit que le moment était venu et que j'étais prête à avoir un bébé. Mon petit ami était fou de joie. Il a immédiatement commencé à planifier un mariage au printemps ou en été et à réfléchir à des prénoms pour le bébé.
Le début de la guerre a été un choc total pour moi. J'avais de la famille à Kyïv et à Kharkiv, et des cousin·es à Kherson et à Soumy. Ma mère a grandi à Soumy. Mon père était originaire de Kherson. J'ai visité Soumy plusieurs fois quand j'étais enfant. Ma mère était proche de nos parent·es ukrainien·nes et leur parlait souvent. Nous étions folles d'inquiétude. Pour vous donner des nouvelles, mes cousin·es sont maintenant en sécurité en Allemagne, et nos proches de Kharkiv et Kiev vont bien aussi. Mon petit ami était originaire d'une petite ville frontalière de la région de Koursk. Ses parents y vivent toujours. Je pensais qu'il comprendrait mon inquiétude pour mes proches. Mais environ une semaine après le début de la guerre, il a semblé perdre son sang-froid.
Avant, il ne buvait que quelques bières. Mais soudain, il s'est mis à descendre des litres de vodka et de cognac. Une fois, il a bu quatre litres de cognac en seulement deux jours. Cette beuverie a duré des semaines sans interruption. Il a quitté son travail. Il s'est mis à me crier dessus. Il criait qu'il était patriote et qu'il allait rejoindre la société militaire privée Wagner pour aller faire la guerre, alors qu'il n'avait jamais fait son service militaire ! Je ne reconnaissais plus l'homme dont j'étais tombée amoureuse. Ce n'était plus Sasha. Il était devenu quelqu'un d'autre : colérique, cruel, un véritable psychopathe. J'ai commencé à avoir peur de lui.
Pour couronner le tout, il s'est mis à insulter mes parents. Il disait des choses comme : « Les Khokhols [ndlr : terme russe péjoratif désignant les Ukrainien·nes] ne sont même pas des êtres humains. Que quelqu'un devrait les dénoncer et faire contrôler leurs proches ukrainiens. Et s'ils étaient des espions ou faisaient partie de l'armée ukrainienne ? » Un jour, il s'est saoulé, m'a frappée au visage et m'a tant violée que j'ai saigné. J'avais enfin atteint mes limites. J'ai emménagé chez mes parents et j'ai décidé d'avorter. J'ai réussi à le faire à temps : l'avortement a été pratiqué à 12 semaines.
J'ai demandé à mon père d'aller chez Sasha pour récupérer mes affaires. Je ne voulais absolument pas le voir. Pour aggraver les choses, il a découvert que j'avais avorté et a commencé à m'envoyer des menaces et des insultes depuis de faux comptes. Il m'a traitée de meurtrière, de monstre et de salope. Il m'a écrit qu'il aurait dû commencer à me battre plus tôt et m'attacher au radiateur pour m'empêcher « d'aller tuer notre bébé ». Pendant ce temps, mon ex ne voyait aucun problème à me faire risquer une fausse couche en me violant.
Puis, j'ai découvert que quelqu'un avait retiré 45 000 roubles de ma carte bancaire, ce qui m'a coûté des intérêts substantiels. Il s'est avéré que c'était bien Sasha. Depuis un autre faux compte, il m'a écrit que c'était une « compensation » pour le fait que j'avais « tué notre enfant et privé de la possibilité de devenir père ». Honnêtement, je ne pouvais pas croire à quelque chose d'aussi absurde. Mes parents ont insisté pour que j'aille à la police et que je porte plainte pour vol.
Mon ex-fiancé n'a jamais rendu l'argent, mais il est parti à la guerre. Je ne sais pas s'il a rejoint une société militaire privée ou s'il a fini ailleurs. Tout ce que je sais, c'est qu'il est vivant et qu'il se bat quelque part.
Je suis aujourd'hui dans une relation saine. Je ne me suis sentie en sécurité qu'au début de cette année, lorsque mon nouveau petit ami et moi avons déménagé ensemble pour travailler en rotation. À un moment donné, j'ai réalisé que je ne pouvais plus marcher dans les rues de Koursk sans avoir peur. Je voyais Sasha dans chaque soldat, comme s'il était revenu pour se venger de moi. J'ai commencé à avoir des crises de panique, des insomnies, des cauchemars et une peur des endroits bondés. Je ne me sens à peu près normale que lorsque je suis loin de Koursk, dans un endroit où il n'y a pas de militaires. Mon petit ami et moi avons décidé de quitter la ville pour de bon et d'emmener mes parents avec nous.
Je suis fermement opposée à toute restriction d'accès ou interdiction de l'avortement. Si je n'avais pas pu avorter, j'aurais été liée à jamais à un homme instable et dangereux. Honnêtement, il aurait mieux valu mourir que de continuer à vivre comme je l'ai fait pendant ces semaines du printemps 2022.
Je pense qu'il ne faut pas dissuader les femmes d'avorter. Lorsque je me suis rendue à la clinique spécialisée, le personnel a fait pression pour que je poursuive ma grossesse. Iels ont essayé de me faire peur en évoquant l'infertilité et le cancer. Iels ont également fait appel à un psychologue et à une travailleuse social. Iels m'ont dit que je prendrais du poids et que je deviendrais masculine en raison de déséquilibres hormonaux. Iels ont déclaré que l'avortement était un péché terrible. Si je n'avais pas été déterminée à avorter et à rompre mes fiançailles, je ne l'aurais probablement pas fait. Iels m'auraient brisée.
Honnêtement, c'est un sentiment dégoûtant que de s'humilier devant des étranger·es et d'expliquer pourquoi on a besoin d'avorter. J'ai lu un jour un article sur une femme qui avait vécu une expérience similaire dans une clinique. Elle disait que cela l'avait fait se sentir impuissante, désespérée, comme si elle avait perdu le contrôle de sa vie. C'est exactement ce que j'ai ressenti. Comme un morceau de viande molle entre les mains de quelqu'un ·ed'autre. Comme une poupée ou un jouet. Pas comme une personne vivante. Je ne souhaite cela à personne. Ce soi-disant « accompagnement » dans les cliniques pour femmes est tout simplement cruel et psychologiquement violent.
Aleriya, 33 ans
Ouvrière d'usine
« Depuis quelques années, je rêve d'avoir un enfant. C'est douloureux et absurde de lire toutes ces affirmations selon lesquelles le gouvernement a créé des conditions idéales pour les femmes et que la seule raison pour laquelle nous ne donnons pas naissance à des enfants est le féminisme ou la « propagande anti-enfants ». Eh bien, me voici : une femme qui veut avoir un bébé. À quoi cela me sert-il si je n'en ai tout simplement pas la possibilité ?
Je vis avec ma mère retraitée. Elle m'a eue à 42 ans après avoir lutté contre l'infertilité pendant des années. Mon père est décédé il y a dix ans.
Aujourd'hui, ma mère est handicapée et a presque complètement perdu la vue. Elle risque de devenir complètement aveugle prochainement. Malheureusement, le traitement standard proposé par le système de santé public n'a pas aidé, et nous n'avons pas les moyens de payer des thérapies expérimentales. Tout notre argent est consacré aux factures, à la nourriture et aux médicaments.
J'ai commencé à travailler dans l'industrie manufacturière dès la fin de mes études universitaires. Je n'ai jamais quitté ce secteur depuis. Je gagne exactement 30 000 roubles par mois. Cela correspond à six jours de travail par semaine. Ici, tout le monde gagne des clopinettes malgré une charge de travail importante. En plus de cela, nous sommes constamment obligées de verser de l'argent « pour soutenir nos garçons au front ». Ils collectent des fonds presque chaque semaine pour acheter des lunettes tactiques, des gants, des médicaments ou autre chose. Chaque travailleur et chaque travailleuse doit contribuer à hauteur d'au moins mille roubles. Si vous refusez, ils commencent à faire des vagues et à proférer des menaces. « Comment pouvez-vous ne pas donner d'argent aux défenseurs de Koursk ? », disent-ils. Ils menacent de vous refuser des congés quand vous le souhaitez si vous ne contribuez pas. Ils menacent également de déduire l'argent de votre salaire, de vous licencier ou de vous dénoncer aux autorités.
Sur le chemin du travail, je suis passée devant un panneau d'affichage exhortant les habitants de la région de Koursk à signer un contrat militaire et à rejoindre le combat dans le cadre de l'« opération militaire spéciale ». Ils promettent des sommes d'argent colossales, des centaines de milliers de roubles. Actuellement, on reçoit 800 000 roubles rien que pour signer le contrat. Je continue à me poser la question et je ne comprends pas : s'ils offrent autant d'argent, pourquoi continuent-ils à collecter des dons auprès de femmes qui ne gagnent que 20, 30 ou 40 000 roubles par mois ? Parfois, je vois des militaires acheter de l'alcool onéreux en gros au magasin. Ils se comportent de manière arrogante, harcèlent les femmes et crient des choses comme « On a de l'argent, on t'achètera tout ce que tu veux ». Honnêtement, ça me donne envie de pleurer. Les retraité·es et les enseignant·es grattent des sous pour acheter des chaussettes à envoyer au front, tandis qu'eux dépensent leur argent comme si de rien n'était.
J'ai essayé d'en parler avec des connaissances et des collègues. Mais jusqu'à présent, cela n'a servi à rien. Beaucoup reconnaissent que c'est injuste, mais elles et ils ont trop peur pour s'élever contre ces cotisations obligatoires.
Si je prenais un congé maternité aujourd'hui, je toucherais l'allocation minimale, soit environ 13 000 roubles par mois. Comment une personne avec un enfant peut-elle survivre avec cela ? Et une fois que l'enfant atteint l'âge de 18 mois, l'aide cesse complètement. On peut peut-être espérer quelques aides de l'État.
Cependant, je doute de la générosité des hommes. Dans ce pays, la dette liée aux pensions alimentaires impayées a déjà dépassé les 250 milliards de roubles. Le père de votre enfant peut abandonner sa famille à tout moment, cesser de payer la pension alimentaire et ne subir aucune conséquence. Même si j'ai eu la chance d'avoir un bon père, la plupart des pères de mes amies sont exactement comme je viens de le décrire. Je veux avoir un bébé « toute seule », comme on dit ici. Je serai heureuse de devenir mère si je rencontre la bonne personne. Mais je veux quand même devenir mère, même si ce n'est pas le cas. Il y a quelques années, je me suis promise que si je n'avais pas trouvé de partenaire prêt à avoir un enfant avec moi avant 35 ans, j'essaierais de le faire seule. Mais aujourd'hui, je ne suis plus sûre que cela arrivera. Et ce n'est pas une question d'argent.
Je vis près d'une base militaire. La sirène d'alerte antimissile est si forte qu'elle me réveille même lorsque j'ai fermé les fenêtres et mis des bouchons d'oreille. Pour vous donner une idée, elle peut retentir jusqu'à 20 fois par jour. Parfois, il y a quatre ou cinq alertes en une heure. J'ai commencé à prendre des somnifères juste pour pouvoir me reposer. Et puis, il y a les bruits constants des explosions des systèmes de défense aérienne ou des drones qui frappent à proximité. Comment pourrais-je endormir un bébé dans ces conditions ?
Nous voyons souvent des véhicules aériens sans pilote (UAV) et des drones voler au-dessus de nos têtes. Il y a déjà eu plusieurs « frappes » dans la cour de notre immeuble. Chaque soir, quand je me couche, je ne suis pas sûr que notre immeuble passera la nuit. Et, honnêtement, ce serait une chance si ce n'était qu'un drone et non des fragments de missiles.
Cela peut sembler dramatique, mais je me pose sérieusement la question suivante : ai-je le droit moral de mettre un nouvel être au monde si je ne peux lui offrir ni sécurité ni certitude quant à son avenir ? Par exemple, il y a eu beaucoup de problèmes, voire des guerres, dans le Caucase du Nord dans les années 90 et 2000. Mais notre ville était relativement sûre. Au moins, nous n'avions pas à chercher des abris anti-bombes. Aujourd'hui, l'idée de planifier une grossesse alors que je sais que mon enfant aura probablement moins d'opportunités que moi me donne l'impression de le trahir avant même sa naissance.
Irina, 29 ans
Cheffe d'entreprise
« J'ai commencé à sortir avec mon mari alors que nous étions toustes les deux en troisième. Nous nous sommes marié·es dès son retour du service militaire. Nous avions toujours prévu d'avoir au moins un enfant, et idéalement deux, avant d'avoir trente ans. Pendant un certain temps, cela semblait possible. Je pense qu'on peut dire que notre vie était bonne, voire vraiment heureuse.
À l'âge de vingt ans, nous avons créé ensemble une petite entreprise. Nous travaillions dur tout en étudiant par correspondance. Au début, nous n'avions pas beaucoup de moyens. Chaque centime que nous économisions était investi dans le développement de l'entreprise. Et après quelques années, nous avons commencé à connaître un réel succès. Nous sommes devenus rentables et avons loué un deuxième local. Lorsque le COVID a frappé, nous avions déjà cinq locaux à Kursk. Nous avons pu acheter une petite maison et des voitures pour nous deux. Je me souviens avoir pensé : « Pourquoi ne pas profiter encore quelques années de la vie et voyager ? Ensuite, nous essaierons d'avoir notre premier enfant. »
Le COVID et les confinements nous ont durement touché·es. Même si l'entreprise était complètement à l'arrêt, nous devions continuer à payer le loyer et à verser une partie des salaires des employé·es. Pendant plusieurs mois, nous n'avons pas pu exercer notre activité en raison des restrictions liées à la pandémie. Nous ne nous étions jamais vraiment souciés des prêts auparavant. Mais soudain, ils sont devenus une source de stress. Beaucoup de nos concurrents ont fermé leur entreprise, mais nous avons réussi à rester à flot sans fermer un seul établissement, même si notre réserve financière était fortement réduite. Néanmoins, à l'automne 2021, nous avons recommencé à reprendre espoir, convaincu·es que nos difficultés étaient enfin derrière nous.
Nous nous sommes senti·es complètement perdus·e lorsque la guerre a éclaté. Nous ne savions pas qui écouter ni quoi croire. Avant cela, nous ne nous intéressions pas beaucoup à la politique. Cependant, à partir de février 2022, nous avons commencé à regarder différents vloggers sur YouTube et à suivre l'actualité. Je pense que les gens peuvent s'habituer à tout avec le temps. C'est ce qui nous est arrivé. Nous nous sommes adapté·es au fait qu'il y avait une guerre à proximité, que notre ville était attaquée par des drones et qu'il y avait de nouvelles menaces autour de nous. Lorsque la mobilisation a commencé, mon mari et moi étions terrifié·es à l'idée qu'il soit appelé sous les drapeaux, car il est jeune, en bonne santé et a servi dans l'armée. Mais finalement, rien ne s'est passé. Il n'a jamais reçu de convocation. Bien sûr, notre qualité de vie s'est détériorée, nos revenus ont baissé et l'anxiété est devenue une présence constante. Malgré tout, nous avons essayé de continuer à vivre comme avant et à développer notre entreprise. C'est peut-être une sorte de mécanisme de défense psychologique. On se crée son petit monde et on refuse d'accepter que le monde extérieur s'effondre. Avec le recul, je pense que nous ne voulions tout simplement pas affronter la nouvelle réalité.
Tout a changé lorsque les forces armées ukrainiennes ont lancé des opérations actives dans la région de Koursk. Mon mari est originaire d'un petit village situé juste à la frontière avec l'Ukraine. Il vivait à Koursk depuis l'âge de 14 ans avec son frère aîné afin de pouvoir fréquenter une école de la ville et s'inscrire plus tard à l'université. Sa mère et sa grand-mère sont restées dans ce village. La situation y était instable depuis le début de la guerre. Il y avait des frappes d'artillerie, de drones ou de missiles. Cependant, elles ont refusé de partir jusqu'au tout dernier moment. Lorsque nous avons appris que les forces ukrainiennes étaient entrées dans la région, nous avons tout laissé tomber et nous sommes partis en voiture pour les chercher.
Je ne veux même pas me souvenir de ce que nous avons vécu. Je dirai simplement ceci : nous nous en sommes sorti·es de justesse. Nous avons dû éviter les mines terrestres le long de la route, et la portière de la voiture était criblée d'impacts de balles. Depuis lors, la mère et la grand-mère de mon mari vivent avec nous.
À partir de ce moment-là, tout ce qui allait bien dans notre vie a commencé à s'effondrer. J'avais toujours été fière de mon équipe soudée. Mais à la fin de l'année 2024, près de la moitié de mes employé·es expérimenté·es avaient quitté Koursk à cause de la guerre. Certain·es ont déménagé à Moscou, Saint-Pétersbourg, Voronej, Krasnodar ou Nijni Novgorod. Aujourd'hui, la majorité du personnel est partie. La formation des nouvelles ou nouveaux employés prend beaucoup de temps. Hélas, iels finissent par partir eux aussi. Mon mari a immédiatement fait une demande pour bénéficier du programme d'allègement des prêts proposé aux habitant·es des régions frontalières. Cependant, la banque a fait traîner les choses pendant près de six mois. Elle a rejeté la demande et exigé des photos des destructions dans le village, des photos de la maison, des documents relatifs à la propriété et d'autres absurdités. Le fait que les forces ukrainiennes se trouvent dans cette région a été complètement ignoré. Pour cette raison, nous ne pouvons pas nous rendre sur place pour prendre des photos ou rassembler des documents. En conséquence, nous avons déjà dû fermer deux de nos cinq établissements, et d'ici la fin de l'été, nous en fermerons un autre. Par rapport au premier semestre 2023, nos revenus ont été divisés par six ou sept. Je frémis à l'idée de ce que ce serait si nous avions un enfant en ce moment !
Un système de défense aérienne se trouve à quelques centaines de mètres de notre maison. À cause de cela, il y a un bruit assourdissant constant. Les murs tremblent. Les sirènes anti-missiles retentissent sans cesse. Nous avons trois chats et un petit chien à la maison. Le chien se cache désormais régulièrement dans un coin, refuse de manger, gémit et fait pipi à l'intérieur. Je ne sais pas quoi faire ni comment aider nos animaux de compagnie. J'ai pris la décision difficile d'essayer de leur trouver un foyer avec des personnes bienveillantes en dehors de Koursk. Jusqu'à présent, je n'ai réussi à placer qu'un seul des chats.
Je pense souvent à ce qui se serait passé si j'avais eu un enfant en bas âge. Comment aurait-il réagi à tout cela ? Nous aurions probablement dû abandonner notre maison et partir sans rien. Une famille avec quatre enfants vivait à côté de chez nous. J'ai vu de mes propres yeux à quel point la situation les affectait profondément. Le plus jeune était terrifié par les bruits forts. Par exemple, chaque fois qu'il entendait un klaxon, il se jetait par terre au milieu de la rue, se couvrait les oreilles et se mettait à crier et à pleurer. Finalement, ils n'ont plus supporté cette situation. Ils ont simplement quitté leur maison et déménagé. Avec le recul, je me sens incroyablement chanceuse de ne pas avoir eu d'enfant avant l'invasion.
Je n'ai jamais aimé les discours agressifs autour de la maternité. À mon avis, seuls les couples ont le droit de décider quand avoir un enfant. Personne d'autre ne devrait s'en mêler. Si une femme n'est pas prête à avoir un enfant, elle a des raisons valables, et celles-ci doivent être respectées. Mais au cours de l'année écoulée, j'ai ressenti quelque chose qui s'apparente à de la fureur chaque fois que j'entendais quelqu'un insister sur le fait que les femmes doivent avoir autant d'enfants que possible, aussi vite que possible. Ces défenseurs pensent-ils seulement aux conséquences mentales et physiques que cela aura sur ces enfants ? Leur état psychologique ressemblera-t-il à celui que je constate chez mes animaux de compagnie Ou chez le petit garçon d'à côté ? Je ne comprends pas comment on peut souhaiter cela à son enfant. Les nerfs de ce bébé seraient brisés dès la naissance.
Je suis révoltée lorsque je lis les informations concernant l'interdiction de la soi-disant « propagande en faveur de l'avortement », la restriction de toute mention positive du fait de ne pas avoir d'enfants, la suppression des services d'avortement dans les cliniques privées et la limitation de l'accès à la contraception d'urgence.
Je me suis abonnée à plusieurs chaînes Telegram pro-choix et je les soutiens par des dons. Mon mari et moi étions certain·es de vouloir des enfants, au moins deux. Et oui, nous avions tout ce qu'il fallait pour les élever. Cependant, les conditions pour élever un enfant sont aujourd'hui tout simplement inexistantes. Et honnêtement, je ne sais même pas si j'aurai un jour envie d'avoir un enfant.
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La propagande russe continue de présenter l'« opération militaire spéciale » comme se déroulant uniquement sur le sol ukrainien et n'ayant que peu ou pas d'effet sur la vie quotidienne des Russes ordinaires. Tout au plus, elle mentionne les réfugié·es des zones frontalières ou fait vaguement référence à des problèmes que les responsables russes prétendent résoudre héroïquement. Mais en réalité, le gouvernement russe continue d'ignorer l'impact profond et global que la guerre a eu sur tous les aspects de la vie dans les régions frontalières.
Toutes les femmes à qui nous avons parlé ont exprimé un profond sentiment de vulnérabilité. Elles ont perdu leurs sources de stabilité familières et n'en ont pas trouvé de nouvelles. Les autorités prétendent les « protéger » contre des menaces imaginaires telles que « l'avortement forcé » et « l'idéologie sans enfants », tout en ne faisant rien pour les protéger contre les dangers réels, comme la violence domestique. Les responsables de l'administration de plus en plus militarisée de Poutine sont obsédés par les taux de natalité, tandis que les femmes de Koursk s'inquiètent pour la santé des enfants qu'elles ont déjà. Ces enfants doivent s'endormir au son des explosions et des sirènes de défense aérienne. Les législateurs nient l'autonomie des femmes qui choisissent de ne pas avoir d'enfants, les rejetant comme des victimes de « l'influence occidentale ». Mais les femmes de Koursk racontent une autre histoire, qui ne repose pas sur une idéologie, mais sur la réalité vécue. Ce n'est pas l'Occident, mais la guerre de Poutine qui les a contraintes à reconsidérer leur décision de mettre au monde un nouvel enfant.
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Plaidoyer pour une médiatisation féministe pour contrer la propagande christofasciste
Face à la montée du christofascisme, il est urgent d'appliquer aux violences systémiques les leçons des mobilisations féministes : nommer les agresseurs, refuser les faux prétextes et inscrire chaque acte dans un système de domination. Une médiatisation féministe est essentielle pour contrer leur propagande.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les mobilisations féministes, à travers des campagnes comme Les Mots Tuent ou l'imposition du terme « féminicide », ont profondément transformé le traitement médiatique des violences sexistes. Nommer les auteurs, refuser les prétextes et inscrire chaque meurtre dans un système de domination ne relève pas d'un simple détail de langage, mais d'un enjeu politique majeur. Ce cadre théorique et militant permet aujourd'hui d'analyser un autre phénomène structurel : la montée des fascismes, notamment le christofascisme*, aux États-Unis et la propagande qui les légitime. Il constitue un outil essentiel pour éviter, dans la médiatisation de ce phénomène, les écueils qui ont trop longtemps marqué, et continuent de marquer, le traitement médiatique des violences fondées sur le genre.
Les travaux féministes ont établi que le langage n'est jamais neutre : il façonne notre perception de la violence et contribue au maintien des systèmes de pouvoir. Dans ses analyses, Kate Manne a mis en lumière deux mécanismes centraux : la himpathy, soit la sympathie disproportionnée accordée aux agresseurs masculins, et la herasure, l'effacement des victimes. C'est précisément cette dynamique qui transparaît dans la médiatisation du décès de Charlie Kirk : figure centrale de l'offensive christofasciste, connu, entre autres, pour avoir ciblé et mis en danger des enseignants progressistes à travers sa « Professor Watchlist », Kirk est aujourd'hui présenté comme un martyr. Cette inversion perverse produit de la sympathie pour le défunt et efface la violence qu'il a lui-même exercée, au détriment des minorités, des universitaires et des groupes qu'il a contribué à persécuter.
La linguiste Julia Penelope, dans Speaking Freely (1990), a montré comment l'usage récurrent de la voix passive efface les auteurs des violences et recentre l'attention sur les victimes, produisant une neutralisation grammaticale de l'agresseur. De son côté, Dale Spender, dans Man Made Language (1980), a démontré que la langue est historiquement façonnée par le patriarcat et érige le masculin en norme. Ces mêmes mécanismes apparaissent dans la médiatisation des suspensions de l'antenne de figures comme Jimmy Fallon ou Jimmy Kimmel. L'auteur véritable, Trump et son appareil christofasciste, est gommé du récit. Les articles préfèrent parler d'un « retrait d'antenne pour des propos sur Charlie Kirk », un motif qui suggère une faute : s'être moqué d'un supposé martyr de la liberté d'expression. En réalité, les propos visaient Trump lui-même, et c'est bien lui qui est à l'origine de la sanction. Ce déplacement du regard, du véritable agresseur vers un prétexte, en transformant le comportement de la victime en cause, reproduit les logiques déjà observées dans les faits divers sexistes : c'est l'équivalent médiatique d'affirmer qu'« elle a été violée parce que sa jupe était trop courte ».
La psychologue Jennifer Freyd a conceptualisé le processus de DARVO (Deny, Attack, Reverse Victim and Offender) pour décrire la manière dont les agresseurs réagissent lorsqu'ils sont confrontés à leurs violences : ils nient les faits, attaquent la crédibilité de ceux qui les dénoncent et inversent les rôles en se présentant comme victimes. À l'échelle politique, Trump mobilise exactement cette logique lorsqu'il criminalise Antifa. Plutôt que de reconnaître la violence fasciste de son propre camp, il la nie, attaque ceux qui la dénoncent et les désigne comme les véritables fauteurs de troubles. Ce renversement rhétorique, c.a.d présenter l'antifascisme comme une menace et le fascisme comme une réaction légitime, fonctionne comme une version systémique du DARVO : une stratégie qui détourne la responsabilité des auteurs pour la projeter sur leurs opposants.
Dans une autre perspective, mais toujours en continuité avec l'idée d'un système de domination et non d'actes isolés, Evan Stark a développé le concept de contrôle coercitif (Coercive Control, 2007). En s'appuyant notamment sur les travaux d'Albert Biderman sur les méthodes de contrainte psychologique utilisées contre les prisonniers de guerre pendant la guerre de Corée (Chart of Coercion, 1957), Stark montre que la violence conjugale constitue une stratégie globale d'assujettissement : priver la victime d'autonomie, contrôler ses ressources, ses relations, son espace et son temps. Transposé au champ politique, ce cadre éclaire la dynamique du régime de Trump. La captation des récits et leur cadrage par l'ensemble des institutions, de la Federal Communications Commission (FCC, l'agence fédérale chargée de réguler les médias et télécommunications) à la Justice en passant par le FBI, fonctionnent comme une forme de contrôle coercitif informationnel : une guerre cognitive menée au sein d'une économie de l'attention pour confisquer les ressources symboliques et réels, saturer l'espace médiatique et empêcher toute contestation de se déployer.
Gommer les auteurs du récit est l'un des moyens par lesquels les systèmes dominants se maintiennent et se reproduisent : les groupes en position de pouvoir ne sont jamais contraints d'interroger leur propre domination. L'un des traits fondamentaux du privilège est précisément cette capacité à rester inquestionné, à se rendre invisible, à apparaître comme neutre, y compris dans des situations qui les concernent directement. La structure même des phrases, la manière dont nous pensons et rapportons la violence systémique, conspire ainsi à détourner l'attention des véritables auteurs de cette violence. Dans le cas des violences fascistes, ce processus se double d'une captation massive des ressources d'attention et d'une criminalisation de toute résistance. C'est pourquoi une pratique féministe de la médiatisation s'impose : nommer clairement les agresseurs, refuser les prétextes qui légitiment leurs actes, inscrire chaque événement dans la stratégie globale de domination qui le rend possible. De la même manière que les féministes ont imposé l'usage du terme « féminicide » pour rendre visibles les structures patriarcales qui produisent ces meurtres, il devient nécessaire d'exiger des professionnels des médias un langage et cadrage précis pour désigner et dénoncer les violences christofascistes.
* La théologienne féministe de la libération Dorothee Sölle a forgé dans les années 1970 le terme christofascisme pour désigner une dérive du christianisme qui exige la soumission aveugle à l'autorité, sacralise les suprémacismes et le capitalisme, et légitime l'injustice sociale. En associant religion, patriarcat et nationalisme, il devient un appui idéologique pour tous ceux qui veulent faire des « disciples des nations », c.a.d transformer nos démocraties en théocraties chrétiennes.
Stephanie Lamy
Féministe, chargée d'enseignement, chercheuse
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L’austérité budgétaire est sexiste
Quand un gouvernement coupe dans les budgets, les femmes sont les premières à en payer le prix. Après l'échec de François Bayrou et de son projet de budget austéritaire, nous voulons rappeler à son successeur que diminuer le financement des services publics n'est pas une fatalité : c'est un choix politique, et nous le dénonçons.
Tiré de Entre les lignes et les mots
L'affaiblissement des services publics frappe deux fois les femmes
Les services publics sont un pilier de l'égalité. Leur affaiblissement frappe deux fois les femmes : comme agentes et comme usagères. Les métiers de la santé, de l'éducation, du social, du soin, de la culture sont massivement féminisés, parfois précaires, souvent sous-valorisés avec des conditions de travail qui se dégradent réforme après réforme. C'est pourquoi, monsieur Lecornu, vous devez renoncer à l'« année blanche » sur les salaires et à la suppression de postes qui surchargent toujours plus les agentes, fragilisent leurs carrières et réduisent leur pouvoir d'achat.
Les femmes gèrent majoritairement l'organisation familiale et s'occupent des démarches administratives plus nombreuses, des soins, de l'accompagnement scolaire et extrascolaire des enfants. Selon l'Observatoire des inégalités, la répartition des tâches ménagères et familiales restetrès inégalitaire, les femmes y consacrent une heure trente de plus par jour que les hommes et assurent l'essentiel du suivi éducatif et de santé.
Les fermetures de services publics, la disparition des maternités de proximité, le manque de places en crèche ou la réduction des structures de soin et d'accompagnement pèsent donc plus lourdement sur elles. Chaque service supprimé accroît leur charge mentale, allonge leurs déplacements et limite leur autonomie économique. Moins de services publics, c'est plus de charge qui leur incombe au prix de leur autonomie économique et de leur santé.
Les coupes budgétaires, comme le recrutement insuffisant de fonctionnaires, laissent craindre d'autres impacts sur les femmes. Car le gel de la revalorisation des aides sociales, des minima sociaux, des revenus concernent majoritairement les femmes, notamment les mères isolées. 94% des familles monoparentalesqui perçoivent le RSA ont des femmes à leur tête. De même, les femmes constituent 61% des allocataires du minimum vieillesse (Aspa), un chiffre qui révèle l'impact de carrières souvent hachées, à temps partiel et avec des salaires plus faibles sur leurs pensions de retraite.
Les femmes touchent aussi plus souvent la prime d'activité que les hommes, car elles sont majoritairement employées à temps partiel. Sa non-revalorisation est un coup dur sur leur budget. Enfin, le doublement des franchises médicales ou les attaques sur l'AME les touchent davantage, car elles sont majoritaires à la tête des familles monoparentales. Chaque euro de plus de frais médicaux est un fardeau supplémentaire qui menace leur équilibre financier.
Être enceinte ne doit pas être un facteur de précarité
Depuis mars 2025, une mesure injuste pénalise les agentes de la fonction publique enceintes : 10% de salaire en moins dès le premier jour d'arrêt maladie ordinaire. Cette disposition est une honte : elle fait payer aux femmes leur état de santé, comme si porter un enfant était une faute. Dans un secteur déjà marqué par les inégalités salariales et la ségrégation professionnelle, cette régression est un scandale. Elle ajoute une violence économique au moment même où les femmes devraient être protégées. Etre enceinte ne doit jamais être un facteur de précarité.
Les associations et les collectivités territorialessont aussi en première ligne dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, mais elles le sont aussi dans les coupes budgétaires. La réduction de leurs dotations implique non seulement un affaiblissement des structures d'aide aux femmes victimes de violences, mais aussi un recul de la prévention et un abandon des associations de terrain, comme le planning familial.
C'est aussi prendre le risque de ruptures sèches dans les parcours d'accompagnement, avec moins de places d'hébergement et un accès aux droits réduit à sa portion congrue. Les femmes victimes de violences risquent de se retrouver isolées, alors même que les besoins explosent. La lutte contre les VSS n'est pas une option : c'est une urgence de santé publique et un enjeu démocratique. La fragiliser par des économies de bout de chandelle, c'est condamner les victimes au silence.
Les réductions budgétaires ne sont pas neutres, elles sont souvent sexistes. Elles touchent plus fortement les femmes : dans leurs droits, dans leur travail, dans leur vie quotidienne. Elles creusent les inégalités et fragilisent la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Nous, responsables d'organisations syndicales et féministes l'affirmons : les baisses de budget sont une violence faite aux femmes. Notre pays a, au contraire, besoin de moyens renforcés pour les services publics, pour les associations, pour les collectivités, afin de garantir les droits, la protection et l'égalité.
Parce que aucune société juste ne peut se construire au détriment des femmes, nous appelons à la mobilisation le 18 septembre : vos prétendues économies, ce sont nos vies.
Signataires : Sophie Binet Secrétaire générale de la CGT, Marylise Léon Secrétaire générale de la CFDT, Caroline Chevé Secrétaire générale de la FSU, Muriel Guilbert et Julie Ferrua Codéléguées de Solidaires, Laurent Escure Secrétaire général de l'Unsa, Sarah Durocher Présidente du Planning familial, Suzy Rojtman Porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), Maïna Cerniawsky Secrétaire générale et porte-parole de l'association Osez le féminisme !, Ana Azaria Présidente Femmes Egalité
https://osezlefeminisme.fr/lausterite-budgetaire-est-sexiste/
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#Metoo syndical : un procès historique contre la parole de femmes syndicalistes
Nous, militantes syndicalistes et féministes, en appelons à votre solidarité et à votre soutien pour notre camarade Christine, qui passe en procès pour diffamation les 16 et 17 octobre 2025 à Paris. Un rassemblement aura lieu le 16 octobre à midi devant le tribunal.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/06/metoo-syndical-un-proces-historique-contre-la-parole-de-femmes-syndicalistes-2/?jetpack_skip_subscription_popup
Appel à la solidarité syndicaliste et féministe
Nous, militantes syndicalistes et féministes, en appelons à votre solidarité et à votre soutien pour notre camarade Christine, qui passe en procès pour diffamation les 16 et 17 octobre à Paris.
En décembre 2016, une syndicaliste CGT Ville de Paris du secteur de la Petite enfance dénonçait une agression physique au sein de la Bourse du travail parisienne par un syndicaliste CGT du secteur du nettoiement.
Ses camarades ont soutenu la victime afin qu'elle puisse retourner militer au sein de la Bourse et pour que ce type de violences machistes, trop courantes, cessent au sein du syndicat.
Elles et ils ont interpellé toutes les instances possibles : l'Union Départementale, la Fédération des Services Publics, la Confédération mais aussi la ville de Paris en tant qu'employeur.
La cellule de veille de la confédération CGT va mener une enquête sur les faits, la première en matière de VSS, qui conclura quelques mois plus tard à la nécessité d'une sanction contre le syndicaliste. Mais celui-ci n'est pas inquiété dans son syndicat.
Pour en savoir plus :
https://www.mediapart.fr/journal/france/270618/violences-et-agissements-sexistes-l-affaire-que-la-cgt-etouffee
Les camarades en lutte vont alors créer un collectif femmes/mixité pour élargir la mobilisation : organisation de formations en interne dans la lutte contre les VSS, interventions à différents congrès de la CGT, montée en compétences dans ce combat au bénéfice des agent.es de la ville victimes dans le cadre de leur travail, etc.
C'est la lecture du bilan des 3 années de ce collectif par l'une des membres, Christine, lors du congrès de l'UD CGT Paris début 2020, qui est à l'origine de ce procès en diffamation cinq ans après.
La Confédération CGT est elle aussi poursuivie en la personne de Philippe Martinez, alors secrétaire général, pour le travail d'enquête mené par la cellule de veille confédérale contre les violences sexuelles.
Ce procès en diffamation est une première dans l'histoire de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au sein d'un syndicat.
Ce procès en diffamation est une démarche patriarcale de musellement de la parole des femmes et de leurs soutiens dans nos structures syndicales. Cette procédure-bâillon vise à punir celles qui ont parlé et exercer une pression telle, que le découragement l'emporte.
Christine ne doit pas être condamnée pour diffamation. Si elle l'était, la possibilité même de dénoncer et de combattre les violences sexuelles, dans les organisations syndicales et partout ailleurs, serait remise en cause.
Si la CGT (au travers de P. Martinez) était condamnée pour le travail de la cellule de veille, ce serait un très mauvais message pour toutes les OS qui tentent de faire sanctionner les militants machistes. L'ensemble des organisations syndicales est en effet confronté aujourd'hui à leur responsabilité pour prévenir, protéger les victimes et sanctionner les violences sexuelles perpétrées en interne (Voir les articles sur CFDT, FO, Solidaires, CFTC :https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/violences-sexuelles-les-syndicats-aussi)
Quel soutien des OS à Christine ?
Christine a été forcée de quitter la CGT, où elle militait depuis vingt ans, suite à cette affaire. Elle est aujourd'hui contrainte de se lancer dans des démarches juridiques coûteuses pour se défendre, alors qu'elle a été avec le collectif Femmes Mixité de l'US CGT Ville de Paris, une lanceuse d'alerte, pour obtenir de son organisation syndicale qu'elle assure la sécurité des syndiquées.
Les faits de violences sexistes commises contre les victimes directes remontent à 2016, soit plus de 8 ans. Chaque nouvelle attaque est une résurgence violente du traumatisme vécu, pour Christine comme pour toutes les victimes. S'attaquer à notre camarade, c'est s'attaquer à toutes les femmes de la CGT, comme de tous les syndicats, qui ont été, sont victimes ou soutiens de victimes de violences sexistes et sexuelles.
Comme nous l'exigeons auprès de nos employeurs, notre camarade devrait bénéficier d'une prise en charge globale et solidaire de tous les frais afférents à cette attaque en justice. La camarade ne doit pas, comme cela s'est déjà passé à FO récemment, payer les préjudices financiers et humains de violences qui n'auraient jamais dû exister.
(cf article AVFT :https://www.avft.org/2024/04/30/lettre-ouverte-a-la-confederation-force-ouvriere/).
Le procès se tiendra au Tribunal correctionnel de Paris – Parvis du tribunal, 75017 Paris – les 16 et 17 octobre à 14h. Nous appelons à un rassemblement à 12h devant le tribunal le 16 octobre.
Pour assurer une présence solidaire, nous appelons les OS à consacrer des moyens syndicaux pour participer à ce procès historique et formateur pour nos luttes. Toutes les organisations syndicales, avec en tête la CGT dont elle était membre, doivent la soutenir.
Exprimons notre soutien syndicalo-féministe à notre camarade et notre détermination à combattre les violences sexistes et sexuelles dans nos organisations, en nous retrouvant sur place. Rejoignez- ous pour en savoir plus : resyfem@riseup.net
Résyfem, un réseau de militantes de la Cgt, de la Fsu, de Solidaires, de Fo, du syndicat de la magistrature, du syndicat des avocats de France.
Paris, le 02 octobre 2025
https://blogs.mediapart.fr/resyfem/blog/031025/metoo-syndical-un-proces-historique-contre-la-parole-de-femmes-syndicalistes
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Madagascar : la mobilisation ébranle le régime
Luffy héros de Manga « One Piece » et symbole des luttes de la Génération Z a changé de couvre-chef. Du chapeau de paille orné d'un ruban rouge il est désormais en raphia multicolore, la coiffe du sud de Madagascar, et accompagne sur les pancartes les manifestations de la jeunesse.
Le 24 septembre lors de l'assemblée générale des Nations-Unis, Andry Rajoelina le président de la grande île déclarait : « il n'y a pas de développement sans une énergie fiable, accessible et abordable. » et poursuivait : « En seulement 6 ans, le taux d'accès à l'électricité dans mon pays est passé de 24 % à 40 %. ». Comme une réponse à ce satisfecit indu, le lendemain la jeunesse entamait les premières manifestations contre les coupures incessantes d'électricité et d'eau.
Miala Rajoelina ! (Rajoelina dégage)
Un problème certes récurrent mais qui s'aggrave. Ces difficultés proviennent d'un manque d'investissement et de maintenance des réseaux de la Jirama la société en charge de la distribution. Mais elles viennent aussi des détournements de fonds dont un des principaux responsables est Mamy Ravatomanga, deuxième fortune du pays et éminence grise du président.
Les manifestants ne s'y sont pas trompés. Très rapidement les revendications ont évolué pour exiger la démission de Rajoelina mais aussi la dissolution du Sénat, de la haute Cour constitutionnelle et de la commission électorale, des institutions synonymes de corruption des élites.
Rajoelina a bien tenté de désamorcer la crise mais à chaque fois trop tard et trop peu. Il a limogé le ministre de l'énergie, puis s'est résolu à congédier son gouvernement et surtout le premier ministre Christian Ntsay. Une pièce maitresse du dispositif politique du clan du président. Même sa prestation télévisée annonçant cette révocation a tourné au ridicule lorsqu'il s'est adressé aux jeunes leur enjoignant d'envoyer leur CV pour la mise en place du nouveau gouvernement.
La mobilisation s'élargie
La lutte au fil du temps s'étend à travers le pays, touchant les principales villes. La volonté des jeunes de la génération Z d'élargir le mouvement s'est concrétisée. Les dirigeants politiques des partis d'opposition notamment les anciens présidents Ravalomanana et Rajaonarimampianina ont timidement apporté leur soutien. D'eux il n'y a rien à attendre au vu de leur passif de pillage des ressources du pays. Les organisations de la société civile se sont fortement mobilisées contre la répression des manifestants pourtant pacifiques, la police laissant par contre les gangs piller les commerces. Une stratégie du chaos qui visait à rallier au moins une partie de la population, en vain.
Le fait nouveau est la mobilisation des travailleurs. Quelques jours après les premières manifestations, les salariés de la Jirama se sont mis en grève, rejoints par le syndicat des enseignant le SEMPAMA. Enfin Herizo Ramanambola leader de la Solidarité Syndicale Malgache a appelé à la grève générale exigeant lui aussi la démission du président.
Rajoelina, pour occulter ses seize années de pouvoir catastrophique dénonce désormais un complot ourdi par des « puissances étrangère ou des agences à la technologie avancée » manipulant grâce aux algorithmes la jeunesse. Bref « des forces des ténèbres » qui poussent les jeunes dans la rue.
A moins que cela soit les posts sur les réseaux sociaux des rejetons des élites malgaches qui exhibent leur vie dorée permise par une richesse spoliée d'un pays où les trois quarts de la population vivent en deçà du seuil de pauvreté.
Paul Martial
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Maroc - Génération Z en colère : quand la répression remplace l’écoute, la rue s’enflamme !
La gestion sécuritaire des manifestations du week-end dernier a révélé un fossé grandissant entre les autorités et la jeunesse marocaine. Plutôt que d'étouffer la colère, la répression l'a exacerbée, mettant en lumière les limites d'une approche autoritaire face à une génération connectée et consciente de ses droits.
Réagir à la colère par le mépris, c'est nourrir le ressentiment. Les événements du dernier week-end au Maroc en sont une illustration éclatante. Ce qui devait être des manifestations pacifiques, menées principalement par des milliers de jeunes de la génération Z, s'est transformé en scènes de violence essentiellement à cause de la manière dont ils ont été gérés.
Au lieu d'encadrer ces manifestations pour en canaliser l'énergie, les forces de l'ordre ont choisi la voie de la répression. Des arrestations ont été ordonnées alors que, selon des milliers de vidéos relayées en ligne, aucune justification ne semblait valable. Ce choix stratégique s'est avéré contre-productif : il a provoqué les débordements que l'on prétendait éviter.
D'après le journal Le Monde "un jeune homme a été grièvement blessé, à Oujda, dans l'est du pays, après avoir été renversé par un fourgon des forces de l'ordre. Diffusée sur les réseaux sociaux, une vidéo virale montre l'estafette bleue filer à toute allure, gyrophares allumés, sur une place de la ville, avant de percuter de plein fouet un manifestant, de lui rouler dessus et de poursuivre sa route"
Lorsqu'une colère est légitime, elle doit pouvoir s'exprimer librement, être écoutée et recevoir des réponses à la hauteur des attentes qu'elle porte. Cette même jeunesse avait déjà pris part, à plusieurs reprises, aux mobilisations contre le génocide à Gaza, sans faire l'objet de répression. Pourquoi, alors, une telle fermeté aujourd'hui ? Sans doute parce que cette fois, leur cri ne vise pas l'extérieur : il renvoie à des responsabilités internes, dérangeant des consciences impliquées dans la corruption, la dégradation des services publics et la flambée du coût de la vie.
En ordonnant des arrestations arbitraires, les autorités ont donné l'impression de sous-estimer, voire de mépriser, cette génération. Comme si l'on pouvait encore gérer les mouvements sociaux avec les réflexes d'une autre époque. Or, le Maroc de 2025 n'est plus celui des années de plomb.
Ce n'est que le mardi suivant, deux jours après les manifestations, que la majorité gouvernementale a publié un communiqué promettant aux jeunes écoute et réformes. Dans le même texte, elle saluait la « gestion équilibrée » des forces de l'ordre et insistait sur le respect des procédures légales. Un discours officiel décalé par rapport à la réalité vécue sur le terrain, renforçant le sentiment d'injustice et de déconnexion.
Reconnaître une erreur n'est pas une faiblesse politique ; c'est souvent le point de départ d'une reconquête de la confiance citoyenne.
L'histoire juridique marocaine rappelle pourtant l'importance des libertés publiques. Dès 1958, avant même la Constitution de 1962, le Dahir du 15 novembre avait établi un cadre libéral pour la presse, les associations et les rassemblements publics, reposant sur un simple régime déclaratif.
Fermer la porte à la liberté de manifester, c'est bloquer la voie de l'émancipation et de la modernisation démocratique.
Certains Marocains, notamment de la diaspora, ont appelé les jeunes au calme. Oui, c'est nécessaire de retrouver le calme en toute urgence. Les jeunes doivent traduire leur colère en discours politique. Par ailleurs, les responsables de cette répression doivent reconnaître leur erreur. Un simple communiqué ne peut apaiser une colère profondément ancrée. Des gestes politiques forts sont nécessaires : libérations rapides de certains détenus d'opinion, ouverture d'un dialogue sincère avec la jeunesse, démission de certains ministres qui ont échoué dans leur mission.
Le Maroc est une nation riche et fière de sa grande histoire. Mais cette histoire s'écrit aussi avec ses citoyens d'aujourd'hui. Ces jeunes manifestants représentent le Maroc contemporain et celui de demain. Ils méritent respect et considération. Leur mobilisation, annoncée pacifique, a été dénaturée par des arrestations injustifiées qui ont rallumé une colère longtemps contenue.
Loin d'être une menace, la colère de la génération Z est un signal d'alerte, une opportunité pour les gouvernants de repenser leur rapport au citoyen. Cette génération constitue, de fait, le meilleur contre-pouvoir démocratique dont le Maroc a besoin pour avancer.
Et qu'on ne vienne pas évoquer une main étrangère derrière cette manifestation populaire. Ce serait une insulte à l'intelligence des Marocains. Les véritables causes sont internes : une gouvernance à bout de souffle et une élite politique sourde aux aspirations populaires.
Dans un pays où la démocratie est encore en construction, empêcher le peuple d'y participer, c'est attaquer le cœur même de cette construction. Il est temps que ceux qui prétendent gouverner se souviennent : ce n'est pas au peuple de craindre l'État, mais à l'État de respecter le peuple et sa Constitution.
Je rappelle aussi que c'est le mouvement du 20 février, inspiré des révoltes du Printemps arabe, qui a amené le roi Mohammed VI à proposer une réforme constitutionnelle. Elle a été soumise au vote populaire. 98,49% des marocains ont voté en faveur de la nouvelle constitution qui réaffirmait, notamment, leur droit à manifester.
Ne pas respecter la constitution revient à ne pas respecter ni le peuple, ni le roi !
Mohamed Lotfi
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La Russie « partenaire stratégique » des élections en Centrafrique !
À l'approche des élections générales du 28 décembre 2025, la République centrafricaine se retrouve dans une situation critique. Avec un déficit budgétaire de près de 4 milliards de francs CFA (environ 6 millions d'euros), le pays peine à mobiliser les ressources nécessaires pour organiser les scrutins prévus (présidentiel, législatif et municipal). Face à cette impasse, la Russie s'est proposée comme partenaire stratégique. Quels sont les enjeux de cette offre qui pourrait compromettre la crédibilité du processus électoral ?
Rédaction de Mondafrique
18 septembre 2025
Par Par Barthélémy Kolapo
Le budget total requis pour les élections est estimé à 9 milliards de francs CFA (≈ 13,7 millions d'euros). À ce jour, seuls 5 milliards ont été mobilisés, entraînant déjà le report des élections locales. Ce manque de financement met en péril l'ensemble du calendrier électoral, dans un pays où les institutions démocratiques restent fragiles. Le 19 août, l'ambassadeur russe à Bangui Alexandre Bikantov a confirmé la volonté de Moscou d'apporter un soutien logistique et matériel. Ce soutien pourrait inclure l'acheminement d'équipements électoraux, la formation d'agents, et un appui technique à l'Autorité nationale des élections (ANE). Mais aucun détail n'a été fourni sur les montants ou les modalités de financement, ce qui suscite des interrogations sur la transparence de cette coopération.
Les risques sont multiples et pourraient entacher la légitimité du scrutin. L'implication russe pourrait refroidir les bailleurs traditionnels qui vont certainement exiger des garanties de neutralité. Par ailleurs, les sanctions occidentales contre la Russie compliquent les transferts financiers. Si Moscou a recours à des circuits non officiels, la RCA pourrait être exposée à des sanctions secondaires ou à une suspension de l'aide multilatérale. Malgré sa présence sécuritaire via Wagner ou ses successeurs, la Russie ne dispose pas d'une infrastructure électorale éprouvée en RCA. Le soutien proposé reste flou et ne répondra probablement pas aux standards internationaux. Les observateurs internationaux pourraient remettre en question la légitimité du scrutin, affectant la reconnaissance des résultats et la stabilité post-électorale.
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Le cas de Betty Lachgar soulève des questions pour nous tous et toutes
Aujourd'hui, 30 septembre, je célébrerai la Journée internationale du blasphème, au cours de laquelle je manifesterai ma solidarité avec les dissidents·e et les militant·es du monde entier pour contester les lois oppressives, défendre la liberté d'expression, la liberté de conscience et de croyance, ainsi que la liberté de ne pas croire sans crainte de violence, d'arrestation ou de persécution.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Je le fais en tant que musulmane et militante des droits humains. Aujourd'hui, je me souviens de tous ceux et toutes celles qui ont perdu la vie, ont été condamné·es à mort et croupissent en prison à cause des lois sur le blasphème. Ces lois privilégient les orthodoxies religieuses dominantes en limitant la liberté d'expression et la dissidence, qui encouragent les réformes et l'évolution vers les principes des droits humains.
Je ne me souviens pas d'une époque où les limites de la liberté d'expression et de la liberté/du droit de manifester aient fait l'objet d'un tel débat public et politique. De la violence politique aux États-Unis contre les républicains et les démocrates, au meurtre de Charlie Kirk, à l'interdiction de Palestine Action en tant que groupe terroriste au Royaume-Uni et aux arrestations qui ont suivi de celles et ceux qui le soutiennent, en passant par les revendications de celles et ceux qui ont défilé dans les rues de Londres le 13 septembre, affirmant que la liberté d'expression est menacée au Royaume-Uni. Il ne se passe pas un jour sans qu'il y ait des commentaires sur la liberté d'expression ou son absence. Dans le même temps, il semble y avoir une réaction hostile à l'égard du régime international des droits des êtres humains dans de nombreuses régions du monde, et il est devenu extrêmement difficile, voire souvent dangereux, de défendre ses droits ou ceux d'autrui. On constate une augmentation du nombre de représailles contre les défenseur·es des droits des êtres humains et des appels à un recul de la législation en matière de droits des êtres humains dans des pays comme le Royaume-Uni.
Au milieu de tout cela, il y a le cas de Betty Lachgar, qui touche au cœur même du débat sur la liberté d'expression et la liberté de conscience, mais qui a reçu beaucoup moins d'attention que moi-même et d'autres pensons qu'il mérite. Betty a été arrêtée et emprisonnée au Maroc pour avoir porté un t-shirt portant le slogan « Allah est lesbienne ». Selon la sœur de Betty, Siham Lachgar, Betty s'est inspirée de la citation suivante pour créer ce slogan : « J'ai vu Dieu. Elle est noire, communiste et lesbienne », attribuée à la féministe française Anne-Marie Fauret.
Ibtissame Lachgar, que nous connaissons sous le nom de Betty, est une féministe marocaine de premier plan, militante des droits humains et défenseure des droits des personnes LGBT. Betty se définit comme athée et considère la religion comme « patriarcale et misogyne ». Elle a fondé en 2009 le Mouvement alternatif pour la défense des libertés individuelles, qui prône un « féminisme universaliste et laïc ». Son organisation revendique l'égalité des droits pour les femmes et les communautés LGBT, et milite pour la dépénalisation de l'avortement, des relations homosexuelles et des relations sexuelles hors mariage, qui restent interdites ou strictement réglementées au Maroc. Betty est une femme incroyablement courageuse et audacieuse, que je suis reconnaissante d'avoir rencontrée et avec laquelle j'ai pu partager une tribune.
La photo de Betty portant ce t-shirt a été publiée sur ses réseaux sociaux en 2022 en réaction à la condamnation et à la peine de mort prononcées à l'encontre de deux militant·es LGBT+ en Iran. Ce n'était pas la première fois que Betty était vue portant ce t-shirt. En 2021, elle l'avait porté lors d'une interview diffusée sur la chaîne de télévision française LCI. Depuis, elle a été photographiée à plusieurs reprises avec ce t-shirt afin de promouvoir ses campagnes en faveur des droits des femmes et des personnes LGBT. Selon sa famille, Betty n'a jamais porté ce t-shirt au Maroc, où les relations entre personnes du même sexe sont illégales.
En 2022, le t-shirt n'avait pas suscité d'inquiétudes auprès des autorités marocaines. Cependant, lorsqu'il a été diffusé par un inconnu et largement partagé sur les réseaux sociaux en juillet dernier, il était accompagné d'un message appelant à l'arrestation de Betty. La foule des réseaux sociaux, tellement offensée par le t-shirt de Betty, a attiré l'attention des autorités marocaines qui ont arrêté et emprisonné Betty le 10 août alors qu'elle séjournait à Rabat. Le 3 septembre, Betty a été condamnée à 30 mois de prison en vertu de l'article 267-5 du Code pénal marocain qui punit toute personne qui offense l'islam. L'emprisonnement de Betty est, à mon avis, inhumain et injuste, notamment en raison de son état de santé défaillant.
Le cas de Betty est choquant et soulève d'importantes questions sur l'application des lois sur le blasphème et les limites de la juridiction des pays qui ont encore ces lois horribles et dépassées dans leurs codes. Betty ne portait même pas le t-shirt au Maroc et, pendant plusieurs années, le fait qu'elle le porte n'a pas inquiété les autorités marocaines. Et pourtant, il semble qu'à la suite d'une publication anonyme sur les réseaux sociaux et d'une foule en colère, Betty ait été arrêtée, emprisonnée et condamnée par un tribunal marocain pour une « infraction » commise en dehors des frontières et de la juridiction du Maroc. Que signifie cette affaire pour celles et ceux d'entre nous qui protestent contre le traitement réservé aux femmes, aux communautés LGBT+ et aux minorités dans les pays où les lois sur le blasphème sont toujours en vigueur ? Pouvons-nous nous aussi être arrêté·es et emprisonné·es si nous voyageons dans ces pays ? Les lois sur le blasphème n'ont-elles donc aucune limite ? Pourquoi la communauté internationale reste-t-elle silencieuse sur le cas de Betty et d'autres personnes ?
Le cas de Betty soulève des questions sur le droit à la liberté d'expression et à la liberté de religion ou de croyance. Ce droit fondamental de détenir et d'exprimer des opinions, de recevoir et de communiquer des informations et des idées sans censure ni ingérence de l'État est protégé par le droit international, notamment la Déclaration universelle des droits des êtres humains (DUDH), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la loi sur les droits des êtres humains. Rejeter le contrôle religieux est un acte de résistance, tout comme rejeter toutes les formes d'abus, de discrimination, d'oppression et de persécution. La liberté de religion et la liberté de ne pas adhérer à une religion sont protégées par les lois internationales relatives aux droits des êtres humains notamment la DUDH et l'article 9 de la Convention européenne des droits des êtres humains.
Je sais que je vais recevoir des commentaires et des condamnations de toutes parts pour mon soutien à Betty et à la campagne visant à la libérer, ainsi que pour avoir appelé à la fin des lois sur le blasphème partout dans le monde. En tant que femme musulmane et femme de couleur, mon engagement dans la lutte pour la liberté, la justice et l'égalité a été façonné et renforcé par ma foi. De plus, je ne peux en toute conscience appeler à la fin de la misogynie, du racisme et de la haine anti-musulmane et rester silencieuse face à d'autres formes de discrimination, d'oppression et de persécution. #FreeBetty
Yasmin Rehman
Je suis féministe, militante des droits humains et chercheuse. Je travaille depuis plus de 30 ans principalement sur les questions de violence à l'égard des femmes et des filles, de race, de religion et de genre, ainsi que sur les droits humains.
https://yasminrehman.substack.com/p/the-case-of-betty-lachgar-raises
traduit par DE
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France : Après Lecornu, imposons par nos luttes un gouvernement populaire de rupture !
Trois petits tours et puis s'en vont. A peine arrivé, voilà le gouvernement Lecornu déjà reparti. Près d'un mois après sa nomination, Sébastien Lecornu avait dévoilé un gouvernement fait de revenantEs et de morts-vivants : Darmanin, Retailleau, Dati, et même Le Maire… 12 heures plus tard, Lecornu a donc posé sa démission : il signe le mandat le plus court de premier ministre de la Vème république, symbole d'une crise politique qui s'approfondit et s'accélère.
6 octobre 2025 | L'Anticapitaliste | Photo : © Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas
https://inprecor.fr/france-apres-lecornu-imposons-par-nos-luttes-un-gouvernement-populaire-de-rupture
Macron incarne un pouvoir illégitime, moribond, faible et détesté. A chaque jour qui passe, la crise de régime s'approfondit. Macron est incapable aujourd'hui de trouver un gouvernement qui puisse durer plus de quelques jours. Dans ce contexte, il devra pousser toujours plus loin ses alliances vers la droite, jusqu'à amener le RN au pouvoir. Qu'il le fasse en nommant un premier ministre RN ou en dissolvant l'assemblée nationale, sa seule feuille de route est de poursuivre la politique de l'offre au service des plus riches et du patronat. Le RN mènera des politiques violemment anti-migrantes, racistes et liberticides en plus d'être ouvertement favorables aux classes dominantes, Le Pen et Bardella ont depuis longtemps donné tous les gages au patronat et au Medef.
Alors que Macron s'était présenté en 2017 comme le prétendu rempart face à l'extrême-droite, il lui aura ouvert la voie durant ses deux mandats. Sa responsabilité est totalement engagée dans la crise que nous vivons. Il ne lui reste plus qu'une chose à faire : partir !
Demain ou dans quelques jours, le RN et derrière lui toutes les forces les plus réactionnaires, autoritaires et racistes de ce pays peuvent prendre le pouvoir (comme elles l'ont déjà déjà fait aux USA, en Russie ou encore en Israël). Face à cette perspective sinistre, le NPA-l'Anticapitaliste appelle l'ensemble de la gauche sociale et politique à discuter et à se retrouver d'urgence pour préparer la victoire de notre camp et faire barrage à l'extrême droite. En premier lieu, il faut renforcer les mobilisations qui vont venir après celles, réussies, du 10 et 18 septembre. Organisations politiques, forces syndicales, associations, « Bloquons tout », nous devons marcher ensemble autour d'un programme qui est majoritaire dans la population : le programme issu de celui du NFP et les revendications que l'intersyndicale avait portées pour le 18 septembre constituent une base pour un gouvernement populaire de rupture.
Dans l'unité la plus large, les travailleurs et travailleuses et la jeunesse doivent reprendre l'offensive et imposer par leurs mobilisations une véritable rupture sociale, démocratique et environnementale.. Nos mots d'ordre pour en finir avec Macron et la 5eme République : unité des forces de gauches sociales et politiques, grève générale, gouvernement des travailleurs et constituante ! Tout doit être mis en œuvre afin que ces revendications majoritaires dans la population puissent être réalisées au plus vite : un véritable partage des richesses, la taxation des riches, l'interdiction des licenciements, la retraite à 60 ans, le développement des services publics et des gratuités, la hausse des salaires, des pensions et de tous les minimas sociaux ! Reprenons la rue toutes et tous ensemble !
Publié le 6 octobre 2025 par le NPA-L'Anticapitaliste
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La construction d’une gauche antilibérale au Portugal est difficile mais nécessaire
Le Portugal connaît un important mouvement vers la droite, visible notamment dans le résultat des dernières élections législatives. Ces difficultés sont provoquées par les effets de la crise mondiale sur le pays.
30 septembre 2025 | tiré d'Inprecor | Photo : Meeting du Bloc le 14 mai 2025 à Braga.
https://inprecor.fr/la-construction-dune-gauche-antiliberale-au-portugal-est-difficile-mais-necessaire
Comment analyses-tu le résultat des dernières élections ?
Le changement le plus important survenu le 18 mai est la progression du parti Chega 1, qui devient le deuxième parti du pays avec 60 député·es, soit deux de plus que le Parti socialiste. Dans la nouvelle composition parlementaire, aucun des trois plus grands partis (droite : PSD+CDS, 31 % ; extrême droite : CH, 23 % ; Parti socialiste, 23 %) n'est en condition de former une majorité en s'alliant avec des petits partis. La durée de vie du gouvernement de droite dépendra donc du soutien des principales lois – à commencer par le budget de l'État – par le CH ou le PS. Aucun accord post-électoral n'a été conclu pour l'instant.
Contrairement à ce qui se passait jusqu'en mai, la possibilité d'accords parlementaires avec le CH est désormais ouvertement admise par le PSD. Le cadre parlementaire devient ainsi très perméable aux conflits et tensions sociales, y compris ceux créés autour des « perceptions » pour insuffler le discours de haine sur la sécurité et l'immigration.
D'autre part, les député·es à droite du PS représentent pour la première fois plus des deux tiers des élu·es, seuil nécessaire pour modifier la Constitution. Cela introduit un risque réel de modification régressive du régime constitutionnel, une vieille ambition de la droite. Les ultralibéraux de l'Initiative libérale (IL) (5 %) et le CH ont déjà annoncé leur soutien à cette éventuelle révision.
Le Bloco de Esquerda [Bloc de Gauche] obtient le pire résultat électoral de son histoire (2 %) et n'a plus qu'une seule députée (la coordinatrice du parti, Mariana Mortágua), derrière Livre [Verts européens] (4 %) et le PCP [Parti communiste] (3 %). Rappelons qu'entre 2015 et 2022, le Bloco obtenait 10 % des votes et 19 député·es élué·es, devenant le parti le plus important d'un champ politique qui totalisait 20 % des voix : le Bloco, le PCP, le Livre 2 et le PAN (animalistes). Aujourd'hui, l'ensemble de ces partis n'obtient que la moitié des votes alors récoltés, et un tiers des députés.
Que révèle la montée de l'extrême droite, qui est la grande nouveauté, dans le contexte et l'histoire du Portugal ?
Le résultat de l'extrême droite démontre sa capacité à conserver le vote des abstentionnistes qu'elle avait récupéré en 2024, et de l'augmenter sur tout le territoire, en particulier dans les zones les plus défavorisées socialement, en province et dans les anciennes ceintures industrielles. Le CH devient le premier parti dans les districts au sud du Tage (Setúbal, Portalegre, Beja, Faro – qui étaient autrefois des bastions du PCP et du PS). Le CH est en position de postuler au gouvernement. Cette nouvelle situation se traduira par une dégradation générale des conditions d'exercice de la démocratie, tant au parlement – où le CH mène depuis plusieurs années une stratégie d'épuisement des conditions de débat et d'expression – que dans la société, avec la banalisation de la violence raciste et fasciste.
L'occupation du centre du débat politique par le thème de l'immigration a été un facteur important dans la défaite de la gauche. Le Portugal a subi l'une des transformations les plus profondes de sa composition sociale et du profil de la classe ouvrière. En quelques années, le nombre de travailleurs étrangers a été multiplié par dix et représente aujourd'hui environ un tiers de la population active. Une partie importante de cette nouvelle classe ouvrière ne vient pas des pays lusophones. Le discours de l'extrême droite a été renforcé par la faillite des services d'accueil et de régularisation et par la réduction des investissements dans des réponses globales en matière de logement, de services publics et d'accès à la langue. Le gouvernement a utilisé sa propre version de la rhétorique sécuritaire et xénophobe pour justifier la nouvelle législation anti-immigré·es, aidé en cela par le recul du PS sur cette question. Ce discours a été popularisé par le sensationnalisme de certains médias et surtout par la manipulation des masses à travers les réseaux sociaux. Dans les faits, l'extrême droite a réussi à faire de l'immigration l'explication la plus acceptée des difficultés de la vie de la population.
L'action antiraciste et antifasciste, la création d'espaces communs et unitaires, l'expression d'un programme de transformation sociale dans les territoires populaires où s'enracinent aujourd'hui l'autoritarisme et le discours de haine continuent de jouer un rôle central. Il est crucial de trouver des moyens d'ouvrir les syndicats aux travailleurs étrangers, de créer des mécanismes d'inclusion, d'empêcher l'exploitation des différences pour promouvoir le ressentiment social et la division de la classe ouvrière.
Comment vois-tu la suite concernant les discussions au sein de la classe dominante et les possibilités de développement de cette extrême droite ?
Montenegro 3 voit dans l'actuel rapport de forces parlementaire l'occasion de relancer, avec le soutien du CH et de l'IL, une contre-réforme du travail – laissée en suspens avec la chute du gouvernement de la troïka 4 (gouvernement dirigé par Passos Coelho jusqu'en 2015) – et ainsi supprimer le peu de protection qu'il reste aux travailleur·ses et introduire des restrictions au droit de grève et une déréglementation des horaires. Il s'agit d'une guerre contre le travail et l'organisation collective des travailleur·ses.
Après une première année de gouvernement interrompue par les élections, la droite tient des discours et légifère pour concurrencer CH sur son terrain, celui de la xénophobie, et semble vouloir approfondir sa radicalisation à droite – dans son discours, dans la structure gouvernementale, dans la composition du gouvernement, dans son programme (en grande partie occulté pendant la campagne électorale par l'AD : révision des lois du travail et du droit de grève, anticipation de l'objectif des dépenses de défense, législation anti-immigré·es. Au point que le nouveau leader du PS, José Luís Carneiro, remet en question la disponibilité, initialement annoncée par les socialistes.
Dans ses hésitations, le centre politique portugais suit le modèle européen dans sa décomposition : capitulation libérale, aggravation des inégalités et du ressentiment social, adhésion au sens commun xénophobe et sécuritaire qui confirme les thèses de l'extrême droite. Les partis à gauche du PS doivent reconnaître le changement historique que représente la position actuelle du CH et empêcher que la lutte politique se résume à la dialectique entre le néofascisme ascendant et le centre libéral en crise.
Le résultat est difficile pour le Bloco, comment analyses-tu ce recul, alors que le PS recule moins ?
Entre 2015 et 2022, le Bloco a été le plus grand parti d'un espace politique qui a totalisé 20 % des voix. En tenant compte de cette diversité, il a soutenu des propositions et mis en avant des alternatives de progrès social et de justice climatique, ayant le potentiel de s'affirmer comme un champ politique autonome. Quatre ans après les accords de la « geringonça » , ces partis se maintenaient à 20 %, bénéficiant de leur capacité à garantir, entre 2015 et 2019, une stabilité politique fondée sur une redistribution (modeste mais réelle) des richesses : annulation des coupes budgétaires et des impôts, augmentation du salaire minimum, titres de transport, manuels scolaires, fin des frais d'accès à la santé. Au cours de cette période, le PS a réalisé de graves attaques contre les services publics, mais le plan libéral de Passos Coelho (à commencer par la privatisation de la sécurité sociale) a été bloqué par la solidité de la gauche. Une vengeance politique et de classe restait alors à accomplir.
Quand le contexte international (Covid, inflation, guerre) a aggravé la pression sur les salaires, le logement et les services publics (en particulier la santé) – et malgré un certain allègement de la pression de l'UE et la minorité de la droite –, le PS a refusé toute réforme, préférant provoquer des élections pour se débarrasser de la pression des partis à sa gauche, dont il dépendait au parlement. Sans action coordonnée pour rejeter les budgets de stagnation, les partis à gauche du PS sont devenus plus vulnérables à la tactique hostile du Premier ministre de l'époque, António Costa, qui leur a imputé la responsabilité de la crise politique. Ils ont perdu une partie de leur représentation en 2022, lorsque le PS a obtenu une majorité absolue éphémère, puis à nouveau en 2024, après que celle-ci a implosé dans un nuage de corruption.
Dans ce nouveau contexte politique, le Bloco a revu son modèle de campagne électorale. Nous n'avons pas abandonné les combats programmatiques qui font l'identité du Bloc, tels que les services publics, l'égalité, le rejet de la xénophobie, l'opposition au militarisme, mais nous nous sommes concentrés sur quelques thèmes marquants : le plafonnement des loyers, les droits des ouvrier·es et l'impôt sur la fortune. C'est également ainsi que nous avons évité une discussion stérile sur la gouvernabilité, en mettant en avant les mesures qui permettraient de changer la vie d'une partie importante de la population et que notre représentation parlementaire défendrait en toutes circonstances. Cette politique a porté ses fruits : la question du plafonnement des loyers a occupé une place importante dans le débat politique, a obligé tous nos adversaires à se prononcer, a été renforcée par les nouvelles de plus en plus alarmantes sur la crise du logement et a été identifiée par une partie de la population comme une réponse valable. Elle restera l'un des combats les plus importants pour la vie de notre peuple. Cependant, aucun d'entre eux n'a favorisé une relance électorale.
Notre campagne a favorisé les initiatives décentralisées de contact direct, avec du porte-à-porte. Nous avons visité plus de vingt mille foyers et lancé une forme d'action politique qui sera fondamentale à l'avenir. Nous l'avons fait de manière variée dans le pays, en mobilisant des jeunes militant·es, des adhérents récents et d'autres plus anciens, qui ont pu constater qu'ils pouvaient intervenir directement et non pas en tant que spectateur·rices de la campagne électorale. Pour la même raison, nous avons remplacé les traditionnels rassemblements par des « discussions de café », ouvertes au dialogue avec tout le monde, et par des fêtes et des sessions publiques créatives et animées.
Le Bloco ne cessera pas de se battre pour ce que nous avons défendu dans ces élections : une politique populaire du logement, les droits des ouvrier·es, la lutte contre les inégalités et pour la qualité et la garantie des services publics, contre les menaces fascistes et pour l'unité dans la défense de la vie démocratique et des règles constitutionnelles qui la protègent.
Est-ce que cela remet en cause l'orientation politique et l'utilité du Bloco ? Ou est-ce qu'au contraire cela confirme la nécessité d'une telle organisation dans le recul politique que l'on vit à l'échelle mondiale ?
Dans cette nouvelle phase, la convergence à gauche du PS est une condition sine qua non pour remporter la victoire démocratique face à la droite radicalisée. Isolées, aucune des forces de gauche ne sera suffisante pour faire face à cette montée des droites. Toutes les forces politiques, les militant·es sociaux et syndicaux de ce champ politique sont appelés à constituer un camp qui soit une référence transformatrice, en opposition à la gouvernance de droite soutenue par le centre, incarné par le PS.
Ce chemin de rapprochement et de convergence est difficile, mais c'est celui du Bloco. Il doit se trouver une expression électorale et doit construire des espaces et une expérience sociale communs, sans abandonner aucun drapeau – des luttes syndicales au mouvement étudiant, du féminisme aux droits LGBTQI+, de la fraternité avec les immigré·es à l'antimilitarisme.
Il est certain qu'il existe de fortes différences dans ce domaine : le Livre s'aligne sur un européisme sans critique et de fortes ambiguïtés sur les questions d'armement. Du côté du PCP, aux erreurs de lecture résultant d'un « campisme » effréné s'ajoute le sectarisme qui se renforce au rythme du recul de l'influence du parti. Le mouvement syndical en paie le prix fort, avec l'atrophie sectaire des syndicats de la CGTP, déjà menacés par la dérive vers la droite de la société. Cependant, il existe des expériences récentes de mobilisations effectivement unitaires qui ouvrent des perspectives : dans les banlieues de la capitale, dans les luttes pour le droit au logement, contre le racisme et en réponse aux violences policières et des bandes fascistes. Dans le feu de ces luttes et dans l'ouverture de ces espaces, des solidarités doivent se forger qui révèlent les contours d'une alternative transformatrice capable d'affronter et de vaincre les expressions de haine qui se mobilisent. Le rôle du Bloc de gauche est irremplaçable dans tous ces débats et processus de lutte.
Comment vois-tu la rentrée sociale et politique au Portugal ?
Comme dans de nombreux pays, l'opinion publique est sensible au génocide en cours à Gaza. La participation de la députée du Bloco, Mariana Mortágua, à l'initiative de la Flottille pour Gaza témoigne de notre engagement envers la cause palestinienne et fait écho à un sentiment de solidarité qui se répand dans le pays.
Parallèlement, au niveau syndical, un débat important aura lieu sur la réponse à apporter au paquet de mesures gouvernementales en matière d'emploi qui, en plus d'annuler toutes les petites avancées obtenues sous les gouvernements PS, prévoit de nouvelles attaques. La nécessité d'une action convergente entre les centrales syndicales communiste et socialiste (CGTP et UGT, respectivement) fait l'objet d'un débat en cours en vue de la convocation d'une grève générale. Dans le même temps, la défaite du gouvernement devant le Tribunal constitutionnel sur des aspects essentiels de sa loi anti-immigration (par exemple, les obstacles au regroupement familial) a donné un nouvel élan aux mouvements d'immigrant·es pour des mobilisations en septembre, qu'il importe de relier aux luttes syndicales.
Sur le plan électoral, la rentrée est marquée par les élections municipales du 12 octobre, lors desquelles l'extrême droite ambitionne de conquérir plusieurs mairies, dont certaines des plus grandes du pays (Sintra, près de Lisbonne, par exemple). Le Parti communiste aura beaucoup de mal à conserver les quelques exécutifs qu'il gouverne encore, mais il a refusé tout dialogue avec les partis de gauche. Le Bloco se présente aux élections municipales dans plusieurs communes, y compris dans le cadre de coalitions avec Livre dans plus d'une vingtaine de grandes communes. À Lisbonne et à Ponta Delgada (capitale de la région des Açores), le Bloco participe à des coalitions élargies au Parti socialiste pour faire échec aux maires de droite.
En janvier 2026, l'élection présidentielle aura lieu. Le président est une figure secondaire du régime constitutionnel, avec une intervention limitée dans le processus législatif, bien qu'il ait le pouvoir de dissoudre le parlement. À droite comme à gauche, le scénario est celui d'une fragmentation politique, chaque parti cherchant à avoir son propre candidat, ce qui rend l'issue future peu prévisible. Il est probable que l'ancienne coordinatrice du Bloco, Catarina Martins, sera la candidate soutenue par le Bloco.
Le 3 septembre 2025
Le Bloco tiendra son prochain congrès en novembre. Il y poursuivra la discussion sur la situation, le bilan des élections et son orientation.
Jorge Costa a commencé à militer au Parti socialiste révolutionnaire (PSR, section portugaise de la IVe Internationale) en 1991, à l'âge de 15 ans, en participant au mouvement de protestation contre la première guerre du Golfe, puis aux mouvement étudiants contre les gouvernements PS et PSD. Dirigeant du Bloc de gauche portugais (Bloco de Esquerda) depuis sa formation en 1999, il a été député en 2009-2011 et 2015-2019. Il est aujourd'hui membre de la direction permanente du parti et de la direction de la IVe Internationale.
Article traduit par Luc Mineito.
Notes
1. Le parti d'extrême droite Chega, ce qui en portugais signifie « Assez » ou « Ça suffit », inexistant aux élections de 2015, avait obtenu 1,3 % des voix en 2019, 7,2 % en 2022 et 18,1 % en 2024. NdT.
2. Le Livre (libre) est membre du Parti vert européen.
3. Luís Montenegro, dirigeant du PSD, était le chef du précédent gouvernement depuis avril 2024. Accusé de favoriser l'entreprise Spinunviva qu'il a fondée et que dirige son épouse, l'opposition a refusé de voter la confiance. Le Président du Portugal a alors dissous le parlement et convoqué les élections anticipées de mai 2025. Suite à la victoire relative de AD (Alliance Démocratique), formée par le PSD et le CDS, Montenegro est, de nouveau, chargé de former un gouvernement. NdT.
4. Mémorandum signé en mai 2011 entre le gouvernement du Portugal, le FMI et la BCE. NdT.
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Italie : un mouvement est né
Lundi 22 septembre, l'Italie a connu l'une de ses plus grandes mobilisations des vingt dernières années. Des centaines de milliers de personnes (les organisateurs parlent d'un million de participant·es) se sont mises en grève et sont descendues dans les rues aux quatre coins du pays, ou ont bloqué des gares, des ports, et des autoroutes, contre le génocide et l'envoi d'armes en Palestine et en soutien à la Global Sumud Flotilla.
L'appel à la mobilisation avait été lancé par les dockers de Gênes il y a quelques semaines, puis ce sont des petites organisation syndicales et politiques (notamment USB et Potere al Popolo) qui ont appelé à « tout bloquer » le 22 septembre, sans la participation des grands syndicats, du Parti démocrate ou du Mouvement des 5 étoiles. Ces mêmes organisations ont annoncé une nouvelle journée de mobilisation le 4 octobre prochain et l'occupation de « cent places pour Gaza ».
Contretemps va traduire et publier plusieurs articles sur cette mobilisation internationaliste et anticoloniale en Italie. Voici l'éditorial de la revue Jacobin Italia. On pourra également lire sur notre site le texte de Progetto Me-TI, qui constitue en partie une réponse à cet éditorial.
26 septembre 2025 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/italie-un-mouvement-est-ne/
Un mouvement est né. Un vaste mouvement, autour d'une grève générale, en solidarité avec la Flottille Global Sumud, surtout en solidarité avec Gaza et contre le génocide en cours. La grève du 22 septembre a mis en évidence une force au sein de la société italienne – entre le monde du travail et celui des étudiants, mais beaucoup plus généralisable – dont on percevait l'importance, en particulier sur les réseaux sociaux mais aussi dans tous les lieux de sociabilité en général. Et l'imaginaire de la grève, et de la grève générale, a été véritablement ravivé, comme cela n'était pas arrivé depuis longtemps dans notre pays.
Les défilés et les rassemblements ont dépassé toutes les prévisions partout, avec des blocages de la circulation – moins de la production – et la capacité d'attirer les forces les plus diverses. Il faut rendre hommage à l'USB (Union syndicale de Base), à l'ADL (Association de défence des travailleurs·euses), à la CUB (Confédération unitaire de base) et à la SGB (Syndicat général de base) d'avoir su saisir la nécessité de cette date, notamment en raison de sa convergence avec le départ en mer de l'expédition de la Global Sumud Flotilla. La date du 22 septembre a en effet eu une force décisive car elle a été lancée par les dockers de Gênes qui ont donné de la crédibilité au mot d'ordre « Bloquons tout » grâce au blocage du transport des armes d'abord, puis au soutien à la Flottille. Mais la « grève pour Gaza » a vraiment dépassé toutes les limites organisationnelles. Un peuple s'est réapproprié la grève générale, qui n'appartient pas aux organisations syndicales mais aux travailleurs et travailleuses.
À Rome, les gens se sont massés pendant des heures sur la Piazza dei Cinquecento, rendant leur dénombrement presque impossible, la préfecture de police elle-même changeant plusieurs fois les chiffres, avec une participation dépassant largement les 100 000 personnes, capables d'encercler la gare Termini, provoquant sa fermeture temporaire, puis, après plusieurs heures, d'animer un grand cortège qui a réussi à monter sur le périphérique et à le bloquer (sous les applaudissements des automobilistes) et a finalement occupé la faculté des lettres de la Sapienza.
Plus de 50 000 personnes à Milan, où l'irruption dans la gare centrale a provoqué une réaction disproportionnée de la police, qui a fait plusieurs blessés et procédé à des arrestations, donnant ainsi un aperçu de la réponse du gouvernement et de la droite à ce mouvement, en essayant par ce biais d'occulter médiatiquement la participation massive.
Des charges avec des gaz lacrymogènes ont également eu lieu à Venise, pour empêcher la tentative de blocage du port, qui a en revanche été stoppée à Gênes et Livourne, tandis qu'à Bologne, l'autoroute a été bloquée et à Pise, la Fi-Pi-Li (Florence-Pise-Livourne), impliquant une violation massive du projet de loi dit « Ddl sicurezza » (le décret « sécurité » adopté en juin en Italie, et qui réduit dangereusement les libertés publiques, et criminalise le blocage de certaines routes, ndlr). De grands cortèges ont également défilé à Florence, puis à Naples, Turin, Trieste, Palerme, Ancône, Bari et dans d'autres villes.
Les places italiennes, très animées et très déterminées, vont bien au-delà des sigles syndicaux et de leurs identités, dépassent les organisations et s'affirment comme une entité à part entière, avec une dynamique qui doit désormais être développée en respectant leur auto-organisation et leurs parcours.
C'est précisément cette caractéristique qui met en évidence l'erreur commise par la CGIL (Confédération générale italienne du travail, l'équivalent italien de la CGT, ndlr) en appelant à une grève le 19 septembre, juste et méritoire car unique dans le panorama syndical européen majoritaire, mais auto-référentielle, conçue davantage pour des raisons d'organisation que pour contribuer à l'affirmation de ce mouvement si large et au blocage concret de la production. Le 22 septembre, de très nombreux travailleurs et travailleuses de la CGIL sont descendus dans la rue et ont fait grève, et l'on est vraiment surpris de voir que la page d'accueil du site Collettiva, le journal de la CGIL, ne rend pas compte de cette journée, du moins au moment où nous écrivons cet article (le 23 septembre, ndlr).
Nous espérons qu'il sera temps de rattraper le retard, car la tragédie humanitaire de Gaza, le génocide perpétré par Israël et la tentative d'épuration ethnique en cours ces jours-ci se poursuivent, tout comme se poursuit l'expédition de la Flottille et donc la nécessité d'une mobilisation unitaire et toujours plus large. On peut supposer qu'une manifestation nationale unitaire pourrait être utile aujourd'hui, mais ce n'est pas forcément la voie à suivre. Les tentatives faites le 22 septembre pour bloquer certains nœuds logistiques importants – les ports, les gares, les autoroutes, les périphériques – indiquent les objectifs déjà identifiés par ceux qui se sont mobilisés : l'idée que pour aider Gaza, il faut agir sur les centres névralgiques de la distribution, mais aussi bloquer au moins une partie importante de la production, est un mot d'ordre aussi spontané que nécessaire. Parce qu'elle remet au centre le pouvoir des travailleurs et des travailleuses, la pratique de la grève comme expression de la force démocratique face à une domination aveugle et sourde. Et parce qu'il faut appeler tout le pays, puis l'Europe, ses peuples, ses syndicats, ses mouvements, à se réveiller pour éviter que le massacre ne se déroule dans le silence et surtout pour qu'il soit arrêté.
Le chemin à parcourir est encore long. Malgré les pratiques, vraiment incisives et massives, et le blocage de la circulation mis en place par le mouvement, les places pleines n'ont pas été accompagnées d'un blocage tout aussi général de la production – une situation qui aurait été très différente si le blocage avait été pratiqué de manière convergente par plusieurs syndicats – sauf dans une grande partie de la fonction publique et de l'école, et il faut donc relancer la mobilisation pour combler ce fossé. Sachant que l'on peut compter sur un ingrédient essentiel à la mobilisation et qui revient toujours lorsqu'il s'agit de mouvements de masse qui transcendent les conditions matérielles essentielles : l'indignation.
La Flottille pour Gaza représente, et c'est la raison de son succès et du soutien dont elle bénéficie au niveau international, la manifestation en mer de cette indignation et la détermination à faire quelque chose, n'importe quoi, pour envoyer le signal que les États et les gouvernements ne savent pas et surtout ne veulent pas envoyer. Certes, le 22 septembre, d'importantes déclarations de reconnaissance de l'État palestinien ont été faites, qui ne doivent pas être sous-estimées, même si, n'étant pas accompagnées de mesures concrètes – boycott actif de l'économie israélienne, sanctions, coupe des approvisionnements militaires, isolement diplomatique –, elles constituent davantage un moyen de faire un clin d'œil à l'opinion publique interne qu'une véritable stratégie de solidarité avec le peuple palestinien.
Néanmoins, ces reconnaissances consacrent l'existence d'un « État palestinien » au regard du droit international, ce qui constitue un signe important pour réaffirmer l'illégalité, voire le caractère criminel, du projet israélien et la nécessité de défendre le droit des Palestiniens à avoir une terre, un État, une liberté qui leur sont aujourd'hui refusés. Un soutien général est donc apporté par l'indignation morale qui s'exprime dans de nombreuses régions de l'Occident, y compris dans les rues.
L'indignation face au massacre sans fin d'un peuple sans défense, face à une injustice presque séculaire, face à un déséquilibre des forces indécent, face à un discours occidental hypocrite et de mauvaise foi, asservi aux intérêts des États-Unis, de l'Union européenne et d'Israël. C'est ce qui caractérise aujourd'hui le gouvernement Meloni qui, sans surprise, refuse de reconnaître l'État palestinien et exalte les affrontements de Milan comme image clé du 22 septembre pour tenter d'occulter son soutien à Israël.
Cela faisait très longtemps qu'on n'avait pas vu dans la rue un mouvement internationaliste et solidaire d'un peuple opprimé. Contrairement au passé, cette solidarité est fortement teintée d'impulsions humanitaires, mais elle parvient également à apercevoir les distorsions mondiales, économiques, sociales et politiques qui soutiennent l'oppression et s'interroge sur le destin du monde. C'est pourquoi, pour renforcer les places publiques et les slogans entendus partout, il y a aussi le non à la guerre et en particulier le non au réarmement européen et au militarisme trumpien, qui caractérisent les choix et l'idée de société d'un Occident en crise.
Il s'agit donc d'une ressource morale, mais aussi politique, comme cela a souvent été le cas dans les mobilisations internationalistes du passé, il suffit de penser au mouvement contre la guerre au Vietnam, mais aussi à celui du début du millénaire contre la guerre en Irak, qui a été qualifiée de « deuxième puissance mondiale ». Par rapport à ce dernier, qui fut énorme mais ne parvint pas à arrêter la guerre, on prend aujourd'hui conscience que pour avoir un impact, il faut essayer de « tout bloquer ».
S'il est vrai qu'un mouvement est né, il faudra donc le cultiver et le faire grandir, en favorisant son auto-organisation, avec des comités et des coordinations locales, et en construisant de nouveaux lieux de convergence entre des organisations de différents types, capables de rassembler cette impulsion unitaire venue de la base. Sous des formes qui, espérons-le, pourront également tirer les leçons de l'urgence de la situation actuelle, de plus en plus orientée vers une guerre mondiale.
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La guerre d’agression de Poutine en Ukraine : Les États-Unis, la Russie, l’Europe … et nous !
Lors de la Grande Guerre de 1914-1918 coexistaient deux mondes non totalement étrangers l'un à l'autre : la ligne de front et « l'arrière ». L'actuelle guerre d'agression contre l'Ukraine, elle, se déploie dans deux théâtres d'opérations qui paraissent s'ignorer.
17 septembre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/17/la-guerre-dagression-de-poutine-en-ukraine-les-etats-unis-la-russie-leurope-et-nous/#more-97863
L'un est celui de l'affrontement entre l'armée russe et la résistance ukrainienne. Résistance de ses soldat·es luttant pied à pied sur le front, résistance d'une population qui, bien que soumise à la menace permanente des bombardements, est impliquée de multiples manières dans cette résistance.
L'autre est celui des manœuvres politiques à l'échelle internationale : un spectacle politico-médiatique d'ampleur inégalée, avec ses vedettes, ses retournements et ses suspenses…
L'évolution du premier est fonction de la résistance ukrainienne dans cette guerre d'attrition, donc de la capacité du peuple ukrainien à tenir sans céder à l'épuisement et à la démoralisation. Mais c'est du second que dépend grandement le dénouement de la guerre, c'est-à-dire de ces dirigeants pour lesquels comptent pour peu les souffrances et engagements humains.
Si la solidarité avec le peuple ukrainien oblige à s'intéresser au cirque des rencontres internationales, aux marchandages et négociations entre deux impérialismes, pour en démonter les ressorts et observer les effets, ce doit être en conscience de ce qu'a de scandaleux ce mépris arrogant à l'égard de la réalité que vivent l'Ukraine et le peuple ukrainien.
L'irruption d'un facteur nouveau, l'illusionniste et erratique Trump
Si la présidence de Trump entraîne une rupture majeure dans les rapports de force, c'est que le soutien politique et militaire des États-Unis à l'Ukraine, notoirement insuffisant mais néanmoins décisif, est remis en cause et devenu précaire. Trump peut le neutraliser à tout moment. Pis : il menace d'un renversement d'alliances prenant à revers l'Ukraine et l'Europe. Á l'égard de Poutine il affiche une complaisance et une réelle complicité.
Malgré ses rodomontades, on voit une perméabilité au narratif poutinien. Les responsables de la guerre ? Biden et Zelensky ! Qui doit voir garantie sa sécurité ? La Russie, les territoires qu'elle occupe ou revendique en Ukraine, au motif fallacieux de protéger les « minorités russophones » d'Ukraine ! Qui exerce un pouvoir ? Non pas Poutine, mais Zelensky !
C'est ainsi que, pour Trump, un accord de paix peut apparaître à portée de main ! D'autant qu'il s'appuie sur certains fondamentaux de la politique américaine, qu'il applique avec une brutalité hors normes. D'une part, la primauté des intérêts états-uniens sur ceux des autres pays, y compris alliés, et sur les principes du droit international. D'autre part, le caractère
central de la rivalité avec la Chine dans la course à la puissance mondiale et le pivotement géostratégique vers le Pacifique. Ces deux paramètres le conduisent à mépriser l'importance de l'Ukraine, voire de l'Europe, et donc à rechercher les moyens de se débarrasser de la question ukrainienne, avec peut-être l'espoir, de détacher la Russie de la Chine, voire de l'ériger en un partenaire pour les réorganisations mondiales.
Poutine même affaibli campe sur ses positions bellicistes et annexionnistes
Poutine a su effacer partiellement l'échec patent de la prétendue « opération militaire spéciale » contre l'Ukraine, qui visait par une offensive éclair à conquérir Kyiv, à faire tomber le gouvernement Zelensky et à rétablir la domination russe sur l'Ukraine. Cette offensive s'est brisée sur la résistance ukrainienne. Mais l'obstination de Poutine conduit à une guerre longue, destructrice, qui dure depuis plus de trois ans.
Le peuple ukrainien en paie un prix terrible. Mais la Russie également, en termes de pertes humaines, de recul économique, de dégradation croissante de la vie démocratique et de discrédit international. Sans que Poutine ne renonce à sa politique belliciste.
Celle-ci répond à un impératif auquel le régime Poutine s'identifie : restaurer la puissance impériale de la Russie sur son ancien espace géopolitique. D'où les interventions sanglantes menées hier en Tchétchénie, celles en Moldavie, en Géorgie, et depuis 2014 l'agression contre l'Ukraine.
Écraser la souveraineté de l'Ukraine, son aspiration à la démocratie et sa volonté de rapprochement avec l'Union européenne représente le test décisif pour la poursuite de cette politique.
Car il joue sur des atouts non négligeables
° Réduire ses objectifs à la recherche de gains territoriaux ? Ce serait une erreur de le croire (erreur aggravée pour certains qui s'autorisent à juger celle-ci « légitime »). Ces territoires représentent autant de points d'appui pour imposer la domination politique du Kremlin sur une Ukraine anéantie comme État et préparer d'autres étapes de son expansionnisme : on voyait déjà ce qu'il en était en Géorgie (occupation de l'Abkhazie, puis de l'Ossétie du Sud), en Moldavie (l'occupation de facto de la Transnistrie), la Crimée et une partie du Donbass occupées en 2014…
Du fait de la réussite de ces coups de force, acceptés au plan international au nom des compromis pour la paix, ces territoires ont été consolidés comme bases pour des offensives ultérieures. Les pays qui ont été naguère intégrés à l'espace de l'ex-URSS ou ont subi sa domination (en premier lieu, les Pays baltes, mais également la Pologne et la Finlande), comprennent parfaitement qu'une victoire russe contre l'Ukraine se traduirait par de nouveaux appétits sans limites.
° L'autre erreur est d'ignorer la temporalité spécifique du Kremlin (en contraste avec la frénésie imposée par Trump à la politique mondiale). Poutine parie sur le temps long, estimant que l'épuisement de la résistance ukrainienne, les divisions et la fatigue des Européens, ne feront que croître, alors qu'à cette heure son régime n'est pas vraiment menacé par les difficultés économiques et la colère populaire. Il peut escompter s'assurer dans la durée un rapport qui lui est favorable, du fait de l'inégalité démographique et des atouts militaires dont il dispose : un arsenal nucléaire qui intimide les Occidentaux, les moyens dans le domaine de la guerre hybride et du cyberespace…
Avec un autre atout, décisif celui-là, Trump.
Le prétendu sommet qui a réuni Trump et Poutine en Alaska a représenté une incroyable victoire symbolique pour celui-ci et un camouflet pour celui-là. La mise en scène a eu valeur de réhabilitation internationale de Poutine, qui, de criminel de guerre (mandat d'arrêt de la CPI du 17 mars 2023) s'est vu transfiguré en codirigeant de l'ordre mondial. Quant à Trump, il a remisé l'exigence d'un cessez-le-feu qu'il se faisait fort d'imposer, pour l'« accord de paix » – proposé par Poutine. Ce dernier sait pertinemment que cela implique un temps long au cours duquel il aura les mains libres pour poursuivre ses attaques dévastatrices en Ukraine. Et imposerait des conditions catastrophiques pour l'Ukraine (et dont on peut soupçonner Trump de les avoir acceptées « en privé ») : l'abandon des territoires occupés par la Russie et au-delà (tout le Donbass, les parties non occupées des oblasts de Kherson et Zaporijjia, et donc la perte des lignes de fortifications protégeant le reste de l'Ukraine), une Ukraine neutralisée renonçant à tout rapprochement avec l'Union européenne et l'OTAN, l'éviction de Zelensky (revendication relayée par d'aucuns en Europe !) qui, quelles que soient les critiques que nous formulons légitimement à l'égard d'un libéralisme dominant, incarne la résistance ukrainienne !
Bref, pour l'Ukraine, la capitulation. Et, pour les « Européens », le renoncement à assumer leurs responsabilités internationales. Après l'acceptation de leur impuissance au Moyen-Orient, qui laisse le gouvernement Netanyahou mener son offensive génocidaire à Gaza, et l'accélération de la colonisation de la Cisjordanie, annihilant la perspective de « deux États » et tout espoir de paix, c'est le devenir même de l'Europe qui leur échapperait.
L'alternative est de ne pas céder sur le droit à l'autodétermination du peuple ukrainien et à sa souveraineté nationale. Donc d'assumer l'exigence d'une défense européenne, question redoutable pour la gauche et les écologistes à laquelle il est impossible d'échapper. Une question sur laquelle il faudra entamer, ou poursuivre, une réflexion approfondie.
Les « Européens » face à un « diktat »
Avec retard, réticences et divisions les « Européens » – les membres de l'Union européenne (à l'exception de la Hongrie et de la Slovaquie), et le Royaume-Uni -, avec le soutien d'importants pays non européens (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, voire Japon…) s'accordent sur le caractère vital du soutien à l'Ukraine face à l'agression de la Russie de Poutine… Ce qui implique des engagements d'aide politique, économique et militaire.
Mais le problème auquel ils sont confrontés est que cette aide militaire est étroitement dépendante de la puissance militaire américaine et des armes états-uniennes. D'où l'obligation, excessivement contraignante, de « faire avec Trump » !
Compte tenu des accords de fond entre Poutine et Trump, et de la « personnalité » particulière de ce dernier, les « Européens » se retrouvent à mener avec Trump une diplomatie de pression, qu'il leur faut à la fois ménager et pousser de l'épaule vers le bon côté…
Le « spectacle » se révèle aussi permanent qu'ahurissant.
L'urgence était de corriger « l'effet Anchorage » et de compenser le succès relatif engrangé par Poutine. Le « contre-sommet » de Washington a en partie répondu à cette préoccupation.
Trump a dû accepter de recevoir (courtoisement, cette fois !) Zelensky, accompagné (et de fait protégé) par une brochette de sept responsables de haut rang (représentant cinq États européens, plus l'UE et l'OTAN), pour mener au vu du monde une discussion d'apparence ouverte.
Au prix de flatteries éhontées à l'égard de Trump, ce pack diplomatique a su borner cette « conversation » à hauts risques : discrétion sur la question explosive des territoires susceptibles d'être concédés à la Russie, pour mettre l'accent sur les garanties de sécurité devant être données à l'Ukraine dans la perspective d'un accord de paix (lesquelles supposent une implication des États-Unis), accord appuyé à la perspective d'un sommet tripartite (avec Zelensky), voire quadripartite (aves les Européens)… L'urgente nécessité d'un cessez-le-feu, décisive, a été rappelée sans pouvoir être imposée.
Le seul résultat tangible est que Trump s'est montré fort d'avoir convaincu Poutine de l'intérêt d'une rencontre incluant Zelensky, qui pourrait confirmer la mauvaise volonté de Poutine. Sans compter que tout cela reste soumis aux voltes-faces habituelles de Trump !
Comment ne pas dénoncer cette fantasmagorie diplomatique dont dépend le sort du peuple ukrainien, et au-delà le devenir de ce qui reste de droit international et de démocratie ?
Et aussi ne pas constater que les gouvernements européens déploient des trésors de flagornerie pour dire leur mot sur le devenir du continent ?
Reste qu'on est contraint de s'y intéresser pour s'efforcer de peser sur le réel…
Cela en solidarité, une solidarité internationaliste
toujours aussi indispensable, avec le peuple ukrainien !
Le 28.08.2025
John Barzman, Stefan Bekier, Jean-Paul Bruckert, Armand Creus, Bernard Dreano, Hugues Joscaud, Didier Martin, Roland Mérieux, Henri Mermé, Robi Morder, Vincent Présumey, Mariana Sanchez, Henri Saint-Jean, Francis Sitel
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« Nous avons besoin d’une alternative humaniste au capitalisme »
Pourquoi certaines féministes iraniennes soutiennent-elles l'Ukraine ? Que pouvons-nous apprendre des féministes en Iran ? La féministe socialiste irano-américaine Frieda Afary réfléchit à l'opposition iranienne en exil et discute de sa vision d'une alternative mondiale au capitalisme
Tiré de
https://www.posle.media/article/we-need-a-humanist-alternative-to-capitalism
Alors que l'invasion russe de l'Ukraine a plongé de nombreux gauchistes dans le monde entier dans une crise d'identité, certains tolérant ou même soutenant ouvertement le prétexte de Poutine de résister à l'expansion de l'OTAN vers l'est, certains membres de l'opposition iranienne – et vous personnellement – n'ont vu aucune difficulté à prendre le parti de l'indépendance de l'Ukraine. Pourquoi ?
— L'opposition progressiste iranienne au sens large est contre l'invasion de l'Ukraine par la Russie parce que les Iraniens ont souffert de la relation forte de la Russie avec la République islamique et de son soutien à celle-ci. La Russie fournit à la République islamique des centrales nucléaires et des armes. Il achète des drones et des missiles iraniens et les utilise dans des assauts contre les infrastructures civiles ukrainiennes. La Russie vote également en faveur de l'Iran à l'ONU.
Le 2 mars 2022, la leader féministe iranienne et militante des droits de l'homme Nasrin Sotoudeh a publié une déclaration condamnant l'invasion de la Russie et défendant l'Ukraine. Appelant le Secrétaire général de l'ONU à utiliser « tous les moyens internationaux pour mettre fin à cette agression flagrante », elle aécrit :
« En solidarité avec le peuple ukrainien et en me tenant à ses côtés, je dis que la paix mondiale n'est pas possible sans résister à l'invasion de l'Ukraine par la Russie et sans soutenir l'Ukraine. »
Malheureusement, une grande partie de la gauche iranienne, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Iran, répète encore le discours de désinformation russe selon lequel il s'agit d'une guerre par procuration déclenchée par l'OTAN. Ils adhèrent à la perspective stalinienne, qui ne voit que l'impérialisme américain et occidental comme la source des problèmes du monde et continue de justifier les actions de la Russie aujourd'hui, même si la Russie n'a même plus de prétention au socialisme.
Ma position est enracinée dans mon histoire d'opposition au soi-disant anti-impérialisme stalinien, qui a conduit une grande partie de la gauche iranienne à soutenir les fondamentalistes islamiques après la révolution de 1979contre le roi soutenu par les États-Unis. Je viens d'une branche du marxisme, appelée marxisme-humanisme, qui a été fondée par la philosophe et féministe d'origine ukrainienne Raya Dunayevskaya. Dunayevskaya a développé une théorie du capitalisme d'État pour s'opposer au totalitarisme en Union soviétique en 1941, puis a développé cette théorie en relation avec le capitalisme d'État totalitaire en Chine maoïste. J'ai également beaucoup appris des dialogues avec des féministes socialistes ukrainiennes et d'autres socialistes indépendants ukrainiens, notammentOksana Dutchak, Yuliya Yurchenko, Hanna Perekhoda, Artem Chapeye et Vlodyslav Starodubtsev. Ils contestent fortement l'opinion promue par la gauche occidentale selon laquelle la guerre en Ukraine est une « guerre par procuration ». Ils sont profondément enracinés dans l'histoire ukrainienne, s'opposant à l'impérialisme russe tout en luttant simultanément pour les droits du travail et des femmes et l'émancipation du genre en Ukraine. Ils s'opposent au capitalisme d'un point de vue humaniste, se souciant sincèrement et travaillant en solidarité avec les luttes nationales et internationales du Moyen-Orient à l'Afrique, en Asie et en Amérique latine. J'ai également beaucoup appris d'Alla Solod et del'atelier féministe de Lviv lors de la production d'un court-métrage sur la solidarité féministe avec l'Ukraine. Malgré toutes les difficultés de la vie sous les bombardements russes, elles ont patiemment recherché et édité des enregistrements de déclarations de féministes ukrainiennes et ont accueilli les contributions des féministes noires américaines et iraniennes en solidarité avec l'Ukraine.
— J'aimerais que vous partagiez votre expérience avec l'opposition iranienne en exil, alors que les persécutions et la législation répressive en Russie ont forcé la plupart des dissidents à quitter le pays. Aujourd'hui, nous recevons de moins en moins d'informations provenant de journalistes et de chercheurs russes indépendants. La plupart des informations sont simplement réinterprétées par les médias d'opposition à partir de sources gouvernementales officielles. Pensez-vous que l'opposition est capable de représenter avec précision les développements sur le terrain ? Comment l'opposition iranienne a-t-elle tenté de pallier le manque d'informations fiables ?
— Entre la fin des années 1990 et jusqu'à la guerre entre Israël/États-Unis et l'Iran en juin 2025, Internet a créé des opportunités de communication en ligne avec les dissidents iraniens. Cependant, depuis lors, le gouvernement iranien a réprimé encore plus les dissidents et a fermé de nombreuses portes à la communication. De plus en plus de progressistes ont été arrêtés, et certains ont été exécutés.
Zamaneh, un média indépendant très progressiste en langue persane basé aux Pays-Bas, a des écrivains iraniens plus jeunes, récemment exilés, et continue de recevoir des contributions de l'intérieur de l'Iran. Il y a aussi d'autres sites Web progressistes et des journalistes en exil qui communiquent avec des personnes à l'intérieur de l'Iran.
Il y a une tendance croissante parmi l'opposition libérale russe en exil à se considérer comme les représentants légitimes des Russes anti-guerre, et ils ont tenté de former des « gouvernements en exil ». Comme on pouvait s'y attendre, ces tentatives ont échoué. Alors que les contacts avec les gens à l'intérieur du pays diminuent, certains semblent espérer que le régime sera renversé par l'Occident plutôt que par les Russes eux-mêmes. Les récentes attaques des États-Unis et d'Israël contre l'Iran semblent avoir suscité des sentiments similaires parmi l'opposition iranienne. Dans quelle mesure cette attitude est-elle viable ? Pensez-vous que c'est inévitable ? Votre expérience de la politique de l'opposition iranienne pourrait-elle révéler plus que ces tendances simplistes et autoritaires parmi les forces « pro-démocratie » ?
— L'aspect le plus révélateur des bombardements israéliens et américains de l'Iran pendant la guerre de juin 2025 a été le bombardement de la prison d'Evin. La prison d'Evin est un symbole des dissidents progressistes et l'endroit où certains des futurs dirigeants les plus prometteurs de l'Iran étaient détenus. Divers prisonniers, des visiteurs familiaux et des membres du personnel de soutien ont été tués et mutiléspendant le bombardement. Les prisonniers survivants ont ensuite été transférés dans des prisons où les conditions de détention étaient bien pires.
Cet attentat à la bombe a démontré que ni Israël ni les États-Unis ne veulent voir des dirigeants progressistes accéder au pouvoir en Iran.
Ils espèrent soit promouvoir les monarchistes iraniens, soit conclure un accord avec une faction du régime actuel – ou les deux.
La guerre de juin 2025 a fait plus de 1 000 morts et 5 000 blessés en Iran. Il a causé des dommages massifs aux infrastructures et rendu l'air iranien déjà pollué encore plus toxique. Cela a également brisé les illusionsde beaucoup de ces Iraniens qui croyaient qu'une invasion par Israël et les États-Unis pourrait les sauver. Cependant, cela ne signifie pas que l'opposition monarchiste a perdu toute sa base.
Quant à l'opposition russe, je ne vois pas comment elle peut penser que l'administration Trump, qui est alliée à Poutine à la fois idéologiquement et politiquement, va renverser le régime russe.
— Le féminisme est-il associé à l'Occident en Iran ? Pensez-vous qu'il pourrait y avoir un féminisme non occidental et non laïc ? En vous appuyant sur l'expérience du récent mouvement « Femme, vie, liberté » de 2022-2023, pensez-vous que l'agenda féministe pourrait obtenir un large soutien dans la société iranienne ?
— Le féminisme a des racines autochtones en Iran, qui remontent à la révolution constitutionnelle de 1906-1911 et aux efforts de diverses femmes leaders pour promouvoir l'éducation des filles et des femmes. Au cours des trente dernières années, les féministes iraniennes ont traduit en persan certaines œuvres de féministes occidentales. Nous avons déjà des féministes iraniennes indépendantes en Iran. Cependant, je ne pense pas qu'il soit possible d'avoir un féminisme non laïc. À tout le moins, le féminisme exige l'égalité des sexes et les droits reproductifs, y compris le droit à l'avortement. Il exige des lois qui sont exemptes de dogmes religieux. De plus, après avoir connu plus de quatre décennies de République islamique, la société iranienne souhaite maintenant principalement la séparation de la religion et de l'État.
Ce qui est devenu connu sous le nom de mouvement « Femme, vie, liberté » à la fin de 2022 et au début de 2023 n'était pas une révolution féministe à part entière, mais il avait quelques caractéristiques féministes distinctes. Par exemple, les étudiants universitaires se sont efforcés de mettre fin à la ségrégation dans les cafétérias et les salles de classe des universités, qui étaient soumises à la ségrégation sexuelle. Le mouvement comprenait également une large participation des femmes de la classe ouvrière, notamment des femmes kurdes du nord, des femmes arabes du sud et des femmes baloutches du sud-est de l'Iran, la province la plus défavorisée et la plus misogyne du pays.
En sept mois, la police et l'armée iraniennes ont arrêté plus de 20 000 manifestants. Plus de 500 personnes ont été tuées lors des manifestations. Quatre jeunes ont été pendus pour avoir participé aux manifestations à l'époque, et d'autres jeunes participants arrêtés ont été exécutés au cours des trois dernières années. De nombreux manifestants, en particulier des femmes, ont été touchés aux yeux ou aux parties génitales par des tireurs d'élite. Beaucoup ont été violées par la police, à la fois en prison et en dehors. Certaines qui ont été violées et torturées à mort ont été annoncées comme s'étant suicidées. Des milliers d'écolières ont été empoisonnées.
Divers groupes féministes et syndicaux en Iran ont publié des déclarations exprimant leurs revendications pour un Iran démocratique à l'avenir.Ces déclarations demandaient ce qui suit : une éducation gratuite et de qualité égale pour les femmes et les hommes à tous les niveaux, sans ségrégation entre les sexes ; la participation égale des femmes dans les domaines social, politique et économique ; le droit à la reproduction et à l'avortement ; le divorce et le droit de garde ; l'interdiction des mutilations génitales féminines, du mariage des enfants et de la polygamie ; la criminalisation de la violence sexiste et du harcèlement sexuel ; la catégorisation du travail domestique comme un travail onéreux, nécessitant une meilleure rémunération ; et des services juridiques et de santé pour les femmes incarcérées. Certaines féministes ont fait valoir que les revendications devraient aller au-delà du niveau minimum de la société civile pour inclure les droits de l'homme des minorités nationales, religieuses et sexuelles opprimées, ainsi que des migrants (principalement des Afghans), et plaider pour la justice sociale et la discrimination positive, ce que nous appelons aux États-Unis la discrimination positive.
Cependant, trois ans plus tard, plusieurs féministes iraniennes emprisonnées risquent la peine de mort. En septembre 2023, le gouvernement iranien a adopté la loi sur le hijab et la chasteté, imposant une application plus stricte du code vestimentaire islamique et imposant des sanctions allant de l'amende à l'expropriation de biens et à l'emprisonnement. Les taux signalés de féminicide, de violence sexiste et de suicide chez les femmes ont augmenté. Le taux d'exécution des prisonniers en général, et des femmes en particulier, a augmenté. Depuis janvier 2025, le gouvernement iranien a également expulsé 1,8 million de migrants afghans d'Iran. Il promeut également la haine contre la population migrante afghane d'Iran pour détourner l'attention de sa propre histoire et de ses politiques destructrices.
La contradiction entre le soutien de masse reçu par le mouvement « Femme, Vie, Liberté » et les développements régressifs actuels peut s'expliquer par le régime. Les pressions économiques, politiques, sociales et environnementales sur la société, combinées à la dernière guerre ouverte entre Israël et les États-Unis. et l'Iran, ainsi que les dommages massifs causés à l'infrastructure et à la psyché iraniennes, ne laissent pas de place pour un développement progressiste.
Lorsque vous avez condamné l'invasion de Poutine, vous avez expliqué que l'État russe utilise fréquemment une rhétorique misogyne. De plus, l'État russe est obsédé par le contrôle du corps des femmes et l'imposition de soi-disant valeurs familiales à tout le monde. Ironiquement, ces valeurs sont basées sur des indicateurs démographiques plutôt que sur la spiritualité ou la Bible. Pensez-vous que les droits des femmes sont plus importants que les « valeurs familiales » ? Ou les « valeurs familiales » ne servent-elles qu'à justifier des politiques misogynes menaçant la vie ?
La droite a défini les « valeurs familiales » comme le patriarcat, l'homophobie, les rôles familiaux traditionnels et les structures qui oppriment les femmes et les enfants. Ces valeurs ne permettent pas la création de relations familiales aimantes et bienveillantes. Parmi ces « valeurs », citons les politiques de Poutine en Russie et en Ukraine, la mise en œuvre du Projet 2025 par l'administration Trump et l'imposition de la charia par le régime iranien. Certaines féministes socialistes ont critiqué la famille traditionnelle et ont plutôt cherché à redéfinir les valeurs familiales. Ils envisagent les valeurs familiales libérées comme des relations humaines non oppressives et non exploitantes dans lesquelles les gens ne s'utilisent pas les uns les autres comme de simples moyens à une autre fin, mais se soucient véritablement de la croissance, du développement et du bien-être de l'autre.
Cet effort comprend les droits à la reproduction et à l'avortement, ainsi que le rejet des normes qui promeuvent l'agression et la domination chez les hommes et l'obéissance chez les femmes.
Cependant, il y a beaucoup plus à faire pour transcender les normes de genre oppressives capitalistes et précapitalistes.
Compte tenu de l'agenda « traditionaliste » partagé par l'extrême droite mondiale, pensez-vous que le féminisme offre une réponse unificatrice, du moins pour la gauche ?
Le féminisme peut offrir une réponse unificatrice à l'extrême droite mondiale s'il cherche à dépasser les limites du capitalisme, qu'il soit privé ou étatique.
L'un des principaux obstacles à la solidarité féministe aujourd'hui est le carriérisme, qui réduit le féminisme à la promotion étroite de son propre agenda.
Qu'il s'agisse de prôner le capitalisme libéral occidental ou les relations postcoloniales et anti-américaines. L'impérialisme, le féminisme ont réduit la libération à la réalisation du pouvoir et de la domination. Certaines féministes anti-impérialistes font également l'apologie de l'autoritarisme russe, chinois, vénézuélien et cubain.
Le féminisme socialiste que je prône remet en question la marchandisation et la déshumanisation des femmes et des personnes non binaires, ainsi que les relations humaines aliénées sous le capitalisme. Dans mon livre Socialist Feminism : A New Approach (Pluto Press, 2022), je discute de l'évolution des relations entre les sexes et de l'autoritarisme au 21e siècle, en évaluant de manière critique les théories féministes socialistes de l'oppression de genre et en explorant les alternatives socialistes-humanistes et féministes au capitalisme et à la domination.
Pour que le féminisme puisse offrir une réponse unificatrice à la montée de l'autoritarisme et du fascisme, il doit développer une alternative humaniste.
— Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre livre ? Quels penseurs féministes trouvez-vous utiles aujourd'hui ? Qu'est-ce qui manque et comment combler cette lacune ?
Je soutiens qu'au XXIe siècle, nous avons besoin d'une alternative humaniste au capitalisme qui défie toutes les formes de domination et transcende les modèles oppressifs de l'ex-URSS et de la Chine maoïste, ainsi que les revendications plus récentes du socialisme, comme au Venezuela.
Mon effort pour repenser le féminisme socialiste est une tentative d'aller au cœur du problème auquel nous sommes confrontés : transcender le capitalisme, le racisme, le sexisme et l'hétérosexisme aux niveaux structurel et personnel, transformer les relations humaines et développer des relations réfléchies entre les humains, entre l'esprit et le corps, et entre l'humanité et la nature. Les cadres conceptuels féministes socialistes discutés dans ce livre – la reproduction sociale, l'aliénation, le féminisme noir et les théories queer – ont tous été des voies pour poser des questions sur le développement d'une alternative humaniste.
Des penseurs écoféministes comme Maria Mies et Ariel Salleh, ainsi que d'autres féministes autonomes comme Silvia Federici et Kathi Weeks, ont fait des propositions importantes, telles que la récupération des biens communs, la création de coopératives et la mise en place d'un revenu de base universel. Cependant, ils n'abordent toujours pas la question de savoir comment surmonter le travail aliéné.
Je soutiens que, si le corps d'idées de Marx doit être distingué des formes totalitaires de gouvernement qui ont revendiqué son nom, sa philosophie humaniste dans son ensemble prône la révolution des relations humaines, y compris ce qu'Ann Ferguson a appelé les « pratiques affectives » en 2018. La compréhension de Marx du capitalisme ne le limite pas à un système basé sur l'inégalité économique. Au contraire, il l'identifie comme un système basé sur le travail aliéné qui pousse à l'extrême la division du travail mental et manuel et la séparation de l'esprit et du corps. Pour lui, la dégradation et la violence que subissent les femmes sont des manifestations évidentes de cette séparation.
L'alternative affirmative de Marx ne se limite pas à la revendication des biens communs et à la collectivisation du travail, ou à l'abolition du travail et au fait de s'appuyer uniquement sur les machines et la technologie pour faire le travail.
Il plaide pour l'émancipation des êtres humains du travail aliéné et de « l'auto-aliénation humaine » en faveur d'une existence consciente, et d'une relation à double sens entre l'esprit et le corps comme clé de la libération humaine.
La penseuse féministe noire Audre Lorde pose la question du travail et de la vie dans The Uses of the Erotic, offrant un aperçu d'une existence non aliénée. Pour Lorde, l'élément clé de l'émancipation est une existence consciente où l'esprit, le corps et le cœur communiquent entre eux et sont en harmonie avec soi-même et avec les autres, que ces autres soient des personnes ou des travailleurs. Pour elle, l'émancipation est une existence dans laquelle nous ne sommes pas fragmentés, mais où nous avons la possibilité de développer tous nos talents naturels et acquis.
Aujourd'hui, il semble y avoir un fossé entre ceux qui s'intéressent aux questions du féminisme et du genre et ceux qui s'intéressent à la « grande politique ». Vous le voyez très clairement avec l'opposition russe. Alors que les hommes discutent principalement des manœuvres militaires, de la politique internationale et de l'économie, les féministes discutent de l'interdiction de l'avortement. C'est rarement l'inverse qui se produit. Pourquoi pensez-vous que cela se produit ? Cette division aide-t-elle à résoudre les problèmes, ou en crée-t-elle davantage ?
Bien qu'il ne soit pas nouveau pour ceux qui s'intéressent à la grande politique d'ignorer l'oppression de genre, nous devons également nous demander pourquoi tant de féministes se concentrent uniquement sur nos luttes particulières en tant que femmes ou personnes non binaires sans développer une vision mondiale démontrant leur maîtrise de la politique mondiale et de la socio-économie. C'est peut-être parce qu'il s'agit d'un défi incroyablement difficile. Il est plus facile de se concentrer sur un sujet particulier sans toujours avoir une vue globale.
Le développement d'une alternative au capitalisme nécessite une vision globale qui transcende les divisions entre l'individualité, les luttes spécifiques au genre et les luttes universelles et les idées d'émancipation humaine.
La structure de mon livre tente d'aider les féministes à briser ces divisions. Il se termine également par des idées pour l'organisation révolutionnaire mondiale féministe socialiste, y compris la solidarité avec les féministes ukrainiennes et russes.
Le monde a désespérément besoin de féministes socialistes éthiques et mondaines qui se soucient véritablement de l'avenir de l'humanité et reconnaissent l'urgence du moment actuel, alors que le fascisme est en hausse et que nos acquis s'érodent rapidement.
Frieda Afary peut être contactée via son site web, https://socialistfeminism.org/
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1er octobre, journée des défenseur-es de l’Ukraine
Aujourd'hui, à l'occasion de la Journée des défenseurs et défenseuses de l'Ukraine, nous saluons tous ceux et celles qui défendent notre territoire, en particulier nos camarades de gauche, les travailleurs de tous les secteurs et les syndicalistes qui ont quitté leur vie paisible et leur lieu de travail pour se joindre aux rangs des Forces armées ukrainiennes contre l'armée russe.
1 Octobre 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76463
Cette fête célèbre votre courage et votre abnégation, votre capacité à faire passer la liberté et la vie des gens avant votre propre bien-être. C'est grâce à vos efforts que toute la société tient bon.
Le Sotsialnyi Rukh s'efforce d'apporter un soutien complet aux militaires, qu'il s'agisse d'une aide juridique pour obtenir les avantages sociaux auxquels ils ont droit ou d'une aide financière pour répondre à leurs besoins les plus urgents. Nous sommes aidés dans cette tâche par des représentants de réseaux internationaux de solidarité qui sont conscients de la valeur planétaire de la résistance ukrainienne. Il est regrettable que les autorités ukrainiennes, par leurs décisions, compliquent souvent l'accomplissement du devoir militaire en réduisant la protection sociale tant des défenseurs eux-mêmes que des couches populaires dont ils sont majoritairement issus.
Nous espérons que l'expérience acquise dans l'armée sera utile dans la vie civile et renforcera la capacité à lutter collectivement pour un avenir meilleur, tout en introduisant dans la politique une demande de véritable justice.
Défenseurs et défenseuses de l'Ukraine, vous êtes l'espoir de tout le monde libre.
Sotsialnyi Rukh, 1er octobre 2025
P.S.
Source : RESU / PLT
https://aplutsoc.org/2025/10/02/1er-octobre-journee-des-defenseur-es-de-lukraine-sotsialnyi-rukh/
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Les médias français et la condamnation de Sarkozy : les dessous d’une semaine de mensonges en continu
Sur les principales chaînes d'information en continu, la défense de Nicolas Sarkozy a pris toute la place au détriment des faits. Sur BFMTV, des consignes envoyées aux présentateurs ont été ignorées et une journaliste, un peu trop rigoureuse, a même été convoquée.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Dans l'affaire Sarkozy-Kadhafi, comme de coutume sur CNews, la réalité des faits est rapidement écrasée par l'instrumentalisation partisane qui en est faite. Que l'ancien président soit déclaré coupable ou non, condamné à une peine de prison ou non, la chaîne info de Vincent Bolloré avait de toute façon l'intention de se saisir de ce jugement historique pour faire le procès des magistrats et de leur acharnement supposé contre Nicolas Sarkozy.
Ainsi a-t-on vu défiler jeudi 25 septembre, sur les plateaux de Pascal Praud, Laurence Ferrari, Christine Kelly et autres, des commentateurs venus fustiger « un procès politique », « une erreur extraordinaire de justice », « un règlement de compte » judiciaire et une condamnation fondée sur « aucune preuve ». Un traitement univoque qui s'est prolongé toute la semaine.
Garante du respect du pluralisme et de la rigueur dans le traitement de l'information, l'Arcom a reçu de nombreux signalements dénonçant ce flot d'intox, a fait savoir l'autorité de régulation des médias. En mars déjà, lors du jugement de Marine Le Pen dans l'affaire des assistants parlementaires, l'autorité indépendante avait rappelé CNews à l'ordre pour son traitement « sans mesure, ni modération » de la condamnation de la cheffe de file du RN. Comme à chaque fois, pendant que l'Arcom ouvre des procédures, prend des sanctions et prononce des amendes, CNews continue sereinement à tordre les faits.
Rien de très inhabituel donc à observer la galaxie Bolloré se mettre en branle pour blanchir médiatiquement Nicolas Sarkozy. Depuis longtemps maintenant CNews, mais aussi Europe 1 et le JDD – qui n'ont pas jugé utile de préciser que Nicolas Sarkozy et Valérie Hortefeux, ex-compagne de Brice Hortefeux, siègent au conseil d'administration de leur maison mère, Lagardère – ont bazardé toute notion d'équilibre et d'honnêteté dans leur traitement de l'information. Il est en revanche plus saisissant de constater à quel point CNews semble avoir contaminé avec ses pratiques l'ensemble de l'espace médiatique.
Sur les autres chaînes, la condamnation de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison a généré un niveau exceptionnel d'approximations, de déformations des faits et d'erreurs factuelles. D'abord, à travers les réactions des proches de l'ancien président ou des commentaires de chercheurs ou d'éditorialistes jamais contredits.
Dans C dans l'air sur France 5, par exemple, Jérôme Jaffré, chercheur associé au Cevipof, s'est dit « bouleversé » par la condamnation de l'ancien président puis s'est aventuré à commenter le jugement en affirmant qu'aucune trace d'argent n'avait été retrouvée dans les comptes de la campagne de 2007.
Sur le plateau du service public, personne pour répliquer qu'il a été solidement établi par l'enquête judiciaire qu'au total 6,5 millions d'euros ont transité de la Libye vers les proches de Sarkozy. « La justice se paye la politique dans cette affaire », a-t-il lâché, avant de railler le lendemain sur France Inter une « justice trop sévère », qui a « mal fait son travail ».
Partout, les journalistes ont invité des défenseurs de Nicolas Sarkozy pour les laisser, sans jamais les corriger, dire, au choix, que le dossier était vide, que l'enquête reposait sur un faux ou que le président a été condamné sur la base d'une simple « intention ».
Dans l'émission Quotidien, le journaliste Jean-Michel Apathie a ainsi pu déclarer qu'il n'existait « aucune preuve » que Nicolas Sarkozy était au courant d'un pacte corruptif et a comparé le raisonnement des juges à une « loterie ». Toujours au sein du groupe TF1, Éric Brunet a estimé sur LCI que l'exécution provisoire de la peine de prison avait « peut-être » pour but d'« humilier » l'ancien président. « Moi, je trouve que les peines lourdes sont plutôt déployées à l'endroit de personnalités de droite », a-t-il conclu pour asseoir l'idée d'un complot.
Une journaliste de BFMTV convoquée
Sur BFMTV, plusieurs présentateurs se sont adonnés au même exercice de réécriture du jugement. Le 25 septembre, en édition spéciale, Olivier Truchot a multiplié les contresens, en répétant à plusieurs reprises que le casier judiciaire de Nicolas Sarkozy était vierge, en assurant que l'exécution provisoire était « censée être une exception » ou en affirmant, à tort, que « l'affaire est partie avec la publication d'une note de Mediapart ».
Une note qui selon lui « est un faux » et qui expliquerait pourquoi le tribunal « afait tomber trois charges sur quatre ». Très sérieusement, le journaliste Christophe Delay a aussi évoqué le témoignage de Ziad Takieddine et sa rétractation « sur BFMTV », sans jamais mentionner les détails de cette manipulation qui incrimine la chaîne.
Des erreurs factuelles qui sont d'autant moins pardonnables que les journalistes « rubricards » police-justice qui ont suivi par intermittence les trois mois d'audience pour BFMTV ont balisé le terrain avant et après la décision de justice, pour éviter tout contresens sur l'affaire.
Dans un mail envoyé le mardi 23 septembre et consulté par Mediapart, ayant pour objet « SARKOZY/KADHAFI : une décision très attendue ce jeudi — tout ce qu'il faut savoir » et transmis en interne à l'ensemble des collaborateurs de la chaîne, le service police-justice du canal 13 a pris soin de rafraîchir les mémoires sur les points clés du dossier.
« Les trois mois d'audience ont été relativement accablants pour Nicolas Sarkozy et ses plus proches, mettant en lumière des coïncidences très difficiles à justifier », avaient notamment pointé les rubricards deux jours avant la condamnation de l'ex-chef d'État. Dans cette notice à destination entre autres des présentateurs, rédacteurs en chef et programmateurs de la chaîne, il est rappelé la « succession de voyages à Tripoli à partir de l'automne 2005 de Claude Guéant et Brice Hortefeux » avec le terroriste Abdallah Senoussi, mais aussi les « explications farfelues de Thierry Gaubert sur l'arrivée d'un demi-million d'argent libyen sur son compte », ainsi que les agendas de l'ex-ministre du pétrole libyen, dans lesquels ont été retrouvés la mention « d'un déjeuner lors duquel avaient été évoqués trois virements d'un total de 6,5 millions d'euros “pour Sarkozy” ».
Pendant les heures de direct consacrées à la condamnation de Nicolas Sarkozy, aucun présentateur ne prendra pourtant la peine de rappeler à l'antenne les éléments listés dans ce document et tous laisseront les invités fustiger « un dossier vide ».
Dans ce même mail, les « autres affaires judiciaires » de l'ancien président sont également évoquées, notamment sa condamnation définitive dans l'affaire Bismuth. Ce qui n'empêchera pas Olivier Truchot d'insister à plusieurs reprises sur le casier judiciaire vierge de Nicolas Sarkozy et sur la supposée sévérité des juges. Pire, de cette note, les journalistes ne retiendront que les paragraphes mentionnant « la défense de Nicolas Sarkozy ».
- La chaîne n'a pas de commentaire à apporter sur le travail journalistiquement indépendant et irréprochable de la rédaction.
- - BFMTV en réponse à Mediapart
En plateau pourtant, la journaliste Alexandra Gonzalez, qui a couvert plusieurs audiences du procès pour BFMTV, tente tant bien que mal de rétablir quelques vérités. Face aux errements d'Olivier Truchot, de Christine Boutin, ancienne ministre sarkozyste, qui compare cinq ans de prison à « la guillotine », et de Jonas Haddad, porte-parole adjoint du parti Les Républicains, qui évoque un complot « politico-médiatique », elle rappelle les faits : le casier judiciaire de l'ex-chef d'État n'est pas vierge, la condamnation est l'aboutissement d'une enquête judiciaire qui a duré dix ans et non d'une instruction menée par des journalistes. Elle martèle aussi le fait que l'exécution provisoire n'a rien d'une exception.
Pour avoir simplement énoncé des faits, Alexandra Gonzalez sera convoquée le lendemain, selon nos informations, dans le bureau de Camille Langlade, directrice de la rédaction de BFMTV. Non pas pour la féliciter mais pour lui reprocher son positionnement lors du direct, jugé trop en défense des magistrats et du jugement prononcé contre Nicolas Sarkozy.
Contactées, ni Alexandra Gonzalez ni Camille Langlade n'ont répondu à nos questions. De son côté, BFMTV nous a fait savoir que « la chaîne n'a pas de commentaire à apporter sur le travail journalistiquement indépendant et irréprochable de la rédaction ».
Ainsi en est-il du fonctionnement des chaînes d'info, où l'on préfère laisser discourir à partir d'approximations ou d'intox des éditorialistes et invités de différentes obédiences, sans jamais trancher les débats par les faits. Le commentaire y est sacré et les faits minoritaires. Et lorsque les journalistes tentent de rétablir quelques vérités, on leur reproche de choisir un camp ou de prendre parti.
Le soir de la condamnation de l'ex-chef d'État, le service police-justice de BFMTV envoie à la rédaction un nouveau document, cette fois intitulé « SARKOZY / KADHAFI - Comprendre le jugement à l'encontre de Nicolas Sarkozy ». La notice cite des extraits de la décision rendue par le tribunal de Paris. Elle rappelle que l'incarcération est motivée par l'exceptionnelle « gravité des faits » et insiste sur la caractérisation de l'association de malfaiteurs dont Nicolas Sarkozy a été jugé coupable et qui « avait pour but de lui procurer un avantage dans la campagne électorale. »
Pour autant, les défenseurs de Nicolas Sarkozy défileront encore un à un pour dérouler leurs commentaires sans contradiction et les bandeaux diffusés par BFMTV auront tous la même tonalité : « La justice va-t-elle trop loin ? », « Une peine disproportionnée ? », « Un verdict politique ? », « Exécution provisoire ou exécution politique ? », « Mediapart, média militant ? »
« La condamnation sans preuve, elle est assumée », accuse le conseiller Henri Guaino devant une journaliste muette. « Je ne vous ai quand même jamais entendu dire des mots aussi forts contre la justice », se contente-t-elle de répondre. Dans une autre émission du 29 septembre, le chroniqueur économique Emmanuel Lechypre se moque du couplet « pro-juge » de l'éditorialiste Laurent Neumann lorsque ce dernier évoque les menaces reçues par les magistrats et Géraldine Woessner, du Point, assène qu'« il n'y a aucune preuve » du pacte de corruption.
L'opinion avant l'information
« Ce qui est stupéfiant pour une bonne part du traitement médiatique audiovisuel, c'est que les informations et les débats portent essentiellement sur les infractions retenues ou écartées, sur le mandat de dépôt, mais pas sur les faits établis par le tribunal », s'étonne Ismaël Halissat, journaliste qui a alternativement couvert le procès pour Libération avec deux de ses collègues.
Alors comment expliquer une telle désinformation ? Nombre de rubricards police-justice que nous avons interrogés soulignent l'inculture générale de la profession sur le fonctionnement de la justice, qui rend impossible la bonne restitution d'un dossier aussi complexe.
« Il n'est pas nécessaire que le tribunal apporte la preuve absolue que l'argent libyen ait irrigué la campagne de Sarkozy pour que le pacte de corruption soit constitué, s'agace Thierry Lévêque, qui a suivi les trois mois d'audience pour le média Les Jours. Le cœur de l'affaire, c'est bien qu'on a été solliciter de l'argent libyen et que cet argent a été en partie versé. Et c'est ça qu'on devrait retenir journalistiquement. »
Des tensions dans la presse écrite
- Selon nos informations, le traitement de la condamnation de Nicolas Sarkozy a suscité quelques tensions au sein du journal Libération. Pendant que la rédaction préparait un dossier avec des explications et analyses des trois journalistes ayant suivi le procès, Jean Quatremer, salarié du même quotidien, courait les plateaux télé. Non pas pour relayer le travail de ses collègues, mais pour reprendre les éléments de langage du clan Sarkozy et dénoncer les magistrats « qui font de la politique ». « On ne condamne pas un ancien président de la République comme on condamne moi ou vous », a-t-il notamment déclaré sur LCI, avant d'ajouter : « On peut se dire que les juges jouent quand même avec la République. »
- Pour le journal Marianne, Laurent Valdiguié, qui a suivi l'intégralité du procès, a publié un hors-série reprenant tous les enjeux de l'affaire de manière factuelle et documentée. Une approche qui tranche radicalement avec l'autre numéro de l'hebdomadaire en kiosque depuis mercredi. Dans son édito, la directrice Ève Szeftel déplore « le soupçon de partialité qui entache ce jugement » et pose cette question en une : « La vengeance politique des juges ? » En réponse, Laurent Valdiguié a partagé sur X un célèbre adage : « À tout titre d'article journalistique se terminant par un point d'interrogation, il peut être répondu par la négative. » Selon nos informations, il a aussi demandé à retirer sa signature d'un des articles publiés dans ce numéro.
De manière générale, il faut dire que les journalistes étaient peu nombreux à assister à ce procès unanimement décrit comme historique. À peine une dizaine de reporters étaient présents quotidiennement au tribunal. Les télés et radios ont couvert une poignée d'audiences, lors des réquisitions du parquet et des plaidoiries de la défense principalement.
« Tous les journalistes sont venus le jour où Sarkozy est arrivé à l'audience avec son bracelet, mais lorsqu'il y avait des audiences cruciales sur le fond de cette affaire, il n'y avait ni télé ni radio, remarque Thierry Lévêque, qui a même chroniqué le procès sur son blog personnel. Le résultat, c'est que le lecteur n'a pas vraiment été mis en mesure de comprendre ce qui se passait et d'un seul coup le jugement a dégringolé, comme si ça sortait de nulle part. » Le narratif du clan Sarkozy était ainsi beaucoup plus facile à imposer.
Yunnes Abzouz et David Perrotin
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« Les manifestations de la génération Z ont le vent en poupe »
Sous ce titre, qui est du New York Times, nous donnons la traduction d'un article paru dans ce quotidien « de référence » nord-américain ce 1° octobre 2025. L'on peut sans doute se risquer à dire que nous avons un mouvement mondial de la jeunesse, comme on disait en 1968, mais cette fois de la jeunesse pauvre et prolétarienne, et un mouvement partie d'Asie orientale, qui est en train de déferler sur Madagascar. En Europe, ce sont la Serbie, le plus important soulèvement de la jeunesse depuis mai 68, et les mouvements pro-démocratie et anti-corruption en Ukraine. Et, depuis le 10 septembre, il y a au moins un français notoire qui s'inquiète de ce qui pourrait germer et grossir et s'attache à provoquer et réprimer : M. Retailleau !
Tiré de Arguments pour la lutte sociale
1er octobre 2025
Par Aplutsoc2
Document
Les manifestations de la génération Z ont le vent en poupe.
Le mois dernier, le Népal, l'Indonésie, les Philippines et Madagascar ont connu d'importantes manifestations menées par des jeunes indignés par la corruption gouvernementale et les inégalités. Un drapeau commun flottait au-dessus de chaque manifestation : une tête de mort souriante coiffée d'un chapeau de paille.
Ce drapeau est tiré d'un manga et d'une série animée japonais de longue date intitulé « One Piece », qui suit une bande de pirates combatifs face à un gouvernement corrompu et répressif. La franchise, récemment relancée en live-action sur Netflix, a été doublée dans plus d'une douzaine de langues et a conquis un public considérable, avec plus de 500 millions d'exemplaires de la version imprimée.
L'une des premières fois que le drapeau a flotté lors de manifestations, c'était en 2023, lors de marches pro-palestiniennes en Indonésie et en Grande-Bretagne. Depuis, il est devenu un symbole des manifestations organisées par la jeunesse à travers le monde.
Il était accroché aux portes du complexe gouvernemental népalais, incendié lors des manifestations qui ont finalement renversé le gouvernement. Il a été peint sur les murs de Jakarta et hissé par la foule à Manille. Cette semaine, il a fait son apparition à Madagascar, où des manifestations ont forcé la dissolution du gouvernement lundi. (1)
« Nous savons que la génération Z manifeste partout dans le monde, et nous voulions utiliser des symboles qui parlent à notre génération », a expliqué Rakshya Bam, 26 ans, l'un des organisateurs népalais de la manifestation de la génération Z, à ma collègue Hannah Beech. « Le drapeau pirate, le Jolly Roger, c'est comme un langage commun maintenant. »
Le drapeau « One Piece » n'est pas seulement un emblème, c'est une allégorie. Le protagoniste, Luffy, est un terroriste ou un combattant de la liberté, selon la personne à qui l'on pose la question. Son chapeau de paille emblématique était un cadeau de son héros d'enfance, qui croyait que Luffy et sa génération finiraient par triompher.
L'intrigue rend ce symbole particulièrement percutant, a confié à ma collègue Hannah Irfan Khan, un autre manifestant népalais. « Le pirate, c'est comme une façon de dire que nous ne tolérerons plus l'injustice et la corruption », a-t-il déclaré.
Ce n'est pas la première fois que les manifestants s'unissent à des références culturelles liées à la jeunesse. Dans les années 2010, les manifestants contre un coup d'État militaire en Thaïlande ont adopté le salut à trois doigts du film dystopique « Hunger Games », un geste qui perdure dans des pays comme la Birmanie.
« Je pense que nous entrons dans une nouvelle ère d'organisation qui s'inspire largement de la culture numérique, pop et des jeux vidéo, créant un vocabulaire commun », a déclaré Raqib Naik, directeur du Center for the Study of Organized Hate, un groupe de surveillance américain qui surveille l'activité en ligne et la désinformation.
Le drapeau « One Piece » est utilisé par des manifestants qui se trouvent à des milliers de kilomètres les uns des autres. Mais ils sont liés par la culture commune de leur génération, fusionnant récits populaires et politiques contestataires pour former une force qui a fait tomber au moins deux gouvernements – et ce n'est pas fini.
Pranav Baskar, le 01/10/2025.
(1) Et au Maroc, et au Pérou …
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L’écocide israélien à Gaza envoie le message suivant : même si nous arrêtions de larguer des bombes, vous ne pourriez pas vivre ici.
Présentation
La brutalité et la totalité de l'écocide sioniste équivaut à ceux du génocide et viceversa. Dommage que l'on ne l'oublie trop souvent. Je retiens en autre chose « que les forces armées mondiales produisent environ 5,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pourtant, en partie grâce au lobbying du gouvernement étatsunien, elles sont exemptées de l'obligation de déclaration prévue par l'accord de Paris sur le climat. » Je signalais dans un article récent que les émanations de GES provenant des feux de forêt sont aussi généralement exclues de cette obligation sous prétexte qu'ils sont « naturels ». Faut-il se surprendre que les statistiques officielles colligées par l'ONU masquent l'effrayante réalité que les émanations mondiales de GES, telles que directement mesurées dans l'atmosphère, croissent à un taux croissant… qu'il l'est de plus en plus depuis le début de ce siècle.
Marc Bonhomme, 5/10/25
Samedi 27 septembre 2025 |The Guardian | Traduction : Marc Bonhomme
Source : https://www.theguardian.com/commentisfree/2025/sep/27/israelecocide-gaza-bombs-agricultural-land-genocide
Considérez l'anéantissement des terres agricoles parallèlement au génocide - et saisissez la totalité effrayante de cette tentative d'éliminer toute vie
Un peuple sans terre et une terre sans peuple : tels sont, semble-t-il, les objectifs du gouvernement israélien à Gaza. Il y a deux moyens d'y parvenir. Le premier est le massacre et l'expulsion des Palestinien-ne-s. Le second consiste à rendre la terre inhabitable. Parallèlement au crime de génocide, une autre grande horreur se déroule : l'écocide.
Si la destruction des bâtiments et des infrastructures à Gaza est visible dans toutes les vidéos que nous voyons, la destruction parallèle des écosystèmes et des moyens de subsistance est moins visible. Avant l'atrocité du 7 octobre qui a déclenché l'assaut actuel sur Gaza, environ 40 % des terres étaient cultivées.
Malgré son extrême densité de population, Gaza était en grande partie autosuffisante en légumes et en volailles, et répondait à une grande partie de la demande de la population en olives, en fruits et en lait. Mais le mois dernier, les Nations unies ont indiqué qu'à peine 1,5 % des terres agricoles restaient accessibles et intactes. Cela représente environ 200 hectares, soit la seule surface restante directement disponible pour nourrir plus de 2 millions de personnes.
Cette situation s'explique en partie par la destruction systématique des terres agricoles par l'armée israélienne. Les troupes au sol ont démoli les serres, les bulldozers ont renversé les vergers, labouré les cultures et écrasé le sol, et les avions ont pulvérisé des herbicides au-dessus des champs.
Les Forces de défense israéliennes (FDI) justifient ces attaques en affirmant que « le Hamas opère souvent à partir de vergers, de champs et de terres agricoles ». Et apparemment aussi à partir d'hôpitaux, d'écoles, d'universités, de zones industrielles et de toutes les autres ressources dont dépendent les Palestiniens. Pour justifier la destruction, il suffit aux FDI de suggérer que le Hamas a opéré ou pourrait opérer à partir de ce qu'elles veulent détruire. Et s'il n'y a pas de preuves, tant pis, c'est trop tard.
Les FDI étendent progressivement la « zone tampon » le long de la frontière orientale de Gaza, qui contient justement une grande partie des terres agricoles de la bande de Gaza. Comme le souligne Hamza Hamouchene, spécialiste des droits humains, plutôt que de « faire fleurir le désert » – un pilier de la propagande d'État israélienne –, elles transforment des terres fertiles et productives en désert.
Depuis des décennies, le gouvernement israélien abat les oliviers centenaires des Palestiniens afin de les priver de leurs moyens de subsistance, de les démoraliser et de rompre leur lien avec la terre. Les olives sont à la fois cruciales sur le plan matériel, puisqu'elles représentent 14 % de l'économie palestinienne, et symboliquement puissantes : sans oliviers, il ne peut y avoir de branche d'olivier. La politique de la terre brûlée menée par Israël, associée à son blocus des approvisionnements alimentaires, garantit la famine.
L'assaut des forces de défense israéliennes sur Gaza a provoqué un effondrement du traitement des eaux usées. Les eaux usées brutes inondent les terres, s'infiltrent dans les aquifères et empoisonnent les eaux côtières. Il en va de même pour l'élimination des déchets solides : des montagnes d'ordures pourrissent et couvent parmi les ruines ou sont poussées dans des décharges informelles, où elles sont contaminées par lixiviation. Avant l'assaut actuel, les habitants de Gaza avaient accès à environ 85 litres d'eau par personne et par jour, ce qui, bien que peu abondant, correspond au niveau minimum recommandé. En février de cette année, la moyenne était tombée à 5,7 litres. L'aquifère côtier crucial de Gaza est encore plus menacé par l'inondation des tunnels du Hamas par les FDI avec de l'eau de mer : l'intrusion de sel, au-delà d'un certain point, rendra l'aquifère inutilisable.
Le programme des Nations unies pour l'environnement a estimé l'année dernière que chaque mètre carré de Gaza contenait en moyenne 107 kg de débris provenant des bombardements et des destructions. Une grande partie de ces débris est mélangée à de l'amiante, à des munitions non explosées, à des restes humains et aux toxines libérées par l'armement. Les munitions contiennent des métaux tels que le plomb, le cuivre, le manganèse, des composés d'aluminium, du mercure et de l'uranium appauvri. Des rapports crédibles font état de l'utilisation illégale par les FDI de phosphore blanc, une arme chimique et incendiaire hideuse qui entraîne également une contamination généralisée du sol et de l'eau. L'inhalation de poussières toxiques et de fumées a un impact majeur sur la santé des populations.
Outre les effets immédiats dévastateurs sur la vie des habitants de Gaza, les émissions de carbone liées à l'assaut israélien sont astronomiques : une combinaison de vastes émissions directes causées par la guerre et le coût climatique stupéfiant de la reconstruction de Gaza (si jamais elle est autorisée) - la reconstruction à elle seule produirait des gaz à effet de serre équivalents aux émissions annuelles d'un pays de taille moyenne.
Lorsque l'on considère l'écocide en même temps que le génocide, on commence à saisir la totalité de la tentative de l'État israélien d'éliminer à la fois les Palestinienne-s et leur patrie. Comme l'affirme l'écologiste palestinien Mazin Qumsiyeh : « La dégradation de l'environnement n'est pas fortuite - elle est intentionnelle, prolongée et vise à briser l'éco-sumud (fermeté écologique) du peuple palestinien. »
Au fil des ans, j'ai très peu écrit sur l'impact environnemental des forces armées, car je pense que si l'on ne parvient pas à convaincre les décideurs que tuer des êtres humains est mal, on ne parviendra jamais à les convaincre que tuer d'autres formes de vie est également mal. Je pense que beaucoup d'autres partagent ce sentiment, ce qui explique en partie pourquoi l'armée échappe généralement à la surveillance environnementale dont font l'objet d'autres secteurs. Mais son empreinte, même en temps de paix, est énorme. L'Observatoire des conflits et de l'environnement estime que les forces armées mondiales produisent environ 5,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Pourtant, en partie grâce au lobbying du gouvernement étatsunien, elles sont exemptées de l'obligation de déclaration prévue par l'accord de Paris sur le climat. Elles ne sont pas non plus tenues de rendre compte de leurs nombreux autres dommages environnementaux, de la déforestation à la pollution, en passant par la destruction des sols et les décharges non réglementées.
Personne parmi ceux qui se soucient de cette question ne réclame des « balles vertes » ou des « bombes vertes », mais les chercheurs militaires et les ministères de la défense tentent régulièrement de nous persuader qu'ils peuvent désormais faire exploser des personnes de manière durable. Depuis de nombreuses années, les militants écologistes soulignent que la paix et la protection de l'environnement doivent aller de pair. La guerre est aussi dévastatrice pour les écosystèmes que pour les populations, et la dégradation de l'environnement est une cause majeure de guerre.
Pour le gouvernement israélien, la destruction des écosystèmes et des moyens de subsistance des populations semble être un objectif stratégique majeur. Il semble rechercher ce que certains ont appelé un « holocide » : la destruction complète de tous les aspects de la vie à Gaza. Même en l'absence d'une loi spécifique sur l'écocide, que beaucoup d'entre nous réclament, la destruction des écosystèmes palestiniens est en violation flagrante de l'article 8 du Statut de Rome et devrait être considérée comme un crime grave au même titre que le génocide.
Mais si le projet final consiste à créer une « Riviera de Gaza » ou un projet similaire visant à construire une technopole élitiste et inquiétante, dépourvue de lieu et d'histoire, du type de celles que Donald Trump et certains hauts responsables politiques israéliens privilégient, alors qui a besoin d'arbres, de sol ou de cultures pour cela ? Il n'y a aucun coût pour les auteurs de ces crimes. Du moins, pas avant qu'ils ne soient traduits en justice.
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