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De la Marche mondiale des femmes à Mères au front L’écoféminisme décolonial en action au Québec

28 octobre, par Claudia Santibanez — , ,
Le 18 octobre 2025, un moment historique a eu lieu. Dans la ville de Québec, grâce à l'effort de la Coordination du Québec pour la Marche mondiale des femmes ainsi que de très (…)

Le 18 octobre 2025, un moment historique a eu lieu. Dans la ville de Québec, grâce à l'effort de la Coordination du Québec pour la Marche mondiale des femmes ainsi que de très nombreux groupes, près de 20 000 personnes (essentiellement des femmes) ont occupé la rue.

Par Claudia Santibanez, Chargée de mobilisation à Mères au front

Cette même journée, des mobilisations féministes, éco-féministes, se produisaient presque simultanément dans plusieurs villes sur le globe, montrant que ces luttes n'ont ni langue, ni frontières ; que nous sommes encore en marche, et tant qu'il le faudra.

En 1995, 800 femmes ont marché sur les routes du Québec en réclamant « Du pain et des roses ». Trente ans plus tard, des mères se lèvent aux côtés des Premières Nations, les gardien·ne·s des territoires ancestraux, contre des projets capitalistes qui menacent de livrer un tiers des forêts publiques à l'industrie. Cette continuité des luttes n'est pas un hasard : elle révèle l'émergence d'un écoféminisme décolonial qui lie indissociablement justice sociale, égalité des femmes, protection de l'environnement et reconnaissance des droits des personnes autochtones.

Puisée à même l'expérience transformatrice « Du pain et des roses » de 1995, c'est dans ce terreau fertile de l'engagement féministe québécois que la Marche mondiale des femmes trouve racine, portée par la Fédération des femmes du Québec, et sous l'impulsion de nulle autre que la militante et femme politique féministe, Françoise David. Cette émergence nouvelle était alors la démonstration tangible de la puissance de la mobilisation citoyenne, particulièrement celle des femmes, une voix jusqu'alors peu visible au Québec. Cette marche de dix jours - Du pain et des roses - qui a rassemblé des centaines de femmes afin de parcourir 200 kilomètres à pieds, portait déjà en elle les germes d'une vision écoféministe : réclamer à la fois du pain (les besoins essentiels) et des roses (la qualité de vie, la beauté, la solidarité et la dignité).

Il est également très intéressant d'observer que l'évolution de la Marche mondiale des femmes, parallèlement à celle du mouvement Mères au front, illustre parfaitement la manière dont les mouvements sociaux s'adaptent aux défis de leur époque. Si les marcheuses de 1995 réclamaient une justice économique et une dignité sociale, les Mères au front d'aujourd'hui élargissent cette vision en incluant le futur du vivant, des enfants, et de la Nature, en tant que luttes essentielles à la survie de toute l'humanité.

Cette progression n'est certainement pas fortuite. Elle trouve sa source dans une compréhension nouvelle et approfondie de l'intersectionnalité des oppressions. L'écoféminisme révèle, pour sa part, la façon dont « la crise environnementale touche de manière disproportionnée les femmes »1 ; particulièrement les femmes racisées, autochtones et en situation de pauvreté. Cette prise de conscience d'une grande importance a donné naissance à un mouvement pan-québécois qui refuse de diviser les luttes, et qui, en seulement cinq ans d'existence, a évolué à grandes enjambées, s'adaptant sans cesse à cette compréhension actualisée de l'écoféminisme, ainsi qu'à son évolution au sein des luttes et des communautés.

La rencontre entre la Marche mondiale des femmes et l'engagement de Mères au front dessine un avenir prometteur pour le Québec, et au-delà. Cette alliance permet de reconnaître que la crise climatique est indissociable des inégalités de genre ; que la protection de l'environnement passe par l'émancipation des femmes ; et que les mères, en tant que gardiennes de la vie, ont un rôle central à jouer dans cette transformation.

De plus, cette convergence des luttes s'inscrit dans une perspective écoféministe décoloniale plus vaste encore, puisque la plupart des écoféministes au Québec sont également mues par une volonté d'inclusion, en plus de mettre la nécessité de « décoloniser nos mouvements sociaux2 » à l'avant-plan. En ce sens, l'écoféminisme s'engage à faire converger les luttes féministes et écologistes, en mettant en exergue une nouvelle hiérarchie de valeurs semblable à celle de nombreux peuples autochtones.

Alors que l'urgence climatique et la transition socio-écologique nous demandent de reprendre la route, à l'instar des marcheuses de 1995 qui réclamaient du pain et des roses, nous devons exiger de la part de nos gouvernements un engagement formel envers nos enfants, afin de leur assurer un avenir vivable et viable. L'écoféminisme québécois actuel nous montre déjà la voie à suivre - aucune lutte ne peut être menée de façon isolée, et nous devons nous rassembler.

Face aux polycrises, à la pollution industrielle, aux inégalités persistantes et grandissantes ; vis-à-vis des projets de lois tels que le PL 97 et le PL C-5, nous n'avons d'autre choix que de nous mobiliser massivement afin de protéger la biodiversité et les droits humains fondamentaux à vivre dignement dans un environnement sain et sécuritaire pour tous·tes.

Les revendications de la Marche mondiale des femmes – élimination de la pauvreté, fin des violences envers les filles et les femmes, justice sociale ; le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux des humains, des communautés et de la biodiversité – demeurent d'une criante actualité et sont désormais nourries par l'urgence climatique ayant cours.

Trente ans après « Du pain et des roses », nous sommes encore en marche pour transformer le monde, et le message résonne plus fort que jamais,« On doit trouver le courage de pointer l'empereur qui est nu ! Même si des fois le doigt se tourne vers nous même”3 ».

Nots
1. Vandana, Shiva, Ecofeminism, 1993
2. Casselot, Marie-Anne, Les écoféminismes : un foisonnement intersectionnel, Nayla Naoufal, La Gazette des femmes, janvier 2020.
3. Mollen-Dupuis, Melissa, 30 août 2025

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Un seul candidat propose des politiques audacieuses lors du forum sur la direction du NPD

28 octobre, par Karl Nerenberg — , ,
Le forum sur la direction du NPD, parrainé par le Congrès du travail du Canada (CTC), s'est surtout concentré sur les biographies et la personnalité des candidats. Mais un (…)

Le forum sur la direction du NPD, parrainé par le Congrès du travail du Canada (CTC), s'est surtout concentré sur les biographies et la personnalité des candidats. Mais un candidat a tenté de bousculer les choses en mettant sur la table des idées audacieuses.

23 octobre 2025 | tiré de Rabble.ca | Photo : Les candidats à la direction du NPD sur scène avec la présidente du CTC, Bea Bruske.
Crédit : Nick Seebruch

Le très médiatisé forum sur la direction du Nouveau Parti démocratique (NPD), parrainé par le Congrès du travail du Canada, qui s'est tenu à Ottawa le mercredi 22 octobre, aurait été un événement terne et prévisible si un candidat n'avait pas présenté des propositions politiques risquées et audacieuses.

Ce candidat était Avi Lewis.

L'événement d'Ottawa était la deuxième fois que les cinq candidats prenaient la parole depuis la même tribune. La première fois avait eu lieu loin des projecteurs nationaux : à Nanaimo, en Colombie-Britannique, au début du mois d'octobre.

Le forum du CTC aurait pu constituer une occasion de couverture médiatique nationale importante pour le parti.

Mais – mauvaise nouvelle pour le NPD – le Premier ministre Carney a prononcé un discours télévisé majeur la même soirée. C'était dans le cadre de ses efforts pour gérer les attentes publiques avant le budget d'« ultra-austérité » que son ministre des Finances présentera le 4 novembre.

L'émission télévisée du Premier ministre a largement éclipsé les interventions des candidats du NPD.

Un candidat sort du script “voici qui je suis”

Le forum parrainé par le CTC n'était en aucun cas un débat.

Dans une salle du luxueux Westin Hotel d'Ottawa, la présidente du CTC, Bea Bruske, a mené des sessions de questions-réponses séparées de dix minutes avec chacun des candidats.

Les candidats n'avaient aucune occasion d'échanger entre eux ni de répondre aux questions du public enthousiaste, mais restreint, présent dans la salle.

Pour la plupart, les candidats ont profité de l'occasion pour se présenter aux Canadiens, peut-être pour la deuxième ou troisième fois.

Leurs interventions étaient largement autobiographiques, agrémentées d'une touche de rhétorique progressiste.

Le seul candidat qui a davantage parlé de politiques que de sa propre biographie était l'activiste et cinéaste basé en Colombie-Britannique, Avi Lewis.

Lewis a réussi à lancer une conversation nationale sur sa proposition que le gouvernement fédéral crée une « option publique » dans l'industrie alimentaire de gros.

Lors de son échange avec Bea Bruske, il a ajouté qu'il proposait également des options publiques similaires pour les services de téléphonie mobile et pour le logement.

Lewis a été le seul candidat à parler français et, dans cette langue, il a imputé le coût de la vie – « qui explose partout au Canada », dit-il – au degré élevé de concentration des entreprises dans le pays.

Il a souligné comment cinq grandes chaînes d'épicerie, cinq grandes banques nationales et trois géants des télécommunications contrôlent une grande partie du marché canadien. Ils profitent des difficultés économiques actuelles, ajouta-t-il, en fixant des prix extrêmement élevés pour le Canadien moyen.

Lewis publiera prochainement plus de détails sur ses propositions politiques et les rendra disponibles en ligne. Pour l'instant, il a expliqué à Bea Bruske qu'il financerait ses initiatives publiques proposées par un impôt sur la richesse visant les plus riches des riches.

McPherson ne renonce pas aux « tests de pureté »

Comme lors de son lancement de campagne, la seule députée en lice, Heather McPherson d'Edmonton, a parlé de sa famille inclusive et accueillante.

Elle a rappelé au public et aux spectateurs en ligne que son père était chauffeur de camion, membre authentique de la classe ouvrière. Sa mère était une femme au foyer à l'ancienne, et à leur table familiale « tout le monde était le bienvenu ».

C'est ce modèle, a soutenu McPherson, que le NPD devrait suivre.

« Nous devons rencontrer les gens là où ils sont, » a-t-elle dit, « et parler avec eux des enjeux qui leur importent. »

Lors de son lancement de campagne, la députée d'Edmonton avait offensé plusieurs autres NPDistes, notamment sa collègue Leah Gazan, en dénonçant ce qu'elle qualifiait de « tests de pureté » au sein du Nouveau Parti démocratique.

Gazan et d'autres ont fait remarquer que l'expression « tests de pureté » est associée à l'extrême droite américaine. Les conservateurs l'utilisent comme un signal codé contre les efforts de diversité et d'inclusion.

Lorsque des journalistes ont interrogé McPherson sur l'usage de ce terme potentiellement offensant, elle ne s'est pas rétractée. Elle a plutôt répété son mantra : le NPD doit être plus inclusif.

Un docker, un agriculteur et une travailleuse sociale autochtone

Le dirigeant syndical de la Colombie-Britannique, Rob Ashton, a suscité beaucoup d'intérêt et une couverture médiatique favorable depuis qu'il a annoncé sa candidature. Il déclare ouvertement ne pas encore être prêt à présenter des politiques qu'il pourrait défendre, préférant qu'elles émergent des conversations avec les militants et membres du NPD, ainsi qu'avec d'autres Canadiens.

Il se présente comme un vrai travailleur, contrairement aux leaders des deux plus grands partis canadiens.

« Pierre Poilievre n'est pas un travailleur », a-t-il dit à Bruske. « Mark Carney n'est pas un politicien. »

Il ajoute : « Nous sommes dans une guerre des classes. C'est la classe dirigeante contre la classe ouvrière. Il faut en parler fort et mobiliser les troupes. »

Tony McQuail, agriculteur biologique de la région de Huronia, en Ontario, a déjà été candidat pour le NPD à sept reprises, au niveau fédéral et provincial. Il veut lier la lutte pour une démocratie efficace, pour la planète et pour la justice économique et sociale.

Il dénonce l'économie centrée sur le consommateur et le degré élevé et croissant des inégalités, et estime qu'un système électoral proportionnel produirait un parlement plus apte à relever ces défis que l'actuel.

McQuail a été le seul candidat à parler des enjeux et des menaces de l'intelligence artificielle (IA).

« Nous devons nous inquiéter à la fois de l'énorme empreinte écologique de l'IA et de savoir qui contrôle l'IA – actuellement des méga-entreprises basées à l'extérieur du Canada. »

Tanille Johnston, travailleuse sociale et conseillère municipale à Campbell River sur l'île de Vancouver, est la seule candidate autochtone. Elle parle de son expérience de travailleuse sociale humaniste, inspirée par les écrits de bell hooks, et de son engagement dans la vie étudiante.

« En tant que personne ayant grandi dans la politique étudiante, en tant qu'autochtone et en tant que femme, » dit-elle, « je me sens en position de construire ce parti. »

La seule proposition concrète de Johnston concerne le parti, pas le gouvernement canadien. Si elle devenait chef, elle a déclaré que dès le premier jour, elle rendrait l'adhésion au NPD gratuite.

« Si nous voulons faire croître le parti, nous avons besoin de plus de monde. Il faut le rendre plus accessible. Il ne faut pas de barrières financières. »

Pour reprendre les mots de Heather McPherson, Johnston a dit : « Si nous voulons que davantage de personnes viennent à la table, ouvrons la porte ! »

Les politiques manquaient à l'appel, sauf pour Lewis

En fin de compte, ce soir-là, c'est Avi Lewis qui a présenté les propositions les plus audacieuses, provocatrices et intéressantes.

Il a insisté pour dire que cette course ne devrait pas porter sur la biographie ou l'identité de quiconque, mais sur des idées politiques concrètes et significatives.

« Je prends de grands risques, » a-t-il dit, « et je propose des solutions claires, à la hauteur des crises auxquelles nous faisons face. »

Il a reconnu que tout le monde n'est pas d'accord avec ses solutions, mais a ajouté :

« Le NPD doit proposer des idées, pas seulement des mots justes, soigneusement choisis. C'est une période de désespoir où le fascisme monte – et pas seulement dans le gouvernement autoritaire au sud de la frontière. »

La crise économique actuelle, a expliqué Lewis, crée des conditions fertiles pour les remèdes faciles et haineux de l'extrême droite.

Les progressistes doivent confronter ces fausses promesses avec un discours clair et des alternatives sérieuses et réalisables – des politiques alternatives qui offrent un vrai espoir aux personnes inquiètes et en colère.

La prochaine rencontre des candidats sera un véritable débat, où ils pourront s'adresser les uns aux autres, et pas seulement à un modérateur.

Cela aura lieu à Montréal le 27 novembre – sauf, bien sûr, si des élections sont déclenchées avant cette date.

Comme le disait le grand pianiste et compositeur de jazz Fats Waller :

« On ne sait jamais, hein ? »

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Si loin de Dieu, si près des États-Unis

28 octobre, par Jean-François Delisle — , , , ,
Depuis son entrée en fonction comme président des États-Unis (janvier 2025) pour un second et dernier mandat, Donald Trump évoque de temps à autre (quoique rarement) son rêve (…)

Depuis son entrée en fonction comme président des États-Unis (janvier 2025) pour un second et dernier mandat, Donald Trump évoque de temps à autre (quoique rarement) son rêve d'annexer le Canada.

Dans quelle mesure doit-on prendre ses affirmations au sérieux ? Y croit-il vraiment lui-même ? On le sait instable et souvent imprévisible. Aurait-il une idée derrière la tête en formulant ce songe ? Ou s'agirait il d'un plan sérieux, à long terme ?
S'il peut se permettre de formuler cette lubie à voix haute sans que personne ne le contredise, du moins ouvertement, c'est qu'il a la certitude que d'autres personnes de son entourage partagent cette idée d'annexion ou « d'intégration », ce dernier terme pouvant signifier bien des choses. Nous y reviendrons.

Certes, Trump ne demeurera pas en poste indéfiniment et il va quitter ses fonctions de président en 2029. Mais il ne fait qu'exprimer l'envie d'une partie de la classe politique d'accentuer la mainmise américaine sur le voisin du nord et dans quelques cas, de l'annexer carrément.

Mettre la main sur les ressources naturelles canadiennes, s'emparer de son économie, bénéficier du savoir-faire et de la compétence de ses élites économiques et financières, de sa main d'oeuvre qualifiée, voilà une tentation irrésistible pour certains politiciens américains. Mais est-ce réaliste et faisable ? Bien des facteurs d'incertitude s'interposent entre ce rêve et la réalité, au premier chef celui des rapports de force réciproques.

Tout d'abord, le Canada est déjà le vassal des États-Unis dans une large mesure. De plus, il compte quarante millions d'habitants, dont neuf millions de Québécois au particularisme très marqué. Il possède donc une population assez considérable, même si elle est bien inférieure à celle de son voisin du sud. Vaut-il la peine, dans ce contexte, d'essayer de l'acquérir et si oui, comment ? Canadiens et Québécois sont-ils seulement intéressés à devenir le cinquante-et-unième État américain ? Il s'agit là d'une question centrale, incontournable. Rien ne permet ne répondre par la positive. Si les Canadiens et les Québécois refusent l'intégration politique à la république américaine, il ne reste aux trumpistes que deux options : la conquête militaire ou l'étouffement économique.

Trump a déjà exclu la première. Il n'a pas précisé comment il prévoyait s'y prendre pour réaliser ce qui n'apparaît pour l'instant qu'un rêve, pas même un projet dont la réalisation représenterait une entreprise périlleuse et au résultat incertain.

Quoi qu'on en dise, États-Unis et Canada sont deux pays très différents l'un de l'autre à bien des égards. La culture politique n'est pas la même ni les institutions qui en découlent, ni le partage des pouvoirs entre les entités (États et provinces) propres aux deux pays. Les politiques publiques de la redistribution de la richesse produite diffèrent d'un pays à l'autre (elle est moins maigre au Canada). De plus, il y a chez nous la question du Québec qui n'est toujours pas réglée, quoiqu'on en dise. Il n'est pas sûr que les Américains sont prêts à mettre la main dans ce guêpier.

Surtout, la direction américaine, qu'elle soit démocrate ou républicaine, devrait compter avec la forte résistance d'une majorité de la population canadienne devant les initiatives annexionnistes de sa part, ce qui lui coûterait très cher tant en termes politiques que diplomatiques et commerciaux. Le prix à payer pour annexer la Canada s'avérerait bien plus élevé que les bénéfices escomptés.

L'annexion, si elle réussissait, chamboulerait tout l'équilibre politique interne des États-Unis. L'électorat américain augmenterait de plusieurs millions d'électeurs et d'électrices, ce qui pourrait menacer le jeu des partis déjà établis et même transformer, sait-on jamais, leur orientation.

Sur papier, la lubie annexionniste est tentante, mais elle apparaît en pratique irréalisable. D'ailleurs, Trump n'en parle que rarement et on peut douter que l'ensemble de la classe politique américaine y croie vraiment ; une bonne partie s'y opposerait vraisemblablement si le président essayait de la matérialiser.

Les trumpistes parlent d'intégration du Canada aux États-Unis plus que d'annexion. Mais qu'entendent ils au juste par là ?

L'annexion politique pure et simple ou une insertion libre-échangiste encore plus poussée que celle qui prévaut actuellement ? Ils ne le précisent pas. Ils n'ont pas intérêt à étouffer commercialement le Canada, même s'ils exercent de fortes pressions tarifaires sur lui pour rapatrier le plus de filiales d'entreprises américaines possible aux États-Unis. Il ne faut donc pas prendre à la légère les menaces trumpistes d'intégrer encore davantage l'économie du Canada à celle des États-Unis. On doit donc se préparer à une une longue résistance aux pressions de Trump sur l'économie canadienne. Mais son rêve de procéder un jour à l'annexion du Canada paraît relever davantage d'une tocade que d'une réelle intention.

Jean-François Delisle

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Projet de loi C-12 : Quand la sécurité frontalière menace

28 octobre, par Cyrille Ekwalla — , ,
Derrière le discours sur la « sécurité », un projet de loi controversé pourrait restreindre l'accès à l'asile au Canada. L'avocate Suzanne Taffot alerte sur les dérives d'une (…)

Derrière le discours sur la « sécurité », un projet de loi controversé pourrait restreindre l'accès à l'asile au Canada. L'avocate Suzanne Taffot alerte sur les dérives d'une approche qui sacrifie l'humain à la logique frontalière.

25 octobre 2025 | tiré de NéoQuébec
https://institut.neoquebec.com/analyses-opinions/projet-de-loi-c-12-quand-la-securite-frontaliere-menace-les-droits-humains

Le projet de loi C-12, anciennement connu sous le nom de C-2, suscite une vive controverse. Présenté par le gouvernement fédéral comme un moyen de renforcer la sécurité à la frontière canado-américaine, le texte soulève de profondes inquiétudes chez les juristes et les organisations de défense des droits humains. Pour plusieurs observateurs, cette réforme pourrait affaiblir les garanties fondamentales accordées aux demandeurs d'asile et remettre en cause la réputation humanitaire du Canada.

C'est l'analyse qu'en fait Me Suzanne Taffot, avocate en droit de l'immigration et cofondatrice du cabinet Herittt Avocats, au cours de l'émission radio de Neoquébec animée par Cyrille Ekwalla. Membre active de l'AQAADI (Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration) et de la Canadian Association of Refugee Lawyers (CARL), elle plaide pour un retrait pur et simple du projet de loi, qu'elle juge « dangereux, inutile et contraire au droit international ».

Deux clauses qui ferment la porte à l'asile

Sous couvert de lutte contre la criminalité transfrontalière et l'immigration irrégulière, le projet de loi introduit deux nouvelles clauses d'irrecevabilité des demandes d'asile.

La première empêche toute demande déposée plus d'un an après l'entrée sur le territoire canadien — avec effet rétroactif jusqu'à 2020.

La seconde supprime la possibilité de régulariser une entrée irrégulière dans un délai de 14 jours, une disposition qui permettait encore à des milliers de personnes de faire valoir leurs droits.

« Ces mesures sont inhumaines », dénonce Me Taffot. « Elles ignorent totalement les réalités vécues par les réfugiés, notamment les femmes victimes de violences, les personnes LGBTQ+ ou celles souffrant de traumatismes. Punir leur silence ou leur retard administratif, c'est refuser de voir leur souffrance. »

Procédures expéditives et agents non spécialisés

Le texte prévoit également de confier les demandes d'évaluation des risques avant renvoi (ERAR) à des agents non spécialisés.

Ces demandes, censées offrir une dernière protection avant l'expulsion, se feraient désormais sans audience, sans avocat et sur la seule base de documents écrits.

« C'est une justice administrative à la chaîne, où la vie des gens se joue sur un formulaire », déplore Me Taffot.

Selon elle, ces procédures expéditives violent le droit à une audience équitable reconnu par la Charte canadienne des droits et libertés.

Des pouvoirs renforcés pour les agents frontaliers

Autre aspect préoccupant : l'élargissement des pouvoirs de fouille et de surveillance.

Le projet de loi autorise les agents frontaliers à ouvrir le courrier, effectuer des fouilles sans mandat et partager des données personnelles avec les autorités américaines.

Pour plusieurs juristes, ces dispositions constituent une dérive sécuritaire incompatible avec le respect de la vie privée.

« Nous risquons d'installer un régime d'exception permanent », avertit l'avocate. « Ce n'est pas ainsi qu'on protège une démocratie. »

Le poids du voisin américain

Derrière cette réforme, Me Taffot voit aussi une pression politique implicite exercée par les États-Unis, qui reprochent au Canada une certaine « permissivité » migratoire.

Depuis la renégociation de l'Entente sur les tiers pays sûrs, le fameux chemin Roxham — longtemps symbole d'espoir pour des milliers de demandeurs d'asile — est désormais fermé.

« On bâtit des murs invisibles », regrette-t-elle. « Des murs juridiques, administratifs et politiques qui repoussent les gens vers la misère ou le danger. »

Des solutions existent

Face à cette dérive, plusieurs regroupements — dont la Coalition pour la justice migratoire — proposent des amendements réalistes :

  • rétablir les exceptions humanitaires pour les personnes vulnérables ;
  • garantir une audience obligatoire dans les cas d'évaluation des risques ;
  • suspendre tout renvoi en cas de recours judiciaire ;
  • et surtout, réintroduire une approche centrée sur la dignité humaine plutôt que sur la seule logique de contrôle.

Pour Me Taffot, il ne s'agit pas d'être naïf face aux enjeux de sécurité, mais d'éviter que le Canada abandonne ses principes humanitaires au nom d'un discours politique anxiogène.

« La peur n'a jamais été un bon fondement pour écrire une loi », affirme-t-elle.

Vers une justice plus consciente des réalités culturelles

Au-delà de la question migratoire, Me Taffot milite également pour une approche judiciaire plus équitable à travers les rapports d'évaluation de l'incidence culturelle et ethnique (EICÉ).

Déjà utilisés dans d'autres provinces, ces rapports permettent aux juges de mieux comprendre les contextes sociaux et raciaux qui influencent les comportements des accusés, afin de rendre des décisions plus justes.

« L'équité, ce n'est pas un privilège », rappelle-t-elle. « C'est une façon de réparer ce que le système a brisé. »

Entre sécurité et humanité : un choix de société

Le projet de loi C-12 place le Canada devant un dilemme moral et politique.

En cherchant à contrôler davantage ses frontières, le pays risque de renier la tradition d'accueil qui a longtemps façonné son identité.

« Les lois doivent protéger les citoyens, bien sûr, mais elles doivent d'abord protéger les êtres humains », conclut Me Taffot.

Une évidence, certes — mais qu'il semble nécessaire de rappeler à l'heure où la peur prend trop souvent le pas sur la compassion.

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Réforme du régime syndical. Et pourquoi pas une « cotisation patronale facultative » ?

28 octobre, par Camille Popinot, Paco — , ,
En parfaite contradiction avec les normes minimales de l'Organisation internationale du travail , l'actuel Ministre du travail Jean Boulet affirme que « la mission centrale (…)

En parfaite contradiction avec les normes minimales de l'Organisation internationale du travail , l'actuel Ministre du travail Jean Boulet affirme que « la mission centrale d'un syndicat, c'est de représenter, de négocier et de faire de la formation. Ce n'est certainement pas de faire de la politique ou de contester des lois comme celle sur la laïcité ».

Et pour défendre sa réforme du régime syndical, comme sa redéfinition du syndicalisme, il ajoute avec une hypocrisie difficile à ne pas remarquer :

« Je le réitère : ce n'est pas un projet de loi contre les syndicats mais pour les syndiqués ».

Pour rappel, Jean Boulet, qui fut avocat patronal, président de la Chambre de commerce de la Mauricie, Ministre de la région de la Mauricie, d'Abitibi-Témiscamingue, du Nord du Québec, a été démis de ses fonctions de Ministre de l'immigration puis renommé Ministre du travail par François Legault, après avoir affirmé que « 80 % des immigrants s'en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français » . Désormais, il poursuit ses basses œuvres de porte-flingue du patronat contre les syndicats.

Concrètement, après s'être attaqué au droit de grève (Projet de loi 89), aux mécanismes de prévention de la santé et de la sécurité dans les secteurs d'emplois les plus féminisés (Pl.101), il entend obliger les syndicats à organiser des consultations visant à rendre les « cotisations syndicales facultatives » pour tout ce qu'il considère comme étant politique et ne relevant donc pas de la mission « essentielle » du syndicat, selon lui. Cela au nom d'une meilleure « transparence » dans l'usage des ressources financières.

Puisqu'on en parle, nous aussi on aime la transparence et on aimerait bien savoir dans quelles poches sont finalement tombés : les 3 milliards ou les 458 millions de dollars de fonds publics (les chiffres varient selon les sources) dépensés pour SAAQclic ; les quelques 400 millions perdus sur les 800 millions « investis » dans Airbus ; les 325 millions offerts au chantier maritime Davie ; les 270 millions de dollars laissés à Northvolt ; les 220 millions à Recyclage Carbonne Varennes, les 143 millions accordés à Lion Électrique, etc .

On aimerait bien être consulté.e.s pour une « cotisation patronale facultative » afin d'arrêter ce pillage organisé, sans consultation, par et pour une poignée de millionnaires.

Mais pour la CAQ et le patronat, la transparence et les consultations démocratiques sont à géométrie variable. Elles valent certes pour les cotisations syndicales mais ne sont plus souhaitables lorsqu'il s'agit des impôts, de l'argent public et du capital où le lobbying et les négociations secrètes avec les organisations patronales sont privilégiées.

Force est ainsi de constater que ce qu'il faut bien appeler les syndicats patronaux - au premier rang desquelles les chambres de commerce – sont non seulement organisés mais bien représentés, ayant bien compris quant à eux l'intérêt d'avoir un gouvernement et un ministre du travail à leur service. C'est-à-dire viscéralement enclins à s'attaquer aux syndicats de travailleurs et de travailleuses.

Aussi, compte tenu des rapports de force et en attendant le renversement urgent et nécessaire de ce gouvernement, pourquoi ne pas prendre au mot le Ministre ? On pourrait par exemple consulter les syndiqué·es sur la question de savoir s'ils et elles souhaiteraient engager des fonds syndicaux dans la documentation des usages qui ont été faits de l'argent public. Une telle consultation serait évidemment une manière de faire de la politique puisqu'elle porte en elle un réel risque de mobilisation sociale – y compris des non-syndiqué·es - contre un gouvernement qui n'a de cesse de détruire les services publics, de s'attaquer aux migrant·es et de creuser les inégalités sociales, au point de faire du Québec la province canadienne la plus inégalitaire.

Camille Popinot et Paco
Le 22 octobre 2025

Les colloques régionaux intersyndicaux de 1970 : le logement au Québec

28 octobre, par Marc Comby — , ,
Dans mon article précédent, je mentionnais l'existence des colloques régionaux intersyndicaux en 1970, colloques inédits d'une grande actualité et trop méconnus de la part des (…)

Dans mon article précédent, je mentionnais l'existence des colloques régionaux intersyndicaux en 1970, colloques inédits d'une grande actualité et trop méconnus de la part des plus jeunes militants. Le rapport déposé pour discussion, riche en données et perspectives, était divisé en thèmes. Dans la présente contribution, je reviens sur le thème de l'enjeu du logement.

Marc Comby
Archiviste et historien des mouvements sociaux

La Confédération des syndicats nationaux (CSN) portait un intérêt particulier sur cet enjeu du logement. En mars 1969, le Conseil confédéral de la CSN décide de confier à un Comité spécial le soin de travailler à l'élaboration d'une politique du logement. Le comité était composé de Jacques Archambault de la Fédération du commerce de la CSN, Jacques Trudel, urbaniste à la Ville de Montréal, Claude Gingras de la Fédération du Bâtiment et du Bois ouvré de la CSN.

Dans le même temps, le Conseil central des syndicats nationaux de Montréal (CCSNM) a mit sur pied un comité ad hoc d'étude sur le logement et les taudis dans les limites territoriales de l'Île de Montréal qui donna lieu au rapport Un meilleur logement à meilleur prix. Le comité du Conseil confédéral s'est largement inspiré du rapport du CCSNM. Les grandes orientations de ces rapports se retrouveront dans le rapport des colloques régionaux.

Les auteurs soulèvent que l'enjeu de l'accessibilité au logement touche de larges couches de la population. Ils posent d'emblée une politique du logement à celle de l'utilisation du sol qui ne contrôle pas la spéculation foncière.

En terme des besoins en logement, en 1968, selon la Société centrale d'hypothèque et de logement (SCHL) environ 250 000 nouveaux logements par an seraient nécessaires pour résoudre en cinq ans, au Canada, les demandes en logement et la solution aux logements inadéquats. Au prorata de la population du Québec, 72 500 nouveaux logements seraient nécessaires. Pour satisfaire aux besoins des familles, les auteurs émettent des normes pour résoudre le problème de surpeuplement définit comme étant l'occupation d'un logement par plus d'une personne par pièce. En 1961, 22% de tous les logements étaient considérés surpeuplés.

Le logement est aussi un milieu ambiant sain (bruit, circulation, polluants sonores et industriels, présence d'espaces verts, accès aux transports, etc.). Ainsi, la rénovation urbaine qui consiste trop souvent à la démolition de pans de quartier a pour conséquence d'aggraver le milieu social. La transformation des quartiers ne sauraient se faire sans l'amélioration des conditions de vie de la population résidente. Les auteurs plaident pour un vaste programme de construction intensive de logements qui ne saurait se mettre en place sans la participation et la consultation des futurs occupants de ces logements.


Pour une politique du logement

Pour satisfaire aux besoins en logement, les citoyens doivent pouvoir se loger à un prix abordable. À Montréal, les 40% des citoyens les moins fortunés habitent 80% des vieux logements et 53% des logements surpeuplés. Parmi les gens défavorisés, la part du loyer des dépenses de consommation augmente sans cesse car la hausse des salaires ne suit pas la hausse des loyers. Les auteurs y mentionnent aussi la hausse des coûts de construction pour expliquer la difficulté d'accéder à des logements abordables : « Comme le coût de construction ne représenterait lui-même qu'au plus 60% du coût total ou prix de vente du logement, la main-d'œuvre ne représenterait elle-même que 15% de ce coût ». Le coût des terrain, tant pour les vieux que les neufs logements, devient aussi un facteur de l'augmentation du coût du logement. Neutraliser la spéculation devient essentiel pour empêcher toute hausse démesurée du prix du terrain : « la nationalisation du sol urbain pourrait éliminer totalement la spéculation ».

À la différence des autres objets de première nécessité, « le logement se consomme sur une très longue période » (20 ans et plus) d'où l'importance des taux d'intérêt. De 1966 à 1969, les taux bondissaient de 7 1/4% à plus de 9%. Devant l'augmentation considérable des taux, la CSN, dans un mémoire au gouvernement fédéral en 1969, mentionnait qu'elle était de « nature à favoriser les spéculateurs, les banques et les compagnies d'assurances ».

La propriété privée du sol est une entrave à une meilleure planification et aménagement urbain. Le privé engendre morcellement arbitraire et irrationnel du sol. Le spéculateur en sort gagnant. Il finance ses opérations en utilisant son propre capital pour 10% et obtient les 90% restant sur le marché financier des prêts hypothécaires.

Pour les auteurs, l'adoption d'une politique du logement est nécessaire englobant l'industrialisation de la construction, les allocations aux personnes délogées, la rénovation urbaine, le logement des personnes âgées, le logement des immigrants et les droits des locataires.

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Ensemble, on bloque le recul

28 octobre, par Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) — , ,
Quand les projets de la CAQ tournent au désastre, de SAAQclic à Northvolt, le gouvernement Legault préfère faire diversion et changer de sujet. Au lieu de s'attaquer à la crise (…)

Quand les projets de la CAQ tournent au désastre, de SAAQclic à Northvolt, le gouvernement Legault préfère faire diversion et changer de sujet. Au lieu de s'attaquer à la crise du logement, à la santé en déroute ou aux écoles délabrées, il s'en prend aux syndicats.

Grand rassemblement intersyndical

Le 29 novembre, on ne tombera pas dans le piège : marchons pour lui rappeler les vraies priorités !

Toute la population est invitée à se joindre au grand rassemblement intersyndical ! Une grande marche se mettra en mouvement, à Montréal, pour se rendre jusque devant le bureau du premier ministre coin McGill College et Sherbrooke.

Venez en grand nombre !

Quand : 29 novembre à 13 h 30

: Place du Canada (Montréal)

Renseignements et transport

Des autobus partiront de toutes les régions. Vous devez vous inscrire préalablement en remplissant le formulaire ci-dessous. Des boîtes à lunch seront fournis dans les autobus.

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Organisée par l'intersyndical, cette mobilisation est ouverte à l'ensemble de la population.

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La question de la semaine en période électorale

28 octobre, par Gérard Montpetit — , ,
Dans un article de Thomas Deshaies de la SRC, nous apprenons que dix municipalités du Québec ont des concentrations alarmantes de pesticides dans leur eau potable. Ainsi, (…)

Dans un article de Thomas Deshaies de la SRC, nous apprenons que dix municipalités du Québec ont des concentrations alarmantes de pesticides dans leur eau potable.

Ainsi, notre ville de Saint-Hyacinthe aurait le triste honneur d'avoir, dans son eau dite « potable », 12 462 microgrammes par litre (µg/L) de pesticides. Les autres villes ont moins de pesticides que la capitale de l'agroalimentaire, mais selon le tableau, elles ont toutes une concentrations supérieures à 2 000 µg/L ![1] Même si les prises d'échantillons ont été faites en périodes d'épandage, ces données ne sont pas rassurantes ! Surtout si on se souvient que plusieurs municipalités, comme notre voisine Sainte-Cécile-de-Milton, ont des contaminations aux PFAS (ou produits chimiques éternels). Les émissions La semaine verte et Enquête de la SRC ont également fait des reportages au sujet de boues américaines contaminées aux PFAS en sol québécois.[2] Quels pourraient être les effets d'un tel cocktail chimique sur notre santé ?

Comme le souligne le prof. Sébastien Sauvé, l'interaction entre des PFAS et des pesticides dont le glyphosate est inquiétante. En effet, la littérature scientifique fait des liens entre ces produits et certaines maladies graves dont divers cancers, des dérèglements hormonaux et la maladie de Parkinson.

Plusieurs articles laissent entendre qu'il y a une trop grande proximité entre l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) et le lobby des pesticides.[3] Pour contrer cette proximité dangereuse avec les Monsanto de ce monde, il faudrait que les municipalités proclament haut et fort leurs préoccupations aux gouvernements de Québec et d'Ottawa.[4]

Entretemps, j'invite les municipalités et les MRC à collaborer avec l'ensemble des citoyens, ainsi qu'avec les organismes de bassins versants comme l'OBV Yamaska, et les autres paliers de gouvernement, pour trouver des solutions qui pourront réduire cette contamination à la source. Si la norme européenne est plus basse, c'est que ces pays gèrent les pesticides à partir du principe de précaution. Alors pourquoi ne pas utiliser ce principe dans notre gestion des produits antiparasitaires ? Il faudrait aussi travailler avec les agronomes et l'industrie pour réduire la quantité de ces produits que les agriculteurs utilisent. Un autre article nous apprend qu'un de nos concitoyens, l'agronome Louis Robert, a travaillé pendant 30 ans au ministère de l'Agriculture et qu'il « déplorait récemment qu'il n'y ait pas davantage d'efforts pour démontrer qu'il existe des solutions de rechange aux pesticides. »[5]

La connaissance du danger mène à l'action ! Pour obliger les gouvernements des paliers supérieurs à agir, il faut que la population soit bien informée de la situation. Dans cette optique, le magazine français Good Planet nous informe que deux ONG « ont mis en ligne jeudi un site proposant une carte interactive des principaux polluants chimiques présents dans l'eau du robinet en France, espérant permettre ainsi « un accès plus facile du public à ces informations. »[6]

Je suis conscient que le laxisme des normes canadiennes par rapport aux normes européennes ne relève pas du niveau municipal. Mais nous sommes en période électorale. Et les élus municipaux doivent défendre la santé de leurs concitoyens devant le laxisme des autres paliers de gouvernement. Pour que les citoyens puissent être conscients de la présence de ces produits délétères dans leur eau potable, pouvons-nous, ensemble, tenter de mettre sur pied un site interactif tel que décrit plus haut ?

Gérard Montpetit
La Présentation
le 22 octobre 2025

1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2199577/glyphosate-pesticides-eau-villes-quebec-normes

2] https://ici.radio-canada.ca/tele/la-semaine-verte/site/segments/reportage/424309/boues-epuration-champs-fertilisation

3] https://www.nationalobserver.com/2025/03/06/news/canada-pfas-forever-chemicals-toxic

4] https://www.nationalobserver.com/2024/11/04/news/canada-pesticide-regulator-pmra-captured-industry

5] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2196849/glyphosate-eau-vigilance-ogm-herbicides-pesticides-sante

6] https://www.goodplanet.info/2025/10/16/deux-ong-publient-une-carte-de-france-des-polluants-dans-leau-du-robinet/?idU=1

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Une pétrolière convainc le Canada de modifier ses lois sur le renseignement

28 octobre, par Patou Oumarou — , ,
Montréal — Des documents obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information par The Narwhal révèlent que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a fait sienne (…)

Montréal — Des documents obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information par The Narwhal révèlent que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a fait sienne une proposition de la pétrolière TC Energy visant à créer une entente officielle d'échange d'information entre l'agence de renseignement du Canada et les plus grandes entreprises du pays.

Tiré de Greenpeace Canada.

En février 2024, TC Energy a proposé la création d'un “Conseil de l'alliance de la sécurité canadienne” inspiré d'un programme américain dans le cadre duquel les agences de renseignement échangent directement des informations avec des entreprises privées. Le SCRS a non seulement accueilli favorablement cette proposition, mais il a aussi encouragé TC Energy à faire pression pour obtenir des changements législatifs permettant le partage de renseignements classifiés avec des sociétés privées. Ces changements ont ensuite été intégrés au projet de loi C-70, une loi visant à contrer l'ingérence étrangère, adoptée à la hâte par le Parlement en 2024.

« Les services secrets canadiens espionnent-ils les Québécoises et Québécois au nom de l'industrie pétrolière ? Le SCRS devrait protéger la population au lieu de conclure des ententes avec les pétrolières », déclare Louis Couillard, responsable de la campagne climat-énergie pour Greenpeace Canada. « La frontière entre sécurité publique et intérêts corporatifs est brouillée, et ça risque de placer sous surveillance des défenseur·es des territoires autochtones ainsi que des militant·es pour le climat qui s'opposent pacifiquement à l'expansion des énergies fossiles. »

Les documents montrent également que des cadres du SCRS se sont félicités de la rapidité avec laquelle le projet de loi C-70 a été adopté, en soulignant qu'ils avaient réussi à élargir leurs pouvoirs de divulgation à « toute personne ou entité », donc même à des entreprises privées comme TC Energy.

Greenpeace Canada alerte sur la possibilité que le projet de loi C-2 du gouvernement Carney qui sera débattu au Parlement cet automne élargisse davantage les pouvoirs de surveillance du SCRS. Cela ouvrirait la porte au partage direct d'informations des agences de renseignement canadiennes avec des pétrolières multinationales ainsi que des gouvernements étrangers.

« Au lieu de se concentrer sur la véritable menace qui pèse sur la population québécoise et canadienne, la crise climatique, nos agences de sécurité tissent des alliances avec les entreprises qui alimentent cette crise », ajoute Louis Couillard. « Le Canada doit s'éloigner de l'exploitation des énergies fossiles pour protéger la population contre les changements climatiques, et non renforcer ses liens avec l'industrie pétrolière.

Le SCRS peut maintenant partager des informations classifiées avec des compagnies comme TC Energy sous prétexte de lutter contre l'ingérence étrangère dans nos élections et aux frontières. Et avec le projet de loi C-2, le gouvernement Carney veut encore plus de pouvoirs pour espionner sans mandat. C'est une pente glissante vers plus d'abus »

Pour lire le document d'information complet et accéder aux documents originaux obtenus par la Fondation pour le journalisme d'enquête, cliquez ici

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Mères au front exige une protection accrue pour la principale source d’eau potable de la Ville de Québec

28 octobre, par Mères au front de la ville de Québec, Béatrice Lara Bilodeau — , ,
Cette source, le lac Saint-Charles, se retrouve dans un état de plus en plus inquiétant. En 2018, AGIRO a évalué qu'il avait vieilli de 25 ans en 5 ans. On peut maintenant lui (…)

Cette source, le lac Saint-Charles, se retrouve dans un état de plus en plus inquiétant. En 2018, AGIRO a évalué qu'il avait vieilli de 25 ans en 5 ans. On peut maintenant lui en ajouter un autre 25.

Cette réserve d'eau potable alimente actuellement 350 000 citoyennes et citoyens de Québec, de Wendake, de L'Ancienne-Lorette et la base militaire de Valcartier.

En plus de fournir de l'eau aux humains, le lac St-Charles et son bassin versant constituent un milieu de vie riche pour plusieurs espèces de poissons, d'amphibiens, de reptiles, de mammifères et d'oiseaux.

Le lac est alimenté par les cours d'eau de surface et souterrains en provenance d'un bassin versant qui inclut les villes de Stoneham et de Lac Delage. L'eau de pluie qui glisse sur les surfaces peut aussi se retrouver dans le lac St-Charles.

La pollution générée par les activités humaines se retrouvent donc en grande partie dans le lac. Certaines mesures sont prises pour freiner cette pollution, par exemple, moins de sel est épandu en hiver sur les écoroutes situées en bordure du lac.

Actuellement, la cause principale de pollution du lac, ce sont les rejets des usines d'épuration des eaux usées de Stoneham et de Lac Delage. Car ces usines ne sont pas en mesure de traiter tout le volume d'égouts qu'elles reçoivent. Cela crée des surverses, c'est-à-dire que les eaux non traitées débordent des bassins et se retrouvent directement dans le lac St-Charles. Par exemple, lorsqu'il y a beaucoup de skieurs au centre de ski de Stoneham, il y a surverses. Ces surverses augmenteront avec le développement de la Ville de Stoneham. Les pluies diluviennes, qui seront de plus en plus fréquentes avec les changements climatiques, sont également à l'origine de surverses.

Selon les scientifiques, le raccordement des usines d'épuration des eaux usées de Stoneham et de Lac Delage au réseau d'égout de la Ville de Québec constitue donc la mesure la plus sensée pour régler la principale source de contamination du lac St-Charles. La Ville de Québec n'a pourtant fait aucune démarche pour obtenir des subventions en vertu de programmes existants au gouvernement du Québec et du Canada alors que plusieurs de ces programmes se termineront bientôt.

Contre toute attente, en 2023. la Ville de Québec s'est attaquée à un problème, qu'il faut certes régler, mais marginal par rapport à la pollution actuelle et future générée par les deux usines de traitement des eaux usées. Dans les zones écologiques les plus sensibles, le changement des installations septiques pour les résidences ayant plus de 30 ans, a été imposé, même dans le cas d'installations qui étaient parfaitement fonctionnelles et conformes selon les normes provinciales. Surtout, la Ville de Québec n'a pas choisi la solution privilégiée, depuis nombre d'années, par les experts à savoir, connecter ces résidences à l'égout municipal ! Et la Ville de Stoneham a agi dans le même sens.

Par-dessus le marché, malgré que la technologie de fosses tertiaires ait été imposée par la Ville de Québec, les tests effectués sur les rejets de plusieurs fosses septiques ont ensuite démontré qu'ils dépassent de beaucoup les normes. Ce sont les citoyens concernés qui ont tiré la sonnette d'alarme alors que la Ville de Québec a refusé de divulguer la situation dans son ensemble à la demande de journalistes et de citoyens.

De plus, les installations septiques s'avèrent dispendieuses en dépit des subventions versées, exigent des coûts très élevés d'entretien et certaines d'entre elles sont tombées en panne. Également, le remplacement des fosses septiques a entraîné l'abattage de plusieurs arbres alors que la végétation contribue à l'absorption de divers polluants qui autrement se retrouveraient dans le lac.

Soulignons que l'usine d'épuration de la Ville de Québec ne pourra pas traiter une eau de plus en plus polluée sans de nouvelles mises à niveau coûteuses et qu'aucune technologie ne permettra de traiter une eau trop polluée, certains polluants n'étant pas identifiés par des tests, donc non traités.

Protégeons la ressource eau, plutôt que de la dépolluer et sauvegardons, par la même occasion, toute la faune qui en dépend !

En conséquence, Mères au front ville de Québec demande aux personnes candidates aux élections municipales d'appuyer les propositions suivantes :

• Que la Ville de Québec demande aux gouvernements une aide financière pour le raccordement à son réseau d'égout des usines d'épuration de Stoneham et Lac Delage et réserve des montants en vue de ce raccordement ;

• D'évaluer rapidement la possibilité d'établir un réseau d'aqueduc dans les rues des zones sensibles du bassin versant de la prise d'eau potable de la St-Charles afin de raccorder, au fur et à mesure, les installations sanitaires lorsqu'elles seront désuètes.

• De mettre sur pause le programme de changement obligatoire de fosses septiques.
• D'établir un dialogue avec les citoyens qui ont déjà changé leur fosse septique afin de trouver une solution raisonnable aux problèmes qu'ils ont signalés.

• De revoir, simultanément, la planification en vue d'une meilleure préservation de la qualité de l'eau potable du lac Saint-Charles afin d'augmenter sa résilience devant la menace des changements climatiques sur les écosystèmes.

Béatrice Lara Bilodeau, pour Mères au front ville de Québec

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COP 30 : les communautés autochtones en première ligne pour l’environnement

28 octobre, par Mariam Jama-Pelletier — , , ,
À partir d'une entrevue avec Marie-Josée Béliveau, ethnograhe, féministe et écologiste. 10 octobre 2025 | tiré du journal des alternatives | Photo : L'Amazonie en feu en (…)

À partir d'une entrevue avec Marie-Josée Béliveau, ethnograhe, féministe et écologiste.

10 octobre 2025 | tiré du journal des alternatives | Photo : L'Amazonie en feu en 2019 @ Ibama - Brésil CC BY-SA 2.0 via Wikicommons

En novembre prochain, le Brésil sera au centre de l'attention mondiale en accueillant la COP30. À quelques rues des négociations officielles, le Sommet des peuples réunira, en parallèle, la société civile, des groupes écologistes et des délégations des Premiers Peuples, venus des quatre coins du monde pour réfléchir aux défis environnementaux. Mais loin des caméras et des tribunes internationales, au cœur de l'Amazonie, des communautés autochtones luttent déjà, souvent au péril de leur vie, pour protéger ce que plusieurs surnomment le « poumon de la Terre ».

« Protéger la forêt n'est pas un choix pour les communautés autochtones, c'est une question de survie », explique la chercheuse Marie-José Béliveau, qui a traversé l'Amazonie pour aller à la rencontre de plusieurs de ces Premières Nations.

Marie-Josée Béliveau sera à Bélem en novembre prochaIn avec une délégation de jeunes du cégep Ahuntsic à la COP 30 et au Sommet des peuples.

Madame Béliveau a notamment réalisé, en collaboration avec le cinéaste Santiago Bertolino, un film intitulé L'Amazonie, à la rencontre des gardiens et des gardiennes de la forêt. L'œuvre met en lumière une réalité trop souvent ignorée : celle des « gardiens de la forêt » ; ces femmes et ces hommes qui consacrent leur vie à défendre leur territoire.

« On observe que les territoires occupés par les communautés autochtones en Amazonie sont souvent les mieux préservés », précise la chercheuse.

Elle y a observé des communautés entières mobilisées à travers des organisations locales très structurées, certaines appelées guardias. Ces groupes patrouillent, installent des campements dans les zones menacées, relèvent des échantillons, capturent des images et surveillent les intrusions extérieures, souvent liées à des industries polluantes et destructrices.

« Ce rôle est crucial, car leur présence physique envoie un message clair : ce territoire est habité et défendu », souligne madame Béliveau.

Mais cette vigilance a un prix. « Les gardiens de la forêt reçoivent régulièrement des menaces de mort, et certains ont même été tués par des tueurs à gages. En ce moment, l'un d'eux, qui est aussi un ami, vit sous une menace grave », confie l'ethnographe. Il s'agit d'Itahu Ka'apor, l'un des chefs de la communauté Ka'apor au Brésil, qui doit présentement se cacher dans la forêt pour survivre.

Malgré ces risques, le silence n'est plus une option pour la chercheuse. « Il faut en parler. Tant qu'il y aura de l'impunité, les crimes contre les protecteurs de l'environnement continueront. C'est aussi pour cette raison qu'ils ont accepté de participer au film : pour témoigner, pour que leurs voix soient entendues et que la violence cesse », affirme-t-elle.

Résister à la déforestation, du Brésil à l'Équateur

Au Brésil, le peuple Ka'apor subit une pression grandissante de l'industrie agroalimentaire. L'élevage bovin et la culture du soja grugent une grande partie de la forêt amazonienne et souvent de façon illégale. « Les forestiers brûlent des pans entiers pour créer des pâturages », raconte Marie-José Béliveau.

Privés du soutien des autorités, qui ferment souvent les yeux — notamment sous l'administration Bolsonaro —, les Ka'apors se retrouvent seuls à défendre leur territoire. Leur guardia, désormais affaiblie après l'assassinat de plusieurs de ses membres, dont l'un empoisonné l'an dernier, s'efforce de tenir bon et de rester un rempart contre la déforestation et la destruction industrielle.

Mais au-delà de cette réalité sombre, madame Béliveau tient à rappeler qu'il existe aussi des victoires. De l'autre côté de la frontière, en Équateur, la communauté des A'i Cofáns lutte depuis 2016 contre les concessions minières autorisées par l'État. L'exploitation aurifère, qui utilise du mercure et du cyanure, a contaminé les rivières et rend l'eau impropre à la consommation. « Les gens ne pouvaient plus boire ni pêcher. Leur mode de vie était directement empoisonné », explique-t-elle.

Face à cette menace et armée de téléphones, de caméras et de GPS, la communauté A'i Cofán a documenté les dommages et rassemblé des preuves pour porter leur cause devant les tribunaux.

Leur persévérance a porté fruit : en 2019, un tribunal équatorien a rendu un jugement en leur faveur et a ordonné l'arrêt de plusieurs concessions minières.

« Ils ne savaient pas encore, au moment du tournage, qu'ils allaient gagner quelques mois plus tard. Mais déjà, ils avaient compris que s'unir, c'était leur plus grande force », souligne madame Béliveau.

La déforestation de l'Amazonie repart à la hausse

Entre août 2024 et mai 2025, la destruction forestière au Brésil a bondi de 9,1 % par rapport à la même période l'an dernier, selon l'Institut national de recherches spatiales (INPE). En mai seulement, la déforestation a bondi de 92 %, un chiffre alarmant.

À l'échelle mondiale, c'est 6,7 millions d'hectares de forêts primaires qui ont disparu l'an dernier, un triste record depuis plus de vingt ans, d'après les données de Global Forest Watch, en partenariat avec l'Université du Maryland.

Les spécialistes estiment que cette hécatombe résulte de la combinaison du changement climatique et des incendies qu'il provoque, affaiblissant encore davantage des écosystèmes essentiels à la régulation du climat mondial.

COP30 sous le feu des critiques

Depuis quelques années, les COP font l'objet de critiques récurrentes face à un manque d'actions concrètes et leurs promesses non tenues, notamment en matière de réduction des gaz à effet de serre et de protection de l'environnement.

Face à ces constats, le Sommet des peuples se veut une alternative portée par la société civile, afin de proposer des solutions durables, aborder le sujet de justice climatique et valoriser des savoirs souvent écartés, notamment ceux des communautés autochtones.

« Oui, je crois en la COP30, mais seulement si la société civile est présente pour la challenger », affirme la militante écologiste.

Un autre enjeu majeur de cette édition tient au manque d'espace pour accueillir tous les participants. Belém, située dans le nord du Brésil, demeure bien plus petite que les grandes métropoles comme Rio de Janeiro ou Brasília, la capitale.

Cette contrainte logistique et géographique touche particulièrement les peuples autochtones d'Amérique du Sud, déplore Fany Kuiru Castro, directrice du Comité de coordination des organisations autochtones du bassin du fleuve Amazonien (COICA). « Plus de 5 000 Autochtones souhaitent participer à la COP30, mais très peu d'accréditations ont été accordées aux communautés, et les places sont limitées en raison de la capacité d'accueil », explique celle qui est issue de la Nation Uitoto, un peuple vivant au cœur de la forêt amazonienne, dans le sud-est de la Colombie, près de la frontière péruvienne.

Sur son compte Facebook, Marie-Josée Béliveau mène présentement une levée de fonds pour permettre au peuple Ka'apor d'être présent au Sommet des peuples.

La COP30 se tiendra du 10 au 21 novembre, tandis que le Sommet des peuples aura lieu du 12 au 16 novembre.

Voix métisse : quand Gayacaona fait danser la neige au rythme du tambour.

28 octobre, par Marvens Jeanty — , ,
Entretien avec Gayacaona : la musique comme langage de mémoire. Entre deux répétitions, nous avons rencontré Gayacaona. Elle nous parle de son parcours, de sa vision et de sa (…)

Entretien avec Gayacaona : la musique comme langage de mémoire. Entre deux répétitions, nous avons rencontré Gayacaona. Elle nous parle de son parcours, de sa vision et de sa relation à la langue créole.

— Marvens Jeanty : Que représente pour toi le Mois Créole de Montréal ?

— Gayacaona : C'est un retour à la maison. Même si je suis née ici, j'ai grandi dans un environnement où le créole était parfois perçu comme une langue du passé. Ma mère est une fervente chrétienne qui m'a permis d'exercer le muscle de la foi, mais ne me parlait pas en créole, d'où la raison pour laquelle j'ai longtemps été gênée de le parler, et mon père un passionné de la musique qui me faisait constamment don du rythme haïtien à travers des musiques en créole. Tout ceci pour dire que j'ai grandi quand même dans un environnement où le créole haïtien a pu jouer un très grand
rôle. Le Mois Kreyòl , c'est l'occasion de montrer que cette langue vit, respire, évolue. C'est un espace de fierté.

— Marvens Jeanty : Ton nom d'artiste évoque la résistance et la mémoire. Pourquoi ce choix ?

— Parce que je voulais rendre hommage à nos ancêtres spirituels. La Reine Anacaona, dans l'histoire des Taïnos, représente la dignité. C'est un symbole de femme libre. En prenant ce nom, j'ai voulu me rappeler que chaque chanson que je chante est une lutte pour la beauté et la liberté.

— Marvens Jeanty : Quelle place occupe la femme dans ton œuvre ?

— Une place centrale. Je chante les femmes de ma famille, celles qui ont prié, souffert, résisté. Je veux leur donner une voix à travers la mienne. Et puis, la femme créole, c'est la mémoire du monde : elle porte le feu et la tendresse.

— Marvens Jeanty : Comment définirais-tu ta musique ?

— C'est une musique de passage. J'aime dire que je fais du “folk créole contemporain”. J'emprunte aux traditions, mais je les transforme. Je veux que mes chansons parlent aussi bien aux jeunes d'Haïti qu'aux jeunes du Québec.

— Marvens Jeanty : Que ressens-tu quand tu chantes en créole devant un public québécois ?

— De la fierté. C'est une manière d'ouvrir le dialogue. Souvent, les gens viennent me voir après un concert et me disent : “Je ne comprenais pas tous les mots, mais j'ai tout ressenti.” Et c'est ça la magie du créole : c'est une langue qui se comprend avec le cœur.

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Dans la mosaïque musicale de Montréal, où les langues se croisent et les cultures se répondent, s'élève une voix singulière, chaude, vibrante, enracinée dans deux mondes. Gayacaona, de son vrai nom Sanya Michel Élie, est une artiste haïbecoise (mot-valise formé à partir de Haïti et de Québec), un mot qu'elle fait sien pour désigner son identité double, entre Haïti et le Québec. Née et grandie à Montréal de parents haïtiens, elle est le fruit d'un métissage culturel fécond où se rencontrent les tambours du Sud et la neige du Nord.

En 2024 et 2025, elle a participé successivement aux 23e et 24e éditions du Mois Kreyòl de Montréal, un événement majeur initié par le KEPKAA (Komite Entènasyonal pou Pwomosyon Kreyòl ak Alfabetizasyon / Comité International
pour la Promotion du Créole et de l'Alphabétisation). Deux participations consécutives qui ne relèvent pas du hasard, mais d'une reconnaissance : celle d'une artiste qui, par sa voix, porte la langue créole au cœur du Québec, et la fait résonner comme une mémoire partagée.

Une voix entre deux mondes

Chez Gayacaona, tout est question de passage. Entre les continents, entre les langues, entre les héritages. Son univers musical s'ancre dans la tradition haïtienne , les rythmes du rara, du konpa, du twoubadou, mais les réinvente à travers des sonorités plus modernes : jazz, soul, reggae, électro.

Elle n'imite pas, elle dialogue, elle redonne vie à des chansons qui méritent d'habiter l'éternité. Elle fait se rencontrer les mondes.

« J'ai toujours senti que ma voix appartenait à deux terres, confie-t-elle. En Haïti, mes racines chantent ; au Québec, mes ailes s'ouvrent. »

Cette double appartenance, loin d'être un déchirement, devient pour elle une force. Gayacaona incarne une génération d'artistes diasporiques qui refusent de choisir entre deux identités. Être haïbecoise, c'est être pont et passage, mémoire et avenir.

Sur scène, sa voix a quelque chose d'incantatoire. Elle ne chante pas seulement : elle raconte, elle invoque, elle tisse des liens entre les âmes. Ses performances au Mois Kreyòl de Montréal en témoignent : un mélange de ferveur et de douceur, où la parole poétique et l'engagement épousent la transe musicale.

Le Mois Kreyòl : célébrer la langue et les racines

Le Mois Kreyòl de Montréal, fondé et porté par le KEPKAA, est devenu l'un des événements les plus importants de la diaspora créole au Canada. Chaque automne, il rassemble artistes, chercheurs, écrivains et musiciens autour
d'un même idéal : célébrer la langue créole sous toutes ses formes.

Durant les 23e et 24e Édition, Gayacaona y a tenu une place de choix. Sa voix, à la fois enracinée et aérienne, a séduit le public. Mais plus encore, elle a porté un message de fierté et de continuité culturelle.

« Sans minimiser les autres langues, le créole haïtien c'est ma manière d'aimer le monde, dit-elle. C'est une langue qui a survécu à la douleur, qui a appris à danser avec la mémoire. »

Sur la scène du Mois Kreyòl , elle chante non seulement pour le plaisir, mais aussi pour la transmission. Ses performances deviennent des cérémonies d'appartenance, où la diaspora haïtienne reconnaît en elle une ambassadrice
de son héritage.

Ses chansons, souvent écrites en créole et en français, évoquent la mer, les ancêtres, la résilience des femmes et la beauté du métissage. Dans un Québec en quête de diversité culturelle, sa présence incarne la vitalité du
patrimoine créole.

Un nom, une symbolique : Gayacaona

Le choix du nom Gayacaona n'est pas anodin. Il puise dans la mémoire des Taïnos, les premiers habitants des Caraïbes avant la colonisation. Gaya pour dire brave et Anacaona pour dévoiler la reine qui l'habite dès son enfance . D'ailleurs, la Reine Anacaona était une figure de résistance, une femme de courage et de dignité.

En adoptant ce nom, Sanya Michel Élie inscrit sa démarche artistique dans une continuité historique et spirituelle. Elle rend hommage à toutes celles qui ont tenu tête au silence, à l'oubli, à l'exil.

« Pour moi, Gayacaona, c'est la femme qui parle quand on lui dit de se
taire. C'est celle qui chante même quand le monde brûle. »

Dans sa musique, cette symbolique se traduit par une alliance de douceur et de force. Sa voix oscille entre prière et cri, entre mélancolie et espérance. Chaque chanson devient un territoire où la femme noire, la migrante, la poétesse et l'artiste se rencontrent.

Une artiste de la diaspora consciente de sa mission

Au-delà de la scène, Gayacaona s'engage dans plusieurs initiatives communautaires. Elle participe à des ateliers d'écriture théâtrale et à des projets éducatifs visant à valoriser le créole. Pour elle, l'art n'est pas une fin en soi, mais un outil de conscientisation. Elle parle couramment l'anglais et le français, mais laisse toujours la place au créole haïtien
partout où elle passe.

Elle se voit comme un pont culturel entre générations, un relais entre la mémoire haïtienne et la créativité montréalaise.

Dans ses chansons, les thématiques de la femme, de la terre et de la résilience reviennent souvent. Son univers est empreint d'une spiritualité douce, presque mystique, où le chant devient une prière.

« J'aimerais que mes chansons donnent du courage, dit-elle simplement. Qu'elles rappellent aux gens que la beauté peut encore naître de la douleur. »

L'art de la présence : entre poésie et conscience

Assister à un concert de Gayacaona, c'est vivre une expérience. Ses performances ne relèvent pas du simple divertissement. Il s'y passe quelque chose de plus profond : un échange d'énergie, un rituel d'écoute.

La scène devient un espace sacré où elle invoque la mer, les ancêtres, la mémoire des tambours. Sa voix, tour à tour grave et lumineuse, semble dialoguer avec l'invisible.

Cette dimension poétique s'inscrit dans une tradition haïtienne de la parole chantée, celle des troubadours, des prêtresses du vodou, des poètes de la négritude. Mais Gayacaona y ajoute une conscience contemporaine, une
esthétique de la fusion.

Elle fait de la musique, oui, mais aussi de la poésie incarnée. Et dans un monde saturé de bruits, elle choisit la justesse plutôt que le volume.

Une étoile montante de la créolité montréalaise

À travers ses deux participations au Mois Créole, Gayacaona s'impose désormais comme une figure montante de la scène afro-créole montréalaise. Son parcours inspire une génération d'artistes haïtiens et caribéens du Québec à affirmer leur voix, leur langue et leur héritage sans compromis.

Le succès de ses prestations témoigne d'une réalité nouvelle : la créolité montréalaise n'est plus marginale, elle devient un pilier de l'identité culturelle du Québec contemporain. Et Gayacaona, par son authenticité et son engagement, en est l'un des visages les plus lumineux.

Pour le moment Gayacaona travaille sur de multiples projets, dont celui de participer à une présentation théâtrale, et le 15 novembre elle sera sur scène avec l'illustre chanteur haïtien Alan Cavé dans le cadre de la 7ème anniversaire du Gala Radio Vertière.

Entre mer et neige se trouve Gayacaona

Entre la mer d'Haïti et la neige du Québec, la voix de Gayacaona trace un chemin de lumière. Elle chante pour rassembler, pour guérir, pour se souvenir. Sa musique est un lieu de passage, un pont suspendu entre la mémoire et le rêve.

Dans la blancheur du Nord, résonne la chaleur du Sud.

Et dans cette vibration, Montréal découvre ou redécouvre l'essence même de la créolité : une manière d'être au monde, libre, métissée, habitée par la beauté du multiple.

Marvens Jeanty

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Rachida M’Faddel réinvente le vivre-ensemble

28 octobre, par Mohamed Lotfi — , ,
Écrire sur un livre qu'on aime profondément est souvent une entreprise périlleuse. Les mots semblent toujours trop pauvres, trop plats, trop rationnels pour traduire l'émotion (…)

Écrire sur un livre qu'on aime profondément est souvent une entreprise périlleuse. Les mots semblent toujours trop pauvres, trop plats, trop rationnels pour traduire l'émotion intime, la résonance intérieure qu'une œuvre provoque. Et pourtant, depuis que j'ai refermé le sixième roman de Rachida M'Faddel, Résidence Séquoia, je sens l'urgence d'en parler, non pas comme on commente une parution littéraire, mais comme on partage une rencontre, presque une révélation.

Ce livre m'a accompagné jusqu'à la mer. Sur la plage d'Old Orchard, entre la rumeur des vagues et la lumière salée du soir, les voix de la Résidence Séquoia se mêlaient au vent, comme si le roman lui-même respirait au rythme du large. C'est dire à quel point Résidence Séquoia n'est pas un simple récit : c'est une présence, un souffle collectif, une polyphonie humaine qui transcende les murs d'un établissement pour personnes âgées afin d'embrasser, avec tendresse et lucidité, le Québec d'aujourd'hui.

Rachida M'Faddel ne signe pas ici un roman social au sens strict, ni une enquête sur les conditions de vie en CHSLD. Elle écrit une fresque du vivre-ensemble, une exploration sensible des rapports humains dans leur complexité, leur rugosité, leur beauté. Ce que les commissions parlementaires, les débats médiatiques et les slogans politiques n'ont pas su accomplir, elle le réalise par la littérature : réinventer la possibilité d'un dialogue entre les différences, créer un espace commun où la parole se libère, où les identités cessent d'être des frontières.

Dans cette Résidence Séquoia, les cultures, les langues, les croyances et les orientations se croisent, se frottent, se heurtent, mais surtout, elles s'apprivoisent. Chacun des personnages, qu'il soit originaire du Liban, d'Haïti, de la Chine ou du quartier Villeray, porte avec lui le poids de son histoire, la mémoire de ses blessures et la lumière de ses espérances. Ce sont des êtres à la fois ordinaires et immenses, parce qu'ils incarnent la condition humaine dans toute sa diversité.

Le roman devient alors une sorte de laboratoire d'humanité : on y observe comment la proximité, parfois forcée, parfois choisie, transforme les rapports entre les êtres. Ici, la curiosité de l'autre n'est pas un danger, mais une ouverture. On apprend que l'écoute véritable suppose le risque du choc : celui d'être bousculé dans ses certitudes, d'être dérangé par la vérité nue d'autrui. Mais chez M'Faddel, le choc n'est jamais stérile. Il devient un ferment, une étincelle de compréhension. Les disputes, les rires, les maladresses et les tendresses forment la trame d'un dialogue ininterrompu où la franchise n'exclut jamais la bienveillance.

Et il y a cette phrase, lancée par Paula, la plus truculente des résidentes, à Shiraz la nouvelle venue : « Ma fille, tu vas avoir le temps de te reposer quand tu vas être morte. Profite donc des jours qui te restent avec nous. » Cette réplique, à la fois drôle et bouleversante, condense tout le message du roman : vivre, c'est participer, raconter, transmettre. Se retirer, se taire, c'est déjà mourir un peu.

Chez M'Faddel, raconter n'est jamais anodin. Chaque personnage est convié à remonter le fil de sa vie, à exhumer les souvenirs enfouis, à dire l'indicible. Ce travail de mémoire devient un acte de libération. Il ne s'agit pas d'une nostalgie figée, mais d'une réconciliation avec soi-même. En redonnant la parole à ces voix longtemps tues, celles des femmes, des immigrés, des vieillards, des oubliés, l'auteure redonne aussi une jeunesse à leurs âmes.

Ainsi, Marguerite, centenaire née au Liban, voit sa vie racontée à la fois par son fils, qui en glorifie les exploits, et par Esther, l'amie fidèle, qui en révèle les zones d'ombre. Deux récits, deux vérités, mais un même besoin : que la vie soit dite dans toute sa complexité, sans censure, sans fard. Car à la Résidence Séquoia, on ne cache rien, ni de soi ni des autres. Même les secrets les plus enfouis trouvent leur place dans ce grand tissu de confidences.

Difficile de parler de Résidence Séquoia sans évoquer Paula, ce moulin à paroles inépuisable, ce personnage haut en couleur qui semble tout droit sorti d'une pièce de Michel Tremblay. Elle a la gouaille du peuple, l'esprit vif et la générosité de cœur qui désarment tout cynisme. À elle seule, elle incarne la dimension théâtrale du roman. On l'imagine volontiers sur scène, interprétée par une Louise Latraverse habitée, tant son monologue est savoureux, oscillant entre humour caustique et émotion pure.

Ce qui fait la force du livre, c'est sa justesse. M'Faddel ne tombe jamais dans le didactisme. Elle n'oppose pas les cultures, elle les met en dialogue. Elle ne prêche pas la tolérance : elle la montre à l'œuvre, dans ses élans et ses maladresses, dans la parole qui trébuche, dans le rire qui désamorce, dans l'écoute qui console. Résidence Séquoia nous rappelle que le vivre-ensemble n'est pas un concept abstrait ni une formule politique : c'est un exercice quotidien de générosité et de courage, un art fragile qui s'apprend dans les gestes ordinaires, autour d'une table de cuisine, d'un jeu de cartes, d'un souvenir partagé.

Rachida M'Faddel signe ici un roman lumineux, porté par une langue claire, sensible, parfois ironique, toujours profondément humaine. Six années de travail ont donné naissance à une œuvre qui nous ressemble, qui nous interroge et nous console à la fois. Il y a, dans Résidence Séquoia, une matière dramatique assez riche pour inspirer un film ou une série, tant ses personnages, ses dialogues et ses situations débordent de vie et de vérité.

Mais avant qu'il ne prenne vie sur scène ou à l'écran, offrez-vous le plaisir de le lire. Et si, comme moi, vous l'aimez, laissez-vous gagner par son humanité et par cette joie simple de se sentir un peu moins seul au monde.

Mohamed Lotfi

Résidence Séquoia, publié chez Fidès.

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La planète s’offre un selfie

28 octobre, par Omar Haddadou — ,
– Et si je m'offrais un selfie avec la nouvelle Technologie ? s'interroge la Terre. - Ça fait des lustres que je n'ai pas vu ma tronche. ( Son monologue résonne (…)

Et si je m'offrais un selfie avec la nouvelle Technologie ? s'interroge la Terre.
- Ça fait des lustres que je n'ai pas vu ma tronche.

( Son monologue résonne formidablement dans l'espace intersidéral. Elle s'empare du Smartphone… )
- La haute résolution, dit-elle, suppose l'arrêt de ma respiration et l'accommodement d'un « Cheese ! » hautement généreux. C'est parti ! :
- Cheeese !
- Clic !
- …
- Ô Seigneur, Ya Allah, Oh My God !
( La Planète éclate en sanglots. Elle pleure toute son âme ! Les ravages sont colossaux )
- Les Hommes m'ont abîmée ! s'écrie -t- elle. Où êtes-vous Ecolos ? Une lutte à vau - l'eau ?
- Où est l'Amazonie ? L'Afrique avec sa faune et sa flore ?

- Je ne vois plus les Dionées Attrape-mouches, les Hortensias, les Oiseaux du Paradis ? Le Colibri ?
- Dites-moi où sont partis les Impalas, les Pandas, les Gorilles, les Rorquals communs, les Eléphants, les Hippopotames, les Fennecs ? les Flamants roses ?
- Je ne vois plus les Glaciers ?
- Les Récifs coralliens ?
- Les forêts tropicales ?
- L'Everest ?
- Les Aurores boréales ?

( DISPARUS !)

« Seigneur ! Je quitte le Système solaire dont je fus la perle de fraîcheur et Vous l'Artisan de Son agencement consommé ».

( La Planète bleue, devenue à présent une Sphère gris anthracite, envoie un Sms à sa collègue la Planète rouge )
- Ma Chérie, barre-toi ! l'Homme a tout dévasté. Il arrive vers toi.

( Sonnée par la nouvelle, Mars réplique )
- Qu'est - ce qu'il t'arrive ?
- Peuplée par les Bipèdes, ils m'ont réduite en monobloc hideux au milieu du Système solaire. Tu es la prochaine cible.
– Ils ne peuvent pas m'atteindre ! Je ne suis pas à leur portée.
– Tu parles ! Change d'orbite, si tu tiens à ta survie !

- J'te dis que suis inatteignable, Terre… ! Pardon ! On t'appellera comment à présent ? Et tu seras où exactement ?
- Je n'en sais rien ! Peut-être absorbée par un Trou Noir !

- Ne parle-pas de ça ! C'est flippant.
– Prends tes cliques et tes claques, Mars ! Et tires-toi, !

T'es têtue ou quoi ? Je ne suis pas convoitée comme toi.

– Ingénue ! glisse la collègue.
- Tu sembles ignorer que je suis à 225 millions de Km, s'irrite Mars.
– Ha, ha, ha !
- Ton rire nerveux m'exaspère, feu Terre.
– Eh, Mars ! de toi à moi : Les Bipèdes, après avoir paraphé sur le registre de l'Humanité leurs « prouesses » climatiques ravageuses, généré la Famine, les Guerres et les Maladies et la Dissolution du modèle social, se disputent présentement la Suprématie sur « ton terrain ».
– Comment ?
- Ils ont une mission habitée sur la table.

– ( Mars pouffe de rire)
- T'en ris ? Ils disent que t'es la plus accessible et la plus accueillante.

– Bien sûr ! Avec - 63°C et - 143 °C (la nuit), y a pas plus affable que moi !

Ta fatuité pourrait te jouer un mauvais tour ? dit la boule anthracite.

Tes Envahisseurs, reprend Mars, semblent oublier les redoutables rayonnements cosmiques. Une atmosphère composée à 96% de CO2. Pas des traces liquides, ni de mers, ni d'océans.
– Etant désorbitée, fait « l'Exilée », j'suis pas censée te mettre en garde. Mais sache que ta colonisation devrait avoir lieu au moment de notre alignement accompli. Et comme je suis partante, tu resteras sur ta faim…
- Non ! surtout pas ça !
- Désorbite-toi ! ma Chérie !
- Arrête de délirer, ils finiront en Merguez carbonisé, chemin faisant !

- Brûle la politesse, j'te dis ! Le Système solaire demeurera témoin de l'envahissement barbare.
– Tu dérailles !
- Oui, moi peut-être ! Mais pas ceux et celles qui se concertent pour te gratifier d'un Lifting sans Botox.
– Je crois, qu'à notre insu (les Planètes), tu t'es trop approchée du Soleil et subie une forte insolation !
- Et si je te dis que les Agences américaines, japonaises, canadiennes, européennes s'inviteront bientôt chez toi, sans crier gare, pour des projets à te couper le souffle ?

Je suis UNE BOULE HOSTILE ! Rien à gratter ! Makech !

Eh ! Les Timbrés du XXI siècle ont déjà mis au point un Robot qui produit autant d'oxygène qu'un arbre. Il s'appelle MOXIE.
( Médusée, Mars reste aphone )
- Et, cerise sur le gâteau, ils prévoient des serres bio-génératives à l'intérieur des vaisseaux.
– C'est de la fiction dispendieuse, gogo !
- Attends, attends !
- Qu'est-ce que tu vas me sortir encore ?
- Un truc déroutant !
- Pour l'eau, ils envisagent, une fois dans l'espace, de boire leurs Pipis recyclés par des combinaisons spéciales.
– Et pourquoi pas leurs crottes de nez, comme amuse-gueules ? Bandes de tarés ! Des Chitanes ! Ils auraient pu injecter le capital vertueusement.
– Eh, Mars ! L'homme à l'origine de cette ineptie ruineuse, s'appelle Elon Musk. Il a dit : « Un jour nous occuperons Mars ! »
- Dis-lui : rêver, c'est bien ! chambouler l'ordre, c'est mieux !

Barre-toi Mars ! Ces Monstres ne te méritent pas !

Texte et illustration : Omar HADDADOU Paris, 2025
NB : Bien qu'il cristallise une réalité atterrante, ce modeste texte reste factitif.

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Coup de rabot sur les grosses fortunes, mais… !

28 octobre, par Omar Haddadou — , ,
Un Budget 2026 tiré par les cheveux ! Au Palais Bourbon, les Députés n'ont examiné, ce lundi, que 5 articles sur 81. L'examen en première lecture du texte, a abouti à un (…)

Un Budget 2026 tiré par les cheveux ! Au Palais Bourbon, les Députés n'ont examiné, ce lundi, que 5 articles sur 81. L'examen en première lecture du texte, a abouti à un amendement augmentant la surtaxe sur les entreprises et les grosses fortunes. Mais, cacophonie et divergences demeurent à l'Assemblée !

De Paris, Omar HADDADOU

Les partis de Gauche résolus à épingler les bénéfices des grosses fortunes ! Ne jetez pas un œil sur le compteur de la dette publique française ! Vous n'en croirez pas vos yeux.

Elle est désormais à hauteur de 3 345, milliards d'euros, soit 114 % du produit brut intérieur (PIB). La France connait un épisode d'instabilité socioéconomique violent, impactant significativement le pouvoir d'achat des foyers modestes, les retraites, les salaires, etc. Une situation qui se traduit par un malaise social exacerbé par une inflation brutale (Exemple de la hausse sournoise du ticket de transport et de la baguette, en sont les preuves manifestes), sur fond d'une chute prononcée de la popularité du Président Emmanuel Macron. L'optimisme des Analystes bienpensants n'y changera pas grand-chose ! Ils sont rétribués pour vendre des embellies factices aux médias inféodés, en vue d'une paix sociale suintant le toc à cent lieues !
Aussi l'Institut national de la Statistique et Etudes Economiques (INSEE), prévoit-il une croissance de 0,6% sur l'ensemble de l'année. En réalité, la France est en phase de décrochage en matière de croissance dans la zone euro, par rapport à ses voisins. A l'Assemblée nationale, l'heure est à la recherche de recettes supplémentaires. Mais le spectre d'une nouvelle motion de censure et de dissolution plane toujours au Palais Bourbon.

Et ce, en dépit du « clin d'œil » adressé à la Gauche par le gouvernement, ce lundi 27 octobre, en déposant un amendement augmentant la surtaxe sur les entreprises. Les Députés ont adopté un amendement qui ferait passer la taxe à 6 milliards d'euros, dans le projet de Loi de finances 2026. Il était à 4 milliards jusqu'alors.

S'arrogeant le rôle de médiateur dans un climat de discorde tendue sur l'imposition des grandes fortunes, le Secrétaire général du Parti socialiste, Olivier Faure, a pris cause et fait pour la taxe Zuckman, affirmant que son « rejet représenterait un casus belli ». Il préconise une copie soft de la mesure, afin d'arracher un consensus collégial avec la majorité, évitant ainsi une nouvelle crise politique. L'économiste (Zuckman) a expliqué, hier lundi sur une chaîne d'information en continu, comment fonctionnera son bouclier anti-exil fiscal.

Rejetée en Commission des Finances, et partant, ses chances d'adoption dans l'hémicycle, ladite taxe inscrite dans la partie Recettes du Budget, vise à instaurer un impôt minimal de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros.

La bataille menée par les partis de Gauche semble porter, cahin-caha, ses premiers fruits. Mais il est très tôt de consigner une telle avancée, tant les impondérables au sein du socle commun (Renaissance, MoDem, Horizons, UDI) demeurent prégnants. La hausse de la surtaxe, approuvée, à l'issu d'un vote, à l'Assemblée nationale, sur les bénéfices des entreprises de 2 milliards d'euros, suffirait-elle à aplanir les tiraillements entre les Députés et taire la grogne de l'Intersyndicale ?

Le vote de ce Budget n'est pas pour demain ! Et pour cause, les Députés ont 81 articles à examiner. Piégés par le chaos et les antagonismes qui minent les séances, ils risquent de se fossiliser à même leurs sièges et prendre davantage de surpoids. Depuis le vendredi 24 octobre, à 15 heures, 5 articles seulement ont été amendés !
Arracher des concessions au gouvernement Lecornu, s'avère une rude et éprouvante épreuve. La Gauche continue à batailler ferme. En tapant fort sur la table, hier à l'Assemblée nationale, pour arracher des acquis vitaux, elle a démontré qu'elle peut gagner les manches, au coup par coup.

En effet, si le Parti socialiste (PS) avait trouvé, non sans peine, un terrain d'entente avec le gouvernement sur la surtaxe des bénéfices des entreprises, la France Insoumise n'est pas restée les bras ballants. Mus par un objectif commun, LFI et RN ont défié le gouvernement et obtenu, in extrémis, un Crédit d'Impôt pour tous les Retraités (es) sur les frais de séjour en Ehpad.

Un bon signe de la résilience des Plaidoyers du Peuple.
Les débats se poursuivent pour une Justice sociale et un haro contre la voracité du Capital !
O.H

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La guerre d’attrition de Trump contre les médias et la réalité

28 octobre, par Gabin Bénard Mondon — , ,
Cela fait déjà une décennie que Trump est devenu un sujet médiatique majeur du fait de son entrée en politique. Et avec lui est arrivé l'inquiétude face aux fake news. Retour (…)

Cela fait déjà une décennie que Trump est devenu un sujet médiatique majeur du fait de son entrée en politique. Et avec lui est arrivé l'inquiétude face aux fake news. Retour sur cette décennie de guerre de Trump contre les médias et l'information, et sur les nouvelles formes que prends cette dernière depuis son retour à la Maison Blanche.

Tiré du blogue de l'auteur.

Dire que Trump a, depuis son entrée dans la primaire républicaine de 2016, une relation conflictuelle avec la presse et le concept même de journalisme est une affirmation aussi osée que de dire que Manuel Valls a une relation conflictuelle avec la constance et la loyauté en politique. Le concept même de fake news, qui irrigue le débat public depuis une décennie, a largement pris son essor en tandem avec celui de Donald Trump en politique. Celui-là même qui est connu pour utiliser « fake news » comme surnom pour toustes les journalistes qui ne répètent ses pas opinions avec la déférence qu'il apprécie est aussi l'une des causes principales de l'apparition d'équipes de fact-checking dans certaines rédactions. Après tout, le terme alternative facts est apparu dès le troisième jour de sa première présidence dans la bouche de sa conseillère de l'époque, Kellyanne Conway, qui invoquait ces fameux alternative facts pour justifier que Trump avait raison de dire que son inauguration avait été celle à laquelle le plus de personnes avaient assisté dans l'histoire étasunienne (ce qui était bien évidemment faux).

Mais, presque 10 ans après, la question de la vérité et du traitement des journalistes par Trump a bien changé. L'idée même de fact-checker Trump est devenue presque risible tant ce dernier ment et expose des faits imaginaires à une fréquence extrême. Et si sa première présidence a pu servir à polariser les étasunien·nes sur la question de la confiance qu'iels accordent à la presse en discréditant cette dernière en permanence, la seconde va beaucoup plus loin dans son agressivité à l'encontre des journalistes.

Une présidence pour créer un écosystème médiatique alternatif

Un côté grande gueule, qui n'a pas sa langue dans sa poche et qui est prêt à dire tout et n'importe quoi ; voilà qui une description qui représente bien le Trump de 2016, le candidat à la présidence. Dès les premiers débats entre candidat·es à la primaire républicaine, il avait su se démarquer en n'hésitant pas à s'attaquer à ses opposant·es, allant même jusqu'à les insulter face à elleux, et à inventer ses premières chimères comme lorsqu'il commença à dire que les Mexicain·es étaient toustes des criminel·les. De l'autre côté de l'Atlantique, Boris Johnson arborait une attitude assez similaire avec un style tonitruant et ses bus de campagne pour le Brexit, flanqué de sa promesse selon laquelle le Brexit allait permettre au Royaume-Uni de renforcer le NHS, son service public de la santé. Et les deux hommes se retrouvèrent en même temps à devoir faire face à des journalistes les questionnant sur leurs mensonges, essayant de leur faire avouer leurs torts. Or, s'il y a bien une chose que Donald Trump ne fera jamais, c'est avouer, voire penser, qu'il ait pu avoir tort un jour. Et plus les médias le pressaient sur ses mensonges et ses alternative facts, plus il les traitait comme des ennemis, n'accordant des interviews qu'à des médias complaisants (Fox News en fut le modèle lors de sa première présidence).

Et cette attitude eut pour effet de créer un système médiatique extrêmement polarisé au niveau des grandes institutions médiatiques étasuniennes. MSBNC, le New York Times, le Washington Post ou CNN devinrent aux yeux de Trump, et de ses électeurices, des machines à mentir, les ennemis même de la vérité sauce Trump. Et de l'autre côté, Fox News était vénéré comme l'étendard de la vérité. Les sondages d'opinions sur la confiance des étasunien·nes envers la presse s'en firent largement ressentir : en 2015, 32% des républicain·es avait confiance dans les « médias de masse » quand 27% n'avaient absolument aucune confiance en eux (les chiffres étaient alors de 55% et 16% chez les démocrates). 10 ans après, à peine 8% des républicain·es ont encore confiance dans ces médias quand 62% n'ont plus aucune confiance. Et si les sondages d'opinions ne permettent certainement pas de comprendre précisément ce qui se joue dans cette crise de la confiance envers le journalisme, ils montrent tout de même que du côté du parti républicain, il y a une défiance extrême envers les médias, qui ne se retrouve absolument pas chez les démocrates.

Et cette hostilité croissante fut l'opportunité pour certain·es d'ouvrir un marché de l'information (alternative) calibrée pour des électeurices républicain·es de plus en plus déconnecté·es de la réalité. Ainsi, si Fox News reste l'étendard de la télévision qui roule pour Trump, Newsmax et OAN (One America News) ont pu faire leur nid dans le monde de la télévision trumpienne avec des lignes éditoriales souvent plus radicales que celle de Fox News, surtout pour OAN. Et sur Internet, ce fut l'occasion pour des figures dites « conservatrices » d'alimenter leur ascension en devenant des relais des idées trumpistes en plus de participer activement à la radicalisation de leur audience. Ce fut le cas par exemple de Ben Shapiro, Matt Walsh ou Candace Owens avec le Daily Wire, de Charlie Kirk avec TPUSA ou de Tim Pool avec son Timcast. Ainsi, les électeurices de Trump, définitivement devenu·es allergiques aux médias honnis par ce dernier, avaient enfin accès à la « pluralité » médiatique qu'iels recherchaient. C'est-à-dire une pluralité qui n'était pas synonyme de débat d'idées ou de lignes éditoriales variées, mais simplement une pluralité au sens où iels avaient enfin plusieurs médias qui leurs servaient les mêmes faits alternatifs et le même narratif sur différents canaux, sans jamais oublier d'avoir un bon mot pour Trump.

Mais si cette présidence a pu voir l'essor de « médias » relais du pouvoir, c'est aussi parce que cette famille politique était prête à prendre cette place et qu'elle possédait déjà les soutiens économiques et idéologiques qui lui ont permis de s'installer. Le Daily Wire a été fondé par deux anciens de TruthRevolt, un site financé par l'organisation de David Horowitz, qui a aussi lancé la carrière de Stephen Miller. Et ils ont pu le lancer grâce à un financement venant des frères Wilks, deux milliardaires qui ont obtenu leur fortune grâce à la fracturation hydraulique et qui finançait déjà PragerU (une organisation qui produit de la propagande de droite et d'extrême-droite). De la même manière, TPUSA a été fondé grâce au financement d'un membre du Tea Party avant d'être financé par des gens tels que le patron du lobby pétrolier aux États-Unis ou la femme de Clarence Thomas, un des neuf juges de la Cour Suprême. La naissance de cet écosystème médiatique d'extrême-droite a donc été rendu possible à la fois par une rhétorique et une pratique politique de Trump qui exacerbait les divisions et la méfiance à l'égard du milieu médiatique traditionnel. Mais aussi via un soutien économique et idéologique venant de riches donneureuses et de militant·es d'extrême-droite chevronné·es et influent·es qui avait déjà pu exploiter les années du Tea Party pour influencer le parti républicain et créer des relais pour leur propagande.

Et une autre pour l'institutionaliser…

Les années Biden furent une période pendant laquelle cet écosystème alternatif d'extrême-droite a pu se développer et se solidifier autour de Trump, même si ça ne fut pas évident d'entrée de jeu. Après la tentative de coup d'État du 6 janvier 2021, même Fox News s'était mis à se distancer de Donald Trump. Pareil pour Ben Shapiro par exemple qui essayait de pousser son Daily Wire vers des positions néoconservatrices plus « classiques ». Mais, rapidement, il devint évident que le 6 janvier n'allait pas avoir un effet si majeur que ça politiquement. Les sondages sur la popularité de Trump parmi les républicain·es chutèrent dans un premier temps, mais ils remontèrent rapidement et le parti ne pris pas du tout ses distances avec lui. Et côté démocrates, plutôt que de choisir de poursuivre Trump en justice d'entrée de jeu, le ministre de la Justice de Joe Biden, Merrick Garland, opta plutôt pour une commission d'enquête du Congrès, choisissant de laisser les étasunien·nes se faire leur avis. Une opportunité sur laquelle les médias alternatifs trumpistes se jetèrent afin d'exploiter cette commission d'enquête pour renforcer le discours sur la prétendue persécution de Donald Trump tout en essayant de l'exonérer et de retourner la commission contre les démocrates. Or, on connaît le résultat de cette commission d'enquête étant donné que Donald Trump a été réélu sans jamais être jugé pour ce qui s'est passé le 6 janvier.

Et cette faiblesse des démocrates, animé·es par une volonté de ne pas donner des munitions à Trump pour son discours de persécution, a certainement jouée en la faveur de Trump qui a pu prétendre que le 6 janvier n'était rien de bien important puisqu'il n'a jamais été réellement inquiété pénalement (et qu'il a fini par gracier les personnes jugées coupables de violences et autres délits/crimes ce jour-là). Le tout tombant dans les travers démocrates habituels qui refusent systématiquement d'opter pour une position réellement offensive contre Trump et les républicain·es, continuant à invoquer le fantôme d'un bipartisanisme qui était déjà mort et enterré avant même que Trump n'accède à la Maison Blanche en 2016.

Résultat, alors que l'élection de 2020 approchait, l'écosystème médiatique d'extrême-droite était plus fort que jamais et entièrement positionné en faveur de Trump qui ne manquait pas une occasion de les mettre en avant.

Et, depuis le retour de Trump à la Maison Blanche en janvier, son administration s'est lancée dans une opération d'institutionnalisation de cet écosystème qui vise à la fois à le mettre en avant, à favoriser le discours de Trump et à mettre à l'écart les médias traditionnels. Ainsi, lors des conférences de presse de Karoline Leavitt, la porte-parole de la Maison Blanche, on trouve aujourd'hui des personnes appartenant au groupe des « new medias » invitées par la Maison Blanche, soit un mix de médias, d'influenceureuses et d'activistes d'extrême-droite. Et leurs questions vont systématiquement dans la même direction : inonder Trump de louanges, insulter les démocrates et les autres médias et servir de relais à la propagande trumpiste. On peut penser à l'altercation en début d'année entre Zelensky, Trump et Vance au cours de laquelle un journaliste d'un de ces « new medias », Real America's Voice, s'en est pris à Zelensky du fait que ce dernier ne portait pas de costume. Real America's Voice étant un média hébergeant des émissions présentées par des gens comme Steve Bannon (ex-stratégiste de Trump, parrain de l'alt-right), Jack Posobiec (un troll néo-nazi qui est passé par OAN puis TPUSA) ou Charlie Kirk qui y diffusait son émission The Charlie Kirk Show.

Et cette ouverture de la Maison Blanche à des « médias » d'extrême-droite prends toujours plus d'importance avec la tenue par exemple d'une table ronde sur la « menace antifa » le 8 octobre dernier. Une table ronde présidée par Trump, entouré par la crème de son cabinet comme Stephen Miller, Kristi Noem (la papesse de la déportation des personnes migrantes), Pam Bondi (la ministre de la Justice) ou Kash Patel (le patron du FBI, lui-même ancien podcasteur conspirationniste d'extrême-droite). On pouvait retrouver autour de la table, invité·es en tant qu'expert·es ou victimes de la menace antifa, divers influenceureuses d'extrême-droite comme Jack Posobiec ou Andy Ngo qui documente les « exactions » antifas à Portland depuis des années, en lien avec les groupuscules fascistes violents locaux, comme les Proud Boys.

Elle peut même prendre des airs plus autoritaires comme avec ce qui s'est passé avec le press pool du Pentagone (les journalistes ayant accès à des locaux dans le Pentagone). Le ministre de la Défense, Pete Hegseth, a d'abord exigé que ces journalistes, et leurs médias, signent un document stipulant qu'iels devaient s'engager à ne publier que les articles et informations validées au préalable par le ministre lui-même. Face à une telle insulte à la liberté de la presse, tous les médias traditionnels du press pool ont refusé, Fox News et Newsmax inclus, et se sont vu retirer leurs cartes d'accès au Pentagone. Et pour les remplacer, l'administration a invité une flopée de médias et influenceureuses d'extrême-droite comme Jack Posobiec, TPUSA, Tim Pool, Real America's Voice ou Lindell TV, une télévision lancée par Mike Lindell, un millionnaire proche de Trump connu pour son conspirationnisme et ses oreillers.

Et tout ça se fait en plus des apparitions constantes de membres de l'administration sur des podcasts et émissions de cet écosystème médiatique fascisant, à défaut d'être fascinant, qui ont pu aller jusqu'à avoir J.D Vance, le vice-président des États-Unis, qui présente l'émission de Charlie Kirk après l'assassinat de ce dernier. En résulte un écosystème médiatique où l'administration boude les médias traditionnels et leur ferme ses portes (qui restent tout de même ouvertes tant les fuites d'informations sont monnaies courantes dans l'administration Trump). Alors que, dans le même temps, elle ouvre ces mêmes portes à des influenceureuses et des « journalistes » pas embarrassé·es par une quelconque forme de déontologie qui se font le relais de la propagande de Trump tout en se présentant comme des outsiders et des défenseureuses de la liberté d'expression qui rejettent le politiquement correct.

…Et briser l'écosystème traditionnel

Or, si le « politiquement correct » existe aux États-Unis aujourd'hui, il est bien le fait du parti républicain et de Trump en particulier. Car s'il y a bien une chose qui peut valoir une montagne de problèmes à des médias ou des individus, c'est bien le fait de critiquer Donald Trump. Et cette fois-ci, il ne fait pas que répondre à la critique par les insultes.

Les menaces envers les médias sont récurrentes, Trump ayant à plusieurs reprises exprimé le fait qu'il considérait que parler négativement de lui et de sa politique était non seulement faux mais surtout pouvait être illégal selon lui. Et ces menaces ont pu être mises à exécution comme ce fut le cas avec CBS. Suite au 60 minutes avec Kamala Harris pendant la campagne, Trump avait accusé la chaîne d'avoir monté l'émission de manière à favoriser Harris et lui avait intenté un procès en octobre 2024, réclamant 20 milliards de dollars. Une plainte largement jugée comme étant ridicule, autant dans ses demandes que ses justifications. Mais cela n'empêcha pas CBS de conclure un marché avec Trump, mettant fin aux poursuites en échange d'un versement de 16 millions de dollars au fond pour la construction d'une bibliothèque Trump. Un accord vraisemblablement passé car Paramount, la maison-mère de CBS, avait besoin de l'aval de l'administration Trump pour pouvoir effectuer sa fusion avec Skydance. Fusion qui a lieu, en échange de concessions supplémentaires de la part de Paramount et CBS qui ont accepté de mettre fin à leurs programmes d'inclusivité, d'effectuer des changements de lignes éditoriales pour rectifier des prétendus « biais » anti-Trump et qui ont annoncé la fin du Late Show de Stephen Colbert peu après que ce dernier ait critiqué l'accord passé pour mettre fin aux poursuites judiciaire de Trump contre CBS. Et depuis, Paramount a annoncé le rachat, pour 150 millions de dollars, de The Free Press, un média indépendant assez peu important dirigé par Bari Weiss, dont la production se concentre sur la critique du « wokisme ». Bari Weiss qui s'est alors retrouvée nommée rédactrice en chef de CBS News, qui depuis relaie beaucoup les articles de The Free Press, articles qui n'ont, étrangement, jamais été critique de Donald Trump alors que Bari Weiss se revendique de centre-gauche (dans les faits, elle ne fait qu'attaquer les « wokes » et défendre les républicain·es et Netanyahu dont elle est une ardente supportrice).

Cette situation avec CBS illustre bien la stratégie qu'adopte cette fois l'administration Trump face à l'écosystème médiatique traditionnel. Elle est prête à utiliser la justice et la menace de poursuites comme outils de chantage pour forcer les médias trop critiques de Trump à s'aligner derrière lui au mieux ou, au pire, à se taire. Or ces menaces judiciaires ont bien peu de chances d'aboutir et c'est bien l'intérêt économique qui a prévalu à CBS : il fallait l'accord de de la FCC (sorte d'Arcom étasunienne) de Trump pour la fusion donc Paramount a cédé à tout par intérêt économique. Et sans ça, les menaces de Trump ont bien moins de mordant. En témoigne le cas Jimmy Fallon. Il avait été critiqué par Brendan Carr, le patron de la FCC placé là par Trump, sur un podcast appartenant à l'écosystème d'extrême-droite trumpiste qui menaçait d'enquêter sur sa chaîne. Et peu après, Disney a suspendu Jimmy Fallon et son émission avant de les réintégrer la semaine suivante sans même que Fallon n'ait eu à s'excuser comme le demandait Trump et Vance. Et c'est bien la leçon que devrait prendre les médias étasuniens : oui, Trump est menaçant et agressif mais son administration n'a que rarement le courage de réellement mettre ses menaces à exécution, pour l'instant.

Mais il n'empêche que cela fait à peine 9 mois que Trump est revenu à la Maison Blanche et il a déjà fait bien plus pour s'attaquer à la liberté de la presse et pour promouvoir des « médias » alternatifs à sa botte que durant toute sa première mandature. Il y a donc fort à parier que les années à venir seront plus difficiles que jamais pour la liberté de la presse et pour l'information en général aux États-Unis. Et de l'autre côté de l'Atlantique, il peut être important de surveiller ce que Trump fait car ses engeances locales l'observent avec intérêt et la France n'est pas avare en influenceureuses et pseudos-médias d'extrême-droite, financés parfois par nos milliardaires d'extrême-droite favoris, qui n'attendent que l'arrivée au pouvoir d'un parti prêt à s'en prendre à la presse traditionnelle pour mettre en avant leur réalité imaginaire. Et si les producteurices d'info que sont les journalistes ne veulent pas se faire remplacer par des infox poussées par des milliardaires et autres fascistes, il leur faudra apprendre de la décennie passée et pousser les grands médias à arrêter de céder du terrain à l'extrême-droite au nom d'un pluralisme en laquelle cette dernière ne croit que quand ça lui ouvre des places sur nos ondes et nos journaux.

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De mal en pis : le nouveau contexte politique et les défis de la gauche canadienne

28 octobre, par Socialist Project — , ,
Cette brochure vise à encourager un débat de principe entre la gauche et la classe ouvrière afin de promouvoir un mouvement socialiste viable au Canada. Le débat démocratique (…)

Cette brochure vise à encourager un débat de principe entre la gauche et la classe ouvrière afin de promouvoir un mouvement socialiste viable au Canada. Le débat démocratique est encouragé au sein et au-delà du Projet socialiste.

13 avril 2025 | tiré du site de Socialist Project | traduction David Mandel

La crise de légitimation et l'État autoritaire

La conjoncture politique actuelle se caractérise par le sentiment croissant, au Canada et partout dans le monde, que les politiques néolibérales ont échoué et que le capitalisme lui-même ne fonctionne pas. Ce sentiment est alimenté par l'affaiblissement, le démantèlement, voire la destruction, de ce qui conférait au système capitaliste une apparence de « légitimité » et d'« équité » aux yeux de la classe des travailleurs et travailleuses : salaires qui montaient, logements abordables, amélioration des soins de santé, et protection de l'environnement. Il s'agit d'une crise de légitimité croissante.

Si l'origine la plus immédiate de cette impasse est la « grande crise financière » de 2008-2010, elle est plus profondément enracinée dans la structure de l'État néolibéral, qui connaît un approfondissement de ses caractéristiques autoritaires dans la plupart des pays, en particulier avec l'arrivée au pouvoir de la seconde administration de Donald Trump aux États-Unis en janvier 2025.

La transformation des États capitalistes en un régime politique plus discipliné et axé sur le marché s'est opérée lorsque les États ont sacrifié l'augmentation des impôts sur les riches, qui avait soutenu les politiques et programmes sociaux, aux besoins du capital en matière de profits accrus, face à la longue crise des années 1970.

Les fonctions d'accumulation de l'État – les divers soutiens politiques à la rentabilité et à la réussite économique de la classe capitaliste – ont pris le pas sur la fourniture de services sociaux pour répondre aux besoins humains en matière de santé, de vieillissement, d'éducation, de culture, etc. Pour mener à bien ce programme, à partir des années 1980, le pouvoir de l'État a été largement centralisé au sein des banques centrales, des ministères des Finances et des services de police et pénitentiaires, tous largement à l'abri des pressions populaires et de la responsabilité démocratique.

Le rôle des partis politiques, des élections et des autres institutions étatiques associées à la légitimation du système est devenu de plus en plus limité et circonscrit, parallèlement à la restriction persistante des droits syndicaux. Pourtant, dans un contexte de précarité croissante du marché du travail et de stagnation des salaires jusque dans les années 1990, la contestation ouvrière a été largement contenue. Cet État néolibéral – fait de privatisations, de déréglementation, de libre-échange et de renforcement des contrôles policiers – a conduit de nombreux militants, nombreuses militantes et acteurs et actrices socialistes à parler d'une défaite de la politique ouvrière et d'un « vidage » de la démocratie libérale.

Les effets de la crise financière de 2008

C'est en 2008 que cette évolution a dégénéré en une véritable crise de légitimité politique, souvent qualifiée de « crise financière mondiale ». La crise financière s'est d'abord concentrée sur les institutions du système étatique les plus directement associées à l'intégration idéologique, dont la fonction est de convaincre la population de la légitimité et de la justice du système capitaliste – les partis politiques, les médias grand public et les établissements d'enseignement.

Elle a également pris la forme d'une crise de l'impérialisme, se répercutant du centre impérial américain sur l'ensemble du système impérial, y compris le Canada, et puis se répercutant sur le cœur même de l'empire américain. Le Canada, allié le plus fiable de l'empire, a dû faire face à bon nombre des mêmes contradictions que les États-Unis dans la gestion des conséquences économiques, sociales et idéologiques.

La crise financière a ainsi révélé l'interdépendance de formations sociales distinctes qui se sont formées au cours de la mondialisation menée par les États-Unis. Pendant plusieurs années, l'instabilité financière, la récession, le chômage et les renflouements ont touché des formations sociales particulières, à des rythmes distincts, définis par la position de chaque État national au sein du système impérial, son équilibre des forces et sa composition de classe. Chaque État a connu ses propres manifestations, ses tensions latentes et ses symptômes morbides : l'apparition de Trump et du mouvement MAGA aux États-Unis, la résurgence de mouvements fascistes majeurs en Allemagne, en Italie, en France et dans d'autres régions d'Europe, et des émeutes racistes explosives en Grande-Bretagne.

Au Canada, on a assisté à l'émergence d'une extrême droite populiste au sein du Parti conservateur national, à des scissions politiques en partis d'extrême droite dans plusieurs provinces, et à l'émergence du Parti populaire du Canada.

La crise a été aggravée par l'inquiétude populaire face à un effondrement écologique imminent, avec des incendies de forêt, des inondations et des tempêtes record frappant l'Amérique du Nord avec une régularité effrayante.

L'incapacité flagrante des États capitalistes à prendre des mesures significatives pour faire face à la catastrophe grandissante a éviscéré le mythe du « progressisme » libéral et de l'« incrémentalisme politique », selon lequel la situation s'améliorerait progressivement. Les illusions qui ont longtemps été essentielles à la légitimation du système capitaliste, comme la notion d'un « avenir meilleur », et même l'idée même de « l'avenir » sur laquelle ces idéologies s'appuient, ont brutalement disparu, surtout aux yeux des jeunes.

Pendant ce temps, la poursuite de l'austérité et des privatisations a accru l'exposition de la classe ouvrière au marché, réduisant les protections restantes contre ses ravages, tout en élargissant, ou en consolidant, sa centralité et son pouvoir dans l'allocation des ressources. Une nouvelle génération, arrivée à maturité au Canada depuis la crise de 2008, est aujourd'hui confrontée à un ordre politique et économique qui semble totalement incapable d'offrir une vie enrichissante et sûre, ce qui se traduit par des défis majeurs en matière de logement, de maintien des revenus et de sécurité d'emploi.

Ce régime d'« autoritarisme marchand » s'est consolidé grâce au durcissement des coalitions centristes, rendant le terrain électoral extrêmement défavorable à l'intervention des forces socialistes ou populaires. Outre une gouvernance hautement coercitive à l'intérieur du pays, ces forces se sont tournées vers un militarisme croissant à l'étranger, notamment par une confrontation croissante entre grandes puissances et le développement de nouveaux systèmes d'armes puissants, tels que des missiles hypersoniques équipés d'une nouvelle génération de bombes nucléaires.

La montée de ce militarisme est manifeste dans la guerre en Ukraine, soutenue par les États-Unis et l'OTAN (actuellement réévaluée par l'administration Trump à partir de 2025), et dans la guerre génocidaire israélo-américaine à Gaza.

Donald Trump et la montée de la droite

La nouvelle administration Trump a lancé une combinaison agressive d'attaques autoritaires contre des institutions étatiques clés et les communautés immigrées, recourant à des décrets présidentiels pour contourner le contrôle législatif. Cette concentration du pouvoir exécutif s'accompagne d'un nouveau discours impérialiste agressif, avec des menaces parfois illogiques contre d'autres États et territoires, notamment le Groenland, le Panama, la Chine et le Canada.

On ignore combien de temps il faudra pour que ces changements soient institutionnalisés et quelle sera leur ampleur pour instaurer un nouvel autoritarisme. Jusqu'à présent, peu d'opposition s'organise aux États-Unis. Des éléments de la classe capitaliste encore attachés au projet de mondialisation mené par les États-Unis sont mal à l'aise avec les initiatives de Trump (à l'exception de la promesse de baisses d'impôts), mais restent silencieux. Le Parti démocrate est désorienté après l'échec du programme Biden et l'aliénation populaire résultant de leur soutien aux guerres en Ukraine et à Gaza. Et la gauche et le mouvement ouvrier américains sont encore en proie à des difficultés organisationnelles, remarquablement silencieux face aux menaces contre les travailleurs et travailleuses du Canada et du Mexique.

Le durcissement de la politique et de l'État a initialement réussi en Amérique du Nord à contrer la menace mondiale croissante de l'extrême droite. Ce mouvement est notamment porté par des petits entrepreneur.e.s de plus en plus radicalisé.e.s (la petite-bourgeoisie), longtemps mis.es à l'étroit par la mondialisation, ainsi que par des pans de la classe ouvrière en colère et politiquement confus.

Malgré leurs importantes contradictions et les limites programmatiques et stratégiques majeures de la droite populiste et radicale, ces forces sociales ont été les principales bénéficiaires de la crise de légitimité. Elles ont démontré leur capacité à occuper, à des degrés divers, les espaces idéologiques évacués par les forces politiques sociales-démocrates et libérales en Europe et en Amérique du Nord.

Le réalignement néolibéral en cours des partis sociaux-démocrates en difficulté, par exemple, a continué à refléter et à alimenter la décomposition de la classe ouvrière, sous-tendue par les forces économiques centrifuges de la dispersion et de la précarité, l'augmentation forcée de la responsabilité individuelle sur le marché du travail, et l'intensification des processus de travail.

Ce processus a persisté après les défaites politiques de Bernie Sanders (faisant le pont entre le Parti démocrate et les Democratic Socialists of America aux États-Unis, de Jeremy Corbyn au sein du Parti travailliste britannique - comme auparavant avec Tony Benn), et les impasses des nouveaux partis de gauche en Grèce, en Espagne, en Allemagne et ailleurs en Europe.

Ces défaites ont ouvert la voie à une mainmise renouvelée des centristes libéraux, soutenus par les grandes entreprises, sur les partis de centre-gauche, sans grand succès électoral à l'appui. Le NPD a adopté une approche similaire aux niveaux provincial et fédéral au Canada.

Les jeunes du Canada, des États-Unis et d'Europe n'ont pas été épargné.e.s par l'adoption de solutions économiques de marché et de droite, en raison de leur manque de confiance en leur avenir économique et social, ce qui s'est traduit par un soutien électoral croissant aux partis conservateurs, comme le Parti conservateur du Canada de Pierre Polièvre et le Parti républicain de Trump.

Pourtant, la contestation, comme par le passé – notamment à l'époque du mouvement altermondialiste, d'Idle No More, et des soulèvements de Black Lives Matter – a attiré de nouvelles vagues de jeunes. Cette fois, c'est la multiplication des campements et des manifestations contre les attaques génocidaires israéliennes à Gaza, qui a attiré de nouvelles vagues de jeunes vers la pensée anti-impérialiste, les actions BDS et les politiques progressistes. La syndicalisation dans le secteur de la logistique et autour d'Amazon, ainsi que d'autres campagnes autour de l'économie des petits boulots, ont également suscité l'émergence d'une nouvelle cohorte de militant.e.s syndicaux et syndicales.

Les partis sociaux-démocrates comme le NPD ont depuis longtemps renoncé à toute remise en cause du capitalisme et n'ont guère avancé que de modestes réformes du régime néolibéral dans leur quête incessante d'un « capitalisme à visage humain ». Il est clair que l'adhésion à ces partis n'a pas donné naissance à une politique anticapitaliste ni permis l'émergence d'une nouvelle gauche politique.

Le contexte actuel, caractérisé par une gauche radicale faible, des classes ouvrières fragmentées et un mouvement syndical politiquement prudent, a conduit de nombreux et nombreuses membres de la gauche, tant en Europe qu'en Amérique du Nord, à ne voir d'autre solution que de s'allier aux partis politiques traditionnels comme « partenaires juniors » au sein de nouveaux « fronts populaires », seule voie pour combattre la menace immédiate de la montée de la droite dure. Au Canada, cela se traduit par diverses alliances électorales entre le NPD, les Verts et les Libéraux (avec une variante propre au Québec), soutenues par un large éventail d'organisations de la gauche sociale cherchant à bloquer toute nouvelle érosion des acquis sociaux.

Il faut s'attaquer à la menace croissante de la droite. Mais cela ne doit pas se faire au prix de la dissolution d'une politique socialiste dans des coalitions dont les stratégies politiques et économiques – néolibéralisme et guerres mondiales en Europe de l'Est, au Moyen-Orient et en Asie – ont été si directement responsables de la montée des forces d'extrême droite.

Dans ce contexte, il est plus important que jamais que la gauche socialiste mette tout en œuvre pour accroître sa propre visibilité, créer une présence organisationnelle et promouvoir, aussi vigoureusement que possible, une vision politique alternative.

Cela est nécessaire non seulement pour préserver les acquis démocratiques du passé, mais aussi pour répondre aux exigences croissantes d'un avenir proche « terrifiant » vers lequel Trump, l'OTAN et le changement climatique nous poussent sans relâche.

Si les « solutions » fondées sur le marché à la crise écologique proposées par le centre néolibéral sont insuffisantes, nous devons insister explicitement sur le fait que seule la remise en cause fondamentale du capitalisme et une profonde réorganisation de l'économie sur la base d'une démocratie radicale et la mise en œuvre d'un régime de planification démocratique ont une chance de conduire à un avenir durable. Ce n'est pas parce que cela presse que les compromis centristes ou les postures d'extrême gauche deviennent soudainement efficaces.

L'ouverture pour les socialistes

À l'heure actuelle, face à la menace des tarifs douaniers de Trump et à leurs répercussions socioéconomiques, une ouverture politique s'offre aux socialistes. La nécessité de rééquilibrer la relation du Canada avec l'empire américain – voire, pour certain.e.s, de s'en désengager – devient un sujet populaire parmi les travailleurs et travailleuses de tous horizons. Ils et elles expriment des inquiétudes quant au niveau d'intégration avec les États-Unis et aux coûts des politiques sociales et économiques de Trump, notamment les demandes d'augmentation radicale des dépenses militaires et de militarisation de l'Arctique et de la frontière canado-américaine.

Défier Trump signifie différentes choses pour différentes sections de la classe capitaliste canadienne : une majorité souhaite le statu quo ; d'autres réclament une intégration plus poussée ; et une petite minorité souhaite une politique industrielle davantage centrée sur le national, fondée sur une compétitivité et un capitalisme accrus, mais qui, à bien des égards, demeure conciliante avec l'empire américain et liée à la dépendance aux exportations.

Cette dernière position comprend des propositions visant à construire des pipelines de combustibles fossiles est-ouest, à abaisser les barrières commerciales interprovinciales, à rechercher activement de nouveaux marchés d'exportation, à poursuivre une gouvernance et des politiques économiques plus néolibérales et à répondre aux demandes de dépenses militaires accrues avec une intégration opérationnelle militaire plus poussée avec les États-Unis et l'OTAN dans l'Arctique, en Europe et en Asie de l'Est.

Les socialistes ont l'occasion de plaider en faveur d'un désengagement de l'empire américain en construisant une économie coopérative, socialement gérée et planifiée démocratiquement, organisée pour répondre aux besoins humains. Une telle économie serait davantage axée sur le développement interne, avec des prestations sociales en matière de logement, d'éducation, de transports publics et de soins de santé pour les travailleurs et travailleuses, et une évolution résolue vers la durabilité écologique et une réduction radicale des émissions de carbone.

Cela nécessiterait une rupture avec la mobilité des capitaux, le contrôle de la finance et du crédit, un nouveau régime fiscal, l'arrêt de l'austérité, l'abandon de la dépendance aux énergies fossiles et la rupture avec la voie néolibérale plus autoritaire dans laquelle Trump engage les États-Unis et que Polièvre, Doug Ford et le parti Conservateur entendent suivre.

La gauche socialiste que nous devons construire doit être anti-impérialiste. Il ne s'agit pas de semer l'illusion que le capitalisme est « à bout de souffle » ou que l'empire américain est sur le point de disparaître en tant que puissance mondiale dominante.

Nous devons reconnaître avec lucidité l'ampleur du défi. Si l'empire américain s'est fragmenté, si l'État américain ne jouit plus d'un « moment unipolaire » et si sa primauté dans l'ordre mondial s'est érodée, il n'en demeure pas moins la puissance économique, militaire et diplomatique dominante. De même, la mondialisation capitaliste et la mobilité des capitaux sont toujours bien présentes, les entreprises continuent d'engranger des profits, et les bouleversements environnementaux et sociaux ne remettent pas en question le recours aux prix et aux solutions de marché pour tenter de les résoudre.

Le capitalisme ne s'effondrera pas de lui-même ; il doit être transformé par l'action politique de la classe ouvrière. Cela doit inclure la lutte contre le colonialisme, souvent étroitement lié au capitalisme extractif des énergies fossiles. Cela commence par une déclaration de solidarité avec les défenseur.eue.s des terres autochtones, comme engagement prioritaire en faveur du droit des peuples colonisés à vivre dans la dignité et l'autodétermination.

On observe aujourd'hui une polarisation des options. La politique de compromis de classe, qui a défini la politique sociale-démocrate du XXe siècle au sortir des guerres mondiales et de l'émergence d'une syndicalisation de masse, n'est plus d'actualité. Même remporter des réformes modérées aujourd'hui exige une confrontation directe avec le capital et le capitalisme, ce qui, à son tour, exige de construire la base sociale profonde nécessaire à son efficacité.

De tels efforts doivent dépasser l'électoralisme qui considère le vote pour des politicien.ne.s individuel.le.s comme un raccourci. Et cela ne se résume pas à reconstruire et à élargir les syndicats conservateurs, dont les horizons politiques limités ont si directement contribué à notre situation actuelle.

Les efforts politiques de la gauche pour se développer en marge du mouvement syndical ne peuvent se faire que de manière à nous rendre dépendants et à nous abstenir de remettre en question l'orientation politique du syndicat.

Les mobilisations et résistances isolées – comme les grèves réussies dans le secteur automobile et ailleurs – ont été importantes. Mais elles n'ont pas permis de percée durable qui mettrait fin à l'inertie plus générale du cynisme et du fatalisme de la classe ouvrière. Le mouvement ouvrier au Canada doit encore être transformé.

Le Projet Socialiste : Vers l'Avenir

Tout cela nécessite un parti socialiste capable de s'engager dans la formation de la classe ouvrière par la pratique politique, en reliant les luttes disparates et en transformant les syndicats en instruments de lutte des classes. C'est le contexte auquel la gauche est confrontée au Canada et ailleurs.

À partir de cette constatation politique, le Projet Socialiste se penche non seulement sur le passé et le présent, mais aussi, comme tous les socialistes, sur l'avenir. De toute évidence, le présent n'est pas celui de grand succès de la classe ouvrière et des socialistes : les ravages du capitalisme néolibéral, l'impérialisme brutal de Trump, la défaite et la faiblesse des mouvements ouvriers, en particulier du mouvement syndical organisé, et la montée du populisme de droite et du conservatisme social, face à l'incapacité du centrisme libéral et de la social-démocratie à affronter le capitalisme. Cela sans parler des terribles pertes en vies humaines dans les guerres comme celles de Gaza, d'Ukraine et d'ailleurs, ou de la tragédie de la vie sans eau potable, au milieu de l'abondance, dans les communautés autochtones.

Il existe néanmoins des possibilités et de l'espoir : la classe ouvrière, bien que vaincue politiquement, continue de riposter, quoique sous des formes manquant de cohérence, de pouvoir organisationnel, et de cohésion, ainsi que d'une culture et d'une idéologie politiques propre à la classe ouvrière.

Mais une grande partie du virage vers le cynisme, la pensée et le vote de droite reflète le renforcement des pires composantes du capitalisme – chômage, inégalités, dégradation climatique, fracture sociale et réactions négatives – qui accompagnent inévitablement un leadership politique et social qui accepte et renforce quotidiennement le mythe selon lequel il n'existe pas d'alternative au capitalisme. Les travailleurs et travailleuses réagissent à ceux et celles qui proposent de fausses solutions, comme les Trump et les Poilièvre de ce monde.

Mais l'insécurité, la colère et la frustration qui poussent de nombreux travailleurs et nombreuses travailleuses vers la droite peuvent servir de fondement à une alternative à la gauche. Les socialistes occupent une place centrale dans les efforts visant à construire une compréhension et une identification de classe au sein et à travers la classe ouvrière, au Canada et dans d'autres pays. Nous avons la responsabilité et le potentiel de travailler au sein des institutions, des communautés et des syndicats clés de la classe ouvrière afin de former une nouvelle génération de dirigeant.e.s issu.e.s de la classe ouvrière et de bâtir une alternative.

Ils peuvent puiser une forte motivation des immenses manifestations contre le génocide de Gaza ; da la colère et le ressentiment grandissants des travailleurs et travailleuses en quête de logement, de soins de santé, d'emplois décents, de nourriture et de loisirs abordables ; et dans la prise de conscience croissante de la nécessité de créer un Canada – solidaire des autres – où les travailleurs et les travailleuses sont capables de prendre des décisions économiques et politiques clés, face à l'intimidation de l'empire américain, aux compromis et au besoin impérieux de faires de profits sur le dos de la classe ouvrière.

Cela nécessite la construction d'un parti politique socialiste, fondé sur les actions, les idées et l'organisation de la classe ouvrière.

La classe ouvrière est vaste. Elle est la source du travail qui rend possible tous les aspects de notre vie sociale et économique. Mais nous sommes divisé.e.s par secteurs, par niveaux du marché du travail, par statut social et identités : cols bleus/cols blancs, immigrant.e.s/natifs et natives, migrant.e.s, travailleurs et travailleuses précaires, hommes/femmes, transgenres, LGBT, public/privé, propriétaires/locataires et sans-abri.

Rassembler ces segments de la classe ouvrière et bâtir un mouvement politique et une identité commune est la mission d'un parti authentiquement socialiste.

Résumer et appliquer les leçons tirées de l'expérience et des luttes passées est un rôle clé pour les socialistes et une perspective passionnante pour construire et remettre en question et finalement renverser le système social existant.

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Soutenir le journalisme rigoureux de la CBC concernant l’occupation

28 octobre, par Canadiens pour la paix et la justice au Moyen-Orient (CJPMO) — , , , , ,
Alors qu'Israël continue de violer l'accord de cessez-le-feu, les médias canadiens continuent de relayer les arguments israéliens non fondés et d'omettre des informations (…)

Alors qu'Israël continue de violer l'accord de cessez-le-feu, les médias canadiens continuent de relayer les arguments israéliens non fondés et d'omettre des informations critiques importantes. Du cessez-le-feu à la libération des otages, la couverture médiatique a été gravement trompeuse et incomplète.

C'est pourquoi CJPMO encourage quotidiennement les journalistes à inclure le contexte approprié et à respecter les normes fondamentales du journalisme. Depuis le début de l'année 2024, notre petite mais infatigable équipe de défense des médias a envoyé des milliers de lettres aux médias pour exiger une couverture plus équilibrée, plus juste et plus précise.

Dans certains cas, les journalistes font un excellent travail en dévoilant la réalité de ce qui se passe en Palestine, et sont attaqués par le lobby pro-israélien pour cela. Dans ces moments-là, notre équipe intervient pour s'assurer que le bon journalisme soit reconnu.

La couverture médiatique façonne la façon dont les Canadiens perçoivent ces questions, ce qui peut avoir un impact sur la voie empruntée par notre gouvernement. C'est précisément pour cette raison que le lobby pro-israélien investit massivement dans des organismes médiatiques influents financés par des milliardaires, tels que HonestReporting, qui disposent de budgets annuels de plusieurs millions de dollars. Compte tenu de la grande incertitude qui entoure l'avenir du cessez-le-feu en Palestine – création d'un État et fin du génocide ou poursuite des effusions de sang et occupation israélienne permanente –, le plaidoyer médiatique n'a jamais été aussi important. Vous trouverez ci-dessous quelques-unes de nos récentes réalisations.

Soutenez notre action médiatique
Soutenir le journalisme de qualité de la CBC sur l'occupation

Bien que nous critiquions souvent (et à juste titre) la CBC, celle-ci a diffusé un reportage remarquable sur la manière dont les organisations caritatives canadiennes subventionnent l'occupation israélienne et le nettoyage ethnique des Palestiniens en Cisjordanie.

Depuis lors, elle fait l'objet d'attaques virulentes de la part du lobby pro-israélien. Cela inclut des campagnes de harcèlementde la part d'HonestReporting Canada et des menaces d'enquêtes de la part du CIJA.

Il est important que nous demandions à la CBC de soutenir ce documentaire et de produire davantage de reportages de ce type, sans craindre les répercussions négatives. Cliquez icipour participer à notre alerte médiatique et lutter contre la pression exercée par le lobby israélien.

Essai : Qualifier à tort les « détenus » palestiniens de « prisonniers »

Une question importante que nous observons fréquemment est la terminologie utilisée par les médias traditionnels dans leur couverture de la libération des otages. La grande majorité des médias ont résumé l'échange entre Palestiniens et Israéliens en ces termes : le Hamas libérerait des « otages » israéliens, tandis qu'Israël libérerait des « prisonniers » palestiniens. La plupart des reportages ont omis une distinction cruciale : bon nombre des Palestiniens libérés ne sont pas des prisonniers au sens conventionnel du terme, mais étaient en réalité des otages, détenus pendant des mois ou des années sans inculpation ni procès équitable dans le cadre de la politique de détention administrative d'Israël.

CJPMO a réagi avec détermination à la mauvaise couverture médiatique liée à l'utilisation trompeuse du terme « prisonniers » pour décrire les Palestiniens détenus illégalement par les forces d'occupation israéliennes. De plus, nous avons publié un essaiqui analyse cette question et formule des recommandations à l'intention des journalistes et des rédacteurs en chef.

Impact majeur : CJPMO obtient gain de cause auprès du Conseil national des médias d'information dans sa plainte contre le National Post et le Jewish News Syndicate

Après plus de six mois, le Conseil national des médias d'information (CNMI) a finalement rendu publique sa décision concernant la plainte officielle déposée par CJPMOau sujet de l'article intitulé « Leréalisateur palestinien du documentaire oscarisé « No Other Land »arrêté pour avoir lapidé des agents de sécurité : rapports », rédigé par le Jewish News Syndicate (JNS). Le Conseil national des médias d'information a estimé que la plainte « avait été résolue grâce à des mesures correctives », mais a réitéré sa « recommandation » selon laquelle le Post devrait fournir « plus d'informations » aux lecteurs sur leJewish News Syndicate lorsqu'il publie son contenu.

Le Jewish News Syndicate est en fait un organe de propagande israélienne, que le National Post et sa société mère, Postmedia, publient régulièrement dans tout le Canada. Il est présenté comme un organe d'information malgré son extrême partialité et ses fréquentes erreurs factuelles.

CJPMO s'inquiète du fait que le Conseil national des médias d'information ait, pour la deuxième fois, reconnu que le JNS ne répondait pas aux normes journalistiques canadiennes, mais continue de laisser le National Post s'en tirer à bon compte pour son rôle dans la diffusion délibérée de préjugés et de désinformation. Nous considérons cela comme une victoire majeure, mais restons déçus et préoccupés par la faiblesse du système canadien de responsabilité journalistique.

Black Press Media retire ses allégations d'antisémitisme à l'encontre de CJPMO

Un récent article publié par Black Press Media suggérait que CJPMO avait partagé un message prétendument antisémite de la députée provinciale de Penticton-Summerland, Amelia Boultbee, qui dénonçait le génocide à Gaza. Suite à la contestation de CJPMO, l'article a été corrigé et une note de la rédaction a été ajoutée pour clarifier :

« Note de la rédaction : Cet article a été mis à jour afin de préciser que c'est M. Rustad qui a affirmé que Mme Boultbee avait partagé un message antisémite, et que le message de CJPMO ne contenait aucun contenu antisémite, ni aucun élément permettant de suggérer le contraire. »

Cet incident démontre l'importance de lutter contre les accusations injustes d'antisémitisme qui sont utilisées dans le but de faire taire les détracteurs d'Israël. Pour en savoir plus, veuillez consulter notre page Impact.

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De la domination au nettoyage ethnique. L’industrie militaire et la stratégie d’Israël depuis 1948

[Allison Kaplan Sommer, dans Haaretz du 20 octobre 2025, indique que « fait rage en Israël un débat politique acharné au sujet du nom à donner à la guerre sur plusieurs fronts (…)

[Allison Kaplan Sommer, dans Haaretz du 20 octobre 2025, indique que « fait rage en Israël un débat politique acharné au sujet du nom à donner à la guerre sur plusieurs fronts qui a débuté suite à l'infiltration et au massacre sanglant perpétré par le Hamas dans le sud d'Israël le 7 octobre 2023. Depuis, elle s'est étendue au Liban, à la Syrie, à l'Irak, au Yémen, à l'Iran et presque dans tous les recoins d'Israël – elle est désormais (du moins selon le président américain) TERMINÉE. » Après avoir indiqué que « la bureaucratie de l'armée israélienne chargée de nommer les guerres a travaillé d'arrache-pied », la journaliste indique que « Netanyahou a choisi “La guerre de la Rédemption” ». Allison Kaplan Sommer souligne que le choix de Netanyahou suscite des objections, y compris au sein de son « cercle de fidèles ». Elle constate que « le nouveau nom n'a certainement aucun impact sur les Palestiniens, les dirigeants mondiaux, les ONG israéliennes critiques et les institutions internationales qui ont déjà déclaré que cette guerre constituait un génocide ».

Tiré de A l'Encontre
22 octobre 2025

Par Shir Hever*

Shir Hever, dans cet article, analyse les évolutions de la stratégie militaire de l'Etat sioniste et les liens existant entre les choix d'armement, les relations militaires avec les Etats-Unis, la production et l'exportation d'armes par Israël, la colonisation des territoires palestiniens et le type de guerre menée depuis 2023 où s'articulent « domination et anéantissement » d'une population. – Réd. A l'Encontre]

***

Israël est l'un des pays les plus militarisés au monde. Les Forces de défense israéliennes (FDI) et, plus largement, les forces de sécurité israéliennes constituent le noyau autour duquel les institutions, les structures financières et l'économie du pays se sont développées depuis que David Ben Gourion a ordonné la création des FDI le 26 mai 1948. Au cours des décennies qui ont suivi, l'économie politique du pays s'est développée autour de ce principe central d'organisation de la guerre, évoluant au fur et à mesure que la nature de la guerre changeait avec la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen-Orient.

Dans les années 1940, les milices coloniales décentralisées se sont regroupées pour former une entreprise publique gérée par l'État pour la production de matériel militaire. L'État israélien a limité les exportations de cette industrie, une tendance qui s'est poursuivie après l'indépendance, les fabricants d'armes publics produisant des armes à des fins expansionnistes. Au début de la guerre froide et pendant la période postcoloniale, la stratégie militaire israélienne reflétait ce modèle économique. Plutôt que de mener une guerre conventionnelle, la colonisation était encouragée par de petites unités militaires menant des campagnes de nettoyage ethnique avec des armes légères. Si Israël importait des armes, principalement de France, il équipait ces milices principalement grâce à la production nationale.

C'est à la suite de la guerre israélo-arabe de 1973 (guerre du Yom Kippour), avec l'augmentation du financement militaire par les Etats-Unis, que les pratiques d'approvisionnement de l'armée israélienne ont changé. La nouvelle phase de la guerre froide mondiale a marqué le début d'une période de changement sectoriel au sein de l'industrie de défense israélienne. La guerre a mis en évidence de graves faiblesses dans la défense israélienne, qui avait lutté contre les armées des pays arabes équipées par l'Union soviétiques. La réponse d'Israël a été une augmentation rapide et forte des importations de systèmes d'armes états-uniens. Mais cette décision a nécessité un ajustement structurel : afin de renforcer ses liens avec l'industrie de défense américaine, Israël a privatisé et libéralisé son appareil militaire national. Au cours des dernières décennies du XXe siècle, les Forces de défense israéliennes (FDI) se sont transformées en une force de police coloniale de haute technologie, gérant les populations palestiniennes de Gaza et de Cisjordanie par la surveillance et le contrôle. Alors que les importations d'armes en provenance des États-Unis se poursuivaient à un rythme soutenu, Israël a réorienté sa propre production vers de nouvelles technologies spécialisées de surveillance et d'incarcération. Une nouvelle division mondiale du travail dans la production d'équipements militaires a vu le jour, façonnée par la guerre contre le terrorisme et l'industrie mondiale de la défense dirigée par les États-Unis jusqu'en 2023.

La campagne génocidaire menée par Israël dans la bande de Gaza marque une rupture avec le statu quo qui prévalait depuis des décennies. Depuis le 7 octobre, l'industrie militaire israélienne cherche de plus en plus à compenser sa dépendance écrasante vis-à-vis des importations militaires par sa propre production nationale, revenant ainsi à ses origines de nation-milice mobilisée pour des hostilités constantes. Ce changement est à la fois qualitatif et quantitatif. En produisant pour la consommation nationale, le complexe militaro-industriel israélien a commencé à recomposer son profil de production autour d'armes de faible technologie conçues pour la destruction et le déplacement de masse, donc pour des produits et des pratiques plus proches de sa stratégie fondatrice.

Un État colonialiste

Les racines de l'industrie de l'armement israélienne sont antérieures à la fondation de l'État lui-même. Israel Military Industries, la société à l'origine du Desert Eagle (pistolet semi-automatique) et de l'Uzi (pistolet-mitrailleur), a été créée en 1933 en tant que fabricant d'armes légères pour approvisionner les premières milices sionistes. Ses armes étaient produites en secret [c'était l'époque du mandat britannique, s'étalant de 1922 à 1947, suite à la décision de 1917], introduites en contrebande et stockées illégalement pour être utilisées par ces groupes armés sionistes. Les milices qui ont ensuite formé l'armée israélienne étaient principalement armées de mitraillettes Sten [d'origine britannique], de mortiers et de véhicules blindés légers, des armes bien adaptées pour intimider les civils et finalement efficaces dans le nettoyage ethnique de la Palestine. Ces armes favorisaient les tactiques de petites unités et la guerre irrégulière sur des terrains accidentés, s'alignant sur la doctrine initiale d'Israël de haute mobilité et de commandement décentralisé, et illustrant ce que les généraux israéliens décrivaient souvent comme l'idéal d'une « armée petite et intelligente ».

La mentalité collectiviste des colons a joué un rôle essentiel dans le militarisme du mouvement sioniste, ses stratégies d'armement et ses relations avec la population palestinienne indigène. Sous la direction de l'ancien Premier ministre israélien David Ben Gourion, chef du Parti travailliste et des syndicats [il fut aussi dirigeant du groupe armée Haganah], l'État a monopolisé la fabrication d'armes israéliennes. Ce monopole sur la production d'armes a favorisé le développement du secteur public du pays, les recettes étant réinvesties dans la recherche et le développement [1]. Ce type de guerre a également influencé la politique de recrutement militaire. Afin de maintenir la cohésion et la loyauté des unités, Israël a exempté de conscription une grande partie de la population : les Palestiniens, les juifs ultra-orthodoxes et, plus tard, un nombre croissant de juifs laïques. Cette stratégie s'est avérée efficace en 1948, 1956 et 1967, lorsque des unités légères et agiles ont pu prendre le dessus sur des forces arabes moins organisées. Cependant, avec le déclenchement de la guerre en 1973, les limites de cette stratégie ont rapidement été mises en évidence.

L'infrastructure de la domination

Si les succès militaires d'Israël contre l'Égypte, la Syrie et la Jordanie lors de la guerre des Six Jours en 1967 ont engendré une confiance excessive parmi les élites militaires israéliennes, la guerre du Yom Kippour en 1973 a ébranlé cette conception de l'autosuffisance, y compris dans la fabrication d'armes. Les achats massifs d'équipements militaires russes par les gouvernements irakien et syrien, ainsi que l'explosion des revenus pétroliers arabes et l'afflux d'armes achetées grâce à ces revenus, ont marqué le début d'une course à l'armement régional sur de nombreux axes de conflit. Lorsque la guerre a éclaté en octobre 1967, les petites unités israéliennes et même la supériorité aérienne n'ont pas réussi à stopper l'avance des divisions syriennes et égyptiennes. Au milieu de la guerre, Israël s'est tourné vers les importations d'armes fabriquées aux États-Unis, ce qui a nécessité de nouvelles tactiques et, en fin de compte, une nouvelle stratégie.

La dépendance vis-à-vis du financement militaire états-unien a commencé au milieu de la guerre du Yom Kippour et est rapidement devenue une caractéristique essentielle de l'industrie israélienne de l'armement. L'hostilité inhérente d'Israël envers les gouvernements socialistes arabes financés par l'Union soviétique en a fait un allié naturel des intérêts états-uniens pendant la guerre froide. En sauvant Israël de la destruction, les États-Unis ont obtenu un nouvel outil pour projeter leur puissance au Moyen-Orient et une occasion toute trouvée de restructurer l'industrie militaire israélienne en fonction de leurs propres priorités économiques et géostratégiques.

Dans les années qui ont suivi, les États-Unis ont utilisé le financement militaire pour exercer une pression sur le type de technologies et d'équipements qu'Israël pouvait produire chez lui. Le Pentagone a identifié les projets de recherche militaire israéliens susceptibles de concurrencer les entreprises de défense états-uniennes et a négocié leur arrêt définitif. Il s'agissait notamment de travaux sur un missile antichar destiné à concurrencer le missile LAU de fabrication états-unienne, ainsi que du projet d'armement phare d'Israël, l'avion de chasse Lavi, développé dans les années 1980 et conçu pour surpasser le chasseur F-16 de Lockheed Martin [2]. Le Pentagone a également surveillé les exportations d'armes israéliennes contenant des technologies états-uniennes, interdisant leur vente à des pays comme la Russie et la Chine.

Depuis 1973, Israël est devenu le plus grand bénéficiaire de l'aide militaire étrangère des Etats-Unis dans le monde et, depuis la révolution iranienne de 1979, le plus grand acheteur d'équipements militaires américains de la région, et de loin. Depuis le début de la guerre du Yom Kippour, les États-Unis ont accordé à Israël une aide militaire totale de plus de 171 milliards de dollars, sans tenir compte de l'inflation et sans intérêts [3]. Ce changement dans la base des achats militaires israéliens a profondément réorienté le rôle des fabricants d'armes locaux. Si les États-Unis sont de loin le plus grand exportateur d'armes au monde, Israël est devenu à son tour un exportateur d'armes majeur, avec le taux d'exportation d'armes par habitant le plus élevé au monde. Cependant, alors que les exportations d'armes états-uniennes privilégient les membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), la plupart des exportations d'armes israéliennes sont destinées à des pays non membres de l'OTAN.

Le mariage entre les intérêts militaires des Etats-Unis et d'Israël allait avoir deux conséquences. Premièrement, sous l'influence des États-Unis, les entreprises d'armement privées ont pris le pas sur les entreprises publiques dans les achats de l'armée israélienne, alors que le pays traversait une période de privatisation intense. Les pressions en faveur de la privatisation se sont accrues en raison des ajustements douloureux imposés par les États-Unis à la production d'armes et des réductions des dépenses militaires reflétant la fin de la guerre froide. En 1993, un comité gouvernemental présidé par le professeur Israel Sadan s'est réuni pour étudier l'avenir des achats militaires israéliens et a recommandé la privatisation des fonctions « périphériques », du stockage et de la distribution jusqu'aux acquisitions logistiques, voire à la sécurité des bases elles-mêmes. La concurrence entre les fournisseurs privatisés a été présentée comme une mesure d'économie qui, selon les assurances données aux Israéliens, ne compromettrait pas la sécurité. L'efficacité était le mot d'ordre du jour, un principe repris par le chef de l'armée israélienne de l'époque, Ehud Barak [chef d'Etat-major des FID de 1991 à 1995, puis ministre des Affaires étrangères, et premier ministre de 1999 à 2001], qui déclara : « Tout ce qui ne tire pas ou n'aide pas directement à tirer sera supprimé. » [4]

La privatisation ne s'est pas limitée à l'industrie de l'armement. Avec le plan de stabilisation structurelle de 1985, Israël s'est lancé dans un processus de privatisation à grande échelle de ses infrastructures et services de télécommunications, de sa compagnie aérienne nationale, du secteur bancaire, ainsi que dans une privatisation partielle des secteurs de l'eau, de la santé et des ports [5]. En plus de répondre aux préférences des États-Unis, la privatisation a offert aux membres de l'élite sécuritaire israélienne des opportunités lucratives dans la gestion d'entreprises d'armement privées.

Deuxièmement, ces entreprises privées allaient s'impliquer de plus en plus dans la guerre mondiale contre le terrorisme menée par les États-Unis. La privatisation allait de pair avec la spécialisation dans les technologies utilisées dans la cyberguerre, les drones d'attaque et les systèmes électroniques avancés pour les véhicules militaires [6]. À la suite de la deuxième Intifada [2000-2005] et des attentats du 11 septembre 2001 [World Trade Center], Israël et les États-Unis ont partagé un intérêt commun pour le développement de systèmes de haute technologie pour la surveillance, la réglementation et le contrôle.

Depuis 2001, entre 70 et 80% des armes fabriquées en Israël ont été vendues à l'exportation. Les entreprises d'armement israéliennes se sont forgé une réputation de vendeurs d'armes à des clients marginaux : les pays soumis à un embargo militaire, les groupes rebelles, les milices, les États sans relations diplomatiques avec les autres grands producteurs d'armes, et même des clients qui ont ensuite utilisé ces armes contre Israël [7]. Israël s'est forgé cette réputation dans les années 1960, au plus fort de la guerre froide mondiale, en exportant des armes vers l'Ouganda, l'Angola, le Chili, l'Afrique du Sud, Singapour, Taïwan, le Nicaragua, le Guatemala et l'Iran pré-révolutionnaire. Plus tard, à mesure que la géographie des guerres chaudes évoluait, ses exportations se sont déplacées vers le Rwanda, la Yougoslavie, la Turquie, l'Azerbaïdjan et l'Inde. Au cours des dernières décennies, les États du Golfe ont commencé à importer de plus en plus d'armes israéliennes [en complément des armées états-uniennes]. Bien qu'Israël soit loin derrière les principaux exportateurs mondiaux d'armes tels que les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, il a atteint le statut de premier exportateur mondial d'armes par habitant vers 2009, après que l'invasion de la bande de Gaza en 2008 ait tué environ 1400 Palestiniens [8].

En 2003, le président américain George Bush a créé le Département de la sécurité intérieure (DHS- Department of Homeland Security) avec un budget dépassant 59 milliards de dollars. Le DHS et le climat de la GWOT (Global War on Terrorism) ont offert aux entreprises militaires et de sécurité israéliennes l'occasion idéale de tirer parti de leur expérience dans les territoires occupés. Les entreprises israéliennes ont présenté les territoires palestiniens occupés comme un terrain d'essai pour développer des produits adaptés à un projet américain de sécurité intérieure en pleine évolution, et Tel-Aviv est rapidement devenue la capitale mondiale du secteur de la sécurité de l'industrie de l'armement [9]. La série d'opérations militaires israéliennes à Gaza, au Liban et ailleurs a été une aubaine pour les entreprises d'armement du pays, leur permettant de commercialiser leurs produits comme « testés au combat » lors des différents salons de l'armement qui ont suivi chaque opération [10]. À l'heure actuelle, ces produits militaires sont devenus une activité très lucrative et un secteur clé de l'économie israélienne. En 2012, Israël a engrangé 7,5 milliards de dollars grâce aux exportations militaires ; la même année, l'ancien ministre israélien de la Défense Ehud Barak a déclaré que 150 000 foyers israéliens dépendaient de l'industrie de l'armement pour leurs revenus.

La relation particulière entre Israël et les États-Unis est essentielle dans tout cela. Il s'agit d'une relation essentiellement militaire, où les flux monétaires et les exportations/importations d'armes jouent un rôle structurant dans l'économie israélienne. Si environ 75% des 3,1 milliards de dollars d'aide militaire états-unienne à Israël doivent être dépensés en armes américaines, le reste peut être consacré à des armes produites localement. Ce renforcement de l'alignement diplomatique a facilité l'intégration industrielle, comme lorsque la société américaine Magnum Research a transféré la production de ses pistolets Magnum et Desert Eagle en Israël. Aujourd'hui, même lorsque Israël achète des armes fabriquées aux États-Unis, celles-ci sont souvent construites avec des composants israéliens. Les fonds de recherche alloués par le gouvernement et les programmes de recherche universitaires conjoints ont conféré une légitimité scientifique aux technologies de répression [11]. En 2018, la vague de privatisation et la nouvelle demande à l'exportation ont abouti à l'achat de la société publique Israel Military Industries par la société privée Elbit Systems. Cette dernière est ainsi devenue la plus grande entreprise d'armement d'Israël et la vingt-huitième plus grande firme d'armement au monde en 2019. Elle fournit les armées non seulement directement, mais aussi indirectement en tant que sous-traitant de grandes entreprises telles que General Dynamics et Airbus [12]. Elbit Systems incarne clairement le nouveau visage de l'industrie de l'armement israélienne : technologies d'oppression, gammes de produits complémentaires plutôt que concurrentes des armes des Etats-Unis, et exportations mondiales qui misent sur la valeur que les gouvernements du monde entier accordent à l'expérience d'Israël en matière d'occupation.

Au cours des cinq décennies qui ont suivi la guerre de 1973, les milices de colons soutenues par l'État israélien se sont transformées en un système de haute technologie destiné à opprimer les Palestiniens. Dans son armée désormais à forte intensité capitalistique, les entreprises d'armement démontrent leur technologie de pointe à travers les assauts militaires contre les Palestiniens et la surveillance et le contrôle quotidiens de l'occupation [13 et 14].

Spécialisé dans les systèmes de surveillance, les équipements anti-émeutes et les infrastructures carcérales, ce « laboratoire » a produit des outils idéaux pour maintenir l'occupation, mais mal adaptés à la guerre conventionnelle. N'étant plus une force de combat, l'armée israélienne s'est transformée en une armée de police coloniale, privilégiant la dissuasion, l'humiliation et la répression de la résistance palestinienne plutôt que la suprématie sur le champ de bataille. Des dizaines de milliers d'agents de sécurité privés ont été formés au développement et à la maintenance de ces technologies.

La stratégie d'anéantissement, de nettoyage ethnique

La dépendance d'Israël, depuis des décennies, à ce modèle de surveillance high-tech des populations palestiniennes enclavées a été remise en cause par les attentats du 7 octobre. Des enquêtes internes divulguées en mars 2025 révèlent que les officiers avaient écarté la possibilité d'une attaque palestinienne, estimant que leur régime de dissuasion était infaillible. Lorsque le Hamas a brisé cette illusion, le gouvernement d'extrême droite israélien est revenu à ce qui semblait jusqu'alors être une forme de guerre dépassée : des armes lourdes fournies par les États-Unis (artillerie, chars, drones armés, bombardements navals et avions de combat) pour assiéger de manière prolongée toute une population.

Le génocide perpétré par Israël à Gaza, ainsi que l'invasion du Liban et les frappes aériennes en Syrie, au Yémen et en Iran, ont un point commun important : ils sont menés principalement avec des armes importées. La majorité d'entre elles sont subventionnées par les contribuables américains, bien qu'Israël paie un prix plus élevé pour les armes provenant d'Allemagne, de Serbie et, de plus en plus, « de pays avec lesquels nous n'avons pas de relations diplomatiques, y compris des États musulmans sur tous les continents », a déclaré un responsable de la Défense israélienne à Yediot Aharonot en novembre 2024. Alors que l'armée israélienne a épuisé ses munitions et son armement lors de sa campagne postérieure au 7 octobre, les marchands d'armes israéliens se sont transformés en charognards dans un commerce mondial des armes dont les prix sont gonflés par la demande en Ukraine, échangeant des systèmes d'armes de haute technologie tels que des drones et des équipements informatiques contre du matériel de base comme des obus, de la poudre à canon et d'autres explosifs [15]. Selon le Wall Street Journal, en décembre 2023, les États-Unis avaient livré à Israël plus de 5000 bombes non guidées Mk82, 5400 bombes non guidées Mk84 de 907 kg, 1000 bombes GBU-39 de 110 kg et environ 3000 kits JDAM (Joint Direct Attack Munition). Depuis le 7 octobre, les États-Unis ont fourni à Israël pour environ 17,9 milliards de dollars d'armes et de munitions, en plus du financement militaire extérieur annuel de 3,8 milliards de dollars et des importations payées de 8,2 milliards de dollars provenant des entreprises d'armement des Etats-Unis [16].

Le passage à une stratégie visant à maximiser la destruction a également entraîné un regain d'intérêt pour la fabrication d'armes au niveau national. Lors de la conférence des actionnaires d'Elbit Systems en 2025, la tendance était claire : Israël reste dépendant des importations d'armes, mais tente de s'approvisionner autant que possible auprès d'entreprises nationales afin d'échapper à l'impact de l'embargo militaire croissant dont il fait l'objet. La part des exportations d'Elbit Systems est passée de 79% au premier trimestre 2023 à 58% au quatrième trimestre 2024. Mais cette recomposition de la demande axée sur le client national fondateur de l'entreprise n'a pas réduit les ventes. Les derniers rapports financiers d'Elbit Systems révèlent que le chiffre d'affaires et le bénéfice d'exploitation de l'entreprise ont augmenté non pas grâce aux exportations, mais grâce à « une augmentation significative de la demande pour ses produits et solutions de la part du ministère israélien de la Défense (IMOD) par rapport aux niveaux de demande avant la guerre ». Pour l'année se terminant en décembre 2024, la société a réalisé 1,6 milliard de dollars de bénéfices sur 6,8 milliards de dollars de chiffre d'affaires, contre 1,5 milliard de dollars de bénéfices sur 6 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2023. Son carnet de commandes est passé de 17,8 à 23,8 milliards de dollars. Dans l'ensemble, les entreprises d'armement israéliennes ont vu affluer les commandes de l'armée nationale [17]. En mai 2025, Elbit a émis pour 588 millions de dollars de nouvelles actions, souscrites par Bank of America Securities, J.P. Morgan, Jefferies Group LLC et Morgan Stanley.

Comme lors des périodes précédentes, ce tournant économique s'est accompagné de changements dans la stratégie militaire. Le nouveau canon Sigma (Ro'em) de 155 mm d'Elbit Systems en est un exemple révélateur. À première vue, son développement semble paradoxal : Israël est confronté à une pénurie critique d'obus de 155 mm, alors pourquoi investir dans un canon qui double la cadence de tir ? Les innovations du Sigma révèlent les priorités profondes de l'armée israélienne : son chargeur automatique robotisé réduit les besoins en personnel de sept soldats à seulement deux, ce qui permet à des unités plus petites d'opérer avec un minimum de coordination ou de discipline. Avec l'afflux continu de bombes américaines et l'aide financière des États-Unis pour l'achat de munitions par Israël dans le monde entier, ce nouvel équipement peut faciliter une réorganisation de la stratégie de l'armée israélienne.

Le Sigma est une arme destinée à des bombardements de type milicien, qui maximise la destruction par soldat tout en institutionnalisant le manque de discipline qui a caractérisé la campagne israélienne à Gaza. Il incarne la transformation de l'armée israélienne : une armée technologiquement avancée qui revient à l'artillerie, où la puissance de feu remplace la stratégie et où l'anéantissement remplace l'occupation.

Ces outils sont utilisés avec la mentalité des milices de colons. « L'artillerie et les tirs directs de chars sont plus efficaces que les armes de précision coûteuses », a déclaré un officier de l'armée israélienne en novembre. « Tuer un terroriste à l'aide d'un obus de char ou d'un tireur d'élite, plutôt qu'avec un missile tiré depuis un drone, est considéré comme plus « professionnel » [18]. Les chars bombardent les camps de réfugiés à bout portant ; les frappes aériennes rasent des quartiers entiers pour tuer un seul militant. La doctrine américaine des armes combinées et des frappes de précision est ignorée, remplacée par une destruction aveugle. L'industrie de l'armement créée pour contrôler les zones d'occupation dans les pays du Sud à la fin de la guerre froide s'est recentrée sur l'intérieur, afin de compléter une gamme moderne d'équipements états-unies à capacité de destruction maximale. (Article publié par Phenomenal World le 29 août 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)

*Shir Hever, économiste. Il est directeur de Alliance for Justice between Israelis and Palestinians. Ses recherches portent entre autres sur les dimensions économiques de la politique d'occupation, de colonisation des territoires palestiniens. Il a publié The political economy of Israel's occupation. Repression beyond exploitation, Pluto Press 2010, et The privatisation of Israeli security, Pluto Press 2017.


1. Ya'akov Lifshitz, Security Economy, the General Theory and the Case of Israel, Jerusalem : Ministry of Defense Publishing and the Jerusalem Center for Israel Studies (2000).

2. Sharon Sadeh, “Israel's Beleaguered Defense Industry,” Middle East Review of International Affairs Journal, Vol. 5, No. 1, March 2001, pp. 64–77.

3. Jeremy Sharp, “US Foreign Aid to Israel : Overview and Developments since October 7, 2023,” https://www.congress.gov/crs-product/RL33222, accessed August 2025.

4. Nadir Tzur, “The Third Lebanon War,” Reshet Bet, July 17th, 2011 http://www.iba.org.il/bet/?entity=748995&type=297, accessed December 2013.

5. Yael Hason, Three Decades of Privatization [Shlosha Asorim Shel Hafrata], Tel-Aviv : Adva Center (November 2006).

6. Sadeh, 2001.

7. Jonathan Cook, “Israel Maintains Robust Arms Trade with Rogue Regimes,” Al-Jazeera, October, 2017 https://www.aljazeera.com/news/2017/10/23/israel-maintains-robust-arms-trade-with-rogue-regimes, accessed December 2024.

8. United Nations, “5. Estimates of Mid-Year Population : 2002–2011,” Demographic Yearbook, 2013 http://unstats.un.org/unsd/demographic/products/dyb/dyb2011.htm, accessed December 2024 ; Richard F. Grimmett and Paul K. Kerr, “Conventional Arms Transfers to Developing Nations, 2004–2011, “Congressional Research Service, 7–5700, August 24, 2012 ; Amnesty International, “Israel/Gaza : Operation ‘Cast Lead' – 22 Days of Death and Destruction, Facts and Figures,” July, 2009 https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/07/mde150212009eng.pdf, accessed December 2024.

9. Jonathan Cook, “Israel's Booming Secretive Arms Trade,” Al-Jazeera, August, 2013 https://www.aljazeera.com/features/2013/8/16/israels-booming-secretive-arms-trade, accessed December 2024. Neve Gordon, “The Political Economy of Israel's Homeland Security/Surveillance Industry,” The New Transparency, Working Paper (April 28, 2009).

10. Sophia Goodfriend, “Gaza War Offers the Ultimate Marketing Tool for Israeli Arms Companies,” +972 Magazine,January, 2024 https://www.972mag.com/gaza-war-arms-companies/, accessed December 2024.

11. Maya Wind, Towers of Ivory and Steel : how Israeli Universities Deny Palestinian Freedom, Verso (2023).

12. Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) “The SIPRI top 100 Arms-Producing and Military Service Companies, 2020,” SIPRI, December, 2020 https://www.sipri.org/sites/default/files/2021-12/fs_2112_top_100_2020.pdf, accessed December 2024.

13. Yagil Levy, Israel's Death Hierarchy : Casualty Aversion in a Militarized Democracy, New York : NYU Press (2012).

14. This is widely referred to as the Palestinian “laboratory”—a term used in the critical literature as well as by Israeli arms companies themselves.

15. Hussein, 2024. Yoav Zitun, “From deals in the Third World to dubious brokers : a glimpse into the IDF arms race,” Ynet, November 22nd, 2024, https://www.ynetnews.com/article/h1tefly71g ; Cf. https://www.haaretz.com/israel-news/2024-09-27/ty-article-magazine/.highlight/retired-israeli-general-giora-eiland-called-for-starving-gaza-does-he-regret-it/00000192-33f5-dc91-a1df-bffff4930000, accessed January 2025.

16. Ellen Knickmeyer, “US spends a record $17.9 billion on military aid to Israel since last Oct. 7,” AP, October 9th, 2024, https://www.ap.org/news-highlights/spotlights/2024/us-spends-a-record-17-9-billion-on-military-aid-to-israel-since-last-oct-7/, accessed August 2025 ; Hagai Amit, “89 Billion NIS in two years : the numbers behind the buying binge of the IDF in the war,” The Marker, July 27, 2025. https://www.themarker.com/allnews/2025-07-27/ty-article/.highlight/00000198-4735-deec-ab9e-e73f8bc40000, accessed August 2025.

17. Yuval Azulay, “Israel's Arms Industry Profits Soar as Wars Fuel Billion-Dollar Contracts,” Calcalist, August, 2024 https://www.calcalistech.com/ctechnews/article/hkuwdfkic, accessed December 2024.

18. Zitun, “From deals in the Third World to dubious brokers : a glimpse into the IDF arms race,” Ynet, November 22nd, 2024, https://www.ynetnews.com/article/h1tefly71g(Back)

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Ces 601 bombes climatiques qui compromettent l’Accord de Paris

28 octobre, par Erwan Manac'h — ,
Les nouveaux projets miniers, pétroliers et gaziers risquent d'émettre 11 fois plus de carbone que la limite à ne pas dépasser pour maintenir le réchauffement à 1,5 °C, selon (…)

Les nouveaux projets miniers, pétroliers et gaziers risquent d'émettre 11 fois plus de carbone que la limite à ne pas dépasser pour maintenir le réchauffement à 1,5 °C, selon les données compilées par quatre associations.

Tiré de Reporterre. Photo : La plate-forme de forage Transocean Barents, qui appartient à TotalEnergies, se trouve dans le golfe Persique où la multinationale française est très active, au détriment du climat. TotalEnergies/AFP

Des mines de charbon par dizaines dans le nord de la Chine, des nouveaux forages pétroliers soutenus par TotalEnergies dans le golfe Persique, l'argent des banques françaises irriguant l'industrie fossile aux quatre coins de la planète… Un consortium d'associations a listé et cartographié l'ensemble des projets d'extraction de combustibles fossiles actuellement dans les cartons.

Au total, ces associations recensent 601 « bombes carbones » qui, si elles ne sont pas stoppées à temps, provoqueront des émissions totales de gaz à effet de serre de 1 400 gigatonnes, soit 11 fois plus que le plafond à ne pas dépasser pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, comme le prévoit l'Accord de Paris.

« Poursuivre ces projets enfermerait l'humanité dans une dégradation irréversible du climat et menacerait les conditions de vie sur Terre », avertit le consortium, composé de Data4Good, Éclaircies, Reclaim Finance et Leave it in the ground (Laissez-les dans le sol, Lingo).

Des dizaines de mines de charbon

Depuis la parution d'une première version de ce recensement, il y a deux ans, 176 nouveaux « mégaprojets » d'extraction de charbon, pétrole ou gaz ont été identifiés. Les projets de taille plus modeste se multiplient également. Depuis 2021, 2 300 projets d'extractions ont été approuvés. Selon une alerte de l'Agence internationale de l'énergie, en 2021, un gel des investissements dans les énergies fossiles aurait été nécessaire pour rester dans les accords de Paris.

Contrairement aux idées reçues, le charbon est loin d'être une énergie déclinante. Elle enregistre la plus forte croissance et les « bombes charbon » représentent 80 % des « bombes carbone » en projet.

Les « bombes carbone » en projet sont principalement implantées en Chine, en Russie, aux États-Unis et en Arabie saoudite, mais c'est une entreprise française, TotalEnergies, qui totalise le plus grand nombre de projets, selon cette étude. Avec 154 projets, petits et gros, dont 30 « bombes carbone », le fleuron hexagonal du forage devance la compagnie nationale chinoise, l'italien Eni et les britanniques BP et Shell.

Quatre banques françaises épinglées

Cette carte compile des informations issues de cinq bases de données, permettant, pour chaque projet, de connaître les compagnies engagées et les flux financiers qui les irriguent. Les ONG rendent ainsi visible un tsunami de cash qui permet ces projets climaticides.

65 banques ont accordé 1 600 milliards de dollars aux entreprises impliquées dans des nouveaux projets extractivistes depuis 2021. 3 banques étasuniennes occupent les 3 premières places du palmarès (JPMorgan Chase, Citigroup, Bank of America), derrière lesquelles figurent notamment 4 établissements français : la BNP Paribas, la Société générale, le Crédit agricole et la Banque populaire et Caisse d'épargne.

« Pendant des années, les intérêts financiers de l'industrie fossile et ceux qui la financent ont primé sur la prévention d'un effondrement climatique irréversible. Ils sont en train de réduire en cendres l'Accord de Paris », dénonce Lou Welgryn, secrétaire générale de Data for Good, dans un communiqué du consortium.

Seulement 12 mégaprojets stoppés

En portant la focale sur les projets les plus gigantesques, depuis 2020, ces ONG espéraient enrayer la tendance à l'échelle internationale. « Jusqu'à présent, quelques acteurs, principalement issus de la société civile, s'efforcent de désamorcer les bombes carbone, mais ils se concentrent sur un nombre très limité d'entre elles », écrivaient en 2022 les co-auteurs de la première étude nommant les « bombes carbone ».

Ces projets gigantesques « constituent le test décisif de la volonté de la communauté internationale d'en sortir », ajoute aujourd'hui Kjell Kühne, directeur de Lingo. Or, entre 2021 et 2025, seulement 12 mégaprojets ont pu être stoppés alors que 30 nouvelles « bombes carbone » ont été amorcées.

En laissant ces projets voir le jour, les États engagent leur responsabilité, y compris juridique, soulignent également les auteurs de cette étude. La Cour internationale de justice a rendu, le 23 juillet, un avis « historique » estimant que tous les États avaient l'obligation de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de « coopérer de bonne foi les uns avec les autres ». Un avertissement qui vaut aussi bien pour les États qui n'ont pas signé les traités internationaux ou qui en sont sortis.

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Droit du travail : la Cour internationale de Justice se prononce sur le droit de grève

28 octobre, par Organisation internationale du travail (OIT) — ,
La Cour internationale de justice (CIJ) a ouvert lundi ses audiences pour déterminer si le droit de grève est protégé par le droit international. C'est la première fois que la (…)

La Cour internationale de justice (CIJ) a ouvert lundi ses audiences pour déterminer si le droit de grève est protégé par le droit international. C'est la première fois que la plus haute juridiction du monde est appelée à se prononcer sur l'équilibre entre les droits des travailleurs et les intérêts des employeurs.

Tiré de Entre les lignes et lesm ots

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/27/droit-du-travail-la-cour-internationale-de-justice-se-prononce-sur-le-droit-de-greve/

L'affaire fait suite à une requête déposée en 2023 par le Conseil d'administration de l'Organisation internationale du Travail (OIT), qui a sollicité un avis consultatif de la Cour sur la question de savoir si la Convention (n°87) sur la liberté syndicaleet la protection du droit syndical, 1948, inclut le droit de grève.

Adoptée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Convention n°87 est une pierre angulaire du droit international du travail, garantissant aux travailleurs et aux employeurs le droit de constituer les organisations de leur choix et d'y adhérer. Elle ne mentionne pas explicitement la grève, mais les défenseurs de la liberté syndicale interprètent depuis longtemps ce droit comme l'incluant.

Le Président de laCIJ, Yūji Iwasawa, a ouvert les débats de lundi en lisant la question formelle aux juges, en faisant référence à la résolution de l'OIT et à l'autorité procédurale de la Cour. Il a souligné la « structure tripartite de l'OIT, composée de représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs ».

Une demande rare

Tomi Kohiyama, conseillère juridique de l'OIT, a rappelé que l'OIT n'avait pas comparu devant la CIJ à titre consultatif depuis 1932, soulignant la rareté de telles demandes.

Elle a déclaré que le secrétariat de l'OIT ne prendrait pas position sur le sujet, mais aiderait la Cour en clarifiant le contexte institutionnel et les approches interprétatives au titre de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

Fondée en 1919, l'OIT est unique au sein du système des Nations Unies par sa structure tripartite, réunissant des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs pour établir des normes internationales du travail.

Cet équilibre a cependant parfois conduit à des impasses, notamment en 2012, lorsque des groupes d'employeurs ont contesté la reconnaissance du droit de grève par les conventions n°87 et 98.

Arguments des syndicats et des entreprises

Paapa Danquah, s'exprimant au nom de la Confédération syndicale internationale (CSI), a décrit les grèves comme une expression intemporelle de l'action collective.

« La grève a été notre outil essentiel… pour améliorer les conditions de travail et défendre notre dignité humaine », a-t-il déclaré au tribunal.

Il a soutenu que le droit de grève fait partie intégrante de la liberté syndicale et devrait donc être reconnu comme protégé par la convention n°87.

En revanche, Roberto Suárez Santos, au nom de l'Organisation internationale des employeurs (OIE), a affirmé que si le droit de grève n'est pas contestable en principe, la convention n°87 ne le couvre ni explicitement ni implicitement.

Il a averti que l'intégrer maintenant à la convention reviendrait à imposer un régime prescriptif – définissant les modalités de la grève – susceptible de perturber les systèmes nationaux du travail.

Il a affirmé que la voie à suivre serait le consensus au sein des organes tripartites de l'OIT, et non une élévation unilatérale des normes par voie judiciaire.

Avis consultatifs de la CIJ

Pendant trois jours d'audience, 21 pays et organisations doivent témoigner, 31 déclarations écrites ayant déjà été déposées au greffe de la CIJ, témoignant de l'intérêt mondial pour l'issue de l'affaire.

L'avis consultatif de la Cour, attendu dans les prochains mois, ne sera pas juridiquement contraignant, mais pourrait profondément influencer le droit du travail international et national.

https://news.un.org/fr/story/2025/10/1157638

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Le marxisme écologique est-il vraiment marxien ?

28 octobre, par Jean-Marie Harribey — , ,
Le livre Découvrir le marxisme écologique, Éditions sociales, 2025, dirigé et présenté par Alexis Cukier et Paul Guillibert est une initiative intéressante car elle permet à un (…)

Le livre Découvrir le marxisme écologique, Éditions sociales, 2025, dirigé et présenté par Alexis Cukier et Paul Guillibert est une initiative intéressante car elle permet à un large public français d'entrer dans une problématique relativement récente.

Tiré du blogue de l'auteur.

Le livre Découvrir le marxisme écologique, Éditions sociales, 2025, dirigé et présenté par Alexis Cukier et Paul Guillibert est une initiative intéressante car elle permet à un large public français d'entrer dans une problématique relativement récente. Elle est de plus originale car elle mélange des écrits de quelques penseurs faisant partie de ce courant écomarxiste[1] et des commentaires et explications sur les thèmes que ceux-ci abordent. Une dizaine d'entre eux sont ainsi présentés successivement : Ted Benton, James O'Connor, Maria Mies, Ariel Salley, John Bellamy Foster, Kohei Saito, Michaël Löwy, Andreas Malm, Jason W. Moore et Alyssa Battistoni.

La problématique est de mettre en évidence les intuitions de Marx concernant les dégâts écologiques engendrés par l'accumulation capitaliste, sans pour cela minimiser les possibles contradictions dues au « développement des forces productives » qui a longtemps été la pierre d'angle du marxisme, sinon de Marx lui-même.

Les auteurs présentés dans ce livre

On retiendra donc la relation entre le procès de travail et les limitations naturelles d'un Ted Benton. Également la mise en évidence de la « seconde contradiction » du capitalisme par James O'Connor (la première étant celle privilégiée par Marx entre les rapports de production et les forces productives de valeur) : celle entre rapports de production et conditions naturelles de production.

Suivent deux textes qui entreprennent d'intégrer ensemble théorie de l'exploitation et luttes féministes. Pour ce courant de pensée que représente ici Maria Miès, « la domination patriarcale ne peut pas se penser dans les termes généraux de l'oppression mais plutôt en termes d'exploitation, c'est-à-dire d'appropriation violente d'un surplus produit par la force de travail des femmes » (p. 57). D'une part, à notre avis, cela rompt avec une idée qui court parmi certains marxistes reconvertis à un certain idéalisme selon lesquels le concept d'exploitation doit être abandonné[2]. D'autre part, pour Maria Miès, « ce sont les capacités des femmes en tant que "productrices de vie" qui sont accaparées par le patriarcat » et « l'exploitation des femmes est incompréhensible sans une étude minutieuse de la division internationale du travail » (p. 57). De son côté, Ariel Salleh considère que « l'écoféminisme constitue un socialisme au sens le plus profond du terme » (p. 68 et 73). Elle réfute l'accusation d'essentialisme contre cette approche, car cette critique reproduit le dualisme consistant à assimiler les femmes à la nature tandis qu'elles sont infériorisées par apport aux hommes. Ainsi il s'agit d'« inscrire une dimension de genre dans la pensée écosocialiste » (p. 76).

Avec John Bellamy Foster, on rencontre l'un des auteurs qui a été le plus loin dans l'idée que Marx était, bien que le terme n'existait pas de son temps, un quasi-écologiste avant l'heure. Au nom du concept marxien de rupture de la relation métabolique que l'homme entretient avec la nature. Cukier et Guillibert notent que Foster se réfère à Paul Burkett, autre pionnier de la vision écologique de Marx, mais il est dommage que le travail de Burkett n'ait pas eu droit à un chapitre comme Foster, alors qu'ils ont aussi travaillé ensemble[3].

Parmi la nouvelle génération s'intéressant au Marx potentiellement écologiste, Kohei Saito[4] soutient que celui-ci a opéré à la fin de sa vie[5] un tournant lui faisant abandonner sa confiance dans le développement des forces productives pour s'orienter vers ce que Saito nomme le « communisme de décroissance » car « le développement soutenable des forces productives n'est pas possible dans le cadre du capitalisme » (p.103). Ainsi, les communes rurales russes préfigureraient selon Marx réinterprété par Saito comme « une cristallisation de sa vision non productiviste et non eurocentrée de la société future » (p. 106). Mais comme l'écrivent Cukier et Guillibert, « du point de vue du commentaire philosophique, il nous semble que les thèses de Saito sont le plus souvent exagérées : c'est peu de choses de dire qu'il est difficile de faire de Marx un penseur de l'écosocialisme et, à plus forte raison, un théoricien de la décroissance, lui qui est resté attaché aux "acquêts positifs" du marché mondial capitaliste jusqu'aux lettres à Vera Zassoulitch » (p. 110).

Le philosophe Michaël Löwy est l'un des théoriciens de l'écosocialisme. Selon lui, l'accumulation illimitée est impossible « sous peine d'une crise écologique majeure » qui menacerait « la survivance même de l'espèce humaine. La sauvegarde de l'environnement naturel est donc un impératif humaniste. » (p. 116). Cukier et Guillibert insistent sur le fait que la définition de l'écosocialisme par Löwy ajoute à l'aspect philosophique une composante stratégique à l'encontre du « capitalisme vert », cet « écoblanchiment qui permet la justification idéologique de la poursuite du business as usual en temps de catastrophe écologique » (p. 123).

L'aspect stratégique pour aller vers l'écosocialisme est au cœur des thèses défendues par Andreas Malm. Historiquement, le développement capitaliste s'est appuyé sur les fossiles alors que « l'eau demeurait à l'époque une énergie plus abondante, plus régulière et moins chère que le charbon » (p. 137). La raison principale se trouve dans « les rapports sociaux capitalistes » (p. 137). Il s'ensuit qu'il ne faut pas compter sur l'intérêt des acteurs économiques mais sur la puissance publique pour orienter cette transition » (p. 139). D'autant que cette transition est l'objet d'un conflit de classes.

L'originalité de Jason W. Moore au sein de l'écomarxisme est double. Il a intégré la critique de la dualité « Humain-Nature » des anthropologues Philippe Descola ou Bruno Latour à sa théorie de « l'écologie-monde du capitalisme »[6]. Et il a théorisé l'adjonction de l'appropriation de la valeur créée par la nature à celle créée par l'exploitation de la force de travail. Cette ajout renvoie aux « capacités de la nature à produire la vie » et à la « centralité du travail-énergie non rémunéré » (p. 144 et 146). Ainsi, Moore pense renouveler la théorie de la valeur de Marx en articulant exploitation du travail salarié et appropriation gratuite des forces naturelles. Et cela par analogie avec le travail reproductif gratuit effectué par les femmes.

Alyssa Battistoni est la dernière autrice écomarxiste présentée dans ce livre. Elle théorise le travail de la nature en redéfinissant le concept de travailleur productif pour y « inclure les humains et les non-humains » (p. 158)[7]. Elle pousse donc plus loin la logique latourienne jusqu'à « une "écologie politique des choses" qui accorde une puissance d'agir aux non-humains » (p. 162). Et Cukier et Guillibert en concluent que « c'est bien parce que le pétrole a une valeur marchande qu'on l'extrait et qu'on l'utilise » (p. 164). Eh bien, non ! pas du tout, c'est exactement, en bonne logique marxienne (et même classique de l'économie politique), l'inverse : c'est parce qu'on l'extrait (par le travail vivant et mort) que le pétrole a, dans le capitalisme, une valeur marchande.

Les auteurs écomarxistes et la théorie de la valeur de Marx

S'il y a un point sur lequel on peut s'accorder, que l'on soit d'accord ou non avec la théorie critique du capitalisme de Marx, c'est que le cœur de celle-ci est constituée par sa théorie de la valeur que l'on va résumer en une phrase (la gageure !) ainsi : la valeur des marchandises est déterminée par le travail socialement validé, étant posé qu'il s'agit bien selon lui du travail humain, on le souligne bien que ce soit redondant.

Il est heureux que Cukier et Guillibert aient placé à la suite l'un de l'autre et à la fin de leur livre les textes concernant Jason W. Moore et Alyssa Battistoni parce qu'ils permettent d'ouvrir une discussion sur la pertinence des approches dites écomarxistes et sur les désaccords entre les auteurs de ce courant.

Examinons le point auquel nous étions parvenus : selon ces auteurs, le pétrole (et, par extension, les ressources naturelles) aurait une valeur économique en soi, une valeur que certains appellent intrinsèque. « S'opposant aux éthiques environnementales et à l'écologie économique, Battistoni reconnaît cependant aux éthiques environnementale le mérite d'avoir montré que la nature a une valeur en soi et non seulement pour nous. Il faut donc penser ensemble la valeur intrinsèque et la valeur instrumentale » (p. 164). J'ai soutenu en de nombreux endroits[8] que cette notion de valeur économique intrinsèque est un oxymore. Le philosophe John Dewey l'avait aussi montré à propos de l'éducation parce que la valeur supposait une intervention extérieure à l'objet (ici, ce serait la relation de l'homme à la nature) :

« Il y a une ambiguïté dans l'usage des adjectifs "inhérent", "intrinsèque" et "immédiat", qui alimente une conclusion erronée. […] L'erreur consiste à penser que ce qu'on qualifie ainsi est extérieur à toute relation et peut être, par conséquent, tenu pour absolu. […] L'idée que ne pourrait être qualifié d'inhérent que ce qui est dénué de toute relation avec tout le reste n'est pas seulement absurde : elle est contredite par la théorie même qui relie la valeur des objets pris comme fins au désir et à l'intérêt. Cette théorie conçoit en effet expressément la valeur de l'objet-fin comme relationnelle, de sorte que, si ce qui est inhérent c'est ce qui est non relationnel, il n'existe, si l'on suit ce raisonnement, strictement aucune valeur intrinsèque. […] À strictement parler, l'expression "valeur intrinsèque" comporte une contradiction dans les termes. »[9]

Il s'ensuit que la catégorie valeur n'appartient pas à l'ordre naturel, elle est d'ordre socio-anthropologique. Mais là où Cukier et Guillibert ont raison, c'est de souligner que parler de valeur intrinsèque de la nature oblige à redéfinir le travail. Mais c'est, à notre sens, la deuxième faille de cette thèse. La théorie de la valeur de Marx associe le travail et la valeur économique dès lors que l'échange marchand valide le processus de production, tandis que la théorie néoclassique a rompu cette liaison en ne reconnaissant que le prix résultant des préférences individuelles. L'économie écologique, bien représentée au sein de la revue Ecological Economics, prétend avoir une troisième vision, rejetant les deux précédentes, pour adopter soit une conception de la valeur-énergie, soit sur une conception de la valeur naturelle appropriée, qui est aussi celle de Jason W. Moore. Cette dernière perspective s'appuie sur l'idée que les animaux travaillent (abeilles, animaux de trait…) ainsi que les éléments naturels (l'eau travaille, le pétrole travaille…).

La thèse sur le travail des animaux est très fréquente tant au sein de l'économie écologique que dans une partie du courant écomarxiste. Cependant, prenons deux essaims d'abeilles : l'un dans un rucher travaillé par un apiculteur, l'autre un essaim sauvage dans une forêt. Supposons que les deux essaims soient voisins et que toutes les abeilles butinent les mêmes fleurs, et que donc elles font à peu près le même miel. Quelle est la valeur économique du miel « sauvage » ? Nulle. Et pourtant il aurait la même valeur d'usage potentielle, sans avoir pour autant une quelconque valeur économique. La séparation entre valeur d'usage et valeur (la première étant une condition nécessaire de la seconde, sans que la réciproque soit vraie) est le fil conducteur qui va d'Aristote à Marx.

Tel est effectivement l'enseignement de Marx. Mais ce n'est parce qu'il l'a dit et répété que cela constitue une preuve. Or quelle est l'alternative ? La catégorie de travail et celle de valeur seraient-elles des catégories naturelles ? Épistémologiquement, il est préférable de penser que ces catégories sont anthropologico-socio-historiques. La croyance en des lois économiques naturelles chère aux classiques et néoclassiques trouve son alter ego dans l'économie écologique et se glisse chez des auteurs patentés marxistes.

Un autre point pourrait être mentionné au sujet de l'analyse de la crise capitaliste et qui pourrait être en revanche un point de ralliement entre écomarxistes et écologistes. L'évolution du taux de profit peut être décomposée en une variable de répartition (variation de la productivité du travail supérieure à celle du salaire) plus une variable d'efficacité du capital (variation de la production supérieure à celle du capital physique) qui peut coïncider avec la variation du taux de retour énergétique (EROI), sous réserve de l'hypothèse que les prix de l'énergie augmentent pour suivre la baisse de ce taux.

Malgré l'intérêt de l'ouvrage d'Alexis Cukier et de Paul Guillibert, il souffre de deux écueils qui pourraient être facilement surmontés. D'une part, il laisse croire qu'il y a une unité de pensée entre les auteurs dont le livre présente les travaux, en laissant dans l'ombre de nombreux travaux en partie critiques de ceux-là. Or ce courant, dénommé maintenant écomarxiste ou écosocialiste, est traversé de controverses importantes, notamment sur les deux points reliés entre eux, la valeur et le travail. D'autre part, on ne peut passer sous silence la dispute théorique importante entre Foster, Malm et Campagne opposés à Moore[10]. La récusation de toute coupure entre la société et la nature, défendue par Moore, est le pendant de l'élargissement de ces catégories de travail et de valeur aux non-humains et à la nature, tandis que la spécificité socio-anthropologique de ces catégories renvoie plutôt à une capacité relativement autonome des humains dans un cadre environnemental donné[11].

En conclusion, la question se pose de savoir dans quelle mesure le courant écomarxiste, dans sa diversité, se situe dans la perspective de Marx. D'un côté, il y a ceux qui font de lui un visionnaire écologiste de premier plan. À notre avis, ce serait plus sage de reconnaître ses intuitions indéniables, mais qui entrent en tension avec d'autres aspects de son œuvre. De l'autre, il y a ceux qui, sous couvert d'éclectisme intégrant les pires travers de l'économie néoclassique de l'environnement, transforment la théorie de la valeur en une suite de contresens. Il y a peut-être place pour plus de nuances[12].

Notes

[1] Pour simplifier, on retient ici à l'instar d'Alexis Cukier et de Paul Guillibert les termes de marxisme écologique, d'écomarxisme et d'écosocialisme comme synonymes au premier regard.

[2] Emmanuel Renault, Abolir l'exploitation, Expériences, théories, stratégies, Paris, La Découverte, 2023 ; recension critique : J.-M. Harribey, « Du travail et de l'exploitation, À propos du livre d'Emmanuel Renault », Blog Alternatives économiques, mars, https://blogs.alternatives-economiques.fr/harribey/2024/04/09/du-travail-et-de-l-exploitation-a-propos-du-livre-d-emmanuel-renault, et Les Possibles, n° 39, Printemps 2024, https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/valeur/travail-exploitation.pdf.

[3] Paul Burkett and John Bellamy Foster, Marx and the Earth, Boston, Brill, 2016.

[4] Kohei Saito, Moins ! La décroissance est une philosophie, Paris, Seuil, 2024.

[5] Sur les derniers travaux de Marx, voir aussi Marcello Musto, Les dernières années de Karl Marx, Une biographie intellectuelle 1881-1883, Paris, PUF, 2023.

[6] Jason W. Moore, L'écologie-monde du capitalisme, Comprendre et combattre la crise environnementale, Paris, Éditions Amsterdam, 2024, traduction de Nicolas Vieillescazes, préface de Paul Guillibert. Voir ma recension dans J.-M. Harribey, « Le capitalocène de Jason W. Moore : un concept (trop) global ? », Contretemps, 4 octobre 2024, https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/valeur/ecologie-monde-moore.pdf.

[7] Sur le travail de la nature, voir aussi Paul Guillibert, Exploiter les vivants, Une écologie politique du travail , Paris, Éd. Amsterdam, 2023. Et ma recension « Sur le livre Exploiter les vivants de Paul Guillibert », Blog Alternatives économiques, 15 décembre 2023, https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/soutenabilite/exploiter-les-vivants.pdf.

[8] Notamment, Jean-Marie Harribey, La richesse, la valeur et l'inestimable, Paris, LLL ? 2013, https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/ouvrages/livre-richesse-entier.pdf ; « Sur fond de crise socio-écologique du capitalisme, la théorie de la valeur revisitée », RFSE, 2020, https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/valeur/theorie-valeur-revisitee.pdf ; En quête de valeur(s), Vulaines-sur-Seine, 2024 ; « La valeur est de retour », AOC, 14 mai 2025, https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/valeur/valeur-de-retour.pdf.

[9] John Dewey, La formation des valeurs, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, La Découverte, 2011, p. 108-110.

[10] Voir le dossier publié par Actuel Marx, PUF, « Marxismes écologiques », n° 61, premier semestre 2017.

[11] Je renvoie à la communication que j'ai présentée en 2024 au séminaire d'Espaces Marx et en 2025 au colloque Historical Materialism : « Pourquoi le concept de capitalocène est-il l'objet de controverses théoriques et épistémologiques au sein même de la théorie marxiste ? » Conférence Historical Materialism, Paris, 26 au 28 juin 2025, https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/valeur/conference-hm.pdf. Voir aussi mon article « Le capitalocène de Jason W. Moore : un concept (trop) global ?, Contretemps, 4 octobre 2024, https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/valeur/ecologie-monde-moore.pdf.

[12] Voir Timothée Haug, « La rupture écologique dans l'œuvre de Marx : analyse d'une métamorphose inachevée de la production », Thèse de doctorat de philosophie, Université de Strasbourg, 2022, https://theses.hal.science/tel-03774950v1/file/Haug_Timothee_2022_ED520.pdf

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Épicure

28 octobre, par Guylain Bernier, Yvan Perrier — ,
« […] le plaisir est principe et fin[1] de la vie bienheureuse ». Épicure (Lettre à Ménecée, 2009, p. 48) Épicure (341 – 270 av. J.-C.) est l'un des penseurs majeurs de (…)

« […] le plaisir est principe et fin[1] de la vie bienheureuse ».
Épicure (Lettre à Ménecée, 2009, p. 48)

Épicure (341 – 270 av. J.-C.) est l'un des penseurs majeurs de l'Antiquité grecque. Né à Samos dans une famille athénienne, il fonde à Athènes, autour de l'an -306, l'École du Jardin, un lieu à la fois d'enseignement, de recherche philosophique et de vie communautaire. Contrairement à l'Académie de Platon ou au Lycée d'Aristote, son école se distingue par son ouverture à tous (hommes libres), sans distinction de sexe (hommes et femmes) ou de condition sociale (une école ouverte même aux esclaves) (de Crescenzo, 1999, p. 395 ; Law, 2008, p. 251 ; Rosenberg, 2008, p. 76).

Son œuvre s'inscrit dans une période marquée en Grèce par une grave crise politique, économique et sociale à la mort d'Alexandre (Brunschwig, 1996, p. 232). Ces troubles incitent Épicure à proposer une philosophie tournée vers le salut individuel et la paix intérieure, plutôt qu'une action politique visant à réformer les lois en vigueur dans sa Cité-État. Il invite plutôt à s'abstenir de la vie politique, car celle-ci est source d'angoisse et de passions destructrices. Il propose, par conséquent, une philosophie qui se veut à la fois pratique et thérapeutique, souvent qualifiée de « médecine de l'âme » devant conduire au bonheur individuel. Une philosophie qui cherche à délivrer l'individu des passions, des superstitions et de la crainte de la mort, pour lui permettre d'atteindre le bonheur par la raison. À vrai dire, la Grèce de cette époque est en décadence. La fin de la gloire militaire, l'individualisme en progression, la corruption du peuple et le désir de devenir adepte d'une doctrine demandant peu d'effort à l'esprit offraient à l'École du Jardin le contexte idéal à sa popularité.

Cela dit, la doctrine d'Épicure repose sur trois parties complémentaires : la canonique[2] (ou théorie de la connaissance), la physique (ou explication du monde naturel) et la morale (ou art de vivre). Ces trois domaines convergent vers un objectif unique : l'ataraxie, c'est-à-dire la tranquillité de l'âme. Sa pensée matérialiste est nettement influencée par l'atomisme de Démocrite, selon laquelle la matière est composée d'atomes et de vide, et les phénomènes, y compris l'âme, sont le résultat de ces assemblages matériels (ou de « particules physiques » [Morel, 2009, p. 15]) . Âme, esprit et corps forment un tout ; la mort dissout simplement leur union, sans survie ni châtiment dans l'au-delà : il n'y a rien à craindre après la mort.​ Il réfute fortement la peur de la mort, car, tant qu'on vit, la mort n'est pas là et quand elle arrive, nous ne sommes plus. Épicure développe un athéisme — particulier — fondé sur la démonstration que les dieux, bien qu'existants, selon l'opinion répandue, sont absents des affaires humaines et ne doivent inspirer aucune crainte. La Lettre à Ménécée condense cette philosophie du bonheur en exposant les principes essentiels de l'éthique épicurienne.

La Canonique : la sensation comme critère de vérité

La canonique, ou théorie de la connaissance, cherche à déterminer les conditions d'accès à la vérité. Épicure affirme que la sensation est le fondement de toute connaissance (Arrighetti, 2025). Les impressions sensibles, qu'elles concernent le visible ou l'invisible, constituent la norme du vrai (kanôn tou alêthous).

Sa philosophie repose sur une démarche hypothético-déductive, qui part des sensations comme critère premier et certain de vérité, car, face à notre ignorance, les sensations sont les seules sources fiables pour reconnaître la vérité. Cette confiance dans les sens s'oppose aux spéculations métaphysiques de l'école de Platon (l'existence des formes idéales). Pour Épicure, l'erreur ne vient pas de la perception elle-même, mais du jugement que l'on en tire. La connaissance repose donc sur l'expérience directe du monde, sur l'observation empirique et sur la prudence du raisonnement. C'est cette démarche d'enquête rationnelle qui permet de distinguer le visible de l'invisible et d'accéder à la réalité matérielle du monde, à rebours des illusions créées par les simulacres ou par l'angoisse.​

La Physique : un matérialisme libérateur

Épicure adopte une physique matérialiste héritée de Démocrite, où l'univers est constitué d'atomes et de vide. Cette vision atomiste explique que tout phénomène est le résultat d'assemblages matériels, incluant le corps et l'âme, que l'on peut considérer comme une combinaison d'atomes sensibles. Selon Épicure, « rien ne naît de rien » (de Crescenzo, 1999, p. 403), alors que les phénomènes naturels s'expliquent par les mouvements et les combinaisons de ces particules élémentaires, sans recours à une cause divine.

S'il est juste d'affirmer que la physique épicurienne s'inspire de la pensée de Démocrite, elle la dépasse par contre sur un point essentiel : la liberté humaine. Pour éviter un déterminisme strict, Épicure introduit la notion de clinamen (de Crescenzo, 1999, p. 404), c'est-à-dire la déviation spontanée des atomes. Ce léger écart aléatoire rend possible la liberté des êtres vivants et notamment celle de l'individu. En outre, cette conception matérialiste a une finalité morale : elle délivre la personne humaine de la peur des dieux. Les divinités, comme le veut l'opinion ambiante (« la notion commune » [Épicure, 2009, §123]), existent, mais elles vivent dans un état d'ataraxie parfaite, une sorte de perfection bienheureuse, indifférente aux affaires humaines. Il ne faut donc pas les imaginer comme la foule le fait.

Les catastrophes naturelles ou les malheurs de la vie ne sont donc pas des châtiments divins, mais des phénomènes physiques soumis à la nécessité. Par conséquent, il n'y a « rien à craindre des dieux » (§123-124) — ils ne punissent ni ne récompensent. Ce rejet des superstitions doit libérer l'individu des peurs infondées, notamment la peur divine.

La Morale : la recherche du plaisir et de l'ataraxie

Pour Épicure, le bien et le mal se définissent par les affections[3] (pathos) principales suivantes que sont le plaisir (hêdonê) et la douleur (algos) (Morel, 2009, p. 27). Le plaisir est le critère du bien. C'est grâce au plaisir qu'il est possible de choisir une vie heureuse. Épicure n'adhère pas à un hédonisme vulgaire ou débridé. Le plaisir véritable consiste dans l'absence de souffrance corporelle (aponie) et de trouble de l'âme (ataraxie) (§ 128). Ainsi, la sagesse consiste à hiérarchiser, via la raison, les désirs. Il distingue trois types de désirs : les désirs naturels et nécessaires (alimentation simple, boire, se protéger), qui doivent être satisfaits avec mesure ; les désirs naturels non nécessaires (le luxe, la sensualité), qui doivent être limités ; enfin, les désirs ni naturels ni nécessaires (la gloire, la richesse, le pouvoir), qui doivent être rejetés. Cette classification permet à l'individu d'atteindre la paix intérieure. En se libérant des passions vaines, des superstitions et de la crainte de la mort, il accède à un bonheur stable et durable.

Pour Épicure, le bonheur de l'individu repose sur l'ataraxie, état de quiétude constitutive catastématique (ou état de quiétude durable) (katastêma ; voir Morel, 2009, p. 25), c'est-à-dire l'absence de troubles de l'âme, atteinte par la maîtrise des désirs et la suppression des douleurs physiques et morales. Ce bonheur s'inscrit dans une éthique du plaisir (hédonisme) fondée non pas sur la recherche effrénée de plaisirs cinétiques, mais sur le plaisir supérieur, notamment celui de ne pas désirer et l'absence de douleur (aponie) (§128). Le bonheur humain (eudonisme) réside dans le calcul prudent des plaisirs et la capacité de renoncer à certains d'entre eux ou de supporter des douleurs pour préserver la paix intérieure.​ Il s'agit d'une distinction importante par rapport aux cyrénaïques qui prétendaient à une valeur égale entre tous les plaisirs, sans distinction (Potchensky, 2014).

Sa vie morale se caractérise par un retrait de la vie politique (s'en abstenir) et une maxime célèbre : « cache ta vie »[4], invitant à vivre discrètement (abscondita), à se protéger des passions et des troubles extérieurs ; à ne pas rechercher « pouvoir, influence ou réputation » (Brunschwig, 1996, p. 232). Le sage, isolé des conflits, vivra « comme un dieu parmi les hommes » (§135), incarnant la sérénité divine par sa maîtrise de soi. C'est ainsi, selon lui, qu'il est possible d'atteindre l'autarcie dans la société des amis et ce, si tel est le souhait ou la volonté de l'individu, placé loin des passions publiques.​ La personne sage s'éloignera, par conséquent, des honneurs et vivra dans l'intimité d'un cercle restreint d'amis (la sociabilité restreinte). Peut-on, pour cette raison, accuser Épicure d'apolitisme ? Cela nous semble exagéré. Il invitait plutôt les individus à fuir les conflits et/ou les honneurs inhérents à la vie politique. Épicure valorise plutôt l'amitié et la société des amis comme un plaisir essentiel, voire indispensable au bonheur (Brunschwig, 1996, p. 232 ; de Crescenzo, 1999, p. 397). Sa philosophie a profondément inspiré les philosophes athées[5] ultérieurs, en offrant un quadruple remède : ne pas craindre les dieux, ne pas craindre la mort, supporter la douleur et atteindre le bonheur (de Crescenzo, 1999, p. 402).

Or, Montesquieu (1734), dans ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et leur décadence, fera un certain parallèle avec le déclin de la Grèce et soulignera l'influence de la secte d'Épicure qui participa à la corruption de Rome, par sa doctrine du plaisir. L'introduction de cette philosophie à forte teneur individualiste, comparativement au stoïcisme, ne cadrait point avec la nécessité d'une structure structurante du maintien de l'empire. Par conséquent, malgré l'allusion d'une communauté d'amis à connotation positive, la philosophie épicurienne n'entre pas en harmonie avec l'idée de l'État.

La Lettre à Ménécée : un résumé de la sagesse épicurienne

Dans la Lettre à Ménécée, Épicure expose avec clarté les principes fondamentaux de sa morale. Il y présente la philosophie comme une discipline de vie, accessible à tous, et non comme une spéculation abstraite. Épicure invite chacun à philosopher dès le plus jeune âge et ce, jusqu'à la vieillesse, car la philosophie, selon lui, est la route qui mène au bonheur. À ce sujet, il écrit : « Il n'est en effet, pour personne, ni trop tôt ni trop tard lorsqu'il s'agit d'assurer la santé de l'âme » (2009, §122). Elle permet d'apprendre à vivre et à mourir sans crainte. Il enseigne qu'il faut honorer les dieux, non pas par crainte, mais en comprenant leur nature véritable : ils vivent dans le bonheur et n'interviennent pas dans le monde. Ils sont incorruptibles et bienheureux (§123). Cette thèse permet à la sage personne de se libérer de la peur religieuse. Le passage le plus célèbre de la Lettre à Ménécée affirme ceci : « La mort n'est rien pour nous » (§124). Tant que nous existons, la mort n'est pas là ; lorsqu'elle est là, nous ne sommes plus. Épicure aborde la question centrale de la mort avec un raisonnement simple et rassurant : la mort est la dissolution du corps et de l'âme, donc, en tant qu'absence de sensation (ou cessation de sensation), elle ne peut pas être une source de souffrance. « Il n'y a rien à craindre de la mort » signifie que la peur de mourir est irrationnelle, car tant qu'on est vivant, la mort n'est pas là, et quand elle survient, on ne ressent plus rien (§124). Cette réflexion élimine une grande part de l'angoisse existentielle.

Épicure définit le plaisir comme le principe et le but de la vie heureuse, mais il recommande la prudence (phronêsis), la beauté, la justice et la modération (§132). Le sage doit donc pratiquer la maîtrise de ses désirs et le renoncement au plaisir excessif, car la recherche effrénée de plaisirs cinétiques (en mouvement, comme manger ou boire) (Morel, 2009, p. 25) peut conduire à la douleur. Le plaisir supérieur est celui de ne pas désirer, un plaisir stable et durable qui permet l'absence de douleur (aponie) et mène à l'ataraxie. Cette distinction est liée à la théorie du désir, où la douleur du manque n'est que le signe d'un désir mal placé ou excessif. Par le calcul rationnel des plaisirs, le sage vise à éviter la douleur en satisfaisant les désirs naturels nécessaires et en supprimant les autres. Le plaisir doit être choisi selon ses conséquences : il s'agit de rechercher les plaisirs stables et d'éviter ceux qui engendrent la douleur. La vertu est importante ici. À ce sujet il précise : « les vertus sont naturellement liées à la vie agréable et la vie agréable en est inséparable » (§132), voire même « la vertu est une jouissance » (Legrand, 1906, p. 9). La Lettre à Ménécée nous invite à vivre sobrement, sans crainte (Drieux, 2014, p. 246) ni trouble, en suivant la raison, la vertu et la nature.

Conclusion

La Lettre à Ménécée d'Épicure, propose une éthique du bonheur et ce dans un contexte d'agitation et de multi-crises (politique, économique et sociale) que traversait la Grèce au IVe siècle avant notre ère. Épicure y expose une doctrine matérialiste, influencée par la physique atomiste de Démocrite : l'univers est composé d'atomes et de vide, ce qui entraîne une physique matérialiste et une forme d'athéisme, où les dieux existaient mais étaient, selon Épicure, indifférents au monde humain ; de ce fait, la superstition et la crainte religieuse se trouvaient déconstruites.​ Par son ouverture à inclure dans son École du Jardin des femmes et des hommes, sans égard pour leur condition sociale, Épicure peut apparaître comme un précurseur d'une composition diversifiée de la communauté et adepte d'une approche inclusive, c'est-à-dire qui accepte dans ses rangs indistinctement les contributions de tous et de toutes.

La philosophie d'Épicure, souvent réduite à tort à une simple recherche du plaisir et d'apolitisme, est en réalité une éthique de la mesure, du bonheur et de la liberté. Sa canonique fonde la connaissance sur l'expérience sensible, sa physique propose une explication rationnelle et matérialiste du monde et sa morale enseigne la voie du bonheur par la modération et la sérénité. La Lettre à Ménécée illustre avec force cette philosophie pratique : l'individu n'a rien à craindre des dieux ni de la mort et son bonheur dépend uniquement de la sagesse avec laquelle il règle ses désirs. Épicure fonde, en quelque sorte, une pensée thérapeutique. Sa philosophie est un remède contre les maux intérieurs que sont la peur, la douleur et le trouble. L'éthique épicurienne s'affirme comme une « médecine de l'âme », offrant un quadruple remède (tétrapharmakos) : il n'y a rien à craindre des dieux, rien à craindre de la mort, la douleur est supportable et le bonheur est accessible. Il s'agit d'une sorte de guide pratique visant à s'affranchir ou s'immuniser face aux opinions erronées et aux peurs fantaisistes. Les conditions pour y parvenir sont la simplicité de vie, la pratique de l'amitié, le calcul rationnel des plaisirs et, si et quand nécessaire, un retrait prudent de la vie publique active et représentative (Brunschwig, 1996, p. 233 ; de Crescenzo, 1999, p. 400).​ Il conseille même de « cacher sa vie » (abscondita), vivre discrètement pour éviter les conflits et les passions inutiles. Pour le sage, la vie doit être vécue « comme un dieu parmi les hommes » : une existence sereine, détachée des troubles du monde, mais pleinement humaine.

Chez Platon et Aristote, la finalité de la Cité est la recherche de la justice chez le premier et la recherche du bonheur chez le deuxième. Il en va autrement chez Épicure. Il est plutôt d'avis que « le plaisir est la fin même que poursuit en nous la nature » (Morel, 2009, p. 15). L'humain est un être qui a besoin d'amiEs. Il valorise l'amitié, qui est une source importante de plaisir durable et de soutien mutuel. Il prônait une existence loin des conflits et/ou des honneurs de la vie politique. Ce qui n'impliquait pas une vie vécue à l'extérieur de la Cité-État. À ce sujet, sa philosophie ne visait pas à créer une nouvelle Cité-État (Cité-État qu'il ne combattait pas), mais bien plutôt à jeter les bases d'une véritable « Société des amiEs ».

Guylain Bernier
Yvan Perrier
26 octobre 2025
9h00

Notes
[1] « ‘‘Principe et fin'' » : le plaisir est fin (telos), c'est-à-dire aussi bien le but et l'achèvement que la limite ou le terme clairement défini. Parce qu'il est limité, c'est-à-dire déterminé, le plaisir est également principe (archê) ou point de départ au bonheur. » (Morel, nbp a., 2009, p. 48).

[2] Par « canonique », il faut comprendre « la théorie des critères ou règles de connaissance et d'action » (Morel, 2009, p. 27 ; voir également Baraquin et Lafitte, 2007 p. 140).

[3] Par « affection », Morel (nbp. b., 2009, p. 48) précise qu'il faut comprendre ceci : « plaisir ou peine ; ce que l'on éprouve en soi-même et qui nous indique spontanément ce que nous devons rechercher ou éviter ».

[4] Ou « ‘‘vivre caché'' (lathe biosas) » (de Crescenzo, 1999, p. 396).

[5] Même si cela ne doit pas faire de lui un athée. Car Épicure se questionne plutôt sur la façon dont nous interprétons le notion de Dieu (ou des dieux). Il n'empêche que l'athéisme qu'on lui attribue pourrait être compris sur la base de son raisonnement entourant la présence de la douleur et du mal dans un monde créé par un Dieu bienfaisant. Voici la réponse donnée par Épicure sur cet aspect : « […] ou bien Dieu veut supprimer le mal et ne le peut pas ; ou il le peut et il ne le veut pas ; ou il ne le veut ni le peut, ou enfin il le veut et il le peut. S'il le veut et qu'il ne le puisse pas, il est impuissant, ce qui ne convient pas à Dieu ; s'il le peut et ne le veut pas, il est envieux, ce qui ne peut davantage convenir à Dieu ; s'il ne le veut ni le peut, il est à la fois envieux et impuissant, donc il n'est pas Dieu ; s'il le veut et le peut, ce qui convient à Dieu, alors d'où vient le mal ? ou pourquoi Dieu ne le supprime-t-il pas ? » (cité dans Legrand, 1906, p. 48-49).

Au lieu de conclure sur son absence (ou inexistence), il a préféré l'option d'un Dieu qui a choisi de ne pas intervenir dans les affaires humaines. De là, la réserve à avoir au sujet de l'athéisme présumé d'Épicure.

Bibliographie

Arrighetti, Graziano. « Épicure ». Encyclopédie Universalis. https://universalis-vieuxmtl.proxy.collecto.ca/encyclopedie/epicure/. Consulté le 24 octobre 2025.

Baraquin, Noëlla et Jacqueline Lafitte. 2007. Dictionnaire des philosophes. Paris : Armand Colin, p. 140 à 143.

Brunschwig, Jacques. 1996. « Épicurisme ». In Raynaud, Philippe et Stéphane Rials. Dictionnaire de philosophie politique. Paris : Presses universitaires de France, p. 232 à 236.

Brunschwig, Jacques. 1984. « Épicure ». In. Huisman, Denis (dir.). Dictionnaire des philosophes. Paris : Presses universitaires de France, p. 866 à 873.

Camus, Sébastien et. al.. 2008. « Épicure ». In. 100 œuvres clés en philosophie. Paris : Nathan, p. 64.

De Crescenzo, Luciano. 1999. Les grands philosophes de la Grèce antique. Paris : Le livre de Poche, p. 390-411.

Drieux, Philippe. 2014. « Épicurisme ». In Jean-Pierre Zarader. Dictionnaire de philosophie. Paris : Ellipses poche, p. E-246 à 247-E.

Épicure. 2009. Lettre à Ménecée. Présentation et notes par Pierre Morel. Paris : Éditions Garnier-Flammarion, 109 p.

Law, Stephen. 2008. La Philosophie. Paris : Gründ, p. 251.

Legrand, Henri. 1906. Épicure et l'épicurisme. Paris : Librairie Bloud & Cie, 71 p.

Montesquieu, Charles-Louis de Secondat. 1734. Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Amsterdam : Jacques Desbordes, 277 p.

Potchesky, Michel. 2014. « Hédonisme ». In Jean-Pierre Zarader. Dictionnaire de philosophie. Paris : Ellipses poche, p. 323-H à H-324.

Rosenberg, Patrice. 2008. La philosophie. Paris : Nathan, p. 76.

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Comptes rendus de lecture du mardi 28 octobre 2025

28 octobre, par Bruno Marquis — , ,
Les hommes et le féminisme Francis Dupuis-Déri J'ai lu plusieurs livres de Francis Dupuis-Déri jusqu'ici, surtout sur la démocratie et le féminisme et le masculinisme, et (…)

Les hommes et le féminisme
Francis Dupuis-Déri

J'ai lu plusieurs livres de Francis Dupuis-Déri jusqu'ici, surtout sur la démocratie et le féminisme et le masculinisme, et je les ai tous bien aimés. « Les hommes et le féminisme », publié aux Éditions du remue-ménage, traite en profondeur de la relation entre les hommes – et particulièrement les hommes proféministes – et le féminisme. C'est un bouquin qui m'a tout de même ouvert les yeux sur de nombreux aspects de la situation de la femme dans nos sociétés et de la position dominante que les hommes continuent d'exercer sur elles, dans les relations de couple, au travail et dans toute autre activité. Un très bon bouquin, très bien documenté, que tous les hommes devraient lire.

Extrait :

En Afghanistan, le roi Amir Amanullah a proposé en 1921 une réforme de la loi sur le mariage pour mieux défendre les droits des femmes. Il ouvrit des écoles pour filles et proposa de l'aide pour que de jeunes Afghanes puissent aller étudier en France et en Suisse. Son épouse, la reine Soraya, fonda l'Association de protection des droits des femmes et lança un journal féminin. La Grande-Bretagne a financé un soulèvement qui força le roi à l'exil, en 1929. Quand les communistes afghans parvinrent à former le gouvernement en 1978, avec l'aide de l'URSS, leurs nouvelles lois égalitaristes réformaient le mariage et ouvraient aux femmes les portes de nombreuses professions qui leur étaient fermées jusqu'alors. Or, au nom de la lutte contre le communisme, les gouvernements occidentaux – et bien des intellectuels défenseurs des « droits de l'homme » - apportèrent leur appui aux rebelles, qualifiés de « combattants de la liberté », qui renversèrent le régime communiste et abrogèrent les lois favorables aux femmes. En 2023, Matiullah Wesa, un Afghan de 30 ans qui a fondé l'organisation Pen Path pour l'éducation des filles et des femmes, a été arrêté à Kaboul.

L'heure des prédateurs
Giuliano da Empoli

J'ai dû attendre de nombreux mois avant de pouvoir emprunter ce bouquin de ma bibliothèque municipale, même si elle en possède… vingt-six exemplaires. Ça m'a d'ailleurs donné le temps de lire deux textes à son sujet dans les pages du Monde diplomatique, dont l'excellente critique d'Evelyne Pieiller dans son édition d'août dernier. « L'heure des prédateurs », essai pour le moins élitiste (et même pédant), qui fait la part belle à certains personnages que plusieurs considèrent comme des ordures, nous laisse, en fin de lecture, avec une drôle d'impression d'impuissance et d'insignifiance. Comme si l'histoire se faisait sans nous, par quelques hommes d'exception. En résumé, nous explique l'auteur, des dirigeants autoritaires, copies modernes de César Borgia (Le Prince de Nicolas Machiavel), conspireraient avec les conquérants de la haute technologie pour nous réduire à l'impuissance dans « une ère de violence sans limite ». Décevant, surtout si vous aviez lu, du même auteur, « Le Mage du Kremlin ».

Extrait :

À l'âge de la colonisation numérique, les dirigeants modérés ont rempli la même fonction. Certains d'entre eux ont même franchi le pas, en se mettant au service des nouveaux conquistadors. À l'instar de l'ancien vice-président Al Gore qui, après avoir géré le dossier Internet de la Maison-Blanche, a engrangé des centaines de millions de dollars, d'abord chez Apple, puis dans une société de capital-risque de la Silicon Valley.

Les jeux sont faits
Jean-Paul Sartre

J'ai beaucoup aimé ce roman qui nous fait réfléchir sur l'amour, la mort, les illusions de la jeunesse, la liberté et la révolte. Eve et Pierre ne découvrent que trop tard qu'ils se seraient aimés, qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Mais voilà, si la vie vous laisse parfois une seconde chance, on ne peut tout de même pas revenir en arrière – les jeux sont faits, et la mort vous rattrape...

Extrait :

Un détachement de la Milice du Régent s'engage dans une rue populeuse. Le visage sous la casquette plate à courte visière, le torse rigide sous la chemise foncée que barre le baudrier luisant, l'arme automatique à la bretelle, les hommes avancent dans un lourd martèlement de bottes.

L'ordre moins le pouvoir
Normand Baillargeon

J'ai découvert Normand Baillargeon en lisant ses chroniques dans Le Devoir, il y a de nombreuses d'années. Je n'ai pas arrêté de le lire depuis. C'est un de nos grands intellectuels et vulgarisateurs. C'est aussi un type charmant. La plupart des gens le connaissent surtout pour son superbe « Petit cours d'autodéfense intellectuelle », qui a connu un fort succès après sa publication il y a une vingtaine d'années. « L'ordre moins le pouvoir », qui avait déjà été publié sous le simple titre de « Anarchisme », est un intéressant petit ouvrage de vulgarisation qui nous fait connaître l'histoire de l'anarchisme et de ses différents courants, de sa version de nos jours la plus libre et égalitaire, la version libertaire, à sa version la plus réactionnaire et la plus inégalitaire, la version libertarienne. Un livre éclairant.

Extrait :

Selon Chomsky, le principe anarchiste trouve un de ses éléments essentiels et une de ses formes les plus significatives en Bakounine, plus précisément dans l'exaltation par ce dernier de la liberté définie comme condition essentielle du déploiement et du développement « de l'intelligence, de la dignité et du bonheur humains ». L'anarchisme développe un concept de liberté qui s'oppose à la liberté consentie et mesurée par l'État ; il invite à concevoir une définition beaucoup plus large et infiniment plus riche de la liberté. Cette dernière n'est pas enfermée dans un cadre fixe et clos, elle ne se réduit pas à la seule liberté négative qui consisterait à n'être pas entravée, mais elle est appelée à s'élargir infiniment lorsque des structures oppressives sont découvertes ; l'anarchisme porte donc aussi l'exigence de lutter contre ces nouvelles limites à la liberté, sans cesse mises à jour. Ce que Chomsky exprime en présentant l'anarchisme comme « cette tendance, présente dans toute l'histoire de la pensée et de l'agir humains, qui nous incite à vouloir identifier les structures coercitives, autoritaires et hiérarchiques de toutes sortes pour les examiner et mettre à l'épreuve leur légitimité ; lorsqu'il arrive que ces structures ne peuvent se justifier - ce qui est le plus souvent le cas -, l'anarchisme nous porte à chercher à les éliminer et à ainsi élargir l'espace de la liberté ».

Désinformation massive : comment les médias privés aggravent la crise climatique

28 octobre, par Vincent Lucchese — , ,
Des chaînes de télévision et des radios sont minées par la désinformation sur le climat, révèle un rapport publié le 22 octobre. Certains médias sont des « relais proactifs », (…)

Des chaînes de télévision et des radios sont minées par la désinformation sur le climat, révèle un rapport publié le 22 octobre. Certains médias sont des « relais proactifs », via leurs invités et même leurs journalistes.

Tiré de Reporterre
23 octobre 2025

Par Vincent Lucchese

Sur CNews, 1 cas de désinformation par heure d'information consacrée au climat a été détecté. - © Romain Longieras / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La désinformation climatique se porte à merveille dans les médias grand public français. Entre janvier et août, quelque 529 cas de mésinformation climatique (terme comprenant la désinformation potentiellement involontaire, sans intention de nuire démontrée) ont été relevés sur les principales chaînes de télévision et radio françaises par les ONG QuotaClimat, Data for Good et Science Feedback, révèle leur rapport publié le 22 octobre.

Il ressort de leur travail de veille que certains médias audiovisuels sont beaucoup plus coupables de désinformation que d'autres : parmi les chaînes d'information en continu notamment, les chaînes privées sont six fois plus « exposées aux narratifs de désinformation climatique » que l'audiovisuel public.

Sud Radio fait même pire que CNews

Sans surprise, CNews, la chaîne d'info du milliardaire d'extrême droite Vincent Bolloré, concentre le pire de la télé sur le sujet : un cas de désinformation par heure d'information consacrée au climat y a été détecté. Trois radios sont également des relais puissants de désinformation : Sud Radio fait même pire que CNews, avec un cas de désinformation toutes les quarante minutes, d'après le rapport.

Viennent ensuite Europe 1 et RMC, dont la fréquence d'exposition à la mésinformation climatique est à peine moins catastrophique que pour CNews, avec 0,8 à 0,6 cas de mésinformation par heure d'information consacrée au climat. Ensemble, ces quatre médias sont considérés par le rapport comme les « relais proactifs » de la désinformation climatique. Un peu moins mauvaise que ses concurrentes, LCI est quant à elle cataloguée comme un « vecteur permissif » de désinformation.

Cartographie des principaux médias audiovisuels français face à la désinformation climatique. © QuotaClimat, Data for Good, Science Feedback

L'ère du « nouveau déni climatique »

À l'inverse, les « chaînes de télévision généralistes (TF1, M6, France 2, France 3) ainsi que l'audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, RFI) constituent les remparts les plus actifs contre la désinformation climatique », écrivent les ONG.

Une différence notable est également observée entre le public et le privé : alors que dans l'audiovisuel public, les cas de désinformation identifiés sont presque systématiquement le fait d'invités (à 92 %), dans le secteur privé, les propos erronés ou trompeurs sont tenus dans 46 % des cas par des journalistes ou des chroniqueurs.

Lire aussi : Canicule : la télé en plein déni climatique
Cette médiocrité de l'information climatique contribue à alimenter ce que des chercheurs, notamment le Center for Countering Digital Hate, appellent le « nouveau déni » climatique.

« Les données récentes montrent que l'ère de l'“ancien déni” (“le changement climatiquen'existe pas”) a laissé place à un répertoire plus sophistiqué, conçu non pour réfuter la science, mais pour brouiller, épuiser moralement et paralyser l'opinion publique comme l'action politique », écrivent les auteurs du rapport.

Les données montrent, en outre, que la désinformation se concentre sur des moments précis : elle a triplé cet été par rapport au début de l'année, et a connu des pics corrélés à des moments de débats climatiques clés. Par exemple, lors de la prise de mandat de Donald Trump, lors du vote sur les zones à faibles émissions à l'Assemblée nationale ou encore lors de la canicule estivale, parasitée par les débats bourrés de désinformation sur la climatisation.

Les énergies renouvelables en bouc émissaire

Ces symptômes, nouveaux narratifs de désinformation et moments clés ciblés, entrent en résonance avec les principaux récits observés à l'échelle mondiale. Ce qui démontre qu'il s'agit d'un problème « systémique », soulignent les ONG. En clair, la désinformation est poussée par toute une série d'acteurs aux intérêts et stratégies nocives pour le climat : l'extrême droite, l'industrie fossile, automobile ou agricole et les intérêts idéologiques de grands actionnaires des médias qui, tout ou partie, participent à cette nouvelle désinformation.

« Leur objectif n'est plus de nier l'existence du changement climatique, mais de miner la confiance dans la viabilité des solutions et de délégitimer les messagers qui les défendent », pointe le rapport.

Les principales victimes de cette stratégie ciblée sont les énergies renouvelables (EnR). Plus de 90 % des cas identifiés de désinformation ciblent les solutions de transition, et 70 % ciblent plus spécifiquement les EnR.

C'est, en la matière, la foire aux poncifs. Parmi les fausses informations les plus souvent répandues sur ces chaînes, on trouve d'abord l'idée que « les énergies renouvelables variables font exploser le prix de l'électricité », suivie de celle selon laquelle elles « sont inefficaces ou inutiles en raison de leur intermittence ». Ou encore, que les EnR « provoquent des blackouts » et qu'elles sont inutiles, le nucléaire étant suffisant pour « répondre aux besoins en énergie ».

Autant de contre-vérités largement plus répandues que les traditionnelles négations du rôle de nos activités dans le réchauffement global, ou encore l'antienne selon laquelle « le climat a toujours fluctué de manière naturelle ». Ces absurdités scientifiques sont toujours présentes, mais en grande majorité remplacées par les attaques contre la transition.

Cette « crise de l'intégrité de l'information » aggrave la crise climatique

Dans un contexte d'atrocité climatique généralisée, où l'action des États demeure largement insuffisante pour éviter le risque de catastrophes gigantesques en cascade, le rapport insiste sur le fait que cette « crise de l'intégrité de l'information » aggrave la crise climatique.

Pour lutter contre cette dynamique délétère, les ONG recommandent d'agir sur trois leviers identifiés. Former « les journalistes exposés au direct et les rédactions au sens large » à ces enjeux et stratégies de désinformation ; protéger les journalistes indépendants, « les médias d'intérêt public et les conditions de production d'une information fiable, intègre et suffisante » ; et réguler la désinformation climatique, « pour sortir du régime d'impunité actuelle ».

Sur ce dernier point, le rapport soutient une proposition de loi transpartisane, mais controversée, qui permettrait de sanctionner les propos climatosceptiques.

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Avant la COP, le Brésil autorise de nouvelles explorations pétrolières

28 octobre, par Raphaël Bernard — , ,
Les autorités environnementales du Brésil ont approuvé le 20 octobre l'exploration pétrolière au large de l'Amazonie. Une décision qui, à quelques jours de la COP30, expose les (…)

Les autorités environnementales du Brésil ont approuvé le 20 octobre l'exploration pétrolière au large de l'Amazonie. Une décision qui, à quelques jours de la COP30, expose les ambiguïtés de Lula sur la question climatique.

Par
21 octobre 2025

Rio de Janeiro (Brésil), correspondance

À vingt jours de l'ouverture de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP30) de Belém, c'est un énorme coup porté aux défenseurs de l'environnement brésiliens. L'Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama) a approuvé le 20 octobre le début de perforations pour la recherche de pétrole sur le site de Foz do Amazonas, situé à 500 km de l'embouchure du fleuve Amazone.

La Petrobras, entreprise publique d'exploitation pétrolière, a donc le feu vert pour s'assurer dès aujourd'hui que la zone contient des hydrocarbures en quantité suffisante pour lancer une exploitation commerciale.

Une éventualité très probable, puisque la région de la Marge équatoriale, aire côtière de plus de 2 200 km de large où se trouve Foz do Amazonas, présente des caractéristiques similaires aux littoraux de pays voisins tels que le Suriname, la Guyane française et le Guyana, devenu en quelques années détenteur des plus grandes réserves de pétrole brut au monde. Selon le ministère brésilien des Mines et de l'Énergie, la Marge équatoriale pourrait contenir jusqu'à 10 milliards de barils.

Une énième menace sur l'Amazonie

L'exploitation d'une telle manne vient pourtant avec d'innombrables risques environnementaux, alors que la forêt amazonienne pourrait bien avoir déjà atteint le point de non-retour qui amènera à sa désertification.

Sous le feu des critiques, l'Ibama a déclaré, dans un communiqué, que la délivrance de la licence a eu lieu « après un processus rigoureux d'octroi de licence environnementale, qui comprenait la préparation d'une étude d'impact environnemental, la tenue de trois audiences publiques, 65 réunions techniques dans plus de 20 municipalités [...], en plus de la réalisation d'une évaluation préopérationnelle, qui a impliqué plus de 400 personnes ».

« Les communautés traditionnelles risquent d'être écrasées »

Pourtant, dans son rapport technique révélé par la Folha de São Paulo, plus grand quotidien brésilien, l'Ibama lui-même note la menace que l'exploitation de pétrole représentera pour la population de lamantins, ces gros mammifères aquatiques déjà menacés d'extinction, tout en pointant que les possibles effets sur les populations indigènes environnantes ont été tout simplement ignorés.

« Il s'agit d'une région très spéciale, où l'océan Atlantique rencontre la forêt. On y trouve par exemple un écosystème récifal [dominé par des récifs coralliens], très sensible à n'importe quel type d'activité, ainsi que des mangroves, d'où bon nombre de populations locales tirent leurs moyens de subsistance », explique Mariana Andrade, en charge de la section océans de Greenpeace Brésil.

Le site d'exploration pétrolière est à 175 km des côtes de l'état amazonien d'Amapá, où se trouve notamment la tribu Wayãpi, ici en 2017. © Apu Gomes / AFP

Localisé à 175 km des côtes de l'état amazonien d'Amapá, le mieux préservé du pays, le site de Foz do Amazonas pourrait, en cas de marée noire, affecter une région comportant 80 % des mangroves brésiliennes, selon le site d'infos économiques Brazil Journal.

Alors, face à de tels risques, comment ce projet a-t-il pu être approuvé ? Difficile de ne pas penser à la fantastique manne financière que de telles réserves représentent, qui plus est dans un pays dont l'ascension économique, au début des années 2000, est largement due à la découverte de gisements de pétrole offshore. Les partisans du projet y voient donc une opportunité pour l'Amapá, dont un tiers des habitants vit dans l'extrême pauvreté.

Mais cette rente ne pourrait être qu'une porte ouverte à d'autres menaces écologiques et sociales. « Les villes côtières de l'Amapá ne sont pas préparées et vont subir une très forte pression urbaine. Les communautés traditionnelles, dont le mode de vie est très lié aux ressources naturelles, risquent d'être écrasées », avertit Mariana Andrade.

Un engagement écologique de façade

Alors que l'Amazonie doit accueillir à Belém sa première COP, l'événement met la lumière sur les ambiguïtés du président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, sur la question écologique. Successeur du leader d'extrême droite Jair Bolsonaro, ouvertement hostile à la protection de la nature, l'ex-syndicaliste a fait de la protection de l'Amazonie son image de marque internationale dès son élection en 2022. Une posture qui contredit son soutien répété au projet de Foz do Amazonas.

« On ne peut pas abdiquer cette richesse. Ce que l'on peut faire, c'est s'engager pour qu'aucun dommage environnemental ne soit causé », voulait-il rassurer dans une interview en juin. Le voilà aujourd'hui cible des critiques des milieux écologistes. « Lula vient d'enterrer son ambition de devenir un leader climatique au fond de l'océan, à Foz do Amazonas », attaquait ainsi Suely Araújo, elle-même ancienne cheffe de l'Ibama, à l'annonce de la décision.

De leur côté, les écologistes ne baissent pas les bras. Accompagnée d'au moins sept autres ONG, Greenpeace Brésil a d'ores et déjà annoncé entamer une action judiciaire contre la décision de l'Ibama. « Nous sommes très optimistes, puisque le ministère public fédéral [équivalent brésilien du parquet, qui a divulgué sa position une semaine avant l'annonce de l'Ibama] s'est lui aussi positionné contre l'autorisation des perforations. »

Autre atout déterminant : la mobilisation de la société civile, qui compte bien profiter de la COP, organisée dans un pays démocratique pour la première fois depuis quatre ans, pour faire entendre sa voix.

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IIe Rencontre écosocialiste latino-américaine et caribéenne

28 octobre, par Vanessa Dourado — , ,
La période actuelle est marquée par la montée de l'extrême droite et les guerres génocidaires. Dans cette époque, les contradictions du système actuel de production, de (…)

La période actuelle est marquée par la montée de l'extrême droite et les guerres génocidaires. Dans cette époque, les contradictions du système actuel de production, de distribution et de consommation montrent que nous sommes à un stade avancé d'une crise de civilisation.

20 octobre 2025 | tiré du site de la Gauche anticapitaliste

Territoires libres et convergence pour l'action

Il ne s'agit pas d'une crise cyclique du capitalisme comme les autres. La rupture métabolique, cette fracture irréparable dans le cycle naturel d'échange entre la société humaine et la nature, met à l'épreuve la capacité des êtres humains à apporter des réponses compatibles avec l'accélération de la destruction socio-environnementale.

Bon nombre de ces réponses intègrent une stratégie ouvertement guerrière, qu'il s'agisse de guerres commerciales – comme nous l'observons depuis l'arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis – ou génocidaires, comme c'est le cas à Gaza et dans le cadre de la poursuite du projet de « campagne du désert »(1), qui connaît différentes versions dans divers territoires du monde. . Le succès de tous ces projets repose sur l'accumulation de capital et le colonialisme. La guerre pour les ressources et le maintien de l'hégémonie mondiale a généré une crise de gouvernance mondiale qui soulève de nouvelles questions et de nouveaux défis. Nous avons besoin de produire de nouvelles analyses afin de mieux comprendre cette situation faites de changements brutaux et accélérés.

Face au défi de concevoir, créer et mettre en œuvre un plan alternatif au projet mortifère imposé, qui accompagne le « capitalisme cannibale » caractérisé par Fraser, les Rencontres écosocialistes internationales jouent un rôle fondamental. Si nous partons du principe qu'il n'y a pas d'avenir sans présent et que la tâche d'aujourd'hui consiste à créer les conditions d'un monde vivable, un programme de transition écosocialiste est indispensable pour imaginer un avenir face à des crises qui semblent insolubles. Il s'agit de construire une issue écosocialiste à la crise environnementale profonde qui menace la continuité des modes de vie tels que nous les connaissons sur Terre.

Il est fondamental de sortir du statut d'observateur pour nous considérer comme des acteur·rices du changement, à un moment où notre conception du monde est particulièrement remise en cause. De ce point de vue, il y a un avant et un après Gaza : la lutte écosocialiste est la lutte pour la vie. Par conséquent, cette dimension doit être prise en compte par toute personne qui envisage un programme de transition écosocialiste avec une perspective anticapitaliste. Génocide et écocide ont toujours été liés : l'un rend possible l'autre, et vice versa.

Face aux logiques capitalistes

Pour penser et agir en ces temps de cruauté, il est important d'opérer un tournant analytique vers « la conscience du lien » et l'empathie, comme le propose Rita Segato(2). Il s'agit de placer, au centre du débat la solidarité écoterritorialisée, l'internationalisme des peuples et une action fondée sur le care, le soin, sans perdre de vue les luttes urbaines, syndicales et les luttes pour de meilleures conditions de vie pour la classe ouvrière. Car résister aujourd'hui, c'est aussi faire face à la précarisation de la vie dans tous ses domaines.

C'est dans le contexte d'un tel défi que se tiendra la 2e Rencontre écosocialiste latino-américaine et caribéenne. Sa tenue à Belém (Brésil) à l'occasion de la COP30 est, de manière symbolique, une réponse, et un rejet, à l'idée que l'économie pourrait justifier ou planifier ce que la société construit. Nous le savons, et le romancier Kim Stanley Robinson(3) l'a parfaitement illustré dans le Ministère du futur, la solution à l'effondrement environnemental proposée par ceux-là mêmes qui l'ont provoqué est incohérente, contradictoire. Elle repose sur de fausses solutions et des objectifs inatteignables.

La critique est ancienne, mais elle est particulièrement nécessaire actuellement : bien que la COP30 se déroule dans l'un des pays les plus importants pour l'élaboration de stratégies permettant de faire avancer les luttes écoterritoriales, le gouvernement brésilien s'est distingué par son manque d'engagement envers les collectifs en lutte et se rapproche des projets de colonialisme vert. Cela se traduit par l'adoption du projet de loi dit « da devastação » (4) – bien qu'avec des oppositions (5) –, l'annonce de la fin des négociations, avec une possible ratification, de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur, et la position enthousiaste de Lula à l'égard du Tropical Forest Forever Facility, qui devrait être l'un des principaux projets défendus par le gouvernement brésilien lors de la COP30 et qui est un projet ambitieux de capitalisme vert visant à corriger les prétendues « défaillances » du marché(6).

Faire converger les alternatives

Dans le même ordre d'idées, il est préoccupant que des espaces critiques à l'égard de la COP30 envisagent un lien direct avec les gouvernements. La nécessité de créer des espaces autonomes, comme l'ont toujours été les contre-sommets ou les sommets des peuples, en cohérence avec les luttes antisystémiques, est essentielle et devrait être non négociable. L'ingérence des gouvernements dans les processus d'auto-organisation de la société civile compromet la possibilité de proposer des alternatives populaires.

La 2e Rencontre écosocialiste se tiendra du 8 au 11 novembre et s'inscrit dans les espaces autonomes de débat et de construction de récits alternatifs existants. Ainsi ces dates ont été soigneusement choisies afin de ne pas interférer avec les activités du Sommet des peuples, qui se tiendra du 12 au 16 novembre, ni avec l'initiative « Charte de la Terre », prévue les 7 et 8 novembre.

Sur le plan stratégique, cette deuxième rencontre – qui s'inscrit dans la continuité des débats menés à Buenos Aires en 2024 et s'appuie également sur les cinq rencontres précédentes organisées en Suisse, dans l'État espagnol, au Pays basque et au Portugal – vise à faire converger les points de vue écosocialistes avec d'autres alternatives anticapitalistes qui ont vu le jour au cours des dernières décennies. L'objectif est de générer des actions concrètes coordonnées pour la construction d'un horizon commun. À cette fin, les éléments clés des propositions de différents collectifs qui réfléchissent et construisent des alternatives aux formes de production, de reproduction, de consommation, de distribution, d'organisation et de conception civilisationnelle du système capitaliste, seront débattus.

Cette rencontre, la première à se tenir en Amazonie, vise à faire entendre la voix des collectifs qui luttent pour la délimitation de leurs terres ancestrales et pour la préservation des forêts contre la déforestation et le racisme environnemental qui touche les peuples racisés. Au-delà d'un bilan critique des expériences des États plurinationaux, elle permettra de partager les projets de territoires sans combustibles fossiles ni exploitation minière qui voient le jour dans différentes régions d'Amérique latine.

Les objectifs de la rencontre

La rencontre proposera également un débat approfondi et critique sur les projets de transition préparés sans la participation des populations touchées par l'extractivisme, ainsi que sur une caractérisation des impérialismes dans le contexte politique actuel, dans lequel des projets tels que les BRICS et le repositionnement de la Chine soulèvent des questions sur les opportunités et les menaces pour les territoires du Sud global. Les guerres, la militarisation, les dettes et les accords commerciaux et d'investissement apparaissent comme la stratégie bien connue – mais plus violente depuis la montée des droites néofascistes – de subordination, de dépendance et de contrôle des territoires, menaçant la souveraineté des pays.

Dans la continuité du débat qui a animé toutes les rencontres précédentes, l'un des axes centraux sera l'écosyndicalisme et l'action dans le monde du travail, ainsi que les écoféminismes et les économies du soin dans une perspective écoterritoriale. Dans le cadre de la discussion sur la stratégie écosocialiste, seront abordées : les tactiques menant à l'écosocialisme ; l'écosocialisme et le pouvoir ; les dialogues entre le Nord et le Sud sur les méthodes et les contenus de la discussion ; le positionnement face à la COP ; et d'autres débats tels que la décroissance, les droits de la nature, les zones péri-urbaines et les populations des villes, la démocratie écosocialiste.

Malgré l'énorme défi que représente l'organisation de cet évènement, notamment en raison des aspects logistiques et des coûts élevés de l'hébergement à Belém, le lieu de la rencontre est désormais confirmé et un comité local a été mis en place pour organiser la logistique de l'événement et apporter son soutien, notamment en proposant des hébergements aux personnes qui participeront à la rencontre.

Les inscriptions à l'événement, qui seront obligatoires, ouvriront prochainement, car nous ne pouvons accueillir que 350 personnes. Conformément à son principe d'autonomie, l'événement est entièrement financé par les organisations et les personnes qui y participent, ce qui signifie que nous ne pouvons garantir le financement des billets et des transports sur place.

Nous nous attendons à une participation importante des collectifs et des personnes venant des différents territoires brésiliens ; c'est pourquoi, si nécessaire, la participation des délégations par pays pourra être limitée, afin que les débats se déroulent avec la plus grande participation et le plus grand pluralisme possible.

La question des territoires libres et la convergence pour l'action sont les thèmes sur lesquels cette rencontre entend progresser, en transmettant les propositions, les questions et les débats aux 7e Rencontres écosocialistes internationales qui se tiendront à Bruxelles au printemps 2026.

Le 19 septembre 2025

Les informations sur le processus d'organisation des Rencontres sont disponibles sur la page Instagram inter.ecosoc.

Article initialement publie le 10 octobre sur le site d'Inprecor.

Notes

1. La « campagne du désert », ou « conquête du désert », est le nom donné à la campagne menée entre 1878 et 1885 par le gouvernement argentin afin d'obtenir la domination de l'État sur les régions du sud et de la Patagonie orientale. Cette campagne, fondatrice de la nation argentine, s'est faite par l'extermination de milliers de mapuches.
2. L'autrice fait ici référence à l'ouvrage de Rita Segado, Contra-pedagogias de la crueldad, Prometeo Libros, 2018, non traduit en français.
3. Kim Stanley Robinson est un auteur de science-fiction étatsunien. Particulièrement connu pour sa trilogie sur la terraformation de mars : Mars la rouge, Mars la verte et Mars la bleue. Ses récits, très documentés tant sur le plan biologique qu'anthropologique, ont une forte dimension politique.
4. Loi de dévastation, de son vrai nom : Projet de loi d'assouplissement des réglementations environnementales.
5. Les éluEs du PT de Lula ont voté contre. Lula a opposé son veto à certaines parties du projet mais la loi est entrée en vigueur et ce veto peut être rejeté par le Congrès.
6. Lire, de Mary Louise Malig et Pablo Solón, « TFFF : Una falsa solución para los bosques tropicales » (TFFF : une fausse solution pour les forêts tropicales)

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L’égalité des sexes n’est pas une idéologie mais un droit

Malgré les progrès enregistrés dans les domaines de l'éducation, de la santé et des réformes juridiques, 351 millions de femmes et de filles vivront toujours dans l'extrême (…)

Malgré les progrès enregistrés dans les domaines de l'éducation, de la santé et des réformes juridiques, 351 millions de femmes et de filles vivront toujours dans l'extrême pauvreté en 2030 si les mesures prises ne s'accélèrent pas.

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https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/09/29/legalite-des-sexes-nest-pas-une-ideologie-mais-un-droit/?jetpack_skip_subscription_popup

ONU Femmessouligne qu'investir dans l'égalité n'est pas seulement une question de justice : cela pourrait ajouter 1 500 milliards de dollars au PIB mondial en cinq ans et générer 342 000 milliards de bénéfices d'ici 2050.

Le monde recule en matière d'égalité des sexes, et le coût se mesure en vies, en droits et en opportunités. À cinq ans de l'échéance des Objectifs de développement durable (ODD) en 2030, aucun des objectifs en matière d'égalité des sexes n'est en voie d'être atteint.

C'est ce qui ressort du Gros plan sur l'égalité des sexes 2025 publié lundi par ONU Femmes et le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (DESA), qui s'appuie sur plus de 100 sources de données pour suivre les progrès réalisés dans les 17 objectifs.

La pauvreté porte un visage féminin

L'année 2025 marque trois étapes importantes pour les femmes et les filles : le 30e anniversaire de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing, le 25e anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité, et le 80e anniversaire des Nations Unies. Cependant, au vu des nouvelles données qui donnent à réfléchir, il est urgent d'accélérer les actions et les investissements.

Parmi les conclusions du rapport, la pauvreté féminine n'a pratiquement pas évolué en cinq ans, stagnant autour de 10% depuis 2020. La plupart des 233 millions de femmes sur les 300 millions qui vivent encore dans la pauvreté extrême se trouvent en Afrique subsaharienne.

Sur le plan alimentaire, les inégalités sont également criantes : en 2024, 26,1% des femmes étaient confrontées à l'insécurité alimentaire contre 24,2% des hommes – soit 64 millions de femmes de plus. Une femme en âge de procréer sur trois pourrait être anémique d'ici 2030, compromettant sa santé et son avenir.

Les femmes paient le prix fort

Alors que le monde continue d'allouer des sommes colossales à la défense – plus de 2 700 milliards de dollars par an aux dépenses militaires – seuls 420 milliards de dollars suffiraient à financer l'égalité des sexes, soit l'équivalent de seulement 57 jours de budget militaire mondial.

Rien qu'en 2024, 676 millions de femmes et de filles vivaient à proximité d'un conflit meurtrier, le nombre le plus élevé depuis les années 1990.

Pour celles qui se trouvent dans des zones de guerre, les conséquences vont bien au-delà du déplacement. L'insécurité alimentaire, les risques sanitaires et la violence augmentent considérablement, note le rapport.

La violence à l'égard des femmes et des filles reste l'une des menaces les plus répandues. Plus d'une femme sur huit dans le monde a subi des violences physiques ou sexuelles de la part d'un partenaire au cours de l'année écoulée, tandis que près d'une jeune femme sur cinq a été mariée avant l'âge de 18 ans. Chaque année, on estime que quatre millions de filles subissent des mutilations génitales féminines, dont plus de la moitié avant leur cinquième anniversaire.

Les facteurs de stress liés au changement climatique tels que les inondations, les sécheresses et les canicules mortelles s'aggravent, et les femmes sont les premières à en subir les conséquences, avec de plus longues distances à parcourir pour trouver de l'eau, une perte de revenus énorme lorsque les exploitations agricoles et les pêcheries s'effondrent.

Le changement climatique à lui seul pourrait précipiter 158 millions de femmes de plus dans la pauvreté d'ici 2050. Pourtant, les femmes continuent d'être exclues des négociations de paix et des processus de planification des catastrophes climatiques.

Progrès avérés

Pourtant, malgré ces statistiques sombres, le rapport souligne ce qu'il est possible de réaliser lorsque les pays donnent la priorité à l'égalité des sexes. La mortalité maternelle a chuté de près de 40% depuis 2000, et les filles ont aujourd'hui plus de chances que jamais de terminer leur scolarité.

S'adressant à ONU Info, Sarah Hendriks, directrice de la division des politiques à ONU Femmes, a déclaré que lorsqu'elle s'est installée au Zimbabwe en 1997, « donner naissance était en fait une question de vie ou de mort ».

« Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Et c'est un progrès incroyable en seulement 25 ou 30 ans », a-t-elle ajouté.

La technologie est également prometteuse. Aujourd'hui, 70% des hommes sont connectés à l'Internet, contre 65% des femmes. Selon les estimations du rapport, la réduction de cet écart pourrait profiter à 343,5 millions de femmes et de filles d'ici 2050, sortir 30 millions de personnes de la pauvreté et ajouter 1 500 milliards de dollars à l'économie mondiale d'ici 2030.

« Lorsque l'égalité des sexes a été une priorité, cela a fait progresser les sociétés et les économies », a déclaré Sima Bahous, directrice exécutive d'ONU Femmes. « Les investissements ciblés en faveur de l'égalité des sexes ont le pouvoir de transformer les sociétés et les économies ».

Dans le même temps, un recul sans précédent des droits des femmes, le rétrécissement de l'espace civique et la réduction croissante du financement des initiatives en faveur de l'égalité des sexes menacent les acquis obtenus de haute lutte.

Selon ONU Femmes, sans action, les femmes restent « invisibles » dans les données et l'élaboration des politiques, avec 25% de données sur le genre en moins disponibles actuellement en raison des coupes budgétaires dans les enquêtes.

« Le Gros plan sur l'égalité des sexes 2025 montre que les coûts de l'échec sont immenses, mais que les gains liés à l'égalité des sexes le sont tout autant », a déclaré Li Junhua, Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires économiques et sociales.

« Des actions et des interventions accélérées axées sur les soins, l'éducation, l'économie verte, les marchés du travail et la protection sociale pourraient réduire le nombre de femmes et de filles vivant dans l'extrême pauvreté de 110 millions d'ici 2050, générant ainsi un rendement économique cumulé estimé à 342 000 milliards de dollars ».

Agir en ce moment charnière

Mais les progrès restent inégaux et souvent douloureusement lents.

Les femmes ne détiennent que 27,2% des sièges parlementaires dans le monde, et leur représentation dans les gouvernements locaux stagne à 35,5%. Dans le domaine de la gestion, les femmes n'occupent que 30% des postes, et à ce rythme, la véritable parité n'est pas atteinte avant près d'un siècle.

À l'occasion du 30e anniversaire du Programme d'action de Beijing, le rapport présente l'année 2025 comme un moment charnière.

« L'égalité des sexes n'est pas une idéologie », prévient-il. « Elle est fondamentale pour la paix, le développement et les droits humains ».

À l'approche de la semaine de haut niveau des Nations Unies, le rapport appelle à investir dès maintenant dans les femmes et les filles.

« Le changement est tout à fait possible, et une voie différente s'offre à nous, mais il n'est pas inévitable et nécessite la volonté politique ainsi que la détermination des gouvernements du monde entier pour faire de l'égalité des sexes, des droits des femmes et de leur autonomisation une réalité une fois pour toutes ».

https://news.un.org/fr/story/2025/09/1157474

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Care, économie féministe et souveraineté alimentaire

Lisez la contribution de la militante hondurienne de la Via Campesina sur la relation entre le féminisme paysan et populaire et la lutte pour une transformation du travail du (…)

Lisez la contribution de la militante hondurienne de la Via Campesina sur la relation entre le féminisme paysan et populaire et la lutte pour une transformation du travail du care

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https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/08/30/care-economie-feministe-et-souverainete-alimentaire/?jetpack_skip_subscription_popup

Nous avons commencé à bâtir des économies féminines parce que nous vivons dans un monde inégalitaire dans lequel les femmes ont toujours contribué à la vie. Cependant, nous n'en sommes pas au centre. Pour lutter contre ces injustices, nous renforçons la rébellion des femmes dans nos paris politiques, à partir de nos propres perspectives, de la vision du monde de nos camarades autochtones et de tout le parcours des femmes dans la défense de la vie.

La Coordination latino-américaine des organisations rurales, liée à Via Campesina (CLOC-LVC), a réfléchi à un travail collectif, politique et idéologique qui met en évidence les droits humains des femmes, faisant écho et contribuant à la vie dans son ensemble. Il s'agit de la construction politique de notre pari sur un modèle différent du modèle capitaliste et patriarcal. Nous voulons dire au monde qu'il y a d'autres possibilités et d'autres visions de la vie. L'approche de la souveraineté alimentaire a été élaborée à partir des émotions, de la pensée et de l'expérience des femmes. La souveraineté alimentaire nous représente, nous inclut, reconnaît notre contribution et notre rôle de soignantes.

L'économie des soins, l'économie féministe et l'économie paysanne ne peuvent pas être séparées, car elles forment une alliance. Elles font partie du travail que nous avons fait à partir de la vision du féminisme paysan et populaire. Il est également important que nous, les femmes, puissions construire notre identité et notre autonomie. Cette identité se construit à partir de ce grand pari politique du féminisme paysan et populaire, et il est important de la nommer. Cela signifie reconnaître le rôle que nous avons joué tout au long de l'histoire.

Lorsque nous parlons de soins, nous parlons de la façon dont nous avons toujours été connectées, en prenant soin du territoire, de la communauté, des enfants, de la famille, des voisins, de tout le monde. La grande question est : quand pourrons-nous, qui sommes des leaders, des mères, des productrices, des soigneuses de la vie et de beaucoup d'autres choses sur nos territoires, prendre soin de nous-mêmes ?

La violence traverse nos corps et nous déchire, mais elle nous rassemble également pour réfléchir et construire nos agendas politiques nationaux et internationaux. À travers la construction de notre identité, la vision du monde des femmes autochtones et l'économie paysanne, nous soulevons également la question des droits sexuels et reproductifs. Le premier territoire que nous défendons et dont nous prenons soin est le corps-territoire, car c'est lui qui nous dit quand nous nous sentons bien et quand nous ne pouvons plus avancer d'un pas. Il est important de s'écouter soi-même pour pouvoir écouter les autres.

Il est important que nous puissions décider pour nous-mêmes, car personne – ni l'État, ni l'église, ni la société – ne peut décider de notre corps. Nous, les femmes, sommes très impliquées dans la production. Nous ne pourrons pas renforcer le pouvoir économique des femmes si nous ne reconnaissons pas que nous sommes des sujets de droits et que nous sommes organisées pour construire nos propres initiatives et stratégies économiques.

Il est important de travailler sur la dimension sociale de la santé, afin que nous puissions être connectées avec nos émotions et nos pensées. Le bien-être va au-delà des prescriptions et des rendez-vous médicaux. C'est d'abord la façon dont nous nous écoutons et nous définissons. Les sphères politiques, sociales, culturelles et démocratiques dans lesquelles nous sommes insérées font partie de notre stabilité émotionnelle. Nous commençons à faire cette réflexion face à tout le travail que nous réalisons pour la défense de la terre et du territoire, et contre toutes les offensives de criminalisation, de persécution et de violence. Nous avions besoin de trouver un espace de réflexion, de rencontre et d'auto-soin pour prendre soin de l'esprit, du cœur, du corps et de notre âme.

En matière de travail et de soins, l'État a une dette envers les femmes. Une dette en termes de protection sociale, avec l'appréciation des salaires, cherchant à offrir l'égalité aux femmes qui cotisent de la même manière que les hommes. C'est précisément à ce stade que se situent la lutte des classes et la division sexuelle du travail. Le travail des femmes tire parti du capitalisme et des transnationales. Elles restent souvent à la maison pour nettoyer, cuisiner et repasser afin que les hommes embauchés par les entreprises puissent aller travailler. S'occuper des enfants, s'occuper de la maison et du jardin, ce n'est pas de l'amour, c'est du travail.

Au Honduras, 58,72% du travail de conservation des semences, de production alimentaire, de prise en charge des territoires et des familles n'est pas rémunéré. Le gouvernement est en train de rédiger une loi sur les politiques de soins, et nous avons contribué à nos travaux sur les soins et l'économie des femmes. Nous nous fatiguons aussi, nous sommes également présentes, nous contribuons également à l'économie de notre société. Nous ne proposons pas un débat sur qui est le meilleur, ni une compétition entre hommes et femmes. Nous luttons contre un système prédateur, capitaliste et sexiste qui viole nos droits humains en tant que femmes et nous tue.

Pour La Via Campesina, mettre la question des droits aux soins à l'ordre du jour signifie également réfléchir à la manière de travailler sur cette question dans les territoires. Nous avons construit une partie importante, qui est l'incidence et la construction permanente d'alliances avec des organisations nationales et internationales, féministes, autochtones, paysannes et tous les secteurs auxquels nous nous identifions. Il est également nécessaire d'établir des alliances avec l'État. Et il est important que nos processus de formation et nos écoles de formation politique valorisent toujours les contributions des femmes. Nous sommes celles qui soutiennent et changent la vie, puisque nous prenons soin de tout le monde. C'est pourquoi il est important que nos esprits, nos cœurs et notre contribution économique atteignent l'autonomie dont nous avons besoin.

Yasmín López est une femme paysanne, autochtone et féministe. Elle est membre de la commission politique de La Via Campesina du Honduras, est conseillère auprès du Conseil pour le Développement Intégral des paysannes [Desarrollo Integral de la Mujer Campesina – CODIMCA] et coordinatrice de la commission politico-pédagogique de l'École de Formation paysanne Margarita Murillo. Cet article est une version éditée de sa présentation lors du webinaire « Construire des propositions féministes d'économie et de justice environnementale » organisé par les Amis de la Terre International, la Marche Mondiale des Femmes, Capire et Radio Mundo Real le 15 juillet 2025.

Édition par Helena Zelic
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : espagnol

https://capiremov.org/fr/analyse/care-economie-feministe-et-souverainete-alimentaire/

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Les associations féminines malaisiennes réclament un financement durable et des réformes en matière d’égalité des sexes dans le budget 2026

Les associations féminines appellent le gouvernement à mettre à profit le budget 2026 pour combler les inégalités de longue date entre les sexes, qu'il s'agisse du financement (…)

Les associations féminines appellent le gouvernement à mettre à profit le budget 2026 pour combler les inégalités de longue date entre les sexes, qu'il s'agisse du financement des refuges et des services d'aide aux victimes, du soutien aux femmes ménopausées ou de la participation politique des femmes.

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https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/16/les-associations-feminines-malaisiennes-reclament-un-financement-durable-et-des-reformes-en-matiere-degalite-des-sexes-dans-le-budget-2026/?jetpack_skip_subscription_popup

Le Centre des femmes pour le changement (WCC) de Penang, qui a fourni une assistance psychologique d'urgence à près de 600 nouvelles personnes l'année dernière, a déclaré que les allocations fédérales restaient trop « ponctuelles » et axées sur des projets, ce qui rendait difficile la planification à long terme pour les ONG.

« Un budget de fonctionnement à long terme est nécessaire, non seulement pour les projets à court terme, mais aussi pour assurer la continuité des services qui protègent les plus vulnérables », a déclaré la directrice exécutive Karen Lai à FMT.

Elle a expliqué que le « budget de fonctionnement » correspond à des allocations flexibles qui permettent aux ONG de réagir efficacement sur le terrain, soulignant qu'un modèle similaire est déjà utilisé au niveau de l'État.

L'organisation Women's Aid Organisation (WAO) a également réclamé un financement durable et a invité Putrajaya à fournir un soutien opérationnel 24 heures sur 24, à financer des formations sur la prise en charge des traumatismes et à créer une ligne budgétaire dédiée à la lutte contre le harcèlement et les abus en ligne.

« Le financement du fonctionnement doit couvrir les dépenses essentielles telles que le loyer, les services publics, la nourriture, la sécurité, les transports et les frais médicaux afin de garantir le fonctionnement 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 des refuges et des lignes d'assistance téléphonique », a déclaré la WAO.

Le Gender Budget Group (GBG), une coalition de 24 ONG et 18 universitaires, a quant à lui souligné les lacunes en matière de santé des femmes. Il a déclaré que la politique de santé du pays a maintes fois négligé les questions liées à la ménopause, alors que de nombreuses études la citent comme un facteur majeur dans le départ des femmes du marché du travail.

S Indramalar, chercheuse féministe à l'Universiti Malaya et à l'Université Monash de Malaisie, a déclaré que le gouvernement devrait financer une analyse des besoins nationaux afin de saisir les réalités auxquelles sont confrontées les femmes malaisiennes, car les études existantes ont tendance à se concentrer uniquement sur les symptômes et le traitement.

Elle a également invité le gouvernement à intégrer l'aide à la ménopause dans les prestations Perkeso et EPF afin de garantir que toutes les femmes actives, y compris celles du secteur informel, aient accès à une prise en charge minimale.

« Cependant, les aménagements du lieu de travail au quotidien, tels que les horaires flexibles ou des espaces de travail rafraîchis, devraient relever de la responsabilité des employeurs. Idéalement, il s'agit d'une responsabilité partagée, le gouvernement proposant des lignes directrices nationales et des incitations fiscales, et les employeurs adaptant leur soutien pratique », a-t-elle déclaré.

Le GBG a également préconisé des réformes destinées à combler le fossé en matière de postes de responsabilité, et notamment l'instauration de quotas pour les femmes au Parlement et d'un fonds pour la participation politique.

Les femmes n'occupent actuellement que 13,5% des sièges au Dewan Rakyat, ce qui est bien en deçà des normes internationales en matière de parité entre les sexes.

Ong Bee Leng, présidente-directrice générale de la Penang Women's Development Corporation (PWDC), a déclaré que ce fonds pourrait être conçu selon un modèle hybride, soutenu à la fois par des ressources publiques et par les partis politiques.

« Les fonds publics inciteraient tous les partis à présenter davantage de candidates, en particulier les petits partis qui connaissent des difficultés financières. Au sein des partis politiques, l'intégration de la dimension de genre dans les budgets lors des contrôles annuels peut garantir que les ressources sont affectées de manière équitable au renforcement de la participation des femmes », a-t-elle déclaré.

Lynelle Tham
https://www.freemalaysiatoday.com/category/nation/2025/10/06/womens-groups-urge-sustainable-funding-gender-reforms-in-2026-budget

Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de Deeplpro
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76534

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