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Lettre de Mahmoud Khalil, prisonnier politique palestinien en Louisiane

Le pouvoir trumpiste a jeté en prison Mahmoud Khalil, militant palestinien et figure du mouvement étudiant de solidarité avec Gaza aux États-Unis. Dans cette lettre, dictée (…)

Le pouvoir trumpiste a jeté en prison Mahmoud Khalil, militant palestinien et figure du mouvement étudiant de solidarité avec Gaza aux États-Unis. Dans cette lettre, dictée depuis sa prison dans l'État de Louisiane, celui-ci revient sur les conditions et la signification politique de son arrestation arbitraire, tout en soulignant la contribution de son ancienne université, Columbia, à cette odieuse répression de la solidarité.

20 mars 2025 | tiré contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/lettre-mahmoud-khalil-prisonnier-politique-palestinien-etats-unis-trump/

Je m'appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane, où je me réveille dans le froid et passe de longues journées à être témoin des injustices silencieuses qui frappent un grand nombre de personnes privées de toute protection légale.

Qui a le droit d'avoir des droits ? Certainement pas les êtres humains entassés dans les cellules ici. Pas plus que ce Sénégalais que j'ai rencontré, privé de liberté depuis un an, bloqué dans une situation juridique incertaine, tandis que sa famille demeure à des milliers de kilomètres. Ni ce jeune homme de 21 ans, arrivé aux États-Unis à l'âge de neuf ans, aujourd'hui expulsé sans même avoir eu droit à une audience.

Dans ces centres de détention, la justice échappe aux contours de cette nation.

Le 8 mars, des agents du DHS m'ont interpellé alors que je rentrais d'un dîner avec ma femme. Ils ont refusé de me présenter un mandat et nous ont accostés de manière brutale. Les images de cette nuit-là sont désormais publiques. Avant même d'avoir le temps de comprendre ce qui se passait, on m'a menotté et forcé à monter dans une voiture banalisée. Ma seule inquiétude, à ce moment-là, était pour Noor. Je ne savais pas si elle aussi allait être arrêtée, car les agents l'avaient menacée d'arrestation simplement parce qu'elle refusait de me quitter.

Pendant des heures, le DHS n'a rien voulu me dire. J'ignorais la raison de mon arrestation et si j'allais être expulsé immédiatement. À 26 Federal Plaza1, j'ai dormi sur le sol glacé. Au petit matin, on m'a transféré vers un autre centre à Elizabeth, New Jersey, où j'ai encore dormi par terre, sans couverture malgré mes demandes.

Mon arrestation est une conséquence directe de l'exercice de ma liberté d'expression : j'ai milité pour une Palestine libre et dénoncé le génocide en cours à Gaza, qui a repris de plus belle lundi soir. Depuis la rupture du cessez-le-feu en janvier, les parents de Gaza se retrouvent à nouveau à bercer des linceuls trop petits, tandis que les familles doivent choisir entre la famine, l'exode ou les bombes. Il est de notre devoir moral de poursuivre le combat jusqu'à leur libération totale.

Je suis né dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, dans une famille qui a été déplacée de sa terre depuis la Nakba de 1948. J'ai grandi en étant à la fois proche et étranger à ma patrie. Mais être Palestinien, c'est une expérience qui transcende les frontières.

Je reconnais dans ma situation des parallèles avec la détention administrative qu'Israël utilise pour priver les Palestiniens de leurs droits – l'incarcération sans accusation ni procès. Je pense à notre ami Omar Khatib, emprisonné par Israël sans inculpation alors qu'il rentrait de voyage. Je pense auDr Hussam Abu Safiya, pédiatre et directeur d'hôpital à Gaza, capturé par l'armée israélienne le 27 décembre et toujours détenu dans un camp de torture israélien. Pour les Palestiniens, l'emprisonnement sans procédure judiciaire est devenu une réalité banale.

J'ai toujours cru que mon rôle n'était pas seulement de me libérer de l'oppresseur, mais aussi d'aider mes oppresseurs à se libérer de leur haine et de leur peur.

Ma détention injuste illustre parfaitement le racisme anti-palestinien qui s'est intensifié sous les administrations Biden et Trump. Depuis 16 mois, les États-Unis continuent de fournir des armes à Israël pour massacrer des Palestiniens et bloquent toute intervention internationale. Depuis des décennies, cette hostilité envers les Palestiniens a servi à justifier l'expansion des lois et pratiques répressives qui visent aujourd'hui non seulement les Palestiniens, mais aussi les Arabes-Américains et d'autres communautés. C'est précisément pour cela que je suis pris pour cible.

Pendant que j'attends des décisions judiciaires qui détermineront l'avenir de ma femme et de notre enfant à naître, ceux qui ont facilité ma persécution restent confortablement installés à l'Université Columbia. Les présidentes Nemat Shafik, Katrina Armstrong et la doyenne Keren Yarhi-Milo ont ouvert la voie à mon arrestation en réprimant arbitrairement les étudiants pro-palestiniens et en laissant se propager des campagnes de harcèlement en ligne, fondées sur des mensonges racistes et de la désinformation.

Columbia m'a ciblé pour mon activisme

L'université a instauré un nouveau bureau disciplinaire autoritaire, conçu pour contourner la procédure régulière et faire taire les étudiants qui critiquent Israël. Elle a cédé aux pressions du gouvernement fédéral en transmettant des dossiers d'étudiants au Congrès et en se pliant aux dernières menaces de l'administration Trump.

Mon arrestation, l'expulsion ou la suspension d'au moins 22 étudiants de Columbia – certains étant privés de leur diplôme à quelques semaines de la remise des diplômes – et l'expulsion du président du Student Workers of Columbia (SWC), Grant Miner, à la veille de négociations contractuelles, en sont des preuves éclatantes.

S'il y a bien une chose que ma détention démontre, c'est la force du mouvement étudiant dans l'évolution de l'opinion publique en faveur de la libération de la Palestine. Les étudiants ont toujours été en première ligne du changement : ils ont combattu la guerre du Vietnam, ont été au cœur du mouvement des droits civiques, et ont mené la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud. Aujourd'hui, même si l'opinion publique ne le perçoit pas encore pleinement, ce sont encore les étudiants qui nous guident vers la vérité et la justice.

L'administration Trump me prend pour cible dans le cadre d'une stratégie plus large visant à écraser la dissidence. Les titulaires de visas, les détenteurs de cartes vertes et même les citoyens américains seront de plus en plus attaqués pour leurs convictions politiques.

Dans les semaines à venir, les étudiants, militants et élus devront s'unir pour défendre le droit de manifester pour la Palestine. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement nos voix, mais les libertés civiles fondamentales de tous.

Je sais que ce moment dépasse ma propre situation. Mais malgré cela, j'espère être libre pour assister à la naissance de mon premier enfant.
Lire hors-ligne :

Références

références ⇧1 26 Federal Plaza est un bâtiment fédéral situé à New York. Il abrite plusieurs agences gouvernementales, dont des bureaux du Department of Homeland Security (DHS) et de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE), qui s'occupent notamment des questions d'immigration et de détention des migrants.

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La “capitulation” de l’université Columbia face à Trump

25 mars, par Courrier international — , , ,
Loin d'incarner la résistance au président, les fleurons de l'enseignement supérieur américain semblent tétanisés, voire résignés. À l'image de l'université Columbia, qui a (…)

Loin d'incarner la résistance au président, les fleurons de l'enseignement supérieur américain semblent tétanisés, voire résignés. À l'image de l'université Columbia, qui a accepté l'essentiel des demandes du gouvernement Trump pour ne pas perdre ses financements fédéraux.

Tiré de Courrier international. Légende la photo : Sur le campus de l'Université Columbia, à Manhattan, en mars 2020. Photo Hiroko Masuike/The New York Times.

“Face à Trump, les universités passent à toute vitesse de ‘Nous ne plierons pas' à une tactique d'apaisement”, observe The Wall Street Journal, quelques jours après que Columbia “a cédé vendredi [21 mars] à une liste considérable d'exigences du président, qui l'avait privée de 400 millions de dollars de financements fédéraux”.

La prestigieuse université new-yorkaise “s'est retrouvée dans le viseur pour sa gestion des manifestations propalestiniennes de l'an dernier”, rappelle le quotidien. Le gouvernement l'accuse d'avoir laissé prospérer l'antisémitisme sans protéger les étudiants et enseignants juifs.

Dans un document de 4 pages, qu'a signalé sa présidente par intérim Katrina Armstrong, Columbia dit revoir sa gestion des mouvements étudiants en embauchant un nouveau service de sécurité interne, dont les agents “pourront expulser des personnes du campus ou les arrêter”, rapporte The New York Times. L'université va aussi “adopter une définition formelle de l'antisémitisme, alors que de nombreuses universités s'y étaient refusées”.

Une peur généralisée

Son cas a valeur d'exemple, souligne le Wall Street Journal : “D'autres établissements ont suivi de près plusieurs jours de négociations tendues” avec l'exécutif, qui a fait de l'enseignement supérieur une cible prioritaire.

“Les dirigeants d'université, coincés entre le gouvernement Trump et leur corps enseignant, de tendance progressiste, tentent discrètement de se faire des amis à Washington, écrit le journal, sur fond d'inquiétude généralisée à propos des budgets affectés à la recherche, des aides aux étudiants et de l'offensive de la Maison-Blanche pour pousser vers la droite le monde universitaire.”

Pour les grandes universités, les diverses sources de fonds fédéraux représentent souvent “un quart ou plus du budget de fonctionnement”, note le quotidien.

“Nous ne plierons pas”, avait lancé le président de l'American Council on Education – organisation regroupant les établissements du supérieur –, Ted Mitchell. Mais pour l'instant, le monde universitaire est pris à la gorge. “Il y a énormément de peur. Je n'ai jamais rien vu de tel”, déclare le président de l'Université wesleyenne, dans le Connecticut. “Beaucoup de gens n'osent pas s'exprimer.”

“Oui, M. le président”

Dans les colonnes du New York Times, un professeur et ancien doyen de Columbia, Jonathan Cole, dénonce une “capitulation” de son université, avec de tristes conséquences.

“Si Columbia permet à des dirigeants aux tendances autoritaires de nous dicter ce que nous pouvons enseigner, alors le gouvernement fédéral dictera ce que nous pouvons lire, les ouvrages que nos bibliothèques peuvent acquérir, les œuvres que nous pouvons montrer, les problèmes sur lesquels les scientifiques peuvent se pencher”, écrit-il.

  • “Nous ne serons donc plus une université libre.”

Même son de cloche chez la chroniqueuse du journal de gauche The Guardian Margaret Sullivan : “Columbia aurait dû dire : ‘Rendez-vous au tribunal' et pas ‘oui, M. le président”, lance-t-elle en titre. Elle aussi parle de “capitulation”.

“Douloureuse leçon”

Au contraire, le New York Post se réjouit – même si le tabloïd conservateur attend de voir l'université mettre en œuvre ses annonces. “Trump a au moins contraint Columbia à FAIRE SEMBLANT de sévir contre la haine”, lit-on en tête d'un éditorial.

“Une douloureuse leçon pour Columbia”, résume aussi l'édito du Wall Street Journal. “L'université a trahi ses étudiants juifs et sa principale mission, elle en paie aujourd'hui le prix”, affirme ce titre conservateur de référence.

L'éditorial applaudit l'adoption d'un principe de neutralité de l'institution sur les questions politiques controversées. Il juge aussi “particulièrement remarquables” les concessions “ayant trait aux études universitaires, à la sélection à l'entrée et au recrutement d'enseignants”. Columbia prévoit ainsi de mener “un examen approfondi de son éventail de programmes sur diverses régions du monde […] en commençant immédiatement par le Moyen-Orient”.

Le Wall Street Journal voit dans ces mesures le début d'un retour bienvenu des universités “à leur mission traditionnelle”, dont elles s'étaient, selon lui, écartées.

Courrier international

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Le Yémen au bord du gouffre

25 mars, par Gilbert Achcar — , ,
Maintenant que Trump est revenu à la Maison Blanche avec beaucoup plus d'arrogance que lors de son premier mandat, la possibilité d'une nouvelle escalade de la guerre au Yémen (…)

Maintenant que Trump est revenu à la Maison Blanche avec beaucoup plus d'arrogance que lors de son premier mandat, la possibilité d'une nouvelle escalade de la guerre au Yémen avec une implication directe des États-Unis est devenue très réelle.

19 mars 2025

Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Abonné·e de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/190325/le-yemen-au-bord-du-gouffre
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.

Notre réaction naturelle à toute attaque étatsunienne contre un pays du Sud mondial est de la condamner, et c'est tout à fait correct. Les attaques étatsuniennes contre le Yémen ne font pas exception, d'autant plus qu'elles s'accompagnent de l'arrêt de l'aide humanitaire à une grande partie de ce pays pauvre et affligé. Cela est tout à fait cohérent avec le cours impérialiste poursuivi par les États-Unis dans l'Orient arabe en particulier, qui s'est fortement intensifié depuis l'agonie de l'Union soviétique, suivie de son effondrement. Depuis lors, nous avons assisté à une première guerre contre l'Irak, suivie d'une guerre de basse intensité accompagnée de l'étranglement du pays par le biais d'un embargo criminel, affectant principalement la population civile, et enfin de l'occupation et de ses conséquences désastreuses dont l'Irak continue de pâtir. Cela s'ajoute aux opérations de bombardement qui ont suivi et qui ont transformé l'Irak, le Yémen et la Syrie en un champ de tir pour les forces armées étatsuniennes, qui bombardent qui elles veulent, quand elles veulent et comme elles veulent avec leurs avions, leurs missiles et leurs drones.

Tout ce qui précède relève de la nature des choses, car il s'agit du comportement d'un État impérialiste qui est la plus grande puissance militaire du monde. C'est précisément pour cette raison que les régimes qui s'opposent à cette superpuissance doivent éviter tout ce qui pourrait lui donner un prétexte à une attaque militaire, même lorsqu'ils font l'objet de divers abus de sa part. Par exemple, Cuba fait l'objet d'un embargo criminel depuis des décennies, mais son gouvernement est trop intelligent pour s'engager dans des actions qui donneraient à Washington un prétexte pour lancer une attaque militaire sur l'île, qui exacerberait gravement sa crise économique. Imaginez, par exemple, si Cuba décidait de bombarder des navires étatsuniens dans sa zone maritime en réponse à son étranglement par Washington. Un tel comportement serait tout à fait légitime du point de vue moral, mais très périlleux d'un point de vue pratique, compte tenu des malheurs qu'il entraînerait inévitablement sur l'île.

De ce point de vue, le comportement des Houthis en bombardant des navires étatsuniens en mer Rouge est similaire à l'hypothèse ci-dessus. Il est légitime d'un point de vue moral : la solidarité avec le peuple de Gaza n'est pas seulement légitime, mais elle est même un devoir. Cependant, attaquer les navires d'une superpuissance dans un passage maritime international est un comportement périlleux en termes de conséquences potentielles. Il est de nature à entraîner des calamités pour le peuple yéménite, qui n'en a certainement pas besoin, compte tenu de tout ce qu'il a enduré au cours d'une guerre dévastatrice qui a commencé il y a dix ans et qui n'a pas encore pris fin, et de la pauvreté et de la famine qui sévissent dans ses rangs.

Tandis que les États-Unis n'ont pas subi de dommages significatifs en conséquence des actions des Houthis, et qu'Israël n'a subi que des dommages mineurs, la principale victime a été l'Égypte, dont les revenus provenant des droits de passage par le canal de Suez ont diminué de 60 % en 2024 par rapport à l'année précédente, soit une perte de 7 milliards de dollars – considérable pour un pays aux prises avec une crise économique qui ne fait que s'aggraver. En fait, une grande partie du peuple yéménite voit les actions des Houthis très différemment de ceux qui applaudissent leurs actions depuis l'étranger comme s'il s'agissait d'actes héroïques. Dans l'autre moitié du Yémen, il y a ceux qui voient dans le comportement des Houthis une manœuvre politique du gouvernement de Sanaa dans son conflit confessionnel et politique avec eux, tout en profitant de l'occasion pour attiser les sentiments des habitants du nord afin de dissimuler son échec économique majeur.

La vérité est que le régime houthi, dont le nom officiel est « Ansar Allah » (Partisans de Dieu), est d'une nature sociale et politique profondément réactionnaire, imprégnée d'obscurantisme et ressemblant au régime des talibans en Afghanistan. Il a résulté d'un coup d'État réactionnaire contre le règlement démocratique légitime qui a émergé du soulèvement populaire de 2011. Il l'a fait par le biais d'une brève alliance avec le président déchu Ali Abdallah Saleh, qui ne partageait avec les Houthis que l'affiliation confessionnelle. Le régime houthi a exploité l'atmosphère de mobilisation créée par ses actions en mer Rouge pour resserrer son emprise répressive sur la société, attaquant même les organisations humanitaires à la manière des talibans, en arrêtant plus de 100 de leurs membres à un moment où le Yémen a un besoin urgent d'aide et de secours internationaux.

L'escalade des frappes militaires étatsuniennes sur les zones contrôlées par les Houthis semble même être survenue à la demande des dirigeants de l'autre moitié du Yémen. Jusqu'à présent, Washington s'était contenté de frappes limitées, car les actions des Houthis n'ont pas constitué une menace importante. En effet, toutes les attaques des Houthis contre les navires de guerre étatsuniens au moyen de missiles balistiques et de drones ont été contrecarrées en raison de leur technologie inférieure (c'est en fait une chance, car si les Houthis avaient frappé l'un de ces navires et tué une partie de son équipage, leur territoire aurait été soumis à un assaut bien plus destructeur que ce que nous avons vu jusqu'à présent).

Il y a deux mois, le Guardian de Londres citait Aidarous al-Zubaidi, vice-premier ministre du gouvernement yéménite internationalement reconnu et chef du Conseil de transition du Sud, appelant le nouveau président américain à intensifier l'attaque contre les Houthis, et critiquant l'administration précédente pour son manque de fermeté face à eux. Al-Zubaidi a également appelé à une coordination entre les frappes étatsuniennes et les attaques terrestres des forces gouvernementales yéménites, ce dont nous pourrions bientôt être témoins. Si cela se produisait, les actions des Houthis auront ouvert la voie à une nouvelle guerre au Yémen, avec une intervention militaire directe des États-Unis cette fois-ci. Cela serait cohérent avec l'hostilité de l'administration Trump envers l'Iran, le parrain des Houthis, qui dépasse de beaucoup celle de l'administration Biden.

Lorsque Donald Trump était président pour la première fois, une majorité du Sénat a voté en 2019 pour mettre fin au soutien américain à l'intervention saoudienne au Yémen. La résolution avait été initiée par Bernie Sanders. Trump l'a annulé avec un veto présidentiel. Lorsque Joe Biden lui a succédé à la Maison Blanche, l'une de ses premières décisions a été de suspendre les ventes d'armes au royaume saoudien et aux Émirats arabes unis (notez la différence avec l'attitude de Biden envers l'État sioniste). Maintenant que Trump est revenu à la Maison Blanche avec beaucoup plus d'arrogance que lors de son premier mandat, la possibilité d'une nouvelle escalade de la guerre au Yémen avec une implication directe des États-Unis est devenue très réelle, dans le cadre de la pression étatsunienne sur Téhéran et de la menace brandie par Trump d'une agression militaire directe contre le territoire de l'Iran.

Traduit de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 18 mars. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Turquie : un mouvement de masse se construit contre le coup de force d’Erdogan

25 mars, par Uraz Aydin — , ,
Uraz Aydin répond à nos questions sur la mobilisation qui se construit actuellement en Turquie après l'arrestation du maire d'Istanbul, qui est vu comme le principal concurrent (…)

Uraz Aydin répond à nos questions sur la mobilisation qui se construit actuellement en Turquie après l'arrestation du maire d'Istanbul, qui est vu comme le principal concurrent à Erdogan dans la course à la prochaine élection présidentielle.

Tiré d'Inprecor
2 mars 2025

Par Uraz Aydin

Peux-tu raconter ce qui s'est passé avec l'arrestation du maire d'Istanbul ?

Le matin du 19 mars, Ekrem Imamoğlu, le maire d'Istanbul, a été mis en garde à vue avec une centaine d'autres personnels de la mairie avec comme motif « corruption » et « lien avec le terrorisme ». Le jour précédant, son diplôme d'université (obtenu il y a 30 ans) a été annulé arbitrairement, dans l'objectif bien entendu d'empêcher sa candidature à la prochaine élection présidentielle. Ekrem Imamoğlu, ayant remporté deux fois les élections municipales d'Istanbul – en 2019 et en 2024 – comme candidat du CHP (Parti républicain du peuple, centre gauche laïque), s'est érigé au fil du temps comme le principal adversaire d'Erdogan.

Il était prévu que le 23 mars, le CHP tienne ses « pré-élections » pour décider de son candidat en vue du prochain scrutin, prévu normalement pour 2028 mais qui aura très probablement lieu plus tôt, pour permettre à Erdogan de se présenter une dernière fois. À moins qu'il n'y ait un changement de constitution, ce qui est aussi discuté. L'objectif de cette opération est donc très clair : rendre le principal candidat de l'opposition inéligible, criminaliser sa gestion de la mairie d'Istanbul et peut-être même y nommer un administrateur à la place du maire élu, comme cela se passe depuis plusieurs années dans les municipalités du Kurdistan, dans le sud-ouest de la Turquie.

Peux-tu décrire la mobilisation face à cela ?

Nous en sommes aujourd'hui au troisième jour des mobilisations. Le CHP appelle tous les jours à se rassembler devant la mairie d'Istanbul. Plusieurs dizaines de milliers de personnes participent à ce rassemblement. Bien entendu, en plus des membres et sympathisants du CHP, tous les secteurs de l'opposition se mobilisent, y compris la gauche radicale, contre ce qui est désormais nommé « le coup d'État du 19 mars ».

Il faut bien se rappeler que le pays vit dans une atmosphère de répression permanente depuis la révolte de Gezi en 2013. La fin des négociations avec le mouvement kurde, la remilitarisation de la question kurde et la reprise de la guerre, la tentative de coup d'État réalisé par les anciens alliés d'Erdogan et l'État d'urgence décrété à la suite, l'interdiction des grèves et la répression des mouvements féministe et LGBTI+ sont les principaux jalons du développement de l'autoritarisme articulé à la construction d'un régime autocratique dirigé par Erdogan. Nous sommes donc dans un pays où les mobilisations se font rares, où le réflexe de protester dans la rue est devenu assez inhabituel et risqué pour les citoyens ordinaires. Mais malgré cela et l'interdiction des rassemblements à Istanbul, il y a des mobilisations importantes et surtout un état d'esprit de contestation qui se ressent dans la rue, les lieux de travail, les transports en commun etc.

Dans la deuxième soirée dans beaucoup de quartiers d'Istanbul et dans des dizaines d'autres villes, les citoyen·nes sont sorti·es protester, avec pour principaux slogans « gouvernement démission ! », « à bas la dictature de l'AKP ! », « Pas de libération individuelle ! Tous ensemble ou aucun d'entre nous ! ».

Et au niveau de la jeunesse, quelle est l'ampleur de la mobilisation ?

Justement l'élément le plus important et celui qui surprend le plus est la mobilisation des étudiants des universités. Les universités ont été dépolitisées depuis des années, les mouvements de la gauche radicale y sont faibles et leur capacité d'action est drastiquement réduite. Donc la génération étudiante actuelle, si elle a probablement grandi avec les histoires de la révolte de Gezi raconté par ses parents, n'a presque aucune expérience d'organisation et de mobilisation. Ceci est valable même pour les jeunes militant·es révolutionnaires qui n'ont pas non plus eu l'occasion de « faire leur travail » dans les facs.

Mais malgré cela, par le biais d'une « secousse électrique » comme disait Rosa Luxembourg (1), on voit une radicalité spontanée s'éveiller dans les universités. Il y bien entendu beaucoup de facteurs sociaux-économiques (objectifs) et culturel-idéologiques (subjectifs) qui confluent pour forger cette mobilisation. Il faudra y réfléchir plus tard. Mais le fait que dans un pays qui s'appauvrit, où il est difficile de trouver du travail, qui n'offre aucun « promesse de bonheur » à la jeunesse, où des années d'études ne signifient presque plus rien sur le marché du travail, le fait qu'un diplôme puisse être annulé avec une simple pression du gouvernement sur l'université est aussi un élément qui a probablement contribué à réaliser cette secousse, dans un secteur de la jeunesse qui y était plus ou moins prédisposé.

Quel est le niveau d'impact de cette radicalisation étudiante sur les protestations ?

Je pense qu'elle bouscule tout, et oblige le CHP à sortir de ses schémas préconstruits d'opposition. Le président du CHP Özgür Özel a appelé, comme je l'ai dit, à se rassembler devant la mairie d'Istanbul. Mais il faut avouer qu'aucune préparation sérieuse n'avait été faite pour accueillir des dizaines de milliers de personnes. Le principal objectif était d'appeler les citoyens à voter aux pré-élections du 23 mars et de démontrer ainsi la légitimité d'Imamoğlu face au régime, mais aussi de continuer le « combat » au niveau judiciaire, en faisant appel, etc.

Face à cela, les slogans les plus scandés par la jeunesse (qui constituait la majorité des rassemblements devant la maire) a été « la libération est dans la rue, pas dans urnes » ou bien « la résistance est dans la rue, pas dans les urnes ». Face à cette pression de la jeunesse qui a réussi plusieurs fois à briser les barrières de polices devant les facs, qui a défilé massivement à Ankara à l'université d'ODTÜ et a affronté les CRS, qui a obligé la police à envoyer des véhicules d'intervention anti-émeute dans les universités (notamment à Izmir), qui n'a pas voulu se disperser à la fin des rassemblements officiel du CHP et a voulu marcher vers Taksim (lieu symbolique historique de la résistance depuis le massacre du 1er Mai 1977 à la révolte de Gezi), la direction du CHP a dû céder. Özgür Özel a appelé le peuple à « déferler sur les places ». « Si des obstacles sont érigés devant nous sur la base d'un ordre contraire à la loi, renverser les, sans blesser la police » a-t-il ajouté. Ce qui est quand même assez exceptionnel. Özel a aussi accepté d'installer une deuxième tribune a Saraçhane, pour les étudiants.

Comment peut-on lier cette situation avec ce qui passe au Kurdistan, avec le « processus » de paix ?

C'est un processus très contradictoire mais que nous avons déjà vécu. N'oublions pas que lors de la révolte de Gezi en 2013, lorsque l'ouest du pays s'enflammait, il y avait des négociations avec Abdullah Öcalan, leader du PKK. Et bien évidemment, alors que l'opposition radicale au régime venait habituellement des régions kurdes, ou bien du mouvement kurde, cette fois-ci leur participation est naturellement plus limitée. Cependant nous avons vu que ces deux dynamiques de contestation avaient convergé dans la candidature de Selahattin Demirtaş, du parti de gauche pro-kurde HDP aux élections de 2015.

Aujourd'hui tandis qu'une fois encore il y a un processus de « paix » selon les kurdes, de « désarmement » selon le régime (dont on voit aussi une facette dans les accords entamés entre le Rojava et le nouveau régime syrien), l'État turc mène une campagne de répression violente envers l'opposition bourgeoise laïque, les journalistes… mais aussi contre des éléments du mouvement kurde. Pour les Kurdes, le régime veut montrer (surtout à sa propre base sociale et électorale) qu'il a toujours son gant de fer à sa portée et qu'il n'est pas question de négociation mais de « mettre fin au terrorisme ». Pour l'incarcération d'Imamoglu et d'autres maires du CHP, si une des accusations est la corruption, l'autre est le lien ou le soutien au terrorisme car le CHP avait noué une alliance informelle avec le parti du mouvement kurde lors des élections municipales de 2024 sous le nom de « consensus urbain ».

Une autre chose surprenante est que toutes les manifestations et rassemblements à Istanbul ont été interdites sauf le Newroz, fête célébrant l'arrivée du printemps dans le Moyen Orient et le Caucase, mais ayant acquis une signification politique-nationale pour le mouvement kurde depuis plusieurs décennies. Ainsi on pourrait dire que le régime d'Erdogan essaye de faire un pas de plus, décisif, dans la construction de son régime, pour renforcer son caractère néo-fasciste en soumettant les deux plus « gros morceaux », l'opposition bourgeoise laïque représenté par le CHP/Imamoglu et le mouvement kurde.

Pour ce qui est du premier, c'est en le criminalisant, emprisonnant ses représentants, peut-être l'obligeant à changer sa direction et son candidat et finalement en détruisant toute légitimité des élections. Pour le mouvement kurde, le régime essayera probablement de le « déradicaliser », d'en faire un allié au niveau national et régional (Syrie, Irak) en espérant qu'en échange de quelques acquis (dont on ne connait pour l'instant aucun détail) le mouvement quitte son combat pour une démocratisation de la totalité du pays et garantisse une existence plus pacifique avec le régime. Pour le moment le Dem Parti (anciennement HDP) a annoncé qu'il s'opposait fortement à ce « putsch civil » contre Imamoglu et les autres élus, et qu'il appelait les forces de l'opposition à protester tous ensemble en profitant du rassemblement pour le Newroz le 23 mars.

Bien entendu nous ne pouvons anticiper l'issu de cette double stratégie d'Erdogan, mais, comme le disait le marxiste italien Antonio Gramsci, il n'y a que le combat que l'on peut prévoir.

Istanbul, le 21 mars 2025

Propos recueillis par Antoine Larrache

1. R. Luxemburg, Grève des masses, parti et syndicats (1906), Paris, Maspero, 1964, pp. 114 et suivi.

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Les défis de la souveraineté alimentaire en Inde

25 mars, par Sushovan Dhar — , ,
En avril 2024, l'inflationdes prix de gros en Inde a atteint son plus haut niveau en 13 mois. Cette hausse a été principalement alimentée par l'augmentation des prix des (…)

En avril 2024, l'inflationdes prix de gros en Inde a atteint son plus haut niveau en 13 mois. Cette hausse a été principalement alimentée par l'augmentation des prix des produits alimentaires, en particulier des légumes, et par l'augmentation des coûts du carburant et de l'électricité. L'inflation basée sur l'indice des prix alimentaires à la consommation a atteint un niveau record de 8,7 % en quatre mois.

Tiré de Inprecor
10 mars 2025

Par Sushovan Dhar

Photo : Manifestation de paysannes indiennes, 2021. © Jaskaran (JK Photography), CC Wikimedia Commons.

Les consommateur.ices rurales s'en sortent moins bien que leurs homologues urbains, l'inflation globale des denrées alimentaires étant plus rapides dans les zones rurales. Cette situation affecte lourdement tous ceux et celles qui luttent déjà contre les conséquences de la faible mousson de l'année dernière (2023) et des températures caniculaires de cet été (2024) sur l'économie rurale. L'augmentation des prix des denrées alimentaires est d'autant plus violente qu'il s'agit d'une dépense essentielle que chaque ménage doit s'efforcer de couvrir. Le problème de l'inflation des prix des denrées alimentaires n'est pas nouveau, mais son impact a été amplifié par des facteurs tels que la stagnation des salaires et le chômage endémique, mais pas que.

La crise agraire

La crise agraire est le défi le plus pressant auquel l'Inde est confrontée. Cette crise comporte de nombreux aspects et facettes. Avec près de 60 % de la population engagée dans l'agriculture, le secteur agricole est un point névralgique de l'économie indienne, contribuant approximativement à 18 % du PIB du pays.

La crise agraire s'est intensifiée au début des années 1990 avec la phase de néolibéralisation qu'a connu le pays. L'usage d'engrais, déjà très important et synonyme d'augmentation des coûts de culture, fut exacerbé par les réformes néolibérales. Ces réformes entrainèrent également une diminution des subventions et des aides publiques et par conséquent une forte augmentation du prix des intrants (engrais, électricité, irrigation). Cette hausse a représenté un véritable le fardeau pour les agriculteur·ices et les petit·es exploitant·es. Une étude récente de la Foundation for Agrarian Studies a examiné en détail les coûts, les revenus, les rendements, l'utilisation d'intrants, les prix et la rentabilité de dix cultures sélectionnées dans différents États de l'Inde. Elle a mis en évidence l'augmentation de l'ensemble des coûts et la baisse de la rentabilité pour toutes les cultures.

De plus, depuis la vague de mondialisation et de libéralisation, le pays voit entrer de nombreuses multinationales dans différents secteurs de l'économie, et le secteur chimique (engrais et pesticides) n'a pas fait exception. Aujourd'hui, l'Inde est le troisième producteur d'engrais chimiques après la Chine et les États-Unis. Ces basculements économiques et la présence de ces entreprises entrainent une promotion permanente de l'agriculture intensive, érodent, voire détruisent les méthodes indigènes et traditionnelles de lutte contre les maladies et les semences de qualité et contraignent les agriculteur·ices à se tourner vers elles.

Parmi les conséquences de l'utilisation démesurée d'intrants (pratiques d'application non scientifiques, manque de sensibilisation et de mesures de sécurité), tels que les engrais chimiques et les pesticides, apparaissent logiquement la dégradation des ressources naturelles, la réduction de la productivité, l'érosion des sols, de la santé humaine et de l'environnement. Ces conséquences furent notamment mises en évidence dans des enquêtes menées sur l'ensemble du territoire indien pendant cinq décennies (1) et montrant que l'utilisation continue d'engrais azotés seuls avait un effet délétère sur la santé des sols, sur la productivité des cultures et entrainait des carences en éléments nutritifs majeurs et oligo-éléments. En 2018, un rapport de commission parlementaire permanente sur l'agriculture (2), soulignat que le taux de croissance décennal de l'agriculture a considérablement diminué, passant de 8,37 % en 1960-1970 à 2,61 % en 2000-2010.

Volume de production d'engrais azotés dans le monde en 2018, par pays (en milliers de tonnes métriques) Volume de production d'engrais azotés dans le monde en 2018, par pays
(en milliers de tonnes métriques)(Source : Statista)

La [ dette ->https://www.cadtm.org/Dette-970] paysanne

L'endettement des ménages ruraux était l'une des principales raisons du suicide des agriculteur·ices

La crise et la détresse agraire en Inde ont entraîné un endettement rural profond. De nombreux rapports soumis au gouvernement sur les suicides d'agriculteur·ices ont clairement indiqué que l'endettement des ménages ruraux était l'une des principales raisons du suicide des agriculteur·ices.

Les données de l'Office national des statistiques estiment que dans toute l'Inde, de janvier à décembre 2019, 50,2 % des ménages étaient endettés. C'est un chiffre impressionnant si l'on considère que le pays comptait 930 935 ménages agricoles en 2019.

Traduction de l'infographie : 50% of agricultural households in debt across India : 50% des ménages qui travaillent dans l'agriculture en Inde sont endettés
Average monthly income (Rs) per agricultural household : Revenu Agricole moyen (en Roupies) par ménage travaillant dans l'agriculture
% of agricultural households indebted : % des ménages travaillant dans l'agriculture qui sont endettés

En novembre 2023, dix agriculteurs endettés de l'État occidental du Maharashtra ont adressé au ministre en chef une demande désespérée. Ils étaient prêts à mettre leurs organes corporels aux enchères afin de rembourser leurs prêts. L'incident a fait sensation dans les médias, mais le battage médiatique autour de la nouvelle s'est calmé en quelques jours. La tragédie, c'est que tout ce qui décrit la détresse agraire est assez facilement balayé d'un revers de main. Ce n'est que lorsque les entreprises défaillantes sont incapables de rembourser les prêts en cours, même si elles sont en réalité en mesure de le faire, que non seulement les dirigeants politiques, mais aussi la Reserve Bank of India (RBI), jettent un anneau de protection en les autorisant à ne pas rembourser.

N'oublions pas que, selon les chiffres officiels, plus de quatre cent mille agriculteur·ices se sont suicidé·es depuis 1995. Les chiffres officieux représentent au moins le double de ce chiffre. Face à l'ampleur de cette tragédie, la tentative du gouvernement néolibéral a été de dépolitiser progressivement les suicides d'agriculteur·ices.

L'une des principales raisons de l'endettement rural est l'exclusion financière de la paysannerie indienne. Ainsi, en raison de la forte dépendance à l'égard des prêteurs privés, qui pratiquent des taux d'intérêt extrêmement élevés, d'une part, et d'une politique désastreuse des prix à la production, d'autre part, les agriculteur·ices indien·nes sont confronté·es à des tensions économiques aiguës.

Le néolibéralisme et l'agriculture

Sous le prétexte de négocier un plan de sauvetage du FMI et d'adhérer à l'OMC au début des années 1990, les principaux responsables politiques de l'État indien ont adopté le programme d'ajustement structurel néolibéral et ont commencé à mettre en œuvre des réformes dans le domaine de l'agriculture. Parmi celles-ci, la réduction des subventions aux intrants, des investissements publics dans les infrastructures rurales, de l'octroi de crédits publics au secteur rural, etc.

Ces réformes ont accru les coûts supportés par les agriculteur·ices et généré ainsi une grave crise de l'endettement, qui allait être l'un des principaux déterminants de la tragique épidémie de suicides d'agriculteur·ices et marquer, de la manière la plus évidente, la crise agraire néolibérale de l'Inde dans les années 1990 et 2000. De plus, à la même période, les « pays industrialisés » exercèrent une pression supplémentaire, par le biais des négociations de l'OMC et des mémorandums de la Banque mondiale, pour que l'Inde réduise considérablement, voire supprime, les prix minimaux de soutien (MSP) et les aides à la production de certaines cultures que l'État avait fournis afin de consolider les moyens de subsistance des agriculteur·ices.

La financiarisation de l'agriculture

Les liens entre la finance et l'agriculture se sont renforcés, notamment en 2008, alors que le capital financier lui-même cherchait à se protéger de la crise financière. Il a rapidement quitté les marchés financiers conventionnels et s'est tourné vers les marchés des matières premières agricoles et des terres, considérés comme des formes d'investissement plus sûres. Ce changement stratégique a créé une dynamique en faveur d'un nouveau mode d'accumulation, celui de l'agrobusiness financier.

En novembre 2021, l'inflation des prix de détail en Inde a atteint un niveau record de 4,91% sur trois mois, principalement en raison de l'augmentation de l'inflation alimentaire. On pense que les spéculateurs ont joué un rôle dans la hausse des prix, et qu'il fallait les décourager pour freiner l'inflation et soutenir la croissance, alors que l'économie subissait l'impact de la crise Covid-19.

La voie à suivre

C'est dans ce contexte que la persistance des manifestations menées par les agriculteur·ices contre les lois agricoles représente une revitalisation du contre-pouvoir social nécessaire pour contester et contrôler le pouvoir du capital agro-industriel dans l'appropriation de la plus-value agricole. La force et la détermination dont font preuve les mouvements paysans montrent clairement qu'ils ne croient pas aux affirmations des grandes entreprises agroalimentaires selon lesquelles elles organiseront un système plus efficace et plus productif de la ferme à la table, qui bénéficiera à la fois aux agriculteur·ices et aux consommateur·ices. Au contraire, les agriculteur·ices anticipent à juste titre un avenir dans lequel les grands négociants en céréales accaparent les marchés et fixent les bas prix auxquels ils seront contraints de vendre leurs céréales. Dans un contexte où les contradictions écologiques de la Révolution verte, telles que la baisse du niveau des nappes phréatiques, l'épuisement de la fertilité des sols et la résistance des « mauvaises herbes » et des parasites, augmentent constamment les coûts des intrants pour les agriculteur·ices sous la forme d'utilisation d'engrais et de pesticides, une baisse du prix de la production ne peut qu'intensifier la crise de l'endettement pour les agriculteur·ices. Cela pourrait en fait conduire à un exode massif des agriculteur·ices. Aujourd'hui, près de trente ans après que l'Inde a commencé à libéraliser et à privatiser son secteur agricole, il est clair qu'il n'y a pas d'emplois post-agricoles vers lesquels les cultivateur·euses déplacé·es peuvent se tourner. En fait, l'Inde a connu une croissance économique soutenue sans création d'emploi, si ce n'est une augmentation minime dans les secteurs de l'industrie et des services. La néolibéralisation de l'agriculture, responsable de l'expulsion de dizaines de millions d'agriculteur·ices, nourrit les bidonvilles urbains. C'est donc d'une véritable lutte pour la survie à laquelle sont confrontés les petit·es agriculteur·ices et les paysan·nes de l'ensemble des pays du Sud. Ils sont donc en droit de s'opposer aux projets de loi sur l'agriculture et à la politique agricole du gouvernement avec la férocité dont ils ont fait preuve.

La lutte des agriculteur·ices indien·nes est une source d'inspiration pour le mouvement mondial. Elle doit persister et persévérer pour répondre aux nombreux défis, tels que celui posé à l'agriculture par le changement climatique, et enfin atteindre la souveraineté alimentaire.

Publié par le CADTM le 7 mars 2025

1. « Long Term Fertilizer Experiments (expériences à long terme en matière
d'engrais) ».

2. « Impact des engrais chimiques et des pesticides sur l'agriculture et les secteurs connexes dans le pays » Impact of chemical fertilizers and pesticides on agriculture and allied sectors in the country.

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Justice en Syrie : quand les paroles deviennent des actes

25 mars, par Romain Ruiz — , ,
Au lendemain des massacres commis contre la communauté alaouite le 9 mars 2025, rares sont ceux qui ont cru Ahmed al-Chaara lorsqu'il annonçait la création d'une commission (…)

Au lendemain des massacres commis contre la communauté alaouite le 9 mars 2025, rares sont ceux qui ont cru Ahmed al-Chaara lorsqu'il annonçait la création d'une commission d'enquête indépendante et promettait la fin de l'impunité après 54 ans de dictature. Des paroles aux actes, il n'y a pourtant qu'un pas.

Tiré du blogue de l'auteur.

« Au nom de la liberté, ce mot-mélodie, ce Saint-Esprit, je déclare qu'arrêter une personne dont l'arme est le mot et non le fusil est au sens moral une pure pratique criminelle, et qu'un pays où le mot est considéré comme un crime pour lequel on peut être condamné est un pays qui ne mérite pas de vivre ni même d'être enterré » [1].

Dans son plaidoyer devant la Cour suprême de l'Etat, le poète Faraj Bayrakdar dénonçait en 1993 la vision de la « justice » qu'avait le régime d'Hafez al-Assad et ce sentiment, diffus, qui étreignait déjà le peuple syrien, pour qui la justice n'existait pas autrement que par le fouet, la mort et la corruption.

Pendant le demi-siècle qu'aura duré le régime criminel du clan Assad, la justice n'était pas seulement un vain mot, ce n'était plus un mot, tout court.

L'idée selon laquelle le régime pouvait être jugé, ou même traduit devant une quelconque juridiction nationale ou internationale s'était ainsi évaporée, pour n'être plus qu'un songe, pas même un rêve, encore moins un horizon.

Lorsqu'au lendemain des massacres commis contre la communauté alaouite le 9 mars 2025 Ahmed al-Chaara a annoncé la création d'une commission d'enquête indépendante pour faire la lumière sur les exactions commises par plusieurs factions liées à sa nouvelle coalition de défense nationale, peu de syriens ont donc cru à ces promesses.

Du nord au sud, de l'est à l'ouest et par delà les frontières, les observateurs nationaux et internationaux pariaient en coeur sur une répression armée, l'étouffement des massacres ou encore sur le fait que le nouveau régime fermerait comme l'ancien les yeux sur les crimes commis à l'encontre d'une communauté dont étaient issus les Assad.

Cette réaction par le droit a pris le monde à rebours.

Il s'agissait pourtant d'un signe politique simple, basique, mais au combien irréel pour un peuple qui avait depuis longtemps fait le deuil de la responsabilité de ses dirigeants.

Là où Ahmed al-Chaara espérait offrir aux syriens un moyen de « préserver l'unité nationale et la paix civile autant que possible »[2] beaucoup voyaient dans ce geste un pur engagement politicien, une nouvelle parole, sans actes.

Le 11 mars dernier, lors d'une conférence de presse à Damas, Yasser al-Farhane, membre de la commission annoncée par Charaa s'est pourtant exprimé pour annoncer que « la nouvelle Syrie est déterminée à garantir la justice, à faire prévaloir l'État de droit, à protéger les droits et libertés de ses citoyens, à empêcher toutes représailles extrajudiciaires et à garantir l'absence d'impunité »[3].

Par trois décrets du 19 mars 2025, le Ministère de la Justice syrien vient ensuite d'annoncer la révocation de plusieurs magistrats historiquement affiliés au régime Assad, la nomination de nouveaux procureurs généraux, de nouveaux juges d'instruction et de nouveaux juges civils à Deraa, à Tartous, ainsi que la création de nouveaux tribunaux.

Ces annonces vont elles-aussi dans le sens des engagements d'Ahmed al-Charaa et sonnent comme une preuve, cette fois-ci concrète, de l'engagement du nouveau régime visant à offrir au peuple syrien les moyens d'une justice transitionnelle qu'il attend depuis 54 ans et la prise de pouvoir d'Hafez al-Assad.

Le 13 février dernier, quelques jours avant que nous ne rendions à Damas avec Raphaël Kempf, le ministère de la Justice avait déjà entamé cette transition en transférant de 87 magistrats ayant exercé des fonctions au sein du « Tribunal antiterroriste » d'Assad (procureurs généraux, chargés d'investigations, membres de la Cour pénale de cassation) au département de l'inspection judiciaire afin d'enquêter sur ce qu'ils ont pu faire dans le cadre de cette juridiction où, toujours selon Faraj Bayrakdar, « même les lois d'exception étaient violées »[4].

Ce que nous avons par la suite vu en Syrie, c'est avant tout une soif infinie de justice, éprouvée par tous, du chauffeur de taxi au maitre d'hôtel, de la serveuse d'un restaurant branché de Bab Touma au vendeur de chaussettes à l'effigie de Bachar à deux pas de la mosquée des Omeyyades. C'est aussi le spectacle émouvant de centaines de syriens qui se pressent chaque jour aux abords des enceintes judiciaires, autour et à l'intérieur du palais de justice de Damas, que nous avons vu assailli par des proches de disparus, de déplacés, de manquants. Ce sont enfin ces affichettes, qui constellent les rues des visages de centaines de prisonniers de Sednaya ou d'ailleurs, collées partout par leurs familles dans l'espoir que quelqu'un ait un jour vu ce frère, ce père, cette soeur que l'on cherche depuis 10, 15 ou 20 ans.

Ancien magistrat en exil devenu juge au Tribunal de Jarablus, Abdulhay al-Tavil déclarait déjà au lendemain de la révolution du 8 décembre 2024 : « mon objectif actuel en tant que juge syrien est de rendre justice à mon peuple, de poursuivre les criminels qui ont nui à la Syrie et de garantir que les victimes de ce régime et de ses éléments criminels obtiennent leurs droits ».

Peut-être plus encore que le travail, l'indépendance ou la sureté, c'est aujourd'hui la justice que réclame un peuple qui en a été privé dans des proportions peut-être jamais connues à l'échelle de l'humanité.

Le peuple syrien n'a toutefois pas seulement besoin de justice, il a besoin de pouvoir la rendre lui-même.

Fréquemment confrontées à des périodes transitoires telle que celle qui se joue actuellement en Syrie, les nations unies ont théorisé depuis la fin des années 80 le concept de « justice transitionnelle », qui a notamment permis aux peuples argentins et chiliens de se reconstruire après la destitution de régimes militaires, ou encore les peuples sud africains et soviétiques après après la fin de l'apartheid ou la chute de l'URSS.

Or ce processus n'est pas seulement important pour l'avenir d'un peuple, il est aussi primordial pour qu'il prenne un chemin démocratique.

L'impératif de justice qui nait forcément après un traumatisme aussi important que celui subi par les syriens doit donc non seulement être mis en œuvre rapidement, mais il doit aussi l'être selon une approche locale et impliquante pour la population, sans tomber dans l'usage trop lointain des mécanismes de justice internationale tels que la CPI (à laquelle la Syrie n'est toujours pas partie), les Tribunaux spéciaux ou la traduction en justice de responsables par une ou plusieurs puissance(s) étrangère(s)).

Selon les derniers travaux du rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition de l'ONU Bernard Duhaime : « la justice transitionnelle ne prend toujours pas suffisamment en considération l'influence du colonialisme, les torts qu'il a causés et les conséquences de l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes »[5].

Dans un article publié en 2016, Matiangai Sirleaf, professeure de droit à l'université de Pittsburgh, a par ailleurs démontré l'impérieuse nécessité de laisser aux tribunaux nationaux le droit de juger eux-mêmes des crimes commis sur leur territoire[6]. Ce que démontre par ailleurs Adam Baczko dans son ouvrage consacré à l'énigmatique succès de la justice talibane, qui fait le constat de ce que « le problème empirique que nous posent les guerres civiles contemporaines n'est pas l'effondrement ou l'absence de droit mais bien la multiplication de systèmes juridiques concurrents »[7].

Toutes les études modernes démontrent d'ailleurs que la mise en œuvre d'enquêtes et le rétablissement rapide d'un pouvoir judiciaire local sont des conditions absolument décisives pour permettre la reconstruction puisqu'il s'agit pour la population d'envisager à nouveau un Etat fonctionnel et d'investir enfin des mécanismes de justice qu'elle n'a, jusqu'alors, pas connu[8].

Le sentiment d'unité nationale, la nécessité de réparation et la recherche d'un nouveau destin commun passent ainsi nécessairement par des gestes politiques forts tels que ceux récemment recensés en Syrie.

Dans ce moment historique, et alors que la légitimité du nouveau régime est contestée sur le plan international, l'investissement du nouveau pouvoir de Damas dans une justice fonctionnelle, transparente et vidée des affidés d'Assad ne peut donc qu'être salué.

Des paroles aux actes, il n'y a qu'un petit pas pour l'homme, mais un grand pour l'humanité.

Notes

[1] "Syrie le pays Brûlé - Le livre noir des Assad", p.182

[2] https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/syrie-le-president-al-charaa-sous-pression-apres-le-massacre-de-civils-alaouites-2153021

[3] https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20250311-violences-dans-l-ouest-de-la-syrie-la-commission-d-enqu%C3%AAte-d%C3%A9termin%C3%A9e-%C3%A0-garantir-la-justice

[4] https://sana.sy/fr/?p=331267

[5] Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition du 18 juillet 2024, p.18

[6] Legal Studies Research Paper Series Working Paper No. 2017-01 January 2016 “The African Justice Cascade and the Malabo Protocol” Matiangai V. S. Sirleaf

[7] Adam Baczko, « La Guerre par le droit », CNRS-Éditions, mai 2024

[8] www.europarl.europa.eu/meetdocs/2004_2009/documents/fd/droi20060828_definition_/droi20060828_definition_en.pdf

[6] Aya Mjazoub, directrice régionale d'Amnesty International pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord

[7] https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/12/syria-preserve-evidence-of-mass-atrocities/

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Les attaques d’Israël contre la santé reproductive à Gaza sont « génocidaires » selon une enquête de l’ONU

25 mars, par Association France Palestine Solidarité — , , , ,
Les experts de l'ONU affirment qu'Israël a « intentionnellement attaqué et détruit » le principal centre de fertilité du territoire palestinien. Tiré de Association France (…)

Les experts de l'ONU affirment qu'Israël a « intentionnellement attaqué et détruit » le principal centre de fertilité du territoire palestinien.

Tiré de Association France Palestine Solidarité
14 mars 2025

Photo : Des femmes gazaouies effondrées par les massacres commis par l'armée israélienne, février 2024 © Volker Türk, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme

Israël a commis des « actes génocidaires » à l'encontre des Palestiniens en détruisant systématiquement les installations de soins de santé pour les femmes pendant sa guerre contre Gaza et en utilisant la violence sexuelle comme stratégie de guerre, ont déclaré des experts des Nations unies.

Jeudi, la Commission d'enquête internationale indépendante, basée à Genève, a déclaré dans un nouveau rapport qu'Israël avait « intentionnellement attaqué et détruit » le principal centre de fertilité de Gaza, tout en empêchant les médicaments destinés aux grossesses, aux accouchements et aux soins néonatals d'entrer dans l'enclave.

Dans son rapport, la commission a constaté que les autorités israéliennes « ont détruit [...] la capacité de reproduction des Palestiniens de Gaza en tant que groupe par la destruction systématique des soins de santé sexuelle et reproductive », a-t-elle déclaré dans un communiqué.

Elle a ajouté que cela représentait « deux catégories d'actes génocidaires » au cours de l'offensive israélienne à Gaza, lancée après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.

Pour sa part, « Israël rejette catégoriquement les allégations infondées », a déclaré sa mission à Genève dans un communiqué.

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a quant à lui condamné l'enquête de l'ONU pour « fausses accusations, y compris des affirmations absurdes ».

« Le cirque anti-israélien connu sous le nom de Conseil des droits de l'homme de l'ONU est depuis longtemps considéré comme un organe antisémite, corrompu, soutenant le terrorisme et non pertinent », a déclaré M. Netanyahu dans un communiqué publié par son bureau jeudi.

Crime de guerre par homicide volontaire

Le rapport indique que les maternités et les services ont été systématiquement détruits à Gaza, de même que le centre de fécondation in vitro Al-Basma, la principale clinique de fertilité in vitro du territoire.

Il indique qu'Al-Basma a été bombardé intentionnellement en décembre 2023, détruisant environ 4 000 embryons dans une clinique qui accueillait entre 2 000 et 3 000 patients par mois.

La commission n'a trouvé aucune preuve crédible que le bâtiment était utilisé à des fins militaires.

Elle a déclaré que la destruction « était une mesure destinée à empêcher les naissances parmi les Palestiniens de Gaza, ce qui est un acte génocidaire ».

L'ancien coordinateur des affaires humanitaires de l'ONU, Martin Griffiths, a déclaré à Al Jazeera : « Il est bon que l'ONU parle maintenant de génocide, car jusqu'à présent, elle était très prudente avec ce mot ».

S'il a déclaré que les preuves du génocide étaient « incontestables » et que les conclusions étaient « attendues depuis longtemps », il s'est gardé de dire que la Cour internationale de justice (CIJ) ou la Cour pénale internationale (CPI) traduiraient les responsables en justice.

« S'agira-t-il d'une demande juridiquement exécutoire ? Je ne le pense pas », a-t-il déclaré à propos des conclusions du rapport.

Le rapport a été publié après que la commission a organisé des auditions publiques à Genève mardi et mercredi, au cours desquelles elle a entendu des victimes et des témoins de violences sexuelles.

Elle a conclu qu'Israël avait pris directement pour cible des femmes et des jeunes filles civiles, « actes qui constituent le crime contre l'humanité de meurtre et le crime de guerre d'homicide volontaire ».

La commission a ajouté que le déshabillage et la nudité forcés en public, le harcèlement sexuel, y compris les menaces de viol, ainsi que les agressions sexuelles, font partie des « procédures opérationnelles standard » des forces israéliennes à l'égard des Palestiniens.

Traduction : AFPS

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« Que doivent faire les Palestiniens ? Mourir en silence ? »

Israël a repris la guerre contre la bande de Gaza mardi 18 mars, tuant dans ses bombardements des centaines de personnes. Mediapart s'est entretenu avec Raji Sourani, avocat (…)

Israël a repris la guerre contre la bande de Gaza mardi 18 mars, tuant dans ses bombardements des centaines de personnes. Mediapart s'est entretenu avec Raji Sourani, avocat gazaoui, fondateur du Centre palestinien pour les droits humains, de passage à Paris.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
19 mars 2025

Par Gwenaëlle Lenoir, Raji Sourani

Une fois de plus, des enfants, des femmes, des hommes massacrés par dizaines, des structures de santé déjà en miettes débordées, des blessé·es et des survivant·es couvert·es de cette poussière grise du béton fracassé par les bombes israéliennes. Une fois de plus des familles à pied, le corps ployant sous les quelques biens qu'elles peuvent emporter, fuyant après en avoir reçu l'ordre de l'armée israélienne. Une fois de plus, la bande de Gaza en territoire martyr.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a donc décidé, dans la nuit de lundi 17 mars à mardi 18 mars, de lancer l'aviation israélienne contre une population, à Gaza, qui tentait tant bien que mal, au milieu des privations imposées, des deuils sans fin, de célébrer le mois de ramadan, propice aux longues veillées et au rassemblements familiaux.

Mercredi soir, Nétanyahou a pleinement assumé. Ces nouvelles frappes ne sont « que le début », a averti le premier ministre israélien. Le Hamas « a déjà ressenti notre force ces dernières vingt-quatre heures. Et je veux vous assurer, à vous et à eux : ce n'est que le début », a affirmé Benyamin Nétanyahou dans une allocution télévisée.

Du nord au sud, l'enclave a été écrasée sous les bombes mardi. Un des correspondants de la chaîne qatarie Al Jazeera en anglais sur place, Tareq Abou Azzoum, a déclaré à son média : « La plupart des bombardements aériens ont visé des quartiers densément peuplés, des écoles de fortune et des immeubles résidentiels où les gens se sont réfugiés. »
En fin de matinée mardi, le ministère de la santé à Gaza annonçait 404 morts en quelques heures, ajoutant que de nombreuses victimes se trouvaient toujours sous les décombres. Ces nouvelles tueries interviennent après près de deux mois de trêve, durant lesquels le niveau de violence infligé à la population de Gaza avait considérablement baissé.

Un communiqué du gouvernement israélien indique que ces bombardements « font suite au refus répété du Hamas de libérer [les] otages ainsi qu'à son rejet de toutes les propositions qu'il a reçues de l'envoyé présidentiel américain Steve Witkoff et des médiateurs ».

C'est pourtant bien Benyamin Nétanyahou qui, le premier, a rompu l'accord de cessez-le-feu signé avec le Hamas le 15 janvier, grâce aux médiations qatarie et égyptienne et sous forte pression des émissaires de Donald Trump, qui avait promis un arrêt de la guerre pour son investiture le 20 janvier.

L'accord, contraignant, prévoyait trois phases. La première, du 19 janvier au 1er mars, prévoyait un arrêt des hostilités, la libération des otages israélien·nes les plus fragiles encore retenu·es dans Gaza et celle de dizaines de prisonnières et prisonniers palestiniens, le retrait des soldats de l'État hébreu de la plupart des zones du territoire palestinien et le retour possible dans le nord de l'enclave de la population qui en avait été chassée.

Seule cette phase a été respectée.

La deuxième comprenait la libération du reste des captifs et captives, le retrait total de l'armée israélienne de la bande de Gaza et l'arrêt définitif des hostilités, avant le début de la reconstruction, durant la troisième phase.

Condamnations

Plusieurs jours avant le 1er mars, au lieu de négociations sur la mise en œuvre de la deuxième étape du cessez-le-feu, Benyamin Nétanyahou l'a remise en cause, exigeant la prolongation de la première phase et la libération, en une fois, de tou·tes les otages. Il a été appuyé par l'envoyé spécial américain Steve Witkoff.

Devant le refus du Hamas de céder à ces nouvelles exigences, le gouvernement israélien a, en violation du cessez-le-feu et du droit international, décidé d'interrompre toute entrée d'aide humanitaire dans l'enclave palestinienne, puis a coupé l'approvisionnement en électricité qui permettait le fonctionnement de la plus grande centrale de dessalement d'eau de Gaza.

Au moins cent personnes ont également été tuées par l'armée israélienne pendant la trêve. À chaque fois, Tel-Aviv a affirmé qu'il s'agissait de militants armés, ce que des témoins, sur place, ont, dans une partie des cas, démenti.

De nombreuses fois, le gouvernement israélien a brandi la menace d'une reprise de la guerre, alors que les familles des otages exigeaient, elles, une application de la deuxième phase pour obtenir la libération des captives et captifs vivants et le retour des dépouilles de celles et ceux qui sont morts à Gaza.

Le premier ministre a donc mis cette menace à exécution, en soulignant que les États-Unis avaient été prévenus et avaient approuvé les bombardements. Mardi dans l'après-midi, l'ambassadrice états-unienne aux Nations unies par intérim a, devant le Conseil de sécurité, rejeté l'entière responsabilité de la reprise de la guerre sur le Hamas.

Nombre d'autres États, dans le monde entier, les ONG, l'ONU ont condamné l'action israélienne ou s'en sont inquiétés.

Sur le plan intérieur israélien, sans surprise, les formations d'extrême droite se sont félicitées de la reprise des bombardements. Le parti d'Itamar Ben-Gvir, qui a quitté le gouvernement en janvier pour protester contre le cessez-le-feu, a annoncé son retour au sein du cabinet.

Les familles des otages, déjà en colère à l'annonce, dimanche, du limogeage du chef du Shin Bet, ont appelé à manifester à proximité de la résidence du premier ministre à Jérusalem, alors que plusieurs captifs récemment libérés critiquaient la décision de bombarder à nouveau Gaza, et accusaient le gouvernement d'avoir « condamné à mort » celles et ceux qui sont encore détenus dans le territoire palestinien.

Les opposants au premier ministre soulignent que ce nouvel épisode belliqueux lui évitede comparaître à son procès au pénal pour corruption, Benyamin Nétanyahou arguant de réunions urgentes de sécurité alors même que sa demande de report avait été retoquée par le parquet il y a deux jours.

Mediapart a rencontré à Paris Raji Sourani, avocat, fondateur et directeur du Centre palestinien pour les droits de l'homme (PCHR), principale organisation de défense des droits humains de la bande de Gaza. Il est quelques jours en France pour une série de rencontres qu'il mène avec Yuli Novak, présidente de l'organisation israélienne B'Tselem, et Shawan Jabarin, directeur de l'organisation Al-Haq, de Ramallah.

Mediapart : Êtes-vous surpris par la reprise des bombardements israéliens sur la bande de Gaza et le massacre perpétré la nuit dernière ?

Raji Sourani : Absolument pas. Le génocide est en cours depuis dix-huit mois et quelques. Même le cessez-le-feu du 19 janvier n'y a pas mis fin, il a simplement fait baisser le niveau des tueries. Maintenant les Israéliens les reprennent à plein régime. Et cela est possible parce que personne ne demande de comptes à Israël. Personne ne critique le génocide en cours. Personne ne veut mettre fin au génocide. Israël juge donc qu'il a le droit de tuer et de faire ce qu'il veut.

Vous avez travaillé avec l'Afrique du Sud pour la constitution et la présentation de la plainte pour génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ). Pour l'instant, les décisions de cette instance et celles de la Cour pénale internationale (CPI), les mandats d'arrêts émis contre Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant, n'ont aucun résultat concret. La justice internationale est-elle mise en échec ?

Tout d'abord, je pense que l'Afrique du Sud s'est bien comportée et qu'elle est entrée dans l'histoire lorsqu'elle a présenté le cas à la CIJ au nom de la Palestine et des Palestiniens, et qu'elle a porté la notion d'État de droit à l'attention du monde entier. Je pense que cette leçon a été très dure pour les pays occidentaux coloniaux et racistes qui, non contents de regarder le génocide sans rien faire, l'ont soutenu en disant qu'Israël pratiquait l'autodéfense.

En janvier, février et avril 2024, trois mesures provisoires consécutives ont été prises, demandant l'entrée immédiate de l'aide humanitaire et de la nourriture dans la bande de Gaza. Mais Israël ne s'y est pas plié, et le monde, une fois de plus, n'a pas agi pour mettre en œuvre ces mesures. Ensuite, nous avons eu le mémoire déposé par l'Afrique du Sud en octobre 2024. Cela signifie que vous compilez les crimes d'une année. Après cela, nous devons attendre encore six mois pour la réponse israélienne à ce sujet.

Pendant ce temps, Israël a lancé une attaque criminelle contre le nord de Gaza, une attaque sans précédent, même pour Gaza. Ensuite, ils ont entamé la deuxième phase de la guerre génocidaire en Cisjordanie. Elle a commencé à partir du nord et au-delà. Troisièmement, le blocus de Gaza a repris. Et même avec l'accord qu'ils ont conclu [le cessez-le-feu du 15 janvier – ndlr], ils ont bloqué Gaza à nouveau. Même le peu de nourriture qui était censé entrer, ils l'ont bloqué. Cela fait vingt jours.

D'un point de vue juridique, quelque chose bouge. Mais la justice est lente dans ces tribunaux, et on ne s'attend pas à ce que les choses soient conclues en six mois ou un an.

© Photo Palestinian Centre for Human Rights

La justice n'est-elle pas impuissante ? Nous avons entendu plusieurs pays, dont la France, affirmer qu'ils n'arrêteraient pas Benyamin Nétanyahou si celui-ci venait sur leur territoire, malgré le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale.

La CPI et la CIJ n'ont pas d'armée ni d'organe chargé de l'application de la loi. L'armée et l'organe chargé de l'application de la loi pour la CIJ et la CPI, ce sont les États. Donc si les démocraties occidentales éclairées ne respectent pas les décisions les plus importantes des tribunaux, qui va les appliquer ? Nous sommes au bord d'une situation sans précédent, où le droit international devient sélectif et politisé. Quelle serait la réaction si 17 000 enfants, des Israéliens, étaient tués, quelle serait la réaction si 14 000 femmes, des Israéliennes, étaient tuées ? C'est ce qui se passe à Gaza.

Avez-vous le sentiment que le peuple palestinien se voit dénier le droit au respect du droit international ?

Les Américains ont introduit la terminologie du droit à l'autodétermination, qui a ensuite été adoptée par l'ONU et est devenue partie intégrante du droit international. L'autodétermination signifie que tout peuple soumis à la répression, à l'oppression, au colonialisme a le droit de décider de son destin et de son avenir par tous les moyens. C'est exactement ce à quoi l'Ukraine a eu droit lorsqu'elle a été envahie et occupée par la Russie.

Que doivent faire les Palestiniens ? Être de bonnes victimes ? Mourir en silence ?

Devrions-nous alors être blâmés lorsque nous avons recours au droit, au droit international ? La CPI et la CIJ ne sont pas des inventions des Palestiniens, le droit international, le droit international humanitaire non plus. Ni la Convention pour la prévention du génocide. Nous y avons eu recours et nous l'avons utilisée efficacement. Mais il semble que nous vivions dans un monde où règne la loi de la jungle, et non l'État de droit.

Mais quelle est la différence entre des terroristes, des criminels et des gens civilisés ? C'est la loi. Si vous ne respectez pas la loi, si vous violez la loi, si vous commettez un crime, vous êtes le terroriste, vous êtes le criminel et c'est vous qui devriez être tenu responsable. Mais nous sommes dans Kafka : la pratique de l'occupation, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, la persécution, le génocide, tout cela est couvert.

Que doivent faire les Palestiniens ? Être de bonnes victimes ? Mourir en silence ?

Le droit international est-il mort à Gaza ?

Ils le veulent. Ils veulent que Gaza soit le cimetière du droit international.

Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les déclarations et positions du nouveau président états-unien fragilisent encore plus la loi internationale. Comment réagissez-vous à cela ?

Je ne pense pas que le monde doive agir en fonction de l'humeur de Son Excellence M. Trump. Trump a lancé une attaque sévère et sans précédent contre le système judiciaire mondial. Les deux tribunaux les plus importants de la planète, la CPI et la CIJ, sont l'objet de ses attaques. Déjà lors de son mandat précédent, il a menacé de poursuivre le procureur et les juges de la CPI. Il le refait aujourd'hui.

Aujourd'hui, les dirigeants français disent, en plein génocide, que si Nétanyahou venait en France, il serait le bienvenu et ne serait pas tenu responsable de ce que suggère la plus importante cour de justice au monde.

Nous ne voulons pas que le monde soit l'otage d'un pays, d'un président en particulier. Ils sont du mauvais côté de l'histoire. La communauté internationale, après les très dures leçons des deux guerres mondiales, a dit qu'il existait des crimes et que ceux qui les commettent doivent en répondre. Nous devons nous battre pour cela, et nous devons faire ce que nous avons à faire en tant que communauté internationale.

Vous avez reçu plusieurs récompenses honorifiques en France, de la main des présidents Jacques Chirac et Emmanuel Macron. Comment vous sentez-vous aujourd'hui vis-à-vis de ces honneurs ?

Mal, très mal. J'étais très fier d'avoir reçu ces prix dans le pays qui a diffusé mondialement la devise « liberté, égalité, fraternité ». Je pensais que c'était une reconnaissance non pas de ce que je fais personnellement, mais une reconnaissance des victimes que nous défendons, des droits que nous mettons en avant, du droit de faire respecter la justice et la dignité de l'homme dans cette partie du monde, et d'avoir notre droit à l'autodétermination. Nous avons appris de la France que la résistance, ce n'est pas seulement un droit, mais une obligation pour tout peuple libre.

Et aujourd'hui, les dirigeants français disent, en plein génocide, que si Nétanyahou venait en France, il serait le bienvenu et ne serait pas tenu responsable de ce que suggère la plus importante cour de justice au monde. Nous ne vous demandons pas d'envoyer des armes en Palestine. Nous ne vous demandons pas d'envoyer des volontaires pour prendre les armes et lutter à nos côtés. Nous ne vous demandons pas de nous soutenir légalement ou autrement, mais au moins de prendre une position de base, appropriée, contre ce qui se passe.

Il y a un génocide en cours, diffusé en direct, et le monde entier le regarde. Les Français le savent. L'Europe le sait et ils savent que c'est un crime contre l'humanité. Et ils ne font rien pour y mettre fin. C'est injuste.

Votre équipe réussit-elle à travailler dans la bande de Gaza ?

C'est presque mission impossible. Mais l'équipe accomplit un travail héroïque à Gaza en documentant tous les crimes de guerre et crimes contre l'humanité, les persécutions et le génocide qui s'y déroulent. Et en portant cela devant les plus importantes instances juridiques au monde, à savoir la CPI et la CIJ.

Vous avez des rendez-vous avec des responsables français. Qu'allez-vous leur dire ?

Arrêtez le génocide. C'est votre devoir. Nous devons choisir le monde que nous voulons. Un monde régi par l'état de droit ou par la loi de la jungle. Si vous choisissez la loi de la jungle, tout le monde en paiera le prix.

Gwenaelle Lenoir

P.-S.

• Mediapart. 19 mars 2025 à 07h39 :
https://www.mediapart.fr/journal/international/040325/alors-que-la-treve-vacille-les-etats-arabes-presentent-leur-plan-pour-gaza

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Entre Nétanyahou et la procureure générale d’Israël, la “défiance” règne

“Défiance”, titre en première page le quotidien israélien Yediot Aharonot dans son édition du 24 mars avec, dos à dos, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et la (…)

“Défiance”, titre en première page le quotidien israélien Yediot Aharonot dans son édition du 24 mars avec, dos à dos, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et la procureure générale, Gali Baharav-Miara. Le gouvernement israélien a voté dimanche 23 mars, à l'unanimité, une motion de défiance contre la juriste, qui officie également comme conseillère juridique du gouvernement, en vue d'une destitution qui serait inédite.

Tiré de Courrier international.

“Anticonstitutionnel, ce limogeage risque de faire basculer tout le système démocratique israélien dans une autre dimension”, tonne Sever Plocker, corédacteur en chef du journal, classé à droite mais assez critique du cabinet.

Elle est également “accusée à demi-mot de ‘collusion antipatriotique' avec Ronen Bar”, le chef du Shin Bet, les services du renseignement intérieur, que le cabinet israélien a décidé de limoger deux jours plus tôt, poursuit Yediot Aharonot.

Pour Sever Plocker, derrière ces attaques du pouvoir exécutif contre le pouvoir judiciaire se cache une volonté du Premier ministre de se soustraire à plusieurs procès pour corruption ainsi qu'à une commission d'enquête d'État sur la débâcle des attaques du 7 octobre 2023, en s'appuyant sur les partis extrémistes de son gouvernement.

Le titre remarque d'ailleurs l'adoption imminente d'un budget 2025 qui devrait une fois de plus faire “la part belle aux partis religieux ultraorthodoxes”. Il prévoit l'octroi de fonds “sans précédent” aux extrémistes nationalistes religieux dans leurs projets de colonisation de peuplement en Cisjordanie. Le nombre de colons israéliens pourrait “passer de 500 000 à 700 000”, une entreprise “politiquement incendiaire et budgétairement suicidaire”.

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Israël : le gouvernement limoge le chef du Shin Bet, l’agence de sécurité intérieure

Ronen Bar, dont l'annonce du renvoi a provoqué des manifestations, a assuré qu'il se défendrait devant les « instances appropriées », ce qui laisse présager une bataille (…)

Ronen Bar, dont l'annonce du renvoi a provoqué des manifestations, a assuré qu'il se défendrait devant les « instances appropriées », ce qui laisse présager une bataille judiciaire avec l'exécutif.

Tiré d'El Watan.

Le gouvernement israélien a décidé de limoger Ronen Bar, chef du Shin Bet, l'agence de sécurité intérieure, en raison d'une perte de confiance du premier ministre Benyamin Netanyahou. L'annonce a été faite le 21 mars, précisant que Ronen Bar quittera son poste dès la nomination de son successeur ou au plus tard le 10 avril.

Dans une lettre adressée aux membres du gouvernement, Netanyahou évoque une rupture de confiance professionnelle et personnelle persistante avec le directeur du Shin Bet, compromettant la capacité du gouvernement à exercer efficacement ses fonctions. Cette défiance, renforcée durant la guerre, dépasse l'échec du 7 octobre 2023, lorsque le Hamas a attaqué le sud d'Israël, déclenchant la guerre à Gaza.

Nommé en octobre 2021 pour un mandat de cinq ans, Ronen Bar a déclaré qu'il défendrait sa position devant les instances compétentes. Il a affirmé que son éviction visait à empêcher des enquêtes sur les événements ayant conduit au 7 octobre ainsi que sur d'autres affaires sensibles actuellement examinées par le Shin Bet.

L'annonce de sa révocation a provoqué de vives réactions de l'opposition et des manifestations dénonçant une menace pour la démocratie. Des milliers de personnes ont protesté devant la résidence de Netanyahou et la Knesset, sous une météo défavorable.

Une enquête interne du Shin Bet, publiée le 4 mars, a révélé des failles dans la collecte de renseignements qui auraient pu permettre d'anticiper l'attaque du Hamas. Elle a également critiqué l'exécutif, soulignant que la politique d'apaisement envers le mouvement islamiste palestinien avait contribué à renforcer les capacités militaires du Hamas.

Ronen Bar a rejeté les justifications avancées par Netanyahou, estimant qu'elles masquaient les véritables motivations de son limogeage. Il a évoqué une enquête particulièrement sensible impliquant des proches du premier ministre, suspectés d'avoir reçu des fonds du Qatar, une affaire surnommée « Qatargate » par la presse.

Cette décision intervient alors qu'Israël a repris les bombardements intensifs sur Ghaza après une période de trêve. Netanyahou a assumé la responsabilité de ces frappes, affirmant qu'elles visaient à exercer une pression sur le Hamas pour obtenir la libération des otages encore détenus. Le président israélien Isaac Herzog a exprimé son inquiétude face à cette escalade, soulignant qu'elle risquait de fragiliser la cohésion nationale.

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Haïti : dénonçons la répression sanglante du CPT contre les manifestations sur la sécurité

25 mars, par Regroupement des Haitiens de Montreal contre l’Occupation d’Haiti REHMONCO
Renel Exentus et Frank W. Joseph pour le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’Occupation d’Haïti – REHMONCO Après le premier cycle de manifestations populaires contre (…)

Renel Exentus et Frank W. Joseph pour le Regroupement des Haïtiens de Montréal contre l’Occupation d’Haïti – REHMONCO Après le premier cycle de manifestations populaires contre l’indifférence du gouvernement face à la montée en puissance des gangs au cours des mois de janvier et février 2025, (…)

À côté de la plaque

24 mars, par Sébastien Barraud — , ,
Les vies privées des parlementaires sur les réseaux sociaux, on s'en crisse. Vraiment. Ce qui intéresse le « peuple de gauche », c'est la lutte contre la glissade sur la pente (…)

Les vies privées des parlementaires sur les réseaux sociaux, on s'en crisse. Vraiment. Ce qui intéresse le « peuple de gauche », c'est la lutte contre la glissade sur la pente réactionnaire, écocidaire et militaro-industrielle qui s'accélère.

Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir prévenu. Quand on commence à toucher à un droit fondamental, c'est tous les autres qui y passent par la suite. Sauf ceux que la majorité dominante qualifie de « collectifs ». Et quand on s'en prend aux droits de la personne, il n'y a plus de place pour les droits de la Planète. Comble du cynisme, c'est Macron qui conceptualise la nouvelle bête immonde : l'internationale réactionnaire.

Celle-ci forme un continnum des extrêmes-droites les plus nauséabondes aux droites extrêmes les plus nationalistes. On reconnait leurs membres par une trumpisation du discours, une utilisation normalisée des fausses-nouvelles, une instrumentalisation des paniques morales, un repli identitaire basée sur une insécurité culturelle largement fabriquée et complotiste (Grand Remplacement). Partout elles sont en train de fusionner ou de se vampiriser.

En effet, pour les fachos, les majorités nationales – jamais vraiment définies, toujours autoproclamées, souvent mythifiées – craignent de se dissoudre dans la pluralité, paniquées par les effets interculturels de la mondialisation, de la numérisation et des migrations. Le Québec n'y échappe pas. Au contraire, il s'enfonce.

Car à la plus grande surprise des « experts » médiatiques et des « stratèges » politiques, la prime électorale à la xénophobie, doublée d'une gouvernance caquiste médiocre, profite aux séparatistes identitaires péquistes, qui ont enfin assumés de rejoindre la fachosphère, jusqu'à en adopter la posture populiste « anti-woke », anti-migration et illibérale.

On comprend ce qu'il y a derrière : le remplacement des « de souches » blancs catho-laïques francophones par les québécois « de papiers » aux cultures problématiques par essence. L'immonde lynchage politique et médiatique d'Haroun Bouazzi – les bêtes faisaient même partie de ses « camarades » – en dit long sur la dérive de l'entre-soi médiatico-politique, qui continue de qualifier le PQ de centre-gauche (sic.). La honte.

Euphémisation bien de chez nous

Et oui, ici, c'est aussi comme ça qu'on vit : on relativise le salut nazi du savant fou, les attaques contre la « théorie du genre », les saillies racistes des faiseurs de morale, etc. Et sur les questions identitaires, minoritaires, ou migratoires, Legault, St-Pierre-Plamondon comme Le Pen (exception catho-laïque en moins), partagent un même imaginaire et une même rhétorique avec Poilievre, Trump, Poutine, Modi, Meloni, Orban etc. Chavirant.

Mais parler d'extrême-droite au Québec est un véritable blasphème. Une insulte au « Peuple N Blanc d'Amérique ». Non, le Québec n'est PAS raciste. L'extrême-droite n'y existe pas, il n'existe qu'une droite (et une « gauche ») dites « identitaire ». Terminologie bien commode pour atténuer le réel et la direction devenue dominante qu'a prise le nationalisme québécois.
Désormais, la question nationale québécoise n'est plus seulement une problématique canadienne stricto sensu. Elle est aussi une problématique internationale (migration pas intégrable et qui risque de saper les « valeurs québécoises ») et interne (ennemi·e·s de l'intérieur mal intégré·e·s qui sapent les « valeurs québécoises »).

Dans ces conditions, comment QS va-t-il convaincre ?

La gauche c'est comme l'Amour, les paroles c'est bien…

Car le bilan n'est pas glorieux. Face à l'extrême-droitisation de la société québécoise, on a l'impression que les « élites » de gauche ne veulent ni le croire ni le voir. Comme un aveuglement volontaire sur le racisme, la transphobie ou le fémonationalisme de leurs adversaires. Alors même que QS ne rate pas une occasion de se joindre au concert d'instrumentalisation du Québec bashing. Double standard. Pour rassembler la gauche, c'est pas très winner.

Vous me trouvez dur ? OK. Mais quand même : à propos des paniques morales laïque, linguistique, wokiste et migratoire ; de la remise en cause des droits trans/non-binaires ; du travail du sexe ; du syndicalisme agricole ; du probable génocide du Peuple palestinien et de la criminalisation de sa dénonciation ; du « gouvernement des juges » ; du boycott des médias sociaux ; de la désobéissance civile…

C'était au mieux, le strict minimum, au pire, consternant. Le plus souvent : incompréhensible et toujours en réaction. Moi en tout cas, je ne suis pas satisfait. On va me rétorquer à juste titre que j'ai des griefs personnels et politiques envers le seul parti de gauche québécois crédible. J'en conviens parfaitement, je suis biaisé. Mais tout de même, pensons seulement au déshonneur à propos des problèmes internes et étouffés de féminisme ! (#NadinePoirier = Double honte).

Les actes c'est mieux…

Les nationalistes civiques nous jurent que leur approche n'est pas ethniciste. Mais les faits politiques, les silences gênés, prouvent le contraire selon moi. Chez QS, certains droits fondamentaux méritent une lutte, d'autres moins, et d'autres pas du tout. Les identités ne se valent pas toutes semble-t-il.

C'est sûr que ça me donne plutôt le gout de chanter Ô Canada.

Donc j'anticipe avec appréhension et honte les habituelles contorsions solidaires sur de l'état de droit auquel nous allons avoir droit quant aux projets de loi contre le droit de grève, ou celui pour limiter les signes religieux musulmans dans l'espace public : pour les droits syndicaux ce n'est pas bien, mais sur les signes religieux musulmans c'est autre chose, et la langue ça dépend laquelle. Aïe aïe aïe !

Le fait est que le grand rabougrissement des solidaires montre inlassablement ses effets contre-productifs : les sondages sont en chute libre, le PQ grignote des voix dans certains châteaux forts solidaires. Pour preuve, l'Assemblée générale annuelle de l'association solidaire de chez nous (Hochelaga-Maisonneuve) a pu compter 15 personnes il y a quelques jours. Une asso historique en termes politique et numéraire. Je serai à leur place, je serai inquiet.

Gauche usée ?

Au nom du Pays, à cause du Pays, on nous parle encore et toujours des mêmes stratégies soit radicales, soit réformatrices, mais toujours polies et nationalistes, qui ont déjà démontré leurs inefficacités : comme si les Femmes avaient obtenu leurs droits sans casser.

Et on s'acharne : « on ne parle pas assez du Pays, c'est ça le problème de la gauche québécoise : Le Pays, Pays, Pays ». Really ? En 2025 ?

Ben oui. Notre gauche parlementaire nous raconte ses histoires d'amour et de cabanes à sucre, se fait désirer à la mairie de Montréal, nous écœure avec ses enfants exemplaires de la loi 101 et ses député∙e∙s proche des Régions, du Monde et soi-disant pas d'un boys club. S'interroger sur le nationalisme et la colonialité qui légitiment et renforcent l'identitarisme, et donc l'extrême-droite ?

Non, cette gauche-là a démissionné, au sens propre comme au figuré. Elle nage à contre-courant de l'Histoire, et se retrouve – « au nom du Pays » – l'alliée objective de la contre-révolution néoconservatrice en cours. En tout cas, je n'ai définitivement plus confiance en elle pour défendre tous nos foyers et tous nos droits, ici ou ailleurs.

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Black like Mao. Chine rouge et révolution noire (Partie I)

24 mars, par nathanbrullemans
Publié pour la première fois en 1999 dans la revue Souls, l’article de Robin Kelly et Betsy Esch explore l’impact de la Révolution chinoise sur les mouvements radicaux (…)

Publié pour la première fois en 1999 dans la revue Souls, l’article de Robin Kelly et Betsy Esch explore l’impact de la Révolution chinoise sur les mouvements radicaux afro-américains du 20e siècle. Les auteurs montrent comment ces militant·e·s se sont réapproprié, tout en les adaptant à leur réalité, les principes maoïstes afin d’élaborer leur propre programme de lutte. Les idées de Mao ont proposé un modèle alternatif, non-occidental, de la révolution socialiste, incitant ainsi les militant·e·s noir·e·s à revendiquer leur autodétermination et leur autonomie, des groupes d’autodéfense armée de Robert Williams à la poésie marxiste-léniniste d’Amiri Baraka. La traduction originale de l’article provient de la revue Période.

Robin Kelley et Elizabeth Esch
Traduit de l’anglais par Lamia Dzanouni

« Nous sommes à l’ère de Mao Zedong, l’ère de la révolution internationale, et la lutte des Africains-Américains pour la liberté fait partie intégrante d’un mouvement invincible ayant une portée mondiale. »

Robert Williams, 1987[1]

Il semblerait que le président Mao, au moins d’un point de vue symbolique, jouisse d’un regain de popularité dans la jeunesse. Son image et ses idées se retrouvent systématiquement dans une multitude de contextes culturels et politiques. The Coup, un groupe de hip-hop célèbre de la baie de San Francisco, a inscrit Mao Zedong au panthéon des héros noirs radicaux et a ainsi placé la lutte pour la liberté des Noirs dans un contexte international. Dans une chanson intitulée simplement « Dig it » (1993), The Coup a désigné ses membres comme « les damnés de la terre », il a invité son public à lire Le Manifeste du parti communiste, et a évoqué des icônes révolutionnaires comme Mao Zedong, Hô Chi Minh, Kwame Nkrumah, H. Rap Brown, le mouvement des Mau Mau du Kenya et Geronimo Ji Jaga Pratt. D’une manière typiquement maoïste, le groupe s’est emparé de la plus célèbre citation de Mao et l’a fait sienne : « Nous sommes conscients que le pouvoir [est] au bout du Glock (nickel plated)[2]. » Même si les membres de The Coup n’étaient même pas nés à l’apogée du maoïsme noir, « Dig it » renferme l’esprit du maoïsme à l’égard du monde colonial au sens large – un monde qui englobait les Africains-Américains. À Harlem, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, il semble que tout le monde possédait un exemplaire des Citations du Président Mao Tsé-Toung, plus connu sous le nom de « Petit Livre rouge »[3]. De temps à autre, les partisans du Black Panther Party pouvaient être aperçus en train de vendre le Petit Livre rouge au coin de la rue, ce qui était une manière de collecter des fonds pour le parti. Il n’était pas rare de voir se promener un jeune noir radical dans la rue habillé comme un paysan chinois – exceptées bien sûr la coupe afro et les lunettes de soleil.

Comme l’Afrique, la Chine était en mouvement. L’impression générale se dégageait que les Chinois soutenaient les Noirs dans leur lutte. En réalité, c’était plus qu’une impression : la population noire appelait réellement à la révolution au nom de Mao, tout comme au nom de Marx et Lénine. D’innombrables radicaux noirs de cette époque considéraient la Chine – un peu comme Cuba, le Ghana ou même Paris – comme le pays où une vraie liberté pouvait être acquise. La Chine n’était pas parfaite, mais c’était beaucoup mieux que de vivre dans le ventre de la bête. Lorsque la dirigeante des Black Panthers, Elaine Brown, visita Pékin à l’automne 1970, elle fut agréablement surprise par ce que la révolution chinoise avait réalisé pour améliorer la vie de la population. « Jeunes et vieux donnaient spontanément des témoignages émouvants, comme les baptistes convertis, à la gloire du socialisme[4]. » Une année plus tard, elle revint avec l’un des fondateurs des Black Panthers, Huey Newton, qui décrivit son expérience en Chine comme la source d’« une sensation de liberté – comme si un grand poids avait été ôté de mon âme et que je pouvais être moi-même, sans avoir à m’en défendre ou faire semblant, ni même à m’en expliquer. Je me sentais complètement libre pour la première fois de ma vie – complètement libre parmi mes semblables[5] ».

Plus d’une décennie avant que Newton et Brown mettent le pied sur le sol chinois, W.E.B. Du Bois considérait la Chine comme l’autre géant endormi s’apprêtant à mener les gens de couleur dans la lutte mondiale contre l’impérialisme. Il s’y était rendu pour la première fois en 1936 – avant la guerre et la révolution – au cours d’une visite prolongée en Union soviétique. De retour en 1959, alors qu’il était illégal de se rendre en Chine, Du Bois découvrit un nouveau pays. Il fut frappé par la transformation de la Chine, en particulier par ce qu’il perçut comme une émancipation des femmes, et fut convaincu que la Chine conduirait les pays sous-développés sur la route du socialisme. « Après de longs siècles, la Chine », dit-il à un auditoire de communistes chinois qui assistaient à la célébration de son quatre-vingt-onzième anniversaire, « s’est dressée sur ses pieds et a bondi en avant. Afrique, lève-toi et tiens-toi debout, parle et pense ! Agis ! Tourne le dos à l’Occident, à l’esclavage et à l’humiliation des cinq cents dernières années et contemple le soleil levant[6]. »

Les Noirs radicaux virent la Chine comme le phare de la révolution du Tiers-Monde et la pensée de Mao Zedong comme un véritable jalon de cette trajectoire révolutionnaire. Ce fut le résultat d’une histoire complexe et passionnante impliquant littéralement des dizaines d’organisations et couvrant une grande partie du monde – des ghettos de l’Amérique du Nord à la campagne africaine. Par conséquent, le récit qui suit ne prétend pas être exhaustif[7]. Nous avons néanmoins entrepris d’explorer dans cet article l’impact de la pensée maoïste, et plus généralement celui de la République populaire de Chine, sur les mouvements radicaux noirs des années 1950 jusqu’au moins le milieu des années 1970. Nous explorerons également la manière dont le nationalisme noir radical a façonné les débats au sein des organisations maoïstes et « anti-révisionnistes » aux États-Unis. Notre postulat est que la Chine a offert aux radicaux noirs un modèle marxiste « de couleur », ou tiers-mondiste, qui leur a permis de contester une vision blanche et occidentale de la lutte des classes – un modèle qu’ils façonnaient et refaçonnaient en fonction de leurs propres réalités culturelles et politiques. Bien que le rôle de la Chine ait été contradictoire et problématique à bien des égards, le fait que les paysans chinois, à la différence du prolétariat européen, aient mené une révolution socialiste et défini une position distincte de celle des camps américain et soviétique dans la politique mondiale, dota les radicaux noirs d’un sens plus profond de l’importance de la révolution et du pouvoir. Enfin, Mao ne démontra pas seulement aux Noirs du monde entier qu’ils ne devaient pas attendre des « conditions objectives » pour faire la révolution ; son insistance sur la lutte culturelle a elle aussi profondément orienté les débats autour de la politique et des arts noirs.

La Longue Marche

Quiconque est familier avec le maoïsme sait que celui-ci n’a jamais constitué une idéologie à part entière destinée à remplacer le marxisme-léninisme. Au contraire, il a plutôt marqué un tournant s’opposant au « révisionnisme » du modèle soviétique post-stalinien. La contribution effective de Mao à la pensée marxiste résulta directement de la révolution chinoise de 1949. Mao insista sur le fait que la puissance révolutionnaire de la paysannerie ne dépendait pas du prolétariat urbain. Cette idée était particulièrement attrayante pour les radicaux noirs sceptiques à l’idée d’avoir à attendre des conditions objectives pour commencer leur révolution. L’idée que le marxisme peut être (doit être) remodelé en fonction des exigences temporelles et géographiques est centrale dans le maoïsme, de même que l’idée que le travail pratique, les idées et le leadership découlent du mouvement des masses et non d’une théorie abstraite ou résultant d’autres luttes[8]. En pratique, cela signifiait que les véritables révolutionnaires devaient posséder une volonté révolutionnaire pour l’emporter. L’importance de la notion de volonté révolutionnaire ne saurait être sous-estimée, en particulier pour ceux appartenant à des mouvements isolés et attaqués de tous côtés. Armés de la théorie adéquate, de l’attitude éthique appropriée et de la volonté, les révolutionnaires, dans les termes de Mao, peuvent « déplacer des montagnes[9] ». Peut-être est-ce pour cela que le dirigeant communiste chinois Lin Biao écrivit dans la préface des Citations : « Une fois que les larges masses se sont approprié la pensée de Mao Zedong, celle-ci devient une source inépuisable de force et une bombe atomique spirituelle d’une puissance infinie[10]. »

Mao et Lin Biao reconnaissaient que la source de cette « bombe atomique » se trouvait dans les luttes des nationalistes du Tiers-Monde. À une époque où la guerre froide contribua à faire émerger le mouvement des non-alignés – avec la réunion des dirigeants du monde « de couleur » à Bandung, en Indonésie, en 1955 tentant de tracer une voie indépendante vers le développement – les Chinois espéraient mener les anciennes colonies sur la voie du socialisme. Soutenus par la théorie de Lin Biao de la « nouvelle révolution démocratique », ils dotèrent non seulement les luttes nationalistes d’une valeur révolutionnaire, mais ils tendirent aussi la main plus spécifiquement à l’Afrique et aux personnes de descendance africaine. Deux ans après la rencontre historique de Bandung des nations non-alignées, la Chine créa l’Organisation de la solidarité des peuples afro-asiatiques. Mao non seulement invita W.E.B. Du Bois à fêter son quatre-vingt-dixième anniversaire en Chine après qu’il a été déclaré ennemi public par l’État américain, mais, trois semaines avant la grande marche à Washington de 1963, il publia également une déclaration critiquant le racisme américain et inscrivant le mouvement de libération africain-américain dans la lutte mondiale contre l’impérialisme. « Le fléau du colonialisme et de l’impérialisme, déclara Mao, a émergé et prospéré avec l’esclavage des Noirs et le commerce triangulaire, et il disparaîtra avec l’émancipation complète du peuple noir[11] ». Une décennie plus tard, le romancier John Oliver Killens fut surpris par le fait que plusieurs de ses livres, ainsi que des œuvres d’autres écrivains noirs, avaient été traduits en chinois et étaient largement lus par les étudiants. Partout où il alla, semblait-il, Killens rencontra de jeunes intellectuels et des travailleurs « extrêmement intéressés par le mouvement noir et par la manière dont l’art et la littérature des Noirs reflétaient ce mouvement[12]. »

Leur statut de personnes de couleur fut un puissant levier politique dans la mobilisation de la population africaine et de leurs descendants. En 1963, par exemple, les délégués chinois à Moshi, en Tanzanie, affirmèrent que les Russes n’avaient rien à faire en Afrique parce qu’ils étaient blancs. Les Chinois, de leur côté, étaient perçus non seulement comme faisant partie du monde de couleur, mais aussi comme non complices de la traite des esclaves. Bien sûr, la plupart de ces déclarations avaient pour fonction de favoriser la formation d’alliances. En réalité, il y avait des esclaves africains à Guangzhou au XIIe siècle et des étudiants africains en Chine communiste se plaignirent d’être victimes de racisme. En effet, après la mort de Mao, des conflits raciaux sur les campus universitaires se produisirent plus fréquemment, notamment à Shanghai en 1979, à Nanjing en 1980, et à Tianjin en 1986[13]. En outre, la politique étrangère chinoise envers le monde noir reposait plus sur des considérations stratégiques que sur un engagement réel pour le Tiers-Monde révolutionnaire, en particulier après la scission sino-soviétique. La position antisoviétique de la Chine entraîna des décisions de politique étrangère qui ébranlèrent finalement sa réputation auprès de certains mouvements de libération africains. En Afrique australe, par exemple, les Chinois soutinrent des mouvements qui disposaient également du soutien du régime d’apartheid sud-africain[14].

Pourtant, les idées de Mao trouvèrent encore un public parmi les radicaux noirs. Bien que les projets maoïstes aux États-Unis n’aient jamais eu autant de partisans que les partis communistes identifiés comme soviétiques dans les années 1930, ils prirent racine dans ce pays. Et comme les cent fleurs, ils se sont épanouis en une mosaïque confuse de voix radicales toutes apparemment en guerre les unes contre les autres. Sans surprise, la « question noire » était au centre de leurs débats sur la nature de la lutte des classes aux États-Unis : Quel rôle jouera la population noire dans la révolution mondiale ?

Robert F. Williams et Mao Tsé-Tung

La révolution noire mondiale

Peuples du monde, unissez-vous et vainquez les agresseurs américains et tous leurs chiens errants. Peuples du monde, soyez courageux, osez vous battre, défiez les difficultés et avancez par vagues successives. Alors le monde entier appartiendra au peuple. Les monstres de toutes sortes doivent être détruits.

Mao Zedong « Déclaration pour soutenir le peuple du Congo contre l’agression des États-Unis[15] » (1964)

Une révolution hante et est sur le point de submerger l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du sud, l’Amérique centrale et l’Amérique noire.

Revolutionary Action Movement, The World Black Revolution[16]

Le maoïsme aux États-Unis ne fut pas importé de Chine. Pour les maoïstes formées dans la Vieille Gauche, il trouvait plutôt son origine dans les révélations de Khrouchtchev au XXe Congrès du Parti communiste d’Union soviétique (PCUS) en 1956, qui suscitèrent un mouvement anti-révisionniste au sein de la gauche pro-stalinienne. À la suite des débats au sein du Parti communiste des États-Unis d’Amérique (CPUSA), plusieurs organisations émergèrent et s’engagèrent à ramener les communistes vers le camp stalinien ; c’est notamment le cas du Provisional Organizing Committee (POC, 1958), de Hammer and Steel (1960), et du Progressive Labor Party (PLP, 1965)[17].

Le PLP, une émanation du Progressive Labor Movement fondé trois ans plus tôt, avait initialement été dirigé par d’anciens communistes qui pensaient que les Chinois avaient adopté la bonne position. Insistant sur le fait que les travailleurs noirs étaient la « force révolutionnaire clé » dans la révolution prolétarienne, le PLP attira quelques militants noirs éminents comme John Harris à Los Angeles et Bill Epton à Harlem. Epton était devenu en quelque sorte une « cause célèbre » après qu’il a été arrêté pour « anarchie criminelle » pendant les émeutes de 1964[18]. Deux ans plus tard, le PLP aida à organiser une grève des étudiants afin de créer un programme d’études noires (black studies) à l’Université d’État de San Francisco. Dans le même temps, sa Commission Black Liberation publia un pamphlet intitulé Black Liberation Now! qui tentait de replacer toutes ces rébellions urbaines dans un contexte mondial. Toutefois, en 1968, le PLP abandonna son soutien au nationalisme « révolutionnaire » et conclut que toutes les formes de nationalisme étaient réactionnaires. Du fait de son fervent antinationalisme, le PLP s’opposa à l’affirmative action et aux groupes noirs et latinos au sein des syndicats – positions qui ébranlèrent les relations du PLP avec les militants de la communauté noire. De fait, les rapports entre le PLP et la Nouvelle Gauche en général furent altérés en partie à cause de sa critique du Black Panther Party et du mouvement étudiant noir. Les membres du PLP furent exclus du groupe Students for a Democratic Society (SDS) en 1969 avec l’appui de plusieurs groupes nationalistes radicaux, y compris les Panthers, les Young Lords et les Brown Berets[19].

Mais les partis marxistes-léninistes-maoïstes à prédominance blanche n’étaient pas la principale source d’inspiration de la gauche noire d’inspiration maoïste. La plupart des radicaux noirs de la fin des années 1950 et du début des années 1960 avaient découvert la Chine par l’intermédiaire des luttes anticolonialistes en Afrique et de la révolution cubaine. L’indépendance du Ghana en 1957 était un événement qu’il y avait lieu de célébrer, et l’assassinat parrainé par la CIA de Patrice Lumumba au Congo suscita des protestations de la part de tous les milieux activistes noirs. La révolution cubaine et le célèbre séjour de Fidel Castro à l’Hôtel Thérésa de Harlem lors de sa visite à l’ONU offrit au peuple noir l’exemple d’un socialiste avéré qui avait tendu solidairement la main aux personnes de couleur dans le monde entier. En effet, des dizaines de radicaux noirs non seulement défendirent publiquement la révolution cubaine, mais se rendirent à Cuba dans le cadre de groupes tels que le Fair Play for Cuba Committee[20]. Un de ces visiteurs était Harold Cruse, lui-même ex-communiste encore attaché au marxisme. Il croyait que les révolutions cubaine, chinoise et africaine pourraient revitaliser la pensée radicale dans la mesure où elles avaient démontré le potentiel révolutionnaire du nationalisme. Dans un essai provocateur publié dans le New Leader en 1962, Cruse écrivit que la nouvelle génération était attentive à l’ancien monde colonial du fait de ses dirigeants et de ses idées, et que parmi ses héros il y avait Mao :

À cette époque, ils avaient déjà érigé un panthéon de héros modernes – Lumumba, Kwame Nkrumah et Sekou Touré en Afrique, Fidel Castro en Amérique latine, Malcom X, le leader musulman, à New York ; Robert Williams dans le Sud ; et Mao Zedong en Chine. Ces hommes semblaient héroïques aux yeux des Africains-Américains non pas en raison de leur philosophie politique, mais du fait que c’étaient d’anciens colonisés qui avaient obtenu leur indépendance totale ou parce que, comme Malcolm X, ils avaient osé regarder la communauté blanche en face et lui avaient dit: « Nous ne pensons pas que votre civilisation vaille la peine qu’un homme noir essaie de s’y intégrer ». Cela, pour de nombreux Afro-Américains, était un geste de défi réellement révolutionnaire[21].

Dans un autre essai, publié dans Studies on the Left en 1962, Cruse était plus explicite encore sur le caractère global du nationalisme révolutionnaire. Il faisait valoir que les Noirs aux États-Unis faisaient l’expérience d’un colonialisme interne et que leurs luttes devaient être considérées comme faisant partie du mouvement anticolonialiste mondial. Il écrivit que « l’incapacité des marxistes américains à comprendre le lien entre les Noirs et les peuples colonisés du monde est la source de leur incapacité à développer des théories qui auraient de la valeur pour les Noirs aux États-Unis. » Selon lui, les anciennes colonies étaient l’avant-garde de la révolution, et à la pointe de cette nouvelle révolution socialiste se trouvaient Cuba et la Chine[22].

Les révolutions à Cuba, en Afrique et en Chine avaient eu un effet similaire sur Amiri Baraka, qui, une décennie et demie plus tard, fonda la Revolutionary Communist League d’inspiration maoïste (RCL). Marqué par sa visite à Cuba et l’assassinat de Lumumba, Baraka commença à publier des essais pour un nouveau magazine intitulé African Revolution publié par le dirigeant nationaliste algérien Ben Bella. Comme l’expliquait Baraka :

L’Inde et la Chine avaient obtenu leur indépendance officielle avant le début des années 1950 et, au moment où les années 1950 prenaient fin, il y avait de nombreuses nations africaines indépendantes (mais avec des degrés divers de néocolonialisme). Le ghanéen Kwame Nkrumah avait arboré l’étoile noire sur la Présidence d’Accra, et ses discours et la notoriété de ses actes constituaient un puissant encouragement pour les gens de couleur à travers le monde. Lorsque les Chinois firent exploser leur première bombe atomique, j’écrivis un poème disant, en effet, que, pour les peuples de couleur, le temps avait recommencé[23].

C’est peut-être la carrière de Vicki Garvin qui incarnait le mieux la matrice Ghana-Chine. Garvin était une militante fidèle qui avait fréquenté les cercles de la gauche noire de Harlem pendant la période d’après-guerre. Élevée dans une famille ouvrière noire de New York, Garvin passa ses étés à travailler dans l’industrie textile pour compléter le revenu familial. Dès ses années de lycée, elle s’impliqua dans le mouvement contestataire noir, soutint les efforts d’Adam Clayton Powell Jr. pour obtenir de meilleures rémunérations pour les Africains-Américains de Harlem et pour créer des clubs d’histoire noire dédiés à la constitution de ressources documentaires. Après avoir obtenu une licence en sciences politiques au Hunter College de Northampton, elle traversa les années de guerre en travaillant au National War Labor Board et continua en jouant un rôle d’organisation au sein du United Office and Professionnal Workers of America (UOPWA) et en étant directrice de recherche nationale et co-présidente du Pair Employment Practices Committee. Pendant les purges d’après-guerre de la gauche dans le CIO, Garvin fut une voix puissante de protestation et une critique acerbe de l’échec de l’organisation du CIO dans le Sud. En tant que secrétaire exécutive de la section de New York du National Negro Labor Council et vice-présidente de l’organisation au niveau national, Garvin établit des liens étroits avec Malcolm X et l’aida à organiser une partie de son voyage en Afrique[24].

Garvin rejoignit l’exode intellectuel noir de Nkrumah au Ghana, où elle séjourna d’abord avec la poétesse Maya Angelou avant de s’installer dans un logement à côté de celui de Du Bois. Elle passa deux ans à Accra, entourée de plusieurs intellectuels et artistes noirs notoires, y compris Julian Mayfield, l’artiste Tom Feelings et le caricaturiste Ollie Harrington. En tant que militante ayant enseigné l’anglais de conversation aux noyaux diplomatiques cubain, algérien et chinois au Ghana, il aurait été étonnant qu’elle ne développe pas une perspective internationale approfondie. Ses conversations avec Du Bois au cours de ses derniers jours au Ghana ne firent que renforcer son internationalisme et suscita son intérêt pour la révolution chinoise. En effet, grâce à Du Bois, Garvin obtint un emploi de « correctrice » des traductions en anglais de la Peking Review et un poste d’enseignante à l’Institut des langues étrangères de Shanghai. Elle resta en Chine de 1964 à 1970, tissant des liens entre la lutte pour la liberté des noirs, les mouvements indépendantistes africains et la révolution chinoise[25].

Pour Huey Newton, futur fondateur du Black Panther Party, la révolution africaine semblait moins décisive que les événements à Cuba et en Chine. En tant qu’étudiant à Merritt College au début des années 1960, il lut un peu d’existentialisme, commença à assister à des réunions parrainées par le Progressive Labor Party et soutînt la Révolution cubaine. Sans surprise, Newton commença à dévorer la littérature marxiste. Mao, en particulier, fit sur lui une impression durable : « Ma conversion était achevée une fois que j’avais lu les quatre volumes de Mao Zedong pour en apprendre plus sur la Révolution chinoise[26]. » Ainsi, bien avant la fondation du parti du Black Panther Party, Newton s’imprégna des pensées de Mao Zedong ainsi que des écrits de Frantz Fanon et Che Guevara.

Mao, Fanon et Guevara voyaient tous clairement que le peuple avait été spolié de ses droits inaliénables et de sa dignité, non pas par une philosophie ou par de simples mots, mais sous la menace des armes. Il avait été victime d’un hold-up orchestré par des gangsters, et même d’un viol ; la seule façon pour lui de regagner sa liberté était de répondre à la force par la force[27].

La volonté des Chinois et des Cubains de « répondre à la force par la force » contribua également à rendre ces révolutions attrayantes pour les radicaux noirs à une époque où prédominait la résistance passive non violente. Bien sûr, cette période comportait son lot de luttes armées dans le Sud, avec des groupes comme les Deacons for Defense and Justice et Gloria Richardson’s Cambridge qui défendaient les manifestants non violents lorsque cela s’avérait nécessaire. Toutefois, la personnalité qui incarnait le mieux les traditions noires d’autodéfense armée était Robert Williams, un héros de la nouvelle vague d’internationalisme noir dont l’importance rivalisait presque avec celle de Malcolm X[28]. Ancien marine américain disposant d’une formation militaire avancée, Williams acquit sa notoriété en 1957 en formant des groupes d’autodéfense armés à Monroe, en Caroline du Nord, pour lutter contre le Ku Klux Klan. Deux ans plus tard, la déclaration de Williams – proclamant que les noirs devaient « répondre à la violence par la violence », celle-ci étant le seul moyen de mettre fin à l’injustice dans un Sud non civilisé – conduisit à sa suspension en tant que président de la section Monroe de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP)

La rupture de Williams avec la NAACP et son plaidoyer ouvertement en faveur de l’auto-défense armé le poussa encore plus à gauche, dans la sphère du Socialist Workers Party, du Workers World Party, et de certains membres de l’ancien CPUSA. En 1961, à la suite d’accusations d’enlèvement montées de toutes pièces et d’un mandat d’arrêt fédéral à son encontre, Williams et sa famille furent contraints de fuir le pays et de demander l’asile politique à Cuba. Au cours des quatre années qui suivirent, Cuba devint la base de Williams pour promouvoir la révolution mondiale noire et élaborer une idéologie internationaliste qui embrassa le nationalisme noir et la solidarité avec le Tiers-Monde.

Le Revolutionary Action Movement

La fuite de Williams à Cuba inspira en partie la création du Revolutionary Action Movement (RAM). Dans l’Ohio vers 1961, les membres noirs de Students for a Democratic Society (SDS), ainsi que des militants du Student Non violent Coordinating Committee (SNCC) et du Congress of Racial Equality (CORE) se réunirent en petit comité pour discuter de l’importance du travail de Williams à Monroe et de son exil. Dirigé par Donald Freeman, étudiant noir de la Case Western Reserve à Cleveland, le noyau dur du groupe était une organisation, nouvellement formée et composée d’étudiants du Central State College à Wilberforce, se faisant appeler Challenge. Les membres de Challenge furent particulièrement marqués par l’essai de Harold Cruse, « Revolutionary Nationalism and the Afro-American[29]», qui fut largement diffusé parmi les jeunes militants noirs. Inspiré par l’interprétation que faisait Cruse de l’importance mondiale de la lutte pour la libération des Noirs, Freeman espérait transformer Challenge en un mouvement nationaliste révolutionnaire semblable à la Nation of Islam, mais en utilisant les tactiques d’action directe de la SNCC. Après un long débat, les membres de Challenge décidèrent de dissoudre l’organisation au printemps 1962 et formèrent le Revolutionary Action Committee (RAM, appelé à l’origine « Reform » Action Movement afin de ne pas effrayer l’administration de l’université), avec pour principaux dirigeants Freeman, Max Stanford, et Wanda Marshall. Quelques mois plus tard, ils se relocalisèrent à Philadelphie, commencèrent à publier un journal bimensuel appelé L’Amérique noire et un bulletin d’information intitulé RAM Speaks ; leur projet fut alors de bâtir un mouvement à l’échelle fédérale qui fût défini par le nationalisme révolutionnaire, l’organisation de la jeunesse et l’auto-défense armée ; ils recrutèrent plusieurs militants de Philadelphie, y compris Ethel Johnson (qui avait travaillé avec Robert Williams à Monroe), Stan Daniels et Playthell Benjamin[30].

Le RAM représenta la première tentative sérieuse et durable de la période d’après-guerre pour marier le marxisme, le nationalisme noir et l’internationalisme du Tiers-Monde au sein d’un programme révolutionnaire cohérent. Selon Max Stanford, le RAM « tenta d’appliquer la pensée marxiste-léniniste de Mao Tsé-toung » aux conditions du peuple noir et « théorisa le fait que le mouvement de libération noire aux États-Unis faisait partie de l’avant-garde de la révolution socialiste mondiale[31]. » Outre chez Robert Williams, de jeunes militants du RAM cherchèrent leur orientation politique auprès d’un certain nombre d’anciens communistes noirs qui avaient été expulsés pour « gauchisme », « nationalisme bourgeois » ou encore avaient quitté le parti à cause de son « révisionnisme ». Ce groupe d’aînés comptait dans ses rangs Harold Cruse, Harry Haywood, Abner Berry, et la « Reine Mère » Audley Moore. Moore allait devenir l’une des principales mentors du RAM sur la côte Est, formant ses membres à la pensée nationaliste noire et au marxisme. La maison de la Reine Mère, qu’elle-même appelait affectueusement le Mont Addis-Abeba, servit pratiquement d’école pour toute une nouvelle génération de jeunes radicaux noirs. Elle avait fondé l’African-American Party of National Liberation en 1963, qui forma un « gouvernement provisoire » avec Robert Williams comme premier ministre en exil[32]. Des membres du RAM se tournèrent également vers les légendaires ex-trotskystes James et Grace Lee Boggs de Détroit, anciens camarades de C.L.R. James, dont les écrits marxistes et panafricanistes eurent une profonde influence sur les membres du RAM ainsi que d’autres militants de la Nouvelle gauche[33].

En se développant, le RAM élargit son public à d’autres régions du pays, mais continua à rester semi-clandestin et très peu structuré. À l’instar du African Blood Brotherhood des années 1920 ou du groupe d’intellectuels radicaux qui avaient publié Studies on the Left, le RAM apporta une contribution à la lutte qui se situait bien plus sur le plan de la théorie que sur celui de la pratique. Dans le Sud, le RAM trouva un public, petit mais significatif, à l’Université de Fisk, terrain de formation de nombreux militants du SNCC. En mai 1964, par exemple, les membres du RAM tinrent la première Conférence étudiante afro-américaine sur le nationalisme noir sur le campus de Fisk[34]. Dans le nord de la Californie, le RAM fut principalement une émanation de la Afro-American Association. Fondée par Donald Wardon en 1962, la Afro-American Association était composée d’étudiants de la University of California à Berkeley et de Merritt College – dont beaucoup, comme Leslie et Jim Lacy, Cedric Robinson, Ernest Allen et Huey Newton, allaient jouer un rôle important en tant qu’intellectuels-militants radicaux. À Los Angeles, le président de la Afro-American Association était un jeune homme nommé Ron Everett, qui par la suite changea de nom pour Ron Karenga et fonda plus tard la US Organization. La Afro-American Association se forgea rapidement une réputation de groupe d’intellectuels militants prêts à débattre avec n’importe qui. En mettant au défi les professeurs, en débattant avec des groupes tels que la Young Socialist Alliance et en donnant des conférences publiques sur l’histoire des Noirs et la culture, ces jeunes hommes firent forte impression sur les autres étudiants ainsi que sur la communauté noire. Dans la baie de San Francisco, où la tradition des tribunes d’orateurs improvisées était morte dans les années 1930, à l’exception des campagnes individuelles menées par le Civil Rights Congress dirigé par les communistes au début des années 1950, la Afro-American Association était la preuve vivante qu’une culture intellectuelle militante dynamique et visible pouvait exister à nouveau.

Pendant ce temps, le Progressive Labor (PL) avait commencé à financer des voyages à Cuba et avait recruté plusieurs étudiants noirs radicaux dans la baie de San Francisco pour aller de l’avant. Parmi eux il y avait Ernest Allen, un étudiant de Merritt College transféré à l’université de Berkeley qui avait été renvoyé de la Afro-American Association. Élevé au sein de la classe ouvrière d’Oakland, Allen faisait partie d’une génération de radicaux noirs dont l’insatisfaction à l’égard de la stratégie de la résistance passive non violente du mouvement des droits civiques le rapprocha de Malcom X et des mouvements de libération du Tiers-Monde. Il n’est donc pas étonnant qu’Allen ait découvert le RAM à la faveur de son voyage à Cuba en 1964. Les compagnons de voyage d’Allen comprenaient un contingent de militants noirs de Détroit : Luc Tripp, Charles (« Mao ») Johnson, Charles Simmons, et General Baker. Tous étaient membres du groupe d’étudiants Uhuru, et allaient jouer par la suite un rôle clé dans la formation du Dodge Revolutionary Union Movement (DRUM) et de la League of Revolutionary Black Workers. Fait étonnant, Max Stanford était déjà sur l’île, en visite chez Robert Williams. Sur le chemin de leur retour aux États-Unis, Allen et le groupe de Détroit se chargèrent de développer le RAM. Allen s’arrêta à Cleveland pour rencontrer des membres du RAM alors qu’il traversait le pays en bus pour rentrer à Oakland. Armé de numéros du magazine Crusader de Robert Williams et de documents produits par le RAM, Allen revint à Oakland avec l’intention de renforcer la présence de RAM dans la baie de San Francisco.

Ne comptant jamais plus de quelques personnes ─ telles Isaac Moore, Kenn Freeman (Mamadou Lumumba), Bobby Seale (futur fondateur du Black Panther Party), et Doug Allen (le frère d’Ernie) ─ le groupe avait établi une base à Merritt College via le Soul Students Advisory Council. La présence intellectuelle et culturelle du groupe se ressentait pourtant largement. Allen, Freeman, et d’autres fondèrent une revue appelé SoulbookThe Revolutionary Journal of the Black World qui publiait de la prose et de la poésie dont l’orientation pouvait être qualifiée de nationaliste noire de gauche. Freeman, en particulier, était très respecté parmi les militants de RAM et largement lu. Il incita constamment les membres de RAM à considérer la lutte des noirs dans un contexte mondial. Les éditeurs de Soulbook développèrent également des liens avec les radicaux noirs de la Vieille gauche, particulièrement avec l’ancien communiste Harry Haywood, dont ils publièrent les travaux dans un des premiers numéros[35].

Bien que le RAM en tant que mouvement n’ait jamais connu la renommée et la publicité accordées à des groupes comme le Black Panther Party, son influence dépassa largement ses effectifs ─ un peu comme l’African Blood Brotherhood (ABB) quatre décennies plus tôt. En effet, comme l’ABB, RAM resta largement une organisation clandestine qui consacra plus de temps à faire de la propagande communiste à travers ses travaux intellectuels qu’à vraiment s’organiser. Des leaders comme Max Stanford s’identifièrent aux paysans rebelles chinois qui avaient conduit le Parti communiste à la victoire. Ils s’approprièrent la célèbre expression de Mao: « Quand l’ennemi avancenous reculons, quand il se repose, nous le harcelons, quand il se fatiguenous attaquons, quand il reculenous le poursuivons[36] ». Ils appliquèrent la pensée de Mao presque à la lettre, en prônant l’insurrection armée et s’inspirèrent directement de la théorie de Robert Black sur la guérilla dans les zones urbaines aux États-Unis. Les leaders du RAM étaient intimement convaincus qu’une telle guerre n’était pas seulement possible, mais qu’elle pouvait être remportée en quatre-vingt dix jours. La combinaison du chaos de masse et de la discipline révolutionnaire était la clé de la victoire. Le numéro d’automne 1964 de Black America prédisait l’Armageddon :

« Les hommes et femmes noires dans les Forces armées déserteront et en viendront à rejoindre les forces de la libération noire. Les Blancs qui prétendent vouloir aider la révolution seront envoyés dans les communautés blanches pour diviser celles-ci, lutter contre les fascistes et faire échouer les efforts des forces contre-révolutionnaires. Ce sera le chaos partout et avec l’interruption des communications de masse, des mutineries éclateront en grand nombre dans tous les secteurs du gouvernement des oppresseurs. Le marché boursier chutera ; Wall Street s’arrêtera de fonctionner; des émeutes déchireront Washington. Les fonctionnaires courront partout – courront pour sauve leur vie. Les George Lincoln Rockefeller, Kennedy, Vanderbilt, Hunt, Johnson, Wallace, Barnett, etc., seront les premiers à fuir. La révolution « frappera la nuit et n’épargnera personne » […] La révolution noire fera usage du sabotage dans les villes, frappant d’abord les centrales électriques, puis le transport et fera la guérilla dans les campagnes du Sud. Avec des villes rendues impuissantes, l’oppresseur sera désarmé[37]. »

La révolution était clairement perçue comme un travail d’homme, puisque les femmes figuraient à peine dans l’équation. En effet, l’un des faits marquants de l’histoire de la gauche anti-révisionniste est le degré auquel elle est restée dominée par les hommes. Bien que Wanda Marshall ait été l’une des membres fondatrices du RAM, elle n’occupait aucun poste de direction à l’échelle nationale en 1964. En dehors de la promotion de la création de « ligues de femmes », dont l’objectif était « d’organiser les femmes noires qui travaillent dans les maisons des Blancs », le RAM resta relativement silencieux sur l’émancipation des femmes.

L’orientation masculine du RAM est très liée au fait que ses dirigeants se voyaient comme des guérilleros urbains, les membres d’une variante entièrement noire de l’Armée rouge de Mao. Tous les membres du RAM ne se percevaient pas de cette façon, mais ceux qui se reconnaissaient comme tels étaient profondément attachés à une éthique révolutionnaire que Mao avait établi pour les cadres de son propre parti et pour les membres de l’Armée populaire. Nous remarquons cela très clairement dans le « Code des Cadres » du RAM, un ensemble de règles de conduite extrêmement didactiques que les membres devaient adopter comme un mode de vie. Voici quelques exemples :

Un révolutionnaire nationaliste possède le plus grand respect pour toutes les formes d’autorité au sein du parti.

Un révolutionnaire nationaliste ne peut être corrompu par l’argent, les honneurs ou par quelque autre bénéfice personnel.

Un révolutionnaire nationaliste n’hésitera pas à subordonner son intérêt personnel à celui de l’avant-garde, [sans] hésitation.

Un révolutionnaire nationaliste maintiendra le plus haut niveau de moralité et ne prendra jamais plus qu’une aiguille ou un bout de fil aux masses – les Frères et les Sœurs maintiendront le plus grand respect l’un pour l’autre et n’abuseront ni ne profiteront jamais les uns des autres à des fins personnelles – et sous aucun prétexte ils ne mésinterpréteront la doctrine du nationalisme révolutionnaire[38].

Les analogies avec Les citations du Président Mao Tsé-Toung sont frappantes. Le dernier exemple provient directement d’une des « Trois grande règles de discipline » de Mao qui exhorte les cadres à « ne prendre aucune aiguille ou bout de fil au peuple. » Altruisme et dévouement complet aux masses forment un autre thème prédominant des Citations. Encore une fois, les comparaisons sont notables : « Jamais et nulle part », déclarait Mao, « un communiste ne placera au premier plan ses intérêts personnels, il les subordonnera aux intérêts de la nation et des masses populaires. C’est pourquoi l’égoïsme, le relâchement dans le travail, la corruption, l’ostentation, etc. méritent le plus grand mépris, alors que le désintéressement, l’ardeur au travail, le dévouement à l’intérêt public, l’effort assidu et acharné commandent le respect[39]. »

L’accent mis par le maoïsme sur l’éthique révolutionnaire et la transformation morale, en théorie du moins, résonnait avec les traditions religieuses noires (et avec le protestantisme américain de façon plus générale) et, comme la Nation of Islam, les maoïstes noirs prêchaient la retenue, l’ordre et la discipline. Il est bien possible qu’évoluant au beau milieu d’une contre-culture qui liait des éléments hédonistes et l’usage de drogues, une nouvelle vague d’étudiants radicaux issue de la classe ouvrière trouva l’éthique maoïste attrayante. À son retour de Chine, Robert Williams ─ père fondateur du RAM à de nombreux égards ─ insista pour que tous les jeunes militants noirs « entreprennent une transformation personnelle et morale. Il y a besoin d’un code révolutionnaire strict, d’une éthique morale. Les révolutionnaires sont des forces de la droiture[40]. » Pour les révolutionnaires noirs, la dimension morale et éthique de la pensée maoïste était centrée sur la notion de transformation personnelle. C’était une leçon familière que Malcom X et (plus tard) George Jackson appliquèrent : l’idée que chacun peut avoir la volonté révolutionnaire de se transformer. (Ces récits sont presque exclusivement masculins malgré le nombre croissant de mémoires écrits par des femmes noires radicales). Que les membres du RAM aient vécu selon les principes du « Code des cadres » ou non, l’éthique maoïste servit en fin de compte à renforcer l’image laissée par Malcom X en tant que modèle révolutionnaire.

Le programme en douze points du RAM appelait à la création d’écoles de la liberté, d’organisations nationales d’étudiants noirs, de clubs de tir, de coopératives agricoles noires ─ pas seulement pour le développement économique, mais aussi pour préserver « les forces de la communauté et la guérilla » ─ et d’une armée de libération composée de jeunes et de chômeurs. Le RAM mettait l’accent sur l’internationalisme, promettant un soutien aux mouvements de libération nationale en Afrique, en Asie et en Amérique latine ainsi que l’adoption du « socialisme panafricain ». Dans le même esprit que l’essai précurseur de Cruse, « Revolutionary Nationalism and the Afro-American », les membres du RAM se considéraient comme des sujets coloniaux luttant dans une « guerre coloniale interne. » Comme l’écrivit Stanford dans un document interne intitulé « Projects and Problems of the Revolutionary Movement » (1964), « la position du RAM est que l’Africain-Américain n’est pas un citoyen des États-Unis, privé de ses droits, mais plutôt un sujet colonial asservi. Cette position établit que les Noirs aux États-Unis forment une nation captive et réprimée et qu’ils ne combattent pas pour l’intégration dans la communauté blanche, mais pour la libération nationale[41] ».

En tant que sujets coloniaux disposant d’un droit à l’autodétermination, le RAM considérait l’Afro-Amérique comme membre de facto des nations non-alignées. Les membres du RAM s’identifiaient même à une partie du « monde de Bandung », allant jusqu’à organiser une conférence en Novembre 1964 à Nashville intitulée « The Black Revolution’s Relationship to the Bandung World ». Dans un article de 1965 publié dans le journal du RAM Black America, ses membres commencèrent à développer une théorie de l’« humanisme de Bandung » ou de l’« internationalisme révolutionnaire noir », qui faisait valoir que la bataille entre l’impérialisme occidental et le Tiers-Monde ─ plus que la bataille entre le travail et le capital ─ représentait la contradiction la plus fondamentale de l’époque. Ils lièrent la lutte pour la liberté des Africains-américains à ce qui se passait en Chine, à Zanzibar, à Cuba, au Vietnam, en Indonésie et en Algérie, et inscrivirent leur travail dans la stratégie internationale maoïste consistant à encercler les pays capitalistes occidentaux et à défier l’impérialisme. Après 1966, la notion d’« humanisme de Bandung » fut entièrement écartée et remplacée par celle d’« internationalisme noir ».

Cet « internationalisme noir » fut précisément défini dans une brochure très audacieuse de trente-six pages publiée par le RAM en 1966, intitulé The World Black Revolution. Plus ou moins calqué sur Le Manifeste du Parti communiste, ce pamphlet sympathisait vivement avec la Chine à la fois contre l’Occident capitaliste et l’Empire soviétique. « L’émergence de la Chine révolutionnaire a commencé à polariser les contradictions de caste et de classe dans le monde, à la fois dans le camp de la bourgeoisie impérialiste et dans celui de la bourgeoisie européenne communiste-socialiste[42]. » En d’autres termes, le cas de la Chine révélait et renforçait les contradictions entre les peuples coloniaux et l’Occident. Rejetant l’idée que la révolution socialiste émergerait dans les pays développés d’Occident, le RAM insistait sur le fait que la seule véritable solution révolutionnaire était la « dictature du sous-prolétariat noir à l’échelle mondiale à travers la révolution noire mondiale ». Bien entendu, les auteurs ne travaillaient pas avec les définitions actuelles : le RAM utilisait la notion de « sous-prolétariat » pour inclure tous les peuples de couleur en Asie, Amérique latine, Afrique et ailleurs : « sous-prolétariat noir » était simplement synonyme de « monde colonial ». La Chine menait une lutte féroce pour défendre sa propre liberté. À présent, le reste du monde « noir » devait prendre la relève.

Le sous-prolétariat noir n’a qu’un seul moyen de se libérer du colonialisme, de l’impérialisme, du capitalisme et du néocolonialisme ; il faut détruire complètement la civilisation (bourgeoise) occidentale (les villes du monde) à travers une révolution noire mondiale et établir une dictature révolutionnaire noire mondiale pouvant mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme et bâtir le nouveau monde révolutionnaire[43].

Pour coordonner cette révolution, le RAM appelait à la création d’une International noire et d’une « Armée populaire de libération à l’échelle mondiale ».

Malgré son nationalisme véhément, The World Black Revolution conclut que le nationalisme noir était « vraiment internationaliste ». Ce n’était qu’en démolissant le nationalisme blanc/pouvoir blanc que la libération de tous pouvait être accomplie. Ce n’était pas seulement les frontières nationales qui seraient gommées par la « dictature du sous-prolétariat noir », mais aussi « la nécessité d’un nationalisme agressif[44] ». C’était une déclaration assez remarquable étant donné les racines sociales et idéologiques du RAM. Mais plutôt que de représenter une position unifiée, cette déclaration reflétait les tensions diverses qui ont perduré dans l’histoire du RAM : d’un côté, les nationalistes estimant que les révolutionnaires devaient d’abord se battre pour la nation noire et construire le socialisme indépendamment du reste des États-Unis ; de l’autre, les marxistes révolutionnaires comme James et Grace Boggs désireux de savoir qui gouvernerait la nation « blanche » et ce que signifierait une telle présence pour la liberté noire. Ces derniers rejetèrent également les efforts visant à ressusciter la thèse de la « nation noire » ─ l’ancienne ligne communiste pour laquelle les individus dans les États à majorité noire du Sud (la « Black Belt») devaient faire sécession avec l’Union fédérale. Les partisans de Boggs soutinrent que la véritable source du pouvoir résidait dans les villes, pas dans la Black Belt rurale. En janvier 1965, James Boggs démissionna de son poste de chef idéologique.

Après des années d’existence en tant qu’organisation clandestine, le RAM, dans une série de « révélations » parues dans les journaux Life[45] et Esquire[46], fut identifié comme l’un des principaux groupes extrémistes « conspirant contre “les petits Blancs” » Le groupe « Peking-backed » (Soutien à Pékin) fut considéré non seulement comme armé et dangereux, mais aussi comme « particulièrement versé dans la littérature révolutionnaire ─ de Marat et Lénine à Mao, Che Guevara et Frantz Fanon. » (La branche de Harlem du Progressive Labor Party répondit à ces articles avec un pamphlet intitulé, The Plot Against Black America, qui faisait valoir que la Chine ne finançait pas la révolution, mais qu’elle donnait un exemple de révolution par son anti-impérialisme fervent. Le pamphlet insistait sur les causes réelles de la révolte noire qui puisaient ses racines dans les conditions de vie dans les ghettos)[47]. Il n’est pas étonnant alors que ces articles tr

Burkina Faso : à propos du massacre des populations peules !

24 mars, par Serigne Sarr
Sérigne Saar. collaborateur basé au Sénégal Le récent massacre des populations peules au Burkina Faso, ciblées parce qu’elles étaient de cette communauté, appartient à cette (…)

Sérigne Saar. collaborateur basé au Sénégal Le récent massacre des populations peules au Burkina Faso, ciblées parce qu’elles étaient de cette communauté, appartient à cette catégorie d’horreurs qu’aucun silence ne saurait décemment contenir. Ce qui s’est produit est bien plus qu’un drame. C’est (…)

Le projet de loi 69 sur Hydro-Québec, « un recul en arrière important »

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Le samedi 22 mars, des milliers de travailleurs, de groupes communautaires et de citoyens concernés ont manifesté contre le projet de loi 69 de la CAQ. Ce projet de loi propose (…)

Le samedi 22 mars, des milliers de travailleurs, de groupes communautaires et de citoyens concernés ont manifesté contre le projet de loi 69 de la CAQ. Ce projet de loi propose des réformes qui pourraient voir l'infrastructure publique d'Hydro Québec tomber de plus en plus sous le contrôle de (…)

Carney et Poilievre se lancent dans la course au gouvernement

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Dix ans de Justin Trudeau au poste de Premier ministre ont pris fin, et son remplaçant, Mark Carney, a déclenché des élections anticipées printanières, la veille de la rentrée (…)

Dix ans de Justin Trudeau au poste de Premier ministre ont pris fin, et son remplaçant, Mark Carney, a déclenché des élections anticipées printanières, la veille de la rentrée parlementaire. Les Canadiens se rendront aux urnes le 28 avril, soit dans 36 jours, la campagne la plus courte possible (…)

¡ Vivas nos queremos !*

23 mars, par Sabine Bahi
Sabine Bahi, correspondante *Vivantes, nous voulons être ! Ce que le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes, ne doit pas être pour Yolanda Becerra Vega, c’est (…)

Sabine Bahi, correspondante *Vivantes, nous voulons être ! Ce que le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes, ne doit pas être pour Yolanda Becerra Vega, c’est une date instrumentalisée par et pour les grandes entreprises pour s’enrichir sur le dos de l’appauvrissement social et (…)

Combustibles fossiles

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/03/carneyfrfix.jpg23 mars, par L'Étoile du Nord
L’article Combustibles fossiles est apparu en premier sur L'Étoile du Nord.

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Le ministre Boulet encore traqué par des opposants au PL89

https://etoiledunord.media/wp-content/uploads/2025/03/signal-2025-03-21-232735_002-topaz-e1742614448873-1024x396.jpeg22 mars, par Comité de Montreal
Des syndicats et des organisations ouvrières ont confronté hier le ministre du Travail du Québec, Jean Boulet, lors de l'inauguration d'un projet de construction à (…)

Des syndicats et des organisations ouvrières ont confronté hier le ministre du Travail du Québec, Jean Boulet, lors de l'inauguration d'un projet de construction à Trois-Rivières. Il fait l'objet de vives critiques depuis le dépôt du projet de loi 89, qui accroîtrait considérablement le pouvoir (…)

L’ogre de l’illimité : une analyse de la consommation à l’ère de l’abondance

20 mars, par Marc Simard
L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local L’économie moderne se distingue par un paradoxe intrigant : produire un bien pour la première fois coûte cher, mais (…)

L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local L’économie moderne se distingue par un paradoxe intrigant : produire un bien pour la première fois coûte cher, mais chaque unité supplémentaire devient de moins en moins coûteuse. Ce phénomène favorise les achats en gros, un modèle de (…)

Sortons la CDPQ des crimes en Palestine !

20 mars, par Coalition du Québec URGENCE Palestine
Communiqué de la Coalition du Québec URGENCE Palestine Lancement de la campagne Sortons la Caisse des crimes en Palestine : Des milliards d’investissements de la CDPQ mis en (…)

Communiqué de la Coalition du Québec URGENCE Palestine Lancement de la campagne Sortons la Caisse des crimes en Palestine : Des milliards d’investissements de la CDPQ mis en cause Tiohtià:ke/Mooniyang/Montréal, le 20 mars 2025 – La Coalition du Québec URGENCE Palestine a lancé cette semaine la (…)

Entretenir l’optimisme de la volonté

Le collectif de rédaction de la revue À bâbord ! vous invite au lancement de son numéro 103 ayant pour titre de dossier « À ras bord ! ». L'événement se déroulera à la (…)

Le collectif de rédaction de la revue À bâbord ! vous invite au lancement de son numéro 103 ayant pour titre de dossier « À ras bord ! ».

L'événement se déroulera à la libraire Zone Libre (262 Rue Sainte-Catherine E) le mercredi 2 avril 2025 à partir de 18h.

Tous les détails ici !

Nous vivons des temps sombres. Dans de nombreux pays, des gouvernements autoritaires, voire fascistes, prennent le pouvoir, comme c'est notamment le cas aux États-Unis, notre puissant voisin du sud. Ce gouvernement par et pour les milliardaires s'annonce d'une brutalité jamais vue depuis des décennies.

Cette communion entre les Zuckerberg, Bezos et autres barons voleurs de la techno d'une part, et le réseau de l'extrême droite européenne et latino-américaine d'autre part, est moins étonnante qu'il n'y paraît. Certes, par le passé, les élites de ces entreprises technologiques ont pourtant prétendu avoir des sympathies pour le parti démocrate et une certaine forme de progressisme. Mais les masques sont aujourd'hui tombés : on voit se déployer une convergence paisible entre un modèle de société fondé sur la hiérarchie raciale, la binarité des genres et l'exploitation de classe et l'idéologie accélérationniste, extractiviste et techno-fasciste cultivée depuis longtemps à la Silicon Valley.

Le deuxième mandat de Trump s'annonce bien différent du premier. Les médias et les grandes entreprises libérales semblent cette fois-ci beaucoup plus conciliantes avec les stratégies des républicains. Dès les premiers jours de sa présidence, les politiques d'Équité, Diversité et Inclusion, critiquées depuis des années (par la droite, mais aussi à l'occasion par la gauche), ont fait l'objet d'un nombre de décrets important. Ainsi, ces programmes se voient interdits tant au niveau de la fonction publique fédérale américaine que dans l'armée. À l'inverse, les personnes trans sont directement ciblées par ces nouvelles mesures discriminatoires.

Dans ce contexte, les multinationales américaines ne se soumettent pas simplement à Trump : elles participent à cette reconfiguration du pouvoir, y voyant des avantages économiques. Le capitalisme, même celui en apparence « diversitaire » ou « woke », s'accommode bien de la montée du fascisme.

Qu'advient-il des subjectivités militantes dans ce contexte si difficile ? Les espaces pour se rencontrer, qu'ils soient numériques ou même physiques, semblent se rétrécir. On observe une migration importante vers différents réseaux sociaux, et par là-même une fragmentation des solidarités. Notre rapport au monde devient une expérience de plus en plus solitaire, et donc anxiogène. Combien de temps peut durer ce repli sur soi ?

S'il est vrai qu'il faut prendre soin de sa santé mentale et s'offrir les repos et ressourcements nécessaires, l'isolement et le déni ne peuvent pas être bénéfiques à terme. Face aux crises et aux assauts, la solidarité et l'action demeurent des ressources puissantes, tant pour les collectivités que pour les individus. Les forces de gauche doivent resserrer les rangs, mettre de côté les querelles de chapelle et lutter pour les droits des personnes déjà marginalisées, contre qui la violence ne fait que croître.

Il importe aussi de ne pas se contenter de résister aux attaques et de bloquer des reculs. Nous devons continuer de faire vivre les propositions radicales et émancipatrices, qui seules peuvent ultimement nous sortir de l'emprise de cette haine et de cette répression.

Antonio Gramsci disait qu'il faut savoir conjuguer le pessimisme de la raison et l'optimisme de la volonté. Gramsci savait de quoi il parlait, puisqu'il s'était lui-même confronté à l'un des initiateurs du fascisme, Benito Mussolini. Plus que jamais, il nous faut entretenir cet optimisme de la volonté. Pour sa part, Angela Davis référait récemment à Martin Luther King en disant que « face aux déceptions finies, nous avons besoin d'espoir infini ». L'espoir n'est pas de la naïveté : il est cet horizon qui nous permet de garder le cap au milieu des plus violentes tempêtes.

Couverture : Ramon Vitesse

Sommaire du numéro 103

19 mars —
Le collectif de rédaction de la revue À bâbord ! vous invite au lancement de son numéro 103 ayant pour titre de dossier « À ras bord ! ». L'événement se déroulera à la (…)

Le collectif de rédaction de la revue À bâbord ! vous invite au lancement de son numéro 103 ayant pour titre de dossier « À ras bord ! ».

L'événement se déroulera à la libraire Zone Libre (262 Rue Sainte-Catherine E) le mercredi 2 avril 2025 à partir de 18h.

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Travail

Retour sur les grèves du secteur public de 2023 : Vers une renaissance syndicale / Émile Lacombe

Dossier Noir de l'Assurance‑Chômage 2024-2025 / Entrevue avec Roxane Bélisle

Les limites de « l'entreprise citoyenne » / Thomas Collombat

Environnement

(Re)devenir écologiste / Quentin Lehmann

Sortie des cales

Feux en Californie. Une recette bien humaine du désastre / Jade Almeida

Santé

Pas de profit sur la maladie ! / Entrevue avec Réjean Leclerc

Regards féministes

Petit éloge de la bravoure / Kharoll-Ann Souffrant

Observatoire des luttes

Animal Liberation Front : La clef de voûte du Green Scare aux États-Unis / Ève Lynn Smollett

Mémoire des luttes

Max Chancy, militant et pédagogue socialiste / Alexis Lafleur-Paiement

Culture numérique

Le fédivers, un réseau social libre et résistant / Entrevue avec Evan Prodromou

Mini-dossier : L'éthique du care, partout, tout le temps !

Coordonné par Isabelle Bouchard, Alexia Leclerc, Selena Phillips-Boyle et Angelo Soares

Le care dans tous ses états / Entrevue avec Agnès Berthelot-Raffard

Le capitalisme à son apogée / Premilla Nadasen

Des obstacles importants / Entrevue avec le RÉCIFS (Regroupement, Échanges, Concertation des intervenantes et des formatrices en social)

Trans care. Se rendre « lisibles » pour se faire soigner / Emilie Morand et Patrick Martin

Dossier : À ras bord !

Coordonné par Louise Nachet et Ramon Vitesse. Illustrations : Ramon Vitesse

Être freegan : Vivre des rejets de la société de consommation / Simon Paré-Poupart

Mercier-Hochelaga-Maisonneuve : Au front pour la salubrité / André Philippe Doré

Les chimères de l'économie circulaire / Louise Nachet

Un monde jetable… / Simon Ian

Bombance et « déchets » alimentaires / Ramon Vitesse

Libérer le Nord du nucléaire / Entrevue avec Brennain Lloyd.

La récupération au service de la solidarité sociale / Entrevue avec François, membre-utilisateur de la Coop Les Valoristes

Élections municipales 2025 : Tendre vers le zéro déchet / Jean-Yves Desgagnés

Coup d'œil

Syrie, mémoire d'un printemps / Nicolas Lacroix

International

Palestine, Liban, Syrie : Réflexions diasporiques / Youssef al-Bouchi

Élections aux États-Unis et ailleurs dans le monde : Ce qui a changé / Claude Vaillancourt

L'éveil d'une nouvelle gauche au Mexique : Un mouvement progressiste indépendant gagne en force / Alexy Kalam et Daniel Arellano Chávez

Culture

Des livres militants pour une édition engagée / Entrevue avec Antoine Deslauriers et Alexis Lafleur‑Paiement

Recensions

À tout prendre ! / Ramon Vitesse

À ras bord !

Le collectif de rédaction de la revue À bâbord ! vous invite au lancement de son numéro 103 ayant pour titre de dossier « À ras bord ! ». L'événement se déroulera à la (…)

Le collectif de rédaction de la revue À bâbord ! vous invite au lancement de son numéro 103 ayant pour titre de dossier « À ras bord ! ».

L'événement se déroulera à la libraire Zone Libre (262 Rue Sainte-Catherine E) le mercredi 2 avril 2025 à partir de 18h.

Tous les détails ici !

À la fois omniprésents et invisibles, tout comme les travailleur·euses qui s'occupent de les ramasser, les déchets ne sont pas un effet secondaire déplorable et indésirable du capitalisme. Au contraire, ils sont le signe de sa domination. Un élément constitutif et nécessaire d'un système qui dépend de la création continue de surplus. La surproduction, l'obsolescence programmée, la création de besoins imaginaires ou le gaspillage sont autant de phénomènes mortifères qui semblent indéboulonnables au sein de nos sociétés.

Les déchets sont souvent traités comme un problème d'ordre technique. Une question de gestion. Il s'agit au contraire d'un problème profondément politique, ancré dans des enjeux de justice, d'inégalités sociales et environnementales, de racisme et de violence. Les impacts grandissants des dépotoirs, décharges et usines polluantes touchent encore de manière disproportionnée les communautés les plus marginalisées. Hors des centres urbains, les vastes territoires autochtones, autrefois perçus dans l'imaginaire colonial comme des espaces immaculés, sont parsemés par les dépotoirs toxiques de l'extractivisme forestier, fossile ou minier.

Pourtant, à l'image de l'effondrement de la biodiversité, l'enjeu des déchets semble avoir perdu en visibilité au sein des luttes écologiques au profit de la lutte contre les changements climatiques. De manière ironique, la popularité de la pratique du recyclage, largement adoptée dans les habitudes des Québécois·es, contribue à détourner notre attention des coûts élevés de la fabrication des biens que nous consommons et jetons, tout en nous procurant une bonne conscience.

La trajectoire du mouvement pour le recyclage, né dans les années 1970, est emblématique de l'impasse actuelle. Afin d'empêcher le développement de politiques et de lois contraignantes, les industriels ont réussi à imposer des « solutions » qui définissent les consommateurs individuels, et non les producteurs, comme les principaux responsables de la dégradation de l'environnement. Au lieu d'aspirer à des changements structurels, nous sommes toutes et tous enjoints à « faire notre part », à changer nos modes de vie, nos habitudes d'achats, au lieu de nous organiser collectivement pour lutter à la source contre la pollution et le gaspillage.

50 ans plus tard, nous produisons toujours plus de déchets, lesquels représentent une importante source de profits pour l'industrie du recyclage, largement privatisée. Malgré le caractère rassurant des expressions « durable », « réutilisable » ou « biodégradable », la majorité des déchets continuent à être brûlés, enfouis, déversés dans les océans ou exportés dans des pays du Sud global. La complexité des produits électroniques rend les processus de recyclage coûteux, inefficaces, voire impossibles. Les mouvements visant la décroissance, le zéro déchet ou la réparation, quant à eux, restent encore des mouvements de niche ou prompts à retomber dans les écueils de la consommation engagée individuelle. Les angles morts du recyclage et sa cooptation actuelle par les industriels et les pouvoirs publics nous poussent ainsi à nous questionner sur les manières de renforcer les luttes sociales et environnementales en cours et à venir, au Québec, au Canada et dans le monde ; dans un contexte morbide d'accélération des ravages du capitalisme.

Bien au-delà des ressources et de l'environnement, le capitalisme gaspille nos vies en tant qu'individus, en tant que communautés. Certains groupes tout entiers (réfugié·es, itinérant·es, chômeur·euses chroniques) sont traités comme autant d'indésirables à repousser loin de nos villes, voire de nos frontières. Contre la marchandisation, la dévalorisation et la jetabilité de nos vies, de nos corps, de nos relations et de nos imaginaires, d'autres horizons sont possibles.

Ce dossier réunit des points de vue différents, mais souvent complémentaires, dans leur manière de comprendre cette thématique complexe. Un espace éclectique de réflexions, de propositions, de luttes et même de poésie.

Dossier coordonné par Louise Nachet et Ramon Vitesse, illustré par Ramon Vitesse

Avec des contributions de Jean-Yves Desgagnés, André Philippe Doré, François de la Coop Les Valoristes, Simon Ian, Brennain Lloyd, Louise Nachet, Simon Paré-Poupart et Ramon Vitesse

Démarche artistique de Ramon Vitesse

Pour illustrer la question des déchets j'ai d'abord jonglé avec l'idée de pochoir graffiti de rue… Puis, le collage s'est imposé avec la volonté de travailler avec de la récup'. Avec une pile de Le Devoir, la technique de papier déchiré a été préférée pour l'utilisation des doigts en visant une découpe imparfaite en « dentelle ». Pour évoquer le fatras des poubelles, ajouter d'autres approches était tentant ; il y a aussi des aquarelles et une encre en stylo bille !

Publication des résultats 2024 du Fonds jeunesse du Journal des Alternatives

19 mars, par Ronald Cameron
Le 1er mars dernier, nous avons lancé notre première campagne publique. L’an dernier, à peu près à la même époque, nous sollicitions, sans faire campagne publiquement, l’appui (…)

Le 1er mars dernier, nous avons lancé notre première campagne publique. L’an dernier, à peu près à la même époque, nous sollicitions, sans faire campagne publiquement, l’appui d’organismes et de syndicats pour le Fonds jeunesse du Journal des Alternatives. À cette occasion, nous avons pris (…)

Lancement du numéro 103

Le collectif de rédaction de la revue À bâbord ! vous invite au lancement de son numéro 103 ayant pour titre de dossier « À ras bord ! ». L'événement se déroulera à la (…)

Le collectif de rédaction de la revue À bâbord ! vous invite au lancement de son numéro 103 ayant pour titre de dossier « À ras bord ! ».

L'événement se déroulera à la libraire Zone Libre (262 Rue Sainte-Catherine Est, Montréal) le mercredi 2 avril 2025 à partir de 18h.

Entrée libre, bienvenue à toutes et à tous !

L'événement se déroulera à la libraire Zone Libre (262 Rue Sainte-Catherine Est, Montréal) le mercredi 2 avril 2025 à 18h00. Les prises de parole commenceront à 18h30.Il y aura une présentation du dossier par les coordonnateurs·rices du numéro : Ramon Vitesse et Louise Nachet.

S'ensuivra la prise de parole de plusieurs des auteurs·rices du dossier.

Il y aura aussi une exposition réalisée par Selena Phillips-Boyle à partir des photos prises pour illustrer le mini-dossier sur l'éthique du care. Le mini-dossier sur le care a été coordonné par Isabelle Bouchard, Alicia Leclerc, Selena Phillips-Boyle et Angelo Soares.

Pour consulter l'événement Facebook, c'est ici.

Voici un petit extrait de la présentation du dossier principal : « À la fois omniprésents et invisibles, tout comme les travail­leur·euses qui s'occupent de les ramasser, les déchets ne sont pas un effet secondaire déplorable et indésirable du capitalisme. Au contraire, ils sont le signe de sa domination. Un élément constitutif et nécessaire d'un système qui dépend de la création continue de surplus. La surproduction, l'obsolescence programmée, la création de besoins imaginaires ou le gaspillage sont autant de phénomènes mortifères qui semblent indéboulonnables au sein de nos sociétés. »

Capitalisme et confédération – Compte-rendu de lecture

19 mars, par Archives Révolutionnaires
En 1968, l’historien Stanley B. Ryerson faisait paraître son livre Unequal Union, une œuvre de synthèse sur l’histoire du Canada. L’ouvrage, traduit en français sous le titre (…)

En 1968, l’historien Stanley B. Ryerson faisait paraître son livre Unequal Union, une œuvre de synthèse sur l’histoire du Canada. L’ouvrage, traduit en français sous le titre Capitalisme et confédération en 1972, a récemment été republié chez M Éditeur avec la collaboration de trois membres du collectif Archives Révolutionnaires. L’auteur du présent compte-rendu, quant à lui, n’a pas été impliqué dans cette réédition, mais nous offre sa propre appréciation de l’ouvrage en regard des enjeux contemporains.

Un texte de Nicholas Bourdon

Stanley B. Ryerson (1911-1998) est issu d’une famille de la bourgeoisie torontoise. Il fait cependant le choix de militer au sein du Parti communiste du Canada (PCC) et en faveur des masses laborieuses au début des années 1930. Sa formation intellectuelle lui permet de gravir rapidement les échelons et d’occuper un rôle dirigeant au sein du parti dès les années suivantes. L’implication de Ryerson au sein du PCC sera cependant marquée de soubresauts alors que les contextes international et national l’amènent à remettre en question les positions du parti. D’une part, il est profondément affecté par le Printemps de Prague en 1968. D’autre part, son attachement à l’autodétermination du Québec et le rejet du nationalisme « petit-bourgeois » par le PCC l’amènent à se distancer de celui-ci : la rupture sera définitive en 1971. À partir de ce moment, il s’investit davantage dans le milieu académique, notamment à l’UQAM où il est professeur depuis 1970. C’est avec la volonté d’élucider et de comprendre le nationalisme québécois qu’il se lance dans la rédaction de ses deux ouvrages historiques majeurs :  The Founding of Canada en 1960 et Unequal Union en 1968. Ce dernier ouvrage sera traduit en français par André d’Allemagne sous le titre Capitalisme et confédération en 1972 et publié aux éditions Parti Pris. La dernière réédition de cet ouvrage datant de 1978, M Éditeur a cru bon republier cette œuvre phare de l’historiographie canadienne en 2024, afin de la rendre accessible aux plus jeunes générations. En effet, ce livre est riche de contenu sur l’évolution politique et socio-économique du Canada au XIXe siècle dans une perspective marxiste.

Dans son premier chapitre, Ryerson nous présente sa position dans l’historiographie canadienne, soit d’accorder autant d’importance aux phénomènes socio-économiques qu’aux phénomènes nationaux. L’auteur a la prétention d’offrir une analyse matérialiste et marxiste de l’histoire du Canada tout en soulignant les revendications nationales du peuple canadien-français. Dans les chapitres 2 à 7, le contexte, le déroulement et les conséquences des insurrections du Bas et du Haut-Canada de 1837-1838 nous sont présentés synthétiquement, tout en offrant un niveau de détail suffisant pour intriguer et intéresser le lectorat. L’analyse de Ryerson sur ces événements est originale sur plusieurs plans, notamment en précisant la composition sociale du camp révolutionnaire, ainsi que celui des autorités coloniales. On constate aisément une analyse inspirée de la lutte des classes où les élites bourgeoises et le haut clergé se rangent systématiquement du côté des autorités coloniales, alors que la petite bourgeoisie et les masses ouvrières et paysannes se soulèvent majoritairement contre le régime britannique. L’auteur souligne également l’interrelation entre les revendications démocratiques et économiques des insurgés. De plus, Ryerson nous indique schématiquement les distinctions entre les ailes modérées et radicales du mouvement. En ce qui concerne le Bas-Canada, la révolution est présentée comme le fruit d’une affirmation nationale accompagnée de revendications politiques démocratiques incarnées par la devise : « Notre langue, nos institutions, nos lois ».  Finalement, l’auteur prend également le soin de fournir une analyse rigoureuse des événements révolutionnaires dans les deux Canadas en établissant les causes principales de leur échec.

Dans les chapitres 8 et 9, les conséquences immédiates de la répression violente des mouvements révolutionnaires dans les années suivant l’adoption de l’Acte d’Union en 1840 sont abordées.  L’auteur présente les mobilisations populaires comme une des causes primordiales de l’obtention du gouvernement responsable en 1848. Le blocage occasionné par le contexte colonial limitant le développement des institutions représentatives ainsi que celui d’une industrie locale insuffisamment développée prend une place importante dans la réflexion. Ensuite, les Canadiens français ne peuvent prétendre à un réel Home Rule à ce moment, puisque l’autonomie n’a été consentie qu’au moment où ceux-ci représentaient une minorité démographique dans la colonie, témoignant de l’aspect national de cette lutte. Les événements à l’échelle du monde et de l’Empire britannique ont également contribué à faire plier les autorités en faveur du gouvernement responsable, notamment avec l’arrivée massive d’immigrants irlandais victimes de la famine, la recrudescence du mouvement chartiste vers 1847-1848 dans un contexte de crise économique et, finalement, la vague révolutionnaire du printemps 1848 en Europe.

Lancement de l’ouvrage Capitalisme et confédération (Librairie N’était-ce pas l’été, novembre 2024)

Dans les chapitres 10 à 14, l’évolution industrielle du Canada est abordée sous l’angle de la transition du féodalisme au capitalisme dans les colonies britanniques en Amérique du Nord. Sans surprise, le système seigneurial au Bas-Canada est présenté comme le principal frein à la libération d’une main-d’œuvre paupérisée permettant la transition vers un capitalisme industriel dans la colonie. C’est en 1854 que ce vestige semi-féodal est aboli par les autorités coloniales, ce qui concorde selon l’auteur avec une accélération de l’industrialisation du Canada dans les années 1850 et 1860. Un autre facteur important du développement du capitalisme au Canada est la construction des chemins de fer grâce à un appui étatique important. L’ambivalence des élites canadiennes face à leur voisin du sud, les États-Unis, prend également une place importante autour de quatre points d’analyse : la pénétration économique étasunienne au Canada, l’expansionnisme étasunien, le mouvement annexionniste au Canada et le libre-échangisme entre les deux pays. D’un côté, le puissant voisin est un symbole de progrès économique, mais, de l’autre côté, il limite le développement d’un capitalisme canadien. La bourgeoisie canadienne naissante est prise entre deux feux.

Dans les chapitres 15 à 17, la volonté d’unir les différentes colonies britanniques en Amérique du Nord occupe la place principale. L’union est présentée par les élites canadiennes comme une solution pour éviter l’absorption par le puissant voisin étasunien, une façon de développer plus aisément le réseau du chemin de fer entre les colonies britanniques et d’étendre les rails de l’Atlantique jusqu’au Pacifique. Ces élites considèrent que cela favoriserait le développement capitaliste et industriel. Par contre, les autorités métropolitaines sont initialement opposées à tout projet d’union des colonies allant plus loin que le Canada-Uni de 1840 qui avait pour but de minoriser politiquement les Canadiens français. Cela s’inscrit dans une tradition de « diviser pour mieux régner ». Ce n’est que par réalisme que les Britanniques changeront leur position sur l’unité des colonies après la guerre de Sécession (1861-1865), devant la menace d’une invasion étasunienne du Canada. Malgré l’opposition initiale de la métropole, les milieux d’affaires canadiens-anglais réussissent à former une coalition pro-union qui tient le coup face à l’instabilité politique et ministérielle. MacDonald et Galt, représentants des milieux d’affaires canadiens-anglais, forment une telle alliance avec les réformistes du Canada-Ouest (Brown) ainsi qu’avec les élites économiques et cléricales canadiennes-françaises (Cartier). La réticence des Maritimes est un autre élément posant problème, qui sera réglé par des pressions politiques et économiques importantes sur celles-ci dans les années 1860. L’auteur souligne aussi avec brio l’antidémocratisme inhérent aux « Pères de la Confédération » qui voient dans le suffrage universel un mal pour la société.

Dans les chapitres 18 et 19, Ryerson aborde la place des Canadiens français et des Métis dans le contexte de l’union fédérale. Pour les premiers, la question d’un « pacte » entre les peuples francophones et anglophones est centrale. Fidèle à son habitude, Ryerson adopte une position mitoyenne entre les deux grandes écoles historiographiques sur le sujet. Sa position se résume ainsi : un « pacte » est établi entre Cartier et MacDonald avant les réunions de Québec et de Charlottetown sur les bases du futur régime fédératif. Celui-ci octroie certains pouvoirs locaux aux gouvernements provinciaux, ce qui permettrait de facto une autonomie limitée au Québec sur les questions culturelles et linguistiques. Cependant, l’auteur soulève les limites du nationalisme traditionnel et conservateur des élites canadiennes-françaises qui ne voulaient pas d’un régime binational, perçu comme trop radical et républicain. En ce qui concerne les Métis, leurs mobilisations sont présentées comme une véritable affirmation de la souveraineté des peuples des Plaines menant à la création du Manitoba en 1870. Sans la résistance des Métis à l’autorité canadienne dans l’Ouest, aucune concession n’aurait été accordée en faveur de leurs revendications. Le gouvernement MacDonald approchera d’abord le problème par une apparente conciliation et de nombreuses intrigues, par manque de moyens militaires, mais optera finalement pour la confrontation qui aura raison des membres du gouvernement provisoire des Métis qui seront emprisonnés ou bien poussés à l’exil. Ce tour de force permet aux colons anglophones de s’imposer démographiquement dans la province.

Dans le dernier chapitre, Ryerson revient sur le développement parallèle de deux mouvements nationaux principaux au Canada (les nationalismes canadien-anglais et canadien-français), ainsi que sur le mouvement ouvrier et prolétarien, afin de conclure en étayant à nouveau sa thèse principale. À cet effet, l’évolution du Canada est principalement caractérisée par deux collectivités nationales dans une situation inégalitaire et coloniale en défaveur de la nation canadienne-française. Selon l’auteur, ce développement national est parallèle au développement du capitalisme industriel qui voit également l’émergence d’une classe prolétarienne embryonnaire. Il conclut que le projet d’union fédérale, fait par et pour les élites bourgeoises des deux collectivités nationales, n’a jamais réussi à inclure la majorité, soit les classes travailleuses. L’auteur affirme clairement que l’égalité réelle devra passer par la fin du monopole de la propriété privée de la classe bourgeoise au détriment de la majorité, ainsi que par la reconnaissance formelle du principe d’autodétermination des peuples composant le Canada.

Pour conclure, l’ouvrage Capitalisme et confédération de Stanley B. Ryerson constitue une excellente synthèse de l’histoire politique et socio-économique du Canada au XIXe siècle. L’auteur ne s’en cache pas, il défend une approche marxiste pour interpréter les événements de l’histoire canadienne, tout en y intégrant la question nationale. Cela constitue l’élément le plus fort et le plus riche de l’ouvrage. Un autre élément intéressant et original de ce livre est la capacité de l’auteur à rattacher les événements proprement canadiens au contexte international. Par exemple, Ryerson lie habilement les mouvements insurrectionnels du Canada au mouvement chartiste en métropole, ou encore, il aborde avec justesse l’expansion impérialiste britannique pour l’accès au Pacifique dans le but d’obtenir un débouché commercial vers la Chine. En effet, ce livre est rempli de bonnes intuitions, peu abordées dans l’historiographie de son époque, qui ont permis à des recherches subséquentes d’approfondir ces thèmes effleurés par Ryerson. On pense notamment au lien avec le mouvement chartiste qui offre les bases d’une interprétation des insurrections canadiennes dans le contexte des révolutions atlantiques.

Cependant, ces intuitions, bien qu’intéressantes, ne sont pas suffisamment développées et sont lacunaires à certains égards. L’ouvrage concentre plutôt ses réflexions, comme annoncé, sur l’interrelation entre les revendications d’autonomie politique et les revendications nationales, ainsi que sur le développement du capitalisme canadien. Pour ce dernier sujet, l’interprétation est intéressante et bien défendue, mais reste majoritairement statistique et se cantonne à l’interprétation classique du développement industriel permis par un surplus de main-d’œuvre paupérisée et par « l’accumulation primitive du capital ». À mon avis, il aurait été intéressant d’explorer davantage d’autres formes de subsistance du mode de production féodal que le régime seigneurial, comme les corporations de métier. Une autre critique récurrente de l’ouvrage est son traitement des premiers peuples. Ryerson a eu le flair de les inclure dans son narratif, mais ceux-ci sont souvent présentés comme de simples victimes du régime colonial et capitaliste. L’auteur les relègue donc inconsciemment à un rôle passif dans l’histoire. Le chapitre sur les Métis constitue une belle tentative de l’auteur de ne pas reléguer les Autochtones à ce rôle, mais celui-ci manque de profondeur et n’est pas tout à fait convaincant quant aux autres nations présentes dans les Prairies.

Cela n’en fait pas un mauvais livre pour autant puisqu’il a ouvert la porte à plusieurs réflexions qui ont été explorées et élucidées par les générations subséquentes. Capitalisme et confédération reste, à mon avis, un ouvrage essentiel et incontournable pour comprendre et s’initier, sur des bases solides, à l’histoire canadienne.

Photo de couverture : Adrien HébertLes charbonnages (c. 1928)

Réseau militant intersyndical de QS/Résolutions pour le Conseil national du 5-6 avril 2025

18 mars, par Réseau militant intersyndical de QS — , ,
Voici trois résolutions adoptées en AG par le RMI en vue du Conseil national de Québec solidaire le 5 et 6 avril prochain. La première propose de mettre à l'OJ le lancement (…)

Voici trois résolutions adoptées en AG par le RMI en vue du Conseil national de Québec solidaire le 5 et 6 avril prochain.

  1. La première propose de mettre à l'OJ le lancement d'une campagne politique pour un front uni contre la droite.
  2. La deuxième est une résolution d'urgence pour accentuer l'appui aux licenciés d'Amazon.
  3. La troisième est une résolution d'urgence en appui aux mobilisations contre le PL 89 brimant le droit de grève.

Solidairement,
Roger Rashi
Pour le comité de coordination du Réseau militant intersyndical

1. Face à la montée de l'extrême droite, de l'austérité et de l'antisyndicalisme Lançons une riposte unitaire et populaire

Considérant que le projet de loi 89, dit « Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out », proposé par le gouvernement caquiste, brime le droit de grève, constitue l'une des pires attaques contre le mouvement syndical québécois depuis plus de 40 ans et vise à affaiblir la riposte ouvrière et populaire aux attaques patronales et gouvernementales,

Considérant que la fermeture par AMAZON de ses sept entrepôts au Québec afin d'empêcher la syndicalisation de ses employé-es démontre tout le mépris de cette multinationale américaine, dont le patron Jeff Bezos est un proche allié de Donald Trump, envers la classe ouvrière québécoise et nos lois du travail,

Considérant que le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral vont profiter de la guerre commerciale déclenchée par l'administration Trump pour accroitre les mesures d'austérité, renforcer leurs politiques d'appui aux grandes entreprises et accentuer les reculs au niveau environnemental,

Considérant que lors du 8 mars dernier, un mouvement de groupes sociaux et communautaires, tel que Mères au front, s'est mis en marche pour protester contre la montée de l'extrême droite et de la misogynie, et qu'au courant de l'année qui vient des actions de la Marche mondiale des femmes s'organiseront à travers le monde,

Considérant que les politiques agressives, chauvines, racistes et intolérantes de l'administration Trump favorisent la montée de l'extrême droite -ici et dans le monde- ; briment les droits des femmes, des minorités, et des peuples ; aggravent les tensions géopolitiques et multiplient le danger de guerre,

Nous proposons
que Québec solidaire appuie résolument par une campagne publique, tant au parlement que dans la rue, les mobilisations sociales en cours et favorise leur convergence dans un front uni des luttes contre l'antisyndicalisme, notamment du projet de loi 89, l'austérité et l'extrême droite.

que le lancement d'une telle campagne publique contre le vent de droite est la meilleure façon de mobiliser nos membres, d'activer nos structures régionales et locales et d'accroitre notre appui populaire.

que cette proposition de lancer une campagne publique pour une riposte unitaire et populaire soit mise à l'ordre du jour et discutée lors du Conseil national du 5 et 6 avril prochain.
(Résolution adoptée comme ajout au Cahier de propositions du CN 5-6 avril 2025)

2. Résolution d'urgence en appui aux licenciés d'Amazon

Il est proposé que Québec solidaire :
Appuie énergiquement la campagne de boycottage publique et institutionnelle d'Amazon,

Appuie la revendication des travailleurs-euses licenciés exigeant un an d'indemnités de la part d'Amazon,

Exige le remboursement par Amazon de toutes les subventions accordées par le gouvernement,

Exige que, dans l'éventualité d'un jugement du tribunal administratif du travail contre Amazon, la compagnie délinquante soit interdite d'opérer sur le territoire québécois.

3. Résolution d'urgence en appui aux mobilisations contre le projet de loi 89 brimant le droit de grève

Il est proposé que Québec solidaire :

Continue de dénoncer sans arrêt le projet de loi 89 et toutes les formes de recul que tente d'imposer la CAQ au droit de grève et aux droits des travailleurs et travailleuses,

Appuie les mobilisations qui seraient lancer dans le cadre d'une campagne contre ce projet de loi profondément anti-démocratique et antisyndicale

À Khiam, la mémoire de l’occupation israélienne sous les bombes

18 mars, par Amélie David
Amélie David, correspondante à Beyrouth Sur les hauteurs du village de Khiam, au sud du Liban, se dresse l’ancienne prison. Entre 1985 et 2000, environ 3 000 personnes y ont (…)

Amélie David, correspondante à Beyrouth Sur les hauteurs du village de Khiam, au sud du Liban, se dresse l’ancienne prison. Entre 1985 et 2000, environ 3 000 personnes y ont été emprisonnées et y ont subi les pires traitements. Cette prison était alors dirigée par l’armée du Liban-Sud, une (…)

L’impact de l’arrivée de Costco à Rimouski : enjeux et perspectives

18 mars, par Marc Simard
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L’auteur fait partie de l’Initiative de journalisme local L’arrivée imminente de Costco à Rimouski, prévue pour 2025, suscite des discussions animées parmi les acteurs économiques locaux, surtout maintenant que le rapport de la SOPER a été rendu public récemment. La question centrale reste de (…)
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