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Quand le capitalisme brise les hommes : la crise toxique de la masculinité en Corée du Sud et ses implications pour le monde.
La Corée du Sud offre un aperçu effrayant de ce qui pourrait être l'avenir des questions de genre dans un capitalisme avancé. Bien qu'elle soit en tête du classement mondial en matière de formation universitaire des femmes, cette société hyperconnectée affiche le plus grand écart salarial entre les sexes de l'OCDE, tandis que la misogynie numérique se développe sans contrôle.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les conséquences en sont dévastatrices : du féminicide de la station Gangnam en 2016 au récent scandale de l'esclavage sexuel numérique « nth room », la haine en ligne se traduit régulièrement par des actes de violence dans le monde réel.
Cette masculinité toxique ne surgit pas de manière isolée. Alors que l'économie néolibérale détruit les privilèges masculins traditionnels (emploi stable, avantages liés au service militaire, hiérarchie sociale), les jeunes hommes frustrés redirigent leur colère non pas vers la responsabilité du système capitaliste, mais vers les femmes et les féministes. Des influenceurs antiféministes comme Bae In-gyu exploitent cette rage et se constituent une audience massive en promouvant la misogynie extrême comme une forme de résistance politique.
Les ramifications politiques sont évidentes. L'ancien président Yoon Suk-yeol a utilisé l'antiféminisme comme arme pour s'assurer le pouvoir, en supprimant les programmes destinés aux femmes et en retirant la « parité hommes-femmes » de la politique gouvernementale. La proclamation récente de la loi martiale et la destitution qui a suivi montrent que les attaques contre les droits des femmes sont souvent le signal d'attaques plus générales contre la démocratie.
Pour les féministes écosocialistes du monde entier, la Corée du Sud est à la fois un avertissement et une chance : comprendre comment le capitalisme alimente les guerres entre les sexes tout en renforçant la solidarité entre les mouvements pour une véritable libération. [AN]
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« Les hommes ne savent pas pourquoi ils sont devenus malheureux » : la guerre des sexes toxique qui divise la Corée du Sud
La masculinité toxique est un phénomène mondial, mais nulle part ailleurs elle n'est plus virulente que dans cette société hypermoderne et connectée. Que peuvent apprendre les autres pays de ce « point zéro » de la misogynie ?
Un soir de novembre 2023, dans la ville sud-coréenne de Jinju [1], une femme nommée On Ji-goo était en train de travailler de nuit dans une supérette lorsqu'un jeune homme a fait irruption et s'est mis à faire tomber agressivement des articles des rayonnages. Lorsqu'elle lui a demandé de faire attention, il s'est tourné vers elle et lui a dit : « Je suis furieux, alors ne me touche pas. »
La situation a dégénéré. Lorsque On a essayé d'appeler à l'aide, il lui a pris son téléphone et l'a jeté dans le micro-ondes du magasin. Elle a essayé de l'en empêcher, mais il l'a attrapée par le col et les bras, la traînant sur plusieurs mètres et la projetant contre les étagères. Ce fut le début d'une violente agression. Tout au long de celle-ci, il a répété qu'il « ne frappait jamais les femmes », mais que les féministes « méritaient d'être battues ».
Lorsqu'un client plus âgé a tenté d'intervenir, l'agresseur s'en est également pris à lui, lui lançant : « Pourquoi ne soutenez-vous pas un autre homme ? » Lorsque la police est arrivée, il a déclaré faire partie d'un groupe de défense des droits des hommes et a demandé à des agents masculins de le menotter. Il a ensuite admis avoir pris On pour cible à cause de ses cheveux courts.
« Avant cela, je n'avais qu'une compréhension très basique du féminisme, celle que toute femme peut naturellement avoir », explique On, une écrivaine en devenir qui utilise un pseudonyme.
Nous nous rencontrons par un après-midi ensoleillé dans un café de Jinju, où elle vit toujours, à quelques pâtés de maisons du magasin. C'est une ville provinciale endormie de moins de 350 000 habitants, à quatre heures de Séoul en train à grande vitesse. Le visage de On est caché derrière un masque et un bonnet enfoncé sur la tête. Ayant dû supporter les questions inquisitrices des médias locaux après son agression, elle met un certain temps à baisser sa garde. « Je ne comprenais pas vraiment la discrimination dont sont victimes les femmes, ou plutôt je l'avais acceptée comme normale », dit-elle.
L'agression la laisse avec une perte auditive permanente et un traumatisme grave. L'auteur a été condamné à trois ans de prison. Dans un jugement qui a fait date, la cour d'appel a reconnu la misogynie comme le moteur de l'agression, la première fois qu'un tribunal sud-coréen reconnaissait une telle haine comme motif criminel.
L'histoire de On n'est pas unique dans un pays où les inégalités systématiques et la misogynie virulente en ligne ont plongé principalement la génération Z et les milléniaux dans une bataille acharnée entre les sexes. Alors que des luttes similaires sur le genre et le féminisme se déroulent à travers le monde, des États-Unis à l'Europe, la Corée du Sud est devenue le lieu de référence de la guerre des sexes, sa population hautement connectée et familiarisée avec le numérique amplifiant cette tendance à un rythme sans précédent.
Inégalités hyperconnectées
Dans la culture masculine, on ne peut pas dire ce que l'on pense à ses supérieurs. Alors, vers qui cette frustration se dirige-t-elle ? Vers les femmes
À première vue, la Corée du Sud semble être une société hypermoderne, caractérisée par sa contribution positive à la culture pop mondiale, ses technologies de pointe et ses paysages urbains impeccables. Mais sous cette façade se cache un fossé entre les sexes qui semble appartenir à une autre époque. Parmi les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques [2], la Corée du Sud occupe la première place en matière d'accès des femmes à l'enseignement supérieur, mais affiche néanmoins le plus grand écart salarial entre les sexes. Les femmes restent largement exclues des postes de direction, et la Corée du Sud se classe systématiquement dernière en matière d'égalité des sexes sur le lieu de travail. Alors que le pays est à la pointe de la connectivité Internet et de l'innovation high-tech, ces mêmes espaces numériques sont devenus le terreau de certaines des communautés antiféministes les plus toxiques, transformant la haine virtuelle en violence réelle.
La manifestation la plus effroyable de ce phénomène s'est produite en 2016, lorsqu'une femme de 23 ans a été brutalement assassinée dans des toilettes publiques près de la gare de Gangnam [3], au cœur du quartier des affaires et des divertissements de Séoul. Le meurtrier, qui avait attendu pendant des heures une victime féminine au hasard, a déclaré à la police qu'il avait agi ainsi parce que « les femmes m'ont toujours ignoré ». Cette affaire a marqué un tournant, déclenchant des manifestations massives, mais le harcèlement numérique des femmes s'est poursuivi. En 2018, il s'était tellement normalisé qu'il était courant de voir dans les toilettes publiques des panneaux indiquant qu'elles avaient été contrôlées pour vérifier l'absence de caméras cachées, et des milliers de femmes ont protesté contre l'épidémie de caméras espionnes et de « pornographie vengeresse ». La crise s'est aggravée en 2020 avec la célèbre affaire « nth room » [4] d'esclavage sexuel numérique, dans laquelle les utilisateurs d'un réseau de salons de discussion Telegram ont fait chanter des femmes et des mineures pour les obliger à réaliser des contenus sexuellement explicites chez elles. En 2024, une nouvelle menace est apparue : la pornographie de type « deepfake » ciblant les écolières, dont les auteurs, souvent eux-mêmes mineurs, utilisaient la technologie de l'IA pour superposer des visages de femmes sur des contenus sexuellement explicites et diffuser les images via des chaînes Telegram, dont certaines comptaient des centaines de milliers de membres.
Fertile terrain numérique
Ces crimes numériques ne sont pas issus du néant. Dans les recoins les plus sombres de l'Internet sud-coréen, des jeunes hommes se rassemblent anonymement pour partager leur rage. Alors que l'Occident a 4chan et Reddit, la Corée du Sud a Ilbe [5] – « le meilleur de la journée » – qui, à son point culminant au milieu des années 2010, figurait parmi les 10 sites les plus visités du pays. L'influence de ce forum dépasse largement le domaine numérique. Ses utilisateurs ont été les premiers à utiliser des termes dépréciatifs tels que kimchi-nyeo (« fille kimchi », souvent traduit par « salope kimchi ») pour se moquer des femmes qu'ils considèrent comme des croqueuses de diamants matérialistes. Ces termes se sont rapidement infiltrés dans le discours dominant, les médias adoptant le suffixe -nyeo dans leurs titres pour critiquer toute femme se comportant mal en public.
À mesure que son influence grandissait, Ilbe a commencé à se radicaliser pour s'aligner sur la politique d'extrême droite et orchestrer des actions provocatrices hors ligne. En 2014, un utilisateur d'Ilbe a fait sauter un engin explosif artisanal lors d'un discours d'un activiste progressiste, affirmant que l'orateur était pro-Corée du Nord – une accusation courante de la droite dans un pays où le clivage gauche-droite reste marqué par les divisions de la guerre froide – tandis que d'autres se moquaient des familles des victimes du naufrage du ferry Sewol en 2014 [6] en se goinfrant de pizza devant les parents en deuil qui faisaient une grève de la faim pour réclamer une nouvelle législation à la suite de la tragédie.
Si la popularité d'Ilbe a décliné, son héritage perdure dans des communautés en ligne connues sous le nom de namcho, abréviation de namseong chogwa, qui signifie « excès d'hommes ». Ces sphères masculinistes se sont répandues sur les forums et les applications de messagerie, permettant aux jeunes hommes de partager leurs griefs à l'égard du féminisme et de ce qu'ils considèrent comme une discrimination à rebours.
« Si on accède à l'internet libre avant d'avoir été correctement éduqué, notre vision du monde est foutue », explique Kim Min-sung, dans son bureau de Guri, une ville située à l'est de Séoul. Cet activiste de 22 ans, qui était lui-même antiféministe, s'exprime avec une énergie contagieuse, ponctuant ses propos sérieux de éclats de rire.
Comme beaucoup de garçons coréens, Kim a découvert ces forums dès son plus jeune âge. Il se souvient avoir recherché des contenus innocents, tels que des vidéos amusantes, pour se retrouver progressivement exposé à des contenus misogynes. Il admet avoir répété des discours antiféministes sans les comprendre, simplement parce que c'était ce que faisaient tous ceux qui l'entouraient.
Le revirement de Kim est venu d'une source inattendue : les jeux de rôle fantastiques. Il y a trouvé une communauté majoritairement féminine et progressiste. Au début, dit-il, « je me taisais et je me contentais de jouer à Donjons et Dragons. Mais en les écoutant, on se met naturellement à discuter de manière informelle et on se rend compte que la vision du monde que l'on avait à partir de ces forums en ligne n'était que des exagérations, des caricatures et des fantasmes ».
Aujourd'hui, Kim dirige la Korean Game Consumer Society (Société coréenne des consommateurs de jeux vidéo) et lutte contre la même haine en ligne à laquelle il avait autrefois contribué. Il reçoit désormais régulièrement des menaces de mort, ce qu'il trouve étrangement valorisant. Néanmoins, « je ne fais que combattre les symptômes. Je ne pense pas que ce que je fais résolve le cœur du problème. Les hommes ne savent pas pourquoi ils en sont arrivés là, ils ne savent pas pourquoi ils sont devenus malheureux. »
Les racines économiques du ressentiment
Selon la professeure Seungsook Moon, sociologue et experte en études de genre au Vassar College aux États-Unis, la colère qui explose en ligne reflète des changements sociétaux plus profonds. Elle attribue le mécontentement des jeunes hommes au fait que la Corée du Sud a adopté le néolibéralisme [7]. « Avant la démocratisation [8], lorsque les régimes militaires dirigeaient la Corée, le gouvernement pouvait créer des emplois stables », explique-t-elle. « Jusqu'à la fin des années 80, les hommes qui étaient simplement allés à l'université pouvaient trouver un emploi dans de bonnes entreprises. L'économie était en pleine expansion. » Mais au milieu des années 90, ces hommes ont été licenciés et « lorsque la hiérarchie sociale change, les groupes habitués à des positions plus puissantes ou privilégiées réagissent avec une intense émotion à la perte de leur statut et du respect dont ils jouissaient ».
Ce ressentiment est particulièrement vif autour du service militaire, obligatoire pendant 18 mois pour les hommes valides, que beaucoup considèrent comme un fardeau injuste dans le contexte économique précaire actuel. Ce grief n'est pas nouveau : en 1999, la Cour constitutionnelle a invalidé le système de bonification pour service militaire, qui accordait des points supplémentaires aux anciens combattants dans les recrutements du secteur public. La Cour a estimé que ce système était discriminatoire envers les femmes et les personnes handicapées, renforçant ainsi le sentiment de nombreux jeunes hommes de perdre leurs privilèges traditionnels sans bénéficier de nouvelles protections.
Le sentiment de victimisation masculine est très répandu : une enquête réalisée en 2021 par Hankook Research a révélé que si seulement 38% des hommes âgés de 20 à 29 ans estimaient que les femmes étaient victimes d'une grave discrimination dans la société, 79% pensaient que les hommes l'étaient. 70% des hommes âgés de 30 à 39 ans se considéraient comme victimes de discrimination fondée sur le genre.
Montée en puissance des influenceurs antiféministes
Dans ce contexte de frustration, de nouvelles voix se sont élevées pour prétendre représenter les intérêts des jeunes hommes. Parmi elles, New Men's Solidarity, dont l'influence est devenue évidente lorsque l'agresseur de On a fièrement déclaré en être membre. Le groupe et son leader, Bae In-gyu – l'équivalent sud-coréen d'Andrew Tate [9] – accumulent des millions de vues sur YouTube avec des contenus qui attribuent les difficultés des jeunes hommes au féminisme. Bae affirme qu'il s'agit d'une « maladie mentale » et d'un « fléau social », et a suscité l'indignation en déclarant que les victimes du « nth room » étaient des « putes ».
La montée en puissance de Bae reflète le passage du mouvement antiféministe coréen de l'anonymat en ligne à l'action dans le monde réel. Raffiné et théâtral, il se présente dans des costumes impeccables, s'adressant à la foule sur des estrades ou du haut de véhicules, mêlant sa rhétorique à la politique d'extrême droite coréenne, farouchement anti-chinoise, anti-nord-coréenne et anticommuniste. À l'instar de ses homologues occidentaux, il présente les féministes comme une menace existentielle, des « misandres extrémistes » qui « prônent la suprématie féminine » dans le but précis de provoquer des conflits entre les sexes. Se désignant lui-même comme « hyung » (grand frère), Bae cultive un lien affectif avec des jeunes hommes désabusés, qu'il rallie à sa cause en leur demandant de financer son action militante par des dons.
Cette approche a inspiré un écosystème plus large de créateurs de contenu antiféministe, tels que le « cyber-saboteur » PPKKa, un YouTuber masqué comptant plus d'un million d'abonnés qui a été suspendu de YouTube pour avoir tourné en dérision les inquiétudes des femmes concernant la pornographie deepfake. Ensemble, ces personnalités numériques ont développé l'héritage des premiers militants pour les droits des hommes, tels que Sung Jae-gi du groupe Man of Korea, dont le suicide en 2013 – en se jetant d'un pont pour faire connaître son organisation – a créé une figure martyre pour le mouvement que Bae allait plus tard rebaptiser et radicaliser.
L'instrumentalisation politique
Ces voix antiféministes ont eu une influence déterminante sur la politique du pays. Le 27 mai dernier, quatre candidats en lice pour devenir le prochain président de la Corée du Sud se sont affrontés lors d'un débat télévisé national. Lee Jun-seok, 40 ans, diplômé de Harvard et dirigeant du parti conservateur Reform, une formation relativement peu importante, a posé une question crue à l'un de ses rivaux : « Si quelqu'un dit vouloir enfoncer des baguettes dans les parties génitales d'une femme ou dans un endroit similaire, est-ce de la misogynie ? » La remarque de Lee a provoqué une onde de choc dans tout le pays. Les réseaux sociaux ont explosé d'indignation, des étudiant.e.s ont fait des conférences de presse pour exiger le retrait de Lee de la course et des associations de femmes ont saisi la justice.
Lee s'est d'abord fait connaître en tant qu'expert, affirmant que la jeune génération « n'avait pas connu les inégalités entre les sexes » et que les politiques telles que les quotas pour les femmes étaient « anachroniques ». De la même manière que pour Jordan Peterson [10] en Occident, les références élitistes et le style éloquent de Lee ont donné une légitimité intellectuelle à des opinions qui étaient jusqu'alors confinées à des forums namcho sous couvert d'anonymat.
Son message antiféministe a été repris par l'ancien président Yoon Suk Yeol [11], qui a compris à quel point ce discours pouvait mobiliser efficacement les jeunes électeurs masculins. Lors de sa campagne électorale en 2022, cet ancien procureur sans expérience politique préalable a affirmé qu'il n'y avait « aucune discrimination structurelle fondée sur le genre » en Corée du Sud. Dans une démarche qui préfigurait l'attaque de l'administration Trump contre les programmes de diversité, d'équité et d'inclusion aux États-Unis, Yoon a promis de supprimer le ministère de l'Égalité des sexes au motif qu'il se focalisait trop sur les droits des femmes et n'était plus nécessaire. Cette stratégie s'est avérée déterminante dans l'une des élections présidentielles les plus serrées de l'histoire de la Corée du Sud, Yoon l'emportant avec seulement 0,73% d'avance, soit moins de 250 000 voix. Les sondages à la sortie des urnes ont révélé un fossé considérable entre les sexes parmi les jeunes électeurs : près de 59% des hommes dans la vingtaine ont soutenu Yoon, tandis que 58% des femmes du même âge ont soutenu son adversaire progressiste.
Sous la présidence de Yoon, les budgets consacrés aux programmes de prévention de la violence à l'égard des femmes ont été réduits et les mots « égalité des sexes » ont été supprimés des politiques gouvernementales et des programmes scolaires. Dans la nuit du 3 décembre 2024, Yoon a fait une déclaration stupéfiante : il a décrété la loi martiale pour lutter contre les « forces anti-étatiques » et a accusé le parlement, contrôlé par l'opposition, d'être un « repaire de criminels ». En quelques heures, les troupes ont encerclé l'Assemblée nationale et on a vu des élus sauter par-dessus les grilles et bousculer les soldats pour organiser un vote d'urgence. Le décret a été abrogé six heures seulement après son entrée en vigueur.
S'ensuivirent plusieurs mois de manifestations massives réclamant la destitution de Yoon, menées en grande partie par des jeunes femmes. Dans le vieux palais de Gyeongbokgung à Séoul [12], Jeong Yeong Eun, de l'Association des femmes de Séoul, a organisé les rassemblements féministes « Yoon Suk Yeol out », au cours desquels les participantes ont tour à tour dénoncé les atteintes du gouvernement aux droits des femmes. « Lorsqu'il a déclaré la loi martiale, cela s'inscrivait dans la continuité de la manière dont son administration avait sapé la démocratie et exclu la voix des femmes », m'avait-t-elle confié à l'époque. Ces manifestations se sont poursuivies tout au long de l'hiver rigoureux de Séoul. « Les gens présentent les choses comme si les femmes venaient d'apparaître pour la première fois », a déclaré Jeong. « Nous avons toujours été présentes dans les mouvements de protestation précédents. Nous sommes déterminées à ne pas laisser nos apports être effacés et à faire entendre notre voix. »
En avril, la Cour constitutionnelle sud-coréenne a confirmé à l'unanimité la destitution de Yoon, estimant que sa proclamation de la loi martiale constituait une « grave trahison de la confiance du peuple ». Les élections anticipées qui ont suivi en juin 2025 ont vu Lee Jae Myung [13] du Parti démocrate remporter la victoire avec 49,4% des voix.
Mais c'est Lee Jun-seok qui allait être le symbole de la profondeur du fossé entre les sexes en Corée du Sud. Ses remarques sur les baguettes lui ont peut-être coûté des voix, mais elles ont renforcé son attrait auprès de ses principaux partisans. Bien qu'il n'ait obtenu que 8,34% des voix au niveau national, les résultats des sondages à la sortie des urnes ont révélé une autre fracture profonde entre les sexes et les âges : près d'un homme sur quatre ayant entre 20 et 29 ans a voté pour lui, ainsi que 17,7% des hommes âgés de 30 à 39 ans. Méprisants à l'égard des candidats traditionnels, ils se sont ralliés à une figure qui incarnait leur ressentiment à l'égard du féminisme, du service militaire et de ce qu'ils percevaient comme une discrimination à rebours. Même le nouveau président Lee Jae Myung a semblé se rallier à cette cause en juillet lorsqu'il a demandé à son cabinet d'étudier la « discrimination masculine » et d'élaborer des contre-mesures.
Des tendances mondiales, des extrêmes coréens
Cette fracture politique entre les sexes n'est pas propre à ce pays : elle s'inscrit dans une tendance mondiale qui voit les jeunes femmes pencher vers la gauche tandis que les jeunes hommes dérivent vers la droite. Cependant, nulle part ailleurs le « fossé idéologique » n'est aussi extrême qu'en Corée du Sud, où la fracture est exacerbée par la collision entre les pressions économiques et l'évolution des valeurs, selon la politologue Min Hee Go de l'université féminine Ewha [14] à Séoul. « Il s'agit de savoir qui obtient la plus grande part du gâteau, qu'il s'agisse de ressources matérielles, de perspectives d'emploi ou même de bons partenaires », explique-t-elle. « La concurrence est très rude, en particulier dans un environnement où les jeunes doivent rivaliser comme jamais auparavant. »
Les élections de cette année ont également envoyé un signal d'alarme concernant l'avenir de la participation des femmes à la vie politique sud-coréenne. Pour la première fois en 18 ans, aucun des six candidats à la présidence n'était une femme.
Alors que la guerre des sexes s'intensifie, même les anti-misogynes ont parfois adopté des tactiques toxiques. Ce qui a commencé comme un « miroir » – renverser la rhétorique misogyne pour cibler les hommes – s'est transformé en formes de résistance de plus en plus extrêmes. Ainsi, tandis que les forums masculins se moquaient du corps des femmes, les féministes de Megalia [15] – une communauté en ligne apparue en 2015 – ont tourné en dérision la taille du pénis. Lorsque les femmes ont été qualifiées de « salopes au kimchi », les Megaliennes ont inventé des termes pour désigner les hommes, tels que hannam-chung (« insecte masculin coréen »). Bien que Megalia ait désormais fermé ses portes, elle est devenue un bouc émissaire commode pour ceux qui cherchent à délégitimer l'activisme féministe.
Au cours de l'année écoulée, l'attention mondiale s'est tournée vers le mouvement marginal « 4B » [16], qui prône le retrait complet d'un système qu'il considère comme irrémédiablement patriarcal. Ses adeptes rejettent les rencontres amoureuses, le mariage, la maternité et toute relation romantique avec un homme.
Ces réactions radicales ont contribué à alimenter une opposition plus large au féminisme. Même les hommes et les femmes qui soutiennent l'égalité des sexes prennent désormais souvent leurs distances par rapport à ce terme, qui tend à être assimilé à une injure. Aujourd'hui, le simple fait d'être accusé de sympathies féministes peut pousser les entreprises à présenter des excuses publiques.
En 2023, une animation apparemment anodine dans une publicité pour le jeu MapleStory a déclenché une tempête. Elle montrait le geste d'une main passant d'un poing à un cœur, mais les joueurs masculins ont affirmé que cette figure pouvait être interprétée comme un signe féministe se moquant du petit appareil génital masculin. En quelques heures, les forums en ligne se sont enflammés. Le studio a publié des excuses et des utilisateurs anonymes ont passé au crible les comptes de réseaux sociaux des employées féminines, à la recherche de preuves de sympathies féministes. Lorsqu'ils ont découvert une artiste féminine qui correspondait à leur image de l'ennemie, ils ont exigé son licenciement immédiat.
La société, initialement prête à se plier à leur demande, n'a changé d'avis qu'après l'intervention de la Korean Game Consumer Society, qui a convaincu la direction de rester ferme face à cette bande de cyber-agresseurs. L'ironie de la situation, c'est que par la suite, il s'est avéré que l'animation avait été conçue par un artiste masculin d'une quarantaine d'années. Malgré cela, l'artiste féminine a subi un « doxage » en ligne et a été victime de harcèlement et d'insultes à caractère sexuel.
Établir des passerelles
Un certain nombre de militant-e-s travaillent discrètement pour s'attaquer aux causes profondes de la fracture entre les sexes en Corée du Sud. Dans son bureau confortable, aux allures de chalet, situé près du marché Mangwon de Séoul [17], Lee Han se prépare à parcourir le pays pour animer des débats dans les classes sur la violence sexiste. Il s'agit d'un équilibre délicat à trouver, car les écoles lui demandent souvent d'éviter d'aborder tout sujet jugé controversé. Mais Lee et son groupe, « Féminisme avec lui », insistent sur le fait que le dialogue est la seule voie à suivre : « Nous devons nous exprimer et partager ce que nous avons appris. » Ce qui a commencé en 2017 comme un petit club de lecture féministe s'est rapidement transformé en quelque chose de plus ambitieux. Aujourd'hui, avec huit membres actifs, ils organisent des discussions, participent à des rassemblements politiques et s'efforcent de créer des espaces de dialogue véritable sur le genre.
L'approche de Lee est modelée par son propre parcours dans l'armée : « C'était horrible. On ne peut même pas mettre les mains dans ses poches, écouter de la musique, boire ou fumer tranquillement. Se voir privé de ses libertés est traumatisant et effrayant. » Aujourd'hui, il enseigne également l'égalité des sexes aux responsables militaires et aux officiers supérieurs, et fait valoir que les hommes qui canalisent leur ressentiment sur les femmes se trompent de cible. « Qui a créé ce système ? Les hommes, pas les féministes. Les responsables politiques masculins et les institutions se sont dit : les hommes sont forts, les femmes sont faibles, donc n'envoyez pas de femmes à l'armée », explique-t-il. Malgré les pressions en faveur d'une réforme, le ministère de la Défense affirme qu'il n'a pas l'intention d'introduire la conscription féminine.
Les initiatives visant à résoudre ces problèmes se heurtent à une résistance farouche, en particulier de la part du puissant lobby chrétien conservateur sud-coréen, qui a réussi à bloquer la législation anti-discrimination pendant près de deux décennies. « On m'a empêché de prendre la parole dans les écoles parce qu'ils se plaignaient que je faisais la promotion du féminisme », explique Lee. Pourtant, lui et ses collègues restent déterminés. Bien qu'ils soient peu nombreux, leur travail donne l'espoir qu'un dialogue est possible. « Les jeunes hommes ne peuvent pas exprimer leurs peurs et leurs angoisses », explique Lee. « Dans la culture masculine, en particulier en Corée, où la hiérarchie est si importante en raison des valeurs confucéennes [18], vous ne pouvez pas vous exprimer face à vos supérieurs. Alors, où va cette frustration ? Elle est dirigée vers les femmes, qui sont une cible plus facile. » En créant des espaces sûrs où les hommes peuvent discuter ouvertement de ces questions, des groupes comme le sien visent à rediriger cette colère vers un changement constructif.
Regarder vers l'avenir
De retour à Jinju, On est toujours en convalescence après l'agression. Elle a récemment passé un mois à l'hôpital pour soigner son traumatisme. Après une année dominée par les procédures judiciaires, elle souhaite simplement retrouver une vie normale : « Je veux trouver du travail, inviter ma famille à manger et acheter des jouets pour mon chat. »
Elle a été émue par le nombre de personnes qui se sont mobilisées pour sa cause. Quand la pétition demandant que son agresseur soit puni a atteint 50 000 signatures en moins d'un mois, elle a créé un compte sur les réseaux sociaux pour remercier les personnes qui lui ont envoyé des messages de soutien. Petit à petit, elle a commencé à publier des informations actualisées sur son procès, ce qui a amené tellement de personnes à venir l'assister que certaines ont dû rester debout. Elle continue de partager des informations sur des affaires similaires, ce qu'elle considère comme un petit geste de solidarité envers les autres victimes.
« Je n'aurais pas survécu à cette année sans les personnes qui m'ont soutenue », dit-elle. Pour On, la solution ne consiste pas à se disputer pour savoir qui souffre le plus de discrimination. « Nous devons nous concentrer sur la manière de résoudre ces conflits et de créer une société plus saine pour tout le monde », dit-elle.
Raphael Rashid
Source – The Guardian. 21 septembre 2025 :
https://www.theguardian.com/society/2025/sep/20/inside-saturday-south-korea-gender-war
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76427
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Notes
[1] inju est une ville provinciale de moins de 350 000 habitants située dans la province du Gyeongsang du Sud, à quatre heures de Séoul en train à grande vitesse.
[2] L'OCDE est un groupe de 38 pays, pour la plupart riches, qui collaborent dans le domaine de la politique économique.
[3] Gangnam est le quartier d'affaires et de divertissement huppé de Séoul, rendu célèbre dans le monde entier par la chanson « Gangnam Style » de Psy.
[4] L'affaire « nth room » concernait un réseau de forums de discussion sur Telegram où des utilisateurs faisaient chanter des femmes et des mineures pour qu'elles produisent du matériel sexuellement explicite en les soumettant à l'esclavage sexuel numérique.
[5] lbe (일베) est l'abréviation de « Ilgan Best » (le meilleur quotidien), un forum en ligne tristement célèbre pour sa misogynie extrême et ses opinions politiques d'extrême droite, qui a atteint son apogée en termes de popularité au milieu des années 2010
[6] La catastrophe du ferry Sewol a coûté la vie à 30 personnes, principalement des lycéen.ne.s, lorsque le ferry a chaviré au large de la côte sud-ouest de la Corée du Sud en avril 2014, ce qui a constitué une tragédie nationale qui a révélé l'incompétence du gouvernement
[7] Le néolibéralisme désigne les politiques économiques de libre marché qui mettent l'accent sur la déréglementation, la privatisation et la réduction de l'intervention gouvernementale, ce qui conduit souvent à une augmentation des inégalités économiques.
[8] La Corée du Sud est passée d'une dictature militaire à la démocratie à la fin des années 1980.
[9] Andrew Tate est un influenceur anglo-américain controversé, connu pour ses opinions misogynes extrêmes et sa promotion de la masculinité toxique en ligne.
[10] Jordan Peterson est un psychologue et auteur canadien qui est devenu populaire auprès des jeunes hommes pour son opposition au féminisme et aux idées politiques progressistes.
[11] Yoon Suk-yeol a été président de la Corée du Sud de mai 2022 jusqu'à sa destitution en décembre 2024.
[12] Le palais Gyeongbokgung est un palais royal du XIVe siècle situé dans le centre de Séoul, l'un des sites historiques les plus importants de Corée du Sud
[13] Lee Jae-myung est un homme politique progressiste qui dirige le Parti démocratique de Corée, le principal parti d'opposition sud-coréen.
[14] L'université féminine Ewha est la plus prestigieuse université féminine de Corée du Sud, fondée en 1886.
[15] Megalia était une communauté féministe radicale en ligne active de 2015 à 2017, dont le nom est tiré d'un roman de Charlotte Perkins Gilman.
[16] Le mouvement « 4B » encourage les femmes à rejeter quatre pratiques : les rendez-vous avec les hommes (biyeonae), le mariage avec les hommes (bihon), l'accouchement (bichulsan) et les relations sexuelles avec les hommes (bisekseu).
[17] Le marché Mangwon est un marché traditionnel situé dans le quartier Mapo de Séoul, connu pour son caractère convivial et ses petits commerces
[18] Le confucianisme est un système philosophique et éthique qui met l'accent sur la hiérarchie, le respect de l'autorité et l'harmonie sociale, et qui a une grande influence sur la société coréenne

Palestine-Colombie. Gustavo Petro défie Washington et Tel-Av
« Gustavo Petro est un baron de la drogue qui encourage la production de stupéfiants en Colombie », a déclaré le président étatsunien Donald Trump sur son réseau Truth Social le 19 octobre. Un mois plus tôt, il avait déjà qualifié le président vénézuélien Nicolás Maduro de « narcotrafiquant », justifiant ainsi le déploiement de navires étatsuniens dans les Caraïbes. Depuis le 2 septembre, sept frappes militaires, sans preuve ni mandat, ont été menées sur des navires au large des côtes vénézuéliennes, faisant une trentaine de morts. Le 15 octobre, il annonçait avoir autorisé la CIA à opérer sur le territoire vénézuélien.
10 octobre 2025 | tiré d'Orient XXI | Photo : Deux hommes, l'un en costume et l'autre en tenue traditionnelle, signent un livre ensemble.
New York, 26 septembre 2025. Rencontre entre le président colombien Gustavo Petro (à droite) et le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU) António Guterres (à gauche).
https://orientxxi.info/magazine/palestine-colombie-gustavo-petro-defie-washington-et-tel-aviv,8609
Autant d'actes qui illustrent la montée des tensions entre Washington et les gouvernements de gauche d'Amérique du Sud. Celui de Gustavo Petro, figure anti-impérialiste et critique des ingérences étatsuniennes dans la région, est dans le viseur. D'autant que celui-ci s'illustre aussi en pourfendeur coriace de la guerre menée à Gaza par Israël, soutenue par les États-Unis. Et le fait savoir jusque sur le sol étatsunien : le 26 septembre, le président colombien marche en soutien à Gaza dans les rues de Manhattan, à New York. Mégaphone à la main, drapé d'un keffieh et accompagné du chanteur britannique Roger Waters, il salue la foule en arabe, scande des slogans pour la Palestine et déclare qu'il prendra lui-même les armes si nécessaire. Il a ensuite exhorté les soldats étatsuniens à « obéir à l'humanité plutôt qu'à Trump ».
« Je n'ai pas besoin d'un visa américain »
L'opposition colombienne a dénoncé un comportement indigne d'un chef d'État et quelques heures plus tard, Washington annonçait la révocation de son visa. Petro a aussitôt répliqué sur X : « Dire qu'il ne faut pas tirer sur l'humanité n'est pas un crime. Je n'ai pas besoin d'un visa américain. »
Au-delà des coups d'éclat, Gustavo Petro prend des décisions politiques lourdes d'engagements. Dans la foulée de son homologue brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, il est l'un des premiers hommes d'État à accuser Israël de commettre un génocide des Palestiniens, lors d'une déclaration le 20 février 2024. Il rejoint la plainte de l'Afrique du Sud devant la Cour pénale internationale (CPI), consommant, le 1er mai 2024, la rupture des relations diplomatiques de son pays avec Israël. Il a également suspendu les exportations de charbon vers Israël, et cofondé le Groupe de La Haye, une coalition de pays du Sud global engagé dans des « mesures juridiques et diplomatiques coordonnées » pour faire respecter le droit international en Palestine, dont il a accueilli une réunion à Bogotá en juillet 2025.
Le 1ᵉʳ octobre 2025, après l'interception par Israël de la flottille humanitaire Sumud — à bord de laquelle se trouvaient deux Colombiennes —, Gustavo Petro annonce sur X l'expulsion immédiate de la délégation diplomatique israélienne en Colombie.
La droite colombienne s'en est vivement indignée, tandis que la gauche a salué ce geste. Une semaine plus tôt, lors de la dernière assemblée générale des Nations unies, son discours a été l'un des plus remarqués sur la question du génocide à Gaza et aussi l'un des plus commentés, notamment dans le monde arabe. Constatant que la diplomatie avait échoué à mettre fin aux crimes israéliens en Palestine, Gustavo Petro a retenu l'option de la lutte armée. Il a ainsi proposé la création d'une force internationale de volontaires, sous l'égide de l'Assemblée générale des Nations unies, et non du Conseil de sécurité dominé par ses cinq membres permanents. Petro a souligné qu'il ne devait pas s'agir de simples Casques bleus, mais d'« une armée puissante composée de pays qui refusent le génocide ». Il a appelé l'Organisation des Nations unies (ONU) à passer de la neutralité proclamée à l'action concrète.
À dix mois de la fin de son mandat, la position de Petro, leader du Sud global engagé pour la justice et la défense des peuples opprimés, divise.
Pour une partie de la gauche, en Colombie comme à l'étranger, Petro, premier président colombien issu de la gauche, incarne un leader du Sud global engagé pour la justice et la défense des peuples opprimés. Mais à dix mois de la fin de son mandat, et dans un pays fragilisé économiquement, sa position divise.
Ses opposants, à l'image de la journaliste et femme politique conservatrice Vicky Dávila, candidate à la présidentielle en 2026, lui reprochent de « se préoccuper davantage du Proche-Orient que de la Colombie ». La droite et l'extrême droite, dans leur volonté de reconquérir le pouvoir, l'accusent d'avoir isolé le pays de ses alliés historiques, les États-Unis et Israël. L'une de leurs principales figures, María Fernanda Cabal, du Centre démocratique, parti national-conservateur, est allée jusqu'à le qualifier de traître : « Rompre des relations pour des raisons idéologiques et non pour les intérêts de l'État est un acte de trahison envers la nation », a-t-elle écrit sur X le 2 octobre 2025, après l'expulsion de la délégation diplomatique israélienne.
Unis par la lutte contre l'impérialisme
Dans sa jeunesse, Gustavo Petro a milité au sein du Mouvement du 19 Avril (M-19). Créé 1974, son nom fait référence à la fraude électorale qui a privé le candidat de gauche Gustavo Rojas Pinilla de la victoire à l'élection présidentielle le 19 avril 1970, au profit de son concurrent du Front national, alliance du Parti conservateur et du Parti libéral. Les membres du mouvement de guérilla, dénonçant le verrouillage du pouvoir, avaient choisi la lutte armée pour instaurer une « véritable démocratie » et construire une « patrie libre ».
Le M-19 s'est toujours tenu aux côtés des peuples arabes et africains dans leurs luttes de libération nationale dans les années 1970. Le mouvement concevait sa propre lutte de manière similaire : une rébellion contre l'impérialisme étatsunien, mais aussi contre le colonialisme interne en Colombie. Le M-19 disait vouloir combattre ce système reposant sur les inégalités, les injustices et la dépossession foncière, pour restituer les droits des majorités et construire un État social et démocratique. Il a d'ailleurs entretenu des liens de collaboration avec l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), le Front Polisario sahraoui et le Congrès national africain (ANC) du Sud-Africain Nelson Mandela.
Lorsqu'il est interrogé sur son attachement à la cause palestinienne, le président colombien met en avant « l'immense injustice subie par le peuple palestinien depuis 1948 ». « Dans cette logique, explique l'historienne colombienne Lina Britto, professeure à la Northwestern University à Chicago, la Palestine et la lutte du peuple palestinien s'inscrivent dans la continuité des grandes luttes qui, selon Gustavo Petro, restent inachevées et auxquelles il se sent toujours lié. Petro ne s'est jamais détaché de cet héritage : il cherche aujourd'hui à le réactiver, dans son discours public comme dans sa pratique politique. »
Le « cousin » israélien
En tant qu'ancien membre d'un mouvement armé de gauche, Gustavo Petro a été témoin du rôle d'Israël dans la « guerre sale » menée par l'État colombien contre les mouvements socialistes, ainsi que de son appui aux groupes paramilitaires d'extrême droite.
L'historienne Lina Britto rappelle que « de manière indirecte, dans l'ombre, mais aussi parfois de façon très directe, Israël a été un acteur impliqué dans [le] conflit » armé colombien, qui, durant cinquante ans, du milieu des années 1960 jusqu'à l'accord de cessez-le-feu définitif en 2016 entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et le gouvernement, a impliqué guérillas marxistes, groupes paramilitaires de contre-insurrection et forces armées. Elle précise : « Israël et la Colombie ont entretenu une relation étroite, mais peu visible, car elle s'est développée à travers des canaux techniques et institutionnels, souvent discrets. Peu de gens en ont réellement conscience. » Elle ajoute : « En réalité, il s'agissait d'une relation triangulaire entre les États-Unis, Israël et la Colombie. »
Si les liens entre Israël et la Colombie se sont consolidés au début des années 1980, dans le contexte de la guerre du Liban, ils avaient commencé bien plus tôt en Amérique du Sud. Après la guerre opposant Israël à l'Égypte, la Jordanie et la Syrie en 1967, plusieurs régimes militaires latino-américains, notamment l'Argentine, le Honduras et le Guatemala, ont tissé avec lui des alliances politiques, idéologiques et économiques étroites.
Israël, allié technique de la contre-insurrection
Au début des années 1980, sous la pression de dynamiques internes et internationales, les dictatures du Cône Sud (la zone australe du continent sud-américain) amorcent des transitions démocratiques, tandis que les régimes militaires d'Amérique centrale s'engagent dans des processus de paix. C'est alors que la Colombie entre en scène et devient un nouvel allié : voyant ses partenaires traditionnels s'affaiblir, Israël cherche à élargir son influence dans la région. Au même moment, en Colombie, le narcotrafic s'est déjà enraciné — d'abord avec la marijuana, puis avec la cocaïne. Ces nouveaux pouvoirs illégaux et les classes émergentes qui en tirent profit cherchent à renforcer leurs dispositifs de sécurité pour se protéger des menaces perçues : la guérilla et les mouvements de gauche.
Fort de l'expérience qu'il tire de son propre statut de force d'occupation coloniale, Israël devient un allié stratégique, fournisseur de savoir-faire, de technologies et d'armements. Mais son implication va bien au-delà : il contribue à façonner des structures paramilitaires contre-insurrectionnelles. Des figures comme l'ancien gradé de l'armée israélienne Yaïr Klein ou l'ancien agent du Mossad Rafi Eitan (1926-2019) incarnent cette collaboration entre formation de groupes armés, ventes d'armes et conseils à l'État. Le premier, à travers sa société de mercenaires Hod Hahanit (Fer de lance, en hébreu), a notamment formé les frères Carlos et Fidel Castaño, créateurs des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), l'une des organisations paramilitaires les plus sanguinaires de Colombie1. Le second a été conseiller du président Virgilio Barco Vargas (1986-1990) et a élaboré pour lui un plan visant à décimer l'Union patriotique (UP), un parti créé en 1985 et réunissant d'anciens guérilleros des FARC, des militants du Parti communiste et des membres de la société civile. Selon une enquête de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, lancée en 2021, quelque 6 000 militants ont été assassinés ou ont disparu.
Comme le souligne Lina Britto, « cette histoire révèle une compatibilité idéologique entre certaines droites colombiennes et israéliennes qui, dans le contexte des années 1980, se sont rencontrées et ont noué des liens durables de coopération et de soutien mutuel ». Depuis lors, Israël est demeuré un partenaire clé de la Colombie. Au début des années 2000, sous la présidence du conservateur Álvaro Uribe, cette relation s'est encore renforcée dans le cadre de la politique de « sécurité démocratique », faisant de la Colombie un important client des technologies militaires israéliennes.
Petro s'aligne naturellement du côté de la Palestine et défend la souveraineté d'une Colombie que son voisin nord-américain cherche ouvertement à déstabiliser.
Ainsi, pour Lina Britto, lorsque Gustavo Petro parle d'Israël, il ne se réfère pas à un acteur lointain, mais à un partenaire de longue date — presque « un cousin » — avec lequel la Colombie entretient des liens économiques, militaires et politiques profonds.
Dans ce contexte, Petro, fidèle à son idéologie et à son parcours, s'aligne naturellement du côté de la Palestine et défend la souveraineté d'une Colombie que son voisin du Nord cherche ouvertement à déstabiliser. Une attitude qui rappelle les heures les plus sombres de l'ingérence étatsunienne dans les affaires internes de la région, lorsqu'il s'agissait de favoriser des gouvernements dociles, en ligne avec les intérêts de Washington. La droite colombienne, pour sa part, demeure fidèle à cette alliance avec les États-Unis et Israël. Les élections prévues en mai 2026 seront déterminantes.
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Salvador : les mouvements sociaux au front contre les attaques de Bukele
Alors que le régime de Nayib Bukele intensifie la répression contre les mouvements sociaux, le Centre international de solidarité ouvrière (CISO) a organisé, le 29 septembre dernier, une rencontre pour alerter sur la situation alarmante des droits humains au Salvador. Un système autoritaire comme réponse à des souffrances n'est pas une solution durable.
20 octobre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/20/salvador-les-mouvements-sociaux-au-front-contre-les-attaques-de-bukele/
Au Salvador, le travail des syndicats est fortement entravé par la politique de Bukele qui multiplie les attaques contre l'État de droit et les mouvements sociaux. Cette répression politique entraîne un exode massif de journalistes et de membres de la société civile vers d'autres pays ainsi que l'exil d'organisations et la fermeture d'ONG… Celles et ceux qui n'ont pas eu l'occasion de fuir terminent souvent derrière les barreaux : près de 1,7% de la population salvadorienne s'y trouve, plaçant le pays au premier rang mondial en matière de taux d'incarcération.
Souvent emprisonnées sans raison et dans des conditions calamiteuses, de nombreuses personnes innocentes — dont des directions syndicales — sont victimes de ce régime d'exception. Il enferme celles et ceux qui osent exprimer leur désaccord avec la politique gouvernementale. Face à l'intensification de mesures misanthropes, une résistance se constitue et la lutte populaire se consolide.
Militarisation et régime d'exception
Depuis trois ans, dans un contexte de militarisation, un régime d'exception s'est mis en place et les violations des droits humains s'intensifient. Le 31 juillet dernier, le dirigeant salvadorien a modifié la Constitution et aboli la limite du nombre de mandats présidentiels, ce qui lui permet ainsi de se représenter indéfiniment. Il a également supprimé le second tour de scrutin et prolongé le temps de mandat de 5 à 6 ans : en bref, tout d'un despote.
Le décomplexé Nayib Bukele, qui se revendique lui-même comme « le dictateur le plus cool du monde », a transformé le Salvador en un véritable laboratoire d'externalisation de l'immigration illégale pour Trump. La somme reçue pour chaque emprisonnement provenant des États-Unis, transforme la capacité carcérale du pays en ressource économique. Le commerce de la détention prend forme et le Salvador tire avantage de ses établissements pénitentiaires.
Des coupes budgétaires à discrétion
L'économie stagnante du pays s'explique par un faible niveau d'investissement public. La dette du pays et sa notation de crédit en catégorie C, dite « triple risque », font baisser les investissements étrangers sur lesquels s'appuyait le gouvernement. De multiples secteurs subissent des coupes budgétaires aux conséquences sociales considérables.
Dans le secteur agricole, ces réductions entraînent une baisse de la production alimentaire et, par conséquent, une augmentation des importations de denrées, provoquant une forte inflation du coût de la vie. Marisela Ramirez, responsable des relations internationales pour le Bloc de Résistance et de Rébellion populaire, explique que les revenus de la population, déjà très faibles, ne suivent pas.
Ainsi, on observe en 2025 une hausse de 8% du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté par rapport à l'année dernière. Le salaire minimum s'élève à 3 000 SVC (470$US) par mois lorsque le coût de la vie dépasse les 3 700 SVC (600$US). Dans le même temps, les coûts du logement et de leur construction explosent, rendant les chances d'accès à une habitation digne quasi chimériques.
La crise se fait aussi sentir dans le domaine de l'éducation : on observe une baisse significative du nombre d'enfants inscrits à l'école. L'accès à une éducation publique, gratuite et de qualité se raréfie.
Concernant la santé, les fermetures d'hôpitaux et des licenciements massifs rendent la situation tout aussi déplorable. En conséquence, la mortalité maternelle augmente et les droits sexuels et reproductifs reculent.
Le mirage sécuritaire salvadorien
Les prochaines élections auront lieu en 2027 et Bukele reste très populaire dans l'opinion publique. Il fut élu en février 2024 avec 85 % des suffrages, chiffres confirmés par l'Institut CID-Gallup. Cela s'explique par la guerre qu'il mène contre les gangs armés dans le pays. Lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 2019, le Salvador était l'un des pays les plus violents au monde et les maras (les gangs) contrôlaient des quartiers entiers. Selon la Banque Mondiale, on y enregistrait près de 103 homicides pour 100 000 personnes en 2015, soit un record mondial. Depuis 2022, le taux est tombé à moins de 2 pour 100 000 personnes.
Traumatisée par la violence, la population salvadorienne affirme vivre sans peur pour la première fois depuis des décennies. Peu importe si cela s'accompagne d'arrestations arbitraires ou de violations des droits humains : pour une majorité, le sentiment d'ordre et de sécurité prime. Mais en s'habituant à vivre sans droits tant qu'elle est en sécurité, la population salvadorienne subit une aliénation morale et juridique et intériorise cette répression.
Solidarité internationale
Personne ne devrait avoir à choisir entre sécurité et droits fondamentaux. Intérioriser un modèle autoritaire comme solution à des souffrances n'est pas une issue durable. C'est pourquoi les rencontres comme celle organisée par le Centre international de solidarité ouvrière doivent renforcer les solidarités internationales au nom des libertés fondamentales. Elles visent aussi à redonner de l'espoir au peuple salvadorien, qui ne doit pas accepter ces violations des droits humains ni cette politique arbitraire.
Quant aux blocs de résistance et aux syndicats, ils continuent légitimement la lutte pour les droits du peuple contre un dirigeant populiste, assoiffé de pouvoir, qui exploite la détresse de sa population pour consolider son autorité. La population salvadorienne mérite notre soutien inébranlable.
Claire Comeliau, correspondante en stage
https://alter.quebec/salvador-les-mouvements-sociaux-au-front-contre-les-attaques-de-bukele/
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Haïti : Pour en finir avec cette sempiternelle transition de la honte
Bien que la moitié de la population haïtienne soit au bord de la famine, contrainte de vivre dans la misère, le chômage massif et la violence des gangs, des membres du Conseil présidentiel de transition et du gouvernement d'Alix Didier Fils-Aimé organisent des voyages officiels dispendieux pour aller parader dans les tribunes internationales. Ces voyages constituent l'un des moyens de pillage des fonds publics.
En 2024, lors de la 79eme session ordinaire de l'assemblée de l'ONU, une double délégation composée de plusieurs dizaines de personnes dirigée par le Premier ministre Gary Conille et le conseiller présidentiel Camille le Blanc a représenté le pays à New York.
À l'époque, plusieurs millions de gourdes ont été utilisées pour couvrir les frais de déplacements des officiels, et de leurs petits amis dans un contexte où plusieurs millions de personnes sont exposées non seulement à la violence des gangs mais également à la famine au quotidien.
Le samedi 20 septembre 2025, le Conseil-présidentiel a récidivé lorsqu'il a laissé le pays avec une délégation de près de 24 personnes dirigée par Laurent Saint Cyr. Inutile de souligner que la nation est en proie à une crise humanitaire qui va en s'aggravant, frôlant une dimension qui rappelle, toute proportion gardée, celle du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Au moins 1,3 million de personnes sont contraintes actuellement de survivre dans des camps de réfugiés insalubres après avoir perdu leurs maisons suite à l'assaut des hordes de malfrats criminels.
Sous les effets conjugués de la Coalition Viv Ansanm, les gangs Kokorat San ras et Gran Grif, les départements de l'Ouest, du Plateau Central et l'Artibonite sont presqu'en ruine.
Le système hospitalier est sur le point de disparaitre alors que l'on compte quotidiennement des dizaines de blessés par balles. Cela sous-entend que plusieurs personnes meurent dans des centres hospitaliers de fortune par faute d'intrants médicaux de base.
Le pouvoir ne s'intéresse donc pas à résoudre les problèmes extrêmement graves auxquels la nation fait face : la profonde crise dans le système de l'éducation, la sécurité, la famine, l'insalubrité, etc. Le cas le plus emblématique est celui de l'éducation dans la mesure où le ministre Antoine Augustin a déclaré sans ambages que « l'école haïtienne est détruite ». Il a fait cette déclaration après avoir ignoré la grève des enseignants et des enseignantes des écoles publiques qui exigeaient de meilleures conditions de travail.
Aujourd'hui, la faillite des instances de transition n'est plus à démontrer. Elle est apparente sur tous les plans. Si bien que pour les membres du CPT ainsi que pour le gouvernement du Premier ministre le seul recours semble, encore une fois, de faire appel à une force étrangère pour soi-disant venir mettre de l'ordre dans le pays
Encore le même cercle vicieux, encore l'image pathétique de dirigeants incapables, incompétents et corrompus, qui observent, dans une indifférence criminelle, l'effondrement de toute une nation
Il est temps que cette sempiternelle phase transitoire de la honte prenne fin. Mettons sur pied un pouvoir capable de répondre aux revendications de la population et de prendre en main la souveraineté ainsi que le destin de la nation.
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Argentine : un dimanche en violet
Milei et Trump sortent renforcés des élections législatives de ce dimanche 26 octobre. Milei a remporté une victoire importante. Le parti du président argentin, LLA (La Liberté avance), a obtenu 40,7 % des voix, un démenti des sondages les plus optimistes.
27 octobre 2025 | tiré d'Inprecor.fra
https://inprecor.fr/argentine-un-dimanche-en-violet
L'euphorie a changé de camp. Il y a un mois, les péronistes célébraient leur victoire régionale dans la plus grande circonscription électorale, la province de Buenos Aires, mais aujourd'hui, Milei annonce que « la nouvelle Argentine commence ». La carte électorale s'est teintée de violet, la couleur du LLA, changeant ainsi le climat politique, jusqu'alors marqué par une crise constante et le désespoir du gouvernement.
Milei a remporté la victoire en élisant 56 nouveaux parlementaires. Le péronisme a été battu, avec 34,9 % des voix. La troisième force, Provincias Unidas, organisée par des gouverneurs dissidents, est loin du résultat escompté, avec 7,4 % des voix. La Frente de Izquierda Unidad a atteint 4 % au niveau national, élisant trois nouveaux parlementaires.
Milei a remporté la province de Buenos Aires. Ce fut l'une des grandes surprises du résultat électoral. Un nouveau scandale de corruption a conduit le candidat de Milei, Espert, à se retirer de la course, en raison de ses liens avérés avec le trafic de drogue. L'euphorie de la victoire du péronisme
La grande question de l'élection était le chantage exercé par Trump, qui avait déclaré qu'en cas de défaite de Milei, le « soutien économique » serait retiré. Contrairement à d'autres pays, où les déclarations de Trump ont suscité l'indignation, incitant les électeurs à protester par leur vote, en Argentine, la victoire électorale de Milei finit par légitimer la position trumpiste.
La situation n'est pas simple, car sur le plan économique, les conditions restent tendues. Et Milei se prépare à « accélérer » la tronçonneuse, en appliquant un ajustement encore plus sévère. Une réforme du travail qui vise à détruire les droits ; une réforme fiscale et budgétaire qui supprimera davantage de financement public ; un ajustement dur.
La victoire de Milei est une victoire directe de Trump. C'est un moment décisif. Les États-Unis travaillent intensément sur l'Amérique latine. Trump a encerclé la mer des Caraïbes, visant le Venezuela et la Colombie, et a entamé des négociations avec Lula. Milei apparaît comme le fer de lance politique, Trump l'a félicité pour son « travail merveilleux ».
Milei et Trump sortent plus forts du « dimanche violet ». Les problèmes politiques persistent en Argentine et sur le continent. Milei gagne du temps, du soutien et du souffle pour sortir de la crise économique grâce à un choc plus important contre le mouvement ouvrier. La tendance est que les secteurs hésitants, comme les gouverneurs dissidents, s'orientent vers une ligne de plus grande conciliation avec Milei.
À gauche, il reste à continuer de défendre la ligne de confrontation avec l'extrême droite et l'impérialisme comme priorité absolue.
Publié le 27 octobre par la revue Movimento
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Madagascar : la volonté d’une rupture radicale
Alors que les pressions internationales se multiplient pour exiger le rétablissement de l'ordre constitutionnel, les jeunes de la GenZ et les salarié·es esquissent ce que pourrait être le Madagascar de demain.
Tiré du blogue de l'auteur.
Alors que les pressions internationales se multiplient pour exiger le rétablissement de l'ordre constitutionnel, les jeunes de la GenZ et les salariéEs esquissent ce que pourrait être le Madagascar de demain.
Un nouveau pouvoir s'est installé à Madagascar, en la personne du colonel Michel Randrianirina, dirigeant du CAPSAT (Corps d'administration et des services techniques des armées), en charge de la logistique de l'armée. Cette unité, au terme de deux semaines de luttes exemplaires de la jeunesse malgache, baptisée GenZ, s'était rangée du côté des manifestant·es.
Pressions et menaces
Cette prise de pouvoir a été aussitôt dénoncée par Andry Rajoelina, désormais ancien président, considérant qu'il s'agit d'un coup d'État. Rappelons que lui-même était arrivé au pouvoir en 2009 dans des conditions similaires. Il déclarait alors : « Le pouvoir appartient à la population, c'est la population qui donne le pouvoir et qui reprend le pouvoir. »
Le « respect de l'ordre constitutionnel » est désormais entonné par tous les tenants de l'ordre établi. Macron n'est pas en reste : il met en garde contre les interférences étrangères dans la Grande Île, lui qui a organisé l'exfiltration de Rajoelina pour le soustraire à une éventuelle comparution devant la justice de son pays.
L'Union africaine (UA) tient un discours identique sur le respect de la Constitution. Elle offre à Rajoelina des marges de manœuvre en ouvrant la voie à une pression économique sur les nouvelles autorités du pays. La menace plane d'une suspension de l'aide, estimée à environ 700 millions de dollars par an, tant que l'ordre constitutionnel ne serait pas rétabli. Une UA qui passe pourtant son temps à entériner les mascarades électorales qui se déroulent sur le continent.
Construire l'après
Autre défi de taille : le risque d'une confiscation de la révolution. Lors du rassemblement sur la place du 13-Mai à Antananarivo, la capitale, organisé pour rendre hommage aux victimes de la répression et fêter la victoire, les officiers de l'armée, les politicien·nes et les prêtres ont tenté, en vain, de reléguer les jeunes à l'arrière-plan.
Cependant, la volonté largement partagée d'une rupture radicale avec l'ancien ordre politique reste vivace. Déjà, un « Manifeste citoyen pour une nouvelle gouvernance équilibrée à Madagascar » a vu le jour, et des réunions sont prévues pour discuter « d'un changement de système ».
Cette effervescence s'observe également du côté des travailleurEs. À la compagnie aérienne Madagascar Airlines, par exemple, le syndicat a lancé un ultimatum exigeant le départ du directeur général, un ancien cadre d'Air France, ainsi que de tous les consultants étrangers. En cas de refus, le syndicat appelle à ne plus obéir aux ordres de la direction et à constituer une instance collégiale chargée de la gestion de la compagnie.
Si la situation reste difficile, les jeunes et les travailleurEs, conscients des expériences du passé, notamment celle de 2009, s'efforcent de construire collectivement un Madagascar nouveau, libéré du néocolonialisme et de la dépendance.
Paul Martial
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Madagascar : Continuer la lutte pour un vrai changement
Comme le craignaient les animateurs de la Gen Z, qui par leur mobilisation ont renversé le pouvoir de Rajoelina, les caciques du pays tentent de maintenir le système ancien en l'état.
Il y a eu un rapide rétropédalage de la part de Michäel Randrianirina, le colonel qui a pris le pouvoir suite aux manifestations massives de la population et particulièrement de la jeunesse sous le vocable de la Gen Z. Il annonçait la dissolution des principales institutions du régime à l'exception de l'Assemblée Nationale.
Un jour plus tard Randrianirina était revenu sur cette déclaration, d'abord parce que la Haute Cour Constitutionnelle censée être dissoute, constatant la vacance du pouvoir avait confié officiellement les rênes du pays au colonel, mais surtout cette prise de pouvoir devait au maximum respecter la légalité.
L'hypocrisie de l'Union Africaine
L'enjeu est de taille pour la nouvelle autorité. Elle nie tout putsch dans le but d'éviter les sanctions financières qui seraient un coup dur pour le pays. Déjà, l'Union Africaine (UA) a suspendu la participation de Madagascar.
Cette Union Africaine, dont la plupart des dirigeants ont été élus à la suite de mascarades électorales, avalise tous les tripatouillages de constitution permettant aux satrapes du Continent de perpétuer leur pouvoir.
Comme le relève un appel d'intellectuels et d'artistes de la Grande Île : « Quelle ironie : lorsque les institutions sont corrompues, leur préservation perpétue l'injustice. Cette diplomatie du statu quo — qui privilégie la stabilité de façade à la justice réelle — alimente la colère d'une génération ».
Le danger est que les institutions financières internationales se calent sur la position de l'UA pour suspendre ses aides économiques qu'elles prodiguaient sans contrôle à l'ancien dictateur Rajoelina. Ainsi, c'est près d'un milliard de dollars qui a été consenti pour construire 260 km d'autoroute avec des accusations de corruption. Alors qu'une telle somme aurait permis de rénover l'entièreté du réseau ferroviaire.
Tentative de reprise en main
Le Colonel Michäel Randrianirina s'était engagé à consulter la Gen Z pour la nomination d'un Premier ministre. Il n'en a rien été. Herintsalama Rajaonarivelo a été choisi dans une totale opacité. Banquier, homme d'affaires, Rajaonarivelo est un notable de l'ancien régime. Pendant une décennie il a été à la tête du patronat malgache. Il est surtout accusé d'être un proche de Maminiaina Ravatomanga qui a mis Madagascar en coupe réglée. Réfugié à Maurice, un mandat d'arrêt international a d'ailleurs été émis à son encontre.
Beaucoup ont noté lors de l'intronisation tant du Colonel à la présidence que de Rajaonarivelo à la primature, l'absence les jeunes de la Gen Z. En revanche, étaient présents les politiciens qui ont tous, à un moment donné, exercé le pouvoir menant le pays à sa perte. En effet le bilan est sans appel, selon la Banque Mondiale, le PIB par habitant s'élevait à 812 dollars en 1960 pour chuter à 456 dollars en 2024.
Un projet de rupture
Cette nomination est donc bien loin des exigences de la Gen Z qui, dans son document « proposition de feuille de route pour une transition souveraine et populaire » insiste sur la nécessité d'une rupture et non d'un simple changement d'équipe. L'idée de ce texte est d'approfondir la révolution avec une transition courte pour aller vers « La mise en place de bases d'un nouveau système politique fondé sur la participation directe du peuple Malagasy, l'équité territoriale et le contrôle collectif des ressources ». Ce processus serait accompagné notamment du contrôle et de la révocabilité des représentants et l'instauration de « comités populaire locaux ».
Parallèlement, la Gen Z a repris sa totale autonomie vis-à-vis des autres organisations de la société civile lui laissant ainsi une plus grande marge de manœuvre, bien nécessaire pour continuer la lutte à la fois contre les pressions des dirigeants africains corrompus de l'UA - qui viennent de perdre un des leurs - et du personnel politique malgache au service des oligarques prédateurs.
Paul Martial
Madagascar : Continuer la lutte pour un vrai changement
Comme le craignaient les animateurs de la Gen Z, qui par leur mobilisation ont renversé le pouvoir de Rajoelina, les caciques du pays tentent de maintenir le système ancien en l'état.
Il y a eu un rapide rétropédalage de la part de Michäel Randrianirina, le colonel qui a pris le pouvoir suite aux manifestations massives de la population et particulièrement de la jeunesse sous le vocable de la Gen Z. Il annonçait la dissolution des principales institutions du régime à l'exception de l'Assemblée Nationale.
Un jour plus tard Randrianirina était revenu sur cette déclaration, d'abord parce que la Haute Cour Constitutionnelle censée être dissoute, constatant la vacance du pouvoir avait confié officiellement les rênes du pays au colonel, mais surtout cette prise de pouvoir devait au maximum respecter la légalité.
L'hypocrisie de l'Union Africaine
L'enjeu est de taille pour la nouvelle autorité. Elle nie tout putsch dans le but d'éviter les sanctions financières qui seraient un coup dur pour le pays. Déjà, l'Union Africaine (UA) a suspendu la participation de Madagascar.
Cette Union Africaine, dont la plupart des dirigeants ont été élus à la suite de mascarades électorales, avalise tous les tripatouillages de constitution permettant aux satrapes du Continent de perpétuer leur pouvoir.
Comme le relève un appel d'intellectuels et d'artistes de la Grande Île : « Quelle ironie : lorsque les institutions sont corrompues, leur préservation perpétue l'injustice. Cette diplomatie du statu quo — qui privilégie la stabilité de façade à la justice réelle — alimente la colère d'une génération ».
Le danger est que les institutions financières internationales se calent sur la position de l'UA pour suspendre ses aides économiques qu'elles prodiguaient sans contrôle à l'ancien dictateur Rajoelina. Ainsi, c'est près d'un milliard de dollars qui a été consenti pour construire 260 km d'autoroute avec des accusations de corruption. Alors qu'une telle somme aurait permis de rénover l'entièreté du réseau ferroviaire.
Tentative de reprise en main
Le Colonel Michäel Randrianirina s'était engagé à consulter la Gen Z pour la nomination d'un Premier ministre. Il n'en a rien été. Herintsalama Rajaonarivelo a été choisi dans une totale opacité. Banquier, homme d'affaires, Rajaonarivelo est un notable de l'ancien régime. Pendant une décennie il a été à la tête du patronat malgache. Il est surtout accusé d'être un proche de Maminiaina Ravatomanga qui a mis Madagascar en coupe réglée. Réfugié à Maurice, un mandat d'arrêt international a d'ailleurs été émis à son encontre.
Beaucoup ont noté lors de l'intronisation tant du Colonel à la présidence que de Rajaonarivelo à la primature, l'absence les jeunes de la Gen Z. En revanche, étaient présents les politiciens qui ont tous, à un moment donné, exercé le pouvoir menant le pays à sa perte. En effet le bilan est sans appel, selon la Banque Mondiale, le PIB par habitant s'élevait à 812 dollars en 1960 pour chuter à 456 dollars en 2024.
Un projet de rupture
Cette nomination est donc bien loin des exigences de la Gen Z qui, dans son document « proposition de feuille de route pour une transition souveraine et populaire » insiste sur la nécessité d'une rupture et non d'un simple changement d'équipe. L'idée de ce texte est d'approfondir la révolution avec une transition courte pour aller vers « La mise en place de bases d'un nouveau système politique fondé sur la participation directe du peuple Malagasy, l'équité territoriale et le contrôle collectif des ressources ». Ce processus serait accompagné notamment du contrôle et de la révocabilité des représentants et l'instauration de « comités populaire locaux ».
Parallèlement, la Gen Z a repris sa totale autonomie vis-à-vis des autres organisations de la société civile lui laissant ainsi une plus grande marge de manœuvre, bien nécessaire pour continuer la lutte à la fois contre les pressions des dirigeants africains corrompus de l'UA - qui viennent de perdre un des leurs - et du personnel politique malgache au service des oligarques prédateurs.
Paul Martial

La GenZ du Maroc et le volcan régional
Le mouvement de la jeunesse marocaine n'est que la manifestation la plus récente de la crise régionale révélée par le « printemps arabe » de 2011.
Tiré de Inprecor
22 octobre 2025
Par Gilbert Achcar
Toutes les quelques années des événements réaffirment la thèse selon laquelle ce qui a commencé en Tunisie le 17 décembre 2010 et a culminé l'année suivante dans une vague massive de soulèvements populaires qui s'est étendue à six pays de la région et a inclus diverses formes de mobilisation de masse dans d'autres pays – vague connue sous le nom de « printemps arabe » – n'était pas un événement isolé ou accidentel. Au contraire, ce fut le début de ce que j'ai décrit comme un « processus révolutionnaire à long terme » (dans Le Peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, 2013).
Ce diagnostic se fondait sur une analyse selon laquelle l'explosion sociopolitique dans l'espace arabophone était la manifestation d'une crise structurelle profondément enracinée. Cette crise a résulté du démantèlement des politiques économiques développementales et leur remplacement par des politiques néolibérales au cours du dernier quart du siècle dernier dans le contexte d'un système d'États régionaux qui étaient fondamentalement en contradiction avec les exigences de l'idéal du capitalisme de marché sur lequel se fonde le dogme néolibéral.
En conséquence, la région a souffert d'une croissance économique particulièrement faible par rapport à d'autres parties du Sud mondial, faiblesse marquée par un taux de chômage élevé, en particulier chez les jeunes. Les taux de chômage des jeunes ont, en effet, atteint dans la région des niveaux records, en particulier chez les diplômés universitaires. Ces réalités sociales ont alimenté les révoltes régionales, qui, bien que variées dans leurs causes politiques locales, partageaient un fondement socioéconomique commun. L'implication de cette analyse était claire : tant que la crise structurelle ne serait pas résolue, les troubles sociopolitiques se poursuivraient, et d'autres soulèvements et mouvements populaires s'ensuivraient inévitablement.
Effectivement, malgré la défaite de l'onde de choc révolutionnaire de 2011 – en raison de la répression menée par les monarchies du Golfe à Bahreïn, du coup d'État militaire en Égypte et de la descente de la Syrie, de la Libye et du Yémen dans la guerre civile – une deuxième vague de soulèvements commença le 19 décembre 2018 au Soudan, s'étendant à l'Algérie, à l'Irak et au Liban l'année suivante. Cette deuxième vague a finalement été étouffée par une combinaison de répression et de pandémie de COVID-19. Cependant, elle a persisté au Soudan même après le coup d'État militaire du 25 octobre 2021, jusqu'à ce que le pays sombre à son tour dans la guerre civile le 15 avril 2023, à la suite d'un conflit entre deux factions des forces armées.
Entre-temps, le système démocratique tunisien, dernier acquis des soulèvements de 2011, a été démantelé par un coup d'État mené par le président Kaïs Saïed, qui, avec le soutien des services de sécurité, a suspendu la constitution le 25 juillet 2021. Avec l'éclatement de la guerre entre les factions militaires au Soudan, ainsi que, six mois plus tard, la guerre sioniste génocidaire à Gaza qui a refroidi davantage les espoirs régionaux, il semblait que l'éruption sociale des soulèvements arabes s'était éteinte.
Cependant, de telles impressions ne sont pas fiables lorsqu'il s'agit d'évaluer l'état réel des tensions sociales dans une région. Pour cela, il faut s'appuyer sur des données sociales et économiques concrètes, notamment le chômage des jeunes, un indicateur clé. Selon l'Organisation internationale du travail (OIT), le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord ont toujours le taux de chômage des jeunes le plus élevé au monde, avec près d'un quart de la population jeune (âgée de 15 à 24 ans) sans emploi.
Le mouvement massif des jeunes qui a commencé au Maroc le 27 septembre, et qui n'est pas encore terminé malgré une pause récente, confirme que le volcan social régional reste actif. Compte tenu des chiffres alarmants du chômage dans le pays, il n'est pas surprenant que la jeunesse marocaine soit descendue dans la rue. Selon le Haut-Commissariat marocain au Plan, le taux de chômage des 15-24 ans (groupe auquel appartient la majorité de la génération Z) a atteint près de 36 % cette année, avec près de la moitié de cette tranche d'âge (47 %) au chômage dans les zones urbaines. Chez les 25-34 ans, le taux s'élève à 22 %, et à 27,5 % en milieu urbain. Ce sont des taux très élevés, qui se combinent avec le chômage des diplômés, affectant près de 20 % de tous les diplômés. En outre, près d'un cinquième des femmes actives sont au chômage. Ces chiffres expliquent en partie la forte participation des étudiantes et des jeunes femmes au mouvement GenZ au Maroc.
Cette nouvelle génération d'activistes inaugure également de nouvelles formes d'organisation, notamment grâce à l'évolution de la technologie des médias sociaux. Les jeunes éduqués, habiles à naviguer sur les plateformes numériques, sont devenus essentiels à ces mouvements. Alors que les deux premières vagues de soulèvements régionaux reposaient fortement sur Facebook, le mouvement GenZ marocain a adopté Discord, une plate-forme qui permet une prise de décision démocratique plus rapide et plus décentralisée. Plus de 200 000 utilisateurs de Discord ont voté pour décider s'il fallait poursuivre les manifestations, ce qui reflète un niveau plus avancé d'organisation populaire, même par rapport aux « Comités de résistance » soudanais qui représentaient un pas en avant significatif dans l'auto-organisation démocratique du mouvement révolutionnaire de la jeunesse.
Cependant, ce qui manque à toutes ces expériences, c'est un mouvement politique radical, à l'échelle du pays, capable d'unir ses forces avec le mouvement démocratique de la jeunesse populaire pour offrir une alternative crédible au statu quo. Ce mouvement devrait incarner les aspirations à la liberté, à la démocratie et à la justice sociale, et posséder la capacité politique de remplacer les régimes existants. Sans l'émergence d'une telle alternative, le succès de tout soulèvement futur dans la région restera incertain. Alors que le processus révolutionnaire régional est appelé à se poursuivre, l'absence d'une alternative viable pourrait conduire à de nouvelles impasses dangereuses – où les régimes existants s'accrochent au pouvoir par la force brute, tandis que d'autres s'effondrent dans le chaos de la guerre civile.
Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 21 octobre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
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Sud-Soudan, virer les dirigeants pour stopper la guerre
Par leur corruption et leur politique ethniciste, les élites du pays plongent le Sud-Soudan dans un nouvel abîme de violence.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
4 octobre 2025
Par Paul Martial
Depuis sa séparation avec le Soudan en juillet 2011, le pays n'a connu que des guerres civiles, d'intensité plus ou moins forte. Depuis huit mois, Riek Machar, vice-président, comparaît devant un tribunal sous plusieurs chefs d'inculpation tels que crimes contre l'humanité, rébellion et trahison.
Une guerre permanente
Il est accusé notamment d'avoir incité l'armée « blanche », une milice réputée proche de son organisation, le Sudan People's Liberation Movement-in Opposition (SPLM-IO), à attaquer la caserne de Nasir, une ville de l'État du Nil Supérieur, causant ainsi la mort de plus de 250 militaires. Les opérations de représailles lancées par le président du Sud-Soudan, Salva Kiir, ont pris pour cible les civils et provoqué la fuite de dizaines de milliers de personnes. Les accords de paix de 2018, censés mettre fin à la guerre civile, n'ont jamais été réellement appliqués. Les affrontements n'ont eu de cesse de se poursuivre des deux côtés.
Le procès contre Riek Machar ainsi que plusieurs dirigeants du SPLM-IO est considéré comme une rupture de cet accord de paix, d'autant qu'il s'accompagne de violents bombardements aériens contre les centres de cantonnement des troupes de cette organisation, qui devaient être intégrées. Ces combattants se sont dispersés à travers le pays et n'ont désormais d'autre choix que de reprendre la guérilla. Cette situation est préoccupante, car une alliance s'est créée entre le SPLM-IO et une autre milice, la National Salvation Front (NSF) de Thomas Cirilo, qui risque de faire basculer le pays à nouveau dans une guerre civile généralisée.
Ethnicisme et corruption
Pour Salva Kiir, le but est de se débarrasser de l'opposition. Il a réussi à débaucher quelques dirigeants du SPLM-IO pour maintenir la façade d'un gouvernement d'union nationale. Sa préoccupation est d'assurer sa succession et de transmettre le pouvoir à Benjamin Bol Mel, homme d'affaires intime du clan familial de Salva Kiir, déjà nommé vice-président. Une telle politique ne fait qu'enferrer le pays dans une situation conflictuelle.
Depuis sa création, les élites à la tête du jeune État n'ont eu de cesse d'instrumentaliser les divisions ethniques en utilisant leur communauté d'appartenance : Riek Machar pour les Nuer, Thomas Cirilo pour les Bari et Salva Kiir pour les Dinka. Dans le même temps, la situation économique est désastreuse. Les exportations de pétrole du Sud-Soudan sont bloquées à cause de la guerre au Soudan et surtout les fonds du pays sont détournés à grande échelle.
C'est ce qu'indique un rapport de la commission des droits de l'homme de l'ONU, qui se départit de son langage diplomatique pour dénoncer une « prédation éhontée ». Le rapport cite Bol Mel, le dauphin de Salva Kiir, coupable d'un détournement de deux milliards de dollars destinés aux infrastructures routières. Autre exemple : le ministère de la Santé n'a touché que 19 % de son budget, soit 29 millions de dollars, tandis que celui des affaires présidentielles dépasse sa dotation de 584 %, soit 557 millions.
La seule solution pour la paix est que les populations, toutes communautés confondues, se débarrassent de ces fauteurs de guerre.
Paul Martial
P.-S.
• Hebdo L'Anticapitaliste - 769 (02/10/2025). Publié le Samedi 4 octobre 2025 à 09h00 :
https://lanticapitaliste.org/actualite/international/sud-soudan-virer-les-dirigeants-pour-stopper-la-guerre
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Retraites, budget, démocratie : face à l’enfumage, reprendre la rue !
Ce que le PS présente comme sa grande victoire — une suspension —, personne n'en parle mieux que Macron lorsqu'il déclare : « Le Premier ministre a fait un choix, pour apaiser le débat actuel, qui a consisté à proposer le décalage d'une échéance — ce n'est ni l'abrogation ni la suspension, c'est le décalage d'une échéance. »
Cette sortie est, pour un président et un gouvernement plus isolés que jamais (malgré le soutien du PS, le gouvernement n'échappe à la censure que d'une dizaine de voix), une tentative de reprendre la main.
Hebdo L'Anticapitaliste - 772 (23/10/2025)
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/retraites-budget-democratie-face-lenfumage-reprendre-la-rue
Macron essaie de reprendre la main
Macron vise autant à décourager la mobilisation qu'à rassurer la bourgeoisie et son propre camp politique ; on voit mal comment Macron pourrait lâcher le totem de son second quinquennat. L'inscription de la suspension de la réforme dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ne change rien au tour de passe-passe. Par contre pas de suspension des « accords » de Bougival qui écrasent les droits du peuple kanak ni des mesures phares du budget Bayrou. Et aggravation des attaques sur nos droits sociaux dans le PLFSS. Les raisons de se mobiliser restent entières et il est urgent de reprendre le chemin des luttes, de la rue, de la grève pour gagner. Et la période, très instable, est pleine de possibles qui doivent nous regonfler.
La mobilisation compte
D'abord l'affaire de la « suspension/décalage » montre que la lutte paie ! Des millions de manifestantEs en 2023, des grèves, trois journées de mobilisation en cette rentrée, des blocages. Tout ça pour… ça ? Oui, avec, en prime, une crise politique et une usure d'un pouvoir qui peine à gouverner. C'est peu mais ce n'est pas rien, tant matériellement que symboliquement : même ce pouvoir ne peut ignorer la rue. Mais oui, avec la crise économique, la bourgeoisie est aux abois et ne lâchera rien de fondamental. À nous d'élever encore le rapport de forces.
La crise politique est toujours là
Ensuite, le déplacement sur le terrain institutionnel ne signe pas l'arrêt de la mobilisation. Comme en 2023, nous vivons une séquence où des moments de lutte — avec manifs, grèves et blocages — alternent avec des moments plus institutionnels. Mais la crise est toujours là et, comme en 2023 au moment de l'usage du 49-3 et du vote de confiance remporté à 9 voix près, cette phase institutionnelle pourrait bien permettre des démonstrations.
Vers le « super 49-3 » des ordonnances
Car l'abandon annoncé du recours au 49-3 va nous faire découvrir d'autres joyeusetés que la 5e République offre au pouvoir pour faire barrage à nos aspirations émancipatrices et démocratiques. En effet, en l'absence de compromis et de vote sur les textes du PLFSS et du budget à l'issue du délai constitutionnel requis (cinquante jours pour le PLFSS et soixante-dix jours pour le budget de l'État), la Constitution permet au chef de l'État de mettre en œuvre ces textes par simple signature en conseil des ministres (ordonnances)... Une manière de faire revenir par la fenêtre un « super 49-3 », puisqu'il s'agit d'un 49-3 sans même un vote de confiance au Parlement. Un nouvel aspect de l'autoritarisme que permet la 5e République serait ainsi mis au jour. Il ne fait donc pas de doute que les aspirations démocratiques nourriront les futures mobilisations.
La clé est dans l'auto-organisation
Alors, repartir ça veut dire continuer à reconstruire nos forces et des habitudes militantes. Et s'il peut y avoir des accélérations dans la crise politique et les mobilisations, il n'y a pas de raccourci vers la victoire. Nous avons besoin de davantage d'auto-organisation, d'AG, qui permettent à la fois des discussions sur la stratégie pour gagner et la mise en œuvre de la grève et d'actions communes à l'échelle des boîtes, des bahuts, des quartiers, des villages, etc. Dans cet objectif, la contribution du mouvement Bloquons tout ! est notable : il a permis la création de nouveaux liens militants tissant de la confiance à travers des AG, des groupes d'action et des comités de quartier qui se réunissent, agissent et discutent.
Mais nous avons aussi besoin d'un horizon politique porteur d'espoir. Car nos revendications, à commencer par l'abrogation totale de la réforme des retraites, sont majoritaires. Quelle gauche pour porter ce projet et faire barrage à l'extrême droite ? Une gauche de rupture, comme le dessinait le programme du Nouveau Front populaire, et pas une gauche d'accompagnement, que dessine le PS dans son accord avec Lecornu et Macron. Une gauche résolument unie contre l'extrême droite. Et une gauche qui s'ancre dans les luttes. Car une gauche de rupture ne tirera sa force que de la mobilisation : elle rencontrera sur sa route l'intransigeance du capital et le présidentialisme de la 5e. C'est bien à ce régime que nos mobilisations vont devoir s'attaquer. Nous voulons une autre société — et c'est d'une autre Constitution que celle qui est au service de Macron et de son monde, dont nous avons impérativement besoin.
William Daunora
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Un soutien indéfectible à l’Ukraine
Alors que Trump n'intervient en Ukraine que pour défendre les intérêts étatsuniens, les Ukrainien·nes ne peuvent faire confiance qu'à elleux-mêmes pour face à l'invasion russe comme à leur gouvernement libéral.
27 octobre 2025 | tiré deu site de La gauche anticapitaliste
https://www.gaucheanticapitaliste.org/un-soutien-indefectible-a-lukraine/
L'Ukraine continue de résister héroïquement à la guerre d'annexion impérialiste menée par la Russie. Des espoirs ont été suscités par le sommet réunissant Trump et Poutine en Alaska, dans l'optique d'un cessez-le-feu. Mais depuis les jours précédant le sommet, la Russie a intensifié ses attaques contre l'Ukraine. Elle utilise davantage de drones et de missiles pour cibler des habitations civiles et des infrastructures, mais ne réalise cependant que des progrès limités sur le terrain. La Russie a également envoyé des drones dans l'espace aérien de la Pologne et de la Roumanie.
L'escalade des attaques contre les civil·es menées en août a incité Trump à menacer la Russie de sanctions plus sévères si elle n'acceptait pas un cessez-le-feu et n'entamait pas des négociations. Le sommet en Alaska s'est avéré un grand succès pour Poutine. Il n'a fait aucune concession, tandis que Trump lui accordait une légitimité internationale, malgré les mandats d'arrêt émis à son encontre par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et génocide.
Trump manipulé par Poutine ?
Trump s'est retourné contre l'Ukraine en suggérant qu'elle échange des territoires avec la Russie contre un accord de paix, ce qui signifie que l'Ukraine accepterait l'annexion russe du Donbass et de la Crimée. Trump laisse en même temps aux pays européens le soin d'acheter des armes aux États-Unis pour soutenir l'effort de guerre de l'Ukraine. Les droits de douane de 50 % imposés par les États-Unis à des pays comme l'Inde, qui achètent du pétrole russe, relèvent davantage du protectionnisme de Trump et de ses tentatives de diviser l'alliance pro-russe de pays comme la Chine que d'un soutien à l'Ukraine. N'ayant obtenu aucune concession de la part de Poutine, Trump se dit à présent en colère, et affirme avoir été « manipulé » par lui. Mais ces paroles n'ont pas effrayé Poutine.
Poutine a clairement indiqué que ses objectifs de guerre restaient inchangés : la reconnaissance par l'Ukraine des territoires occupés, la destitution de Zelensky, un veto sur l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN et une réduction drastique des forces armées ukrainiennes. Poutine a rejeté tout cessez-le-feu comme condition préalable à des négociations de paix. En réalité, il ne souhaite pas de négociations, car il espère affaiblir progressivement la résistance ukrainienne. Il a même proposé que Zelensky se rende à Moscou pour négocier. Outre le fait que cela constituerait une menace considérable pour la sécurité de Zelensky, cela serait considéré comme une capitulation de l'Ukraine.
La Russie estime qu'elle peut gagner la guerre grâce à l'importance de ses ressources et elle sait que l'Occident rechigne à soutenir l'Ukraine. L'Occident est divisé entre les pays qui souhaitent une fin rapide de la guerre afin de normaliser leurs relations commerciales avec la Russie et ceux qui souhaitent une guerre plus longue dans le but de l'affaiblir. C'est pourquoi l'aide, notamment militaire, n'a pas été fournie à l'Ukraine suffisamment rapidement en quantité satisfaisante.
Les États-Unis sont probablement le pays le plus désireux de normaliser leurs relations avec la Russie, non seulement parce que Trump admire en Poutine le « leader fort » d'extrême droite auquel il s'identifie, mais aussi pour favoriser les intérêts du capital américain. En effet, l'envoyé spécial américain Keith Kellogg s'est récemment rendu en Biélorussie, un allié clé de la Russie, pour rencontrer son président autoritaire Alexandre Loukachenko. Le résultat est la libération de certains prisonniers politiques en échange de l'autorisation accordée par les États-Unis à Boeing de fournir des pièces détachées à la compagnie aérienne biélorusse.
Après plus de trois ans de guerre, il n'est pas surprenant que de nombreux·ses Ukrainien·nes souhaitent négocier un accord de paix, mais Poutine n'est pas intéressé. Les Ukrainien·nes n'ont d'autre choix que de continuer à résister à l'invasion russe. S'ils veulent la paix, ils ne veulent pas pour autant capituler devant la Russie. Après plus de trois ans de guerre, la Russie n'a pas été en mesure d'atteindre ses objectifs de guerre initiaux, qu'elle espérait atteindre en quelques semaines. Cela démontre que la population ukrainienne continue de soutenir l'effort de guerre.
Attaques néolibérales
Mais le peuple ukrainien ne résiste pas seulement à la guerre d'annexion menée par la Russie, il résiste également aux attaques néolibérales de Zelensky.
En mai, le parlement ukrainien, la Rada, a voté en faveur d'un accord avec les États-Unis pour l'extraction et la fourniture de minéraux rares. Cette décision donne aux États-Unis de nouveaux leviers d'influence sur la situation économique et politique de l'Ukraine. Le gouvernement Zelensky attire des capitaux étrangers peu fiables plutôt que de nationaliser les industries stratégiques, d'introduire un impôt progressif et de lutter contre le marché noir.
En juin, des manifestant·es ont protesté contre la saisie de la Maison des syndicats par la société privée KAMparitet et ont exigé qu'elle soit restituée à son propriétaire légitime, la Fédération des syndicats d'Ukraine.
En juillet, des manifestations de masse ont éclaté dans tout le pays contre le gouvernement Zelensky. Celui-ci a fait adopter à la hâte par la Rada une loi supprimant l'indépendance les unités anticorruption que sont le Bureau national anticorruption (NABU) et le Parquet spécialisé dans la lutte contre la corruption (SAPO). Les manifestations se sont poursuivies jusqu'à ce que Zelensky soit contraint de faire marche arrière en introduisant une nouvelle loi qui rétablissait l'indépendance du NABU et du SAPO.
Le 5 septembre, des centaines de manifestant·es se sont rassemblé·es sur la place de l'Indépendance, à Kiev, pour protester contre des projets de loi parlementaires qui imposeraient des sanctions pénales plus sévères aux soldats désobéissants. Cependant, l'expérience de ces dernières années montrent au contraire que les mesures punitives non seulement ne résolvent pas les problèmes, mais en créent de nouveaux. Une fois de plus, face aux mobilisations, le gouvernement a fait marche arrière et a supprimé certaines des mesures les plus sévères.
Les possibilités des masses ukrainiennes
Le fait que ces manifestations et protestations aient pu avoir lieu en Ukraine, alors que le pays est en guerre, montre à quel point la situation dans le pays est différente de celle de la Fédération de Russie. Là-bas, les manifestations contre le gouvernement ne sont pas tolérées.
Contrairement à la Russie et malgré les conditions de guerre, il existe une société civile dynamique en Ukraine. Une auto-organisation fournit un soutien aux autres citoyen·nes lorsque l'État est défaillant. Des organisations socialistes, syndicales et féministes indépendantes offrent une alternative au néolibéralisme de Zelensky. Les syndicalistes et les jeunes défendent leurs salaires, leurs droits et leurs conditions de travail contre les réformes néolibérales, la corruption et les oligarques, tout en assurant la défense de leur pays, tant sur le front qu'à l'arrière. Les Ukrainien·nes ne sont pas les pions de l'impérialisme occidental, malgré l'intérêt cynique évident de ce dernier à soutenir l'Ukraine.
L'impérialisme occidental souhaite manifestement une reconstruction capitaliste néolibérale de l'Ukraine. C'est notamment pour cela qu'il n'annule pas la dette ukrainienne. La Grande-Bretagne et d'autres pays pourraient prendre des mesures concrètes pour soutenir l'Ukraine, telles que la saisie des avoirs russes gelés, l'annulation des coupes dans l'aide étrangère, l'imposition de sanctions plus sévères contre le régime russe, la sanction des entreprises, telles que Seapeak, basée au Royaume-Uni, qui contournent les sanctions existantes, la prolongation de la protection des réfugié·es ukrainien·nes au-delà de 2026 et l'octroi de l'asile aux militant·es antiguerre russes et biélorusses. Cette dernière mesure pourrait devenir encore plus importante si les opposant·es russes et biélorusses qui vivent actuellement aux États-Unis sont menacés d'expulsion.
L'Occident profite de la guerre en Ukraine pour faire passer une remilitarisation de l'Europe avec le programme ReArmEurope de l'UE et la révision de la défense britannique. Si l'Ukraine doit recevoir toutes les armes et l'aide nécessaires pour résister à la Russie, cela ne doit pas nécessairement entraîner une augmentation massive des budgets militaires. Les ventes d'armes à des pays tels que le régime brutal saoudien ou le gouvernement génocidaire israélien devraient être immédiatement arrêtées. S'opposer au militarisme et aux guerres impérialistes ne signifie pas être pacifiste, car les pays devraient avoir le droit de se défendre contre les occupation et les annexions, y compris par des moyens militaires.
L'ordre établi après la Seconde Guerre mondiale est en train de changer, alors que nous entrons dans un nouveau monde multipolaire où l'impérialisme américain affronte de plus en plus directement la Russie et la Chine. Certaines personnes – même à gauche – se réjouissent de cette évolution. Elles critiquent à juste titre l'histoire de l'impérialisme occidental, mais considèrent la montée en puissance économique et militaire de la Russie et de la Chine comme un progrès. Elles partent du principe erroné que « l'ennemi de mon ennemi est mon ami ». Au contraire, la gauche doit s'ancrer dans l'internationalisme et l'anti-impérialisme, en soutenant les luttes de la classe ouvrière et les luttes démocratiques à l'échelle mondiale. La priorité doit être de donner la primeur aux personnes plutôt que de réduire la politique à des manœuvres géopolitiques entre gouvernements. L'Ukraine doit recevoir tout ce dont elle a besoin pour obtenir une paix juste.
Publié par Anti*capitalist Resistance le 20 septembre 2025, traduit par Lalla F. Colvin. Repris du site d'Inprecor le 22 octobre
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Grèce : Le retour à l’esclavage ne passera pas !
Le 1er octobre, une grève générale était appelée par la GSEE (confédé unique du privé), l'ADEDY (fédé unique du public) et de nombreuses fédérations et syndicats. Très suivie, elle était centrée sur le refus d'un projet de loi monstrueux : permettre une journée de travail de 13 heures pour le même employeur (on sait que de nombreux Grecs sont réduitEs depuis longtemps à avoir deux emplois).
9 octobre 2025 | tiré de Hebdo L'Anticapitaliste - 770 |Photo : Grèce - campement du gréviste de la faim Panos Routsi - photo NPA
Provocation du gouvernement ultralibéral « offrant » cette mesure, qui vaudrait pour 37 jours annuels, en promettant la liberté de choix pour l'employeur comme pour le salariéE ! Après la mesure de 2024 permettant des semaines de 6 jours de travail, la surexploitation des salariéEs prend des allures orwelliennes, et l'augmentation des accidents du travail, sur fond de bas salaires et de casse des services publics, en est l'illustration. Et c'est la même logique à l'œuvre dans le secteur public, où la moindre critique syndicale aux mesures de « rentabilisation » conduit à des sanctions, voire à des licenciements, notamment dans l'éducation.
Des manifs solidaires et en colère
Même si la manif athénienne manquait un peu de punch (autour de 15 000 personnes dans les différents cortèges), le pays a connu une bonne mobilisation dans la rue, et surtout, on assiste ici aussi à une convergence des colères qui s'accumulent. Colère contre l'étouffement des nombreux scandales — le dernier en date portant sur des subventions agricoles européennes versées par la droite pour clientélisme. Contre les cadeaux aux fascistes (le führer criminel d'Aube dorée vient d'être libéré pour raisons médicales…), avec le 18 septembre une grosse manif antifa pour l'hommage annuel à Pavlos Fyssas, assassiné par les tueurs nazis.
Soutien au peuple palestinien
Et, très fort dans la période, le soutien au peuple palestinien, avec de très nombreux drapeaux et slogans dans les cortèges, est indispensable face à la complicité de Mitsotakis avec Netanyahu. Cet été, des rassemblements (réprimés !) ont protesté contre les provocations de touristes mais aussi de soldats israélienNEs en croisière drapeaux au vent, se permettant d'arracher des affiches de soutien au peuple palestinien et d'insulter les habitantEs solidaires. Et bien sûr, le soutien à la flottille pour Gaza (avec une petite trentaine de Grecs) était très fort (les bateaux ont été attaqués mercredi soir), et la mobilisation continue. Par contre, faiblesse dramatique : toujours aucune forme de soutien à la résistance populaire ukrainienne…
Soutien aux victimes de la catastrophe ferroviaire de Tèmbi
Soutien aussi à Panos Routsi, père d'une des victimes de la tragédie (ou plutôt crime) ferroviaire de Tèmbi en 2023, qui réclame des examens sur le corps de son fils, avec le soupçon persistant du transport illégal par un des deux trains d'une substance explosive. En grève de la faim depuis le 15 septembre devant le Parlement, son combat est massivement soutenu, et les cortèges l'ont salué, montrant la très large volonté populaire de rendre justice aux 57 victimes.
Se pose dès maintenant la question de la suite, urgente !
Dernière minute : victoire pour Panos Routsi – et pour toutes les familles des 57 victimes – qui vient d'obtenir, le 7 octobre, satisfaction à ses demandes, soutenues par plus de 80 % de la population !
A. Sartzekis, Athènes, le 5 octobre 2025.
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La droite néolibérale tchèque a perdu. Les trumpistes tchèques ont gagné
Les élections tchèques ont donné la victoire au milliardaire Andrej Babiš, semblable à Trump, le week-end dernier. Les sortants de droite néolibérale ont peu fait pour freiner le coût élevé de la vie et ont de nouveau perdu face à un candidat qui a promis de faire quelque chose à ce sujet.
16 octobre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/16/la-droite-neoliberale-tcheque-a-perdu-les-trumpistes-tcheques-ont-gagne/
Les électeurs tchèques ont décidé. Après quatre ans au pouvoir, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Petr Fiala touche à sa fin. Lorsque ce camp traditionnellement de droite a défait de manière inattendue Andrej Babiš lors des élections de 2021, les voix de gauche tchèques ont averti le nouveau gouvernement de ne pas poursuivre sa politique d'austérité. Elles ont soutenu que pour vraiment vaincre Babiš, le gouvernement devait se concentrer sur les couches moins aisées de la société et sur la réduction des différences entre les régions tchèques. Le gouvernement n'a pratiquement pas tenu compte de ce conseil et est rapidement devenu extrêmement impopulaire. Grâce principalement à son aveuglement idéologique, son arrogance et son incompétence, l'oligarque et agro-industriel Babiš — l'une des personnes les plus riches du pays — revient maintenant au pouvoir au nom de la résolution des difficultés économiques des Tchèques ordinaires.
Le gouvernement de Fiala n'a certainement pas eu la tâche facile. Il a dû faire face à toute une série de crises — crises de la chaîne d'approvisionnement et de l'inflation, crise énergétique, guerre en Ukraine et arrivée de personnes fuyant ce conflit. Mais il a également réalisé l'une des pires performances économiques d'Europe. La République tchèque a connu l'un des taux d'inflation les plus élevés de l'UE, les salaires réels ont chuté de manière spectaculaire, les prix de l'immobilier ont fortement augmenté, et les gens ont eu du mal à payer les frais de base pour la nourriture, l'énergie et le logement. Ce n'est qu'au deuxième trimestre de cette année que l'économie a commencé à croître lentement, et l'économie tchèque revient maintenant à son niveau d'avant 2019 après la chute.
Le mouvement ANO [1] de Babiš a profité brutalement de tout cela. Lors des élections nationales du 3 au 4 octobre, il a remporté la deuxième plus grande victoire électorale de l'histoire moderne, obtenant 34,51 pour cent de tous les suffrages. Au lieu de rivaliser avec Babiš sur les questions économiques, le gouvernement sortant s'est concentré sur les questions géopolitiques et l'affiliation du pays à la sphère d'influence occidentale. Cependant, Babiš a réussi à balayer cela avec plusieurs apparitions médiatiques au cours desquelles il a qualifié la Russie d'agresseur, l'Ukraine de victime, et a rejeté le retrait tchèque des structures de l'OTAN et de l'UE. Cela a effectivement mis fin au différend géopolitique, ne laissant au bloc de droite plus rien avec quoi jouer.
Cela ne signifie pas, cependant, que Babiš joue un rôle positif, et encore moins progressiste, dans la politique tchèque. Il est toujours un oligarque, dont les intérêts ne résident pas dans l'émancipation des couches les plus pauvres de la société tchèque, mais au mieux dans le bien-être des employés honnêtes et mal payés de ses entreprises.
En fait, Babiš considère tous les citoyens de la République tchèque comme étant en quelque sorte ses employés. En 2013, il s'est présenté au parlement pour la première fois avec le slogan « Gérer l'État comme une entreprise », presque comme un avant-goût des développements dans la politique américaine.
Babiš offre aux électeurs une compétence managériale, des impôts bas et le maintien des dépenses sociales existantes. Même ces objectifs peu ambitieux et, à certains égards, irréalistes ont suffi pour vaincre facilement ses concurrents de droite et drainer l'électorat des partis traditionnels de gauche tels que les sociaux-démocrates et le Parti communiste, qui n'ont pas offert beaucoup plus qu'ANO lors de ces élections.
Assez, ça suffit
Ce qui était nouveau, cependant, c'est que ces partis traditionnels de gauche — une partie stable du système politique tchèque jusqu'aux dernières élections parlementaires de 2021 — ont uni leurs forces pour former une nouvelle coalition appelée Stačilo ! (Assez !). Ils n'étaient pas seuls dans ce pacte, qui s'appuyait également sur une rhétorique anti-Ukraine, des influenceurs anti-vaccination et, dans certains cas, même des figures ouvertement d'extrême droite.
Kateřina Konečná (dirigeante des communistes) et Jana Maláčová (dirigeante des sociaux-démocrates) se sont ouvertement inspirées du mouvement de Sahra Wagenknecht en Allemagne, cherchant un virage conservateur et nationaliste dans la politique de gauche tchèque. En fait, comparé à Stačilo !, même le Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW) [2] en Allemagne avait offert une politique de gauche assez traditionnelle, fusionnée avec une rhétorique anti-immigration et l'antimilitarisme.
Stačilo ! est allé beaucoup plus loin. En tête de liste dans la région de Bohême centrale lors de cette élection se trouvait Jana Bobošíková, qui s'était présentée lors du précédent scrutin sous la bannière du Parti des travailleurs de la justice sociale — une force au passé ouvertement néo-nazi et dissoute par les tribunaux en 2010 en raison de son soutien à l'activité violente. Dans la région d'Ústí nad Labem, son candidat en deuxième position était le maire de la ville nord-bohémienne de Duchcov. Il y a formé une coalition dirigeante avec ce même Parti des travailleurs de la justice sociale. Nous pourrions trouver d'autres figures similaires avec de bonnes relations avec les néo-nazis tchèques et slovaques dans Stačilo ! En revanche, le BSW n'a pas encore franchi cette ligne de coopération directe avec les néo-nazis.
Pendant longtemps, il semblait que Stačilo ! entrerait au parlement et formerait une sorte de gouvernement avec Babiš. Ces derniers mois, il s'était maintenu au-dessus de 5 pour cent dans les sondages, ce qui lui aurait assuré une place au parlement. Finalement, cependant, il est resté en deçà, avec 4,3 pour cent, et aucun siège. Cela est particulièrement tragique pour la présidente sociale-démocrate Maláčová, qui a imposé l'alliance avec Stačilo ! malgré l'opposition de larges pans de son parti, arguant que cela ramènerait les sociaux-démocrates au parlement après quatre ans. Cela ne s'est pas produit, et lundi, Maláčová a annoncé qu'elle démissionnait, ainsi que la direction supérieure du parti.
Il s'est avéré qu'une partie de l'électorat de Stačilo ! a décidé à la dernière minute de soutenir Babiš, qui offrait un programme économique presque identique tout en s'opposant à toute possibilité que la République tchèque quitte l'UE ou l'OTAN. Il semble que même la société tchèque traditionnellement eurosceptique n'est pas ouverte aux risques qu'apporterait une indépendance au sein de l'Europe dans la situation géopolitique actuelle. La même question a également été récemment confrontée par le parti d'extrême droite Liberté et démocratie directe (SPD) dirigé par le politicien d'origine japonaise Tomio Okamura, qui proposait également un référendum sur le départ de l'UE et de l'OTAN. Le SPD anti-immigration et conservateur (à ne pas confondre avec le parti allemand du même acronyme) est entré au parlement, mais avec 7,8 pour cent des voix, bien en deçà des attentes.
En route vers l'avant
Compte tenu à la fois de la campagne et de la rhétorique de partis tels que le SPD et Stačilo !, ces élections ont été largement présentées comme un choix géopolitique entre l'Est et l'Ouest. Cependant, Babiš a raison de dire qu'en réalité, il n'a jamais mené de politique pro-russe en tant que Premier ministre. En effet, après qu'il a été révélé que des agents du GRU [3] russe étaient responsables de l'explosion d'un dépôt de munitions en 2014 à Vrbětice, dans l'est du pays, il a expulsé le plus grand nombre de diplomates et d'agents russes de l'histoire moderne de ce pays.
Comme le montrent les négociations actuelles dans le nouveau gouvernement, la véritable menace géopolitique pourrait finalement venir d'une direction complètement différente. Babiš envisage actuellement une forme de coopération gouvernementale avec deux partis minoritaires d'extrême droite, à savoir le SPD et l'assez bizarre Motoristes pour eux-mêmes. Ce dernier est le dernier projet de l'ancien président Václav Klaus, figure éminente du mouvement mondial des climatosceptiques. Au cours de sa carrière politique active, Klaus a eu des opinions fortement eurosceptiques, s'est opposé au multiculturalisme et à « l'agenda LGBTQ+ », et, surtout, a cultivé des relations solides avec les think tanks libertariens américains liés au Parti républicain, tels que le Cato Institute [4].
Le parti Motoristes pour eux-mêmes peut être considéré comme la version tchèque de MAGA [5], épousant des opinions xénophobes et misogynes. Plus important encore, cependant, le parti adopte une position néolibérale dure et, suivant le Département de l'efficacité gouvernementale (DOGE) [6] d'Elon Musk, veut réduire radicalement les dépenses de l'État tchèque et limiter tout soutien aux mouvements écologistes et aux organisations à but non lucratif promouvant des politiques progressistes. Les Motoristes sont partenaires de l'ANO de Babiš dans la faction d'extrême droite Patriotes pour l'Europe, que Babiš a fondée avec le Premier ministre hongrois autoproclamé « illibéral » Viktor Orbán et le dirigeant du Parti de la liberté d'Autriche, Herbert Kickl.
Cette faction comprend le Rassemblement national de Marine Le Pen en France et le parti d'extrême droite espagnol Vox, et il est également question de l'adhésion de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD). Ces partis ne cachent pas leur admiration pour l'administration Trump et pourraient à l'avenir former un allié trumpien important dans la politique européenne. L'objectif ne sera pas de détruire le projet européen, comme certains critiques le préviennent, mais de déplacer l'UE de l'État-providence social vers l'extrême droite et vers une coopération plus étroite avec les États-Unis.
Tout comme d'autres dirigeants mondiaux, Babiš s'en tient maintenant au slogan « La Tchéquie d'abord », et son inventaire comprend des casquettes rouges de style Trump avec des messages nationalistes. Les politiques isolationnistes, nationalistes et corporatistes de Donald Trump sont depuis longtemps proches du cœur de Babiš, et les deux hommes partagent un fort esprit entrepreneurial. Babiš est également un admirateur de longue date d'Orbán, qu'il admire pour la façon dont il traite l'opposition politique et consolide son hégémonie. Bien que Babiš manque de la verve idéologique d'Orbán et que, dans la République tchèque athée, il ne tente même pas d'imiter ses récits chrétiens-nationalistes, nous pouvons nous attendre à une érosion lente des institutions libérales-démocratiques et de l'État de droit.
Deuxième administration
En gouvernant avec les Motoristes trumpiens — comme cela semble maintenant probable, sinon certain — les tendances autoritaires de Babiš et les attaques contre l'opposition se renforceront sûrement. Lorsque Babiš a gouverné avec les sociaux-démocrates de 2017 à 2021, il est devenu un partisan d'un État fort et d'une augmentation au moins lente du niveau de vie des couches les plus pauvres de la société tchèque. Cependant, nous ne verrons pas ce type de Babiš dans le nouveau gouvernement. Au lieu de cela, nous pouvons nous attendre à des guerres culturelles, une bataille avec la société civile et le silence des opinions qui contredisent sa vision du monde technocratique et entrepreneuriale. Les Tchèques ont été hantés par l'Est et la Russie pendant si longtemps que l'autoritarisme leur est venu de l'Ouest, vers lequel ils ont toujours levé les yeux.
Les élections ont également apporté de bonnes nouvelles. Après quinze ans d'absence, des représentants du Parti vert, se présentant sur la liste du Parti pirate, sont entrés au parlement. Certains députés entrants du Parti pirate lui-même défendent certaines politiques progressistes. Une opposition pourrait commencer à se former qui pourrait libérer la politique tchèque de la lutte binaire entre la droite néolibérale et le populisme autoritaire, et ouvrir un espace plus large pour une politique pro-sociale, émancipatrice et démocratique. Ces députés pourraient bientôt être rejoints par des transfuges des sociaux-démocrates, des Pirates et d'autres petits partis de gauche non parlementaires tels que Levice (la Gauche) et Budoucnost (Avenir), créant ensemble un contrepoids aux deux camps principaux qui ont dominé la politique tchèque au cours des vingt dernières années.
Ce n'est pas grand-chose, mais il y a un certain espoir pour un autre type de politique. Et ce n'est pas peu de chose.
Jan Bělíček est cofondateur et rédacteur en chef du quotidien en ligne Deník Alarm, le média progressiste le plus lu en République tchèque. Il écrit également sur la politique et la culture pour les médias tchèques grand public.
https://jacobin.com/2025/10/czech-election-trumpists-andrej-babis
Traduit pour ESSF par Adam Novak
[1] ANO (Akce nespokojených občanů) : Action des citoyens mécontents, mouvement politique populiste fondé par Andrej Babiš en 2011
[2] Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW) : Alliance Sahra Wagenknecht, parti politique allemand fondé en 2024 par l'ancienne dirigeante de Die Linke, combinant des positions de gauche économique avec des positions conservatrices sur l'immigration
[3] GRU : Direction principale du renseignement (Glavnoïe Razvedyvatelnoïe Oupravlenié), service de renseignement militaire russe
[4] Cato Institute : think tank libertarien américain fondé en 1977, promouvant les politiques de libre marché, la réduction du rôle de l'État et la déréglementation
[5] MAGA : Make America Great Again, slogan et mouvement politique associé à Donald Trump
[6] DOGE : Department of Government Efficiency, organisme créé par l'administration Trump en 2025 et dirigé par Elon Musk, visant à réduire drastiquement les dépenses de l'État fédéral américain
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article76552
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Un Liban impuissant face à l’étau israélo-américain
Le Liban s'avance au bord de la rupture : frappes inédites au Sud et dans la Bekaa, drones à basse altitude sur Beyrouth, et ultimatum sans détour lancé par Washington. Jamais la pression régionale et internationale n'a été aussi explicite, ni la marge de manœuvre du pouvoir libanais aussi réduite.
Tiré de MondAfrique.
Beyrouth n'a pas eu besoin de regarder le ciel pour sentir, ce lundi 20 octobre, la gravité du moment. Les drones israéliens ont survolé la capitale à très basse altitude, rendant visible l'invisible : l'état de siège psychologique dans lequel est plongé le Liban. Quelques jours plus tôt, le Sud et la Bekaa subissaient les frappes les plus violentes depuis le cessez-le-feu de novembre 2025, faisant craindre une bascule du fragile statu quo. Mais ce sont surtout les déclarations, le même jour, de l'émissaire américain Tom Barrack qui ont marqué un tournant : désormais, les lignes rouges et les faux-semblants semblent tomber, et le gouvernement libanais, aussi bien que le président de la République, se retrouvent face à des choix historiques – et à une responsabilité directe, désormais impossible à éluder.
Frappes record et drones sur Beyrouth
La semaine avait commencé sous le signe de la sidération. Dans la nuit du 17 au 18 octobre, des raids israéliens d'une intensité inédite depuis des mois frappaient simultanément le sud du Liban, de Naqoura à Khiam, et la plaine de la Bekaa, bastion logistique et politique du Hezbollah. Les chiffres officiels font état de plusieurs dizaines de frappes, ayant touché des infrastructures civiles, des positions militaires et provoqué une vague de déplacements dans les villages frontaliers. L'armée libanaise, dans un communiqué rare, parle de « violations graves et répétées », tandis que la FINUL se contente d'exprimer sa « profonde préoccupation ».
Mais ces violences, qui ravivent les souvenirs de la guerre de septembre-novembre 2024, s'inscrivent dans une stratégie graduée : il ne s'agit plus seulement d'exercer une pression militaire, mais de créer un sentiment d'étouffement total – politique, économique, psychologique. Ce lundi 20 octobre, la présence massive de drones israéliens à basse altitude au-dessus de Beyrouth et de sa banlieue sud complète ce tableau : la souveraineté nationale se mesure désormais à la hauteur d'un engin volant et au bruit qu'il imprime dans l'air. C'est tout le Liban qui vit au rythme des survols.
L'ultimatum américain
C'est dans ce climat de tension extrême que sont tombées les déclarations, lundi, de l'émissaire américain Tom Barrack. Elles ont eu l'effet d'une déflagration silencieuse dans les cercles du pouvoir. Pour la première fois, les États-Unis abandonnent l'ambiguïté et exposent, frontalement, leurs exigences et leurs lignes rouges :
Premièrement, le Liban doit accélérer le processus de retrait des armes du Hezbollah, et aborder ce dossier avec la gravité qu'il exige – en finir avec la fiction du « dialogue national » ou des « commissions techniques » qui reportent sans trancher.
Deuxièmement, il lui est intimé d'ouvrir des négociations directes avec Israël, sur tous les dossiers sensibles : frontières, cessez-le-feu, et même reconnaissance mutuelle. Ce qui fut longtemps un tabou s'impose soudain comme une feuille de route dictée de l'extérieur.
Troisièmement, le message est limpide : à défaut d'engagement sérieux, Israël pourrait déclencher une opération militaire d'envergure contre le Hezbollah, dont le Liban tout entier assumerait le prix – en vies humaines comme en destruction.
Ce changement de ton, relevé par de nombreux analystes (cf. L'Orient-Le Jour, 20/10/2025), fait écho à la lassitude occidentale vis-à-vis de la paralysie institutionnelle libanaise. À Washington comme à Paris, la patience s'épuise : « Le temps du double-jeu est terminé », confie sous couvert d'anonymat un diplomate européen. Sur le terrain, l'accélération des frappes israéliennes et la fréquence inédite des survols de drones sont la traduction concrète de cette doctrine du fait accompli : il s'agit de mettre le Liban devant ses responsabilités, de l'obliger à choisir.
L' impossible choix
Mais choisir quoi ? Le gouvernement voit sa marge de manœuvre se réduire chaque jour. Les partis traditionnels se divisent sur la méthode et sur la légitimité même d'entamer un dialogue avec Israël. Le président de la République, en fonction depuis janvier 2025, doit arbitrer entre l'exigence de souveraineté et le risque d'une confrontation qui emporterait tout. Jamais, depuis 2008, la classe politique libanaise n'a été aussi exposée à ses propres contradictions : refuser de trancher, c'est risquer l'irréparable.
Côté Hezbollah, la ligne n'a pas changé : tout désarmement est conditionné à la fin de l'occupation israélienne des fermes de Chebaa et à des garanties sur la sécurité du Liban Sud. Mais le mouvement chiite, dont la légitimité populaire s'érode dans une partie de la société libanaise, se sait lui aussi sous pression : il lui faut éviter à tout prix un affrontement généralisé qui lui serait imputé.
La population, elle, se sent prise en otage. Les témoignages recueillis dans la banlieue sud comme dans les villages du Sud oscillent entre colère et résignation : « On nous demande de choisir entre l'humiliation et la guerre », résume un habitant de Tyr. Dans les écoles, on apprend à reconnaître le bourdonnement des drones comme autrefois celui des avions ; dans les rues, la peur se dit à demi-mots.
Les chancelleries arabes observent, partagées entre solidarité affichée et crainte de l'escalade. Le Qatar tente une médiation discrète, la France plaide pour une « solution libanaise », mais nul ne conteste que l'heure est au rapport de force – et que le temps du compromis mou semble bel et bien clos.
Ce lundi 20 octobre aura peut-être marqué un point de bascule dans le dossier libanais : la fin d'une ère d'ambiguïté, le surgissement d'une pression totale, militaire autant que politique. Le Liban est sommé de choisir : désarmer le Hezbollah, négocier avec Israël, ou s'exposer à une guerre dont nul ne connaît l'issue. Au sommet de l'État comme dans les rues, une question traverse toutes les conversations : face à l'histoire, saurons-nous écrire notre destin – ou le subir, une fois encore, dans la stupeur et le fracas ?
La nuit tombe sur Beyrouth. Au loin, le bruit des drones recommence, ponctuant le silence d'un pays suspendu à son propre souffle.
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Bangladesh : rassemblement de protestation massif, chaîne humaine et manifestation à Dhaka suite à l’incendie de l’usine chimique Mirpur Shiyal Bari
À 11 h aujourd'hui, un rassemblement de protestation, une chaîne humaine et une manifestation ont été organisés au carrefour de Mirpur Shiyal Bari dans la capitale, par le Combined Garment Workers' Organizations of Greater Mirpur (Les organisations syndicales coordonnées des travailleur.es de l'habillement du Grand Mirpur). L'événement était présidé par Lovely Yasmin, présidente de la Ready-Made Garments Workers' Federation (Fédération des travailleur.s du prêt-à-porter), et conduit par Md. Al-Amin, secrétaire général de Motherland Garments Workers' Federation (Fédération des travailleur.es de l'habillement de la Patrie).
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Parmi les orateurs figuraient Badrul Alam, président de la Fédération Bangladesh Krishok ; Zayed Iqbal Khan, secrétaire général de la même fédération ; Mariam Akter, secrétaire générale de la Fédération nationale du travail ; Saleha Islam Shantona, présidente de la Fédération des travailleurs de l'habillement Motherland ; Parvin Akter, vice-présidente de la Fédération des travailleurs coordonnés ; Rupali Khatun et Sohel Rana, secrétaires organisation de la Fédération des travailleur.es du prêt-à-porter ; Shirin Shikdar, présidente de la Fédération nationale progressiste des travailleur.s et employé.es de l'habillement ; Ruhul Amin Hawlader, président du Comité métropolitain de Dhaka de la Fédération des travailleur.es de la confection ; Abul Kalam Azad, dirigeant du comité régional ; Halima Yasmin et Shiuli Begum de la Fondation Jagorani ; Seema Akter, vice-présidente de la Fédération des travailleur.es de l'habillement Ekota ; Aleya Begum, vice-présidente de la Fédération nationale des travailleur.es de l'habillement ; et Tanima Hamid Sumi, dirigeante de la Fédération de l'unité des travailleur.es de l'habillement, entre autres.
Les intervenants ont déclaré : « Le 14 octobre, un incendie dévastateur s'est déclaré dans une usine chimique à Mirpur, Dhaka, tuant au moins seize travailleurs et en blessant beaucoup d'autres qui sont actuellement soignés à l'hôpital. Cet événement tragique a bouleversé toute la nation et constitue un sombre avertissement quant aux conditions dangereuses qui règnent dans le secteur industriel au Bangladesh. »
Ils ont souligné que la propagation rapide du feu était due à des bâtiments dangereux, au stockage illégal de produits chimiques et à l'absence de dispositifs anti-incendie en état de marche.
Les dirigeants ont ajouté : « Cet incendie n'est pas un simple accident, il reflète les défaillances structurelles profondément enracinées de notre système de sécurité industrielle. Lorsque la vie des travailleur.es est mise en danger, que les normes de sécurité sont ignorées et que les propriétaires restent impunis, de telles tragédies sont vouées à se reproduire. Il ne s'agit pas seulement d'une perte de vies humaines, mais d'un échec moral de la société et d'un signe de l'irresponsabilité de l'État. »
Les intervenants ont exigé :
« Nous exigeons fermement une indemnisation et une réhabilitation immédiates et adéquates pour les familles des travailleur.es décédés et blessés, ainsi que des poursuites judiciaires rapides contre les responsables. Les normes de sécurité industrielle doivent être strictement appliquées à Mirpur et dans toutes les zones industrielles du pays. Des exercices d'évacuation incendie, des issues de secours dégagées et des équipements de lutte contre l'incendie efficaces doivent être garantis dans toutes les usines. »
Soulignant que la vie des travailleur.es n'est pas une marchandise à vil prix, ils ont déclaré : « Leur dignité ne repose pas sur le capital, mais sur le travail. Notre protestation, notre lutte et notre revendication sont simples : l'État doit garantir la sécurité des travailleur.es. Tant que justice ne sera pas rendue et que les coupables ne seront pas punis, les incendies ne cesseront pas. »
Revendications
1. Conformément à la convention 121 de l'OIT, les familles des travailleur.es décédé.es et blessé.es doivent recevoir immédiatement une indemnisation et une réadaptation.
2. Des poursuites judiciaires doivent être engagées sans délai contre les responsables.
3. Les normes de sécurité industrielle doivent être strictement appliquées à Mirpur et dans toutes les autres zones industrielles du pays.
4. Des exercices d'évacuation incendie, des issues de secours dégagées et des systèmes de lutte contre l'incendie fonctionnels doivent être garantis dans toutes les usines.
Dhaka, le 21 octobre 2025
Md. Shahjahan Sarkar
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepLpro.
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« Gaza n’est pas une tragédie sans responsables » le dernier rapport de Francesca Albanese
Résumé du dernier rapport de la rapporteuse spéciale à l'ONU sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, intitulé « Le génocide de Gaza : un crime collectif ».
Tiré d'Agence médias Palestine.
« Aucun État ne peut se dire attaché au droit international tout en armant ou protégeant un régime génocidaire. »
Les précédents rapports d'Albanese, “Anatomie d'un génocide”, “L'effacement colonial par le génocide” (2024) et “D'une économie d'occupation à une économie de génocide”(2025) ont documenté le génocide commis par Israël à Gaza, son origine et ses fondations. “Le génocide de Gaza : un crime collectif”, paru le 20 octobre dernier, se concentre sur la complicité internationale qui le caractérise.
« Encadrée par des discours coloniaux qui déshumanisent les Palestiniens, cette atrocité diffusée en direct a été facilitée par le soutien direct, l'aide matérielle, la protection diplomatique et, dans certains cas, la participation active d'États tiers. Elle a mis en évidence un fossé sans précédent entre les peuples et leurs gouvernements, trahissant la confiance sur laquelle reposent la paix et la sécurité mondiales. Le monde se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins entre l'effondrement de l'état de droit international et l'espoir d'un renouveau. Ce renouveau n'est possible que si la complicité est combattue, les responsabilités assumées et la justice respectée. »
Les 4 composants de la complicité
Albanese identifie quatre axes dans lesquels cette complicité s'est matérialisée : politique et diplomatique, militaire, humanitaire, et économique.
Dans le premier domaine, elle démontre que les États ont systématiquement adopté la rhétorique et les éléments de langages israéliens, qualifiant les israélien-nes de « civils » et d'« otages », tandis que les Palestinien-nes étaient présenté-es comme des « terroristes du Hamas », des cibles « légitimes » ou « collatérales », des « boucliers humains » ou des « prisonnier-es » légalement détenu-es.
Elle identifie également ces éléments de langage dans les négociations de paix, quand les pays comme la France ont appelé à des « pauses humanitaires » plutôt que d'exiger un cessez-le-feu permanent, offrant une couverture politique à la poursuite de la guerre et banalisant les violations du droit par Israël.
Sur le volet militaire, Albanese rappelle le le Traité sur le commerce des armes, qui impose de ne pas commercer avec des Pays soupçonnés de génocide. La France est entre autres pointée du doigt pour n'avoir pas cessé ses exportations et avoir permis le transit par ses ports de cargaisons d'armes à destination d'Israël. Albanese dénonce également que de nombreux soldat-es servant en Israël ont une double nationalité et qu'il appartient à leurs pays de les juger. La France en fait partie.
Le rapport poursuit en dénonçant la militarisation et l'instrumentalisation de l'aide humanitaire, à travers le blocus total de Gaza. Albanese dénonce le retrait de financements de la part de nombreux pays, dont la France, à l'UNRWA, sur la base d'allégations israéliennes qui n'ont pas été démontrées, et ont par la suite été invalidées par des observateur-ices de l'ONU.
Le volet concernant l'aide humanitaire dénonce aussi la création de la Gaza Humanitairian Foundation par les État-Unis, qui a participé au déplacement contraint de nombreux-ses Palestinien-nes affamé-es et a été le théatre du meurtres d'au moins 2 100 d'entre elles et eux.
Dans le dernier volet, concernant l'aspect économique, Albanese rappelle qu'Israël est profondément dépendant de ses accords commerciaux, et que le maintien par les pays concernés de tels accords « malgré l'illégalité de l'occupation [israélienne] et ses violations systématiques des droits humains et du droit humanitaire – qui ont désormais atteint le stade du génocide – légitiment et soutiennent le régime d'apartheid israélien. »
Elle souligne, entre autres, que la France a augmenté ses transactions avec Israël plutôt que de les restreindre, avec 75 millions de dollars supplémentaires d'échanges. Le rapport pointe aussi la nécessité d'un embargo sur les armes et sur l'énergie, pointant l'implication de la France dont les ports sont utilisés pour le transit d'armes, de pétrole et de gaz destiné à Israël.
« Il faut désormais rendre justice »
« À ce stade critique, il est impératif que les États tiers suspendent et réexaminent immédiatement toutes leurs relations militaires, diplomatiques et économiques avec Israël, car tout engagement de ce type pourrait constituer un moyen d'aider, d'assister ou de participer directement à des actes illégaux, notamment des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des génocides », affirme le rapport.
Albanese rappelle les recommandations figurant déjà dans les rapports précédents : mesures coercitives contre Israël, embargo sur les armes et le commerce avec Israël, refus de passage aux navires/aéronefs israéliens, poursuite des auteurs et complices du génocide.
Elle appelle les pays à faire pression sur Israël pour un cessez-le-feu permanent et un retrait complet de ses troupes de Gaza, une levée du blocus et la réouverture de la frontière avec l'Égypte, de l'aéroport international et du port de Gaza.
« Le monde entier a les yeux rivés sur Gaza et toute la Palestine. Les États doivent assumer leurs responsabilités. Ce n'est qu'en respectant le droit du peuple palestinien à l'autodétermination, si ouvertement bafoué par le génocide en cours, que les structures coercitives mondiales durables pourront être démantelées. Aucun État ne peut prétendre adhérer de manière crédible au droit international tout en armant, soutenant ou protégeant un régime génocidaire. Tout soutien militaire et politique doit être suspendu ; la diplomatie doit servir à prévenir les crimes plutôt qu'à les justifier. La complicité dans le génocide doit cesser. »
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Gaza. D’un « Quartet » à l’autre, mêmes recettes, mêmes échecs
Le 29 septembre 2025, le plan Trump en 20 points, par lequel Washington a imposé un cessez-le-feu à Gaza, a été rendu public. Ainsi a été mis un terme (provisoire) à la guerre menée depuis deux ans par l'armée israélienne, en échange de la libération des otages et des prisonniers israéliens et palestiniens. Or, ce plan contient des éléments de doctrine qui se trouvaient déjà dans le projet du Quartet pour le Proche-Orient apparu en 2002, à un moment où la paix d'Oslo de 1993 était déjà moribonde.
Tiré d'Orient XXI.
Le Quartet pour le Proche-Orient est un groupe réunissant les représentants des États-Unis, de l'Union européenne (UE), de l'Organisation des Nations unies (ONU) et de la Fédération de Russie. Sa création en 2002 était liée à la seconde Intifada, à la déliquescence du processus d'Oslo qui a suivi les échecs des négociations de Camp David en 2000 à Taba en janvier 2001, ainsi qu'aux attaques du 11 septembre 2001 contre les États-Unis. Ses missions ont évolué au fil du temps. La plus importante a été de piloter la « Feuille de route » (avril 2003), une sorte de mode d'emploi supposé guider Israéliens et Palestiniens dans leurs « négociations ». Si ces circonstances historiques ont disparu aujourd'hui, le Quartet existe toujours sans qu'on sache où il se trouve ni ce qu'il fait.
Ce sont les attaques d'Al-Qaida contre les États-Unis du 11 septembre 2001 qui ont « inventé » le Quartet pour en faire l'outil précurseur de la nouvelle donne diplomatique au Proche-Orient. Au lendemain du 11 septembre, représentants étatsuniens, européens, onusiens et russes sont convenus d'intervenir, conjointement, à Gaza, auprès de Yasser Arafat pour qu'il affirme publiquement qu'il avait compris que les rapports Occident/Orient allaient changer et qu'il n'avait pas d'autre choix que de se ranger derrière ceux qui menaient « la guerre contre le terrorisme ». La déclaration en faveur d'un cessez-le-feu du président palestinien le 18 septembre 2001, depuis Gaza, a répondu à leur exigence commune et préfiguré une nouvelle forme de relation entre la communauté internationale et les Palestiniens. Si le Quartet a été créé en 2002, c'est véritablement en cette semaine de septembre 2001 qu'il a commencé à mûrir. Son apparition sur la scène proche-orientale doit être comprise dans le cadre de la coalition internationale qui s'est formée pour éliminer Al-Qaida et renverser les talibans qui abritaient en Afghanistan Oussama Ben Laden. L'une des exigences du Quartet était bien « qu'il soit mis fin à la violence et au terrorisme dès que le peuple palestinien disposera d'une autorité agissant résolument contre la terreur (…) ».
Guerre contre le terrorisme
Les crimes commis par le Hamas le 7 octobre 2023 ne sont pas assimilables au terrorisme international de 2001, encore que pour le premier ministre israélien il n'y a pas de discontinuité entre le Hamas, le Djihad islamique, l'Iran, le Hezbollah, les milices pro-iraniennes en Syrie et en Irak ou les houthistes yéménites. Le président français Emmanuel Macron a semblé un temps partager cette conception globalisante lorsqu'il a recommandé que la « coalition internationale contre Daech (…) puisse lutter aussi contre le Hamas » (Jérusalem, 23 octobre 2023). Cette exigence de lutte contre le « terrorisme » se retrouve dans le plan Trump. Elle figure même en son point 1 :
- Gaza sera une zone déradicalisée, où le terrorisme n'aura plus cours, qui ne représentera pas une menace pour ses voisins ». En d'autres termes, le Hamas et ses alliés doivent désarmer sous peine de subir la foudre de l'armée américaine. Leur désarmement sera placé sous la « supervision de moniteurs indépendants ».
Tant la feuille de route du Quartet que le plan Trump doivent être perçus comme un réflexe de défense de l'Occident (et d'Israël), hier face au terrorisme international, aujourd'hui face à la résistance armée du Hamas.
L'idée d'une « paix imposée »
Au tournant des années 2000, c'est à partir des échecs successifs des négociations qu'a mûri l'idée d'une « paix imposée » par la communauté internationale ou, à tout le moins, de son « implication forcée » puisque Israéliens et Palestiniens ne parvenaient pas à conclure seuls. Si les premiers, dans leur grande majorité, rejetaient les ingérences étrangères, les Palestiniens n'étaient pas hostiles à une plus forte présence internationale pour éviter de se retrouver seuls face à Israël. Le Quartet sera l'un des instruments de cette ingérence dans les affaires palestiniennes. C'est lui qui sera notamment chargé entre 2002 et 2003 de faire comprendre à Yasser Arafat qu'il était temps de créer un poste de premier ministre, manière de le priver d'une partie de ses attributions. Ce poste sera occupé par Mahmoud Abbas (Abou Mazen) qui, une fois devenu président de l'Autorité palestinienne (AP), s'avèrera réceptif aux exigences étatsuniennes et israéliennes en troquant la lutte contre l'occupation pour la répression contre le Hamas. C'est aussi le Quartet qui a régulièrement conseillé aux Palestiniens d'accepter telle ou telle concession au motif qu'elle adoucirait les positions israéliennes. Sans jamais faire pression sur Israël, notamment sur la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem.
Le plan Trump est le symbole même de cette « paix imposée » dont la première vertu n'est pas contestable : avoir exigé et obtenu le cessez-le-feu. Il prévoit que Gaza soit gouverné par une « autorité transitoire temporaire composée d'un comité palestinien technocratique et apolitique, chargé d'assurer la gestion quotidienne des services publics et des municipalités au profit de la population de Gaza ». Cette notion de gouvernance technocratique — sous-entendre : dépourvue de tout élément politique, de toute revendication nationaliste et n'incluant évidemment pas le Hamas — était déjà à l'œuvre en 2007 (gouvernement Salam Fayyad), et en 2013 (gouvernement Rami Hamdallah).
Selon certaines informations provisoires, cette Autorité transitoire temporaire serait composée de 7 à 10 membres dont un seul serait palestinien. Dans la logique de ses concepteurs, ce Palestinien solitaire ne pourrait être qu'un homme d'affaires ou un responsable sécuritaire. Mohammed Dahlan, ancien responsable palestinien de la sécurité à Gaza à l'époque d'Arafat, aurait parfaitement combiné ces deux caractéristiques par sa détestation du Hamas, par sa proximité avec Israël (et, dit-on, avec la CIA), par les réseaux régionaux arabes qu'il s'est constitué depuis son exil dans les Émirats arabes unis et par son goût du lucre. Mais il semble aujourd'hui démonétisé au sein de la société gazaouie qui ne l'accepterait pas facilement.
Le retour de Tony Blair
L'Autorité serait placée « sous la supervision et le contrôle d'un nouvel organisme international transitoire, le “conseil de la Paix”, qui sera dirigé et présidé par le président Donald J. Trump. D'autres membres et chefs d'État seront annoncés, dont l'ancien premier ministre (britannique) Tony Blair ». En d'autres termes, les Gazaouis n'auront que des attributions municipales : reconstruire leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs routes ou être en charge du ramassage des ordures ménagères. Ces mêmes attributions municipales leur avaient déjà été réservées par l'Accord intérimaire sur la Cisjordanie et la bande de Gaza (Oslo II, 1995). Le fait que le « conseil de la paix » international soit dirigé par Washington avec à la manœuvre l'inoxydable Tony Blair constitue un autre rappel de la période d'Oslo.
Tony Blair avait déjà été unilatéralement nommé par les États-Unis en 2007 en qualité d'envoyé du Quartet pour le Proche-Orient. C'est lui qui imaginait de mirifiques « projets à impact rapide » comme une station d'épuration à Gaza, des logements en Cisjordanie, des parcs industriels, le développement d'un « corridor de paix et de prospérité », etc., tous projets qui, sous couvert de progrès économique dont auraient bénéficié Israéliens et Palestiniens, dissimulaient leur enracinement dans les structures de l'occupation. Les Palestiniens n'en ont pas gardé le meilleur souvenir.
Quartet, Autorité transitoire palestinienne et « conseil de la Paix » international renvoient à une même certitude étatsunienne et israélienne : les Palestiniens en sont encore à un stade infantile de leur histoire et ne sont pas mûrs pour assumer leur autodétermination et des responsabilités étatiques. Il faut donc leur prendre la main pour les conduire sur le droit chemin, quitte à faire preuve de fermeté et d'autorité s'ils se montrent rétifs.
Le cavalier seul des États-Unis
À l'époque où l'appellation « accords d'Oslo » ne résonnait déjà presque plus, Washington concevait le Quartet comme une simple chambre d'enregistrement de ses positions. Diverses initiatives diplomatiques et sécuritaires d'obédience étatsunienne ont jalonné le début des années 2000 : plan sécuritaire Tenet (du nom du directeur de la CIA), mission diplomatique Zinni (du nom du général à la retraite du corps des Marines), commission d'enquête internationale du sénateur Mitchell, paramètres du président Clinton, et feuille de route du Quartet. Toutes ont la particularité de n'avoir pas sollicité ou entendu l'avis ou le consentement des partenaires ou alliés étatsuniens, toutes ont attendu des alliés ou partenaires de Washington qu'ils en soient les promoteurs auprès d'Arafat. Indépendamment de leurs mérites propres, ces initiatives ont fonctionné comme un groupe de pression, un « lobby », destiné à convaincre, voire contraindre, les partenaires diplomatiques de Washington d'influencer la partie la plus faible, les Palestiniens.
Il y a fort à parier que le conseil de la Paix du président étatsunien s'inscrira dans cette même trajectoire dans laquelle les partenaires internationaux seront perçus comme des obligés. Rien n'est prévu dans le plan Trump en termes de responsabilité et de redevabilité. À qui rendre compte de la situation ? Devant qui expliquer les choix étatsuniens ? Qui assumera les conséquences des décisions prises ? Qui jugera des progrès accomplis ? Ces questions étaient celles d'hier. Elles restent d'actualité.
À l'époque du Quartet, les Étatsuniens avaient clairement fait savoir que leurs intérêts nationaux — y compris la relation stratégique spécifique qu'ils entretiennent avec Israël — ne sauraient se diluer au sein d'un Quartet multilatéral dans sa forme (Russie, UE, ONU). Ce risque n'existe plus tant les concepteurs du plan Trump ont verrouillé tous les éléments qui le constituent. L'une des questions qui restent sans réponse est celle de la composition du conseil de la Paix. Devraient y participer des « membres et des chefs d'État ». Des alliés arabes ? Des responsables politiques participant aux accords d'Abraham de 2020 ? Des Européens ? D'autres ? Des Israéliens ?
Assurer la protection d'Israël
À l'époque d'Arafat, le Quartet était chargé de rappeler systématiquement au président palestinien que le terrorisme anti-israélien au-delà de la « ligne verte » était inacceptable, politiquement et moralement, et qu'il ne pouvait se définir comme résistance. Le plan Trump ne dit pas autre chose. S'il ne mentionne que la bande de Gaza, il est évident qu'il s'appliquera aussi à la Cisjordanie.
Le plan Tenet de 2001 était une proposition de cessez-le-feu et de restauration de la coopération sécuritaire entre Israël et l'Autorité palestinienne. Il s'inscrivait dans le contexte de la Seconde Intifada (2000–2005), une période marquée par une intensification des affrontements entre Israéliens et Palestiniens. Il prévoyait des formations de police sous la houlette de la CIA. Il a servi de base technique au Quartet et s'est placé en amont d'un processus politique qui se dessinait en pointillés.
La Force temporaire internationale de stabilisation du plan Trump a exactement le même objectif. Il s'agit de reconstituer une force de police palestinienne pour assurer la sécurité sur la ligne de séparation entre Israël et les Territoires palestiniens, c'est-à-dire pour éviter des attaques ou des incursions en Israël, notamment à partir de l'Égypte. La Jordanie fera partie, avec l'Égypte, des États chargés de contribuer à la formation de la police palestinienne. Elle est accoutumée à cette tâche. Entre 2005 et 2010, cette formation avait été confiée au lieutenant général Keith Dayton depuis Amman. Le plan Trump esquisse un processus politique. Il précise que « les États-Unis mettront en place un dialogue entre Israël et Palestiniens pour s'accorder sur un horizon de coexistence pacifique et prospère », déclaration irénique qui sent bon la négociation, la modération ou le compromis.
Le Quartet s'était intéressé à des projets économiques ou à des mesures pour alléger les restrictions israéliennes. La perspective était de jeter les bases économiques d'un État viable, pas de faire ouvertement des affaires. Shimon Pérès, alors premier ministre d'Israël, avait depuis longtemps défendu l'idée que la prospérité économique allait de pair avec la paix (Assemblée générale des Nations unies, septembre 1993, « la région peut devenir prospère, pas seulement une région de paix »). Cette idée irriguait régulièrement les discours à l'époque du Quartet. Salam Fayyad, alors premier ministre palestinien, déclarait en 2008 : « Vous pouvez faire des affaires en Palestine. » Tous avaient cette particularité d'associer économie et paix, l'économie devant entraîner la paix.
Le plan Trump a moins de pudeur. Pour l'homme d'affaires devenu président, des projets mirifiques sont à portée de mains en bord de Méditerranée. À Gaza, tout est à reconstruire. Là où les Palestiniens ne voient que destructions et ravages, Trump y voit un chantier de démolition nécessaire à la construction de « cités modernes » telles qu'il en existe au Proche-Orient. Son projet avait déjà été esquissé par son gendre, Jared Kushner, qui dès 2024 évoquait la création d'une « station balnéaire internationale » à Gaza, propos confirmés par le président lui-même indiquant en février 2025 que « Gaza pouvait surpasser Monaco » ou encore devenir « la Riviera du Proche-Orient ». Un plan Trump de développement économique sera donc créé et invitera les meilleurs des développeurs immobiliers internationaux — essentiellement anglo-saxons — pour construire des villes nouvelles. Faudra-t-il vider Gaza de ses habitants pour mener à bien ces projets grandioses et les commercialiser ?
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Reconnaître l’État de Palestine, au milieu des ruines ?
Depuis octobre 2023, l'assaut colonial d'Israël contre Gaza a produit l'une des plus grandes catastrophes de l'histoire récente — un génocide en cours rendu possible par les puissances occidentales qui soutiennent Israël, et qui se poursuit sans relâche malgré l'immense solidarité mondiale pour la Palestine.
Tiré de la revue Contretemps
22 octobre 2025
Par Khalil Allahham
En réponse à cette catastrophe, plusieurs États européens ont commencé à reconnaître l'État de Palestine. En septembre 2025, la France, le Royaume-Uni, la Belgique, entre autres, ont reconnu l'État palestinien. La vague récentede reconnaissances symboliques, initiée en 2024, semble désormais être la seule mesure que beaucoup de puissances européennes soient disposées à prendre face au génocide, après deux années de soutien moral, militaire et diplomatique continu au régime israélien.
Parce qu'il est impératif de faire entendre les voix palestiniennes à ce sujet, nous publions ce texte de Khalil Allahham, chercheur postdoctoral à l'Université de Birzeit, qui montre notamment comment ces reconnaissances – et le discours prétendant œuvrer à la « paix » qui les accompagnent – ne visent pas seulement à détourner l'attention vis-à-vis du génocide, qui se poursuit à Gaza malgré le cessez-le-feu (toujours avec la complicité des puissances occidentales), mais aussi à légitimer une nouvelle gouvernance coloniale.
***
Depuis son compte X, le président Macron a annoncé le 24 juillet vouloir reconnaître l'État de Palestine sur le territoire occupé depuis 1967, comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza. D'autres États occidentaux, dont le Canada et le Royaume-Uni, ont évoqué la possibilité de suivre cette voie. L'initiative a associé ensuite la Ligue des États arabes, l'Union européenne ainsi que d'autres États d'Asie, d'Afrique et d'Amérique du Sud.
Le projet se présente comme une réponse à la « guerre » à Gaza. Il a donné lieu à l'adoption d'une déclaration par les ministres des affaires étrangères des États concernés le 29 juillet 2025 [1], en vue de la préparation d'une conférence internationale au niveau des chefs d'État et de gouvernement. À la demande de l'Arabie saoudite, l'Assemblée générale des Nations unies a repris l'initiative par une résolution adoptée le 6 septembre. Un sommet international de haut niveau sur la solution à deux États s'est tenu le 22 septembre à New York.
Les dirigeants qui se sont réunis à New York ont créé un débat parallèle contribuant à dissimuler la complicité d'un certain nombre entre eux dans la commission du génocide et d'autres crimes de masse à l'encontre des Palestiniens. Il leur incombe portant au titre du droit international de mettre fin à ces crimes et à prévenir leur répétition. En l'état, le projet de reconnaissance reflète une escroquerie, qui cherche à détourner l'attention des véritables actions et devoirs des dirigeants et des États face aux crimes coloniaux attribués à l'État d'Israël.
Ce projet de reconnaissance rappelle des tentatives de règlement « pacifique » de la question israélo-palestiniennes pendant les années 1990. En parallèle des négociations de paix entre l'Organisation de libération de Palestine (OLP) et l'État d'Israël, le philosophe français Jacques Derrida confie en 1998 sa vision d'une véritable « paix » entre Palestiniens et Israéliens. C'est « le jour où la paix viendra dans les corps et dans les cœurs ». Derrida se laisse dire comment y parvenir :
Cette paix « viendra […] quand le nécessaire aura été fait par ceux qui ont le pouvoir ou qui tout simplement ont le plus de pouvoir, le pouvoir d'État, le pouvoir économique ou militaire, national ou international », à qui il appartient « d'en prendre l'initiative de façon d'abord sagement unilatérale [2]. »
Loin de construire une véritable paix, le Sommet de New York vient invisibiliser les corps mortifiés et massacrés des Palestiniens. Il réactive la dynamique ancienne des négociations, ayant permis de réorganiser et de légitimer le système colonial israélien. Avant de reconnaître la Palestine comme entité abstraite, il est nécessaire de reconnaître les Palestiniens comme égaux en humanité. Car c'est la déshumanisation de cette population dans le discours politique et médiatique occidental qui a permis en partie la violation systémique de leurs droits pendant des décennies, et qui atteint un niveau de criminalité sans précédent depuis octobre 2023.
Dans ces conditions, l'initiative d'Emmanuel Macron ayant conduit au Sommet de New York propose une transaction de rechange à une situation de grave injustice et de violations des droits des Palestiniens. Elle alimente par ailleurs une gouvernance coloniale légitimée historiquement au nom de la paix.
Légitimer et renforcer un système de gouvernance coloniale
La déclaration du 29 juillet, adoptée par des ministres des États associés à l'initiative franco-saoudienne, reprend une rhétorique ancienne qui se veut équilibrée, tout en faisant abstraction d'une situation de violence coloniale et d'un rapport de force asymétrique. L'objectif affiché des États consiste à « parvenir à un règlement juste, pacifique et durable du conflit israélo-palestinien reposant sur une mise en œuvre véritable de la solution des deux États » [3].
Le projet de reconnaissance s'apparente en l'état à une solution de rechange, venant dissimuler l'inaction des États et des dirigeants politiques face aux crimes de masse commis à l'encontre de la population palestinienne au cours de ces 24 derniers mois. À moins de reconnaître parallèlement la violence extrême que subissent les Palestiniens et d'en engager véritablement les responsabilités, le sommet de New York risque de perpétuer les conditions politiques d'une violence structurelle à l'encontre des Palestiniens. La déclaration du 29 juillet de New York reprend le discours ancien d'une promesse de paix par le soutien financier à l'Autorité palestinienne, en mettant l'accent sur la nécessité d'une coopération sécuritaire de celle-ci avec l'armée israélienne. Une coopération parrainée historiquement par les États-Unis [4].
Dans ce contexte, la dissociation entre politique et justice rappelle fortement de la manière dont les États-Unis ont conduit, pendant les années 1990, les négociations de paix entre l'Organisation de libération de Palestine (OLP) et l'État d'Israël. Au nom d'une realpolitik, l'administration étasunienne a dirigé les négociations selon le principe « d'ambiguïté constructive » [5]. Celui-ci a notamment consisté à exclure les références explicites au cadre juridique international ainsi que dans l'« absence criante de principes directeurs d'ordre conceptuel et organisationnel » [6].
Dans le même temps, la machine militaire israélienne n'a cessé de poursuivre sa politique du fait accompli sur le terrain, en intensifiant la construction des colonies et en consolidant les moyens de contrôle et d'oppression à l'encontre des populations palestiniennes. Le « processus de paix » fixé par les accords d'Oslo a perpétué le déni des droits des Palestiniens. Il a banalisé l'idée d'une paix sans justice qui, dans un rapport de force asymétrique, ne sert qu'à justifier et à dissimuler une violence coloniale généralisée. Le temps a changé depuis, la violence à l'encontre des Palestiniens s'est amplifiée, mais la gouvernance coloniale de ces derniers est restée la même.
À la suite de l'occupation du reste du territoire de la Palestine mandataire en 1967, et pendant près de trois décennies, l'objectif stratégique et politique des gouvernements israéliens successifs consistait à empêcher la création d'un État palestinien. La création de celui-ci est devenue le pilier principal du projet politique de l'OLP depuis juin 1974, ayant fait l'objet du consensus de ses différentes factions partisanes lors du Conseil national palestinien qui s'est tenu au Caire. La stratégie israélienne d'entraver le projet de l'OLP a été officialisée en 1977 avec l'arrivée du Likoud [7] pour la première fois au pouvoir en Israël. Elle a tiré sa légitimité de l'interprétation israélienne de certaines dispositions des accords de Camp David I entre Israël et l'Égypte (1978), évoquant sobrement la nécessité de trouver une solution pour la question palestinienne.
Appelé curieusement le « plan d'autonomie », le projet du Likoud est devenu de fait le projet des gouvernements israéliens successifs. Malgré la différence des programmes politiques des différents gouverneaux israéliens, les pratiques d'oppression à l'encontre des Palestiniens n'a cessé de s'intensifier depuis. Se limitant principalement à une « autonomie administrative », la réalisation de ce projet s'est concrétisée en déchargeant l'État d'Israël de ses responsabilités de puissance occupante en maintenant les Palestiniens dans une situation permanente de privation de leurs droits fondamentaux.
Le plan d'autonomie a donné lieu à un ensemble de pratiques dont l'objectif est de normaliser l'occupation de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est. Avec l'échec des négociations de paix entre l'État d'Israël et les Palestiniens, et le déclenchement de la seconde intifada en 2000, les autorités israéliennes ont consolidé l'architecture d'une occupation coloniale dans le Territoire palestinien occupé (TPO).
En poursuivant l'occupation et le nettoyage ethnique ayant d'ores et déjà commencé avec l'établissement du Mandat britannique sur la Palestine. Sur le territoire occupé depuis 1967, seule occupation illicite du point de vue du droit international, les autorités israéliennes ont intensifié la violence à l'encontre des populations palestiniennes, accentué leur enfermement et amplifié la construction des colonies en Cisjordanie [8].
Un ensemble de pratiques institutionnelles est venu dès lors renforcer un système colonial de domination ethnique, infériorisant les populations palestiniennes et maintenant les privilèges des populations juives israéliennes sur l'ensemble du territoire de la Palestine mandataire. Ces pratiques sont constitutives de crimes de masse du point de vue du droit international. Elles varient dans leur intensité en fonction des conjonctures politiques, mais restent constantes dans leur logique. Des organes onusiens et de nombreuses ONG qualifient ces pratiques de crimes contre l'humanité, d'apartheid, de violations massives, graves et sérieuses du droit international des droits humains et du droit international humanitaire ainsi que des actes constitutifs du crime génocide depuis octobre 2023.
Parallèlement à l'oppression continue des populations palestiniennes dans le TPO depuis 1967, les autorités israéliennes y ont réduit de fait l'ensemble des institutions palestiniennes à des sous-traitants de l'occupation, en leur léguant la gestion directe des affaires civiles et sociales des populations. Si la création de l'Autorité palestinienne à la suite des accords d'Oslo a changé la forme de certaines de ces pratiques, elle n'a jamais rompu avec cette vision gestionnaire qui est toujours à l'œuvre. C'est dans ces conditions d'oppression que les États participants au Sommet de New York ont imposé la reconnaissance de l'État de Palestine comme priorité.
Déresponsabiliser l'État d'Israël de ses crimes
Dans ce contexte, et après de 24 mois de guerre d'anéantissement contre la population civile dans la bande de Gaza, les dirigeants réunis à New York proposent de réagir par la reconnaissance de l'État de Palestine, reconnu d'ores et déjà par 148 États dont certains États européens. Le projet de reconnaissance risque de devenir un moyen de tordre la réalité en invisibilisant les crimes de masses en cours, et en suscitant un débat parallèle ne correspondant pas aux préoccupations actuelles de justice, qui sont celles des victimes et d'une majorité de l'opinion politique internationale. Le débat sur la reconnaissance de l'État de Palestine vient camoufler l'inaction des États face à ces crimes, en proposant une équation diplomatique biaisée à une situation de graves violations des droits des Palestiniens qui dure depuis des décennies.
Contrairement à l'affirmation du président français, qui prétend qu'il appartient aux historiens de qualifier de « génocide » ce qui se passe à Gaza, ce sont les États et les dirigeants politiques qui sont les destinataires et les opérateurs principaux du droit international. Il leur appartient à ce titre de nommer les violations massives des droits des Palestiniens et de prendre toute mesure pour les faire cesser et prévenir leur répétition. De multiples rapports de l'ONU documentent la violation des droits des Palestiniens en incitant les États à agir, sont rendus ineffectifs par l'inaction des États puissants.
Lors d'une visite en Israël en juin 2025, Anne-Claire Legendre et Romarci Roignan, respectivement conseillère Afrique du Nord et Moyen Orient d'Emmanuel Macron et directeur du Ministère des affaires étrangères de cette zone, ont déclaré auprès du site israélien Ynet qu'« il n'est pas question d'isoler ou de condamner Israël, il s'agit d'ouvrir la voie à la fin de la guerre à Gaza », rapporte Le Monde (le 6 juin 2025). Les diplomates français présentent la reconnaissance de l'État de Palestine comme une concession française, un recul dans leur politique à un soutien inconditionnel à l'État d'Israël.
L'initiative d'Emmanuel Macron prétend équilibrer la situation en posant des conditions supplémentaires : la démilitarisation du Hamas et la réforme de l'autorité Palestinienne comme préalable à la mise en place d'une gouvernance de la bande de Gaza. De même, et surtout, Paris a tenté de convaincre l'Arabie saoudite et d'autres États arabes de reconnaître l'État d'Israël en parallèle de la reconnaissance de l'État Palestinien par la France, le Royaume-Uni et le Canada.
L'initiative d'Emmanuel Macron à l'origine du sommet de New York contribue, d'une part, à déresponsabiliser l'État d'Israël des atteintes graves au droit international. Elle se présente, d'autre part, comme une dynamique multilatérale de reconnaissance, en apportant le soutien des États de la région à l'État d'Israël à un moment où les appels au boycott étatique et citoyen se multiplient à l'encontre de celui-ci.
Ainsi, en se présentant comme une dynamique égalitaire, ce projet passe sous silence la réalité sur le terrain. En évoquant la normalisation des relations de certains États arabes avec l'État d'Israël, l'initiative cherche à restaurer l'image détériorée de celui-ci au sein de l'opinion publique internationale. Sans reconnaissance des crimes commis et d'engagement de la responsabilité de l'État et dirigeants israéliens, une telle initiative contribue à dissimuler la violence extrême subie par la population palestinienne, en banalisant ces violations et en déshumanisant davantage les victimes par le déni.
Les pratiques militaro-civiles israéliennes ont créé des conditions profondes de domination, d'oppression, d'expropriation, d'accaparement, de pillage, d'humiliation, de déshumanisation et de répression à l'encontre des populations palestiniennes. Les autorités israéliennes poursuivent sans cesse un projet de nettoyage ethnique à l'encontre des Palestiniens, en créant délibérément des conditions de vie avilissantes pour ces populations.
Le choix qui s'impose à ces dernières aujourd'hui est, soit d'accepter la situation d'assujettissement qui leur est infligée, soit de fuir le territoire occupé [9]. La cessation et la prévention des crimes de masses qui sont commis en Palestine nécessitent de mettre à l'arrêt une machine d'oppression et de déshumanisation, créée et légitimée historiquement par le colonialisme occidental à travers des discours et des actes ayant conduit à la situation actuelle [10].
La logique de marchandage qui a animé les initiatives de paix dans le passé, et sa réactivation actuelle avec l'initiative en cours, fait abstraction des rapports de force asymétriques inhérents à une situation coloniale. Elle alimente une représentation biaisée réduisant une situation de violence extrême à une « guerre contre l'islamisme ». Cette représentation fait écho à la position de certains chercheurs qui font circuler des préjugés encourageant la complicité dans la continuité des crimes en cours.
Le système colonial israélien déshumanise à la fois les Palestiniens et les Israéliens, en les assignant à leurs places respectives d'opprimés et d'oppresseurs. Les jeunes Israélien.ne.s qui doivent effectuer un service militaire obligatoire (pendant 2 ans et huit mois pour les jeunes hommes et deux ans pour les jeunes femmes) sont amenés régulièrement à accomplir des exactions, des actes de tortures, de meurtre et d'humiliation à l'encontre des populations palestiniennes.
L'idéologie sioniste se trouve au fondement du système éducatif israélien et elle banalise l'infériorisation des Palestiniens et leur oppression. Face à cela, il est essentiel de reconnaître une violence coloniale structurelle pour mettre à l'arrêt une machine de mort afin qu'une solution politique soit imaginable. Reconnaître l'État de Palestine parallèlement ? Pourquoi pas, mais encore ?
*
Khalil Allahham est chercheur postdoctoral à Birzeit University.
Illustration : Jaber Jehad Badwan /Wikimedia Commons.
Notes
[1] Déclaration de New York sur le règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États adoptée le 29 juillet 2025 : (La déclaration se trouvant sur la page du MAE : Déclaration de New York du 29 juillet 2025).
[2] Jacques Derrida, « Avouer —l'impossible. “Retours”, repentir et réconciliation », in Le dernier des Juifs, Paris, Galilée, 2014, p. 26 ; ce texte fut publié d'abord dans les actes du XXXVIIe Colloque des intellectuels juifs de langue française [1998], Comment vivre ensemble ?, Jean Halérin et Nelly Hansson (dir.), Paris, Albin Michel, 2001, p. 179-216.
[3] § 2 de la déclaration.
[4] Voir § 19 de la déclaration du 29 juillet 2025.
[5] J. al-Husseini et R. Bocco, « Les négociations israélo-palestiniennes de juillet 2000 à Camp David : Reflets du Processus d'Oslo », Relations internationales, PUF, 2008/4 n° 136, p. 64.
[6] Ibid.
[7] Parti politique israélien regroupant différentes factions de droite. Il est actuellement le parti politique du premier ministre actuel Benjamin Netanyahou.
[8] Le sociologue Abaher El Sakka parle de première colonie pour désigner l'occupation du territoire palestinien en 1948, et de seconde colonie pour nommer l'occupation du territoire de 1967, voir EL SAKKA Abaher (en arabe), « naḥwa iʿādat al-tfkīr fī al-ʾūṭūr al-mfāhīmīẗ ltḥlīl al-sīāq al-istʿmārī fī flsṭīn, (trad. Repenser les cadres conceptuels dans l'analyse du contexte colonial en Palestine) », Omran, Issue 39, vol. 10, 2022, pp. 39-68
[9] Voir Khalil Allahham, « La détention des Palestiniens, instrument et reflet du nettoyage ethnique », Tumultes, numéro 64/2025, S. Dayan-Herzbrun et A. Kadri (dir.) Déplacement forcés, histoires de vies, histoires de mort, pp. 87-106.
[10] Voir Sbeih Sbeih, « La Palestine, de la SDN à l'ONU : histoire d'une hypocrisie occidentale », Recherches internationales, n° 133, été 2025, pp. 53-73.
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Comment le génocide de Gaza est-il arrivé : les mots accablants des politiciens israéliens
En partenariat avec Scotland for Palestine, The National a publié des [traductions anglaises des] citations de personnalités israéliennes de premier plan, mettant en évidence le sentiment génocidaire qui a alimenté deux années d'atrocités.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
13 octobre 2025
Par The National (Scotland)
Bezalel Smotrich (ministre des Finances et leader du parti sioniste religieux, d'extrême-droite) : Lors d'une « Conférence des colonies », il a déclaré : « D'ici quelques mois, nous pourrons déclarer que nous avons gagné. Gaza sera totalement détruite. Et d'ici six mois de plus, le Hamas n'existera plus en tant qu'entité fonctionnelle. »
Il a dit à l'auditoire que la population de Gaza, quelque 2,3 millions de Palestiniens, serait « concentrée » dans une bande étroite de terre entre la frontière égyptienne et le Couloir Morag qui court sur toute la largeur de Gaza entre Khan Younis et la ville frontière de Rafah.
La zone serait une zone « humanitaire », a dit le leader du parti sioniste religieux, « débarrassée du Hamas et du terrorisme ».
Le reste de la Bande de Gaza, a-t-il ajouté, « sera vide ».
Moshe Sa'ada (membre du Likud à la Knesset) : « Exactement comme il est clair pour tout le monde aujourd'hui que l'aile droite avait raison sur la question politique concernant le problème palestinien, aujourd'hui c'est simple : vous allez n'importe où et ils vous disent ‘exterminez-les'. Dans les kibboutz, ils vous disent « 'Exterminez-les'. »
« Mes amis du bureau du procureur qui ont lutté avec moi sur des questions politiques, dans des débats, ils me disent : ‘Moshe, évidemment, nous devions exterminer tous les … Gazaouis'. Je veux dire, ce sont des phrases que je n'avais jamais entendues. »
Zvi Sukkot (membre du parti sioniste religieux à la Knesset) : « Occuper, annexer, détruire toutes les maisons là-bas, pour construire des quartiers vastes et spacieux, de grandes colonies qui seront nommés d'après les héros de la nation qui ont combattu là-bas, distribuer des parcelles de terre aux soldats qui ont combattu, aux blessés qui ont combattu — de sorte que la place Palestinedeviendra la place des héros israéliens. Écoutez les paroles du groupe de la victoire à la Knesset aujourd'hui. »
Daniella Weiss (fondatrice de Nachala, une organisation israélienne de colons ) : « Aucun Arabe ne restera à Gaza. Les Arabes ont terminé ce chapitre. Le 7 octobre, un nouveau chapitre dans l'histoire du Moyen-Orient et du monde a été ouvert. Le Hamas n'a pas l'option de rester [à Gaza] et ceux qui veulent une vie tranquille, ils peuvent vivre une vie tranquille au Canada, en Écosse, en Égypte …. »
Beni Ben Muvhar (président de conseil régional) : « Jusqu'à la rivière Litani. Rasez tout. Ce sont tous des terroristes, personne n'est citoyen de quoi que ce soit. Détruisez tous les villages. Ce ne sont pas des villages, ce sont des noeuds terroristes de Redwan et d'Hezbollah. »
Bezalel Smotrich a dit que les Palestiniens devraient être encouragés à émigrer de la Bande de Gaza pour avoir l'expérience d'une situation différente sur le terrain à la fin de la guerre : « 1,8 million de Gazaouis devraient être encouragés à émigrer pour changer les faits sur le terrain après la guerre. »
« S'il y avait 100000-200000 Arabes dans la Bande de Gaza au lieu de deux millions, tout le discours sur le jour d'après [la guerre] serait complètement différent », a dit Smotrich à la radio de l'armée. « Ils veulent partir. Ils ont vécu dans un ghetto pendant 75 ans et ils sont dans le besoin ».
Marilyn Baron (mère d'un soldat israélien qui est mort à Gaza) : « Je pense que les politiciens doivent accepter de presser le bouton … Personne ne doit habiter cette terre si ce n'est le peuple juif. »
Dans une interview avec i24NEWS FR, elle a dit qu'Israël est un pays doté d'armes atomiques et que les politiciens devraient accepter d'« appuyer sur le bouton ».
Zvi Yehezkeli (commentateur sur la chaîne israélienne 13 News) a dit que 100000 Gazaouis auraient dû être tués dès la première attaque.
David Azoulay (ex-politicien de la Knesset, maintenant chef du conseil municipal de la ville de Metula) : « Israël devrait faire que Gaza ressemble au musée d'Auschwitz ». Il a proposé d'envoyer tous les Gazaouis dans des camps de réfugiés au Liban et de raser toute la Bande de Gaza pour qu'elle devienne un musée vide, comme Auschwitz.
Il a dit à la station de radio 103FM qu'Israël devrait envoyer les Gazaouis palestiniens fuyant les combats vers des camps de réfugiés au Liban, la Bande de Gaza étant toute entière vidée et rasée et transformée en un musée comme le camp de concentration d'Auschwitz en Pologne.
« Après le 7 octobre, au lieu de pousser les gens à aller vers le sud, nous devrions les diriger vers les plages. La Marine peut les transporter vers les côtes du Liban, où il y a déjà assez de camps de réfugiés. Ensuite, une bande de sécurité devrait être établie de la mer à la clôture de la frontière de Gaza, complètement vide, comme un rappel de ce qu'il y a eu jadis à cet endroit. Cela devrait ressembler au camp de concentration d'Auschwitz », a-t-il dit lors d'une interview avec Ben Caspit et Yinon Magal.
Il a continué : « Dites à tout le monde à Gaza d'aller vers les plages. Les navires de la Marine devraient transporter les terroristes sur les rives du Liban. Toute la Bande de Gaza devrait être vidée et nivelée, exactement comme à Auschwitz.
Que cela devienne un musée, une vitrine montrant les capacités de l'État d'Israël et dissuadant quiconque de vivre dans la Bande de Gaza. C'est ce qui doit être fait. Leur donner une représentation visuelle. »
Et il a dit : « Ce qui est arrivé le 7 octobre était un deuxième Holocauste. Le Liban a déjà des camps de réfugiés et c'est là où ils devraient aller. Nous devrions laisser Gaza désolée et détruite pour servir de musée, démontrant la folie du peuple qui a vécu là. »
Plus tard, il a clarifié sa position sur la situation au nord : « Le Hezbollah observe la situation dans le sud, et si nous ne gérons pas cela adéquatement, ils le verront comme une faiblesse. Peu importe la force du terrorisme, nous ne pouvons pas vivre dans la peur ou déraciner les gens de leurs maisons. Nous devons agir de manière décisive. »
Azoulay a terminé l'interview en disant : « Les résidents déplacés du nord méritent de savoir quand et comment ils retourneront dans leurs foyers. Nous ne voulons pas de guerre ni de victimes. Cependant, je ne crois pas que le Hezbollah capitulera pacifiquement. »
Shimon Riklin (journaliste israélien) : « Je suis pour des crimes de guerre, je m'en moque si je suis critiqué, je suis incapable de dormir sans voir les maisons dans Gaza détruites, plus de maisons, plus de bâtiments, je ne veux pas qu'ils aient quoi que ce soit où ils pourraient revenir. »
Danny Neumann (ancien membre de la Knesset) : Il a formulé un plaidoyer inquiétant pour l'extermination des gens de Gaza, les étiquetant tous comme « terroristes » et les déshumanisant. Il a appelé à ce que Gaza soit rasée, sa « poussière » nettoyée et à ce qu'une nouvelle zone sûre pour Israël soit construite à la place.
Rafi Kishon (conférencier et humoriste) a proposé d'inonder Gaza avec des déchets toxiques et de leur mettre le feu.
Arieh King (maire adjoint de la municipalité de Jérusalem gérée par Israël) a appelé à enterrer vivants des dizaines de civils palestiniens qu'il a décrits comme « sous-humains ». King a appelé les hommes non armés qui étaient arbitrairement extirpés de leurs foyers à Gaza par l'armée israélienne, « des musulmans nazis ».
« Nous devons accélérer le rythme », a-t-il dit sur Twitter/X, en se référant à l'« élimination » des Palestiniens par l'armée israélienne.
King a ajouté que s'il ne tenait qu'à lui, il aurait utilisé les bulldozers blindés D-9 pour enterrer les hommes vivants, les appelant des « fourmis » et disant : « Ce ne sont pas des êtres humains et ce ne sont même pas des animaux humains, ils sont sous-humains et c'est comme cela qu'ils devraient être traités. »
Yinon Magal (soldat israélien) : « Je viens pour conquérir Gaza et mettre cela dans la tête d'Hezbollah et m'en tenir à un mitzvah : Effacez les graines d'Amalek [tribu biblique hostile aux Israélites]. J'ai laissé ma maison derrière moi et, jusqu'à la victoire, je n'y reviendrai pas. Vous connaissez notre slogan. Personne n'est non-impliqué. »
Extraits choisis de sources du Cabinet : « En dehors de la question du contrôle de la Bande, on s'attend à ce qu'un plan dessiné par Ron Dermer à la requête de [Benjamin] Netanyahou, qui examine les façons de réduire la population de Gaza à un minimum, provoque une controverse. »
« Pour le Premier ministre, c'est un objectif stratégique, le sommet de la sécurité le considère comme un fantasme irréaliste … et si dès le stade de la conduite de la guerre il y a des opinions différentes, sur la question du « jour d'après », des différences importantes entre les principaux acteurs sont déjà évidentes.
« Et le problème du jour d'après est l'un des plus délicats aujourd'hui, le gérer n'aura pas lieu dans un forum officiel, mais seulement dans des consultations internes.
« Même la nouvelle demande de ne pas causer de préjudices aux personnes déplacées dans le sud de la Bande de Gaza, quand les Forces de défense d'Israël commencent à opérer là, peut avoir comme réponse une déclaration non contraignante comme ‘nous essaierons' ».
« Un autre programme s'ajoute à cela. La plupart des ministres du Cabinet ne le savent pas. Pas même les ministres du Cabinet de guerre. Ce n'est pas discuté dans ces forums à cause de son caractère, qui est évidemment explosif : réduire la population de Gaza au minimum possible.
« Joe Biden est fortement opposé et de même toute la communauté internationale. Yoav Gallant, le chef de l'État-major, et le sommet des Forces armées affirment qu'une telle possibilité n'existe pas. Mais le Premier ministre Benjamin Netanyahou voit cela comme un objectif stratégique.
« Il a même chargé son confident au Cabinet de la guerre, le ministre Ron Dermer, de formuler un projet de travail pour le personnel sur la question.
« C'est un plan qui contourne la résistance américaine sans confrontation, la résistance déterminée des Égyptiens sans qu'ils commencent à tirer sur les réfugiés qui entreront sur leur territoire par l'axe Philadelphia, et la résistance mondiale générale qui se manifestera quand les premiers Gazaouis quitteront leurs foyers et migreront vers un autre lieu. »
Document du ministère du renseignement : Malgré son nom, le ministère du renseignement n'est pas directement responsable d'un quelconque organisme de renseignement, mais il prépare indépendamment des études et des documents de politique qui sont distribués au gouvernement et aux agences de sécurité israéliennes pour examen, sans être contraignants.
Le budget annuel du ministère est de 25 millions de shekels israéliens (environ 6,5 millions d'euros) et son influence est considérée comme relativement petite. Il a actuellement à sa tête Gila Gamliel, membre du parti du Likoud de Netanyahou.
Ce ministère du gouvernement israélien a préparé une proposition détaillée pour transférer de force les résidents de Gaza vers l'Égypte et une offensive militaire à large échelle sur la Bande de Gaza, à la suite de l'attaque mortelle du Hamas et des massacres dans les communautés israéliennes du sud le 7 octobre 2023, reflétant la manière dont l'idée d'un transfert forcé de la population a été soulevée dans des discussions officielles de politique. De tels plans constitueraient un grave crime de guerre.
Une source au ministère du renseignement a confirmé à Local Call/+972 que le document était authentique, qu'il était distribué à l'establishment de la défense par la division de politique du gouvernement et qu'il « n'était pas supposé atteindre les médias ».
Tally Gotliv (membre du Likoud à la Knesset) : « En ce moment même, des camions d'aide humanitaire continuent à entrer dans la Bande de Gaza ! Assez ! Combien de temps allons-nous courber la tête et endurer la honte ? Ce n'est pas la manière de vaincre le terrorisme. Arrêtez tout immédiatement, revenez à un blocus total. Reprenez les instructions pour ouvrir le feu dans le nord de Gaza contre tous les Gazaouis qui arrivent. Laissez gagner les soldats et les commandants. Grâce à eux, grâce à leur courage et leur compréhension de la nécessité de combattre, nous vaincrons. »
Itamar Ben-Gvir (ministre de la Sécurité nationale et leader du parti Force juive, d'extrême-droite) : « Je veux la possibilité de décapiter la Nukhba tête après tête. »
Nissim Vaturi (membre du Likoud à la Knesset et vice-président du Parlement israélien) : « Toute la préoccupation pour savoir s'il y a ou non internet à Gaza montre que nous n'avons rien appris. Nous sommes trop humains. Brûlez Gaza maintenant, rien de moins ! »
Shlomo Karhi (ministre des Communications) : Le ministre des Communications a appelé les Forces de défense à couper les prépuces des combattants du Hamas, comme David l'a fait avec les Philistins dans le Tanakh, en guise de « vengeance ».
Bezalel Smotrich : « Je termine maintenant une visite de condoléances aux familles de Nathaniel Harosh et Yossi Hershkowitz, Que Dieu venge leur sang qui a coulé à Gaza. Le message des familles est sans équivoque : nous n'arrêterons pas jusqu'à ce qu'Amalek soit exterminé pour de bon.
« Ceux qui ont payé le plus cher demandent de nous que ce coût ne soit pas en vain. Ils ont raison. Qu'il en soit ainsi avec l'aide de Dieu. »
Narkis (chanteur) : Le journaliste David Sheen a rapporté : « Le chanteur pop Narkis chante avec les soldats israéliens pour une extermination et une colonisation qui seront exemplaires et inspireront d'autres pays à les copier : ‘Nous achèverons Gaza ! Nous retournerons à Gush Katif [anciennes colonies israéliennes dans la Bande de Gaza] ! Nous sommes une lumière parmi les nations !' »
Amihai Eliyahu (membre de Force juive à la Knesset et ministre du Patrimoine) : Yaki Adamker a rapporté une interview avec lui et Israel Cohen, où le ministre Amichai Cohen a dit sur un ton égal : « Nous n'aurions pas donné d'aide humanitaire aux Nazis. Il n'existe pas de personne non-impliquée à Gaza. »
Question : « Et donc ? Est-ce que nous devrions lâcher une bombe atomique sur tout Gaza ? »
Ministre Eliyahu : « C'est une des options. ».
Question : « Mais n'y a-t-il pas plus de 240 otages israéliens à Gaza ? »
Ministre Eliyahu : « Nous prions et espérons leur retour, mais il y a aussi un prix à payer dans toute guerre. »
Yitzhak Kroizer (membre de Force juive à la Knesset) : Sur Twitter/X en réponse à @IsraelGaley : « La Bande de Gaza devrait être effacée de la carte. » À @tuchfeld : « Tout doit être fait pour ramener les otages dans leurs foyers. En même temps, la Bande de Gaza doit être rasée et chacun y a reçu sa sentence et c'est la mort. »
« Je pense que le ministre Amichai Eliyahu a envoyé un message très clair : la Bande de Gaza devrait être effacée de la carte pour envoyer un message au reste de nos ennemis, avec cet objectif que nous devrions aussi faire revenir nos otages.
« Il n'y a pas d'innocents dans la Bande de Gaza, ceux qui sont entrés pour violer et tuer nos enfants n'étaient pas tous armés, avec des rubans du Hamas sur le front, certains étaient des civils. Ce sont des Nazis et des Nazis. Il n'y a qu'une sentence : la mort. »
Galit Distel Atbaryan (membre du Likoud à la Knesset et ancienne ministre de l'Information) : « Haïssez l'ennemi. Haïssez les monstres. Tout vestige de chamailleries internes est un gaspillage d'énergie stupidement exaspérant.
« Investissez cette énergie dans une seule chose : effacer tout Gaza de la face de la Terre. Que les monstres gazaouis fuient à leur frontière sud et essaient d'entrer en territoire égyptien. Ou ils mourront et leur mort sera maléfique. Gaza devrait être rasée. »
Tally Gotliv (membre du Likoud à la Knesset) : « Sans faim et soif dans la population gazaouie, nous ne réussirons pas à recruter des collaborateurs, nous ne réussirons pas à recruter des renseignements [ou]… à soudoyer les gens avec de la nourriture, des boissons, des médicaments, pour obtenir des renseignements. »
Naftali Bennett (ancien Premier ministre) : « Écrasez, écrasez, écrasez. Correctement. […] Patience. Nous avons le temps. […] Écrasez, écrasez et écrasez l'ennemi nazi, avant d'envoyer nos soldats, nos garçons. Écrasez ces Nazis avec une puissance de feu jamais vue ici. […] Qu'un millier de mères terroristes pleurent de l'autre côté et plus une seule mère de notre côté. »
Nir Barkat (membre du Likoud à la Knesset member, ministre de l'Économie et ancien maire de Jérusalem) : « Vous vous rappelez la Deuxième Guerre mondiale ? Ce que [les alliés] ont fait à l'Allemagne ? Ce sont les ennemis d'Israël, ils veulent nous effacer, ils sont nos ennemis ! »
Interviewer : « Mais vous dites que vous n'avez pas de problème avec les civils innocents, donc pourquoi ne pas lever le blocus ? »
Barkat : « Ramenez-nous ceux qui ont été kidnappés ! Vous voulez un peu de considération humanitaire ? Ramenez-nous les plus de 200 personnes kidnappées […] et nous reconsidérerons. »
Interviewer : « […] Mais assiéger une population civile est … »
Barkat : « C'est ce qui vous préoccupe maintenant ? La vraie question est : comment effaçons-nous ces gens de la face de la Terre. Voilà la question ! ».
Interviewer : « Je dis, la prise d'otages par [le Hamas] est un crime de guerre — mais assiéger une population civile est aussi un crime de guerre . Est-ce que cela ne vous préoccupe pas ?
Barkat : « Nous sommes en guerre. Et quand vous avez les gens contrôlant Gaza qui utilisent les civils pour se couvrir […] Cela ne va plus marcher avec Israël désormais. Nous ne ferons pas … Nous allons les cibler. Et nous disons aux civils, aux civils innocents : ne couvrez pas les terroristes.
« Ce par quoi nous sommes passés en Israël, nous ne l'avions pas vu depuis l'époque des Nazis. Le temps d'ISIS. OK ? Et donc, Israël les effacera de la surface de la Terre. »
Moshe Feiglin (politicien israélien et leader du parti Zehut) : « Ce n'est pas le Hamas qui devrait être éliminé. Gaza devrait être rasée et le régime d'Israël devrait être restauré à cet endroit. C'est notre pays. »
Arieh King (maire adjoint de Jérusalem) : « Si le Premier ministre s'en souciait—, ou si ses ministres de l'État d'Israël s'en souciaient, il y aurait eu déjà 150000 morts dans la Bande de Gaza et pas un seul bâtiment de la Bande de Gaza ne serait resté debout. »
Boaz Bismuth (membre du Likoud à la Knesset) : « Nous ne devons pas montrer de pitié à des personnes cruelles, il n'y a pas de place pour des gestes humanitaires — nous devons effacer la mémoire d'Amalek ».
Amit Halevi (membre du Likoud à la Knesset) : « Cette victoire devrait avoir deux objectifs : 1. Plus de terre musulmane dans la Terre d'Israël. Ce qu'ils imaginent comme si c'était Dar al-Islam, sera à jamais territoire israélien, ‘la Terre sainte' [dit en arabe], qui appartient aux Israélites […]
« C'est ce qu'est la victoire. Et après que nous en ayons fait une terre d'Israël, Gaza devrait être laissée comme un monument, comme Sodome, où rien ne soit semé et où rien ne pousse [Deuteronome 29:23]. Et le deuxième objectif […] c'est : plein contrôle israélien […] Plein contrôle militaire et civil. Rien de moins. »
Nissim Vaturi : Dans une série de tweets édités, Vaturi a d'abord posté : « Effacez Gaza. Effacez Gaza. Rien d'autre ne nous satisfera. Il n'est pas acceptable que nous maintenions une autorité terroriste à côté d'Israël. Ne laissez pas un seul enfant là, expulsez tout le monde. »
Il a ensuite édité le tweet : « Effacez Gaza. Rien d'autre ne nous satisfera. »
« Il n'est pas acceptable que nous maintenions une autorité terroriste à côté d'Israël. Ne laissez pas un seul enfant là, expulsez tous ceux qui resteront pour qu'ils n'aient pas de résurrection. »
Et finalement : « Effacez Gaza. Rien d'autre ne nous satisfera. Il n'est pas acceptable que nous maintenions une autorité terroriste à côté d'Israël. Ne laissez pas un seul enfant là, expulsez tous ceux qui resteront à la fin, pour qu'ils n'aient pas de résurrection. »
Yoav Kisch (ministre de l'Éducation) : « Cette [attaque] n'est pas suffisante, il devrait y avoir plus, il ne devrait pas y avoir de limites dans la réponse, je l'ai dit un million de fois, jusqu'à ce que nous voyons des centaines de milliers de personnes fuyant Gaza, les Forces de défense israéliennes n'auront pas achevé leur mission.
« C'est une phase qui devrait arriver. Je dis cela parce que ce sont les instructions qui ont été données aux Forces de défense […]. Je ne veux pas non plus que les [Forces de défense] entrent à l'intérieur [ de Gaza] avant de tout écraser. Je préférerais que 50 bâtiments s'écroulent plutôt qu'une victime de plus dans nos forces. »
Yoav Gallant (ancien ministre de la Défense et ancien membre du Likoud à la Knesset) : « Nous imposons un siège complet à la ville de Gaza. Il n'y aura ni électricité, ni nourriture, ni eau, ni carburant, tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence. »
Effi Eitam (ancien brigadier general dans les Forces armées, conseiller de Netanyahou depuis le 7 octobre) : « L'objectif devrait être clair : une manœuvre [terrestre] aggressive, avec beaucoup de puissance de feu, qui fera aussi des victimes parmi les civils, mais ce n'est pas le moment pour ces sortes de calculs.
« Ceux qui ont élevé ce serpent qui a émergé de son antre samedi, y compris la population civile, aura à gérer les conséquences. C'est la manière dont cela se passe dans toutes les guerres, dans toute l'histoire.
« Bien sûr, ce ne sont pas des cibles en eux-mêmes, par eux-mêmes, mais quiconque est sur notre chemin quand nous nous occupons du serpent —du Hamas, de ses militants, de son infrastructure, de son régime — tant pis pour le méchant et tant pis pour son voisin.
« Quiconque se trouve sur notre chemin devrait savoir qu'il sera frappé, et frappé durement […] Actuellement, l'État d'Israël a un seul objectif : annihiler. Annihiler, j'utilise ce mot. »
Ariel Kallner (membre du Likoud à la Knesset) : « Nakba sur notre ennemi maintenant ! Ce jour est notre Pearl Harbour. Nous apprendrons nos leçons en temps voulu. Pour le moment, un objectif : Nakba ! Une Nakba qui éclipsera la Nakba de 48. Une Nakba dans Gaza et une Nakba pour quiconque osera les rejoindre ! Une Nakba sur eux, parce que comme en 1948, l'alternative est claire. »
Benjamin Netanyahou (Premier ministre israélien) : « Nous vengerons avec une grande force le jour noir qu'ils ont infligé à l'État d'Israël et à ses citoyens. Comme l'a dit Biyalik : la vengeance pour le sang d'un petit enfant – n'a pas encore été conçue par Satan.
« Tous les endroits où le Hamas s'est positionné, dans cette cité du mal, tous les endroits où le Hamas se cache, opère, nous allons en faire des tas de décombres. Je dis aux habitants de Gaza : sortez de là, maintenant. Nous allons opérer partout, et à pleine puissance ».
Isaac Herzog (président israélien) : « C'est une nation entière qui est responsable là-bas. Ce n'est pas vrai, cette rhétorique sur le fait que les civils ne sont pas informés, ne sont pas impliqués. Ce n'est absolument pas vrai … »
Benjamin Netanyahou : Le 17 octobre 2023, dans les rapports sur une explosion meurtrière à l'hôpital Ahli al-Arabi de Gaza, des utilisateurs de Twitter/X ont affirmé qu'un post de la veille du Premier ministre d'Israël Benjamin Netanyahou avait été effacé.
Ce post de @IsraeliPM, le compte gouvernemental officiel du Premier ministre, disait : « C'est une lutte entre les enfants de la lumière et les enfants de l'obscurité, entre l'humanité et la loi de la jungle. »
Israel Katz (ministre de la Défense) a dit que Gaza serait « détruite » si le Hamas ne capitulait pas.
Israel Katz : « Un puissant ouragan frappera aujourd'hui les cieux de la ville de Gaza. »
Israel Katz : Quand Israël a lancé son attaque terrestre, Katz a dit : « Gaza brûle. »
Bezalel Smotrich : « Gaza sera entièrement détruite. »
The National
P.-S.
• AURDIP, octobre 18, 2025 :
https://aurdip.org/comment-le-genocide-de-gaza-est-il-arrive-les-mots-accablants-des-politiciens-israeliens/
• Traduction CG pour l'AURDIP.
Source - The National, 13 octobre 2025 :
https://www.thenational.scot/news/25536929.gaza-genocide-happened-damning-words-israels-politicians/
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Exil, incertitude et abus pour les journalistes et migrants afghans au Pakistan
En août 2025, l'Afghanistan marque le triste anniversaire des quatre ans de la prise de pouvoir des Talibans. Pour des milliers de journalistes, militants et familles réfugiés au Pakistan, l'exil s'éternise. Entre lenteurs administratives, menaces d'expulsion et abus policiers, leurs espoirs d'un avenir sûr restent suspendus. Quatre ans après la prise de Kaboul, l'exil au Pakistan vire au cauchemar.
Tiré du blogue Voix en exil. Photo : Ahmad shah Shadab, journaliste dans le sud de l'Afghanistan durant la République.
En août 2025, l'Afghanistan marque le triste anniversaire des quatre ans de la prise de pouvoir des Talibans. Pour des milliers de journalistes, militants et familles réfugiés au Pakistan, l'exil s'éternise. Entre lenteurs administratives, menaces d'expulsion et abus policiers, leurs espoirs d'un avenir sûr restent suspendus.
Depuis août 2021, de nombreux journalistes afghans ont trouvé refuge au Pakistan, espérant obtenir un visa pour l'Europe ou les États-Unis grâce au soutien d'organisations de défense des médias. Si certains ont pu partir, d'autres attendent encore un rendez-vous avec les ambassades européennes.
C'est le cas d'Ahmad shah Shadab, journaliste dans le sud de l'Afghanistan durant la République, où il a documenté les crimes de guerre talibans. Après deux ans passés au Pakistan, il vit dans la peur d'un retour forcé :
« En raison de la fermeture des ambassades européennes à Kaboul, j'ai dû venir au Pakistan. Mon visa a expiré mais j'ai réussi à le prolonger. Ici, la police arrête ou expulse les Afghans, même avec des papiers en règle. »
Étant donné que le processus de délivrance des visas européens pour les Afghans est particulièrement lent en Iran, de nombreux demandeurs se trouvent au Pakistan. L'augmentation de la demande à Islamabad a encore ralenti ce processus, et l'examen des dossiers par les ambassades prend beaucoup de temps. À plusieurs reprises, cela a conduit à la suspension temporaire de la délivrance de visas pour certains pays, comme l'Allemagne, avant une reprise après un certain délai.
Par ailleurs, avec la mise en œuvre de la politique américaine instaurée sous Donald Trump, interdisant la délivrance de visas à certains pays, dont l'Afghanistan, des milliers de collaborateurs des forces étrangères, y compris américaines, se retrouvent dans une incertitude totale au Pakistan. Depuis plus de trois ans, des familles ayant déposé des demandes d'asile, de visas humanitaires ou d'autres démarches pour des pays européens et les États-Unis attendent, bloquées par un processus administratif long et complexe. Elles ne peuvent ni retourner en Afghanistan, en raison de menaces sécuritaires, ni rejoindre un pays tiers pour se mettre à l'abri avec leurs proches.
Ces expulsions massives ont été vivement critiquées par les organisations internationales. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et l'Organisation internationale pour les migrations ont appelé à plusieurs reprises à mettre fin à ces expulsions forcées et à respecter les droits humains des rapatriés.
Cette crise constitue non seulement un immense défi humanitaire pour l'Afghanistan, mais elle pèse également lourdement sur les organisations humanitaires et sur la communauté internationale, mobilisées pour venir en aide à des millions de personnes sans abri et sans perspective. Malgré ces appels, le processus d'expulsion des migrants afghans du Pakistan se poursuit, et son issue reste incertaine.
Abus et extorsion de la police pakistanaise envers les migrants afghans
L'extorsion d'argent par la police pakistanaise à l'encontre des migrants afghans est devenue une pratique courante, voire systématique.
Freshta Sadid, une citoyenne afghane, raconte que la police pakistanaise a fait irruption à son domicile et l'a arrêtée :
« La police m'a demandé de payer un lakh de roupies (environ 350 euros) en échange de ma libération. Même si je disposais d'un visa français et que j'étais sur le point de quitter le Pakistan, ils n'ont pas tenu compte de mes explications. Ils m'ont arrêtée et détenue pendant trois jours. »
Elle n'est pas la seule victime d'extorsion. Mansour, un autre citoyen afghan, explique :
« Je suis venu au Pakistan pour le traitement de ma mère. La nuit, sur le chemin du retour de l'hôpital, à un poste de contrôle, lorsque la police a compris que j'étais Afghan, elle m'a demandé de l'argent. Même avec mes documents et les ordonnances médicales, ils ont refusé de me laisser partir avant que je ne paie cinq mille roupies. »
À Rawalpindi, comme ailleurs, les Talibans eux-mêmes ont exprimé leur inquiétude face au harcèlement subi par les migrants afghans au Pakistan, appelant les autorités à les traiter avec respect et dignité. Plusieurs organisations de soutien aux journalistes, de défense des droits humains et des droits des femmes ont, dans certains cas, tenté d'empêcher des arrestations, mais leurs interventions restent souvent ignorées par la police pakistanaise.
Cette situation est d'autant plus préoccupante qu'aucune disposition de la législation pakistanaise sur l'immigration ne prévoit l'octroi de la résidence ou de l'asile aux migrants vivant depuis des décennies dans le pays, y ayant fondé une famille ou investi. Ainsi, même ceux qui ont passé la majeure partie de leur vie au Pakistan, sans connaître l'Afghanistan, se retrouvent aujourd'hui menacés d'expulsion forcée.
De l'autre côté de la frontière, l'Afghanistan accueille aussi des migrants qui, après des années passées au Pakistan, reviennent désormais dans un pays où un avenir sombre et incertain les attend.
Halima Karimi est une journaliste afghane, connue pour ses reportages d'investigation sur les violations de droits humains et la corruption en Afghanistan.
Également présentatrice de radio engagée pour les droits des femmes, elle animait un programme hebdomadaire sur les violences domestiques.
Contrainte à l'exil en raison de menaces du régime taliban, elle arrive en France en 2022, d'où elle poursuit notamment son travail auprès de la rédaction franco-exilée Guiti News et d'autres organes de presse.
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Une catastrophe sanitaire atroce se déroule dans les camps de déplacés de Gaza
Le cessez-le-feu est un soulagement. Après deux ans de guerre, nous pouvons enfin respirer, mais cela ne signifie pas que nos souffrances sont terminées. Pour beaucoup d'entre nous, elles ne font que commencer. Les tentes, et les personnes qui y vivent encore, nous rappellent cruellement que nos difficultés sont loin d'être terminées. Après deux ans de destructions massives par l'armée israélienne, la plupart des familles de Gaza vivent désormais dans des tentes, faites de nylon et de tissu, qui ne les protègent ni de l'été ni de l'hiver.
Tiré d'À l'encontre.
Dans la vie sous tente, il y a une guerre invivable, une guerre qui ne commence pas par des bombes [1], mais par l'absence de tout ce qui rend la vie humaine. C'est une guerre dont les armes sont le refus de l'eau potable, le manque d'hygiène, l'absence de toilettes, de dignité et de sécurité. Je n'écris pas cela en tant que témoin distant. Non, j'écris cela de l'intérieur. Depuis cette terre. Depuis l'intérieur de la tente. Ce ne sont pas des histoires que j'ai entendues, ce sont des sensations que j'ai vécues.
Un mois de vie sous une tente m'a suffi pour comprendre l'immense catastrophe sanitaire et les conditions horribles qui font que les personnes déplacées se sentent étouffées par tout ce qui les entoure. Ce genre d'informations ne fait pas la une des journaux, et vous n'en avez peut-être pas entendu parler. Mais c'est une forme de violence silencieuse, qui nous tue chaque jour.
Je suis ici pour vous raconter comment mon peuple, y compris ma famille, fait face aux conséquences dévastatrices de la crise sanitaire dans ces tentes.
Des milliers de tentes de fortune dans les camps de déplacés à travers Gaza sont remplies de familles en quête d'un refuge.
Le manque de toilettes, l'accès à l'eau potable et la présence d'égouts à ciel ouvert sont des conséquences catastrophiques auxquelles sont confrontés les Palestiniens déplacés, des conditions qui persistent depuis les premiers mois de la crise des déplacements à Gaza.
Après avoir passé plus d'un mois dans la ville de Gaza sous occupation israélienne, Asma Mohammad, 39 ans, et sa famille ont fui vers le centre de la bande de Gaza, cherchant refuge dans le camp d'Al-Nuseirat pour échapper à l'offensive israélienne en cours. S'adressant à moi via WhatsApp, elle m'a décrit la lutte quotidienne pour accéder à des installations sanitaires de base. « Je dois marcher près d'une demi-heure juste pour aller aux toilettes », a déclaré Asma. « J'ai arrêté de boire du café ou du thé pour ne pas avoir à marcher aussi loin pour utiliser des toilettes sales partagées par des centaines de personnes. »
C'est quelque chose qui touche à notre dignité. Je comprends ce qu'elle veut dire, car je vis la même chose. Ici, à az-Zawayda, dans le centre de Gaza, les hommes passent une semaine entière à construire des toilettes. Cela prend autant de temps, car il n'y a plus aucun système d'égouts. Israël a détruit la grande majorité des installations d'égouts dans toute la bande de Gaza.
Les gens ont essayé de trouver une solution à ce désastre, mais ce n'est pas vraiment une solution, c'est la propagation d'une nouvelle maladie. Ils creusent des trous profonds et sans fin pour remplacer les systèmes d'égouts appropriés, mais ces trous ne font qu'augmenter les risques pour la santé.
La crise sanitaire à Gaza s'est rapidement aggravée pendant les mois d'été. Des odeurs nauséabondes se sont répandues dans tout le camp, le seul refuge disponible pour des milliers de familles palestiniennes. « C'est insupportable », m'a dit un jour Amsa. « Je me suis échappée de la chaleur à l'intérieur de la tente », a-t-elle ajouté.
Asma et les cinq membres de sa famille ont eu la chance d'obtenir une cuvette de toilettes et de creuser un trou près de leur tente. Mais cela ne demande pas seulement des efforts, cela coûte aussi de l'argent, que les familles qui survivent à la guerre ne peuvent se permettre : il faut compter entre 600 et 700 dollars pour construire des toilettes rudimentaires, sans compter l'aggravation de la situation en matière d'égouts.
Les difficultés ne s'arrêtent pas là. L'accès à l'eau potable est devenu un nouveau défi difficile à relever pour la plupart des familles palestiniennes, non seulement pendant la guerre, mais aussi maintenant, après le cessez-le-feu.
« Nous ne pouvons obtenir de l'eau qu'une fois par semaine, voire deux fois si nous avons de la chance », explique Refaat Abu Jami, 24 ans, écrivain et journaliste actuellement déplacé dans une tente du site d'Al-Mawasi.
Il a été déplacé de son domicile à Khan Younès dès les premiers mois de la guerre. « Nous vivons dans la crainte que des maladies se propagent dans les conditions horribles auxquelles nous sommes confrontés à l'intérieur de la tente », explique Refaat. « Il n'y a aucune possibilité d'avoir un approvisionnement en eau propre ou suffisant pour assurer l'hygiène », ajoute-t-il dans un message WhatsApp.
En l'absence d'infrastructures sanitaires adéquates, de nombreuses familles sont contraintes de partager des toilettes de fortune. Dans les zones proches de mon camp, j'ai personnellement vu de longues files d'attente, composées de 20 à 30 personnes, qui attendaient simplement de pouvoir satisfaire leurs besoins les plus élémentaires. Il n'y avait aucune intimité, aucune sécurité, rien.
Partager des toilettes avec autant de personnes est inimaginable. Cela nous prive de notre dignité et augmente le risque de maladie, en particulier pour les enfants et les personnes âgées. « C'est un véritable cauchemar quand je fais la queue pour aller aux toilettes », m'a dit un jour mon frère Baraa.
Ce sont là des détails que les médias, et même la plupart des Palestiniens déplacés eux-mêmes, ne vous diront jamais. Je les mets en lumière parce que je ressens un profond sentiment de responsabilité, en tant que témoin et victime de ces catastrophes.
Pour les mères, garder leurs enfants propres et en bonne santé est un défi permanent. Vivant dans des tentes montées sur le sable, la poussière et la saleté s'infiltrent partout. Il n'y a ni toilettes, ni eau courante, ni installations sanitaires, rien pour protéger leurs enfants des maladies. La plupart des mères sont obligées de marcher jusqu'à la plage pour aller chercher de l'eau afin de laver leurs enfants.
« Je ne suis pas habituée à voir mes enfants dans cet état. Je suis épuisée », a déclaré Hadeel Ahmad, une mère déplacée, âgée de 35 ans, qui a quitté sa maison et vit désormais dans une tente.
L'hiver approche à grands pas et nous sommes tous débordés par la tâche qui consiste à protéger nos tentes des fuites d'eau de pluie. « L'hiver dernier, je n'ai pas dormi pendant plusieurs nuits. Je suis restée éveillée toute la nuit pour essayer de protéger nos affaires de la pluie », raconte Refaat.
Malgré tout ce que nous avons vécu, même le temps est devenu une menace.
L'assainissement devrait être un droit fondamental, et non un luxe. Creuser des trous au lieu d'avoir des toilettes est une réalité très éloignée de tout ce qui est normal ou humain.
La guerre ne s'arrête jamais vraiment pour ceux d'entre nous qui vivent dans des tentes. Chaque matin, nous nous réveillons dans la même atmosphère suffocante, entourés de maladies, de poussière et de l'odeur insupportable des égouts à ciel ouvert.
C'est une souffrance silencieuse. Je ne suis pas seulement témoin, je la vis. Et je vous le dis : c'est insupportable. Nous mourons en silence à cause de choses insignifiantes, des choses si basiques, si humaines, que personne n'a rien fait pour changer.
Notes
[1] Selon Nicholas Torbet, de directeur de Middle East, HALO Trust (UK), sur les 200'000 tonnes de bombes larguée sur Gaza quelque 70'000 tonnes n'ont pas explosé ou ont déversé de la sous-munition. Cela provoque, actuellement, de nombreux drames pour des personnes, entre autres des enfants, qui souffrent de graves blessures aux jambes, aux bras, aux mains, alors que le système hospitalier reste totalement dysfonctionnel suite aux destructions subies et par manque quasi complet de fournitures qui n'ont pas accès à Gaza, sous l'effet du boycott imposé par l'armée israélienne. (Réd.)
Sara Awad est étudiante en littérature anglaise, écrivaine et conteuse basée à Gaza. Article publié sur le site Truthout le 25 octobre 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre.
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Beaucoup de gens sont furieux contre les Démocrates. Bernie Sanders sait pourquoi
La direction du parti démocrate est très loin d'où les Américains.es se trouvent. Il est effrayant de constater l'ampleur de la colère et du mépris qu'on lui voue.
John Nichols, The Nation, 14 octobre 2025
Traduction, Alexandra Cyr
Les sondages des derniers mois nous révèlent que pendant que le niveau d'approbation de D. Trump est à la baisse tout comme celui du Parti républicain, celui du Parti démocrate est encore pire. The Christian Science Monitor le souligne : « C'est sa propre base qui le met dans cette situation. Un récent sondage CNN démontre que l'électorat démocrate voit son parti bien plus négativement que celui du Parti républicain. Durant les débats public locaux, les Démocrates frustrés.es disent vouloir que leur représentants.es soient plus vigoureux.ses (dans leurs attaques) contre l'administration Trump ». D'autres sondages mettent en évidence la colère des militants.es de terrain contre la direction de leur Parti. On lui attribue son incapacité à structurer une opposition cohérente contre les Républicains au Congrès et d'élaborer des positions fortes sur les enjeux d'actualité.
Bernie Sanders partage ces frustrations. Le Sénateur indépendant du Vermont et deux fois candidat à la nomination à la candidature démocrate à la présidence, a passé ces derniers mois à parcourir le pays avec un message : Combattre l'oligarchie. Des foules massives ont participé à ces événements que ce soit dans les États démocrates ou même les plus républicains. Il présente une idée puissante de sens, tirées de son expérience : ce Parti a besoin d'une nouvelle direction. En cohérence avec cela, il appuie des candidatures rebelles dans les primaires démocrates et dans des États où l'organisation démocrate est atrophiée. Il déclare être aussi prêt à endosser des candidatures indépendantes. Il passe à l'action et endosse le socialiste démocrate, Zohran Mamdani candidat à la mairie de New-York. Mais si le Sénateur est enthousiasmé par cette campagne, la direction du Parti démocrate a refusé cette position.
The Nation : Cela vous donne une perspective incomparable sur le Parti. Vous êtes sans doute un de ceux et celles qui a le plus réfléchi sur lui dans le pays. Donc, au point où nous en sommes, alors que bien des gens se débattent de savoir à quoi il tient, où en est la direction, donnez-nous une idée de votre pensée actuelle sur ce dont il souffre.
B. Sanders : Je pense que la réponse évidente a été répétée cinq millions de fois : (la direction) du Parti est loin, très loin de la population ordinaire. Sauf exceptions, chaque État est un peu particulier. Le Parti démocrate, comme ses dirigeants.es est composé de personnes qui ont de l'argent, de consultants.es et de politiciens.nes qui travaillent avec des gens qui ont de l'argent et font affaire avec des consultants.es. Donc, si vous jetez un coup d'œil sur le nombre de dirigeants.es du Parti qui occupent leur fonction, est-ce qu'ils et elles organisent des rallyes électoraux, parlent aux gens ordinaires ? Ça leur est impossible parce que personnes n'y ira, il n'y a rien à voir. La recherche de financement leur prend un temps fou. S'attaquer aux gens qui leur apportent de l'argent n'est pas à l'ordre du jour.
J'en ai été vraiment surpris et je n'en ai pas pris la mesure avant que je ne fasse campagne pour la présidence. Et aussi à quel point le Parti est faible dans presque tout le pays. Il leur a fallu s'arracher les cheveux pour me battre. J'ai démarré à 1% dans les sondages sans argent, sans soutien, rien.
J'ai découvert que ce Parti est un tigre de papier. Une coquille vide. En 2016, nous avons conçu nos horaires, pour être présents.es aux événements du Parti, avoir un ralliement le même jour. Nous étions dans les mêmes communautés, Une pierre, deux coups. Donc, en après-midi nous avions un ralliement ; environ 10,000 personnes y participaient. Elles étaient jeunes, excitées et impliquées dans l'activité. Le soir, c'était celui bien officiel du Parti démocrate. Il y avait 200 personnes, plus âgées, des gens d'affaire, des avocat.es, des politiciens.nes. C'était le jour et la nuit. Deux mondes bien différents.
De toute évidence l'avenir est avec les jeunes, les gens de couleur, les membres des syndicats etc. etc. Mais la direction du Parti ne semble pas reconnaitre cela. Récemment je suis allé en Virginie occidentale. J'y ai rencontré quelques une des meilleures personnes. Dans cet État, le Parti n'a qu'une seule personne qui travaille à temps plein, presque rien. C'est probablement de même dans cinq ou dix États au pays où les Démocrates n'ont presque aucun.e représentant.e dans les législatures, n'y ont pas de gouverneur et pas d'élus.es à Washington. La base démocrate s'est complètement effondré dans ces zones. Je pense que la situation n'est pas solide dans les États traditionnellement démocrates comme New York par exemple où le monde ordinaire n'entend pas grand-chose (de la part du Parti).
Pour savoir où se situe ce Parti il faut regarder la campagne de Zohran Mamdani à la mairie de New York, en ce moment. C'est un condensé de tout ça. On pourrait penser qu'un candidat qui réussit à engager, selon ce que j'ai entendu, 50,000 bénévoles, énormément d'enthousiasme et gagne la primaire démocrate sans dépenses excessives, rendrait le leadership du Parti excité, enthousiaste. C'est un candidat qui soulève l'énergie des jeunes, des travailleurs.euses ; grand Dieu, à l'époque Trump, quel moment extraordinaire !
Mais la direction du Parti déclare : « Nous ne pouvons le soutenir parce qu'il dit ce que 75% Démocrates disent à propos d'Israël, pas d'argent pour Netanyahu ; nous ne pouvons le soutenir ». Ça frise l'absurde. Ça ne fait même pas rire. C'est pathétique. Donc, il y la direction démocrate dans l'État de New York, si je comprends bien, qui n'a pas encore indiqué qu'elle soutiendrait ce candidat qui a gagné haut la main la nomination dans le Parti. Qui représentent-elle ? Les 75% qui ne veulent pas qu'on donne de plus l'argent à Netanyahu ? Je suppose que non. Est-ce qu'elle représente la vaste majorité des gens qui ont voté Mamdani dans la primaire ? Je suppose que non.
The Nation : Pourquoi un tel fossé entre cette direction et son propre électorat ?
B.S. : Elle ne veut pas ouvrir la porte ; de fait elle est plutôt vigoureuse à ne pas le faire. Donc, si la porte reste ouverte c'est par effraction. Vous ne demandez pas la permission vous annoncez que vous êtes là. Je pense que la campagne de Mamdani cristallise bien cela. Parce que si la direction du Parti ne peut soutenir son candidat qui a obtenu la nomination, qu'est-ce que ce Parti ? Qu'est-il au juste ?
The Nation : C'est une dynamique intéressante, c'est très inégal, très injuste pour ce qui est des soutiens. N'est-ce pas ? Si un.e modéré.e gagne la primaire, alors les leaders envoient ce message aux progressistes : « Vous devez embarquer maintenant. Vous devez prouver votre soutien, être loyaux envers le Parti ».
B.S. : Oui, c'est exact. Encore une fois, vous avez absolument raison. Mais ça ne fonctionnera plus. Plus personne ne croit en ça maintenant. C'est du passé. Le Parti démocrate ne peut même plus rêver de nous dire : « Mary Smith a gagné. Vous n'aimez peut-être pas ses politiques mais elle est la Démocrate désignée. Vous êtes progressiste, vous devez la soutenir ». C'est fini ça. Plus personne ne le prend au sérieux. S'ils ne peuvent soutenir Mamdani, évidemment qu'ils ne peuvent demander ça à personne.
Ajout : Quelqu'un.e gagne la primaire avec un grand enthousiasme, avec un activisme soutenu de la base et leur réponse est : « Nous ne pouvons vous soutenir ». D'après vous, quel est l'avenir du Parti démocrate ? Est-ce le lien avec l'intelligence artificielle et sont appui financier ? Je ne le crois pas.
The Nation : Creusons un peu plusieurs choses que vous venez de dire. Vous parlez de ce que vous avez vu dans le pays : dans certains États, le Parti démocrate est atrophié, presque inexistant. J'ai l'impression que c'est encore plus vrai dans les comtés, au niveau local. Mais d'une certaine façon, n'est-ce pas une ouverture pour les progressistes ? N'y a-t-il pas des endroits où les gens pourraient voter démocrate, être le Parti démocrate ?
B.S. : Quelqu'un de Virginie occidentale je crois, me disait récemment que dans certaines élections locales, les Démocrates n'avaient aucun candidat, zéro candidat. Alors, si vous n'avez rien, quand vous n'êtes pas un Parti, est-ce qu'il peut y avoir quelqu'un.e intéressé.e à devenir candidat.e ? Probablement mais cela veut dire autre chose : quand vous pensez à un Parti, peut-être suis-je vieux jeu et conservateur, vous pensez à des centaines de personnes qui vont se réunir à la base pour désigner un.e candidat.e et le ou la soutenir ; l'énergie allant de bas en haut. Ce n'est pas du tout ce qui occupe le Parti démocrate.
Voulez-vous savoir à qui les leaders du Parti porte attention pour réfléchir à ce sujet : je me rappelle quand J. Biden a démissionné (de la candidature présidentielle) ou juste avant, le New York Times avait un article en première page à propos de toutes ces personnes, qui sont, maintenant, la classe des donnateurs.trices comme ils le disent qui déclaraient que A.B.C. sont les bons.nes candidats.es. Cette classe dit ceci et sans plus se cacher maintenant. D'accord, les riches décident qui sera candidat.e, fournissent l'argent et (c'est leur candidat.e). Pendant ce temps, comme je l'ai dit, dans cinq ou dix État, le Parti existe à peine. Comment pouvez-vous vous présenter comme un Parti national si vous êtes à peine présent dans cinq ou dix États dans le sud ou à l'ouest ?
The Nation : Donc, 2026 approche et vous encouragez des candidats.es à se présenter et vous faites campagne pour ces personnes. La plupart du temps se sont des candidatures qui ne sont pas au diapason avec la direction du Parti. Certains.es se présentent comme indépendants.es. Pensez-vous que le Parti soit à un moment critique ? Comment devrions-nous voir cela ?
B.S. : Il faut comprendre que ce n'est pas qu'un enjeu américain. Les Partis centristes comme le Parti démocrate sont en chute libre partout dans le monde. Je suis allé au Royaume Uni récemment. Savez-vous quel est le Parti en tête là en ce moment ? C'est le Reform Party, un Parti d'extrême droite.
The Nation : (Dont le chef) est Nigel Farage, un ami de D. Trump.
B.S. : Exactement. Il gagne. Il a une bonne longueur d'avance. Le Partir Travailliste est comme le Parti démocrate ; il ne défend rien. Vous vous souvenez de l'ancien dirigeant du Parti Travailliste, Jeremy Corbyn ; il est en train de fonder un nouveau Parti. C'est comme ça partout à travers le monde.
The Nation : Les Partis traditionnellement centristes, de centre gauche qui ont gouverné des pays sont maintenant battus. L'électorat les rejette.
B.S. : Il y a le Parti démocrate, le Parti travailliste en Angleterre, en Allemagne les Socio-démocrates sont dans la peine ; tous les Partis centristes qui étaient à une certaine époque en lien avec la classe ouvrière dans leur pays sont en difficulté. On peut donc se poser la question de l'existence du Parti démocrate à l'avenir. Il peut tomber complètement comme le Whig Party. C'est possible. Mais le nom a un sens.
Si vous vous demandez s'il est concevable que de bonnes personnes prennent ce Parti en mains et le transforme en parti de la classe ouvrière, multigénérationnel qui accepte divers points de vue, vous pouvez vous dire que c'est une possibilité. Mais je pense que les gens se demandent maintenant si ça vaut la peine de se battre pour ça. Pour combattre D. Trump, est-ce qu'ils veulent l'intelligence artificielle avec le Parti démocrate, ou former un nouveau Parti ? C'est ce dont on parle en ce moment en Angleterre. J. Corbin s'y attaque. Et je parie qu'il a conclu que le Parti travailliste était sans issue. Et je pense que beaucoup de personnes en pensent autant du Parti démocrate en ce moment. Donc, le choix se fait entre transformer le Parti démocrate en Parti de la classe ouvrière ou en former un nouveau.
The Nation : C'est très difficile de créer un troisième Parti qui puisse durer aux États-Unis.
B.S. : Très difficile dans ce pays et dans notre contexte. C'est plus facile en Angleterre je pense. Ici, vous devez avoir une très bien garni financièrement et vous devez agir dans 50 États avec chacun leurs règles et lois qui sont toutes contre un troisième Parti. Donc c'est un défi.
Mais c'est sans dire que la direction du Parti est complètement coupée d'où se trouve la population et c'est presque effrayant d'assister au niveau de colère et de mépris qu'elle ressent envers cette direction.
The Nation : Vous avez été témoin de cette colère cette année en voyageant dans le pays pour vos ralliements « Fighting Oligarchy ». Il est évident que très tôt durant la nouvelle présidence Trump, vous avez décidé qu'il était plus valable de passer une bonne partie de votre temps à Omaha au Nebraska ou à Iowa City en Iowa qu'à Washington.
B.S. : En effet.
The Nation : Vous y êtes allé pour parler aux gens. D'une certaine façon, c'est une expérience en temps réel qui permet de savoir où se situent les Américains.es face à D. Trump. L'affluence a été énorme à ces événements. Mais personne ne vient vous dire : « Nous aimons le Parti démocrate ».
B.S. : En effet. Pour la plupart des Américains.es en ce moment, il est entendu que le système ne fonctionne pas, pour le dire sèchement. Personne y compris les Républicains.es les plus à l'extrême droite pense que c'est correct qu'E. Musk dépense 270 millions de dollars pour faire élire un personnage qui va enrichir les multimillionnaires. Chacun.e sait que le système de financement des campagnes électorales est pourri. Nous voyons tous et toutes ce que fait la crypto-monnaie. On voit ce que font les Comités d'action politique liés à l'intelligence artificielle. Les gens de cette industrie créent des supers Comités politiques et on sait ce que ça donne. Je pense que tout le monde comprend cette réalité. Nous comprenons tous et toutes qu'il y a des leviers massifs et toujours grandissants d'inégalité de revenus et d'inégalité (sociale). Tout le monde comprend que le système de soins est complètement brisé ; que c'est la même chose dans l'habitation.
Il y a quelques années, le Pew Research (Center) a publié un sondage où on demandait : « Pensez-vous que vous êtes en meilleure situation ou en pire situation qu'une personne de votre catégorie il y a 50 ans » ? Quel fut le résultat ? Presque 60% des répondants.es ont déclaré penser que les personnes d'il y a 50 ans étaient mieux. (…)
C'est fascinant. J'ai posé cette question à Newport au Vermont récemment. Une personne s'est levée et à crié : « Des biens et services abordables ». (Affordability). Et elle a poursuivi : « Quand j'étais jeune mon père était propriétaire d'un bar au Rhode Islan. Nous vendions les bières pression dix cents et nous pouvions nous payer (ce dont nous avions besoin) ». Une dame s'est aussi levée pour dire : « Mon père vendait des voitures ; il ne faisait pas beaucoup d'argent mais ma mère était à la maison pour s'occuper des enfants. Nous avions un niveau de vie décent ». Quelqu'un a commencé à parler du coût des loyers. J'ai pensé à ma vie personnelle. J'ai grandi dans un appartement à loyer contrôlé dans Brooklyn à New York. Mon père n'a jamais fait beaucoup d'argent. Mais nous n'avons jamais été pauvres. Nous mangions bien et nous avions un toit sur la tête. Nous avons bénéficié du contrôle des loyers. J'ai fait un calcul rapide : savez-vous combien ma famille dépensait pour le loyer d'un petit appartement, un trois et demie, pour quatre personnes ? Dites au hasard le pourcentage du salaire de mon père qui était consacré à ça ?
The Nation : 30% ?
B.S. : 18%
The Nation : Moins du cinquième du revenu.
B.S. : Exact ! Quand vous dépensez 18% (pour le logement), il vous reste de l'argent pour faire des choses qui permettent à la famille de survivre. Si par contre, vous devez payer 30-40-50% (à cet effet), on se retrouve à la rue à se demander si on aurait pu faire autrement.
Voici le plus pervers, comment se fait-il qu'il y a cinquante ans, avant les ordinateurs, les cellulaires etc., une personne qui ne faisait pas beaucoup d'argent pouvait avoir au moins un style de vie solide de classe moyenne et que maintenant ce n'est plus possible ?
The Nation : Ne pensez-vous pas que la direction du Parti démocrate pourrait se donner une plateforme à ce sujet ?
B.S. : Elle n'y comprend rien ; ça ne fait pas partie de son monde.
The Nation : Je veux que vous nous parliez d'un autre enjeu dont la direction démocrate parait être hors de portée. Vous avez fait cette expérience en temps réel, parlez aux gens, écoutez ce qu'ils veulent entendre et une des choses fascinantes est la discussion que vous avez eue au sujet de Gaza. Je vous ai vu le faire d'abord à Kenosha au Wisconsin. Vous avez fait des déclarations importantes à ce sujet. L'audience a répondu par des applaudissements les plus forts de la soirée.
B.S. : (…) Je veux être très clair. J'ai mentionné Gaza dans pratiquement tous mes discours. Et sans exception, que ce soit à Viroqua au Wisconsin, à Los Angeles en Californie ou à Newport au Vermont, partout ce sont presque des applaudissements debout. C'est un enjeu très, très profond. Alors, quand les idiots.es du Parti démocrate disent : « Nous avons fait un sondage et c'est l'économie qui domine, d'autres choses viennent ensuite et Gaza n'arrive qu'en 10ième place. Oui, les gens sont inquiets à ce sujet mais, ce n'est pas en première place dans leur liste ». Le fait est que même si les gens ne connaissent pas grand-chose aux politiques, ce sont des êtres humains avec de forts instincts. Et si vous ne pouvez pas faire confiance au leadership pour prendre position à propos d'horreurs indescriptibles, financées par vos taxes et impôts, si votre leadership ne peut rien dire à ce sujet, à qui allez-vous faire confiance sur n'importe quoi ?
Comme vous le dites, partout où je vais, je dis : « Vous savez, nous sommes à la tête d'un effort pour tenter à ce que les États-Unis cessent de soutenir militairement Israël », les audiences explosent. C'est ce qu'on veut entendre parce c'est dégoutant, profondément dégoutant ce qui se passe.
Et je vais ajouter : je pense que si Mamdani mène une si grande campagne c'est pour plusieurs raisons mais précisément aussi à cause de sa prise de position à propos d'Israël et Gaza. C'est la position d'une vaste majorité d'électeurs.trices qui penchent vers le Parti démocrate. Et de plus en plus de Républicains,es en sont là aussi. Que la direction du Parti démocrate doive respecter la ligne qui la lie à l'intelligence artificielle et ses propriétaires, ce n'est pas qu'une horrible politique, une politique indescriptible, ce sont vraiment de mauvaise politiques (qui en résultent) aussi.
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Affrontement à New York et problème du « timing » syndical
Les syndicats ont un rôle clef dans la possibilité même d'existence d'une société civile et donc de toute démocratie. Leur limite apparaît dès que la question du pouvoir central est posée. Elle prend alors la forme du timing décalé ou d'un mauvais timing.
Tiré de Arguments pour la lutte sociale
22 octobre 2025
Par Aplutsoc2
Amis lectrices et lecteurs, vous pensez forcément, si vous avez lu jusque là, que nous allons parler de la France, et vous avez raison, il va falloir en parler, mais il y a plus pressant encore : les Etats-Unis.
De l'avis admis dans les médias, le 18 octobre a été la plus grande journée de manifestations de l'histoire des Etats-Unis (7 millions), même s'il y a a peut-être bien eu déjà 13 millions le 14 juin, et qui sais plus encore cette fois-ci …
Quoi qu'il en soit, cet immense mouvement démocratique sur le double slogan No King ( à bas Trump)/No Kings ( à bas les oligarques, Trump, Vance, Musk, Miller, Thiel et tout le gang) ne vient certainement pas du parti démocrate, ni même d'ailleurs de l'aile socialiste de Bernie et Alexandra Ocasio Cortez (qui y participent), mais de réseaux de base qui ont construit des journées nationales de manifestations sans précédents.
Leur importance est mondiale. Et les sections syndicales de base sont le plus souvent fortement présentes dans ce mouvement. Mais pas les sommets. Pas qu'ils n'y soient pas un peu, ils n'y sont absolument pas : les sommets, au niveau de l'Union et aussi au niveau, en général, des Etats, regardent ailleurs, dans le vide.
Il y a pourtant, dans l'AFL-CIO, une aile combative de renouveau, dont nous avons parlé ici, qui a gagné la direction de l'Automobile, l'UAW, avec Shawn Fain, et a mené de grandes grèves salariales victorieuses fin 2023. Ils ont appelé à voter Biden mais n'y reviennent pas et sont équivoques à propos des tarifs douaniers de Trump. L'UAW avait, fin 2023, évoqué la « grève générale » aux Etats-Unis pour le … 1° mai 2028, oui, 2028. Ils appellent à faire converger les expirations de contrats collectifs de branche à cette date-là.
C'est irréel à présent, même si c'était intéressant de lancer ça fin 2023, au vu de la bataille de masse qui se déroule tout de suite, laquelle conditionnera, de toute façon, les droits collectifs, ou leur absence, en 2028.
Figurez vous qu'il existe des « syndicalistes révolutionnaires » français qui s'extasient devant cette combativité américaine en comparant la perspective du 2028 de l'UAW à l'appel du congrès de Bourges de la CGT, en 1904, à la grève générale le 1° mai 1906 pour la journée de 8 heures. Ils oublient juste un détail : quand la campagne du 1°mai 1906 est lancée en 1904, les antidreyfusards, monarchistes, bonapartistes et préfascistes, ont perdu, et l'Etat de droit n'est pas menacé mais il est en train de se renforcer avec le débat sur les lois laïques. Le syndicalisme ne saurait être « indifférent » à la politique et les syndicalistes révolutionnaires de 1904, en fait, ne l'étaient pas, eux.
Aux Etats-Unis aujourd'hui, l'Etat de droit s'effondre et la bataille pour les libertés conduit à la bataille pour le pouvoir. Fixer comme date clef le 1° mai 2028, c'est, concrètement, désarmer les citoyens et les travailleurs contre leurs pires ennemis, maintenant.
Et les dates sont claires :
1) élections municipales à New York le mardi 4 novembre (2025, pas 2028 !) : la victoire annoncée de Zohran Mamdani défiera le King et les Kings au point de vue national.
2) marche nationale, manifestation centrale du mouvement No King/No Kings/50501 le 22 novembre.
Le maire de Chicago, Brandon Johnson, dans un impressionnant discours à la manifestation de samedi, a employé les mots « grève générale » et a déclaré qu'il allait falloir affronter la police.
Attention, en toute rigueur, il n'a pas « appelé à la grève générale » comme le disent certains messages qui prennent leurs désirs pour la réalité, mais il s'est rapproché, lui, le maire démocrate d'une ville clef du pays, du peuple qui l'a élu en avançant fortement sur la voie de l'affrontement avec le pouvoir central – mais c'est le pouvoir qui l'a choisi – d'une ville où cet affrontement a commencé, le syndicat des instituteurs ( ce sont surtout des institutrices noires !) le CTU, Chicago Teachers Union, organisant la protection et l'autodéfense des écoles et des quartiers.
Et des pages FB grassroots (de base) ou démocrates appellent de leur vœux maintenant un « réveil syndical » en s'appuyant sur Chicago. C'est très important.
Gauchistes et sectaires qui font la fine bouche parce que ce sont des Démocrates ou qui dissertent sur Zohran Mamdani « politicien bourgeois », vous êtes hors sol : ceux-là sont en train de vous doubler par la gauche, en défendant la Constitution ! Car c'est ça le mouvement réel !
Mais attention, attention : le pouvoir lui aussi sait que le calendrier, ce n'est pas « le 1° mai 2028 » de l'UAW, mais les quatre prochaines semaines, et les bandes de ICE ont attaqué Chinatown, à New York, ce matin.
Les affrontements ont commencé à Chinatown . Et si la provocaition armée contre Chinatown préparait la suspension trumpiste du vote le 4 novembre ?
Les chefs de l'AFL-CIO et de l'UAW et leurs structures ont une responsabilité historique.
Autodéfense ! Préparation de la grève générale de défense de la démocratie contre les milliardaires dans tous les secteurs ! Montée à Washington le 22 novembre !
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Le président fantôme : Russell Vought, architecte du projet 2025, profite du shutdown pour affaiblir les agences fédérales
Invité : Andy Kroll, journaliste d'investigation pour ProPublica
Nous examinons l'influence du principal conseiller budgétaire de Trump et l'architecte du Projet 2025, Russell Vought, sur les politiques de l'administration Trump et sur Trump lui-même. Vought est « la force motrice derrière le shutdown [gouvernemental] » et « essentiellement un second commandant en chef, un président fantôme », explique le journaliste de ProPublica Andy Kroll, qui a passé des mois à enquêter sur Vought pour un profil approfondi du directeur de l'Office of Management and Budget. Pendant cette deuxième administration Trump, l'idéologie profondément conservatrice de Vought n'a été remise en question par un Congrès docile, plaçant un pouvoir sans précédent entre les mains de l'exécutif.
21 octobre 2025 | tiré de democracy now !
https://www.democracynow.org/2025/10/21/russell_vought_propublica_shadow_president
AMY GOODMAN : Ici Democracy Now !, democracynow.org. Je suis Amy Goodman, avec Juan González.
Alors que le shutdown gouvernemental entre dans son 21ᵉ jour, le président Trump a promis de cibler les agences dites « démocrates ». Vendredi, le puissant directeur de l'Office of Management and Budget de Trump, Russell Vought, a annoncé une réduction de financement de 11 milliards de dollars pour les projets du Army Corps of Engineers dans les villes dirigées par les démocrates : Baltimore, New York, San Francisco et Boston. Vought était l'auteur principal du plan conservateur d'extrême droite, Projet 2025, que Trump avait auparavant désavoué. Il occupe désormais le poste de principal conseiller budgétaire de Trump. Politico rapporte que le chef de la majorité au Sénat, John Thune, a récemment averti ses collègues lors des négociations budgétaires : « Nous ne contrôlons pas ce que [Vought] va faire », citation. Au début du shutdown, Trump avait publié une vidéo générée par IA sur la chanson classique de Blue Oyster Cult, « (Don't Fear) The Reaper », représentant Vought comme la Faucheuse de Washington, D.C.
Aujourd'hui, nous nous intéressons à « ce président fantôme », comme certains l'appellent. Ceci fait partie d'une vidéo accompagnant une nouvelle enquête du journaliste d'investigation d'ProPublica, Andy Kroll, qui nous rejoindra dans un instant.
ANDY KROLL : J'avais entendu le nom de Russ Vought, mais il était toujours légèrement en dehors du champ de vision. Puis j'ai mis la main sur cette vidéo.
RUSSELL VOUGHT : Nous voulons que les bureaucrates soient traumatisés. Quand ils se réveillent le matin, nous voulons qu'ils n'aient pas envie d'aller travailler.
ANDY KROLL : Il parle de cet objectif de vouloir traumatiser les fonctionnaires fédéraux.
RUSSELL VOUGHT : Nous voulons les traumatiser.
ANDY KROLL : Cela a simplement planté une graine dans mon esprit, et j'ai senti que je devais comprendre qui était cette personne. Il a refusé ma demande d'interview, alors j'ai essayé de parler à tout le monde possible, de regarder toutes les vidéos, d'écouter tous les podcasts. J'ai obtenu des heures de briefings de ses partisans qui n'avaient jamais été publiées auparavant.
RUSSELL VOUGHT : L'Amérique n'a rien vécu de moins qu'une révolution silencieuse… Nous connaissons le CRT et les absurdités transgenres qui sont injectées dans nos écoles et institutions… Une invasion des frontières poursuivant, franchement, une colonisation inversée… Nous essayons réellement de sauver le pays.
ANDY KROLL : Ces enregistrements m'ont vraiment aidé à comprendre son évolution, de simple expert en chiffres à leader à part entière du mouvement MAGA.
LAURA BARRÓN-LÓPEZ : L'un des auteurs clés du Projet 2025, Russell Vought…
JOY REID : … a dit aux journalistes que Trump déploierait l'armée pour faire taire les troubles.
RUSSELL VOUGHT : Je pense qu'il faut réhabiliter le nationalisme chrétien… Vous avez la plus grande déportation de l'histoire… Bloquer le financement de Planned Parenthood… Je veux être la personne qui écrase l'État profond… Oui, j'ai appelé au traumatisme au sein des bureaucraties. Les bureaucraties détestent le peuple américain.
ANDY KROLL : Il a vraiment une vision pour changer le cours de l'histoire américaine.
RUSSELL VOUGHT : Nous devons faire notre devoir pour le destin de ce pays, franchement, pour le destin de la civilisation occidentale et pour le cours de l'histoire.
AMY GOODMAN : Pour en savoir plus, nous accueillons Andy Kroll, journaliste d'investigation pour ProPublica. Cette vidéo accompagne son nouvel article intitulé « Le président fantôme ». Andy, bienvenue à Democracy Now ! Décrivez-nous exactement qui est Russ Vought, l'homme derrière le Projet 2025, le projet dont Trump disait ne pas connaître l'existence, ce qu'il fait actuellement et pourquoi Républicains et Démocrates le craignent.
ANDY KROLL : C'est un plaisir d'être de retour, Amy. Merci de m'accueillir.
Je soutiendrais que Russ Vought est probablement l'assistant le plus important de Donald Trump dans l'administration actuelle. Les spectateurs connaissent peut-être des noms comme Stephen Miller, considéré comme le numéro deux de Trump. Mais en ce moment, au 21ᵉ jour de ce shutdown, Russ Vought est aussi influent que quiconque dans cette administration. Il est la force motrice — probablement la force motrice — derrière ce shutdown, et notamment dans les efforts de la Maison-Blanche pour licencier massivement des fonctionnaires fédéraux, utiliser la menace de licenciements supplémentaires, la menace de gel des financements de projets clés comme levier ou punition à l'encontre des démocrates et, encore, des fonctionnaires non partisans.
En tant que directeur du budget de la Maison-Blanche, mais surtout comme visionnaire de l'administration Trump, il pousse presque à lui seul l'agenda du Projet 2025, dont il a joué un rôle clé dans la mise en œuvre, en jouant un rôle instrumental mais largement discret pour faire avancer l'agenda de Trump sur le plan intérieur. On le décrit comme expert en budget, homme des chiffres du président, mais il est bien plus que cela. Selon mes sources dans le gouvernement fédéral, il est en fait « un second commandant en chef, un président fantôme ». C'est dire combien sa présence a été influente en seulement neuf mois de cette présidence.
JUAN GONZÁLEZ : Mais Andy, je voulais vous demander — il y a 40 ans, sous la première présidence de Ronald Reagan, un autre directeur du budget, David Stockman, est devenu célèbre pour ses réductions d'impôts et surtout de dépenses publiques. Qu'est-ce qui est unique ou différent dans la manière dont Vought agit ?
ANDY KROLL : J'aime cette référence, Juan, car j'ai beaucoup lu sur Stockman en travaillant sur cet article, et j'ai revisité son livre The Triumph of Politics. Stockman y expliquait comment la politique entravait ce qu'il voulait accomplir, notamment réduire drastiquement les budgets, réduire l'État-providence, les programmes gouvernementaux, etc. Il écrivait ce livre presque comme une lamentation de ne pas pouvoir réaliser sa vision.
Quarante ans plus tard, nous avons Russ Vought, qui réussit là où Stockman n'a pas réussi, et a probablement tiré quelques leçons du passé. Pourquoi Vought a-t-il réussi ? En partie parce qu'il a testé, et parfois totalement ignoré, l'état de droit, défiant les lois votées par le Congrès qui imposent comment dépenser l'argent pour certains programmes, défiant les obligations de transparence sur le financement géré par l'Office of Management and Budget. Vought adopte une approche beaucoup plus agressive pour appliquer les réductions et les reculs dramatiques sur les fonctions du gouvernement fédéral, que ce que Stockman aurait souhaité. Ils partageaient probablement la vision et l'idéologie, mais Vought a appris à être beaucoup plus agressif pour la mettre en œuvre, sans laisser les lois ou précédents judiciaires l'empêcher d'avancer son agenda conservateur très ambitieux.
JUAN GONZÁLEZ : Et la réaction des majorités républicaines à la Chambre et au Sénat face à cette remise en cause, voire démolition, du pouvoir du Congrès sur les finances fédérales ?
ANDY KROLL : C'est remarquable à observer. C'est une différence importante avec l'ère Reagan. À l'époque, le Congrès défendait son pouvoir budgétaire. Aujourd'hui, Vought agit comme si le pouvoir de l'Article I du Congrès n'existait pas, gelant des financements déjà approuvés et bloquant des programmes que le Congrès veut financer. Et le Congrès n'a rien fait. Les majorités républicaines laissent Vought et la Maison-Blanche marcher sur elles, avec quelques commentaires faibles de leurs leaders, mais sans faire valoir leur autorité constitutionnelle. La Maison-Blanche bouleverse ainsi le système démocratique en trois parties. C'est vraiment remarquable à observer en temps réel.
AMY GOODMAN : Votre reportage vidéo de ProPublica montre un extrait de la conférence 2023 du Center for Renewing America de Vought, où il est sur scène avec l'allié de Trump, Steve Bannon.
STEVE BANNON : Je sais que certains remettent Trump en question, mais regardez cette performance qu'il a donnée l'autre soir. C'est comme Charlemagne. Comme un chef viking sur scène. Russ est un instrument imparfait, mais c'est un instrument du Seigneur pour sa vengeance.
AMY GOODMAN : « Un instrument du Seigneur pour sa vengeance », disait Steve Bannon à propos de Russell Vought. Andy Kroll, votre dernière analyse sur l'importance de ce qu'il fait et si quelque chose peut l'arrêter, y compris la Cour suprême ?
ANDY KROLL : Beaucoup des actions agressives de Vought, sa vision d'un exécutif unitaire très puissant, vont se retrouver devant les tribunaux, probablement jusqu'à la Cour suprême des États-Unis, sur des questions comme la capacité du président à retenir des fonds fédéraux ou à licencier massivement des fonctionnaires, brisant les syndicats gouvernementaux. Nous nous dirigeons vers une bataille judiciaire titanesque dans un an ou deux, qui pourrait changer profondément notre conception de la démocratie représentative.
AMY GOODMAN : Andy Kroll, journaliste d'investigation pour ProPublica. Nous mettrons un lien vers votre article « Le président fantôme ».
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Quand la Constitution québécoise ignore les peuples autochtones
La Coalition avenir Québec (CAQ) projette non seulement d'imposer une Constitution du Québec aux Premières Nations et Inuit, mais en plus le projet de loi s'inscrit en contradiction avec les droits des Autochtones garantis par la Constitution canadienne. Adopter une telle approche en 2025 ignore des droits constitutionnels bien reconnus, reproduit la vieille approche coloniale et constitue une grave erreur juridique comme historique.
Tiré de The conversation.
Il y a plus de 40 ans, on enchâssait dans la Constitution canadienne l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette disposition garantit les droits des peuples autochtones issus de traités et leurs droits ancestraux. Le projet de Constitution de la CAQ en fait complètement fi. Aucune disposition du projet de loi déposé ne traite des droits constitutionnels autochtones. Plus encore, les quelques mentions des Premières Nations et Inuit au préambule du projet de loi 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, sont de nature à minimiser des droits pourtant clairement reconnus.
On y mentionne en effet les Autochtones pour affirmer qu'ils « existe[nt] au sein du Québec ». On ne reconnaît pas qu'il s'agit de « peuples », contrairement à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, mais plutôt de simples « descendants des premiers habitants du pays ». On désigne même nos nations sous des appellations coloniales francisées, rappelant le processus d'effacement des noms de nos ancêtres.
Le projet de loi affirme l'« intégrité territoriale » ainsi que la « souveraineté » culturelle et parlementaire du Québec. Les Autochtones ne pourraient selon ce projet de Constitution que « maintenir et développer leur langue et leur culture d'origine ». Autrement dit, les droits territoriaux et de gouvernance garantis en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 sont complètement ignorés, voire niés.
L'imposition coloniale des « droits collectifs » de la « nation québécoise » sur les droits collectifs et fondamentaux des peuples autochtones est également affirmée par des dispositions d'interprétation spécifiques. Alors que les droits des Premières Nations et Inuits sont réduits, on précise que ceux de la nation québécoise « s'interprètent de manière extensive ».
De plus, on propose la création d'un Conseil constitutionnel ayant pour mandat d'interpréter la Constitution du Québec. Or, les facteurs explicitement précisés dont devrait tenir compte ce Conseil ne portent que sur les droits et « caractéristiques fondamentales du Québec », son « patrimoine commun », son « intégrité territoriale », ses « revendications historiques », son « autonomie » et son « économie ». Pas une seule mention ici de l'existence des peuples autochtones ou de leurs droits.
Les Wendat, Kanien'keháka (Mohawk), Attikamekw, Anishinaabe, Cris (Eeyou Istchee), Abénakis, Mi'kmaq, Innus, Naskapis, Wolastoqiyik et Inuit n'existent pas sur un territoire « appartenant » au Québec. C'est le Québec qui existe sur les territoires dont ces nations sont les gardiennes et pour lesquels nous avons une responsabilité commune. Nos droits ne sauraient être effacés à nouveau en 2025 par ce projet de Constitution du Québec.
La Cour suprême et les tribunaux du Québec comme d'ailleurs au pays reconnaissent de façon constante que les peuples autochtones ont une souveraineté préexistante à celle imposée historiquement par la Couronne, c'est-à-dire une souveraineté qui existait bien avant les débats sur l'autonomie du Québec au Canada. Cette souveraineté existe toujours et doit être réconciliée avec celle de l'État dans un esprit de « justice réconciliatrice ».
Il en découle des droits concrets en matière de consultation, de consentement, d'autonomie gouvernementale. Aucune dérogation à ces droits n'est possible, contrairement aux droits et libertés visés par la clause dérogatoire de l'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Or, la CAQ souhaite mettre à l'abri de contestations constitutionnelles toute disposition législative qui « protège la nation québécoise ainsi que l'autonomie constitutionnelle et les caractéristiques fondamentales du Québec » en interdisant toute contestation judiciaire d'un organisme qui utiliserait pour ce faire des fonds publics du Québec. Fort nombreuses sont les organisations qui reçoivent des fonds publics, incluant celles ayant justement la mission publique de protéger la société contre les actions illégales ou délétères de l'État. Il s'agit d'un des fondements de l'État de droit.
Du point de vue autochtone, cette interdiction rappelle l'époque coloniale où il était interdit aux Premières Nations de contester les actions illégales de l'État qui avaient pour but de les déposséder de leurs terres, de nier leurs droits et de les assimiler. Cette mesure a participé au génocide des peuples autochtones au Canada.
Un projet de loi qui s'ajoute à d'autres violations de droits par Québec
Ce projet de Constitution du Québec s'ajoute à plusieurs autres atteintes claires aux droits autochtones. Pensons à la contestation de Québec de la loi fédérale reconnaissant le droit inhérent des peuples autochtones de mettre en place leurs propres politiques familiales et de protection de la jeunesse. La Cour suprême lui a donné tort et a confirmé la constitutionnalité de la loi fédérale.
La CAQ a aussi refusé d'exclure les étudiants autochtones des règles de renforcement de la Charte de la langue française (projet de loi 96), alors que les langues autochtones ne menacent pas le français. Cette décision accroît les obstacles aux études supérieures et limite les droits de gouvernance en éducation des peuples autochtones. La contestation de la constitutionnalité de la loi québécoise est en cours.
Enfin, pensons au récent projet de loi 97 visant à réformer le régime forestier, lequel avait été sévèrement critiqué. Celui-ci proposait un retour en arrière et rappelait l'approche préconisée au début de la colonisation du territoire, alors que l'industrie jouait un rôle accru en matière de gouvernance du territoire. Le projet de loi a finalement été abandonné fin septembre, mais il aura fallu que les peuples autochtones se battent à nouveau pour faire respecter leurs droits.
Moderniser la Constitution du Québec pour respecter les droits des Autochtones
Le contexte n'est plus le même qu'à la fondation du pays en 1867 ou lors des discussions des années 1980 ayant précédé le rapatriement de la Constitution. En 2025, il ne serait ni légal, ni légitime, d'adopter une Constitution du Québec ignorant les droits des Autochtones.
Une Constitution québécoise doit minimalement reconnaître les mêmes droits ancestraux et issus de traités que ceux protégés par la Constitution canadienne et les décisions des tribunaux en la matière. Cela inclut des droits de gouvernance notamment quant au territoire.
De plus, la Charte des droits et libertés de la personne est silencieuse sur les droits autochtones. L'article 10 garantissant le droit à l'égalité devrait être modifié pour indiquer que l'identité et le statut autochtone sont des motifs de discrimination spécifiquement prohibés au Québec. Cette Charte devrait également reconnaître expressément le droit à la sécurité culturelle afin que toute personne autochtone ait accès aux services publics de façon équitable. Ces changements permettraient qu'un mandat conséquent soit donné à la Commission des droits de la personne pour agir afin d'enrayer cette discrimination.
Le Québec doit également mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le Canada fait partie de nombreux pays qui se sont engagés à le faire et nos tribunaux ont commencé à s'y référer. La Déclaration exige de construire avec les peuples autochtones les politiques qui touchent à leurs droits, de respecter leur consentement et leur autonomie ainsi que le droit d'avoir accès aux services publics sans discrimination, à l'instar du Principe de Joyce.
Le projet de Constitution de la CAQ ne correspond en rien à ce qu'un véritable processus constituant doit faire. Ni les Québécois ni les peuples autochtones ne participent à cette démarche. Une Constitution devrait être pensée pour au moins les sept prochaines générations, comme nous l'enseignent les Aînés, et non en vue de la prochaine élection.
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