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Pour le refus intégral de la guerre

Quatre réflexions avec un grand respect pour la force sincère et courageuse de l'engagement citoyen exprimé par les milliers de personnes qui participeront à la Troisième marche mondiale pour la paix et la non-violence qui partira de San José au Costa Rica le 2 octobre 2024 et y reviendra le 5 janvier 2025, après avoir effectué le tour du monde.
Proposé par Les artistes pour la Paix
Publié le 1er septembre 2024 par l' Agora des Habitants de la Terre
Première réflexion : nous ne devons jamais cesser de nous mobiliser pour la paix et la non-violence, en insistant sur le concept/objectif “Contre la guerre”
Dans les conditions actuelles, il est impératif de ne jamais oublier de rappeler que les mobilisations pour la paix, du niveau local au niveau mondial, doivent être avant tout contre la guerre. L'accent spécifique et prioritaire sur “contre la guerre” est nécessaire pour ne laisser aucune place à la crédibilité (éthique et politique) de l'idée encore prédominante de la guerre comme un fait naturel et inévitable.
Tout le monde se déclare en faveur de la paix, mais tout le monde, même en dehors des groupes sociaux dominants, n'est pas contre la guerre. Prenons le cas des forces progressistes. La paix les unit, la guerre les divise en blocs opposés : les pacifistes, les bellicistes et les “ça dépend “. La principale narration que nous devons combattre est celle de l'instrumentalisation de la guerre au service de la paix. D'où les thèses sur la légitimation de la “guerre juste” et surtout de la “guerre défensive”. Les États-Unis sont en guerre permanente depuis plus de cent ans, non pour attaquer, disent-ils, mais pour défendre (leur) monde libre, (leur) société libérale, (leur) économie libre partout, et dont ils considèrent les modèles comme les meilleurs. Ce n'est pas pour rien que la thèse préférée et imposée par les dominants de tous les temps est “si tu veux la paix, prépare la guerre”. Un principe appliqué sans réserve par tous les États. Que l'on songe au florissant commerce international des armes, légalisé. D'où aussi le fait que le ministère, appelé jadis de la guerre, est devenu quasi partout le ministère de la défense.
Le concept de guerre défensive mérite d'être modifié
Ce concept, apparemment d'une évidence incontestable, entretient dans l'imaginaire populaire l'idée fausse, ou au moins très ambiguë, de la légitimité des armes toujours plus puissantes comme facteur de « dissuasion » (voir nucléaire). Mais, de plus, il transforme la guerre en un instrument de paix légitimant ainsi l'absurde. La même logique de légitimité de la “guerre défensive” est utilisée par le gouvernement de Netanyahou dans la poursuite du génocide des Palestiniens : l'État d'Israël « justifie » le génocide au titre de sa “légitime défense” en réponse à l'attaque armée du Hamas contre Israël en octobre 2023.
Or, il s'agit d'un mensonge mystificateur. L'idée et la volonté du génocide ne datent pas d'octobre 2023. Elles font partie officiellement de l'agenda des dirigeants de l'État d'Israël, notamment sionistes, depuis sa création en 1948. Elles ont été à la base de la conquête et de la colonisation manu militari des territoires habités par la population palestinienne et, en général, arabe, dénoncées à plusieurs reprises comme illégales par des résolutions de l'ONU. Par ailleurs, l'argument d'Israël a été rejeté avec force, et à raison, par la Cour Internationale de Justice ainsi que par la Cour Pénale Internationale.
Il est vrai que si quelqu'un agresse une autre personne à coups de couteau ou sous la menace d'un révolver, celle-ci a non seulement le droit mais aussi la nécessité vitale de se défendre. La règle écrite en la matière précise également que personne ne peut se « faire justice » par soi-même. En outre, il est inévitable, ce qui ne signifie ni admissible, ni encore moins juste, que dans un monde fondé sur le principe « si tu veux la paix, prépare la guerre », il y ait des traités réglant la guerre, le commerce des armes, les accords militaires de sécurité commune entre pays/alliés fondés sur l'obligation pour chaque État membre d'intervenir militairement « en défense » d‘un autre État membre attaqué par un État tiers. C'est ainsi, cependant, que grâce aux traités d'alliance signés dans tous les continents, les États-Unis se sont donné la légitimité d'intervenir partout dans le monde « en défense de ».
En revanche, dans une situation inspirée par la recherche effective et sincère de la paix, les traités internationaux d'alliance militaire doivent être déclarés illégaux, inadmissibles. Ils doivent être remplacés par des institutions, dotées de moyens politiques et juridiques forts et contraignants, de prévention, empêchement et abolition de l'usage des armes. Il faut une nouvelle ONU renforcée, sans l'actuel Conseil de Sécurité. Il faut que la mobilisation contre la guerre déclare illégitimes les États qui refusent de signer ou de respecter les traités d'interdiction des armes bactériologiques, des armes nucléaires, du commerce des armes. Dans cet esprit de justice, il faut dénoncer les États qui augmentent leurs dépenses militaires et décident de les exclure du calcul relatif au déficit public, tout en maintenant dans le calcul les dépenses publiques dites sociales (par ailleurs en constante diminution par rapport aux besoins). Une énième preuve de l'absurde lié au choix des dominants en faveur de la guerre défensive.
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Deuxième réflexion : la mobilisation contre la guerre doit clairement être menée dans le but de faire comprendre l'inutilité absolue de la guerre et, à notre époque, la non réparabilité des destructions causées par la guerre, en particulier dans le domaine de la vie.
C'est pourquoi la lutte “contre la guerre” doit avoir deux objectifs prioritaires interdépendants, aujourd'hui piétinés ou abandonnés : la concrétisation du droit universel à la vie pour tous et de la vie ; la sauvegarde et la promotion des biens communs du monde, matériels et immatériels, qui sont essentiels à la vie.
Pourquoi cette proposition ? Il toujours préciser que la guerre est destructrice de vie et donc du vivre ensemble de l'humanité, à l'échelle de la Planète. En outre, à l'ère de la prise de conscience de l'anthropocène et de la mondialisation des conditions de vie sur terre et de leur sécurité, nous devons insister fortement sur l'évidence que la guerre est incapable, par définition, de produire ne serait-ce qu'une petite miette de justice. Le principe logique est, comme le démontre avec une extrême clarté le génocide des Palestiniens, “ma sécurité d'existence et de survie signifie ta disparition”.
La reconstruction du monde après la Seconde Guerre mondiale a été possible parce que les classes dirigeantes de l'époque ont fondé leur reconstruction sur l'affirmation de principes, de droits et de règles inspirés d'une vision de la vie exprimée dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Comme l'on sait, la Déclaration a été critiquée, à juste titre, parce qu'elle était largement influencée par une approche occidentale, anthropocentrique et patriarcale de la société et de la vie. Cette approche a été partiellement modifiée et corrigée grâce, entre autres, à l'adoption dans le cadre de l'ONU des :
Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,
Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale,
Déclaration sur la Biodiversité.
Il n'en reste pas moins vrai que l'ensemble de ces Déclarations, Pactes, Conventions et Traités ne sont pas parvenus à empêcher les pires violations jusqu'à ce jour. Il est temps de redéfinir les grandes orientations concernant les futurs communs que nous devons construire dans les décennies à venir fondés sur la coopération et l'harmonie, en valorisant les acquis obtenus par les luttes citoyennes.
L'un des acquis majeurs qui mérite d'être maintenu et renforcé est représenté par le principe affirmé par la communauté internationale pour la première fois, que pour vivre ensemble au niveau planétaire il est essentiel et incontournable d'assurer et renforcer en permanence deux piliers sociétaux.
Premier pilier : le principe de l'universalité des droits à la vie pour tous les habitants et les peuples de la Terre sans distinction ni exclusion. D'où l'affirmation de la responsabilité intégrale commune et partagée des peuples, de l'État de droit à l'échelle planétaire pour sauvegarder et promouvoir la réalisation de ces droits. Ce qui est radicalement différent de la fameuse et fumeuse « gouvernance globale » chère aux oligarchies dominantes.
Deuxième pilier : le principe de l'existence de biens communs publics mondiaux indis-pensables à la vie de tous les habitants de la Terre, dont les pouvoirs publics ”nationaux” sont tenus de garantir le soin, la promotion et la valorisation dans le cadre d'une coopération et d'une solidarité planétaires étroites.
Ces deux piliers ont permis, jusqu'aux années 1980, au système mondial de fonctionner et de se développer malgré ses limites, lacunes et contradictions et de nombreuses guerres locales (liées aux processus de démolition des empires coloniaux européens), sans troisième guerre mondiale. En effet, le monde a connu une réduction du taux de croissance de l'inégalité entre les pays riches et les pays pauvres, ce qui a contribué à diminuer l'impact des forces génératrices de conflits structurels et, par conséquent, de guerres destructrices.
À partir de la fin des années 1980, le système mondial a vu exploser ses contradictions, ses lacunes, ses faiblesses en raison des processus de multinationalisation et de globalisation de l'économie et de la finance selon les principes, les objectifs et les mécanismes violents de l'économie de marché capitaliste. Nous faisons référence aux processus de marchandisation et d'artificialisation de toutes les formes de vie ; à la libéralisation et à la déréglementation des marchés et de toutes les activités économiques (de moins en moins d'État et de plus en plus de marché) ; à la privatisation de tous les biens et services essentiels à la vie par le biais, notamment, du brevetage privé des organismes vivants à but lucratif (exemples : semences, OGM, médicaments…), et à l'innovation technologique (nouveaux matériaux, nouvelles énergies, informatique, robotique et, aujourd'hui, Intelligence Artificielle). Tout cela s'est fait avec l'assentiment et le soutien politico-financier des pouvoirs publics, et une bonne partie des forces sociales “progressistes”.
La propriété et le contrôle de l'usage des ressources fondamentales pour l'économie ont cessé d'être l'objet de la responsabilité et des obligations des pouvoirs publics. Ils sont passés sous la domination et le pouvoir de sujets privés (entreprises, institutions, marchés, bourses) de l'économie capitaliste. Comme on le sait, le but ultime du système capitaliste n'est pas la garantie/sécurité des droits à et de la vie, ni la préservation du bon état écologique de la Terre, la maison commune. L'objectif est la croissance de la valeur financière des capitaux et des porteurs d'intérêt (stakeholders) les plus puissants. En outre, le principal mode de fonctionnement du système n'est pas la coopération, la solidarité, mais la prédation, la concurrence oligopolistique, la compétitivité de tous contre tous. L'autre est devenu l'ennemi et le marché s'est transformé en arène où les gladiateurs les plus forts acquièrent le droit à la vie accordé par l'empereur (la finance) après avoir éliminé les autres.
On voit bien comment, dans ces conditions, les facteurs de violence et de guerre structurelle permanente ont pris le dessus. Les inégalités ont atteint des niveaux inacceptables. La guerre des riches contre les pauvres n'a jamais été aussi ouvertement menée. Et, last but not least, on a assisté à la résurgence de la forme la plus intégrale de la destruction de la vie et de l'humanité, à savoir le génocide de masse délibéré, qui sera l'objet de notre dernière réflexion.
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Troisième réflexion. Puisque la mobilisation contre la guerre passe par des luttes pour la reconstruction planétaire des deux piliers, la mobilisation doit se concentrer sur deux objectifs : l'abolition des brevets à des fins privées et lucratives et la mise hors-la-loi de la finance prédatrice.
La poursuite de ces deux objectifs n'est pas aisée car les brevets privés et la finance prédatrice sont défendus violemment et sans scrupules par tous les groupes dominants, au premier rang desquels le monde qui tourne autour de la suprématie et de la domination économico-financière et technologico-militaire des États-Unis (et de l'UE).
Aujourd'hui, dans les conditions marquées par une crise profonde du système de vie de la Terre, il est nécessaire de mener des actions mondiales visant à “désarmer la technologie de la conquête de la vie” (justement, les brevets) et, en même temps, à “mettre hors-la-loi la finance prédatrice” (se traduisant par la transformation de toute forme de vie en avoirs financiers).
Le désarmement de la technologie de la conquête passe évidemment par l'abolition des brevets d'appropriation privée et à but lucratif des organismes vivants et de l'intelligence artificielle, ainsi que par la mise au ban du commerce des armes. Il ne s'agit plus seulement d'une question de bonne ou mauvaise utilisation des connaissances et des technologies qui, elles, seraient neutres par nature. Aujourd'hui les connaissances et les technologies ne sont plus essentiellement des forces extérieures à l'humain, mais une construction des sociétés humaines qui définissent leurs finalités et leurs objectifs concrets.
Mettre hors-la-loi la finance prédatrice passe par l‘interdiction des paradis fiscaux et de l'évasion fiscale, par un système de taxation mondiale pour la justice planétaire, par l'abolition de l'indépendance des bourses devenues des entreprises mondiales purement privées échappant à tout contrôle des pouvoirs publics.
Il est illusoire de penser qu'il est possible de construire la paix et une société non-violente sans abolir les brevets d'appropriation privée et de prédation de la vie ; sans bannir les licences de commerce d'armes ; avec le maintien des paradis fiscaux ; sans éliminer l'indépendance des marchés financiers et sans réglementer les grandes oligarchies planétaires en guerre permanente pour la domination.
Il est également illusoire de penser qu'il est possible d'atteindre les objectifs précités en quelques années et par l'action solitaire et désordonnée de telle ou telle “grande” organisation de la société civile, en l'absence d'une coopération stratégique forte et d'une solidarité effective entre les diverses réalités de résistance et d'opposition au monde actuel.
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Quatrième et dernière réflexion. Aujourd'hui, 80 ans après le génocide des Juifs par l'Allemagne nazie, l'humanité est saccagée et proie de l'absurde génocide des Palestiniens par l'État d'Israël, sans oublier les autres exterminations de populations dans les quatre coins du monde, notamment en Afrique et en Asie. Le génocide des Palestiniens est la forme la plus avancée, de nos jours, de l'inadmissible et de l'absurde liés à une guerre prétendument juste et défensive.
Il faut clairement affirmer que le génocide des Palestiniens n'est pas une guerre à proprement parler. Il s'agit d'une action destructive délibérée unilatérale de la vie opérant sur une autre dimension de la condition humaine que celle « dictée » par la guerre et affichée en tant que « la sécurité pour la survie » ! Comme le génocide des Juifs ne fut pas dicté par un problème de « sécurité » des Allemands, mais par une vision profondément inégalitaire, violente, excluante et répressive raciste des peuples de l'humanité, de même le génocide des Palestiniens est l'expression brutale de formes absolues et dogmatiques (dans ce cas d'origine religieuse raciste) d'inégalité et d'exclusion de l'autre.
Les futurs de la paix qui se jouent dans les contextes actuels embrassent des conditions et obéissent à des logiques multiples, dans tous les domaines surtout concernant les conceptions de la vie, de l'humain, de la communauté globale de vie de la Terre.
Arrêter immédiatement le génocide, comme ordonné à raison par la Cour Internationale de Justice et la Cour Pénale Internationale, n'est pas essentiellement une question de droit international. C'est surtout une question de responsabilité humaine et éthique planétaire à charge de tous les sujets de l'Humanité, y compris les communautés sociales, culturelles et morales du monde. Les membres et les autorités de ces communautés doivent aller au-delà de l'invocation à la paix et des pétitions adressées aux autorités politiques des États et des puissants.
Devant la guerre, la pratique prédominante laisse croire que l'on peut se situer d'un côté ou de l'autre. À notre avis, on doit toujours se positionner « contre la guerre » et agir pour créer les conditions nécessaires et indispensables pour la paix. Devant le génocide aujourd'hui des Palestiniens, on ne peut être que contre sans aucune limite réductrice. Le génocide c'est la négation intégrale de la vie, de la justice. Le génocide des Palestiniens est également le génocide de l'humanité. En ne l'arrêtant pas, on reconnaît à l'État génocidaire le droit plus que symbolique de massacrer l'humanité, la justice. Or, un futur sans justice sera toujours un futur sans paix, antihumain. Au fait, les pères constituants de la République italienne ont bien fait d'établir l'art.11 de la Constitution qui stipule “l'Italie répudie la guerre”.
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En conclusion
Même les empires actuels de la technologie conquérante (à la manière Musk) et des “nouveaux seigneurs” des conglomérats industriels et financiers planétaires s'effondreront : l'important est de ne pas attendre que cela vienne tout seul. Ce n'est pas Microsoft, Google, Meta, Amazon, Black Rock, Vanguard, Crédit Agricole, BNP, Crédit Suisse, Walmart, BASF, Bayer, Syngenta, Pfizer, Coca-Cola, Exxon, Nestlé, Danone, Dow Chemicals, China Petroleum, qui pourront empêcher et arrêter la « troisième guerre mondiale ». Ne parlons pas de X, Tesla, Space X et de leur patron, des bourses de Londres, New York, Chicago, Shanghai ou Tokyo, de la Commission européenne, de la Banque mondiale et du FMI, du gouvernement américain, des gouvernements des États membres de l'OTAN, du gouvernement de la Fédération de la Russie, de la Banque centrale européenne indépendante…
Il appartient aux citoyens en révolte d'imposer l'arrêt, tous ensemble - notamment les femmes1, les paysans, les peuples autochtones, les 4 milliards de personnes sans couverture médicale de base et sans accès à une eau potable saine, les sans-abris, les millions de migrants à la recherche d'un pays d'accueil, les travailleurs… À cet égard, les autorités morales mondiales, par exemple du monde des croyances religieuses et éthiques, ont un rôle majeur à jouer, non seulement en termes de pouvoirs d'influence et décisionnels. Nos solutions peuvent faire l'objet d'un soutien clair et explicite de leur part.
Pour promouvoir les conditions nécessaires et indispensables à la construction de la paix voici, en plus ou en renforcement des solutions déjà formulées dans les pages qui précèdent, des exemples de solutions à appliquer dans le domaine de la vie, sa sauvegarde, sa promotion/protection, les droits, les biens communs :
• Refuser la brevetabilité du vivant à titre privé et à but lucratif ainsi que de
l'Intelligence Artificielle, car une telle brevetabilité octroie le pouvoir de décision concernant la vie à des sujets privés motivés essentiellement par l'appât de profit et de puissance. Il faut redonner la responsabilité collective de la vie aux institutions et aux organismes publics communs démocratiques du niveau local à l'échelle mondiale.
• Instituer un Conseil Mondial Citoyen de la Sécurité des Biens Communs Mondiaux
essentiels pour la vie pour tous, notamment concernant l'eau pour la vie, l'alimentation et la santé en abandonnant la privatisation et la financiarisation prédatrice de ces trois biens et services clés.
• Dans un contexte inspiré par la recherche effective et sincère de la paix, les traités
internationaux d'alliance militaire dits « défensifs » doivent être déclarés illégaux, inadmissibles. Ils doivent être remplacés par des institutions mondiales, dotées de moyens politiques et juridiques forts et contraignants, de prévention, empêchement et abolition de l'usage des armes. Le Conseil de Sécurité de l'ONU est à abolir.
• Créer un Conseil Mondial Économique de la Coopération et des Échanges
Solidaires et Soutenables en remplacement de l'Organisation Mondiale du Commerce, qui impose de traiter tout bien, service et relation entre les humains et entre eux et la nature comme des marchandises et des avoirs financiers. L'accaparement des terres et des eaux de la planète doit être déclaré illégal.
• Interdire tout usage agricole, industrie, et tertiaire de substances chimiques qui
empoisonnent la vie de la Terre et conduisent à la dégradation et à la perte de la biodiversité et de la biocapacité de la planète.
• Abolir les paradis fiscaux, symboles de la légalisation du vol de la richesse collective
et de son acceptation éthique par nos sociétés et bannir l'évasion fiscale.
• Rétablir le caractère et les fonctions publiques de la monnaie, des monnaies. La
privatisation de la monnaie et de la finance mondiale est l'un des plus puissants instruments, de pair avec la technologie, de génération des facteurs des conflits et des guerres pour la puissance et la domination. Les collectivités locales, nationales et mondiales doivent récupérer la maîtrise commune de la finance. Il est urgent de réduire drastiquement le pouvoir de domination sur l'épargne et les investissements, de loin supérieur à celui des États, acquis par les grandes banques, les fonds d'investissement et les marchés boursiers. Il faut organiser une Convention mondiale citoyenne sur les banques, les fonds d'investissements et les bourses pour un Plan mondial pour la reconversion financière, la sécurité et la paix.
La lutte “Contre la guerre” est la lutte des justes, elle est la lutte éthique pour la vie et la justice. C'est le combat pour re-irriguer la Terre, reverdir les déserts, redonner de l'oxygène aux océans, pratiquer la fraternité, vivre l'amitié, en un mot, redonner de la joie et de l'amour à la vie. Bruxelles, 26 août 2024.
Note
1. Convention de l'ONU sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes : le développement complet d'un pays, le bien-être du monde et la cause de la paix demandent la participation maximale des femmes à égalité avec les hommes, dans tous les domaines.
Liste des premiers signataires
Donata Albiero, ancienne directrice d ‘école (Italie),
Mario Agostinelli, Association Laudato si…( Italie),
Alain Adriaens, Mouvement pour la Sobriété (Belgique),
Alassan Ba, Pharmacien,Centre d'Ethique (France-Sénégal),
Guido Barbera, Solidarietà Internazionale-CIPSI (Italie),
Cristina Bertelli, Université du Bien Commun (France),
Antonio Bruno, enseignant (Italie),
Ernesto Bonometti et Antonella Zonato, activistes eau bien commun (Italie),
Luca Cecchi, Activiste-Eau, Ass.Monastero del Bene Comune (Italie),
Martine Chatelain, Activiste Eau Secours (CND-Québec),
Giovanna Dal Lago, Ass. “Mamma no pfas”(Italie),
Éric Degimbe, Communauté de la Poudrière (Belgique),
Aníbal Faccendini, Cátedra del Agua, Université Nationale de Rosario (Argentine),
Ettore Fasciano, activiste pour les Droits Humains (Italie),
Adriana Fernández, éducatrice (Chili),
Paolo Ferrari, Médecin, Chrétiens de base Vérone, (Italie),
Alfio Foti, Convention des droits humains en Méditerranée (Italie),
Pierre Galand, ancien sénateur, Forum Nord-Sud (Belgique),
Lilia Ghanem, anthropologue, rédactrice de The Ecologist en arabe (Liban),
Melissa et Laury Gingreau, Ass. Méga Bassines non merci (France),
Luis Infanti de la Mora, évêque Diocèse Aysén, Patagonie (Chili),
Eric Jadoul, activiste pour les biens communs(Belgique),
Pierre Jasmin, pianiste, secrétaire général des Artistes Pour la Paix (CND-Québec),
Michele Loporcaro, agriculteur (Italie),
Claudia Marcolungo, professeure Univ. de Padoue (Italie),
Maurizio Montalto, avocat, défenseur de l'eau bien commun (Italie),
Loretta Moramarco, avocate, militante pour l'Eau (Italie),
Vanni Morocutti, Communauté de la Poudrière (Belgique),
Dario Muraro, activiste no pfas (Italie),
Marinella Nasoni, ancienne syndicaliste (Italie),
Christine Pagnoulle, professeure émérite Université de Liège, ATTAC (Belgique)
Maria Palatine, musicienne, chanteuse, harpiste (Allemagne),
Gianni Penazzi, guitaristempour la paix, les droits humains et l'environnement (Italie),
Nicola Perrone, journaliste, « Solidarietà Internazionale” (Italie),
Riccardo Petrella, professeur émérite Université de Louvain (Belgique),
Michela Piccoli, Mamma no pfas (Italie),
Pietro Pizzuti, comédien, Collectif des Artistes (Belgique),
Jean-Yves Proulx, éducation citoyenne (CND-Québec),
Paolo Rizzi, éducateur pour les droits humains et l'environnement (Italie),
Domenico Rizzuti, ancien dirigeant syndical /Recherche (Italie),
Anne Rondelet, pensionnée (Belgique),
Roberto Savio, journaliste, fondateur de IPS et de Other News (Italie),
Catherine Schlitz, Association PAC-Présence Action Culturelle (Belgique),
Patrizia Sentinelli, Association Altramente ancienne Ministre Coopération (Italie),
Cristiana Spinedi, enseignante (Suisse),
Mimmy Spurio, pensionnée, activiste eau (Italie),
Bernard Tirtiaux, sculpteur, écrivain (Belgique),
Hélène Tremblay, chercheuse, auteure, conférencière… (CND – Québec)
Pour ajouter votre signature :
https://framaforms.org/pour-le-refus-integral-de-la-guerre-1725177466
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Irrationalité et paranoïa de masse envahissent nos sociétés

« Mais, pourquoi ils nous agressent ? Qu'est-ce qu'on leur a fait pour qu'ils nous haïssent et nous bombardent comme ça ? ». Ces questions surprennent et ont de quoi nous faire réfléchir car elles sont le fait des citoyens russes ordinaires de la région de Koursk, interrogés par des reporters envoyés sur place pour couvrir l'avancée des troupes ukrainiens dans ce territoire russe. Et elles surprennent d'autant plus que ces citoyens Russes n'habitent pas à Vladivostok ou en Sibérie, mais pratiquement à cheval sur la frontière russe avec l'Ukraine, à seulement quelques dizaines de kilomètres des champs de bataille de la guerre déclenchée par l'invasion de ce pays par l'armée russe le 24 février 2022…
26 août 2024 | tiré du site du CADTM | Image yk - cc
https://www.cadtm.org/Irrationalite-et-paranoia-de-masse-envahissent-nos-societes
Simple naïveté ou bourrage des crânes, conditionnement du peuple par une propagande de l'État russe, asphyxiante et omniprésente ? Oui, sans aucun doute, mais sûrement plus que ça. Ce qui rend ces interrogations des citoyens de la région de Koursk emblématiques d‘un état d'esprit plus général de notre époque, c'est qu'elles sont en même temps le fait aussi des citoyens... israéliens qui se posent systématiquement des questions du genre « qu'est ce qu'on leur a fait pour que les Palestiniens ou les Arabes nous haïssent tellement et veulent nous faire du mal ? ». Des citoyens israéliens qui sont d'ailleurs souvent des témoins oculaires, sinon des acteurs, des actes de racisme, d'oppression, des bombardements et des massacres perpétrés contre leurs voisins palestiniens par une armée israélienne composée de citoyens ordinaires, c'est-à-dire... d'eux-mêmes !
Évidemment, on ne peut pas comparer la passivité teinté de fatalisme de la majorité des citoyens russes atomisés et repliés sur eux-mêmes, à l'actuel fanatisme raciste et va-t-en guerre de l'écrasante majorité des citoyens israéliens. Cependant, au-delà de leurs différences et des raisons qui font que les sociétés russe et israélienne paraissent aujourd'hui aveuglées par le chauvinisme et soudées derrière leur gouvernants archi-autoritaires (pour le cas israélien voir notre article Essayant de comprendre la dérive génocidaire de la société israélienne !), ce qui caractérise actuellement toutes les deux est leur basculement vers l'irrationalité. Ce qui fait qu'elles soient balayées par une vague de ce qui est la définition même de la paranoïa de masse : « Psychose caractérisée par un orgueil démesuré et une tendance au délire de persécution ». En somme, la folie des grandeurs (Le Grand Israël des uns ou l'Empire Russe promis par Dieu des autres…) mêlée à la suspicion pathologique qu'ils sont entourés par des ennemis qui ne veulent que leur destruction…
À vrai dire, si la paranoïa de masse reste pour l'instant l'apanage des sociétés russe et israélienne, par contre le basculement vers l'irrationalité de masse concerne pratiquement tout le monde actuel et constitue un phénomène de nos temps ! En effet, quelle société de par le monde peut prétendre ne pas connaître et ne pas subir cette irrationalité de masse des temps modernes, qui n'est rien d'autre que ce mélange d'obscurantisme et de mysticisme, de complotisme et de conception policière de l'histoire, à la recherche permanente des boucs émissaires pour « expliquer » tout ce qui préoccupe l'humanité, comme par exemple la catastrophe climatique ou les pandémies ?
Mais alors, qui sont les responsables de cette dérive si inquiétante et si dangereuse ? La réponse saute aux yeux : ce sont les gouvernants et les élites politiques et autres de nos pays. Tous ceux qui, par leurs actes et même par leur exemple personnel, distillent méthodiquement le poison de cette méfiance pathologique envers les « autres » (qui peuvent être les migrants, les minorités ethniques, sexuelles, religieuses, etc.) mêlé à la folie des grandeurs fondée sur la croyance qu'on est le peuple élu de Dieu dont les « autres » ne peuvent qu'être jaloux…
Force est de constater que ce poison, les gouvernants et leurs acolytes l'ont distillé à leurs sujets pratiquement depuis le fond des temps, et surtout durant ce XXe siècle de toutes les barbaries. Mais, force est aussi de constater que jamais autant qu'aujourd'hui ils ne l'ont fait aussi systématiquement, méthodiquement et à l'échelle planétaire, allant même jusqu'à se coordonner entre eux ! Le résultat est que les politiques et les attitudes tendant à imposer et à généraliser cette irrationalité, qu'on considérait jadis être des exceptions à la règle, tendent aujourd'hui à devenir... la règle. Et ce n'est pas évidemment un hasard que leurs meilleurs représentants sont actuellement tous ces politiciens au pouvoir ou aux portes du pouvoir catalogués à l'extrême droite et au néofascisme : du Russe Poutine à l'Américain Trump, de l'Indien Modi au Hongrois Orban, du Brésilien Bolsonaro à l'Argentin Milei, sans oublier les centaines de leurs émules de par le monde, et évidemment l'Israélien Netanyahou et ses ministres mystiques et fascistes, ainsi que les ultra-riches, comme Elon Musk, qui ne cachent plus leur ambition de gouverner le monde cauchemardesque de leurs rêves.
Toutefois, le fait qu'ils sont unis dans leur volonté de s'entraider et de se coordonner dans un réseau international ultra-réactionnaire, anti-ouvrier, raciste, misogyne, homophobe et liberticide, ressemblant de plus en plus à une Internationale brune, ne signifie pas qu'ils sont pareils. Par exemple, Trump n'est pas Poutine, et ses comportements ubuesques, faits de délires égocentriques, de promesses messianiques, de mensonges éhontés proférés par rafales, et d'appels au meurtre, font déjà des émules dont le plus illustre est l'Argentin Milei, « le président à la tronçonneuse ». Les catastrophes sociales sans précédents causées déjà par ce clone argentin de Trump, devraient faire réfléchir tous ceux qui ont tendance à penser que, dans la nuit de leur raisonnement, tous les néolibéraux, tous les libertariens et tous les réactionnaires sont gris, donc pareils. En réalité, toute cette pègre néofasciste cultive et nourrit l'irrationalité et la paranoïa de masse dont souffre nos sociétés, pour une raison très simple : parce que cette irrationalité et cette paranoïa font partie intégrante et servent leur projet néofasciste...
Alors, c'est tout à fait « normal » que tout ce beau monde se reconnaît, se regroupe et serre les rangs derrière ceux qu'il considère, d'ailleurs à juste titre, comme ses idoles, ses chefs et ses incontestables exemples à suivre : Poutine et Netanyahou ! Pourquoi eux et pas d'autres ? Mais, parce que ces deux-la font preuve de la plus grande brutalité et barbarie et d'une absence totale de scrupules, n'hésitant pas à commettre toute la gamme des crimes punis par le droit international (crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocides...) afin de démontrer leur détermination d'aller jusqu'au bout de leur projet raciste, obscurantiste, antidémocratique et liberticide.
Voici donc pourquoi le sort de l'humanité est en train de se jouer dans une large mesure en Palestine et en Ukraine, partout où des hommes et des femmes se battent, souvent les armes à la main, contre Netanyahou et Poutine, ces deux têtes pensantes de cette Internationale brune en formation. Plus que jamais, leur combat est notre combat, le combat de ceux et celles qui défendent bec et ongles, le peu qui reste de nos droits et libertés démocratiques, contre les amis et clones de Poutine et de Netanyahou, dans nos propres pays. D'ailleurs, n'est-ce pas le bras droit de Poutine, son éternel ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui déclare que « Israël poursuit des objectifs similaires à ceux de la Russie », avant de préciser que... « la destruction complète du mouvement Hamas » et « l'élimination de tout extrémisme à Gaza » sont similaires à la « démilitarisation » et la « dénazification » que Moscou poursuit en Ukraine ?
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L’indépendantiste Christian Tein détenu en France

En prison depuis juin, l'indépendantiste Christian Tein devient le président du Front de libération nationale kanak et socialiste
Par Luis Reygada, L'Humanité, France, le 1er septembre 2024
Le leader indépendantiste, Christian Tein, fait partie des sept militants kanaks déportés en métropole au mois de juin. Le Front de libération nationale kanak et socialiste l'a désigné, samedi 31 août, comme son nouveau président.
Face à la stratégie de répression déployée par l'Hexagone pour sauvegarder ses intérêts en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, le Front de libération nationale kanak et socialiste a désigné, samedi 31 août, le leader Christian Tein comme son nouveau président.
Porte-parole de la Cellule de coordination des actions de terrain ( créée en novembre 2023 pour mener la contestation suite au projet de réforme du corps électoral sur l'archipel ), il est à l'isolement à la prison de Mulhouse-Lutterbach ( Haut-Rhin ) depuis le 23 juin, à 17 000 kilomètres de chez lui, soupçonné par Paris d'avoir orchestré la révolte qui a récemment embrasé le Caillou.
Une incarcération aux relents de justice coloniale, comme au temps où la France exilait les chefs autochtones récalcitrants, et que le parti de Tein, l'Union calédonienne, qualifie de « déportation politique ».
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Haïti : le Conseil présidentiel, 100 jours après : un bilan d’échec

Alors que les habitants de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince (AMP) et du département l'Artibonite continuent de subir l'assaut de la fédération des gangs Viv Ansanm, le Conseil présidentiel (CP) et le gouvernement Conille s'enlisent dans la nonchalance. Au lieu de mettre en place un plan de sécurité efficace, axé sur les ressources locales, ils se lancent dans une campagne de propagande irresponsable depuis plusieurs mois.
Faisant fi de la réalité catastrophique de la population livrée en pâture à la violence au quotidien, ils multiplient les promesses et des mesures cosmétiques en matière de sécurité qui n'ont jusqu'à aujourd'hui aucune prise sur la réalité du terrain. Soulignons que le temps passé à faire ces promesses et à prendre ces mesures cosmétiques signifie pour plusieurs millions de résidents de l'AMP et de l'Artibonite l'ajout des centaines, voire de milliers nouvelles vies fauchées, de femmes violées, d'hommes et enfants assassinés, etc.
Au nombre de ces mesures, on peut citer, à titre d'exemple, la déclaration de l'état d'urgence touchant 14 communes alors qu'aucun plan d'intervention des forces policières et militaires pour contrer les gangs a été conçu et mis en œuvre. C'est en ce sens qu'au lieu de commencer à repousser les malfrats pendant l'état d'urgence et de reprendre sous son contrôle les régions que ces derniers occupaient, la police a concédé d'autres territoires à la fédération des gangs Viv Ansanm, comme l'illustrent récemment l'occupation et les massacres des membres de la population de Ganthier et Gressier. En clair, l'État et la force publique ne font que multiplier des communiqués dans les médias et réseaux sociaux, sans se préoccuper de la mise en place concrète d'une stratégie de lutte pour résoudre le problème du banditisme, en instituant par exemple le Conseil de Sécurité.
Par ailleurs, un autre événement marque les 100 jours du Conseil présidentiel : l'accusation de corruption à l'égard de Gerald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin, trois membres du Conseil présidentiel. Une accusation, portée par le président du Conseil de l'administration de la Banque nationale de crédit (BNC) M. Raoul Pierre Louis, accusation qui n'a pas donné lieu jusqu'à maintenant à une sérieuse investigation par le gouvernement Conille, alors même que la lutte contre la corruption aurait dû constituer l'un des piliers de ce gouvernement de transition, comme le préconise l'Accord du 3 avril. De plus, ce qui est extrêmement grave, immédiatement après l'accusation, M. Pierre Louis a été démis de ses fonctions En effet, l'accusateur a été révoqué alors qu'aucune mesure n'a été prise pour mettre les présumés corrompus à la disposition de la justice. Le CP et le gouvernement refusent d'obtempérer aux revendications des organisations de la société civile demandant le remplacement des présumés corrompus. Alors que des milliers de survivant.e.s sont contraint.e.s de fuir leur milieu de vie pour se réfugier dans des camps d'infortune, les gouvernants semblent prioriser la consolidation des pratiques de spoliation des ressources de l'État.
Il faut également souligner que ce climat d'insécurité larvée a des conséquences socio-économiques graves dont une insécurité alimentaire grandissante pour une bonne partie de la population. Or, si le gouvernement ne fait qu'aborder le problème de l'insécurité à coups de communiqués et de mesures cosmétiques, rien n'est dit sur ces problèmes sociaux rampants. Au contraire, le pillage des maigres ressources de l'État continue comme cela a été le cas dans le passé.
Fort de ces constats, nous, organisations haïtiennes de la diaspora, condamnons l'attitude irresponsable du Conseil présidentiel (CP) et du gouvernement Conille dans le maintien du chaos social dans le pays. Nous exigeons la mise en place d'un plan de sécurité efficace pouvant mettre fin au climat de terreur des gangs dans les différentes communes de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince et de l'Artibonite. En lieu et place de la propagande et des déclarations creuses, nous demandons le retrait immédiat des présumés corrompus dans le Conseil présidentiel de manière à faciliter le bon déroulement de l'enquête sur le dossier de la BNC. De plus, il est essentiel que l'Accord du 3 avril soit non seulement officialisé et publié dans le journal le Moniteur, mais également mis en application sans délai par le gouvernement de transition. Enfin, nous saluons, avec consternation, la mémoire des milliers de citoyens, de citoyennes assassiné.e.s dans l'indifférence totale du gouvernement et du Conseil présidentiel. Nous appelons les classes populaires et les paysans, les paysannes à poursuivre la mobilisation pour la restauration de la sécurité dans le pays et l'élaboration d'un État de droit. Nous exhortons les forces progressistes tant à l'intérieur du pays que dans la diaspora à soutenir les justes revendications du peuple haïtien.
Chaque jour qui passe dans ce climat délétère constitue un véritable calvaire pour la population. Dans cette situation d'urgence, chaque minute compte. Le gouvernement de transition est responsable de mettre en application le plus tôt possible l'Accord du 3 avril et de tout faire pour prendre les mesures nécessaires et adéquates pour lutter contre le banditisme.
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« Le secteur paysan en Haïti se constitue en force pour affronter le système et le gouvernement »

Juslene Tyresias vient d'Haïti et est membre du Mouvement Paysan Papaye (MPP). « Le MMP, c'est un mouvement paysan qui a accompli ses 50 ans en 2023. Nous avons à peu près 60 000 membres et nous avons trois branches : les femmes, les hommes paysans et les jeunes. L'organisation a comme axe principal d'intervention l'agroécologie, l'éducation populaire, la lutte pour la protection et la gestion de l'environnement, et la question des femmes est au cœur du MMP comme axe transversal », explique-t-elle.
4 septembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/04/le-secteur-paysan-en-haiti-se-constitue-en-force-pour-affronter-le-systeme-et-le-gouvernement/#more-85126
Le MPP est actif dans 13 communes et 35 sections communales à travers le pays. Juslene explique que l'organisation travaille beaucoup pour améliorer les conditions de vie des paysannes et paysans qui, durant très longtemps, ont été réprimés par d'autres secteurs de la population. Elle dit que « Le travail sur le terrain, c'est l'éducation populaire via la méthode de Paulo Freire. Nous sensibilisons et conscientisons, les paysans, femmes hommes jeunes, pour être actrices et acteurs du changement social que nous défendons. Et la vision du MPP, c'est de défendre les intérêts et tout ce que les paysans ont comme revendications ».
Au cours de l'entretien, Juslene a évoqué la lutte paysanne en Haïti et la lutte contre l'impérialisme américain dans le contexte actuel. Cette interview a été réalisée lors du Congrès Rising Majority [La majorité qui se lève], qui s'est tenu en juin 2024 à Saint Louis, aux États-Unis, et qui a rassemblé 700 personnes issues de diverses organisations populaires, de partis, de syndicats et de mouvements de défense des droits humains dans le pays. Juslene a fait partie de la délégation d'observateurs internationaux qui a participé au congrès à l'invitation de la Grassroots Global Justice Alliance (GGJ).
Nous sommes ici aux États-Unis pour cette conférence Rising Majority (RM), et nous savons quel le rôle des EU dans la colonisation en Haïti, et tous les problèmes qu'il y a avec les entreprises transnationales. Qu'est-ce que vous pensez de l'organisation ici aux EU pour la libération d'Haïti, et quel est le rôle selon vous de la solidarité internationale avec le pays ?
Participer à Rising Majority est une contribution dans tout ce que nous avons comme revendications par rapport à l'ingérence des acteurs internationaux, surtout les EU, et dans les affaires privées et nationales d'Haïti. Et là, nous rencontrons vraiment pas mal de personnes qui luttent pour la transformation sociale au niveau mondial. Et ça, c'est notre lutte aussi. Nous sommes dans un espace où nous apprenons collectivement, où nous nous renforçons collectivement, où nous prônons le respect mutuel, la dignité humaine et le bien-vivre collectif. Pour moi, être aux EU aujourd'hui pour participer à l'Assemblée de RM, c'est un pas en plus par rapport à notre vision. Qui est une vision sur le long terme mais nous comptons quand même arriver à bout pour une transformation sociale et mondiale.
Une seule organisation, un seul pays, un seul peuple, ne peut pas lutter face à tous les obstacle du monde que nous comprenons. C'est pourquoi il faut avoir beaucoup d'organisation qui font alliances, et qui définissent et mènent une vision commune pour pouvoir affronter les forces de la mort. Auxquelles nous faisons face chaque jour dans nos actions, dans nos activités, dans notre vie, pour arriver à un monde plus juste et équitable, afin que chacun et chacune vive dignement.
L‘une des expériences que vous avez partagées lors de ces journées est l'importation de riz empoisonné des États-Unis vers Haïti, sous couvert d'aide humanitaire de la part d'entreprises. Pouvez-vous nous parler de cette affaire ?
L'importation, ou l'invasion des marchés locaux et nationaux avec des produits, est une caractéristique du système capitaliste dans lequel la majorité des pays évolue. Depuis les années 1980, Haïti, qui a été un pays souverainement autosuffisant sur le plan alimentation, fait face à une invasion massive de produits importés. Plus principalement, de riz qui vient des États-Unis et des pays asiatiques, et qui envahissent nos produits, ce qui constituent à écraser notre production locale et nationale. D'après une étude qui a été publiée en février 2024 par l'Université du Michigan, on a pu constater que ce riz importé que nous consommons beaucoup en Haïti a deux éléments cancérigènes. Le cadmium et l'arsenic.
Cela montre comment le système est en train de nous empoisonner pendant qu'ils écrasent notre production de riz. Sans parler du fait qu'il y a trois ou quatre ans, on a importé une variété de riz d‘un pays asiatique qui a attiré beaucoup de rats qui commencent à manger et à détruire les variétés de riz que nous avons, surtout dans la région de l'Artibonite. Les produits importés, non seulement ils sont nocifs, non seulement ils nous empoisonnent, mais aussi, cela contribue à la destruction de nos variétés. Nos gouvernements ne prennent pas en compte la relève, la multiplicité de nos variétés de semences en acceptant, ou du moins en répondant positivement, à tous les ordres que leur maîtres leur donne pour pouvoir détruire le peuple haïtien.
Quel est le rôle des organisations paysannes et des femmes, dans la construction et récupération de la souveraineté alimentaire du Haïti ?
Le rôle des organisations paysannes dans la récupération de la souveraineté alimentaire en Haïti est primordiale. Car c'est nous qui prônons l'agroécologie, qui diffusons les principes agroécologiques. Nous faisons le transfert des connaissances techniques et l'accompagnement des paysannes et des paysans. Nous jouons le rôle de porter nous leurs revendications auprès de l'Etat. Nous constituons une force pour pouvoir pousser l'Etat à changer ses agendas face à la population et à la paysannerie.
C'est une lutte qui est longue et nous affrontons beaucoup d'obstacles, parce que le système est en face de nous. Il passe par les médias, la religion et presque toutes les autres institutions comme l'Etat et les forces armées, pour nous contraindre à la soumission. Mais nous disons « non ». Le secteur paysan en Haïti se constitue en force pour pouvoir affronter et le système, et le gouvernement qui ne respecte pas nos lois. Et c'est pourquoi nous nous sommes engagées dans une lutte acharnée, en appliquant l'agroécologie et l'éducation populaire pour pouvoir récupérer notre souveraineté alimentaire et notre souveraineté nationale.
Haïti traverse une période de conflit et de crises difficiles qui touchent tous les secteurs de la société, mais la lutte continue. Si on pense au meilleur futur pour le peuple d'Haïti, lequel serait-il ?
Une vie meilleure pour Haïti, même si c'est dans un futur lointain, c'est pouvoir vivre en solidarité, comme cela a été. Parce que traditionnellement, le peuple haïtien est un peuple solidaire. Un peuple qui, culturellement, qui croit dans la confiance, dans la solidarité, l'entraide. Ce que nous vivons actuellement parvient de là-bas des acteurs internationaux, des acteurs politiques et, je dirais, de toute personne qui n'a pas de conscience ou de sensibilité. Quand on donne des armes aux jeunes pour pouvoir vivre dans des gangs – ce qui les détruisent humainement dans la société, parce que soit ils vont en prison, soit ils vont mourir – eh bien ça, c'est un acte barbare.
Haïti ne produit pas d'armes. Haïti ne produit pas de munitions. Et ce n'est pas la population qui fait entrer des armes en Haïti, ce sont des gens de la bourgeoisie, des gens dans la politique et même, je dirais, dans les autorités. Parce qu'à chaque fois, ils veulent acquérir le pouvoir et pour cela, ils passent par les armes, par l'argent. Eh bien, nous visons une Haïti prospère et libre. Libre de toute ingérence, libre de tout acte barbare, libre de tout obstacle qui nous empêche de vivre dans le meilleur, dans la meilleure vie possible, avec dignité. C'est ça notre vision, et nous combattons pour cela, nous nous engageons.
Entretien réalisé par Bianca Pessoa
Transcription et traduction du français par Gaëlle Scuiller
https://capiremov.org/fr/entrevue/juslene-tyresias-le-secteur-paysan-en-haiti-se-constitue-en-force-pour-affronterle-systeme-et-le-gouvernement/
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Équateur : De Rafael Correa à Guillermo Lasso en passant par Lenin Moreno

La Banque mondiale et le FMI ont 80 ans. 80 ans de néocolonialisme financier et d'imposition de politique d'austérité au nom du remboursement de la dette. 80 ans ça suffit ! Les institutions de Bretton Woods doivent être abolies et remplacées par des institutions démocratiques au service d'une bifurcation écologique, féministe et antiraciste. À l'occasion de ces 80 ans, nous republions tous les mercredis jusqu'au mois de juillet une série d'articles revenant en détail sur l'histoire et les dégâts causés par ces deux institutions.
4 septembre 2024 | tiré du site du CADTM | Photo : Guillermo Lasso
https://www.cadtm.org/Equateur-De-Rafael-Correa-a-Guillermo-Lasso-en-passant-par-Lenin-Moreno
Le 11 avril 2021, lors du deuxième tour des élections présidentielles, Guillermo Lasso (52,4 %), le candidat de la droite, a devancé Andres Arauz (47,6 %), le candidat soutenu par Rafael Correa et une partie de la gauche. Lasso a été élu grâce à la division de la gauche car une partie importante de celle-ci, qui a perdu toute confiance dans Rafael Correa, a appelé à voter nul. Les voix du camp populaire, qui était clairement majoritaire au premier tour des élections de février 2021, se sont divisées et cela a permis à un ancien banquier d'être élu président. La situation est grave car une occasion de rompre avec la politique néo libérale brutale de Lenin Moreno a été perdue. L'ex-banquier Lasso, quoique critique par pur électoralisme des positions de Lenin Moreno, va poursuivre le même type d'orientation néfaste : l'approfondissement de politiques néolibérales, la soumission aux intérêts privés du Grand capital, en particulier du puissant secteur bancaire équatorien, du secteur importateur-exportateur et la soumission à la superpuissance nord-américaine. Comment est-il possible qu'une partie importante des voix du camp populaire ne se soit pas reportée sur Andres Arauz pour éviter l'élection de Guillermo Lasso ? Cela s'explique par le rejet qu'a suscité dans une partie de la gauche, notamment dans la CONAIE, la Confédération des nations indigènes de l'Équateur, la politique de Rafael Correa en particulier à partir de 2011.
La victoire de Lasso n'était pas du tout garantie car, au premier tour des élections, les deux forces politique sorties victorieuses du scrutin étaient d'une part le mouvement politique soutenu par Rafael Correa avec 42 député·es et d'autre part Pachakutik, le bras politique de la CONAIE avec 27 élu·es, qui a obtenu le meilleur résultat parlementaire de toute l'histoire du mouvement indigène. Au niveau des élections présidentielles, le résultat du premier tour des présidentielles était clairement favorable au camp populaire car l'addition du résultat d'Andres Arauz (un peu plus de 32 %) et celui de Yaku Perez (un peu moins de 19 %) donnait une majorité à laquelle on pouvait ajouter une partie du candidat arrivé en quatrième position qui se présentait comme social-démocrate et qui avait obtenu près de 14 %. Lasso, l'ex-banquier venait certes en deuxième position avec 19 % mais avec un avantage très limité face à Yaku Perez, le candidat présenté par Pachakutik aux élections de février 2021, et 13 points de moins qu'Andres Arauz. Yaku Perez et la CONAIE ont d'abord dénoncé ce qu'ils ont appelé une fraude électorale massive. Puis Yaku Perez a passé un accord de soutien mutuel avec Guillermo Lasso quelques jours après le deuxième tour, accord qui a été rompu rapidement par Lasso. Ensuite la CONAIE a appelé avec différentes forces de gauche à voter nul au second tour en refusant de reporter leurs voix sur Andres Arauz pour battre Guillermo Lasso. Sur cette question la CONAIE et Pachakutik se sont divisés car un secteur de droite dans Pachakutik a appelé a voté en faveur de Lasso tandis que le président de la CONAIE, Jaime Vargas, avait appelé à voter pour Andres Arauz avec le soutien d'une majorité d'organisations indigènes de la partie amazonienne de l'Équateur membres de la CONAIE. Malgré les voix discordantes qui annonçaient qu'elles voteraient pour Lasso contre celles qui appelaient à voter pour Arauz, la CONAIE réaffirma ensuite l'appel à voter nul qui finalement a atteint 16,3 % le jour des élections.
L'élection de Lasso comme président ouvre une nouvelle étape dans l'application d'une politique encore plus favorable au Grand capital équatorien, aux multinationales étrangères, à une alliance entre les présidents de droite en Amérique latine et à la poursuite, voire au renforcement, de la domination des États-Unis sur le continent. Le résultat électoral du 11 avril 2021 est un jour sombre pour le camp populaire. Pour comprendre comment une partie importante du camp populaire a refusé d'appeler à voter en faveur d'Arauz pour battre Lasso, il convient d'analyser la politique suivie par Rafael Correa après avoir été réélu président en 2010.
Rappel sur la politique suivie par Correa entre 2007 et 2010
Commençons par un rappel concernant la présidence de Rafael Correa de 2007 à 2010 que j'ai analysée dans plusieurs articles antérieurs. L'Équateur a offert l'exemple d'un gouvernement qui adopte la décision souveraine d'enquêter sur le processus d'endettement afin d'identifier les dettes illégitimes pour ensuite en suspendre le remboursement. La suspension du paiement d'une grande partie de la dette commerciale, suivie de son rachat à moindre coût, montre que le gouvernement ne s'est pas cantonné aux discours de dénonciation. Il a procédé en 2009 de fait à une restructuration unilatérale d'une partie de sa dette extérieure et a remporté une victoire contre ses créanciers privés, principalement des banques et des fonds d'investissement des États-Unis. En 2007, le gouvernement de l'Équateur au début de la présidence de Rafael Correa est entré en conflit avec la Banque mondiale, le représentant permanent de la Banque mondiale a été expulsé. Entre 2007 et 2010, pendant la présidence de Rafael, il faut ajouter qu'une série de politiques positives importantes a été initiée : une nouvelle constitution a été adoptée d'une manière démocratique ce qui a annoncé d'importants changements qui par la suite n'ont pas débouché sur une authentique et profonde concrétisation ; l'Équateur a mis fin à la base militaire étasunienne de Manta sur la côte pacifique ; l'Équateur a tenté de mettre en place une banque du Sud avec l'Argentine, le Venezuela, le Brésil, la Bolivie, l'Uruguay et le Paraguay ; l'Équateur a quitté le tribunal de la Banque mondiale.
Le tournant de Rafael Correa à partir de 2011
Ensuite 2011 a marqué un tournant dans la politique du gouvernement équatorien sur plusieurs fronts, tant sur le front social qu'aux niveaux de l'écologie, du commerce et de la dette. Les conflits entre le gouvernement et une série de mouvements sociaux importants comme la CONAIE d'une part, les syndicats de l'enseignement et le mouvement étudiant, d'autre part, se sont envenimés. Rafael Correa et son gouvernement ont avancé dans des négociations commerciales avec l'UE au cours desquelles ils ont multiplié les concessions. Au niveau de la dette, à partir de 2014, l'Équateur a recommencé à augmenter progressivement le recours aux marchés financiers internationaux. Sans oublier, les dettes contractées auprès de la Chine. Sur le plan écologique, le gouvernement de Correa a abandonné en 2013 le projet de ne pas exploiter le pétrole dans une partie très sensible de l'Amazonie. Correa a pris également des positions patriarcales et réactionnaires sur la question de la dépénalisation de l'avortement et sur les LGBTQI.
L'abandon de l'Initiative Yasuní-ITT en 2013
L'Initiative Yasuní-ITT avait été présentée en juin 2007 par Rafael Correa. Elle consistait à laisser sous terre 20 % des réserves de pétrole du pays (environ 850 millions de barils de pétrole), situées dans une région de méga-biodiversité, le parc national Yasuní, au nord-est de l'Amazonie [1]. Comme l'explique Matthieu Le Quang : « Pour compenser les pertes financières de la non-exploitation, l'État équatorien demandait aux pays du Nord une contribution financière internationale équivalente à la moitié de ce qu'il aurait pu gagner avec l'exploitation (3,6 milliards de dollars calculés à partir des prix du pétrole de 2007). Cette politique était ambitieuse notamment dans ses objectifs de changer la matrice énergétique d'un pays qui, bien qu'exploitant et exportant son pétrole, n'en est pas moins un importateur de ses dérivés et en restait dépendant pour la génération d'électricité. » [2]] Matthieu Le Quang poursuit : « Une décision forte du gouvernement équatorien était d'avoir inscrit l'Initiative Yasuní-ITT dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, c'est-à-dire d'avoir mis l'accent sur la non-émission de gaz à effet de serre qu'engendrerait la non-exploitation du pétrole. » En août 2013, Rafael Correa, qui avait été réélu pour la troisième fois à la présidence en février avec plus de 57 % des voix dès le premier tour, a annoncé la fin de ce projet. Il a justifié sa décision par la faiblesse bien réelle des engagements pris par différents pays pour financer la non-exploitation du pétrole de Yasuni-ITT.
Fondamentalement pendant la présidence de Rafael Correa il n'y a pas eu de début d'abandon du modèle extractiviste-exportateur. Ce modèle consiste en un ensemble de politiques qui visent à extraire du sous-sol ou de la surface du sol un maximum de biens primaires (combustibles fossiles, minerais, bois…) ou à produire un maximum de produits agricoles destinés à la consommation sur les marchés étrangers afin de les exporter vers le marché mondial (dans le cas de l'Équateur il s'agit de la banane, le sucre, la palme africaine, les fleurs, le brocoli [3]). Il faut ajouter l'exportation de crevettes d'élevage et du thon (pêché de manière industrielle). Ce modèle a des nombreux effets néfastes : destruction environnementale (mines à ciel ouvert, déforestation, contamination des cours d'eau, salinisation/appauvrissement/empoisonnement/érosion des sols, réduction de la biodiversité, émission de gaz à effet de serre…), destruction des milieux naturels de vie de populations entières (peuples originaires et autres) ; épuisement des ressources naturelles non renouvelables ; dépendance à l'égard des marchés mondiaux (bourses de matières premières ou de produits agricoles) où se déterminent les prix des produits exportés ; maintien de salaires très bas pour rester compétitif ; dépendance à l'égard des technologies détenues par les pays les plus industrialisés ; dépendance à l'égard d'intrants (pesticides, herbicides, semences transgéniques ou non, engrais chimiques…) produits par quelques grandes sociétés transnationales (la plupart provenant des pays les plus industrialisés) ; dépendance à l'égard de la conjoncture économique et financière internationale.
François Houtart (1925-2017) qui a suivi de près le processus en cours en Équateur et qui soutenait la politique de Rafael Correa n'avait pas manqué d'exprimer des critiques et les avait communiquées au gouvernement. Un peu avant son décès, il écrivait à propos de la politique agricole : « Ces politiques sont également à court terme. Elles ne tiennent pas compte des changements naturels et de leurs effets à long terme, de la souveraineté alimentaire, des droits des travailleurs, de l'origine de la pauvreté rurale. Elles accentuent un modèle d'agro-exportation présenté comme un objectif, sans en indiquer les conséquences. » Il précisait : « En tant qu'auteurs, nous nous sommes demandé dans notre rapport s'il était possible de construire le socialisme du 21e siècle avec le capitalisme du 19e siècle. (…) Une fois de plus dans l'histoire, c'est le monde rural et ses travailleurs qui paient le prix de la modernisation. Ce fut le cas du capitalisme européen au XIXe siècle, de l'Union soviétique dans les années 1920, de la Chine après la révolution communiste. [4] »
Rafael Correa et les mouvements sociaux : une relation conflictuelle
Le gouvernement de Rafael Correa a montré une grande difficulté à prendre en compte les apports d'un certain nombre d'organisations sociales de premier plan. L'orientation de Rafael Correa et de la direction d'Alianza País, son mouvement politique, a consisté à contourner le plus souvent possible la plus grande organisation indigène, la CONAIE, le plus grand syndicat enseignant (l'Union nationale des éducateurs, UNE), le syndicat de l'entreprise Petroecuador (l'entreprise pétrolière nationale) et un nombre considérable d'organisations sociales. L'ensemble de ces organisations s'est vu régulièrement attaqué par le pouvoir exécutif qui les accuse de se mobiliser sur des bases corporatistes, dans le but de défendre des privilèges. De plus, Rafael Correa n'a pas pris en compte la revendication historique, portée principalement par la CONAIE, d'intégration de la composante indigène dans le processus de prise de décision sur toutes les grandes questions touchant les orientations du gouvernement. De son côté, la CONAIE, qui lutte pour que les principes généraux de la Constitution soient retranscrits sous forme de lois [5], n'hésite pas à se confronter à Rafael Correa. À plusieurs reprises, le gouvernement a essayé de faire approuver des mesures sans organiser préalablement un dialogue avec les organisations des secteurs sociaux concernés. Cette orientation n'est pas sans rappeler la politique du gouvernement Lula au Brésil, lorsque celui-ci a entrepris une réforme du système de retraites d'orientation néolibérale en 2003 (au même moment où, en France, le gouvernement de droite conduit par Jean-Pierre Raffarin mettait en œuvre une réforme similaire). Lula a mené campagne pour sa réforme en attaquant les acquis des travailleurs de la fonction publique présentés comme des privilégiés.
Parmi les contentieux les plus graves opposant le pouvoir exécutif aux organisations sociales équatoriennes viennent en premier lieu le projet de loi sur l'eau, d'une part, et la politique d'ouverture de Rafael Correa aux investissements privés étrangers dans l'industrie minière et pétrolière, d'autre part [6]. Lors d'une assemblée extraordinaire tenue les 8 et 9 septembre 2009 à Quito, la CONAIE n'a pas épargné la politique du gouvernement Correa qu'elle a stigmatisé comme néolibérale et capitaliste [7]. La CONAIE « exige de l'État et du gouvernement qu'ils nationalisent les ressources naturelles et qu'il mettent en œuvre l'audit sur les concessions pétrolières, minières, aquifères, hydrauliques, téléphoniques, radiophoniques, télévisuelles et des services environnementaux, la dette extérieure, le prélèvement des impôts et les ressources de la sécurité sociale », ainsi que « la suspension de toutes les concessions (extractives, pétrolières, forestières, aquifères, hydroélectriques et celles liées à la biodiversité) [8] ». Après le 30 septembre 2009, la CONAIE est passée à l'action en organisant des rassemblements et des blocages de routes et de ponts contre un projet de loi sur l'eau. Des mobilisations contre le gouvernement face auxquelles le président Correa a réagi en s'opposant d'abord à toute négociation, puis en jetant la suspicion sur le mouvement indigène en affirmant que la droite, et en particulier l'ex-président Lucio Gutiérrez, s'activait en son sein. Finalement, la CONAIE a obtenu une négociation publique au plus haut niveau : ainsi, 130 délégués indigènes ont été reçus au siège du gouvernement par le président Correa et plusieurs ministres, et ont finalement obtenu que le gouvernement fasse machine arrière sur plusieurs points, notamment avec l'instauration d'un dialogue permanent entre la CONAIE et l'exécutif, et avec des amendements sur les projets de loi sur l'eau et sur les industries extractives.
Un autre conflit social a également éclaté avec la mobilisation des enseignants, sous l'égide de l'UNE, le principal syndicat de la profession (dans lequel le parti MPD [9] exerce une influence importante), contre le gouvernement. Là aussi, le conflit a finalement débouché sur un dialogue. En novembre et décembre 2009 s'est développé un troisième front social avec le mouvement de protestation dans les universités contre un projet de réforme qui visait notamment à réduire l'autonomie universitaire, qui est considérée, en Amérique latine, comme une avancée sociale irréversible et un gage d'indépendance à l'égard des pouvoirs politiques.
Globalement, le gouvernement de Rafael Correa a rapidement montré de sérieuses limites dès lors qu'il s'agissait de définir une politique en prenant en compte le point de vue des mouvements sociaux sans épreuve de force.
En 2010 et en 2014, il y a eu d'importantes mobilisations sociales contre la politique du gouvernement Correa. Les revendications mises en avant par les organisations qui, autour de la CONAIE, ont appelé à la lutte en juin 2014 en disent long sur l'orientation du gouvernement : Résistance à l'extraction minière et pétrolière, à la criminalisation de la protestation sociale, au nouveau Code du travail ; une autre politique de l'énergie et de l'eau ; droit des communautés indigènes et, en particulier, le refus de fermetures des écoles communautaires [10] ; refus de la réforme de la Constitution permettant une réélection indéfinie ; refus de la signature d'un accord de libre-échange avec l'Union européenne.
En décembre 2014, Rafael Correa a voulu faire expulser la CONAIE de ses locaux ce qui a amené le CADTM comme de nombreuses organisations équatoriennes et étrangères à exiger du gouvernement qu'il renonce à cette décision [11]. Le gouvernement a reculé. Fin 2017, le gouvernement de Rafael Correa a voulu retirer la personnalité juridique à une organisation écologiste de gauche appelée Acción Ecológica. Il a fallu là aussi une vague de protestation nationale et internationale pour que finalement les autorités renoncent à cette atteinte aux libertés [12].
Conclusion sur la présidence de Rafael Correa
Dès le début de son premier mandat Rafael Correa a composé son gouvernement en prenant soin d'y faire coexister des ministres de gauche et des ministres liés plus ou moins directement à différents secteurs de la classe capitaliste traditionnelle équatorienne, ce qui l'a amené à des arbitrages perpétuels. Au fil du temps, Correa a fait de plus en plus de concessions au grand capital qu'il soit national ou international.
Malgré une rhétorique favorable au changement du modèle productif et au socialisme du 21e siècle, Correa, en dix ans de présidence, n'a pas engagé une modification profonde de la structure de l'économie du pays, des relations de propriété et des relations entre les classes sociales. Alberto Acosta, ex-ministre de l'énergie en 2007, ex-président de l'Assemblée constituante en 2008 et opposant à Rafael Correa depuis 2010 écrit avec son collègue John Cajas Guijarro que : « l'absence de transformation structurelle fait que l'Équateur reste une économie capitaliste liée à l'exportation de matières premières et, par conséquent, liée à un comportement cyclique à long terme lié aux exigences de l'accumulation transnationale de capital. Ce comportement cyclique de longue date est dû aux contradictions inhérentes au capitalisme, mais il est également fortement influencé par la dépendance à l'égard de l'exportation massive de produits primaires presque non transformés (extractivisme). En d'autres termes, l'exploitation capitaliste - tant de la main-d'œuvre que de la nature - selon les exigences internationales, maintient l'Équateur « enchaîné » à une succession de haut et de bas qui trouvent leur origine tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. » [13]
Lenin Moreno ou le retour de la politique néolibérale et de la soumission aux intérêts de Washington
En 2017, à la fin du mandat présidentiel de Rafael Correa et au moment où lui a succédé comme président Lenin Moreno (qui était le candidat soutenu par Correa), la dette dépassait le niveau atteint 10 ans plus tôt. Rapidement Lenin Moreno a fait de nouveau appel au FMI. Cela a provoqué de très fortes protestations populaires en septembre-octobre 2019 qui ont obligé le gouvernement a capitulé face aux organisations populaires et a abandonné le décret qui avait provoqué la révolte [14].
Rappelons par ailleurs que le gouvernement de Rafael Correa avait offert l'asile à Julian Assange dans l'ambassade de l'Équateur à Londres à partir de juin 2012. Correa a résisté à la pression de la Grande Bretagne et de Washington qui exigeaient que Assange leur soit livré. Lenin Moreno qui a succédé à Rafael Correa en 2017 s'est déshonoré en livrant Assange à la justice britannique en avril 2019 et en lui retirant la nationalité équatorienne que le gouvernement de Correa lui avait octroyée en 2017.
En 2019, Lenin Moreno a reconnu Juan Guaido comme président du Venezuela alors que celui-ci appelait à une intervention armée des États-Unis pour renverser le gouvernement du président élu Nicola Maduro.
En 2020, Lenin Moreno a passé un nouvel accord humiliant pour l'Équateur avec le FMI et en 2021 il essaye de faire adopter une loi afin de rendre la Banque centrale complètement indépendante du gouvernement et donc encore plus soumise aux intérêts des banques privées.
Sa popularité s'est réduite au néant : dans les derniers sondages, Lenin Moreno obtenait à peine un taux d'approbation de 4,8 %. Le résultat des candidats soutenus par Moreno aux élections parlementaires et au premier tour des présidentielles de février 2021 n'ont pas dépassé 3 %.
Le programme de Guillermo Lasso, vainqueur de l'élection présidentielle en Équateur le 11 avril 2021 et la nouvelle étape
Si Rafael Correa est arrivé à la présidence de l'Équateur en 2007, c'est grâce aux mobilisations sociales qui ont jalonné les années 1990 jusque 2005. Sans celles-ci ses propositions n'auraient pas trouvé l'écho qu'elles ont reçu et il n'aurait pas été élu. Malheureusement, après un très bon départ, il est entré en conflit avec une partie importante des mouvements sociaux et a opté pour une modernisation du capitalisme extractiviste-exportateur. Ensuite, son successeur Lenin Moreno a rompu avec Rafael Correa et est revenu à la politique brutale du néolibéralisme. Cette politique néolibérale pure et dure va être approfondie par Guillermo Lasso. Celui-ci a annoncé clairement qu'il voulait baisser les impôts sur les entreprises, qu'il voulait attirer les investissements étrangers, qu'il voulait donner encore plus de libertés aux banquiers, qu'il voulait consolider la politique d'ouverture commerciale en intégrant l'Alliance du Pacifique. Il est probable que Guillermo Lasso va tenter d'intégrer des leaders liés à Pachakutik et à la CONAIE d'une manière ou d'une autre à son gouvernement ou à son administration. Si cela réussissait, la CONAIE et Pachakutik en sortiront encore plus divisé qu'à la veille des élections du second tour. Il est fondamental pour l'avenir du camp populaire de s'opposer radicalement et activement au gouvernement que constituera Lasso.
L'avenir pendant la présidence de Guillermo Lasso
Une fois de plus, ce seront les mobilisations sociales qui pourront venir à bout de ces politiques et remettre à l'ordre du jour les mesures de changement structurel anticapitaliste indispensables à l'émancipation. La CONAIE et toute une série d'organisations syndicales, d'associations féministes et de collectifs écologistes avaient élaboré en octobre 2019 une excellente proposition alternative aux politiques capitalistes, patriarcales et néolibérales, elle devrait constitué la base d'un vaste de programme de gouvernement [15].
La question du rejet des politiques du FMI, de la Banque mondiale et des dettes illégitimes reviendra au centre des batailles sociales et politiques [16]. Dans un document rendu public en juillet 2020 par plus de 180 organisations populaires équatorienne on trouve la revendication suivante : « -suspension du paiement de la dette extérieure et réalisation d'un audit de la dette extérieure accumulée de 2014 à ce jour, ainsi qu'un contrôle citoyen sur l'utilisation des dettes contractées. [17] »
Réflexions finales sur le vote du 11 avril 2021
Avec 98,84 % de comptabilisation des votes :
- Arauz a obtenu 47,59%, ce qui correspond à : 4.100.283 voix.
- Lasso : 52,4 % correspondant à 4.533.275 votes.
- Votes nuls : 16,33 % correspondant à 1.715.279 votes.
- Total des votants : 10 501 517 votants.
- Absentéisme : 2 193 896 personnes.
Le vote nul a atteint 9,5 % au premier tour ; le vote nul a progressé de 6,83 % entre le premier tour et le second tour ; en termes de voix cela donne :
- Vote nul février 2021 : 1 013 395 voix.
- Vote nul avril 2021 : 1 715 279 voix.
- Différence : + 701 884 voix.
De manière générale, une grande partie de cette différence dans le vote nul peut être attribuée à la campagne de Pachakutik, de la Conaie, des mouvements sociaux et des organisations de gauche qui ne soutenaient pas le candidat de Correa. Cela signifie que moins de la moitié de leurs électeurs ont opté pour le vote nul ; il faut rappeler que Yaku Pérez a obtenu 19,39% au premier tour, soit 1 798 057 voix. En supposant que la majorité de ce vote corresponde au vote des Pachakutik, cela signifierait que 39% de sa base électorale a opté pour le vote nul. Dans le cas où, comme c'est le plus probable, il y a d'autres secteurs qui ont voté nul, il ne serait pas hasardeux de dire que le vote nul qui correspond à Pachakutik devrait être d'environ 30 % de son électorat. Autrement dit, un électeur de Pachakutik sur trois a opté pour le vote nul, qui peut être considéré comme son vote dur.
Malheureusement, les 70 % restants sont allés majoritairement à Lasso, probablement en rejet du corréisme, en raison de la longue histoire d'agressions contre le mouvement populaire ; mais cela signifie tout de même qu'il s'agit d'un vote à droite, tournant le dos à ce qui s'était passé au premier tour. Cela montre également la fragilité du vote pour une nouvelle alternative qui échappe à la polarisation entre le corréisme et la droite traditionnelle.
Cela montre aussi que si la CONAIE, Pachakutik et les autres organisations de gauche qui ont appelé au vote nul avaient appelé à voter contre Lasso ou avaient appelé à voter pour Arauz, il était très possible de battre Lasso et de faire pression sur Arauz pour qu'il prenne en compte les demandes exprimées tant dans le texte de la CONAIE d'octobre 2019 que dans la proposition du parlement des peuples de juillet 2020. Des textes excellents qui se situent à gauche du contenu de la campagne électorale de Yaku Perez au premier tour, ainsi que du programme d'Andres Arauz.
Pour en savoir plus sur l'Équateur au cours des 20 dernières années voir :
- Les prêts empoisonnés de la Banque mondiale et du FMI à l'Équateur
- Équateur : Les résistances aux politiques voulues par la Banque mondiale, le FMI et les autres créanciers entre 2007 et 2011
- - Pour la défense des droits des droits des communautés indigènes et paysannes : Lettre ouverte au président de l'Équateur : https://www.cadtm.org/Pour-la-defense-des-droits-des-droits-des-communautes-indigenes-et-paysannes
- - Nous dénonçons la renégociation de la dette par le gouvernement de Lenín Moreno : https://www.cadtm.org/Nous-denoncons-la-renegociation-de-la-dette-par-le-gouvernement-de-Lenin-Moreno
- - Vidéo : Eric Toussaint : Leçons de l'assemblée constituante en Équateur en 2007-2008 : https://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-Lecons-de-l
- - Vidéo : Équateur : Historique de l'audit de la dette réalisée en 2007-2008. Pourquoi est-ce une victoire ? (vidéo de 14 minutes) : https://www.cadtm.org/Equateur-Historique-de-l-audit-de
Notes
[1] Pour une présentation du projet en 2009, voir Alberto Acosta interviewé par Matthieu Le Quang « Le projet ITT : laisser le pétrole en terre ou le chemin vers un autre modèle de développement » publié le 18 septembre 2009, http://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=4757
[2] Matthieu Le Quang interviewé par Violaine Delteil, « Entre buen vivir et néo-extractivisme : les quadratures de la politique économique équatorienne » dans Revue de la Régulation, premier semestre 2019, https://journals.openedition.org/regulation/15076 [consulté le 30 décembre 2020
[3] En ce qui concerne la production de brocoli en Équateur, François Houtart écrit : « Il convient de mentionner l'étude réalisée en 2013 sur la production de brocoli dans la région de Pujilí, dans la province de Cotopaxi. 97 % de la production de brocoli est exportée vers des pays principalement capables de produire du brocoli (États-Unis, UE, Japon), sur la base d'avantages comparatifs (bas salaires, lois environnementales moins exigeantes). L'entreprise de production monopolise l'eau, qui ne suffit plus aux communautés voisines ; elle bombarde les nuages pour empêcher les averses de tomber sur les brocolis, mais dans les environs. Des produits chimiques sont utilisés à moins de 200 mètres des habitations contrairement à la loi. L'eau polluée s'écoule dans les rivières. La santé des travailleurs est affectée (peau, poumons, cancers). Les contrats sont conclus en partie sur une base hebdomadaire, avec un contremaître qui reçoit 10 % du salaire, ce qui lui permet d'échapper à la sécurité sociale. Les heures supplémentaires ne sont souvent pas rémunérées. L'entreprise qui transforme le brocoli pour l'exportation travaille 24 heures sur 24 en trois équipes. Il n'était pas rare que les travailleurs soient obligés de travailler en deux équipes à la fois. Le syndicat est interdit. En outre, les deux sociétés, qui ont maintenant fusionné, avaient leurs capitaux, l'une au Panama et l'autre aux Antilles néerlandaises. » https://www.cadtm.org/Ecuador-Un-factor-de-control-de-la
[4] « Estas políticas son también a corto plazo. No tienen en cuenta los cambios naturales y sus efectos a largo plazo, la soberanía alimentaria, los derechos de los trabajadores, el origen de la pobreza rural. Se acentúa un modelo agro-exportador presentado como una meta, sin indicar las consecuencias. » « Como autores, nos hemos preguntado en nuestro informe, si era posible construir el socialismo del siglo XXI con el capitalismo del siglo XIX ¿ (…) Una vez más en la historia, es el campo y sus trabajadores los que pagan el precio de la modernización. Fue el caso del capitalismo europeo en el siglo XIX, de la Unión Soviética en los años 20 del siglo XX, de China, después de la Revolución comunista. » https://www.cadtm.org/Ecuador-Un-factor-de-control-de-la
[5] Voir Floresmillo Simbana “Movimiento indígena y la revolución ciudadana” : https://www.cadtm.org/Movimiento-indigena-y-la
[6] L'Équateur possède une économie basée principalement sur la rente du pétrole. Il faut bien avoir en tête que le pétrole représentait pour l'année 2008, 22,2 % du PIB, 63,1 % des exportations et 46,6 % du budget général de l'État.
[7] Asamblea Extraordinaria de la CONAIE : Resoluciones de Nacionalidades y Pueblos, « Declarar al gobierno de Rafael Correa como gobierno neoliberal y capitalista por sus acciones y actitudes », disponible sur : https://kaosenlared.net/resoluciones-de-los-pueblos-y-nacionalidades-del-ecuador/
[8] Ibid
[9] Mouvement populaire démocratique, bras électoral du Parti communiste marxiste-léniniste (maoiste) de l'Équateur
[10] A propos de la volonté du gouvernement de Correa de fermer les écoles communautaires, François Houtart a écrit en 2017 : « le plan de fermeture de 18 000 écoles communautaires (appelées « écoles de la pauvreté ») au profit des écoles du millénaire (début 2017 : 71 construites, 52 en construction et fin 2017, 200 en fonctionnement) accentue les problèmes. Ces établissements du millénaire sont sans doute bien équipés, avec des enseignants compétents, mais dans une philosophie qui rompt avec la vie traditionnelle et s'ouvre à une modernité aujourd'hui remise en cause en raison de ses conséquences sociales et environnementales. Ils ne répondent pas non plus facilement au principe constitutionnel de l'éducation bilingue. En outre, dans plusieurs cas, le système de transport n'a pas pu correspondre aux besoins et oblige les étudiants à marcher pendant des heures sur des chemins en mauvais état, ce qui entraîne également un taux d'absentéisme élevé »
https://www.cadtm.org/Ecuador-Un-factor-de-control-de-la
[11] Voir la Lettre du CADTM Ayna à Rafael Correa, Président de l'Équateur, publiée le 27 décembre 2014 https://www.cadtm.org/Lettre-du-CADTM-Ayna-a-Rafael
[12] Voir en espagnol Acción Ecológica, ¡ GRACIAS !, publié le 17 janvier 2017, https://www.cadtm.org/GRACIAS
[13] Alberto Acosta, John Cajas Guijarro, Una década desperdiciada Las sombras del correísmo, Centro Andino de Acción Popular Quito, 2018
Citation originale en esp : « la falta de una transformación estructural provoca que el Ecuador se mantenga como una economía capitalista atada a la exporta ción de materias primas y, por lo tanto, amarrada a un comportamiento cíclico de larga duración vinculado a las demandas de acumulación del ca pital transnacional. Tal comportamiento cíclico de larga historia es originado por las contradicciones propias del capitalismo pero ; a su vez, es altamente influenciado por la dependencia en la exportación masiva de productos primarios casi sin procesar (extractivismo). Es decir, la explota ción capitalista –tanto de la fuerza de trabajo como de la Naturaleza– en función de las demandas internacionales, mantiene al Ecuador “encadena do” a un vaivén de animaciones y crisis económicas que se originan tanto interna como externamente. »
[14] CADTM AYNA, « Ensemble avec le peuple équatorien », publié 15 octobre 2019, https://www.cadtm.org/Ensemble-avec-le-peuple-equatorien Voir aussi le livre collectif : Franklin Ramírez Gallegos (Ed.), Octubre y el derecho a la resistencia. Revuelta popular y neoliberalismo autoritario en Ecuador, Buenos Aires, CLACSO. Il est téléchargeable gratuitement : http://www.clacso.org.ar/libreria-latinoamericana/buscar_libro_detalle.php?campo=titulo&texto=derecho&id_libro=2056
[15] CONAIE, Entrega de propuesta alternativa al modelo económico y social, 31 octobre 2019, https://conaie.org/2019/10/31/propuesta-para-un-nuevo-modelo-economico-y-social/
[16] Déclaration collective signée par Éric Toussaint, Maria Lucia Fattorelli, Alejandro Olmos Gaona, Hugo Arias Palacios, Piedad Mancero, Ricardo Patiño, Ricardo Ulcuango « Nous dénonçons la renégociation de la dette par le gouvernement de Lenín Moreno », publiée le 1er août2020, https://www.cadtm.org/Nous-denoncons-la-renegociation-de-la-dette-par-le-gouvernement-de-Lenin-Moreno
[17] Voir PROPUESTA-PARLAMENTO-DE-LOS-PUEBLOS.pdf publié en juillet 2020 https://rebelion.org/wp-content/uploads/2020/07/PROPUESTA-PARLAMENTO-DE-LOS-PUEBLOS.pdf
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Soudan : « 500 jours de guerre »

Depuis cette semaine, la guerre, au Soudan, entre l'armée soudanaise (SAF-général Abdel Fattah al-Burhan) et les forces paramilitaires Rapid Support Forces (RSF-Mohamed Hamdan Dogolo dit Hemeti) compte quelque 500 jours. Ce pays du nord-est de l'Afrique connaît actuellement la plus grande catastrophe humanitaire et de déplacement de population au monde. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), environ 10,5 millions de personnes sont déplacés au Soudan, dont huit millions sont des déplacés internes. En raison des combats qui ne cessent de s'étendre, beaucoup ont déjà été contraints de fuir à plusieurs reprises.
Tiré de A l'Encontre
3 septembre 2024
Par Saskia Jaschek
Soudan, mai 2024 : femmes et enfants fuient le conflit. (Photo : OCHA/Liz Loh-Taylor )
Les chiffres, toujours conservateurs, de différents organismes de surveillance concernant le nombre de morts peuvent englober plusieurs dizaines de milliers. En juin 2024, le représentant états-unien au Soudan Tom Perriello [à ce poste depuis fin février 2024] parlait en revanche d'au moins 150 000 morts. A cela s'ajoutent les personnes qui meurent des suites de la guerre et dont les décès n'ont été recensés nulle part jusqu'à présent. Les personnes handicapées, les personnes souffrant de maladies préexistantes et surtout les personnes âgées meurent chez elles, ou pendant leur fuite, ainsi que dans les camps ou dans les pays d'arrivée en raison du manque de soins de santé.
Les combats n'ont pas cessé 16 mois après le début de la guerre. La catastrophe humanitaire qu'ils ont engendrée est encore aggravée par la saison des pluies actuelle. Plus de 100 000 personnes se sont retrouvées sans abri à la suite des inondations [depuis le mois d'août : depuis fin juillet-début août] . Le choléra, qui s'était déjà déclaré peu après le début de la guerre, continue de se propager à cause des inondations. Les inondations détruisent également des espaces de vie là où les combats n'ont pas encore eu lieu. C'est le cas dans l'est du Soudan. Une rupture de barrage s'y est produite le 26 août [au nord, à quelque 40 km de Port-Soudan] tuant 30 personnes, près de 200 sont encore portées disparues. En outre, l'approvisionnement en électricité et en eau a été détruit par la rupture du barrage.
Pendant ce temps, 25,6 millions de personnes luttent contre la faim au Soudan. Cela représente environ la moitié de la population soudanaise. L'Integrated Food Security Phase Classification (IPC), une institution de surveillance de l'insécurité alimentaire, a indiqué que le Soudan était confronté à la pire crise alimentaire depuis le début de ses enregistrements. Selon l'IPC, 800 000 personnes sont en situation de famine aiguë et risquent donc de mourir de faim dans un avenir proche.
Une famine fabriquée par l'homme
Cette famine est fabriquée par l'homme et fait partie de la guerre politique. La région d'Al-Jazirah [un des 18 Etats du Soudan], au centre du Soudan, en est un exemple. Al-Jazirah est le centre de l'agriculture soudanaise. Depuis décembre 2023, les FRS n'ont cessé de prendre le contrôle de cet Etat. Leurs atrocités – pillages, vols, viols et meurtres – ont également forcé les personnes travaillant dans le secteur agricole à fuir. La « Coalition des agriculteurs de Al-Jazirah et El Manaqil [ville de l'Etat d'Al-Jazirah] » estime qu'environ 70% de tous les agriculteurs et agricultrices ont été déplacés depuis le début de la guerre. La production agricole s'est donc presque totalement effondrée dans la région.
Les millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays qui restent dans les camps de réfugiés surpeuplés dans les régions périphériques du pays sont particulièrement touchées par la faim. C'est le cas des 400 000 personnes vivant dans le camp de réfugiés de Zamzam au nord du Darfour. Comme l'a noté IPC, environ 64 personnes y meurent chaque jour, dont 15 sont des enfants de moins de cinq ans.
Les conditions dans les camps de réfugié·e·s des pays voisins sont également catastrophiques. Que ce soit au Tchad, en Ethiopie ou au Soudan du Sud, les rapports dressent un tableau similaire : des camps surpeuplés où font défaut la nourriture, les médicaments et même l'eau potable.
Les Emergency Response Rooms (ERR) locales, qui fournissent une grande partie de l'aide humanitaire sur place, se plaignent du manque de ressources. Ces centres d'urgence organisés à la base sont principalement financés par la diaspora soudanaise. Mais après 500 jours de guerre, leurs ressources sont également largement épuisées. Ils ont tous une famille et des proches qui les ont soutenus financièrement pendant cette période.
L'aide humanitaire internationale n'atteint qu'une fraction de la population qui en dépend. L'accès et le financement nécessaires font défaut. Selon les données des Nations unies, les pays donateurs ont fourni moins d'un cinquième des fonds nécessaires au Programme mondial contre la faim (PAM) pour lutter contre la famine.
Alors que la crise humanitaire est largement ignorée au niveau international, les Etats-Unis ont donné un signal, du moins sur le plan politique. Mi-août, ils ont lancé de nouvelles négociations de paix entre les RSF et la SAF à Genève, en Suisse. L'objectif de ces négociations de dix jours était d'établir un plan de cessez-le-feu et d'ouvrir des corridors humanitaires. Des tentatives de médiation comme celle-ci ont échoué à plusieurs reprises par le passé. Les négociations de Genève n'ont pas non plus été couronnées de succès. Ce résultat se profilait déjà par le simple biais de qui y participait : alors qu'une délégation des RSF a pris part aux négociations, aucun représentant de la SAF n'est venu à Genève.
Le dirigeant de la SAF, le général Abdel Fattah al-Burhan, a déclaré dans une interview que les négociations étaient une opération « whitewashing » des RSF et des pays qui les soutiennent [entre autres les Emirats arabes unis]. Depuis le début de la guerre, la SAF met l'accent sur une rhétorique d'Etat-nation, dans laquelle elle se voit légitimée en tant qu'armée de l'Etat soudanais. De la même manière, elle dévalorise les RSF en les qualifiant de « rebelles » avec lesquelles il n'est pas possible de négocier. Les paramilitaires des RSF étaient issus de milices rurales, mais avaient obtenu le statut d'entité étatique sous l'ancienne dictature d'Omar el-Béchir [au pouvoir d'octobre 1993 au 11 avril 2019]. Par la suite, les conflits de pouvoir entre ces entités se sont multipliés.
L'Arabie saoudite, l'Egypte et les Emirats arabes unis se sont également présentés comme médiateurs à Genève. Cela témoigne d'une ironie particulière de la diplomatie, car les gouvernements des trois pays sont connus pour leur soutien à différents camps dans la guerre en cours au Soudan. L'année dernière déjà, des analystes politiques avaient souligné à plusieurs reprises que la guerre pourrait rapidement prendre fin si des sanctions fermes étaient prises contre la SAFFAS et les RSF. Cela ne s'applique pas seulement aux grandes entreprises que possèdent les deux belligérants, mais commence par la suppression les livraisons de biens nécessaires à la conduite de la guerre comme les armes, les techniques de surveillance ou l'essence.
Le rappeur états-unien Macklemore a récemment montré à quoi pouvait ressembler un boycott solidaire. Celui-ci a annulé en début de semaine un concert à Dubaï. Il a donné comme raison sur Instagram le soutien des Emirats arabes unis aux RSF. Tant que les Emirats financent la RSF et lui fournissent des armes, il ne peut pas s'y produire, a déclaré Macklemore [1].
Une attitude cohérente comme celle-ci ne se retrouve pas actuellement parmi les gouvernants ayant une influence géopolitique, bien que la connaissance de quels Etats soutiennent quel belligérant soit largement répandue.
Pas de cessez-le-feu en vue
A Genève, l'espoir d'un cessez-le-feu s'est déjà envolé alors que les négociations étaient encore en cours. En effet, en même temps qu'elles se tenaient, la SAF et les SRF ont bombardé des zones résidentielles et des hôpitaux. Alors que la SAF bombarde sans relâche, surtout au Darfour, les SRF attaquent régulièrement Omdurman [ville située sur le Nil en face de la capitale Khartoum], contrôlée par la SAF. On peut s'attendre à ce que les actes de guerre des deux parties s'intensifient encore après la fin de la saison des pluies.
Même si les combats entre les généraux devaient cesser, une véritable paix est encore loin. En effet, la guerre a ravivé d'anciens conflits et fragmenté la population civile. La montée en puissance des milices locales et la militarisation de la population civile ont multiplié les acteurs de la guerre et les ont portés dans presque toutes les couches de la population.
De plus, la guerre a largement détruit l'infrastructure du Soudan et donc des conditions cruciales pour garantir une certaine autosuffisance du pays. Afin d'éviter une hécatombe due à la crise alimentaire, il serait important que l'aide humanitaire ne se limite pas à la livraison de denrées alimentaires, mais qu'elle rétablisse avant tout les capacités d'auto-approvisionnement de la population, par exemple en créant les conditions permettant de cultiver des plantes utiles et de garantir la potabilisation de l'eau. Pour cela, il faut à la fois assurer des accès au niveau local et un grand déploiement de l'aide internationale. À l'heure actuelle, rien de tout cela ne semble à portée de main. (Article publié le 30 août 2024 sur le site Analyse&Kritik; traduction rédaction A l'Encontre)
Saskia Jaschek, journaliste indépendante qui prépare un doctorat à l'université de Bayreuth (Allemagne) avec une recherche sur le mouvement de résistance soudanais.
[1] Selon Africanews du 3 septembre : « Le rappeur américain Macklemore a annoncé avoir annulé un concert prévu en octobre à Dubaï en raison du rôle des Emirats arabes unis « dans le génocide et la crise humanitaire en cours » au Soudan, à travers leur soutien présumé à la force paramilitaire qui combat les troupes gouvernementales dans ce pays. » L'annonce de Macklemore a ravivé l'attention sur le rôle des Emirats arabes unis dans la guerre qui secoue la nation africaine. Alors que les Emirats arabes unis ont nié à plusieurs reprises avoir armé les Forces de soutien rapide et soutenu son chef Mohammed Hamdan Dagalo (Hemeti), des experts des Nations unies ont rapporté en janvier des preuves « crédibles » selon lesquelles les Emirats envoyaient des armes aux RSF plusieurs fois par semaine depuis le nord du Tchad. » (Réd.)
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45 milliards d’euros : “En matière de prêts à l’Afrique, la Chine reste indétrônable”

Jeudi 5 septembre, lors du sommet sino-africain qui se tient à Pékin, le président chinois, Xi Jinping, a promis de nouveaux financements à destination des pays du continent. Cette annonce d'une coopération approfondie vise à asseoir le statut de la Chine comme “partenaire privilégié du Sud global”.
Tiré de Courrier international. Photo : Des représentants Chinois et Africains lors de la neuvième édition du Forum sur la coopération sino-africaine, à Pékin, le 5 septembre 2024. Photo Li Tao/Xinhua/AFP
“Le discours du président chinois, Xi Jinping, lors de l'ouverture du Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) jeudi 5 septembre, montre bien la volonté de Pékin de renforcer ses liens avec le continent dans un contexte de rivalité accrue avec l'Occident, et notamment les États-Unis”, annonce le journal hongkongais South China Morning Post.
Les diplomates chinois et les représentants de plus de cinquante pays africains se réunissent pendant trois jours à Pékin pour la neuvième édition du sommet dont le but est de resserrer les liens commerciaux entre le continent et l'empire du Milieu. Dans l'enceinte du Palais de l'Assemblée du peuple, Xi Jinping a annoncé 360 milliards de yuans de financement sur trois ans à destination des partenaires africains. Cette enveloppe importante, équivalente à plus de 45 milliards d'euros, doit permettre de réaliser des dizaines de projets d'infrastructures.
“Ensemble, nous avons construit des routes, des chemins de fer, des écoles, des hôpitaux, des sites industriels et des zones économiques. Ces chantiers ont changé la vie et le destin de nombreuses personnes”, a déclaré Xi, cité par l'agence de presse officielle Xinhua News Agency.
“Partenaire privilégié du Sud global”
“Cette année, avec le forum, la question était de savoir quelle tournure allaient prendre [les relations entre la Chine et l'Afrique]. En effet, Pékin, qui a longtemps été la principale puissance économique étrangère en Afrique, a réajusté ses liens économiques avec le continent, tandis que d'autres grandes puissances redoublent d'efforts pour s'implanter en Afrique”, note le site de la chaîne américaine CNN.
De fait, The Economist ne s'attendait pas à de tels montants, plutôt enclin à évoquer une conjoncture marquée par “le ralentissement de l'économie chinoise et les gouvernements africains qui se serrent la ceinture”. Néanmoins, les experts interrogés par l'hebdomadaire britannique ne s'y trompaient pas :
- “En matière de prêts à l'Afrique subsaharienne, la Chine reste indétrônable.”
La moitié de ces financements seront octroyés sous la forme de crédits, notamment par les banques publiques chinoises. Xi Jinping a par ailleurs promis la création d'au moins un million d'emplois et un approfondissement de la coopération militaire avec la formation de 6 000 soldats et 1 000 policiers.
“[Xi Jinping] veut positionner Pékin comme le partenaire privilégié du Sud global en matière de développement”, conclut le site de la chaîne qatarie Al-Jazeera.
Avec 167,8 milliards de dollars (151,2 milliards d'euros) en échanges bilatéraux au premier semestre, selon les médias officiels chinois, la Chine demeure le premier partenaire commercial du continent.
Courrier international
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Série Soudan (3/4), ce pays pris en otage par deux clans militaires

Le conflit opposant les Forces armées soudanaises, dirigées par le général Al-Burhan aux Forces d'appui rapide (FAR) du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », a éclaté à Khartoum le 15 avril 2023, aux premières heures du jour. Khartoum, la capitale du Soudan, a été le théâtre de nombreux affrontements depuis le début du conflit.
Tiré de MondAfrique.
Personne ne sait d'où est vraiment originaire le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemedti », qui a migré au Soudan probablement à partir du sud du Tchad. Il serait en tout cas simpliste de présenter l'embrasement actuel comme un combat fratricide entre le général Al-Burhan, le chef de l'armée et son ancien bras droit, le général Hemedti, à la tête des Special Rapid Forces, une force de mercenaires privés dont la seule raison sociale est la captation des richesses du Soudan.

Le général Mohammed Hamdan Daglo est une créature fabriquée par l'ancien dictateur soudanais, Omar El Béchir. En scindant les forces de défense et de sécurité en trois groupes avant d'être chassé du pouvoir en 2019, ce dernier a cru pouvoir s'adosser sur les Rapid Support Forces, qui ne sont ni vraiment une milice, ni tout à fait un groupe paramilitaire, mais un contrepoids à l'armée conventionnelle. Les officiers conservateurs qui la commandent sont proches du modèle égyptien d'un capitalisme d'État au service des militaires.
Dans un premier temps, Mohammed Hamdan Daglo qui porte l'uniforme régulier de son corps, ne se pose pas en dissident, loin de là. Ce général coupable des pires exactions au Darfour s'oppose, toute honte bue, à la répression par l'armée conventionnelle de la mobilisation populaire qui dure de 2019 à 2021. C'est la dégradation de la situation économique (1) qui convainc ce général félon de se concentrer à sa grande entreprise de pillage de l'ensemble de la zone en prentn les armes contre le chef de l'armée soudanaise.
2023, la guerre civile
Le 15 avril 2023, la guerre civile s'installe à Khartoum. Elle oppose les troupes de l'armée régulière du général Al-Burhan, au pouvoir depuis son coup d'État du 25 octobre 2021, et les Forces de soutien rapide (SFR) du général Mohammed Hamdan Daglo. Les troupes de ce dernier sont plus aguerries que les soldats de l'armée régulière. Hemedti a réprimé avec férocité la population du Darfour en s'appuyant sur « les Janjawid »auxquels il a agrégé des mercenaires venus du Tchad, de RCA, de Libye et du Niger. De 2017 à 2019, les miliciens d'Hemedti ont massacré les populations civiles au Yémen comme ils l'avaient fait auparavant au Darfour. Les 40000 hommes du corps expéditionnaire soudanais au Yémen, fiancés par les Émirats Arabes Unis et armés au départ par la France, sont mobilisés désormais pour conquérir le pouvoir à Khartoum.
Le patron Hemedti est riche des millions d'US $ que ses bailleurs lui donnent, de l'or qu'il exploite avec sa famille et des trafics qu'il entretient avec un de ses homologues, le maréchal Haftar. De nombreux combattants d'Haftar rejoignent d'ailleurs l'offensive actuelle des RSF dans l'Ouest du Soudan. Haftar et Hemedti sont liés par le monde des trafics, du Captagon àl'or, en passant par le bétail, les femmes, les migrants et les voitures volées. Pour Haftar, la victoire des RSF est un gage de la reconduction de l'économie criminelle dans le triangle Libye, Tchad et Soudan. L'accès à Port Soudan serait pour Haftar une alternative à la perte de la côte libyenne de mieux en en mieux surveillée par l'aviation militaire gouvernementale de Tripoli. La LNA, l'armée d'Haftar a contribué au renforcement et à la formation des RSF en vue des batailles actuelles. C'est un juste retour des choses car 1000 soldats d'Hemedti, payés par les Émirats, ont aidé Haftar dans sa piteuse tentative de prendre Tripoli. Un des fils d'Haftar, Sadiq Haftar, est le président honoraire d'une grande équipe de football du Soudan et son père a emprisonné un chef de milice soudanaise Moussa Hilal, ennemi d'Hemedti et vainqueur de Wagner dans certains affrontements en RCA. Haftar et Hemedti combinent avec habileté et duplicité les soutiens russes et émiratis et ont établi une logistique d'approvisionnement militaire et en carburants s'appuyant sur plusieurs pays et s'étirant sur des milliers de kilomètres. Il y a quelques jours à Benghazi l'équipe de football soudanaise de Sadiq Haftar venait disputer un match amical face à une équipe libyenne.
L'appui des Émiratis à Hemedti
Sur le terrain soudanais, Hemedti a bénéficié des appuis de ses voisins du Tchad et d'Éthiopie. Les Émirats Arabes Unis ont ainsi, avec les partenaire éthiopien et tchadien, libéré Hemedti de toutes entraves dans son entreprise de contrôle du Darfour et de l'Ouest du pays. Une bonne partie des forces spéciales des services de renseignements soudanais se sont ralliées aux SFR et dans l'entourage du général Hemedti, les Islamistes, proches jadis d'Omar El Béchir, font leur apparition. Le choc du 7 novembre 2023 en Israel fait paraitre en Occident bien lointain les crimes de guerre et les violations des droits de l'homme enregistrés depuis plusieurs décennies au Soudan. Comme le bourreau du Tigré, Hemedti a les mains libres pour les exactions de très grande envergure contre les populations de souche africaine du Soudan.
En faisant la jonction entre la frontière tchadienne, où Abu Dhabi a joué récemment un rôle politique et militaire déterminant, et Port Soudan, les RSF ouvriraient une route inédite à la pénétration physique du Golfe en Afrique de l'Est et scelleraient la marginalisation de l'Égypte. Hemedti est un nomade indépendant de la matrice soudanaise qui participe à l'édification d'une géopolitique inédite de l'Afrique au-dessus de l'Équateur.
C'est le dernier quart d'heure pour le régime de Khartoum. Seul l'Iran, maitre de la Mer rouge avec le levier des Houthis, pourrait sauver Burhan de la défaite totale. Le général Burhan est un assez bon stratège diplomatique à défaut d'être un tacticien militaire. Il a ainsi rétabli des relations diplomatiques avec l'Iran le jour de l'attaque du Hamas en Israël. Un acte qui ne lui vaut pas la sympathie des Etats-Unis qui le rendent responsable de la crise humanitaire soudanaise que les Nations-Unies déplorent comme d'habitude.
La communauté internationale impuissante
Mais que fait la communauté internationale face aux souffrances d'au moins la moitié des 50 millions de Soudanais ? Le conseil de sécurité n'a pas engagé de mise en garde à l'adresse d'Hemedti. Une fois de plus, le système des Nations-Unies, révèle son inefficacité à enrayer les massacres et à secourir les victimes.
Les canaux humanitaires ne sont ouverts qu'avec parcimonie et après des chantages en particulier d'Hemedti. Les forces régulières de l'armée soudanaise sont craintives devant les SFR. Seule leur aviation décolle mais pour bombarder les zones civiles. Cela ne plait pas aux Américains qui, via leurs ambassadeurs au Kenya et à Addis Abeba, le font savoir. Le seul contributeur majeur effectif qui vient à en aide aux populations pour l'instant apparait l'Arabie Saoudite, généreuse en vivre, abris, et médicaments. Mais les ONG saoudiennes n'ont que peu d'accès aux régions où les SFD dominent et elles sont nombreuses.
Riyad se positionne en apparence sur le plan humanitaire lors des discussions en cours à Genève. Pour l'instant ce sont les SFR qui sont louées comme le « good guy » de l'affaire car des vivres et des médicaments ont pu arriver au Kordofan et au Darfour. Deux régions où les SFR rencontrent de fortes résistances, non pas du fait des forces armées soudanaises, mais de milices soutenues par le Tchad d'un côté, et l'Érythrée de l'autre. Ali Burhan est mal vu par les médiateurs extérieurs car il refuse de participer à des négociations dont il sait qu'il sera le perdant. Chez les bonnes fées de la médiation, à côté de l'Arabie saoudite, on compte les Etats-Unis, la Suisse, l'Égypte, les Émirats Arabes Unis et des figurants, les Nations-Unies et l'Union africaine. L'ennemi déclaré reste la famine alors que le mal est d'abord dans une guerre qui frappe les civils essentiellement.
Le Soudan pourrait devenir, demain, un État en faillite comme la Somalie ou une nation fragmentée comme la Libye. Ou les deux à la fois !
Notes
(1) Le Soudan ne survit que grâce à des soutiens extérieurs. Les créanciers occidentaux ont annulé la dette soudanaise lors du gouvernement civil (2019-2021). Presque 50 % du blé consommé au Soudan provient de Russie.
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Jill Stein, le choix que les médias ignorent

« Le génocide est l'impératif moral de notre époque », déclare Jill Stein, candidate du Parti vert à la présidentielle, dans un épisode de The Chris Hedges Reports, alors qu'elle poursuit sa campagne pour la présidence américaine. Rejointe par son colistier, le professeur Butch Warei, les deux expliquent pourquoi ils recherchent le vote de tous les Américains privés de leurs droits, coincés dans les malheurs de luttes domestiques personnelles et des atrocités commises à l'étranger en leur nom par un empire glouton.
Par les Artistes pour la Paix
Lorsqu'elle regarde le déroulement des élections, le point de vue de Stein est limpide : « Oubliez le moindre mal, il n'y a pas de moindre mal. Vous avez deux candidats génocidaires, l'une menant actuellement le génocide et l'autre promettant de terminer le travail. »
Stein et Ware soulignent que même si le complexe militaro-industriel peut sembler un problème de politique étrangère, s'y attaquer est essentiel pour trouver des solutions nationales. Le budget gonflé de la défense, qui atteint bien davantage qu'un billion de dollars lorsque toutes les dépenses sont prises en compte, est l'un des principaux obstacles qu'elle souhaiterait éliminer. "Car cet obstacle explique pourquoi nous ne prenons pas en charge les soins de santé, le logement, l'éducation, pourquoi nous ne désendettons pas les gens, ne traitons pas l'urgence climatique, ne mettons pas fin à l'engorgement carcéral au profit d'un système de justice réparateur et pourquoi nous ne résolvons pas les problèmes de pauvreté et de désespoir, qui sont à l'origine de la criminalité », explique-t-elle.
Ware fait remarquer que la dynamique entre les Américains qui se sentent obligés de voter pour les démocrates par peur de Trump est profondément toxique, alimentée par le narcissisme des candidats. "Dès qu'ils signent sur la ligne pointillée, ils se remettent immédiatement à calculer leurs affaires, à sacrifier des gens avec l'argent des impôts qu'ils empochent, laissant leurs quartiers se dissoudre et s'effondrer", a déclaré Ware à Hedges.
Ware indique clairement qu'il y a un choix entre la résistance et la dissidence lors du scrutin de novembre : « Nous devons mettre fin à ce cycle toxique d'abus, car il pousse les gens à penser qu'il n'y a aucun moyen de résister, alors que vous avez absolument le pouvoir de résister dès maintenant en votant Vert. »
Il n'y a pas de sans-voix, il n'y a que les voix qu'on force à se taire ou qu'on préfère ne pas écouter ...
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10 000 travailleurs de l’hôtellerie font grève chez Marriott, Hyatt et Hilton pour des augmentations, des charges de travail équitables et le respect

Environ 10 000 travailleurs de l'hôtellerie du syndicat UNITE HERE se sont mis en grève à travers les États-Unis pendant le long week-end de la fête du Travail pour se battre pour des augmentations, des charges de travail équitables et le respect sur le lieu de travail. La grève de plusieurs jours affecte les hôtels Hilton, Hyatt et Marriott de plusieurs grandes villes, dont Boston, San Francisco et Seattle.
3 septembre 2024 |tiré du site de Democracy now !
3 septembre 2024 | tiré du site de democracynow.org
https://www.democracynow.org/2024/9/3/us_strike
AMY GOODMAN : Les travailleurs syndiqués de l'hôtellerie se battent pour des augmentations de salaire, de meilleurs niveaux de personnel, des charges de travail équitables et le respect. Aujourd'hui, le troisième jour de la grève se déroule dans 25 hôtels, faisant partie des chaînes Hilton, Hyatt, Marriott, Westin et DoubleTree dans neuf villes : Baltimore, Boston, San Diego, San Francisco, San Jose, Seattle, Honolulu, Kauai, à Hawaï, et Greenwich, dans le Connecticut et plus encore.
Pour en savoir plus, nous sommes rejoints par deux invités. Lizzy Tapia est la présidente de la section locale 2 de UNITE HERE à San Francisco. Et Rebeca Laroque, gréviste et préposée aux chambres au Hyatt Regency de Greenwich, dans le Connecticut, est préposée aux chambres depuis plus de 12 ans. Lizzy Tapia, commençons par vous. Expliquez-nous la stratégie, les villes que vous avez choisies, les chaînes hôtelières avec lesquelles vous négociez et ce que vous exigez.
LIZZY TAPIA : Nous sommes donc en négociation depuis des mois maintenant, et nous n'avons pas vu le genre de propositions que nos membres attendent — vous savez, qui répondront à leurs besoins. Donc, nous nous sommes mis en grève. Aujourd'hui, c'est le troisième jour. Il y a sept villes qui sont sorties aujourd'hui, et c'est environ 9 500 travailleurs et travailleuses qui en sont à leur troisième jour de grève.
Et, vous savez, nous sommes à la recherche d'un contrat qui répond à ce dont nous avons besoin pour pouvoir survivre, surtout ici dans la région de la baie de San Francisco. Le coût de la vie est si élevé. Et nous avons besoin de bonnes augmentations de salaire et de soins de santé, d'un plan de retraite. Et c'est aussi un combat qui est vraiment une question de respect. Et donc, nous espérons que ces entreprises – Hilton, Marriott et Hyatt – comprendront le message.
JUAN GONZÁLEZ : Et, Lizzy Tapia, est-ce que ce sont les seuls hôtels avec lesquels UNITE HERE a actuellement des contrats qui ont expiré, ou y a-t-il un un plus grand nombre d'hôtels que vous avez décidés de ne pas frapper à ce stade ?
LIZZY TAPIA : Oui, il y a certainement un plus grand nombre d'hôtels, mais nous négocions avec ces entreprises spécifiquement depuis quelques mois. Et c'est donc là où nous en sommes aujourd'hui.
JUAN GONZÁLEZ : Et en ce qui concerne les différences d'échelles salariales entre certaines de ces villes – par exemple, les femmes de ménage à Boston reçoivent 28 $ de l'heure, alors qu'à Baltimore, elles ne reçoivent que 16,20 $ – essayez-vous de créer une sorte de système plus rationnel à l'échelle nationale ?
LIZZY TAPIA : Non, je dirais que ce qui est considéré dans tous les domaines, c'est la nécessité d'augmentations salariales très importantes. Tout le monde a du mal, surtout en sortant de la pandémie, à joindre les deux bouts. Et cela peut signifier différentes choses dans différentes villes, mais ce que cela signifie dans l'ensemble, c'est que nous avons besoin de fortes augmentations de salaire, d'augmentations de salaire significatives, qui nous permettent réellement de survivre.
AMY GOODMAN : Je veux faire participer Rebeca Laroque à la conversation. Pouvez-vous nous parler de ce que vous faites au Hyatt Regency à Greenwich, dans le Connecticut ?
REBECA LAROQUE : Oui. Je fais préposé aux chambres.
AMY GOODMAN : Et cela signifie ? Expliquez le travail que vous faites. Et que voulez-vous voir se passer ? Et comment pensez-vous que l'hôtel réagit ?
REBECA LAROQUE : OK, comme un préposé aux chambres, nous nettoyons la chambre tous les jours. C'est mon travail. Et vous avez dit ce que j'attendais, l'hôtel va être...
AMY GOODMAN : Comment va la chaîne hôtelière – comment le Hyatt réagit-il à la grève à l'extérieur dont vous faites partie ?
REBECA LAROQUE : D'accord. Ils ne disent rien pour l'instant, mais j'espère — j'espère et nous attendons une réponse. Mais je ne vois rien pour l'instant.
JUAN GONZÁLEZ : Et aussi, pourriez-vous parler - beaucoup d'hôtels permettent maintenant aux clients de choisir de ne pas nettoyer les chambres. Comment cela a-t-il affecté la charge de travail et les conditions des femmes de ménage ?
REBECA LAROQUE : OK, pour toutes ces femmes de ménage, nous travaillons dur. Ils vous donnent beaucoup de chambres tous les jours. Nous travaillons dur. Et c'est pourquoi nous nous en sommes plaints. Non seulement nous avons beaucoup d'espace et nous avons beaucoup de travail à faire, mais nous ne sommes pas bien payée-s. C'est pourquoi aujourd'hui nous sommes en grève.
JUAN GONZÁLEZ : Et, Lizzy Tapia, pourriez-vous nous parler de cette question des clients qui ont le droit de refuser le nettoyage des chambres et de ce que cela fait aux travailleurs et travailleuses syndiqués ?
LIZZY TAPIA : Oui, Rebeca a tout à fait raison. Lorsque les hôtels n'offrent plus de nettoyage quotidien automatique des chambres, cela crée un problème de charge de travail pour les préposé-e-s aux chambres qui nettoient ces chambres. Lorsqu'une pièce n'est pas nettoyée pendant trois jours ou cinq jours à la fois, elle est collante. C'est poussiéreux. Le nettoyage nécessite deux fois plus de travail. Et les entreprises hôtelières n'ajustent pas alors votre charge de travail, n'est-ce pas ? Cela signifie simplement que les préposé-e-s aux chambres, comme Rebeca l'a dit, rentrent chez eux, et ils sont fatigués, et leur corps leur fait mal. Et c'est totalement inacceptable. Et aussi, vous savez, je pense qu'il s'agit en quelque sorte de créer un nouveau modèle pour que les clients ne s'attendent tout simplement pas à ce que leur chambre soit nettoyée, donc, vous savez - oui, ou ne pas l'obtenir dans le cadre de ce qu'ils paient pour leur chambre. Et donc, cela enlève aux clent-e-s et aux travailleuses, qui beaucoup – vous savez, celles qui travaillent travaillent deux fois plus dur, et celles qui ne travaillent pas parce qu'on ne leur attribue pas de chambres sont à la maison et essaient de joindre les deux bouts, et d'obtenir un chèque de paie avec lequel elles peuvent survivre.
AMY GOODMAN : Et, Rebeca Laroque, pouvez-vous nous parler de la main-d'œuvre ? Est-il composé en grande partie de femmes et d'immigrant-e-s ? Et si vous pouviez parler de l'instabilité financière que vous avez vécue et que vos collègues ont vécue en travaillant dans un hôtel aussi prestigieux, le Hyatt Regency ? Les gens associent cela, bien sûr, à la richesse, mais cette richesse ce sont pour les client-e-s.
REBECA LAROQUE : D'accord. Tous mes collègues se plaignent toujours, tous les jours, non seulement parce que le travail est difficile, mais nous ne pouvons pas survivre avec l'argent qu'ils nous paient. Et quand nous avons fini de travailler, quand nous rentrons chez nous, nous ne pouvons rien faire, parce que – chacun de mes collègues a une histoire, parce que nous travaillons dur, et puis l'argent qu'ils paient, vous ne pouvez rien vous permettre avec ça, parce que tout augmente. C'est pourquoi nous demandons un meilleur salaire, une meilleure assurance maladie et une meilleure retraite, parce que nous ne nous pouvons rien permettre rien. Dans le Connecticut, tout est très cher.. Après la pandémie, tout augmente.
JUAN GONZÁLEZ : Oui, et j'aimerais demander à Lizzy Tapia. Vous avez déclaré une grève de trois jours. Pourquoi trois jours ? Et y a-t-il des possibilités de prolonger la grève ?
LIZZY TAPIA : Oui, il n'y a pas de plans pour le moment, mais de futures grèves sont possibles. Nos membres s'engagent à faire ce qu'il faut pour remporter le contrat ici. Et comme Rebeca l'a souligné, vous savez, les travailleuses sont fatiguées. Elles souffrent. Elles ont du mal. Et donc, vous savez, nous avons atteint ce point non pas parce que nous voulons vraiment être dans cette position, mais nous sommes vraiment déterminés à remporter un contrat qui est équitable. Et une partie de cette action consistait vraiment à sortir le jour de la fête du Travail et à être ensemble le jour de la fête du Travail dans tant de villes, tous ensemble. Mais il n'y a pas de plans pour le moment. Il y a des actions possibles à l'avenir.
AMY GOODMAN : Le temps, Lizzy, les exigences concernant les salaires, les niveaux des effecetifs, les charges de travail équitables, quels sont les points de friction dans ces négociations contractuelles ?
LIZZY TAPIA : Ouais, je veux dire, vous les avez rappelés, Amy. Je pense que ce que nos membres vivent est vraiment une question de manque de respect et du fait que ces entreprises hôtelières réduisent les commodités et les services. Cela signifie qu'en l'absence de nettoyage quotidien automatique des chambres, de fermeture du bar et du restaurant, d'heures limitées pour les repas en chambre ou d'absence de repas dans la chambre, d'heures limitées pour les piscines ou de fermeture des centres de conditionnement physique, toutes ces sortes de choses se traduisent par l'incapacité de nos membres à travailler. Vous savez, les membres qui nettoyaient le hall d'entrée la nuit ne seront pas là. Les membres qui — vous savez, les barmans, les serveurs, les travailleurs et les travailleuses des cuisine et des bars ne sont pas là. C'est, vous savez, ils et elles sont à la maison. Et puis, pour ceux et celles qui essaient de compenser le manque de personnel, leur charge de travail est vraiment difficile. C'est beaucoup plus difficile. C'est deux ou trois fois plus difficile qu'avant.
Et donc, je pense que beaucoup de nos problèmes sont vraiment liés au respect de notre travail, et c'est en partie pourquoi nous avons ce message, et aussi le respect de nos client-e-s. Ces choses sont vraiment liées. Et donc, cela pourrait se résumer à de l'argent pour les patrons. Et comme Rebeca l'a dit, il y a aussi beaucoup de problèmes économiques pour nous. Mais je pense que, en grande partie, vous savez, ce qu'il faut pour résoudre ce problème, c'est vraiment respecter notre travail et respecter ce que nous faisons et ramener l'hospitalité dans ces hôtels. Toutes ces choses sont en quelque sorte liées.
AMY GOODMAN : Eh bien, nous tenons à vous remercier tous les deux d'être avec nous, Lizzy Tapia, présidente de la section locale 2 de UNITE HERE à San Francisco, et Rebeca Laroque, gréviste et préposée aux chambres d'hôtel au Hyatt Regency à Greenwich, dans le Connecticut, préposée aux chambres depuis plus de 12 ans. Encore une fois, cettegrève contre Hyatt, Hilton et Marriott. Marriott possède Westin et Hilton possède DoubleTree.
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La France insoumise confrontée à des temps incertains dans l’avenir

Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise ont encore démenti les prédictions lors des élections générales de juillet dernier. Le focus sur le leader et sur le programme se sont révélés être des atouts électoraux mais la structure de direction rigide du parti risque de fragiliser sa longévité.
5 août 2024 | tiré du site de Jacobin | Traduction, Alexandra Cyr
La France insoumise a été créée en janvier 2016 pour servir de véhicule à la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. Elle est devenue une force à l'Assemblée nationale avec 71 députés.es et un financement public de 5 millions d'Euros annuellement. Ses résultats aux élections présidentielles et parlementaires avec sa performance lors du dernier scrutin en juillet n'atteignent pas ceux obtenus aux Européennes et dans les élections locales. Ce mouvement s'est établi comme un centre de gravité dans la gauche française au fil du temps.
En 2017, Jean-Luc Mélenchon a gagné la plus haute marche du podium pour un candidat à gauche du Parti socialiste dans l'histoire de la 5ième république. En 2022 il rajoute 700,000 votes (à son score antérieur) et atteint les 22% d'appuis. Bien sûr ce n'était pas suffisant pour gagner la présidence et même rejoindre E. Macron au 2ième tour. Mais, après leurs succès, les forces de gauche les plus radicales en Europe, Podémos, Syriza, les travaillistes de Jeremy Corbin, Bloco de Esquerda, etc., ont commencé à reculer entre 2015 et 2019. La France insoumise s'est maintenue : comme une « tortue astucieuse » aime à dire J.L. Mélenchon.
Les annonces de la mort (politique) de J.L. Mélenchon ont été nombreuses mais ne se sont jamais avérées. Lors de l'élection parlementaire du mois dernier, les sondages et les médias ont prédit la victoire de l'extrême droite, du Rassemblement national. Mais la gauche, sous l'impulsion de la France insoumise a raflé le plus grand nombre de sièges. Aucun doute, c'est une victoire toute relative pour le Nouveau front populaire : 178 sièges contre 162 pour la formation d'E. Macron et 142 pour le Rassemblement national. Mais c'est une preuve de la longévité de J.L. Mélenchon. Alors, quelle évaluation faire des 8 ans de la France insoumise ?
Avec une analyse de long terme des militants.es, des cadres, du personnel et des élus.es de ce Parti, et en nous appuyant sur les connaissances sociologiques des partis politiques, nous voulons, avec cet essai jeter un peu de lumière sur une série de dilemmes qui se superposent auxquels le mouvement fait face. Nous préférons employer le terme dilemme, un choix insatisfaisant, pour parler le plus ouvertement possible, plutôt que les mots leçons ou expériences. Les dilemmes dont il est question ici, sont spécifiques au cas français. Mais ils peuvent concerner d'une manière ou d'une autre n'importe lequel des Partis politiques qui cherche à gouverner avec une perspective anti capitaliste.
Protester ou gagner ?
Cette question peut paraître incongrue. Mais on doit se demander si la France insoumise veut vraiment gouverner. Ou est-ce qu'elle se satisfait de faire entendre la voix des oubliés.es. C'est le rôle que dans le passé on attribuait au « tribunes populaires ». Il semble exister dans ce Parti et dans ses semblables en Europe, une double façon de voir les choses. On y trouve d'abord une culture de « gagnants.es ». On la trouve souvent dans les anciens partis socio-démocrates qui ont une familiarité avec le pouvoir pour l'avoir exercé de temps à autres mais aussi chez les jeunes cadres ayant un profil plus technologique. Par ailleurs, on trouve aussi une forme d'éthique minoritaire commune chez les militants.es d'extrême gauche qui donne la préséance aux convictions politiques aux dépends des responsabilités gouvernementales. Ces gens ne croient pas que les institutions politiques actuelles puissent transformer la société.
Les partis étiquetés de gauche populiste sont déchirés entre la mobilisation populaire et l'État, entre leurs origines et leur but final. Leurs défis au système existant cohabitent avec la participation électorale avec le but clair de gagner des sièges. Pour arriver à gouverner, la France insoumise doit convaincre le plus large électorat possible. C'est ce qu'elle visait en modérant son offre programmatique, en cultivant une image de respectabilité et en faisant certains compromis. Mais cela ne va pas sans soulever certaines difficultés dans un Parti dont l'ADN rime avec « instincts de rébellion ». Rechercher la voie normale amène le risque de perdre de vue son identité de protestataires, de s'aliéner ses propres supporters et les militants.es les plus attachés.es au statut radical. Depuis 2021, le député LFI François Ruffin a prêché pour cette normalisation et a fini par rompre avec le Parti (après les élections parlementaires de juillet). Mais en cultivant son profil subversif, la France insoumise risque de miner ses chances électorales.
L'exemple de Syriza en Grèce et des gouvernements de gauche latino-américains durant les années 2000 est la preuve que les Partis de la gauche populiste n'était pas confinés au rôle de fauteur de troubles ni non plus les complices de la sociale démocratie. Mais, gagner une élection n'est que le début du combat. Ces Partis font face au pouvoir de la finance, à la résistance des plus hauts.es fonctionnaires, des médias, des élites politiques qui défendent leurs intérêts et le statut quo. Avoir un programme radical ne suffit pas ; la façon par laquelle la Troîka européenne a réussi à soumettre Alexis Tsipras en est la preuve. Pour pouvoir appliquer son programme, il faut faire face aux conditions pour le faire. Sans appui massif et la pression populaire, sans la solidarité d'au moins un partenaire international, un gouvernement de la gauche populiste risque fort de se soumettre aux pressions adverses des marchés financiers.
Du bon sens
Inspirés.es par le marxiste italien Antonio Gramsci ou par leur idée de sa pensée, les leaders de la France insoumise sont convaincus que les politiques sont une question d'hégémonie. Pour gagner les élections, il leur faut gagner le combat des idées, défaire les mythes encrés de « la fin de l'histoire », « d'il n'y a pas d'alternative » et du « clash des civilisations ». D'où l'énergie mise à investir les réseaux sociaux et la communication publique. D'où aussi son apparition routinière sur les réseaux télé populaires. Le néolibéralisme a ravagé nos imaginations, a poussé chaque individu à se percevoir comme un.e entrepreneur.e et une source de profit dans tout ce qui nous entoure. Dans ce contexte, difficile pour une force politique de défendre une valeur aussi passée date que l'aide mutuelle comme solution. D'où la priorité mise sur la bataille des idées.
Mais, n'est-ce pas une bataille perdue d'avance ? Que peuvent faire les quelques 20,000 militants.es de la France insoumise, si doués.es et déterminés.es qu'ils ou elles soient, devant 40 ans de propagande néolibérale ? Qu'en est-il du conditionnement de masse vers la compétition, l'individualisme dans les relations de travail, la désintégration de la solidarité collective, et bien sûr, du travail des bataillons de lobbyistes professionnels.les en communication dont les budgets sont infiniment plus solides que celui de la France insoumise ? Dans ces conditions, n'est-il pas plus valable qu'un parti politique s'adresse à l'électorat tel qu'il est et non pas comme il voudrait qu'il soit ? Les intellectuels, les journalistes, les enseignants.es, les réalisateurs.trices, les auteurs.trices, les chanteurs.euses, et les artistes sont là pour changer le sens commun. Est-ce que les candidats.es ne devraient pas se centrer sur les élections à gagner même si cela exige de transformer les propositions, opération qui pourrait rebuter une partie de l'électorat ? Autrement dit, est-ce que la mission d'une force électorale est de transformer le sens commun ou de s'y adapter ?
C'est un réel débat. Podemos en Espagne s'est prononcé sur des enjeux aussi inflammables que l'indépendance de la Catalogne et l'abolition de la monarchie. Pour la France insoumise ce débat tourne autour de possibilités aussi tordues que quitter l'Union européenne et le traitement des migrants.es. La base des partis de gauche populistes est divisée sur ces enjeux et se divise encore lorsqu'il s'agit de décider de persister à les porter. Devraient-ils appeler à contredire les traités européens ou exiger la régularisation des travailleurs sans papiers ou mettre tout cela de côté pour maximiser les chances de victoire électorale ?
National et transnational
C'est au niveau supranational que se trouvent les racines des maux qui affectent la classe moyenne et la classe ouvrière. Les traités internationaux et européens des récentes décennies ont organisé la privatisation des services publics et la compétition entre les travailleurs.euses au nom de la « compétitivité ». C'est cette observation qui a poussé la France insoumise à critiquer sévèrement les institutions supranationales fussent-elles publiques, (l'Union européenne, la Banque centrale européenne, le FMI) ou privées (les multinationales, les lobbys et les agences de notation). Pour restaurer la souveraineté du peuple, il faut, selon la France insoumise un retour au niveau national.
Mais, la souveraineté nationale n'est pas automatiquement synonyme de souveraineté populaire. S'il est vrai que la classe capitaliste est maintenant organisée internationalement, il est aussi vrai que la lutte de classe se joue encore à l'intérieur des États nations. Nous ne devons pas oublier que les élites politiques nationales qui ont tenté de se soustraire à leurs responsabilités en invoquant « Bruxelles » ont-elles-mêmes organisé un affaiblissement de leurs propres pouvoirs en faveur de groupes distants et non élus. Il ne faudrait pas non plus oublier que les gouvernements français ont commencé les privatisations et l'introduction des politiques d'austérité avant que ces règles ne soient imposées par l'UE.
Ainsi, la France insoumise appuie sa bataille sur deux fronts, à la fois le national et l'international. Elle a forgé des alliances au niveau européen par exemple en 2019, avec la plateforme « Nous les peuples » qui réunit Podemos, France insoumise, Bloco de Esquerda et trois nouveaux partis nordiques pour mener une campagne contre l'évasion fiscale. Le 8 novembre 2020, ces partis ont signé à La Paz, une déclaration transnationale avec des alliés argentins, boliviens, brésiliens, chiliens, colombiens, équatoriens et péruviens pour alerter sur l'expansion mondiale de l'extrême droite.
Mais ces initiatives n'ont pas empêché la France insoumise de centrer ses énergies sur les politiques nationales. Pour s'engager dans la lutte électorale il faut en passer par là. Mais elle est ainsi en contradiction de ses propres analyses quant à l'importance du niveau transnational. Est-ce que les stratégies populistes avec une forte composante de patriotisme, prennent en compte la dimension cosmopolite ?
Le populisme cosmopolite existe sous forme embryonnaire et étonnamment, il relie plutôt des villes que des pays. Par exemple, en 2015 la Mairesse de Barcelone, Mme Ada Colau, a créé un réseau de villes refuges durant la crise migratoire. Pendant que les membres de l'UE se déchirent pour savoir qui portera le fardeau de l'afflux d'immigrants.es, 60 municipalités, souvent dirigées par la gauche, ont fait preuve de solidarité de deux manières : les unes envers les autres, par exemple Barcelone qui reçoit des migrants.es venant d'Athènes et envers les réfugiés.es en offrant des refuges, de l'aide matérielle et du soutien juridique.
Démocratique et personnalisée
Un deuxième enjeu est relié à la forme d'organisation interne de la France insoumise. Elle ne se voit pas comme un Parti mais plutôt comme un mouvement que son leader a théorisé comme étant une « forme gazeuse ». Elle n'a pas l'intention de reproduire les défauts des partis traditionnels comme le Parti socialiste jugé trop bureaucratique, dominé par des notables et consumé par les batailles internes. J.L. Mélenchon aime dire qu'il veut « voyager léger » sans le poids d'une lourde organisation mais est-ce ainsi que la France insoumise peut aller loin ? Quelle forme d'organisation devrait adopter la gauche si elle veut être une force de transformation sociale ?
Elle ne manque sûrement pas d'idées mais plutôt de moyens, particulièrement de partis et de syndicats pour les faire valoir et arriver à construire une majorité qui pourrait les adopter et plus généralement politiser la société. Les partis sont en déclin, mais les organisations dédiées à l'action à long terme n'ont perdu aucune des structures nécessaires à cette fin et peuvent prendre la forme de partis réinventés. Mais la solution ne peut être un simple retour aux bons vieux partis de masse. La société a changé. La démographie, l'économie, et le contexte technologique qui ont permis l'émergence de partis de l'époque ne sont plus là.
Notre époque est marquée par le retour des hommes forts : D. Trump, V. Poutine, Xi Jinping, J. Bolsonaro, et aussi E. Macron ; des personnalités mises en lumière. Les changements technologiques, la télévision et l'internet ont encouragé ce courant et en France, la centralité de la course à la Présidence est devenue la mère de toutes les batailles électorales. C'est maintenant le-la leader qui représente la « marque » des partis politiques, qui lui confère sa notoriété, sa légitimité aux dépends du collectif. Que seraient devenus le Mouvement cinq étoiles ou Podemos sans la visibilité des figures de Beppe Grillo et de Pablo Iglesias dans les médias ? Qu'est la France insoumise sans J.L. Mélenchon ? Ce n'est plus le Parti qui fait le candidat mais l'inverse. La France insoumise a été créée en 2016 dans cet état d'esprit.
Dans La raison populiste, Ernesto Laclau a théorisé la notion « d'hyper leader ». Il est censé apporter l'unité à une masse populaire fragmentée et divisée comme jamais et la symboliser. Mais ce phénomène s'accompagne socialement, d'une demande pressante de réelle démocratie ; elle s'est exprimée dans les protestations qui ont débuté en 2011 dans les pays arabes et par de nouvelles attentes démocratique dans les systèmes politiques. Les systèmes représentatifs permettent un équilibre fragile entre le pouvoir d'une minorité, les élus.es et le consentement passif ou actif de la majorité, les électeurs.trices. Cet équilibre qui a tenu correctement pendant deux siècles est au bord de la rupture. Nous avons à choisir entre l'autoritarisme et la démocratie. Que choisira la France insoumise ?
Spontanément, nous répondons la démocratie. Son programme vise à rendre réel l'idéal rabâché d'égalité. Tous les jours, les militants.es de ce parti sont impliqués.es dans chaque lutte pour la justice sociale. Personne ne peut contester leur engagement. Il subsiste néanmoins un doute : en voyant comment J.L. Mélenchon contrôle son mouvement, ses finances, ses stratégies d'orientation et les nominations des candidats.es aux élections, on commence à espérer qu'il ne gouvernerait pas le pays de la même façon. La France insoumise propose des principes pour une sixième République, un changement constitutionnel qui signifierait la fin de la « présidence monarchique » mais on n'en voit pas de signes dans la manière par laquelle ce mouvement fonctionne. Il nous objecterait sans doute que le chemin de la prise de pouvoir ne prédétermine pas de la façon dont il prévoit l'exercer.
Les résultats de l'expérience de leurs partenaires latino-américains démontre à quel point cet enjeu est délicat. Les gouvernements socialistes du début du 21ième siècle, ceux de H. Chavez, R. Corréa, E. Morales et autres, ont réduit la pauvreté, l'illettrisme et les inégalités. Ils ont aussi rendu l'exercice du vote à des régions où ce n'était pas possible et encouragé la classe ouvrière à s'inscrire sur les listes électorales. Mais, par ailleurs, ils ont joué la carte du leadership charismatique dont les risques inhérents et les excès sont bien connus. Ils n'ont pas non plus toujours été exemplaires en regard de la pluralité politique. Pourtant on doit se rappeler que l'opposition de droite, soutenue par les médias, les ténors de l'économie et Washington ont toujours été plus féroces en Amérique latine qu'en France et en Europe. Les conflits politiques sont plus violents (en A.L.), où l'histoire et le contexte diffèrent.
Lors de sa fondation, Podemos (en Espagne), a mis en place des « cercles » citoyens inspirés par les pratiques délibératives de l'auto gouvernement du mouvement indignados. C'est aussi ce qui a inspiré la France insoumise pour établir des groupes d'action durant les élections présidentielles de 2017. Elle a ainsi fait preuve d'inventivité et de convivialité et rallié plus de militants.es que les autres partis. Dans les deux cas, l'enthousiasme de la première année ne s'est pas éteint. Le parti-mouvement s'est toutefois graduellement transformé en un parti centralisé et a été dominé par une personnalité. Si les deux axes, vertical et horizontal ont coexisté au départ, c'est la première structure qui a prévalu en fin de compte. Ceux et celles qui croient que pour arriver au pouvoir vous n'avez pas le luxe de débattre sur tout, que vous devez viser l'efficacité, invoquent un mal nécessaire. Les autres rétorquent qu'en sacrifiant la démocratie sur l'autel de l'efficacité le parti de prive d'une partie de ses membres et s'aliène également une partie de son électorat.
Il n'est pas question de créer un parti sans leadership. Mais est-il possible de partager les responsabilités et de donner au mouvement une cohérence propre ? Depuis 2023, la France insoumise a donné à ses groupes locaux une certaine autonomie financière et promis d'installer des locaux dans chacun des cent départements du pays plus tard. Elle manque gravement de liens dans les milieux syndicaux et dans le monde culturel.
Agile ou solide
La France insoumise se présente comme un nuage, plus gazeux que solide au point d'apparaitre évanescente. Son organisation est informelle, constamment en évolution, un « work in progress ». Elle laisse beaucoup d'autonomie aux groupes locaux qui se forment en toute liberté. Il n'existe aucun niveau intermédiaire même si les cercles dans les départements n'ont été créés que l'an dernier. Il existe des règles pour la sélection des candidats.es, le financement et l'installation de chaines de décisions qui définissent la structure centrale. Derrière l'état « gazeux » se cache une sorte de société de cour (au sens qu'en donne Norbert Élias) structurée autour du leader.
Comment arriver à l'équilibre entre la flexibilité organisationnelle et le formalisme ? Le parti-mouvement se conçoit comme une structure agile orientée vers l'action et a fait la preuve d'une remarquable performance électorale à court terme. Il s'est adapté à un environnement changeant où il n'y a aucune ligne de front claire. Mais, à long terme, sa résilience est plus limitée particulièrement son habileté à survivre à des défaites électorales majeures ou à une succession au leadership. Les partis classiques sont plus difficiles à manœuvrer, à gouverner et donc à réformer. Mais ils apportent une garantie de continuité dans le temps qui les rends capables de durer pendant les périodes orageuses, les crises d'une certaine ampleur aussi bien que lors de défaites électorales et de changement de leader.
Formaliser les règles qui concernent les aspects les plus disputés de l'organisation comme par exemple, la sélection des candidats.es et les allocations financières ravivera les plus fortes sources de conflit. Mais, par ailleurs, maintenir un haut degré de spontanéité est absolument essentiel pour garantir la réactivité de l'organisation durant les moments les plus chauds de la lutte, typiquement durant la campagne à la Présidence qui comporte une plus grande ouverture de la société (envers la politique).
Unité ou pluralisme
Les questions sur la formalisation de l'organisation mènent à un autre dilemme pour la France insoumise et son degré de cohésion idéologique. Ce n'est pas nouveau, cela traverse toute l'histoire de la gauche.
Comment assurer un niveau suffisant de cohésion interne tout en laissant de la place à un degré de pluralisme qui permette de rassembler une large base militante et en gardant aussi la réflexion politique et la démocratie vivantes ? Très souvent les leaders de la France insoumise critiquent la vie démocratique des partis traditionnels basée sur les congrès, le vote et les propositions. Ils et elles connaissent bien ce modèle pour avoir déjà été membres du Parti socialiste. Selon leur analyse, il nourrit une forme de narcissisme organisationnel alors que leur parti-mouvement se veut « efficace » avec un regard porté vers l'extérieur, vers la société. Pourquoi se dépenser dans des débats sans fin qui divisent, se chicaner sur les points et virgules et couper les cheveux en quatre puisque le Parti a un programme détaillé en place ?
L'adhésion autour du programme et du leader sont sûrement les deux fétiches de ce mouvement. Mais cela ne vient pas à bout de tous les désaccords justes, existants. La France insoumise a changé de ligne politique sur nombre d'enjeux : le sécularisme, l'islamophobie, l'Europe, mais sans ouvrir un débat pluraliste par ailleurs. L'existence de « sensibilités » internes enrichie une organisation. Les interactions entre les divers courants dans le Parti socialiste n'ont pas toujours engendré un dysfonctionnement ou été artificielles. Durant les années 1970 elles ont produit des débats intellectuels de haute qualité, structurés autour de magazines et journaux, avant de dégénérer en batailles d'égos sans substance politique alors que le Parti devenait plus présidentiel.
L'enjeu ici est de savoir comment un mouvement peut gérer les conflits et les ambitions rivales et en même temps produire des mécanismes qui assureront la cohésion. La sélection des candidats.es aux élections qui est généralement le travail d'un obscur comité mène à de la compétition ; il faut qu'elle soit faite en toute transparence. La France insoumise clame la valeur du « consensus » pour ses travaux ce qui est souvent une façon pour les leaders de légitimer leurs décisions sans qu'il n'y ait eu de véritables débats.
Et est-ce que cette approche est réellement efficace alors qu'elle n'arrive pas à retenir des figures intéressantes dans l'organisation qui quittent parce qu'elles ne peuvent pas faire valoir leurs vues minoritaires dans les forums internes justement prévus à cette fin ? Est-ce que c'est efficace quand devant les conflits existant dans le mouvement ils ne peuvent être combattus qu'en passant par les médias comme les députés.es dissidents.es, Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière, François Rufin et Hendrick Davi l'ont fait récemment ? Ces cinq personnes ont été expulsées de la France insoumise au moment des élections législatives cet été. Elles ont immédiatement fondé leur propre mouvement.
Le sociologue Albert Otto Hirschman a merveilleusement identifié les actions possibles pour les membres d'un Parti qui n'en sont plus satisfaits.es : partir, se faire entendre ou endosser la loyauté. Plusieurs militants.es et cadre de la France insoumise ont quitté avec fracas en claquant la porte pour n'avoir pu faire entendre leur voix justement. Charlotte Girard, une cadre historique du mouvement est partie en 2019 en soulignant qu'il y était impossible d'exprimer un désaccord. En fait les défections sont nombreuses dans ce Parti. Ce manque de démocratie limite les capacités du Parti à assurer ses soutiens. C'est un enjeu crucial pour un mouvement qui vise à créer une nouvelle majorité dans la société. Peu est fait pour former les militants.es dont la cohésion idéologique n'est basée que sur l'adhésion au programme. En fait, des débats sur les orientations du Parti auraient l'avantage d'éduquer ses adhérants.es.
Il y a eu des progrès (à ce chapitre), mais limités. Des assemblées délibérantes sont convoquées mais elles n'ont aucun pouvoir. Depuis 2022, la France insoumise a installé une structure de leadership bien identifiée : les espaces de coordination. Mais les membres sont choisis.es, non élus.es. Les militants.es n'ont pas toujours droit à la parole, par exemple sur les orientations et ne sont appelés.es à ne voter que sur une courte liste de sujets.
Les institutions et la société
La France insoumise cherche à influencer les institutions politiques et à mobiliser la société. Auquel de ces buts donner la priorité ? Ces deux stratégies ne sont pas contradictoires. Où placer le curseur, si on utilise les catégories de Erik Olin Wright, entre le changement de l'intérieur (des institutions) et la création de poches de résistance autonomes à la marge du système ?
L'absence de structures fortes et de statuts clairs a des conséquences au-delà de ce que nous avons mentionnée précédemment, entre autre sur le poids des représentants.es élus.es spécialement les députés.es qui peuvent centrer le mouvement sur le parlementarisme, de ne voir le changement social qu'à travers le prisme des institutions. Quand le Parti n'avait que 17 élus.es entre 2017 et 2022, le leadership émanait de ce groupe de parlementaires. Il était d'autant plus puissant que l'organisation du Parti était faible avec quelques permanents.es et un maigre budget. Le groupe parlementaire pouvait compter sur des ressources plus importantes avec des douzaines d'assistants.es, l'utilisation des plateformes de communication des réseaux sociaux où les discours à l'Assemblée nationale étaient diffusés, etc. Aux élections de 2022, la représentation s'est fortement agrandie passant à 75 députés.es. Ces élus.es sont devenus.es les leaders du Parti au niveau local.
Alors que la France insoumise tient un discours enflammé contre les élites, et appelle à évacuer la classe politique (actuelle), la logique du professionnalisme politique reste inchangée. Les députés.es versent une petite portion de leur salaire à leur Parti, soit 10% et il n'y a aucune limite à leurs mandats successifs. J. L. Mélenchon est lui-même un professionnel de la politique depuis 1986. La moitié des candidats les plus en vue aux élections européennes de juin (2024), cherchaient une réélection.
Au niveau local, l'intégration dans les institutions est une autre histoire. Les leaders de la France insoumise se méfient des bases de l'organisation locale et craignent que les militants.es ne deviennent complices des notables du lieu. C'est un facteur qui a installé le Parti socialiste dans une position rigide qui l'a isolé. La structure de la France insoumise repose sur une plateforme digitale qui permet beaucoup d'intermédiation de haut niveau et doit donc rejoindre ainsi la base locale. Durant la période des élections territoriales en 2020, les dirigeants.es du Parti y ont accordé peu d'importance. Même si les mairies peuvent être des lieux de promotion du changement social, elles ne devraient pas devenir le terrain de rencontres avec des élites locales.
Il est clair que le changement social ne peut pas venir que des institutions et de l'activité électorales seules. Mais cette rationalité électorale spécialement pour les présidentielles et les parlementaires, est très ancrée dans ce Parti. Cela l'amène à se rapprocher du modèle du « parti électoral professionnel ». L'expression vient de Angelo Panevianco et réfère à la notion de Partis de gouvernement. Est-ce que cette vision n'occulte pas une vision plus démocratique du changement social ?
La gauche doit s'organiser en dépit du contexte électoral en lui-même. Le surinvestissement dans l'arène électorale se fait au détriment de la construction pas à pas d'une contre-culture, de réseaux de sociabilité et solidarité concrète ; autrement dit, des morceaux d'une société alternative. Toutes les énergies des militants.es sont absorbées par l'objectif de gagner du pouvoir au moyen des élections. Bien sûr, elle ne doit pas complètement se retirer de la lutte pour la conquête du pouvoir qui est déterminée en partie par le cycle électoral. Mais la victoire électorale viendra seulement après un travail plus large pour construire ce pouvoir.
La France insoumise devrait être capable de contribuer à une stratégie hors institutions au sens de Wright : d'utiliser les forces actives de la société pour amener un changement concret. Mais elle n'a ni les moyens organisationnels ni la volonté de le faire. Le Parti est trop faible localement, et trop peu de ses ressources financières sont décentralisées. Des expériences d'organisation communautaire ont été proposées mais elles ont été limitées dans le temps, mal financées et isolées géographiquement. Les militants.es à la base dont trop peu nombreux.euses pour être bien implantés.es dans la société locale et ses luttes.
Qualité et quantité
La France insoumise veut être un parti de militants.es. Mais le peut-elle dans notre contexte du déclin général de l'engagement partisan ? Elle développe une nouvelle forme d'engagement à bas prix : l'implication « a la carte ». On en devient membre via la plateforme digitale en quelques clics et sans frais. Le Parti peut ainsi afficher 400,000 adhérants.es. Mais, ces membres ont peu de droits et peu d'obligations. On peut tolérer un bas niveau d'implication mais la contrepartie de cette flexibilité est que les membres ont peu de pouvoir. Il y a des risques à en donner à chaque militant.e à la base surtout à un si large volume. La base militante devient donc flottante et sans substance.
L'organisation de la France insoumise va et vient un peu comme un accordéon. Aucun doute qu'elle peut mobiliser sa base durant les élections présidentielles. Durant celles de 2022, grâce à l'application « Action Populaire » elle a pu attirer ses supporters et se militants.es et immédiatement les « placer sur le chemin de la campagne ». Mais elle a dû se battre pour les garder en action après l'élection ; une grande démobilisation a suivi.
Les dirigeants.es du Parti peuvent aussi faire face à un moindre nombre de militants.es engagés.es entre les périodes électorales. Le fait de compter sur les réseaux sociaux, sur les médias et l'action parlementaire mène en partie à cette situation. Cela s'explique aussi par le fait que ceux et celles qui sont engagés.es sur une base permanente ont souvent des attentes de vie démocratique que la direction n'est pas prête à satisfaire. La tyrannie du « sans structures » a aussi un puissant effet d'auto censure. Elle favorise les cadres du mouvement qui ont acquis un capital militant, dont ceux et celle du Parti de gauche, le Parti de J.L. Mélenchon qui a précédé la France insoumise. Ou encore ceux et celles qui ont un grand capital académique ou de temps ; par exemple, les étudiants.es en science politique y sont sur représentés.es.
De nos jours, les partis ne peuvent générer le genre d'intense loyauté qui caractérisait ceux d'antan. Mais est-ce que pour autant ils devraient renoncer à recruter et mobiliser des militants.es ? Il ne faut pas sous-estimer le désir pour le militantisme dans la société. Il y a des exemples dans la gauche européenne comme le Parti des travailleurs belges qui est passé de mille membres au début des années 2000 à 24,000 aujourd'hui.
Plusieurs partis ont mis de côté la mobilisation des membres parce que cela semble sans objet, inefficace et un embarras plus qu'autre chose. Ils elles sont souvent considérés.es trop radicaux.ales par les dirigeants.es. Si la France insoumise avait été plus démocratique avec ses membres, leur avait donné le droit de vote, entre autre sur les documents politiques ou les nominations aux candidatures aux élections, cela aurait rendu plus facile le financement des activités locales et les auraient resserrés.es. Ils devraient aussi devoir payer une cotisation pour devenir membres. C'est ce qu'a finalement fait Podemos, une contribution financière y est requise. Elle n'existait pas au moment de la fondation du Parti. Il y a un risque à donner des droits à des membres qui peuvent le devenir sans aucun filtre.
L'organisation de la France insoumise a fait la preuve de ses forces et de ses limites. Elle est capable de présenter le candidat le plus crédible à gauche et de mener les campagnes présidentielles avec le « style mouvement ». Mais elle se démène pour aller au-delà, pour sécuriser la loyauté et l'implication de ses militants.es sur la durée et pour transformer la société en profondeur. Mais, tout cela peut être nécessaire pour arriver à concrétiser l'espoir d'une victoire électorale longtemps attendue.
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En nommant Michel Barnier, Emmanuel Macron fait le choix du RN

Plus de deux mois après les législatives, le chef de l'État choisit une figure de la droite en tant que nouveau Premier ministre. Un choix qui raconte le refus d'Emmanuel Macron de remettre en cause sa politique. Et entérine une entente de fait avec l'extrême droite.
5 septembre 2024 | tiré de Politis | Photo : Michel Barnier, en novembre 2021, à Aix-les-Bains, lors de la primaire des Républicains pour la présidentielle 2022. © OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP
https://www.politis.fr/articles/2024/09/politique-matignon-en-nommant-barnier-macron-fait-le-choix-du-rn/
C'est la fin du feuilleton le plus long de l'été. Au bout d'une cinquantaine de jours d'interminables réflexions, de consultations sans fin et de calculs politiques incompréhensibles, Emmanuel Macron s'est décidé. Enfin. Par un communiqué de 6 lignes, le chef de l'État nomme à Matignon ce jeudi 5 septembre Michel Barnier, l'ex-négociateur en chef de l'Union européenne chargé du dossier Brexit et figure de la droite depuis près de cinquante ans. Il remplace donc Gabriel Attal, premier ministre démissionnaire depuis deux mois.
Pour le camp présidentiel, Michel Barnier serait « Macron-compatible » et ne serait pas candidat en vue de la prochaine présidentielle en 2027 contrairement au président Les Républicains de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, et l'ex-ministre socialiste Bernard Cazeneuve, soupçonnés de vouloir avancer leurs pions pour succéder à Emmanuel Macron. En quelques jours, le locataire de l'Élysée a testé un florilège d'options qui n'avaient pourtant presque rien en commun : Bernard Cazeneuve, Xavier Bertrand, le maire de Cannes, David Lisnard, Didier Migaud, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, Thierry Beaudet, président du Cese, voire même l'ex-secrétaire générale de la CFDT, Laurent Berger.
Un choix de Kohler
Michel Barnier semble donc être loin d'être un plan A. Dans l'entourage du chef de l'Etat, c'est Alexis Kohler, secrétaire général de l'Elysée, qui aurait défendu son nom auprès d'Emmanuel Macron. « Il y a deux critères essentiels pour choisir le premier ministre dans le contexte politique actuel : il faut quelqu'un qui a de l'expérience et quelqu'un qui n'a aucune ambition personnelle », affirme Martin Garagnon, porte-parole d'Ensemble pour la République (EPR, Ex-Renaissance).
Dans le même temps, son accession à Matignon permettrait de parachever l'alliance entre Les Républicains et Emmanuel Macron. Car Michel Barnier a connu toutes les grandes chapelles de la droite de la Ve République. Il a été ministre de l'Environnement dans le gouvernement d'Édouard Balladur sous François Mitterrand, ministre des Affaires européennes puis des Affaires étrangères sous Jacques Chirac et ministre de l'Agriculture sous Nicolas Sarkozy. Barnier est encore apprécié dans son camp, et notamment par Laurent Wauquiez.
Un avantage par rapport à Xavier Bertrand dont les relations avec le président du groupe de La Droite républicaine à l'Assemblée (ex-Les Républicains) sont glaciales. « Compte tenu du contexte politique, il est normal de vouloir chercher à construire un accord entre les groupes qui expriment aussi une proximité idéologique. Soit on considère que la France est bloquée, soit on essaie de progresser sur la sécurité, la santé, l'école… Pour cela, nous avons besoin d'alliés, donc on se tourne vers LR », estimait en juillet Eric Woerth, député EPR et transfuge des Républicains.
Droite radicalisée
« Emmanuel Macron est prêt à tout pour préserver son héritage néolibéral et sauver sa réforme des retraites, grince le député écologiste Benjamin Lucas. Après avoir refusé le droit à la gauche de gouverner, il ne lui restait plus d'autres choix que de se mettre dans la main de la droite radicalisée. » En effet, Michel Barnier, alors candidat à la primaire de son parti en 2021 pour la présidentielle de 2022, défendait un moratoire sur l'immigration adossé à un « bouclier constitutionnel » sur cette question, ce qui aurait pu permettre d'éviter à la France d'être condamné par la Cour de justice de l'Union européenne ou de la Convention des droits de l'homme.
En 1981, il votait en tant que député contre la dépénalisation de l'homosexualité pour les mineurs de plus de 15 ans, tout comme Jacques Chirac, François Fillon, Philippe Séguin, Alain Madelin, Jacques Toubon ou Jean-Louis Debré. Mais pour Emmanuel Macron, peu importe. Le voilà donc chargé de « constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français », selon les mots du communiqué de l'Elysée.
« On va continuer de tendre la main à la droite, mais aussi à la gauche, notamment sur l'augmentation du Smic. Dans le prochain gouvernement, il devrait y avoir des gaullistes sociaux, des membres du bloc central et des ministres sociaux-démocrates. Il n'est pas envisageable de constituer un gouvernement 100 % LR, ce groupe représente moins de 10 % à l'Assemblée. Mais il faudra surtout que la gauche de gouvernement se ressaisisse et accepte de discuter, de faire des compromis », annonce Martin Garagnon, porte-parole d'EPR.
Mépris
Mais il semble impossible que le profil de l'une des dernières figures qui se revendique encore comme gaulliste puisse empêcher le Nouveau Front populaire (NFP) de dégainer une motion de censure. Car la gauche estime que cette nomination figure comme une continuité de la politique macroniste. Emmanuel Macron souhaitait un « parfum de cohabitation », refusant de voir un chef de gouvernement opposé à sa politique.
Selon le NFP, le choix de Michel Barnier est un mépris du résultat des législatives anticipées et une volonté, du côté du chef de l'État, de ne pas reculer sur une seule mesure : la réforme des retraites. Un totem pour le Président. Les quatre composantes de l'union des gauches n'ont donc aucune intention de sauver un exécutif qui ne défend pas l'abrogation de cette réforme, l'augmentation du Smic et une loi ambitieuse en faveur des services publics.
Néanmoins, les macronistes restent sûrs de leurs calculs : Michel Barnier ne serait pas censuré immédiatement par l'Assemblée nationale. Est-ce à dire que les macronistes comptent sur un soutien ou, a minima, une relative bienveillance du Rassemblement national (RN) ? « C'est l'intransigeance de la gauche qui, en refusant d'étudier d'autres options que Lucie Castets, a permis au RN d'être le pivot de l'Assemblée. La gauche était légitime à proposer un gouvernement à condition d'être en capacité de rassembler d'autres forces politiques. Mais elle ne voulait pas s'ouvrir aux autres. C'est ce comportement qui donne au RN un rôle d'arbitre. Donc il faut que le premier ministre ne fasse pas l'objet d'une détestation du RN », dit-on dans le camp d'Emmanuel Macron.
« Alors que le Nouveau Front populaire est arrivé en tête des élections, le parti de Michel Barnier a fait 6,5 % aux élections législatives et a 40 députés à l'Assemblée nationale. Alors que le peuple français s'est mobilisé pour faire obstacle à l'extrême droite, le président de la République nomme un gouvernement Macron/Le Pen », dénonce sur X (ex-Twitter) le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard.

La nomination de Michel Barnier est une double négation du résultat des élections.
Alors que le Nouveau Front Populaire est arrivé en tête des élections, le parti de Michel Barnier a fait 6,5% aux élections législatives et a 40 députés à l'Assemblée nationale.
Alors que le… Voir plus

Pour le moment, les troupes de Marine Le Pen à l'Assemblée ne prévoient pas de défendre une censure immédiate. Le discours de politique générale déterminera leur position. « Nous serons attentifs au projet qu'il portera, et attentifs à ce que les aspirations de nos électeurs, qui représentent un tiers des Français, soient entendues et respectées », écrit sur X la présidente du groupe RN et triple candidate à la présidentielle Marine Le Pen. Et la notion de cordon sanitaire de s'effacer encore un peu plus dans la pensée macroniste.
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Allemagne. « La montée en puissance de l’AfD. Ce n’est pas seulement un phénomène de l’Est »

Ce fut un coup de tonnerre. Mi-juin de cette année, un sondage de l'institut Forsa a constaté que l'AfD (Alternative für Deutschland) était la force politique la plus forte dans les Länder de l'Est [1]. Les résultats de ce parti dans les sondages se situaient aux alentours de 32%, alors qu'elles n'étaient que de 13% à l'Ouest. Puis les choses se sont enchaînées. Le président de l'association des communes et des villes de Thuringe, un chrétien-démocrate, s'est prononcé pour une collaboration avec l'AfD, « pissant » ainsi sur le « rempart de feu » de la CDU fédérale. Enfin, Robert Sesselmann (district de Sonneberg en Thuringe), un collègue de la fraction de Björn Höcke au parlement régional de Thuringe, a réussi à obtenir le poste de conseiller régional dans le district de Sonneberg. Au premier tour, il a obtenu environ 47% des voix, soit 11% de plus que le candidat de la CDU (Christlich Demokratische Union Deutschlands) arrivé en deuxième position, et au second tour, son avance a largement suffi.
31 août 2024 Alencontre | tiré du site alencontre.org
http://alencontre.org/europe/allemagne/allemagne-la-montee-en-puissance-de-lafd-ce-nest-pas-seulement-un-phenomene-de-lest.html
Entre-temps, il est impossible de l'ignorer : l'AfD est clairement la force politique la plus forte à l'Est. Les autres partis sont nettement distancés. Et cela ne changera pas si la politique au niveau fédéral et régional ne change pas fondamentalement.
La question de savoir pourquoi l'AfD connaît un tel succès en Allemagne de l'Est était et reste en débat. Les « analyses » et études afférentes du côté bourgeois ne se sont pas fait attendre. Une étude de l'université de Leipzig, par exemple, fournit des informations à ce sujet. Selon cette étude, la démocratie a du mal à s'imposer auprès des habitants de l'Est, ce qui s'explique notamment par leur expérience de la RDA (République démocratique allemande-DDR). L'étude attribue la propension des Allemands de l'Est à voter pour l'AfD à leur type de socialisation en RDA.
Parmi les autres explications du « phénomène », l'arrivée massive de demandeurs d'asile dans le pays figure en première place. Le 12 juin, le RBB (Rundfunk Berlin Brandenburg) écrit sur son site web : « En résumé, la peur de perdre ses origines et son identité pousse de nombreuses personnes de l'Est, socialement relativement homogène, vers l'AfD ».C'est donc bien cela : les Allemands de l'Est sont plus sensibles aux slogans xénophobes et réactionnaires. L'étude de l'université de Leipzig semble le confirmer. Selon cette dernière, ces personnes se profileraient surtout en Saxe, en Thuringe et en Saxe-Anhalt. Dans ces Länder, une personne sur deux souhaiterait un « parti fort » incarnant la « communauté du peuple », comme alternative à la démocratie pluraliste des partis. L'étude met l'accent sur deux conclusions. On peut y lire : « En Allemagne du centre (Mitteldeutschland) en particulier, il existe un pourcentage élevé de personnes ayant des attitudes d'extrême droite ainsi qu'un faible pourcentage de personnes qui s'opposent clairement aux thèses d'extrême droite. Dans certains Länder, les déclarations au contenu clairement d'extrême droite ne sont rejetées que par 20 à 30% ». Deuxièmement, « si une majorité des personnes interrogées se sentent démocrates, une grande majorité n'est pas satisfaite de la démocratie telle que les gens la vivent au quotidien”. Voilà ce que dit l'étude de l'université de Leipzig.
D'autres analyses, enquêtes et études vont dans le même sens. Il n'est pas rare que cela soit effectué avec une arrogance occidentale. Sans le dire, on pense dans certains cercles que les « Ossis » [qualificatif dédaigneux utilisé pour désigner les personnes provenant de l'ancienne Allemagne de l'Est] doivent encore apprendre ce qu'est la démocratie.
Un autre coup de théâtre
Début octobre, les élections régionales ont eu lieu en Hesse et en Bavière. Et quelle « surprise ». En Hesse [capitale Wiesbaden], l'AfD arrive en deuxième position avec 18,4%, derrière la CDU. Et en Bavière, les voix pour l'AfD augmentent également de manière significative. Avec 14,6% (élections régionales 2018 : 10,2%), elle devient le troisième parti au parlement régional bavarois, derrière la CSU (Christlich-Soziale Union in Bayern) et les Freie Wähler [association qui s'est transformée en parti en 2009]. Une Alice Weidel [députée au Bundestag depuis 2017, dirigeante de l'AfD, réside très souvent dans le canton suisse de Schwytz] rayonnante de joie constate devant les caméras de télévision le soir des élections : « L'AfD n'est plus un phénomène de l'Est ».
Sur ce point, Alice Weidel a raison. La thèse selon laquelle la montée en puissance de l'AfD serait avant tout le résultat du type de socialisation des gens en RDA n'est donc plus défendable en la circonstance. Il doit y avoir d'autres raisons qui font que le parti attire une partie de l'électorat. Les spécialistes de processus électoraux se voient répondre que de nombreux électeurs de l'AfD souhaitent, en votant en faveur de l'AfD, rejeter les autres partis et surtout donner une leçon au gouvernement fédéral.
La raison de ce désir de donner une leçon est vite trouvée. Dans un article récent, la FAZ (Frankfurter Allgemeine Zeitung) a donné la parole à un retraité de Nordhausen en Thuringe, qui a expliqué son engagement pour l'AfD. Il disait qu'il se sentait mal « à cause des migrants que l'Allemagne « transfère », des « politiciens corrompus » et des « saloperies des Vert·e·s, ces bavards ». Tout ne fait qu'augmenter, les loyers, le pain, le chauffage ; les Ukrainiens reçoivent tout et lui, avec sa misérable retraite de l'Est, bien trop peu ».
Cet homme évoque un problème qui n'est guère abordé dans les analyses et les études habituelles, à savoir les conditions sociales dominantes. Après les deux élections régionales en Bavière et en Hesse, le quotidien berlinois Tagesspiegel écrivait : « Le parti de droite a particulièrement du succès auprès des « petites gens », c'est-à-dire dans le milieu des ouvriers et ouvrières, des employé·e·s et des indépendants aux revenus plutôt modestes, qui ont soit un diplôme de fin d'études secondaires, soit un baccalauréat. Chez les personnes n'ayant pas le baccalauréat, la part de l'AfD se situe entre un cinquième et un quart. Parmi les diplômés de l'enseignement supérieur, environ dix pour cent votent “à l'extrême droite” ». Là encore, la situation sociale concrète de ces personnes n'est pas abordée. Pour ce quotidien, leur comportement électoral est plutôt un problème d'éducation.
L'article confirme pourtant la motivation de ce groupe d'électeurs à voter pour l'AfD. Ce sont en effet les dites petites gens et le « milieu ouvrier » qui doivent actuellement payer les conséquences de la politique fédérale allemande. Les études le confirment. Ce sont plus souvent que la moyenne des hommes âgés de 45 à 59 ans et des chômeurs qui votent pour l'AfD. Leurs revenus sont généralement faibles ou se situant près de la moyenne. Et leur situation économique se détériore suite à la hausse générale des prix. Tout devient plus cher. Les prix des denrées alimentaires notamment creusent de gros trous dans le budget des ménages. Dans ce domaine, le taux d'inflation est environ deux fois plus élevé que le taux officiel [l'indice harmonisé utilisé par la BCE se situe à 2% sur un an, une première depuis 2021]. Cela entraîne concrètement des reculs du salaire réel, d'autant plus que les augmentations conventionnelles (tarifaires) passées sont restées bien en deçà du taux d'inflation. La colère monte contre les gouvernements fédéral et régionaux, dont la politique est à l'origine de l'explosion des prix. La guerre en Ukraine et les sanctions qui ont suivi contre la Russie ont eu des répercussions sur l'économie et les salarié·e·s. Alors que l'économie répercute la hausse des prix, ce sont les travailleurs et travailleuses qui en pâtissent. Ce sont eux qui paient la facture.
Tout cela se produit à une époque où l'industrie s'affronte à de grands bouleversements. L'évolution technique vers une économie et une mobilité climatiquement neutre entraînera des réductions de personnel dans de nombreuses entreprises. Cette dynamique est déjà, en partie, commencée. Dans de nombreux secteurs, des délocalisations et des mutations structurelles massives sont prévues. Certains économistes parlent même d'une désindustrialisation de l'Allemagne [la conjoncture est actuellement négative : -0,1% au deuxième trimestre 2024]. Il n'est donc pas étonnant que de nombreuses personnes soient de plus en plus inquiètes. Leur situation économique est mauvaise et ils ne voient aucune perspective pour eux et leur famille. C'est encore plus vrai pour l'Allemagne de l'Est. Nombreux sont ceux qui sont encore traumatisés par les événements du début des années 1990, lorsque l'industrie de l'ex-RDA a été démantelée à grande échelle et qu'une forme brutale de capitalisme a été introduite. Tout cela devrait-il recommencer à leurs yeux sous d'autres modalités ?
Les accords conventionnels « délaissés » par le Capital
Entre-temps, cette évolution a également atteint l'Ouest. Le nombre d'entrepreneurs qui fuient les conventions collectives ne cesse d'augmenter depuis des années. L'Institut de recherche sur le marché du travail et les professions (IAB-Institut für Arbeitsmak und Berufsforschun) et des études du DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund) rapportent que dans l'ensemble de l'économie, la part des salarié·e·s travaillant dans des entreprises conventionnées a baissé de 26 points de pourcentage en Allemagne de l'Ouest entre 1996 et 2022, et de 23 points de pourcentage en Allemagne de l'Est – en partant d'un niveau nettement plus bas. Cette évolution s'explique en grande partie par le recul des conventions collectives sectorielles dans le secteur privé, car celles du secteur public sont restées largement stables sur la période considérée. Par conséquent, seule la moitié des salarié·e·s est encore soumise à des conventions collectives. Si l'on tient également compte du fait que l'ensemble du secteur public est lié à 98% par des conventions collectives, la triste misère du secteur privé devient manifeste. La situation des salarié·e·s des entreprises d'Allemagne de l'Est est particulièrement négative. A l'exception des usines automobiles de Zwickau [Saxe] et de Leipzig [Saxe] et l'industrie microélectronique de Dresde [capitale de la Saxe], il n'y a pratiquement plus d'entreprises de plus de 1000 salariés. Les moyennes et petites entreprises n'ont pas de conventions collectives. Les salaires qui y sont versés dépendent en grande partie de la « bonne ou mauvaise volonté » de la direction de l'entreprise concernée. Mais toutes agissent naturellement en fonction de leurs intérêts et tentent de faire baisser les rémunérations autant que possible.
Des zones sans comité d'entreprise
Au niveau de l'entreprise, la loi sur l'organisation des entreprises régit la représentation des intérêts des salariés. Les comités d'entreprise [Betriebsrat] sont chargés d'appliquer et de contrôler les conventions collectives en vigueur, négociées par les syndicats et les représentants des employeurs. Comme la plupart des entrepreneurs ne sont intéressés ni par les conventions collectives ni par les comités d'entreprise, ils essaient de faire en sorte que leurs entreprises soient exemptes de comité d'entreprise et de les garder ainsi. En effet, lorsqu'un comité d'entreprise existe, il est plus facile pour un syndicat d'accéder à l'entreprise et de gagner le personnel à sa cause. Pour atteindre leur objectif, les entrepreneurs n'hésitent presque pas à utiliser tous les moyens, souvent même délictueux, pour perturber les comités d'entreprise existants dans leur travail et empêcher la création de nouveaux comités d'entreprise. Les entrepreneurs sont tout à fait « performants » dans ce « travail ». Ainsi, l'IAB constate, dans une enquête représentative, que seuls 41% des salariés d'Allemagne de l'Ouest et 36% des salarié·e·s d'Allemagne de l'Est travaillent dans des entreprises dotées d'un comité d'entreprise. Les conséquences pour les salariés concernés sont considérables. Dans une entreprise où il n'y a pas de comité d'entreprise, le travailleur individuel est en fin de compte livré, « seul », à l'arbitraire de la direction. Les choses peuvent aller très mal, comme le montrent de nombreux exemples individuels. Même si une direction mène une politique du personnel « raisonnable », l'opposition d'intérêts entre le capital et le travail n'est pas abolie. Et il n'y a pas de pouvoir institutionnel qui s'oppose aux intérêts du capital.
« L'être des hommes et la conscience »
Seule une minorité des salarié·e·s travaillant dans le secteur privé (à partir de cinq personnes) travaille dans des entreprises qui ont à la fois un comité d'entreprise et qui sont affiliées à une convention collective de branche. Ce secteur ne représente qu'un petit quart (24%) des salarié·e·s d'Allemagne de l'Ouest et à peine un septième (14%) de ceux d'Allemagne de l'Est. Le reste des salarié·e·s travaille de manière non réglementée et sans possibilité de défendre ses propres intérêts par le biais d'un comité d'entreprise. Les bas salaires et les mauvaises conditions de travail sont le quotidien de ces personnes. Ils ne se retrouvent pas dans la politique de tous les jours, ils n'y sont pas présents. Un sentiment d'impuissance s'installe, une colère contre « ceux d'en haut » et contre les forces anonymes qui leur rendent la vie difficile. C'est Karl Marx qui a constaté que le développement économique entraînait des changements dans les relations sociales, la culture et la politique. Il a forgé la phrase « Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience » [2].Et cette vie a concrètement changé pour l'électorat de l'AfD, qui est issu de la classe ouvrière. Ces électeurs et électrices ne veulent plus continuer comme avant. Ils veulent que quelque chose change fondamentalement. Et c'est là que l'AfD s'impose. Toutefois, la majorité d'entre eux et elles ne votent pas pour l'AfD parce qu'elle présente des tendances fascistes, mais parce que c'est le parti sur lequel tout le monde, des médias aux autres partis, réagit avec nervosité.
L'AfD, une solution aux problèmes ?
L'AfD se présente comme une « solution aux problèmes » qui répond aux préoccupations des « petites gens » [elle fait référence à une conception ethno-nationaliste de « l'Allemand »]. Ce faisant, elle renoue habilement à la xénophobie existante au sein de la population et fait des migrant·e·s, des demandeurs d'asile et des réfugiés des boucs émissaires. Tous les problèmes de la société leur seraient imputables. Le parti part également du principe que son électorat ne s'intéresse pas de près à son programme. Car s'ils le faisaient, ils constateraient que presque tout ce que l'AfD défend est contraire à leurs propres intérêts. L'AfD défend une politique économique et financière extrêmement néolibérale. Elle s'engage dans presque tous les domaines pour des baisses d'impôts et contre des hausses d'impôts. Il s'oppose à l'imposition des grandes fortunes et veut supprimer complètement l'impôt de solidarité pour les hauts revenus. Il en va de même pour la politique économique, dans laquelle l'AfD veut généralement réduire le rôle de l'Etat et augmenter le pouvoir du marché. S'il parvenait à imposer ses exigences, ses propres partisans seraient dans une situation pire. Mais ce n'est pas le problème pour les électeurs et électrice de l'AfD. En votant, ils veulent faire pression sur le gouvernement fédéral, ce qui leur réussit manifestement.
Le DGB, solution aux problèmes ?
Manifestement, les syndicats et le DGB ont eux aussi remarqué le lien entre le comportement électoral et la situation sociale des salarié·e·s. Dans une étude publiée mi-novembre 2023, le DGB aborde ce sujet. La confédération syndicale y exige des entrepreneurs qu'ils mettent fin à la tendance négative en matière de conventions collectives. Une campagne « Tarifwende » [Un tournant en matière de conventions collectives] doit y contribuer. Celle-ci s'adresse en particulier au gouvernement fédéral. Dans leur accord de coalition, les partis de l'Ampel [coalition « feu tricolore »:Vert·e·s, SPD, FDP-libéraux] avaient annoncé plusieurs initiatives sur le thème de l'adhésion aux conventions collectives. Ainsi, une loi fédérale sur le respect des conventions collectives devait veiller à ce que les marchés publics ne soient attribués qu'à des entreprises liées par des conventions collectives. Par ailleurs, de nouvelles règles de maintien des conventions collectives en cas de délocalisation d'entreprises ainsi que la création d'un droit d'accès numérique pour les syndicats dans les entreprises afin de renforcer la co-décision [Mitbestimmung] devaient être mises en place. Mais rien n'a été fait jusqu'à présent, constate le DGB lors de la conférence de presse prévue à cet effet. Stefan Körzell, membre du comité directeur de la DGB, a déclaré : « Nous ne voulons pas et ne devons pas accepter cette évolution plus longtemps si nous voulons préserver notre modèle social et économique ». Il a appelé les entrepreneurs à « assumer à nouveau leur responsabilité sociale – et d'ailleurs aussi leur véritable mission constitutionnelle : convenir avec nous de conditions de travail et de conditions économiques ». « Et le tout devrait alors – selon la présidente [depuis 2022] de la DGB Yasmin Fahimi [qui fut secrétaire générale du SPD de janvier 2014 à décembre 2025] – « entrer avec nous dans une nouvelle phase de partenariat social (…)÷. Partenariat social ! Comme si le partenariat social n'existait pas déjà en abondance. Le partenariat social dissimule les conflits d'intérêts entre le capital et le travail. Il fait partie du problème.
Il a pour effet que les salarié·e·s ne trouvent pas d'orientation politique. Par exemple, les discussions sur la lutte contre l'inflation dans le cadre de l'« action concertée » du gouvernement fédéral au début de cette année ont très certainement contribué à ce que les syndicats fassent des concessions sur les augmentations de salaires lors des négociations collectives. Les discussions entre le gouvernement fédéral, les entrepreneurs et les directions syndicales n'ont pas fait l'objet d'une grande attention de la part des médias et leurs résultats n'ont pas non plus été publiés en détail. Mais il est étrange que tous les résultats des conventions collectives suivantes aient été dépassés par l'inflation. Voilà ce qu'est le partenariat social dans la pratique. Pourtant, la volonté des travailleurs et travailleuses d'entrer en conflit était visiblement présente. Une grève obligatoire [Erzwingungsstreik] [3] pour faire valoir une revendication aurait été possible dans de nombreux syndicats. Même si les entreprises non couvertes par une convention collective n'avaient pas été impliquées, cela aurait été un signal pour les salarié·e·s de ces entreprises de devenir eux-mêmes actifs. Ils auraient ainsi vu qu'il est possible d'obtenir beaucoup en s'organisant, en se montrant solidaires et en luttant pour un objectif dans leur propre intérêt collectif. Lors d'une grève, les participant·e·s savent clairement de quel côté ils/elles se trouvent. L'attitude politique de tous les salarié·e·s n'aurait certainement pas changé. Une partie d'entre eux continuerait probablement à avoir des attitudes conservatrices et xénophobes. Mais chez beaucoup d'entre eux, elles auraient été repoussées et il aurait été plus difficile pour l'AfD de pénétrer dans ce milieu d'ouvriers et d'employés.
Il est difficile de prédire la suite des événements. L'industrie et de nombreuses entreprises, et donc les travailleurs, s'affrontent à de grands défis. L'évolution technique vers une économie climatiquement neutre et l'e-mobilité a des répercussions importantes. Il y aura des changements dans les entreprises et l'industrie, comme nous l'avons déjà décrit. Et cela signifie qu'il y aura aussi des luttes défensives. L'issue de ces luttes n'est toutefois pas certaine. Elles dépendront des rapports de force que les salarié·e·s développeront avec leurs syndicats. Si les salarié·e·s parviennent à garantir leurs emplois et à influencer positivement les changements prévus, leur confiance en eux-mêmes s'en trouvera nettement renforcée. Un parti comme l'AfD sera alors moins attrayant pour ces personnes. (Article publié dans Arbeiterstimme, Nr. 224, 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
–––––
[1] Les derniers sondages sur les intentions du mois d'août (9 août ou 24 août) – donc peut avant les élections du dimanche 1er septembre donnent les résultats suivants :
Thuringe
AfD : 30%, CDU : 21%, SPD : 6%, BSW (Sahra Wagenknecht) : 17%, FDP : 3%, Grüne : 4%, Die Linke : 14%
Saxe
AfD : 32%, CDU : 30%, SPD : 6%, Grüne : 6%, BSW (Sahra Wagenknecht) : 15%, Die Linke : 4%, FDP : 2%
Brandebourg (élections le 22 septembre)
AfD : 24%, SPD : 20%, CDU : 19%, Grüne : 5%, BSW (Sahra Wagenknecht) : 17%, FDP : 2%, Die Linke : 4%
(Le seuil pour être élu se situe à 5% des suffrages.) (Réd. A l'Encontre)
[2] Dans L'idéologie allemande, de Marx et Engels (Ed. Sociales, 1968, pp.51-52), il est écrit : « Si, dans toute l'idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une camera obscura (chambre noire), ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique […]. Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Dans la première façon de considérer les choses, on part de la conscience comme étant l'individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond à la vie réelle, on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l'on considère la conscience uniquement comme leur conscience [variante dans le manuscrit : uniquement comme la conscience de ces individus ayant une activité pratique] […]. Ces prémisses, ce sont les hommes, non pas isolés et figés de quelque manière imaginaire, mais saisis dans leur processus de développement réel dans des conditions déterminées, développement visible empiriquement. Dès que l'on représente ce processus d'activité vitale, l'histoire cesse d'être une collection de faits sans vie, comme chez les empiristes, qui sont eux-mêmes encore abstraits, ou l'action imaginaire de sujets imaginaires, comme chez les idéalistes. » (Réd. A l'Encontre)
[3] Définition de la grève obligatoire : si les négociations collectives ont échoué et que les membres du syndicat ont voté en faveur d'une grève lors d'un référendum, un appel à une grève dite obligatoire peut être lancé. (Réd. A l'Encontre)
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Faut-il tolérer l’impérialisme russe ?

Nous sommes guidés par les principes d'autolibération, d'émancipation et d'autodétermination de la classe ouvrière et de tous les peuples opprimés, au-delà de toutes considérations géopolitiques. En ce sens, nous sommes également solidaires du peuple palestinien, qui lutte pour son autodétermination depuis des décennies. De même, nous soutenons les peuples kurde et arménien et tous les autres peuples menacés d'occupation, d'oppression nationale et culturelle.
30 août 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
Pourquoi as-tu proposé cette déclaration [1] ? Après deux ans de guerre en Ukraine, à quels besoins répond-elle ?
Depuis le début de la guerre, nous réagissons à la dégradation de la situation en Ukraine et aux débats de plus en plus contradictoires et bizarres au sein de la gauche dans de nombreux pays. Nous sommes solidaires de la résistance ukrainienne depuis le début de la grande offensive russe contre la population ukrainienne le 24 février 2022. Dans le cadre du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (ENSU/RESU), nous avons réussi à organiser des échanges réguliers sur la dynamique politique et militaire immédiate et nous avons développé des relations stables avec des militants en Ukraine, tout particulièrement avec les camarades de Sotsialnyi Rukh, dans les syndicats traditionnels, dans les nouvelles initiatives de syndicalisation comme sois comme Nina, les groupes féministes et les organisations étudiantes. C'est important et cela nous aide à comprendre la situation difficile de la société ukrainienne.
Les débats et les jugements sur la guerre russe au sein de la gauche au sens large varient toutefois considérablement d'un pays à l'autre. En Espagne, en Italie, en Allemagne et en Autriche, il existe une forte tradition pacifiste. Celle-ci s'accompagne parfois d'une vision purement géopolitique de la politique mondiale, souvent entretenue par des organisations post-staliniennes. De nombreux courants dits trotskistes analysent également la guerre en grande partie, voire exclusivement, d'un point de vue géopolitique et en concluent que les Ukrainiens ne sont que des « idiots utiles » qui mènent une guerre par procuration au service de l'impérialisme américain. Ils s'opposent à la résistance ukrainienne ou veulent au moins lui refuser toute aide militaire et s'opposent souvent aussi aux sanctions économiques contre le régime de Poutine. Cela revient en fin de compte à tolérer l'impérialisme russe.
En France, en Belgique et en Suisse, ainsi que dans les pays scandinaves, les forces qui, par une position anti-impérialiste fondamentale et universelle, se solidarisent clairement avec la résistance ukrainienne contre les troupes d'occupation russes, peuvent également obtenir une certaine audience auprès du grand public. En Grande-Bretagne et aux États-Unis, les deux positions opposées ont, l'une et l'autre, une certaine influence et les débats internes à la gauche sont donc très durs. Les dynamiques politiques et les débats se déroulent donc différemment selon les pays. Nous n'en sommes souvent pas conscients. C'est pourquoi un échange régulier, par exemple dans le cadre de RESU, est extrêmement important.
Un problème est cependant devenu de plus en plus évident au fur et à mesure que la guerre se prolongeait. Nous devons constamment réagir de manière défensive au déroulement de la guerre et aux grands affrontements politiques, sans avoir de vision propre à moyen terme sur les perspectives de reconstruction de l'Ukraine et, surtout, sur la dynamique de l'ensemble du continent européen.
La conférence sur la paix organisée par le gouvernement suisse en accord avec le gouvernement ukrainien les 15 et 16 juin près de Lucerne a ouvert la possibilité d'aborder le désir de paix, mais de définir cette paix de manière qualitative. Quelles sont les conditions de la paix ? Quelles sont les forces qui doivent soutenir la paix ? C'est à ces questions que nous devons répondre avec notre propre vision.
Il est évident que la paix n'est possible qu'avec l'application du droit à l'autodétermination nationale pour la population ukrainienne. Cela signifie que les troupes russes doivent quitter le territoire ukrainien. Si l'agresseur parvenait à s'imposer, cela provoquerait rapidement l'apparition d'autres régimes frères autoritaires dans l'esprit de Poutine et l'attaque de régions voisines. Mais dans l'immédiat, il est urgent de soutenir la population ukrainienne dans son droit à la protection contre la terreur quotidienne des bombes et des missiles des troupes de Poutine. Cela signifie logiquement que les puissances, c'est-à-dire les États d'Europe et d'Amérique du Nord, qui disposent d'armes efficaces, doivent les fournir à l'Ukraine. Ceux qui disent que l'Ukraine a le droit de se défendre, mais qui ne veulent pas lui fournir les armes nécessaires, agissent de manière illogique et hypocrite. Il s'agit de réaffirmer cet état de fait. C'est pourquoi cette déclaration fait suite à la déclaration commune que j'ai publiée en août 2022 avec des camarades russes, ukrainiens, allemands, autrichiens et suisses [2].
L'objectif central de la déclaration « Ukraine : une paix populaire, pas une paix impériale » est de lancer un processus commun de compréhension entre les organisations, initiatives et collectifs médiatiques signataires sur la manière dont nous pouvons contribuer à renforcer la solidarité avec la résistance ukrainienne. Mais derrière cette tâche immédiate, il est également important d'échanger sur des problèmes fondamentaux tels que l'autodétermination nationale, la rivalité interimpérialiste, la pensée géopolitique en blocs, répandue et néfaste dans la gauche, le réarmement et la militarisation, les stratégies anti-impérialistes et écosocialistes ainsi que les mobilisations émancipatrices de la classe ouvrière. Ces discussions doivent être menées au sein des mouvements sociaux progressistes comme le mouvement féministe, le mouvement écologiste, le mouvement de solidarité avec les migrants et les syndicats, et bien sûr au sein des organisations écosocialistes, anarchistes et communistes émancipatrices.
Plus fondamentalement, nous voulons initier un dialogue entre les signataires pour une compréhension programmatique et stratégique plus large d'une transformation anticapitaliste et écosocialiste de l'ensemble du continent européen dans une perspective de solidarité globale.
Lors d'une récente rencontre que vous avez organisée, une militante ukrainienne, Hanna Perekhoda, a expliqué que la guerre en Ukraine signifiait que nous devions construire une alternative de gauche à l'échelle du continent européen. En quoi votre déclaration contribue-t-elle à la construction de cette alternative ? Je pense notamment à la question de la sécurité en Europe et à la contradiction entre le désarmement et notre demande d'envoi d'armes à l'Ukraine.
Oui, je pense que nous avons besoin de toute urgence d'une vision et d'une idée commune de la manière dont nous voulons organiser la société sur l'ensemble du continent européen. Il est évident que les néolibéraux n'ont pas de réponse crédible à proposer, même de loin, à un seul défi. Mais les organisations et les courants du mouvement ouvrier classique, c'est-à-dire avant tout les sociaux-démocrates et les différents projets qui ont succédé aux partis communistes, restent eux aussi prisonniers des schémas de la période passée. Il y a une crise d'orientation globale, tant au niveau des élites que de la gauche au sens large du terme. Elle est apparue aussi lors des récentes élections au Parlement européen. Il semble qu'il n'y ait plus de projets. Dans cette situation qui dure depuis longtemps, les forces nationales conservatrices et fascistes gagnent en influence. Le régime de Poutine est le fer de lance de ce mouvement et le pousse au niveau international.
En même temps, nous devons constater que tout tournant, même modeste, vers une transformation socioécologique, un Green New Deal ou même de modestes réformes contre l'industrie fossile est une illusion. Au contraire, nous assistons depuis peut-être trois ans à un véritable « choc en retour » fossile dans de nombreux pays du monde, mais surtout en Europe. Les grands groupes fossiles sont de nouveau plus confiants et augmentent leurs investissements.
Cela signifie que différents développements dangereux se rejoignent et se renforcent mutuellement.
* La guerre de la dictature de Poutine contre la population ukrainienne et la répression contre sa propre classe laborieuse et les populations non-russes opprimées par l'État russe.
* La rivalité impérialiste qui s'intensifie entre la puissance impérialiste toujours la plus forte, les États-Unis, et l'impérialisme chinois en plein essor.
* La crise persistante du profit et de l'accumulation dans la plupart des secteurs de l'économie.
* L'absence de perspectives pour une grande partie des élites, hormis la conservation immédiate du pouvoir.
* La faiblesse du mouvement ouvrier.
* Le manque de capacité à s'imposer et le déclin relatif du mouvement climatique.
* L'adaptation et la subordination étendues de la gauche classique à l'ordre existant et le manque de crédibilité d'une orientation anticapitaliste globale.
Face à cette évolution tendanciellement chaotique et qui pousse à la fragmentation, certaines fractions de la classe dirigeante cherchent désormais une réponse dans des formes de gouvernement de plus en plus autoritaires. Une partie des couches tendanciellement et relativement privilégiées des classes salariées, des forces petites-bourgeoises, mais aussi une partie de la classe ouvrière classique espèrent maintenir leur position en votant pour les nationaux-conservateurs et les fascistes. Ces tendances, associées à la guerre menée par la dictature de Poutine, au soutien de cette guerre par des forces fascistes et nationales-conservatrices et l'acceptation de cette situation par des gauches dégénérées, nous conduisent à une situation compliquée.
Dans cette situation sombre, il est urgent que les forces qui misent sur un vaste bouleversement écosocialiste par le bas et sur l'auto-organisation, qui se placent toujours et partout du côté des opprimés et des exploités, au-delà de tous les conflits géopolitiques et des formations de front, ouvrent un dialogue au niveau continental. Il ne s'agit pas d'une solution européenne en opposition à d'autres parties du monde, mais au contraire d'une perspective écosocialiste dans une solidarité globale.
Ce qui complique encore la situation, c'est le besoin militaire urgent de l'Ukraine pour sa défense existentielle. Les forces dominantes en Europe et en Amérique du Nord prennent prétexte de la guerre russe contre la population ukrainienne pour imposer politiquement des programmes de réarmement de grande envergure déjà préparés auparavant. Mais dans le même temps, ces mêmes forces refusent de doter l'Ukraine d'armes modernes et efficaces pour sa défense. Elles obligent l'Ukraine à se défendre en serrant le frein à main, pratiquement sans sa force aérienne. Ce n'est que depuis quelques semaines que l'armée ukrainienne est autorisée à tirer sur le territoire russe avec des armes modernes et uniquement dans des limites étroitement définies. Cela signifie que l'artillerie russe peut encore tirer sur les villes ukrainiennes à de nombreux endroits sans craindre d'être prise pour cible par les défenseurs. De cette manière, les puissances occidentales affaiblissent l'Ukraine et prolongent ainsi la guerre.
C'est pourquoi nous écrivons dans cette déclaration qu'un soutien militaire efficace à l'Ukraine ne nécessite en aucun cas une nouvelle vague de réarmement. Il s'agit plutôt de mettre un terme aux exportations d'armes lucratives et profitables pour des pays comme l'Arabie saoudite, l'Égypte, la Turquie et Israël. Ces régimes terrorisent leurs peuples voisins et leur propre population avec ces armes. L'Ukraine, en revanche, se défend dans l'urgence et ne reçoit pas l'aide nécessaire, ou alors de manière limitée et soumise à des conditions très désavantageuses. Nous nous opposons donc aux programmes de réarmement de l'OTAN et aux exportations d'armes vers des pays tiers.
Au lieu de cela, les États d'Europe et d'Amérique du Nord doivent fournir, à partir de leurs immenses arsenaux existants, les armes qui aideront l'Ukraine à se défendre efficacement. Dans ce sens, nous exigeons que l'industrie de l'armement ne serve pas les intérêts de profit du capital – au contraire, nous voulons œuvrer à l'appropriation sociale et au contrôle démocratique de l'industrie de l'armement. Cette industrie doit servir les intérêts immédiats de l'Ukraine. Une augmentation ciblée de la production d'armes spécifiques est possible sans déclencher une vague générale de réarmement.
Parallèlement, nous soulignons, pour des raisons sociales et écologiques urgentes, la nécessité d'une conversion démocratique de l'industrie de l'armement en une production socialement utile à l'échelle mondiale. Nous ne devons jamais perdre de vue cette orientation fondamentale. Mais c'est précisément pour cette raison qu'il est vraiment décisif que les forces et les mouvements émancipateurs coopèrent au niveau transnational, continental et finalement mondial, tant sur le plan programmatique que stratégique et très pratiquement de manière activiste dans des campagnes concrètes.
Mais dans l'immédiat, nous sommes confrontés à une question vraiment difficile et la réponse à cette question doit nous faire sortir de notre routine actuelle : que faire face à une dictature qui mène la guerre sans tenir compte des pertes humaines dans ses propres troupes ? C'est un défi particulier : en Algérie, les troupes françaises ont essayé de limiter leurs propres pertes. Pour les troupes américaines au Vietnam, les propres pertes, qui ont finalement atteint 56 000, ont constitué un énorme problème et ont été l'une des raisons de la montée en puissance du mouvement antiguerre. Pour les troupes soviétiques également, les pertes en Afghanistan sont finalement devenues si élevées qu'elles ont dû battre en retraite. De même pour l'armée américaine dans les années qui ont suivi l'invasion de l'Irak en 2003. L'armée israélienne veille probablement plus que toute autre à minimiser ses propres pertes. Mais Poutine passe littéralement ses troupes au « hachoir » sans se soucier des pertes. Oui, les soldats sont utilisés pour ménager le manque de matériel, et non l'inverse.
Des décennies de dictature stalino-bureaucratique, un éclatement et un développement capitaliste chaotiques de l'ex-URSS dans les années 1990 et deux décennies de régime poutinien, qui s'est entre-temps transformé en une dictature proche du fascisme, ont manifestement épuisé la société, l'ont atomisée et ont atrophié toute conscience collective de soi. C'est pourquoi le mouvement antiguerre en Russie n'a eu aucune chance jusqu'à présent.
Qu'est-ce que cela signifie pour la résistance aux troupes d'invasion et d'occupation ? Qu'est-ce que cela signifie pour notre orientation antimilitariste fondamentale ?
Nous sommes donc confrontés à des questions similaires à celles qui se sont posées à la résistance antifasciste avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mais nous avons aussi besoin d'une vision positive. C'est même crucial. Comment voulons-nous organiser nos sociétés en Europe ? Nous devons lancer un débat sur une transformation radicale de l'Europe. Nous voulons contribuer à développer une perspective européenne commune pour des réformes socioécologiques radicales et, à terme, pour une transformation écosocialistefondamentale de l'ensemble du continent européen dans le cadre d'une solidarité mondiale. Dans ce cadre, nous soutenons la volonté du peuple ukrainien d'adhérer à l'UE. Cela peut paraître paradoxal. Car nous rejetons bien entendu les fondements néolibéraux de l'UE et nous nous opposons également à toutes les tentatives de former un impérialisme de l'UE, sans pour autant renoncer à la résistance contre les impérialismes nationaux classiques. La politique de l'UE appauvrit des millions de personnes et aggrave les inégalités de développement en Europe. Mais le peuple ukrainien doit avoir le droit de rejoindre l'UE s'il le décide par référendum ou lors d'élections.
Nous écrivons dans la déclaration : Nous saisissons l'occasion de la perspective de l'adhésion de plusieurs pays d'Europe de l'Est et du Sud-Est pour réfléchir ensemble à la manière d'amorcer une telle transformation socioécologique radicale dans toute l'Europe. Cela implique une stratégie énergétique commune, une transformation écologique de l'industrie, des systèmes de retraite par répartition, une protection efficace du travail, une politique migratoire solidaire, des transferts inter-régionaux et la sécurité militaire ainsi que la reconversion de l'industrie de l'armement. Les forces syndicales, féministes, écologistes, antiautoritaires de gauche et socialistes d'Europe de l'Est devraient jouer un rôle important dans ce débat.
Il est évident, et cela va de soi, qu'une telle orientation doit rompre avec les fondements de l'UE. Mais nous ne rompons pas en excluant d'autres sociétés. Nous ne rompons qu'ensemble, sur l'ensemble du continent, et les sociétés européennes ne se limitent pas à l'UE. Nous concluons donc notre déclaration par un plaidoyer en faveur d'une stratégie de transition socioécologique radicale. Cette stratégie doit contribuer à impulser une dynamique de rupture et de bouleversement écosocialiste proprement révolutionnaire.
Je suis convaincu que seule une vision commune d'une Europe solidaire et écologiquement durable, c'est-à-dire en fin de compte une rupture et un bouleversement écosocialistes, nous permettra de contrer efficacement l'offensive des nationaux-conservateurs, des fascistes, l'austérité néolibérale et le choc en retour fossile.
Réussirons-nous à mettre en place un processus révolutionnaire commun ou glisserons-nous vers la barbarie ?
Il s'agit maintenant de réfléchir à la manière dont nous pouvons amener les forces qui défendent une telle transformation de l'ensemble du continent européens à générer un processus d'échange d'expériences, d'apprentissage et d'action commune. Nous avons besoin d'une convergence transnationale et continentale. Lançons les discussions sur la manière de faire avancer ce processus.
Notes
[1] « Une paix populaire, pas une paix impériale », déclaration commune d'organisations éco-socialistes, libertaires, féministes, écologistes et de groupes en solidarité avec la résistance ukrainienne et pour une reconstruction sociale et écologique autodéterminée de l'Ukraine. Le texte a été publié dans Adresses, n°3, p.5 et sur le entre les lignes entre les mots, reproduit à la fin de l'entretien
[2] Ilya Budraitskis, Oksana Dutchak, Harald Etzbach, Bernd Gehrke, Eva Gelinsky, Renate Hürtgen, Zbigniew Marcin Kowalewski, Natalia Lomonosova, Hanna Perekhoda, Denys Pilash, Zakhar Popovych, Philipp Schmid, Christoph Wälz, Przemyslaw, Wielgosz, Christian Zeller, « Soutenir la résistance ukrainienne et combattre le capital fossile », Inprecor, n°701-702, octobre-novembre 2022. et sur entre les lignes entre les mots.
Voir aussi Christian Zeller, « Accepter l'occupation pour mettre fin à la guerre ? », Inprecor, ibid.
Christian Zeller
Christian Zeller enseigne la géographie économique et les études mondiales à l'Université de Salzbourg (Autriche). Il est membre du comité de rédaction de Emanzipation, revue de stratégie écosocialiste et du RESU.
Propos recueillis par Patrick Le Tréhondat
*-*
Une paix populaire, pas une paix impériale
Le gouvernement suisse organisera les 15 et 16 juin 2024 une conférence internationale pour un processus de paix en Ukraine sur la montagne Bürgenstock, près de Lucerne. Le gouvernement ukrainien soutient cette conférence.
Cette conférence a lieu dans une phase décisive de la guerre. Depuis des mois, les forces d'invasion russes trouvent des failles dans les défenses ukrainiennes. L'armée ukrainienne les colmate au prix de lourdes pertes. Les dirigeants russes ont annoncé une grande offensive et attaquent les habitants de Kharkiv, une ville qui compte plusieurs millions d'habitants.
Nous soutenons toutes les mesures en faveur d'une paix qui permette au peuple ukrainien de reconstruire son pays de manière autodéterminée. La paix exige le retrait complet des forces d'occupation russes de l'ensemble du territoire de l'Ukraine. Dans cette optique, nous espérons que la conférence de paix en Suisse contribuera au rétablissement de la souveraineté de l'Ukraine.
Les conditions pour y parvenir sont extrêmement difficiles. Les représentants du régime de Poutine déclarent régulièrement qu'ils ne reconnaissent pas une Ukraine indépendante et nient l'existence du peuple ukrainien. Le régime de Poutine poursuit un projet de Grande Russie. Il soumet la population des territoires occupés par la terreur et vise à éradiquer la culture ukrainienne. Le régime au pouvoir en Russie commet régulièrement des crimes de guerre contre la population ukrainienne.
L'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine, lancée le 24 février 2022, ne remet pas seulement en question l'indépendance de l'Ukraine. Elle encourage également d'autres régimes autoritaires à menacer les populations voisines, à occuper des territoires et à expulser massivement les personnes. Afin d'éviter toute résistance chez elle, l'armée russe recrute désormais aussi des citoyens de pays voisins et du Sud pour servir de chair à canon.
En raison de la résistance massive – et surprenante – de la population ukrainienne, les gouvernements d'Europe et d'Amérique du Nord ont commencé à soutenir l'armée ukrainienne dans sa défense contre les forces d'occupation russes. Cependant, ils soutiennent l'Ukraine pour affirmer leurs propres intérêts dans la rivalité impérialiste mondiale. Les États-Unis visent à affaiblir leur homologue russe tout en montrant leur force face à la Chine, puissance montante, et en donnant le ton aux puissances européennes qui sont à la fois partenaires et rivales. Mais bien que le Congrès américain ait finalement approuvé le 20 avril 2024 un programme d'aide pour l'Ukraine, qui avait été bloqué par le Parti républicain pendant neuf mois, le soutien à l'Ukraine est toujours resté sélectif et insuffisant.
De même, les sanctions économiques qui ont été imposées par les gouvernements de l'UE et des États-Unis contre la Russie et les représentants du régime de Poutine sont sélectives, mal ciblées et insuffisantes. Elles n'empêchent pas la Russie de continuer à exporter du pétrole et du gaz, ainsi que d'autres matières premières stratégiquement importantes, pour remplir son trésor de guerre. Certains pays européens ont même considérablement augmenté leurs importations de GNL en provenance de Russie depuis le début de la guerre. D'autres, comme l'Autriche, achète plus de 90% de leurs importations de gaz naturel à la Russie. Les gouvernements de ces pays obligent les consommateurs de gaz à financer la guerre de Poutine contre la population ukrainienne.
Le gouvernement suisse, hôte de la conférence de paix, n'a pas seulement accordé des allègements fiscaux aux oligarques russes depuis des décennies, il a également refusé de confisquer les biens de ces oligarques depuis le début de l'invasion russe. En tant que plaque tournante majeure du commerce international des matières premières, la Suisse offre depuis de nombreuses années aux capitaux russes d'excellentes possibilités de s'enrichir. De nombreux politiciens bourgeois ont volontiers accueilli ces entreprises en Suisse. Par la vente de produits à double usage, la Suisse contribue à l'équipement de la machine de guerre russe. Enfin, le secteur financier suisse facilite le commerce du pétrole russe.
Aux États-Unis comme en Europe, de plus en plus de voix s'élèvent au sein de l'establishment politique et économique pour lier leur soutien à l'Ukraine à certaines conditions. Leur objectif est de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle cède de vastes territoires et plusieurs millions de personnes au régime de Poutine. Une telle paix, imposée par les grandes puissances impériales, renforcerait le régime de Poutine et ne parviendrait pas à jeter les bases d'une reconstruction démocratique durable de l'Ukraine.
Nous avons besoin d'une paix qui soit basée sur les intérêts du peuple et des travailleurs en Ukraine et en Russie avec leur soutien. Une telle perspective ne peut aboutir que si les syndicats, les organisations de femmes, les initiatives environnementales et autres organisations de la société civile d'Ukraine et de Russie jouent un rôle de premier plan dans les pourparlers de paix.
L'occupation est un crime !
Nous sommes guidés par les principes d'autolibération, d'émancipation et d'autodétermination de la classe ouvrière et de tous les peuples opprimés, au-delà de toutes considérations géopolitiques. En ce sens, nous sommes également solidaires du peuple palestinien, qui lutte pour son autodétermination depuis des décennies. De même, nous soutenons les peuples kurde et arménien et tous les autres peuples menacés d'occupation, d'oppression nationale et culturelle.
Sur la base de notre positionnement, soutenant la résistance ukrainienne contre l'occupation russe, nous voulons contribuer à développer une perspective européenne commune pour des réformes socioécologiques radicales et, à terme, pour une transformation écosocialiste de l'ensemble du continent européen dans une solidarité globale.
En soumettant cette déclaration à la discussion, nous voulons contribuer à un processus transnational de compréhension et de clarification politique entre les forces de gauche qui partagent ces convictions importantes dans toute l'Europe et au-delà.
Douze principes pour une paix juste en Ukraine au sein d'une Europe basée sur la solidarité et l'écologie
Nous, les organisations et initiatives soussignées, voulons promouvoir un processus de paix qui adhère aux douze principes suivants :
1) La réalisation d'une paix socialement juste et écologiquement durable exige le retrait inconditionnel et complet des forces d'occupation russes de l'Ukraine et le retour de l'ensemble du territoire dans ses frontières internationalement reconnues.
2) La Russie détruit systématiquement les villes, les infrastructures et l'environnement pour démoraliser la population et déclencher une grande vague de réfugiés. Contre cette terreur quotidienne, nous exigeons que les gouvernements « occidentaux » soutiennent l'Ukraine dans la protection de sa population et de ses infrastructures contre les bombardements et les attaques de missiles par la puissance d'occupation russe. Nous sommes favorables à un soutien humanitaire, économique et militaire massif des États riches d'Europe en faveur de l'Ukraine. La population ukrainienne a besoin de toute urgence d'être protégée des bombes et des roquettes russes.
3) Nous nous opposons aux tentatives des gouvernements « occidentaux », des représentants de l'OTAN et de l'UE de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle fasse des concessions massives à la puissance occupante russe. Nous nous opposons à l'idée que l'Ukraine doive céder plusieurs millions de concitoyens au régime de Poutine. C'est au peuple ukrainien de décider comment faire face à cette situation atroce d'occupation permanente, voire croissante. Nous soutenons la résistance armée et non armée des Ukrainiens contre la puissance occupante russe.
4. Nous demandons que tous les Russes qui refusent le service militaire bénéficient d'un statut de résident sûr dans les pays d'Europe et d'Amérique du Nord. La désertion massive est importante pour affaiblir la machine de guerre russe.
5. Nous soutenons la lutte politique des syndicats ukrainiens, des organisations de femmes et des initiatives environnementales contre les politiques néolibérales anti-ouvrières du gouvernement du président Volodymyr Zelenskyy. Ces politiques sapent la défense socialement étendue de l'Ukraine contre l'occupation russe et rendent impossible une reconstruction socialement juste et écologiquement durable.
6. Nous sommes solidaires du mouvement antiguerre, de l'opposition démocratique et des luttes ouvrières indépendantes en Russie. Nous sommes également solidaires des nationalités opprimées en Russie qui souffrent particulièrement de la guerre et luttent pour leur autodétermination. C'est leur jeunesse qui est exploitée comme chair à canon par le régime de Poutine. Ces mouvements sont déterminants pour parvenir à une paix juste et à une Russie démocratique.
7. La Russie a emprisonné de nombreuses personnes originaires d'Ukraine en tant que prisonniers politiques. Beaucoup ont été condamnés à des décennies de prison et de camps pénitentiaires. Nous exigeons leur libération inconditionnelle. Nous exigeons que la Croix-Rouge internationale soit autorisée à maintenir un contact régulier avec tous les prisonniers de guerre. La libération des prisonniers de guerre est une condition préalable à toute paix juste.
8. La Russie doit payer des réparations au peuple ukrainien. Les oligarques de Russie et d'Ukraine doivent être expropriés. Leurs biens doivent être mis à disposition pour la reconstruction de l'Ukraine et, après la chute du régime de Poutine, du développement démocratique de la Russie.
9. Nous exigeons que les gouvernements « occidentaux » annulent immédiatement la dette financière de l'Ukraine. C'est une condition cruciale pour la reconstruction démocratique du pays. Les États riches d'Europe et d'Amérique du Nord doivent mettre en place des programmes de soutien complets et étendus en faveur du peuple ukrainien et de la reconstruction de son pays. Cette reconstruction doit se faire sous le contrôle démocratique de la population, des syndicats, des initiatives environnementales, des organisations féministes et des quartiers organisés dans les villes et les villages.
10. Nous nous opposons à tous les projets des gouvernements européens et nord-américains, des organisations internationales, qui visent à imposer un programme économique néolibéral au peuple ukrainien. Cela prolongerait et aggraverait la pauvreté et la souffrance. Nous dénonçons également tous les efforts visant à vendre les biens et les actifs de la population ukrainienne à des sociétés étrangères. La récupération et la réorganisation de l'agriculture, de l'industrie, des systèmes énergétiques et de l'ensemble de l'infrastructure sociale doivent servir à la transformation socioécologique de l'Ukraine, et non à la fourniture de main-d'œuvre, de céréales et d'hydrogène bon marché aux pays d'Europe de l'Ouest.
11. Un soutien militaire efficace de l'Ukraine ne nécessite pas une nouvelle vague d'armements. Nous nous opposons aux programmes de réarmement de l'OTAN et aux exportations d'armes vers des pays tiers. Au contraire, les pays d'Europe et d'Amérique du Nord doivent fournir, à partir de leurs énormes arsenaux existants, les armes qui aideront l'Ukraine à se défendre efficacement. En ce sens, nous demandons que l'industrie de l'armement ne serve pas au profit du capital. Au contraire, nous voulons travailler à l'appropriation sociale de l'industrie de l'armement. Cette industrie doit servir les intérêts immédiats de l'Ukraine. En même temps, pour des raisons écologiques sociales et urgentes, nous soulignons l'impératif de convertir démocratiquement l'industrie de l'armement en une production socialement utile à l'échelle mondiale.
12. Nous voulons lancer un débat sur une réorganisation radicale de l'Europe. Nous voulons contribuer à développer une perspective européenne commune pour des réformes socioécologiques radicales et ultérieurement pour une transformation écosocialiste fondamentale de l'ensemble du continent européen dans la solidarité mondiale. Dans ce cadre, nous soutenons la volonté du peuple ukrainien d'adhérer à l'UE, même si nous rejetons les fondations néolibérales de l'UE qui appauvrissent des millions de personnes et favorisent un développement inégal en Europe. Nous prenons la perspective d'une adhésion de plusieurs pays d'Europe de l'Est et du Sud-Est comme une occasion de réfléchir ensemble à la manière dont un changement socioécologique radical peut être initié dans toute l'Europe, notamment par une stratégie énergétique commune, une reconversion industrielle écologique, des systèmes de retraite par répartition, une réglementation sociale du travail, une politique migratoire solidaire, des paiements de transferts interrégionaux et une sécurité militaire accompagnée d'une reconversion de l'industrie de l'armement. Les forces syndicales, féministes, écologiques, antiautoritaires et socialistes d'Europe de l'Est devraient jouer un rôle important dans ce débat.
Ukraine : une paix populaire, pas une paix impériale
Publié dans Adresses n°4
Source : revue Emanzipation.
Ukraine : A People's Peace, not an Imperial Peace
Ukraine : ein Frieden der Bevölkerungen, kein imperialer Frieden
https://emanzipation.org/wp-content/uploads/2024/06/2024_06_04_Ukraine_Friedenskonferenz_Brief_Erklaerung.pdf
Ucrania : ¡Por una paz de los pueblos, no una paz imperialista !
https://emanzipation.org/wp-content/uploads/2024/06/2024_06_04_Ukraine_Conferencia_de_Paz_carta_declaration.pdf
Ucrânia : uma paz popular, não uma paz imperial
https://emanzipation.org/wp-content/uploads/2024/06/2024_06_04_Ukraine_conferencia_pace_letra_declaracao.pdf
Ukraina : Pokój ludowy, nie imperialny
https://emanzipation.org/wp-content/uploads/2024/06/2024_06_04_Ukraine_konferencje_pokojowego_list_deklaracja.pdf
Ucraina. Una pace per i popoli, non una pace imperiale !
https://emanzipation.org/wp-content/uploads/2024/06/2024_06_04_Ukraine_conferenza_di_pace_lettera_dichiarazione.pdf

Ukraine : faisons le point

Cet article, rédigé pour le journal Démocratie et Socialisme des camarades de la GDS, à leur demande, date de samedi dernier. La situation évoluant rapidement en Ukraine ces jours, nous le publions car il permet, comme son titre l'indique, de faire le point avant les nouveaux développements.
5 septembre 2024 | tiré du site Arguments pour la lutte sociale | Photo illustrant cet article : Source ISW, carte du front du Donbass au 2 septembre 2024. L'avancée sur Pokrovsk est au centre de la carte, entourée par le principal cercle.
Les derniers développements de la guerre en Ukraine suscitent beaucoup de questions. Comprendre ce qui se passe nécessite une vision d'ensemble. Depuis le 24/02/22, la guerre a connu 6 phases.
D'abord, l'échec de la Blitzkrieg russe, non prévu par Poutine, mais aussi par Biden : la levée en masse de la nation, l'auto-organisation des millions de « petites mains » (1), ont bloqué l'invasion qui devait liquider l'Ukraine : fait révolutionnaire qui marque la période mondiale présente. Mais d'autre part, la vague de manifs antiguerre en Russie est étouffée.
Le 25/03/24, Poutine recentre ses troupes sur le Donbass en une guerre de progression lente et d'écrasement, marquée par la destruction de Marioupol – que nos amis ukrainiens compareront bientôt à Gaza.
Mais à partir du 06/09/22, la guerre de manœuvres ressurgit, avec la percée ukrainienne à l'Est de Kharkiv, liée à un vague de paniques et de désertions côté russe, la mobilisation partielle mais massive russe, puis la reconquête de Kherson.
Après fin novembre 2022, le front se stabilise avec une seconde poussée russe dans le Donbass, qui se cristallise sur Bakhmut, lentement prise (et détruite) par les Wagner. Mais l'espoir d'une contre-offensive analogue à celle de fin 22 habite les Ukrainiens.
Celle-ci semble commencer le 06/06/23, en même temps que l'écocide russe contre le barrage de Nova Kakhovka. Peu après se produit le putsch Prigojine en Russie, spectaculaire bien qu'échouant. En fait la contre-offensive s'enlise totalement, en même temps que les livraisons d'armes occidentales se tarissent. Il y a crise dans le commandement ukrainien (Zaluzhnyi remplacé par Sirsky).
Cette situation va s'aggraver et pourrir de plus en plus à partir de l'éclatement de la guerre de Gaza le 07/10/23. Les politiques néolibérales du gouvernement Zelenski sont contre-productives pour la défense nationale, la question de la mobilisation de nouvelles classes d'âge (en dessous de 27 ans) pose problème. Même si le déblocage du vote des aides militaires au Congrès US, le 21 avril (du au constat de la consolidation de l'alliance sino-russe et du risque de percée russe du front), ramène un espoir, celui-ci reste tout relatif.
Il est, en outre, suspendu au risque de réélection de Trump, le meilleur allié de Poutine. La victoire travailliste à Londres le 4 juillet, l'échec de l'accession du RN au pouvoir en France le 7, et le tournant de la campagne US avec le remplacement de Biden par Harris le 21, sont des données qui ont un poids politique et même militaire direct pour les Ukrainiens. L'incursion ukrainienne en territoire russe à partir du 6 août ouvre-t-elle une nouvelle phase ?
Les groupes militaires russes alliés à l'Ukraine (démocrates-libéraux de Liberté de la Russie, fascistes du Corps des Volontaires, groupes nationaux de Sibir), qui mènent de petites escapades en Russie depuis des mois, ne sont pas cette fois à la manœuvre. C'est bien l'armée ukrainienne qui a constitué un glacis, à ce jour de la taille du département du Val d'Oise, et progresse sans doute encore un peu vers l'Ouest comme vers l'Est, où il pourrait faire tenaille envers les troupes russes qui ont envahi la zone frontière au Nord de Kharkiv ce printemps (2).
Bien qu'ayant des effets positifs sur le moral des soldats, cette opération n'a pas empêché la poursuite de la progression russe en direction de Pokrovsk qui, certes, n'est pas encerclée comme on le lit parfois, mais très menacée par une pointe vers l'Ouest des troupes russes. Version optimiste : cette pointe pourrait être cisaillée. Version pessimiste : la perte de Pokrovsk serait une lourde défaite aux conséquences stratégiques. En Ukraine, la crainte d'un délaissement du Donbass dans des négociations éventuelles est évidente.
D'autre part, l'incursion en Russie est un choc politique et psychologique pour le régime poutinien, qui annule en partie son ressaisissement post-putsch Prigojine. Poutine n'a toujours pas officiellement qualifié de « guerre » la situation et manifeste un dédain remarquable pour le sort des Russes eux-mêmes. Ceux-ci sont inquiets, près de 200 000 personnes ont fui la région, sans aucune résistance civile aux troupes ukrainiennes, qui ont pour consigne de ne pas commettre d'exactions « à la russe ».
Enfin, il est bon de citer ces propos de Zelenski : « … si les partenaires de l'Ukraine levaient les restrictions sur l'utilisation d'armes à longue portée sur le territoire russe, l'Ukraine n'aurait pas besoin de pénétrer physiquement » en Russie. Hé non, ce n'est pas l'OTAN qui a pris cette initiative !
La situation est sur le fil et le résultat des élections US sera un enjeu américain, mondial, et ukrainien. « L'Occident » est terrorisé quand des coups réels sont portés à Poutine par l'Ukraine. La perspective positive pour les peuples passe, elle, par sa défaite et son renversement. C'est cela, l'incontournable pour tout partisan de la démocratie et du socialisme.
Vincent Présumey, le 31/08/24.
(1) Voir Daria Saburova, Travailleuses de la résistance. Les classes populaires ukrainiennes face à la guerre., éditions du Croquant, avril 2024.
(2) Précision : la centrale nucléaire de Koursk, à Kourtchatov, est tout à fait hors de cette zone.
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La terreur russe s’attaque aux travailleurs et aux travailleuses, à l’énergie et à la liberté : L’Ukraine à nouveau victime d’une attaque massive

Chers frères et sœurs,
La Confédération des syndicats libres d'Ukraine (KVPU) vous lance un nouvel appel car aujourd'hui, 26 août, l'Ukraine est à nouveau la cible d'une attaque massive de la part de la Russie. Les forces russes ont utilisé au moins 127 missiles et 109 drones pour frapper des installations énergétiques, de transport et d'infrastructure dans 15 régions de l'Ukraine.
3 septembre 2024 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/03/la-terreur-russe-sattaque-aux-travailleurs-et-aux-travailleuses-a-lenergie-et-a-la-liberte-lukraine-a-nouveau-victime-dune-attaque-massive/
Les troupes russes ont lancé une attaque terroriste sur les villes et villages ukrainiens à l'aide de drones pendant la nuit. Dans la matinée, l'assaut a été intensifié avec différents types de missiles, notamment des missiles de croisière et des Daggers. Les cibles de l'agresseur comprenaient des travailleurs et des travailleuses, des membres du KVPU et des habitant·es de 15 régions d'Ukraine.
L'attaque russe sur la région de Kiev a notamment fait trois blessé·es, dont un enfant de cinq mois. Dans la région de Sumy, l'ennemi a frappé un site d'infrastructure ferroviaire, endommageant le réseau de contact et les bâtiments, et blessant l'assistant d'un conducteur de train. Dans la région de Lviv, les forces russes ont pris pour cible plusieurs installations énergétiques, provoquant des coupures de courant dans la région. Dans la région de Zaporizhzhia, les forces russes ont attaqué des infrastructures énergétiques, entraînant la mort d'un homme à son domicile après qu'une roquette a frappé près d'une zone résidentielle. Une autre personne a perdu la vie suite à l'impact direct d'un drone sur un immeuble de grande hauteur dans la ville de Lutsk.
Le service d'urgence de l'Ukraine a indiqué qu'au moins sept personnes ont été tuées et 47 autres blessées (dont quatre enfants nés en 2014, 2017 et 2024) à la suite des attaques russes.
Dans la soirée du 26 août, un tir de missile sur un hôtel de Kryvyi Rih, dans la région de Dnipropetrovsk, a fait au moins deux morts et cinq blessés. Selon le gouverneur Serhii Lysak, plusieurs bâtiments résidentiels, magasins et véhicules ont été endommagés. Le 27 août au matin, les opérations de recherche se poursuivent et deux personnes pourraient être piégées sous les décombres.
Le 26 août, des terroristes russes ont à nouveau attaqué l'infrastructure énergétique ukrainienne, ce qui a entraîné des coupures de courant dans tout le pays.
Nous attirons votre attention sur le fait que les troupes russes ont tenté de détruire la centrale hydroélectrique de Kiev avec différents types de missiles et de drones. Les tirs d'obus ont causé des dégâts et des dommages. Il convient de rappeler que le 6 juin 2023, les troupes russes ont détruit le barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, ce qui constitue un crime de guerre et un acte d'écocide.
En outre, nous vous informons qu'en raison de l'offensive accrue des troupes russes, la vie et la santé des habitant·es des villes minières de la région de Donetsk sont encore plus menacées. Les troupes russes attaquent les mines ukrainiennes, les entreprises d'extraction de charbon et les infrastructures énergétiques. En outre, nous soulignons que les travailleurs et travailleuses ukrainien·nes sont confrontés·e à un danger permanent, qu'elles et ils se trouvent sur le chemin du travail ou du retour, à la maison ou même dans un supermarché.
Par exemple, le 6 août 2024, lors d'une attaque de missiles sur la mine Kapitalna de l'entreprise d'État Myrnogradvugilya, où opère la principale organisation syndicale du NPGU, plusieurs travailleurs ont été blessés à des degrés divers de gravité, dont un réparateur et un électricien de service et réparateur d'équipement, machiniste d'installation souterraine. Le 10 août 2024, l'opérateur du bouclier thermique central de l'atelier chaudière-turbine a été tué à Kramatorskteploenergo LLC à la suite d'une attaque de missiles par les troupes russes.
Le système énergétique ukrainien manque cruellement de production nationale d'électricité en raison des bombardements russes, et les importations, déjà à leur maximum, sont insuffisantes pour résoudre ce problème.
L'attaque sans précédent d'aujourd'hui est une nouvelle preuve que la Russie ne recule devant rien pour tenter de détruire le secteur énergétique et l'économie de l'Ukraine, et pour briser la détermination du peuple ukrainien, qui défend sa liberté et sa démocratie.
Aujourd'hui, les travailleurs et travailleuses ukrainienness, membres de syndicats, continuent de travailler malgré le danger et combattent également les occupants russes en première ligne.
Nous appelons la communauté syndicale internationale à continuer d'apporter un soutien global aux Ukrainien·nes qui résistent au régime criminel russe et luttent pour la paix et la démocratie. Aidez l'Ukraine à résister, à gagner et à libérer tous les territoires occupés où règne la terreur et où les droits des êtres humains sont bafoués.
L'appel de la KVPU reste inchangé :
Continuer à fournir une aide économique et humanitaire à l'Ukraine ;
Soutenir la fourniture d'une aide militaire à l'Ukraine afin de protéger la population, les infrastructures énergétiques, les lieux de travail et le pays ;
Renforcer les sanctions contre le régime terroriste russe et ceux qui le soutiennent et le financent, car cela peut limiter considérablement les ressources financières et l'exportation des technologies nécessaires à la poursuite de la guerre sanglante ;
Garantir la possibilité d'utiliser les avoirs russes gelés pour les affecter à l'aide à l'Ukraine ;
Isoler et écarter des organisations internationales les personnalités politiques, publiques et syndicales russes, en tant que représentants d'un pays qui mène des activités terroristes contre l'Ukraine souveraine et indépendante et contre ses citoyen·nes.
https://ukrainesolidaritycampaign.org/2024/08/29/russian-terror-targets-workers-energy-and-freedom-ukraine-under-massive-attack-again/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
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Delhi : grève dans le taxi contre Uber et Ola

Le 22 et 23 août dernier, près de 400 000 syndiqué.es du taxi se sont rassemblé.es et mobilisé.es afin d'organiser une grève à grande échelle contre des services comme Uber et Ola à Delhi. Les 15 syndicats qui les représentent condamnent les pratiques d'exploitation de ces entreprises et demandent des conditions de travail plus saines, justes et équitables.
Tiré du Journal des alternatives. L'autrice est stagiaire d'Alternatives en Inde.
Les revendications de cette manifestation
Plusieurs motifs expliquent l'instigation de cette grève. Tout d'abord, le taux de commissions des services Uber et Ola est beaucoup trop élevé, soit environ 40 % par trajet. Lorsque les applications comme Uber et Ola sont arrivées en Inde, leur taux de commission était d'environ 10 %. Or, ce pourcentage a énormément augmenté en quelques années, ce qui a diminué le revenu des employé.es.
Également, il y a une concurrence déloyale entre les taxis, les automobiles et les tuk-tuks conventionnels (ou également appelés rickshaws motorisés), ainsi qu.avec l'introduction des tuk-tuks électriques et des motos-taxis. En effet, l'entretien et l'usage de moyens de transport plus grands consommant plus en essence fait en sorte que les tarifs fixés sont plus élevés dans la première catégorie pour pallier aux coûts supplémentaires, que dans la deuxième. De plus, le secteur traditionnel du taxi est désavantagé face aux services des applications comme Uber et Ola, qui offrent des tarifs plus bas. La clientèle choisissant davantage l'option la moins chère, les véhicules traditionnels sont moins sollicités, ce qui diminue les opportunités et les bénéfices de ces salarié.es.
Enfin, les syndicats alertent sur l'utilisation de véhicules privés sous les applications de taxi dans le trafic de contrebandes, de drogue et d'alcool, contribuant à une économie illégale.
Des données choquantes
Un rapport de 2024 élaboré par People's Association in Grassroots Action and Movement (PAIGAM) et financé par l'Université de Pennsylvanie dévoile des faits troublants sur les conditions de vie et de travail des salarié.es sur les plateformes en Inde. En effet, cette recherche intitulée « Prisonniers sur roues ? » [Trad. Libre] révèle que 83 % du personnel de taxi des plateformes travaillent plus de 10 heures par jour, 60 % plus de 12 heures et 31 % plus de 14 heures.
Ces longues périodes assises immobiles sur un siège ont pour conséquences des problèmes de santé, comme des douleurs musculaires aux pieds, aux jambes, aux genoux et au dos, des maux de tête, du stress, de la dépression, et bien d'autres symptômes causés par les conditions de ce travail. Cela fait aussi en sorte que les employé.es ont moins d'heures de sommeil et les mettent en danger..

Malgré ces longues journées de travail, 43 % de ces personnes gagnent moins de 500 roupies par jour, ce qui équivaut à un peu moins de 8 $ CAN. En tout, 70 % des salarié.es reçoivent un revenu en dessous de 1 000 roupies par jour, donc un peu plus de 16 $ CAN, après les déductions.
Comme les salaires ne sont pas élevés, les applications prennent en plus une importante portion des revenus sur chaque trajet. En effet, 35 % d'entre du personnel déclarent que ces entreprises prennent une commission de 31 % à 40 % par trajet. Approximativement 23 % disent que c'est plutôt entre 41 % et 50 %.
En plus de ne recevoir qu'une fraction de ce qu'ils gagnent, 68 % des personnes répondantes rapportent avoir subi des déductions inexpliquées et arbitraires à travers l'algorithme des applications. Cela comprend des changements dans les taux de commission ou des paiements en ligne. Également, 83 % des réponses rapportent des blocages ou à des désactivations des applications les empêchent de travailler.
Des demandes qui ne sont pas nouvelles
Ce n'est pas la première fois que le monde du travail du taxi et des tuk-tuk manifestent pour leurs droits. Aussi, cette grève générale s'inscrit dans un mouvement plus large pour améliorer les conditions de travail des employé.es fonctionnant avec les applications bien avant le Covid. On peut mentionner d'autres manifestations en 2018 organisées entre autres dans les villes de Pune, Delhi et Mumbai par des salarié.es d'Uber, d'Ola, de Swiggy et de Zomato (ces deux dernières sont des plateformes de livraison). Elles dénonçaient les mauvaises pratiques de ces entreprises envers le personnel et leur demandaient de meilleures conditions de travail. Certaines grèves, notamment dans la ville de Guwahati en 2023, ont davantage impacté les déplacements de la population.

Bref, les manifestations sont récurrentes contre ces applications dans ce secteur d'activité, démontrant que les conditions de travail dans le secteur du taxi sont encore à améliorer. Malgré les tentatives des syndicats pour sensibiliser les autorités et le gouvernement concernant les problématiques avec Ola, Uber et les plateformes similaires, les directions politiques ne réagissent pas beaucoup et n'appliquent pas d'actions assez efficaces pour réduire les désagréments qu'ont le personnel du secteur des taxis dans leur emploi. Cette situation est empirée par le silence criant des entreprises numériques, qui se taisent face aux problèmes qu'ils apportent à l'industrie.
Ainsi, les 15 syndicats demandent que le gouvernement soutienne davantage le monde traditionnel du travail dans le taxi pour qu'il soit moins pénalisé par les iniquités créées par Ola et Uber. Aussi, ils exigent que les autorités légifèrent plus afin que ces compagnies respectent les droits des travailleuses et des travailleurs et qu'il y ait une plus grande transparence de leurs pratiques. Certains secteurs salariés veulent même que ces applications soient bannies du marché, alors que d'autres proposent le développement d'une application gouvernementale du secteur du taxi. L'objectif est d'apporter, d'améliorer et de sécuriser des conditions de travail saines et généralisées.
La mobilisation du monde du travail dans le taxi en Inde demande d'améliorer les conditions de travail, ainsi que les ressources d'aide. La sensibilisation et la participation de la population en appui à ce mouvement sont essentielles et résonnent avec les manques aux droits du monde du travail en Inde.
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Confronté à une contestation sans précédent, l’appareil israélien fait front commun

En Israël, les manifestations antigouvernementales, de plus en plus violemment réprimées, ne cessent d'enfler, mais se heurtent à un système militaire et politique qui a tout à craindre d'une commission d'enquête indépendante.
Tiré de Courrier international.
Samedi 7 septembre, “onze mois jour pour jour après le samedi noir” [les massacres commis en Israël le 7 octobre 2023 par le Hamas palestinien], “près de 400 000 manifestants se sont rassemblés devant la porte Begin [du nom de Menahem Begin, premier Premier ministre issu du Likoud]”, face à la Kirya, un quartier situé au cœur de Tel-Aviv et considéré comme l'équivalent israélien du Pentagone américain, rapporte Ilana Curiel dans Yediot Aharonot.
Durant la manifestation, “la plus imposante de l'histoire d'Israël”, Einav Zangauker, mère d'un otage israélien, criait : “Tant que Benyamin Nétanyahou restera au pouvoir, nos proches continueront à revenir dans des sacs mortuaires.”
Dans une marée de drapeaux israéliens et de rubans jaunes, les manifestants scandaient “Maintenant ! Maintenant !” pour exiger que le gouvernement parvienne à un cessez-le-feu avec le Hamas afin de libérer les derniers otages. “On les veut vivants !” lisait-on encore sur des pancartes brandies par des manifestants.
La répression se durcit
Les manifestations quasi quotidiennes, démarrées au lendemain de la découverte, le 1er septembre, dans un tunnel de la bande de Gaza, des corps de six otages israéliens tués “à bout portant”, selon Israël, n'ont cessé d'enfler depuis.
Mais elles sont de plus en plus durement réprimées par la police israélienne, “désormais sous la coupe du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir [extrême droite suprémaciste]”, s'inquiète Bar Peleg dans Ha'Aretz. “Plusieurs manifestants ont été placés en garde à vue et ont reçu des pressions pour qu'ils ‘avouent' avoir été payés pour manifester contre le gouvernement israélien”, poursuit le journaliste.
Ces événements interviennent alors que, malgré l'état d'urgence imposé par la guerre, Yariv Levin, le ministre de la Justice israélien [qui appartient au Likoud, le parti du Premier ministre], “œuvre encore et toujours pour placer la Cour suprême d'Israël sous la coupe du gouvernement et de la Knesset [Parlement israélien]”. Même si l'actuelle Cour suprême parvient pour l'instant à protéger son indépendance
Un “putsch” toujours d'actualité
L'on pourrait croire que cet “activisme anticonstitutionnel” est déconnecté de la réalité née du 7 octobre 2023. Mais il n'en est rien, selon Yossi Verter, toujours dans Ha'Aretz.
“Placer la Cour suprême sous les fourches caudines de l'exécutif et de la Knesset permettrait à Nétanyahou d'échapper à une Commission d'État nommée par la Cour suprême et chargée d'instruire les manquements du gouvernement et de l'état-major de Tsahal ayant conduit au désastre du 7 octobre 2023.”
Les instances dirigeantes israéliennes, militaires comme politiques, “ont tout à craindre d'une immixtion de la Cour suprême”, abonde Avi Ashkenazi dans Maariv.
“Au mépris de l'opinion publique israélienne et surtout des familles des victimes et otages du 7 octobre 2023, des sources militaires, anonymes mais présentes au sommet de l'état-major, confirment que Tsahal [l'armée israélienne] se démène pour empêcher à tout prix la mise sur pied d'une commission d'enquête indépendante” et protéger non seulement le Premier ministre, mais aussi Herzl Halevi, le chef d'état-major, “considéré jusqu'à il y a peu comme innocent”.
Les manifestations continueront-elles de prendre de l'ampleur et suffiront-elles à provoquer un dénouement positif pour les dizaines d'otages encore retenus par le Hamas ? Pour l'instant, rien ne semble moins sûr, selon Yossi Verter, pour qui “les appareils politique et militaire se protégeront mutuellement”.
Pascal Fenaux
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Les négociations pour un cessez-le-feu comme arme de guerre

Nos espoirs d'un cessez-le-feu sont instrumentalisés contre nous. À chaque fois, les politiciens font des déclarations, les médiateurs font la navette entre les capitales, les gros titres promettent une percée, puis tout s'écroule. Et à chaque fois, mes espoirs se brisent.
Tiré de France-Palestine
31 août 2024
Mondoweiss par Malak Hijazi
Photo : Au moins 22 Palestiniens confirmés morts dans le massacre d'Israël ciblant un camp de tentes abritant des familles déplacées à Rafah 28 mai 2024 © Quds News Network
Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis accroché à l'espoir d'un cessez-le-feu, pour le voir ensuite réduit en poussière. La guerre à Gaza se poursuit alors que l'été 2024 touche à sa fin, et la promesse de mettre fin à toutes nos souffrances apparaît de plus en plus comme une cruelle illusion.
Chaque fois que les médias mentionnent de nouvelles négociations, je ressens une lueur d'espoir – une petite flamme fragile s'allume en moi : peut-être, juste peut-être, cette fois-ci sera différente. Mais mon cœur, au fond de moi, connaît trop bien le schéma.
Depuis que le temps s'est arrêté en octobre et que l'incertitude règne, ma vie s'est trouvée comme suspendue. J'ai fait la liste de ce que j'allais faire dès que la guerre prendrait fin : rétablir le contact avec mes proches qui sont dans le sud de Gaza et que je ne peux pas voir maintenant, prendre une grande bouffée de liberté, imaginer ce qui nous attend et faire le deuil de ceux qui ont perdu la vie.
À Gaza, pour le moment, nous n'avons pas le loisir de faire correctement notre deuil. Nos journées sont rythmées par une routine impitoyable : courir d'un endroit à l'autre pour échapper aux bombes, écouter les nouvelles, chercher de l'eau et de la nourriture, et ramasser du bois pour faire du feu.
Encore et encore, le schéma familier se reproduit : les négociations échouent, les différents camps s'accusent mutuellement, et l'espoir glisse entre mes doigts comme du sable.
Chaque mois, on assiste au même scénario : les politiciens font des déclarations, les médiateurs font la navette entre les capitales et les gros titres annoncent une percée. Il y a quelques progrès, puis un pas en avant significatif, mais Israël refuse de faire la moindre concession, et tout s'écroule.
Un peu d'espoir, puis des massacres
Les habitants de Gaza sont victimes d'incessants massacres. Mais ils sont aussi les victimes du fait que leur espoir même est utilisé comme une arme contre eux. A l'ombre des négociations, Israël déclenche ses massacres les plus brutaux.
Au cours de ces dix mois de génocide, il y a eu d'innombrables moments où ma famille et moi-même nous sommes accrochés à l'espoir, avant qu'il ne soit brisé par un nouveau massacre. Encore et encore, nos espoirs ont été trahis, les miens et ceux de tous ceux que je connais.
Après le premier cessez-le-feu de novembre, il a été question de le prolonger et de mettre fin à la guerre. J'ai ressenti un bref réconfort, mais il a vite été anéanti.
Une semaine seulement après la rupture du cessez-le-feu, j'ai vécu le pire jour de ma vie. L'armée israélienne a envahi ma maison, nous obligeant, ma famille et moi, à partir en pleine nuit, sans téléphone ni lumière. J'étais terrifié, surtout lorsqu'un soldat israélien a menacé de nous tuer. J'étais terrorisé, les larmes coulaient sur mon visage pendant que nous avancions.
Nous avons finalement trouvé refuge dans un hôpital, où j'ai dormi sur un sol dégoûtant, avant de nous rendre chez un parent. Un mois plus tard, nous sommes revenus dans un quartier méconnaissable. Notre maison avait été partiellement détruite, et de nombreuses familles avaient entièrement perdu la leur.
En mars, ma tante nous a appelés, convaincue que la guerre prendrait fin avant le ramadan, d'après les nouvelles qu'elle avait eues. Elle était heureuse et pleine d'espoir, et nous parlait de ses projets pour après la guerre et des plats qu'elle allait cuisiner.
Mais peu de temps après, l'armée israélienne a envahi pour la deuxième fois l'hôpital al-Shifa et le quartier environnant, où vivait ma tante. Elle est restée enfermée chez elle pendant trois jours, en plein Ramadan, sans eau ni nourriture, terrifiée par le bruit des chars qui bombardaient aveuglément tout ce qui se trouvait autour d'eux.
Lorsque nous l'avons appelée, elle pleurait, sentant que la mort était proche. L'armée israélienne a fini par envahir sa maison, la forçant, elle, ses enfants et les voisins, à se déplacer à pied vers le sud, l'estomac vide, en marchant sur les corps des morts.
En mai 2024, le Hamas a fait savoir qu'il était prêt à accepter un cessez-le-feu proposé par le président américain Joe Biden. Pendant un bref instant, les gens ont cru que les horreurs de la guerre allaient enfin prendre fin.
Je me souviens parfaitement de ce jour. Les familles déplacées, réfugiées dans une école voisine, criaient de joie et faisaient la fête, toute heureuses à l'idée que la fin de leurs épouvantables souffrances approchait. Les voisins pleuraient de joie et mes petites nièces sautaient de joie.
Mais cette joie a été de courte durée. Dès le lendemain, Israël a lancé une invasion de Rafah, réduisant à néant le bref espoir qu'avait suscité la perspective de la fin des hostilités.
Chaque cycle de négociations est accompagné de ce que l'on appelle une « pression militaire » accrue sur le Hamas, ce qui se traduit souvent par l'assassinat de nouveaux Palestiniens. Israël emploie une stratégie qui consiste à commettre des crimes de guerre et des massacres pour faire échouer les négociations, comme brûler les tentes des personnes déplacées, tuer plus de 200 Palestiniens pour libérer quatre captifs israéliens, ou tuer 100 Palestiniens pendant les prières de l'aube.
Israël prétend que ces crimes sont nécessaires pour imposer ses conditions à un cessez-le-feu. Mais quelles sont ces conditions ? Israël ne souhaite pas vraiment la fin de la guerre.
Il ne cherche qu'une brève pause pour se réorganiser avant de revenir tuer d'autres Palestiniens.
Israël veut contrôler les corridors de Philadelphie et de Netzarim pour dominer indéfiniment la vie des Palestiniens, en bloquant l'accès à la nourriture et aux médicaments, en augmentant les restrictions de voyage et en rendant une fois de plus la vie à Gaza invivable. Et le régime d'occupation empêche toujours les Palestiniens de retourner dans leurs maisons au nord de Gaza.
Quand notre espoir est instrumentalisé contre nous
Après chaque échec des négociations pour un cessez-le-feu, je m'interroge sur l'objectif de la guerre en cours : Que veut vraiment Israël ? Une guerre régionale ? L'éradication complète des Palestiniens de Gaza ? Le déplacement forcé des Palestiniens vers l'Égypte ? Quels sont les plans qu'il élabore en secret ? Je me surprends à suranalyser chaque déclaration des dirigeants israéliens et des candidats à la présidence américaine.
Nos vies semblent contrôlées par des psychopathes criminels.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a affirmé qu'il n'y aurait pas de retrait des forces militaires israéliennes de Gaza. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie-t-il qu'ils peuvent envahir notre ville quand ils veulent, en tuant tout le monde sur leur passage et en détruisant toutes les maisons restantes ? Et pour combien de temps ? Deux, trois ou même dix ans ?
Serons-nous constamment menacés, devrons-nous vivre dans la crainte d'être tués ou blessés tout le reste de notre vie, si nous avons la chance de survivre ?
La décision des Démocrates d'allouer 3,5 milliards de dollars supplémentaires à Israël après que Kamala Harris a appelé à la fin de la guerre est d'une remarquable hypocrisie. Ce double-jeu met en lumière toute la fourberie étasunienne. Combien d'enfants vont encore mourir ? Combien de maisons vont encore être détruites ? Combien de rêves vont encore être anéantis ?
Lorsque Donald Trump soutient l'élargissement des territoires d'Israël, qu'est-ce que cela implique ? Quelles sont les terres qui seront saisies ? Allons-nous être relocalisés de force dans le désert du Sinaï ?
Les États-Unis et Israël veulent tous deux une victoire militaire et un gain politique, le tout à nos dépens. Mais personne ne semble s'inquiéter de reconstruire Gaza.
Nos enfants doivent pourtant retourner à l'école et nous avons besoin d'universités et d'hôpitaux. Pendant que nous luttons pour reprendre en main nos vies et restaurer nos infrastructures, l'accent reste mis sur les objectifs politiques et militaires, sans tenir compte de nos besoins essentiels et nos perspectives d'avenir.
À l'approche du premier anniversaire de cette guerre, je me suis rendu compte que ces négociations de cessez-le-feu ne sont qu'une arme de plus dans cette guerre.
Elles nous font miroiter la promesse de mettre fin à cet holocauste, pour ensuite la réduire à néant lorsque nous tendons la main. J'entends le monde parler de la nécessité d'un cessez-le-feu, j'entends les discours et je vois les gros titres, mais ici, sur le terrain, rien ne change.
Les massacres se succèdent de plus en plus horribles, et les innocents qui rêvaient de la fin de la guerre meurent.
Je me demande quel était l'espoir de ceux qui ont été tués. Comme moi, ils faisaient des projets pour la fin de la guerre. Mais que faire d'autre ? Même celui qui se noie s'accroche à l'espoir d'une bouée de sauvetage.
Ce qui me permet de supporter le poids de la vie, c'est l'espoir, et ce qui me brise à chaque fois, c'est aussi l'espoir.
Traduction :Chronique de Palestine
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Les otages israélien.ne.s et les Palestinien.ne.s méritent tout autant d’être pleuré.e.s

Nous pleurons la mort des six otages israélien.ne.s retrouvé.e.s tué.e.s ce week-end, tout comme nous pleurons les 47 Palestinien.ne.s tué.e.s le même jour par Israël, et les plus de 40 000 personnes tuées depuis le 7 octobre 2023.
3 septembre 2024 IJV Canada
Ces morts auraient pu être évitées. Au moins 3 des Israélien.ne.s tué.e.s figuraient sur une liste afin d'être libéré.e.s en juillet, si Israël avait décidé d'accepter un accord déjà accepté par le Hamas. Mais non. Le gouvernement israëlien a décidé de tuer le négociateur en chef du Hamas et a donné la priorité à la poursuite de sa campagne militaire plutôt qu'à la sécurité des otages capturé.e.s.
En fait, toutes les vies perdues depuis le 7 octobre auraient pu être évitées si Israël et ses bailleurs de fonds occidentaux, dont le Canada, avaient cherché à remédier à la situation insupportable qui a conduit aux événements du 7 octobre. Au lieu de cela, nous avons armé Israël et lui avons donné carte blanche pour agir en clamant la « légitime défense » contre un peuple illégalement occupé et emprisonné.
Les Israélien.ne.s tué.e.s le 7 octobre auraient également pu être épargné.e.s si les Palestinien.ne.s de Gaza n'avaient pas été poussé.e.s au désespoir, si leurs vies n'avaient pas été abandonnées et dévalorisées par le régime d'apartheid génocidaire d'Israël. On oublie parfois que les Israélien.ne.s ont tué 23 000 Gazaoui.e.s dans diverses attaques au cours de la décennie précédant le 7 octobre 2023.
Malheureusement, nous ne pouvons pas revenir en arrière. Mais nous pouvons avancer dans une direction différente. Une direction dans laquelle les vies des Palestinien.ne.s ont autant de valeur que celles des Israélien.ne.s. Pas moins, pas plus.
Malheureusement, la réaction disproportionnée aux morts des 6 otages israélien.ne.s sert à perpétuer le statu quo dans lequel la vie des Israélien.ne.s a infiniment plus de valeur que celle des Palestienien.ne.s. Les six Israélien.ne.s tué.e.s sont désormais des noms et des visages connus. Les dizaines de milliers de Palestinien.ne.s tué.e.s, en revanche, sont mort.e.s sans que l'on connaisse leurs noms, leurs visages, leurs histoires. Leurs vies méritent tout autant d'être connues et leurs pertes d'être pleurées. Nous nous opposons à cette division raciste de l'humanité par notre gouvernement, par les médias canadiens, par nos compatriotes juif.ve.s canadien.ne.s et par la société israélienne.
Notre Talmud nous enseigne qu'une personne qui détruit une seule vie détruit un monde entier, et que chaque personne qui sauve une vie sauve un monde entier. Cet enseignement est partagé par le Coran, qui indique que celui qui détruit une seule vie détruit l'humanité toute entière, et qu'une personne qui sauve une seule vie, sauve l'humanité toute entière. Nous pleurons chaque vie détruite, chaque monde possible éteint, comme une perte immense.
Pendant ce temps, un nouveau mouvement de protestation s'est déclenché au cours du week-end en Israël, où nous avons vu quelque 700 000 Israélien.ne.s descendre dans la rue pour réclamer un accord sur les otages. Si ces manifestations nous permettent d'espérer qu'un cessez-le-feu négocié est en vue, elles montrent aussi tristement où en est la société israélienne après près d'un an de génocide israélien à Gaza.
À l'instar du précédent mouvement de manifestations en Israël contre les réformes judiciaires, les nouvelles manifestations concernent résolument et sans équivoque la vie des Israélien.ne.s, en omettant complètement les Palestinien.ne.s. Iels se sont rassemblé.e.s parce que les Israélien.ne.s se sont rendu.e.s compte que le génocide mettait également en danger la vie des Israélien.ne.s, et non parce qu'iels ont soudainement réalisé qu'Israël était allé trop loin dans sa campagne génocidaire.
On entend des cris à Rama-
Des lamentations, des larmes amères-
Rachel pleure ses enfants.
Elle refuse d'être consolée
Sur ses enfants, car ils ne sont plus.
– Jérémie 31:15
Nous sommes en deuil avec les innombrables parents qui pleurent amèrement leurs enfants disparus. Nous refusons de nous laisser réconforter par les promesses creuses de nos politicien.ne.s, alors que chaque jour apporte son lot de morts et qu'iels continuent à ne rien faire face à ce génocide. Le monde entier réclame un cessez-le-feu et la justice pour la Palestine.
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Caractérisation du génocide en cours à Gaza : chronologie d’un tabou

Depuis 75 d'occupation et de régime d'apartheid imposés par Israël au peuple palestinien, et au cours des nombreux épisodes sanglants qui ont ponctué cette longue période, les termes reviennent : crimes génocidaires, nettoyage ethnique, génocide. Si elles ont toujours été vivement niées par Israël et ses soutiens, ces accusations n'en sont pas moins sérieuses. Depuis le 7 octobre, de nombreux·ses ONG, défenseur·ses des droits humains et historien·nes qualifient les massacres perpétrés par Israël à l'encontre des civils palestiniens de génocide, faisant de plus en plus consensus. Retour sur bientôt 11 mois de débats sur la caractérisation d'un génocide encore en cours.
Tiré d'Agence médias Palestine.
Définition
Le terme « génocide » est codifié par les Nations unies dans la Convention sur le génocide de 1948 et défini comme « des actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».
Entre le 7 octobre et le 28 août, date de rédaction de cet article, au moins 40 435 Palestinien·es ont été assassiné·es par Israël. En prenant en compte les morts liées aux suites des blessures, aux épidémies et à la famine causées pas les exactions de l'armée israélienne à Gaza, ce chiffre pourrait être multiplié par 4, selon une étude du Lancet.
Mais un nombre élevé de morts ne constitue pas à lui seul une preuve de génocide. Les experts juridiques précisent que l'intention est un élément clé. Là aussi, les éléments ne manquent pas, à commencer par les déclarations du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu immédiatement après le massacre du 7 octobre, dans lesquelles il a qualifié Gaza de « ville du Mal ». : « Nous réduirons en ruines tous les endroits où le Hamas se déploie et se cache. Je déclare aux habitants de Gaza : sortez de là maintenant. Nous agirons partout et avec toute notre puissance ».
Pour Anisha Patel, chercheuse juridique au sein de l'association Law for Palestine, « Les intentions que nous avons observées sont nombreuses et proviennent de tous les secteurs de l'État israélien ». Son association, qui fournit des analyses juridiques sur le droit international en rapport avec les Palestiniens, affirmait en décembre 2023 avoir identifié plus de 400 cas « à tous les niveaux de l'élite israélienne » exprimant ce que l'organisation considère comme une preuve d'intention génocidaire.
Alors que la violence de l'armée israélienne continue de s'abattre sur les Palestinien·nes et que les déclarations déshumanisantes se suivent dans les discours des dirigeant·es israélien·nes, de plus en plus d'expert·es affirment qu'il s'agit bien d'un cas de génocide.
Chronologie non-exhaustive
Pour certain·es, il n'a pas fallu onze mois de bombardements et de blocage de l'aide humanitaire pour trouver le mot. Car comme le démontre Anisha Patel, l'intention était clairement formulée dès le début du mois d'octobre.
Dès le 13 octobre, peu après la déclaration du blocus total de Gaza par Yoav Galland « Pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », et alors que le premier ordre israélien d'évacuation du nord de Gaza contraint plus d'un million de civils, dont la moitié sont des enfants, à se lancer dans une fuite frénétique au milieu de bombardements, le professeur agrégé d'études sur l'Holocauste et les génocides Raz Segal titre son analyse de la situation dans le média Jewish Current : « Un cas d'école de génocide ».

« Human Rights Watch a confirmé que les armes utilisées incluent des bombes au phosphore, qui mettent feu aux corps et aux immeubles, créant des flammes qui ne peuvent être éteintes au contact de l'eau. Cela illustre clairement ce que Gallant signifie par « agir en conséquence » : non pas cibler individuellement les militants du Hamas, comme le clame Israël, mais déchainer une violence meurtrière contre les Palestinien.ne.s de Gaza « en tant que tels », pour reprendre le langage de la Convention sur le génocide de l'ONU. », explique Raz Segal. « Je dis ça en tant qu'expert du génocide, qui a passé de nombreuses années à écrire à propos de la violence de masse d'Israël contre les Palestinien.ne.s. J'ai écrit sur le colonialisme de peuplement et la suprématie juive en Israël, la déformation de l'Holocauste pour renforcer l'industrie militaire israélienne, l'instrumentalisation d'accusations d'antisémitisme comme arme pour justifier la violence israélienne contre les Palestinien.ne.s, et le régime raciste d'apartheid Israélien. »
Le même jour, plusieurs organisations palestiniennes de défense de droits humains signent une tribune exhortant les États tiers à intervenir de toute urgence pour protéger le peuple palestinien contre le génocide : « Il est indiscutable qu'Israël impose délibérément au peuple palestinien des conditions de vie susceptibles d'entraîner sa destruction physique totale ou partielle. Il incombe désormais à la communauté internationale d'intervenir pour empêcher un génocide imminent. »

Fin octobre, le directeur du bureau des droits de l'homme à l'ONU signe sa lettre de démission, dans laquelle il affirme : « En tant que juriste spécialisé dans les droits de l'homme, avec plus de trente ans d'expérience dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l'objet d'abus politiques. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, ancré dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, dans le prolongement de décennies de persécution et de purge systématiques, entièrement fondées sur leur statut d'Arabes, et associé à des déclarations d'intention explicites de la part des dirigeants du gouvernement et de l'armée israéliens, ne laisse aucune place au doute ou au débat. »
Au fil des mois et alors que l'horreur se perpétue, les déclarations se poursuivent, dont nous proposons ici une chronologie non-exhaustive. Accompagnées d'exhortations à la communauté internationale, aux gouvernements, aux populations, de ne pas rester impuissant·es face au génocide.
Chronologie-genocide : téléchargez ici.
Le 29 décembre 2023, l'Afrique du Sud dépose auprès de la Cour Internationale de Justice une requête affirmant que les actes et omissions d'Israël à l'égard des Palestiniens de Gaza depuis le 7 octobre 2023 revêtent un caractère génocidaire et qu'Israël viole ses obligations aux termes de la Convention de 1948 des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. Les 11 et 12 janvier 2024, les audiences consacrées à la demande de l'Afrique du Sud se déroulent à La Haye. Le dossier de 84 pages accuse Israël d'actes et d'omissions à caractère génocidaire, car commis avec l'intention spécifique requise de détruire les Palestiniens à Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique palestinien au sens large.
Le verdict de la CIJ est rendu le 26 janvier 2024 : le tribunal conclut que la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël pour violation de la convention sur le génocide est « plausible ». La Cour ordonne à Israël de prévenir et punir tous les actes qui relèvent de la convention sur le génocide.
De nombreuses organisations de défense des droits de l'homme et milant·es s'appuient sur cette décision pour légitimer leur propre usage du terme et exhorter la communauté internationale, les gouvernements, la société civile à réagir. Le 16 avril, un sondage révèle qu'un français sur trois estime qu'Israël commet un génocide à l'encontre des Palestiniens de Gaza.
Dans un court essai publié par le Guardian le 13 août 2024, Omer Bartov, historien de l'holocauste et spécialiste du génocide, raconte son récent séjour en Israël et la difficulté d'y exprimer sa conviction que l'armée israélienne perpétue un génocide. Dans son texte, puis dans une interview donnée au journaliste Owen Jones, il explique comment il en est venu à caractériser le génocide et les réticences auxquelles il a été confronté.
« Le 10 novembre 2023, j'ai écrit dans le New York Times : « En tant qu'historien du génocide, je pense qu'il n'y a aucune preuve qu'un génocide a lieu actuellement à Gaza. […] L'histoire nous apprend qu'il est crucial d'alerter sur les risques de génocide avant qu'ils ne se produisent, plutôt que de les condamner tardivement une fois qu'ils ont eu lieu. Je pense que nous avons encore le temps de le faire ». Je ne le crois plus. […] Au moins depuis l'attaque des FDI à Rafah le 6 mai 2024, il n'est plus possible de nier qu'Israël est engagé dans des crimes de guerre systématiques, des crimes contre l'humanité et des actions génocidaires. »
Après avoir détaillé les raisons sémantiques de cet usage du terme, il ajoute : « Je n'ai pu discuter de ces questions qu'avec une très petite poignée de militants, d'universitaires, d'experts en droit international et, ce qui n'est pas surprenant, de citoyens palestiniens d'Israël. Au-delà de ce cercle restreint, de telles déclarations sur l'illégalité des actions israéliennes à Gaza sont anathèmes en Israël. Même la grande majorité des manifestants contre le gouvernement, ceux qui appellent à un cessez-le-feu et à la libération des otages, ne les admettront pas. »
Car si le terme semble de plus en plus communément admis dans certains cercles, il n'en reste pas moins l'objet de vives critiques et attaques, et peu de dirigeant·es l'utilisent. Comment expliquer un tel fossé entre les expert·es en génocide, les organismes de défenses des droits humains et les militant·es d'une part, et les gouvernements occidentaux, qui peinent à reconnaitre qu'un génocide est en cours ?

Censure des voix palestiniennes, répression des militant·es
Le 21 novembre dernier, l'Agence Média Palestine publiait une traduction d'un article de Rabea Eghbariah, avocat spécialisé dans les droits humains terminant ses études doctorales à la Harvard Law School, qui avait été censuré par la Harvard Law Review au cours d'une procédure inédite pour la revue. Il s'agissait du premier article écrit par un universitaire palestinien pour cette revue juridique, et le terme génocide, largement argumenté et documenté, y était employé pour définir les crimes d'Israël à Gaza.
« La discussion n'a pas porté sur les aspects techniques ou le fond de votre article », a écrit Tascha Shahriari-Parsa, éditrice, à Eghbariah. « La discussion a plutôt porté sur des préoccupations concernant les rédacteurs qui pourraient s'opposer à l'article ou être offensés par celui-ci, ainsi que sur la crainte que l'article ne provoque une réaction de la part de membres du public qui pourraient à leur tour harceler, dénoncer ou tenter d'intimider nos rédacteurs, notre personnel et la direction de HLR ».

Ces formes de censures, souvent appliquées dans des procédures exceptionnelles rocambolesques, ont été fréquemment observées depuis le 7 octobre 2023, alors que le blackout imposé par Israël à Gaza, ainsi que le ciblage de journalistes en exercice de leur fonction, rend déjà très difficile le relais de l'information.

Double standard des médias occidentaux
Si la société civile autant que la communauté internationale peine à prendre la mesure de ce qu'il se passe à Gaza, c'est aussi car les médias occidentaux participent à déshumaniser les Palestinien·nes et à invisibiliser leurs souffrances, affirmait Yara Hawari, codirectrice d'Al-Shabaka, lors du 2024 Annual Palestine Forum, organisé par l'Institute for Palestine Studies et l'Arab Center for Research and Policy Studies à Doha, au Qatar, en février 2024.

Outre la légèreté avec laquelle le groupe TF1 invitait le 30 mai dernier le premier ministre israélien à prendre la parole à une heure de grande écoute, on observe d'une manière générale dans les médias occidentaux que les sources israéliennes sont généralement acceptées comme « fiables », y compris lorsqu'elles ne fournissent aucune preuve. À l'inverse, les sources palestiniennes sont souvent citées au conditionnel ou traitées avec beaucoup de précaution.
L'emploi des mots est aussi vivement critiqué par les militant·es. Par exemple, les bombardements israéliens à Gaza seront rapportés comme des « explosions » dont personne n'est responsable, jusqu'à ce que l'armée israélienne en accepte ou en nie la responsabilité. », résumait le journaliste Daniel Boguslaw en janvier dernier. Depuis octobre, de nombreux activistes dénoncent par exemple qu'on parle de « mort·es » plutôt que de « tué·es » ou « assassiné·es », de « mineurs » plutôt que d' « enfants », de « guerre » plutôt que de « génocide ».« Des milliers de personnes meurent et sont mutilées, submergées par un flot de violence qu'on ne pas peut qualifier de guerre, sauf par paresse », déclarait le journaliste Raffaele Oriani dans une lettre adressée à la direction de son journal, annonçant sa démission afin de dénoncer le traitement médiatique de la situation à Gaza.
Dans un texte publié sur le média Mondoweiss, le collectif Writers Against the War in Gaza (WAWG) dénonce ce double standard dans une analyse linguistique comparative des termes utilisés par le journal The New-York Times pour qualifier les affrontements en Ukraine et à Gaza. L'emploi des mots est un enjeu majeur ici, car il participe à la réception des informations que nous recevons, et à la désensibilisation devant des massacres qui se perpétuent en direct et au regard de tous·tes.
Pas qu'un mot
La bataille est plus que sémantique : si le mot est important, c'est aussi parce que l'article premier de la Convention de 1948 dispose que les États signataires ont l'obligation de tout mettre en œuvre pour prévenir les génocides.
Certain·es militant·es et universitaires ont critiqué le débat que soulevait ce terme, ou même les actions menées par l'Afrique du Sud pour faire reconnaitre le génocide à Gaza. Prouver la qualification de génocide prend du temps, et n'empêche pas les personnes d'être tuées. L'émotion que suscite le terme, et la vigueur des débats qu'il entraîne, détournerait l'attention des mesures urgentes à prendre.
Pour répondre à ces arguments, Raz Segal rappelle que le gouvernement américain a refusé de qualifier de génocide les crimes commis contre les Tutsis au Rwanda, car cela signifiait qu'il aurait dû envoyer du personnel pour intervenir. Les mots sont des idées, nous en avons besoin pour comprendre une situation et pour y réagir. « Si nous ne nous en tenons pas à la vérité, nous ne pourrons jamais faire un bilan honnête de la façon dont nous sommes arrivés au 7 octobre et de la façon dont nous allons aller de l'avant », déclare Segal. « Nous devons nommer les choses pour ce qu'elles sont. »
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Attaques en Cisjordanie : Pour les dirigeants occidentaux, il n’y a pas de ligne rouge pour les massacres perpétrés par Israël

Enhardi par les États-Unis et d'autres puissances occidentales, Israël estime qu'il peut s'en tirer en déchaînant l'enfer sur tous les Palestiniens.
Tiré de France-Palestine
3 septembre 2024
Par Middle East Eye par Lubna Masarwa
Photo : L'armée israélienne détruit des routes au bulldozer dans le camp de réfugiés de Jénine © Quds News Network
L'assaut de l'armée israélienne contre quatre camps de réfugiés et presque toutes les villes du nord de la Cisjordanie occupée, à l'aide d'armes de combat, d'atterrissages d'hélicoptères de type commando, de drones et de bulldozers, ne peut être considéré comme une réponse à la guerre contre Gaza.
Il s'agit d'une opération bien plus importante qu'une opération de "contre-terrorisme" revendiquée par Israël.
La guerre en Cisjordanie était prévue avant l'attaque du Hamas le 7 octobre de l'année dernière, m'a dit un membre haut placé du Fatah ayant des liens étroits avec les cercles de sécurité.
Elle a été reportée par la guerre de Gaza, mais aussi affinée et peaufinée par elle.
Lorsqu'Israël a vu combien de sang palestinien les États-Unis et l'Europe étaient prêts à tolérer à Gaza - combien de destructions, combien de millions de personnes seraient continuellement déplacées, et pour combien de temps - Israël s'est senti enhardi à faire subir le même enfer à sa véritable cible : la Cisjordanie occupée.
Écrasez la Cisjordanie et le peuple palestinien pourra dire adieu à son État pour toujours.
Tel est le message que Bezalel Smotrich, ministre d'extrême droite et colon qui s'efforce de faire passer la gouvernance de la Cisjordanie occupée d'un contrôle militaire à un contrôle civil, n'a cessé de diffuser publiquement.
À l'instar de la guerre à Gaza, l'opération "Camps d'été" ne vise pas principalement les groupes de résistance locaux ou leurs dirigeants, bien que plusieurs d'entre eux aient déjà été pris pour cible et tués.
Les attaques terrestres et aériennes contre Jénine, Tulkarem et Tubas, ainsi que la mise en place d'un siège, le bouclage des hôpitaux et la détention du personnel médical, sont toutes dirigées contre la population, tout comme à Gaza.
Les bulldozers entrent en action, non pas pour dégager un chemin pour les chars, mais pour creuser les conduites d'eau et les égouts indispensables à la vie, sachant que dans six mois, la Cisjordanie occupée connaîtra des flambées de maladies graves et des épidémies, comme c'est le cas à Gaza aujourd'hui.
N'allons pas croire qu'il s'agit simplement d'un plan de Smotrich visant à annexer furtivement la majeure partie de la Cisjordanie et à forcer d'importants transferts de population vers la zone A - la zone encore théoriquement sous le contrôle de l'Autorité palestinienne (AP) - ou mieux encore, du point de vue d'Israël, vers la Jordanie.
Il s'agit d'un plan gouvernemental. Peu après le début de l'offensive de l'armée, le ministre israélien des affaires étrangères, Israël Katz, a appelé à des transferts de population, sous le couvert d'une "évacuation temporaire".
"C'est une guerre pour tout et nous devons la gagner", a déclaré M. Katz.
Objectif clinique
Smotrich lui-même a révélé, lors d'un discours aux colons enregistré par un militant de Peace Now, que son plan bénéficiait du soutien total du Premier ministre. Benjamin Netanyahou est "tout à fait d'accord avec nous", a déclaré M. Smotrich.
Il a qualifié de "méga-dramatique" son projet de modifier de manière irréversible la manière dont la Cisjordanie occupée est gouvernée, ajoutant que "de tels changements modifient l'ADN d'un système".
Pour le citoyen israélien juif moyen, l'opération en Cisjordanie, c'est de la viande et de la boisson.
Si la communauté internationale nous a autorisés à transférer plus de deux millions de Palestiniens à Gaza, se disent-ils et se répètent-ils, nous pouvons faire de même en Cisjordanie, libres des obligations légales d'Israël en tant que puissance occupante, libres de toute frontière ou ligne rouge.
Et le pire, c'est qu'ils ont raison de tirer cette conclusion.
Gaza a donné un coup d'accélérateur au plan Smotrich d'annexion de la Cisjordanie occupée.
Depuis le 7 octobre, la frontière entre les colonies et l'armée, qui était floue avant la guerre, a été complètement effacée, comme le souligne Haaretz dans un éditorial.
Les colons qui, avant le 7 octobre, incendiaient les maisons et les cultures des Palestiniens, sont réapparus en uniforme avec les armes et l'autorité de l'armée israélienne.
Dix jours seulement après l'attaque du Hamas, 62 Palestiniens ont été tués et des dizaines d'autres blessés dans des attaques de colons, tandis que des barrages routiers ont été érigés - et tout cela dans un but bien précis : chasser les Palestiniens de leurs maisons et de leurs fermes.
B'Tselem, l'observatoire israélien des droits humains, a documenté huit communautés entières, abritant 87 familles comptant 472 personnes, dont 136 mineurs, chassées de leurs maisons en une semaine.
Ne vous laissez pas abuser par les rares voix de la raison, de plus en plus solitaires, émanant de l'élite sécuritaire israélienne. Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, a averti que la violence de plus en plus manifeste des colons causait des "dommages indescriptibles" à Israël et le transformait au point de le rendre méconnaissable.
L'attaque des camps de réfugiés de Balata, Nur Shams, Jénine et Far'a a un objectif clinique.
Les camps représentent la densité de la population palestinienne de tous horizons. L'objectif d'Israël est de procéder à un nettoyage ethnique des camps afin d'effacer les derniers vestiges de la revendication fondamentale du peuple palestinien d'un droit au retour.
L'Autorité palestinienne est paralysée. Elle n'a pas de réponse à cette attaque en règle contre sa patrie.
"Il n'y a pas de plan sérieux, car l'aspect le plus important pour résister à l'action israélienne est d'avoir une direction palestinienne unique et une vision palestinienne unique, ce qui signifierait mettre fin à la division entre le Fatah et le Hamas. Et pourtant, l'Autorité palestinienne ne prend pas cela au sérieux", m'a confié un membre du Fatah bien informé.
Pas de lignes rouges
Privée de leaders, la réaction palestinienne est inconnue. Mais souvenez-vous d'une chose : aucun des événements majeurs qui ont changé le cours de ce conflit n'a été prédit.
Personne n'avait prédit la première Intifada. Personne n'avait prévu l'opération "Déluge d'al-Aqsa".
"Les réactions du peuple palestinien sont toujours créatives et distinctes, et ne se rendent pas", a déclaré l'initié du Fatah.
Mais une chose est sûre : le génocide, dont le monde a juré qu'il ne se reproduirait plus jamais après l'Holocauste, est en train d'être normalisé. Et cela n'affectera pas seulement notre avenir en tant que Palestiniens, mais l'avenir du monde entier.
Chaque jour, depuis 11 mois, je reçois des photos de cadavres, de têtes fracassées et de parties de corps rassemblées dans des sacs mortuaires.
En tant que chef de bureau de Middle East Eye dans la région, il m'incombe de passer ces images au crible et de les examiner. Aucune de ces images de barbarie n'apparaît dans les médias israéliens ou dans le monde occidental, mais un public arabe et musulman les reçoit tous les jours.
Ce que font les soldats israéliens peut être fait dans d'autres pays également. Il semble que nous soyons entrés dans une nouvelle ère de barbarie.
Et pendant que ce massacre quotidien a lieu, une nouvelle candidate démocrate à la présidence, Kamala Harris, a été couronnée, alors que les organisateurs de la convention du parti ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour exclure un orateur palestinien de leur plate-forme principale.
Ils ont déclaré au Washington Post qu'ils avaient agi de la sorte au nom de l'"unité" de la conférence.
L'inhumanité de cette époque me fait peur, en tant que journaliste et en tant que personne.
Chaque Palestinien sait qu'Israël jouit d'une impunité totale, d'une liberté totale de faire ce qu'il veut de nous.
Peut-être qu'à long terme, la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale l'emporteront sur les tentatives des États-Unis et d'autres pays de les museler. Mais rien de tout cela ne protège aujourd'hui Jénine, Tukarm ou Tubas. Rien de tout cela n'empêche Israël de larguer des bombes de 1 000 livres sur des tentes.
En tant que Palestinien, où que vous viviez - à Gaza, en Cisjordanie occupée, en tant que résident de Jérusalem ou en tant que citoyen d'Israël - l'État israélien peut vous faire tout ce qu'il veut. Vous, votre maison et votre famille pouvez disparaître du jour au lendemain, sans qu'aucune question ne soit posée.
Gaza et maintenant la Cisjordanie occupée nous ont montré à tous qu'il n'y a pas de lignes rouges. Combien d'enfants doivent être tués avant que le monde ne demande l'arrêt de ce massacre ?
La réponse est qu'il n'y a pas de limite.
Traduction : AFPS
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Une militante américaine d’origine turque abattue par l’armée israélienne dans le nord de la Cisjordanie occupée

Une activiste turco-américaine a été abattue par les forces israéliennes vendredi lors d'une manifestation contre les colonies israéliennes illégales dans la ville de Beita, dans le district de Naplouse, en Cisjordanie occupée, rapporte l'agence Anadolu.
Tiré de France palestine Solidarité. Article publié à l'origine par le Middle East Monitor.
Fouad Nafaa, directeur de l'hôpital Rafidia, a déclaré à Anadolu qu'Aysenur Ezgi Eygi, qui possédait la double nationalité turque et américaine, était arrivé à l'hôpital avec une blessure par balle à la tête.
Eygi, qui est née dans la ville turque d'Antalya en 1998, a succombé à ses blessures malgré les tentatives de réanimation des équipes médicales, selon Nafaa.
Des témoins oculaires ont rapporté que des soldats israéliens ont ouvert le feu sur un groupe de Palestiniens qui participaient à une manifestation condamnant les colonies illégales sur le Mont Sbeih à Beita, au sud de Naplouse.
L'agence de presse officielle palestinienne, Wafa, a confirmé que la victime était une citoyenne américaine et une bénévole de la campagne Fazaa, une initiative visant à soutenir et à protéger les agriculteurs palestiniens des violations constantes commises par les colons et l'armée israéliens illégaux.
Les habitants de Beita organisent des manifestations hebdomadaires après les prières du vendredi pour s'opposer à la colonie israélienne illégale d'Avitar, établie sur le sommet du mont Sbeih. La communauté exige le retrait de la colonie illégale, qu'elle considère comme une violation de ses droits fonciers.
Les tensions sont montées d'un cran dans toute la Cisjordanie occupée alors qu'Israël poursuit son assaut sur la bande de Gaza, qui a tué près de 40 900 Palestiniens, principalement des femmes et des enfants, depuis le 7 octobre de l'année dernière.
Selon le ministère de la santé, au moins 691 personnes ont été tuées et plus de 5 700 blessées par des tirs israéliens en Cisjordanie depuis cette date.
Photo : Une militante de la solidarité internationale, une Américaine d'origine turque, a succombé aux blessures qu'elle avait reçues plus tôt dans la journée après avoir été touchée à la tête par une balle tirée directement par des soldats de l'occupation israélienne dans la ville de Beita, au nord de la Cisjordanie occupée, le 6 septembre 2024 © Eye On Palestine
Traduction : AFPS
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Gaza : Le vaccin contre la polio est efficace, mais son administration requiert un cessez-le-feu

Alors que les Palestinien·nes de Gaza craignent une épidémie de polio, les professionnel·les de la santé avertissent que l'offensive militaire israélienne en cours entravera gravement les efforts déployés pour la contrer.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
27 août 2024
Par AMER Ruwaida Kamal
Des Palestiniens marchent à côté de bâtiments détruits et de mares d'eau stagnante à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 juillet 2024. (Abed Rahim Khatib/Flash90)
Pendant 25 ans, la bande de Gaza a été préservée de la polio. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Au début du mois, le ministère de la santé a signalé qu'un bébé de 10 mois avait contracté la maladie ; une semaine plus tard, il était paralysé. Cette annonce a été faite après la détection du poliovirus dans des échantillons d'eaux usées provenant de six localités des villes de Deir Al-Balah et de Khan Younis.
Avec les eaux usées brutes qui coulent dans les rues de Gaza, à proximité des tentes des personnes déplacées et des quelques sources d'eau douce restantes, une épidémie potentiellement catastrophique pourrait bientôt se préparer. Une campagne de vaccination de masse est essentielle, mais tant que l'offensive militaire israélienne se poursuit, une telle campagne semble impossible, même si des vaccins ont commencé à être acheminés. Dans toute la bande de Gaza, les Palestinien·nes craignent les conséquences de la propagation de la maladie, en particulier pour les enfants, qui représentent la moitié de la population de l'enclave.
« Lorsque mes enfants sortent jouer, nous courons après eux en leur criant de ne pas s'approcher des eaux usées », explique à +972 Reem Al-Masry, 35 ans, mère de trois enfants déplacés de Beit Hanoun à Deir al-Balah. « Mais ils et elles sont piqué·es en permanence par les moustiques et les mouches qui vivent sur les tas d'ordures et d'eaux usées et qui nous transmettent des maladies. Chaque jour, mes enfants se plaignent de douleurs à l'estomac, de fièvre, d'éruptions cutanées et d'autres problèmes de santé. »
Pour Saeed Samour, 40 ans, qui a été déplacé de la ville de Gaza à Khan Younis, « la présence d'eaux usées autour de nous – et à proximité des rares sources d'eau disponibles – est une chose effrayante ». Ces dernières semaines, Zaid, le fils de Samour âgé de 3 ans, a montré des signes d'infection cutanée, probablement due à la pollution de l'air causée par les restes de la guerre. « Ces enfants ont besoin d'un bain quotidien », explique-t-il. « Mais les produits de nettoyage sont très rares et très chers. Un pain de savon, qui ne coûtait qu'un dollar, se vend aujourd'hui 4 dollars. »
Aujourd'hui, Samour craint que Zaid ne tombe malade après avoir été exposé aux agents pathogènes présents dans les eaux usées. « Il n'y a pas un seul quartier de la ville où il n'y a pas de mares d'eaux usées, et personne ne peut se promener à cause de ces mares », explique-t-il. « Notre nourriture et notre eau doivent être stérilisées et cuites plusieurs fois pour pouvoir être bues et mangées, et le manque de gaz de cuisine est un obstacle majeur. »
Alors que les frappes aériennes, les incursions terrestres et les ordres d'évacuation d'Israël continuent de terroriser les Palestiniens dans toute la bande de Gaza, la soi-disant « zone humanitaire » le long de la côte est devenue l'une des zones les plus densément peuplées au monde. Adnan Abu Hasna, porte-parole de l'Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA), a déclaré à +972 que 1,8 million de Palestinien·nes sont entassé·es dans la zone qui s'étend du nord de Rafah au camp de réfugiés de Nuseirat, en passant par Deir al-Balah. « Il y a 60 000 personnes par kilomètre carré et le processus de déplacement se poursuit », ajoute-t-il.
Combinée à l'effondrement des infrastructures d'approvisionnement en eau et d'évacuation des eaux usées, cette grave surpopulation a inévitablement conduit à l'apparition et à la transmission de maladies. Et ce n'est pas seulement la polio qui inquiète les autorités sanitaires.
« Avant le 7 octobre, Gaza comptait 85 cas d'hépatite », explique Abu Hasna. « Aujourd'hui, nous parlons d'un millier de cas par semaine et le nombre augmente : il y a environ un mois, nous avons enregistré 40 000 cas. Compte tenu de ce taux de transmission rapide, Abu Hasna a averti que « la découverte du poliovirus est une évolution dangereuse qui aura des conséquences désastreuses ».
« Si nos enfants ne sont pas tués par des missiles, ils ou elles mourront de maladies ».
Quelques heures avant que le premier cas de polio ne soit signalé à Gaza, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé à un cessez-le-feu immédiat d'une semaine – une « pause polio » – afin de permettre le déploiement d'une campagne de vaccination. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré qu'elle était prête à distribuer 1,6 million de doses, les équipes médicales de l'UNRWA se préparant à les administrer à plus de 640 000 enfants palestiniens de moins de 10 ans.
Israël a rapidement commencé à vacciner ses propres soldats contre la maladie, mais a attendu plusieurs semaines avant d'autoriser l'entrée des vaccins pour les habitants de Gaza. Pourtant, alors que les équipes médicales cherchent à vacciner la population, aucun cessez-le-feu ne semble se dessiner.
« Le vaccin oral contre la polio est efficace », a déclaré Sameer Sah, directeur britannique des programmes de Medical Aid for Palestinians (MAP), à +972. « Le défi consiste à distribuer le vaccin dans une région où les gens sont déplacés presque quotidiennement, où les moyens de transport sont difficiles à trouver, où les routes sont endommagées et où les services de santé sont attaqués.
« Une telle campagne serait très utile, mais l'extension de la zone rouge à Gaza [les zones dont Israël a ordonné l'évacuation] fait qu'il est difficile d'atteindre chaque enfant », poursuit Sah. « Un cessez-le-feu complet est nécessaire pour fournir des soins de santé adéquats, y compris la vaccination non seulement contre la polio, mais aussi contre d'autres maladies évitables. »
Ces derniers jours, les patient·es et les infirmier·es ont été contraint·es de fuir l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa à Deir Al-Balah alors que les forces israéliennes se rapprochaient. Le Dr Khalil Al-Daqran, directeur du département des soins infirmiers de l'hôpital, a déclaré à +972 avant l'évacuation que l'hôpital avait accueilli environ un million de personnes déplacées dans la région centrale de Gaza ; les couloirs et les étages étaient remplis de patient·es en raison du manque de chambres et de lits disponibles.
Face à ces conditions désastreuses, M. Al-Daqran se montre pessimiste quant aux perspectives de lutte contre la propagation de la polio, y compris dans les hôpitaux qui restent fonctionnels malgré les bombardements israéliens. « Nous n'avons même pas l'équipement nécessaire pour effectuer des tests de dépistage de l'épidémie », a-t-il déclaré.
Dans ces circonstances, et alors que d'autres maladies sévissent à Gaza, les parents sont terrifiés pour leurs enfants. « En tant que mères, ces maladies nous font peur », a déclaré Al-Masry, mère de trois enfants. « Si nos enfants ne sont pas tué·es par les missiles, ils et elles mourront de ces maladies étranges qui apparaissent à cause de la pollution et du manque d'assainissement. »
Israël utilise l'eau comme une arme
Fin juillet, une vidéo a largement circulé sur les réseaux sociaux, montrant des ingénieur·es de combat de l'armée israélienne en train de faire sauter un réservoir d'eau dans le quartier de Tel al-Sultan à Rafah. Le soldat ayant téléchargé la vidéo dédiait la démolition « en l'honneur du shabbat », suscitant une condamnation internationale, et l'armée affirme maintenant enquêter sur l'incident.
Pour Ayman Labad, chercheur à l'unité des droits économiques et sociaux du Centre palestinien pour les droits de l'homme, la destruction du réservoir n'est pas une surprise étant donné que les forces israéliennes ont détruit environ 67 % des installations d'eau et d'assainissement de la bande de Gaza au cours des dix derniers mois. La seule surprise, a-t-il ajouté, est qu'elles se soient filmées en train de le faire.
À la mi-juin, les installations détruites pendant la guerre comprenaient 194 puits de production d'eau, 40 réservoirs d'eau à grande échelle, 55 stations de pompage des eaux usées, 76 usines de dessalement municipales, quatre usines de traitement des eaux usées, neuf entrepôts de pièces détachées et deux laboratoires d'analyse de la qualité de l'eau. « La signification de tout cela est claire : Israël utilise l'eau comme une arme dans son génocide contre la population de la bande de Gaza », déclare Labad.
Avec la fermeture forcée de ces installations, les sources d'eau de Gaza ont été contaminées, ce qui a entraîné une propagation rapide des maladies. « Les habitant·es de la bande de Gaza vivent actuellement avec seulement un cinquième de la quantité d'eau disponible avant le 7 octobre », a déclaré M. Labad. « Environ 66 % des habitants de Gaza souffrent de maladies d'origine hydrique telles que le choléra, la diarrhée chronique, la gastro-entérite et l'hépatite. »
Les sources d'eau potable s'étant raréfiées, les habitant·es de Gaza sont contraint·es de faire la queue pendant des heures pour obtenir le peu d'eau disponible et de sacrifier l'hygiène de base, qui est un élément essentiel pour éviter les maladies. « Chaque personne a besoin de dizaines de litres d'eau, mais nous faisons maintenant la queue et attendons environ sept heures pour obtenir deux gallons », a déclaré Saeed Al-Jabri, un habitant de Rafah âgé de 38 ans, à +972. « Est-il acceptable pour une personne d'endurer de telles conditions ? »
Comme de nombreux Palestinien·nes déplacés, Al-Jabri a pris l'habitude de se baigner dans la mer. « L'eau de mer est salée et lorsqu'elle s'assèche, les sels se déposent sur la peau et peuvent provoquer des inflammations », raconte-t-il.
M. Al-Jabri a vu les vidéos des soldats israéliens ciblant les sources d'eau et ne peut retenir sa colère. « Il n'y a pas d'objectif militaire derrière tout cela », note-t-il. « Il s'agit simplement d'une vengeance, où les civils sont punis. »
Ruwaida Kamal Amer, le 27 août 2024
P.-S.
• Agence Média Palestine. 28 août 2024 :
https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/08/28/le-vaccin-contre-la-polio-est-efficace-mais-son-administration-requiert-un-cessez-le-feu/
• Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine.
Source :+972 Mag
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