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Comment peut-on vraiment déterminer quand et jusqu’à quel point la qualité de l’air est bonne dans notre ville ?

10 septembre 2024, par Brigitte Hannequin — , ,
Une bonne nouvelle, c'est qu'un règlement de la ville de Québec oblige maintenant à se débarrasser des vieux poêles à bois les plus polluants et surtout des foyers décoratifs (…)

Une bonne nouvelle, c'est qu'un règlement de la ville de Québec oblige maintenant à se débarrasser des vieux poêles à bois les plus polluants et surtout des foyers décoratifs même récents, car ils sont encore plus polluants.

La combustion du bois entraîne non seulement la production de particules fines, mais également d'autres polluants très nocifs.

Toutefois, en mettant de l'avant la combustion du bois comme source de pollution, il ne faut pas ignorer les autres polluants. Par exemple, une station du ministère de l'environnement, située près d'une école à l'ouest de Ste-Foy, est capable d'identifier le contaminant caractéristique de la combustion du bois. Mais elle n'enregistre pas la plupart des polluants reliés au transport routier et aérien alors que cette école est située près de l'aéroport et ceinturée par de grandes voies de circulation.

Vu que le ministère de l'Environnement ne mesure pas tous les polluants qui devraient être mesurés, comment peut-on vraiment déterminer quand et jusqu'à quel point la qualité de l'air est bonne dans notre ville ?

Les particules fines sont constituées de plusieurs polluants. Mais le ministère de l'environnement n'a pas les effectifs pour déterminer de quels polluants il s'agit. Comment peut-on alors déterminer les causes locales d'une mauvaise qualité
de l'air ?

On entend souvent que la pollution peut venir de loin. C'est vrai. Mais en réalité, la pollution qui a le plus d'impact, qui est la plus concentrée, c'est celle qui se situe localement. La pollution du port de Québec a certainement plus d'impact sur les gens de Limoilou et de la ville de Québec que la pollution en provenance des Grands Lacs. Et si on construit un quartier industriel dans le boisé des Châtels et un autre au sud de l'aéroport, les gens de ces secteurs seront directement impactés. Même si des normes étaient rigoureusement appliquées, il y aura une augmentation de la pollution à Québec.

Le ministère de l'environnement est sous-financé par nos gouvernements depuis des décennies. (On parle bien d'augmenter les budgets de l'armée, alors que les budgets occidentaux qui sont déjà énormes, mais qui défend l'augmentation des budgets en matière environnementale ?)

Il y a un autre parent pauvre dans les budgets, c'est le transport en commun.
On n'a pas besoin d'instruments de mesure pour savoir que nous allons respirer mieux s'il y a moins d'autos sur les routes. Et si on cesse de dépenser des centaines de millions pour construire des autoroutes, on conservera plus d'arbres, qui pourront nettoyer les contaminants atmosphériques par leur respiration et produire de l'oxygène, tout en contribuant à notre qualité de vie.

Une fois qu'un problème est constaté, le régler, en plus, c'est une autre paire de manche. Prenons par exemple à Rouyn-Noranda, la fonderie Horne…On peut aussi penser à l'usine de batteries Northvolt, que les gouvernements vont subventionner et pour laquelle ils
devront créer de nouvelles normes pour les polluants que cette usine va générer… si nous, les citoyennes et citoyens, la laissons s'établir !

Actuellement, on génère des problèmes de pollution, on les mesure partiellement, on fait des études sur les populations, nous les cobayes, pour pouvoir démontrer jusqu'à quel point notre santé est impactée. Et puis, si on a un gouvernement plus favorable à l'environnement qu'aux grandes entreprises, on réajuste les normes pour qu'elles soient plus acceptables, jusqu'à ce que de nouvelles études les remettent en question ces normes. C'est sans compter que les entreprises déjà établies peuvent bénéficier d'exemptions par rapport à ces nouvelles normes. Avec ces exceptions et tous
ces délais, non seulement les humains voient leur qualité de vie et, dans certains cas, leur espérance de vie, diminuer, mais les animaux également. Car les normes sont établies seulement en fonction de la santé humaine et non pas en fonction de l'ensemble du vivant dont nous dépendons.

Imaginez… si on faisait, vraiment, de la prévention en matière de santé humaine et de la planète… Plutôt que de générer des problèmes de pollution, on les éviterait au maximum… Ça ne prend pas l'intelligence artificielle pour planifier cela, mais plutôt une sensibilité bien ajustée

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Au sujet du conflit syndical qui oppose la direction de l’Université McGill et ses professeur·es en droit

https://www.pressegauche.org/IMG/pdf/24.08.30.ordonnance.1381328_-_de_cision.pdf?47434/53c52c48da410806d837af6b6272ac0ff5293f5cfb9b4ae1ff924ac2042e8f2410 septembre 2024, par Martin Gallié — , , ,
Le 7 novembre 2022, malgré la contestation judiciaire de la direction de l'Université McGill, l'Association McGillienne des professeur·es de droit (AMPD) obtenait une (…)

Le 7 novembre 2022, malgré la contestation judiciaire de la direction de l'Université McGill, l'Association McGillienne des professeur·es de droit (AMPD) obtenait une accréditation syndicale du Tribunal administratif du travail (TAT).

Les quelques 45 membres de l'AMPD devenaient ainsi les premier·ers professeur·es syndiqué·es de l'Université McGill qui était alors, quant à elle, la seule université québécoise dépourvue de syndicat de professeur·es. Le 6 décembre 2022 l'Université contestait par voie de pourvoi en contrôle judiciaire la décision d'accréditation du Tribunal. Il lui a fallu six mois pour déposer son mémoire, le 20 juin 2023 et le pourvoi ne sera pas entendu avant la mi-décembre 2024.

Pour motiver son opposition à la syndicalisation de ses professeur.es de droit, l'administration n'a jusqu'à présent avancé que des arguments éculés et passablement confus, lesquels ont d'ailleurs été rejetés en bloc par le TAT, sans aucune exception. Au nombre de ces arguments tels qu'on peut les repérer dans le jugement, on retrouve des classiques du patronat : le syndicat menacerait la paix industrielle, il serait inefficace et non-représentatif. Plus singulier, l'administration soutient qu'il serait illogique de créer un syndicat exclusivement réservé à la Faculté de droit. Lorsqu'elle évoque « la balkanisation indue des unités pour la négociation d'une convention collective », on pourrait presque croire qu'elle souhaite finalement syndiquer l'ensemble du corps professoral. Mais plutôt que d'entamer des procédures dans ce sens, l'administration a préféré engager de nouveaux fonds publics pour contester judiciairement les demandes d'accréditation syndicales déposées depuis par les professeur·es de deux autres Facultés de McGill : l'Association McGillienne des professeur·es d'éducation (AMPE – septembre 2023) et l'Association McGillienne des professeur·es en Arts (AMPFA – avril 2024).

Entre l'AMPD et l'Université, les négociations visant la rédaction d'une première convention collective ont été entamées en décembre 2022. En décembre 2023, soit un an plus tard, constatant le blocage des négociations, les membres de l'AMPD adoptaient à 85% un premier mandat de grève à déclencher au moment jugé opportun et pouvant aller jusqu'à 5 jours. Une première journée de grève a été déclenchée le 13 février 2024. Deux mois plus tard, les négociations n'ayant pas avancé, les membres de l'AMPD votaient (à 75%) un second mandat de grève illimitée cette fois-ci. Déclenchée le 24 avril 2024, cette grève fut suspendue le 20 juin, sa poursuite ne servant à rien pendant les vacances universitaires, sachant que le mandat de grève illimitée demeurait pour sa part en vigueur et que la grève pourrait être reprise à la rentrée d'automne. Le 19 juillet, l'administration demande et obtient un arbitrage de la part du Ministre du travail contre l'avis de l'AMPD, dont les membres sont bien au fait que la procédure d'arbitrage peut entrainer « la fin des moyens de pression de l'Association, notamment celui de faire grève » et que l'arbitre peut imposer les conditions de travail (art.93.1 C.tr.).

Finalement, le 23 août 2024, les membres de l'AMPD décident par consensus de reprendre la grève suspendue à partir du 26 août 2024 : jour de la rentrée universitaire.

Depuis le début des négociations, « les relations sont tendues » selon la formule du Tribunal administratif du travail lui-même qui en veut notamment pour preuve « les nombreuses plaintes pour entrave et mesures de représailles pour activités syndicales déposées au Tribunal par le syndicat » (para.53). On sait par exemple que la direction de la Faculté de droit n'a pas hésité à convoquer un dirigeant syndical ainsi qu'un membre actif dans la mobilisation pour leur parler « d'enjeux de performance ». On sait aussi que ces tentatives d'intimidation ou de représailles, ont donné lieu au dépôt de plusieurs plaintes syndicales. Deux d'entre elles ont déjà été réglées à la satisfaction du syndicat, « les mesures contestées ont été renversées et (…) l'employeur a payé des dommages au syndicat » (Ordonnance provisoire, 30 août 2024). D'autres n'ont pas encore été réglées à ce jour. Elles concernent des entraves (envoie de courriels dénigrants le syndicat, convocation des membres du corps professoral à une réunion sur les conditions de travail sans passer par le syndicat, refus de donner accès à la liste des courriels des enseignant·es), des représailles et d'autres violations du Code du travail visant les professeur·es engagé·es (refus d'accorder la permanence (tenure), avis disciplinaires, évaluation négative de la « performance », note de rendement négatif).

Ce qui est judiciairement établi à ce jour et ce depuis une ordonnance provisoire du 30 août 2024 (voir document joint), c'est que l'administration poursuit ses attaques antisyndicales, toujours à l'aide de services d'avocats très coûteux, dont on apprend au passage qu'ils ne sont pas même en mesure de se présenter au tribunal et de communiquer correctement les documents requis, comme le dénoncera accessoirement la juge du tribunal administratif chargée du dossier.

Plus fondamentalement, la lecture de l'ordonnance révèle que juste avant l'Assemblée générale d'août 2024, au cours de laquelle les membres du syndicat devaient se prononcer sur la reprise ou non de la grève, l'administration a envoyé plusieurs courriels à l'ensemble du corps professoral, au contenu « critique » à l'égard de la direction syndicale. Il est question de « propos tendancieux, sinon directs, qui cherche à miner la crédibilité du syndicat » (para.82), qui le fait « paraître incohérent dans son désir de poursuivre la conciliation et l'accuse de faire de fausses représentations quant au régime de retraite » (para.83).

Comme le rappelle avec force le tribunal, « la liberté d'expression de l'employeur ne peut s'exercer en contravention de la liberté d'association ». Le syndicat a quant à lui fait la preuve d'une « apparence d'entrave aux activités syndicales », que l'attitude de l'employeur « fragilise le rapport de forces au détriment de l'association accréditée » et qu'il subit un « préjudice sérieux et irréparable ». Finalement, le tribunal a ordonné à l'Université et à ses représentants de « cesser toute forme d'entrave et de ne plus faire d'ingérence dans les affaires syndicales, et ce, d'aucune façon ».

Le 8 septembre 2024, nous en sommes là. Les professeur·es de droit entament une dixième semaine de grève afin d'obtenir une première convention collective. Les semaines qui viennent seront sans doute décisives et la suite des choses nous en dira beaucoup sur la solidarité syndicale, la capacité de mobilisation des professeur.e.s d'université et de leur étudiant.e.s comme sur les priorités de la direction de McGill.

En attendant, on aimerait connaitre le montant des frais judiciaires engagés par l'administration de McGill dans ce conflit qui dure depuis 2022. Sachant que 50% du budget de McGill est financé par l'État, il s'agit là d'une question d'intérêt public. Si les risques de représailles à l'encontre des membres de l'AMPD font qu'il est difficile de traiter de ce conflit, on peut peut-être exiger une certaine transparence en matière de budget.

Martin Gallié
8 septembre 2024

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Comité d’accueil populaire - caucus de la CAQ à Rimouski

10 septembre 2024, par Action Populaire Rimouski-Neigette, APTS Bas Saint-Laurent, Conseil central du Bas-Saint-Laurent (CSN), Conseil régional FTQ Bas Saint-Laurent-Gaspésie-Îles de la Madeleine — , ,
La pression continue de s'accentuer sur le gouvernement Legault, qui multiplie les mauvaises décisions. Après avoir nié l'existence des multiples crises que traverse notre (…)

La pression continue de s'accentuer sur le gouvernement Legault, qui multiplie les mauvaises décisions. Après avoir nié l'existence des multiples crises que traverse notre société des mois durant : crise du logement, crise du coût de la vie, crise dans le réseau des services éducatifs à l'enfance, crise en éducation, le gouvernement maintient le cap et fonce tout droit dans le mur. Ces derniers mois, la gronde se manifeste dans les sondages comme dans la rue : la CAQ est en déroute. Un collectif d'organisations syndicales et communautaires composé d'Action populaire Rimouski-Neigette, de l'APTS Bas Saint-Laurent, du Conseil central CSN du Bas-Saint-Laurent et du Conseil régional FTQ Bas Saint-Laurent-Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine souhaite aujourd'hui se faire entendre, à l'occasion du caucus pré-sessionnel de la CAQ à Rimouski.

Après bientôt six ans au pouvoir, la CAQ a un bien triste bilan. Les gens ordinaires continuent de s'appauvrir, le coût des biens de base augmente sans cesse et le gouvernement refuse d'intervenir sérieusement. À coups de mesurettes, il distribue de l'argent ça et là, sans jamais investir d'une manière structurante pour améliorer le sort des gens issus des classes moyenne et populaire. Nous assistons ainsi à une augmentation historique de la précarité et des inégalités sociales ainsi qu'à une explosion de l'itinérance d'un bout à l'autre de la province, tandis que la valse des milliards se poursuit pour les entreprises multinationales inscrites dans la filière batterie. On évoque désormais sans retenue des possibles augmentations des tarifs d'Hydro et on orchestre une toute nouvelle vague d'austérité en santé et services sociaux. Tout cela a raison de nous inquiéter.

Dans une région comme le Bas Saint-Laurent, il est capital de protéger le filet social. En 2023, c'est au Bas Saint-Laurent qu'on comptait le plus de ménages locataires pauvres au Québec. Notre région est aussi marquée par un bilan démographique négatif, accentué par le vieillissement prononcé de notre population. Dans ce contexte, les interventions de l'État pour soutenir le développement des logements sociaux et communautaires, l'accessibilité à des services publics gratuits et universels ainsi qu'à des mesures durables d'aide sont capitales. Il en va de la pérennité de l'occupation de notre territoire.

« Nous refusons la vision à courte vue du gouvernement et nous inquiétons de ses conséquences sur notre région » mentionne Johannie Blais, présidente du syndicat APTS Bas Saint-Laurent. « Le réseau de la santé et des services sociaux se relève à peine de la vague d'austérité libérale, en imposer une nouvelle, dans la foulée des réformes en cours est irresponsable et risque d'être porteur de lourdes conséquences pour l'accès aux soins dans notre région » prévient Mme. Blais.

« Nous souhaitons aujourd'hui rappeler que le 4ème Plan d'action gouvernemental visant la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale est extrêmement décevant. Aucune mesure structurante n'y est proposée. On aurait pu s'attendre à un plan bien plus ambitieux étant donné le contexte difficile que subit la population à l'heure actuelle. Pour nous, c'est un autre rendez-vous manqué » mentionne Michel Dubé, coordonnateur d'Action Populaire Rimouski-Neigette

« Il faut dénoncer la CAQ qui s'entête dans sa grande réforme du réseau de la santé. Les travailleuses et travailleurs, mais aussi toute la population, n'en sortiront que perdants à long terme. Nous réclamons un réseau vraiment public tenant compte des besoins spécifiques de notre région, l'accessibilité pour tous et des conditions de travail adéquates pour le personnel. » souligne Pauline Bélanger, présidente du Conseil central du Bas-Saint-Laurent.

« Étant une ville de service, il est inconcevable que des grands joueurs, tel que Telus qui ont aboli au-delà de 300 postes, les désengagements des caisses populaires qui ferme des bureaux et guichets dans les villages qui compte moins de citoyens, ces décisions mettre en péril la vitalité de ces communautés. La région vit un vieillissement alarmant de la population, il faut investir afin de garder les jeunes et les inciter à venir vivre dans notre belle région. » souligne Yves-Aimé Boulay, conseiller régional au Conseil régional FTQ Bas Saint-Laurent-Gaspésie-Îles de la Madeleine.

Sources

Action Populaire Rimouski-Neigette

APTS Bas Saint-Laurent

Conseil central CSN Bas-Saint-Laurent

Conseil régional FTQ Bas Saint-Laurent-Gaspésie-Îles de la Madeleine

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Hypocrisie : le conflit des faucons et des vautours sionistes

10 septembre 2024, par Gilbert Achcar — , , ,
Sur quoi porte le conflit au sein de l'élite sioniste du pouvoir ? N'allez pas croire qu'il s'agit d'un conflit entre faucons et colombes comme le dépeignent les médias (…)

Sur quoi porte le conflit au sein de l'élite sioniste du pouvoir ? N'allez pas croire qu'il s'agit d'un conflit entre faucons et colombes comme le dépeignent les médias occidentaux...

4 septembre 2024
Gilbert Achcar
Professeur, SOAS, Université de Londres

Sur quoi porte le conflit au sein de l'élite sioniste du pouvoir ? N'allez pas croire qu'il s'agit d'un conflit entre faucons et colombes comme le dépeignent les médias occidentaux. Non, ne croyez même pas que les masses israéliennes qui manifestent pour exiger un accord menant à un nouvel échange de captifs entre leur gouvernement et le Hamas, cherchent en majorité à mettre fin à la tragédie de Gaza et à en retirer l'armée d'occupation. Non, comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, l'armée sioniste ne se retirera pas de la bande de Gaza une deuxième fois, puisque même les « modérés » dans ses rangs croient qu'un nouveau retrait signifierait une répétition de la même erreur.

Le conflit politique israélien n'est pas entre ceux qui appellent à un retrait complet de la bande de Gaza et ceux qui insistent pour y rester, mais plutôt entre l'extrême droite, qui appelle à l'annexion de la bande de Gaza à l'État sioniste en expulsant la plupart de ses habitants de la majeure partie de son territoire et en les remplaçant par des colons juifs, et le « centre » sioniste qui se rend compte que le prix de l'annexion et de l'expulsion est plus élevé que ce que son État peut supporter, et préfère donc adhérer au cadre du « Plan Allon » de 1967 qui régit la situation en Cisjordanie, où Israël contrôle des sites stratégiques et des routes entourant les zones de concentration de la population palestinienne.

En d'autres termes, le conflit politique au sein de l'élite du pouvoir sioniste, comme nous l'avons déjà dit, n'est pas entre faucons et colombes, mais entre faucons et vautours. C'est le cas du conflit entre Benyamin Netanyahou et le « centre » sioniste, qui comprend les partis d'opposition au gouvernement actuel, ainsi qu'une minorité du Likoud lui-même, représentée dans le gouvernement par le ministre de la Guerre Yoav Galant. La presse israélienne a rapporté la récente confrontation qui s'est déroulée lors d'une réunion du cabinet entre Galant et Netanyahu, en soulignant que le ministre exprimait le point de vue des appareils militaires et sécuritaires. Quel était l'objet de la confrontation ? La discussion a porté sur l'accord de cessez-le-feu que Washington, avec l'aide du Caire et de Doha, cherche à conclure entre le gouvernement et le Hamas.

Nous avons mis en garde dès le début contre toute illusion que cet accord pourrait mettre fin à l'occupation israélienne de Gaza, soulignant que le principal enjeu du point de vue israélien est l'acceptation d'une trêve temporaire avec un retrait limité des forces d'occupation de certaines parties de la bande de Gaza, afin de permettre la libération de la majorité des personnes détenues par le Hamas, et cela avant de poursuivre l'agression pour chercher à réaliser pleinement ses objectifs. Dans ce contexte, nous avons décrit le dilemme de Netanyahu comme suit :

« Ce dernier est pris entre deux feux dans la politique intérieure israélienne : le feu de ceux qui appellent à donner la priorité à la libération des Israéliens détenus à Gaza, naturellement menés par les familles des détenus, et le feu de ceux qui rejettent toute trêve et insistent pour poursuivre la guerre sans interruption, menés par les ministres les plus extrémistes de l'extrême droite sioniste. La plus grande pression à laquelle Netanyahu est exposé vient de Washington. Elle coïncide avec les souhaits des familles des prisonniers israéliens dans la quête d'une trêve “humanitaire” de quelques semaines qui permettrait à l'administration Biden de se montrer soucieuse de paix et préoccupée par le sort des civils, après qu'elle a été et reste coresponsable à part entière de la guerre génocidaire que mène Israël, qu'il n'aurait d'ailleurs pas été en mesure de mener sans le soutien militaire des États-Unis. »

Ce qui précède a été publié il y a exactement quatre mois (« La partie de poker entre le Hamas et Netanyahu », 7 mai 2024) et rien n'a changé dans l'équation politique depuis lors. L'administration Biden doit encore réaliser quelque chose qui prouve sa bonne foi devant l'opinion publique américaine et internationale, et cela est maintenant devenu un besoin de la campagne électorale de Kamala Harris en faveur de laquelle Biden s'est retiré de la course. Le « centre » sioniste est toujours désireux de créer une opportunité de libérer le plus grand nombre possible d'otages, d'autant plus que la pression populaire en ce sens implique principalement ses partisans. Cependant, ils sont tous d'accord sur le maintien du contrôle israélien sur Gaza à long terme. Ils diffèrent sur la forme et l'étendue du contrôle, et non sur son principe.

Il n'y a pas de preuve plus claire de la vérité du désaccord entre Galant et Netanyahou que ce que le ministre de la Guerre est reporté avoir dit lors de la réunion du cabinet sioniste au cours de laquelle les deux hommes se sont affrontés. La discussion a porté sur la demande du Hamas, soutenue par Le Caire, de retrait de l'armée d'occupation du « couloir de Philadelphie » à la frontière entre Gaza et l'Égypte. Alors que l'armée et les appareils de sécurité sionistes sont favorables à ce retrait, l'extrême droite sioniste représentée au cabinet le rejette catégoriquement et menace de dissoudre sa coalition avec Netanyahou s'il acceptait l'accord, ce qui forcerait de nouvelles élections qui pourraient mettre un terme définitif à la carrière politique de ce dernier. Nous avons donc vu Netanyahou s'accrocher à sa position de refus du retrait du couloir frontalier avec des arguments de sécurité qu'aucun membre de l'élite du pouvoir sioniste ne peut réfuter, car ils savent tous que des armes et du matériel de construction de tunnels sont entrés dans la bande de Gaza depuis le Sinaï égyptien et ils n'ont aucune confiance dans la partie égyptienne en ce qui concerne la surveillance du couloir, ni d'ailleurs en n'importe qui d'autre.

La réponse de Galant et de l'opposition sioniste n'a pas été qu'il n'était pas nécessaire qu'Israël contrôle le couloir. Au lieu de cela, certains se sont appuyés sur la proposition des services de sécurité d'effectuer une surveillance électronique de la bande frontalière sans déploiement permanent de troupes israéliennes, tandis que Galant a résumé le désaccord entre lui et Netanyahu, selon ce qui a été rapporté par les médias israéliens, comme un choix « entre la vie des otages ou rester dans le couloir de Philadelphie pendant six semaines ». En d'autres termes, selon Galant, il ne s'agit que d'un retrait du corridor durant six semaines, pour permettre la libération de la plupart des personnes détenues par le Hamas, sachant que l'armée d'occupation reprendrait le contrôle direct de la frontière après l'achèvement de la première étape de l'accord souhaité par Washington. Tout le monde sait que la deuxième étape hypothétique de cet accord, qui porte sur le retrait complet de l'armée d'occupation de la bande de Gaza, ne se produira jamais. Ils sont tous hypocrites.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 3 septembre en ligne et dans le numéro imprimé du 4 septembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

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Toujours sans convention collective, la FIQ se fait entendre en marge du caucus de la CAQ à Rimouski

10 septembre 2024, par Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) — , ,
La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec–FIQ a fait entendre sa voix à Rimouski, en marge du caucus présessionnel de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Tandis (…)

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec–FIQ a fait entendre sa voix à Rimouski, en marge du caucus présessionnel de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Tandis que le gouvernement se réunit pour préparer sa rentrée parlementaire, la FIQ a réitéré sa critique des propositions gouvernementales qui n'apportent aucune amélioration pour ses 80 000 membres – infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques – par rapport à l'entente déjà rejetée en avril dernier.

Le gouvernement reconnaît que les professionnelles en soins pourraient être déplacées contre leur gré, entendu qu'il se réserve le droit de changer unilatéralement leur lieu de travail tout en respectant le poste. Bien que la FIQ ne soit pas opposée à la mobilité – avec plusieurs milliers de postes déjà flexibles dans le réseau – elle conteste la vision actuelle du gouvernement. Le véritable besoin du réseau est d'améliorer les conditions de travail pour attirer et retenir les professionnelles en soins, plutôt que de continuer à les surcharger et de les pousser à l'exode.

« Nos membres sont insatisfaites des récentes offres du gouvernement face à une crise de soins qui s'aggrave chaque jour, comme nous le rappellent sans cesse les médias. Nos équipes de soins demeurent dans un état d'instabilité quasi permanente, accablées par des conditions de travail déplorables. Nos membres veulent continuer à se faire entendre, elles nous demandent de porter haut et fort leur voix et c'est la raison de notre présence au caucus du gouvernement et à plusieurs autres actions dans les prochaines semaines », exprime Julie Bouchard, présidente de la FIQ.

La FIQ était présente à Rimouski pour faire un bruit assourdissant et conclure sa campagne « Mon département, mon expertise » en valorisant les visages et l'expertise de ses 80 000 professionnelles en soins. Cette campagne a souligné l'importance d'une mobilité volontaire et respectueuse, face au gouvernement qui cherche à imposer une mobilité accrue sans considération pour l'expertise ni l'impact sur la qualité des soins. « Des photos recueillies seront remises au ministre de la Santé, Christian Dubé, pour lui rappeler l'impact qu'une telle flexibilité imposée pourrait avoir sur leur vie professionnelle », précise Mme Bouchard.

« L'incapacité de ce gouvernement à offrir une convention collective adéquate pèse lourdement sur les professionnelles en soins, qui continuent de soutenir le système de santé malgré une surcharge de travail et des conditions de plus en plus éprouvantes. La FIQ est déterminée à maintenir la pression tant que la CAQ persistera à considérer les soins de santé et les professionnelles qui les prodiguent comme des préoccupations secondaires », conclut la présidente de la FIQ, ajoutant que les travaux ont repris aujourd'hui à la table de négociation après la convocation du conciliateur.

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Mémoire de la FTQ déposé dans le cadre du projet de loi n° 61, Loi édictant la Loi sur Mobilité Infra Québec et modifiant certaines dispositions relatives au transport collectif

10 septembre 2024, par Fédération des Travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) — , ,
Le projet de loi 61 aura un impact sur l'ensemble de ces corps de métier et la FTQ considère que son apport permettra d'éviter des écueils qu'aucune autre partie prenante (…)

Le projet de loi 61 aura un impact sur l'ensemble de ces corps de métier et la FTQ considère que son apport permettra d'éviter des écueils qu'aucune autre partie prenante n'identifiera. La FTQ considère que les enjeux de disponibilité de la main-d'œuvre la concernent et est inquiète de constater que le projet de loi ne tient pas compte de l'expertise limitée au Québec dans certains métiers. Il existe donc un risque de dédoubler une main-d'œuvre déjà insuffisante. Finalement, l'enjeu du transport collectif est au cœur des préoccupations de la FTQ. La centrale a d'ailleurs organisé un Forum national sur le financement du transport collectif et public, le 20 juin 2024, réunissant plus de 200 personnes et plus d'une vingtaine d'intervenants.

Pour lire l'intégral du mémoire.

Introduction

La FTQ salue la volonté du gouvernement du Québec d'améliorer l'efficacité de la planification et de la réalisation de projets complexes en matière de transport. Cependant, la centrale doute que la création d'une nouvelle agence, selon les paramètres proposés, soit la meilleure solution.

Le Québec est à la croisée des chemins concernant la lutte contre les changements climatiques et l'atteinte de la carboneutralité d'ici 2050. Déjà, les effets dévastateurs des changements climatiques se font sentir. La FTQ ne croit pas que la vision du gouvernement du Québec en matière de transport soit adaptée à la crise climatique. Une vraie politique de mobilité durable devrait miser prioritairement sur une meilleure et une plus grande offre de transport collectif et public que sur l'élaboration de nouveaux projets routiers pour les automobiles.

La FTQ doute également que le projet de loi tel que proposé permette une harmonisation des relations entre Québec et les municipalités. Bien au contraire, on jette de l'huile sur le feu puisque les relations sont actuellement extrêmement tendues, notamment sur les enjeux concernant le financement du transport collectif.

Le pouvoir décisionnel de la nouvelle agence aura une incidence sur le travail effectué dans les sociétés de transport et pourrait bouleverser de façon importante les relations de travail. De plus, les enjeux de formation professionnelle et de transition ne semblent pas suffisamment adressés.

Les changements concernant la notion de donneurs d'ouvrage, sans consultation ou planification supplémentaire, pourraient mettre une pression indue sur le secteur de la construction qui peine déjà à avoir le plein emploi dans certains corps de métier.

La FTQ est également abasourdie de constater que le projet de loi inclut des mécanismes concernant les accréditations syndicales des futures personnes salariées de l'agence. Une telle incursion pourrait créer des préjudices importants au Code du travail.

Finalement, la FTQ est vivement inquiète des brèches que pourrait causer ce projet de loi concernant une privatisation partielle du ministère des Transports (MTQ), le fardeau des municipalités d'hériter de projets non désirés sous forme de partenariat public-privé (PPP) et sur le régime d'accès à la syndicalisation.

Les recommandations

1- Que le projet de loi inclue que les décisions édictées par le ministère des Transports et de la mobilité envers Mobilité Infra Québec soient systématiquement en concordance avec la Politique de mobilité durable et ses cibles.

2- Changer le mandat de Mobilité Infra Québec pour lui donner pleine autonomie et indépendance en ayant comme objectif de mettre en œuvre la Politique de mobilité durable.

3- Le ministère du Transport doit dévoiler, avant l'adoption du projet de loi, ce qu'il compte faire avec les emplois similaires aux siens qui seront transférés à Mobilité Infra Québec.

4- Les grands projets de transport routier et collectif doivent faire l'objet d'une consultation avec les parties prenantes concernées et qualifiées dans une planification pluriannuelle. Il ne peut pas revenir au ministère seul de dicter des projets à la pièce.

5- Le gouvernement du Québec doit organiser un grand débat public sur la mission de l'État à financer le transport collectif et public et le considérer comme un service essentiel.

6- Le gouvernement du Québec doit puiser dans le Fonds d'électrification et de changements climatiques pour adéquatement financer la portion transport collectif des projets issus du ministère du Transport et réalisés par Mobilité Infra Québec.

7- La part minimale du produit de la vente des droits d'émission du système de plafonnement et d'échange de droits d'émission de gaz à effet de serre (SPEDE) réservée au financement du transport collectif et de la mobilité durable doit être ramenée à 66 %. Les municipalités devraient être exemptées des montages financiers.

8- Exiger dans les propositions lors d'appel d'offre et de contrats que l'entreprise inclue une évaluation de la courbe de main-d'œuvre et des métiers et occupations nécessaires à la réalisation du projet.

9- Mettre en place une table de travail interministérielle de l'industrie de la construction qui se réunit annuellement afin de réaliser et de mettre à jour une politique de planification biennale des travaux publics, dans le but d'estimer avec plus de précisions les besoins en main-d'œuvre et d'en assurer une meilleure stabilité. Cette table doit inclure le ministère de l'Éducation afin d'assurer la coordination de la formation professionnelle en fonction des besoins.

10- Mettre fin à la règle du plus bas soumissionnaire afin d'assurer le respect des conventions collectives et règlements en matière de santé et sécurité dans l'industrie de la construction et rendre obligatoire l'utilisation de critères sociaux et environnementaux dans l'adjudication ou l'attribution des contrats publics.

11- La FTQ préconise donc que la planification des travaux sur une voie publique municipale se fasse exclusivement par la municipalité ou du moins, en collaboration avec cette dernière.

12- La FTQ demande donc le retrait des articles 48, 49 et 50 du projet de loi 61.

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Éléments pour une stratégie écosocialiste

10 septembre 2024, par Daniel Tanuro, Vincent Gay — ,
Chaque rapport concernant la biodiversité, le climat ou les pollutions, vient confirmer l'ampleur et l'approfondissement de la crise écologique. Cette crise qui menace le (…)

Chaque rapport concernant la biodiversité, le climat ou les pollutions, vient confirmer l'ampleur et l'approfondissement de la crise écologique. Cette crise qui menace le vivant est la crise d'un système et d'un mode de production : le capitalisme. Dans ce nouvel épisode du podcast de Contretemps consacré aux questions stratégiques, « C'est quoi le plan ? » (disponible sur le site Spectre-), Vincent Gay a interrogé Daniel Tanuro, ingénieur agronome et militant écosocialiste, auteur de son récent ouvrage intitulé Écologie, luttes sociales et révolution (Ed. La Dispute, 2024).

8 septembre 2024 | tiré de Spectre media - contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/strategie-ecosocialiste-revolution-ecologie-tanuro/

Ce livre, dont on pourra lire un compte-rendu ici, prend à bras le corps ces problèmes pour tenter y apporter des réponses stratégiques. Alors que les luttes écologistes se développent et se radicalisent, un marxisme vivant, autrement dit l'écosocialisme, est un outil nécessaire en ce sens, à condition qu'il apprenne des luttes concrètes en défense du vivant. Situant les enjeux écologiques dans le cadre des transformations contemporaines du capitalisme et insistant sur l'importance des questions liées au travail, Daniel Tanuro apporte une contribution essentielle pour envisager une transformation radicale de nos sociétés et éviter une chute dans la barbarie.

Enregistrement et montage : Thomas Guiffard-Colombeau.

Photo : Soulèvements de la Terre.

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La belle grève des sardinières de 1924

10 septembre 2024, par Rachel Silvera — , ,
Il y a tout juste un siècle, éclatait « une belle grève de femmes », pour reprendre le titre du récit, disponible en ligne, d'une des pionnières du féminisme : Lucie Colliard, (…)

Il y a tout juste un siècle, éclatait « une belle grève de femmes », pour reprendre le titre du récit, disponible en ligne, d'une des pionnières du féminisme : Lucie Colliard, institutrice communiste, venue participer et animer cette mobilisation des « Penn Sardin », du nom de leur coiffe légendaire.

Avec l'aimable autorisation de l'autrice

Les sardinières seront des milliers dans les rues de Douarnenez et ne lâcheront pas, avec près de sept semaines de grève ! Cette victoire formidable vient d'être revisitée, un siècle plus tard, par la journaliste Anne Crignon dans un ouvrage du même titre : Une belle grève de femmes.

A chaque retour de pêches, partout dans la ville, on appelle les 2 000 « filles d'usine » pour qu'elles emboîtent au plus vite les sardines. Elles travaillent alors sans relâche, jusqu'à quinze heures d'affilée, pour une paie dérisoire : 80 centimes de l'heure. Malgré la loi de 1919 qui fixe à huit heures la journée d'usine, les industriels bretons ont obtenu dérogation pour dépasser largement ce cadre et même les 72 heures hebdomadaires maximales normalement obligatoires ne sont pas toujours appliquées.

Les « contremaîtresses » battent le rappel avant l'arrivée des marins pour être sûr que le poisson n'attende pas, faute de chambre froide, mais ces heures d'attente des sardinières ne sont évidemment pas payées, tout comme leurs heures de nuit ne sont pas majorées…

Chaque jour, on leur remet un jeton pour les heures travaillées, au quart d'heure près, mais auquel on retire le coût des « déchets », c'est-à-dire les sardines abîmées. Une partie de leur salaire est donc aux pièces… Le salaire journalier est ainsi de l'ordre de 9 francs 60 (pour douze heures) à 11 francs 20 (quatorze heures), sachant que le kilo de pâtes est, par exemple, à 4 francs et la douzaine d'œufs 6 francs 50.

La division du travail est très forte, c'est « un travail à la chaîne sans chaîne », selon l'expression d'Anne Crignon, et tout doit être exécuté avec rapidité et dextérité.

Alors que le travail des enfants de moins de 12 ans était déjà interdit, de nombreuses fillettes travaillaient dès leurs 8 ans, sous des faux noms ou des grandes coiffes, tellement la misère des familles était forte. Et le travail de ces enfants était tout aussi éreintant, ayant même lieu de nuit, en bout de chaîne, à la cuisson des sardines.

Une grève hors du commun

Déjà, en 1905, les Penn Sardin ont fait grève pour être payées à l'heure et ont obtenu gain de cause : elles étaient alors payées aux « mille », c'est-à-dire à toutes les mille sardines mises en boîte, un salaire aux pièces.

Mais en 1924, la colère gronde à nouveau, car avec 80 centimes de l'heure, les femmes ne peuvent entretenir leur famille et manger correctement. Des cahiers de revendications vont circuler et de plus en plus de sardinières se retrouvent après l'usine, au pied de la grande horloge pour discuter et s'informer : un mur d'affichage leur permet de connaître les proclamations municipales mais aussi les derniers tracts du Parti communiste.

Et là, toutes discutent et n'ont qu'une revendication en tête : obtenir un salaire décent, soit 20 centimes de plus par heure. Et très vite, c'est l'idée de la grève qui fait l'unanimité parmi les sardinières. Les marins, souvent leurs maris, hésitent mais comprennent très vite leur mouvement, d'autant qu'en cette fin novembre, ils sont à quai, c'est la période creuse…

Le 21 novembre, à l'usine Carnaud de boîtes de conserve, alors que des ouvrières demandent à discuter de leur salaire et du nombre d'heures de travail, le contremaître leur refuse ce rendez-vous et c'est le début de la grève pour ces cent ouvrières et quarante manœuvres. Très vite, ce mouvement fera tache d'huile car des ouvrières iront alors à la mairie, demander l'aide de Daniel Le Flanchec, maire communiste, une figure incontournable de Douarnenez qui sera un soutien indéfectible du mouvement.

Dès le dimanche 23 novembre 1924, les sardinières marchent dans toute la ville et parviennent à convaincre : le 25, toutes les usines débrayent, soit 3 000 grévistes. La grève tiendra grâce à leur porte-parole local, mais aussi à la venue deCharles Tillon, responsable alors de la CGTU de Bretagne, qui sera l'un des fondateurs des FTP (Francs-tireurs et partisans) et ministre à la Libération. Lucie Colliard, responsable du travail des femmes à la CGTU, viendra également en soutien.

Caisse de grève

Tous deux permettront au mouvement de prendre de l'ampleur et de durer. Lucie Colliard portera également des revendications plus féministes, comme « d'être payées comme les hommes », de faire respecter le temps de travail et, plus globalement, de remettre en cause leurs conditions de femmes et de mères.

Très vite, un comité de grève permettra d'organiser les journées, de faire la soupe populaire, grâce à des collectes dans les villages voisins, et de lancer une caisse de grève. Des crèches seront mises à disposition des sardinières pour leur permettre chaque jour de participer au rassemblement et au cortège quotidiens.

« Il y a quelque chose de festif et d'heureux dans cette révolte, comme une résurrection, et on en voit même qui portent le châle à frange des jours de fête », nous décrit Anne Crignon.

Du côté des industriels bretons, les réactions seront unanimes : refus systématique de rencontrer les grévistes et tenir jusqu'au 3 janvier, date de reprise de la pêche… De plus, René Beziers, l'un des « leaders » patronaux, dépose une plainte contre Le Flanchec pour atteinte à la liberté de travail, qui n'aboutira pas.

Finalement, le 13 décembre, le ministre du Travail, Justin Godart, recevra deux délégations, séparément. Trois sardinières seront accompagnées de Lucie Colliard. La délégation patronale, portée par Beziers, n'entendra pas raison mais profitera de ce voyage pour se rendre au Syndicat libre, le syndicat patronal, pour une location de briseurs de grève.

Le1er janvier, ces « mercenaires », complètement saouls, vont tirer sur Le Flanchec, le maire, son neveu et un marin. Le Flanchec aura la gorge transpercée, mais s'en sortira, tandis que son neveu gardera un handicap lourd. L'Humanité du 3 janvier 1925 titrera : « A Douanenez, première « flaque de sang » fasciste ».

« Histoire qui se vit au présent »

Si ces attentats restent impunis, ils auront le mérite de susciter de vives réactions dans la presse et au sein du gouvernement : tous reconnaissent que les communistes et les grévistes n'ont jamais usé de la violence, mais que deux d'entre eux sont à l'hôpital. Les industriels vont enfin accepter de négocier une augmentation des salaires. Mais les sardinières veulent également que le travail de nuit et les heures supplémentaires soient payés davantage. Elles feront pression (en quittant la table de négociation) et obtiendront une majoration de 50%. Elles gagneront également l'application de la loi des huit heures et le paiement des heures d'attente du poisson.

Ce « contrat de Douarnenez », signé au quarante-septième jour de grève, sera appliqué à toutes les usines de la ville et au-delà. C'est une immense fête à Douarnenez, où cette grève victorieuse restera dans l'histoire une grève de femmes ouvrières.

Autre événement remarquable à Douarnenez : Joséphine Pencalet, gréviste sardinière, deviendra en 1925 la première et la seule femme élue à la municipalité dans l'équipe de Le Flanchec, alors que les femmes n'avaient pas le droit de vote. Mais cette élection fut cassée peu de temps après.

Une chanson Penn Sardin, créée par l'auteure-compositrice Claude Michel au début des années 2000, raconte leur combat et sera reprise par le mouvement des gilets jaunes et par des cortèges féministes ces dernières années.

Tout récemment, le 5 avril 2024, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, est venue à Douarnenez célébrer le centenaire de cette grève victorieuse devant 400 personnes, en rappelant que ce mouvement, comme tant d'autres, a permis de renverser le rapport de force en faveur des ouvrières et qu'aujourd'hui encore, le travail et les rémunérations des femmes restent déconsidérés. Pourquoi les gestes répétitifs, fréquents dans de nombreux métiers féminisés, ne sont pas pris en compte comme le port de charges lourdes ? « Je suis à Douarnenez pour montrer que la grève de 1924 est aussi une histoire qui se vit au présent », a-t-elle déclaré en avril.

Rachel Silvera
Maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre
https://www.alternatives-economiques.fr/rachel-silvera/belle-greve-sardinieres-de-1924/00112273

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Les racines rouges de Hayao Miyazaki

10 septembre 2024, par Owen Hatherley — , ,
Le Studio Ghibli, connu notamment à travers les œuvres de Hayao Miyazaki, n'est pas le Disney japonais, mais l'anti-Disney. Conçus par des animateurs issus du mouvement (…)

Le Studio Ghibli, connu notamment à travers les œuvres de Hayao Miyazaki, n'est pas le Disney japonais, mais l'anti-Disney. Conçus par des animateurs issus du mouvement communiste japonais, ses films célèbrent le travail créatif et la solidarité humaine contre le capitalisme et la guerre.

4 septembre 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/racines-rouges-hayao-miyazaki-japon-communisme-anticapitalisme-guerre/

Les racines de l'un des studios d'animation les plus prospères de ces dernières décennies se trouvent chez Toei Doga, le département d'animation de l'une des plus grandes sociétés cinématographiques du Japon. Au milieu des années 1960, les conditions de travail dans le secteur étaient brutales, les équipes d'animateurs produisant des centaines de dessins par jour pour des dessins animés télévisés tels qu'Astro Boy (Astro le petit robot).

Les délais de fabrication étaient courts et la qualité n'avait aucune importance ; au moins un animateur est d'ailleurs mort au travail. Les jeunes animateurs Hayao Miyazaki (1941-) et Isao Takahata (1935-2018) comptaient parmi les délégués syndicaux les plus en vue du studio Toei. Il existe une photographie montrant le jeune Miyazaki, mégaphone à la main, à la tête d'une grève. Vingt ans plus tard, Miyazaki et Takahata fonderont ensemble leur propre studio, le Studio Ghibli.

Ghibli devait être tout ce que les studios existants n'étaient pas, même s'il restait dédié à l'élaboration de divertissements populaires. Ses animations fluides et riches décrivent ouvertement les dangers de la destruction de l'environnement, de la guerre et du capitalisme, mais flottent en quelque sorte – comme son héros, le « cochon rouge » Porco Rosso – sous le radar politique.

Miyazaki ne pouvait s'empêcher de déclarer : « Je dois dire que je déteste les œuvres de Disney », alors même que Ghibli signait en 1996 un accord de distribution à l'étranger avec le conglomérat multinational. Les films de Ghibli ne sont jamais propagandistes, mais, dans leur décontraction, ils ont donné naissance à une forme très particulière d'écosocialisme. Miyazaki et Takahata font partie des quelques cinéastes marxistes que le militant socialiste William Morris (1834-1896) aurait reconnu comme des âmes sœurs.

En même temps, l'orientation politique de Ghibli n'a jamais été un secret. En 1995, le réalisateur de Patlabor et de Ghost in the Shell, Mamoru Oshii, (1951) issu de la Nouvelle Gauche libertaire, a qualifié Takahata de « stalinien », Miyazaki de « quelque peu trotskiste » et le studio Ghibli de « Kremlin ». Le studio Toei, comme beaucoup de studios dans les années 60, était en grande partie contrôlé par le Parti Communiste Japonais, et bien que Miyazaki ait déclaré n'avoir jamais été un membre cotisant, il ne fait aucun doute que Takahata et lui étaient des compagnons de route.

On trouve quelques références malicieuses à ce sujet dans leurs films. L'as de l'aviation de Porco Rosso (1992), par exemple, refuse de s'engager dans l'armée de l'air sous Benito Mussolini – déclarant « mieux vaut être un cochon qu'un fasciste » – et dans une scène, son amante Gina chante l'hymne de la Commune de Paris « Le Temps des Cerises ». Mais la vision politique de Ghibli se manifeste surtout dans ses œuvres qui traitent de la campagne, au Japon et ailleurs, qui apparaît à la fois comme un rêve et un cauchemar.

Ghibli est basée à Tokyo, la plus grande métropole du monde, et c'est peut-être l'absence d'une « campagne » proche qui en fait un tel centre d'intérêt pour le travail du studio. Dans Mon voisin Totoro (1988), les créatures d'une forêt fantasmée et transfigurée aident à consoler deux enfants de la ville dont la mère est soignée pour une maladie chronique.

Mais l'un des mondes oniriques les plus politiquement révélateurs de Ghibli apparaît dans le précédent Le château dans le ciel (1986), dans lequel un garçon d'un village minier se retrouve à explorer la citadelle flottante détruite d'une société de haute technologie devenue obsolète que se disputent des aristocrates malveillants. Les paysages du film sont directement inspirés de la visite de Miyazaki et Takahata dans le sud du Pays de Galles en 1985.

Ayant l'intention de réaliser un film sur la révolution industrielle, ils se sont embarqués pour un voyage de recherche dans les Vallées (South Wales Velleys), une région aux étranges paysages ruraux et industriels où les maisons en terrasse sont entrecoupées de montagnes, de mines et d'usines sidérurgiques. Pour quiconque connaît les Valleys, le film est plutôt inquiétant, mais le sud du Pays de Galles n'a pas été qu'une simple source d'inspiration visuelle. Le hasard a voulu qu'ils s'y trouvent au lendemain de la grève des mineurs de 1984-85. L'année suivante, Miyazaki a exprimé son admiration pour le « véritable sens de la solidarité » qu'il a trouvé dans les villages miniers, et le film en est clairement inspiré.

Comme leur film précédent, la fable écologique post-apocalyptique Nausicaä de la vallée du vent (1984), Le Château dans le ciel est l'affirmation d'une vision particulière de la nature et d'une vision particulière du travail. Ghibli, malgré le grotesque de certains de ses films, n'a jamais cherché à être branché ou odieux. Parlant en 1982 de son rejet de la vague de bandes dessinées nihilistes gekiga d'après 1968, Miyazaki a expliqué qu'il avait décidé qu'il était « préférable d'exprimer de manière honnête que ce qui est bon est bon, que ce qui est joli est joli et que ce qui est beau est beau ». Le travail manuel est l'une des choses que Miyazaki et Takahata présentent constamment comme belles.

Des fonderies du Château dans le ciel aux ouvrières qui assemblent des avions dans Porco Rosso, les films Ghibli regorgent d'images de personnes en train de fabriquer des objets. Les films peuvent facilement être caricaturés comme étant anti-technologiques, étant donné la quantité de destruction écologique qu'ils dépeignent, en particulier avec les films plus récents comme Ponyo sur la falaise (2008) qui traitent explicitement du changement climatique.

Mais le Studio Ghibli adhère davantage à une distinction inspirée par William Morris entre « travail utile » et « labeur inutile », ce dernier étant illustré de manière particulièrement mémorable dans le travail sans fin, digne du purgatoire et organisé de manière despotique du film Le voyage de Chihiro (2001). En 1979, Miyazaki a critiqué les séries de robots mecha pour lesquelles le Japon commençait à être connu à l'étranger, en raison de l'approche inévitablement juvénile et aliénée de la technologie dans ce genre. Il préférait que « le protagoniste se batte pour construire sa propre machine, qu'il la répare lorsqu'elle tombe en panne et qu'il doive la faire fonctionner lui-même ».

« La faire fonctionner lui-même ». C'est exactement ce que font les gens dans les films de Ghibli, s'exprimant à travers le travail qu'ils font avec leurs mains. Les films de Miyazaki peuvent témoigner à la fois d'une admiration pour les réalisations du travail humain et d'une horreur pour leurs conséquences, comme dans Le vent se lève (2013), un film d'époque situé dans les années 1930 qui dépeint avec amour le développement et la construction de l'avion Mitsubishi A6M et montre comment il a été utilisé par l'impérialisme japonais.

Takahata est resté marxiste jusqu'à sa mort en 2018, tandis que Miyazaki a perdu la foi dans les années 1990 alors qu'il achevait la version manga de Nausicaä de la vallée du vent. Selon les termes de Miyazaki, il a « fait l'expérience de ce que certains pourraient considérer comme une capitulation politique », c'est-à-dire qu'il a décidé « que le marxisme était une erreur ». Il souligne que cela n'a rien à voir avec des événements politiques ou personnels, mais qu'il s'agit plutôt d'un rejet philosophique du romantisme ouvriériste – « les masses sont capables de faire un nombre infini de choses stupides », a-t-il déclaré – et d'un rejet du « matérialisme marxiste » et de la philosophie du progrès matériel.

Miyazaki lui-même a résumé son parcours politique en disant qu'il était « redevenu un vrai simple d'esprit ». Le fait d'être copropriétaire d'une entreprise à succès soutenue par Disney n'y est peut-être pas étranger. Bien que les conditions de travail chez Ghibli soient réputées bien meilleures que dans la plupart des studios d'animation japonais, il s'agit toujours d'une entreprise capitaliste, qui gagne des millions grâce aux produits dérivés.

Néanmoins, Miyazaki et le Studio Ghibli ont conservé un dégoût pour la guerre – il n'y a peut-être pas de plus grand film anti-guerre que Le tombeau des lucioles (1988) de Takahata – et pour l'impérialisme. La représentation des fascismes japonais et allemand dans Le vent se lève (2013) a suscité la colère des nationalistes japonais, tandis que le féroce Le château ambulant (2004), le dernier véritable chef-d'œuvre de Miyazaki, a canalisé la « rage » du réalisateur face à la guerre en Irak, durant laquelle il a refusé de se rendre aux États-Unis. Le château de ce film, une machine organique, changeante et réactive, est l'une des images les plus puissantes de Miyazaki d'une technologie non aliénée. De même, Miyazaki ne s'est jamais, au moins sur le plan philosophique, réconcilié avec le capitalisme : Le voyage de Chihiro regorge d'images horribles de l'exploitation industrielle et de la domination des classes sous l'apparence d'une fantaisie enfantine.

Les subtilités de la vision de Ghibli sur le développement peuvent être mieux perçues dans certains de ses films les plus calmes. Deux films des années 1990 se déroulent dans la ville nouvelle de Tama, un projet de développement piloté par l'État qui a rasé d'immenses pans de campagne à l'extérieur de Tokyo dans les années 1970 : Pompoko et Si tu tends l'oreille. Pompoko, sorti en 1994, est une écocritique à la manière de ce que l'on peut attendre de Ghibli, dans laquelle les tanuki, les chiens viverrins considérés dans le folklore japonais comme ayant une double vie, à la fois animaux ordinaires et dotés de pouvoirs magiques comme la métamorphose, complotent pour empêcher la construction de la ville nouvelle.

Il s'agit d'une merveilleuse farce et d'une description plus optimiste des révolutionnaires non humains que tout ce qu'a pu écrire George Orwell. Mais Tama, une fois sortie de terre, est le cadre de la romance adolescente apparemment ordinaire de Si tu tends l'oreille, sorti en 1995. Une jeune fille qui vit dans une cité danchi – les logements sociaux construits en grand nombre à Tama – a le béguin pour un garçon qui vit en amont, dans un quartier plus ancien et plus aisé de la ville.

L'antagonisme des classes et l'attirance entre les deux, assistés par un chat fantôme anthropomorphique, sont décrits sans amertume, et le paysage urbain est dessiné avec amour et précision : une image de la modernité japonaise elle-même comme quelque chose de doux et d'humain. Cela reflète peut-être le rejet par Miyazaki de la lutte des classes, mais cela fait également partie de sa réaction au nihilisme sous toutes ses formes. Ici aussi, dans le paysage moderne, ce qui est beau est beau.

Le film le plus dialectique du studio Ghibli, et le plus subtilement marxien, est Souvenirs goutte à goutte (1991) d'Isao Takahata. Dans ce film, Taeko, une femme approchant la trentaine et insatisfaite de sa vie à Tokyo, se rend dans un village pour aider à la récolte. Un jeune ouvrier agricole la conduit à travers le paysage, avec ses rivières, ses champs, ses marais et ses forêts, tous animés avec amour dans des détails luxuriants et méticuleux. Elle le contemple avec émerveillement, exprimant son admiration pour la « nature ». Un film de Disney en resterait là, mais pas Ghibli. Le fermier, souriant mais quelque peu méprisant, insiste sur le fait que tout ce qu'elle peut voir est le résultat du travail humain.

Semblant paraphraser The Country and the City du marxiste gallois du sud Raymond Williams (1912-1988), il lui dit que « les citadins voient les arbres et les rivières et sont reconnaissants à la « nature » ». Mais « chaque parcelle a son histoire, pas seulement les champs et les rizières. L'arrière-arrière-grand-père de quelqu'un l'a planté ou défriché ». À la fin du film, Taeko décide de rester dans le village, précisément parce que son expérience a été celle d'un travail au sein d'une communauté plutôt que celle d'une spectatrice et d'une contemplatrice.

Les mondes imaginaires du Studio Ghibli sont des paysages de production et des espaces de solidarité, et voici, dans son film le plus réaliste, une petite image d'une véritable utopie.

*

Owen Hatherley est le rédacteur de la rubrique Culture de Jacobin et l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Red Metropolis : Socialism and the Government of London.

Publié initialement par Jacobin. Traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.

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*Pour les femmes afghanes*

10 septembre 2024, par Clarice Rangel Schreiner — , ,
Source : La lettre de Patrick Le Hyaric, 7 septembre 2024, Saint-Denis (France). Lecture suggérée par André Cloutier « Un jour meilleur viendra. Sœur. Le jour viendra où (…)

Source : La lettre de Patrick Le Hyaric, 7 septembre 2024, Saint-Denis (France).

Lecture suggérée par André Cloutier

« Un jour meilleur viendra.
Sœur. Le jour viendra où toi et moi volerons.
Sur les fières montagnes de notre terre.
Il viendra un jour où les portes ne seront plus verrouillées.
Et tomber amoureuse ne sera pas un crime.
Toi et moi laisserons nos cheveux voler.
Nous porterons des robes rouges.
Et enivrerons les oiseaux
De nos vastes déserts
Avec nos rires.
Nous danserons parmi les tulipes rouges de Mazar.
En mémoire de Rabia.
Ce jour-là n'est pas loin.
Il est peut-être au coin de la rue.
Il est peut-être dans notre poésie »./

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Kalilou Diakité

10 septembre 2024, par Thibaut Hernandez — , ,
Kalilou Diakité, écrivain, poète et scénariste de Moissy-Cramayel, fait parler de lui à travers des œuvres littéraires puissantes et engagées. Son approche unique, mêlant (…)

Kalilou Diakité, écrivain, poète et scénariste de Moissy-Cramayel, fait parler de lui à travers des œuvres littéraires puissantes et engagées.

Son approche unique, mêlant critique sociale et poésie, met en lumière des réalités contemporaines souvent ignorées. À travers trois de ses ouvrages phares, "Ghetto Island", "Francité" et "Souffle à la Femme", l'auteur offre un témoignage saisissant de la société actuelle, en abordant des thèmes tels que les inégalités sociales, l'identité et la place des femmes dans le monde.

Un auteur au cœur du réel

Kalilou Diakité n'est pas seulement un écrivain : c'est aussi un acteur engagé sur le terrain. En tant que coordinateur éducatif au sein de l'association "Zy Va" (https://www.jeuneetbenevole.org/zyva), il est au plus près des jeunes des quartiers populaires, dont il raconte les défis quotidiens et les espoirs dans ses œuvres. Cette proximité avec la réalité confère à son écriture une authenticité rare, qui séduit de plus en plus de lecteurs.

Ses livres

* "Francité" : Une réflexion poétique sur l'identité française

Avec "Francité", Kalilou Diakité propose une réflexion originale sur ce qu'est être Français aujourd'hui. Cet essai politico-poétique explore les contradictions et la diversité de la France contemporaine. L'auteur y questionne les idéaux républicains, leur application et la place des citoyens issus de diverses origines dans cette grande mosaïque culturelle. À travers une prose lyrique et rythmée, Diakité nous invite à reconsidérer nos perceptions de l'identité nationale.

"Ghetto Island" : Une immersion dans les quartiers marginalisés

Dans "Ghetto Island", Kalilou Diakité nous plonge au cœur des cités, ces quartiers souvent stigmatisés par les médias et la société. À travers le personnage de Kal, l'auteur dépeint la vie dans ces espaces où survie et humanité se côtoient au quotidien. Ce roman est un appel à l'empathie et à la compréhension des réalités souvent déformées par les clichés. "Ghetto Island" est un cri du cœur, une œuvre engagée qui interroge les inégalités sociales et pousse à la réflexion.

"Souffle à la Femme" : Une ode à la résilience féminine

Dans "Souffle à la Femme", Kalilou Diakité rend un hommage vibrant aux femmes du monde entier. Cet essai célèbre leur force, leurs luttes, et leurs sacrifices, tout en dénonçant les inégalités persistantes qui freinent leur émancipation. En faisant appel à des figures emblématiques du féminisme comme Olympe de Gouges et Malala Yousafzai, Diakité nous rappelle que la lutte pour les droits des femmes est loin d'être terminée.

Un auteur à suivre de près

Kalilou Diakité se positionne aujourd'hui comme une voix incontournable de la littérature contemporaine. Par sa plume, il offre une lecture engagée et humaniste du monde actuel. Qu'il s'agisse de dénoncer les injustices sociales, de questionner les identités ou de célébrer la féminité, Diakité utilise l'écriture pour provoquer des prises de conscience.

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La légitimité de la gauche « sucrée »

10 septembre 2024, par Omar Haddadou — , ,
Une dissolution de l'Assemblée nationale qui s'opère dans la douleur. Un jeu démocratique brouillé. Un Nouveau Front Populaire vainqueur, carotté. La France de Macron ne (…)

Une dissolution de l'Assemblée nationale qui s'opère dans la douleur. Un jeu démocratique brouillé. Un Nouveau Front Populaire vainqueur, carotté. La France de Macron ne navigue plus à vue. Elle s'abreuve de l'abus !

De Paris, Omar HADDADOU

Voilà une République qui n'a pas le blues !

Et pour cause, sa Démocratie se décline, se travestit au gré des humeurs de son Président, la pauvreté de certains esprits et la germination opportuniste des courants extrémistes. Ainsi va la France ! Eclopée, nidoreuse, mais résolue à conserver ce fard aux exhalaisons faussement subtiles.

La dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024 - sur la base de l'Article 12 de la Constitution - précipitée par Emmanuel Macron, a rabattu les cartes, offrant au Rassemblement National (RN) une aubaine déroutante de se refaire une santé et revenir à la charge. Le couple Bardella - Marine Le Pen joue les Expectants, guettant l'aboutissement de la décantation de l'échiquier politique et la mécanique des coalitions y afférente.

La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre, issu de la Droite (LR), avait provoqué une levée de boucliers au sein de la Gauche qui y voyait un empiétement des Droits fondamentaux, un hold-up de sa victoire aux législatives, d'où les 150 manifestations de ce samedi 7 juin sur tout le territoire national, dont celle place de la Bastille à Paris à l'appel des Syndicats d'organisations de Jeunesses.

Dans la capitale, la Préfecture avançait le chiffre de 26 000 manifestants (es), 160 000 selon La France Insoumise (LFI).

Dans le cortège, les déclarations se veulent tranchantes. Pénélope, militante écologiste, la veste verte écussonnée d'une marguerite jaune, ne cache pas son inquiétude : « Macron se fout de notre gueule. Il va s'allier avec la Droite et réhabiliter le RN. Ça m'fait peur ! Peur pour mon bébé, pour les pauvres étrangers ».

Le cortège dont l'élan est accompagné par des slogans de contestation et d'indignation « Macon démission ! », compte en son sein des familles, une junte féminine importante, des lycéens (es) et étudiants (es) en force, des retraités, des chômeurs et des professionnels de tout âge : « Nous sommes prêts à bloquer le pays ! Il doit se soumettre ou se démettre » s'étrangle un intervenant derrière le micro.

Tout le monde s'accorde à dire que les dissidences et les guerres du leadership avait aussi contribué à la fragilisation de l'union des Partis de gauche qui s'échinent présentement à faire bloc face à un gouvernement complètement atomisé.

Michel Barnier, à la manœuvre des tractations depuis hier, hérite, lui aussi, d'un cadeau empoisonné.

La quête d'un équilibre de sa coalition parlementaire à l'ossature inclusive, s'avère un exercice éminemment périlleux !

Bouillonnant, Mélenchon, le portevoix du Nouveau Front Populaire, s'en prend vertement à Macron et ses affidés : « Où êtes-vous ? Pourquoi n'êtes-vous pas là ? N'avez-vous pas honte ? de laisser un tel coup se faire contre votre dignité (déni de victoire du NFP). Tant qu'il restera un ferment de rébellion, de refus de la capacité de dire non ! Alors la France s'embrasera de la volonté de Liberté, de l'Egalité et de Fraternité ! »

La poursuite des consultations de Michel Barnier pour la formation d'un gouvernement, s'annonce ardue.

Le Premier ministre a pour baptême du feu, de marcher sur une crête estampillée Macronie.
Le cauchemar ne fait que commencer !
O.H

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Vote de la diaspora algérienne en France.

10 septembre 2024, par Omar Haddadou — ,
Le Consulat d'Algérie à Bobigny a vécu des moments de ferveur et de liesse intenses, ce 7 septembre 2024, jour de l'élection présidesidentielle. Du Consulat, Omar HADDADOU (…)

Le Consulat d'Algérie à Bobigny a vécu des moments de ferveur et de liesse intenses, ce 7 septembre 2024, jour de l'élection présidesidentielle.

Du Consulat, Omar HADDADOU

Le peuple algérien communie avec son pays par un vote massif !

Une reconduction que toute la masse appelait de ses « tripes ». Affranchie d'un passé récent douloureux, marqué au fer rouge par une guerre civile horrible dans les année 90, l'Algérie et ses 45 millions d'habitants (es) entre de plain-pied dans une bataille économique, juridique et institutionnelle, aux défis considérables. Déjouant, au prix d'une mobilisation accrue de ses forces vives, notamment la Jeunesse et le concours de la grande muette - garante des Institutions - les tentatives de déstabilisation, elle s'affirme aujourd'hui à travers la cristallisation de ses réformes naissantes, comme force motrice et acteur incontournable du continent africain. Ce nouveau positionnement sur fond de reconfiguration de sa diplomatie avec l'Europe, les BRICS et son soutien indéfectible envers la Palestine et le Front Polisario, suscite des ulcérations au sein de quelque bande de francs-tireurs séditieux, tapis dans l'ombre occidentale ou sortis du vieux placard de la dissidence déchéante de l'exil. Nostalgiques d'un passé colonial, ils s'initient au hurlement du loup dans l'espoir de se le réapproprier (Le passé).

Dans cette tectonique géopolitique, l'Algérie, que des pourfendeurs acharnés étrillent sur les Droits de l'Homme, poursuit sa voie pour le développement, mettant l'accent sur l'innovation, les réformes, investissement, la transition énergétique et la lutte contre les inégalités.

Selon le rapport annuel de classification des revenus de la Banque mondiale, publié le 1er juillet 2024, « l'Algérie fait partie des 4 seuls pays dans le monde à avoir franchi le seuil d'une classification de revenu intermédiaire inférieur à supérieur ».

Les gisements minier et pétrolier en sont pour quelque chose, voire beaucoup, évidemment.
Obéissant au respect de l'acquittement de la « dette de la sueur après celle du sang », les Algériens n'ont pas hésité à plébisciter, du 2 au 7 septembre, leur chef d'Etat sortant Abdelmadjid Tebboune, pour un second mandat de 5 ans, à l'Investiture suprême. Et ce, sous l'égide de l'Autorité électorale (Anie), lors du scrutin marathon opposant les 3 candidats : Youcef Aouchiche du Front des Forces socialistes (FFS) 2,16 , Hassani Cherif Abdel Ali du parti islamiste modéré MSP 3, 1 %, et Abdelmadjid Tebboune (Indépendant) 94% de voix.

Les 24 millions d'électeurs (ices) avaient tranché au terme de cette échéance, relevant un taux de participation de 48% et, bien entendu, un vend de réserves émises par lesdits partis sur des irrégularités, dont les prétendues affectations massives.

Le Président élu aura en outre pour crédo, et ce depuis les poussées de fièvre du Hirak, les aspirations démocratiques et la prise en charge urgente des dossiers brûlants, en commençant par la distribution de 2 millions de logements, l'augmentation de l'Allocation chômage, la revalorisation des retraites, la Santé, le tout financé par les recettes des hydrocarbures à l'heure où le baril frôle les 80 dollars !

Oui, tout baigne ! Mais quel est le ressort ayant motivé les citoyens (nes) à se ruer sur les bureaux de vote ? N'est-ce pas cette soif de conserver deux précieux acquis ? : la Paix et la Stabilité dont Tebboune se veut le garant.

Au Consulat d'Algérie, rue Hector Berlioz à Bobiggny, l'heure était à l'expression nationaliste, en cette matinée du 7 septembre. Par vagues successives, les ressortissants affluaient pour accomplir ce droit civique salvateur. Homme, femme, personne âgée, handicapé (e) sur chaise roulante, primo-votant (e), n'ont pas dérogé à l'appel. Sur le pied de guerre dès le premier jour, la représentation diplomatique s'est évertuée à satisfaire toutes les doléances en conformité.

Anticipant le bon déroulement de l'opération, les services consulaires avaient mis à la disposition des votants (es) tous les moyens matériels, humains et sécuritaires. Et en guise de bienveillance, un espace confortable pour se reposer et prendre un café quand vos yeux s'attardent sur le tableau du Valeureux Emir Abdelkader.
Un prénom que porte ce retraité des Forces Spéciales Algériennes. Beret militaire vissé sur la tête, carte électorale brandie en l'air, l'homme s'écrie en sortant de l'isoloir : « Tahya el Djazaïr, Allah yarham Echouhada ! Vive l'Algérie ! Gloire à nos Martyrs ! » Les femmes lui répondent par des youyous suaves dans un climat festif.

Bénéficiant du plébiscite affectueux du Peuple et des 4 formations politiques dont le Front de Libération National (FLN), Abdelmadjid Tebboune, tout honoré de son œuvre, sait que l'avenir est difficile à ferrer !

O.H

Plus d’extractivisme en Amérique latine et au Nord qui dicte l’agenda du Sud

10 septembre 2024, par Guillermo Folguera — ,
« Il n'y aura pas de transition anti-extractiviste si le pillage de l'Amérique latine et de l'Afrique continue », affirme l'auteur. Contrairement à certains responsables (…)

« Il n'y aura pas de transition anti-extractiviste si le pillage de l'Amérique latine et de l'Afrique continue », affirme l'auteur. Contrairement à certains responsables universitaires et politiques qui promeuvent ce prétendu drapeau vert, il souligne que la proposition laisse de côté le rôle nécessaire des communautés locales et, en bref, et donne le pouvoir aux entreprises et à des gouvernements sur les territoires et les corps.

5 septembre 2024 | tiré du site rebelion.org
https://rebelion.org/mas-extractivismo-en-america-latina-y-el-norte-marcando-la-agenda-del-sur/

La transition énergétique, telle qu'elle est présentée aujourd'hui, est loin d'être ce qui est compris et recherché par les communautés qui visent la justice sociale et environnementale dans nos territoires, à la fois en Amérique latine comme en Afrique. Dans cet article particulier, je vais me concentrer sur dans cinq aspects que je considère pertinents lorsque je réfléchis à des solutions pour faire face à la crise climatique. Je prévois à cet égard qu'aucune transition ne sera juste si elle approfondit l'extractivisme et, encore moins, si elle propose de nouvelles formes de sacrifices des corps et des territoires.

1- La simplification. La façon de définir la crise climatique et la manière dont sa solution est envisagée et présentée découle d'une première simplification. Pour différents acteurs, la cause de la crise climatique se réduirait à l'émission de gaz à effet de serre serre (GES). Bien sûr, je reconnais le rôle fondamental que jouent ces gaz à effet de serre, et des graves conséquences de leur augmentation dans l'atmosphère, telles que l'augmentation de la température moyenne, l'acidification des mers ou des changements dans le régime des précipitations, entre autres. Cependant, lC'est une simplication d'affirmer que les problèmes environnementaux se réduisent à ce seul facteur. Ainsi, des scénarios de désertification, de pollution, d'incendies, d'augmentation des maladies ou d'expulsion des communautés locales, par exemple, certaines des plus répandues, sont généralement laissées de côté ou contournés. Dans le même temps, des activités associées à une réduction des émissions de GES, causent des dommages irréparables. Par exemple, on favorise l'énergie nucléaire, les centrales hydroélectriques deviennent viables ou l'expansion des plantations forestières est proposée. Dans certains cas, les dommages causés par l'exploitation minière aux niveaux local et régional sont omis. Les conséquences de l'exploitation de l'uranium, de la construction de barrages avec leurs réservoirs et les inondations qu'ils provoquent, ou les monocultures qui détruisent la forêt ne sont pas pris en compte. De cette façon, on ignore les graves conséquences subies par les communautés, aujourd'hui et à l'avenir, par la transformation des territoires, la pollution, pour l'accès à l'eau ou la perte de production locale. Il n'est pas possible de promouvoir une transition juste qui augmente les destructions environnementales.

2- La technocratie. Le deuxième aspect. Cela a à voir avec la nature technique qui est donnée à cette transition. Je parle de la solution proposée par et pour les professionnels, à l'exclusion de tout une autre voix. Encore une fois, avec cela, je ne nie pas l'importance de l'expertise. Mais la transition énergétique, a d'abord un caractère politique et doit inclure la multiplicité des acteurs sociaux et elle ne peut pas être définie et délimitée uniquement par des techniciens. L'objectif démocratique, politique et équitable, c'est de travailler ensemble avec les communautés locales pour la prise de décisions régionales. Cependant, avec certains groupes, toute discussion profonde autour de es questions, diverses et dissonantes avec le discours dominant est empêchée. Qui peut alors discuter de la transition énergétique : L'expert ? L'entraîneur ? L'ingénieur ? L'entreprise ? Le fonctionnaire en service ? Bref, et dans ces démocraties limitées, les décisions sont prises quelque part dans le monde et ne sont jamais liés aux communautés locales et aux besoins régionaux, à leurs caractéristiques, à eurs particularités et à leurs besoins réels. Il n'y aura pas de transition démocratique lorsque les décisions excluent les femmes des communautés vivant dans les territoires.

3- L'électromobilité. Le troisième aspect. Il s'agit de la solution qui présente la transition comme se limitant à l'énergie. D'une manière générale, l'accent est mis principalement sur le l'électromobilité. L'objectif est de remplacer les véhicules qui utilisent de l'essence par d'autres qui utilisent de l'électricité construits avec du lithium, du cuivre et d'autres minéraux entrant dans la production de batteries. Cette substitution individuelle empêche, une fois de plus, de discuter et de problématiser des questions de fond. Par exemple, le fait que la proposition s'adresse directement aux pays à forte consommation d'énergie comme les États-Unis, la Chine, l'Europe et d'une poignée d'autres pays. Les stratégies collectives ne sont pas favorisées et on vise plutôt la consommation privée. De cette façon, les niveaux d'inégalité sociale entre les pays sont encore amplifiés. au sein de ces mêmes sociétés. Cette prétendue solution ne dit rien de la concentration des richesses, de la consommation excessive ou du fait qu'une poignée d'entreprises consomment plus d'électricité que des pays entiers. Par exemple les gouvernements et les entreprises promeuvent le projet minier Josemaria, qui consomme plus d'électricité que la province de San Juan au nom de la transition énergétique, pour l'extraction du cuivre. Ou que la société Aluar consomme l'équivalent de ce que consomme environ un million et demi de personnes, pour produire de l'aluminium. Quel est l'objectif de cette stratégie face à la La crise climatique ? Qu'est-ce qu'une transition énergétique qui priorise de garantir les taux de profit de certaines entreprises ? Il n'y aura pas de transition équitable pour résoudre la crise climatique lorsque les inégalités sociales sont amplifiées et les tissus communautaires sont détruits.

4- Les entreprises monopolisent les iniatives. Qui est derrière tout cela, derrière cette manière de configurer la transition énergétique ? En premie lieu, les États-Unis et la Chine. et puis, l'Union européenne et en particulier l'Allemagne, dont le rôle de premier plan a été évident avec la rébellion serbe contre à l'extraction du lithium. Les États africains, dans diverses régions de l'Asie et l'Amérique latine se voient imposés cette orientation. Par exemple, dans le cas de notre région, l'Argentine et le Chili apparaissent également sur cette carte, car ils permettent le pillage territorial de leur territoire par les entreprises à la recherche de lithium et du cuivre, entre autres minéraux.

Derrière les États, il y a les grandes entreprises qui occupent une place centrale. Elles opèrent et déterminent le comment et le quand de la transition énergétique. Puis les sociétés minières apparaissent, avec un cadre stratégique et un quadrillage très clair de différentes parties du monde. Rappelons que dans le cas de l'Argentine, les entreprises de différents pays tels que le Canada, les États-Unis, la France, la Corée, la Chine et l'Australie, entre autres se font de plus en plus nombreuses. Outre les sociétés minières, les entreprises de l'automobile jouent un autre rôle très important. Ainsi, des entreprises telles que Volkswagen ou Toyota jouent un rôle fondamental qu'il faut comprendre pour voir comment elles envisagent la transition énergétique. Enfin, il est essentiel de reconnaître le rôle des groupes financiers, dont lle rôle est essentiel dans cette triade. À cet égard, cela est illustré dans la lettre dans laquelle Larry Fink, PDG de BlackRock, annonce à ses actionnaires qu'ils vont entrer dans le secteur des énergies vertes. Et avec BlackRock, le groupe Vanguard apparaît, le Deutsche Bank et HSBC Bank, entre autres.

Les États mentionnés, avec la triade minière-automobile-financière, sont les grands promoteurs de l'extractivisme que nous subissons dans nos pays. Par exemple, dans le cas particulier de l'Argentine, l'extraction du cuivre, du lithium et de l'hydrogène vert font partie de grands projets teintés de cette couleur.

En Argentine aujourd'hui, cette esquisse est indissociable d' un important Régime d'incitation à l'investissement (RIGI) ou avec le grandes annonces de BHP et de Lunding Mining avec Josemaría. Les transitions ne seront pas pour les peuples et les communautés mais pour les entreprises, les États et les institutions financières qui les définissent.

5- Multiplication des extractivismes. L'extractivisme des entreprises qui s'enrichissent grâce à l'extraction des hydrocarbures a été et est toujours une catastrophe pour nos pays. Aux formes conventionnelles d'extraction de pétrole et de gaz, ont été ajoutées le développement de la fracturation hydraulique et de l'exploitation offshore, stratégies non conventionnelles qui élargissent les modes de prédation. Cependant, et sans préjudice à la nécessité impérieuse de mettre fin à la production et à la consommation de énergies fossiles, la transition énergétique ne peut pas endosser dans la poursuite de la décarbonisation, d'autres formes tout aussi néfastes en terme social et environnemental. Toute liste autour de ces sujets le montre clairement. Le lithium qui menace d'assécher la Puna, l'exploitation minière du cuivre à San Juan et Catamarca, le nickel, qui multiplie les pillages au Guatemala, au Brésil ou en Indonésie, en Afrique et le cobalt, l'Aluar susmentionné avec le barrage de Futaleufú à son service (symboles des dernières dictatures en Argentine). La liste est interminable. Il n'y aura pas de transition anti-extractiviste si le pillage de l'Amérique latine et de l'Afrique continue.

Parfois, on nous présente souvent l'étrange dichotomie entre le déni total d'une crise et le changement climatique (comme le font Javier Milei, Jair Bolsonaro ou Donald Trump), ou l'acceptation d'une transition organisée par les entreprises au nom de la décarbonisation mondiale. Ici, j'ai écarté les deux options. Et il y a beaucoup qui choisissent de sortir par cette supposée alterntive et qui suivent un chemin différent. Le parcours historique de l'Amérique latine et l'Afrique l'exigent. La seule transition vers le bien-être social et environnemental en est une qui rejette toute option dans laquelle les pays et les communautés sont des zones et des corps sacrifiés.

Source : https://agenciatierraviva.com.ar/transicion-energetica-mas-extractivismo-en-america-latina-y-el-norte-marcando-la-agenda-del-sur/

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Une opportunité de virage majeur dans des élections

10 septembre 2024, par Guy Roy — ,
La démission du ministre Fitzgibbon est une bonne occasion pour tenir un débat national sur la façon d'orienter l'économie québécoise moins tournée vers les transnationales et (…)

La démission du ministre Fitzgibbon est une bonne occasion pour tenir un débat national sur la façon d'orienter l'économie québécoise moins tournée vers les transnationales et autrement que diriger par des hommes d'affaires. Déjà le Premier Ministre vient de ce milieu qui n'est pas caractérisé par un grand sens de l'État. De plus il est opportun de se demander si le manière de diriger l'économie québécoise vers un virage accru en direction d'une mondialisation qui s'essouffle était la bonne.

Se fier sur les transnationales pour un développement national n'est pas du tout la bonne chose à faire. Même du point de vue de la filière batterie, nous avons les centres de recherche, les universités, les ingénieurs (il s'agirait de rattraper le retard dans leur formation) pour développer ce créneau par nous-mêmes et contribuer au développement mondial, sur une base nationale, sans toujours compter sur Ottawa et indépendamment des États-Unis, de tout le secteur de la transition écologique.

Il s'agit donc de profiter du retrait d'un acteur affairiste économique important du développement du Québec pour effectuer un virage nationaliste, qui le soit vraiment, pour orienter tout le secteur énergétique du Québec vers des initiatives autocentrées qui soient à la hauteur d'un projet national ambitieux. Les demi-mesures ont fait leur temps. Avec Legault, il n'y pas de volonté d'orienter le Québec, la nation entière, vers des objectifs qui mettent en valeur toutes nos capacités comme peuple. Si nous sommes « un grand peuple », il est temps de mettre en œuvre le potentiel de notre main-d'œuvre, de nos ressources naturelles, de notre génie, de toutes nos facultés nationales pour apporter notre contribution au monde moderne tel qu'il s'annonce.

Il faudrait commencer par remettre en cause le pouvoir politique de ce gouvernement de la CAQ à courte vue, qui ne sait aucunement compter sur toutes nos capacités et le potentiel national. Il s'appuie d'abord sur une économie de marché toute tournée vers le Canada et les États-Unis. Ça prend des élections pour renouveler le personnel politique qui présidera à ce tournant. Déjà l'alternative est là selon les sondages. Même si les programmes du PQ et de QS ne sont pas ajustés à ce que cela prend, un débat de toutes les forces qui s'apprêtaient à se prononcer sur le méga projet de Loi du Ministre démissionnaire permettrait d'en fixer les balises.

Moi-même je propose un virage qui soit du type du projet « Maitre chez nous » des années soixante (Je participerais d'ailleurs ainsi au débat électoral) en commençant par les nationalisations des mines de lithium et des industries de transformation, le lancement d'un plan de l'État qui cesse de compter sur l'entreprise privée pour le développement d'une filière batterie indépendante, des investissements massifs dans la recherche en électricité et la chimie et dans la formation d'ingénieurs compétents, une fiscalité qui permette de mobiliser les fonds nécessaires à cette entreprise nationale.

Déjà se dessinerait les avenues d'un développement autocentré misant sur les ressources et une intervention de l'État qui favoriserait une prise en charge de l'économie par nos propres moyens : ceux d'un État se dirigeant vers son indépendance des autres nations du monde qui ne cherchent qu'à nous spolier, en commençant par le Canada et les États-Unis, qui n'ont de visées sur nos ressources et notre main-d'œuvre que pour les exploiter à leur profit.

Des élections donc sont de mise pour un débat qui soit d'abord politique sur la manière d'impulser un développement différent que tout ce que la CAQ a entrepris comme gouvernement soumis aux forces du marché pour nous déposséder de nos acquis comme société. Hydro-Québec, notre compagnie nationale, pourrait être le centre moteur du projet. Pour que soit proposer un développement à la hauteur des capacités des Québécois de se mobiliser dans une entreprise qui leur soit propre et qui enthousiasme tous les secteurs intéressés par un projet national ambitieux et qui mette définitivement au rebut un projet de loi sans envergure qui rabaisse nos capacités nationales à l‘État de dépendance envers les autres pays qui dominent le monde.

Guy Roy

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Prendre le taureau par les cornes

10 septembre 2024, par Jean-François Delisle — , , ,
Le conflit Gaza-Israël s'éternise, la liste des horreur s'allonge, le nombre de victimes gazaouies se multiplie sans cesse jusqu'à prendre des proportions démentielles. Comme (…)

Le conflit Gaza-Israël s'éternise, la liste des horreur s'allonge, le nombre de victimes gazaouies se multiplie sans cesse jusqu'à prendre des proportions démentielles. Comme on l'a déjà beaucoup souligné, la complaisance de la plupart des classes politiques occidentales vis-à-vis de l'État hébreu et de son gouvernement contribue au blocage de la situation.

Deux remarques s'imposent à ce sujet.

Il y a tout d'abord le problème des buts de guerre, et ensuite la désignation du cabinet Netanyahou comme principal responsable de l'allongement du conflit. On le transforme commodément en bouc-émissaire.

En examinant la situation, on constate vite que le but visé par les gouvernements occidentaux réside dans le retour au statu quo ante bellum. Autrement dit que le gouvernement Netanyahou cesse de pilonner la malheureuse enclave de Gaza et en retire ses troupes, voilà tout. Les motifs qui ont déclenché l'offensive du Hamas le 7 octobre 2023, c'est-à-dire le blocus israélien qui étouffe ce qui lui tient lieu d'économie et plus largement la contestation de la poursuite de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ne sont jamais mentionnés par les ténors politiques occidentaux, en particuliers américains, inébranlables protecteurs de l'État hébreu.

Si le conflit cessait dès cette semaine sans que les problèmes de fond ne soient abordés, toutes les conditions d'une nouvelle explosion de violence persisteraient. Du côté occidental, on évite soigneusement de soulever cette dimension, pourtant centrale. Seuls trois États ont décidé de reconnaître un éventuel État de Palestine s'il était proclamé : l'Irlande, le Danemark et l'Espagne.

Ensuite, on peut interroger la transformation du cabinet Netanyahou en bouc-émissaire pour les horreurs commises par l'armée israélienne à Gaza.

Netanyahou et consorts ne font que poursuivre une politique qui a toujours été pratiquée à l'encontre des Palestiniens ; celle-ci a été mise en oeuvre par les organisations terroristes juives (comme Lehi, la Haganah et surtout l'Irgoun) bien avant la proclamation de l'état hébreu le 15 mai 1948.

L'ensemble de la classe politique israélienne (à l'exception des députés arabes évidemment) s'accorde avec quelques nuances sur le principe de la judaïsation de Jérusalem-Est et de la majorité de la Cisjordanie. Les différents gouvernements, qu'il s'agisse des travaillistes ou du Likoud n'ont jamais hésité à déclencher des guerres lorsque celles-ci leur paraissait nécessaire, ni à maltraiter les Palestiniens, y compris à en assassiner des chefs de file, la plupart du temps sous le regard bienveillant de leurs alliés occidentaux.

Il importe donc de profiter (si l'on peut dire) du conflit actuel pour remettre en cause la politique expansionniste israélienne et la bloquer. Il s'agit là de la seule manière de sortir du bourbier sanglant où se trouvent enlisés à la fois Israël et la Palestine. La libération des otages a certes son importance, mais se réaliserait-elle que le conflit rebondirait tôt ou tard si le statu quo par ailleurs est maintenu. Pour éviter cela et établir enfin une paix durable entre les deux nations, il importe de dépasser les causes immédiates du conflit et régler les problèmes fondamentaux déjà évoqués plus haut. Hélas, les soutiens occidentaux d'Israël ne semblent pas encore disposés à emprunter ce chemin.

Jean-François Delisle

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Marx, le communisme et la décroissance — A propos du nouveau livre de Kohei Saito, « Marx in the Anthropocene »

10 septembre 2024, par Daniel Tanuro — , ,
Kohei Saito remet le couvert. Dans « Marx's ecosocialism. An unfinished critique of the political economy », le marxologue japonais montrait comment le Marx de la maturité, (…)

Kohei Saito remet le couvert. Dans « Marx's ecosocialism. An unfinished critique of the political economy », le marxologue japonais montrait comment le Marx de la maturité, conscientisé à l'impasse écologique capitaliste par les travaux de Liebig et de Frass, avait rompu avec le productivisme [1]. Son nouvel ouvrage, « Marx in the Anthropocene. Towards the Idea of Degrowth communism », prolonge la réflexion. [2]

10 mars 2024 | tiré d'Europe solidaire sans frontières

Ce livre est remarquable et utile en particulier sur quatre points : la nature de classe, foncièrement destructive, des forces productives capitalistes ; la supériorité sociale et écologique des sociétés (dites) « primitives », sans classes ; le débat sur nature et culture avec Bruno Latour et Jason Moore, notamment ; la grosse erreur, enfin, des « accélérationnistes » qui se réclament de Marx pour nier l'impérieuse nécessité d'une décroissance. Ces quatre points sont d'une importance politique majeure aujourd'hui, non seulement pour les marxistes soucieux d'être à la hauteur du défi écosocial lancé par la crise systémique du capitalisme, mais aussi pour les activistes écologiques. Le livre a les mêmes qualités que le précédent : il est érudit, bien construit, subtil et éclairant dans la présentation de l'évolution intellectuelle de Marx après 1868. Il a malheureusement aussi le même défaut : il présente pour acquis ce qui n'est qu'hypothèse. Une fois encore, Saito force le trait à vouloir trouver chez Marx la parfaite anticipation théorique des combats d'aujourd'hui. [3]

Au commencement était la « faille métabolique"

La première partie de « Marx in the Anthropocene » approfondit l'exploration du concept marxien de « faille métabolique » (« hiatus métabolique » dans la version française du Capital). [4] Saito se place ici dans le sillage de John B. Foster et de Paul Burkett, qui ont montré l'immense importance de cette notion. [5] Saito enrichit le propos en mettant en évidence trois manifestations du phénomène - perturbation des processus naturels, faille spatiale, hiatus entre les temporalités de la nature et du capital - auxquelles correspondent trois stratégies capitalistes d'évitement - les pseudo-solutions technologiques, la délocalisation des catastrophes dans les pays dominés, et le report de leurs conséquences sur les générations futures (p.29 et sq.).

Le chapitre 1 se penche plus particulièrement sur la contribution au débat du marxiste hongrois István Mészáros, que Saito estime décisive dans la réappropriation du concept de métabolisme à la fin du 20e siècle. Le chapitre 2 est focalisé sur la responsabilité d'Engels qui, en éditant les Livres II et III du Capital, aurait diffusé une définition du « hiatus métabolique » tronquée, sensiblement différente de celle de Marx. Pour Saito, ce glissement, loin d'être fortuit, traduirait une divergence entre la vision écologique d'Engels - limitée à la crainte des « revanches de la nature » - et celle de Marx - centrée sur la nécessaire « gestion rationnelle du métabolisme » par la réduction du temps de travail. Le chapitre 3, tout en rappelant les ambiguïtés de György Lukács, rend hommage à sa vision du développement historique du métabolisme humain-nature à la fois comme continuité et comme rupture. Pour Saito, cette dialectique, inspirée de Hegel (« identité entre l'identité et la non-identité ») est indispensable pour se différencier à la fois du dualisme cartésien - qui exagère la discontinuité entre nature et société - et du constructivisme social - qui exagère la continuité (l'identité) entre ces deux pôles et ne peut, du coup, « révéler le caractère unique de la manière capitaliste d'organiser le métabolisme humain avec l'environnement » (p. 91).

Dualisme, constructivisme et dialectique

La deuxième partie de l'ouvrage jette un regard très (trop ?) critique sur d'autres écologies d'inspiration marxiste. Saito se démarque de David Harvey dont il épingle la « réaction négative surprenante face au tournant écologique dans le marxisme ». De fait, « Marx in the Anthropocene » rapporte quelques citations « surprenantes » du géographe étasunien : Harvey semble convaincu de « la capacité du capital à transformer toute limite naturelle en barrière surmontable » ; il confesse que « l'invocation des limites et de la rareté écologique (…) (le) rend aussi nerveux politiquement que soupçonneux théoriquement » ; « les politiques socialistes basées sur l'idée qu'une catastrophe environnementale est imminente » seraient pour lui « un signe de faiblesse ». Géographe comme Harvey, Neil Smith « montrerait la même hésitation face à l'environnementalisme », qu'il qualifie de « apocalypsisme ». Smith est connu pour sa théorie de « la production sociale de nature ». Saito la récuse en estimant qu'elle incite à nier l'existence de la nature comme entité autonome, indépendante des humains : c'est ce qu'il déduit de l'affirmation de Smith que « la nature n'est rien si elle n'est pas sociale » (p. 111). D'une manière générale, Saito traque les conceptions constructivistes en posant que « la nature est une présupposition objective de la production ». Il ne fait aucun doute que cette vision était aussi celle de Marx. Le fait incontestable que l'humanité fait partie de la nature ne signifie ni que tout ce qu'elle fait serait dicté par sa « nature », ni que tout ce que la nature fait serait construit par « la société ».

Destruction écologique : les « actants » ou le profit ?

Dans le cadre de cette polémique, l'auteur consacre quelques pages très fortes à Jason Moore. Il admet que la notion de Capitalocène « marque une avancée par rapport au concept de ‘production sociale de nature' », car elle met l'accent sur les interactions humanité/environnement. Il reproche cependant à Moore d'épouser que les humains et les non-humains seraient des « actants » travaillant en réseau à produire un ensemble intriqué - « hybride » comme dit Bruno Latour. C'est un point important. En effet, Moore estime que distinguer une « faille métabolique » au sein de l'ensemble-réseau est un contresens, le produit d'une vision dualiste. Or, la notion de « métabolisme » désigne la manière dont les organes différents d'un même organisme contribuent spécifiquement au fonctionnement du tout. Elle est donc aux antipodes du dualisme (comme du monisme d'ailleurs) et on en revient à la formule de Hegel : il y a « identité de l'identité et de la non-identité ». « Marx in the Anthropocene » s'attaque aussi aux thèses de Moore par un autre biais - celui du travail. Pour Moore, en effet, le capitalisme est mû par l'obsession de la « Cheap Nature » (nature bon marché) qui englobe selon lui la force de travail, l'énergie, les biens alimentaires et les matières premières. Moore se réclame de Marx, mais il est clair que sa « Cheap nature » escamote le rôle exclusif du travail abstrait dans la création de (sur)valeur, ainsi que le rôle clé de la course à la survaleur dans la destruction écologique. Or, la valeur n'est pas un « actant hybride » parmi d'autres. Comme dit Saito, elle est « purement sociale » et c'est par son truchement que le capitalisme « domine les processus métaboliques de la nature » (pp. 121-122).

Il est clair en effet que c'est bien la course au profit qui creuse la faille métabolique, notamment en exigeant toujours plus d'énergie, de force de travail, de produits agricoles et de matières premières « bon marché ». De toutes les ressources naturelles que le capital transforme en marchandises, la force de travail « anthropique » est évidemment la seule capable de créer un indice aussi purement « anthropique » que la valeur abstraite. Comme le dit Saito : c'est « précisément parce que la nature existe indépendamment de et préalablement à toutes les catégories sociales, et continue à maintenir sa non-identité avec la logique de la valeur, (que) la maximisation du profit produit une série de disharmonies au sein du métabolisme naturel ». Par conséquent, la « faille n'est pas une métaphore, comme Moore le prétend. La faille existe bel et bien entre le métabolisme social des marchandises ainsi que de la monnaie, et le métabolisme universel de la nature » (ibid). « Ce n'est pas par dualisme cartésien que Marx a décrit d'une manière dualiste la faille entre le métabolisme social et le métabolisme naturel - de même que la faille entre le travail productif et le travail improductif. Il l'a fait consciemment, parce que les relations uniquement sociales du capitalisme exercent un pouvoir extranaturel (alien power) dans la réalité ; une analyse critique de cette puissance sociale requiert inévitablement de séparer le social et le naturel en tant que domaines d'investigation indépendants et d'analyser ensuite leur emboîtement. » (p. 123) Imparable. Il ne fait aucun doute, encore une fois, que cette vision de « l'emboîtement » du social dans l'environnemental était celle de Marx.

Accélérationnisme vs. anti-productivisme

Le chapitre 5 polémique avec une autre variété de marxistes : les « accélérationnistes de gauche ». Selon ces auteurs, les défis écologiques ne peuvent être relevés qu'en démultipliant le développement technologique, l'automation, etc. Cette stratégie, pour eux, est conforme au projet marxien : il faut abattre les entraves capitalistes à la croissance des forces productives pour possibiliser une société de l'abondance. Cette partie de l'ouvrage est particulièrement intéressante car elle éclaire la rupture avec le productivisme et le prométhéisme des années de jeunesse. La rupture n'est probablement pas aussi nette que Saito le prétend [6] , mais il y a incontestablement un tournant. Dans Le Manifeste communiste, Marx et Engels expliquent que le prolétariat doit « prendre le pouvoir pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, centraliser tous les moyens de production aux mains de l'Etat et augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». [7] Il est frappant que la perspective de ce texte est résolument étatiste et que les forces productives y sont considérées comme neutres socialement ; elles forment un ensemble de choses qui doit changer de mains (être « arraché petit à petit à la bourgeoisie ») pour grandir quantitativement.

Les accélérationistes sont-ils pour autant fondés à se réclamer de Marx ? Non, car Marx a abandonné la conception exposée dans le Manifeste. Kohei Saito attire l'attention sur le fait que son œuvre majeure, Le Capital, ne traite plus des « forces productives » en général (anhistoriques), mais de forces productives historiquement déterminées - les forces productives capitalistes. Le long chapitre XV du Livre 1 (« Machinisme et grande industrie ») décortique les effets destructeurs de ces forces, à la fois sur le plan social et sur le plan environnemental. On pourrait ajouter ceci : il n'est pas fortuit que ce soit précisément ce chapitre qui s'achève sur la phrase suivante, digne d'un manifeste écosocialiste moderne : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu'en épuisant en même temps les deux sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ». [8] Il n'est plus question ici de neutralité des technologies. Le capital n'est plus saisi comme une chose mais comme un rapport social d'exploitation et de destruction, qui doit être détruit (« négation de la négation »). Notons que Marx, après la Commune de Paris, précisera que rompre avec le productivisme nécessite aussi de rompre avec l'étatisme.

Il est étonnant que Kohei Saito ne rappelle pas la phrase du Manifeste citée ci-dessus, où le prolétariat est exhorté à prendre le pouvoir pour « augmenter au plus vite la quantité des forces productives ». Cela aurait donné plus de relief encore à sa mise en évidence du changement ultérieur. Mais peu importe : le fait est que le tournant est réel et débouche au Livre III du Capital sur une magnifique perspective de révolution en permanence, résolument anti-productiviste et anti-technocratique : « La seule liberté possible est que l'homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leur métabolisme avec la nature et qu'ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force, dans les conditions les plus dignes de la nature humaine. La condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. » [9] L'évolution est nette. Le paradigme de l'émancipation humaine a changé : il ne consiste plus en la croissance des forces productives mais en la gestion rationnelle des échanges avec la nature et entre les humains.

Subsomption formelle et subsomption réelle du travail

Les pages les plus riches de « Marx in the Anhropocene », à mon avis, sont celles où Saito montre que le nouveau paradigme marxien de l'émancipation résulte d'un ample effort de critique des formes successives que le capital a imposées au travail. Bien qu'elle fasse partie des travaux préparatoires au Capital, cette critique ne sera publiée que plus tard (« Manuscrits économiques de 1861-1863 »). Sa clé de voûte est l'importante notion de subsomption du travail au capital. Insistons-y en passant : la subsomption est plus que de la soumission : subsumer implique intégrer ce qui est soumis à ce qui soumet. Le capital subsume le salariat puisqu'il intègre la force de travail comme capital variable. Mais, pour Marx, il y a subsomption et subsomption : le passage de la manufacture au machinisme et à la grande industrie implique le passage de la « subsomption formelle » à la « subsomption réelle ». La première signifie simplement que le capital prend le contrôle du procès de travail qui existait auparavant, sans apporter de changement ni à son organisation ni à son caractère technologique. La seconde s'installe à partir du moment où le capital révolutionne complètement et sans arrêt le procès de production - non seulement sur le plan technologique mais aussi sur le plan de la coopération - c'est-à-dire des relations productives entre travailleurs.euses et entre travailleurs.euses et capitalistes. Se crée ainsi un mode de production spécifique, sans précédent, entièrement adapté aux impératifs de l'accumulation du capital. Un mode dans lequel, contrairement au précédent, « le commandement par le capitaliste devient indispensable à la réalisation du procès de travail lui-même » (p. 148).

Saito n'est pas le premier à pointer le caractère de classe des technologies. Daniel Bensaïd soulignait la nécessité que « les forces productives elles-mêmes soient soumises à un examen critique ». [10] Michaël Löwy défend qu'il ne suffit pas de détruire l'appareil d'Etat bourgeois - l'appareil productif capitaliste aussi doit être démantelé. [11] Cependant, on saura gré à Saito de coller au plus près du texte de Marx pour résumer les implications en cascade de la subsomption réelle du travail : celle-ci « augmente considérablement la dépendance des travailleurs vis-à-vis du capital » ; « les conditions objectives pour que les travailleurs réalisent leurs capacités leur apparaissent de plus en plus comme une puissance étrangère, indépendante » ; « du fait que le capital en tant que travail objectivé - moyens de production - emploie du travail vivant, la relation du sujet et de l'objet est inversée dans le processus de travail » ; « le travail étant incarné dans le capital, le rôle du travailleur est réduit à celui de simple porteur de la chose réifiée -les moyens de préserver et de valoriser le capital à côté des machines - tandis que la chose réifiée acquiert l'apparence de la subjectivité, puissance étrangère qui contrôle le comportement et la volonté de la personne » ; « l'augmentation des forces productives étant possible seulement à l'initiative du capital et sous sa responsabilité, les nouvelles forces productives du travail social n'apparaissent pas comme les forces productives des travailleurs eux-mêmes mais comme les forces productives du capital » ; « le travail vivant devient (ainsi) un pouvoir du capital, tout développement des forces productives du travail est un développement des forces productives du capital ». Deux conclusions non productivistes et non technocratiques s'imposent alors avec force : 1°) « le développement des forces productives sous le capitalisme ne fait qu'augmenter le pouvoir extérieur du capital en dépouillant les travailleurs de leurs compétences subjectives, de leur savoir et de leur vision, il n'ouvre donc pas automatiquement la possibilité d'un avenir radieux » ; 2°) le concept marxien de forces productives est plus large que celui de forces productives capitalistes - il inclut des capacités humaines telles que les compétences, l'autonomie, la liberté et l'indépendance et est donc à la fois quantitatif et qualitatif » (p. 149-150).

Quel matérialisme historique ? Quelle abondance ?

Ces développements amènent Kohei Saito à réinterroger le matérialisme historique. On sait que la Préface à la critique de l'économie politique contient le seul résumé que Marx ait fait de sa théorie. On y lit ceci : « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale ». [12] Il semble clair que Marx ne pouvait plus adhérer littéralement à cette formulation - et encore moins à celle du Manifeste sur l'augmentation quantitative des forces productives - dès lors que son analyse l'amenait à conclure que le développement des dites forces renforce l'emprise du capital et mutile l'agentivité de celleux qu'il exploite. Comme le dit Saito : « On ne peut plus assumer qu'une révolution socialiste pourrait simplement remplacer les relations de production par d'autres une fois atteint un certain niveau de forces productives. Puisque les forces productives du capital engendrées par la subsomption réelle sont matérialisées et cristallisées dans le mode capitaliste de production, elles disparaissent en même temps que le mode de production ». Transférer la propriété du capital à l'Etat ne changerait pas le problème : les forces productives restant inchangées, 1°) les tâches de conception devraient être assurées par une « classe bureaucratique », 2°) la destruction écologique continuerait. L'auteur en conclut que « la subsumption réelle pose un problème difficile de ‘gestion socialiste libre'. La vision traditionnelle du matérialisme historique, synthétisée dans la Préface, n'indique aucune piste de solution » et « Marx n'a pas été à même d'apporter une réponse définitive à ces questions, même dans Le Capital, de sorte que nous devons aller au-delà » (pp. 157-158).

« Aller au-delà » est ce qui est proposé dans la troisième partie de son ouvrage, et c'est elle qui soulève le plus de polémiques. La question de départ est simple : si l'émancipation ne passe pas par la libre croissance des forces productives, donc par ce que Daniel Bensaid appelait le « joker de l'abondance » [13] par où pourrait-elle passer ? Par « la réduction d'échelle et le ralentissement de la production », répond Saito (p. 166). Pour l'auteur, en substance, l'abondance doit s'entendre non comme pléthore de biens matériels privés - sur le modèle à la fois consumériste et excluant de l'accumulation de marchandises accessibles uniquement à la seule demande solvable - mais comme profusion de richesses sociales et naturelles communes. Sans cela, « l'option restante devient le contrôle bureaucratique de la production sociale, qui a causé l'échec de la voie soviétique » (p. 166).

Décroissance, économie stationnaire et transition

« Marx in the Anthropocene » entend donc plaider pour un « communisme de la décroissance », profondément égalitaire, axé sur la satisfaction des besoins réels. Selon Saito, ce communisme était celui des communautés dites « archaïques », dont certains traits ont subsisté longtemps sous des formes plus ou moins dégradées dans des systèmes agraires basés sur la propriété collective de la terre, en Russie notamment. Pour le Marx de la maturité, il s'agit de beaucoup plus que des survivances d'un passé révolu : ces communautés indiquent qu'après avoir « exproprié les expropriateurs », la société, pour abolir toute domination, devra progresser vers une forme plus élevée de la communauté « archaïque ». J'adhère pleinement à cette perspective, mais avec un bémol : Saito force gravement le trait en prétendant que « 14 années d'étude sérieuse des sciences naturelles et des sociétés précapitalistes » auraient amené Marx en 1881 à avancer « son idée du communisme décroissant » (p. 242) Cette affirmation est excessive. Prise littéralement, elle ne repose sur aucun document connu. Du coup, pour qu'elle ait malgré tout une once de plausibilité (et encore : à condition de la formuler comme une hypothèse, pas comme une certitude !) Saito est obligé de recourir à une succession d'amalgames : faire comme si la critique radicale de l'accumulation capitaliste par Marx était la même chose que l'économie stationnaire, comme si les communautés « archaïques » étaient stationnaires, et comme si l'économie stationnaire était la même chose que la décroissance. Cela fait beaucoup de « si », néglige des différences essentielles… et ne nous fait pas avancer dans le débat sur les enjeux de la décroissance au sens où elle se discute aujourd'hui entre anticapitalistes, c'est-à-dire au sens littéral de la réduction de la production imposée objectivement par la contrainte climatique. Voyons cela de plus près.

Laissons le PIB de côté et considérons uniquement la production matérielle : une société post-capitaliste dans un pays très pauvre romprait avec la croissance capitaliste mais devrait accroître la production pendant une certaine période pour répondre à l'énorme masse de besoins réels insatisfaits ; une économie stationnaire utiliserait chaque année la même quantité de ressources naturelles pour produire la même quantité de valeurs d'usage avec les mêmes forces productives ; quant à une économie décroissante, elle réduirait les prélèvements et la production. En mettant un signe d'égalité entre ces formes, Kohei Saito entretient une confusion regrettable. « Il devrait maintenant être clair, écrit-il, que le socialisme promeut une transition sociale vers une économie de décroissance » (p.242). C'est fort mal formulé, car la décroissance n'est pas un projet de société, juste une contrainte qui pèse sur la transition. Une « économie de décroissance », en tant que telle, cela ne veut rien dire. Certaines productions doivent croître et d'autres décroître au sein d‘une enveloppe globale décroissante. Pour coller au diagnostic scientifique sur le basculement climatique, il faut dire à peu près ceci : planifier démocratiquement une décroissance juste est le seul moyen de transiter rationnellement vers l'écosocialisme. En effet, étant donné qu'un nouveau système énergétique 100% renouvelables doit forcément être construit avec l'énergie du système actuel (qui est fossile à 80%, donc source de CO2), il n'y a en gros que deux stratégies possibles pour supprimer les émissions : soit on réduit radicalement la consommation finale d'énergie (ce qui implique de produire et transporter globalement moins) en prenant des mesures anticapitalistes fortes (contre les 10%, et surtout le 1% le plus riche) ; soit on mise sur la compensation carbone et sur le déploiement massif à l'avenir d'hypothétiques technologies de capture-séquestration du carbone, de capture-utilisation ou de géoingénierie, c'est-à-dire sur des solutions d'apprentis-sorciers entraînant encore plus de dépossessions, d'inégalités sociales et de destructions écologiques. Nous proposons l'expression « décroissance juste » comme axe stratégique des marxistes antiproductivistes d'aujourd'hui. Faire de la décroissance un synonyme de l'économie stationnaire n'est pas une option car cela équivaut à baisser le volume de l'alarme incendie.

La commune rurale russe, la révolution et l'écologie

La perspective d'une décroissance juste doit beaucoup à l'énorme travail pionnier de Marx, mais il n'y a pas de sens à affirmer qu'il en est le concepteur, car Marx n'a jamais plaidé explicitement pour une diminution nette de la production. Pour en faire le père du « communisme décroissant », Saito se base quasi exclusivement sur un texte célèbre et d'une importance exceptionnelle : la lettre à Vera Zasoulitch. [14] En 1881, la populiste russe avait demandé à Marx, par courrier, son avis sur la possibilité, en Russie, de s'appuyer sur la commune paysanne pour construire le socialisme directement - sans passer par le capitalisme. La traduction russe du Capital avait déclenché un débat sur cette question parmi les opposants au tsarisme. Marx rédigea trois brouillons de réponse. Ils attestent sa rupture profonde avec la vision linéaire du développement historique, donc aussi avec l'idée que les pays capitalistes les plus avancés seraient les plus proches du socialisme. A ce sujet, la dernière phrase est claire comme de l'eau de roche : « Si la révolution se fait en temps opportun, si elle concentre toutes ses forces pour assurer l'essor libre de la commune rurale, celle-ci se développera bientôt comme un élément régénérateur de la société russe et comme élément de supériorité sur les pays asservis par le régime capitaliste ».

Pour Saito, ce texte signifie que la dégradation capitaliste de l'environnement avait conduit Marx, après 1868, à « abandonner son schéma de matérialisme historique antérieur. Ce ne fut pas une tâche aisée pour lui, dit-il. Sa vision du monde était en crise. En ce sens, (ses) recherches intensives au cours de ses dernières années (sur les sciences naturelles et les sociétés précapitalistes, D.T.) étaient une tentative désespérée de reconsidérer et de reformuler sa conception matérialiste de l'histoire à partir d'une perspective entièrement nouvelle, découlant d'une conception radicalement nouvelle de la société alternative » (p. 173). « Quatorze années de recherches » avaient amené Marx « à conclure que la soutenabilité et l'égalité basées sur une économie stationnaire sont la source de la capacité (power) de résistance au capitalisme ». Il aurait donc saisi « l'opportunité de formuler une nouvelle forme de régulation rationnelle du métabolisme humain avec la nature en Europe occidentale et aux Etats-Unis » : « l'économie stationnaire et circulaire sans croissance économique, qu'il avait rejetée auparavant comme stabilité régressive des sociétés primitives sans histoire » (pp. 206-207).

Que penser de cette reconstruction du cheminement de la pensée marxienne à la sauce écolo ? Le narratif a beaucoup pour plaire dans certains milieux, c'est évident. Mais pourquoi Marx a-t-il attendu 1881 pour s'exprimer sur ce point clé ? Pourquoi l'a-t-il fait seulement à la faveur d'une lettre ? Pourquoi cette lettre a-t-elle demandé trois brouillons successifs ? Si vraiment Marx avait commencé à « réviser son schéma théorique en 1860 par suite de la dégradation écologique » (p.204), et si vraiment le concept de faille métabolique avait servi de « médiation » dans ses efforts de rupture avec l'eurocentrisme et le productivisme (p. 200), comment expliquer que la supériorité écologique de la commune rurale ne soit pas évoquée une seule fois dans la réponse à Zasoulitch ? Last but not least : si on peut ne pas exclure que la dernière phrase de cette réponse projette la vision d'une économie post-capitaliste stationnaire pour l'Europe occidentale et les Etats-Unis, ce n'est pas le cas pour la Russie ; Marx insiste fortement sur le fait que c'est seulement en bénéficiant du niveau de développement des pays capitalistes développés que le socialisme en Russie pourra « assurer le libre essor de la commune rurale ». Au final, l'intervention de Marx dans le débat russe semble découler bien plus de son admiration pour la supériorité des rapports sociaux dans les sociétés « archaïques » [15] et de son engagement militant pour l'internationalisation de la révolution que de la centralité de la crise écologique et de l'idée du « communisme décroissant ».

« Offrir quelque chose de positif »

L'affirmation catégorique que Marx aurait inventé ce « communisme décroissant » pour réparer la « faille métabolique » est à ce point excessive qu'on se demande pourquoi Kohei Saito la formule en conclusion d'un ouvrage qui comporte tant d'excellentes choses. La réponse est donnée dans les premières pages du chapitre 6. Face à l'urgence écologique, l'auteur pose la nécessité d'une réponse anticapitaliste, juge que les interprétations productivistes du marxisme sont « intenables », constate que le matérialisme historique est « impopulaire aujourd'hui » parmi les environnementalistes, et estime que c'est dommage (a pity) car ceux-ci ont « un intérêt commun à critiquer l'insatiable désir d'accumulation du capital, même si c'est à partir de points de vue différents » (p. 172). Pour Saito, les travaux qui montrent que Marx s'est détourné des conceptions linéaires du progrès historique, ou s'est intéressé à l'écologie, « ne suffisent pas à démontrer pourquoi des non-marxistes, aujourd'hui, doivent encore prêter attention à l'intérêt de Marx pour l'écologie. Il faut « prendre en compte à la fois les problèmes de l'eurocentrisme et du productivisme pour qu'une interprétation complètement nouvelle du Marx de la maturité devienne convaincante » (p. 199). « Les chercheurs doivent offrir ici quelque chose de positif », « élaborer sur sa vision positive de la société post-capitaliste » (p. 173). Est-ce donc pour donner de façon convaincante cette interprétation « complètement nouvelle » que Saito décrit un Marx fondant successivement et à quelques années de distance « l'écosocialisme » puis le « communisme de la décroissance » ? Il me semble plus proche de la vérité, et par conséquent plus convaincant, de considérer que Marx n'était ni écosocialiste ni décroissant au sens contemporain de ces termes. , Cela n'enlève rien au fait que sa critique pénétrante du productivisme capitaliste et son concept de « hiatus métabolique » sont décisifs pour saisir l'urgente nécessité actuelle d'une « décroissance juste ».

Vouloir à toute force faire entrer la décroissance dans la pensée de Marx est anachronique. Ce n'est d'ailleurs pas nécessaire. Certes, on ne peut pas défendre la décroissance juste et maintenir en parallèle la version productiviste quantitativiste du matérialisme historique. Par contre, la décroissance juste s'intègre sans difficulté à un matérialisme historique qui considère les forces productives dans leurs dimensions quantitatives et qualitatives. Quoiqu'il en soit, nous n'avons pas besoin de la caution de Marx, ni pour admettre la nécessité d'une décroissance juste, ni plus généralement pour élargir et approfondir sa « critique inachevée de l'économie politique ».

Le problème de l'apologie

On peut se demander l'utilité d'une critique des exagérations de Saito. On peut dire : l'essentiel est que « (ce) livre fournit une alimentation utile aux socialistes et aux activistes environnementaux, indépendamment des avis (ou de l'intérêt même d'avoir un avis) sur la question de savoir si Marx était vraiment un communiste décroissant ou pas » [16]. C'est l'essentiel, en effet, et il faut le répéter : « Marx in the Anthropocene » est un ouvrage excellent, notamment parce que ses développement sur les quatre points mentionnés en introduction de cet article sont d'une actualité et d'une importance majeure. Pour autant, le débat sur ce que Marx a dit ou pas n'est pas à sous-estimer car il porte sur la méthodologie à pratiquer dans l'élaboration des outils intellectuels nécessaires à la lutte écosocialiste. Or, cette question-là concerne aussi les activistes non-marxistes.

La méthode de Kohei Saito présente un défaut : elle est apologétique. Ce trait était déjà perceptible dans « Marx's ecosocialism » : alors que le sous-titre de l'ouvrage pointait la « critique inachevée de l'économie politique », l'auteur consacrait paradoxalement tout un chapitre à faire comme si Marx, après Le Capital, avait développé un projet écosocialiste complet. « Marx in the Anthropocene » suit le même chemin, mais de façon encore plus nette. Pris ensemble, les deux ouvrages donnent l'impression que Marx, dans les années 70, aurait fini par considérer la perturbation du métabolisme humanité-nature comme la contradiction centrale du capitalisme, qu'il en aurait d'abord déduit un projet de croissance écosocialiste des forces productives, puis qu'il aurait abandonné celui-ci vers 1880-81 pour tracer une nouvelle voie : le « communisme décroissant ». J'ai tenté de montré que ce narratif est fort contestable.

Un des problèmes de l'apologie est de surestimer fortement l'importance des textes. Par exemple, Saito donne une importance disproportionnée à la modification par Engels du passage du Capital, Livre III, où Marx parle de la « faille métabolique ». La domination des interprétations productivistes du matérialisme historique au cours du 20e siècle ne s'explique pas avant tout par cette modification : elle découle principalement du réformisme des grandes organisations et de la subsomption du prolétariat au capital. Lutter contre cette situation, articuler les résistances sociales pour mettre l'idéologie du progrès en crise au sein même du monde du travail est aujourd'hui la tâche stratégique majeure des écosocialistes. Les réponses sont à chercher dans les luttes et dans l'analyse des luttes beaucoup plus que dans les Notebooks de Marx.

Plus fondamentalement, l'apologie tend à flirter avec le dogmatisme. « Marx l'a dit » devient trop facilement le mantra qui empêche de voir et de penser en marxistes au sujet de ce que Marx n'a pas dit. Car il n'a évidemment pas tout dit. S'il est une leçon méthodologique à tirer de son œuvre monumentale, c'est que la critique est fertile et que le dogme est stérile. La capacité de l'écosocialisme de relever les défis formidables de la catastrophe écologiques capitaliste dépendra non seulement de sa fidélité mais aussi de sa créativité et de sa capacité à rompre, y compris avec ses propres idées antérieures comme Marx le fit quand c'était nécessaire. Il ne s'agit pas seulement de polir soigneusement l'écologie de Marx mais aussi et surtout de la développer et de la radicaliser.`

Daniel Tanuro, le 10 mars 2024

Notes

[1] Marx's ecosocialism. An unfinished critique of the political economy. Trad. Française « La nature contre le capital. L'écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital », Syllepse, 2021

[2] Marx in the Anthropocene. Towards the Idea of Degrowth Communism. Cambridge University Press, 2022.

[3] Voir mon article « Marx était-il écosocialiste ? Une réponse à Kohei Saito »,gaucheanticapitaliste.org

[4] Karl Marx, Le Capital, Livre III, Moscou, éditions du Progrès, 1984, Chapitre 47, p. 848

[5] Lire en particulier Paul Burkett, Marx and Nature. A Red and Green Perspective. Palgrave Macmillan, 1999. John Bellamy Foster, Marx's Ecology. Materialism and Nature, Monthly Review Press, 2000

[6] On lit déjà dans L'Idéologie allemande (1845-46) : « il arrive un stade dans le développement où naissent des forces productives et des moyens de circulation [...] qui ne sont plus des forces productives mais des forces destructrices (le machinisme et l'argent) ». Karl Marx et Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, Éditions sociales, 1971, p. 68.

[7] Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, in Oeuvres choisies, ed. De Moscou, tome 1, p.130.

[8] Le Capital, Livre I, Garnier-Flammarion, 1969, p. 363.

[9] Le Capital, Livre III, ed. De Moscou, chapitre 48, p. 855.

[10] Daniel Bensaïd, Introduction critique à ‘l'Introduction au marxisme' d'Ernest Mandel, 2e édition, ed. Formation Lesoil, en ligne sur contretemps.eu

[11] Michael Löwy, Ecosocialisme. L'alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Mille et une nuits, 2011, p. 39

[12] Marx-Engels, Oeuvres choisies, Tome 1, p.525.

[13] D. Bensaïd, op. cit

[14] Marx et Engels, Oeuvres choisies, op. cit. tome 3, p. 156.

[15] Une opinion partagée par Engels : cf. notamment son admiration pour les Zoulous face aux Anglais, dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat.

[16] Diana O'Dwyer, « Was Marx a Degrowth Communist », https://rupture.ie
P.-S.

• Publié dans « Actuel Marx », 2024 numéro 76. Reproduit avec l'autorisation de l'auteur.
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Soutien à l’Ukraine résistante

10 septembre 2024, par Brigades éditoriales de solidarité avec l'Ukraine — , ,
Les Brigades éditoriales de solidarité ont été créées au lendemain de l'agression de la Russie poutinienne contre l'Ukraine. Elles regroupent les éditions Syllepse (Paris), (…)

Les Brigades éditoriales de solidarité ont été créées au lendemain de l'agression de la Russie poutinienne contre l'Ukraine. Elles regroupent les éditions Syllepse (Paris), Page 2 (Lausanne), M Éditeur (Montréal), Spartacus (Paris) et Massari (Italie), les revues New Politics (New York), Les Utopiques (Paris) et ContreTemps (Paris), les sites À l'encontre (Lausanne) et Europe solidaire sans frontières, les blogs Entre les lignes entre les mots (Paris) et Utopia Rossa, ainsi que le Centre Tricontinental (Louvain-la-Neuve) et le Réseau syndical international de solidarité et de luttes.

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Table des matières

Hasards objectifs, humeurs, divagations et nausées en 33 tours, et quelques images…
MARIANA SANCHEZ ET PATRICK SILBERSTEIN - 5

Carnet de bord sur les batailles de Koursk et de Pokrovsk, etc.
ANTOINE RABADAN - 13

Comment des conditions extrêmes ont poussé les Ukrainiens à des « transformations sociales » pour leur survie commune
ALEXANDER KITRAL - 34

PENDANT LA GUERRE LA LUTTE CONTINUE
Chronique des affaires courantes - 44

Contre les fermetures d'hôpitaux
SOIS COMME NINA - 49

Victoire sur le droit à la rémunération
SOIS COMME NINA - 50

Une médecin de l'hôpital pour enfants de Kyiv raconte
PROPOS RECUEILLIS PAR SOIS COMME NINA - 51

Mineurs de Lviv : « Nous ne sommes pas des esclaves »
ENTRETIEN AVEC TETIANA HNATIVA KARETNIKOVA POUR
TRUDOVA HALYCHYNA PAR IHOR VASYLETS ET MAKSYM CHUMAKOV - 53

Les mineurs de la région de Lviv exigent une solution à leurs problèmes urgents
CONFÉDÉRATION SYNDICALE KVPU
59

Des des actes répréhensibles dans la Légion internationale ukrainienne qui semble insensible au changement
ANNA MYRONIUK - 61

Un syndicat de travailleurs migrants russophones en Suède
VOLODYA VAGNER - 76

FÉMINISMES
Pourquoi nous fermons notre centre d'accueil pour femmes déplacées à Lviv
L'ATELIER FÉMINISTE - 82

4

Les autres sont comme nous, un nouveau zine féministe à Lviv
PATRICK LE TRÉHONDAT - 87

Enfin des gilets pare-balles pour les soldates ! - 93

RETOUR VERS LE FUTUR
Les Ukrainiens aux côtés du peuple vietnamien - 96

SOLIDARITÉ INTERNATIONALE
Le plus important syndicat du Royaume-Uni aux côtés de l'Ukraine - 98

Le syndicat étudiant Priama Diia à l'origine d'un réseau syndical international
PATRICK LE TRÉHONDAT ET CHRISTIAN MAHIEUX - 101

Déclaration commune - 101

Indépendance année 33 Paris - 106

ÉCLAIRAGES
Pourquoi faut-il enterrer le culte de Bandera ?
BORYS OGLAVENKO ET DMYTRO MATCHNYK - 112

Stopper la main de Poutine et de ses alliés
LA CONFÉRENCE DE HANNAH PEREKHODA À L'UNIVERSITÉ D'ÉTÉ DU NPA, PRÉSENTÉE PAR ROMAIN DESCOTTES - 119

BOÎTE ALERTE
Hôpital Pavlov de Kyiv : la fondation J.R. et Ukraine CombArt joignent leurs forces pour créer une œuvre d'art participative
rendant hommage aux personnels hospitaliers
SOPHIE BOUCHET-PETERSEN - 123

Déshumanisation : leurs mots pour la dire (des soldats russes parlent sans filtre à leurs proches)
SOPHIE BOUCHET-PETERSE

Comment on fabrique le consentement au génocide à Gaza

Chercheur en anthropologie, professeur au Collège de France et à l'université de Princeton, Didier Fassin vient de publier aux éditions La Découverte un livre salutaire et (…)

Chercheur en anthropologie, professeur au Collège de France et à l'université de Princeton, Didier Fassin vient de publier aux éditions La Découverte un livre salutaire et courageux sur le consentement – et dans bien des cas le soutien actif – des élites occidentales à la guerre génocidaire que mène l'État d'Israël contre les Palestinien-nes de Gaza et au nettoyage ethnique qui s'opère dans le même temps en Cisjordanie. Nous vous en proposons un extrait ici.

Le fait qui, sans doute, hantera le plus durablement les mémoires, y compris peut-être en Israël, est la manière dont l'inégalité des vies a été donnée à voir sur la scène de Gaza et dont elle a été ignorée par les uns, légitimée par les autres[1]. Que, dans le monde, cette injustice suprême – qu'une vie a moins de valeur qu'une autre – soit largement distribuée est une réalité, qui se manifeste en temps de paix comme en temps de guerre[2].

Mais il n'est guère d'exemple où les gouvernements des pays occidentaux en détournent aussi ostensiblement le regard jusqu'à lui trouver une justification et réduire au silence les voix qui la critiquent. Les interventions militaires conduites par Israël à Gaza ont pourtant donné lieu aux écarts de mortalité des populations civiles les plus élevés des conflits survenus dans le monde au XXIe siècle.

Durant l'opération « Plomb durci » de 2008, selon les données recueillies par l'organisation israélienne de droits humains B'Tselem, le ratio des victimes était de 255 pour 1 parmi les civils, tandis que 318 enfants étaient tués à Gaza et aucun en Israël[3]. Durant l'opération « Bordure protectrice » de 2014, selon les chiffres de la commission d'enquête indépendante du Conseil des droits humains des Nations unies, ce ratio était de 244 pour 1 parmi les civils, cependant que 551 enfants étaient tués à Gaza et 1 en Israël[4].

Avec l'opération « Épées de fer » en cours, le nombre absolu de victimes civiles palestiniennes sera plusieurs dizaines de fois plus élevé que durant les interventions militaires précédentes. Après six mois de guerre, on comptait déjà près de 33 000 morts identifiés à Gaza, auxquels s'ajoutaient environ 10 000 autres dans les décombres des bâtiments détruits. Les estimations du nombre de civils parmi les victimes sont controversées, les Israéliens considérant, de manière jugée non plausible par des sources neutres, que tous les hommes tués, quel que soit leur âge, sont des membres du Hamas[5].

Si l'on se réfère à des évaluations plus vraisemblables, à la date du 7 avril ont été tués approximativement 42 fois plus de civils palestiniens que de civils israéliens[6]. Pour ce qui est des enfants, le ratio s'élève déjà à 420 pour 1[7]. On peut exprimer différemment cette disparité en se référant non pas au nombre absolu de décès, mais au taux de mortalité, de façon à tenir compte de la taille des populations de référence et ainsi mieux traduire l'ampleur des pertes humaines à l'échelle des sociétés concernées.

En procédant de cette façon, on constate que, rapporté à leur démographie respective, on dénombre parmi les civils tués 185 fois plus de Palestiniens que d'Israéliens. Pour ce qui est des enfants, le taux de mortalité est de 1 850 fois supérieur parmi les Palestiniens comparés aux Israéliens. Pour prendre la mesure de l'attaque du 7 octobre en Israël, on a dit qu'en proportion du nombre d'habitants des deux pays, elle représentait l'équivalent de quinze 11 Septembre aux États-Unis[8].

Si l'on prolonge la comparaison, on peut ajouter que le total des morts à Gaza au 7 avril 2024 correspond à plus de mille sept cents 11 Septembre. Relativement à la population de la France, la mortalité observée dans la bande de Gaza au 7 avril serait de plus d'un million de victimes. Cette macabre comptabilité ne restitue cependant qu'une partie de la réalité, qu'elle tend de surcroît à rendre abstraite. We Are Not Numbers est le nom d'un projet réalisé pour les enfants de Gaza depuis 2015 au sein de l'association Euro-Mediterranean Human Rights Monitor pour faire exister la voix des Palestiniens autrement qu'à travers les statistiques, car « les nombres sont impersonnels et souvent anesthésiants »[9].

Et ce sont des statistiques de mort, comme si la vie des Palestiniens ne pouvait être pensée qu'à travers sa suppression. Or l'inégalité la plus grande est probablement celle des vies en tant qu'elles sont vécues. L'expérience de beaucoup de Palestiniens, dans leur relation avec l'État d'Israël et ses représentants, est tout au long de leur existence une expérience d'exclusion, de discrimination, de rabaissement, d'empêchement, de destruction de leurs champs et de leurs maisons, de soumission à la violence et à l'arbitraire du pouvoir.

Pour utiliser un mot anglais évocateur, ils sont disposable, au double sens d'être à disposition – on peut les arrêter n'importe quand sans donner de raison, les incarcérer sans présenter de charges contre eux et, le cas échéant, s'en servir comme monnaie d'échange dans des négociations, une pratique validée par la Cour suprême israélienne – et d'être jetables – on peut les tuer ou les mutiler, généralement en bénéficiant d'un régime d'impunité, d'autant que le gouvernement israélien menace les autorités palestiniennes de représailles si des plaintes sont déposées devant la Cour pénale internationale[10].

Le procureur général de cette institution a d'ailleurs affirmé qu'il n'hésiterait pas à poursuivre celles et ceux qui « tentent d'empêcher, d'intimider ou d'influencer de manière indue » le travail des membres de la Cour, une référence implicite aux menaces adressées à celle qui l'avait précédé dans cette fonction lorsqu'elle a engagé une enquête sur les crimes de guerre commis contre les Palestiniens, menaces sur sa sécurité et celle de sa famille formulées par le chef des services secrets israéliens lui-même[11].

Un aspect de cette expérience a été analysé par la criminologue palestinienne Nadera Shalhoub-Kevorkian dans un texte sur l'« occupation des sens » à Jérusalem-Est, c'est-à-dire la manière dont les rapports de force s'insinuent dans les cinq sens des Palestiniens à travers des micro-agressions permanentes qui « colonisent » les corps[12]. On se souvient à cet égard de la police aspergeant les murs, les rues et les écoles des quartiers arabes de la Ville sainte d'une eau putride dont l'odeur était tellement infecte et persistante que les habitants ne pouvaient plus sortir, que les élèves voyaient leur scolarité interrompue, que la souillure s'insinuait dans les corps mêmes[13].

On sait aussi qu'en permanence, depuis plusieurs années, Gaza est survolée par des drones de surveillance et d'attaque, dont le bourdonnement lancinant représente une nuisance sonore permanente rappelant aux habitants leur condition de population dominée[14]. Mais de cette réalité, la plupart des grands médias occidentaux ne parlent presque jamais. Comme l'écrit le professeur étatsunien de littérature comparée Saree Makdisi, on a commencé à faire appel à des intellectuels palestiniens le 7 octobre pour leur demander de commenter l'attaque du Hamas, mais on n'a pas voulu les entendre sur ce qui s'était passé avant et sur ce qui s'est passé après[15].

On a souvent avancé que ce silence sur ce que vivaient les résidents de Gaza était dû à des difficultés d'accès, compte tenu du fait que l'armée israélienne tuait les journalistes palestiniens, interdisait la présence de leurs collègues étrangers en ne les laissant entrer dans Gaza qu'embarqués avec elle, et interrompait sporadiquement les communications des Palestiniens avec le monde extérieur. Des reportages étaient pourtant réalisés sur place, des témoignages recueillis, des images produites, que seuls les réseaux sociaux et les médias alternatifs présentaient sur leurs sites. En réalité, le silence des grands organes de presse tenait surtout à des choix éditoriaux que certains, dans les rédactions, me disaient déplorer.

Comme l'analyse l'association Acrimed, les principaux médias français ont manifesté une « compassion sélective »[16]. Ils ont rapporté les récits des otages israéliens libérés se plaignant d'avoir souffert de la faim pendant leur captivité dans Gaza assiégée sans mentionner l'origine de la pénurie alimentaire dont ils souffraient, mais ils n'ont pas évoqué les civils palestiniens relâchés des prisons et des camps d'Israël après y avoir été humiliés et torturés.

Ils ont rendu compte des peurs des écoliers israéliens près de la frontière avec le Liban, obligés de se réfugier dans des abris lorsque retentissent les sirènes, mais n'ont pas fait état des angoisses des enfants palestiniens de Gaza, qui ne disposent d'aucun lieu où se protéger des bombes qui détruisent des quartiers entiers. Ils ont interrogé des surfeurs israéliens sur la plage de Tel Aviv expliquant que cette activité apaise leur anxiété après l'envoi de drones et de missiles par l'Iran, mais ils se sont contentés d'une phrase pour rappeler simplement le nombre des morts palestiniens à Gaza, sans faire partager l'expérience des femmes qui ne peuvent plus allaiter et des enfants qui n'ont plus à manger[17].

Nombre de médias ont ainsi choisi d'humaniser les Israéliens plutôt que les Palestiniens. Ainsi ont-ils longuement rendu compte du « succès » de l'opération militaire visant à délivrer quatre Israéliens détenus dans un camp de réfugiés, le 8 juin 2024, et des manifestations de « joie » lors de leur accueil à Tel Aviv, en mentionnant simplement en fin de reportage le coût humain de l'intervention parmi les Palestiniens : 274 morts, dont 64 enfants et 57 femmes, et 700 blessés. Dans les médias officiels, on parlait de « libération des otages » ; dans les médias indépendants, l'épisode est connu comme le « massacre de Nuseirat »[18].

Le fait n'est pas nouveau et les reportages font depuis longtemps entendre la voix des premiers à l'exclusion de celle des seconds. D'ailleurs, Meta a supprimé des comptes Facebook et Instagram les messages rédigés par des Palestiniens ou des soutiens à leur cause, notamment lorsqu'ils faisaient état de violations des droits humains par l'armée israélienne, et ce, alors même qu'ils s'accompagnaient presque toujours de propos pacifiques[19].

D'une manière générale, on ne sait presque rien de la résistance ordinaire des Palestiniens face à l'adversité et de leur demande de vivre en paix. Il est pourtant un concept arabe par lequel il est usuel de définir leur réaction face aux épreuves de l'occupation et de l'oppression israéliennes : sumud, qui, comme l'a analysé notamment l'anthropologue Livia Wick, signifie leur ténacité, leur persévérance, leur capacité de continuer à vivre dignement[20].

Depuis le 7 octobre, l'attention sélective qui les a écartés de l'information n'a guère permis de les connaître autrement que comme combattants impitoyables ou victimes impersonnelles. On n'a pas voulu faire connaître leur désespoir d'avoir été abandonnés par la communauté internationale. Dans une lettre à leur direction, des journalistes de la BBC déploraient justement le parti pris de la présentation des faits et, en particulier, de la différence dans la manière de donner une dimension humaine au deuil des familles israéliennes mais non à celui des familles palestiniennes[21].

On apprenait d'ailleurs que, dans un mémorandum distribué aux journalistes du New York Times au début de la guerre, les éditeurs leur demandaient de réduire l'usage des mots « génocide » et « nettoyage ethnique », de ne pas parler de « camps de réfugiés », d'éviter l'expression « territoires occupés », même de ne se référer que le plus rarement possible à la « Palestine », et ils leur signifiaient également que les mots « massacres » et « tueries », trop « émotionnels », devaient être remplacés par des descriptions factuelles, consigne qui ne valait toutefois pas pour qualifier l'attaque du 7 octobre[22].

De telles instructions étaient probablement communes dans les grands médias états-uniens, car, selon une étude du langage utilisé pour décrire les victimes des deux côtés dans trois des principaux quotidiens du pays, après trois mois de guerre, le mot « horrible » apparaissait neuf fois plus souvent pour parler des morts israéliennes que des morts palestiniennes, le mot « massacre » trente fois plus fréquemment, le mot « tuerie » soixante fois, quant au mot « enfants », dont les victimes, décédées ou mutilées, se comptaient en dizaines de milliers à Gaza, il n'était présent qu'à deux reprises sur 1 100 titres de journaux[23]2. Dès novembre, ils étaient plus de 750 reporters de nombreux organes de presse états-uniens à critiquer la couverture unilatéralement orientée du conflit[24].

D'une manière générale, au moins pendant les premiers mois de la guerre – car quelques corrections sont peu à peu intervenues pour un meilleur équilibre de la présentation des faits –, les grands médias, souvent à l'encontre d'une partie de leurs journalistes, ont repris les éléments de langage de la communication des autorités et des militaires israéliens, connue sous le nom de hasbara et théorisée comme arme de guerre[25].

En fait, c'est souvent dans les médias indépendants et critiques – Mediapart, Politis, Blast ou Orient XXI en France, Boston Review, The Nation, The Intercept, Mondoweiss aux États-Unis, London Review of Books et Middle East Eye en Grande-Bretagne, +972 en Israël, Al Jazeera dans le monde arabe – qu'il a été possible de s'informer de manière plus neutre sur les événements à Gaza, d'entendre les voix des Palestiniens, de disposer d'investigations s'affranchissant de la communication d'Israël, d'accéder à des analyses de journalistes et d'universitaires critiques, de lire des enquêtes produisant une documentation alternative des faits que, du reste, les principaux organes de presse finissaient souvent par reprendre.

Un indice de cette discrimination concerne le décompte des victimes. Chaque fois que les statistiques des morts palestiniennes ont été indiquées dans les médias, elles étaient accompagnées de la formule « selon le ministère de la Santé de Gaza », alors qu'aucune expression semblable ne venait relativiser les données présentées par les autorités israéliennes[26].

Ce double standard est d'autant plus remarquable que, d'une part, le gouvernement israélien exerce un contrôle extrême sur la communication, rendant le travail de vérification des faits par les journalistes particulièrement difficile, y compris sur la réalité des membres du Hamas tués ou emprisonnés, tandis que, d'autre part, les chiffres de l'administration palestinienne, qui se montre ouverte à leur récolement extérieur, ont lors des guerres précédentes correspondu précisément à ce que les enquêtes indépendantes ultérieures ont établi.

« Je n'ai aucune preuve que les Palestiniens disent la vérité au sujet du nombre de personnes tuées », déclarait le président des États-Unis le 25 octobre, reprenant l'argument d'un porte-parole de l'armée israélienne qui affirmait que ces chiffres étaient toujours gonflés, alors que son gouvernement lui-même s'en servait. Le lendemain, le ministère de la Santé de Gaza publiait la liste des 6 747 victimes avec leur nom, leur âge, leur sexe et leur numéro de carte d'identité[27].

Parallèlement, une étude publiée dans l'une des plus prestigieuses revues médicales internationales validait les données fournies par l'institution palestinienne[28]. Cette contestation des statistiques de décès est une double peine pour les victimes de la guerre. On leur a pris leur vie. On leur dénie leur mort. Une telle remise en cause s'avère particulièrement cynique dans la mesure où la mortalité à Gaza est fortement sous-estimée par l'administration palestinienne qui, d'une part, ne compte que les corps retrouvés et identifiés, ignorant donc les personnes enfouies sous les décombres dont les cadavres disparaissent dans les gravats évacués par les bulldozers israéliens, et, d'autre part, n'enregistre pas les décès dus à des causes médicales favorisées par la dénutrition, la déshydratation, l'absence de médicaments, notamment parmi les plus vulnérables, nourrissons et personnes âgées.

Seule une enquête épidémiologique dans la population pourra a posteriori permettre d'évaluer la surmortalité causée par l'opération militaire israélienne. L'étude réalisée par le Watson Institute sur les guerres conduites par les États-Unis au XXIe siècle a établi que le nombre de morts dites indirectes liées à la dégradation économique, l'insécurité alimentaire, la destruction des infrastructures, la contamination de l'environnement, le développement des épidémies et la dévastation du système sanitaire était quatre fois plus élevé que le nombre de morts directes[29].

Il est probable que la guerre de Gaza, du fait non seulement des décès causés par l'armée mais également des retombées à court et moyen terme de la malnutrition, du manque d'hygiène et de l'absence de soins aura fait au moins 100 000 victimes, dont une proportion élevée de très jeunes enfants, sans parler des traumatismes psychiques que, parmi eux, les survivants garderont.

Mais ce n'est pas seulement la quantification de leurs morts qu'on a contestée aux Palestiniens. C'est aussi leur qualification. Pour relativiser les énormes disparités du nombre de victimes de part et d'autre du conflit, on a parfois mis en cause l'équivalence de la signification de ces morts, en affirmant que les uns étaient tués en tant que juifs, et donc niés dans leur humanité, et les autres accidentellement, dans le cadre d'une opération militaire contre un ennemi[30].

C'était, d'une part, écarter la possibilité que l'attaque du Hamas ait été dirigée, comme l'affirment ses responsables, contre un ennemi qui prive de ses terres et de ses droits la population palestinienne depuis plus d'un demi-siècle, ce qui n'exclut pas la possibilité d'un sentiment antisémite, et, d'autre part, occulter les discours de dirigeants et de militaires israéliens qui, eux, nient explicitement l'humanité des Palestiniens, en les assimilant à des animaux. L'idée que l'attaque dans le sud d'Israël serait plus cruelle que la guerre dans la bande de Gaza est probablement liée au fait que, d'un côté, les assaillants et leurs victimes sont visibles dans l'acte de tuer, alors que, de l'autre, le bombardement et même le siège éloignent du regard ceux qui les ordonnent et ceux qui les exécutent.

De même, les tirs des canons contrôlés par des soldats israéliens invisibles dans la tourelle de leurs chars semblent plus impersonnels et plus désincarnés que les tirs des armes automatiques filmés par les combattants palestiniens. La distance affective que le spectateur extérieur à ces scènes développe, qu'il soit en Israël ou ailleurs dans le monde, est différente. Il n'est toutefois pas certain qu'être abattu dans un kibboutz du Néguev ou dans une rue de Gaza représente, pour les victimes civiles et pour leurs proches, une différence décisive, hormis celle qui existe entre se trouver du côté de l'oppresseur, qui a pu vivre comme un être humain libre, et se trouver du côté de l'opprimé, dont la vie captive s'est déroulée sous la menace de l'occupant.

Après l'hommage national rendu par le gouvernement aux citoyens français et israéliens morts lors de l'attaque du Hamas, un ancien président de la République a considéré qu'une cérémonie de même nature ne pourrait être envisagée pour les citoyens français et palestiniens morts au cours de la guerre à Gaza, car il fallait établir une distinction entre être tué « en tant que défenseur d'un mode de vie », dans le premier cas, et mourir comme « victime collatérale », dans le second[31].

Que le deuil palestinien puisse ainsi être minimisé en regard du deuil israélien, malgré le déséquilibre numérique formidable des pertes humaines entre les deux camps, est révélateur de l'iniquité de traitement jusque dans la mort. Il y a ainsi des vies qui méritent d'être pleurées et d'autres qui ne le méritent pas, comme l'écrit la philosophe états-unienne Judith Butler, et « la distribution différentielle de la légitimité à être pleuré a des implications » sur les conditions dans lesquelles « on ressent les affects qui en résultent politiquement, telles que l'horreur, la culpabilité, le sadisme, le manque et l'indifférence », mais aussi sur la manière dont il est possible, s'agissant des vies qui ne méritent pas d'être pleurées, de « rationaliser leur mort », puisque « la perte de ces populations est jugée nécessaire pour protéger les vies des “vivants” »[32].

Cette distinction entre ces deux formes de vie se manifeste de la manière la plus évidente et la plus douloureuse dans la différence entre la possibilité pour les familles israéliennes d'enterrer dignement et rituellement leurs morts, même dans la terrible réalité des cadavres parfois calcinés ou démembrés par les explosions, et l'impossibilité pour les familles palestiniennes d'en faire autant, soit parce que les corps pourrissent sous les éboulis avant parfois d'être éliminés par les pelleteuses, soit parce que les dépouilles trop nombreuses disparaissent dans des fosses communes faute de place dans des cimetières dévastés par les bombes, soit parce que les autorités israéliennes refusent de rendre aux familles les restes de leurs proches, ainsi que l'a montré la politiste Stéphanie Latte Abdallah[33].

Il aura ainsi fallu plus de 30 000 morts officiellement, et probablement plus de 100 000 en fait, surtout des civils, souvent des enfants, pour que les pays occidentaux commencent à trouver le châtiment collectif suffisant, pour que leurs gouvernements envisagent un cessez-le-feu tout en continuant à envoyer des armes, pour que leurs principaux médias entreprennent de corriger leur restitution partiale des événements.

Tout s'est donc passé comme si, une fois encore, une vie supprimée de civil israélien devait être payée de cent vies anéanties de civils palestiniens, comme si l'une valait cent fois plus que les autres, et même un millier de fois pour ce qui est des enfants. « L'Occident a montré un racisme pur. Il a affirmé en creux qu'une vie blanche a plus de valeur qu'une vie arabe », analyse la journaliste palestinienne Lubna Masarwa[34]. Beaucoup de celles et ceux qui ont manifesté pour exiger un cessez-le-feu exprimaient en fait leur refus de cette inégalité des vies[35].

Mais jamais le discours politique et médiatique n'a rendu compte de la mobilisation dans ces termes, à savoir pour le droit à la vie des Palestiniens et leur droit à une vie bonne. La situation a été décrite comme un nouveau « campisme », opposant un camp pro-palestinien à un autre, pro-israélien[36]. Quand on demandait l'arrêt du massacre des civils, simplement parce qu'on ne tue pas des innocents, quand on appelait à la fin du siège total, simplement parce qu'on n'affame pas des êtres humains, quand on condamnait la dévastation des hôpitaux, simplement parce qu'on ne prive pas les malades et les blessés de soins médicaux, quand on critiquait la destruction des écoles et des monuments, simplement parce qu'on n'enlève pas à un peuple sa culture et son histoire, il semblait que, pour beaucoup, parmi les commentateurs, il n'était pas possible d'imaginer un autre camp : celui de la vie.

*

Illustration : Wikimedia Commons.

Notes

[1] Ofri Ilany, « The mass killing in Gaza will poison Israeli souls forever », Haaretz, 21 mars 2024.

[2] Didier Fassin, De l'inégalité des vies, Paris, Fayard- Collège de France, 2020.

[3] Il y a eu pendant l'opération « Plomb durci » 1 398 Palestiniens, dont 1 391 à Gaza, tués par les forces israéliennes et 9 Israéliens, dont 3 civils, tués par des Palestiniens. Les statistiques concernant les civils palestiniens tués sont difficiles à établir et sujettes à discussion. Si l'on retient la définition de B'Tselem, à savoir les Palestiniens tués par l'armée israélienne alors qu'ils ne participaient pas à des activités et donc n'étaient en principe pas visés, ce sont 764 personnes, dont 318 mineurs et 108 femmes. À la différence de l'armée israélienne, qui fournit seulement des nombres sans précision, en l'occurrence 1 166 Palestiniens tués, et assimile tous les hommes adultes à des terroristes, ce qui réduit le nombre de civils tués à 295, B'Tselem indique pour chaque victime son identité, y compris le nom, l'âge et le sexe, et les circonstances de son décès.

[4] Il y a eu pendant l'opération « Bordure protectrice » 2 251 Palestiniens tués, dont 789 combattants et 1 462 civils, parmi lesquels 299 femmes et 551 enfants, et 76 Israéliens, dont 70 soldats et 6 civils. L'armée israélienne donne des chiffres proches pour le nombre total de morts, soit 2 125, mais sous-estime fortement la part des civils, dont elle établit le bilan à seulement 761.

[5] Merlyn Thomas, Jake Horton et Benedict Garman, « Israel-Gaza : Checking Israel's claim to have killed 10,000 Hamas fighters », bbc, 29 février 2024.

[6] « Contrary to Israel's claims, 9 out of 10 of those killed in Gaza are civilians », Euro-Mediterranean Human Rights Monitor, 5 décembre 2023.

[7] Chiffres donnés, en ce qui concerne Gaza, par les Nations unies pour l'ensemble des décès établis, soit 32 623 le 6 avril 2024, et par l'organisation Save The Children pour les seuls enfants, soit 13 800 le 4 avril 2024 : <https://reliefweb.> et <www.savethechildren.org.uk/news/med...> .

[8] Raphael Cohen, « Why the October 7 attack was not Israel 9/11 », Lawfare, 12 novembre 2023.

[9] We Are Not Numbers, <https://wearenotnumbers.> .

[10] Eitan Barak, « Under cover of darkness : Israeli Supreme Court and the use of human lives as bargaining chips », The International Journal of Human Rights, 3 (3), 1999, et Jonathan Kuttab, « The International Criminal Court's failure to hold Israel accountable », Arab Center Washington, 12 septembre 2023.

[11] Harry Davies, Bethan McKernan, Yuval Abraham et Meron Rapoport, « Spying, hacking and intimidation :

[12] Nadera Shalhoub-Kevorkian, « The occupation of the senses : The prosthetic and aesthetic of state terror », The British Journal of Criminology, 57 (6), 2017, p. 1279-1300. L'autrice, qui est professeure à l'Université hébraïque de Jérusalem, a été suspendue par son institution en mars 2024 pour ses propos sur la guerre à Gaza, puis arrêtée et détenue par la police israélienne, avant d'être libérée et réintégrée.

[13] Haggai Matar, « Police spray putrid water on Palestinian homes, schools », +972, 15 novembre 2014.

[14] Scott Wilson, « In Gaza, lives shaped by drones », The Washington Post, 3 décembre 2011.

[15] Saree Makdisi, « No human being can exist », n+1, 25 octobre 2023.

[16] Acrimed, « Naufrage et asphyxie du débat public », 20 décembre 2023, <www.acrimed.org/Palestine-naufrage-et-> , et Blast, « Un naufrage média- tique sans précédent », 31 mars 2024, <www.youtube.com/> .

[17] Extraits de journaux quotidiens d'une radio nationale, évoqués à titre d'illustrations d'un fait général. Il est vrai que la plupart des correspondants permanents et des envoyés spéciaux se trouvent à Jérusalem ou Tel Aviv. Mais imaginerait-on un seul instant n'avoir d'information sur l'invasion de l'Ukraine par la Russie et ses conséquences pour la population qu'en utilisant les seules sources officielles du régime de Moscou ?

[18] Shrouq Aïla, « Inside the Nuseirat massacre : this carnage I saw during Israel's hostage rescue », The Intercept, 10 juin 2024 ; Gideon Levy, « Why did Israel conceal hundreds of Gazans' deaths in “perfect” hostage rescue operation ? », Haaretz, 12 juin 2024. Au lendemain de l'attaque, le journal d'une radio nationale consacrait vingt-quatre fois plus de temps à l'information heureuse côté israélien qu'à la réalité tragique côté palestinien pourtant déjà connue. Parallèlement, les présidents états-unien et français se réjouissaient de la libération des quatre otages israéliens, sans un mot pour les centaines de victimes civiles palestiniennes.

[19] Human Rights Watch, Meta's Broken Promises : Systemic Censorship of Palestine Content on Instagram and Facebook, 21 décembre 2023 : <www.hrw.org/report/2023/12/21/> . Sur 1 050 contenus censurés sur Facebook et Instagram et vérifiés par Human Rights Watch, 1 049 concer- naient des éléments pacifiques en faveur de la Palestine.

[20] Livia Wick, Sumud : Birth, Oral History and Persisting in Palestine, Syracuse, Syracuse University Press, 2022.

[21] India McTaggart, « bbc reporters accuse it of favor- itism towards Israel », The Telegraph, 23 novembre 2023.

[22] Jeremy Scahill, « Leaked NYT Gaza memo tells journalists to avoid words “genocide”, “ethnic cleansing” and “occupied territories” », The Intercept, 15 avril 2024.

[23] Adam Johnson et Othman Ali, « Coverage of Gaza war in the New York Times and other major newspapers heavily favored Israel, analysis shows », The Intercept, 9 janvier 2024.

[24] Laura Wagner et Will Sommer, « Hundreds of journalists sign letter protesting coverage of Israel », The Washington Post, 9 novembre 2023.

[25] Tariq Kenney-Shawa, « Israel's disinformation apparatus : A Key weapon in its arsenal », Al-Shabaka. The Palestinian Policy Network, 12 mars 2024.

[26] Les corrections apportées début mai 2024 par les Nations unies sur la proportion de femmes et d'enfants officiellement tués à Gaza, en ne tenant compte que des données pour lesquelles existaient des informations d'état- civil, ont donné lieu à des insinuations malveillantes et des commentaires sarcastiques, qui ne faisaient pas mention du fait que, si les statistiques sont difficiles à valider, c'est que l'armée israélienne a détruit les hôpitaux qui les recueil- laient et les voies de communication qui les transmettaient : Graeme Wood, « The un's Gaza statistics make no sense », The Atlantic, 17 mai 2024.

[27] Ryan Grim et Prem Thakker, « Biden's conspiracy theory about Gaza casualty numbers unravels upon inspec- tion », The Intercept, 31 octobre 2023.

[28] Benjamin Huynh, Elizabeth Chin et Paul Spiegel, « No evidence of inflated mortality reporting from the Gaza Ministry of Health », The Lancet, 6 décembre 2023.

[29] Stephanie Savell, How Death Outlives War : The Reverberating Impact of the Post-9/11 Wars on Human Health, Watson Institute, Brown University, 15 mai 2023.

[30] William Marx, « Ce qu'Œdipe et Antigone nous disent de la crise au Proche-Orient », Le Monde, 15 novembre 2023.

[31] Selon François Hollande, interrogé le 7 février 2024, il existe une différence presque ontologique entre « les victimes du terrorisme et les victimes de guerre », ce qui justifie, selon lui, qu'on rende un hommage national aux premières, franco-israéliennes, mais non aux secondes, franco- palestiniennes : <www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/> .

[32] Judith Butler, Frames of War : When Is Life Grievable ? Londres, Verso, 2009, p. 24, 31 et 38 (traduction modifiée de la version française établie par Joëlle Mareli sous le titre Ce qui fait une vie. Essai sur la violence, la guerre et le deuil, trad. Joëlle Mareli, Paris, Zones, 2010, p. 28-29, 35).

[33] Vivian Yee, Iyad Abuheweilia, Abu Bakr Bashir et Ameera Harouda, « Gaza shadow death toll : Bodies buried beneath the rubble », The New York Times, 23 mars 2024 ; Ruth Michaelson, « un rights chief “horrified” by reports of mass graves at two Gaza hospitals », The Guardian, 23 avril 2024 ; Stéphanie Latte Abdallah, Des morts en guerre. Rétention des corps et figures du martyr en Palestine, Paris, Karthala, 2022.

[34] Louis Imbert, « Face à la guerre contre le Hamas, la crise existentielle de la gauche israélienne », Le Monde, 2 novembre 2023.

[35] Didier Fassin, « The inequality of Palestinian lives », The Berlin Review, 1 (1), 2 février 2024.

[36] Nicolas Truong, « La guerre entre Israël et le Hamas fracture le monde intellectuel », Le Monde, 8 décembre 2023.

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Politique française : à droite… par défaut

10 septembre 2024, par Roger Martelli — , ,
Avec la sortie de son livre La droitisation française : mythe et réalités, Vincent Tiberj jette un sacré pavé dans la mare. 5 septembre 2024 | Tiré de regards.fr « Une (…)

Avec la sortie de son livre La droitisation française : mythe et réalités, Vincent Tiberj jette un sacré pavé dans la mare.

5 septembre 2024 | Tiré de regards.fr

« Une victoire de la gauche aux législatives dans une France de droite » : c'est le titre retenu par Le Monde, pour un entretien avec le politiste du Cevipof, Luc Rouban1. La tonalité n'est pas la même du côté de son collègue de Bordeaux, Vincent Tiberj, qui consacre un livre entier à montrer que la droitisation est tout autant un mythe qu'une réalité2. Qui a raison ? En fait, les deux nous obligent à scruter des pans différents de la réalité…

Le paradoxe français

Tiberj connaît les données qui fondent l'appréciation de Rouban et lui-même se garde bien d'enjoliver le tableau. Les signaux électoraux sont les plus évidents tant ils convergent, quel que soit le niveau de participation aux scrutins.
Élections législatives

En scrutin législatif, l'extrême droite a gagné vingt points entre 2017 et 2024, tandis que la gauche n'en a regagné qu'un peu plus de 2,5, ne sortant pas des très basses eaux législatives atteintes en 2017. Un total gauche à moins d'un tiers et une droite aux deux tiers des suffrages exprimés… Si l'on raisonne sur la totalité du corps électoral, on a en 2024 une droite au-delà des 40% d'inscrits et une gauche à un cinquième à peine. Nul ne peut se prévaloir des électeurs potentiels, votants ou abstentionnistes, mais il est certain que la droite mobilise de 2024, deux fois plus que la gauche, ceux qui votent et que l'extrême droite y contribue pour la plus grande part.

La gauche surclasse certes l'extrême droite dans les 22 aires métropolitaines (7,5 millions d'habitants au total), mais lui laisse la première place dans toutes les tranches de communes comptant moins de 20 000 habitants (pour une population totale de près de 40 millions). L'extrême droite s'est renforcée dans les catégories supérieures et moyennes et conserve sa prépondérance chez les ouvriers et employés qui votent. Le parti de Marine Le Pen caracole en tête même chez les fonctionnaires d'État (à l'exception des enseignants) et franchirait la barre des 50% chez les salariés du privé.

Le « bruit de fond » politique, nous dit Tiberj, est conservateur alors que la société ne l'est pas de façon dominante.

Dans un article précédent, nous avions souligné les corrélations entre le vote de gauche, le vote RN et toute une série d'indicateurs socio-économiques. Elles laissaient entendre que, si la gauche n'avait pas disparu de l'univers populaire, son implantation s'était « archipélisée », concentrée dans les plus jeunes générations et au cœur des zones de peuplement dense, laissant ainsi des pans entiers du territoire et une moitié des ouvriers et des employés qui votent sous dominante de la droite la plus extrême.

En bref, la vie politique institutionnelle, celle qui est rythmée par les consultations électorales, a déplacé le curseur du vote vers la droite et vers une droite de plus en plus marquée à droite. En France, comme dans de nombreux pays européens…

Pourquoi donc Tiberj maintient-il sa critique d'une notion de droitisation qu'il juge trop excessive et par là même dangereuse ? Selon lui, la formule laisse dans l'ombre une masse de données qui suggèrent d'autres structurations de l'opinion. Avec d'autres, comme Nonna Mayer, Tiberj participe à la rédaction du « baromètre racisme » qui sert de base au rapport publié par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH).

Ce baromètre repose sur des séries longues de sondages et regroupe des dizaines de questions. À partir des données collectées pour ce baromètre et de bien d'autres encore, il a produit avec ses collègues des indices synthétiques3, qui permettent de mesurer en longue durée le degré global de tolérance, d'ouverture culturelle et d'attentes sociales. Sans doute notera-t-on avec lui que les données disponibles ne dessinent pas des mouvements parfaitement homogènes et continus. Tout ne va pas dans le même sens et au même moment… Par exemple, l'affirmation « que l'on ne se sent plus chez soi comme avant » reste largement majoritaire et globalement stable. De même, alors que la frénésie de l'ultralibéralisme a pris du plomb dans l'aile depuis quelque temps, l'attraction de certains items libéraux (profit, confiance dans les entreprises…) reste incrustée dans tous les milieux sociaux et même – avec nuances solides – dans tous les électorats.

Pour autant, les indices soigneusement calculés par Tiberj et l'équipe du Baromètre nous livrent un constat tout aussi massif que celui qui nourrit l'idée de droitisation : si les opinions que l'on peut qualifier de droite sont bien installées, la droitisation « par en bas » n'a pas eu lieu. Contrairement à ce qui se dit parfois, « la » société ne vire pas à droite et, au contraire, la tendance globale de long terme porte un nombre croissant d'individus vers des opinions qui étaient traditionnellement considérées comme plutôt de gauche.

La réalité n'est donc pas celle d'un mouvement uniforme, mais celle d'une complexité, d'un véritable paradoxe qui vient percuter le rapport entre les représentations mentales et les votes. Alors que la société française « par en bas » est globalement plus ouverte et plus tolérante qu'il y a vingt ans, la société « par en haut » fait la part belle à des valeurs fortement droitisées. Pour l'instant, ce sont celles-là qui se mobilisent électoralement avec le plus d'intensité, comme on l'a vu au premier tour de la présidentielle 2022 et des législatives 2024 ou encore aux européennes de juin dernier. Le « bruit de fond » politique, nous dit Tiberj, est conservateur alors que la société ne l'est pas de façon dominante.

Le tableau rigoureusement dressé par Tiberj a le double avantage d'être intellectuellement convaincant et politiquement roboratif : si la société n'a pas viré à droite, il n'y a aucune fatalité à ce que la politique aille de plus en plus dans cette direction. Il reste toutefois à comprendre comment il se fait que, dans une société globalement plus tolérante, ce sont des valeurs inverses qui donnent le ton. Au fil des pages, Tiberj nous offre des pistes solides sur ce point. Il sait, avec Pierre Bourdieu, que « l'opinion publique n'existe pas », mais se construit. Elle se façonne dans un champ médiatique, éditorial et journalistique, où des forces structurent en longue durée les représentations courantes, comme s'y attache l'extrême droite depuis les années 19704. Elle le fait avec constance, usant même des conjonctures pour retourner à son profit des termes historiquement associés à la gauche, comme la république, le refus de l'antisémitisme ou la laïcité.

Par ailleurs, la poussée à droite de l'espace politique se nourrit depuis longtemps des bouleversements du tissu social, au gré des révolutions technologiques et des dérégulations financières. Le peuple sociologique n'a plus de groupe central, les représentations de classe d'hier se délitent, les mouvements sociaux, anciens ou nouveaux, se font et se défont, les discriminations s'entremêlent de façon complexe avec les inégalités. Le « nous » qui structurait l'univers populaire est concurrencé par l'affirmation de soi, la solidarité et l'autonomie s'entrelacent, s'opposent ou se complètent, selon les moments, les catégories et les individus.

En bref, la droite s'est accoutumée mieux que la gauche aux turbulences des sociétés contemporaines. Dès lors, on peut se convaincre de ce que la clé du paradoxe relevé au départ ne se trouve pas seulement dans les mouvements internes à la droite. Elle est aussi à rechercher du côté de la gauche : à sa façon, le dynamisme de la droite extrême est le contrepoint des dysfonctionnements de la gauche. La gauche n'a donc pas à choisir entre ce qui l'inquiète et ce qui la conforte. On pourrait aisément pasticher l'hôte précaire de l'Élysée en proclamant « et Rouban et Tiberj »…
La réalité, rien que la réalité, toute la réalité…

1. Vincent Tiberj a raison de nous installer dans la conviction que l'expansion des idées de la droite extrême n'est pas un fait irréversible, auquel nous devrions nous accoutumer. Accepter cette fatalité nourrit en effet une autre conviction, présente dès les premières percées du Front national, selon laquelle il suffirait de s'emparer des constats de l'extrême droite, éventuellement pour les retourner contre elle. « Le Front national pose de bonnes questions et donne de mauvaises réponses »… « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde »… Cette façon déjà ancienne de s'embourber dans les enjeux explosifs de l'identité, de la sécurité et de l'immigration a touché la droite traditionnelle, le prétendu centre et même une partie de la gauche. Le résultat est parlant : le confusionnisme qui en résulte n'enraye en rien l'expansion politique des droites extrêmes, que l'abstention s'étende ou bien qu'elle recule.

2. La puissance d'un « front républicain » au second tour a montré que l'électorat français dans sa majorité n'a pas basculé du côté des socles idéologiques travaillés par l'extrême droite depuis des décennies. Mais le premier tour a montré à l'inverse que le mouvement général des représentations stimulait un vote en faveur de l'extrême droite bien plus qu'un vote à gauche. Et si la mobilisation anti-RN du second tour a été ressentie comme un souffle d'air frais, comment ne pas constater aussi que, au fil des élections, les seconds tours voient se réduire les écarts séparant les extrêmes droites et la totalité des autres forces ? En juillet dernier, dans des dizaines de circonscriptions, l'écart s'est avéré si ténu que de légers déplacements de voix auraient pu modifier sensiblement la composition de l'Assemblée élue.

La « dédiabolisation » du RN n'est pas allée jusqu'au bout, sans avoir pour autant été contrariée de façon absolue. Rien ne dit donc que le réflexe de « front républicain » continuera de fonctionner avec la même efficacité à l'avenir. La gauche s'en est plutôt bien sortie au début de cet été, mais le vent du boulet n'est pas passé loin…

3. L'ampleur du danger obligera sans nul doute à conforter les contre-offensives visant à réduire l'effet des discours de fermeture et d'exclusion, à dénoncer les ruses, les tromperies et les mensonges du lepenisme. Cet effort déjà heureusement engagé ne devrait pas conduire à sous-estimer le fait que la force du RN n'est pas dans le détail des propositions qui sont les siennes. Elle est d'abord dans la cohérence d'un projet qui, ancré dans le tissu des inquiétudes, articule la promotion d'une protection avant tout nationale et la dénonciation de l'assistanat. C'est cette cohérence qui relie les angoisses et les attentes de larges fractions de la société et qui imprègne les territoires, avec d'autant plus de force que l'extrême droite tire parti de ce qui fut sa faiblesse, la longue marginalisation qui, à partir de 1944, l'a écartée absolument des sphères du pouvoir, national comme local. Si l'essentiel est de se protéger, pourquoi ne pas laisser le Rassemblement national aller jusqu'au bout d'une logique de fermeture ?

L'hégémonie politique se joue dans la capacité à imposer un projet global et à légitimer les regroupements capables de les faire vivre. L'extrême droite a peaufiné son projet et progressé dans sa capacité à attirer vers elles des forces qui se détournaient d'elles jusqu'alors. Pour l'instant, elle n'a pu abattre suffisamment les murailles qui l'enserrent encore. Il est donc encore temps d'opposer à ses cohérences celles d'un projet et d'une convergence fondée sur des valeurs d'émancipation. Mais les crises, propices à toutes les accélérations vers le meilleur comme vers le pire, interdisent de se dire que nous avons tout le temps devant nous. En fait, le temps nous est compté.

4. Le signal encourageant du second tour n'efface pas la préoccupation nourrie par le premier. La dynamique générale des idées diffusées dans la société stimule un vote d'extrême droite et porte beaucoup moins vers un vote de gauche. La gauche ne devrait donc pas s'en tenir à mettre en cause « les autres », quelles que soient par ailleurs leurs responsabilités, gouvernement, élites sociales, organisations et système médiatique. La critique radicale du macronisme et la hantise d'un retour en force du social-libéralisme sont évidemment bienvenues. Mais elles risquent de n'être pas plus efficaces que les mises en garde de la gauche de gauche contre les abandons du socialisme mitterrandien des années 1980.

Le problème est que, pour l'instant du moins, l'alternative au désordre existant s'identifie au projet du Rassemblement national, pas à celui de la gauche. Celle-ci, depuis la contre-offensive des « antilibéraux » après le camouflet de 2002, s'est dotée de propositions solides, dans une logique de rupture avec la pente sociale-libérale, sans être une rupture immédiate avec le seul « système » existant, qui est celui du capital financiarisé et mondialisé. La gauche rassemblée jure certes ses grands dieux que, cette fois, elle ne capitulera pas devant les difficultés et les pressions ; mais elle l'avait juré naguère, alors même qu'elle était majoritaire électoralement.

La gauche a des propositions cohérentes, qui peuvent être plus ou moins partagées par un grand nombre de ses composantes. Mais elle n'a pas encore atteint le niveau d'un projet réaliste, d'un récit capable d'agréger les inquiétudes, les colères et les attentes d'un large spectre dans une société aujourd'hui fragmentée plus que jamais. Ajoutons qu'elle n'est encore capable de raccorder ce grand récit, évident et rassurant, avec une stratégie de long souffle qui, aux discours ostentatoires de la « rupture », préfère l'invocation d'un processus cohérent de ruptures – au pluriel – au gré des majorités possibles.

5. La gauche affirmera aux yeux du plus grand nombre son utilité si elle sait répondre à quatre exigences : accompagner la mobilisation de quiconque n'accepte pas les injustices et les prédations de l'ordre dominant ; suggérer un projet rassurant à celles et ceux que ronge l'inquiétude ; aider à ce que convergent le plus grand nombre de valeurs, d'idées et de pratiques attachées à produire de l'émancipation humaine ; travailler à rassembler ce qui est aujourd'hui désuni. En bref, la gauche doit encourager la société à lutter et, pour cela, doit proposer au noyau populaire – celui d'aujourd'hui, pas celui d'hier : haro sur les nostalgies ! – un cadre attractif, mobilisateur et rassurant. Il ne suffit donc pas de « s'adresser aux abstentionnistes », si le message qui est transmis à l'ensemble du corps électoral n'a pas une cohérence suffisamment forte pour contrebalancer celle du Rassemblement national. Si la gauche ne s'interroge pas plus avant sur ce qui freine sa reconnaissance par la cohorte immense des exploités, dominés et aliénés, elle risque de voir se reproduire les mêmes mouvements qui la contraignent, même dans un contexte de participation électorale accrue.

Encore faut-il s'entendre sur ce qu'est « la » gauche. Elle existe comme un tout – l'ensemble des individus et des collectifs qui se réclament de « la gauche » et marquent leur différence à l'égard de « la droite » –, un tout pouvant et devant être rassemblé. Elle n'est pas pour autant monolithique mais plurielle, elle repose sur des partis, mais ne se limite pas à eux. Potentiellement, elle est toujours à la fois un collectif solidaire et une collection d'individus autonomes, un « nous » en construction permanente et un assemblage de « je ».

6. Les gauches ont su se rassembler à plusieurs reprises. Elles ne sont jamais parvenues à trouver un cadre pérenne à ce rassemblement, laissant ainsi la place à l'alternance des unions éphémères et des concurrences persistantes, aux tentations de l'hégémonie, au jeu des méfiances et à l'accumulation des frustrations. Sans doute parce que le désir d'union ne s'est jamais vraiment appuyé sur une culture solide de l'union. Sans doute aussi parce que les gauches dans leur ensemble n'ont pas su comprendre que la durabilité du rassemblement supposait d'œuvrer au rapprochement et à l'intercompréhension des cultures particulières, de débattre en permanence des projets et des stratégies opérationnelles pour toute la gauche et de s'accorder sur des formes pérennes permettant à chaque sensibilité de faire vivre sa pleine autonomie et sa solidarité avec toutes les autres5.

Sans doute encore parce que la gauche politique a fini par oublier que sa dynamique populaire dépendait de sa capacité à articuler les champs que la société capitaliste cloisonne, économique, social, partisan, syndical, associatif, culturel. Retisser de façon moderne ces liens, réécrire le récit d'une « Sociale » raccordée aux urgences nouvelle de l'autonomie et de l'écologie, renouer le dialogue à égalité de dignité politique entre les partis, les syndicats, le monde associatif et l'intelligentsia, réinventer les formes de la politique… Pour réussir cette alchimie redoutable, mieux vaut avoir des bases de connaissance solides et fines. Vincent Tiberj nous y aide, avec d'autres. Son travail mérite donc une appropriation collective exigeante, pas un simple coup de chapeau.

Notes

1. Luc Rouban, « Enquête électorale : une victoire de la gauche aux législatives dans une France de droite », Le Monde, 1er septembre 2024. ↩︎
2. Vincent Tiberj, La droitisation française : mythe et réalités, PUF, 4 septembre 2024). ↩︎
3. Il a lui-même élaboré ce qu'il appelle un indice longitudinal de tolérance. ↩︎
4. Par exemple sur la question de l'identité (voir Roger Martelli, L'identité c'est la guerre, Les Liens qui Libèrent, 2016). ↩︎
5. Sur la question des formes d'organisation, le collectif « Intérêt général. La fabrique de l'alternative » a récemment proposé un copieux document, truffé d'analyses et de propositions. ↩︎

Roger Martelli

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Du Labour de Corbyn à LFI de Mélenchon, les médias contre la gauche

10 septembre 2024, par Thierry Labica — , ,
Thierry Labica, maître de conférences au département d'études anglophones de l'université Paris-Ouest Nanterre, est l'auteur de L'hypothèse Jeremy Corbyn : Une histoire (…)

Thierry Labica, maître de conférences au département d'études anglophones de l'université Paris-Ouest Nanterre, est l'auteur de L'hypothèse Jeremy Corbyn : Une histoire politique et sociale de la Grande Bretagne depuis Tony Blair (Demopolis, 2019) et a coordonné, avec François Cusset et Véronique Rauline, l'ouvrage Imaginaires du néolibéralisme (La Dispute, 2016).

26 août 2024 | tiré du site d'Acrimed

Acrimed : Depuis des mois, et même des années, Acrimed documente l'acharnement médiatique contre La France insoumise et singulièrement contre Jean-Luc Mélenchon. Sa volonté de rompre avec les orientations néolibérales, sécuritaires et atlantistes de la gauche de gouvernement lui valent, notamment depuis qu'il a supplanté le PS en 2017, l'hostilité de tous les médias, même « de gauche ». Avant de revenir sur les mésaventures médiatiques de Jeremy Corbyn, parvenu entre 2015 et 2020 à la tête du Labour avec un programme de rupture assez similaire à celui de LFI, pourrait-on remonter un peu dans le temps, dans les années 1980, pour voir comment les médias de gauche avaient réagi au thatchérisme ?

Thierry Labica : Dans les années 1960-1970, l'événement politique principal de l'année c'était le congrès syndical, où les responsables politiques se rendaient, où les politiques industrielles étaient négociées dans un cadre cogestionnaire, où les grandes annonces étaient faites. Une catégorie bien spécifique de journalistes couvrait ces congrès : les correspondants industriels. Et les correspondants industriels, c'était la fine fleur du journalisme politique. Or dans les années 1980, il se passe quelque chose d'assez important dans le champ de l'audiovisuel : il y a un mouvement de reflux de cette catégorie particulière de journalistes. Et ça a des conséquences très importantes dans le contexte de luttes du monde du travail contre la révolution désindustrielle thatchérienne. Le moment charnière et le mieux connu est celui de la grève des mineurs de 1984-1985, qui est vraiment un épisode seuil à tout point de vue, symbolique, économique, politique, etc. Les mineurs sont un emblème de l'histoire industrielle nationale et 1984, c'est le moment où le thatchérisme remet en question toutes les grandes institutions du compromis social d'après-guerre. Au même moment, dans les médias disparaissent les gens les plus qualifiés pour parler des conflits du monde du travail, des relations entre les syndicats et le gouvernement, avec une expertise sur la question des politiques industrielles, des négociations, des grèves, etc. Résultat : le discours désormais dominant construit la classe ouvrière désindustrialisée comme un milieu complètement relégué, voire criminel. Et cette disqualification, cette relégation symbolique des mineurs, en l'occurrence, c'est aussi quelque chose qui concerne l'ensemble du monde ouvrier, l'ensemble du monde syndical.

Cette criminalisation, elle est explicite lors de la grève de 1984, par exemple avec l'épisode d'Orgreave. Orgreave, c'est un lieu près de Sheffield où il y a eu un piquet de grève très, très important en juin 1984 qui a abouti à une bataille rangée. Or quand la BBC a montré les images de Orgreave, elle a inversé l'ordre du montage. C'est-à-dire qu'elle a montré les mineurs en train de caillasser la police, qui ensuite a chargé. Et finalement il y a eu des excuses après coup sur le mode : « On s'est trompés, on a monté la séquence à l'envers ! C'est la police qui a chargé en premier ». Les médias orientaient clairement leur couverture sur une responsabilité des mineurs dans la violence, le chaos, etc.

On sait aussi que dans la communication interne du gouvernement Thatcher, pour les ministres et leurs conseillers, les mineurs étaient régulièrement considérés comme des nazis. Il y a un conseiller important de Thatcher (David Hart) qui lui dit : « Je suis allé voir à tel endroit ce meeting avec Arthur Scargill qui était le porte-parole du syndicat des mineurs, le NUM [National Union of Mineworkers], j'avais l'impression d'être à Nuremberg. ». Chose intéressante ; dans la même période, le Sun – ce grand journal à scandales, sensationnaliste, très, très à droite, propriété de l'empire médiatique de Rupert Murdoch, et qui tire à des millions d'exemplaires – avait décidé de faire une première page pendant la grève montrant Arthur Scargill faisant apparemment un salut hitlérien, avec en gros titre : « Mine führer » (jeu de mots sur « mine/mein führer »). Or, à cette époque-là, les journalistes du Sun avaient refusé de publier cette Une – une prise de position politique et professionnelle dont je ne connais pas d'équivalent ultérieur. Dès 1984, on voit déjà une mobilisation de motifs relatifs à l'antisémitisme, au nazisme. Mais pas encore de manière complètement déployée dans le champ médiatique : en 1984-85, on était encore en temps de guerre froide et l'association avec « Moscou » restait l'accusation dominante. Le syndicat national des mineurs (NUM) fut donc prioritairement la cible de « révélations » – totalement démontées quelque temps plus tard – sur l'« argent de Moscou » ou provenant de la principale figure « terroriste » de l'époque, le dirigeant libyien, Mouammar Kadhafi.

Il y a toutes sortes d'autres choses qui sont mobilisées pour disqualifier et criminaliser. On peut citer, en 1989, l'épisode du stade de Hillsborough à Sheffield où eut lieu une rencontre de football entre Liverpool FC et Nottingham Forest. Suite à une gestion policière catastrophique de la foule se pressant à l'entrée du stade, 97 personnes périrent dans des conditions particulièrement horribles. Le lendemain, la presse à scandale, le Sun en tête, fait une page sortie du fond des enfers : des fans auraient volé des victimes, auraient uriné sur la police « courageuse », auraient agressé des policiers tentant de ranimer des personnes évanouies. Et cette couverture médiatique reçoit une validation politique de Thatcher affirmant que la police a fait de son mieux, etc. C'était tellement inqualifiable qu'il a fallu qu'un Premier ministre, 23 ans plus tard (en 2012) fasse des excuses publiques, en séance parlementaire, pour les dissimulations et mensonges de la police, la diffamation journalistique, l'acharnement de la presse et des médias contre les victimes et leurs familles. Cela dit, trente-deux ans plus tard, en 2021, aucun responsable n'avait encore été poursuivi, à l'exception du responsable de la sécurité du stade qui a reçu une amende de 6 500 livres sterling.

Au passage, le terme de « criminalisation » n'est pas le mien. C'est le nom d'une politique mise en œuvre en Irlande du Nord par les travaillistes à partir de mars 1976 et poursuivie avec une ferveur fanatique par Thatcher dans les années 1980. Les prisonniers de l'IRA, de l'INLA (autre organisation paramilitaire républicaine) incarcérés dans la grande prison de Maze voient leurs droits spécifiques de prisonniers à caractère politique retirés. « Criminalisation » fut l'appellation même de cette stratégie (qui certes n'était pas dépourvue de précédents). On ne fait plus de politique : la question républicaine en Irlande du Nord était désormais affaire de criminalité et un peu plus tard, en réponse à la grève de la faim de Bobby Sands, détenu dans la prison de Maze, Thatcher déclara : « Crime is crime is crime. It is not political. » On était donc dans une séquence de durcissement politique marqué par la réduction criminelle, dans le champ politique et dans le champ médiatique, des deux grands adversaires du pouvoir néoconservateur des années 1980, c'est-à-dire le mouvement indépendantiste irlandais en Irlande du Nord, et le mouvement syndical dans sa composante la plus combative.

Donc, c'est sous le thatchérisme que naît cette hostilité systématique des médias envers la gauche traditionnelle, attachée à la défense du monde ouvrier.

Disons qu'il y a un moment propre aux années 1980. Un exemple (avec celui de la grève de 1984) est la campagne extrêmement virulente contre la gauche du parti travailliste. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, émerge un dirigeant très à gauche : Tony Benn, une figure de premier plan, qui a évolué vers la gauche au fil de sa carrière. Ministre de l'Industrie en 1975-1976, il brigue ensuite la direction du parti. Il y a donc le risque de voir le Labour dirigé par une figure emblématique, pas juste travailliste, mais dans une tradition explicitement socialiste, avec des liens avec la gauche radicale anticapitaliste, avec des références au marxisme, aux grandes expériences de contrôle ouvrier des années 1970 en Grande-Bretagne, elles-mêmes parfois inspirées par les expériences yougoslave, portugaise ou de la jeune Algérie indépendante. Tony Benn proposait un programme : l'Alternative Economics Strategy, la stratégie économique alternative. Et il y a de bonnes raisons de penser que la formule célèbre de Margaret Thatcher, « Il n'y a pas d'alternative », n'était pas seulement une formule générale pour imposer une norme néolibérale exclusive, les privatisations, etc., mais résonnait aussi dans le contexte proprement britannique, en réponse à une certaine radicalité qui s'était exprimée au cours des années 1970 et qui se prolongeait alors dans la « stratégie économique alternative », le programme de rupture associé à Tony Benn.

Donc l'hostilité à Benn, c'est une hostilité à la gauche, une gauche qui représente vraiment une menace. D'ailleurs, les médias en prennent la mesure : on parle alors de la « loony left », de gauche cinglée, et dans les journaux, on voit Tony Benn, Ken Livingstone et une série d'autres dirigeants pris en photo au moment le plus défavorable, où ils ont l'air vraiment dingues. Il s'agit d'écarter ce danger, et ce danger va être écarté lorsque Neil Kinnock prendra la tête du parti dans les années 1980.

Il faut dire que tout ceci n'est pas sans précédent, là encore. Il faudrait parler du rôle de la jeune BBC face à la grève générale de 1926 ; à celui du Daily Mail et sa fausse « lettre de Zinoviev » aux travaillistes à la veille des élections d'octobre 1924 ; aux rumeurs d'espionnage pour le compte de l'URSS dirigées contre le Premier ministre travailliste, Harold Wilson, à la fin des années 1960.

Les années 1980 représentent un seuil dans cette histoire et dans les années 1990, on peut parler d'un basculement et d'un délitement de tout l'héritage ouvrier du XXe siècle et de cette espèce de pilier syndical de l'État britannique d'après-guerre – il y avait quand même 13 200 000 syndiqués en 1980 ! Au gré de la désindustrialisation, de la montée du chômage de masse et des lois antisyndicales, il y a un reflux de cette construction sociale et politique gigantesque, centrale dans la culture politique britannique, et ce reflux devient une véritable relégation symbolique dans des médias appliqués à célébrer la nouveauté de la fin de la guerre froide et de la disparition des bastions du monde ouvrier le plus familier.

C'est sur ce terreau que Tony Blair arrive au pouvoir.

Blair est élu avec une forte majorité absolue en 1997. Blair est soutenu médiatiquement par le principal soutien historique de la droite, c'est-à-dire Rupert Murdoch et le journal le Sun. Quand Blair est élu, le Sun fait une première page où il titre : « It's the Sun wot won it ». C'est une expression d'anglais oral un peu cockney, un peu familière, qui signifie : « C'est grâce à nous ». Donc quand on dit « Blair, c'est la droite », ce n'est pas juste des procès d'intention. Dans le succès médiatique de ce néo-travaillisme il y a une espèce de fétichisme du nouveau, c'est la nouvelle économie, le nouvel ordre post-guerre froide après la chute du Mur, etc., on est encore dans ce moment-là de triomphalisme et il y a un réalignement médiatique sur cette « gauche moderne ». Pourquoi elle est moderne ? Parce que Blair fait abolir dans un vote du Congrès la clause IV de la constitution du parti travailliste qui disait de manière vague que le parti travailliste visait la propriété commune des moyens de production. Cette formule censée représenter l'ambition « socialiste » du travaillisme faisait signe en direction de politiques de nationalisation, d'étatisation, sans que l'on puisse même parler de socialisme d'État. En tout cas, symboliquement, le renoncement formel à cette clause IV était le signal d'une « modernisation », où le marché, la libre concurrence, l'entreprise étaient maintenant mis au centre, c'est ça qui compte !

Et comment les médias de gauche réagissent-ils à ce moment-là ?

Les médias de gauche, c'est quoi, en Grande-Bretagne ? Souvent, on pense que dans la presse, le média de gauche, de centre gauche, principal serait le Guardian. Et l'Observer. Au vu des dernières années, on a du mal à se dire ça. Au Guardian, qui est une expression du centre gauche travailliste, on peut parfois trouver des travaux d'enquête très poussés, la révélation de vraies affaires, des choses magnifiques sur le plan journalistique. Après, il y a ce qui relève de la routine informationnelle qui n'est pas du tout du même ordre et qui est finalement très conformiste.

Le meilleur exemple que je peux donner c'est le magazine du parti communiste britannique. Historiquement le PC britannique a toujours été très petit mais influent, notamment dans le monde syndical. Et surtout, son magazine Marxism Today avait à la fin des années 1980 et au début des années 1990 un rayonnement énorme, jusqu'à voir des ministres conservateurs lui donner des interviews. On pouvait y lire des articles de célébrités de la gauche intellectuelle comme Eric Hobsbawm ou Stuart Hall. Eh bien, même cette revue a contribué à une espèce d'illusion blairiste. Même pour Eric Hobsbawm, le grand historien lié au PC, comme pour beaucoup de gens dans le milieu intellectuel et en lien avec la presse classée à gauche en Grande-Bretagne, il y a une espèce d'adhésion à cette nouveauté travailliste qui prend acte de la chute du Mur, qui prend acte de la désindustrialisation de l'économie britannique et surtout qui permet d'en finir avec un pouvoir conservateur détesté et continuellement au pouvoir pendant 18 ans. Donc il y a une espèce de consensus autour de l'émergence du néo-travaillisme qui veille de son côté à maîtriser son image : les dépenses de communication du gouvernement Blair sont le double de celles de Thatcher qui en faisait déjà beaucoup en la matière.

Et après la longue nuit blairiste, on arrive en 2015 avec l'accession de Jeremy Corbyn à la tête du Labour. Il est en butte à l'hostilité des médias d'emblée ?

Quand Corbyn arrive à la tête du parti en 2015, on pense d'abord que ce type-là ne sera jamais élu ; les parrainages de parlementaires travaillistes lui ont permis de briguer l'investiture pour pouvoir afficher un certain pluralisme. Mais assez rapidement, et contre toute attente, il y a un engouement énorme. Certains commencent à angoisser. Commencent à resurgir « la gauche radicale », les dangers qu'il ferait courir à l'économie, à la défense du pays et les connexions avec l'Irlande : c'est « l'ami des terroristes irlandais ». Mais ça, ça ne marche plus car pour toute une génération, c'est dépassé, c'est les années 1970, ils s'en fichent. Voire, quand ils savent des choses sur les années 1970, ils estiment que c'était pas mal sur plein de questions : de logement, de salaire, de politique sociale, etc. Et puis Gerry Adams et le Sinn Fein étaient devenus des acteurs politiques électoraux légitimes et de premier plan. Donc tout ça ne marche pas, alors on l'attaque aussi sur le fait qu'il soit soutenu par une gauche radicale, soi-disant violente, qui pratiquerait l'intimidation, avec de vraies fabrications de faux événements.

Les activistes de la Media Reform Coalition, sorte d'équivalent britannique d'Acrimed, ainsi que plusieurs études d'universitaires qui ont fait un travail quantitatif sur de gros corpus et de longues périodes ont montré que le traitement médiatique des travaillistes sous Corbyn, et de Corbyn lui-même, était quasi universellement défavorable. Dès 2015, le Guardian a été absolument complice de ce sabotage, et le restera de bout en bout. Dans la presse sérieuse, il y a le journal The Independent, qui a assez longtemps traité Corbyn et la gauche corbyniste de manière plutôt objective. Mais à un moment, ça s'arrête et on a quelque chose qui ressemble à une reprise en main et un alignement sur la campagne anti-Corbyn.

Globalement, jusqu'à 2017, on met l'accent sur l'incompétence de Corbyn, « le type qui ne saura pas faire ». Non seulement son incompétence mais comme il est issu de la circonscription londonienne de Islington, jadis quartier très populaire devenu un quartier qu'on appellerait « petit bourgeois de gauche », on lui reproche d'être élu par une jeunesse plutôt diplômée, déconnectée des « réalités » du « pays profond » – sur une variation des malheurs de la « classe ouvrière blanche ». Donc subitement, le reste de l'échiquier politique trouve que les ouvriers, c'est super, et que les jeunes diplômés sur les bancs de la fac sont dans leur bulle, ne connaissant rien à l'authenticité ouvrière. Et dans les médias infuse cette idée que Corbyn conduit à la catastrophe parce qu'il est soutenu par de petits groupes marginaux, de nantis, et notamment, au sein du parti travailliste, par Momentum qui a été fondé pour soutenir sa campagne et qui serait composé d'une jeunesse bobo, des « extrémistes » déconnectés.

Il y a un premier test électoral à la toute fin de l'année 2015 avec une élection partielle dans une circonscription du nord du pays et l'on pense que ce sera le début de la fin pour Corbyn qui est censé essuyer un revers. Le journaliste du Guardian va faire un reportage sur place : c'est le nord, il pleut, les gens sont pauvres, ils sont cons mais on les aime parce que de toute façon, ils détestent la gauche – bref, tous les clichés y passent et ces médias prédisent une grosse claque pour la gauche travailliste. Or le candidat soutenu par Corbyn est élu à une large majorité et à chaque nouvelle élection, l'échec attendu – et espéré par la grande majorité du parti travailliste parlementaire – n'arrive pas.

Quand arrivent les législatives anticipées en juin 2017, dans les sondages ça se présente mal, tout le monde est très content, pensant qu'il va se prendre une raclée et sera enfin obligé de laisser la place. Mais à mesure que l'élection approche, les travaillistes remontent, Theresa May commet des maladresses terribles, et le jour du vote le parti travailliste connaît sa plus forte progression électorale depuis 1945, en gagnant des circonscriptions qu'il n'avait jamais réussi à prendre. Et il réussit ça malgré un acharnement de tous les médias : « Corbyn l'incompétent », le « non premier ministrable », la « calamité », « l'hiver nucléaire », la « fin du débat démocratique en Grande-Bretagne », etc. Cela dit, la campagne électorale impose d'accorder un temps de parole qui permet à cette gauche de s'adresser plus directement au pays, et le programme anti-austérité, ainsi que l'engagement à respecter l'issue du référendum sur le Brexit acquièrent une très large audience.

Justement, cette série de bons résultats électoraux ne lui offre pas un certain répit sur le terrain médiatique ?

Non, ça ne cesse jamais. Non seulement Corbyn est de gauche, mais en plus il est issu d'un milieu de petite classe moyenne populaire, qui n'a pas fait les écoles classiques de l'élite politique. On est en Grande-Bretagne, et Corbyn n'est pas un produit de ce gros résidu aristocratique, nobiliaire. Tant que ces gens sont sur les arrières bancs du Parlement ça va encore, mais l'idée qu'ils puissent arriver à Downing Street… Il y a une disqualification sociale et symbolique qui est très forte. Boris Johnson a, lui, la particularité d'être tellement l'homme du sérail que ses bouffonneries et ses outrances sont acceptables, ses saillies formidablement sympathiques. Une personne jamais sérieuse, qui déconne, qui arrive décoiffée avec sa tasse de thé, une espèce de caricature de nobliau excentrique sorti d'une comédie du genre « Quatre mariages et un enterrement ». Donc ça, pas de problème ; mais Corbyn, jamais de la vie !

Mais c'est vrai qu'après cette presque victoire en 2017, la progression électorale des travaillistes est telle que personne ne songe à lui demander de quitter la tête du Labour. D'habitude c'est « tu perds, tu pars », là non. Par ailleurs, dans les mois qui vont suivre, la structure bureaucratique au service de la direction du parti qui est entièrement acquise au blairisme va être renouvelée avec l'arrivée d'une nouvelle secrétaire générale, Jenny Formby, issue du monde syndical, proche de Corbyn, et de beaucoup de gens loyaux. La direction du parti paraissait donc en bien meilleur état de marche pour permettre une victoire prochaine.

D'où, après une brève période d'accalmie post-électorale, une reprise des attaques. Par exemple, vers février-mars 2018, se répand la rumeur selon laquelle Corbyn était un agent des services de renseignement tchécoslovaques en 1986. C'est un député conservateur qui a sorti ça. Il y a eu une démarche en justice, il s'est pris une amende de 30 000 £, ça s'est réglé comme ça, mais ça a duré 15 jours. Et le truc est tellement énorme que même les médias les plus hostiles n'ont pas trop insisté dessus. Mais à peu près dans les mêmes semaines (vers mars 2018), Newsnight – un programme de commentaire politique de la BBC – utilise en arrière-plan, pendant toute la durée de l'émission, une image de Corbyn avec une casquette genre bolchévique sur fond de Kremlin rougeoyant... Mais ça, ce n'est rien en comparaison de l'extrême virulence du programme documentaire phare de BBC 1, « Panorama », diffusé à l'été 2019, sur l'antisémitisme dans le Labour quelques mois seulement avant les élections de décembre 2019. Il faut regarder l'indispensable documentaire – « The Labour File » – qu'Al Jazeera a consacré à cet épisode, entre autres.

Est-ce que les médias français s'intéressent alors à ce qui passe chez les travaillistes, et si c'est le cas est-ce qu'ils sont aussi hostiles à Corbyn que leurs confrères britanniques ? Parce qu'en France, à la même époque, Mélenchon qui a fait près de 20 % à la présidentielle, est en permanence dans le collimateur des médias.

Le parti travailliste qui avait environ 200 000 militants en 2015 se retrouve avec près de 600 000 militants deux ans plus tard, au moment où la plupart des autres partis sociaux-démocrates européens sont mal en point. Il se passe donc quelque chose d'énorme. Dans les médias français, ce phénomène n'a éveillé aucune curiosité. Compte tenu de l'état du PASOK grec, du PS en France, alors qu'à un moment, ces partis sociaux-démocrates étaient hégémoniques en Europe, la singularité britannique aurait dû susciter un intérêt certain. Mais non, rien. Il y en a qui ont quand même réussi à se distinguer dans la malfaisance, je me souviens, par exemple, des chroniques de Claude Askolovitch, d'une hargne effrayante.

Pour ce qui est de la comparaison avec Mélenchon et LFI, l'une des grandes différences c'est que Corbyn est à la tête d'un énorme parti de la social-démocratie historique, qui est là depuis près de 120 ans et qui est forcément appelé à exercer le pouvoir dans un système bipartisan. Donc en termes de structuration politique et institutionnelle, la différence est considérable avec la France. Mais globalement, on voit que les situations sont très similaires. Comme dans le cas de Corbyn, Mélenchon est construit en point de cristallisation de tous les malaises de la société française. L'autre jour, j'entends dans la matinale de France Culture le gars qui fait un petit billet politique tous les matins, qui est toujours très gentil et très agréable, mais qui reprend l'antienne selon laquelle Jean-Luc Mélenchon « a brutalisé le débat politique ». L'élément de malaise et de brutalisation du débat politique, c'est Jean-Luc Mélenchon. Les gens qui ont perdu une main ou un œil dans des manifestations de Gilets jaunes, les dirigeant politiques qui ont utilisé plus de vingt fois le 49.3, l'extrême droite qui a sa chaine d'info, tout ça, ce n'est pas une brutalisation du champ politique ! Mais que Mélenchon ait un ton polémique, c'est insupportable, c'est ça la violence… Son bilan de la semaine sur son blog, c'est une contribution au débat politique en termes de contenu, en termes d'information qui est quand même d'assez haut niveau, que l'on soit d'accord ou pas. Pourtant, le cadrage médiatique archi dominant c'est que c'est lui, Mélenchon, « l'élément toxique de la situation ». Et se greffe là-dessus un certain choix des mots qui trahirait une espèce de fond d'antisémitisme. Ça fait des années que ça dure mais depuis le 7 octobre ça a ressurgi très fort et cela participe, entre autres éléments, à l'analogie avec Corbyn entre 2017 et 2019 en particulier.

Tu peux nous expliquer comment et pourquoi ces accusations d'antisémitisme contre Corbyn ont surgi à l'époque ?

À partir de 2017, il y a ces trois facteurs : augmentation des effectifs, mise en cohérence de l'appareil et progression électorale importante. Les corbynistes semblent avoir réussi à remettre le parti en ordre de marche pour revenir au pouvoir. Et c'est là que l'on passe à un ciblage concentré et systématique sur la question de l'antisémitisme, tout le reste n'ayant pas fonctionné jusqu'ici.

En mars 2018, commencent les marches du retour à Gaza. Et il y a ces images terribles des militaires israéliens qui abattent comme des animaux des gens qui marchent avec des drapeaux jusqu'à la frontière. Il y a environ 250 morts et des dizaines de milliers de blessés sur un peu plus d'un an. Corbyn est identifié comme un pro-palestinien historique. Il n'est pas un soutien complet du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) mais on le juge quand même pas mal en phase. Il faut bien avoir en tête que le Palestine Solidarity Campaign, qui est l'un des plus gros mouvements anticoloniaux au monde et qui est à l'origine des grandes manifestations qu'on a vues ces derniers mois, est identifié comme très en lien avec Corbyn. Et comme traditionnellement, historiquement, la classe politique et les médias sont très pro-israéliens en Grande-Bretagne, il va donc falloir à la fois bloquer Corbyn et neutraliser les images qui viennent de Gaza. Donc plutôt que de parler de Gaza, on va dire « Corbyn est antisémite, et toute la gauche autour de lui, élus et camarades juifs et juives inclus, sont des antisémites », et ce à tout propos. Les exemples sont sans fin, mais je peux en donner un ou deux.

L'un des premiers scandales autour du prétendu antisémitisme de Corbyn, c'est un truc qu'il faudrait toujours rappeler. En avril 2018, Corbyn est invité au repas de Pessah par une organisation juive très à gauche et religieuse : Jewdas. Jewdas est vraiment dans la tradition de la gauche radicale juive, si centrale dans l'histoire de la gauche radicale européenne, et clairement antisioniste. Et c'est rapporté ainsi : il va fêter une fête juive avec des antisémites, et des gens (des Juifs pratiquants) qui pourraient encourager l'antisémitisme. Corbyn aurait commis une terrible erreur de jugement en acceptant leur invitation « à ce moment-là » (comme si plus tôt ou plus tard y aurait changé quoi que ce soit !). Et c'est parti ! Ça a été un des épisodes marquants du scandale. Et des exemples comme ça, ridicules, on peut les multiplier.

Un des premiers axes d'attaque, dans l'été qui a suivi, fut autour de l'IHRA (l'Alliance internationale pour la mémoire de l'holocauste) et de la définition de l'antisémitisme qu'elle reprend, assortie de onze exemples. À ce stade, cette définition avait été adoptée par neuf États dans le monde, dont Israël. C'est une définition qui a été rejetée par son concepteur même, Kenneth Stern, aux États-Unis, après avoir constaté l'usage qui en était fait sur les campus américains pour empêcher les gens de débattre sur la question palestinienne, notamment parce que sur les onze exemples utilisés, sept font l'amalgame entre critique d'Israël et antisémitisme. Pourtant on assiste à une campagne pour dire que le parti travailliste doit adopter cette définition pour apporter la preuve qu'il n'est pas antisémite. Les travaillistes disent « on va regarder », la pression est super forte, c'est le feuilleton de l'été 2018. Ils disent : « on peut adopter la définition mais on ne va pas garder tous les exemples parce qu'ils posent problème, notamment en termes de liberté d'expression ». Et le seul fait qu'ils disent que ça va poser problème suscite des critiques, on entend : « le parti travailliste, la gauche travailliste, Corbyn, ne veulent pas entendre parler d'une définition de l'antisémitisme, et donc c'est qu'ils sont antisémites ». Pour vous donner une idée de la teneur et du niveau des débats, je me rappelle avoir écouté une fameuse émission de la BBC (Women's Hours, Radio 4) dans laquelle Margareth Hodge, qui est une vieille députée travailliste plutôt gauchiste dans les années 1970, mais devenue très droitière et pro-israélienne, affirme que c'est incroyable que le parti ne veuille pas adopter cette définition parce qu'elle explique qu'il y aurait « des tonnes de pays qui l'auraient déjà fait » (« tons of countries ») – alors qu'ils sont moins de dix en réalité à l'époque… C'est un mensonge caractérisé, de la pure désinformation, mais sans aucune correction d'aucune sorte de la part de l'intervieweuse.

Ce qui est intéressant, c'est que le parti libéral démocrate britannique a des élus qui sont clairement pro-palestiniens et qui ont eu un débat sur cette définition. Et il n'en a jamais été question une minute dans les médias britanniques. Le gros de la critique a porté sur les travaillistes, a été nourri de l'intérieur du parti par des composantes opposées à Corbyn et entretenu par l'inertie médiatique.

Cet épisode a cristallisé toutes ces thématiques-là. Il a permis ensuite de créer une rumeur persistante, où aucune des accusations ne tient sérieusement mais où chacune contribue à entretenir un bruit permanent. Alors je vous donne encore quelques exemples. Il y a cette élue issue de la gauche socialiste au sein du parti travailliste, Jo Bird, une femme très à gauche qui revendique sa judéité. Dans un meeting, elle fait une plaisanterie. Elle dit que les procès en antisémitisme contre le Labour sont injustes, qu'il faut que les gens aient droit à un procès équitable. Et en anglais, on dit procédure équitable, due process, c'est-à-dire un processus respectueux des règles internes du cahier des charges travailliste. Elle fait un jeu de mots : en anglais due process ça ressemble à jew process. Elle fait ce jeu de mots là, qu'on pourrait considérer tout à fait inoffensif, et tu pourrais même dire qu'elle fait appel à une éthique juive de la justice. Ce jeu de mot est devenu une nouvelle nationale ! La gauche corbyniste vient encore de faire la preuve de son antisémitisme ! Ça ne dure pas très longtemps, mais c'est une nouvelle nationale jusqu'à la suivante.

Autre exemple : Corbyn fait le débat de fin de campagne avec Boris Johnson, et à un moment, il parle de l'affaire Epstein, le pédophile ami des puissants aux États-Unis et ailleurs. En anglais, ça se prononce Epstine, et Corbyn prononce Epstaïne. Et là sur Twitter un comédien assez connu dit « Corbyn ne peut pas s'empêcher d'ostraciser les Juifs » (othering Jews). D'autres gens répondent « ben non, mon nom vient de d'Allemagne, d'Europe centrale, c'est comme ça qu'il faudrait prononcer », et donc tu as un débat là-dessus.

Dernière anecdote : dans sa circonscription, où il y a des synagogues et des organisations juives qui le soutiennent depuis toujours, il y a un type qui a longtemps organisé des commémorations du massacre qui a eu lieu dans le village palestinien de Deir Yassin en 1948, Paul Eisen. Or ce type a fini par virer négationniste. Mais Corbyn bien avant cela, et comme beaucoup d'autres, avait contribué financièrement aux commémorations avec toutes sortes de gens, dont certains rabbins, des laïques, des religieux, etc. Eh bien Corbyn est accusé d'être proche des négationnistes ! On se dit que ça ne va pas être trop difficile de voir que cette accusation ne peut pas tenir parce qu'on retrouve en ligne la lettre du cabinet de Tony Blair, au même mec, Paul Eisen, pour s'excuser de ne pas pouvoir être présent et pour le remercier de l'organisation de cet événement.

Et bien entendu, jamais un seul mot, nulle part, sur les expressions répétées de soutien à Corbyn des personnes et organisations juives, à commencer par celles de sa circonscription, en Grande-Bretagne et ailleurs dans le monde.

Voilà, je pourrais continuer quasiment à l'infini. L'analogie avec ce qui se passe pour La France Insoumise et, en particulier pour Jean-Luc Mélenchon, est évidente, la ressemblance est absolument frappante. Et on se rappelle que Sanders aux États-Unis y avait eu droit aussi…

Et finalement, c'est sur cette question qu'ils vont finir par avoir sa peau après la défaite électorale de 2019, jusqu'à l'exclure du parti travailliste.

Oui, aujourd'hui, il est député indépendant, il a été suspendu, puis réintégré par le comité exécutif national, mais Starmer a décidé de l'exclure quand même en contravention de toutes les recommandations qui avaient été faites dans le rapport que Corbyn n'a même pas contesté. Corbyn a dit bien sûr que l'antisémitisme existe, il n'est pas question de le contester, mais que son ampleur dans le parti travailliste a été vastement exagérée. Ce qui est absolument et indéniablement vrai. En dehors de Corbyn il y en a un paquet d'autres qui ont été soit rappelés à l'ordre, soit exclus. L'autre cas célèbre, c'est Ken Loach, quand l'Université libre de Bruxelles (ULB) a voulu lui remettre un titre de docteur Honoris causa, il y a même eu une campagne pour dire qu'il était négationniste. Alors il y a bien sûr des réactions contre ça de tout un tas d'organisations de gauche, par exemple tu as la Jewish Voice for Labour, ce sont des gens qui ont leur site, qui contre-argumentent en permanence et qui défendent des positions de gauche antisioniste, mais la question c'est que ça ne passe pas le seuil du reporting, ça ne perce pas dans les grands médias.

Et pour finir, est-ce que tu peux nous dire un mot de la situation actuelle ? Keir Starmer était soutenu par le Sun, le parti travailliste complètement recentré – à tel point qu'un éditorialiste célèbre du Guardian a annoncé rendre sa carte du parti –, est-ce qu'on est repartis pour vingt ans d'une resucée de blairisme ?

La réélection de Corbyn dans sa circonscription, avec une très large majorité, et contre une campagne du Labour très déterminée à l'éliminer enfin complètement de la scène politique met un peu de baume au cœur. L'élection de quatre autres indépendants pro-palestiniens positionnés contre le Labour inconditionnellement pro-Israël, est aussi un motif d'encouragement. À quoi il faut ajouter que le Labour 2024, « responsable », ouvertement repositionné à droite sur un ensemble de questions, et qui a donc fait l'objet d'un traitement médiatique tout à fait bienveillant, obtient 500 000 voix de moins qu'en 2019, défaite de Corbyn dramatisée, présentée comme la pire de l'histoire travailliste, afin de mieux justifier le réalignement droitier du parti et de préparer l'exclusion de ses composantes plus à gauche. Bref, il y a quelques leçons encourageantes à tirer de cette affaire, et malgré les apparences dues au mode de scrutin (qui induit une distorsion sans précédent entre vote et majorité parlementaire), on doit constater que manifestement, le Labour de Starmer, même après 14 ans d'agression sociale et d'extrémisme tory, ne fait pas rêver, pour dire le moins, et on est très, très loin de l'euphorie qui avait accompagné pour un temps la première élection de Blair en 1997.

Propos recueillis par Blaise Magnin et Thibault Roques, avec une retranscription collective d'adhérent·e·s d'Acrimed.

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Protocole intersyndical Pays Basque contre les accidents du travail

Conférence de presse de présentation du protocole le 27/08/2024 devant le restaurant Le Prado de Saint-Jean-de-Luz, où 4 ans plus tôt trois salarié-es étaient brulé-es au (…)

Conférence de presse de présentation du protocole le 27/08/2024 devant le restaurant Le Prado de Saint-Jean-de-Luz, où 4 ans plus tôt trois salarié-es étaient brulé-es au travail, dont un très gravement.

Tiré de Entre les ligne et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/09/03/protocole-intersyndical-pays-basque-contre-les-accidents-du-travail/

Solidaires Pays Basque, avec les organisations USCBA CGT 64, FSU 64 et LAB IEH rend aujourd'hui public la première version du protocole d'action face aux accidents du travail.

Nos quatre organisations se sont mobilisées à plusieurs reprises ces trois dernières années face à chaque accident du travail mortel. Il est pour nous indispensable de rendre visible tous ces accidents du travail, dont quasiment personne ne parle. Qu'il soit simple, grave ou encore mortel, nous ne pouvons pas banaliser un accident du travail.

Ces dernières années, nous nous sommes mobilisé-es autour des accidents mortels mais nous sommes conscient-es que beaucoup d'autres accidents sont passés sous silence.

Par ce protocole, nous voulons créer un outil accessible au plus grand nombre des salarié-es afin de faire le maximum de pédagogie possible dans les entreprises. En automatisant les réponses à apporter en cas d'accident au travail, nous gagnerons en efficacité. En le faisant en intersyndicale, nous gagnerons du temps et serons en mesure de répondre le mieux possible face à chaque accident du travail.

En d'autres mots, ce protocole veut essayer de rendre visible tous les accidents du travail et les dénoncer notamment les plus graves et les mortels.

Il a pour but :

* de faire de la pédagogie dans les entreprises en amont aux accidents, de créer des relations entre les travailleur-ses et les organisations syndicales

* d'automatiser certaines mobilisations en cas d'accidents afin de ne plus les laisser invisibles.

Dès aujourd'hui, nos quatre syndicats commencerons à distribuer ce protocole à l'ensemble de nos représentant-es dans les entreprises et les administrations, au-delà de nos étiquettes syndicales. Nous appelons l'ensemble des salarié-es à le lire, à s'en imprégner et à prendre contact avec nous dès qu'ils et elles sont isolé-es face à un accident au travail dans leur entreprise.

Ce document reste un document ouvert à toutes les organisations syndicales qui souhaiteraient nous rejoindre. Il est encore à améliorer et à développer.
Lire le protocole

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Soutien à la grève des salarié·es d’aide à la personne Onela

10 septembre 2024, par Les Dévalideuses — , ,
Depuis février 2024, les salariéEs de l'entreprise d'aide à la personne ONELA sont en grève. Ils et elles dénoncent des conditions de travail déplorables, racontent la présence (…)

Depuis février 2024, les salariéEs de l'entreprise d'aide à la personne ONELA sont en grève. Ils et elles dénoncent des conditions de travail déplorables, racontent la présence de rats et de plafonds qui tombent sur les salariéEs. Pourtant ce sont des emplois dits essentiels, des emplois du prendre soin.

Tiré de Entre les lignes et les mots

« Nous 7 salarié.es de l'entreprise de service à la personne ONELA, sommes en grève pour dénoncer les conditions de travail indignes auxquelles nous sommes confronté.es, non seulement au sein de la cellule d'astreinte d'ONELA, mais aussi et surtout dans l'ensemble du secteur de l'aide à la personne. Pourtant applaudi.es pendant la crise sanitaire, nous sommes redevenu.es des travailleurEuses invisibles et méprisé.es et l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir n'augure rien de bon en ce sens. » – réseaux sociaux – @mouvementgreviste

La mission du centre d'astreinte d'où est partie la grève est d'apporter une aide par téléphone les soirs, les week-end et les jours fériés, aux personnes âgées et handicapées et aux auxiliaires de vies pour assurer la bonne réalisation des soins, organiser les remplacements de dernière minute, soutenir les auxiliaires dans des situations qu'elles n'ont jamais vécu…

Ils et elles revendiquent de meilleures conditions de travail, un salaire décent, et du respect de la part de leur employeur qui a eu des positions racistes récemment dans les médias. Leurs requêtes n'ont pas été entendues, l'employeur a proposé une augmentation de 0,13 euros brut. [1]

La lutte pour revaloriser les fonctions du soin est une lutte anti validiste antiraciste, féministe.

Il y a énormément de femmes racisées dans les emplois d'aide à la personne. Ce sont des emplois précaires, avec de mauvaises conditions de travail. Dans un contexte de marché du travail violent et discriminant, spécialement envers les femmes racisées, le rapport de force pour exiger une amélioration des conditions de travail est difficile à mettre en œuvre.

Ces emplois du prendre soin pèsent sur les corps. Les risques musculo-squelettiques des emplois de ménage, d'auxiliaire de vie, d'aide à la personne au sens large sont des emplois handicapants. Ils produisent des douleurs chroniques, des souffrances, et du handicap. En ce sens, ils doivent être absolument revalorisés, mieux rémunérés, mieux répartis dans la société.

La Vie Autonome et la désinstitutionnalisation sont des projets politiques au cœur des luttes anti validistes. Selon les directives, la désinstitutionalisation doit viser à restaurer (redonner) l'autonomie, le choix et le contrôle aux personnes handicapées, afin qu'elles puissent décider comment, où et avec qui elles souhaitent vivre. Il est important que les personnes chargées de la gestion des institutions ne soient pas invitées à diriger le processus de désinstitutionalisation.

La désinstitutionalisation n'est pas possible sans le développement d'aides et de services de proximité qui permettent aux personnes handicapées de vivre de manière autonome et d'être intégrées dans la communauté. La désinstitutionalisation vise également à prévenir toute future institutionnalisation, en veillant à ce que les enfants puissent grandir avec leur famille, leurs voisines et leurs amies au sein de la communauté, au lieu d'être isolés dans des établissements.

La lutte des salariéEs en grève de ONELA dépasse largement la lutte au sein de l'entreprise.

Carmen Diop, Doctorante en science de l'éducation, elle étudie la subjectivité et les trajectoires de femmes noires au travail :

« Le travail c'est le lieu ou on construit son identité, sa santé mentale. Or le marché du travail est structuré par des divisions de genre, de sexe, de race de classe, d'origine, d'apparence sociale, d'âge, de handicap. Les femmes noires cumulent des désavantages. Le déni de la reconnaissance repose sur les inégalités sociales et sur la domination culture. Le racisme peut prendre des formes extrêmes de violences ou des formes plus « douces » comme le débat médiatique, l'isolement, les moqueries. Le racisme est très difficile à identifier. Et quand les micro agressions sont prises isolément on peut dire que ce n'est rien. L'accumulation de ces agressions constitue un traumatisme sociaux et émotionnel qui constitue un fardeau dont il est impossible de se défaire. Le racisme ordinaire (refus à répétition, humiliations fondées sur la culture, la couleur de peau) est un risque pour la santé physique et psychologique de l'individu. » [2]

Quatre façons de soutenir la lutte des gréviste de Onéla :

*re partager les publications et les articles. Instagram @MouvementGreviste
* signer la pétition
* remplir la caisse de grève !
* Rejoindre les rassemblements annoncés sur leurs réseaux sociaux :
Instagram @MouvementGreviste

Références
[1] Après deux mois de grève, les agents d'astreinte des auxiliaires de vie d'ONELA déterminées à poursuivre la lutte
[2] Konbit Afrofem #6 Femmes noires au travail, entre isolement et émancipation collective : perspectives (post)coloniales par Carmen Diop et Rose Ndengue

Les Dévalideuses
« Les Dévalideuses » est une association de loi 1901 visant à représenter les voix des femmes handicapées dans toute leur diversité, tout en contribuant à rendre publiques et à défendre les problématiques qui leur sont propres. Elle s'inscrit dans une démarche intersectionnelle, féministe et anti-validiste.

https://blogs.mediapart.fr/les-devalideuses/blog/090724/soutien-la-greve-des-salariees-d-aide-la-personne-onela-0

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Aux origines de la crise écologique

10 septembre 2024, par Frédéric Malvaud — , ,
Sommaire 1. Introduction 2. Quelques mots sur la (…) 3. la question des limites 4. Homo sapiens est-il une (…) 5. Pourquoi alors sommes-nous 6. le processus de (…)

Sommaire

1. Introduction
2. Quelques mots sur la (…)
3. la question des limites
4. Homo sapiens est-il une (…)
5. Pourquoi alors sommes-nous
6. le processus de civilisatio
7. En conclusion provisoire

28 août 2024 | tiré du site europe-solidaire.org
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71851

1. Introduction.

Réflexion : Un spectre hante le monde : le spectre de l'éco-anxiété.

Ce n'est pas un simple effet médiatique, ni un ressenti propre aux pays industrialisés et riches, ni un ressenti propre aux citoyens ayant un haut niveau d'éducation.

C'est un ressenti mondial, de plus en plus prégnant, qui signifie que la crise écologique rebat les cartes. Il ne s'agit plus seulement, pour tous les perdants du système capitaliste, de se battre pour mieux vivre, mais de se battre pour sauver l'humanité en route dans une course vers l'abîme.

L'approche très dominante est celle de la collapsologie. Or les arguments des collapsologues posent cependant questions et souffrent de défauts majeurs :

• Pas de classes sociales ni de responsables identifiés, alors qu'on pourrait être « effondriste » et cibler les responsables

• Les humains seraient du coup fondamentalement responsables en tant que tels, ce qui est contraire aux théories de l'évolution et à l'approche scientifique c'est-à-dire matérialiste, car il s'agit en l'occurrence d'une pensée essentialiste

• Le point de non retour n'est jamais clairement défini.

Mon discours n'est pas une vérité, mais l'état de mes réflexions avec la volonté d'être cohérent et de m'appuyer sur les travaux des anthropologues et archéologues mais aussi sur ceux des biologistes de l'évolution. Mon approche est similaire à celle de l'historien Jérôme Baschet : « Se placer dans la perspective historique permet d'en finir avec l'illusion de la naturalité du phénomène ». Cela suppose aussi de définir la crise écologique pour en définir l'origine.

2. Quelques mots sur la crise écologique.

La crise écologique se décline en deux dimensions qui s'interconnectent à tous les niveaux (dans leur origine, leurs conséquences, leurs interactions) :

• Une crise climatique qui s'insère dans la problématique des limites planétaires : les humains dépassent-ils les limites ? Y a-t-il des limites ?

• Une crise de biodiversité qui peut enclencher un effondrement du vivant.

Ce que nous savons (c'est un consensus scientifique), c'est que cette crise écologique est la conséquence des activités humaines. Il n'y a pas de causes extérieures.

La question se pose du nom à donner à cette période de crise : anthropocène ou capitalocène ? Si la question est pertinente, la poser telle quelle (en opposant les deux termes) l'est moins. En effet, les deux termes ont leur part d'ambiguïté.

Anthropocène peut laisser sous-entendre que cette crise est le produit de l'humanité « en tant que telle » et donc gommer les responsabilités fort différentes des classes dominantes et des classes dominées. Et poser la problématique ainsi fait l'impasse sur pourquoi et comment en est-on arrivés là, et peut nous entraîner sur la pente de la « nature humaine », donc nourrir les pensées de l'effondrement (« De toute façon, il est trop tard »). Mais le terme a toutefois une pertinence dans le sens où il interroge sur le fonctionnement des sociétés humaines, au-delà de la période récente du capitalisme.

Capitalocène peut laisser sous-entendre que l'origine de la crise est le capitalisme, quand tant d'éléments nous indiquent que le problème est antérieur au capitalisme. Et poser la problématique ainsi fait aussi l'impasse sur pourquoi et comment en est-on arrivés là. Cela peut aussi laisser croire qu'il suffirait d'un changement politique et économique pour résoudre la crise « rapidement et facilement », ce qui n'est évidemment pas le cas. Reste qu'à l'évidence, le capitalisme est un fantastique accélérateur de la crise écologique. On peut parler d'accélération exponentielle, ce qui donne une pertinence au terme. Mais le capitalisme n'est pas seulement responsable d'une accélération de la crise écologique. En effet, il engage, via la marchandisation de tout le vivant, un rapport écocidaire avec le monde.

3. la question des limites

Pour résoudre cette difficulté, il est donc indispensable de porter un regard sur les origines de la crise et la place particulière de l'espèce humaine dans le vivant. La question posée est ainsi celle des limites au développement d'une espèce. A l'évidence, les humains sont en train de dépasser les limites.

Changement climatique, acidification des océans, déséquilibre du cycle du carbone, de l'azote, du phosphore, de l'eau douce, érosion de la biodiversité : tout est interconnecté.

Cette question des limites a une histoire récente : Thomas Malthus (fin 18e, début 19e), Paul Ralph Ehrlich qu'il ne faut pas confondre avec Paul Ehrlich (La bombe P, 1968) et Dennis Meadows (Les limites à la croissance, Club de Rome, 1972).

On peut identifier trois erreurs majeures de Malthus :

• La démographie est pensée comme exponentielle (voir plus loin).

• Les ressources sont limitées. Il n'a pas vu que l'humanité fabrique ses ressources via son travail et sa technologie. La question en fait est avant tout celle des conséquences (en termes de limites planétaires) de la fabrication des ressources en exploitant à outrance la planète. Bien avant d'épuiser les ressources, l'humanité déstabilise la biosphère par les conséquences des formes d'utilisation des ressources. Au passage, c'est la raison pour laquelle l'énergie nucléaire ne peut être (même de manière transitoire) une solution à la crise énergétique, mais au contraire ne peut qu'amplifier la crise.

• Il prend le parti des classes dominantes et fait l'impasse justement sur leurs responsabilités.

On lui pardonne les deux premières erreurs, pas la dernière !

On ne pardonne pas à Ehrlich ni au couple Meadows car ils auraient dû savoir qu'il n'y aurait pas de bombe Population ! Dès 1963, des démographes alertaient sur le prochain déclin de la démographie humaine, comme l'écologiste américain Barry Commoner.

4. Homo sapiens est-il une espèce à part ?

Pourtant, il n'y a pas de différence de nature entre notre espèce, Homo sapiens, et les autres espèces vivantes, végétales ou animales, mais une différence (importante) de degré aux conséquences considérables.

Toutes les espèces, pour survivre, ont vocation à défendre leurs intérêts et donc sont en permanence en situation de dépassement des limites. Si le vivant s'est maintenu, c'est qu'il existe un mécanisme de contrôle qui permet d'éviter le « dérapage ».

Celui-ci a pourtant déjà eu lieu dans le passé. Lors de la crise du Dévonien, il y a 360 millions d'années, on a identifié qu'une des causes est climatique (refroidissement généralisé de la planète) largement amplifié (sinon créé) par le fonctionnement du vivant : la diversification des plantes terrestres ayant (sans limites !) entraîné une baisse importante du CO² dans l'atmosphère, réduisant trop l'effet de serre.

Le mécanisme de contrôle s'est mis en route un peu tard, ce qui a conduit à une perte de 75% des espèces, prélude au redémarrage de la diversification du vivant.

Ce mécanisme, c'est la sélection naturelle. Quant une espèce dépasse les limites (mouvantes et évolutives), la sanction est en général rapide.

Le « jeu », pour les espèces (en fait pour les individus dans le cadre de leur espèce) est de trouver toutes les parades possibles pour résister à la pression de sélection : résister aux changements internes de la biosphère (en particulier climatiques), résister à la pression à l'échelle individuelle (compétition intra-spécifique), résister à la compétition à l'échelle de l'espèce (compétition avec les autres espèces pour l'accès aux ressources).

Dans le cas de la crise du Dévonien, le mécanisme n'a pas fonctionné assez vite car il a été dépassé par l'emballement de la crise climatique. Cela peut nous rappeler le présent…

Et dans le « jeu » des parades face à la pression de la sélection, l'espèce humaine s'est avérée prodigieusement performante. Dans le vivant, la sélection naturelle a favorisé la naissance et le développement des instincts sociaux (empathie, entraide) qui ont permis de s'opposer à la sélection naturelle. L'erreur serait de croire que la sélection naturelle élimine les plus faibles, les moins aptes, ce qui renforce les espèces et porte leur progrès évolutif. Cela paraît une pensée logique, mais c'est en fait un lourd contre-sens.

C'est la pression de sélection qui porte sur les plus faibles et les moins aptes, mais l'espèce gagnante est celle qui réussit au contraire à conserver ses faibles et ses moins aptes, pour plusieurs raisons :

• Conserver les soi-disant faibles, inadaptés, marginaux permet de conserver la diversité génétique et culturelle qui porte la capacité de s'adapter aux changements. Le « faible » peut être porteur d'une variation génétique d'intérêt insoupçonné qui permettra la survie de l'espèce dans le cadre d'une pression nouvelle ou particulière de sélection. La population faible, marginale peut porter des connaissances culturelles qui vont être vitales dans certains contextes.

• La notion d'aptitude est discutable : apte à faire quoi ? conserver un « faible physiquement » mais qui va inventer la théorie de la relativité est fortement utile à l'espèce, qui réussit cet exploit par le développement de ses instincts sociaux.

• Conserver les soi-disant faibles augmente la cohésion sociale du groupe (le « fort » du moment va devenir un « faible » un jour) et optimise de manière exponentielle les compétences collectives de l'espèce.

• Et dans ce domaine (à plusieurs on est infiniment plus forts que tout seuls), l'espèce humaine a eu un succès évolutif inédit. On peut parler de « succès » puisque notre espèce est la seule assez puissante pour menacer tout le vivant et donc se menacer elle-même. Pour le moment on est dans le cadre d'une victoire à la Pyrrhus : nous sommes victimes de notre réussite.

Homo sapiens est fondamentalement coopératif ! Et c'est bien Kropotkine qui a raison contre Hobbes.

Chez les collapsologues, on constate une inversion de l'histoire : on invente qu'Homo sapiens est fondamentalement égoïste pour inventer que la crise écologique pourrait le rendre coopératif, alors qu'en fait il est fondamentalement coopératif et que ses réflexes égoïstes prennent le dessus dès l'instauration des sociétés de classes.

5. Pourquoi alors sommes-nous sur une voie de garage qui ressemble à une impasse ?

La question est donc d'identifier pourquoi l'espèce humaine n'a pas mis ses compétences exceptionnelles (sociales et par prolongement cognitives) au service d'un mécanisme de contrôle conscient assurant sa survie.

Nous savons que les sociétés préindustrielles et surtout celles antérieures à l'époque néolithique étaient remarquables par la variété, la diversité de leurs systèmes culturels. Ces sociétés n'étaient pas exemptes de violence (il n'y a pas le « bon sauvage » du communisme primitif), mais la constante est l'invention et le maintien durant de longues périodes de mécanismes culturels de contrôle de l'individualisme, ce qui limitait de manière drastique les possibilités d'accaparement des ressources par des individus ou des minorités.

Ces sociétés n'étaient pas non plus exemptes de dépassements des limites. Ainsi, ce sont bien les populations humaines du paléolithique qui sont responsables en (grande) partie de la disparition de la mégafaune, sur de vastes espaces.

Mais ces impacts étaient limités par le faible nombre d'humains et leurs capacités techniques limitées. Ce n'est pas une question de différence de nature entre ces sociétés anciennes et celles d'aujourd'hui, mais une différence d'échelle.

Le moment de bascule vient de l'émergence de classes sociales dominantes qui, en captant les ressources pour leurs intérêts propres, en faisant ainsi « sauter le verrou » des mécanismes de contrôle de l'individualisme, entraînent toutes les sociétés humaines dans la dérive d'un productivisme sans limites, enclenchant à terme la crise écologique que nous connaissons aujourd'hui.

Et engageant de fait l'espèce humaine dans une voie à contre sens de l'évolution, qui, à l'inverse, avait sélectionné les instincts sociaux de coopération et d'entraide. Le capitalisme n'est pas un progrès, mais le dernier avatar d'un retour en arrière évolutif.

On peut situer ce moment de bascule il y a environ (suivant les régions de la planète) entre 12 000 et 8 000 ans. En sachant que des sociétés humaines ont résisté (jusqu'à aujourd'hui) à cette dérive. Et même dans les sociétés qui se sont engagées dans cette voie sans issue (99% des humains aujourd'hui…), les comportements de coopération n'ont jamais cessé. Toute l'histoire des sociétés humaines est celle des révolutions contre les classes dominantes et plus largement encore du maintien, de la diversification, de l'adaptation de systèmes culturels coopératifs. On nous dit que le moteur économique de nos sociétés industrielles est l'appât du gain en faisant abstraction de tous les comportements et investissements individuels non marchands, moteurs d'évolution des sociétés en fait beaucoup plus importants.

Il est remarquable aussi de constater que ce moment de bascule vers des sociétés de classes est aussi celui du basculement des sociétés vers le modèle patriarcal.

Il est temps d'aborder une question majeure : pourquoi cette bascule ? Si elle a eu lieu, c'est qu'elle a malgré tout représenté un avantage évolutif pour les populations concernées. Etait-elle alors fatale, comme une conséquence déterminée du processus évolutif de l'espèce ?

Vient évidemment à l'esprit la corrélation entre ce moment de bascule vers des sociétés de classes et patriarcales et l'émergence de l'agriculture comme système économique dominant.

On a alors une explication de bons sens : agriculture = sociétés de classes= crise écologique. Bref, on aurait dû rester comme avant ! C'était mieux !

Mais souvent le « bon sens » est un contre sens…et la corrélation n'est pas une preuve.

En effet, si certains systèmes agricoles (les céréales) ont pu favoriser la dérive, celle-ci n'est pas un produit fatal de l'économie. Il faut bien avouer que l'on n'a pas (et on aura peut-être jamais) la clé du problème. Tout au plus peut-on avancer une explication qui aura au moins le mérite de stimuler les recherches : l'avantage évolutif des sociétés patriarcales contrôlées par une classe dominante est certainement militaire. Ces sociétés ont été plus performantes pour écraser et faire disparaître les autres par la force. En quelque sorte l'émergence de l'agriculture aurait créé les conditions favorables pour la dérive, mais sans être une cause obligatoire.

Un avantage évolutif peut cependant être provisoire et constituer à terme un désavantage évolutif. On estime à quelques millions d'années le temps d'existence d'une espèce. Même si ceci est un constat sur le passé du vivant et n'exclut pas la possibilité d'un temps plus long, il n'en reste pas moins que si notre espèce ne contrôle pas (vite) la crise écologique, elle risque fort d'être bien loin du temps moyen en termes de durée de vie.

Et des successeurs « intelligents » qui dans 10 millions d'années se pencheraient sur l'étude du « moment Homo sapiens » seraient contraints de dire que le faible temps d'existence des humains était le signe d'une impasse évolutive et non d'un progrès.

Si l'on prend en compte l'explication de l'avantage militaire, on doit constater que la fragilité culturelle des populations humaines pour y résister s'appuyait sur une réalité : les instincts sociaux d'entraide et de coopération restaient « cantonnés » au clan et à la tribu. L'autre n'était pas considéré comme un humain. Un autre élément à prendre en considération est que les systèmes culturels de contrôle de l'individualisme étaient aussi porteurs de formes de négation de l'individu, donc de libertés.

Or la naissance récente de l'individu ne favorise pas l'individualisme et l'égoïsme (sublimé dans la création de classes sociales dominantes), mais c'est tout le contraire !

6. le processus de civilisation

L'évolution des sociétés humaines a eu comme conséquence une réalité factuelle : les populations humaines sont passées de quelques milliers d'individus à 8 milliards aujourd'hui et 9 milliards demain, ce qui évidemment change complètement le contexte.

A ce stade il est important d'aborder la question de l'augmentation de la population. Nous l'avons abordé sous l'angle positif (la naissance de l'humanité comme unité symbolique).

N'est-elle pas aussi ou surtout le principal problème ? C'est le concept « malthusien » de la « bombe P ». La crise écologique serait due au trop grand nombre d'humains. Cela parait effectivement de bon sens et encore une fois, le bon sens conduit au contre sens.

Et ce pour deux raisons :

• Les humains ont fabriqué leurs propres ressources. S'ils sont encore restreints par les ressources fondamentales (la diminution des matières premières et les limites énergétiques), nous savons aujourd'hui que l'essentiel des problèmes ne vient pas du nombre d'humains, mais de la façon dont ceux-ci impactent la biosphère. Et en particulier nous savons que les classes dominantes (le capitalisme aujourd'hui) portent (et de loin) la principale responsabilité dans la mauvaise gestion de la biosphère. La Terre peut en fait facilement faire vivre 10 milliards d'humains…sans crise écologique, ni climatique ni de biodiversité.

• La bascule démographique rebat les cartes. Cela n'avait pas été prévu par les démographes avant les années 1970 et évidemment pas par les écologistes. Partout le taux de renouvellement des populations n'est plus assuré. Ce phénomène qui est une tendance lourde d'origine sociale est accentué fortement par la diminution des capacités reproductives des humains. La population humaine va diminuer. Elle augmente encore pour quelques décennies par effet retard, puis va diminuer drastiquement. La « bombe P » existe donc, mais dans l'autre sens. Et ceci va poser d'innombrables problèmes.

Il a fallu un long « processus de civilisation » pour que l'augmentation de la population humaine et son interconnexion économique (la mondialisation) conduisent à l'existence symbolique de l'ensemble de l'espèce comme une tribu unique, pouvant partager les comportements d'entraide, d'empathie et de soutien.

Cela pose évidemment la question du sens de l'histoire (un processus de civilisation). On peut dire qu'il existe effectivement un sens de l'histoire porté par deux données factuelles : l'augmentation de la population (on ne pense pas de la même façon à 8 milliards interconnectés ou à 200 000 en populations éclatées et se rencontrant en fait très peu) et l'augmentation des connaissances portées par les facultés d'enseignement cumulatif et permettant donc de sortir des explications non matérialistes du monde.

Ainsi, le processus de civilisation est en fait paradoxal : il est construit par l'émergence de l'humanité comme une entité potentiellement solidaire, mais ceci s'est fait au détriment de la perte des mécanismes de contrôle de l'individualisme.

La crise écologique est donc à appréhender en quatre étapes, en sachant qu'il s'agit plus d'un continuum que d'étapes séparées clairement les unes des autres et que ces étapes ne signifient pas un déroulement historique mécanique. Si rien ne vient de rien, donc si l'étape 2 est bien le produit de l'étape 1, l'étape 2 n'est pas obligatoire dans sa forme. L'espèce aurait pu ne pas s'installer dans la voie de l'étape 2 mais dans une autre étape 2 et du coup l'étape 3 n'aurait pas eu lieu ou bien sous une forme totalement différente.

Pour comprendre ce fonctionnement, on peut faire appel à l'évolution des primates. L'espèce de primate phylogénétiquement la plus proche des humains est le Bonobo. Cette espèce est coopérative, non violente, non compétitive, non hiérarchique, utilise la sexualité comme une médiation sociale alors que notre espèce humaine est (à l'heure actuelle !) compétitive, hiérarchisée, violente et patriarcale (la seule espèce de primate dont les mâles peuvent tuer les femelles !). L'ancêtre commun à ces deux espèces a évolué dans deux directions totalement opposées.

Ces quatre étapes de la crise écologique, pensée comme une crise de dépassement des limites, sont les suivantes :

• Le dépassement des limites vient de fonctionnement même du vivant. Chez les autres espèces, le dépassement (permanent) se paie cher et la sélection naturelle vient rappeler très vite à l'ordre. Faute de ressources suffisantes dues au dépassement des limites, l'espèce décline jusqu'à revenir au niveau où elle ne fait plus porter une pression trop forte sur ses ressources.

• L'évolution, chez Homo sapiens, a conduit au développement de ses instincts sociaux, et dans un processus dialectique au développement de ses compétences cognitives, développement qui, du coup s'oppose à la sélection naturelle : c'est le principe réversif de l'évolution. Le premier « verrou » est débloqué, l'espèce humaine peut fabriquer, par son travail, ses propres ressources. De « singe nu », proie des grands prédateurs, Homo sapiens est devenu dominant et super-prédateur.

Ses compétences auraient dû alors lui permettre de gérer de manière organisée et coopérative ses limites (il avait tout pour cela puisque le dépassement des limites était lui-même conduit par ses compétences sociales), mais l'installation dans des sociétés de classes, dont le fonctionnement est dépendant des intérêts des classes dominantes en lieu et place de l'intérêt collectif de ses membres, permet de passer le deuxième verrou : la crise écologique se profile, le processus n'a plus de contrôle ou en tout cas le contrôle devient de plus en plus difficile.

• Le capitalisme constitue la quatrième étape. Cette forme d'organisation a deux conséquences : par le processus d'aliénation du travail la grande masse des humains n'a plus aucun contrôle sur son lien avec la nature et le capitalisme augmente de façon exponentielle la pression sur les ressources et induit des dysfonctionnement du système terre, conduisant à la crise écologique perceptible et prégnante : crise climatique, crise de biodiversité. A ce stade, l'emballement est possible et peut porter la disparition de l'espèce humaine et de beaucoup d'autres avec elle.

Si on a l'explication du problème de la crise écologique, on a du coup aussi les clés de la porte de sortie : l'émergence de l'espèce Homo sapiens est datée d'environ 300 000 ans, sa dérive sur une voie inverse à l'intérêt collectif de ses populations d'environ 12 000 ans, c'est-à-dire 4% de son existence. Nous sommes porteurs aujourd'hui d'un capital génétique et culturel (en coévolution) qui s'est construit pendant 96% de l'existence de notre espèce. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de la puissance et du maintien de nos comportements et compétences sociales et coopératives !

7. En conclusion provisoire

La sortie des sociétés de classes et donc du capitalisme est possible et peut nous permettre de sortir de la crise écologique. C'est une condition nécessaire même si elle n'est pas suffisante. Car il faudra beaucoup d'efforts matériels et surtout intellectuels pour écarter le danger. Et plus c'est tard, plus ce sera difficile.

Si je ne me trompe pas, les conditions objectives n'ont jamais été aussi favorables, voire c'est seulement à l'aube du 21e siècle qu'elles deviennent favorables.

Bien sûr on fera une objection : à l'heure de la montée des fascismes à l'échelle planétaire, peut-on penser que les conditions objectives sont favorables pour sortir de la période des sociétés de classes ?
Certes, la période précédente (du 19 ème siècle au milieu du 20 ème) a connu une classe ouvrière concentrée, ce qui participe des conditions objectives favorables. Mais c'est oublier que dans cette période les sociétés sont majoritairement rurales, ce qui participe des conditions objectives défavorables. En France en 2024, il reste moins de 400 000 exploitants agricoles et les sociétés sont de plus en plus urbaines.

La montée des fascismes peut être pensée comme un phénomène réactionnaire au sens historique. Face aux mouvements telluriques qui les menacent, les classes dominantes se défendent avec acharnement et regardent de nouveau vers le fascisme comme solution d'urgence.

Mais il me semble qu'il faut penser un autre problème : l'idée du socialisme est profondément altérée par les impostures, produits de l'échec des espérances de la révolution française. Et même l'idée de république (les citoyens souverains) est altérée par l'imposture bourgeoise, induisant un déficit d'image de la démocratie.

Imposture bourgeoise qui a réduit à néant le principe « Liberté Egalité Fraternité ». On assassine Robespierre quand il dit que la révolution cours à l'échec car elle est en train de « remplacer le pouvoir du sang par le pouvoir de l'argent ».

Imposture social démocrate. Il n'y a plus de réformisme. Il est remplacée par une adhésion au capitalisme des partis issus de la classe ouvrière.

Imposture stalinienne qui représente une contre révolution au bout de 10 ans, dès la mort de Lénine. Le point de bascule est l'exil de Trotsky. Il n'y a plus de socialisme dans la société stalinienne.

Comment en sortir ?

Dans le débat entre Hans Jonas (Heuristique de la peur) et Ernst Bloch (Principe espérance) , on comprendra que je me situe du côté de Bloch.

Il me paraît nécessaire de refonder le socialisme autour de ses valeurs historiques :

• Société démocratique, plus de démocratie et non moins de démocratie : allier démocratie directe et démocratie représentative et non les opposer, intégrer les référendums ou votations.

• Société égalitaire par la mise en place du revenu maximal acceptable et du patrimoine maximal acceptable.

• Et donc société fraternelle.

La question écologique devient alors centrale. Elle est la critique absolue du capitalisme car celui-ci est dans l'incapacité structurelle de la résoudre.

Frédéric Malvaud

BIBLIOGRAPHIE

Ces sources sont celles sur lesquelles je me suis appuyé pour ce texte (en positif et en négatif). Elles sont présentées dans l'ordre chronologique de mes lectures (2014-2024).

Je remercie vivement toutes celles et tous ceux qui m'ont tant aidé par leurs réflexions et objections dans les nombreuses discussions individuelles ou en collectif !

La 6e extinction, comment l'homme détruit la vie. Elizabeth Kolbert. La librairie Vuibert. 2014
Biodiversité, l'avenir du vivant. Patrick Blandin. Albin Michel. 2010

L'archipel de la vie. Jacques Blondel. Buchet Chastel. 2012

Philosophie de la biodiversité. Virginie Maris. Buchet Chastel. 2016

Biodiversité : vers une 6e extinction de masse. Billé, Cury, Loreau, Maris. La ville brûle. 2014
Darwin et le Darwinisme. Patrick Tort. Que sais-je ? Puf

La face cachée de Darwin, l'animalité de l'homme. Pierre Jouventin. Libre et Solidaire. 2014

De Darwin à Lévi-Strauss. Pascal Picq. Odile Jacob. 2013

Une planète trop peuplée ? Angus et Butler. Ecosociété. 2014

L'entraide, un facteur de l'évolution. Pierre Kropotkine. Aden Belgique. 2015

L'évènement anthropocène. Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz. Seuil. 2016

Darwinisme et Marxisme. Anton Pannekoek et Patrick Tort. Arkhé. 2011

Sommes-nous tous voués à disparaître ? Eric Buffetaut. Le Cavalier bleu. 2012

Théorie du sacrifice. Patrick Tort. Belin. 2017

L'impossible capitalisme vert. Daniel Tanuro. La découverte. 2010

L'intelligence des limites. Patrick Tort. Gruppen. 2019

Evolution, la grande aventure du vivant. Steve Parker, Delachaud et Niestlé. 2018.

Par-delà nature et culture. Philippe Descola. Folio. 2005

L'extinction d'espèce, histoire d'un concept et enjeux éthiques. Julien Delord. MNHN 2010

Raviver les braises du vivant. Baptiste Morizot. Actes Sud 2020

Biodiversité, le pari de l'espoir. Hervé Le Guyader. Le Pommier. 2020

La symphonie inachevée de Darwin. Kevin Laland. La découverte. 2022

Trop tard pour être pessimistes ! Daniel Tanuro. Textuel. 2020

Les paradoxes de la nature. Frédéric Thomas et Michel Raymond. Humen Sciences. 2022

Une brève histoire de l'extinction en masse des espèces. Franz Broswimmer. Agone. 2010

Les harmonies de la nature à l'épreuve de la biologie. Pierre-Henri Gouyon. Quae. 2020

L'origine des espèces. Charles Darwin. Flammarion. 2008

La filiation de l'homme. Charles Darwin. Honoré Champion. 2013

Introduction à l'évolution. Carl Zimmer. De Boek. 2012

Comprendre la notion d'espèce. Philippe Lherminier. Ellipses. 2018

Lettres sur les sciences de la nature. Marx et Engels. Editions sociales. 1973

Ecosocialisme. Mickaël Löwy. Mille et une nuits. 2011

Voyage dans l'anthropocène. Claude Lorius et Laurent Carpentier. Actes Sud. 2010

Le Marxisme ouvert et écologique de Mickaël Löwy. Arno Münster. L'Harmattan. 2019

Dialectique de la nature. Friedrich Engels. Editions sociales. 1952

Guide critique de l'évolution. Guillaume Lecointre. Belin. 2021

Qu'est-ce que le matérialisme ? Patrick tort. Belin. 2007

Planète vide. Darrell Bricker et John Ibbitson. Les arènes. 2019

Une planète trop peuplée, le mythe populationniste. Ian Angus et Simon Butler. Ecosociété. 2014

L'odyssée des gènes. Evelyne Heyer. Flammarion. 2020

Au commencement était…une nouvelle histoire de l'humanité. David Graeber et David Wengrow. Les liens qui libèrent. 2021

Les dix millénaires oubliés qui ont fait l'histoire. Jean-Paul Demoule. Fayard. 2017

Et l'évolution créa la femme. Pascal Picq. Odile Jacob. 2020

Homo domesticus. James C. Scott. La Découverte. 2019

Avant l'histoire. Alain Testart. Gallimard. 2012

Evolution, la grande histoire du vivant. Steve Parker. Delachaux et Niestlé. 2018

Une histoire des civilisations. Jean-Paul Demoule, Dominique Garcia et Alain Scnapp. La Découverte. 2018

La vie large, Manifeste écosocialiste. Paul Magnette. La Découverte. 2022

Le vivant et la révolution. Bram Büscher et Robert Fletcher. Actes Sud. 2023

Ecologie et Socialisme. Mickaël Löwy et Al. Syllepse. 2005

L'homme peut-il accepter ses limites. Bœuf et Al. Quae. 2017

Rien n'est joué. Jacques Lecomte. Les arènes. 2023

Sapiens face à Sapiens. Pascal Picq. Champs. 2019

Démystifier le vivant. Guillaume Lecointre. Un monde qui change. 2023

L'homme, cet animal raté. Pierre Jouventin. Libre et solidaire.2020

La collapsologie ou l'écologie mutilée. Renaud Garcia. L'échappée. 2020

Les limites planétaires. Aurélien Boutaud et Natacha Gondran. La découverte. 2020

Gouverner la biodiversité. Vincent Devictor. Quae 2021

Pour sauver la planète, sortez du capitalisme. Hervé Kempf. Seuil. 2009

L'encerclement. Barry Commoner. Seuil. 1972

Ecofascismes. Antoine Dubiau. Grevis. 2022

Comment les riches détruisent la planète. Hervé Kempf. Seuil. 2007

La nature contre le capital. Kohei Saïto Syllepse. 2021

Les chasseurs cueilleurs ou l'origine des inégalités. Alain Testart. Gallimard 2022

Extinctions, du dinosaure à l'homme. Charles Frankel. Seuil. 2016

Comment tout peut s'effondrer. Pablo Servigne et Raphael Stevens. Points. 2021

Les européens et leurs valeurs. Pierre Bréchon. 2023

L'âge de l'empathie. Franz de Waal. 2010

Les limites planétaires. A. Boutaud et N. Gondran. 2020
P.-S.

• Intervention présentée à la 16e Université d'été du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qui s'est tenue du 25 au 28 août 2024 à Port Leucate.

• Frédéric MALVAUD, né en 1956 est un militant associatif dans le domaine de l'environnement depuis plusieurs décennies. Il a eu et a encore des responsabilités nationales ou régionales dans les grandes associations environnementales (généralistes ou spécialisées dans la défense et l'étude de la biodiversité). Il a été membre du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (Haute-Normandie) et président du Conseil scientifique de la réserve de l'estuaire de la Seine. Son domaine de prédilection est l'étude de l'avifaune (ornithologie). Il est retraité de l‘enseignement. Il habite en Normandie, dans le Cotentin (département de la Manche). Il a rejoint dès sa création les « Naturalistes des terres ».

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Records de chaleur en août : L’ONU lance une alerte rouge

10 septembre 2024, par Kamel Benelkadi — ,
La hausse de la température mondiale sur le long terme est due à l'augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, qui a atteint des niveaux record (…)

La hausse de la température mondiale sur le long terme est due à l'augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, qui a atteint des niveaux record en 2022. La température moyenne à la surface de la Terre a grimpé à 1,45° Celsius de plus que les niveaux préindustriels de 1850-1900.

5 septembre 2024 | tiré du site d'El Watan | Photo : Le Dr Celeste Saulo, secrétaire générale de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), lors de la présentation du rapport sur l'état du climat mondial 2023 - Photo : D. R.
https://elwatan-dz.com/records-de-chaleur-en-aout-lonu-lance-une-alerte-rouge

Les records de chaleur en août sont synonymes d'« alerte rouge », a déclaré hier à Singapour la directrice de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), affirmant que ses services sont « inquiets mais pas paralysés ». Pour la deuxième année consécutive, la température mondiale moyenne en août a atteint des niveaux historiques, selon des données préliminaires publiques du programme d'observation de la Terre de l'Union européenne, Copernicus.

L'Australie, le Japon, plusieurs provinces de Chine ou encore le Svalbard, un archipel norvégien situé dans l'Arctique, ont connu leur mois d'août le plus chaud, selon les différents organismes météorologiques locaux. « Pour nous, c'est une alerte rouge.

Il est clair que les températures augmentent au-delà de ce que nous souhaiterions », a déclaré Celeste Saulo, directrice de l'OMM. Bien que la température moyenne mondiale exacte pour août 2024 ne soit pas encore connue, Copernicus a établi qu'elle serait supérieure au record de 16,82°C mesuré en août de l'année dernière. La directrice de l'OMM a également appelé à un meilleur suivi et à un meilleur soutien des agences météorologiques.

Août 2024 poursuit donc une série quasi ininterrompue de 15 mois où les températures moyennes du globe ont atteint une chaleur historique, synonyme de canicules, de sécheresses et de tempêtes. Aux yeux de l'OMM, « l'atténuation ne suffit pas. L'adaptation est une obligation ».

Pour beaucoup, il s'agit d'une question de vie ou de mort. Face à des défis environnementaux sans précédent, l'organisation veut dépasser le stade de simple observateur en étant plutôt appelée à être parmi les acteurs du changement.

La décennie 2014-2023 est la plus chaude jamais observée, dépassant la moyenne 1850-1900 de 1,20°C. La hausse de la température mondiale sur le long terme est due à l'augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, qui a atteint des niveaux records en 2022.

L'arrivée du phénomène El Niño au milieu de l'année 2023 a également contribué à la montée rapide des températures, selon l'OMM. Une étude récente indique que les événements El Niño réduisent considérablement la croissance économique mondiale, « un effet qui pourrait s'intensifier à l'avenir ».

Jamais, nous n'avons été aussi proches – bien que temporairement pour le moment – de la limite inférieure fixée à 1,5°C dans l'Accord de Paris sur les changements climatiques, adopté le 12 décembre 2015 lors de la 21e session de la Conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui a eu lieu dans la capitale française du 30 novembre au 13 décembre 2015.

Cette limite, autrefois perçue comme un seuil à ne pas franchir, semble aujourd'hui sur le point d'être dépassée, remettant en question la capacité de la communauté internationale à contenir le réchauffement global.

L'Accord de Paris avait été salué comme un pas historique vers la protection du climat, engageant les pays signataires à limiter l'augmentation de la température mondiale bien en dessous de 2°C, avec un objectif plus ambitieux de 1,5°C.

Cependant, les efforts pour atteindre ces objectifs se révèlent insuffisants face à l'accélération des phénomènes climatiques extrêmes : vagues de chaleur record, incendies dévastateurs, inondations, sécheresses prolongées et fonte accélérée des glaces polaires.

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Lettre ouverte : Comment lutter contre la misogynie, les réponses erronées à la violence à l’égard des femmes et les effets traumatisants des services de police et de justice pénale

10 septembre 2024, par Dr Jessica Taylor — , ,
Cette lettre ouverte est adressée au gouvernement britannique, aux dirigeants des services sociaux, aux corps policiers et aux services de protection de l'enfance (SPE). (…)

Cette lettre ouverte est adressée au gouvernement britannique, aux dirigeants des services sociaux, aux corps policiers et aux services de protection de l'enfance (SPE).

Tiré de Entre les lignes et les mots

Je vous écris ouvertement aujourd'hui pour aborder certains thèmes clés qui sont ressortis de mes cinq années de travail avec les forces de police et les SPE autour des questions de misogynie, de violences à l'égard des femmes et des jeunes filles (VFJF) et de maintien de l'ordre, en tenant compte des traumatismes constatés.

J'ai travaillé en étroite collaboration avec de nombreuses forces de police sur leur approche de la misogynie, de la violence à l'égard des femmes et du maintien de l'ordre tenant compte des traumatismes, et j'ai récemment terminé la rédaction d'une nouvelle formation tenant compte de ces traumatismes pour les SPE, qui sera déployée à l'échelle nationale. Je viens d'avoir le plaisir de mettre en place un programme d'apprentissage contre la misogynie et les traumatismes pour les experts en apprentissage et développement d'un service de police, qui devra revoir tous les intrants et matériels de formation dans l'ensemble de la force policière du pays (ce qui n'est pas une mince affaire).

(What Would Jess Say ?est une publication financée par les lecteurs. Pour recevoir de nouveaux articles et soutenir mon travail, envisagez de devenir un abonné gratuit ou payant.)

J'ai également mené des audits portant sur les attitudes et les connaissances de milliers de policiers de tous grades, et j'ai évalué l'impact de leur formation et des apports reçus. Cela fait cinq ans que je travaille sur ces enjeux et j'aimerais vous faire part de mes observations, qui pourraient être utiles à tous ceux qui participent à ce travail, d'autant plus que nous avons davantage de conversations cette semaine sur la violence à l'égard des femmes et sur des problèmes de misogynie au sein de la police et des SPE.

J'ai remarqué certains thèmes répétitifs dans plus de 15 corps policiers et au sein des SPE, et je me demandais si vous souhaiteriez en discuter ou y réfléchir dans le cadre de votre propre travail. Bien que je sois tout à fait favorable à l'évolution vers une police et une justice anti-misogynie et tenant compte des traumatismes, il reste de nombreux obstacles à franchir pour que nous puissions tous et toutes adopter cette approche. Avant de lire ce qui suit, veuillez noter que j'écris ce message dans l'espoir de vous apporter le plus grand soutien possible. J'ai rencontré et travaillé avec des centaines d'officiers, d'employés et de dirigeants brillants pendant cette période, et j'ai passé beaucoup de temps à parler honnêtement avec eux de leurs préoccupations, de certains malentendus, de leurs ressources, de leurs capacités, de leurs problèmes de formation, de leurs processus de promotion, de recrutement et de sélection, de leurs compétences en matière de gestion, de leurs normes et de leurs problèmes de comportement. Je formule les observations suivantes afin que nous puissions tous et toutes collaborer pour aller de l'avant de la meilleure façon possible. J'ai le privilège d'avoir travaillé avec des milliers d'agents au cours des cinq dernières années et d'avoir entrepris des évaluations avec eux dans des forces rurales et urbaines et dans des équipes de tailles différentes. J'ai écouté attentivement ces personnes et les schémas problématiques apparaissent clairement. J'aimerais travailler avec tout le monde pour répondre aux observations ci-dessous, dans l'intérêt de tout le monde. Le personnel en cause mérite une approche fondée sur les traumatismes pour lutter contre l'épuisement professionnel, les traumatismes indirects et la fatigue. Les victimes et les témoins méritent un meilleur service que celui offert actuellement. Le public doit en venir à faire à nouveau confiance à la police et aux SPE.

Vous trouverez ci-dessous mes observations et mes conclusions pour l'ensemble du Royaume-Uni :

Misogynie et violence à l'égard des femmes et des jeunes filles

* De nombreux services de police comprennent mal la misogynie et croient fermement que la formation sur la misogynie est une pratique de « dénigrement des hommes » – un préjugé que j'ai réussi à surmonter dans chaque corps policier – il existe une technique pour mettre fin à ce préjugé.

* Dans certains cas, des équipes de formation de leaders ou d'officiers en chef suggèrent que la misogynie et les mauvaises pratiques se situent entièrement au niveau des officiers et des sergents, et ne sont pas disposées à considérer leur propre leadership et leur rôle dans l'entretien de la misogynie et des réponses erronées à la violence à l'égard des femmes. Dans d'autres, ils sont beaucoup plus disposés à examiner leur propre rôle.

* Dans plusieurs services de police, les équipes de formation présentent des divisions, environ 40-50% de l'équipe acceptant que la misogynie existe en tant que problème systémique et personnel, et le reste niant son existence ou sa présence.

* Ce ne sont pas tous les corps policiers qui parviennent pas à comprendre ou à reconnaître la misogynie intériorisée et, pour autant que je sache, je suis la seule personne à mener un travail substantiel sur cette question – on ne peut pas s'attaquer à la misogynie dans la police sans parler de la misogynie intériorisée. Les femmes font partie de ce problème, et beaucoup d'entre nous soutenons la misogynie, la culpabilisation des victimes et le mépris des femmes et des jeunes filles. C'est dire que même lorsque des femmes constituent la majorité des équipes de direction, la misogynie n'en est pas pour autant atténuée.

* La misogynie n'est jamais isolée et les corps policiers ratent souvent des occasions cruciales d'utiliser ce temps pour inclure dans les formations certaines discriminations croisées telles que le racisme et l'homophobie, qui coexistent souvent avec la misogynie.

* Des mythes et des idées fausses sur les traumatismes, la santé mentale, les agressions, le viol et d'autres délits font surface dans le contexte d'enquêtes et de poursuites et doivent être déconstruits à la fois dans les services de police et au sein des SPE.

* Les SPE sont disposés à changer et j'élabore actuellement pour eux une ressource sur la capacité à utiliser des éléments probants pour lutter contre les mythes et les idées fausses utilisés contre les femmes et les filles dans les affaires de violence à l'égard des femmes ; je mettrai également cette ressource gratuite à la disposition de toutes les corps policiers, afin de garantir que tout le monde dispose de la même base de données.

* La culpabilisation des victimes est courante, tout comme l'auto-culpabilisation – c'est quelque chose que je peux briser avec succès et notre évaluation démontre des taux élevés de réussite.

* Plusieurs corps de police ont développé des cultures antiféministes dans lesquelles tout argument lié à la violence à l'égard des femmes est instantanément détesté et mal ressenti, et les campagnes pour le changement ne fonctionnent pas en raison de ce ressentiment croissant envers une vision déformée du féminisme – j'ai réussi à démonter ce sentiment à plusieurs reprises, mais il est parfois très ancré.

* La violence à l'égard des femmes représente aujourd'hui plus d'un cinquième des délits enregistrés, ce qui signifie que tous les agents doivent comprendre l'ampleur, les types, les cultures, les attitudes, les impacts et les mythes liés à la violence à l'égard des femmes et à la misogynie afin de pouvoir faire leur travail efficacement.

* Lorsque nous interrogeons des policières et des membres féminins du personnel, moins de 1% d'entre elles déclarent qu'elles signaleraient un viol ou une agression sexuelle si cela leur arrivait. La majorité des policières ne font pas confiance au système de justice pénale et choisissent de ne pas porter plainte lorsque cela leur arrive.

* Nous avons testé auprès de milliers d'agents la réceptivité à des énoncés tels que « Si une femme se comporte comme une traînée, elle mérite tout ce qui lui arrive ». Dans certains services, le taux d'accord sur cette question est de 20% des agents. Le taux d'accord moyen est d'environ 10%.

* La plupart des forces ont des problèmes avec les nouvelles recrues qui arrivent par le biais d'une promotion (uplift). Les nouvelles recrues sont plus susceptibles de s'envoyer des sextos, d'avoir des comportements inappropriés, et ils présentent des niveaux plus élevés d'agression sexuelle et de coercition sexuelle, ainsi que de brimades misogynes. Leur taux de rotation est plus élevé que prévu dans plusieurs corps de police et les enquêtes du Service des normes professionnelles à leur sujet sont plus nombreuses qu'à l'accoutumée.

* J'ai rencontré quelques corps policiers dans lesquels les mythes et les attitudes l'emportent sur la loi. Deux exemples datant de l'année dernière : une équipe a déclaré qu'elle pensait qu'avoir des relations sexuelles avec une femme endormie sans son consentement était légal, qu'il s'agissait d'une perversion et que cela ne relevait pas de la police. Une autre équipe a affirmé que l'étranglement des femmes lors de rapports sexuels relevait d'un choix personnel et ne constituait pas un délit – et que les femmes aimaient cela. Plusieurs équipes ne sont pas en mesure d'expliquer la Loi de 2003 sur les infractions sexuelles et ne savent pas comment définir précisément le consentement.

* Certains tribunaux se heurtent au sexisme et à la misogynie de leur région. Dans certains corps policiers, on peut prédire si une affaire de viol ou d'agression sera jugée coupable uniquement en fonction de l'endroit où le jury sera sélectionné. Cela signifie que certaines équipes de Viols et Agressions Sexuelles Graves (RASSO) se sentent démoralisées et ont l'impression qu'il est inutile d'essayer de monter un dossier de viol ou d'agression sexuelle en raison de la culture locale de la population qui fera partie du jury.

* Dans presque tous les corps de police avec lesquels j'ai travaillé, on évoque la façon dont la misogynie et le sexisme sont devenus un « mot à la mode » et on les compare à la façon dont les expressions « BLM » et « antiracisme » ont été utilisées, avant qu'elles ne tombent en désuétude et qu'on ne s'y intéresse plus comme elles le méritent. Nous n'avons jamais traité notre racisme institutionnalisé, mais l'accent a changé, et maintenant les officiers et les dirigeants se sentent blasés. Bien que je ne considère pas cela comme une excuse pour l'inaction, lorsque les agents ont vu des campagnes et des enjeux se succéder, mais sans succès, sans réel changement, il est logique qu'ils pensent que cela se produira avec la misogynie et la violence à l'égard des femmes, et qu'ils décrochent.

* Certains avocats des SPE sont misogynes, blâment les victimes et posent des problèmes bien connus dans certaines équipes RASSO. Dans d'autres régions, il y a de brillants avocats des SPE qui entretiennent d'excellentes relations avec les équipes RASSO et apportent à la police le soutien dont elle a besoin pour enquêter et obtenir des inculpations. Mais ce soutien est très disparate et peu cohérent. Certains corps policiers essaient d'éviter certaines personnes ou ont déposé en vain plusieurs recours à ce sujet.

* Il existe des commissaires de police (PCC) qui ne sont pas respectés ou auxquels leurs corps policiers respectifs ne font pas confiance. Il s'agit généralement de commissaires connus pour leur misogynie ou leur manque de respect à l'égard des femmes, et pour lesquels aucune mesure n'a été prise en vue de les démettre de leurs fonctions. Lorsque les corps policiers font l'objet d'un examen (justifié) concernant leur propre conduite et leur misogynie, il n'est ni efficace ni équitable d'avoir des PCC qui sont réputés localement ou à l'échelle nationale pour leur misogynie ou leurs comportements sexuels inappropriés.

* Il en va de même pour le leadership – dans certains corps de police, il existe une culture de « l'échec ascensionnel » dans laquelle des hommes qui se sont montrés agressifs, misogynes ou qui ont eu des comportements sexuels inappropriés ont été simplement écartés latéralement ou « congédiés vers le haut » parce que personne ne voulait travailler avec eux. Plusieurs forces armées en parlent ouvertement, mais cela signifie que certaines équipes de formation de leaders comptent en leur sein des personnes ouvertement misogynes, sans qu'aucune mesure ne soit prise pour y remédier. Cela entraîne un manque de confiance de la part du reste du corps policier, qui cesse d'écouter ces formateurs.

* Certains corps policiers sont dans le déni de leurs niveaux de misogynie et de sexisme – cependant, j'ai constaté que cela était plus courant dans les organisations situées dans les zones aisées du sud du pays. Cela se traduit parfois par une attitude du type « nous sommes meilleurs que les autres régions, nous n'avons pas de problèmes/de personnes comme ça ici ». Il existe des cultures de préservation de la réputation et de relations publiques qui passent avant la nécessité de refléter et de résoudre les problèmes de misogynie et de racisme.

Une police et une justice informées des traumatismes

* De nombreux corps policiers ne comprennent pas ce que signifie « tenir compte des traumatismes » et utilisent de nombreuses approches différentes qui ne sont ni cohérentes ni fondées sur des données probantes.

* La plupart des personnes, y compris les dirigeants et les spécialistes des forces de police, ne peuvent pas définir ce qu'est une police « informée des traumatismes » lorsque je leur pose la question.

* Les corps policiers ne considèrent pas que pour être informés des traumatismes, ils doivent également traiter les traumatismes indirects vécus par leur personnel. Les forces de police doivent de toute urgence se pencher sur de tels traumatismes, ainsi que sur l'épuisement professionnel et l'usure de la compassion de leurs propres agents et membres du personnel.

* Cela fait maintenant plusieurs années que nous proposons des modules sur le traumatisme vicariant dans les forces de police, et de nombreux problèmes nous sont signalés – l'impact psychologique du travail n'est pas suffisamment pris en compte par les équipes de santé au travail.

* L'ampleur du travail visant à mettre en place une police qui tienne compte des traumatismes est vaste et détaillée, et comprend une révision polyvalente, allant de la formation des nouvelles recrues sur les traumatismes et les agressions à la manière dont la police répond aux appels en matière de santé mentale.

* La police est invitée à recueillir et à réclamer une quantité importante de documents auprès de tierces parties, en particulier pour les infractions RASSO, et ce dans des proportions exagérées et inutiles – c'est un point que j'ai soulevé auprès des SPE et que je continuerai à encourager les officiers de police à contester avec plus d'assurance.

* Les dossiers de santé mentale sont utilisés contre les victimes et les témoins, ce qui n'est pas compatible avec une police tenant compte des traumatismes ou avec la Loi sur l'égalité de 2010.

* L'utilisation des forces de police comme service pour traiter les crises, les suicides, les automutilations et les traumatismes brouille les frontières entre leur rôle dans la criminalité et leur rôle dans la « sécurité ». Cela signifie qu'il n'est pas possible de mettre en place une police tenant compte des traumatismes, car des policiers sont envoyés auprès de personnes en détresse, qui sont ensuite encore plus traumatisées par la présence de la police, ou détenues en vertu de la Loi sur les droits de l'homme ou escortées/enlevées vers un autre endroit. Ce problème se pose également lorsque des ambulanciers ou du personnel médical se rendent à certaines adresses, où est signalé un problème de « santé mentale ». En raison de la pathologisation et de certains stéréotypes, la police est alors enrôlée pour accompagner le personnel médical, alors que ni les ambulanciers ni la police ne sont formés de manière adéquate pour répondre d'une manière respectueuse des traumatismes à une personne en détresse et traumatisée.

* Le programme du College de formation policière (College of Policing) se contredit en plusieurs endroits et applique des approches qui ne tiennent pas compte des traumatismes, tout en exigeant des forces qu'elles en tiennent davantage compte. Cette situation est due à une mauvaise compréhension de l'approche théorique d'un point de vue tenant compte des traumatismes. Il ne s'agit pas simplement d'accepter que les traumatismes existent et ont un impact sur les personnes.

* Les avocats et le personnel des SPE sont traumatisés, désensibilisés et épuisés. J'ai discuté avec nombre d'entre eux qui m'ont parlé de leur propre traumatisme vicariant et de la manière dont il n'est ni abordé ni discuté.

* Les équipes de santé au travail ne sont pas informées des traumatismes, parce qu'elles regroupent principalement des professionnels du modèle médical. On voit donc de plus en plus d'officiers de police se faire dire qu'ils ou elles souffrent de malade mentale, de TDAH ou d'autisme, au lieu que leur traumatisme et leur épuisement au travail soient validés ou soutenus. J'entends de plus en plus d'officiers de police me dire qu'ils ont récemment été évalués pour un TDAH alors qu'ils avaient consulté l'équipe de santé au travail lorsqu'ils étaient traumatisés ou affectés par un incident. Il s'agit d'une mauvaise pratique, d'une pathologisation et d'une approche inutile qui peut avoir un impact sur leur carrière et leur vie future.

* Le langage psychiatrique et les malentendus sont fréquents. J'ai travaillé avec des équipes du Département des homicides qui croient sincèrement que toutes les personnes qui commettent des homicides sont « schizophrènes » et « psychotiques ». De nombreux agents en ont conclu que tous les meurtriers sont des malades mentaux, car ils ne pourraient pas tuer quelqu'un autrement. Ce n'est pas exact, et leur travail de police et d'enquête est affecté par leur manque de connaissances.

* Des policiers orientent des femmes et des jeunes filles vers des services de santé mentale à la suite d'un crime ou d'un traumatisme grave, où on diagnostique alors à la victime un trouble mental ou un trouble de la personnalité qui est ensuite utilisé pour la discréditer en tant que personne non fiable et mentalement instable – nous constatons des impacts de cette pratique sur nos propres dossiers. Les officiers de police les renvoient à la police parce qu'il n'y a pas d'autres solutions qui tiennent compte des traumatismes vécus par ces femmes.

* Le matériel de formation sur ces sujets (lorsqu'il existe) est souvent inexact ou contient des exemples de cas ou des ressources inappropriés, traumatisants, trop descriptifs ou inutiles.

Comme vous pouvez le constater à la lecture de cette liste, il existe des domaines considérables à développer dans les services de police et les services de protection de l'enfance. Il y a beaucoup d'autres observations, mais ce sont celles qui, à mon avis, nécessitent une conversation urgente.

S'orienter vers une police et une justice anti-misogynie et tenant compte des traumatismes est la bonne chose à faire, mais ce n'est pas une mince affaire. Dans certains endroits, cela est compris et la force ou l'équipe considère cela comme un processus lent et prudent. Dans d'autres, des cours de formation d'une demi-journée sur « la prise en compte des traumatismes » ou « la misogynie et le sexisme » sont totalement inadéquats, imprécis, dépourvus de preuves ou de compréhension philosophique et compliquent le travail de la police.

Notre approche du changement culturel doit s'étendre à l'ensemble des forces de police et à l'ensemble du système judiciaire. Ce changement est possible, mais nous devons l'envisager comme une réforme et un développement à grande échelle. Cela ne se fera pas rapidement.

Je travaille aux côtés et au sein du système de justice pénale depuis l'âge de 19 ans, et il est très important pour moi que nous abordions ces questions pour le bénéfice de tout le monde. Je me réjouis de toute discussion avec des responsables, des membres du gouvernement, de la police, de la justice ou des services publics qui souhaiteraient s'atteler à la résolution des problèmes exposés dans cette lettre.

J'ai publié un article qui pourrait vous intéresser. Celui-ci se concentre sur la manière dont la psychiatrie peut être utilisée à mauvais escient en droit, en particulier dans le cadre de la lutte contre la violence à l'égard des femmes, où les femmes et les jeunes filles sont considérées comme malades mentales, peu fiables ou non crédibles alors qu'elles sont traumatisées par les crimes commis à leur encontre – le lien se trouve ici :4 ways ‘mental health' is misused in criminal and family law (substack.com)
En 2022, j'ai également publié un guide à l'intention des services statutaires afin d'étudier comment mettre en œuvre des approches de la violence à l'égard des femmes qui soient fondées sur les traumatismes dans les services de police, de santé, d'aide sociale et d'éducation. Ce document contient des listes de contrôle des changements à apporter :
https://irp.cdn-website.com/4700d0ac/files/uploaded/Implementing%20TI%20Approaches%20to%20VAWG%20-%20VictimFocus%202022.pdf
Merci de m'avoir lue aujourd'hui. Je comprends que ce document est probablement assez lourd à lire et qu'il donne beaucoup à réfléchir, que l'on soit un professionnel ou un membre du public.

Je ne voudrais pas que tant d'expérience et tant d'observations importantes au cours des cinq dernières années dans les forces de police soient gaspillées.

Avec notre nouveau gouvernement, qui a promis de s'attaquer à la violence à l'égard des femmes et à la crise croissante des traumatismes et de la santé mentale, j'ai voulu fournir des points utiles et clairs pour le changement et le développement.

N'hésitez pas à partager et à envoyer cette lettre à d'autres personnes intéressées par la lutte contre la misogynie, la violence à l'égard des femmes, les traumatismes et l'épuisement professionnel dans notre système de justice pénale.

Je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées,
Dr Jessica Taylor
(PhD, AFBPsS, CPsychol, FRSA, PGDip)
Directrice générale de VictimFocus
Courriel : Jessica@victimfocus.org.uk
Visitez-nous : http://www.victimfocus.com

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Pourquoi les programmes de prévention des violences sexuelles ne marchent pas

10 septembre 2024, par Josephine Lethbridge — , ,
Les taux de violences sexuelles sur les campus universitaires américains n'ont pas bougé entre 1985 et 2015. Ils auraient même augmenté depuis 2015. Et ce, malgré des millions (…)

Les taux de violences sexuelles sur les campus universitaires américains n'ont pas bougé entre 1985 et 2015. Ils auraient même augmenté depuis 2015. Et ce, malgré des millions de dollars dépensés par le gouvernement américain et les universités dans des programmes de recherche et de prévention des violences sexuelles. Depuis des années, ces chiffres laissent les élu·es et les scientifiques perplexes. Comment expliquer cela ?

Photo et article tirés de NPA 29

Aujourd'hui, une nouvelle méta-analyse (une étude qui combine et analyse les résultats de nombreuses études précédentes sur un sujet), qui rassemble toutes les études publiées jusqu'alors partout dans le monde, a révélé la réponse. Il semblerait que la théorie de longue date derrière ces programmes soit fondamentalement erronée.

Pendant des décennies, les expert·es en sciences sociales sont parti·es d'un principe simple : si l'on change les attitudes ou les idées des gens sur les violences sexuelles, cela entraînera un changement de comportements, et donc une diminution de la violence.

Ainsi, la grande majorité des programmes de prévention des violences sexuelles dans le monde ont ciblé l'esprit : ce que les gens pensent et croient au sujet des violences sexuelles, de pourquoi elles se produisent, du type de personne qui les perpétue et qui en sont victimes. Une cible centrale de ces programmes sont les “mythes sur le viol”, comme l'idée que “certaines femmes méritent d'être violées” ou que “quand les femmes disent non, en fait elles veulent dire oui”.

Un grand nombre d'interventions analysées dans cette étude a réussi à contrer ces mythes sur le viol. Mais la diminution de la violence qui aurait dû suivre n'a pas été observée. Quand les équipes de recherche ont observé une réduction de la violence, elle était minime par rapport au degré de changement des manières de penser des gens. L'hypothèse selon laquelle nos pensées sont la cause principale de notre comportement a guidé les efforts de réduction des violences sexuelles depuis le début. Mais d'après cette nouvelle étude, cette hypothèse serait faussée.

D'après l'OMS, environ 1 femme sur 3 dans le monde a subi des violences sexuelles physiques. Et des chiffres de 2017 ont révélé que plus de 50 % des femmes et presque un homme sur trois sont touché·es aux États-Unis. Dans ce contexte, cette étude fait office de “signal d'alarme accablant pour le domaine de la prévention des violences sexuelles”, comme l'a observé une experte en réponse à cet article.

Voici la preuve

La méta-analyse a couvert 295 études menées dans 13 pays entre 1985 et 2018. La plupart (89 %) ont été menées aux États-Unis, et la majorité de celles-ci se sont concentrées sur les campus universitaires – où la majorité de la recherche sur la prévention des violences sexuelles a été effectuée dans le monde.

L'équipe de recherche a identifié trois périodes distinctes dans les programmes de prévention des violences sexuelles : une période initiale où les programmes se concentraient sur l'éducation des adolescent·es sur les violences dans les relations amoureuses ; une deuxième qui ciblait l'empathie des hommes envers les victimes de violences sexuelles par le biais de programmes éducatifs ; et une troisième phase (encore dominante aujourd'hui) qui, au lieu de cibler les victimes ou les coupables potentiels, vise à encourager l'action des témoins et de la communauté grâce à des programmes éducatifs qui encouragent les gens à aider les personnes en danger et à dénoncer les idées sexistes.

Bien que ces trois périodes adoptent des approches assez différentes, les chercheuses ont constaté que la théorie sous-jacente restait la même : l'hypothèse que pour changer le comportement, il faut changer les idées des gens. Elles ont découvert qu'aucune de ces approches n'avait d'effet sur les taux d'agression. Changer ce que les gens pensent des violences sexuelles ne semble tout simplement pas changer leur comportement.

J'ai parlé à deux expertes sur le sujet : Ana Gantman, professeure de psychologie au Brooklyn College (CUNY), qui a cosigné l'étude, ainsi qu'une des auteures d'un commentaire accompagnant l'article : Elise Lopez, directrice adjointe du programme de violences relationnelles à l'Université de l'Arizona. J'ai été surprise de constater que, plutôt que d'être découragé·es, les deux chercheuses étaient assez optimistes quant aux résultats.

Elise Lopez a expliqué : “Je n'ai pas été surprise par ces résultats, j'étais plus enthousiaste qu'autre chose. Ils montrent le combat que moi, et d'autres chercheuses et chercheurs, avons mené pendant des années. Si nous dépensons des millions de dollars dans la recherche et les programmes de prévention, pourquoi les chiffres n'ont-ils pas changé depuis plus de 30 ans ? Maintenant, nous avons des pistes concrètes sur le pourquoi. Quand vous identifiez un défaut fondamental, vous pouvez arrêter de tourner en rond et saisir l'opportunité de créer quelque chose de nouveau.

Un changement radical

L'article m'en a rappelé un autre dans un domaine très différent : la crise climatique. Il y a trois ans, le neuroscientifique Kris de Meyer et ses collègues ont avancé que les personnes qui travaillent sur le climat devraient arrêter d'essayer de persuader les gens que le changement climatique est un problème, et raconter plutôt des histoires d'action. “Les croyances populaires”, ils écrivent, racontent que l'augmentation de la compréhension des gens sur le changement climatique serait un “préalable nécessaire” à l'action et au changement de comportement. Mais “dans la vraie vie, les relations entre croyances et comportement vont souvent dans la direction opposée : nos actions changent nos croyances.”

La réalisation similaire dans le domaine de la prévention des violences sexuelles fait-elle partie d'une réévaluation plus générale de l'idée que changer les attitudes des gens peut changer leur comportement ?

“Absolument”, affirme Ana Gantman. “Les psychologues savent qu'il y a un fossé entre ce que nous pensons, ce que nous voulons, ce que nous croyons et ce que nous faisons réellement.”

Cela s'explique peut-être par le fait que la relation entre les deux est purement “probabiliste”. Des obstacles nous empêchent d'agir comme nous aimerions agir dans un monde idéal. Elle me donne un exemple : une personne pourrait vouloir réagir si elle entend quelqu'un faire une blague sexiste, mais sur le moment, un autre désir, celui de maintenir la cohésion sociale, pourrait l'emporter, ou elle pourrait tout simplement ne pas savoir quoi dire.

Et, si la relation entre nos idées et nos actions peut parfois être corrélée, cela ne signifie pas nécessairement que les unes ont causé les autres. Supposons que la personne qui croit en l'importance d'intervenir lorsqu'elle entend des blagues sexistes le fasse réellement. La raison pour laquelle elle l'a fait, à ce moment-là, pourrait être n'importe quoi : peut-être qu'elle avait récemment vu quelqu'un d'autre intervenir avec succès dans une émission de télé, et qu'elle avait donc une phrase toute prête en tête. Ou peut-être qu'elle se trouvait dans un groupe où elle se sentait à l'aise et respectée, et donc elle a pris la parole parce qu'elle savait que ce serait bien accueilli. “Nous pouvons agir de manière cohérente avec nos désirs, mais cela ne signifie pas nécessairement que nos désirs en sont le mécanisme causal”, explique Ana Gantman.

Elise Lopez souligne que nous savons déjà tout cela dans le domaine de la santé. Nous savons qu'il est possible d'éduquer les gens sur l'importance de manger sain, de faire du sport ou de dormir assez, mais sans nécessairement changer leur comportement. “Cela va vraiment au-delà de changer les idées et les attitudes, bien que cela puisse être une première étape utile”, dit-elle. “Vous devez également changer la confiance en eux des gens sur leur capacité à avoir des comportements sains, leur fournir le soutien social pour le faire et penser à l'environnement dans lequel ils vivent.”

Une nouvelle approche

Alors, quels types d'interventions pourraient vraiment marcher et prévenir les violences sexuelles ? La conception de l'espace physique est un thème central.

Ana Gantman me raconte : “Les étudiant·es nous disent que souvent, les seuls espaces dans lesquels iels peuvent interagir quand les fêtes sont terminées sont leurs chambres, et que ces portes se ferment automatiquement pour des raisons de sécurité incendie – ce qui donne l'impression que personne d'autre n'est là.” Elle suggère donc que fournir plus d'espaces communs neutres pourrait permettre d'autres comportements – que si un lit n'est pas là, les gens sont moins susceptibles de penser à la possibilité de rapports sexuels.

Les chercheuses ont également insisté sur l'intégration de l'éducation à la prévention des violences sexuelles dans l'éducation générale à la santé sexuelle. “Je pense que si nous apprenions aux gens comment avoir des rapports sexuels heureux, sains, consensuels et idéalement mutuellement orgasmiques, alors peut-être que nous verrions moins de situations où les gens se trouvent dans des situations comme la consommation excessive d'alcool qui rendent le sexe plus risqué”, ajoute Elise Lopez.

Il existe également quelques indications que les cours d'autodéfense peuvent réduire les taux d'agression – même si c'est une piste controversée, car certain·es pensent que cela déplace la responsabilité des agressions sexuelles sur les victimes. Au Kenya, des transferts d'argent inconditionnels ont permis de réduire les violences sexuelles lorsqu'ils étaient donnés aux femmes. Et dans l'État de Rhode Island, les infractions déclarées de viol ont chuté de 30 % quand le travail du sexe en intérieur a été décriminalisé. Tous ces éléments montrent la multitude d'approches différentes qui pourraient être adoptées, si les attitudes et les normes de financement le permettent.

Il est important de noter que les résultats de cette étude ne signifient pas que les décennies de travail sur la prévention des violences sexuelles ont été vaines. Changer les manières de penser est toujours précieux.

“J'ai été énormément impressionnée par certaines des interventions que nous avons examinées”, dit Ana Gantman. “Changer les idées des gens sur les violences sexuelles est important ! Mais ce n'est tout simplement pas le bon levier à actionner pour réduire les taux de violences sexuelles.”

Josephine Lethbridge

https://lesglorieuses.fr/violences-sexuelles/

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Subir la violence dans les médias : agressions symboliques et directes contre les femmes journalistes au Mexique

10 septembre 2024, par Grisel Salazar Rebolledo — , ,
La violence contre les femmes journalistes au Mexique implique la convergence de deux problèmes urgents : la violence contre les journalistes et la grave violence de genre qui (…)

La violence contre les femmes journalistes au Mexique implique la convergence de deux problèmes urgents : la violence contre les journalistes et la grave violence de genre qui prévaut dans notre pays.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/08/24/subir-la-violence-dans-les-medias-agressions-symboliques-et-directes-contre-les-femmes-journalistes-au-mexique/

Alors que le journalisme est une profession intrinsèquement risquée, le nombre de femmes et d'hommes journalistes blessés, agressés ou tués dans le monde a augmenté au cours des trois dernières décennies. La violence à l'égard des femmes journalistes présente des caractéristiques particulières qui justifient une étude distincte, car elle se manifeste par une cruauté évidente dans les attaques physiques et par la fréquence avec laquelle elle est associée aux agressions sexuelles. Dans une recherche récemment publiée par la revue Comunicación y Género, de l'Université Complutense de Madrid, j'analyse les caractéristiques distinctives de la violence dirigée spécifiquement contre les femmes communicatrices au Mexique.

Les femmes journalistes sont touchées en tant que membres d'une profession qui devient de plus en plus la cible de conflits sociaux et de bouleversements politiques. L'Amérique latine a connu une augmentation marquée des agressions directes contre les femmes journalistes, y compris des expressions graves de violence. Actuellement, 13% des journalistes emprisonnés sont des femmes, selon les chiffres de Reporters sans frontières. Au Mexique, 8% des journalistes assassinés sont des femmes et, selon les chiffres du CIMAC, les agressions physiques contre les femmes journalistes ont augmenté de plus de 200%.

Les femmes journalistes sont doublement persécutées en raison de leur sexe et de leur participation à l'espace public, physique et symbolique, parce qu'elles sont des femmes qui élèvent la voix et occupent des niches d'influence que le système patriarcal destinait exclusivement à la voix des hommes. Outre les risques et les menaces auxquels sont exposés leurs collègues masculins, les femmes journalistes sont confrontées à des obstacles dans leur carrière qui sont liés à leur sexe, des défis auxquels les journalistes masculins ne sont généralement pas confrontés. Ainsi, la participation croissante des femmes dans les médias et dans le discours public s'est accompagnée d'une augmentation parallèle de la violence et des menaces auxquelles elles sont confrontées.

Le dernier cycle de l'étude Worlds of Journalism a montré, grâce à des enquêtes menées auprès de près de 500 journalistes du pays, que la présence des femmes dans le journalisme au Mexique se concentre dans les médias qui produisent des contenus pour les plateformes numériques (79,1%). Il y a également une proportion considérable de femmes dans les médias audiovisuels : 54,4% des personnes travaillant principalement à la radio et 49,3% de celles travaillant à la télévision sont des femmes. Au Mexique, les femmes journalistes continuent d'être affectées à une couverture sexuée. Les sujets dans lesquels les femmes sont le plus présentes sont : l'éducation et le style de vie (100% des personnes travaillant sur ces sujets sont des femmes) ; la culture (75%) ; et les questions sociales (65%). À l'autre extrême, les sujets qui continuent d'être dominés par les journalistes masculins sont la sécurité et la justice, la politique et le gouvernement, et les sports. Ce panorama montre que les femmes sont clairement reléguées à des sujets conformes aux conceptions traditionnelles des rôles de genre, et qu'elles sont exclues des sujets les plus difficiles en termes d'actualité.

Les asymétries de travail deviennent plus évidentes lorsque l'on considère l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes. La plupart des femmes gagnent entre 9 000 et 12 000 pesos par mois, tandis que les hommes ont tendance à recevoir entre 15 000 et 18 000 pesos par mois. L'écart salarial est beaucoup plus important à mesure que l'on monte dans l'échelle des revenus. Alors que 67% des personnes les moins bien payées sont des femmes (3 000 pesos par mois), 83% des personnes les mieux payées (à partir de 36 000 pesos) sont des hommes, et seulement 17% des femmes journalistes se situent à ce niveau de rémunération.

Les attaques les plus fréquentes auxquelles les femmes journalistes sont confrontées sont les insultes ou les discours de haine, la disqualification publique de leur travail, la remise en question de leurs principes moraux, le harcèlement au travail et la surveillance ou l'espionnage. Mais il existe deux types d'agression qui sont statistiquement liés au sexe des femmes journalistes et auxquels elles sont confrontées à un taux plus élevé que leurs homologues masculins. Ces agressions sont le harcèlement sexuel, auquel 34% des femmes journalistes ont été confrontées (contre 4% des hommes), et le harcèlement au travail, auquel 42% des femmes journalistes et 30% des hommes journalistes ont été confrontés.

Pour Dr Grisel Salazar Rebolledo, la lutte contre la violence à l'égard des femmes dans la profession journalistique doit être un effort commun qui implique la société dans son ensemble.

Dans un pays où les schémas patriarcaux sont profondément enracinés et où la professionnalisation du journalisme n'en est qu'à ses débuts, l'augmentation de la présence des femmes dans l'industrie des médias peut être perçue avec optimisme. Cependant, les données conduisent à des interprétations inquiétantes. L'étude montre que, bien que les femmes journalistes aient un niveau d'éducation légèrement supérieur, elles perçoivent des salaires nettement inférieurs, ce qui dénote un traitement inégal et discriminatoire. Cette situation, associée à la fréquence élevée du harcèlement au travail dont sont victimes les femmes journalistes, montre clairement que l'environnement professionnel leur est très défavorable et qu'elles doivent faire face à des obstacles matériels, mais aussi à des obstacles symboliques qui, en raison de leurs racines culturelles profondes, sont plus difficiles à surmonter.

La lutte contre la violence fondée sur le genre dans la profession journalistique doit être un effort conjoint impliquant la société dans son ensemble, y compris les médias, les organisations de la société civile et le secteur privé. L'éducation et la sensibilisation sont essentielles pour lutter contre les stéréotypes sexistes et promouvoir un environnement de respect et d'équité dans le journalisme et dans la société en général. Le manque de reconnaissance sociale du travail des journalistes entraîne un manque de soutien et une situation de solitude et d'abandon face aux agressions, encore plus marquée lorsque les victimes sont des femmes.

Grisel Salazar Rebolledo, Desinformémonos, 15 août 2024

Source : https://desinformemonos.org/padecer-la-violencia-en-los-medios-agresiones-simbolicas-y-directas-contra-mujeres-periodistas-en-mexico/
https://www.cdhal.org/subir-la-violence-dans-les-medias-agressions-symboliques-et-directes-contre-les-femmes-journalistes-au-mexique/

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Crime de détraqué ? Non, féminicide prostitutionnel !

10 septembre 2024, par Sandrine Goldschmidt — , ,
Un homme a été confondu par son ADN et mis en examen pour le meurtre d'une femme prostituée il y a 22 ans. Un féminicide prostitutionnel qui peine à être reconnu. Tiré de (…)

Un homme a été confondu par son ADN et mis en examen pour le meurtre d'une femme prostituée il y a 22 ans. Un féminicide prostitutionnel qui peine à être reconnu.

Tiré de Entre les lignes et les mots

« Incroyable rebondissement dans un cold case vieux de deux décennies. Un homme vient d'être mis en examen des chefs d'assassinat et d'actes de torture et de barbarie pour un meurtre qui remonte à février 2002. »

22 ans après le meurtre d'une femme prostituée à Limoges, on comprend que soit applaudie son élucidation, l'auteur des faits ayant été confondu par son ADN lors d'un banal contrôle routier.

Mais pour que tout soit parfait, ne faudrait-il pas que les médias qui en rendent compte montrent qu'ils ont mis à profit ces 22 années pour présenter une analyse des faits qui aille au-delà du simple « fait divers » ? Car entretemps, est apparue une notion qui a changé les regards en profondeur, celle du « féminicide » : une grille nouvelle de lecture qui rend compte (enfin !) du caractère systémique de la haine des femmes, de la profonde misogynie qui sert de moteur à des agressions et à des meurtres.

Là où la justice comme les médias n'ont aucun mal à identifier un crime comme raciste ou antisémite, leur lucidité s'arrêterait-elle leur lucidité s'arrêterait-elle à la porte du machisme prostitutionnel ? Le meurtre de cette femme prostituée, ramené aux facilités d'un « meurtre barbare » ou d'une « sordide affaire » , n'a droit qu'à des exclamations sur « la sauvagerie de l'acte ».

Les faits sont pourtant criants de clarté. L'auteur s'est en effet tellement acharné sur sa victime qu'il a continué à lui donner des coups de couteau jusqu'après sa mort. Et ces coups de couteau, il ne les a pas distribués n'importe comment. Il s'est attaqué au pubis. La haine des femmes, la haine du sexe des femmes pourrait-elle être plus lisible ? Car si tuer une femme ne constitue pas un féminicide, tuer une personne parce qu'il s'agit d'une femme l'est ; et la tuer en marquant une volonté de l'anéantir en tant que personne et pour ce qu'elle représente.

« Client ou pas client » ?

Nulle part, dans aucun article dont nous avons pu avoir connaissance, n'apparaît seulement la question de savoir si l'homme était « client ». Aujourd'hui âgé de 46 ans, il est décrit comme un « cabossé de la vie », consommateur régulier d'alcool et de cannabis, connu de la justice pour des violences… et quitté par sa femme.

Alors, client ou pas client ? Comme si ce « détail » n'avait pas son importance. On sait pourtant (mais les médias le savent-ils ?) que la majorité des meurtres de femmes prostituées sont commis par des proxénètes et par des « clients », des hommes qui les utilisent comme des choses et se sentent sur elles des droits de propriétaire.

« Souvent motivés par des sentiments d'objectivation, d'emprise, de jalousie et de domination, ces crimes commis par un homme sur une femme résultent d'une logique sexiste où l'agresseur finit par s'approprier sa victime au point de considérer avoir droit de vie ou de mort sur elle », pouvait-on lire dans le Rapport sur les féminicides de l'Assemblée Nationale [1].

Ce que les interlocutrices de nos associations, bien placées pour savoir ce qui se joue dans le huis clos prostitutionnel, résument par cette formule : « Le type a payé, il pense qu'il a tous les droits. »

L'invisibilisation des féminicides prostitutionnels a assez duré. Les progrès de la société dans l'identification des féminicides s'arrêtent trop souvent aux quatre murs de la chambre conjugale. D'autres chambres, d'autres lieux sont pourtant encore plus dangereux.

Jusqu'à quand les personnes prostituées devront-elles rester des cas à part ? Des victimes de seconde zone ? Comment peut-on encore croire que l'incroyable prix payé par elles en meurtres et en agressions n'est du qu'à la lubie hasardeuse d'une poignée de « détraqués » ?

[1] Février 2020

Sandrine Goldschmidt
Sandrine Goldschmidt est chargée de communication au Mouvement du Nid et militante féministe. Journaliste pendant 25 ans, elle a tenu un blog consacré aux questions féministes (A dire d'elles – sandrine70.wordpress.com) et organise depuis quinze ans le festival féministe de documentaires « Femmes en résistance ». Aujourd'hui elle écrit régulièrement dans Prostitution et Société.

https://mouvementdunid.org/prostitution-societe/actus/crime-de-detraque-non-feminicide-prostitutionnel/

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État du monde : crise économique et rivalités géopolitiques

10 septembre 2024, par Claude Serfati — ,
Mon interprétation de la situation actuelle repose sur l'hypothèse que l'espace mondial se transforme sous la double pression des dynamiques économiques et des rivalités (…)

Mon interprétation de la situation actuelle repose sur l'hypothèse que l'espace mondial se transforme sous la double pression des dynamiques économiques et des rivalités géopolitiques dont les interactions diffèrent selon les conjonctures historiques.

27 août 2024 | tiré du site Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71857

Mettre en relation ces deux dimensions et les garder à l'esprit dans l'analyse est difficile pour deux raisons. D'une part, l'hyperspécialisation disciplinaire dans la recherche académique pousse au cloisonnement de la réflexion et à l'ignorance de travaux sur des thèmes semblables. D'autre part, il existe ce qu'on peut appeler un certain ‘biais' marxiste qui a privilégié les dimensions économiques au motif qu'elles constitueraient ‘l'infrastructure' de toute société. Il faut pourtant rappeler que Marx s'est intéressé au moins autant aux ‘superstructures' et au rôle des êtres humains dans la marche de l'histoire. Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte demeure exemplaire de son intérêt pour ces questions. Et je rappelle que Le Capital n'est pas un ouvrage économique, mais une critique de l'économie politique.

Toutefois, il existe un cadre analytique qui permet d'analyser ces interactions entre les dynamiques économiques et des rivalités géopolitiques et militaires : c'est celui proposé il y a plus d'un siècle par les analyses marxistes de l'impérialisme.

Pour comprendre la situation actuelle et en particulier la multipolarité capitaliste hiérarchisée, on dispose a minima de deux points d'appui théoriques.

D'une part, la définition donnée par Lénine :dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme : « Si l'on devait définir l'impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu'il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette définition embrasserait l'essentiel, car, d'une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d'industriels ; et, d'autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s'étendant sans obstacle aux régions que ne s'est encore appropriée aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d'un globe entièrement partagé.

Capital monopoliste financier et division du monde sont étroitement liées, voici donc la singularité de l'impérialisme. Il faut admettre que les analyses marxistes ont souvent eu du mal à relier les deux. Or, le capitalisme marche sur ses deux jambes : il est un régime d'accumulation à dominante financière, ainsi que Chesnais l'a détecté dès les années 1990, mais il est avant tout un régime de domination sociale, dont la police (à l'intérieur) et l'armée (vers l'extérieur) assurent la défense, et même à certains moments, en permettent la survie. Tel sont les messages de La mondialisation armée, un ouvrage que j'ai publié quelques mois avant le 11 septembre 2001 et aussi d'Un monde en guerres, publié en mars 2024.

On dispose d'autre part d'un autre outil analytique pour analyser l'impérialisme contemporain, c'est l'hypothèse de développement inégal et combiné proposé par Trotski. Cette hypothèse fait pour moi pleinement partie des analyses de l'impérialisme, même si pour beaucoup de ‘marxologues', son nom est souvent ignoré comme théoricien de l'impérialisme au côté de Boukharine, d'Hilferding, de Luxemburg et de quelques autres.

Trotski fonde son analyse en partant de l'existence d'un espace mondial qui contraint les nations et leur interdit de passer par les mêmes stades de développement que ceux parcourus par les pays avancés. C'est une approche opposée à la conception ‘stadiste' de Staline. On retrouve aussi cette conception par stades successifs dans les recommandations de la Banque mondiale qui considère que les pays du Sud doivent suivre les étapes de développement empruntées par les pays du Centre. Pour la Banque mondiale, il faut mettre en place les règles de bonne gouvernance et le programme économique des pays développés.

Trotski rappelle dans l'Histoire de la révolution russe que « Sous le fouet des nécessités extérieures, la vie retardataire est contrainte d'avancer par bonds. De cette loi universelle d'inégalité des rythmes découle une autre loi que, faute d'une appellation plus appropriée, l'on peut dénommer loi du développement combiné, dans le sens du rapprochement de diverses étapes, de la combinaison de phases distinctes, de l'amalgame de formes archaïques avec les plus modernes ». Et il ajoute à propos de la Russie tsariste qu'elle « n'a pas reparcouru le cycle des pays avancés, mais elle s'y est insérée, accommodant à son état retardataire les aboutissements les plus modernes ». Selon moi, cette caractéristique de la Russie tsariste d'il y a un siècle s'applique pleinement à la Chine contemporaine, bien que dans un contexte différent.

L'hypothèse du développement inégal et combiné, c'est une hypothèse qui s'intéresse aux évolutions, et aux mutations, autrement dit, elle regarde du côté des transformation du capitalisme. Elle invite donc à ne pas considérer de façon statique les critères utilisés par Lénine pour définir l'impérialisme – dont aucun d'ailleurs n'est obsolète - mais à prendre en compte les changements de physionomie de l'impérialisme. Celui-ci demeure aujourd'hui une structure de domination mondiale et il continue également de définir des comportements particuliers et différenciés de quelques grandes puissances.

C'est un fait indéniable qu'il s'est produit de nombreux changements dans la physionomie de l'impérialisme après la seconde guerre mondiale, en particulier la construction de l'hégémonie étatsunienne. Ces changements ont conduit certains marxistes à annoncer l'obsolescence de l'impérialisme en prenant en particulier appui sur la fin des guerres intercapitalistes. Au cours de ces dernières décennies, les processus de mondialisation ont également donné lieu à l'annonce du dépassement de l'impérialisme en raison de l'émergence d'une classe capitaliste transnationale, voire d'un Etat transnational.

La conjoncture historique actuelle contredit ces analyses et souligne que dans le cadre de l'impérialisme contemporain, les rapports sociaux capitalistes demeurent politiquement construits et territorialement circonscrits.

Une concordance de temporalités : le moment 2008

Trois points sont à mentionner :

a) Depuis la fin des années 2000, l'espace mondial est caractérisé par une convergence de crises. J'utilise le terme de crises faute de mieux car chacune d'entre elles possède sa propre temporalité qui est déterminée par sa spécificité économique, géopolitique, sociale et environnementale. Cependant, le fait qu'elles aient convergé à la fin des années 2000, confirme que le capitalisme est confronté à un ébranlement existentiel, à unecrise multidimensionnelle. On peut mentionner :

la crise financière de 2008 qui s'est transformée en une ‘longue dépression' (M. Roberts) .

l'irruption de la Chine comme ‘rival systémique' des Etats-Unis (langage des documents stratégiques étatsuniens). C'est une autre manière de constater le déclin de l'hégémonie des Etats-Unis ;

l'engrenage des destructions environnementales produites par le mode de production et de consommation capitaliste ;

les résistances sociales qui parsèment la planète depuis la révolution tunisienne de 2011 au cri de « Travail, pain, liberté et dignité ».

Les efforts des classes dominantes pour surmonter ces crises ne peuvent qu'accélérer la marche à la catastrophe et à la barbarie.

b) Une caractéristique majeure de ce moment 2008, c'est qu'il rétablit une forte proximité entre la concurrence économique et les rivalités politico-militaires. Comme je l'ai mentionné, cette proximité caractérisait déjà la situation d'avant 1914.

c) le moment 2008 ouvre un espace de rivalités mondiales qui est plus large que la confrontation est-ouest observée à l'époque de la guerre froide et qui n'est pas non plus celui d'un monde ‘occidental' qui s'opposerait au ‘Sud global'. Mon cadre d'analyse, c'est celui d'une multipolarité capitaliste hiérarchisée et donc de rivalités interimpérialistes. Ces rivalités semblent nouvelles après la période transitoire de domination écrasante des Etats-Unis qui a suivi la seconde guerre mondiale, mais elles furent une caractéristique majeure de l'ère pré-1914.

Toutefois, en un siècle, l'espace mondial s'est considérablement densifié. Le jeu des rivalités est donc plus ouvert en raison d'un nombre plus grand de pays qui aspirent à jouer un rôle dans une économie mondiale marquée par la constitution de blocs régionaux. Les rivalités prennent également des formes plus diversifiées qu'avant 1914. Elles établissent un continuum entre la concurrence économique et l'affrontement militaire, et qui passe par exemple par ce que certains experts nomment des ‘guerres hybrides' (cyberguerres, désinformation et surveillance, etc.)

Je note toutefois que bien que plus restreinte, la hiérarchie et le statut des impérialismes étaient déjà l'objet d'une discussion avant 1914 [1]. Il est intéressant de rappeler à cet égard la caractérisation de la Russie tsariste donnée par Trotski dans son Histoire de la révolution russe. Il écrit :« La participation de la Russie avait un caractère mal défini, intermédiaire entre la participation de la France et celle de la Chine. La Russie payait ainsi le droit d'être l'alliée de pays avancés, d'importer des capitaux et d'en verser les intérêts, c'est-à-dire, en somme, le droit d'être une colonie privilégiée de ses alliées ; mais, en même temps, elle acquérait le droit d'opprimer et de spolier la Turquie, la Perse, la Galicie, et en général des pays plus faibles, plus arriérés qu'elle-même. L'impérialisme équivoque de la bourgeoisie russe avait, au fond, le caractère d'une agence au service de plus grandes puissances mondiales ».

Ce statut ambigu de la Russie n'empêchait évidemment pas les marxistes de placer la Russie du côté des pays impérialistes. Cette souplesse de l'analyse et la prise en compte de facteurs multidimensionnels – économiques, politiques et militaires – permet de rendre compte de la diversité et de la hiérarchie qui caractérise la multipolarité capitaliste. Par exemple, dans la lignée des travaux du sociologue brésilien Ruy Mauro Marini, certains marxistes emploient aujourd'hui le terme de ‘sous-impérialisme' pour qualifier une liste plus ou moins longue de pays (Afrique du Sud, Brésil, Inde, Iran, Israël, Pakistan, Turquie, etc.) qui se trouvent dans une position intermédiaire.

La multipolarité capitaliste est donc d'un certain point de vue la norme historique. Elle est hiérarchisée et les impérialismes dominants, qu'ils soient déclinants ou émergents, luttent pour une part du gâteau mondial (la masse de valeur créée par le travail) qui non seulement ne progresse plus suffisamment, mais exige une dégradation gigantesque de l'environnement pour être produit. L'aspiration de pays émergents à conquérir un statut de puissance régionale ou mondiale élargit l'espace des rivalités économiques et militaires. Ces pays émergents ne sont pas antiimpérialistes, ils tentent au contraire de se faire une place au sein de l'impérialisme contemporain. Les gouvernements de ces pays développent souvent une rhétorique antioccidentale qui est faussement assimilée à de l'antiimpérialisme.

Le mouvement social doit évidemment mettre à profit les rivalités et ces contradictions inter-impérialistes. Toutefois, ceci ne peut en aucun cas conduire, au nom d'une ‘multipolarité anti-occidentale', à soutenir des gouvernements de pays tels que ceux de la Russie, de l'Iran, de l'Inde, et laisser ainsi croire que ceux-ci pourraient ouvrir un horizon émancipateur aux peuples victimes de l'exploitation capitaliste, alors même qu'ils répriment durement leur peuple.

Chine-Etats-Unis : un choc d'impérialismes

Ce sont ces transformations de l'espace mondial qui justifient selon moi le fait de parler de ‘choc d'impérialismes' entre la Chine et les Etats-Unis.

Il faut brièvement rappeler l'évolution de leurs rapports, car elle confirme que l'interdépendance entre pays rivaux s'est considérablement renforcée. Avant 1914, elle servait de justification aux thèses libérales qui faisaient du commerce international un facteur de paix. L'interdépendance servit également à Kautsky a annoncer l'émergence d'un ultra-impérialisme qui mettrait fin aux guerres.

Il convient évidemment de ne pas commettre les mêmes erreurs d'appréciation et donc ne pas se contenter d'observer l'interdépendance croissante des nations, mais d'envisager dans quel environnement économique et géopolitique elle se développe.

On peut dire qu'au cours des années 1990 et 2000 (jusqu'à 2008), l'interdépendance entre les Etats-Unis et la Chine fut un jeu ‘gagnant-gagnant' pour les classes capitalistes. En effet, la Chine a fourni de nouveaux territoires aux capitaux des pays occidentaux, qui subissaient alors une suraccumulation issue de la crise des années 1970 et 1980. Cette crise de suraccumulation, qui traduisait une baisse de la rentabilité du capital, n'avait pas été surmontée dans les pays du Centre. A l'inverse, elle avait ébranlé les pays émergents, victimes répétées de crises financières, celle du Mexique en 1983 , des pays asiatiques, de la Russie et du Brésil en 1997-1998 et celle de l'Argentine en 2000.

Cependant – confirmation de l'hypothèse du développement inégal et combiné -, la Chine n'est pas seulement restée un territoire d'accueil pour l'accumulation du capital occidental et asiatique, elle est aussi devenue une puissance économique et militaire qui conteste la domination étatsunienne.

Ainsi, l'émergence de la Chine sur le marché mondial a fourni une solution provisoire aux maux structurels qui assaillent le capitalisme. Toutefois, le durcissement de la concurrence économique dans un contexte de faible niveau de croissance économique a rapidement transformé le marché mondial en un « lieu de toutes les contradictions » selon la formule de Marx. Réciproquement, en devenant « l'atelier du monde », l'économie chinoise a répercuté sur son territoire les contradictions de l'économie mondiale qui surgissent en raison des limites que le capitalisme rencontre. L'industrie chinoise est en effet en situation de suraccumulation du capital depuis des années. La crise se déclencha d'abord dans la construction immobilière mais selon les analyses des économistes, cette suraccumulation frappe désormais des dizaines de secteurs traditionnels liés à la construction (acier, ciment, etc.), et même des secteurs industriels émergents. C'est le cas des panneaux solaires où la Chine a conquis une position de quasi-monopole mondial et de façon plus décisive le secteur des batteries des véhicules électriques. Il n'est donc pas étonnant que ce secteur soit un de ceux qui connaissent les plus forte tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis et l'Union européenne (c'est-à-dire principalement l'industrie allemande).

L'interdépendance économique présente donc des effets contradictoires. « La croissance économique de la Chine ne doit pas être incompatible avec le leadership économique étatsunien » déclare la secrétaire d'Etat au Trésor et elle propose la ‘relocalisation des activités des grands groupes étatsuniens présents en Chine dans les ‘pays amis' (nearshoring) [2]. Ecoutons la réponse du PDG de RTX (ex-Raytheon) concepteur du système de défense antimissile étatsunien et israélien et deuxième groupe militaire mondial : il est impossible de quitter la Chine car nous avons des centaines de sous-traitants qui sont indispensables à notre production. Cela en dit long sur le degré d'interdépendance construit par les chaines de production mondiale des grands groupes, y compris ceux à spécialisation militaire.

Autre exemple de l'interdépendance : le gouvernement chinois est désormais associé à l'élaboration des règles prudentielles des marchés financiers qui ont été mises en place au lendemain de la crise de 2008 et qui sont destinées à prévenir l'irruption de nouvelles crises financières. Le secrétaire étatsunien à la finance internationale s'est fortement félicité des excellentes relations du Trésor américain et « de nos homologues chinois de la Banque centrale de République populaire de Chine comme co-présidents du groupe de travail du G20 sur le développement d'une finance soutenable ». Cet appel des Etats-Unis à la Chine signifie que, pour les classes dominantes étatsuniennes, la préservation de la stabilité – et donc de la prospérité - du capital financier ne doit pas être compromise par les rivalités commerciales. C'est cependant un équilibre fragile.

La Chine, impérialisme emergent

En effet, la Chine constitue un impérialisme émergent, car, à l'image des pays capitalistes avant 1914, elle conjugue un fort développement économique et des capacités militaires de premier plan.

Certes, il serait absurde de comparer le rôle du militaire dans l'expansion économique mondiale de la Chine à celui des Etats-Unis et seuls ceux qui appliquent le concept d'impérialisme au seul ‘modèle étatsunien' peuvent le faire. A l'inverse, parce qu'elle émerge comme un impérialisme rival des Etats-Unis, la Chine est quasi mécaniquement contrainte à développer une politique étrangère expansive comme le confirme son insertion diplomatique dans la guerre menée par Israël. La Chine est déjà fortement présente au Moyen-Orient et elle y développe des relations à la fois avec l'Iran et les monarchies pétrolières (et Israël) , alliés des Etats-Unis.

La ‘route de la soie' (Belt and Road Initiative, BRI) mise en place par la Chine consiste en une construction tentaculaire d'infrastructures physiques et numériques. Elle rappelle l'expansion des chemins de fer avant 1914 – les infrastructures essentielles de l'époque – dans les pays dominés dont le rôle à la fois économique (rentabiliser du capital en excès dans les pays européens) et géopolitiques (le rôle du train Berlin-Bagdad dans l'alliance entre l'Allemagne et l'empire Ottoman !) est longuement analysé par Lénine, Luxemburg et les autres.

Israël, défenseur pyromane du bloc transatlantique

La guerre menée par Israël s'inscrit pleinement dans le cadre analytique de l'impérialisme : c'est un projet néocolonial. Humanisons les chiffres : 40000 morts à Gaza, cela équivaut en proportion de la population palestinienne, à plus de la moitié des morts en France provoquées par la guerre de 1914-1918. Il y a toutefois une différence essentielle : ce furent pour l'essentiel des soldats, alors qu'à Gaza, ces assassinats frappent à 60- 70% des femmes et des enfants.

“Nos ennemis communs partout dans le monde nous observent et ils savent qu'une victoire d'Israël est une victoire du monde libre dirigé par les États-Unis” » a déclaré le ministre de la défense d'Israël au lendemain du 7 octobre 2024. Il a ainsi confirmé que son pays est un pilier majeur du bloc transatlantique. Cependant, la façon dont le gouvernement Netanyahou se conduit vis-à-vis de l'Administration Biden confirme également que la multipolarité capitaliste contemporaine est plus diversifiée qu'avant 1914.

Du point de vue de l'analyse de la structure impérialiste actuelle et de sa hiérarchie, il est indéniable que le gouvernement israélien serait contraint d'arrêter la guerre dès lors que les USA cesseraient leurs livraisons d'armes [3]. En ce sens, l'image du ‘vassal' des Etats-Unis utilisée pour qualifier le statut d'Israël demeure sans doute exact. Toutefois, la dégradation de la position des Etats-Unis dans l'ordre mondial, l'essor du militarisme israélien, largement connecté à des fractions dominantes de l'establishment états-unien et à son ‘Complexe militaro-industriel', et enfin le chaos mondial qui sous-tend les relations internationales contemporaines, permettent au vassal de mener son propre jeu sans qu'il corresponde aux impératifs immédiats des classes dominantes étatsuniennes.

La politique de la ‘terre brûlée' menée par les gouvernements israéliens n'est plus seulement une image comme le montre la volonté d'Israël de raser Gaza (c'est-à-dire de niveler le territoire à ‘ground zero') et de pulvériser physiquement le peuple palestinien. Elle repose sur des processus meurtriers – génocidaires - que ni les Etats-Unis, ni l'Union européenne, qui est au moins autant coupable de soutien à la guerre israélienne que les Etats-Unis, ne veulent enrayer alors même qu'Israël prépare l'étape suivante d'attaque contre l'Iran. Pour les dirigeants des Etats-Unis et de l'UE, le soutien inconditionnel à Israël est le prix à payer pour défense des intérêts matériels et des valeurs du « monde occidental ».

Tous les dirigeants occidentaux savent pourtant que cette guerre met la région – et par contagion peut-être d'autres régions – au bord du gouffre. Ils savent également qu'elle accélère la désintégration de l''ordre international fondé sur les règles', pour reprendre ce mot d'ordre qui a servi de support politique et idéologique à la domination du bloc transatlantique depuis la seconde guerre mondiale. Tel est le dilemme posé aux Occidentaux. Il leur faut soutenir la conduite du gouvernement d'Israël alors même que la politique de Netanyahou précipite la fin de cet ‘ordre libéral international' et qu'elle annonce donc de nouveaux terrains de conflictualité entre le bloc transatlantique et de nombreux pays.

L'horizon indopacifique de la France

Annoncé en 2013 sous la présidence de François Hollande, l'horizon indopacifique a pris une place ascendante dans la stratégie militaro-diplomatique de la France depuis l'élection d'E. Macron en 2017. L'intérêt de Macron pour cette région a sans aucun doute été stimulé par le fait que, dès son élection, il avait été informé par l'Etat-major du désastre qui s'annonçait dans les guerres menées par l'armée française au Sahel. La stratégie indopacifique mise en avant par Macron résulte donc de la nécessité d'offrir un nouvel horizon aux militaires, même si l'Afrique subsaharienne demeure indispensable sur les plans économiques et géopolitiques en dépit de la débâcle sahélienne.

L'acharnement de Macron à maintenir la Nouvelle-Calédonie dans l'Etat français tient donc d'abord à ce recul au Sahel, mais il a également d'autres raisons. La possession de ces territoires confère à la France une zone économique exclusive (ZEE) vingt fois plus grande que celle du territoire métropolitain. Cette ZEE offre des perspectives d'appropriation de ressources sous-marines. Elle permet surtout à l'armée française de faire naviguer les sous-marins lanceurs d'engins nucléaires. Ces navires constituent, à côté de l'armée de l'air, l'autre composante de la dissuasion nucléaire. Cette présence de forces nucléaires dans le Pacifique protège le statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies de la France, en dépit du recul considérable de la place de son économie dans le monde. On peut ajouter, pour expliquer la politique de Macron, l'importance des ressources en nickel de l'archipel.

L'acharnement de Macron à dessaisir le peuple Kanak de ses droits légitimes et à maintenir le statut néocolonial de la Nouvelle-Calédonie est donc compréhensible si l'on prend en compte l'ensemble des atouts offerts à l'économie et la diplomatie française. Il faut toutefois en mesurer les effets négatifs au-delà même de la répression subie par le peuple kanak, dont plus de dix membres sont morts. Les décisions de Macron ont en effet provoqué une explosion sociale en Nouvelle-Calédonie d'un niveau inconnu depuis les années 1980 et qui témoigne de l'ampleur de la résistance populaire. De plus, la répression sanglante de ces manifestations dégrade chez les populations de la région Pacifique l'image de la prétendue ‘patrie des droits de l'homme' et elle complique l'activité diplomatique de la France.

Le déploiement de 3000 militaires s'appuie, comme les interventions au Sahel des années 2000 et 2010, sur l'appareil militaire. E. Macron cherche à conforter son pouvoir vacillant et séduire, grâce à ce projet néocolonial, l'électorat métropolitain réactionnaire de droite et d'extrême-droite. Sous un certain angle, l'acharnement de Macron rappelle ce qui se passa en Algérie à la fin des années 1950. La position de la fraction fascisante de l'armée, soutenue par la majorité de la population européenne, était de maintenir l'Algérie au sein de la France. Tel était selon ces militaires, le seul moyen de maintenir la ‘grandeur' de la France. Au contraire, De Gaulle, lui aussi militaire, préconisait précisément de mettre fin à la guerre contre le peuple algérien et lui accorder l'indépendance afin de maintenir ce qu'il appelait « le rang de la France dans le monde ». Selon lui, quitter l'Algérie permettait enfin de se tourner vers le monde grâce à l'arme nucléaire, la construction européenne où la France projetterait sa puissance et à un renouveau industriel appuyé sur des grands programmes technologiques à visée militaire et stratégique. Ce fut bien sûr cette ‘vision' gaulliste de la France impérialiste qui s'imposa contre le repliement sur l'Algérie. Le fait qu'E. Macron envoie trois mille militaires pour protéger 73000 européens présents en Nouvelle-Calédonie (sur les 270000 habitants de l'île selon les données de l'INSEE) signale à quel point la roue de l'histoire a tourné pour la place de la France dans le monde. La politique de Macron ne peut qu'encourager sur le territoire métropolitain, les pulsions nationalistes et chauvines, porteuses de racisme.

Pour conclure, comme je l'ai suggéré dans mon intervention, les transformations du capitalisme ne peuvent être lues à partir de ses seuls déterminants structurels. La remarque faite par Marx dans Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, que « les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux », souligne l'importance de ce que dans la littérature marxiste, on appelle les « facteurs subjectifs ». Ceux-ci incluent aussi bien le comportement et l'action des classes dominantes et des gouvernements – que les résistances et les offensives menées par des centaines de millions d'individus qui sont victimes des décisions prises par ‘ceux d'en haut'. « L'histoire ne fait rien, […] elle ‘ne livre pas de combats'. C'est au contraire l'homme, l'homme réel et vivant qui fait tout cela, possède tout cela et livre tous ces combats » (Marx et Engels, La Sainte-famille) .

Claude Serfati
P.-S.

• Contribution présentée à la 16e Université d'été du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qui s'est tenue du 25 au 28 août 2024 à Port Leucate reproduite avec l'autorisation de l'auteur. Elle s'inscrivait dans le débat : « 1954-2024 : 70 ans après, quels rapports de force mondiaux ? Résistances populaires et solidarité internationale face à l'impérialisme, au colonialisme et à la guerre ».

Notes

[1] Voir par exemple les différentes classifications faites par Lénine dans son ouvrage L'impérialisme, stade suprême du capitalisme (et dans ses notes préparatoires appelées ‘Cahiers sur l'impérialisme').

[2] U.S. Department of Treasury 2023, Communication de Janet L. Yellen, Johns Hopkins School of Advanced International Studies, April 20, https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy1425

[3] Le 25 aout 2024, le ministère de la défense d'Israël s'est félicité que depuis le début de la guerre, « ce sont 50000 tonnes d'équipement militaire qui ont livrés à Israël par 500 avions et 17 navires ».

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