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Irak. Les débats sur le Code du statut personnel font rage

24 septembre 2024, par Zahra Ali — , ,
Les élites chiites, au pouvoir en Irak depuis 2003, essaient de remettre en cause le Code du statut personnel qui règle les affaires familiales pour tous les musulmans, chiites (…)

Les élites chiites, au pouvoir en Irak depuis 2003, essaient de remettre en cause le Code du statut personnel qui règle les affaires familiales pour tous les musulmans, chiites comme sunnites. Avec la nouvelle proposition, les Irakiens pourraient choisir le droit spécifique chiite qui, par exemple, accepte le mariage temporaire ou celui des enfants. Pour l'heure, une partie de la société civile s'oppose à cette fracture du droit qui fragiliserait le droit des femmes et les enfants.

Tiré d'Orient XXI.

Depuis une proposition d'amendement du Code du statut personnel soumise au Parlement au cours de l'été, des débats passionnés ont envahi la scène politique et médiatique irakienne. Adoptée en 1959, la loi 188 du statut personnel définit un ensemble de dispositions légales — distinct du Code civil — qui rassemble les droits et les devoirs des citoyens musulmans en matière de mariage, de divorce, de garde d'enfants et d'héritage. L'amendement proposé rompt avec le système actuel valable pour tous les musulmans et autorise des distinctions fondées sur les principes chiites et sunnites. Les mariages, par exemple, seraient contractés selon la jurisprudence choisie au lieu de se conformer à la loi existante.

D'un côté, plusieurs groupes islamistes chiites au pouvoir depuis l'invasion américaine de 2003 ont plaidé en faveur de l'introduction d'un code sectaire. Ils insistent sur l'importance d'aligner toutes les lois sur la charia et sur la jurisprudence Jaafari (1) pour les musulmans chiites. Ils accusent leurs opposants de remettre en cause les valeurs religieuses et culturelles fondamentales et d'être des agents de l'Occident. Récemment, ils ont également rejeté un article du Code du statut personnel qui accorde la garde des enfants à la mère, l'estimant en contradiction avec la « charia » qui l'attribue au père.

Entre-temps, des organisations de défense des femmes et des droits humains, un réseau d'intellectuels et de personnalités des médias, ainsi qu'un large éventail d'opposants politiques se sont fortement mobilisés contre cette proposition (2). Organisés autour de la coalition « Alliance 188 », ils ont fait valoir que cet amendement remettait radicalement en cause la loi 188 considérée comme équitable et unificatrice pour les musulmans chiites et sunnites : en l'état actuel, elle garantit les droits fondamentaux des femmes, tels que l'âge minimum du mariage, le droit au divorce et la garde des enfants. Autoriser des codes sectaires distincts est source de division, assurent-ils, dans un contexte déjà marqué par la prédominance des tensions entre communautés et l'augmentation, durant ces décennies des guerres, des normes misogynes et patriarcales, surtout lorsque la violence politique règne.

Les interprétations de l'école chiite dominante en Irak, la jurisprudence Jaafari, déterminent l'âge de la maturité pour les filles dès neuf ans et autorisent différents types de mariages précaires (3), avec très peu de droits pour les femmes. S'il est adopté, l'amendement proposé fournira un fondement juridique aux mariages d'enfants, un phénomène déjà répandu dans le pays, et aux unions matrimoniales qui n'offrent aucune protection juridique aux conjointes. En outre, l'Alliance 188 a souligné la faiblesse structurelle du Parlement et le recours, par les groupes politiques chiites, à des méthodes antidémocratiques telles que l'intimidation, la menace de violence et le manque de transparence, pour faire adopter l'amendement. (4)

Ces débats sont souvent présentés comme une lutte entre les forces religieuses qui tentent d'imposer les lois régressives et misogynes de la charia et les forces laïques qui s'opposent à la religion et défendent les droits des femmes. Mais il s'agit d'une caricature, qui ne permet pas de comprendre ce qui est réellement en jeu.

Un conflit entre forces laïques et religieuses ?

Le Code du statut personnel n'est pas une loi laïque : il ne place pas sous l'autorité du Code civil national les « questions personnelles » de tous les citoyens, de toutes les religions et de toutes les sectes. Il permet aux musulmans de bénéficier d'interprétations spécifiques des jurisprudences chiite et sunnite — lesquelles qui ont été négociées par plusieurs acteurs, y compris des oulémas (corps de savants musulmans) des deux écoles, au cours des décennies qui ont précédé l'établissement de la loi 88 en 1959.

En d'autres termes, ces débats se situent à l'intersection de la construction de l'État et de la nation aux époques coloniale et postcoloniale — un processus qui implique divers groupes sociaux et politiques en concurrence pour le pouvoir et la légitimité, et qui est profondément marqué par les questions de classes, de « races » et de genre.

Les mobilisations autour du Code du statut personnel ne sont pas nouvelles. Plusieurs groupes islamistes chiites ont fait des propositions similaires à celle de cet été, quasiment chaque année, depuis l'invasion et l'occupation menées par les États-Unis en 2003. Elles se heurtent toujours à une forte opposition de la part des féministes et des mouvements progressistes. Elles sont d'ailleurs largement rejetées par les Irakiens eux-mêmes, qu'ils soient chiites ou sunnites.

Cette obsession a commencé immédiatement après l'invasion, avec le décret 137 (5), à l'initiative d'Abdel Aziz Al-Hakim (1953-2009), alors chef du Conseil suprême islamique d'Irak, l'une des principales organisations islamistes chiites ayant pris le pouvoir à la suite de l'invasion américaine. Le décret 137 visait à abolir le Code du statut personnel et à le remplacer par des codes sectaires. Bien que cette tentative ait échoué, en partie en raison de la mobilisation des féministes, le décret a été réintroduit sous la forme de l'article 41 de la Constitution adoptée en 2005 : ce dernier prévoit la liberté pour les Irakiens de choisir leur « statut personnel » en fonction de leurs croyances religieuses et sectaires. Contesté à l'époque par les groupes féministes, l'article 41 est souvent cité par les partis politiques chiites comme fondement juridique de leur proposition d'amendement.

L'invasion de 2003 a engendré une dynamique ayant beaucoup de traits communs avec celle de l'établissement de l'État moderne pendant l'ère coloniale (6). Comme les Britanniques dans les années 1920, les Américains ont privilégié une version fragmentée, sectaire et tribalisée de la citoyenneté, en établissant un système politique basé sur des quotas communautaires, le système muhasasa, et en s'alliant avec les forces les plus réactionnaires.

À bien des égards, l'article 41, rédigé et voté dans le contexte d'une occupation brutale, et les propositions répétées visant à établir une loi sectaire sur le statut personnel, constituent une version « américanisée » du régime politique irakien que les groupes islamistes chiites au pouvoir se sont appropriés, tout comme son argument libéral de la « liberté de choix ».

Si la proposition d'amendement était adoptée, cela signifierait un retour à un système juridique remontant à l'époque de la monarchie et de ses tribunaux religieux, tribaux et sectaires, et l'effacement de l'héritage de la première République irakienne (1958-1968). Cet héritage a été façonné par la culture de gauche anti-impérialiste des années 1950 qui a établi l'autorité de l'État émergent sur diverses organisations politiques, y compris sur les puissances coloniales et sur les autorités religieuses.

En outre, l'établissement du Code du statut personnel a marqué la participation des groupes de femmes, représentés en 1959 par Naziha Al-Dulaimi (1923-2007) — communiste et dirigeante de la Ligue des femmes irakiennes, puis ministre —, à la négociation de leurs droits. Elle était alors considérée comme l'une des plus progressistes dans la région.

Au moment de sa rédaction, les groupes islamistes chiites, qui émergeaient lentement, ont contesté la loi, estimant qu'elle sapait leur pouvoir. Les principales organisations prônant une citoyenneté fondée sur l'égalité étaient les forces révolutionnaires de gauche. Dans les années 1940 et 1950, les plus radicales d'entre elles ont exigé que le « statut personnel » soit inscrit dans le Code civil, qui accorde des droits égaux à tous les citoyens, indépendamment de leur sexe, de leur secte ou de leur religion.

À bien des égards, on peut affirmer qu'en dépit de leur opposition affichée, les intérêts des groupes chiites islamistes coïncident avec ceux des puissances coloniales et néocoloniales d'hier et d'aujourd'hui sur un point fondamental : saper les forces politiques progressistes qui prônent une citoyenneté fondée sur l'égalité dans un État fort et souverain.

Toutefois, les partis chiites qui militent en faveur de cet amendement ne sont plus la minorité politique qu'ils étaient sous la monarchie soutenue par les Britanniques au siècle dernier. Ils sont, depuis 2003, au centre du pouvoir politique. On peut se demander ce que signifie pour eux l'affirmation de leur identité religieuse sectaire alors qu'elle est déjà hégémonique dans le pays.

Au cœur des systèmes de pouvoir

Depuis sa création, à chaque crise, à chaque tournant politique, le Code du statut personnel a fait l'objet de réformes. Le régime autoritaire du parti Baas l'a également utilisé comme outil politique à différents moments de l'histoire (7).

L'élite politique chiite portée au pouvoir en 2003, son idéologie et sa politique se sont révélées particulièrement antidémocratiques, brutales, corrompues, sectaires, misogynes et machistes. Elles ont permis la mise en place du système politique ethno-sectaire fragmenté et alimenté une violence politique à la fois sectaire et sexiste, par l'intermédiaire de ses divers groupes armés (dont beaucoup sont alliés au régime iranien). Après des décennies de guerre et de militarisation, la violence est le langage de la masculinité et du pouvoir.

Plus important encore, cette élite a également facilité le démantèlement de l'État et de ses institutions, ainsi que de tous les mécanismes de redistribution des richesses, la privatisation de tout ce qui soutient la vie urbaine, de l'accès à l'électricité, à l'eau, à la santé et à l'éducation.

Au cours de l'année écoulée, elle a lancé des attaques répétées contre les droits des femmes et l'égalité des sexes, depuis l'adoption d'une loi anti-LGBTQ jusqu'à l'interdiction de l'utilisation du mot « genre ». Les théories du complot anti-occidental et les paniques liées à la « moralité sexuelle » ont servi d'écran de fumée pour détourner l'attention de l'opinion publique et d'outil pour saper l'opposition et justifier la répression violente des manifestations comme de la dissidence.

À bien des égards, on peut considérer ces attaques comme une illustration de la perte progressive de popularité de ces groupes, perçus comme responsables des terribles réalités sociales, politiques et économiques du pays, ainsi que de la violence généralisée qui domine la vie quotidienne des Irakiens. Enfin, cette stratégie est également caractéristique de la concurrence entre chiites et chiites, chaque groupe cherchant à s'affirmer par rapport à l'autre, et de l'hégémonie de l'Iran dans les affaires politiques de l'Irak.

Ce débat montre aussi comment le pouvoir opère dans le pays et dans le monde contemporain. Les droits des femmes et les questions de genre sont au cœur des systèmes de pouvoir, un point focal sur lequel le pouvoir s'affirme, se déploie ou est confisqué. Les forces rétrogrades se présentent comme les porteurs de l'authentique culture locale et les protecteurs de la religion.

Toutefois, leur stratégie n'est qu'une version programmatique d'un discours classiquement masculiniste, néofasciste et d'extrême droite que l'on retrouve dans la région, mais aussi dans le monde — de la Hongrie au Japon en passant par les États-Unis et la France. Sans surprise, ces forces ont également en commun de supprimer toutes les protections sociales ainsi que les services publics et de priver les pauvres et les classes populaires de l'accès aux ressources et aux droits essentiels. La logique de privatisation du pouvoir, des services et des ressources est constitutive de la politique brutalement instaurée avec l'invasion américaine et mise en œuvre par ces groupes depuis 2003.

C'est ce que le soulèvement d'octobre 2019 (8) contre le régime a dénoncé avec force. Il a exigé un État démocratique, souverain, fort et fonctionnel qui traite ses citoyens sur un pied d'égalité, indépendamment de leur appartenance religieuse et de leur sexe, et qui redistribue les riches ressources du pays au profit des pauvres et des groupes marginalisés.

L'attaque systématique de l'élite politique chiite contre les mécanismes juridiques et politiques qui accordent des droits et des libertés, en particulier aux femmes et aux groupes marginalisés, a pour effet de maintenir les féministes et les groupes d'activistes progressistes dans un mode défensif : ils sont constamment obligés de se battre pour préserver les droits limités existants, au lieu de faire pression pour en obtenir davantage.

Le Code du statut personnel est patriarcal et, comme l'ont affirmé les militants dans leur campagne pour l'adoption d'une loi sanctionnant la violence domestique, les femmes et les groupes marginalisés ont besoin de plus de droits et de plus de protection. Jusqu'à présent, les efforts acharnés de l'Alliance 188 ont permis de retarder la discussion parlementaire sur la proposition d'amendement, et ainsi de travailler à son retrait pur et simple.

La mobilisation des femmes, d'un large éventail de militants et de forces intellectuelles en Irak autour de ces questions a montré que l'héritage progressiste du siècle dernier continue de resurgir contre vents et marées.

Notes

1- NDLR. Du nom de l'imam chiite Jafar Al-Sadiq (702-765), fondateur de la première école de l'islam.

2- « Iraqi women academics, writers, media professionals and artists reject proposed amendments to the Personal Status Law », Petitions.net, 14 août 2024.

3- NDLR. Les chiites reconnaissent le « mariage temporaire » dit aussi « mariage de plaisir » qui se termine sans aucune procédure au bout de la durée déterminée, théoriquement pour les deux époux mais pratiquement par les hommes.

4- Page Facebook d'Alliance 188, 3 septembre 2024, texte en arabe.

5- Zahra Ali,Women and Gender in Iraq, Cambridge University Press, 2018.

6- Lire Zahra Ali, « Genesis of the “Woman Question”.The Colonial State against Its Society and the Rise and Fall of the New Iraqi Republic (1917–1968) » in Woment and Gendrer in Iraq, op.cit.

7- Zahra Ali, « Women, Gender, Nation, and the Ba'th authoritarian regime », in Women and Gender in Iraq, op.cit.

8- Zahra Ali, « Theorising uprisings : Iraq's Thawra Teshreen », in Third WorldQuaterly, vol.45, n°10, 2023.

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Gaza : une vengeance sans limites ?

Benyamin Netanyahou l'a dit : il lui fallait encore sept mois pour terminer sa guerre contre le Hamas. Juste le temps nécessaire pour que l'élection présidentielle américaine (…)

Benyamin Netanyahou l'a dit : il lui fallait encore sept mois pour terminer sa guerre contre le Hamas. Juste le temps nécessaire pour que l'élection présidentielle américaine porte au pouvoir un nouveau président, en l'occurrence Donald Trump, qui lui laisserait les mains libres pour conduire la guerre à sa façon, sans soucis de préoccupation de l'opinion de la communauté internationale et avec un soutien sans failles.

Tiré de Recherches Internationales
ÉDITORIAL

MICHEL ROGALSKI

Car l'allié américain d'aujourd'hui est certes utile car sans lui cette guerre ne pourrait être poursuivie durablement, mais en même temps c'est un allié qui fixe des limites et certaines conditions. Pas de guerre régionale ou d'embrasement du Moyen-Orient ainsi qu'une totale connivence pour poursuivre à bas bruit la colonisation de la Cisjordanie et éradiquer le Hamas au prix d'une vengeance brutale, massive et indistincte sur la population gazaouie.

Car c'est bien celle-ci qui subit depuis plus de huit mois le déluge d'un tapis de bombes détruisant tout – hôpitaux, écoles, bâtiments administratifs, infrastructures civiles, centrales électriques, habitations – et se voit obligée de subir des déplacements forcés et erratiques rendant la vie quotidienne un enfer. Et tout se décide à Washington dont l'intérêt pour le Moyen-Orient n'a jamais faibli et a survécu au pivot asiatique d'Obama ou à la bascule vers l'indopacifique de Biden. Dès les premiers jours du conflit les États-Unis ont acheminé sur place deux porte-avions dont l'USS Gerald Ford, le plus grand bâtiment de guerre au monde. Cibles menacées et prévenues : l'Iran, le Hezbollah, les milices chiites en Syrie et en Irak. Pour le reste, Israël a toujours su mieux gérer ses relations avec les régimes arabes qu'avec les Palestiniens. La présence militaire américaine a su contenir et éviter tout dérapage du conflit et le ramener à ce qui apparaît comme essentiel aux yeux des dirigeants israéliens dont l'extrémisme suprémaciste et religieux les conduisent à hésiter entre recoloniser Gaza ou à en faire fuir la population vers le Sinaï.

Car il faut bien s'interroger sur les buts de cette guerre – au-delà du langage convenu d'éradication du Hamas et du retour des otages – qui dépassent désormais la simple vengeance punitive excessive, que Tel Aviv avait pris l'habitude d'administrer. Quelques jours après le début du conflit, le ministre de la défense Yoav Gallant sous l'émotion de l'attaque du 7 octobre indiquait bien que la riposte visait la population autant que le Hamas : « J'ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n'y aura pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence. » Et son collègue le nouveau chef du parti travailliste, Yaïr Golan, déclarait le 13 octobre à propos des Palestiniens habitant Gaza : « Jusqu'à ce que les [otages] soient libérés, ils peuvent crever de faim. C'est complètement légitime. » Et il l'a fait, amenant la Cour Internationale de Justice saisie par l'Afrique du Sud à évoquer un risque de génocide.

Le cadre du conflit est aujourd'hui connu et reconnu et s'est établi sur une injustice consécutive à la création de l'État israélien au détriment de Palestiniens chassés de leurs terres et privés d'État. Le terme de « fait colonial » souvent évoqué à raison dans une perspective d'histoire longue aurait pu être dépassé par les accords d'Oslo, mais comme on le sait ceux-ci n'ont jamais été appliqués et la colonisation de la Cisjordanie s'est poursuivie à un rythme accéléré. La perspective en termes de solutions est aujourd'hui totalement bloquée. Au fil des décennies le conflit, au départ deux peuples pour une même terre, mais l'un privé de ses droits pourtant reconnus pat les Nations unies, s'est trouvé peu à peu happé par des influences religieuses extrémistes qui ont gagné les deux parties et attisé les haines privilégiant préoccupations sécuritaires sur toute perspective de coopération ou de co-développement. Tant que ce conflit sera traversé par ces considérations religieuses voire messianiques moins il sera possible d'approcher de la paix.

Idéalement quatre solutions peuvent être imaginées.

Deux sont possibles mais réprouvables. Et deux autres sont souhaitables mais peu réalistes. Première solution, le Hamas arrive à chasser tous les juifs du « Jourdain à la mer » et à imposer sur ce territoire un califat islamique géré par les règles de la charia. On doute que le rapport de force le lui permette ou que la communauté internationale laisse faire ce qui se traduirait par des massacres sur une grande échelle. Des chefs pourraient tenir de tels propos, des fractions palestiniennes y adhérer, mais cette voie apparaîtrait très vite sans issue.

Deuxième solution, celle que pour l'instant semble caresser Israël : se débarrasse des Palestiniens par le grignotage colonial de la Cisjordanie et renvoyer la bande de Gaza à l'âge de pierre en y rendant toute vie digne impossible pour ses plus de deux millions d'habitants dans l'espoir de les chasser vers le Sinaï. L'Égypte ne voulant pas avoir à gérer d'immenses camps de réfugiés et craignant une contamination « frériste » a su résister à cette manœuvre en fermant sa frontière. Mais le pourra-t-elle longtemps ? Cette solution serait perçue comme une défaite par les Palestiniens et ne pourrait que créer l'accumulation des conditions d'un prochain conflit. Israël ne pourrait assurer les bases de sa sécurité en entreprenant au XXIème siècle une guerre de colonisation d'autant qu'il envisage de normaliser ses relations avec les pays arabes.

La troisième solution parfois évoquée renvoie à la naissance d'un État israélien d'un autre type, d'un État arc-en-ciel sur le modèle sud-africain. Initialement portée par une partie de la gauche ce projet d'État bi-national où juifs et arabes jouiraient de mêmes droits n'a pas le vent en poupe pour au moins trois raisons. D'abord parce que la gauche a quasiment disparu depuis une vingtaine d'années en Israël et que la majorité de l'opinion publique suit la politique du gouvernement de Netanyahou dans le contexte de la guerre en cours. Elle est de fait hors jeu dans le choix des options possibles. Ensuite parce qu'en 2018 il a été établi constitutionnellement qu'Israël était l'État du peuple juif, ce qui enlève toute perspective de droits égalitaires pour les Palestiniens. Enfin parce qu'il paraît assez peu réaliste que les deux communautés puissent faire société avant longtemps après l'épisode guerrier en cours qui laissera des traces durables.

Il ne faut dès lors pas s'étonner si la quatrième solution apparaît comme la seule dicible et rallie soudainement maints pays qui jusqu'à présent s'étaient bien gardés d'agir pour la faire avancer. C'est la solution de deux États se reconnaissant l'un l'autre, en paix, se donnant des garanties de sécurité et pourquoi pas coopérant. De longues négociations seraient nécessaires et devraient aborder parmi beaucoup de questions la souveraineté et la viabilité de l'État palestinien à naître, son périmètre géographique et le sort des 700 000 colons israéliens présents en Cisjordanie. Quel gouvernement israélien serait capable d'évacuer des centaines de milliers de colons pour libérer de l'espace pour un État palestinien en Cisjordanie ? Cet espoir, emprunt d'une approche irénique, a la faveur d'une majorité de pays – parfois opportuniste, comme la posture française qui s'en réclame tout en se refusant à reconnaître l'État de Palestine – mais se heurte à une opposition farouche réaffirmée à maintes reprises par le gouvernement israélien qui ne veut pas en entendre parler alléguant que ce serait créer un nouveau Hamas à ses frontières. Cette solution qui reste envisagée comme perspective lointaine est pour l'instant bloquée.

Ce conflit, sans fin prévisible, interroge sur ses motivations et ses véritables buts. Il est devenu évident qu'on est bien au-delà d'une vengeance punitive même excessive ou que la question des otages en ait été la préoccupation centrale tant la conduite de la guerre par tapis de bombes et rasage de quartiers ne pouvait que les ajouter aux victimes. Les manifestations répétées orchestrées par les familles concernées témoignent de l'incompréhension rencontrée par le gouvernement israélien sur ce dossier.

Les commentateurs ont souvent avancé que l'opération barbare orchestrée par le Hamas était un piège tendu à l'armée israélienne pour l'embourber dans un conflit sans fin l'isolant de l'opinion publique mondiale. Les enquêtes en cours qui commencent à remonter confirment plutôt que prévenu, le gouvernement israélien aurait laissé faire, dégarnissant même le front sud et aurait profiter de cet effet d'aubaine pour aller bien au-delà. Le problème de Gaza réglé, c'est-à-dire pouvant se ramener aujourd'hui à un quadrillage policier et une surveillance maillée de la population, la voie devenait libre pour s'atteler au front nord et porter de sévères coups au Hezbollah. La tension se déplace aujourd'hui vers cette zone où les combats risquent d'être encore plus meurtriers.

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Mémorandum sur le génocide en cours à Gaza et ses implications concernant Israël et la Palestine

Invité à un colloque qui se tient en ce moment même en Afrique du Sud, Etienne Balibar a rédigé ce « memorandum », exprimant, de la manière la plus synthétique possible, ses « (…)

Invité à un colloque qui se tient en ce moment même en Afrique du Sud, Etienne Balibar a rédigé ce « memorandum », exprimant, de la manière la plus synthétique possible, ses « positions » sur « Israël et la Palestine », « en tant qu'intellectuel, en tant que communiste, en tant que juif ». Avec ce texte fort, Les Temps qui restent ouvre un espace de discussion autour de cette question cruciale et douloureuse, où se mesurera la capacité de notre société à faire vivre un débat à la hauteur de la gravité des enjeux.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Ce « mémorandum », demandé par les organisateurs de la conférence « Narrative Conditions towards peace in the Middle East », constitue également ma contribution à cette conférence, organisée par le New South Institute de Johannesburg dans la série des « African Global Dialogues », du 18 au 20 Septembre 2024. Adaptation française d'Étienne Balibar.

J'exposerai mes positions de façon aussi directe que possible, en espérant que la discussion permette d'apporter les nuances et compléments nécessaires.

Je dois commencer par quelques remarques préliminaires.

Premièrement, je dois avouer que je suis terriblement pessimiste quant à l'évolution de la situation dans la « Palestine historique ». Dans une analyse publiée le 21 octobre de l'an dernier, j'exprimais la crainte que la guerre d'anéantissement lancée par Israël contre Gaza pour se venger de l'incursion sanglante du Hamas le 7 octobre n'aboutisse à une destruction totale du pays et de ses habitants. Palestine à la mort . C'est en train de se vérifier, après des mois de massacre dont le caractère génocidaire saute aux yeux. La complicité active ou passive de la communauté internationale, en dépit des appels répétés du Secrétaire Général des Nations Unies, n'a rien arrangé, à commencer par celle des Etats-Unis qui fournissent à Israël les bombes écrasant Gaza et opposent leur veto à toute résolution de cessez-le-feu effectif. Les Etats Arabes du Golfe ou l'Union Européenne ont aussi leur responsabilité. Sans doute le peuple palestinien a-t-il maintes fois démontré sa capacité de survivre et de défendre son droit, mais le pessimisme est difficile à éviter. Ce n'est pas une raison pour ne pas essayer d'imaginer l'impossible. C'est même une obligation.

Deuxièmement, je m'exprime ici en tant qu'intellectuel, en tant que communiste, et en tant que juif (parmi d'autres identités, aucune n'étant exclusive). Israël se présente toujours comme le « refuge » dont auraient besoin les Juifs du monde entier menacés par la persistance de l'antisémitisme, ce qui lui conférerait le droit de se « défendre » à n'importe quel prix. Mais le petit-fils d'un déporté du Vel' d'Hiv mort à Auschwitz ne peut pas accepter que la mémoire de la Shoah soit constamment invoquée pour justifier le colonialisme, l'apartheid, l'oppression et même l'extermination sous prétexte de « protéger le peuple juif ». Je concède que cette profession de foi de ma part jettera le doute sur la neutralité de mon jugement, mais dans cette affaire personne n'est neutre.

Troisièmement, je porte le deuil de toutes les victimes du conflit en cours, même celles dont on pourrait dire qu'elles ont une responsabilité dans ce qui leur arrive. C'est vrai pour le passé, pour le présent, mais aussi pour l'avenir, car je pense, hélas, que la catastrophe précipitée par cette guerre va encore s'étendre et menacer tous les habitants de la région. Il y aura d'autres victimes, les unes « innocentes », les autres « coupables ». Leurs actes ne se valent pas, mais leurs morts s'inscrivent toutes dans la même tragédie.

Enfin quatrièmement, je dois dire que je ne suis pas satisfait de la manière dont la présente conférence a été organisée et rendue publique. J'aurais préféré un différent « récit » introductif et une autre composition des tables-rondes. Je comprends donc que certains des participants initialement annoncés aient décidé de se retirer, même si pour ma part j'ai préféré rester et essayer de dire ce que je pense. Mais dans sa forme actuelle cette conférence n'est pas équilibrée. Elle aurait dû inclure les juristes qui ont préparé le dossier de l'Afrique du Sud soutenant l'accusation de génocide devant la Cour Internationale de Justice (ou un de leurs collaborateurs), des historiens antisionistes israéliens, des représentants des groupes militants, sud-africains ou autres, qui défendent la cause palestinienne, et non pas simplement des défenseurs de la politique israélienne dont certains plaident pour l'expulsion des Palestiniens hors de Palestine.

Je passe maintenant au résumé de mes positions sur trois points.

Le 7 octobre et ses suites. L'assaut meurtrier du Hamas contre des villages, des positions militaires, mais aussi une rave party rassemblant des milliers de festivaliers, accompagné d'assassinats de civils, de viols et d'autres brutalités, et d'enlèvement d'otages, prend place dans un contexte, venant après des années de répression et d'opérations de terreur menées par Israël contre la bande de Gaza et sa population. Sur le plan strictement militaire, ce qui l'a rendu possible était l'impéritie de l'armée israélienne et la longue complaisance de l'Etat hébreu envers l'organisation du Hamas, qui lui apparaissait comme l'adversaire idéal à cultiver. C'est ce que la vengeance actuellement exercée est censée faire oublier ou compenser. Mais cela ne justifie rien. L'attaque du Hamas n'était pas, comme on dit tendancieusement, un « pogrom » (c'est contre les villages palestiniens qu'il y a actuellement des pogroms en Cisjordanie). Mais c'était sans conteste une action terroriste. Historiquement, terrorisme et résistance ne sont pas des notions incompatibles, bien que le premier puisse entacher la légitimité de la seconde. Je continue de penser que le Hamas avait prévu que son assaut sanglant entrainerait une vengeance dévastatrice. Il a donc pris sciemment la responsabilité de sacrifier son propre peuple pour infliger une défaite « stratégique » à l'ennemi, et le prix à payer sera long et terrible.

Qu'en est-il cependant de l'autre côté ? Le gouvernement israélien avec son armée, de plus en plus soumis à l'influence du parti des colons (qui est un parti fasciste), mais pouvant aussi compter sur la compréhension de la grande majorité des citoyens juifs sûrs de leur bon droit, que leur nationalisme rend indifférents au sort des Palestiniens (avec des exceptions d'autant plus admirables qu'elles sont de plus en plus réprimées), a cyniquement exploité le traumatisme ressenti par la population et saisi cette « miraculeuse occasion » pour « finir le travail » (comme avait dit David Ben Gourion en 1948) : relancer la Nakba, étendre les colonies de Cisjordanie en expulsant et décimant les Palestiniens, raser les monuments qui témoignent de leur histoire et de leur culture. Surtout il a planifié et mis en œuvre l'un des plus grands massacres de civils de l'histoire récente, toujours en cours à cette heure. Il est impossible de ne pas parler ici de génocide. En janvier dernier la Cour Internationale de Justice, dans l'arrêt rendu à la demande de l'Afrique du Sud, a parlé à ce sujet de « risque grave et imminent ». Ce risque s'est concrétisé depuis, ce qui veut dire que le génocide est en cours. Les nouvelles, toujours partielles, qui nous parviennent du territoire de Gaza, interdit d'accès, sont insoutenables. Ainsi que l'a démontré l'arrêt ultérieur de la Cour Pénale Internationale demandant l'émission de mandats d'arrêt contre les dirigeants israéliens et les chefs du Hamas (dont l'un a été assassiné depuis), rien de tout cela n'efface les crimes du 7 octobre. Mais la guerre d'extermination conduite par Israël opère un changement qualitatif dans le niveau de violence, qui affecte irréversiblement notre perception de la nature du conflit.

Parler de « conflit » israélo-palestinien est en réalité un euphémisme. Ce sera mon second point. Car ce conflit a toujours été profondément dissymétrique, du point de vue du rapport des forces comme du point de vue moral. Un abîme sépare les adversaires. Dès avant 1948 et surtout après, les Palestiniens ont subi la colonisation, l'expropriation (par une politique systématique de rachat, puis de séquestration des terres), le nettoyage ethnique, les discriminations raciales et la réduction au statut de citoyens de seconde zone, ce qui pris ensemble mène à l'effacement de tout un peuple sur son propre sol, avec son histoire et sa civilisation. Je ne dis pas que les Palestiniens n'ont aucune responsabilité dans la façon dont ce procès s'est enclenché et déroulé. Mais il n'y a jamais eu de symétrie et le niveau de brutalité atteint est aujourd'hui sans égal. C'est pourquoi on ne peut contester le droit que les Palestiniens ont de résister à leur anéantissement, y compris par les armes, ce qui ne veut pas dire que toute stratégie soit bonne et que toute forme de contre-violence soit juste. De l'autre côté cependant, la question de la légitimité se pose en de tout autres termes. Un dramatique renversement s'est produit. Je ne considère pas du tout que l'entité israélienne telle que reconnue par les Nations Unies en 1948 (malgré l'opposition des pays arabes) ait été illégitime. Mais je pense que la légitimité de l'Etat d'Israël était conditionnelle, et que depuis lors les conditions qu'elle supposait ont été perdues. Pourquoi ? Ce qui faisait la légitimité politique et morale d'Israël n'était évidemment pas le mythe du « retour » des Juifs exilés dans leur Terre Promise (que Golda Meir avait cru pouvoir décrire comme une « terre sans peuple pour un peuple sans terre »). Ce n'était pas non plus l'ancienneté des installations de colons Juifs en Palestine, promue par le mouvement sioniste depuis le milieu du 19ème siècle. L'historien israélien Shlomo Sand l'a bien dit dans une déclaration récente : les nations européennes, avec leur antisémitisme parfois virulent et leurs persécutions, nous ont « vomis », nous les Juifs (et il est d'autant plus ironique que les sionistes se soient ensuite présentés comme chargés d'apporter la civilisation et la modernité européennes en Orient !). Il n'en résultait évidemment aucune obligation pour les autochtones de leur ouvrir les bras (même si, idéalement, l'installation de colonies juives en Palestine aurait pu conduire à leur incorporation dans une société qui avait toujours eu un caractère multiculturel et cosmopolite). Le seul et unique fondement de cette légitimité – mais il pesait très lourd – c'était la capacité de l'Etat d'Israël d'offrir un refuge et de proposer un avenir commun aux survivants de la Shoah, que le monde entier avait rejetés. Implicitement au moins, et contrairement aux tendances profondes de l'idéologie sioniste (qui de ce point de vue est un nationalisme européen pur et simple), ce fondement s'accompagnait de deux conditions à remplir sur le long terme : 1) il fallait que l'installation des colons juifs soit acceptée par leurs voisins, à travers des négociations menant à une alliance entre les peuples, au lieu que les terres historiques des Palestiniens fassent l'objet d'un accaparement par des arrivants qui croient ou prétendent avoir sur elles un « droit immémorial » ; 2) il fallait que l'Etat d'Israël se construise comme un Etat démocratique et laïque, conférant des droits égaux et une égale dignité à tous ses citoyens. Au lieu de quoi (au prix de conflits internes et profitant de diverses circonstances internationales, dont les guerres menées ou envisagées par les Etats arabes), la discrimination ethnique s'est institutionnalisée, le terrorisme d'Etat a été systématisé, et l'Etat d'Israël n'a cessé de se soustraire au droit international, comme si sa vocation messianique le plaçait au-dessus des lois. Le processus aboutit en 2018 à la proclamation d'Israël comme « Etat-nation du peuple juif », c'est-à-dire à l'adoption d'une autodéfinition raciste, qui justifie l'apartheid et préfigure les crimes contre l'humanité. Israël a perdu sa légitimité historique – je le dis avec tristesse et inquiétude quant aux conséquences. Je n'éprouve aucune Schadenfreude.

Mon troisième point est alors celui-ci : tout peuple a droit à l'existence, je dis bien tout peuple, et par voie de conséquence c'est un crime contre l'humanité que de le lui ôter ou de le lui dénier. Ce droit inclut la sécurité, la protection, l'auto-défense. Mais il ne signifie pas que le droit à l'existence s'exerce dans n'importe quelle forme constitutionnelle, sous n'importe quel nom, dans n'importe quelles frontières, et coïncide avec l'affirmation d'une souveraineté absolue, ignorante des droits des autres peuples, comme si chacun se tenait seul sous le regard de Dieu ou de l'Histoire. Or toute la question dans le cas de la Palestine, c'est qu'au cours du dernier siècle, au travers d'un enchaînement tragique de violences et d'affrontements, elle est devenue la terre de deux peuples, une terre où des hommes et des femmes appartenant à deux lignées d'ancêtres et à deux cultures différentes enterrent leurs morts et élèvent leurs enfants côte à côte. Pour qu'ils puissent cohabiter pacifiquement, partager les ressources et le droit à l'existence qui leur appartient, il faudrait en recréer les conditions : or la guerre actuelle rend cela pratiquement impensable. A nouveau, je ne dis pas que les Palestiniens n'en portent aucune responsabilité, surtout s'ils s'en remettent à la politique du jihad. Mais c'est bien l'impérialisme israélien, auquel les « institutions démocratiques » de l'Etat juif n'opposent pratiquement aucun obstacle interne, qui en a ruiné la possibilité. Briser la fatalité reviendrait à inventer une forme ou une autre de fédéralisme et à imaginer le chemin conduisant à son acceptation par les deux peuples, avec l'appui de la communauté internationale et sous la surveillance de ses institutions. De ce point de vue les notions de « solution à un Etat » ou « à deux Etats » restent des formules abstraites, qui tournent en rond, tant que la condition imprescriptible d'un règlement n'est pas remplie, telle qu'Edward Said l'avait énoncée après Oslo en toute clarté : « l'égalité ou rien ». Ce qui veut dire aussi qu'il faut commencer par réparer les injustices subies et inverser la trajectoire. On en est plus loin que jamais. Mais il ne faut pas se lasser d'en réaffirmer le principe.

A supposer qu'on s'oriente dans cette direction, les exigences immédiates ne sont pas difficiles à formuler. Elles le sont davantage à mettre en œuvre.

Il faut un cessez-le feu inconditionnel à Gaza, suivi d'un échange des otages survivants contre les prisonniers politiques, une évacuation complète de ce qui reste aujourd'hui de Gaza par les envahisseurs, et le transfert provisoire de son administration à un ensemble d'organisations humanitaires sous l'autorité des Nations Unies. Une négociation ouverte avec le Hamas et d'autres forces palestiniennes pourrait en faciliter la réalisation.

Il faut réprimer la violence des colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et engager le démantèlement progressif des colonies, qui sont contraires au droit international, même si c'est au prix d'un changement de régime en Israël, et d'une refondation de l'Autorité palestinienne.

Il faut appliquer de façon rigoureuse et complète les décisions des tribunaux internationaux, dont la Cour Internationale de Justice à la demande de l'Afrique du Sud, dont on saluera ici le rôle déterminant. Cela inclut bien entendu les sanctions pénales et l'interdiction de livrer des armes à une armée qui massacre les civils.

Enfin il faut lever l'interdit qui pèse encore, sous la pression des Etats-Unis et de leurs alliés, sur la reconnaissance de l'Etat de Palestine et sur son admission pleine et entière à l'ONU. Ce qui est un point de départ incontournable pour des négociations de paix.

A ces conditions d'une « solution du conflit » qui sont largement reconnues, sinon actuellement réalisables, je voudrais pour finir en ajouter une de plus, qui peut paraître subjective, mais qui est tout aussi politique : il faut que ceux qui se considèrent comme juifs dans le monde entier se dissocient massivement de l'idée que la « protection du peuple juif » coïncide avec le soutien au colonialisme israélien, qui est meurtrier et autodestructeur. Et qu'ils rejettent l'assimilation de la critique du sionisme avec l'antisémitisme, telle que plusieurs Etats l'ont malencontreusement officialisée. Oui, le sort de l'Etat d'Israël importe aux juifs, et les conséquences de ses politiques sont leur affaire, car leur attitude collective n'est pas sans influence sur son comportement. Mais plus généralement, ce qui est en jeu, c'est le sens que le « nom Juif » gardera dans l'histoire : honneur ou déshonneur, that is the question. Les juifs, sans doute, n'ont aucun privilège à faire valoir dans la défense des droits des Palestiniens, dont la cause est universelle ainsi que je l'avais écrit il y a très longtemps Mais en ce moment même ils ont sans doute une mission à remplir.

Etienne Balibar

Notes

Etienne Balibar : « Palestine à la mort », Mediapart (en ligne), samedi 21 octobre 2023 : https://blogs.mediapart.fr/etienne-balibar/blog/211023/palestine-la-mort.

Voir le site www.africanglobaldialogue.org, et pour les critiques qu'elle suscite de la part de certains mouvements de soutien à la cause palestinienne : https://www.palestinechronicle.com/genocide-washing-upcoming-liberal-zionist-conference-in-south-africa-slammed/

Etienne Balibar : Universalité de la cause palestinienne, Le Monde Diplomatique, Mai 2004 (dossier « Voix de la résistance »).

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15 agences d’aide demandent un embargo sur les armes et la fin de l’obstruction systématique d’Israël à l’aide à Gaza

Quinze organisations humanitaires internationales se sont réunies pour appeler la communauté internationale à exercer une pression en faveur d'un cessez-le-feu immédiat à Gaza, (…)

Quinze organisations humanitaires internationales se sont réunies pour appeler la communauté internationale à exercer une pression en faveur d'un cessez-le-feu immédiat à Gaza, d'un embargo sur les armes à destination d'Israël et de la fin de l'occupation du territoire palestinien.

Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Des familles font la queue pendant des heures pour un repas chaud à Deir al Balah, 16-02-24 © UNRWA

Dans une lettre publiée hier avant la réunion de l'Assemblée générale des Nations unies à New York cette semaine, les organisations humanitaires, dont Oxfam, Christian Aid, Islamic Relief et Save the Children, soulignent que « tandis que les attaques militaires israéliennes sur Gaza s'intensifient, la nourriture, les médicaments, les fournitures médicales, le carburant et les tentes qui sauvent des vies sont systématiquement bloqués depuis près d'un an ».

Quatre-vingt-trois pour cent de l'aide alimentaire nécessaire n'arrive pas à Gaza, contre 34 % en 2023, ont-ils ajouté. « Cette réduction signifie que les habitants de Gaza sont passés d'une moyenne de deux repas par jour à un seul repas tous les deux jours.

Cette « baisse drastique de l'aide (...) entraîne une catastrophe humanitaire, l'ensemble de la population de Gaza étant confrontée à la faim et à la maladie, et près d'un demi-million de personnes risquant de mourir de faim », ont-ils averti.

Avant qu'Israël ne lance sa dernière guerre contre Gaza en octobre 2023, 500 camions d'aide sont entrés dans la bande de Gaza, « ce qui n'était déjà pas suffisant pour répondre aux besoins de la population », ont déclaré les organisations humanitaires, ajoutant : « En août 2024, une moyenne record de 69 camions d'aide par jour est entrée dans la bande de Gaza.

Pendant ce temps, Israël impose « des retards et des refus qui limitent le mouvement de l'aide autour de Gaza ; un contrôle étroitement restrictif et imprévisible des importations ».

Jolien Veldwijik, directeur de CARE en Cisjordanie et à Gaza, a déclaré : « La situation était intolérable bien avant l'escalade d'octobre dernier et elle est aujourd'hui plus que catastrophique. En 11 mois, nous avons atteint des niveaux choquants de conflit, de déplacement, de maladie et de faim. Pourtant, l'aide n'arrive toujours pas et les travailleurs humanitaires risquent leur vie pour faire leur travail alors que les attaques et les violations du droit international s'intensifient ».

Amjad Al Shawa, directeur du Réseau des ONG palestiniennes (PNGO), une organisation qui regroupe 30 ONG palestiniennes et un partenaire d'ActionAid, a déclaré :

« Il y a une pénurie de tous les articles humanitaires. Nous sommes submergés par ces besoins et ces exigences urgentes... Les gens meurent de faim en raison de la pénurie d'aide... 100 % de la population dépend de l'aide humanitaire... C'est la pire situation que nous ayons connue pendant la guerre d'Israël à Gaza (....). »

Les 15 agences ont ensuite « exigé le respect » des conclusions et recommandations de la Cour internationale de justice, la fin du siège de Gaza par le gouvernement israélien et la prise en compte de l'appel lancé par la CIJ dans son avis consultatif pour mettre fin à l'occupation du territoire palestinien.

Traduction : AFPS

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Qui a pris des mesures en faveur des droits des Palestiniens ? La « Carte de la responsabilité mondiale » est désormais en ligne

24 septembre 2024, par Agence Média Palestine — , , , ,
Le Palestinian Institute for Public Diplomacy (PIPD) publie cette semaine une carte interactive qui recense les mesures de désinvestissement ou de sanctions prises à l'encontre (…)

Le Palestinian Institute for Public Diplomacy (PIPD) publie cette semaine une carte interactive qui recense les mesures de désinvestissement ou de sanctions prises à l'encontre d'Israël depuis un an à travers le monde.

Tiré d'Agence médias Palestine. La carte interactive est en ligne dès à présent

La carte interactive du Palestinian Institute for Public Diplomacy (PIPD) montre les mesures et les sanctions prises depuis octobre 2023 par les États, les parlements, les tribunaux, les entreprises, les groupes de la société civile et les organisations en réponse au génocide en cours et à la Nakba en Palestine.

167 mesures sont recensées, consultables aussi sous forme de liste, et comprenant des sanctions diplomatiques, culturelles, économiques et militaires, ainsi que des actions en justice.

La carte permet une visibilité sur ce qu'il en est de la solidarité internationale avec les Palestinien·nes, au delà des discours. En effet le PIPD explique que « Les actions incluses dans la carte se réfèrent à des actions approuvées et documentées prises par des entités reconnues de la société civile, du secteur privé et des gouvernements qui demandent des comptes aux entités et aux intérêts coloniaux israéliens. Les prises de position, les déclarations, les résolutions de l'ONU, les pétitions, les manifestations et autres appels à l'action n'ont pas été pris en compte, sauf s'ils ont abouti à la mise en œuvre de mesures concrètes. »

Pour la France, malgré une mobilisation continue de la société civile depuis octobre dernier, seule 3 mesures concrètes figurent, contre 11 en Belgique et 7 au Royaume-Uni, pour ne citer que de directs voisins. Ces trois mesures comprennent l'interdiction d'entrée sur le territoire en février 2024 par le ministère des Affaires étrangères à 28 colons israéliens en Cisjordanie occupée accusés d'avoir commis des actes violents à l'égard de Palestinien·nes ; la reconnaissance, en mars 2024, de la légalité du boycott des produits israéliens ; et enfin en août 2024 la décision du groupe d'assurance AXA de se désengager de toutes les grandes banques israéliennes et du fabricant d'armes Elbit Systems.

La plupart de ces mesures font suite à la mobilisation et aux efforts inlassables des militant·es, des Palestinien·nes et de leurs allié·es dans le monde entier, qui continuent à se mobiliser pour libérer la Palestine malgré la violence des attaques et de la répression. Le combat des militant·es du mouvement BDS France pour pousser AXA à retirer ses investissements en Israël, durait depuis plus de 8 ans.

« Le désinvestissement d'AXA est un succès important pour le mouvement BDS et les activistes qui luttent pour plus de responsabilité des entreprises », se félicitait à ce sujet en septembre dernier Fiona Ben Chekroun, coordinatrice pour l'Europe du mouvement palestinien BDS, qui a lancé la campagne. « Les banques israéliennes font partie du squelette de l'entreprise coloniale israélienne. Et la participation de ces cinq banques va au-delà du simple apport financier : elles financent la construction des colonies, de leurs bâtiments et de leurs rues, mais participent aussi à la réflexion sur leur agencement et leur mise en place dans les territoires palestiniens. »

« Les efforts visant à demander des comptes au régime colonial israélien se poursuivent depuis des années, sous l'impulsion de la lutte permanente contre la Nakba et l'oppression des Palestiniens. À l'heure actuelle, notre carte ne met en évidence que les actions entreprises depuis octobre 2023, la communauté mondiale ayant renouvelé son attention sur la Palestine en raison du génocide en cours et de la poursuite de la lutte contre le colonialisme. », précise le communiqué du PIPD.

La violence du génocide en cours, sa relative et inégale couverture médiatique, auront en effet permis à renouveler une solidarité internationale, notamment de la part de la société civile d'où a émergé un mouvement social de grande ampleur pour exiger un cessez-le-feu. Si, comme l'indique cette carte, les mesures concrètes tardent à être prises par les responsables, la pression est continue et les efforts portent leurs fruits.

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Trois réflexions et un souhait suite au débat Trump-Harris

24 septembre 2024, par Daniel Tanuro — , ,
Au lendemain du débat qui a opposé Kamala Harris et Donald Trump dans le cadre des élections présidentielles étasuniennes, notre camarade Daniel Tanuro a formulé plusieurs (…)

Au lendemain du débat qui a opposé Kamala Harris et Donald Trump dans le cadre des élections présidentielles étasuniennes, notre camarade Daniel Tanuro a formulé plusieurs réflexions, que nous republions ici.

Tiré de Gauche anticapitaliste
18 septembre 2024

Par Daniel Tanuro

1) Tout observateur raisonnable de la chose politique admettra que Kamala Harris a gagné haut la main. Son langage corporel est celui d'une personne « normale », son propos est cohérent, elle s'exprime clairement, répond plus ou moins aux journalistes, regarde son adversaire, et l'interpelle sans ménagement mais avec le minimum de respect nécessaire. La prestation de Trump est à l'exact opposé : visage ferme, regard fixe, ton hargneux, propos incohérents, mépris, calomnies. Quelles que soient les questions posées, Trump ramène tout à quelques idées fixes (principalement la frontière, les migrants criminels importés par les démocrates pour s'assurer de leur vote en leur donnant l'emploi des américains, etc.). En définitive, il ramène tout au culte de sa propre personne, jusqu'au grotesque. Kamala Harris a bien réussi, par quelques piques, à énerver Trump, qui a vite perdu les pédales. Du coup, plus encore que dans ses meetings, l'ex-président putschiste est apparu pour ce qu'il est : un déséquilibre haineux qui dit n'importe quoi, outrageusement menteur et pathologiquement narcissique. Battu à plates coutures par une femme : quelle humiliation pour celui qui se vante d'en faire ce qu'il veut en les « attrapant par la chatte » !

2) Sur la question de l'avortement, Kamala Harris a défendu avec conviction une position de principe correcte (les femmes décident). Pour le reste, elle a surtout voulu se camper comme la candidate la plus responsable du point de vue des intérêts de la classe dominante US, à l'intérieur et sur la scène internationale. C'était très clair, par exemple, quand, tout en admettant la réalité et le danger du changement climatique, elle s'est vantée de la hausse de la production pétrolière US sous Biden et s'est enorgueillie du fait que son vote en tant que vice-présidente a permis l'adoption des objectifs de fracturation hydraulique inclus dans le plan Biden de capitalisme vert (Inflation réduction act). C'était encore plus clair lorsque Trump a rabâché ses délires sur les démocrates qui veulent « exécuter les nouveaux-nés », légaliser l'avortement jusqu'à 9 mois ou faire des opérations transgenres sur les illégaux en prison (!!!) : Harris a profité de ce moment de folie manifeste pour enfermer son adversaire dans la boite de « l'extrémisme ». Elle a enchainé en appelant les électeurs et électrices républicain.e.s à voter pour elle, en suivant l'exemple de Cheney, Bolton, Pence et autres serviteurs – très « extrémistes » ! – de l'impérialisme US, au nom de la défense de l'hégémonie étasunienne dans le monde (et du soutien à Israël). Idem sur les migrant·es : elle s'est campée en défenseure de la frontière et de la lutte contre les gangs internationaux, sans même dénoncer le monstrueux plan trumpien de traque, d'enfermement et de « déportation » de 20 millions de migrant·es par la police, l'armée et la garde nationale.

3) Il ne faut pas se faire d'illusion : la défaite de Trump dans le débat ne préjuge pas de sa défaite dans les urnes. Son grand atout est d'apparaitre comme l'outsider. Bien qu'il ait trumpisé le parti républicain, une part substantielle de la population continue à le voir comme extérieur au « marais » bipartisan de l'establishment. Il se présente comme une victime de ce « marais », et cette posture entre en écho avec le ressenti de millions de gens qui, du coup, passent allégrement au-dessus de ses condamnations en justice pour fraude ou pour viol. Le comble : sa manière même de s'exprimer, ses incohérences, sa grossièreté sont vues comme des gages d'authenticité. Il est à craindre que le débat n'ait rien changé à cet état de fait. Au contraire peut-être, dans la mesure ou, comme je l'ai dit, Harris s'est vraiment posée en candidate idéale de l'establishment bipartisan et fossile face a la menace de déstabilisation populiste… On verra l'évolution des sondages post-débat. Avant le débat, c'était 50-50, avec avantage à Trump dans 4 des swing states…

4) Le manque d'une alternative de gauche anticapitaliste est criant. Les forces nées autour de la campagne de Bernie Sanders, notamment les Democrat Socialists of America, sont en difficulté, du fait de leur alignement majoritaire sur la politique de Biden, en 2020. On ne peut que souhaiter qu'elles trouvent le moyen de s'orienter dans cette situation difficile où il faut battre Trump sans tomber dans le panneau de Harris. C'est indispensable aux luttes qui, de toute manière, arriveront rapidement. Le mouvement de solidarité avec la Palestine montre qu'il y a du potentiel.

Crédit photo : licence Creative Commons

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Alerte à l’action ! Les 27 et 28 septembre, célébrez les familles d’ouvriers agricoles de Cincinnati lors du Kroger Wellness Festival !

24 septembre 2024, par Coalition des travailleurs d'Immokalee (CIW) — , ,
La célèbre marionnette de CIW, Esperanza, se rend à Cincinnati – et elle a besoin de vous pour amplifier l'appel à la justice des travailleurs agricoles, à la fois dans l'Ohio (…)

La célèbre marionnette de CIW, Esperanza, se rend à Cincinnati – et elle a besoin de vous pour amplifier l'appel à la justice des travailleurs agricoles, à la fois dans l'Ohio et au-delà.

Tiré du site de Coalition des travailleurs d'Immokalee (CIW)

Appel à tous les membres de la Fair Food Nation !

Les travailleurs agricoles et leurs alliés se réuniront pour célébrer le bien-être des familles d'ouvriers agricoles le week-end des 27 et 28 septembre, juste devant le siège social de Kroger à Cincinnati, dans l'Ohio !

Où : Siège social de Kroger, 1014 Vine St, Cincinnati, Ohio

Quand : 10 h - 5 h, 27 et 28 septembre 2024

La démonstration de CIW à Cincinnati coïncidera avec le festival annuel du bien-être de Kroger, qui se déroulera à quelques pâtés de maisons de là. Selon Kroger, le festival « célèbre la santé physique, mentale et émotionnelle de toute la famille ».

Et pourtant, alors même que Kroger vante son engagement pour la santé de votre famille, le géant de l'épicerie a été publiquement lié à l'opération « Blooming Onion » – l'un des cas de travail forcé les plus horribles et les plus vastes de l'histoire récente : d'innombrables ouvriers agricoles retenus contre leur gré, beaucoup soumis à une violence terrible et à une exploitation brutale, deux travailleurs ont travaillé jusqu'à la mort dans la chaleur tandis qu'un autre a été tenu en esclavage sexuel.

Malheureusement, ce n'est pas nouveau pour le géant de l'épicerie : les produits sur les étagères de Kroger ont été attribués non pas à un, mais à trois réseaux de travail forcédistincts au cours des quatre dernières années. Il semble que lorsqu'il défend le bien-être de « toute la famille », Kroger n'inclut pas encore les hommes et les femmes qui récoltent les fruits et légumes qu'il vend à vous et à votre famille.

Le silence retentissant de Kroger face à cette crise des droits de l'homme dans sa chaîne d'approvisionnement est d'autant plus scandaleux qu'il refuse de rejoindre le Fair Food Program, un programme de droits de l'homme dirigé par les travailleurs, lauréat de la médaille présidentielle et ayant fait ses preuves dans l'éradication du travail forcé en donnant aux travailleurs les moyens d'être les observateurs de première ligne de leurs propres droits.

Aujourd'hui, nous vous appelons à rejoindre Esperanza, les dirigeants des travailleurs agricoles et d'autres consommateurs conscients pour une véritable célébration au Festival du bien-être de cette année en appelant Kroger à rejoindre enfin le programme d'alimentation équitable et à faire sa part pour inaugurer une nouvelle journée des droits de l'homme pour les travailleurs agricoles du monde entier !

Vous ne pouvez pas vous rendre à notre célébration ? Aucun problème ! Voici 5 autres façons de contribuer à l'appel des travailleurs agricoles pour que Kroger rejoigne le programme d'alimentation équitable :

1. Appelez Kroger
Composez le 1-800-576-4377

Pour parler à un représentant du service, appuyez sur 8 puis sur 3 après avoir écouté les options du menu. Une fois qu'ils sont en ligne, faites-leur savoir qu'il est temps pour Kroger de rejoindre le programme d'alimentation équitable ! Nous avons une suggestion de script ici, que vous pouvez lire au représentant.

2. Démarrez un chat en direct avec Kroger et copiez/collez le script
Cliquez sur « Lancer le chat en direct » à https://www.kroger.com/hc/help/contact-us

Vous pouvez sauter les options du menu en tapant « parler à un humain » dans le chat jusqu'à ce que le service automatisé vous mette en relation avec un agent. Vous n'avez pas à fournir votre nom ou votre adresse e-mail. Vous pouvez appuyer sur « Ignorer » sur toutes les options concernant le département et le problème auxquels vous souhaitez diriger votre chat. Le service automatisé de Kroger vous mettra ensuite en relation avec un agent en direct. Vous devrez peut-être attendre quelques minutes avant de vous connecter à l'un d'entre eux, mais gardez l'onglet ouvert et restez en ligne ! Une fois que vous êtes connecté à quelqu'un, partagez simplement le message de la Fair Food Nation dans le chat ! Vous pouvez rester en ligne pour répondre à l'agent, ou vous pouvez simplement quitter l'onglet.

3. Envoyez un e-mail à Kroger

Envoyez un e-mail à customerservice@kroger.com avec le titre suggéré : « Il est temps pour Kroger de rejoindre le programme d'alimentation équitable » et incluez votre message dans le corps de l'e-mail. Nous avons suggéré un script, que vous pouvez copier/coller dans le corps de l'e-mail.

Vous pouvez également remplir ce formulaire rapide, qui enverra automatiquement un e-mail au service client de Kroger et aux dirigeants de Kroger avec le script.

4. Jetez un coup d'œil à nos publications Instagram et taguez Kroger ! @krogerco
Vous pouvez également commenter les publications de Kroger sur Facebook, Instagram, X (anciennement connu sous le nom de Twitter) et LinkedIn pour exiger qu'ils rejoignent le programme d'alimentation équitable !

5.Envoyez une lettre à votre Kroger local pour leur demander de rejoindre le programme d'alimentation équitable

Si vous faites vos achats dans un magasin Kroger ou si vous habitez à proximité, vous pouvez imprimer la lettre du CIWet la remettre au gérant de ce magasin. Vous voulez une version numérique ? Vous pouvez également demander qu'une copie vous soit envoyée par la poste en envoyant un e-mail à workers@ciw-online.org avec la ligne d'objet « Demande de lettre Kroger ». Vous pouvez le livrer à l'un des endroits suivants : Kroger, Baker's, City Market, Copps, Dillons, Food 4 Less, Foods Co, Fred Meyer, Fry's, Gerbes, Harris Teeter, Jay C Food Store, King Soopers, Mariano's, Metro Market, Pay-Less Super Markets, Pick 'n Save, Owen's, QFC, Ralphs, Roundy's, Ruler et Smith's Food and Drug.

La Coalition des travailleurs d'Immokalee (CIW) est une organisation de défense des droits humains basée sur les travailleurs reconnue internationalement pour ses réalisations dans la lutte contre la traite des êtres humains et la violence sexiste au travail. L'ICM est également reconnue pour avoir été l'avant-garde de la conception et du développement du paradigme de la responsabilité sociale des travailleurs, une approche de la protection des droits de la personne dirigée par les travailleurs et imposée par le marché dans les chaînes d'approvisionnement des entreprises.

Bâti sur une base d'organisation communautaire des travailleurs agricoles à partir de 1993, et renforcé par la création d'un réseau national de consommateurs depuis 2000, le travail de l'ICM n'a cessé de croître au cours de plus de vingt ans

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USA – La droite trumpiste cible les syndicats

24 septembre 2024, par Martin Thomas — , ,
Introduction A l'approche du scrutin présidentiel américain de novembre 2024, il importe pour apprécier les enjeux du résultat, tant au niveau interne US qu'au niveau (…)

Introduction

A l'approche du scrutin présidentiel américain de novembre 2024, il importe pour apprécier les enjeux du résultat, tant au niveau interne US qu'au niveau mondial, de se pencher sur une facette pas assez connue des projets réactionnaires du camp trumpiste.

Si le racisme illustré par l'intention d'édifier un gigantesque mur anti-migrants à la frontière avec le Mexique et d'expulser jusqu'à plusieurs millions de migrants, ou le sexisme incarné par la volonté talibanesque d'interdire nationalement le droit à l'IVG sont bien connus, le sujet des droits sociaux et notamment des droits syndicaux ne l'est pas autant.

21 septembre 2024 | tiré du site Arguments pour la lutte sociale
https://aplutsoc.org/2024/09/21/usa-la-droite-trumpiste-cible-les-syndicats/

Le candidat de Trump au poste de vice-président, J.D Vance, a réintroduit son projet de législation pour des organisations conjointes travailleurs-employeurs pour remplacer les syndicats. La proposition est également poussée par le groupe de réflexion américain Compass et dans le cadre du « Projet 2025 » pour une prochaine administration Trump.

Le projet de législation Vance n'interdirait pas les syndicats. Il vise à marginaliser les syndicats via des forums conjoints travailleurs-employeurs. La question de savoir si les syndicats épuisés seraient alors purement et simplement interdits ou autorisés à une existence marginale dépendra.

Le « Projet 2025 » propose de retirer les syndicats de certains secteurs de l'administration fédérale, tels que le Ministère de la sécurité du territoire, et demande que « le Congrès examine si tous les syndicats du secteur public sont… compatibles avec le gouvernement constitutionnel ».

Pour éclairer la réflexion, nous reproduisons deux documents. D'abord un communiqué de presse récent du sénateur Rubio qui agit de concert avec JD Vance contre les droits d'action collective des travailleurs. Ensuite, un article de 2023 de Martin Thomas sur le détail des ambitions trumpistes liberticides envers les travailleurs.

Document 1 Rubio et Vance réintroduisent un projet de loi visant à « renforcer la voix des travailleurs »

17 janvier 2024 – Communiqués de presse

Les employés qui considèrent la question de la syndicalisation en sont souvent dissuadés par les échecs du Big Labor (le syndicalisme historique), qui place trop souvent ses positions politiques avant l'intérêt supérieur des travailleurs. Malheureusement, la capacité des travailleurs à négocier efficacement avec les employeurs est entravée par un régime réglementaire qui n'a pas changé depuis la Grande Dépression.

Les Sénateurs Marco Rubio (R-FL) et J.D. Vance (R-OH) ont réintroduit la proposition de Teamwork for Employees and Managers Act of 2024 afin de donner aux employés la possibilité volontaire de négocier avec les employeurs à leurs propres conditions et sans crainte d'une action en justice ou d'une ingérence bureaucratique, une pratique actuellement interdite par les lois existantes en matière de travail. La loi TEAM donnerait également aux travailleurs une présence au sein des principaux conseils d'administration en tant que membres sans droit de vote.

« Notre système de négociation collective est censé garantir de bonnes conditions et des compensations pour les travailleurs. Au lieu de cela, il met des millions de travailleurs entre un roc et une place difficile : avoir à choisir entre rester sans représentation et une direction syndicale « woke ». Les employés méritent une autre option. Cette législation donnerait aux travailleurs cette option, améliorerait les relations entre les travailleurs et les directions et aiderait à trouver de bons lieux de travail. » – Sénateur Rubio

Document 2 – Une analyse des projets de la droite conservatrice La droite trumpiste cible les syndicats

Les groupes de réflexion aux États-Unis travaillent d'arrache-pied pour esquisser les politiques et préparer le personnel d'une administration Trump en 2025-9. Certains ont des propositions alarmantes concernant le remplacement des syndicats par une organisation de travailleurs « non conflictuelle ».

Le mandat de Trump en 2017-21 a été chaotique. Bien que Trump se soit rallié une grande partie de la base républicaine de droite incrustée depuis des décennies dans les églises, les clubs de détenteurs d'armes à feu et les organisations républicaines locales, la plupart des cadres politiques de haut niveau de la droite n'ont pas fait confiance à Trump et ne s'attendaient pas à ce qu'il remporte l'élection de 2016.

Trump n'avait pas d'équipe cohérente pour traduire sa démagogie en politiques détaillées et les faire passer à travers la machine gouvernementale, délabrée et à forte inertie, des États-Unis.

Après la tempête du 6 janvier 2021 du Capitole, il semblait d'abord que les hauts fonctionnaires de la droite américaine effaceraient Trump comme un embarras. En fait, Trump a ré-hégémonisé le parti républicain, y compris un plus grand nombre de ses cadres de haut niveau.

L'American Enterprise Institute et le Cato Institute, deux organismes partisans du marché libre, se tiennent à distance de Trump. La Heritage Foundation est plus proche. L'America First Policy Institute de Brooke Rollins et l'American Compass, dirigé par Oren Cass, jouent un rôle plus important.

L'AFPI est la plus alignée sur Trump, et dispose d'une rubrique sur son site web qui propose des « fondements bibliques » à leurs projets politiques. Sa prétention « pro-travailleurs » repose en grande partie sur l'affirmation selon laquelle la déréglementation favorise l'emploi. Cass, ancien conseiller du républicain anti-Trump Mitt Romney, a viré pro-Trump, il compte d'anciens responsables de Trump dans son équipe et offre plus de détails.

American Compass, soulignant les limites des marchés libres, fait des propositions détaillées pour « de nouvelles formes d'organisations des travailleurs qui pourraient offrir des avantages, travailler en collaboration avec la direction et négocier à l'échelle de l'industrie des conditions d'emploi de base ».

Elle propose des « comités patronaux-salariés non syndiqués » sur les lieux de travail, « des comités d'entreprise (parfois financés par l'employeur) où les représentants des salariés seraient habilités à discuter des questions d'intérêt commun avec la direction, dans une attitude non conflictuelle ». Elle prône des organisations de travailleurs plus larges dont la fonction principale est la distribution des prestations financées par l'État : « les États-Unis devraient établir des paramètres pour la création, la gouvernance et la composition des organismes de prestations aux travailleurs et les rendre éligibles à recevoir des fonds publics par l'administration des programmes publics ».

Son rapport ne dit pas explicitement que les syndicats actuels doivent être supprimés, mais seulement qu'ils doivent être exclus du champ de l'action politique. Il affirme toutefois que « la plupart des travailleurs disent préférer une organisation des travailleurs gérée conjointement par les travailleurs et la direction de l'entreprise » et suggère « une forme alternative de syndicat apolitique que les travailleurs préféreraient probablement » aux syndicats existants.

Tout cela est présenté comme une poussée en faveur des salariés, dans un style similaire à celui des mouvements d'extrême droite des années 1920 et 30 qui prétendaient que leur organisation de collaboration de classe forcée était plus avantageuse pour les travailleurs que les syndicats existants « trop politiques ».

La droite américaine ne s'inquiète pas pour l'instant du risque de voir la classe ouvrière prendre le pouvoir politique à brève échéance, comme l'extrême droite européenne s'en inquiétait dans les années 1920 et 1930. Elle diabolise le « Big Ed » (les universités), le « Big Government », considérés comme les moteurs de l'idéologie libérale ou progressiste et de réglementations gouvernementales qui entravent les affaires, et « le dirigeant syndical qui fait l'éloge de l'accès à l'avortement ou des mesures environnementales qui réduisent l'emploi [ou] qui verse les cotisations syndicales dans les caisses de guerre progressistes ».

Néanmoins la menace portée à la liberté des travailleurs d'organiser leurs propres syndicats et de déployer la force syndicale pour des causes sociales et politiques est grave.

Martin Thomas, 25/07/2023

Source : https://www.workersliberty.org/story/2023-07-25/trumpist-right-targets-unions
Traduction : aplutsoc

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Etats-Unis. Trump se déclare comme « le parti de la classe ouvrière ». Qu’en est-il ?

24 septembre 2024, par Lance Selfa — , ,
Le Labor Day aux Etats-Unis [qui est fixé le premier lundi du mois de septembre, le 2 septembre cette année ; le premier a été « célébré » à New York en 1882] est (…)

Le Labor Day aux Etats-Unis [qui est fixé le premier lundi du mois de septembre, le 2 septembre cette année ; le premier a été « célébré » à New York en 1882] est traditionnellement considéré comme la fin de l'été et le début de la période la plus importante des campagnes politiques nationales. Il est l'occasion de parler beaucoup des travailleurs et des travailleuses et de l'emploi. 2024 n'a pas fait exception à la règle, et les discussions ont fusé des deux grands partis.

Tiré de A l'Encontre
22 septembre 2024

Par Lance Selfa

Shawn Fain lors de la Convention démocrate.

Du côté du Parti démocrate, cette aile du système politique états-unien promet des mesures visant à aider les travailleurs et travailleuses « non seulement à survivre, mais aussi à avancer ». Bien que la vice-présidente Kamala Harris et la plupart des politiciens démocrates affirment qu'ils font campagne pour la « classe moyenne », leurs porte-parole syndicaux ne sont pas aussi retenus. Après avoir qualifié l'ancien président Trump de « briseur de grève », le président de l'UAW (United Auto Workers), Shawn Fain, a qualifié Kamala Harris de « championne de la classe ouvrière » lors de son discours à la Convention nationale du Parti démocrate (DNC), en août [DNC réunie du 19 au 22 août à Chicago].

Du côté du GOP (Grand Old Party), l'aile républicaine, conservatrice, du système politique états-unien, la prétention est différente : le Parti républicain s'affirme désormais le « parti de la classe ouvrière ». Comment cela se fait-il ? Cela provient de sondages d'opinion et d'enquêtes à la sortie des urnes, le jour de l'élection. Ils « démontrent » que Trump et les Républicains ont rallié près de deux tiers des électeurs qui n'ont pas le baccalauréat. Il s'agit là de la définition médiatique standard de la « classe ouvrière » aux Etats-Unis.

D'un point de vue socialiste, il est plus juste de dire qu'aucun des deux grands partis – les deux partis capitalistes – n'est un parti de la « classe ouvrière », même si la plupart des personnes qui votent pour les deux partis sont, de par leur profession, des travailleurs et travailleuses non syndiqués [1]. Mais aucun des deux partis ne défend les intérêts de la classe ouvrière, même si la plupart des syndicats – à quelques exceptions notables près [2] – soutiennent les démocrates et s'efforcent de faire voter pour eux.

***

Mais commençons là où le gros des médias et la plupart des commentaires libéraux commencent : c'est-à-dire par les affirmations républicaines selon lesquelles le soutien de Trump repose sur une classe ouvrière « laissée pour compte » qui considère les démocrates comme les représentants d'une élite de la côte Est « branchée » qui les dédaigne.

Le premier point à souligner est que nous ne parlons certainement pas de la classe ouvrière états-unienne dans son ensemble. La classe ouvrière états-unienne est multiraciale et composée de manière plus que proportionnelle de personnes de couleur. Elle comprend des hommes et des femmes, des personnes aux identités sexuelles différentes, de religions différentes (et, de plus en plus, sans religion). Elle se compose de différents groupes d'âge.

Commençons donc par nous concentrer sur les membres blancs de cette classe ouvrière. Mais, dès lors, nous nous heurtons dans la foulée à d'autres problèmes de définition. Pour les experts et les chercheurs, la définition la plus courante de la « classe ouvrière blanche » est celle des Blancs qui n'ont pas obtenu le baccalauréat ou un diplôme supérieur. Bien que le niveau d'éducation soit certainement lié aux types d'emplois occupés, il est beaucoup plus facile de saisir le niveau d'éducation que la profession dans les enquêtes. Selon cette définition, les « Blancs de la classe ouvrière » représentent environ 44 % de la population états-unienne âgée de 18 ans et plus.

Le fait d'assimiler le niveau d'éducation à la classe sociale pose de nombreux problèmes. Le plus évident est que cette définition ne tient pas compte de ce qu'un marxiste considérerait comme la norme de base pour déterminer l'appartenance de classe d'une personne : son emploi et sa relation au capital (le rapport social capital-travail). En outre, comme l'a écrit Larry M. Bartels, politologue à l'université de Princeton, dans une critique [3] de l'ouvrage de Thomas Frank, paru en 2004 (Ed. Metropolitan Books), What's the Matter with Kansas ? How Conservatives won the Heart of America, la population non diplômée des Etats-Unis reflète la répartition des revenus de la population.

Mais il existe d'autres problèmes plus patents liés aux deux points ci-dessus. Le plus important est que l'exclusion [dans ce type de sondages] des personnes titulaires d'une licence ou d'un diplôme supérieur exclut des travailleurs et travailleuses tels que la plupart des infirmières et autres employé·e·s du secteur de la santé, ainsi que la plupart des enseignant·e·s de la maternelle à la terminale. Les travailleurs et travailleuses des secteurs de l'éducation et de la santé ont été parmi les plus actifs dans l'action collective ces dernières années. Deuxièmement, si la main-d'œuvre non diplômée reflète la répartition des revenus de la population, les revenus supérieurs à la médiane sont très probablement associés aux propriétaires de petites entreprises et aux agents de maîtrise de niveau inférieur.

La partie de la population qui n'a pas de diplôme universitaire est également plus fortement représentée par les personnes plus âgées, qui ont tendance à être plus traditionnelles d'un point de vue culturel. Pour un chercheur du Beltway [région délimitée par l'autoroute périphérique qui encercle Washington] cependant, tous les Blancs de la classe ouvrière – et de plus en plus de Latinos et d'Afro-Américains non diplômés – sont facilement catalogués dans la « base » conservatrice, avec tous les stéréotypes que cette image implique : adeptes de la NASCAR (National Association for Stock Car Auto Racing), misogynes, détenteurs d'armes à feu et téléspectateurs de Fox News. Mais au-delà de la caricature, la réalité est bien plus complexe.

***

Même parmi les électeurs blancs, l'éducation n'est pas une ligne de démarcation à toute épreuve, surtout si l'on tient compte du revenu (un indicateur insuffisant, mais un peu plus direct que le baccalauréat, de la classe sociale). Les électeurs et électrices à faible revenu, toutes origines ethniques confondues, sont encore plus susceptibles de voter pour les démocrates, malgré la préférence bien documentée du parti pour les suburbains de la classe moyenne.

Pour cette raison, les responsables politiques ont toujours reconnu que le point de vue de la classe ouvrière était divisé. En fait, le service de prospection de l'AFL-CIO (American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations) identifie trois groupes de travailleurs et travailleuses : les réactionnaires/conservateurs qui pourraient être considérés comme faisant partie de la base de Trump ; les libéraux/progressistes (souvent des membres actifs de syndicats) qui sont des partisans du Parti démocrate, et le reste dont les opinions politiques se situent quelque part entre les deux. Près de trois électeurs/électrices démocrates sur cinq aux élections présidentielles de 2020 n'étaient pas titulaires d'un bachelor.

Cette insistance sur les moins-éduqués, les bas-revenus comme fraction de la base électorale de Trump obscurcit le fait que le trumpisme a trouvé un fort écho chez les secteurs des classes moyennes et élevées des Etats-Unis. Il n'y a pas que les milliardaires de Wall Street et de la Silicon Valley qui ont fait parler d'eux en soutenant Trump, et il est clair qu'une « gentry » de la dite classe moyenne compte parmi ses plus fervents partisans. Le profil professionnel des plus de 1000 personnes arrêtées à la suite de l'attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole a révélé un pourcentage élevé de membres des forces de l'ordre, d'anciens militaires, de professions libérales et de propriétaires de petites entreprises.

S'il est vrai que la formule : « partisans de Trump = travailleurs » obscurcit plus qu'elle n'explique, cela signifie-t-il que les démocrates sont les champions de la classe ouvrière ? En un mot, non. Malgré le soutien de la plupart des dirigeants syndicaux, y compris le soutien non critique du président de l'UAW, Shawn Fain, à la vice-présidente Kamala Harris lors de la Convention démocrate du mois dernier, le Parti démocrate reste un parti entrepreneur néolibéral dont les orientations sont plus proches de la démocratie chrétienne d'après la Seconde Guerre mondiale que de la social-démocratie de l'après-guerre.

***

Le programme économique de Kamala Harris, un vague appel à la construction d'une « économie des opportunités », comprend jusqu'à présent un ensemble de politiques (sans doute testées par les sondages) : aide à l'accession à la propriété pour les primo-accédants, crédits d'impôt pour les familles avec enfants, et une déduction fiscale de 50'000 dollars pour les petites entreprises en phase de démarrage. Il est révélateur que la plus généreuse de ces mesures s'adresse aux propriétaires de petites entreprises [4]. Lors du débat qui l'a opposée à Donald Trump le 10 septembre, Kamala Harris a à peine évoqué la question de la santé, se contentant de promettre de protéger la loi sur les soins abordables (Affordable Care Act, dit aussi Obamacare). Et si la défense du droit à l'avortement est certainement une question qui concerne la classe laborieuse, il en va de même pour le soutien des droits des immigré·e·s, qui constituent une part essentielle de la classe ouvrière des Etats-Unis. Mais Joe Biden et Kamala Harris ont essentiellement sacrifié la question de l'immigration (ainsi que celle de la délinquance) à la droite trumpiste [5]. Tout cela ne constitue pas un programme solide pour la classe laborieuse.

Comme toujours, les démocrates espèrent que la peur de Trump et du « Projet 2025 » [de la très conservatrice Heritage Foundation] suffira à maintenir leurs partisans dans le rang. Mais le fait que Trump reste en tête parmi les personnes qui déclarent que l'économie est leur principale préoccupation et que les inquiétudes concernant l'inflation [entre autres, les prix de l'alimentaire, de l'énergie, du logement] – qui frappe le plus durement les personnes à faible revenu – sont toujours d'actualité, cela joue en défaveur de la vice-présidente sortante.

Trump s'est peut-être approprié le créneau des racistes de la classe moyenne et de la classe ouvrière. Mais pour les millions de personnes qui ne sont pas idéologiquement engagées et qui attendent de l'establishment politique qu'il s'attaque aux vrais problèmes de leur vie, Kamala Harris n'a proposé que le thé le plus léger. Il n'est pas étonnant que le « parti des non-votants » continue d'être majoritairement composé de membres de la classe ouvrière et que, malgré le programme anti-classe ouvrière de Trump, le scrutin reste trop serré pour être tranché. (Article reçu le 19 septembre 2024 ; traduction par rédaction A l'Encontre)

Lance Selfa est l'auteur de The Democrats : A Critical History (Haymarket, 2012) et éditeur de U.S. Politics in an Age of Uncertainty : Essays on a New Reality (Haymarket, 2017).


[1] En 2020, 10,8% de salarié·e·s étaient syndiqué·e·s ; en 2023, le taux de syndicalisation se situait à 10%, soit la moitié moins de ce qu'il était au début des années 1980. Dans le secteur privé, le taux s'élève à 6%, soit quelque 7,4 millions de salarié·e·s, mais le nombre de syndiqués a toutefois augmenté, de quelque 200'000. Le secteur public réunit presque la moitié des syndiqué·e·s (au total à peu près 12,5 millions), leur nombre a stagné ou reculé de 50'000 selon certaines recherches. Néanmoins, des enquêtes indiquent qu'au cours des quatre dernières années le pourcentage de salarié·e·s qui manifestent la volonté de disposer d'un syndicat a fortement augmenté, en passant de 48% à 70%. Le patronat, avec ses relais politico-judiciaires, multiplie les obstacles à la syndicalisation. (Réd.)

[2] Les Teamsters (International Brotherhood of Teamsters) organisant, entre autres, les chauffeurs routiers, ont annoncé, le 18 septembre, qu'ils ne soutenaient aucun des deux candidats. Cela en rupture avec une « tradition » remontant à 2000 : ils appuyaient depuis lors le candidat démocrate. Certes, en 1984, la direction a appuyé Ronald Reagan et en 1988 Georges H.W. Bush. Selon deux sondages, la base du syndicat semblait favorable à Trump. (Réd.)

[3] « What's the Matter with What's the Matter with Kansas », in Quarterly Journal of Political Science, 2006. (Réd.)

[4] Le quotidien français Les Echos du 5 septembre écrit : « Mardi [3 septembre], à Portsmouth dans le New Hampshire, elle [Kamala Harris] a réaffirmé son vœu de bâtir une « économie des opportunités », et expliqué comment cela profitera aux petits entrepreneurs. L'objectif est de parvenir à 25 millions de créations d'entreprises pendant son mandat si elle est élue – encore plus que le score de 19 millions sous Joe Biden. La candidate démocrate a promis de décupler la déduction fiscale applicable aux dépenses liées à la création d'entreprise, à 50'000 dollars, et de réduire les tracasseries administratives pour les entrepreneurs. Surtout, elle a annoncé une hausse de la taxation des gains en capital bien moins élevée que celle que promettait Joe Biden avant de quitter la course présidentielle. » (Réd.)

[5] Voir sur cette question, en langue français, les études de Loïc Wacquant et Didier Fassin. (Réd).

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Kamala Harris s’attaquera-t-elle à la cupidité des entreprises ? Les commentaires de Ralph Nader et de Joe Stiglitz sur le débat, les tarifs douaniers de Trump et d’autres questions

24 septembre 2024, par Amy Goodman, Joseph E. Stiglitz, Juan Gonzalez, Ralph Nader — , ,
Nous nous entretenons avec Ralph Nader, défenseur des consommateurs, et Joseph Stiglitz, économiste lauréat du prix Nobel, au sujet du débat de mardi entre la vice-présidente (…)

Nous nous entretenons avec Ralph Nader, défenseur des consommateurs, et Joseph Stiglitz, économiste lauréat du prix Nobel, au sujet du débat de mardi entre la vice-présidente Kamala Harris et l'ancien président Donald Trump.

Tiré de Democracy Now
Democracy now https://www.democracynow.org/2024
Part I : Will Harris Take on Corporate Greed ? Ralph Nader & Joe Stiglitz on
Debate, Trump's Tariffs & More

traduction Johan Wallengren

Le 11 septembre 2024

Invités
• Joseph Stiglitz
Économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l'université Columbia, président du Council of Economic Advisers (CEA, littéralement « Conseil des conseillers économiques ») sous l'administration Clinton, il est actuellement économiste en chef de l'Institut Roosevelt.
• Ralph Nader
Défenseur des consommateurs et critique de la grande entreprise, il a été quatre fois candidat à l'élection présidentielle.

Stiglitz estime que les projets politiques de Trump, qui comportent notamment de fortes hausses des droits de douane, entraîneraient « une plus forte inflation et une croissance plus lente » et feraient des ravages dans l'économie américaine. M. Nader considère qu'il est facile de faire bonne figure à côté de M. Trump, mais que Madame Harris ne remet pas fondamentalement en question la cupidité des entreprises, le rôle du complexe militaro-industriel, la destruction de l'environnement, ainsi que bien d'autres maux.

Transcription
Ceci est une traduction de la version la plus immédiate de la transcription, qui pourrait ne pas être finale.

AMY GOODMAN : Bienvenue à Democracy Now !, democracynow.org. Mon nom est Amy Goodman. Avec Juan González, nous continuons de nous pencher sur le débat de mardi soir. Voyons voir ce qui s'est dit au sujet de l'économie. Voici la vice-présidente Kamala Harris qui s'exprime lors du débat présidentiel sur ABC News.

KAMALA HARRIS : Donald Trump n'a pas de plan pour vous. Et quand vous regardez son plan économique, il ne s'agit que d'allègements fiscaux pour les plus riches. Je propose ce que j'appelle une économie offrant tout un éventail de possibilités. Les meilleurs économistes de notre pays, voire du monde entier, ont examiné nos plans portant sur l'avenir de l'Amérique. Ce que Goldman Sachs a dit, c'est que le plan de Donald Trump ferait du mal à l'économie, tandis que le mien la renforcerait. Ce que la Wharton School a dit, c'est que le plan de Donald Trump ferait exploser le déficit. Seize lauréats du prix Nobel ont décrit son plan économique comme quelque chose qui ferait augmenter l'inflation et paverait la voie à une récession d'ici le milieu de l'année prochaine.

DONALD TRUMP : Nous allons encaisser des milliards de dollars, des centaines de milliards de dollars. Je n'ai pas eu d'inflation, pratiquement pas d'inflation. Ils ont eu l'inflation la plus élevée qu'on ait vue de toute l'histoire de notre pays peut-être, parce que je n'ai jamais vu une période où les choses sont allées plus mal que ça. Les gens ne peuvent pas aller acheter des céréales, du bacon, des œufs ou quoi que ce soit d'autre. Les citoyens de notre pays sont tout simplement en train de mourir avec ce que nos adversaires ont fait. Ils ont détruit l'économie. Et il suffit de regarder un sondage. Les sondages disent à 80, 85 et même 90 % que l'économie de Trump était formidable, que leur économie a été épouvantable.

AMY GOODMAN : Se joint maintenant à nous Joseph Stiglitz, économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l'université de Columbia, qui a été président du Conseil des conseillers économiques. Professeur Stiglitz est également l'économiste en chef de l'Institut Roosevelt et compte parmi les 16 économistes lauréats du prix Nobel qui ont mis en garde contre les politiques de Trump. Et nous sommes aussi rejoints par Ralph Nader, défenseur des consommateurs de longue date et critique de la grande entreprise qui a été candidat à l'élection présidentielle. Son dernier livre est Let's Start the Revolution : Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People (traduction non officielle : Commençons la révolution : des outils pour extirper les grandes entreprises de l'appareil d'état et construire un pays qui répond aux aspirations du peuple).

Professeur Stiglitz, quelle est votre réaction à ce que nous venons de voir ?

JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, le fait est qu'il n'a pas de plan pour l'économie. Il a fait des propositions qui conduiront à plus d'inflation et à une croissance plus lente. Non seulement il y a les problèmes à court terme, mais à long terme, il va saper la croissance du pays et faire perdre ainsi aux États-Unis leur avantage stratégique. Permettez-moi de vous donner deux exemples.

Il a proposé des droits de douane énormes. Or, les droits de douane ne sont qu'une taxe. Ils portent sur des produits que les gens achètent tous les jours. Et ces droits de douane énormes feront augmenter l'inflation. Il s'est opposé à l'Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l'inflation) dont une disposition importante vise à faire baisser les prix des médicaments. Cette disposition prévoit que le gouvernement peut négocier avec les entreprises pharmaceutiques pour faire baisser les prix. Or, il va abroger cette disposition. Résultat, les prix des médicaments vont grimper.

D'un autre côté, à long terme, ce qui est important, la raison pour laquelle notre économie est plus forte que celle d'autres pays, c'est notre innovation technologique, nos universités, nos activités scientifiques. Qu'a-t-il proposé ? Nous l'avons vu à l'œuvre quand il était président, avec ses coupes sombres dans les budgets consacrés à la science. L'une des raisons pour lesquelles les économistes s'accordent à dire que l'économie américaine se porte bien est l'État de droit. Il a fait tout ce qu'il pouvait pour saper l'État de droit, y compris en menaçant la banque centrale de lui enlever son indépendance.

Donc, si vous examinez l'ensemble de ses propositions, vous constaterez qu'il s'agit d'un ensemble de propositions bien bonnes et bien belles pour les très riches, parce qu'il va réduire les impôts des milliardaires et des grandes entreprises qui amassent les profits, mais pour l'économie en général, il y aura une augmentation des prix, une augmentation de l'inflation, un ralentissement de la croissance, une augmentation du chômage. Pour reprendre un mot qu'il utilise lui-même, ce serait un désastre.

JUAN GONZÁLEZ : Mais, Professeur Stiglitz, sur la question des droits de douane, l'administration Biden n'est-elle pas dans une position un peu plus faible, étant donné qu'elle a maintenu les droits de douane que Trump avait imposés à la Chine, comme il l'a mentionné dans le débat, et que Biden propose, par exemple, des droits de douane encore plus élevés sur les véhicules électriques et d'autres sortes de biens en provenance de Chine ?

JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, vous savez, l'une des différences majeures entre Trump et Harris est la modération et le sens de l'équilibre dont fait preuve cette dernière. Il y a bien des situations où on a des objectifs multiples et on doit faire très attention à trouver un équilibre entre eux. L'un de nos objectifs est de devenir moins dépendants de la Chine. Vous savez, lors de la pandémie, nous ne pouvions même pas produire les masques dont nous avions besoin. Nous avons dû les faire venir de Chine. Nous achetons des transistors à Taïwan. Nous devons devenir plus indépendants dans ce domaine également. Mais nous recevons des quantités affolantes de choses de la Chine et nous devons devenir plus indépendants, plus résilients. Et c'est là que les droits de douane imposés à la Chine envoient à nos entreprises un signal important : il faut rendre nos chaînes d'approvisionnement plus robustes. Et c'est ce qu'ils essaient de faire.

Que veut faire Trump ? Il veut augmenter ces droits de 50, 60 %. Cela entraînerait un blocage. Et qui paierait le prix de ce blocage ? Les consommateurs et les travailleurs américains. Nous recevons beaucoup de pièces détachées dont nous ne pouvons nous passer. L'industrie manufacturière en souffrirait. Toute notre économie serait mise à rude épreuve.

AMY GOODMAN : Ralph Nader, je voudrais vous faire intervenir à ce moment de la conversation. Vous avez écrit Let's Start the Revolution - Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People (traduction non officielle : Commençons la révolution - des outils pour extirper les grandes entreprises de l'appareil d'état et construire un pays qui répond aux aspirations du peuple). Vous avez parlé des deux partis comme d'un duopole. Pensez-vous que le débat a couvert les sujets, les questions économiques qui comptent pour le plus grand nombre ?

RALPH NADER : Non, en fait, ça a été une occasion manquée pour Kamala Harris. Il est facile de faire bonne figure à côté de Trump. Il ment. Il fulmine. Il répète huit fois les mêmes mensonges sur l'immigration, par exemple, comme Juan l'a signalé. Mais à la base, elle a dit qu'elle voulait être la présidente de l'ensemble du peuple. Évidemment, bon, il n'y a pas grande différence entre ce qu'elle a dit ou non, par rapport à Biden.

Elle a répété encore une fois qu'Israël avait le droit de se défendre. Israël est l'auteur d'un massacre de plus de 300 000 Palestiniens déjà, procède à des bombardements au Liban, agit à sa guise en se servant d'armes américaines. Et elle n'arrive pas à dire que les Palestiniens ont le droit de se défendre. Ce sont eux qui sont occupés et opprimés depuis toutes ces décennies. Donc on voit très peu de différence.

Elle a flatté l'industrie pétrolière et gazière dans le sens du poil en soulignant que la production de pétrole et de gaz a atteint un niveau record. Elle n'a guère fait que mentionner la question de la violence climatique, sans s'encombrer de détails à ce sujet. Elle ne s'est pas prononcée en faveur d'une assurance maladie complète, rejoignant M. Biden sur ce point. Ce dernier n'aime pas l'idée d'un système complet d'assurance-maladie. Elle a rassuré le complexe militaro-industriel en affirmant qu'elle disposerait de la meilleure force de frappe au monde. Elle n'a pas vraiment abordé la question des impôts à récupérer auprès des sociétés géantes qui sont loin d'en payer assez, qui… vous le savez, nombre d'entre elles réalisent des milliards de bénéfices aux États-Unis et ne paient pas d'impôts, ou si peu.

Elle ne s'est même pas attaquée à Trump pour ses violations majeures de la loi fédérale et même de la Constitution. C'est ce qui peut nuire le plus à la réputation à Trump. C'est un violeur de lois en série.

Et le plus étonnant, Amy, c'est qu'elle n'a même pas mis le salaire minimum au cœur du débat. Les démocrates n'ont nulle considération authentique pour le salaire minimum. Il y a 25 millions de personnes dans ce pays qui gagnent moins de 15 dollars de l'heure.
C'est donc sur de tels tabous que je me concentre, et c'est pourquoi j'ai écrit ce livre et c'est pour cette raison que nous avons CapitolHillCitizen.com, ce site à partir duquel les gens peuvent obtenir par poste prioritaire un exemplaire de notre bulletin. En effet, si nous laissons tous ces tabous perdurer, si nous ne parlons pas des centaines de milliards de dollars d'aide aux entreprises ni des pratiques capitalistiques, des renflouements, des subventions et des cadeaux assortis de garanties du gouvernement, si nous passons sous silence la vague de criminalité d'entreprise dont la presse grand public révèle le caractère abusif, donc en l'absence de répression dirigée contre les escrocs au sein des entreprises – bien qu'elle se vante de son passé de procureure – on ne parle pas de redonner du pouvoir aux travailleurs au sein des syndicats, ce n'est pas le propos de Kamala Harris, on ne parle pas de mettre fin à l'influence du grand capital sur le jeu politique, bien sûr.
Et tout le monde se répétait dans ce débat. Voilà ce qu'il a fait… c'est le perroquet des débats. Il ne fait que parler à sa base.

AMY GOODMAN : Eh bien, Ralph, nous allons…

RALPH NADER : Mais elle a eu beaucoup d'occasions de porter les discussions à un autre niveau. Si on n'élargit pas l'horizon, si on ne structure pas le dialogue public pour lui donner plus de portée, alors on ne peut pas prêter attention aux dommages qui sont infligés à notre société démocratique...

AMY GOODMAN : Eh bien, Ralph…

RALPH NADER : … et au rôle des travailleurs et des consommateurs.

AMY GOODMAN : Ralph, nous allons poursuivre ce débat - et c'est sûr que ce sera tout un débat - entre vous et le professeur Stiglitz et après l'émission, nous publierons les échanges en ligne sur democracynow.org.

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Ralph Nader et Joseph Stiglitz se prononcent sur les plans économiques de Kamala Harris et l’opposition au pouvoir de la grande entreprise

24 septembre 2024, par Amy Goodman, Joseph E. Stiglitz, Ralph Nader — , ,
Democray now https://www.democracynow.org/2024 Part II : Ralph Nader & Joseph Stiglitz on Kamala Harris's Economic Plans & Confronting Corporate Power Traduction (…)

Democray now https://www.democracynow.org/2024
Part II : Ralph Nader & Joseph Stiglitz on Kamala Harris's Economic Plans &
Confronting Corporate Power

Traduction Johan Wallengren

Le 11 septembre 2024

Invités
• Joseph Stiglitz
Économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l'université Columbia, président du Council of Economic Advisers (CEA, littéralement « Conseil des conseillers économiques ») sous l'administration Clinton, il est actuellement économiste en chef de l'Institut Roosevelt.

• Ralph Nader
Défenseur des consommateurs et critique de la grande entreprise, il a été quatre fois candidat à l'élection présidentielle.

AMY GOODMAN : Bienvenue à Democracy Now !, democracynow.org, volet « Guerre, paix et présidence ». Mon nom est Amy Goodman.

À huit semaines seulement de l'élection présidentielle, nous continuons d'examiner la course présidentielle et le débat de mardi soir sur ABC News entre la vice-présidente Kamala Harris et Donald Trump. Ce débat était animé par Linsey Davis et David Muir d'ABC. Voici le président Trump.

DONALD TRUMP : J'ai construit l'une des plus grandes économies de l'histoire du monde et je vais le faire à nouveau. Elle sera plus grande, meilleure et plus forte. Mais ils sont en train de détruire notre économie. Ils n'ont aucune idée de ce qu'est une bonne économie. Leurs politiques pétrolières, chacune de leurs politiques… et souvenez-vous de ceci : elle est Biden. Vous savez, elle essaie de se dissocier de Biden. « Je ne connais pas ce monsieur », dit-elle. Elle est Biden. La pire inflation que nous ayons jamais eue, une économie horrible parce que l'inflation l'a rendue si mauvaise, elle ne peut pas juste s'en laver les mains.

DAVID MUIR : Monsieur le Président, merci. Votre temps est écoulé. Linsey ?

KAMALA HARRIS : Je voudrais répondre à ça, par contre. Je voudrais juste répondre brièvement.

Il est clair que je ne suis pas Joe Biden et que je ne suis certainement pas Donald Trump. Et ce que je présente, c'est une nouvelle génération de dirigeants pour notre pays, des gens qui croient aux réalisations dont nous sommes capables, qui amènent un vent d'optimisme par rapport à ce que nous pouvons faire, au lieu de toujours dénigrer le peuple américain.

AMY GOODMAN : Toujours avec nous, nous avons l'économiste Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel, professeur à l'université de Columbia, ancien président du Conseil des conseillers économiques. Le professeur Stiglitz est également l'économiste en chef de l'Institut Roosevelt et l'un des 16 économistes lauréats du prix Nobel qui ont lancé une mise en garde à l'égard des politiques de Trump. Dans cette deuxième partie de notre discussion sur l'économie et le débat présidentiel, nous avons aussi à nos côtés Ralph Nader, défenseur des consommateurs de longue date, critique de la grande entreprise et ancien candidat à l'élection présidentielle. Son dernier livre s'intitule Let's Start the Revolution : Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People (traduction non officielle : Commençons la révolution : des outils pour extirper les grandes entreprises de l'appareil d'état et construire un pays qui répond aux aspirations du peuple). Il est également le fondateur du mensuel Capitol Hill Citizen (citoyen de Capitol Hill).
Merci à vous deux d'être restés avec nous. Professeur Stiglitz, pouvez-vous élargir la discussion – en réagissant déjà à ce qui est dit dans le clip – et dire si vous pensez que soit Harris, soit Trump présente une approche économique qui aidera réellement l'Américains moyen ?

JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, tout d'abord, l'une des choses que Trump prétend est qu'il a construit l'économie et que Biden l'a détruite. Chaque président est confronté à des événements qui échappent à son contrôle, et il hérite d'une économie qui… dont les fondations sont ce qui été laissé par son prédécesseur.

Dans le cas de Trump, il a hérité d'une économie qui se remettait d'une récession très profonde causée par la mauvaise gestion du secteur financier par Bush lorsqu'il était président. Lorsque Trump est arrivé dans le paysage, nous étions finalement en train de nous remettre de cette récession. Il a ensuite fait passer une loi fiscale qui était censée donner un coup de fouet à l'économie. Ce qu'elle a fait, c'est donner un coup de fouet aux rachats d'actions. Il s'agissait d'une réduction d'impôts pour les milliardaires et les grandes entreprises. Elle a exacerbé l'un des principaux problèmes de l'Amérique : l'inégalité. Vous vous souvenez certainement de sa formule : « abroger et remplacer » ; il promettait d'abroger l'Obamacare et de le remplacer par autre chose. Il n'y est pas parvenu. Il n'a pas réussi à le faire, parce qu'il n'avait aucune solution de remplacement. Et à sa grande surprise, les Américains ont apprécié l'Obamacare. Ce n'était pas parfait, mais c'était tellement mieux que ce qu'il y avait avant.

Lorsque M. Biden a pris ses fonctions, il a hérité d'un véritable gâchis, parce que – sans chercher à blâmer Trump pour la pandémie, nous pouvons cependant blâmer Trump pour la façon dont il a géré la pandémie. Et le résultat de sa mauvaise gestion à cet égard a été la mort de plus d'un million d'Américains. Biden a donc dû construire à partir du gâchis dont il a hérité. À cause de la mauvaise gestion préalable, il y a eu d'énormes interruptions de l'offre, la demande s'est déplacée, et c'est ce qui a provoqué l'inflation. Ce n'était pas le fait de Biden. Ce que Biden a fait, c'est mettre en place un certain nombre de politiques pour remédier à la situation. Et s'il avait bénéficié de la coopération – d'une plus grande coopération du Congrès -, il aurait pu faire beaucoup plus. Par exemple, l'un des problèmes au départ était la pénurie de main-d'œuvre. Lorsqu'on est confronté à une pénurie de main-d'œuvre, que fait-on ? On cherche à augmenter la population active. Comment s'y prend-on ? Eh bien, l'une des caractéristiques les plus frappantes de l'Amérique est la faible participation de la main-d'œuvre au marché du travail. Ce qu'il voulait faire, c'était créer des congés familiaux, des services de garde d'enfants. Ces mesures auraient augmenté l'offre de main-d'œuvre et auraient modéré les hausses de salaires. Cela aurait permis de réduire, de tempérer l'inflation. Or, du fait d'avoir gardé le bon cap en se concentrant sur le bon diagnostic, l'inflation a bel et bien chuté.

Il y a eu un autre élément qui a fait flamber l'inflation – encore une fois, on ne peut pas blâmer Biden pour ça – et c'est l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Celle-ci a entraîné une flambée des prix des denrées alimentaires, du pétrole et de l'énergie. Là encore, une main ferme, des sanctions, une forte expansion de l'énergie, ont eu pour résultat que les prix élevés du pétrole n'ont pas duré.

Ce qui est frappant à propos de Madame Harris jusqu'à présent, c'est qu'elle a gardé le bon cap sans perdre de vue les problèmes sous-jacents. Permettez-moi d'en évoquer quelques-uns. Les gens s'inquiètent toujours au sujet de l'inflation. Oui, les prix ne sont pas redescendus à leur niveau antérieur, et ils ne retomberont pas à ce point. Mais le taux d'inflation a fortement baissé, à la surprise générale. Les coûts des soins de santé constituent une part importante de l'inflation. La loi de réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act ou IRA) a fait baisser ces coûts. Nous sommes enfin en mesure de négocier avec les laboratoires pharmaceutiques pour faire baisser les prix des médicaments.
Elle a parlé du logement. L'un des problèmes en la matière est que nous devons construire plus de maisons. Une partie du problème du logement est que nous n'avons pas eu droit au type d'innovation dont nous aurions besoin. Toutes nos ressources en matière d'innovation ont été canalisées vers la construction d'un meilleur système publicitaire. C'est ce à quoi s'emploie la majeure partie de la Silicon Valley : construire un meilleur système publicitaire permettant de cibler les gens de manière personnalisée. Nous avons besoin de plus d'innovation pour réduire le coût de la construction, et ça fait partie de ce qu'elle a proposé.

Je pourrais creuser le sujet, mais un autre problème important est celui du pouvoir sur le marché. C'est un très gros problème et l'administration Biden-Harris a mis en place un programme concerté pour briser, limiter l'exercice du pouvoir sur le marché. Une initiative très, très importante. Si nous brisons la mécanique du pouvoir sur le marché, alors il y aura plus de concurrence et, encore une fois, les prix diminueront. Donc, si vous regardez l'ensemble des mesures prévues, ce que je vois dans le programme de Harris, c'est un diagnostic des problèmes, ainsi que des propositions concrètes pour résoudre ces problèmes aujourd'hui et construire les fondations qui prépareront une meilleure économie à l'avenir.

AMY GOODMAN : Ralph Nader, voyez-vous avec autant d'optimisme le potentiel d'une administration Harris, d'une présidence Harris, pour ce qui est de prendre soin de l'économie ?

RALPH NADER : Pour ma part, non. Je veux dire qu'elle diagnostique certains des problèmes, mais elle ne diagnostique pas les obstacles, comme la mainmise de la grande entreprise sur le Congrès, qui a fait que la machine s'est grippée, a cessé de tourner rond, de telle sorte qu'un très grand nombre de propositions que les gens de ce pays appelaient de leurs vœux, qu'il s'agisse d'assurances ou de salaire minimum vital ou de budgets de lutte contre la criminalité des entreprises ou encore de l'audit du budget militaire et de l'élimination de l'énorme gaspillage dans ce secteur et de la réattribution des fonds, ont été bloquées. C'est donc toujours ça le problème. Vous savez, ils disent qu'ils vont faire ceci et qu'ils ont un plan pour cela, mais ils ne parlent pas des obstacles que cela implique. C'est donc sur ça que je me concentre.

Et il ne s'agit pas seulement des obstacles liés au pouvoir des entreprises et à leurs agissements criminels, au financement des campagnes électorales par celles-ci et à leur influence sur les médias. Il s'agit aussi du fait que les entreprises accélèrent leur hégémonie et leur suprématie dans tous les secteurs de notre pays. Ce sont elles qui élèvent nos enfants, vous savez, dans le goulag de la Silicon Valley, cinq à sept heures par jour, en s'interposant avec l'autorité parentale. Alors c'est dire à quel point elles ont le bras long, sans parler de leur contrôle stratégique du système fiscal. Une grande partie des budgets de dépenses sont faussés. Tout travail efficace sur le dérèglement climatique est bloqué par les compagnies pétrolières et gazières. Elles pillent les terres publiques. Elles portent atteinte aux pensions privées. Elles bloquent le salaire minimum.

On ne peut donc pas se contenter de dire « j'ai un plan ». Il faut parler d'un transfert de pouvoir. Il faut donner aux électeurs, aux petits contribuables, aux consommateurs, aux travailleurs le pouvoir de s'organiser, de s'exprimer, d'avoir accès aux tribunaux et aux législateurs de leur État et de leur pays. Il y a une grande tendance au verrouillage à Washington, au Congrès et dans les organismes exécutifs. Ils ne prennent même plus la peine de répondre aux lettres et aux pétitions. Il s'agit donc d'une crise démocratique de premier ordre.

AMY GOODMAN : Pouvez-vous nous donner votre avis, Professeur Stiglitz ?

JOSEPH STIGLITZ : Oui, je suis d'accord avec beaucoup de choses que Ralph a dites. Je pense que les contributions aux campagnes électorales doivent faire l'objet d'une réforme de premier ordre. Je pense que les problèmes liés à la Cour suprême et à sa structure nécessitent aussi un remaniement de premier ordre. Et s'ils ne peuvent pas faire adopter un amendement constitutionnel, ce qui est certes très difficile dans le cadre de la Constitution actuelle, ils peuvent ajouter des juges. Et je pense qu'il sera absolument nécessaire, en l'absence d'un amendement constitutionnel limitant la durée des mandats et les abus de la Cour suprême, d'augmenter le nombre de juges pour rétablir l'équilibre et faire en sorte que la Cour suprême reflète les opinions du peuple américain.

Mais bon nombre des problèmes qu'il a soulevés sont déjà traités au sein de l'administration Biden. Et je pense que Harris poursuivra le travail : briser le pouvoir des entreprises en rendant les marchés plus compétitifs, augmenter les impôts sur les sociétés – au lieu de les réduire comme le voudrait Trump – afin qu'elles n'aient plus autant d'argent pour faire avancer leurs priorités à elles. Les républicains comme les démocrates sont très favorables à une mesure équivalente à ce que l'Europe appelle la Loi sur les services numériques (Digital Services Act), afin de mettre un terme aux abus dans l'espace numérique, tels que ceux émanant de Facebook, Twitter et autres – X, comme on l'appelle maintenant. Je pense que ce type de structure réglementaire est à l'ordre du jour, car les abus ont été tellement, tellement grands ! Vous savez, une des constatations qu'on peut faire au sujet de l'Amérique de la grande entreprise (« corporate America ») est qu'elle a été si avide que même les Américains modérés ont dit : « savez-vous, attendez voir, il faut faire quelque chose à ce sujet ».

AMY GOODMAN : Ralph Nader, pouvez-vous répondre à cela et développer ce que vous avez dit dans la première partie de notre discussion sur la question de l'augmentation du salaire minimum ?

RALPH NADER : Oui. Vous savez, Joe, j'ai essayé de faire en sorte que les syndicats fassent du salaire minimum le thème principal de la fête du travail. Ce projet a été très bien accueilli par Liz Shuler, la fédération syndicale AFL-CIO et d'autres grands dirigeants syndicaux. Ils ont fait passer la proposition devant le Comité national démocrate (National Democratic Committee), qui l'a rejetée. Ils ne voulaient pas d'un grand nombre d'événements partout au pays qu'ils ne pourraient pas contrôler, avec un pacte pour les travailleurs américains – pas seulement le salaire minimum, mais aussi la sécurité des travailleurs et l'abrogation de la Loi Taft-Hartley, etc., toutes ces choses qui vous sont familières.

Mais le problème, c'est qu'ils ne vont pas jusqu'au bout. Elle aurait dû insister davantage sur la suppression de votants par les républicains et Trump, car c'est l'une des raisons pour lesquelles ils perdent ces courses serrées au Congrès. Et si vous ne contrôlez pas le Congrès, vous ne pouvez rien faire de toutes ces choses. Le Congrès est le principal rempart quand il s'agit de s'opposer et la voie royale quand il s'agit de légiférer. Et ils peinent à maintenir leurs positions au Congrès face à un parti républicain pourtant plus en retrait que jamais. Il faut donc parler du Congrès sans relâche. Ce qui signifie qu'il faut parler de l'argent des campagnes électorales.

Mais plus important encore, il faut parler de la nécessité d'inciter à voter ceux qui ne seraient pas portés à le faire. Il y aura environ 100 millions de non-votants en novembre. Il faut écouter des gens comme le révérend William Barber, qui vient d'écrire un livre qui a été totalement ignoré, Joe, intitulé White Poverty, (traduction non officielle : La pauvreté des Blancs) et qui essaie de dire que la question primordiale est celle des classes sociales. Ce n'est pas juste une question de race. C'en est aussi une de classes sociales. Et les problèmes de classes sociales alimentent la discrimination raciale. Donc, si vous ne parlez pas du Congrès lorsque vous évoquez l'avenir de notre pays, vous laissez de côté la principale source d'obstruction liée au pouvoir des entreprises dans notre pays.

AMY GOODMAN : Professeur Stiglitz...

RALPH NADER : Elles rôdent dans les couloirs du Congrès.

AMY GOODMAN : Votre réaction, Professeur Stiglitz ?

JOSEPH STIGLITZ : Non, je suis d'accord avec vous. L'appareil politique – la réforme de nos institutions politiques – est une question centrale. En fait, l'un des aspects qui me préoccupe le plus est le remaniement des circonscriptions électorales. Et nous avons une Cour suprême qui dit : « Oh, laissons les États décider ». Mais, bien sûr, le charcutage se passe dans les États – et ce serait à ceux-ci de résoudre le problème du charcutage ? C'est absurde. Et c'est un autre exemple de l'absurdité de notre Cour suprême. C'est pourquoi nous devons commencer par nous attaquer aux problèmes qui touchent la Cour suprême, qui a permis à l'argent de s'immiscer dans la politique de manière si corruptrice.

AMY GOODMAN : Je voulais poser une question sur Lina Khan (c'est une question qui a déjà été soulevée), qui est à la tête de la Commission fédérale du commerce, la FTC, et sur les milliardaires qui font pression pour que Kamala Harris nomme quelqu'un d'autre à sa place. Ralph Nader, pouvez-vous nous parler de l'importance de cette question, de ce qui est en jeu, des enjeux des deux côtés de la barrière ?

RALPH NADER : Eh bien, c'est le signe de l'activation de la Commission fédérale du commerce, après des années de calme plat, dans le domaine de l'antitrust (du côté de la protection des consommateurs, ça a malheureusement moins bougé). Mais elle a lancé de nombreuses poursuites contre le « trust » de la Silicon Valley, si on peut appeler ça comme ça, et en a fait de même pour des sociétés d'autres secteurs. Je pense que son mandat est assuré si Kamala Harris devient présidente. Elle bénéficie d'un très large soutien. Même J.D. Vance s'est prononcé en sa faveur par le passé.

AMY GOODMAN : Pouvez-vous également nous expliquer, Professeur Stiglitz, les pressions exercées par les partisans de Kamala Harris, comme par exemple Reid Hoffman, le fondateur de LinkedIn, pour ce qui est de se débarrasser de Lina Khan ?

JOSEPH STIGLITZ : Eh bien, Lina Khan a adopté une position très ferme contre le pouvoir sur le marché, contre les monopoles, contre les abus de position dominante. Et il n'est pas surprenant que, compte tenu de ces positions fermes, les gens qui ont gagné leur argent en exerçant un pouvoir sur le marché et en abusant de leur position dominante, en lésant les consommateurs, ne l'aiment pas. Ce n'est donc pas surprenant que de nombreux contributeurs aux deux partis soient considérés comme suspects.

Mais les économistes ont de façon générale choisi leur camp. Si nous voulons avoir une économie dynamique, nous avons besoin de concurrence. Elle est la plus fervente avocate de la concurrence. De fantastiques décisions de justice sont venues appuyer ses démarches : Google a été déclaré en situation de monopole sur le marché des moteurs de recherche, des procès sont en cours pour s'attaquer au monopole de Google dans la sphère de la publicité et de nombreux autres procès contre les situations de pouvoir sur le marché sont dirigés contre toutes ces entreprises puissantes.

Permettez-moi juste de prendre… une position qui diffère de celle de Ralph. Parmi les questions importantes en ce qui a trait à la protection des consommateurs, il y a les questions de protection de la vie privée. Et elle s'est également attaquée à ces questions de protection de la vie privée, de manière très importante. Je pense donc qu'il y a à la fois… c'est en fait étonnant de voir l'audace avec laquelle la Commission fédérale du commerce et le ministère de la Justice se sont attaqués à ces questions.

Et permettez-moi de rappeler à ceux qui pensent qu'il s'agit de questions très abstraites que la concurrence est vraiment importante pour notre économie, car elle conditionne son dynamisme, sa capacité d'innovation, et que la concurrence… le manque de concurrence a produit davantage d'inflation, sachant que les entreprises ont le pouvoir d'augmenter les prix, et elles ont exercé ce pouvoir durant l'ère post-pandémique. Et quand la concurrence est insuffisante, leur pouvoir sur le marché donne aux grandes entreprises la capacité de nous exploiter de toutes sortes de façons, ce qui se vérifie sans arrêt. Il suffit de regarder les abus des banques et des cartes de crédit, des sociétés pharmaceutiques ; cela se produit dans toutes les sphères, comme l'internet, toutes les sphères où nous nous sentons qu'on ne nous laisse pas le choix. Pourquoi ce manque de choix ? Parce qu'il n'y a pas de concurrence efficace.

AMY GOODMAN : Ralph Nader ?

RALPH NADER : Mais il y a, Joe… il y a une autre forme d'abus qui transcende la concurrence. Il s'agit de la fraude massive sur les factures. L'expert de Harvard, Malcolm Sparrow, spécialiste en mathématique appliquée, qui a étudié cette question, estime qu'au bas mot, rien que dans le secteur des soins de santé, 350 milliards de dollars par an, soit 10 % des dépenses, sont drainés par la fraude et la tricherie en matière de facturation. Et la Commission fédérale du commerce… j'espère pouvoir m'entretenir avec certains commissaires de la Commission fédérale du commerce à ce sujet – ils m'ont invité – n'a rien fait pour lutter contre la fraude sur les factures.

Un autre phénomène qui sape la concurrence, aussi réduite soit-elle, est que toutes les entreprises ont les mêmes clauses de contrat en petits caractères qui désavantagent les consommateurs de toutes sortes de façons. Le cas des compagnies aériennes est particulièrement flagrant : elles ont toutes les mêmes clauses unilatérales en petits caractères qui privent les consommateurs de la possibilité d'intenter des poursuites ; elles peuvent modifier les contrats à volonté, ce qu'on appelle la modification unilatérale, d'où l'arbitrage obligatoire. Tout ça a des conséquences économiques et engendre des exclusions juridiques et des injustices. Mais, vous savez, ce qui a été révélateur dans le cas des démocrates, c'est qu'ils ont abandonné le salaire minimum. Je sais que...

AMY GOODMAN : Avant de parler du salaire minimum, Ralph -

RALPH NADER : … vous avez réussi à convaincre Paul Krugman d'écrire sur le sujet, finalement.

AMY GOODMAN : Ralph, avant de parler du salaire minimum, pouvez-vous réagir à ce qui vient d'être dit ?

JOSEPH STIGLITZ : Oui, oui. Vous avez tout à fait raison. Et il y a d'autres dispositions, comme les ententes de non-divulgation, qui ont joué un rôle très important dans beaucoup d'autres cas, notamment ceux de discrimination. Mais il y a une autre chose que je tenais à souligner : les économistes ont enfin commencé à parler du pouvoir de monopsone, le pouvoir sur le marché du travail. De même que les situations de monopole permettent de hausser les prix, rendant les travailleurs, les citoyens ordinaires, plus pauvres, le pouvoir de monopsone exerce une pression à la baisse sur les salaires.

AMY GOODMAN : Pouvez-vous épeler « monopsone » ?

JOSEPH STIGLITZ : M-O-N-O-P-S-O-N-E. C'est le pouvoir sur les travailleurs, sur les fournisseurs. Ce mot désigne le pouvoir des grandes entreprises d'exploiter les petits fournisseurs, ou celui des grandes sociétés d'exploiter les travailleurs ordinaires. L'effet de ce...

RALPH NADER : Et les petits agriculteurs.

JOSEPH STIGLITZ : Ce pouvoir sur le marché qui s'exerce sur les fournisseurs a, selon les estimations, pour effet de réduire les salaires de 30, 35, 40 %, voire davantage. Là où nous voulons en venir, c'est que le ministère de la Justice et la Commission fédérale du commerce s'attaquent enfin au pouvoir de monopsone et à certaines des dispositions dont parlait Ralph, à savoir l'insertion dans les contrats de clauses qui renforcent le pouvoir de monopsone. Prenons un exemple : les clauses de non-concurrence. Si vous travaillez pour McDonald's ou Burger King et faites des hamburgers, votre contrat contient une clause propre à un territoire vous interdisant de travailler pour une autre entreprise – ce qui, bien sûr, affaiblit la concurrence sur le marché. L'affaiblissement de la concurrence fait baisser les salaires et augmente les profits des entreprises, accroît les inégalités et rend le marché moins efficace.

AMY GOODMAN : Ralph, vous alliez aborder la question du salaire minimum…

RALPH NADER : Oui. Eh bien, juste pour Joe, Joe, vous devriez cibler davantage les budgets d'application dérisoires de la loi de la Commission fédérale du commerce et du ministère de la Justice. Un grand cabinet d'avocats compte plus d'avocats que ceux qui travaillent sur ces questions au sein du ministère de la Justice et de la Commission fédérale du commerce, un seul cabinet d'avocats géant. Et sans budgets, il n'est pas possible de mettre en œuvre les politiques que vous préconisez.

Et la deuxième chose à laquelle il faut prêter attention, ce sont les délais. De la manière dont les tribunaux sont aujourd'hui structurés, quoi que fasse Lina Khan avec le ministère de la justice, les tribunaux peuvent laisser traîner les choses pendant des années. Tout le monde le sait. Ils peuvent les laisser traîner jusqu'à ce qu'il y ait une nouvelle administration ou une nouvelle Commission fédérale du commerce.

C'est pourquoi le Congrès doit être au centre des préoccupations. Le Congrès doit s'attacher à modifier la nature du pouvoir judiciaire, à déterminer quels juges sont confirmés ou rejetés. Et le Congrès doit être à la pointe de l'opposition aux cabinets d'avocats d'affaires qui bloquent les budgets d'application adéquats. C'est comme s'il fallait se contenter d'une centaine de policiers dans tout New York. Vous n'avez pas idée à quel point ces budgets sont faibles. Ils ne cessent de nous le dire… et nous, nous les questionnons : « pourquoi ne lancez-vous pas de poursuites suite à cette infraction à la loi antitrust ? Pourquoi ne vous attaquez-vous pas à ce monopole ? Pourquoi ne tombez-vous pas sur le dos des entreprises agroalimentaires qui écrasent les agriculteurs sur les marchés ? » Ils répondent : « Nous n'avons pas le personnel. Nous n'avons pas les avocats. Nous n'avons pas les procureurs. » Nous devons donc être attentifs à ces questions.

AMY GOODMAN : Joe Stiglitz...

RALPH NADER : En ce qui concerne le salaire minimum, je sais que Joe est un grand défenseur du salaire minimum vital. Mais Joe, n'êtes-vous pas étonné que cette campagne présidentielle ne mette pas – que les démocrates ne mettent pas – cette question à l'avant-plan ? Elle devrait être centrale, mais on la marginalise. Ils n'écoutent pas la parole des travailleurs quand ceux-ci expliquent ce que cela signifie d'obtenir plus d'argent par heure. Ils ne font pas vraiment d'efforts en la matière au Congrès. Elle n'en parle pas ; elle n'en parle quasiment jamais, Kamala Harris.

JOSEPH STIGLITZ : Je suis d'accord. Ils devraient parler du salaire minimum. Vous savez, les recherches menées ces dernières années par les économistes ont totalement changé notre vision de ce que signifierait un salaire minimum de 15 dollars de l'heure, voire un peu plus. On disait autrefois que le fait d'augmenter le salaire minimum créerait plus de chômage. Nous savons aujourd'hui que ce n'est pas vrai. Une augmentation du salaire minimum par rapport au niveau extraordinairement bas où il a stagné serait en fait bénéfique pour l'emploi. Cela mettrait plus d'argent dans les mains de gens qui sont prêts à le dépenser, ce qui augmenterait la demande globale, en particulier dans certaines des communautés parmi les plus pauvres. On le voit, les villes de notre pays, comme Seattle, qui ont déjà augmenté leur salaire minimum s'en sortent en fait très bien.

AMY GOODMAN : Je voulais juste citer un article paru dans le Times il y a à peu près une semaine, qui dit que les donateurs de la campagne de la vice-présidente Harris la poussent à reconsidérer son soutien à un projet d'impôt applicable aux Américains les plus riches, dans un contexte où certains dirigeants de Wall Street et de la Silicon Valley tentent de remodeler le programme de gouvernement de la candidate démocrate. On peut aussi y lire que l'équipe de campagne de Madame Harris (...) a déclaré qu'elle soutenait les augmentations d'impôts prévues dans (...) la plus récente proposition de budget de la Maison-Blanche de Biden. L'une des mesures envisagées consisterait à obliger les Américains disposant d'un patrimoine d'au moins 100 millions de dollars à payer des impôts sur les plus-values d'investissement, même s'ils n'ont pas vendu les actions, les obligations ou d'autres actifs qui se sont appréciés. Cette catégorie de contribuables payerait un impôt de 25 % sur une combinaison de leurs revenus réguliers, comme les salaires, et de ce que l'on appelle les plus-values non réalisées. L'impôt sur le revenu minimum pour les milliardaires pourrait entraîner une lourde facture fiscale pour les personnes fortunées qui tirent une grande partie de leur richesse des actions et autres actifs qu'elles possèdent ». J'aimerais avoir vos commentaires sur cette question dans cette dernière partie de notre conversation. Ralph Nader ?

RALPH NADER : Eh bien, je vais laisser la parole à Joe. Ma principale proposition est de rétablir les taux d'imposition qui s'appliquaient aux riches et aux entreprises dans les années de prospérité de la décennie 1960, avant que nous ne les réduisions de façon spectaculaire au cours des années qui suivirent ; nous avons alors écarté toute possibilité de réforme fiscale, c'est-à-dire exclu toute réforme fiscale de la base vers le sommet et avons toléré d'énormes déficits ou des budgets de services publics de plus en plus restreints parce que les entreprises et les super-riches étaient notoirement sous-imposés.

AMY GOODMAN : Vos derniers commentaires, Joe Stiglitz ?

JOSEPH STIGLITZ : Oui.

RALPH NADER : Joe, vous pouvez répondre à cette autre partie de la question mieux que moi.

JOSEPH STIGLITZ : Il est clair que nous sommes allés trop loin, puisque nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation où les ultrariches paient en fait une plus petite fraction de leurs revenus en impôts que les gens qui disposent de peu de moyens. Warren Buffett n'a pas mâché ses mots quand il a constaté que quelque chose ne va pas quand il s'en tire avec un taux d'imposition inférieur à celui de sa secrétaire.

La proposition particulière que vous avez mise sur la table s'appelle la réalisation constructive des plus-values, une solution que je préconise depuis très longtemps. Elle présente de nombreux autres avantages économiques. Ce sont des détails techniques, mais cela réduit le problème de l'immobilisation des fonds, une situation qui se produit lorsque le contribuable ne veut pas vendre un actif parce que s'il le fait, il payera un impôt prélevé lors de la réalisation du gain. Il s'agit donc d'une réforme qui rendrait l'économie plus efficace, tout en rendant le système fiscal plus équitable. Je suis donc très favorable à la question de la réalisation constructive. Ce que vous faites, c'est que vous payez la valeur estimée, puis, à la fin, lorsque vous vendez, vous pouvez faire toutes sortes de redressements, de sorte que vous ne payez jamais, jamais, trop d'impôts, dans les faits. Il s'agit simplement de vous les faire payer à l'avance, plutôt que de reporter et reporter.

Cette mesure doit être accompagnée d'une autre disposition qui est vraiment très mauvaise. Il s'agit de l'augmentation de la base d'imposition des plus-values. Il s'agit d'une disposition qui s'applique lorsque vous léguez un bien à vos enfants ou à quelqu'un d'autre. Lorsque les héritiers héritent, la valeur de référence est celle de la date de l'héritage. Cela signifie que toutes les plus-values, depuis le moment où le bien ne valait peut-être rien jusqu'au moment où vous le donnez, échappent totalement à l'impôt. Et c'est un ingrédient essentiel pour créer en Amérique cette ploutocratie d'héritiers qui sape tellement les valeurs fondamentales de notre pays.

AMY GOODMAN : Eh bien, je tiens à vous remercier tous les deux...

RALPH NADER : C'est pourquoi j'y reviens encore et encore, Amy, au Congrès, au Congrès, au Congrès. De la manière dont notre système est construit, le Congrès peut être le grand facilitateur ou le grand obstructeur. C'est pourquoi nous avons créé ce mensuel, Capitol Hill Citizen, pour lequel j'espère que vous écrirez, Joe. Les gens peuvent obtenir la version imprimée de notre bulletin en allant sur CapitolHillCitizen.com. Si vous faites un don de cinq dollars ou plus, vous recevrez sans délai un document de 40 pages par courrier prioritaire. CapitolHillCitizen.com.

AMY GOODMAN : Ralph Nader, je veux vous remercier d'avoir été avec nous. Vous êtes un défenseur des consommateurs de longue date, un critique de la grande entreprise, un ancien candidat à la présidence – quatre fois, je crois – auteur de nombreux livres, dont le plus récent est Let's Start the Revolution : Tools for Displacing the Corporate State and Building a Country That Works for the People (traduction non officielle : Commençons la révolution : des outils pour extirper les grandes entreprises de l'appareil d'état et construire un pays qui répond aux aspirations du peuple). Ralph est le fondateur du mensuel Capitol Hill Citizen. Professeur Stiglitz, économiste lauréat du prix Nobel, professeur à l'université Columbia, ancien président du Conseil des conseillers économiques, est actuellement économiste en chef à l'Institut Roosevelt. Son nouveau livre s'intitule The Road to Freedom : Economics and the Good Society (traduction non officielle : Le chemin vers la liberté : l'économie et la bonne société). Pour voir la première partie de notre discussion, rendez-vous sur democracynow.org. Mon nom est Amy Goodman. Merci beaucoup de nous avoir suivis.

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Les entreprises pétrolières et gazières demeurent parmi les plus grandes responsables de la lenteur inacceptable avec laquelle se mettent en place des mesures pour combattre le réchauffement climatique. Elles investissent à cette fin de très grandes ressources en lobbying. Ainsi est-il essentiel de comprendre leur stratégie.

L'assiduité des entreprises gazières et pétrolières auprès des gouvernements n'est plus à démontrer. Leur présence aux COP sur le climat a été dénoncée à plusieurs reprises : on comptait environ 500 de leurs lobbyistes à la COP26 à Glasgow en 2021, la plus importante délégation toutes catégories confondues, et 636 à la COP27 à Charm el-Cheikh, une hausse de 25 %. Avec une prochaine COP aux Émirats arabes unis présidée par le PDG d'une compagnie pétrolière, rien ne va pour le mieux.

Une étude du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) a calculé la fréquence des rencontres entre les lobbyistes des compagnies pétrolières et gazières avec le gouvernement canadien en compulsant le registre des lobbyistes. Résultats : du 4 janvier 2011 au 30 janvier 2018, on recense pas moins de 11 452 contacts, une moyenne de six par jour ouvrable [1]. Si le registre des lobbyistes ne nous permet pas d'avoir accès au contenu de ces rencontres, une observation de la situation actuelle permet d'en voir les conséquences : subventions gigantesques à ces compagnies, soutien ferme au développement d'oléoducs, absence de politiques efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Tout indique que les provinces subissent une charge équivalente de la part des lobbyistes, ce qui montre à quel point nos gouvernements sont l'objet d'une pression constante pour répondre favorablement à des intérêts économiques colossaux.

Intervenir à tous les niveaux

Ces liens directs avec les élu·es et les fonctionnaires ne sont pas suffisants pour assurer un bel avenir aux compagnies pétrolières et gazières. Influencer l'opinion publique est au cœur de leur stratégie, nécessitant de leur part une bonne capacité d'adaptation. Le réchauffement climatique – dont elles reconnaissaient maintenant l'existence –, et la réduction de la consommation d'énergie fossile qui devrait en découler sont considérés à juste titre comme des menaces directes à leurs profits.

Leur première réaction a été de financer massivement le climatoscepticisme. ExxonMobil et les frères Koch, plus particulièrement, ont donné généreusement à des think tanks (des laboratoires d'idées), des scientifiques et des médias pour diffuser à grande échelle un doute sans fondement scientifique quant à la réalité du réchauffement climatique et la responsabilité de l'être humain devant ce phénomène [2].

Il est important pour ces firmes de s'en prendre aussi à la crédibilité des mouvements environnementaux, considérés comme de dangereux adversaires. Le fait de les présenter eux aussi comme « lobbyistes » est une arme efficace : selon les lobbyistes des entreprises, chaque parti défend ses idées et ses intérêts, de valeur équivalente, le public pouvant juger après avoir entendu la plaidoirie de l'un et de l'autre. Avec les moyens qui sont les leurs, les lobbyistes peuvent entreprendre des campagnes de dénigrement de leurs adversaires. En 2014, une fuite d'un document d'une centaine de pages a permis de mieux comprendre tout ce que la firme TransCanada devait accomplir pour faire accepter un projet d'oléoduc largement désapprouvé par une bonne partie de la population. Il s'agissait ni plus ni moins de déterminer le profil de leurs opposants afin de cerner leurs faiblesses, de colliger des informations financières et judiciaires pouvant leur nuire, de contrer leur influence en sollicitant l'appui de personnalités appréciées favorables à leur projet, de payer des scientifiques pour en fournir une défense crédible.

Nouvelle image, nouvelles stratégies

Mais devant les rapports du GIEC qui s'accumulent, avec des preuves toujours plus fortes et plus élaborées du réchauffement climatique, nier cette troublante réalité n'est tout simplement plus envisageable. Et s'en prendre à des adversaires appréciés devient plus périlleux.

Les lobbyistes de ces entreprises ont donc accompli un virage important. Il ne s'agit plus à leurs yeux de se montrer des adversaires de la transition énergétique, mais d'en devenir partie prenante. Depuis quelques années, nous pouvons bel et bien compter sur les grandes entreprises extractivistes pour combattre les changements climatiques, nous répète-t-on.

Leur plan consiste, entre autres, à défendre le gaz naturel comme énergie de transition. J'ai eu l'occasion, à la COP21 à Paris, d'entendre l'actuel ministre de l'Environnement au Canada Steven Guilbeault et l'ancien premier ministre Philippe Couillard faire l'éloge de cette source d'énergie lors d'une soirée organisée par le gouvernement du Québec, celui de l'Ontario… et GazMetro (devenu Énergir aujourd'hui). Si le gaz naturel produit en effet moins de GES que le pétrole et le charbon, il en émet pourtant d'importantes quantités qui contribuent nettement au réchauffement climatique. On cherche ainsi à nous vendre un nouveau mirage.

Les entreprises pétrolières et gazières nous promettent aussi un avenir assuré par des découvertes scientifiques : les miracles technologiques leur permettraient de continuer à extraire le pétrole sans trop de dangers pour la planète. Mais l'efficacité de la séquestration de dioxyde de carbone, leur principal atout, demeure hautement hypothétique : l'idée de concentrer le carbone, de le transporter, puis de l'enfouir quelque part sous terre demande des prouesses techniques que nous sommes loin d'être en mesure de réaliser un jour. De plus, cette technologie pourrait causer des fuites très dommageables. De là à ce que tout cela se mette en place – si cela arrive –, d'énormes quantités de GES auront été lancées dans l'atmosphère.

Enfin, les pétrolières et les gazières cherchent à se donner une bonne image en se lançant dans des projets « zéro émission nette » bien en évidence sur leurs sites Web : toutes prétendent arriver à la carboneutralité en 2050. Elles le feront en compensant leurs émissions par des projets très variés, souvent axés sur les énergies renouvelables… et sur le stockage du carbone. L'écoblanchiment demeure en fait au centre des stratégies de relation publique des gazières et pétrolières pendant que derrière des portes fermées, leurs lobbyistes rencontrent des élu·es et des fonctionnaires pour s'assurer que de nouvelles politiques environnementales ne viendront pas gruger leurs profits.

Le poids de l'argent

À constater la lenteur et l'inefficacité avec laquelle la transition énergétique se met en place, avec les terribles conséquences qui s'ensuivent déjà, il semble clair que la stratégie des compagnies extractivistes porte fruit. Ces entreprises puisent dans des fonds considérables pour faire valoir leurs idées, jouent avec une proximité développée depuis longtemps avec des élu·es et des fonctionnaires et se renforcent en soutenant des organisations conçues pour propager leurs idées.

Une nébuleuse de think tanks s'active ainsi dans l'ombre, au service de l'idéologie libertarienne, couvrant ainsi de larges champs, avec comme dénominateur commun un soutien sans réserve au libre marché, ce qui implique un appui à l'exploitation sans contraintes des ressources naturelles. Les frères Koch aux États-Unis ont été les champions de ce financement, et si celui-ci semble moins évident depuis le décès de David H. Koch en 2019, plusieurs des think tanks qui ont profité de cette manne continuent à prospérer.

C'est le cas par exemple du réseau Atlas, l'un des plus actifs, et qui a la particularité de chapeauter et d'offrir ses services et son expertise à près de 500 think tanks dans différents pays, dont le CATO Institute, le Manhattan Institute, et au Canada, le très propétrole Canada Strong and Free (fondé par Preston Manning), la Fédération canadienne des contribuables (une organisation de similitantisme combattant les taxes et les impôts), et le MacDonald Laurier Institute, qui fait pression sur le gouvernement canadien afin « qu'il limite la capacité des communautés autochtones à s'opposer au développement énergétique sur leurs propres terres [3] ».

On pourrait croire qu'il s'agit là d'apporter des éléments nécessaires au débat démocratique. Mais la quantité disproportionnée d'argent dont profitent ces organisations, leur fonctionnement occulte et leurs liens privilégiés avec les gens au pouvoir nous éloignent clairement de cet objectif. D'autant plus que les enjeux reliés au réchauffement climatique, concernant ni plus ni moins que la survie sur notre planète, ne sont pas particulièrement propices à laisser libre cours à la désinformation et à orienter les décisions politiques en fonction des intérêts économiques à court terme d'une minorité.


[1] Nicolas Graham, William K. Carroll et David Chen, Big Oil's Political Reach. Mapping Fossil Fuel Lobbying From Harper To Trudeau, Canadian Center for Policy Alternatives, novembre 2019

[2] J'ai écrit à ce sujet : « Le climatoscepticisme sous l'aile de la droite radicale », Nouveaux cahiers du socialisme, numéro 23, hiver 2020.

[3] Selon un article publié par Floodlight, The Narwhal et The Guardian, « How a conservative US network undermined Indigenous energy rights in Canada » le 18 juillet 2022.

Illustration : Ramon Vitesse

La nicotine qui veut renaître de ses cendres

La réduction du tabagisme résulte d'un travail de longue haleine et de grands efforts concertés. On y arrive par un seul moyen : les lois et règlements. Ceux qui ont été (…)

La réduction du tabagisme résulte d'un travail de longue haleine et de grands efforts concertés. On y arrive par un seul moyen : les lois et règlements. Ceux qui ont été adoptés ces dernières années peuvent être vus comme une belle victoire contre les lobbyistes. Mais les compagnies de cigarettes n'ont pas dit leur dernier mot.

Les campagnes de sensibilisation ont commencé il y a plus de cinquante ans, à la suite de la publication d'ouvrages confirmant les liens entre le cancer et le tabagisme. Mais ces actions avaient des impacts plutôt modestes dans la mesure où l'industrie du tabac pouvait continuer à normaliser le fait de fumer et à déployer des tactiques pour minimiser la perception des risques. En fait, non seulement niait-elle les faits reconnus par la science, mais elle finançait des tiers pour déformer les conclusions scientifiques, semer le doute et contrer les avertissements des autorités de santé.

Faire contrepoids au lobbying de l'industrie

Au Québec, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac a vu le jour en 1996 en réaction à de tels stratagèmes pernicieux. Plus précisément, l'élément déclencheur a été la réduction radicale des taxes fédérale et provinciale sur le tabac. Les intervenant·es de la santé ont constaté que cette décision découlait de l'échec de leur communauté à contrer les commerçants, cigarettiers et autres alliés qui ont orchestré une véritable « crise de la contrebande » à cette fin. Rappelons qu'à cette époque, le marché de la contrebande prenait de l'ampleur, car il était presque exclusivement composé des marques de cigarettes canadiennes qui étaient exportées et dédouanées (duty free) mais qui revenaient sur le marché noir canadien.

Ce n'est que treize ans plus tard que l'industrie du tabac plaidera coupable aux chefs d'accusation en lien avec la contrebande, exposant son rôle dans la campagne pernicieuse qui a généré tellement de pression sur les gouvernements qu'ils ont baissé les taxes sur les cigarettes, alors que cette mesure était la plus efficace pour réduire le tabagisme ! Mais le tort était fait. En baissant les taxes, on a effacé en quelques années les progrès accomplis dans la réduction du taux de tabagisme des dix années précédentes.

Une opposition systématique aux mesures efficaces

Toutes les mesures mises de l'avant par le Québec font l'objet de la Convention-cadre de l'OMS sur la lutte antitabac, un traité international signé par le Canada et 181 autres parties. La Convention-cadre identifie clairement l'industrie du tabac comme vecteur de l'épidémie du tabagisme. Le traité somme les gouvernements d'empêcher l'ingérence et l'influence de l'industrie du tabac dans le développement des politiques de santé publique.

Qu'il s'agisse du palier national, provincial ou municipal, le traité spécifie que « tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) chargés d'élaborer et de mettre en œuvre les politiques de lutte antitabac et de protéger ces politiques des intérêts de l'industrie du tabac doivent être rendus responsables » et que « les Parties devraient veiller à rendre des comptes en cas d'interaction avec l'industrie du tabac sur les questions liées à la lutte antitabac ou à la santé publique et garantir la transparence de ces interactions ».

On est vraiment loin de cette réalité au Québec. En consultant le registre des lobbyistes, on sait que l'industrie communique régulièrement avec les titulaires de charges publiques, mais la transparence s'arrête là.

Quelles sont les autres entités québécoises influencées par les cigarettiers et leur lobby ? Cette question revêt une grande importance lorsqu'on constate que les compagnies de tabac sont les plus gros joueurs de l'industrie du vapotage et que le Québec n'a toujours pas réglementé l'aromatisation des cigarettes électroniques. Et, ce, alors que le ministre Dubé indiquait en 2020 qu'agir pour protéger les jeunes contre le vapotage nicotinique était prioritaire, et que le Québec détient la taxe-tabac de loin la plus basse au pays malgré un taux stable de contrebande depuis 2011. La dernière hausse remonte à 2014.

Nouvelles stratégies de lobbying

Le lobbying de l'industrie du tabac a toujours été pernicieux et souvent porté par d'autres regroupements, chercheurs, think tanks et associations d'intérêts économiques qui reçoivent son financement. Il y a une dizaine d'années, on voyait les associations de dépanneurs brandir l'argument de la contrebande pour s'opposer à toute nouvelle réglementation.

Maintenant, les mouvements forts et organisés qui s'élèvent contre la réglementation des produits de vapotage ont presque tous des liens étroits avec l'industrie du tabac. Pour leur part, elles brandissent l'argument selon lequel le vapotage serait moins nocif que la cigarette pour les fumeurs. Mais la popularité de ces produits est beaucoup plus importante chez les jeunes dont la majorité n'a jamais fumé ! Rappelons qu'au fond, l'industrie du tabac a toujours été l'industrie de la nicotine.

Plus ça change, plus c'est pareil

S'il y a une leçon à tirer dans tout ça, c'est que les gouvernements ont réussi à réduire le tabagisme en s'attardant à l'encadrement des pratiques commerciales de l'industrie et non pas uniquement avec des interventions qui ciblent les consommateur·rices.

Il est crucial de connaître, de comprendre et d'exposer ce que l'industrie dit et rapporte à ses actionnaires. Actuellement, l'industrie mise beaucoup sur le polyusage, c'est-à-dire l'usage de différentes catégories de produits nicotinique (cigarettes, vapotage, tabac chauffé, pochette de nicotine, etc.) par un·e même consommateur·rice pour tenter de récupérer des moments où les gens ne fument pas. Bien que les cigarettiers se vantent de vouloir, à terme, cesser de fabriquer des cigarettes, ils prônent des hausses modestes et prévisibles de la taxe-tabac, soit précisément le type de hausse que l'industrie peut facilement contrer en manipulant leurs propres prix de gros.

Ces manipulations leur permettent de minimiser le choc d'une hausse de prix qui inciterait de nombreux·euses fumeur·euses à cesser de fumer ou à ne pas faire de rechutes. Le travail des lobbyistes s'inscrit dans ces visions et visées, bien que ces véritables objectifs ne soient pas inscrits dans le registre des lobbyistes du Québec.

Comme le rappelle l'OMS dans la Convention-cadre de la lutte antitabac, la société civile demeure un maillon important pour faire contrepoids à l'industrie du tabac et pour exposer ses tactiques. Pour favoriser l'intérêt public, l'adoption des politiques publiques qui s'imposent et réduire le fardeau, l'injustice et les répercussions catastrophiques sur notre système de santé causés par le tabagisme, l'implantation et le respect de ce traité sont primordiaux.

L'autrice est codirectrice et porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

Illustration : Ramon Vitesse

Astroturfing : de lobbyisme indirect à « similitantisme »

Les groupes pro-pipelines qui manifestent devant le parlement sont-ils constitués de personnes réellement partisanes de l'exploitation pétrolière et gazière ? Des patient·es (…)

Les groupes pro-pipelines qui manifestent devant le parlement sont-ils constitués de personnes réellement partisanes de l'exploitation pétrolière et gazière ? Des patient·es qui se prononcent pour la gratuité d'un nouveau médicament le font-ils vraiment de leur propre chef ? En somme, est-il possible que des intérêts corporatifs tirent les ficelles de ce qui est présenté comme des mouvements citoyens ?

La réponse est oui. Ces cas de figure correspondent à de l'astroturfing.

L'astroturfing (ou similitantisme) consiste en « une stratégie de communication dont la source réelle est occultée et qui prétend à tort être d'origine citoyenne » [1]. On parlera aussi de contrefaçon de mouvements d'opinion ou encore de désinformation populaire planifiée.

Le terme nous vient des États-Unis. C'est le sénateur américain Lloyd Bentsen qui l'aurait utilisé pour la première fois alors qu'il recevait un nombre inhabituel de lettres de la part de citoyen·es qui se disaient préoccupé·es par une nouvelle réglementation visant le commerce des spiritueux. Il s'agissait en fait d'une campagne de lobbyisme indirect conduite par l'industrie elle-même. C'est ce qui aurait fait dire à Bentsen qu'il était capable de faire la différence entre le grassroots et l'astroturf. L'astroturf, c'est ce gazon synthétique qu'on retrouve sur certains terrains sportifs. Par analogie, cette pelouse artificielle s'opposerait donc aux mouvements grassroot, qui viennent des racines de la société (roots), et donc des citoyen·es.

L'astroturfing constitue une tactique d'influence redoutable lorsqu'elle est déployée dans le cadre d'une campagne de lobbyisme indirect. Celui-ci, rappelons-le, vise à faire pression sur les titulaires de charges publiques (ministres, membres du personnel politique, fonctionnaires) en mobilisant l'opinion publique. En ayant recours à des démarches indirectes, les lobbyistes multiplient leurs chances d'être écoutés et entendus par les décideurs et décideuses, qui sont en effet sensibles à l'opinion. De façon très prosaïque, voire cynique, on pourrait dire qu'ils et elles ont intérêt à prendre des décisions qui sont en phase avec l'opinion publique s'ils et elles souhaitent être apprécié·es, et éventuellement réélu·es. Plus fondamentalement, la prise en compte des doléances et revendications des différent·es représentant·es d'intérêts qui composent la société fait partie du mandat démocratique confié aux élu·es.

Ce qui est problématique, c'est lorsque que de telles campagnes de lobbyisme indirect sont faites dans la tromperie. C'est le cas lorsque les lobbyistes cachent l'organisation instigatrice de leurs démarches, comme on le fait dans les cas d'astroturfing.

Les « avantages » de l'astroturfing

Le fait de dissimuler les intérêts privés derrière un mouvement citoyen contribue à donner un vernis de crédibilité à une campagne de lobbyisme indirect. En étant présentées comme émanant des citoyen·nes, les revendications peuvent ainsi être plus spontanément associées à l'intérêt collectif que si elles avaient été présentées par des acteurs économiques − entreprises ou associations industrielles – ou politiques. Par exemple, une entreprise pétrolière qui souhaite développer un projet de pipeline sera vue comme voulant faire valoir ses intérêts corporatistes, alors que les citoyen·nes qui se prononcent en appui à cette demande feront valoir les emplois créés ou encore l'importance de la sécurité énergétique du pays. Le fait que l'entreprise « se cache » derrière ce discours citoyen renforce encore davantage la crédibilité de celui-ci, qui se présente comme libre de toute influence corporatiste.

C'est aussi dans cet esprit que l'astroturfing a investi la sphère commerciale, les marques y ayant recours pour construire ou hausser leur crédibilité. Pour ce faire, elles font appel à la simulation d'actions de consommateur·trices : pensons aux faux commentaires ou aux commentaires rémunérés sur des sites qui recommandent des produits ou des services.

Bien que l'astroturfing se retrouve dans de nombreux contextes, le développement des technologies facilite la création de fausses personnalités en ligne (aussi appelée sock puppets), le recours à des « fermes de clics », à l'achat de clics ou encore à des supporter·trices ou sympathisant·es rémunéré·es. Les technologies concourent d'ailleurs à banaliser les pratiques d'astroturfing : tout le monde peut créer de faux profils, commenter en ligne sous pseudonyme ou relayer des contenus astroturf.

Est-ce grave, docteur ?

L'astroturfing est une pratique dont on devrait se préoccuper, le phénomène ayant des effets concrets sur le débat public. Il contribue à la désinformation autour des causes ou des enjeux défendus par les organisations qui en sont les instigatrices. Ces dernières ne se contentent pas toujours de promouvoir des points de vue fondés sur des informations véridiques. Dans certains cas, elles n'hésitent pas à recourir à de fausses informations, à de la propagande ou à des arguments fallacieux, qui circulent ainsi dans l'espace public. De fait, le caractère caché de leur identité véritable les épargne de tout processus de reddition de comptes.

L'astroturfing peut avoir des effets pervers sur les campagnes de véritables groupes citoyens qui, elles, tirent leur origine d'un mouvement grassroot véritable. La mise au jour de cas d'astroturfing nourrit en effet un sentiment de méfiance qui affecte ces mouvements dans leur ensemble.

C'est en ce sens que même les campagnes qui seraient déployées au profit « d'une bonne cause » sont difficilement justifiables d'un point de vue éthique. En contexte québécois, on se rappellera le cas de Bixi, vivement dénoncé. Afin de faire mousser l'idée d'adopter un système de vélos libre-service à Montréal, trois citoyen·es étaient intervenu·es très activement sur différentes plateformes sociales consacrées au transport actif. Or, on s'était rendu compte, après coup, que ces trois personnes étaient fictives : elles avaient été créées de toutes pièces par des consultants en communication. Cette tactique, certes efficace, est néanmoins condamnable en raison de la tromperie qu'elle impliquait.

Alors, que faire pour se prémunir contre ces stratégies manipulatoires ?

L'importance de la vigilance

L'astroturfing peut prendre de multiples visages, de la construction de faux profils en ligne à la création d'organisations présentées comme indépendantes, de l'envoi massif de lettres à la rémunération de faux et fausses manifestant·es. Comme le laisse entendre la définition présentée plus haut, deux conditions doivent être réunies pour qu'une pratique relève de l'astroturfing : la prétention d'un mouvement citoyen et la dissimulation de l'organisation instigatrice de la campagne. Ces deux conditions peuvent néanmoins être présentes à des degrés plus ou moins marqués, la réalité étant souvent très nuancée !

L'organisation instigatrice d'une campagne d'astroturfing peut être plus ou moins bien dissimulée : ainsi, il est parfois possible, en fouillant le site Web d'un groupe prétendument citoyen, de retrouver son instigateur·trice, ou encore les entreprises qui financent une telle initiative. Dans d'autres cas, de véritables citoyen·nes peuvent se joindre à un mouvement sans savoir que celui-ci a été initié par des intérêts privés.

Au Canada, la Loi sur le lobbying contraint les lobbyistes à dévoiler quelles sont les organisations bénéficiaires des activités mises de l'avant et directement intéressées par les résultats de celles-ci. Cela voudrait dire qu'un faux groupe citoyen dont les actions servent directement une entreprise aurait à le déclarer. Une telle disposition n'existe pas en contexte québécois. Le Code de déontologie des lobbyistes québécois interdit néanmoins « de faire des représentations fausses ou trompeuses auprès d'un titulaire d'une charge publique, ou d'induire volontairement qui que ce soit en erreur ». Bref, ce n'est pas tout à fait le Far West, mais les shérifs sont passablement mal équipés pour déceler les tactiques de lobbyisme qui seraient mensongères.

Quant aux organisations professionnelles en communication (comme la Société canadienne de relations publiques), elles condamnent le phénomène – bien qu'assez timidement – mais peinent à agir concrètement pour le contrer. Il faut dire que la profession de communicateur·rice, tout comme celle de lobbyiste, n'est pas régie par un ordre professionnel. Les dérives mises au jour sont ainsi le plus souvent réprimandées, mais rarement formellement condamnées.

Devant ce contexte relativement peu réglementé, le ou la citoyen·ne a tout intérêt à faire preuve de vigilance et à questionner les intérêts qui peuvent se profiler derrière une mobilisation présentée comme étant d'origine citoyenne. Il ne s'agit pas de se méfier de tout un chacun, mais bien de cultiver un scepticisme sain se traduisant par le réflexe de vérifier qui aurait intérêt à orchestrer un tel mouvement.

Bref, on a tout intérêt à tenter de déceler si une mobilisation ne dissimule pas des intérêts qui gagnent à être occultés.


[1] Boulay, Sophie, Usurpation de l'identité citoyenne dans l'espace public. Astroturfing, communication et démocratie. Québec : Presses de l'Université du Québec, 2015.

Stéphanie Yates est professeure à l'Université du Québec à Montréal.

Avec la collaboration de Camille Alloing, Olivier Turbide, Alexandre Coutant et Vincent Fournier, professeurs au département de communication sociale et publique à l'UQAM. Avec l'autrice, ces chercheur·euses étudient l'astroturfing dans le cadre du projet ASTRO : Analyses, Stratégies, Techniques, Régulations et Observations. Ce projet a obtenu un financement du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

Illustration : Ramon Vitesse

Engagement, militance et lobbyisme scientifique

21 septembre 2024, par Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec — , , ,
L'activité scientifique et celle du lobby ne relèvent certes pas des mêmes visées ni de la même éthique. Or, l'impératif de la rigueur condamne-t-il à la distance et à (…)

L'activité scientifique et celle du lobby ne relèvent certes pas des mêmes visées ni de la même éthique. Or, l'impératif de la rigueur condamne-t-il à la distance et à l'immobilisme face aux dysfonctions du monde actuel ? Comment interpréter l'engagement des scientifiques dans le jeu des influences politiques ?

L'expression « lobbyisme scientifique » est généralement associée à une pression sur les instances de décision, exercée par des protagonistes qui utilisent un argumentaire « scientifique » (ou qui se réclame de la science), à partir d'une appropriation de résultats de recherche ou de la contribution directe ou indirecte des chercheur·es, pour promouvoir un procédé, une technologie, un produit ou un service. Il s'agit d'obtenir un avantage corporatif ou économique. Il conviendrait ici de parler plutôt de « lobbyisme par la science ».

Afin de se donner une plus grande légitimité, de tels lobbyistes présentent généralement leur cause ou leur projet comme une contribution à des intérêts collectifs. On peut penser ici à l'alibi du captage du carbone par les pétrolières ou à la technologie du contrôle chimique de la pluviométrie pour sécuriser la production agro-industrielle. Cela rend d'autant plus importantes la clairvoyance et l'autonomie des membres des comités d'évaluation de telles initiatives.

Quand des scientifiques deviennent lobbyistes

Dans un contexte de politisation de la science, le « lobbyisme scientifique » peut correspondre également à une pratique exercée par des acteur·rices du monde scientifique eux- et elles-mêmes. Dans ce registre, il faudrait certes aborder la question du corporatisme scientifique qui contribue à exercer une influence sur les politiques et les programmes de recherche, incluant les critères d'octroi de fonds.

Mais de façon plus ponctuelle, dans le vaste « marché de la science », des chercheur·es peuvent aussi solliciter ou accepter un financement de la part d'entreprises désireuses de faire valoir une telle contribution pour améliorer leur image publique et, par le fait même, leur influence. Nous touchons ici un aspect névralgique de l'activité scientifique, celui du pouvoir de l'argent sur l'autonomie des chercheur·es, ce qui pourrait remettre en question l'indépendance des résultats et la crédibilité des scientifiques qui sont associé·es à ce type de financement.

Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que si « l'activité scientifique » au sens propre a pour but la production de savoirs valides − répondant à des critères de rigueur, de transparence, de cohérence logique et de réfutabilité −, l'objet et l'orientation des projets de recherche relèvent plutôt du choix des personnes qui se reconnaissent ou qui sont reconnues comme « scientifiques ». Or, celles-ci s'inscrivent dans un contexte sociétal et académique qui influence leur pratique scientifique.

Engagement, militance ou lobbyisme ?

C'est ainsi que des chercheur·es, alerté·es par des problématiques écologiques ou de santé des populations par exemple, choisissent ouvertement d'associer leurs travaux à une démarche engagée, voire à une action militante, visant à jouer un rôle d'aide à la décision auprès d'acteur·rices clés ou de responsables politiques. Dans la mesure où de telles activités se passent au grand jour − plutôt que dans les espaces enclos des « lobbies » − et puisqu'elles concernent des enjeux collectifs et que les scientifiques n'y recherchent pas de bénéfices personnels, nous considérons qu'il ne s'agit pas de « lobbyisme scientifique ». Il importe en effet de clarifier ici la distinction entre engagement, militance et lobbyisme sur le plan de l'éthique scientifique.

Reconnaissons d'abord que toute recherche n'est pas tenue de s'inscrire d'emblée dans une visée de développement social. Ceci dit, il nous apparaît important toutefois de revendiquer la légitimité de la posture militante de ceux et celles qui choisissent de s'engager dans cette voie et nous reconnaissons la pertinence sociale − voire la nécessité conjoncturelle − d'une éthique de l'engagement scientifique.

Il n'est pas facile d'évoquer l'idée d'engagement social en science et encore moins celle de militance. En effet, certain·s détracteur·rices n'hésitent pas à les dénigrer sous d'angle même de leur scientificité et à les associer à une forme de lobbyisme opportuniste. Alors, qu'en est-il de l'engagement et de la militance qui caractérisent une organisation comme notre Collectif scientifique, qui s'est mise en place dans la tourmente de l'annonce de l'invasion de l'industrie gazière dans la vallée du Saint-Laurent au début des années 2010 ?

Rencontre entre science et mouvements citoyens

D'abord, il s'agissait de répondre à l'appel du mouvement citoyen qui s'était courageusement levé à partir d'observations, de questionnements et d'inquiétudes, qui se sont avérés fort justifiés. Le Collectif est né d'un désir d'engagement à nourrir le débat public par des synthèses de productions scientifiques − publiées alors surtout dans des revues de recherche internationales et bien souvent confinées à des circuits de diffusion académiques. Il s'agissait de repérer et d'analyser ces travaux, de les commenter, de les synthétiser, de les expliciter, de les croiser en interdisciplinarité, de transposer ce savoir en contexte québécois, de le compléter par de nouvelles recherches in situ et de rendre cette science accessible.

Un tel apport a pu contribuer à l'émergence d'une « intelligence citoyenne » de la question, reconnaissant également à cet effet la valeur incontournable des « savoirs de terrain » portés par les groupes mobilisés sur les territoires concernés. Ce travail d'examen approfondi du champ de la recherche, d'écoute attentive des expériences citoyennes (voire de participation à certaines de celles-ci), de discussions critiques entre collègues et de débats entre protagonistes nous a mené·es au constat qu'il importait de prendre une position ferme à l'encontre d'un tel projet de « développement » énergétique, et de porter ce positionnement dans l'espace public, passant ainsi de l'engagement scientifique à la militance.

Militantisme des scientifiques

Le militantisme en recherche est ainsi défini par André Robert et Jean-François Marcel : « Une volonté d'intervention sur l'existant, d'implication orientée dans une pratique sociale, sur la base de conviction, mais avec la possibilité maintenue d'un regard critique et évolutif sur le réel ». C'est en effet l'exigence d'une constante distanciation critique qui permet de légitimer une telle posture. À ce critère, il convient d'ajouter celui de l'explicitation de l'intention − liée à la clarification des valeurs sous-jacentes.

Le militantisme scientifique, plus justement appelé le militantisme des scientifiques, peut prendre des formes diverses. On peut penser au soutien aux mouvements citoyens et aux initiatives de « science citoyenne » (par l'apport de protocoles de recherche entre autres et de pistes d'analyse), à la revendication de l'accès à l'information auprès des instances publiques et à la présence active dans les médias. On peut aussi penser à l'organisation d'événements publics autour des enjeux scientifiques, à la mise en place ou à la participation à un groupe d'intérêt public (comme Science for the People ou Union for Concerned Scientists), à l'action directe sur les terrains, voire à la participation à certaines formes de désobéissance civile − soit une opposition active non violente (comme au sein du mouvement Scientist Rebellion). On rejoint ici l'idée d'activisme, souvent connoté négativement, mais qui peut pourtant correspondre à une courageuse mobilisation en faveur du bien commun.

Un contrepoids nécessaire

L'ampleur du bouleversement climatique et l'érosion accélérée de la biodiversité – qui résultent de l'ensemble des dysfonctions de notre rapport au monde vivant − appellent plus que jamais les scientifiques à ne pas se confiner à l'étude distante des réalités socioécologiques. Certes, il faut mentionner ici le risque de nuire à sa carrière − soit en raison de l'investissement considérable de temps que cela exige et de la réprobation implicite ou explicite de l'institution d'attache. Mais au-delà du risque, il y a l'impératif de la responsabilité sociale, dont celle de faire contrepoids au lobby « privé » et à contrer l'inertie des décideurs.

Dans un contexte marqué par la désinformation, où la « science » (ou ce qui en tient lieu) est reconnue comme un pivot d'argumentation majeur pour justifier les choix de gouvernance, il devient essentiel de revendiquer la contre-expertise et le débat, et d'y participer avec engagement. Face à la déconstruction du monde vivant, le silence des scientifiques, comme celui des autres voix citoyennes, peut relever d'un consentement inacceptable, et l'engagement – jusqu'à la militance – apparaît comme une posture de dignité.

Membres du collectif : Lucie Sauvé, Marc Brullemans, Bonnie Campbell, Christophe Reutenauer, Bernard Saulnier, Jean-Philippe Waaub et Sebastian Weissenberger

Illustration : Ramon Vitesse

Des municipalités vulnérables

L'efficacité du lobbyisme repose sur une ressource clé qui se paie cher : l'accès aux décideur·euses. Aux niveaux provincial et fédéral ainsi que dans les plus grandes villes (…)

L'efficacité du lobbyisme repose sur une ressource clé qui se paie cher : l'accès aux décideur·euses. Aux niveaux provincial et fédéral ainsi que dans les plus grandes villes du Québec, cet accès restreint. Mais est-ce aussi vrai dans le cas des petites municipalités, qui constituent la vaste majorité des 1130 municipalités locales du Québec ?

Dans les quelque 1 001 municipalités qui comptent moins de 10 000 habitant·es, les personnes élues sont plus proches du citoyen lambda et l'échelle humaine de la politique redresse le rapport de force entre la volonté populaire et celui des intérêts privés au portefeuille épais. N'importe quel·le élu·e de village vous confirmera qu'un groupe de citoyen·nes mécontent·es lui génère bien plus d'insomnie qu'un promoteur insistant.

Pourtant, pas une semaine ne passe sans que des citoyen·nes ne se mobilisent pour lutter contre un nouveau projet de développement immobilier ou industriel non désiré, dont les impacts sociaux ou écologiques inquiètent. Malgré les efforts citoyens, ces projets vont tout de même couramment de l'avant. Comment expliquer ce rapport de force favorable aux intérêts privés au détriment de l'expression démocratique, même à l'échelle des petites municipalités ?

Personnes élues mal outillées

Notons d'abord que les personnes élues sur les conseils municipaux des petites municipalités occupent souvent cette fonction à temps partiel, contre une maigre rémunération. Elles arrivent dans leurs fonctions à partir de milieux très divers, allant de l'agriculture à la littérature, en passant par le travail d'antiquaire. Dans la majorité des cas, elles ne sont pas familières avec la gestion de grands projets immobiliers, touristiques et industriels.

Facile d'être impressionné·es par la présentation d'un promoteur qui en met plein la vue, avec de beaux rendus 3D et des promesses de retombées alléchantes. Sans être outillé·es pour identifier des données douteuses ou les angles morts dans les informations rapportées, les membres du conseil se fieront à l'administration de leur municipalité pour valider la compatibilité d'un projet avec le règlement et, en l'absence de risques apparents, se baseront sur les informations fournies par le promoteur (et à leur bon jugement) pour autoriser le projet.

L'accès à des formations extensives, des ressources et des spécialistes serait crucial pour épauler les personnes élues, aiguiser leur sens critique et amoindrir l'influence du marketing efficace. Souvent, ces ressources existent au sein d'instances régionales comme les MRC, mais elles ne sont pas diffusées activement auprès de tous les conseils.

Manque d'indépendance

L'administration joue un rôle central dans les petites municipalités : elle est entièrement responsable de l'exécution des projets, en plus de fournir les informations et les recommandations qui serviront de base pour les décisions du conseil. Le niveau de dépendance du conseil à l'administration est énorme.

Le hic : les administrations fonctionnent avec des ressources humaines très limitées et sont facilement surchargées. Il n'en tient souvent qu'à l'initiative personnelle d'un membre de l'équipe et à sa charge de travail à un moment donné de déterminer si un projet avancé par un promoteur sera scruté avec plus ou moins de minutie. La décision de recommander au conseil de faire des vérifications supplémentaires ou de produire des études externes sera ainsi sujette à une grande part de subjectivité. Dans ce contexte, les développeurs profitent de ce que des enjeux importants (impacts sociaux, sur les milieux naturels, sur l'eau, sur la mobilité, par exemple) passent sous le radar au moment d'adopter une modification au règlement de zonage ou une dérogation pour autoriser leur projet.

Capacité de proposition restreinte

Les capacités financières et de gestion de projet des petites municipalités sont trop limitées pour leur permettre de se lancer dans la réalisation des projets ambitieux et innovants dont la communauté pourrait rêver (la construction d'un quartier d'habitations écologiques alternatives, une nouvelle école, la conservation d'espaces naturels, etc.). Elles peuvent difficilement prendre en charge des projets d'envergure complexes, dont certains exigent de naviguer dans les contraintes du cadre législatif provincial. C'est beaucoup, quand on pense que la seule réfection annuelle de la patinoire peut déjà faire déborder la marmite ! Les municipalités dépendent alors des capacités et des capitaux venant de l'extérieur : autrement dit, on compte sur le privé.

Les projets proposés par le privé, on le sait, visent avant tout la profitabilité de l'investissement, bien avant les besoins et demandes de la population. La municipalité se retrouve souvent à devoir faire des compromis sur sa vision : si les critères posés dans ses règlements ne permettent pas aux promoteurs de tirer une marge de profit suffisamment intéressante, les projets ne trouvent pas porteur. De ce fait, les projets qui répondent aux besoins communautaires, sociaux et écologiques, plutôt qu'aux impératifs capitalistes, sont très difficiles à réaliser, malgré la volonté d'une communauté et de son conseil municipal.

Processus démocratiques déficients

Le pont entre les personnes citoyennes et leur démocratie locale est très souvent entravé par la grande opacité de ses instances et de ses communications. L'espace qui devrait en principe constituer le cœur de la démocratie locale, soit les séances du conseil municipal, est vidé de son sens par une pratique courante : toutes les délibérations se tiennent en amont, derrière des portes closes, lors des caucus du conseil.

La séance publique ne devient alors qu'une simple formalité. Les interventions citoyennes n'y ont aucun poids ; l'issue du vote est déjà fixée. C'est ainsi qu'on place la population devant le fait accompli avec des projets impactant négativement son milieu de vie.

Pour réussir à intervenir dans le processus décisionnel des municipalités, il faut se lever tôt : seuls des citoyens et citoyennes particulièrement assidu·es peuvent assurer une forme de vigie et décortiquer ce qui se cache derrière les codes de règlements et les numéros de lots peu évocateurs dans les communications des villes.

Il faut être à l'affût et interpeller les personnes élues en marge des séances, car c'est là que se prennent les décisions : en coulisse, loin des yeux et des oreilles. On pourrait difficilement imaginer une manière de faire qui puisse rendre plus vulnérables les municipalités à l'influence des intérêts privés.

Heureusement, de plus en plus de municipalités sont animées par la volonté d'agir contre ces failles démocratiques et de mettre en place des processus de participation citoyenne. Mais tout reste à faire ! Un grand chantier doit être mené pour réfléchir aux bonnes pratiques, instaurer des processus consultatifs et des instances participatives efficaces. Mais surtout, il faut s'attaquer à la cause systémique qui constitue le nœud du problème : le manque de capacité et de ressources des municipalités, essentielles à l'autonomie des communautés, à la concrétisation de la volonté démocratique locale et à la résistance face au pouvoir d'influence des grands capitaux et des intérêts privés.

L'autrice est citoyenne engagée et co-fondatrice de la Vague écologiste au municipal.

Illustration : Ramon Vitesse

Lobbying immobilier à Montréal

J'ai été conseillère municipale dans l'arrondissement du Sud-Ouest de Montréal de 2009 à 2021. Traversée par le canal de Lachine, avec ses vestiges de secteur ouvrier, cette (…)

J'ai été conseillère municipale dans l'arrondissement du Sud-Ouest de Montréal de 2009 à 2021. Traversée par le canal de Lachine, avec ses vestiges de secteur ouvrier, cette partie de la métropole a été transformée par de nouveaux immeubles. Ces transformations ne se sont cependant pas faites dans des circonstances idéales.

Elles ont marqué notamment des quartiers comme Saint-Henri, Pointe-Saint-Charles ou Griffintown. Le prochain à suivre la tendance sera certainement le secteur Bridge-Bonaventure, près du pont Victoria, où l'on projette de construire des milliers d'unités résidentielles.

Le développement immobilier y est un enjeu décisif : il s'agit d'une source de revenus majeure pour la ville qui contribue à la gentrification et au déplacement de populations, et les relations entre les promoteurs et les décideurs municipaux sont discutables.

Depuis vingt ans, un boom immobilier est en cours dans cet arrondissement. La population est passée de 69 860 personnes en 2006 à 84 553 en 2021. Il s'agit donc de 15 000 résident·es de plus en quinze ans, soit une hausse de 21 %, ce qui peut être qualifié de remarquable. Les derniers recensements témoignent d'une importante transformation : plus de propriétaires, de personnes diplômées, de revenus importants ; moins de familles monoparentales ou de ménages à faibles revenus. La tendance urbanistique est à la densité, privilégiant les copropriétés et les hauteurs. Les logements sont peu abordables et de taille souvent insuffisante pour des familles. Et le développement se fait sans l'ajout de services publics.

Les méfaits de la taxe foncière

Pendant ces douze années d'expérience, j'ai vu passer des centaines de projets immobiliers demandant à démolir ou à modifier la réglementation d'urbanisme (comme changer le zonage d'industriel à résidentiel). Or, il n'y a aucune obligation pour des décideurs municipaux de modifier la réglementation ou d'accepter une démolition. Par ailleurs, il se trouve que la principale source de financement des villes est la taxe foncière. Pour Montréal, elle représente 70 % et plus de l'ensemble des revenus. L'arrondissement bénéficie, pour sa part, des revenus de permis de construction, d'occupation du domaine public pendant les travaux, en plus de l'élargissement de son assiette fiscale. Ainsi, la dépendance des villes à la taxe foncière peut malheureusement influencer des choix dans le développement, dans le but de hausser la valeur foncière et les retombées fiscales.

Une ex-collègue conseillère m'a déjà dit considérer les promoteurs immobiliers comme des citoyens… corporatifs. Elle voulait représenter tout le monde. Or, d'après moi, ce ne sont pas tant des citoyens que des partenaires d'affaires. Ainsi, il m'est arrivé durant mon expérience municipale d'être mal à l'aise en ce qui concerne des relations directes entre des promoteurs et des décideur·euses.

Par exemple, j'ai entendu une personne insister sur des demandes de promoteurs qu'elle déclarait non réglées alors qu'au contraire, la majorité du conseil avait déjà été claire sur leur manque d'appui aux propositions de projets déposées. La personne se plaignait de recevoir des appels téléphoniques des requérants. Aussi, j'étais mal à l'aise de constater que des promoteurs peuvent être nommés par leur prénom ou que certains sont sollicités pour acheter des billets de cocktail pour une levée de fonds de parti politique. Cela me semble des marques de proximité inquiétantes.

Se défendre des promoteurs

J'ai alors voulu me renseigner auprès du conseiller à l'éthique de la ville, un avocat mis à disposition pour conseiller les élu·es sur toutes questions reliées aux responsabilités en matière d'éthique et de déontologie. Il m'a déclaré qu'actuellement, cette proximité n'est pas remise en question. Il ne s'agit, pour le promoteur, que d'être inscrit au registre du lobbying pour pouvoir communiquer avec un politicien.

Pourtant, la jeune formation politique que je représentais avait établi un cadre de gouvernance en 2011. Il s'agissait de « refuser tout cadeau et toute faveur susceptible d'appeler une contrepartie ou de créer une dette morale envers une personne intéressée ». Ce document n'a plus été utilisé après quelques années. Tout dernièrement, j'ai vu qu'on le faisait de nouveau circuler parmi les membres, dans une volonté annoncée de le mettre à jour, ce dont je me réjouis.

En effet, je souhaiterais plus de distance entre les décideur·euses municipaux·ales et les promoteurs immobiliers. Il serait possible de réduire l'utilisation du lobbyisme en augmentant la responsabilité de la ville de promouvoir sa propre vision du développement. Les projets immobiliers s'y inscriraient alors sans utiliser le dispositif de négociation que représentent les modifications réglementaires

L'autrice est membre du CA d'ATTAC Québec et ex-conseillère municipale dans l'arrondissement du Sud-Ouest de Montréal de 2009 à 2021.

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