Derniers articles

Les animaux se dotent de l’arme nucléaire !

( En Afrique, au plus profond bunker de l'Histoire, se tient un Conseil de Guerre du règne animal)
– Chuuut ! j'entends un bruit, prévient la fourmi
- Vas -y- ! assure l'Okapi, c'est le forage de Total Energies
- Il va bousiller toutes nos galeries, dit le Fennec, ébahi.
- Ne vous laissez pas distraire ! rugit le Lion, l'heure est grave, continue - fourmi !
- Chuuut ! j'vous dis ! ce fracas sourd nous annonce de gros ennuis.
– Elle a raison la fourmi, avertit le casoar, le regard ahuri.
(Instant de silence pesant. Et soudain ! Une ombre étrange s'encastre dans l'embrasure de l'entrée de l'abri…)
- Aaaah ! ça fait du bien de se délester des ruines des merveilles de la cuisine, se libère l'hippopotame, Dember.
– Espèce d'idiot ! tu nous as foutus une sacrée trouille avec ta détonation scatologique ! grogne le plus puissant gorille de la Terre.
– Mes excuses, les Amis (es).
– On n'est pas en Ukraine ni au Moyen-Orient, Ya Baghaloune* ! s'offusque la vipère d'Orsini.
– Mais quelle andouille, ce lourdaud ? Faut l'virer du Conseil ! ordonne l'hyène, Dent'si
- La dernière fois que t'as baillé, t'as fait fuir tous les poissons de l'Ogooué, renchérit le Wapiti
- Il y va de notre survie, mugit le calao bicornis
– La prochaine fois, peste Wing, le Panda de Qinling, ne rapplique pas avec des Pampers, mais des feuilles de Raphia Regalis, t'as saisi ?
(Furieux, le lion tape de la patte sur la table )
– Plus jamais ça ! compris ? Il y a les guerres, la domination, la misère, les profits…
– Pourquoi tu rigoles, souris ?
- Vous n'allez pas me croire, chers (es) congénères. Le monde est à une encablure d'une guerre nucléaire, et présentement se tiennent les Journées mondiales des Toilettes à Paris !
( Tonnere de rires nourris)
- Ha, ha, ha, ha ha !
- Je vous jure que c'est vrai ! demandez à notre rapporteur, le Lama ?
- C'est l'exception française ! « La frensh touch 2024 ! »... Toz ! (Pardon) la COP 29 pour le climat !
- Assez rigolé ! enjoint le lion, la parole est de nouveau à la fourmi :
– Merci ! Chers (es) Congénères. Par mesures de confidentialité, je me vois dans l'obligation d'être concise. Chacun (e) de nous ici présent (e) peut se figurer l'ampleur de la démence qui s'empare de l'Humanité. En fissurant l'atome, l'Homme a rédigé le testament de son Apocalypse. La prolifération des armes de destruction massive, a le vent en poupe. Environ 12 121 ogives nucléaires se baladent dans le monde. Les 9 puissances s'en enorgueillissent impudemment.
Le risque de notre disparition par effet d'ineptie, est effectif. Face à ce paradigme démentiel, le Conseil de Guerre animalier a fait appel à notre éminence grise, le Corbeau calédonien Stein-Ein, réputé pour son intelligence. Sa découverte va donner des sueurs froides à nos ennemis (es).
La mise au point de cette technologie anticipatrice tournera en ridicule l'IA des Super Puissances.
Des années de recherche de Stein-Ein, se sont couronnées par un succès plus que « nobélisable ».
Je vous invite à vous lever en ce moment solennel pour l'annonce de la nouveauté révolutionnaire !
A vous de conclure honorable Corbeau calédonien :
- « Plus jamais, notre destin ne sera mis en péril ! A tous (es) mes congénères, je leur dis ceci :
Le mal est banni ! Notre arsenal nucléaire a une longueur d'avance. Il est truffé d'un système innovant déroutant : La « D.P.P.S » Détection Préventive de la Pensée Subversive ! Explicitement, dès que la pensée germe dans le cerveau de notre agresseur, notre système se déclenche automatiquement » .
– Waaaouh ! Ils vont faire dans leurs frocs, les Amerlocs ! murmure l'adorable Steenbock.
Texte et dessin : O.H
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.
* Ya Baghaloune : Espèce de bourricot, mule, pour caricaturer l'ignorance de quelqu'un en langue arabe dialectale.

Comptes rendus de lecture du mardi 19 novembre 2024


La tyrannie des droits
Brewster Kneen
Traduit de l'anglais
C'est mon deuxième bouquin de Brewster Kneen. Le premier, écrit en 2000, portait sur les aliments trafiqués - les OGM. La tyrannie des droits est encore une fois un essai qui porte à réfléchir, et cette fois particulièrement pour les gens de la gauche dont les "droits" desservent bien souvent les objectifs. Remettant en question le prétendu universalisme des droits de la personne, Kneen cite plusieurs exemples de sociétés non occidentales où la notion même de droit individuel est absente, au profit d'un langage de la responsabilité à l'égard d'autrui. Un livre à lire.
Un extrait :
Au Québec, la judiciarisation de la grève étudiante de 2012 a offert une triste illustration de la contamination du politique par le droit et du droit par les logiques du marché, alors que les tribunaux ont très largement interprété le droit à l'éducation comme le droit individuel de voir respecter le contrat unissant un client qui achète des services d'enseignement - et ultimement un diplôme - à une institution qui les lui prodigue. Ils battaient ainsi en brèche une vision collective du droit à l'éducation, comprise comme les fragiles conditions sociales et politiques assurant un accès universel à une éducation de qualité, notamment par l'instauration progressive de la gratuité.

No steak
Aymeric Caron
Ce livre est un vibrant plaidoyer en faveur du végétarisme, d'abord pour des raisons éthiques, mais aussi, de façon réaliste, pour des raisons de survie. Nous ne pouvons continuer de tuer des animaux en aussi grand nombre - et à les faire souffrir comme nous le faisons - sans considérer l'impact de cette pratique sur l'environnement. Nos ressources en terres et en eau ne suffiront plus à ce mode de consommation dans quelques décennies. On sait aussi aujourd'hui, fait non négligeable, que les élevages sont responsables de 18 % de la totalité des gaz à effet de serre. C'est selon l'auteur plus que l'ensemble des transports de la planète, qui sont eux responsables de 14 % de ces gaz à effet de serre.
Un extrait :
La consommation sans cesse croissante de viande aurait, paraît-il, un effet très positif : celui de lutter contre la faim dans le monde. Cette croyance est non seulement naïve, mais même carrément fausse. Depuis trente ans, tandis que la consommation de viande explosait, le nombre de personnes sous-alimentées a doublé. On estime qu'actuellement un milliard de personnes souffrent de malnutrition, et qu'un enfant meurt toutes les six secondes par manque de nourriture.
Le facteur Armageddon
Marci McDonald
Traduit de l'anglais
Armageddon, terme biblique, est un lieu symbolique du combat final entre le Bien et le Mal. Cette vision manichéenne du monde est celle d'une droite chrétienne déconnectée de la chrétienté moderne et de la réalité, droite qui était et demeure incarnée politiquement chez nous par le Parti conservateur du Canada. « Le facteur Armageddon » nous décrit cette influence croissante de la droite religieuse, en passe de devenir une force politique durable, avec ses politiques belliqueuses, misogynes, homophobes, liberticides, antidémocratiques et inégalitaires. Il nous rappelle aussi l'importance d'élire un autre parti que le Parti conservateur du Canada lors des prochaines élections fédérales.
Extrait :
Ce mouvement nationaliste en pleine croissance tire son énergie de la foi de ses membres, convaincus que la fin des temps annoncée dans l'Apocalypse est proche. Parés pour une fin du monde imminente, ils se donnent le devoir d'assurer au Canada un rôle unique, prescrit par les Écritures, en ces jours précédant le second avènement du Christ - et leurs idées s'arrêtent à peu près là. Cette obsession pour les préparatifs des derniers jours explique probablement pourquoi un millier de jeunes évangélistes ont pu se rassembler à Stanley Park, à Vancouver, en lançant des appels passionnés pour la fin de l'avortement et des relations sexuelles avant le mariage, tout en ignorant les dangers des changements climatiques. Pour eux. l'essentiel de l'évangélisme consiste à sauver les âmes pour la moisson finale, plutôt que de combattre les dangers qui menacent un monde de toute façon condamné.

Les Patriotes de 1837-1838
Laurent-Olivier David
« Les Patriotes de 1837-1838 », écrit un peu plus de quarante ans après les événements, possède toute la saveur de l'écriture et de la culture de l'époque. Ceux qui ne connaissent cette page essentielle de notre histoire qu'à travers le très beau film « 15 février 1839 » du réalisateur Pierre Falardeau adoreront ce bouquin qui nous ressemble et nous rassemble tellement. Un livre pour les amis de la liberté...
Extrait :
De toutes les assemblées publiques qui précédèrent l'insurrection, celle de Saint-Charles fut la plus importante. Elle précipita le dénouement en activant l'agitation et en décidant les autorités à intervenir. C'était l'assemblée des six fameux comtés confédérés de Richelieu, de Saint-Hyacinthe, de Rouville, de Chambly, de Verchères et de l'Acadie. Papineau, O'Callaghan , les chefs les plus distingués et les orateurs les plus populaires de la cause libérale y avaient été invités.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Ukraine, mettre les compteurs à l’heure Trump

La « géopolitique » des États-Unis de Trump sera celle de « MAGA » — Make America Great Again — selon une logique à dominante dite « isolationniste ». Quelle y sera la place de l'Ukraine et de la guerre qui la ravage ?
Hebdo L'Anticapitaliste - 729 (14/11/2024)
Par Catherine Samary
Contrairement à d'autres guerres dont les États-Unis ont dû se retirer, la guerre en Ukraine n'est pas perçue aux États-Unis comme « leur » guerre. Trump n'est pas « concerné » par les « valeurs » hypocritement mises en avant par Biden pour « aider » l'Ukraine (tout en lui interdisant de viser des sites militaires russes d'où partent les missiles qui frappent les infrastructures et la population ukrainienne).
Trump ne se soucie pas non plus le moins du monde de critiquer le double langage de son prédécesseur en confrontant ces « valeurs » à la politique génocidaire d'Israël. Le racisme de Trump, envisageant d'interdire des vols amenant aux États-Unis des populations de pays arabo-musulmans, ne peut que conforter sa politique prosioniste.
Les intérêts matériels des USA d'abord
Ce sont des intérêts matériels perçus comme positifs pour son pays qui comptent à ses yeux. Même les rapports de connivence avec Poutine et la pénétration de la sphère trumpiste par la mafia et les services de sécurité russes n'impliquent aucune certitude.
Somme toute, il n'y a vis-à-vis de la Russie ni l'évidence d'une « nouvelle guerre froide » ni celle d'une quelconque amitié indéfectible (comme le disent les Chinois, non sans hypocrisie). Pas plus que le financement de l'Otan par les États-Unis trumpistes n'est assuré, l'aide à l'Ukraine ne fait partie d'une quelconque « obligation » politico-morale pour Trump et la population qui le soutient.
Un internationalisme par en bas nécessaire
Si l'aide des États-Unis baisse ou s'arrête, cela souligne combien sont importantes les tâches d'un internationalisme par en bas en lien avec les associations progressistes ukrainiennes, urgentes et essentielles. Car sous une forme ou une autre la résistance ukrainienne contre le pouvoir grand-russe se poursuivra — y compris par une guérilla permanente après un « cessez-le-feu » contraint. Pour une raison simple : la guerre est d'abord et avant tout une agression de la Russie contre l'Ukraine, niant son existence nationale et indépendante. Telle est sa nature fondamentale — et non pas un « proxy » de la géopolitique.
L'aide reçue des grandes puissances est limitée, fluctuante selon qui gouverne, et toujours « conditionnée » à des intérêts qui ne sont pas ceux d'une Ukraine indépendante et démocratique. Et c'est pourquoi notre solidarité implique d'abord une vigilance — rendue concrète et possible par notre indépendance envers tous « nos » gouvernements pour qu'aucune aide ne soit conditionnée par des politiques néolibérales. De même, nos camarades ukrainieNEs, au sein de la résistance contre la guerre, contrôlent toute concession « néolibérale » du pouvoir Zelensky contre une aide occidentale.
Une solidarité concrète
C'est pourquoi nous sommes pleinement en accord avec nos camarades de la gauche ukrainienne et à leur côté : leurs déclarations et actions depuis l'invasion russe expriment une lutte sur plusieurs fronts. Elle s'adresse au gouvernement ukrainien en toute indépendance critique, pour souligner, comme le fait O. Kyselov, que « la force principale » du pays contre l'agression russe « est intérieure ». Leurs appels soulignent — pour que la résistance soit efficace contre l'agression — l'importance d'une transparence égalitaire des conditions de la mobilisation.
Face à « nos » gouvernements, dont nous ne cessons de combattre les politiques réactionnaires, nous devons nous appuyer sur les pressions « politico-morales » en faveur de la résistance ukrainienne à une guerre d'agression pour relayer, avec nos camarades ukrainienNes, des demandes concrètes : l'annulation de la dette ukrainienne ; l'accueil de touTEs les réfugiéEs ; et face aux incertitudes de l'aide venant des États-Unis à l'Ukraine, l'envoi à ce pays de l'aide matérielle, militaire, financière qui lui permette d'affronter les missiles russes et l'hiver, alors que la moitié de ses infrastructures d'énergie ont été bombardées. Les liens directs avec les organisations progressistes, politiques, syndicales, féministes de la résistance ukrainienne sont établis depuis le début de la guerre via des réseaux solidaires. Les tâches d'un internationalisme par en bas sont plus que jamais essentielles.
Catherine Samary
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Sur l’armement de l’Ukraine et la lutte contre le militarisme

Le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (ENSU) a dénoncé l'invasion russe de l'Ukraine dès le début et soutient pleinement le droit ukrainien à l'autodéfense. La résistance armée du peuple ukrainien est juste. Elle ne s'inscrit pas dans le cadre d'une agression militaire de l'OTAN, des États-Unis ou de tout autre pays occidental, mais constitue une défense contre l'objectif de guerre déclaré du président russe Vladimir Poutine : reconquérir le « monde russe » fictif prétendument perdu lors de la dissolution de l'Union soviétique en 1991. Puisque la résistance armée de l'Ukraine est légitime, tous les États qui se considèrent comme démocratiques et respectueux des relations internationales régies par le droit ont la responsabilité d'aider le peuple ukrainien à vaincre l'invasion russe.
30 octobre 2024
L'ENSU demande donc à tous les gouvernements opposés à l'agression illégale de la Russie (qu'ils soient ou non membres de l'OTAN) de fournir à l'Ukraine les armes, les munitions et le soutien financier nécessaires pour expulser les forces d'invasion du territoire internationalement reconnu du pays.
Dans le même temps, la déclaration fondatrice de l'ENSU définit son orientation générale comme anticoloniale et opposée au « militarisme et à la concurrence impérialiste pour le pouvoir et le profit qui détruisent notre environnement et nos droits sociaux et démocratiques ». Comme les peuples pacifiques de tous les pays, nous ressentons l'urgence absolue de mettre fin à la rivalité des grandes puissances, au militarisme meurtrier et à la dévastation de l'environnement qu'elle engendre.
Apporter à l'Ukraine le soutien nécessaire pour vaincre la grande puissance russe qui s'est emparée de son territoire, a détruit ses infrastructures, assassiné son peuple et empoisonné ses terres et ses rivières n'est pas en contradiction avec cette perspective. Soutenir une Ukraine libre et indépendante n'exige pas non plus une augmentation permanente des dépenses militaires mondiales, l'enracinement de blocs militaires rivaux ou la promotion sociale et politique du militarisme - même si c'est le programme de certaines forces réactionnaires qui se présentent comme les champions de l'Ukraine.
Pour soutenir l'Ukraine sans déclencher une vague de militarisme, de chauvinisme et de profits de guerre, l'ENSU inscrit sa solidarité avec le peuple ukrainien dans une perspective antimilitariste opposée au réarmement des puissances impérialistes. L'ENSU affirme que :
- l'aide militaire à l'Ukraine peut initialement provenir des stocks et de l'armement actuellement fourni aux gouvernements menant des guerres d'agression condamnées par les Nations unies ;
- la production de toutes les formes d'armement peut, et doit, être nationalisée. Cela permettrait de mettre fin aux profits de guerre obscènes et au trafic d'armes et de soumettre la production et la livraison de matériel de guerre aux droits internationalement reconnus de la souveraineté nationale et à la nécessité de s'opposer aux guerres qui les violent ;
- dans le cas où les pays auraient réellement besoin d'augmenter leurs budgets militaires pour aider l'Ukraine ou pour se défendre contre les menaces du régime de Poutine, l'augmentation devrait être financée par une taxation accrue des couches les plus riches de la société. Le soutien à l'Ukraine ne doit pas devenir un prétexte à l'austérité qui nuit à la majorité sociale.
L'ENSU souligne également la nécessité d'une propriété publique de l'industrie de l'armement afin de permettre sa conversion - après avoir vaincu des guerres d'agression - en un outil inestimable de production socialement et écologiquement utile.
Telle est l'approche démocratique, socialement juste et internationaliste pour aider le peuple ukrainien à gagner.
C'est également l'approche qui aide le plus l'opposition anti-guerre en Russie, en montrant que l'objectif de l'aide militaire à l'Ukraine n'est pas d'envahir la Fédération de Russie ou de renforcer l'OTAN, mais simplement de vaincre l'agression de Poutine.
C'est la seule approche compatible avec l'objectif d'avancer au-delà du militarisme et de la guerre vers le seul horizon souhaitable pour l'humanité : celui de peuples et de nations coexistant pacifiquement sur une planète durable.

BRICS+, en passe de perspectives

Beaucoup de regards étaient tournés vers l'Est au cours du weekend du 22, 23 et 24 octobre 2024, alors que s'est tenue la 16e réunion des BRICS+ à Kazan en Russie. Malgré et à cause de l'élargissement, les BRICS+ n'arrivent pas à clarifier leurs perspectives. Le manque de cohésion de l'alliance semble entraver leur ambition d'alternative mondiale.
Les chefs d'État brésilien, chinois, russe, indien, iranien, émirien, sud-africain, éthiopien et égyptien étaient réunis à l'occasion du sommet annuel de l'alliance 1. Chaque pays est arrivé avec son propre agenda et a voulu tirer son épingle du jeu à la fin de ces trois jours. La complexité des BRICS+ réside dans son hétérogénéité. Elle serait un avantage pour la surmonter, considérant la volonté partagée de remodeler l'ordre mondial. Or, l'alliance ne réussit pas à s'imposer comme une alternative logique à l'Occident.
Une naissance circonstancielle
Ironiquement, ce sont les États-Unis qui ont amorcé la formation des BRIC. Jim O'Neill, un des économistes en chef de Goldman Sachs, réunit dans les années 2000 le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine sous l'acronyme BRIC pour distinguer ce groupe émergeant du reste du marché mondial. Cependant, le mérite ne revient pas uniquement aux États-Unis, puisque la collaboration entre ces quatre puissances est apparue indépendamment de la tutelle américaine.
Le premier sommet officiel des BRICS prit place en 2009 en Russie. Ce que les spécialistes ne comprennent pas tout à fait, c'est que les cinq puissances, l'Afrique du Sud ayant rejoint entre temps la bande des quatre, ne cherchaient pas un statut public. Il a fallu plus d'une décennie de rapprochement pour que la rencontre de 2009 confirme la naissance de ce front commun.
Aujourd'hui, les BRICS+ ont troqué l'ombre au travers de laquelle ils se sont construits. Ils réclament une place dans le système international. Malgré la médiatisation accrue autour des BRICS+, la critique qui revient souvent de la part des pays du Sud global sur l'alliance concerne le manque d'institutions et de structures claires, suscitant des questionnements quant à sa capacité à répondre aux attentes en matière de gouvernance alternative.
Lorsque ces pays prétendent être les successeurs des puissances occidentales traditionnelles, plusieurs pointent un minimum de matérialisation institutionnelle plus formelle. Certes, le projet de la Nouvelle banque de développement (NBD) s'inscrit en faux à une telle affirmation, Son incapacité à formaliser ses projets limite son potentiel transformationnel. La NBD n'est donc qu'un potentiel ad hoc gâché.
Neutralité comme mot d'ordre
Contrairement au MNA et à celui pour un Nouvel ordre économique international qui étaient guidés par un engagement politique, l'alliance BRICS+ est caractérisée par sa force économique. La dépolitisation de l'alliance n'est pas encore assumée, puisque les enjeux politiques sont toujours abordés lors des sommets. Toutefois, les États semblent s'engager timidement et défendent leurs positions à reculons.
Lors de ce 16ème sommet, la condamnation d'Israël sans utiliser le mot « génocide » a suscité l'indignation, surtout lorsqu'on sait que l'Afrique du Sud était de la partie. De même, la mise sous silence de l'invasion ukrainienne depuis 2022 conforte ce mutisme sélectif de l'alliance. Ce silence est d'autant plus frappant quand les BRICS+ choisissent de seulement dénoncer les actions des Houthis en mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab. Rompre le silence uniquement lorsque des intérêts commerciaux sont en jeu relève d'un opportunisme, non pas d'un dévouement politique.
Dans cette même démarche de neutralité, les BRICS critiquent l'Occident pour son recours aux sanctions économiques à des fins politiques. L'alliance demande la levée des sanctions unilatérales, soulignant que ces mesures nuisent aux droits humains et entravent le développement des populations les plus vulnérables des pays ciblés. Alors que le droit international sert de fondement à ces réclamations, l'éthique des BRICS amène à s'interroger sur la cohérence de leurs positions face à leurs propres pratiques internes.
Front commun désuni ?
Les BRICS représentent avant tout un choix stratégique de leurs membres. Imaginer que ces États se réunissent chaque année par simple complaisance ne correspond pas à la réalité, tout comme supposer qu'ils partagent un consensus sur l'ensemble des enjeux abordés.
Au sein même de l'alliance, des rivalités refont surface, comme pour la Chine et l'Inde. Les deux puissances, en pleine période de froid diplomatique, ont cherché à rétablir un certain dialogue en marge du sommet. Cependant, un apaisement des tensions semble peu probable, après plus de quatre ans de dispute à propos de la frontière himalayenne.
Les divergences persistent également sur l'idéologie des BRICS. Alors que l'alliance s'est fondée sur un espoir postcolonial, les membres peinent à concorder leur vision d'un nouvel ordre mondial. Le Brésil et l'Inde demeurent prudents face à l'anti-occidentalisme prôné par la Russie et la Chine, privilégiant plutôt une stratégie de réforme des institutions existantes, sans confrontation directe avec l'ordre dominé par les États-Unis. Cela transparaît d'ailleurs dans la déclaration finale du sommet, qui ne remet en aucun cas en cause le Fond monétaire international et la Banque mondiale .
Le grand projet de monnaie commune des BRICS, qui avait suscité de vives discussions, a également généré des discordes. Quand le président brésilien Lula avait annoncé le projet au sommet de 2023, le scepticisme était déjà palpable. Un an plus tard, l'omission complète de celui-ci est notée. Certains membres craignant que cette monnaie, soit dominée par les intérêts des économies les plus influentes, comme la Chine, freinent la réflexion, renforçant ainsi les tensions de pouvoir au sein du groupe. Autant de désillusions qui éloignent les perspectives d'une coopération Sud-Sud réussie et d'un rebattement de cartes de l'échiquier mondial.
Note
L'Argentine a formellement refusé l'adhésion aux BRICS+ tandis que le statut de l'Arabie Saoudite au sein du groupe reste vague. Ont obtenu le statut de partenaires les pays suivants : Algérie, Biélorussie, Bolivie, Cuba, Indonésie, Kazakhstan, Malaisie, Nigeria, Ouganda, Ouzbékistan, Thaïlande, Turquie et Vietnam. [↩]

Quand La Presse+ trouve du « positif » dans la victoire de Trump

Donald Trump n'a pas encore été assermenté que nos milieux d'affaires et leurs porte-paroles dans les médias se montrent des plus serviles. Pour éviter les tarifs, ils se disent prêts à sacrifier la gestion de l'offre en agriculture lors des prochaines négociations du traité de libre-échange (ACEUM).
13 novembre 2024 | tiré de l'Aut'journal
Mais ils savent bien que ce ne sera pas assez pour assouvir l'immense appétit de Donald Trump. Alors, ils mènent une cabale dans les médias pour une augmentation des dépenses militaires et un accès subventionné aux ressources minérales stratégiques du Québec.
Stéphanie va-t'en guerre Grammond
La palme de la servitude revient à Stéphanie Grammond de La Presse+ pour son éditorial « Ce que Trump aura de positif pour le Canada » (2024-11-09). Et qu'est-ce qu'il y aurait de si « positif » pour le Canada dans cette élection ? Selon Mme Grammond, l'élection de Trump est « l'électrochoc nécessaire » à nos politiciens pour « mettre en place une véritable stratégie militaire », laquelle passe, bien entendu, par une augmentation des dépenses militaires pour atteindre le fameux 2% du PIB.
Sinon, aux abris !, nous prévient-elle, car Trump nous a prévenus : « En cas d'attaque, non, je ne vous protégerais pas. » Et qui menace de nous attaquer ? Mme Grammond ne le dit pas. Mais on imagine que, si on insiste, elle va agiter le spectre d'une invasion russe. La Russie, qui est incapable de vaincre l'Ukraine, va déferler dans le Grand Nord pour nous conquérir ! Allons, un peu de sérieux, Mme Grammond, le seul véritable ennemi du Canada, ce sont les feux de forêt. Le Canada n'a pas besoin de F-35, mais d'avions-citernes comme les Canadairs CL-215 et CL-415. Le Canada aura plus d'avions de chasse (88 F-35) que d'avions-citernes (60 Canadairs) !
Bien naïvement, l'éditorialiste essaie de nous faire croire qu'il sera possible d'encadrer cette augmentation des dépenses d'armements dans une « politique industrielle militaire », mais elle-même torpille son plan en rappelant qu'Ottawa a accordé à Boeing un contrat de neuf milliards $ sans appel d'offres pour le remplacement des appareils de patrouille maritime, plutôt que de confier le contrat à Bombardier qui était prête à relever le défi en adaptant son jet privé Global 6500.
Mme Grammond n'a pas encore compris que l'objectif de Trump n'est pas d'assurer la « défense de l'Occident », mais de procurer des contrats d'armements aux industries militaires américaines… situées aux États-Unis. Il a mis la barre à 2% du PIB, mais il a aussi évoqué de la hausser à 3% du PIB. La va-t'en guerre Grammond va-t-elle emboiter le pas ?
Mme Grammond se désole que le « prestigieux » (le qualificatif est le sien) Wall Street Journal s'en soit pris au Canada l'été dernier pour son non-respect de l'objectif fixé par l'OTAN sous la première administration Trump. Doit-on s'en étonner ? Le nom même du journal indique pourtant très clairement les intérêts qu'il défend.
Des gros cadeaux énergétiques
Dans l'espoir d'éviter l'imposition de tarifs et d'être copains-copains avec les États-Unis de Trump, les milieux d'affaires et leurs médias font miroiter auprès de l'Oncle Sam l'accès aux minéraux stratégiques du Québec et du Canada, sachant que les États-Unis, peu importe que l'administration soit démocrate ou républicaine, veulent mettre fin à leur dépendance de la Chine.
Déjà, sous l'administration Biden, le département de la Défense a investi dans deux mines au Québec. Attardons-nous à autre projet, qui est passé sous le radar, soit l'octroi par le ministre Fitzgibbon de 307 mégawatts à Hy2Gen sur la Côte-Nord.
L'hydrogène doit servir à la production d'ammoniac vert, qui sera transformé en nitrate d'ammonium, une substance utilisée comme explosif dans les mines.
Les 307 mégawatts constituent un bloc colossal d'électricité. Seul Northvolt, avec ses 354 mégawatts a obtenu plus. Trois cents sept mégawatts, c'est plus que la production du barrage de la Romaine-1 (270 MW) ou de celle du barrage de la Romaine-2 (245 MW) ou 2,3 fois la puissance nécessaire pour alimenter tous les véhicules électriques du Québec pendant la point hivernale (132 MW). Hy2Gen est une entreprise allemande, qui a des projets dans une douzaine de pays, mais pour le moment, comme Northvolt, peu de réalisations.
Des minéraux pour l'armement
Le boom minier à venir nécessitera énormément d'énergie. Il sera présenté comme une « contribution » à la transition énergétique, mais les minéraux rares et stratégiques iront en grande partie à l'industrie militaire. Alors, oubliez l'objectif la décarbonation des industries installées au Québec ! Sophie Brochu, l'ex-présidente d'Hydro-Québec, avait dénoncé un « Dollarama » de l'électricité, mais il s'agira plutôt d'un « Armorama ».
Revenons un instant à Stéphanie Grammond. Selon le Directeur parlementaire du budget à Ottawa, faire passer les dépenses militaires de 1,59 % du PIB d'ici 2026-2027 au 2 % fixé par Trump « nécessiterait un investissement annuel supplémentaire de 13 milliards $ » Une somme énorme, colossale, démesurée !
Que Mme Grammond nous indique dans quels programmes, elle suggère de couper, oui, de couper, car son « prestigieux » journal trouve le déficit fédéral déjà monstrueux. Dans les transferts en santé aux provinces ? Dans les subventions à l'habitation ? Où, madame Grammond ?

Syndicats, déréglementation et dialogue social en Ukraine

Les droits des travailleurs jusqu'en 2022 :une menace et une lutte constantes. Vitaly Dudin est l'un de ces avocats pour qui l'idée de se battre pour la justice définit sa routine professionnelle. Cela ne devrait pas nous surprendre, car c'est le fondement de toute profession juridique. Cependant, ce qui fait de Vitaliy un avocat particulier, c'est sa compréhension du fait qu'il est impossible d'obtenir une justice individuelle sans une lutte commune pour les droits. Comme il le dit lui-même, les droits du travail sont des droits collectifs.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Vitaliy ne se contente pas de défendre les droits des employés, il leur enseigne également comment défendre leurs droits dans le cadre du cours Trudoborona. En outre, il participe activement au renforcement et à l'élargissement du mouvement des syndicats indépendants en Ukraine dans le cadre de son travail au sein du Mouvement social.
La conversation avec Vitaliy s'est avérée intense et peut être divisée en deux parties, de sorte que vous pouvez commencer par l'une ou l'autre.
Dans la première partie de l'entretien, nous avons discuté de ce que l'on peut appeler le passé : comment l'idée de la déréglementation des relations de travail s'est développée et, avec elle, l'idée de la suprématie de l'employeur sur les employés s'est enracinée.
La deuxième partie de notre conversation concerne le présent : les tendances dans les relations de travail après le début de l'invasion à grande échelle, à la lumière et sans la lumière de l'intégration européenne ; les tentatives de laisser les travailleurs seuls face aux employeurs par le biais de l'individualisation des relations de travail ; et le dialogue social comme une alternative difficile mais nécessaire.
Maria Sokolova
Les droits des travailleurs jusqu'en 2022 :une menace et une lutte constantes
Jusqu'en 2022, pendant une décennie et demie, les responsables gouvernementaux se sont efforcés de déréglementer le marché du travail, de le rendre aussi « libre » que possible et de réformer radicalement la législation. On ne cesse de répéter que notre législation du travail date de l'Union soviétique, qu'elle est donc inefficace, rigide et qu'elle devrait être abandonnée, et que la société a besoin d'une nouvelle législation du travail. Je voudrais te poser quelques questions sur cette période : tout d'abord, qui a fait pression en faveur d'une déréglementation radicale ? Qui s'est opposé à cette idée ? Quelle était la logique de ces discussions ? Qu'est-ce qui a empêché la déréglementation complète du marché du travail ?
Le secteur de l'emploi en Ukraine est en déclin depuis un certain temps. Il s'accompagne d'un processus de désindustrialisation qui a débuté dans les années 1990 et se poursuit depuis lors avec une intensité variable. Moins il y a de personnes employées dans le secteur réel de l'économie, plus les voix se font entendre : « Dérégulons tout et simplifions la législation pour répondre aux besoins des employeurs qui existent ». Les employeurs les plus actifs étaient, d'une part, les grandes entreprises détenues par des oligarques et, d'autre part, de nombreux petits propriétaires, en particulier dans le secteur des services, qui n'avaient pas envie de constituer des effectifs importants. Les uns et les autres souhaitaient minimiser leurs obligations sociales. Pour les oligarques, le fait que les syndicats aient encore une influence assez forte constituait un défi de taille : les grandes entreprises comptaient de nombreux syndicats, des conventions collectives étaient conclues et, lorsque les entreprises ont été privatisées, les propriétaires prenaient souvent des engagements en matière d'investissement social. Un exemple est ArcelorMittal Kryvyi Rih, une entreprise qui a été privatisée avec la promesse du propriétaire d'investir dans l'amélioration de la santé, les sanatoriums et l'amélioration des conditions de travail.
Le nouveau propriétaire a donc dû investir non seulement dans les installations de production, mais aussi dans le soutien aux employés ?
Par exemple, il s'est engagé à améliorer les conditions sociales et de vie, et les syndicats ont été chargés d'en assurer le suivi. Mais pour les propriétaires de petites et moyennes entreprises, le problème réside dans le droit du travail lui-même. Ils ne veulent pas se plier aux règles d'embauche et veulent avoir toute latitude pour licencier. Ce sont ces deux groupes – l'oligarchie industrielle et les petites et moyennes entreprises – qui ont réclamé avec force la déréglementation de la législation du travail, en particulier l'adoption d'un nouveau Code du travail ukrainien.
Depuis le début des années 2000, les premiers projets de Code du travail ukrainien ont été élaborés pour remplacer celui de 1971. À mon avis, ces projets ont été influencés par les expériences russe et bélarus. Il s'agissait de grands « livres » assez détaillés qui contenaient certaines des garanties habituelles pour les employés. Ces projets devaient être adoptés avec le soutien de la plus grande confédération syndicale, la Fédération des syndicats d'Ukraine (FPU). À l'époque, il existait une certaine configuration des rapports de classe : de grands oligarques qui tentaient d'influencer la politique en utilisant l'expérience des réformes russes, et des syndicats qui ne s'opposaient pas à eux, mais coopéraient.
Ainsi, ces premiers projets de Code du travail s'inspiraient principalement des modèles russes et bélarus et convenaient généralement aux plus grands syndicats qui, de fait, ne remplissaient plus leur fonction de protection des salariés ?
En effet, les syndicats qui existaient étaient pour la plupart complémentaires à l'administration, servant les intérêts du capital et essayant de rendre les frictions entre les employés et l'administration moins perceptibles. Mais si l'on regarde vers l'avenir, la situation des syndicats est en train de changer lentement.
Je ne savais pas que le Code du travail avait été discuté dans les années 2000. J'ai toujours eu l'impression que l'élaboration du Code du travail était associée aux jeunes « progressistes » qui sont arrivés au pouvoir après 2014.
Tout a commencé plus tôt. Personnellement, j'ai commencé à suivre activement ce processus en 2008. En 2010 déjà, une nouvelle configuration des forces émergeait : Viktor Ianoukovytch est arrivé au pouvoir, l'a consolidée et a déclaré l'introduction de réformes du marché, y compris l'adoption d'un nouveau Code du travail. Toutefois, l'attitude généralement critique de la population à l'égard de l'équipe au pouvoir a empêché la mise en œuvre de ces plans. Cette dernière était considérée comme oligarchique, corrompue, anti-ukrainienne, etc., et la loi a donc été adoptée avec beaucoup de difficultés, ce qui a également affecté les perspectives portées dans le Code du travail.
Les mêmes idées de déréglementation des relations de travail ont été présentées à la sauce du « renouveau de l'Ukraine » uniquement parce que leurs promoteurs sont arrivés dans la foulée des événements révolutionnaires. En fait, ces réformes n'étaient pas très différentes de ce que Ianoukovytch avait proposé. On peut dire que cette « continuité » [des événements] a été l'un des facteurs qui ont empêché le nouveau gouvernement d'adopter des changements. Mais en 2014, le Maïdan a eu lieu, et de nombreuses personnes fanatiquement attachées aux idées du marché libre, du néolibéralisme et de la déréglementation sont arrivées au pouvoir. Un nouveau facteur est également apparu : les liens entre la Fédération des syndicats d'Ukraine et le gouvernement se sont considérablement affaiblis. Pour la première fois depuis longtemps, la Fédération a commencé à lancer des slogans de protestation contre le gouvernement, exigeant une augmentation du salaire minimum, qui était alors extrêmement bas. Le gouvernement a fait des concessions partielles et a porté le salaire minimum à 3 200 UAH en 2017. Par conséquent, les projets d'adoption du Code du travail n'étaient plus à l'ordre du jour, car les tensions socio-économiques étaient déjà fortes. Par conséquent, aucun changement majeur n'a eu lieu jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Volodymyr Zelensky, qui était accompagné d'un groupe de nouveaux réformateurs néolibéraux. Ces derniers ont pris autant de distance que possible avec le gouvernement « précédent » et ont été perçus comme la « voix de la raison » – ce qui, bien entendu, était discutable.
Je fais tout d'abord référence à Tymofiy Milovanov, qui a pris la tête du ministère de l'Économie et a immédiatement, à la fin de l'année 2019, « adopté » un projet de loi de l'Ukraine « sur le travail » proposant une conception nouvelle. Cette initiative a marqué un nouveau cycle de confrontation entre le gouvernement et les syndicats : depuis 2019, presque tous les syndicats ukrainiens s'opposent aux initiatives du gouvernement dans le domaine des relations de travail. Le nouveau projet de loi reposait sur l'idée d'une individualisation des relations de travail. Il permettait de convenir des motifs des heures supplémentaires et des heures de travail prolongées sur une base individuelle, et autorisait l'employeur à rappeler un employé lors de son congé ou même à le licencier sans raisons spécifiques. En effet, une personne pouvait être licenciée à tout moment lorsque cela convenait à l'employeur, pour autant que ce dernier ne remplisse que quelques conditions, telles que l'indemnité de licenciement. Cette situation a fortement exacerbé la confrontation entre le gouvernement et les syndicats et s'annonçait extrêmement dangereuse, car en 2019, l'équipe de Zelensky avait la majorité au parlement et pouvait facilement faire passer n'importe quelle loi. Mais c'est grâce aux manifestations de masse que ces innovations ont été bloquées.
Je considère que le fait que ce projet de loi sur le travail n'ait pas été adopté est une grande victoire pour les syndicats et tous les travailleurs ukrainiens. Cela a notamment été facilité par la démission de Milovanov au début de l'année 2020. Le 24 février 2022, l'Ukraine s'est donc retrouvée avec une législation du travail qui offrait aux travailleurs un niveau de protection beaucoup plus élevé. À mon avis, ce facteur a permis à l'économie ukrainienne de ne pas s'effondrer complètement et de préserver les collectifs de travail qui soutiennent directement la vie de la société.
Peut-on dire que l'association avec l'UE est une autre raison pour laquelle le nouveau Code du travail n'a pas été adopté et que cette déréglementation n'a pas eu lieu après 2014 ou en 2019, lorsque Milovanov est entré en fonction ?
Plus l'Ukraine a déclaré activement sa volonté de rapprochement avec l'UE, plus il a été facile pour les syndicats de faire appel à des normes de travail spécifiques soutenues par l'UE et l'Organisation internationale du travail. Il est également devenu plus facile de demander l'aide des syndicats internationaux, y compris la Confédération syndicale internationale et la Confédération européenne des syndicats. L'attention de ces puissantes organisations, qui comptent des millions de membres dans le monde, a refroidi notre gouvernement à plusieurs reprises. Des déclarations internationales ont été faites, des visites ont été effectuées en Ukraine – tout cela a rappelé nos politiciens à leurs obligations, en particulier la députée Galina Tretyakova, qui est sans aucun doute l'une des idéologues et adeptes de la déréglementation de la législation du travail en Ukraine.
Pourtant, en 2022, de nombreux changements avaient été apportés à la législation du travail : des changements ponctuels, souvent non systématiques. Dans quelle direction ont-elles fait évoluer le système – vers la déréglementation ou la protection ?
Il s'agit bien d'une déréglementation, c'est-à-dire de la volonté d'éliminer les règles qui semblent défavorables aux employeurs et qui restreignent leur liberté. Bien entendu, les relations de travail ne sont pas une question d'égalité – l'employeur sera toujours plus fort. Par conséquent, l'élimination des règles et du contrôle de l'État, ainsi que le nivellement de l'influence des syndicats, conduisent à ce que les employés souffrent et à ce que leur vulnérabilité soit ressentie de manière beaucoup plus aiguë. En 2021, j'ai préparé pour Commons un document intitulé « Chroniques de la déréglementation » consacré au 50e anniversaire du Code du travail. Il montre de manière interactive comment les droits des Ukrainiens ont été restreints – et il y a eu beaucoup de changements. Ce document illustre comment la protection des travailleurs a été sacrifiée au profit d'une plus grande flexibilité dans la prise de décision par les dirigeants1.
À propos d'aujourd'hui
Intégration européenne et droits du travail
J'entends souvent dire que les petites et moyennes entreprises non seulement ne veulent pas employer officiellement des travailleurs, mais qu'elles ne peuvent pas le faire parce que cela détruirait leur activité. Comment pourriez-vous répondre à cette thèse ? Est-elle vraiment vraie ?
Les mécanismes de protection des travailleurs offerts par la législation actuelle sont-ils vraiment totalement inadaptés aux petites entreprises ?
La thèse selon laquelle la législation du travail est inapplicable ou même nuisible aux petites entreprises est trop abstraite. Nous devons étudier la pratique, les faits réels. Nous devons comprendre de quel type de petite entreprise nous parlons. Bien sûr, il y a des entreprises indépendantes où le propriétaire de l'entreprise est directement impliqué dans le travail. Il y a aussi des cas où de grands capitalistes utilisent un réseau d'entrepreneurs individuels pour économiser des impôts et éviter les exigences réglementaires. C'est le cas des chaînes de magasins, des restaurants, d'autres établissements de restauration, etc. Les inquiétudes concernant l'impact négatif de la réglementation sur l'économie et l'emploi sont très discutables. En 2017, lorsque le salaire minimum a été doublé et que le Service national du travail a été doté de nouveaux pouvoirs pour lutter contre le travail non déclaré, il n'y a pas eu d'effets négatifs significatifs sur l'emploi en Ukraine. Au contraire, l'emploi a progressé ! Ces mesures ont peut-être choqué de nombreuses entreprises, mais en même temps, la plupart des entrepreneurs ukrainiens se sont adaptés, ont commencé à formaliser leurs relations avec leurs employés et à leur verser au moins le salaire minimum par crainte des sanctions. Je pense que des exigences plus strictes ne peuvent que contribuer à la transparence et motiver les employés à assumer des obligations spécifiques et à travailler en toute bonne foi. L'accord d'association [avec l'UE] fournit des lignes directrices claires : la nécessité de protéger les travailleurs, le dialogue social, la garantie de l'égalité, la lutte contre l'exclusion sociale et la lutte contre les diverses formes d'abus des entreprises.
Expliquez-nous nos engagements en matière d'intégration européenne. L'idée de déréglementer les relations de travail est-elle conforme aux principes de l'intégration européenne ?
Je pense que la déréglementation est en contradiction avec l'intégration européenne. En effet, l'intégration européenne repose sur les actes fondamentaux du droit primaire et secondaire de l'UE, qui parlent d'une lutte constante contre l'exclusion sociale et de la garantie de la cohésion sociale. Si nous intégrons l'Union européenne, et non pas, par exemple, les États-Unis d'Amérique, nous devons garder cela à l'esprit.
En 2014, l'Ukraine a signé un accord d'association avec l'UE, qui contient déjà certaines dispositions, notamment aux articles 419 et 420, concernant les priorités communes dans le domaine de l'emploi. Il ne s'agit pas d'une flexibilité incontrôlée en faveur de l'employeur, mais de soutenir le bien-être des employés. Dans le même temps, l'Ukraine s'est engagée à mettre en œuvre une douzaine de directives européennes dans le domaine des relations de travail. Ces directives concernent la lutte contre la discrimination, la création de conditions favorables pour les mères qui travaillent et les travailleurs mineurs, la santé et la sécurité au travail, les inspections du travail et la clarté des contrats de travail. L'une de ces directives traite également de la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales. En d'autres termes, il s'agit d'un paquet social-démocrate censé rendre la situation d'un employé plus prévisible.
La nuance est qu'au cours des dix années qui ont suivi la signature de l'accord, presque aucune de ces règles n'a été transposée dans la législation ukrainienne. Au cours de ces dix années, un certain nombre de directives européennes supplémentaires ont été adoptées, qui offrent une protection encore plus grande aux employés, mais nous ne sommes pas encore obligés de mettre en œuvre les directives adoptées après 2014. Cependant, la logique veut que si nous rejoignons l'UE, nous devrions adopter de nouvelles lois basées sur les meilleures normes européennes.
Et, bien entendu, aucune réforme ne peut être adoptée sans le consentement des syndicats. Et ce que nous avons fait en 2019 est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Dans l'UE, l'adoption de lois dans le domaine des relations de travail sans le consentement des partenaires sociaux est considérée comme une honte. Si les pays entreprennent certaines réformes risquées et s'écartent des dispositions établies, il doit y avoir des circonstances extraordinaires. Si ces réformes sont motivées par des facteurs tels qu'une crise financière, elles doivent avoir une forte justification socio-économique. C'est pourquoi l'UE, malgré son hétérogénéité et la présence d'idées néolibérales, maintient un équilibre grâce à certaines règles de procédure. Il n'est pas possible que des réformes néfastes pour les salariés soient adoptées sans discussion, sans protestation et sans l'attention des instances supranationales. Nous ne nous faisons pas d'illusions sur la nature de l'UE, mais nous savons qu'il existe des outils permettant d'équilibrer la situation.
Les relations de travail en temps de guerre : l'entreprise privée comme base de la sécurité nationale ?
Vous avez dit que si certains pays de l'UE s'écartent des normes acceptées, c'est qu'il doit y avoir des raisons extraordinaires à cela. Je crois savoir que pour le gouvernement ukrainien, la guerre est devenue une telle raison. Comment le gouvernement a-t-il modifié la réglementation des relations de travail dans le contexte de la loi martiale ?
Dans des conditions démocratiques normales, les propositions élaborées par Galina Tretyakova n'auraient pas été adoptées. C'est elle qui a contribué à l'élaboration de diverses initiatives de déréglementation avant 2022 et après la déclaration de la loi martiale en Ukraine. Tout d'abord, il convient de prêter attention à la loi ukrainienne n°2136 du 15 mars 2022 sur l'organisation des relations de travail sous la loi martiale, qui a introduit un certain nombre de restrictions strictes, bien que temporaires, aux droits et garanties des employés et des syndicats. Bien sûr, elle est très proche de l'idéal des relations de travail professé par les hommes d'affaires libéraux. Pour eux, l'employeur ne doit rien à personne, l'État ne doit pas intervenir dans les relations de travail et les syndicats doivent jouer un rôle symbolique. Cette décentralisation de la réglementation engendre le chaos et l'arbitraire.
En ce qui concerne la dérogation à certains droits dans le cadre de la loi martiale, les instruments internationaux, tels que la Charte sociale européenne (révisée) de 1996, prévoient la possibilité de déroger à certains droits en cas de menace pour la sécurité nationale. La guerre, bien sûr, est une circonstance qui exige la consolidation de toutes les ressources de l'État pour repousser l'agresseur et préserver l'indépendance. Dans le même temps, la Charte stipule que les restrictions aux droits doivent être imposées dans la mesure nécessaire pour prévenir l'agression. En d'autres termes, nous devons examiner de manière critique chacune des restrictions imposées pour voir si elle répond au critère de la nécessité sociale. En règle générale, les restrictions aux droits sont autorisées lorsqu'elles poursuivent un but légitime, utilisent des moyens légitimes et présentent un degré raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le but. La proportionnalité est le principe essentiel sur lequel le législateur doit s'appuyer pour restreindre certains droits et libertés. Dans notre cas, il me semble que ce critère a été négligé. En mars 2022, une loi aggravant la situation des employés a été présentée à la Verkhovna Rada et a été adoptée à huis clos quelques jours plus tard. En mars 2022, la situation de l'Ukraine était extrêmement difficile. Chaque jour était devenu une lutte pour la survie. Des millions de personnes ont fui la zone de guerre pour se réfugier dans des régions plus sûres ou à l'étranger. Il n'était plus question d'exercer un contrôle public sur le parlement. Le parlement se réunissait sans annonces publiques et les citoyens ne pouvaient prendre connaissance des décisions prises qu'avec beaucoup de retard. Il me semble que Tretyakova a su profiter de l'occasion pour réaliser ses fantasmes libéraux. On ne sait toujours pas qui a voté en sa faveur. La loi a été adoptée immédiatement en deuxième lecture. Cela signifie que toutes les factions représentées au parlement ont accepté son adoption en tant que base et dans son ensemble.
Bien entendu, la justification fournie dans la note explicative était très vague. De nombreuses questions se sont posées : pourquoi aider les employeurs privés à augmenter le temps de travail, à simplifier la procédure de licenciement sans l'accord des syndicats ou pendant un congé de maladie, et à annuler les conventions collectives ? Il n'y a toujours pas de réponse claire à ces questions. Cela soulève de sérieux doutes quant à la légitimité et à la validité de la loi. À mon avis, dans un pays démocratique, le gouvernement et le parlement auraient dû préparer un rapport ou un avis expliquant pourquoi ces restrictions restent nécessaires.
Vous avez dit que la Charte sociale européenne permet de déroger à ses dispositions en cas de menace pour la sécurité nationale. Peut-on dire que dans l'esprit de nos responsables, la sécurité nationale est désormais la sécurité des entreprises ? Après tout, il semble qu'avec cette déréglementation, ils aient voulu sauver avant tout le secteur privé, et non, par exemple, l'emploi.
Je suis d'accord pour dire que, dans cette affaire, les intérêts des employeurs, en particulier des employeurs privés, ont été identifiés à tort avec les intérêts du peuple ukrainien dans son ensemble. Je suis convaincu que la mise en place d'une économie de guerre dans un conflit de grande ampleur nécessite le plein-emploi. Nous devons nous assurer que toutes les ressources humaines sont utilisées pour rapprocher la victoire. Nous n'avons pas cette priorité. Au lieu de cela, des mesures ont été introduites qui poursuivent des intérêts économiques à court terme, telles que la réduction des droits salariaux, de l'emploi et des congés, toutes ces mesures étant prises pour économiser de l'argent aux entreprises. Cette loi a créé une tentation pour les employeurs d'abuser de ces décisions impopulaires en les prenant sans le consentement des partenaires sociaux, alors même que l'unité de la société est plus importante que jamais. En outre, la limitation stricte des allocations de chômage à un maximum de trois mois et au salaire minimum a effectivement découragé de nombreuses personnes de s'inscrire auprès des centres pour l'emploi. L'État n'a donc pas été en mesure d'offrir à ces personnes un travail d'intérêt public. Il existe différentes catégories de travaux publics qui prennent une importance particulière en temps de guerre : de l'aide aux entreprises de défense au déblaiement des décombres, en passant par les soins aux blessés et l'aide aux victimes. Ainsi, cet instrument des « travaux publics » ne fonctionne pas en Ukraine, comme cela a été le cas aux États-Unis sous Franklin Roosevelt.
Il s'agit d'une contradiction évidente entre, d'une part, les choix de la déréglementation, de la réduction des coûts pour les employeurs et de la mise en œuvre de l'austérité et, d'autre part, les intérêts à long terme du peuple ukrainien. Je donnerai un exemple récent de la manière dont l'État essaie d'économiser de l'argent sur les gens en sapant la confiance dans les institutions gouvernementales en tant que telles. La loi ukrainienne n° 2980 du 20 mars 2023 sur l'aide financière unique pour les dommages causés à la vie et à la santé des employés des infrastructures critiques, des fonctionnaires et des représentants des autorités locales à la suite de l'agression militaire de la Fédération de Russie contre l'Ukraine a été adoptée, mais le Fonds de pension de l'Ukraine, représenté par ses organes, tente d'éviter les paiements aux victimes de l'État agresseur dans les secteurs de l'énergie, de la défense et des transports en exploitant les lacunes de la législation. Par exemple, en prétendant que certaines entreprises ne font pas partie des infrastructures critiques parce qu'elles ne figurent pas dans le registre classifié2. Oui, ils économiseront de l'argent aujourd'hui, mais la question se pose : les gens voudront-ils travailler dans ces industries socialement importantes à l'avenir ?
Vous consacrez beaucoup de temps à la protection des travailleurs des infrastructures critiques et au-delà. Pourriez-vous nous parler des tendances que vous observez actuellement dans les relations de travail ?
Le principal résultat de mes observations de ce qui se passe dans la sphère sociale et du travail a été la création de ce que l'on appelle la « Liste noire des employeurs » publiée sur le site web du Sotsialnyi Rukh. Vous pouvez y lire des informations sur les employeurs qui ont osé abuser des innovations honteuses prévues par la loi n°2136 pour la période de la loi martiale. D'après l'analyse de la pratique des tribunaux, d'autres sources ouvertes et la communication avec des collectifs de travailleurs, l'abus le plus courant est la suspension des contrats de travail, lorsque les employés sont privés de la possibilité de travailler et ne reçoivent pas leur salaire. Je sais que dans environ 50% des cas, ces suspensions sont contestées. Heureusement, les tribunaux analysent chaque cas assez scrupuleusement. En outre, les cas de modification des conditions de travail essentielles sans préavis de deux mois sont fréquents. Cela signifie qu'un employé est informé du jour au lendemain d'une réduction de moitié de son temps de travail et, s'il n'est pas d'accord, il est licencié avec une indemnité de licenciement. Ces cas ont été particulièrement nombreux dans le secteur public, notamment dans le domaine des soins de santé. Des personnes ont été confrontées à la détérioration de leurs conditions de travail, ce qui les a poussées à démissionner.
Il est également courant que les employeurs suspendent certaines dispositions des conventions collectives. Cette pratique a été utilisée par des entreprises telles que Ukrzaliznytsia [exploitant du réseau ferroviaire ukrainien], la centrale nucléaire de Tchernobyl, de nombreux hôpitaux ukrainiens et Nova Poshta. Il y a eu très peu de cas de contestation de ces actions devant les tribunaux, à l'exception des poursuites contre Ukrzaliznytsia², dans lesquelles le syndicat libre des cheminots d'Ukraine a réussi à faire déclarer illégales les actions unilatérales de leurs patrons. Il n'est pas rare non plus que les employeurs refusent d'accorder des congés à leurs employés, au motif que leur entreprise ou institution est une infrastructure critique. Dans ce cas, les employeurs sont souvent de mauvaise foi et ne fournissent pas la preuve que leur entreprise est inscrite au registre correspondant. Les employés des tablissements d'enseignement, par exemple, ont été privés de ces congés. Très souvent, il s'agissait de congés sans solde, lorsque les gens partaient à l'étranger pour se sauver et sauver leur famille.
Le dialogue social contre l'individualisation des relations de travail
Vous avez évoqué l'individualisation des relations de travail et du dialogue social. Pouvez-vous nous dire en quoi l'individualisation menace le marché du travail et les salariés ? Parce qu'il y a une perception selon laquelle « c'est une bonne chose, chacun pourra négocier comme il l'entend », d'une part, mais d'autre part, comment le dialogue social s'articule-t-il avec tout cela ?
L'individualisation des relations de travail crée l'illusion que l'employé, tout comme l'employeur, peut influencer les conditions de travail. Cela peut fonctionner pour les stars d'Hollywood ou les footballeurs de haut niveau, mais pas pour les infirmières, les enseignants ou les cheminots dont le travail est extrêmement important pour la société. Si l'employeur est autorisé à introduire des motifs supplémentaires de licenciement, d'heures supplémentaires ou de rappel en congé avec le « consentement » du salarié, cela signifie qu'il devra obtenir ce « consentement » dans chaque cas individuel lors de l'embauche, pour ainsi dire, volontaire et obligatoire. Il est très difficile pour un employé de « mesurer ses forces » lorsqu'il souhaite obtenir un emploi. Cela peut donc entraîner une distorsion des droits en faveur de l'employeur.
En Ukraine, cette individualisation est partiellement mise en œuvre. Par exemple, en juillet 2022, une loi a été adoptée sur les contrats de travail à horaires variables, qui obligent les employés de travailler non pas en permanence, mais uniquement lorsque l'employeur en a besoin. Dans le cadre de ces contrats, le salaire de l'employé peut même être inférieur au salaire minimum. En outre, des motifs de licenciement supplémentaires non prévus par le droit du travail peuvent être appliqués, ce qui est contraire aux règles de l'OIT. En outre, pour la période de la loi martiale, un « régime simplifié de réglementation des relations de travail » a été introduit pour les entreprises comptant jusqu'à 250 employés. Je ne sais pas dans quelle mesure ce régime est utilisé, mais il semble attrayant pour les employeurs, car de nombreuses choses, telles que les heures supplémentaires ou la responsabilité en cas de divulgation de secrets commerciaux, peuvent être convenues au niveau d'un contrat de travail individuel. Je ne vois pas en quoi de telles mesures permettront une avancée tangible dans la sphère économique ou la création d'un grand nombre d'emplois. Tout reste à peu près au même niveau qu'à la fin de l'année 2022 : beaucoup d'offres d'emploi non pourvues et un nombre très modeste de personnes officiellement employées – environ 8 millions. Dans le même temps, la proportion de personnes gagnant le salaire minimum ou ayant des revenus inférieurs au salaire minimum augmente. En d'autres termes, la déréglementation, cet encouragement à des conditions d'emploi plus flexibles, n'a pas conduit à une croissance fulgurante de l'emploi. Il y a donc lieu de se demander si cette stratégie fonctionne vraiment lorsque l'on laisse tout « au hasard ».
Parlons du dialogue social. La guerre est un défi pour l'ensemble de la société, ce qui signifie que l'ensemble de la société devrait supporter le fardeau de la guerre et déterminer la direction du mouvement. Il serait utopique d'espérer que le gouvernement, en collaboration avec des cercles d'affaires proches, puisse trouver des solutions systémiques. Le dialogue social est donc une nécessité pratique dans un conflit de grande ampleur si l'on veut que les décisions prises par les autorités soient perçues comme légitimes, légitimes et justes. Malheureusement, il existe des innovations telles que l'introduction d'une réserve [exemption de mobilisation] économique. Elles provoquent un clivage dans la société parce qu'elles ont été élaborées sans tenir compte de l'avis des syndicats.
Le besoin de dialogue social est déjà objectivement déterminé par les circonstances actuelles et les impératifs de l'intégration européenne. Pour l'UE, les consultations entre les partenaires sociaux dans la prise de décision sont la priorité numéro un. Or, ce qui se passe en Ukraine est exactement le contraire. Un exemple récent est l'élaboration du projet de budget pour 2025, qui prévoit le gel du salaire minimum et du minimum vital pendant 3 ans, jusqu'en 2027. Une telle décision, bien sûr, sape encore plus le désir des gens de travailler en Ukraine et montre que le gouvernement méprise ouvertement l'opinion des syndicats. Le fossé entre la société et le gouvernement se creuse.
Et comment un travailleur ordinaire peut-il participer au dialogue social ?
Il existe trois niveaux de dialogue social : local, sectoriel et national. Bien sûr, il est plus facile pour un employé ordinaire de participer à ces procédures au niveau local en devenant membre d'un syndicat. Et je peux vous assurer qu'il existe des exemples où le dialogue social au niveau local fonctionne réellement et apporte certains avantages aux employés. Je citerai des entreprises comme Ukrzaliznytsia, où un grand nombre de syndicats tentent de freiner la volonté du propriétaire d'annuler certains avantages prévus dans la convention collective de cette entreprise de plusieurs milliers d'employés. Il y a aussi Energoatom [Compagnie nationale de production d'énergie nucléaire], qui est aussi directement liée à la pérennité de l'économie ukrainienne, et où il y a aussi un puissant syndicat qui contrôle toutes les décisions prises par l'administration. Ce dialogue entre les parties rend difficile toute prise de décisions qui pourraient aggraver la situation des employés.
Si nous parlons d'entreprises plus petites, je voudrais attirer l'attention sur un hôpital dans le district de Derazhnyansky, dans la région de Khmelnytsky. Un syndicat très militant y est affilié au mouvement des infirmières Sois comme Nina. Étant donné que leur convention collective contient de solides garanties procédurales, le syndicat exige que toute décision modifiant les conditions de travail essentielles soit prise en accord avec lui. C'est le cas, par exemple, pour le transfert de personnel à temps partiel. Bien sûr, la direction essaie de faire passer certaines décisions pour économiser sur les salaires, mais la convention collective reste en vigueur, et le syndicat et le conseil du travail en tirent parti. J'ai également entendu parler d'un cas à l'usine Leoni, qui est impliquée dans l'industrie automobile – elle opère également à Stryi, dans la région de Lviv. Au début de la guerre, l'employeur a pris des mesures qui ont aggravé la situation des employés, notamment en essayant de suspendre certains avantages prévus par la convention collective. Cependant, le syndicat a amené l'employeur à la table des négociations et a réussi à préserver certaines garanties pour ses membres.
Voyez-vous des perspectives de développement du dialogue social en Ukraine à l'heure actuelle ?
En conclusion, je voudrais dire qu'au cours de ces presque trois années, une strate de dirigeants syndicaux assez puissants a émergé en Ukraine, qui s'est habituée à travailler dans des circonstances d'incertitude totale et où l'État soutient les employeurs. Je pense que si ces personnes survivent à ces temps difficiles, elles seront en mesure de créer des structures fortes pendant la période de reconstruction d'après-guerre, qui exigeront de meilleures conditions de travail et l'égalisation des salaires avec la moyenne européenne. Aujourd'hui, le salaire moyen dans l'UE est d'environ 2 000 euros, et il me semble qu'au moins les travailleurs des infrastructures critiques et des industries d'exportation devraient recevoir au moins la moitié de ce montant, soit au moins 1 000 euros par mois.
Si nous voulons avancer sur la question des conditions de travail, nous devons imposer certaines obligations aux entreprises qui bénéficient de l'achat de biens et de services sur les fonds budgétaires par le biais du mécanisme d'appel d'offres. En particulier, nous devrions exiger que les accords d'adjudication prévoient la minimisation des accidents dans l'entreprise, que les employés soient impliqués dans la prise de décision et que les salaires soient également alignés sur les indicateurs européens. C'est ce que j'entends par des changements qui profiteront à l'ensemble de la société.
11 novembre 2024
Publié par Commons
Illustration Katya Gritseva
Traduction Patrick Le Tréhondat
1 Le récit sur la déréglementation des relations de travail et la destruction de l'État-providence aujourd'hui peut également être trouvé dans la conférence de Vitaliy :
https://www.youtube.com/watch?v=dO4e_M3iMLs
2 Pour bénéficier d'un tel paiement unique, l'entreprise ou l'institution où travaillait le travailleur blessé doit être inscrite au registre des infrastructures critiques. Le fonds de pension, interprétant la loi de manière restrictive, a massivement refusé des paiements si l'installation n'était pas inscrite au registre au moment de la tragédie. Pour plus de détails sur cette situation, voir l'article de Vitaliy :
https://rev.org.ua/garanti%d1%97-dlya-pracivnikiv-kritichno%d1%97-infrastrukturi/
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Syndicats, déréglementation et dialogue social en Ukraine.

Les droits des travailleurs jusqu'en 2022 :une menace et une lutte constantes. À propos d'aujourd'hui Intégration européenne et droits du travail. Dans la première partie de l'entretien, nous avons discuté de ce que l'on peut appeler le passé : comment l'idée de la déréglementation des relations de travail s'est développée et, avec elle, l'idée de la suprématie de l'employeur sur les employés s'est enracinée.
Tiré de Entre les lignes et les mots
La deuxième partie de notre conversation concerne le présent : les tendances dans les relations de travail après le début de l'invasion à grande échelle, à la lumière et sans la lumière de l'intégration européenne ; les tentatives de laisser les travailleurs seuls face aux employeurs par le biais de l'individualisation des relations de travail ; et le dialogue social comme une alternative difficile mais nécessaire.
Maria Sokolova
À propos d'aujourd'hui Intégration européenne et droits du travail
J'entends souvent dire que les petites et moyennes entreprises non seulement ne veulent pas employer officiellement des travailleurs, mais qu'elles ne peuvent pas le faire parce que cela détruirait leur activité. Comment pourriez-vous répondre à cette thèse ? Est-elle vraiment vraie ?
Les mécanismes de protection des travailleurs offerts par la législation actuelle sont-ils vraiment totalement inadaptés aux petites entreprises ?
La thèse selon laquelle la législation du travail est inapplicable ou même nuisible aux petites entreprises est trop abstraite. Nous devons étudier la pratique, les faits réels. Nous devons comprendre de quel type de petite entreprise nous parlons. Bien sûr, il y a des entreprises indépendantes où le propriétaire de l'entreprise est directement impliqué dans le travail. Il y a aussi des cas où de grands capitalistes utilisent un réseau d'entrepreneurs individuels pour économiser des impôts et éviter les exigences réglementaires. C'est le cas des chaînes de magasins, des restaurants, d'autres établissements de restauration, etc. Les inquiétudes concernant l'impact négatif de la réglementation sur l'économie et l'emploi sont très discutables. En 2017, lorsque le salaire minimum a été doublé et que le Service national du travail a été doté de nouveaux pouvoirs pour lutter contre le travail non déclaré, il n'y a pas eu d'effets négatifs significatifs sur l'emploi en Ukraine. Au contraire, l'emploi a progressé ! Ces mesures ont peut-être choqué de nombreuses entreprises, mais en même temps, la plupart des entrepreneurs ukrainiens se sont adaptés, ont commencé à formaliser leurs relations avec leurs employés et à leur verser au moins le salaire minimum par crainte des sanctions. Je pense que des exigences plus strictes ne peuvent que contribuer à la transparence et motiver les employés à assumer des obligations spécifiques et à travailler en toute bonne foi. L'accord d'association [avec l'UE] fournit des lignes directrices claires : la nécessité de protéger les travailleurs, le dialogue social, la garantie de l'égalité, la lutte contre l'exclusion sociale et la lutte contre les diverses formes d'abus des entreprises.
Expliquez-nous nos engagements en matière d'intégration européenne. L'idée de déréglementer les relations de travail est-elle conforme aux principes de l'intégration européenne ?
Je pense que la déréglementation est en contradiction avec l'intégration européenne. En effet, l'intégration européenne repose sur les actes fondamentaux du droit primaire et secondaire de l'UE, qui parlent d'une lutte constante contre l'exclusion sociale et de la garantie de la cohésion sociale. Si nous intégrons l'Union européenne, et non pas, par exemple, les États-Unis d'Amérique, nous devons garder cela à l'esprit.
En 2014, l'Ukraine a signé un accord d'association avec l'UE, qui contient déjà certaines dispositions, notamment aux articles 419 et 420, concernant les priorités communes dans le domaine de l'emploi. Il ne s'agit pas d'une flexibilité incontrôlée en faveur de l'employeur, mais de soutenir le bien-être des employés. Dans le même temps, l'Ukraine s'est engagée à mettre en œuvre une douzaine de directives européennes dans le domaine des relations de travail. Ces directives concernent la lutte contre la discrimination, la création de conditions favorables pour les mères qui travaillent et les travailleurs mineurs, la santé et la sécurité au travail, les inspections du travail et la clarté des contrats de travail. L'une de ces directives traite également de la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales. En d'autres termes, il s'agit d'un paquet social-démocrate censé rendre la situation d'un employé plus prévisible.
La nuance est qu'au cours des dix années qui ont suivi la signature de l'accord, presque aucune de ces règles n'a été transposée dans la législation ukrainienne. Au cours de ces dix années, un certain nombre de directives européennes supplémentaires ont été adoptées, qui offrent une protection encore plus grande aux employés, mais nous ne sommes pas encore obligés de mettre en œuvre les directives adoptées après 2014. Cependant, la logique veut que si nous rejoignons l'UE, nous devrions adopter de nouvelles lois basées sur les meilleures normes européennes.
Et, bien entendu, aucune réforme ne peut être adoptée sans le consentement des syndicats. Et ce que nous avons fait en 2019 est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Dans l'UE, l'adoption de lois dans le domaine des relations de travail sans le consentement des partenaires sociaux est considérée comme une honte. Si les pays entreprennent certaines réformes risquées et s'écartent des dispositions établies, il doit y avoir des circonstances extraordinaires. Si ces réformes sont motivées par des facteurs tels qu'une crise financière, elles doivent avoir une forte justification socio-économique. C'est pourquoi l'UE, malgré son hétérogénéité et la présence d'idées néolibérales, maintient un équilibre grâce à certaines règles de procédure. Il n'est pas possible que des réformes néfastes pour les salariés soient adoptées sans discussion, sans protestation et sans l'attention des instances supranationales. Nous ne nous faisons pas d'illusions sur la nature de l'UE, mais nous savons qu'il existe des outils permettant d'équilibrer la situation.
Les relations de travail en temps de guerre : l'entreprise privée comme base de la sécurité nationale ?
Vous avez dit que si certains pays de l'UE s'écartent des normes acceptées, c'est qu'il doit y avoir des raisons extraordinaires à cela. Je crois savoir que pour le gouvernement ukrainien, la guerre est devenue une telle raison. Comment le gouvernement a-t-il modifié la réglementation des relations de travail dans le contexte de la loi martiale ?
Dans des conditions démocratiques normales, les propositions élaborées par Galina Tretyakova n'auraient pas été adoptées. C'est elle qui a contribué à l'élaboration de diverses initiatives de déréglementation avant 2022 et après la déclaration de la loi martiale en Ukraine. Tout d'abord, il convient de prêter attention à la loi ukrainienne n°2136 du 15 mars 2022 sur l'organisation des relations de travail sous la loi martiale, qui a introduit un certain nombre de restrictions strictes, bien que temporaires, aux droits et garanties des employés et des syndicats. Bien sûr, elle est très proche de l'idéal des relations de travail professé par les hommes d'affaires libéraux. Pour eux, l'employeur ne doit rien à personne, l'État ne doit pas intervenir dans les relations de travail et les syndicats doivent jouer un rôle symbolique. Cette décentralisation de la réglementation engendre le chaos et l'arbitraire.
En ce qui concerne la dérogation à certains droits dans le cadre de la loi martiale, les instruments internationaux, tels que la Charte sociale européenne (révisée) de 1996, prévoient la possibilité de déroger à certains droits en cas de menace pour la sécurité nationale. La guerre, bien sûr, est une circonstance qui exige la consolidation de toutes les ressources de l'État pour repousser l'agresseur et préserver l'indépendance. Dans le même temps, la Charte stipule que les restrictions aux droits doivent être imposées dans la mesure nécessaire pour prévenir l'agression. En d'autres termes, nous devons examiner de manière critique chacune des restrictions imposées pour voir si elle répond au critère de la nécessité sociale. En règle générale, les restrictions aux droits sont autorisées lorsqu'elles poursuivent un but légitime, utilisent des moyens légitimes et présentent un degré raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le but. La proportionnalité est le principe essentiel sur lequel le législateur doit s'appuyer pour restreindre certains droits et libertés. Dans notre cas, il me semble que ce critère a été négligé. En mars 2022, une loi aggravant la situation des employés a été présentée à la Verkhovna Rada et a été adoptée à huis clos quelques jours plus tard. En mars 2022, la situation de l'Ukraine était extrêmement difficile. Chaque jour était devenu une lutte pour la survie. Des millions de personnes ont fui la zone de guerre pour se réfugier dans des régions plus sûres ou à l'étranger. Il n'était plus question d'exercer un contrôle public sur le parlement. Le parlement se réunissait sans annonces publiques et les citoyens ne pouvaient prendre connaissance des décisions prises qu'avec beaucoup de retard. Il me semble que Tretyakova a su profiter de l'occasion pour réaliser ses fantasmes libéraux. On ne sait toujours pas qui a voté en sa faveur. La loi a été adoptée immédiatement en deuxième lecture. Cela signifie que toutes les factions représentées au parlement ont accepté son adoption en tant que base et dans son ensemble.
Bien entendu, la justification fournie dans la note explicative était très vague. De nombreuses questions se sont posées : pourquoi aider les employeurs privés à augmenter le temps de travail, à simplifier la procédure de licenciement sans l'accord des syndicats ou pendant un congé de maladie, et à annuler les conventions collectives ? Il n'y a toujours pas de réponse claire à ces questions. Cela soulève de sérieux doutes quant à la légitimité et à la validité de la loi. À mon avis, dans un pays démocratique, le gouvernement et le parlement auraient dû préparer un rapport ou un avis expliquant pourquoi ces restrictions restent nécessaires.
Vous avez dit que la Charte sociale européenne permet de déroger à ses dispositions en cas de menace pour la sécurité nationale. Peut-on dire que dans l'esprit de nos responsables, la sécurité nationale est désormais la sécurité des entreprises ? Après tout, il semble qu'avec cette déréglementation, ils aient voulu sauver avant tout le secteur privé, et non, par exemple, l'emploi.
Je suis d'accord pour dire que, dans cette affaire, les intérêts des employeurs, en particulier des employeurs privés, ont été identifiés à tort avec les intérêts du peuple ukrainien dans son ensemble. Je suis convaincu que la mise en place d'une économie de guerre dans un conflit de grande ampleur nécessite le plein-emploi. Nous devons nous assurer que toutes les ressources humaines sont utilisées pour rapprocher la victoire. Nous n'avons pas cette priorité. Au lieu de cela, des mesures ont été introduites qui poursuivent des intérêts économiques à court terme, telles que la réduction des droits salariaux, de l'emploi et des congés, toutes ces mesures étant prises pour économiser de l'argent aux entreprises. Cette loi a créé une tentation pour les employeurs d'abuser de ces décisions impopulaires en les prenant sans le consentement des partenaires sociaux, alors même que l'unité de la société est plus importante que jamais. En outre, la limitation stricte des allocations de chômage à un maximum de trois mois et au salaire minimum a effectivement découragé de nombreuses personnes de s'inscrire auprès des centres pour l'emploi. L'État n'a donc pas été en mesure d'offrir à ces personnes un travail d'intérêt public. Il existe différentes catégories de travaux publics qui prennent une importance particulière en temps de guerre : de l'aide aux entreprises de défense au déblaiement des décombres, en passant par les soins aux blessés et l'aide aux victimes. Ainsi, cet instrument des « travaux publics » ne fonctionne pas en Ukraine, comme cela a été le cas aux États-Unis sous Franklin Roosevelt.
Il s'agit d'une contradiction évidente entre, d'une part, les choix de la déréglementation, de la réduction des coûts pour les employeurs et de la mise en œuvre de l'austérité et, d'autre part, les intérêts à long terme du peuple ukrainien. Je donnerai un exemple récent de la manière dont l'État essaie d'économiser de l'argent sur les gens en sapant la confiance dans les institutions gouvernementales en tant que telles. La loi ukrainienne n° 2980 du 20 mars 2023 sur l'aide financière unique pour les dommages causés à la vie et à la santé des employés des infrastructures critiques, des fonctionnaires et des représentants des autorités locales à la suite de l'agression militaire de la Fédération de Russie contre l'Ukraine a été adoptée, mais le Fonds de pension de l'Ukraine, représenté par ses organes, tente d'éviter les paiements aux victimes de l'État agresseur dans les secteurs de l'énergie, de la défense et des transports en exploitant les lacunes de la législation. Par exemple, en prétendant que certaines entreprises ne font pas partie des infrastructures critiques parce qu'elles ne figurent pas dans le registre classifié2. Oui, ils économiseront de l'argent aujourd'hui, mais la question se pose : les gens voudront-ils travailler dans ces industries socialement importantes à l'avenir ?
Vous consacrez beaucoup de temps à la protection des travailleurs des infrastructures critiques et au-delà. Pourriez-vous nous parler des tendances que vous observez actuellement dans les relations de travail ?
Le principal résultat de mes observations de ce qui se passe dans la sphère sociale et du travail a été la création de ce que l'on appelle la « Liste noire des employeurs » publiée sur le site web du Sotsialnyi Rukh. Vous pouvez y lire des informations sur les employeurs qui ont osé abuser des innovations honteuses prévues par la loi n°2136 pour la période de la loi martiale. D'après l'analyse de la pratique des tribunaux, d'autres sources ouvertes et la communication avec des collectifs de travailleurs, l'abus le plus courant est la suspension des contrats de travail, lorsque les employés sont privés de la possibilité de travailler et ne reçoivent pas leur salaire. Je sais que dans environ 50% des cas, ces suspensions sont contestées. Heureusement, les tribunaux analysent chaque cas assez scrupuleusement. En outre, les cas de modification des conditions de travail essentielles sans préavis de deux mois sont fréquents. Cela signifie qu'un employé est informé du jour au lendemain d'une réduction de moitié de son temps de travail et, s'il n'est pas d'accord, il est licencié avec une indemnité de licenciement. Ces cas ont été particulièrement nombreux dans le secteur public, notamment dans le domaine des soins de santé. Des personnes ont été confrontées à la détérioration de leurs conditions de travail, ce qui les a poussées à démissionner.
Il est également courant que les employeurs suspendent certaines dispositions des conventions collectives. Cette pratique a été utilisée par des entreprises telles que Ukrzaliznytsia [exploitant du réseau ferroviaire ukrainien], la centrale nucléaire de Tchernobyl, de nombreux hôpitaux ukrainiens et Nova Poshta. Il y a eu très peu de cas de contestation de ces actions devant les tribunaux, à l'exception des poursuites contre Ukrzaliznytsia², dans lesquelles le syndicat libre des cheminots d'Ukraine a réussi à faire déclarer illégales les actions unilatérales de leurs patrons. Il n'est pas rare non plus que les employeurs refusent d'accorder des congés à leurs employés, au motif que leur entreprise ou institution est une infrastructure critique. Dans ce cas, les employeurs sont souvent de mauvaise foi et ne fournissent pas la preuve que leur entreprise est inscrite au registre correspondant. Les employés des tablissements d'enseignement, par exemple, ont été privés de ces congés. Très souvent, il s'agissait de congés sans solde, lorsque les gens partaient à l'étranger pour se sauver et sauver leur famille.
Le dialogue social contre l'individualisation des relations de travail
Vous avez évoqué l'individualisation des relations de travail et du dialogue social. Pouvez-vous nous dire en quoi l'individualisation menace le marché du travail et les salariés ? Parce qu'il y a une perception selon laquelle « c'est une bonne chose, chacun pourra négocier comme il l'entend », d'une part, mais d'autre part, comment le dialogue social s'articule-t-il avec tout cela ?
L'individualisation des relations de travail crée l'illusion que l'employé, tout comme l'employeur, peut influencer les conditions de travail. Cela peut fonctionner pour les stars d'Hollywood ou les footballeurs de haut niveau, mais pas pour les infirmières, les enseignants ou les cheminots dont le travail est extrêmement important pour la société. Si l'employeur est autorisé à introduire des motifs supplémentaires de licenciement, d'heures supplémentaires ou de rappel en congé avec le « consentement » du salarié, cela signifie qu'il devra obtenir ce « consentement » dans chaque cas individuel lors de l'embauche, pour ainsi dire, volontaire et obligatoire. Il est très difficile pour un employé de « mesurer ses forces » lorsqu'il souhaite obtenir un emploi. Cela peut donc entraîner une distorsion des droits en faveur de l'employeur.
En Ukraine, cette individualisation est partiellement mise en œuvre. Par exemple, en juillet 2022, une loi a été adoptée sur les contrats de travail à horaires variables, qui obligent les employés de travailler non pas en permanence, mais uniquement lorsque l'employeur en a besoin. Dans le cadre de ces contrats, le salaire de l'employé peut même être inférieur au salaire minimum. En outre, des motifs de licenciement supplémentaires non prévus par le droit du travail peuvent être appliqués, ce qui est contraire aux règles de l'OIT. En outre, pour la période de la loi martiale, un « régime simplifié de réglementation des relations de travail » a été introduit pour les entreprises comptant jusqu'à 250 employés. Je ne sais pas dans quelle mesure ce régime est utilisé, mais il semble attrayant pour les employeurs, car de nombreuses choses, telles que les heures supplémentaires ou la responsabilité en cas de divulgation de secrets commerciaux, peuvent être convenues au niveau d'un contrat de travail individuel. Je ne vois pas en quoi de telles mesures permettront une avancée tangible dans la sphère économique ou la création d'un grand nombre d'emplois. Tout reste à peu près au même niveau qu'à la fin de l'année 2022 : beaucoup d'offres d'emploi non pourvues et un nombre très modeste de personnes officiellement employées – environ 8 millions. Dans le même temps, la proportion de personnes gagnant le salaire minimum ou ayant des revenus inférieurs au salaire minimum augmente. En d'autres termes, la déréglementation, cet encouragement à des conditions d'emploi plus flexibles, n'a pas conduit à une croissance fulgurante de l'emploi. Il y a donc lieu de se demander si cette stratégie fonctionne vraiment lorsque l'on laisse tout « au hasard ».
Parlons du dialogue social. La guerre est un défi pour l'ensemble de la société, ce qui signifie que l'ensemble de la société devrait supporter le fardeau de la guerre et déterminer la direction du mouvement. Il serait utopique d'espérer que le gouvernement, en collaboration avec des cercles d'affaires proches, puisse trouver des solutions systémiques. Le dialogue social est donc une nécessité pratique dans un conflit de grande ampleur si l'on veut que les décisions prises par les autorités soient perçues comme légitimes, légitimes et justes. Malheureusement, il existe des innovations telles que l'introduction d'une réserve [exemption de mobilisation] économique. Elles provoquent un clivage dans la société parce qu'elles ont été élaborées sans tenir compte de l'avis des syndicats.
Le besoin de dialogue social est déjà objectivement déterminé par les circonstances actuelles et les impératifs de l'intégration européenne. Pour l'UE, les consultations entre les partenaires sociaux dans la prise de décision sont la priorité numéro un. Or, ce qui se passe en Ukraine est exactement le contraire. Un exemple récent est l'élaboration du projet de budget pour 2025, qui prévoit le gel du salaire minimum et du minimum vital pendant 3 ans, jusqu'en 2027. Une telle décision, bien sûr, sape encore plus le désir des gens de travailler en Ukraine et montre que le gouvernement méprise ouvertement l'opinion des syndicats. Le fossé entre la société et le gouvernement se creuse.
Et comment un travailleur ordinaire peut-il participer au dialogue social ?
Il existe trois niveaux de dialogue social : local, sectoriel et national. Bien sûr, il est plus facile pour un employé ordinaire de participer à ces procédures au niveau local en devenant membre d'un syndicat. Et je peux vous assurer qu'il existe des exemples où le dialogue social au niveau local fonctionne réellement et apporte certains avantages aux employés. Je citerai des entreprises comme Ukrzaliznytsia, où un grand nombre de syndicats tentent de freiner la volonté du propriétaire d'annuler certains avantages prévus dans la convention collective de cette entreprise de plusieurs milliers d'employés. Il y a aussi Energoatom [Compagnie nationale de production d'énergie nucléaire], qui est aussi directement liée à la pérennité de l'économie ukrainienne, et où il y a aussi un puissant syndicat qui contrôle toutes les décisions prises par l'administration. Ce dialogue entre les parties rend difficile toute prise de décisions qui pourraient aggraver la situation des employés.
Si nous parlons d'entreprises plus petites, je voudrais attirer l'attention sur un hôpital dans le district de Derazhnyansky, dans la région de Khmelnytsky. Un syndicat très militant y est affilié au mouvement des infirmières Sois comme Nina. Étant donné que leur convention collective contient de solides garanties procédurales, le syndicat exige que toute décision modifiant les conditions de travail essentielles soit prise en accord avec lui. C'est le cas, par exemple, pour le transfert de personnel à temps partiel. Bien sûr, la direction essaie de faire passer certaines décisions pour économiser sur les salaires, mais la convention collective reste en vigueur, et le syndicat et le conseil du travail en tirent parti. J'ai également entendu parler d'un cas à l'usine Leoni, qui est impliquée dans l'industrie automobile – elle opère également à Stryi, dans la région de Lviv. Au début de la guerre, l'employeur a pris des mesures qui ont aggravé la situation des employés, notamment en essayant de suspendre certains avantages prévus par la convention collective. Cependant, le syndicat a amené l'employeur à la table des négociations et a réussi à préserver certaines garanties pour ses membres.
Voyez-vous des perspectives de développement du dialogue social en Ukraine à l'heure actuelle ?
En conclusion, je voudrais dire qu'au cours de ces presque trois années, une strate de dirigeants syndicaux assez puissants a émergé en Ukraine, qui s'est habituée à travailler dans des circonstances d'incertitude totale et où l'État soutient les employeurs. Je pense que si ces personnes survivent à ces temps difficiles, elles seront en mesure de créer des structures fortes pendant la période de reconstruction d'après-guerre, qui exigeront de meilleures conditions de travail et l'égalisation des salaires avec la moyenne européenne. Aujourd'hui, le salaire moyen dans l'UE est d'environ 2 000 euros, et il me semble qu'au moins les travailleurs des infrastructures critiques et des industries d'exportation devraient recevoir au moins la moitié de ce montant, soit au moins 1 000 euros par mois.
Si nous voulons avancer sur la question des conditions de travail, nous devons imposer certaines obligations aux entreprises qui bénéficient de l'achat de biens et de services sur les fonds budgétaires par le biais du mécanisme d'appel d'offres. En particulier, nous devrions exiger que les accords d'adjudication prévoient la minimisation des accidents dans l'entreprise, que les employés soient impliqués dans la prise de décision et que les salaires soient également alignés sur les indicateurs européens. C'est ce que j'entends par des changements qui profiteront à l'ensemble de la société.
11 novembre 2024
Publié par Commons
Illustration Katya Gritseva
Traduction Patrick Le Tréhondat
1 Le récit sur la déréglementation des relations de travail et la destruction de l'État-providence aujourd'hui peut également être trouvé dans la conférence de Vitaliy :
https://www.youtube.com/watch?v=dO4e_M3iMLs
2 Pour bénéficier d'un tel paiement unique, l'entreprise ou l'institution où travaillait le travailleur blessé doit être inscrite au registre des infrastructures critiques. Le fonds de pension, interprétant la loi de manière restrictive, a massivement refusé des paiements si l'installation n'était pas inscrite au registre au moment de la tragédie. Pour plus de détails sur cette situation, voir l'article de Vitaliy :
https://rev.org.ua/garanti%d1%97-dlya-pracivnikiv-kritichno%d1%97-infrastrukturi/

Les infirmières iraniennes reprennent leurs manifestations pour dénoncer les conditions de travail difficiles et les bas salaires

Les infirmières iraniennes ont repris leurs manifestations à Fasa (sud de l'Iran) et à Yazd (centre de l'Iran), le samedi 2 novembre 2024, alors que le gouvernement refuse de répondre à leurs demandes d'amélioration des salaires et des conditions de travail.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Les femmes représentent 70 % de la main-d'œuvre infirmière en Iran, un groupe qui a été confronté à des sous-paiements systématiques, à la censure et même à l'intimidation.
Un tragique catalyseur de changement
En août, de vastes manifestationsont éclaté à la suite de la mort tragique de Parvaneh Mandani, une infirmière de 32 ans de la province de Fars. Son effondrement et son décès, attribués à un surmenage extrême, ont été rapportés dans les médias comme un cas de « syndrome de Karoshi » – un terme traditionnellement associé au Japon, qui trouve désormais une résonance dans la crise des soins de santé en Iran.
Le décès de Parvaneh est devenu un cri de ralliement, déclenchant des manifestations qui se sont étendues à plus de 50 hôpitaux dans 21 villes. Les infirmières iraniennes se sont mobilisées, exigeant une rémunération équitable et dénonçant les heures supplémentaires obligatoires, qui les obligent souvent à prendre en charge jusqu'à 50 patients simultanément.
Négligence systémique de la loi sur la tarification des soins infirmiers
Les revendications des infirmières iraniennes ne se limitent pas à des heures de travail équitables. Elles demandent l'application de la loi sur la tarification des services infirmiers, promulguée en 2006, qui vise à normaliser la rémunération en fonction de la charge de travail et des performances – une loi qui a été largement ignorée. En outre, les infirmières souhaitent avoir accès aux avantages professionnels généralement accordés aux fonctions à haut risque, tels que la retraite anticipée après 25 ans, mais ces droits ne sont toujours pas respectés.
Augmentation des taux de démission et d'émigration
Le manque de soutien gouvernemental a poussé de nombreuses infirmières à bout. L'année dernière, environ 1 590 infirmières iraniennes ont démissionné, un chiffre qui dépasse nettement le taux d'émigration des professionnels de la santé. En fait, on estime que les démissions sont deux à trois fois supérieures au taux d'émigration. En un mois seulement, plus de 200 infirmières iraniennes ont quitté le pays, ce qui souligne l'urgence de cette crise.
La légalité des heures supplémentaires forcées remise en question
Fin septembre, la commission parlementaire iranienne de la santé et des traitements a pris acte de l'augmentation des démissions et de l'émigration. Elle a reconnu que l'imposition d'heures supplémentaires obligatoires aux infirmières était illégale, citant une décision de la Cour de justice administrative. Malgré cette reconnaissance, aucune réforme substantielle ou mesure de compensation n'a été adoptée.
Néanmoins, les infirmières iraniennes restent déterminées dans leurs revendications. Elles continuent de réclamer un revenu minimum supérieur au seuil de pauvreté et un plafonnement des heures supplémentaires à 80 par mois. Il est alarmant de constater que les heures supplémentaires sont actuellement rémunérées à moins de 50 cents de l'heure.
https://wncri.org/fr/2024/11/03/les-infirmieres-iraniennes-4/
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

Aliyev, Orbàn, Meloni... La COP29 accueille le gratin d’extrême droite mondial

Emmanuel Macron, Joe Biden ou Lula ne viendront pas à la COP29, à Bakou. Ils laissent ainsi toute latitude aux chefs d'État d'extrême droite et à leur hôte l'autocrate Ilham Aliyev pour faire les louanges des énergies fossiles.
Tiré de Reporterre
Bakou (Azerbaïdjan), reportage
« Je veux le répéter ici devant cette audience : c'est un don de Dieu. » Le président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, répète son mantra au sujet du pétrole et du gaz. Le 12 novembre, au deuxième jour de la COP29 à Bakou, l'allocution de l'indétrônable autocrate s'est traduite par une défense acharnée — et transparente — de l'extraction de combustibles fossiles. Sans la moindre retenue à l'égard de ses détracteurs, le moustachu a taillé « la politique du deux poids, deux mesures, la manie de donner des leçons et l'hypocrisie » des dirigeants, activistes et médias de certains pays occidentaux.
Quittant la tribune sous les applaudissements nourris de la plénière « Nizami », le dictateur aux commandes du pays hôte depuis 2003 a échangé une chaleureuse poignée de mains avec le secrétaire général des Nations unies, António Guterres. Celui-ci n'a pas corrigé la teneur de son laïus, mais était sans doute médusé par ces propos d'une férocité quasi-inédite en diplomatie internationale. Toujours est-il que le patron de l'ONU a commencé par remercier « l'accueil et l'hospitalité » de l'homme venant de jeter un froid à l'hémicycle.
« Nous sommes dans le compte à rebours final »
« Le son que vous entendez est celui du tic-tac de l'horloge. Nous sommes dans le compte à rebours final pour limiter l'augmentation de la température mondiale à 1,5 °C, a toutefois clamé le Portugais. Et le temps ne joue pas en notre faveur. » Dénonçant l'absurdité de poursuivre l'investissement dans les hydrocarbures, il a appelé à réduire de 30 % leur production d'ici 2030.
Un vœu aux antipodes des projections de l'État accueillant la COP, tablant plutôt sur une hausse de +14 % à l'horizon 2035.
Champ libre aux nationalistes européens
Jusqu'au crépuscule du 13 novembre, un bataillon de 82 chefs d'État et de gouvernement, vice-présidents et princes héritiers doit défiler au pupitre de l'Assemblée. Une grand-messe protocolaire, baptisée « Sommet des leaders » et boudée par tous les dirigeants des pays les plus émetteurs de dioxyde de carbone. Le président des États-Unis, Joe Biden, à la légitimité terriblement fragilisée par l'élection de Donald Trump, sèche l'exercice pour la deuxième année consécutive. Les leaders du Japon, de l'Australie, de la Chine, de l'Inde, du Canada, de l'Afrique du Sud ou encore du Mexique brillent aussi par leur absentéisme. Au même titre que le dictateur Vladimir Poutine, le roi Charles et le président du Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva, pourtant hôte de la prochaine COP.
Et le tableau n'est guère plus garni du côté de l'Union européenne. Emmanuel Macron, lui aussi, a refusé de se déplacer. Une première depuis 2019, justifiée par les fortes tensions diplomatiques entretenues avec l'Azerbaïdjan depuis la condamnation par la France de l'invasion du Haut-Karabagh par l'armée d'Ilham Aliyev, en 2023. Une fenêtre de tir idéale, dont Alexandre Loukachenko, autocrate biélorusse et proche allié de Vladimir Poutine, s'est aussitôt saisi : « Quelle est l'efficacité de nos négociations sur le climat si le président français n'est même pas présent ? »
Le nationaliste hongrois, Viktor Orban, a pu dérouler à la COP des ambitions climatiques bien différentes de celles défendues par l'Union européenne. © Emmanuel Clévenot / Reporterre
Le chancelier allemand Olaf Scholz et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen ne participent pas non plus au grand raout. Une aubaine pour le nationaliste hongrois, Viktor Orban, ayant pu dérouler des ambitions climatiques bien différentes de celles défendues par l'Union européenne : « Nous devons poursuivre la transition verte tout en maintenant notre usage du gaz, du pétrole et du nucléaire », a-t-il notamment déclaré à la barre. Attendue ce jour devant la plénière, son homologue italienne d'extrême droite, Giorgia Meloni, risque d'adopter pareille posture.
Les pays pauvres vont-ils « quitter Bakou les mains vides » ?
Visiblement plus enclins à partager le sentiment d'urgence devant « le tic-tac de l'horloge », plus d'une vingtaine d'intervenants africains ont décrit les tragiques répercussions du changement climatique que leur pays affronte au quotidien. Au même titre que le président du Népal, endeuillé par une mousson et des glissements de terrain meurtriers, ainsi que les figures d'une flopée de nations insulaires : « Tout est menacé, a déploré Ahmed Abdullah Afif Didi, vice-président des Seychelles. Nous devons déménager nos maisons. »
Hilda Heine, l'une des neuf femmes parmi les 82 leaders présents à la COP29, a fustigé la démobilisation des pays riches à l'heure de mettre la main à la poche. La présidente des Îles Marshall, un État insulaire que le Pacifique pourrait un jour engloutir, a toutefois harangué l'hémicycle : « Nous savons reconnaître le moment où la tendance s'inverse. Et en ce qui concerne le climat, la tendance s'inverse maintenant. »
Jusqu'au 22 novembre prochain, une enveloppe annuelle allant de 100 à 1 300 milliards de dollars (1 225 milliards d'euros) doit être débattue pour financer la transition des pays vulnérables au changement climatique. « [Ils] ne doivent pas quitter Bakou les mains vides », a insisté António Guterres.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.
.*

COP 29 : le méthane, un don de la Trinité

Cette COP29, réunie à Bakou, est, comme les précédentes, l'occasion pour certains « acteurs » des industries fossiles, comme de leurs financiers, de répéter une fois de plus « qu'il faut prendre conscience de la situation » et pour les affabulateurs les plus hypocrites de diffuser l'idéologie « de la transition écologique ».
13 novembre 2024 Alencontre
http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/cop-29-le-methane-un-don-de-la-trinite.html
Par rédaction A l'Encontre
Une « transition » que Jean-Baptiste Fressoz, dans son ouvrage Sans transition, une nouvelle histoire de l'énergie (Le Seuil, janvier 2024), qualifie « d'idéologie du capital au XXIe siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède, les industries polluantes des industries vertes en devenir, et l'innovation, notre bouée de sauvetage. Grâce à la transition, le capital se retrouve du bon côté de la lutte climatique. Grâce à la transition, on parle de trajectoire à 2100, de voitures électriques [1] et d'avions à hydrogène plutôt que de niveau de consommation matérielle et de répartition [de la richesse produite]. » Autrement dit est évité tout pas de travers qui permettrait de déceler la logique vampiriste du capital [2].
***
Au deuxième jour de la COP29, Ilham Aliyev, président de l'Azerbaïdjan marchant dans les pas de son père autocrate Heydar Aliyev, déclamait au sujet du pétrole et du gaz : « Je veux le répéter ici devant cette audience : c'est un don de Dieu. » La figure divine est aujourd'hui d'actualité : Trump a été sauvé par Dieu à l'occasion d'une tentative d'assassinat le 13 juillet et incarne la présence de Dieu dans le champ politique selon les courants catholiques intégristes et évangélistes qui furent les anges gardiens de son élection à la présidence des Etats-Unis. Ici, la « providence divine » guide les forages et l'augmentation de l'extraction de fossile.
Au moment où António Guterres, à Bakou, indique qu'il faut réduire de 30% la production d'hydrocarbures d'ici 2030, l'hôte de la COP29, l'Azerbaïdjan, selon le rapport de l'ONG OilChange International, a pour objectif d'augmenter sa production d'hydrocarbures de 14% d'ici 2035. Et le futur hôte de la COP30, le Brésil, table sur une croissance de 36%.
Quant à Giorgia Meloni, selon Il Fatto Quotidiano du 13 novembre, elle joue dans son intervention la carte de la « transition écologique » (décarbonation, biocarburants, fusion nucléaire) tout en insistant sur un fait d'évidence : « Il n'y a pas d'alternative aux combustibles fossiles. » Il est vrai que l'Italie importe 57% de son pétrole et 20% de son gaz d'Azerbaïdjan.
***
Les COP ont au moins un effet stimulant : des ONG, des instituts et y compris la presse économique publient des données qui pointent les périls à venir. Ainsi, les études concernant, par exemple, les émissions de méthane sont diffusées dans les mois précédant la COP.
Ian Angus, sur son site Climate & Capitalism, le 10 septembre, rapportait les résultats établis par le Earth System Science Data sur le budget mondial du méthane pour 2024.
Ce dernier « montre une augmentation de 20% des émissions de méthane dues aux activités humaines au cours des deux dernières décennies.
»Le méthane est l'un des trois principaux gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique. Il ne reste dans l'atmosphère que quelques décennies, moins longtemps que le dioxyde de carbone et l'oxyde nitreux, mais son potentiel de réchauffement global à court terme est le plus élevé, car il retient davantage de chaleur dans l'atmosphère.
»Le bilan, établi par leGlobal Carbon Project, couvre 17 sources naturelles et anthropiques (induites par l'homme). Il montre que le méthane a augmenté de 61 millions de tonnes métriques par an.
“Nous avons observé des taux de croissance plus élevés pour le méthane au cours des trois dernières années, de 2020 à 2022, avec un record en 2021”, explique Pep Canadell, directeur du Global Carbon Project. “Cette augmentation signifie que les concentrations de méthane dans l'atmosphère sont 2,6 fois plus élevées que les niveaux préindustriels (1750).” “Les activités humaines sont responsables d'au moins deux tiers des émissions mondiales de méthane, ajoutant environ 0,5°C au réchauffement climatique qui s'est produit jusqu'à présent.”
»Le rapport conclut que l'agriculture est à l'origine de 40% des émissions mondiales de méthane d'origine anthropique. Le secteur des combustibles fossiles en produit 34%, les déchets solides et les eaux usées 19%, et la combustion de la biomasse et des biocarburants 7%.
»Les cinq principaux pays émetteurs en 2020 étaient la Chine (16%), l'Inde (9%), les Etats-Unis (7%), le Brésil (6%) et la Russie (5%).
»L'Union européenne et l'Australasie ont réduit leurs émissions anthropiques de méthane au cours des deux dernières décennies. Toutefois, les tendances mondiales mettent clairement en péril les engagements internationaux visant à réduire les émissions de méthane de 30% d'ici à 2030.
»Pour des trajectoires d'émissions nettes nulles compatibles avec l'objectif de l'Accord de Paris d'une augmentation maximale de la température de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, les émissions anthropiques de méthane doivent diminuer de 45% d'ici à 2050, par rapport aux niveaux de 2019. »
***
Dans le Financial Times du 12 novembre, Attracta Mooney (Bakou) et Jana Tauschinski (Londres) rassemblent un cumul de données démontrant « comment les compagnies pétrolières et gazières dissimulent leurs émissions de méthane […], comment elles dissimulent régulièrement des fuites de ce gaz à effet de serre mortel, bien qu'il s'agisse de l'une des solutions les plus faciles à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique. »
»Sur les rives de la mer Caspienne, à moins de 30 miles de l'endroit où les dirigeants, ministres et négociateurs du monde entier se réunissent cette semaine à Bakou dans le cadre du sommet sur le climat COP29, un puissant gaz à effet de serre s'est échappé dans l'atmosphère.
»Un capteur installé sur la Station spatiale internationale a détecté six panaches distincts de méthane entre avril et juin. Selon l'organisation californienne à but non lucratif Carbon Mapper, qui a analysé les données et les a communiquées au Financial Times, tous ces panaches proviennent de sites pétroliers et gaziers situés à la périphérie de la capitale de l'Azerbaïdjan.
»Cinq autres panaches ont été détectés sur d'autres sites du pays, notamment près du terminal pétrolier et gazier géant de Sangachal [vaste complexe industriel qui comprend un point de collecte, de traitement, de stockage et d'exportation du gaz du champ de Shah Deniz, ainsi que du pétrole d'Azeri-Chirag-Guneshli]. Bien que d'intensité variable, ces panaches étaient à la fois polluants et profondément toxiques, contenant des substances cancérigènes et d'autres gaz dangereux, ainsi que du méthane.
»Selon les militants et les analystes qui suivent la pollution par le méthane, une situation similaire se produit dans les installations pétrolières et gazières du monde entier. Dans certains cas, des fuites accidentelles sont à blâmer. Mais ailleurs, les producteurs rejettent le gaz de manière flagrante et délibérée.
»Le méthane est le principal responsable de la formation de l'ozone troposphérique [c'est-à-dire présent près du sol], un polluant atmosphérique dangereux qui cause chaque année la mort d'un million de personnes dans le monde à la suite de maladies respiratoires. Mais une menace encore plus grande pèse sur le climat.
»Même s'il ne persiste pas aussi longtemps dans l'atmosphère que le dioxyde de carbone, sur une période de 20 ans, le méthane est 80 fois plus puissant pour piéger la chaleur. On estime qu'il est responsable de 30% du réchauffement de la planète depuis la révolution industrielle.
»Une partie du méthane provient de sources naturelles telles que les zones humides et les gaz volcaniques. Mais la majeure partie des émissions est due à l'activité humaine : agriculture, déchets de décharge et industrie des combustibles fossiles.
»Le problème a longtemps été occulté en raison du manque d'outils permettant de le détecter et de le mesurer. Inodore et incolore, ce gaz est notoirement difficile à repérer. Jusqu'à récemment, les études sur le méthane s'effectuaient principalement au sol à l'aide d'appareils portatifs ou par des survols aériens qui le détectent grâce à ses interactions avec les ondes lumineuses.
»Selon une analyse du Financial Times, les entreprises du secteur de l'énergie ont trouvé de nombreux moyens de dissimuler l'ampleur de leurs émissions. « Le pétrole et le gaz émettent beaucoup plus de méthane que nous ne le pensons », affirme Eric Kort, professeur de climat, de sciences spatiales et d'ingénierie à l'université du Michigan. […] les émissions provenant de l'industrie pétrolière et gazière ne figurent pas à l'ordre du jour de cette année.
»Pourtant, les émissions du secteur de l'énergie ont atteint un niveau record en 2023 – une irritation pour certains analystes, qui soulignent qu'il s'agit de l'une des possibilités les moins coûteuses et les plus rapides de lutter contre le réchauffement climatique actuellement disponibles.
»“La réduction du méthane à court terme est le moyen le plus rapide dont nous disposons pour éviter les pires effets du changement climatique”, déclare Manfredi Caltagirone, responsable de l'Observatoire international des émissions de méthane du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). “[Et] le secteur qui présente le plus grand potentiel de réduction est l'industrie pétrolière et gazière.”
»Un précédent sommet de la COP tenu en 2021 a lancé le Global Methane Pledge, une initiative soutenue par plus de 150 pays, qui vise à réduire les émissions mondiales de 30% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2020. Toutefois, selon des données récentes, les émissions globales de méthane continuent d'augmenter. » […]
***
Le dogme des politiques néolibérales, l'autorégulation, est invoquée de manière trompeuse car les groupes pétroliers et gaziers disent pouvoir détecter les émissions de méthane – y compris celles liées au torchage et aux accidents – grâce au développement de technologies satellitaires d'imagerie et de mesures.
Or, comme le souligne l'article du Financial Times :
« Josh Eisenfeld, qui suit les émissions de méthane à Earthworks, une organisation américaine à but non lucratif dont l'objectif est de mettre fin à la pollution énergétique, estime que l'un des principaux problèmes réside dans le fait que l'industrie “essaie de s'autosurveiller”. La plupart des équipements utilisés par les compagnies pétrolières et gazières ne parviennent même pas à repérer les petites fuites de méthane, affirme-t-il.
»Une enquête menée par Earthworks et Oil Change International a révélé que les “moniteurs d'émissions en continu”, utilisés par les producteurs pour enregistrer les rejets de polluants en temps réel, n'ont détecté qu'une seule émission au Colorado, alors que leurs propres chercheurs en ont enregistré 23. […]
»L'AIE (Agence internationale de l'énergie) estime également que les émissions mondiales de méthane provenant du secteur de l'énergie sont supérieures d'environ 70% aux quantités déclarées par les pays.
»Selon une étude publiée dans Nature au début de l'année et basée sur un million de mesures aériennes de puits, de pipelines, d'installations de stockage et de transmission dans six régions des Etats-Unis, les émissions étaient presque trois fois plus élevées que les estimations fournies par le gouvernement fédéral. »
***
Or, Donald Trump a placé l'un de ses proches à la direction de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), Lee Zeldin. Selon Trump, « Lee Zeldin va s'assurer de prises de décisions rapides et justes de déréglementation qui vont permettre de doper la force des entreprises américaines, tout en conservant les plus hautes normes environnementales. » La transition est assurée.
[1] Voir à ce propos sur ce site l'article d'Alain Bihr intitulé « La voiture électrique, une alternative illusoire ». http://alencontre.org/ecologie/la-voiture-electrique-une-alternative-illusoire.html
[2] Voir l'article publié sur ce site en date du 4 mai 2021 http://alencontre.org/laune/le-vampirisme-du-capital-i.html
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.
.*

La réélection de Donald Trump : quelles implications pour les politiques climatiques ?

Y aura-t-il bientôt des COP sans les États-Unis ? Ces derniers vont-ils de nouveau quitter l'accord de Paris ? Quel avenir pour les énergies renouvelables outre-Atlantique ? Alors que Trump revient à la Maison Blanche, l'économiste Christian de Perthuis nous en dit plus sur ce que l'on peut attendre de ce climatosceptique convaincu à la tête de la première puissance mondiale.
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
6 novembre 2024
Par Christian (de) Perthuis
Climatosceptique affiché, Donald Trump avait fait campagne en 2016 sur la relance du charbon aux États-Unis, l'allègement des contraintes environnementales imposées par l'administration démocrate et la sortie de l'Accord de Paris.
De relance de charbon, il n'y eut point durant son premier mandat (2017-2020), l'électricité produite à partir du gaz ou des renouvelables étant bien trop compétitive. L'allègement des contraintes réglementaires a consisté à abroger le Clean Power Acthttps://www.connaissancedesenergies..., une régulation préparée sous l'administration Obama qui n'était pas entrée en vigueur faute de soutien au Congrès. Enfin, le retrait de l'Accord de Paris, décidé en juin 2017, a été sans conséquence car il exigeait, au moment où il a été décidé, un délai de quatre ans pour devenir effectif.
Au total, le premier mandat de Donald Trump n'a eu que des effets limités sur la politique climatique, tant au plan interne qu'externe. Il pourrait en aller bien différemment durant le second mandat.
L'accord de Paris soumis à rude épreuve
Le candidat Trump n'a pas fait mystère de son intention de quitter à nouveau l'accord de Paris, qualifié d'un meeting à l'autre de « ridicule », « injuste » ou encore « désastreux ». Autre argument de campagne : l'Accord coûterait des centaines de milliards aux États-Unis et rien à la Chine et aux autres pays émergents.
Un second retrait des États-Unis est donc pratiquement certain. Mais il sera cette fois-ci effectif un an seulement après avoir été signifié aux Nations unies. Cela aura donc un impact potentiellement bien plus dévastateur sur les négociations climatiques internationales. Comme l'avait été la décision de George W. Bush en 2001 de quitter le protocole de Kyoto, le prédécesseur de l'accord de Paris, entré en déshérence graduelle durant les années 2000.
Une certaine incertitude plane cependant sur un possible retrait des États-Unis de la convention-cadre sur le climat de 1992, le traité fondateur de la diplomatie climatique dont le protocole de Kyoto ou l'accord de Paris ne sont que des textes d'application.
Au plan juridique, la sortie de cette convention implique en effet d'obtenir une majorité des deux-tiers au Sénat alors que quitter l'accord de Paris s'effectue par simple décret présidentiel. Si les États-Unis sortaient de cette convention, ils ne participeraient donc plus aux COP climat qui sont l'organe décisionnel de la convention.
Ce retrait attendu des États-Unis intervient à un moment charnière de la négociation climatique. À la COP29 de Bakou, il sera bien difficile d'obtenir des engagements d'accroissement des financements climatiques, l'enjeu central des discussions, avec la perspective de sortie du premier bailleur de fonds.
La réévaluation des objectifs de réduction des émissions aux horizons de 2030 et 2035 sera le principal enjeu de la COP30, à Belém (Brésil) l'an prochain. Ici encore, on voit difficilement comment parvenir à un résultat significatif sans l'implication des États-Unis, deuxième émetteur mondial de gaz à effet de serre (GES) après la Chine.
Promesses de baisses des prix de l'énergie, disparition des objectifs climatiques
D'après les évaluations indépendantes, les États-Unis ne sont pas en ligne pour atteindre l'objectif de réduction des émissions de GES, au titre de leur contribution à l'accord de Paris (-50/52 % entre 2005 et 2030). Des mesures complémentaires auraient du compléter l'Inflation Reduction Act (IRA), principal outil de financement de la transition énergétique adopté sous l'administration Biden pour y parvenir.
Avec le retour de Trump, c'est un changement majeur de perspective qui s'annonce. L'objectif de réduction d'émission disparaît du paysage au profit d'une promesse, annoncée à la Convention Républicaine de juillet 2024, de diviser par deux le prix de l'énergie à la charge des ménages américains. La méthode ? « Drill, baby, drill » (en français, littéralement « fore [du pétrole], chérie, fore ! »), suivant le slogan de campagne répété à chaque meeting électoral, et la récupération des milliards gaspillés au nom de la « nouvelle arnaque verte » (« Green new scam »), expression désignant l'IRA et plus généralement le développement des énergies renouvelables soutenu par l'administration démocrate.
Vidéo : « Je m'engage devant le grand peuple américain à mettre fin immédiatement à la crise inflationniste dévastatrice, à faire baisser les taux d'intérêt et le coût de l'énergie, nous allons “Drill baby drill !” » assurait Donald Trump le 19 juillet 2024 dernier.
L'objectif de relance de l'exploration pétrolière et gazière est affiché alors que les États-Unis sont devenus exportateurs nets de pétrole et de gaz sous le mandat de Joe Biden. Avec la nouvelle majorité républicaine au Congrès, les derniers verrous qui freinaient l'extraction de pétrole et de gaz sur les terres fédérales ou protégés risquent de sauter et l'industrie de bénéficier de conditions fiscales et financières plus favorables. Cette relance du pétrole et du gaz pourrait générer en 2030 un supplément d'émission voisin de 2 Gt d'équivalents CO2 (5 fois les émissions de la France !), relativement à un scénario de simple poursuite de la politique climatique démocrate (graphique).
Fourni par l'auteur
La réalité économique comme seul garde-fou ?
Le démantèlement des soutiens aux énergies renouvelables via l'IRA sera en revanche plus problématique. Au plan politique, il risque de contrarier nombre d'élus Républicains au Congrès. Les états du centre et du sud des États-Unis, les plus acquis à la cause Républicaine, sont en effet les premiers bénéficiaires des subsides de l'IRA.
Ce démantèlement ira de surcroît à contresens de l'objectif de baisse des prix de l'énergie. Dans les meetings de campagne, les énergies solaires ou éoliennes ont été systématiquement présentés comme plus coûteuses que leurs concurrentes d'origine fossile. Mais cette représentation, héritée du passé, est de plus en plus déconnectée des réalités industrielles.
Si on veut faire baisser le prix de l'électricité, et multiplier ses usages au détriment des sources fossiles devenues plus coûteuses, il faut au contraire accélérer le déploiement des nouvelles énergies de flux (solaire et éolien) et non pas les contrarier. Avec une majorité au Sénat et peut-être à la Chambre des Représentants plus une Cour suprême qui lui est acquise, les garde-fous politiques pour s'opposer au rétropédalage climatique programmé par Donald Trump seront bien faibles. Reste le garde-fou économique, car le monde que voudrait construire le bientôt octogénaire Président est celui d'hier et non celui de demain.
Christian de Perthuis, Professeur d'économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL
< !—> The Conversationhttp://theconversation.com/republishing-guidelines —>
P.-S.
• The Conversation. Publié : 6 novembre 2024, 15:37 CET.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
• Christian de Perthuis, Université Paris Dauphine – PSL
• Nous croyons à la libre circulation de l'information
Reproduisez nos articles gratuitement, sur papier ou en ligne, en utilisant notre licence Creative Commons.
• The Conversation est un média indépendant, sous un statut associatif. Avec exigence, nos journalistes vont à la rencontre d'expert•es et d'universitaires pour replacer l'intelligence au cœur du débat. Si vous le pouvez, pour nous soutenirfaites un don.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

On n’a jamais autant brûlé d’énergies fossiles qu’en 2024

Les émissions de CO2 issues des énergies fossiles ont augmenté de 0,8 % par rapport à 2023, rapportent les scientifiques du Global Carbon Project. Ce qui augure d'un réchauffement de 2 °C atteint en 2051.
Tiré du site de Reporterre
Nous ne sommes toujours pas sur la bonne trajectoire. Selon les dernières projections du Global Carbon Project — collectif réunissant 120 scientifiques à travers le monde — les émissions mondiales de CO2 liées à la production et à la consommation d'énergies fossiles continuent de croître. Dans un rapport publié mercredi 13 novembre, les chercheurs estiment qu'en 2024 ces émissions seront en hausse de 0,8 % par rapport à l'an dernier. Soit 37,4 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (GtCO2) envoyées dans l'atmosphère.
En plus des énergies fossiles, le changement d'usage des sols (principalement la déforestation) ont émis 4,2 GtCO2. Un chiffre en légère hausse par rapport à 2023 (4,1 GtCO2). La raison ? « La sécheresse pendant le phénomène El Niño et la déforestation ont permis les très nombreux incendies au Brésil et en Indonésie cette année », disent les chercheurs. Tout compris, les estimations des émissions de CO2 atteignent 41,6 milliards de tonnes en 2024 contre 40,6 milliards de tonnes l'an dernier.
« Il est clair que le budget carbone restant est presque épuisé »
Est-il trop tard pour respecter l'Accord de Paris et limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle (1850-1900) ? Au rythme actuel, il y a 50 % de risques que le réchauffement dépasse 1,5 °C de manière constante sur plusieurs années d'ici environ six ans, selon les scientifiques du Global Carbon Project. Si cette estimation est soumise à de grandes incertitudes liées au réchauffement supplémentaire causé par d'autres agents eux aussi réchauffants (CH₄, N₂O, aérosols) « il est clair que le budget carbone restant — et donc le temps qu'il reste pour atteindre l'objectif de 1,5 °C — est presque épuisé ». Si l'on continue au même rythme, « les +2 °C seront, eux, atteints dans vingt-sept ans ».
Toutes les émissions fossiles sont à la hausse
Pour une seule année, la barre a déjà été franchie, a annoncé l'institut Copernicus début novembre. L'observatoire européen a indiqué qu'il est désormais « pratiquement certain » que l'année 2024 sera la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne de 1,6 °C supérieure à la température moyenne de l'ère préindustrielle.
Malgré l'urgence, les chercheurs du Global Carbon Project affirment qu'il n'y a toujours « aucun signe » que le monde a atteint un pic d'émission de CO2. Au surlendemain de l'ouverture de la COP29 à Bakou en Azerbaïdjan, ils appellent les dirigeants à « prendre des engagements pour réduire rapidement et fortement les émissions de combustibles fossiles afin de nous donner une chance de rester en dessous des 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ».
Dans le détail, les émissions liées au gaz naturel bondiraient en 2024 de 2,4 %, celles relatives au pétrole seraient en hausse de 0,9 % et celles liées au charbon devraient croître de 0,2 %. Seules les émissions liées au ciment sont à la baisse (-2,8 %), en raison de la crise de la construction en Chine et aux États-Unis. Toutefois, « compte tenu de l'incertitude des projections, il est possible que les émissions de charbon — combustible le plus néfaste pour l'atmosphère — diminuent en 2024 », précisent les scientifiques dans le rapport.
En Inde et en Chine, des hausses moins fortes qu'en 2023
Tous les pays ne sont pas sur les mêmes trajectoires. Du côté des mauvais élèves, l'Inde, responsable de 8 % des émissions mondiales de CO2, reste sur une pente ascendante. Après une hausse de 8,2 % en 2023, ses rejets de CO2 augmentent cette année « seulement » de 4,6 %.
La Chine, qui dégage quasiment un tiers des émissions mondiales (31 %), n'infléchit pas la tendance mais ses émissions augmentent beaucoup moins qu'avant : 4,9 % en 2023 contre 0,2 % cette année. « La demande d'électricité continue de croître fortement, tant dans l'industrie que dans les ménages, la consommation de charbon a légèrement augmenté », notent les scientifiques du Global Carbon Project.
« La demande d'électricité continue de croître fortement »
Par ailleurs, « les émissions provenant du pétrole ont probablement atteint leur maximum, les véhicules électriques gagnent régulièrement des parts de marché ». Pour information, la Chine s'est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2060 et un pic d'émissions en 2030.
Des baisses plus timides aux États-Unis et dans l'Union européenne
Les États-Unis poursuivent quant à eux leur baisse des émissions de CO2. Après une diminution de 3 % en 2023, cette année, les rejets de dioxyde de carbone devraient s'infléchir de 0,6 %. Cette baisse concerne à la fois le charbon — délaissé au profit du gaz naturel — le pétrole et le ciment. Alors que le pays s'est engagé à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, l'élection de Donald Trump à la présidence pourrait changer la donne.
Si l'Union européenne affiche encore une fois la plus forte baisse d'émissions, -3,8 % de CO2 en un an, selon l'estimation des chercheurs, c'est beaucoup moins qu'en 2023 (-7 %). Pourquoi ? Une partie peut s'expliquer par la crise énergétique en 2023 : « La chute avait été très forte en 2023 car les Européens se sont moins chauffés que d'habitude à cause de la hausse des prix de l'électricité consécutive à l'arrêt des importations de gaz russe. » En outre, l'hiver 2023 avait été particulièrement doux.
Pour le « reste du monde » (soit tous les autres pays à l'exclusion de la Chine, des États-Unis, de l'Inde et de ceux de l'Union européenne), les émissions sont en hausse de 1,1 %.
Concernant les différents secteurs d'émissions, l'aviation et le transport maritime internationaux, responsables chacun de 3 % des émissions mondiales, devraient augmenter respectivement de 13,5 % et 2,7 % en 2024.
La technologie ne sauvera pas le climat
Si l'on regarde les tendances décennales, les chercheurs observent toutefois un ralentissement de la hausse des émissions de CO2. Entre 2013 et 2024, elles étaient de +0,6 % par an en moyenne, contre +2,4 % lors de la décennie précédente.
Et il ne faut pas compter sur la technologie pour sauver le climat. « Les niveaux actuels d'élimination du dioxyde de carbone par la technologie (captage et stockage de CO2) ne permettent que de compenser un millionième du CO2 émis par les combustibles fossiles », rappellent les scientifiques.
En plus de réduire les activités du charbon, pétrole et gaz, il faut davantage prendre soin des puits de carbone océaniques et terrestres. Ceux-ci nous évitent le pire en absorbant la moitié des émissions totales de CO2 sur la dernière décennie malgré les effets négatifs du changement climatique sur ces écosystèmes.
Enfin, si les effets de l'épisode El Niño ont entraîné une forte réduction des puits de carbone en 2023, en favorisant par exemple les sécheresses, ces puits de carbone devraient se rétablir avec la fin de ce phénomène météo, prédisent les scientifiques.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.
.*

La Contre-COP des peuples africains dénonce le système des COP et exige que la justice climatique pour le Sud global soit au centre de l’action climatique

Du 7 au 10 octobre, le Collectif Africain pour la Justice Climatique a organisé la première Contre-COP du Peuple Africain à Saly, au Sénégal. Plus d'une centaine de participant.e.s, venu.e.s de 21 pays, représentant des mouvements sociaux, des communautés de base, des femmes, des jeunes, des organisations de la société civile, des universitaires, des travailleur.e.s et d'autres, ont pris part à l'événement.
Tiré de la page web de Via Campesina
De nombreuses voix africaines – exclues de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques – ont été captées et légitimées lors de ce rassemblement. C'était « un moment pour dénoncer le système des COP, souligner les impacts du changement climatique sur les communautés africaines et présenter des solutions alternatives viables », comme le souligne leur déclaration (à lire ci-dessous).
L'événement a offert aux délégué.e.s un espace fructueux pour discuter, élaborer des stratégies et proposer des actions concrètes pouvant conduire à des solutions climatiques justes à travers l'Afrique. Divers thèmes ont été abordés au cours de la conférence, de la souveraineté alimentaire à la lutte contre les fausses solutions climatiques, en passant par les impacts sur l'environnement et les communautés locales de pêcheur.e.s.
Evelyne Awuor, de la Kenyan Peasants League (KPL), membre de La Via Campesina (LVC) SEAf du Kenya, a assisté à la conférence et était heureuse de partager des histoires de communautés où les agricultrices ne sont pas invitées aux réunions. « J'ai veillé à être présente et à partager leur message, occupant ainsi avec force des espaces dans lesquels elles étaient exclues », conclut-elle.
L'APCC est devenue une plateforme pour faire la chronique de la résilience et de la survie des communautés en Afrique et une excellente occasion d'échanger des idées et des rêves d'un meilleur avenir pour tou.te.s !
Lisez ci-dessous leur déclaration complète, rédigée à l'issue de la réunion :
L'Afrique unie contre l'oppression systématique et l'injustice climatique : Déclaration des peuples africains pour la justice climatique
Du 7 au 10 octobre 2024, le Collectif africain pour la justice climatique a organisé la première Conférence des peuples africains pour la justice climatique (APCC) en présentiel à Saly, au Sénégal. Plus d'une centaine de participant·e·s issus de mouvements sociaux, de communautés de base, de femmes, de jeunes, d'organisations de la société civile, d'universitaires, de travailleurs et d'autres personnes de 21 pays y ont pris part.
L'APCC reconnaît que les voix africaines ont été largement exclues de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, captée par les États et les entreprises du Nord, qui continuent d'alimenter les crises climatiques tout en prétendant faussement résoudre les causes du changement climatique. L'APCC constitue donc un moment pour dénoncer le système des COP, souligner les impacts du changement climatique sur les communautés africaines et présenter des solutions alternatives viables. Cela se fait par le partage des connaissances et l'activisme des communautés africaines les plus vulnérables en première ligne de la crise climatique, en particulier les femmes, les jeunes, les militant·e·s et les OSC.
L'APCC a créé un espace où les voix des communautés de base et des militant·e·s ont été entendues et saluées, contrairement à la COP, où ces voix sont marginalisées. Les délégué·e·s ont partagé leurs récits sur les impacts du changement climatique : sécheresses, inondations, érosion, mauvaises récoltes, cyclones, élévation du niveau de la mer, tempêtes de poussière et menaces pour les écosystèmes marins et terrestres, aggravées par l'accaparement des ressources et des terres, ainsi que par les conflits induits par le climat. Ces événements ont entraîné des déplacements, des pertes de moyens de subsistance, des pertes et dommages connexes, des victimisations, des arrestations, du harcèlement et même la mort de membres de la communauté et de militant·e·s qui défendent leurs territoires.
En raison du rétrécissement des espaces civiques dans de nombreux pays, la plateforme APCC est devenue un lieu pour faire la chronique de la résilience et de la survie des communautés, ainsi que de la manière dont la géopolitique a affecté la capacité de l'Afrique à répondre aux impacts du changement climatique. Plusieurs thèmes ont été abordés.
-Souveraineté alimentaire : La nécessité de renforcer les pratiques agroécologiques, la gestion communautaire des forêts et des terres, le pastoralisme et les pratiques de pêche locale, en particulier pour les femmes, qui constituent la majorité des personnes dans les zones rurales.
-Transitions justes : Une interrogation sur les considérations relatives au travail dans la souveraineté énergétique, l'élimination rapide, juste et équitable des combustibles fossiles, et le changement de système à mesure que nous évoluons vers l'adoption des énergies renouvelables et l'industrialisation verte pour le continent africain.
-Systèmes zéro déchet : Une opportunité pour les gouvernements africains d'intégrer des pratiques de gestion décentralisée des déchets afin de réduire les émissions de méthane.
-Financement climatique : L'accent est mis sur l'architecture financière nécessaire à la transition juste, à l'adaptation, à l'atténuation et au fonds pour les pertes et dommages, avec un appel à garantir que les communautés les plus vulnérables touchées par le changement climatique aient accès à ces fonds.
À l'approche de la COP29 qui se tiendra à Bakou, en Azerbaïdjan, du 11 au 22 novembre 2024, les peuples africains se mobilisent pour défendre leur droit à un environnement sûr, propice à la croissance et au progrès, même face à la dévastation climatique, environnementale, sociale et économique aggravée par l'architecture néolibérale soutenue par les pays du Nord.
La région de Saint-Louis et la Langue de Barbarie au Sénégal illustrent bien ces défis environnementaux dramatiques : élévation du niveau de la mer, érosion côtière, inondations et salinisation des terres agricoles. Le projet Grand Tortue Ahmeyim (GTA), mené par des sociétés transnationales (STN), BP et Kosmos Energy, doit exploiter l'un des plus grands gisements de gaz naturel d'Afrique de l'Ouest, situé à la frontière maritime entre le Sénégal et la Mauritanie. Bien que ce projet soit présenté comme un vecteur de développement économique, il constitue en réalité une menace sérieuse pour les communautés locales, en particulier pour les pêcheurs artisanaux de Saint-Louis.
La pêche artisanale, pilier de l'économie locale, fait vivre des milliers de familles et contribue à la souveraineté alimentaire des femmes, des populations autochtones et de leurs communautés. Cependant, l'exploitation du gaz dans les eaux menace directement ces communautés de pêcheurs et la région dans son ensemble. Les zones de pêche traditionnelles sont désormais interdites, et la pollution croissante due aux forages et aux opérations sismiques compromet gravement la santé des écosystèmes marins. Les eaux, la biodiversité et le patrimoine naturel sont détruits au profit de quelques-uns.
En réponse aux présentations faites, les participants à l'APCC 2024 ont conclu que la crise climatique en Afrique est transversale et ont réaffirmé que les Africains ont contribué de manière minime aux émissions responsables du réchauffement climatique. Cependant, en raison de capacités limitées d'adaptation et d'atténuation du changement climatique, nous, Africains, sommes confrontés à la majorité des défis causés par la crise climatique qui ravage le continent aujourd'hui.
Pour démanteler le pouvoir d'exploitation et l'impunité, les peuples africains affirment leur pouvoir de reléguer les faux récits en promouvant des solutions africaines à travers les déclarations suivantes, en opposition aux impositions du marché et du Nord global lors de la prochaine COP29 à Bakou.
En tant que peuples d'Afrique, nous déclarons :
-Justice climatique maintenant : Nous exigeons la justice climatique pour les communautés du Sud global au centre de l'action climatique. Les pays du Nord global, qui ont le plus contribué à la crise climatique, doivent mener le processus de réduction des émissions à la source et financer les transitions nécessaires en guise de paiement de la dette climatique due au Sud global. Nous dénonçons toutes les formes de fausses solutions au changement climatique, telles que REDD+, Net zéro et la géo-ingénierie, qui aggravent encore davantage les crises climatiques.
- Mettre fin aux extractions de combustibles fossiles en Afrique MAINTENANT : Toutes les formes d'exploration, d'extraction et de production de combustibles fossiles en Afrique doivent être immédiatement arrêtées. Il est temps de donner la priorité aux pratiques durables grâce à une énergie renouvelable centrée sur les personnes, qui protège nos écosystèmes et soutient les économies locales. Les entreprises de combustibles fossiles doivent financer la réhabilitation des terres, des océans et des rivières dégradés par l'extraction d'hydrocarbures.
-Migration et déplacements induits par le climat : Avec l'augmentation des crises climatiques, de nombreux Africains sont contraints de migrer, risquant leur vie dans des voyages dangereux vers le Nord global ou devenant des réfugiés climatiques en Afrique, ce qui entraîne des insécurités alimentaires, foncières et des conflits. Pour y remédier, il faut s'adapter et renforcer la résilience face aux impacts climatiques, tels que les sécheresses, les inondations, l'érosion côtière et la désertification, et veiller à ce que les communautés disposent des ressources nécessaires pour rester dans leurs terres d'origine ou se réinstaller dans des zones propices sans détruire leurs moyens de subsistance, leur culture et leur langue.
-Dette climatique, réparations et réformes économiques : Les réparations climatiques, la remédiation et l'indemnisation des populations touchées en Afrique, ainsi que les réparations coloniales, doivent être versées aux nations africaines et au Sud global, reflétant l'ampleur des dommages causés par le changement climatique et l'exploitation historique. Ces réparations doivent prendre la forme de subventions, et non de prêts qui aggravent encore la dette. L'APCC exige un mécanisme de financement mondial dédié aux pertes et dommages, doté d'au moins 100 milliards de dollars de financements nouveaux et supplémentaires par an d'ici 2030. Ce financement doit être fourni par les pays du Nord, qui portent la responsabilité historique des émissions mondiales. Les pays africains devraient se concentrer sur la valorisation de la valeur ajoutée et sur des partenariats stratégiques qui élèvent la position de l'Afrique dans la chaîne de valeur. Il est urgent de procéder à une réforme fiscale structurelle de l'architecture financière actuelle, qui mettra fin aux flux financiers illicites et à l'évasion fiscale des sociétés transnationales (STN). L'APCC s'oppose fermement à la marchandisation des forêts, des terres et des ressources naturelles africaines par le biais du commerce du carbone.
-Réformer les lois foncières et promouvoir la souveraineté alimentaire : Les gouvernements africains doivent adhérer à la souveraineté alimentaire en donnant la priorité aux cultures vivrières locales par rapport aux cultures commerciales et en promouvant des méthodes de conservation des semences résistantes aux OGM. Cette protection doit inclure des politiques contraignantes ratifiées telles que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales. Il est urgent de réévaluer les lois coutumières qui donnent du pouvoir aux communautés locales. Les pays africains ont besoin d'un minimum de 15 milliards de dollars par an d'ici 2030 pour financer les mesures d'adaptation agricole, et au moins 5 milliards de dollars par an doivent être consacrés aux pratiques agroécologiques.
-Souveraineté énergétique et démocratie pour tous : La transition vers les énergies renouvelables en Afrique doit être soutenue en priorité avant que l'Afrique n'exporte ses ressources pour la transition vers le Nord global. Les projets d'énergie renouvelable doivent être détenus par la société et bénéficier aux femmes, aux jeunes, aux populations autochtones et aux communautés locales avant l'industrie. La transition doit être menée par la base, en veillant à ce que les politiques donnent la priorité au bien-être des personnes et de l'environnement, et non aux profits des entreprises.
-Halte au colonialisme des déchets : L'Afrique n'est pas un dépotoir et nous ne sommes pas jetables. Il est donc primordial pour nous, Africains, de nous adapter au Traité mondial sur les plastiques, qui nous permet de lutter contre la pollution plastique tout au long de son cycle de vie, de l'extraction à la production et à l'élimination.
-Consentement préalable, libre et éclairé (CLIP) et autodétermination : Le droit des femmes, des peuples autochtones et de leurs communautés au CLIP doit être ratifié et mis en œuvre dans tous les projets d'extraction. Les communautés doivent avoir le droit de dire non ou oui au développement. Si les communautés disent oui, elles doivent dicter les conditions du projet d'une manière qui leur soit bénéfique ainsi qu'à leur environnement. L'indemnisation doit être proportionnelle au niveau de déplacement et de pertes.
-Impliquer les personnes touchées et marginalisées dans la prise de décision : Les gouvernements doivent développer des mécanismes de participation durables qui amènent les femmes, les jeunes autochtones, les personnes handicapées, ainsi que les éleveurs, les pêcheurs et les petits producteurs alimentaires à la table des discussions politiques pour créer des politiques centrées sur les personnes et de véritables solutions qui répondent aux effets du changement climatique. Les demandes des personnes touchées, dans leur diversité, doivent être entendues et respectées.
-Renforcement de la résilience en Afrique : Les Africains doivent se lever contre l'oppression systématique et l'injustice climatique en partageant leurs compétences en matière de résilience et leurs connaissances traditionnelles à travers la narration, le partage d'expériences et l'apprentissage, et mettre ces connaissances en pratique dans nos communautés africaines dirigées par des peuples autochtones et des femmes. Ces connaissances doivent être respectées et intégrées dans d'autres systèmes et processus, car elles constituent des savoirs spécialisés.
En conclusion, la Contre-COP des peuples africains est organisée en réponse à la cooptation de la COP par le capitalisme et le Nord global, qui perpétuent les injustices à l'origine de la crise climatique. Par conséquent, nous, du Sud global, et les Africains en particulier, devons entreprendre des actions qui remédient aux crises climatiques de manière juste et holistique.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.
.*

– Contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de NousToutes

À l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes et minorités de genre, nous appelons à manifester dans toutes les villes de France hexagonale et des Outre-mer le samedi 23 novembre contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de genre.
Tiré de Entre les lignes et les mots
En France, depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron, nous décomptons déjà plus d'un millier de féminicides. UN MILLIER de femmes et filles assassinées par des hommes ! Les féminicides ont lieu partout, dans les foyers mais aussi en dehors. Dans l'espace public, ces crimes visent particulièrement les femmes trans, migrantes, travailleuses du sexes ou SDF qui sont trop souvent invisibilisées. Derrière ce chiffre, ce sont aussi des milliers d'enfants, de familles et de proches endeuilléEs.
Qui s'en indigne ? Qui se préoccupe réellement du meurtre de ces femmes, tuées parce qu'elles sont des femmes ? Quelles réactions collectives ? Quelles réponses politiques ? Depuis 7 ans, les gouvernements successifs ont multiplié les promesses mais les moyens sont dérisoires et en baisse, l'action politique est quasi-inexistante. Non seulement le gouvernement ne soutient pas le travail militant et associatif, mais il s'engage dans une répression sans précédent des mouvements sociaux et féministes.
Les violences sexistes et sexuelles sont quotidiennes et concernent tout le monde. La banalisation du sexisme favorise les violences que nous vivons au quotidien : discriminations, harcèlement, violences psychologiques, violences au sein du couple à travers le contrôle coercitif, violences économiques, cyberviolences dont les raids masculinistes, violences gynécologiques, mutilations sexuelles, mariages forcés, agressions, viols, féminicides. En France, une femme est victime de viol ou tentative de viol toutes les 2 minutes 30 et un enfant toutes les 3 minutes. Plus de cinq millions d'adultes en France déclarent avoir été victimes de pédocriminalité. Des centaines de milliers d'enfants sont victimes des violences conjugales, parentales et intrafamiliales. Un tiers des femmes subissent du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Face à Gisèle et ses enfants, le profil des 51 hommes accusés de viol sous soumission chimique confirme ce que les associations féministes et enfantistes répètent depuis des décennies : les auteurs de violences ne sont pas des monstres, ce sont des hommes de notre entourage mais aussi des personnalités publiques. Ces violences concernent tout le monde ! Et la honte doit changer de camp !
Les violences de genre interviennent aussi au croisement de plusieurs systèmes de domination et d'exclusion. Elles touchent particulièrement les personnes aux identités multiples et vulnérabilisées parce qu'elles sont racisées, précaires, lesbiennes, gays, bi, trans, queer, intersexes, exilées, sans papiers ou en situation irrégulière, incarcérées, handicapées, affectées par des maladies ou troubles psychiques, vivant avec le VIH, travailleuses du sexe, victimes d'exploitation, à la rue, usagères de produits psycho-actifs, mères isolées, mineures, âgées ou grosses. Les rapports de domination s'entretiennent et se renforcent. Ce sont les paroles des premièrEs concernéEs qui fondent nos luttes féministes et nous combattons conjointement toutes les oppressions.
Alors que les victimes parlent et appellent à l'aide, nous dénonçons l'inaction volontaire de l'État, coupable du maintien des violences et de l'abandon des victimes. Le gouvernement enterre la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciilise), abandonne les associations et les services de protection de l'enfance qui subissent des coupes budgétaires. Les institutions maintiennent leur fonctionnement patriarcal et délétère pour les victimes et celleux qui les soutiennent. Ancrées et normalisées dans nos sociétés, les violences sont tantôt invisibles, tantôt considérées comme une fatalité ou un fléau. Au contraire, elles peuvent et doivent être éradiquées. Les solutions sont connues depuis des décennies, d'autres pays les mettent en oeuvre avec des résultats probants : des politiques publiques notamment de prévention des violences, d'éducation à l'égalité et à la culture du consentement à l'école, de mise à l'abri et d'accompagnement des victimes dans leur reconstruction.
Le 23 novembre, nous serons dans la rue pour réclamer ces politiques publiques, avec un budget pérenne annuel d'au moins 2,6 milliards d'euros soit 0,5% du budget de l'État. Le 23 novembre, nous serons dans la rue pour crier notre colère face aux violences sociales qui se sont multipliées ces dernières années et impactent particulièrement la vie des femmes, des personnes LGBTQI+ et des enfants. Si la réforme des retraites représente une violence envers toutes les personnes les plus précaires, les femmes en sont les premières victimes car 60% des économies ont été réalisées sur leurs retraites. Parmi les deux millions de mères isolées avec leurs enfants, près de la moitié vivent sous le seuil de pauvreté. 70% des travailleurs pauvres sont des femmes. En plus des temps partiels imposés, des bas salaires des métiers dévalorisés occupés en grande partie par des femmes racisées, l'inflation ou encore la réforme du RSA les ont encore plus vulnérabilisées.
Le 23 novembre, dans un contexte d'explosion de l'antisémitisme, de l'islamophobie et de toutes les formes de racisme, ainsi que de la transphobie, nous serons aussi dans la rue pour dénoncer la haine entretenue par la fascisation des discours politiques et médiatiques, qui impactent directement nos vies. Nous rappellerons que l'extrême-droite en particulier représente une menace immédiate pour les femmes, les personnes minorisées et les enfants. Niant le résultat des urnes, Emmanuel Macron continue de dérouler le tapis rouge à l'extrême-droite en nommant un premier ministre et un gouvernement réactionnaires ayant voté contre les droits des femmes, des minorités de genre et des enfants. Nous manifesterons notamment contre les politiques LGBTQI+phobes dont les thérapies de conversion et la mutilation des enfants intersexes. Nous continuerons de faire front face aux partis politiques, organisations, médias, masculinistes et fémonationalistes qui attaquent nos droits et instrumentalisent nos luttes.
Le 23 novembre, nous serons aussi dans la rue en solidarité avec nos sœurs et nos adelphes du monde entier, et en soutien de tous les peuples victimes de la colonisation, des génocides, des guerres. Partout où il y a des guerres et des régimes totalitaires, les femmes, les personnes LGBTQI+ et les enfants subissent le viol, les pires violences et voient leurs droits bafoués. Nous exigerons le respect par le gouvernement français du droit international et de l'autodétermination des peuples, la fin de toute politique coloniale et l'arrêt immédiat de l'armement des régimes génocidaires.
Le 23 novembre, nous appelons à la mobilisation générale et à une déferlante féministe dans les rues de toutes les villes de France hexagonale et des Outre-mer contre les féminicides, les violences sexuelles et toutes les violences de genre
Publiés dans le Courrier N° 437 de la Marche Mondiale des Femmes
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

L’affaire Errejón, les agressions sexuelles et les féministes (Etat espagnol) : « {Il est urgent d’ouvrir le débat, d’en redéfinir le cadre et de le politiser »}

L'affaire Errejón a suscité un vaste débat public dans la société et, bien entendu, au sein d'un mouvement féministe très diversifié. Dans cette interview, Justa Montero, féministe et engagée depuis longtemps dans le mouvement social, membre du Conseil consultatif de Viento sur, nous donne son point de vue sur ce débat très nécessaire et en même temps, comme elle le dit elle-même, complexe et aux aspects multiples.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Viento Sur : L'accusation d'agression sexuelle portée contre Iñigo Errejón [1] et les témoignages qui ont suivi ont donné lieu à un débat public intense. Selon toi, où se situe le cœur du débat ?
Justa Montero : Au-delà de la procédure judiciaire que l'accusation (ou les accusations) d'agression sexuelle contre Iñigo Errejón va entraîner, l'impact en a été dévastateur. À la plainte s'est ajoutée une désolante lettre, bourrée d'euphémismes, dans laquelle il reconnaît de manière vague sa conduite tout en se disculpant sans demander pardon. Les conséquences ont été dévastatrices, car il s'agit d'un responsable politique extrêmement connu du public, représentant un parti de gauche qui se réclame de la « nouvelle politique » et se déclare féministe.
L'ampleur prise par cette affaire a entraîné un important débat public qui pourrait marquer un tournant dans la compréhension du phénomène des violences sexuelles. Un débat qui n'est pas facile parce qu'il a de multiples facettes et qu'il révèle à quel point il est complexe de prendre en considération cette violence machiste dans ses dimensions personnelles et sociales.
Ainsi, au premier abord, ce qu'il révèle est quelque chose que le mouvement féministe souligne depuis de nombreuses années, depuis que la violence sexuelle est inscrite parmi ses priorités : que la violence sexuelle, dans ses différentes manifestations, est plus banalisée que ne le laisse penser la perception qu'en a la société ; qu'il n'y a pas un seul profil d'homme harceleur et agresseur, c'est-à-dire que la violence sexuelle peut être le fait de citoyens respectables, de pères de famille (Dominique Pelicot, le retraité français qui a organisé le viol de sa femme par 92 hommes, ne semblait-il pas en être un ? ), elle peut venir de prêtres, de collègues, de parents, d'enseignants…
Dans le cas d'Iñigo Errejón, le débat a également été alimenté par un traitement médiatique agressif, moralisateur et sensationnaliste, qui a réussi à faire de la douleur un spectacle (une émission de télévision a même été jusqu'à reconstituer avec des acteurs les scènes mentionnées dans la plainte) ; une stigmatisation sur le mode du lynchage s'est ensuivie, créant un monstre qui mérite la prison à vie. Ceci est typique d'un populisme punitif et étranger à une éthique féministe, quels que soient les faits et les personnes.
Mais, comme le souligne Paola Aragón dans son article « Reconstruire le monstre »·[2], cela répond à un objectif, à une intentionnalité politique claire. Il s'agit de réinstaller dans l'imaginaire collectif l'idée que l'agresseur est un monstre, un traitement qui lui confère le caractère d'exception, de chose hors du commun, ce qui permet d'empêcher que l'on puisse se reconnaître dans le problème qui l'a engendré, créant ainsi un phénomène de mise à distance. Ceci, comme nous le voyons, a un effet rassurant immédiat sur la société, sur les hommes, et un effet trompeur sur les femmes.
Parmi les articles écrits par des hommes que j'ai lus ces jours-ci (de toutes sortes sur l'échelle idéologique), et je suis sûre qu'il y en a plus et que dans les réseaux il y aura des commentaires que je n'ai pas lus non plus, il y en a très, très peu qui se sont sentis interpellés ; allez, ils se comptent sur les doigts d'une main, et il y en a trop (sur ce site, nous avons repris un article de Martí Caussa, « Errejón y nosotros » [3]). Il est surprenant de voir à quel point les hommes ont beaucoup à dire et à repenser (et dans ce cas très particulièrement les hommes hétérosexuels), à partir de la place sociale qu'ils occupent, sur leur masculinité, les relations qu'ils entretiennent, leur contribution à la construction de relations agréables pour les uns et les autres… Mais bien au contraire, dans un certain nombre de cas, ils sont tombés dans la mise en cause du féminisme et de ses dérives.
Une de ces réactions problématiques apparues dans le débat est celle qui s'accompagne d'une connotation moralisatrice. Au lieu de classer les pratiques sexuelles, quel que soit leur type, en fonction de l'existence ou non d'un consentement, et donc de leur qualification d'agression ou non, à partir de l'interprétation de témoignages sortis de leur contexte, il semble que toute pratique sexuelle insatisfaisante à un moment donné, désagréable ou directement désagréable, soit une agression. Et cela revient à dévaloriser l'expression par chaque femme de son vécu sexuel.
L'approche moralisante et moralisatrice contribue à dépolitiser le débat ouvert, il est donc urgent d'ouvrir le champ, de redéfinir le cadre du débat et de le politiser, d'élargir le cadre de l'attention aux violences sexuelles et, en plus du niveau strictement individuel, qui est important et qui exige la vérité, la justice et la réparation pour les femmes qui en ont souffert, d'affronter également la nature structurelle des violences sexuelles, au niveau des structures sociales et des relations de pouvoir patriarcales et discriminatoires qui les entretiennent.
Je voudrais ouvrir une parenthèse pour commenter le fait que, de manière surprenante, le débat s'est accompagné d'un règlement de comptes, à d'honorables exceptions près, entre personnes ayant fait partie de Podemos et de Sumar. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de rapport, il est clair que le mode de direction hyperpersonnalisé, les structures hiérarchiques, les structures peu démocratiques et l'autoritarisme sont favorables au règne du pouvoir, mais il serait bon de réserver d'autres espaces à ces discours afin d'éviter de détourner l'attention, parce que, de fait, dans ces discours, le problème de la violence sexuelle et des femmes qui la subissent disparaît.
V. S. : Pourquoi penses-tu que les dénonciations de ce cas et d'autres sont passées par les réseaux sociaux et non par les sphères collectives des partis ou des espaces dans lesquels ils se produisent ?
J. M. : Hé bien, d'une façon générale, il y a très peu de femmes qui dénoncent les violences sexuelles. Selon les données disponibles, issues de la macro-enquête de 2019 sur les violences faites aux femmes, seules 11,1% des femmes ayant subi des violences sexuelles en dehors du couple les ont dénoncées (elle ou quelqu'un d'autre en son nom) ; ce pourcentage tombe à 8% si la plainte est déposée uniquement par la femme agressée. Dans le cas d'un viol, le pourcentage de femmes qui portent plainte est un peu plus élevé, mais il n'est que de 18%.
Il n'y a pas de raison unique à cela. La majorité des agressions sexuelles ont lieu dans des environnements proches de la vie quotidienne des femmes : dans la famille, au boulot, à l'université, entre amis, à l'église, dans des lieux divers. Même dans le cas des viols, ce n'est pas dans la rue que la plupart d'entre eux ont lieu, comme ce fut le cas pour « la manada », la meute [4]. Dans de nombreux cas, des relations hiérarchiques et de pouvoir sont en jeu, et il est difficile de les dénoncer par crainte de répercussions immédiates dans l'environnement, en raison de situations précaires, par exemple sur le lieu de travail. Il y a des femmes qui, même si elles le voulaient, ne pourraient pas dénoncer ; c'est le cas des femmes migrantes en situation administrative irrégulière parce que la loi les a laissées de côté sans modification de la loi sur les étrangers et donc, si elles dénoncent, elles peuvent se retrouver exposées à des procédures d'expulsion.
Ainsi, lorsque cela a été possible, parce que les femmes se sont senties soutenues par la mobilisation féministe et qu'on leur a offert un espace de parole, on a assisté à une explosion de témoignages anonymes. Sur les réseaux, elles ont trouvé cet espace où elles peuvent raconter leur histoire et se sentir accompagnées, se reconnaissant dans les récits des autres. Cela revêt une importance politique considérable, car la première étape pour aller de l'avant est de donner la parole aux femmes. Et dans les témoignages, elles racontent des expériences qui parfois peuvent constituer un délit, dans d'autres cas elles relatent des pratiques machistes de connards et de bourrins machistes ; dans tous les cas, elles nous permettent de connaître la diversité des expériences et l'impact différencié qu'ont les différentes formes de violence sexuelle sur les femmes.
Le fait que ce soient les réseaux qui aient canalisé ce déversement, avec certaines garanties, soulève de nombreuses questions, car les réseaux, comme nous le savons tous, ne sont pas sans poser des problèmes. Mais l'alternative qui a été proposée par les institutions et certains groupes féministes, à savoir le dépôt de plainte comme procédure offrant davantage de garanties aux femmes, il faut d'abord dire qu'elle se réfère à des moments différents, parce qu'une femme peut vouloir laisser un témoignage de son expérience, mais ne pas vouloir dénoncer parce que son témoignage ne se rapporte peut-être pas à quelque chose qui est considéré comme un délit, ou parce que si c'est le cas, elle ne veut pas le faire non plus.
Comment ne pas avoir peur de la culpabilisation et de la revictimisation, de se voir jugée, d'être interrogée et de la mise à nu personnelle que cela implique ? Il suffit de se rappeler certaines questions posées dans les procès les plus célèbres, ou de l'embauche d'un détective par la défense de violeurs en bande pour passer au peigne fin la vie de la victime. Il y a un film et un documentaire qui illustrent tout cela de manière rigoureuse. Je fais référence au film récent Nevenka (la conseillère municipale de Ponferrada qui a dénoncé le maire, tous deux du PP) d'Icíar Bollaín ; et au documentaire No estás sola (Tu n'es pas seule) sur le viol collectif de Pampelune, d'Almudena Carracedo et Robert Bahart. Dans ces deux cas, les femmes ont gagné en justice, les jugements ont eu d'importantes implications sociales et juridiques en raison de leur impact, et ont permis aux femmes de reprendre le cours de leur vie, même si elles ont dû quitter leur ville. En les regardant, il est facile de comprendre pourquoi une femme ne voudrait pas subir des procédures pénales aussi longues et aussi pénibles.
Tu as demandé pourquoi les plaintes n'ont pas été déposées dans les lieux où les faits se sont produits. Tous les partis ont déclaré avoir adopté des procédures contre les abus ou la violence machiste. Mais les résolutions ne sont pas une garantie en soi ; elles doivent s'accompagner d'une culture politique et organisationnelle anti-violence, de mécanismes d'écoute préventive et protectrice permettant d'identifier les comportements machistes, de mesures d'accompagnement et de suivi. En bref, garantir qu'il s'agit bien d'espaces politiques permettant des relations sûres et amicales dans lesquels la culture machiste est combattue, qu'il existe des moyens permettant, en cas de témoignage ou de plainte, de garantir la non-répétition des faits. Je ne crois pas qu'il y ait de formule magique ; ce sont les processus mêmes de construction collective qui comptent et dans lesquels les groupes de femmes doivent avoir une légitimité et une autorité.
V. S. : Peux-tu expliquer les raisons de la polarisation entre les positions punitivistes et anti-punitivistes ?
J. M. : De mon point de vue, la question centrale pour avancer vers un horizon de transformation est de savoir comment mettre fin à l'impunité qui entoure les violences sexuelles et protège les agresseurs, et comment garantir la réparation aux victimes. L'impunité et la réparation sont les deux éléments qui donnent un sens à la demande de justice et de garanties de non-répétition, car avec l'impunité, il n'y aura jamais de réparation.
La question que se pose le féminisme est la suivante : quelles sont les stratégies qui permettent de lutter contre les violences sexuelles de façon à ce qu'il y ait la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition ? Et c'est là que le débat punitivisme/anti-punitivisme réapparaît.
Une précision préliminaire, car depuis l'affaire Errejón, des positions punitivistes ont été imputées au féminisme comme s'il s'agissait d'un groupe homogène. Bien qu'il existe un secteur du mouvement féministe qui connaît une dérive punitiviste, laquelle la rapproche des positions libérales, sociales-démocrates ou du féminisme classique, il ne s'agit en aucun cas de ce que j'appellerais la position des « grèves féministes ». Je précise cela parce qu'affirmer que le dépôt d'une plainte en justice est punitif revient à banaliser la portée du dépôt d'une plainte. Comme le souligne Laia Serra (avocate pénaliste et féministe) :
« En fait, s'il est un mouvement politique qui n'a cessé de se remettre en question, c'est bien celui des féministes de base. Nous n'avons pas besoin de leçons d'anti-punitivisme, nous connaissons, pour l'avoir vécu, la brutalité du système et les retombées de la répression, et nous savons très bien que le droit pénal non seulement ne résout pas les problèmes sociaux, mais qu'il en démultiplie la violence. Nous avons toujours eu à cœur, de par notre éthique et notre engagement pour l'émancipation, de nous opposer à tout ce qui vide les problèmes de leur charge de contestation sociale » (pikaramagazine [5]).
Le débat avec les positions punitivistes est très important, et du fait de la loi du « seulement si », du populisme punitif qui se manifeste face aux réductions de peine et aux libérations de prisonniers, le débat sur ses conséquences s'est approfondi et amplifié. Parler de punitivisme, c'est se tourner vers l'Etat qui a le monopole de la violence, vers le système carcéral et sécuritaire qu'il organise, vers l'ensemble de son maillage juridique de contrôle social. Et l'État exerce la violence contre les femmes de multiples façons, comme le montre le livre Cuando el estado es violento d'Ana Martínez et Marta Cabezas.
Mais de mon point de vue, il est également intéressant de s'attaquer à l'anti-punitivisme, car c'est ce qui peut ouvrir de nouveaux horizons à ce que nous appelons la justice féministe. Je me réclame d'un féminisme qui a été et qui est anti-punitiviste, qui s'est confronté au populisme punitif, qui critique, par conséquent, le système pénal, les prisons et leur supposé effet préventif. Jamais ce courant féministe n'a mis l'accent sur un alourdissement des peines, ce n'est pas ce qui a été demandé dans le cas de la « meute de Pampelune », où ce qui était demandé, c'était une nouvelle façon de prendre en compte la violence, allant du harcèlement au viol collectif.
Mais, et je reviens à Laia Serra, ce débat sur l'anti-punitivisme ne peut occulter le vrai problème, non résolu, de savoir que faire face à l'impunité généralisée dont bénéficie la violence et de déterminer qui doit être tenu pour responsable de ses conséquences. En d'autres termes, la façon dont on donne un fondement à ces accords théoriques sur l'anti-punitivisme revêt un caractère plus complexe dans la pratique politique féministe, lorsqu'il faut se colleter à la réalité concrète que vivent les femmes.
Et c'est là que la complexité revient. J'ai dit plus haut que les femmes peuvent appréhender la réparation de différentes manières : par le biais d'une décision judiciaire, dans laquelle la sanction est peut-être ce qui importe le moins, mais où la reconnaissance formelle de l'agression est plus importante ; il peut s'agir d'un processus de réparation s'il bénéficie d'un accompagnement professionnel et social qui soutient les femmes ; il peut s'agir d'une réparation économique, ou de se sentir réparée par la reconnaissance et la responsabilisation de l'agresseur dans l'environnement dans lequel l'agression a eu lieu. Toutes ces réponses sont pareillement légitimes et nécessaires parce qu'elles se concentrent sur les besoins des femmes et sur les moyens de mettre fin à l'impunité et de parvenir à une réparation.
D'une part, nous connaissons les problèmes auxquels les femmes sont confrontées dans les procédures judiciaires et il ne saurait être question d'embellir ou de mythifier les choses. Mais réaliser des changements, ouvrir des failles dans le système qui permettent des améliorations dans la vie réelle des femmes, comme par exemple le fait que les femmes ne soient pas obligées de porter plainte pour bénéficier de moyens de subsistance et d'un traitement psychologique, l'existence de centres de soins d'urgence spécifiques, que la prévention sociale et en milieu scolaire occupe une place centrale (même si c'est autre affaire qu'elle soit réellement développée), que l'on continue à affronter la justice patriarcale, tout cela permet de continuer à faire porter à l'État la responsabilité de ses dérives patriarcales, autoritaires et punitives, et d'avancer vers l'horizon d'un système de justice féministe.
D'autre part, dans les positions anti-punitivistes, l'alternative à la dénonciation judiciaire est formulée comme une justice réparatrice/transformatrice centrée sur des processus communautaires de réparation et de responsabilisation individuelle et collective. Il est très important et porteur d'espoir que certaines expériences positives de promotion de la non-impunité et de la réparation au niveau communautaire existent. Il est également important que des femmes et des hommes participent à leur développement afin d'enrichir et de faire progresser la réflexion sur la justice féministe que nous souhaitons. Mais il est également important de ne pas enjoliver cela, car cela a aussi ses limites et ses difficultés. Ces espaces, auxquels nous participons, sont aussi en construction et traversés par des inégalités. Lorsqu'un cas de violence sexuelle a été soulevé, il est parfois arrivé que des dynamiques de revictimisation de la femme qui avait porté plainte au sein du collectif se soient produites. Ces expériences n'ont pas toujours été positives et l'autogestion de la violence n'a pas toujours donné des résultats satisfaisants. Vouloir l'aborder non pas de manière complémentaire, mais comme une alternative, crée des problèmes dans la pratique, car la grande majorité des femmes qui subissent des violences sexuelles ne participent pas à ce type de communautés et de réseaux sociaux, n'ont pas la possibilité de le faire, et ont besoin d'autres outils.
En conclusion, l'anti-punitivisme est quelque chose qui se construit à partir de diverses pratiques en espérant réduire la distance entre la justice féministe à laquelle nous aspirons et les conquêtes ponctuelles que nous obtenons : mesures préventives, prise en charge totale des femmes ayant subi des violences sexuelles, transformation du système judiciaire, construction de collectifs et de relations plaisantes et satisfaisantes, afin d'améliorer la situation de celles qui subissent des violences sexuelles.
V. S. : Quel devrait être, selon toi le rôle du féminisme dans ce débat ?
J. M. : Tout d'abord, une précision, car vu la tournure que prend le débat public, je pense qu'il est nécessaire de revenir à parler des féminismes au pluriel. On parle trop souvent du féminisme comme s'il s'agissait d'un bloc compact ou d'un parti, alors qu'il s'agit d'un mouvement pluriel. C'est ainsi que l'on étouffe, y compris, même si c'est surprenant, de la part de voix amies, le féminisme de base qui s'est nourri des grèves féministes et qui, comme je l'ai dit, ont fui le punitivisme, qui ont toujours mis en avant la capacité d'action des femmes en tant que sujets dotés de la compétence éthique de prendre des décisions concernant leur vie, leur identité, leur sexualité, leur plaisir et leur amour, non pas en tant que victimes mais, même dans des situations dures et difficiles, en tant que sujets actifs à même de formuler leurs revendications. Ces exigences, il les formule pour toutes, pour les travailleuses du sexe, pour les personnes transgenres, en ce qui concerne la maternité, les relations sexuelles, afin de faire face à la violence. C'est un féminisme qui pratique une approche intersectionnelle pour ancrer les histoires et les propositions dans les réalités concrètes de la vie des femmes, sur la base de leurs conditions de vie matérielles et de la subjectivité de chacune d'entre elles, afin qu'elles puissent vivre dans la dignité et libérées de la violence. Je crois que c'est ce qui ouvre une voie vers une plus grande transformation.
Tout ce qui vient d'être dit n'est rien de plus que de brèves réflexions ; comme je l'ai déjà dit, il s'agit d'un débat complexe, et plus il y a d'acteurs impliqués, plus il y a de facettes qui se dessinent. Je crois que nous devons continuer à y réfléchir et à nous poser de nombreuses questions, comme nous l'avons fait tout au long de notre vie. Lutter contre la violence à deux niveaux interconnectés – individuel et structurel – implique de se confronter à la subjectivité et à la réalité matérielle des femmes et des hommes, ainsi qu'aux structures de pouvoir du système qui génèrent et entretiennent la violence.
Nous nous trouvons à un moment important où nous devons consolider et faire progresser ce qui a été réalisé, afin de gagner la bataille du narratif qui a commencé à se déployer.
Face au risque d'une fermeture moralisatrice du débat, dans lequel la droite et l'extrême droite se lanceront avec force, c'est l'occasion d'exposer nos arguments en défense de notre identité sexuelle et de notre lutte contre la violence machiste. Et face au risque de voir les femmes réduites au silence, il n'y a pas d'autre choix, comme toujours, que l'organisation et la mobilisation féministes. Car la mobilisation féministe est aussi réparatrice pour de nombreuses femmes. J'aime à rappeler les paroles de remerciement contenues dans la lettre envoyée par la femme qui a subi la violence de la manada : « Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont aidée dans ce parcours. Toutes les personnes dont l'élan, sans qu'elles me connaissent, a submergé l'Espagne, et qui m'ont donné une voix quand beaucoup ont essayé de me l'enlever ».
[1] Iñigo Errejón a été l'un des principaux dirigeant de Podemos, avant de rompre avec Pablo Iglesias, et de fonder ses propres organisations, puis de rejoindre Sumar, puis de se retirer de la vie politique en 2024.
[2] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/reconstruir-al-monstruo/
[3] https://vientosur.info/errejon-y-nosotros/
[4] L'affaire de La Manada, viol collectif commis à Pampelune en 2016. La victime a porté plainte, le procès a eu un grand retentissement. Après bien des péripéties, la mobilisation féministe a permis de faire entrer la notion de consentement dans le code pénal, les cinq violeurs ont finalement été condamnés à 15 ans de prison (ndt)
[5] https://www.pikaramagazine.com/2024/10/antipunitivismo-remasterizado/
Source : Viento Sur, 09/Nov/2024, “Urge abrir el foco, cambiar el marco del debate y politizarlo” :
https://vientosur.info/urge-abrir-el-foco-cambiar-el-marco-del-debate-y-politizarlo/
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de DeepL.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72497
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

« {Pas tous les hommes, mais beaucoup d’entre eux} » : le procès de Gisèle Pelicot changera-t-il enfin l’attitude des Français à propos des agressions sexuelles ?

Les détails horribles de l'affaire Pelicot qui a secoué le pays, et la réaction du maire local, démontrent un refus généralisé de tenir tête à ce genre d'agressions.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/14/pas-tous-les-hommes-mais-beaucoup-dentre-eux-le-proces-de-gisele-pelicot-changera-t-il-enfin-lattitude-des-francais-a-propos-des-agressions-sexuelles/?jetpack_skip_subscription_popup
Alors que l'horreur de la façon dont Dominique Pelicot a longuement drogué son épouse, Gisèle, et permis à au moins 83 hommes de la violer continuait à être dévoilée dans une salle d'audience française la semaine dernière, il était difficile de voir comment l'affaire « aurait pu être pire », comme l'a suggéré un élu local.
Louis Bonnet, maire de #Mazan, la ville de 6 000 habitants du sud de la France où vivaient les Pelicots et un certain nombre de violeurs présumés, a en effet soutenu que « personne n'a été tué », même s'il s'est excusé plus tard et a admis que ses mots n'étaient « pas tout à fait appropriés ».
Pour les féministes et militantes françaises cependant, les commentaires malencontreux de M. Bonnet résument la façon dont la France n'a pas réagi au mouvement #MeToo et accuse un retard « abyssal » dans la lutte contre lesagressions sexuelles sur le plan social et juridique.
Anne-Cécile Mailfert, fondatrice de l'organisation féministe Fondation des Femmes, a déclaré que le fait qu'un tel commentaire puisse être lancé à propos d'un procès « qui symbolise ce que la violence masculine peut faire de pire » montrait les défis auxquels les femmes doivent faire face. « Cela montre exactement ce à quoi nous sommes confrontées, à savoir non seulement une culture du viol, mais aussi une culture de l'impunité », a-t-elle conclu.
Anna Toumazoff, écrivaine et militante féministe, a ajouté : « C'est un exemple de la façon dont les hommes ont encore du mal à comprendre ce à quoi nous sommes confrontées en tant que femmes, et c'est là le véritable problème ».
« C'est le produit d'une société qui ne parvient pas à protéger les femmes ou à les considérer comme des êtres humains à part entière. »
Depuis que le mouvement mondial #MeToo a émergé, encourageant les victimes à aborder et à signaler les agressions sexuelles et sexistes, la France peine à changer d'attitude à l'égard de celles qui le font.
Les accusations portées contre un certain nombre de personnalités, dont l'acteurGérard Depardieu et les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon, n'ont pas réussi à ébranler le relent de ce que l'on qualifie souvent de puritanisme anglo-saxon attaché au mouvement MeToo dans les esprits français, malgré des protestations d'innocence.
En mai, dans le contexte d'une frustration croissante face à l'absence de changement après que le nombre d'affaires de viols classées sans suite a atteint le pourcentage de 94% des plaintes déposées, une pétition signée par plus de 140 personnalités, publiée dans Le Monde, a appelé à une nouvelle loi de grande ampleur contre les violences sexuelles et sexistes.
« #MeToo a révélé une réalité empreinte de déni, y a-t-on lu : les violences sexistes et sexuelles sont systémiques et non exceptionnelles. Les faits semblent se succéder les uns aux autres. Qui nous écoute ? » Mme Mailfert, l'une des instigatrices de la pétition, a soutenu que l'affaire Pelicot, entendue à un tribunal d'Avignon, montre à quel point une nouvelle « loi intégrale » est nécessaire.
« Nous l'avons régulièrement réclamée à chaque fois qu'un cas particulier se présentait », a-t-elle déclaré. « Nous ne pouvons qu'espérer que cette fois-ci, cela débouchera sur une loi de grande envergure qui couvrirait la manière dont la police traite les plaintes au départ, la manière dont elles sont instruites, puis la manière dont elles sont jugées. Cela permettrait à la société de progresser vers la résolution de ces problèmes ».
« EnFrance, il y a un débat pour savoir si #MeToo est allé trop loin. ‘Est-ce vraiment si grave si quelqu'un met la main aux fesses de quelqu'une, après tout ce n'est qu'un geste ? Est-ce si grave de prendre une photo sous la jupe de quelqu'une ? Ce n'est qu'une photo.' Mais tous ces délits apparemment mineurs doivent être pris au sérieux, car une personne capable de mettre la main aux fesses de quelqu'un sans son consentement ou de prendre une photo sous une jupe est peut-être capable de faire quelque chose de beaucoup, beaucoup plus grave. Comme nous le constatons dans cette affaire ».
Les agressions de Dominique Pelicot à l'encontre de sa femme n'ont étédécouvertesque lorsqu'il a été repéré par un agent de sécurité en train de prendre des photos sous les jupes de femmes dans un supermarché et qu'il a été arrêté.
Mme Mailfert a ajouté : « Nous ne devons pas oublier que c'est grâce à la chance que Dominique Pelicot a été arrêté. C'est une chance que l'agent de sécurité qui l'a attrapé […] l'ait retenu, ait appelé la police et ne l'ait pas laissé partir avec un simple avertissement ».
« C'est une chance que la femme dont il a filmé sous la jupe ait porté plainte. C'est une chance que la police n'ait pas choisi de s'occuper d'une centaine de choses perçues comme plus graves et qu'elle ait poursuivi l'affaire, regardé son ordinateur et découvert ce qu'il faisait ».
« Si rien de tout cela n'était arrivé, il aurait sûrement continué. Ce qui semblait être un petit incident était un indicateur de quelque chose de beaucoup plus grave. Il s'inscrivait dans un continuum de violence. »
Mme Mailfert a déclaré que toute nouvelle loi devrait également traiter de la manière dont les victimes sont traitées au tribunal. La semaine dernière, Gisèle Pelicot, 72 ans, a été contrainte de rappeler au juge que ce n'était pas elle qui était en procès, après avoir été confrontée à ce qu'elle a qualifié de « questions humiliantes » de la part des juges et des avocats de la défense concernant ses vêtements, sa consommation d'alcool et la question de savoir si elle avait consenti à des relations sexuelles avec les 50 hommes qui se trouvaient sur le banc des accusés avec son mari accusé de viol.
Kim Willsher à Paris, pour The Guardian, le 21 septembre 2024
Traduction : TRADFEM
https://tradfem.wordpress.com/2024/11/10/pas-tous-les-hommes-mais-beaucoup-dentre-eux-le-proces-de-gisele-pelicot-changera-t-il-enfin-lattitude-des-francais-a-propos-des-agressions-sexuelles/
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.
.*

Vendredi 22 novembre : Rassemblons-nous pour protester contre l’OTAN ! Nos raisons de protester sont nombreuses, même vitales !

Du 22 au 25 novembre 2024, l'Assemblée des parlementaires de l'OTAN (AP-OTAN) se tiendra à
Montréal. Cette assemblée réunira près de 400 délégué·e·s de 57 pays, incluant les 32 pays membres de l'OTAN, dont le Canada, et plusieurs autres pays partenaires ou associés.
À l'occasion de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, à Montréal :
Vendredi 22 novembre 2024
Rassemblement de protestation à Montréal
Place Jean-Paul Riopelle, à 15 h
Cette Assemblée des parlementaires est un des mécanismes par lesquels les États-Unis, maître d'œuvre de l'OTAN, fabriquent, en continu, un « consensus » autour de leur propre stratégie belliciste :
« L'AP-OTAN a été fondée en 1955 pour amener les parlementaires à prendre part au débat sur les questions transatlantiques et pour contribuer à l'émergence d'un consensus autour des politiques de l'Alliance au sein des parlements et de l'opinion publique ».
L'OTAN se décrit comme « une communauté de valeurs unique en son genre, attachée aux principes de la liberté individuelle, de la démocratie, des droits de l'homme et de l'état de droit ». Mais, de ses origines
(1949) à aujourd'hui, l'OTAN a régulièrement violé les principes qu'elle proclame. Actuellement, après plus de 13 mois de génocide à Gaza, la complicité ou l'inaction des pays membres de l'OTAN nous donne la mesure réelle de leur attachement aux droits humains et au droit international.
L'OTAN est, en réalité, un bras armé des États-Unis, s'ajoutant à son armée ultrapuissante et à ses 800 bases militaires à travers le monde. Loin d'être une alliance défensive, l'OTAN s'est lancée dans de nombreuses guerres a
u cours des 30 dernières années. L'OTAN a rejeté en bloc la démarche des Nations Unies pour parvenir à l'élimination de toutes les armes nucléaires, qui menacent la survie même de l'humanité. Aucun de ses membres n'a signé le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires. Tous les membres de l'OTAN, dont le Canada, sont maintenant mobilisés par les États-Unis pour préserver leur hégémonie, dans une logique de confrontation avec la Chine et la Russie. Loin de nous protéger, l'OTAN représente une menace pour l'humanité.
Pressé par l'OTAN et les lobbies militaristes d'accroître considérablement ses dépenses militaires, le Canada obéit. À la veille de l'AP-OTAN et au lendemain de l'élection de Donald Trump, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, lance même que le budget de la Défense sera triplé ! Ces sommes colossales ne devraient-elles pas être consacrées plutôt aux fonctions sociales de l'État (logement, santé, éducation) et à affronter la crise climatique ?
L'OTAN n'est pas défensive, l'OTAN c'est la guerre
Sitôt finie la Guerre froide (1989), les États-Unis et l'OTAN sont partis en guerre : Irak, Kosovo, Afghanistan, Irak à nouveau, Libye et Syrie. Certaines de ces guerres se sont étendues sur des années, voire deux décennies. Leur guerre « contre le terrorisme » a causé plus de 4,5 millions de morts directes et indirectes et a créé au moins 38 millions de réfugié·e·s.
L'OTAN en expansion : perturbatrice de l'ordre mondial
De la fin de la Guerre froide à aujourd'hui, au lieu d'être dissoute, l'OTAN a été transformée pour répondre au nouvel objectif d'hégémonie étasunienne globale. D'une part, elle est passée de 16 à 32 États membres, englobant les pays d'Europe de l'Est, jusqu'aux frontières de la Russie. D'autre part, elle a établi des partenariats dans diverses régions du monde et son champ d'action est devenu planétaire :
« L'OTAN s'est transformée en une organisation transatlantique effectuant des missions globales, de portée globale avec des partenaires globaux (…). Tout appartient potentiellement à la zone de l'OTAN ».
– Daniel Fried, Secrétaire d'État adjoint (étasunien) aux Affaires européennes et eurasiennes, 2007
Cette posture entre clairement en contradiction avec le rôle même des Nations Unies dont le but premier est de maintenir la paix et la sécurité internationales. En effet, cette volonté des États-Unis et de l'OTAN d'agir de façon autonome partout dans le monde entre en contradiction avec l'article 53 de la Charte des Nations Unies qui stipule qu'« aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité ». Ni la guerre du Kosovo (contre la Serbie), ni la guerre en Afghanistan, ni la guerre en Irak (2003), ni la guerre en Libye n'avaient reçu de telles autorisations. Elles se sont donc menées en violation du droit international.
Dans son soutien à l'Ukraine face à l'invasion de la Russie – une véritable guerre par procuration – l'OTAN et ses pays membres prétendent se porter à la défense d'un « ordre mondial fondé sur des règles ». Mais de quelles règles s'agit-il ? Celles du droit international et des Nations Unies, ou celles des États-Unis et de l'OTAN ?
Face à l'assaut génocidaire d'Israël à Gaza, toutes les institutions des Nations Unies et la Cour internationale de justice sonnent l'alarme et appellent les pays à agir en vue d'un cessez-le-feu immédiat. Les pays de l'OTAN, eux – presque à l'unisson et y compris le Canada – font la sourde oreille, n'imposent aucune sanction et continuent même, pour plusieurs, d'armer Israël. Il faut savoir qu'Israël est un pays « partenaire » de l'OTAN et aura, en plein génocide, sa délégation à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN à Montréal.
L'OTAN : promotrice de la démocratie et des droits humains ?
L'attachement professé par l'OTAN envers la démocratie et les droits humains se révèle trompeur quand on considère notamment les faits suivants :
● Des dictatures ont été membres de l'OTAN : Portugal, Grèce ;
● De nombreuses dictatures militaires en Amérique latine ont été soutenues et même installées au pouvoir – via des coups d'État fomentés par la CIA – dans les années 1960, 1970 et 1980 ;
● Plus récemment, l'OTAN a collaboré avec des seigneurs de guerre en Afghanistan ou des organisations affiliés à Al-Qaïda en Syrie ;
● Les États-Unis, maitre d'œuvre de l'OTAN, ont systématiquement pratiqué la torture dans leur guerre « contre le terrorisme » ;
● Les pays de l'OTAN vendent massivement des armes à des pays répressifs comme l'Arabie saoudite, l'Égypte et les Émirats arabes unis.
En tant qu'instance supranationale, l'OTAN échappe au contrôle démocratique. Le respect de leurs « engagements envers l'OTAN » amène souvent les pays membres à poursuivre des politiques contraires à la volonté de leurs populations, comme ce fut le cas dans la guerre en Afghanistan.
Actuellement, après plus de 13 mois de génocide à Gaza, plusieurs pays de l'OTAN continuent d'armer Israël. Sauf rares exceptions, la complicité ou l'inaction des pays membres de l'OTAN, qui se contentent d'appeler à un cessez-le-feu sans la moindre sanction contre Israël, nous donne la mesure réelle de leur attachement aux droits humains et au droit international !
L'OTAN : une menace pour l'humanité
Depuis plusieurs années, l'économie et l'influence de la Chine se sont accrues considérablement dans le monde, rivalisant avec celles des États-Unis. Une évolution similaire a marqué la Russie, mais de façon nettement moindre. Ces deux pays ont aussi beaucoup augmenté leurs dépenses militaires au cours de la dernière décennie. Mais il faut replacer ces dépenses en perspective. En 2023, les dépenses militaires mondiales se sont élevées à 2 443 milliards de dollars US, en hausse constante depuis 2015. Les dépenses militaires des membres de l'OTAN (32 pays) représentent plus de la moitié (55 %) du total mondial. À elles seules, les dépenses militaires des États-Unis ont constitué 37,5 % des dépenses mondiales, soit plus que le total combiné des neuf autres pays en tête de liste, incluant la Chine (12 %) et la Russie (4,5 %).
Depuis 2018, les États-Unis ont adopté la « compétition stratégique » avec la Chine et la Russie comme axe central de leur stratégie de défense nationale, qui a ensuite été adoptée par l'OTAN et ses pays membres. Cette orientation a lancé une nouvelle course mondiale aux armements particulièrement inquiétante quand on se rappelle…
● … que les États-Unis entretiennent une « ambiguïté stratégique » face à la Chine, affirmant à la fois qu'ils acceptent le principe d'« une seule Chine », et qu'ils défendraient Taïwan en cas d'attaque chinoise ;
● … que l'OTAN se trouve déjà objectivement dans une guerre par procuration contre la Russie en Ukraine.
Au moment de la Guerre froide, les États-Unis et l'URSS considéraient qu'un affrontement direct entre eux, risquant inévitablement une guerre nucléaire, était un tabou absolu. Mais cet élément de sagesse élémentaire n'existe plus aujourd'hui. Des stratèges étasuniens vont même jusqu'à dire que la question n'est pas de savoir s'il y aura une guerre avec la Chine, mais quand !
Face au risque de notre annihilation totale par une guerre nucléaire, les Nations Unies ont adopté un Traité sur l'interdiction des armes nucléaires, qui est entré en vigueur le 10 janvier 2021. Jusqu'à maintenant, il a été signé par 94 pays. Alors que l'OTAN affirme vouloir « créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires », aucun de ses 32 pays membres, dont trois possèdent l'arme nucléaire, ne l'a signé. Aucun des six autres pays dotés de cette arme non plus.
La politique nucléaire de l'OTAN est indéfendable et suicidaire. Indéfendable, parce qu'elle affirme que les armes nucléaires sont la « garantie suprême de la sécurité des Alliés » tout en rejetant toute possibilité que les autres pays se dotent eux aussi de cette garantie suprême. Suicidaire, parce qu'un potentiel anéantissement de l'humanité ne peut raisonnablement être le garant de notre sécurité. Il faut savoir aussi que l'OTAN a toujours refusé de s'engager à ne pas être la première à utiliser des armes nucléaires…
Le militarisme accentue la crise climatique
L'armée des États-Unis (É.-U.) est l'institution qui produit le plus de gaz à effet de serre dans le monde. Ses émissions – pour ses guerres et les opérations de ses 800 bases militaires dans le monde – sont bien supérieures aux émissions totales de pays comme la Suède, la Finlande ou le Danemark. À cela, il faut ajouter les émissions des industries militaires estimées à environ 15 % du total des émissions industrielles du pays.
Pour connaître l'empreinte carbone réelle des guerres et du militarisme, il faudrait ajouter toutes les émissions liées aux autres armées et aux autres industries militaires dans le monde (celles des autres membres de l'OTAN, de la Chine, de la Russie, etc.). Il faudrait aussi estimer les émissions résultant des autres guerres en cours. Et il faudrait aussi ajouter les émissions liées à la reconstruction des infrastructures détruites ou endommagées dans toutes ces guerres. À cet égard, les impacts climatiques de la guerre en Ukraine et de l'assaut génocidaire d'Israël à Gaza sont considérables.
Il faut savoir aussi que le Protocole de Kyoto (1997) exemptait les pays signataires de faire rapport de leurs émissions de CO2 pour la défense et la sécurité, qui n'étaient donc pas comptabilisées. L'Accord de Paris (2016) a voulu combler un peu cette brèche. Mais les pays peuvent continuer d'exempter ces secteurs quand vient le temps d'établir des cibles de réduction des émissions, ce qui est le cas du Canada.
Le militarisme détourne des ressources énormes des besoins réels de l'humanité
Il est scandaleux que 2 443 milliards de dollars US soient consacrés à intimider, à tuer, à estropier, à terroriser et à détruire, pour servir des ambitions de domination et de pouvoir contraires aux intérêts de l'humanité et qui la conduisent à sa perte ! Cet argent devrait servir à combler les besoins fondamentaux de l'humanité (nourriture, logement, santé, éducation) et à faire face à l'urgence climatique.
Ici même, au Canada, alors que l'inflation réduit notre pouvoir d'achat, que nous sommes frappés par une grave crise du logement et que nos services publics d'éducation et de santé sont de moins en moins à la hauteur des besoins, le budget 2024 du gouvernement canadien prévoit augmenter le financement du ministère de la Défense nationale, de 30 milliards de dollars en 2023-2024 à 49,5 milliards de dollars en 2029-2030. Et le 8 novembre – à la suite de l'élection de Donald Trump et alors que le Canada sera l'hôte de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN du 22 au 25 novembre –, le ministre de la Défense du Canada, Bill Blair, a indiqué qu'un plan avait été soumis à l'OTAN pour que le Canada accroisse ses dépenses militaires de 1,35 % du PIB présentement à 2 % du PIB en 2032, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, allant même jusqu'à dire que le Canada allait tripler ses dépenses militaires !

Conflits géopolitiques, anti-impérialisme et internationalisme à l’heure de « l’accélération réactionnaire »

Face à crise du (dés)ordre géopolitique international, « je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle, pour ensuite caractériser les différentes positions qui émergent au sein de la gauche dans cette nouvelle phase et insister sur la nécessité de construire une gauche internationaliste, opposée à tous les impérialismes (principaux ou secondaires) et solidaire des luttes des peuples agressés. »
Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
15 novembre 2024
Par Jaime Pastor
Dans le cadre général de la crise multidimensionnelle dans laquelle nous nous trouvons – aujourd'hui aggravée par l'impulsion donnée par la récente victoire électorale de Trump à la montée d'une extrême droite à l'échelle mondiale –, il semble encore plus évident que nous assistons à une crise profonde du (dés)ordre géopolitique international, ainsi que des règles fondamentales du droit international qui ont été établies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La manifestation la plus tragique de cette crise (qui remet en question l'avenir même de l'ONU) se trouve dans la guerre génocidaire contre Gaza (Awad, 2024), à laquelle s'ajoutent actuellement quelque 56 guerres dans le monde.
Dans ce contexte, le système hiérarchique impérialiste basé sur l'hégémonie américaine est ouvertement remis en question et contesté par des grandes puissances rivales, telles que la Chine et la Russie, ainsi que par d'autres au niveau régional, comme l'Iran. Cette compétition géopolitique mondiale se manifeste clairement dans certains conflits militaires, de l'évolution desquels dépendra une nouvelle configuration des rapports de forces au sein de ce système, ainsi que dans les blocs présents ou en formation, tels que les BRICS.
Face à ce nouveau scénario, je me concentrerai dans cet article sur une description sommaire de la situation actuelle pour ensuite caractériser les différentes positions qui émergent au sein de la gauche dans cette nouvelle phase et insister sur la nécessité de construire une gauche internationaliste, opposée à tous les impérialismes (principaux ou secondaires) et solidaire des luttes des peuples agressés.
Polycrise et néolibéralisme autoritaire
Il existe un large consensus au sein de la gauche sur le diagnostic que l'on peut faire de la crise globale que le monde traverse aujourd'hui, avec en toile de fond la crise éco-sociale et climatique. Une polycrise que l'on peut définir avec Pierre Rousset comme « multiforme, résultat de la combinaison de multiples crises spécifiques. Nous ne sommes donc pas face à une simple somme de crises, mais à leur interaction, qui démultiplie leur dynamique, alimentant une spirale mortifère pour l'espèce humaine (et pour une grande partie des espèces vivantes) » (Pastor, 2024).
Une situation étroitement liée à l'épuisement du régime d'accumulation capitaliste néolibéral initié au milieu des années 1970, qui, après la chute du bloc hégémonisé par l'URSS, a fait un bond en avant vers son expansion à l'échelle mondiale. Un processus qui a conduit à la Grande Récession qui a débuté en 2008 (aggravée par les politiques d'austérité, les conséquences de la crise pandémique et la guerre en Ukraine), qui a fini par frustrer les attentes d'ascension sociale et de stabilité politique que la mondialisation heureuse promise avait générées, principalement parmi des secteurs significatifs des nouvelles classes moyennes.
Une mondialisation, rappelons-le, qui s'est développée dans le cadre du nouveau cycle néolibéral qui, tout au long de ses différentes phases – combative, normative et punitive (Davies, 2016) –, a construit un nouveau constitutionnalisme économique transnational au service de la tyrannie corporative globale et de la destruction du pouvoir structurel, associatif et social de la classe ouvrière. Plus sérieusement, il a fait de la civilisation du marché « la seule civilisation possible », un sens commun, bien que tout ce processus ait pris différentes variantes et formes de régimes politiques, généralement basés sur des États forts et immunisés contre les pressions démocratiques (Gill, 2022 ; Slobodian, 2021). Un néolibéralisme qui, cependant, montre aujourd'hui son incapacité à offrir un horizon d'amélioration à la majorité de l'humanité sur une planète de plus en plus inhospitalière.
Nous nous trouvons donc dans une période, tant au niveau étatique qu'interétatique, pleine d'incertitudes, sous un capitalisme financiarisé, numérique, extractiviste et rentier qui précarise nos vies et cherche à tout prix à jeter les bases d'une nouvelle étape de croissance avec un rôle de plus en plus actif des États à son service. Pour ce faire, il recourt à de nouvelles formes de domination politique, fonctionnelles, adaptées à ce projet, qui tendent de plus en plus à entrer en conflit non seulement avec les libertés et les droits conquis au terme de longues luttes populaires, mais aussi avec la démocratie libérale. Ainsi, un néolibéralisme de plus en plus autoritaire se répand, non seulement au Sud mais aussi de plus en plus au Nord, avec la menace d'une « accélération réactionnaire » (Castellani, 2024). Un processus désormais stimulé par un trumpisme qui devient le cadre discursif maître d'une extrême droite montante, prête à se constituer en alternative à la crise de la gouvernance mondiale et à la décomposition des anciennes élites politiques (Urbán, 2024 ; Camargo, 2024).
Le système hiérarchique impérialiste en question
Dans ce contexte, succinctement esquissé ici, nous assistons à une crise du système hiérarchique impérialiste qui prévaut depuis la chute du bloc soviétique, facilitée précisément par les effets générés par un processus de mondialisation qui a conduit à un déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale de l'Atlantique Nord (Europe/États-Unis) vers le Pacifique (États-Unis, Asie de l'Est et du Sud-Est).
En effet, suite à la Grande Récession qui a débuté en 2007-2008 et à la crise de la mondialisation néolibérale qui s'en est suivie, une nouvelle phase s'est ouverte dans laquelle une reconfiguration de l'ordre géopolitique mondial est en train de se produire, un ordre qui est tendanciellement multipolaire, mais en même temps asymétrique, dans lequel les États-Unis restent la grande puissance hégémonique (monétaire, militaire et géopolitique), mais se trouvent plus affaiblis et défiés par la Chine, la grande puissance montante, et la Russie, ainsi que par d'autres puissances sub-impériales ou secondaires dans différentes régions de la planète. Pendant ce temps, dans de nombreux pays du Sud, confrontés au pillage de leurs ressources, à l'augmentation des dettes souveraines, aux révoltes populaires et aux guerres de toutes sortes, la fin du développement comme horizon à atteindre cède la place à des populismes réactionnaires au nom de l'ordre et de la sécurité.
Ainsi, la concurrence géopolitique mondiale et régionale est accentuée par des intérêts divergents, non seulement dans le domaine économique et technologique, mais aussi dans le domaine militaire et des valeurs, avec pour conséquence la montée des ethno-nationalismes étatiques face à des ennemis présumés internes et externes.
Cependant, nous ne devons pas oublier le haut degré d'interdépendance économique, énergétique et technologique qui s'est matérialisé à travers le monde dans le contexte de la mondialisation néolibérale, comme l'ont ouvertement souligné à la fois la crise pandémique mondiale et l'absence d'un blocus efficace contre la Russie dans le domaine de l'énergie malgré les sanctions convenues. À cela s'ajoutent deux nouveaux facteurs fondamentaux : d'une part, la possession actuelle d'armes nucléaires par les grandes puissances (il existe actuellement quatre points chauds nucléaires : un au Moyen-Orient (Israël) et trois en Eurasie (Ukraine, Inde-Pakistan et péninsule coréenne) ; et, d'autre part, les crises du climat, de l'énergie et des matières premières (c'est l'heure de vérité !), qui rendent cette situation sensiblement différente de ce qu'elle était avant 1914. Ces facteurs conditionnent la transition géopolitique et économique en cours, fixant les limites d'une démondialisation qui risque d'être partielle et certainement pas heureuse pour la grande majorité de l'humanité. Dans le même temps, ces facteurs alertent sur les risques accrus d'escalade dans les conflits armés dans lesquels des puissances dotées de l'arme nucléaire sont directement ou indirectement impliquées, comme dans les cas de l'Ukraine et de la Palestine.
Cette spécificité de l'étape historique actuelle nous amène, selon Promise Li, à considérer que la relation entre les grandes puissances (notamment entre les Etats-Unis et la Chine) est un équilibre instable entre une « coopération antagoniste » et une « rivalité inter-impérialiste » croissante. Un équilibre qui pourrait être rompu en faveur de cette dernière, mais qui pourrait également être normalisé dans le cadre de la recherche commune d'une issue à la stagnation séculaire d'un capitalisme mondial dans lequel la Chine (Rousset, 2021) et la Russie (Serfati, 2022) se sont désormais insérées, bien qu'avec des évolutions très différentes. Un processus, donc, plein de contradictions, qui est extensible à d'autres puissances, comme l'Inde, qui font partie des BRICS, dans lesquels les gouvernements de ses pays membres n'ont pas réussi jusqu'à présent à remettre en question le rôle central d'organisations comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, qui sont toujours sous l'hégémonie des États-Unis (Fuentes, 2023 ; Toussaint, 2024).
Cependant, il est clair que l'affaiblissement géopolitique des États-Unis - surtout après leur fiasco total en Irak et en Afghanistan et, maintenant, la crise de légitimité qu'entraîne leur soutien inconditionnel à l'État génocidaire d'Israël - permet une plus grande marge de manœuvre potentielle de la part des différentes puissances mondiales ou régionales, en particulier celles dotées de l'arme nucléaire. Je suis donc d'accord avec la description de Pierre Rousset :
« Le déclin relatif des Etats-Unis et la montée incomplète de la Chine ont ouvert un espace dans lequel des puissances secondaires peuvent jouer un rôle significatif, au moins dans leur propre région (Russie, Turquie, Brésil, Arabie Saoudite, etc.), même si les limites des BRICS sont évidentes. Dans cette situation, la Russie n'a pas manqué de mettre la Chine devant une série de faits accomplis aux frontières orientales de l'Europe. En agissant de concert, Moscou et Pékin ont été largement maîtres du jeu sur le continent eurasiatique. En revanche, il n'y a pas eu de coordination entre l'invasion de l'Ukraine et l'attaque effective de Taïwan » (Pastor, 2024).
Ceci, sans doute facilité par le poids plus ou moins important d'autres facteurs liés à la polycrise, explique l'éclatement de conflits et de guerres dans des endroits très différents de la planète, mais en particulier dans trois épicentres très pertinents de l'actualité : l'Ukraine, la Palestine et, bien que pour l'instant en termes de guerre froide, Taïwan.
Dans ce contexte, nous avons vu comment les États-Unis ont utilisé l'invasion injuste de l'Ukraine par la Russie comme alibi pour relancer l'expansion d'une OTAN en crise vers d'autres pays d'Europe de l'Est et du Nord. Cet objectif est étroitement associé à la reformulation du « nouveau concept stratégique » de l'OTAN, comme nous l'avons vu lors du sommet que cette organisation a tenu à Madrid en juillet 2022 (Pastor, 2022) et plus récemment lors du sommet qui s'est tenu en juillet de cette année à Washington. Ce dernier a réaffirmé cette stratégie, ainsi que la prise en compte de la Chine comme principal concurrent stratégique, tout en évitant de critiquer l'État d'Israël. Ce dernier montre le double standard (Achcar, 2024) du bloc occidental concernant son implication dans la guerre en Ukraine, d'une part, et sa complicité avec le génocide commis par l'État colonial d'Israël contre le peuple palestinien, d'autre part.
Nous avons également constaté l'intérêt croissant de l'OTAN pour le flanc sud afin de poursuivre sa nécropolitique raciste contre l'immigration illégale tout en aspirant à rivaliser pour le contrôle des ressources de base dans les pays du Sud, en particulier en Afrique, où l'impérialisme français et américain perd du terrain au profit de la Chine et de la Russie.
Ainsi, une redéfinition de la stratégie du bloc occidental a eu lieu, au sein duquel l'hégémonie américaine a été renforcée militairement (grâce, surtout, à l'invasion de l'Ukraine par la Russie) et à laquelle une Union européenne plus divisée est clairement subordonnée, avec son vieux moteur allemand affaibli. Cependant, après la victoire de Trump, l'UE semble déterminée à renforcer sa puissance militaire au nom de la recherche d'une fausse autonomie stratégique, car elle restera liée au cadre de l'OTAN. Pendant ce temps, de nombreux pays du Sud prennent de plus en plus leurs distances avec le bloc, bien qu'ils aient des intérêts différents, ce qui différencie les alliances possibles qui pourraient être formées de celles qui caractérisaient le mouvement des non-alignés dans le passé.
Quoi qu'il en soit, il est probable qu'après sa victoire électorale, Donald Trump opère un changement majeur dans la politique étrangère des États-Unis afin de mettre en œuvre son projet MAGA (Make America Great Again) au-delà de la sphère géo-économique (en intensifiant sa concurrence avec la Chine et, bien qu'à un niveau différent, avec l'UE), en particulier en ce qui concerne les trois épicentres de conflit mentionnés plus haut : en ce qui concerne l'Ukraine, en réduisant substantiellement l'aide économique et militaire et en cherchant une forme d'accord avec Poutine, au moins, sur un cessez-le-feu ; en ce qui concerne Israël, en renforçant son soutien à la guerre totale de Netanyahou ; et enfin en réduisant son engagement militaire avec Taïwan.
Quel internationalisme anti-impérialiste de la gauche ?
Dans ce contexte de montée du néolibéralisme autoritaire (dans ses différentes versions : l'extrême droite réactionnaire et l'extrême centre, principalement) et de divers conflits géopolitiques, le grand défi pour la gauche consiste à reconstruire des forces sociales et politiques antagonistes ancrées dans la classe ouvrière et capables de forger un anti-impérialisme et un internationalisme solidaire qui ne soient pas subordonnés à l'une ou l'autre grande puissance ou à un bloc capitaliste régional.
Une tâche qui ne sera pas facile, car dans la phase actuelle, nous assistons à de profondes divisions au sein de la gauche quant à la position à maintenir face à certains des conflits mentionnés ci-dessus. En essayant de synthétiser, avec Ashley Smith (2024), nous pourrions distinguer quatre positions :
• La première serait celle qui s'aligne sur le bloc impérial occidental dans la défense commune de prétendues valeurs démocratiques contre la Russie, ou sur l'État d'Israël dans son droit injustifiable à l'autodéfense, comme l'a affirmé un secteur majoritaire de la gauche sociale-libérale. Une position qui cache les véritables intérêts impérialistes de ce bloc, ne dénonce pas son double langage et ignore la dérive de plus en plus antidémocratique et raciste que connaissent les régimes occidentaux, ainsi que le caractère colonial et d'occupation de l'État israélien.
• La seconde serait celle que l'on qualifie habituellement de campiste, qui s'alignerait sur des États comme la Russie et la Chine, qu'elle considère comme des alliés contre l'impérialisme américain parce qu'elle considère ce dernier comme l'ennemi principal, en ignorant les intérêts géopolitiques expansionnistes de ces deux puissances. Une position qui rappelle celle adoptée dans le passé par de nombreux partis communistes pendant la période de la guerre froide à l'égard de l'URSS, mais qui devient aujourd'hui caricaturale au vu de la nature réactionnaire du régime de Poutine et de la persistance du despotisme bureaucratique d'État en Chine.
• La troisième est celle du réductionnisme géopolitique, qui se traduit aujourd'hui dans la guerre en Ukraine, se limitant à considérer qu'il ne s'agit que d'un conflit inter-impérialiste. Cette attitude, adoptée par un secteur du pacifisme et de la gauche, implique de nier la légitimité de la dimension nationale de la lutte de la résistance ukrainienne contre la puissance occupante, tout en critiquant le caractère néolibéral et pro-whitewashing du gouvernement qui la dirige.
• Enfin, il y a celle qui s'oppose à tous les impérialismes (qu'ils soient majeurs ou mineurs) et à tous les doubles standards, se montrant prête à faire preuve de solidarité avec tous les peuples attaqués, même s'ils peuvent compter sur le soutien de l'une ou l'autre puissance impériale (comme les États-Unis et l'UE en ce qui concerne l'Ukraine) ou régionale (comme l'Iran en ce qui concerne le Hamas en Palestine). C'est une position qui n'accepte pas le respect des sphères d'influence que les différentes grandes puissances aspirent à protéger ou à étendre, et qui est solidaire des peuples qui luttent contre l'occupation étrangère et pour le droit de décider de leur avenir (en particulier, avec les forces de gauche dans ces pays qui s'engagent pour une alternative au néolibéralisme), et qui n'est alignée sur aucun bloc politico-militaire.
Cette dernière position est celle que je considère comme la plus cohérente de la part d'une gauche anticapitaliste. En réalité, en gardant la distance historique et en reconnaissant la nécessité d'analyser la spécificité de chaque cas, elle coïncide avec les critères que Lénine a essayé d'appliquer lorsqu'il a analysé la centralité que la lutte contre l'oppression nationale et coloniale était en train d'acquérir dans la phase impérialiste du début du 20e siècle. Cela s'est reflété, en ce qui concerne les conflits qui ont éclaté à cette époque, dans plusieurs de ses articles comme, par exemple, dans « La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d'elles-mêmes », écrit en janvier-février 1916, dans lequel il a soutenu que :
« Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre « grande » puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d'elles-mêmes, que les nombreux exemples d'utilisation par la bourgeoisie des mots d'ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les social-démocrates à renier leur républicanisme » (Lénine, 1916).
Une position internationaliste qui doit s'accompagner d'une mobilisation contre le processus de remilitarisation en cours de l'OTAN et de l'UE, mais aussi contre celui d'autres puissances comme la Russie et la Chine. Elle doit s'engager à remettre au centre de l'agenda la lutte pour le désarmement nucléaire unilatéral et la dissolution des blocs militaires, en reprenant le flambeau du puissant mouvement pacifiste qui s'est développé en Europe dans les années 1980, avec en tête les militantes féministes de Greenham Common et des intellectuels tels qu'Edward P. Thompson. Une orientation qui devra évidemment s'insérer dans un projet global écosocialiste, féministe, antiraciste et anticolonialiste.
Jaime Pastor
Références
Achcar, Gilbert (2024) « El antifascismo y la caída del liberalismo atlántico », Viento Sur, 19/08/24.
• Awad, Nada (2024) « Derecho Internacionalismo y excepcionalismo israelí », Viento Sur, 193, pp. 19-27.
Camargo, Laura (2024) Trumpismo discursivo. Barcelone : Verso (sous presse).
Castellani, Lorenzo (2024) « Avec Trump, l'ère de l'accélération réactionnaire », Le Grand Continent, 8/11/24.
Davies, William (2016) « Neoliberalism 3.0 », New Left Review, 101, pp. 129-143.
Fuentes, Federico (2023) « Interview with Promise Li : US-China rivalry, “antagonistic cooperation” and anti-imperialism », South Wind, 191, 5-18.
Gill, Stephen (2002) « Globalization, Market Civilization and Disciplinary Neoliberalism ». Dans Hovden, E. et Keene, E. (Eds.) The Globalization of Liberalism. Londres : Millennium. Palgrave Macmillan.
Lénine, Vladimir (1976) « La révolution socialiste et le droit des nations à l'autodétermination », Œuvres choisies, Volume V, pp. 349-363. Moscou : Progress.
Pastor, Jaime (2022) « El nuevo concepto estratégico de la OTAN : Hacia una nueva guerra global permanente ? », viento sur, 2/07/22.
(2024) « Entretien avec Pierre Rousset : Crise mondiale et guerres : quel internationalisme pour le XXIe siècle ? », Viento Sur, 16/04/24.
Rousset, Pierre (2021) « China, el nuevo imperialismo emergente », Viento Sur, 16/10/21.
Serfati, Claude (2022) « La era de los imperialismos continúa : así lo demuestra Putin », Viento Sur, 21/04/22.
Slobodian, Quinn (2021) Globalistas. Madrid : Capitán Swing.
Smith, Ashley (2024) « Imperialismo y antiimperialismo hoy », Viento Sur, 4/06/24.
Toussaint, Eric (2024) « La cumbre de los BRICS en Rusia no ofreció ninguna alternativa », Viento Sur, 30/10/24.
Urbán, Miguel (2024) Trumpisms. Néolibéraux et autoritaires. Barcelone : Verso.
P.-S.
• Traduit pour ESSF par Pierre Rousset avec l'aide de DeepL.
Source - Viento Sur, 15/NOV/2024 :
https://vientosur.info/conflictos-geopoliticos-antiimperialismo-e-internacionalismo-en-tiempos-de-aceleracion-reaccionaria/
• Cet article est une version actualisée de celui publié dans la revue Nuestra Bandera, 264, pp. 55-62, 2024.
• Jaime Pastor est politologue et membre de la rédaction de Viento Sur.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Analyse critique des fausses solutions de la Banque Africaine de Développement : Critique de la stratégie globale des échanges dette-nature en Afrique (Partie 2)

Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle qu'elle est développée dans un rapport d'octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». La partie 2 aborde avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport. Vous apprendrez sur différentes choses : l'Initiative de Suspension temporaire du Service de la dette du G20 (ISSD), le Cadre commun du G20, le mécanisme africain de stabilité financière (MASF), l'allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI, et enfin les échanges dette-nature qui sont longuement analysés. Qu'est ce qu'un échange dette nature ? D'où cela vient-il ? Quelles sont les différentes formes d'échange dette-nature ? Par qui sont-ils menés ? Quels exemples parlants ?
Tiré du site du CADTM.
Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle qu'elle est développée dans un rapport d'octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». La partie 2 aborde avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport.
Les deux possibilités envisagées par le rapport de la BAD sont l'annulation d'une partie des obligations liées aux dettes en cours ou bien le refinancement par des opérations axées sur la durabilité (la lutte contre le réchauffement climatique d'une part et l'atteinte des Objectifs de Développement Durable d'autre part). À noter que le rapport n'entrevoit pas la possibilité d'une annulation pure et simple des dettes illégitimes. Il rappelle qu'avant la pandémie, une Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) avait déjà été mise en œuvre pour certains pays.
Par la suite, une Initiative d'Allègement de la Dette Multilatérale (IADM) en 2005 est venue compléter cette mesure en permettant l'annulation de 100% des dettes des pays au bout du processus PPTE. Mais les auteurs du rapport de la BAD précisent que malgré ces efforts, la dette a continué de s'exacerber. En mars 2020, La Banque Mondiale et le FMI ont envisagé des suspensions de paiements de la dette des pays de l'IDA. Au G20 les pays africains ont demandé le déblocage urgent de 100 milliards de ISD pour des infrastructures sanitaires répondant aux besoins des plus vulnérables dont 44 milliards d'allègement de dette pour tous les pays africains et 55 milliards pour la reconstruction en 2021. Néanmoins, la BAD ne s'étend pas sur ces mesures plus radicales lorsqu'elle met en évidence sa nouvelle stratégie.
1. L'ISSD
L'initiative de Suspension temporaire du Service de la Dette accordée par le G20 en avril 2020, a dégagé des liquidités supplémentaires pour les membres de l'Association Internationale de Développement (IDA, pays éligibles aux prêts concessionnels) et pour les Pays les Moins Avancés (définis par l'ONU). 73 pays à revenus faibles ou intermédiaires y étaient éligibles dont 32 pays en Afrique. Il s'agissait de 30 opérations de prêts octroyés par la BAD, environ 318 milliards pour offrir des liquidités au PMR. Entre mai 2020 et décembre 2021, l'ISSD a permis le report de 12,9 milliards de USD de service de la dette de 50 pays. Des fonds destinés au paiement des intérêts de la dette à court terme ont été réaffectés au financement de projet verts...ou sociaux, sanitaires et de soutiens économiques pendant la pandémie.
Critique :
Cependant, pour y avoir droit, il faut avoir un accord de financement avec le FMI ou en avoir fait la demande, diminuer les emprunts non concessionnels et rendre publique les dépenses et recettes du secteur public. Remarquons aussi que les créanciers privés n'y participent pas et les créanciers multilatéraux, désireux de garder leur note AAA non plus. Pourtant, le CADTM souligne que les organisations multilatérales possèdent aussi une proportion non négligeable de la dette. La Banque mondiale par exemple détient 18,9% de la dette subsaharienne concernée par l'ISSD...
Selon la BAD elle-même, les économies projetées par l'ISSD (5,5 milliards de USD) étaient bien supérieures à celles effectivement réalisées (1,8 milliards de USD). Attention, ce ne sont pas des remises de dette : on ne fait que différer le remboursement sur une période de 4 ans. Cette mesure alourdit donc les échéanciers des paiements du service de la dette en période de récession ce qui compromet la viabilité de la dette des pays qui y ont recours à moyen ou long terme. En effet, ces économies n'étaient que temporaires et les paiements ont dû reprendre en 2023 quand le service de la dette est redevenu plus élevé car il faut payer la dette rééchelonnée en plus de la dette ordinaire pour la même période !
Le réseau du CADTM Afrique de son côté critique le fait que les suspensions ne sont que temporaires et qu'elles ne concernent qu'un nombre de pays limités. Certains pays en sont exclus comme l'Erythrée, le Soudan, la Syrie ou les Zimbabwe en raison de leurs arriérés.
Enfin l'ISSD n'est que très partielle. La somme totale représente moins de 1,66% du total des remboursements exigés aux pays des Suds. En Afrique, à part le Cameroun, l'Angola, le Kenya, le Mozambique, le Congo- Brazzaville, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Tanzanie, l'aide n'a pas dépassé les 2 millions de USD par pays. Le CADTM regrette aussi qu'il n'y ait pas de moratoire pour les dettes privées qui s'élèvent à 10,22 milliards d'USD pour 68 pays éligibles. Il souligne aussi que c'est la Chine qui a le plus contribué en suspendant 30% du service de la dette du G20 soit 5,7 milliards d'USD. Surtout, il remarque que les suspensions et nouveaux prêts accordés servent en priorité les créanciers privés car ceux-ci étant réticents aux concessions laissent les États, les créanciers bilatéraux, le FMI et la BM, négocier des suspensions ou allègements de dettes. Les pays endettés utilisent essentiellement leur argent consacré aux dettes pour continuer à rembourser les créanciers privés récalcitrants. Tout cela bien sûr se produit au détriment des besoins urgents des populations sur place, car les montants rendus au secteur privé servent rarement par la suite les secteurs non marchands ou sociaux indispensables aux populations. Bien au contraire, nous avons vu que les acteurs privés sont peu enclins à limiter leurs profits et l'évasion fiscale ou l'optimisation fiscale des grandes entreprises est un facteur important de diminution de recettes des États et d'aggravation des dettes publiques.
Le CADTM insiste sur le fait que les 750 milliards d'USD de dettes des pays surendettés ne correspondent qu'à 1% du PIB du G20 qui s'élève à 78 286 milliards ! À titre de comparaison, il montre que pour les plans d'aide post Covid, les parlements allemand et américain ont voté respectivement les montants substantiels de 1 100 milliards d'Euros et de 2000 milliards d'USD !
De plus, il existe un fonds fiduciaire, pour compenser les pertes des institutions multilatérales, alimenté par les contributions des bailleurs de fonds et la vente des réserves en or du FMI. Il suffirait de vendre 6,7% de l'or détenu par le FMI pour financer les dettes totales des pays surendettés ! C'est donc possible mais il n'y a pas de véritable volonté politique de chercher des solutions. L'ISSD fait pâle figure à côté de ce qu'on pourrait réaliser.
De manière générale, la situation d'endettement des pays africains ne s'est pas améliorée. Pour l'Afrique subsaharienne, elle est passée de 665 milliards à 702 milliards de 2019 à 2020. Les bénéficiaires de l'ISSD ont reçu des prêts du FMI 13 fois supérieurs à la moyenne annuelle en mars 2022. Or ces prêts sont toujours conditionnés à des réformes antisociales, antipopulaires et au final favorables au capital privé international. Ainsi le Kenya a vu, en janvier 2021, ces dettes croître de 34,9 milliards à 38,1 milliards en un an, malgré une suspension de 209 millions, en raison de l'augmentation des créances privées. Le Niger est passé de 3,6 milliards en 2019 à 4,5 milliards en 2020, malgré une suspension de 16 millions.
Le cas du Ghana :
Dans son article « la dette menace l'Afrique »publié en février 2023, dans Afrique magazine, son auteur Cédric Gouverneur décrit la crise de la dette extérieure qui affecte le Ghana. Celle-ci représente plus de 80% de son PIB. Pourtant, ce pays était un élève modèle du libéralisme. Grand producteur de cacao, d'hydrocarbures, de pétrole et de diamants, son taux de croissance élevé attirait les investisseurs. Son dirigeant déclarait même libérer le pays de tout besoin d'aide. Mais aujourd'hui l'inflation de plus de 50%, la hausse du prix des combustibles, les répercussions de la pandémie et de la guerre en Ukraine ont complètement renversé la tendance. Après un renflouement de 3 milliards par le FMI, le Ghana a surpris la communauté internationale en annonçant unilatéralement une suspension de paiement d'une partie de sa dette dont les eurobonds, les prêts commerciaux à terme et la plupart des dettes bilatérales. Le 13 décembre 2022, il accepte un plan de restructuration de la dette assorti de mesures d'austérité craint par la population ghanéenne déjà fortement frappée par la récession.
Dans leur livre « Le Ghana, les dessous du miracle économique » publié en janvier 1999 par le GRESEA , Bruno Carton et Isabelle Guillet montrent que la croissance « exemplaire » du Ghana - qui affichait un taux moyen de 5% de 1983 à 1993, et au début une inflation limitée à 10% - cachait déjà les effets pervers de sa politique de libéralisation à tout vent et des ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale de 1980 à 1988. Ces auteur·ices ont démontré que des chocs extérieurs n'ont pas été les causes principales du déclin économique de ce pays, après une courte envolée économique saluée par la communauté internationale. Selon eux, l'orientation néolibérale des institutions internationales, imposée via le mécanisme d'octroi de prêts a largement contribué à ronger le potentiel de développement à long terme du Ghana. En effet, contrairement aux pays du Nord-Est asiatique qui ont pu maintenir une forte croissance économique après la phase de libéralisation économique, le Ghana, lui, ne disposait pas encore d'une assise productive industrialisée suffisamment forte, diversifiée et modernisée pour résister à la concurrence des transnationales étrangères lorsqu'il s'est libéralisé. Or avec les ajustements structurels, la production industrielle ne s'est pas déployée, au contraire, on a assisté à une reprimarisation de l'économie ! La production alimentaire s'est peu modernisée. Il y a eu un très faible transfert technologique. Par contre, la dépendance aux exportations de l'or, du cacao, du pétrole, aux produits de base et la hausse des importations se sont intensifiées et ont créé un déséquilibre de la balance des paiements, une détérioration des termes de l'échange qui sont toujours d'actualité. La dette s'est aggravée. L'augmentation du taux d'intérêt a intensifié le déficit et les mesures d'austérité ont pesé lourdement sur les revenus du plus grand nombre aussi bien dans les villes que dans les campagnes. La pauvreté, le chômage ont explosé. Depuis les réformes libérales, les recettes dépendent fortement des revenus fiscaux sur les transactions internationales et celles-ci chutent chaque fois que les prix mondiaux diminuent comme actuellement sous l'effet de la pandémie ou de guerre en Ukraine. Les petites entreprises locales, l'agriculture, le secteur social ont complètement été oubliés. La santé, l'éducation, les infrastructures, tout ce qui ne rapporte pas directement des devises est considéré comme un coût à réduire par tous les moyens indépendamment des besoins. Car il faut toujours plus de devises... pour rembourser prioritairement la dette. L'économie informelle augmente face à l'incertitude, malmenant sa main d'œuvre. Dans le secteur privé, ce sont les secteurs de l'immobilier, du transport, du commerce, dits de cycles courts, et quelques niches de services ou encore les rentes des mines qui sont favorisés, au détriment des activités générant des ressources à plus long terme.
Seules les grosses sociétés étrangères ont assez de liquidités en devises « vendues aux enchères » pour faire des offres sur des marchés complètement dérégulés... Donc ces libéralisations, privatisations et dérégulations ont profité et profitent toujours principalement aux plus grands investisseurs étrangers. Pour les attirer, le Ghana va même appartenir au Free Zones Board en votant une loi dans ce sens en août 1995. La condition pour en faire partie : que 70% du chiffre d'affaires soit lié à l'exportation ! Le Free Zones Board accorde aux investisseurs des exemptions fiscales ; les importations sont plus chères à cause des taxes mais par contre les exportations ghanéennes vers les USA et l'UE en sont exemptées. Les monopoles, les concentrations de capital, l'abattement fiscal sur les profits des entreprises privées rapatriés sont autorisés, encouragés. En outre, ce livre explique comment les conditionnalités associées aux prêts ont contribué à délégitimiser l'État, en le poussant à se désengager de ses prérogatives essentielles qui sont d'une part la gestion de la masse monétaire, des prix, des marchés, du service de la dette, l'administration des dépenses publiques et la gestion des mécanismes de formation des salaires et des prix, de la propriété des moyens de production. Les intérêts financiers et économiques internationaux priment sur les besoins sociaux nationaux et locaux. « Nous avons d'un côté des institutions internationales puissantes, sans responsabilité, et de l'autre des institutions nationales, responsables devant le corps social, mais au pouvoir fortement affaibli » face aux bailleurs de fonds internationaux ou privés. La démocratie est menacée. À cela s'ajoute encore le constat que la part d'assistance technique du FMI et de la Banque Mondiale dans le PIB de l'Afrique a doublé de 1980 à 1987 et qu'elle devient parfois supérieure à la masse salariale de la fonction publique de certains pays (c'était le cas de la Tanzanie à cette époque-là). On assiste à un transfert de souveraineté dangereux accentuant la dépendance et donc la vulnérabilité des pays africains par rapport aux perturbations extérieures...
Nous replonger dans ces explications sur l'impact des politiques d'ajustements structurels nous aide à analyser la crise de la dette actuelle du Ghana et de nombreux pays africains, d'un point de vue plus structurel et pas uniquement sous l'angle de vue de la BAD, des institutions internationales qui sous le couvert d'une adaptation à l'urgence climatique et environnementale tenterait de nous faire oublier les origines, les facteurs aggravants et les conséquences désastreuses du système dette qui est leur raison d'être, qu'elles entretiennent, qui est, rappelons-le, le moteur de leur pouvoir et de leur enrichissement. L'exemple du Ghana nous permet aussi de mettre en lumière un autre problème lié aux mécanismes des dettes. Le risque de voir se multiplier les activités spéculatives criminelles de certains acteurs privés peu scrupuleux et en particulier des Fonds vautours.
Selon Arnaud Zacharie,secrétaire général de la coupole d'ONG belges CNCD « Quand un pays comme le Ghana demande un allègement de paiement, il doit avoir l'accord de tous ses créanciers, occidentaux, FMI, Banque mondiale et créanciers privés. Comme il n'y a pas de cadre multilatéral pour imposer un allégement de la dette à tous les créanciers, il se trouve toujours des créanciers privés qui jouent des rôles de passagers clandestins. Ils cherchent à tirer profit de l'allègement accordé par une partie des créanciers qui donne un peu d'oxygène financier aux pays surendettés. Et certains créanciers privés attaquent en justice ce pays pour qu'il les rembourse en intégralité ».
Les emprunts ne cessent d'augmenter entre autres pour rembourser les créanciers privés. Jubilée Debt Campaign explique comment ces derniers ont le plus indirectement bénéficié de l'ISSD bien qu'ils l'aient rejeté, qu'ils ne participent pas à ces opérations, tout comme ils sont réticents aux restructurations de dettes proposées dans le cadre du Cadre Commun.
2. Le cadre commun du G20
Le Cadre commun a été accordé par le Club de Paris et le G20 en novembre 2020 pour le traitement de la dette au-delà de l'ISSD. C'est un cadre multilatéral pour le traitement des dettes des pays éligibles à l'ISSD. Il promeut l'échange d'une grande partie de la dette dans le cadre d'une restructuration. Ce cadre permet la renégociation de l'ensemble des dettes extérieures des pays surendettés (15 pays sur 38 sont considérés comme à risque élevé de surendettement). Pour l'instant, seuls le Tchad, l'Éthiopie et la Zambie ont demandé une restructuration de ce type en octobre 2021. L'enveloppe de restructuration à allouer est fonction de l'analyse de viabilité de la dette par le FMI. Il impose des conditionnalités. Il permet un traitement global de la dette publique et privée. La Chine et l'Inde y participent largement mais c'est ouvert également au secteur privé. Les négociations sont réalisées avec une comparabilité des traitements et au cas par cas, ce qui n'attire pas beaucoup les pays débiteurs.
Ce dispositif a moins d'impact négatif sur la note de crédit des agences ce qui facilite l'accès aux marchés financiers internationaux (même si dans les faits seulement 60% des pays africains sont notés). De plus, il s'adresse aussi au secteur privé ce qui n'est pas le cas de l'ISSD. Par contre, il n'y a pas de garantie contre les pertes mais il peut y avoir renégociation des conditions de la dette en cours de route.
Critique :
Selon le FMI, on constate un problème de coordination entre les institutions et les gouvernements de la Chine et de l'Inde. Au Tchad on constate un retard des créanciers privés ce qui implique une complexification de la restructuration de la dette garantie. Il n'existe pas de clauses d'action collective il faut donc chaque fois recueillir le consentement de chaque créancier et de chaque débiteur pour toute modification contractuelle. Une réforme de ce Cadre Commun est déjà en cours.
Pour le CADTM, ce dispositif est inefficace en raison du manque d'intérêt des débiteurs et principalement du peu d'implication du secteur privé dans les restructurations alors que se sont les banques commerciales, les détenteurs d'obligations et autres créanciers privés extérieurs les détenteurs de dettes majoritaires.
D'après les propos d' Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD, en janvier 2023, « l'instauration d'un mécanisme multilatéral de restructuration de la dette, sur base des principes définis dans la résolution adoptée en septembre 2015 par l'Assemblée générale des Nations Unies, permettrait aux Etats en défaut de paiement de négocier dans un cadre équitable et transparent des accords de restructuration de leur dette qui s'imposent à tous les créanciers et qui empêchent les pratiques de passagers clandestins des « fonds vautours » qui cherchent à tirer profit de la situation. Mais un tel mécanisme multilatéral, proposé depuis le début des années 2000, n'a toujours pas vu le jour ».
Signalons qu'une carte blanche signées par de nombreuses ONG, associations et syndicats en Belgique est sortie dans le Soir le 12 juin 2023 sur « La nécessité d'une loi pour impliquer les banques dans les allègements de dettes ». Elle affirme que les Etats ont les moyens d'agir immédiatement pour limiter le fait qu'indirectement, des allègements de dettes publiques servent à rembourser des créanciers privés (dont les « fonds vautours ») qui ne veulent faire aucune concession en faveur des pays surendettés et qui mêmes parfois spéculent sur leurs retards de paiement pour maximiser les profits. En effet, les parlements peuvent adopter des lois pour empêcher les pays confrontés au surendettement d'être poursuivis par des créanciers privés pour une somme supérieure à celle que ces créanciers auraient reçue s'ils avaient participé à la restructuration de la dette. L'existence de telles lois inciterait ainsi les banques à coopérer aux opérations d'allègement de dettes...
L'article montre que la Belgique a quatre raisons de vouloir légiférer en ce sens : premièrement, les Objectifs de Développement Durable auxquels elles s'est engagée, sont compromis par cette attitude du secteur privé ; deuxièmement, les tribunaux belges ont déjà été saisis par des créanciers privés contre des États ; troisièmement, plusieurs grands créanciers privés ont leur siège social en Belgique et pratiquent des taux d'intérêt usuriers avec un taux de 24 % ; quatrièmement, les contribuables de Belgique sont également impactés car l' absence de coopération des créanciers privés a pour conséquence qu'ils sont, dans les faits, subsidiés par les États créanciers avec de l'argent public puisque les banques ne peuvent être payées par les pays en détresse financière que parce que certains États allègent une partie des dettes. Plusieurs propositions législatives contre les fonds vautours sont déposées dans des parlements ou sont en cours d'élaboration. La loi belge sur les fonds vautours adoptée le 12 juillet 2015, est un beau précédent, une loi pionnière au niveau mondial. La Cour constitutionnelle lui a donné raison en 2017 contre un Fonds vautour qui l'a attaquée en 2015. La France a adopté à son tour en 2016 un dispositif juridique « anti-fonds vautours »...Une nouvelle loi est actuellement en préparation à la Chambre pour faire participer de manière équitable les créanciers privés aux allègements de dettes.
Le cas du Tchad :
Selon Moutiou Adjibi Nourou dans son article publié en le 11 juillet 2022 sur le site d'Ecofin, au Tchad, « le FMI maintient la pression sur Glencore pour un accord de restructuration de la dette ». Le groupe anglo-suisse Glencore possède des actifs pétroliers dans le pays et détient 1 milliard sur les trois milliards de dettes dues par le Tchad. C'est lui qui fait obstacle à la négociation avec les autres créanciers d'après le FMI. Apparemment, l'acteur privé chercherait à obtenir des « échanges » avec le gouvernement tchadien mais pour des raisons inconnues ceux-ci n'ont pas encore abouti et le processus est bloqué depuis début 2021 alors que le Tchad est l'un des pays les plus pauvres du monde, que sa situation économique et financière continue de se dégrader à la suite des chocs combinés de la pandémie de Covid-19, de la baisse des prix du pétrole, du changement climatique et des attaques terroristes. « La classe dirigeante tchadienne n'a-t-elle pas une quelconque responsabilité dans la situation du Tchad ? » s'interroge Jean Nanga . « Ne serait-elle pas concernée par les “biens mal acquis ? » L'ONG suisse SWISSAID avait produit, en 2017, un rapport intitulé Tchad SA. Un clan familial corrompu, les milliards de Glencore et la responsabilité de la Suisse (qui n'est plus disponible en ligne), dans lequel il est écrit, concernant les recettes pétrolières : « il y a des investissements inefficaces dans des projets de prestige, la corruption et le népotisme fleurissent, une élite politique s'enrichit et se cramponne au pouvoir pendant qu'une grande partie de la population reste pauvre ».
3. L'allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI
650 milliards d'USD non remboursables viennent gonfler les réserves des pays et consolider les amortisseurs externes. Mais finalement, seulement 21 milliards bénéficieront aux pays à faible revenu. En effet, ce que le rapport de la BAD ne révèle pas, c'est que le système d'allocations ne fonctionne pas suivant la logique 1 pays, 1voix mais plutôt 1 dollar, 1 voix c'est-à-dire que les sommes attribuées sont évaluées proportionnellement au poids financier économique mondial de chaque État, peu importe les besoins ou la grandeur de la population ! Ainsi, sur les 118 milliards de USD alloués en août 2021, les USA, le Japon, la Chine et l'Allemagne ont reçu chacun 43 milliards d'USD alors que toute l'Afrique n'a reçu que 33 milliards pour ses 54 pays !
De surcroît, dans les cas du Congo, de la Guinée, du Tchad, de Malawi, de la Mauritanie, la totalité de leur allocation n'a servi qu'à rembourser la dette du FMI !
Face à cette situation paradoxale, quelques pays se sont engagés à verser, en prélevant des intérêts, de 45 jusqu'à 100 milliards USD des DTS qu'ils ont reçu gratuitement aux pays à faibles revenus de l'Afrique. C'est le cas de la France pour le Soudan.
En octobre 2022, comme les pays africains demandaient la rétrocession de DTS de 20 à 25% pour accéder à la vaccination, lutter contre l'extrême pauvreté et accompagner les banques régionales et multilatérales de développement par rapport à la pandémie un fonds fiduciaire pour la résilience et la viabilité a été opérationnalisé en octobre 2022 par le FMI. Il finance surtout à long terme les pays à faibles revenus, les îles, les régions vulnérables en raison du déficit de leur balance de paiement. La BAD et les banques multilatérales utilisent ces DTS octroyés par le FMI pour octroyer des financements aux banques ainsi que de nouveaux prêts concessionnels.
Dr Ange Ponou, spécialiste en économie financière, nous explique dans un article du 13 octobre 2022, sur le site de Sikafinance que ce fonds dispose actuellement d'une dotation initiale de 15,3 milliards de DTS (20 milliards de dollars) émanant de dons de certains pays membres comme l'Allemagne, l'Australie, l'Espagne, la Chine, le Canada et le Japon. À terme, il devrait être porté à 29 milliards de DTS, soit 37 milliards de dollars. Il a pour vocation d'aider les pays à renforcer leur résilience face aux changements climatiques, aux pandémies afin qu'ils préservent leur stabilité économique et financière à plus long terme tout en mobilisant d'autres financements publics ou privés. Ces prêts auront une échéance de 20 ans, assortis d'une période de grâce de 10 ans et demi et bénéficieront aux pays à faible revenu et aux pays à revenu intermédiaire admissibles.
4. Le fonds d'assistance technique (FDG et FAD)
On a bien compris que le rôle de la BAD est d'éviter les défauts de paiement en série pour surendettement. Néanmoins, malgré tous ces efforts, son efficacité est faible et les résultats décevants, comme le rapport le reconnaît lui-même. Pour eux, le problème vient bien évidemment de « la gouvernance défectueuse des États ». Des réformes structurelles sont nécessaires. La difficulté de mobiliser le secteur privé dans le cadre commun est tout de même pointée puisque ce sont le plus généralement des prêts officiels de gouvernements à gouvernements qui sont observés.
La BAD critique la solidité des institutions publiques nationales et réclame plus de transparence sur la dette et la couverture de la dette des entreprises publiques. C'est aussi l'occasion pour elle de rappeler à quel point son assistance technique est indispensable et de proposer une nouvelle stratégie de gouvernance économique pour 2021-2025 avec la création de fonds d'assistance technique pour les pays à revenus intermédiaires, afin de renforcer les capacités nationales, mieux contrôler les administrations fiscales pour lutter contre l'endettement. Un fonds d'affectation multidonateurs et un fonds de la facilité de gestion de la dette (FGD), chargé d'encadrer les allègements et restructurations de dettes des PMR ainsi que de former et conseiller les différents acteurs sont constitués.
Le Fonds Africain de Développement (FAD), est le guichet de prêt à taux concessionnels du groupe de la BAD depuis 1974. Il est administré par la BAD et est constitué d'États participants (les pays donateurs) et de ses 40 pays bénéficiaires dans le but de réduire la pauvreté dans les pays membres régionaux (PMR) en fournissant des prêts et des dons à des projets et par son assistance technique. Dans sa 14e version, il consistait en un investissement de 45 milliards de USD pour des financements concessionnels accordés à 37 pays. Le dernier FAD couvrant la période de 2020 à 2022 ne s'élève plus qu'à 7,8 milliards d'USD.
Critique :
Cette assistance technique, cet encadrement et les montants qui y sont alloués se justifient par la BAD car ils semblent apporter des solutions aux problèmes de gouvernance des États africains qui serait un élément explicatif majeur du surendettement des pays africains selon leur point de vue. Le CADTM n'ignore pas les difficultés de gestion, de manque de transparence et l'important problème de la corruption des autorités publiques et de fonctionnaires en Afrique.
Néanmoins, une des raisons de ces problèmes de gouvernance publique est justement l'affaiblissement des États, de plus en plus sous alimentés financièrement, délégitimisés et à qui les institutions internationales ôtent de plus de plus de prérogatives, à travers leurs plans d'ajustements structurels. En effet, ceux-ci s'attaquent aux États lorsqu'ils soutiennent les privatisations, les dérégulations, des coupes drastiques des dépenses publiques, lorsqu'ils imposent à leur place, en se substituant à leur souveraineté, des choix monétaires, des orientations économiques, financières, commerciales et politiques néolibérales impopulaires, indépendamment des votes des électeurs, en contradictions avec les besoins urgents exprimés par une grande partie de la population. Ils vident de leur sens les élections démocratiques ce qui ouvre la voie à des tendances plus extrêmes et radicales qui récoltent un certain succès.
En plus, le secteur privé international s'enrichit et corrompt les haut-fonctionnaires, de plus en plus sous-payés, pour qu'ils ne disent rien. Il les mêle à leurs « affaires » pour qu'ils ne les dénoncent pas, dans une politique de laisser-faire souvent complice d'agissements criminels, auxquels des membres des gouvernements participent plus ou moins activement ou qu'ils encouragent selon les cas. La corruption se généralise, à tous les échelons et dans tous les secteurs.
Remarquons tout de même que dans le rapport de la BAD, rien n'est proposé par les institutions internationales pour contraindre, mieux encadrer, améliorer la gouvernance et la transparence, mieux canaliser les pratiques peu éthiques et écologiques du secteur privé, des investisseurs, des banques et transnationales. Pourtant, certains de ces acteurs sont dangereux, bien plus responsables de détournements massifs d'argent, via les pratiques courantes d'optimisation ou d'évasions fiscales, de dumpings social, fiscal et écologique. Nous avons vu qu'ils sont capables de destruction de l'environnement et de violations de droits humains et qu'ils jouissent encore aujourd'hui d'une inacceptable impunité. Au contraire, la BAD invite largement le secteur privé, sans distinction et sans réglementation commune aboutie, à investir pleinement dans ses nouveaux instruments financiers. Elle ouvre tout grand la porte à une spéculation débridée sur les capitaux naturels mondiaux, capitaux cruciaux dont la valeur boursière risque de grimper au fur et à mesure qu'apparaîtront des carences, des conflits géostratégiques pour les maîtriser et que les crises écologiques et climatiques s'imposeront comme des urgences dans nos imaginaires collectifs.
Parfois dans un pays africain l'assistance technique extérieure est mieux rémunérée et écoutée que l'ensemble de la fonction publique ; cela crée un déséquilibre et représente une forme d'ingérence et de menace pour la souveraineté des États africains.
L'assistance technique fait plus que conseiller les plus hauts-décideurs d'Afrique. Ses orientations ne sont pas « neutres » politiquement. Or elle n'a pas été élue démocratiquement pour imposer ses choix comme des évidences techniques et scientifiques dans des pays qui ne partagent pas forcément ses crédos économiques et financiers et qui en pâtissent le plus souvent. En imposant des formes et des procédures incontournables, une logique à elle, une complexité terminologique et technique de plus en plus lourde à utiliser et qu'il faut pourtant maîtriser pour bénéficier d'évaluations positives et avoir accès aux prochains financements, elle se rend de cette manière indispensable et lance régulièrement des nouvelles modes, des méthodologies, des styles de managements, des concepts et des terminologies spécifiques à bien si l'on veut accéder aux hautes sphères du pouvoir international et espérer bénéficier de ses prétendues largesses.
5. Le mécanisme africain de stabilité financière (MASF)
Il y avait un Mécanisme Européen de Stabilité, un Fonds Monétaire Arabe et un Fonds de Réserve pour l'Amérique du Sud. L'équivalent africain, le MASF offre aux pays africains un nouveau cadre de résolution des crises de la dette « plus rapide, moins coûteux pour les débiteurs et les créanciers ». Il permettrait de mutualiser les fonds et d'éviter les débordements en cas de crise externe.
Voici quelques réactions dans la presse africaine qui acclament la création du MASF : « Le système financier international ne répond pas aux besoins du continent africain, surtout en cette période de crises. Dès lors, les gouvernements africains ont évoqué mardi à Accra, au Ghana, la mise en place d'une plateforme leur facilitant un accès d'urgence à des liquidités ». Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD) a expliqué les besoins financiers énormes dont l'Afrique a besoin pour faire face aux crises sanitaires, alimentaires et environnementales. — © NIPAH DENNIS / AFP
« Les graines d'un mécanisme africain de stabilité ont été semées mardi lors de l'assemblée annuelle de la Banque africaine de développement (BAD) qui a lieu du 23 au 27 mai à Accra, capitale du Ghana. A l'image du Mécanisme européen de stabilité mis en place lors de la crise de la dette grecque, cet instrument africain viendra en aide aux pays ayant un besoin urgent de liquidités. L'objectif n'est pas de boycotter le Fonds monétaire international (FMI) qui est le dernier recours pour les pays en difficulté. Il s'agit plutôt de se donner les moyens d'éteindre les incendies de façon rapide, sans attendre les pompiers de Washington. » Publié par Ram Etwareea, à Accra, au Ghana, le 24 mai 2022
« La plupart des pays africains pâtissent de taux d'intérêt élevés qui bloquent leur développement » expliquent Christian de Boissieu, professeur émérite à l'université de Paris-I et vice-président du Cercle des économistes, et Jean-Hervé Lorenzi, chroniqueur et président du Cercle des économistes. « La mise en place d'un Mécanisme africain de stabilité financière permettrait, parmi d'autres mesures, de les aider à augmenter leur résilience face aux crises. »
Le 18 mai 2022« Les pays africains souffrent de taux d'intérêt excessivement élevés qui entravent leur développement. Avec, à la clé, une vulnérabilité excessive face aux incertitudes et un coût du capital souvent rédhibitoire. Renforcer la stabilité financière implique d'améliorer la résilience des économies du continent, leur capacité à résister aux chocs. » « D'autre part, il est nécessaire de réduire les coûts de financement des investissements, en envoyant aux investisseurs des signaux qui correspondent mieux au contexte de l'Afrique ».
Pourtant, dans le cadre de la crise de la dette grecque, Éric Toussaint, porte-parole du CADTM a pu démontrer en quoi le Mécanisme de Stabilité Européenne a joué un rôle pervers c'est-à-dire qu'il n'a pas servi aux populations européennes menacées par les crises mais bien aux banques privées, principales responsables de l'endettement des États, qui ont pu grâce à lui être remboursées en priorité et en grande partie par l'argent tiré des plans d'austérité draconiens imposés aux populations lésées. Il écrit dans « le FESF et le MES contre les peuples » :
« En collaboration avec le FMI, la Commission européenne a plié et a octroyé via le fonds européen de stabilité financière (FESF) et le mécanisme européen de stabilité (MES) des prêts à certains Etats membres de l'Eurozone (la Grèce, l'Irlande, le Portugal et Chypre) afin qu'ils puissent en priorité rembourser les banques privées des pays les plus forts de l'UE. Elle n'a donc pas respecté à la lettre l'article 125 du Traité de Lisbonne cité plus haut. Mais elle a respecté l'esprit néolibéral du Traité : en effet le FESF et le MES empruntent sur les marchés financiers les moyens financiers qu'ils prêtent aux Etats."
Jean Nanga soutient la position d'Éric Toussaint et renchérit en rappelant que si les États africains (54 sur les 81 actionnaires) détiennent la majorité absolue des parts (52,7 %) de la BAD, parmi les dix premiers actionnaires figurent les États-Unis d'Amérique (2e, après le Nigeria), le Japon (3e), l'Allemagne (7e), le Canada (8e) et la France (9e). Parmi les 20 premiers, s'ajoutent l'Italie (13e), le Royaume-Uni (16e), la Suède (18e), la Suisse (19e)" comme le précise l' État des souscriptions et des pouvoirs de vote au 30 septembre 2021, publié par la BAD le 09 novembre 2021. Les ressources de la BAD proviennent aussi, entre autres, des marchés financiers internationaux. Et, il s'agit, comme le dit déjà le titre de l'article de De Boissieu (prêtre de la financiarisation, supposé co-inspirateur, avec le ministre sénégalais des Finances, Kane, dudit mécanisme) et Lorenzi, de financiariser davantage les économies d'Afrique. Il ne fait presque aucun doute que le MASF s'est bien inspiré du FESF et ne sera pas moins contre les peuples...
6. La facilité africaine de soutien juridique (ALSF)
Elle devrait permettre de conseiller et de mettre en œuvre des allègements et restructurations de dettes adaptés à chaque pays africain. En Guinée-Bissau, elle a négocié une importante remise de dettes privées qui est passée de 50 millions d'USD d'obligations à 5 millions d'USD. En Gambie, elle a permis une restructuration de la dette commerciale suite à une analyse de viabilité de la dette (AVD) et a mis en place une Stratégie Générale de Dette à Moyen Terme (SGDTM). En Somalie, elle a négocié avec le Club de Paris un allègement de 1,4 milliards d'USD selon une initiative proche de l'initiative PPTE.
Selon le rapport de la BAD, dans son Plan d'Action sur la Dette (PAD) de 2021 et 2023, l'ALSF veut coordonner les agences multilatérales et revenir à une trajectoire de développement vert, résilient et inclusif. Pour cela, elle veut établir un dialogue à différents échelons : national, régional, continental et international ; accroître les financements à faible coût et risque, améliorer la soutenabilité des dettes ; mieux gérer les dettes publiques, avec plus de transparence ; réduire la dépendance des pays PMR surendettés par rapport à leur dette extérieure en tenant compte de leurs fragilités spécifiques. Ainsi, elle propose des obligations de dette indexées à la sécurité pour les pays perturbés par les conflits et violences, des prêts adossés aux ressources naturelles pour les pays qui en disposent d'importantes à conserver et enfin des échanges dette-climat pour ceux qui sont déjà confrontés aux conséquences du réchauffement climatique ou qui sont menacés d'une perte importante de biodiversité. Ce genre d' échanges ne sont pas nouveaux. Dans les années 1980 et 1990, de nombreuses remises de dettes ont été conditionnées à des investissements en reforestation « pour protéger la biodiversité et les peuples autochtones ».
Enfin plusieurs pays africains ont accepté des échanges dette-nature conclus avec des créanciers commerciaux et bilatéraux. « Le Cameroun et le Mozambique en ont négocié avec le gouvernement français, Madagascar avec des banques commerciales françaises et l'Allemagne ; la Tanzanie avec des banques commerciales russes et la Zambie avec diverses institutions privées ».
7. Les échanges dette-nature
a) Succès limité dans le temps et importance peu significative des échanges dette-nature/climat (ou SWAPS) Cette invention de Thomas Lovejoy du WWF, a été appliquée pour la première fois par l'État Bolivien en 1987 qui dans une période d'importante difficulté budgétaire, a négocié avec le Conservation International (CI) une remise de dette afin d'orienter les dépenses nationales vers des actions de conservation de l'environnement.
Les Swaps bilatéraux ont connu leur plus grand succès de 1990 à 1994.
On compte 25 à 30 opérations de ce type brassant au total 600 à 700 millions d'USD par an. Rien qu'en 1994, plus de 25 échanges dette-nature ont été signés pour plus de 600 Millions d'USD. De 1990 à 1991, 15 à 20 allocations du fonds environnement sont aussi concédées ce qui représente 400 millions d'USD. Les swaps multipartites apparaissent plus tardivement et ont toujours été moins nombreux et concernant des montants plus limités (entre 5 et 10 et entre 100 et 150 millions par an).
Après 1994 toutes ces initiatives diminuent drastiquement.
En effet, après cette année, d'autres sources d'allègements comme l'initiative PPTE attirent davantage les pays surendettés. Car il faut bien comprendre qu'un pays préfère toujours une annulation définitive d'une grande partie de sa dette extérieure. En outre, lorsque la procédure de décaissement est libellée en devises étrangères dans un contexte inflationniste, cela n'arrange pas les pays débiteurs qui peuvent pâtir d'une dépréciation rapide du fonds pour l'environnement. Enfin, les premiers échanges dettes-natures n'ont pas permis d'allègements significatifs de la dette à long terme même s'ils suscitent une légère stimulation positive pour des projets bénéfiques à l'environnement.
Depuis la Cop20 en 2012 et surtout depuis la COP26 et le plan de « Relance Verte », on constate un regain d'intérêt pour ces pratiques. Néanmoins, entre 2013 et 2015 leur nombre ne dépasse pas les 5 par an pour des sommes de moins de 100 millions. C'est surtout en Amérique latine que des opérations de ce genre ont été effectuées avec la participation des États-Unis. Les intermédiaires choisis étaient souvent des ONG internationales qui rachetaient la dette avec le financement de leurs donateurs à un prix inférieur en échange de la mise en place d'un fonds de conservation de l'environnement local. C'est une forme d'annulation volontaire d'une partie de la dette par des créanciers.
En 2021, THE NATURE CONSERVANCY (TNC) réalise un swap de grande envergure avec Belize en échange d'obligations bleues en faveur de la conservation des océans. Ce qui encourage à appliquer ce système à une plus grande échelle. Selon le rapport de la BAD, cela aurait permis une diminution de dettes et une plus large marge de manœuvre pour le gouvernement de Belize dans ses futurs choix budgétaires.
Voir le tableau récapitulatif des Échange dette-nature et son commentaire p26-27 du rapport de la BAD
b) Définition générale des échanges dette-nature
Il faut tout un glossaire (voir le glossaire de la dette du SYGADE publié par la CNUCED) pour en expliquer les différentes formes et en uniformiser les définitions car différentes réalités se cachent derrière ce terme générique ce qui contribue à « brouiller les pistes », d'autant plus que les négociations sont souvent très discrètes et les dispositifs complexes et peu transparents.
Définition générale :
Un SWAP est une technique d'allègement de la dette qui altère la valeur initiale ou la nature des instruments de prêt. Elle consiste en général en une réduction de la dette souveraine par un créancier en échange d'une action en faveur de l'environnement de la part du pays débiteur. La réduction peut être réalisée directement par le créancier, comme dans les échanges bilatéraux officiels mais parfois la partie de dette est rachetée avec une décote par une organisation qui se présente comme donatrice (souvent une ONG spécialisée dans l'environnement) comme dans les échanges multilatéraux. Ils visent à lier les dettes à des résultats environnementaux. Ils consistent en une réduction, avec la création d'un fonds de conservation financé et géré localement et des engagements politiques de haut niveau. Il en existe de deux sortes : des accords bilatéraux entre débiteurs et créanciers et des accords multilatéraux dans laquelle la dette est rachetée avec une décote par un ou plusieurs entités qui se présentent comme philanthropiques mais il s'agit souvent d'opérateurs privés à but lucratif ( des banques commerciales , une série d' intermédiaires privés obscures et non régulés. ) Une partie de l'économie réalisée est réaffectée aux efforts de conservation sous le contrôle d'organisations qui n'impliquent pas forcément les gouvernements ou les collectivités territoriales concernées ( ce qui pose question quant à la perte de leur souveraineté et du caractère démocratique).
Cette structure est plus souple et peut coexister à d'autres opérations de dettes favorables au climat et à la nature. En principe, « toutes les parties doivent tirer avantages de l'opération, les débiteurs comme les créanciers et intermédiaires ». Mais il faut bien comprendre que les États au bord du défaut de paiement ne sont pas vraiment en position de force pour défendre leurs intérêts et leur biodiversité devient une valeur cotée en bourse qui attire de plus en plus d'acteurs privés qui peuvent tirer profit de la spéculation sur les ressources naturelles à l'heure de l'urgence climatique.
c) Échanges bipartites ou bilatéraux
Actuellement, ils concernent surtout les échanges officiels justifiés (de gouvernement à gouvernement ou de gouvernement à groupe organisé de gouvernements comme le Club de Paris). Ce sont principalement les USA qui en sont les instigateurs encouragés par différents instruments comme les Initiatives Entreprises par les Amériques, suivies par La loi sur la conservation de la forêt tropicale (TFCA) en 1998 puis la Conservation des forêts tropicales et des récifs coraliens en 2019.
d) Un cas d'échange bipartite de dette-nature au Botswana
« En 2006, un échange dette-nature TFCA bipartite s'est conclu au Botswana. Il aurait permis, selon la BAD, l'annulation de 8,3 millions d'USD de dette bilatérale par le gouvernement américain en échange de la facilitation de l'octroi de subventions pour la conservation des forêts tropicales, financées par les économies réalisées sur la dette. Le Botswana devait constituer un Fonds de 10 millions d'USD dont 7 millions apportés par les USA en faveur des forêts. Le reste des économies réalisées sur le flux de la dette a pu être réinvesti aux autres dépenses publiques générales ». Nous ne disposons que de très peu d'informations à ce sujet et n'en connaissons pas l'impact réel. S'agit-il d'un effet d'annonce publicitaire ou bien cette opération est-elle vraiment un succès prometteur ?
e) Échange de dette-nature multipartite
Il arrive que des tiers interviennent dans le rachat d'une partie de la dette souveraine auprès des créanciers initiaux ou actuels surtout pour des dettes commerciales cotées en bourse. C'est le cas d'ONG environnementalistes comme CI, TNC, WWF, de banques de développement, ou de groupes de plusieurs institutions présentées comme donatrices, qui se coordonnent pour une même opération. Toute institution, ONG ou banque de développement, peut octroyer des financements à un ou plusieurs créanciers pour ce type d'opération. On peut concevoir ce genre d'échange multipartite avec uniquement des créanciers officiels. Un Etat pourrait accorder une aide financière à un autre créancier pour une telle opération.
Les Seychelles, illustrent bien ces échanges dettes-nature multipartites : « les obligations bleues ont été facilitées par l'ONG TNC ce qui a permis au gouvernement des Seychelles de renégocier sa dette avec le Club de Paris en favorisant en contrepartie la conservation du milieu marin ».
Les avantages pour les créanciers sont une publicité verte (dans certains cas, c'est l'effet principal poursuivi, et il s'agit en réalité d'un greenwashing mensonger) en plus de la perspective de récupérer des fonds dans l'immédiat de la part d'un instrument devenu trop risqué. Pour les débiteurs, on leur laisse miroiter une plus grande flexibilité de la structure adaptable aux situations spécifiques, l'amélioration de la viabilité de la dette ( ce qui dépend du montant de la somme réduite – souvent très petite- ou du délais accordé, des conditionnalités et surtout du taux d'intérêt appliqué ) dont la note ( bien qu'en général le FMI et les agences de notation ne tiennent pas compte de ces accords pour améliorer la cote de solvabilité des pays surendettés bien au contraire) et permet le maintien à plus long terme d'une politique de développement durable du gouvernement ( ce qui n'est pas prouvé car il n'y a pas de planification précise avec mesure d'impact contraignante ni de contrôle possible via les élections ou via un organe publique indépendant assortis au dispositif et les négociations ne sont pas rendues publiques) . Néanmoins, la BAD admet qu' il faut qu'ils concernent des montants suffisamment importants pour permettre que les économies réalisées autorisent une plus grande marge de manœuvre pour d'autres dépenses des pays débiteurs.
Ces échanges ont eu un impact très restreint jusqu'à présent.
D'après le rapport de la BAD, depuis 1987, la valeur nominale totale de la dette traitée par des échanges dette-nature bipartites et multipartites dans le monde se limite seulement à 3,7 milliards d'USD dont à peine 318 millions pour l'Afrique. Malgré tout, cela pourrait avoir un effet de publicité et de sensibilisation médiatique stimulant pour l'écotourisme, selon la BAD.
De plus il est très difficile d'en mesurer les résultats au niveau macroéconomique à long terme mais il semble d'ores et déjà que les échanges aient peu d'effets sur les bilans réels des pays bénéficiaires. Pour Belize, cependant, toujours selon la BAD, « si l'échange n'a pas complètement rétabli la viabilité de la dette, l'unique obligation souveraine de Belize qui représentait 1/3 de son PIB a été substituée, à un instrument moins lourd et contraignant offrant une marge de manœuvre plus importante au gouvernement et une capacité à convaincre des créanciers privés à faire plus de concessions ». Cela mériterait une enquête. Ces échanges pourraient-ils être transposables en Afrique à plus large échelle, avec des sommes plus importantes ?
En Afrique, vu le risque de défaut de paiement généralisé, il est possible de convaincre des créanciers « qu'il vaut mieux recevoir moins mais à très court terme et en monnaie locale ou en espèce plutôt que de ne plus rien recevoir du tout ou d'obtenir peu à trop long terme. » En évaluer l'effet sera compromis pour plusieurs raisons : le montant alloué à la conservation n'est pas toujours égal à la valeur nominale de la dette ; la réduction varie d'une transaction à l'autre : par exemple, à Belize la réduction est de 55 cents pour 1USD alors qu'elle est de 93,5 cents pour les Seychelles ; les taux d'intérêts appliqués diffèrent également ainsi que la durée des échéances.
Même s'ils apportent plus de flexibilité budgétaire aux États, il ne s'agit pas d'annulation de dettes et les encours de la dette reste largement inchangés. Finalement l'enveloppe allouée à l'environnement reste insuffisante. La BAD espère néanmoins qu'avec les engagements politiques et la publicité, ils contribuent à faire croître les fonds de conservation, les financements pour des résultats plus importants. Cependant, cet effet moteur n'est qu'hypothétique et pour l'instant, non démontré.
La difficulté réside à trouver des créanciers disposés à payer pour ces résultats par
rapport à l'environnement ou le climat ainsi que des débiteurs intéresser à s'y engager.
Ne sont pas inclues dans ce montant les dettes envers les créanciers multilatéraux privilégiés peu susceptibles d'envisager ce genre d'opérations d'annulation. C'est plus facile évidemment pour les dettes bilatérales avec des créanciers souverains officiels, comme les prêteurs du Club de Paris et les gouvernements qui se sont engagés dans la COP 26 à mobiliser des fonds pour le climat et la nature. Les créanciers commerciaux y voient moins d'intérêt sauf si leurs créances sont en trop grande souffrance et qu'ils risquent de tout perdre.
Du côté des débiteurs, cela peut sembler utile pour ceux qui sont déjà à risque élevé d'être en défaut de paiement mais pas pour les autres qui peuvent craindre que le recours à ces opérations nuise à l'appréciation de leur solvabilité, à la dégradation de leur note avec pour conséquences désastreuses une augmentation du coût des emprunts futurs et une difficulté d'accès aux marché internationaux. Dès lors, la plupart cherchent d'autres moyens de financement.
Dans le cas de l'Échange dettes nature des Iles Galapagos, le CADTM grâce au réseau sud-américain LATINDADD, a mis en évidence les risques importants de ce système, tel qu'il a été négocié en Équateur.
Malheureusement, il n'y a pas de raisons d'exclure que les dérives et travers dénoncés dans le cas de l'échange dette-nature aux Galapagos ne puissent pas se retrouver dans les échanges dette-nature en Afrique. Il faut bien sûr vérifier minutieusement, au cas par cas, mais les dangers existent.
Quels sont les points inquiétants qui méritent une mise en garde ?
Tout d'abord, tout se passe toujours en contexte de risque de faillite où les gouvernements surendettés et leurs créanciers sont prêts à tout pour éviter que le bateau coule et où les protections des pays concernés sont particulièrement fragilisées. Les dirigeant·es ont besoin de redorer leur blason et la cause climatique est très populaire internationalement pour l'instant.
Ensuite, on parle d'annulation de dettes alors qu'il ne s'agit que de très faibles réductions de dettes voire seulement de suspensions avec des taux d'intérêt variables. Donc en prétendant alléger, on ne fait que stigmatiser, et entretenir la dépendance et le système d'endettement sur le plus long terme. Les sommes libérées sont non seulement insignifiantes par rapport au problème de l'endettement du pays mais en plus les investissements concédés pour le fonds de conservation restent insuffisants pour la protection naturelle des territoires concernés.
D'ailleurs le FMI ne tient pas compte de ces conversions dans la manière dont il comptabilise la dette publique des pays et lorsque ceux-ci ont recours à des swaps, cela nuit à leur cote de solvabilité sur les marchés internationaux, en ayant un impact négatif sur les taux d'intérêts qui leur seront appliqués pour les prochains prêts. De surcroît, le dispositif mis en place est souvent un montage complexe, opaque, dans lequel des SPV (véhicule à objectifs spécifiques, opérateurs privés à but lucratif, non régulés) se mêlent à des banques comme le Crédit Suisse (dont la conduite scandaleuse et la mauvaise gestion ont été maintes fois critiquées). Ces acteurs ne sont pas « philanthropiques » mais ils cherchent à faire du profit. Ils sont d'ailleurs accusés régulièrement d'évasion fiscale, d'écoblanchiment d'argent, d'avoir recours à des malversations criminelles et à des paradis fiscaux. On ne précise pas les coûts administratifs de ces nombreux intermédiaires, souvent surfacturés.
Les négociations ne sont pas publiques et transparentes, pas plus que la fiscalité des opérateurs, leurs acquisitions, leurs contrats, les bénéfices réels qu'ils en retirent. Leur siège est à l'étranger. Ils ont des filiales dans plusieurs pays. Le holding qui s'étend parfois sur plusieurs entités délocalisées est de forme pyramidale mais personne ne sait qui est à la tête, qui est responsable et qui contrôle le tout. Il y a peu de traçabilité des investissements, qui peuvent être mêlés à des produits toxiques et devenir des produits dérivés très risqués. La spéculation sur la nature, non contrôlée, peut-être très rentable à court terme pour certains et profondément dommageable pour l'environnement, les gouvernements et les populations dans l'ensemble à moyen et long terme.
Enfin, les fonds de conservation créés dans les accords d'échange dette-nature sont majoritairement gérés ou détenus par des acteurs privés étrangers. Aucune planification à long terme n'est publiée et donc il n'y a pas de possibilité d'évaluation des impacts recherchés par rapport au climat ou l'environnement de manière précise. Il n'y a pas de démarche de procédure d'appel d'offres publiques. Les gouvernements se voient ainsi privés d'une partie importante de leur souveraineté en ce qui concerne la gestion de leurs ressources naturelles protégées et ainsi que l'administration de leurs populations impactées. En effet, les personnes qui vivent sur ces espaces et y travaillent (pêcheurs, agriculteurs, éleveurs, artisans, agents de tourisme...) ne sont pas consultées ou intégrées à des délibérations ou aux négociations quant à la gestion des espaces naturels dont elles dépendent. Leurs intérêts ne sont parfois même pas pris en compte voire carrément bafoués et leurs votes, leurs avis ne peuvent influencer les décisions des fonds.
Le cas de l'échange de dette-nature au Gabon
L'Agence écofin, a annoncé dans un article publié sur son site le 12 mai 2023, que la Bank of America allait arranger un échange dette-nature de 500 millions de USD au profit du Gabon. C'était une information rapportée par l'agence Bloomberg, la veille, citant des sources proches du dossier. L'accord qui a eu lieu en juillet, autorise une réduction de la dette extérieure gabonaise d'environ 500 millions de dollars, en s'engageant en contrepartie à protéger 26% des eaux territoriales du Gabon avec l'appui de l'organisation à but non lucratif américaine The Nature Conservancy. Le Gabon a créé ces dernières années le plus grand réseau de réserves marines protégées d'Afrique abritant d'innombrables espèces marines menacées, parmi lesquelles les populations reproductrices les plus importantes de tortues luths et de tortues olivâtres, ainsi que 20 espèces de dauphins et de baleines. Composé de 20 parcs marins et réserves aquatiques, ce réseau s'étend sur 53 000 km2.« Devant être conduite par Bank of America, l'opération visant à échanger une partie de la dette publique contre la protection de 26% des eaux territoriales soulève des questions aux plans politique, juridico-institutionnelle et technique », critiquait l'auteur AJ.S de « Un échange de dette-nature au Gabon, une aberration ».
Pourquoi l'opération est-elle conduite dans l'opacité, à l'abri des regards indiscrets ? Sur le plan politique d'abord, ni les administrations sectorielles ni les instituts de recherche ni la société civile et, encore moins, les parlementaires ne semblaient au courant. Aucun débat public... « Le Parlement ne devrait-il pas être tenu informé de l'existence d'une stratégie de désendettement ? »
Deuxièmement, d'un point de vue juridico-institutionnel, Lee White, le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l'Environnement était impliqué mais ses collègues en charge de l'Economie ou des Finance semblaient écarté·es, tout comme le directeur général de la Dette. Le Conseil des ministres avait donné son blanc-seing sans plus d'explications. « Pour parler des identités des créanciers, des échéances de remboursement, de la réduction des dépenses, de l'augmentation des recettes, du ratio dette-croissance, des taux d'intérêt ou de l'inflation, Lee White n'est ni le plus légitime ni le mieux outillé. Pourquoi doit-il supplanter Nicole Roboty Mvou, la ministre de la relance économique, et Edith Ekiri Mounombi, la ministre du budget ? »
L'article dénonçait aussi une opération aberrante d'un point de vue technocratique. « De quel type d'échange dette-nature s'agit-il ? D'une conversion de dette bilatérale comme celle résultant de l'accord passé en 2008 avec la France sous la houlette d'Omar Bongo Ondimba et Nicolas Sarkozy ? D'une initiative d'allègement de la dette multilatérale ? Ou d'une conversion de la dette commerciale ? Mystère et boule de gomme »... Qu'en était-il de l'étude de faisabilité ? « Profil de la dette, politique de désendettement, contexte macro-économique, sources de financement, aspects juridiques et fiscaux, taux de décote, bailleurs intéressés ou concernés, mécanismes de gestion des fonds... Sur tous ces points, ni le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l'Environnement ni l'Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) ne disposent de données complètes ». Mais selon le journaliste « les autorités se laissent aveugler par l'enthousiasme international pour de la défense de la biodiversité. Ayant longtemps présenté l'écotourisme comme le segment d'avenir, ayant ensuite fondé ses espoirs sur les crédits-carbone, » le gouvernement avait déjà fait face à tant de désillusions, ne devait-il pas plus se méfier ?
L'État gabonais a annoncé officiellement le mardi 25 juillet 2023, sur le site de la Bourse de Londres ( London Stock Exchange), cet échange dette-nature. Les médias gabonais se sont mis à parler de ce swap de manière laudative.
Ainsi par exemple le 8 août 2023, Gabon Review publie sur son site un article de Loic Ntoutoume « Échange dette-nature : le Gabon offre un rendement plus juteux que prévu ». Nous voyons que différents intermédiaires privés interviennent dans cette négociation dont l'intérêt financier reste la préoccupation principale . L'opération d'échange dette-nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions de dollars de ses obligations et de tirer un prêt bleu de 500 millions de dollars auprès du véhicule à usage spécial, Gabon Blue Bond Master Trust, a été boosté à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons du Trésor fixés le 7 août 2023, à 180 points de base. L'État gabonais et son arrangeur d'obligations, Bank of America, a relévé le prix de la transaction dette nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions USD de son euro-obligation 2025 et des deux euro-obligations 2031.Initialement fixée à 180 points de base, l'obligation bleue du Gabon a grimpé de 20 points pour se situer à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons de Trésor américain du 7 août 2023. Selon de

Pour Trump, les USA d’abord… et l’Afrique (bien) après

L'accession du milliardaire à la Maison blanche entraînera une politique africaine centrée sur les intérêts des États-Unis et la promotion des valeurs conservatrices en Afrique.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Quelle va être la politique de Trump vis-à-vis du continent africain ? La réponse est incertaine car lui — tout comme Kamala Harris, n'a jamais évoqué cette question pendant la campagne électorale — bien trop occupé à disserter sur les choix gastronomiques supposés des immigrés haïtiens de la ville de Springfield ou sur l'importation des mauvais gènes aux États-Unis par les migrantEs.
Désintérêt
On peut se baser cependant sur quelques indices, notamment son bilan lorsqu'il était au pouvoir de 2017 à 2021. On se souvient de la délicate formule qui sied à ce personnage si raffiné, traitant les pays africains de « pays de merde » et de sa relation toute particulière à la vérité en parlant de crimes de masse contre les fermiers blancs en Afrique du Sud. Deux ans après son installation au pouvoir, son éphémère conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, déroulait la stratégie des USA vis-à-vis du continent. Elle pouvait se résumer en une idée simple : cette politique devait avant tout rapporter aux USA. Trois thèmes étaient déclinés : les échanges commerciaux favorisant les entreprises américaines ; la promotion de l'aide seulement aux pays alliés et la lutte contre le terrorisme. Dans les faits, la politique de Trump a été surtout un désengagement des États-Unis du continent et la suppression des visas pour les ressortissants des pays comme la Somalie, le Soudan, la Libye, le Ghana, le Nigeria ou le Tchad, ce qui a contribué à renforcer la marginalisation des USA en Afrique.
America first
Autre indice, la communication de la fondation conservatrice Heritage Foundation. Sur les 900 pages de son rapport « Project 2025 » décrivant dans le détail les mesures à prendre pour une politique conservatrice radicale, une page et demie est consacrée à l'Afrique. Elle est écrite par Kiron K. Skinner, fan de Reagan et ancienne de l'administration George W Bush et Trump. Elle souligne l'importance de l'Afrique pour ses richesses naturelles, notamment les minerais nécessaires aux industries de haute technologie et sa proximité des voies maritimes. Pour elle, il est urgent de disputer « l'influence maligne » de la Chine et secondairement de la Russie. En termes économiques cela se traduit par le ciblage de certains pays considérés comme prioritaires plutôt que l'essaimage des aides à travers le continent. Des aides qui devront favoriser le « marché libre » et « la croissance privée » et être supprimées aux pays hostiles ou qui votent contre les USA dans les instances internationales. La crise sécuritaire au Sahel n'est pas considérée comme une menace vitale pour les États-Unis mais comme un danger potentiel sur le flanc sud de l'Otan. Enfin, les États-Unis devront porter leur effort sur les « activités diplomatiques essentielles » plutôt qu'essayer de promouvoir les droits des personnes LGBT.
Le sabre et le goupillon
Bien que ce programme présente une certaine continuité, il ne doit pas occulter que le Trump d'aujourd'hui est bien plus radical, et que lors de son mandat précédent il devait composer avec une Chambre des représentants à majorité démocrate à partir de 2018. Au vu des résultats, cela ne serait plus le cas. Ainsi il est très probable que des aides seront détournées vers les organisations évangéliques pour promouvoir des politiques homophobes et anti-avortement en Afrique. Ceci irait de pair avec la suppression du President's Emergency Plan for AIDS Relief consacré à la lutte contre le sida et décrié par les républicains. La recommandation de Heritage Foundation de reconnaître la région de Somaliland comme un État indépendant de la Somalie est révélatrice. Elle permettrait aux USA de dédoubler sur la côte somalilandaise leur base militaire de Djibouti qui se trouve à une dizaine de kilomètres de l'emprise chinoise pouvant accueillir plusieurs milliers de soldats. Même si le prix à payer serait une accentuation de la déstabilisation de la corne de l'Afrique.
Il est certain que l'élection de Trump est un encouragement à tous les autocrates africains.
Paul Martial

Angola-RDC. Le « corridor de Lobito » au cœur des rivalités entre la Chine et les Occidentaux

Les États-Unis et l'Union européenne voudraient redonner vie à une ancienne route coloniale permettant d'évacuer les minerais de la République démocratique du Congo vers l'océan Atlantique. Objectif : contrecarrer le quasi-monopole de la Chine sur ces ressources stratégiques qu'elle transporte jusqu'aux ports de l'océan Indien. Mais la brouille diplomatique entre Kinshasa et Kigali contrarie ce projet...
Tiré d'Afrique XXI.
La guerre dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) a hanté le dernier sommet de la Francophonie qui s'est tenu en France, à Villers-Cotterêt, début octobre 2024, jusqu'à inciter Félix Tshisekedi à précipiter son départ. Le chef de l'État congolais était agacé par le fait que, dans son discours d'ouverture, le président français Emmanuel Macron ait omis de mentionner la situation dans le Nord-Kivu, et qu'il ait accueilli son homologue rwandais, Paul Kagame, avec une chaleur très remarquée alors que celui-ci est soupçonné de soutenir un groupe armé dans la région. Mais derrière ces échauffourées diplomatiques, et alors que la situation sur le terrain est toujours aussi dramatique, un travail de fond se poursuit dans la région. Les voisins de la RDC se montrent de plus en plus préoccupés par cette guerre qui menace l'équilibre de l'Afrique centrale et paralyse des développements économiques potentiels.
C'est pourquoi le président de l'Angola, João Lourenço, médiateur désigné dans ce que l'on appelle le « processus de Luanda », remet inlassablement son ouvrage sur le métier. Alors que, malgré ses déboires sur le terrain, Kinshasa opte pour la voie militaire, son voisin angolais préconise toujours une solution politique. Le 4 août 2024, il a obtenu de Kinshasa et de Kigali que soit conclu un cessez-le-feu, mais, sur le terrain, les affrontements se poursuivent. Le mouvement rebelle M23, soutenu par Kigali, vient de conquérir la localité stratégique de Kalembe face à des adversaires gouvernementaux en manque de munitions.
L'équation demeure inchangée : Kinshasa dénonce le soutien que l'armée rwandaise apporte au M23, groupe composé de Tutsis congolais qui s'estiment discriminés. Les rapports des experts de l' ONU publiés deux fois l'an confirment régulièrement – et avec force précisions – l'appui du Rwanda. Kigali, tout aussi régulièrement, dément ces informations et répète que l'armée congolaise collabore avec ses adversaires depuis trente ans, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), composées au départ de militaires et de miliciens ayant participé au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, et dont les descendants partageraient toujours la même idéologie. Plus largement, Kinshasa accuse le Rwanda de « siphonner » les gisements miniers de l'est du Congo, dont la mine de Rubaya, dans le Nord-Kivu, l'un des plus importants gisements de cobalt au monde.
De la RDC aux États-Unis
L'obstination du président angolais à poursuivre sa médiation n'est pas inspirée uniquement par la solidarité africaine ou par une quelconque politique de bon voisinage : Luanda bénéficie du soutien des États-Unis et de l'Union européenne (UE), qui souhaiteraient développer au plus tôt un grand projet de coopération économique régionale, le « corridor de Lobito ».

Ce corridor relierait, sur une distance de 1300 km, les régions du sud de la RDC et du nord-ouest de la Zambie au port angolais de Lobito, sur l'océan Atlantique. Cette liaison permettrait d'exporter par chemin de fer les gisements miniers du Katanga, souvent qualifiés de « scandale géologique », via la côte ouest de l'Afrique au lieu de se diriger exclusivement vers les ports de l'océan Indien.
Ce projet économique stratégique a été relancé en mai 2023 dans le cadre du partenariat du G7 pour les infrastructures et les investissements mondiaux, puis en octobre de la même année lors du forum « Global Gateway ». L'Union européenne et les États-Unis ont signé, avec l'Angola, la RDC, la Zambie, la Banque africaine de développement (BAD) et l'Africa Finance Corporation, un protocole d'accord pour définir les objectifs de ce corridor destiné moins à désenclaver le cœur minier du continent qu'à orienter ses flux vers l'Atlantique et les ports états-uniens.
Un vieux projet colonial
À Bruxelles, les anciens du Congo colonial soulignent que cette idée n'a rien de neuf : avant l'indépendance de 1960, les Belges vivant au Katanga avaient l'habitude de rejoindre les plages angolaises bordant l'océan Atlantique en empruntant soit la route, soit ce qui s'appelait alors le chemin de fer de Benguela. Une grande partie de la production de cuivre de l'Union minière du Haut-Katanga empruntait la même destination, ainsi que l'uranium, qui rejoignait ainsi les États-Unis.
Les guerres qui marquèrent l'accession de l'Angola à l'indépendance en 1975 et se prolongèrent jusqu'à la fin de la guerre froide paralysèrent le chemin de fer, qui cessa de fonctionner. Du côté congolais, le manque d'entretien de la ligne puis le recours au transport routier achevèrent de rendre obsolète ce mode de transport pourtant moins onéreux et moins polluant.
Depuis plusieurs années, des accords bilatéraux conclus entre Kinshasa et Luanda ont eu pour objectif de réhabiliter la ligne. Du côté angolais, le travail a été réalisé, de la côte Atlantique jusqu'à la frontière : trente gares ont été construites sur le trajet, il est question de créer des doubles voies afin que les trains puissent circuler dans les deux sens, un aéroport international a été construit à Lobito, un terminal minéralier et pétrolier ainsi qu'un port sec attendent les marchandises. La Chine n'est pas absente du développement angolais et elle envisage de construire à Lobito une raffinerie. Du côté congolais, par contre, les 427 kilomètres restants représentent un véritable goulet d'étranglement, et le chemin de fer qui fut construit entre 1902 et 1929 attend toujours d'être remis en état...
Le monopole de la Chine
Au pouvoir durant dix-huit ans et déçu par le manque d'empressement des Européens au début des années 2000, Joseph Kabila, dès 2006, avait misé sur des accords de partenariat avec la Chine. À l'époque, ils les avaient qualifiés de « win-win » (gagnant-gagnant), l'accès aux minerais étant échangé contre la réalisation de grands travaux d'infrastructure - une politique appelée des « cinq chantiers ».
Aujourd'hui encore, les entreprises chinoises dominent la ville minière de Kolwezi. D'immenses terrils jouxtent le cœur de cette vieille ville coloniale où des creuseurs se faufilent dans des tranchées jusque dans les fondations des maisons et des commerces. Des norias de camions-remorques acheminent les minerais – souvent non traités et à peine triés – vers Durban (Afrique du Sud) et les autres ports de l'océan Indien. La pollution qu'ils dégagent empoisonne les villages situés sur le parcours.
Cuivre, uranium, cobalt et autres minerais stratégiques : les ressources de la « Copper Belt » congolaise et zambienne sont désormais au cœur du quasi-monopole de la Chine dans les technologies numériques. Il ne s'agit pas ici d'une prospère « route de la soie » mais de pistes poussiéreuses qui traversent les savanes africaines et alimentent les usines chinoises produisant du matériel informatique. Dès son premier mandat (2018-2023), Félix Tshisekedi a été très courtisé par les Occidentaux, qui espéraient un basculement politique en leur faveur.
Le rendez-vous manqué de Joe Biden en Angola
Soucieux de contrer la concurrence commerciale et technologique de Pékin, les États-Unis et l'Union européenne ont alors misé sur le corridor de Lobito. D'après ses promoteurs, cette route ferroviaire et routière raccourcirait fortement les délais de transport (huit jours pourraient suffire pour rejoindre l'Atlantique, au lieu d'un mois pour gagner les rives de l'océan Indien). Cette « voie rapide » devrait libérer l'énorme potentiel économique de la région et améliorer les exportations de l'Angola, de la RDC et de la Zambie.
Les matières premières embarquées à Lobito se dirigeraient alors vers l'autre rive de l'Atlantique, où les entreprises états-uniennes entendent bien défier la concurrence chinoise. C'est pour soutenir cet ambitieux projet que le président Joe Biden, jusqu'à ce qu'il renonce à se porter candidat pour un second mandat, avait envisagé un voyage en Angola, qui aurait été son seul déplacement sur le continent africain. C'est pour cette raison aussi que Washington et Bruxelles soutiennent les efforts de médiation de João Lourenço dans la région.
Reste à savoir quelle sera la réponse chinoise à cette concurrence occidentale. Participant au Forum sur la coopération Chine-Afrique, du 4 au 6 septembre 2024, Félix Tshisekedi a été accueilli avec tous les honneurs (bien mieux qu'à Paris quelques jours plus tard…) et ses hôtes ont réaffirmé leur attachement à l'intégrité territoriale de la RD Congo. Le président congolais, qui avait mené fin 2023 une campagne électorale imprégnée de nationalisme et axée sur la promesse d'une victoire militaire dans l'est du pays, se trouve désormais tenu par ses engagements et surveillé de près par son opinion publique. En conséquence, il se montre peu réceptif à une éventuelle négociation avec des rebelles soutenus par son voisin rwandais.
En outre, la RDC voudrait – sans trop de succès jusqu'à présent – se doter d'un port en eau profonde à Banana, dans le Bas-Congo, afin de ne pas dépendre, pour ses exportations, de ports situés dans des pays voisins, fussent-ils amis. C'est dans le même esprit qu'un aéroport international vient d'être inauguré en grande pompe à Mbuji Mayi, la capitale du Kasaï, qu'il s'agit de désenclaver avec d'autant plus d'urgence que de récentes prospections menées à la demande de la Miba (Minière de Bakwanga, une société d'État) ont révélé l'existence d'un important gisement de nickel-chrome, qui pourrait relancer l'économie de l'ancienne province du diamant. Après Bruxelles et Londres, le PDG de la Miba, Jean-Charles Okoto, compte se rendre en Chine. Dans ce contexte de concurrence internationale, le « processus de Luanda » censé ramener la paix dans l'Est du pays n'avance guère, et le corridor de Lobito n'est pas près d'ouvrir.

Le Mozambique au bord du gouffre

Le Mozambique se trouve à un tournant critique, le mécontentement post-électoral révélant des failles profondément enracinées dans son système politique. Ce qui a commencé comme un défi au parti au pouvoir, le Frelimo, après les récentes élections de 2024, a maintenant dégénéré en une crise nationale. Le parti au pouvoir, autrefois vénéré pour son rôle dans la libération du Mozambique, est de plus en plus considéré par beaucoup comme une organisation d'extrême droite agissant pour des intérêts privés et le capital international. Des décennies de prétendues manipulations électorales, de corruption systémique et de contrôle de tous les pouvoirs du gouvernement ont érodé la confiance et la légitimité du public .
Tiré d'Afrique en lutte.
Frelimo : des héros de la libération aux collaborateurs d'entreprises
Le parti Frelimo, au pouvoir depuis l'indépendance du Mozambique, est au cœur de la crise démocratique du pays. D'abord salué pour son rôle libérateur, le Frelimo est passé du statut de force révolutionnaire à celui de parti accusé de diriger un système quasi autoritaire. De plus en plus d'éléments suggèrent que le Frelimo a utilisé le Comité national des élections (CNE) pour bloquer la participation de l'opposition aux élections, tirant parti de son contrôle pour s'assurer des victoires électorales régulières. La composition actuelle du CNE, composée de sympathisants du Frelimo, manque de l'indépendance essentielle à la légitimité démocratique. Pour beaucoup, la gestion des résultats des élections récentes par le CNE n'a fait que confirmer qu'il fonctionne comme une extension du parti au pouvoir.
Cette monopolisation va au-delà de l'appareil politique. L'enracinement du Frelimo dans les industries extractives, notamment le gaz, le charbon, les rubis et les terres rares, a transformé le Mozambique en un centre d'extraction international. Les entreprises ont eu accès aux richesses du pays avec le soutien du Frelimo, tandis que les communautés locales souffrent de l'accaparement des terres et de la dégradation de l'environnement. Alors que les richesses quittent le Mozambique, une cabale d'élites et d'investisseurs étrangers continue d'en tirer profit aux dépens de l'autonomie économique du pays. Pendant ce temps, les inégalités de revenus se creusent et la pauvreté persiste, créant un paysage sociopolitique précaire où les griefs de la population s'intensifient.
Fraude électorale et érosion des institutions démocratiques
Les élections de 2024 ont été un véritable point de départ pour le mécontentement populaire. Malgré les arguments convaincants de l'opposition, le CNE a déclaré le candidat du Frelimo, Daniel Chapo, vainqueur avec une majorité écrasante (70 %). Cette annonce a suscité l'indignation nationale, car la population y a vu une nouvelle démonstration de la mainmise du Frelimo sur le processus électoral. Les dirigeants de l'opposition, en particulier Venâncio Mondlane de PODEMOS, ont présenté les preuves de sa victoire au Conseil constitutionnel, une démarche emblématique de la frustration croissante face à la monopolisation de l'espace politique par le Frelimo.
La controverse s'est encore aggravée lorsque la CNE a été incapable de produire les relevés de vote originaux pour examen, invoquant le vol comme motif. Le Conseil constitutionnel a ensuite mis la CNE au défi d'expliquer l'écart entre la participation électorale et le décompte des voix, ce dernier dépassant de manière suspecte le premier. De tels incidents ont alimenté l'impression publique que le système électoral mozambicain est au mieux inefficace et au pire complice de la capture de l'État par une élite dirigeante.
Le mécontentement des jeunes et le rôle de l'influence étrangère
Le rejet généralisé des résultats des élections a placé la jeunesse mozambicaine au premier plan de la résistance. De nombreux jeunes, qui constituent une part importante de la base électorale, n'ont aucune allégeance historique au Frelimo en tant que parti de libération. Pour eux, le Frelimo représente des décennies de promesses non tenues, un chômage croissant et des obstacles au progrès socio-économique. Menés par Venâncio Mondlane, les jeunes protestent activement, descendant dans la rue pour défier ce qu'ils considèrent comme un avenir volé.
Le gouvernement a réagi avec des mesures musclées. La répression policière des manifestations a fait des victimes et des personnalités proches de Mondlane, dont son avocat et un haut conseiller politique, ont été assassinées. Les responsables du Frelimo, invoquant une influence étrangère dans les manifestations, ont tenté de présenter les troubles comme faisant partie d'un complot international visant à déstabiliser le pays et à s'emparer de ses ressources. Cependant, de telles accusations sonnent creux, d'autant plus que le Frelimo lui-même a toujours collaboré avec des sociétés étrangères pour exploiter les ressources du Mozambique.
Le silence du président mozambicain, Filipe Nyusi, n'a fait qu'accroître la tension. Selon certaines informations, Nyusi se serait récemment rendu au Rwanda, pays dont le dirigeant, Paul Kagame, a apporté une aide à la sécurité du Mozambique dans la zone de conflit de Cabo Delgado. Étant donné l'étroite alliance entre Kagame et Nyusi, certains analystes soupçonnent que ce voyage n'était qu'une retraite tactique dans un contexte de craintes d'un éventuel coup d'État. Ces spéculations soulignent la fragilité des institutions mozambicaines et le rôle accru des acteurs étrangers dans le maintien du statu quo.
La nécessité d'un changement systémique
Les défis auxquels le Mozambique est confronté ne peuvent être résolus par des réformes superficielles. L'infrastructure politique du pays a besoin d'une refonte fondamentale. Le manque de transparence des processus électoraux, l'indépendance compromise de la CNE et la nature partisane du système judiciaire mozambicain sont des problèmes critiques qui exigent une action immédiate. De plus, le contrôle exercé par le parti au pouvoir sur la police et l'armée perpétue un système dans lequel le pouvoir est maintenu par la force plutôt que par le consentement.
Au carrefour de la démocratie et de l'autoritarisme
Le Mozambique se trouve à la croisée des chemins. Le Conseil constitutionnel doit maintenant prendre la difficile décision d'annuler l'élection, de déclarer Mondlane vainqueur ou de confirmer la présidence d'El Chapo. Chaque option comporte des risques, mais l'incapacité à répondre aux doléances de la population risque d'aggraver l'instabilité du pays. La résistance menée par les jeunes est le signe d'un rejet d'un système politique qui n'a pas su évoluer en fonction des aspirations de son peuple. Le choix du Mozambique de faire face à ses lacunes démocratiques ou de renforcer davantage ses structures autoritaires déterminera non seulement son avenir, mais aussi sa place au sein d'une communauté internationale qui attache de plus en plus d'importance à la transparence et à la responsabilité.
Au Mozambique, l'appel à la réforme n'est plus seulement une exigence, c'est un impératif. Un véritable renouveau démocratique pourrait permettre au Mozambique de mettre ses riches ressources au service du bien collectif, en allant au-delà de l'héritage de la libération vers un avenir de gouvernance équitable et responsable.
Boaventura Monjane est journaliste et universitaire mozambicain. Chargé de recherche à l'Institut d'études sur la pauvreté, la terre et l'agriculture de l'Université du Cap occidental. Chargé de programme de solidarité pour l'Afrique de l'Ouest et Haïti à Grassroots International .
Traduction automatique de l'anglais

Kanaky-Nouvelle-Calédonie : six mois après les révoltes, le dialogue dégèle peu à peu

Le 13 mai, l'archipel s'embrasait après un énième passage en force du gouvernement. Six mois après, les souffrances demeurent vives, les antagonismes profonds, et les doutes sur l'avenir ont remplacé l'espoir né des accords de 1988 et 1998. Sur place, le dialogue reprend timidement.
Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/monde/colonialisme/kanaky-nouvelle-caledonie-six-mois-apres-les-revoltes-le-dialogue-degele-peu-a-peu
Publié le 12 novembre 2024
Benjamin König
Les pyromanes sont restés en France et les pompiers ont débarqué. Six mois après le début des violences qui ont enflammé la Kanaky-Nouvelle-Calédonie dans des proportions inédites depuis les « événements » des années 1980, les présidents des deux chambres parlementaires, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, ont atterri à la Tontouta, l'aéroport du Caillou, pour une mission du 10 au 14 novembre.
Le chantier est immense, les plaies à vif. Treize morts, près de 2 500 gendarmes et policiers déployés et presque autant d'arrestations, des centaines d'entreprises et de bâtiments publics détruits, un chômage et des inégalités béants, près de 2 milliards d'euros de dégâts. Moins visible mais tout aussi important : une société fracturée et un dialogue au point mort.
“Notre mobilisation visait précisément à négocier”
Ce mardi, les deux présidents ont poursuivi leur mission de « concertation » avec « une nouvelle méthode », selon Gérard Larcher, aux antipodes de celle employée par l'État depuis 2021. Allusion claire au passage en force du gouvernement sur le dégel du corps électoral, qui, comme en 1984, a mis le feu aux poudres.
« Notre mobilisation visait précisément à négocier, rappelle le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou. C'est le passage en force du texte qui a tout stoppé. » Quant à la mission des parlementaires, le député s'interroge : « Quel est leur mandat ? De notre côté, nous avons une proposition écrite sur la table. » Celle de la pleine souveraineté, comme le prévoit l'accord de Nouméa de 1998.
Pour les indépendantistes, les leçons à tirer sont nombreuses par rapport au peuple calédonien et à la jeunesse kanak, et vis-à-vis de l'État. Face à celui-ci, le sénateur de Lifou, Robert Xowie, résume ce « sentiment que l'histoire, les vieilles pratiques ou les réflexes colonialistes se répètent inlassablement ».
Quant à l'ampleur des violences survenues dans le Grand Nouméa, elles ont surpris par la détermination des jeunes et leur caractère à la fois identitaire et social. « Ce qui s'est passé est le résultat de l'échec des politiques publiques, de la citoyenneté qui était le cœur du projet de société », estime Emmanuel Tjibaou. Le fameux « destin commun » consacré par l'accord de Nouméa paraît avoir volé en éclats dans certains pans du territoire. Un constat amer établi par le député : « Personne ne prend en compte nos réalités océaniennes. Nous avons une identité et un héritage à partager, mais beaucoup ne le veulent pas. »
À cela s'ajoute une réelle division entre les deux composantes principales du FLNKS, le Parti de libération kanak (Palika) et l'Union calédonienne (UC). « Je suis UC mais je représente toutes les composantes du Front. Si j'ai été élu, c'est parce que tout le monde s'est mobilisé », tempère Emmanuel Tjibaou. En retrait depuis plusieurs mois, le Palika tenait son congrès le week-end dernier, avec des questions majeures : sa stratégie au sein du FLNKS, qui fête cette année ses 40 ans.
Sous la surveillance de l'ONU
La droite ressort elle aussi divisée. Sonia Backès et Nicolas Metzdorf, également député, s'enferment dans une radicalité qui rebute jusque dans leur camp. Dans un communiqué, ceux-ci accusent la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain, organisation indépendantiste créée par l'UC pour contester le dégel du corps électoral) d'avoir fomenté « un coup d'État ».
C'est ce que reproche en creux la justice française aux prisonniers kanak, comme l'indiquent les lourds chefs d'accusation que le procureur de Nouméa, Yves Dupas, a convoqués : complicité de tentative de meurtre, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime. Ce malgré les appels répétés au calme. En premier lieu, de la part de Christian Tein, dirigeant de l'UC et de la CCAT, désormais président du FLNKS depuis sa cellule d'isolement de Mulhouse. « Nous demandons leur libération », martèle Emmanuel Tjibaou, qui déplore : « Nous sommes obligés de répéter les mêmes choses car l'histoire se répète. » Allusion à la longue tradition d'exil forcé des chefs kanak, comme dans l'ensemble des colonies françaises.
Ce nouveau pan d'histoire de l'archipel ne s'écrit pas à huis clos. Le comportement de la France est scruté, notamment par l'ONU, dont quatre experts ont publié un rapport le 20 août. Leur constat est accablant. Le projet de loi constitutionnel est décrit comme une « menace de démanteler les acquis majeurs de l'accord de Nouméa ».
Après un décompte des morts, blessés et arrestations arbitraires, le document prend la forme d'un réquisitoire contre l'État français : « Le manque de retenue dans l'usage de la force contre les manifestants kanak et le traitement exclusivement répressif et judiciaire d'un conflit dont l'objet est la revendication par un peuple autochtone de son droit à l'autodétermination sont non seulement antidémocratiques, mais profondément inquiétants pour l'État de droit. »
Ce mardi, Gérard Larcher a parlé devant le Congrès d'une « souveraineté partagée ». Une première. C'est d'ailleurs le projet porté par l'ensemble du FLNKS, malgré quelques divergences. Quant au corps électoral, la réforme est remisée mais pas enterrée. Ce corps électoral peut être dégelé, mais dans le cadre d'un accord global sur la souveraineté et la citoyenneté, comme l'ont toujours demandé les indépendantistes. Une citoyenneté qui reposerait alors sur un principe universel : le droit du sol.
Problème : les anti-indépendantistes y sont toujours opposés, comme aux principes mêmes de l'accord de Nouméa. En juillet, l'ex-ministre Sonia Backès, toujours présidente de la province Sud, a proposé une partition de la Calédonie : « Au même titre que l'huile et l'eau ne se mélangent pas, je constate que le monde kanak et le monde occidental ont, malgré plus de 170 années de vie commune, des antagonismes encore indépassables. » Des Blancs repliés sur Nouméa, en autarcie et surtout « protégés » des Kanak : le modèle que proposent Backès et la droite anti-indépendantiste, c'est un apartheid.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.

L’Ukraine se remet d’une lourde nuit de tirs de roquettes et de missiles

L'Ukraine se remet d'une lourde nuit de tirs de roquettes et de missiles, d'est en ouest. Chaque matinée comme celle-ci n'est pas seulement synonyme de pertes, mais aussi une raison de se rendre compte de la résistance du réseau électrique, de la continuité des chemins de fer et du dévouement des sauveteurs
Tiré de Inprecor
18 novembre 2024
Par Vitaliy Dudin
Il va sans dire que notre bien-être commun dépend de ces domaines socialement essentiels, ou plus précisément de leur fourniture adéquate au niveau de l'État.
Il est aussi évident que l'ennemi veut détruire ce qu'on peut appeler des sites d'infrastructures critiques.
On sait déjà que les Russes ont frappé principalement des sites énergétiques, et ont causé la mort de deux employés de l'Ukrzaliznytsia [chemins de fer] et en ont blessé trois
Cependant, il convient de rappeler que les réformes néolibérales imposées d'en haut peuvent porter gravement atteinte au fonctionnement des industries critiques en reléguant au second plan les intérêts de la société. La logique est de commercialiser davantage ces secteurs et de les rendre plus attrayants pour les investisseurs plutôt que, disons, d'améliorer la protection de leurs employés. Le moteur de ces processus n'est pas l'exigence de l'UE, mais plutôt l'influence du lobby des entreprises ou le désir intrinsèque de « libérer » les citoyens des attitudes paternalistes.
D'un point de vue purement humain, ce qui me dérange le plus, c'est l'incapacité du Ministère ukrainien de la politique sociale à garantir le versement des prestations prévues par la loi 2980 pour les familles de personnes tuées dans des infrastructures critiques. Le caractère massif des refus de versement d'allocations par les autorités du Fonds de pension de l'Ukraine pour des raisons purement bureaucratiques a entraîné des déceptions et de nouveaux traumatismes dans la population.
J'ai pu rencontrer les survivants des familles des travailleurs de Kherson qui ont effectué la restauration des lignes électriques détruites et ont été tués en 2023. Malheureusement, l'État a refusé à toutes ces familles les paiements dus en vertu de la loi 2980, car il considère que les cibles des attaques n'étaient pas des infrastructures essentielles. Je ne veux pas que les électriciens ordinaires, les travailleurs de la défense et des chemins de fer deviennent des héros oubliés en cas de tragédie, parce qu'ils ont tout fait pour que notre vie soit la meilleure possible.
Ensemble, nous survivrons à ces défis historiques et défendrons le droit à une vie meilleure en tant que pays. Mais pour cela, l'État doit contribuer par tous les moyens au renforcement des infrastructures critiques, en accordant une attention particulière aux questions sociales : sécurité du travail, versements décents d'assurance, implication des syndicats dans la résolution des problèmes.
Le 17 novembre 2024, traduit par Catherine Samary
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Qualifier des violences entre supporters de pogrom est une insulte à la mémoire des opprimé·es

Des hooligans israéliens d'extrême droite se sont déchaînés à Amsterdam, vociférant des slogans racistes, faisant l'apologie du génocide en cours à Gaza ou agressant des personnes, suscitant une réaction de la part d'habitants locaux. La confrontation a été violente, et des supporters israéliens qui n'étaient pas impliqués dans les attaques menées par les hooligans du Maccabi Tel-Aviv auraient également été victimes de violences à leur tour.
Tiré du site de la revue Contretemps.
Néanmoins, qualifier de pogrom ce qui s'est passé banalise des horreurs authentiques et relève de l'ignorance historique, comme le montrent dans cet article Djene Rhys Bajalan et Ben Burgis. Une telle interprétation des faits – promue très vite par Netanyahou – a essentiellement pour fonction de victimiser l'État colonial d'Israël et, ce faisant, de légitimer la guerre génocidaire que celui-ci mène contre les Palestinien·nes de Gaza, ainsi que le nettoyage ethnique en Cisjordanie et les bombardements incessants sur des populations civiles au Liban (accompagnés d'une invasion terrestre), mais aussi la répression des mouvements de solidarité avec la Palestine, partout dans le monde occidental.
***
La semaine dernière, le journal de Bari Weiss, Free Press, a titré : « Le pogrom de la nuit dernière à Amsterdam ». Deux jours plus tard, Fox News informait ses lecteurs en ligne que le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait « condamné » le « pogrom antisémite d'Amsterdam ».
À présent, une recherche Google avec le seul mot « pogrom » fait apparaître une interminable succession de gros titres sur ce même événement, souvent accompagnés de vidéos de supporters de l'équipe de football Maccabi Tel-Aviv attaqués dans les rues d'Amsterdam.
La logique de ce récit semble assez simple. Ce qui s'est passé après le match entre le Maccabi et l'Ajax d'Amsterdam était (a) une séquence de violences où (b) les victimes étaient juives et (c) les auteurs ne l'étaient pas. Il s'agit donc d'un « pogrom ».
Mais que s'est-il réellement passé à Amsterdam ? À y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'on ne peut strictement en aucune manière parler de « pogrom ».
Ce qu'étaient réellement les pogroms
Le terme « pogrom » évoque de profonds souvenirs de traumatismes juifs, ainsi qu'une histoire de brutalisation aux mains des communautés ethniques dominantes. Pourtant, appliquer ce terme à des événements récents est une grave erreur, qui déforme la véritable signification des pogroms tels qu'ils sont apparus historiquement, en particulier lors de la transition de la civilisation féodale à la civilisation capitaliste.
Les pogroms ne sont pas des actes de violence isolés. Il s'agissait d'agressions calculées pour maintenir les Juifs fermement enfermés dans leur périmètre social. Les pogroms étaient un outil utilisé par la majorité contre une minorité racialisée à qui l'on refusait tous les droits politiques et civils.
Si leur objectif premier était le maintien d'une hiérarchie, des spécialistes des pogroms, comme le professeur Hans Rogger, ont fait valoir qu'ils atteignaient leur paroxysme lorsque l'appareil de l'ordre existant – les systèmes juridiques et institutionnels qui perpétuent la discrimination – commençait à s'affaiblir ou à devenir inopérant. La minorité était alors la cible de la vengeance de la majorité qui estimait qu'elle « se hissait au-dessus de sa condition ». En bref, les pogroms ont servi d'instruments de terreur, renforçant les fondements du régime social existant en période de changement rapide.
Ce modèle de violence calculée ressemble étrangement à d'autres moments de l'histoire où les structures légales d'assujettissement étaient en déclin, comme la violence brutale que les musulmans ottomans ont infligée aux Arméniens – un processus qui s'est déroulé précisément au moment où la base légale de la « dhimmitude » (le statut inférieur des non-musulmans) était en train d'être démantelée. De même, aux États-Unis, le massacre de Tulsa est un pogrom de violence raciale visant les Noirs américains ayant réussi économiquement, et à ce titre, une tentative de consolider la stratification raciale à un moment où de nombreux Blancs craignaient l'érosion de la hiérarchie existante.
Ces exemples illustrent un principe fondamental : les pogroms ne peuvent se produire en dehors du cadre d'une société qui refuse systématiquement des droits à une minorité, en veillant à ce qu'elle reste vulnérable à la violence de la majorité. Ce qui s'est passé à Amsterdam ne ressemble en rien à cette structure. Il ne s'agissait pas d'attaques fondées sur l'oppression religieuse ou raciale. Il s'agissait d'incidents alimentés par la discorde politique entre différents groupes de nationalistes.
Décrire ce qui s'est passé à Amsterdam comme un pogrom ne sert qu'à brouiller les frontières entre l'antisémitisme et l'antisionisme, à obscurcir la nature spécifique (bien que se chevauchant parfois) de chacun et à déformer profondément les réalités matérielles de l'Europe moderne.
Ce qui s'est passé à Amsterdam
Les Juifs de l'Empire russe, où le terme « pogrom » a été inventé, savaient très bien qu'il ne fallait attendre aucune aide de la part des autorités tsaristes. Dans un pogrom classique, ces autorités se tenaient généralement à l'écart et laissaient libre cours à la violence, voire y participaient directement. Et les victimes étaient souvent bien trop effrayées par les conséquences pour elles-mêmes ou pour leur communauté pour essayer de se défendre.
Le plus souvent, les meilleures options étaient de barricader les portes ou de fuir. Si vous aviez beaucoup de chance, vous pouviez fuir jusqu'aux États-Unis, par exemple, où les pogroms n'existaient pas. (À titre personnel, c'est ainsi que la famille de l'un des auteurs de cet article est arrivée ici).
La dynamique de ce qui s'est passé à Amsterdam aurait difficilement pu être moins proche de cette histoire. Comme de nombreuses équipes dans le monde, certains supporters du Maccabi Tel Aviv sont ce que l'on appelle communément des « hooligans ». Comme on le voit couramment dans d'autres pays, cette brutalité comporte un élément politique nationaliste. Lors du match d'Amsterdam, les hooligans semblent s'être dépassés à cette occasion.
Avant que la situation ne s'inverse, certains supporters du Maccabi avaient arraché et brûlé des drapeaux palestiniens, attaqué violemment des chauffeurs de taxi musulmans, et applaudi et scandé pendant une minute de silence lors du match contre l'Ajax pour les victimes d'une inondation en Espagne. Selon le New York Times, la plupart des chants nationalistes de ce groupe au cours de ces événements ont dérapé vers « des slogans incendiaires et racistes, déclarant notamment qu'il n'y avait “plus d'enfants” à Gaza… ».
Par la suite, des supporters israéliens ont été agressés, notamment lors d'attaques avec délit de fuite par des auteurs circulant à bicyclette. Certaines des victimes étaient des supporters de Maccabi qui n'avaient pas participé aux actes d'hooliganisme précédents. En d'autres termes, l'événement s'est déroulé comme une violence footballistique nationaliste classique : les voyous d'un groupe de supporters se livrent à des actes violents, et l'affreuse dynamique intercommunautaire conduit à ce que non seulement les auteurs de ces actes, mais aussi l'ensemble du groupe de supporters (ou même de simples passants dont on suppose à tort qu'ils partagent leurs origines ou leur nationalité) soient attaqués.
S'il s'agissait, par exemple, de hooligans de Manchester City se livrant à des violences à Madrid et que d'innocents supporters de Manchester City (ou peut-être même de simples Anglais) étaient attaqués en retour, personne n'appellerait ça un « pogrom ». On parlerait simplement de violences footballistiques. Il est d'ailleurs frappant de constater que, loin de se comporter comme les autorités tsaristes lors d'un pogrom, la police d'Amsterdam semble avoir réprimé beaucoup plus durement ceux qui ont attaqué les supporters de Maccabi que les hooligans ouvertement racistes de Maccabi qui ont eux-mêmes déclenché la première phase des violences.
Notre propos ici n'est pas de dire que les actions incendiaires (et, dans certains cas, réellement violentes) des hooligans du Maccabi justifient ce qui s'est passé par la suite. Notre point de vue, vraiment très original, sur les événements qui se sont déroulés est que les violences dans le football sont une mauvaise chose.
Mais notre autre point de vue, plus important, est qu'essayer de faire entrer des violences assez classiques entre deux nations dans la catégorie des « pogroms » tient de l'exagération la plus grossière. En outre, l'utilisation de cette désignation pour salir de manière opportuniste le refus mondial contre les atrocités commises par Israël à Gaza en prétendant y voir une manifestation d'antisémitisme classique ne sert qu'à banaliser les horreurs véritables. Toutes celles et ceux qui se soucient réellement de l'antisémitisme devraient rejeter cet amalgame historiquement analphabète.
*
Ben Burgis est chroniqueur au Jacobin, professeur adjoint de philosophie à l'université Rutgers et animateur de l'émission YouTube et du podcast Give Them An Argument. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont le plus récent est Christopher Hitchens : What He Got Right, How He Went Wrong, and Why He Still Matters.
Djene Rhys Bajalan est professeur associé au département d'histoire de l'université de l'État du Missouri. Il est également co-animateur du podcast This Is Revolution.
Article publié initialement sur Jacobin. Traduction : Contretemps

Les émeutes d’Amsterdam et le loup qui criait à l’antisémitisme

Les supporters israéliens du Maccabi Tel Aviv ont déclenché des violences à Amsterdam, mais l'extrême droite les présente comme des victimes pour réprimer la solidarité avec la Palestine.
Tiré de Inprecor
18 novemre 2024
Par Alex De Jong
La maire libérale d'Amsterdam, Femke Halsema, a déclaréque les affrontementsqui ont suivi le match entre le Maccabi Tel Aviv et l'AFC Ajax à la fin de la semaine dernière étaient le résultat d'un « cocktail toxique d'antisémitisme, de hooliganisme et de colère à propos de la guerre en Palestine et en Israël ». Si cette description n'est pas totalement fausse, elle est assurément trompeuse. C'est ce qui ressort clairement du rapport exécutif du conseil municipal, dans lequel Halsema a écrit la déclaration susmentionnée.
Aujourd'hui, la droite néerlandaise utilise une interprétation déformée de la violence dans la ville et arme l'antisémitisme pour faire avancer son programme raciste et justifier la répression de la solidarité avec la Palestine.
Dès avant le match de jeudi soir, il était clair que les supporters du Maccabi étaient venus à Amsterdam pour se battre. Ils ont traversé la ville en chantant des chants racistes et génocidaires et en harcelant des personnes qu'ils supposaient être musulmanes ou arabes. En outre, Amsterdam étant généralement une ville de gauche avec une importante communauté musulmane, il n'est pas rare de voir des drapeaux palestiniens accrochés aux balcons ou aux fenêtres. Des vidéos ont circulé montrant des supporters du Maccabi en train de les arracher.
La situation s'est encore aggravée lorsque des supporters de l'équipe de Tel Aviv ont agressé un chauffeur de taxi, provoquant la réaction d'un groupe très soudé et rapidement mobilisé.
La tension était telle avant le match que le conseil municipal d'Amsterdam a même envisagé de l'interdire. Ils ont toutefois décidé de ne pas le faire, craignant que les centaines de supporters de Maccabi présents dans la ville ne deviennent encore plus incontrôlables. Au lieu de cela, l'exécutif a essayé de contacter les clubs de football pour qu'ils demandent à leurs supporters de se calmer. Il a également été demandé à l'ambassadeur d'Israël de déclarer que le football et la politique ne devaient pas se mélanger, mais sa réponse n'a pas été rendue publique.
Deux poids, deux mesures
Toute cette situation est le résultat d'une hypocrisie flagrante de la part des autorités néerlandaises en ce qui concerne les souffrances des Palestiniens. À la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les équipes russesont été interdites, mais lorsque des organisations de solidarité avec la Palestine ont demandé l'interdiction des équipes israéliennes, elles ont été ignorées. L'exécutif d'Amsterdam a même prétendu que les supporters du Maccabi, qui avaient envoyé à l'hôpital un homme en Grèce parce qu'il portait un foulard palestinien, n'étaient pas connus pour être dangereux.
Lorsque le match d'Amsterdam a finalement commencé, les supporters du Maccabi ont bruyamment perturbé la minute de silence pour les victimes des inondations en Espagne. Ce n'est peut-être pas une surprise, car le gouvernement espagnol est l'un des États européens les plus critiques à l'égard de la guerre d'Israël.
Après le match, des maisons arborant des drapeaux palestiniens ont de nouveau été assiégées par des groupes de supporters du Maccabi.
La situation s'est aggravée ce soir-là, lorsque des groupes de jeunes locaux se sont battus avec les supporters du Maccabi, les recherchant dans toute la ville. 62 personnes ont été arrêtées, dont dix Israéliens. Après une journéeau cours de laquelle la police s'est abstenue d'intervenir auprès des supporters du Maccabi, les arrestations ont visé de manière disproportionnée la jeunesse locale. Le groupe juif antisioniste Erev Rav a publié une déclaration critiquant les forces de police pour avoir ciblé des jeunes locaux d'origine marocaine alors que « les supporters du Maccabi qui ont lancé des provocations n'ont subi aucune conséquence ».
Erev Rav avait initialement prévu de commémorer le pogrom de 1938 en Allemagne le week-end dernier, mais a annulé sa manifestation. Ils ont expliqué qu'ils ne faisaient pas confiance à la police d'Amsterdam pour protéger les Juifs antisionistes contre les supporters du Maccabi.
Le groupe a également dénoncé l'instrumentalisation de l'identité juive par les supporters de Maccabi.
Opportunisme politique
L'extrême droite néerlandaise a, sans surprise, vu une opportunité dans tout cela. Après le match, Geert Wilders, chef du plus grand parti du parlement néerlandais, a déclaré que ce qui s'était passé était un « pogrom de la pire espèce » et a demandé le licenciement de Halsema. Il a affirmé qu'elle avait soi-disant échoué à protéger les juifs contre la violence antisémite. Il est indéniable que certaines personnes impliquées dans les affrontements ont proféré des insultesantisémites et qu'il a été dit que des personnes « d'apparence juive » ont été sommées de montrer leur passeport, ce qu'il faut absolument condamner, mais parler de pogrom est totalement disproportionné.
En réalité, la droite instrumentalise la question de l'antisémitisme en assimilant tous les juifs à l'État d'Israël – la même tactique souvent utilisée par le gouvernement israélien qui la déploie cyniquement contre ses détracteurs. Wilders sait bien que les déclarations antisémites ne sont malheureusement pas inhabituelles dans le football néerlandais, mais il semble choisir le moment opportun pour les dénoncer. Par exemple, un chant particulièrement infâme, souvent lancé contre l'équipe d'Amsterdam, l'Ajax, appelle au gazage de tous les juifs. Mais comme cette forme d'antisémitisme est le fait de supporters de football majoritairement blancs, la droite néerlandaise, qui consacre son énergie à lier l'antisémitisme à l'islam et aux migrants, s'y est beaucoup moins intéressée.
Wilders n'est pas le seul coupable. De retour d'une visite au dirigeant hongrois d'extrême droite Viktor Orban, le Premier ministre néerlandais Dick Schoof a déclaré que l'antisémitisme résultait d'un « échec de l'intégration » dans la société néerlandaise. Pour lui, le problème, ce sont les migrants, et non la rhétorique raciste et fasciste de l'extrême droite colportée dans toute l'Europe.
Où sont les politicien·nes de gauche ?
Après le match, la situation s'est tendue. Lundi, les gens ont de nouveau affronté la police. Ces affrontements ont eu lieu alors que l'exécutif avait interdit toute manifestation et qu'une manifestation organisée dimanche avait été dispersée. Entre dimanche et mercredi, des dizaines de manifestants ont été arrêtés lors de dispersions musclées de manifestations par la police. Les militants avaient appelé à un rassemblement pour la défense des droits démocratiques et la solidarité avec la Palestine.
Malgré toute cette répression, la gauche parlementaire est restée quasiment absente. Ce n'est pas une surprise. D'importants efforts de solidarité avec la Palestine ont été déployés aux Pays-Bas, qu'il s'agisse de manifestations ou de sit-in, mais les partis de gauche – à l'exception du petit parti radical BIJ1 – n'y ont guère participé. Pire encore, une grande partie du parti travailliste néerlandais est historiquement très pro-israélien.
Le silence de la gauche parlementaire permet à la droite d'attiser le climat de haine contre les migrants, de lier l'antisémitisme à l'islam et de qualifier la solidarité avec la Palestine d'hostilité à l'égard des juifs.
La maire Halsema, membre du parti vert, n'a fait que jeter de l'huile sur le feu en s'obstinant à comparer les événements de ces derniers jours à des pogroms. L'interdiction de manifester à Amsterdam qu‘elle a imposée est aussi clairement une tentative d'éviter de nouvelles critiques de la part de la droite, mais cela n'a fait que légitimer une répression autoritaire de la solidarité avec la Palestine en particulier.
Les conséquences à long terme des récents événements restent à voir, mais la trajectoire générale est claire. Aidée par le silence et l'opportunisme du centre-gauche, l'extrême droite en a été le principal bénéficiaire.
Une panique morale s'est emparée du pays et, une fois de plus, les jeunes musulmans, en particulier ceux d'origine marocaine, ont été déclarés menace existentielle pour la société néerlandaise. Cette fois, c'est à cause de leur supposé antisémitisme inné. Alors que les partis de droite lancent l'idée de les déchoir de la nationalité néerlandaise (du moins pour ceux qui possèdent une double nationalité), à titre de mesure punitive, le hooliganisme des supporters de Maccabi et leur glorification du génocide israélien ont été relégués à l'arrière-plan.
Dans les semaines et les mois à venir, les tentatives de criminaliser la solidarité avec la Palestine vont probablement se multiplier, et soutenir la libération de la Palestine sera de plus en plus assimilé à de l'antisémitisme. Le mois dernier déjà, un porte-parole de l'organisation de solidarité avec la Palestine Samidoun a été banni du pays et le cabinet néerlandais a demandé l'interdiction totale de l'organisation.
La seule façon de résister aux politiques autoritaires et au racisme de la droite est que la gauche et les militants de la solidarité se serrent les coudes, racontent toute l'histoire de ce qui s'est passé à Amsterdam et défendent le droit de s'organiser et de s'exprimer en solidarité avec la Palestine.
Publié le 14 novembre 2024 par New Arab.
Alex de Jong est codirecteur de l'Institut international pour la recherche et l'éducation (IIRE) à Amsterdam, aux Pays-Bas, et rédacteur en chef du site web socialiste néerlandais Grenzeloos.org.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

Russie. Répression des militants de la gauche russe

Le 5 juin, le collège militaire de la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté l'appel de Boris Kagarlitsky, laissant cet éminent sociologue derrière les barreaux pour les cinq prochaines années. Une fois de plus cet événement a attiré l'attention du monde sur la persécution des prisonniers politiques en Russie.
Tiré de A l'Encontre
16 novembre 2024
Par Ivan Petrov, Membres du Cercle marxiste d'Oufa.
La campagne en faveur de la défense de Boris Kagarlitsky n'a pas faibli, mais a au contraire pris de l'ampleur. Son cas n'est cependant que la partie émergée de l'iceberg du système répressif de notre pays, qui fait encore d'autres victimes.
Si Boris Kagarlitsky est un visage connu dont le sort est fort connu, de nombreux condamnés ou mis en examen dans des affaires pénales politiques ou semi-politiques sont inconnus non seulement du grand public, mais parfois aussi des militants de la société civile.
A la fin de l'année dernière, après avoir été libéré pendant deux mois d'un centre de détention provisoire dans la ville septentrionale de Syktyvkar, Boris Kagarlitsky lui-même était déterminé à lutter pour la liberté des prisonniers politiques et à surmonter le blocus de l'information autour de leur persécution. Début avril, alors qu'il se trouvait déjà dans un centre de détention provisoire de la ville de Zelenograd, dans la région de Moscou, il a écrit une lettre ouverte aux militants de gauche :
« L'unité et la maturité politiques s'acquièrent par l'activité politique. Et dans les conditions actuelles, où l'action politique et l'auto-organisation sont extrêmement difficiles dans notre pays, aider des personnes partageant les mêmes idées qui se trouvent en prison devient non seulement une activité humaniste, mais aussi un geste politique important, une pratique de solidarité. Aujourd'hui, alors qu'une telle initiative a enfin reçu une mise en œuvre pratique, elle doit être soutenue, nous pouvons et devons nous rassembler autour d'elle. Après tout, le premier pas sera suivi d'autres pas. Pour que se dessine l'avenir, nous devons travailler dès maintenant. »
Qui est persécuté ?
Selon les milieux proches d'Amnesty International, il y a actuellement plus de 900 prisonniers politiques en Russie. Le nombre réel de peines infligées aux militants persécutés est bien plus élevé. Ces chiffres n'incluent pas les personnes réellement emprisonnées pour des raisons politiques, mais formellement pour des affaires criminelles forgées de toutes pièces.
La fabrication d'affaires criminelles est l'une des méthodes préférées pour traiter les dirigeants syndicaux. Quiconque s'oppose activement à l'ordre et au gouvernement actuels peut aller en prison, et de plus en plus de militants de gauche en font partie.
Au début du XXe siècle, selon Vladimir Lénine, les métallurgistes constituaient l'unité la plus avancée de la classe ouvrière en Russie. Aujourd'hui, de nombreux sociologues et hommes politiques considèrent les salarié·e·s du secteur de la santé comme les plus organisés et les plus aptes à défendre leurs intérêts.
En vertu de leur profession, ils protègent non seulement leurs propres intérêts économiques, mais aussi les vestiges du système de santé publique (gratuit pour la population) qui a survécu aux réformes néolibérales des dernières décennies. Objectivement, les salariés de la santé protègent donc les intérêts de tous les habitants de la Russie.
En 2012, le syndicat « Action » des travailleurs de la santé a été créé. C'est l'un des syndicats indépendants les plus militants et les plus efficaces de notre pays. Présent dans 57 régions, il fait désormais partie de la Confédération du travail de Russie (CLR), la deuxième plus grande organisation syndicale de Russie.
Le syndicat Action regroupe les travailleurs des cliniques publiques, mais aussi des cliniques privées, dont les propriétaires n'apprécient guère les syndicats. En outre, il n'y a pas de place pour une désunion au niveau des unités de soins dans le système de santé. L'activité rassemble sur un pied d'égalité les médecins, le personnel paramédical, les infirmières, les aides-soignants et les étudiants des instituts et collèges médicaux.
Elle inclut également des représentants d'autres professions travaillant dans des organisations médicales, par exemple les ambulanciers.

Alexander Kupriyanov lors de son procès.
L'affaire Alexander Kupriyanov
Parmi les militants syndicaux, on trouve traditionnellement une forte proportion de personnes ayant des opinions de gauche. C'est le cas d'Alexander Kupriyanov, psychothérapeute de la ville de Bryansk, également connu sous le nom de Docteur Pravda (Vérité) grâce à sa chaîne YouTube du même nom.
Au milieu des années 2000, il a tenté de créer un syndicat indépendant sur son lieu de travail et, après l'apparition d'Action, il l'a rejoint. Alexander Kupriyanov est ensuite passé à la lutte politique, organisant des actions de rue, participant aux activités du Parti communiste de la Fédération de Russie (CPRF), se présentant à des organes élus à différents niveaux.
Dans la région de Briansk, Alexander Kupriyanov a organisé des rassemblements et des piquets de grève, tant sur des questions de santé (torture dans la clinique psychoneurologique de Trubchevsky, décès d'enfants dans le centre périnatal de Briansk, conditions de travail du personnel de la santé) que sur d'autres sujets, comme le déplacement forcé d'un vétéran de la Seconde Guerre mondiale d'un logement soi-disant « délabré » du centre de la ville vers la périphérie.
Les autorités régionales en colère n'ont pas pu tolérer cela longtemps. En 2018, Kupriyanov a été arrêté pour « fraude ». Selon les documents de l'affaire, il aurait été impliqué dans des opérations de prêts à des patients pour des traitements dans le système interrégional de cliniques « Med-Life », où il travaillait auparavant. Au total, 22 personnes sont impliquées dans cette affaire.
Alexander Kupriyanov n'avait aucun lien avec les propriétaires, l'administration ou le service comptable de la clinique, qui sollicitaient en fait les patients pour qu'ils contractent des prêts. En tant que médecin-chef du centre, il ne s'occupait que de médecine. Les autorités ont décidé d'utiliser une véritable affaire de fraude pour se débarrasser de leur adversaire. (Il est caractéristique que de véritables enquêtes aient été menées dans les cliniques « Med-Life » d'autres villes, mais pas dans celle de Briansk où travaillait Alexander Kupriyanov.)
Alexander Kupriyanov a passé un an dans le centre de détention provisoire – la période maximale de détention provisoire en vertu d'un article du code pénal – et, faute de preuves, il a été libéré. Toutefois, l'affaire pénale n'a pas été classée. Après sa sortie de prison, Kupriyanov s'est séparé du Parti communiste opportuniste de la Fédération de Russie sur des questions fondamentales et a été exclu du parti pour avoir critiqué ses politiques de compromis.
Il a rejoint le Comité d'action pour la solidarité (SAC), où il a commencé à soutenir les militants de gauche, les travailleurs et les syndicalistes emprisonnés. Alexander Kupriyanov devient l'un des fondateurs du Conseil public des citoyens de la ville et de la région de Briansk, et commence ensuite à collaborer avec le journal d'enquête Pour la vérité et la justice.
Le 15 août 2023, le journal et le Conseil public ont organisé une table ronde des citoyens de Briansk contre la corruption. Dès le 16 août, Kupriyanov, l'un des organisateurs de la table ronde, a été convoqué au service d'enquête de la police de Cheboksary, la capitale de la République de Tchouvachie. L'affaire pénale encore en cours a été reclassée dans la catégorie plus grave d'« organisation d'une communauté criminelle ».
Alexander Kupriyanov vit désormais chez lui à Briansk, mais il fait toujours l'objet d'une enquête. Conformément à la mesure administrative (interdiction de certaines actions), il lui est interdit, en tant qu'accusé, d'envoyer et de recevoir des envois postaux et des messages, d'utiliser l'internet et d'autres moyens de communication. Il doit prendre connaissance des pièces du dossier (560 volumes), ce qui implique de longs voyages dans la ville de Cheboksary, située à plus de 1000 km de Briansk.
Le dernier épisode majeur de l'affaire Kupriyanov s'est produit dans la seconde moitié du mois de février 2024. Le 21 février, il a été arrêté en pleine rue à Briansk et emmené à Cheboksary. Le lendemain, une audience du tribunal de district s'est tenue dans cette ville pour transformer la mesure administrative en détention. La requête des enquêteurs se fondait sur le fait que, pendant qu'il était libre, Alexander Kupriyanov avait continué à utiliser Internet.
Grâce au travail consciencieux de l'avocat L. Karama, à la position de principe du juge E. Egorov et à une campagne publique de défense, les requêtes des enquêteurs ont été rejetées par le tribunal, et la mesure administrative pour Alexander Kupriyanov est restée inchangée. Mais le danger qui pèse sur Kupriyanov demeure. Il doit encore prouver son innocence lors du procès.
Anton Orlov emprisonné
Un autre exemple de répression contre des syndicalistes est le cas d'Anton Orlov, coordinateur du syndicat Action dans la République du Bashkortostan. Membre du Parti communiste de la Fédération de Russie et d'une petite organisation interrégionale, l'Union des marxistes, Orlov est actuellement emprisonné pour des accusations de fraude à grande échelle.
Anton n'est pas médecin de formation mais a rejoint les équipes médicales au début de la pandémie de Covid-19, alors que le personnel médical de la République travaillait jusqu'à la limite de ses capacités physiques, souvent sans salaire supplémentaire. Voyant cette injustice, Orlov, jeune communiste, a rejoint le syndicat « Action » et est rapidement devenu son coordinateur à l'échelle de la république sur une base volontaire et non salariée.
Au cours des deux années (2020-2022) pendant lesquelles Orlov a travaillé au sein du syndicat, le nombre de membres de l'organisation dans le Bashkortostan (Bachkirie) a été multiplié par quatre ; les salaires des ambulanciers ont été augmentés ; le double salaire le week-end a été établi, et les employées enceintes ont été libérées du travail tout en conservant en moyenne leur salaire.
La campagne syndicale la plus réussie a été la « grève italienne » (grève du zèle) de février 2022 à Ichimbaï (république de Bashkortostan), au cours de laquelle les médecins ambulanciers ont réclamé le paiement de leur travail en équipes incomplètes.
La grève a entraîné l'intervention de l'inspection du travail et du bureau du procureur, ainsi que la démission du médecin-chef de l'hôpital de district, ce qui a suscité un écho important dans la presse et à la télévision. Les revendications fondamentales des grévistes ont été satisfaites.
L'accusation contre Anton Orlov a été portée au milieu de la grève d'Ichimbaï, ce qui indique clairement le contexte politique de l'« affaire » montée de toutes pièces, dans laquelle il était considéré comme un témoin, concernant deux épisodes de fournitures de carburant qui n'ont pas été livrées par les sociétés Nefte-Service et Hermes après que les paiements eurent été effectués.
Orlov avait travaillé comme directeur commercial de Nefte-Service SARL, mais n'avait pas accès aux comptes de la société. Les relations entre deux organisations commerciales devraient être réglées par un tribunal d'arbitrage, mais le bureau du procureur de la République, sans preuve factuelle, a vu dans cette histoire le vol de 11 millions de roubles.
Les représentants des structures syndicales, dont l'un, Boris Kravchenko, président de la Confédération du travail de Russie (CLR), est membre du présidium du Conseil pour les droits de l'homme et le développement de la société civile actuellement (donc sous la présidence de Poutine), n'ont pas été autorisés à comparaître au procès en tant que témoins de la défense.
Le 23 septembre 2022, Anton Orlov a été condamné à six ans et demi de colonie à régime général et à une amende de 250 000 roubles. Il est curieux que d'autres accusés dans l'affaire ayant témoigné contre lui – alors que leur culpabilité avait été prouvée – aient été condamnés à des peines plus courtes. En février 2023, la cour d'appel a – sous forme de dérision – réduit la peine d'emprisonnement de trois mois.
Cela n'a pas suffi aux autorités, et après la faillite officielle de Nefte-Service SARL et le paiement des dettes aux personnes lésées, une autre affaire pénale a été ouverte contre Anton Orlov au titre de l'article « fraude commise par un groupe organisé à une échelle particulièrement importante ».
Grâce aux efforts de l'avocate Larisa Isaeva, la deuxième affaire a été renvoyée à plusieurs reprises pour complément d'enquête en raison de nombreuses violations de procédure. Finalement, le 26 juin, un nouveau procès s'est ouvert. Anton Orlov s'est à nouveau retrouvé sur le banc des accusés, en tant que seul membre accusé d'un supposé « groupe organisé ».
Le culte de l'« Etat fort »
Parmi les prisonniers politiques de gauche, on trouve encore plus d'hommes politiques que de militants syndicaux. Par exemple, le simple fait de participer à une action de rue non autorisée par les autorités peut facilement conduire en prison.
Dans la Russie de Poutine, qui voue un culte à un « Etat fort » et à une « main ferme », non seulement chaque branche de l'armée, mais aussi chaque service de répression s'est vu attribuer sa propre fête professionnelle, que l'ensemble du peuple russe a reçu l'ordre de célébrer. Le 20 décembre est un jour férié pour l'omniprésent Service fédéral de sécurité (FSB).
Le 20 décembre 2021, les membres de l'association de jeunesse de gauche radicale « Left Bloc » ont célébré cette journée à leur manière. Ils ont décidé de féliciter la gendarmerie sous une forme comique : ils ont déployé une banderole à l'entrée de la direction du FSB pour le district administratif du sud-ouest de Moscou et ont allumé des bombes fumigènes, ce que les forces de sécurité redoutent particulièrement dans les rues des grandes villes.
Les agents de la sécurité d'Etat n'ont pas apprécié ces remerciements, et il n'a pas été difficile d'identifier ceux qui les félicitaient, car une vidéo de l'action a été publiée sur la chaîne du Left Bloc. Quelques jours plus tard, les auteurs des félicitations ont commencé à être arrêtés et une procédure pénale a été ouverte contre deux d'entre eux, l'anarchiste Lev Skoryakin et le communiste Ruslan Abasov.
Dans le cadre de l'enquête, la plaisanterie innocente des jeunes gens a été interprétée comme suit : un groupe de personnes, par conspiration préalable, a commis un attentat contre une institution gouvernementale en utilisant des armes, et de plus motivé par la haine politique, ce qui est considéré comme une circonstance aggravante.
Sur la base du témoignage d'un mineur intimidé ayant participé à l'action et de preuves fabriquées de toutes pièces, Lev Skoryakin et Ruslan Abasov ont été envoyés dans un centre de détention provisoire, où ils ont passé neuf mois. Le tribunal a ensuite remplacé la mesure de détention par une « interdiction de certaines actions ».
Après leur sortie de prison, les accusés se sont empressés de se cacher, violant ainsi l'ordre de ne pas quitter la région d'enregistrement permanent. Ruslan Abasov s'est rendu en Bosnie, puis en Croatie, où il vit actuellement. Lev Skoryakin, dont le passeport a été confisqué lors de la perquisition, s'est rendu dans la capitale du Kirghizstan, Bishkek, où un passeport étranger n'était pas exigé, et a entrepris des démarches pour obtenir un visa pour l'Allemagne.
A Bichkek, Lev Skoryakin a été arrêté à plusieurs reprises par les forces de sécurité kirghizes. Il a passé plus de trois mois en prison, dans l'attente de son extradition vers la Russie. Le bureau du procureur général du Kirghizstan a ensuite refusé la demande d'extradition de la partie russe ; en septembre 2023, Lev Skoryakin a été libéré.
Cependant, il n'a pas eu à se réjouir longtemps : dès le mois d'octobre, il a été de nouveau arrêté et, cette fois, remis à la partie russe. Lev Skoryakin a été transporté à Moscou, menottes aux poignets. A son arrivée à l'aéroport Domodedovo de la capitale, il a été battu et torturé.
Au cours des nombreuses heures d'interrogatoire, les agents du FSB ont tenté de lui soutirer des informations sur les organisations de gauche en Russie et sur les structures de défense des droits de l'homme qui aident les militants politiques à échapper aux persécutions. Cependant, les interrogateurs n'ont jamais obtenu les informations dont ils avaient besoin et Lev Skoryakin, épuisé, a été emmené dans un centre de détention provisoire.
Pendant plusieurs semaines, le Left Bloc et des militants des droits de l'homme ont cherché Lev Skoryakin et l'ont finalement retrouvé par l'intermédiaire d'un avocat.
En décembre, un procès s'est tenu au cours duquel le procureur a requis une peine de cinq ans et demi de prison pour l'accusé. Le 13 décembre 2023, il a été reconnu coupable au titre de l'article « hooliganisme impliquant des violences contre des fonctionnaires » et condamné à une amende de 500 000 roubles, dont il a été dispensé en raison de son long séjour en prison.
Craignant que le ministère public ne fasse appel de cette sentence relativement clémente, Lev Skoryakin s'empresse de se rendre dans la capitale arménienne Erevan et, en mars 2024, il s'installe en Allemagne avec un visa humanitaire.
Infraction pénale : « étudier le marxisme »
Dans la Russie moderne, il est tout à fait possible de devenir un criminel sans participer à des manifestations de rue ou allumer des bombes fumigènes, mais simplement en lisant et en discutant des classiques du marxisme. Et là, même les mandats des autorités régionales ne nous protègent pas.
A Oufa, la capitale de la République du Bachkortostan, il y avait un cercle marxiste, auquel beaucoup ont participé au cours de la dernière décennie. Le créateur de ce cercle, Alexey Dmitriev, est un jeune intellectuel et, soit dit en passant, un médecin (pédiatre-otolaryngologiste), une personne aux intérêts incroyablement vastes, allant des mathématiques aux sciences politiques.
Dmitry Chuvilin, député de l'opposition au Kurultai (Parlement du Bashkortostan) jusqu'en mars 2022, n'est pas en reste dans le cercle. Le cercle s'est donné pour mission d'éduquer les gens. La priorité a été donnée à l'étude de la philosophie, en particulier de la logique et de la pensée critique.
Pendant la saison chaude, le cercle a organisé des réunions dans la nature, avec des membres de l'Union des marxistes, du Front de gauche et d'autres organisations de gauche de différentes régions de Russie. Outre l'éducation et les discussions scientifiques, de nombreux membres du cercle ont travaillé dans des syndicats, participé à des élections à différents niveaux, écrit des articles, tenu des blogs et essayé de coopérer avec les médias.
Le lien naissant entre la théorie et la pratique, l'éthique de l'auto-organisation des travailleurs, la popularité relativement large (pour une activité non officielle) et les tentatives de création d'une structure interrégionale distinguaient le cercle d'Oufa de beaucoup d'autres.
L'Etat a considéré ce cercle comme une menace, en particulier avec le début de la guerre contre l'Ukraine, appelée pudiquement « opération militaire spéciale ». Un mois après le début des hostilités, tôt dans la matinée du 25 mars 2022, des agents du FSB ont fait irruption au domicile de 15 membres du cercle marxiste.
Plusieurs d'entre eux ont été battus lors de leur arrestation. Les perquisitions dans les appartements ont été menées avec une ardeur particulière, tout a été mis sens dessus dessous à la recherche d'éléments matériels nécessaire pour porter des accusations au titre du stupéfiant article sur le « terrorisme ».
Les agents du FSB ont confisqué tous les médias, le matériel de camping, la littérature philosophique, politique et historique de la gauche, qui apparaît dans les documents de l'affaire comme « extrémiste ». Les agents étaient particulièrement intrigués par le matériel de camping : talkies-walkies comme moyen de communication, outils de terrassement pour creuser autour des tentes, vêtements de camouflage pour touristes, dont un pour un garçon de 10 ans, et même des jumelles pour enfants.
Par la suite, ces objets ont commencé à figurer dans les pièces du dossier parmi les preuves des activités criminelles du cercle. Au cours de la perquisition, deux grenades ont été trouvées sur l'un des marxistes – il les aurait cachées dans le poêle à bois, qui était allumé tous les jours !
Ce jour-là, 14 personnes ont été arrêtées et emmenées dans les services de police du district. Cinq membres du cercle ont été placés en garde à vue, les autres ont été entendus comme témoins et relâchés. Le docteur Alexey Dmitriev, l'ancien député Dmitry Tchouviline, l'entrepreneur Pavel Matisov, le travailleur « aux petits boulots » Rinat Burkeev et le retraité Yuri Efimov sont en détention provisoire depuis plus de deux ans.
Dmitry Tchouviline étant un parlementaire, la décision d'engager une procédure a été prise personnellement par le chef du comité d'enquête russe pour le Bashkortostan, Denis Chernyatyev. Immédiatement après l'annonce de la décision du tribunal sur l'arrestation, Tchouviline a déclaré la nature politique de leur persécution et a entamé une grève de la faim.
Bien que membre de la faction parlementaire Kurultai du Parti communiste de la Fédération de Russie, le parti n'a pas soutenu Tchouviline, émettant la formule philistine habituelle : « Nous ne connaissons pas tous les faits. Nous ne sommes pas complètement sûrs de son innocence. »
Les principaux points de l'acte d'accusation sont la préparation d'une prise de pouvoir violente, la création d'une communauté terroriste, l'appel à des activités terroristes, la justification publique du terrorisme et de sa propagande sur Internet, et la préparation du vol d'armes. Il est curieux que l'acte d'accusation reproche aux prévenus d'avoir lu les œuvres de Karl Marx, Friedrich Engels et Vladimir Lénine, qui n'ont pas encore disparu des rayons de presque toutes les bibliothèques russes !
En outre, l'étude des articles du célèbre professeur soviétique Anton Makarenko [pédagogue] et l'interprétation de chansons tirées des films soviétiques les plus populaires sur la guerre civile apparaissent également comme des preuves des activités criminelles du cercle. Il ressort de tout cela que les accusés préparaient une attaque contre des agents des forces de l'ordre et des unités militaires, la saisie d'armes, la commission d'actes terroristes et même la prise du pouvoir.
C'est drôle ? Dans une affaire aussi sacrée que la persécution des dissidents, le gouvernement russe n'a pas peur de paraître cocasse, car il est confiant dans son impunité, ainsi que dans l'indifférence passive de la population, qui aurait perdu le sens de l'humour.
La principale « preuve » de l'accusation est constituée par les deux grenades ! Dans le même temps, l'affaire contient une requête sans réponse de l'accusé Pavel Matisov pour mener une enquête sur l'origine des grenades et sur la manière dont elles se sont retrouvées dans son poêle à bois.
L'informateur, le procès, la guerre
L'acte d'accusation repose entièrement sur le témoignage d'un informateur, Sergei Sapozhnikov, qui a rejoint le cercle au printemps 2020.
En 2014-2015, Sapozhnikov a combattu dans la milice de la République populaire autoproclamée de Donetsk en tant que commandant d'escouade. Fin 2017, l'Ukraine l'a inscrit sur la liste internationale des personnes recherchées dans le cadre d'une affaire criminelle initiée en juillet 2014 à Dniepropetrovsk. Le service de sécurité de l'Ukraine a accusé Sergei Sapozhnikov de vol avec blessures ayant entraîné la mort.
Sapozhnikov a été arrêté à Oufa en novembre 2017 et envoyé dans un centre de détention provisoire, d'où il a été libéré en avril 2018. La raison pour laquelle il a été libéré reste un mystère. Après le début de l'enquête, les membres du cercle d'Oufa ont commencé à soupçonner que Sapozhnikov avait été recruté par le FSB et, en 2020, spécialement infiltré dans l'organisation en tant que provocateur.
La pression exercée par l'enquête sur les membres restants du cercle visait à neutraliser ceux qui pouvaient résister à la version officielle de l'accusation. Mais l'un des membres du cercle était en vacances en Turquie en mars 2022. Après avoir appris, selon des informations venant d'Oufa, la perquisition de son domicile et l'arrestation de ses camarades, lui et sa famille ont été contraints de prendre la difficile décision d'émigrer.
Installé aux Etats-Unis, il écrit plusieurs articles pour révéler l'affaire de l'intérieur, dans lesquels il donne une version alternative de ce qui se passe et dénonce le provocateur.
Le 30 janvier 2024, les audiences de la soi-disant « affaire du cercle marxiste d'Oufa » ont commencé au tribunal militaire du district central d'Ekaterinbourg. Dès la première audience, l'un des accusés, Yuri Efimov, a déclaré que l'accusation était fabriquée et que le témoin principal était un provocateur.
Il est évident que l'examen d'un dossier de 30 volumes prendra beaucoup de temps. Seules quelques séances ont eu lieu pendant six mois. Il semble que même le tribunal soit embarrassé par l'absurdité de la situation et ne sache pas encore comment se comporter.
Dans les premiers jours de l'agression impérialiste de la Russie en Ukraine, lorsqu'il est devenu évident qu'une « guerre éclair » ne fonctionnerait pas et qu'une guerre prolongée provoquerait tôt ou tard le mécontentement des travailleurs, la Douma d'Etat, obéissant à Vladimir Poutine, s'est empressée d'adopter des ajouts au code pénal et au code des infractions administratives de la Fédération de Russie.
L'innovation la plus célèbre a été l'article dit « sur le discrédit de l'armée russe », en vertu duquel plusieurs milliers de personnes ont été condamnées dans des affaires administratives (code administratif de la Fédération de Russie 20.3.3) et plusieurs dizaines pour des violations répétées dans des affaires pénales (code pénal de la Fédération de Russie 280.3 – jusqu'à trois ans d'emprisonnement).
En fait, toute personne qui exprime activement son refus d'une « opération militaire spéciale » peut être inculpée en vertu de cet article. Et ce n'est pas toujours nécessaire !

Daria Kozyreva.
Une jeune héroïne
Dans la nuit du 24 février 2024, à l'occasion du deuxième anniversaire du début de l'agression, la très jeune communiste Daria Kozyreva a été arrêtée à Saint-Pétersbourg pour avoir collé sur le monument au grand poète ukrainien Taras Chevtchenko un morceau de papier contenant des vers en ukrainien tirés de son poème « Testament » :
Oh, enterrez-moi, puis levez-vous
Et brisez vos lourdes chaînes
Et arrosez du sang des tyrans
La liberté que vous avez gagnée.
Daria s'est imprégnée des idées communistes dès l'adolescence ; elle a lu Le Capital à l'âge de 12 ans. Avant son arrestation, elle a participé aux activités de deux organisations de gauche et des cercles qui leur étaient associés. En grandissant, Daria passe du stalinisme-hodjaïsme [référence à Enver Hoxha ou Hodja, premier secrétaire du Parti du travail d'Albanie de 1941 à 1985] à un authentique léninisme.
Dès le début de l'« opération spéciale », Daria Kozyreva, estimant qu'il s'agissait d'une guerre impérialiste, ne s'est pas contentée de condamner systématiquement ce qui se passait, elle est passée à l'action. En janvier de cette année, elle a été exclue de l'université d'Etat de Saint-Pétersbourg pour avoir publié sur les réseaux sociaux un message contre les nouveaux articles du code pénal, dans lequel Daria ridiculisait les prétentions russes à « dénazifier l'Ukraine ».
Avant même d'atteindre l'âge adulte, à 18 ans, elle a attiré l'attention des forces de l'ordre en raison d'une inscription anti-guerre sur la place du Palais à Saint-Pétersbourg. Elle et son ami ont reçu le premier avertissement pour avoir discrédité l'armée en août 2022, pour avoir arraché une affiche dans le parc Patriot, appelant au service dans l'armée active sous un contrat.
Une infraction de ce genre implique une procédure pénale, et Daria a été incarcérée dans un centre de détention provisoire pour le tract sur le monument.
Daria Kozyreva, 18 ans, considère les répressions la visant comme la preuve d'un devoir accompli, comme la reconnaissance par ses ennemis de l'importance de son combat. Elle se caractérise par un principe de sacrifice dans les meilleures traditions du mouvement révolutionnaire russe. C'est ce qui permet à cette jeune femme résistante de supporter les épreuves de l'emprisonnement.
Les camarades qui correspondent avec elle et qui l'ont vue lors des procès notent que Daria est de bonne humeur et déterminée à se battre jusqu'au bout. Sur toutes les photos de la salle d'audience, Daria affiche un large sourire. Dans une lettre ouverte au journal d'opposition Novaïa Gazeta, qui n'a été publiée que sous forme électronique pendant plus de deux ans [depuis septembre 2022, la publication est interdite et la rédaction ne peut plus exercer en Russie, des rédactrices et des rédacteurs ont été assassinés], elle écrit :
« Le 25 au soir, j'ai appris l'existence de l'affaire criminelle – et j'étais dans une sorte de joie désespérée. J'ai souri et plaisanté pendant la fouille, et j'ai continué à sourire lorsqu'ils m'ont emmenée au centre de détention temporaire. Et là, dans la nuit du 25 au 26, j'ai réalisé : ça y est, ma conscience va se calmer. Elle m'a tourmenté pendant deux foutues années. J'avais l'impression de ne pas en faire assez ; et même si j'avais des actions anti-guerre à mon actif, ma conscience me disait : si tu restes libre, c'est que tu n'en as pas fait assez.
Parfois, je ne comprenais pas quel droit j'avais de marcher librement, alors que des Russes courageux et honnêtes étaient enfermés en prison. J'ai compris que si le « régime Poutine » durait plus longtemps, je risquais fort de me retrouver en prison. En fait, ce qui devait arriver arriva. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils décident de me faire passer pour Taras Chevtchenko – oh mon Dieu, c'est absurde ! Eh bien, tant mieux ! Chevtchenko est mon poète préféré et c'est un plaisir particulier de souffrir pour lui.
Je n'ai pas peur d'être condamnée. S'il le fallait, je donnerais ma vie pour mes convictions, mais ici ils ne m'emprisonneront que pour quelques années. J'accepte volontiers cette coupe amère et je la bois jusqu'à la lie avec fierté. »
Un régime qui a peur de la solidarité
Le sort de plusieurs militant·e·s de gauche dont nous avons parlé ici – différents par leurs opinions, leur type d'activité et leur tempérament – indique clairement que dans la Russie d'aujourd'hui, les efforts de l'Etat en tant qu'appareil répressif de la classe dirigeante visent à éliminer, à déraciner toute résistance au régime établi, à éliminer toute alternative, aussi inoffensive qu'elle puisse paraître à première vue, à régler des comptes avec ceux qui pensent et vivent « différemment des nôtres ».
Le régime voit, à juste titre, une menace dans toute manifestation de liberté et de dissidence. Par conséquent, ce n'est pas seulement la gauche radicale qui est menacée, mais toute personne qui élève la voix contre l'ordre établi, pour défendre les opprimé·e·s.
Les procédures démocratiques telles que les élections sont depuis longtemps devenues une fiction, et cela n'est caché à personne. Un citoyen actif, à la pensée contestataire, ne peut pas compter sur la possibilité d'agir dans le champ politique légal. Mais cela ne suffit pas.
Il ne suffit pas que l'Etat chasse dans le « ghetto » tous les opposants cohérents et énergiques. Il faut qu'ils ne représentent même pas une menace potentielle.
Il y a encore suffisamment de place dans les prisons et les colonies pénitentiaires. Et cet Etat trouvera toujours une loi appropriée pour y envoyer tous ceux qu'il n'aime pas – et si soudain il n'y a plus assez de lois, il en adoptera de nouvelles. Qu'est-ce que cela coûte, avec un tel parlement !
A mesure que les politiques répressives des autorités s'intensifient, l'opposition de la gauche et des forces démocratiques s'accroît. Outre les campagnes visant à protéger certains prisonniers politiques, des structures apparaissent pour unir les efforts et formaliser politiquement la lutte pour la libération de ceux et celles qui ont souffert pour la liberté, pour les idéaux d'égalité et de justice sociale.
L'une de ces structures est le Comité d'action solidaire. Cette organisation existait déjà dans la seconde moitié des années 2000, lorsqu'elle cherchait à coordonner l'activité des syndicats, des comités de grève et des organisations de gauche, en établissant un échange d'informations et une assistance mutuelle entre eux, et contribuait à l'élaboration d'une position commune.
En moins de cinq ans d'existence, le comité a mené des dizaines d'actions et de campagnes de solidarité, dont les plus importantes ont été une grève de 28 jours à l'usine Ford de Vsevolozhsk et une « grève du zèle » de deux mois dans le port de Saint-Pétersbourg. A l'époque, la lutte des classes avait pris de l'ampleur, faiblement certes, mais, selon les critères de la Russie post-soviétique, elle méritait toute l'attention qu'elle exigeait.
Aujourd'hui, malheureusement, les réalités ont changé : le mouvement ouvrier est dans l'impasse et le problème de la persécution politique est revenu sur le devant de la scène.
La commission a repris ses travaux au printemps 2022, avec l'éclatement de la guerre et l'atteinte aux droits sociaux et politiques des populations. Sans refuser par principe de travailler avec les centres d'auto-organisation des travailleurs, le nouveau CAS, dans ses activités pratiques, s'engage principalement à aider les militants de gauche, les travailleurs et les militants syndicaux réprimés.
Nous avons pris en charge les dossiers et sommes directement impliqués dans la protection et le soutien de nombreux militants susmentionnés : Boris Kagarlitsky, Alexander Kupriyanov, Anton Orlov, Lev Skoryakin, Daria Kozyreva. Les membres du SAC du Bashkortostan fournissent une assistance aux « Cinq d'Oufa », suivent l'évolution du procès, diffusent des informations sur les opinions et le sort des camarades en difficulté et les soutiennent par des lettres et des colis.
Tout en défendant des militants spécifiques, nous n'oublions pas la lutte politique et économique pour la libération du travail et de l'humanité dans son ensemble de la dictature du capital. Chacune de nos actions vise à faire prendre conscience aux travailleurs salariés de leurs intérêts de classe et à les organiser pour lutter pour ces intérêts.
Nous considérons qu'il est extrêmement important de renforcer les liens de solidarité internationale. Le moment actuel exige que toutes les forces progressistes de gauche de la planète s'unissent et s'organisent pour lutter pour un avenir sans guerre, sans exploitation, sans pauvreté et sans injustice.
Le monde devrait appartenir à ceux qui ont versé leur sang, leur sueur et leurs larmes pour ses bienfaits. Nous sommes convaincus que nos camarades étrangers nous apporteront tout le soutien possible. Nous exprimons la même disponibilité ! (Publié dans la revue Against the Current, novembre-décembre 2024, traduction rédaction A l'Encontre)
Ivan Petrov est un pseudonyme collectif du Solidarity Action Committee (SAC). Vous pouvez contribuer à soutenir les activités du SAC, y compris le soutien aux prisonniers politiques, via https://boosty.to/komitetsd.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre

« Les élites politiques russes promeuvent ouvertement un projet mondial »

[Note de l'éditeur : Ce qui suit est une transcription éditée du discours et des réponses aux questions données par Hanna Perekhoda sur le thème « Impérialisme(s) aujourd'hui » lors de la conférence en ligne « Boris Kagarlitsky et les défis de la gauche aujourd'hui », qui a été organisée par la Campagne de solidarité internationale Boris Kagarlitsky le 8 octobre. Perekhoda est une socialiste ukrainienne, membre de solidaritéS dans le canton de Vaud, en Suisse, et candidate au doctorat en sciences politiques (Université de Lausanne). Les transcriptions et les enregistrements vidéo des autres discours prononcés lors de la conférence sont disponibles sur le site web de la campagne freeboris.info, d'où le texte ci-dessous est republié].
7 novembre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/07/les-elites-politiques-russes-promeuvent-ouvertement-un-projet-mondial/#more-87242
Je vous remercie de m'avoir invitée et de m'avoir donnée l'occasion de m'exprimer. Tout d'abord, je voudrais être claire. Je ne travaille pas sur la question de l'impérialisme en tant que telle. Mon sujet est lié aux différentes expressions de l'imaginaire politique russo-ukrainien. Je pense que je suis ici plus en tant qu'activiste qu'en tant que chercheuse. Mon analyse n'a pas la prétention d'être exhaustive ou scientifique.
C'est désormais un lieu commun de dire que les combustibles fossiles et leur commerce sont étroitement liés à la dictature, à la corruption et au militarisme. Mais paradoxalement, c'est un sujet dont on ne parle pas systématiquement lorsqu'il s'agit de comprendre l'impérialisme russe.
Commençons par un constat. L'extraction du pétrole et du gaz ne nécessitant pas beaucoup de travail, la richesse produite ne revient pas à la population. Au contraire, elle va directement dans les mains de ceux qui possèdent les gisements. En Russie, il s'agit essentiellement d'un cercle d'amis de Poutine. Le gaz et le pétrole sont pratiquement les seules choses qui rapportent des bénéfices réels en Russie.
Ces bénéfices sont ensuite redistribués dans d'autres domaines. Une grande partie de ces bénéfices va bien sûr à quelques centaines de familles de hauts fonctionnaires qui les utilisent pour acheter les plus longs yachts du monde, les plus grands palais et les produits de luxe les plus extravagants. Une partie de ces bénéfices sert à entretenir l'industrie militaire, l'armée, la police, bref, toutes les structures qui contribuent à maintenir ce petit cercle de personnes au pouvoir. Ce qui reste est généralement utilisé pour maintenir le reste de la société dans une relation de dépendance extrême vis-à-vis de l'État.
Comme l'a dit Ilya Matveev, ce système pourrait continuer ainsi. Mais il y a une idéologie partagée par le cercle de Poutine, par lui-même, et nous supposons par quelques personnes autour de lui, une idéologie qui perçoit le monde d'une certaine manière, et où l'Ukraine occupe une place centrale.
Il ne serait pas facile de résumer les raisons pour lesquelles l'Ukraine a fini par occuper cette place centrale dans l'imaginaire politique russe. Mais si nous pouvons résumer grossièrement l'imaginaire de l'élite politique russe, nous obtenons le récit suivant. L'Ukraine fait partie de la nation russe parce que celle-ci a une conception primordialiste de la nation [1]. L'identité nationale distincte des Ukrainien·nes a été délibérément créée par les ennemis occidentaux de la Russie et par leurs agents (Vladimir Lénine était l'agent numéro un, il a créé l'Ukraine et l'a fait pour diviser la nation russe). Ce faisant, tous ces ennemis de la Russie visaient à empêcher la Russie de prendre la place qui lui revient en tant que puissance impériale de premier plan dans le monde.
L'Ukraine est considérée comme un pion dans un jeu à somme nulle. Si l'Ukraine est indépendante, la Russie ne peut pas devenir une grande puissance.
Selon cette vision du monde, seules les grandes puissances jouissent d'une véritable souveraineté politique. Il s'agit là d'un point important : la manière dont la souveraineté et la capacité d'agir sont comprises dans cette idéologie. Pour les tenants de cette vision du monde, ceux qui ont la capacité d'agir ne sont pas les communautés humaines mobilisées, comme les nations ou les classes, ni même les élites qui représentent ces communautés. Seuls les dirigeants des soi-disant grandes puissances ont une véritable capacité d'action. Ils sont les seuls véritables souverains. Selon Poutine, le monde ne compte que deux souverains : lui-même et le président américain.
Voyant le monde à travers le prisme de cette idéologie, qui est un système fermé, comme toute idéologie, Poutine est sincèrement convaincu que tout mouvement d'émancipation dans le monde est en fin de compte un complot mené par les États-Unis contre la Russie. Que ce soit en Syrie ou dans d'autres pays, il est perçu comme un acte d'agression de l'hégémon mondial contre l'hégémon en devenir.
La guerre contre l'Ukraine était un choix politique. Elle a été conçue, ne l'oublions pas, comme une guerre courte et victorieuse dans laquelle il n'y aurait pas de résistance. Gardons ce fait à l'esprit. Elle a été imaginée comme un renversement rapide de l'équilibre des forces, dans le but d'imposer un nouveau statu quo durable, un statu quo qui permettrait à ces deux grandes puissances que sont la Russie et les États-Unis d'établir des zones d'influence exclusives, c'est-à-dire de créer des colonies où elles pourraient exploiter les populations et les ressources naturelles sans limites ni respect d'aucune norme ou règle, qu'il s'agisse de la protection de l'environnement ou des droits des êtres humains.
À travers cette guerre en Ukraine, qui peut sembler locale, les élites politiques russes promeuvent ouvertement un projet global, qu'elles conçoivent en ces termes. En substance, elles affirment : « Vous voyez, le droit international ne fonctionne pas. Alors que faire ? Admettons que la seule loi qui existe vraiment est la loi du plus fort. Soyons honnêtes et officialisons la ».
Le risque d'accepter cette logique est très élevé, surtout aujourd'hui, alors que nous assistons à la destruction de Gaza par Israël et à la complicité des États-Unis, ainsi qu'à la paralysie de nombreux autres pays face à ce mépris total de tous les droits et de toutes les lois. C'est la preuve la plus évidente que le droit international ne fonctionne pas. Nous sommes témoins d'une crise énorme. La nécessité de maintenir la structure internationale actuelle semble pratiquement inutile.
Le problème est que dans un monde où ces structures disparaissent brutalement, ceux qui sont déjà en position de faiblesse – des États comme la Palestine, l'Ukraine, l'Arménie, pour ne citer que quelques exemples – et les forces politiques, comme la gauche internationale, seront parmi les premiers à perdre dans cette lutte où seules comptent la force et la puissance pures. La droite autoritaire et productiviste que représente Poutine, ainsi que de nombreux autres hommes politiques dans d'autres pays, est déterminée à éroder complètement ces structures internationales et à empêcher l'émergence de tout mécanisme alternatif qui pourrait limiter ses ambitions suprémacistes et polluantes.
En fin de compte, tout acte d'agression, même lointain, s'il est normalisé, a des implications qui devraient toutes et tous nous concerner. La victoire militaire et la montée en puissance d'un État réactionnaire et militariste comme la Russie signifient inévitablement la montée en puissance de forces réactionnaires, militaristes et fascistes dans d'autres pays, et vice versa. Lorsque les victimes d'une agression ne sont pas défendues, dans quelque partie de la planète que ce soit, cela enhardit les innombrables psychopathes au pouvoir à résoudre leurs problèmes de légitimité politique par la guerre. Et à l'heure actuelle, ils sont confrontés à de nombreux problèmes de légitimité politique, compte tenu des inégalités croissantes, entre autres.
Je voudrais dire quelques mots sur la conférence elle-même.
Je tiens à remercier les organisateurs et les organisatrices pour cette initiative et pour ce qu'elles et ils font, car tout acte de solidarité est précieux par les temps qui courent. Nous devons maintenir la pratique de la solidarité.
Je tiens également à dire que je ne connais pas Boris Kagarlitsky personnellement et que je ne partage pas la plupart des analyses que j'ai pu lire de sa part. Mais je soutiens votre initiative de solidarité parce que c'est un prisonnier politique.
En tant que personne originaire de Donetsk, comme cela a été mentionné, mes ami·es et ma famille ont beaucoup perdu – certains ont tout perdu, d'autres ont perdu la vie – à cause de l'occupation russe de notre région qui a commencé en 2014. Je dois dire que j'ai été profondément bouleversé à l'époque de voir combien d'intellectuel·les et d'activistes russes de gauche, y compris Boris, sont passé·es complètement à côté de ce qui se passait dans le Donbas.
Beaucoup ont minimisé ou n'ont pas reconnu le rôle de l'État et de l'armée russes, souvent inattentifs ou inattentives au fait que sans l'implication directe de la Russie, cette guerre au Donbas n'aurait jamais eu lieu. C'est ce qu'ont ouvertement reconnu des personnes comme Igor Strelkov, qui s'est plaint que les habitant·es du Donbas ne voulaient pas se séparer de l'Ukraine ou se battre contre l'Ukraine. L'armée russe, disait-il, devait le faire pour elles et pour eux.
En 2014, j'étais très jeune, mais même à l'époque, j'ai été surprise de voir combien de progressistes projetaient d'étranges fantasmes sur la lutte des classes sur ce qui était, en réalité, une intervention russe. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que de nombreuses et nombreux progressistes ukrainien·nes soient réticent·es à exprimer leur solidarité.
Quant à moi, ma position est simple : personne ne mérite d'être soumis à la torture d'une prison russe, qui est l'un des pires endroits que l'on puisse imaginer. J'espère sincèrement que les prisonnier·es politiques et les prisonnier·es d'opinion seront libéré·es le plus rapidement possible, en particulier celles et ceux qui, comme Boris, se sont opposé·es à l'agression militaire de leur pays. Mais je tiens également à souligner qu'il existe des militant·es de gauche qui ont eu le courage de s'opposer à cette situation, non seulement en 2022, mais déjà en 2014. Pendant toutes ces longues années, elles et ils ont été emprisonné·es en Russie. Je parle de personnes comme Daria Poludova et Igor Kuznetsov.
La plupart des victimes de la répression en Russie aujourd'hui sont des personnes ordinaires qui n'ont pas été impliquées de manière significative dans l'activité politique. Nombre d'entre elles et d'entre eux risquent aujourd'hui de longues peines de prison pour avoir exprimé leur opposition à la guerre sur les médias sociaux, même si leurs messages n'ont atteint que dix personnes. Elles et ils sont emprisonné·es pour cela, et elles et ils n'ont pas de capital social ou d'ami·es internationaux. Parfois, nous n'apprenons leur existence et leur courage qu'après leur mort en prison.
Un grand nombre de prisonnier·es sont des citoyen·nes ukrainien·nes qui se sont rendu·es dans les territoires occupés pour des raisons personnelles, par exemple pour rendre visite à des parent·es mourant·es. Ils sont retenus en otage en Russie, accusés de terrorisme. Elles et ils sont torturé·es, humilié·es et utilisé·es à des fins de propagande. Un nombre encore plus important de prisonnier·es sont des Ukrainien·nes des territoires occupés, dont un nombre significatif de Tatars de Crimée. Depuis 2014, des dizaines de milliers de personnes ont été enlevées et la plupart d'entre elles ont disparu à jamais. Beaucoup sont tuées sans procès. Telle est la réalité dans les territoires occupés depuis des années, alors qu'en Russie, la plupart des gens vivaient une période dite « béate », pour reprendre l'expression qui a été mentionnée aujourd'hui et à laquelle Boris Kagarlitsky a fait référence dans sa lettre.
Enfin, nous ne devons pas oublier que la répression est sévère en Russie et dans les États clients de la Russie comme le Belarus. Au Belarus, c'est un véritable massacre, mais il passe le plus souvent inaperçu.
Pour conclure, soyons clair·es : les victimes de la répression en Russie et au Belarus ont besoin de soutien et de solidarité active et concrète. En Ukraine, nous voyons également des cas d'accusations totalement arbitraires, telles que les accusations de collaborationnisme. Consultez le projet « Graty » pour en savoir plus et soutenez leur travail, car elles et ils font connaître ces cas et aident les victimes. Des dons réguliers à des initiatives comme OVD-Info ou l'Association des parents de prisonnier·es politiques du Kremlin peuvent également faire la différence. Il est essentiel de soutenir les mouvements progressistes qui opèrent encore en Russie, comme la Résistance féministe contre la guerre.
Mais ce qui ferait une vraie différence, à mon avis, c'est de soutenir celles et ceux qui luttent contre la source du problème, et pas seulement contre ses conséquences. Je veux parler de l'armée ukrainienne et en particulier des soldat·es anti-autoritaires et de gauche qui ont choisi de risquer leur vie pour combattre l'impérialisme russe. Je vous invite donc à faire un don à Solidarity Collectives.
Je m'arrête ici. J'espère que nous aurons le temps de poser des questions.
Réponses aux questions
Je vous remercie. J'apprécie vraiment toutes vos questions et tous vos commentaires. Je suis désolée de ne pas avoir le temps de répondre en détail, car je veux aussi entendre les autres orateurs et oratrices qui vont suivre, et je pense que ce serait un manque de respect de ma part que de prendre leur temps.
Peut-être quelques points seulement. L'un d'entre eux concerne l'extrême droite en Ukraine, etc. Je me trouve dans une situation paradoxale. Lorsque nous nous adressons au public ukrainien en tant que progressistes, nous voulons souligner à quel point il est dangereux de normaliser le nationalisme dans un contexte de guerre. Ce qui se passe actuellement dans l'Ukraine en temps de guerre, c'est aussi la recherche d'ennemi·es intérieurs·e, les Ukrainien·nes russophones étant présenté·es comme l'une des sources du problème. Il y a ce récit : « Poutine nous a envahi·es parce que vous, les Ukrainien·nes russophones, existez ; vous lui avez donné un prétexte pour envahir notre pays ». Plus la guerre dure, plus il est difficile de naviguer dans cette situation qui devient de plus en plus dramatique.
En même temps, lorsque je m'adresse à un public international, je tiens à préciser qu'il ne faut pas confondre la cause et la conséquence. Avant l'invasion russe de 2014, ce problème n'existait pratiquement pas en Ukraine. Il s'agissait d'un discours russe visant à alimenter les conflits internes, en utilisant la population russophone comme un outil pour leurs propres objectifs politiques d'assujettissement de l'Ukraine. Les élites ukrainiennes à l'intérieur du pays ont également utilisé une stratégie de division et de domination pour s'assurer leur propre part du gâteau économique ukrainien, alimentant encore davantage cet antagonisme inexistant entre les russophones et les ukrainophones.
Vivant en Ukraine, je peux vous dire que ces problèmes sont en grande partie inventés, mais qu'ils sont devenus plus réels après le début de l'invasion russe. Quant aux prétendus cas de violence contre des « Russes » dans le Donbas avant 2014, je peux affirmer qu'ils n'ont jamais existé. Je ne sais pas d'où viennent ces informations.
Je tiens également à souligner qu'il n'est pas nécessaire de romancer ou de créer des illusions sur une société pour défendre son droit d'exister et de se défendre contre l'agression d'un État impérialiste. Nous ne devons pas nous faire d'illusions sur ce que représente la société ukrainienne. Elle a ses propres et importantes contradictions internes. Elle a sa propre extrême droite, comme toute société dans le monde aujourd'hui, y compris en Occident. En fait, par rapport à certains pays occidentaux, les Ukrainien·nes ne sont pas aussi rétrogrades qu'on pourrait le penser.
Malheureusement, nous n'avons pas assez de temps et je m'en excuse. Je voudrais conclure en disant que même si nous avons des analyses différentes de certains détails de la situation, nous pouvons aussi trouver un terrain d'entente où nous pouvons nous engager ensemble dans une solidarité pratique. En cette période, la solidarité concrète avec les victimes de l'agression et avec ceux qui risquent leur vie pour s'opposer à la guerre est cruciale. J'espère que notre collaboration se poursuivra et qu'ensemble, nous pourrons faire la différence dans ce qui semble être une situation désespérée.
Je vous remercie de votre attention.
Hanna Perekhoda
https://links.org.au/hanna-perekhoda-russian-political-elites-are-openly-promoting-global-project
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
Note
[1] Le Primordialisme (en anglais : Primordialism) est un concept sociologique suivant lequel il existe des liens entre les membres d'une nation qui sont fondamentaux et irrationnels et qui sont basés sur la religion, la culture, la langue. Il en découle que l'identité de la nation peut être considérée comme une donnée ancienne, un phénomène naturel – Wikipédia – NdT

Désobéissance civile planétaire

Paris. Mercredi, 6 novembre 2024. Match Paris-Saint-Germain - Atletico de Madrid. Une immense toile, avec le slogan Free Palestine, couvre la tribune Auteuil au Parc des Princes.
par Mustapha Saha.
L'Union européenne des associations de football (UEFA), malgré les pressions des autorités françaises, n'engage aucune procédure contre l'équipe parisienne. Elle estime le tifo géant ni provocateur, ni insultant. Le ministre de l'intérieur demande solennellement des comptes. « Les terrains ne doivent pas devenir des tribunes politiques » assène-t-il, comme si les politiques n'étaient pas les premiers instrumentalisateurs du sport. Son subordonné, secrétaire d'État chargé à la citoyenneté, un marocain de service, chantre du repli identitaire, convoque tambour battant les responsables sportifs. Il n'en faut pas plus pour que les sionistes crient à l'antisémitisme.
Blanchiment du génocide par le sport.
Les affrontements d'Amsterdam, entre supporters israéliens et néerlandais propalestiniens, est symptomatique d'une nouvelle forme de lutte mondiale, une désobéissance civile planétaire. L'idéologie sioniste n'a qu'un seul but, l'extermination du peuple palestinien. Sa technique, la destruction totale. Sa méthode, le génocide. Dans les pays occidentaux, la classe estudiantine est la fibre sensible, hyper-réactive aux monstruosités fascistes. Les désinformations institutionnelles sont des exemples flagrants des manipulations politiques et médiatiques. Les casseurs israéliens, formés au combat, souvent des agents de services secrets et des réservistes de l'armée, sont connus pour leurs méthodes dévastatrices. Ils agissent en groupes. Ils récupèrent, dans les rues, des barres métalliques, des objets transformables en armes blanches. Ils chargent militairement. Ils tirent des explosifs. Ces commandos ultraviolents ne sont jamais inquiétés par les polices européennes. Ils dépavent la chaussée. Ils caillassent les chauffeurs de taxi. Ils s'attaquent aux passants. Ils ciblent les maghrébins. Ils chantent des refrains appelant au meurtre des arabes.
Un reporter néerlandais de quatorze ans du média Bender, démonte, en direct, la mécanique falsificatrice. Il a crânement suivi, malgré les menaces, les hooligans du Maccabi Tel Aviv pendant leurs saccages de la ville. Il a filmé, en direct, les provocations, les charges, les altercations. « Mesdames, Messieurs, le match perdu sur le terrain par le Maccabi Tel Aviv, se prolonge dans la rue,, avec une violence inouïe. Nous nous trouvons à la gare centrale d'Amsterdam. Les supporters israéliens, coiffés de casques, courent dans tous les sens en bande compacte. Ils allument des pétards. Ils crient des slogans assassins. Ils déplantent des poteaux. Ils poursuivent les gens. La police est absente. Ça devient complètement hors contrôle. Deux fourgons de police arrivent. Ils essuient des jets de pierres. Les policiers restent passifs. Les chauffeurs de taxis réagissent. Ils klaxonnent en chœur. Ça sent l'affrontement. Les israéliens s'emparent de massues. Ils font semblant de battre en retraite. Ils se regroupent. Ils repartent à l'assaut. Ils connaissent toutes les tactiques. Ils cherchent la bagarre. Contrairement aux hooligans européens, ils restent toujours groupés. Ils évoluent par vagues homogènes. La police les repousse dans une rue adjacente. Les chauffeurs de taxi et d'autres supporters de l'Ajax les pourchassent. Il y a un leader au milieu d'eux. Il leur donne des directives. Ils s'entretiennent en hébreu. La police ne comprend pas ce qu'ils disent. Elle ne sait pas ce qu'ils projettent. Ils jettent des projectiles sur une maison abandonnée, un squat, où un drapeau palestinien flotte à une fenêtre. Depuis hier soir, ils brûlent tous les étendards palestiniens qui se trouvent sur leur chemin. Un centaine de chauffeurs de taxi sortent de leur voiture. La situation est ingérable ». Les médias dramatisent. Les opinions somatisent. Eléments de langage sionistes en sous-traitance. Les génocidaires crient au pogrom. Les dirigeants occidentaux s'alignent. Aux Pays Bas, comme dans d'autres pays européens, la police protège les israéliens, traque les propalestiniens.
Servitude politique.
Les sionistes, emportés par leur mégalomanie prédatrice, multiplient les humiliations à l'encontre de la gouvernance française. Des images circulent sur les réseaux sociaux. Deux gendarmes français, gardiens de l'église du Pater Noster, dite aussi Eléona, à Jérusalem Est, sont arrêtés, sans sommation, par la police israélienne le 7 novembre 2024. Le domaine national français en Terre Sainte comprend quatre possessions. L'église du Pater Noster au sommet du Mont des Oliviers, avec un cloître, construit en 1870, et en sous-sol, la grotte dite du Pater, où Jésus Christ aurait enseigné. Le monastère d'Abou Gosh, ancienne commanderie hospitalière du douzième siècle, avec une église et une crypte. Il abrite depuis 1976 des moniales et des moines bénédictins. Le Tombeau des Rois, accueille, parmi une trentaine de sépultures, le sarcophage de la reine Hélène d'Adiabène. L'église Sainte Anne, avec une église du douzième siècle, où se trouve, selon la tradition évangélique, la maison parentale de la Vierge Marie et la piscine Bethesda, mentionnée au chapitre cinq de l'Evangile de Jean, où s'effectue le miracle de Jésus sur un paralytique. En dehors du Tombeau des Rois, les trois autres possessions françaises sont de hauts lieux de la spiritualité chrétienne.
La précédente violation sioniste de ces sanctuaires remonte à 1996. Jacques Chirac, en déplacement à Jérusalem, avait expulsé les policiers israéliens de l'église Sainte-Anne. Il avait déclaré : « Je ne veux pas de gens armés en territoire français ». Autres temps, autres mœurs. La gouvernance française actuelle se montre, avec l'administration américaine, l'oligarchie la plus inconditionnellement pro-sioniste. Elle s'empresse de proposer une coalition militaire internationale contre les gazaouis. Elle fournit des armes aux sionistes. Elle interdit les manifestations propalestiniennes. Elle subit sans broncher les injures, les flétrissures, les ignominies israéliennes. Le 3 novembre 2023, L'Institut français de Gaza est spécialement visé par une frappe. Aucune réaction française. Le 13 décembre 2023, un agent du ministère des Affaires étrangères est tué dans un bombardement. Aucune sanction française. Les exemples sont si nombreux qu'il serait fastidieux de les énumérer. Les israéliens fonctionnent aux chantages, aux menaces. L'ambassadeur français se fait convoquer à tout propos pour se faire sermonner. Dans tous les cas, la gouvernance française fait preuve d'une déconcertante soumission.
Intellectuels juifs contre le sionisme.
Paris. Dimanche, 10 novembre 2024. Un collectif d'intellectuels juifs français, dans une tribune dans le quotidien Le Monde, lance une alerte contre le colonialisme sioniste, annexionniste, révisionniste, suprémaciste. Parmi les signataires, les historiens Dominique Vidal et Sophie Bessis, les économistes Pierre Khalfa et Alain Lipietz. Le sionisme ne laisse que trois options aux palestiniens : survivre comme des esclaves, sans droits et sans dignité, quitter leur terre ou se faire éliminer sans préavis. Les territoires occupés sont transformés en champs de ruines. Les populations sont livrées à la mort par les pilonnages incessants et la famine programmée.
Lundi, 24 octobre 2024. Le collectif Voix juives pour la paix occupe la bourse de New York pour exiger la fin des crimes sionistes et l'arrêt des fournitures d'armes américaines aux génocidaires. Se dénoncent en particulier les firmes américaines Raytheon et Lockheed Martin. Des mots d'ordre propalestiniens sont scandés. Les manifestants s'enchaînent aux clôtures. Les médias occidentaux censurent, occultent, éclipsent les luttes juives contre le colonialisme israélien. Plusieurs organisations nord-américaines, Voix juives indépendants, United Jewish People's Order, If Not Now Toronto. Une pancarte réapparaît régulièrement : Juifs pour une Palestine libre.
L'inconséquence de la gouvernance française s'illustre par l'attribution, le 5 novembre 2024, du prix du courage journalistique à l'israélien Yuval Abraham et au palestinien Basel Adra, coréalisateurs avec Hamdan Ballal et Rachel Szor, du documentaire No Other Land sur la brutalité du colonialisme sioniste. Se défend formellement, abstraitement, la liberté de la presse, la liberté d'expression, la liberté d'opinion, pierres angulaires des droits humains. La réalité est autre. Les médiats influents appartiennent à une poignée de milliardaires, dont certains affichent ouvertement leurs orientations fascistes. Les censures, les entraves au pluralisme, à l'indépendance des rédactions, sont couvertes par le sacro-saint droit de propriété. Il n'est plus besoin de pressions politiques, bien qu'elles s'exercent ici ou là. La mainmise financière permet tous les dérapages, tous les abus. Les médailles ne servent à rien. Révolues les époques où les décorations sacralisaient les sacrifices patriotiques. Deux cents journalistes sont délibérément assassinés par l'armée israélienne en un an à Gaza et en Cisjordanie. Ils passent sur les comptes pertes et profits. La gouvernance française ressasse monomaniaquement « Israël a le droit de se défendre », le droit de massacrer impunément.
Match de la honte.
Jeudi, 14 novembre 2024. Match France – Israël. La gouvernance française ne sait comment donner des gages d'allégeance au colonialisme israélien. Les journalistes guettent les incidents convertibles drames, en intox. La raison s'estompe, l'émotion s'enfièvre. Depuis plusieurs semaines, les médias tentent d'imposer l'idée que l'opération de blanchiment du génocide par le sport est une opportunité souhaitable. Le match de la honte s'avère, sur le plan politique et financier, un échec total. Le stade de France décroche le record de la plus faible affluence pour un match international. A peine une dizaine de milliers de spectateurs pour une enceinte de quatre-vingt-mille place. Un véritable boycott populaire. Se diffusent des fumigènes pour masquer les gradins vides. Se déploient quatre mille policiers et mille cinq cents agents de sécurité. Un hélicoptère. Un véhicule blindé. Des sirènes hurlantes. Des uniformes partout. La fête nulle part. Une perte sèche de trois millions cinq-cent-mille euros selon le journal L'Equipe.
Des faits particulièrement scandaleux marquent la partie. Des hooligans sionistes s'attaquent, d'entrée de jeu, aux supporters français, les tabassent à vingt contre un. Personne ne parle de lynchage. La préfecture évoque des circonstances floues, sans d'autres précisions. Les agresseurs sionistes agissent dans un lieu ultra-sécurisé, filmé sous tous les angles. Personne d'entre eux n'est inquiété. Dans la tribune officielle, trois présidents successifs de la République, les derniers survivants, des premiers ministres et des ministres, anciens et actuels, des notabilités de tous bords, affirmant leur soutien inconditionnel aux sionistes. L'un des assaillants, portant effrontément un tee-shirt de l'armée israélienne, est poliment interviewé par la chaîne française BFM. Il est fier d'avoir semé la terreur sous protection policière.
Un étudiant bordelais, Emmanuel Hoarau, brandit un drapeau palestinien avant de se faire expulser. La photo, prise à la sauvette, légendée du message « Aucune restriction de la liberté d'expression ne peut faire oublier le massacre des civils à Gaza », est vue, sur twitter, par deux millions de personnes, en quelques heures. Le député des Bouches-du-Rhône, Sébastien Delogu, commente : « Emmanuel Hoarau, tu n'as pas cédé aux interdictions, aux intimidations, aux sanctions. Ton acte de courage honore le pays ». Un internaute propose de lancer une cagnotte pour couvrir les frais éventuels d'un avocat.
*****
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d'avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d'avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d'aide financière à l'investissement.
gauche.media
Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.