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Argentine. « Le gouvernement de Milei contre le consensus de Nunca Más »

3 septembre 2024, par Luciana Bertoia — , ,
Pour le président argentin Javier Milei, les forces armées de son pays ont fait l'objet d'une campagne de discrédit au cours des dernières décennies. C'est ce qu'il a déclaré (…)

Pour le président argentin Javier Milei, les forces armées de son pays ont fait l'objet d'une campagne de discrédit au cours des dernières décennies. C'est ce qu'il a déclaré le vendredi 16 août, alors qu'il présidait ce que l'on appelle dans les milieux militaires le « dîner de la camaraderie ». La phrase du président contenait un verdict : une grande partie de ce qui a été dit depuis le rétablissement de la démocratie en 1983 jusqu'à aujourd'hui est fausse. Or, depuis cette année-là, il a été prouvé que les forces armées avaient mis en œuvre un plan systématique de disparition, de torture et de meurtre en recourant à plus de 700 centres de détention clandestins.

26 août 2024 | tiré du site alecontre.org
http://alencontre.org/ameriques/amelat/argentine/argentine-le-gouvernement-de-milei-contre-le-consensus-de-nunca-mas.html

L'Argentine a célébré ses 40 ans de démocratie dans le cadre de l'arrivée à la Casa Rosada d'un gouvernement [Milei est entré en fonction le 10 décembre 2023] qui a remis en cause le consensus construit au cours des quatre dernières décennies : il nie les crimes contre l'humanité, désavoue les organisations de défense des droits de l'homme et montre des signes d'empathie à l'égard des auteurs de ces crimes.

L'examen de ce qui s'est passé pendant les années de terrorisme d'Etat n'est en effet pas l'une des questions qui empêchent Milei de dormir, car il est absorbé par les discussions économiques et par la construction de sa figure en tant que leader de l'extrême droite internationale. Ce réexamen renvoie plutôt à la thématique autour de laquelle sa vice-présidente, Victoria Villarruel, a construit sa carrière. Fille et petite-fille d'officiers militaires, Victorial Villarruel – aujourd'hui assez éloignée politiquement de Milei – est active depuis plus de 20 ans dans des organisations qui défendent l'action des militaires au cours des années 1970. Elle développe un argument structuré autour de la défense d'une « mémoire complète » de cette période. Elle a participé aux manifestations réclamant la libération des criminels de la dernière dictature (1976-1983) et a fait partie d'une stratégie visant à faire échouer les procès qui ont été rouverts en 2006, après que la Cour suprême de justice a déclaré inconstitutionnelles les lois qui les empêchaient d'être jugés. Depuis lors, elle exige que les survivants des organisations politico-militaires de gauche soient jugés comme s'ils portaient la même responsabilité que ceux qui ont mis en œuvre le système concentrationnaire dans le pays.

Malgré les profonds changements politiques, les procès pour les crimes commis pendant la dernière dictature n'ont pas cessé. Selon le Bureau du procureur pour les crimes contre l'humanité, 13 procès sont en cours. Il y a 1187 condamnations pour ces crimes. 642 personnes sont en détention : 134 d'entre elles dans des prisons ordinaires et les autres en résidence surveillée.

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Ces dernières semaines, une photo a choqué le pays. Elle a été prise le 11 juillet par six députés de La Libertad Avanza, le parti de Milei, les montrant aux côtés d'un groupe d'agents de la répression, cela dans la prison d'Ezeiza, située dans la province de Buenos Aires. Tous ces militaires sont en prison après que leur participation active à des crimes contre l'humanité a été prouvée. La photo montre Alfredo Astiz, une figure emblématique du terrorisme d'Etat. Pendant la dernière dictature militaire, Astiz était un jeune marin en poste à l'Escuela de Mecánica de la Armada (ESMA), école transformée pendant la dictature en un camp de concentration où sont passés 5000 hommes et femmes.

Alfredo Astiz a infiltré le mouvement des droits de l'homme naissant. Il s'y est présenté comme le frère d'une personne disparue. Il va gagner la confiance des premières Mères de la Place de Mai. Il propose à leur fondatrice, Azucena Villaflor de De Vincenti, de l'accompagner à son domicile. Entre le 8 et le 10 décembre 1977, il réalise son coup de maître : il identifie 12 personnes qui seront enlevées, torturées et jetées vivantes dans l'océan Atlantique. Parmi elles se trouvent trois membres des Mères de la Place de Mai – Villaflor de De Vincenti, Esther Ballestrino de Careaga et María Eugenia Ponce de Bianco – ainsi que les religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet. Alfredo Astiz ne s'est jamais repenti de ses crimes. La justice argentine l'a condamné à deux reprises à la prison à vie. Cette peine s'ajoute à celle prononcée par contumace en France. Après 1983, il a osé déclarer qu'il était le mieux à même de tuer un journaliste.

Après la rencontre avec les auteurs de ces crimes, cinq des six député·e·s du parti au pouvoir ont participé à la rédaction d'un communiqué pour demander que les détenus soient renvoyés chez eux et que leur cas soit réexaminé. Ce communiqué n'a pas été rendu public en raison du désaveu suscité par la visite et suite à la décision du gouvernement d'atténuer la controverse. Les organisations de défense des droits de l'homme exigent que cet épisode fasse l'objet d'une enquête et que les élus qui défendent les auteurs d'enlèvements, de tortures et de disparitions soient radiés [de leur poste parlementaire en se référant à l'art. 66 de la Constitution]. Deux députées qui ont participé à la visite – les plus jeunes de la délégation – ont exprimé leurs regrets et déclaré qu'elles ne savaient pas qui étaient ceux qu'elles allaient voir. L'une d'entre elles [Lourdes Arrieta, élue de Libertad Avanza, dans la circonscription de Mendosa] a porté l'affaire [en publiant des chats sur WhatsApp] devant les tribunaux, où elle a indiqué qu'elle aurait également eu des contacts avec un prêtre – expulsé par la suite de son diocèse –, un ancien juge et des avocats de la défense de personnes condamnées pour crimes contre l'humanité. Ces derniers élaboraient différentes stratégies pour libérer les détenus et mettre fin au processus de jugement.

La visite des député·e·s n'est pas un événement isolé. D'autres visites officielles ont eu lieu dans des prisons. Le ministère de la Défense a envoyé deux hauts fonctionnaires dans l'unité pénitentiaire de Campo de Mayo, la principale garnison militaire du pays. Ils y ont pris connaissance des demandes des détenus, dont le principal objectif est d'obtenir leur liberté. Le ministère de la Sécurité, chargé des prisons, est dirigé par Patricia Bullrich, la candidate à la présidence qui est arrivée troisième aux élections primaires et qui a ensuite rejoint le gouvernement de Milei au même poste que celui qu'elle occupait sous Mauricio Macri (2015-2019). Pendant la campagne électorale, l'un de ses principaux conseillers et actuel chef de cabinet avait publié dans le journal La Nación que les équipes de Bullrich travaillaient sur une « solution » pour qu'aucune personne de plus de 70 ans ne soit détenue pour des crimes commis pendant la dictature.

Pour l'instant, on ne sait pas en quoi consiste cette initiative, mais la ministre a publiquement plaidé en faveur de l'assignation à résidence [et non de la prison]. Le ministre de la Justice, Mariano Cúneo Libarona [indépendant, affilié à La Libertad Avanza], qui a déclaré que la justice s'était transformée en vengeance, a fait la même déclaration. Jusqu'à quelques jours avant son entrée en fonction, Cúneo Libarona avait été l'avocat d'Enrique Barre, accusé d'être le commandant en second du « Pozo de Banfield », un camp de concentration situé au sud du Grand Buenos Aires, qui servait de base au Plan Condor – la coordination répressive entre les dictatures de la région [de 1975 à 1983] –, de maternité clandestine [pour les enfants enlevés de prisonnières] et de lieu d'hébergement pour les jeunes lycéens [séparés des parents réprimés].

A l'occasion du 48e anniversaire du dernier coup d'Etat, la ministre de la Sécurité a pris la décision de supprimer les primes offertes par le gouvernement à ceux qui pourraient fournir des informations permettant de capturer une vingtaine de fugitifs accusés de crimes contre l'humanité. L'explication officielle était que le ministère préférait allouer ces ressources à la lutte contre le trafic de drogue.
La vérité en état de siège

En près de neuf mois, le gouvernement de Milei a pris deux mesures qui peuvent être qualifiées d'attaques contre le processus de Memoria, Verdad y Justicia : c'est-à-dire le démantèlement de la Commission nationale pour le droit à l'identité (CoNaDI) et l'élimination de la politique de recherche d'archives pour contribuer aux enquêtes sur les crimes commis pendant la dernière dictature. La CoNaDI a été créée en 1992, sous le gouvernement de Carlos Menem, à la demande de Abuelas de Plaza de Mayo, l'organisation de défense des droits de l'homme qui recherche depuis 1977 les enfants volés pendant les années de terrorisme d'Etat. La création de la CoNaDI visait à répondre à l'engagement pris par l'Etat argentin lors de la signature de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui reconnaissait le droit à l'identité.

La fonction principale de la CoNaDI est de prendre les cas qui seront examinés devant la Banque Nationale de Données Génétiques (BNDG) afin de déterminer s'il s'agit d'enfants de personnes disparues. En 2001, les fonctions de la CoNaDI ont été ratifiées par une loi. Trois ans plus tard, le président Néstor Kirchner [mai 2003-décembre 2007] a signé un décret créant une unité spéciale d'enquête (UEI) au sein de la CoNaDI et l'autorisant à accéder à toutes les archives détenues par l'Etat afin de retrouver les bébés disparus.

Les Abuelas de Plaza de Mayo ont permis de rétablir 133 identités depuis sa création. Selon les estimations de l'organisation, 500 enfants ont été volés pendant les années de terrorisme d'Etat. Tout au long des deux dernières décennies, la CoNaDI a reçu des plaintes de la part des Abuelas de Plaza de Mayo, de particuliers et de personnes ayant des doutes sur leurs origines. Elle a mené des enquêtes pour déterminer s'il existait un cas possible d'appropriation ; elle a transmis 90% des cas de test qui sont arrivés à la BNDG et a fait des soumissions formelles au ministère public ou à l'appareil judiciaire.

Comme l'a souligné le procureur Pablo Parenti, chargé d'enquêter sur les cas d'enlèvement d'enfants dans le contexte du terrorisme d'Etat, la CoNaDI n'a jamais été remise en cause par les juges, les procureurs ou les défenseurs officiels. Mais en mai de cette année, le ministère de la Sécurité a annoncé qu'il ne répondrait plus aux demandes de la CoNaDI parce qu'il ne voulait pas contribuer à la « persécution » du personnel des forces de sécurité.

En retirant l'unité spéciale d'enquête (UEI) de la CoNaDI, le gouvernement Milei a fait valoir que le pouvoir exécutif n'était pas habilité à mener des enquêtes et que cette responsabilité incombait au ministère public. L'histoire semble contredire cette affirmation : cinq jours après le retour à la démocratie, le président de l'époque, Raúl Alfonsín, a signé le décret 187/1983, créant la Commission nationale sur la disparition des personnes (Conadep), qui a enquêté sur les cas des personnes enlevées dans les camps de concentration de la dictature. Le rapport de la Conadep, intitulé Nunca Más (Jamais plus) [dont une première version a été publiée en 1984], a jeté les bases de la démocratie argentine.

Fabián Salvioli, ancien rapporteur spécial des Nations unies pour la Promoción de la Verdad, la Justicia, la Reparación y las Garantías de No Repetición, explique qu'il est erroné d'affirmer [comme Milei] que le pouvoir exécutif ne peut pas mener d'enquêtes. Le juge Alejandro Slokar, coordinateur de la Commission des crimes contre l'humanité qui opère au sein de la Chambre fédérale de cassation – la plus haute juridiction pénale du pays – soutient qu'en fait, le pouvoir exécutif est l'acteur obligé, devant les instances internationales, de rendre compte de la manière dont l'Etat argentin remplit ses engagements en matière d'établissement de la vérité.

Les Grands-mères de la Place de Mai ont exigé que ce qui a pris des décennies à construire ne soit pas effacé d'un trait de plume. Certains de ses membres – pour la plupart des petits-enfants dont l'identité a été rétablie au cours des dernières décennies – ont dénoncé une manœuvre visant à favoriser l'impunité des coupables. « C'est à la demande des coupables », affirme Victoria Montenegro [membre du Frente de Todos], fille de disparus, « adoptée » par un colonel de l'armée et actuellement présidente de la Commission des droits de l'homme de l'Assemblée législative de la ville de Buenos Aires.

Le démantèlement de la CoNaDI a un précédent direct : en mars dernier, le ministre de la Défense, Luis Petri [membre de la coalition Juntos por el Cambio], a démantelé les équipes chargées de collecter et d'analyser les archives détenues par les forces armées. Il s'agit de documents bureaucratiques – dossiers, rapports quotidiens, registres de différentes unités militaires – grâce auxquels il était possible d'identifier les personnes ayant agi dans certains lieux de détention. Les équipes ont été créées en 2010, après que la présidente de l'époque, Cristina Fernández de Kirchner [décembre 2007-décembre 2015], a déclassifié des informations des forces armées concernant la période 1976-1983. Les procès contre l'humanité étaient alors à leur apogée. Les experts du ministère de la Défense ont contribué à plus de 180 affaires.

Les seules mises en question faites à ces équipes l'ont été par des personnes se trouvant sur le banc des accusés, qui n'étaient pas intéressées par les preuves les visant. Leurs contributions ont été soulignées par 36 procureurs, qui ont demandé au ministre de revenir sur sa décision. Dans différentes décisions, le pouvoir judiciaire a apprécié ces contributions. Cependant, pendant le mandat de Milei, le ministère de la Défense a soutenu que les civils avaient effectué des recherches dans les dossiers dans le cadre d'une stratégie de « maccarthysme » contre les forces armées et que ses membres fonctionnaient comme un « groupe para-judiciaire ». Dans cette affaire, il a également été soutenu que le pouvoir exécutif ne devrait pas mener d'enquêtes, ce pouvoir appartenant au ministère public.

Le 2 mai, trois rapporteurs spéciaux des Nations unies ont fait part de leur inquiétude au gouvernement argentin, l'exhortant à préserver les archives des forces armées et à empêcher tout acte de négationnisme ou de révisionnisme. « Nous rappelons que le droit international des droits de l'homme établit l'obligation pour l'Etat argentin d'enquêter sur les violations graves des droits de l'homme et de les punir, d'établir la vérité sur les circonstances dans lesquelles ces violations ont eu lieu et, dans le cas des disparitions forcées, sur le sort des personnes disparues et le lieu où elles se trouvent, de préserver la mémoire historique, les archives et les preuves de ces violations, et d'empêcher l'émergence de thèses révisionnistes, relativistes et négationnistes à leur sujet. Nous rappelons à notre tour que le non-respect de ces obligations par les entités et autorités étatiques compétentes est en mesure d'engager la responsabilité de l'Etat argentin », ont déclaré Bernard Duhaime (rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition), Aua Baldé (président-rapporteur du groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires) et Morris Tidball Binz (rapporteur sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires).

Des réactions en Argentine ont également eu lieu. La Chambre de cassation a recommandé à tous les tribunaux chargés de juger les crimes de la dictature de préserver les archives et les lieux où les crimes ont été commis. Beaucoup de ces espaces sont devenus des lieux de mémoire – qui sont soumis aux politiques d'austérité du gouvernement Milei, avec le licenciement d'un grand nombre de leurs employés.

La présence à la Casa Rosada d'un gouvernement qui ne compatit pas avec les victimes de la dictature soulève la question de savoir combien d'attaques le Processus de vérité et de justice peut tolérer, si une fois de plus les citoyens descendront dans la rue pour exiger le jugement et la punition des coupables, et si cela ne portera pas atteinte au consensus démocratique qui a prévalu pendant quatre décennies. L'administration Milei est prête à redorer publiquement les forces en uniforme et à leur donner de nouvelles fonctions : elle l'a déjà fait savoir en présentant un projet de loi visant à impliquer les forces armées dans des tâches de sécurité intérieure, ce qui leur est interdit après l'expérience criminelle de la dernière dictature. Dans le même temps, elle cherche à affaiblir les organismes publics idéologiquement transversaux qui ont soutenu le « plus jamais ça » prononcé par le procureur Julio César Strassera lors du procès intitulé Jucio a las Juntas [1], qui s'est déroulé du 22 avril au 9 décembre 1985. (Article publié par Nueva Sociedad, août 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)


[1] Parmi les jugés se trouvaient, entre autres, Jorge Rafael Videla, Orlando Ramon Agosti, Emilio Eduardo Massera, Eduardo Viola et Leopoldo Fortunato Galtieri. (Réd.)

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Claudia Sheinbaum investie présidente du Mexique

Le 1er octobre prochain Claudia Sheinbaum sera investie présidente du Mexique. Pour la première fois une femme, militante de gauche, dirigera le pays avec le soutien massif de (…)

Le 1er octobre prochain Claudia Sheinbaum sera investie présidente du Mexique. Pour la première fois une femme, militante de gauche, dirigera le pays avec le soutien massif de la population et une majorité de 2/3 de la Chambre des députés qui lui permettront de faire les changements constitutionnels nécessaires pour aller vers des changements décisifs pour la transformation du Mexique.

Tiré de :La chronique de Recherches internationales

Obey Ament, Spécialiste de l'Amérique latine

Au Sénat, il manque un siège à la gauche pour avoir ces deux tiers mais on peut penser qu'une négociation sera toujours possible pour y arriver. Elle présidera ce pays de 120 millions de habitants inaugurant ainsi la deuxième étape de la transformation initiée en 2018 avec l'élection de Andrés Manuel Lopez Obrador à la présidence.

Pour mieux comprendre la portée de l'arrivée au pouvoir de ce projet progressiste et le sens de la transformation en cours au Mexique il faut prendre en compte le degré de corruption auquel était arrivé le régime crée par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui dans un passé lointain avait été créé pour unifier les groupes politiques issus de la révolution dans la période 1910-1920. Les débuts de ce processus ont permis l'instauration d'une Constitution progressiste, des avancées sociales importantes et la nationalisation des ressources naturelles. Mais des les années 50 la corruption a commencé à devenir un élément structurant du régime. Être élu à une responsabilité gouvernementale, président, gouverneur, député ou maire ou être nommé à des postes de direction de la fonction publique était devenu la forme la plus sur de s'enrichir. Le pouvoir politique a fini par se confondre avec le pouvoir économique dans une association d'intérêts qui dictait les choix politiques. Ce pourrissement n'a épargné ni juges ni magistrats et l'impunité des plus forts et des plus riches est devenue la règle. C'est sous ce système que les dirigeants du PRI ont mis en place des politiques néolibérales et que le Traité de libre échange avec le Canada et les États-Unis a été signé avec la volonté d'ancrer durablement ces politiques avec des privatisations qui ont bénéficié aux grandes fortunes du pays associées à des capitaux étrangers. L'arrivée au pouvoir du Parti d'action nationale (PAN) entre 2000 et 2012 n'a fait que renforcer ces politiques et la spoliation du pays n'a cessé. Le PRI a fait son retour jusqu'au triomphe historique de la gauche de 2018.

Transformer le Mexique signifie le démantèlement de ce système, la séparation du pouvoir politique du pouvoir économique et la création de nouvelles institutions, changer les priorités en mettant au centre la lutte contre la pauvreté qui touchait presque la moitié de la population. En six ans des progrès importants ont été faits ; les politiques assistancialistes et ciblées ont laissé la place à une trentaine de programmes sociaux à caractère universel en direction des plus pauvres, des personnes âgés et des handicapés qui reçoivent des aides et en faveur de l'enfance et de la jeunesse des jeunes avec des bourses et des programmes d'accès à l'emploi. Des efforts sont déployés en faveur d'un nouveau système de santé et l'évasion fiscale est combattue ainsi que l'annulation des dettes au fisc pour des privilégiés. Afin de réduire les inégalités entre les régions des grands projets d'infrastructures ont été lancés notamment avec le « Tren Maya », chemin de fer qui fait le tour de la péninsule du Yucatán et le Corridor Trans-isthme qui devra relier la côte Pacifique au Golfe du Mexique.

Ces politiques et la hausse du salaire minimum de 110 % ont permis de faire reculer la pauvreté qui est passé de 46,8 % de la population à 36,3 % et les inégalités. Face à la violence des cartels de la drogue le gouvernement a choisi s'attaquer aux racines avec ces politique sociales et avec la création de la Garde nationale qui remplace les corps de police corrompus. Mais bien que les statistiques montrent un ralentissement du nombre d'assassinats, la violence liée aux activités des groupes criminels reste très élevée ainsi que la violence contre les femmes malgré un recul de 35,6 % des féminicides grâce aux dispositifs mis en place depuis 2018.

La droite unie bien que affaiblie n'a cessé de mener des campagnes visant la délégitimation du nouveau pouvoir en l'accusant d'autoritarisme ou de mener le pays vers le communisme. Elle s'est opposée systématiquement à tous les projets votés par les deux chambres. Impuissante, la droite a mobilisé ses derniers atout : l'Institut national électoral et le Pouvoir judiciaire dominés par des conseillers, magistrats et juges nommés par les gouvernements précédents. C'est ainsi que 75 % des propositions législatives ont été bloquées par des décisions de justice les déclarant inconstitutionnelles ou bien avec des prétextes futiles tels que « le manque de discussion » des lois par les députés ou bien en acceptant des plaintes d'entreprises ou de particuliers qui se considéraient lésés par les nouvelles lois. Le Pouvoir juridique est devenu un acteur politique qui, en outrepassant ses fonctions, a imposé ses décisions sur celles prises par l'organe législatif élu par la population.

En février dernier, le président Lopez Obrador a décidé de mettre la droite au pied du mur en proposant vingt changements constitutionnels qui devraient redonner à la Charte le caractère progressiste que des décennies de néolibéralisme lui ont ôté. Parmi ces changements il a proposé l'amélioration du système de retraites en faveur des travailleurs les plus démunis, donner un rang constitutionnel aux programmes sociaux phares, les hausse du salaire minimum ne pourront pas être en dessous de l'inflation, l'interdiction du « fracking » et du maïs transgénique et surtout redonner à la Compagnie fédérale d'électricité son caractère public, la disparition des organismes autonomes crées pour se substituer à l'État dans la « régulation » de la concurrence et des investissements dans les et la réforme du Pouvoir juridique. Après le refus de la droite de voter ces initiatives, le président a fait appel à la population pour qu'elle soutienne ces réformes en votant lors des élections de juin en faveur de Claudia Sheinbaum en lui donnant la majorité nécessaire ces changements à la Constitution, c'est ce qu'il a appelé le « Plan C ».

Les résultats des élections présidentielles ont montré une adhésion massive au projet de Nation porté par Claudia Sheinbaum et le Mouvement de régénération nationale (Morena). L'ampleur de la défaite n'a pas découragé la droite qui continue à se battre avec les membres de la Cour suprême de Justice à sa tête. La droite argumente que cette réforme qui prévoit que les magistrats et juges ne seront plus nommés à partir d'une proposition de l'Exécutif mais seront élus par le suffrage universel à partir des propositions faites par les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est non seulement une attaque contre la démocratie et mettrait en danger l'avenir du Traité Mexique-États-Unis-Canada.
La disparition des organismes autonomes c'est à dire la Commission fédérale de compétence économique, l'Institut des télécommunications et la Commission régulatrice de l'énergie et deux autres) ne ferait qu'aggraver la situation. Ces organismes, dont les fonctions seront réintégrées aux ministères concernés, ont été créés par le néolibéralisme pour « dépolitiser » l'attribution des concessions et contrats en favorisant les grands capitaux surtout étrangers et leur disparition et celle d'un Pouvoir judiciaire facile de convaincre en faveur de ces mêmes intérêts peuvent changer les termes sur lesquels a fonctionné le l'accord de libre-échange tripartite jusqu'ici. L'ambassadeur des États-Unis, Ken Salazar, s'est joint à la droite déclarant que « l'élection directe des juges représente un risque majeur pour le fonctionnement de la démocratie au Mexique » et à la suite l'ambassadeur du Canada a fait part de la préoccupation des investisseurs de son pays. La réponse du président Lopez Obrador a été immédiate. Il a annoncé une pause dans les relations avec l'ambassade des États-Unis et a dénoncé une action inacceptable d'ingérence qui piétine la souveraineté du Mexique.

Les réformes constitutionnelles contestent la puissance de Washington, éloignent le Mexique des politiques néolibérales et touchent les intérêts des grandes entreprises avec l'interdiction de l'exploitation des mines à ciel ouvert, du fracking et de l'utilisation des transgéniques ainsi que les réformes du Pouvoir judiciaire et des organismes autonomes.

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d'analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd'hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
Site : http://www.recherches-internationales.fr/

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Elections en Saxe et en Thuringe : « La sécurité intérieure devient un substitut à la sécurité sociale »

3 septembre 2024, par Moritz Maier — , ,
A l'occasion des élections régionales en Thuringe et en Saxe (1er septembre 2024) l'AfD (Alternative für Deutschland), le BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht-Für Vernunft und (…)

A l'occasion des élections régionales en Thuringe et en Saxe (1er septembre 2024) l'AfD (Alternative für Deutschland), le BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht-Für Vernunft und Gerechtigkeit-Alliance Sahra Wagenknecht – Pour la raison et la justice), et souvent la CDU et Die Linke – à l'occasion des élections régionales en Thuringe et en Saxe de nombreux partis se sont focalisés sur des thèmes qui n'avaient pratiquement rien à voir avec la politique régionale. Les questions de politique fédérale et même mondiale ont eu le vent en poupe. En outre, les réponses simples à des questions compliquées ont eu la cote. Pour Silke van Dyk, professeure de sociologie à Iéna (Thuringe), ces élections montrent que « presque tous les partis démocratiques se laissent désormais entraîner par l'AfD » [Voir l'article publié sur ce site le samedi 31 août et traçant les contours du contexte propre à l'avancée de l'AFD.]

2 septembre 2024 | tiré du site alencontre.org | Photo : Alice Weidel, présidente de l'AfD, au côté du dirigeant de la fraction parlementaire au Bundestag, Tino Chrupalla, présente le 30 août un t-shirt anticipant une victoire.
https://alencontre.org/europe/allemagne/allemagne-la-montee-en-puissance-de-lafd-ce-nest-pas-seulement-un-phenomene-de-lest.html

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Le fort score de l'AfD dans les deux Länder [voir le tableau des résultats en fin d'article] n'a pas surpris la professeure, qui fait des recherches sur les inégalités sociales et la politique sociale. En revanche l'ont surprise la rapidité et la radicalité avec lesquelles la BSW a pu couper l'herbe sous le pied de Die Linke, explique Silke van Dyk dans un entretien avec IPPEN.MEDIA. « D'autant plus que depuis la création du parti, les membres du BSW s'expriment de manière nettement plus radicale qu'à l'époque où Sahra Wagenknecht se situait dans Die Linke ». Contre toute attente, cela n'a pas aidé Die Linke : « Beaucoup sont partis du calcul suivant : « Plus la BSW se déplace vers la droite [sur l'immigration], moins il nuit à Die Linke. Ce calcul n'a pas fonctionné. »

Mais la BSW n'a pas été le seul parti à marquer des points en Thuringe et en Saxe sur les grands thèmes de la politique sociale et étrangère : « Sur le thème de la Russie et de la question de la paix [Guerre Ukraine-Russie], il est apparu clairement que les partis ont mis l'accent, lors de ces élections, sur des questions qui n'ont vraiment rien à voir avec la politique régionale », explique la professeure Silke van Dyk. Elle poursuit : « Il faut se demander si, lors d'une telle élection régionale, les gens se préoccupent encore de ce que les hommes politiques d'un Land peuvent changer ? Ou bien les élections régionales sont-elles tout simplement devenues une scène pour de tout autres thèmes » ?

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Silke van Dyk observe, à travers cette forme de communication politique qui a dépassé les frontières « régionales » des partis, un déplacement des débats : « Les réactions à l'attentat de Solingen [attaque meurtrière au couteau commise par un réfugié syrien, lors d'un concert, le 25 août, dans cette ville de Rhénanie-du-Nord-Westphalie] ne sont pas les seules à montrer que presque tous les partis démocratiques se laissent désormais entraîner par l'AfD. Il est hautement populiste de voir comment la question de la sécurité intérieure supplante tout le reste, notamment la question des droits de l'homme et celle de la sécurité sociale. Cela ne veut pas dire que la sécurité intérieure n'est pas également importante. Mais dans le débat actuel, la sécurité intérieure devient un substitut à la sécurité sociale ».

Dans ce contexte, Silke van Dyk critique également les débats qui ont été menés par les politiques et les médias après les élections : « A propos de la sécurité intérieure : quelqu'un a-t-il vraiment soulevé la question, lors de la longue soirée électorale, de savoir ce qu'il en est de la sécurité de ceux contre lesquels la haine de l'AfD est dirigée ? »

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Ce sont surtout les partis classiquement orientés vers le dit Etat social comme le SPD, les Verts et Die Linke qui ont été sanctionnés lors des deux élections. Mais selon l'analyse de Silke van Dyk, aucun parti ne peut se passer de l'utilisation de récits « populistes », en particulier sur le thème de l'immigration. Dans les deux Länder, le paysage politique s'éloigne des partis traditionnels. L'AfD [d'extrême-droite] se renforce. En ce qui concerne la BSW, l'habituelle grille de lecture gauche-droite est en partie insuffisante.

La chercheuse, qui enseigne elle-même en Thuringe, observe dans les nouveaux Länder un attachement aux partis nettement plus faible que dans les Länder de l'ouest. « Au niveau communal, la disparition de nombreux partis établis a des conséquences particulièrement dramatiques : les candidats indépendants sont de plus en plus nombreux et promettent une politique locale pragmatique », explique Silke van Dyk. Elle y voit un danger potentiel. « Ils peuvent certes s'engager sur place pour un autre système d'évacuation des eaux usées ou un nouveau centre de jeunes, mais ils ne sont plus intégrés dans le dispositif de parti plus grand. Alors, souvent échappe à la transmission/présentation d'autres thèmes, par exemple l'antiracisme à côté des eaux usées » […]. (Article publié par le quotidien Frankfurter Rundschau le 2 septembre 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)

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« Emmanuel Macron veut tout faire pour éviter un gouvernement de gauche »

3 septembre 2024, par Marie Astier — , ,
Pour éviter un gouvernement qui appliquerait un programme de gauche, Emmanuel Macron est prêt à aller très loin, explique le politiste Vincent Dain. Y compris à faire fi de la (…)

Pour éviter un gouvernement qui appliquerait un programme de gauche, Emmanuel Macron est prêt à aller très loin, explique le politiste Vincent Dain. Y compris à faire fi de la logique et des acquis démocratiques.

Tiré de Reporterre
28 août 2024

Par Marie Astier

Emmanuel Macron a annoncé qu'il refusait, lundi 26 août au soir, de nommer Lucie Castets, proposée par le Nouveau Front populaire, au poste de Première ministre. Il a justifié cette décision par le besoin de « stabilité institutionnelle » et a demandé au PS, au PCF et aux Écologistes de collaborer avec les partis du camp présidentiel (Ensemble, le Modem et Horizons), provoquant la colère des partis de gauche.

L'attitude du président se joue des règles de la démocratie parlementaire, et vise avant tout à éviter un gouvernement de gauche, analyse pour Reporterre Vincent Dain, doctorant en sciences politiques à l'université de Rennes et spécialiste des gauches européennes.

Reporterre — Pourquoi le président de la République refuse-t-il de nommer un Premier ministre issu du Nouveau Front populaire ?

Vincent Dain — C'est assez difficile de comprendre la rationalité derrière les prises de décision d'Emmanuel Macron, notamment depuis la dissolution. Il est assez conscient qu'un gouvernement de gauche du Nouveau Front populaire aura comme priorité de détricoter son agenda de réformes économiques et sociales, que ce soit la réforme de l'assurance chômage, la réforme des retraites et même peut-être plus généralement les orientations économiques de modération salariale et des dépenses. Même s'il serait vraisemblablement assez instable et fragile, un gouvernement de Lucie Castets pourrait constituer des majorités, notamment sur l'abrogation de la réforme des retraites. Il veut tout faire pour éviter cela.

Il essaye de jouer la montre, dans l'espoir de constituer une coalition centriste. Il avait sans doute l'idée qu'avec la trêve olympique, on assisterait à une espèce d'état de grâce qui permettrait de temporiser. Mais les partis politiques l'ont vite ramené à la réalité.

Est-ce démocratique de refuser de nommer Lucie Castets et d'autant laisser traîner en longueur la nomination d'un Premier ministre ?

Incontestablement, un problème démocratique se pose. Dans une démocratie parlementaire digne de ce nom, le chef de l'État aurait très rapidement, à partir des résultats de l'élection, appelé une personnalité issue du parti ou de la coalition arrivée en tête pour former un gouvernement ou, à minima, pour lancer des consultations. C'est ce qu'on observe dans toutes les démocraties parlementaires européennes, que ce soit en Espagne, en Suède, même en Belgique.

En France, la même logique aurait voulu qu'Emmanuel Macron appelle le chef de file du Nouveau Front populaire à essayer de former un gouvernement. Car le NFP s'est présenté d'emblée aux élections comme une coalition et qu'il a par la suite présenté une candidate au poste du Premier ministre. Tous les ingrédients étaient réunis pour que, dans les rouages institutionnels, le président de la République charge Lucie Castets de former un gouvernement.

Y a-t-il une alternative à un Premier ministre NFP ?

La seule alternative aurait été qu'une coalition de centre droit se dégage immédiatement après les élections. Auquel cas Emmanuel Macron aurait pu nommer une personne issue de ce bloc. Le problème, c'est qu'aucune coalition ne s'est dessinée, ni au lendemain des élections, ni aujourd'hui, à l'intérieur du bloc dit central.

Le problème démocratique est aussi là : on assiste à une limite de la Vᵉ République. Il y a un vide constitutionnel, juridique, car rien dans la mécanique institutionnelle n'oblige à l'heure actuelle le chef de l'État à nommer tout de suite une personnalité pour former un gouvernement. Et un autre questionnement démocratique est cette idée du gouvernement d'affaires courantes. Il y a un vrai flou autour de cette notion. On a le sentiment que plus le temps avance et plus le périmètre de ce qui relève des affaires courantes est élargi. Aujourd'hui, le gouvernement démissionnaire n'a pas vraiment de comptes à rendre au Parlement, sur ses décisions, sur ses nominations, etc.

On constate que le président de la République exclut La France insoumise du champ républicain. Pourquoi cette stratégie ?

Il y a une longue tradition de diabolisation de la gauche radicale en France, dont le Parti communiste a longtemps fait les frais. Depuis 2022, les macronistes ont fait le choix de la diabolisation systématique, en réponse à la stratégie de conflictualité des Insoumis dans l'hémicycle.

J'y vois plusieurs objectifs. D'abord, un objectif de long terme, qui consiste à pilonner l'adversaire inlassablement, en espérant que ça finisse par imprimer dans l'opinion. C'est une stratégie de disqualification assez classique et qui porte en partie ses fruits. Aujourd'hui, la France insoumise suscite du rejet dans certaines franges de l'opinion.

Ensuite, à court terme, c'est un prétexte pour éviter un gouvernement du nouveau Front populaire. Le coup de poker de Jean-Luc Mélenchon, ce weekend, l'a bien démontré. Ce qui embête les macronistes, ce n'est pas la France insoumise, c'est le fait qu'un programme de gauche puisse être appliqué.

Enfin, faire passer la France insoumise pour un parti infréquentable peut rendre coûteuse pour le PS l'alliance avec LFI. Cela participe à fracturer de l'intérieur le Parti socialiste pour déstabiliser la ligne d'Olivier Faure et donner plus de poids à l'aile droite du PS, pour favoriser une coalition centriste avec le ralliement d'une partie du PS.

Une comparaison avec la situation espagnole, où une coalition de gauche gouverne, est-elle possible ?

L'Espagne est un bon point de comparaison si on regarde sur les dix dernières années. Le pays avait un système bipartisan qui s'est fragmenté, et s'est progressivement découvert une culture de coalition. À partir de 2014-2015, de nouveaux acteurs ont émergé dans le jeu politique. Les partis politiques n'arrivaient plus à obtenir de majorité absolue pour gouverner seuls. Cela a généré beaucoup d'instabilité gouvernementale et parlementaire.

En Espagne, on a connu quatre élections législatives en l'espace de quatre ans : 2015, 2016 et deux fois en 2019. Les acteurs politiques ont été mis au pied du mur et devant l'obligation de former des coalitions de gouvernement. Au départ, il était hors de question pour le Parti socialiste de gouverner avec la gauche radicale. De même que pour Podemos, il était hors de question de gouverner avec le Parti socialiste.

Mais chemin faisant, avec l'arithmétique parlementaire, ce qui s'est imposé, c'est une nouvelle bipolarisation du système partisan, avec une logique de blocs. D'un côté un bloc des gauches avec la gauche socialiste et la gauche radicale et de l'autre un bloc des droites avec la droite conservatrice traditionnelle et l'extrême droite prête elle aussi à gouverner en coalition. C'est ce que l'on observe dans pas mal de pays européens.

Un autre élément intéressant en Espagne est qu'aux dernières élections, en juillet 2023, le Parti populaire, de droite, est arrivé en tête des élections. Le roi a appelé son chef de file, Alberto Nuñez Feijoo, à former un gouvernement. Il n'y est pas parvenu. Donc le roi a appelé la personne arrivée en deuxième aux élections, c'est-à-dire le leader du Parti socialiste : lui a obtenu une majorité avec les voix de la gauche radicale et des partis régionalistes et indépendantistes catalans.

La spécificité du cas français, c'est que pour l'instant le champ politique résiste à toute nouvelle bipolarisation. On a trois blocs relativement hermétiques — gauche, centre-droit et extrême droite — ce qui rend beaucoup plus difficile la formation de coalitions.

Cette période de crise politique met les sujets écologiques à l'arrière-plan. Fallait-il s'y attendre ?

Dans les enjeux mis à l'agenda politique, il y a une dimension cyclique. On avait été habitués à la séquence de 2018-2020, avec une forte exposition de l'enjeu écologique et climatique. Il y avait toute cette vague de grèves pour le climat, la figure de Greta Thunberg, Fridays for Future, des mouvements sociaux qui ont participé à la politisation de l'enjeu écologique.

Depuis 2022, on a le sentiment d'une mise en retrait des enjeux écologiques. L'Eurobaromètre, en 2019, indiquait que 35 % des électeurs de l'Union européenne plaçaient les enjeux environnementaux et le changement climatique comme étant une des deux grandes problématiques auxquelles l'Union européenne est confrontée. Ils n'étaient plus que 16 % à mettre ces sujets parmi les priorités en 2024 [1]. Le débat politique a été davantage saturé par les enjeux d'immigration, de sécurité internationale, avec la guerre en Ukraine, puis la guerre au Proche-Orient.

Ce qui ne veut pas dire qu'on est condamné à ne plus parler d'écologie. Les partis politiques, de plus en plus, adaptent leur offre programmatique aux enjeux écologiques, avec un clivage entre écologie et productivisme qui s'accentue. Le sujet peut revenir dans le débat public.

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Une tragédie française

3 septembre 2024, par Barbara Cardin — , ,
Macron et ses alliés sortent l'artillerie lourde, cette campagne législative sera un festival de désinformation. C'est évidemment la gauche qui est ciblée tandis que le (…)

Macron et ses alliés sortent l'artillerie lourde, cette campagne législative sera un festival de désinformation. C'est évidemment la gauche qui est ciblée tandis que le Rassemblement national est étonnamment mis de coté, sauf par les instituts de sondage qui l'annoncent grand gagnant incontestable. Notre ministre de l'économie nous explique que le programme du NFP est marxiste…

Prélude

Cet été, à l'ombre de nouveaux épisodes caniculaires, la démocratie française est morte, les murmures de son agonie étouffés par les chuintements de millions de climatiseurs tournant à plein régime. Laissez moi vous raconter ce drame shakespearien qui a vu le pays des droits de l'homme aveuglé, assassiner ce à quoi il tenait le plus.

Tout a commencé le 9 juin, pour les élections européennes. Enfin, comme vous vous en doutez, cela avait en vérité commencé il y a longtemps, très longtemps … au moment où les politiciens ont compris que l'extrême droite pouvait être un atout pour celui qui voulait s'attribuer le pouvoir sans avoir à s'embarrasser de l'adhésion populaire. À force de jouer sur cette corde, ils ont fini par amener l'extrême droite aux portes du pouvoir, nous obligeant à chaque élection à barricader les portes au détriment de tout autre espoir d'élargir nos remparts.

Acte I

Notre premier acte s'ouvre donc le 9 juin sur une victoire écrasante du fascisme. Le Rassemblement National ne remporte pas seulement les élections européennes, ils obtiennent deux fois plus de députés que les libéraux en deuxième position, et plus que la gauche et les macronistes réunis, c'est un ras de marée. Depuis le temps que les oiseaux de mauvaises augures annonçaient la catastrophe … comme Cassandre personne n'a voulu les croire bien que tous savaient le fond de vérité qu'il y avait dans ces prédictions. Et comme Troie en son temps l'Europe court volontairement à sa perte.
Fort de ce qu'il estime être un soutien populaire massif, Jordan Bardella exige du président une dissolution de l'assemblée nationale qui, selon lui, ne correspondrait plus aux aspiration des français. Je dis « selon lui » car le petit Jordan oublie que seuls 50% des électeurs se sont exprimés lors de ce scrutin. Et là je dois faire une aparté dans mon histoire pour vous présenter le personnage de Jordan Bardella.

Je dirais que c'est un mélange entre Cassius le traître opportuniste dans Julius Caesar et Edmond, l'ambitieux bâtard de Gloucester dans le Roi Lear. Un jeune homme avide de pouvoir mais propulsé par des forces qui le dépassent. Tombé dans le giron de l'extrême droite avant même sa majorité, il est leur petit enfant prodige, formaté jusqu'au bout des ongles pour devenir la parfaite vitrine masquant l'arrière cuisine du fascisme à la française. Costume impeccable, rasé de près, pas un cheveux qui ne dépasse, chaque expression de son visage est contrôlée … dans son propre camp on le surnomme « le cyborg ». Mais c'est avant tout un Iago (l'ingéniosité en moins...), un spécialiste du mensonge et de la duplicité … Depuis qu'il a remarqué que le monde journalistique le laissait dire tout ce qui lui passait par la tête sans jamais vérifier la véracité de ses propos, il s'en donne à cœur joie en alignant les fake news à longueur d'interview, inventant des chiffres et faussant les statistiques dans l'indifférence générale. Tout comme le traître Shakespearien, Bardella se construit un personnage afin de donner le change. C'est sur Tiktok qu'il nous raconte des histoires, se mettant en scène jouant à Call of Duty ou mangeant des bonbons, avec le sous titre « Regardez je suis comme vous les gueux » à peine masqué. Sauf que Jordan Bardella et très loin de ressembler à ses électeurs. A 28 ans, le seul emploi qu'il ait jamais exercé c'est un job d'été dans l'entreprise de papa !

Vous l'avez compris, ce personnage n'est pas très étoffé, en dehors du récit officiel il ne faut surtout pas trop lui en demander en ce qui concerne la politique … il n'y comprend rien ! Interrogez le en profondeur sur l'économie et vous aurez droit à de longs silences embarrassés, et n'essayez surtout pas l'écologie, il ne sait pas ce que c'est. Il aurait pu en entendre parler au parlement européen mais il n'y va que pour faire acte de présence … Avec plus de 70% d'abstention en commission, il a été surnommé par ses collègues Bardé-pas-là !

Peu convainquant n'est-ce pas ? Et pourtant, abrutis par des heures de télévision qui leur rongent leur temps de cerveau disponible, une partie des français s'en contente, le trouvant « beau gosse » comme s'il s'agissait d'élire la dernière star de télé réalité. Quelle tristesse !

Bon, maintenant que notre outsider est introduit, poursuivons ce premier acte … Nous en étions à ce moment étrange où Bardella exige du président de la république une dissolution. Le spectateur, qui a vu Macron n'écouter que sa propre volonté depuis sa prise de pouvoir, rit sous cape, croyant à un effet comique.

Mais patatra, coup de théâtre ! Contre toutes attentes l'Empereur Macron décide pour la première fois de sa carrière de respecter la demande d'une opposition … Il annonce la dissolution de l'Assemblée Nationale. Stupeur. Rideau.

Intermède

Avant de passer au deuxième acte, prenons le temps d'analyser la scène :
Pourquoi macron fait-il le choix de dissoudre l'Assemblée ? Il dira dans un de ses monologues insupportables « J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. » Retenez bien ce vœux pieu. C'est donc le respect de la démocratie qui pousse le président à remettre en question la situation politique française.

Mais pourquoi à cet instant précis, alors que le Rassemblement National, qu'il a toujours décrit comme son ennemi ultime et en opposition duquel il s'est toujours fait élire, est au plus fort ? Et pourquoi impose-t-il un calendrier aussi serré, le plus serré de notre histoire … il impose de nouvelles élections dans trois semaines, c'est le délai minimum prévu par notre constitution. Le camp libéral argumentera ce choix ainsi : « C'est bientôt les jeux Olympiques, il nous faut un gouvernement stable et représentatif du choix des français avant le début des jeux pour éviter toute instabilité ».

En parallèle de ce discours se voulant raisonnable, le président déclare : « Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s'en sortent. » (retenez cette réplique culte, on en reparlera …).
En vérité le but de Macron semble évident : il veut forcer de nouvelles élections en empêchant ses concurrents de faire campagne. Et pour cause, la gauche est totalement divisée … la campagne des européennes qui vient de s'achever a été une boucherie interne. La France Insoumise qui tient le leadership à gauche depuis des années a été victime d'un véritable acharnement médiatique qui a poussé ses alliés de la Nupes à s'éloigner d'eux, voire à participer au lynchage.

Acte II

C'est là dessus que s'ouvre notre deuxième acte : La gauche hors jeu, Macron espère se retrouver de nouveau en duel face au RN et utiliser le barrage républicain pour obtenir la majorité absolue qui lui fait défaut depuis les dernières élections. Il se frotte les mains, aveuglé par ses petites manigances au point d'oublier que son camp vient de prendre une déculottée historique et que le RN est au plus haut. Le spectateur frémit … voyant approcher dans l'ombre de l'arrière scène la bête immonde.

Sur les plateaux télé les libéraux défilent pour répéter leur respect du vote des français … quelques soient les résultats, ils seront obligés de les respecter car ils sont démocrates, insistent ils. C'est à se demander s'ils n'ont pas tout simplement envie de passer la main à l'extrême droite … en tout cas si c'était leur désir ils ne s'y prendraient pas mieux. Qui sait … quand Edouard Philippe, ancien premier ministre de Macron et son allié dans cette nouvelle élection, rencontre en secret Marine Lepen pour un dîner, ne sont ils pas en train de planifier une passation de pouvoir ? Et si le capitalisme était arrivé dans une telle impasse qu'il avait besoin du fascisme pour passer à la vitesse supérieure ?

Moi toutes ces questions m'angoissent un peu et je vous avoue que j'ai vécu ces trois semaines de suspens assez fébrilement.

Mais notre deuxième acte est plein de rebondissements ! Le premier c'est l'alliance inespérée des gauches. Alors qu'on les disait irréconciliables, les quatre principales forces de gauche trouvent un accord en quelques jours et s'allient autour d'un nom qui résonne symboliquement dans l'histoire de la gauche française : le Nouveau Front Populaire (NFP).

C'est principalement la France Insoumise qui paiera la note. Ceux que tous, ennemis et partenaires, traitent à longueur d'interviews de non républicains, dictatoriaux, hégémoniques etc … prennent sur eux de donner une centaine de circonscriptions à leurs amis/ennemis du parti socialiste. En revanche c'est globalement sur le programme de LFI que se battit l'alliance. Il faut dire qu'ils sont les seuls à avoir sous la main un programme détaillé aux financements fléchés et qu'il serait impossible d'en construire un nouveau en trois semaines.

C'est un programme de rupture, avec de grandes réformes économiques telles que l'augmentation du smic, la taxation du capital, le retour d'un impôt sur la fortune … Les sociaux démocrates n'ont d'autre choix que d'accrocher leur wagon à la locomotive anti capitaliste, ça leur a bien réussi aux dernières législatives et ça ne les a pas empêché de trahir leurs engagements aussitôt élus.

Malgré toutes les tentatives des médias enragés par ce rebondissement, l'union des gauches est actée et les dirigeants de parti tiennent bon. On leur tend des micros en les incitant à critiquer leurs alliés, on leur tend des pièges qu'ils déjouent patiemment, trop heureux de démentir ceux qui voulaient enterrer la gauche.

Tel est pris qui croyait prendre … Macron et ses alliés sortent l'artillerie lourde, cette campagne législative sera un festival de désinformation. C'est évidemment la gauche qui est ciblée tandis que le Rassemblement national est étonnamment mis de coté, sauf par les instituts de sondage qui l'annoncent grand gagnant incontestable. Notre ministre de l'économie nous explique que le programme du NFP est marxiste… carrément. Le pauvre ne fait que nous prouver une fois de plus son inculture politique car il n'y a pas la moindre trace de nationalisation dans ce programme. Durant ces trois semaines on a entendu des choses qui seraient hilarantes hors d'un contexte aussi sérieux. On nous promets « le chaos » si la gauche est élue, « la ruine totale du pays », j'ai même entendu chez un influenceur d'extrême droite « des rues pavées de cadavres de blancs ».

Si le petit microcosme politico-médiatique est focalisé sur la gauche et ses dangers, durant les trois semaines de campagne l'extrême droite ne dort pas. Enhardis par leur victoire aux européennes, les militants ont multiplié les agressions violentes, plus d'une par jour recensées par Médiapart. On a aussi eu droit à l'habituel florilèges de candidats improbables. Comme à chaque législative, ils nous ont régalés de profils plus délirants les uns que les autres, de la braqueuse au déficient mental sous curatel. Pour ceux qui préfèrent la comédie à la tragédie, je vous conseille de taper sur Youtube « pires candidats RN » ça vaut vraiment le détour ! Et sinon je vous renvoie à ma dernière chronique qui énumère non seulement les profils problématiques mais également les agressions qui ont eu lieu durant cette campagne des législatives.

Je crois que le climax de notre histoire explose au moment du premier tour, quand le RN arrive en tête avec le meilleur score de son histoire : 10 647 914 voix, contre 9 millions pour le NFP.
Il faut dire que les médias ont bien accompagné cette marche sinistre en prophétisant une victoire écrasante de l'extrême droite et en s'acharnant sur la gauche.
Pour beaucoup d'entre nous se fut un coup de massue. Nous avions bien vu que Macron faisait tout pour asseoir Jordan Bardella à Matignon, mais nous ne voulions pas y croire et l'avènement du Nouveau Front Populaire nous avait donné des ailes. Stupeur et tremblements … Que devions nous faire ?

Moi qui n'hésite pas à critiquer la gauche quand elle cède à ses vieux démons, je dois dire que l'attitude des dirigeants du NFP a été exemplaire. Quelques minutes à peine après les résultats ils annonçaient que tous leurs candidats arrivés en troisième position se retireraient de la course au profit de celui qui devrait affronter le RN. Tous … 130 candidats de gauche renoncent à participer au second tour des élections. Des millions d'électeurs de gauche vont devoir ravaler leurs idéaux pour aller voter en faveur de ceux qui les martyrisent depuis 7 ans ; les macronistes. Certains devront voter pour des gens odieux et dangereux comme Gérald Darmanin ou Aurore Bergé, afin d'éviter l'hégémonie des fascistes. La pilule est dure à avaler, d'autant que c'est avec l'aide des macronistes que le RN en est là. Mais la gauche sait identifier les grands moments de l'histoire et leurs électeurs n'en sont pas à leur premier sacrifice.

Dans le camp d'en face, ceux qui se prétendent démocrates et s'octroient le droit d'exclure tel ou tel parti de l'arc républicain vont être beaucoup moins clairs dans leurs consignes. Aucun discours officiel de chef de parti n'appelle à la formation d'un front républicain grâce à un désistement systématique de leurs candidats. Sur les plateaux télés ça bafouille, Gabriel Attal, actuel Premier Ministre, appelle au : « désistement des candidats d'Ensemble dont le maintien en troisième position ferait élire un député RN face à un autre candidat qui défend les valeurs de la République »

Seulement voilà … ça fait trois semaines qu'ils nous répètent en boucle que l'alliance des gauches n'est pas républicaine et plusieurs années qu'ils ont exclu de l'arc républicain la France Insoumise. Un flou qui sera entretenu durant tout l'entre deux tours, certains membres du camp présidentiel appelant carrément à faire barrage à la gauche !
Ça n'est finalement que 81 candidats de la majorité sortante qui se désisteront , et souvent en donnant à leurs électeurs des consignes plus que nébuleuses. Une dizaine se maintiendront et offriront 9 députés supplémentaires au rassemblement National.
À gauche nous enrageons ! Ils ne jouent pas le jeu … ils détiennent le pouvoir grâce aux voix de la gauche lors d'un énième barrage républicain et à présent que c'est à leur tour de se comporter dignement et de prendre leurs responsabilités ils tergiversent ! Ils n'ont décidément honte de rien … Et après tous les sacrifices que nous avons fait ils viennent encore nous dire que nous ne sommes pas républicains … cet inversement de la réalité peut rendre fou.

Leurs atermoiements se répercuteront sur les résultats du second tour … lors des duels entre le RN et un candidat de la France insoumise pour le NFP, les électeurs macronistes n'ont fait barrage qu'à 43%, 20% choisissant l'extrême droite et 37% préférant s'abstenir et regarder le chaos de loin. Du coté de la droite soit disant républicaine (dont le vice président a appelé à faire barrage à la gauche et dont peu de candidats ont accepté de se désister) c'est pire : 38% de leurs électeurs (une majorité) se sont tournés vers le RN, actant le fait que l'opposition entre gaullistes et pétainistes n'existe plus. Seulement 26% de leurs électeurs ont participé au barrage républicain. J'ai honte pour tous ceux que je connais qui se prétendent encore Républicains en votant pour ces gens.

Chez nous c'est à plus de 70% que nous avons tenu le barrage, donnant souvent notre voix à des gens qui nous pourrissent concrètement la vie depuis des années. Encore une fois ce sont les électeurs de gauche qui tiennent à bout de bras le fameux barrage républicain, ce sont les électeurs de gauche qui empêchent le fascisme de prendre le pouvoir … envers et contre une droite et des libéraux complices.

Le soir du second tour, nous étions tous fébriles … les médias nous avaient largement préparés à une victoire de l'extrême droite, elle était annoncée dans tous les sondages, déjà actée sur les plateaux télé. C'est donc dans une explosion de joie et d'incrédulité que nous avons vu apparaître les premières estimations, l'avance de la gauche était telle que l'estimation la plus haute du RN restait inférieure à l'estimation la plus basse du NFP ; nous étions sûrs et certains de notre victoire ! Cela faisait très longtemps qu'on avait pas vu une telle liesse dans les rues, des gens en larmes se tombant dans les bras, une grand mère et des étudiants chantant en cœur la marseillaise, … C'était beau. Mais la beauté est éphémère …

ACTE III

Macron c'est Coriolanus. Ça n'est pas la pièce la plus connue de Shakespeare mais je vous invite à la lire ou la relire car elle est intemporelle. C'est l'histoire d'un despote qui se prend pour un héros. Un homme qui méprise le peuple et qui, perdant des élections, se vexe et choisit de s'allier aux ennemis de Rome pour y semer le chaos et punir les citoyens de n'avoir pas voulu de lui. La ressemblance avec notre despote à nous est frappante. Au troisième acte Coriolanus fait même une longue tirade dénonçant la faiblesse de la démocratie qui gagnerait à accepter une autorité plus ferme … du Macron dans le texte !
Notre Empereur ne pouvait pas tolérer que son plan machiavélique échoue, son caractère rend impossible une quelconque cohabitation. Il a commencé par se murer dans le silence et nous avons dû attendre plusieurs jours avant qu'il ne daigne commenter le résultats des élections qu'il avait lui même provoquées. Comme le despote de Shakespeare, Macron est un boudeur susceptible …

Quatre jours plus tard il adresse une lettre aux français dans laquelle il nie purement et simplement le résultat des urnes en disant que « personne ne l'a emporté ». Pourtant, moi qui ait appris les mathématiques à l'école publique, il me semble que le nombre 178 (députés) est supérieur au nombre 150 et au nombre 125. Non ?

Mais notre hypocrite président s'appuie sur le fait que personne n'a de majorité absolue (289 députés). Ce qu'il oublie bien vite c'est que son propre camp gouverne depuis deux ans sans majorité absolue … Mais ce qui est valable pour lui ne tient pas pour les autres.
Dans sa lettre il insiste en premier lieu sur le fait que c'est le Rassemblement National qui a obtenu le plus de voix, oubliant là encore de préciser qu'ils ont présenté deux fois plus de candidats que le NFP, ce qui explique cet écart en nombre de voix. À présent que les désistements de la gauche lui ont servi à gratter quelques voix, il fait comme s'ils n'avaient jamais eu lieu.

Mais surtout, ce qui m'interpelle dans le courrier présidentiel, c'est qu'il annonce son intention de se placer acteur et metteur en scène dans la tragi-comédie qu'il nous prépare. Il demande « à l'ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l'Etat de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l'indépendance française, d'engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide » … étant donné qu'il a passé ces deux dernières années à exclure ceux qui ne partageaient pas son opinion du champ républicain … cela signifie qu'il ne s'adresse qu'à ceux qui s'inscrivent dans son cadre.

Sortant immédiatement de son rôle de simple garant des institutions, il pose d'ores et déjà des conditions : « ce rassemblement devra se construire autour de quelques grands principes pour le pays, de valeurs républicaines claires et partagées, d'un projet pragmatique et lisible ». Donc il lui suffit de décréter que le projet proposé par la gauche n'est pas « pragmatique » pour l'écarter. Sauf que ça n'est absolument pas le rôle du président de la République de sélectionner le projet de gouvernement de son choix, à fortiori s'il vient de perdre deux élections consécutives ! C'est à la représentation nationale et aux parlementaires de faire ce choix.

Il termine en déclarant qu'il « Décidera de la nomination du premier ministre » quand les acteurs politiques auront bâti l'alliance qui lui convient. Si notre constitution précise que c'est au président de NOMMER le premier ministre, en aucun cas son rôle est de DECIDER quoi que ce soit concernant l'Assemblée Nationale et le gouvernement. C'est ce qu'on appelle la séparation des pouvoirs.

Le coup d'état institutionnel semble évident mais les médias choisissent encore une fois de regarder ailleurs et se focalisent, pour changer, sur la critique du NFP. Car la gauche peine à trouver un candidat au poste de premier ministre. Aucun des commentateurs ne fera remarquer qu'il est déjà extraordinaire d'avoir été capables de forger une alliance allant des sociaux démocrates aux communistes, de présenter un programme clair aux financements fléchés et de s'accorder sur une stratégie électorale de désistements, le tout en 3 semaines. Non, aujourd'hui ce qui les scandalisent tous c'est que le NFP est incapable de s'accorder sur un nom. Ils oublient évidemment que leurs concurrents n'ont pas non plus de noms à proposer … ils n'ont même pas de programme.

Nous aurons droit à 10 jours de feuilletons, entre Vaudeville et Marivaudage, les médias chroniquent la moindre chamaillerie au sein du NFP, mettant leur loupe déformante sur les négociations et faisant des éditions spéciales pour décortiquer le moindre mal entendu. Après quelques tentatives avortées et deux mésententes, le NFP fini par s'accorder sur le nom de Lucie Castets.

Il est très périlleux d'introduire un nouveau personnage au cœur du troisième acte d'une tragédie. L'acteur devra se mettre au diapason de ses compagnons dès les premières répliques, occuper suffisamment la scène pour que le spectateur retienne son nom, mais être relativement discret pour ne pas apparaître en simple trouble fête. C'est un rôle empoisonné qui échoue à Lucie Castets, d'autant qu'elle est une actrice débutante dans ce théâtre qu'est la politique.

Qui est-ce ? Qui a été capable d'accorder une gauche aussi plurielle ? Moi, je trouve que son profil est idéal. Elle n'appartient à aucun parti, c'est une fonctionnaire qui a travaillé à la direction générale du Trésor puis a présidé la branche dédiée à la lutte contre la fraude fiscale du service de renseignement Tracfin. Elle a fondé un collectif dédié à la défense de nos services publics et elle est membre de l'Observatoire National de l'extrême droite contre qui elle lutte assidûment. Dans sa jeunesse elle était au parti socialiste, mais elle l'a quitté en 2015 car elle était en désaccord avec la politique de François Hollande. De quoi rassurer ceux qui craignent l'avènement d'un nouveau social-traitre. Depuis 10 mois elle est directrice des finances de la mairie de Paris. C'est le seul argument que ses détracteurs trouveront contre elle : la mairie de Paris est endettée ! Quoi ? Une capitale de 10 millions d'habitants accueillant les Jeux Olympiques est endettée ?! Mon dieu mais c'est inacceptable ! Voilà à quoi en sont rendus les macro-lepénistes … Il suffit de leur rappeler que l'agence de notation Moody's a attribué sa meilleure note de stabilité financière à notre capitale pour leur rabattre le caquet.

Depuis qu'elle a accepté le rôle sacrificiel de la cible à abattre, je trouve que Lucie Castets s'en sort à merveille. Elle évite tous les pièges des journalistes qui, se fichant totalement de politique, ne cherchent qu'à lui faire dire du mal de la France Insoumise. Elle reste calme et mesurée en toutes circonstances, tordant le coup aux procès en hystérie qui visent généralement les femmes politiques et surtout elle reste droite dans ses bottes. Elle défend sans faillir la ligne tracée par le programme de gauche : taxation du capital et des grandes fortunes, revalorisation des services publics, et politiques sociales. Une vraie femme de gauche !

Moi qui craignait qu'on nous sorte un nouveau ventre mou consensuel prônant un changement immobile … me voilà soulagée et galvanisée. Jamais je n'aurais cru que, dans l'état où elle était, la gauche serait capable d'une telle union.

En attendant, nous avons droit à toutes sortes de petites magouilles de la part du camp présidentiel car il faut élire le bureau de l'Assemblée Nationale. Voyant qu'il n'a pas assez de voix pour maintenir ses petits soldats aux postes clés, Macron tord de nouveau le bras de notre constitution : la veille du vote il accepte la démission (jusque là refusée) de l'actuel gouvernement Attal. Ainsi, les anciens ministres peuvent voter en temps que députés. C'est grâce à ces 13 voix que Yael Braun Pivet, macroniste (et sioniste) acharnée conserve la présidence de l'assemblée. Hors les ministres démissionnaires restent en poste, ils continuent à prendre des décisions (comme celle de supprimer 1500 postes de médecins internes.). Ils sont à cheval entre l'exécutif et le législatif dans un cumul de pouvoir que seul le flou de notre constitution leur permet. Mais la presse ne semble pas s'en inquiéter … non eux ce qui les préoccupe c'est que Mélenchon a éternué.
Malgré leurs magouilles, le NFP est factuellement majoritaire à l'Assemblée et cela ressort dans les votes … Yael Braun Pivet se retrouve isolée à la présidence d'un bureau majoritairement à gauche, ce qui me redonne le sourire.

Une fois Lucie Castets désignée, le petit monde politico-médiatique ne peut plus détourner les yeux et ils sont bien obligés de tourner leur regard vers le président. Qu'attend-il ? Lui qui a dissout l'Assemblée dans l'urgence car il était très important de consulter les français pour adapter la politique du pays à leur volonté … Le voilà qui traîne des pieds.
Fuyant les journalistes, il fait l'anguille jusqu'à décréter en petit autocrate une « Trève Olympique ». Rejetant avec dédain la candidature de Lucie Castets, il déclare que, les Jeux Olympes étant sur le point de commencer, l'heure n'est plus à la politique. Ainsi soit-il.
Si vous cherchez la logique d'une trêve alors qu'il avait fait savoir à quel point il était important de régler la situation politique AVANT les JO … mettez vous de son point de vue égoïste. Les JO sont une occasion en or pour un chef d'état de s'attribuer un peu de la gloire des athlètes. Il suffit de sourire, de lever les bras et d'applaudir. Depuis l'antiquité les tyrans ont toujours bien compris l'utilité des jeux pour canaliser la plèbe …
Pendant cet interlude festif, Macron espère avoir le temps de chercher un autre candidat au poste de premier ministre, un qui lui convienne. Car décréter que la gauche n'a pas une majorité suffisante pour gouverner c'est oublier le fait que sa majorité à lui est encore plus restreinte. Il doit impérativement se trouver des alliés. Son premier réflexe est de chercher à sa droite, c'est vers là que tend sa politique. Mais les Républicains sont dans une situation assez particulière … Ces élections les ont divisés, le chef du clan Eric Ciotti est parti en emportant quelques troupes grossir les rangs du Rassemblement National, sous les huées des anciens gaullistes. Ce parti qui a dirigé la France pendant 40 ans en est réduit à faire moins de 5% aux élections présidentielles avec seulement 47 députés. Car macron les a dépouillés, à force de piocher chez eux des ministres et les électeurs les ont définitivement associés à la politique désastreuse en cours. Leurs voix ne seraient pas suffisante au président pour obtenir une majorité, mais elles lui permettraient au moins de prendre la tête sur le NFP. Ce qui octroie aux républicains un poids certains dans les négociations. S'allier officiellement à Macron, ce serait perdre ce précieux levier et se faire absorber par le camp présidentiel. Hors, en l'état actuel des choses personne n'a envie d'être associé au pouvoir en place. Macron est une sorte de lépreux que personne ne veut approcher de trop près. Sa dissolution surprise a été une catastrophe qui a jeté le pays dans le chaos, son bilan politique est désastreux, la dette a explosée et le budget personnel du président a bondi de 8 millions … Il est isolé, même dans son propre camp ses ministres et ses députés lui en veulent d'avoir décidé de dissoudre sans les consulter. Le chroniqueur d'extrême droite Pascal Praud a même déclaré en direct qu'il avait été informé de la dissolution avant le premier ministre, qui ne l'a appris que sur le fait accompli. Dur à avaler

Macron a donc besoin de temps s'il veut pouvoir proposer une autre option que celle de Lucie Castet.

Interlude sportif et festif

Les JO ont eu l'effet escompté. Les français s'extasient devant les feux d'artifices et les performances et les médias ne diffusent plus que des sourires béats, nous affligeant de longs reportages sur les français heureux et satisfaits, comblés par l'organisation et la sécurité. Personne ne parle des droits des travailleurs bafoués sur les chantiers olympiques ou des lois liberticides passées en douce au prétexte de la sécurité des jeux. Et si vous avez l'audace d'évoquer ne serait-ce qu'à mi voix quelques nuances … attention ! Vous êtes un vilain trouble fête !

Parmi les couteaux les moins affûtés du tiroir français, j'ai entendu des concitoyens dire : « Finalement on n'a pas besoin de premier ministre, ça fait 15 jours qu'on est heureux ! »
C'est une petite musique que les médias ont distillé assez discrètement ; avons nous vraiment besoin d'un premier ministre ? Nous avons un leader suprême, n'est-ce pas suffisant ? « Et ça ferait des économies de salaire ... » glisse un chroniquer sur la première chaîne TV du pays.


ACTE IV

Seulement voilà, toutes les bonnes choses ont une fin …
Après les JO, Macron se mure de nouveau dans le silence. Les médias à son service tentent quelques suggestions, histoire de voir la réaction des spectateurs. Comment réagirait le public si on lui annonçait que le héros était finalement un figurant. Bernard Cazeneuve ? Ancien premier ministre de Hollande tristement connu pour sa répression des manifestants contre les lois travail … un gauchiste de droite, qui vomit sur le NFP et vendrait sa mère pour un peu de pouvoir, même illusoire. Rire goguenard du parterre de français.

Ou bien le héros de l'histoire pourrait surgir du camp des perdants ? Xavier Bertrand ? Un républicain peu regardant sur ses principes issu du parti arrivé en quatrième position … Jets de légumes avariés sur la scène.

Alors les macronistes dégainent leur arme ultime, usée mais toujours efficace : la peur de la France Insoumise. Cela fait deux ans qu'on nous répéte à longueur de plateaux que LFI est d'extrême gauche (bien que le conseil d'état ait statué le contraire), que ce sont des révolutionnaires couteaux entre les dents, pire ! des islamo-woko-eco-terroristo-femino-gauchistes qui mangent les enfants et sodomisent les chats ! Voilà de quoi terroriser l'honnête ménagère … (et dites vous que j'exagère à peine le trait … nous avons entendu des choses vraiment délirantes à leur propos).

Tout bon républicain, garant de la démocratie et dévoué au bonheur des citoyens se doit de s'opposer à cette horde de sauvages. Alors c'est simple, un gouvernement au sein duquel siégerait des ministres LFI ne saurait être toléré en démocratie, ce serait beaucoup trop dangereux …

La voilà leur dernière excuse et l'opinion publique a été si bien préparée, que ça passe !
Mais c'est sans compter sans notre Propsero … le sorcier Melenchon. Celui qu'on nous décrit comme despotique, un dictateur stalinien obsédé par le pouvoir et qui va pourtant prendre ses détracteurs à leur propre jeu.

Très bien, dit-il. Alors est-ce que le président laisserait Lucie Castets former un gouvernement dans lequel il n'y aurait aucun ministre insoumis ?

Roulement de tambours … Le geste est sublime ! Le parti le plus puissant au cœur de la coalition arrivée en tête accepte comme ultime sacrifice de ne pas participer au gouvernement et renonce au pouvoir. Comment après cela reprocher à la gauche de ne pas faire de concession ? Et au passage cela permet à la France Insoumise de ne pas se mouiller dans un gouvernement bancal. Si Lucie Castets réussit, ce sera grâce à l'abnégation des insoumis … si elle échoue, les insoumis n'auront rien à voir avec la débâcle. C'est brillant ! Et cela explique pourquoi Mélenchon effraie tant nos politiques, c'est un bien meilleur stratège qu'eux tous réunis !


ACTE V

Vous l'avez compris, cette pièce se fera en plusieurs parties, comme l'histoire d'Henri IV de Lancastre le cumul de trahisons et de batailles nécessitera une suite pour que l'on sache enfin qui l'emporte.

À ce jour je n'ai pas de réponse … Ce dernier acte sera donc un état des lieux.
S'imposant arbitre, sélectionneur et joueur Macron a décidé qu'il recevrait en concertation les principales forces politiques et ne nommerait un chef de gouvernement que quand il aurait trouvé une option satisfaisante. Satisfaisante pour qui ? « Pour la stabilité institutionnelle du pays » dit l'homme qui, il y a 3 mois se vantait d'avoir jeté une grenade dégoupillée sur nos institutions. Seulement dès sa première rencontre avec le NFP il a rendu un verdict implacable : il ne nommera pas Lucie Castets, point. Quels sont ses arguments pour justifier qu'il ignore le résultat des urnes ? Il nous dit qu'un gouvernement NFP serait aussitôt censuré par le reste de l'Assemblée. Comment le sait-il ? L'a-t-il lu dans les feuilles de thé ou le marc de café ? Il prétend que les chefs des autres partis lui ont assuré de déposer illico une motion de censure si Castets était nommée.

Je suis sure que vous aussi vous vous dites : « Mais alors pourquoi il ne l'a pas nommée immédiatement ? Elle aurait été censurée dans les 48 heures, de manière totalement démocratique, et la gauche serait hors jeu. Il aurait alors été logique de plaider pour un gouvernement d'alliance plus large. Et tout ceci serait réglé depuis longtemps à l'avantage des libéraux. »

Et oui … c'est évident, si Macron empêche les parlementaires de voter c'est parce que la censure n'est pas aussi assurée qu'il le prétend. Les chefs de partis disent une chose, mais les députés sont chacun libres de leur vote … Eux ne sont pas isolés dans une tour d'ivoire, ils sont régulièrement confrontés à leurs administrés et ont des comptes à rendre aux électeurs … surtout s'ils veulent être réélus. En réalité peu de députés ont un intérêt à bloquer le pays … certains à droite se satisferont de laisser la gauche tenter de gouverner avec un Macron immature dans les pattes tandis qu'eux même préparent les élections présidentielles de 2027. Et si Lucie Castets parvient à se maintenir première ministre, Macron devra attendre un an avant de pouvoir de nouveau dissoudre l'Assemblée Nationale. Une année durant laquelle le NFP pourra abolir sa réforme des retraites et augmenter le SMIC par ordonnance … ils pourront mettre au vote une taxation du capital et un retour de l'impot sur la fortune qui ont toutes leurs chances de passer … Et ça, le petit roi ne le supporterait pas ! Il se fiche bien du fait que les électeurs rejettent massivement sa politique, il est prêt à faire main basse sur la démocratie pour imposer une continuité de ses politiques. Car c'est bien de cela dont il parle quand il évoque « la stabilité » du pays, pour lui il s'agit seulement de la stabilité de son pouvoir ! Le reste … si le chaos est nécessaire pour arriver à ses fins … ainsi soit-il.

Alors il continue son blocage, cherchant désespérément la personne qui lui permettra de gouverner pleinement. Quel dommage qu'il ne puisse se nommer lui même ! Personne ne semble pressé de lui servir de marionnette, même les plus opportunistes jouent les frileux.
Avec des élans de désespoir flagrants, les médias accompagnent leur maître. Ils reçoivent des membres du NFP excédés et leur crache des noms au visage : « Bernard Cazeneuve ! Il est socialiste ! Vous accepteriez ? Dites le ! Vous accepteriez ? …. Karim Bouamrane ? Lui aussi il est vaguement de gauche … et puis il est … enfin vous voyez ce que je veux dire … l'accepteriez vous ??? Répondez !!! »

Face à ces crises d'hystérie médiatiques qui laissent perplexe l'auditoire, les membres du NFP répètent inlassablement : « Notre candidate est Lucie Castets, nous censureront tout autre gouvernement. »

De son coté, l'extrême droite se met particulièrement en retrait, ils ne veulent surtout pas être associés au chaos actuel mais feront tout pour le faire durer, utilisant leur 140 députés pour censurer tout nouveau gouvernement, qu'il soit de gauche ou de droite libérale. Pour eux il faut que l'instabilité perdure jusqu'en 2027 … c'est d'elle qu'ils se nourrissent.
Ça n'empêche pas quelques dérapages … un de leur chroniqueur a qualifié hier sur Cnews Lucie Castets de « sexuellement incorrecte ». Elle est lesbienne … Voilà qui vient nous rappeler la véritable nature de l'extrême droite.

En attendant, cela fait 50 jours que le pays est dirigé par un gouvernement démissionnaire (le précédent record en cinquième république était de 9 jours …). En théorie un gouvernement démissionnaire gère seulement « les affaires courantes », s'assure que la rentrée des classes se passe bien (ce qui n'est absolument pas le cas …), fait en sorte que notre système de santé tourne rond etc … En aucun cas il ne peut appliquer des réformes ou passer des lois. Hors, dans une saisine du Conseil Constitutionnel qui demande à clarifier ce statut, la France Insoumise recense 1300 décrets et arrêtés passés depuis la démission du gouvernement … tous ne concernent pas les affaires courantes. Notre constitution est très claire sur le cumul des mandats, il est interdit d'être à la fois ministre et député, à la fois lié au pouvoir exécutif et législatif. Pourtant ce sont 17 ministres qui continuent aujourd'hui d'exercer leurs prérogatives tout en siégeant sur les bans de l'assemblée. Certains siègent dans des commissions sensées contrôler l'action du gouvernement auquel ils appartiennent ! Et surtout, ce gouvernement ne peut pas être renversé. Le parlement n'a aucune prise sur lui. Et techniquement, rien n'oblige Emmanuel Macron à mettre fin à cette situation impossible. Il peut faire traîner indéfiniment la nomination d'un nouveau premier ministre et garder son gouvernement démissionnaire inattaquable. D'ailleurs un média complice nous a récemment pondu un sondage disant que plus de la moitié des français (sélectionnés pour ce sondage …) étaient favorables à l'idée que Gabriel Attal reste premier ministre. Comme si les élections n'avaient jamais eu lieu.

C'est pour cela que LFI menace le président de lancer contre lui une procédure de destitution. C'est la dernière arme constitutionnelle qui puisse entraver la dérive autoritaire en cours. Évidemment, dans un régime présidentiel comme le notre, le fil de cette arme est émoussé … il est quasiment impossible de destituer un président, cela demande un très large consensus et il faut démontrer une incapacité du chef de l'état à exercer ses fonctions dignement ou une atteinte grave au statut présidentiel. Mais cela aura au moins un avantage : faire tomber le masque du Rassemblement National. L'extrême droite a fait son beurre sur la détestation de Macron, nombre de leurs électeurs sont aveuglés par une haine sans nom envers lui. Si un moyen de se débarrasser définitivement de lui se présente et que le RN refuse de le saisir … ils en décevront plus d'un.

Voici donc l'état de notre scène à la fin de ce cinquième acte. Ça n'est certainement pas le dernier et beaucoup de rebondissements restent à venir.

Macron parviendra-t-il à bricoler une majorité en piochant à droite et à gauche parmi les opportunistes ?

Le NFP saura-t-il résister aux attaques médiatiques ?

Le chef de l'état va-t-il maintenir son blocage durant un an pour pouvoir dissoudre à nouveau l'assemblée ?

Le RN sortira-t-il vainqueur de cette débâcle ?

Et que reste-t-il de notre démocratie ? Un cadavre abandonné sur la scène au moment où tombe le rideau … Car aveuglés par leurs intérêts personnels, les membres de la caste politico-médiatique qui gouverne ce pays viennent d'acter le fait que voter ne sert à rien.
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Nous reproduisons un texte de l'autrice produit durant l'été qui fait aussi état de la situation en France

A TOUS CEUX QUI M'ECOUTERONT
Partie 1

Bonjour à tous ceux qui m'écouteront.
Je voudrais vous faire une confidence en ces temps troublés où les masques tombent : en 2022, au second tour des élections présidentielles, j'ai failli voter pour le Rassemblent National. J'étais tellement en colère de jouer malgré moi à ce jeu insupportable du « Il n'y a pas d'alternative »... Durant toute ma vie d'électrice, je n'ai fait que ça … voter contre. Le seul argument que l'on m'ait donné c'est « Votez pour moi pour éviter l'extrême droite ». Et malgré le nombre incalculable de fois où j'ai renié mes convictions pour faire barrage, le fameux RN n'a cessé de se rapprocher du pouvoir.

J'en ai eu marre.

Je me souviens avoir dit à mes parents : « Ils la veulent Marine Lepen ? Et bien donnons leur une bonne fois pour toute ! Laissons la se décrédibiliser et nous en serons débarrassés ! Mais moi je ne remettrai pas une pièce de plus dans cette machine infernale qui nous fait tourner en rond ! »

Je n'oublierai jamais le silence au bout du fil. C'était le bruit inaudible de la honte et, comme quand j'étais enfant, j'ai compris que j'avais dit une grosse bêtise …
J'ai compris que, malgré ma plutôt bonne éducation, malgré que je me sois toujours intéressée de très près à la politique, la dédiabolisation avait quand même fonctionné sur moi. Moi qui ne regarde pas la télé et prend toujours le temps de lire la presse de tous les bords pour éviter les biais idéologiques … je m'étais faite avoir. J'avais fini par voir Marine Lepen comme un épouvantail aussi inoffensif qu'inutile, fini par croire que ces élus du RN, toujours absents sur les bancs de l'assemblée, ne proposant jamais de loi, n'étaient là que pour toucher leurs indemnités.

Comme je me trompais …

C'est là que j'ai commencé à me renseigner sur ce qu'était REELLEMENT le RN. Ça m'a demandé beaucoup de temps ces deux dernières années car les placards pleins de cadavres sont bien cachés.

Laissez moi vous dire ce que j'ai trouvé :

Le RN c'est d'abord un passif lourd, celui du FN. Aujourd'hui on dit qu'ils ont changé … de nom seulement.
Quand on est pas en accord avec la ligne d'un parti, on le quitte et on fonde son propre parti. Nombreux l'ont fait. Pas Marine Lepen. Elle a choisi de garder l'héritage d'un FN fondé par Pierre Bousquet, un français ayant trahi son pays pour ses ennemis en s'engageant dans la Waffen SS … et par Roger Holeindre, membre de l'OAS … entre autres criminels. Pour les plus jeunes, l'OAS est une organisation terroriste responsable de la mort d'environ deux mille personnes, qui a fomenté un attentat contre le président de la République de l'époque, le général De Gaulle.

En découvrant ça je me suis demandée quel type de personnes pouvaient intégrer un mouvement fondé par des meurtriers ? Devinez …

Parmi les anciens candidats FN on trouve des profils étonnants tels que Jean Holtzer, condamné à 8 ans de prison pour braquage de banque ; ou Jean Marc Maurice qui a reçu pas moins de 6 condamnations pour outrage à agent, vol, escroquerie, banqueroute, travail dissimulé et abus de bien sociaux. Jean Marie Lechevalier, condamné pour subordination de témoin dans l'affaire du meurtre de son directeur de cabinet ; ou Marc Georges, agression par balles ; ou Emilien Bonnal coupable de meurtre … tant qu'à faire ! Jacky Codevelle, incendie criminel ; Joel Klein, coups et blessures ; Marc Georges, blessures par balles ; Pascal-Bernard de Leersnyder condamné pour actes de torture sur un enfant de 5 ans ; Pierre Van Dorpe, blessures par balles ; Roger Fabregues, trafic de drogue ; Sylvain Ferrua, proxénétisme ; Yannick Lecointre, trafic de drogue. Le pire étant sans doute Raynald Liekens, condamné pour le meurtre d'une juive. Il a déclaré au tribunal : « Elle était plus gentille avec moi que personne ne l'avait été jusque-là. Mais, quand j'ai appris qu'elle était juive, j'ai décidé de la tuer car les juifs sont les ennemis de la race blanche ».

Le parti de l'ordre et de la sécurité disent ils.

Je vous passe toutes les condamnations vénales : abus de biens sociaux, fraude électorale, détournement de fonction etc … et les condamnations morales, incitation à la haine, menaces, négationnisme, apologie de crimes contre l'humanité etc, etc … La liste est si longue qu'il nous faudrait des heures pour la lire.

Je rappelle juste ce que les médias oublient trop souvent : Le Rassemblement National est le seul parti de France à avoir été associé par 2 fois au terrorisme islamiste.

Claude Hermant, célèbre figure identitaire lilloise proche du RN et ayant fait partie de leur service de sécurité, est aussi l'homme qui a fourni les armes à Amedi Coulybali pour l'attentat de l'hyper cacher en 2015.

Jean Claude Veillard, un ancien candidat RN, est aujourd'hui poursuivi par le parquet national anti terroriste. On lui reproche d'avoir participé au financement de Daesh à hauteur de 5 millions d'euros, un petit backshish accordé à l'organisation terroriste en échange d'une aide administrative pour le bon fonctionnement de l'usine Lafarge en Syrie.
Mais où en étions nous ? Ah oui ! Le parti de l'ordre et de la sécurité …

Voilà. Ils ont changé disiez vous ? Feriez vous confiance à quelqu'un qui a commis pléthore de meurtres, vols, violences sous prétexte qu'il a changé son nom et promet de s'être assagi ? Moi non.

Mais ont-ils vraiment changé ? De stratégie, peut-être … aujourd'hui les moutons noirs sont mis au placard, relayés aux arrières cuisines et reniés publiquement quand malgré les précautions, ils se font prendre. Ne restent en vitrine que les multiples condamnations pour abus de biens sociaux, emplois fictifs, la dernière il y a quelques semaines à peine pour escroquerie. Rien de plus que la droite traditionnelle, nous disent leurs militants. En tout cas, pas officiellement …

Car toutes les taches ne partent pas au lavage.
Faisons ensemble un petit tour des candidats qui se présentent aux législatives pour le Rassemblement National :

Tolassy Rody, candidat en Guadeloupe a frappé une opposante en 2022. La politique du dialogue … connaît pas !
Julien Odoul, figure emblématique du parti, ironisait en riant sur le suicide d'un agriculteur « Est-ce que la corde est française ? » demande-t-il sans honte. L'empathie, connaît pas non plus...
Julien Rancoule, candidat dans l'Aude, adresse quand à lui à deux députées avec qui il est en désaccord un message explicite disant « Va faire la soupe, salope. »
Stephanie Alarcon, qui se présente dans la 3eme circonscription de Haute Garonne, base son argumentaire pro russe sur des fake news, affirmant que c'est l'Ukraine qui a déclenché la guerre et la finance grâce à un marché de vente d'organe … le complotisme décomplexé ! Elle propose aussi de « lyncher à la barre à mine » des délinquants. Quel programme !
Pour René Lioret, qui se présente en Côte d'Or, la solution serait plutôt « Une balle dans la tête ». Au regard des déclarations particulièrement racistes de cet antivax climatosceptique, on devine qui seront ses victimes privilégiées...
Dans la famille des complotistes, nous avons aussi Sophie Dumont, candidate en Cote d'or, connue pour ses dérapages anti sémites qui relaie l'étrange théorie disant que Brigitte Macron serait … un homme ! Ou que l'Ukraine serait « le plus grand fournisseur d'enfants pour réseaux pédophiles ».
Agnes Pageard, candidate à Paris semble partager ses obédiences car, en pleine invasion de l'Ukraine elle déclarait sans ironie : « Un président comme Poutine ça fait rêver » ! Et cette charmante dame d'ajouter : « Je suis forcément antijuif et antisémite » au cas où ce n'était pas clair.
Ou encore Christophe Bentz qui veut « réhabiliter la notion de race » car selon lui « hiérarchiser les races est un travail scientifique » … oui oui … quand on vous dit qu'ils se sont éloignés de leurs racines nazies.
Julie Apricena elle, militait sous pseudonyme au Bloc Identitaire, une organisation néo-nazie bien connue des services de sécurité intérieure. Des photos d'elle arborant un T-shirt au message plutôt explicite « White pride worldwide – Fierté blanche mondiale » défraient la chronique. Elle plaide l'ignorance de la jeunesse. Vous aussi vous avez été jeune ? Portiez vous par hasard des t-shirt suprémacistes ? … Aujourd'hui Julie est secrétaire générale du groupe RN au conseil régional du Centre Val de Loire.
Ludivine Daoudi elle, a carrément dû retirer sa candidature après avoir posé fièrement avec une casquette de sous-officier SS, arborant une croix gammée. Tant qu'à faire …
Dans le même style distingué, Thomas Lutz, candidat dans le Doubs lâche un « Untermenschen » en plein conseil régional. Cette célèbre expression nazie signifie « sous homme ».
Joseph Martin déclare carrément que « le gaz a rendu justice aux victimes de la Shoah ».
Jean Pierre Templier, candidat dans le Loiret rajoute, au cas où nous n'aurions pas compris l'orientation du parti : « Partout dans le monde les juifs nous dirigent ».
Gilles Bourdouleix, candidat en Maine et Loire, estime quand à lui que « Hittler n'en a peut-être pas tué assez », en parlant des gens du voyage.
Louis-Joseph Pecher, candidat en Meurthe et Moselle, écrivait récemment sur son compte twitter : « Juif qui parle, bouche qui ment » … mais n'oublions pas que c'est la gauche qui est antisémite, hein ! La gauche ... ils l'ont dit à la télé.
Cela dit le RN, comme nous l'assure ses dirigeants, est ouvert à différentes cultures, la preuve avec Monique Becker, candidate dans les Pyrénées Atlantiques qui rend hommage au dictateur espagnol Franco.
Marine Christine Sorin elle, nous affirme que « Toutes les civilisations ne se valent pas ». Voilà qui a le mérite d'être clair …
Antoine Oliviero, candidat dans le Morbihan appartient au groupuscule néonazi ultra violent l'Oriflamme, qui prône une vision très racialiste de la société.
Philippe Chapron, qui se présente dans le Calvados, a fait partie du GUD et d'Ordre Nouveau, célèbres groupuscules néo fascistes connus pour leur violence et dissous par la sécurité intérieure. En 93 la police l'avait épinglé pour port d'armes illégal, dont 26 pioches destinés à des ratonnades.
Frederic Bocatelli, candidat dans le Var a écopé de 6 mois de prison ferme pour violences en réunion avec armes. « Sales nègres » a-t-il lancé à ses victimes avant de faire usage contre elles d'une arme à feu. Il a également tenu jusqu'à récemment une libraire antisémite et négationniste.
Florent de Kersauson, qui qualifiait de « faux breton » un enfant métis arborant le drapeau de la Bretagne, est quand à lui un sévère récidiviste. Condamné en 2020 à 100000 euros d'amende pour manquement à ses obligations professionnelles dans une société, il a été condamné il y a quelques mois à 5 ans d'interdiction de gestion d'entreprise pour une longue série de délits financiers. Il ferait un bon ministre de l'économie, non ?
Ma préférée est sans doute Annie Bell, candidate en Mayenne, qui a carrément organisé avec son époux une prise d'otage à la carabine dans la mairie de Ernée. Une sombre histoire de faillite mal vécue... pour la gestion des émotions, on n'est pas prêts au RN.
Je vous passe les cas désespérés comme la candidate fantôme du Loiret que personne n'a jamais vue et n'apparaît même pas sur les affiches, ceux incapables d'aligner deux mots, ou carrément sous curatelle pour déficience mentale comme Thierry Mosca dans le Jura. Embarrassant ...
Pour saisir l'ampleur du désastre, notons que Roger Chudeau, pressenti par Jordan Bardella pour devenir ministre de l'éducation nationale s'il venait à obtenir une majorité, a déclaré en direct qu'il était dangereux que des binationaux puissent accéder à des postes de hauts fonctionnaires. Il a pris pour exemple le cas de Najad Vallaud Belkasem, qui aurait favorisé ses origines marocaines en instituant des cours d'arabe dès le CP du temps où elle était ministre de l'éducation nationale. Ce qui est une pure fake news … un mensonge, déclamé en direct pour justifier un racisme totalement décomplexé ! Voilà nos futurs ministres si le RN obtient le pouvoir.

Mais personnellement, ça n'est pas tant les délinquants en col blanc qui m'effraient … c'est plutôt les militants. Durant ma petite enquête, j'ai découvert tout un monde de violence soigneusement dissimulé sous une couverture médiatique qui préfère poser sa loupe sur les délinquants originaires des cités. Des groupuscules se revendiquant du nazisme ou fascinés par le djihadisme au point de prôner un « Djihad blanc » soutiennent ouvertement le parti de Marine Lepen. Ces groupes, surveillés de près par les services de la sécurité nationale, recrutent parmi la jeunesse, voire l'extrême jeunesse comme le groupe Waffenkraft, fondé par un ancien gendarme néonazi qui avait enrôlé plusieurs mineurs de 14 à 17 ans afin de commettre des attentats visant des lieux publics ou encore Jean Luc Mélenchon. « Aller dans la rue butter des cafards » … « Faire un maximum de victimes » disent à leur procès ces enfants endoctrinés. L'accusé principal se dit proche des idées de Viktor Orban. Tout comme Marine Lepen …

Les mieux informés d'entre vous ont peut-être senti le vent monter ces dernières années, une note de la DGSI avertissant le gouvernement d'une recrudescence historique des projets d'attentats d'extrême droite et une présence inquiétante du nombre de membres de nos corps armés parmi ces terroristes ; ou encore des boucles Telegram révélées dans la presse où des militants d'extrême droite projettent de s'armer pour une guerre civile imminente et s'entraînent mutuellement dans une morbide escalade dans leur empressement de « tuer du bougnoule et du gauchiste » quand leur idéologie aura enfin pris le pouvoir en France.

Je sais que parmi vous il y a des républicains de longue date qui sont parfois perturbés par les débats houleux avec leur fils, leur petite fille ou leur neveu gauchiste invétéré. Mais aucun d'entre vous ne souhaite qu'ils soient pris pour cible par des chasseurs d'opposants ultra violents. N'est-ce pas ? C'est pourtant ce qu'il risque d'arriver. Car ne vous y trompez pas, l'extrême droite, c'est ça. Ça n'est pas moi qui le dit, ce sont nos institutions républicaines. Suite à une récente demande, le classement des partis politiques a été étudié par notre Conseil d'Etat qui a rendu une décision sans appel : le parti de Marine Lepen est bien classé à l'extrême droite du spectre politique du fait de ses liens étroits avec ces groupuscules violents et révolutionnaires ou parfois royalistes … toujours anti républicains. En revanche la France Insoumise est classée à gauche et non à l'extrême gauche, comme nos dirigeants et nos médias le répètent à l'envie. L'extrême gauche suppose une opposition au système républicain, alors que le programme de LFI est réformiste dans le cadre des institutions. Alors pourquoi même notre président prétend le contraire ? Je vous laisse y réfléchir par vous même … moi, en digne républicaine, je me conforme aux décisions de notre plus haute institution juridique.

Si vous pensez que les militants violents à l'extrême droite sont minoritaires et seront écartés, dites vous qu'ils sont plus de 1300 fichés S et que gravitent autour d'eux un nombre incalculable de sympathisants qui n'attendent qu'une chose pour se radicaliser : la validation institutionnelle de leurs obsessions xénophobes. Il suffit de regarder ce qu'il se passe dans nos rues depuis la victoire Jordan Bardella au parlement européen.
Le soir même, 4 hommes fêtant cette victoire commettent une agression homophobe, rouant de coups un innocent dont le seul crime était une orientation sexuelle différente de la leur. Lors de leur interpellation, ils déclarent « vous verrez quand Bardella sera au pouvoir, quand Hittler reviendra (…) Dans trois semaines on pourra casser du PD autant qu'on veut ». Sans commentaire …

Deux nuits plus tard, à Avignon, un incendie criminel ravage une boulangerie. Avait été écrit précédemment sur la devanture « Nègre, PD, dégage. ».
Une semaine plus tard à Thiais, un chauffeur de bus scolaire qui reprochait à un conducteur d'être garé à sa place, empêchant les enfants de descendre en toute sécurité, est violemment agressé par le conducteur qui déclare : « J'en ai marre des gens comme vous, bougnoules et renois, moi je vote RN, je vais te tuer, je vais te massacrer, je vais vous éradiquer ! » avant de le percuter avec son véhicule.

Deux jours plus tard, lors d'une manifestation contre la montée du front national à Nancy, des membres de l'action française blessent un jeune homme à la tête à coup de ceinturons.
Le lendemain, à Toulon, un militant RN bouscule et menace violemment une personne handicapée.
Deux jours plus tard, à Lyon, une cinquantaine de militants d'extrême droite déferlent dans le vieux quartier en faisant des saluts nazis et en se gargarisant d'être bientôt « au pouvoir ». Ils s'attaquent aux clients d'un bar, l'un d'eux est passé à tabac à coup de chaînes de vélo, ils jettent des chaises sur des passants en hurlant des slogans racistes et suprémacistes.

En Gironde, le 22 juin, plusieurs militants tractant pour le NFP porte plainte pour diverses agressions de la part de personnes se disant « supporter de Bardella », l'un d'eux reçoit un coup de tête dans le visage, accompagné d'une sinistre menace « On va vous écraser ».
Le 23 juin à Montpellier, des centaines d'habitants du quartier Boutonnet se réunissent et défilent pour dénoncer les multiples agressions de groupuscule d'extrême droite semant la terreur parmi la population.
Dans les Haut de Seine, une députée écologiste rapporte que des militants du RN insultent et menacent une dame âgée.
A Maison Alfort, c'est vêtus de noir qu'un groupe d'hommes débarque sur le marché local pour mettre un coup de pression à leurs opposants en train de tracter pour les législatives. Une femme reçoit plusieurs coups.
À Perpignan une médecin reçoit une lettre de menace lui reprochant sa couleur de peau et lui suggérant de vendre sa maison à une famille « de bons français de souche » car « dès le mois de septembre nous allons effectuer un nettoyage impitoyable et virulent du quartier afin d'en restaurer l'atmosphère catalane d'antan. » Dès le mois de septembre ...
Je vous épargne les innombrables signalements pour des propos racistes ou homophobes lancés en toute décomplexion et parfois accompagnés de sinistres « Bientôt vous dégagerez », « Vous verrez quand Bardella sera au pouvoir » … Ces petites agressions du quotidien qui nous semblent anodines car elles ne laissent aucune trace sanglante, mais néanmoins, la violence est là et les blessures restent.

Cette énumération est bien évidemment non exhaustive et ne concerne que le mois de juin … Mediapart recense au moins un acte de violence raciste par jour où les mis en cause font directement référence au RN, depuis leur victoire aux européennes.
Mais cela nous permet de constater l'absurdité du discours du Rassemblement National qui nous promet un regain de l'ordre et de la sécurité. Quel Ordre attendre d'un parti qui se complet avec des groupuscules ultra violents ? Quelle sécurité quand, alors même que leur accession au pouvoir n'est qu'une éventualité, leurs militants oublient déjà les lois qui régissent notre société pour imposer par la force leur domination sur l'espace public.
Car surtout, ne nous y trompons pas, c'est bien ça le véritable but de l'idéologie d'extrême droite : s'imposer à notre espace public et mettre la main sur tout ce qui fait société. Il suffit de regarder ce qui se passe en Europe dans les pays où elle est au pouvoir. Dans la Hongrie de Viktor Orban, le modèle de Marine Lepen q

Construire la gauche de rupture

3 septembre 2024, par Cédric Durand, Razmig Keucheyan, Stefano Palombarini — , ,
Les élections législatives et leur résultat inattendu ont créé une nouvelle situation politique et accéléré la crise du macronisme, mettant la gauche face à ses (…)

Les élections législatives et leur résultat inattendu ont créé une nouvelle situation politique et accéléré la crise du macronisme, mettant la gauche face à ses responsabilités. Dans cette tribune, Cédric Durand, Razmig Keucheyan et Stefano Palombarini avancent quelques propositions pour construire la gauche de rupture, insistant en particulier sur le rôle central que peut et doit jouer la France insoumise.

22 juillet 2024 | tiré de contretemps.eu
https://www.contretemps.eu/construire-gauche-rupture-nouveau-front-populaire/

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La situation politique évolue à toute vitesse. Quatre éléments la caractérisent :
1/ Le RN est en embuscade. Son échec – relatif, puisqu'il a doublé le nombre de ses députés – aux élections législatives résulte notamment de deux facteurs. D'abord, des législatives sans présidentielles, où donc la dynamique de ces dernières ne se transmet pas aux premières, favorisant de ce fait les partis les plus territorialisés. Ensuite, un efficace « barrage républicain », construit avant tout par la gauche. Ces facteurs ont contenu pour cette fois la progression du RN dans certaines limites, mais rien ne garantit leur pérennité et leur efficacité à l'avenir. Surtout, la fascisation progresse dans la société, avec notamment la multiplication des actes et propos racistes au quotidien. Et des secteurs entiers de la bourgeoisie basculent, à l'image du morceau des LR emmené par Ciotti ou de l'accueil positif du CAC 40 à la perspective d'un gouvernement RN au soir du premier tour.
2/ Le macronisme s'effondre aussi rapidement qu'il est apparu. Le « bloc bourgeois » a toujours été une illusion, mais démonstration est faite désormais qu'il n'a de majorité ni dans le pays ni au sein des institutions. Tant mieux, une repolarisation droite-gauche devrait clarifier le champ politique pour les échéances électorales à venir.

3/ Donné pour mort en 2017, le Parti socialiste est de retour. En nombre de députés, il fait désormais quasi-jeu égal avec LFI. Il contrôle cinq régions, un grand nombre de villes, et est la deuxième force politique au Sénat. L'hypothèse fondatrice du NPA puis de LFI, selon laquelle la crise de la social-démocratie laisserait mécaniquement le champ libre aux forces radicales à gauche, est clairement démentie. Notre approche stratégique doit être repensée de fond en comble. La gauche radicale n'est pas seule à gauche, il faut intégrer cette donnée une fois pour toutes dans notre logiciel.

4/ Malgré une progression importante en nombre de voix aux européennes 2024 par rapport à 2019, le rapport de force pour LFI au sein de la gauche s'est détérioré depuis la dernière présidentielle. On le constate, entre autres indicateurs, dans sa difficulté à imposer ses choix aux autres composantes du Nouveau front populaire en matière de désignation du premier ministre et de la présidence de l'Assemblée Nationale. Quelle différence par rapport aux législatives de 2022 ! Le spectacle lamentable de purges menées au plus mauvais moment n'a pas aidé. Il a donné l'impression que LFI s'en prenait aux plus proches politiquement, plutôt que d'employer ses efforts à combattre les fascistes et à renforcer, dans l'espace de la gauche, les positions de ceux qui souhaitent une rupture nette avec la trajectoire néolibérale.

Ainsi, quatre blocs peuvent désormais être identifiés dans le champ électoral : le Rassemblement national ; une droite autrefois connue sous le nom de « républicaine », à l'intersection entre un macronisme en crise terminale et LR, dont Édouard Philippe est l'incarnation ; une gauche néolibérale assumée, dont la campagne européenne de Raphaël Glucksmann est le paradigme ; et la gauche de rupture. Les bords de ces quatre blocs sont évolutifs. S'ajoutent à eux les abstentionnistes, premier parti au sein des classes populaires.

LFI est le cœur du bloc de la gauche de rupture. Mais ce bloc est le seul, sur le plan idéologique, à se situer en dehors d'un paradigme néolibéral qui, s'il donne des signes d'une crise probablement irréversible, demeure celui qui structure la vision du monde du plus grand nombre. Il ne faut donc pas se cacher que le bloc de la gauche de rupture demeure en situation de faiblesse sur le plan de l'hégémonie. Il est de ce fait essentiel d'élargir son périmètre, et de ce point de vue une responsabilité fondamentale revient à LFI.

Cela passe par un travail politique en particulier en direction des abstentionnistes, jeunesse et classes populaires, remarquablement mis en œuvre par LFI ces dernières années. Mais pour monter en échelle et espérer gouverner, il faut également agréger des forces politiques et sociales constituées, avec chacune leur influence dans divers secteurs sociaux et dans le champ politique : syndicats, associations et autres composantes de la gauche, soit le PCF, une partie des écologistes au moins, certains socialistes, le NPA et les insoumis « dissidents ».

L'ensemble de ces forces pourraient prendre dès septembre l'initiative de constituer des Assemblées du Nouveau front populaire, une alliance qu'il s'agit d'ancrer durablement dans la perspective de la rupture avec le néolibéralisme ; et LFI pourrait être avec d'autres la cheville ouvrière de la construction d'une véritable base populaire de ce qui n'est, pour l'instant, qu'un accord entre appareils. L'un des obstacles sur cette route est la nature de LFI qui, si elle fonctionne comme une machine électorale redoutable et extrêmement efficace, n'est quasiment pas structurée à la base.

Or le « gazeux » ne résistera pas au fascisme qui vient : si on veut le combattre efficacement, et plus généralement créer les conditions de la transformation au sein de l'appareil étatique et de la société toute entière, on ne pourra faire l'économie de la construction d'une organisation digne de ce nom. Les Assemblées du Nouveau front populaire pourraient enclencher une dynamique de cet ordre. Cela n'empêche pas les organisations existantes de continuer à exister et interagir. Mais cela créera un ancrage à la base, obligeant les appareils à tenir compte de l'intérêt du Nouveau front populaire dans son ensemble. Pour peser efficacement et durablement sur le devenir de la gauche, dans ces Assemblées du NFP et au-delà, LFI devra donc se transformer.

L'idée, très présente dans le groupe dirigeant de LFI, que la construction du mouvement s'opère par « clarifications » successives, où les personnes et collectifs qui ne suivent pas la ligne décidée par Jean-Luc Mélenchon et son entourage sont progressivement exclus, s'est révélée efficace lorsqu'il s'agissait de construire une perspective pour une gauche de rupture, en la sauvant du naufrage du hollandisme. Mais elle est en totale contradiction avec les exigences de la phase politique que nous vivons. Il s'agit pour LFI, aujourd'hui, d'assumer le rôle d'organisateur et de pivot d'un bloc social qui, pour s'élargir, doit admettre une certaine diversité en son sein.

Le critère de la stricte fidélité à la ligne décidée par un petit nombre de personnes ne fait que favoriser la renaissance de ses concurrents, au premier rang desquels le Parti socialiste et les écologistes. Il nous faut construire l'hégémonie à gauche et dans le pays dans un même mouvement. Or l'hégémonie est le contraire de l'exclusion : elle suppose d'agréger des forces politiques et sociales diverses, tout en exerçant sur elles ce que Gramsci appelait une capacité de direction, et en leur imposant nos thèmes.
Seule la gauche de rupture peut sauver le pays des crises multiples qu'il subit. Pour cela, nous avons besoin d'une LFI confiante dans la force de ses idées et de sa capacité d'organisation. Sur le plan idéologique, sa capacité à faire bouger les lignes se cristallise dans les programmes communs de 2022 et 2024 qui rompent sans ambiguïtés avec le néolibéralisme.

Sur le plan organisationnel en revanche, le mouvement patine, comme en atteste l'incapacité à enclencher une dynamique d'élargissement cumulative. L'ancrage dans différents milieux s'incarne dans des figures qui fonctionnent comme des symboles, mais pas dans la structuration concrète. Pour croître, c'est-à-dire agréger et mettre en mouvement dans l'organisation des secteurs sociaux diversifiés, LFI doit instaurer un pluralisme interne, basé sur des règles collectivement décidées. Gage d'efficacité, ce pluralisme lui permettra de rayonner au-delà des frontières du mouvement.
Le fonctionnement de LFI repose sur un petit appareil, composé tout au plus d'une dizaine de personnes aux capacités de travail hors du commun, qui organisent l'engagement de milliers de militants dévoués à la cause. Ce type d'organisation n'est pas adapté à l'ambition de construire une hégémonie réelle et durable sur la gauche et dans la société. Il faut élargir et déléguer, et pour cela construire des formes de légitimité qui ne passent plus seulement par le contact direct avec Jean-Luc Mélenchon et son entourage immédiat.

Concrètement cela signifie que LFI doit sans attendre formaliser les principes de son fonctionnement, avec des règles effectives de contrôle démocratique de la direction et des moyens du mouvements. Cette formalisation est la condition sine qua non pour que la dynamique politique interne ne se résume pas à un jeu de faux-semblants, dans lequel la contrepartie de l'activisme militant est une forme de dépolitisation. En l'absence de possibilité d'influer sur le destin du mouvement, le corps militant est infantilisé et les forces vives se retirent.

Cette perspective n'implique nullement que LFI deviendra une organisation de « bavards » et de coupeurs de cheveux en quatre, ou encore qu'elle sera en proie aux ambitions personnelles des uns ou des autres, ni qu'elle sera obligée de chercher des synthèses improbables entre courants rivaux. C'est le contraire. La délibération et les ambitions peuvent et doivent être contenues dans des limites strictes, et l'histoire de la gauche ne manque pas d'exemples d'organisations qui, tout en admettant un certain degré de débat et de confrontation à l'intérieur, ont su marquer de leur empreinte la société française. L'action collective suppose l'intelligence collective, c'est le mélange des deux qui augmentera la capacité hégémonique de LFI.

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La Russie sous Poutine : « Il y a une guerre culturelle contre le peuple lui-même »

3 septembre 2024, par Daniel Borges Moura, Ilya Budraitskis — , ,
Comme ses camarades, Ilya Budraitskis a été persécuté par le régime de Poutine. Membre du Mouvement socialiste russe, il est un opposant à la guerre en Ukraine et à Vladimir (…)

Comme ses camarades, Ilya Budraitskis a été persécuté par le régime de Poutine. Membre du Mouvement socialiste russe, il est un opposant à la guerre en Ukraine et à Vladimir Poutine. Dans une interview exclusive, il a évoqué avec « esquerda.net » la harcèlement politique et le modèle idéologique adopté par le gouvernement russe pour légitimer son impérialisme et l'invasion de l'Ukraine.

24 août 2024 | tiré du entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/08/29/la-russie-sous-poutine-il-y-a-une-guerre-culturelle-contre-le-peuple-lui-meme/

L'invasion de l'Ukraine a entraîné une guerre qui, deux ans plus tard, se poursuit sans que l'on puisse en voir la fin. Entre l'occupation des territoires de l'est de l'Ukraine et la persécution des mouvements politiques dans son propre pays, Poutine a fait la démonstration de son appétit impérialiste et de son autoritarisme. Le moteur de ces actions, explique Ilya Budraitskis, est l'idéologie que le régime autocratique russe a commencé à propager dans les écoles et les universités, qui justifie l'impérialisme russe par une différenciation culturelle et génétique entre les peuples.

Ilya Budraitskis est un militant socialiste, membre du Mouvement socialiste russe. Théoricien politique, historien et auteur de plusieurs ouvrages, Ilya a vécu de nombreuses années à Moscou, où il a mené une activité militante. Il fait partie du comité de rédaction du site web socialiste russe Posle.media. Il publie des articles dans New Left Review, Jacobin, Le Monde Diplomatique, Inprecor, Open Democracy et Slavic Review, entre autres.

Le Mouvement socialiste russe (MSR) a fait l'objet de poursuites de la part du régime de Poutine, qui a intensifié la persécution des groupes politiques d'opposition après l'invasion de l'Ukraine et l'a qualifié d'« agent étranger ». Aujourd'hui, de nombreux membres du MSR vivent hors de Russie, dissidents hors de leur pays, chassés par la répression d'un gouvernement autoritaire.

Poutine s'acharne sur le Mouvement socialiste russe

Daniel Moura Borges – Comment le Mouvement socialiste russe a-t-il fait face à son étiquetage comme « agent extérieur » et à la répression dont il a fait l'objet de la part du régime de Poutine ?

Ilya Budraitskis – La situation au sein de l'organisation était assez compliquée avant même qu'elle ne soit étiquetée comme « agent de l'étranger », car beaucoup de ses principaux militants avaient quitté le pays. Aujourd'hui, ces personnes se trouvent en Allemagne, en France et dans d'autres pays encore. Avec cette étiquette d'« agent étranger », il n'est pas possible de maintenir une quelconque communication politique. C'est pourquoi, après avoir été qualifiés ainsi, nous avons publié une déclaration disant que nous avions dissous l'organisation.

Vous avez déjà dit que vous considériez cette qualification d'« agent étranger » comme un médaille d'honneur. Que faut-il entendre par là ?

Lorsque cette loi a été adoptée il y a une dizaine d'années, le principal argument sous-jacent était le suivant : « Nous sommes contre l'ingérence étrangère dans la politique russe ». Toute personne ayant reçu une aide financière de l'étranger a été qualifiée d'« agent étranger ». Entre-temps, la loi a été prorogée. Aujourd'hui, lorsqu'ils donnent un motif pour cette qualification, c'est : « Ces personnes diffusent de fausses informations sur les actions de l'armée russe ». En effet, il ne s'agit pas d'une attitude patriotique. Ainsi, derrière cet étiquetage, on trouve la volonté [du régime de Poutine] de détruire notre groupe politique parce qu'il a un programme clairement anti-guerre. Alors oui, nous en sommes fiers.

C'est une pratique à laquelle les gouvernements d'extrême droite ont de plus en plus recours. Orbán a également commencé à harceler les médias qu'il qualifie d'« agents extérieurs ».
Oui, et la Russie montre très bien jusqu'où ce type de législation peut aller. Aujourd'hui, quelqu'un peut être qualifié d'« agent extérieur » même s'il ne bénéficie d'aucune aide financière. Ils peuvent dire que cette personne diffuse des idées d'origine étrangère qui s'éloignent d'une véritable ligne patriotique.

Si nous voulons comprendre l'extrême droite du XXIe siècle, nous devons regarder la Russie

Dans ce contexte de persécution, comment le mouvement anti-guerre s'organise-t-il en Russie ?

En Russie, il y a une censure très pesante et une pression policière très forte sur tout type de déclaration anti-guerre. Par conséquent, toute expression publique d'une position anti-guerre peut conduire à une arrestation immédiate. Il est impossible de distribuer des tracts ou d'organiser des piquets. Cela ne peut se faire qu'indirectement. Par exemple, l'année dernière, nous avons vu se développer le mouvement des parents de jeunes hommes qui ont été mobilisés dans l'armée. Ils ont été mobilisés à l'automne 2022 et ne sont toujours rentrés. Ils [les parents] exigent donc que les soldats reviennent à la maison. Donc, c'est comme ça que l'on peut trouver des moyens différents d'exprimer un sentiment anti-guerre.

Il s'agit d'une guerre culturelle contre la population elle-même, et nous savons que les guerres culturelles sont généralement un moyen de polariser le processus électoral.

Vous avez récemment écrit sur la façon dont la guerre a été un facteur de changement radical, à la fois dans le régime de Poutine et dans l'organisation des mouvements socialistes. Selon vous, quel est le bilan de la guerre pour le régime actuel ?

Lorsque le régime s'est trouvé dans la situation de gérer une guerre à long terme, après l'échec de la première tentative de changement de régime [en Ukraine] avec l'aide de l'armée russe, il a commencé à parler beaucoup d'idéologie. Sur le fait que nous, en tant que société, devions avoir une idéologie, que nous devions inscrire l'idéologie dans la Constitution, qu'il nous fallait rééduquer la société pour qu'elle perçoive la Russie comme une civilisation à part entière. À partir de ce moment-là, ils ont élaboré un programme en ce sens. Aujourd'hui, ce programme est appliqué dans les écoles et il a également commencé à l'être dans les universités. L'autre aspect de ce programme de rééducation de la société est la censure. Non seulement des opinions anti-guerre, mais aussi dans la religion avec la promotion d'une ligne cléricale réactionnaire pesante en faveur des valeurs familiales traditionnelles. Tout ce qui est LGBT ou féministe est éliminé. Il s'agit d'une guerre culturelle contre la population elle-même, et nous savons que les guerres culturelles fonctionnent généralement comme un moyen de polariser le processus électoral.

Quel est le lien entre ce processus de rééducation de la société et les théories politiques de Douguine sur l'idéologie ?

Douguine est devenu une figure de plus en plus influente au cours des deux dernières années. Mais je pense que son influence est encore quelque peu surestimée. Il ne fait aucun doute que certaines de ses idées ont influencé la ligne actuelle de l'État. Son idée principale, qui est aussi celle de l'idéologie d'État en Russie, est l'idée que chaque civilisation a des modes de pensée et des formes de comportement qui lui sont propres. Il y a une négation de toute universalité humaine. C'est extrêmement dangereux. C'est une idée qui a pris gagné en influence en Russie, mais qui s'est également répandue dans l'extrême droite européenne.

Comment cela se traduit-il dans la société russe ?

Dans les cours d'idéologie des universités, on trouve une définition très précise de l'ADN russe. Elle aurait un caractère organique et héréditaire. Le fait d'être russe serait lié au sang et au corps. Ils utilisent également cette notion d'ADN comme l'idée d'un code culturel. Il existerait ainsi des idées, des perceptions ou des visions du monde précises qui n'appartiendraient qu'aux détenteurs de cet ADN. C'est ce type de politique identitaire qui est devenu une ligne officielle de l'État.

De quelle manière pensez-vous que la ligne idéologique actuelle de l'État russe soit en rapport avec les relations que la Fédération de Russie entretient avec tous les autres États qui l'entourent ?
Le type de nationalisme que la Russie affiche aujourd'hui est un nationalisme impérial. C'est un nationalisme qui est toujours de nature contradictoire car il y a ces deux notions d'empire et de nation. Le concept de nationalisme impérial en Russie est hérité de la fin de l'Empire russe. Tous ces discours selon lesquels l'Ukraine n'existe pas en tant que nation parce qu'elle fait partie d'une nation russe plus vaste sont issus de ce nationalisme impérial du 19e siècle. L'idée est que cet empire doit être russe. Les Russes doivent dominer parce qu'ils apportent une sorte d'harmonie à cette famille de peuples différents.

Voyez-vous dans cette guerre un signe de l'intensification des contradictions d'un monde multipolaire, où plusieurs empires se disputent l'hégémonie internationale ?

Oui, bien sûr. L'un des principaux objectifs de Poutine avec l'invasion de l'Ukraine était de changer le système international. Mais je pense qu'il y avait aussi une sorte de programme idéologique derrière ce changement. Et ce programme idéologique est né de cette idée de pluralité des civilisations. Dans cette optique, l'ensemble de l'espace post-soviétique appartient naturellement à la sphère d'influence russe parce qu'il fait partie de cette grande civilisation. Et il n'y a pas de place dans cette vision du monde pour ces petites nations, car elles doivent toutes être divisées entre les grandes puissances impériales. C'est une sorte de vision du monde qui est impérialiste non seulement dans ses ambitions, mais aussi dans son idéologie.

Nous devons revoir tous les fondements sociaux et économiques du régime actuel, qui repose toujours sur les privatisations extrêmement injustes qui ont eu lieu dans les années 1990 et sur les politiques néolibérales mises en œuvre par Poutine.

Quelle est votre analyse de la situation actuelle dans la guerre avec l'Ukraine, en particulier de la percée ukrainienne à Koursk ?

Je pense que c'était tactiquement très intelligent. Très risqué, mais très intelligent. Parce que cette opération met en cause le modèle selon lequel la Russie poursuit cette guerre. L'Ukraine a lancé cette opération pour provoquer Poutine, mais l'autre objectif était de provoquer une instabilité politique en Russie. Car pour la plupart des Russes, il existe une grande différence entre les territoires occupés par l'Ukraine, qu'ils [l'État russe] appellent les nouveaux territoires russes, et les anciens territoires russes. Koursk est un territoire ancien. Je pense donc que cela pourrait modifier la corrélation actuelle des forces. Et j'espère que cela conduira à des négociations de paix, non pas dans la perspective d'une capitulation de l'Ukraine, mais à partir d'une position plus équilibrée.

Vous avez écrit à plusieurs occasions sur la nécessité d'un programme révolutionnaire pour la Russie. Qu'est-ce que cela signifie à l'heure actuelle ?

Le programme de changement politique en Russie est très lié au changement démocratique. Mais je pense que nous, à gauche, ne devrions pas comprendre la démocratie uniquement d'une manière libérale. Pas seulement sous la forme d'institutions formelles. La démocratie, c'est la participation directe à la vie collective. En ce sens, nous devons démocratiser le pays, revoir tous les fondements sociaux et économiques du régime actuel, qui repose toujours sur les privatisations extrêmement injustes qui ont eu lieu dans les années 1990 et sur les politiques néolibérales mises en œuvre par Poutine. Nous devons également faire de la Russie une véritable fédération, car pour l'instant, elle n'a de fédération que le nom. En réalité, il s'agit d'un État fortement centralisé qui n'accorde aucun droit aux régions et surtout aux minorités nationales. Enfin, nous devons abandonner ce discours sur les civilisations différentes . Car l'humanité est confrontée à des problèmes immédiats, tels que le changement climatique, l'inégalité au niveau mondial, la faim. Et je crois que la Russie, en tant que grand pays, en tant que puissance nucléaire, doit enfin prendre sa part de responsabilité.

Source : Bloco de esquerda. 19 août 2024 – 17:01
https://www.esquerda.net/artigo/ha-uma-guerra-cultural-contra-propria-populacao-entrevista-ilya-budraitskis/91958
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article71810

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A propos de la dernière livraison de Michel Goya qui porte sur l’incursion ukrainienne dans l’oblast de Koursk (1).

3 septembre 2024, par Antoine Rabadan — , ,
Michel Goya, s'appuyant sur le modèle tactique des Egyptiens en 1973 établissant une tête de pont sur le canal de Suez face à Israël, penche pour envisager cette opération (…)

Michel Goya, s'appuyant sur le modèle tactique des Egyptiens en 1973 établissant une tête de pont sur le canal de Suez face à Israël, penche pour envisager cette opération comme relevant d'une "occupation territoriale limitée" créant une ligne de front à tenir. Limitée pour pouvoir être "défendable opérationnellement" en évitant d'être prise à revers, en particulier sur les flancs.

Août 2024
(1) https://lavoiedelepee.blogspot.com/2024/08/des-coups-et-des-douleurs.html

L'enjeu pour les Ukrainiens, selon lui, est surtout de ne pas trop s'aventurer vers le nord car, en lien avec le risque précité de s'exposer aux attaques russes, il leur faudrait mobiliser trop de troupes pour un gain stratégique trop faible :

"En stratégie comme dans beaucoup d'autres choses, il faut savoir où s'arrête ce qui suffit. Avancer par exemple jusqu'à Koursk, une cinquantaine de kilomètres au-delà de la ligne de contact actuelle, nécessiterait d'augmenter encore le nombre de brigades engagées afin de maintenir une densité minimale de force. Il ne faudrait pas se contenter en effet d'une flèche en direction de la capitale de la province, mais bien d'avoir une poche suffisamment large pour écarter les menaces d'attaque de flanc ou simplement les frappes sur un axe logistique unique. Il faudrait deux fois plus de brigades qu'actuellement déployées pour tenir cette zone, ce qui paraît difficile lorsqu'on combat déjà en flux tendus, pour finalement arriver devant une ville de plus de 400 000 habitants dont la saisie demanderait sans doute encore plus de forces et de temps. Tout cela nécessiterait également le déplacement en Russie de tout l'échelon d'appui d'artillerie et de défense sol-air avec les contraintes qui cela implique."

En clair "La plupart des gains stratégiques ont déjà été obtenus et contrôler 4 000 ou 6 000 km2 au lieu des 2 000 qui peuvent être espérés à court terme ne les multiplierait pas par deux ou trois."

Une opération militaire pour des gains stratégiques "d'abord" politiques

Michel Goya, pourtant spécialiste reconnu des questions proprement militaires, ne cède pas, pour autant, au mirage de mesurer l'action ukrainienne à Koursk prioritairement en termes militaires : "Les gains stratégiques, écrit-il, sont déjà considérables et d'abord politiques."

Elle prend en effet Poutine au piège de ne pas vouloir jouer à 100 % la carte d'une guerre, dont, significativement, il ne veut pas dire le nom, qui l'obligerait, vu la résistance des Ukrainiens, à une mobilisation générale de la population. Laquelle mobilisation générale serait grosse précisément de risques politiques vis-à-vis d'une population, celle des zones les plus urbaines et développées du pays (les "épargnés de la guerre" dit l'auteur), restant...l'arme au pied tant que ce ne sont que des populations parmi les plus pauvres qui payent le prix du sang d'une "opération spéciale" terriblement dévoreuse de chair à canon : "Vladimir Poutine a finalement montré qu'il avait finalement plus peur des réactions internes à une mobilisation guerrière que des Ukrainiens."

Cette phrase résume à merveille le poids du politique, en dynamique interne à la Russie, qui surdétermine, pour Michel Goya, la dynamique militaire de la guerre en Ukraine dont Poutine souhaite profondément qu'elle ne rencontre pas, pour s'articuler avec elle, ladite dynamique interne. Rencontre qui est l'un des objectifs parmi les plus prioritaires pour les Ukrainiens qui donne sa signification à l'incursion de Koursk. Incursion appelée donc à transmuter en stabilisation des gains territoriaux dont il faut rappeler qu'en ce 29 août, les 1300 km2 conquis, pour près de 100 localités prises, en 23 jours sont supérieurs aux km2 occupés dans le Donbass par les Russes...depuis le début de l'année.

Michel Goya insiste sur cet aspect politique de la relation sur le fil existant entre Poutine et sa population dans la fraction qu'il ne veut pas voir percutée par les conséquences de la guerre. Cette guerre dont, au demeurant tout montre qu'il peine à donner l'impression qu'elle est la grande épopée qu'il claironne et qui ne réjouit que ses fans à l'international au degré d'intelligence politique particulièrement bas pour cause d'imprégnation propagandiste bien trop avancée. A ce propos, on ne peut que constater que constater comment le flot d'envolées patriotiques que le Kremlin déverse pour justifier une guerre qui n'en est pas une fait flop pour créer un minimum d'exaltation dans le pays. La totale dépossession politique de la population par l'Etat dictatorial se paye, par-delà des effets de surface médiatiques, d'une scission entre celle-ci et ledit Etat contrecarrant toute velléité d'engagement populaire massif et consentant, pour y mourir, dans le front ukrainien. Pire pour défendre la patrie de l'intrusion "terroriste" du pays en cours à Koursk : "Comme le soulignait la sociologue Anna Colin-Lebedev, le contraste avec la réaction de la population ukrainienne aux attaques russes en Crimée et dans le Donbass en 2014-2015 est saisissant. On n'assiste pas par exemple à la formation spontanée de bataillons d'autodéfense à la frontière avec l'Ukraine, la faute à une longue stérilisation politique et un transfert complet et admis de l'emploi de la force aux services de l'État. "

C'est toute cette profonde dimension politique, que les pro-russes du monde ne souhaitent pas voir mis en évidence, qui est pour Michel Goya probablement "l'enseignement majeur de cette opération" de Koursk.

L'Ukraine a forcé la main de ses alliés contre les lignes rouges, le feu vert

L'autre aspect important de ce qu'a mis en oeuvre l'Ukraine à Koursk est le coup de force par lequel celle-ci a franchi ce qui est probablement et paradoxalement la seule vraie "ligne rouge" dans cette guerre. Paradoxalement parce qu'elle est celle dont les alliés font profiter les Russes aux dépens des Ukrainiens : à savoir l'interdiction de leur laisser le feu vert pour viser les sites sur sol russe où Poutine tient bien au chaud ses armes de destruction massive de l'Ukraine. Eh bien, c'est exactement cette ligne rouge qui a volé en éclat à Koursk, les Ukrainiens s'étant ouvertement affranchis pour l'occasion du veto de ces bien curieusement autolimitateurs alliés-limitateurs du potentiel de défense de l'agressé qu'ils soutiennent "pleinement", disent-ils !

"Cet emploi [d'armes et d'équipements alliés] n'a pas, comme c'était prévisible, provoqué la foudre russe sur le territoire des pays fournisseurs, et ceux-ci sont obligés de suivre. On n'imagine pas en effet de se ridiculiser en demandant le retour immédiat des véhicules Marder allemands ou Stryker américain, voire VAB français, sur le sol ukrainien ou d'interdire d'utiliser les lance-roquettes HIMARS ou les bombes AASM après leur démonstration d'efficacité contre les forces ennemies sur le sol russe. C'est une autre évolution considérable qui peut, en liaison avec la décision américaine de fournir également des missiles air-sol à longue portée, peut doper la campagne de frappes ukrainienne."

Michel Goya se permet, au passage, de faire ce rappel cinglant : "Au regard de cette impuissance russe de matamore, on ne peut au passage n'avoir que des regrets sur la faiblesse de notre attitude face à la Russie depuis des années et particulièrement juste avant la guerre en 2022. On ne parlait que de « dialogue » comme attitude possible face à la Russie dans nos documents, affublé parfois de « ferme », mais timidement parce qu'on avait supprimé tous les moyens qui permettaient de l'être. Nous avons cru la Russie forte et nous nous savions faibles, nous avons donc été lâches et longtemps encore après que la guerre a commencé. Pour paraphraser Péguy, nous avons expliqué que nous voulions conserver nos mains pures pour cacher que nous n'avions plus de mains.".

En conclusion de ces lignes de présentation de certains points forts de l'analyse de l'auteur, je renvoie, à l'analyse qui y est faite de l'atout que représentent les frappes en profondeur par drones par lesquelles les Ukrainiens profitent de l'incurie défensive des Russes. Lesquels, "nouvelle source d'étonnement", "n'ont toujours pas bétonné leurs bases aériennes et beaucoup d'autres objectifs sensibles sur leurs arrières."

On gagnera aussi à s'arrêter à la qualification de « guerre de corsaires » par laquelle les Ukrainiens "évitent autant que possible d'attaquer sur le front difficile du Donbass pour privilégier partout ailleurs les raids ou parfois les conquêtes terrestres et les frappes". A Koursk donc mais aussi ailleurs. Par où l'on peut déduire que cet évitement du frontal fixateur de moyens, au demeurant asymétriques, au profit d'opérations coups de poing ici et là participerait, autre paradoxe dans la série des paradoxes de cette guerre, de la volonté de créer les conditions militaro-diplomatiques pour que le politique, qui est au coeur de cette « guerre de corsaires » à la façon ukraino-kourskienne, pèse de tout son poids pour aider à neutraliser tout ou, au moins, partiellement de manière consistante, ce que les Russes auront conquis laborieusement et à grands frais de chair à canon, de destructions territoriales et de matériels dans le Donbass comme dans le reste des territoires occupés, Crimée comprise.

Il reste que, toujours selon notre analyste, cette « guerre de corsaires », si elle vise à créer du rapport de force militaire-diplomatique, qu'on comprend nécessaire à la stratégie actuelle de Zélensky de promouvoir à l'international un plan de paix, ne saurait se dispenser de créer les conditions d'un affaiblissement proprement militaire des Russes : "La guerre de corsaires à l'ukrainienne a de beaux jours devant elle, multipliant les coups afin d'user l'adversaire et de remonter le moral de tous à coups de communiqués de victoires. Pour autant, pour gagner vraiment une guerre il faut livrer des batailles et planter des drapeaux sur des villes et on attend les Ukrainiens surtout dans le Donbass." J'ajouterai qu'on attendra avec les Ukrainiens, dans le Donbass et plus, que l'effet Koursk parvienne à provoquer le déblocage nécessaire du côté des alliés pour qu'enfin ils se décident, au vu de la prouesse ukrainienne dans cet oblast russe, à donner les moyens de casser décisivement les meurtriers outils militaires russes dans la profondeur.

Antoine

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« Le Hezbollah et l’Iran sont face à un véritable défi »

3 septembre 2024, par Gilbert Achcar — , ,
« La véritable décision est à Téhéran » et « franchir un certain seuil dans la riposte c'est risquer un embrasement général, une véritable guerre non-seulement contre Israël (…)

« La véritable décision est à Téhéran » et « franchir un certain seuil dans la riposte c'est risquer un embrasement général, une véritable guerre non-seulement contre Israël mais aussi contre les États-Unis », estime Gilbert Achcar, professeur en relations internationales, sur France 24 le 4 août 2024.

18 août 2024 |tiré du site d'Inprecor

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En Cisjordanie, Israël continue de mépriser ouvertement le droit international

3 septembre 2024, par Association France Palestine Solidarité — , , , ,
Ce 28 août à une heure du matin, Israël a lancé une opération militaire de très grande ampleur en Cisjordanie occupée, honteusement appelé « Camp d'été ». Une opération menée (…)

Ce 28 août à une heure du matin, Israël a lancé une opération militaire de très grande ampleur en Cisjordanie occupée, honteusement appelé « Camp d'été ». Une opération menée sous couverture aérienne complète, la police des frontières et les forces spéciales. Avec de plus en plus d'arrogance, Israël franchit toutes les lignes rouges les unes après les autres sans la moindre réaction de ses alliés

Tiré du blogue de l'auteur.

Alors qu'Israël poursuit implacablement le génocide à Gaza depuis bientôt 11 mois, ce 28 août à une heure du matin, Israël a lancé une opération militaire de très grande ampleur en Cisjordanie occupée, honteusement appelé « Camp d'été ». Une opération menée sous couverture aérienne complète, qui implique le Shin Beit (service de sécurité intérieure israélien), la police des frontières et les forces spéciales. Selon les médias israéliens, cette nouvelle « campagne d'éradication » devrait mobiliser des milliers de soldats et durer plusieurs jours. Elle est d'une ampleur inégalée depuis la répression de la seconde Intifada de 2000 à 2004.

Cette offensive est lancée alors que le 19 juillet, la Cour internationale de justice a statué que l'occupation par Israël du territoire palestinien est illégale et qu'elle doit cesser le plus rapidement possible. Depuis le 19 juillet, aucun des alliés et soutiens inconditionnels d'Israël (dont la France et l'Union européenne) n'a manifesté la moindre intention de mettre fin à l'impunité d'Israël et de le contraindre de mettre fin à cette occupation illégale. Le message a été reçu cinq sur cinq par Israël : un feu vert pour aller au-delà de l'occupation et concrétiser l'annexion de facto de la Cisjordanie.

Les chefs militaires israéliens ont informé les Palestiniens que « les portes de l'enfer étaient ouvertes ». Le ministre israélien des Affaires étrangères a déclaré qu'il s'agissait d'une guerre totale, et qu'Israël doit faire en Cisjordanie ce qu'il fait à Gaza : transférer temporairement la population des lieux ciblés. Les Palestiniens savent depuis 76 ans ce que veut dire un déplacement prétendument temporaire : il s'agit d'un nettoyage ethnique sans retour possible.

En quelques heures, cinq gouvernorats (dont ceux de Naplouse, Jénine, Tubas et Tulkarem) et la moitié de la Cisjordanie étaient sous le coup de l'invasion militaire : au moins douze Palestiniens avaient été assassinés (dix-sept 24 heures après), victimes de bombardements aériens sur leurs maisons ou véhicules, ou de tireurs d'élite.

Cibles prioritaires : les camps de réfugiés où la résistance à l'occupation est particulièrement active. En quelques heures ce sont les camps de Balata et New Askar à Naplouse mais surtout de Jénine, de Nour Shams à Tulkarem et de Al-Far'a à Tubas qui ont subi les attaques les plus violentes avec des assassinats ciblés, la destruction des infrastructures des camps, arrestation et interrogatoires de masse, fouilles des maisons, blocage des hôpitaux et des centres de soins, détention des personnels médicaux, rupture des communications du Croissant rouge, appel aux habitants à quitter leurs maisons.

Il est clair que dans l'esprit du gouvernement israélien, le génocide en cours depuis le 7 octobre à Gaza ne se limitera pas à la bande de Gaza. Israël ne fait pas la guerre au Hamas, il fait la guerre à tout le peuple palestinien. Il est clair qu'il s'agit ici du prélude à une opération beaucoup plus vaste dont l'objectif est l'annexion définitive de la Cisjordanie.

En s'en prenant prioritairement aux foyers de résistance que sont les camps de réfugiés, c'est une tentative de soumission de la Cisjordanie que vise Israël. C'est mal connaître la détermination du peuple palestinien qui n'aura de cesse de faire valoir son droit à l'autodétermination.

Rappelons que la Cisjordanie est un territoire occupé et qu'Israël, puissance occupante, en vertu de la quatrième convention de Genève doit assurer la sécurité de la population qu'elle occupe. Au lieu de cela, elle y impose un régime d'apartheid, y opère un nettoyage ethnique constant, des destructions massives et colonise toujours plus de terres. Rappelons également que la population palestinienne, vivant sous occupation militaire, a le droit de résister à cette occupation comme elle l'entend, dans le cadre du droit international.

Avec de plus en plus d'arrogance, Israël franchit toutes les lignes rouges les unes après les autres sans la moindre réaction de ses alliés. Les pays occidentaux portent une énorme responsabilité : par leur silence et leur inaction, par leur refus de sanctionner Israël, ils se rendent de fait complices des crimes de guerre israéliens, des crimes contre l'humanité, et de non prévention de génocide, ainsi que de l'occupation illégale de la Palestine. Il faut d'urgence contraindre cet État au respect du droit et apporter protection au peuple palestinien.

Le Bureau National de l'AFPS, le 29 août 2024

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Entre famine et épidémies, comment Israël accentue la crise humanitaire à Gaza

Au bout de dix mois d'une opération militaire et de frappes sur Gaza, l'ONU a dû suspendre pour la première fois ses activités, lundi 26 août, devant les ordres d'évacuation (…)

Au bout de dix mois d'une opération militaire et de frappes sur Gaza, l'ONU a dû suspendre pour la première fois ses activités, lundi 26 août, devant les ordres d'évacuation systématique émis par les forces israéliennes. Face aux cas de malnutrition, de famine et d'épidémies qui explosent, un cessez-le-feu immédiat est impératif.

Proposé par André Cloutier

Par Vadim Kamenka <https://www.humanite.fr/auteur/vadi...> , L'Humanité, France, le 27août 2024

www.humanite.fr/monde/aide-humanitaire/entre-famine-et-epidemies-comment-israel-accentue-la-crise-humanitaire-a-gaza <http://www.humanite.fr/monde/aide-h...>

Après dix mois de frappes israéliennes et d'opération militaire, les habitants de la bande de Gaza ont assisté à une suspension des opérations humanitaires de l'ONU, lundi soir. C'est la première fois depuis le 7 octobre que les Nations unies doivent s'y résoudre. Leur poste à Deir el-Balah, dans le centre du territoire, a été décrété « zone dangereuse de combats » par les forces israéliennes, entraînant l'évacuation de l'ensemble de leur personnel, des travailleurs humanitaires et des ONG.

« Cette décision remet en cause tout un centre humanitaire qui avait été mis en place à Deir el-Balah à la suite de l'évacuation de Rafah (sud) en mai dernier, et elle a un impact considérable sur notre capacité à fournir un soutien et des services essentiels », a déploré l'Ocha (bureau des affaires humanitaires de l'ONU).

*95 % de la population en insécurité alimentaire*

Près de 250 000 personnes sur les presque un million que compte actuellement la cité ont déjà fui vers l'ouest. Selon l'ONU, les 1,9 million de déplacés internes sur les 2,4 millions de Gazaouis tentent de se réfugier dans les 11 % du territoire échappant à toute évacuation forcée. Seize ordres israéliens ont déjà été lancés depuis le début du mois d'août.

Seules les équipes de l'Unrwa ( l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens ), qui sont déjà présentes dans les campements, peuvent encore aider un peu les civils. Mais cette aide représente « une demi-goutte d'eau dans l'océan », a dénoncé Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU, face au désastre humanitaire et sanitaire. 95 % de la population est en insécurité alimentaire aiguë. 70 % des infrastructures ont été détruites. Plus de 40 000 Palestiniens ont été tués, dont la majorité sont des femmes et des mineurs.

*Le risque d'une épidémie de polio*

Le seul moyen de répondre de manière globale aux besoins humanitaires et de protection est d'instaurer un cessez-le-feu immédiat et durable. D'autres problèmes sanitaires sont également soulevés par Handicap International. L'ONG alerte sur le risque d'épidémie de polio dans l'enclave palestinienne, qui ne dispose plus que de 1 400 lits d'hôpital pour 2,1 millions de personnes. Si l'infection vise principalement les enfants de moins de 5 ans, elle touche toute personne non vaccinée.

L'organisation pointe dans la réapparition de la poliomyélite « le résultat de la paralysie du secteur de la santé, de la destruction systématique par Israël des infrastructures d'approvisionnement en eau et d'assainissement, aggravée par les restrictions imposées aux réparations et à l'accès aux approvisionnements ».

Pour les enfants, le stress de cette épidémie, qui s'ajoute à tout ce qu'ils ont déjà vécu, ne manquera pas d'exacerber les troubles mentaux existants, note également Handicap. De leur côté, l'OMS et l'Unicef réclament une pause humanitaire afin de permettre la tenue de deux séries de campagnes de vaccination pour 640 000 enfants de moins de 10 ans.

À ces atrocités s'ajoute une enquête publiée ce mardi par Amnesty International, qui révèle deux nouveaux crimes de guerre commis par les forces israéliennes en mai sur Rafah. Une première frappe a visé, le 26 mai, le « camp de la paix koweïtien » pour personnes déplacées à Tal al-Sultan, dans l'ouest de la ville, faisant au moins 36 morts et des centaines de blessés, principalement des civils. Une autre, le 28 mai, dans le quartier d'Al-Mawasi, pourtant désigné par Tel-Aviv comme faisant partie de la « zone humanitaire », a tué 23 civils, dont 12 enfants, sept femmes et quatre hommes.

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En tant qu’ancien soldat de l’armée israélienne et historien du génocide, j’ai été profondément troublé par ma récente visite en Israël

Cet été, des étudiants d'extrême droite ont protesté contre l'une de mes conférences. Leur rhétorique rappelait certains des moments les plus sombres de l'histoire du XXe (…)

Cet été, des étudiants d'extrême droite ont protesté contre l'une de mes conférences. Leur rhétorique rappelait certains des moments les plus sombres de l'histoire du XXe siècle et recoupait de manière choquante les opinions de la majorité israélienne.

Tiré du quotidien The Guardian (en anglais). Traduction française par l'Association France Palestine Solidarité. Photo : © UNICEF/UNI580047/El Baba

Le 19 juin 2024, je devais donner une conférence à l'Université Ben-Gourion du Néguev (BGU) à Be'er Sheva, en Israël. Ma conférence faisait partie d'un événement sur les manifestations universitaires mondiales contre Israël, et j'avais prévu d'aborder la guerre à Gaza et, plus généralement, la question de savoir si les manifestations étaient des expressions sincères d'indignation ou si elles étaient motivées par l'antisémitisme, comme certains l'ont prétendu. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.

Lorsque je suis arrivé à l'entrée de l'amphithéâtre, j'ai vu un groupe d'étudiants se rassembler. Il s'est rapidement avéré qu'ils n'étaient pas là pour assister à l'événement, mais pour protester contre celui-ci. Les étudiants avaient été convoqués, semble-t-il, par un message WhatsApp diffusé la veille, qui signalait la conférence et appelait à l'action : "Nous ne le permettrons pas ! Jusqu'à quand allons-nous nous trahir nous-mêmes ?!?!?!?!!"Le message poursuivait en alléguant que j'avais signé une pétition décrivant Israël comme un "régime d'apartheid" (en fait, la pétition faisait référence à un régime d'apartheid en Cisjordanie). J'étais aussi "accusé" d'avoir écrit un article pour le New York Times, en novembre 2023, dans lequel je déclarais que, bien que les déclarations des dirigeants israéliens suggéraient une intention génocidaire, il était encore temps d'empêcher Israël de perpétrer un génocide. Sur ce point, j'étais coupable.

L'organisateur de l'événement, l'éminent géographe Oren Yiftachel, était critiqué de la même maniéré. Parmi ses crimes, avoir été directeur de l'organisation "antisioniste" B'Tselem, une ONG de défense des droits de l'homme respectée dans le monde entier.Alors que les participants à la table ronde et une poignée de professeurs, pour la plupart âgés, pénétraient dans la salle, les agents de sécurité empêchèrent les étudiants protestataires d'entrer. Mais ils ne les ont pas empêchés de garder la porte de l'amphithéâtre ouverte, de lancer des slogans dans un porte-voix et de frapper de toutes leurs forces sur les murs.

Après plus d'une heure de perturbations, nous avons convenu que la meilleure solution serait peut-être de demander aux étudiants protestataires de se joindre à nous pour une conversation, à condition qu'ils cessent de perturber la conférence. Un bon nombre de ces militants ont fini par entrer et, pendant les deux heures qui ont suivi, nous nous sommes assis et avons discuté. Il s'est avéré que la plupart de ces jeunes hommes et femmes venaient de rentrer du service de réserve, au cours duquel ils avaient été déployés dans la bande de Gaza.Cela n'a pas été un échange de vues amical ou "positif", mais il était révélateur. Ces étudiants n'étaient pas nécessairement représentatifs du corps étudiant en Israël dans son ensemble.

C'étaient des militaient d'organisations d'extrême droite. Mais a bien des égards, ce qu'ils disaient reflétait un sentiment beaucoup plus répandu dans le pays.
Je ne m'étais pas rendu en Israël depuis juin 2023, et lors de cette récente visite, j'ai trouvé un pays différent de celui que j'avais connu. Bien que j'aie travaillé à l'étranger pendant de nombreuses années, c'est en Israël que je suis né et que j'ai grandi. C'est là que mes parents ont vécu et sont enterrés ; c'est là que mon fils a fondé sa propre famille et que vivent la plupart de mes amis les plus anciens et les meilleurs. Connaissant le pays de l'intérieur et ayant suivi les événements encore plus attentivement que d'habitude depuis le 7 octobre, je n'ai pas été entièrement surpris par ce que j'ai rencontré à mon retour, mais c'était tout de même profondément troublant.

Pour réfléchir sur ces questions, je ne peux que m'appuyer sur mon parcours personnel et professionnel. J'ai servi dans les forces de défense israéliennes (FDI) pendant quatre ans, y compris lors de la guerre du Kippour de 1973 et d'affectations en Cisjordanie, dans le nord du Sinaï et à Gaza, et j'ai terminé mon service en tant que commandant de compagnie d'infanterie. Pendant mon séjour à Gaza, j'ai vu de mes yeux la pauvreté et le désespoir des réfugiés palestiniens essayant de survivre dans des quartiers encombrés et décrépits. Je me souviens comme si c'était hier avoir patrouillé dans les rues silencieuses et sans ombre de la ville égyptienne d'Arīsh - qui était alors occupée par Israël -, transpercé par les regards de la population craintive et rancunière qui nous observait depuis leurs fenêtres fermées. Pour la première fois, j'ai compris ce que signifiait occuper un autre peuple.

Le service militaire est obligatoire pour les Israéliens juifs à partir de 18 ans - bien qu'il y ait quelques exceptions - mais, ensuite, vous pouvez encore être appelé à servir à nouveau dans les FDI, pour des tâches d'entraînement ou opérationnelles, ou en cas d'urgence comme une guerre. Lorsque j'ai été appelé en 1976, j'étais étudiant à l'université de Tel Aviv. Lors de ce premier déploiement en tant qu'officier de réserve, j'ai été gravement blessé dans un accident d'entraînement, ainsi qu'une vingtaine de mes soldats. Les FDI ont dissimulé les circonstances de cet événement, causé par la négligence du commandant de la base d'entraînement. J'ai passé la majeure partie de ce premier semestre à l'hôpital de Be'er Sheva, mais j'ai repris mes études et obtenu mon diplôme en 1979 avec une spécialisation en histoire.

Ces expériences personnelles m'ont amené à m'intéresser d'autant plus à une question qui me préoccupait depuis longtemps : qu'est-ce qui motive les soldats à se battre ? Dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, de nombreux sociologues américains ont soutenu que les soldats se battaient avant tout les uns pour les autres, plutôt que pour un objectif idéologique plus important. Mais cela ne correspondait pas tout à fait à ce que j'avais vécu en tant que soldat : nous étions convaincus que nous étions là pour une cause plus vaste qui dépassait notre propre groupe de copains. A l'époque où j'ai obtenu mon diplôme de premier cycle, j'ai également commencé à me demander si, au nom de cette cause, les soldats pouvaient être amenés à agir d'une manière qu'autrement ils jugeraient répréhensible.

Considérant le cas le plus extrême, j'ai écrit ma thèse de doctorat à Oxford, publiée plus tard sous forme de livre, sur l'endoctrinement nazi de l'armée allemande et les crimes qu'elle a perpétrés sur le front de l'Est au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce que j'ai découvert allait à l'encontre de la manière dont les Allemands des années 1980 comprenaient leur passé. Ils préféraient penser que l'armée avait mené une guerre "décente", même si la Gestapo et les SS avaient perpétré un génocide "dans son dos". Il a fallu de nombreuses années aux Allemands pour réaliser à quel point leurs propres pères et grands-pères avaient été complices de l'Holocauste et du massacre de nombreux autres groupes en Europe de l'Est et en Union soviétique.

Lorsque la première intifada palestinienne, ou soulèvement, a éclaté à la fin de 1987, j'enseignais à l'université de Tel-Aviv. J'ai été consterné par les instructions données par Yitzhak Rabin, alors ministre de la défense, aux FDI de "casser les bras et les jambes" des jeunes Palestiniens qui lançaient des pierres sur des troupes lourdement armées. Je lui ai écrit une lettre pour l'avertir que, sur la base de mes recherches sur l'endoctrinement des forces armées de l'Allemagne nazie, je craignais que, sous sa direction, les FDI ne s'engagent sur une voie également glissante.

Comme mes recherches l'avaient montré, avant même leur conscription, les jeunes Allemands avaient intériorisé des éléments fondamentaux de l'idéologie nazie, en particulier l'idée que les masses slaves sous-humaines, dirigées par d'insidieux Juifs bolcheviques, menaçaient l'Allemagne et le reste du monde civilisé de destruction, et que l'Allemagne avait donc le droit et le devoir de se créer un "espace vital" à l'est et de décimer ou de réduire en esclavage la population de cette région. Cette vision du monde a ensuite été inculquée aux troupes, de sorte qu'au moment de marcher sur l'Union soviétique, elles perçoivent leurs ennemis à travers ce prisme. La résistance acharnée de l'Armée rouge n'a fait que confirmer la nécessité de détruire totalement les soldats aussi bien que les civils soviétiques, et plus particulièrement les Juifs, considérés comme les principaux instigateurs du bolchevisme. Plus elles détruisaient, plus les troupes allemandes craignaient la vengeance à laquelle elles pouvaient s'attendre si leurs ennemis l'emportaient. Le résultat fut le massacre de près de 30 millions de soldats et de citoyens soviétiques.

À mon grand étonnement, quelques jours après lui avoir écrit, j'ai reçu une réponse d'une ligne de Rabin, me reprochant d'avoir osé comparer les FDI à l'armée allemande. Cela m'a donné l'occasion de lui écrire une lettre plus détaillée, expliquant mes recherches et mon inquiétude quant à l'utilisation des FDI comme outil d'oppression contre des civils occupés non armés. Rabin a répondu une nouvelle fois, avec la même déclaration : "Comment osez-vous comparer les FDI à la Werhrmacht ? Mais rétrospectivement, je crois que cet échange a révélé quelque chose sur son parcours intellectuel ultérieur. En effet, comme nous le savons par son engagement ultérieur dans le processus de paix d'Oslo, aussi imparfait soit-il, il a fini par reconnaître qu'à long terme Israël ne pouvait pas supporter le prix militaire, politique et moral de l'occupation.

Depuis 1989, j'enseigne aux États-Unis. J'ai beaucoup écrit sur la guerre, le génocide, le nazisme, l'antisémitisme et l'Holocauste, cherchant à comprendre les liens entre le massacre industriel des soldats pendant la Première Guerre mondiale et l'extermination des populations civiles par le régime hitlérien. Entre autres projets, j'ai passé de nombreuses années à étudier la transformation de la ville natale de ma mère - Buchach en Pologne (aujourd'hui en Ukraine) - d'une communauté de coexistence interethnique en une communauté où, sous l'occupation nazie, les Gentils se sont retournée contre leurs voisins Juifs. Si les Allemands sont entrés dans la ville dans le but exprès d'assassiner ses Juifs, la rapidité et l'efficacité du massacre ont été grandement facilitées par la collaboration locale. Ces habitants étaient motivés par des ressentiments et des haines préexistants qui peuvent être attribués à la montée de l'ethno nationalisme au cours des décennies précédentes et à l'idée très répandue selon laquelle les Juifs n'appartenaient pas aux nouveaux États nations créés après la première guerre mondiale.

Dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, ce que j'ai appris au cours de ma vie et de ma carrière est devenu plus douloureusement pertinent que jamais. Comme beaucoup d'autres, j'ai trouvé ces derniers mois émotionnellement et intellectuellement éprouvants. Comme beaucoup d'autres, des membres de ma propre famille et de celle de mes amis ont également été directement touchés par la violence. Le chagrin ne manque pas, quel que soit l'endroit où l'on se trouve.

L'attaque du Hamas du 7 octobre a été un choc terrible pour la société israélienne, dont elle n'a pas encore commencé à se remettre. C'était la première fois qu'Israël perdait le contrôle d'une partie de son territoire pendant une période prolongée, avec les FDI incapables d'empêcher le massacre de plus de 1 200 personnes - dont beaucoup ont été tuées de la manière la plus cruelle que l'on puisse imaginer - et la prise de bien plus de 200 otages, parmi lesquels de nombreux enfants. Le sentiment d'abandon par l'État et d'insécurité permanente - avec des dizaines de milliers de citoyens israéliens toujours déplacés de leurs maisons le long de la bande de Gaza et de la frontière libanaise - est profond.

Aujourd'hui, dans une grande partie de l'opinion publique israélienne, y compris chez les opposants au gouvernement, deux sentiments dominent.

Le premier est un mélange de rage et de peur, un désir de rétablir la sécurité à tout prix et une méfiance totale à l'égard des solutions politiques, des négociations et de la réconciliation. Le théoricien militaire Carl von Clausewitz notait que la guerre était le prolongement de la politique par d'autres moyens, et avertissait que sans objectif politique défini, elle conduirait à une destruction sans limite. Le sentiment qui prévaut actuellement en Israël menace également de faire de la guerre sa propre fin. Dans cette optique, la politique est un obstacle à la réalisation des objectifs plutôt qu'un moyen de limiter la destruction. C'est une vision qui ne peut que conduire à l'auto-anéantissement.

Le deuxième sentiment dominant - ou plutôt l'absence de sentiment - est le revers du premier. Il s'agit de l'incapacité totale de la société israélienne aujourd'hui à ressentir une quelconque empathie pour la population de Gaza. La majorité, semble-t-il, ne veut même pas savoir ce qui se passe à Gaza, et ce désir se reflète dans la couverture télévisée. Ces jours-ci, les informations télévisées israéliennes commencent généralement par des reportages sur les funérailles des soldats, invariablement décrits comme des héros, tombés dans les combats à Gaza, suivis par des estimations du nombre de combattants du Hamas qui ont été "liquidés". Les références aux morts de civils palestiniens sont rares et normalement présentées comme faisant partie de la propagande ennemie ou comme une cause de pression internationale malvenue. Face à tant de morts, ce silence assourdissant apparaît aujourd'hui comme une forme de vengeance.

Bien sûr, le public israélien s'est habitué depuis longtemps à l'occupation brutale qui a caractérisé le pays pendant 57 des 76 années de son existence. Mais l'ampleur des actes perpétrés actuellement à Gaza par les FDI est sans précédent, tout comme l'indifférence totale de la plupart des Israéliens à l'égard de ce qui est fait en leur nom. En 1982, des centaines de milliers d'Israéliens ont protesté contre le massacre de la population palestinienne dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, à l'ouest de Beyrouth, par les milices chrétiennes maronites, avec l'aide des FDI. Aujourd'hui, une telle réaction est inconcevable. La façon dont le regard des gens devient vitreux dès que l'on évoque les souffrances des civils palestiniens et la mort de milliers d'enfants, de femmes et de personnes âgées est profondément troublante.

En rencontrant mes amis en Israël cette fois-ci, j'ai souvent eu l'impression qu'ils avaient peur que je perturbe leur chagrin et que, n'habitant pas le pays, je ne pouvais pas comprendre leur douleur, leur anxiété, leur perplexité et leur impuissance. Toute suggestion selon laquelle le fait de vivre dans le pays les avait anesthésiés face à la douleur des autres - douleur qui, après tout, était infligée en leur nom - n'entraînait qu'un mur de silence, un repli sur soi ou un changement rapide de sujet. L'impression que j'ai eue était constante : nous n'avons pas de place dans nos cœurs, nous n'avons pas de place dans nos pensées, nous ne voulons pas parler de ce que nos propres soldats, nos enfants ou petits-enfants, nos frères et sœurs, font en ce moment même à Gaza, ni qu'on nous le montre. Nous devons nous concentrer sur nous-mêmes, sur nos traumatismes, nos peurs et nos colères.

Dans une interview réalisée le 7 mars 2024, l'écrivain, agriculteur et scientifique Zeev Smilansky a exprimé ce sentiment d'une manière que j'ai trouvée choquante, précisément parce qu'elle venait de lui. Je connais Smilansky depuis plus d'un demi-siècle, et il est le fils du célèbre auteur israélien S Yizhar, dont la nouvelle Khirbet Khizeh de 1949 a été le tout premier texte de la littérature israélienne à affronter l'injustice de la Nakba, l'expulsion de 750 000 Palestiniens de ce qui est devenu l'État d'Israël en 1948. Parlant de son propre fils, Offer, qui vit à Bruxelles, Smilansky a commenté :
« Offer dit que pour lui, chaque enfant est un enfant, qu'il soit à Gaza ou ici. Je ne pense pas comme lui. Nos enfants ici sont plus importants pour moi. Il y a une catastrophe humanitaire choquante là-bas, je le comprends, mais mon cœur est bloqué et rempli de nos enfants et de nos otages... Il n'y a pas de place dans mon cœur pour les enfants de Gaza, si choquant et terrifiant que ce soit et bien que je sache que la guerre n'est pas la solution.

J'écoute Maoz Inon, qui a perdu ses deux parents [assassinés par le Hamas le 7 octobre] ... et qui parle avec tant de beauté et de persuasion de la nécessité de regarder vers l'avenir, d'apporter de l'espoir et de vouloir la paix, parce que les guerres ne mèneront à rien, et je suis d'accord avec lui. Je suis d'accord avec lui, mais je ne peux pas trouver la force dans mon cœur, malgré tous mes penchants de gauche et mon amour pour l'humanité, je ne peux pas... Ce n'est pas seulement le Hamas, ce sont tous les habitants de Gaza qui sont d'accord pour tuer des enfants juifs, pour dire que c'est une bonne cause... Avec l'Allemagne, il y a eu une réconciliation, mais ils se sont excusés et ont payé des réparations, et que va-t-il se passer ici ? Nous aussi, nous avons fait des choses terribles, mais rien de comparable à ce qui s'est passé ici le 7 octobre. Il sera nécessaire de se réconcilier, mais nous avons besoin d'une certaine distance. »

C'était un sentiment omniprésent chez de nombreux amis et connaissances libéraux et de gauche avec lesquels j'ai parlé en Israël. Il était, bien sûr, très différent de ce que les politiciens de droite et les figures médiatiques ont dit depuis le 7 octobre. Beaucoup de mes amis reconnaissent l'injustice de l'occupation et, comme l'a dit Smilansky, professent un "amour pour l'humanité". Mais en ce moment, dans ces circonstances, ce n'est pas sur cela qu'ils sont concentrés. Au contraire, ils estiment que dans la lutte entre la justice et l'existence, c'est l'existence qui doit l'emporter, et dans la lutte entre une cause juste et une autre - celle des Israéliens et celle des Palestiniens - c'est notre propre cause qui doit triompher, quel qu'en soit le prix. À ceux qui doutent de ce choix extrême, l'Holocauste est présenté comme l'alternative, bien qu'il soit totalement sans rapport avec le moment présent.

Ce sentiment n'est pas apparu soudainement le 7 octobre. Ses racines sont bien plus profondes.

Le 30 avril 1956, Moshe Dayan, alors chef d'état-major des FDI, prononçait un bref discours qui devait devenir l'un des plus célèbres de l'histoire d'Israël. Il s'adressait aux amis du défunt lors des funérailles de Ro'i Rothberg, un jeune agent de sécurité du tout nouveau kibboutz Nahal Oz, créé par les FDI en 1951 et devenu une communauté civile deux ans plus tard. Le kibboutz était situé à quelques centaines de mètres de la frontière avec la bande de Gaza, face au quartier palestinien de Shuja'iyya.

Rothberg avait été tué la veille et son corps avait été traîné de l'autre côté de la frontière et mutilé, avant d'être rendu aux Israéliens avec l'aide des Nations unies. Le discours de Dayan est devenu une déclaration emblématique, utilisée à la fois par la droite et la gauche politiques jusqu'à ce jour :
« Hier matin, Ro'i a été assassiné. Ebloui par le calme du matin, il n'a pas vu ceux qui l'attendaient en embuscade au bord du sillon. Ne jetons pas aujourd'hui l'opprobre sur les assassins. Pourquoi leur reprocher la haine brûlante qu'ils nous vouent ? Depuis huit ans, ils vivent dans les camps de réfugiés de Gaza, alors que sous leurs yeux, nous avons transformé en notre propriété la terre et les villages dans lesquels eux et leurs ancêtres avaient vécu.

Nous ne devrions pas rechercher le sang de Ro'i sur les arabes de Gaza, mais sur nous-mêmes. Comment avons-nous pu fermer les yeux et n'avoir pas franchement affronté notre destin, pas affronté la mission de notre génération dans toute sa cruauté ? Avons-nous oublié que ce groupe de garçons, qui vit à Nahal Oz, porte sur ses épaules les lourdes portes de Gaza, de l'autre côté desquelles se pressent des centaines de milliers d'yeux et de mains qui prient pour un moment de faiblesse de notre part, afin de pouvoir nous mettre en pièces - l'avons-nous oublié ?

Nous sommes la génération de la colonisation ; sans un casque d'acier et la bouche du canon, nous ne pourrons pas planter un arbre ni construire une maison. Nos enfants n'auront pas de vie si nous ne creusons pas des abris, et sans fils barbelés et mitrailleuses, nous ne pourrons pas paver des routes et creuser des puits. Des millions de Juifs qui ont été exterminés parce qu'ils n'avaient pas de terre nous regardent depuis les cendres de l'histoire d'Israël et nous ordonnent de nous installer et de ressusciter une terre pour notre peuple. Mais au-delà du sillon frontalier se lèvent un océan de haine et un ardent désir de vengeance, attendant le moment où le calme émoussera notre réactivité, le jour où nous écouterons les ambassadeurs de l'hypocrisie conspiratrice, qui nous appellent à déposer les armes...

Ne refusons pas de voir la haine qui accompagne et remplit la vie de centaines de milliers d'Arabes qui vivent autour de nous et attendent le moment où ils pourront atteindre notre sang. Ne détournons pas les yeux de peur que nos mains ne s'affaiblissent. Tel est le destin de notre génération. C'est le choix de notre vie : être prêts, armés, forts, et durs. Car si l'épée tombe de notre poing, nos vies seront fauchées. »

Le lendemain, Dayan enregistra son discours pour la radio israélienne. Mais quelque chose manquait. Disparue la référence aux réfugiés qui regardent les Juifs cultiver les terres dont ils ont été expulsés et qui ne devraient pas être blâmés pour leur haine envers leurs dépossesseurs. Bien qu'il ait prononcé ces lignes lors des funérailles et qu'il les ait ensuite écrites, Dayan a choisi de les omettre dans la version enregistrée. Lui aussi avait connu cette terre avant 1948. Il se souvenait des villages et des villes palestiniens qui avaient été détruits pour faire place aux colons juifs. Il comprenait parfaitement la rage des réfugiés de l'autre côté de la barrière. Mais il croyait aussi fermement au droit et à la nécessité urgente d'une implantation juive et de la création d'un État. Dans la lutte entre s'occuper de l'injustice et s'approprier la terre, il a choisi son camp, sachant que cela condamnait son peuple à dépendre à jamais du fusil. Dayan savait également ce que l'opinion publique israélienne pouvait accepter. C'était en raison de son ambivalence quant à la culpabilité et à la responsabilité concernant l'injustice et la violence, et de sa vision déterministe et tragique de l'histoire, que les deux versions de son discours ont fini par plaire à des orientations politiques très différentes.

Des décennies plus tard, après de nombreuses autres guerres et des rivières de sang, Dayan intitula son dernier livre « Shall the Sword Devour Forever ? » (L'épée dévorera-t-elle à jamais ?) Publié en 1981, ce livre détaillait son rôle dans la conclusion d'un accord de paix avec l'Égypte deux ans plus tôt. Il avait enfin compris la vérité de la deuxième partie du verset biblique dont il a tiré le titre de son livre : " Ne sais-tu pas qu'il y aura de l'amertume à la fin des fins ?".

Mais dans son discours de 1956, avec ses références au port des lourdes portes de Gaza et aux Palestiniens qui attendent un moment de faiblesse, Dayan faisait allusion à l'histoire biblique de Samson. Comme ses auditeurs s'en souviendraient sans doute, Samson l'Israélite, dont la force surhumaine provenait de ses longs cheveux, avait l'habitude de rendre visite à des prostituées à Gaza. Les Philistins, qui le considéraient comme leur ennemi mortel, espéraient lui tendre une embuscade contre les portes verrouillées de la ville. Mais Samson souleva simplement les portes sur ses épaules et partit libre. Ce n'est que lorsque sa maîtresse Dalila le trompa et lui coupa les cheveux que les Philistins purent le capturer et l'emprisonner, le rendant encore plus impuissant en lui crevant les yeux (comme l'auraient fait les Gazaouis qui ont mutilé Ro'i). Mais dans un dernier acte de bravoure, alors que ses geôliers se moquent de lui, Samson appelle Dieu à l'aide, saisit les piliers du temple vers lequel on l'avait conduit, et le fait s'effondrer sur la foule joyeuse qui l'entoure en criant : "Que je meure avec les Philistins !".

Ces portes de Gaza sont profondément ancrées dans l'imaginaire sioniste israélien, un symbole du fossé qui nous sépare, nous et les "barbares". Dans le cas de Ro'i, Dayan affirmait "l'aspiration à la paix lui a bouché les oreilles et il n'a pas entendu la voix du meurtre qui attendait en embuscade. Les portes de Gaza ont pesé trop lourd sur ses épaules et l'ont fait tomber".

Le 8 octobre 2023, le président Isaac Herzog s'est adressé au public israélien en citant la dernière ligne du discours de Dayan : "C'est le destin de notre génération. C'est le choix de notre vie : être prêts, armés, forts et durs. Car si l'épée tombe de notre poing, nos vies seront fauchées". La veille, 67 ans après la mort de Ro'i, des militants du Hamas avaient assassiné 15 résidents du kibboutz Nahal Oz et pris huit otages. Depuis l'invasion israélienne de Gaza en représailles, le quartier palestinien de Shuja'iyya, qui fait face au kibboutz, et où vivaient 100 000 personnes, a été vidé de sa population et transformé en un vaste tas de décombres.

L'une des rares tentatives littéraires d'exposer la logique sinistre des guerres d'Israël est l'extraordinaire poème de 1971 d'Anadad Eldan, Samson déchirant ses vêtements, dans lequel cet ancien héros hébreu entre et sort de Gaza avec fracas, ne laissant que désolation sur ses traces. J'ai découvert ce poème grâce à l'excellent essai en hébreu d'Arie Dubnov, « The Gates of Gaza » (Les portes de Gaza ), publié en janvier 2024. Samson, le héros, le prophète, le vainqueur de l'ennemi éternel de la nation, est transformé en son ange de la mort, une mort que, comme on s'en souvient, il finit par s'infliger à lui-même dans une action suicidaire grandiose qui a résonné à travers les générations jusqu'à aujourd'hui.

« Lorsque je me suis rendu
à Gaza, j'ai rencontré
Samson qui sortait en déchirant ses vêtements
sur son visage égratigné coulaient des rivières
et les maisons s'inclinaient pour le laisser
passer
ses douleurs déracinaient les arbres et se prenaient dans les
enchevêtrement
des racines. Dans les racines se trouvaient des mèches de ses
cheveux.
Sa tête brillait comme un crâne de pierre
et ses pas hésitants faisaient monter mes larmes.
Samson marchait en traînant un soleil fatigué
les vitres brisées et les chaînes dans la mer de Gaza
se sont noyées. J'ai entendu comment
la terre gémissait sous ses pas,
comment il l'a étripée. Les chaussures
de Samson crissaient quand il marchait. »

Né en Pologne en 1924 sous le nom d'Avraham Bleiberg, Eldan est arrivé enfant en Palestine, a participé à la guerre de 1948 et s'est installé en 1960 dans le kibboutz Be'eri, à environ 4 km de la bande de Gaza. Le 7 octobre 2023, Eldan, âgé de 99 ans, et sa femme ont survécu au massacre d'une centaine d'habitants du kibboutz, lorsque les activistes qui sont entrés dans leur maison les ont inexplicablement épargnés.
Après le 7 octobre, dans le sillage de la survie miraculeuse de cet obscur poète, une autre de ses œuvres a été largement diffusée sur les médias israéliens. Car il semblait qu'Eldan, chroniqueur de longue date du chagrin et de la douleur engendrés par l'oppression et l'injustice, avait prédit la catastrophe qui s'est abattue sur sa maison. En 2016, il avait publié un recueil de poèmes intitulé « Six the Hour of Dawn » (Six heures, l'heure de l'aube). C'est à cette heure-là que l'attaque du Hamas a commencée. Le livre contient le poème poignant « On the Walls of Be'eri » (Sur les murs de Be'eri) , qui pleure la mort de sa fille des suites d'une maladie (en hébreu, le nom du kibboutz signifie également "mon puits").

Dans le sillage du 7 octobre, le poème semble sinistrement annoncer la destruction et transmettre une certaine vision du sionisme, qui trouve son origine dans la catastrophe et le désespoir de la diaspora, amenant la nation sur une terre maudite où les enfants sont enterrés par leurs parents, tout en gardant l'espoir d'une aube nouvelle et porteuse d'espoir :
" Sur les murs de Be'eri, j'ai écrit son histoire
des origines et des profondeurs effilochée par le froid
quand ils ont lu ce qui se passait dans la douleur et que ses lumières
sont tombées dans la brume et l'obscurité de la nuit et un hurlement a engendré une
prière, car ses enfants sont tombés et une porte est fermée
pour la grâce du ciel, ils respirent la désolation et le chagrin
qui consolera les parents inconsolables, car une malédiction
murmure qu'il n'y aura ni rosée ni pluie, vous pouvez pleurer si vous en êtes capables.

il y a un temps où l'obscurité gronde mais il y a l'aube et l'éclat "
Comme l'éloge funèbre de Dayan pour Ro'i, Sur les murs de Be'eri a une signification différente selon les personnes. Faut-il y voir une complainte pour la destruction d'un kibboutz beau et innocent dans le désert, ou un cri de douleur face à l'interminable vendetta sanglante entre les deux peuples de cette terre ? Le poète ne nous a en pas donné le sens, comme c'est le cas pour les poètes. Après tout, il a écrit ce texte il y a des années, en pleurant sa fille bien-aimée. Mais compte tenu de ses nombreuses années de travail silencieux, précis et virulent, il ne semble pas fantaisiste de penser que ce poème était un appel à la réconciliation et à la coexistence, plutôt qu'à de nouveaux cycles d'effusion de sang et de vengeance.

Il se trouve que j'ai un lien personnel avec le kibboutz de Be'eri. C'est là que ma belle-fille a grandi, et mon voyage en Israël en juin était principalement destiné à rendre visite aux jumeaux - mes petits-enfants - qu'elle a mis au monde en janvier 2024. Le kibboutz, cependant, avait été abandonné. Mon fils, ma belle-fille et leurs enfants avaient emménagé dans un appartement vacant à proximité, avec une famille de survivants - des parents proches, dont le père est toujours retenu en otage - ce qui constituait une combinaison inimaginable de vie nouvelle et de chagrin inconsolable au sein d'un même foyer.

Outre voir ma famille, j'étais aussi venu en Israël pour rencontrer des amis. J'espérais comprendre ce qui s'était passé dans le pays depuis le début de la guerre. La conférence avortée à la BGU ne figurait pas en tête de mon agenda. Mais une fois arrivé à l'amphithéâtre en ce jour de mi-juin, j'ai rapidement compris que cette situation explosive pouvait également fournir des indices pour comprendre la mentalité d'une jeune génération d'étudiants et de soldats.

Après nous être assis et avoir commencé à parler, il m'est apparu clairement que les étudiants voulaient être entendus, et que personne, peut-être même leurs propres professeurs et administrateurs d'université, n'était intéressé à les écouter. Ma présence et leur connaissance vague de mes critiques à l'égard de la guerre ont déclenché chez eux le besoin de m'expliquer, mais peut-être aussi de s'expliquer à eux-mêmes, ce dans quoi ils s'étaient engagés en tant que soldats et en tant que citoyens.

Une jeune femme, récemment revenue d'un long service militaire à Gaza, est montée sur scène et a parlé avec force des amis qu'elle avait perdus, de la nature diabolique du Hamas et du fait qu'elle et ses camarades se sacrifiaient pour assurer la sécurité future du pays. Profondément bouleversée, elle s'est mise à pleurer au milieu de son discours et s'est retirée. Un jeune homme, calme, clair et précis, a rejeté ma suggestion selon laquelle la critique des politiques israéliennes n'était pas nécessairement motivée par l'antisémitisme. Il s'est ensuite lancé dans un bref survol de l'histoire du sionisme en tant que réponse à l'antisémitisme et en tant que voie politique qu'aucun Gentil n'avait le droit de refuser. Bien qu'ils aient été contrariés par mes opinions et agités par leurs propres expériences récentes à Gaza, les opinions exprimées par les étudiants n'avaient rien d'exceptionnel. Elles reflétaient des pans bien plus larges de l'opinion publique en Israël.

Sachant que j'avais dans le passé mis en garde contre le génocide, les étudiants étaient particulièrement désireux de me montrer qu'ils étaient humains, qu'ils n'étaient pas des meurtriers. Ils n'avaient aucun doute sur le fait que les FDI étaient, en fait, l'armée la plus morale au monde. Mais ils étaient également convaincus que les dommages causés aux personnes et aux bâtiments de Gaza étaient totalement justifiés, que tout était la faute du fait que le Hamas les utilisait comme boucliers humains.

Ils m'ont montré des photos de leurs téléphones prouvant qu'ils s'étaient comportés de manière admirable avec les enfants, ont nié qu'il y avait de la faim à Gaza, ont insisté sur le fait que la destruction systématique des écoles, des universités, des hôpitaux, des bâtiments publics, des résidences et des infrastructures était nécessaire et justifiable. Ils considèraient toute critique des politiques israéliennes par d'autres pays et par les Nations unies comme tout simplement antisémite.

Contrairement à la majorité des Israéliens, ces jeunes avaient vu de leurs propres yeux la destruction de Gaza. Il m'a semblé qu'ils avaient non seulement intériorisé un point de vue particulier devenu courant en Israël - à savoir que la destruction de Gaza en tant que telle était une réponse légitime au 7 octobre - mais qu'ils avaient également développé un mode de pensée que j'avais observé il y a de nombreuses années en étudiant le comportement, la vision du monde et la perception de soi des soldats de l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Ayant intériorisé certaines conceptions de l'ennemi - les bolcheviks comme des Untermenschen, le Hamas comme des animaux humains - et de la population en général comme moins qu'humaine et ne méritant pas de droits, les soldats qui observent ou commettent des atrocités ont tendance à les attribuer non pas à leur propre armée, ni à eux-mêmes, mais à l'ennemi.

Des milliers d'enfants ont été tués ? C'est la faute de l'ennemi. Nos propres enfants ont été tués ? C'est certainement la faute de l'ennemi. Si le Hamas commet un massacre dans un kibboutz, ce sont des nazis. Si nous larguons des bombes de 2 000 livres sur des abris de réfugiés et que nous tuons des centaines de civils, c'est la faute du Hamas qui s'est caché près de ces abris. Après ce qu'ils nous ont fait, nous n'avons pas d'autre choix que de les déraciner. Après ce que nous leur avons fait, nous ne pouvons qu'imaginer ce qu'ils nous feraient si nous ne les détruisions pas. Nous n'avons tout simplement pas le choix.

À la mi-juillet 1941, quelques semaines après le lancement par l'Allemagne de ce que Hitler avait proclamé être une "guerre d'anéantissement" contre l'Union soviétique, un sous-officier allemand a écrit à son pays depuis le front de l'Est :
" Le peuple allemand a une grande dette envers notre Führer, car si ces bêtes, qui sont nos ennemis ici, étaient venues en Allemagne, il y aurait eu des meurtres tels que le monde n'en n'a jamais vus auparavant... Ce que nous avons vu... frise l'incroyable... Et quand on lit Der Stürmer [un journal nazi] et qu'on regarde les photos, ce n'est qu'une faible illustration de ce que nous voyons ici et des crimes commis ici par les Juifs" .
Un tract de propagande de l'armée publié en juin 1941 brosse un portrait tout aussi cauchemardesque des officiers politiques de l'Armée rouge, que de nombreux soldats ont rapidement perçu comme le reflet de la réalité :

" Quiconque a jamais regardé le visage d'un commissaire rouge sait à quoi ressemblent les bolcheviks. Ici, pas besoin d'expressions théoriques. Nous insulterions les animaux si nous décrivions ces hommes, pour la plupart juifs, comme des bêtes. Ils sont l'incarnation de la haine satanique et démente contre l'ensemble de la noble humanité... [Ils] auraient mis fin à toute vie digne de ce nom si cette éruption n'avait pas été endiguée au dernier moment. "

Deux jours après l'attaque du Hamas, le ministre de la défense Yoav Gallant a déclaré : "Nous combattons des animaux humains et nous devons agir en conséquence", ajoutant plus tard qu'Israël "détruirait un quartier après l'autre à Gaza". L'ancien premier ministre Naftali Bennett a confirmé : "Nous combattons des nazis". Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a exhorté les Israéliens à "se souvenir de ce qu'Amalek vous a fait", faisant allusion à l'appel biblique à exterminer les "hommes et les femmes, les enfants et les nourrissons" d'Amalek. Lors d'une interview à la radio, il a déclaré à propos du Hamas : "Je ne les appelle pas des animaux humains parce que ce serait insultant pour les animaux". Le vice-président de la Knesset, Nissim Vaturi, a écrit sur X que l'objectif d'Israël devrait être "d'effacer la bande de Gaza de la surface de la Terre". À la télévision israélienne, il a déclaré : "Il n'y a pas de personnes non impliquées... nous devons aller là-bas et tuer, tuer, tuer. Nous devons les tuer avant qu'ils ne nous tuent". Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a souligné dans un discours : "Le travail doit être achevé... Destruction totale. Effacez le souvenir d'Amalek de dessous les cieux". Avi Dichter, ministre de l'agriculture et ancien chef du service de renseignement Shin Bet, a parlé de "dérouler la Nakba de Gaza".

Un vétéran militaire israélien de 95 ans, dont le discours de motivation aux troupes des FDI qui se préparaient à l'invasion de Gaza les a exhortées à "effacer leur mémoire, leurs familles, mères et enfants", s'est vu remettre un certificat d'honneur par le président israélien Herzog pour avoir "donné un merveilleux exemple à des générations de soldats". Il n'est pas étonnant que d'innombrables messages aient été postés sur les réseaux sociaux par des soldats des FDI à Gaza, appelant à "tuer les Arabes", "brûler leurs mères" et "raser" Gaza. Aucune mesure disciplinaire n'a été prise par leurs commandants.

C'est la logique de la violence sans fin, une logique qui permet de détruire des populations entières et de se sentir totalement justifié à le faire. C'est une logique de victime - nous devons les tuer avant qu'ils ne nous tuent, comme ils l'ont fait auparavant - et rien ne donne plus de pouvoir à la violence qu'un sentiment légitime d'être une victime. Regardez ce qui nous est arrivé en 1918, disaient les soldats allemands en 1942, rappelant le mythe propagandiste du "coup de poignard dans le dos", qui attribuait la défaite catastrophique de l'Allemagne lors de la première guerre mondiale à la trahison des juifs et des communistes. « Regardez ce qui nous est arrivé pendant l'Holocauste, lorsque nous avons cru que d'autres viendraient à notre secour » s, disent les troupes des FDI en 2024, s'autorisant ainsi une destruction aveugle fondée sur une fausse analogie entre le Hamas et les nazis.

Les jeunes hommes et femmes avec qui j'ai parlé ce jour-là étaient remplis de rage, non pas tant contre moi - ils se sont un peu calmés lorsque j'ai mentionné mon propre service militaire - mais parce que, je pense, ils se sentaient trahis par tous ceux qui les entouraient. Trahis par les médias, qu'ils percevaient comme trop critiques, par les hauts gradés qu'ils jugeaient trop indulgents à l'égard des Palestiniens, par les hommes politiques qui n'avaient pas su prévenir le fiasco du 7 octobre, par l'incapacité des FDI à remporter une "victoire totale", par les intellectuels et la gauche qui les critiquaient injustement, par le gouvernement américain qui n'avait pas livré assez de munitions assez rapidement, et par tous ces hommes politiques européens hypocrites et ces étudiants antisémites qui protestaient contre leurs actions à Gaza. Ils semblaient craintifs, peu sûrs d'eux et désorientés, et certains d'entre eux souffraient probablement aussi du syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

Je leur ai raconté comment, en 1930, les nazis avaient démocratiquement pris le contrôle de l'association des étudiants allemands. Les étudiants de l'époque se sentaient trahis par la perte de la première guerre mondiale, la perte d'opportunités due à la crise économique et la perte de terres et de prestige à la suite de l'humiliant traité de paix de Versailles. Ils voulaient que l'Allemagne redevienne grande, et Hitler semblait en mesure de tenir cette promesse. Les ennemis intérieurs de l'Allemagne ont été écartés, son économie a prospéré, les autres nations ont recommencé à la craindre, puis elle est entrée en guerre, a conquis l'Europe et assassiné des millions de personnes.

Finalement, le pays a été complètement détruit. Je me suis demandé à haute voix si les quelques étudiants allemands qui avaient survécu à ces 15 années regrettaient leur décision de 1930 de soutenir le nazisme. Mais je ne pense pas que les jeunes hommes et femmes de la BGU aient compris les implications de ce que je leur ai raconté.

Les étudiants étaient à la fois effrayants et effrayés, et leur peur les rendait d'autant plus agressifs. Ce niveau de menace, ainsi qu'un certain degré de recouvrement des opinions, semble avoir suscité la crainte et l'obséquiosité envers leurs supérieurs, professeurs et administrateurs, qui ont montré une grande réticence à les sanctionner d'aucune manière. En même temps, une multitude de médias et de politiciens ont acclamé ces anges de la destruction, les qualifiant de héros juste avant de les enterrer et de tourner le dos à leurs familles endeuillées. Les soldats tombés au combat sont morts pour une bonne cause, dit-on aux familles. Mais personne ne prend le temps d'expliquer ce qu'est réellement cette cause, au-delà de la simple survie à travers toujours plus de violence.

Et donc, je me suis aussi senti désolé pour ces étudiants, qui n'étaient pas conscients de la façon dont ils avaient été manipulés. Mais j'ai quitté cette réunion plein d'inquiétude et de mauvais pressentiments.

Alors que je rentrais aux États-Unis à la fin du mois de juin, j'ai réfléchi à ce que j'avais vécu au cours de ces deux semaines désordonnées et troublantes. J'ai pris conscience du lien profond qui m'unissait au pays que j'avais quitté. Il ne s'agit pas seulement de ma relation avec ma famille et mes amis israéliens, mais aussi de la teneur particulière de la culture et de la société israéliennes, qui se caractérise par l'absence de distance ou de déférence. Cela peut être réconfortant et révélateur ; on peut, presque instantanément, se retrouver dans des conversations intenses, voire intimes, avec d'autres personnes dans la rue, dans un café, dans un bar.

Cependant, ce même aspect de la vie israélienne peut aussi être infiniment frustrant, car il y a si peu de respect pour les convenances sociales. Il existe presque un culte de la sincérité, une obligation de dire ce que l'on pense, quel que soit l'interlocuteur ou l'offense que cela peut causer. Cette attente commune crée à la fois un sentiment de solidarité et des limites à ne pas franchir. Lorsque vous êtes avec nous, nous sommes tous de la même famille. Si vous vous retournez contre nous ou si vous êtes de l'autre côté du fossé national, vous êtes exclu et vous pouvez vous attendre à ce que nous nous en prenions à vous.

C'est peut-être aussi la raison pour laquelle, cette fois-ci, pour la première fois, j'ai appréhendé de me rendre en Israël et pour laquelle une partie de moi était heureuse de partir. Le pays avait changé de manière visible et subtile, ce qui aurait pu élever une barrière entre moi, en tant qu'observateur de l'extérieur, et ceux qui sont restés une partie organique du pays.

Mais une autre partie de mon appréhension était liée au fait que ma vision de ce qui se passait à Gaza avait changé. Le 10 novembre 2023, j'ai écrit dans le New York Times : "En tant qu'historien du génocide, je pense qu'il n'y a aucune preuve qu'un génocide se déroule actuellement à Gaza, même s'il est très probable que des crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité, s'y produisent. [...] L'histoire nous apprend qu'il est crucial d'alerter sur les risques de génocide avant qu'ils ne se produisent, plutôt que de les condamner tardivement une fois qu'ils ont eu lieu. Je pense que nous avons encore du temps pour le faire".

Je ne le crois plus. Au moment où je me suis rendu en Israël, je m'étais convaincu qu'au moins depuis l'attaque des FDI à Rafah le 6 mai 2024, il n'était plus possible de nier qu'Israël était engagé dans des crimes de guerre systématiques, des crimes contre l'humanité et des actions génocidaires. Ce n'était pas seulement que cette attaque contre la dernière concentration de Gazaouis - dont la plupart déjà déplacés à plusieurs reprises par les FDI, qui les repoussaient à nouveau dans une soi-disant zone de sécurité - témoignait d'un mépris total pour les normes humanitaires. Elle indiquait aussi clairement que l'objectif ultime de toute cette entreprise, depuis le tout début, était de rendre toute la bande de Gaza inhabitable et d'affaiblir sa population à un point tel qu'elle s'éteindrait ou chercherait par tous les moyens possibles à fuir le territoire. En d'autres termes, la rhétorique des dirigeants israéliens depuis le 7 octobre se traduisait désormais dans la réalité, à savoir, comme le dit la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948, qu'Israël agit "dans l'intention de détruire, en tout ou en partie", la population palestinienne de Gaza "en tant que telle, en la tuant, en lui infligeant des blessures graves ou en lui imposant des conditions d'existence qui visent à entraîner sa destruction".

Depuis mon retour, j'essaie de replacer mes expériences dans un contexte plus large. La réalité sur le terrain est si dévastatrice et l'avenir semble si sombre que je me suis laissé aller à une histoire contre-factuelle et à des spéculations pleines d'espoir sur un avenir différent. Je me demande ce qui se serait passé si l'État d'Israël nouvellement créé avait respecté son engagement d'adopter une constitution basée sur sa déclaration d'indépendance. Cette même déclaration qui affirmait qu'Israël "sera fondé sur la liberté, la justice et la paix, comme l'ont envisagé les prophètes d'Israël ; il assurera l'égalité complète des droits sociaux et politiques à tous ses habitants, sans distinction de religion, de race ou de sexe ; il garantira la liberté de religion, de conscience, de langue, d'éducation et de culture ; il sauvegardera les Lieux saints de toutes les religions ; et il sera fidèle aux principes de la Charte des Nations unies".

Quel aurait été l'effet d'une telle constitution sur la nature de l'État ? Comment aurait-elle tempéré la transformation du sionisme d'une idéologie qui cherchait à libérer les Juifs de la déchéance de l'exil et de la discrimination et à les mettre sur un pied d'égalité avec les autres nations du monde, en une idéologie étatique d'ethnonationalisme, d'oppression des autres, d'expansionnisme et d'apartheid ? Pendant les quelques années d'espoir du processus de paix d'Oslo, les gens en Israël ont commencé à parler de faire de ce pays un "État de tous ses citoyens", juifs et palestiniens confondus. L'assassinat du premier ministre Rabin en 1995 a mis fin à ce rêve. Israël pourra-t-il un jour se débarrasser des aspects violents, exclusifs, militants et de plus en plus racistes de sa vision, telle qu'elle est aujourd'hui adoptée par un si grand nombre de ses citoyens juifs ? Pourra-t-il un jour se réimaginer tel que ses fondateurs l'avaient si éloquemment imaginé - comme une nation fondée sur la liberté, la justice et la paix ?

Il est difficile de se laisser aller à de tels fantasmes en ce moment. Mais c'est peut-être précisément en raison du nadir dans lequel les Israéliens, et plus encore les Palestiniens, se trouvent aujourd'hui, et de la trajectoire de destruction régionale sur laquelle leurs dirigeants les ont placés, que je prie pour que d'autres voix s'élèvent enfin. Car, pour reprendre les mots du poète Eldan, "il y a un temps où l'obscurité gronde, mais il y a l'aube et l'éclat".

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Comprendre l’objectif final de Netanyahou dans la guerre contre Gaza

3 septembre 2024, par Faris Giacaman, Qassam Muaddi — , , ,
La véritable raison pour laquelle Netanyahu refuse de mettre fin à la guerre génocidaire contre Gaza est que ses intérêts politiques à court terme se sont parfaitement alignés (…)

La véritable raison pour laquelle Netanyahu refuse de mettre fin à la guerre génocidaire contre Gaza est que ses intérêts politiques à court terme se sont parfaitement alignés sur l'objectif à long terme du sionisme – le nettoyage ethnique de la Palestine.

Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié à l"origine dans Mondoweiss. Photo : Le parlement israélien adopte une résolution contre un Etat palestinien, 18 juillet 2024 © Quds News Network.

On a beaucoup parlé des intérêts politiques « étroits » qui poussent Benjamin Netanyahu à vouloir à tout prix une « victoire totale » à Gaza, ce qui signifie en pratique qu'il faut poursuivre le génocide et le nettoyage ethnique tout en essayant d'éradiquer la résistance.

Ce sont les opposants politiques de Benjamin Netanyahu qui ont le plus mis en avant cette version des faits. Un choix aléatoire de pratiquement n'importe quel article de Haaretz aujourd'hui en donnera un certain nombre d'exemples. Ce qui est faux, c'est que l'intérêt d'Israël à poursuivre la guerre est loin d'être étroit.

En fait, s'il est clair que Netanyahu a un intérêt politique à court terme à poursuivre le génocide de Gaza, c'est la combinaison de ces intérêts immédiats avec les objectifs à long terme du mouvement sioniste – le nettoyage ethnique de la Palestine – qui a conduit à une confluence historique unique : les intérêts politiques de Netanyahu sont désormais alignés sur l'impératif colonial du sionisme.

Les opposants politiques de Netanyahou, dont beaucoup appellent à un cessez-le-feu à Gaza, soulignent que son destin politique est actuellement entre les mains de ses alliés messianiques fascistes, Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, qui ont menacé à plusieurs reprises de se retirer du gouvernement de coalition de Netanyahu dans l'éventualité d'un cessez-le-feu.

Cela provoquerait l'effondrement de son gouvernement, ouvrirait la voie à de nouvelles élections et rendrait Netanyahu responsable d'avoir permis au Hamas de renforcer son pouvoir pendant toutes ces années dans le cadre de sa soit-disant stratégie d'enracinement des divisions politiques palestiniennes, sans parler de l'échec enduré le 7 octobre.

Les adversaires de Netanyahu voudraient nous faire croire que ses machinations sont uniquement motivées par les illusions autoritaires d'un despote intransigeant – et qu'il est prêt à pousser Israël dans ses derniers retranchements pour y parvenir. Par exemple, le général de division Yitzhak Brik a affirmé de manière hystérique que « si la guerre d'usure contre le Hamas et le Hezbollah se poursuit, Israël s'effondrera en l'espace d'un an au maximum ».

Cette critique comporte des éléments de vérité, mais elle est également malhonnête. Si les adversaires de M. Netanyahou étaient à sa place, ils auraient également voulu « résoudre » la « question de Gaza », une réalisation du délire sioniste de conquérir toute la Palestine et d'éliminer les autochtones.

La différence réside dans les contraintes auxquelles sont confrontés les opposants de Netanyahu pour réaliser cet objectif ; ils réclament maintenant avec véhémence un accord de cessez-le-feu parce qu'ils pensent que la signature d'un accord, même s'il permet au Hamas de maintenir une présence à Gaza, permettra de ramener les captifs, qui font partie de la base sociale que représentent les opposants de Netanyahu.

Plus important encore, s'ils appellent à la conclusion d'un accord à ce stade de la guerre, c'est parce qu'ils savent que cela provoquera l'éclatement de la coalition de leur adversaire. L'opportunisme politique est à l'origine de leurs prescriptions politiques tout autant que les considérations stratégiques concernant la capacité d'Israël à faire face à une guerre sur plusieurs fronts.

Netanyahu, quant à lui, se trouve dans une position historiquement unique. La structure actuelle des facteurs le pousse à poursuivre la guerre à tout prix, même si cela signifie abandonner les captifs à leur sort. La raison en est que, pour la première fois dans l'histoire récente du sionisme, les motivations politiques de l'actuel dirigeant de l'État juif font d'une stratégie de guerre continue la seule ligne de conduite logique.

Même l'établissement d'une présence administrative palestinienne de type Vichy à Gaza n'est pas acceptable pour Smotrich et Ben-Gvir, et ils continueront à brandir la menace de la dissolution du gouvernement contre toute mesure de conciliation.

En traçant cette voie maximaliste, Netanyahu joue avec le feu, car une guerre plus large avec le Hezbollah pourrait entraîner Israël dans un bourbier qui n'offrirait guère plus que la possibilité d'une victoire à la Pyrrhus. Mais, selon lui, cette guerre représente également une opportunité.

Depuis des décennies, Netanyahu pense qu'une guerre majeure pourrait fournir à Israël la couverture nécessaire pour procéder à l'expulsion massive des Palestiniens, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et à l'intérieur des frontières d'Israël de 1948. L'historien britannique Max Hastings lui aurait expliqué cette idée précise en 1977.

Au début de la guerre actuelle, Netanyahu a activement tenté de pousser les Palestiniens hors de Gaza avant de se heurter au refus de l'Égypte de jouer le jeu. Pendant ce temps, Ben-Gvir et Smotrich, ainsi que le mouvement de colonisation, ont accéléré l'expansion des colonies et soutenu la violence des colons en Cisjordanie, nettoyant ethniquement au moins 20 communautés bédouines sous le couvert de la guerre.

Les détracteurs de Netanyahu ne le considèrent pas comme un idéologue comme Smotrich et Ben-Gvir – et ils ont peut-être raison – mais cela est sans incidence. Même s'il a certainement exprimé son attachement à l'idéal sioniste de conquête territoriale totale, le fait est qu'aujourd'hui, même si le fait de pousser à la « victoire totale » risque d'entraîner une guerre qui nuira à son État, il n'a pas d'autre choix compte tenu de l'équilibre actuel des pouvoirs au sein de la politique israélienne.

C'est ainsi que la guerre génocidaire d'Israël est devenue la guerre de nécessité de Netanyahu.

Netanyahu espère y parvenir en entraînant les États-Unis dans une guerre avec l'Iran, assurant ainsi la position d'Israël en tant qu'unique puissance régionale au Moyen-Orient. C'est un scénario qu'il préconise depuis des décennies, y compris devant une commission du Congrès en 2002, où il avait également exhorté les États-Unis à envahir l'Irak.

Dangers et opportunités

Mais les choses ont changé depuis. L'Iran n'est pas une puissance militaire mineure, pas plus que le Liban. L'Iran et le Hezbollah ont accumulé suffisamment de forces au cours des dernières années pour renforcer la dissuasion à l'égard d'Israël, garantissant ainsi que toute guerre régionale serait destructrice non seulement pour eux, mais aussi pour Israël.

C'est pourquoi Netanyahu espère que les États-Unis seront contraints d'intervenir et de se ranger du côté d'Israël.

L'armée et l'économie israéliennes ne sont pas non plus prêtes pour une guerre majeure après dix mois de pertes.

Au début du mois de juillet, l'armée israélienne a déclaré qu'elle souffrait d'une pénurie de chars en raison du grand nombre de ceux qui ont été endommagés et mis hors service pendant la guerre, tandis que le ministère israélien de la guerre a déclaré que quelque 10 000 soldats et officiers avaient été blessés et que 1000 soldats continuaient à participer à des programmes de rééducation chaque mois.

Cette pénurie de personnel militaire a conduit Israël à adopter une loi obligeant les Haredim orthodoxes à s'enrôler pour le service, annulant ainsi une exemption qui durait depuis 76 ans.

Sur le plan économique, la note de crédit d'Israël a été abaissée par l'agence Fitch à « Perspectives négatives » au début du mois d'août en raison de la guerre. Dans l'ensemble, il semble que l'économie israélienne soit confrontée à une situation catastrophique.

Netanyahu a décidé qu'il était prêt à supporter ce coût, contre la volonté de ses opposants politiques nationaux et les désirs du gouvernement américain, simplement parce qu'il n'y a pas d'alternative pour lui. Le soutien illimité des États-Unis en dépit d'un comportement aussi jusqu'au-boutiste n'a fait qu'enhardir Netanyahou.

Netanyahu a ordonné l'assassinat de Fouad Shukur à Beyrouth et d'Ismail Haniyeh à Téhéran après son discours au Congrès, où il n'a reçu que des ovations.

À la suite de ces assassinats et des menaces de ripostes, les États-Unis ont renforcé leurs forces au Moyen-Orient afin de se préparer à défendre Israël contre d'éventuelles représailles.

Dans le même temps, les États-Unis se sont empressés d'essayer de contenir la situation en proposant un nouvel accord. Celui-ci comprenait de nouvelles conditions avancées par Netanyahu, qui ont servi à relever la barre de ce qui était considéré comme un accord acceptable [par la résistance], contre l'avis des négociateurs israéliens eux-mêmes.

Pourtant, les États-Unis n'ont fait que pointer du doigt le Hamas, affirmant que la balle était dans son camp.

Netanyahu a obtenu tout ce dont il avait besoin de la part des États-Unis à chaque étape du processus, ce qui lui a permis de poursuivre sa dangereuse stratégie sans qu'aucun reproche ne lui soit adressé.

Il espère que son pari sera payant en apportant une « solution finale » à la « question de Gaza » et en devenant ainsi un héros national sioniste.

Mais même si cela représente l'opportunité d'arracher un succès historique pour le projet sioniste, cela ouvre également la possibilité qu'Israël subisse un revers historique qui pourrait ouvrir une nouvelle ère de résistance pour les peuples autochtones de la région.

Traduction : Chronique de Palestine

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A quand un Nuremberg pour Israël ?

Crimes contre l'humanité, crimes de guerre, génocide. Les dirigeants israéliens récoltent les titres de l'horreur au point qu'ils sont désormais considérés comme des (…)

Crimes contre l'humanité, crimes de guerre, génocide. Les dirigeants israéliens récoltent les titres de l'horreur au point qu'ils sont désormais considérés comme des pestiférés. Exception faite des Etats-Unis, aucun pays n'accepte de les recevoir.

Tiré d'El-Watan.

Ils ont commencé dès 1948 par le massacre de Deir Yassin, du nom de cette localité palestinienne dont les habitants ont été massacrés par les terroristes de l'Irgoun, l'organisation dirigée alors par Menahem Begin, et les rares survivants ayant échappé à la mort par miracle ont été contraints de fuir, laissant tous leurs biens sur place. Depuis, les massacres collectifs de Palestiniens sont devenus une culture de l'horreur chez le nouveau occupant qui a remplacé les Anglais et qui perdure jusqu'à ce jour.

Et pourtant ! Les juifs, eux, sont les rescapés des camps de concentration nazis, six millions d'entre eux ont péri dans les fours crématoires, victimes du plus grand massacre collectif de l'histoire de l'humanité, devenu un exemple cité régulièrement dans l'espoir que l'horreur ne se répète pas.

Malheureusement, même les victimes d'hier sont devenues les bourreaux d'aujourd'hui. Et ils ne s'en émeuvent pas. Au contraire. Un mélange de messianisme, de nationalisme d'un autre temps, les a rendus aveugles au point d'être imperméables à la souffrance d'autrui et que faire couler le sang est devenu chez eux une seconde nature. Semer la mort et la destruction est considéré par leurs fanatiques comme une mission divine.

Ces dernières semaines, ils ont donné à la guerre un visage encore plus violent. Après la destruction des hôpitaux, ensuite des écoles à Ghaza, les Israéliens se sont livrés à des exterminations de masse de femmes et d'enfants.

La polio, qui a été éradiquée de l'enclave il y a de cela 25 ans, revient en force. Plus sinistres et plus cruels encore, ils empêchent l'entrée du vaccin à Ghaza. Cela « se fera dans plusieurs semaines », disent les Américains, qui croient en une promesse d'Israël. Si cela est vrai, les autorités d'occupation auront tout le temps de voir l'épidémie s'étendre et emporter plusieurs milliers d'enfants.

Le génocide prend des dimensions multiformes. La communauté internationale est tétanisée face à ce crime de grande envergure. Le ministre des Affaires étrangères de l'Union européenne, Josep Borrell, qui paraît très sensible à la douleur du peuple palestinien, promet de préparer une liste de dirigeants israéliens pour des sanctions, sans préciser leur nature. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Ce n'est pas la première fois que le monde est confronté à une situation aussi dramatique. La planète a connu les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.

A la fin du conflit, a été créé le fameux tribunal de Nuremberg pour juger les dignitaires nazis responsables des exterminations de masse dans les territoires européens. Depuis, le monde a décidé de ne plus laisser faire et de punir les coupables où qu'ils se trouvent.

La promesse n'a pas été totalement tenue. Mais il y a eu quand même des procès retentissants, comme celui du Serbe Milosevic à La Haye pour le massacre des populations musulmanes de Bosnie. Il y a même eu un mandat d'arrêt international contre le président russe, Vladimir Poutine, et contre un autre dirigeant européen. Mais le plus gros des affaires a surtout ciblé une quinzaine de dirigeants africains, ce qui a fait dire à certains qu'il y a là deux poids deux mesures.

Le cas le plus médiatisé a été celui de Omar El Béchir, le dictateur soudanais, un criminel qui a surtout détruit son pays et préparé le terrain à la guerre civile qui dure encore. Il avait lâché des milices arabes, dites djihadistes, contre les tribus africaines du Darfour. Le massacre qui s'en suivit est encore dans toutes les mémoires.

Le mandat d'arrêt international contre lui est toujours en vigueur, et lui croupit actuellement dans les geôles. On peut rappeler également le cas de Laurent Gbagbo, président de la Côte d'Ivoire, qui a préféré plonger le pays dans la guerre civile que de reconnaître une défaite par les urnes. Jugé à La Haye, il a été libéré après quelques années de détention. La liste est longue.

Malheureusement, les crimes perpétrés par les dirigeants israéliens dépassent l'imagination. Aucun dirigeant du monde, aucune organisation internationale n'a prononcé, même du bout des lèvres, l'idée de poursuites judiciaires contre eux.

On va voir ce que donnera l'initiative de M. Borrell. S'il réussit à seulement la présenter. Malheureusement, il y a de quoi être pessimiste quand on sait que les Etats-Unis veillent au grain. Ils empêcheront par tous les moyens un procès de leurs protégés, Netanyahu et Gallant par exemple.

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La bataille pour documenter la violence des colons israéliens à Masafer Yatta

A Masafer Yatta, des groupes de jeunes se sont donné pour mission d'archiver la violence des colons israéliens visant à les déplacer, mais ils en paient le prix fort. Tiré (…)

A Masafer Yatta, des groupes de jeunes se sont donné pour mission d'archiver la violence des colons israéliens visant à les déplacer, mais ils en paient le prix fort.

Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié à l'origine dans The new arab. Photo : Les colons israéliens mènent des raids à Masafer Yatta, 10 août 2024 © Mohammad Hureini.

Alaa Hathleen, un habitant de 25 ans de la Cisjordanie occupée, a vécu toute sa vie dans le village d'Umm el Khair à Masafer Yatta, à quelques mètres seulement d'une colonie israélienne.

Ayant grandi dans une communauté palestinienne à qui tout était refusé, il a vu dès son plus jeune âge que "les colons ont tout, tous les jours".

"Notre village est le théâtre d'agressions et de violations quotidiennes de la part des colons et doit faire face à l'absence de tout ce qui est essentiel, comme l'eau et l'électricité. Et littéralement, à quelques mètres de là, des colons vivent dans des maisons rénovées, équipées d'eau et d'électricité, et jouissent de la liberté de mouvement", explique à The New Arab le jeune homme, qui exerce la profession de guérisseur naturel.

Les 25 villages qui composent Masafer Yatta, une communauté bédouine située juste à l'extérieur d'Hébron, sont victimes de la violence des colons depuis au moins les années 1980. C'est à cette époque qu'un tribunal israélien a déclaré ses terres pastorales inhabitées et les a désignées comme zone de tir pour les exercices militaires.

En mai 2020, un autre tribunal israélien a confirmé cette décision et a ordonné l'évacuation de la communauté. En raison des exercices, les habitants décrivent des balles qui sifflent à travers leurs tentes, des mines terrestres plantées dans leur sol et des chars qui encerclent leurs maisons.

Pour Hathleen et sa cohorte de jeunes créateurs de contenu en ligne, il n'y a pas grand-chose à faire si ce n'est documenter du mieux qu'ils peuvent la tragédie qui se déroule, et ils disent qu'ils en ont payé le prix fort.

Depuis le 7 octobre, plusieurs groupes de jeunes en ont fait leur mission, risquant leur vie pour attirer l'attention de la communauté internationale - et éventuellement des sanctions, espèrent-ils - sur ceux qui tentent de les déplacer violemment.

Leurs efforts s'inscrivent dans un contexte où les contenus pro-palestiniens en ligne sont censurés, où les journalistes sur le terrain sont pris pour cible par Israël et où des lois sont imposées pour empêcher les médias de couvrir les violations commises à l'encontre des Palestiniens.

"Je ne me contente pas de prendre des photos ou de documenter ce qui se passe pour montrer qui a raison et qui a tort. Je documente les crimes et le manque de pitié d'une occupation qui ne comprend pas les droits humains et ne considère pas les Palestiniens comme des êtres humains", a déclaré Hathleen.

Alors que des colonies israéliennes ont poussé tout autour d'eux, la communauté semi-nomade de Hathleen n'a pas le droit de construire sur ses propres terres. Ceux dont les maisons ont été démolies vivent dans des tentes minables ou des grottes sombres et exiguës. La plupart d'entre eux vivent modestement de l'agriculture et de l'élevage, tout en luttant contre les colons en maraude qui volent périodiquement leurs récoltes et leur bétail.

Selon les habitants, la situation a pris une tournure plus sanglante après le 7 octobre. C'est à cette date que les colons, soutenus par l'armée israélienne, ont commencé à détruire des maisons au bulldozer, à incendier des pans entiers de terres agricoles et, dans certains cas, à assassiner ceux qui se mettaient en travers de leur chemin.

Les infrastructures essentielles n'ont pas été épargnées : quatre écoles ont été réduites en ruines, ainsi qu'un centre médical de fortune, selon Hathleen.

Après le 7 octobre, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a distribué des fusils semi-automatiques et d'autres armes aux civils, ce qui a été perçu comme un moyen de jeter de l'huile sur le feu et de donner le feu vert aux assauts des colons. Hathleen s'est sentie encore plus obligée de documenter les atrocités.

Mais ses publications en ligne lui ont valu de sérieuses menaces. Lorsqu'un officier de l'armée a vu Hathleen poster sur les réseaux sociaux, il l'a menacé de lui "couper la langue". Une autre fois, lorsqu'il a publié un message montrant un colon confisquant un âne, on lui a dit qu'il serait "tué ou finirait comme l'âne" s'il recommençait.

Hathleen affirme que sa famille est même prise pour cible en raison de son activisme. En novembre dernier, son frère a été battu jusqu'au coma par des colons qui avaient trouvé des photos d'enfants gazaouis sur son téléphone.

Youth of Sumud

Mohamed Houreini, 25 ans, fait partie d'un groupe appelé Youth of Sumud. Ils se décrivent comme un groupe de Palestiniens du sud d'Hébron "engagés dans une résistance populaire pacifique comme choix stratégique pour mettre fin à l'occupation israélienne". Sur Facebook, ils publient des photos de colons et de soldats israéliens faisant équipe pour démolir des puits et raser des maisons.

Le groupe documente soigneusement les violations commises par les colons, en recueillant des témoignages à l'aide de notes, de vidéos et de photos avant de télécharger le contenu sur les réseaux sociaux ou de l'envoyer à des groupes de défense des droits et à des organisations médiatiques.

Après que les colons ont saccagé des grottes occupées par des bédouins, ils se précipitent pour les réparer. Pour être proactifs, ils organisent des manifestations et des sit-in dans les zones vulnérables aux attaques des colons.

"Les forces d'occupation israéliennes attaquent le village de Jawaya avec des bulldozers, combien de Palestiniens seront déplacés ?" Une autre photo montre des champs d'oliviers et de figuiers incendiés.

Le travail de M. Houreini a coûté cher. "En raison de ma présence sur les réseaux sociaux et de ma documentation sur les événements qui se déroulent à Masafer Yatta, j'ai été arrêté 11 fois et soumis à des passages à tabac, à la torture et à des interrogatoires", a déclaré M. Houreini.

Dans certains cas, la documentation de M. Houreini a porté ses fruits. Récemment, le père de Houreini, également militant, a été accusé d'avoir attaqué un colon. L'accusation a été abandonnée après que Houreini a filmé l'attaque, prouvant qu'il s'agissait de légitime défense.

D'autres groupes, comme B'Tselem, ont méticuleusement répertorié les violences commises par les colons, allant même jusqu'à créer une base de données consultable des incidents violents.

Mais même la meilleure documentation ne peut pas tout faire. Les activistes en ligne affirment que leur travail doit déboucher sur des sanctions à l'encontre des colons. Jusqu'à présent, Washington a imposé des sanctions limitées aux colons israéliens qui commettent des actes de violence en Cisjordanie, mais ces punitions relativement mineures n'ont guère contribué à décourager leurs assauts.

Les journalistes locaux ont également joué un rôle essentiel en documentant les déplacements. Et ce, bien que la Palestine soit le "pays le plus dangereux du monde" pour les journalistes, selon Reporters sans frontières, qui a déposé de nombreuses plaintes auprès de la Cour pénale internationale, accusant Israël de commettre des crimes de guerre à l'encontre des journalistes.

En Cisjordanie, 76 journalistes palestiniens ont été arrêtés et une cinquantaine d'entre eux croupissent encore derrière les barreaux, selon le dernier décompte du Syndicat des journalistes palestiniens (PJS). Ces chiffres s'ajoutent à la centaine de journalistes tués à Gaza.

Omid Shihada, 37 ans, correspondant de la chaîne de télévision Al-Araby en Cisjordanie, fait partie des nombreux journalistes palestiniens qui documentent les violences commises par les colons.

M. Shihada explique qu'il a été frappé par l'obsession des colons à brûler tout ce qui se trouve sur leur passage. Il décrit des colons organisant des attaques de nuit à grande échelle, transportant des matériaux inflammables dans leurs poches pour mettre le feu à tout ce qu'ils rencontrent.

"Ils brûlent des maisons avec des gens à l'intérieur. Ils brûlent des cultures agricoles. Ils brûlent des véhicules", explique M. Shihada.

Malgré tout, Shihada affirme que les efforts pour archiver ce qui se passe doivent se poursuivre.

"Je n'abandonnerai pas", dit Shihada. "Nous sommes la génération qui changera l'état d'esprit de notre communauté locale d'abord, puis de la communauté internationale."

Traduction : AFPS

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Face aux vols de maisons par les colons, la résistance populaire se mobilise à Al-Makhrour

Depuis la fin du mois de juillet 2024, des groupes de colons ont chassé la famille Kisiya de son foyer dans le village d'Al-Makhrour à Beit Jala. Cette expulsion, qui marque (…)

Depuis la fin du mois de juillet 2024, des groupes de colons ont chassé la famille Kisiya de son foyer dans le village d'Al-Makhrour à Beit Jala. Cette expulsion, qui marque une nouvelle étape de la colonisation de la région de Bethléem, a pu se dérouler grâce au soutien de l'armée israélienne, qui a chassé les dizaines d'activistes et de militantes issu.es des mouvements de solidarités israéliens et internationaux et des habitant.es avec une forte mobilisation des Palestiniens chrétiens de la région.

Tiré de France Palestine Solidarité.

La famille Kisiya, victime de cette énième éviction bénéficie d'une décision juridique israélienne en sa faveur, que les autorités israéliennes refusent de respecter. Depuis déjà quatre semaines, la famille Kisiya se bat et se mobilise aux côtés de dizaines de militantes. Un campement solidaire y a été implanté afin de continuer à revendiquer les droits de la famille Kisiya. Le campement a même été rejoint par des activistes des villages de Masafer Yatta, où les habitant.es subissent quotidiennement des attaques de colons.

Le 24 aout 2024, le campement a été attaqué par les colons installés sur le terrain de la famille Kisiya. L'attaque a pu être repoussé et l'arrivée des trouves israéliennes a provoqué la retraite des colons qui sont retournés se retrancher dans la maison qu'ils occupent.

Suite à cette attaque, Alice Kisiya a été arrêtée par les soldats israéliens puis relâchée deux jours plus tard. Depuis, le campement solidaire a reçu la visite de nombreuses organisations et personnalités locales et internationales, comme le Pasteur de Bethléem, Munther Isaac ou le Consul Général de France à Jérusalem.

Sources : WAFA / Mistaclim / Free Jerusalem / Combatants For Peace / Voices Against War / Good Shepherd Collective / Jalal-AK / Ihab Hassan / Alice Kisiya / Xavier Abu Eid / Alice Level / Pasteur Munther Isaac / Yasser Okbi /Sources Locales

Photo : Mosab Shawer
Alice Kisiya faisant face à l'un des colons ayant attaqué le campement qui fait face à la maison de la famille Kisiya.

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Elections (Etats-Unis) : J.D. Vance, colistier de Donald Trump, et le nouveau visage de la droite américaine

3 septembre 2024, par Gabriel Solans — , ,
Le colistier de Donald Trump est la figure de proue des nationaux-conservateurs, une mouvance dont la vision du monde diffère nettement de celle traditionnellement promue par (…)

Le colistier de Donald Trump est la figure de proue des nationaux-conservateurs, une mouvance dont la vision du monde diffère nettement de celle traditionnellement promue par le Parti républicain.

Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
23 août 2024

Par Gabriel Solans

Le choix de J.D. Vance en tant que colistier de Donald Trump à l'élection présidentielle a suscité une attaque en règle en provenance du camp démocrateà l'égard du sénateur de l'Ohio, surtout connu jusqu'ici pour son essai à succès Hillbilly Elegy, livre de mémoires publié en 2016 où il revient sur sa famille modeste rongée par les fléaux de l'Amérique rurale blanche des Appalaches. L'ouvrage, à la tonalité conservatrice (par exemple, il attribue l'essentiel de la responsabilité pour leur triste sort aux Hillbillies eux-mêmes, présentés comme peu enclins à avoir une véritable éthique du travail), est devenu un bestseller et a été adapté en film.
Bien qu'il n'apporte pas d'idées neuves et n'a que peu de productions écrites à son actif, Vance, 39 ans, devenu sénateur de l'Ohio en 2023, occupe une place de choix au sein des réseaux qui forment une nouvelle élite conservatrice au sein du Parti républicain et autour de celui-ci.

Steve Bannon – le fameux ancien conseiller de Trump vu par certains comme son éminence grise, ex-patron du site de droite radicale Breitbart News et figure centrale de la « nouvelle droite » américaine, qui vient de commencer à purger une peine de prison ferme pour son rôle dans l'insurrection du 6 janvier 2021 – voit en Vance « the St. Paul to Trump's Jesus », le converti zélé devenu un apôtre. Qui est le putatif futur vice-président des États-Unis et qu'est-ce que le « post-libéralisme » dont il se réclame ?

Une figure de proue des « nationaux-conservateurs »

S'il y a un élément évident, c'est que la nomination de J.D. Vance approfondit la rupture de Donald Trump avec l'establishment historique du Parti républicain pour forger de manière définitive un conservatisme de style plus populiste, anti-immigration et nativiste, critiquant la mondialisation et rompant avec les héritages néolibéral en économie et néo-conservateur en politique étrangère.

On assiste, avec l'alliance entre Trump et Vance, à la destruction du fusionnisme, synthèse idéologique et électorale entre libertariens économiques et conservateurs sociétaux née en 1955 avec la National Review de William Buckley et qui constituait la base du Parti républicain depuis lors.

Vance est considéré comme la figure de proue en politique du mouvement des NatCons, les « nationaux-conservateurs », créé par l'intellectuel israélo-américain Yoram Hazony après la parution de son essai de 2018 intitulé The virtue of nationalism, élu livre conservateur de l'année en 2019.

Ce courant organise chaque année une grande conférence rassemblant des intellectuels occidentaux intitulée NatCons (la première ayant eu lieu en 2019) et mise sur pied par l'Edmund Burke Foundation, think tank dirigé par Yoram Hazony. Il a pour particularité d'être très ouvert aux penseurs et acteurs politiques du Vieux continent, créant des échanges intellectuels transatlantiques entre nationaux-conservateurs européens et américains.

Les intellectuels et hommes politiques illibéraux d'Europe servent ainsi d'inspiration aux conservateurs étatsuniens pour repenser la démocratie libérale étatsunienne et créer un ordre « postlibéral », ce qui constitue une rupture majeure. Les nationaux-conservateurs sont très admiratifs de Viktor Orban. Lui-même, son conseiller Balazs Orban, mais aussi Tucker Carlson ou Giorgia Meloni furent des orateurs de marque de la conférence des Natcons. Le gouverneur de Floride Ron DeSantis, qui a déclaré la guerre au « wokisme », fut la star de l'édition de septembre 2022 de ce rassemblement, qui allait se tenir en 2023 à Londres, accueillant notamment la très anti-immigrationSuella Braverman, Home Secretary en 2022 et 2023.

Toutes ces personnalités font partie de cercles poursuivant la « révolution » de Trump dans le rapport au monde de la droite américaine, avec notamment le think tank Claremont Institute situé en Californie. La chercheuse Maya Kandel a étudié la façon dont cette galaxie cherche à « théoriser à rebours » le trumpisme, c'est-à-dire donner une forme idéologique intellectualisée aux instincts de Donald Trump.

À la dernière conférence des NatCons en date, en juillet 2024, peu avant la tentative d'assassinat qui allait viser Trump, l'un des orateurs stars a été le conseiller immigration de Trump durant sa présidence Stephen Miller. Lors de cette édition, J.D. Vance a clamé porter un nationalisme basé sur « la terre natale, pas sur des idées », assumant un tournant nativiste et « anti-cosmopolite ».

Vance, converti au catholicisme en 2019, est également proche des intellectuels catholiques de la « post-liberal right » (un terme pouvant être synonyme de droite illibérale), notamment de Patrick Deneen, avec qui il a partagé une conférence en 2023, et de Rod Dreher, autre converti au catholicisme (aujourd'hui immigré en Hongrie, séduit par Orban).

Patrick Deneen a publié un essai au titre explicite, Regime change, où il appelle à remplacer l'ensemble des élites libérales du pays. Comptant notamment dans ses rangs Adrien Vermeule, professeur de droit constitutionnel à Harvard, cette galaxie d'intellectuels catholiques considère l'Amérique en faillite, condamnée du fait même de la formation intellectuelle des Pères Fondateurs et de l'héritage des Lumières. Vermeule va jusqu'à souhaiter la mise en place d'une théocratie catholique.

Une politique étrangère « jacksonienne » anti-interventionniste

Mais c'est la politique étrangère qui aurait servi d'élément déclencheur à la conversion de J.D. Vance au trumpisme.

Début 2023, il a publié dans le Wall Street Journal un texte d'opinion en faveur de Trump alors que Ron DeSantis semblait, à ce moment-là, mieux placé pour décrocher l'investiture républicaine. La principale raison de ce ralliement à l'ex-président était l'isolationnisme prôné par celui-ci.

Sur la politique étrangère, Vance est dans la droite ligne des « Natcons » ainsi que du Claremont Institute, formé par des dissidents des néo-conservateurs qui refusaient l'idéalisme wilsonien en politique étrangère.

La Chine est perçue par cette mouvance, adepte d'une perspective dite « réaliste » des relations internationales, comme le seul ennemi des États-Unis, car le seul pouvant le menacer directement. Pour Trump comme pour les NatCons, les États-Unis doivent porter leurs efforts vers l'Asie et, par conséquent, se désengager de l'Europe – une politique dans la lignée du « pivot vers l'Asie » initié par Barack Obama.

Cet ensemble idéologique peut être qualifié de « jacksonien » selon la typologie établie par Walter Russell Mead des quatre types de politique étrangère aux États-Unis. Ce terme renvoie à la politique conduite par le président Andrew Jackson (1829-1837) considéré comme un modèle par Donald Trump. Le jacksonisme serait moins un repli sur soi qu'une défense musclée des intérêts directs étatsuniens, sans idéalisme et uniquement sur la base d'enjeux de puissance.

Sénateur depuis 2022, Vance s'est distingué en étant le chef de file au Sénat des Républicains souhaitant réduire l'aide à l'Ukraine, exhortant les Européens à accroître leur propre engagement.

Début 2022, peu après le début de l'invasion, devant la Heritage Foundation, il déclarait ne pas se sentir concerné par ce qui pourrait advenir de l'Ukraine et qualifiait la Chine de seul « real enemy » des États-Unis. J.D. Vance est évidemment favorable à l'aide à Israël et a accusé Biden d'avoir ralenti la victoire sur le Hamas.Son isolationnisme ne semble pas s'appliquer à Israël, tant pour des raisons religieuses que parce que, selon lui, l'alliance avec l'État hébreu serait profitable à l'Amérique, notamment pour la coopération technologique.

Des liens avec la mouvance NRx ou « droite tech »

Le parcours de Vance nous éclaire aussi sur les réseaux de la mouvance NRx, ou « néo-réactionnaire », terme généralement traduit en français par « droite tech ».

Ce courant est apparu dans les années 2000 au sein d'une fraction des élites de la Silicon Valley convaincues par les écrits du blogueur Curtis Yarvin (ou Mencius Moldbug sous pseudonyme). Vance a cité son projet consistant à pousser le spoil system (système permettant à tout nouveau président de remplacer un certain nombre de postes dans l'administration) jusqu'aux employés d'échelon moyen, quitte à aller à l'encontre de la Cour suprême. Yarvin est en effet à l'origine de l'expression aux accents libertariens RAGE (« Retire All Government Employees »). Selon sa formule, « Cthulhu only swims left », le monstre tentaculaire de Lovecraft symbolisant l'excès d'État qui pour lui conduirait structurellement à une politique de gauche.

Elon Musk et Peter Thielsont des soutiens de ce courant aux contours flous représenté par quelques auteurs. Ils ont en commun d'être très critiques de la démocratie libérale et de prôner un retour de l'ordre (parfois jusqu'à la monarchie), et parlent à l'occasion de différences biologiques entre groupes humains et d'inégalités naturelles. Pour eux, l'association historique entre la démocratie et le libéralisme économique est une erreur créatrice d'« entropie » (de désordre) et qui doit être corrigée pour que l'Occident soit sauvé. Toutefois, si pour les illibéraux classiques il faut refonder la démocratie en mettant au ban le libéralisme, pour la mouvance NRx il faut sauver le libéralisme de la démocratie par un régime autoritaire, ce qui semble paradoxal.

Comment ces deux visions peuvent-elles coexister ? Curtis Yarvin considère que la démocratie n'a de sens que pour faire élire celui qui mettra fin à celle-ciet espère que Trump effectuera ce travail, ou à tout le moins rapprochera le pays de cet objectif. En attendant, les réseaux se soudent pour préparer l'alternance et le nouveau stade du Parti républicain. C'est le milliardaire Peter Thiel, un des grands mécènes (et essayiste) de cette mouvance, soutien aussi de Trump, qui finance les conférences Natcons ainsi que les campagnes électorales de plusieurs sénateurs trumpistes (dont J.D. Vance, à qui il donna 15 millions de dollars, ou encore Josh Hawley notamment). C'est un membre éminent de la « Mafia PayPal » où l'on retrouve également Elon Musk.

En 2016, Vance a rejoint sa société de capital-risque, Mithril Capital Management. Thiel a permis le rapprochement de Vance avec Trump, lui qui avait auparavant compté parmi les « Never Trump ».

La Heritage Foundation, think tank conservateur historique datant de l'ère Reagan, a publié un très long texte de 900 pages intitulé sobrement Project 2025 qui donne des indices sur ce qui est souhaité par tous ces groupes. Trop radical dans ses appels à un tournant autoritaire de l'exécutif américain, il a été désavoué par Donald Trump alors que les critiques commençaient à pleuvoir. J.D. Vance, lui, semble totalement s'y retrouver

Gabriel Solans, Doctorant en civilisation américaine, Université Paris Cité

< !—> The Conversation
P.-S.

• : The Conversation. Publié : 23 août 2024, 19:49 CEST

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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Des groupes de défense des droits des Latinos exhortent le ministère de la Justice à enquêter sur le procureur général du Texas pour avoir perquisitionné les domiciles des dirigeants de LULAC

3 septembre 2024, par Democracy now ! — , ,
Le procureur général républicain du Texas, Ken Paxton, est accusé d'utiliser son bureau pour réprimer les électeurs latinos de la League of United Latin American Citizens (…)

Le procureur général républicain du Texas, Ken Paxton, est accusé d'utiliser son bureau pour réprimer les électeurs latinos de la League of United Latin American Citizens LULAC) - Ligue des citoyens latino-américains unis, le plus ancien groupe de défense des droits civiques des Latinos du pays, demande au ministère de la Justice d'enquêter sur Paxton à la suite d'une série de descentes de police aux domiciles de membres de LULAC, de législateurs de l'État et d'autres dirigeants communautaires dans la région de San Antonio la semaine dernière.

28 août 2024 | tiré du site de Democracy now !
https://www.democracynow.org/2024/8/28/texas_voter_suppression_ken_paxton

AMY GOODMAN : C'est Democracy Now !, democracynow.org, Le rapport sur la guerre et la paix. Je suis Amy Goodman, avec Juan González. Nous nous tournons maintenant vers le Texas, où le procureur général républicain Ken Paxton soulève des inquiétudes quant à la suppression des électeurs en ciblant le plus ancien groupe de défense des droits civiques latino-américains du pays, LULAC, la Ligue des citoyens latino-américains unis. LULAC a d'abord été fondée pour lutter contre la discrimination à l'égard des citoyens d'origine mexicaine au Texas. Il répond à une série de perquisitions aux domiciles de membres de LULAC, de législateurs de l'État et d'autres dirigeants latinos dans la région de San Antonio la semaine dernière.
S'adressant aux médias lundi, Lidia Martinez, une bénévole de longue date de LULAC, âgée de 87 ans, a décrit comment des agents armés sont arrivés à son domicile à 6 heures du matin avec un mandat pour saisir des appareils électroniques, un prélèvement d'ADN, alors qu'ils recueillaient des preuves de collecte de votes présumés et de fraude concernant l'identité.

LIDIA MARTINEZ : J'étais en chemise de nuit, et j'ai cru que c'était mon voisin d'à côté. Et je suis allé à la porte, et neuf officiers du bureau du procureur général sont entrés. Et ils avaient un mandat de perquisition, et ils m'ont dit qu'ils étaient là parce que j'avais déposé une plainte selon laquelle les personnes âgées ne recevaient pas leurs bulletins de vote par correspondance. Et j'ai dit : « Oui, je l'ai fait. » Et il a dit : « Avez-vous les noms ? » Et j'ai dit : « J'ai quelques noms. » Et ils sont entrés, et j'ai dit : « Puis-je m'habiller ? » Ils ne m'ont pas laissé faire.

Ils m'ont fait asseoir et ils ont commencé à fouiller toute ma maison – mon débarras, mon garage, ma cuisine, tout. Et après deux heures d'interrogatoire, ils m'ont emmené dehors devant tous mes voisins et tous les officiers autour de moi et... pendant une demi-heure pendant qu'ils fouillaient le salon où j'étais assis. Et au bout d'une demi-heure, ils m'ont laissé rentrer dans la maison, et ils ont continué à me poser des questions et à me poser des questions sur les membres de LULAC, en particulier. Et je leur ai dit : « Pourquoi faites-vous tous cela ? » Et il a dit : « Parce qu'il y a eu fraude. »

AMY GOODMAN : LULAC demande au ministère de la Justice d'enquêter sur le procureur général du Texas, Ken Paxton, sur les raids. Cela survient alors que ProPublica et The Texas Tribune rapportent que Paxton a également utilisé la loi sur la protection des consommateurs plus d'une douzaine de fois pour enquêter sur une série d'organisations ou de groupes principalement dirigés par des Latinos qui offrent de la nourriture et un abri aux migrant-e-s et aux demandeurs d'asile le long de la frontière. Paxton a également tenté de faire taire le groupe de défense des droits civiques FIEL à Houston, affirmant qu'il se livrait à des campagnes électorales, mais un juge a récemment rejeté ses efforts.
Tout cela survient alors que les procureurs ont accepté en mars d'abandonner les accusations de fraude en valeurs mobilières contre Paxton lui-même, ce qui lui a permis d'éviter d'être jugé s'il effectuait cent heures de travaux d'intérêt général. Ceci est distinct des allégations de corruption plus récentes auxquelles Paxton a été confronté et qui ont conduit à son procès en destitution l'année dernière, dans lequel il a été acquitté par le Sénat du Texas contrôlé par les républicains.
Pour en savoir plus, nous nous rendons à Houston, où nous sommes rejoints par Cesar Espinosa, directeur exécutif de FIEL, qui est l'acronyme espagnol de Familles d'immigrants et d'étudiants en lutte. Et à Miami, en Floride, nous sommes rejoints par Juan Proaño, PDG de LULAC, le plus grand et le plus ancien groupe de défense des droits civiques latinos aux États-Unis.
Juan, commençons par vous. Expliquez ce qui s'est passé la semaine dernière au Texas.

JUAN PROAÑO : Eh bien, bonjour, Amy. Merci de m'avoir invité.

Comme vous l'avez dit, vous savez, mardi dernier, à notre connaissance, plus de 12 mandats de perquisition ont été présentés à des dirigeants latinos, des membres de LULAC à San Antonio. Dans le cas de Lidia, comme vous venez de le décrire, huit policiers armés sont arrivés. Mais dans un autre cas, Manuel Medina, près de 40 officiers, armés d'AK-47, d'équipement SWAT, sont entrés chez lui à 6 heures du matin. Sa fille dormait sur le canapé du rez-de-chaussée, pensant que quelqu'un entrait par effraction dans la maison. Il était à l'étage avec sa femme et ses autres filles. Ils descendirent. Et ils ont été détenus, interrogés pendant plus de sept heures.

JUAN GONZÁLEZ : Et, Juan Proaño, qu'est-ce que cela vous apprend sur les efforts des responsables du Texas pour intimider les électeurs latinos ?

JUAN PROAÑO : Eh bien, je veux dire, vous savez, c'est omniprésent. Vous savez, nous avons évidemment fait beaucoup de recherches ici. Et cela n'a pas commencé la semaine dernière. Vous savez, cette enquête sur l'intégrité des élections a commencé il y a plus de deux ans, essentiellement, à ce stade, elle a également été renvoyée par un autre procureur de district républicain sans aucune preuve.

En juin, nous avons vu qu'ils ont poursuivi l'archidiocèse de Rio Grande Valley, Sœur Norma Pimentel, qui fournit aux migrants des services qui se trouvent légalement dans ce pays. Puis, le mois dernier, nous avons vu Annunciation House, qui fournit des services aux réfugiés, ainsi que FIEL, et nous avons également vu 12 autres organismes sans but lucratif qui sont passés par le même processus de perquisition et de saisie.

Du moins, d'après ce que nous avons entendu des tribunaux, c'est inconstitutionnel. En effet, le droit de la responsabilité délictuelle qu'il utilise pour, essentiellement, poursuivre des organisations à but non lucratif parce qu'elles fournissent des services aux immigrants est vraiment une discrimination flagrante.

Vous savez, nous nous attendions à ce qu'il s'en prenne à LULAC et le poursuive en justice, mais, certainement, nous avons été très surpris quand il a commencé à s'en prendre aux dirigeants latinos et aux membres réels de LULAC. Sur les 12 que nous connaissons, quatre sont membres de LULAC, trois d'entre elles sont des femmes octogénaires. Et on leur a dit de ne parler à personne après la perquisition et la saisie. Ils ont pris leurs téléphones portables. Ils ont pris leurs ordinateurs. Ils ont pris des documents. Dans le cas de Lidia, ils ont pris son calendrier, où elle conserve essentiellement tous ses rendez-vous chez le médecin, ses contacts personnels, des informations sur ses médicaments sur ordonnance. Et elle venait d'aller chez le médecin la veille et a dû y retourner pour obtenir son ordonnance. Elle s'est donc retrouvée sans aucun appareil de communication pour communiquer avec sa famille, et a dû littéralement quitter sa maison pour se rendre chez un autre membre de LULAC pour obtenir de l'aide.

AMY GOODMAN : Pouvez-vous nous parler du moment où cela s'est produit, Juan Proaño ? Pour la première fois dans l'histoire de LULAC, créé en 1929, le PAC Adelante de LULAC, le comité d'action politique, a soutenu Harris et Walz, a soutenu Kamala Harris pour être présidente. Pensez-vous qu'il y a un lien direct ? Et expliquez les différentes composantes de votre organisation.

JUAN PROAÑO : Sûr. Et merci, Amy, pour cette question. Ainsi, LULAC, pour revenir à votre question, a été fondée en 1929 à Corpus Christi. C'est l'entité que tout le monde connaît effectivement et à laquelle tout le monde se réfère communément, essentiellement, sous le nom de LULAC. Nous avons plus de 535 conseils à travers le pays. Chacun de ces conseils est constitué en société. Ils portent en fait le nom et le sceau LULAC. Nous avons plus de 240 000 membres dans les 50 États, et nous avons en fait ces 535 conseils dans 33 États et 207 villes. Nous sommes donc la plus grande organisation latino-américaine du pays.

(...)

JUAN GONZÁLEZ : Et, Juan, je voulais vous poser une question distincte également liée aux élections. Lundi, le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a annoncé que l'État avait retiré plus d'un million de noms des listes électorales du Texas. Aujourd'hui, les purges sont courantes dans de nombreux États, mais c'est un grand nombre, et cela arrive évidemment si près des élections.

JUAN PROAÑO : oui. Je veux dire, écoutez, nous l'avons vraiment vu. Il est sorti vers 17h00. Vous savez, nous avons commencé notre campagne de plaidoyer jeudi soir. Il nous a littéralement fallu deux jours pour obtenir des informations sur le cas de Lidia et pour commencer à rassembler tous les faits pertinents à cette affaire.

Vraiment, c'est sa forme de déviation, n'est-ce pas ? C'est son effort pour dire en gros : « Écoutez, vous savez, nous avons un million de personnes qui sont sur nos listes électorales et que nous sommes en train de radier. » En fait, j'ai passé en revue ces chiffres. Plus de 467 000 d'entre eux, essentiellement, sont décédés, n'est-ce pas ? Environ 400 000 autres sont, en fait, ce qu'on appelle en mode suspendu, mais seulement 6 500 d'entre eux sont en fait ce qui est classé, en fait, comme des non-citoyens. Vous parlez donc de 0,0065 %. Moins de 1 % d'entre eux sont en fait des non-citoyens. Et seulement 1 900, soit 1/1000e de pour cent de ce million, ont réellement un historique de vote. Mais dire qu'il y a une fraude électorale systémique et une base d'électeurs dans l'État du Texas est absolument faux.

AMY GOODMAN : Juan Proaño, dans une minute, nous voulons vous interroger sur l'étude de LULAC sur le Projet 2025. Mais nous voulons faire venir Cesar Espinosa, le directeur exécutif de FIEL, - Familles d'immigrants et étudiants en lutte. César, pouvez-vous commencer par parler de ce qui s'est passé dans votre nouveau bureau, votre ancien a été détruit par un ouragan, de la tenue d'un procès contre vous par le procureur général, qui fait lui-même l'objet d'une enquête et a subi un procès en destitution, qui effectue maintenant des travaux d'intérêt général, mais il fait aussi cela ?

CESAR ESPINOSA : Eh bien, donc, malheureusement, nous avons perdu notre bureau. FIEL est ici à Houston depuis 17 ans. Et au cours des 17 dernières années, nous avons aidé de nombreux Houstoniens, quel que soit leur statut d'immigration, à se remettre de catastrophes naturelles. Donc, quelques jours seulement après le passage de l'ouragan ou un jour après le passage de l'ouragan, Beryl a frappé — excusez-moi —, je parlais à ma famille du fait que j'étais prête à retourner là-bas, prête à servir notre communauté, à servir les gens et à aider les gens à se à reprendre pied.

Malheureusement, ce n'était pas le cas. Nous avons été frappés par deux tempêtes : la première, la tempête physique de Beryl, et puis, deuxièmement, le premier jour où nous avons emménagé dans notre nouveau bâtiment, nous avons été confrontés à un procès de l'État du Texas, ce qui nous a vraiment pris au dépourvu.

AMY GOODMAN : Et que dit ce procès ? Pour quoi avez-vous été poursuivi en justice ?

CESAR ESPINOSA : Ce procès affirmait que nous faisions campagne électorale par une série de messages sur les réseaux sociaux qui ont été interprétés par le procureur général du Texas comme plaidant en faveur d'un certain parti ou de certaines questions. Mais en fin de compte, notre institution et notre travail sont basés sur l'éducation de la communauté, l'autonomisation de la communauté et l'intégration complète des membres de la communauté de tous les horizons dans la société américaine.

JUAN GONZÁLEZ : Et le procès était – le juge du comté de Harris, R.K. Sandill, a nié les efforts de Paxton ? Pourriez-vous nous parler de ce que le juge a dit ?

CESAR ESPINOSA : Eh bien, à la fin de la journée, le juge, Sandill, a déclaré que le procureur général Ken Paxton n'avait pas qualité pour agir dans cette affaire, qu'il allait trop loin. Et à la fin de la journée, l'affaire a été classée sans suite. Mais cela envoie, vraiment, des alarmes dans tout l'État du Texas à de nombreuses organisations qui essaient d'aider notre communauté qu'elles pourraient également être ciblées.

JUAN GONZÁLEZ : Et quel type de soutien avez-vous reçu à travers le Texas à la suite de cette attaque du procureur général ?

CESAR ESPINOSA : Eh bien, nous sommes vraiment submergés par l'appui de la communauté que nous avons reçu, par l'ampleur du soutien en ligne, par le nombre de personnes qui se manifestent et disent que le procureur général est allé trop loin. Vous savez, je dis toujours à ma femme de ne jamais lire les commentaires dans les articles ou des choses comme ça, mais moi-même, j'y suis allé et j'ai lu. Et ce que j'ai lu et ce que j'ai compris de tous les articles, de tout ce qui a été publié, c'est le fait que des gens de tous les horizons, de tous les côtés de l'échiquier politique, ont le sentiment que ce procureur général va beaucoup trop loin.

Et puis, dans la foulée de cela, nous entendons parler de ce que traverse LULAC. Et ce n'est qu'une chose après l'autre après l'autre. Ensuite, ils ont contesté le programme de libération conditionnelle sur place. Donc, il y a tellement de choses qu'ils font pour essayer de priver les Latinos de leurs droits, d'essayer de désillusionner les Latinos pour qu'ils ne participent pas aux élections, c'est vraiment comme si nous nageions à contre-courant ici dans l'État du Texas.

AMY GOODMAN : Alors, Juan Proaño, alors que nous écoutons ce qui est arrivé à Cesar Espinosa et que vous décrivez les raids contre vos membres, y compris à la maison d'un bénévole de LULAC âgé de 87 ans et bénévole depuis 35 ans, pouvez-vous parler de ce que vous exigez du ministère de la Justice, d'un examen de ces raids au Texas et de la façon dont les actions de Paxton s'intègrent dans l'évolution de la politique et de la démographie du Texas ?

JUAN PROAÑO : Donc, vous savez, avant tout, nous sommes solidaires de César et de FIEL. Ils font un travail absolument incroyable. Et en ce qui concerne Lidia, non seulement elle a 87 ans, Amy, mais elle est grand-mère, elle est arrière-grand-mère. Ses cinq frères ont en fait servi dans l'armée. L'un de ses frères a été tué pendant la guerre du Vietnam et a reçu la Silver Star. Ce sont des citoyens américains des États-Unis, n'est-ce pas ? Et donc, vous savez, pour nous, cela dépasse vraiment les bornes, en ce qui concerne ce que sont ces actions.

Nous avons communiqué avec le ministère de la Justice. Nous avons en fait envoyé une lettre demandant une enquête sur ces tactiques de suppression des droits des électeurs actuellement en cours au Texas. Nous continuerons à rester forts et nous organisons nos alliés, tant dans la communauté afro-américaine que dans la communauté latino-américaine. Nous allons tenir bon, et nous allons nous battre.

JUAN GONZÁLEZ : Et, Juan Proaño, pourriez-vous également parler du nouveau rapport de LULAC, « The Battle Ahead : Latino Civil Rights vs. Project 2025 » ?

JUAN PROAÑO : Bien sûr, Juan. Et je m'excuse. Il y a une partie à laquelle je n'ai pas répondu pour Amy, un peu à propos de la démographie. Ainsi, dans le dernier rapport du recensement américain publié par le Bureau du recensement, ils ont signalé l'existence de 12,1 millions de Latinos dans l'État du Texas. Pour la première fois, n'est-ce pas ? – et vraiment depuis un certain temps maintenant, les Latinos sont en fait plus nombreux que les Blancs non hispaniques, qui sont 12 millions, d'accord ? Ainsi, si l'on tient compte non seulement de la population latino-américaine de l'État du Texas, mais aussi de la population afro-américaine et asiatique, et même si l'on tient compte de deux races ou plus, la communauté minoritaire du Texas s'élève maintenant à plus de 60 %. Le Texas est et a été un État comptant une majorité formée par les minorités.. Et donc, ce grand changement démographique que vous voyez, vous savez, est répandu. Et donc, nous voyons cela, effectivement, comme des tactiques pour que les républicains restent réellement aux commandes du gouvernement au Texas. La démographie change. Ils ne vont pas pouvoir changer cela de sitôt. Et ils vont devoir s'en occuper tôt ou tard.

En ce qui concerne le Projet 2025, LULAC a publié il y a quelques semaines le premier et le seul rapport que je vois qui analyse le Projet 2025 à travers une lentille latino. De toute évidence, cela a été très largement rapporté tout au long de l'histoire. C'était évidemment très répandu dans le programme de la Convention nationale démocrate. À Chicago, nous étions là pour écouter la vice-président Harris et Walz parler de cela.

Vous savez, j'étais très inquiet, choqué, quand j'ai regardé la Convention nationale républicaine ce mardi-là et ils sont sortis avec des pancartes « déportation de masse ». Vous savez, quelqu'un y a pensé. Quelqu'un a conçu ces panneaux. Ils leur ont ordonné. Ils les ont imprimés. Ils les ont distribués à des milliers de personnes dans ce centre de congrès.

Ce n'est qu'une partie de ce qui se trouve dans le Projet 2025. Vous savez, ils parlent, en fait, de programmes qui visent effectivement les commmunautés minoitaires. Lle ministère de l'Éducation, également, veut limiter différents types de visas qui permettent d'accéder à la citoyenneté dans ce pays. C'est systémique.. Cela aurait un impact non seulement sur les communautés latino-américaines, mais aussi sur d'autres communautés d'immigrants et de minorités à travers le pays. Et pas seulement les communautés minoritaires, cela aurait un impact sur un nombre important de Blancs non hispaniques, car cela recoupe également tous les facteurs socio-économiques.

AMY GOODMAN : Nous tenons à vous remercier tous les deux d'être avec nous. Juan Proaño est PDG de LULAC. Il nous parlait de Miami, en Floride. Et Cesar Espinosa est directeur exécutif de FIEL à Houston, Families of Immigrants and Students in the Struggle.

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Le Jazz, c’est quoi ?

30 août 2024, par Marc Simard
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Négos dans les hôtels : « On ne demande pas des montres en or »

30 août 2024, par Par Orian Dorais
Entrevue avec Michel Valiquette, responsable du secteur de l’hôtellerie et trésorier de la Fédération du commerce-CSN

Entrevue avec Michel Valiquette, responsable du secteur de l’hôtellerie et trésorier de la Fédération du commerce-CSN

L’intelligence artificielle et la fonction publique : clarification des enjeux

29 août 2024, par Rédaction

L’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) générative auprès du public ces dernières années a augmenté la tenue de discours polarisants où elle est parfois présentée comme un risque existentiel ou comme une technologie révolutionnaire. Or, il y a un écart flagrant entre ce type de discours et l’usage actuel de l’IA au sein de la fonction publique, voire en général. Loin d’une superintelligence, les applications actuelles sur les sites Web gouvernementaux prennent plutôt la forme de « robots conversationnels », d’algorithmes de détection de fraudes, d’automatisation de la prestation de services ou encore d’assistance au diagnostic médical[1]. Loin d’une révolution sociale, l’IA perpétue plutôt le statu quo, c’est-à-dire la marginalisation et la discrimination de certaines populations selon des critères de genre, de religion, d’ethnicité ou de classe socioéconomique.

En déployant ces algorithmes dans l’appareil administratif, l’État cherche à accroitre la productivité, à diminuer les coûts et à améliorer la qualité des services fournis, tout en réduisant les biais et en personnalisant les services. Cependant, l’intégration de l’IA dans l’administration publique québécoise demeure pour le moment limitée et peu transparente. Les gains envisagés avec l’aide de l’IA, quant à eux, s’articulent principalement du côté de la répartition du temps des fonctionnaires, en concentrant leur travail sur des tâches plus « humaines » et moins « mécaniques ». Toutefois, l’automatisation ne se limite pas à une simple redistribution du temps de travail, mais met en œuvre plutôt une transformation substantielle des responsabilités et des dynamiques du travail[2]. Les conceptrices et concepteurs des fonctionnalités des algorithmes occupent une place de plus en plus importante tandis que les autres employé·es se voient davantage relégués à des rôles de soutien, par exemple, en nettoyant les données entrantes ou en vérifiant les données sortantes[3]. En ce sens, bien loin d’affranchir les travailleuses et travailleurs des tâches fastidieuses, l’IA ancre davantage l’aspect répétitif du travail administratif. Cette transition s’inscrit dans une restructuration plus vaste des relations socioéconomiques du « capital algorithmique », où l’accumulation, le contrôle et la valorisation des données massives reconfigurent les dynamiques de pouvoir et les rapports sociaux vers une nouvelle économie politique[4].

Dans un tel contexte, il y a un véritable risque de tomber dans un « solutionnisme technologique[5] » qui réduit des problèmes sociaux et politiques complexes, comme le décrochage scolaire ou l’engorgement du système de santé, à des enjeux pouvant se régler à l’aide d’une application ou d’une technologie. Alors que les écoles publiques sont en piètre état, qu’une pénurie de professeur·es et une précarité généralisée persistent, le gouvernement se réjouit du potentiel de l’IA pour personnaliser l’apprentissage et repérer les élèves à risque de décrochage en temps réel, et il y investit plusieurs millions[6]. Ce genre de discours n’est pas sans conséquence. Il reflète la réorientation des valeurs ainsi que celle des fonds publics vers une « économie de la promesse[7] » profondément spéculative dont les retombées économiques sont principalement captées par les entreprises du secteur privé[8].

Outre ce premier piège, plusieurs enjeux découlent directement de l’adoption de l’IA dans les différentes sphères de la fonction publique, soit l’opacité des outils de prise de décision, l’aggravation des inégalités sociales et l’absence d’imputabilité.

L’enjeu de l’opacité

Pour des raisons techniques, les processus décisionnels algorithmiques sont difficiles, voire impossibles à établir. Cette opacité constitue, en quelque sorte, un problème dès le départ : comment évaluer qu’une « boite noire » se conforme aux normes et principes d’équité exigés de la fonction publique ? Comment garantir une reddition de comptes ? En ce sens, des enjeux légaux et techniques découlent de l’utilisation de l’IA et entrainent déjà des conséquences importantes.

L’opacité des outils décisionnels automatisés est problématique lorsque leur fonctionnement, voire leur usage, sont sous le sceau du secret commercial ou d’autres barrières légales à l’accès à l’information. Le développement de technologies d’IA par le personnel de l’administration publique est rarement envisagé en raison des coûts initiaux élevés et du manque d’expertise technique. C’est donc largement par appels d’offres ou par l’acquisition de systèmes clés en main que les divers ordres de gouvernement et les municipalités « modernisent » leurs opérations. L’approvisionnement en outils algorithmiques dont le fonctionnement est protégé par le secret commercial est maintenant devenu pratique courante[9]. Pourtant, l’incapacité de présenter le raisonnement derrière une décision générée par un algorithme pose des problèmes de conformité aux cadres normatifs de non-discrimination et d’imputabilité. Certains y voient la source d’une crise de la légitimité du rapport entre le gouvernement et les citoyens et citoyennes[10].

Dans le système judiciaire américain, les applications de l’IA soulèvent des questions sur le droit à un procès juste et équitable. Les juges utilisent couramment des outils algorithmiques pour appuyer leur verdict, mais ils le font à l’aveugle, en quelque sorte. Le logiciel intitulé COMPAS est peut-être le plus connu de ces outils. La Cour suprême du Wisconsin, dans State v. Loomis[11], a statué que l’utilisation de COMPAS sans en divulguer le fonctionnement ni aux juges ni aux appelants n’enfreignait pas le droit à un procès juste et équitable. À l’inverse, dans Michael T. v. Crouch[12], le tribunal a jugé que l’absence de standards vérifiables pour l’allocation de prestations médicales générées automatiquement par des algorithmes représentait de sérieux risques pour le droit à un procès juste et équitable. Ainsi, les personnes affectées ont vu leurs prestations médicales réinstaurées après avoir été coupées subitement par un algorithme dont aucun moyen ne permettait d’établir comment il calculait les indemnités.

De même, les Pays-Bas ont suspendu en 2020 le système de détection de fraudes SyRI dans les prestations sociales parce qu’il contrevenait aux droits de la personne. Les personnes touchées, toutes issues de quartiers défavorisés, n’étaient pas informées du fait que leur profil fiscal avait été trié et jugé frauduleux uniquement par un algorithme. Le fonctionnement de l’outil, quant à lui, était opaque et invérifiable autant pour le tribunal que pour le public[13]. Pour cette raison, l’utilisation de SyRI a été déclarée contraire à la loi. Le gouvernement australien a de son côté déployé Robodebt, un système automatisé de détection de fraudes. Banni en 2019, cet algorithme avait causé des dommages affectant, cette fois-ci, des centaines de milliers de prestataires qui se trouvaient contraints à contester des dettes qui leur avaient été attribuées par erreur[14].

Les administrations publiques canadienne et québécoise utilisent également ce type d’outils. À l’échelle fédérale, un système automatise le tri des demandes de permis de travail et fait progresser celles qui sont admissibles, tandis que les autres demeurent sous la responsabilité des agents de l’immigration[15]. Au Québec, l’utilisation du Système de soutien à la pratique (SSP) comme serveur mandataire soulève des préoccupations qui se sont accentuées en réaction aux « incohérences » produites par l’outil dans un dossier où un enfant a perdu la vie[16]. Ce système prédit la sévérité du risque que court un enfant dans son milieu à partir d’un formulaire de questions à choix multiples. Dans son rapport, Me Géhane Kamel insiste sur le fait que les évaluations générées par le SSP « ne doivent pas se substituer au jugement professionnel des intervenants ». Elle souligne d’ailleurs l’importance du contexte dans lequel se découlent des événements : pénurie de main-d’œuvre, budgets « faméliques » et charge de travail démesurée[17].

L’opacité des outils algorithmiques de prise de décision utilisés par des juges, des administrateurs et d’autres employé·es de l’État est un thème récurrent dans la littérature qui se penche sur l’intégration de l’IA à l’administration publique. Le besoin de transparence à cet égard est évident ; la loi et les directives administratives peuvent jouer ce rôle.

Dans l’État de Washington, le corps législatif a déjà reconnu cette problématique. Déposé en 2019 et désormais sous révision par le Sénat, le projet de loi SB 5356, 2023-2024[18], interdit les clauses de non-divulgation et autres obstacles à la transparence dans les contrats d’acquisition de systèmes décisionnels algorithmiques. En outre, tous les systèmes acquis ou développés au sein de la fonction publique doivent être inventoriés. L’inventaire enregistre des informations sur les données, l’objectif, la capacité générale du système, ses impacts et ses limitations, les évaluations de biais potentiels et les facteurs déterminant son déploiement (où, quand, et comment). Ce genre de descriptif doit être clair pour les utilisateurs et utilisatrices indépendamment de leur capacité à connaitre le langage du code.

Outre les obstacles légaux, les applications de l’IA peuvent être opaques aussi pour des raisons techniques. Même avec le code source, auditer un algorithme et expliquer son fonctionnement constituent des tâches laborieuses pour les experts, surtout en ce qui concerne l’apprentissage automatique, car il présente divers degrés d’opacité[19]. Si Robodebt était problématique, c’est en partie parce que l’outil était trop simple pour une tâche nécessitant beaucoup de nuance[20]. En revanche, une complexité accrue, bien que parfois préférable, compromet la capacité d’interprétation du fonctionnement d’un système. Cette tension, désignée comme l’enjeu de l’« explicabilité », est complexifiée par l’évolution d’un système au fil du temps. À titre d’exemple, un outil de priorisation des ressources municipales entre divers quartiers tel le logiciel MVA[21] doit tenir compte du phénomène d’embourgeoisement observé avec le temps. Afin d’éviter qu’il soit désuet ou pire, nuisible, il faut effectuer une mise à jour périodique des critères décisionnels encodés dans l’outil, ce qui complique l’encadrement par audits externes[22]. Il en va de même sur le plan géographique, où la non-prise en compte des différences socioculturelles peut entrainer des conséquences néfastes[23].

Au vu de ces limites, des mesures de transparence doivent surtout éclaircir le contexte sociotechnique dans lequel ces systèmes sont conçus, déployés et entretenus. Contrairement aux détails techniques, cette information est connue du grand public et permet des échanges démocratiques sur des cas d’utilisation appropriée et inappropriée d’outils algorithmiques. Après tout, ces débats sont essentiels puisque les concepteurs de systèmes doivent parfois trouver un compromis entre des objectifs contradictoires tels que l’équité et l’efficacité[24].

L’enjeu de la discrimination et de l’injustice

Les spécialistes des données sont sollicités pour traduire la prise de décisions administratives en problèmes d’optimisation. L’évaluation de la vulnérabilité d’une personne en situation d’itinérance avec l’outil VI-SPDAT[25], par exemple, se réduit à une prédiction à partir de données telles que le nombre d’hospitalisations, la prescription de médicaments et l’identité de genre. L’« art » du métier consiste à trouver et à accumuler les données dotées du plus grand potentiel prédictif, mais celles-ci comportent également un potentiel discriminatoire. Depuis quelques années, un nombre grandissant d’ouvrages documente et critique les formes de discrimination et d’injustice diffusées par les applications émergentes de l’IA[26].

Aux États-Unis, les communautés qui ont été historiquement davantage surveillées sont aujourd’hui victimes de profilage par des systèmes algorithmiques entrainés à partir de données reflétant le racisme systémique de l’histoire criminelle. Dans un tel contexte, les effets discriminatoires ne sont pas une conséquence du dysfonctionnement de l’algorithme, mais plutôt un reflet d’inégalités enracinées dans les rapports sociaux. Même certaines caractéristiques absentes telles que le sexe, l’âge, l’ethnicité, la religion peuvent être inférés par l’algorithme de façon insidieuse à partir de données comme le code postal, l’emploi ou le prénom[27]. En ce sens, la proposition selon laquelle les algorithmes sont plus neutres et objectifs que les humains est insoutenable puisque les données utilisées par un algorithme sont elles-mêmes biaisées.

En outre, des effets discriminatoires peuvent naitre de l’accumulation de données déséquilibrées. Lorsque l’ensemble des données d’entrainement représente de façon disproportionnée certains groupes à cause d’un manque d’entrées ou d’un surplus, le modèle reproduira ces biais. Par exemple, certains systèmes de reconnaissance faciale actuellement utilisés par la police sont moins précis pour identifier les personnes racisées, car leurs visages sont insuffisamment représentés dans l’ensemble des données et, de ce fait, ils dévient de la norme du visage blanc[28]. Porcha Woodruff et Rendal Reid, détenus à tort par la police sous prétexte d’avoir été identifiés par un système de reconnaissance faciale, sont deux cas d’une liste de plus en plus longue de personnes profilées à tort par le biais de ces technologies[29].

De même, une collection d’outils d’évaluation du risque de récidive, conçus par et pour les personnes blanches, sont employés dans le cas de détenus autochtones au Canada. Dans Ewert c. Canada, la Cour suprême du Canada a statué que le Service correctionnel du Canada (SCC) :

n’avait pas pris les mesures raisonnables appropriées pour s’assurer que ses outils produisaient des résultats exacts et complets à l’égard des détenus autochtones […] Le SCC savait que les outils suscitaient des craintes, mais il a continué à s’en servir malgré tout[30].

Ainsi, les effets discriminatoires de l’IA se réalisent autant par l’exclusion des personnes racisées de l’ensemble des données que par leur inclusion.

L’enjeu de l’imputabilité

Afin de prévenir le déploiement d’algorithmes opaques et discriminatoires, l’encadrement responsable de l’IA ne peut pas se limiter aux déclarations de valeurs et de principes qui, outre le scepticisme à propos de leur efficacité, effectuent une sorte de « lavage éthique ». Les mécanismes d’imputabilité traditionnels, où une action répréhensible est attribuée à son auteur ou son autrice, sont défaillants lorsque des systèmes algorithmiques sont en cause. En ce qui concerne la fonction publique, il faut se tourner vers le droit administratif.

D’abord, les décisions administratives sont jugées selon leur raisonnabilité. Il s’agit de la norme de contrôle appliquée par défaut pour évaluer la validité d’une décision prise par une institution publique[31]. C’est, en quelque sorte, le cœur des mécanismes de protection du citoyen et de la citoyenne. À l’inverse, une décision est jugée déraisonnable s’il y a un « manque de logique interne dans le raisonnement » ou encore un « manque de justification[32] ». Toutefois, comme l’illustre Michael T. v. Crouch, présenter une explication du procédé logique d’un algorithme s’avère parfois impossible[33].

Les outils algorithmiques utilisés en soutien à la décision, quant à eux, complexifient le problème d’imputabilité. State v. Loomis démontre que malgré le besoin de systèmes dont le fonctionnement est intelligible, on peut contourner ceux-ci lorsqu’ils produisent des recommandations plutôt que des décisions. Outre les biais cognitifs relatifs à la fiabilité des algorithmes, ces derniers « réduisent le sentiment de contrôle, de responsabilité et d’agentivité morale chez les opérateurs humains[34] ». Les mécanismes d’imputabilité actuels attribuent le blâme aux personnes et non aux outils d’aide à la décision sans tenir compte des nouvelles dynamiques de pouvoir dans les environnements humain-IA. Or, le pouvoir décisionnel des fonctionnaires peut s’avérer négligeable, en particulier dans un contexte de prise de décision rapide, de manque de formation et de charge de travail démesurée[35]. Ainsi, tel que le souligne Wagner, « les gens ne peuvent pas être blâmés ou tenus responsables uniquement de leur pouvoir discrétionnaire : celui des systèmes techniques doit aussi être pris en compte[36] ». Dans les environnements humain-IA, des mécanismes de justice réparatrice doivent problématiser les dynamiques du travail, en dégager les enjeux et prescrire un changement des pratiques institutionnelles plutôt que d’attribuer le blâme et les sanctions aux individus.

Pour ce faire, l’encadrement des algorithmes doit s’effectuer sur plusieurs plans : à l’échelle de l’instrument, certes, mais également à l’échelle du contexte sociotechnique et de la société[37]. Les premières tentatives visant à assurer une utilisation responsable des algorithmes étaient axées sur la transparence des outils algorithmiques, ce qui est parfois irréalisable et jamais suffisant[38]. On doit établir des normes éthiques et des règles claires pour pallier les limites inhérentes à ces technologies, en commençant par une évaluation de la nécessité et des impacts d’un système d’IA pour une tâche donnée. Le corps législatif, quant à lui, doit mettre l’accent sur la création de nouveaux droits et obligations[39] en matière d’approvisionnement (interdiction de clauses de non-divulgation), de documentation ou encore le droit à une explication, le droit à un examen humain et la divulgation publique des objectifs, des risques et des répercussions de ces systèmes. De plus, les applications à haut risque, comme le SSP décrit précédemment, devraient se conformer à des normes plus strictes, s’accompagner de dossiers plus détaillés, être soumises à des examens plus fréquents et à des conséquences plus importantes en cas de négligence ou d’évitement.

Face à ces enjeux, le grand public joue un rôle clé dans le développement des applications de l’IA. Les pressions du public et les actions judiciaires collectives ont largement permis de retirer et de restreindre des systèmes opaques et discriminatoires tels que COMPAS, SyRI, Robodebt et d’autres. L’intégration des applications de l’IA s’inscrit dans la longue histoire de la technocratisation de l’État, où les techniques scientifiques sont valorisées au détriment de l’autonomisation des personnes et des qualités humaines qui sont pourtant essentielles à l’administration des services de soutien social. Devant les promesses du gouvernement québécois, on doit instaurer davantage d’espaces de discussions et de débats démocratiques sur la transition numérique des pouvoirs publics. Autrement, ces technologies continueront à opprimer plutôt qu’à rendre autonome.

Par Jérémi Léveillé, bachelier en arts libéraux et en informatique


  1. Gouvernement du Québec, Stratégie d’intégration de l’intelligence artificielle dans l’administration publique 2021-2026, juin 2021.
  2. Mark Bovens et Stavros Zouridis, « From street-level to system-level bureaucracies : how information and communication technology is transforming administrative discretion and constitutional control », Public Administration Review, vol. 62, n° 2, 2002.
  3. Jenna Burrell et Marion Fourcade, « The society of algorithms », Annual Review of Sociology, vol. 47, 2021.
  4. Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle, Montréal, Écosociété, 2023.
  5. Evgeny Morozov, To Save Everything, Click Here. The Folly of Technological Solutionism, New York, PublicAffairs, 2014.
  6. Conseil de l’innovation du Québec, Le potentiel et les exigences de l’adoption de l’IA dans l’administration publique, Québec, Gouvernement du Québec, octobre 2023, p. 15 ; Hélène Gaudreau et Marie-Michèle Lemieux, L’intelligence artificielle en éducation : un aperçu des possibilités et des enjeux, Québec, Conseil supérieur de l’éducation, 2020.
  7. Maxime Colleret et Mahdi Khelfaoui, « D’une révolution avortée à une autre ? Les politiques québécoises en nanotechnologies et en IA au prisme de l’économie de la promesse », Recherches sociographiques, vol. 61, n° 1, 2020.
  8. Ana Brandusescu, Politique et financement de l’intelligence artificielle au Canada : investissements publics, intérêts privés, Montréal, Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises, Université McGill, mars 2021, p. 37-40 ; Myriam Lavoie-Moore, Portrait de l’intelligence artificielle en santé au Québec. Propositions pour un modèle d’innovation au profit des services et des soins de santé publics, Montréal, IRIS, novembre 2023.
  9. Hannah Bloch-Wehba, « Access to algorithms », Fordham Law Review, vol. 88, n° 4, 2020, p. 1272.
  10. Ryan Calo et Danielle Keats Citron, « The automated administrative state : a crisis of legitimacy », Emory Law Journal, vol. 70, n° 4, 2021.
  11. State v. Loomis, 881 N.W.2d 749 (Wis 2016).
  12. Michael T. v. Crouch, No. 2:15-CV-09655, 2018 WL 1513295 (S.D.W. Va. Mar. 26, 2018).
  13. Christiaan Van Veen, Aux Pays-Bas, une décision judiciaire historique sur les États-providences numériques et les droits humains, Open Global Right, mars 2020.
  14. Catherine Holmes, Report, Royal Commission into the Robodebt Scheme, Brisbane (Australie), juillet 2023, p. 331.
  15. Immigration et citoyenneté Canada, Automatisation pour accélérer le traitement des permis de travail d’Expérience internationale Canada, Gouvernement du Canada, 7 novembre 2023.
  16. Pasquale Turbide, « Un logiciel de la DPJ mis en cause dans la mort d’un enfant », Radio-Canada, 14 novembre 2019.
  17. Me Géhane Kamel, Rapport d’enquête POUR la protection de LA VIE humaine concernant le décès de Thomas Audet, Québec, Bureau du coroner, février 2023.
  18. Washington State Legislature, Loi concernant l’établissement de lignes directrices pour l’approvisionnement gouvernemental de systèmes de décision automatisés afin de protéger les consommateurs, améliorer la transparence, et créer plus de prévisibilité du marché, SB 5356 – 2023-24, janvier 2023.
  19. Jenna Burrell, « How the machine “thinks” : understanding opacity in machine learning algorithms », Big Data & Society, vol. 3, n° 1, 2016 ; Joshua A. Kroll, Joanna Huey, Solon Barocas, Edward W. Felten, Joel R. Reidenberg, David G. Robinson, Harlan Yu, « Accountable algorithms », University of Pennsylvania Law Review, vol. 165, n° 3, 2017, p. 633-706.
  20. Catherine Holmes, op. cit., p. iii.
  21. Conseil jeunesse de Montréal, Avis sur l’utilisation de systèmes de décision automatisée par la Ville de Montréal. Assurer une gouvernance responsable, juste et inclusive, Montréal, février 2021, p. 33.
  22. Mike Ananny et Kate Crawford, « Seeing without knowing: limitations of the transparency ideal and its application to algorithmic accountability », New Media & Society, vol. 20, n° 3, 2018, p. 982.
  23. Andrew D. Selbst, Danah Boyd, Sorelle A. Friedler, Suresh Venkatasubramanian, Janet Vertesi, « Fairness and abstraction in sociotechnical systems », Proceedings of the Conference on Fairness, Accountability, and Transparency, 2019, p. 61.
  24. Teresa Scassa, « Administrative law and the governance of automated decision-making. A critical look at Canada’s Directive on automated decision making », U.B.C. Law Review, vol. 54, n° 1, 2021, p. 262-265.
  25. Conseil jeunesse de Montréal, op. cit., p. 32.
  26. Virginia Eubanks, Automating Inequality. How High-Tech Tools Profile, Police, and Punish the Poor, New York, St. Martin’s Press, 2018 ; Saifya Umoja Noble, Algorithms of Oppression. How Search Engines Reinforce Racism, New York, NYU Press, 2018 ; Ruha Benjamin, Race After Technology, Medford, Polity, 2019 ; Joy Buolamwini, Unmasking AI, New York, Penguin Random House, 2023 ; Cathy O’Neil, Weapons of Math Destruction. How Big Data Increases Inequality and Threatens Democracy, Portland, Broadway Books, 2017.
  27. Kroll et al., « Accountable algorithms », op. cit., p. 656.
  28. Buolamwini, op. cit.
  29. Kashmir Hill, « Eight months pregnant and arrested after false facial recognition match », The New York Times, 6 août 2023 ; Kashmir Hill et Ryan Mac, « Thousands of dollars for something I didn’t do », The New York Times, 31 mars 2023.
  30. Cour suprême du Canada, Ewert c. Canada (Service correctionnel), 13 juin 2018 et <https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/17133/index.do>.
  31. Gouvernement du Canada, Processus décisionnel – Norme de contrôle et marche à suivre pour prendre une décision raisonnable, 12 juillet 2022 ; Cour suprême du Canada, Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 19 décembre 2019, CSC 65.
  32. Jurisource, Normes de contrôle (schématisé), 2020.
  33. Michael T. v. Crouch, Action civile No. 2:15-cv-09655, 2018 WL 1513295 (S.D.W. Va. Mar. 26, 2018).
  34. Ben Green, « The flaws of policies requiring human oversight of government algorithms », Computer Law & Security Review, vol. 45, 2022, p. 7. Notre traduction.
  35. Ben Wagner, « Liable, but not in control ? Ensuring meaningful human agency in automated decision-making systems », Policy & Internet, vol. 11, n° 1, 2019, p. 104-122.
  36. Ibid., p. 16. Notre traduction.
  37. Joshua A. Kroll, « Accountability in computer systems », dans Markus D. Dubber, Frank Pasquale et Sunit Das (dir.), The Oxford Handbook of Ethics of AI, Oxford, Oxford University Press, 2020, p. 181-196 ; Micheal Veale et Irina Brass, « Administration by algorithm ? Public management meets public sector machine learning », dans Karen Yeung et Martin Lodge (dir.), Algorithmic Regulation, Oxford, Oxford University Press, 2019.
  38. Ananny et Crawford, op. cit., p. 985.
  39. Veale et Brass, op. cit.

 

​Qui sont les (riches) patrons de la nouvelle agence Santé Québec ?​

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Solitudes : une décennie de réflexions féministes

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Contre vents et marées : liens avec un proche incarcéré

28 août 2024, par Ligue des droits et libertés

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Contre vents et marées : liens avec un proche incarcéré

Sophie Maury, directrice générale de Relais Famille La réinsertion sociale est au cœur de la Loi sur le système correctionnel du Québec1. Elle est à la fois l’un des mandats des services correctionnels (article 3) mais également l’un des principes généraux guidant ses actions (article 1). Divers programmes et services sont utilisés pour remplir ce mandat, notamment des droits de visites, des droits d’appel ou encore des permissions de sortie, avec pour objectif de maintenir les liens familiaux et sociaux de la personne incarcérée. Ainsi, sur papier, les services correctionnels québécois témoignent de l’importance de l’entourage dans la réhabilitation sociale de la personne incarcérée. Dans les faits pourtant, il en est tout autrement. Les familles parcourent un long chemin semé d’embûches pour maintenir les liens avec leur proche incarcéré. Mais malgré tout, face à un système carcéral inflexible, elles se tiennent debout, avancent et gardent espoir. [caption id="attachment_20175" align="alignright" width="450"] Crédit : Guillaume Ouellet[/caption] Avoir un proche incarcéré et vouloir maintenir les liens avec celui-ci, c’est se livrer à un véritable parcours du com- battant. C’est voir sa vie voler en éclats et n’avoir plus aucun repère ni contrôle. C’est ressentir honte et culpabilité tout en étant jugé et étiqueté. Du jour au lendemain, vous êtes confrontés à un système qui vous est inconnu et qui ne va pas vous épargner. Vous êtes face à un rouleau compresseur qui n’a pas – ne prend pas – le temps de vous familiariser avec ses codes et son langage. Vous devez tout apprendre, et vite. Et même si vous connaissez le système, les règles peuvent changer sans préavis ni explications.

« Avant on avait droit à deux entrées par année [pour les vêtements] maintenant c’est une. J’ai aucune idée pourquoi. Et ça, c’est à Bordeaux car à Rivière-des- Prairies (RDP) c’est resté deux. » Mère 1

Vous  allez  vivre  ce  qu’on  appelle « l’expérience carcérale élargie 2». Cela signifie que la sentence de la personne incarcérée s’étend au-delà des murs de la prison pour venir affecter la vie entière de sa famille. Même s’il n’a commis aucun acte répréhensible, l’entourage subit lui aussi, en quelque sorte, une privation de liberté. Le prix à payer pour les familles est élevé, aussi bien sur le plan émotionnel que sur le plan physique ou financier.

« […] On continue à tous les jours de s’occuper de nos affaires, de la maison, notre travail… on doit en plus s’occuper de leurs affaires… Je veux bien mais je manque de souffle… » – Conjointe 1

La voix des familles des personnes incarcérées n’est pas vraiment entendue. Elle est, de toute façon, rarement écoutée. Souvent, ces familles ne veulent pas prendre la parole pour exprimer les  difficultés  qu’elles  traversent. Non seulement elles s’inquiètent des répercussions – réelles ou non – que cela pourrait avoir sur leur proche incarcéré (interdit de visite, temps en isolement…) mais elles ne savent pas non plus vers qui se tourner pour dénoncer des atteintes à leurs droits et à ceux de leur proche à l’intérieur.

« Je veux les aider les pauvres… être leur voix… je sais pas comment m’y prendre… […] Qu’est-ce que je peux faire ??? » – Conjointe 1

Aussi, beaucoup de familles ne dévoilent pas l’incarcération de leur proche à leur entourage, la plupart du temps par peur du jugement. Elles ne veulent donc pas témoigner à visage découvert. Finalement, dans le cas où il y a une victime, elles ne souhaitent pas se mettre de l’avant et dénoncer leur situation par respect pour cette dernière et pour sa famille. Alors, même si elles sont considérées comme des victimes collatérales, elles se taisent, elles s’isolent et subissent jour après jour le dénigrement du système carcéral et de la société. Lorsqu’une personne est incarcérée, les obstacles au maintien des liens familiaux sont nombreux et surviennent à toutes les étapes de la détention. Le premier grand obstacle à se dresser sur ce chemin sinueux est l’obtention d’un droit de visite. Il faut tout d’abord que votre proche détenu vous inscrive sur sa liste de visiteurs avant d’être autorisé par la personne responsable de l’établissement. Cette étape peut prendre plusieurs jours voire plusieurs semaines et l’attente est très difficile à vivre.

« J’ai aucune information. Quand je téléphone [à l’établissement] pour savoir [quand je recevrai l’autorisation], on ne me dit rien. » – Mère 2

Une fois l’autorisation reçue, la personne doit prendre rendez-vous pour pouvoir visiter son proche. Là encore, les témoi- gnages démontrent la complexité de cette étape :

« J’ai appelé 1 063 fois en une journée avant d’avoir quelqu’un au bout de la ligne… 1 063 fois… ça fait pas de sens. » – Mère 1

« Nous avons eu confirmation vendredi que j’étais enfin sur sa liste comme sa conjointe… mais dix jours après toujours pas réussi à avoir un rendez- vous avec, malgré les innombra- bles courriels, appel, demandes en- voyées… » – Conjointe 1

L’obtention d’une visite tient presque du miracle. Miracle qui, malheureusement, est de courte durée. En effet, depuis la COVID-19, les familles rapportent qu’il est de plus en plus fréquent que leur visite soit annulée soit quelques heures après la confirmation de celle-ci, le jour même de la visite ou bien lorsque ces dernières sont déjà devant les portes de l’établissement. Le manque de personnel est l’explication première utilisée par les services correctionnels pour justifier de telles situations.
Même s’il n’a commis aucun acte répréhensible, l’entourage subit lui aussi, en quelque sorte, une privation de liberté. Le prix à payer pour les familles est élevé, aussi bien sur le plan émotionnel que sur le plan physique ou financier.
Cette pénurie de main d’œuvre est également invoquée lorsque le moment est venu pour les familles de remettre les effets personnels à leur proche ou lorsque les personnes incarcérées veulent appeler leurs proches à l’extérieur. Ainsi, il peut se passer plus de trois semaines avant que des familles puissent déposer des vêtements et autres objets, et ces dernières peuvent être plusieurs jours sans nouvelles de leur proche gardé en isolement cellulaire.

« Le service correctionnel du Québec se sert de l’excuse de la Covid pour enlever certains droits. Avant certaines choses étaient autorisées, maintenant ça ne l’est plus. Les livres sont maintenant interdits à Bordeaux, sans aucune raison ; même les livres à couvertures souples. Avant je pouvais déposer dix cédéroms, aujourd’hui je n’ai plus le droit qu’à cinq. » – Mère 1

Au-delà de ces changements qui ne font pas de sens pour les familles, chaque centre de détention a ses propres règles. Cela alourdit d’autant plus le fardeau pour l’entourage.

« À Bordeaux on n’a plus le droit de [vêtements] blancs et verts. À RDP c’est le beige qui est interdit et à Sorel il ne faut pas de haut noir. Quand ton proche est transféré, ben tu dois tout racheter. Je suis écœurée de lui acheter du linge. » – Mère 1

Maintenir les liens avec une personne incarcérée demande donc de réels sacri- fices pour les familles. Que ce soit en ce qui concerne le temps nécessaire pour faire toutes les démarches, ou bien sur le plan financier, le tribut est lourd. Ceci entraîne des conséquences directes sur leur santé physique et mentale en plus d’avoir un impact important sur leurs propres liens sociaux.

« Mes amies ne comprennent pas pourquoi je suis encore à acheter du linge pour lui. Elles me disent d’arrêter. Elles ne comprennent pas. » – Mère 1

L’entraide entre les familles de personnes incarcérées est alors salvatrice et le partage d’expériences est une bouffée d’oxygène. Les proches s’aident à comprendre le fonctionnement carcéral et se prodiguent des conseils mutuels pour passer au travers de cette douloureuse épreuve.

« Lors de ma visite, une petite madame de 80 ans apportait les effets personnels de son fils. Le garde refusait presque tout sans rien lui expliquer. La pauvre madame ne comprenait pas ce qu’il fallait faire. Je suis allée la voir pour lui expliquer les choses. » – Mère 1

« Me sentant très seule, isolée de mes ami-e-s et de ma famille élargie, j’ai beaucoup apprécié les échanges avec [les autres familles]. » – Mère 3

Acculées de tous les côtés, désemparées devant l’énorme machine qu’est l’insti- tution carcérale, les familles demandent simplement un peu de considération et de respect. Elles ont choisi de rester là pour leur fille ou leur fils, leur conjoint-e, leur père ou leur mère ou autre ami-e. Envers et contre toutes et tous, elles se battent pour garder la tête haute, malgré les affronts et injustices subies. Elles incarnent l’espoir : l’espoir de la sortie, l’espoir de reprendre une vie de famille, l’espoir de la réinsertion sociale de leur proche. C’est là une des grandes incohérences de l’institution carcérale : d’un côté elle fait porter une partie de la responsabilité de la réinsertion sociale aux familles et de l’autre elle invisibilise leur vécu et porte atteinte à leurs droits. Il est temps que ça change.
  1. En ligne : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/s-1
  2. C. Touraut, La famille à l’épreuve de la prison, Paris, Presses universitaires de France, 2012.

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28 août 2024, par Par Michel Rioux
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