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Comment des conditions extrêmes ont poussé les Ukrainiens à des « transformations sociales » pour leur la survie commune

Depuis plus de deux mois, les Ukrainiens subissent de graves coupures d'électricité dues aux tirs de roquettes. Et la situation risque de se détériorer considérablement cet hiver. Cependant, la vie montre qu'il est possible d'améliorer la vie quotidienne même face à des coupures de courant qui durent des mois, si les gens se soutiennent mutuellement et si les autorités locales font leur travail de manière désintéressée. C'est cette approche des difficultés qui est abordée dans cet article.
20 août 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/08/22/comment-des-conditions-extremes-ont-pousse-les-ukrainiens-a-des-transformations-sociales-pour-leur-la-survie-commune/#more-85093
Dans les zones de la ligne de front de l'Ukraine, de nombreux villages sont privés d'électricité depuis un an ou plus. La situation est d'autant plus compliquée qu'il est impossible d'effectuer des travaux de réparation, la zone environnante étant régulièrement bombardée. Néanmoins, les habitants ont réussi à organiser des conditions de vie acceptables. Les habitants s'entraident de manière désintéressée en s'équipant, en partageant des générateurs, en remettant en état les infrastructures de transport incendiées, en livrant du bois de chauffage aux endroits « les plus chauds » et en organisant un « budget du peuple » pour répondre aux besoins les plus urgents. Nous publions des récits sur la vie des habitants de quatre villages des régions de Kharkiv, Soumy et Mykolaiv.
« Tout le monde vit une situation similaire »
La plupart des Ukrainiens savent par expérience que les coupures de courant prolongées entraînent une détérioration des conditions de vie, notamment des problèmes d'eau, de chauffage et de communication. Dans le cas des régions de la ligne de front, qui sont soumises à des bombardements réguliers, il est également difficile de se déplacer et d'acheminer des médicaments et de la nourriture. Néanmoins, de nombreuses personnes choisissent de vivre près de la ligne de front, même dans ces conditions extrêmes – malgré le danger, elles préfèrent rester chez elles. Viktoriia Kolodochka, chef du district Tokarivsky de la collectivité territoriale de Derhatchi dans l'oblast de Kharkiv, a expliqué à Commons que quatre villages de son district sont privés d'électricité depuis deux ans : Kochubeivka, Shopyne, Tokarivka et Hoptivka. Avant la guerre, un millier de personnes vivaient dans ces villages. Aujourd'hui, ils sont 69, dont 50 à Hoptivka.
Au fil du temps, les gens se sont adaptés à l'absence d'électricité. Les réfrigérateurs ne fonctionnant pas, la nourriture doit être préparée pour un seul repas. Les denrées périssables (beurre, soupes) sont conservées dans des bassines d'eau, qui sont changées fréquemment, ce qui permet de conserver les aliments jusqu'à deux jours. Les vêtements sont lavés à la main. Pour ce faire, ils chauffent l'eau avec un feu, mais le plus souvent ils utilisent du gaz en bouteille car il y a un problème de bois de chauffe dans la région. Il n'y a pas de moyens de communication dans les villages. Un système satellitaire Starlink, offert à titre gracieux, est mis en marche deux fois par semaine pour permettre aux habitants de communiquer avec leur famille.
Grâce à la participation active du starosta1, de l'administration locale autonome et de bénévoles, les habitants de la région résolvent le problème du manque d'électricité à l'aide de générateurs. Nombre d'entre eux disposent également de batteries. Mais le problème le plus aigu reste le chauffage. L'État fournit gratuitement du bois de chauffage aux habitants des zones de la ligne de front, mais il y a des problèmes de livraison. Selon Viktoriia Kolodochka, le bois de chauffage doit être transporté jusqu'au village par des voitures avec remorque, car les camions sont visés par des tirs. Cependant, il n'est pas possible de transporter beaucoup de bois en voiture, alors pour avoir le temps de le distribuer, il faut commencer à le stocker à la fin de l'été.
Il convient de noter que les conditions de vie extrêmement difficiles n'ont pas divisé les habitants du village de la ligne de front. Selon Viktoriia Kolodochka, les habitants aident les personnes seules et les personnes handicapées : ils apportent de l'eau, nettoient la maison et recouvrent les fenêtres d'un film plastique. Les hommes des villages voisins aident à la livraison du bois de chauffage, qu'ils apportent gratuitement à Hoptivka dans leurs propres voitures.
« Chacun d'entre eux a vécu une situation similaire, alors ils essaient d'aider. Je voudrais ajouter que les sarostas sont aussi devenus beaucoup plus amicaux. Nous pouvons même dire que nous avons développé une relation familiale. Nous restons toujours en contact les uns avec les autres, nous nous entraidons autant que possible et nous partageons nos expériences » déclare Viktoriia Kolodochka.
Aujourd'hui, cette femme, qui vit dans la ville voisine de Dubivka, doit travailler comme assistante sociale, infirmière et psychologue en plus d'être starosta. En outre, elle doit rendre visite à chaque habitant des villages privés d'électricité, car l'absence de communication ne lui permet pas d'atteindre les gens autrement.
Nous avons créé une « route de la vie »
Un autre exemple est le village de Ryzhivka dans la communauté Bilopilska de l'Oblast de Soumy, qui est situé près du village russe de Tyotkino dans l'oblast de Koursk et qui est régulièrement bombardé. Pour la première fois, le village a été privé d'électricité à l'automne 2022 : un obus a endommagé une ligne électrique à 500 mètres de la frontière. Mais grâce à l'initiative d'un habitant, le chef forestier du district, Sergei Anikin, l'électricité a pu être rétablie. L'homme a réussi à convaincre une équipe d'électriciens qui a accepté de se rendre sur les lieux de l'accident mais avec le véhicule d'Anikin, car les véhicules non locaux étant sous le feu de tirs. Les dégâts sont réparés, mais quelques mois plus tard, la ligne électrique est à nouveau bombardée. Cette fois, les électriciens ont refusé catégoriquement de repartir pour des raisons de sécurité. Les villageois n'ont pas été en mesure de réparer la ligne par eux-mêmes, même s'ils avaient une certaine expérience et les outils nécessaires fournis par les électriciens.
Depuis le printemps dernier, Ryzhivka est privé d'électricité. Les habitants ont élu Sergei Anikin à la tête du village parce qu'il s'occupait activement de l'approvisionnement en nourriture et de l'aide humanitaire. Anikin affirme que son travail de starosta a eu un impact majeur sur sa santé et a failli lui coûter la vie. L'homme a essuyé des tirs à plusieurs reprises. Une fois, il s'est même empêtré dans un fil-piège, mais heureusement, la mine n'a pas explosé, et Sergei et la femme qui marchait derrière lui ont survécu. À plusieurs reprises, le starosta a déminé manuellement des tronçons de route. Il dit avoir eu peur au début, mais s'y être habitué par la suite. Selon Anikin, les habitants de Ryzhivka se sont rapidement habitués à l'absence totale d'électricité et ont déployé tous leurs efforts pour s'adapter.
« Il a été difficile de vivre sans électricité pendant les trois premiers jours. Ensuite, on commence à s'adapter. Nous avons mis en place un « point » pour les gens, où nous avons installé un générateur, et les habitants pouvaient venir recharger leurs téléphones portables le matin et l'après-midi. Nous avons également utilisé le générateur pour fournir de l'eau, car notre village dispose d'un système centralisé d'approvisionnement en eau » a-t-il déclaré.
Selon le starosta, les bénévoles et les autorités locales ont partiellement aidé la population en lui fournissant des générateurs domestiques. Les habitants ont souvent coopéré avec leurs voisins et acheté un générateur pour plusieurs familles. Il est devenu courant de s'appeler les uns les autres et de s'inviter à recharger téléphones et batteries. Le principe des habitants est que si j'aide aujourd'hui, ils pourront m'aider demain. En raison des routes détruites et minées et des bombardements constants, le village est pratiquement isolé. Les services gouvernementaux et les bénévoles ne peuvent pas s'y rendre. Un jour, les habitants se sont rendu compte que l'eau avait emporté les routes qu'ils pouvaient emprunter pour quitter le village. La seule solution était de construire un pont sur le ruisseau. Mais c'était dangereux, car il y avait toujours un risque de bombardement.
« À cette époque, il ne restait plus que dix hommes valides. J'ai proposé de construire un pont et j'ai été soutenu, personne n'a eu besoin d'être persuadé. Tout le monde a compris qu'il construisait pour lui-même. À ce moment-là, j'ai compris que depuis longtemps j'avais du soutien, que les gars m'aideraient toujours » explique Sergey Anikin.
Les gens ont travaillé pendant deux semaines pendant deux heures, car après les tirs de mortier commençaient. Cependant, le pont a été construit et, heureusement, les gens n'ont pas été blessés. Le village a connu un jour sombre en mars de cette année, lorsque près de 70% de la localité a été détruite à la suite d'un puissant bombardement qui a duré cinq jours. Aujourd'hui, seules six personnes vivent à Ryzhivka, les autres ayant quitté les lieux.
Responsabilité à l'égard des autres
Un autre village de la communauté de Bilopilska, Obody, est privé d'électricité depuis plus d'un an et ne compte plus que 65 habitants sur 600. La ligne électrique endommagée qui alimente le village est située à quelques centaines de mètres de la frontière et doit être remplacée sur quatre kilomètres. Les autorités locales avaient prévu de poser un câble souterrain depuis le village voisin de Katerynivka, mais des problèmes d'autorisation n'ont pas permis de le poser.
L'approvisionnement en eau est aujourd'hui le problème le plus important du village. En raison de la chaleur torride du mois de juillet, l'eau des étangs et des puits s'est presque tarie. Toutefois, grâce au système centralisé d'approvisionnement en eau du village et aux puissants générateurs, les habitants et les animaux ne souffrent pas de la soif, même si l'eau est fournie toutes les heures et que les habitants doivent faire des réserves au cas où. De nombreux villageois se sont approvisionnés en générateurs. Selon la cheffe du village, Olena Minakova, il était prévu de doter plusieurs foyers d'un générateur puissant, mais en raison de la distance qui les sépare, ils ont abandonné cette idée. Par conséquent, les autorités communautaires et les bénévoles ont aidé les villageois à se procurer certains générateurs, tandis que les autres ont été achetés par les habitants à leurs propres frais : certains ont économisé sur leur pension, d'autres ont été aidés par leurs enfants. Ceux qui le souhaitent peuvent recharger leurs téléphones au bureau du starosta. Il n'y a actuellement aucune communication dans le village, car l'antenne relais située dans le village voisin a été endommagée par les tirs d'obus. Pour rejoindre leurs proches, les habitants d'Oboda doivent parcourir cinq kilomètres le long d'une route bombardée, souvent menacée par des drones FPV.
L'aide humanitaire, les médicaments, le carburant et la nourriture sont principalement livrés au village par Olena Minakova et son mari, qui est chauffeur et effectue également de nombreuses autres tâches. Avant la guerre, elle était chargée des questions sociales, mais après le licenciement du précédent chef de village pour des raisons de santé, elle a accepté la proposition de devenir starosta. Elle aurait pu partir depuis longtemps, mais elle a décidé de rester avec ses concitoyens parce qu'elle se sentait responsable. Le travail d'Olena est difficile. Elle doit s'occuper de nombreuses questions importantes, au péril de sa vie. Une ou deux fois par semaine, Olena et son mari doivent quitter le village pour apporter aux gens tout ce dont ils ont besoin. Dans le même temps, des avions, des hélicoptères et des drones survolent souvent le village, et il y a régulièrement des bombardements.
« Il y a des mines le long des routes et dans les champs, et les routes elles-mêmes sont dans un tel état que nous devons rouler à faible vitesse. Ce n'est pas effrayant, mais on se signe et on par t » explique Olena Minakova.
Le couple dispose d'une voiture de fonction, une Lada. Cependant, le véhicule consomme beaucoup de carburant, indispensable au fonctionnement des générateurs du village, et la municipalité ne peut pas en fournir davantage. Olena et son mari utilisent donc principalement leur voiture, qu'ils doivent souvent ravitailler en essence à leurs frais.
Malgré les conditions difficiles, Olena Minakova nous assure qu'elle ne remarque aucune dépression parmi les villageois. Les gens s'efforcent de maintenir le village en bon état, en gardant les routes propres et en fauchant les mauvaises herbes sur le bord des routes. Ils s'efforcent d'avoir une apparence soignée et de s'habiller correctement. Selon la starosta, cela soulage psychologiquement les gens. En outre, la communauté villageoise s'efforce de résoudre tous les problèmes ensemble.
« Je constate que les gens sont devenus plus amicaux. Cela se manifeste par de petites choses. Les voisins informent toujours les autres de la disponibilité de l'aide humanitaire. Si une personne vient au bureau de la starosta, elle apporte les appareils électroniques que les gens lui ont donné pour les charger. Au printemps, ils s'aident mutuellement à planter dans les jardins. Pour cela, ils utilisent tout ce qu'ils ont : un tracteur, une charrue, un cheval. Ils s'intéressent constamment à la vie des autres. Si quelqu'un ne sort pas, ils s'inquiètent pour lui et lui rendent visite » explique Olena Minakova. Elle note que, malgré les difficultés, les villageois continuent de croire que les temps difficiles prendront bientôt fin.
Se créer ses propres ressources
L'expérience des habitants du village de Zelenyi Hai, dans la communauté de Shevchenkivska, dans la région de Mykolaïv, est intéressante : après neuf mois de privation d'électricité et de bombardements, les habitants ont créé un fonds d'entraide qui leur permet de répondre rapidement aux problèmes sociaux locaux. Zelenyi Hai a été privée d'électricité en mars 2022. L'une des attaques contre l'école a tué plusieurs personnes, dont l'ancien du village. Ensuite, le chef de la communauté de Shevchenkivska, Oleh Pylypenko, a été fait prisonnier. Le village s'est donc retrouvé pratiquement sans gouvernance. Oksana Hnedko, une habitante de Zelenyi Hai qui était chargée à l'époque des questions sociales dans le village, a déclaré qu'elle a commencé à aider activement ses compatriotes à résoudre les difficultés liées à la fourniture de l'aide humanitaire. En même temps, elle s'occupait constamment de son mari à l'hôpital – il était directeur d'école et était l'un de ceux qui avaient souffert du bombardement de l'école. Cependant, les médecins n'ont pas pu sauver la vie de son mari.
« Les organisations humanitaires étaient prêtes à nous fournir de l'aide, mais elles nous ont demandé de l'apporter nous-mêmes au village en raison de l'intensité des bombardements. L'un de nos agriculteurs locaux a donc pris en charge l'acheminement de l'aide humanitaire jusqu'au village. Il a également branché ses propres générateurs au château d'eau, qu'il a ravitaillé lui-même. C'est ainsi que les habitants de Zelenyi Hai ont eu de l'eau malgré l'absence d'électricité », a déclaré Oksana Gnedko, qui est aujourd'hui la starosta du village.
Les hostilités autour du village ont pris fin en novembre 2022. À cette époque, de nombreuses organisations caritatives sont venues au village et ont non seulement pour aider à la reconstruction, mais ont également installé de puissants panneaux solaires pour alimenter l'approvisionnement en eau. Les villageois ont décidé de créer un fonds d'entraide afin de pouvoir utiliser leurs propres ressources pour résoudre rapidement divers problèmes dans le village. Par exemple, en termes d'aménagement paysager, de soutien, etc.
« Nous comprenons que certains villages ont besoin de plus d'argent que nous pour leur reconstruction. Nous avons donc décidé d'utiliser nos propres ressources pour les soutenir. Nous avons tenu une réunion au cours de laquelle nous avons élu un trésorier qui présente des rapports sur nos finances. Nous finançons notre fonds par des contributions – 50 UAH par mois par chaque personne – c'est la décision qu'ont prise les gens eux-mêmes. Cela semble être une petite somme d'argent, mais au bout d'un certain temps, elle s'avère être un montant considérable. Nous décidons également de toutes les questions liées aux dépenses lors de l'assemblée générale. Nous en discutons dans un groupe fermé sur Viber » explique Oksana Gnedko.
Les villageois ont déjà utilisé le fonds pour améliorer le cimetière et carreler l'allée, ce dont ils sont très fiers. La starosta note l'intérêt des villageois à résoudre les problèmes ensemble. « Pour moi, le village est unique parce que les gens étaient déjà unis avant, mais pendant la guerre, ils sont devenus encore plus amicaux » conclut-elle.
L'expérience des habitants des communautés de première ligne avec lesquels nous nous sommes entretenus montre que, bien qu'il soit extrêmement difficile de vivre sans électricité, dans les situations extrêmes où l'aide de l'État est limitée, les gens sont obligés de s'organiser eux-mêmes. Dans cette interaction, la richesse et le profit personnel cèdent généralement le pas aux objectifs collectifs, de sorte que les gens unissent leurs forces, aident activement ceux qui ne peuvent pas s'occuper d'eux-mêmes et s'attaquent de manière désintéressée aux problèmes sociaux. Plus les membres de la société sont impliqués dans ce processus de construction de liens horizontaux de solidarité, plus les citoyens seront en mesure de relever les défis d'une époque où il est vain de s'en remettre aux autorités.
20 aout 2024
Alexander Kitral
Publié par Commons.
Illustration Katya Gritseva.
Traduction Patrick Le Tréhondat.
1 Poste administratif pour représenter les intérêts de tous les habitants. NdT.
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En Inde, le viol et le meurtre d’une médecin déclenchent des manifestations

Il faut appliquer les lois contre les abus sexuels, y compris sur le lieu de travail. Des milliers d'Indiennes et d'Indiens sont descendus dans la rue pour protester contre le viol et le meurtre d'une médecin dans un hôpital public de la ville de Calcutta la semaine dernière. Ils réclament la justice et une meilleure sécurité dans les hôpitaux et sur les campus médicaux.
Tiré de Entre les lignes et les mots
L'attaque a mis en lumière la façon dont des millions de femmes indiennes restent exposées aux abus sur le lieu de travail, et continuent de se heurter à de graves obstacles pour obtenir justice pour violences sexuelles.
Le 9 août, une stagiaire en médecine âgée de 31 ans a été retrouvée morte dans une salle de séminaire. Selon les médias, elle s'était endormie dans la salle de classe après une journée de travail épuisante de 36 heures parce qu'il n'y avait pas d'espace de repos désigné pour le personnel. L'autopsie a montré que son corps présentait de graves blessures, notamment des fractures, suggérant une agression brutale. Un bénévole de l'hôpital a été arrêté.
L'Inde dispose de lois telles que la Loi sur la Prévention du harcèlement sexuel au travail, ou loi POSH (Prevention of Sexual Harassment at the Workplace Act, ou POSH Act) pour lutter contre la violence et le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Les lois contre le viol et les abus sexuels ont été renforcées après qu'un viol collectif et un meurtre à Delhi en 2012 ont déclenché des manifestations à l'échelle nationale.
Les autorités n'ont cependant ni appliqué efficacement ces lois, ni garanti que des comités examinent des plaintes de harcèlement sexuel dans les secteurs formel et informel.
Si la plupart des entreprises du secteur privé et des administrations publiques ont mis en place des comités de plaintes internes, beaucoup n'existent que sur le papier. Les employeurs ne font pas grand-chose pour améliorer la culture du lieu de travail en sensibilisant les gens à ce qui constitue le harcèlement sexuel, et aux conséquences d'un tel comportement.
Certaines manifestantes ont affirmé que l'administrateur de l'hôpital de Calcutta avait rejeté la faut sur la victime, et tenté de dissimuler le crime. Une foule a tenté de perturber les manifestations, ravivant les inquiétudes concernant les obstacles rencontrés par les victimes et leurs familles dans les cas de violences sexuelles. Des enquêteurs fédéraux sont actuellement chargés de cette affaire.
La ministre en chef de l'État du Bengale-Occidental a exigé que « les coupables soient pendus » d'ici le 18 août. Imposer la peine de mort peut avoir un attrait populaire après un crime aussi horrible, mais cela ne protégera pas les filles et les femmes des abus et de la violence. Cela nécessite des réformes systémiques, notamment une meilleure application des lois et des protections dans les espaces publics ainsi que sur le lieu de travail et dans les institutions. Human Rights Watch s'oppose à tout recours à la peine de mort.
En Inde, les femmes et les filles devraient ont le droit de vivre et de travailler dans la dignité, sans craindre pour leur sécurité.
Jayshree Bajoria
Directrice adjointe, division Asie
https://www.hrw.org/fr/news/2024/08/15/en-inde-le-viol-et-le-meurtre-dune-medecin-declenchent-des-manifestations
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Le mouvement de protestation au Bangladesh a gagné contre la répression

Les manifestations de masse au Bangladesh ont renversé Sheikh Hasina après que la répression de l'État ait fait des centaines de morts. Mais le gouvernement intérimaire dirigé par le gourou du microcrédit Muhammad Yunus n'est pas en mesure de s'attaquer aux graves problèmes sociaux auxquels sont confrontées les classes populaires du pays.
Tiré d'Inprecor
18 août 2024
Par Sushovan Dhar
Après quinze ans au pouvoir, la Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a démissionné et a fui le pays le 5 août, chassé par de jeunes manifestant·es. Ce qui avait commencé comme un mouvement contre les quotas dans la fonction publique s'est transformé en un soulèvement général contre le pouvoir autocratique de Hasina et de son parti, la Ligue Awami (LA).
La situation a changé au cours d'une période de cinq semaines, et la victoire finale a été réalisée au prix de plus de quatre cents vies et de plusieurs milliers de blessé·es et de disparu·es. La tournure des événements dans ce pays d'Asie du Sud évoque le Sri Lanka en 2022, ou encore la révolte de masse qui a contraint le président des Philippines, Ferdinand Marcos, à fuir le pays en 1986 après deux décennies de régime autocratique.
Le 5 août, Hasina n'a eu que quarante-cinq minutes pour démissionner et quitter le pays, alors que des centaines de milliers de manifestant·es sont descendus dans la rue, prêts à défier le couvre-feu à tout prix. La veille encore, elle semblait nier que son mandat de Première ministre était terminé. Cependant, une marée populaire l'a emportée comme un puissant tsunami. Le chef de l'armée a facilité sa fuite.
Un cercle complet
Avec l'éviction d'Hasina, un cercle complet de la politique de la LA a été bouclé. La phase de consolidation la plus récente de la Ligue a commencé avec sa victoire aux élections de 2008, lorsque l'alliance de quatorze partis qu'elle dirigeait a remporté une majorité écrasante de 263 sièges sur 300. Bien que le parti ait été au pouvoir à deux reprises auparavant (1971-75 et 1996-2001), il s'agit d'une victoire historique.
Les élections parlementaires initialement prévues pour janvier 2007 ont été suspendues après des mois de bouleversements politiques. Entre-temps, un gouvernement intérimaire soutenu par l'armée a continué à gouverner, ce qui a évoqué le spectre d'une autre dictature militaire, bien que sous la forme d'une mascarade. Au cours de ses vingt premières années d'existence, le Bangladesh a été soit sous un régime militaire direct, soit administré par un gouvernement soutenu par l'armée pendant près de seize de ces années.
Cette victoire a également marqué la consolidation prolongée du pouvoir par la Ligue Awami. Considéré comme une force laïque en raison de ses racines historiques et de son rôle de leader dans la guerre de libération, le parti a accédé au pouvoir en s'appuyant sur cette nostalgie. Depuis 2007, un nouveau mouvement de la société civile, soutenu par la LA, a intensifié les demandes de jugement des criminels de guerre ayant collaboré avec l'armée du Pakistan occidental.
Le parti d'opposition Bangladesh Nationalist Party (BNP), qui a gouverné entre 2001 et 2006, a participé aux élections en s'alliant avec Jamaat-e-Islami, un groupe islamique radical. Les observateurs ont également vu dans ces élections un rejet public des idéaux islamiques radicaux et une répudiation de la politique religieuse.
Deux tournants
Le mouvement pour la restauration de la démocratie en 1990 (populairement connu sous le nom de Mouvement anti-autoritaire des années 90), après des années de régime militaire, constitue le premier tournant positif dans l'histoire du Bangladesh indépendant. Des millions de personnes ont défilé dans les rues à partir de novembre 1997 pour réclamer le rétablissement d'un régime civil.
Le pays a été pris en otage par des gangsters militaires entre 1982 et 1990, sous le règne du chef de l'armée, H. M. Ershad. Son régime a été un épisode sombre marqué par des meurtres et des agressions, des arrestations et des détentions arbitraires, la corruption et le pillage, accompagnés de l'anéantissement de la démocratie et des valeurs démocratiques. Un soulèvement populaire a chassé Ershad et ouvert la voie à la démocratie parlementaire.
Le mouvement a contribué à l'émergence d'une nouvelle conscience progressiste, en particulier chez les jeunes, ainsi qu'à certaines réformes constitutionnelles. Il a permis de délégitimer l'emprise de l'armée sur la politique. Les partis politiques sont parvenus à un consensus sur la future trajectoire démocratique de la nation – un consensus qui a été violé par la suite. La Ligue Awami et le BNP ont grandement bénéficié de la perception qu'ils étaient à l'avant-garde de ces luttes.
Le deuxième tournant majeur a été le mouvement de 2013, populairement connu sous le nom de mouvement Shahbag, exigeant la peine capitale pour les criminels de guerre. La LA a d'abord soutenu cette mobilisation, car elle servait ses propres intérêts et objectifs. Cependant, les manifestant·es du Shahbag ont commencé à réclamer une démocratisation plus large de la société et la fin des injustices socio-économiques.
Dans un premier temps, la Ligue a tenté de contrôler le mouvement, mais n'y est pas parvenue. Elle a alors retiré les cadres de son parti et harcelé les dirigeants de Shahbag, tout en encourageant les querelles internes dans leurs rangs, ce qui a paralysé la lutte. La gauche bangladaise a continué à participer aux manifestations de Shahbag, mais les organisations de gauche étaient peu nombreuses et n'avaient qu'un impact limité sur la scène politique du pays.
En 2014, le mouvement a perdu son élan. Ce faisant, le pays a perdu l'une de ses plus grandes chances de parvenir à une véritable démocratisation et de s'attaquer aux injustices socio-économiques sous la pression des mouvements auto-organisés de la base. En fin de compte, le mouvement Shahbag a été anéanti.
Répression de l'opposition
Après avoir atteint cet objectif, la Ligue Awami a continué à démanteler son adversaire politique, le BNP. Pour la LA, le Jamaat-e-Islami et d'autres groupes islamiques étaient également un facteur à prendre en compte, mais le BNP était son adversaire électoral immédiat. Les dirigeants de la LA ont rapidement compris que le mécontentement à l'égard de leur bilan de mauvaise gouvernance pouvait profiter au BNP sur le plan électoral.
Les dirigeants du BNP ont été arrêtés au hasard et des accusations ont été portées contre eux, ce qui a déstabilisé le parti. En outre, le BNP a longtemps bénéficié d'un soutien important de la part de l'armée. Toutefois, l'intérêt de l'establishment militaire pour le pouvoir civil ayant diminué, la force du parti s'est affaiblie.
Son bilan, lorsqu'il était au pouvoir entre 2001 et 2006, était également caractérisé par la corruption et des attaques violentes contre l'opposition, y compris une tentative d'assassinat de Hasina à l'aide d'une grenade en 2004. Ce bilan a discrédité le parti et a contribué à son déclin continu, lorsqu'il a été combiné à l'utilisation impitoyable de l'appareil d'État par la Lige Awami à l'encontre de son rival. Le BNP a tenté en vain de manipuler le système électoral pour s'accrocher au pouvoir en 2006, mais la Ligue a fait preuve d'une maîtrise supérieure de ces tactiques.
Le BNP s'est retiré des élections de 2014 au motif qu'elles se déroulaient dans des conditions inéquitables. Il a exigé la démission d'Hasina en tant que Première ministre pour laisser la place à une personnalité « impartiale » et « non membre d'un parti » pour superviser les élections. Cette abdication a simplement donné le pouvoir à la Ligue sur un plateau, 153 candidats sur 300 étant élus sans contestation.
la Ligue Awami a ensuite bloqué les activités politiques du BNP dans tout le pays, et des milliers de procès ont été intentés contre les dirigeants et les militants du parti, allant de la corruption à l'accusation de meurtre. Le parti n'a pas été en mesure de se remettre de ces attaques sur plusieurs fronts et a recouru à la violence après 2014, ce qui a donné à la Ligue l'occasion de le cibler davantage. Khaleda Zia, deux fois Première ministre du BNP, a été emprisonnée pour corruption en février 2018.
Un tournant à droite
Dans le même temps, les forces de gauche engagées dans les mouvements populaires ont également été confrontées au harcèlement et à la répression. L'État a pris pour cible les dirigeants du mouvement Rampal en les accablant de fausses accusations et en les intimidant physiquement, et les mouvements de travailleurs ont subi le même sort.
Les islamistes bangladais avaient l'habitude de soutenir le BNP lors des élections. Cependant, avec le déclin du BNP, ces forces ont commencé à participer à l'arène électorale de leur propre chef. Pendant ce temps, la Ligue Awami a compromis ses références laïques historiques en formant une alliance tacite avec Hefazat-e-Islam, un groupe islamiste radical qui a été responsable du meurtre de blogueurs laïques.
Le front politique dirigé par la LA comprenait plusieurs partis islamistes conservateurs. En outre, le gouvernement de Hasina a accordé certaines concessions aux forces islamistes, comme la validation des madrasas Qawmi, des écoles religieuses au programme conservateur qui ne sont pas réglementées par le gouvernement. Ces écoles se concentrent uniquement sur l'enseignement religieux et enferment les étudiants issus des couches les plus pauvres de la population dans des dogmes religieux mystiques. Tous ces développements ont eu lieu malgré la prétention de la Ligue à être le sauveur suprême de la communauté religieuse hindoue minoritaire au Bangladesh.
La Ligue Awami a de plus en plus pris le contrôle de l'administration de l'État par le biais du processus des nominations [de fonctionnaires] et a mis les médias et l'intelligentsia sous contrôle grâce à un mélange d'incitations et de coercition. À la fin de l'année 2018, la LA avait une emprise ferme sur la bureaucratie, le système judiciaire et même l'armée, traditionnellement considérée comme un soutien majeur du BNP.
Les résultats des élections de 2018 ont même dépassé les attentes les plus optimistes de la Ligue, ses candidats remportant 288 des 300 sièges en jeu. Les élections suivantes, en janvier 2024, ont été un simulacre, l'ensemble de l'opposition étant absente du scrutin. Cela a poussé la résistance dans l'arène extraparlementaire, culminant dans les manifestations qui ont évincé Hasina.
Le gouvernement intérimaire
Trois jours après le départ d'Hasina, l'économiste Muhammad Yunus, lauréat du prix Nobel de la paix en 2006, a prêté serment en tant que chef du gouvernement intérimaire du Bangladesh. Officiellement appelé « conseiller en chef », M. Yunus dirigera une équipe de dix-sept personnes, composée de bureaucrates et d'officiers militaires à la retraite, de personnalités d'ONG, d'avocats, d'universitaires et d'autres personnes, ainsi que de quelques leaders étudiants impliqués dans la rébellion. L'équipe est diversifiée en termes d'origine de ses membres ainsi que sur le plan ethnique et religieux, bien qu'elle ne contienne aucun représentant de la classe ouvrière.
L'érosion constante des institutions démocratiques au Bangladesh a suscité une profonde haine à l'égard des partis politiques existants. Yunus était une figure appropriée pour diriger le gouvernement intérimaire en tant que personnalité connue qui projette l'image d'une personne s'élevant au-dessus de la politique partisane tout en promouvant le développement national. Il a également été harcelé par le gouvernement d'Hasina et a failli être contraint de quitter le pays, ce qui a renforcé la sympathie à son égard.
Pour M. Yunus, cette aventure fait suite à de précédentes tentatives infructueuses d'entrer dans le champ politique. Alors que de grandes attentes sont désormais placées en lui, nous devons garder à l'esprit son rôle antérieur, en tant que promoteur des programmes de microcrédit. Loin de représenter un remède à la pauvreté rurale, ces programmes n'ont fait qu'imposer des charges supplémentaires aux pauvres. Sa défense zélée des politiques néolibérales a fait de Yunus la coqueluche des gouvernements occidentaux et de la Banque mondiale.
La Ligue Awami étant discréditée, les deux principales forces politiques restantes, le BNP et le Jamaat-e-Islami, espèrent que des élections anticipées les porteront au pouvoir. Cette dernière force, en particulier, semble être très bien organisée, avec des réseaux de militants dans tout le pays, et ne voudra certainement pas laisser passer cette chance.
Le soulèvement de juillet a été couronné de succès grâce à la participation d'un large éventail de forces sociales. Comme dans d'autres luttes contre des régimes autocratiques, l'aspiration populaire était celle de la liberté, largement exprimée en termes plutôt vagues et abstraits. En d'autres termes, il ne s'agissait pas d'un mouvement guidé par des positions idéologiques clairement définies.
Les étudiant.es ont d'abord protesté pour la réforme du système des quotas, mais la répression de l'État a déclenché un soulèvement de masse impliquant de larges pans de la classe ouvrière et de la classe moyenne bangladaises, qui s'est achevé par le soulèvement qui a balayé Hasina. Les étudiant.es ont gagné la confiance de la population et devront tracer la voie à suivre.
On peut certainement espérer que l'esprit du mouvement étudiant contribuera à favoriser une prise de conscience beaucoup plus claire de la nature d'un programme de transformation. Outre les demandes d'élections démocratiques et d'État de droit, les principaux points de ce programme comprendront des gains économiques tels que des salaires plus élevés et de meilleures protections sociales, ainsi qu'une action en faveur de la justice climatique - le Bangladesh est immensément vulnérable à l'impact du changement climatique. On ne peut pas compter sur le gouvernement intérimaire ou ses successeurs probables pour relever l'un de ces défis.
À long terme, les événements de juillet ne déboucheront sur une issue positive que si la classe ouvrière et les autres groupes opprimés sont en mesure de jouer un rôle de premier plan, en surmontant les divisions religieuses et ethniques de la société bangladaise. Si les étudiant.es ont amorcé la révolution, les travailleurs devront veiller à ce qu'elle aboutisse. C'est là que réside le plus grand défi pour la gauche au Bangladesh.
Le 14 août 2024
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Après la démission d’Hasina, la lutte se poursuit au Bangladesh face à la vacance du pouvoir

Le 5 août, à 14h30, Sheikh Hasina a démissionné de son poste de Premier ministre et s'est enfuie en hélicoptère vers l'Inde avec une partie de ses forces spéciales de sécurité. Elle se trouve actuellement à Delhi et certains rapports indiquent qu'elle souhaite se rendre à Londres pour y obtenir l'asile politique, mais la Grande-Bretagne lui refuse l'entrée en raison des violations des droits de l'homme qu'elle a commises.
Tiré de Inprecor
9 août 2024
Par Badrul Alam
Le même jour, à 16 heures, le chef d'état-major de l'armée bangladaise, le général Waker-uz-Zaman, a déclaré à la télévision nationale que l'armée assumerait la responsabilité du maintien de l'ordre public. Il a ajouté qu'un gouvernement intérimaire serait formé pour gérer les affaires courantes du pays et a promis d'organiser rapidement des élections libres et équitables. Les chefs de l'armée ont rencontré le président, Mohammed Shahabuddin, dans la soirée et ont discuté de la formation du gouvernement intérimaire. Shahabuddin a également convoqué les dirigeants des différents partis politiques représentés au parlement, y compris le principal parti d'opposition, le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP). Tous ont accepté de former un gouvernement intérimaire.
Cependant, les coordinateurs du mouvement étudiant anti-discrimination ont proposé de former un gouvernement intérimaire avec ceux qui ont dirigé le mouvement de masse. Ils ont déclaré qu'ils n'accepteraient aucune autre forme de gouvernement sans leur consentement, en particulier un gouvernement dirigé par l'armée. Ils ont souligné leur objectif primordial, qui est d'éliminer toute discrimination de la société. Les coordinateurs étudiants ont estimé qu'il restait encore beaucoup de travail à faire, même si Hasina est maintenant tombée, et ont exprimé leur intérêt à faire partie du gouvernement national intérimaire. Ils ont exhorté tous les étudiant.es et les autres personnes à défendre la révolution et à veiller à ce qu'aucune autre force réactionnaire ne profite du soulèvement.
En outre, ils ont proposé que le Dr Muhammad Eunus soit le chef du comité consultatif du gouvernement intérimaire. Bien que le régime de Hasina ait longtemps ciblé Eunus, ses politiques ne sont pas sans controverse. Il est bien connu pour son soutien au microcrédit pour résoudre les problèmes sociaux, et sa position est plus importante dans la sphère des ONG qu'au sein des communautés marginalisées. Certaines organisations et partis de gauche l'ont déjà critiqué comme étant l'atout de l'impérialisme américain.
Ainsi, malgré la démission d'Hasina, la lutte pour la vacance du pouvoir se poursuit au Bangladesh.
Néanmoins, le mouvement qui a débuté le 15 juillet avec l'assassinat de six étudiants à l'université de Dhaka et après la mort d'Abu Sayed, un étudiant en quatrième année d'anglais à l'université Begum Rokeya, abattu en plein jour par la police à Rangpur, a atteint un point culminant le 5 août.
Lors de son ultime jour de règne, l'autocrate a encore mordu, ses forces de sécurité ayant fait au moins 39 autres victimes. En fin de compte, la dictature n'a pas pu se maintenir face à la pression de millions d'étudiant.es et de citoyen.nes. Dans les derniers instants d'Hasina en tant que Premier ministre, les autorités de sécurité ont défié ses ordres et refusé d'abattre d'autres civils. Elles lui ont donné deux options : s'accrocher au pouvoir ou abandonner et s'enfuir. Elle a choisi de fuir le pays. Hasina a utilisé tous les outils de répression à sa disposition contre le peuple pour conserver le pouvoir, mais elle a finalement été vaincue.
Le mouvement des étudiant.es a commencé par la demande de réforme d'un système de quotas discriminatoire. Les mesures de plus en plus répressives prises par Hasina les ont contraints à élargir leurs revendications, notamment en demandant la démission de plusieurs responsables de la Ligue Awami et l'indemnisation des familles des personnes tuées ou blessées lors des manifestations. Les étudiant.es se sont engagé.es dans diverses actions, y compris la désobéissance civile. Hasina a qualifié les manifestants de « razakar » (traîtres à la lutte pour l'indépendance en 1971 qui ont collaboré avec les criminels de guerre pakistanais), ce qui a conduit les étudiant.es à intensifier leurs revendications et leur stratégie. Ils ont élaboré neuf revendications alors que Hasina a eu recours à une répression accrue. Plus tard, ils se sont concentrés sur une revendication clé - la démission d'Hasina - qu'ils ont obtenue avec succès.
L'autocrate avait également annoncé un couvre-feu total dans tout le pays le 18 juillet afin de réprimer le mouvement étudiant. Cependant, les étudiant.es et les masses ont ignoré le couvre-feu et ont continué à descendre dans la rue. Plus tard, le régime est allé encore plus loin en déclarant que les soldats tireraient sur les manifestant.es à vue. Cependant, toutes les mesures qu'ils ont prises ont été audacieusement brisées par les masses d'étudiant.es. Ils sont restés debout face aux balles de l'armée et de la police en offrant leur vie sans hésitation.
Depuis le 15 juillet, plus de 339 étudiants ont été tués par la police, selon un grand quotidien d'information. Mais, selon une enquête privée, le nombre de morts pourrait être encore plus élevé, se chiffrant à plusieurs milliers. Des milliers d'étudiant·es ont été blessé·es et torturé·es : certain.nes ont perdu la vue, d'autres ont des parties du corps mutilées.
En fin de compte, le dernier règne de Hasina a duré environ 16 ans. Son régime a été marqué par des violations généralisées des droits de l'homme, la corruption, le pillage des richesses de l'État, la disparition forcée d'activistes, des exécutions extrajudiciaires, l'organisation de fausses élections, etc. Elle devrait être jugée par des tribunaux internationaux pour ses violations des droits de l'homme et sa complicité dans le génocide.
Traduction pour ESSF de Pierre Rousset avec l'aide de DeepL.https://www.europe-solidaire.org/sp...
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À Gaza, la déshumanisation des Palestiniens par Israël atteint un nouveau sommet

L'armée israélienne a décidé de réduire les effectifs de l'unité Oketz, l'unité 7142, en amont de son annulation. L'unité pour les chiens et leurs dresseurs a souffert d'une pénurie ces derniers temps. Un grand nombre de chiens ont été tués dans la bande de Gaza, et il a donc été décidé d'utiliser des moyens moins coûteux et plus efficaces. Il s'avère que la nouvelle unité, à laquelle l'ordinateur de l'armée israélienne n'a pas encore donné de nom, donne les mêmes résultats opérationnels. Il n'est pas nécessaire de dresser les chiens pendant des mois, ni d'utiliser les muselières en fer qui ferment leurs mâchoires effrayantes, et leur nourriture sera également moins chère : au lieu de la coûteuse nourriture pour chiens Bonzo, les restes des rations de combat.
Tiré de France Palestine Solidarité. Article publié dans Haaretz. Photo : Israël utilise des chiens pour attaquer et abuser sexuellement les Palestiniens lors des raids et dans les prisons, 17 juillet 2024 @ Quds News Network
Les frais d'inhumation et de commémoration seront également annulés : les chiens Oketz étaient généralement enterrés dans le cadre de cérémonies militaires, avec des soldats en pleurs et des articles à faire pleurer en première page du bulletin d'information de l'armée, Yedioth Ahronoth. Les chiens de remplacement n'ont pas besoin d'être enterrés, leurs corps peuvent simplement être jetés. Les cérémonies commémoratives annuelles du 30 août pour les chiens peuvent également être supprimées. Les nouveaux chiens n'auront pas de monument. Les âmes sensibles des soldats qui les manipulent ne seront plus endommagées lorsqu'ils mourront.
Le projet pilote est en cours et il y a déjà un mort dans la nouvelle unité. Bientôt, l'armée israélienne exportera les connaissances qu'elle a acquises à d'autres armées dans le monde. En Ukraine, au Soudan, au Yémen et peut-être même au Niger, elles seront heureuses de s'en servir.
Selon la page Wikipédia consacrée à l'Oketz : "L'unité active un matériel de guerre unique, le chien, qui offre des avantages opérationnels uniques qui n'ont pas de substitut humain ou technologique". Oups, une erreur. Il n'y a peut-être pas de substitut technologique, mais un substitut humain a été trouvé. Le terme "humain" est bien sûr exagéré, mais l'armée israélienne dispose d'un nouveau type de chien, bon marché, obéissant et bien mieux entraîné, dont les vies valent moins.
Les nouveaux chiens de l'armée sont les habitants de la bande de Gaza. Pas tous, bien sûr, mais seulement ceux que l'éclaireur de l'armée choisit avec soin, parmi 2 millions de candidats ; les auditions ont lieu dans les camps de personnes déplacées. Il n'y a pas de restriction d'âge.
Les chasseurs de têtes de l'armée ont déjà trouvé des enfants et des personnes âgées, et il n'y a aucune restriction à l'activation de la nouvelle main-d'œuvre. Ils les utilisent et les jettent ensuite. Entre-temps, ils n'ont pas été formés aux missions d'attaque et à l'identification olfactive des explosifs, mais l'armée y travaille. Au moins, ils ne mordront pas les enfants palestiniens dans leur sommeil comme les anciens chiens des Baskerville.
Mardi, Haaretz a publié en première page la photo d'un des nouveaux chiens : un jeune habitant de Gaza menotté, vêtu de haillons qui étaient autrefois des uniformes, les yeux couverts d'un chiffon, le regard baissé, des soldats armés à ses côtés. Yaniv Kubovich, le correspondant militaire le plus courageux d'Israël, et Michael Hauser Tov ont révélé que l'armée utilise des civils palestiniens pour vérifier les tunnels à Gaza. "Nos vies sont plus importantes que les leurs", disent les commandants aux soldats, répétant ce qui est une évidence.
Ces nouveaux "chiens" sont envoyés menottés dans les tunnels. Des caméras sont attachées à leur corps, et l'on peut entendre le bruit de leur respiration effrayée.
Ils "nettoient" les puits, sont détenus dans des conditions pires que les chiens Oketz et leur activité s'est généralisée, systématisée. Al-Jazeera, boycottée en Israël pour "atteinte à la sécurité", a révélé le phénomène. L'armée l'a nié, comme d'habitude, avec ses mensonges. Deux reporters de Haaretz ont rapporté l'histoire complète mardi, et elle est terrifiante.
Certains soldats ont protesté à la vue des nouveaux "chiens", plusieurs courageux ont même témoigné auprès de Breaking the Silence. Mais la procédure, qui avait été expressément interdite par la Haute Cour de justice, a été adoptée à grande échelle dans l'armée. La prochaine fois que le public protestera contre le fait que Benjamin Netanyahu ignore les décisions de la Haute Cour, nous devrions nous rappeler que l'armée ignore aussi effrontément ses décisions.
Le processus de déshumanisation des Palestiniens a atteint un nouveau sommet. Haaretz a rapporté que le haut commandement de l'IDF était au courant de l'existence de la nouvelle unité. Pour l'armée, la vie d'un chien vaut plus que celle d'un Palestinien. Nous disposons à présent de la version officielle.
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Les femmes, particulièrement victimes de la guerre à Gaza

L'expérience des femmes à Gaza reste l'une des histoires les moins racontées de cette guerre, nous a déclaré Juliette Touma, directrice de la communication de l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) [1].
Tiré de A l'Encontre
24 août 2024
Par Maria João Guimarães
Deir al-Balah, 16 août 2024.
Elles sont victimes des bombardements meurtriers, et cela dans un pourcentage élevé. Lorsque le nombre de morts a dépassé les 40 000 la semaine dernière, Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, a déclaré que la majorité d'entre eux étaient des femmes et des enfants. Selon les autorités sanitaires de Gaza, sur les 40 139 décès enregistrés (au 18 août), 20 573 étaient des hommes, 11 707 des femmes et dans 7859 cas, la répartition restait inconnue. Chez les adultes, la répartition était la suivante : 12 927 hommes, 5956 femmes, 10 627 enfants (moins de 18 ans) et 277 personnes âgées (là encore, dans 7859 cas, ces données n'étaient pas disponibles).
Elles subissent également, comme avant le 7 octobre, des actes de violence au sein de la famille, dans une société où elles sont subordonnées. « Bien sûr, elles m'ont aussi parlé de la violence de genre – des histoires, des histoires et encore des histoires », a déclaré Muhannad Hadi, relatant une réunion avec des femmes dans le territoire, ce qui l'a bouleversé.
Le fait d'être contraint à se déplacer implique des défis particuliers pour les femmes.
Au cours de la première phase de la guerre, des problèmes spécifiques ont été signalés, tels que l'accouchement en l'absence de maternité, parfois dans les camps de déplacés, ou le simple fait qu'il n'y ait pas de produits hygiéniques pour les menstruations. Ces problèmes continuent de se poser. Selon l'OMS, la bande de Gaza compte actuellement environ 50 000 femmes enceintes, dont 5500 devraient accoucher le mois prochain, 1400 d'entre elles devant subir une césarienne.
Les problèmes d'hygiène des femmes déplacées se poursuivent également. « Une femme m'a dit qu'elle avait eu ses règles cinq fois sans pouvoir se doucher une seule fois », a déclaré Muhannad Hadi dans un entretien diffusé sur le site web des Nations unies. « Imaginez le désespoir. Si une femme raconte une telle chose à un étranger, c'est qu'elle a atteint toutes ses limites », a commenté le fonctionnaire de l'ONU – sans parler même d'un homme, dans une société conservatrice et religieuse comme Gaza.
D'autres femmes lui ont montré leurs mains, où il a pu voir l'effet de la collecte constante de bois pour cuisiner, parce qu'il n'y a pas de combustible (Israël en restreint l'entrée, affirmant qu'il est utilisé par le Hamas).
Pour Muhannad Hadi, le thème récurrent qui revenait dans la conversation qu'il a eue avec un groupe de femmes âgées d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années – « Elles pourraient être ma sœur ou ma femme », a-t-il précisé – était justement la protection de la vie privée. « Une femme m'a expliqué qu'elle avait deux jeunes filles. Pour les baigner, sa sœur les entoure d'un rideau, puis elle attend que la mère des filles revienne avec leurs vêtements propres. Parce que c'est tout ce qu'elles ont », a-t-elle déclaré.
90% de la population est déplacée
Les Nations unies estiment que le conflit a entraîné le déplacement contraint de 1,9 million de personnes, soit 90% de la population. De nombreuses personnes ont été déplacées à plusieurs reprises, emportant à chaque fois ce qu'elles pouvaient, au cours de longs voyages, parfois à pied, ce qui signifie que beaucoup de choses sont laissées derrière elles (et depuis le début de la guerre, il y a eu un automne, un hiver, un printemps et un été).
La journaliste Rita Baroud, qui a écrit un article [le 20 août] sur le site de The New Humanitarian, raconte qu'elle a déjà été obligée de déménager 12 fois. Une note dans le texte ajoute que depuis sa rédaction le 16 août, Rita Baroud a encore dû se déplacer suite aux ordres de l'armée israélienne pour que les civils quittent certaines parties de Deir al-Balah.
Même s'il y a – ou s'il y avait – suffisamment d'eau potable, certaines femmes boivent le minimum pour ne pas avoir à aller aux toilettes, de peur d'être « harcelées, abusées ». Cela entraîne une augmentation des infections urinaires et nuit particulièrement aux femmes enceintes.

Dans les familles qui ont la chance d'avoir une tente – la plupart des abris ne sont pas des tentes, explique Muhannad Hadi – les familles trouvent un coin et font un trou dans le sol, qu'elles recouvrent d'une couverture. Les femmes s'en servent comme toilettes. Même si les familles dorment à côté.
Certaines femmes ont dit qu'elles aimeraient pouvoir faire une chose : se peigner. Elles ne le peuvent pas, car elles n'ont pas d'intimité. Dans la bande de Gaza, on estime qu'environ 90% des femmes se couvrent les cheveux. Les raisons ne sont pas seulement religieuses, le hijab sert aussi à éviter les regards indésirable. Les femmes ont l'occasion d'enlever leur foulard et de se coiffer lorsqu'elles se trouvent dans l'intimité de leur « foyer », avec leur famille, ce qui est impossible dans les abris tels que les écoles ou les cours d'hôpitaux.
« Une femme m'a dit qu'elle portait le même hijab depuis neuf mois », raconte Muhannad Hadi. Neuf mois, jour et nuit, le même hijab. Elle ne peut pas l'enlever.
Rita Baroud raconte qu'elle utilise une partie de l'eau qui lui reste après s'être brossé les dents pour s'enduire le visage le matin. Elle n'a pas de miroir, mais elle sait que « j'ai beaucoup changé. Ma peau est pleine d'acné et mes cheveux sont abîmés. J'ai perdu environ 12 kg. »
Shampoing : 29 euros
Le manque d'eau et de produits pour se laver les cheveux (selon le Washington Post, le savon coûte l'équivalent de plus de 11 euros à Deir al-Balah, dans le centre, où vivent de nombreuses personnes déplacées, et une bouteille de shampoing coûte 29 euros) est aggravé par la pénurie de peignes, a déclaré à Reuters [13 août] la pédiatre Lobna al-Azaiza.
Le conseil qu'elle leur donne ? Se couper les cheveux. Certaines femmes, comme la vidéaste et journaliste Bisan Owda [ses vidéos ont été partagées par ABC News, Le Monde, la BBC et Al-Jazeera], ont déjà publié des messages sur les réseaux sociaux, expliquant qu'elles ne peuvent pas garder leurs cheveux. De plus, elles craignent les poux, qui se répandent dans les abris surpeuplés, et sont donc nombreuses à se raser les cheveux et à raser ceux de leurs filles.
Muhannad Hadi a également déclaré qu'il avait été fortement impressionné par ce que lui avait dit l'une des femmes : « Je suis sûre d'une chose : je ne suis pas une femme – mais je ne sais pas ce que je suis. » (Article publié dans le quotidien Publico le 22 août 2024 ; traduction rédaction A l'Encontre)
[1] Laure Stephan, dans Le Monde du 19 août, a consacré un article sur la numérisation des documents administratifs en possession de l'UNRWA « avec l'ambition de retracer les arbres généalogiques de cinq générations de réfugiés ». Ce travail pose de suite la question du « sort des réfugiés palestiniens [qui] reste irrésolu : leur droit au retour ou à une compensation, inscrit dans la résolution 194 des Nations unies, votée en décembre 1948, demeure valide ». La campagne du gouvernement israélien contre l'UNRWA trouve là une de ses principales explications. Ceux qui se font complices de cette « campagne de propagande » s'associent – sous une forme ou une autre – à la politique des Netanyahou, Smotrich, Ben Gvir… Ils ne sont pas absents des cercles du pouvoir helvétiques. (Réd.)
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En Égypte, la vie terriblement précaire des Palestiniens qui ont fui Gaza

Laissés pour compte par les autorités locales, les Gazaouis qui ont réussi à entrer sur le territoire égyptien ne bénéficient pas du statut de réfugié et vivent dans des conditions très difficiles, raconte le magazine américain “Foreign Policy”.
Tiré de Courrier international. Publié à l'origine dans Foreigh policy.
L'Égypte a beau refuser d'accueillir des réfugiés en provenance de la bande de Gaza, plus de 100 000 Palestiniens ont trouvé refuge sur le sol égyptien depuis le début de l'offensive israélienne.
Khaled Shabir, 29 ans, en fait partie. Il est arrivé en Égypte en mars, quatre mois après le bombardement de sa maison à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, par l'armée israélienne. Ses parents sont morts dans le raid aérien ; lui a survécu avec plusieurs fractures, au pied, à la jambe et aux mains. Il a été transféré à l'hôpital puis dans un centre médical local.
Les Palestiniens dont la vie est en danger à cause de problèmes de santé peuvent obtenir un transfert médical gratuit pour l'Égypte. Mais Khaled Shabir a dû passer par les services, payants, de l'agence de voyages Hala, la seule à proposer un passage sécurisé de la bande de Gaza vers l'Égypte.
Hala, dont le propriétaire entretiendrait des liens privilégiés avec les autorités égyptiennes, facture entre 2 500 et 5 000 dollars [entre 2 200 et 4 500 euros] par personne le passage de la frontière, une somme énorme pour la plupart des Palestiniens. Khaled Shabir n'en avait pas les moyens mais, grâce à une campagne de financement participatif, il a réussi à réunir les 5 000 dollars nécessaires à son passage. “Les médecins de l'hôpital s'étaient pris de sympathie pour moi et ils ont renoncé aux honoraires de mes opérations.”
Un contexte égyptien tendu
Comme la plupart des Palestiniens récemment arrivés en Égypte, Khaled Shabir s'est retrouvé dans une position inconfortable. Officiellement, il n'a pas le statut de réfugié, et il n'a donc pas droit aux aides internationales, contrairement à ses concitoyens à Gaza.
Sur les huit Palestiniens vivant en Égypte interrogés pour cet article, aucun n'a reçu d'aide humanitaire des organisations internationales. Ces réfugiés clandestins dépendent donc de la bonne volonté des associations locales et risquent de se retrouver dans une situation de grande précarité.
Les Palestiniens en exil arrivent en Égypte dans un contexte tendu puisque le pays traverse actuellement sa pire crise économique depuis des décennies. Ces dernières années, l'inflation a atteint des records, les loyers et la nourriture ne cessent d'augmenter et des millions de personnes vivent dans la pauvreté.
Il est donc particulièrement difficile pour les Palestiniens de s'en sortir. La majorité des derniers arrivants n'ont pas de papiers officiels et ne peuvent donc pas inscrire leurs enfants dans les écoles, postuler pour des emplois, recevoir des soins médicaux ou bénéficier des aides de l'État.
À court d'argent
Même pour ceux qui ne sont pas à plaindre financièrement, la situation se complique à mesure qu'ils puisent dans leurs économies. Nagham, une étudiante en commerce de 23 ans, a quitté Gaza à la fin de janvier pour aller vivre chez des parents au Caire après la destruction de sa maison par l'armée israélienne.
Comme elle avait déjà un permis de séjour et était inscrite à l'université du Caire, Nagham n'a rien eu à débourser pour passer la frontière. Mais après son arrivée dans la capitale égyptienne, elle a dû vendre son alliance et d'autres bijoux afin de faire venir son mari. “Notre situation financière est actuellement très précaire”, dit-elle.
Kamel Mohamed a 23 ans. Il a quitté Gaza en avril et, selon lui, la majorité des étudiants qu'il connaît venus de Gaza sont à court d'argent, surtout après avoir payé les frais de passage de la frontière. Il essaie de décrocher une bourse pour étudier à l'université en Égypte ou dans d'autres pays arabes. Mais, pour l'instant, il ne reçoit rien des organisations internationales et dépend de la petite allocation mensuelle que lui octroient deux associations locales en Égypte.
“Invités” mais pas réfugiés
Le plus gros problème, c'est que ceux qui ont fui la bande de Gaza ne sont pas officiellement considérés comme des réfugiés. Ce qui veut dire que les deux principales agences onusiennes, le Haut-Commissariat pour les réfugiés et l'UNRWA, ne peuvent leur apporter aucune aide matérielle.
Le gouvernement égyptien refuse d'accorder un statut de réfugié aux Palestiniens depuis 1978, même s'il les appelle “nos invités” ou “nos frères”. Il s'oppose depuis longtemps à l'installation d'un bureau de l'UNRWA au Caire et à l'accueil de la population de Gaza sur son territoire, par crainte qu'ils ne viennent menacer la sécurité de la région et qu'Israël refuse le retour dans l'enclave des Palestiniens déplacés.
Mais, selon de nombreux spécialistes, l'Égypte a une obligation légale d'accueillir les réfugiés sur son sol. Pour l'instant, en l'absence de papiers officiels, la plupart des Palestiniens qui sont récemment arrivés de la bande de Gaza risquent d'être renvoyés chez eux.
Pour autant, le gouvernement égyptien prend en charge certains Palestiniens victimes de la guerre. Le ministre de la Santé, Khaled Abdel Ghaffar, a annoncé en mai que, depuis le début du conflit, environ 5 500 blessés avaient été évacués en Égypte pour recevoir des soins médicaux. Ces Palestiniens sont soignés aux frais du gouvernement égyptien. La procédure est cependant longue et compliquée.
“C'était un calvaire, ce voyage”, raconte Oum Qusai, qui a pu quitter Gaza pour que sa fille de 6 ans, Nour, soit opérée. La fillette avait perdu un œil lors du bombardement de sa maison en octobre. Après six mois passés à l'Hôpital européen de Gaza, Oum Qusai a finalement réussi à obtenir que sa fille soit transférée gratuitement en Égypte. Mais, comme elles n'avaient pas de passeport, elle a dû attendre avec la fillette et ses deux autres enfants pendant douze heures au poste-frontière de Rafah avant de pouvoir entrer en Égypte.
“Ils arrivent avec leurs vêtements pour tout bagage”
Une fois arrivés dans le pays, la plupart des Palestiniens soignés gratuitement n'ont pas le droit de quitter l'hôpital. Un grand nombre de ces patients, ainsi que les proches qui les accompagnent, disent se sentir prisonniers de ces hôpitaux, ils ne sont autorisés à sortir du bâtiment que s'ils retournent à Gaza. Des bénévoles égyptiens s'organisent pour apporter aux patients palestiniens de la nourriture, des médicaments et des vêtements. Ils se plaignent cependant de la lourdeur des démarches administratives à faire pour obtenir un droit de visite à cause des mesures de sécurité très strictes en vigueur dans ces hôpitaux.
En novembre, Sherif Mohyeldin, un chercheur égyptien, a lancé For the People, une association d'une soixantaine de membres qui vient en aide aux Palestiniens blessés et à leurs familles au Caire et à Alexandrie. Jusqu'à présent, et grâce aux dons, cette initiative a réussi à aider plus de 1 200 Palestiniens à payer leur nourriture et leurs loyers.
“Les gens arrivent avec leurs vêtements pour tout bagage, explique Sherif Mohyeldin. Ils souffrent beaucoup, sur le plan tant physique que psychologique.” L'association n'a pas encore trouvé de solutions pour les malades qui ont besoin d'une prothèse ou d'une chimiothérapie, des soins au coût faramineux, mais aussi pour les étudiants palestiniens, dont les frais de scolarité annuels dépassent les 4 000 dollars [3 600 euros].
Abdullah Abou Al-Aoun, 26 ans vient d'une famille aisée de Gaza, et lui aussi essaie d'aider ses concitoyens en Égypte. Sa famille possédait de nombreux bâtiments et deux restaurants à Gaza, tous bombardés par l'armée israélienne. Après avoir fui Gaza, il a ouvert un restaurant de chawarma au Caire grâce au passeport égyptien de sa mère et aux économies de sa famille. Il a embauché trois jeunes Gazaouis dans son nouveau restaurant et apporte une aide financière à d'autres familles palestiniennes installées au Caire.
- “Les familles qui sont venues en Égypte se retrouvent sans rien.”
De nombreux Palestiniens savent qu'ils vont sans doute devoir rester encore plusieurs années en Égypte. “Ce qui m'inquiète le plus, c'est de ne pas savoir de quoi sera fait demain, avoue Nagham. Quand pourra-t-on retourner chez nous ? Et où allons-nous vivre, sous une tente ou dans les ruines de nos maisons ?”
Azza Guergues
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Stockage de données, IA… Comment Amazon, Microsoft et Google contribuent à l’effort de guerre israélien

Des données de renseignement collectées en masse à Gaza sont stockées par l'armée israélienne chez Amazon Web Services (AWS), le cloud d'Amazon, dévoile une enquête du média israélien indépendant +972 Magazine. Mais le géant du e-commerce n'est pas le seul à collaborer avec Tsahal : Microsoft et Google sont également de la partie, via leurs services de cloud et leurs outils d'intelligence artificielle.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière. Article publié à l'origine par +972 Magazine.« Selon trois sources du renseignement [israélien], la coopération de l'armée avec AWS est particulièrement étroite : le géant du cloud fournit à la direction du renseignement militaire israélien une ferme de serveurs qui est utilisée pour stocker des masses de données de renseignement qui aident l'armée dans la guerre », détaille +972 Magazine.
En effet, les quantités de données (notamment des milliards de fichiers audio) collectées par l'armée israélienne à Gaza sont telles qu'elles nécessitent l'espace « illimité » proposé par AWS pour pouvoir les stocker. Selon un témoignage, les militaires ayant besoin d'accéder aux données travaillent avec deux écrans, un branché sur leur propre base de données et un sur AWS. Ces données ont parfois été utilisées pour déclencher des frappes, tuant ou blessant des civils.
En 2021, le gouvernement israélien a signé un contrat avec Amazon et Google baptisé Projet Nimbus, afin de faciliter le transfert des données de ses administrations vers le cloud des deux entreprises –dont certains salariés ont protesté, voire démissionné dans la foulée. L'enquête de +972 Magazine dévoile que, depuis octobre 2023 et le début de l'offensive à Gaza, des unités de l'armée israélienne stockent des données classifiées chez Amazon et Google dans le cadre du Projet Nimbus, ainsi que chez Microsoft.
Transcription automatique et reconnaissance faciale
Pendant longtemps, Microsoft, via son service Azure, a en effet été le principal fournisseur cloud de Tsahal, jusqu'à ce qu'Amazon propose un meilleur prix. Alors que l'armée israélienne devait précédemment effacer les anciennes données de ses serveurs au fur et à mesure, elle peut désormais tout conserver, et agréger toutes ces informations pour (notamment) choisir les cibles de ses bombardements. Microsoft a également proposé à l'armée israélienne ses outils de reconnaissance faciale.
« Un autre avantage majeur [des] géants du cloud réside dans leurs capacités d'intelligence artificielle et dans les fermes de serveurs GPU qui les prennent en charge », poursuit le média. Amazon, Google et Microsoft proposent notamment de la transcription automatique des fichiers audio en texte, ce qui permet de libérer l'armée israélienne de cette tâche. Rappelons que Tsahal utilise l'IA pour déclencher des frappes très meurtrières, comme déjà dévoilé par +972 Magazine.
Amazon héberge déjà des données classifiées pour les services de renseignement britanniques et australiens ainsi que le Pentagone. Avec Google et Amazon, elle est aussi candidate au projet Sirius, un cloud extrêmement sécurisé destiné au ministère israélien de la défense, qui devrait accueillir des données encore plus sensibles.
Camille Lemaître
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Les dilemmes du Hezbollah face à la guerre sur Gaza

Depuis le 7 octobre 2023, des escarmouches opposent l'armée israélienne au Hezbollah. En novembre 2023, le secrétaire général du mouvement Hassan Nasrallah, après un long silence était intervenu pour définir la stratégie de son organisation face à la guerre contre Gaza. Nous republions l'article publié à ce moment.
Tiré d'Orient XXI.
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Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a brisé le silence le 3 novembre. Celui dont on attendait la réaction depuis l'opération « Déluge d'Al-Aqsa » conduite par le Hamas le 7 octobre avait jusque-là laissé le cheikh Hachem Safieddine, président du conseil exécutif du Hezbollah et Naïm Qassem, le secrétaire général adjoint, s'exprimer sur la situation à Gaza et dans le sud du Liban. Dans une allocution très attendue, le secrétaire général du Hezbollah a tenu à clarifier son positionnement et sa stratégie. Rejetant les spéculations occidentales sur la participation iranienne, le leader du parti chiite libanais a précisé que l'opération découlait d'une « décision palestinienne à 100 % », dont il n'était lui-même pas au fait.
Sur l'ouverture d'un deuxième front à la frontière libanaise, objet de toutes les attentes, le « Sayyid » est resté assez énigmatique. Il a précisé que la milice était entrée en guerre depuis le 8 octobre pour soutenir son allié gazaoui, attirer vers le nord une partie de l'armée israélienne et ainsi alléger la pression sur Gaza. « Ce qui se passe à la frontière peut paraître modéré pour certains. Mais ce n'est pas le cas », a-t-il affirmé.
Le souvenir douloureux de 2006
Pour l'heure, les combats restent très localisés, avec des escarmouches, des infiltrations, des tirs sur des postes d'observation. Le parti de Nasrallah cible majoritairement les fermes de Chebaa, territoire libanais occupé militairement par les forces israéliennes depuis juin 1967. Malgré les morts recensés des deux côtés de la frontière libano-israélienne (56 du côté du Hezbollah et moins d'une dizaine parmi les Israéliens), les deux belligérants se cantonnent à des réponses très limitées, de manière à maintenir un équilibre de la dissuasion. Les villages frontaliers libanais et israéliens ont tout de même été évacués, tandis qu'Amnesty International accuse l'armée de Tel-Aviv d'utiliser délibérément du phosphore blanc sur des zones civiles et agricoles.
Certes, Nasrallah a prévenu : « Une escalade, sur le front [libanais], dépend de deux choses : l'évolution de la situation à Gaza, et le comportement de l'ennemi sioniste vis-à-vis du Liban ». Malgré les discours belliqueux, les dernières rencontres entre le cheikh Saleh Al-Arouri, chef adjoint du bureau politique du Hamas et Ziad Al-Nakhala, secrétaire général du Mouvement du djihad islamique en Palestine (MJIP), ainsi que les avertissements de la diplomatie iranienne, le Hezbollah doit prendre en compte la situation intérieure libanaise dans son positionnement. Des Forces libanaises de Samir Geagea au Parti socialiste progressiste de Taymour Joumblatt en passant par le Courant patriotique libre de Gebran Bassil et le premier ministre sortant Najib Mikati, toute la classe politique libanaise redoute l'embrasement et appelle ainsi la milice chiite à la responsabilité. Nabih Berri, président du Parlement libanais, dirigeant de Amal et allié du Hezbollah, sert d'intermédiaire entre ce dernier et les émissaires étrangers. Le leader du « Parti de Dieu » a d'ailleurs indiqué que les chancelleries arabes avaient pris contact avec lui depuis le début des hostilités à Gaza pour éviter une escalade régionale.
Indépendamment du consensus politique, le souvenir de la guerre de l'été 2006 est vif pour toute la société libanaise. En réponse à une opération spéciale du Hezbollah visant à prendre en otage des soldats israéliens à la frontière, l'armée israélienne avait bombardé tous les points vitaux du pays (les centrales d'électricité, les ponts, l'aéroport, les industries), paralysant son économie. Israël avait tiré plus de 3 000 obus par jour sur l'ensemble du Liban, y compris à Beyrouth. En plus de vouloir neutraliser les capacités militaires du mouvement chiite, le cabinet de sécurité mené par le premier ministre de l'époque Ehud Olmert entendait mettre en porte à faux le gouvernement libanais de Fouad Siniora, lui reprochant sa neutralité à l'égard du parti chiite.
Au-delà des pertes civiles importantes causées par les raids israéliens — environ 1 200 morts dont une majorité de civils et plus de 4 000 blessés —, le pays a connu l'exode de près d'un million de personnes et la reconstruction des bâtiments s'est élevée à plus de 2,8 milliards de dollars (2,62 milliards d'euros). À l'échelle du Proche-Orient, le Hezbollah est sorti auréolé de cette « victoire divine » sur les forces israéliennes, mais ce conflit a toutefois ravivé les fractures internes au sein de l'échiquier politique libanais, en particulier sur la question de l'arsenal militaire du groupe.
Aujourd'hui, et particulièrement depuis 2019, le Liban est dans une situation économique catastrophique et n'a plus de président depuis le départ de Michel Aoun il y a un an. Même si la majorité de la population soutient la cause palestinienne, l'ouverture d'un deuxième front contre Israël reste impopulaire, toutes confessions confondues.
Une intervention du Hezbollah rendrait de surcroît caduc l'accord de délimitation des frontières maritimes avec Israël. Signé le 27 octobre 2022, il permet au pays du Cèdre d'espérer des retombées économiques grâce aux forages du gaz offshore dans le champ de Cana au large de ses côtes.
Des relations qui remontent à 1992
Outre l'importance de l'équation libanaise, la relation avec le Hamas permet de comprendre la perception du conflit par le Hezbollah. Bien que faisant partie de « l'axe de la résistance » piloté par Téhéran, les deux partis islamistes ne sont pas pour autant alignés sur le même agenda politique et défendent avant tout des intérêts propres.
Le 10 avril 2023, alors que le chef du bureau politique du mouvement islamiste palestinien Ismaël Haniyeh se trouvait à Beyrouth, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, en grande difficulté sur le plan interne, avait assuré qu'il ne « permettrait pas au Hamas terroriste de s'établir au Liban », et promis de « restaurer la sécurité » dans son pays en agissant « sur tous les fronts ». Hassan Nasrallah avait en effet promu dans un récent discours l'importance d'une « unité de fronts » contre Israël. Objet de tous les fantasmes, cette confédération de milices n'est pas pour autant structurée et ne forme pas de bloc homogène.
Après s'être immiscé activement dans la création du Hezbollah dans les années 1980, Téhéran s'intéresse aux différentes factions palestiniennes. Même si la République islamique ne participe pas à la création du Hamas en 1987, les Gardiens de la révolution vont, dès les années 1990, transmettre des armes et de l'argent au mouvement gazaoui. Une première délégation du mouvement va se rendre à Téhéran, en 1991, et y ouvrira un bureau politique. De surcroît, des combattants gazaouis vont être formés dans des camps en Iran ou au Liban.
Les premiers contacts officiels entre les milices islamistes remontent à 1992 et l'expulsion de centaines de Palestiniens du Hamas et du MJIP, dont Ismaël Haniyeh, vers le camp de Marj El-Zohour au Sud-Liban. Les relations se sont renforcées compte tenu de la fermeture des bureaux du parti islamiste en Jordanie en 1999. Khaled Mechaal, alors chef du Hamas de la bande de Gaza, prend ses quartiers à Damas. En 2000, le mouvement gazaoui ouvre un bureau à Beyrouth. Les différents groupuscules multiplient les contacts et coopèrent sous la houlette de Téhéran.
Une alliance en dents de scie
Mais cette relation va se détériorer avec les « printemps arabes » et, notamment, la révolution en Syrie. Si le MJIP s'aligne sur l'agenda politique de Téhéran dès 2012, Khaled Mechaal, devenu le chef du bureau politique du Hamas à l'étranger, quitte Damas pour Doha, soutien important des soulèvements arabes. Il prend officiellement fait et cause pour les insurgés syriens lors d'un discours en Turquie en septembre 2012. S'adressant personnellement au président turc Recep Tayyip Erdoğan, il le remercie pour son soutien au peuple syrien. L'ascension de Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans en Égypte est venue renforcer leurs espoirs de parvenir à insuffler un vent révolutionnaire islamiste sunnite à l'échelle de la région. La même année, le cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani est le premier chef d'État à se rendre à Gaza depuis que le Hamas en a pris le contrôle en 2007, et promet une aide de 400 millions de dollars (374 millions d'euros). À l'aune des changements régionaux de la nouvelle décennie, le Hamas passe davantage sous le giron qatari pour des raisons pragmatiques et idéologiques.
D'après certaines sources proches du Hezbollah et du gouvernement syrien, les brigades Ezzedine Al-Qassam, branche armée du Hamas, auraient participé de manière active à la guerre en Syrie aux côtés des rebelles et des djihadistes (1). Plusieurs miliciens auraient notamment supervisé l'entraînement de l'armée Khalid Ibn Al-Walid et de la brigade Al-Farouq avant des combats contre le Hezbollah et l'armée loyaliste syrienne lors de la bataille d'Al-Qusayr à la frontière libanaise en mai 2013. Ils auraient notamment partagé leur expertise en matière de construction de tunnels. La même année, le prêche de l'imam frériste Youssef Al-Qaradawi à la mosquée Al-Doha en présence de Khaled Mechaal provoque l'ire de Téhéran et du parti chiite libanais. Le cheikh égyptien qualifie la milice libanaise de « parti de Satan » et la République islamique d'« alliée du sionisme ». Résultat, l'Iran divise par deux son aide financière au Hamas et les bureaux du mouvement palestinien à Beyrouth sont fermés.
La radicalisation de l'opposition syrienne et la prise par l'organisation de l'État islamique (OEI) du plus grand camp palestinien de Syrie, Yarmouk, en 2015, poussent le Hamas à renouer avec Téhéran et le Hezbollah. La convergence des intérêts, à savoir la lutte contre Israël, prend le dessus sur les divergences passées. De surcroît, compte tenu de l'échec du camp frériste au Proche-Orient, de la Tunisie à l'Égypte en passant par la Turquie, le mouvement islamiste reprend finalement le chemin de Damas en octobre 2022, grâce à la médiation du parti d'Hassan Nasrallah. En somme, le parti chiite agit à la fois comme intermédiaire politique pour ressouder les liens de « l'axe de la résistance » et comme conseiller militaire auprès des autres milices.
Les deux groupes sont constamment en lien par le biais du bureau du Hamas de Beyrouth dirigé par Ali Barakeh, en exil dans la capitale libanaise depuis plusieurs années. Les leaders des factions palestiniennes ont leurs entrées à Beyrouth et coordonnent leurs actions. Néanmoins, le Hamas et le Hezbollah ne constituent pas pour autant les deux faces d'une même pièce : l'un opère selon un agenda palestinien bien précis tandis que l'autre fait partie intégrante de l'échiquier politique libanais.
Le scénario de l'ouverture d'un deuxième front par le Hezbollah dépendrait de plusieurs conditions. Par pragmatisme politique, celui-ci n'utilise pas tous ses leviers de pression contre l'armée israélienne, limite l'escalade de la violence et se cantonne, pour le moment, à un rôle d'appui et de conseiller militaire et stratégique auprès des différents groupes gazaouis. L'organisation d'Hassan Nasrallah tient surtout compte de l'opinion libanaise, farouchement opposée à l'extension du conflit. Mais les éventuelles pressions de Téhéran et l'évolution de la situation à Gaza pourraient changer la donne, donnant lieu à une augmentation des accrochages sur le front nord, à l'issue incertaine.
Notes
1- Voir Leila Seurat, Le Hamas et le monde, CNRS éditions, 2015.
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L’assassinat d’Ismaïl Haniyeh : Benyamin Netanyahou veut pousser l’Iran à entrer en guerre

Le 31 juillet, il est environ deux heures du matin quand une explosion retentit dans nord de la capitale iranienne, Téhéran. Ismaïl Haniyeh, chef politique du Hamas, vient d'être assassiné. La victime était invitée par le régime pour assister à la cérémonie de d'investiture du nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian. L'assassinat de Haniyeh est survenu au lendemain d'une frappe israélienne ayant tué un haut responsable militaire du Hezbollah, Fouad Shukr, près de Beyrouth.
Tiré d'Europe solidaire sans frontière.
Si Israël est resté silencieux, cet assassinat ciblé porte la marque des services secrets de l'État hébreu, habitués à traquer et à tuer les commanditaires des attaques sur son sol et ses citoyen.nes. « J'ai donné l'ordre au Mossad d'agir contre les chefs du Hamas où qu'ils se trouvent », avait prévenu Benyamin Netanyahou, au lendemain des attaques terroristes du 7 octobre. « Leurs heures sont comptées. Où qu'ils soient, ce sont des hommes morts », avait renchéri le ministre de la Défense, Yoav Gallant.
Selon l'agence de presse semi-officielle iranienne Fars, affiliée aux Corps des Gardiens de la Révolution Islamique (CGRI), Ismaïl Haniyeh, a été assassiné par un « projectile à courte portée » tiré de son lieu d'hébergement à Téhéran dans une opération que l'Iran impute à Israël, a annoncé samedi le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (CGRI), le bras armé du régime.
« D'après les enquêtes et investigations, cette opération terroriste a été menée en tirant un projectile à courte portée avec une ogive d'environ 7 kilogrammes depuis l'extérieur du lieu d'hébergement d'invitées provoquant une forte explosion », ont-ils indiqué dans un communiqué publié par l'agence officielle Irna.
Mais le New York Times avance un autre scénario. Ce serait un engin explosif, placé depuis deux mois dans l'appartement, qui aurait tué le chef du Hamas et un de ses gardes du corps. La résidence, surveillée par les Gardiens de la révolution, aurait donc souffert d'une importante faille de sécurité. Les services de renseignements iraniens auraient, eux aussi, été incapables de prévenir un tel acte. Un véritable camouflet infligé à l'État théocratique.
Selon le média Axios, la bombe aurait été déclenchée par des agents du Mossad se trouvant sur le sol iranien. Ce n'est pas la première fois qu'Israël arrive à tuer des personnalités en Iran. De nombreux responsables du programme nucléaire iranien ont trouvé la mort dans des attentats à la bombe. L'Israël n'a jamais revendiqué ces assassinats.
L'assassinat d'Ismail Haniyeh, négociateur en chef et chef politique du Hamas, détruit la perspective d'un accord de cessez-le-feu imminent. Netanyahou s'est toujours opposé à un accord qui mettrait fin à la guerre. À cet égard, le journal israélien Haaretz a révélé que lors des précédents cycles de négociations, Netanyahu a activement et stratégiquement divulgué des informations sensibles aux médias à des moments critiques afin de saboter les négociations entre Israël et le Hamas.
Quels sont les objectifs poursuivis par Netanyahu en assassinant Ismail Haniyeh à ce moment et à ce lieu ?
Pourquoi Israël essaye-t'il d'entraîner l'Iran dans une guerre totale au Moyen-Orient alors qu'il n'a pas la capacité économique d'entrer dans cette guerre ?
Pour le régime de Téhéran c'est Israël qui était certainement derrière l'assassinat audacieux de Haniyeh. Le gouvernement israélien a délibérément placé l'Iran dans une position de honte face aux Palestiniens afin de maximiser la possibilité de représailles iraniennes. A noter que l'assassinat a eu lieu quelques heures seulement après l'investiture du nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian.
L'ancien chef adjoint du Conseil de sécurité nationale d'Israël a également souligné que Benjamin Netanyahu veut déclencher une guerre plus large et y entraîner les États-Unis. Bien qu'Israël paierait un lourd tribut si l'Iran entrait dans une guerre à grande échelle au Moyen-Orient, le déclenchement de la guerre et l'escalade des conflits en Israël serviraient les intérêts de Netanyahu de diverses manières. Dans ce qui suit, nous verrons pourquoi Netanyahu a bénéficié de l'assassinat d'Ismail Haniyeh.
Les six objectifs d'Israël en assassinant Haniyeh
- Premier objectif : l'assassinat de Haniyeh, détruirait la perspective d'un accord de cessez-le-feu imminent.
Netanyahou s'est toujours opposé à un accord qui mettrait fin à la guerre à Gaza. À cet égard, le journal israélien Haaretz a révélé que lors des précédents cycles de négociations, Netanyahu avait activement et stratégiquement divulgué des informations sensibles aux médias à des moments critiques afin de saboter les négociations entre l'Israël et le Hamas.
Joe Biden, le président des États-Unis d'Amérique, en réponse à une question sur la question de savoir si Netanyahu prolongerait la guerre pour le bien de sa vie politique, a répondu : « Il y a de nombreuses raisons de conclure que oui ». Netanyahu sait que l'accord sur les otages israéliens avec le Hamas ferait s'effondrer son gouvernement et mettrait fin à son règne de Premier ministre. Il est également probable que s'il était condamné par la justice israélienne, cela signifierait une réactivation de son procès pour corruption, qui pourrait le conduire en prison. C'est pourquoi le négociateur Netanyahou est réticent à conclure les négociations, et tente de parvenir à une impasse par tous les moyens.
- Deuxième objectif : l'assassinat de Haniyeh, risque d'affaiblir Kamala Harris si elle remporte l'élection présidentielle américaine.
Alors que l'administration Biden a toujours accusé le Hamas d'avoir empêché la conclusion d'un accord, des indications semblent montrer que Harris pourrait adopter une approche différente en ce qui concerne Israël et le Hamas, et rendre possible un accord entre eux. Après une visite à Washington la semaine dernière, Kamala Harris a déclaré : « Comme je l'ai dit au Premier ministre Netanyahu, le moment est venu pour cet accord d'être conclu. »
- Troisième objectif : l'assassinat d'Ismaïl Haniyeh, a également affecté les négociations potentielles entre les États-Unis et l'Iran.
L'élection de Massoud Pezeshkian, avait fait de la reprise des négociations du JCPOA1 et de la détente des relations étrangères, le centre de sa politique étrangère dans les débats électoraux. Bien que cela ait pu ouvrir une petite fenêtre pour la relance de la diplomatie, l'escalade de la tension provoquée par cet assassinat a gravement affaibli la perspective de construire un consensus à Téhéran en faveur de telles négociations. Cette idée d'affaiblissement est renforcée par le fait que certains responsables politiques iraniens pensent qu'Israël a assassiné Haniyeh avec le soutien de l'administration Biden. L'ambassadeur d'Iran aux Nations unies a également écrit dans une lettre au président du Conseil de sécurité des Nations unies que l'attaque « n'aurait pas pu avoir lieu sans l'autorisation et le soutien des services de renseignement des États-Unis ».
- Quatrième objectif : étant donné l'opposition de longue date d'Israël à l'amélioration des relations américano-iraniennes, il est très peu probable l'assassinat de Haniyeh lors de l'investiture de Pezeshian soit une coïncidence.
C'est exactement au moment où un présidant partisan de rapprochement avec pays occidentaux est investi que Netanyahu a cherché à forcer les États-Unis à entrer en guerre avec l'Iran. Bien que l'accent des États-Unis ait été mis davantage sur le programme nucléaire iranien, le désir d'Israël d'une attaque directe des États-Unis contre l'Iran est un secret de polichinelle.
Il faut rappeler que le rapprochement du présidant Obama avec l'Iran en 2015 a déplacé l'équilibre des forces régionales loin des États du Golfe et d'Israël, et a bouleversé l'équilibre des forces entre l'Iran et Israël. Pour le régime iranien l'un d'objectifs de JCPOA était d'être censé augmenter les capacités d'armement conventionnel de l'Iran en allégeant les sanctions contre l'Iran dans l'accord nucléaire promis par Obama. JCPOA a autrefois joué un rôle essentiel à la création de la ceinture de sécurité des pays dits de l'Axe de la Résistance (Iran, Syrie, et Liban), qui était censée protéger ces pays des attaques israéliennes.
- Cinquième objectif : Israël a pendant des années cité les divisions entre les diverses factions palestiniennes comme un obstacle majeur aux pourparlers de paix.
La semaine dernière via les efforts de la Chine, un accord a été conclu sur la formation d'un gouvernement d'unité nationale pour gouverner Gaza après la guerre. Ismail Haniyeh a joué un rôle important dans la conclusion de cet accord de Pékin signé par toutes les factions palestiniennes, du Fatah au Hamas.
Le soutien des pays de “l'Axe de la Résistance” à la cause palestinienne est purement verbal. Et pendant ce temps là, Israël a eu les mains libres pour assassiner Haniyeh afin de tenter :
– d'empêcher la paix avec les Palestiniens,
– de mener dans une impasse la poursuite des négociations avec Yahya Sinwar à Gaza pour l'échange de prisonniers,
– de contrôler avec l'aide de la coalition menée par les Etats-Unis, les représailles probables de l'Iran et ses alliés.
- Sixième objectif : l'assassinat d'Ismail Haniyeh par Israël est destiné à provoquer une réponse iranienne, qui pourrait facilement dégénérer en une guerre plus large et engager les États-Unis au Moyen-Orient plus que jamais.
En avril, l'administration Biden a redoublé ses efforts pour contrôler les conséquences de lancements de missiles iraniens contre Israël après la destruction du consulat iranien à Damas, afin d'empêcher une escalade incontrôlable des tensions au Moyen-Orient.
Mais cette fois, à la veille des élections présidentielles américaines, l'administration Biden ne peut pas empêcher de manière décisive le Moyen-Orient de sombrer dans la guerre totale, à moins qu'elle ne veuille tracer des lignes rouges publiques contre Netanyahu. Cela pourrait viser le soutien électoral des démocrates, et Biden préfère qu'Israël fasse ce qu'il veut pour se défendre.
Tout de suite après l'assassinat, des dizaines d'officiers de haut rang des renseignements, ainsi que des responsables de la sécurité ont été arrêtés, sous l'accusation d'être des espions ennemis. Seulement deux semaines avant l'assassinat le ministre des renseignements s'est vanté d'éradiquer tous les nids d'espions dans l'ensemble du pays.
Dans cette situation le régime mène une guerre verbale virulente contre Israël pour sauver la face devant une telle humiliation.
« Israël a commis une « erreur stratégique » qui va lui « coûter cher » en tuant la semaine dernière à Téhéran le chef politique du Hamas Ismaïl Haniyeh », a déclaré le 8 octobre à l'AFP le ministre iranien des Affaires étrangères par intérim Ali Bagheri, après une réunion extraordinaire de l'Organisation de la coopération islamique (OCI). Il a accusé Israël - qui n'a pas commenté la mort d'Ismaïl Haniyeh - de vouloir « étendre la guerre » dans la région, tout en jugeant qu'il n'a « ni la capacité ni la force » pour combattre l'Iran.
Dans une lettre adressée au nouveau chef du Hamas, Yahya Sinwar, le général Esmail Ghaani a présenté ses condoléances à Yahya Sinwar pour le martyre de l'ancien chef du Bureau politique du Hamas. « Il ne fait aucun doute que le sang du martyr Haniyeh influencera la dure vengeance du régime sioniste par la République islamique ».
La récente visite de Netanyahu aux États-Unis a montré qu'il est peu probable que les États-Unis se laissent entraîner dans une guerre directe avec l'Iran.
Il est par contre probable que l'Iran réponde à la terreur sur son propre sol par un renouvelement de sa dissuasion défensive envers Israël. Mais la probabilité que l'Iran entre délibérément dans une guerre à grande échelle est nulle étant donnée la faiblesse de son infrastructure économique et de longues années de sanctions économiques.
Vu le degré très élevée de détestation du pouvoir iranien par son propre peuple, un défaite militaire mènerait sans aucun doute à un chute du régime. Et comme dans tous les régimes dictatoriaux, sauvegarder et conserver le pouvoir politique vient avant toutes autres considérations.
Le 13 août 2024
Note
1 - Accord de Vienne sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action - JCPOA), signé le 14 juillet 2015 par les parties suivantes : l'Iran, les pays du P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies — les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni — auxquels s'ajoute l'Allemagne. Cet accord imposait des restrictions à l'activité nucléaire iranienne en échange d'un allègement des sanctions. Les négociations sur le nucléaire sont actuellement dans l'impasse après, en 2018, le retrait unilatéral des États-Unis qui ont réimposé de sévères sanctions économiques à Téhéran.
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Extrême droite : la résistible ascension
23 août 2024
https://www.youtube.com/watch?v=ZEMmSey4boU&t=3623s
Vendredi 23 août à 13h30, discussion autour du livre : Extrême droite : la résistible ascension, publié aux Éditions Amsterdam.
Avec Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme, Ugo Palheta, sociologue, spécialiste de l'extrême droite et Clémence Guetté, Vice-présidente LFI-NFP de l'Assemblée nationale, co-présidente de l'Institut La Boétie.

BOLSHEVIK WOMEN – Femmes, pouvoir et révolution en Union soviétique
L’article qui suit présente, de manière détaillée, l’ouvrage de l’historienne Barbara Evans Clements, Bolshevik Women. À l’encontre du mythe d’une tradition marxiste aveugle à la question des femmes ou d’un processus révolutionnaire dont elles auraient été exclues, l’ouvrage met en valeur la participation extrêmement active des femmes à la Révolution russe. En soulignant les apports pratiques et théoriques des militantes bolchéviques dès le début du XXe siècle, Evans Clements participe aussi à la remise en cause d’un certain narratif qui fait de la « découverte » des interconnexions entre les oppressions de classe et de genre un phénomène récent. Nous souhaitions rendre compte de la richesse de cette œuvre et rendre accessible les points saillants de cette solide contribution, qui n’est actuellement disponible qu’en anglais.

Le livre de Barbara Evans Clements, Bolshevik Women[1], fait le récit de toutes ces militantes russes, qui, avant 1921, ont rejoint la fraction bolchévique du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR). Autrice de deux autres ouvrages portant sur l’histoire des femmes en URSS, Bolshevik feminist: the life of Aleksandra Kollontai (1979) et Daughters of revolution: a history of women in the USSR (1994), Evans Clements enseigne l’histoire à l’université d’Akron.
À la jonction entre l’étude historique et le portrait sociologique, Bolshevik Women s’appuie sur une base de données contenant des informations sur 545 bolshevichki[2] pour brosser un portrait de l’engagement des militantes au sein du parti tout au long du XXe siècle. L’ouvrage examine les raisons pour lesquelles ces femmes sont devenues des révolutionnaires, le travail qu’elles ont accompli dans la clandestinité avant 1917, leur participation à la révolution et à la guerre civile ainsi que leur contribution à la construction de l’URSS. Nuancée et précise, l’étude montre que les bolshevichki ont joué un rôle important, notamment en tant que propagandistes, oratrices, organisatrices, fonctionnaires et dirigeantes d’opérations clandestines ou militaires. Elle décrit aussi l’effort remarquable fait par plusieurs d’entre elles pour mettre sur pied un programme général d’émancipation des femmes. L’ouvrage révèle les défis auxquels les militantes ont été confrontées, entre autres celui de concilier leur travail révolutionnaire, exigeant et chronophage, avec leur rôle de mère ou leur vie amoureuse. En nous racontant l’Union soviétique telle que l’ont vécue les militantes bolchéviques, l’œuvre retrace l’évolution de la place des femmes dans cette société ainsi que les rapports entre militantisme, pouvoir et genre en URSS.
L’autrice a utilisé des mémoires, biographies, articles de journaux et archives, notamment de la Société des anciens bolchéviques, pour enrichir son étude des premières militantes du parti. Quelques portraits plus personnalisés nous permettent, tout au long du livre, de suivre les trajectoires de personnalités plus connues comme Alexandra Kollontai, Inessa Armand, Elena Stassova, Rosalia Zemliachka, Konkordia Samoïlova, Ievguenia Bosch, Klavdiya Nikolaïeva et Aleksandra Artioukhina[3]. La vie de ces militantes est particulièrement bien documentée, car la plupart d’entre elles ont occupé des postes importants au sein du gouvernement soviétique après 1917.



De gauche à droite : Nadejda Kroupskaïa en 1890 ; Rosalia Zemliatchka au début des années 1900 ; Sofia Nikolaïevna en 1895. Images domaine public.
Qui rejoint le parti et pourquoi ?
Une révolutionnaire est dure, tenace et, si nécessaire, sans pitié. Elle est également diligente, rationnelle et peu sentimentale. Elle est membre à part entière d’un mouvement égalitaire ; sa place dans le mouvement, elle l’a gagnée en étant prête à se sacrifier complètement pour ses objectifs. Sa loyauté première n’est pas envers elle-même, sa famille ou envers les autres femmes. Sa loyauté va à ses camarades, au mouvement révolutionnaire et au projet de transformation sociale[4].
Bolchevik Women, 19
L’ouvrage débute par la période prérévolutionnaire, alors que le parti, illégal, lutte contre l’autocratie tsariste. Il explore les conditions et les limites de l’engagement des femmes au sein des milieux révolutionnaires, puis rend compte des raisons qui ont poussé certaines d’entre elles à devenir marxistes. Au tournant du XXe siècle, les militantes bolchéviques sont pour beaucoup issues des classes moyennes, tandis que leurs camarades sont majoritairement d’origine ouvrière, un phénomène qu’on retrouve aussi chez les différents groupes radicaux en Russie. La précarité, les responsabilités familiales ainsi que les notions sexistes réservant la politique aux hommes sont des obstacles plus difficiles à franchir pour les femmes ouvrières que pour leurs homologues plus éduquées des milieux plus aisés[5]. Malgré ces obstacles, il reste qu’entre 1890 et 1910, la Russie compte « plus de femmes radicales que n’importe quel autre pays d’Europe[6] ». C’est après 1917 et durant la guerre civile que les prolétaires et les paysannes rejoignent en masse les rangs des bolchéviques. Dans une Russie en plein bouleversement révolutionnaire, ces jeunes femmes se politisent rapidement. Elles participent aux réunions des clubs ouvriers ou rejoignent les rangs du Komsomol, l’organisation de la jeunesse communiste, avant de devenir membres à part entière du parti et de militer dans ses différents secteurs.
Plusieurs militantes sont attirées par le marxisme en raison de sa critique du patriarcat, qui le différencie d’autres mouvements radicaux russes de l’époque. Les œuvres de Friedrich Engels, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884), et d’Auguste Bebel, La femme et le socialisme (1891), sont parmi les premières œuvres révolutionnaires à traiter de l’histoire de domination masculine et des moyens pour la renverser. Ces textes soulignent que les inégalités entre hommes et femmes résultent de rapports sociaux et non d’une infériorité biologique ou psychologique des femmes. Ils situent l’origine de ces inégalités dans l’établissement de la propriété privée et l’émergence ultérieure de la société de classe, qui a remplacé la famille matrilinéaire des sociétés « communistes primitives » par un ordre patriarcal où les hommes contrôlent les moyens de production. Dans cette société, la femme est reléguée au statut de possession et on exige d’elle (et seulement d’elle) une monogamie sans faille, puisque celle-ci garantit la transmission du patrimoine masculin aux enfants légitimes du père. Selon Bebel et Engels, l’abolition de la propriété privée supprimerait les fondements matériels du patriarcat et rendrait possible l’intégration des femmes en tant que citoyennes à part entière dans la société. Dans la vision utopique de Bebel, sous le socialisme :
toutes les coutumes qui prescrivent la subordination des femmes [seraient] remplacées par la croyance en l’égalité complète des sexes. Les femmes travailleraient dans le domaine de leur choix, le ménage et l’éducation des enfants seraient pris en charge par des institutions communautaires, et les enfants grandiraient sans savoir qu’il existe des différences importantes entre les garçons et les filles[7].
Pour la tradition marxiste, la transformation radicale de la société a comme corollaire l’émancipation des femmes, un projet alléchant pour de nombreuses jeunes femmes russes désireuses de bouleverser un ordre qui maintient leur infériorité légale et économique.
Rejoindre les bolchéviques, c’est aussi rejoindre une faction révolutionnaire particulièrement résolue, dont l’éthique personnelle est fondée sur la твердость (tverdost, la dureté, la fermeté). Pour les militantes, la tverdost revêt une signification particulière, car elle s’oppose à la faiblesse, la sentimentalité et la frivolité, des traits considérés comme « universellement féminins » dans l’Europe des XIXe et XXe siècles, et utilisés pour justifier la position subalterne des femmes en société. En mettant de l’avant leur maîtrise de soi, leur rationalité et leur sens du devoir, les militantes affichent des qualités alors associées aux hommes. Elles affirment ainsi leur égalité intrinsèque avec ces derniers. Inessa Armand illustre le contraste entre la tverdost des militantes bolchéviques et les notions conventionnelles de la féminité lorsqu’elle décrit les réactions de ses camarades à son égard : « Lorsque nous t’avons rencontrée, tu nous as semblé si douce, si fragile et si faible, mais il s’avère que tu es de fer[8] ».

En rejoignant les rangs des révolutionnaires, les militantes sont amenées à vivre de nouvelles expériences en dehors du cadre traditionnel du foyer. Au sein de l’underground révolutionnaire, elles s’engagent dans la propagande auprès de divers secteurs de la population, veillent à maintenir la communication entre les cellules par des messages codés ou organisent des réunions et des actions clandestines. Durant l’année 1917, elles haranguent les foules avec des discours révolutionnaires, prennent part aux manifestations et font de l’agitation en milieu ouvrier. Au cours de la guerre civile (1917-1921), elles suivent des cours d’éducation politique, distribuent des journaux, collectent des dons pour l’effort de guerre, prodiguent des soins aux soldats blessés ou participent à diverses corvées. Plusieurs militantes partent aussi au front. Là, elles sont nombreuses à occuper le poste nouvellement créé de « responsable politique[9] », dont la tâche est d’expliquer les enjeux politiques de la guerre civile aux soldats. Si quelques communistes sont froissés par la place que prennent ces femmes dans les structures militaires, ce sont les armées blanches qui expriment leur plus vive indignation face au rôle de premier plan des militantes bolchéviques au front. Pour les contre-révolutionnaires, rien n’évoque autant la destruction de la civilisation qu’une femme armée d’un fusil, soutenue par ses camarades masculins prêts à lui obéir[10].
Tout cet univers de sens, de l’underground moscovite au front ukrainien, nous est présenté à travers les nombreux portraits de vie que propose l’ouvrage. Nous sommes amenés à comprendre le parcours de ces femmes, dont plusieurs anonymes, et leur choix de rejoindre les bolchéviques. À certains moments, Evans Clements présente un panorama de l’activité des militantes aux quatre coins du pays : « À la fin de l’été 1920, tandis que Samoïlova sillonne l’Ukraine, Bosch récupère à Moscou, Zemliachka terrorise la Crimée, Stasova s’installe à Tbilissi, et Inessa et Kollontai travaillent au Jenotdel, l’Armée rouge gagne la guerre civile[11] ». L’autrice arrive à bâtir un récit qui immerge le lectorat dans l’univers – politique, physique et mental – de ces partisanes, permettant de s’approprier le sens des actions de chacune.






De gauche à droite : Inessa Armand en 1916, Aleksandra Artioukhina avant 1917, Elena Stasova vers 1920, Alexandra Kollontaï vers 1920, Ievguenia Bosch en 1911 et Maria Ilinitchna Oulianova, soeur cadette de Lénine, vers 1911.
Le « féminisme bolchévique » : Rabotnitsa et le Jenotdel
Ces bolshevichki ne considéraient pas les coutumes patriarcales et la position secondaire des femmes dans le monde du travail comme de simples conséquences malheureuses du système de propriété auxquelles il faudrait remédier dans un avenir indéterminé ; à leurs yeux, il s’agissait de préoccupations centrales, d’injustices fondamentales qui devaient figurer en bonne place dans la liste des méfaits du capitalisme. Elles ne voulaient pas que les femmes prolétaires souffrent et restent immobiles jusqu’à ce que la révolution arrive. Au contraire, malgré les doutes et la désapprobation que cela suscitait chez les sociaux-démocrates plus conventionnels, elles se sont efforcées de rallier les femmes au mouvement révolutionnaire.
Bolchevik Women, 107.
L’ouvrage met en valeur le « féminisme bolchévique », développé par les militantes. Rejetant le « féminisme bourgeois » qu’elles jugent réformiste et reflétant les aspirations des femmes des classes dominantes, les militantes bolchéviques inventent leur propre « féminisme » révolutionnaire, basé sur les doctrines socialistes et centré sur les besoins des femmes des classes populaires.
Préoccupées par leur survie au jour le jour, disposant de peu de ressources sociales et ayant peu d’occasions de se politiser, les ouvrières constituent un groupe que les révolutionnaires ont initialement énormément de difficulté à rejoindre. La plupart des ménagères, quant à elles, sont ouvertement hostiles à l’activité politique de leurs proches, l’arrestation de leur mari pouvant s’avérer catastrophique pour elles et leurs enfants. Malgré ces difficultés, quelques militantes décident de prendre les choses en main : en 1913, Konkordiya Samoïlova organise un premier rassemblement pour la Journée des femmes, une action d’envergure s’adressant directement aux femmes du prolétariat. Puis, le journal du parti, la Pravda, fait paraître dans ses colonnes une chronique régulière traitant de la vie des ouvrières. Le 8 mars 1914, c’est le premier numéro d’un journal spécifiquement adressé aux ouvrières, Rabotnitsa (La Travailleuse), qui voit le jour[12]. Seulement sept numéros paraissent avant que le journal soit définitivement interdit par les autorités. La feuille est toutefois réactivée après la révolution[13]. Plus militant, le Rabotnitsa de 1917 laisse la place à plusieurs lettres d’opinion ou d’articles soutenant le principe du salaire égal pour un travail égal, critiquant les propositions de licenciement des femmes mariées formulées par certains syndicats ou dénonçant le harcèlement sexuel des ouvrières sur leurs lieux de travail. Dans un numéro de juin, Mme Boretskaia, qui se présente comme une rabotnitsa, écrit que les ouvriers « sont pour l’égalité des droits en paroles, mais lorsqu’il faut agir, il s’avère qu’une poule n’est pas un oiseau et une baba [une « bonne-femme » n.d.l.r.] n’est pas un être humain[14] ». Rabotnitsa fait aussi campagne contre l’alcoolisme et la violence conjugale, alors endémiques en Russie. Une rubrique sur le code juridique invite les femmes vivant avec des conjoints violents à divorcer, un droit nouvellement acquis avec la révolution de 1917. Liant la transformation de la vie matérielle et la transformation des consciences, les rédactrices de Rabotnitsa font la promotion des expériences de réorganisation de la vie familiale comme les appartements communaux, de l’établissement de services tels les crèches et les cafétérias, ou des fermes collectives gérées par les femmes[15]. Dynamique, créatif et affirmatif, ce « féminisme bolchévique » se popularise au cours des années 1920, notamment grâce à l’intervention des militantes dans la presse. Les sujets abordés par le journal surprennent par leur modernité, traitant de situations qui ont encore cours un siècle plus tard, comme la violence conjugale, le harcèlement sexuel ou des difficultés, pour les femmes en lutte, d’obtenir le soutien actif de leurs camarades masculins.


À gauche : affiche du Jenotdel encourageant les femmes à fonder des coopératives paysanes (1918). À droite : un numéro de 1923 du magasine Rabotnitsa (La Travailleuse). Images domaine public.
Malgré l’obtention de certains droits formels importants suite à la révolution, de nombreuses Soviétiques continuent de faire face à des difficultés matérielles, puisque la guerre civile et les troubles politiques laissent des régions entières dévastées. Plusieurs reprochent au nouveau pouvoir de n’avoir pas considérablement amélioré leurs conditions de vie. C’est pour cultiver l’appui des femmes des classes populaires au nouveau gouvernement que le parti autorise, en 1919, la création du Département du travail parmi les femmes, plus connu sous l’acronyme Jenotdel. D’abord dirigé par Inessa Armand, puis Sofia Smidovich (1922-24), Klavdiya Nikolaïeva (1924-25) et Aleksandra Artioukhina (1925-30), le Jenotdel devient rapidement le porte-voix des revendications féminines en URSS. Les animatrices du Jenotdel sillonnent les routes de Russie, donnant des conférences qui attirent des milliers d’auditrices, tandis que le département soutient la création de crèches et de cantines sur les lieux de travail et encourage la mise en place de coopératives d’achats ou de fermes collectives. Pour de nombreuses femmes du peuple, le Jenotdel constitue leur premier lieu de formation technique et politique[16]. Les dirigeantes du département forment également des zhenskii aktiv, des cadres réparties dans tout le système soviétique dont la tâche est de s’assurer que les politiques mises en œuvre répondent aux besoins des paysannes et des ouvrières[17].
Le nouveau gouvernement compte quelques femmes importantes. En tant que commissaire à la protection sociale, Alexandra Kollontaï est la première femme à occuper un poste de ministre dans un gouvernement européen. Loin de n’être qu’un symbole, la position lui est octroyée principalement en raison de son expérience, elle qui avait déjà produit une étude approfondie sur l’état des soins maternels et infantiles en Europe. Kollontaï est l’une des architectes de la médecine socialisée soviétique. Son influence a été déterminante dans la réforme du droit civil (notamment sur la question du mariage) et du droit du travail (dans l’élaboration de lois pour protéger la santé des travailleuses)[18]. Vera Lebedeva, gynécologue-obstétricienne et militante bolchévique, dirige l’Institut pour la protection de la maternité et de l’enfance dès 1918. Elle met en place un réseau de crèches et d’écoles maternelles dotées d’un pédiatre qui peut conseiller les parents et prodiguer des soins, dans l’objectif de réduire la mortalité infantile, encore très importante à l’époque. Nadejda Kroupskaïa, quant à elle, est au cœur de l’élaboration d’un programme national d’éducation aux adultes. Bref, de nombreuses militantes participent à la construction du système socialiste durant les années de la guerre civile. En outre, la présence même de femmes au sein des institutions constitue déjà une petite révolution en soi, les postes administratifs sous le tsarisme étant fermés aux personnes issues des rangs inférieurs de la société et, bien sûr, à toutes les femmes[19].
L’ouvrage, s’il traite des aspects politiques de l’engagement des militantes, laisse aussi entrevoir ses dimensions plus personnelles, notamment son caractère éreintant. Le sous-développement de la Russie et six ans de guerre laissent le pays exsangue. Les militant·e·s, tout comme la population en général, sont mal nourri·e·s et vivent dans des conditions précaires. Travaillant douze heures à quatorze heures par jour dans des conditions difficiles, la plupart des militant·e·s contractent des maladies graves ou succombent à la dépression, et nombre d’entre eux et elles perdent la vie en menant leur travail politique bien avant les années 1930[20].


À gauche : Alexandra Kollontai et les déléguées à la Conférence de Bakou (1920). À droite : Kollontaï dans ses fonctions de Commissaire à la protection sociale (1918). Images domaine public.
Transformations, stagnations et reculs
Pour chaque Kollontaï qui déplorait les changements au sein du parti, il se trouvait beaucoup de femmes plus jeunes qui pensaient que tout ce que la Russie avait fait si rapidement – l’ouverture de l’éducation aux couches populaires, la promotion de la classe ouvrière et des paysans à des postes d’autorité, l’assaut contre l’influence de l’Église et des coutumes traditionnelles, la création d’idées artistiques radicalement nouvelles – montrait que l’URSS conduisait le monde vers un avenir d’abondance et de justice.
Bolchevik Women, 244.
Malgré le dynamisme du « féminisme bolchévique » et l’immense avancée des femmes russes en termes de droits formels après 1917, la période de la guerre civile se caractérise par une certaine stagnation du statut des femmes au sein du parti. D’une part, la centralisation et la militarisation de celui-ci, rendues nécessaires par les exigences de la guerre, favorisent les réseaux informels masculins. D’autre part, l’afflux massif de nouveaux et nouvelles militant·e·s transforme l’univers du parti. Un monde de différence sépare en effet les communistes de la première heure, versé·e·s dans les théories progressistes européennes et marqué·e·s par les valeurs de l’intelligentsia russe, et les nouvelles recrues de l’Armée rouge, fraîchement sorti·e·s des villages paysans où un homme qui bat sa femme constitue un fait banal[21].
La décennie 1930, quant à elle, est marquée par la fin de la NEP[22], la collectivisation de l’agriculture et l’industrialisation. Elle s’accompagne d’une transformation importante des idées entourant le rôle des femmes et la structure familiale. Les idées d’amour libre, de destruction de la famille bourgeoise, de vie communautaire ou de prise en charge collective des enfants proposées par des militantes comme Kollontaï sont désavouées par le parti à la fin des années 1920. De plus, plusieurs de ces idées s’avèrent assez impopulaires auprès de la population soviétique, déjà confrontée à d’importants bouleversements sociaux depuis le début du siècle[23]. La nouvelle famille soviétique qui se développe dans les années 1930 est une famille nucléaire ; le couple est composé de conjoints liés par l’amour, le respect mutuel et la fidélité. Si ce modèle rompt avec la famille russe traditionnelle, élargie et explicitement patriarcale, il reste finalement très proche de l’idéal bourgeois de la famille qui existe ailleurs en Europe (modèle né, et c’est un fait à noter, en même temps que la société industrielle). La femme soviétique des années 1930 est une citoyenne, une mère et une travailleuse. Elle participe à la production, mais peut aussi trouver son bonheur dans le soin qu’elle prodigue à sa famille. Son rôle patriotique, elle le joue, entre autres, en inculquant des valeurs communistes à ses enfants. Au contraire de l’intransigeante bolshevichka, la mère de famille soviétique est chaleureuse et maternelle[24].

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Projet de terres rares de métaux Torngat à Sept-Îles : Sisur oppose une fin de non-recevoir et invite la population à se prononcer

Le groupe Sept-Iles Sans Uranium (SISUR) oppose une fin de non-recevoir au projet Strange lake de Torngat minerals.
Selon les dires du promoteur, 18 000 tonnes d'uranium seraient potentiellement entreposées sur le site envisagé dans le parc industriel pour la durée du projet, à courte distance de la rivière du Vieux-Poste et de la source d'eau potable de la ville de Sept-Iles.
SISUR déplore également la campagne de séduction déployée actuellement par le promoteur et rappelle que le gouvernement du Québec a émis un moratoire sur toute activité d'exploration et d'exploitation d'uranium sur tout le territoire québécois, effectif depuis le 3 mars 2014.
Le groupe invite les citoyens à se prononcer massivement pendant la phase préparatoire du BAPE, laquelle se termine le 3 juillet.
« Les Septiliens ont montré plus d'une fois qu'ils s'opposaient à l'extraction de l'uranium. Le moratoire part d'ici. Le projet dont on parle va générer des déchets radioactifs qui vont polluer nos écosystèmes pour des centaines d'années », explique Marc Fafard, porte-parole de SISUR.
« Je suis convaincu que nos concitoyennes et concitoyens, une fois bien informés et sensibilisés aux impacts potentiels, vont prendre la mesure du danger. »
Marc Fafard
Porte-parole SISUR
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Refusons le statut de « porteurs d’eau » en protégeant nos cours d’eau

De passage à Québec en 1861, l'écrivain anglais Anthony Trollope fut le premier à employer l'expression « porteurs d'eau »en parlant des Canadiens français auxquels il prédisait un avenir peu reluisant.
L'expression s'est creusé un nid dans le langage populaire pour évoquer un état de misère et de soumission, mais les Québécois et Québécoises, au cours de leur histoire, ont refusé cet état de fait et ont fait mentir les propos de M. Trollope en se levant à maintes reprises contre les conditions qui leur étaient imposées.
Lorsqu'en pleine période de vacances, nos gouvernements permettent à l'entreprise Minerai de fer Québec, filiale de la minière australienne Champion Iron, de détruire pas moins de 37 cours d'eau en y déversant des centaines de millions de tonnes de résidus miniers durant les prochaines années, à l'évidence, nous devons poursuivre nos efforts d'affranchissement de cette soumission et redoubler d'ardeur.
Alors qu'une solution alternative s'avérait possible – déverser ces débris dans la vaste fosse de la mine à ciel ouvert du lac Bloom, près de Fermont – , nos gouvernements ont plié l'échine en acceptant la proposition très intéressée de l'entreprise. Ils lui permettent d'empiéter sur la propriété collective que sont les cours d'eau, affectant ainsi non seulement la santé de ces derniers, mais aussi celle de la faune, de la flore et des populations qui s'y abreuvent.
Les cours d'eau relèvent du bien commun. Ils ne doivent pas être bradés au profit d'intérêts privés, mais appellent plutôt une gestion responsable de la part de tous et de chacun, et surtout de nos gouvernements.
Alors que l'eau constitue un enjeu majeur de la crise climatique que nous traversons, il nous revient de reconnaître la noblesse des« porteurs d'eau » que sont nos cours d'eau car ils contribuent au déploiement de toutes les formes de vie qui assurent notre propre bien-être et celui des générations qui nous suivent.
Pierre Prud'homme
Laval, Qc
21 juillet 2024
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Comment les philosophes ont-ils pensé la place de l’humain dans son environnement ? Des philosophes grecs aux écoféministes, un voyage captivant au cœur des fondements philosophiques de l’écologie

À l'heure du péril écologique, renouer avec la clairvoyance, la prudence et l'esprit de responsabilité des plus grands philosophes, de Aristote et Épicure à Hans Jonas et Günther Anders, est devenu notre impératif et notre espérance.
À propos du livre
Pour de nombreux philosophes contemporains, la maîtrise de la nature est devenue la source des multiples crises auxquelles nous sommes confrontés. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Ils sont même plusieurs à avoir applaudi et encouragé cette maîtrise au fil du temps, en séparant artificiellement « nature » et « culture ». Pourtant, dès ses origines, en tant que recherche de la vérité et de la sagesse et par sa condamnation de la démesure, la philosophie fut doublement concernée par l'idée écologique.
Dans ce captivant voyage, Laurence Hansen-Løve remonte aux fondements philosophiques de l'écologie. Elle montre l'importance des pensées antiques de la sagesse contre l'hubris et de la représentation critique de la nature qu'ont formulée nombre de philosophes à travers les âges (Aristote, Spinoza, Rousseau, Thoreau, etc.). Un périple qui nous conduit jusqu'à nos jours, avec l'essor de pensées résolument écologistes comme l'écologie politique (Ellul, Charbonneau, Gorz, Næss, etc.), l'écoféminisme (d'Eaubonne, Starhawk, etc.) ou la communauté terrestre (Mbembe).
À l'heure du péril écologique, renouer avec la clairvoyance, la prudence et l'esprit de responsabilité des plus grands philosophes, de Aristote et Épicure à Hans Jonas et Günther Anders, est devenu notre impératif et notre espérance. Grâce à l'apport des philosophies matérialistes mais aussi animistes ou panthéistes inspirées de penseurs de tous les continents, la philosophie écologique contemporaine a partiellement renoué avec la sagesse des Anciens. Celle qui nous invite à envisager la nature avec affection, considération et bienveillance.
À propos de l'autrice
Laurence Hansen-Løve est professeure agrégée de philosophie et autrice de nombreux ouvrages, dont Planète en ébullition (Écosociété, 2022), La violence. Faut-il désespérer de l'humanité ? (Du retour, 2020) et Cours particulier de Philosophie. Questions pour le temps présent (Belin, 2006). Elle a aussi codirigé, avec Laurence Devillairs, Ce que la philosophie doit aux femmes (Robert Laffont, 2024).
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Gauche.media est un fil en continu des publications paraissant sur les sites des médias membres du Regroupement des médias critiques de gauche (RMCG). Le Regroupement rassemble des publications écrites, imprimées ou numériques, qui partagent une même sensibilité politique progressiste. Il vise à encourager les contacts entre les médias de gauche en offrant un lieu de discussion, de partage et de mise en commun de nos pratiques.