Revue Droits et libertés

Publiée deux fois par année, la revue Droits et libertés permet d’approfondir la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Réalisée en partenariat avec la Fondation Léo-Cormier, la revue poursuit un objectif d’éducation aux droits.

Chaque numéro comporte un éditorial, les chroniques Un monde sous surveillance, Ailleurs dans le monde, Un monde de lecture, Le monde de l’environnement, Le monde de Québec, un dossier portant sur un thème spécifique (droits et handicaps, droits des personnes aînées, police, culture, droit à l’eau, profilage, mutations du travail, laïcité, etc.) ainsi qu’un ou plusieurs articles hors-dossiers qui permettent de creuser des questions d’actualité. Les articles sont rédigés principalement par des militant-e-s, des représentant-e-s de groupes sociaux ou des chercheuses ou chercheurs.

Créée il y a 40 ans, la revue était d’abord diffusée aux membres de la Ligue des droits et libertés. Depuis, son public s’est considérablement élargi et elle est distribuée dans plusieurs librairies et disponible dans certaines bibliothèques publiques.

Bonne lecture !

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Un contre-pouvoir essentiel

28 juin 2023, par Revue Droits et libertés
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Éditorial

Stéphanie Mayer, Enseignante de science politique au collégial, vice-présidente de la Ligue des droits et libertés

Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2023


Une première signification de Droits en mouvements réfère aux personnes engagées un peu partout dans le monde en faveur des droits humains; elles produisent des mouvements opposés à l’injuste statu quo. Elles constituent une force sociale rassembleuse qui traverse le temps, car – rappelons-le – les origines de ces mouvements précèdent l’inscription des droits dans la Charte internationale des droits de l’homme1.
Si la Ligue des droits et libertés (LDL)2 souligne ses six décennies d’existence, il faut noter que la Fédération internationale pour les droits humains a fêté ses 100 ans en mai 2022 et que la Déclaration universelle des droits de l’homme célébrera son 75e anniversaire en décembre 2023.
Si les droits sont universels, indivisibles et inaliénables, il incombe à l’État d’en assurer le respect et, plus encore, de mettre en place les conditions écono- miques, culturelles, sociales et poli- tiques nécessaires à leur réalisation. Malheureusement, les États contournent ou bafouent trop souvent les chartes ratifiées, c’est pourquoi un contre-pouvoir est essentiel. Ce dernier est toutefois menacé dans certaines régions du globe. À titre d’exemples : en décembre 2021, la justice russe a ordonné la dissolution du Centre des droits humains de l’ONG Mémorial qui recense les violations de droits en Russie3 ; en janvier 2023, la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme a été dissoute par les autorités du pays pour jouer son rôle de défense de la démocratie et des libertés4 ; en avril 2023, le sénateur français Gérald Darmanin a menacé de revoir les subventions publiques offertes à la Ligue des droits de l’homme après avoir été interrogé par cette dernière sur l’usage excessif des forces de l’ordre pour réprimer des manifestations en France5. Dans ce contexte, la LDL continue et continuera d’assumer ce rôle de contre-pouvoir alors que notre conjoncture politique est marquée par des gouvernements qui s’attaquent explicitement aux chartes des droits, que ce soit en modifiant le contenu ou en utilisant la clause dérogatoire. La montée des droites et l’éventuel retour d’un gouvernement conservateur à Ottawa n’augurent rien de bon pour le respect des droits humains. Depuis sa fondation, la LDL défend un ambitieux projet de société fondé sur les droits humains et elle est consciente des forces réactionnaires empressées de crier aux excès d’égalité, aux abus du système par des minorités ou à la remise en question de certains de leurs privilèges. Il s’agit là d’une deuxième signification de Droits en mouvements : les mouvements générés par les forces sociales en présence. Rappelons quelques éléments : que les droits ne sont pas offerts généreusement par les autorités, mais gagnés par les titulaires de droits avec des luttes politiques concrètes ; que les avancées en droits doivent être universelles, sinon elles demeurent des privilèges ; que les droits ne sont pas obtenus de manière linéaire comme laisse présager l’idée même de progrès, car à tous moments, des forces réactionnaires peuvent entrainer des reculs.
La vigilance des personnes militantes de la LDL permet d’identifier les sources de violation de droits en proposant des contre-discours.
En se fondant sur le cadre de référence des droits humains, ces argumentaires offrent des regards originaux sur des questions d’actualité telles que la migration, les frontières et la citoyenneté ; les enjeux d’interpellations policières, de surveillance et d’incarcération des personnes ; les manifestations de racisme et de profilage racial et social ; la militarisation galopante et les menaces potentielles à notre sécurité ; la désaffection par l’État des services publics qui affectent en chaine les droits à la santé, à l’éducation, au logement, à la culture, etc. Ensemble, ces contre-discours et ce contre-pouvoir caractérisent bien le travail politique réalisé par la LDL depuis 1963. Une autre signification de Droits en mouvements rappelle qu’une fois les droits humains reconnus, inscrits et enchâssés dans un texte officiel, ils ne sont pas statiques. L’interdépendance des droits humains suppose que la réalisation d’un droit est conditionnelle à la réalisation d’autres droits et que la violation de l’un de ceux-ci peut constituer une atteinte à plusieurs.
Pour que personne ne soit laissé derrière, les droits doivent être respectés en tenant compte que les conditions nécessaires à leur réalisation se modifient au gré des défis que confrontent les sociétés.
Notamment, les crises écologiques qui nous assaillent, mais également toutes les mesures de transitions énergétiques à mettre véritablement en place, doivent être analysées à partir de l’interdépendance des droits humains, car les conséquences de ces crises promettent d’affecter l’ensemble des droits. La question environnementale relève de l’avenir humain et démontre la portée de ce cadre de référence et de son adaptabilité à tous les enjeux rencontrés par nos sociétés. Ce numéro de la revue Droits et libertés vise différents objectifs : informer ses membres, jeunes et moins jeunes, sur les origines politiques de la LDL ainsi que sur son cadre de référence qui est l’interdépendance des droits ; apprécier les avancées en matière de droits auxquelles elle a contribué depuis sa fondation en 1963 ; rappeler les ressacs et l’existence de forces réactionnaires ; et surtout, inciter à la réflexion sur les luttes qui nous attendent. Plus particulièrement, ce numéro rassemble tant des textes survolant l’historique du travail de la LDL que des textes tournés vers l’avenir, portant sur différentes luttes que la LDL a menées au cours de son existence.
La transmission de la mémoire militante est garante de la poursuite de notre projet collectif de défense des droits humains.
Des individus toujours plus nombreux rejoignent les mobilisations en faveur des droits humains, formant des mouvements essentiels à l’édification de sociétés épanouissantes fondées sur l’égalité, les libertés et la justice sociale. L’histoire de la LDL est celle de solidarités constituées en un large réseau, une mosaïque d’individus, de groupes et d’organisations de différents milieux, dont les énergies militantes et les expertises sont la force motrice. Merci à vous, toutes et chacun qui croyez, soutenez et participez à la réalisation de la mission de promotion et de défense des droits. Le soixantième anniversaire de la Ligue des droits et libertés est celui de nos solidarités et de notre projet de société fondé sur l’idéal des droits humains. Bonnes célébrations et surtout, bonne lecture !
  1. Cette Charte est constituée de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du Pacte international des droits civils et politiques et du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels.
  2. Dans cette publication, le nom Ligue des droits et libertés et le sigle LDL, ont été utilisés pour référer à la Ligue des droits de l’homme.
  3. Agence France-Presse, La justice russe achève de dissoudre l’ONG Mémorial, Radio-Canada, 29 décembre 2021. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1850690/russie-justice-politique-droits-memorial
  4. Agence France-Presse, La principale ligue des droits de la personne dissoute par les autorités, La Presse, 22 janvier 2023. En ligne : https://www.lapresse.ca/international/afrique/2023-01-22/algerie/la-principale-ligue-des-droits-de-la-personne-dissoute-par-les-autorites.php
  5. Darame et J. Lamothe, Gérald Darmanin menace de remettre en question les subventions publiques accordées à la Ligue des droits de l’homme, Le Monde, 6 avril 2023. En ligne : https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/05/gerald-darmanin-menace-de-remettre-en-question-les-subventions-publiques-accordees-a-la-ldh_6168412_823448.html
 

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60 ans de la Ligue des droits et libertés – Droits en mouvements

29 mai 2023, par Revue Droits et libertés

Communiqué de presse Pour diffusion immédiate

60 ans de la Ligue des droits et libertésDroits en mouvements Vernissage de l’exposition et lancement de la revue

Montréal, le 29 mai 2023 – Fondée le 29 mai 1963, la Ligue des droits et libertés (LDL) célèbre aujourd’hui même 60 ans d’existence par le vernissage de l’exposition Droits en mouvements et le lancement d’une édition spéciale de la revue Droits et libertés à l’Écomusée du fier monde à Montréal. L’exposition se tiendra jusqu’au 3 septembre 2023. À travers une sélection d’archives de la Ligue des droits et libertés (LDL), cette exposition met en lumière les débuts de la Ligue des droits de l’homme, qui réunissait un groupe de personnes animées par la défense de la démocratie, de l’État de droit et des libertés civiles dans le Québec de la Grande Noirceur. L’une des victoires marquantes de la jeune organisation a été la vaste campagne menée pour donner naissance à la Charte des droits et libertés de la personne, adoptée en 1975.  L’exposition jette aussi un éclairage sur le rôle des mouvements sociaux depuis 60 ans dans l’avancement des droits, l’évolution des luttes et surtout, la dimension profondément collective du projet de société porté par l’idéal des droits humains. En complément de l’exposition, un numéro spécial de Droits et libertés explore les principaux champs d’intervention actuels de la LDL, à travers des textes historiques et des textes portés vers l’avenir qui présentent des réflexions à propos des luttes et de grands enjeux du monde de demain. La Ligue des droits et libertés tient à remercier toutes les organisations qui soutiennent la réalisation de l’exposition et de la revue : Desjardins, la Caisse d’économie solidaire, la coopérative financière des entreprises collectives au Québec ; la Fondation Lucie et André Chagnon ; la Fondation Léo-Cormier ; Inter Pares ; le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) ; le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN ; la Confédération des syndicats nationaux (CSN) ; la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ); la Fédération autonome de l’enseignement (FAE)  ; le Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises (CRIEM); le Centre d’histoire des régulations sociales (CHRS); le Fonds de recherche du Québec - Société et Culture (FRQSC) ;  le Groupe d’histoire de Montréal ; Daniel Weinstock, titulaire de la Chaire Katharine A. Pearson en société civile et politiques publiques ; le Service des archives et de gestion des documents de l’UQÀM et l’Écomusée du fier monde. Citations « Célébrer 60 ans d’existence, c’est l’occasion de mesurer le chemin parcouru. C’est aussi celle de prendre conscience de ce qui reste encore à faire pour que toutes et tous puissent jouir de l’ensemble des droits. » - Diane Lamoureux, commissaire de l’exposition, membre du comité de direction de la revue et membre du conseil d’administration de la LDL. « L’histoire de la LDL est faite de reculs et d’avancées, de ressacs et de victoires. C’est une histoire de résistance, de patience, de persévérance... Cette exposition rend hommage aux groupes et aux mouvements sociaux qui ont combattu pour l’avancement des droits humains au Québec. C'est aussi un appel à la mobilisation, à la convergence des luttes et à l'engagement pour défendre la liberté, l'égalité et la justice sociale. »  - Paul-Etienne Rainville, historien, commissaire de l’exposition, membre du comité de direction de la revue et membre du conseil d’administration de la LDL. Faits saillants La revue Droits et libertés est disponible auprès de la Ligue des droits et libertés et de quelques librairies. Exposition Droits en mouvements Date 29 mai au 3 septembre 2023 Lieu : Écomusée du fier monde, 2050, rue Atateken, métro Berri-UQÀM Tarifs : 6 $ à 12 $ Horaire : Mercredi (11 h – 20 h) Jeudi et vendredi (9 h 30 – 17 h) Samedi et dimanche (10 h 30 – 17 h) Pour information, 514 528-8444 | info@ecomusee.qc.ca. -30-   À propos de la Ligue des droits et libertés Depuis 1963, la Ligue des droits et libertés (LDL) a influencé plusieurs politiques gouvernementales et projets de loi en plus de contribuer à la création d’institutions vouées à la défense et la promotion des droits humains. Elle intervient régulièrement dans l’espace public pour porter des revendications et dénoncer des violations de droits auprès des instances gouvernementales sur la scène locale, nationale ou internationale. Son travail d’analyse, de sensibilisation et de promotion est primordial pour que les droits humains deviennent la voie à suivre vers une société juste et inclusive, pour tous et toutes. Comme organisme sans but lucratif, indépendant et non partisan, la LDL vise à défendre et à promouvoir l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance des droits reconnus dans la Charte internationale des droits de l’homme. Pour informations, entrevues et exemplaire de la revue Droits et libertés Elisabeth Dupuis, Responsable des communications de la Ligue des droits et libertés Cellulaire : 514-715-7727

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page couverture revue Droits et libertés édition spéciale Droits en mouvements

Droits en mouvements | Revue Droits et libertés

23 mai 2023, par Revue Droits et libertés
 

page couverture revue Droits et libertés édition spéciale Droits en mouvements

 

Fondée en 1963, en plein coeur de la Révolution tranquille, la Ligue des droits et libertés (LDL) a été au centre des grandes luttes sociales, juridiques et politiques qui ont jalonné l'histoire du Québec contemporain. Sous le thème Droits en mouvements, son 60e anniversaire est l'occasion de mettre en valeur le rôle des mouvements sociaux dans l'avancement des droits, le caractère évolutif de nos luttes et, surtout, la dimension profondément collective du projet de société porté par l'idéal des droits humains.
page couverture revue droits et libertés, édition spéciale

Ce numéro spécial de Droits et libertés explore les principaux champs d'intervention actuels de la LDL, à travers deux types de textes. Accompagnés de documents d'archives, certains textes adoptent une perspective historique, en présentant des panoramas des luttes menées dans ces différents domaines par la LDL depuis sa fondation. Portant leur regard vers l'avenir, d'autres textes proposent des réflexions sur l'évolution de ces luttes face aux grands enjeux du monde de demain.

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Avec ce numéro, la LDL rappelle que la continuité et l'imbrication de nos luttes demeurent la condition essentielle à la réalisation du principe de l'interdépendance de tous les droits, qui guide aujourd'hui l'ensemble de ses actions.

Cette édition spéciale de la revue Droits et libertés est une publication de la Ligue des droits et libertés, réalisée avec l'appui financier de la Fondation Léo-Cormier et du Fonds de recherche du Québec - Société et Culture (FRQSC), en collaboration avec le Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises (CRIEM) et le Service des archives et de gestion des documents de l'UQÀM.


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Dans ce numéro

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Éditorial

Un contre-pouvoir essentiel
Stéphanie Mayer

Histoire de la Ligue des droits et libertés

60 ans de luttes pour les droits humains
Paul-Etienne Rainville

Liberté d'expression et droit de manifester

Défendre des espaces de contestation sociale
Lynda Khelil La liberté d'expression dans tous ses états
Laurence Guénette

Pratiques policières

Une police en porte-à-faux avec les droits
Lynda Khelil Peut-on être en sécurité en faisant fi des droits?
Lynda Khelil et Diane Lamoureux

Surveillance des populations

L'essor de la société de surveillance
Dominique Peschard À l'ère du capitalisme de surveillance
Dominique Peschard

Enjeux carcéraux

Les prisons : lieux de violations de droits
Lynda Khelil La prison est violences
Me Delphine Gauthier-Boiteau, Me Sylvie Bordelais et Me Amélie Morin

Racisme et exclusion sociale

Lutter pour le droit à l'égalité effective
Martine Éloy Institution frontalière ou droit aux droits
Mouloud Idir

Droits des peuples autochtones

Les mobilisations des peuples autochtones
Gérald McKenzie Concrétiser l'autodétermination
Entrevue avec Me Alexis Wawanoloath par Elisabeth Dupuis

Droits économiques et sociaux

Cent fois sur le métier…
Me Lucie Lamarche Tisser un projet de société
Laurence Guénette

Environnement et droits humains

L'environnement et l'interdépendance des droits
Article de Karina Toupin rédigé à partir d'un texte de Sylvie Paquerot La démocratie au coeur de la transition
Laurence Guénette et Frédéric Legault

L'avenir des droits humains

La vie sociale des droits
Diane Lamoureux L'inestimable valeur des droits humains
Alexandra Pierre

Reproduction de la revue

L'objectif premier de la revue Droits et libertés est d'alimenter la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Ainsi, la reproduction totale ou partielle de la revue est non seulement permise, mais encouragée, à condition de mentionner la source.

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Renforcement de la vie privée et éthique du design numérique

9 décembre 2022, par Revue Droits et libertés

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Renforcement de la vie privée et éthique du design numérique

Michelle Albert-Rochette, candidate à la maîtrise en droit, Université Laval Marie-Pier Jolicoeur, candidate au doctorat en droit du design numérique, Université Laval Shoshana Zuboff dénonce, dans son ouvrage The Age of Surveillance Capitalism, un modèle économique basé sur l’extraction de nos données personnelles1. Dans cette nouvelle forme de capitalisme, la professeure Zuboff expose que l’on cherche, de toutes les manières possibles et pour des motifs économiques, à ce que les personnes passent le plus de temps possible en ligne afin de générer toujours plus de données2. La collecte et le traitement d’une quantité massive de données permettent ultimement aux grandes entreprises de mieux prédire et contrôler le comportement des personnes3. Les outils technologiques et les médias sociaux que nous utilisons quotidiennement sont ainsi mis au service de l’addiction by design4, soit l’objectif de créer une propension à utiliser continuellement ces technologies. L’objet de ce court article n’est pas de proposer des pistes de solution révolutionnaires au modèle décrit par la professeure Zuboff, mais plutôt d’ouvrir les lectrices et lecteurs à de nouvelles perspectives. Nous décrirons donc certaines initiatives qui visent à créer un environnement numérique davantage respectueux de la vie privée et des vulnérabilités humaines. Nous présentons d’abord, dans une perspective critique, quelques propositions juridiques. Ensuite, nous proposons un court examen du thème de l’éthique du numérique.

Aperçu du projet de loi 64

Le projet de loi 645 (PL 64), adopté le 21 septembre 2021, a modifié la loi québécoise de protection des renseignements personnels6 (RP) dans le secteur privé. Un de ses objectifs est d’accroître le contrôle qu’ont les personnes sur leurs données. Les modifications introduites par PL 64 s’intéressent notamment aux pratiques de profilage en imposant de nouvelles obligations aux entreprises, qui devront désormais avertir les personnes et les informer des moyens dont elles disposent pour activer les fonctions de profilage7, comme la publicité ciblée. Le PL 64 a aussi introduit des exigences à l’obtention du consentement pour la collecte, l’utilisation ou la communication de RP8. Le but est de mieux informer les personnes pour les protéger en leur permettant de faire des choix éclairés. Ces modifications paraissent positives, mais on peut douter de leur utilité : même si le consentement est renforcé par l’introduction de nouvelles normes, ce mécanisme demeure ancré dans une vision individualiste de la vie privée peu adaptée au fonctionnement du capitalisme de surveillance. En effet, à l’ère du numérique, il est peu praticable de refuser son consentement. On peut par exemple penser à la nécessité d’accepter les politiques de confidentialité de Facebook pour accéder à différents services et pour entretenir des liens sociaux9. Le mécanisme de consentement individuel occulte par ailleurs les effets systémiques liés au traitement des données. Au moment de consentir, on peut difficilement imaginer ce que ses données peuvent révéler sur soi lorsqu’elles sont croisées avec des milliards d’autres10. On ne peut non plus appréhender le pouvoir que confère aux entreprises le cumul de données d’apparence anodine11. Et même si un consentement était réellement libre et éclairé, ce choix individuel a des effets collectifs puisqu’il permet d’inférer des informations sur les autres : « [b]y consenting […] a user becomes a conduit for gathering information about her entire social network, whether or not they have consented12».
Le mécanisme de consentement individuel occulte par ailleurs les effets systémiques liés au traitement des données.

Vers des solutions collectives

Face à ces limites, des autrices et auteurs ont envisagé des solutions qui s’écartent de la perspective dominante de contrôle individuel des données, parmi lesquelles figurent les fiducies de données13 – qui consistent en une mise en commun de données gérées par un tiers indépendant agissant pour le compte des personnes – et le devoir de loyauté (duty of loyalty 14). Cette deuxième solution cherche à garantir que les entreprises qui collectent et traitent les données agissent conformément à la confiance que les personnes leur accordent. Un réseau social assujetti à une telle obligation devrait donc agir selon les attentes raisonnables des personnes relativement à l’utilisation de leurs données et à leur expérience en ligne15. Ainsi, l’utilisation des données à des fins de publicité contextuelle serait loyale, mais pas celle réalisée à des fins de publicité comportementale. Par exemple, une personne consultant un site de voyage sur un pays donné pourrait s’attendre à recevoir de la publicité en lien avec ce pays, mais il serait déloyal pour une entreprise de diffuser une publicité basée sur le traitement de nombreux types de données issues de sources variées16. En matière d’expérience en ligne, le devoir de loyauté pourrait aussi inclure une exigence d’influence loyale17, où les entreprises ne pourraient pas concevoir un design visant à manipuler le comportement des personnes à l’encontre de leurs intérêts. L’imposition d’un tel devoir de loyauté aurait pour avantage de protéger les personnes indépendamment de leur niveau de compréhension des politiques de confidentialité18.

Pour une éthique du numérique

Dans un article de 2018 s’intéressant au capitalisme de surveillance et visant à mettre en lumière le processus par lequel l’IA parvient à collecter nos données personnelles, le professeur Pierre-Luc Déziel émettait certaines réserves sur la capacité de la législation canadienne à protéger à elle seule notre vie privée :

Au cours des dernières années, de nouveaux droits visant la protection de la vie privée informationnelle des personnes rent leur apparition : droit à l’explication, droit à la portabilité des données et le fameux droit à l’oubli. Ces droits [...] pourraient aider les personnes à mieux protéger leur vie privée dans les environnements numériques. Toutefois, je crois que, pour répondre aux dés soulevés [...], le droit à la vie privée ne peut agir seul, et que d’autres pans du droit peuvent et doivent être mobilisés19.

Pour compléter ce court article, il nous apparaît intéressant de nous ouvrir aux enjeux entourant l’éthique du numérique. Pour les programmeuses et programmeurs informatiques, réfléchir à ce qu’est un bon code informatique est fondamental20, mais cette question ne se limite plus seulement à la création d’outils efficaces et performants. De nouveaux concepts comme celui de Privacy by design, Safety by design et Éthique by design, qui répondent à des questions morales et de devoir- être de l’objet technique21, ont vu le jour. La PhD Flora Fisher explique que la prolifération des termes by design dans les dernières décennies révèle l’existence de nouveaux concepts polysémiques obligeant à entamer une réflexion sur l’éthique virtuelle et sa puissance normative22. Très sommairement, l’idée serait, dans le cas de la vie privée, de tenir compte dès la phase de conception des systèmes informatiques, des exigences en matière de protection des données personnelles en les intégrant directement dans le produit, au lieu de les ajouter ultérieurement23. On chercherait donc à limiter, a priori, la divulgation de données collectées24. Pour Lawrence Lessig, professeur de droit à Harvard, le code informatique a une force équivalente à celle de la loi puisque le design du numérique impose de produire certains comportements. Ce code constitue également un levier important pour protéger les droits de ces utilisatrices et utilisateurs25. En somme, s’il l’on veut réellement avoir un impact pour améliorer les choses à long terme, c’est à l’architecture même du code informatique, au design du numérique, qu’il faudra s’intéresser, pour éviter que les solutions avancées soient de simples coups d’épée dans l’eau.
Très sommairement, l’idée serait, dans le cas de la vie privée, de tenir compte dès la phase de conception des systèmes informatiques, des exigences en matière de protection des données personnelles en les intégrant directement dans le produit, au lieu de les ajouter ultérieurement.

  1. S. Zuboff, The Age of Surveillance Capitalism. The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power, PublicAffairs, New York, 2019.
  2. Id.
  3. N. Richards et W. Hartzog, A Duty of Loyalty for Privacy Law, 2021, 99 Wash.U. L. Rev. 961, p. 18
  4. N. D. Schüll, Addiction by design, Princeton University Press, 2012.
  5. Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels (Loi modernisant la loi sur le privé).
  6. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
  7. Loi modernisant la loi sur le privé, 8.1.
  8. Id, 14.
  9. Jack Balkin,The Fiduciary Model of Privac, 2020, 134:1 HLRF 11, p. 13.
  10. J. A.T. Fairfield et C. Engel, Privacy as a Public Goo, 2015, 65:3 Duke L.J. 385, p. 390.
  11. Ex: S. Delacroix et N. D. Lawrence, Bottom-up data Trusts: disturbing the ‘one size fits all’ approach to data governance, 2019, 9:4 Int. Data Priv. Law 236, p. 237.
  12. A.T. Fairfield et C. Engel, supra note 10, p. 410.
  13. Ex : Delacroix et N. D. Lawrence, supra note 11.
  14. N. Richards et W. Hartzog, A Duty of Loyalty for Privacy Law, supra note 3.
  15. N. Richards et W. Hartzog, The Surprising Virtues of Data Loyalty, 71 ELJ (à paraître 2022), p. 8.
  16. Jack Balkin, supra note 10, p. 28.
  17. N. Richards et W. Hartzog, supra note 15, p.44.
  18. N. Richards et W. Hartzog, supra note 15, p. 27.
  19. P-L. Déziel, Les limites du droit à la vie privée à l’ère de l’intelligence artifici- elle : groupes algorithmiques, contrôle individuel et cycle de traitement de l’information, 2018, 30:3 C.P.I. 827.

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Quelles réponses, quelles ripostes au capitalisme de surveillance et monopoles

25 novembre 2022, par Revue Droits et libertés

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Capitalisme de surveillance et monopolisation

Quelles réponses, quelles ripostes?

Pierre Henrichon, auteur de Big Data. Faut-il avoir peur de son nombre? Le 20 octobre 2020, le procureur général des États-Unis et les procureurs généraux de 11 états (Arkansas, Floride, Georgie, Indiana, Kentucky, Louisiane, Mississippi, Missouri, Montana, Caroline du Sud, Texas) saisissaient la Cour fédérale du District de Columbia d’accusations portées contre Google alléguant des pratiques monopolistiques illégales de la part de la société-phare géante de la Silicon Valley1. Le 9 décembre 2020, la Federal Trade Commission (FTC) du gouvernement des États-Unis déposait une plainte à l’endroit de Facebook, alléguant des pratiques contraires aux lois antitrust. Entre 2011 et 2013, la FTC avait mené enquête sur le rôle de Google au sein des marchés de la recherche Internet et de la publicité en ligne. Alors que le personnel juridique de la Commission recommandait le dépôt de poursuites, l’administration en décida autrement. En fait, il faut remonter à mai 1998 pour retracer le plus récent procès contre un géant du Big Tech s’appuyant sur les dispositifs juridiques antitrust des États-Unis, et dont le jugement fit l’objet d’un appel réussi2. Et je me limite aux enquêtes et mises en accusation diligentées aux États-Unis. Elles sont légion en France, en Grande-Bretagne, en Inde et ailleurs. Alors que les poursuites intentées en vertu des lois antitrust sont les bienvenues, elles ne seront pas suffisantes pour mettre un terme à ce qu’il est convenu d’appeler le capitalisme de surveillance d’autant plus que les tribunaux américains, depuis plus de 40 ans maintenant, sont devenus bienveillants à l’égard des monopoles3,4.

Un modèle d’affaires vorace en données

On le sait clairement maintenant : le modèle d’affaires des géants du numérique repose sur la collecte massive, et souvent incontrôlée, des données en vue de modeler nos comportements et même nos émotions. Comme le souligne Shoshana Zuboff, « Les marchés qui font le commerce de l’avenir humain devraient être illégaux (ils entraînent des conséquences néfastes, dangereuses et antidémocratiques, et des préjudices intolérables dans une société démocratique) tout comme le commerce d’organes humains et d’êtres humains sont illégaux)5 ». Bien que des réglementations aient été adoptées au fil des ans6, elles n’atteignent pas le cœur du modèle d’affaires des Facebook de ce monde.

La socialisation des données

Dans mon essai7, j’ai proposé un régime de socialisation des données par lequel les données captées par des acteurs comme les Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM) seraient mises en commun et proposées à des utilisateurs, sous condition de finalités socialement acceptées, qui pourraient alors les agréger et les traiter. Cela présentait l’avantage d’ouvrir l’accès à toutes ces données à des fins de recherche en santé publique, en intelligence artificielle, etc. Et cela n’interdisait pas non plus aux GAFAM de mener à bien leurs travaux... sous surveillance d’une agence de réglementation d’utilisation des données.
Bien que des réglementations aient été adoptées au fil des ans, elles n’atteignent pas le cœur du modèle d’affaires des Facebook de ce monde.
D’autres modèles de socialisation – volontaire cette fois – ont depuis fait l’objet de travaux et de propositions. Au Canada, la notion de ducie de données a été avancée8. On en donnait la définition suivante : Une ducie de données est un organisme formé pour gérer des données pour le compte de ses membres. Ces derniers mettent en commun leurs données et conviennent expressément des conditions afférentes à leur partage.9 Les finalités de telles fiducies visaient surtout l’innovation et la commercialisation des résultats.

L’intérêt général avant tout

Un autre modèle, peut-être plus prometteur, est celui du Data altruisme10 par lequel toutes les parties prenantes – contributeurs de données et utilisateurs – sont liées par des ententes encadrées en vue de partager des données à des fins identifiées comme étant en concordance avec l’intérêt général. Cette approche a déjà reçu l’aval des autorités européennes et sera probablement mise à l’épreuve au cours des prochaines années. Mais de tels régimes, aussi innovateurs et généreux soient-ils, ne mettent pas en péril la captation tous azimuts des données pratiquée par les principaux acteurs monopolistiques de l’économie numérique. Aussi, nos efforts visant le démantèlement de ces monopoles, la socialisation générale des données et la réglementation plus serrée de la commercialisation des données ne doivent-ils pas s’affaiblir.

Pourquoi combattre les monopoles dans l’économie du Big Data

  • Produits de qualité moindre se traduisant par moins de protection des données personnelles, ce qui est l’équivalent d’une hausse de prix.
  • Concentration de la collecte, du stockage et du traitement des données, dont des données personnelles.
  • Profilage psychographique plus étendu, plus précis et plus révélateur.
  • Dataveillance plus étendue et approfondie augmentant ainsi les risques de surveillance par l’État et de sécurité.
  • Ciblages publicitaire, idéologique et politique plus précis, plus convaincant et plus susceptible de piloter les comportements.
  • Importants transferts de richesses vers les monopoles provenant de tierces parties : fournisseurs, développeurs d’applications, annonceurs, consommateurs.
  • Imposition de barrières à l’entrée à des applications et plateformes pouvant concurrencer celles de l’entreprise occupant une position dominante.
  • Risques de manipulation de l’opinion publique à la faveur d’un profilage psychographique plus étendu. Corruption des processus démocratiques.
  • Risques de perte d’autonomie individuelle par un pilotage toujours plus intrusif des comportements.
  • Risques de propagation de préjugés et de censure.
  • Risques accrus de vols massifs de données.
  • Contrôle de services considérés essentiels dans nos sociétés (communications sur médias sociaux, messageries, recherche sur le Web).
  • Risques accrus d’opacité en matière de collecte, de traitement et d’utilisation des données.
 
  1. Les tribunaux ont renvoyé les procureurs faire leurs Cela montre bien les limites de l’approche légaliste qui s’appuie sur les lois antitrust.
  2. United States Microsoft Corporation, 253 F.3d 34 (D.C. Cir. 2001)
  3. Voir : Lina Kahn, Amazon’s Antitrust Paradox, The Yale Law Journal, no 126, p. 720 (2017)
  4. Judge Throws Out 2 Antitrust Cases Against Facebook, New York Times, 28 juin 2021. Notons que la FTC et les procureurs du fédéral ont décidé de revenir à la charge.
  5. Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, Zulma, 2020.
  6. Parmi ces réglementations, le Règlement général sur la protection des données de l’Union européenne.
  7. Henrichon, Big Data. Faut-il avoir peur de son nombre?, Écosociété, 2020.
  8. Voir : Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Rapport des Tables de stratégies économiques du Canada : Industries numériques. En ligne : https://www.ic.gca/eic/site/098.nsf/fra/00024.html et aussi Conseil canadien des normes, Feuille de route du Collectif canadien de normalisation en matière de gouvernance des données.
  9. Rapport des Tables de stratégies économiques du Canada, op cit., p. 13 (version PDF).
  10. Human Technology Foundation, Le Data altruisme : une initiative européenne. Les données au service de l’intérêt général.En ligne : https://www.mccarthy.ca/fr/a-propos/nouvelles-et-annoncements/ human-technology-foundation-rapport-data-altruisme
  11. Maurice, E. Stucke, Here Are All the Reasons It’s a Bad Idea to Let a Few Tech Companies Monopolize Our Data, Harvard Business Review, 27 mars 2018.
  12. « On ne mène pas une campagne électorale sur la base de faits, mais bien sur les émotions... Il faut exploiter les peurs, même inconscientes des » Affirmations faites par un dirigeant de la firme Cambridge Analytica, qui utilise le profilage psychographique, lors d’une conversation filmée clandestinement par des journalistes de Channel 4 en Grande-Bretagne et diffusée le 19 mars 2018 sur la chaîne. On peut visionner le tout ici : https://www.channel4.com/ news/cambridge-analytica-revealed-trumps-election-consultants-filmed- saying-they-use-bribes-and-sex-workers-to-entrap-politicians-investigation
  13. Kashmir Hill, I Tried to Live Without the Tech It Was Impossible, New York Times, 31 juillet 2020.
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La ville intelligente : qu’ossa donne ?

11 novembre 2022, par Revue Droits et libertés

Discriminations et exclusions

Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2022

Lyne Nantel, chercheuse et autrice de l’Avis sur l’utilisation de systèmes de décision automatisée par la ville de Montréal du Conseil jeunesse de Montréal* Entrevue réalisée par Martine Éloy, militante au comité surveillance des populations, IA et droits humains de la LDL et membre du CA de 2002 à 2022 et Dominique Peschard, militant au comité surveillance des populations, IA et droits humains de la LDL et président de 2007 à 2015

Qu’entend-on par ville intelligente?

Toutefois, il faut noter que la ville intelligente, la smart city, a été largement promue comme une sorte de mot d’ordre qui L’expression « ville intelligente » (VI) est apparue au tournant des années 2000, elle visait à marquer un virage. Les villes allaient dorénavant s’appuyer sur les nouvelles technologies pour leur développement, pour assurer leurs services et l’ensemble de leur fonctionnement. Dans les faits, une VI n’est rien de plus qu’une ville qui prend le tournant numérique, comme on le voit dans l’ensemble des sphères de la vie. Il n’y a donc pas un modèle, mais des modèles, certains où la technologie et le numérique sont d’abord des finalités et d’autres ou le numérique est simplement un moyen parmi d’autre de développer les services urbains. Toutefois, il faut noter que la ville intelligente, la smart city, a été largement promue comme une sorte de mot d’ordre qui allait favoriser des solutions et des innovations aux enjeux environnementaux, de mobilité, de gestion des ressources, etc. Dans ce modèle de développement urbain les entités privées jouent un rôle important en tant que fournisseurs de services technologiques. Ces entreprises ont intérêt à faire miroiter un solutionnisme technologique pour faire face aux défis que rencontrent les villes. Comme on le dit dans l’Avis : Cette adhésion, cette confiance à l’endroit des technologies comme réponse à un problème fait écho à une idée répandue : le solutionnisme technologique. Cette notion traduit une tendance forte à convertir les problèmes sociaux complexes en problèmes technologiques. Selon ce raisonnement, le développement continu de la science des données conduit à des outils de décision toujours plus performants, précis et efficaces.  

Qu’entend-on par un système de décision automatisé (SDA)? Pouvez-vous donner des exemples de SDA dans le contexte d’une ville?

Un système de décision automatisé (SDA) est une notion de plus en plus utilisée qui renvoie à l’ensemble des données, des algorithmes et du traitement qui est fait dans le but d’aider, d’assister ou de remplacer la prise de décision humaine. C’est une notion plus précise que l’intelligence artificielle. Pour l’Avis au Conseil jeunesse de Montréal, nous avons retenu la définition de SDA du Conseil du trésor du Canada. Au niveau des administrations publiques, les SDA sont de plus en plus exploités dans divers domaines: la justice, la police, les finances, les assurances, en éducation, assistance sociale; immigration… pour faire des prédictions, générer des scores ou des niveaux de risques. À l’échelle des villes, l’utilisation de SDA est variable en raison des compétences et du rôle des municipalités qui diffèrent d’un pays à l’autre. Prenons l’exemple de systèmes automatisés de synchroni- sation des feux de circulation basés sur des capteurs de densité de la circulation. Ces systèmes peuvent améliorer la fluidité du trafic automobile, mais est-ce l’objectif visé? Veut-on investir seulement dans l’amélioration du trafic automobile ou dans des alternatives à l’automobile? L’implantation du numérique devrait à mon avis plutôt augmenter les options de mobilité pour l’ensemble des citoyens.nes sans exclure des personnes qui n’utilisent pas ces outils de l’offre de services publics. La chercheuse Virginia Eubanks démontre comment des logiciels devant faciliter la gestion de ressources pour des personnes en situation d’itinérance peuvent avoir des conséquences négatives pour ces personnes. En effet, à partir de l’indice de vulnérabilité, l’outil d’aide à la décision peut exclure certaines personnes des programmes d’aide prioritaire. Par exemple, une personne qui quitte un établissement carcéral sera classée comme ayant eu un hébergement stable au cours des mois précédents, ce qui abaissera son indice de vulnérabilité et, par conséquent, réduira sa possibilité d’accéder aux ressources d’aide au logement. En fait, le recours au SDA dans ces cas sert à gérer un manque de ressource plutôt que de répondre aux besoins des bénéficiaires. Les systèmes de réponse automatisés sont souvent présentés comme servant à améliorer le service. La numérisation de certains services risque toutefois de désavantager les personnes qui ne sont pas à l’aise avec ces systèmes ou qui ne possèdent pas les outils technologiques nécessaires pour communiquer en ligne. Les services de polices sont aussi reconnus pour utiliser un type de logiciel qu’on appelle de police prédictive; l’objectif étant de cibler des lieux de manière préventive ou encore d’identifier des individus susceptibles d’avoir des liens avec la criminalité. Jusqu’en 2020, la police de Chicago avait une liste d’individus classés en fonction du niveau de risque qu’ils étaient supposés représenter.
[…] une personne qui quitte un établissement carcéral sera classée comme ayant eu un hébergement stable au cours des mois précédents, ce qui abaissera son indice de vulnérabilité et, par conséquent, réduira sa possibilité d’accéder aux ressources d’aide au logement.

Quels sont les domaines où l’utilisation de SDA pose le plus de danger? Quels sont-ils?

En fait lorsque la décision risque d’avoir un impact sur les droits et libertés des individus et des collectivités, c’est là qu’il y a un danger. Les outils de police prédictive présentent de grands risques de discrimination et de profilage racial puisque ces outils utilisent des données de police qui sont déjà biaisées, quand on sait que les personnes racisées sont victimes de profilage et sont plus souvent visées par les interpellations policières. Il y a aussi des enjeux de vie privée. Prenez les lecteurs automatisés de plaques d’immatriculation qu’utilise le projet pilote de stationnement intelligent de l’Agence de mobilité durable de Montréal. Un traitement croisé de données pourrait permettre de prédire le lieu de travail d’une personne ou encore le lieu de culte qu’elle fréquente. La question est de savoir qui a accès à ces données ou qui peut avoir accès à ces données.

Quand on pense à ville intelligente, on pense au projet Sidewalk Lab de Toronto. Quel était ce projet et pourquoi a-t-il été rejeté?

J’ai évoqué l’intérêt des entreprises privées en tant que fournisseurs de services technologiques pour qui les villes constituent des bancs d’essais intéressant. Les villes manquent souvent de ressources pour améliorer la qualité de leur service et cherchent à augmenter leur attractivité, surtout auprès des entreprises numériques. Le projet Quayside Toronto est emblématique de cette idée de la ville comme laboratoire pour le numérique. Lancé en 2017, Sidewalk Labs, l’une des branches d’Alphabet-Google, et l’agence de développement urbain Waterfront Toronto se sont associés pour construire un quartier hyperconnecté et géré en temps-réel où capteurs, données et algorithmes assureraient la gestion de l’énergie, du transport, des déchets… Dans un tel projet, la captation de données est continue. L’opposition au projet a été assez grande1 et les citoyens et citoyennes réclamaient des réponses quant à la protection et l’utilisation des données. L’absence de réponse et de transparence a fait que ce projet n’a jamais reçu l’acceptabilité sociale pour aller de l’avant et le projet a été abandonné en 2020. En plus de soulever des questionnements importants concernant les partenariats public-privés et les droits de la personne, cet exemple démontre l’importance de concevoir les projets selon des principes démocratiques, participatifs et délibératifs. Il faut que les gens soient informés et ils doivent pouvoir se prononcer, s’exprimer et s’opposer à de tels projets s’ils jugent que ceux-ci ne répondent pas à l’intérêt général et ne respectent pas leurs droits.

Y a-t-il des SDA déjà en opération à Montréal? Y a-t-il des projets en gestation?

C’est la grande question. Est-ce que le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) utilise des logiciels de police prédictive ou de reconnaissance faciale? La réponse n’est pas claire. On sait que l’accès à des logiciels d’essai est facile. Même si le SPVM n’a pas officiellement fait l’acquisition de ces logiciels, un enquêteur se serait-il servi sur une base individuelle de la reconnaissance faciale pour une enquête? Comme je vous dis, il est difficile de savoir exactement ce qui se développe, car souvent on innove et on ne pense aux conséquences qu’après coup. On ne se soucie pas d’être transparent, d’expliquer la finalité du projet et de le soumettre au débat public. Le projet des abribus intelligents débuté en 2018 dans le Laboratoire à ciel ouvert de la vie intelligente (Lab-Vi), impliquant Vidéotron, ETS, le quartier de l’innovation, l’entreprise Ericsson, est un bon exemple. Ces abribus dotés de capteurs biométriques sont présentés comme permettant d’améliorer le service en calculant s’il y a trop de gens qui attendent l’autobus à certains moments. Mais ce même projet inclut aussi des capteurs permettant d’évaluer leurs émotions. Pourquoi? En quoi la reconnaissance des émotions améliore le service public? Quand on lit sur le projet, on apprend que les capteurs permettront aussi de mesurer l’intérêt démontré par les usagers à la vue d’une publicité affichée dans l’abribus, dans le but d’envoyer des publicités ciblées directement sur leurs téléphones mobiles. On peut comprendre l’intérêt de l’entreprise privée pour ce genre de projet, mais les usagers-ères ont-ils consenti à être épié-e-s de la sorte?

Quels mécanismes et balises devraient être mis en place avant d’implanter des SDA dans les services de la ville?

Parmi la liste des recommandations, il y a la tenue d’un registre des SDA ainsi que des données qui sont collectées dans les espaces publics urbains. Il faut s’avoir ce qui est collecté et à quelles fins. Cette transparence est essentielle. La transparence ne suffit pas, car on peut être transparent mais ne pas avoir mis en place les mécanismes nécessaires pour évaluer correctement l’impact, la fiabilité et l’efficacité des outils technologiques. Un comité indépendant et représentatif responsable de faire une évaluation et de la rendre publique serait déjà une protection supplémentaire pour les citoyens. Ce n’est pas facile pour tout le monde de connaitre les impacts de telle ou telle technologie et de savoir si leurs données sont suffisamment protégées. On collecte de plus en plus de données. Il faut prendre le temps de réfléchir aux problèmes qu’on souhaite résoudre par l’utilisation de technologies et mieux évaluer les impacts que cela pourrait avoir sur les droits. Il faut développer le réflexe de minimiser la collecte de données aux situations où celle-ci a une réelle utilité. Enfin, on doit adopter une position ferme et claire pour un moratoire sur l’utilisation de la reconnaissance faciale comme l’ont fait d’autres villes, notamment certaines villes américaines.
La transparence ne suffit pas, car on peut être transparent mais ne pas avoir mis en place les mécanismes nécessaires pour évaluer correctement l’impact, la fiabilité et l’efficacité des outils technologiques.

*L’avis peut être consulté à : https://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/ page/cons_jeunesse_fr/media/documents/Avis_SDA.pdf
  1. Une campagne contre le projet Sidewalks a été menée notamment par l’Association canadienne des libertés civile (ACLU) qui avait déposé une poursuite en 2019 contre Waterfront. En ligne : https://ccla.org/major-cases-and-reports/torontos-smart-city/#response

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Des témoignages qui rendent hommage à Lucie Lemonde

4 novembre 2022, par Revue Droits et libertés

Lucie Lemonde, qui nous a quitté-e-s le 6 février 2022, a marqué d’innombrables militant-e-s des droits humains au Québec et ailleurs, d’étudiant-e-s en droit ainsi que des confrères et consoeurs universitaires et dans le monde juridique. Les témoignages de militant-e-s de la Ligue des droits et libertés, initialement publiés au printemps 2022 dans la revue Droits et libertés, nous font découvrir une femme aux multiples facettes, une femme et une militante exceptionnelle. Lire les témoignages

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Mobilisations et médias sociaux

20 octobre 2022, par Revue Droits et libertés

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Quelles opportunités et quels enjeux?

Anne-Sophie Letellier, candidate au doctorat en communications, UQÀM Normand Landry, professeur, Université TÉLUQ, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation aux médias et droits humains Les technologies numériques ont joué des rôles significatifs dans les mobilisations citoyennes des dernières décennies. À cet égard, elles sont couramment présentées comme des vecteurs de démocratisation des sociétés. Des répertoires numériques d’actions collectives se sont progressivement déployés au sein d’une société civile s’étant largement internationalisée. Ces technologies constituent désormais des architectures de militance qui favorisent l’organisation de la dissidence et de la militance politique, le partage d’information, la création collective de contenus et le contournement de la censure et des voies de communication officielles. La dernière décennie a fait état d’une pluralité de situations où les technologies numériques ont joué un rôle majeur dans des mouvements démocratiques et contestataires. Les révolutions arabes, le mouvement anti-austérité Occupy, ainsi que les nombreuses mobilisations en ligne dans le cadre de luttes environnementales et autochtones (#IdleNoMore), féministes (#MeToo, #MoiAussi) et antiracistes (#BlackLivesMatter) en sont des exemples frappants. Ainsi, à mesure que se démocratisent et se distribuent les technologies numériques au sein des sociétés, des usages et des pratiques politiques numériques se développent et se propagent. Costanza-Chock1 qualifie d’affordance les caractéristiques de design qui invitent les utilisateur-trice-s à poser certaines actions (partager, commenter, interagir avec du contenu, former des groupes, créer des événements, entretenir des communications privées, etc.) sur une interface donnée. Ces affordances masquent néanmoins des mécanismes de collecte de données excessivement efficaces, subtils, et à la base d’un modèle économique hautement profitable où s’entrecroisent des intérêts commerciaux et étatiques.

Les affordances d’une mobilisation… et de la désinformation

Des discours critiques à l’endroit des technologies numériques présentent les plateformes, les sites et les services numériques mis à la disposition du grand public comme des lieux où s’exerce une surveillance grandement facilitée et amplifiée par un modèle économique de monétisation des données personnelles, qualifié par Shoshana Zuboff (2019) de capitalisme de surveillance. Si les conséquences les plus évidentes du capitalisme de surveillance ont longtemps été réduites à une publicité trop ciblée, les risques associés à la collecte systématique et ubiquitaire des données personnelles sont désormais collectifs et touchent à l’organisation des sociétés démocratiques. Notamment, en 2018, le scandale de Cambridge Analytica a mis en lumière comment les mécanismes du microciblage publicitaire pouvaient également être mobilisés   dans un contexte électoral afin d’exposer des électeur-trice-s indécis-e-s ciblé-e-s à des campagnes de désinformation2. Plus récemment, en 2021, Frances Haugen3 a dévoilé des documents révélant que les algorithmes de classification de contenus utilisés par la plateforme de réseau social avaient contribué significativement à exacerber des troubles alimentaires chez des adolescentes, ainsi qu’à amplifier la portée de discours haineux facilitant, entre autres, le génocide des Rohingyas au Myanmar4. Dans ces deux cas, les documents fuités démontrent que la rentabilité financière de compagnies transnationales – largement attribuable au modèle d’affaires inhérent au capitalisme de surveillance – est, comme l’a souligné Haugen, ordinairement explicitement priorisée face aux enjeux éthiques, sociaux et politiques qui découlent de leurs pratiques.
[…] les algorithmes de classification de contenus utilisés par la plateforme de réseau social avaient contribué significativement à […] amplifier la portée de discours haineux facilitant, entre autres, le génocide des Rohingyas au Myanmar.

De la surveillance étatique à la montée des logiciels espions

En 2013, les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden ont exposé l’ampleur des pratiques de surveillance des États sur leurs citoyens. Elles ont également démontré comment, à travers un accès direct aux infrastructures physiques des réseaux – pensons au programme PRISM – ou encore à travers des ordres des tribunaux, les agences de renseignement et de sécurité américaines étaient en mesure de gagner l’accès aux données personnelles recueillies par les plus grandes entreprises du secteur du numérique. Si ces pratiques ont été largement critiquées, elles s’inscrivent néanmoins dans une tendance forte des États à surveiller les communications de leurs citoyens. Dans les pays occidentaux, la légitimation de ces pratiques de surveillance s’articule généralement à travers la promotion d’un accès légal à des données et communications personnelles et par un argumentaire présentant le bien-fondé des initiatives gouvernementales cherchant à introduire des portes dérobées dans les systèmes de chiffrement utilisés par leurs citoyens5. Si ces positions sont défendues sous le couvert de la lutte au terrorisme et à la criminalité, de nombreux cas documentés ont mis en lumière un manque d’encadrement juridique et des pratiques injustifiables de surveillance de journalistes6 et de militant-e-s7. Ces pratiques de surveillance étatique sont également alimentées par le marché en pleine expansion des logiciels espions. Ces logiciels sont officiellement développés avec cette même intention affichée publiquement de lutter contre la criminalité et le terrorisme. Lorsqu’installés sur des appareils, ces logiciels permettent de surveiller en temps réel l’ensemble des déplacements et des activités en ligne de leurs cibles. Les groupes de défense des droits humains s’évertuent depuis quelques années à documenter et à attirer l’attention sur les dérives associées à ces logiciels. Ces derniers sont couramment utilisés par des régimes autoritaires afin de surveiller des journalistes, des avocat-e-s et des militant-e-s. À terme, ces usages conduisent à des arrestations illégales et à des meurtres extrajudiciaires8.
Si ces positions sont défendues sous le couvert de la lutte au terrorisme et à la criminalité, de nombreux cas documentés ont mis en lumière un manque d’encadrement juridique et des pratiques injustifiables de surveillance de journalistes9 et de militant-e-s10.
En ce sens, l’utilisation ubiquitaire des technologies numériques, doublée des   modèles   d’affaires   basés   sur la collecte de données, crée un terreau fertile pour les pratiques de surveillance étatique. Plusieurs rapports, dont ceux du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression11, abondent dans cette direction et associent directement ces pratiques de surveillance à des atteintes portées à plusieurs droits et libertés fondamentales, dont la liberté d’expression. En somme, les affordances des technologies numériques offrent simultanément des opportunités inédites à l’organisation de mouvements sociaux démocratiques et une capacité de surveillance décuplée. Ces pratiques de surveillance font converger les intérêts des entreprises investissant le champ du numérique avec ceux des États qui régulent leurs activités ou qui constituent de potentiels clients pour leurs services de surveillance. La prise en considération de ces enjeux ne vise pas la désertion des réseaux sociaux, ou une déconnexion aux technologies numériques. À un niveau tactique, elle invite plutôt à une éducation critique12 face aux fonctionnalités de ces plateformes dans le but de déjouer – du moins partiellement – les mécanismes de collecte de données ainsi que les risques associés aux capacités de surveillance accrues des États et des compagnies privées. D’une perspective plus stratégique, cette situation appelle à d’urgentes réformes législatives et à une règlementation plus serrée des acteurs du numérique, visant notamment à accroitre leur imputabilité sur la question de la désinformation et de la protection des données personnelles.
  1. Costanza-Chock, Design justice: Community-led practices to build the worlds we need, The MIT Press, 2020.
  2. J. Bennett, D. Lyon, Data-driven elections: implications and challenges for democratic societies, Internet Policy Review, 2019, 8(4).
  3. Haugen est une ancienne employée chez Elle était chargée de diri- ger un groupe de travail contre la désinformation dans le cadre des élections américaines de 2020.
  4. En ligne : https://www.courrierinternational.com/dessin/genocide-des- rohingyas-le-mea-culpa-de-facebook
  5. Gill, T. Israel et C. Parsons, Shining a light on the encryption debate: A Canadian field guide, 2018.
  6. En ligne : https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires- criminelles/201610/30/01-5036027-patrick-lagace-vise-par-24-mandats-de- surveillance-policiere.php
  7. A. Choudry, Activists and the surveillance state: Learning from repression,
  8. Marczak, J. Scott-Railton, S. McKune, B. Abdul Razzak et R. Deibert, HIDE AND SEEK: Tracking NSO Group’s Pegasus Spyware to operations in 45 countries, 2018
  9. Op .cit., note
  10. A. Choudry, Activists and the surveillance state: Learning from repression,Between the Lines, 2018.
  11. D. Kaye, Report on the Adverse Effect of the Surveillance Industry on Freedom of Expression, OHCHR, 2019. En ligne : https://www.ohchr.org/en/calls-for- input/reports/2019/report-adverse-effect-surveillance-industry-freedom- expression
  12. Landry, A. M. Pilote et A. M. Brunelle, L’éducation aux médias en tant que pratique militante : luttes et résistances au sein des espaces médiatiques et de gouvernance, 2017.

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Le secteur de l’intelligence artificielle et l’embourgeoisement de Parc-Extension

7 octobre 2022, par Revue Droits et libertés
Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2022 Le Big Data contre le droit à un chez-soi? Collectif de chercheur-euse-s et militant-e-s (…)

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Le Big Data contre le droit à un chez-soi?

Collectif de chercheur-euse-s et militant-e-s Alessandra Renzi, Tamara Vukov, Emanuel Guay, Sepideh Shahamati, Yannick Baumann, Simone Chen, et Montserrat Emperador Badimon

Crédit : André Querry

Le secteur de l’intelligence artificielle (IA) occupe une place de plus en plus importante parmi les stratégies de développement économique à Montréal, notamment par le biais de partenariats entre les pouvoirs publics, le milieu de la recherche et des entreprises spécialisées dans les hautes technologies et les données massives (big data). Le gouvernement provincial a annoncé, en 2019, l’octroi de 80 millions de dollars sur cinq ans à l’Institut québécois de l’intelligence artificielle Mila, auquel s’ajoute un financement fédéral de 44 millions, par l’entremise de l’Institut canadien de recherches avancées1. Les dernières années ont aussi été marquées par l’établissement, dans le quartier Marconi- Alexandra, de compagnies telles que Element AI, Microsoft et IVADO, ainsi que par l’ouverture du Campus MIL en septembre 2019 et la mise en chantier d’un Centre d’innovation en intelligence numérique. Ces deux établissements, associés à l’Université de Montréal, visent entre autres à soutenir l’écosystème de l’IA au Québec. L’essor de Montréal comme un pôle international de l’IA est souvent présenté comme une excellente nouvelle, dont nous devrions tou-te-s nous réjouir. Des craintes ont toutefois été partagées par rapport aux risques que représente ce secteur, comme en témoigne la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence articielle. Cette déclaration, promue entre autres par le professeur Yoshua Bengio, compte parmi ses principes le bien-être, la solidarité, la participation démocratique, l’équité, l’inclusion de la diversité, la responsabilité et le développement soutenable2.  

Crédit : André Querry

Nous sommes des chercheur-euse-s et des militant-e-s qui travaillent en étroite collaboration avec différentes initiatives communautaires à Parc-Extension. Ce quartier est adjacent aux nouvelles installations de l’Université de Montréal, il est situé à proximité de Marconi-Alexandra et il est caractérisé par un taux de pauvreté élevé, une proportion importante de sa population issue de l’immigration récente et un embourgeoisement qui s’accélère depuis quelques années. Nous souhaitons mettre en lumière ici l’impact du secteur de l’IA sur l’embourgeoisement de Parc-Extension, puis ses conséquences pour les locataires à faible revenu du quartier. Nous concluons notre article en proposant trois pistes de solution, soit une collaboration plus étroite entre le milieu de la recherche et les initiatives communautaires locales, l’élaboration d’une entente sur les avantages communautaires (community benets agreement) entre le secteur de l’IA et les résident-e-s des quartiers concernés, ainsi qu’une plus grande transparence de la part de ce secteur et des pouvoirs publics.

Le secteur de l’IA et l’embourgeoisement de Parc-Extension

Les recherches que nous menons à Parc-Extension, en collaboration avec des organismes locaux, nous ont permis de constater que le secteur de l’IA et les nouvelles installations de l’Université de Montréal qui leur sont associées contribuent grandement à l’embourgeoisement de Parc-Extension, ce qui correspond à des tendances observées dans d’autres villes comme New York, Los Angeles et San Francisco3. L’arrivée d’entreprises de haute technologie et de nouveaux campus universitaires favorise une hausse importante de la valeur des propriétés dans les quartiers environnants et la venue de nouvelles résidentes et de nouveaux résidents plus fortunés, y compris des personnes qui travaillent pour ces entreprises et ces universités. Cela encourage les propriétaires à augmenter de façon radicale les loyers et à effectuer des rénovictions, qui consistent en l’éviction de locataires afin de rénover un logement et d’accueillir ensuite d’autres locataires avec des revenus plus élevés. Le rapport MIL façons de se faire évincer : l’Université de Montréal et la gentrication à Parc-Extension, paru en juin 2020, a mis en lumière la réorientation du marché locatif de Parc-Extension autour des jeunes professionnel-le-s et des étudiant-e-s, qui se manifeste notamment dans les loyers offerts et les stratégies publicitaires utilisées par les propriétaires et les promoteurs immobiliers4. Un rapport produit récemment par le Digital Divides Project et le Réseau de recherche-action communautaire de Parc-Extension (CBAR) examine l’impact du secteur de l’IA sur l’embourgeoisement de Parc-Extension, ainsi que les conséquences dévastatrices de ce processus pour les locataires à faible revenu5. Ces locataires sont de plus en plus souvent obligés de se reloger, après une éviction, dans des appartements trop petits pour le nombre de personnes qui les habitent, de couper dans des dépenses essentielles comme la nourriture ou les médicaments afin de pouvoir payer des loyers plus élevés qu’auparavant, ou encore de quitter le quartier, en rendant ainsi plus difficile leur accès à différents services et réseaux de soutien. Ces réseaux et ces services sont particulièrement importants pour les résident-e-s issu-e-s de l’immigration récente, puisqu’ils ont de plus fortes probabilités d’être allophones et d’avoir un statut précaire. La manière dont l’IA se développe actuellement nuit au respect de plusieurs principes contenus dans la Déclaration de Montréal, notamment l’équité et la solidarité.

La collecte de données, les ententes sur les avantages communautaires et la transparence du secteur de l’IA et des pouvoirs publics

Bien que les réalités exposées ici soient préoccupantes, nous pensons que des solutions peuvent être mises de l’avant pour assurer une meilleure prise en compte des besoins et des aspirations des locataires de Parc-Extension. Une première avenue à envisager est l’établissement de collaborations entre des personnes issues du milieu de la recherche et des initiatives communautaires, afin d’encourager des projets et des stratégies de collecte de données qui contribuent aux luttes des résident-e-s, ainsi qu’au travail des organismes locaux. Nous avons ainsi lancé, en novembre 2021, deux cartes interactives portant sur les évictions et les mobilisations pour le droit au logement à Parc-Extension, en partenariat avec le Comité d’action de Parc-Extension (CAPE). Ces cartes visent tant à montrer l’ampleur et les conséquences de la crise du logement dans le quartier qu’à promouvoir des initiatives menées par les locataires pour contrer cette crise6. Une deuxième avenue qui mérite notre attention est l’élaboration d’une entente sur les avantages communautaires, pour s’assurer que les résident-e-s de Parc-Extension bénéficient réellement de l’expansion du secteur de l’IA, avec des offres d’emploi ciblées et des investissements dans des projets locaux, notamment dans le domaine du logement social et communautaire. Une troisième avenue à envisager est l’adoption d’une approche plus transparente par le secteur de l’IA et les pouvoirs publics. Par exemple, des projets d’IA qui sont jugés nuisibles par les communautés concernées pourraient être l’objet d’un moratoire. Ces trois avenues font partie d’un ensemble plus large de solutions qui permettraient au secteur de l’IA de reconnaître pleinement sa responsabilité sociale et d’en tirer les conséquences qui s’imposent. Les stratégies proposées ici doivent être menées en collaboration avec les résident-e-s, et les organismes de Parc-Extension, en respectant leur leadership et en encourageant leur participation tout au long du processus, notamment avec une compensation adéquate pour leur temps. Nous ne pouvons pas tolérer, en tant que société, un modèle d’innovation technologique qui externalise les coûts associés à son développement et qui affecte négativement les locataires à faible revenu, en niant ainsi leur contribution à la vie sociale et culturelle de nos quartiers et leur droit à la ville.
  1. En ligne : https://www.lapresse.ca/affaires/economie/ quebec/201901/29/01-5212755-montreal-inaugure-sa-cite-de- lintelligence-artifiphp
  2. En ligne : https://www.declarationmontreal-iaresponsable.com/la-declaration.
  3. En ligne : https://theconversation.com/universities-can-squeeze-out-low- income-residents-in-cities-like-montreal-131834
  4. Projet de cartographie anti-éviction de Parc-Extension. MIL façons de se faire évincer. L’Université de Montréal et la gentrication à Parc-Extension. Montréal, 2020, p. 15-20.
  5. Digital Divides Project et Réseau de recherche-action communautaire de Parc-Extension. The Impact of Montreal’s AI Ecosystems on Parc-Extension: Housing, Environment and Access to Montréal, 2022.
  6. Projet de cartographie anti-éviction de Parc-Extension. Cartographie. En ligne : https://antievictionmontreal.org/fr/maps/

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Le capitalisme de surveillance « like » la fracture numérique

22 septembre 2022, par Revue Droits et libertés
 Discriminations et exclusions Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2022 Centre de documentation en éducation des adultes et condition (…)

 Discriminations et exclusions

Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2022

Centre de documentation en éducation des adultes et condition féminine (CDÉACF) Lise Chovino, responsable de la formation et de l’accompagnement en technologies de l’information et des communications (TIC) Catherine St-Arnaud Babin, bibliothécaire de liaison

Inégalité des chances face au numérique

La fracture numérique différencie les personnes qui ont accès aux TIC de celles qui ne peuvent ou ne savent pas les utiliser. Cette fracture est notamment matérielle, financière et géographique. Elle repose aussi sur les connaissances et la confiance nécessaires pour être autonome dans le monde numérique. Pour être un-e internaute, certes, il peut suffire d’avoir accès à un appareil connecté à Internet. Cependant, pour être un-e internaute aguerri-e et autonome, il vaut mieux savoir bien lire, posséder son propre appareil, avoir une connexion haute vitesse et, surtout, avoir confiance en ses capacités de résolution de problèmes numériques. Or, ce sont des conditions qui sont rencontrées chez moins de gens qu’on ne le croie. Au Québec, l’enjeu de la littératie et de l’alphabétisation demeure crucial pour de nombreuses personnes. Des enquêtes sont régulièrement menées à ce sujet, tel que le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) ou des études de la Fondation pour l’alphabétisation. Or, un faible niveau de littératie entraîne souvent un faible niveau de littératie numérique. Pour naviguer en ligne, il faut pouvoir lire et trier l’information présentée dans le corps du texte, les encadrés, les menus, les images et les icônes. Pouvoir donner un sens aux consignes et des avertissements, c’est loin d’être acquis pour tout le monde. Et puis, encore faut-il avoir les moyens de se payer un appareil connecté et une bonne connexion Internet. La localisation géographique a d’ailleurs un énorme impact sur la qualité et le coût du service, comme le démontre la dernière enquête NETendances par région1. Plus on est loin, moins le service est bon et plus il est cher. Il faut également noter que les études mentionnées plus haut n’incluent même pas une analyse intersectionnelle qui nous permettrait de comprendre comment certaines parties de la population peuvent être davantage vulnérables aux conséquences de la fracture numérique, même dans les grands centres urbains. Le CDÉACF a exposé une de ces réalités dans la capsule vidéo Les inégalités numériques sont une violence faite aux femmes produite pour la Campagne 2021 des 12 jours contre les violences faites aux femmes2. De plus, la cyberadministration creuse à elle seule un grand fossé au sein de la population. Le grand virage numérique du gouvernement entraîne une dépendance structurelle aux TIC afin d’avoir accès aux services, causant un stress lié à l’obligation d’utiliser ces outils. Alors que les projets de formation à la littératie numérique sont ponctuels ou sous-financés, beaucoup d’internautes ont appris sur le tas, prises entre incertitude et crainte de commettre une bévue irréparable. Cette insécurité est un grand cadeau pour le capitalisme de surveillance : plus les internautes sont hésitant-e-s ou inexpérimenté-e-e, moins ils ou elles se prémunissent contre les tactiques de collectes de données. C’est un gain sans effort pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM).
Or, un faible niveau de littératie entraîne souvent un faible niveau de littératie numérique. Pour naviguer en ligne, il faut pouvoir lire et trier l’information présentée dans le corps du texte, les encadrés, les menus, les images et les icônes.

Dire non, mais à quoi?

Comment savoir qu’on a le choix d’une option ou d’une autre? Comment savoir si on a le choix? Comment protéger ses données personnelles en toute sérénité et accorder un consentement éclairé en matière de partage de ses informations personnelles? Il est difficile de comprendre avec précision toutes les subtilités de la déconnexion et des options de confidentialité. Les politiques de confidentialité sont longues et souvent rédigées dans un jargon juridique peu intelligible. Sans compter les options de consentement offrant de faux  choix tels que : « voulez-vous enregistrer votre mot de passe? oui ou plus tard », l’ajout de mises à jour régulières qui changent les paramètres de confidentialité (exemple : Facebook qui remet par défaut les publications en mode public), ou les options de partage de données activées automatiquement. Ces pratiques faussées imposent aux utilisatrices et aux utilisateurs une vigilance quasi continuelle et peut les mener à céder face à l’insistance. Untel accepte de rester connecté, car peu familier avec les TIC, il a peur de mal faire. Une telle finit par cliquer sur oui pour sauvegarder son mot de passe parce que fatiguée de voir continuellement la fenêtre plus tard s’afficher. C’est le genre de choix qu’on nous offre. Il faut également considérer la dangerosité de ces pratiques pour des publics déjà vulnérabilisés. L’exemple des femmes vivant de la violence conjugale est éloquent. Dans ce contexte, les pratiques du capitalisme de surveillance ont non seulement un impact sur la confidentialité des informations personnelles de ces femmes, mais aussi des conséquences directes sur leur sécurité. Pensons, entre autres, aux algorithmes de recommandation de contacts sur les réseaux sociaux, au partage non sollicité de l’adresse des maisons d’hébergement sur les cartes en ligne et aux publicités ciblées envoyées à l’entourage selon les activités en ligne. Les conséquences de ces bris de confidentialité peuvent être sans retour.
[…] les pratiques du capitalisme de surveillance ont non seulement un impact sur la confidentialité des informations personnelles de ces femmes [victimes de violence conjugale], mais aussi des conséquences directes sur leur sécurité.

Fardeau individuel ou action collective

Bien que la population générale ait besoin de sensibilisation, de formation et de soutien au sujet des TIC, il est capital de créer un cadre politique et commercial permettant de s’épanouir avec ces technologies et de les choisir sciemment. Malgré leur bonne volonté, les personnes qui parviennent à se former se confrontent au rythme d’évolution des TIC et des pratiques de confidentialité et de sécurité. Le fardeau individuel est pratiquement insoutenable, car il faut sans cesse réviser ses connaissances des paramètres de chaque outil. Sans parler des barrières structurelles et systémiques ayant un impact direct sur la possibilité d’acquérir les outils et les savoirs technologiques nécessaires à son autonomie. D’ailleurs, une perspective plus globale sur les aspects éthiques entourant les pratiques du capitalisme numérique permet de constater que les décisions prises par les GAFAM et par les pouvoirs publics ont aussi un impact sur la marge de manœuvre des individus. Malgré les failles actuelles et toujours non résolues présentées plus haut, il semble se dessiner une volonté institutionnelle et économique d’entreprendre au plus vite un nouveau virage numérique qui systématise le recours à la collecte massive de données et à l’intelligence artificielle. Pour obtenir ces données, nous voyons les bailleurs de fonds orienter le financement des projets et embrasser cette voie sous couvert de célébrer les données ouvertes. Cependant, encore une fois, qui saura faire la part des choses entre le partage d’informations et la protection de la confidentialité des données personnelles? Dans ce contexte, reporter entièrement le fardeau de la protection de ces données sur les utilisatrices et les utilisateurs a peu de chances d’aboutir à une véritable souveraineté sur nos données, en plus de renforcer l’isolement et les risques encourus par les populations déjà vulnérabilisées. Sans changement structurel et systémique, les initiatives individuelles sont donc mises en échec au gré des mises à jour. Cela revient, en somme, à jouer exactement le jeu du capitalisme de surveillance.
Cependant, encore une fois, qui saura faire la part des choses entre le partage d’informations et la protection de la confidentialité des données personnelles?

  1. En ligne : https://api.transformation-numerique.ulaval.ca/storage/473/ netendances-2020-00-portrait-ensemble-du-quebec.pdf
  2. En ligne : https://www.facebook.com/watch/?v=921932688420882

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