Revue Droits et libertés
Publiée deux fois par année, la revue Droits et libertés permet d’approfondir la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Réalisée en partenariat avec la Fondation Léo-Cormier, la revue poursuit un objectif d’éducation aux droits.
Chaque numéro comporte un éditorial, les chroniques Un monde sous surveillance, Ailleurs dans le monde, Un monde de lecture, Le monde de l’environnement, Le monde de Québec, un dossier portant sur un thème spécifique (droits et handicaps, droits des personnes aînées, police, culture, droit à l’eau, profilage, mutations du travail, laïcité, etc.) ainsi qu’un ou plusieurs articles hors-dossiers qui permettent de creuser des questions d’actualité. Les articles sont rédigés principalement par des militant-e-s, des représentant-e-s de groupes sociaux ou des chercheuses ou chercheurs.
Créée il y a 40 ans, la revue était d’abord diffusée aux membres de la Ligue des droits et libertés. Depuis, son public s’est considérablement élargi et elle est distribuée dans plusieurs librairies et disponible dans certaines bibliothèques publiques.
Bonne lecture !

Discipline et droits dans les unités d’enfermement pour jeunes contrevenants
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022
Nicolas Sallée, professeur, sociologie, Université de Montréal et directeur scientifique du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS) Ce texte s’appuie sur des observations réalisées durant l’automne 2015 entre les murs de l’une des unités de garde fermée pour jeunes contrevenants de Cité-des- Prairies, situé dans l’est de l’Île-de-Montréal. Chacune de ces unités peut accueillir jusqu’à 12 garçons placés en attente de leur jugement ou condamnés aux peines les plus sévères – dites de placement et de surveillance – prévues par la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA). Ces unités côtoient, dans le même établissement, des unités réservées à des jeunes n’ayant pas été condamnés, mais qui sont placés au titre de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Au Québec, l’exécution de ces deux lois est confiée au ministère de la Santé et des Services sociaux. Dans certaines régions administratives, le faible nombre de jeunes contrevenants conduit même les directions jeunesse locales à placer ces derniers au sein même des unités de protection.Le paternalisme carcéral
Ce curieux mélange des publics témoigne, au fond, de la justification paternaliste qui a historiquement entouré l’enfermement des jeunes contrevenants : si ces derniers sont privés de liberté, ce serait avant tout pour leur bien, pour les protéger et, surtout, les réhabiliter. La première Loi sur les jeunes délinquants (LPJ), adoptée en 1908, considérait ainsi les jeunes contrevenants comme des objets du droit plutôt que des sujets de droits : pourquoi en effet, se demandaient les réformateurs de l’époque, reconnaître aux jeunes des droits « qui seraient en réalité pour [eux] un moyen de se protéger contre une aide bienveillante qu’on veut [leur] apporter1 » ? Toutes les grandes réformes du droit pénal des mineurs, en particulier celles de 1984 et de 2002 au Canada, ont dès lors contribué à reconnaître des droits aux jeunes, en renforçant notamment la présence de leurs avocats à tous les stades de la procédure – de l’interpellation policière au jugement. Il y a eu, de ce point de vue, de nettes avancées, poussées notamment par les grandes conventions internationales relatives aux droits de l’enfant : au Canada, le nombre de jeunes contrevenants enfermés diminue graduellement depuis le début des années 19902. Si le paternalisme carcéral s’est tari, il serait cependant trop facile de penser qu’il a pleinement disparu. Le fonctionnement des unités de garde fermée témoigne de cette ambivalence. L’une des questions qui traversent le fonctionnement de ces unités est celle de leur proximité avec la prison. L’histoire de l’enfermement des jeunes a en effet été marquée par l’utopie de créer des lieux alternatifs à la prison et à sa violence propre. Conçu dès sa création, en 1963, comme l’un de ces lieux alternatifs, Cité-des-Prairies a pourtant été bâti avec les plans d’architecture d’une… prison à sécurité maximale. Le perfectionnement continu, dans les années 1970 et 1980, d’une structure clinique centrée sur la réhabilitation, n’a jamais pu faire oublier cette carcéralité originelle. Les euphémismes qui fleurissent le quotidien des unités – où plutôt que de cellules, de punition ou d’isolement disciplinaire, il est question de chambre, de conséquences et de mesures de retrait – n’y changent pas grand-chose : si la garde fermée n’est pas tout à fait la prison, elle n’en est jamais très loin non plus. Comme le souligne Amar, 16 ans : ici « c’est un peu la prison, mais c’est pas comme la vraie ». Cette tension est au cœur des problèmes posés aux droits des jeunes, notamment à leur droit à contester les décisions qui les concernent : puisque tout est censé être fait pour leur bien, que gagneraient-ils à s’y opposer ?La displicine
Les jeunes placés vivent dès lors une double contrainte. À la contrainte carcérale, qui comme dans toute prison, pèse sur leurs corps et leurs possibilités de se mouvoir (grillages, portes fermées, etc.), s’ajoute la contrainte spécifique de la réhabilitation, exigeant d’eux qu’ils ne se contentent pas de faire leur temps, mais qu’ils en tirent profit pour dompter leurs émotions et rectifier leurs pensées. Cette visée de transformation de soi est ambivalente. D’un côté elle permet aux jeunes de bénéficier de nombreuses activités structurantes et animées par du personnel formé et bienveillant, auxquelles ils auraient probablement plus difficilement accès dans une vraie prison. De l’autre, elle autorise le déploiement d’une discipline destinée à modeler ou au besoin à corriger, à tout moment, leurs conduites et leurs manières d’agir. Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault définissait la discipline comme un contre-droit qui, du fait de l’asymétrie de pouvoir qu’elle suppose, repose toujours sur « une mise en suspens, jamais totale, mais jamais annulée non plus, du droit3 ». On ne saurait mieux dire. Dans les unités, la discipline s’actualise notamment dans une panoplie de sanctions qui, à chaque comportement jugé indiscipliné, peuvent conduire les jeunes à être mis à l’écart de leur groupe ou de leur unité.Mais parce qu’ici, le choix des mots est une matière sensible, les éducateurs sont tenus, pour dire cette mise à l’écart, de distinguer sémantiquement les mesures d’isolement des mesures de retrait.
Les mesures d’isolement
Les premières sont les plus sensibles. Si elles sont dites d’isolement, c’est parce qu’elles sont exécutées dans une salle elle-même dite d’isolement, en béton blanc, sans fenêtre et complètement vide, à l’image des salles de contention des hôpitaux psychiatriques. Dans les années 1990, ces mesures d’isolement ont été l’objet d’alertes et de scandales publicisés qui ont conduit à leur réglementation. Adopté en 1998, l’article 118.1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) stipule désormais que « la force [ou] l’isolement […] ne peuvent être utilisés, comme mesure de contrôle d’une personne […], que pour l’empêcher de s’infliger ou d’infliger à autrui des lésions ». En 2008, une réforme de l’article 10 de la LPJ a permis d’ajouter que l’isolement « ne [peut] jamais être [utilisé] à titre de mesure disciplinaire ». Mes données le confirment : dans les unités de garde fermée, l’usage de cette mesure d’isolement apparait exceptionnel. Un seul jeune placé lors de ma période d’observation y a été confronté, à quatre reprises sur l’ensemble de ses 10 mois de placement. Si ces réglementations ont donc eu d’indéniables effets positifs, elles n’ont pas résolu tous les problèmes.Les mesures de retrait
Dans les faits, l’isolement ne se limite pas, en effet, à l’usage de la mesure qui en porte le nom. Les mesures de retrait consistent également, dans la majorité des cas, à isoler le jeune, en le plaçant dans sa chambre ou dans une chambre elle-même dite de retrait, située dans l’unité de sécurité de l’établissement. Ces mesures, excédant rarement quelques heures, sont cependant très fréquentes. Selon mes propres comptages, le jeune le plus sanctionné, durant ma période d’observation, recevait un retrait tous les deux jours, et le moins sanctionné un retrait tous les six jours. L’efficacité clinique de ces mesures, autrement dit leur adéquation aux besoins des jeunes, est souvent remise en question, tant on sait que l’isolement peut affecter la santé psychologique et le développement des jeunes. Mais parce que personne, à Cité-des-Prairies, n’isole un jeune par plaisir, les mesures de retrait suscitent des débats fréquents parmi le personnel des unités : a-t-on bien fait de le retirer ? Était-ce vraiment la solution ? N’a-t-on pas surréagi ? Aurait-on pu faire autrement ? [caption id="attachment_13262" align="aligncenter" width="259"]
Politique du privilège
La direction de Cité-des-Prairies elle-même, consciente du problème, cherche des solutions. Elle essaye d’abord d’encadrer l’usage de ces mesures, en demandant à son personnel d’en justifier par écrit la pertinence clinique, en matière de réhabilitation : après avoir haussé le ton quand il lui a été demandé de retourner dans sa chambre pour une période de transition entre deux activités, Sofiane a, par exemple, été placé en retrait durant deux heures pour « [travailler] ses réflexes de pensée lorsqu’il vit de l’injustice », comme l’écrivait son éducateur dans un logiciel dédié. Mais cette contrainte est faible, toute mesure de retrait étant au fond aisément justifiable, à condition de trouver les bons mots pour le faire. La direction de Cité-des-Prairies cherche alors, parallèlement, à en limiter l’usage en incitant son personnel à préférer l’octroi de privilèges, destinés à renforcer les comportements positifs, plutôt qu’à distribuer des sanctions pour répondre aux comportements négatifs. Si cette solution n’est pas inintéressante, elle a pour limite de ne reposer, in fine, que sur le bon vouloir des équipes éducatives.Pour leur bien?
Car au fond, il paraît illusoire de penser que tout pourra être résolu par un simple appel à l’efficacité clinique. Comme le rappelait en son temps Erving Goffman, la violence des institutions totales, au premier chef desquelles les hôpitaux psychiatriques, est précisément d’imposer aux reclus leur propre conception de ce qu’il faudrait faire pour leur bien, toute contestation étant alors susceptible d’être interprétée comme une forme de résistance au traitement4. On comprend là que si les mesures de retrait font problème, c’est aussi parce qu’elles offrent trop peu de moyens aux jeunes eux-mêmes de pouvoir les contester ou, minimalement, en interroger la légitimité. De fait, l’usage de ces mesures n’est l’objet que d’un vague encadrement juridique. L’article 10 de la LPJ, déjà mentionné plus haut, stipule ainsi seulement que « toute mesure disciplinaire prise […] à l’égard d’un enfant doit l’être dans l’intérêt de celui-ci conformément à des règles internes qui doivent être approuvées par le conseil d’administration [de l’établissement] ». La définition de ces règles internes, on s’en doute, échappe largement aux jeunes. Ces derniers se voient dès lors imposer des mesures qu’ils pourront d’autant moins contester, on l’aura compris, qu’elles pourront toujours, en dernier ressort, être justifiées par leur intérêt en matière de réhabilitation. Ces quelques observations ne visent pas à contester la bienveillance des équipes éducatives, ni à mettre en question leur professionnalisme, alors même qu’elles travaillent d’arrache-pied, dans des conditions souvent difficiles, pour tenter de sortir les jeunes de la délinquance. Elles visent à rappeler que des facteurs structurels contribuent chaque jour à fragiliser leur mandat. Parmi ces facteurs, j’ai insisté dans ce texte sur la carcéralité d’un centre qui pèse quotidiennement sur les pratiques, les interactions, les expériences. Au fond, quoi de plus logique, dans une simili-prison, que certaines pratiques se rapprochent de celles de gardiens de prison ? Si ces observations peuvent dès lors avoir une quelconque utilité, c’est d’abord pour instiller le doute quant à nos manières de faire auprès des jeunes, et nous défaire collectivement de cette évidence que, parce que l’on se donne pour objectif de les réhabiliter, l’on agit infailliblement pour leur bien.L’enfermement est, au contraire, intrinsèquement violent, même quand on le débarrasse du vocabulaire de la prison.Quelles que soient les raisons pour lesquelles ils sont là, les jeunes placés entre les murs de nos institutions publiques devraient donc avoir toutes les garanties nécessaires à connaître, défendre et revendiquer leurs droits, à commencer par ceux qui leur permettraient de contester ces mesures, que l’on se rassure parfois bien commodément à considérer comme nécessairement et systématiquement prises pour leur bien.
- J. Trépanier, La justice des mineurs au Québec : 25 ans de transformation (1960-1985), Criminologie, 19 (1), 1986, 199.
- Webster, J. Sprott, A. Doob, « The Will to Change: Lessons from Canada’s Successful Decarceration of Youth », Law & Society Review, 53 (4), 2021, p. 1092- 1131.
- Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 224.
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L’enfant : plus qu’un adulte de demain, un citoyen d’aujourd’hui
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L’équipe du Bureau international des droits des enfants Le droit d’être entendu (aussi appelé droit à la participation) est un principe fondamental de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), traité international de référence ratifié par le Canada depuis 1991. Ce droit implique que tous les enfants, peu importe leur origine ethnique, leur genre, leur religion ou encore leur situation socio-économique, peuvent exprimer leurs opinions et être pleinement acteurs de la promotion de leurs droits au quotidien. En somme, ils ont le droit de prendre part au débat, dans les décisions qui les concernent, mais aussi sur des sujets plus vastes de société ou d’actualité. Et les adultes ainsi que les institutions qui les entourent ont le devoir de leur laisser l’opportunité et l’espace de le faire.L’adulte de demain
L’enfant est souvent caractérisé d’adulte de demain et l’on en oublie un peu vite qu’il est avant tout le citoyen d’aujourd’hui, sujet de droit faisant partie intégrante d’une famille, d’une communauté, d’une ville, d’une nation... Il est à même de participer aux conversations, et a beaucoup à apporter par le partage de son point de vue, de ses préoccupations et de ses idées. Bien entendu, cette participation n’est pas à envisager à l’identique de celles des adultes, elle doit se faire en tenant compte de l’enfant, de son profil, de son âge, de son niveau de compréhension et adopter des outils et des espaces adaptés pour s’assurer de son bien-être en tout temps. [caption id="attachment_12508" align="alignright" width="282"]
La mise en œuvre de la participation de l’enfant se heurte également à une vision de l’enfant qui met l’accent sur sa vulnérabilité et qui motive ainsi sa protection.Si cette protection est effectivement incontournable pour permettre à l’enfant de vivre et grandir dans les meilleures conditions, elle minimise sa capacité à être acteur de sa propre protection et de la promotion de ses droits. Les décisions ayant des répercussions sur la vie des enfants sont alors souvent prises par des adultes, sans donner voix aux enfants qui sont pourtant les premiers concernés.
Les enfants des groupes minoritaires face à un double standard
La participation des enfants issus de groupes minoritaires (issus de la diversité culturelle, autochtones, ou encore en situation de handicap…), pourtant surreprésentés dans les institutions de protection de l’enfant, se heurte à des difficultés supplémentaires. À titre d’exemple, les communautés autochtones ne possèdent pas d’entité pour porter la voix de leurs enfants au Québec, et les normes et interventions institutionnelles en vigueur en protection de l’enfant ne tiennent pas suffisamment compte des conceptions autochtones de protection de l’enfant (rapport de la Commission Laurent, 2021 : p. 295). Dans les interventions de protection en lien avec les enfants racisés, on constate également une faible collaboration avec des organismes et communautés proches de leurs réalités, ainsi que des pratiques non adaptées aux expériences et aux identités de ces enfants (rapport de la Commission Laurent, 2021 : p. 309- 310). Par ailleurs, les expériences de discrimination et d’in- compréhension auxquelles ces jeunes sont parfois confrontés au sein du système de protection peuvent avoir un impact négatif sur leur confiance envers les institutions et indirectement sur leur volonté de participation. Un frein qui vient s’ajouter aux difficultés rencontrées par les enfants de façon systémique pour faire valoir leur droit à la participation.Mieux documenter les expériences et les pratiques entourant la participation des enfants issus des groupes minoritaires est nécessaire, notamment pour en saisir la singularité et favoriser l’adoption d’approches différenciées permettant une participation inclusive et efficace.Le droit à la participation de l’enfant au sein du système de protection se doit d’être un processus continu et inclusif pour que tous les enfants puissent faire valoir leurs droits et prendre part aux décisions qui les concernent. Cette participation repose sur trois facteurs principaux : la mise en place de mécanismes et d’instances permettant aux enfants de participer ; la création d’outils adaptés à tous les enfants et la transmission des compétences nécessaires ; la motivation et la volonté d’implication des enfants. Chaque personne peut agir au quotidien pour intégrer les enfants aux sphères de discussion et aux prises de décisions, mais un changement plus global de la perception de l’enfant par le système censé le protéger doit être envisagé afin de réellement inscrire sa participation dans la norme. Les systèmes de protection de l’enfant sont encore trop souvent pensés par les adultes, selon ce qui les arrange dans leurs champs de compétences propres, il est temps que les enfants soient placés au cœur des systèmes de protection qui les concernent.
- La dernière révision de la LPJ date de décembre 2020 ou le projet de loi n 75 intitulé Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la COVID-19, est venu modifier le chapitre P-34.1 de la LPJ.
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Les conséquences de la pandémie de COVID-19 analysées à l’aune d’une perspective de droits humains
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Hors dossier : COVID-19 Les conséquences de la pandémie de COVID-19 analysées à l’aune d’une perspective de droits humains
Stéphanie Mayer, membre du CA de la Ligue des droits et libertés et chercheure postdoctorale de l’Université d’Ottawa En dépit du populaire adage Ça va bien aller!, la pandémie de la COVID-19 a accentué les inégalités sociales qui divisent nos sociétés. Consciente de l’exceptionnalité de la crise, la Ligue des droits et libertés (LDL) a organisé une série de webinaires[1], avec l’objectif d’analyser la gestion de la crise par les gouvernements, les mesures de santé publique instaurées ainsi que leurs effets sur la population à partir d’une perspective de droits humains. Provenant de différents milieux (fonction publique, université ou de la recherche, milieu communautaire), les seize conférenciers et conférencières – que nous remercions chaleureusement – étaient invité-e-s par l’animatrice, Martine Letarte[2], à présenter à un large public (900 participant‑e‑s) leurs réflexions sur la COVID-19 et les droits humains. Dans les prochaines lignes, je présenterai les idées centrales qui peuvent être tirées de ces brillantes présentations[3] qui ont contribué à alimenter entre février et avril 2021 une pensée critique plus que nécessaire dans le contexte où la contestation est trop souvent délégitimée et assimilée à du complotisme.Webinaire 1 : L’État et les vulnérabilités
Le premier webinaire s’est penché sur le rapport entre l’État et les formes de vulnérabilité des populations. Le caractère problématique de la vulnérabilité est compris comme un effet des inégalités sociales, raciales et économiques de nos sociétés. Les panélistes devaient explorer les tensions qui se sont manifestées entre, d’un côté, la mobilisation par les autorités de la catégorie de personnes vulnérables pour justifier des mesures coercitives de santé publique et, de l’autre, l’exacerbation de certaines formes de vulnérabilité ou de marginalité comme résultat de l’inaction de l’État envers ces groupes. D’abord, Christine Vézina, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, a rappelé que le Canada a adhéré en 1976 au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), lequel met le gouvernement face à l’obligation de considérer les droits des plus vulnérables, notamment en ce qui concerne le droit à la santé. Cela exige d’accorder une attention prioritaire aux personnes les plus vulnérables (en documentant leurs réalités) et d’assurer que les mesures élaborées sont accessibles et acceptables du point de vue de ces personnes. Vézina faisait valoir que le respect de cette double obligation qui incombe normalement à l’État en raison du PIDESC aurait été une condition d’efficacité des mesures de lutte contre la pandémie de la COVID-19 et ce, dans le respect des droits des personnes. Par ailleurs, Gabriel Blouin-Genest, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, démontrait, en prenant appui sur une recherche en cours, que les mesures de santé publique ont eu des impacts délétères sur les plus vulnérables en suivant trois logiques. La première est la mise en concurrence (ou une hiérarchisation) des formes de vulnérabilité pour justifier l’allocation des ressources publiques (par exemple : l’attention portée aux personnes âgées a contrario d’autres groupes laissés pour compte, comme les personnes en situation d’itinérance ou détenues). La seconde est la production de nouvelles vulnérabilités en raison des décisions des autorités publiques (par exemple : l’accentuation des problèmes de santé mentale, de consommation ou de violence conjugale en raison du confinement et du couvre‑feu). La troisième est la catégorisation même des groupes dits vulnérables, qui, en fait, deviennent des objets de politique plutôt que des sujets de politique, réduisant le pouvoir d’agir des personnes sur leur propre vie. Pensons à l’interdiction de visites dans les résidences pour personnes âgées sans que leur avis quant à leur gestion du risque de la contamination leur soit demandé. En rappelant la mort tragique de Raphaël André caché dans une toilette chimique à Montréal pour éviter d’être interpellé par la police en raison du couvre-feu, Alana Klein, professeure à la Faculté de droit de l’Université McGill, a questionné la responsabilité de l’État à l’égard des conséquences sur les personnes de ses décisions. À titre d’exemple, l’absence de considération par le gouvernement de l’incapacité des personnes en situation d’itinérance à se conformer à la mesure du couvre‑feu a été reconnue la Cour supérieure du Québec le 26 janvier 2021. Selon Klein, il pourrait être pertinent d’interroger devant les tribunaux la constitutionnalité des atteintes aux droits des plus vulnérables en exigeant que l’État soit imputable des conséquences graves de certaines mesures de santé publique. Ces trois intervenant.es rappelaient que la gestion de la crise du VIH‑Sida avait permis de conclure que la consultation des groupes les plus vulnérables et concernés est essentielle au succès des mesures de santé publique. Or, dans le cadre de la gestion très centralisée par le gouvernement québécois, ces processus démocratiques de consultation et de concertation se sont avérés largement déficitaires.Webinaire 2 : L’état d’urgence et l’effritement de la démocratie
Cela mène à la thématique abordée par le deuxième webinaire : l’effritement de la démocratie. Lors de cette rencontre, les conférenciers et la conférencière ont traité des effets sur la démocratie de la déclaration de l’état d’urgence par le gouvernement québécois, le 13 mars 2020. Pour débuter, Louis-Philippe Lampron, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, a expliqué la section III de la Loi sur la santé publique du Québec[4], qui traite de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et des pouvoirs discrétionnaires dont bénéficie le gouvernement afin d’agir avec diligence pour protéger la population. En vertu de la loi, le gouvernement peut renouveler aux dix jours l’état d’urgence sans l’assentiment de l’Assemblée nationale (AN), ce qu’il fait depuis sa déclaration (et qu’il a tenté en vain de prolonger pour 2 ans avec le défunt PL-61[5]). À la lumière du maintien sur une si longue période de l’état d’urgence, il semble impératif, selon Lampron, d’introduire des mécanismes de contrôle afin que des contre‑pouvoirs puissent s’exprimer sur la gestion de la crise, a fortiori par les député-e-s de l’AN ou par des groupes de la société civile. Bien sûr, la gouvernance par décret de la Coalition avenir Québec illustre bien que, dans nos démocraties, ce qui compte le plus reste le pouvoir exécutif, c’est‑à‑dire les actions concrètes et la résolution des problèmes, comme le faisait valoir Christian Nadeau, professeur au Département de philosophie de l’Université de Montréal. En fait, la pandémie de la COVID-19 a amplifié les problèmes déjà existants dans nos démocraties libérales représentatives, comme les écarts de valeur entre les formes de pouvoir (exécutif, législatif, judiciaire et l’importance de l’administration publique), ce qui pousse les gouvernements à administrer l’État au lieu de diriger à la suite de processus démocratiques, comme les débats ou les consultations. Cela est en phase avec la volonté du premier ministre, François Legault, d’accélérer les travaux de l’AN, ce qui laisse présager des effets à long terme de cette crise en accentuant une conception qu’exécutive du gouvernement. Pour sa part, Véronique Laflamme, porte‑parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain, a abordé les incidences concrètes du couvre‑feu et des consignes de santé publique (par exemple : les contraintes sur la fréquentation de lieux publics ou sur la possibilité de se rassembler) en soulignant leurs effets dommageables sur la mobilisation sociale, l’éducation populaire aux droits et la vie démocratique des groupes communautaires. À son avis, cela a des conséquences sur la vitalité de la société civile et sur la capacité des groupes à faire valoir les droits des plus vulnérables lorsqu’ils sont bafoués par les décisions des autorités gouvernementales.Webinaire 3 : Le droit à la protection sociale : un droit nouveau?
Le troisième webinaire a traité du droit à la protection sociale et des mécanismes de protection mis en place par le gouvernement pour répondre à la perte d’emplois en raison de la COVID-19. Rappelons qu’en mars 2020, le gouvernement a d’abord instauré la Prestation canadienne d’urgence (PCU) qui a été remplacée par la Prestation canadienne de la relance économique, en septembre 2020. Les conférencières et le conférencier se sont demandé si ces prestations pouvaient être annonciatrices de changements favorables en matière de protection sociale. D’abord, Marie-Pierre Boucher, professeure au Département de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais, a souligné les caractéristiques positives de la PCU en comparaison aux formes actuelles d’exclusion de l’assurance-emploi. La PCU reposait sur un principe universel (tout le monde y avait droit, même les travailleurs‑euses autonomes), elle n’exigeait pas de faire la démonstration de la recherche active d’emploi (pas d’obligation de travailler en raison des consignes sanitaires), l’accessibilité à la prestation était accélérée pour répondre aux besoins et les critères d’admissibilité étaient validés a posteriori. Ces particularités permettaient de croire à un droit à la protection sociale plus large qu’un simple droit à la protection du revenu. Par ailleurs, Marie-Pierre Boucher déplorait l’occasion manquée pour tester un projet pilote d’un revenu de base universel à l’échelle du pays. Pour sa part, Lucie Lamarche, professeure au Département de sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal, a partagé des réflexions permettant de cerner ce qu’est le droit humain à la protection sociale. Elle a évoqué que le droit à la protection sociale doit être universel (ne laissant personne pour compte ce qui n’exige pas la même réponse pour tous), il doit être protégé par la loi et inclus dans les budgets et il ne peut pas être pensé séparément des services publics et du respect des autres droits desquels il s’avère interdépendant. Lamarche a terminé en interrogeant le rôle des gouvernements en matière d’intervention sur le système de l’emploi, lequel reste marqué par d’importantes conditions d’exploitation – ce qui élargit les discussions sur le droit à la protection sociale. Enfin, Maxime Boucher, coordonnateur du Groupe de recherche et de formation sur la pauvreté au Québec, a poursuivi la réflexion sur les quelques avancées en matière de droit à la protection sociale. La PCU était plus généreuse (que l’assurance chômage et l’aide sociale) et se situait au‑dessus des seuils de pauvreté (et non, sur la stricte mesure du panier de consommation). Il a conclu en soulignant le paradoxe suivant : dans le capitalisme, l’amélioration des conditions d’existence par l’accroissement des revenus suppose une croissance économique qui détruit nos écosystèmes. Il s’agit bien là de l’autre crise qui nous assaille, celle environnementale.Webinaire 4 : La santé publique dévoilée
La pandémie de COVID-19 a révélé l’importance des autorités de la santé publique et le quatrième webinaire a porté sur son rôle au Québec. Pour sa part, Dr Yv Bonnier Viger, directeur régional de santé publique de la Gaspésie‑Îles‑de‑la‑Madeleine, a présenté la structure de la santé publique, dont son directeur national, Dr Horacio Arruda, est désormais célèbre. La santé publique se déploie sur trois paliers (local, régional, provincial) et ses rôles sont variés : promouvoir la santé, prévenir les maladies et protéger la santé de la population. Pour ce faire, les équipes formées de spécialistes de tous horizons établissent des partenariats avec les municipalités, les ministères reliés, les écoles et les organisations communautaires afin de produire de la santé. Même si ces rôles sont concertés au niveau provincial, les actions doivent se déployer localement en raison des priorités divergentes en termes de déterminants sociaux de la santé. À ce titre, Bonnier Viger déplorait les effets toujours actuels de la réforme Barette de 2015 qui a entraîné l’abolition des agences régionales de santé publique affectant directement les partenariats locaux. De son côté, Dre Marie-France Raynault, professeure au Département de médecine préventive et santé publique de l’Université de Montréal et cheffe du Département de médecine préventive et santé publique du CHUM, a été assez explicite sur ce que ce veut dire produire de la santé en agissant sur les déterminants sociaux de la santé, c’est-à-dire par une action concertée sur les conditions de vie des personnes, leur environnement immédiat et les réalités socio-économiques des populations[6]. À son avis, la pandémie de la COVID-19 a réitéré l’importance d’agir sur les déterminants sociaux de la santé pour assurer la réalisation du droit à la santé. À titre d’exemple, elle faisait valoir qu’à Montréal les taux plus élevés de contamination à la maladie ont été enregistrés dans les quartiers les plus défavorisés dans lesquels le surpeuplement des logements est un problème et où les personnes se retrouvent surreprésentées dans des emplois à haut risque. En somme, pour tendre vers la réalisation du droit à la santé, il reste insuffisant d’augmenter que le budget du ministère de la Santé et des Services sociaux, il faut aussi (et surtout) soutenir les autres ministères qui agissent sur les déterminants de la santé, comme le logement, la culture, les garderies, les groupes communautaires, les conditions de travail. D’ailleurs, Raynault soutenait que des équipes de la santé publique sont déjà à l’œuvre pour interpeller les autorités gouvernementales sur les avenues pour la relance économique du Québec qui favoriseraient la réalisation du droit à la santé.Webinaire 5 : Les outils numériques et services publics
Le cinquième webinaire s’est intéressé à l’utilisation des outils numériques pour la prestation de services publics lors de la crise sanitaire et à leurs conséquences sur les droits humains. Au cours de la dernière année, Alexandra Bahary-Dionne, doctorante à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, et Karine Gentelet, professeure au Département de sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais, ont conduit une étude portant sur les réponses numériques des gouvernements du Québec et du Canada : l’information sur la pandémie, les mesures sanitaires à appliquer, la télémédecine, les prestations d’enseignement à distance, etc. Elles ont observé que les inégalités sociales en santé sont aussi des inégalités numériques. D’abord, il faut considérer l’accès effectif aux technologies, ce qui suppose de disposer d’un appareil et d’un accès à Internet (certaines personnes n’y ont accès que dans les bibliothèques ou par le truchement des ressources communautaires qui sont demeurées longtemps fermées). Ensuite, la disparité de l’utilisation qui se révèle entre les personnes qui ont et n’ont pas une bonne maîtrise des outils pour tirer profit de leurs recherches, ce qui exige un niveau de littératie suffisant. Enfin, cette disparité des usages laisse des traces concrètes dans les données produites et collectées par les autorités. D’ailleurs, Julie Paquette, professeure à l’École d’éthique, de justice sociale et de service public de l’Université Saint‑ Paul, prolongeait la discussion sur les données produites par les usages des outils numériques et leurs conséquences. Ces données collectées massivement ne sont pas neutres et elles ne proviennent pas de l’ensemble de la population : elles sont marquées des fractures numériques présentées plus haut (ce qu’on appelle les déserts de données). En collectant ces données, les algorithmes transforment et analysent ces dernières comme si elles étaient le réel. Ces données sont donc biaisées et limitées pour orienter les décisions en matière de santé publique. Les conférencières soutenaient que les technologies maintiennent et accentuent les inégalités sociales dont leurs effets sont indéniables sur la réalisation du droit à la santé. En outre, elles soulignent la pertinence de considérer l’accès à Internet comme un déterminant social de la santé.Webinaire 6 : Le racisme systémique révélé
La dernière rencontre de la série s’est penchée sur une analyse des conséquences engendrées par le racisme systémique lors la pandémie de la COVID-19[7]. Rappelons que le racisme systémique désigne : Une production sociale d’une inégalité fondée sur la race dans les décisions dont les gens font l’objet et les traitements qui leur sont dispensés. L’inégalité raciale est le résultat de la combinaison de ce qui suit : la construction sociale des races comme réelles, différentes et inégales (racialisation) ; les normes, les processus et la prestation de services utilisés par un système social (structure) ; les actions et les décisions des gens qui travaillent pour les systèmes sociaux (personnel)[8]. D’abord, Jill Hanley, professeure à l’École de travail social de l’Université McGill, a exposé les résultats d’une recherche conduite lors de l’été 2020 qui documentait l’expérience faite de la pandémie par les communautés immigrantes et les personnes racisées à Montréal. En comparaison avec la moyenne québécoise blanche, ces groupes étaient disproportionnellement à risque de contracter la maladie en raison des emplois occupés (par exemple : dans les services et les soins où les protections individuelles ont tardé à arriver et le télétravail impossible), à cause de leur utilisation plus importante des transports en commun ou du surpeuplement des logements. De plus, elle a soulevé les difficultés d’accès au dépistage en raison de l’éloignement géographique. Notons qu’au cœur de la première vague, alors que Montréal-Nord était jugé l’un des épicentres de la pandémie, il n’y avait pas de centre de dépistage à proximité. De plus, il ne faut pas négliger les barrières linguistiques et les enjeux de statut précaire, même si, normalement, la carte d’assurance maladie ne devait pas être réclamée pour obtenir ces services. Enfin, Hanley a relevé le caractère paradoxal de l’application par la police des mesures de santé publique (le couvre‑feu, notamment), car les groupes racisés ont déjà des relations difficiles avec cette institution en raison des formes avérées de profilage. Ensuite, Nargess Mustapha, militante antiraciste et féministe, cofondatrice du collectif Montréal‑Nord Républik ainsi que de l’organisme Hoodstock, a fait état du travail communautaire fait à Montréal-Nord, par Hoodstock[9], pour contrer les effets de la COVID-19 qui n’a fait qu’exacerber les crises déjà existantes dans l’arrondissement. Mustapha prolongeait les propos de Hanley lorsqu’elle rappelait, qu’en considérant les déterminants sociaux de la santé, les autorités gouvernementales ne pouvaient pas se surprendre de l’ampleur de la crise dans les quartiers les plus défavorisés et racisés de Montréal. Sans attendre les réponses des autorités, la communauté s’est mobilisée pour distribuer des kits sanitaires et des masques, répondre aux besoins alimentaires, documenter la réalité des résident.es ou distribuer des ordinateurs pour l’école à distance des enfants. Enfin, les deux présentatrices ont conclu que la réponse à la crise sanitaire a été largement communautaire, quand pourtant elle aurait dû venir du gouvernement qui doit être à l’écoute et se concerter avec les groupes qui font le travail de terrain. En somme, par cette série de webinaires sur la COVID‑19, la LDL a fait honneur à sa mission politique d’éducation du grand public sur la question des droits humains et de leur interdépendance. Sans l’ombre d’un doute, la crise sanitaire actuelle et ses effets multiformes graves qui ont à leur tour révélé d’autres crises qui bafouent les droits (par exemple : le droit à l’égalité, au logement, à la santé, à un environnement sain) dessinent pour la société civile un agenda politique qui devra mettre sans complaisance l’État face à ses obligations de garantir et respecter les droits humains. Les webinaires sont disponibles pour le visionnement sur le site Web de la LDL.[1] Les conférences sont disponibles sur le site de la LDL, « Droits humains et COVID‑19 : Quelles perspectives? », Ligue des droits et libertés. En ligne : https://liguedesdroits.ca/webinaires‑COVID/ [2] Au nom du CA de la LDL, je tiens à remercier Martine Letarte, qui est journaliste indépendante depuis 2005, d’avoir assuré l’animation de la série de webinaires. [3] J’espère que les intervenant-e-s ne m’en voudront pas d’avoir retenu que certaines dimensions de leur présentation afin d’en faire une synthèse. [4] La Loi sur la santé publique a été adoptée en 2001. [5] Loi visant la relance de l’économie du Québec et l’atténuation des conséquences de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 13 mars 2020 en raison de la pandémie de la COVID-19. [6] Pour aller plus loin, consultez la revue de la LDL intitulée : Le droit à la santé : au-delà des soins, Droits et libertés, 39, No. 2, automne 2020. [7] Pour consulter les publications de la LDL sur le racisme systémique. En ligne : https://liguedesdroits.ca/racisme [8] Office de consultation publique de Montréal, Racisme et discrimination systémiques dans les compétences de la Ville de Montréal, Rapport de consultation publique, 3 juin 2020, 8. En ligne : https://ocpm.qc.ca/sites/ocpm.qc.ca/files/pdf/P99/rapport‑reds.pdf. [9] Hoodstock, site officiel. En ligne : https://www.hoodstock.ca
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Une crise qui affecte les droits humains à Gatineau
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Hors dossier : Logement Une crise qui affecte les droits humains à Gatineau
François Saillant, rapporteur mandaté par la Ligue des droits et libertés et expert des enjeux de logement À l’été et à l’automne 2020, j’ai eu l’occasion de mener une mission d’observation pour la Ligue des droits et libertés (LDL) sur la crise du logement qui sévit à Gatineau. Le signe le plus visible en est le nombre alarmant de familles et de personnes sans domicile fixe. Des familles avec enfants doivent vivre pendant plusieurs mois, entassées dans des chambres d’hôtel ou de motel. Des personnes en situation d’itinérance s’entassent en pleine pandémie dans des lits de camp, séparés par de simples rideaux, sur le plancher de l’aréna Robert‑Guertin. Des sans-abris érigent des campements de tentes, fréquemment démantelés par les autorités. Ce n’est pourtant là que la pointe de l’iceberg, bien d’autres problèmes étant vécus entre les quatre murs des maisons : coût inabordable des loyers, évictions pour non‑paiement, logements inhabitables, inaccessibilité pour des personnes en situation de handicap, etc. Soucieuse d’avoir un portrait d’ensemble de la situation, la mission a rencontré virtuellement plusieurs organismes, des experts, ainsi que les autorités politiques. Malheureusement, les députés caquistes de la région n’ont été rencontrés qu’après la mission. Enfin, une vingtaine de familles sans‑logis ou mal‑logées, de même qu’une dizaine de personnes en situation d’itinérance, ont pu témoigner de leurs réalités.Le rapport publié en février 2021 conclut que Gatineau vit une situation d’urgence permanente et que les multiples entraves au droit au logement qui y sont vécues compromettent d’autres droits économiques, sociaux et culturels, mais aussi civils et politiques.En quelques jours, le rapport a suscité plusieurs réactions dont celle du maire de Gatineau, Maxime Pedneaud‑Jobin, des organismes communautaires, de l’Office d’habitation de l’Outaouais et même d’un des plus gros investisseurs immobiliers de la ville. Personne n’a remis ses constats en question. Dans un commentaire publié dans Le Droit du 12 février, le chroniqueur Patrick Duquette écrit: « Les principales victimes de cette crise? Les femmes, les familles nombreuses, souvent issues de l’immigration, et celles qui ont de la misère à joindre les deux bouts. Dans leur cas, la violation du droit à un loyer décent se traduit par une cascade d’autres violations à leurs droits fondamentaux: sécurité, alimentation, santé, éducation… Le rapport nous rappelle que pour une femme sans logis, trouver un toit, c’est parfois accepter de retourner vivre avec un conjoint violent ou qui exige des faveurs sexuelles. Pour une famille d’immigré‑e‑s noir‑e‑s, c’est la quasi‑certitude de se faire exiger un dossier de crédit ou des références qu’elle n’a pas. Ou de se faire revirer de bord par un propriétaire raciste: c’est déjà loué, meilleure chance la prochaine fois ».
Pourquoi Gatineau?
Ce n’est pas que la gravité et la persistance des problèmes qui ont convaincu la LDL d’acquiescer à la demande de mission d’observation, mais aussi certaines particularités vécues dans cette ville. Gatineau est voisine d’Ottawa où le coût des logements est beaucoup plus élevé que de l’autre côté de la rivière Outaouais. De nombreux ménages ontariens sont donc tentés de déménager à Gatineau, ce qui a pour effet d’y accroître la rareté des logements locatifs et d’y contribuer à la hausse des loyers. Le voisinage avec la capitale canadienne contribue aussi à ce que Gatineau soit le deuxième pôle québécois d’attraction de l’immigration internationale qui se combine de surcroît avec une forte migration interprovinciale. Tout cela fait en sorte que le taux de logements inoccupés a été sous la barre d’équilibre de 3 % au cours de 13 des 21 dernières années et que Gatineau soit maintenant la région métropolitaine où le coût du logement est le plus élevé au Québec. Une autre spécificité de la ville est le nombre et la dureté de catastrophes dites naturelles qui l’ont frappée dans les dernières années. En 2017 et 2019, la ville a vécu deux graves inondations printanières, alors que c’est une tornade de force F3 qui l’a touchée de plein fouet en 2018. Plus de 5 500 bâtiments résidentiels ont au total été touchés, dont plusieurs centaines de logements locatifs qui ont été totalement rasés ou qui sont maintenant considérés comme non habitables. Or, plusieurs témoignages ont permis de constater que ces catastrophes, qui sont destinées à se reproduire avec la crise climatique, ont donné lieu à des injustices environnementales.Ainsi, ce sont des quartiers socioéconomiquement défavorisés qui ont été les plus durement affectés par les catastrophes naturelles.L’exemple du secteur du Mont-Bleu est éloquent. Avant la tornade de 2018, il était habité par des familles nombreuses, très souvent racisées, en situation de pauvreté. Celles qui ont dû quitter les immeubles ravagés ont vécu de pénibles situations d’hébergement. Certaines ont été accueillies par leurs familles dans des logements déjà surpeuplés, alors que d’autres étaient placées dans des motels parfois situés dans des endroits aussi éloignés que Mont-Laurier, alors que les enfants devaient se rendre quotidiennement à l’école à Gatineau. La recherche de logements a été tout aussi ardue, se butant au coût et à la rareté des appartements familiaux, mais aussi à la discrimination. Or, la reconstruction, qui est en cours au Mont‑Bleu, exclut maintenant ces familles. Les nouveaux appartements, dont la construction a été abandonnée à la discrétion de promoteurs privés, sont petits, luxueux, à loyer très élevé… Les familles, elles, sont durablement privées des ressources communautaires et des services qui leur étaient jusque-là accessibles.
Les suites
La LDL a décidé de soumettre le rapport au Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU qui doit, au cours des prochains mois, se pencher sur le cas du Canada. Comme l’a expliqué la LDL lors d’une rencontre avec les organismes qui ont participé à la mission d’observation, c’est toutefois leur travail sur le terrain qui fera en sorte que la mission aura ou non des suites. Ils disposent désormais d’un outil supplémentaire pour le faire.Le rapport de la mission d’observation intitulé La situation du logement à Gatineau et ses impacts sur les droits humains est disponible en ligne sur le site Web de la LDL. Des exemplaires imprimés sont aussi disponibles sur demande.

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La démocratie mise en péril
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Chronique Un monde de lecture La démocratie mise en péril
Catherine Guindon, enseignante, CÉGEP de Saint‑Laurent Compte-rendu de l’ouvrage Prendre part : Considérations sur la démocratie et ses fins[1] Les professeurs de philosophie David Robichaud (Université d’Ottawa) et Patrick Turmel (Université Laval) nous avaient proposé il y a quelques années La Juste part[2], un ouvrage fort pertinent se portant à la défense d’une juste distribution des richesses. Le duo récidive cette fois avec Prendre part. Cet essai que nous avons beaucoup apprécié porte sur la démocratie, ce qui la menace et notre responsabilité pour la préserver. La démocratie est un régime politique qui, de nos jours, paraît aller de soi. Ses institutions doivent permettre l’expression de l’autonomie individuelle et, au-delà du pluralisme des valeurs individuelles, la réalisation de fins collectives. Son idéal vise « une organisation égalitaire de la vie collective qui offre à chaque individu la plus grande sphère de liberté possible[3] ». Malgré son rôle de premier plan pour la promotion des droits à l’égalité et la liberté, on prend trop souvent la démocratie pour acquise, réduisant souvent les citoyen-ne-s à leur rôle d’électeurs et d’électrices.Or, la démocratie est bien plus que cela et elle ne se maintient pas par elle‑même. D’ailleurs, elle se porte actuellement plutôt mal. C’est qu’elle est en effet menacée dans ses principes et ses institutions, d’un côté, par le mouvement populiste et, de l’autre, par le minimalisme libéral.Les populistes se présentent comme des critiques des élites pour diverses raisons, telles que leur manque occasionnel de transparence. Mais en plus de se méfier des grands décideurs, les populistes revendiquent un antipluralisme des valeurs. Au nom de la volonté du vrai peuple, d’un nous constitutif d’une société, ils récusent la pluralité des valeurs des citoyen-ne-s. Les populistes rejettent donc ce qui peut s’opposer à ce peuple homogène idéalisé, que ce soient les élites économiques, les minorités sexuelles, les immigrant-e-s, les syndiqué-e-s ou les intellectuel-le-s. Or, ce peuple uni est une vue de l’esprit. Effectivement, au‑delà de valeurs communes et d’une culture dominante, le pluralisme et la diversité sont, rappellent les auteurs, « la conséquence des principes fondamentaux de la démocratie : l’égalité de droit et la liberté de tous[4] ». Les minimalistes libérales et libéraux, quant à eux, constituent un second groupe d’adversaires de la démocratie et de l’égale liberté pour tous et toutes. Ils réduisent le rôle des citoyen-ne-s aux élections de leur député‑e, considérant qu’ils, elles n’ont pas les compétences nécessaires pour prendre de bonnes décisions. Ainsi peuvent être légitimés des projets de loi omnibus ou l’utilisation du pouvoir du bâillon par un gouvernement. Face à ces menaces envers la démocratie, Robichaud et Turmel proposent des remèdes. Contre le populisme, les auteurs plaident pour la fin du cynisme face aux décideur‑e‑s politiques. Il importe de protéger les institutions démocratiques permettant l’expression de la diversité et la protection de l’égale liberté des citoyen-ne-s, comme les commissions parlementaires, par exemple. Contre le minimalisme libéral, il faut stimuler la délibération et le débat d’idées à l’extérieur de la sphère institutionnelle officielle, les responsabilités des citoyen‑ne‑s ne se limitant pas aux élections. Il faut ménager des espaces pour que soit exercée la liberté d’expression des citoyen‑ne‑s et diffuser la pluralité des idées de chacune et chacun. Les citoyen-ne-s, en plus de voter, doivent s’informer, discuter, participer à la discussion publique, aiguiser leur sens critique. Il est donc urgent, selon les auteurs, de mieux prendre soin de notre régime démocratique afin qu’il préserve l’égalité et les libertés fondamentales, ce qui constitue sa fin ultime. On ne peut que recommander la lecture de cet essai aux idées percutantes qui nous invite à prendre part activement aux institutions démocratiques afin qu’elles soient assez robustes pour préserver nos libertés fondamentales.
[1] David Robichaud et Patrick Turmel, Montréal, Atelier 10, 2020, 112 pages. [2] La Juste part : Repenser les inégalités, la richesse et la fabrication des grille- pains, Montréal, Atelier 10, 2012, 93 pages. [3] Page 13 de l’édition Kindle. [4] Page 18 de l’édition Kindle.
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La Convention relative aux droits de l’enfant – 30 ans de mise en œuvre, mais où est l’égalité ?
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Mona Paré, professeure, Université d’Ottawa, section de droit civil, directrice du Laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les droits de l’enfant (LRIDE) La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) est le fruit de longues négociations qui ont eu lieu aux Nations Unies entre 1979 et 1989 et qui ont abouti à son adoption le 20 novembre 19891. Ces négociations ont permis de développer un texte qui est à la fois d’avant-garde et un compromis reflétant les tensions et les priorités présentes à l’époque. Composée de 54 articles, la CDE se veut une convention complète, garantissant les droits de l’enfant dans tous les aspects de sa vie, sans discrimination. L’examen de sa mise en œuvre est réalisé par le Comité des droits de l’enfant, qui fait des recommandations aux États pour améliorer la mise en œuvre de la Convention. [caption id="attachment_12507" align="alignright" width="370"]
La mise en œuvre des droits de l’enfant : une question d’égalité
Le problème principal est une question d’inégalité. Dans toutes les sociétés du monde, les enfants n’ont pas la même capacité juridique que les adultes. Ils peuvent difficilement faire valoir leurs droits. N’ayant pas le droit de vote, ils n’ont pas non plus de poids politique pour faire pression sur les gouvernements. Ainsi, on a beau leur reconnaitre des droits, ceux-ci restent souvent théoriques et mal appliqués.On ne consulte pas les enfants dans le développement de politiques et de lois ; on ne les place pas au cœur des décisions et des allocations budgétaires ; on s’attend à ce que leurs parents ou tuteurs appliquent et fassent respecter leurs droits.Au Canada, la mise en œuvre des droits de l’enfant fait face à d’autres obstacles encore. Non seulement le Canada ne reconnait pas l’application directe des traités internationaux en droit interne, mais en plus le système fédéral, avec le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux/territoriaux, complique la mise en œuvre d’une convention de type holistique, demandant une coopération entre tous les paliers de gouvernement. Par exemple, la CDE reconnait à l’enfant le droit à l’éducation du niveau primaire au niveau supérieur et dicte les objectifs de l’éducation.
Un enfant qui considérerait que la politique de discipline dans son école viole la CDE n’aurait aucun droit de recours sur la base de la Convention.De plus, le gouvernement fédéral, en ratifiant la Convention, n’a aucun moyen de s’assurer que chacune des provinces et territoires se conforme aux exigences du droit international et, a fortiori, il a encore moins de droit de regard sur ce que font les commissions/conseils/districts scolaires, les collèges et les universités. Un autre obstacle à la mise en œuvre de la CDE est l’inégalité entre les droits de l’enfant et les droits de la personne au Canada7. En effet, on les distingue généralement, les premiers n’ayant pas le même statut que les seconds. Les droits de l’enfant sont souvent compris comme les droits spécifiques que l’on accorde aux enfants dans des contextes particuliers. Au Québec, on reconnait certains droits aux enfants dans le Code civil et dans la Loi sur la protection de la jeunesse. Ces droits ne font pas partie des droits de la personne protégés au niveau constitutionnel et quasi constitutionnel. Bien que la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise) inclue l’article 39 sur les droits de l’enfant, celui-ci est bien insuffisant, ne reconnaissant à l’enfant que le droit à la protection par ses parents. De plus, ce droit est placé dans le chapitre des droits économiques et sociaux, qui n’ont pas le même statut que les droits considérés comme fondamentaux8. Mais ne peut-on pas dire que tous les droits protégés par la Charte canadienne des droits de la personne et la Charte québécoise s’appliquent aux enfants ? En principe, oui.
Cependant, il suffit d’examiner la jurisprudence en matière de discrimination ou des droits garantis par la Charte canadienne pour se rendre compte que les enfants sont rarement les [caption id="attachment_12512" align="alignright" width="415"]Tous ces obstacles auxquels font face les enfants dans la reconnaissance et l’exercice de leurs droits sont accentués par le fait que le Canada n’a pas ratifié le troisième Protocole facultatif à la CDE qui permet l’examen d’allégations de violations aux droits de l’enfant par le Comité des droits de l’enfant. Ainsi, on peut affirmer que malgré un discours en faveur des droits de l’enfant, dans la pratique, on n’a pas adhéré à la nouvelle philosophie des droits de l’enfant reconnaissant ceux-ci comme détenteurs des droits de la personne et permettant l’adaptation des droits à leur endroit.Crédit : L’égalité des droits, Eve Bélanger, 11 ans[/caption] principaux concernés par les causes présentées devant les tribunaux.
La discrimination dans l’application des droits de l’enfant
Les enfants ne bénéficient donc pas des droits de la personne sur un pied d’égalité avec les adultes. De plus, l’application égale des droits de l’enfant entre différents groupes d’enfants est encore loin d’être atteinte au Canada. La CDE inclut la non-discrimination parmi ses principes généraux applicables à toute la Convention, les autres principes étant l’intérêt supérieur de l’enfant, la vie, la survie et le développement, ainsi que le respect de l’opinion de l’enfant9. L’article 2 de la CDE dispose que les droits énoncés dans la Convention doivent être appliqués sans aucune distinction à tous les enfants. Les États doivent prendre aussi des mesures pour protéger les enfants contre toute forme de discrimination. L’examen de la mise en œuvre de la CDE par le Comité des droits de l’enfant démontre des problèmes systémiques et récurrents dans la mise en œuvre de la Convention. Le suivi de la mise en œuvre de la CDE au Canada a été effectué à trois reprises et le quatrième examen aura lieu en mai 2022. Depuis le début, le Comité note l’application inégale des principes généraux dans le pays et le fait que ces principes n’ont pas été bien inclus dans la législation et les politiques10.Lors du dernier examen périodique en 2012, le Comité note la fragmentation du droit et « des incohérences dans la mise en œuvre des droits de l’enfant sur le territoire [canadien], de sorte que des enfants dans des situations analogues font l’objet de disparités dans la réalisation de leurs droits selon la province ou le territoire où ils résident11 ».Il y a donc une application inégale des droits de l’enfant selon leur lieu de résidence au Canada. Les différences entre enfants sont encore plus marquées si l’on s’intéresse à des groupes d’enfants en particulier. Depuis le premier examen en 1995, jusqu’à aujourd’hui, le Comité a souligné la discrimination systémique que vivent certains groupes d’enfants et notamment les Autochtones, les Noirs, et les enfants migrants. Le Comité est toujours préoccupé par la surreprésentation des enfants autochtones et afro-canadiens dans le système de justice pénale et les structures de protection de l’enfance ; il note aussi le manque d’accès aux services pour les enfants vulnérables incluant les enfants migrants ; il fait part de ses inquiétudes au sujet de la pauvreté des enfants causée par les inégalités de revenus, « la répartition inéquitable des avantages fiscaux et des transferts sociaux en faveur des enfants12 ». Les travaux de l’UNICEF montrent aussi le résultat qu’a l’inégalité des revenus sur la situation des enfants au Canada. En effet, parmi 38 pays considérés comme riches, le Canada se situe au 30e rang pour ce qui est du bien-être des enfants, entre la Grèce et la Pologne13.
Pour une mise en œuvre efficace
Vu ce constat décevant après 30 ans, peut-on espérer un véritable respect des droits de l’enfant et une mise en œuvre efficace de la CDE ? Le Canada a soumis son nouveau rapport qui sera examiné prochainement par le Comité des droits de l’enfant, à la lumière des rapports alternatifs préparés par la société civile et dépeignant une réalité moins reluisante que celle présentée par les gouvernements. Le rapport étatique fait état des accomplissements des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour l’amélioration de la situation des enfants. Comme exemple des progrès accomplis, on y mentionne entre autres le fait que le Québec a fourni du financement supplémentaire à son programme de garde d’enfants14, qu’il a mis en œuvre le Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale 2017-202315, ou encore qu’il a lancé la Stratégie 0 à 8 ans – Tout pour nos enfants en 2018 pour améliorer l’éducation de la petite enfance16. Bien que ces initiatives servent à améliorer la vie des enfants, elles sont loin d’être suffisantes. Elles témoignent d’une approche incohérente à la mise en œuvre des droits de l’enfant. Il nous manque une stratégie globale pour l’application des droits de l’enfant. Plus encore, il nous faut une culture de respect et de reconnaissance des droits de l’enfant en tant que droits de la personne.- Résolution 44/25 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 20 novembre 1989.
- Par Irène Théry, Nouveaux droits de l’enfant, la potion magique ?, (1992) 180 Esprit 5 ; Bruce C. Hafen et Jonathan O. Hafen, « Abandoning Children to their Autonomy: The United Nations Convention on the Rights of the Child », (1996) 37 Harv. Int’l L.J. 449.
- Décret numéro 1676-9 1 du 9 décembre
- État des traités, Convention relative aux droits de l’enfant. En ligne: https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-11&chapter=4&clang=_fr
- Article 1,CDE
- Par exemple, selon l’UNICEF, un tiers des enfants de bas âge sont mal nourris : UNICEF, Situation des enfants dans le monde 2019, https://www.unicef.org/ media/62526/file/La-situation-des-enfants-dans-le-monde-2019.pdf , 8.
- Voir Mona Paré, « Children’s Rights Are Human Rights and Why Canadian Implementation Lags Behind », Canadian Journal of Children’s Rights (2017) 4(1)
- Voir notamment Alain-Robert Nadeau, La Charte des droits et libertés de la personne : origines, enjeux et perspetives, 2006, Revue du Barreau 1, 46.
- Voir Mona Paré, La mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant : une question de principes, dans Le Tribunal des droits de la personne et le Barreau du Québec, Race, femme, enfant, handicap : les conventions internationales et le droit interne à la lumière des enjeux pratiques du droit à l’égalité, Cowansville, Yvon Blais, 2010, p. 391
- Comité des droits de l’enfant, Observations finales du Comité des droits de l’enfant : Canada, 1995, NU, CRC/C/15/Add.37, para. 11.
- Comité des droits de l’enfant, Observations finales sur les troisième et quatrième rapports périodiques du Canada, 2012, Doc NU, CRC/C/CAN/CO/3-4, 10. Voir aussi Comité des droits de l’enfant, Observations finales : Canada, 2003, CRC/C/15/Add.215, para. 8.
- Comité de droits de l’enfant 2012, supra note 11, 67. Voir aussi Comité des droits de l’enfant 2003, supra note 11, para. 41.
- UNICEF Innocenti, Des mondes d’influence : Comprendre ce qui détermine le bien-être des enfants dans les pays riches, Bilan Innocenti 16, En ligne : https://www.unicef.ca/sites/default/files/2020-09/WorldsOfInfluence_FR.pdf. Pour une explication de la situation au Canada, voir UNICEF Canada, Bilan Innocenti 16 de l’UNICEF – document canadien d’accompagnement, 2020. En ligne : https://www.unicef.ca/sites/default/files/2020-11/UNICEF%20RC16%20 Canadian%20Companion%20FR%20-%20DIGITAL.pdf
- CRC/C/CAN/5-6, 50.
- Ibid, 134.
- Ibid, 157.
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Identité de genre et droits de l’enfant
Identité de genre et droits de l'enfant
Charles-Antoine Thibeault, doctorant en service social, Université de Montréal, musicothérapeute pour Jeunes Identités Créatives Annie Pullen Sansfaçon, professeure, École de travail social, Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles Les médias populaires des dernières années couvrent de plus en plus les sujets relatifs à la transitude1. Pensons notamment au fameux Transgender tipping point que Time Magazine avait qualifié de révolutionnaire pour la communauté trans et non-binaire en 2014. L’année 2014 ne marque pourtant ni le premier ni le dernier changement de paradigme sur le sujet. Depuis les années 1960, où l’étude de la transitude se limitait alors aux discours de psychiatres s’intéressant à une sur-féminité de jeunes garçons, menant ensuite à la création de diagnostics, de pathologie et de thérapies dites de conversion, jusqu’aux nouvelles compréhensions et revendications actuelles d’un discours non-pathologisant de la diversité de genre2, il est indéniable que des changements majeurs dans la perception de la définition même du genre se sont opérés. Afin de discuter des relations entre l’identité de genre et les droits de l’enfant, il est nécessaire de e présenter quelques-uns de ces changements observables tant dans les politiques sociales, les discours populaires, les cliniques médicales, les écoles, ainsi que les autres milieux de vie où l’enfant évolue. [caption id="attachment_12515" align="alignright" width="378"]
Les impacts de la non-reconnaissance
Alors que les exemples de ces impacts sont trop nombreux pour en faire une liste exhaustive, nous référerons plutôt à un texte publié en 20173 qui nous invite à réfléchir à l’impact de la non-reconnaissance, de l’invisibilité, de la négation de la personne, dans le développement identitaire des jeunes trans et non-binaires dans plusieurs sphères de leur vie. S’appuyant sur l’éthique de la reconnaissance d’Axel Honneth, selon laquelle l’individu a besoin de reconnaissance affective, légale et sociale afin de développer un rapport à soi positif, il est possible de comprendre que l’identité positive se développe en relation à l’autre, à la société.Dans les sociétés où les jeunes trans et non-binaires ne sont pas reconnus, il devient difficile de développer un sentiment de confiance en soi, d’estime de soi, de respect de soi pour ces jeunes.Et c’est dans ce contexte que le bien-être physique et mental de l’enfant se trouve affecté4. Ainsi, les recherches démontrent que les jeunes trans et non-binaires sont plus à risque notamment de se suicider ou de souffrir de dépression et d’anxiété, malgré que ces difficultés ne soient pas directement liées à la transitude, mais bien à leurs conditions de vie comme les contextes de non-reconnaissance sociale, légale ou affective. Cette distinction entre souffrance interne et cause externe porte à croire qu’un accueil plus ouvert et reconnaissant de la diversité des jeunes pourrait contribuer à diminuer cette souffrance.
L’importance de la décision Moore
Des exemples concrets de reconnaissance, mais aussi de non-reconnaissance légale ont récemment été observés au Québec. Prenons par exemple la décision rendue en janvier 2021 par l’honorable juge Moore à la suite de longues démarches juridiques initiées par la communauté trans et non-binaire sommant le gouvernement d’octroyer le droit d’effectuer la modification de la désignation de son sexe sur son acte de naissance aux jeunes trans et non-binaire5. Cette décision donne un an au gouvernement pour modifier certaines dispositions du Code civil jugées discriminatoires.Cet événement souligne l’importance d’exercer une agentivité relative sur la définition de sa personne auprès de l’état, mais dénote aussi l’importance de la congruence de cette définition légale de la personne avec l’identité vécue et donc de la reconnaissance légale de la personne.Cette capacité agentive sur sa propre définition légale est explicitement nommée dans ce jugement comme vecteur essentiel du droit à la dignité et à l’égalité. Au sujet de cet impact de la reconnaissance sur le rapport à soi, Judith Butler ajoute à cette notion qu’il est bien d’être reconnu, mais encore faut-il être reconnaissable6. Elle sous-tend ainsi qu’une communauté de personnes n’étant pas reconnue légalement à titre de personne à part entière ne peut prétendre même à la possibilité de recevoir ces expériences de reconnaissance affective, légale et sociale si importantes dans le développement identitaire. C’est aussi cette possibilité de détenir des documents officiels congruents avec son identité de genre qui permettra aux enfants trans et non-binaires de jouir de ce droit à la sécurité et à la dignité pour participer à la société.
Le projet de loi 2
En contrepartie, le récent dépôt du projet de loi 2 par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barette en octobre 2021 constitue un important recul pour les jeunes trans avec la proposition de réintroduire l’obligation de chirurgie afin d’obtenir une reconnaissance légale à travers le changement de la mention de sexe sur l’acte de naissance7. Ainsi, si ce projet est adopté ainsi, il constituera non seulement une atteinte à la dignité des jeunes trans et non-binaires, mais également un exemple concret de non-reconnaissance légale de la transitude et des diverses manières d’exister en tant que personne de la diversité des genres.Des luttes à mener
Encore en 2021, il est difficile d’avancer que les jeunes trans et non-binaires bénéficient de la même reconnaissance que leurs pairs cisgenres. La difficulté à changer la désignation de son sexe et son prénom officiel, les refus de services médicaux, le besoin d’accumuler des lettres d’approbation d’expert de la santé mentale que Karine Espineira qualifie éloquemment de boucliers thérapeutiques8 sont tous des exemples d’expérience de non-reconnaissance.Les expériences d’invalidation du genre vécues au sein des services de la protection de la jeunesse, par exemple par le refus d’utilisation des prénoms et pronoms de l’enfant et la réalité genrée de ces services9 sont d’autres exemples.Ainsi, malgré les avancées importantes des dernières années, il reste plusieurs dimensions de la reconnaissance, et spécifiquement du droit à la dignité des enfants qui demeurent bafouillés. Par ailleurs, ces sphères de reconnaissance résonnent beaucoup avec la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par les Nations Unies en 1989. La reconnaissance sociale étant par exemple soutenue par le droit à la sécurité pour participer pleinement à la société et la reconnaissance légale l’étant via le droit à la dignité. Il est essentiel de traduire la protection de ces droits pour les jeunes trans et non-binaires en moyens concrets, moyens que Pullen Sansfaçon et Bellot (2017) associent spécifiquement à la création de milieux sécuritaires, acceptants et reconnaissants pour les jeunes trans et non-binaires.
- Le terme transitude est d'abord introduit par Baril en 2014 afin de désigner les parcours de transition médicales, sociales et juridiques vers un genre Il est utilisé à titre de nom commun, en complémentarité à l'adjectif « trans », et reflète la multiplicité des parcours d'affirmation auxquels les personnes trans ont recours partiellement ou en totalité.
- Voir notamment J. Pyne (2014). « Gender independant kids: A paradigm in approaches to gender non-conforming children », The Canadian Journal of Human Sexuality, (23)1, pp. 1-8
- A. Pullen-Sansfaçon, C. Bellot, (2017). L'éthique de la reconnaissance comme posture d'intervention pour travailler avec les jeunes trans, Nouvelles Pratiques Sociales, (28)2, pp. 38-53
- Honneth, (2008). La lutte pour la reconnaissance, Paris, Éditions du Cerf, p. 113-159
- Center for Gender Advocacy v. Attorney General of Quebec, 2021 QCCS 191.
- Géguen et Malochet, Critiques du paradigme de la lutte pour la reconnaissance, dans Les Théories de la Reconnaissance, La Découverte, Paris, 2014, p. 93-122
- Voir par exemple Pullen Sansfaçon et coll. (2021) Il faut faciliter, et non compliquer le changement de la mention de sexe pour les personnes trans. En ligne : https://journalmetro.com/societe/2719128/il-faut-faciliter-et-non-compliquer-le-changement-de-la-mention-de-sexe-pour-les-personnes-trans/
- Voir V. Kirichenko, A. Pullen-Sanfaçon, (2018). "Je ne m'identifie pas comme fille, je suis une fille": être jeune, trans et placé.e par la Direction de la Protection de la Jeunesse, Intervention, 148, 29-40
- Voir Espineira, (2011). Le bouclier thérapeutique: discours et limites d'un appareil de légitimation, Le sujet dans la cité, (2)1, pp. 189-201
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ENvironnement JEUnesse devant les tribunaux pour la justice climatique
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Catherine Gauthier, directrice générale, ENvironnement JEUnesse Le 26 novembre 2018, ENvironnement JEUnesse déposait la toute première action collective contre le gouvernement canadien pour avoir failli à protéger les droits humains des enfants et des jeunes de 35 ans et moins du Québec. Les jeunes détiennent des droits comme toute personne, et elles et ils exigent des actions à la hauteur de la crise climatique. Cette démarche est au cœur de l’importante bataille à mener sur plusieurs fronts : audiences et consultations publiques, campagnes de sensibilisation ou activités de mobilisation de masse pour exiger des actions climatiques immédiates.Une action collective se divise en trois grandes étapes, à savoir la demande d’autorisation, le procès sur le fond du litige et, finalement, le jugement final et la distribution des indemnités, s’il y a lieu.Note de la rédaction La Cour d’appel du Québec a rejeté le 13 décembre 2021 l’appel d’ENvironnement JEUnesse visant à renverser la décision de la Cour supérieure ayant refusé d’autoriser son action collective contre le gouvernement du Canada. Considérant l’importance de la question, ENvironnement JEUnesse entend soumettre une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada afin de défendre les droits des jeunes à la vie, à la sécurité, à l’égalité et à vivre dans un environnement sain, des droits fondamentaux protégés par les Chartes.
Le choix de l’action collective
Au fil des ans, les actions collectives en environnement ont permis des avancées significatives, notamment dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette, de la Coalition pour la protection de l'environnement du parc linéaire Petit Train du Nord c. la MRC des Laurentides et des clubs de motoneiges, le cas de la poussière rouge à Québec, les émissions de l’usine de peinture Anacolor ou la pollution du lac Heney. Dans ces cas, l’impact visé de l’action collective allait bien au-delà des compensations monétaires. Bien souvent, en matière environnementale, la motivation des citoyen-ne-s n’est pas pécuniaire, mais vise plutôt à retrouver un milieu de vie sain et agréable. En outre, l’action collective est une procédure à portée sociale et elle favorise l’accès à la justice. Comme le cabinet Trudel Johnston Lespérance (TJL) – qui représente ENvironnement JEUnesse pro bono dans l’affaire citée en titre – l’illustre, « Qu’arrive-t-il lorsque des centaines de David isolés unissent leurs forces contre un Goliath souvent pourvu d’importantes ressources ? Le rapport de force s’en trouve rééquilibré et toute la collectivité en bénéficie ». Très peu de personnes ou de groupes ont les moyens de s’adresser aux tribunaux. L’action collective permet de rassembler et de mobiliser les citoyen-ne-s autour d’un problème commun et de la recherche de solutions qui dépassent les individus. Dans l’affaire portée par ENvironnement JEUnesse, les personnes représentées sont les Québécois-e-s ayant 35 ans ou moins au moment du dépôt de la demande d’action collective. Il s’agit de 3,4 millions d’enfants et de jeunes, ce qui en fait la plus grande action collective au monde !On sait également que l’action collective a le pouvoir de transformer toute la société : « en réaction à une action collective ou pour en prévenir une, les entreprises et les gouvernements changent leurs pratiques. » (TJL, 2021)
Pourquoi les plus jeunes générations ?
Devant les tribunaux, ENvironnement JEUnesse doit d’abord franchir la première étape de l’action collective, soit d’obtenir l’autorisation de la Cour. Cette dernière doit déterminer si la demande d’action collective répond à quatre critères, dont un concernant la composition du groupe. Sur cette question épineuse, ENvironnement JEUnesse devait tracer une ligne claire : qui fait partie de l’action collective et qui n’en fait pas partie ? Même si les impacts de la crise climatique et sociale touchent toute la société, une action collective ne peut pas représenter tout le monde. D’autre part, peu importe la ligne tracée, le choix allait revêtir une certaine part de subjectivité. En l’espèce, l’organisme a choisi de tracer cette ligne à 35 ans en s’inspirant de la Politique québécoise de la jeunesse 2030 . Dans sa politique, le gouvernement du Québec précise que son action « pourra se prolonger jusque vers l’âge de 35 ans ». Par ailleurs, ENvironnement JEUnesse a choisi de représenter les jeunes de moins de 18 ans, étant donné que le Canada est signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), qui reconnaît un ensemble de droits pour les jeunes de moins de 18 ans. En conséquence, l’action collective défend les droits des Québécois-e-s ayant 35 ans ou moins, soit la jeunesse au sens large. Si les enjeux en cause affectent l’ensemble des générations, les plus jeunes générations portent un fardeau bien plus grand que les générations qui les ont précédées.En effet, selon le rapport Nés au cœur de la crise climatique publié par Save the Children International en 2021, « un enfant né en 2020 connaîtra en moyenne deux fois plus d’incendies de forêt, 2,8 fois plus de mauvaises récoltes, 2,6 fois plus de sécheresses, 2,8 fois plus de crues de rivières et 6,8 fois plus de canicules au cours de sa vie, qu’une personne née en 1960 ».On peut ainsi démontrer à quel point les enfants et les jeunes font face à des risques disproportionnellement plus grands que leurs parents, leurs grands-parents, leurs arrière-grands-parents… Il est important de reconnaître aussi que les enfants victimes d’inégalités sociales sont encore plus vulnérables face aux impacts de la crise climatique.
Une question de droits humains
Le Canada a accepté le consensus scientifique à l’effet qu’une baisse d’émissions de GES d’au moins 25 % par rapport à l’année de référence 1990 est nécessaire pour éviter une catastrophe. Or, au moment du dépôt de la poursuite d’ENvironnement JEUnesse, le Canada s’était engagé à réduire ses émissions de 17 % par rapport au niveau de 2005, soit une hausse par rapport à 1990. Puis, en 2021, le Canada a annoncé qu’il voulait réduire ses émissions de GES de 40 % à 45 % d'ici 2030. Malgré ces engagements, les émissions du Canada n’ont cessé d’augmenter dangereusement. Selon le Rapport d’inventaire national des émissions au Canada publié en 2021, les émissions de GES sont passées de 602 mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone (Mt d’éq. CO2) en 1990 à 730 Mt d’éq. CO2 en 2019. Ainsi, les émissions du Canada ont augmenté de plus de 21 % depuis 1990. En d’autres mots, le Canada a systématiquement et grossièrement raté toutes les cibles de réduction des GES qu’il s’est lui-même fixées depuis une trentaine d’années. Ce comportement du gouvernement du Canada porte atteinte à plusieurs droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne) ainsi que par la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise). Plus particulièrement, trois droits sont identifiés : Premièrement, les vagues de chaleur dévastatrices, la propagation de maladies infectieuses, les feux de forêt, les événements météorologiques extrêmes, les inondations ou les sécheresses sont autant de manifestations tangibles des dangers du réchauffement de la planète, sans compter les impacts sociaux et économiques. Ces conséquences sont une menace directe et bien réelle au droit à la vie et à la sécurité de sa personne protégés par l’article 7 de la Charte canadienne et par l’article 1 de la Charte québécoise. Deuxièmement, la requête s’appuie sur le droit à l’égalité présenté à l’article 15 de la Charte canadienne et à l’article 10 de la Charte québécoise. En adoptant des cibles dangereuses pour le climat et en agissant de manière à ce que ces cibles insuffisantes ne soient jamais atteintes, le gouvernement du Canada agit de manière discriminatoire envers les membres du groupe. Non seulement le Canada adopte un comportement qui favorise à court terme les intérêts économiques de personnes issues des générations précédentes, mais les plus jeunes générations subiront plus longtemps et plus violemment les conséquences climatiques de l’inaction gouvernementale. Troisièmement, le Canada viole le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité figurant à l’article 46.1 de la Charte québécoise. Bien que ce droit spécifie une protection « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi », le gouvernement du Canada agit en contrevenant à ses obligatoires découlant de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.Où en sont les démarches ?
Après le dépôt de la demande d’autorisation d’exercer une action collective le 28 novembre 2018, ENvironnement JEUnesse a présenté sa demande d’exercer une action collective à la Cour supérieure du Québec le 6 juin 2019. Le 11 juillet 2019, la Cour supérieure du Québec a rendu son jugement dans lequel elle refuse d’accorder à ENvironnement JEUnesse l’autorisation d’exercer une action collective au nom de tous les jeunes Québécois-e-s de 35 ans et moins contre le gouvernement du Canada. Selon le juge Morrison, « [c]ompte tenu de la nature de l’action collective que [ENvironnement JEUnesse] veut exercer et de la nature des prétendues atteintes aux droits fondamentaux des membres putatifs, le choix de l’âge de 35 ans par [ENvironnement JEUnesse] comme âge maximal des membres laisse le Tribunal perplexe. (…) Mais, pourquoi choisir 35 ans? Pourquoi pas 20, 30 ou 40 ans? Pourquoi pas 60 ans? » Néanmoins, les questions importantes ont été tranchées en faveur d’ENvironnement JEUnesse : le juge reconnaît que l’impact des changements climatiques sur les droits humains est une question justiciable et que les actions du gouvernement dans ce domaine sont assujetties aux Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. Par ailleurs, il est évident que les plus jeunes générations sont parmi les plus affectées par les changements climatiques. Le 16 août 2019, ENvironnement JEUnesse a porté le jugement en appel; une nouvelle audience a eu lieu devant les juges de la Cour d’appel du Québec le 23 février 2021. Au moment d’écrire ces lignes, la décision n’avait pas encore été rendue.Quel est l’objectif?
ENvironnement JEUnesse demande à la Cour d’ordonner au gouvernement canadien d’adopter une cible de réduction des émissions de GES qui respecte les droits fondamentaux des membres de l’action collective, de mettre en œuvre un plan d’action crédible et de le condamner au versement d’une somme équivalant à 100 $ par membre. Au total, le fonds représenterait 340 millions de dollars investis dans la mise en œuvre de mesures qui permettraient de répondre à la crise climatique. Si ces demandes paraissent ambitieuses, elles s’inspirent largement de plusieurs démarches similaires qui ont connu des succès à travers le monde. Aux Pays-Bas, le gouvernement s’est vu forcé de se doter d’un plan concret pour atteindre sa cible climatique. Ce gouvernement est légalement tenu de réduire ses émissions de GES d’au moins 25 % d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990. Des poursuites climatiques ont lieu notamment en France, aux États-Unis, en Belgique, en Norvège, en Irlande, en Suisse, en Nouvelle-Zélande et en Colombie. Le 11 octobre 2021, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a reconnu le lien de causalité entre l’inaction des États contre le réchauffement climatique et le préjudice réalisé à l’encontre des droits de l’enfant, plus spécifiquement de ses droits à la vie, à la santé et à la culture. Pour Ann Skelton, membre du Comité, « la nature collective des causes du changement climatique ne peut pas absoudre un État de ses responsabilités individuelles. » Enfin, les enfants et les jeunes, en particulier celles et ceux subissant des inégalités, sont les personnes ayant le moins contribué à la crise climatique, et qui ont le plus à perdre face à l’inaction et à la complaisance de nos gouvernements. Si l’on n’agit pas de manière urgente pour atténuer les changements climatiques et s’y adapter, c’est l’ensemble des droits de l’enfant qui sont menacés. Les jeunes ne sont pas que beaux ou inspirants ; elles et ils détiennent des droits comme personne, et exigent des réponses et des mesures conséquentes qui vont aussi loin que l’exige la crise climatique.Pour aller plus loin
ENvironnement JEUnesse. 2021. ENvironnement JEUnesse vs Canada. En ligne : https://enjeu.qc.ca/justice/ ENvironnement JEUnesse. 2020. « Groupe de travail jeunesse – Rapport présenté dans le cadre des travaux d’élaboration du Plan d’électrification et de changements climatiques (PECC) du gouvernement du Québec ». En ligne : https://enjeu.qc.ca/reaction-jeunesse-pev/L’article ENvironnement JEUnesse devant les tribunaux pour la justice climatique est apparu en premier sur Ligue des droits et libertés.

Un automne sous le signe de la diversité
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Maxim Fortin, coordonnateur, Ligue des droits et libertés-section de Québec Mélina Chasles, stagiaire, Ligue des droits et libertés-section de Québec Après quelques mois au ralenti en raison de la pandémie et du confinement, la section de Québec de la Ligue des droits et libertés (LDL-QC) met en branle plusieurs projets et activités à l’automne 2021. Encore cette année, la LDL-QC est un acteur dans le dossier du racisme systémique et du profilage policier, tout en continuant son travail d’éducation aux droits et libertés et d’autonomisation féministe. Comme nouveauté, la LDL-QC développe un projet dans le champ de la diversité sexuelle et de la pluralité de genre dans le cadre d’une collaboration avec le GRIS-Québec.Antiracisme
Sollicitée pour participer à un projet de murale et de fresque affirmant que « la vie des Noir-e-s compte » dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, la LDL-QC a soutenu la mobilisation des organisations de la communauté afro-québécoise de Québec et contribué à la réalisation de deux œuvres artistiques. Vandalisée à trois reprises, la murale est rapidement devenue un symbole autour duquel la communauté a pu se rassembler à deux reprises afin d’exprimer sa solidarité et de réclamer la reconnaissance et la fin du profilage racial à Québec. La LDL-QC travaille d’ailleurs en collaboration avec des chercheurs et chercheuses de l’Observatoire des profilages dans le but d’étudier et de documenter la pratique du profilage racial à Québec. Des témoignages sont recueillis auprès des personnes racisées et interpellées sur la route ou dans la rue par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ). Les personnes intéressées à témoigner peuvent contacter la LDL-QC. Par ailleurs, le Collectif de lutte et d’action contre le racisme (CLAR), premier organisme entièrement consacré à la défense des personnes racisées dans la région de Québec, vient d’être créé, ce qui représente une grande source de fierté pour la LDL-QC. Le Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC 03-12) et la LDL-QC, parrains de ce projet, sont à la recherche de personnes à s’y impliquer ainsi qu’à le soutenir politiquement et financièrement.Diversité sexuelle et pluralité de genre
Aussi, depuis le printemps, la LDL-QC collabore étroitement avec le GRIS-Québec et d’autres acteurs de la communauté afin de réaliser un projet portant sur les droits et discriminations associés à la diversité sexuelle et à la pluralité des genres. Ce projet comporte trois volets, soit la rédaction d’un lexique accessible au grand public, la réalisation de trois capsules informatives et l’enregistrement d’un balado. Ces trois outils visent à éduquer non seulement sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres en soi, mais également à les apprivoiser sous l’angle des différentes formes de discriminations pouvant en découler et sur les voies d’action possibles pour y remédier. Avec le récent dépôt du projet de loi 2 – qui proposait une distinction entre les mentions de sexe et de genre qui, par le fait même, requiert une intervention chirurgicale afin d’accéder à un changement de la mention du sexe – une discussion sur les enjeux entourant les discriminations et les droits des personnes issues de la diversité sexuelle et de la pluralité de genre est d’autant plus nécessaire. La diffusion du lexique, des capsules et du balado s’est déroulée sur une période de cinq jours consécutifs du 15 au 19 novembre dernier. À chaque jour, un élément a été publié et diffusé sur les différents médias de la LDL-QC et ceux du GRIS-Québec. Ces documents sont toujours accessibles via le site Web et les réseaux sociaux de la LDL-QC. Finalement, les ateliers d’éducation aux droits sont maintenant de retour grâce au renouvellement de l’équipe d’animation. Comme à chaque année, les écoles et les groupes communautaires, par exemple, peuvent participer aux ateliers. Grandement mis à mal par la pandémie, ce volet représente une partie importante de sa mission. L’équipe LDL-QC est ravie de pouvoir s’acquitter de nouveau de l’éducation aux droits.Fondée en 1994, la section de Québec se spécialise dans l’éducation aux droits auprès des jeunes en plus d’œuvrer dans les campagnes de sensibilisation contre la discrimination et l’exclusion sociale. Courriel : info@liguedesdroitsqc.org Site Web: liguedesdroitsqc.org
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Le Canada contre les enfants des Premières Nations
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Anne Levesque, professeure adjointe, programme de Common Law français, Université d’Ottawa Le 29 septembre 2021, la Cour fédérale du Canada rendait une décision dans laquelle elle refusait d'annuler une ordonnance du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) rendue en 2019, imposant au Canada d'indemniser certains des enfants des Premières Nations et leurs parents ou grands-parents pourvoyeurs de soins contre lesquel-le-s il avait discriminé de façon délibérée et inconsidérée (ordonnance d'indemnisation). Cette décision de la Cour fédérale est la dernière d'une série de plus de 25 victoires judiciaires d'enfants des Premières Nations dans le litige de près de 15 ans les opposant au gouvernement du Canada en exercice pour discrimination raciale et violation de leurs droits. Tard dans l'après-midi du vendredi 29 octobre 2021, le gouvernement du Canada dépose un appel de la décision de la Cour fédérale. Selon l’avis d’appel, le Procureur général est d’avis que l’ordonnance du Tribunal est incompatible avec la nature de la plainte, la preuve, la jurisprudence et la Loi canadienne sur les droits de la personne. Quelques heures plus tard, il annonce son intention de mettre le litige en pause afin de travailler avec les parties pour parvenir à un règlement à l’amiable. Cet article donne un aperçu de l’ordonnance d'indemnisation de 2019 du point de vue des droits des enfants. Il explique ensuite ce qui est en jeu si le gouvernement du Canada décide de poursuivre son appel devant la Cour d'appel fédérale et de poursuivre son litige contre les enfants des Premières Nations.Pourquoi l'ordonnance d'indemnisation est-elle si importante?
L'ordonnance d'indemnisation de 2019 est basée sur les conclusions initiales du TCDP en 2016 , selon lesquelles le Canada fait preuve de discrimination à l'égard des enfants des Premières Nations et de leur famille en raison de leur race et de leur origine ethnique, contrairement à l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). En particulier, le TCDP constate que le financement et la prestation de services de protection de l’enfance par le Canada créent des incitatifs à la prise en charge des enfants par l'État et perpétuent les désavantages historiquement subis par les Premières Nations au Canada.En vertu de la LCDP, une fois que le TCDP conclut à l'existence d'une atteinte à la loi, il dispose de vastes pouvoirs de réparation pour rendre des ordonnances visant à mettre fin à la conduite, empêcher toute discrimination similaire et indemniser les victimes.C'est dans ce contexte que le TCDP a rendu son ordonnance d'indemnisation en septembre 2019. Conformément aux objectifs de la LCDP visant à éradiquer la discrimination dans la société canadienne et à indemniser les victimes, le TCDP ordonne au Canada de verser 20 000 $ à certains des enfants de Premières Nations qui ont été inutilement retirés de leur famille et de leur foyer, ainsi qu’à leurs parents ou grands-parents pourvoyeurs de soins, de même qu’aux enfants à qui des services ont été refusés en vertu du principe de Jordan en compensation de la peine et des souffrances qu'elles et ils ont subies. L'ordonnance d'indemnisation contraint aussi le Canada à verser à ces victimes un montant supplémentaire de 20 000 $ étant donné que sa discrimination était délibérée et inconsidérée. Le Canada a demandé le contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour fédérale. La Cour fédérale a rejeté la demande du Canada, concluant que l’ordonnance du TCDP était raisonnable.
Deux bonnes raisons pour indemniser
L'ordonnance d'indemnisation est importante du point de vue des droits de l'enfant pour deux raisons principales. Premièrement, le TCDP décrit la discrimination de l'État envers les enfants, et les enfants des Premières Nations en particulier, comme le pire des cas de discrimination en vertu de la LCDP. Bien que cette conclusion puisse sembler évidente pour les défenseur-euse-s des droits des enfants, elle est majeure dans le contexte des lois sur les droits de la personne au Canada. Peu de plaintes pour discrimination ont été déposées au nom d'enfants au Canada. En fait, certaines lois sur les droits de la personne au Canada excluent expressément les distinctions fondées sur l'âge contre les enfants et les jeunes de la définition de ce qui constitue une discrimination illégale.Dans ce contexte statutaire, il est important de souligner la reconnaissance des enfants en tant que détentrices et détenteurs de droits et la discrimination à l'encontre des enfants et des jeunes comme étant particulièrement répréhensible.Les raisons impérieuses du TCDP expliquant pourquoi la discrimination de l'État envers les enfants et les jeunes des Premières Nations constitue le pire des cas de discrimination en vertu de la LCDP seront un encouragement pour celles et ceux qui veulent contester les lois sur les droits de la personne qui ne protègent pas les enfants et les jeunes contre la discrimination. Deuxièmement, le TCDP a statué que les victimes de discrimination au Canada, tant les enfants que leurs parents, ne sont pas tenus de témoigner de la douleur et des souffrances subies pour être admissibles à une indemnisation. Le TCDP a noté à juste titre que la LCDP n'exige pas des victimes ce témoignage. Il a ainsi jugé que « le risque de victimiser à nouveau les enfants l’emporte sur les difficultés que comporte l’établissement d’un processus visant à indemniser l’ensemble des victimes et survivants et sur le besoin que la preuve comporte le témoignage d’enfants sur les sentiments qu’a provoqués chez eux la séparation d’avec leur famille et leur communauté ».
Il est intéressant de noter que le TCDP a souligné que la preuve directe de la victime n'était même pas nécessaire étant donné que la douleur et la souffrance qu'elle a subies avaient été bien établies par d'autres sources de preuve devant lui.Par exemple, Mary Wilson, l'une des trois commissaires de la Commission de vérité et réconciliation, a fourni des preuves incontestées que les « enfants retirés de leurs parents pour être placés en famille d'accueil ont vécu des expériences similaires à celles [des enfants] qui sont allés dans les pensionnats ». De plus, de nombreux responsables canadiens ont fait des déclarations publiques soulignant que les enfants des Premières Nations et leur famille avaient subi des préjudices en raison de la discrimination raciale au Canada. La conclusion du TCDP selon laquelle les enfants des Premières Nations ne sont pas tenus de témoigner afin d'obtenir une indemnisation pour le préjudice qu'ils subissent en raison de la discrimination est un pas en avant marquant pour les droits des enfants au Canada. Il est conforme aux orientations fournies par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme qui appelle les États à développer des procédures judiciaires adaptées aux enfants. Bien que les règles de procédure de la LCDP et du TCDP ne disent rien sur la question, l'ordonnance d'indemnisation montre que les membres du panel peuvent et devraient en fait s'assurer que les procédures impliquant des enfants se déroulent en tenant compte des enfants. Il est souhaitable que l'ordonnance d'indemnisation serve de feuille de route aux autres tribunaux des droits de la personne au Canada lorsqu'ils statueront sur des plaintes de discrimination impliquant des enfants.
Les gains menacés par l’appel
Comme nous l'avons vu, en considérant la discrimination contre les enfants des Premières Nations comme le pire des cas en vertu de la LCDP et grâce à sa procédure adaptée aux enfants, l'ordonnance d'indemnisation représente un grand pas en avant pour les droits des enfants au Canada. L'appel du Canada de la décision de la Cour fédérale confirmant l'ordonnance d'indemnisation menace ces gains. L’ordonnance d'indemnisation de 2019 crée également une incitation pour le Canada à cesser sa conduite discriminatoire. Des documents gouvernementaux internes obtenus au cours du litige ont révélé que le Canada savait que son financement et sa prestation inéquitables de services d'aide sociale aux Premières Nations nuisaient aux enfants et aux familles.Malgré cela, il a fait le choix en toute connaissance de cause de poursuivre son comportement préjudiciable, car il considérait que le coût financier de mettre fin à ce comportement était trop élevé.Même après qu'il ait été jugé qu'il enfreignait la LCDP, des documents internes démontrent que le Canada a délibérément choisi de ne pas tenir compte des décisions juridiquement contraignantes du TCDP lui ordonnant de cesser son comportement discriminatoire envers les enfants des Premières Nations, parce qu'il considérait que se conformer coûtait trop cher. Les recours en matière de droits humains visent à s'attaquer au cœur des causes des violations. Face à un intimé qui s'est montré indifférent à ses obligations morales et légales, l'ordonnance d'indemnisation du TCDP fait en sorte que la discrimination envers les enfants des Premières Nations implique des conséquences monétaires notables. Cela vise à supprimer l'incitatif budgétaire à court terme pour le gouvernement, qui s'est montré focalisé sur des considérations financières pour discriminer les enfants des Premières Nations. À cet égard, l'ordonnance d'indemnisation a pour effet de dissuader les gouvernements de se livrer à d'autres formes de discrimination contraires aux lois sur les droits de la personne au Canada. Les droits humains de tous les Canadien-ne-s qui sont membres de groupes en quête d'équité sont menacés si le Canada donne suite à l'appel.
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