Revue Droits et libertés
Publiée deux fois par année, la revue Droits et libertés permet d’approfondir la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Réalisée en partenariat avec la Fondation Léo-Cormier, la revue poursuit un objectif d’éducation aux droits.
Chaque numéro comporte un éditorial, les chroniques Un monde sous surveillance, Ailleurs dans le monde, Un monde de lecture, Le monde de l’environnement, Le monde de Québec, un dossier portant sur un thème spécifique (droits et handicaps, droits des personnes aînées, police, culture, droit à l’eau, profilage, mutations du travail, laïcité, etc.) ainsi qu’un ou plusieurs articles hors-dossiers qui permettent de creuser des questions d’actualité. Les articles sont rédigés principalement par des militant-e-s, des représentant-e-s de groupes sociaux ou des chercheuses ou chercheurs.
Créée il y a 40 ans, la revue était d’abord diffusée aux membres de la Ligue des droits et libertés. Depuis, son public s’est considérablement élargi et elle est distribuée dans plusieurs librairies et disponible dans certaines bibliothèques publiques.
Bonne lecture !

Les ficelles du capitalisme de surveillance
Retour à la table des matières Revue Droits et libertés, printemps / été 2022
Cynthia Morinville, Ph. D., militante au comité environnement L’importance du capitalisme de surveillance en émergence a été soulignée par l’hebdomadaire britannique The Economist qui titrait en 2017 « Data is the new oil » – les données sont le nouveau pétrole. Si la publication libérale saluait le potentiel de croissance et de productivité d’une économie basée sur les données, leur parallèle vaut aussi pour le côté moins reluisant de l’or noir. Si le pétrole nous a précipités dans une crise sociale et environnementale, les données risquent de nous y enfoncer. Ce système économique a évidemment une empreinte écologique. Mais au-delà de l’impact environnemental d’une consommation effrénée encouragée par le capitalisme, quelle est l’empreinte écologique du capitalisme de surveillance? Quelles infrastructures soutiennent cette économie? Le capitalisme de surveillance repose d’abord sur l’exploitation de mégadonnées, souvent mieux connues sous l’appellation Big Data. Pour que ce système d’exploitation fonctionne, ces données doivent circuler et elles doivent être assemblées en banques à partir desquelles des analyses peuvent être tirées. L’internet est une condition nécessaire à l’émergence d’un capitalisme de surveillance, mais ce sont les récents développements de connectivité accélérée qui ont permis de réaliser le véritable potentiel des données massives. [caption id="attachment_14084" align="aligncenter" width="448"]
L’expansion de la sphère de connectivité
Le capitalisme de surveillance ne se nourrit pas seulement du volume des données, mais aussi de leur type et de leur qualité. On cherche donc constamment à extraire des informations toujours plus précises sur nos habitudes quotidiennes. Des données plus variées demandent aussi plus de connectivité. En terme absolu, on assiste à ce qu’on pourrait appeler une expansion de la sphère de notre connectivité. Bien sûr, les bases de données sont nourries par notre utilisation de la téléphonie mobile et ses nombreuses applications. Elles le sont également par l’intermédiaire d’une collection de cartes de points et de privilège présentées chez les détaillants qui cartographient méticuleusement nos habitudes d’achat. La liste de nos points de connexion s’agrandit rapidement pour inclure certains modèles de voiture, les poignées de porte opérationnelles à distance, les électroménagers dits intelligents nous permettant de cuisiner à partir du bureau ou encore un réfrigérateur nous rappelant d’acheter du lait. L’internet des objets promet de connecter une panoplie d’outils du quotidien à l’internet et offre des gains en efficacité en échange d’un flux ininterrompu de données. Pour réaliser ce monde connecté, il faut produire des appareils supportant la connectivité. En plus de l’empreinte écologique liée à la production d’électroménagers traditionnels, la connectivité de ces nouveaux produits à l’internet requiert de grandes quantités de matériaux et minéraux dits critiques, allant du lithium au cobalt en passant par les terres rares2. En terme simple, plus de connectivité va de pair avec plus de production et d’extraction.Ces données sont stockées dans des centres de données ayant non seulement une empreinte écologique notable à la production, mais aussi une importante empreinte énergétique à l’utilisation.Toutefois, l’empreinte écologique du capitalisme de surveillance ne se limite pas à la production d’appareils technologiques. En effet, l’utilisation de ces technologies a aussi un impact environnemental. Le capitalisme de surveillance repose sur le stockage massif de données qui nécessite un volume grandissant de serveurs. Selon la firme allemande Statista, spécialisée en données concernant les marchés et la consommation, à la fin de 2021, 79 zetabytes3 de données avaient été générées mondialement. On s’attend à ce que ce volume, qui atteignait à peine 2 zetabytes en 2010, surpasse les 180 zetabytes en 2025. Ces données sont stockées dans des centres de données ayant non seulement une empreinte écologique notable à la production, mais aussi une importante empreinte énergétique à l’utilisation. [caption id="attachment_14085" align="aligncenter" width="448"]

Le développement de cet univers connecté a aussi un impact important sur la production de déchets. Le progrès technologique accélère l’obsolescence de ces technologies et raccourcit le cycle de vie de nos appareils.Les changements technologiques sont tels que le réseau 5G ne pourra passer par la même grille de connexion que son prédécesseur. Qu’adviendra-t-il alors de l’infrastructure actuelle? Dans certains endroits, comme les grands centres urbains où l’espace est un enjeu, elle sera remplacée, mais elle sera sans doute aussi laissée en place dans d’autres endroits où son démantèlement serait moins rentable. Dans ces endroits où le recyclage ne saurait générer de nouvelles opportunités économiques, elle deviendra l’artéfact d’une ère révolue un peu comme les stations radars du réseau d’alerte avancé (aussi appelé réseau DEW) qui parsème le territoire nordique de l’Alaska à l’Islande en passant par le Canada et le Groenland. Construites dans les années 1950, ces stations avaient nécessité plus de 30 000 tonnes de matériel acheminées par bateaux et avions afin de construite une ligne de défense visant à détecter les bombardiers soviétiques. Aujourd’hui, ce legs d’une autre époque et cette conception de la surveillance sont principalement laissés à une désintégration millénaire au gré des éléments et cela nous rappelle que la durée de vie courte de nos technologies ne raccourcit pas leur pérennité lorsqu’elles atteignent la fin de vie. Alors qu’on nous promet des gains en efficacité et durabilité, la facture environnementale des technologies de l’information qui soutiennent le capitalisme de surveillance est appelée à grossir de pair avec la croissance de ce modèle économique.
- Pour une exploration fascinante de l’envers de l’internet voir Andrew, Blum, 2012, Tubes: A Journey to the Center of the Internet. New York : Ecco.
- Anthony Y. Ku, 2018. Anticipating critical materials implications from the Internet of Things (IOT): Potential stress on future supply chains from emerging data storage Sustainable Materials and Technologies, 15, 27-32. Le terme « terres rares » désigne un ensemble de 17 éléments du tableau périodique reconnus pour leurs propriétés magnétique et conduc- trice. Les gisements de terres rares coïncident souvent avec ceux d’autres éléments plus dangereux tels que l’uranium, le thorium, l’arsenic, le fluor et divers métaux lourds pouvant rendre leur extraction particulièrement dommageable pour l’environnement.
- Un zetabyte est égal à 1 000 000 000 000 gigabites (GB), mille milliards de GB, ou 1012
- En ligne : https://wgstatic.com/gumdrop/sustainability/google-2021- environmental-report.pdf
- En ligne : https://www.itu.int/en/ITU-T/climatechange/Documents/ITU%20 AI4EE%20-%20George%20KAMIYA.pdf
- Ces équivalences sont tirées du Global E-Waste Monitor 2017, et ajustées avec les données mises à jour en 2019
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Les dangers de la lutte contre les méfaits en ligne – Proposition du gouvernement du Canada
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Revue Droits et libertés, printemps / été 2022
Tim McSorley, coordonnateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC)
Au cours des deux dernières décennies, nous en sommes venu-e-s à dépendre des plateformes en ligne pour des besoins de base, la communication, l’éducation et le divertissement. En ligne, nous voyons le bon – l’accès à des informations autrement difficiles à trouver, la communication avec des êtres chers – et le mauvais. Le mauvais englobe souvent des méfaits que nous connaissons bien, notamment les discours haineux, le racisme, la misogynie, l’homophobie, la transphobie, l’exploitation sexuelle de mineurs, l’intimidation et l’incitation à la violence, avec de nouvelles formes de harcèlement et d’abus qui peuvent se produire à une échelle beaucoup plus grande, et avec de nouveaux moyens de diffuser des contenus préjudiciables et illégaux.
Plusieurs sites de médias sociaux se sont engagés à remédier à ces méfaits. Toutefois, les modèles commerciaux axés sur la rétention de l’engagement de l’utilisateur, peu importe le contenu se sont avérés être incapables d’y parvenir. Les chercheurs ont constaté que lorsque ces plateformes en ligne suppriment du contenu préjudiciable, ce sont souvent les communautés qui subissent du harcèlement qui subissent le plus de censure. Par ailleurs, des gouvernements à travers le monde ont utilisé le prétexte de la lutte contre le discours haineux et les méfaits en ligne pour censurer et réduire au silence des opposants, notamment des défenseurs des droits humains.
Le gouvernement canadien promettait depuis 2019 de s’attaquer à ce problème, en le situant explicitement dans le cadre de la lutte contre la haine en ligne. Fin juillet 2021, le gouvernement a finalement dévoilé son projet pour s’attaquer aux méfaits en ligne, en même temps qu’il amorçait une consultation publique. Le fait que la consultation ait lieu au cœur de l’été, avec une élection imminente à l’horizon, a immédiatement suscité des inquiétudes. Quand les élections ont été déclenchées quelques semaines plus tard, les tables rondes avec des représentant-e-s du gouvernement qui pouvaient répondre aux questions concernant le projet ont été annulées.
L’approche du gouvernement était mauvaise et le projet lui-même encore pire. Comme l’a décrit Daphne Keller, chercheuse en cyberpolitique, la proposition initiale du Canada était « comme une liste des pires idées dans le monde – celles que les groupes de défense des droits humains – combattent dans l’UE, en Inde, en Australie, à Singapour, en Indonésie et ailleurs ».
Les chercheurs ont constaté que lorsque ces plateformes en ligne suppriment du contenu préjudiciable, ce sont souvent les communautés qui subissent du harcèlement qui subissent le plus de censure.
Quels étaient certains de ces problèmes?
Tout d’abord, plusieurs groupes ont exprimé des inquiétudes sur la portée de la proposition qui tentait de créer un seul système pour traiter cinq types de méfaits très différents – le discours haineux, le partage non consensuel d’images intimes, le matériel d’abus sexuel d’enfant, le contenu incitant à la violence et le contenu terroriste – et qui nécessitaient des solutions distinctes et spécifiques. En effet, ce qui est efficace dans un cas peut être inutile, voire nuisible, dans un autre.
Ensuite, l’inclusion du contenu terroriste était problématique en soi. Depuis que le Canada s’est joint à la guerre contre le terrorisme en 2001, nous avons vu comment l’application des lois sur le terrorisme a mené à la violation de droits humains, en particulier parce que la définition de terrorisme peut être détournée à des fins politiques. Pourtant, on voulait demander à des entreprises de médias sociaux d’identifier le contenu terroriste et, sur cette base, de signaler ce contenu et ses utilisateurs-trices à la police. C’était la recette parfaite pour induire du profilage racial et politique, en particulier envers les musulman-e-s, les autochtones et d’autres groupes de personnes racisées, et la violation de leurs droits et libertés.
Troisièmement, le projet aurait créé un nouveau et vaste régime de surveillance, appliqué par les entreprises de médias sociaux. Ces entreprises seraient ainsi tenues de surveiller tout le contenu visible et publié sur leurs plateformes au Canada, de le filtrer pour détecter les méfaits et de prendre « toutes les mesures raisonnables » pour bloquer le contenu préjudiciable, même en utilisant des algorithmes automatisés. Les plateformes devraient aussi agir dans un délai de 24 heures contre tout contenu signalé par des personnes utilisatrices – un délai incroyablement court. Avec des pénalités pouvant atteindre des millions de dollars, les plateformes auraient été incitées à supprimer le contenu d’abord, quitte à en assumer les conséquences par la suite. Cela serait une incitation massive à la censure de contenus controversés, même légaux.
Comme quatrième problème identifié, notons celui des nouvelles règles qui obligeraient les plateformes à partager automatiquement des informations avec les forces de l’ordre et les agences de sécurité nationale, privatisant encore davantage la surveillance et la criminalisation des internautes. Cela signifiait non seulement que les plateformes décideraient quel contenu supprimer, mais aussi qui et quoi devrait être signalé à la police. Comme l’ont souligné plusieurs critiques, impliquer davantage la police et les agences de renseignement n’est pas une approche souhaitable quand il s’agit de traiter les préjudices causés à des groupes qui font déjà face à des niveaux de criminalisation plus élevés.
Pourtant, on voulait demander à des entreprises de médias sociaux d’identifier le contenu terroriste et, sur cette base, de signaler ce contenu et ses utilisateur-trice-s à la police. C’était la recette parfaite pour induire du profilage racial et politique […]
Le projet a aussi avancé l’argument ahurissant, qu’on devrait accorder au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), sans justifications, une nouvelle forme de mandat qui simplifierait le processus pour obtenir les données de base sur les abonnés, ceci afin de faciliter les enquêtes sur les méfaits en ligne. Cela survient à un moment où des tribunaux ont critiqué le SCRS pour avoir enfreint des exigences de mandats plus strictes déjà en place.
Finalement, l’une des leçons claires tirées d’autres pays est la nécessité d’établir des règles rigoureuses en matière de transparence et de reddition de comptes, tant pour les plateformes que pour l’organisme responsable d’appliquer la réglementation sur les méfaits en ligne. Malheureusement, le projet du gouvernement canadien ne prévoyait pas de divulgations publiques significatives et comportait très peu d’exigences de transparence et de reddition de comptes.
Derniers développements
En février 2022, le ministère du Patrimoine a publié un rapport intitulé Ce que nous avons entendu, dans lequel il reconnaissait plusieurs des questions valables concernant l’approche du gouvernement. Il a annoncé un nouveau processus de consultation mené par un nouveau groupe consultatif d’expert-e-s pour examiner ces questions et formuler des recommandations sur ce que devrait être l’approche du gouvernement. Il est important de noter que le processus et les délibérations du groupe seront rendus publics.
Nous en sommes maintenant aux toutes premières étapes de ce processus. D’un côté, nous pouvons considérer qu’il s’agit d’une victoire : des groupes issus de secteurs très différents ont ensemble fait part de leurs préoccupations concernant un projet législatif vicié, et le gouvernement a accepté de le revoir. Cependant, une première lecture des documents d’orientation du nouveau projet envoie des messages contradictoires.
Le gouvernement semble concéder qu’un système basé principalement sur la suppression de contenu et sur une surveillance accrue est inacceptable. Les documents d’information mettent aussi davantage l’accent sur la protection de la liberté d’expression et de la vie privée.
En même temps, ces documents s’appuient explicitement sur un nouveau modèle britannique, présenté dans un projet de loi sur la sécurité en ligne et connu sous le nom de devoir de diligence. Bien que ce modèle soit basé sur l’idée que les plateformes doivent assumer la responsabilité de leurs actions, il a aussi été l’objet de vives critiques pour cibler lui aussi les contenus lawful but awful (légal mais ignoble). Par légal mais ignoble, on entend des contenus et des activités qui, bien que légaux, peuvent être considérés comme préjudiciables. Le problème est que les plateformes seraient non seulement tenues de déterminer si un contenu est illégal – ce qui peut déjà être difficile – mais aussi si un contenu légal doit être considéré comme préjudiciable. Ce flou pourrait conduire à une suppression et à une censure encore plus large de contenus.
Parallèlement à la nouvelle approche, l’idée de traiter les cinq mêmes méfaits dans le cadre d’un seul système demeure envisagée ainsi que le signalement obligatoire aux forces de l’ordre, bien que formulée différemment.
Divers groupes, dont la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC), continuent de travailler ensemble pour répondre aux propositions du gouvernement et pour développer des réflexions sur la meilleure façon de combattre les méfaits en ligne. Il s’agit manifestement d’un problème complexe, et il est plus facile d’en pointer les défauts que de développer des solutions concrètes. Ce qui semble clair, cependant, est que le fait de donner aux plateformes en ligne privées le pouvoir d’exercer une surveillance accrue et de supprimer du contenu non seulement ne résoudrait pas le cœur du problème, mais créerait davantage de dommages. Les gouvernements doivent plutôt investir dans des solutions hors ligne pour combattre les racines du racisme, de la misogynie, du sectarisme et de la haine. Il est tout aussi important que les gouvernements s’attaquent aux modèles commerciaux des plateformes de médias sociaux qui tirent profit de la surveillance et utilisent des contenus qui provoquent l’indignation et la division pour susciter l’engagement et fidéliser le public. Tant qu’il y aura des profits à faire en alimentant ces préjudices, nous ne pourrons jamais les éliminer vraiment.
Le problème est que les plateformes seraient non seulement tenues de déterminer si un contenu est illégal – ce qui peut déjà être difficile – mais aussi si un contenu légal doit être considéré comme préjudiciable. Ce flou pourrait conduire à une suppression et à une censure encore plus large de contenus.
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Les deux années de pandémie n’auront pas été une école de la démocratie
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Stéphanie Mayer, Ph. D., enseignante de science politique au Cégep, vice-présidente de la Ligue des droits et libertés Pour les fins de la mémoire collective, il importe de rappeler quelques pans de l’histoire pandémique des derniers mois. En vertu de la Loi sur la santé publique du Québec, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), par la voix du premier ministre François Legault, a déclaré le 13 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire (EUS) dès les premiers moments de la pandémie de la COVID-19. Notons que l’EUS est une disposition exceptionnelle qui permet à l’État d’agir en contexte d’urgence, c’est-à-dire lors d’une situation extraordinaire qui demande une attention immédiate. Dans de telles circonstances, tous et chacun-e a la juste attente que le gouvernement y apporte toute son attention par-delà la partisanerie. De plus, très peu contestent qu’une fois la COVID-19 déclarée mondiale, il y avait urgence d’agir, ni la part d’improvisation que cette pandémie impliquait. Selon la Ligue des droits et libertés (LDL), cette situation n’excuse pas les dérapages et les violations de droits humains auxquels sa gestion a donné lieu (pensons aux couvre-feux, aux nombreux constats d’infraction, à la limitation du droit de manifester, au déni de droits aux personnes itinérantes ou incarcérées).Banalisation de l’état d’urgence sanitaire et les tendances autoritaires de la CAQ
Deux ans plus tard, après des ressacs et des vagues de contagion ainsi que des variations sur les mesures populationnelles, l’EUS est encore en place, ayant été renouvelé 113 fois en date du 18 mai 2022, aux 10 jours environ comme le permet la loi, sans consulter les parlementaires. Pour la LDL, il est devenu évident que le gouvernement s’accommode bien des pouvoirs conférés par cette loi, qu’il considère les consultations citoyennes et les débats démocratiques comme du sable dans l’engrenage de sa gestion de la pandémie. Plusieurs des ténors de la CAQ – son chef a fortiori – agissent comme des chef-fe-s d’entreprises ou des pères de famille alliant autoritarisme et paternalisme – par chance, le discours guerrier contre la COVID-19 ne nous a pas été resservi. On nous a demandé d’être dociles, de respecter les consignes, de se faire vacciner, d’être patient-e-s. Notre confiance comme un chèque en blanc : on ne nous a jamais demandé notre avis directement ou si peu, indirectement par le truchement des élu-e-s au Parlement à Québec. Sans nier le caractère extraordinaire de la pandémie, des voix se sont élevées depuis plus d’un an pour exiger la fin de l’EUS et le rétablissement des débats parlementaires à l’Assemblée nationale (AN). D’ailleurs, une campagne à l’initiative de la LDL a été lancée en mai 2021, appuyée par 128 organisations de divers horizons, pour réclamer la fin de l’état d’urgence au Québec. Malgré le soutien manifesté à l’endroit de notre campagne, il faut rappeler combien il était – et il demeure – difficile de formuler un discours critique à l’encontre des mesures du gouvernement sans se voir délégitimer ou reléguer à la posture fourre-tout de complotistes ou d’antivaccins. Plus encore il a fallu – et il faut encore – user d’une imagination communicationnelle pour susciter un peu d’indignation à l’égard du maintien banalisé de l’EUS. Or, il nous semble que ce dernier soit une normalisation d’une gestion autoritaire des questions sociales par le gouvernement et une perte évidente de pratiques démocratiques.Notre confiance comme un chèque en blanc : on ne nous a jamais demandé notre avis directement ou si peu, indirectement par le truchement des élu-e-s au Parlement à Québec.[caption id="attachment_14076" align="aligncenter" width="448"]

« Fausse levée de l’état d’urgence sanitaire » : le projet de loi 28 est une illusion
Affirmer que le gouvernement de CAQ apprécie les pouvoirs conférés par l’EUS et qu’il y trouve son confort serait un euphémisme comme en atteste le PL 28 – Loi visant à mettre fin à l’état d’urgence – déposé le 31 mars 2022 par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé. On aurait tort de faire confiance au titre, car le PL 28 ne vise pas dans les faits à mettre fin à l’EUS; au contraire, il le prolonge. En l’état, le PL 28 permet au gouvernement de se prévaloir de différents pouvoirs discrétionnaires (résultant de décrets, mesures et arrêtés adoptés sous l’état d’urgence sans consultation parlementaire), jusqu’au 31 décembre 2022. La LDL n’a pas raté l’occasion d’aller devant la Commission de la Santé et des Services sociaux du Québec, le 6 avril 2022, pour dénoncer ce qui nous semble une aberration en termes de droits humains et de pratiques démocratiques. La LDL devant la Commission s’est exprimée en ces termes : À vrai dire, le PL 28 propose une sortie progressive de l’état d’urgence afin de prolonger les mesures d’urgence qui avantagent et protègent le gouvernement et non la population. [Si le PL 28 est adopté, il aura] pour effet de maintenir un droit des rapports collectifs de travail d’exception dans les domaines de la santé et de l’éducation en conférant [au gouvernement] la noblesse d’un vote de l’Assemblée nationale. [Si le PL 28 est adopté, il] n’absout en rien deux années de gestion autoritaire et ne corrige d’aucune façon l’absence de débats ou de mécanismes consultatifs ayant entouré l’adoption effrénée d’une pléthore de décrets et d’arrêtés ministériels depuis mars 2020 (Mémoire de la LDL, avril 2022)1. Si le PL 28 est adopté à l’AN, ce sera parmi les premiers véritables débats parlementaires et probablement l’un des derniers, au sujet la gestion de la pandémie par le gouvernement de la CAQ, en raison de l’imminence du déclenchement des élections provinciales. Dans le parlementarisme québécois et devant un gouvernement majoritaire, le rôle conféré aux partis de l’opposition dans notre démocratie représentative reste réduit et depuis deux ans, quasiment nul. À ce titre, rappelons que François Legault s’est fait élire en promettant de réformer le mode de scrutin et que le PL 39 – Loi établissant un nouveau mode de scrutin – a été abandonné, lequel envisageait de mettre en place un mode de scrutin proportionnel avec compensation régionale. Le maintien de l’EUS a permis de mettre hors champ des débats parlementaires la question de la gestion par la CAQ de la pandémie et plus largement, celle de la santé et de son système public affaibli par des années de politiques néolibérales. Il ne faut pas être dupes du calendrier électoral automnal! Il est quasiment impossible que le ministre Dubé rende des comptes de sa gestion des deux dernières années devant l’AN dans les délais prévus par la Loi sur la santé publique du Québec avant que la chambre ne soit dissoute et les élections déclenchées. En d’autres mots, le gouvernement tente, avant les élections, d’avoir l’assentiment des parlementaires pour se laver les mains de toute reddition de compte concernant la gestion pandémique et de ses abus avérés de la disposition de l’EUS.Prendre soin de nos solidarités pour lutter et faire société
Face à tous les gouvernements et plus particulièrement lorsqu’il se révèle être si ouvertement favorable à des politiques publiques d’austérité et lorsqu’il adopte des pratiques autoritaires de gestion de la population, comme c’est le cas pour la CAQ, les titulaires des droits – c’est-à-dire nous – ont le besoin voire le devoir d’être solidaires et organisé-e-s pour remettre les autorités face à leurs devoirs en termes de droits humains et de pratiques démocratiques, pour exposer nos vues sur l’immédiat et l’avenir. Or, le maintien sur la durée de l’EUS illustre notre lente accoutumance à la gestion bureaucratique et autoritaire du social : ce qui est à l’antipode d’une l’école de la démocratie. Si le néolibéralisme altère subtilement les relations sociales, nous soumettant à des logiques de performance et de compétition mutuelle, la pandémie de la COVID-19 aura, pour sa part, exacerbé ce mouvement de manière pernicieuse en faisant des autres des dangers : des transmetteurs de la maladie. Le spectre de la contagion affectera durablement nos manières d’interagir, de s’approcher, de se soutenir, d’être ensemble, de s’aimer, de s’entraider... L’individualisme, l’isolement et la peur d’être contaminé-e-s par les autres ont mis à rude épreuve nos solidarités, des conditions qui laissent le champ libre à des gouvernements peu démocratiques.Les titulaires des droits – c’est-à-dire nous – ont le besoin voire le devoir d’être solidaires et organisé-e-s pour remettre les autorités face à leurs devoirs en termes de droits humains et de pratiques démocratiques, pour exposer nos vues sur l’immédiat et l’avenir.Saviez-vous que la Ligue des droits et libertés fêtera en 2023 son 60e anniversaire? Le contexte nous force à admettre que la défense collective des droits humains et leur réalisation reste tributaire des mobilisations sociales. La pandémie de la COVID-19 aura brutalement rappelé la précarité structurelle des droits sociaux au Québec (par exemple : la santé, l’éducation, le logement, la culture, le travail) et pour la réalisation pleine et entière des droits humains, leur interdépendance demeure une condition. Alors que l’avenir est incertain, les luttes en faveur des droits humains devraient être un lieu de convergence afin que la société soit plus juste, inclusive et solidaire. Heureusement, le calendrier des activités du 60e anniversaire de la LDL permettra, entre autres, de prendre la mesure des luttes sociales et politiques conduites depuis 1963 et celles qui nous attendent collectivement, voilà déjà une belle manière de prendre soin de nos solidarités pour continuer à faire société.
- En ligne : https://liguedesdroits.ca/memoire-le-pl-28-est-une-illusion-letat-durgence-continue/
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Qu’est-ce que le capacitisme ?
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Laurence Parent, Ph. D. en études critiques du handicap Le terme capacitisme est une traduction du terme anglais ableism qui tire ses origines des études du handicap anglo-saxonnes. Fiona K. Campbell, professeure en sciences du handicap à l’Université Griffith en Australie, définit le capacitisme comme un système de croyances, de processus et de pratiques qui produit un‑e citoyen‑ne typique capable de travailler et de contribuer à la société d’une manière uniforme et standardisée (ex. : travailler 40 heures par semaine et plus, se nourrir sans aide humaine, comprendre les codes sociaux, etc.). Une des conséquences du capacitisme est la discrimination fondée sur le handicap telle que nous la connaissons dans les textes de droits de la personne. À l’instar d’autres systèmes d’oppression tels que le racisme et le sexisme, le capacitisme repose sur une panoplie de représentations stéréotypées et fausses (ex. : les personnes handicapées ont besoin d’être protégées, elles n’ont pas de vie sexuelle, etc.). Le collectif français féministe et anti‑capacitiste Les Dévalideuses définissent le capacitisme comme un « système d’oppression subi par les personnes handicapées du fait de leur non-correspondance aux normes médicales établissant la validité».« L’idéologie validiste[1] postule que les corps non correspondants, jugés handicapés, ont alors moins de valeur. Ils sont naturellement considérés comme inférieurs, et donc discriminables[2]. »Le capacitisme prend plusieurs formes puisqu’il infuse toutes les sphères de la société. « Il peut se manifester par un rejet franc (insultes, maltraitances, silenciation, stigmatisation, refus d’inclusion…) mais se cache aussi souvent sous des allures de validisme bienveillant » (infantilisation, pitié, aide non sollicitée…). », expliquent Les Dévalideuses. Talila «TL» Lewis, organisateur communautaire et avocat pour les droits des personnes handicapées aux États‑Unis, explique qu’il est impossible de dissocier le capacitisme des autres systèmes d’oppression puisque le capacitisme repose sur des idées construites qui sont « profondément enracinées dans le racisme anti‑noir, l’eugénisme, la misogynie, le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme[3] ». En bref, les chercheur‑e‑s et militant‑e‑s anti‑capacitistes revendiquent la nécessité de déconstruire le capacitisme et ses impacts afin de créer un monde réellement accessible et inclusif. S’intéresser au capacitisme permet en effet d’aller au‑delà de ce qui est légalement reconnu comme de la discrimination fondée sur le handicap et d’approcher le handicap d’une perspective critique pour ainsi mieux s’attaquer aux sources des injustices et des inégalités vécues par les personnes handicapées.
[1] En France, le terme validisme est employé. [2] En ligne : http://lesdevalideuses.org/les-devalideuses/notre-manifeste [3] En ligne : https://www.talilalewis.com/blog/january-2021-working-definition-of-ableism
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Le capitalisme de surveillance

Table des matières
Dossier : Le capitalisme de surveillance Éditorial et chroniquesTÉLÉCHARGER LE PDF
Lancement de la revue I 7 juin 2022
https://youtu.be/--I9_marEisDossier | Le capitalisme de surveillance : menaces à la démocratie et aux droits!
TÉLÉCHARGER LE PDFPrésentation
Le capitalisme de surveillance : menaces à la démocratie et aux droits! Elisabeth Dupuis
État des lieux
Une crise pour les démocraties Shoshana Zuboff
Lexique du capitalisme de surveillance Martine Éloy
À la lumière du droit international des droits de la personne Silviana Cocan
Une « culture de surveillance » Stéphane Leman-Langlois
Pas de quoi contrecarrer le modèle d’affaires des GAFAM Anne Pineau
Discriminations et exclusions
Forces policières et capitalisme de surveillance Dominique Peschard
Le secteur de l’intelligence artificielle et l’embourgeoisement de Parc-Extension Collectif de chercheur-euse-s et militant-e-s
La ville intelligente : Qu’ossa donne? Entrevue avec Lyne Nantel par Martine Éloy et Dominique Peschard
La dissolution de la société dans le capitalisme de surveillance Laurence Grondin-Robillard et Jacob Boivin
Le capitalisme de surveillance like la fracture numérique Lise Chovino et Catherine St-Arnaud-Babin
Perspectives et alternatives
Quelles réponses, quelles ripostes? Pierre Henrichon
Renforcement de la vie privée et éthique du design numérique Marie-Pier Jolicoeur et Michelle Albert-Rochette
Mobilisations et médias sociaux : quelles opportunités et quels enjeux ? Anne-Sophie Letellier et Normand Landry
Quelle place pour le droit de dire non à l’intelligence artificielle? Entrevue avec Fatima Gabriela Salazar Gomez par Lynda Khelil
Devenez membre pour recevoir votre exemplaire!
En plus du dossier, la revue Droits et libertés propose des chroniques sur des sujets variés.
Éditorial Les deux années de pandémie n’auront pas été une école de la démocratie Stéphanie Mayer
Hommage à Lucie Lemonde Collectif de militant-e-s de la Ligue des droits et libertés
Un monde sous surveillance Les dangers de la lutte contre les méfaits en ligne Tim McSorley
Ailleurs dans le monde Le sel de la Terre Rémy-Paulin Twahirwa
Le monde de l’environnement Les ficelles du capitalisme de surveillance Cynthia Morinville
Le monde de Québec Retour sur la crise au Service de police de la Ville de Québec Mélina Charles et Maxim Fortin
Un monde de lecture Pour une lucidité collective vis-à-vis des GAFAM Delphine Gauthier-Boileau
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L’éducation aux droits humains – L’importance d’une approche fondée sur les droits de l’enfant
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022
Equitas – Centre international d’éducation aux droits humains Amy Cooper, responsable du savoir Jean-Sébastien Vallée, directeur de l’éducation Stephanie Nichols, directrice de communication et développement Le renforcement de connaissances, de compétences et d’attitudes respectueuses des droits humains constitue l’essentiel de notre travail en éducation aux droits humains. Pour Equitas, l’éducation aux droits humains est un processus de transformation qui commence par une prise de conscience individuelle et qui a un impact sur la communauté et la société dans son ensemble. L’éducation aux droits humains (EDH) incite toute personne (femme, fille, homme, garçon, personnes de genres divers) à revendiquer ses droits et à tenir les personnes décisionnaires responsables du respect, de la protection et de la réalisation de ses droits. L’EDH permet de prendre des mesures pour un changement social qui est conforme aux valeurs et aux normes des droits humains. Elle commande l’interaction dynamique de différents paradigmes et approches, dont l’approche fondée sur les droits humains ou sur les droits de l’enfant. Une approche fondée sur les droits de l’enfant (AFDE) permet à toute personne impliquée dans l’éducation des enfants d’avoir une vision holistique de son travail et d’outiller les enfants et les personnes qui les entourent à vivre en accord avec les valeurs des droits humains.Une approche fondée sur les droits de l’enfant (AFDE)
Une AFDE se base sur la conviction que chaque personne détient des droits par le seul fait d’être un humain, et que tous les êtres humains devraient jouir des mêmes possibilités pour réaliser leur plein potentiel. L’AFDE renforce le pouvoir des jeunes pour qu’elles et ils puissent revendiquer leurs droits tout en garantissant l’inclusion, l’égalité et la participation de toutes et tous, sans distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’âge, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine ethnique, sociale ou nationale, la propriété, la naissance, la résidence, un handicap, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, ou de tout autre aspect identitaire. L’AFDE place les jeunes au centre du processus, c’est-à-dire que leur vie, leur survie et leur développement ainsi que leurs intérêts supérieurs devraient toujours être pris en compte au moment de prendre des décisions qui les concernent. Cela signifie également que leur voix sera écoutée lors du processus décisionnel. Le but ultime de l’AFDE est que les jeunes puissent jouir pleinement de leurs droits et vivre dans des communautés où ces droits sont respectés. En intégrant les éléments d’une AFDE dans une programmation pour les jeunes, ces derniers, en tant que détentrices et détenteurs de droits, sont plus en mesure de les revendiquer, et les parents, tutrices et tuteurs, éducatrices et éducateurs, organisations et gouvernements (en tant de décisionnaires1) peuvent mieux s’acquitter de leur obligation de respecter, protéger et réaliser ces droits. Les éléments d’une approche fondée sur les droits de l’enfant Les cinq éléments principaux de l’AFDE peuvent être facilement mémorisés avec l’acronyme PLANER : Participation et inclusion, Lien aux droits de l’enfant, Autonomisation, Non- discrimination, Égalité, Responsabilité et transparence. Ces cinq éléments sont interreliés et égaux en importance, de telle sorte qu’un élément ne peut être appliqué sans tenir compte des autres. Nous incluons quelques idées ci-dessous afin de réfléchir à la manière dont ces éléments peuvent être mis en œuvre dans des activités d’éducation aux droits humains. [caption id="attachment_12502" align="alignright" width="360"]
Participation et inclusion
L’AFDE promeut la participation active, significative et volontaire des jeunes; le développement de leur capacité à participer découle de cette approche. Les voix et champs d’intérêt des jeunes doivent être pris en compte dans les décisions portant sur des enjeux qui les concernent. Pour mettre en œuvre ce premier élément lors d’activités d’éducation aux droits humains, encourager la participation et l’inclusion des jeunes en leur offrant un espace où partager leurs idées et points de vue avec leurs pairs et les adultes qui interagissent avec elles et eux, et en créant des possibilités pour qu’elles et ils puissent prendre part au processus décisionnel. Voici quelques exemples :Leur donner des ressources, du matériel et des exemples représentant une gamme de cultures, de milieux, d’expériences, de capacités et d’identités de genre; ne pas tenir pour acquis que chaque jeune connaît sa culture (par exemple, les jeunes pris en charge n’ont peut-être pas eu accès à leurs antécédents culturels).
Utiliser divers moyens pour consulter les jeunes afin que chacun-e puisse s’exprimer, y compris celles et ceux qui sont timides, plus jeunes ou qui expriment différemment leurs points de vue. Par exemple, planifier une boîte à suggestions, des groupes de discussion, des évaluations orales ou écrites ou un mur de graffitis.
Ne faire aucune supposition sur les besoins des jeunes en matière d’accès. Le leur demander plutôt directement. Par exemple, tenir compte des besoins en matière de santé physique et mentale, de restrictions alimentaires, etc., et s’assurer que les jeunes aient accès à des toilettes non-genrées.
Lien avec les droits de l’enfant
Pour mettre en œuvre ce deuxième élément lors d’activités d’éducation aux droit humains, aider les jeunes à découvrir leurs droits; à explorer comment l’accès à ces droits diffère d’une personne à une autre dans la communauté; à examiner les causes profondes des enjeux à partir d’une perspective des droits de l’enfant; à déterminer des pistes de solution novatrices liées à la réalisation de ces droits. Voici quelques exemples :Approfondir ses connaissances sur les droits humains et les droits de l’enfant et s’assurer que les collègues ont une certaine connaissance des droits. Le responsable d’une équipe fera découvrir à cette équipe les droits de l’enfant et l’importance de ces droits dans le travail de ses membres.
Accroître la visibilité des droits de l’enfant. Lorsque ces valeurs et ces droits sont visibles, il est plus facile pour les jeunes, le personnel et même les visiteur- euse-s de se familiariser avec ces valeurs et ces droits, de les intégrer et de s’y rapporter au besoin.
Autonomisation
L’AFDE promeut l’autonomisation des jeunes pour qu’elles et ils puissent revendiquer leurs droits et tenir les décisionnaires responsables des décisions qu’elles et ils prennent et qui les concernent. Pour mettre en œuvre ce troisième élément lors d’activités d’éducation aux droit humains, renforcer le pouvoir des jeunes en consolidant leur leadership et leurs compétences de vie, ce qui les aide à prendre conscience que leurs idées et talents sont des atouts indispensables à la société. Les jeunes devraient être encouragés à entreprendre des actions pour revendiquer leurs droits et prendre part à l’édification du monde dans lequel elles et ils veulent vivre. Voici quelques exemples:Offrir des possibilités de leadership; les défis de groupe et les projets d’action communautaire sont d’excellents moyens pour les jeunes de développer toutes sortes de compétences qui les aideront à devenir des membres actifs dans leur communauté et à façonner le monde qui les entoure.
Penser à la manière de partager le pouvoir afin de donner aux jeunes l’espace nécessaire pour partager leurs opinions et prendre des décisions sur des questions importantes pour elles et eux. Réfléchir à son identité, notamment sexe, genre, race, culture, situation, langue, religion, compétences, éducation, etc., et à la façon dont cela façonne sa relation avec les jeunes de son groupe.
Non-discrimination et égalité
L’AFDE promeut la non-discrimination et l’égalité, et accorde une attention particulière aux jeunes confrontés à un grand nombre d’obstacles qui les empêchent de participer et d’être inclus. Ces jeunes sont, mais sans s’y limiter, des filles, des jeunes de différentes identités de genre, des jeunes autochtones, des jeunes handicapés, des jeunes immigrés, réfugiés ou dont le statut est précaire, des jeunes sans statut d’immigration officiel, des jeunes racisés, des jeunes qui vivent dans la pauvreté ou dans une famille d’accueil. Pour mettre en œuvre ce quatrième élément lors d’activités d’éducation aux droit humains, inciter les jeunes à mieux connaître les notions d’égalité et de non-discrimination et à promouvoir ces valeurs pour s’attaquer à des enjeux comme le racisme, la réconciliation, le capacitisme, et autres. Penser à promouvoir l’égalité de genre et les normes positives en matière de genre en aidant les jeunes à découvrir qu’elles et ils peuvent être eux-mêmes malgré les stéréotypes véhiculés. Voici quelques exemples:Explorer ses propres préjugés et partis pris. Examiner dans quelle mesure la non-discrimination et l’égalité se reflètent dans les politiques et pratiques de son organisation. Penser aux personnes dans la communauté qui sont incluses dans les programmes ou qui en sont exclues, et se demander pourquoi.
Utiliser un langage non capacitiste et non sexiste et encourager les normes positives en matière de genre. Favoriser un langage non discriminatoire et qui ne juge personne. Être conscient des mots inappropriés que l’on pourrait utiliser dans ses propos de tous les jours et les remplacer par des mots qui ne blesseront pas les personnes vivant avec un handicap. Par exemple, remplacer fou par incroyable ou es-tu sourd? par laisse-moi te l’expliquer plus clairement.
Jouer un rôle actif dans la réconciliation. Apprendre, partager et enseigner l’histoire des peuples autochtones et des pensionnats; parler des cultures et des droits des peuples autochtones.
Responsabilité et transparence
Les jeunes détiennent des droits. Un grand nombre de décisionnaires sont responsables de veiller à ce que les droits des jeunes soient respectés, protégés et réalisés en leur garantissant l’accès à l’information et à un processus décisionnel transparent. Ces décisionnaires de première ligne peuvent être des éducatrices et éducateurs, des coordonnatrices et coordonnateurs de programmes, des administratrices et administrateurs, ainsi que des représentant-e-s gouvernementaux aux échelons régional et municipal, des parents, des tutrices et tuteurs, et autres personnes responsables de prendre des décisions susceptibles de toucher la vie des jeunes. Pour mettre en œuvre ce cinquième élément lors d’activités d’éducation aux droit humains, appuyer l’obligation des décisionnaires de se responsabiliser et à faire preuve de transparence en instaurant le dialogue et en renforçant les relations entre les jeunes et les personnes qui ont la responsabilité de faire respecter leurs droits, de les protéger et de les réaliser. Voici quelques exemples :Offrir des possibilités pour les jeunes d’approcher les décisionnaires par le biais de leur participation à des projets d’action communautaire, à des comités jeunesse, au conseil d’administration d’organisations, aux dialogues communautaires, à la planification et à la livraison des programmes.
Décider avec les jeunes des résultats à atteindre et des façons de les évaluer. Être flexible et motivé au moment d’intégrer les résultats (positifs ou négatifs), et les leçons apprises dans les prochaines étapes et programmes.
Conclusion
L’approche fondée sur les droits de l’enfant (AFDE) guide les personnes décisionnaires et praticiennes, comme Equitas, dans la mise en œuvre d’activités, telles que des activités ludiques et trousses pédagogiques. Les éléments qui définissent l’AFDE permettent de préparer les enfants et les personnes qui les accompagnent à vivre dans le respect des droits et dans l’exercice de leurs responsabilités.- Dans ce contexte, le terme décisionnaire désigne les personnes ayant une obligation ou une responsabilité de respecter, protéger et réaliser les droits humains. Dans le langage des droits humains, les décisionnaires sont appelés porteurs d’obligations. Au Canada, les principaux porteurs d’obligations sont les gouvernements fédéral, provincial et municipal. Il peut s’agir également d’intervenant-e-s non gouvernementaux, tels que les décideuses et décideurs dans les organisations communautaires, la direction et le personnel enseignant des écoles, ainsi que les parents et les tutrices et tuteurs.
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Mino Obigiwasin : pour l’intégrité et l’identité des enfants anicinape
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Peggie Jérôme, directrice générale de Mino Obigiwasin Propos recueillis par Rodrigue Turgeon, membre du CA de la Ligue des droits et libertés et Alexandre Carrier, militant au comité droits des peuples autochtones En 2018, des femmes de la communauté anicinape1 du Lac Simon entament une grève de la faim, exigeant que justice soit rendue à leurs enfants arrachés à leur communauté pour être placés dans des familles d’accueil blanches, perpétuant ainsi une pratique coloniale. L’organisme Mino Obigiwasin, dont il est question ici, est né suite à cette étincelle d’amour. Les représentant-e-s de la communauté ne tardent pas à répondre à l’appel au changement. La réflexion sur les actions à entreprendre s’élargit vite à mesure que débarquent les renforts des communautés sœurs de Kitcisakik, Pikogan et Long Point. Un constat s’impose : les communautés anicinapek2 sont les mieux placées pour prendre soin de leurs enfants. En à peine un mois, une première tournée de consultation éclair dans les quatre communautés mentionnées ci-haut est réalisée. Le mouvement, quoique préliminaire, est propulsé par des leaders inspirants qui partagent une vision claire et en phase avec les besoins des leurs. Les quatre conseils de bande ne tardent pas à leur confier un important mandat : jeter les bases d’un système anicinape de protection de la jeunesse, par les Anicinapek, pour les enfants anicinapek. Conscients que chaque année écoulée sans refonte fondamentale du système administré par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) risque de se solder en enfances déracinées, les leaders ne tiennent rien pour acquis. La course contre la montre continue. Ainsi, quelques mois à peine suffisent pour s’entendre sur le nom de l’organisme (Mino Obigiwasin a été proposé par une Aînée de Pikogan et signifie « bien élever l’enfant »), fonder l’entité juridique, monter une structure organisationnelle, refaire une tournée des communautés et surtout, signer en novembre 2020 une entente avec le Centre intégré de santé et des services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSSAT) en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Quelques semaines plus tard, Mino Obigiwasin assumait la prise en charge de la prestation des premiers services de protection de la jeunesse. Pour en apprendre davantage sur l’inspirante démarche d’auto-détermination de Mino Obigiwasin et pour mieux apprécier la différence que l’organisation apporte dans la vie des enfants anicinapek, nous avons rencontré sa directrice générale, Peggie Jérôme, le 28 septembre dernier, dans ses bureaux de l’Avenue Centrale, à Val-d’Or.- Aussi parfois désignée comme algonquine.
- Anicinapek désigne le pluriel d’anicinape.
Ligue des droits et libertés (LDL) : En vos mots, comment exprimez-vous la mission de Mino Obigiwasin? Peggie Jérôme : Notre mission, c’est d’offrir des services anicinapek de qualité afin d’assurer l’intégrité et l’identité des enfants anicinapek. C’est à notre image et ç’a été pensé par les 27 participant[e]s qui étaient à la consultation initiale. Conserver l’identité anicinape, c’est précieux. Déjà, on perd beaucoup notre langue; c’est dangereux, ça fait peur. Notre prise en charge des services est essentielle. Ensemble, on veut assurer à tous les enfants et à toutes les familles anicinapek un milieu de vie stable, sécuritaire, heureux et enraciné dans la culture anicinape. LDL : Comment qualifieriez-vous les relations que vous entreteniez au tout début avec le CISSSAT? Sentiez-vous une approche d’ouverture, semblaient-ils douter de votre volonté de prendre en charge ces services si importants? PJ : Non, au contraire. Le directeur de la protection de la jeunesse à l’époque, Philippe Gagné, nous connaissait un peu. Il avait travaillé en milieu anicinape. On sentait qu’il avait une belle croyance en notre prise en charge, qu’il y croyait. On sentait quand même un peu d’inquiétude, c’est sûr, de peur qu’on se plante. Quand on a commencé la négociation de l’entente, lui et moi, on s’est assis la première journée, pis on s’est dit les choses en pleine face, on a mis cartes sur table. Je lui ai demandé de ne pas nous traiter comme des personnes qui n’ont aucune connaissance, de pas agir comme un colonisateur pendant la négociation. On s’est mis des règles de base avant de commencer, et je pense que ç’a bien parti les négociations. Puis quand Caroline Roy est arrivée au poste de présidente directrice générale du CISSSAT, les choses ont vraiment roulé comme dans du beurre, elle y croyait pis elle voulait que ça marche aussi. LDL : Pour un observateur extérieur, la création de Mino Obigiwasin s’est effectuée à toute allure. Comment avez- vous vécu ça de l’intérieur, de voir votre projet prendre autant d’expansion et de responsabilités, et faire autant d’embauches en si peu de temps? PJ : Avec le recul, on voit que notre plan d’action était bien préparé. C’est pas si intimidant, ça va bien, je suis très à l’aise là-dedans. Les communautés autochtones sont habituées à gérer beaucoup de programmes pour leurs membres, comme la santé, l’éducation, les programmes sociaux, les logements et plus encore! On a réussi à bien s’entourer. On n’a pas eu peur de se tromper. On est bien résilients, nous autres, les Autochtones. [caption id="attachment_12499" align="alignright" width="357"]

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Le respect et la protection des droits des enfants, vraiment ?
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Regroupement des organismes ESPACE du Québec (ROEQ) Barbara Aberman, Agente de liaison aux dossiers politiques Janie Bergeron, coordonnatrice du ROEQ Nancy Gagnon, coordonnatrice administrative Karine Savoie, coordonnatrice aux communications et innovations Patricia St-Hilaire, coordonnatrice au programme La phrase « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » est indiquée à l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) dont le Canada est signataire et de laquelle s’inspire la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Est- ce que cette phrase aurait été oubliée par nos décideurs et décideuses lorsqu’il est question des droits des enfants? [caption id="attachment_12513" align="alignright" width="327"]
Une atteinte à l’intégrité physique de l’enfant
Compte tenu de leur état de mineur, les enfants ont des droits distincts de ceux octroyés aux adultes, notamment lorsqu’il s’agit de vie citoyenne ou pour poser certains actes : voter, conduire, se procurer des biens, etc. Cependant, lorsqu’il s’agit de violence, il ne devrait pas y avoir de différence entre les droits des adultes et ceux des enfants. Pourtant, une distinction s’applique. Au Canada, tous les enfants sont protégés contre toute forme de violence par une loi fédérale qui s’applique partout au pays. Cette loi mentionne des infractions telles que l’omission de fournir les nécessités de la vie, l’abandon d’un enfant et un certain nombre d’infractions sexuelles touchant les enfants. Mais, et malgré l’amendement adopté en 20041, l’article 43 du Code criminel canadien est maintenu et autorise les parents ou les tutrices ou tuteurs de l’enfant à user de force physique pour corriger l’enfant dans le cadre de leur mission éducative. La fessée est une forme de châtiment corporel que certains parents infligent encore aux enfants. Aucun comportement d’un enfant ne saurait justifier un acte qui, posé à l’endroit d’un adulte, constituerait une atteinte inacceptable à ses droits, à son intégrité physique ainsi qu’à sa sécurité garantie par les chartes canadienne et québécoise. Ce geste posé à l’égard d’un adulte pourrait même être considéré comme un geste criminel. Pourquoi cette pratique est-elle encore tolérée à l’endroit des enfants ? Malgré l’article 19 de la Convention, qui mentionne que l’enfant doit être protégé contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, les gouvernements canadien et québécois perpétuent des pratiques disciplinaires largement dépassées, venant gravement compromettre la sécurité et les droits des enfants. On aimerait que le Québec et le Canada présentent des fiches parfaites en matière de droits des enfants, mais l’exemple cité plus haut démontre clairement qu’il y a des manquements graves de la part de nos gouvernements concernant ces droits. Cela, sans compter les manquements quant aux droits à l’éducation et à la santé ou aux droits des enfants dont le statut d’immigration ou celui de leurs parents est précaire. Beaucoup de chemin reste encore à parcourir pour faire disparaître les clivages entre les droits des adultes et ceux des enfants.Les suites de la Commission Laurent
Au Québec, plusieurs ont suivi avec attention la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse mise en place à la suite du décès d’une petite fille de sept ans à Granby. Tout le Québec s’est indigné et cherchait à comprendre les failles du système nous ayant menés à une telle situation. Les recommand’actions issues du rapport sont claires : instituer un commissaire au bien-être des enfants, adopter une charte des droits de l’enfant et faire de la prévention. La présidente de cette Commission, Régine Laurent, a affirmé à plusieurs reprises durant les audiences qu’il faut agir ensemble afin de devenir « un Québec digne de ses enfants ». Quand ces recommand’actions seront-elles mises en oeuvre ? Cela fait plus de 30 ans que les membres du ROEQ travaillent à informer les enfants de leurs droits et de l’importance d’avoir un réseau d’adultes bienveillants autour d’eux. Déjà en 1991, lors de la sortie du rapport du Groupe de travail pour les jeunes, intitulé Un Québec fou de ses enfants, les notions de prévention des mauvais traitements et du respect des enfants peu importe leur âge étaient mises de l’avant. Comment se fait-il qu’aucun changement n’ait été constaté en 20 ans ? Malgré tous ces engagements et ces chartes, les inégalités, les injustices sociales et les nombreux drames des dernières années témoignent incontestablement du fait que les droits des enfants sont encore ignorés et bafoués. Si nos gouvernements veulent réellement faire respecter les droits des enfants, ils doivent reconnaître que les enfants doivent être considérés comme des personnes à part entière, avec les mêmes droits à la sécurité et à leur plein développement que toute citoyenne et tout citoyen.- Ministère de la Justice. En ligne : https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/vf-fv/cce- mcb/index.html/ La Cour suprême du Canada a conclu que l’article 43 était constitutionnel, mais elle en a limité considérablement l’application au recours à une force légère qui est raisonnable dans les circonstances et a donné certains exemples.
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Évaluer les répercussions sur les droits de l’enfant : Une mesure importante de la Convention
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Christian Whalen et Clara Bataller, Défenseur des enfants et de la jeunesse du Nouveau-Brunswick La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) assure une protection et une promotion des droits des enfants, que les États se sont engagés à respecter. Les évaluations des répercussions sur les droits de l’enfant (ERDE) apparaissent alors indispensables, en représentant l’outil complémentaire permettant de rendre les enfants visibles dans le processus de prise de décision des gouvernements. Néanmoins, le manque de suivi et de révision de ces évaluations peut engendrer des impacts conséquents pour les enfants et leurs droits.Évaluer les impacts
La Convention relative aux droits de l’enfant a permis de reconnaitre les enfants comme des personnes ayant des droits et des besoins spéciaux à travers 42 droits fondamentaux. Adopté en 1989 par l’ONU, elle est le premier instrument à avoir apporté des changements quant à leur protection, en les considérant comme des participants actifs dans leur propre vie et dans la société. Mais proclamer ces droits est bien plus facile que de les faire respecter. Le Comité des droits de l’enfant énonce au commentaire général no 5 une série de mesures générales d’application de la Convention. Parmi ces mesures se trouve la recommandation d’adopter des évaluations des répercussions (ou des impacts) sur les droits de l’enfant (ERDE) dans les processus décisionnels d’adoption ou de modification des lois, règlements, politiques et programmes de l’État. [caption id="attachment_12514" align="aligncenter" width="458"]
Visibiliser les enfants
Les ERDE sont des outils permettant d’évaluer les impacts potentiels d’une politique ou d’une décision particulière sur les enfants et leurs droits. Les enfants étant particulièrement vulnérables, ils peuvent être affectés de manière disproportionnée lorsque des décisions s’appliquent aux services publics dont ils disposent, tels que l’éducation et la santé. Les ERDE permettent donc de mettre en pratique la CDE, et son principe général de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une manière concrète et structurée. L’objectif est d’améliorer leur mieux-être en complétant la qualité des informations mises à la disposition des décideurs, afin de rendre les enfants visibles dans le processus de prise de décision1.Participation des enfants
Les impacts révélés par ces évaluations peuvent être aussi bien intentionnels qu’involontaires, directs ou indirects, et à court ou à long terme. Les ERDE aident à maximiser les impacts positifs tout en réduisant ceux qui sont négatifs, y compris l’identification des conséquences négatives involontaires des propositions. Elles assurent également la transparence des décisions, tout en veillant à la responsabilité des décideurs vis-à-vis des décisions prises.Elles reconnaissent l’enfant comme titulaire actif de droits plutôt qu’en tant que bénéficiaire passif de mesures, bienveillantes ou non, prises par des adultes, et encouragent la participation des enfants à l’exercice d’évaluation.Enfin, elles prennent soin de veiller spécifiquement aux répercussions sur des sous-populations d’enfants ou de jeunes particulièrement à risque2. Selon le guide d’introduction des ERDE pour le Nouveau-Brunswick, au Canada, les évaluations correctement réalisées permettent de prévenir les décideurs des conséquences de leurs décisions, offrant la possibilité d’atténuer les torts potentiellement existants. De ce fait, l’utilisation de l’ERDE améliore la qualité des décisions de politique publique et contribue à de meilleurs résultats pour les enfants dans le cadre de la CDE.
Une pratique à implanter
Par ailleurs, le Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant recommande régulièrement leur utilisation à l’ensemble des pays ayant ratifié la CDE, soit 196, afin d’évaluer les impacts de toutes les décisions relatives aux enfants dans le monde3. Ces évaluations doivent être entreprises au niveau national, régional et local, avec des changements organisationnels ou administratifs à tous les niveaux de la société.Le processus d’évaluation n’est pas récent. Il a fait ses preuves depuis ses débuts en Flandre, il y plus de vingt ans.Par la suite, le modèle a été adopté par d’autres pays du nord de l’Europe et du Commonwealth. En Amérique du Nord, les ERDE ne sont que très peu utilisées, les États-Unis étant la seule nation au monde à ne pas avoir ratifié la CDE. Parmi toutes les expériences des États, on peut déceler deux grandes tendances : i) une approche qui favorise un contrôle a priori des lois et des politiques proposées par un contrôle interne des décideurs eux-mêmes (Flandre, Pays de Galles, Nouveau-Brunswick) ; et ii) une approche qui favorise un contrôle a posteriori des lois proclamées par un organisme indépendant de défense des droits de l’enfant (Royaume Uni, Écosse, Australie).
Le modèle du Nouveau-Brunswick
Depuis 2009, le Bureau du Défenseur du Nouveau-Brunswick a plaidé en faveur de l’adoption d’un outil ERDE par le gouvernement de la province. De premières discussions ont eu lieu avec le ministre de la Justice favorable au projet, mais c’est à l’occasion d’une réforme de la Loi sur les normes d’emploi par le ministère du Travail et de ses dispositions portant sur le travail des enfants que le projet a vraiment été entamé. Des rencontres avec le Bureau du conseil exécutif ont eu lieu et le feu vert a été donné à l’établissement d’un comité interministériel avec le mandat de i) créer un outil ERDE pour les décisions du conseil des ministres ; ii) proposer un programme de formation pour l’adoption de l’outil ; et iii) identifier un mécanisme d’évaluation de l’outil. Les clés du succès de la démarche au Nouveau-Brunswick ont été : i) de faire valider le projet par le Bureau du conseil exécutif ; ii) d’avoir la codirection du projet par ce Bureau et par un expert indépendant en droits de l’enfant tel le Bureau du Défenseur ; iii) d’avoir l’appui et l’expertise technique d’UNICEF Canada, tout au long du projet ; iv) d’avoir développé un outil fonctionnel mais relativement simple ; et v) d’avoir investi suffisamment au départ dans la formation des cadres et des coordonnateurs législatifs des ministères. Le fait que le gouvernement du jour venait d’adopter un outil semblable pour les personnes handicapées à contribuer au plaidoyer en faveur des enfants. Mais l’outil ERDE a rehaussé la barre et a conduit éventuellement à l’adoption d’un meilleur outil d’analyse selon les genres et d’un nouvel outil pour les personnes handicapées. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick est donc, depuis 2013, la première administration en Amérique du Nord à avoir adopté un processus obligatoire d’ERDE pour toutes les décisions du Conseil des ministres, l’organe décisionnel central du gouvernement. Ces ERDE ont largement contribué à un changement de culture naissant en faveur des droits de l’enfant et des approches fondées sur les droits. Chaque mesure générale d’application de la CDE est renforcée lorsqu’elle est opérationnalisée en complémentarité avec d’autres mesures générales d’application. C’est le constat des efforts au Nouveau-Brunswick. Depuis dix ans déjà, la province appuie les efforts de formation des cadres et de la fonction publique en droits de l’enfant. De plus, il existe une stratégie provinciale pour mettre en œuvre le droit de l’enfant d’être protégé contre toute forme de violence. Un travail plus rigoureux est fait depuis 15 ans en lien avec la collecte de données et le partage, l’analyse des données et des indicateurs d’applications des droits de l’enfant. L’outil ERDE de la province renvoie l’analyste des programmes chargé de faire l’ERDE au rapport annuel de l’état de l’enfance afin que l’évaluation des répercussions se fasse à la lumière de données probantes. Ces outils se complètent et l’approche fondée sur les droits est renforcée de façon réciproque.L’expérience néo-brunswickoise démontre que la plus-value d’une approche ERDE par un contrôle a priori interne au gouvernement permet aux décideurs de s’autoresponsabiliser face à leurs engagements envers les enfants.Mais une approche n’exclut pas l’autre. Un meilleur contrôle est possible si l’on conjugue un contrôle a priori par l’administration avec un contrôle a posteriori rigoureux par un bureau du Défenseur. Au Nouveau-Brunswick, des premiers pas prometteurs sont faits en ce sens4. Aussi la pratique sera d’autant plus renforcée lorsque l’approche ERDE sera répandue à différent paliers de gouvernements, locaux et fédéraux5, au secteur à but non lucratif ainsi que dans le monde des affaires.
La responsabilité des élu-e-s
Le premier pas pour le Nouveau-Brunswick sera de veiller à ce que les ERDE soient pleinement intégrées à la charge ministérielle et dans l’élaboration des programmes et politiques internes des agences et ministères comme cela se fait aujourd’hui en Écosse. L’amélioration continue des efforts investis dépendra en grande partie par la reprise de travaux interministériels afin de valider et parfaire le processus des ERDE et de faire progresser cette mesure générale d’application de la CDE. Les ERDE sont un puissant mécanisme pour structurer et opérationnaliser l’engagement de l’État envers les droits des enfants, il peut aussi devenir un important vecteur de cet engagement, mais il s’en faut toutefois que les élus veuillent respecter les droits des enfants.- UNICEF Canada, Évaluations d'impact sur les droits de l'enfant : les principes fondamentaux par Unicef Canada pour le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, 3 février 2014.
- Suzanne Williams, Mary Bernstein, et al, 2015, Trousse d’outils sur les droits de l’enfant, Association du Barreau Canadien, Canadian Bar Association - Évaluations des répercussions sur les droits de l’enfant (ERDE) (org).
- Louise Sylwander, 2001, Évaluations d'impact sur les enfants : Expérience de la Suède des analyses d'impact sur les enfants en tant qu'outil de mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant, par le ministère de la Santé et des Affaires sociales et le ministère des Affaires étrangères, Suède.
- Défenseur des enfants et de la Jeunesse, Évaluations des répercussions sur les droits de l’enfant : Guide d’introduction pour le Nouveau-Brunswick.
- Justice Canada élabore présentement un outil à l’usage du ministère qui sera assortie d’un guide et d’une formation en ligne disponible à tous.
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Discipline et droits dans les unités d’enfermement pour jeunes contrevenants
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022
Nicolas Sallée, professeur, sociologie, Université de Montréal et directeur scientifique du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS) Ce texte s’appuie sur des observations réalisées durant l’automne 2015 entre les murs de l’une des unités de garde fermée pour jeunes contrevenants de Cité-des- Prairies, situé dans l’est de l’Île-de-Montréal. Chacune de ces unités peut accueillir jusqu’à 12 garçons placés en attente de leur jugement ou condamnés aux peines les plus sévères – dites de placement et de surveillance – prévues par la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA). Ces unités côtoient, dans le même établissement, des unités réservées à des jeunes n’ayant pas été condamnés, mais qui sont placés au titre de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Au Québec, l’exécution de ces deux lois est confiée au ministère de la Santé et des Services sociaux. Dans certaines régions administratives, le faible nombre de jeunes contrevenants conduit même les directions jeunesse locales à placer ces derniers au sein même des unités de protection.Le paternalisme carcéral
Ce curieux mélange des publics témoigne, au fond, de la justification paternaliste qui a historiquement entouré l’enfermement des jeunes contrevenants : si ces derniers sont privés de liberté, ce serait avant tout pour leur bien, pour les protéger et, surtout, les réhabiliter. La première Loi sur les jeunes délinquants (LPJ), adoptée en 1908, considérait ainsi les jeunes contrevenants comme des objets du droit plutôt que des sujets de droits : pourquoi en effet, se demandaient les réformateurs de l’époque, reconnaître aux jeunes des droits « qui seraient en réalité pour [eux] un moyen de se protéger contre une aide bienveillante qu’on veut [leur] apporter1 » ? Toutes les grandes réformes du droit pénal des mineurs, en particulier celles de 1984 et de 2002 au Canada, ont dès lors contribué à reconnaître des droits aux jeunes, en renforçant notamment la présence de leurs avocats à tous les stades de la procédure – de l’interpellation policière au jugement. Il y a eu, de ce point de vue, de nettes avancées, poussées notamment par les grandes conventions internationales relatives aux droits de l’enfant : au Canada, le nombre de jeunes contrevenants enfermés diminue graduellement depuis le début des années 19902. Si le paternalisme carcéral s’est tari, il serait cependant trop facile de penser qu’il a pleinement disparu. Le fonctionnement des unités de garde fermée témoigne de cette ambivalence. L’une des questions qui traversent le fonctionnement de ces unités est celle de leur proximité avec la prison. L’histoire de l’enfermement des jeunes a en effet été marquée par l’utopie de créer des lieux alternatifs à la prison et à sa violence propre. Conçu dès sa création, en 1963, comme l’un de ces lieux alternatifs, Cité-des-Prairies a pourtant été bâti avec les plans d’architecture d’une… prison à sécurité maximale. Le perfectionnement continu, dans les années 1970 et 1980, d’une structure clinique centrée sur la réhabilitation, n’a jamais pu faire oublier cette carcéralité originelle. Les euphémismes qui fleurissent le quotidien des unités – où plutôt que de cellules, de punition ou d’isolement disciplinaire, il est question de chambre, de conséquences et de mesures de retrait – n’y changent pas grand-chose : si la garde fermée n’est pas tout à fait la prison, elle n’en est jamais très loin non plus. Comme le souligne Amar, 16 ans : ici « c’est un peu la prison, mais c’est pas comme la vraie ». Cette tension est au cœur des problèmes posés aux droits des jeunes, notamment à leur droit à contester les décisions qui les concernent : puisque tout est censé être fait pour leur bien, que gagneraient-ils à s’y opposer ?La displicine
Les jeunes placés vivent dès lors une double contrainte. À la contrainte carcérale, qui comme dans toute prison, pèse sur leurs corps et leurs possibilités de se mouvoir (grillages, portes fermées, etc.), s’ajoute la contrainte spécifique de la réhabilitation, exigeant d’eux qu’ils ne se contentent pas de faire leur temps, mais qu’ils en tirent profit pour dompter leurs émotions et rectifier leurs pensées. Cette visée de transformation de soi est ambivalente. D’un côté elle permet aux jeunes de bénéficier de nombreuses activités structurantes et animées par du personnel formé et bienveillant, auxquelles ils auraient probablement plus difficilement accès dans une vraie prison. De l’autre, elle autorise le déploiement d’une discipline destinée à modeler ou au besoin à corriger, à tout moment, leurs conduites et leurs manières d’agir. Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault définissait la discipline comme un contre-droit qui, du fait de l’asymétrie de pouvoir qu’elle suppose, repose toujours sur « une mise en suspens, jamais totale, mais jamais annulée non plus, du droit3 ». On ne saurait mieux dire. Dans les unités, la discipline s’actualise notamment dans une panoplie de sanctions qui, à chaque comportement jugé indiscipliné, peuvent conduire les jeunes à être mis à l’écart de leur groupe ou de leur unité.Mais parce qu’ici, le choix des mots est une matière sensible, les éducateurs sont tenus, pour dire cette mise à l’écart, de distinguer sémantiquement les mesures d’isolement des mesures de retrait.
Les mesures d’isolement
Les premières sont les plus sensibles. Si elles sont dites d’isolement, c’est parce qu’elles sont exécutées dans une salle elle-même dite d’isolement, en béton blanc, sans fenêtre et complètement vide, à l’image des salles de contention des hôpitaux psychiatriques. Dans les années 1990, ces mesures d’isolement ont été l’objet d’alertes et de scandales publicisés qui ont conduit à leur réglementation. Adopté en 1998, l’article 118.1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) stipule désormais que « la force [ou] l’isolement […] ne peuvent être utilisés, comme mesure de contrôle d’une personne […], que pour l’empêcher de s’infliger ou d’infliger à autrui des lésions ». En 2008, une réforme de l’article 10 de la LPJ a permis d’ajouter que l’isolement « ne [peut] jamais être [utilisé] à titre de mesure disciplinaire ». Mes données le confirment : dans les unités de garde fermée, l’usage de cette mesure d’isolement apparait exceptionnel. Un seul jeune placé lors de ma période d’observation y a été confronté, à quatre reprises sur l’ensemble de ses 10 mois de placement. Si ces réglementations ont donc eu d’indéniables effets positifs, elles n’ont pas résolu tous les problèmes.Les mesures de retrait
Dans les faits, l’isolement ne se limite pas, en effet, à l’usage de la mesure qui en porte le nom. Les mesures de retrait consistent également, dans la majorité des cas, à isoler le jeune, en le plaçant dans sa chambre ou dans une chambre elle-même dite de retrait, située dans l’unité de sécurité de l’établissement. Ces mesures, excédant rarement quelques heures, sont cependant très fréquentes. Selon mes propres comptages, le jeune le plus sanctionné, durant ma période d’observation, recevait un retrait tous les deux jours, et le moins sanctionné un retrait tous les six jours. L’efficacité clinique de ces mesures, autrement dit leur adéquation aux besoins des jeunes, est souvent remise en question, tant on sait que l’isolement peut affecter la santé psychologique et le développement des jeunes. Mais parce que personne, à Cité-des-Prairies, n’isole un jeune par plaisir, les mesures de retrait suscitent des débats fréquents parmi le personnel des unités : a-t-on bien fait de le retirer ? Était-ce vraiment la solution ? N’a-t-on pas surréagi ? Aurait-on pu faire autrement ? [caption id="attachment_13262" align="aligncenter" width="259"]
Politique du privilège
La direction de Cité-des-Prairies elle-même, consciente du problème, cherche des solutions. Elle essaye d’abord d’encadrer l’usage de ces mesures, en demandant à son personnel d’en justifier par écrit la pertinence clinique, en matière de réhabilitation : après avoir haussé le ton quand il lui a été demandé de retourner dans sa chambre pour une période de transition entre deux activités, Sofiane a, par exemple, été placé en retrait durant deux heures pour « [travailler] ses réflexes de pensée lorsqu’il vit de l’injustice », comme l’écrivait son éducateur dans un logiciel dédié. Mais cette contrainte est faible, toute mesure de retrait étant au fond aisément justifiable, à condition de trouver les bons mots pour le faire. La direction de Cité-des-Prairies cherche alors, parallèlement, à en limiter l’usage en incitant son personnel à préférer l’octroi de privilèges, destinés à renforcer les comportements positifs, plutôt qu’à distribuer des sanctions pour répondre aux comportements négatifs. Si cette solution n’est pas inintéressante, elle a pour limite de ne reposer, in fine, que sur le bon vouloir des équipes éducatives.Pour leur bien?
Car au fond, il paraît illusoire de penser que tout pourra être résolu par un simple appel à l’efficacité clinique. Comme le rappelait en son temps Erving Goffman, la violence des institutions totales, au premier chef desquelles les hôpitaux psychiatriques, est précisément d’imposer aux reclus leur propre conception de ce qu’il faudrait faire pour leur bien, toute contestation étant alors susceptible d’être interprétée comme une forme de résistance au traitement4. On comprend là que si les mesures de retrait font problème, c’est aussi parce qu’elles offrent trop peu de moyens aux jeunes eux-mêmes de pouvoir les contester ou, minimalement, en interroger la légitimité. De fait, l’usage de ces mesures n’est l’objet que d’un vague encadrement juridique. L’article 10 de la LPJ, déjà mentionné plus haut, stipule ainsi seulement que « toute mesure disciplinaire prise […] à l’égard d’un enfant doit l’être dans l’intérêt de celui-ci conformément à des règles internes qui doivent être approuvées par le conseil d’administration [de l’établissement] ». La définition de ces règles internes, on s’en doute, échappe largement aux jeunes. Ces derniers se voient dès lors imposer des mesures qu’ils pourront d’autant moins contester, on l’aura compris, qu’elles pourront toujours, en dernier ressort, être justifiées par leur intérêt en matière de réhabilitation. Ces quelques observations ne visent pas à contester la bienveillance des équipes éducatives, ni à mettre en question leur professionnalisme, alors même qu’elles travaillent d’arrache-pied, dans des conditions souvent difficiles, pour tenter de sortir les jeunes de la délinquance. Elles visent à rappeler que des facteurs structurels contribuent chaque jour à fragiliser leur mandat. Parmi ces facteurs, j’ai insisté dans ce texte sur la carcéralité d’un centre qui pèse quotidiennement sur les pratiques, les interactions, les expériences. Au fond, quoi de plus logique, dans une simili-prison, que certaines pratiques se rapprochent de celles de gardiens de prison ? Si ces observations peuvent dès lors avoir une quelconque utilité, c’est d’abord pour instiller le doute quant à nos manières de faire auprès des jeunes, et nous défaire collectivement de cette évidence que, parce que l’on se donne pour objectif de les réhabiliter, l’on agit infailliblement pour leur bien.L’enfermement est, au contraire, intrinsèquement violent, même quand on le débarrasse du vocabulaire de la prison.Quelles que soient les raisons pour lesquelles ils sont là, les jeunes placés entre les murs de nos institutions publiques devraient donc avoir toutes les garanties nécessaires à connaître, défendre et revendiquer leurs droits, à commencer par ceux qui leur permettraient de contester ces mesures, que l’on se rassure parfois bien commodément à considérer comme nécessairement et systématiquement prises pour leur bien.
- J. Trépanier, La justice des mineurs au Québec : 25 ans de transformation (1960-1985), Criminologie, 19 (1), 1986, 199.
- Webster, J. Sprott, A. Doob, « The Will to Change: Lessons from Canada’s Successful Decarceration of Youth », Law & Society Review, 53 (4), 2021, p. 1092- 1131.
- Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 224.
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