Revue Droits et libertés

Publiée deux fois par année, la revue Droits et libertés permet d’approfondir la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Réalisée en partenariat avec la Fondation Léo-Cormier, la revue poursuit un objectif d’éducation aux droits.

Chaque numéro comporte un éditorial, les chroniques Un monde sous surveillance, Ailleurs dans le monde, Un monde de lecture, Le monde de l’environnement, Le monde de Québec, un dossier portant sur un thème spécifique (droits et handicaps, droits des personnes aînées, police, culture, droit à l’eau, profilage, mutations du travail, laïcité, etc.) ainsi qu’un ou plusieurs articles hors-dossiers qui permettent de creuser des questions d’actualité. Les articles sont rédigés principalement par des militant-e-s, des représentant-e-s de groupes sociaux ou des chercheuses ou chercheurs.

Créée il y a 40 ans, la revue était d’abord diffusée aux membres de la Ligue des droits et libertés. Depuis, son public s’est considérablement élargi et elle est distribuée dans plusieurs librairies et disponible dans certaines bibliothèques publiques.

Bonne lecture !

La Convention relative aux droits de l’enfant – 30 ans de mise en œuvre, mais où est l’égalité ?

10 février 2022, par Revue Droits et libertés
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022 Mona Paré, professeure, Université d’Ottawa, section de droit civil, directrice du Laboratoire (…)

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Mona Paré, professeure, Université d’Ottawa, section de droit civil, directrice du Laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les droits de l’enfant (LRIDE) La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) est le fruit de longues négociations qui ont eu lieu aux Nations Unies entre 1979 et 1989 et qui ont abouti à son adoption le 20 novembre 19891. Ces négociations ont permis de développer un texte qui est à la fois d’avant-garde et un compromis reflétant les tensions et les priorités présentes à l’époque. Composée de 54 articles, la CDE se veut une convention complète, garantissant les droits de l’enfant dans tous les aspects de sa vie, sans discrimination. L’examen de sa mise en œuvre est réalisé par le Comité des droits de l’enfant, qui fait des recommandations aux États pour améliorer la mise en œuvre de la Convention. [caption id="attachment_12507" align="alignright" width="370"] Crédit : Le droit à la diversité, Marie Valiquette, 11 ans[/caption] Plusieurs articles s’appuient sur des droits déjà énoncés dans la Déclaration des droits de l’enfant de 1959. Ceux-ci font généralement consensus, car ils se concentrent sur la protection de l’enfant ou ses droits civils, tels que le droit de l’enfant à la vie et au développement, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à la protection contre les mauvais traitements ou le droit à un nom et à une nationalité. Là où la Convention innove et où le consensus est plus difficile à atteindre est la reconnaissance de libertés fondamentales et de certains droits politiques aux enfants. Ainsi, la CDE reconnait à l’enfant la liberté d’expression, d’association et de religion, par exemple. D’aucuns sont d’avis que l’on ne devrait pas reconnaitre à l’enfant des droits qu’il n’a pas la capacité d’exercer et que cette reconnaissance détourne l’attention des droits de protection et du rôle important des parents dans la vie de l’enfant2. En somme, la CDE est d’une part un instrument qui affirme le fait que les enfants sont des personnes et des détenteurs de droits et libertés, et d’autre part un instrument qui permet de prendre en compte la condition particulière de l’enfant comme un être en développement, dépendant des adultes, et d’adapter ainsi les droits à sa situation. Le Canada a ratifié la Convention en 1991, après consultations avec les provinces. Le Québec s’est déclaré lié par décret le 9 décembre 19913. Ainsi, à la fin de 2021, nous achevons 30 ans de mise en œuvre de la CDE. Le respect des obligations découlant de traités internationaux s’impose aux États parties, qui, selon l’article 4 de la CDE, doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la Convention. Avec 196 États parties, la CDE est la plus ratifiée parmi toutes les conventions internationales de protection des droits de la personne4. Ainsi, la cause des enfants fait consensus dans la société internationale. Pourtant, il ne fait aucun doute que les droits des enfants continuent d’être violés. On a certainement fait des progrès dans le monde au niveau de la scolarisation des enfants et de la diminution de la mortalité infantile, mais il suffit d’examiner les rapports d’organisations internationales pour se rendre compte que les enfants, qui sont compris comme toutes les personnes de moins de 18 ans5, sont encore mal traités, exploités et mal nourris6. Qu’est-ce qui peut expliquer cette situation ? Ne sommes-nous pas au moins bien avancés dans la protection des droits de l’enfant au Canada et au Québec ?

La mise en œuvre des droits de l’enfant : une question d’égalité

Le problème principal est une question d’inégalité. Dans toutes les sociétés du monde, les enfants n’ont pas la même capacité juridique que les adultes. Ils peuvent difficilement faire valoir leurs droits. N’ayant pas le droit de vote, ils n’ont pas non plus de poids politique pour faire pression sur les gouvernements. Ainsi, on a beau leur reconnaitre des droits, ceux-ci restent souvent théoriques et mal appliqués.
On ne consulte pas les enfants dans le développement de politiques et de lois ; on ne les place pas au cœur des décisions et des allocations budgétaires ; on s’attend à ce que leurs parents ou tuteurs appliquent et fassent respecter leurs droits.
Au Canada, la mise en œuvre des droits de l’enfant fait face à d’autres obstacles encore. Non seulement le Canada ne reconnait pas l’application directe des traités internationaux en droit interne, mais en plus le système fédéral, avec le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux/territoriaux, complique la mise en œuvre d’une convention de type holistique, demandant une coopération entre tous les paliers de gouvernement. Par exemple, la CDE reconnait à l’enfant le droit à l’éducation du niveau primaire au niveau supérieur et dicte les objectifs de l’éducation.
Un enfant qui considérerait que la politique de discipline dans son école viole la CDE n’aurait aucun droit de recours sur la base de la Convention.
De plus, le gouvernement fédéral, en ratifiant la Convention, n’a aucun moyen de s’assurer que chacune des provinces et territoires se conforme aux exigences du droit international et, a fortiori, il a encore moins de droit de regard sur ce que font les commissions/conseils/districts scolaires, les collèges et les universités. Un autre obstacle à la mise en œuvre de la CDE est l’inégalité entre les droits de l’enfant et les droits de la personne au Canada7. En effet, on les distingue généralement, les premiers n’ayant pas le même statut que les seconds. Les droits de l’enfant sont souvent compris comme les droits spécifiques que l’on accorde aux enfants dans des contextes particuliers. Au Québec, on reconnait certains droits aux enfants dans le Code civil et dans la Loi sur la protection de la jeunesse. Ces droits ne font pas partie des droits de la personne protégés au niveau constitutionnel et quasi constitutionnel. Bien que la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise) inclue l’article 39 sur les droits de l’enfant, celui-ci est bien insuffisant, ne reconnaissant à l’enfant que le droit à la protection par ses parents. De plus, ce droit est placé dans le chapitre des droits économiques et sociaux, qui n’ont pas le même statut que les droits considérés comme fondamentaux8. Mais ne peut-on pas dire que tous les droits protégés par la Charte canadienne des droits de la personne et la Charte québécoise s’appliquent aux enfants ? En principe, oui.
Cependant, il suffit d’examiner la jurisprudence en matière de discrimination ou des droits garantis par la Charte canadienne pour se rendre compte que les enfants sont rarement les [caption id="attachment_12512" align="alignright" width="415"] Crédit : L’égalité des droits, Eve Bélanger, 11 ans[/caption] principaux concernés par les causes présentées devant les tribunaux.
Tous ces obstacles auxquels font face les enfants dans la reconnaissance et l’exercice de leurs droits sont accentués par le fait que le Canada n’a pas ratifié le troisième Protocole facultatif à la CDE qui permet l’examen d’allégations de violations aux droits de l’enfant par le Comité des droits de l’enfant. Ainsi, on peut affirmer que malgré un discours en faveur des droits de l’enfant, dans la pratique, on n’a pas adhéré à la nouvelle philosophie des droits de l’enfant reconnaissant ceux-ci comme détenteurs des droits de la personne et permettant l’adaptation des droits à leur endroit.

La discrimination dans l’application des droits de l’enfant

Les enfants ne bénéficient donc pas des droits de la personne sur un pied d’égalité avec les adultes. De plus, l’application égale des droits de l’enfant entre différents groupes d’enfants est encore loin d’être atteinte au Canada. La CDE inclut la non-discrimination parmi ses principes généraux applicables à toute la Convention, les autres principes étant l’intérêt supérieur de l’enfant, la vie, la survie et le développement, ainsi que le respect de l’opinion de l’enfant9. L’article 2 de la CDE dispose que les droits énoncés dans la Convention doivent être appliqués sans aucune distinction à tous les enfants. Les États doivent prendre aussi des mesures pour protéger les enfants contre toute forme de discrimination. L’examen de la mise en œuvre de la CDE par le Comité des droits de l’enfant démontre des problèmes systémiques et récurrents dans la mise en œuvre de la Convention. Le suivi de la mise en œuvre de la CDE au Canada a été effectué à trois reprises et le quatrième examen aura lieu en mai 2022. Depuis le début, le Comité note l’application inégale des principes généraux dans le pays et le fait que ces principes n’ont pas été bien inclus dans la législation et les politiques10.
Lors du dernier examen périodique en 2012, le Comité note la fragmentation du droit et « des incohérences dans la mise en œuvre des droits de l’enfant sur le territoire [canadien], de sorte que des enfants dans des situations analogues font l’objet de disparités dans la réalisation de leurs droits selon la province ou le territoire où ils résident11 ».
Il y a donc une application inégale des droits de l’enfant selon leur lieu de résidence au Canada. Les différences entre enfants sont encore plus marquées si l’on s’intéresse à des groupes d’enfants en particulier. Depuis le premier examen en 1995, jusqu’à aujourd’hui, le Comité a souligné la discrimination systémique que vivent certains groupes d’enfants et notamment les Autochtones, les Noirs, et les enfants migrants. Le Comité est toujours préoccupé par la surreprésentation des enfants autochtones et afro-canadiens dans le système de justice pénale et les structures de protection de l’enfance ; il note aussi le manque d’accès aux services pour les enfants vulnérables incluant les enfants migrants ; il fait part de ses inquiétudes au sujet de la pauvreté des enfants causée par les inégalités de revenus, « la répartition inéquitable des avantages fiscaux et des transferts sociaux en faveur des enfants12 ». Les travaux de l’UNICEF montrent aussi le résultat qu’a l’inégalité des revenus sur la situation des enfants au Canada. En effet, parmi 38 pays considérés comme riches, le Canada se situe au 30e rang pour ce qui est du bien-être des enfants, entre la Grèce et la Pologne13.

Pour une mise en œuvre efficace

Vu ce constat décevant après 30 ans, peut-on espérer un véritable respect des droits de l’enfant et une mise en œuvre efficace de la CDE ? Le Canada a soumis son nouveau rapport qui sera examiné prochainement par le Comité des droits de l’enfant, à la lumière des rapports alternatifs préparés par la société civile et dépeignant une réalité moins reluisante que celle présentée par les gouvernements. Le rapport étatique fait état des accomplissements des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour l’amélioration de la situation des enfants. Comme exemple des progrès accomplis, on y mentionne entre autres le fait que le Québec a fourni du financement supplémentaire à son programme de garde d’enfants14, qu’il a mis en œuvre le Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale 2017-202315, ou encore qu’il a lancé la Stratégie 0 à 8 ans – Tout pour nos enfants en 2018 pour améliorer l’éducation de la petite enfance16. Bien que ces initiatives servent à améliorer la vie des enfants, elles sont loin d’être suffisantes. Elles témoignent d’une approche incohérente à la mise en œuvre des droits de l’enfant. Il nous manque une stratégie globale pour l’application des droits de l’enfant. Plus encore, il nous faut une culture de respect et de reconnaissance des droits de l’enfant en tant que droits de la personne.
  1. Résolution 44/25 de l’Assemblée générale des Nations Unies, 20 novembre 1989.
  2. Par Irène Théry, Nouveaux droits de l’enfant, la potion magique ?, (1992) 180 Esprit 5 ; Bruce C. Hafen et Jonathan O. Hafen, « Abandoning Children to their Autonomy: The United Nations Convention on the Rights of the Child », (1996) 37 Harv. Int’l L.J. 449.
  3. Décret numéro 1676-9 1 du 9 décembre
  4. État des traités, Convention relative aux droits de l’enfant. En ligne: https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-11&chapter=4&clang=_fr
  5. Article 1,CDE
  6. Par exemple, selon l’UNICEF, un tiers des enfants de bas âge sont mal nourris : UNICEF, Situation des enfants dans le monde 2019, https://www.unicef.org/ media/62526/file/La-situation-des-enfants-dans-le-monde-2019.pdf , 8.
  7. Voir Mona Paré, « Children’s Rights Are Human Rights and Why Canadian Implementation Lags Behind », Canadian Journal of Children’s Rights (2017) 4(1)
  8. Voir notamment Alain-Robert Nadeau, La Charte des droits et libertés de la personne : origines, enjeux et perspetives, 2006, Revue du Barreau 1, 46.
  9. Voir Mona Paré, La mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant : une question de principes, dans Le Tribunal des droits de la personne et le Barreau du Québec, Race, femme, enfant, handicap : les conventions internationales et le droit interne à la lumière des enjeux pratiques du droit à l’égalité, Cowansville, Yvon Blais, 2010, p. 391
  10. Comité des droits de l’enfant, Observations finales du Comité des droits de l’enfant : Canada, 1995, NU, CRC/C/15/Add.37, para. 11.
  11. Comité des droits de l’enfant, Observations finales sur les troisième et quatrième rapports périodiques du Canada, 2012, Doc NU, CRC/C/CAN/CO/3-4, 10. Voir aussi Comité des droits de l’enfant, Observations finales : Canada, 2003, CRC/C/15/Add.215, para. 8.
  12. Comité de droits de l’enfant 2012, supra note 11, 67. Voir aussi Comité des droits de l’enfant 2003, supra note 11, para. 41.
  13. UNICEF Innocenti, Des mondes d’influence : Comprendre ce qui détermine le bien-être des enfants dans les pays riches, Bilan Innocenti 16, En ligne : https://www.unicef.ca/sites/default/files/2020-09/WorldsOfInfluence_FR.pdf. Pour une explication de la situation au Canada, voir UNICEF Canada, Bilan Innocenti 16 de l’UNICEF – document canadien d’accompagnement, 2020. En ligne : https://www.unicef.ca/sites/default/files/2020-11/UNICEF%20RC16%20 Canadian%20Companion%20FR%20-%20DIGITAL.pdf
  14. CRC/C/CAN/5-6, 50.
  15. Ibid, 134.
  16. Ibid, 157.

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Identité de genre et droits de l’enfant

15 décembre 2021, par Revue Droits et libertés
Identité de genre et droits de l'enfant Charles-Antoine Thibeault, doctorant en service social, Université de Montréal, musicothérapeute pour Jeunes Identités Créatives Annie (…)

Identité de genre et droits de l'enfant

Charles-Antoine Thibeault, doctorant en service social, Université de Montréal, musicothérapeute pour Jeunes Identités Créatives Annie Pullen Sansfaçon, professeure, École de travail social, Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles Les médias populaires des dernières années couvrent de plus en plus les sujets relatifs à la transitude1. Pensons notamment au fameux Transgender tipping point que Time Magazine avait qualifié de révolutionnaire pour la communauté trans et non-binaire en 2014. L’année 2014 ne marque pourtant ni le premier ni le dernier changement de paradigme sur le sujet. Depuis les années 1960, où l’étude de la transitude se limitait alors aux discours de psychiatres s’intéressant à une sur-féminité de jeunes garçons, menant ensuite à la création de diagnostics, de pathologie et de thérapies dites de conversion, jusqu’aux nouvelles compréhensions et revendications actuelles d’un discours non-pathologisant de la diversité de genre2, il est indéniable que des changements majeurs dans la perception de la définition même du genre se sont opérés. Afin de discuter des relations entre l’identité de genre et les droits de l’enfant, il est nécessaire de e présenter quelques-uns de ces changements observables tant dans les politiques sociales, les discours populaires, les cliniques médicales, les écoles, ainsi que les autres milieux de vie où l’enfant évolue. [caption id="attachment_12515" align="alignright" width="378"] Crédit : J'ai le droit d'exprimer mon identité, Nicolas Marion[/caption] Les premières tentatives d’explication de l’origine de l’incongruence de genre, soit cette disparité entre genre assigné à la naissance et genre vécu, chez l’enfant laissent place à plusieurs hypothèses qui sont aujourd’hui critiquées, mais qui blâmaient notamment un mode familial dit dysfonctionnel ou, plus classiquement, une relation d’attachement trop proximale entre l’enfant et sa mère. Bien que certains chercheurs continuent à défendre ces positions, d’autres publications plus récentes présentent une compréhension alternative prenant acte de la voix des jeunes trans et non- binaires, revendiquant notamment une conception du genre fluide, expansive, non pathologique. Cette nouvelle conception rejette de facto une notion du genre binaire et rigide dont la diversité équivaut à une non-conformité, une déviance. Afin de bien saisir le lien entre cette nouvelle compréhension du genre et les droits de l’enfant, il faut aussi bien comprendre l’impact des expériences d’invalidation du genre sur la santé et le bien-être des jeunes trans et non-binaires.

Les impacts de la non-reconnaissance

Alors que les exemples de ces impacts sont trop nombreux pour en faire une liste exhaustive, nous référerons plutôt à un texte publié en 20173 qui nous invite à réfléchir à l’impact de la non-reconnaissance, de l’invisibilité, de la négation de la personne, dans le développement identitaire des jeunes trans et non-binaires dans plusieurs sphères de leur vie. S’appuyant sur l’éthique de la reconnaissance d’Axel Honneth, selon laquelle l’individu a besoin de reconnaissance affective, légale et sociale afin de développer un rapport à soi positif, il est possible de comprendre que l’identité positive se développe en relation à l’autre, à la société.
Dans les sociétés où les jeunes trans et non-binaires ne sont pas reconnus, il devient difficile de développer un sentiment de confiance en soi, d’estime de soi, de respect de soi pour ces jeunes.
Et c’est dans ce contexte que le bien-être physique et mental de l’enfant se trouve affecté4. Ainsi, les recherches démontrent que les jeunes trans et non-binaires sont plus à risque notamment de se suicider ou de souffrir de dépression et d’anxiété, malgré que ces difficultés ne soient pas directement liées à la transitude, mais bien à leurs conditions de vie comme les contextes de non-reconnaissance sociale, légale ou affective. Cette distinction entre souffrance interne et cause externe porte à croire qu’un accueil plus ouvert et reconnaissant de la diversité des jeunes pourrait contribuer à diminuer cette souffrance.

L’importance de la décision Moore

Des exemples concrets de reconnaissance, mais aussi de non-reconnaissance légale ont récemment été observés au Québec. Prenons par exemple la décision rendue en janvier 2021 par l’honorable juge Moore à la suite de longues démarches juridiques initiées par la communauté trans et non-binaire sommant le gouvernement d’octroyer le droit d’effectuer la modification de la désignation de son sexe sur son acte de naissance aux jeunes trans et non-binaire5. Cette décision donne un an au gouvernement pour modifier certaines dispositions du Code civil jugées discriminatoires.
Cet événement souligne l’importance d’exercer une agentivité relative sur la définition de sa personne auprès de l’état, mais dénote aussi l’importance de la congruence de cette définition légale de la personne avec l’identité vécue et donc de la reconnaissance légale de la personne.
Cette capacité agentive sur sa propre définition légale est explicitement nommée dans ce jugement comme vecteur essentiel du droit à la dignité et à l’égalité. Au sujet de cet impact de la reconnaissance sur le rapport à soi, Judith Butler ajoute à cette notion qu’il est bien d’être reconnu, mais encore faut-il être reconnaissable6. Elle sous-tend ainsi qu’une communauté de personnes n’étant pas reconnue légalement à titre de personne à part entière ne peut prétendre même à la possibilité de recevoir ces expériences de reconnaissance affective, légale et sociale si importantes dans le développement identitaire. C’est aussi cette possibilité de détenir des documents officiels congruents avec son identité de genre qui permettra aux enfants trans et non-binaires de jouir de ce droit à la sécurité et à la dignité pour participer à la société.  

Le projet de loi 2

En contrepartie, le récent dépôt du projet de loi 2 par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barette en octobre 2021 constitue un important recul pour les jeunes trans avec la proposition de réintroduire l’obligation de chirurgie afin d’obtenir une reconnaissance légale à travers le changement de la mention de sexe sur l’acte de naissance7. Ainsi, si ce projet est adopté ainsi, il constituera non seulement une atteinte à la dignité des jeunes trans et non-binaires, mais également un exemple concret de non-reconnaissance légale de la transitude et des diverses manières d’exister en tant que personne de la diversité des genres.

Des luttes à mener

Encore en 2021, il est difficile d’avancer que les jeunes trans et non-binaires bénéficient de la même reconnaissance que leurs pairs cisgenres. La difficulté à changer la désignation de son sexe et son prénom officiel, les refus de services médicaux, le besoin d’accumuler des lettres d’approbation d’expert de la santé mentale que Karine Espineira qualifie éloquemment de boucliers thérapeutiques8 sont tous des exemples d’expérience de non-reconnaissance.
Les expériences d’invalidation du genre vécues au sein des services de la protection de la jeunesse, par exemple par le refus d’utilisation des prénoms et pronoms de l’enfant et la réalité genrée de ces services9 sont d’autres exemples.
Ainsi, malgré les avancées importantes des dernières années, il reste plusieurs dimensions de la reconnaissance, et spécifiquement du droit à la dignité des enfants qui demeurent bafouillés. Par ailleurs, ces sphères de reconnaissance résonnent beaucoup avec la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par les Nations Unies en 1989. La reconnaissance sociale étant par exemple soutenue par le droit à la sécurité pour participer pleinement à la société et la reconnaissance légale l’étant via le droit à la dignité. Il est essentiel de traduire la protection de ces droits pour les jeunes trans et non-binaires en moyens concrets, moyens que Pullen Sansfaçon et Bellot (2017) associent spécifiquement à la création de milieux sécuritaires, acceptants et reconnaissants pour les jeunes trans et non-binaires.
  1. Le terme transitude est d'abord introduit par Baril en 2014 afin de désigner les parcours de transition médicales, sociales et juridiques vers un genre Il est utilisé à titre de nom commun, en complémentarité à l'adjectif « trans », et reflète la multiplicité des parcours d'affirmation auxquels les personnes trans ont recours partiellement ou en totalité.
  2. Voir notamment J. Pyne (2014). « Gender independant kids: A paradigm in approaches to gender non-conforming children », The Canadian Journal of Human Sexuality, (23)1, pp. 1-8
  3. A. Pullen-Sansfaçon, C. Bellot, (2017). L'éthique de la reconnaissance comme posture d'intervention pour travailler avec les jeunes trans, Nouvelles Pratiques Sociales, (28)2, pp. 38-53
  4. Honneth, (2008). La lutte pour la reconnaissance, Paris, Éditions du Cerf, p. 113-159
  5. Center for Gender Advocacy v. Attorney General of Quebec, 2021 QCCS 191.
  6. Géguen et Malochet, Critiques du paradigme de la lutte pour la reconnaissance, dans Les Théories de la Reconnaissance, La Découverte, Paris, 2014, p. 93-122
  7. Voir par exemple Pullen Sansfaçon et coll. (2021) Il faut faciliter, et non compliquer le changement de la mention de sexe pour les personnes trans. En ligne : https://journalmetro.com/societe/2719128/il-faut-faciliter-et-non-compliquer-le-changement-de-la-mention-de-sexe-pour-les-personnes-trans/
  8. Voir V. Kirichenko, A. Pullen-Sanfaçon, (2018). "Je ne m'identifie pas comme fille, je suis une fille": être jeune, trans et placé.e par la Direction de la Protection de la Jeunesse, Intervention, 148, 29-40
  9. Voir Espineira, (2011). Le bouclier thérapeutique: discours et limites d'un appareil de légitimation, Le sujet dans la cité, (2)1, pp. 189-201

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ENvironnement JEUnesse devant les tribunaux pour la justice climatique

14 décembre 2021, par Revue Droits et libertés

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Catherine Gauthier, directrice générale, ENvironnement JEUnesse Le 26 novembre 2018, ENvironnement JEUnesse déposait la toute première action collective contre le gouvernement canadien pour avoir failli à protéger les droits humains des enfants et des jeunes de 35 ans et moins du Québec. Les jeunes détiennent des droits comme toute personne, et elles et ils exigent des actions à la hauteur de la crise climatique. Cette démarche est au cœur de l’importante bataille à mener sur plusieurs fronts : audiences et consultations publiques, campagnes de sensibilisation ou activités de mobilisation de masse pour exiger des actions climatiques immédiates.
 
Note de la rédaction La Cour d’appel du Québec a rejeté le 13 décembre 2021 l’appel d’ENvironnement JEUnesse visant à renverser la décision de la Cour supérieure ayant refusé d’autoriser son action collective contre le gouvernement du Canada. Considérant l’importance de la question, ENvironnement JEUnesse entend soumettre une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada afin de défendre les droits des jeunes à la vie, à la sécurité, à l’égalité et à vivre dans un environnement sain, des droits fondamentaux protégés par les Chartes.
Une action collective se divise en trois grandes étapes, à savoir la demande d’autorisation, le procès sur le fond du litige et, finalement, le jugement final et la distribution des indemnités, s’il y a lieu.

Le choix de l’action collective

Au fil des ans, les actions collectives en environnement ont permis des avancées significatives, notamment dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette, de la Coalition pour la protection de l'environnement du parc linéaire Petit Train du Nord c. la MRC des Laurentides et des clubs de motoneiges, le cas de la poussière rouge à Québec, les émissions de l’usine de peinture Anacolor ou la pollution du lac Heney. Dans ces cas, l’impact visé de l’action collective allait bien au-delà des compensations monétaires. Bien souvent, en matière environnementale, la motivation des citoyen-ne-s n’est pas pécuniaire, mais vise plutôt à retrouver un milieu de vie sain et agréable. En outre, l’action collective est une procédure à portée sociale et elle favorise l’accès à la justice. Comme le cabinet Trudel Johnston Lespérance (TJL) – qui représente ENvironnement JEUnesse pro bono dans l’affaire citée en titre – l’illustre, « Qu’arrive-t-il lorsque des centaines de David isolés unissent leurs forces contre un Goliath souvent pourvu d’importantes ressources ? Le rapport de force s’en trouve rééquilibré et toute la collectivité en bénéficie ». Très peu de personnes ou de groupes ont les moyens de s’adresser aux tribunaux. L’action collective permet de rassembler et de mobiliser les citoyen-ne-s autour d’un problème commun et de la recherche de solutions qui dépassent les individus. Dans l’affaire portée par ENvironnement JEUnesse, les personnes représentées sont les Québécois-e-s ayant 35 ans ou moins au moment du dépôt de la demande d’action collective. Il s’agit de 3,4 millions d’enfants et de jeunes, ce qui en fait la plus grande action collective au monde !
On sait également que l’action collective a le pouvoir de transformer toute la société : « en réaction à une action collective ou pour en prévenir une, les entreprises et les gouvernements changent leurs pratiques. » (TJL, 2021)

Pourquoi les plus jeunes générations ?

Devant les tribunaux, ENvironnement JEUnesse doit d’abord franchir la première étape de l’action collective, soit d’obtenir l’autorisation de la Cour. Cette dernière doit déterminer si la demande d’action collective répond à quatre critères, dont un concernant la composition du groupe. Sur cette question épineuse, ENvironnement JEUnesse devait tracer une ligne claire : qui fait partie de l’action collective et qui n’en fait pas partie ? Même si les impacts de la crise climatique et sociale touchent toute la société, une action collective ne peut pas représenter tout le monde. D’autre part, peu importe la ligne tracée, le choix allait revêtir une certaine part de subjectivité. En l’espèce, l’organisme a choisi de tracer cette ligne à 35 ans en s’inspirant de la Politique québécoise de la jeunesse 2030 . Dans sa politique, le gouvernement du Québec précise que son action « pourra se prolonger jusque vers l’âge de 35 ans ». Par ailleurs, ENvironnement JEUnesse a choisi de représenter les jeunes de moins de 18 ans, étant donné que le Canada est signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), qui reconnaît un ensemble de droits pour les jeunes de moins de 18 ans. En conséquence, l’action collective défend les droits des Québécois-e-s ayant 35 ans ou moins, soit la jeunesse au sens large. Si les enjeux en cause affectent l’ensemble des générations, les plus jeunes générations portent un fardeau bien plus grand que les générations qui les ont précédées.
En effet, selon le rapport Nés au cœur de la crise climatique publié par Save the Children International en 2021, « un enfant né en 2020 connaîtra en moyenne deux fois plus d’incendies de forêt, 2,8 fois plus de mauvaises récoltes, 2,6 fois plus de sécheresses, 2,8 fois plus de crues de rivières et 6,8 fois plus de canicules au cours de sa vie, qu’une personne née en 1960 ».
On peut ainsi démontrer à quel point les enfants et les jeunes font face à des risques disproportionnellement plus grands que leurs parents, leurs grands-parents, leurs arrière-grands-parents… Il est important de reconnaître aussi que les enfants victimes d’inégalités sociales sont encore plus vulnérables face aux impacts de la crise climatique.

Une question de droits humains

Le Canada a accepté le consensus scientifique à l’effet qu’une baisse d’émissions de GES d’au moins 25 % par rapport à l’année de référence 1990 est nécessaire pour éviter une catastrophe. Or, au moment du dépôt de la poursuite d’ENvironnement JEUnesse, le Canada s’était engagé à réduire ses émissions de 17 % par rapport au niveau de 2005, soit une hausse par rapport à 1990. Puis, en 2021, le Canada a annoncé qu’il voulait réduire ses émissions de GES de 40 % à 45 % d'ici 2030. Malgré ces engagements, les émissions du Canada n’ont cessé d’augmenter dangereusement. Selon le Rapport d’inventaire national des émissions au Canada publié en 2021, les émissions de GES sont passées de 602 mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone (Mt d’éq. CO2) en 1990 à 730 Mt d’éq. CO2 en 2019. Ainsi, les émissions du Canada ont augmenté de plus de 21 % depuis 1990. En d’autres mots, le Canada a systématiquement et grossièrement raté toutes les cibles de réduction des GES qu’il s’est lui-même fixées depuis une trentaine d’années. Ce comportement du gouvernement du Canada porte atteinte à plusieurs droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne) ainsi que par la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise). Plus particulièrement, trois droits sont identifiés : Premièrement, les vagues de chaleur dévastatrices, la propagation de maladies infectieuses, les feux de forêt, les événements météorologiques extrêmes, les inondations ou les sécheresses sont autant de manifestations tangibles des dangers du réchauffement de la planète, sans compter les impacts sociaux et économiques. Ces conséquences sont une menace directe et bien réelle au droit à la vie et à la sécurité de sa personne protégés par l’article 7 de la Charte canadienne et par l’article 1 de la Charte québécoise. Deuxièmement, la requête s’appuie sur le droit à l’égalité présenté à l’article 15 de la Charte canadienne et à l’article 10 de la Charte québécoise. En adoptant des cibles dangereuses pour le climat et en agissant de manière à ce que ces cibles insuffisantes ne soient jamais atteintes, le gouvernement du Canada agit de manière discriminatoire envers les membres du groupe. Non seulement le Canada adopte un comportement qui favorise à court terme les intérêts économiques de personnes issues des générations précédentes, mais les plus jeunes générations subiront plus longtemps et plus violemment les conséquences climatiques de l’inaction gouvernementale. Troisièmement, le Canada viole le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité figurant à l’article 46.1 de la Charte québécoise. Bien que ce droit spécifie une protection « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi », le gouvernement du Canada agit en contrevenant à ses obligatoires découlant de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Où en sont les démarches ?

Après le dépôt de la demande d’autorisation d’exercer une action collective le 28 novembre 2018, ENvironnement JEUnesse a présenté sa demande d’exercer une action collective à la Cour supérieure du Québec le 6 juin 2019. Le 11 juillet 2019, la Cour supérieure du Québec a rendu son jugement dans lequel elle refuse d’accorder à ENvironnement JEUnesse l’autorisation d’exercer une action collective au nom de tous les jeunes Québécois-e-s de 35 ans et moins contre le gouvernement du Canada. Selon le juge Morrison, « [c]ompte tenu de la nature de l’action collective que [ENvironnement JEUnesse] veut exercer et de la nature des prétendues atteintes aux droits fondamentaux des membres putatifs, le choix de l’âge de 35 ans par [ENvironnement JEUnesse] comme âge maximal des membres laisse le Tribunal perplexe. (…) Mais, pourquoi choisir 35 ans? Pourquoi pas 20, 30 ou 40 ans? Pourquoi pas 60 ans? » Néanmoins, les questions importantes ont été tranchées en faveur d’ENvironnement JEUnesse : le juge reconnaît que l’impact des changements climatiques sur les droits humains est une question justiciable et que les actions du gouvernement dans ce domaine sont assujetties aux Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. Par ailleurs, il est évident que les plus jeunes générations sont parmi les plus affectées par les changements climatiques. Le 16 août 2019, ENvironnement JEUnesse a porté le jugement en appel; une nouvelle audience a eu lieu devant les juges de la Cour d’appel du Québec le 23 février 2021. Au moment d’écrire ces lignes, la décision n’avait pas encore été rendue.

Quel est l’objectif?

ENvironnement JEUnesse demande à la Cour d’ordonner au gouvernement canadien d’adopter une cible de réduction des émissions de GES qui respecte les droits fondamentaux des membres de l’action collective, de mettre en œuvre un plan d’action crédible et de le condamner au versement d’une somme équivalant à 100 $ par membre. Au total, le fonds représenterait 340 millions de dollars investis dans la mise en œuvre de mesures qui permettraient de répondre à la crise climatique. Si ces demandes paraissent ambitieuses, elles s’inspirent largement de plusieurs démarches similaires qui ont connu des succès à travers le monde. Aux Pays-Bas, le gouvernement s’est vu forcé de se doter d’un plan concret pour atteindre sa cible climatique. Ce gouvernement est légalement tenu de réduire ses émissions de GES d’au moins 25 % d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990. Des poursuites climatiques ont lieu notamment en France, aux États-Unis, en Belgique, en Norvège, en Irlande, en Suisse, en Nouvelle-Zélande et en Colombie. Le 11 octobre 2021, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a reconnu le lien de causalité entre l’inaction des États contre le réchauffement climatique et le préjudice réalisé à l’encontre des droits de l’enfant, plus spécifiquement de ses droits à la vie, à la santé et à la culture. Pour Ann Skelton, membre du Comité, « la nature collective des causes du changement climatique ne peut pas absoudre un État de ses responsabilités individuelles. » Enfin, les enfants et les jeunes, en particulier celles et ceux subissant des inégalités, sont les personnes ayant le moins contribué à la crise climatique, et qui ont le plus à perdre face à l’inaction et à la complaisance de nos gouvernements. Si l’on n’agit pas de manière urgente pour atténuer les changements climatiques et s’y adapter, c’est l’ensemble des droits de l’enfant qui sont menacés. Les jeunes ne sont pas que beaux ou inspirants ; elles et ils détiennent des droits comme personne, et exigent des réponses et des mesures conséquentes qui vont aussi loin que l’exige la crise climatique.

Pour aller plus loin

ENvironnement JEUnesse. 2021. ENvironnement JEUnesse vs Canada. En ligne : https://enjeu.qc.ca/justice/ ENvironnement JEUnesse. 2020. « Groupe de travail jeunesse – Rapport présenté dans le cadre des travaux d’élaboration du Plan d’électrification et de changements climatiques (PECC) du gouvernement du Québec ». En ligne : https://enjeu.qc.ca/reaction-jeunesse-pev/

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Photographie d'une murale contre le racisme à Québec.

Un automne sous le signe de la diversité

10 décembre 2021, par Revue Droits et libertés
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022 Maxim Fortin, coordonnateur, Ligue des droits et libertés-section de Québec Mélina Chasles, (…)

Photographie d'une murale contre le racisme à Québec.

Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022

Maxim Fortin, coordonnateur, Ligue des droits et libertés-section de Québec Mélina Chasles, stagiaire, Ligue des droits et libertés-section de Québec Après quelques mois au ralenti en raison de la pandémie et du confinement, la section de Québec de la Ligue des droits et libertés (LDL-QC) met en branle plusieurs projets et activités à l’automne 2021. Encore cette année, la LDL-QC est un acteur dans le dossier du racisme systémique et du profilage policier, tout en continuant son travail d’éducation aux droits et libertés et d’autonomisation féministe. Comme nouveauté, la LDL-QC développe un projet dans le champ de la diversité sexuelle et de la pluralité de genre dans le cadre d’une collaboration avec le GRIS-Québec.

Antiracisme

Sollicitée pour participer à un projet de murale et de fresque affirmant que « la vie des Noir-e-s compte » dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, la LDL-QC a soutenu la mobilisation des organisations de la communauté afro-québécoise de Québec et contribué à la réalisation de deux œuvres artistiques. Vandalisée à trois reprises, la murale est rapidement devenue un symbole autour duquel la communauté a pu se rassembler à deux reprises afin d’exprimer sa solidarité et de réclamer la reconnaissance et la fin du profilage racial à Québec. La LDL-QC travaille d’ailleurs en collaboration avec des chercheurs et chercheuses de l’Observatoire des profilages dans le but d’étudier et de documenter la pratique du profilage racial à Québec. Des témoignages sont recueillis auprès des personnes racisées et interpellées sur la route ou dans la rue par le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ). Les personnes intéressées à témoigner peuvent contacter la LDL-QC. Par ailleurs, le Collectif de lutte et d’action contre le racisme (CLAR), premier organisme entièrement consacré à la défense des personnes racisées dans la région de Québec, vient d’être créé, ce qui représente une grande source de fierté pour la LDL-QC. Le Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC 03-12) et la LDL-QC, parrains de ce projet, sont à la recherche de personnes à s’y impliquer ainsi qu’à le soutenir politiquement et financièrement.

Diversité sexuelle et pluralité de genre

Aussi, depuis le printemps, la LDL-QC collabore étroitement avec le GRIS-Québec et d’autres acteurs de la communauté afin de réaliser un projet portant sur les droits et discriminations associés à la diversité sexuelle et à la pluralité des genres. Ce projet comporte trois volets, soit la rédaction d’un lexique accessible au grand public, la réalisation de trois capsules informatives et l’enregistrement d’un balado. Ces trois outils visent à éduquer non seulement sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres en soi, mais également à les apprivoiser sous l’angle des différentes formes de discriminations pouvant en découler et sur les voies d’action possibles pour y remédier. Avec le récent dépôt du projet de loi 2 – qui proposait une distinction entre les mentions de sexe et de genre qui, par le fait même, requiert une intervention chirurgicale afin d’accéder à un changement de la mention du sexe – une discussion sur les enjeux entourant les discriminations et les droits des personnes issues de la diversité sexuelle et de la pluralité de genre est d’autant plus nécessaire. La diffusion du lexique, des capsules et du balado s’est déroulée sur une période de cinq jours consécutifs du 15 au 19 novembre dernier. À chaque jour, un élément a été publié et diffusé sur les différents médias de la LDL-QC et ceux du GRIS-Québec. Ces documents sont toujours accessibles via le site Web et les réseaux sociaux de la LDL-QC. Finalement, les ateliers d’éducation aux droits sont maintenant de retour grâce au renouvellement de l’équipe d’animation. Comme à chaque année, les écoles et les groupes communautaires, par exemple, peuvent participer aux ateliers. Grandement mis à mal par la pandémie, ce volet représente une partie importante de sa mission. L’équipe LDL-QC est ravie de pouvoir s’acquitter de nouveau de l’éducation aux droits.
Fondée en 1994, la section de Québec se spécialise dans l’éducation aux droits auprès des jeunes en plus d’œuvrer dans les campagnes de sensibilisation contre la discrimination et l’exclusion sociale. Courriel : info@liguedesdroitsqc.org Site Web: liguedesdroitsqc.org  

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Le Canada contre les enfants des Premières Nations

10 décembre 2021, par Revue Droits et libertés

Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022

Anne Levesque, professeure adjointe, programme de Common Law français, Université d’Ottawa Le 29 septembre 2021, la Cour fédérale du Canada rendait une décision dans laquelle elle refusait d'annuler une ordonnance du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) rendue en 2019, imposant au Canada d'indemniser certains des enfants des Premières Nations et leurs parents ou grands-parents pourvoyeurs de soins contre lesquel-le-s il avait discriminé de façon délibérée et inconsidérée (ordonnance d'indemnisation). Cette décision de la Cour fédérale est la dernière d'une série de plus de 25 victoires judiciaires d'enfants des Premières Nations dans le litige de près de 15 ans les opposant au gouvernement du Canada en exercice pour discrimination raciale et violation de leurs droits. Tard dans l'après-midi du vendredi 29 octobre 2021, le gouvernement du Canada dépose un appel de la décision de la Cour fédérale. Selon l’avis d’appel, le Procureur général est d’avis que l’ordonnance du Tribunal est incompatible avec la nature de la plainte, la preuve, la jurisprudence et la Loi canadienne sur les droits de la personne. Quelques heures plus tard, il annonce son intention de mettre le litige en pause afin de travailler avec les parties pour parvenir à un règlement à l’amiable. Cet article donne un aperçu de l’ordonnance d'indemnisation de 2019 du point de vue des droits des enfants. Il explique ensuite ce qui est en jeu si le gouvernement du Canada décide de poursuivre son appel devant la Cour d'appel fédérale et de poursuivre son litige contre les enfants des Premières Nations.

Pourquoi l'ordonnance d'indemnisation est-elle si importante?

L'ordonnance d'indemnisation de 2019 est basée sur les conclusions initiales du TCDP en 2016 , selon lesquelles le Canada fait preuve de discrimination à l'égard des enfants des Premières Nations et de leur famille en raison de leur race et de leur origine ethnique, contrairement à l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). En particulier, le TCDP constate que le financement et la prestation de services de protection de l’enfance par le Canada créent des incitatifs à la prise en charge des enfants par l'État et perpétuent les désavantages historiquement subis par les Premières Nations au Canada.
En vertu de la LCDP, une fois que le TCDP conclut à l'existence d'une atteinte à la loi, il dispose de vastes pouvoirs de réparation pour rendre des ordonnances visant à mettre fin à la conduite, empêcher toute discrimination similaire et indemniser les victimes.
C'est dans ce contexte que le TCDP a rendu son ordonnance d'indemnisation en septembre 2019. Conformément aux objectifs de la LCDP visant à éradiquer la discrimination dans la société canadienne et à indemniser les victimes, le TCDP ordonne au Canada de verser 20 000 $ à certains des enfants de Premières Nations qui ont été inutilement retirés de leur famille et de leur foyer, ainsi qu’à leurs parents ou grands-parents pourvoyeurs de soins, de même qu’aux enfants à qui des services ont été refusés en vertu du principe de Jordan en compensation de la peine et des souffrances qu'elles et ils ont subies. L'ordonnance d'indemnisation contraint aussi le Canada à verser à ces victimes un montant supplémentaire de 20 000 $ étant donné que sa discrimination était délibérée et inconsidérée. Le Canada a demandé le contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour fédérale. La Cour fédérale a rejeté la demande du Canada, concluant que l’ordonnance du TCDP était raisonnable.

Deux bonnes raisons pour indemniser

L'ordonnance d'indemnisation est importante du point de vue des droits de l'enfant pour deux raisons principales. Premièrement, le TCDP décrit la discrimination de l'État envers les enfants, et les enfants des Premières Nations en particulier, comme le pire des cas de discrimination en vertu de la LCDP. Bien que cette conclusion puisse sembler évidente pour les défenseur-euse-s des droits des enfants, elle est majeure dans le contexte des lois sur les droits de la personne au Canada. Peu de plaintes pour discrimination ont été déposées au nom d'enfants au Canada. En fait, certaines lois sur les droits de la personne au Canada excluent expressément les distinctions fondées sur l'âge contre les enfants et les jeunes de la définition de ce qui constitue une discrimination illégale.
Dans ce contexte statutaire, il est important de souligner la reconnaissance des enfants en tant que détentrices et détenteurs de droits et la discrimination à l'encontre des enfants et des jeunes comme étant particulièrement répréhensible.
Les raisons impérieuses du TCDP expliquant pourquoi la discrimination de l'État envers les enfants et les jeunes des Premières Nations constitue le pire des cas de discrimination en vertu de la LCDP seront un encouragement pour celles et ceux qui veulent contester les lois sur les droits de la personne qui ne protègent pas les enfants et les jeunes contre la discrimination. Deuxièmement, le TCDP a statué que les victimes de discrimination au Canada, tant les enfants que leurs parents, ne sont pas tenus de témoigner de la douleur et des souffrances subies pour être admissibles à une indemnisation. Le TCDP a noté à juste titre que la LCDP n'exige pas des victimes ce témoignage. Il a ainsi jugé que « le risque de victimiser à nouveau les enfants l’emporte sur les difficultés que comporte l’établissement d’un processus visant à indemniser l’ensemble des victimes et survivants et sur le besoin que la preuve comporte le témoignage d’enfants sur les sentiments qu’a provoqués chez eux la séparation d’avec leur famille et leur communauté ».
Il est intéressant de noter que le TCDP a souligné que la preuve directe de la victime n'était même pas nécessaire étant donné que la douleur et la souffrance qu'elle a subies avaient été bien établies par d'autres sources de preuve devant lui.
Par exemple, Mary Wilson, l'une des trois commissaires de la Commission de vérité et réconciliation, a fourni des preuves incontestées que les « enfants retirés de leurs parents pour être placés en famille d'accueil ont vécu des expériences similaires à celles [des enfants] qui sont allés dans les pensionnats ». De plus, de nombreux responsables canadiens ont fait des déclarations publiques soulignant que les enfants des Premières Nations et leur famille avaient subi des préjudices en raison de la discrimination raciale au Canada. La conclusion du TCDP selon laquelle les enfants des Premières Nations ne sont pas tenus de témoigner afin d'obtenir une indemnisation pour le préjudice qu'ils subissent en raison de la discrimination est un pas en avant marquant pour les droits des enfants au Canada. Il est conforme aux orientations fournies par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme qui appelle les États à développer des procédures judiciaires adaptées aux enfants. Bien que les règles de procédure de la LCDP et du TCDP ne disent rien sur la question, l'ordonnance d'indemnisation montre que les membres du panel peuvent et devraient en fait s'assurer que les procédures impliquant des enfants se déroulent en tenant compte des enfants. Il est souhaitable que l'ordonnance d'indemnisation serve de feuille de route aux autres tribunaux des droits de la personne au Canada lorsqu'ils statueront sur des plaintes de discrimination impliquant des enfants.

Les gains menacés par l’appel

Comme nous l'avons vu, en considérant la discrimination contre les enfants des Premières Nations comme le pire des cas en vertu de la LCDP et grâce à sa procédure adaptée aux enfants, l'ordonnance d'indemnisation représente un grand pas en avant pour les droits des enfants au Canada. L'appel du Canada de la décision de la Cour fédérale confirmant l'ordonnance d'indemnisation menace ces gains. L’ordonnance d'indemnisation de 2019 crée également une incitation pour le Canada à cesser sa conduite discriminatoire. Des documents gouvernementaux internes obtenus au cours du litige ont révélé que le Canada savait que son financement et sa prestation inéquitables de services d'aide sociale aux Premières Nations nuisaient aux enfants et aux familles.
Malgré cela, il a fait le choix en toute connaissance de cause de poursuivre son comportement préjudiciable, car il considérait que le coût financier de mettre fin à ce comportement était trop élevé.
Même après qu'il ait été jugé qu'il enfreignait la LCDP, des documents internes démontrent que le Canada a délibérément choisi de ne pas tenir compte des décisions juridiquement contraignantes du TCDP lui ordonnant de cesser son comportement discriminatoire envers les enfants des Premières Nations, parce qu'il considérait que se conformer coûtait trop cher. Les recours en matière de droits humains visent à s'attaquer au cœur des causes des violations. Face à un intimé qui s'est montré indifférent à ses obligations morales et légales, l'ordonnance d'indemnisation du TCDP fait en sorte que la discrimination envers les enfants des Premières Nations implique des conséquences monétaires notables. Cela vise à supprimer l'incitatif budgétaire à court terme pour le gouvernement, qui s'est montré focalisé sur des considérations financières pour discriminer les enfants des Premières Nations. À cet égard, l'ordonnance d'indemnisation a pour effet de dissuader les gouvernements de se livrer à d'autres formes de discrimination contraires aux lois sur les droits de la personne au Canada. Les droits humains de tous les Canadien-ne-s qui sont membres de groupes en quête d'équité sont menacés si le Canada donne suite à l'appel.

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Les enfants : des citoyens d’aujourd’hui porteurs de droits vivants

10 décembre 2021, par Revue Droits et libertés
DOSSIER | Les enfants : des citoyens d'aujourd'hui porteurs de droits vivants   Avec ce dossier consacré aux droits relatifs à l'enfance, la LDL vise en premier lieu à (…)

DOSSIER Les enfants : des citoyens d'aujourd'hui porteurs de droits vivants

 

Avec ce dossier consacré aux droits relatifs à l'enfance, la LDL vise en premier lieu à souligner que les enfants sont détenteurs de droits comme toute personne. La revue vise à exposer des violations de droits humains auxquelles ils et elles sont confronté-e-s pour ensuite présenter certaines stratégies assurant la prise en compte et le respect de leurs droits.

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Les articles de la revue sont illustrés avec des dessins réalisés par 21 enfants, de 6 à 16 ans, dont la sélection s’est effectuée au terme d’un concours organisé par la LDL à l’automne 2021.

Pour entamer cette réflexion, le numéro met en lumière la Convention relative aux droits de l'enfance (Convention), ratifiée par le Canada en 1991 et les recommandations du Comité, examine le rapport de la Commission Laurent, etc.

En deuxième partie, des enjeux qui empêchent la pleine réalisation des droits des enfant sont présentés.

Finalement, des pistes porteuses pour l'exercice des droits des enfants comme la participation citoyenne, l'intérêt supérieur de l'enfant, la non-discrimination et le droit à la vie sont présentées en conclusion de ce dossier.

 

Éditorial

Pluralité, démocratie et droits humains
Philippe Néméh-Nombré et Alexandra Pierre

Un monde sous surveillance

Reconnaissance faciale : La fin de l’anonymat?
Anne Pineau

Ailleurs dans le monde

Congo : L’exploitation des travailleurs derrière les véhicules électriques
Geneviève Thériault

Le monde de Québec

Un automne sous le signe de la diversité
Maxim Fortin

Un monde de lecture

Pour cesser de reléguer le travail des femmes au second rang
Catherine Guindon

Dossier | Les enfants : des citoyens d'aujourd'hui porteurs de droits vivants

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Présentation du dossier

Les enfants : des citoyens d’aujourd’hui porteurs de droits vivants
Lucie Lamarche

Institutions, lois et historique

30 ans de mise en oeuvre, mais où est l'égalité?
Mona Paré

L'enfant : plus qu'un adulte de demain, un citoyen d'aujourd'hui
Équipe du Bureau international des droits des enfants

Évaluer les répercussions sur les droits de l'enfant
Christian Whalen et Clara Bateller

Le Canada contre les enfants des Premières Nations
Anne Levesque

Discriminations et exclusions

Au-delà des besoins, quelle prise en compte des droits des enfants ?
Bianca Nugent

ENvironnement JEUnesse devant les tribunaux pour la justice climatique
Catherine Gauthier

Le respect et la protection des droits des enfants, vraiment?
Regroupement Espace

Le surpartage parental
Marie-Pier Jolicoeur
Andréa Lahaie

Pour leur bien? Displicine et droits dans les unités d'enfermement pour jeunes contrevenants
Nicolas Sallée

Stratégies d'égalité

Les filles ont-elles droit aux parcs?
Nathalie Boucher
Sarah-Maude Cossette

#meetooscolaire : plaidoyer pour une loi-cadre dans les écoles
La voix des jeunes

Mino Obigiwasin : pour l'intégrité et l'identité des enfants Anicinape
Entrevue avec Peggie Jerome, Mino Obigiwasin par Rodrigue Turgeon et Alexandre Carrier

L'importance d'une approche fondée sur les droits de l'enfant dans l'éducation aux droits humains
Équipe d'Equitas

Quelle démocratie pour les élèves à l'école?
Francis Dupuis-Déri

Identité de genre et droits de l'enfant
Annie Pullen Sansfaçon et Charles-Antoine Thibeault

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Pour cesser de reléguer le travail des femmes au second rang

10 décembre 2021, par Revue Droits et libertés
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022 Catherine Guindon, enseignante, Cégep de Saint-Laurent Chronique Un monde de lecture Pour (…)

Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022

Catherine Guindon, enseignante, Cégep de Saint-Laurent

Chronique Un monde de lecture Pour cesser de reléguer le travail des femmes au second rang

Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes peuvent-ils être justifiés en fonction des particularités de leur physiologie ? Les femmes doivent-elles se comporter comme les hommes pour mériter un salaire égal ? Par exemple, doivent-elles soulever les mêmes charges que leurs confrères masculins ? La division du travail selon le sexe ou l’identité de genre est-elle dans l’intérêt des femmes ? Ne renforce-t-elle pas les stéréotypes et la discrimination à leur égard ? Comment obtenir leur égalité avec les hommes tout en protégeant leur santé au travail ? Il s’agit là de quelques-unes des nombreuses questions liées au travail des femmes qu’aborde Karen Messing dans son ouvrage Le deuxième corps[1]. Professeure émérite du Département des sciences biologiques de l’UQAM, Karen Messing a travaillé au fil de sa carrière auprès de nombreux comités syndicaux afin de mieux comprendre la réalité des femmes au travail et de promouvoir de meilleures conditions pour elles, notamment en ce qui a trait aux travaux manuels. Formée en biologie et, plus tardivement, en ergonomie, Messing a cofondé le CINBIOSE, un groupe de chercheuses ergonomes qui étudie les enjeux liés au sexe et au genre dans le monde du travail, et qui combat la discrimination à l’égard des femmes.
La thèse percutante de Karen Messing pourrait être résumée ainsi : il faut cesser de traiter le corps des femmes sur le marché du travail comme le « deuxième corps ».
En effet, l’environnement, les équipements, la formation des travailleuses sont trop souvent mésadaptés à celles-ci. De plus, dans les secteurs traditionnels, les femmes occupent fréquemment un travail moins bien rémunéré que celui des hommes puisque considéré comme plus « léger ». En outre, le travail des femmes comporte parfois des risques cachés ou sous-estimés, et leurs problèmes de santé liés au travail sont dès lors moins bien reconnus car moins spectaculaires que ceux des hommes. On constate que les femmes ont la particularité de développer plus de troubles musculosquelettiques que les hommes : cela est lié au fait que leurs occupations – pensons au métier de couturière – exigent généralement plus de mouvements répétitifs et rapides que chez leurs collègues accomplissant des travaux dits « lourds ». Les troubles des femmes sont donc moins visibles que ceux des hommes qui se blessent lorsqu’ils soulèvent des charges élevées. De facto, les tâches qu’elles accomplissent sont souvent peu appréciées à leur juste valeur. Autre facteur reléguant le corps des femmes au second rang : la recherche en ergonomie dans le secteur des métiers traditionnels s’accomplit souvent sans tenir compte du genre et du sexe, prenant comme étalon « l’homme moyen » afin de fixer des normes de santé et sécurité au travail. Pourtant, les exemples de situations où l’on gagnerait à mieux adapter le milieu de travail aux femmes sont nombreux. On ne soulève pas une échelle de façon sécuritaire selon que l’on est une femme de petite taille ou un homme plus grand. Les femmes ne réagissent pas de la même façon à la toxicité des substances chimiques que les hommes. Messing croit donc qu’il serait souvent bénéfique de prendre en considération le sexe dans les études en ergonomie. Cela permettrait de mieux adapter les normes de sécurité et les outils de travail à la physiologie des femmes.
Karen Messing ne croit toutefois pas que le sexe ou l’identité de genre doivent déterminer automatiquement la répartition des tâches et des emplois.
Ainsi, attribuer les quarts de nuit au travail aux hommes plutôt qu’aux femmes sous prétexte qu’elles doivent s’occuper des enfants le soir, à la maison, ne peut qu’accentuer les stéréotypes. Aussi, après tout, les variations physiologiques d’un individu à un autre sont très grandes. Ces variations peuvent être tributaires d’autres facteurs comme l’origine ethnique, par exemple. Les solutions apportées par l’autrice au problème du « deuxième corps » sont nombreuses. Par exemple, il importe de tenir compte du sexe, du genre et de l’identité de genre non binaire dans la recherche scientifique lorsque cela est source d’oppression ou de discrimination au travail. De plus, il faut ajuster les normes de santé à la diversité de corps au travail afin de viser le bien-être de tous et toutes. Messing propose aussi de privilégier des équipes de travail dans lesquelles les employés et employées sont complémentaires afin de tirer profit de la variété des corps sans renforcer les stéréotypes. Et enfin, il s’agit avant tout de renforcer les liens de solidarité entre les travailleurs et les travailleuses afin de mettre fin à la discrimination entre eux et elles.
[1] Karen Messing, traduction de Geneviève Boulanger, Le deuxième corps : femmes au travail, de la honte à la solidarité, Les Éditions Écosociété, 2021. Retour à la table des matières

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La reconnaissance faciale : La fin de l’anonymat ?

9 décembre 2021, par Revue Droits et libertés
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022 Chronique Un monde de surveillance La reconnaissance faciale : La fin de l’anonymat ? Anne (…)

Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2021/hiver 2022

Chronique Un monde de surveillance La reconnaissance faciale : La fin de l’anonymat ?

Anne Pineau, membre du comité sur la surveillance des populations, Ligue des droits et libertés

Les commissaires à la vie privée du pays mènent une consultation sur la reconnaissance faciale

En 2010, Éric Schmidt, alors PDG de Google, affirmait : « Dans un monde où les menaces sont asynchrones, il est trop dangereux qu'on ne puisse pas vous identifier d'une manière ou d'une autre[1] ». Sa déclaration concernait l’anonymat sur Internet. Mais elle résume bien l’argumentaire des supporteurs de la reconnaissance faciale (RF) : la sécurité de nos sociétés commanderait qu’on sacrifie un anonymat pernicieux et dépassé… Cet anonymat périlleux s’avère toutefois une composante essentielle de la vie privée, elle-même au cœur « de la liberté dans un État moderne[2] ». Dans nos activités publiques, comme le souligne le juge La Forest de la Cour suprême « … nous ne nous attendons pas à être identifiés personnellement et soumis à une surveillance intensive, mais nous cherchons plutôt à passer inaperçus[3] ». Dans une autre affaire, la Cour suprême rapporte : « Le droit à la vie privée (…) permet à une personne de fonctionner au quotidien dans la société tout en bénéficiant d’un certain degré d’anonymat indispensable à son épanouissement personnel ainsi qu’à l’épanouissement d’une société ouverte et démocratique[4] ». La RF remet en cause ce droit à l’anonymat. Le déploiement de cette technologie[5] par les corps policiers fait donc naitre les plus grandes craintes. Et la menace n’a rien de théorique. Les forces de l’ordre de 11 pays européens utilisent déjà cette technologie[6]. De son côté, la Sûreté du Québec (SQ) a conclu en juin dernier un contrat de 4.4 M de dollars avec la société Idemia pour une « Solution d’empreintes digitales et de reconnaissance faciale en mode infonuagique ». Le cas Clearview AI a par ailleurs révélé l’emploi de la RF par 34 corps policiers au pays, dont la Gendarmerie Royale Canadienne (GRC). Heureusement, l’enquête conjointe des commissaires à la vie privée fédéral et provinciaux (les commissaires) a permis de parer au pire.

Reconnaissance faciale et services de police : le cas Clearview

Le 2 février 2021, les commissaires ordonnaient à Clearview de cesser d’offrir son dispositif de reconnaissance faciale aux clients au Canada[7] parce qu’il contrevenait aux lois de protection des renseignements personnels[8]. Le 10 juin 2021, le Commissaire fédéral à la protection de la vie privée (CPVP) complétait le travail en déclarant illégale l’utilisation du logiciel Clearview par la GRC.

« Cette conclusion est fondée sur le fait que la collecte de renseignements personnels sur les Canadiens par Clearview contrevenait aux lois canadiennes en matière de protection des renseignements personnels. Il s’ensuit donc que la GRC a contrevenu à la Loi lorsqu’elle a par la suite recueilli ces renseignements personnels illégalement obtenus par Clearview[9] » .

Consultation des Commissaires sur la RF et les services policiers

Dans la foulée du rapport Clearview-GRC, les commissaires ont lancé une consultation sur l’utilisation de la technologie de RF par l’ensemble des services de police (SP) au pays[10]. Le document d’orientation (DO) « vise à clarifier les responsabilités et obligations légales, telles qu’elles existent actuellement, afin de veiller à ce que toute utilisation de la RF par les services de police ne contrevienne pas à la loi, de limiter les risques d’atteinte à la vie privée et de respecter le droit à la vie privée ». Le cadre suggéré par les commissaires repose « sur l’application de principes acceptés mondialement en matière de protection de la vie privée, dont un grand nombre sont repris dans les lois sur la protection des renseignements personnels ». La LDL a soumis un mémoire sur ce document d’orientation : en voici les grandes lignes.

Mémoire de la LDL

1)   Le cadre proposé par les Commissaires Le cadre proposé par les commissaires pose plusieurs difficultés, dont celle de l’assise légale du recours à la RF. Le DO invite les SP à obtenir un avis légal avant de recourir à la RF. Or, aucune loi n’autorise spécifiquement l’utilisation de la RF au pays, du moins sans consentement. Et comme le signale le DO, les « tribunaux canadiens n’ont pas eu l’occasion d’établir si l’utilisation de la RF par les policiers est autorisée par la common law. »
L’obtention préalable d’un mandat judiciaire ne présente pas non plus de garantie suffisante selon nous vu l’absence de balises légales précisant les conditions d’utilisation de la RF par les SP.
Enfin, le cadre suggéré soustrait au débat public les questions de nécessité et de proportionnalité dans l’usage de la RF. Il renvoie l’évaluation de ces éléments aux SP, aux Commissaires à la vie privée et aux juges. Il s’agit pourtant d’enjeux qui intéressent et concernent l’ensemble de la société. Pour la LDL, il n’appartient ni aux SP, ni aux Commissaires à la vie privée, ni aux juges de poser les jalons d’une utilisation acceptable de la RF. 2)   Manque d’encadrement légal Le DO expose les obligations légales des SP, telles qu’elles existent actuellement. Or, le déficit d’encadrement légal de la RF est patent. Les lois de protection des RP ne sont pas à même de régir convenablement cette technologie[11], comme l’indique la Commission d’accès à l’information (CAI)[12] :

« La Loi sur l’accès et la Loi sur le privé n’ont pas été conçues pour encadrer des pratiques aussi intrusives que la biométrie, dont la reconnaissance faciale, ni pour protéger les citoyens de nouveaux modèles d’affaires de géants du Web, fondés sur la marchandisation des renseignements personnels. »

Malheureusement, le projet de loi 64, Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels, adopté en septembre 2021 par l’Assemblée nationale, s’avère inadéquat pour répondre aux défis posés par ce nouveau contexte[13]. Une réforme législative s’impose donc afin d’établir des règles spécifiques. 3)   Nécessité d’un débat public Cela nécessite la tenue d’un débat public éclairé et transparent. Pour mener à bien cette discussion, le secret entourant l’utilisation de la RF par les SP doit être levé et un portrait détaillé et exhaustif de la situation doit être dressé. La population est en droit de connaître l’usage actuel ou projeté de la RF par les SP. 4)   Usages à proscrire Pour la LDL, trois usages de la RF devraient faire l’objet d’une interdiction immédiate. Ces usages, dont on peut douter de la légalité, devraient être clairement interdits par la loi. A)   La surveillance de masse des lieux et endroits publics La LDL demande de proscrire l’identification biométrique à distance dans un espace public, soit en temps réel ou en différé à partir d’images tirées de vidéos. Ce faisant la LDL joint sa voix à celles de nombreuses organisations qui réclament le bannissement d’une telle pratique[14]. Ainsi, le 6 octobre dernier, le Parlement européen adoptait une résolution visant :

« l’interdiction de tout traitement des données biométriques, y compris des images faciales, à des fins répressives conduisant à une surveillance de masse dans les espaces accessibles au public[15] ».

B)   La surveillance de masse en ligne (plateformes numériques, réseaux sociaux, etc.) La même interdiction permanente devrait viser la surveillance en ligne par les SP. Dans Clearview, les commissaires canadiens ont statué qu’une photo postée sur Internet ne constituait pas un renseignement public. Ceci étant, nous estimons que les SP ne peuvent recueillir d’images sur Internet pour les soumettre à la RF. Cela fait d’ailleurs partie de la résolution du Parlement européen qui « appelle de ses vœux l’interdiction de l’utilisation des bases de données privées de reconnaissance faciale dans le domaine répressif ». C)   L’utilisation de banques d’images constituées par des organismes publics ou ministères Les SP ne devraient pas utiliser les banques d’images constituées par les organismes publics ou ministères pour leurs fins propres (permis de conduire, cartes d’assurance-maladie, etc.). Les renseignements personnels recueillis par les organismes publics ou ministères doivent l’être à une fin précise. Ils ne peuvent être utilisés ou communiqués qu’à cette fin (ou à une fin compatible). Le détournement de banques gouvernementales à des fins de RF par les SP doit être strictement prohibé. D)   L’imposition d’un moratoire sur toute autre utilisation de la RF par les SP jusqu’à l’établissement d’un cadre législatif assurant le respect des droits humains Faute d’un encadrement légal, assurant le respect des droits humains, posant des limites sévères, garantissant notamment la transparence, la reddition de compte et le contrôle judiciaire de cette technologie, il y a lieu d’imposer un moratoire à son utilisation ; et cela même concernant les banques d’identités judiciaires (mug-shot).
Les banques d’identité judiciaire ne sont pas anodines. Elles incluent les photos de personnes condamnées mais aussi de personnes acquittées ou qui ont simplement fait l’objet d’enquête.
Un autre élément à considérer : les biais discriminatoires de telles banques. Dans la mesure où les populations autochtones, racisées et marginalisées sont surreprésentées dans le système judiciaire et carcéral, elles risquent aussi d’être l’objet d’une surveillance par RF disproportionnée. Cette demande de la LDL rejoint celle du Parlement européen, qui dans sa résolution du 6 octobre 2021, « demande toutefois un moratoire sur le déploiement des systèmes de reconnaissance faciale à des fins répressives destinés à l’identification, à moins qu’ils ne soient utilisés qu’aux fins de l’identification des victimes de la criminalité, jusqu’à ce que les normes techniques puissent être considérées comme pleinement respectueuses des droits fondamentaux, que les résultats obtenus ne soient ni biaisés, ni discriminatoires, que le cadre juridique offre des garanties strictes contre les utilisations abusives ainsi qu’un contrôle et une surveillance démocratiques rigoureux, et que la nécessité et la proportionnalité du déploiement de ces technologies soient prouvées de manière empirique; relève que lorsque les critères susmentionnés ne sont pas remplis, les systèmes ne devraient pas être utilisés ou déployés ». (Nous soulignons.)

Conclusion

La RF menace la vie privée, la démocratie, et partant, de nombreux autres droits pour lesquels l’anonymat est essentiel. Les libertés d’expression et de réunion pacifique s’accommodent mal d’une surveillance policière. Le même effet paralysant peut s’étendre au droit de manifester ou de s’assembler. La RF peut de même stigmatiser certains groupes et communautés en les soumettant à une surveillance disproportionnée sur la base de données historiques biaisées. La liberté de circulation et le droit à la liberté sont aussi concernés. De faux matchs peuvent entraîner de graves conséquences : interpellation policière abusive, arrestation illégale, détention arbitraire.
L’argument sécuritaire tient largement du mirage. Ni l’efficacité, ni surtout la nécessité de cette technologie n’ont été démontrées.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les mesures de contrôle des populations s’intensifient (caméras vidéo, surveillance des médias sociaux, drones, etc.) sans que notre Monde s’en trouve plus sécuritaire. Au contraire, des personnes innocentes ont été victimes de ces systèmes. Malgré leur inefficacité, ces systèmes d’espionnage s’incrustent. L’utilisation de la RF par les SP conduit à une banalisation de la surveillance et comme le note les commissaires dans le DO « une fois enclenchée, il peut être difficile de limiter cette capacité de surveillance accrue ». Pour la LDL un moratoire sur toute utilisation de la RF par les SP s’impose jusqu’à l’adoption d’une législation à la mesure des enjeux, fondée sur un débat public informé et transparent.  
  [1] En ligne : https://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/08/05/le-pdg-de-google-predit-la-fin-de-l-anonymat-sur-internet_1396083_651865.html [2] R. c. Dyment, [1988] 2 RCS 417, par. 17. [3] R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527, p. 558. [4] R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, par. 48. [5] Permettant d’identifier un visage humain à partir d’une image numérique ou d’une vidéo. [6] https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-technologies-de-reconnaissance-faciale-sont-deja-utilisees-dans-11-pays-de-lunion-europeenne-selon-un-rapport/ [7] Voir notre article précédent. En ligne : https://liguedesdroits.ca/dangereux-visages-reconnaissance-faciale/ [8] Le logiciel Clearview utilisait une base de données de plus de trois milliards d’images de visages glanées sur Internet, sans le consentement des personnes fichées. [9] Rapport de conclusions : Enquête sur le recours par la GRC à la technologie de reconnaissance faciale de Clearview AI pour la collecte de renseignements personnels. En ligne : https://www.priv.gc.ca/fr/mesures-et-decisions-prises-par-le-commissariat/ar_index/202021/sr_grc/#toc1 [10] Document d’orientation préliminaire sur la protection de la vie privée à l’intention des services de police relativement au recours à la reconnaissance faciale. En ligne : https://www.priv.gc.ca/fr/a-propos-du-commissariat/ce-que-nous-faisons/consultations/gd_frt_202106/ [11] Pour le Québec, voir aussi la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information. LRQ, c. C-1.1. Articles 44 et 45. Ces dispositions sur les données biométriques (préavis sur la constitution d’une banque de données et consentement) n’assurent pas non plus l’encadrement nécessaire. [12] Mémoire de la CAI sur le projet de loi 64. Voir p.3. En ligne : https://www.cai.gouv.qc.ca/documents/CAI_M_projet_loi_64_modernisation_PRP.pdf [13] http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-64-42-1.html/ [14] Notamment : Amnistie Internationale, European Data Protection Supervisor et la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. [15] Résolution du Parlement européen sur l’intelligence artificielle en droit pénal et son utilisation par les autorités policières et judiciaires dans les affaires pénales. Paragraphe 31. https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0232_FR.html/   Retour à la table des matières

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République démocratique du Congo – L’exploitation des travailleurs derrière les véhicules électriques

9 décembre 2021, par Revue Droits et libertés

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Geneviève Thériault, avocate, membre du CA de la Ligue des droits et libertés

Chronique Ailleurs dans le monde République démocratique du Congo L’exploitation des travailleurs derrière les véhicules électriques

Une transition vers une énergie plus « verte » — oui, mais à quel prix ? Voici la question que nous devrions tous nous poser. Vouloir éliminer les voitures à combustion en faveur des nouveaux véhicules électriques (« VE ») est honorable cependant, nous devons nous assurer que cette transition ne se fasse pas au détriment de certaines populations. Les véhicules électriques, le cobalt et le Congo Le cobalt est un métal bleu argenté qui est venu définir notre monde technologique moderne. Un élément clé de nos téléphones portables, ordinateurs portables et tablettes, c’est le minéral utilisé dans les batteries lithium-ion rechargeables créé pour alimenter les dispositifs portables. Il est considéré comme un matériau essentiel dans de nombreux secteurs allant de l’industrie chimique à l’aéronautique, et peut être trouvé dans les dispositifs médicaux de tous les jours, les drones et montres intelligentes. Dans un énorme changement propulsé par l’attention croissante portée à la crise climatique, la demande de cobalt ne devrait qu’augmenter au cours des 30 prochaines années[1]. Plus de 70 % du cobalt mondial est présentement extrait en République démocratique du Congo (« Congo »)[2]. L’accélération de la production de VE est cruciale pour la transition vers une économie à faible émission de carbone. Toutefois, elle semble liée à de graves violations des droits des travailleuses et des travailleurs congolais. Le secteur minier est essentiel à l’économie congolaise, représentant approximativement 30 % du produit intérieur brut (PIB) du pays en 2019[3] et 95 % des exportations totales (constitué presque entièrement de cuivre et de cobalt) en 2020[4]. En 2019, le secteur extractif représentait un quart de l’emploi total du Congo[5]. Malgré ses richesses minérales extraordinaires, le Congo reste l’un des pays les plus pauvres du monde, avec 73 % de la population, soit 60 millions de personnes, vivant sous le taux de pauvreté, soit 1,90 $ par jour[6]. Environ 20 % de la production du cobalt provient de l’économie informelle — de l’exploitation artisanale — tandis qu’environ 80 % provient de compagnies industrielles minières[7]. Plusieurs de ces entreprises ont été la cible de poursuites judiciaires internationales et de critiques de la société civile sur leur impact négatif sur l’environnement, les communautés et les droits des travailleuses et des travailleurs dans le monde[8]. Ces entreprises s’efforcent de démontrer publiquement leurs engagements envers les droits de l’homme, y compris, parmi les plus importants, les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et droits de l’homme (UNGP), les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et le Guide de diligence raisonnable pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque (Guide de l’OCDE pour des chaînes d’approvisionnement responsables). Violation des droits des travailleuses et des travailleurs Une grande partie des recherches menées à ce jour sur les violations des droits humains dans le secteur du cobalt au Congo se sont concentrées sur l’exploitation minière artisanale[9]. Les problèmes de la protection du droit des travailleuses et des travailleurs et les problèmes de main-d’œuvre dans le secteur industriel — représentant les 80 % de l’exploitation du cobalt — sont donc restés largement ignorés. Ce déséquilibre a été aggravé par des efforts concertés des sociétés minières internationales afin de créer une perception selon laquelle l’exploitation minière industrielle du cobalt est « propre » et exempte des pratiques hautement abusives qui caractérisent l’exploitation artisanale. Or, il appert que plusieurs multinationales minières présentes au Congo utilisent des techniques afin d’éroder le droit des travailleuses et des travailleurs congolais[10]. Une d’entre elles est le fait d’engager une grande partie de leur main d’œuvre via des sous-traitants. Ces employé-e-s « indirects » peuvent finir par travailler à une mine pendant plusieurs années, voir décennies, sans toutefois avoir accès aux mêmes bénéfices et droits que les employé-e-s engagés directement par la mine. Alors que le recours à des sous-traitants ou à des agences de placement est normal et nécessaire pour des tâches de courte durée ou pour le recrutement de spécialistes, il existe des preuves suggérant que les sociétés minières utilisent des sous-traitants afin de fournir du personnel pour leurs activités de base de long terme. Les organisations de la société civile ont décrit le recours croissant à la sous-traitance par les multinationales minières comme « très problématique au regard des droits fondamentaux des travailleuses et des travailleurs »[11]. « Ce phénomène provoque une précarisation inquiétante de la main-d’œuvre car il laisse les travailleuses et les travailleurs sans niveau de vie suffisant, rémunération égale pour un travail de valeur égale, égalité des chances dans les postes, la sécurité d’un contrat à durée indéterminée, la retraite et l’assurance maladie et, en pratique, le droit de former ou d’adhérer à un syndicat.[12] » Cette pratique a comme conséquence directe de mettre ces employé-e-s sous grande précarité d’emploi. Ils sont presque toujours employé-e-s sous contrats à durée déterminée, mais renouvelés chaque année, ou même transférés de compagnies sous-traitantes à une autre. Elles et ils n’ont donc pas accès à l’augmentation obligatoire des salaires et peuvent être congédiés à tout instant — même après 10 ans d’emploi à la même mine — sans compensation. De plus, cette précarité rend difficile leur adhésion à un syndicat et diminue encore plus leur pouvoir de négociation face à leur employeur. De plus, les employé-e- s de sous-traitants sont payés à un taux grandement plus bas que les employé-e-s « direct-e-s » de la mine. Leur salaire se situe majoritairement en dessous du salaire de subsistance. Plutôt que d'augmenter les salaires – et le niveau de vie général des congolais-e- - l'utilisation par les entreprises de sous-traitants contribue à réduire des salaires déjà très bas les laissant dans un cycle générationnel de pauvreté. Le recours systématique à des sous-traitants par les sociétés minières a également poussé ces travailleuses et ces travailleurs à travailler de manière significative au-delà de la limite légale congolaise de 45 heures par semaine, généralement sans rémunération des heures supplémentaires[13]. Ultimement, en sus de réduire les coûts pour les multinationales et de transférer la charge aux travailleuses et aux travailleurs, cette pratique permet de protéger ces entreprises contre des poursuites judiciaires futures et de limiter leur responsabilité légale et réputationnelle. Ils peuvent dévier les critiques vers ces compagnies sous-traitantes et « se laver les mains » de tous problèmes ou violations des droits des travailleurs. Toutefois, cette rhétorique n’est valable que si les deux parties sont à pouvoir égal. Or, dans le contexte congolais, les compagnies sous-traitantes — majoritairement locales et petites — n’ont que peu de pouvoir de négociation envers les multinationales qui dictent souvent les termes de leur accord. À défaut de lois internationales contraignantes, il revient donc aux consommatrices et aux consommateurs d’exiger que leurs achats — ici, des véhicules électriques — profitent aux pays, et à leurs travailleuses et travailleurs, où nous extrayons les ressources naturelles primaires et essentielles à ces biens.
  [1] Kirsten Lori Hund et Daniele La Porta, « Changing mining practices and greening value chains for a low carbon-world », World Bank Group, 2019. En ligne : https://www.worldbank.org/en/news/feature/2019/10/07/changingmining-practices-and-greening-value-chains-for-a-low-carbon-world [2] US Geological Survey, « Mineral Commodity Summaries 2020 », 2020. [3] Jean Pierre Okenda, « Democratic Republic of the Congo : Updated Assessment of the Impact of the Coronavirus Pandemic on the Extractive Sector and Resource Governance », Natural Resource Governance Institute, 2020. En ligne : https://resourcegovernance.org/analysis-tools/publications/drc-updated-assessmentimpact-coronavirus [4] International Monetary Fund (IMF), « Democratic Republic of the Congo: Technical Assistance Report – Governance and Anti-Corruption Assessment » Country Report No 2021/095, 25 mai 2021. En ligne : https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2021/05/25/Democratic-Republic-of-the-Congo-Technical-Assistance-ReportGovernance-and-Anti-Corruption-50191 [5] Comité exécutif ITIE-RDC, « Rapport Assoupli ITIE-RDC 2018, 2019 et 1er semestre 2020 », 16 mars 2021. [6] World Bank, « The World Bank in DRC: Overview », 2 avril 2021. En ligne : https://www.worldbank.org/en/country/drc/overview [7]Amnesty International et AfreWatch, « This Is What We Die For - Human Rights Abuses in the Democratic Republic of the Congo Power the Global Trade in Cobalt », 2016. En ligne : https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/05/AFR6231832016ENGLISH.pdf [8] Voir par exemple: RAID, « DR Congo: Mine Workers at Risk During Covid-19 », 11 juin 2020. En ligne : https://www.raid-uk.org/blog/dr-congo-mine-workers-risk-during-covid-19;  Kate Hodal, « Mining giant Glencore faces human rights complaint over toxic spill in Chad », The Guardian, 28 janvier 2021. En ligne : https://www.theguardian.com/global-development/2021/jan/28/mining-giant-glencore-faces-human-rights-complaint-over-toxic-spill-in-chad; RAID, « Rights group says Glencore’s sustainability report lack credibility », 2 juin 2020. En ligne : https://www.raid-uk.org/blog/rights-groups-say-glencore-sustainability-report-lackscredibility; IndustriALL, « IndustriALL raises Glencore human rights violations with UN Human Rights Council », 28 juin 2018. En ligne : http://www.industriall-union.org/industriall-raises-glencore-humanrights-violations-with-un-human-rights-council [9] Amnesty International et AfreWatch, « This Is What We Die For - Human Rights Abuses in the Democratic Republic of the Congo Power the Global Trade in Cobalt », 2016. En ligne : https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/05/AFR6231832016ENGLISH.pdf [10] RAID, « The Road to Ruin? Electric vehicles and workers’ rights abuses at Congo’s industrial cobalt mines », novembre 2021. En ligne : https://www.raid-uk.org/blog/cobalt-workers-exploitation [11] Traduction libre de : UN Human Rights Council, « Written statement submitted by Centre Europe - tiers monde, a nongovernmental organization in general consultative status », 38th Session, Item 3, 14 juin 2018. En ligne : https://www.cetim.ch/wp-content/uploads/Written_statement_CETIM_Glencore_ENG.pdf [12] Id. [13] RAID, « The Road to Ruin? Electric vehicles and workers’ rights abuses at Congo’s industrial cobalt mines », novembre 2021. En ligne : https://www.raid-uk.org/blog/cobalt-workers-exploitation   Retour à la table des matières

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Pluralité, démocratie et droits humains

9 décembre 2021, par Revue Droits et libertés

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Alexandra Pierre, présidente de la Ligue des droits et libertés Philippe Néméh-Nombré, vice-président de la Ligue des droits et libertés

Pluralité, démocratie et droits humains

Comme toute collectivité, la société québécoise est traversée d’une multiplicité de courants politiques, de tendances idéologiques et de perspectives sur la manière de mener les affaires publiques. Ces visions distinctes, faut-il le rappeler, sont elles-mêmes informées par une pluralité tout aussi grande d’expériences, déterminées notamment par la position que l’on occupe dans les rapports de pouvoir (de sexe et de genre, de race, de classe, de capacité, de religion, d’origines géographiques, etc.). Et dans l’espace public, les différentes perspectives occupent une place souvent correspondante à celle occupée par la personne ou le groupe qui les formule. C’est à partir de ces lignes ou, peut-être plus justement, à partir de ces tensions, pour ne pas dire fractures, que se négocient, en continue, la façon de formuler les enjeux auxquels nous faisons face ainsi que les réponses à y donner. Or, l'expression d'opinions, même divergentes, ainsi que la délibération qu’elle implique sont des droits humains déconsidérés et mal compris, alors même qu'elles sont des conditions nécessaires à une société réellement démocratique. L’expression de la pluralité En affirmant l’égalité et la liberté des individus, la Déclaration universelle des droits de l’Homme (sic), les différents pactes internationaux, tout comme les chartes canadienne et québécoise, reconnaissent de facto la pluralité des opinions ainsi que celle des personnes et groupes les formulant. Autrement dit, les droits humains contribuent, au moins en principe, à l’expression libre d’idées puisqu’ils reconnaissent que des personnes et groupes occupent des positions différentes dans la société, tout en partageant les mêmes droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Cela inclut d’avoir accès à l’expression et à la possibilité de participer au dialogue public. Ainsi, les droits humains représentent un socle, un cadre où les délibérations sont facilitées, voire possibles. De même, en retour, le débat est essentiel à la défense et au respect des droits humains. Pourtant, depuis un moment déjà, des attaques répétées sont déclenchées contre l’expression de la pluralité des voix et, incidemment, contre ce qui tend à la garantir et ce qu’elle permet de défendre. Au Québec, le gouvernement caquiste s’évertue, sans gêne, à bloquer, court-circuiter ou invalider des idées sous prétexte d’une préséance de la majorité et de ses volontés. Il évoque régulièrement d’hypothétiques valeurs dites « communes », dangereusement entendues comme « consensuelles », pour tenter de clore des discussions et il assimile tout débat d’idées ou de contestation à la négation du droit d’exister de la nation québécoise. Ainsi, de manière tout à fait assumée et avec une inquiétante aisance, une certaine construction du « nous » est utilisée pour faire taire. Débattre pour les droits humains Face à ces manœuvres, il faut continuer à marteler que garantir l’expression de la pluralité exige le respect et la défense des droits humains. C’est à travers la délibération que se forme un monde commun et, en dehors des discours haineux que la loi interdit déjà, le principe suggère que toutes opinions puissent être exposées, débattues et contestées. Tenter de résoudre cette tension normale entre pluralités et horizon collectif, c’est bien cela « faire société ». Dans cette perspective, la manière de penser le collectif a nécessairement un impact sur les droits humains tout comme la prise en compte des droits humains a un impact sur la manière de concevoir le collectif. Ces derniers sont ainsi une condition nécessaire à l'exercice démocratique. Il y a danger à croire que l’expression réelle ou fantasmée de l’opinion de la majorité, ou de ceux et celles qui prétendre la représenter, légitimerait l’absence de débats collectifs ou le fait de les expédier. Entraver l’expression du divers et du contradictoire parce qu’« ici c’est comme ça qu’on vit », parce que prendre le temps de débattre est une perte d’efficacité dans une vision technocratique de l’État ou parce que les pouvoirs exceptionnels deviennent la règle, constitue une négation des droits humains – qui prônent la participation libre et égale à sa société – ainsi qu’une limitation de la capacité à défendre les droits humains précisément par la participation au débat. Pour toutes ces raisons, la Ligue des droits et libertés réitère l’importance de penser conjointement droits humains et délibération, de favoriser et défendre la participation dans les prises de décision tout comme l’importance, aujourd’hui, de mettre fin à l’état d’urgence au Québec. Retour à la table des matières

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