Revue Droits et libertés
Publiée deux fois par année, la revue Droits et libertés permet d’approfondir la réflexion sur différents enjeux de droits humains. Réalisée en partenariat avec la Fondation Léo-Cormier, la revue poursuit un objectif d’éducation aux droits.
Chaque numéro comporte un éditorial, les chroniques Un monde sous surveillance, Ailleurs dans le monde, Un monde de lecture, Le monde de l’environnement, Le monde de Québec, un dossier portant sur un thème spécifique (droits et handicaps, droits des personnes aînées, police, culture, droit à l’eau, profilage, mutations du travail, laïcité, etc.) ainsi qu’un ou plusieurs articles hors-dossiers qui permettent de creuser des questions d’actualité. Les articles sont rédigés principalement par des militant-e-s, des représentant-e-s de groupes sociaux ou des chercheuses ou chercheurs.
Créée il y a 40 ans, la revue était d’abord diffusée aux membres de la Ligue des droits et libertés. Depuis, son public s’est considérablement élargi et elle est distribuée dans plusieurs librairies et disponible dans certaines bibliothèques publiques.
Bonne lecture !

Plateaux de travail et employabilité inclusive au Québec
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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Samuel Ragot,
analyste senior en matière de politiques publiques et chercheur, Institut de recherche et de développement sur l’intégration et la société
Cela pourrait vous choquer, mais au Québec il existe encore des emplois qui ne sont pas rémunérés, pour lesquels les travailleuses et travailleurs ne reçoivent pas d’avantages sociaux, pour lesquels des relevés d’impôts ne sont généralement pas émis, malgré la valeur du travail accompli. Parfois, ces travailleuses et travailleurs doivent même payer de leur poche pour travailler, la passe de bus ou de métro étant plus chère que la maigre compensation qui leur est versée. Il ne s’agit pas du travail invisible des femmes, mais bien de celui des personnes vivant avec des limitations fonctionnelles qui œuvrent sur des plateaux de travail.
Une étude à paraître de l’Institut de recherche et de développement sur l’inclusion et la société[1] fait le portrait de ces programmes au Canada. Premier constat : ces programmes existent encore et sont financés presque à 100 % par les gouvernements provinciaux et territoriaux. Deuxième constat : le Québec est une des législatures qui mise le plus sur les plateaux de travail.
Un plateau de travail, dites-vous?
Avant de continuer, il est nécessaire de préciser ce qu’est un plateau de travail. De façon générale, en voici quelques caractéristiques :
- Les personnes y participant présentent généralement une déficience intellectuelle ou un trouble du développement (par exemple, un trouble du spectre de l’autisme) ;
- Le travail de ces personnes sert à produire des biens et à générer des profits pour l’organisation supervisant le plateau de travail ou pour une tierce partie ;
- Les personnes occupent un poste et accomplissent des tâches pour lesquels toute autre personne serait normalement payée.
La majorité des participant-e-s aux plateaux de travail ne sont pas payé-e-s et ne reçoivent que des compensations limitées, par exemple, des billets de bus, quand ils en reçoivent. Dans une perspective basée sur la promotion et la défense des droits, et sans que cela soit un avis juridique, il pourrait s’agir ici, à notre avis, d’une violation de l’article 27 (Travail et emploi) de la Convention relative aux droits des personnes handicapées interdisant « la discrimination fondée sur le handicap dans tout ce qui a trait à l’emploi sous toutes ses formes » et générant une obligation pour les États à « protéger le droit des personnes handicapées à bénéficier, sur la base de l’égalité avec les autres, de conditions de travail justes et favorables, y compris […] l’égalité de rémunération à travail égal[2] ». Rappelons que le Canada a ratifié la Convention en 2010. La situation des personnes participant aux plateaux de travail au Québec pourrait également être considérée comme contrevenant à l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui mentionne notamment que « toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d’être protégée contre toute forme d’exploitation[3] ».
Le rôle du ministère de la Santé et des Services sociaux
Au Québec, la majorité des plateaux de travail est sous la responsabilité du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Regroupés en différents programmes d’employabilité et d’activités de jour, et conséquence de la privatisation des services sociaux et de leur transfert vers le communautaire, ces plateaux de travail sont généralement implantés dans des organismes communautaires ayant des ententes de services avec les Centres intégrés de santé et services sociaux (CISSS/CIUSSS). Il s’agit d’une façon pour ces organismes de financer une partie de leurs services, tout en offrant des activités de jour aux personnes présentant une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme. Entendons-nous ici : il ne s’agit pas de jeter la pierre aux organismes communautaires accueillants des plateaux de travail. En effet, le financement insuffisant de ces organismes par l’État, malgré leurs demandes répétées, les oblige à fournir les activités prescrites par le MSSS. Il s’agit plutôt d’un problème de vision politique et de choix de société faits aux dépens des personnes.
Une vision à changer
Tant et aussi longtemps que le gouvernement et la société verront les personnes présentant une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA) comme étant incapables de travailler et représentant un fardeau sociétal, toute tentative d’inclusion sera vouée à l’échec. Cette vision se reflète malheureusement dans les choix politiques des partis au pouvoir année après année : maintien et développement des plateaux de travail, création de classes spécialisées, piètres services après 21 ans, la ségrégation de ces personnes continue au Québec.
Ainsi, entre 2013-2014 et 2019-2020[4], le MSSS a déboursé 137 110 723 $ pour les postes Atelier de travail – Déficience intellectuelle et TSA, Support des stages individuels – Déficience intellectuelle et TSA et Support des plateaux de travail – Déficience intellectuelle et TSA. À l’opposé, pour la même période, le MSSS a déboursé un maigre 2 309 376 $ pour les programmes d’intégration à l’emploi en DI-TSA. Il s’agit de 1,66 % du total de ces programmes pour la période mentionnée.
Si à l’origine, lors de la désinstitutionalisation commencée en Amérique du Nord dans les années 1950-60, les plateaux de travail ont été pensés comme une façon de donner de l’expérience aux personnes handicapées afin de pouvoir à terme les inclure dans le milieu de l’emploi régulier, force est de constater que cela n’a pas eu lieu[5]. Un sondage a été réalisé pour l’étude à paraître et es chiffres sont clairs : 71 % des participant-e-s aux plateaux de travail y restent plus de deux ans, 40 % y restent plus de 5 ans, et dans près d’un quart des organisations sondées, des personnes participaient aux plateaux de travail depuis plus de 20 ans. Ces durées de participation remettent en question la possibilité que ces programmes contribuent réellement à l’acquisition de compétences professionnelles en vue d’intégrer le marché régulier de l’emploi.
Le constat est donc clair : le gouvernement du Québec finance activement des programmes qui, en plus de violer les droits des personnes handicapées, n’aident pas à leur embauche et à leur inclusion dans les milieux de travail réguliers. Pourtant, d’autres modèles ont fait leurs preuves.
L’embauche inclusive
Une option différente des plateaux de travail est la mise en place et le soutien à des programmes d’employabilité réellement inclusive. Ces programmes, comme l’initiative Prêts, disponibles et capables (PDC)[6], pilotée par la Société québécoise de la déficience intellectuelle et Giant Steps au Québec, visent à soutenir les personnes handicapées dans leur parcours vers l’emploi, mais aussi les employeurs et les milieux de travail dans l’inclusion de ces personnes. Plutôt que de se concentrer sur les limitations des personnes, ces programmes misent sur leurs forces et leurs capacités, sur un meilleur arrimage entre personnes et employeurs, et sur une meilleure adaptation du milieu de travail, par exemple en aménageant certaines tâches et en donnant du soutien aux employeurs et employé-e-s, notamment par la présence, si nécessaire, d’une accompagnatrice ou d’un accompagnateur en emploi sur les lieux de travail.
Les personnes handicapées bénéficiant de programmes d’embauche inclusive sont payées comme tous les autres employé-e-s de l’entreprise et bénéficient des mêmes avantages sociaux que leurs collègues, en plus de travailler avec des travailleuses et travailleurs non handicapés. Certaines études laissent même entendre que ces personnes sont souvent plus assidues au travail, prennent moins de congés et sont parfois plus productives que les autres employé-e-s[7].
Bien que la Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées soit un bon document de référence, trop peu de financement et de soutien sont offerts aux organismes souhaitant mettre en place des programmes d’embauche inclusive. Pourtant, la littérature et nos recherches pointent dans la même direction : si l’on veut procéder à une migration des plateaux de travail vers des programmes d’embauche inclusive, l’État doit s’engager financièrement et fournir des balises claires aux organismes concernés. Au Québec, cela ne se fait pas, et le MSSS continue de financer à grands frais les plateaux de travail.
Des obstacles à lever
Enfin, obstacle de taille, l’embauche inclusive est rendue difficile par les règles régissant les programmes d’aide financière de dernier recours (aide sociale et solidarité sociale) dont beaucoup de personnes handicapées sont prestataires. Ces programmes, en limitant les revenus de travail admissibles à 200 $ par mois (après quoi, la prestation est coupée dollar pour dollar), créent des trappes à pauvreté et découragent souvent les personnes handicapées d’essayer de travailler, même à temps partiel. Si le gouvernement du Québec a fait des progrès significatifs sur ce sujet dans les dernières années, il n’en reste pas moins que ces programmes ont grand besoin d’une réforme en profondeur afin de retirer les aides financières aux personnes handicapées du giron des programmes d’aide sociale et de solidarité sociale, ce que l’on appelle généralement le welfare.
Tant les plateaux de travail et l’exploitation des personnes handicapées, que ce que l’on nomme communément la welfarization de cette population doivent cesser et faire place à des programmes d’aide et de soutien inclusifs, misant sur les forces et capacités des personnes handicapées afin de réellement les inclure dans la société et leur permettre de vivre une vie décente. Cela demandera un réel changement dans la vision des personnes handicapées par la société, ainsi qu’une évolution du paradigme d’inclusion sociale promu par l’État, mais ces changements sont plus que nécessaires. Il en va du respect des droits de ces personnes.
[1] À paraître en mai 2021. En ligne : https://irisinstitute.ca
[2] Organisation des Nations Unies. Convention relative aux droits des personnes handicapées, no A/RES/61/106 (2006).
[3] Gouvernement du Québec. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, chap. C-12 (1975). En ligne : http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ showdoc/cs/c-12
[4] Données compilées depuis les contours financiers annuels produits par le MSSS. En ligne : https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/ document-001663/
[5] Deux récents rapports publiés ou à paraître soulignent l’échec des mesures d’emploi pour les personnes handicapées. Le premier est le rapport de la Vérificatrice générale. En ligne : https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications/ rapport-cdd/167/cdd_tome-novembre2020_ch03_web.pdf) ; le second est le rapport à paraître de l’Office des personnes handicapées du Québec sur l’évaluation de la politique gouvernementale À part entière.
[6] En ligne : https://www.sqdi.ca/fr/prets-disponibles-et-capables/
[7] En ligne : https://www.sqdi.ca/wp-content/uploads/2018/09/brochure_ PDC_qc2018_web.pdf, p.20.
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Emploi et santé mentale : L’obligation d’accommodement de l’employeur
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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Me Camille Lanthier-Riopel,
LL.M., avocate
L ’obligation d’accommodement de l’employeur permet aux personnes ayant des incapacités en lien avec la santé mentale d’accéder à l’emploi et de s’y maintenir. Bien qu’elle offre en principe une protection importante à ces personnes au cours de la période d’emploi, sa mise en pratique présente des difficultés et des limites.
Qu’est-ce qu’un accommodement en milieu de travail?
L’accès et le maintien en emploi des personnes ayant une condition de santé mentale, particulièrement un trouble qui n’est pas sévère ou qui est transitoire, par exemple un épisode dépressif, un trouble de l’adaptation ou encore un trouble anxieux, s’exercent via le droit à l’égalité prévu à la Charte des droits et libertés de la personne et ses multiples protections[1]. L’article 10 de la Charte interdit la discrimination des personnes ayant un handicap, une condition de santé mentale pouvant être un handicap au sens de cette loi. Il en résulte une obligation d’accommodement raisonnable de l’employeur qui a connaissance des limitations qu’entraîne la condition de santé mentale d’un-e candidat-e à l’emploi ou d’une personne à son emploi.
Les tribunaux canadiens reconnaissent que « […] les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire […]. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive[2]».
Une candidature ne peut donc pas être écartée, à moins qu’en raison des limitations de cette personne, elle ne possède pas les aptitudes ou les qualités requises pour le poste. De même, la personne en emploi ne doit pas être affectée négativement à cause de ses limitations (par ex. être écartée d’une promotion ou perdre son emploi), sauf si elle ne satisfait pas ou plus aux aptitudes ou qualités requises.
L’obligation d’accommodement couvre autant la période d’absence nécessaire pour récupérer et obtenir des soins et traitements que le retour au travail et la modification à long terme des tâches ou des conditions de travail.
Les meilleures pratiques de retour au travail
Les chercheuses et les chercheurs en psychologie organisationnelle insistent sur la nécessité de revoir les pratiques d’un milieu de travail en matière de santé mentale, notamment en ayant une politique en la matière, mais aussi en mettant à profit la vue d’ensemble qu’a la superviseure ou le superviseur immédiat du travail de la personne concernée[3], pouvant ainsi établir le lien entre elle et la direction.
Le retour au travail d’une personne ayant un problème de santé mentale s’effectue fréquemment dans le cours de son rétablissement, ce qui peut nécessiter des modifications de sa prestation de travail. La recherche suggère qu’il est nécessaire que les milieux de travail aient à la fois des pratiques de retour au travail appliquées systématiquement, donc à l’ensemble des employé-e-s, et qu’en plus il y ait une flexibilité suffisante pour répondre aux besoins particuliers de chaque individu. Par exemple, des pratiques qui peuvent être mises en place seraient d’offrir un retour au travail progressif – avec des tâches et un horaire allégé – ou de modifier des conditions de travail (ex. travail à temps partiel ou horaire flexible) ou des tâches à plus long terme (par exemple modifier la charge de travail ou l’environnement de travail)[4].
La judiciarisation de l’obligation d’accommodement
À défaut pour l’employeur de remplir son obligation d’accommodement, la personne ayant un problème de santé mentale doit faire valoir ses droits à l’organisation ou devant le tribunal approprié. Notre revue de la jurisprudence de 2010 à 2018 permet de constater que 85 % des demandes d’accommodement présentées à un tribunal visent des personnes syndiquées[5]. Pourtant, le droit à l’égalité des personnes handicapées existe sans la nécessité d’entreprendre un recours judiciaire et ce, à différents moments de leur vie professionnelle, tant dans le processus d’embauche[6] qu’en cours d’emploi[7] ou en cas de lésion professionnelle[8].
Contrairement à la pratique au Québec d’utiliser des questionnaires médicaux préembauche détaillés, il est nécessaire de rappeler qu’en matière d’embauche une personne n’a pas à dévoiler le diagnostic de sa condition de santé, mais bien à indiquer à l’employeur les mesures qui sont nécessaires pour qu’elle puisse accomplir le travail demandé. Tout questionnaire ou examen médical ne peut d’ailleurs pas être légalement imposé avant que la personne ne reçoive une offre d’emploi[9].
En cours d’emploi, l’obligation d’accommodement peut être soulevée à tout moment lorsqu’une personne fait face à des difficultés dans l’accomplissement de son travail en raison de son handicap. Nos recherches nous ont toutefois permis de constater que les personnes qui font appel à l’obligation d’accommodement devant des tribunaux le font généralement face à une fin d’emploi. Dans de nombreux cas, la fin d’emploi survient en raison d’un absentéisme de longue durée ou d’un absentéisme fréquent. L’obligation d’accommodement devient alors le dernier levier à actionner pour essayer de maintenir le lien d’emploi[10]. Nous avons aussi constaté des limites importantes quant à ce que les décideuses et décideurs accordent en matière de mesures d’accommodement. En effet, peu de modalités d’accommodement ou de mesures précises sont imposées (comme la modification des horaires ou des tâches)[11].
En définitive, il apparaît que le recours à l’obligation d’accommodement par une personne ayant un problème de santé mentale présente des difficultés et qu’elle fait l’objet d’une judiciarisation importante. La mise en place par les organisations de mesures favorisant l’adaptabilité du milieu de travail, des tâches et des conditions de travail est cruciale pour l’insertion et le maintien en emploi des personnes présentant des problèmes de santé mentale.
[1] Articles 10 et suivants de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12, en particulier les articles 16 à 20 qui visent le travail des personnes ayant des caractéristiques protégées.
[2] Hydro-Québec c Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43 au par. 14.
[3] Louise St-Arnaud et Catherine Briand, « The Best Practices for Managing Return to Work Following MentalHealth Problems at Work » dans Occupational Health and Safety : Psychological and Behavioral Aspects of Risk, Gower, 2011, p.343-357.
[4] Ibid.
[5] Camille Lanthier Riopel, L’accommodement en milieu de travail québécois des personnes souffrant d’un problème de santé mentale, Université d’Ottawa, 2020, p 58. En ligne : https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/40100
[6] La personne discriminée dans le cadre d’un processus d’embauche peut déposer une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ), supra note 1, art 74.
[7] La personne non syndiquée peut s’adresser à la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité du travail (CNESST), division des normes du travail. La personne syndiquée doit plutôt s’adresser à son syndicat pour le dépôt d’un grief
[8] La CNESST, division de la santé et sécurité du travail, doit s’assurer que l’exercice d’accommodement soit effectué dans le processus d’évaluation de la possibilité de retour au travail chez l’employeur d’une personne dont les limitations fonctionnelles l’empêchent de reprendre son travail; voir Québec (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) c Caron, 2018 CSC 3
[9] Supra note 1, art 18.1., Sophie Fournier, De Charybde en Scylla: le dilemme des candidats face à une question discriminatoire en embauche dans Développements récents en droit du travail, Barreau du Québec, Vol 364, 2013, p.128-170, Yvon Blais, Cowansville.
[10] Pour l’analyse complète voir supra note 5 aux pages 58 et suivantes.
[11] Ibid aux pages 61 à 70.
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Le droit à l’emploi des personnes ayant un trouble de santé mentale sévère
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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Un exercice pas comme les autres
Le droit à l’emploi des personnes ayant un trouble sévère de santé mentale
Jean-Paul Dautel,
doctorant, Université d’Ottawa et Université Lyon 2
La grande difficulté de l’exercice du droit au travail en milieu ouvert par les personnes ayant un trouble sévère de santé mentale est statistiquement et politiquement reconnue. La nouvelle Stratégie gouvernementale québécoise pour la période 2019-2024 semble innover et tenir compte des besoins spécifiques de cette population. Toutefois, les moyens engagés devront être proportionnels au but recherché.
Au Canada, toutes déficiences confondues, les personnes handicapées ont un niveau d’emploi plus faible que les personnes n’ayant aucun trouble[1]. Les taux d’emploi sont encore plus bas pour les personnes ayant un trouble sévère de santé mentale[2].
L’article 27 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CNUDPH), ratifiée par le Canada en 2010, leur reconnaît pourtant le droit au travail dans un milieu « ouvert […] favorisant l’inclusion et accessible[3]».
Pour atteindre cet objectif, le Québec a choisi de recourir à des mesures actives d’emploi prises sous l’empire de l’article 63 de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale[4] qui donne mission au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale de « favoriser l’intégration au marché du travail des personnes handicapées par l’élaboration, la coordination, le suivi et l’évaluation d’une stratégie visant l’intégration et le maintien en emploi de ces personnes et par la mise en place d’objectifs de résultats ». Ces mesures s’adressent aux personnes vivant une incapacité « significative et persistante », à savoir celles ayant un « trouble grave de santé mentale »[5]. Le gouvernement du Québec priorise donc son action positive sur les personnes pour lesquels l’accès à l’emploi est rendu le plus difficile.
Toutefois, à l’issue de la première phase de la stratégie 2008- 2013, on constatait une certaine inefficacité des mesures actives d’emploi visant cette population, aboutissant au projet que « la deuxième phase de la Stratégie nationale pourrait s’attarder de façon particulière aux moyens permettant de favoriser l’intégration en emploi des personnes présentant un trouble mental, ainsi que leur maintien en emploi[6]».
L’une des principales difficultés à l’intégration professionnelle, bien que non la seule, est la nécessité de mettre en place un accompagnement adapté aux spécificités des troubles vécus.
L’une des caractéristiques générales des troubles psychiques est leur variabilité. Ils sont évolutifs tant dans la fréquence que dans l’intensité de leurs manifestations, ce qui fait en sorte que leur accompagnement ne peut pas être passager et standardisé. Il demande du temps, de la flexibilité, de l’innovation et une implication interdisciplinaire et intersectorielle, incluant au premier chef l’employé-e concerné. Cette singularité est d’ailleurs revendiquée par les associations représentatives[7].
Or, si nous prenons l’une des mesures phares de la stratégie nationale, le contrat d’intégration au travail (CIT), elle peut être jugée lacunaire tant pour répondre au besoin d’un soutien plus global des problématiques de l’employé-e que pour accompagner l’employeur lui-même[8]. Le CIT permet une compensation salariale pour la réduction de productivité de la personne embauchée et pour son éventuel encadrant-e ainsi que la couverture de certains frais supplémentaires visant, notamment, l’accessibilité du lieu de travail ou l’adaptation du poste de travail. Si cette mesure peut se révéler intéressante, car autorisant une activité allégée et à temps partiel, elle s’adapte davantage aux problématiques techniques du poste de travail ou de son environnement – plus faciles à mesurer et à accommoder – qu’aux problématiques de nature personnelle, subjective ou relationnelle.
La nouvelle stratégie 2019-2024 semble toutefois pallier ce manque en finançant le recours à des agent-e-s d’intervention en emploi[9]. La volonté du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale est d’étendre à toute la province des projets pilotes mis en place localement au bénéfice des « personnes qui rencontrent des obstacles importants pour intégrer ou réintégrer un emploi et s’y maintenir en raison d’un problème de santé mentale, d’une déficience intellectuelle ou d’un trouble du spectre de l’autisme[10]».
Le recours à des agent-e-s d’intervention en emploi consiste à proposer aux employé-e-s et à leur employeur un service d’accompagnement individualisé et soutenu sur les lieux de travail.
Les agent-e-s sont embauché-e-s par l’intermédiaire des organismes spécialisés membres du Regroupement des organismes spécialisés pour l’emploi des personnes handicapées (ROSEPH) et interviennent directement dans l’entreprise pour aider à l’apprentissage des tâches, pour participer à la résolution des problèmes et pour contribuer à la mise en place de mesures d’adaptation. Elles et ils aident également l’entreprise dans l’encadrement et la supervision de l’employé-e. Elles et ils pourront, en outre, intervenir dans d’autres sphères de la vie de la personne accompagnée, comme le logement[11]. Cette mesure, qui est financée à hauteur de deux millions de dollars par an sur quatre ans, doit aboutir à l’embauche de 28 agent‑e-s d’intégration[12] avec l’effet recherché de favoriser l’intégration professionnelle et le maintien en emploi de 800 personnes en situation de handicap partout au Québec[13]. Cette mesure doit être saluée comme favorisant l’atteinte de l’objectif d’intégration professionnelle et de maintien en emploi des personnes ayant un trouble sévère de santé mentale, d’autant plus que les expériences de soutien à l’emploi, dont elle s’inspire, se révèlent concluantes pour ce type de population[14].
Néanmoins, plusieurs interrogations se posent, entre autres, sur la fluidité de la coopération qui sera mise en place entre l’agent-e, l’employé-e, l’employeur et la conseillère ou le conseiller en emploi, la participation du personnel soignant, non évoquée par la Stratégie, la durée du dispositif, sa cohabitation avec d’autres mesures telles que le CIT, sa disponibilité géographique ainsi que l’insuffisance du nombre de places disponibles que peut faire craindre le faible objectif de 800 personnes accompagnées sur quatre ans.
Tous ces éléments ont leur importance pour que le droit au travail en milieu ouvert se concrétise à long terme pour les personnes ayant un trouble sévère de santé mentale. Ils devront, par ailleurs, être précisément évalués, au-delà du seul aspect purement quantitatif de l’accès à ce dispositif.
Milieu ouvert
C’est le terme retenu par la Convention des Nations Unies. Il est aussi appelé milieu ordinaire ou standard et regroupe les employeurs du marché du travail classique.
Milieu protégé ou adapté
Ce terme inclut les entreprises adaptées qui emploient, dans une proportion d’au moins 60 % de leur effectif, des personnes handicapées. Ces entreprises proposent des emplois pour les personnes « qui, bien qu’elles puissent être productives, ont des incapacités importantes qui les empêchent d’être compétitives dans un milieu de travail standard ».
En ligne : https://www.emploiquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/ fichiers/pdf/Publications/EQ_guide_ent_adaptees.pdf (p. 4)
Accessibilité des lieux de travail
Ce volet permet de compenser à l’employeur une partie des frais encourus pour rendre les lieux de travail accessibles et sécuritaires. Le montant maximum pour une personne handicapée chez un même employeur est de 10 000 $, incluant les coûts d’évaluation, s’il y a lieu.
Adaptation du poste de travail
Ce volet permet de compenser à l’employeur les coûts d’une adaptation du poste de travail requise en fonction des incapacités d’une personne handicapée, incluant l’achat, l’installation, la réparation, la mise à jour et le remplacement des équipements. Le montant maximum alloué pour l’adaptation du poste de travail d’une personne handicapée chez un même employeur est de 10 000 $, incluant les coûts d’évaluation, s’il y a lieu.
En ligne : https://www.ophq.gouv.qc.ca/fileadmin/centre_ documentaire/Guides/Guide_Progammes_2017_Web.pdf (p. 30)
[1] Statistique Canada, Un profil de la démographie, de l’emploi et du revenu des Canadiens ayant une incapacité âgés de 15 ans et plus, 2017, par Stuart Morris et al., n° de catalogue 89-654-X, Ottawa, Statistique Canada, 28 novembre 2018
[2] Statistique Canada, Les personnes avec incapacité et l’emploi, par Martin Turcotte, n° de catalogue 75-006-X, Ottawa, Statistique Canada, 3 décembre 2014, p.4.
[3] Convention relative aux droits des personnes handicapées et protocole facultatif, 13 décembre 2006, 2515 RTNU 3, art 27(1).
[4] Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, LRQ, c E-20.1.
[5] Office des personnes handicapées du Québec, À part — égale : l’intégration sociale des personnes handicapées : un défi pour tous, 1984, p.10.
[6] Québec, Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Bilan 2008-2013, Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées, 2013 à la p 13.
[7] Québec, AGIDD-SMQ, Mémoire portant sur le projet de loi 56, Loi modifiant la loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées et d’autres dispositions législatives, Mémoire présenté à la Commission des affaires sociales, septembre 2004, p.5.
[8] Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2020-2021, Rapport du commissaire au développement durable, chapitre 3, Intégration et maintien en emploi des jeunes personnes handicapées, novembre 2020, p.106-107.
[9] Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées 2019- 2024, pour un Québec riche de tous ses talents, 2019, mesure 26, p.34.
[10] Ibid.
[11] Vérificateur général, supra note 8, p.107
[12] Éric Beaupré, « M. Jean Boulet, ministre du Travail, annonce l’embauche de 28 agents d’intégration pour favoriser l’embauche de personnes éprouvant un handicap sur le marché du travail », vingt55 journal du web (18 mars 2019).
[13] Vérificateur général, supra note 8, p.107.
[14] Eric Latimer et al., “Generalisability of the individual placement and support model of supported employment: results of a Canadian randomised controlled trial” (2006) 189 British Journal of Psychiatry 65.
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La citoyenneté sexuelle à l’intersection du handicap cognitif par l’approche des relations d’autonomie
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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Michèle Diotte,
PhD Sciences sociales
L’histoire récente du handicap cognitif en Occident est marquée par un changement de paradigme, passant de l’internement à l’intégration sociale. Cette transformation, amorcée dans les années 1970, a notamment favorisé la reconnaissance des droits des personnes considérées en situation de handicap. Au-delà de l’adoption de lois et de conventions mettant de l’avant les droits de ces personnes[1], il importe de s’attarder à la façon dont la citoyenneté s’articule concrètement pour les personnes considérées en situation de handicap cognitif. Dans le cadre de ma thèse de doctorat, je me suis intéressée à cette interaction entre citoyenneté et capacité, c’est-à-dire à la façon dont on favorise ou on limite la reconnaissance et l’exercice des droits, ainsi que la participation sociale des personnes, selon leurs capabilités[2]. Mes recherches m’ont permis de développer un modèle théorique qui conceptualise différemment l’autonomie des personnes dites vulnérables. Ce modèle, nommé Approche des relations d’autonomie, propose d’aborder la citoyenneté sexuelle[3] des personnes considérées en situation de handicap cognitif de façon plus inclusive.
La question de la sexualité des personnes considérées en situation de handicap cognitif est généralement appréhendée sous une perspective individuelle (la source de la vulnérabilité est interne à l’individu) ou sous une perspective sociale (leur vulnérabilité découle des barrières sociales). On peut penser aux limites en matière de sexualité au nom des risques d’exploitation sexuelle, des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) et de grossesses. On peut également penser aux effets, découlant de la ghettoïsation de cette population, sur leur sexualité. Or, entre le souci de protéger de l’abus et la volonté de reconnaître des droits sexuels, on reste souvent coincé. Alors que la prégnance du discours sur la protection peut avoir pour effet de restreindre les droits sexuels des personnes considérées en situation de handicap cognitif, le discours sur les droits sexuels peut, quant à lui, occulter les rapports de pouvoir menant à diverses formes d’abus à l’égard de ces personnes. L’approche des relations d’autonomie ne propose pas de choisir entre l’une ou l’autre de ces perspectives. Elle soutient plutôt qu’il est possible de garantir une citoyenneté sexuelle pour l’ensemble de la population en remettant en question la façon d’entrevoir la vulnérabilité, l’autonomie et la dépendance.
Plus concrètement, l’approche des relations d’autonomie s’articule autour de trois dimensions. D’une part, elle favorise l’être relationnel. D’autre part, elle reconnaît l’importance des relations d’interdépendance dans la vie des personnes. Finalement, elle cherche à développer le pouvoir d’agir des personnes dites vulnérables.
Favoriser l’être relationnel signifie cesser de réduire la personne considérée en situation de handicap cognitif à son âge mental et à ses limites cognitives. La référence à l’âge mental agit plus souvent qu’autrement comme un frein à l’expression de la sexualité. L’analogie avec l’enfance peut avoir pour effet de limiter les possibilités de développer des habiletés à travers l’expérimentation. « Elle a le fonctionnement mental d’un enfant de 5 ans, elle n’est donc pas en mesure de consentir à un rapport sexuel ». Or, penser l’autonomie à travers le spectre du développement cognitif risque d’évacuer l’influence de la dimension relationnelle sur l’autonomie des personnes. Certaines relations favorisent le développement de l’autonomie, alors que d’autres relations peuvent avoir pour effet de limiter la pratique de l’autonomie. Ainsi, il est possible de rendre accessibles des apprentissages (en termes de savoir, de savoir être et de savoir-faire), notamment sur le plan de la sexualité, des relations affectives et amicales, afin de favoriser la citoyenneté des personnes considérées en situation de handicap cognitif. À travers les relations, les personnes expérimentent et développent leurs connaissances et leurs habiletés. La possibilité d’accéder à une variété de relations (pas seulement avec d’autres personnes considérées en situation de handicap cognitif) participe ainsi au développement de l’autonomie de ces personnes.
Paradigmes d’interprétation de la vulnérabilité des personnes considérées en situation de handicap cognitif
Perspectives pour penser le handicap cognitif | Sources de la Vulnérabilité | Discours et pratiques | Notions associées | Approches mobilisées | Conceptions de l’(in)capacité | Exemples de pratiques |
Perspective individuelle | Conditions internes de l’individu | Protection/
Prise en charge |
Personne vulnérable
|
Approche
bio-psycho-médicale |
Vision dichotomique de la capacité/incapacité | Évaluation de la capacité à l’aide de tests psychologiques) |
Perspective sociale | Barrières sociales | Participation sociale/
Gestion des risques |
Facteurs de risque et de protection
|
Approche de la Normalisation
Valorisation des Processus de production du handicap |
Vision dichotomique entre handicap (social) et incapacité (individuel) | Intervention sexoéducative
|
Perspective politico-relationnelle | Barrières politiques, juridiques, sociales et relationnelles
(Vulnérabilité problématique) |
Politisation des conditions (politiques, juridiques, sociales et relationnelles) qui génèrent et maintiennent la vulnérabilité problématique
|
Interdépendance
|
Approche des relations d’autonomie | Pas de distinction entre incapacité et handicap, les deux sont façonnées par les conditions politiques, juridiques, sociales et relationnelles | 1) Entrevoir l’être relationnel
2) Reconnaître l’interdépendance 3) Mettre en situation d’empowerment » Par la transformation des conditions politiques, juridiques, sociales et relationnelles |
En effet, une réelle reconnaissance de la citoyenneté sexuelle des personnes considérées en situation de handicap cognitif nécessite de conceptualiser différemment l’autonomie. L’autonomie, telle que nous l’appréhendons généralement, est issue d’une perspective libérale. Dans une telle perspective, être autonome signifie que nous sommes en mesure de nous autodéterminer et être indépendant-e-s. Or, pour les personnes considérées en situation de handicap cognitif, l’autosuffisance et l’indépendance ne sont pas toujours envisageables. Pour entrevoir l’autonomie chez ces personnes, il faut donc se départir de l’idée voulant que l’interdépendance réduise l’autonomie et augmente la vulnérabilité. L’approche des relations d’autonomie permet d’aborder l’interdépendance comme une dimension inextricable à la condition humaine, plutôt qu’en termes de barrières. En fait, dans une telle approche, la notion d’autonomie prend son sens à travers les relations. Plus encore, l’autonomie constitue une compétence qui se développe (ou pas) en interaction avec différents facteurs relationnels, sociaux, interpersonnels et intersubjectifs.
Reconnaître l’interdépendance signifie identifier les relations d’interdépendance qui sont significatives dans la vie des personnes. Chaque individu (sans handicap et en situation de handicap) entretient ses propres relations d’interdépendance. Ces relations ne sont ni stables ni fixes. Elles varient au cours de la vie, selon les besoins, les limites et défis auxquels nous faisons face. La reconnaissance de l’interdépendance ne vide pas pour autant les relations de leurs rapports de pouvoir. S’il faut être particulièrement sensible aux jeux de pouvoir, il faut se retenir d’appréhender l’interdépendance et le pouvoir uniquement dans leur forme négative (humilie, discrimine, opprime, abuse, etc.).
Les relations d’interdépendance peuvent générer l’affirmation de soi et le développement du pouvoir d’agir des personnes considérées en situation de handicap cognitif.
À titre d’exemple, une personne considérée en situation de handicap cognitif qui est en relation avec une personne considérée sans handicap et qui assume le rôle de pourvoyeur peut permettre à celle-ci d’exprimer ses besoins, d’avoir un sentiment de « normalité » et de sentir qu’elle n’est pas réduite à son handicap. Ainsi, il importe d’explorer ce que cette relation signifie dans la vie de la personne : qu’est-ce qu’elle apporte de positif et de négatif, selon et pour la personne concernée. En d’autres mots, reconnaître l’interdépendance évite de se confiner à une analyse basée uniquement sur la gestion des risques.
Soulignons que le développement du pouvoir d’agir nécessite d’avoir identifié les facteurs politiques, juridiques, sociaux et institutionnels qui exacerbent la vulnérabilité des personnes considérées en situation de handicap cognitif, en plus de mettre en place des mécanismes qui favorisent l’exercice de la citoyenneté sexuelle. Le pouvoir d’agir de ces personnes passe notamment par un accès général à l’intervention sexoéducative (pas seulement en réponse à des situations jugées problématiques) et par des occasions de rencontre, de socialisation, de rapports d’amitié et d’intimité (avec une mixité de personnes).
En d’autres mots, l’approche des relations d’autonomie favorise la mise en place de stratégies différentes afin de répondre aux besoins et défis en matière de sexualité pour les personnes considérées en situation de handicap cognitif. L’approche aborde la sexualité en fonction des barrières à ébranler ou à déconstruire afin de favoriser l’exercice de cette citoyenneté sexuelle pour l’ensemble des personnes. Plus concrètement, l’application d’une telle approche suggère de remettre en question la séparation qui existe entre capacité et incapacité, elle appelle à une reconnaissance des personnes considérées en situation de handicap cognitif comme des êtres sexuels, ainsi qu’un accès à une variété d’interventions sexoéducatives inclusives, non normatives, qui encouragent et soutiennent l’expérimentation. Ces interventions doivent être accessibles à toutes et à tous, et doivent être portées par différents acteurs sociaux (cellule familiale, milieux communautaires, institutionnels et de l’éducation).
[1] Pour une présentation exhaustive de ces lois et conventions, consultez l’ouvrage La funambule, le fil et la toile. Transformations réciproques du sens du handicap de Patrick Fougeyrollas, publié aux Presses de l’Université Laval, 2010.
[2] Amartya Sen et Martha Nussbaum ont développé des théories au sujet des capabilités
[3] J’entends, par citoyenneté sexuelle, l’accès à l’expression sexuelle dans un contexte où notre propre intégrité est respectée, tout comme celle des autres
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Compréhension historique du handicap et participation sociale des personnes ayant des capacités différentes
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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Patrick Fougeyrollas,
Ph.D. professeur associé au Département d’anthropologie de l’Université Laval, chercheur au Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS) et au Réseau international sur le processus de production du handicap (RIPPH)
Mise en perspective anthropologique
Comprendre le handicap repose sur le sens qui est donné à ce qui s’écarte de la norme anatomique, physiologique, fonctionnelle, comportementale ou esthétique dans un contexte socioculturel et physique donné. C’est ainsi que des corps et esprits différents de la norme ont pu être éliminés, négligés, ségrégués ou soumis à des traitements spécifiques proportionnels au degré de menace que cette caractéristique personnelle fait peser de manière réelle ou imaginaire sur la survie, la cohésion, le bon fonctionnement ou la capacité de prise en charge dans leurs collectivités. Mais c’est aussi sur la reconnaissance des besoins d’attention, de protection, d’assistance et de moyens matériels, techniques et humains que s’expriment les mesures de protection, de compensation, de coopération de la solidarité sociale et de l’égalisation des chances.
La notion de handicap est donc relative, en transformation, source variable de dénis de droits comme de caractéristiques ouvrant à des modalités spécifiques de rétablissement de l’équité pour l’exercice effectif du droit à l’égalité. Elle nécessite toujours d’expliciter le point de vue à partir duquel on parle. Que ce soit pour mieux poser un jugement ou mieux intervenir, il faut mieux comprendre les divers modèles de compréhension du handicap et leurs conséquences[1].
Évolution récente des compréhensions du handicap au Québec
Avant 1970, les infirmes, les invalides, les déficients mentaux et les malades mentaux[2] dont les déficiences sont congénitales, acquises en bas âge, ou se développant tout au long de la vie, sont socialement invisibles, institutionnalisés ou cachés dans les familles. Leurs anormalités en font de quasi sous-humains, objets de charité chrétienne, de prise en charge institutionnelle par le clergé et de mesures d’assistance. Celles-ci vont de l’éducation à la mise au travail ségrégués jusqu’à l’absence de toute stimulation, incluant des privations et violences matérielles, physiques, psychologiques et sexuelles à des degrés divers. C’est le modèle de la charité, de la protection et de la stigmatisation.
Le handicap est alors défini comme un résultat situationnel susceptible d’être modifié soit par le développement des capacités fonctionnelles et comportementales soit par la suppression des obstacles à la participation sociale en leur substituant des facilitateurs.
Deux populations sont toutefois traitées différemment et vont amener l’émergence de mesures de réadaptation et de compensation témoignant d’une reconnaissance de responsabilité sociale et de l’État : les anciens combattants invalides et les accidentés du travail.
À cette époque domine le modèle médical ou individuel du handicap centré sur les diagnostics. Le handicap est alors défini comme un défaut, une déficience, une anormalité de la personne.
En 1971, la Commission Castonguay-Nepveu[3] fait littéralement la « découverte des handicapés » et définit la responsabilité de l’État-providence émergeant avec la création des ministères des Affaires sociales et de l’Éducation. Il s’ensuit une planification de prise en charge par types de clientèles auparavant fréquemment regroupées sans distinction dans les institutions d’incurables. Dans les hôpitaux psychiatriques, on distingue les déficients mentaux des malades mentaux. Des services sont mis en place par clientèles et on amorce le processus de désinstitutionalisation. Les secteurs s’organisent par groupe d’âge distinguant les jeunes des adultes et des personnes âgées. Les réseaux se structurent selon les types de déficiences motrice, visuelle, auditive, intellectuelle, psychique, ou liées à des maladies chroniques.
Les traitements, les efforts d’adaptation, de réadaptation et d’éducation spécialisée visent principalement à corriger ces défauts, à réduire ou compenser les limitations fonctionnelles, à normaliser mais dans des filières protégées et spéciales. Les acquis des développements cliniques et technologiques visant la récupération de la capacité de travail des vétérans invalides et des accidentés de travail sont peu à peu ouverts aux autres causes de handicap. Les progrès médicaux et de l’hygiène publique font que les mortalités infantiles ou traumatiques baissent radicalement entrainant un accroissement très important de personnes vivant avec des déficiences et incapacités chroniques. Les désavantages sociaux, particulièrement la pauvreté massive des handicapé‑e-s est attribuée dans le modèle médical à un destin ancré chez l’individu caractérisé par ses incapacités et ses inaptitudes sociales[4].
De la protection à l’exercice des droits
Au milieu des années 1970, un projet de loi sur la protection des personnes handicapées[5] globalement orienté vers la remise au travail soulève un tollé de la part des dizaines d’associations de parents ou de jeunes adultes ayant bénéficié de services de réadaptation et réclamant des services de soutien dans la collectivité et la réduction des obstacles à leur intégration sociale. Ces associations sont organisées par type de diagnostic et offrent des assistances à leurs membres. Elles fonctionnent en silo selon le modèle médical.
La Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées[6] (1978) et le livre blanc sous-jacent sont profondément influencés par les mouvements de normalisation scandinave et de vie autonome en Amérique du Nord et en Europe. Ceci amène au Québec et à l’international, un nouveau modèle de compréhension du handicap connu sous le nom de modèle social[7]. En contraste et en opposition au modèle médical, le handicap ou les désavantages sociaux, oppressions et exclusions vécus par les personnes ayant des incapacités sont attribués aux déficiences de l’environnement physique et social, aux obstacles d’accessibilité architecturale ou des infrastructures, à la non disponibilité de services d’assistance, de soutien à domicile, de sécurité du revenu et d’accès aux aides techniques ou animales permettant de compenser les incapacités et de réaliser les rôles sociaux valorisés par la personne et la population sans incapacité.
Le modèle social du handicap est porteur d’un plaidoyer politique d’émancipation des modes paternalistes de prise en charge. Il est source de ralliement et de cohésion du mouvement associatif communautaire de défense des droits[8].
Le mouvement associatif communautaire de défense des droits devient un interlocuteur obligé pour toute élaboration de politique ou programme ayant potentiellement un impact sur la population québécoise ayant des incapacités significatives et persistantes. Au plan international, il adopte le slogan fédérateur : « Rien à notre propos sans nous[9] ». Ce mouvement s’appuie sur les principes de l’autodétermination, du libre choix, du contrôle de sa vie, de la participation aux prises de décision individuelles et collectives. De plus, les différences corporelles, fonctionnelles ou comportementales perdent, du point de vue des personnes qui en sont porteuses, la dimension de tragédie à laquelle la majorité de la population associe encore le handicap.
À l’instar des mouvements sociaux des femmes et des personnes LGBTQ ou racisées, le mouvement définit les différences corporelles, fonctionnelles, comportementales et esthétiques comme sources de fierté identitaire et de manifestation créative de la diversité humaine[10].
En tant que modèle sociopolitique, le modèle social du handicap a eu tendance à exclure les actrices et les acteurs des mondes médicaux et paramédicaux, de la réadaptation et de l’éducation spécialisée. Historiquement, on y trouve pourtant d’important‑e-s allié-e-s du projet collectif de soutien à la participation sociale des personnes ayant des incapacités ainsi que des expert-e-s en accompagnement et assistance personnalisé, en ingénierie technologique, en accessibilité universelle et des milieux de recherche multidisciplinaires innovateurs dans le champ du handicap.
Toutefois, la mobilisation engendrée par le projet de loi les amène à des alliances sans précédent dont la trame centrale est la reconnaissance des droits de la personne.
Ceci a amené l’émergence d’une perspective plus équilibrée mettant l’accent sur l’interaction entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux dans le processus de production du handicap[11].
Ce modèle du Processus de production du handicap a été adopté en 2010 dans la Politique gouvernementale À part entière, vers un véritable exercice du droit à l’égalité[12]. Ce modèle ne considère pas le processus de handicap comme séparé du modèle universel de développement vécu par tous les êtres humains, mais comme une modalité de différentiation des singularités humaines, un enrichissement de la diversité identitaire. De plus, ce modèle interpelle toutes les actrices et tous les acteurs sociaux comme potentielles parties-prenantes de la construction d’obstacles ou de facilitateurs à l’exercice effectif des droits de la personne. Ceci devient un enjeu sociétal synonyme de participation sociale optimale aux habitudes de vie valorisées dans chaque collectivité. Par cette perspective ouverte, il s’inscrit comme modèle ancré dans les droits humains. C’est ce modèle interactif et situationnel du handicap qui a été adopté dans la définition du handicap de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH)[13]. Par la reconnaissance que les personnes ne peuvent plus être définies par leurs déficiences, leurs incapacités mais plutôt par leurs aptitudes et potentiels nécessitant pour qu’ils s’expriment, dans ce qu’Armatha Sen nomme les capabilités[14], c’est-à-dire les possibilités de réalisation des activités et rôles sociaux.
Depuis 30 ans, le mouvement communautaire de défense des droits milite pour ces derniers et la recherche démontre la nécessité de séparer la sécurité du revenu de la compensation des coûts supplémentaires liés aux déficiences, aux incapacités et aux situations de handicap.
Il s’agit de tendre vers des contextes inclusifs des diversités humaines, d’accessibilité universelle, de non-discrimination et de disponibilité de moyens spécifiques à l’exercice effectif du droit à l’égalité. Cette perspective ne reconnait pas de droits spécifiques mais bien la légitimité de modalités de soutien, d’assistance humaine, technologique, financière ou d’aménagement environnemental assurant l’équité quelles que soient les différences de capacités des citoyens.
Un changement de paradigme encore à mettre en oeuvre…
J’aimerais souligner des changements de perspectives attendues qui pour la plupart sont déjà formulées dans les énoncés de politiques québécoises et normalement garanties par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[15].
En effet, les discriminations fondées sur la cause du handicap continuent à perpétuer des silos sélectifs dans l’accès au revenu et la qualité des compensations pour des personnes ayant les mêmes diagnostics et profils d’incapacités. Les lobbies pour le statu quo bloquent ce dossier piloté par l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) depuis plus de 30 ans. Deux solutions sont pourtant claires et proposées depuis des lustres: l’implantation d’un revenu universel de citoyenneté et en parallèle celle d’un Fonds d’assurance publique universelle des coûts supplémentaires liés au handicap et aux moyens visant à le compenser sans égard à la cause.
Il existe un urgent besoin de campagnes intensives de sensibilisation au phénomène du capacitisme individuel et collectif.
Le capacitisme[16] comme le sexisme, le racisme ou l’homophobie agit comme un angle mort dans la perception et la compréhension des personnes dites capables, performantes et en bonne santé. Il valorise comme allant de soi les corps parfaits et performants et juge inférieure et non désirée toute déficience, incapacité ou maladie chronique. Le capacitisme est la source de l’assimilation du handicap à une tragédie personnelle et à une existence sans valeur.
Les moyens adéquats doivent être octroyés aux plans individuel, collectif ou associatif pour la défense de droits et le maintien de la vigilance de longue durée sur les impacts des législations, politiques et programmes concernant les citoyennes et les citoyens vivant des situations de handicap.
Vers des mesures coercitives?
Le Québec pratique depuis le début des années 1980 une approche incitative sur les plans législatifs et de ses politiques pour la mise en oeuvre d’une société inclusive et l’atteinte du droit à l’égalité. Des efforts sérieux doivent envisager des mesures coercitives. On peut prendre l’exemple de l’ONU qui a constaté le manque d’efficacité des déclarations incitatives dans le champ des droits humains et a opté pour l’élaboration de traités et conventions à caractère contraignant pour les États parties[17]. Il est important d’appliquer les principes fondamentaux énoncés dans la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées (2005) et particulièrement la gestion participative des populations ayant des incapacités concernées dans tout projet à visée inclusive aux plans national, régional ou municipal.
Trop souvent, la représentation des personnes tend à ignorer celles ayant des incapacités les plus sévères. Ceci doit être corrigé en fournissant l’accompagnement, l’assistance humaine et technologique et les aménagements nécessaires à leur pleine participation et représentation au sein du mouvement associatif et de la participation citoyenne.
Des modalités de sensibilisation et de formation continue sont nécessaires pour renforcer le changement de culture sociétale visant l’élimination des obstacles systémiques à l’exercice du droit à l’égalité.
Une prise de conscience urgente est nécessaire dans la gestion publique des réseaux de services en santé, services sociaux, éducation et justice pour contrer les politiques néolibérales d’austérité et l’adoption de modes de gestion de performance industrielle[18] déshumanisant les services, le caring ou accompagnement et entrainant une désaffection des engagements professionnels particulièrement dommageable pour les personnes vulnérabilisées.
Conformément à la CDPH, le recours à l’hébergement institutionnel doit être un dernier recours après avoir donné un véritable accès aux ressources humaines, technologiques, financières et les aménagements permettant l’assistance personnelle à domicile des personnes ayant des incapacités même sévères de tous âges pour la réalisation des habitudes de vie de leur choix nécessaires à leur pleine participation sociale et à l’exercice effectif de leur droit à l’égalité.
Finalement, il est essentiel d’assurer les conditions de choix et alternatives permettant l’auto-détermination dans les débats sociaux contemporains sur le droit à l’intégrité physique et psychique, le droit à la vie et l’aide médicale à mourir.
Conclusion
La compréhension contemporaine du handicap a permis la reconnaissance pleine et entière des droits humains des personnes ayant des capacités différentes, à les considérer comme un enrichissement de la diversité humaine et à reconnaitre les responsabilités de tou-te-s les actrices et acteurs sociaux publics et privés pour réaliser le changement de culture et de paradigme nécessaire pour progresser vers des sociétés vraiment inclusives.
Le recours croissant au judiciaire, au Tribunal québécois des droits de la personne et autres mécanismes de recours, les possibilités ouvertes par la ratification du protocole facultatif[19] de la CDPH sont des signes d’une prise de parole de personnes autrefois invisibles, sans voix et considérées comme des eternel‑le-s mineur-e-s. Ceci témoigne d’une meilleure sensibilisation aux droits et aux demandes de réparation et de correction de situations de déni de droits ou de discrimination systémique.
Mais c’est aussi un signal d’alarme demandant une attention et une vigilance accrues accompagnées d’actions efficaces pour maintenir les acquis et poursuivre la mise en oeuvre effective du droit à l’égalité ainsi qu’une évaluation rigoureuse et périodique des résultats obtenus au Québec, au Canada et à l’international.
[1] Patrick Fougeyrollas, La funambule, le fi et la toile. Transformations réciproques du sens du handicap, Les Presses de l’Université Laval, (2010), p.315.
[2] Les terminologies variables selon les époques historiques sont utilisées à dessein dans cet article.
[3] Gouvernement du Québec, Le développement. Rapport de la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social, CEBS, Claude Castonguay et Gérard Nepveu, Québec, Éditeur officiel, (1971).
[4] Patrick Fougeyrollas, Le processus de production culturelle du handicap. Contextes sociohistoriques du développement des connaissances dans le champ des différences corporelles et fonctionnelles, Lac-Saint-Charles, CQCIDIH-SCCIDIH, (1995), p. 305.
[5] Loi sur la protection des personnes handicapées, Projet de loi 55, (1975).
[6] Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées, RLRQ, E-20.1, (1978).
[7] Michael Oliver, “The Politics of Disablement”, Londres, Mac-Millan Press LTD, (1990).
[8] Patrick Fougeyrollas, Normand Boucher et Yan Grenier, Mémoire, action collective et émancipation dans le champ du handicap par Francine Saillant et Ève Lamoureux, InterReconnaissance La mémoire des droits dans le milieu communautaire au Québec, Québec, PUL 143-171, (2018).
[9] Nothing About Us Without Us.
[10] Tom Shakespeare et al. “Defending the Social Model”, Disability and Society, vol 12, N 2, p. 293-300, (1997).
[11] Patrick Fougeyrollas et al. Classification québécoise Processus de production du handicap, Québec, RIPPH, (1998).
[12] Office des personnes handicapées, À part entière, vers un véritable exercice du droit à l’égalité, Gouvernement du Québec, (2009).
[13] ONU, Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), New-York, ONU, (2006).
[14] Amartha Sen, Repenser l’inégalité, Seuil, (2000).
[15] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12.
[16] Yan Grenier et Patrick Fougeyrollas, Capacitisme, Dictionnaire anthropologique virtuel ANTHROPEN (2020).
[17] Gérald Quinn et Teresa Degener, « Human Rights and Disability », United Nations (2002).
[18] Méthodes industrielles appliquées à la gestion des services aux usagers, telles la méthode Toyota ou Lean.
[19] Le Protocole facultatif de la CDPH récemment ratifié par le Canada et le Québec (2018) permet à une personne handicapée de porter plainte au Comité des Droits de l’Homme de Genève lorsqu’elle a épuisé ses recours au Québec et au Canada.
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Présentation du dossier Droits et handicaps
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Christian Nadeau, professeur titulaire de philosophie politique, Université de Montréal, membre de la Ligue des droits et libertés Au Canada et au Québec, les personnes en situation de handicap se heurtent encore aujourd’hui à des formes d’exclusion, de violence, de marginalisation et de discrimination. Pourquoi parler de personnes en situation de handicap plutôt que, comme on peut souvent le lire, de personnes handicapées ? Parce que cette dernière expression peut laisser entendre que le problème se trouve dans la personne elle-même et non dans le contexte social qui la prive des ressources auxquelles elle aurait droit pour réaliser ses choix et orienter sa vie comme bon lui semble. La lecture de ce dossier invite à voir en quoi un changement de perspective s’avère nécessaire. En théorie, les personnes vivant des situations de handicap jouissent des mêmes droits que n’importe quelle autre personne. Pourtant, dans leur vie quotidienne, de nombreux obstacles compromettent l’accès à ces droits. Comme le rappelle dans ces pages Melanie Benard, seulement 16 des 68 stations du métro de Montréal sont équipées d’ascenseurs. Ces obstacles limitent voire entravent l’accès à l’éducation, au logement, au travail, aux soins de santé, et même aux loisirs. Comment expliquer cela? Vivre une situation de handicap n’est ni un choix ni un trait distinctif de la personne elle-même. Ce n’est pas la personne qui possède un handicap en relation au monde qui est le sien, mais exactement l’inverse : le handicap n’est pas du côté de la personne, mais provient du contexte où elle évolue. Pour cette raison, si un droit est un droit quelle que soit la personne dont il est le droit, il devrait en être de même pour les personnes en situation de handicap. Il existe certes des mécanismes judiciaires[1], comme c’est le cas au Québec, mais ils sont peu contraignants.On peut se demander si les droits eux-mêmes ne sont pas en situation de handicap, c’est-à-dire, si ces droits ne se trouvent pas compromis dès lors qu’ils concernent une certaine catégorie de personnes.Ce que l’on nomme le capacitisme est une forme de discrimination ou de traitement défavorable d’une personne parce qu’elle ne correspond pas à une norme sociale, départageant artificiellement celles et ceux qui sont capables de celles et ceux qui ne le sont pas ; par exemple, la capacité de se déplacer, de s’adapter à un horaire de travail ou encore de lire et d’écrire. Un autre exemple serait celui des personnes considérées en situation de handicap cognitif, qui sont jugées en fonction de tests de QI ou d’autres méthodes analogues qui séparent les élèves jugés aptes à un parcours scolaire standard des autres qui ne le seraient pas. Le capacitisme oeuvre de manière systématique avec d’autres structures de pouvoir qui stigmatisent pour produire le genre, la race, le sexe, etc. Le capacitisme façonne notre monde et crée le handicap. Dans ces conditions, le respect des droits, la volonté et les préférences des individus dépendent de leur adéquation à une certaine représentation de la norme. Nous retrouvons là la réflexion sur la distinction entre le normal et le pathologique, ou, si l’on préfère, entre la normalité et l’anomalie, la dernière étant l’exception confirmant la règle de la première. Or, cette règle n’a rien d’une vérité éternelle, indépendante de toute décision humaine. Elle résulte de choix sociaux, moraux, politiques et juridiques qui ne sont pas toujours conscients, mais ne tombent pas du ciel non plus. Aux antipodes du capacitisme est ce qui a été qualifié d’accessibilité universelle, qu’on peut définir comme l’environnement (services, produits, processus, etc.) permettant à toute personne de réaliser ses activités de façon autonome en jouissant des mêmes opportunités. Soyons clairs : une personne qui souffre ne verra pas sa douleur physique ou psychique disparaitre par la seule transformation de son environnement. Mais elle ne sera pas stigmatisée, ou le sera moins, par cet environnement transformé. Voilà pourquoi il faut nous doter d’une conception large de l’environnement qui ne se limite pas aux simples espaces physiques, mais tient compte aussi de notions comme les relations interpersonnelles, bonheur, amitié et amour, bref de tout ce qui contribue à envoyer à la personne les signes de respect et d’estime auxquels elle a droit. Le respect des droits est une condition fondamentale d’un environnement sain et d’une accessibilité universelle. Pour la Ligue des droits et libertés, il est essentiel que la question des droits des personnes en situation de handicap soit pensée dans l’optique de l’interdépendance des droits.
Qu’il s’agisse de scolarisation, d’emploi et de revenu, de logement, bref, de l’ensemble des droits sociaux, ou encore des droits et libertés civiles, comme l’accès à l’espace public, les personnes en situation de handicap sont confrontées chaque jour à des difficultés voire à des dénis de leurs droits dont nous n’avons, pour l’immense majorité d’entre nous, qu’une très faible idée.Ajoutez à cela que toutes ces personnes connaissent elles aussi d’autres formes de discrimination : vivre en situation de handicap ne protège ni du racisme, ni du sexisme, de l’homophobie ou de l’âgisme. Enfin, les discriminations prennent elles aussi différentes formes (directe, indirecte, par suite d’un effet préjudiciable, harcèlement, environnement toxique, etc.). Si le handicap ne relève pas de la personne, mais du contexte qui est le sien, cela signifie qu’il n’existe pas une réalité telle qu’une personne se définissant exclusivement par un handicap. Il y a au moins autant de diversité dans un groupe de personnes en situation de handicap qu’il y en a dans n’importe quel groupe social. Certaines personnes vivent une situation de handicap sur une brève période et d’autres toute leur vie. Certaines formes de handicap sont bien visibles, d’autres non. Cette diversité ne prouve en rien que le problème est du côté des personnes. Ce n’est pas leur différence qui crée le problème, mais la volonté d’homogénéisation des normes qui fait de leur différence un problème. Si une élève subit une injustice en raison d’un contexte qui limite son action, l’abandon de ses études ne règle pas le problème. De la même manière, l’édifice public qui ne peut accueillir une personne incapable de marcher en raison de l’absence d’une rampe d’accès ou d’un ascenseur ne s’en trouve pas miraculeusement pourvu au moment où la personne décide de ne plus y retourner.
En finir avec les injustices ?
Il importe de bien voir qu’il y a au moins deux manières de penser la réponse aux injustices mentionnées ici : il y a tout ce qui concerne les inégalités de revenus d’accès aux soins de santé, ou de tout ce qui touche au bien-être de la personne, et il y a tout ce qui a trait aux inégalités de certaines formes de traitement, en particulier ce qui, en raison du rapport à la norme, conduit à traiter des individus comme inférieurs. Cela exige, par conséquent, de changer nos modes et normes d’interaction sociale, qu’elles soient interpersonnelles ou construites par nos pratiques institutionnelles, économiques et juridiques. Comme on peut le voir, la transformation de notre fonctionnement en société serait plus importante que nous le croirions a priori. La modification de notre environnement social n’est pas simple. On peut concevoir à faible coût un environnement neutre relativement au genre pour un espace de travail. Mais des demandes analogues afin d’éviter une discrimination à l’égard des personnes en situation de handicap ne vont pas de soi. En dehors du fait qu’elles sont souvent très onéreuses, il n’y a pas de solution évidente pour reconstruire un espace de façon à ce qu’il soit neutre par rapport aux handicaps. Il est malheureusement tout à fait possible de conserver une vision capacitiste des choses tout en prétendant modifier l’espace social de façon à empêcher les situations de handicap. Par exemple, une entreprise publique investira pour transformer ses espaces physiques, mais ne changera rien à ses politiques d’embauche en matière d’équité. Par définition, une politique luttant contre le capacitisme n’est pas réductible à un modèle one size fits all, puisqu’une telle vision des choses relève elle-même du capacitisme. La question centrale est dès lors moins celle des coûts que celle des différents objectifs et de leur complémentarité. Il faut concevoir un environnement social qui ne produirait pas d’inégalités ou de discrimination en raison d’une norme, avec tous les biais et angles morts qu’elle implique. Si, d’un côté, il faut éviter de renforcer une norme capacitiste en prétendant oeuvrer pour le droit des personnes en situation de handicap, de l’autre, il faut à tout prix ne pas faire de chaque cas un dossier isolé, comme s’il s’agissait simplement de satisfaire les demandes d’une clientèle et d’adapter au cas par cas l’environnement extérieur. Malgré l’ampleur de la tâche et sa complexité, elle n’est pas insurmontable, à la condition de bien identifier les enjeux en présence. La conséquence pernicieuse d’une logique qui attribue le handicap à la personne et non au contexte qui limite la jouissance légitime de ses droits est que les ressources mises à la disposition des personnes en situation de handicap sont vues comme une aide ou un geste de charité et non comme un droit. Pourtant, l’obtention de biens et de services et l’utilisation d’installations adaptées n’a rien à voir avec une quelconque mesure caritative ou un geste d’empathie. Il en va de même pour l’accès au logement, à l’emploi, ou à l’ensemble des protections sociales, professionnelles et syndicales. Un autre élément important est de ne pas confondre compensation et rectification des injustices. Si les coûts associés à la construction ou à la modification des bâtiments (par exemple, refaire les cages d’ascenseur) sont importants, ils ne peuvent pas être justifiés comme des formes de compensation, comme s’il s’agissait d’une simple transaction. Lorsqu’un employeur doit aménager ses espaces de manière à rendre compte de demandes qu’il associe à un groupe minoritaire – parce que celui ci est l’exception à la norme – il ne compense pas ce groupe, mais reconnait que l’environnement de travail créait de facto un désavantage pour celui-ci qui, jusqu’alors, avait été négligé ou délibérément ignoré. Il en va de même pour les mesures adoptées dans un parcours d’apprentissage, que ce soit aux études primaires, secondaires ou universitaires.Dans l’ensemble, toutes ces considérations montrent bien que le respect des droits des personnes en situation de handicap n’est pas quelque chose qui est donné par la majorité à une minorité. C’est la société tout entière qui se doit cela à elle-même.Cela signifie une interaction de l’ensemble des parties en présence, non seulement dans la sphère des activités privées et professionnelles, mais aussi dans la participation aux choix collectifs. Voilà pourquoi repenser la place des personnes en situation de handicap dans l’espace délibératif démocratique va bien au-delà des équipements nécessaires à la participation électorale. Cela implique aussi une interdépendance des luttes, laquelle est déjà visible dans les réseaux de solidarité entre les luttes féministes, queer, antiracistes, sociales et contre le capacitisme. La lutte pour les droits des personnes en situation de handicap et contre le capacitisme va bien au-delà d’une simple rectification ponctuelle ou cosmétique des normes ou des espaces de travail et de vie. Elle touche le fondement même des droits. Dans une société juste, combattre le capacitisme est en fin de compte lutter pour le respect de l’intégrité des droits dans leur ensemble.
[1] Voir à ce sujet les textes dans ce dossier de Mona Paré, Melanie Benard et Yann Grenier. Retour à la table des matières
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Continuer à se (re)mobiliser, une question urgente !
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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Mathieu Francoeur,
coordonnateur, Mouvement PHAS (Personnes handicapées pour l’accès aux services)
Le mouvement québécois de défense des droits des personnes handicapées et de leurs proches est né dans les années 1970, dans la foulée des mobilisations d’autres groupes opprimés et discriminés. Bien qu’encore jeune, il a rapidement pris son essor et a obtenu plusieurs gains importants dès la fin de la décennie, qui se sont poursuivis dans les années 1980 et 1990. Mais depuis les années 2000 et à l’image de l’ensemble du milieu communautaire et autres mouvements sociaux, il a perdu de sa force, affaibli à la fois par les politiques néolibérales des gouvernements successifs et par un essoufflement du militantisme.
On ne parlait même pas de discrimination ou d’exclusion, mais de ségrégation. À l’époque, les étiquettes d’infirmes, de débiles et même de fous étaient courantes. La seule présence de ces personnes dans l’espace public était un enjeu de taille. La sensibilisation et la promotion des droits prenaient forme. Les choses se sont heureusement améliorées et on parle aujourd’hui de personnes avec un handicap physique, intellectuel ou un trouble du spectre de l’autisme (qui était un mystère à l’époque).
Des avancées pour les droits
Dans les décennies suivantes, diverses lois et politiques ont été obtenues de haute lutte par les associations et groupes de défense des droits qui inscrivaient leur lutte à l’intérieur d’un mouvement international. Par exemple, 1981 a été proclamée l’Année internationale pour les personnes handicapées par l’ONU. Aux États-Unis, l’Americans with Disabilities Act a été promulguée en 1990. Ici, l’État québécois a dû reconnaître certains droits et a mis en place des services et programmes adaptés qui répondaient en partie aux besoins des personnes handicapées. Une avancée importante a été la publication de la Politique À parts…égales en 1984. Après une longue et difficile désinstitutionnalisation, les personnes handicapées ont finalement été visibles aux yeux de l’ensemble de la population. La notion d’égalité des droits était à l’ordre du jour tout comme la marche vers l’intégration, la participation sociale, l’inclusion ou l’autonomisation – les termes ont évolué avec le temps!
Les personnes en situation de handicap et leurs familles partaient de très loin dans les années 1960 afin de sortir de l’isolement, de l’ignorance et du mépris.
Les enjeux étaient multiples : transport, éducation, emploi, hébergement et soutien à domicile, adaptation/réadaptation, etc. Tout était à faire! Certains services et programmes se sont développés mieux que d’autres. En parallèle, le milieu associatif des personnes handicapées se renforçait : groupes de base, regroupements régionaux et nationaux se sont multipliés.
Puis des reculs
L’évolution de l’exercice des droits a connu un ralentissement progressif à partir du début des années 2000, particulièrement pour ceux tributaires des services publics comme l’éducation et la santé et les services sociaux. Les diverses politiques de compressions et de privatisation ont stoppé le développement de services en cours et ont fait reculer ceux déjà existants.
De la mobilisation au lobbying
Dans ce contexte, la mobilisation que l’on avait connue depuis les débuts du mouvement a laissé de plus en plus place au lobbying, particulièrement de la part des regroupements régionaux et nationaux. Les manifestations et autres types d’actions ont été de plus en plus remplacés par des comités consultatifs, la rédaction de mémoires et la participation à des commissions parlementaires, ce qui a notamment eu pour conséquence de diminuer le rayonnement public et médiatique des enjeux et revendications des personnes handicapées et de leurs proches.
Démobilisation des groupes de base
Évidemment, pour certains dossiers plus locaux et spécifiques, comme l’accessibilité universelle ou le transport adapté au niveau municipal, la concertation avec les élu-e-s et les fonctionnaires peut être utile comme outil de sensibilisation et pour l’obtention de certains gains particuliers et à court terme. Mais sur le plan des grands dossiers nationaux (santé et services sociaux, éducation, emploi), cette stratégie s’est soldée par un échec, entraînant entre autres la démobilisation des groupes de base et leurs membres, qui se sont de plus en plus tournés vers la prestation de services tout en délaissant la défense collective des droits.
Renouveau de la mobilisation
Depuis les années 2010, en partie grâce aux nouvelles technologies de communication, on assiste à un retour d’une certaine forme de mobilisation parmi les groupes communautaires, mais, surtout, chez de nouveaux groupes citoyens et militants qui ont des revendications spécifiques : un meilleur soutien financier aux familles, une accessibilité accrue au métro de Montréal, des services de soutien à domicile plus souples et généreux, etc. Par exemple, des parents se sont réunis à travers des groupes sur Facebook pour partager leur réalité et organiser des campagnes de sensibilisation et de pression sur les élu-e-s. Certains autres font la promotion de nouveaux modèles de services d’hébergement plus ou moins privés en dehors du réseau public, tandis que d’autres adoptent une approche plus théorique, par exemple en développant le concept de capacitisme, ou encore juridique, en revendiquant des lois plus contraignantes ou en intentant des poursuites contre les autorités publiques pour non-respect des lois existantes.
Les organismes communautaires du milieu se sont fait imposer des partenariats et une concertation avec les ministères et autres organismes publics, et se sont retrouvés à essayer de minimiser les pertes causées par le désengagement de l’État.
La diversité des approches et des moyens d’action est une bonne nouvelle pour le mouvement, surtout parce qu’elle révèle une prise de conscience, un ras-le-bol du statu quo et des reculs successifs ainsi qu’un désir de (re)passer à l’action. De plus, ce renouveau de la mobilisation force les groupes communautaires établis à remettre en question leurs pratiques. D’un autre côté, on assiste à un éclatement des luttes qui fragilise la cohésion du milieu et qui ne contribue pas à consolider son rapport de force face à l’État, déjà malmené depuis longtemps…
Bien qu’elles constituent la plus importante minorité au Québec et au Canada en nombre (selon les chiffres de 2017 de l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ), on parle de 16 % de personnes avec incapacité au Québec), les personnes handicapées et leurs réalités restent relativement invisibles aux yeux de la population et des décideurs. Cette situation entrave l’avancement de la lutte pour l’égalité et la pleine reconnaissance des droits. Nous devons donc (re)mobiliser notre mouvement et redoubler d’efforts pour solidifier nos alliances avec nos nombreux allié-e-s actuel-le-s et potentiel-le-s.
Continuons à aller plus loin ensemble!, documentaire du Mouvement PHAS et de Funambules Médias, 2018.
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Le cadre législatif concernant les droits des personnes handicapées et l’accessibilité universelle
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Revue Droits & Libertés, print. / été 2021
Me Melanie Benard,
avocate et cofondatrice de Québec accessible
Depuis une dizaine d’années, le mouvement de défense des droits des personnes handicapées prend de l’ampleur à travers le pays. En ratifiant la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées en 2010, le Canada s’est engagé à adopter des mesures législatives afin d’éliminer les obstacles et d’assurer l’accessibilité de l’environnement physique, des transports, de l’information et des communications[1]. S’inspirant de la Loi de 2005 sur l’accessibilité[2] de l’Ontario, le Manitoba[3] a adopté en 2013 une nouvelle loi sur l’accessibilité. La Nouvelle-Écosse a emboîté le pas en 2017, suivie par le gouvernement fédéral en 2019. La nouvelle Loi canadienne sur l’accessibilité[4] s’applique à la sphère de compétence fédérale, regroupant notamment les télécommunications, les banques et le transport interprovincial par avion et par train.
Ces lois prévoient l’élaboration de normes d’accessibilité dans divers domaines, tels que le transport, l’emploi, l’information et les communications. Elles visent l’élimination des obstacles dans les secteurs public et privé dans des délais prescrits, et elles prévoient des inspections et des pénalités significatives en cas de non-conformité.
Cette vague d’avancées législatives est aussi notable sur le plan international. En 2005, la France a adopté la Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées[5]. En 2019, l’Union européenne a adopté l’Acte législatif européen sur l’accessibilité[6]. Tous ces développements juridiques s’inscrivent dans la foulée des progrès réalisés par les pionniers de l’accessibilité aux États-Unis suite à l’adoption de la loi dite Americans with Disabilities Act[7] en 1990.
Le cadre législatif québécois
Qu’en est-il au Québec? En 1978, le Québec a adopté la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées[8]. Considérée comme avant-gardiste à l’époque, cette loi a créé l’Office des personnes handicapées du Québec, une nouvelle instance gouvernementale chargée de promouvoir les intérêts des personnes handicapées et de favoriser leur intégration scolaire, professionnelle et sociale. Elle imposait des obligations au secteur public, dont la mise en accessibilité des immeubles, des transports et des services dans un délai raisonnable.
On peut donc se demander pourquoi, plus de quarante ans après son adoption, d’innombrables obstacles continuent à entraver l’exercice des droits des personnes handicapées en limitant leur accès à l’éducation, au travail, au logement et aux transports, sans parler des soins de santé, des commerces et des loisirs. Pour ne prendre qu’un exemple, est-il raisonnable qu’en 2021, seulement 16 des 68 stations du métro de Montréal soient équipées d’ascenseurs? Force est de constater que la loi québécoise manque de mordant.
Malgré des amendements adoptés en 2004, cette loi comporte des lacunes importantes. Contrairement aux lois contraignantes sur l’accessibilité mentionnées ci-dessus, elle s’applique seulement au secteur public. Elle ne fixe aucun objectif ou échéancier précis pour l’élimination des obstacles, et elle ne prévoit aucune pénalité en cas de non-conformité. Par conséquent, ses dispositions sont souvent bafouées et la mise en accessibilité progresse à pas de tortue.
À titre d’exemple, la loi exigeait la publication, en 2006, d’un rapport sur l’accessibilité des immeubles à caractère public qui n’étaient pas encore assujettis à des normes d’accessibilité. L’année suivante, le gouvernement était censé adopter un règlement obligeant à rendre accessibles certaines catégories d’immeubles. Selon le rapport[9] publié, le degré moyen d’accessibilité des immeubles dans le secteur public n’était que de 54 %. Les écoles avaient un taux moyen de seulement 13 %. Dans le secteur privé, les établissements d’affaires, y compris les cabinets de médecin et de dentiste, avaient un taux moyen d’accessibilité de 30 %. Pour les édifices à logements et les hôtels, ce taux était de 25 %. Les lieux de rassemblement, tels que les restaurants, les centres sportifs, les théâtres et les garderies, en étaient à 45 %. Les commerces affichaient un résultat légèrement supérieur (59 %)[10]. À ce jour, soit presque quinze ans après le délai fixé par la loi, le gouvernement n’a toujours pas adopté de règlement concernant les catégories d’immeubles qui doivent être rendus accessibles. Combien de temps devrons-nous encore attendre?
Bien que le droit à l’égalité des personnes handicapées soit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne, il s’avère difficile à exercer en pratique. Les personnes handicapées qui subissent de la discrimination peuvent porter plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, laquelle fait enquête. Si la Commission retient la plainte, elle peut représenter la plaignante ou le plaignant devant le Tribunal des droits de la personne.
La discrimination fondée sur le handicap suscite le plus grand nombre de plaintes année après année. En 2019-2020[11], 35 % des enquêtes de la Commission concernaient ce motif de discrimination. Près de la moitié des dossiers portaient sur la discrimination en emploi. En revanche, la race et l’origine ethnique, l’autre motif de discrimination le plus fréquemment invoqué, ne représentait que 29 % des enquêtes[12].
Les plaignant-e-s ne doivent pas s’attendre à des résultats rapides : l’an dernier, le délai moyen de traitement des dossiers par la Commission était de 22 mois. Ce délai excessif a augmenté de deux mois par rapport à 2018-201913. En outre, au lieu d’obliger les organismes à éliminer les obstacles de manière proactive, le système est réactif : il impose aux individus le fardeau de s’attaquer aux obstacles à la pièce et offre des remèdes individuels à un problème systémique.
De toute évidence, il faut renforcer le cadre législatif actuel afin de permettre aux personnes handicapées d’exercer pleinement leurs droits. Le Québec doit se doter d’une loi contraignante sur l’accessibilité, une loi qui vise l’élimination proactive des obstacles et qui impose des pénalités en cas de non-respect de ses dispositions. Autrefois chef de file dans son approche législative concernant l’inclusion des personnes handicapées, le Québec accuse maintenant un retard gênant par rapport à d’autres provinces et pays. Une réforme législative s’impose.
Quand nous nous relèverons de la pandémie de la COVID-19, nous devrons reconstruire notre société sur de meilleures bases. Profitons de l’opportunité qui nous est offerte et de l’élan qui anime le mouvement de défense des droits des personnes handicapées pour actualiser le cadre législatif québécois concernant l’accessibilité.
[1] Convention relative aux droits des personnes handicapées, articles 4(1) et 9. En ligne : https://www.un.org/disabilities/documents/convention/convoptprot-f.pdf
[2] En ligne : https://www.ontario.ca/fr/page/propos-des-lois-surlaccessibilite#section-1
[3] En ligne : http://www.accessibilitymb.ca/law.fr.html
[4] En ligne : https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/accessible-personnes-handicapees/loi-resume.html
[5] En ligne : https://handicap.gouv.fr/vivre-avec-un-handicap/acceder-sedeplacer/article/loi-du-11-fevrier-2005
[6] En ligne : https://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=1202&langId=fr
[7] En ligne : https://www.ada.gov/pubs/adastatute08.htm
[8] En ligne : https://www.ophq.gouv.qc.ca/loi-et-politiques/loi-assurantlexercice-des-droits-des-personnes-handicapees.html
[9] En ligne : https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/rapports_ministre/RapportMinistreAccessibilite.pdf
[10] Ministère du Travail, (2006), Pour une meilleure accessibilité : Rapport du ministre du Travail sur l’accessibilité aux personnes handicapées de bâtiments à caractère public construits avant décembre 1976.
[11] En ligne : https://www.cdpdj.qc.ca/storage/app/media/publications/RA_2019_2020.pdf
[12] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, (2020), Rapport d’activités et de gestion 2019-2020, p. 21.
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La Convention relative aux droits des personnes handicapées : des efforts du Canada depuis près de 20 ans
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Mona Paré, Professeure, Université d’Ottawa, Section de droit civil En décembre 2006, la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) fut adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, après tout juste quatre ans de négociations. Elle est également entrée en vigueur rapidement, en 2008. Le Canada, qui avait activement pris part aux négociations, a affirmé son engagement à mettre en œuvre la Convention en la ratifiant en 2010. La CDPH fait partie des neuf traités internationaux qui forment le socle du système de protection des droits de la personne aux Nations Unies. Depuis l’entrée en vigueur de la Convention au Canada, le pays a également ratifié le Protocole facultatif à la CDPH qui met en place un système de plaintes et le Québec s’est déclaré lié par ce protocole. Ainsi, depuis 2018, le Comité des personnes handicapées, qui est l’organe de suivi de la mise en œuvre de la CDPH, peut se prononcer sur des allégations de violation de la Convention par le Canada. Les communications peuvent être portées à l’attention du Comité par des individus ou des groupes qui prétendent être victimes d'une violation par le Canada des dispositions de la Convention. De plus, le Protocole facultatif permet au Comité de mener des enquêtes en cas d’allégations de violations graves ou systématiques des droits garantis par la Convention. Aucune plainte n’a encore été formulée contre le Canada, mais la mise en œuvre de la Convention a été examinée par le Comité des droits des personnes handicapées en 2017.Un instrument de non-discrimination atypique
Alors que le caractère holistique ou hybride de la Convention a été discuté à maintes reprises[1], le Canada a dès le départ fait valoir que la CDPH était un traité de non-discrimination. Selon le Canada, la Convention ne crée pas de nouveaux droits, mais est un instrument de prévention de la discrimination permettant une meilleure application des droits universels de la personne aux personnes handicapées[2]. On pourrait faire valoir que la Convention est plus large qu’un simple instrument de non-discrimination[3]. Elle inclut des dispositions très différentes de celles que l’on retrouve dans les autres conventions des droits de la personne de l’ONU et particulièrement dans les traités de non-discrimination comme les conventions sur l’élimination de la discrimination raciale et de la discrimination à l’égard des femmes. En effet, non seulement la CDPH inclut des droits appartenant à toutes les catégories : économiques, sociaux, culturels, civils et politiques, mais elle inclut aussi des dispositions pratiques, inédites en droit international des droits de la personne. Ainsi, on y retrouve l’article 9 sur l’accessibilité, avec une liste de mesures pour éliminer les obstacles à l'accessibilité aux bâtiments, transports, communications, services, etc. L’article 20 sur la mobilité personnelle demande aux États de faciliter l’accès des personnes handicapées à des aides à la mobilité, appareils et accessoires, technologies d’assistance, formes d’aide humaine ou animalière et médiateurs de qualité. Certaines dispositions sont développées de telle manière qu’elles divergent des droits universels sur lesquels elles se basent. Par exemple, l’article 29 sur la participation à la vie politique demande aux États de veiller à ce que les procédures, équipements et matériels électoraux soient appropriés, accessibles et faciles à comprendre et à utiliser. L’article 25 sur le droit à la santé identifie particulièrement la fourniture de services de santé sexuelle et génésique, ainsi que des services de dépistage et d’intervention précoces[4].De nouveaux droits de la personne
De plus, la CDPH inclut des droits qui ne font pas partie des droits fondamentaux garantis par les instruments universels de protection des droits humains sur lesquels le principe de non-discrimination devrait se fonder, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme ou les pactes internationaux sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels. Par exemple, on y retrouve le droit des personnes handicapées de vivre dans la société (article 19). Il n’existe pas de tel article dans les autres conventions internationales. La CDPH garantit également le droit de ne pas être soumis à l'exploitation, à la violence et à la maltraitance (article 16). Dans les traités internationaux, ce droit n’est explicitement reconnu qu’aux enfants dans la Convention relative aux droits de l’enfant. Finalement, la CDPH inclut des articles sur la mise en œuvre de la Convention qui sont nouveaux en droit international des droits de la personne : l’article 31 sur la collecte de statistiques et de données, l’article 32 sur la coopération internationale et l’article 33 sur le rôle des institutions indépendantes et de la société civile dans l’application et le suivi de la Convention.Des droits pour permettre l’égalité avec les autres
Toutefois, on peut soutenir que toutes ces dispositions atypiques sont tout simplement nécessaires afin d’assurer le respect des droits humains aux personnes handicapées dans des conditions d’égalité avec les autres. Ainsi, sans mesures pour assurer l’accessibilité de l’environnement physique et des communications, les personnes handicapées ne pourraient pas exercer leurs droits, qu’il s’agisse de la santé ou de la participation politique. Le droit au travail demeurerait théorique, si on ne prenait pas des mesures pour « promouvoir les possibilités d'emploi et d'avancement des personnes handicapées sur le marché du travail, ainsi que l'aide à la recherche et à l'obtention d'un emploi, au maintien dans l'emploi et au retour à l'emploi » (article 27.1 e). Quant au droit à la liberté de circulation (article 18), pour qu’il ait une véritable signification pour les personnes handicapées, il doit être associé au droit à la nationalité[5], ainsi qu’au droit à l’inclusion dans la société (article 19) et à la mobilité (article 20).Le rôle du Canada
Le Canada a joué un rôle important dans le développement sur la non-discrimination et l’égalité dans la CDPH. En effet, ces notions sont les piliers de la Convention. Les principes généraux de la Convention incluent la non-discrimination et l’égalité, ainsi que des notions connexes comme la dignité, le respect de la différence, l’accessibilité et l’inclusion (article 3). L’article 5 garantit les différentes facettes du droit à l’égalité et à la non-discrimination, incluant l’obligation pour les États d’apporter des aménagements raisonnables, qui correspondent au concept d’accommodement raisonnable en droit canadien. En plus des articles portant sur la non-discrimination et l’égalité, le Canada avait accordé une attention particulière au développement des dispositions sur les femmes handicapées, ainsi que la reconnaissance de la personnalité juridique des personnes handicapées[6].Efforts et défis de mise en œuvre de la CDPH
Le Canada a présenté son rapport initial sur la mise en œuvre de la CDPH au Comité des droits des personnes handicapées en 2017. Sur la base de ce rapport faisant état de l’application de la CDPH au niveau fédéral, provincial et territorial, le Comité a adopté des Observations finales dans lesquelles il note les aspects positifs des efforts effectués au Canada, ses principaux sujets de préoccupation et ses recommandations.Vu l’implication du Canada dans le développement de la CDPH et son apport à la rédaction d’articles particuliers dans la Convention, on peut se demander si le pays a maintenu son leadership depuis l’entrée en vigueur de la Convention.Un premier constat permet d’en douter. Le Comité note que les dispositions de la CDPH n’ont pas été incorporées dans la législation et les politiques et ne sont pas reflétées de manière uniforme dans la jurisprudence[7]. En témoigne par exemple l’adoption de lois sur l’accessibilité qui est inégale à travers le pays. Le Québec notamment ne s’est pas doté de ce type de loi pour lever les obstacles de manière globale. Le Comité recommande ainsi une approche pancanadienne de l’application de la Convention et une meilleure coordination entre les différents niveaux de l’État. Au sujet de la non-discrimination, le Comité note « les inégalités qui persistent dans l’exercice et la jouissance par les personnes handicapées de leurs droits, notamment les droits à l’éducation, au travail et à l’emploi et à un niveau de vie suffisant » (article 5)[8]. On mentionne également les femmes handicapées, qui « sont victimes de discriminations croisées, notamment dans l’accès à la justice » (article 6)[9]. Le Comité est particulièrement préoccupé au sujet de l’application de l’article 12 sur la personnalité juridique, qui traite de l’exercice de la capacité juridique par les personnes handicapées et adopte le modèle d’accompagnement plutôt que celui de représentation. Alors que le Canada avait joué un rôle de premier plan dans la rédaction de cet article, il avait fait une réserve se permettant de continuer les mesures de représentation pour les personnes jugées incapables de prendre des décisions pour elles-mêmes. Le Comité réprimande le Canada pour le maintien cette réserve et le fait que la pratique de la prise de décisions substitutive perdure dans plusieurs provinces, dont le Québec[10]. Selon le Comité, la réserve est contraire à l’objet et au but de la Convention et n’est donc pas légitime en droit international. Il est clair que la CDPH est un instrument complexe qui demande des efforts considérables des États pour sa mise en œuvre. Pour maintenir son engagement envers les droits des personnes handicapées, le Canada ne doit pas se reposer sur ses lauriers. Autant le gouvernement fédéral que les provinces doivent collaborer avec les personnes handicapées et leurs organisations pour adopter des stratégies de lutte contre le capacitisme et lever les obstacles à l’exercice des droits de la personne dans des conditions d’égalité.
[1] L’intention initiale était d’élaborer « une convention internationale globale et intégrée pour la promotion et la protection des droits et de la dignité des handicapés en tenant compte de l'approche intégrée qui sous-tend le travail effectué dans les domaines du développement social, des droits de l'homme et de la non-discrimination », Résolution 56/168 de l’Assemblée générale des Nations Unies. [2] Déclaration par l’Ambassadeur du Canada aux Nations unies lors de l‘adoption de la CDPH, le 13 décembre 2006, en ligne : https://www.un.org/esa/socdev/enable/convstatementgov.htm#ca [3] Voir par exemple Rosemary Kayess et Phillip French, “Out of Darkness into Light? Introducing the Convention on the Rights of Persons with Disabilities”, Human Rights Law Review, 2008 (8), 1-34; Frédéric Mégret, “The Disabilities Convention: Towards a Holistic Concept of Rights”, The International Journal of Human Rights, 2008 (12), 261-278; Mona Paré, « La Convention relative aux droits des personnes handicapées : quel impact sur le droit international? », Revue générale de droit international public, 2009 (3), 497-522. [4] Comparer avec l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. [5] C’est un droit qui ne concerne que les enfants dans les autres traités principaux des droits de la personne. [6] La compilation des travaux préparatoires de la CDPH se trouve sur ce site : https://www.un.org/esa/socdev/enable/rights/adhoccom.htm [7] Comité des droits des personnes handicapées, Observations finales concernant le rapport initial du Canada, Doc. N.U. CRPD/C/CAN/CO/1, 2017, para. 9-10. [8] Ibid, au para. 13. [9] Ibid, au para.15. [10] Ibid, aux para. 7, 27. Retour à la table des matières
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Quand le droit à la santé passe par l’autonomie des groupes communautaires
Retour à la table des matières Revue Droits & Libertés, aut. 2020 / hiver 2021
Mercédez Roberge, coordonnatrice de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévolesD’autres mots pour désigner le droit à la santé
C’est généralement sans le nommer que les personnes qui fréquentent, travaillent ou militent dans les groupes communautaires interviennent dans une perspective de droit à la santé. Ceux qu’on identifie comme les OCASSS, soit les organismes communautaires autonomes du domaine de la santé et des services sociaux, utilisent davantage des termes qui décrivent leur manière d’intervenir et les personnes auprès desquelles ils agissent. Ils se désigneront comme des centres de femmes, des maisons des jeunes, des ressources pour faire face à des situations de crise, pour contrer la discrimination découlant de la santé physique ou mentale ou de limitations fonctionnelles, etc. Malgré leurs 3 000 particularités et vocabulaires distincts, il s’agit toujours fondamentalement de créer, de renforcer et de développer la santé globale de chaque personne tout autant que la santé de la société. Dans son rapport, à la suite de sa visite canadienne en 2019, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé possible, a bien mis en évidence l’apport des groupes communautaires pour le respect du droit à la santé[1].« Les organismes de la société civile contribuent de manière importante à combler les lacunes restantes [de pleine réalisation du droit à la santé pour toutes et tous, sans discrimination] ; ils sont parfois financés par les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux et, dans la plupart des cas, ils ont développé des approches novatrices, incluant souvent une approche de droits humains, même si elles ne sont pas toujours explicites. » (Notre traduction).
Des pratiques démocratiques incontournables
Au Québec, la société civile à laquelle réfère le Rapporteur n’est pas uniquement composée d’OCASSS, mais il demeure que ceux-ci portent une responsabilité particulière à l’égard des déterminants sociaux de la santé en formant une alternative au réseau institutionnel et à son extension du côté du secteur privé.Que l’action engage le groupe ou ses membres individuellement, elle sera le fruit de réflexions et de décisions collectives. En offrant des lieux et des moments où toutes ces étapes se vivent, les groupes communautaires arriment quotidiennement le droit à la santé et le droit d’association, sans même les nommer.Si, dans le réseau institutionnel, la population peut de moins en moins participer aux décisions qui affectent la santé, notamment depuis la réforme de l’ex-ministre de la Santé, Gaétan Barrette (2015), il en va autrement chez les OCASSS. Lorsque les membres d’un groupe communautaire adoptent les plans d’action, elles et ils décident autant de la forme des prochaines réalisations que de l’intention sociale sur lesquelles elles se fondent. Que ce soit en facilitant l’entraide, en réagissant face à la crise climatique, en offrant du soutien ou un refuge ou en revendiquant l’accès à des soins ou la hausse du salaire minimum, les membres des OCASSS agissent pour pouvoir naître, vivre et vieillir en santé et dans un monde juste. Les pratiques démocratiques des OCASSS, leurs approches globales et leur enracinement dans les communautés font en sorte que même les interactions individuelles de prévention, d’écoute ou de soutien mènent vers des transformations sociales. Mais en amont de ces actions, il aura fallu vulgariser et adapter l’information aux réalités et intérêts du groupe. Les discussions auront fait ressortir l’importance du progrès social visé, pour soi autant que pour la collectivité. Il aura aussi été nécessaire de contrebalancer le discours dominant qui carbure au sentiment d’impuissance devant des causes ambitieuses.
Contrer le regard calculateur de l’État pour contribuer à la réalisation du droit à la santé
Alors qu’il était interpellé pour soutenir financièrement les personnes en situation de pauvreté, Jean Boulet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, a naturellement répondu en énumérant les fonds d’urgence attribués aux organismes communautaires depuis le début de la COVID-19[2]. Cette propension de l’État à se dédouaner de ses responsabilités directes a teinté les fonds d’urgence, de sorte que la COVID-19 a mis en lumière le regard calculateur décomplexé de l’État face à ce qu’il retire du travail des groupes communautaires.Les OCASSS ont été très peu pris en compte dans les décisions du gouvernement en lien avec la pandémie.Il a continuellement fallu transposer des consignes adressées au secteur privé aux réalités du milieu communautaire. Lorsqu’ils ont été nommés, c’était pour souligner le besoin de bénévoles pour s’occuper des plus mal pris[3], pour éviter que le confinement n’entraîne de la violence conjugale et des problèmes de santé mentale et parce qu’il n’était « pas question qu’il y ait quelqu’un au Québec qui n’ait pas quelque chose à manger »[4]. L’opportunisme de l’État est visible dans le choix des secteurs ciblés par les fonds d’urgence et leurs exigences, huit des neuf fonds destinés aux OCASSS ayant été réservés aux services directs à la population, et conditionnels à l’augmentation du nombre de personnes soutenues dans des domaines répondant à ses urgences sanitaires. De plus, chaque fonds d’urgence étant une subvention distincte, les OCASSS ont dû multiplier les rapports. Que ce soit en soutenant les ressources d’hébergement en dépendance, pour femmes victimes de violence, ou pour personnes itinérantes à Montréal ou encore par le dépannage alimentaire, le gouvernement a tout d’abord soutenu les groupes agissants sur la subsistance directe : se nourrir et se réfugier. Ce n’est qu’en août que la santé mentale a fait l’objet d’un montant spécifique. Quant aux montants moyens disponibles, en raison du grand nombre de groupes touchés, ils auront varié entre 2 000 $ et 3 300 $ par mois, la presque totalité ne s’appliquant qu’aux quatre premiers mois de la pandémie. Qui plus est, ce n’est qu’à la mi-novembre que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a finalement accepté d’ajuster les règles du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) au contexte de la pandémie en cessant d’obliger la tenue d’assemblées générales annuelles avant la fin de décembre. Il aura fallu deux mois et demi d’intenses démarches pour qu’il arrête de nier le droit des membres des OCASSS de contribuer à la réalisation du droit à la santé, par les moyens qu’ils choisissent, et, par conséquent, cesse d’enfreindre leur autonomie. Loin d’être des détails administratifs, les règles du PSOC, comme celles des fonds d’urgence, ont des conséquences majeures sur la capacité des OCASSS à contribuer à la réalisation du droit à la santé. Leurs lourdeurs bureaucratiques s’ajoutent aux difficultés prévisibles que les mesures de distanciation physique et d’isolement social auront sur leurs actions individuelles et collectives de transformation sociale. Ce n’est pas d’hier que le gouvernement voit les OCASSS surtout en fonction des biens et services qu’il n’a pas à fournir. La pandémie a révélé que cette vision est toujours sur le point de remonter à la surface dès que l’État veut mesurer les effets du financement qu’il accorde, sur la santé de la population, mais aussi sur les économies qu’il réalise. Les membres des OCASSS doivent non seulement s’activer à créer, renforcer et développer la santé de la population, mais aussi faire perdurer le groupe qu’elles et ils se sont donné. C’est pourquoi leurs revendications financières prennent tant de place dans leurs actions et préoccupations. La responsabilité du gouvernement à l’égard de la santé de la population est à géométrie variable lorsqu’il s’agit de la mission des OCASSS. Tant qu’il n’accordera que 1% du budget du MSSS pour les soutenir et maintiendra un modèle d’indexation qui les appauvrit chaque année, étant en deçà de la hausse des coûts de fonctionnement, il utilisera deux poids, deux mesures à ses responsabilités envers la population. Tant que la subvention annuelle de la moitié des 3 000 OCASSS sera de 100 000 $ ou moins et que le montant dévolu au PSOC[5] ne sera pas massivement rehaussé, il ne permettra pas aux communautés de contribuer à réaliser le droit à la santé. Tant que les OCASSS ne disposeront pas de bases de financement communes appliquées sur tout le territoire, la population aura un accès variable à des OCASSS en mesure de la soutenir. Le sous-financement et les iniquités qui en découlent se répercutent donc sur la population et perpétuent des inégalités sociales. C’est peut-être ce qui a rendu les exigences bureaucratiques imposées aux OCASSS encore plus inacceptables durant la pandémie. La situation est d’autant plus troublante qu’un Plan d’action gouvernemental en action communautaire est annoncé pour le printemps prochain. Avant la pandémie, tous les espoirs étaient permis quant à ce document devant renforcer les capacités et les caractéristiques du mouvement. Les derniers mois changeront notre manière de le lire et hausseront nos attentes. En plus d’espérer qu’il réponde au sous-financement chronique, nous y chercherons l’assurance que les conditions d’exercice de notre autonomie et de nos pratiques seront protégées lors de situations d’urgence, qu’elles soient brèves ou non.
[1] Rapport final du Rapporteur spécial sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé possible, sur sa visite au Canada – déposé au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies le 24 juin 2019, paragraphe 43, Référence : A/HRC/41/34/Add.2 (en anglais), https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session41/Pages/ListReports.aspx [2] Interpellation du ministre, Assemblée nationale, 1er octobre [3] François Legault, Premier ministre, conférence de presse du 21 mars [4] François Legault, Premier ministre, conférence de presse du 26 mars [5] Le gouvernement ne rehausse l’enveloppe du PSOC que depuis Même la plus forte augmentation, soit 40M $ pour 2020, n’a répondu qu’à 11% des besoins des OCASSS, puisqu’il manque annuellement 370M $ tel que revendiqué par la campagne Communautaire autonome en santé et services sociaux – Haussez le financement (CA$$$H).
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