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Résistances syndicales dans l’Argentine de Milei

Malgré l'autoritarisme et le massacre à tronçonneuse auquel se livre Javier Milei face aux classes populaires, à l'État social et aux services publics, les travailleur·ses argentin·es ne restent pas l'arme aux pieds. Les derniers mois ont donné lieu à nombre de conflits sociaux, et tout autant de répression, qui appellent d'autant plus un débat profond dans le syndicalisme argentin : accepter un dialogue avec le pouvoir de Milei ou être un vecteur essentiel des résistances sociales ?
31 mars 2025 Résistances syndicales dans l'Argentine de Milei2025-03-
https://www.contretemps.eu/resistances-syndicats-argentine-milei-fascisme/
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11 février 2025, autoroute panaméricaine, au niveau de la route 197 : un piquete réunissant un large nombre d'organisations syndicales et militantes perturbe l'accès nord de Buenos Aires, sous la surveillance d'un important dispositif policier. Devenue une figure ordinaire des conflits sociaux dans les années 2000 et 2010, cette scène détonne aujourd'hui davantage dans l'Argentine de Javier Milei, dont l'une des premières mesures à son arrivée au pouvoir a été l'adoption d'un « protocole anti-piquete », qui criminalise ce type d'actions collectives et prévoit notamment la possibilité de peines de prison pour les organisateurs.
Ce jour-là, le rassemblement est organisé à l'appel des salariés et des délégués syndicaux de Linde-Praxair, géant mondial de la fabrication de gaz industriels et médicinaux. Dans l'usine située à quelques encablures, un conflit dure depuis plusieurs semaines. Invoquant des difficultés économiques liées à l'atonie du marché interne, la direction de l'entreprise a annoncé le 5 décembre le licenciement de dix salariés. Dans les jours qui suivent, une grève coordonnée des cinq sites de production de Buenos Aires est organisée, soutenue par la fédération syndicale de la chimie. Le 20 décembre, à la suite de plusieurs réunions entre représentants syndicaux et patronaux, le ministère du Travail décrète une période de « conciliation obligatoire », qui suspend temporairement les licenciements et force les parties à négocier. Les concessions octroyées par Linde-Praxair se révèlent toutefois bien maigres. Mi-janvier, la direction de l'entreprise présente au ministère un projet d'accord : en échange de la réintégration de quatre salariés, elle maintient le licenciement des six autres, tout en annonçant sa volonté de supprimer une prime de production et d'accroître la polyvalence des tâches demandées aux ouvriers. En plus de rogner sur les droits salariaux, ces annonces comportent une tonalité antisyndicale à peine voilée : les six salariés restant sur le carreau ont pour caractéristique commune d'avoir été délégués syndicaux au cours des dernières années. La mobilisation reprend alors de plus belle. Outre le piquete sur l'autoroute panaméricaine, une nouvelle grève coordonnée de quatre jours a lieu et des rassemblements de soutiens réunissent des dizaines de militants syndicaux et associatifs locaux, d'habitants des quartiers voisins, de représentants de fédérations nationales et internationales ou encore de personnalités politiques. Début mars, le conflit se poursuivait toujours, après que le ministère du Travail de la province de Buenos Aires, dominé par le péronisme, ait ordonné l'ouverture d'une nouvelle période de conciliation obligatoire.
Une conflictualité du travail en augmentation
Singulière par son audience médiatique et l'ampleur de ses réseaux de soutien, la mobilisation des salariés de Linde-Praxair n'en constitue pas moins la pointe émergée d'une conflictualité du travail en augmentation dans l'Argentine de Javier Milei. Le gouvernement voudrait certes faire croire le contraire : il y a quelques semaines encore, l'entourage du ministre du Travail se félicitait d'une conflictualité au travail au plus bas depuis deux décennies, invoquant un « dialogue réel et très fructueux [mis en place] avec les syndicats »[1]. D'autres indicateurs universitaires dressent pourtant un tableau bien différent. Selon les relevés mensuels de l'Observatoire du Travail et des Droits Humains (OTDH), de l'Université de Buenos Aires, l'année 2024 a été marquée par 1637 conflits du travail à travers le pays, soit une moyenne mensuelle de 136 conflits, un chiffre plus de dix fois supérieur à celui avancé par le gouvernement.
Ces conflits touchent une large diversité d'entreprises de premier plan comme Linde-Praxair (Shell, Bridgestone, Granja Tres Arroyos, etc.), mais aussi des secteurs d'activité entiers. Le 30 octobre dernier, une grève a paralysé l'ensemble des moyens de transport du pays. Plus récemment, le syndicat de la métallurgie (UOM) a annoncé un « plan national de lutte », incluant six journées de grève dans le courant du mois de mars 2025, pour protester contre le blocage des salaires. Pour des motifs similaires, une grève de 24 heures a eu lieu dans l'ensemble des entreprises du secteur des huileries (aceiteros) le 12 mars dernier. Les administrations publiques, particulièrement ciblées par Javier Milei, ne sont pas en reste. Dans l'enseignement supérieur et la recherche, par exemple, plusieurs journées d'action nationale de grande envergure ont eu lieu en avril puis en octobre 2024 pour protester contre les coupes budgétaires et les réductions d'effectifs.
Thérapie de choc et remise en cause des droits sociaux
Principalement centrés autour des questions de salaires et de licenciements, ces conflits esquissent les contours d'une résistance diffuse du monde du travail aux politiques régressives du pouvoir en place. Sitôt son arrivée à la présidence, Javier Milei s'est en effet employé à opérer un ajustement brutal de l'économie. La dévaluation du peso de 50 %, actée dès décembre 2023, mais aussi les coupes drastiques dans les subventions publiques (énergie, transport), ont provoqué en 2024 une baisse de plus de 27 % du niveau réel global des salaires et une explosion de la pauvreté[2]. Dans le même temps, le taux de chômage a fortement progressé et les licenciements se sont multipliés. Selon un rapport publié par le Centre d'Économie Politique Argentine (CEPA) pour 2024, ce sont plus de 12 000 entreprises qui ont fermé leurs portes et plus de 240 000 emplois salariés qui ont été supprimés au cours de l'année écoulée, principalement dans les secteurs de la construction, des transports et de l'industrie, mais aussi dans celui des administrations publiques (culture, éducation, santé, recherche, politiques sociales, etc.), durement touchées par les restrictions budgétaires.
A l'origine d'une forte pression sur les niveaux de vie et sur l'emploi des salariés, cette stratégie du choc a aussi pris la forme d'attaques sur une large série de droits sociaux. Fin avril, l'adoption de la loi dite « Bases et points de départs pour la Liberté des Argentins » (« Bases y puntos de partida para la Libertad de los Argentinos ») a ouvert la voie à des privatisations d'entreprises publiques, introduit des mesures dites de « flexibilisation » du travail (allongement des périodes d'essai, réduction des indemnités de licenciement, etc.) et procédé à une réforme du système des retraites, incluant notamment un report de l'âge légal de départ et une modification des règles de calcul des annuités défavorable aux travailleurs informels (une situation très fréquente en Argentine).
Ces mesures sont allées de pair avec une criminalisation des protestations sociales, qui n'a pas épargné le monde du travail : en plus du « protocole anti-piquete » déjà mentionné, le « méga-décret » adopté par Milei dix jours après son arrivée au pouvoir comportait initialement d'importantes restrictions au droit de grève, finalement déclarées inconstitutionnelles par le pouvoir judiciaire : introduction d'un service « minimum » de 75 % de l'activité normale dans une très large diversité de secteurs définis comme « essentiels », interdiction de toutes formes d'action portant atteinte à la « liberté du travail » ou « à la propriété entrepreneuriale ».
Offensives patronales contre le monde du travail
Cette posture hostile du gouvernement vis-à-vis des mobilisations du monde du travail, et plus largement vis-à-vis de toute forme de contestation sociale, a directement contribué à légitimer et à banaliser des stratégies patronales qui remettent en cause les droits sociaux des salariés et leurs structures de représentation.
Depuis plusieurs semaines, on assiste à la multiplication de « procédures préventives de crises » (PPC), un dispositif légal qui permet aux entreprises en difficultés économiques d'acter des licenciements, de revenir sur des droits existants (indemnités de licenciement, primes), d'imposer des régressions en matière de conditions de travail ou encore d'entériner un gel ou une baisse des salaires. Alors que l'activation d'une PPC suppose d'apporter la preuve de trois exercices consécutifs négatifs et d'obtenir l'approbation du ministère du Travail, l'attitude conciliante du gouvernement offre aujourd'hui des marges de manœuvre décuplées aux directions d'entreprise. Représentant de l'Association d'avocats et avocates du travail, Guillermo Pérez Crespo tirait il y a peu la sonnette d'alarme : « les PPC ont augmenté de façon alarmante. (…) Plus que pour licencier, les directions d'entreprise les utilisent actuellement pour pousser à une modification substantielle des conditions de travail, par exemple pour intensifier les rythmes de travail, augmenter la durée du travail ou supprimer des primes ou des compléments de salaires »[3].
Le renforcement du pouvoir des employeurs passe aussi par des pratiques antisyndicales plus assumées. Le cas de Linde-Praxair incarne bien ici le retour au premier plan de telles pratiques. Dans les années 2000, l'usine mentionnée plus haut s'était en effet imposée comme une figure emblématique des combats pour les libertés syndicales. Alors que la direction de Linde-Praxair menait depuis les années 1990 une politique répressive empêchant toute présence syndicale, une longue lutte entre 2004 et 2007 avait débouché sur une décision de la Cour Suprême étendant les protections des activistes syndicaux sur les lieux de travail. Elle avait aussi abouti à l'élection de la première « commission interne » (l'organe de représentation des travailleurs au sein de l'espace de travail, émanation dans l'entreprise du syndicat de branche) de l'histoire de l'entreprise, point de départ d'une décennie marquée par une inversion du rapport de forces en faveur des salariés et de leurs représentants[4]. Vingt ans plus tard, plusieurs d'entre eux sont à nouveau menacés de licenciement.
Les fondements historiques et institutionnels des résistances syndicales
Dans ce contexte hostile, la capacité de résistance du monde du travail argentin puise sa source dans une histoire de plus long terme. En dépit de la brutalité des politiques néolibérales et de la forte progression du travail informel depuis les années 1990, les syndicats argentins ont conservé jusqu'à aujourd'hui un ancrage social relativement étendu. Celle-ci est sans commune mesure avec la situation qui prédomine dans la plupart des pays latinoaméricains. Par rapport aux standards internationaux, le pays présente en effet des niveaux de syndicalisation relativement élevés, estimés autour de 35 % pour le secteur privé et de 46 % pour le secteur public[5]. Dans les entreprises et les administrations, un dense maillage syndical persiste à travers les « commissions internes », dont l'existence est garantie par la loi et les conventions collectives. Sous les premiers gouvernements péronistes au milieu du vingtième siècle, ces organes de représentation des salariés ont pu être pensés comme des outils du contrôle corporatiste et des courroies de transmission entre l'organisation syndicale de branche et les travailleurs[6]. Directement élues par les salariés, elles ont toutefois toujours bénéficié d'une autonomie relative et ont été associées lors de différentes périodes historiques à l'émergence d'un syndicalisme contestataire, comme par exemple dans les années « d'insubordination ouvrière » qui ont précédées le coup d'État de 1976.
Sous les gouvernements des époux Kirchner (2003-2015), ces commissions internes ont notamment été le support d'une revitalisation « par le bas » du syndicalisme en Argentine[7]. Dans bon nombre d'entreprises et d'administrations de différents secteurs (transports, éducation, commerce, etc.), cette période a été marquée par un renouvellement de ces structures syndicales et par l'engagement de nouvelles générations militantes politisées au gré des luttes sociales qui ont secoué le pays au tournant des années 2000. Ces recompositions de moyen terme contribuent à expliquer la vigueur des résistances salariales qui s'expriment aujourd'hui face aux politiques brutales de Javier Milei, qu'illustre le cas de Linde-Praxair évoqué plus haut.
Les atermoiements et le dialoguismo de la CGT
Malgré tout, ces résistances ont jusqu'à présent peiné à se cristalliser et à converger autour d'une stratégie de confrontation claire avec le gouvernement. Les débuts du mandat de Javier Milei pouvaient pourtant laisser présager un scénario différent. Dès décembre 2023, la CGT, la principale confédération syndicale du pays, déposait un recours devant les tribunaux pour demander une déclaration d'inconstitutionnalité du “méga-décret” de Javier Milei. Ce recours était associé à une première manifestation d'envergure, qui a rassemblé des organisations syndicales, mais aussi les organisations piqueteras et de l'économie informelle et populaire, des organisations de droits humains et du mouvement féministe, ou encore des groupes de supporters opposés à la privatisation des clubs de football (en Argentine, les clubs sont des organisations à but non lucratif, qui appartiennent à leurs adhérents).
Quelques semaines plus tard, le 24 janvier 2024, la CGT lançait un premier appel pour une grève générale, aux côtés de la CTA-A et de la CTA-T, les deux principales confédérations implantées dans le secteur public, mais aussi d'organisations sociales, féministes et de défense des droits humains. Remarquable par sa précocité (jamais la CGT n'avait appelé à une grève générale à peine plus d'un mois après l'élection présidentielle), par son ampleur (plus d'un million de manifestants sont recensés à travers le pays) mais aussi par son caractère unitaire, ce premier épisode n'a toutefois pas constitué le point de départ d'une stratégie d'opposition coordonnée au pouvoir en place. Jusqu'à présent, la plupart des puissantes fédérations de branche autour duquel s'organise le syndicalisme argentin[8] ont privilégié un certain « dialoguisme » (dialoguismo), une stratégie historique consistant à négocier le contenu des réformes en échange d'un maintien de leurs prérogatives institutionnelles ; une posture similaire à celle déjà observée dans les années 1990, au moment du tournant néolibéral engagé par le péroniste Carlos Menem.
De son côté, Javier Milei s'est montré prudent à l'heure d'engager une révision plus frontale des fondements du système de relations professionnelles. Si les attaques sur le droit de grève ont été frontales au début de son mandat, la loi « Bases » adoptée au milieu de l'année 2024 a laissé de côté les mesures affectant plus spécifiquement le droit et les structures syndicales. Jusqu'ici, le pouvoir exécutif s'est notamment refusé à engager une réforme de la loi d'Associations syndicales, qui constitue le socle du droit syndical en Argentine et qui n'a plus été touchée depuis 1988dans le sillage du retour à la démocratie, et ce malgré les velléités et les projets formulés par des députés de la coalition gouvernementale au cours de l'année 2024[9].
Des perspectives incertaines : fuite en avant répressive et multiplication des conflits sociaux
En ce début d'année 2025, c'est donc un panorama incertain se dessine. Le discours de Javier Milei au forum de Davos – qui pointait notamment du doigt le « cancer woke » –, son implication et celle de son entourage dans une arnaque liée à une cryptomonnaie, mais aussi l'augmentation des prix des produits de première nécessité et les controverses autour de la manipulation des statistiques de l'inflation, nourrissent une défiance croissante à l'égard du pouvoir. A la suite des déclarations du président à Davos, une marche de la « fierté antiraciste et antifasciste », à l'appel d'une très large coalition d'organisations LGBTQIA+, féministes, étudiantes, syndicales et politiques, a rassemblé des dizaines de milliers de manifestants à travers le pays.
Début mars, les mobilisations hebdomadaires des retraités contre la faiblesse de leurs pensions, rejointes par des collectifs antifascistes et des groupes de supporters, ont par ailleurs été le point de départ d'une escalade répressive. Le 12 mars, la manifestation dans le centre de Buenos Aires a donné lieu à une forte répression de la part des forces de l'ordre, entraînant des centaines d'arrestations et des dizaines de blessés (le pronostic vital de l'un d'entre eux est encore engagé à ce jour). Loin de calmer le jeu, le pouvoir exécutif a vu dans cet épisode une tentative de déstabilisation, voire de « coup d'État ». C'est dans ce contexte de tension sociale croissante que la CGT a décidé d'appeler le 8 avril prochain à une nouvelle grève générale – la troisième depuis décembre 2023 – et à rejoindre les manifestations du 24 mars, qui commémorent chaque année le putsch de 1976.
La situation d'aujourd'hui est donc complexe. D'un côté, le gouvernement, qui rencontre des difficultés croissantes pour maintenir le taux de change du peso, se montre soucieux de donner des gages de la viabilité de sa politique (dans la perspective d'un nouvel accord de financement avec le FMI) et pourrait dès lors être tenté par une dérive encore plus répressive. De l'autre, la recrudescence des manifestations et la multiplication des foyers de conflits suggèrent une base de résistance croissante aux politiques néolibérales. Le rôle que jouera la CGT dans ce front d'opposition dépendra de la capacité de mobilisation et d'organisation des syndicats argentins à tous les étages, au niveau sectoriel et sur les lieux de travail.
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Pierre Rouxel, est chercheur à l'Université Rennes 2, Julia Soul chercheuse au CONICET en Argentine, iels mènent depuis plusieurs années des recherches sur le syndicalisme argentin.
Notes
[1]“Según un relevamiento del Gobierno, la conflictividad laboral en 2024 fue la más baja de las últimas dos décadas”, Infobae, 05/02/2025, URL : https://www.infobae.com/politica/2025/02/06/segun-un-relevamiento-del-gobierno-la-conflictividad-laboral-en-2024-fue-la-mas-baja-de-las-ultimas-dos-decadas/
[2]“Le choc Milei, violent, inégalitaire et écologiquement désastreux”, Mediapart, 10/12/2024.
[3]“Aluvión de preventivos de crisis : extorsión para vulnerar los convenios”, Tiempo Argentino, 02/03/2025.
[4]P. Rouxel, “Mettre en débat la représentation syndicale. La transmission d'un sens syndical alternatif dans un Bachillerato Popular en Argentine”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°248, 2023, p. 32-45.
[5]C. Tomado, D. Schleser, M. Maito, Radiografia de la sindicalizacion en Argentina, IDAES y Universidad Nacional de San Martin, 2018.
[6]Héritage des premiers gouvernements péronistes, les relations professionnelles en Argentine s'organisent autour du principe d'un monopole de la représentation : dans chaque branche d'activité, le syndicat qui dispose du plus grand nombre d'adhérents obtient de l'État le statut d'organisation représentative (appelée personeria gremial), qui lui confère le pouvoir de représenter les travailleurs lors des conflits et des négociations.
[7]Pierre Rouxel, Le syndicalisme en restructurations. Engagements et pratiques de délégués d'entreprises multinationales en Argentine et en France, Paris, L'Harmattan, 2022.
[8]En lien avec la personeria gremial dont elles disposent (qui, dans les faits, constitue une propriété quasi inaliénable), ces fédérations disposent de pouvoirs et de ressources étendues : elles sont les seules habilitées à collecter des cotisations salariales et patronales et jouent aussi un rôle central dans la mise en œuvre de la protection sociale
[9]En août 2024, des députés PRO et UCR ont présenté un projet de loi visant à réviser des principes fondamentaux de la loi comme le prélèvement automatique de cotisations aux syndiqués ou le principe d'ultra-activité (selon lequel des droits contenus dans des accords passés ne peuvent être remis en cause sans accord mutuel des parties) et à introduire une limitation du renouvellement des mandats des dirigeants syndicaux.
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Admission de l’Indonésie aux BRICS : nouveau pas vers un « capitalisme multipolaire »

L'admission éclair de l'Indonésie au groupe BRICS a renouvelé les interrogations autour de son expansion. L'attractivité de la coalition repose sur son potentiel économique et l'ambivalence de son horizon géopolitique, mais la cooptation de nouveaux membres dépend de critères « larges » dont l'application fait la part belle aux intérêts des premiers membres. Alors que la réélection de Donald Trump pourrait temporairement casser l'élan « pro-BRICS » de ces dernières années, l'adhésion de l'Indonésie au groupe constitue une nouvelle brique dans l'édification d'un monde capitaliste multipolaire. Par François Polet, docteur en sociologie et chargé d'étude au Centre tricontinental (CETRI).
4 février 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
Longue marche vers un capitalisme multipolaire
Faut-il le rappeler, les BRICS ont été créés en 2009 (par la Russie, la Chine, l'Inde et le Brésil) en vue de réformer un système international dominé par les pays occidentaux et intensifier la coopération économique entre ses membres. Il s'agissait en quelque sorte du pendant non occidental du G7, ce club des pays riches s'employant à coordonner leurs vues sur les grands enjeux économiques et financiers mondiaux. Pour autant, comme le rappellent les auteurs et autrices d'une livraison récente d'Alternatives Sud, en dépit du maniement d'une rhétorique progressiste, les BRICS ne visent pas la transformation du modèle de développement dominant promu par le G7, mais oeuvrent plutôt à l'avènement d'un « capitalisme multipolaire ». [1]
Ce forum intergouvernemental n'a pas été formé en 2009 par hasard. Ses membres ont connu une croissance telle durant les années 2000 (et les années 1990 pour ce qui est de la Chine) que leur influence sur les institutions de la gouvernance mondiale était en décalage de plus en plus flagrant avec leur poids réel dans l'économie mondiale. Une situation de moins en moins supportable pour les pays concernés. Ce, d'autant plus que la récession de 2007-2008 venait de démontrer que l'architecture internationale n'était pas seulement inéquitable, mais aussi incapable de prévenir l'apparition de crises systémiques aux effets dévastateurs pour les pays en développement. Les futurs membres se sont très tôt accordés sur la nécessité « d'une nouvelle monnaie internationale de réserve, susceptible de faire contrepoids au dollar et de stabiliser le système financier global ». [2]
« L'attraction magnétique des BRICS » repose sur la force de son idée centrale – la promesse d'un monde plus équilibré – mais aussi sur son ambivalence
Les BRICS ont poursuivi une double stratégie consistant à accroître leur influence au sein des institutions existantes et à mettre en place des structures alternatives, en particulier la Nouvelle banque de développement et l'Accord de réserve contingente (un fonds de réserve de devises) créés en 2014. Les tensions croissantes entre pays occidentaux, Chine et Russie à partir de la deuxième moitié des années 2010, avec l'annexion de la Crimée, l'affirmation des ambitions de Pékin de Xi Jinping, la guerre commerciale initiée par Donald Trump, l'invasion de l'Ukraine par la Russie et enfin les sanctions occidentales contre la Russie, ont graduellement accru la dimension géopolitique des BRICS – que Pékin et Moscou s'efforcent désormais explicitement de transformer en plateforme anti-occidentale d'une « majorité globale ». Voire en embryon d'un ordre international alternatif.
Treize années séparent le premier élargissement des BRICS, avec l'admission de l'Afrique du Sud en 2010, du deuxième, en août 2023, lors du sommet de Johannesburg, où six pays ont été invités à rejoindre le groupe – Iran, Arabie saoudite, Émirats Arabes Unis, Argentine, Égypte et Éthiopie. Cette même année 2023 a aussi mis en évidence l'attractivité de la coalition parmi les pays du « Sud global » : pas moins d'une quarantaine de pays ont exprimé un intérêt à rejoindre ce forum. Plus de la moitié ont officiellement formulé une demande d'adhésion. Une nouvelle catégorie de pays « partenaires » des BRICS a été créée lors du Sommet suivant, en octobre 2024 à Kazan, à laquelle treize pays aspirants ont été invités. Parmi eux l'Indonésie, cooptée deux mois plus tard, janvier 2025, pour devenir le dixième membre effectif de la coalition [3]. L'intégration du pays le plus peuplé d'Asie du Sud-Est et du monde musulman donne une nouvelle envergure à la coalition, qui représente désormais la moitié de l'humanité et plus de 40% de l'économie mondiale.
Ressorts d'une attraction magnétique
Dans un texte rédigé pour l'Africa Policy Research Initiative, Mihaela Papa revient sur les ressorts de cette expansion récente de la coalition. [4] « L'attraction magnétique des BRICS » repose sur la force de son idée centrale – la promesse de marchés émergents dans un monde plus équilibré – et la multiplicité des interprétations auxquelles cette idée se prête, notamment quant aux objectifs et moyens de la réforme du système international. Une force de gravité renforcée par la proactivité croissante de ses membres, Chine et Russie en tête, dans la perspective de constitution d'un bloc contre-hégémonique.
L'ambiguïté du projet contribue à son attractivité en ce qu'il permet la coexistence de motivations hétérogènes chez les candidats. La participation aux BRICS peut d'abord apparaître comme un moyen de renforcer les liens avec des économies et des institutions financières en pleine expansion : promesse d'investissements étrangers, de partenariats, d'accès à des marchés, à des crédits, à des ressources énergétiques, à des technologies… potentiellement sans passer par le dollar. Cet enjeu pragmatique est la principale motivation de la majorité des nouveaux membres effectifs et « partenaires ». Ensuite, la participation à la coalition peut être motivée par le renforcement de l'autonomie stratégique d'un pays, via la diversification de ses relations diplomatiques et commerciales – réduisant sa perméabilité aux pressions occidentales.
Enfin la participation aux BRICS porte en elle la promesse de contribuer à l'avènement d'un monde multipolaire. Celui-ci est tantôt entendu dans un sens « réformiste » d'une démocratisation de la gouvernance mondiale, offrant davantage d'espace au « Sud global ». Tantôt en un sens « radical » ou « révisionniste » de lutte contre les principes et pratiques associés à l'Occident, que l'on parle d'une géopolitique impérialiste ou d'une conception universelle de la démocratie et des droits humains (plus rarement du libre-échange, ardemment défendu par la coalition face aux velléités protectionnistes des États-Unis…). En d'autres termes, si la majorité des pays envisagent leur participation aux BRICS sous l'angle de la concrétisation du principe de « non-alignement actif » ou de « multi-alignement », incarnés par l'Inde et le Brésil [5], d'autres y voient d'abord l'expression de leur alignement sur le camp anti-occidental – cas de l'Iran, du Venezuela, de Cuba…
Critères partagés, intérêts contingents
Si ces considérations renseignent quant aux motivations, elles en disent peu sur le processus de sélection des nombreux candidats. La décision d'inviter un nouveau membre est théoriquement prise par consensus. Le pays candidat doit avoir démontré son adhésion aux principes des BRICS (dont la réforme de la gouvernance globale ou le rejet des sanctions non validées par l'ONU), avoir une influence régionale, entretenir de bonnes relations avec les membres et contribuer au renforcement du groupe. La formalisation des critères a fait l'objet de tensions entre les membres initiaux, de même que le rythme de l'élargissement du groupe. Si la Chine et la Russie poussent à l'expansion rapide de la coalition, l'Inde et surtout le Brésil craignent la dilution de leur influence et de leur statut. [6] En-deçà des principes, le processus de cooptation paraît surtout guidé par « un mélange de considérations pragmatiques, d'intérêts contingents et de souverainisme sourcilleux » souligne Laurent Delcourt. [7]
L'adhésion de l'Arabie saoudite et des Émirats Arabes Unis se sont imposées du fait du poids financier et de la puissance énergétique qu'ils apporteraient au groupe. La candidature de l'Argentine a été poussée par la diplomatie brésilienne, en vue de renforcer le pôle latino-américain de l'attelage, mais surtout pour éviter qu'il devienne « une source de risques en devenant un club de régimes autoritaires ayant des positions anti-occidentales ». [8] Des enjeux diplomatiques du même ordre ont contribué à ce que le Brésil bloque l'entrée du Venezuela lors du Sommet de Kazan. [9] La candidature du Pakistan est entravée par l'Inde pour des raisons de rivalité régionale. [10] Et la non-sélection de l'Algérie est officiellement motivée par des critères économiques, mais Alger y voit la main des Émirats, avec lesquels ses rapports sont tendus, qui auraient convaincu l'Inde de mettre son veto [11].
Equations politiques internes et coûts géopolitiques
Le retrait de l'Argentine décidé par le président Javier Milei rappelle que les logiques d'adhésion aux BRICS sont aussi tributaires d'équations politiques internes. De même, l'inclusion accélérée de l'Indonésie aux BRICS résulte également d'une alternance politique. Le président Subianto, personnalité autoritaire réputée pro-russe, a sorti son pays de la posture attentiste qui le caractérisait auparavant, dictée par l'espoir de ne pas gâcher sa demande d'adhésion à l'OCDE. Le « non-alignement » invoqué par Jakarta pour justifier ce changement d'optique devrait pencher nettement dans le sens des intérêts de Moscou [12].Un tournant qui explique vraisemblablement l'insistance de Vladimir Poutine à précipiter l'accession de l'Indonésie… ignorant le moratoire sur l'élargissement du groupe annoncé par son propre ministre des Affaires étrangères six semaines plus tôt. [13]
Les tergiversations de l'Arabie Saoudite, invitée à rejoindre le groupe à Johannesburg, mais qui n'avait toujours pas répondu formellement à l'invitation au début de l'année 2025, illustrent les craintes des coûts géopolitiques de la participation à une coalition dominée par des puissances hostiles à l'Occident. Les menaces de Donald Trump, un mois avant sa prise de fonction, d'imposer des droits de douane de 100% aux pays contribuant à la dédollarisation des échanges accentuent ces craintes [14]. Cette diplomatie coercitive pourrait casser temporairement l'élan « pro-BRICS » d'une série de pays fortement dépendants des États-Unis sur les plans sécuritaire et économique. Mais sur le plus long terme, elle a toutes les chances d'aboutir au résultat inverse – et à renforcer l'attractivité du club pour les pays en développement, en quête d'un monde plus respectueux des souverainetés et des intérêts du « Sud global ».
François Polet
LVSL
Notes :
1 CETRI, BRICS+ : une alternative pour le Sud global ?, Syllepse – CETRI, Paris – Louvain-la-Neuve, 2024.
2 Laurent Delcourt, « BRICS+ : une perspective critique », in CETRI, Ibid.
3 L'Argentine a décliné l'invitation début 2024, tandis que l'Arabie saoudite n'a ni accepté, ni rejeté la sienne en janvier 2024.
4 Mihaela Papa, « The magnetic pull of BRICS », Africa Policy Research Insitute – APRI, 3 décembre 2024.
5 Notons que les deux nouveaux membres africains – l'Égypte et l'Éthiopie – sont les premiers bénéficiaires de l'aide états-unienne du continent.
6 Ces critères ont été précisés lors du Sommet de Johannesburg d'août 2023.
7 Dès 2017, les velléités chinoises d'élargir les BRICS ont fait craindre une tentative de mettre la dynamique au service du projet des Nouvelles routes de la soie, grande priorité diplomatique de Xi Jinping. Voir Evandro Menezes de Carvalho, « Les risques liés à l'élargissement des BRICS », Hermès, La Revue, n° 79(3), 2017.
8 Editorial d'un journal économique brésilien (Valôr Econômico) cité par Oliver Stuenkel, « Brazil's BRICS Balancing Act Is Getting Harder », America's Quarterly, 21 octobre 2024.
9 Dans un contexte de dégradation des relations entre les présidents brésilien et vénézuélien liée aux conditions de la réélection de ce dernier en juillet 2024.
10 Mirza Abdul Aleem Baig, « Why Did Pakistan Fail To Secure BRICS Membership At 2024 Summit ? – OpEd », Eurasia review, 27 octobre 2024.
11 El Moudjahid, 28 septembre 2024. L'Algérie a néanmoins intégré la catégorie des pays partenaires et rejoint la Nouvelle banque de développement.
12 Notons que ce même principe de non-alignement motivait la présidence précédente à… ne pas rejoindre les BRICS, craignant que cela soit interprété en Occident comme un rapprochement avec l'axe Pékin-Moscou. Juergen Rueland, « Why Indonesia chose autonomy over BRICS membership », East Asia Forum, 25 octobre 2023.
13 Saahil Menon, « Why Was Indonesia's BRICS Membership Short-Circuited ? », Modern Diplomacy, 14 janvier 2025.
https://lvsl.fr/admission-de-lindonesie-aux-brics-nouveau-pas-vers-un-capitalisme-multipolaire/
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Enquête. L’aide internationale survivra-t-elle au bouleversement de l’ordre mondial ?

Quand l'administration Trump a fermé l'USAID, la déflagration a été ressentie dans le monde entier : ses financements, alloués dans 158 pays, représentaient près du tiers de l'aide planétaire en 2024. Le système de l'aide internationale, tel qu'il est né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pourra-t-il s'en remettre ? Le “Financial Times” semble en douter et entrevoit l'émergence de nouveaux modèles.
tiré du Courrier international
https://www.courrierinternational.com/article/enquete-l-aide-internationale-survivra-t-elle-au-bouleversement-de-l-ordre-mondial_228829
Soixante ans avant que, aux États-Unis, Elon Musk ne décide de passer à la “broyeuse” l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et que, au Royaume-Uni, le Premier ministre [travailliste], Keir Starmer, n'annonce de profondes coupes dans le budget d'aide internationale déjà exsangue, les pays riches remettaient déjà en question l'efficacité – et tout bonnement l'intérêt – de l'aide internationale.
Lire aussi : Géopolitique. L'aide américaine gelée et menacée : une carte pour comprendre la crise
En 1961, selon un rapport de l'USAID, la Corée du Sud, qui constitue aujourd'hui une des économies les plus développées au monde, était un “trou à rats”, un “puits sans fond” engloutissant les aides internationales. Quelques années plus tard, en 1968, un grand rapport commandé par la Banque mondiale, dont le premier chapitre s'intitulait “L'aide en temps de crise”, arrivait à cette conclusion : le soutien entre donateurs et bénéficiaires va s'amenuisant. Plus récemment, en 2009, l'économiste zambienne Dambisa Moyo expliquait dans son livre Dead Aid [“Aide morte”, inédit en français] que l'Afrique était “accro aux aides” et que “l'idée selon laquelle ces aides permettent de lutter contre la pauvreté systémique est un mythe”.
De nos jours, les États-Unis de Donald Trump rechignent à donner ne serait-ce qu'un petit coup de pouce à d'autres pays. Et avant même que l'administration Trump ne décide de liquider l'USAID, le vice-président américain, J. D. Vance, déclarait à Fox News :
“Nous devons d'abord aimer notre famille, puis nos voisins, puis notre communauté, puis notre pays, et seulement après prendre en compte les intérêts du reste du monde.”
Puisant dans le langage des guerres culturelles, Musk attaque l'USAID sans faire dans la dentelle : c'est à ses yeux un “nœud de vipères de marxistes de la gauche radicale”, un nœud de vipères qui œuvre contre les intérêts américains.
Désengagement occidental
Du côté de l'Europe, qui compte parmi les autres donateurs avec une poignée de pays riches de l'OCDE, l'aide internationale est également sous pression. Comprimés par le ralentissement de la croissance, les budgets d'aide européens sont alloués à des priorités locales, telles que l'hébergement des demandeurs d'asile et l'aide humanitaire à l'Ukraine.

Avant même que Keir Starmer ne ratatine le budget britannique à 0,3 % du PIB, le précédent gouvernement conservateur avait renoncé, malgré ses engagements, à maintenir le budget de l'aide internationale à 0,7 % du PIB. En 2020, il avait même fermé le renommé ministère du Développement international pour regrouper ses activités au sein du ministère des Affaires étrangères.
Ce désengagement occidental soulève plusieurs questions, en premier lieu sur ses répercussions pour les populations les plus pauvres de la planète, mais aussi sur ses conséquences pour la santé et la sécurité mondiale, notamment en cas de pandémie.
Lire aussi : Royaume-Uni. Keir Starmer promet de porter le budget de la Défense à 2,5 % du PIB
“J'espère qu'il ne s'agit pas d'un tournant définitif”, commente Abhijit Banerjee, professeur au MIT et corécipiendaire du prix Nobel d'économie [avec son épouse, Esther Duflo, et l'Américain Michael Kremer] pour ses travaux sur la pauvreté. Même si toutes les aides ne sont pas efficaces, dit-il, “de multiples exemples montrent que de petites sommes d'argent permettent d'accomplir de grandes choses. Si les pays les plus riches du monde suppriment leurs aides, cela ne fera qu'exacerber la misère dans le monde.”
Réimaginer l'aide au XXIe siècle
Qui plus est, l'influence occidentale dans le “Sud global” pourrait prendre un rude coup dans l'aile, en particulier si la Chine, la Russie et d'autres pays cherchent à combler le vide laissé par l'Occident. D'une manière générale, la question se pose également de savoir quelle forme prendra cette aide, alors que les gouvernements revoient leurs priorités et risquent de vouloir avant tout défendre leurs intérêts commerciaux et géopolitiques.

SOURCES : USAID, FOREIGNASSISTANCE.GOV, OCDE, “THE NEW YORK TIMES”.
Comme le rappelle Stefan Dercon, ancien économiste en chef du ministère du Développement international britannique, au lendemain de la chute du mur de Berlin, l'aide a cessé d'être un instrument géopolitique. Aujourd'hui, il pense au contraire qu'elle le devient de plus en plus :
“On supprime de l'aide la notion de générosité.”
D'aucuns espèrent pourtant que le démantèlement de nos vieilles structures d'aide au développement pourrait être l'occasion de réimaginer l'aide internationale au XXIe siècle. “Trump est en train de mettre en pièces quelque chose d'essentiel pour certaines des populations les plus vulnérables du monde”, déplore Ylva Lindberg, vice-présidente exécutive de Norfund, le fonds norvégien d'investissement destiné aux pays en développement. “Cela dit, l'organisation et le financement de l'aide internationale doivent impérativement être repensés. Tout le chaos que sème Trump nous poussera peut-être à revoir notre conception de l'aide internationale.”
Lire aussi : L'aide au développement est une pure arnaque
Depuis toujours, l'aide internationale est un équilibre entre trois éléments : l'aide humanitaire, le développement à long terme et l'influence. C'est d'ailleurs ce qui la rend difficile à accepter d'un côté par les contribuables, de l'autre par les pays bénéficiaires, qui contestent souvent l'idée selon laquelle ces aides sont fondamentalement altruistes. Aux États-Unis, selon un récent sondage réalisé par l'institut Public First pour le Financial Times, les Américains sont 60 % à penser que l'aide américaine n'arrive jamais aux personnes à qui elle est destinée.
Des progrès à mettre au crédit de l'aide
L'actuel désengagement occidental inquiète évidemment ceux qui sont convaincus que l'aide internationale fait beaucoup plus de bien que de mal. Selon la Banque mondiale, la part de la population mondiale vivant dans un état d'extrême pauvreté – sous le seuil de 2,15 dollars par jour – est passée de 38 % en 1990 à 8,5 % en 2024. Approximativement au cours de la même période, le nombre d'enfants mourant avant leur cinquième anniversaire a chuté de 12,5 à 4,9 millions.
Ces progrès sont notamment dus à la croissance rapide de la Chine, de l'Inde et d'autres économies émergentes. Mais aussi à l'aide internationale, soulignent les experts, en particulier en Afrique, en Asie du Sud et dans les zones les plus pauvres de l'Amérique latine.
Lire aussi : Géopolitique. Cataclysme sanitaire, “guerre idéologique” : que signifie le gel de l'USAID en Afrique ?
D'après Bright Simons, directeur de recherche au groupe de réflexion Imani, à Accra, au Ghana, rares sont en effet les pays à être sortis de la pauvreté sans l'aide d'autres pays. La Chine, souligne-t-il, a elle-même bénéficié de milliards de dollars de prêts japonais à des conditions préférentielles, prêts qui lui ont permis de construire des infrastructures, de stimuler sa croissance et de sortir de la pauvreté.
Pour Jeffrey Sachs, directeur du Centre pour le développement durable à l'université Columbia, le problème de l'aide internationale n'est pas qu'il y en a trop, mais pas assez : les pays pauvres reçoivent “des aides au compte-gouttes, si minimes qu'elles ne peuvent pas véritablement faire décoller leur économie”. “Pourquoi choisir entre la lutte contre le paludisme et l'éducation des enfants ?” s'interroge-t-il. “Il serait très facile de financer ces deux causes à la fois si les autorités américaines, britanniques, européennes et autres le voulaient vraiment. Malheureusement, elles s'en contrefichent.”
Par la force des choses, l'aide internationale évolue en même temps que les réalités géopolitiques. Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis consacraient 3 % de leur PIB à l'aide internationale, soit plus de dix fois plus qu'aujourd'hui. Une grande partie de ces fonds a alors été injectée dans le plan Marshall [1948], qui a permis de reconstruire le Japon, ainsi que l'industrie et les infrastructures d'Europe.
44 milliards de dollars par an
Dans les années 1980 et 1990, les pays occidentaux se sont servi de l'aide internationale pour inciter les pays en développement, en particulier les pays d'Afrique qui s'étaient convertis au socialisme, à adopter des réformes pour ouvrir leurs marchés. Après l'effondrement du communisme, cette politique a été élargie à l'Europe de l'Est.
Au XXIe siècle, la guerre froide étant derrière nous, les grandes priorités sont devenues la lutte contre la pauvreté et la défense des droits des populations les plus pauvres de la planète. C'est ce que reflètent notamment les objectifs du millénaire pour le développement [2000] et les objectifs de développement durable [2015] des Nations unies.
Lire aussi : Géopolitique. Le Sud global veut sa place sur le grand échiquier mondial
La fermeture de l'USAID en février, du jour au lendemain, a des retentissements dans le monde entier. Avec un budget de 44 milliards de dollars par an, l'agence gérait plus de la moitié des quelque 70 milliards de dollars que les États-Unis consacrent au développement international, notamment sous la forme d'aide militaire.
En 2023, l'aide américaine représentait près de 30 % de l'aide internationale mondiale versée par 24 pays membres de l'OCDE, laquelle s'élève à quelque 223,3 milliards de dollars. À noter que l'aide de la Chine, apportée principalement sous la forme de prêts destinés à la construction de routes, de ports et d'aéroports dans le cadre de son programme des nouvelles routes de la soie, n'est pas prise en compte dans les chiffres de l'OCDE.

Dans les rues de Cap-Haïtien, en Haïti, le 10 juillet 2024. Photo Corentin Fohlen/Divergence
Une dépendance exacerbée à l'aide
Samedi 1er février, lorsque le site Internet de l'USAID a été désactivé, les travailleurs de l'aide internationale, qu'ils distribuent de la nourriture dans le Soudan ravagé par la guerre, assurent l'éducation des filles dans l'Afghanistan des talibans ou luttent contre les ravages de la drogue en Colombie, se sont préparés au pire. Et même quand le secrétaire d'État, Marco Rubio, a émis une dérogation pour les programmes qui fournissent une assistance vitale, bon nombre d'organisations sont restées fermées.
L'USAID taillée en pièces
“Il est temps qu'elle disparaisse”, a déclaré Elon Musk. Qualifiée de “nid de vipères” par le milliardaire, l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) est devenue l'une des premières cibles de son “département de l'efficacité gouvernementale” (Doge). Début février, son siège a été abruptement fermé, l'accès à la boîte e-mail coupé pour une grande partie du personnel, tandis que le secrétaire d'État, Marco Rubio, mettait sous tutelle l'agence indépendante. En quelques jours, la plupart des contractuels et employés ont été placés en congé administratif. Et ce alors que Donald Trump avait ordonné dès janvier un gel de toute l'aide à l'étranger – même si des initiatives “sauvant des vies” ont finalement été préservées.
Le 18 mars, un tribunal fédéral a estimé que le démantèlement de l'agence par Musk et son Doge avait “probablement violé la Constitution”. Le juge Theodore Chuang a ordonné de rétablir l'accès du personnel aux courriels et aux locaux, “même si ce répit ne sera sans doute que provisoire” selon The New York Times.
Après avoir passé en revue les activités de l'USAID, le gouvernement Trump a déclaré éliminer 83 % de ses programmes. Le reste pourrait faire l'objet d'une profonde réorganisation ; c'est du moins ce que propose une note interne obtenue par Politico. Il y est question de transformer l'USAID en une “agence pour l'assistance humanitaire internationale” sous la houlette du département d'État. Celui-ci gérerait directement tous les programmes “politiquement orientés”. De quoi servir davantage les intérêts géopolitiques de Washington. Courrier International

Les coupes budgétaires actuelles mettent en évidence à quel point certains pays dépendent des aides, notamment dans le domaine de la santé. Francisca Mutapi, spécialiste de santé mondiale à l'université d'Édimbourg, rapporte qu'en 2021 un tiers du budget de la santé de la moitié des pays africains dépendait de financements externes. Chris Coons, sénateur démocrate du Delaware et ancien président du sous-comité sur l'Afrique de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, explique que certains républicains sont choqués par l'ampleur des réductions budgétaires :
“Ils voulaient en finir avec le côté woke. Remanier un peu les choses, mais certainement pas laisser mourir de faim des enfants.”
Les réactions des pays bénéficiaires de ces aides se font pour l'heure plus discrètes. “Les gens pleurent, ils se plaignent que Trump ne nous donne plus d'argent”, commentait Uhuru Kenyatta, ancien président du Kenya, lors d'un sommet régional sur la santé à Mombasa en janvier. “Mais au lieu de pleurer, nous devons nous demander : ‘Que pouvons-nous faire pour subvenir à nos besoins ?'” Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce, abonde en son sens : “En Afrique, nous devons changer de mentalité. L'aide internationale ? Nous devons y penser comme à quelque chose qui appartient au passé.”
Reste que les pays concernés ne pourront pas s'adapter en un claquement de doigts, réagit Ken Opalo, professeur associé à l'université de Georgetown, à Washington. “Jusqu'à présent, les gouvernements africains ne semblent pas avoir élaboré de plan sérieux en cas d'urgence. Ils sont purement et simplement dépendants des aides.”
Des coupes budgétaires qui vont alimenter les migrations
Pour évaluer les répercussions de la suppression des aides, il faut commencer par déterminer leur utilité réelle. Or, selon Bright Simons, du groupe de réflexion Imani, elles avaient de moins en moins d'effets. Alors qu'auparavant les pays riches cherchaient à stimuler la croissance des pays pauvres jusqu'à ce qu'elle atteigne un niveau qui leur permette de se transformer, ces derniers temps, estime-t-il, leurs objectifs ont été dilués. La bureaucratie qui se trouve derrière l'aide internationale – pensons aux 17 objectifs de développement durable des Nations unies, déclinés en 169 cibles – “s'affaisse sous son propre poids et se perd dans sa propre complexité”.
James Robinson, coauteur du livre Why Nations Fail [“Pourquoi les nations échouent”, inédit en français, 2012] et corécipiendaire du prix Nobel d'économie 2024, rejette ces critiques. “Je ne pense pas que l'aide internationale soit le problème, ni même la solution, dit-il. Si un puits est creusé dans une région rurale de Madagascar, c'est magnifique. Si un toit est installé sur une école de Sierra Leone, ce n'est pas un problème : c'est utile aux gens.” Les coupes actuelles, ajoute-t-il, ne feront qu'aggraver la pauvreté et l'insécurité, et alimenter les migrations. “Que risque-t-il de se passer si on coupe les vivres à des populations pauvres ? Elles seront encore plus désespérées et enclines à partir.”
Lire aussi : Géopolitique. Le gel de l'USAID, une occasion pour repenser le modèle de développement
L'Occident pourrait par ailleurs perdre de son influence, avertissent les experts. Lorsqu'il a créé l'USAID, en 1961, en pleine guerre froide, le président John F. Kennedy y voyait ouvertement un précieux outil diplomatique. “C'est une puissante source de pouvoir pour nous, avait-il déclaré au personnel recruté pour l'agence. Quand nous ne voulons pas envoyer de troupes américaines dans les nombreuses zones où la liberté se trouve menacée, c'est vous que nous envoyons.”
Même si ces aides ne suffisent pas toujours à conquérir les cœurs et les esprits, le fait est qu'elles y parviennent parfois. Le Pepfar, le plan d'aide d'urgence à la lutte contre le sida à l'étranger lancé par George W. Bush en 2003, a sauvé la vie de pas moins de 26 millions de personnes, ce qui lui a valu d'être couvert d'éloges.
L'image et la sécurité des États-Unis menacées
Pour le sénateur Chris Coons, supprimer de tels programmes et “ôter des milliards de dollars de la bouche de bébés du monde entier” est indubitablement immoral, mais c'est aussi une mesure qui, en fin de compte, nuit à l'image et à la sécurité des États-Unis.
Dans le domaine de la santé mondiale, explique-t-il, les programmes financés par les États-Unis aident les pays les plus pauvres du monde à gérer des épidémies de maladies infectieuses comme Ebola, Marburg ou la variole du singe [mpox], et évitent qu'elles ne se propagent dans le monde entier. Chris Coons ajoute que le travail d'ONG financées par les États-Unis contribue par ailleurs à dissuader les hommes jeunes avec peu de perspectives économiques de rejoindre des groupes terroristes ou des organisations de trafic d'êtres humains. En les supprimant, redoute-t-il, on risque de “créer un grand vide” qui laissera la voie libre “à la Chine, à la Russie, aux trafiquants et aux terroristes”.
Lire aussi : Géopolitique. Le Sud global veut sa place sur le grand échiquier mondial
Du reste, l'Occident ne peut tout simplement pas se couper des problèmes du monde, estime Ayoade Alakija, spécialiste nigériane de la santé mondiale. Qui cite un proverbe yoruba :
“Quand on lance une pierre sur un marché, il faut être prudent, car on risque de frapper un parent.”
Dorénavant, les aides ont de plus en plus de chances d'être soumises à des conditions, dans le cadre de négociations commerciales ou autres, prévoit Stefan Dercon, cet ancien membre du ministère du Développement international britannique qui enseigne à présent à l'école d'administration Blavatnik, à l'université d'Oxford. Le monde en a eu un avant-goût pendant la pandémie de Covid-19, lorsque la Chine, la Russie, les États-Unis et l'Europe ont cherché, souvent en vain, à se faire des amis dans les pays en développement avec ce que l'on a alors appelé la “diplomatie du vaccin”.
Des investissements à but lucratif
Cela fait longtemps que les réseaux sociaux sont inondés de thèses complotistes sur les supposés véritables motifs qui se cachent derrière les aides – depuis l'exploitation des ressources jusqu'à des missions d'espionnage – et que les rivaux de Washington reprennent allègrement ces thèses. “De nombreux éléments suggèrent que l'USAID a travaillé en étroite collaboration avec le département d'État américain et la CIA lors de diverses opérations secrètes visant à déstabiliser des gouvernements étrangers”, écrivait récemment le chroniqueur Chen Weihua dans le quotidien China Daily.
Mais Bright Simons trouve “naïf” d'imaginer que les pays pauvres pourront se tourner vers la Chine ou d'autres puissances pour combler le vide laissé par l'Occident. “Les puissances géopolitiques montantes, comme les Brics, ne voient pas l'intérêt de soutenir le système d'aide internationale classique, souligne-t-il. La Russie n'a que faire de renforcer la justice en Afrique ou de savoir si les écolières du Soudan disposent de protections hygiéniques.”
Lire aussi : Brésil. Des milliards pour une favela, ou l'aide au développement selon les Émirats
Ylva Lindberg, de Norfund, prédit un autre scénario : les subventions vont laisser place à des investissements à but lucratif dans des entreprises. Chaque année, Norfund investit déjà quelque 7,7 milliards de couronnes (soit 670 millions d'euros) dans des entreprises étrangères – depuis une ferme solaire en Inde jusqu'à une exploitation laitière au Malawi, en passant par une banque au Honduras. Comme ses homologues au Royaume-Uni, en France ou en Allemagne, ce fonds injecte des capitaux dans des entreprises qui peinent autrement à accéder à des financements. Si ces investissements représentent aujourd'hui moins de 2 % des aides des pays de l'OCDE, selon Ylva Lindberg, ce chiffre pourrait bien doubler, voire tripler.
“Une solution gagnant-gagnant”
Les États-Unis aussi semblent être en train de prendre cette direction. Lors de son premier mandat, Trump a créé l'US International Development Finance Corporation (DFC), dotée d'un budget de 60 milliards de dollars pour investir dans divers projets menés dans des pays avec des revenus intermédiaires à faibles. Même si le démarrage de la DFC a été lent, sous le mandat Biden, elle a financé un consortium de télécommunication en Éthiopie, une mine de graphite au Mozambique et un complexe plan de refinancement de la dette en Équateur.
Soulignons que la DFC a également approuvé un prêt de 553 millions de dollars au corridor de Lobito, une initiative majeure, menée par les Américains, pour construire une voie ferrée reliant les mines de Zambie et du Congo avec le port angolais de Lobito, sur la côte atlantique. Aux yeux des responsables américains, ce gigantesque chantier constitue un exemple de ce nouveau type d'assistance qui combine les intérêts stratégiques américains – en l'occurrence la lutte contre la mainmise chinoise sur des minéraux critiques – et le développement des pays bénéficiaires.
Lire aussi : Reportage. En Angola, un chemin de fer qui attise les convoitises : “Les Américains, on vous aime !”
“Plutôt que d'exporter des matières premières vers la Chine, qui peut profiter de sa place dans la chaîne d'approvisionnement mondiale pour faire chanter les autres pays, c'est une solution gagnant-gagnant pour les Africains et les Américains”, résume Peter Pham, un spécialiste de l'Afrique qui travaille actuellement à l'Atlantic Council, à Washington, et qui, selon certains, pourrait prochainement jouer un rôle de premier plan dans la nouvelle administration Trump.
En février, Trump a signé un décret présidentiel pour créer un fonds souverain, laissant spéculer que la DFC pourrait être intégrée à cette nouvelle organisation. “Au lieu d'être une institution de financement du développement, il s'agira sans doute davantage d'un instrument géopolitique”, présume Ylva Lindberg. Les investissements commerciaux, ajoute-t-elle, ne remplaceront jamais les projets purement humanitaires comme la gestion d'urgence des catastrophes naturelles ou des crises migratoires. Aussi les choses vont-elles se durcir dans le domaine de l'aide internationale. “Je ne dirais pas que l'altruisme est mort, conclut-elle. Mais en règle générale, les intérêts nationaux occuperont beaucoup plus de place.”
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Vers un désordre mondial militariste

Le retour de Donald Trump au pouvoir s'accompagne d'une profonde réorientation de l'impérialisme étasunien, notamment par un rapprochement avec la Russie. En réaction, l'Europe adopte une rhétorique militariste. Celle-ci n'ouvre pas de nouvelles perspectives au peuple ukrainien dans sa lutte contre l'agresseur russe. Entretien avec Jaime Pastor, membre de la rédaction de Viento Sur et militant d'Anticapitalistas.
21 mars 2025 | tiré du site Solidarités | Photo : Ursula von der Leyen et J. D. VanceLa Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le vice-président étasunien J. D. Vance lors d'un sommet sur l'IA à Paris, 11 février 2025 Dati Bendo / European Commission
https://solidarites.ch/journal/447-2/usa-russie-europe-ukraine-vers-un-desordre-mondial-militariste/
Comment définiriez-vous la situation internationale actuelle ?
En partant du tournant radical que représente le retour de Trump au gouvernement des États-Unis, on pourrait dire que nous sommes au début d'une nouvelle ère de désordre mondial qui s'inscrit dans un contexte que l'on qualifie généralement de « polycrise ». Ce terme désigne une conjonction de crises simultanées et interconnectées, dont la plus marquante est la crise écosociale mondiale, qui se produit dans le cadre d'une stagnation prolongée du capitalisme et de la fin de la « mondialisation heureuse ».
L'une des principales conséquences de cette polycrise est l'aggravation de la compétition et des tensions entre les grandes puissances. Pour y répondre, le tandem Trump-Musk – qui incarne la mainmise directe d'une fraction du grand capital étasunien sur l'État – mise sur un nationalisme oligarchique et protectionniste visant à « rendre sa grandeur » aux États-Unis (le slogan MAGA, « Make America Great Again ») et ainsi freiner leur déclin impérial.
D'un point de vue géopolitique, ce projet étasunien se traduit par une redéfinition des relations avec les autres grandes puissances, afin d'atteindre plusieurs objectifs. Le premier consiste à conclure un pacte avec Poutine en reconnaissant leurs sphères d'influence respectives, restaurant ainsi un partage colonial des pays voisins et de leurs ressources. Le second objectif réside dans la limitation du rôle des États-Unis en tant que « protecteur » militaire de l'Europe, en poussant les États membres de l'Union Européenne à accroître leurs dépenses de défense et en les traitant comme des concurrents économiques. Enfin, à moyen et long terme, un troisième objectif consiste à donner la priorité à l'interventionnisme en Asie-Pacifique et surtout à la rivalité avec la Chine, qui est la principale puissance montante à laquelle s'opposent les États-Unis.
Cette tentative de réorganisation de la hiérarchie internationale intervient alors que l'extrême droite progresse dans le monde entier. Le trumpisme, qui associe une conception libertarienne de l'économie, un autoritarisme sur le plan politique et une orientation réactionnaire sur le plan idéologique, est devenu la principale référence de ces forces cherchant à imposer un « changement de régime ». Cela a été explicitement affirmé par le vice-président J. D. Vance lors du sommet de Munich, qui a laissé entendre que l'objectif est pratiquement de mettre fin à la démocratie libérale et d'instaurer de véritables autocraties électorales, voire des régimes néofascistes.
Toutefois, ce projet rencontre déjà des résistances et contradictions, tant aux États-Unis qu'ailleurs, ce qui pourrait accentuer l'instabilité géopolitique et approfondir la polycrise, notamment dans sa dimension écosociale, avec des issues incertaines.
Que se passe-t-il en Europe dans cette reconfiguration mondiale ? Et que pensez-vous de la course effrénée à l'armement et du climat de « pré-guerre » qui se crée ?
L'Europe est aujourd'hui en plein désarroi face au virage radical imposé par Trump, notamment en ce qui concerne la guerre en Ukraine, qui a en effet entrepris de réhabiliter Poutine, au point de vouloir partager avec lui l'exploitation des ressources naturelles ukrainiennes. Par ailleurs, la nouvelle politique commerciale protectionniste des États-Unis, via l'augmentation des droits de douane, intensifie la rivalité économique avec l'Union européenne.
Depuis quelques temps, l'UE tente d'endiguer sa perte d'influence sur la scène mondiale en renforçant son « autonomie stratégique », comme l'ont recommandé les récents rapports de Draghi et Letta. Ce projet prend aujourd'hui une dimension principalement militaire, avec l'adoption d'un budget de 800 milliards d'euros destiné à un programme de réarmement qui alimentera inévitablement une nouvelle phase dans la course aux armements à l'échelle mondiale.
Pour justifier cette montée en puissance militaire, les élites européennes cherchent à imposer l'idée que la Russie de Poutine constitue une « menace existentielle » pour l'Europe. Conscientes que ce discours peine à convaincre au-delà des pays voisins de la Russie, elles l'associent à une rhétorique de défense de la « démocratie et du bien-être » contre le « totalitarisme ». Pourtant, cette posture contraste avec les politiques répressives menées en Europe contre les migrant·es, les restrictions des libertés politiques et sociales, et surtout, la complicité occidentale avec le génocide perpétré par l'État colonial israélien contre le peuple palestinien.
De plus, ce réarmement n'a aucune justification rationnelle : comme l'a souligné la députée portugaise Mariana Mortágua, « les pays de l'UE disposent de plus de personnel militaire en activité que les États-Unis ou la Russie, et leur budget de défense cumulé est supérieur à celui de la Russie et proche de celui de la Chine ». Il faut également tenir compte du fait que l'Europe pourrait disposer, s'il le fallait, de l'arsenal nucléaire français et britannique.
Il ne s'agit donc pas d'un projet défensif, mais bien d'une militarisation accrue des sociétés européennes, au service d'une stratégie offensive visant à protéger les intérêts d'une Europe qui veut relancer un plan industriel militaire au service d'un capitalisme toujours plus prédateur et autoritaire.
Certains secteurs de la gauche, y compris radicale, appellent à soutenir le réarmement militaire européen. Quelle devrait être notre position sur la guerre en Ukraine ?
Il est gravement erroné que des secteurs de la gauche soutiennent le réarmement militaire européen. Cela revient à s'aligner sur un projet agressif et offensif qui ne profitera qu'à l'industrie de l'armement étasunienne et européenne. Malgré les discours officiels, cette orientation se fera au détriment des investissements sociaux et de la lutte contre le réchauffement climatique.
Une gauche internationaliste doit s'opposer à tous les impérialismes et à la logique des sphères d'influence. Elle doit exprimer sa solidarité avec le peuple ukrainien dans sa résistance – armée ou non – contre l'occupation russe et dans sa demande d'aide militaire et matérielle à autres pays. Cela implique de dénoncer tout accord entre Trump et Poutine négocié sans le peuple ukrainien, d'exiger le respect de la souveraineté de l'Ukraine, l'annulation de sa dette de guerre et le soutien à une reconstruction écosociale juste.
Il est également essentiel de renforcer les liens avec les forces de gauche en Ukraine qui s'opposent aux politiques néolibérales et pro-atlantistes du gouvernement Zelensky, ainsi qu'avec les militant·es anti-guerre en Russie qui luttent dans des conditions répressives extrêmes.
Poutine est aujourd'hui en position de force. Est-il possible d'inverser ce rapport de forces sur le plan militaire ou est-ce inutile ?
Après trois ans de guerre, il semble évident que le rapport de forces militaire est difficilement réversible et que le coût humain et matériel de la prolongation du conflit est immense. Cependant, l'insistance de Poutine à revendiquer l'Ukraine comme partie intégrante de son imaginaire nationaliste grand-russe laisse craindre qu'il soit impossible d'obtenir une paix juste et durable pour le peuple ukrainien comme pour le peuple russe.
Il faudra rechercher une solution politique, mais il ne revient pas à nous de dire au peuple ukrainien quand il doit arrêter de résister face à l'envahisseur. Nous devons continuer à soutenir leur lutte, armée ou non armée et, en son sein, les organisations sociales et populaires qui aspirent à une Ukraine souveraine et libérée des ingérences des grandes puissances, qu'elles soient occidentales ou russes.
Certains courants pacifistes étaient par le passé contre l'exportation d'armes à l'Ukraine. Penses-tu que cette position est toujours défendable ?
Je crois que si nous partons du fait indéniable que l'invasion russe est injuste et que, par conséquent, le peuple ukrainien a le droit de résister à cette invasion par les armes, il a également le droit de demander l'aide militaire inconditionnelle d'autres pays, même si leurs gouvernements le font motivés par d'autres intérêts ou faisant preuve d'un double standard par rapport à autres peuples, comme c'est le cas de Gaza. Une fois que la majorité du peuple ukrainien a décidé de résister, s'opposer à cette aide maintiendrait une position équidistante entre agresseur et agressé, ce qui est totalement contraire à la lutte pour une paix juste.
Compte tenu de la volonté de Trump de contraindre l'Ukraine à accepter l'accord qu'il pourrait conclure avec Poutine, je considère qu'une aide militaire à la résistance ukrainienne pour sa défense est d'autant plus nécessaire aujourd'hui que dans le passé, et cela peut se faire sans avoir à augmenter les budgets militaires des pays européens.
Telle a été la position traditionnelle d'une gauche internationaliste solidaire des peuples attaqués, que ce soit par d'autres États ou par la menace nazie ou fasciste, comme cela s'est produit pendant la guerre civile espagnole, même lorsque la résistance au fascisme était dirigée par un gouvernement qui avait fait échouer le processus révolutionnaire dans la zone républicaine.
Quelles doivent être nos tâches et revendications dans la période actuelle ?
Nos tâches devraient se concentrer sur la construction de fronts unitaires pour une lutte commune contre le projet de réarmement de l'UE, en exigeant une réduction substantielle des dépenses militaires afin de les consacrer à la transition écosociale juste, qui est nécessaire et urgente, ainsi qu'au désarmement nucléaire de la France, du Royaume-Uni et de la Russie.
Ces tâches doivent être accompagnées, comme ce fut le cas dans les années 1980 face à l'installation des euromissiles à l'Ouest et à l'Est, d'une lutte pour la dissolution de l'OTAN et le démantèlement de toutes les bases militaires américaines en Europe, ainsi que d'autres blocs militaires régionaux, tels que l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dirigée par la Russie et impliquant d'autres pays de l'ex-espace soviétique.
Tout cela devrait s'accompagner d'une remise en cause du concept militariste de « sécurité » employé aussi bien par l'UE que par la Russie, pour lui opposer une culture de paix, de résistance non-violente active contre toutes les agressions et de solidarité avec tous les peuples, dans le but d'avancer vers une dénucléarisation et une démilitarisation progressive de l'Europe, de l'Atlantique jusqu'à l'Oural.
C'est cette Europe-là qu'il faudra défendre si nous voulons construire une autre Europe écosocialiste.
Propos recueillis par Juan Tortosa
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ReArm Europe et la militarisation des esprits

Le rapport sur les dépenses militaires de l'OTAN pour 2024 fait état d'une augmentation de 17,9% des dépenses de défense en Europe et au Canada (ces chiffres sont toujours agrégés) cette année-là par rapport à la précédente. Et en 2023, elle faisait déjà état d'une augmentation de 9,3% des dépenses militaires par rapport à 2022. En fait, l'augmentation des dépenses dans ce domaine est constante depuis 2015, avec de fortes hausses en 2023 et 2024.
24 mars 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/24/justice-sociale-defense-europeenne-securite-nationale-quatre-textes/
L'investissement proposé ne sera pas non plus nécessaire, comme cela a été souligné, pour combler les lacunes de l'industrie européenne de l'armement, qui est très concentrée. Les données du SIPRI entre 2020 et 2024 montrent que parmi les 9 pays qui exportent le plus d'armes dans le monde, 4 appartiennent à l'Union européenne (France, Allemagne, Italie et Espagne) et 5 à des pays européens membres de l'OTAN (le Royaume-Uni s'ajoute aux 4 précédents).
En outre, dans les principales catégories de production d'équipements militaires répertoriées, l'industrie européenne ne présente aucune lacune. En d'autres termes, il n'y a pas de grands domaines où l'industrie européenne est déficiente. La France, l'Italie et le Royaume-Uni abritent des entreprises qui produisent et exportent des avions de combat, et la France et l'Italie font de même avec les hélicoptères de combat. Pour les grands navires de guerre, il y a vraiment cinq pays européens, et tous, sauf le Royaume-Uni, exportent des véhicules blindés. L'Allemagne et l'Italie exportent des chars de combat, la France et l'Allemagne de l'artillerie. Même les missiles sol-air les plus complexes (systèmes SAM) sont exportés par l'Allemagne et le Royaume-Uni.
Parallèlement à une industrie militaire robuste destinée à l'exportation, les pays européens ont considérablement augmenté leurs dépenses en équipements militaires au cours des dernières années. Il ne s'agit pas seulement d'achats, mais aussi d'investissements dans des projets de recherche et de développement. C'est ce qu'indique le rapport de l'OTAN. En 2024, les dépenses en armement des pays européens et du Canada ont augmenté de 36,9%, alors qu'en 2023, l'augmentation était déjà de 16,4%. Une fois de plus, les pays européens et le Canada ont connu des augmentations constantes des dépenses en équipement militaire depuis 2015, avec des pics en 2017, 2021, 2023 et 2024.
En Albanie, en République tchèque, en Finlande, en Hongrie, en Lettonie, au Luxembourg, en Pologne et au Royaume-Uni, la majeure partie du budget militaire est déjà consacrée à l'équipement militaire, allant de 36,9% en Lettonie à 51,1% en Pologne. Entre 2014 et 2024, 27 pays européens ont augmenté le pourcentage de leur budget de défense alloué aux équipements. Il s'agit de tous les pays européens membres de l'OTAN (y compris la Turquie), à l'exception de la Suède. De plus, dans 17 de ces pays, l'augmentation du pourcentage du budget de la défense consacré aux équipements a augmenté de manière plus ou moins régulière, et dans tous ces pays, on observe une tendance à l'accélération de l'augmentation au cours des deux dernières années.
Le complexe militaro-industriel transatlantique
L'augmentation des dépenses militaires s'est accrue et le pourcentage de ces budgets consacré à l'équipement et à l'armement a également augmenté. Pourquoi les dirigeants européens veulent-ils augmenter encore les dépenses militaires et quels en sont les enjeux ?
Dans son discours d'adieu de 1961, Dwight D. Eisenhower, ancien général et président des États-Unis d'Amérique pour le parti républicain, a lancé un avertissement à sa nation : « Dans les conseils de gouvernement, nous devons nous prémunir contre l'acquisition d'une influence injustifiée, qu'elle soit recherchée ou non, du complexe militaro-industriel ».
« La conjonction d'un immense complexe militaire et d'une vaste industrie de l'armement est une nouveauté dans l'expérience américaine. L'influence totale – économique, politique et même spirituelle – se fait sentir dans chaque ville, dans chaque État, dans chaque bureau du gouvernement fédéral », a-t-il ajouté.
Néanmoins, selon les données de la Banque mondiale, les dépenses militaires sont passées de 47,3 milliards de dollars à 876 milliards de dollars (environ 839 milliards d'euros, comme indiqué ci-dessus). Même corrigée de l'inflation, il s'agit d'une augmentation réelle d'environ 332 milliards de dollars en soixante ans.
Les entreprises d'équipement militaire des États-Unis d'Amérique ont acquis une taille considérable et une capacité d'influence sur la sphère politique et sociale, comme l'avait prédit Eisenhower. Et cette influence a atteint l'Europe.
Une enquête menée par Investigate Europe a montré que la stratégie de financement du programme européen de développement industriel de la défense est dominée par cinq entreprises : Airbus, Leonardo, Thales, Dassault Aviation et Indra Sistemas. Ces entreprises sont en partie détenues par des États européens, mais aussi par des fonds américains qui sont actionnaires de sociétés militaires américaines.
En pratique, les grandes entreprises d'armement européennes et les grandes entreprises d'armement américaines sont détenues par les mêmes fonds, ce qui signifierait un processus de concentration horizontale de la propriété sur le marché. Les fonds qui détiennent des intérêts dans ces cinq entreprises détiennent également des intérêts dans Boeing, Lockheed Martin, Raytheon Technologies, General Dynamics et Northrop Grumman. Le complexe militaro-industriel dont parlait Einsenhower a traversé l'océan Atlantique.
L'un des groupes les plus visibles est BlackRock, qui détient des participations dans Airbus, Leonardo, Thales, Indra Sistemas, Dassault en Europe, et Boeing, Lockheed Martin, Raytheon, Northrop et General Dynamics aux États-Unis.
De plus, ces entreprises ont plusieurs représentants au sein du Groupe des personnalités de la recherche en matière de défense (GoP), un groupe créé par la Commission européenne en 2015 (année où les investissements militaires ont commencé à augmenter de façon constante) pour orienter la politique de sécurité et de défense en Europe.
Preuve en est l'augmentation des dépenses consacrées au lobbying auprès des institutions européennes par les 10 plus grandes entreprises de défense des pays de l'UE au cours des dernières années. Entre 2022 et 2023, les chiffres publics montrent une augmentation de 40%.
Ceux qui profitent du génocide en Palestine et de la guerre en Ukraine préparent le terrain pour bénéficier également des réductions de l'État-providence en Europe, augmentant ainsi leur taux de profit.
Miguel Urbán
https://www.publico.es/opinion/rearm-europe-militarizacion-espiritus.html
Transmis et traduit par JB
https://www.reseau-bastille.org/2025/03/21/rearm-europe-et-la-militarisation-des-esprits/
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RDC, l’avancée inexorable de la rébellion

Les derniers évènements en RDC montrent que le M23/AFC entend contrôler durablement les territoires conquis tout en continuant son avancée, acculant le président congolais à chercher désespérément des soutiens militaires.
Tiré d'Afrique en lutte.
Le mouvement du 23 Mars et l'Alliance du Fleuve Congo (M23/AFC) soutenu par le Rwanda continue sa progression vers Kindu, chef-lieu de la province de Maniema et vers Uvira située sur le bord du lac Tanganyika. Dans le même temps, le M23/AFC conforte sa position et tente d'administrer les deux grandes villes du Nord et Sud Kivu, Goma et Bukavu.
S'installer dans la durée
Il ne faut pas se fier aux foules saluant les « libérateurs » dans les villes conquises. Il s'agit avant tout d'une stratégie des habitantEs tentant de se concilier les bonnes grâces des nouveaux maîtres des lieux. Quant au grand meeting organisé par Corneille Nangaa le dirigeant du M23/AFC au stade de l'Unité à Goma, les habitantEs ont été invitéEs à y participer sous la menace des kalachnikovs relativisant fortement la spontanéité de leur ferveur.
La situation humanitaire et sociale est catastrophique. Les miliciens ont expulsé les populations des camps de réfugiéEs vers leurs villages, indépendamment des conditions sécuritaires. Les citadinEs de Goma et de Bukavu sont confrontéEs à la pénurie de liquidités car les banques ne sont plus approvisionnées par Kinshasa. Beaucoup ont perdu leur emploi ou leurs biens à cause de pillages mais tous doivent participer gratuitement aux travaux communautaires appelés « Salongo » chaque samedi.
Les autorités du M23/AFC traquent opposantEs, journalistEs et toutes voix critiques et tentent d'étouffer la société civile. C'est le cas avec « La Lucha » dont les militantEs subissent la répression. Si avant la situation était loin d'être parfaite, elle s'est maintenant considérablement détériorée. Le remplacement systématique des chefs coutumiers – certains sont même exécutés – permet ainsi de conforter les propriétés foncières des partisans des miliciens voire d'accéder à de nouvelles terres, car traditionnellement leur distribution est assurée par les chefs des villages.
Un président congolais affaibli
Félix Tshisekedi, le président de RDC, se trouve acculé. La conférence de la SADC, regroupant les pays de l'Afrique australe, a acté le retrait de leurs troupes. Il s'est tourné vers le Tchad en vain. En interne, ses oppositions haussent le ton à l'image de Joseph Kabila, l'ancien président, qui l'accuse de dictature avec ses velléités de modifier la constitution lui permettant de briguer un troisième mandat.
Le dirigeant congolais joue une nouvelle carte, celle des USA. En échange d'une protection de la RDC, les États-Unis auraient accès aux nombreux minerais du pays. Cette offre, si elle correspond bien au logiciel du « First America » de Trump fait fi de la réalité, le contrôle par la Chine de près de 70 % à 80 % des mines obligeant les USA à mener des prospections géologiques considérées comme coûteuses, chronophages et aléatoires. Cependant, Washington s'est dit intéressé par la proposition.
Négociations contraintes
Aux dires du médiateur pour la paix, le président angolais João Lourenço, Félix Tshisekedi n'exclurait plus de franchir la ligne rouge qu'il avait lui-même édicté à savoir le refus de toutes négociations directes avec le M23/AFC, considéré comme des pantins du Rwanda. Depuis plusieurs semaines, les autorités religieuses congolaises très écoutées par la population défendaient cette option.
Isolé politiquement en RDC, ne pouvant plus compter sur une aide militaire d'un quelconque pays et conscient de la déliquescence de son armée et des milices alliées – les wazalendo dont certains ont changé de camps en rejoignant le M23/AFC – Félix Tshisekedi n'a plus beaucoup de choix. Mais accepter les négociations s'avèrera un jeu périlleux. En effet, trop céder aux exigences du Rwanda, risque non seulement d'être un suicide politique mais pourrait aussi susciter une opposition d'un autre pays voisin l'Ouganda qui verrait d'un mauvais œil l'hégémonie économique voire politique du président rwandais Paul Kagamé sur la partie Est de la RDC.
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Au Mali, l’impasse de la guerre à outrance

Dans le pays se dessine une alliance entre force djihadiste et force indépendantiste au nord du Mali, ce qui améliorerait leur rapport de forces dans le conflit en cours.
Tiré d'Afrique en lutte.
En février a eu lieu dans la région de Sikasso une attaque contre le convoi du ministre de l'Enseignement supérieur, puis une seconde une semaine plus tard sur l'axe Kati-Soribougou. Cette fois-ci c'était le ministre de l'Assainissement qui était visé. Deux raids revendiqués par les islamistes qui ne cessent de gagner du terrain, au point que l'État ne contrôle plus que la moitié du territoire.
Une volonté de paix
Dans cette situation difficile pour la junte militaire, l'annonce de pourparlers entre le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda et le Front de libération de l'Azawad (FLA) regroupant l'ensemble des organisations indépendantistes ou autonomistes du nord du Mali, est une nouvelle source d'inquiétude.
Un premier pacte de non-agression avait été signé au printemps 2024 entre les deux organisations aux agendas très différents. Les islamistes veulent instituer un État sur la base de la charia, alors le FLA milite, au moins pour les plus radicaux en son sein, pour une sécession du pays.
Ces pourparlers sont une réponse au désir des populations souhaitant la paix. Une volonté affichée depuis des années et renouvelée lors du dialogue national organisé par les putschistes. Le FLA s'y est dit sensible d'autant que cette idée est aussi largement partagée par les membres des communautés où il est implanté. Il y a aussi l'idée que le GSIM pourrait abandonner une partie de son programme et de ses méthodes les plus radicales à l'image de l'évolution du Front al-Nosra participant à la création de Hayat Tahrir al-Cham en Syrie qui a pris les rênes du gouvernement en Syrie.
Négociations en cours
Il semble que le GSIM ait accepté la proposition du FLA sur les modalités d'exercice de la charia qui serait appliquée de manière moins brutale et sous la responsabilité des notables religieux reconnus par les communautés indépendamment de leur affiliation ou non au GSIM. Pour ce dernier, la désaffiliation d'Al-Qaïda pourrait même être envisagée si des ruptures importantes se produisaient à l'intérieur du pays comme la chute du pouvoir, ou l'indépendance de l'Azawad. Bien que le GSIM considère que la communauté internationale accepterait plus facilement un État fondé sur la charia que la partition du Mali. Enfin, si la situation se présente, le GSIM n'exclut pas la possibilité d'une administration commune de villes ou de territoires avec le FLA.
Ce rapprochement des deux organisations est aussi la conséquence de l'attitude de la junte, appuyée par les mercenaires russes de Wagner/Africa Corps, qui se refuse à envisager une solution politique à cette crise qui s'ancre pourtant dans des problèmes économiques, sociaux et communautaires.
Les populations paient le prix fort de cette fuite en avant sécuritaire des putschistes. Ainsi les forces armées maliennes et leurs supplétifs russes ont fait en 2024 trois fois plus de victimes parmi les civilEs que les islamistes. Même si ces derniers, par leur politique d'encerclement des villes, approfondissent la paupérisation des populations et mènent des actions violentes de représailles.
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Contrat du siècle ou piège du siècle ? La RDC face à la Chine

Le 17 septembre 2007, la République Démocratique du Congo (RDC) signait avec un consortium d'entreprises publiques chinoises un accord économique d'une ampleur sans précédent en Afrique. Surnommé le « contrat du siècle », ce partenariat, impliquant principalement l'EXIM Bank of China, Sinohydro Corporation et la China Railway Engineering Corporation (CREC), repose sur un échange « ressources contre infrastructures » [1]. En effet, en contrepartie du financement et de la construction de routes, d'hôpitaux et de voies ferrées, la Chine obtient un accès privilégié aux richesses minières congolaises, notamment le cuivre et le cobalt, ressources stratégiques indispensables pour son développement industriel [2].
Tiré du site du CADTM.
Fondé sur le principe de coopération mutuellement bénéfique, ce contrat représente-t-il une réelle opportunité pour le développement de la RDC, ou marque-t-il une nouvelle étape du néocolonialisme économique sous influence chinoise ? Derrière les promesses d'infrastructures se cache un système qui pourrait bien hypothéquer l'avenir du pays en le liant durablement aux intérêts chinois.
Un partenariat économique présenté comme gagnant-gagnant
Le contrat sino-congolais repose sur un échange de type « ressources contre infrastructures », où la Chine finance et construit des infrastructures en échange de l'exploitation de vastes ressources minières congolaises. Ce « contrat du siècle », engage des acteurs majeurs : China Railway Group Ltd. (China Railways) et Sinohydro Corporation, avec un financement assuré par la China Exim Bank. Côté congolais, la Gécamines, entreprise minière publique, joue un rôle clé via la joint-venture Sicomines, majoritairement chinoise (68%), chargée de l'exploitation des gisements stratégiques de Dikuluwe, Mashamba Ouest et Synclinal Dik Colline, entre autres [3].
L'accord initial prévoyait un investissement de 9 milliards de dollars pour la construction de 3.500 km de routes, 3.500 km de chemins de fer, 31 hôpitaux, 145 centres de santé et 5.000 logements, ainsi que pour des investissements miniers [4].
Sous la pression du FMI, préoccupé par la viabilité de la dette et par les termes de l'accord, les investissements dans les infrastructures ont été réduits de moitié, passant à 3 milliards de dollars. Ceux-ci sont financés uniquement par des prêts chinois à des taux fixes de 4,4 % et 6,1 % [5]. Par ailleurs, 3,2 milliards de dollars ont été alloués au développement minier, garantissant aux entreprises chinoises un accès privilégié aux ressources stratégiques du pays [6].
En échange de ces investissements, la Gécamine, concède plusieurs gisements contenant jusqu'à 10,6 millions de tonnes de cuivre, dont environ 6,8 millions de tonnes de réserves confirmées. En outre, l'accord stipule que la RDC s'engage à livrer 202 000 tonnes de cobalt et 372 tonnes d'or à Sicomines. La RDC a également accordé une exonération totale de taxes, impôts et droits douaniers jusqu'au remboursement des infrastructures.
Le pays renonce à plusieurs milliards de dollars de recettes fiscales et s'endette à des taux élevés, limitant ses marges de manœuvre économiques pour plusieurs décennies.
La dette comme outil de domination : vers une dépendance structurelle ?
L'engagement économique de la Chine en Afrique repose sur une approche singulière, fondée sur des prêts massifs, des investissements stratégiques et une absence de conditionnalités politiques. Ce modèle, mis en œuvre à travers des institutions comme China Exim Bank, se matérialise souvent par des contrats intégrés liant infrastructures et exploitations des ressources naturelles.
Officiellement “gagnant-gagnant”, le contrat pose en pratique plusieurs enjeux majeurs.
D'abord, la nature même des prêts accordés par la Chine soulève des interrogations sur la viabilité financière de ces accords. Les investissements chinois sont financés par des prêts à taux d'intérêt fixes et remboursés par l'exploitation des mines de cuivre et de cobalt. Le remboursement est directement assuré par 85 % des bénéfices de Sicomines, réduisant d'autant plus les ressources disponibles pour l'État congolais [7]. Cette structuration exclut tout contrôle démocratique sur la gestion des revenus miniers, rendant le pays dépendant des prévisions de production et des fluctuations du marché des matières premières.
Ensuite, cet accord, censé incarner une coopération équitable, est marqué par une opacité totale. Contrairement aux annonces officielles, l'accord a été négocié à huis clos, et les conditions de fixation des prix des minerais ne sont pas clairement établies, ouvrant la porte à une évaluation biaisée en faveur des entreprises chinoises et à de la corruption.
En effet, l'enquête menée par The Sentry a révélé des preuves manifestes de corruption, suggérant que des sociétés chinoises se sont entendues avec des acteurs puissants en RDC pour accéder à des milliards de dollars de ressources naturelles. La Congo Construction Company (CCC) est au centre de ces allégations, ayant apparemment versé des millions de dollars à des proches du président Kabila via des transactions financières douteuses transitant par des banques internationales [8]. Ces opérations présentent les caractéristiques d'un système de corruption de grande ampleur, avec des fonds mal justifiés, des sociétés à la propriété obscure et des conflits d'intérêts. Le paiement d'un « pas-de-porte » (prime à la signature) de 350 millions de dollars par les entreprises chinoises a également soulevé des questions [9]. Des enquêtes ont mis en lumière des transactions suspectes impliquant une partie de ces fonds, soulevant des doutes quant à leur destination et à leur gestion.
Enfin, la clause de stabilisation inscrite dans la convention de 2008 verrouille encore davantage la position chinoise en stipulant que toute nouvelle réglementation défavorable aux entreprises chinoises ne leur sera pas appliquée. En d'autres termes, la RDC s'engage pour plusieurs décennies sans possibilité de renégociation des termes du contrat.
Au-delà de son impact économique, cette approche favorise une dépendance structurelle.
Le contrôle chinois sur des secteurs clés, notamment l'exploitation minière et les infrastructures, empêche l'émergence d'une industrie locale indépendante en RDC.
De plus, l'accord initial prévoyait que si la RDC ne parvient pas à rembourser les prêts chinois dans les 25 ans, elle devait attribuer d'autres concessions minières à la Chine comme compensation. Bien que cette clause ait été supprimée sous la pression du FMI, la durée totale du remboursement s'étend sur 34 ans, maintenant le pays dans une relation de créancier à débiteur sur le long terme [10]. Passé ce délai, la RDC devra payer les financements chinois et leurs intérêts cumulés par toute autre voie, intégrant ainsi les prêts chinois à la dette publique externe de la RDC.
Un néocolonialisme économique sous couvert de coopération ?
L'accord sino-congolais repose sur l'exploitation des immenses richesses minières de la RDC, qui représentent un enjeu économique crucial pour la Chine.
La transition écologique et le développement des technologies numériques sont aujourd'hui au cœur des transformations économiques mondiales. En effet, en tant que puissance industrielle, la Chine est un acteur majeur dans cette course aux ressources, ayant connu des pénuries qui l'ont poussée à sécuriser son accès aux matières premières congolaises. Le cobalt, étant un élément essentiel des batteries utilisées dans les voitures électriques, les téléphones et les ordinateurs, sa demande a fortement augmenté avec la transition énergétique. Ainsi, la transition écologique, bien que essentielle pour l'avenir de la planète, s'accompagne d'un paradoxe : elle repose sur une exploitation accrue de ressources qui perpétue des dynamiques néocoloniales.
Selon les estimations, les gisements généreraient entre 40 et 120 milliards de dollars de recettes, soit bien plus que l'investissement chinois initial de 6,5 milliards de dollars [11]. En d'autres termes, la valeur réelle des minerais extraits dépasse largement le financement des infrastructures, marquant clairement un échange déséquilibré entre la RDC et la Chine.
En théorie, cet accord devrait améliorer les conditions de vie des congolais⸱es en construisant des infrastructures essentielles (routes, hôpitaux, écoles). Cependant, les réalisations concrètes ne répondent pas aux besoins prioritaires de la population. Une grande partie des infrastructures financées par la Chine se concentrent dans des zones stratégiques liées à l'exploitation minière, notamment dans le Katanga, plutôt que dans les régions où les besoins sociaux sont les plus urgents.
Par ailleurs, l'entretien de ces infrastructures n'a pas été pris en compte dans l'accord, ce qui risque de les rendre inutilisables à long terme faute de financements pour leur maintenance.
L'impact sur l'emploi local est également limité. La majorité des chantiers d'infrastructures sont réalisés par des entreprises chinoises, qui emploient principalement de la main-d'œuvre chinoise plutôt que de former et embaucher des ouvrier⸱ères congolais⸱es. Cela signifie que, malgré l'ampleur du projet, les bénéfices économiques directs pour la population congolaise restent marginaux, tandis que la Chine s'assure un accès sécurisé aux ressources minières du pays sans véritable transfert de compétences ou développement local durable.
Ce modèle de prêts garantis par des ressources naturelles n'est pas propre à la RDC : il a été déjà observé ailleurs en Afrique, notamment en Angola, où des accords similaires sur le pétrole ont permis à la Chine de prendre le contrôle de vastes secteurs économiques. Dans plusieurs pays, ces investissements massifs ont été suivis d'une prise de contrôle par des entreprises chinoises, transformant ce qui était présenté comme un partenariat en une domination économique à long terme.
Ainsi, loin d'être une simple coopération économique, l'accord sino-congolais s'inscrit dans une stratégie où la Chine sécurise l'accès aux ressources stratégiques tout en enfermant la RDC dans une dépendance durable, rendant tout redressement économique autonome extrêmement difficile.
“Gagnant-gagnant” perdu
Loin du récit officiel d'un partenariat « gagnant-gagnant », le contrat sino-congolais sert avant tout les intérêts économiques et stratégiques de la Chine, au détriment du peuple congolais. Plutôt qu'une souveraineté économique renforcée, la RDC s'enferme dans un modèle de dépendance où ses ressources financent son propre endettement, au bénéfice exclusif d'un partenaire étranger. Cet accord soulève ainsi une question fondamentale : la RDC construit-elle réellement son avenir avec ce partenariat, ou est-elle en train de céder son indépendance économique à une nouvelle puissance étrangère ?
Bibliographie
– Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
– Ibanda Kabaka, P. (2018). La Chine en RD Congo : Relecture du contrat infrastructures contre minerais. HAL.
– Marysse, S., Geenen S. (2008),“Les contrats chinois en RDC : L'impérialisme rouge en marche ?”, L'Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2007-2008, pp. 287-313.
– Marysse, S. (2010). “Le bras de fer entre la Chine, la RDC et le FMI : La révision des contrats chinois en RDC”, L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2009-2010, pp. 131-150
– The Sentry. (2021). Trafic d'influence : Mainmise sur l'État et pots-de-vin derrière le contrat du siècle au Congo. The Sentry.
– Umpula Mkumba, E. (2021). Convention de la Sino-Congolaise des Mines : Qui perd, qui gagne entre l'État congolais et la Chine ? Évaluation de l'exécution des obligations des parties à la convention de collaboration de 2008. AFREWATCH.
Notes
[1] Marysse , S., Geenen S. (2008),“Les contrats chinois en RDC : L'impérialisme rouge en marche ?”, L'Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2007-2008, pp.287-313.
[2] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
[3] Ibidem.
[4] Marysse , S., Geenen S. (2008),“Les contrats chinois en RDC : L'impérialisme rouge en marche ?”, L'Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2007-2008, pp.287-313.
[5] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
[6] Ibidem.
[7] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
[8] The Sentry. (2021). Trafic d'influence : Mainmise sur l'État et pots-de-vin derrière le contrat du siècle au Congo. The Sentry.
[9] Ibidem.
[10] Umpula Mkumba, E. (2021). Convention de la Sino-Congolaise des Mines : Qui perd, qui gagne entre l'État congolais et la Chine ? Évaluation de l'exécution des obligations des parties à la convention de collaboration de 2008. AFREWATCH.
[11] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
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Soudan : l’armée affirme avoir pris le contrôle total de Khartoum

La guerre, qui a éclaté le 15 avril 2023 entre l'armée du général Burhane et les FSR commandées par son ancien adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo, a fait des dizaines de milliers de morts et a déraciné plus de 12 millions d'habitants
Tiré d'El Watan.
L'armée soudanaise a annoncé avoir pris le contrôle complet de Khartoum, une semaine après avoir repris le palais présidentiel aux paramilitaires lors d'une offensive majeure. Cette déclaration intervient alors que la guerre dure depuis près de deux ans dans ce pays d'Afrique de l'Est. Selon le porte-parole de l'armée, Nabil Abdoullah, les forces armées ont réussi à éliminer les dernières poches de résistance des Forces de soutien rapide, qualifiées de milice terroriste et dirigées par le commandant Hamdane Daglo.
La veille, le général Abdel Fattah al-Burhane, commandant de l'armée, avait déjà proclamé la libération de Khartoum depuis le palais présidentiel, où il s'était rendu après l'offensive de ses troupes pour reprendre la capitale. Une source militaire a rapporté que les combattants des Forces de soutien rapide fuyaient par le pont de Jebel Aouliya, leur unique voie de repli hors de l'agglomération. En réponse, les paramilitaires ont affirmé leur détermination à poursuivre la lutte et ont exclu toute possibilité de retraite ou de reddition.
Depuis le début du conflit le 15 avril 2023, l'affrontement entre l'armée dirigée par le général Burhane et les Forces de soutien rapide menées par son ancien adjoint, le général Mohamed Hamdane Daglo, a causé la mort de dizaines de milliers de personnes selon les Nations unies. Plus de douze millions d'habitants ont été déplacés, aggravant une crise humanitaire de grande ampleur. Le pays, troisième plus vaste d'Afrique, est désormais scindé en deux, l'armée contrôlant le nord et l'est tandis que les paramilitaires dominent une partie du sud ainsi que la majeure partie de la région du Darfour, à l'ouest, frontalière du Tchad.
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En France, les gauches antimilitaristes changent leur fusil d’épaule

Si des partis de gauche radicale cherchent un chemin pour « stopper la marche à la guerre », les traditions antimilitaristes et pacifistes sont largement éclipsées par l'actualité internationale. En partie sidérées, parfois inaudibles, ces formations se recomposent à bas bruit.
23 mars 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | Photo : Un rassemblement de solidarité avec la résistance du peuple ukrainien à Lyon, en France, le 23 février 2025. © Photo Elsa Biyick / Hans Lucas via AFP
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74174
Une ambiance de mutinerie studieuse règne au 87 rue du Faubourg-Saint-Denis, dans le Xe arrondissement de Paris, mercredi 19 mars. Le local du Parti ouvrier indépendant (POI), d'obédience trotskiste lambertiste, accueille une conférence publique du Cercle d'études Pierre-Lambert sur le thème : « Marche à la guerre : comment la stopper ? »
À la tribune, face à une centaine de militant·es, Jérôme Legavre, membre du POI et député siégeant dans le groupe de La France insoumise (LFI), dénonce la « propagande guerrière » et le « climat de bourrage de crâne » en faveur de l'effort de réarmement.
Depuis le clash entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, une majorité du spectre politique est acquise à cet effort en France. Même si elles se différencient sur l'échelon de la défense à construire et préviennent contre la stratégie du choc néolibéral, les gauches se sont ralliées à un principe de réalité face aux menaces impérialistes et guerrières que Trump et Poutine font peser. À quelques exceptions près.
« On n'accumule pas de telles montagnes de munitions, de missiles, d'armement sans courir le risque que ça ne débouche sur une catastrophe », prévient Jérôme Legavre, qui fait reposer sur « les déserteurs ukrainiens et russes » une bonne part de l'issue du conflit. Cette posture antiguerre stricte n'est pas commune dans le paysage politique.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, le député s'oppose aux livraisons d'armes – toutes les armes, à la différence de LFI. Jérôme Legavre avait aussi été le seul à voter contre une résolution de l'Assemblée nationale en soutien à l'Ukraine en décembre 2022. On l'a accusé de fermer les yeux devant l'impérialisme russe par « campisme ». Lui se dit internationaliste et anti-impérialiste. « Cette guerre oppose l'oligarchie mafieuse autour du régime pourri et tyrannique de Poutine et des États occidentaux qui servent les multinationales de l'armement », affirme-t-il aujourd'hui.
Des mémoires réactivées
Il rappelle que sa formation politique, jadis baptisée l'Organisation communiste internationaliste (OCI), n'est pas « pacifiste » pour autant : elle avait par exemple soutenu le Mouvement national algérien de Messali Hadj pendant la guerre d'Algérie. Sa position, singulière, évoque le « défaitisme révolutionnaire » professé par Lénine lors de la Première Guerre mondiale et l'antimilitarisme des socialistes réunis lors de la conférence de Zimmerwald, en 1915. Une vision que d'autres composantes de la gauche antiguerre rejettent pour son anachronisme.
« Cette théorie date d'avant le fascisme, elle ne correspond plus à la réalité d'une société civile devant résister à un tel pouvoir et aux crimes de guerre poutiniens », pointe Christian Varquat, membre de la commission internationale du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Entre-temps, la Seconde Guerre mondiale et la trajectoire de certains pacifistes intégraux comme Louis Lecoin ou René Dumont – restés pacifistes sous l'Occupation – ont rendu cette grille de lecture difficilement audible. En juin 1944, le journal La Vérité écrivait que « la libération de Roosevelt valait tout autant que le socialisme de Hitler ».
« Après 1945, c'est plutôt la Résistance, qui est un mouvement d'indépendance nationale armé, qui a pris le dessus dans l'imaginaire de la gauche dans de nombreux pays », analyse l'historien Gilles Candar – même si le pacifisme incarné en 1914 par Jean Jaurès a repris de la vigueur au moment des guerres coloniales, notamment celle du Vietnam.
Du point de vue antimilitariste, il y a une forme de sidération et d'attentisme.
Éric Fournier, historien
De manière générale, le retour des conflits et la rupture nette provoquée par Donald Trump sur l'Ukraine amènent des recompositions inédites, dans un champ où les positions avait été figées par l'éloignement des guerres hors du continent européen.
« L'invasion russe de l'Ukraine a reconfiguré les lignes, constate l'historien Éric Fournier, qui a codirigé le livre À bas l'armée ! L'antimilitarisme en France du XIXe siècle à nos jours (Éditions de la Sorbonne, 2023). Du point de vue antimilitariste, il y a une forme de sidération et d'attentisme, même si la mémoire de l'anarchiste Makhno a été réactivée par des libertaires européens. Ce qui était acquis – le refus de la guerre qui ne profite qu'aux grands groupes de l'armement, le mépris des officiers – change avec l'Ukraine. Il était plus facile de s'intéresser à des milices kurdes en Syrie qu'à un groupe de combattants étatique. »
Engagé dans le Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine et contre la guerre, le NPA soutient Sotsialnyi rukh (le « Mouvement social », une organisation de la gauche ukrainienne qui a des militants dans l'armée) et assume son engagement auprès de la résistance ukrainienne à l'invasion russe, « en toute indépendance du gouvernement néolibéral ukrainien et des grandes puissances occidentales », précise Christian Varquat.
« L'aide armée n'est pas demandée seulement par le gouvernement Zelensky, mais par toutes les composantes de la société qui résistent à l'agression russe », rappelait l'économiste Catherine Samary, membre d'Attac et du NPA, dans un entretien à Mediapart. « Insister sur la nécessité de disposer des moyens de se défendre n'est pas du bellicisme. Sans cela, la diplomatie se résume à un appel à la pitié », affirme ainsi Oleksandr Kyselov, membre du conseil de Sotsialnyi rukh dans le journal L'Anticapitaliste. C'est sur cette ligne de crête, sans angélisme ni bellicisme, que les gauches antiguerre se recomposent.
Les nuances entre antimilitarisme et pacifisme
Historiquement, l'antimilitarisme n'est d'ailleurs pas contradictoire avec le soutien armé aux peuples qui résistent. « L'antimilitariste se distingue du pacifisme par son hostilité systématique à l'institution militaire et notamment à la chaîne de commandement, les officiers de carrière étant facilement assimilés à des aristocrates réactionnaires. Mais cette hostilité qui vise la caserne et l'uniforme, assimilé à une tenue d'esclave, ne s'accompagne pas du tout d'un refus de la prise d'armes civique ou populaire », rappelle l'historien Éric Fournier.
Avant le renversement d'alliance et le deal Trump-Poutine fait dans le dos de l'Ukraine, les Soulèvements de la Terre avaient ravivé cette mémoire de l'antimilitarisme en rejoignant la coalition « Guerre à la guerre », appelant à « désarmer le militarisme ». Cette coalition visait à s'ériger contre l'« interventionnisme militaire [de la France] au Sahel, en Kanaky, en Martinique, à Mayotte », et contre la « guerre intérieure, menée par une police aux moyens militarisés, qui cible en premier lieu les non-Blancs et les minorités ».
La cause du refus absolu du fait militaire et de la logique guerrière est condamnée à rester une protestation morale.
Gilles Candar, historien
Mais les bouleversements géopolitiques autour de l'Ukraine ont changé la donne. Désormais, la coalition cherche une ligne qui convienne à toutes ses composantes. La gauche antiguerre, en partie marquée par une vision purement anti-atlantiste des relations internationales jusqu'à récemment, est prise par surprise et doit rapidement se réarmer intellectuellement. « Le rapprochement Trump-Poutine plonge dans un hébètement idéologique tous ceux qui s'opposaient à l'alliance atlantique. Des années de discours doivent être reconsidérées », observe Éric Fournier.
Les Écologistes, qui avaient déjà fortement nuancé leur héritage pacifiste au fil des années, ont confirmé cette évolution depuis le début de l'invasion russe en Ukraine. Même si des nuances existent en leur sein, l'époque où la candidate écologiste à la présidentielle Éva Joly proposait la suppression du défilé militaire du 14-Juillet semble bien loin. « Refuser le campisme, c'est analyser le conflit tel qu'il est et non pas tel qu'il est fantasmé. Il ne faut pas se contenter de saluer l'héroïsme des Ukrainiens, il faut les soutenir »,explique Jérôme Gleizes, vice-président du groupe écologiste à la mairie de Paris, auteur d'un billet de blog à ce sujet.
Alors que les grandes puissances adversaires des démocraties libérales et aux velléités expansionnistes grandissent, de Poutine à Trump, en passant par Xi Jinping et Narendra Modi, l'espace du pacifisme se réduit d'autant. « La cause du refus absolu du fait militaire et de la logique guerrière est condamnée à rester une protestation morale de forces très minoritaires qui ont valeur de témoignage », analyse Gilles Candar. L'antimilitarisme, qui articule critique du militarisme et soutien aux peuples qui se battent pour leur autodétermination, a plus de chances de se faire entendre face à l'escalade militaire qui se dessine.
Mathieu Dejean
P.-S.
• Mediapart. 23 mars 2025 à 14h54 :
https://www.mediapart.fr/journal/politique/230325/en-france-les-gauches-antimilitaristes-changent-leur-fusil-d-epaule
Les articles de Mathieu Dejean sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/mathieu-dejean-0
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