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Chili. José Antonio Kast élu président : nous devons nous organiser et construire une grande force par en bas pour lui faire face !

16 décembre, par La Izquierda Diario — , ,
Kast a triomphé au second tour avec plus de 58 % des voix. Jeannette Jara en a recueilli 41 %. Cette élection constitue une lourde défaite pour le gouvernement Boric, (…)

Kast a triomphé au second tour avec plus de 58 % des voix. Jeannette Jara en a recueilli 41 %. Cette élection constitue une lourde défaite pour le gouvernement Boric, sanctionné pour ses volte-face, ses renoncements programmatiques et la démoralisation qu'il a provoquée dans sa propre base sociale. Au Chili, nous avons la force nécessaire pour affronter l'extrême droite ; il faut maintenant commencer à l'organiser.

14 décembre 2025 | tiré de révolution permanente
https://www.laizquierdadiario.cl/Chile

Le triomphe électoral de Kast est indéniable, mais la crise organique que traverse le Chili ne s'arrête pas pour autant. Le programme d'austérité, de coupes budgétaires dans l'État et d'attaques contre les travailleurs porté par le président élu nécessitera des offensives majeures pour être appliqué. Cela ne signifie pas qu'il dispose d'une force sans limites, et Kast le sait. C'est pourquoi il a tenté, après l'élection, d'adopter un discours « modéré », cherchant à masquer son véritable programme. Pour l'imposer, il devra affronter et vaincre des secteurs clés comme le mouvement ouvrier et le mouvement étudiant.

Face à ce scénario, il est indispensable d'organiser la résistance dans les lieux de travail et d'étude afin de faire front contre ce programme d'attaques, en tirant les leçons fondamentales des quatre années de gouvernement Boric, durant lesquelles la passivité imposée a permis l'avancée de l'extrême droite. Les grèves générales en Italie et au Portugal montrent la voie.

Les résultats

José Antonio Kast a été élu avec 7 240 006 voix, soit 58,17 %. La candidate Jeannette Jara a obtenu 41,83 % des voix, soit 5 205 791 suffrages.

Le patronat a célébré cette victoire. Le président de la National Multi-Guild, Juan Pablo Swett, a affirmé sa disponibilité à collaborer avec la nouvelle administration. De son côté, la présidente du lobby de l'industrie salmonicole, Loreto Seguel, a exprimé son soutien au futur gouvernement et sa volonté de travailler en étroite collaboration. « Le nouveau gouvernement fait face au défi de mener une politique d'État pour l'industrie du saumon, afin de permettre son développement durable », a-t-elle déclaré.

La victoire de Kast s'inscrit dans la progression mondiale de l'extrême droite. Le dirigeant républicain revendique Giorgia Meloni comme référence internationale et, en Amérique latine, il s'alignera sur des gouvernements d'extrême droite comme celui de Javier Milei, qui l'a déjà félicité sur le réseau social X, ou celui de Daniel Noboa en Équateur. Tous sont subordonnés à la ligne politique de Donald Trump, principal représentant international de l'impérialisme américain, qui a relancé une offensive accrue contre l'Amérique latine, notamment par des attaques contre le Venezuela et des menaces d'interventions militaires, remettant au goût du jour la doctrine Monroe, qui considère le continent comme une arrière-cour.

Kast a axé sa campagne sur des mesures autoritaires au nom de la sécurité, sur des attaques contre les populations migrantes et sur des coupes dans le secteur public. Mais ce résultat électoral ne peut être compris sans analyser le bilan du gouvernement de Gabriel Boric : la mise en veille des mouvements sociaux, des travailleurs et de la jeunesse, avec la complicité des directions syndicales et des organisations sociales, qui ont préféré se constituer en base de soutien du gouvernement plutôt que de renforcer l'organisation par en bas. À cela s'ajoutent des revirements permanents et des renoncements programmatiques qui ont démoralisé sa base sociale et favorisé l'ascension de l'extrême droite.

Un gouvernement arrivé au pouvoir en promettant de profondes transformations sociales, en faisant campagne contre les AFP et les ISAPRES, et en affirmant vouloir « arrêter le fascisme », s'est finalement transformé en coalition avec l'ancienne Concertación. Il a sauvé les ISAPRES, mis en œuvre une réforme des retraites qui a revitalisé les AFP, renforcé l'appareil répressif de l'État avec un nombre historiquement élevé de prisonniers politiques mapuches, militarisé le Wallmapu et cédé des secteurs clés de l'économie et de la sécurité à l'agenda d'une droite enhardie.

Cette orientation s'est encore renforcée durant la campagne de Jeannette Jara, qui, pour le second tour, a confié la direction de son équipe à des figures historiques de la Concertación telles que Carlos Ominami, Francisco Vidal ou Paulina Vodanovic, largement rejetées par la majorité de la population.

Première déclaration de Jara : un discours tourné vers une opposition « institutionnelle »

Jeannette Jara a rapidement reconnu sa défaite en appelant à l'unité et à la défense des accords transversaux, se positionnant dans une opposition « constructive et respectueuse ». Elle a ainsi confirmé la continuité de la politique de compromis avec la droite menée par le gouvernement Boric, en appelant à la construction d'une opposition dite « propositionnelle ».

Gabriel Boric a téléphoné à Kast près d'une heure après l'annonce officielle des résultats par le Servel, appelant à l'unité nationale. Il a affirmé être fier de la démocratie chilienne et s'est dit entièrement disponible pour accompagner la transition du pouvoir « dans le respect des valeurs républicaines », annonçant une rencontre avec le président élu dès le lendemain.

Kast : un premier discours tourné vers le « centre » pour masquer son véritable programme

Dans son discours d'après-élection, Kast a multiplié les signaux en direction du « centre politique », saluant l'ancienne Concertación ainsi que les ex-présidents Frei, Lagos et Bachelet, allant jusqu'à adresser un salut à Jara. Il a centré son propos sur l'idée d'un « gouvernement d'urgence » pour rétablir l'ordre et la croissance, cherchant à se présenter comme le président de « tous les Chiliens » et à promouvoir un discours d'unité nationale.

Cependant, il a d'ores et déjà annoncé que 2026 serait une « année difficile, très difficile », en raison de l'état des finances publiques, préparant ainsi le terrain aux ajustements budgétaires et aux attaques sociales à venir. Son programme réel signifie davantage de souffrances pour la classe ouvrière et les secteurs opprimés, comme l'illustrent ses menaces contre les enseignants et son affirmation selon laquelle « l'idéologie doit disparaître des universités ».

Contre la peur et la résignation : renforcer l'organisation collective par en bas pour affronter l'extrême droite

Ce résultat électoral donnera à Kast la confiance nécessaire pour tenter d'imposer son programme antisocial et hostile aux majorités. Mais son gouvernement sera traversé de contradictions. Il est indispensable que les grandes centrales syndicales, comme la CUT, et les organisations étudiantes, telles que la CONFECH, appellent à faire face à chaque attaque et élaborent un véritable plan de lutte, rompant avec des années de passivité.

Plus largement, la crise organique et institutionnelle demeure ouverte au Chili, dans un contexte international particulièrement instable : crise de l'hégémonie américaine, intensification des rivalités entre grandes puissances, ralentissement économique, et phénomènes barbares comme le génocide en cours en Palestine ou la guerre en Ukraine.

Ces dynamiques exercent une pression directe sur le Chili, économie ouverte et fortement dépendante des fluctuations internationales et des tensions sino-américaines dans la région. Par ailleurs, le Congrès sera plus fragmenté que jamais, sans majorité absolue pour aucun bloc.

Mais un élément fondamental de la situation internationale réside dans l'irruption de nouveaux processus de lutte de classes : les grèves ouvrières en Italie, en solidarité avec la Palestine et contre l'économie de guerre et l'austerité, qui ont affronté frontalement le gouvernement Meloni — référence de Kast —, la grève au Portugal qui a mis en difficulté un gouvernement de droite, ou encore les mobilisations massives contre Trump aux États-Unis. Face à l'avancée de Kast, il est essentiel de ne pas céder à la résignation et de s'inspirer de ces exemples.

Au Chili, la force sociale pour affronter l'extrême droite existe. L'histoire récente l'a démontré : les mobilisations étudiantes de 2011 sous le gouvernement Piñera ont imposé le débat sur l'éducation gratuite ; les mobilisations pour No + AFP et le mouvement féministe ont révélé un immense potentiel de lutte ; la révolte populaire a, elle aussi, mis en lumière la puissance de la mobilisation de masse. Il est crucial de tirer les leçons de ces expériences pour revenir plus forts.

À partir d'aujourd'hui, il est nécessaire de renforcer l'organisation à la base, en s'inspirant des grèves européennes, des luttes au Pérou, en Asie ou en Équateur, qui ont su résister aux offensives des gouvernements capitalistes. Il faut rompre avec la passivité imposée sous le gouvernement Boric, renouer avec l'organisation collective, coordonner les luttes en cours, construire la plus large unité autour de causes communes — comme celle de Julia Chuñil ou la solidarité avec la Palestine — et renforcer le mouvement étudiant, le mouvement féministe et le mouvement ouvrier.

Pour cela, une indépendance politique totale vis-à-vis du gouvernement Boric est indispensable. L'indépendance de classe est la leçon centrale de ces quatre années, au cours desquelles Boric a gouverné dans la continuité de l'ancienne Concertación. Nous ne pouvons pas croire que des négociations au sommet, des manœuvres parlementaires à l'écart du peuple ou des accords avec la droite et le patronat permettront d'arrêter le gouvernement Kast.

La voie de la mobilisation, de l'organisation et de l'indépendance politique est la seule capable d'initier la résistance à l'extrême droite. Cette tâche s'impose dès aujourd'hui. Nous mettons à disposition les ressources et la portée de notre organisation pour y contribuer.

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Entretien : Trump à l’assaut des Caraïbes

16 décembre, par Franck Gaudichaud, Yoletty Bracho — , , ,
Entretien avec Yoletty Bracho, enseignante-chercheuse et spécialiste du Venezuela, et Franck Gaudichaud, de la commission internationale du NPA. Hebdo L'Anticapitaliste - (…)

Entretien avec Yoletty Bracho, enseignante-chercheuse et spécialiste du Venezuela, et Franck Gaudichaud, de la commission internationale du NPA.

Hebdo L'Anticapitaliste - 779 (11/12/2025)
https://lanticapitaliste.org/opinions/international/entretien-trump-lassaut-des-caraibes

Quelles sont les raisons des changements récents dans la géo­politique des Caraïbes ?

Depuis l'arrivée de Trump au pouvoir, on observe un changement géopolitique dans les Caraïbes : renforcement massif de la flotte militaire, bombardements de bateaux présentés comme transportant de la drogue vers les États-Unis, déploiement record de soldats et d'armements — porte-avions, sous-marins nucléaires, destroyers, soit peut-être 14 000 soldats. Il n'y a jamais eu autant de militaires dans l'espace caribéen depuis l'invasion du Panama contre Noriega ou l'intervention en Haïti dans les années 1990.
Cela fait partie de la politique impérialiste de Trump, mais constitue un saut qualitatif. L'Amérique latine a toujours été considérée comme l'arrière-cour des États-Unis depuis la fin du 19e siècle, mais l'entourage de Trump — dont Marco Rubio, très virulent — cherche à reprendre le contrôle de l'espace latino­-américain au nom d'une « sécurité hémisphérique ». Ce sont des continuités observables sous Obama ou Biden, mais Trump 2 franchit une nouvelle étape, mettant une pression maximale sur Maduro, menaçant l'ensemble de la mer des Caraïbes et la Colombie, et visant aussi les ressources naturelles.

Cet activisme militaire s'inscrit dans une concurrence inter-impériale. L'impérialisme étatsunien est en déclin, même s'il reste dominant. Certains parlent d'une « domination sans hégémonie » où la force brute est mise au premier plan par l'administration Trump. Depuis les années 2000, la Chine a pris une place considérable en Amérique latine : premier partenaire commercial de l'Amérique du Sud, deuxième du Mexique. L'amiral du Commandement Sud américain affirmait qu'il fallait opposer à la présence chinoise une présence militaire renforcée. La « stratégie MAGA impériale » décrite par John Bellamy Foster est contradictoire : base sociale protectionniste hostile à des déploiements militaires, mais bourgeoisie américaine exigeant le contrôle de son arrière-cour.
Est-ce que Trump essaie de renverser le régime vénézuelien ?

Ces pressions militaires visent très clairement le Venezuela. Depuis l'arrivée de Chavez, les tensions entre les États-Unis et le Venezuela sont structurelles, liées à l'émergence d'un gouvernement qui se présentait comme de gauche, révolutionnaire, et qui a proposé au continent une alternative au leadership américain. La confrontation a été immédiate : éviction de Chavez, puis coup d'État de 2002 ouvertement soutenu par Washington, et soutien constant à l'opposition traditionnelle, ­parfois via la voie électorale, parfois engagée dans des tentatives de renversement extra-institutionnel.

Après le décès de Chavez, Maduro accède au pouvoir en 2013 et la pression américaine s'intensifie : sanctions contre des proches du régime, sanctions contre l'entreprise pétrolière nationale, puis sanctions interdisant à l'État d'acquérir de la dette, aggravant une crise économique déjà présente. La crise n'est pas seulement due aux sanctions : elle découle aussi des choix économiques du chavisme au pouvoir, mais les sanctions la rendent beaucoup plus dure.

Durant cette phase s'opère un tournant autoritaire du gouvernement Maduro, marqué par une rupture avec les valeurs démocratiques initialement mises en avant par la révolution bolivarienne, ainsi que par une répression accrue contre la population, contre des opposantEs, et très spécifiquement contre des forces de gauche. Cet autoritarisme réel est utilisé par les États-Unis pour se présenter comme défenseurs de la démocratie : soutien à l'opposante Maria Corina Machado — prix Nobel de la paix — et adoption d'un discours de « lutte contre le narcoterrorisme ». Selon ce récit, le gouvernement Maduro enverrait délibérément drogues et migrants pour déstabiliser les États-Unis. Bien entendu, les États-unis n'ont jamais eu pour objectif le bien-être des populations latino-américaines : ce n'est pas en tuant plus de 80 personnes en mer des Caraïbes qu'on construit une quête démocratique.

Trump souffle souvent le chaud et le froid : discussions ponctuelles avec Maduro, menaces d'interventions, pressions maximales, évocation d'actions de la CIA, sans intervention terrestre directe. La présence du porte-avions Ford marque toutefois une escalade militaire claire. Les frappes ne concernent pas seulement le Venezuela : des attaques en mer Pacifique ont visé des bateaux colombiens, et des personnes arrêtées étaient originaires d'Équateur, ce qui montre l'élargissement de la pression à l'ensemble de la région. Il existe aussi un volet interne, notamment dans les communautés latino-américaines étatsuniennes hostiles à Maduro, qui constitue une base électorale mobilisable, particulièrement par Marco Rubio.
Trump vise-t-il uniquement le régime vénézuélien ou s'agit-il d'un projet plus général pour la région ?

Trump soutient également les forces d'extrême droite latino­-américaines : soutien à Milei en Argentine avec menaces sur les relations bilatérales, pressions sur le Brésil après l'emprisonnement de Bolsonaro, félicitations immédiates après le basculement de la Bolivie à droite, et possible dynamique similaire au Chili.

Cette offensive impérialiste ne reproduit pas mécaniquement les politiques des années 1970, même si certains auteurs parlent d'une « nouvelle guerre froide ». Le contexte est plus complexe, mêlant pressions externes et négociations discrètes. L'exemple est parlant : alors que les États-Unis demandent d'éviter l'espace aérien vénézuélien en raison d'activités militaires, un vol arrive depuis les États-Unis avec douze expulséEs, montrant l'existence d'accords bilatéraux. Derrière une rupture diplomatique affichée, continuent des concessions pétrolières et des échanges de prisonnierEs.
Quelle est la réponse de Maduro face à la situation ?

Face aux premières frappes, la première réaction du gouvernement Maduro a été de nier les faits, affirmant que les images étaient produites par intelligence artificielle. Cela a laissé sans recours les familles des personnes exécutées, incapables de demander justice ni au gouvernement Maduro ni à celui des États-Unis. Ensuite, Maduro affiche une posture de force et mobilise la population, tout en cherchant des espaces de négociation diplomatique, en invoquant la paix et en présentant Trump comme un possible interlocuteur. Le gouvernement Maduro est conscient qu'il n'est absolument pas en capacité d'affronter militairement la plus grande puissance militaire du monde. Cette tension lui sert aussi en interne à resserrer les rangs, neutraliser les dissidences et réprimer les gauches critiques.

Du côté régional, une position importante est celle du gouvernement Petro en Colombie : dénonciation explicite de la présence militaire étatsunienne, refus de soutenir Maduro, appel à une solution négociée, et opposition à toute intervention militaire, car la Colombie est elle aussi menacée et accusée de narco-État. La question est celle d'une solidarité régionale entre mouvements populaires et gouvernements progressistes — qui n'existe pas aujourd'hui.
Quel type de solidarité faut-il alors construire ?

Pour nous, ici, il s'agit d'abord d'une solidarité anti-impérialiste claire, qui dénonce la stratégie de Trump dans la mer des Caraïbes et cette nouvelle agression impérialiste. Pour le NPA, cela implique de réfléchir à une stratégie unitaire en France, car la situation risque de continuer à s'aggraver dans les prochaines semaines.

En même temps, notre solidarité n'est pas un alignement avec le régime Maduro, qui est clairement autoritaire. Au sein de la gauche européenne et française, il existe parfois une vision très simplifiée où l'anti-impérialisme signifierait s'aligner derrière n'importe quel gouvernement dès lors qu'il est ciblé par Washington. Ce n'est absolument pas notre perspective. Notre solidarité doit être avec les peuples, les mouvements sociaux, les forces progressistes autonomes, et non avec les régimes autoritaires.

Les visions binaires de la situation empêchent de voir les luttes internes au Venezuela. Les gauches révolutionnaires vénézuéliennes, parfois issues du chavisme, dénoncent l'autoritarisme de Maduro et deviennent une cible : disparitions, arrestations, accusations de terrorisme ou d'incitation à la haine. Cela touche aussi journalistes, chercheurEs en sciences sociales, militantEs écologistes. Comprendre ces luttes suppose de dépasser une vision binaire où l'anti-impérialisme de façade du gouvernement justifierait automatiquement un soutien.

Pour comprendre cela, et pour faire ces liens-là, il faut dépasser une vision binaire : celle qui voudrait que le discours anti-impérialiste de Maduro — dénoncé comme un discours de façade par les gauches vénézuéliennes — justifierait automatiquement une solidarité avec son gouvernement. C'est justement en complexifiant le regard que l'on peut voir la réalité telle qu'elle est.

Propos recueillis par Martin Noda, synthèse proposée par la rédaction

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Embrigader la jeunesse, ce n’est pas faire face à la guerre qui vient, tout au contraire !

16 décembre, par Vincent Presumey — , ,
La photo illustrant cet article n'est pas un gag : c'est l'authentique livret « Ma première cérémonie militaire », promu par le site officiel « Solidarité défense » pour (…)

La photo illustrant cet article n'est pas un gag : c'est l'authentique livret « Ma première cérémonie militaire », promu par le site officiel « Solidarité défense » pour diffusion dans les écoles primaires et maternelles ! La fidélité à la tradition internationaliste et antimilitariste du mouvement ouvrier commande de ne pas faire croire qu'ainsi, est préparée la guerre (avec la Russie) : quand l' « esprit de défense » est esprit de soumission, il devient esprit de collaboration !

30 novembre 2025 | tiré du site Arguments pour les luttes sociales

Macron a donc, dans un discours devant la 27° brigade d'infanterie, à Varces, jeudi 27 novembre, présenté ce que médias et opposants appellent le « rétablissement du service militaire ».

En fait, il a affirmé que « Nos armées n'ont plus vocation à encadrer ni à accueillir la totalité d'une classe d'âge » et prôné un « modèle hybride » nullement massif, visant à recruter 3000 volontaires à l'été 2026, en visant 10 000 en 2030, 50 000 en 2035, pour un service de 10 mois « sur le territoire national », avec un mois de formation et 9 mois d'incorporation à l'armée. 80% d'entre eux auront 18 ou 19 ans, les 20% restant, censés être plus spécialisés, moins de 25 ans. Selon « l'entourage du chef de l'Etat », leur rémunération serait comprise entre 800 et 1000 euros. Attention : la mise en œuvre requiert tout de même le vote d'une loi par l'Assemblée nationale et le Sénat.

Très loin, donc, d'une remilitarisation de la société, ces annonces se rapprochent, en se situant un cran derrière, de l'évolution actuelle de l'Allemagne, qui entend recruter 20 000 volontaires en 2026. Dans les pays baltes et scandinaves, un service obligatoire a été rétabli, en raison de la menace russe, par tirage au sort d'environ 15% d'une classe d'âge masculine, le volontariat concernant les femmes, auxquelles le Danemark vient d'étendre l'obligation.

L'agression russe de l'Ukraine, les pressions des trusts industrialo-financiers de l'armement, la crainte, de la part des puissances européennes, d'un déclassement complet voire d'un écrasement entre Moscou et Washington, expliquent ces évolutions qui, en termes d'objectifs en effectifs, demeurent, en France, très limités, et absolument pas en mesure de faire face à une « vraie guerre ». Cela ne veut pas dire que Macron et nos gouvernants n'envisagent pas celle-ci, mais cela veut dire qu'ils ne veulent pas la faire … à l'ukrainienne.

Car les leçons de l'Ukraine contredisent l'orientation de Macron, comme de Merz et de Starmer. L'agression a été contenue dans le Donbass en 2014, puis stoppée et refoulée à l'échelle du pays en 2022, par un modèle hybride improvisé et imposé par la société, mais effectif, tout à fait différent de ce à quoi se réfère Macron. Tout d'abord, ce sont l'auto-organisation, le soutien des couches sociales populaires, qui portent la résistance armée. D'autre part, à l'exception des volontaires des deux sexes dans la Défense territoriale dont le rôle a été décisif temporairement, en février-mai 2022, l'armée elle-même ne recrute qu'au-dessus de 25 ans, et encore voici peu de 27 ans. Ces questions font débat en Ukraine, et se combinent aux questions liées à la lutte contre la corruption, à la discussion publique des choix d'état-major, à la tension autour du pouvoir des officiers et la syndicalisation de fait, sous différentes formes, de larges secteurs de base de l'armée. Mais le fait militaro-politique principal qui en ressort, c'est que la guerre est affaire de défense sociale collective, motivant toute la population, et en aucun cas un fardeau devant incomber à la jeunesse, avant tout aux jeunes hommes qu'il faudrait en même temps cadrer, enrégimenter et maîtriser.

Inversement, quel objectif Macron assigne-t-il, dans son discours, à l'amorce d'un recrutement élargi de jeunes volontaires ?

Il ne s'agit pas de mobilisation collective et encore moins d'autoorganisation. Mais de mise au pas de la jeunesse perçue comme manquant de « discipline ». La discipline, qui, si elle n'est pas la contrainte brutale, n'est réelle et efficace qu'en découlant de la compréhension individuelle et collective et de l'aspiration à l'émancipation et à la liberté, devient chez lui le préalable. Voici les objectifs de Macron : certainement pas se préparer à vaincre les Trump et les Poutine, mais encadrer, formater la jeunesse :

« Ils acquerront l'esprit de discipline, se formeront au maniement des armées, à la marche au pas, aux chants, à l'ensemble des rituels qui nourrissent la fraternité de nos armées et concourent à la grandeur de la nation. »

Tradition militariste et chauvine des armées d'autrefois, avec leurs « chants » (sic) et leurs « rituels » (re-sic), sont au centre d'un discours qui, comme précédemment avec le SNU, qui a échoué et c'est tant mieux, sont pour Macron et Lecornu le fondement, et ils ciblent la jeunesse pour cela.

Ce n'est pas en apprenant les chansons de la coloniale et les rituels du temps des trouffions, des bidasses et des colons, que l'on prépare la guerre du XXI° siècle contre les techno-tyrans.

Ce n'est pas en diffusant jusque dans des écoles primaires et maternelles le livret « Ma première cérémonie militaire » que l'on prépare la guerre du XXI° siècle contre le militarisme et l'oppression !

En Ukraine, point de propagande militaire envers les enfants, que l'on cherche surtout à protéger des bombardements et des traumatismes. C'est chez Poutine que les tout-petits défilent en uniformes !

Un activisme louche, visant, à l'encontre de la laïcité, à l'endoctrinement idéologique des jeunes et même des enfants, est suscité du côté des armées et de la police en direction des écoles et établissements scolaires. Ces opérations, allant jusqu'à des « imitations » de répression de manifestation, n'ont strictement rien à voir avec la préparation du pays au danger, mais tout au contraire lui pavent la voie.

Le RN a d'ailleurs fait savoir qu'il ne s'oppose pas aux plans de recrutement de Macron, saluant surtout leur dimension idéologique.

« Rallyes défense » avec mimiques de fouilles de prison et d'arrestation ; rien à voir avec la guerre aux tyrans ! L'exact contraire !

Cette dimension idéologique ne prépare pas une éventuelle guerre avec l'impérialisme russe, voire l'impérialisme américain. Elle prépare la collaboration !

Les partisans d'une politique militaire prolétarienne sont les vrais adversaires du militarisme bourgeois et impérialiste. Ils dénoncent les entreprises de mise au pas de la jeunesse, non pas parce qu'elles préparent la guerre, mais aussi parce qu'en fait elles ne la préparent pas.

Cette préparation exige qu'on laisse les enfants à l'école sans flics, ni curés ni trouffions, et qu'on mise sur la capacité libre de la jeunesse à agir.

Une forme hybride d'armée avec une présence des femmes (que ne recherche certainement pas la revalorisation des chants et rituels des armées d'antan !), une forte présence de métiers qualifiés, ingénierie, informatique …, des libertés démocratiques, d'expression, d'organisation et syndicales, l'armée nouvelle du XXI° siècle, doit devenir un élément programmatique de nos combats.

Pour conclure cet article qui entend soulever des pistes, voici un extrait des revendications que vient de formuler la conférence syndicale de la mer Baltique, associant la centrale estonienne, le BKDP bélarusse en exil et plusieurs fédérations de tous les pays de la région :

« Les représentants des organisations présentes ont affirmé la nécessité d'une implication réelle, et non simplement formelle, des syndicats dans la planification et le suivi des systèmes de protection civile, de la gestion de crise et des stratégies de défense. Les syndicats possèdent des infrastructures, de l'expérience et la confiance des travailleurs – des ressources essentielles pour renforcer la résilience sociale. »

Voila ce que les syndicats de pays directement frontaliers de la menace sont conduits à dire. Eux savent que l'attaque peut survenir contre eux, comme le 24 février 2022. Mais sur la frange atlantique, France, Royaume-Uni, Irlande (pratiquement sans armée, pleine de Data Centers), l'alliance Trump/Poutine la rend également possible bien plus vite que tout ce que peuvent nous dire un Macron ou un Chef d'état-major qui disent vouloir nous motiver à « sacrifier nos enfants ».

Ce qui est exigé là, ce n'est certainement pas l'union sacrée – l'union sacrée en 1940 c'était la collaboration ! – mais l'exigence de l'entrée massive du mouvement ouvrier sur le terrain militaire (que, rappelons-le, un certain Léon Trotsky, célèbre chef de guerre qui n'avait jamais fait son service militaire, préconisait aux Etats-Unis début 1940).

VP, le 30/11/25.

Le PS sauve (pour l’instant ?) Lecornu et son plan d’austérité

16 décembre, par Frank Prouhet — , ,
Une macronie fracturée, LR et Horizons qui s'abstiennent, c'est finalement le soutien du Parti socialiste qui sauve Lecornu et fait adopter la partie recettes de son PLFSS (…)

Une macronie fracturée, LR et Horizons qui s'abstiennent, c'est finalement le soutien du Parti socialiste qui sauve Lecornu et fait adopter la partie recettes de son PLFSS d'austérité. Retour sur un naufrage !

Hebdo L'Anticapitaliste - 779 (11/12/2025)
https://lanticapitaliste.org/actualite/politique/le-ps-sauve-pour-linstant-lecornu-et-son-plan-dausterite

Au départ il y avait Bloquons tout, la mobilisation intersyndicale et le débat sur la taxe Zucman, pour faire payer les milliardaires et s'opposer aux 45 milliards de cure d'austérité, que Bayrou puis Lecornu veulent imposer à l'État et à la Sécurité sociale. Mais pour la gauche libérale, pas question de faire tomber le gouvernement. Avec un gouvernement minoritaire dans le pays et au Parlement, un socle commun fracturé par les ambitions présidentielles, le PS espérait que son offre de sauvetage du soldat Lecornu serait payée en retour par quelques concessions. Las…
La ligne rose

La ligne rouge du PS, c'était paraît-il la taxe Zucman et l'abrogation de la réforme des retraites. Pour sauver coûte que coûte Lecornu, la ligne rose sera un simple décalage de 3 mois de l'application de la réforme des retraites. Une retraite à 64 ans que le PS devra voter dans l'amendement de décalage, et qu'il faudra en plus payer par un gel des pensions de retraite. Car tout doit se faire à austérité constante ! Pas question pour Lecornu donc de toucher au doublement des franchises médicales, qui pourront toujours passer par ordonnances. Pas question de toucher à la taxe supplémentaire de 1 milliard sur les complémentaires santé, dont les tarifs vont augmenter d'autant. Le PS a même voté cette taxe, qu'il avait pourtant rejetée en première lecture. Faire payer les malades, aggraver le manque de personnels et les fermetures de lits, voilà le PLFSS de Lecornu que le PS a sauvé !

Cette séquence parlementaire aura eu raison de la mobilisation, faute de perspective de confrontation. Le camp syndical est fracturé, la CFDT sort de l'intersyndicale, et lorgne comme le PS du côté de la retraite à points. Un point dont le montant varie chaque année en fonction des résultats économiques. La porte ouverte à la capitalisation et aux fonds de pension, pour compléter une retraite de misère !
La voix de la solidarité

Mais cette séquence parlementaire brouille aussi les cartes sur le financement de la Sécu. Le PS a imposé un débat autour de la CSG, une création de Rocard pour alléger le « coût du travail », en grande partie payée par les particuliers. Nous voulons une augmentation des cotisations, payées par les patrons, pour la santé, les retraites. Un exemple : le déficit de la branche vieillesse retraite n'est que de 5,6 milliards. Une augmentation de 1 % de cotisation patronale rapporte 4,9 milliards ! Pâle copie de la taxe Zucman, qui ponctionnait 15 à 25 milliards sur 1 800 milliardaires, la hausse de la CSG, présentée comme une grande victoire par le PS, aurait par exemple touché les PEL. 25 % des particuliers possèdent un PEL (Plan d'épargne logement), avec un dépôt moyen de 25 000 euros. Loin d'être le refuge des grandes fortunes et des milliardaires ! Le gouvernement sortira finalement de son chapeau un amendement de hausse a minima de la CSG, pour emporter l'accord de la droite et du PS.

Sauver le gouvernement Lecornu, c'est le meilleur moyen d'ouvrir la voie au Rassemblement national. Le censurer au Parlement et le bloquer unitairement dans la rue, en portant haut et fort des exigences de solidarité, voilà qui déplace la colère et l'espoir à gauche. C'est le seul moyen de gagner sur nos revendications et de bloquer la résistible ascension du RN.

Frank Prouhet

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Danemark : Lutte des classes autour de la nouvelle loi sur le climat

16 décembre, par Socialistisk Arbejderparti — , ,
La bataille autour de la loi sur le climat ne peut être remportée que par une coalition en faveur d'une transition verte socialement équitable. Un tel mouvement rouge-vert est (…)

La bataille autour de la loi sur le climat ne peut être remportée que par une coalition en faveur d'une transition verte socialement équitable. Un tel mouvement rouge-vert est également essentiel pour mettre à l'ordre du jour les exigences qui peuvent réellement faire bouger les choses dans la lutte contre le changement climatique à long terme. La lutte contre le changement climatique et la lutte des classes sont étroitement liées.

10 décembre 2025 | tiré d'inprecor.fr

La loi sur le climat doit être assortie avant la fin de l'année d'un objectif pour 2035. Au cours de l'année écoulée, les mouvements de défense de l'environnement ont mené des campagnes en faveur de modifications en profondeur de la loi sur le climat. Il faut accélérer le rythme et « combler les lacunes » afin que les efforts en faveur du climat englobent toutes les émissions dont le Danemark est responsable. Mais le gouvernement SVM [depuis 2022, coalition du Parti social-démocrate (SD) avec le Parti libéral (V) et les Modérés (M) ndt], est resté les bras croisés pendant la majeure partie de l'année et a maintenant ouvert les négociations avec une proposition qui tourne le dos aux revendications des mouvements. Le gouvernement ne veut pas entendre parler d'une « nouvelle loi sur le climat », mais seulement d'inscrire un objectif – peu ambitieux – pour 2035.

Si on laisse le gouvernement maintenir ce cadre dans le huis clos des négociations, on va rater une chance de renforcer la loi sur le climat. C'est pourquoi il est positif que le Mouvement des jeunes verts ait réagi en « lançant un appel à des négociations ouvertes » afin de « rendre le débat public », plus précisément en invitant les responsables politiques chargés du climat à une discussion dans la cour du Parlement, à l'extérieur du palais de Christiansborg. Il est également positif qu'ils aient, en collaboration avec le Mouvement pour le climat, entre autres, appelé à une manifestation au même endroit le 10 décembre.

Malheureusement, le gouvernement pourra poursuivre sa politique tant qu'il ne sera pas confronté à une puissante coalition en faveur d'une transition verte socialement équitable, capable de toucher également la base social-démocrate.

Il est urgent de colmater les brèches

La loi sur le climat devait garantir la contribution équitable du Danemark à l'objectif de l'accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré, et cela est plus urgent que jamais. Des rapports émanant notamment de I'Institut météorologique mondial, un organisme des Nations unies, indiquent que le seuil de 1,5 degré sera probablement dépassé de manière permanente d'ici cinq ans au plus tard, alors qu'il y a quelques années, on pensait que cela ne se produirait qu'au milieu des années 2030.

Dans le même temps, le risque de dépasser les « points de basculement » qui accélèrent le réchauffement climatique augmente, de sorte que tout indique que les émissions de CO2, de méthane, etc. doivent être réduites de manière drastique à partir de maintenant. La nécessité pour le Danemark de combler enfin les carences de sa loi sur le climat et de montrer l'exemple au reste du monde n'est pas moindre du fait que les États-Unis, sous Trump, ont déclaré la guerre au climat, ou que la droite, y compris au sein de l'UE, s'est mise à démanteler la législation sur le climat et l'environnement.

Les associations écologistes réunies dans le « Groupe 92 » réclament un objectif de réduction de 90 % d'ici 2035, mais aussi qu'il soit complété par de nouveaux objectifs pour les émissions dont le Danemark est responsable et qu'il contrôle. La majeure partie de l'empreinte climatique réelle du pays n'a jusqu'à présent pas été prise en compte dans les objectifs de la loi sur le climat. Des objectifs de réduction sont nécessaires pour les émissions soutenues par le secteur financier, les émissions liées au transport international et les émissions liées à la consommation. Il faut mettre un terme aux importations de biomasse et d'aliments pour animaux et réduire considérablement la combustion de biomasse. À cela il faut aussi ajouter une aide internationale beaucoup plus importante pour la lutte contre le changement climatique.

Mais lorsque le gouvernement a invité à des négociations sur un nouvel objectif climatique à la fin du mois de novembre, ce n'était en aucun cas pour remédier aux faiblesses inhérentes à la loi sur le climat. La proposition du gouvernement prévoyait un objectif de réduction de 82 % en 2035. Selon une analyse du Conseil climatique, 80 % ne suffisent pas pour que le Danemark puisse se qualifier de pays pionnier en matière d'écologie, et selon les propres projections climatiques du gouvernement, cet objectif de 80 % sera atteint avec la politique déjà adoptée.

La lutte des classes détermine la couleur de la transition

De la gauche à une partie de la droite, tout le monde se réclame de la « transition verte », mais il n'existe pas une seule et même transition verte. La politique climatique et environnementale est un champ de bataille où différentes classes et factions de classes s'affrontent sur la direction à prendre.

Pour les partis SD, V, M et les autres partis bourgeois, il s'agit avant tout de préserver l'existant et de laisser les solutions climatiques aux mains des forces du marché et des nouvelles technologies, de l'alimentation animale Bovaer aux installations de captage et de stockage du carbone (CSC). Ceci profite avant tout au 1 % de la population qui détient un quart de la richesse totale et possède la majorité des actions et des entreprises.

Ceux qui possèdent le plus, gagnent le plus et décident le plus sont aussi ceux qui polluent le plus. Une personne qui fait partie du 1 % le plus riche de la population danoise émet huit fois plus de CO2 qu'une personne qui appartient à la moitié la plus pauvre de la population, selon une analyse réalisée par Oxfam Danemark. Et les inégalités en matière d'émissions de CO2 ne cessent de croître. Depuis 1990, les 50 % les plus pauvres de la population ont réduit leurs émissions d'environ 33 %, tandis que les 1 % les plus riches les ont réduites de 3 %.

Une « transition verte » qui préserve le système signifie que les plus démuni.e.s doivent payer la facture pour que certains membres de la classe capitaliste puissent bénéficier d'opportunités d'investissement rentables (par exemple dans des parcs photovoltaïques) et que les mesures climatiques sont freinées par des intérêts financiers à court terme (comme lorsque aucune entreprise ne souhaite soumissionner pour l'installation de grands parcs éoliens en mer). Ces mécanismes ont récemment été décrits dans le livre Klima og klasse ["Climat et classe, comment éviter que la lutte contre le changement climatique ne débouche sur une fracture culturelle ?" 2025 R.Møller Stahl, Ch.Ellersgaard, A.Møller Mulvad8Informations vorlag]).

Plus les forces procapitalistes sont autorisées à donner le ton, plus il devient impossible de susciter le soutien populaire en faveur d'une transition verte efficace et d'une gestion de la production et de la consommation.

Les sociaux-démocrates reculent devant tout ce qui peut remettre en cause le capital. Ils ont donné aux dirigeants de l'industrie et de l'agriculture un droit de veto sur la politique climatique, notamment par le biais de partenariats climatiques et du Grøn Trepart, « tripartite verte »[taxe sur les rejets de méthane de l'élevage à partir de 2030 ndt]. Cette préservation des rapports de force et des rapports de propriété existants a permis de maintenir la paix avec des acteurs puissants tels que la Confédération danoise de l'industrie (DI) et l'Association danoise de l'agriculture et de l'alimentation (Landbrug og Fødevarer), mais en même temps, ils ont perdu le soutien de la population, tant au niveau électoral qu'en ce qui concerne les objectifs climatiques.

Des études montrent que la plupart des salarié.e.s estiment important que la transition écologique soit socialement équitable. Ce soutien est sapé par l'augmentation des inégalités et de la précarité de l'emploi.

Les forces de droite ont exploité de manière hypocrite, mais avec succès, les conséquences du « capitalisme vert » pour mobiliser contre les mesures climatiques et environnementales. Elles se présentent comme les défenseurs du citoyen lambda et des régions périphériques du Danemark, alors qu'elles sont les plus farouches opposantes à l'égalité sociale.

Comme l'a constaté Morten Skov Christiansen, président de la Fédération des syndicats danois (FHO), en présentant l'année dernière une proposition pour une transition verte équitable : « La transition verte bénéficie toujours d'un soutien au Danemark, mais celui-ci a chuté de plus de dix points de pourcentage au cours des trois dernières années. Il faut inverser cette tendance et veiller à ce que les nouvelles taxes vertes n'aient pas d'impact social inégalitaire. Il est également essentiel que les salarié.e.s de certains secteurs qui doivent se transformer en profondeur aient accès à la formation continue et à la reconversion professionnelle. »

Un programme d'action pour une transition verte équitable

Le parti Enhedslisten a participé aux négociations sur la loi climatique en exigeant que l'objectif pour 2035 soit une réduction de 90 % des émissions de CO2 et que la loi climatique soit étendue à l'empreinte carbone mondiale du Danemark, mais aussi que « les efforts en faveur du climat soient plus inclusifs, socialement équitables et ancrés démocratiquement ».

C'est ce qu'écrit la porte-parole du parti pour le climat, Leila Stockmarr, sur Facebook (28/11/2025), avant d'ajouter : « Nous nous battrons avec tous les moyens dont nous disposons. »

C'est très bien, mais nous n'aurons la force de faire changer de cap le Parlement danois que si les mouvements écologistes, les syndicats, les communautés locales et d'autres forces populaires s'unissent activement pour exiger une transition verte juste et démocratique.

L'Enhedslisten doit continuer à présenter au Parlement des revendications de qualité, mais doit également contribuer à réunir les fils d'un programme offensif en faveur d'une transition verte et équitable et passer à l'action en dehors des murs de Christiansborg.

Comme l'affirme le livre Klima og klasse (Climat et classe), il doit s'agir d'une « transition verte au bénéfice matériel du plus grand nombre », fondée sur « une stratégie qui place l'emploi et la sécurité matérielle au centre ».

Elle doit reposer sur la redistribution sociale et la démocratisation de l'économie, tant en termes d'investissements, d'emplois, de propriété que de consommation.

Cela concerne notamment les exigences suivantes :

  • Planification des investissements afin de garantir un développement rapide des énergies renouvelables, la création de nouveaux emplois dans les zones vulnérables, la rénovation climatique des logements et la sécurité de l'approvisionnement
  • Un plan de création d'emplois verts qui met l'accent sur l'installation, la réparation et les activités de soins
  • Une charte publique garantissant ces emplois verts
  • Le droit à la reconversion et à la requalification vers des emplois durables
  • La protection contre les pratiques de « dumping social » pour les investissements verts
  • La socialisation du secteur de l'énergie par le biais de différentes formes de propriété publique ou collective et de contrôle par les utilisateurs
  • Mise en place d'éoliennes, de panneaux solaires, etc., en fonction des besoins – en prenant en compte les personnes et la nature – plutôt que de l'optimisation des profits des propriétaires fonciers et des spéculateurs.
  • Une réforme agraire qui favorise la propriété collective et la transition vers une production biologique et végétale
  • Un secteur financier sans spéculation qui finance les investissements verts, et non les énergies fossiles
  • Un impôt sur la fortune qui oblige les grandes fortunes à payer pour la dépollution
  • Faire en sorte que la consommation durable soit la moins chère, par exemple par la production d'aliments sains et respectueux du climat
  • Se prémunir contre les chocs des prix des denrées alimentaires de base, de l'énergie et du chauffage : contrôle des prix, plafonnement des prix de l'énergie pour les consommateurs, réserves publiques de produits essentiels pour contrôler les prix
  • Des mesures contre la consommation de luxe, comme les yachts de luxe et les jets privés
  • Taxes climatiques progressives, par exemple sur les kilomètres parcourus en avion et en voiture, lorsqu'il existe des alternatives collectives ( par exemple, péage routier ciblé et transports publics bon marché).
  • Compensation pour les groupes à faibles revenus en cas d'augmentation des taxes et des prix.

Le Parti social-démocrate ne peut guère être poussé à rompre son alliance avec le capital, mais il peut probablement être poussé à faire certaines concessions, car il est en crise après les élections municipales et a besoin de se forger un profil plus social avant les élections législatives de l'année prochaine.

Quoi qu'il en soit, et plus important encore, un front rouge-vert actif en dehors du Parlement est essentiel pour que le rapport de forces puisse changer dans les années à venir. Cela permettrait de préparer le terrain pour un changement de pouvoir qui, avec un programme comme celui mentionné ci-dessus, s'attaquerait sérieusement à la catastrophe climatique. Cela vaut tant pour le rapport de forces que pour le contenu : la lutte pour le climat ne peut être gagnée que dans le cadre de la lutte des classes.

Publié par Socialistick Information le 8 décembre 2025, traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de Deeplpro

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Portugal : Le pays répond au train de mesures gouvernementales sur le travail par une forte participation à la grève générale

16 décembre, par Esquerda.net — , ,
Écoles fermées, transports et hôpitaux fonctionnant au ralenti, entreprises à l'arrêt dans de nombreux secteurs. Les syndicats affirment que le succès de la grève générale (…)

Écoles fermées, transports et hôpitaux fonctionnant au ralenti, entreprises à l'arrêt dans de nombreux secteurs. Les syndicats affirment que le succès de la grève générale devrait contraindre le gouvernement à retirer sa proposition.

11 décembre 2025 | tiré du site Europe solidaire sans frontières | Piquet de grève à Lisbonne. Photo Tiago Petinga/Lusa
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article77287

« Rien ne peut masquer l'ampleur de cette grève et la volonté des travailleurs de rejeter ce paquet de mesures sur le travail, qui est très claire dans tous les secteurs », a déclaré jeudi matin le secrétaire général de la VGTP devant l'école Marquesa de Alorna, à Lisbonne. Comme les autres écoles de la ville et la grande majorité des écoles du pays, elle a fermé ses portes lors de la grève générale, ce qui constitue un exemple supplémentaire de son « impact très fort sur la majeure partie de l'administration publique ».

« Si quelqu'un avait besoin d'avoir une idée précise des préoccupations des travailleurs, cette grève générale en donne la mesure », a résumé Tiago Oliveira, insistant sur le fait que les travailleurs ont compris que le paquet de mesures sur le travail « constitue un recul profond de leurs droits et ne sert aucun travailleur ».

« Voici la réponse des travailleurs : retirez le paquet de mesures sur le travail de la table des négociations » a exigé le dirigeant syndical, accusant le gouvernement de s'être « campé sur ses positions dès le début. Lorsqu'il a déclaré qu'il ne modifierait en rien les éléments fondamentaux de la proposition, l'ampleur de l'attaque en cours, au service des intérêts des grandes entreprises, est devenue évidente », a-t-il rappelé.

Des critiques similaires avaient été formulées par le dirigeant de l'UGT tôt dans la matinée sur la chaîne RTP, Mário Mourão accusant le gouvernement de conditionner les négociations et n'excluant pas la possibilité d'une nouvelle journée de grève générale si le gouvernement persistait dans sa proposition actuelle.

À l'école Marquesa de Alorna également, José Manuel Pureza, le coordinateur du Bloco de Esquerda s'est joint au piquet de grève et a salué l'ampleur du mouvement « dans tous les secteurs et dans tout le pays ».

« Les gens ont compris qu'il s'agit d'une attaque sans précédent contre les droits des travailleurs et qu'en s'attaquant au travail, on s'attaque à la vie quotidienne des gens : précarité éternelle pour ceux qui entrent sur le marché du travail, heures supplémentaires payées avec des réductions, parents dont les droits sont limités. C'est une agression qui vise à détruire des vies », a déclaré José Manuel Pureza aux journalistes.

Pour le coordinateur du Bloco, cette grève « est un cri de révolte et en même temps d'espoir qu'il est possible de changer cette situation et d'avoir des règles de travail compatibles avec une vie digne pour tous ». Pureza a répondu aux critiques du premier ministre Luís Montenegro en affirmant que « c'est le gouvernement qui se livre à un jeu politique évident. Il n'y a aucune raison rationnelle à cette réforme », qui ne traduit qu'un « pur préjugé idéologique ».

José Manuel Pureza a commencé à accompagner la grève générale mercredi soir avec le piquet de grève chez Autoeuropa, où le taux de participation a contraint à l'arrêt de la production.

Les médecins, les enseignants et les pilotes d'avion exigent le retrait du paquet de mesures sur le travail

Tôt dans la matinée, plusieurs dirigeants syndicaux se sont adressés aux journalistes, sachant déjà que le taux de participation à la grève générale était très élevé. Au nom de la Fédération nationale des médecins, Joana Bordalo e Sá a assuré à la population que les services minimums étaient assurés, mais que les consultations et les opérations chirurgicales prévues pour aujourd'hui seraient reportées. La syndicaliste affirme que ce paquet de mesures affectera également les médecins, car il instaure des contrats plus précaires et un système d'heures supplémentaires que les médecins ont toujours refusé. Elle estime que Luís Montenegro n'a d'autre solution que de retirer la proposition, « à moins qu'il ne veuille aggraver les conditions de travail des médecins et des professionnels du Service national de santé (SNS) ».

« Quatre médecins quittent chaque jour le SNS, 15 % de la population n'a pas de médecin de famille, les délais d'attente aux urgences dépassent 17 heures, les femmes enceintes accouchent dans les ambulances, avec déjà 174 accouchements dans les ambulances depuis le début de l'année. L'intransigeance du gouvernement dans la manière de négocier avec les médecins n'a pas attiré davantage de médecins vers le SNS, bien au contraire. Le SNS est plus fragilisé et il n'y a qu'un seul responsable, c'est le gouvernement et Montenegro », a résumé la dirigeante de la FNAM.

Dans une école de Porto également fermée, Francisco Gonçalves, secrétaire général de la Fenprof, a évoqué les raisons pour lesquelles les enseignant.e.s s'opposent au paquet de mesures sur le travail, car « si les conditions générales prévues par le droit du travail sont mauvaises, il est impossible d'avoir un statut décent pour la carrière enseignante ».

« Les travailleurs enseignants et non enseignants ont compris ce qui est en jeu », comme le prouve leur adhésion à cette journée de grève générale. Le syndicaliste espère que le gouvernement saura en tirer les leçons, « et en fonction de l'attitude du gouvernement, nous devrons ajuster pour l'avenir les formes de lutte les plus appropriées » .

Dans le transport aérien aussi, un service minimum a été assuré, avec la réalisation de 63 des 238 vols prévus par le groupe TAP. Helder Santinhos, président du syndicat des pilotes d'aviation, a déclaré à la télévision publique RTP que pour cette profession, les mesures sur le travail sont avant tout néfastes car elles remettent en cause la primauté des conventions collectives. « Notre position est celle de la solidarité avec les secteurs les plus vulnérables, nous pensons que personne ne devrait rester indifférent » à cette attaque contre les travailleurs. Au sujet des sondages qui montrent que la grande majorité de la population s'oppose au paquet de mesures sur le travail, le syndicaliste déclare que « le gouvernement peut ignorer la réalité, mais il ne pourra pas éviter les conséquences de cette réalité ». Et s'il insiste pour faire passer ces lois, « le syndicat ne restera pas sans réagir » assure-t-il.

Esquerda.net
P.-S.

• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l'aide de Deeplpro

Source - Bloquo de esquerda, 11 décembre 2025 - 10h35 :
https://www.esquerda.net/artigo/pais-responde-ao-pacote-laboral-com-forte-adesao-greve-geral/96849

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L’Ukraine face à un dépeçage impérial

Les propositions de paix de l'administration Trump pour l'Ukraine ressemblent à une transaction immobilière, où les États-Unis obtiennent une commission en échange de la (…)

Les propositions de paix de l'administration Trump pour l'Ukraine ressemblent à une transaction immobilière, où les États-Unis obtiennent une commission en échange de la cession du territoire ukrainien. Mais avec un levier de négociation qui s'amenuise, le pays pourrait être contraint d'accepter un accord sinistre.

7 décembre 2025 | tiré du site Europe solidaire sans frontières
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article77243

Le 21 novembre, les Ukrainiens se sont retrouvés face à une proposition de paix exigeant une acceptation quasi immédiate. Le plan de paix en vingt-huit points qui a fuité, rédigé par l'envoyé de Donald Trump, Steve Witkoff [1], et le responsable russe Kirill Dmitriev [2], se lit comme une transaction immobilière. La Russie obtient le territoire, les États-Unis prennent leur part, l'Europe paie la facture, et l'Ukraine peut choisir entre capituler maintenant ou capituler plus tard. Sous pression, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'est adressé à la nation sans détour : « Perte de dignité ou d'un partenaire clé. Vingt-huit points difficiles ou un hiver extraordinairement difficile. »

Les dirigeants européens stupéfaits — pris de court par les dispositions de l'initiative — se sont empressés d'improviser des contre-propositions. Au milieu de l'indignation à la Maison Blanche suite à la fuite, des pourparlers d'urgence à Genève ont produit un cadre révisé en dix-neuf points, renvoyant les questions les plus difficiles à un futur dialogue de haut niveau. Trump a déclaré des « progrès considérables » et annoncé la sixième visite de Witkoff à Moscou cette année. Le Kremlin, quant à lui, a rejeté les révisions européennes et signalé que seuls les vingt-huit points initiaux correspondaient à « l'esprit d'Anchorage » — c'est-à-dire les ouvertures de Trump à Vladimir Poutine lors de leur sommet en Alaska cet été. [3] La Russie a clairement indiqué qu'elle restait prête à atteindre ses objectifs globaux par des moyens militaires — une position qui laisse peu de place au compromis.

Thanksgiving est passé, et la position de l'Ukraine s'est encore affaiblie. Le 28 novembre, juste avant son départ pour Miami pour une nouvelle série de consultations, Andriy Yermak, chef de cabinet de Zelensky et négociateur principal pour la paix, a démissionné après que des enquêteurs anticorruption ont perquisitionné son domicile dans le cadre d'une enquête sur des pots-de-vin de 100 millions de dollars (environ 95 millions d'euros) dans le secteur énergétique. [4] Le même jour, des informations ont émergé selon lesquelles Washington était prêt à reconnaître unilatéralement le contrôle russe sur la Crimée et d'autres territoires occupés. Le lendemain, l'ancien commandant en chef de l'Ukraine, Valeriy Zaluzhny [5], a déploré l'absence d'objectifs politiques clairs, notant que même une paix temporaire pourrait offrir une fenêtre pour récupérer et se préparer à ce qui viendra ensuite.

Cette chaîne d'événements pourrait ne pas mettre fin à la guerre — les dernières discussions au Kremlin mardi ont été peu concluantes — mais elle révèle comment les grandes puissances imaginent actuellement ses résultats et combien peu les exigences fondamentales de la Russie ont changé alors même que le levier de l'Ukraine s'est réduit. Moscou a fait des concessions marginales par rapport à ses positions maximalistes exprimées en juin, mais s'attend toujours à contraindre Kyiv à une neutralité permanente, à obtenir la reconnaissance des conquêtes territoriales russes, à imposer des restrictions militaires présentées comme une « démilitarisation » et à extraire des concessions idéologiques sous l'étiquette de « dénazification ». Ce qui a changé n'est pas le fond mais plutôt le contexte : une Ukraine plus épuisée, un Occident plus divisé et un environnement géopolitique plus propice à la pression qu'à toute notion, même rhétorique, de justice. [6]

La neutralité comme veto impérial

La fixation de la Russie sur la neutralité de l'Ukraine est antérieure à l'invasion. Elle a été articulée le plus clairement dans les projets de traités de Moscou de décembre 2021, qui demandaient que non seulement l'Ukraine mais l'ensemble de l'ancien bloc socialiste soit traité effectivement comme une zone tampon. C'est la principale des « ambiguïtés des 30 dernières années » (comme les appellent les vingt-huit points) que le Kremlin vise à régler. Cette obsession de maintenir l'Ukraine hors de l'OTAN n'est pas une question de « sécurité indivisible » mais de sphère d'influence russe dans laquelle les besoins de sécurité des petits États sont ignorés. L'Ukraine est le cas test pour savoir si Moscou peut opposer son veto à la politique étrangère de ses voisins, dans une doctrine Monroe à l'accent russe. [7]

La Russie exige des assurances formelles concernant la neutralité permanente de l'Ukraine non seulement de Kyiv mais aussi des membres de l'OTAN. Les clauses originales exigeant des États qu'ils mettent fin ou n'entrent pas dans des traités qui violeraient ces obligations de neutralité pourraient affecter même le futur chemin de l'Ukraine vers l'adhésion à l'Union européenne, si Bruxelles renforçait sa clause de défense mutuelle. [8] Les États-Unis, quant à eux, ne semblent pas prêts à fournir quoi que ce soit au-delà de leur implication actuelle, et encore moins à offrir des garanties de sécurité similaires à l'article 5 de l'OTAN, qui stipule les conditions d'une réponse à une attaque. Si la Russie frappe à nouveau, Washington n'est engagé qu'à annuler l'accord et à une « réponse militaire coordonnée décisive » non spécifiée. Cela laisse Kyiv responsable de sa propre sécurité, armé de promesses que Moscou peut ignorer.

Démilitarisée et sans défense

Il est difficile d'imaginer un scénario dans lequel l'Ukraine envahirait la Russie en premier. Les arguments du Kremlin sur la démilitarisation ont toujours eu un seul objectif : saper la capacité de Kyiv à résister, puis dicter les conditions.

Les négociations d'Istanbul en avril 2022 proposaient de fixer le nombre maximum de troupes ukrainiennes entre 85 000 et 250 000, avec des portées de défense aérienne et d'artillerie limitées. [9] Le projet Witkoff-Dmitriev a plus que doublé la limite supérieure à 600 000 soldats et maintenu l'interdiction d'une présence militaire étrangère, tuant toute chance pour des forces de maintien de la paix ou de dissuasion. Après une forte résistance, les perspectives de forces de maintien de la paix ont été remises sur la table, et le plafond du nombre de troupes a également été relevé. Mais tandis que ces révisions attendent l'approbation du Kremlin, tout le débat se concentre sur la mauvaise question. Pourquoi l'Ukraine devrait-elle maintenir une armée de taille de guerre en temps de paix, et plus important encore, qui va payer pour cela dans un pays détruit ?

On peut soutenir que même le pire scénario issu des pourparlers d'Istanbul il y a trois ans n'empêche pas l'Ukraine de construire une défense robuste. Si le soutien public tient, Kyiv peut compter sur un grand nombre de réservistes, certains formés à l'étranger sur des systèmes d'armes avancés qui pourraient être rapidement redéployés lorsque les hostilités reprendront. Mais tout accord qui restreint l'assistance occidentale dans ce domaine institutionnaliserait l'asymétrie et rendrait l'Ukraine impuissante si la Russie viole un autre accord qu'elle a signé.

« Dénazification » et le mensonge du génocide

La composante idéologique des exigences russes — la « dénazification » — fonctionne comme un cadrage politique plutôt qu'un agenda pratique. Les forces russes qualifient régulièrement les troupes ukrainiennes d'« Allemands », et Moscou continue de justifier l'invasion comme une réponse au « génocide » dans le Donbass, même quand les chiffres exposent le mensonge. Au cours des trois dernières années avant la guerre à grande échelle (2019-2021), les décès de civils liés au conflit dans la région ont totalisé moins d'une centaine. Depuis le début de la prétendue mission de sauvetage de la Russie, des milliers de personnes sont mortes et des centaines de milliers ont été déplacées dans ces deux seules régions, après que plus d'une douzaine de villes avec une population combinée d'avant-guerre d'environ un million d'habitants ont été détruites.

L'instrumentalisation par les autorités russes des peurs de l'extrême droite, alors même qu'elles promeuvent le néofascisme tant au niveau national qu'à l'étranger, est une propagande flagrante. Pourtant, la demande de cette victoire symbolique demeure. En 2022, le Kremlin a énuméré d'importants changements juridiques comme preuve de la déradicalisation de l'Ukraine. La proposition Witkoff-Dmitriev utilise déjà un langage plus neutre. Cependant, en Ukraine, même les débats légitimes sur le nationalisme, les politiques de mémoire ou les droits des minorités ont été discrédités par l'utilisation par la Russie de tous ces éléments comme prétextes à l'agression. Des obligations extraites sous la menace militaire ne modéreraient guère la politique ukrainienne mais enracineraient plutôt la polarisation et donneraient aux nationalistes leur plus fort grief.

Partage du butin

La dimension territoriale reste au cœur de la position de la Russie. L'anxiété de Moscou face à la non-reconnaissance de ses conquêtes en Ukraine est désormais comptée parmi les « causes profondes du conflit ». Maintenant, le Kremlin revendique cinq régions ukrainiennes — la Crimée, Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia — bien qu'il ne contrôle entièrement que deux d'entre elles. [10] La ligne rouge de la Russie : reconnaître cette nouvelle « réalité sur le terrain ».

Les justifications ont évolué avec les changements sur le champ de bataille. Initialement, Moscou prétendait « protéger » les « républiques populaires » nominalement indépendantes de Donetsk et de Louhansk, mais a ensuite décidé que la meilleure protection était leur absorption dans la Russie proprement dite. Pour cimenter son pont terrestre vers la Crimée, la Russie a en outre annexé ce qu'elle détenait à Kherson et Zaporijjia et a continué à revendiquer les parties qu'elle ne contrôlait pas. Les « zones tampon démilitarisées » sous contrôle russe proposées dans les parties de la région de Donetsk que l'Ukraine contrôle encore ont un objectif clair : forcer le retrait ukrainien des positions stratégiques tandis que les territoires occupés fortifiés de la Russie restent intouchés.

L'Ukraine ne peut pas reconquérir tous les territoires occupés par la force dans les conditions actuelles. Mais elle ne peut pas non plus se permettre d'accorder à Moscou des droits irréversibles sur eux. La position de Kyiv se limite à refuser la reconnaissance tout en acceptant la ligne de contact comme point de référence pour de futures négociations, et à exclure les moyens militaires du règlement des différends.

Des précédents existent pour des cessez-le-feu durables même lorsque les revendications territoriales sous-jacentes restaient non résolues — Chypre depuis 1974, la Corée depuis 1953, le Cachemire depuis 1972. Mais Chypre a des casques bleus de l'ONU et des troupes étrangères des deux côtés. La Corée a l'une des frontières les plus militarisées du monde. Le Cachemire connaît des flambées régulières de violence, empêchées de devenir une guerre totale uniquement par la dissuasion nucléaire. Aucun n'offre de modèle pour une paix durable en Ukraine correspondant aux accords discutés.

Les dispositions économiques du plan révèlent son caractère mercenaire. Moscou obtient un allègement progressif des sanctions, une dispense effective de responsabilité pour les crimes de guerre, une réadmission au G8 [11], et une coopération économique lucrative. Washington reçoit une compensation pour les garanties, des profits sur les avoirs russes gelés, et Trump présidant personnellement l'organe d'exécution du « Conseil de paix ». Ce n'est pas un conflit d'intérêts, nous dit-on — juste le modèle commercial. L'Europe, dans ce schéma, devient coresponsable, rendue aussi responsable de la reconstruction de l'Ukraine que l'agresseur réel. Bien que les dommages causés par la Russie à l'Ukraine dépassent un demi-billion d'euros, la responsabilité financière de Moscou est limitée à une partie des avoirs déjà détenus par les autorités de l'UE.

Les propositions attendent en outre des engagements de tous les membres de l'OTAN — modifier la politique de la porte ouverte, bloquer l'adhésion de l'Ukraine, limiter les déploiements — prêts à les imposer à trente et un pays sur trente-deux. Le rôle de l'Ukraine et de ses alliés européens semble limité à protester, pousser des changements et essayer de reporter les sujets sensibles. Et une fois que Moscou rejette ces objections, le cycle se répète simplement.

En 2024, le groupe ukrainien de gauche Sotsialnyi Rukh (Mouvement social), tout en critiquant la réponse de l'État en temps de guerre, a appelé pour la première fois à un « dialogue sur des objectifs réalisables ». [12] C'était en contraste frappant avec les attitudes d'il y a deux ans, quand l'accent était mis sur la victoire totale et la défaite de la Russie. La même année, environ la moitié des Ukrainiens considéraient encore les négociations avec Moscou soit impossibles, soit acceptables seulement après une libération territoriale complète.

Dans la seconde moitié de 2025, selon les sondages de l'Institut international de sociologie de Kyiv, les attitudes populaires avaient encore évolué. Alors que moins de 20 pour cent sont prêts à accepter les conditions du Kremlin et que seulement 39 pour cent accepteraient la reconnaissance américaine de l'annexion de la Crimée par la Russie, plus des trois quarts pourraient vivre avec un gel du conflit aux lignes de front actuelles. Ils le verraient même comme au moins un succès partiel tant que les appropriations territoriales de la Russie ne sont pas légitimées, que le soutien militaire et financier occidental continue, que l'espace aérien est fermé aux frappes russes et que les sanctions sont maintenues jusqu'à ce qu'une véritable paix soit atteinte. Washington et Moscou n'offrent rien de tout cela, montrant que la volonté du public ukrainien compte peu sans la capacité d'influencer les résultats. [13]

Piège de la dépendance

En fin de compte, ces négociations ne sont pas décidées par l'habileté diplomatique mais par les faits matériels. La vulnérabilité de l'Ukraine s'étend au-delà du manque de personnel militaire et de fonds. Les États-Unis fournissent environ 30 pour cent des armes utilisées par Kyiv, y compris la défense aérienne Patriot, les missiles F-16, les roquettes HIMARS [14], l'imagerie satellitaire et les données de ciblage. Washington contrôle également leurs transferts à partir des stocks d'autres parties. Sans le renseignement américain, même la défense aérienne de l'Ukraine protégeant les civils et les infrastructures serait paralysée. L'accès à Starlink, essentiel pour les communications ukrainiennes, peut être coupé par Elon Musk à volonté.

Les alternatives européennes sont absentes ou restent inadéquates. Alors que la production d'artillerie approche les deux millions d'obus, les Patriots n'ont pas de remplacement européen car les systèmes franco-italiens SAMP/T n'existent qu'en petites quantités. La constellation de satellites IRIS² ne correspondra pas aux capacités américaines avant des années. [15] Les alternatives au HIMARS ne sont produites qu'en Corée du Sud et en Israël.

Les membres européens de l'OTAN eux-mêmes dépensent plus auprès des fournisseurs américains que pour les achats nationaux, en partie pour acheter la loyauté américaine et en partie parce qu'il n'y a rien d'autre de disponible à court terme. De plus, les États-Unis contribuent à la défense de l'Europe en maintenant 84 000 soldats stationnés dans les bases européennes et en étendant leur parapluie nucléaire. Trump n'invente rien de nouveau, il exploite simplement la dépendance qui existe déjà. [16]

Justice ?

Une paix juste nécessiterait le retrait russe des zones occupées, des garanties de sécurité avec des mécanismes d'application réels, la responsabilité pour les crimes de guerre et des réparations au-delà des avoirs russes gelés. Rien de tout cela n'apparaît dans aucune proposition que Moscou accepte ou dont parle l'administration Trump. Le Kremlin n'est pas non plus prêt au compromis, ayant rejeté toutes les initiatives de paix qui ne reposaient pas sur ses exigences maximalistes. Ce qui est maintenant étiqueté « paix » est un règlement impérial rédigé par deux puissances, avec des conditions imposées d'en haut et les pays les plus directement touchés consultés en dernier.

La tragédie est que le cynisme de Trump, le manque de préparation de l'Europe et la faiblesse de l'Ukraine pourraient forcer l'acceptation de toute façon. C'est la logique du pouvoir impérial, qui n'a jamais apporté de paix durable, et aucune échéance ne changera cela. Il ne reste qu'à n'avoir aucune illusion et à nommer ce règlement pour ce qu'il est : une pause avant que la prochaine guerre ne commence.

Oleksandr Kyselov, originaire de Donetsk, est un militant ukrainien de gauche et assistant de recherche à l'université d'Uppsala.
P.-S.

https://jacobin.com/2025/12/ukraine-russia-war-concessions-trump

Traduit pour ESSF par Adam Novak

Notes

[1] Steve Witkoff est un promoteur immobilier américain et ami de longue date de Donald Trump, nommé envoyé spécial de Trump pour les négociations au Moyen-Orient et en Ukraine en 2025.

[2] Kirill Dmitriev est le PDG du Fonds russe d'investissements directs (RDIF), le fonds souverain de la Russie, et a servi de canal diplomatique officieux entre Moscou et Washington.

[3] Le sommet d'Anchorage entre Trump et Poutine a eu lieu à l'été 2025, établissant le cadre de négociations bilatérales sur l'Ukraine excluant largement Kyiv et les alliés européens.

[4] Sur les protestations anticorruption en Ukraine et la crise de la corruption en temps de guerre, voir Priama Diia et Sotsialnyi Rukh, « Ukraine : Protestations anticorruption », Europe Solidaire Sans Frontières, 23 juillet 2025. Disponible à : https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article75705

[5] Valeriy Zaluzhny a été commandant en chef des forces armées d'Ukraine de juillet 2021 jusqu'à son limogeage en février 2024. Il a ensuite été nommé ambassadeur d'Ukraine au Royaume-Uni.

[6] Pour une analyse de la détérioration de la position de l'Ukraine, voir Oleksandr Kyselov, « Ukraine : Quand il est déjà trop tard pour « arrêter la guerre » – quelques réflexions sur la « paix » et « l'ordre » », Europe Solidaire Sans Frontières, 2025. Disponible à : https://europe-solidaire.org/spip.php?article75073

[7] La doctrine Monroe, articulée par le président américain James Monroe en 1823, affirmait l'opposition des États-Unis à l'ingérence européenne dans l'hémisphère occidental, revendiquant effectivement les Amériques comme sphère d'influence américaine. Les exigences de Poutine font écho à cette logique en cherchant à exclure l'influence occidentale de la sphère perçue de la Russie.

[8] L'article 42.7 du Traité sur l'Union européenne contient une clause de défense mutuelle exigeant des membres de l'UE qu'ils aident un État membre victime d'une agression armée. Contrairement à l'article 5 de l'OTAN, il ne spécifie pas d'assistance militaire.

[9] Les négociations d'Istanbul en mars-avril 2022 ont été les pourparlers de paix les plus avancés entre l'Ukraine et la Russie depuis l'invasion à grande échelle. Les négociations se sont effondrées après la découverte des atrocités russes à Boutcha et le retrait de la Russie des pourparlers.

[10] La Russie a illégalement annexé la Crimée en 2014 et déclaré l'annexation des oblasts de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia en septembre 2022, bien qu'elle ne contrôle entièrement aucune des quatre régions continentales.

[11] Le G8 (Groupe des Huit) était un forum intergouvernemental des principales nations industrialisées. La Russie a été suspendue de ce qui est devenu le G7 suite à son annexion de la Crimée en 2014.

[12] Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) est une organisation socialiste démocratique ukrainienne fondée en 2015, active dans les principales villes ukrainiennes, qui combine le soutien à la résistance ukrainienne avec la critique des politiques néolibérales en temps de guerre et la défense des droits des travailleurs. Voir Francesca Barca, « Guerre, inégalités, néolibéralisme : les défis de la gauche ukrainienne », Europe Solidaire Sans Frontières, février 2025. Disponible à : https://europe-solidaire.org/spip.php?article74023

[13] Sur l'évolution de la position de la gauche ukrainienne sur les objectifs de guerre, voir Sotsialnyi Rukh, « Pour une Ukraine sans oligarques ni occupants ! », Europe Solidaire Sans Frontières, mars 2025. Disponible à : https://europe-solidaire.org/spip.php?article74018

[14] Le HIMARS (High Mobility Artillery Rocket System) est un lance-roquettes multiple de fabrication américaine qui a été crucial pour la défense de l'Ukraine, permettant des frappes de précision sur les dépôts de munitions russes, les postes de commandement et les centres logistiques.

[15] IRIS² (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite) est une constellation de satellites de l'UE prévue pour fournir des communications sécurisées et réduire la dépendance européenne aux systèmes américains. Le déploiement complet n'est pas attendu avant la fin des années 2020.

[16] Pour une analyse du dilemme de la gauche dans ce contexte géopolitique, voir Francesca Barca, « Guerre, inégalités, néolibéralisme : les défis de la gauche ukrainienne », Europe Solidaire Sans Frontières, février 2025. Disponible à : https://europe-solidaire.org/spip.php?article74023

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Libérez Narges Mohammadi

16 décembre, par Michel Gourd — , ,
La militante des droits humains, Narges Mohammadi, a de nouveau été arrêtée par les forces de sécurité iraniennes le 12 décembre lors d'une cérémonie commémorative pour un (…)

La militante des droits humains, Narges Mohammadi, a de nouveau été arrêtée par les forces de sécurité iraniennes le 12 décembre lors d'une cérémonie commémorative pour un avocat, Khosrow Alikordi, mort dans des circonstances jugées suspectes quelques jours plus tôt. Lors de cette cérémonie à Mashhad, elle aurait pris la parole pour souligner l'engagement de cet avocat et rendre hommage aux victimes de la répression en Iran.

La militante aurait aussi parlé de personnes décédées durant les manifestations et dénoncé les violations des droits humains. Elle aurait été arrêtée après avoir dit à la tribune : nous ne reculerons pas, c'est notre pays ici. Vive les combattants de la liberté. Ce serait les derniers mots qu'elle aurait prononcés avant que les forces de sécurités, qui étaient présentes en nombre, interviennent pendant qu'elle était sur l'estrade. Des témoins de l'événement auraient aussi affirmé qu'ils auraient agit avec brutalité. Les autorités ont pour leur part répondu que les propos de l'activiste lors de l'événement constituaient une incitation au désordre.

Plus grande que nature

Né à Zanjan, dans le nord-ouest de l'Iran en 1972, Narges Mohammadi serait diplômé en physique et ingénieur professionnel. Elle aurait aussi été journaliste pour des médias. Vice-présidente du Defenders of Human Rights Center, elle a reçu plusieurs prix internationaux. L'Alexander-Langer en 2009 et le prix international du gouvernement suédois pour les droits de l'homme en 2011. Celui des droits de l'homme de la ville allemande de Weimar lui aurait été donné en 2016 et le prestigieux Andrei Sakharov en 2018. En 2023, elle reçoit le prix mondial de la liberté de la presse, celui Olof-Palme pour les droits de l'homme et le Nobel de la paix. Cette femme paie cependant cher son militantisme. Arrêtée pour la première fois en 1998 pour ses critiques du gouvernement iranien, elle a été emprisonnée plus d'une dizaine de fois et a reçu au total plus d'une trentaine d'années en condamnation, mais a été libérée l'année dernière pour des raisons de santé.

L'arrestation de Narges Mohammadi a fait bondir la communauté internationale préoccupée par les droits humains. Le Comité Nobel norvégien a exprimé sa vive inquiétude et a appelé les autorités iraniennes à garantir sa sécurité et à la libérer immédiatement. De nombreuses organisations internationales de défense des droits humains ont pour leur part dénoncé une violation grave de la liberté d'expression, celle de réunion pacifique et plusieurs autres fondamentales. L'Union européenne a aussi appelé à sa libération et qualifié la situation de profondément préoccupante en raison de son état de santé fragile.

Chirine Ardakani, avocate de Narges Mohammadi, affirme que sa cliente a encore 12 ans de prison à effectuer et qu'il est à craindre que les autorités décident d'instrumentaliser cet incident pour l'y laisser. La dernière fois qu'elle aurait été arrêtée, elle aurait été interdite de tout contact avec sa famille pour une durée de trois ans.

La République islamique d'Iran utiliserait la détention arbitraire aussi bien à l'encontre de ressortissants étrangers, pour pouvoir rançonner leur libération, que ses propres citoyens.

Un combat de tous les instants

Il y a quelques dizaines d'années de cela, les Iraniennes avaient autant de droits que les femmes occidentales. Tout aurait cependant changé avec la révolution islamique en 1979. Une ségrégation des sexes aurait été instaurée, l'âge du mariage abaissé, les femmes écartées de la fonction publique et l'hijab obligatoire dès l'âge de neuf ans. Une femme ne pourrait actuellement obtenir un passeport ni voyager sans l'autorisation de son père ou son époux en Iran.

Selon le mouvement Femme, Vie, Liberté, créé après la mort de la jeune Mahsa Amini en septembre 2022, les manifestations auraient été massivement réprimées par les autorités iraniennes ce qui aurait entrainé plus de 500 décès d'opposants et des milliers d'arrestations.
Il y aurait aussi eu une forte répression de la société civile après la récente guerre de 12 jours menée par Israël. Nia Gissou, du Conseille Atlantique, affirme que les avocats des droits humains subissent des attaques croissantes en Iran et plusieurs se seraient exilés. Face à une large désobéissance civile, le gouvernement aurait arrêté toute personne considérée comme une menace. La répression viserait plus particulièrement tous les opposants au régime qui s'afficheraient sur Internet.

Ceux qui contestent les autorités n'auraient cependant plus peur d'exprimer publiquement leurs oppositions. Il y a quelques années, les descentes avaient lieu dans des résidences privées ou les personnes émettaient des opinions opposées au régime, mais actuellement, elles seraient exprimées dans la rue et sur l'Internet. La peur aurait disparu et ce serait ce qui se serait passé lors de la cérémonie pour Khosrow Alikordi.

Selon Chirine Ardakani, ses clients feraient donc actuellement face à un scénario prévisible. Nous n'avons pas de respect des droits de la défense, nous avons des accusations et des charges qui sont grotesques. Selon elle, sa cliente se bat contre la théocratie iranienne, mais pour autant, ce ne serait pas une criminelle et elle devrait être libérée immédiatement. Toujours selon l'avocate, le comportement de Narges Mohammadi serait une démonstration de courage absolu.

Michel Gourd

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Poutine en Inde : tapis rouge mais résultats en demi-teinte

16 décembre, par Hubert Testard — , , ,
Vladimir Poutine a été accueilli en grande pompe à New-Delhi les 4 et 5 décembre derniers pour célébrer les 25 ans du partenariat stratégique indo-russe. Sa délégation était (…)

Vladimir Poutine a été accueilli en grande pompe à New-Delhi les 4 et 5 décembre derniers pour célébrer les 25 ans du partenariat stratégique indo-russe. Sa délégation était vaste, les thèmes de discussion nombreux, mais pas d'annonce majeure sur l'énergie ou les contrats de défense. Narendra Modi garde manifestement des cartes en main pour finaliser ses négociations avec Washington.

Tiré de The Asialyst.

Accueilli personnellement par Narendra Modi à sa descente d'avion pour un dîner en tête à tête, hôte d'un banquet d'Etat offert en son honneur au Rashtrapati Bhavan – le palais présidentiel – par la présidente de la République indienne Droupadi Murmu, co-président d'un forum d'affaires réunissant la fine fleur des grandes entreprises de deux pays, Vladimir Poutine a bénéficié d'un accueil exceptionnel durant son séjour de 48 heures en Inde. Cette visite est pour lui la dixième en tant que président de la fédération de Russie. Elle est l'occasion de fêter le 25ème anniversaire du « partenariat stratégique » qu'il avait établi en octobre 2000 avec le premier ministre indien de l'époque, Atal Bihari Vajpayee.

Lors d'une conférence de presse conjointe le 5 décembre, Narendra Modi soulignait que « l'amitié entre l'Inde et la Russie a réussi à surmonter les nombreuses crises internationales des dernières décennies, et nos relations restent fondées sur le respect mutuel et une profonde confiance. » Continuité, respect mutuel et confiance sont les mots clés d'une communication conjointe qui s'adresse manifestement d'abord aux Etats-Unis, mais également à la Chine, qui n'a pas le monopole de l'« amitié sans limites, » voire à l'Union européenne qui cherche encore à peser sur les choix stratégiques de l'Inde. La réalité des relations bilatérales est en fait loin d'être stable. Elle est certes marquée par une dynamique incontestable ces dernières années mais aussi par des enjeux en constante évolution.

Des échanges commerciaux en rapide mutation

Jusqu'au lancement de l'« opération spéciale » déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine en février 2022, les relations économiques entre l'Inde et la Russie avaient une portée modeste, avec un commerce bilatéral limité à 12 milliards de dollars. La Russie exportait sur le marché indien des quantités restreintes de pétrole et de charbon, des perles naturelles et des fertilisants. L'Inde exportait encore moins vers le marché russe (un peu plus de 3 milliards de dollars en 2021, soit à peine 0,6% de ses exportations globales).

Les choses changent brutalement avec l'invasion de l'Ukraine. L'Inde, officiellement neutre face à ce conflit, profite de l'embargo occidental sur les produits énergétiques russes et des « discounts » (environ 12 dollars par baril) que lui propose la Russie pour acheter massivement du pétrole et du charbon russe. En trois ans, la part de la Russie dans les importations indiennes de pétrole brut passe de 2,5 à 36%, selon une étude de la Carnegie Foundation publiée le 20 novembre dernier. Les exportations indiennes vers la Russie ne progressent en revanche que modestement et le déficit bilatéral de l'Inde explose, frôlant les 60 milliards de dollars en 2024.

Le 27 août dernier un nouveau choc géopolitique déstabilise la dynamique des échanges énergétiques entre la Russie et l'Inde. Donald Trump décide de taxer les exportations indiennes à 25%, auxquels s'ajoutent 25% supplémentaires en raison des achats massifs de pétrole en provenance de Russie. Trump renforce la décision du 27 août en ciblant directement les compagnies russes Lukoil et Rosfnet, qui livrent 60% du pétrole destiné à l'Inde (une décision qui a pris effet le 21 novembre). L'exaspération en Inde est d'autant plus forte qu'elle est le seul pays à être sanctionné pour acheter des produits énergétiques russes. La Chine, premier importateur de la Russie, ne l'est pas. L'Union européenne non plus, ou du moins pas encore.

Cette anomalie a été soulignée par Vladimir Poutine dans une interview donnée à India Today à la veille de sa visite : « les Etats-Unis nous achètent de l'uranium enrichi pour leurs centrales nucléaires. C'est aussi du combustible. Si les États-Unis se donnent le droit de nous acheter du combustible, pourquoi l'Inde devrait-elle être privée d'un tel droit ? »

Diversification et rééquilibrage

Au-delà du débat sur le pétrole, la visite de Vladimir Poutine est l'occasion pour l'Inde, qui a besoin de nouveaux débouchés pour compenser les barrières tarifaires érigées par les Etats-Unis, d'accroître et diversifier ses exportations vers la Russie. Le président russe a affiché son ouverture sur le sujet, déclarant que « la Russie est prête à accroître significativement ses achats de biens et services indiens, en tenant compte de son excédent commercial. » La cible d'un commerce bilatéral porté à 100 milliards de dollars en 2030 a été fixée dans le communiqué conjoint publié à l'is

Plusieurs accords signés se situaient dans cette optique de rééquilibrage. La Russie a élargi la liste des entreprises indiennes autorisées à exporter des produits laitiers et des fruits de mer sur le marché russe. Le groupe russe Ultrachem a signé une lettre d'intention avec plusieurs entreprises indiennes du secteur des fertilisants pour la création à proximité de la frontière entre les deux pays d'une usine de production d'urée de grande capacité qui permettra de réduire les coûts de la filière pour les opérateurs indiens. Les douanes des deux pays ont signé un protocole d'accord pour la facilitation des échanges. Les discussions s'accélèrent pour la signature d'un traité bilatéral de protection des investissements et la mise en place d'un accord de libre-échange entre l'Inde et l'Union économique d'Eurasie. (L'Union économique d'Eurasie comprend la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l'Arménie et le Kirghizstan)

Sur le plan monétaire, le recours aux devises des deux pays est déjà très avancé. Il atteindrait plus de 90% du commerce bilatéral selon les sources russes, essentiellement parce que l'Inde achète le pétrole russe en roupies, ce qui constitue clairement un avantage supplémentaire pour New Delhi (c'est aux Russes de se débrouiller avec leurs avoirs en roupies qui s'accumulent dans le système financier indien).

La coopération dans le nucléaire civil était également au cœur des discussions, avec comme projet phare la centrale nucléaire de Kudankulam, dont deux tranches sont en fonctionnement et quatre autres en phase de finalisation, ainsi que la recherche d'un nouveau site, le lancement d'une coopération sur les petits réacteurs et les projets de retraitement. L'Inde s'est fixé des objectifs très ambitieux dans le nucléaire civil : porter la capacité de production électrique d'origine nucléaire de 9 gigawatts aujourd'hui à 100 Gigawatts en 2047 (date du centième anniversaire de l'indépendance). La Russie fait clairement partie des partenaires majeurs dont elle a besoin pour s'approcher de cette cible.

Un accord de facilitation pour les échanges de travailleurs qualifiés est en phase de finalisation, pour augmenter la présence en Russie des travailleurs indiens dans différents domaines – construction, santé, tourisme – dans un contexte où la Russie connaît un déficit structurel de travailleurs qualifiés.

Ces perspectives sont bienvenues pour l'Inde mais restent modestes par rapport aux deux enjeux majeurs que représentent l'énergie et la défense.

Modi très prudent sur les sujets clés

Face aux sanctions américaines sur le pétrole, Vladimir Poutine a promis des « fournitures ininterrompues de produits pétroliers à l'Inde. » Narendra Modi ne s'est pas exprimé directement sur le sujet. S'agissant de l'Ukraine, il a souligné que l'Inde n'était pas neutre, mais qu'elle soutenait « la paix. » Pour autant, aucune mention de l'Ukraine ne figure dans le communiqué conjoint. L'article publié dans le Times of India le 30 novembre par les ambassadeurs de France, d'Allemagne et du Royaume Uni intitulé « le monde veut la fin de la guerre en Ukraine, mais la Russie ne paraît pas sérieuse en matière de paix » a été jugé « inacceptable » par les autorités indiennes.

Brahma Chellaney, professeur d'études stratégiques au Center for Policy Research de New-Delhi, donnait, lors d'un débat récent organisé par la chaîne d'information Al Jazeera, des éléments de contexte intéressants sur l'attitude indienne face aux sanctions américaines. Il rappelait qu'en 2019 les Etats-Unis avaient menacé de sanctions les pays qui continueraient à acheter du pétrole iranien au moment où Washington s'était retiré de l'accord de non-prolifération nucléaire avec l'Iran. L'Inde avait fini par accepter de ne plus acheter de pétrole iranien. La Chine en avait aussitôt profité pour accroître ses propres achats à des prix très compétitifs, devenant à bon compte le principal acheteur de pétrole iranien. L'Inde était apparue comme le « looser » de cette séquence géopolitique et il n'est pas question pour Narendra Modi de recommencer.

Pour autant les opérateurs indiens ne peuvent pas ignorer les sanctions américaines. Ils ont commencé dès le mois de novembre à réduire leurs achats de pétrole russe. La chute pourrait atteindre plus de 30% au cours du dernier trimestre de l'année 2025. Dans le même temps, les opérateurs indiens ont commencé à acheter davantage de pétrole américain (un demi-million de barils/jour fin octobre 2025). A défaut d'un engagement formel de ne plus acheter de pétrole russe qui est clairement inacceptable pour Modi, un réajustement à la baisse des livraisons russes et à la hausse des livraisons américaines est en cours, en attendant une hypothétique avancée sur le règlement du conflit avec l'Ukraine.

La même prudence caractérise l'attitude de Modi en matière de défense, où la Russie demeure le premier partenaire de l'Inde. Alors que Moscou annonçait des accords possibles en matière de missiles sol-air et de contrats aéronautiques, rien n'a été officialisé à l'issue de la rencontre entre les deux ministres de la défense. Une première partie du problème vient de la Russie elle-même, qui a le plus grand mal à respecter les délais des contrats en cours, en particulier celui relatif aux missiles sol-air S400, en raison des priorités liées à la guerre en Ukraine. Une autre partie vient de l'Inde, qui accorde une priorité maximale à la localisation de son industrie de défense, ce qui retarde les décisions sur les grandes commandes d'aéronautique militaire. Les discussions sur la livraison par la Russie du SU57, chasseur furtif de cinquième génération, se heurtent probablement à cette exigence indienne. Une troisième partie est liée aux discussions en cours avec Washington, qui ont également un volet militaire important.

Globalement, la visite de Vladimir Poutine en Inde est caractéristique du jeu d'équilibre instable auquel se livrent actuellement les quatre grandes puissances de la planète (Etats-Unis, Chine, Inde et Russie) pour préserver les alliances traditionnelles, gagner des points dans les rivalités stratégiques, diversifier les partenariats et mettre au premier plan l'intérêt national, l'Union européenne apparaissant comme un « junior partner » dans ce complexe jeu de Go.

Narendra Modi n'accueillera pas Donald Trump en Inde avant la fin de l'année pour le prochain sommet de la Quad (dialogue quadrilatéral pour la sécurité réunissant Etats-Unis, Inde, Japon et Australie) dont il sera l'hôte. A la demande américaine, la rencontre a été reportée au premier trimestre 2026, ce qui signifie que les discussions bilatérales en cours sont laborieuses. On peut cependant parier qu'elles vont aboutir car un axe Inde/Etats-Unis plus stable est dans l'intérêt des deux pays.

Par Hubert Testard

Syrie : une réalité hybride

16 décembre, par Rateb Shabo — , ,
On parle beaucoup aujourd'hui en Syrie des droits des différentes composantes de la société, de la nécessité de leur participation et de leur représentation au pouvoir, de la (…)

On parle beaucoup aujourd'hui en Syrie des droits des différentes composantes de la société, de la nécessité de leur participation et de leur représentation au pouvoir, de la domination d'une seule et unique couleur sur l'appareil d'État, etc., comme s'il s'agissait là d'un discours patriotique prudent susceptible de contrer une mentalité sectaire monopolistique et antipatriotique. En réalité, toutefois, ces deux positions - participative et monopolistique - sont sous-tendues par une même logique communautariste, laquelle consiste à accorder plus d'importance à l'appartenance d'un individu à une communauté qu'à son adhésion à la nation. Cette logique est néfaste pour les Syriens, car elle les rabaisse en deçà du statut de peuple et morcelle leur socle national.

Tiré d'Europe solidaire sans frontière.

Selon ce discours, la participation des diverses composantes au pouvoir se concrétiserait par la présence de membres de chacune d'entre elles à des postes élevés de l'État, et il irait de soi, dans le cas de la Syrie, que cette participation soit proportionnelle, ne fût-ce qu'implicitement et officieusement, à l'importance numérique de chacune de ces composantes au sein de la population. Cette affirmation soulève néanmoins quelques questions simples : comment pouvons-nous déduire de la simple présence d'une personne au pouvoir que le groupe dont elle est issue participe effectivement à l'exercice du pouvoir ? Est-il, préalablement à cela, permis de croire que les membres d'un même groupe partagent forcément les mêmes intérêts et la même identité politique, en sorte que celui-ci pourrait s'exprimer via un ou plusieurs représentants ? Et même à supposer qu'il en soit ainsi, qu'est-ce qui obligerait le « représentant » d'un groupe donné à être fidèle à cette identité politique et à ces intérêts ? N'est-il pas raisonnable de penser qu'il fera preuve d'une plus grande loyauté envers l'autorité qui l'a choisi et l'a nommé, quelles que soient les orientations politiques de celle-ci ? Par ailleurs, qu'est-ce qui nous empêcherait de trouver, au sein du gouvernement, des gens ouverts d'esprit et intègres qui auraient à cœur le bien commun et serviraient les intérêts de cette communauté bien qu'ils n'en soient pas issus, au même titre que ceux des autres communautés ? En effet, nous avons vu par le passé, et voyons encore aujourd'hui des Syriens s'opposer avec sincérité et sens des responsabilités aux autorités lorsque celles-ci exercent une forme de discrimination à l'encontre d'un groupe donné, sans pour autant appartenir à ce groupe de par leur naissance ; et nous avons également vu l'inverse.

Pour que le lien entre l'origine d'une personne et son rôle représentatif au sein de l'État soit valide, il serait nécessaire de convertir la présence dans la société du groupe dont elle est issue en une institution représentant les « membres » de ce groupe auprès de l'Etat. Cela impliquerait l'existence d'un mécanisme spécifique visant à sélectionner des « représentants » au sein des différents groupes, de sorte que chacun de ces derniers, et non les pouvoirs publics, puisse choisir celui qui le représentera au gouvernement, et que ce dernier endosse à son tour une responsabilité à son endroit. Dans un tel cas de figure, les différentes composantes se partageraient le pouvoir, et nous nous retrouverions face à un État à plusieurs têtes, un État constitué de plusieurs communautés dépourvues d'identité nationale. La Syrie n'a pas encore atteint ce niveau de désintégration, mais à en juger par la ligne générale suivie par le nouveau pouvoir, telle est la direction dans laquelle elle s'engage. Il serait à vrai dire dans l'intérêt du pouvoir en question de maintenir la situation hybride qui prévalait sous l'ancien régime, autrement dit de mener une politique au sein de laquelle la participation des différentes composantes n'est qu'une façade et où le pouvoir réel est détenu par un noyau dur bien identifié. Toutefois, il semble clair que le pouvoir actuellement en place à Damas n'a pas l'ouverture d'esprit suffisante pour accepter ne fût-ce qu'un simulacre de présence des divers groupes de population aux hautes fonctions de l'État, ni même la participation de leurs membres au sein du système bureaucratique, de l'armée et des appareils sécuritaires d'État.

Quoi qu'il en soit, le fait de ne pas institutionnaliser la représentation des différentes communautés - comme c'est le cas au Liban, par exemple - rend leur participation si illusoire qu'elle en devient grotesque. Ce qui ne signifie pas, du reste, que le Liban soit mieux loti puisqu'à l'inverse, l'institutionnalisation du communautarisme a transformé l'État libanais en témoin impuissant de conflits civils incessants -situation qu'on ne peut envier aux Libanais et que les Syriens, selon nous, ne souhaitent pas.

Si à l'époque du clan Assad la participation des diverses composantes était purement formelle, il ne semble pas que ceux qui revendiquent aujourd'hui un tel type de représentation aient conscience de cette réalité, une telle revendication étant à leurs yeux patriotique et rationnelle en comparaison avec la logique du pouvoir post-Assad et à son recours à la marginalisation brutale. Dans cette optique, on peut dire que la réalité syrienne a toujours été hybride, combinant un discours officiel axé sur la citoyenneté (avec des propos sur le peuple, l'identité nationale, l'égalité, etc.) et une conception communautariste qui distingue les responsables selon leurs origines, de sorte que la présence d'un ministre chrétien au sein du gouvernement, par exemple, est considérée comme une participation chrétienne. La réalité syrienne hybride fait coexister la forme d'un État moderne avec un parlement, un système judiciaire, une constitution, des institutions étatiques, etc. et le souci de représenter des groupes de population qui n'ont pas de raison d'être, en tant que tels, dans le cadre d'un État moderne. Dans cette réalité hybride et incohérente, les Syriens ne sont pas égaux sur le plan juridique en tant que citoyens, un élément extrinsèque intervenant à ce niveau : celui de leur origine communautaire. Ainsi, tout titulaire de la nationalité syrienne, par laquelle il se distingue en dehors de la Syrie, possède également une autre « nationalité », de nature« communautaire », qui le caractérise à l'intérieur de la Syrie et lui confère des droits différents selon son origine. Telle est la situation installée depuis longtemps dans le pays, à tel point que ceux qui prônent une constitution où la religion du chef de l'État serait fixée de manière à exclure constitutionnellement une partie non négligeable de la population de cette fonction n'ont aucun scrupule à parler de citoyenneté, d'égalité et de rejet de la discrimination sur base confessionnelle, etc. Cette réalité hybride et incohérente est devenue si habituelle en Syrie qu'elle ne suscite plus aucune attention.

Le caractère hybride de la réalité syrienne a toujours été une source de souffrance refoulée pour les Syriens, qui vivent dans les faits une discrimination structurelle fondée sur la confession, l'ethnie, etc. enrobée dans le mensonge de l'égalité, de la citoyenneté et de la modernité. Ils ne pourront s'extraire de cette situation qu'en suivant l'une des deux voies suivantes : la première – celle du salut – les mènera vers un État moderne, qui considère l'individu indépendamment de son appartenance génétique et repose sur le principe de la citoyenneté, de sorte que les Syriens seraient réellement égaux au regard de la Constitution et des lois ; quant à la seconde – celle de la perdition -, elle les mènera vers un État où le pouvoir sera partagé entre les différentes composantes, considérées comme des entités institutionnelles et devenant dès lors des blocs solides qui ne se fondront pas dans l'État, mais tendront à former des États dans l'État, avec pour résultat que la relation de l'individu à l'État passera par sa relation avec la communauté dans laquelle il est né.

Rateb Shabo

• Traduit et revu pour ESSF par Samuel Gross et Pierre Vandevoorde.

Source - Al Araby, 30 novembre 2025.

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