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Inhalothérapeutes Le gouvernement doit avoir le courage d’agir pour cette profession en péril

L'histoire d'une jeune inhalothérapeute de 27 ans, en arrêt de travail après seulement six ans de carrière, épuisée par un horaire intenable qui l'a poussée à négliger ses besoins fondamentaux, a pu choquer plusieurs personnes. Alors que l'épuisement et la surcharge frappent cette profession, des chiffres révèlent qu'à l'hôpital où elle travaille, 43 % des postes sont vacants. À la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec–FIQ, nous ne sommes pas surprises, car ce phénomène est loin d'être isolé.
La pénurie d'inhalothérapeutes touche plusieurs établissements du RSSS, notamment dans Charlevoix, l'Outaouais et Montréal, où les bris de service sont fréquents. Des plans de contingence, impliquant des équipes en sous-effectif, sont souvent mis en place, fragilisant les équipes et compromettant la qualité des soins. Cette pénurie entraîne parfois l'annulation d'interventions chirurgicales, ce qui déjoue le plan gouvernemental pour réduire les listes d'attente en chirurgie.
La situation est d'autant plus préoccupante qu'environ 3 439 inhalothérapeutes sont actuellement membres de la FIQ, alors que plusieurs ne le sont pas, ce qui laisse croire qu'une partie de la profession travaille dans le secteur privé, notamment en clinique pour le traitement de l'apnée du sommeil.
Depuis plusieurs années, la FIQ dénonce l'aggravation des conditions de travail des inhalothérapeutes, liée à plusieurs facteurs : surcharge constante, épuisement, manque d'avancement, non-reconnaissance du champ de pratique et stress dû aux responsabilités élevées.
Le manque de soutien en début de carrière et un programme collégial d'inhalothérapie dépassé aggravent la situation. La formation collégiale en inhalothérapie reçoit de nombreuses candidatures chaque année, mais le taux d'abandon est élevé en raison de la difficulté du programme et de son inadéquation avec les réalités de la profession.
Les inhalothérapeutes jouent un rôle essentiel, mais méconnu dans les soins critiques, notamment en soins intensifs, aux urgences et dans la prise en charge des maladies respiratoires, accentuées par les changements climatiques. La COVID-19 a mis en lumière leur expertise auprès des patient-e-s sous ventilation mécanique. Au sein des équipes de réanimation, leur travail consiste à évaluer, traiter et surveiller les troubles respiratoires, administrer les traitements, opérer diverses technologies et équipements, réaliser des tests diagnostiques et assister en anesthésie. Leur rôle est vital pour les personnes atteintes de problèmes cardiorespiratoires.
En septembre 2024, la FIQ a déposé un mémoire<https://www.fiqsante.qc.ca/wp-conte...> dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi 67, qui visait la modernisation du système professionnel et l'élargissement de certaines pratiques en santé. Ce projet avait suscité des préoccupations, notamment concernant la réduction des exigences professionnelles, ce qui aurait pu compromettre la qualité des soins.
Dans son mémoire, la FIQ insistait sur la nécessité de maintenir des standards élevés. Pourquoi ? Parce que ce projet de loi, en cas de pandémie liée à un virus cardiorespiratoire, permettrait à une personne sans obligations professionnelles d'accomplir des actes réservés aux inhalothérapeutes. Elle pourrait ainsi évaluer un-e patient-e et ajuster la médication sans la formation ni le cadre requis pour protéger le public. Un non-sens.
Il est grand temps d'investir dans l'inhalothérapie. Une formation adaptée aux défis actuels et des conditions de travail dignes de l'expertise de ces professionnelles sont essentielles pour garantir des soins sécuritaires. Il faut rendre cette profession plus attractive, notamment en reconnaissant pleinement leur champ de pratique. L'équité salariale doit aussi être une priorité. Revoir le programme, revaloriser l'expertise et renforcer le soutien clinique : des gestes concrets pour attirer et retenir ces professionnelles indispensables. Il est temps d'agir avec courage pour préserver et valoriser cette profession essentielle.
Julie Bouchard
Présidente
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Les filles et les garçons de mon âge

Le court-métrage *Les filles et les garçons de mon âge* (19 min) sera présenté à Vues d'Afrique le 4 avril 2025 à 17 h au cinéma du Parc à Montréal.
« Une œuvre au rendu visuel et au contenu brillant qui met en scène avec sensibilité et délicatesse une histoire de passage à l'âge adulte à la consistance onirique. Un court métrage intense et touchant » *(Antonio Falcone dans Lumière et ses frères)
« Un aperçu rêveur comme seul l'amour à douze ans peut l'être » (Emanuela Mocci, Taxi driver)
FESTIVALS
Black film festival Montreal
RIFF Festival del film indipendente di Roma
2 nominations au Youth Oscar Accademy
Vues d'Afrique film festival
BUFF Malmö Film Festival
Festival internacional del cinema de Gibara
*SYNOPSIS*
Le film raconte la dernière fin de semaine que Hector, un Cubain-Canadien de 14 ans, passe à Montréal, dans la coopérative d'habitation où il est né et a grandi. En effet, sa mère, Iulia, âgée d'environ 38-40 ans a épousé en secondes noces Bruno, un Italo-Canadien âgé d'environ 57-60 ans, qui vit lui aussi dans la coopérative. Iulia est veuve depuis longtemps. Bruno et Iulia pensent qu'ils veulent changer leur vie, c'est maintenant. Ils veulent ouvrir une crémerie glacée sur une plage en Californie. Mais Hector a peur de l'inconnu et de quitter son micro-monde. Il a grandi avec les autres enfants de la coopérative. Ils ont fréquenté la même garderie, puis l'école primaire et enfin l'école secondaire. Hector est secrètement amoureux de Noa, une fille québécoise de son âge qui habite elle aussi dans la coop. Avant de partir, il devra trouver le courage d'avouer son amour.
Mais à porter un certain intérêt à Hector il y a Sophia d'origine Jamaïcaine et Samira d'origine algérienne. Le grand voyage coïncide avec un premier baiser et le passage de l'enfance à l'adolescence. Le film est dédié à la mémoire de Pierre Jutras (1945-2023), réalisateur et scénariste, ainsi que directeur historique de la Cinémathèque québécoise.
*NOTES de PRODUCTION et de RÉALISATION*
Le titre est un clin d'œil à la célèbre chanson de Françoise Hardy et à la série de films produits dans les années 1990 par Tv Arte sur le thème de l'adolescence. D'ailleurs, le titre semble suggérer que c'est le protagoniste du film lui-même qui nous racontera un jour ces derniers jours d'été avec ses amis et ses amours (sa génération), avant de leur dire au revoir.
Le film est largement inspiré de mon adolescence.
Le film a été tourné dans la coopérative d'habitation où j'habite à Montréal. Le jeune homme qui joue le rôle d'Hector n'avait aucune formation ni expérience en tant qu'acteur. Tout comme le personnage qu'il incarne n'avait jamais embrassé une fille auparavant, c'est dans le film qu'il aura son premier baiser. C'est lui que j'ai choisi, et non un acteur professionnel, parce que je trouvais que sa timidité, sa réserve, sa voix fluette, son visage même, correspondaient parfaitement à l'état d'esprit et au caractère de son personnage. Les autres jeunes acteurs, en particulier les trois jeunes filles, ont joué dans des films présentés dans des festivals tels que le TIFF et Berlin, ainsi que dans de nombreux feuilletons télévisés.
Outre les subventions et le soutien public des organismes suivants, Conseil des arts du Canada et ONF aide au cinéma indépendant, le film a été soutenu par le mouvement coopératif, syndical, social et italo-canadien canadien, les députées provinciales Ruba Ghazal et Elisabeth Prass, ainsi que par des professeurs universitaires d'histoire du cinéma d'origine italienne, et par des commerçants de quartier ou la communauté italienne de Montréal.
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Giovanni Princigalli
www.herosfragiles.com
http://storytelling.concordia.ca/fr/content/princigalli-giovanni
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Trump et le fascisme historique. Nous devons affronter la réalité !

La nature du trumpisme – et le type de régime que Donald Trump pourrait installer – sont l'objet de nombreux débats. Entre apparence d'une nouveauté radicale et recyclage de théories et principes de l'extrême droite historique, comment peut-on envisager le rapport de Trump au fascisme historique ? Dans cette contribution, John Ganz, journaliste politique états-unien et auteur notamment de When the Clock Broke, développe une critique des contributions qui réfutent l'idée d'héritage fasciste du trumpisme.
Tiré de la revue Contretemps
24 mars 2025
Par John Ganz
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Peu après les élections, j'ai écrit un billet intitulé « Tester la thèse du fascisme », dans lequel je disais que je reviendrais périodiquement sur cette idéeet que je verrais où nous en étions sur cette question. Le terme employé peut sembler anodin. De nombreux critiques ont affirmé que le fait d'appeler ce qui est « fascisme » a échoué politiquement et que nous devrions donc l'abandonner, mais j'ai toujours soutenu que la théorie était utile et même prédictive à certains moments.
L'évolution des mouvements et des régimes fascistes historiques est très instructive pour comprendre la dynamique politique de l'époque. Mais, bien sûr, elle n'épuise pas non plus les possibilités du présent : nous vivons à une époque différente, avec des conditions technologiques, sociales et institutionnelles différentes. Aujourd'hui, je vais aborder quelques contre-arguments et interprétations et tenter d'expliquer pourquoi le cadre du fascisme a un meilleur sens pour le présent que tout ce que ses opposants ont à offrir.
« Trump est faible »
Il s'agit d'une insistance commune des critiques de la thèse du fascisme, comme Corey Robin. Elle repose sur la notion erronée selon laquelle le fascisme représente le pouvoir lui-même, une idée paradoxalement tirée de la propagande fasciste elle-même. On raconte que Trump a très peu de pouvoir sur le Congrès, qu'il n'est pas encore très populaire et que, par conséquent, son bilan sera davantage marqué par des échecs que par des réussites. Ils soulignent la difficulté qu'il a eue à faire passer ses choix ministériels.
En termes de système constitutionnel, oui, Trump est faible et devrait être contrôlé en tant que tel, mais c'est précisément la raison pour laquelle il essaie de plier et de briser le système constitutionnel et de le remplacer par la règle du décret. Il doit s'appuyer fortement sur le pouvoir exécutif. Cela s'inscrit dans la lignée des mouvements fascistes historiques, dont aucun n'a jamais approché le vote populaire que Trump a obtenu, soit dit en passant. Ils ont dû recourir à la force pour compenser l'absence de consentement politique. Leur justification pour prendre des mesures extraordinaires était le processus sclérosé et corrompu de la législation parlementaire, d'où la nécessité d'une « main forte ».
Corey Robin qualifie aujourd'hui Trump 2.0 de présidence « hostile », mais les commentateurs l'ont observé depuis un certain temps et l'ont utilisé pour décrire le succès initial de Trump 1.0 dans l'élaboration d'un programme par le seul biais d'actions exécutives. Dans leur livre de 2020, Trump, the Administrative Presidency, and Federalism, Frank J. Thompson, Kenneth K. Wong et Barry G. Rabe utilisent le terme même de « prise de contrôle hostile » pour décrire la manière dont la première présidence Trump « a poussé l'enveloppe de l'action exécutive à des niveaux sans précédent dans les annales de la présidence administrative ». Ce à quoi nous assistons aujourd'hui n'est que l'intensification de cette utilisation de l'exécutif. Le fait que Trump doive s'appuyer sur l'idée d'un exécutif tout-puissant rend son régime plus dictatorial par nature, et non moins.
Une autre partie de la thèse de la faiblesse est que la coalition de Trump a des divisions et des contradictions significatives. Là encore, les détracteurs de la thèse du fascisme se laissent abuser par la propagande fasciste qui dépeint le parti comme évoluant dans l'unité avec la volonté du leader. Les mouvements fascistes historiques étaient très fracturés, voire incohérents. Le fascisme italien et le nazisme contenaient tous deux une « gauche » populiste qui a été mise sur la touche, voire détruite, dans le but de prendre le pouvoir et de calmer les nerfs d'une bourgeoisie anxieuse.
Dylan Riley, l'un des principaux critiques de la thèse du fascisme, fait lui-même cette analogie dans la préface révisée de The Civic Foundations of Fascism in Europe : « Comme Mussolini et Hitler, Trump est confronté à une fronde sous la direction de Steve Bannon, qui rappelle Farinacci “(1) (Roberto Farinacci était le chef de l'aile ”syndicaliste nationale » pro-ouvrière du parti, dont le pouvoir a décliné à mesure que Mussolini s'est rapproché des intérêts industriels). Ce glissement du « populisme » vers une alliance totale avec les intérêts capitalistes s'inscrit dans la dynamique historique des mouvements fascistes.
« Trump s'appuie toujours sur l'ordre constitutionnel »
Je me demande dans quelle mesure c'est encore le cas. En 2020, Corey Robin a dit cela dans une interview avec Jewish Currents :
« Je trouve ironique que les gens choisissent ce moment, et la présidence de Trump, pour attribuer l'étiquette « fasciste » à la droite, car le fascisme, c'est avant tout une politique de la force et de la volonté. C'est pourquoi les fascistes détestent traditionnellement l'ordre constitutionnel : parce qu'ils pensent qu'il limite l'affirmation de la volonté politique. L'ironie de la politique Trumpiste/GOP est qu'elle est complètement dépendante de l'ordre constitutionnel. À cet égard, c'est presque le contraire du fascisme. »
Le fait est que, tout comme Trump, les fascistes historiques sont arrivés au pouvoir grâce aux institutions existantes d'un système constitutionnel, à la fois au sens juridique et formel – ils ont été invités à former le gouvernement par le chef de l'État – et au sens politique – ils ont gouverné – initialement – en coalition avec d'autres partis. Il est vrai que les fascismes historiques se sont opposés à ce cadre et ont cherché à l'ébranler et à le détruire, mais ils ont également dû coopérer avec des éléments de l'ancien régime, conformément aux limites de leur pouvoir politique.
Les critiques de la thèse du fascisme disent souvent qu'il est absurde de comparer le trumpisme au fascisme puisque nous ne vivions manifestement pas sous un régime fasciste répressif dans Trump 1.0. Très peu de gens ont dit que nous vivions sous un régime fasciste ; ils ont dit que Trump était, dans son essence, un fasciste, ce qui est une distinction conceptuelle différente.
Les critiques cherchent à éluder la différence entre un mouvement fasciste et un régime fasciste afin de tourner en dérision leurs opposants, mais ils ignorent également à quoi ressemblait le fascisme réellement existant. En Italie, Mussolini a gouverné en tandem avec l'ancien système politique de 1922 à 1925, jusqu'à ce que la véritable phase dictatoriale commence à la suite de la crise Matteotti, une débâcle qui menaçait sérieusement son règne. Dans un premier temps, il a tenté d'éviter une confrontation directe entre la dictature et le régime parlementaire, même si les éléments les plus radicaux de son mouvement exigeaient un tournant révolutionnaire. Il doutait alors de disposer d'une force politique suffisante pour imposer un tel changement.
Mussolini a d'abord cherché à consolider son pouvoir tandis que les conservateurs tentaient de normaliser son mouvement et de canaliser ses énergies vers des cadres politiques conventionnels. Ainsi, durant les premières années du fascisme, une répression croissante a cohabité avec des élections compétitives, une presse libre et une sphère publique pluraliste. Les premières années du fascisme ont vu coexister le pouvoir fasciste et l'accélération de la répression avec des élections compétitives, une presse libre et une sphère publique plurielle (Giacomo Matteotti, 1885-1924) a été assassiné pour avoir publié un livre et prononcé des discours au parlement, où il était député socialiste). Et jusqu'à ce qu'une crise force la main de Mussolini, il semblait que la situation s'était stabilisée dans une sorte de régime hybride.
« Trump est un régime hypercapitaliste, pas un régime fasciste »
Certains disent maintenant que ce à quoi nous assistons est une version de l'effondrement de l'Union soviétique, où l'État a été dépouillé de ses ressources par des oligarques. Une variante positive de cet « argument » est présentée dans un tweet par le sénateur républicain Mike Lee de l'Utah : « Nommez un dictateur fasciste dont le programme consistait à limiter la taille, le coût et le pouvoir du gouvernement. »
Dans l'esprit du public, le fascisme est souvent associé à une forte intervention de l'État, à la nationalisation, à l'industrialisation de guerre et à une certaine mimétique du socialisme. Pourtant, le régime de Mussolini a adopté un programme économique « libéral », placé sous la supervision d'Alberto de' Stefani (1879-1969). De Stefani était favorable aux réductions d'impôts, aux réductions et réformes bureaucratiques et aux privatisations à grande échelle. Comme l'écrit l'historien Germà Bel :
« Le gouvernement a privatisé le monopole d'État sur la vente d'allumettes, supprimé le monopole public de l'assurance-vie, vendu la plupart des réseaux et services téléphoniques étatiques à des entreprises privées, reprivatisé le plus grand producteur de machines métalliques et accordé des concessions à des entreprises privées pour la construction et l'exploitation d'autoroutes. Ces interventions constituent l'un des premiers et des plus décisifs épisodes de privatisation du monde occidental. » (2)
De' Stefani a également poursuivi une politique de rigueur et atteint l'équilibre budgétaire. À contre-courant de la tendance à la nationalisation des années 1930, les nazis ont aussi mené, dans un premier temps, une politique de privatisation motivée par des considérations politiques. (3)
Mussolini n'a pas laissé transparaître ses racines socialistes lorsqu'il s'est adressé pour la première fois au parlement en juin 1921 :
« D'autre part, pour sauver l'État, il faudra procéder à une opération chirurgicale. Hier, l'honorable Paolo Orano(1875-1945) a dit que l'État est semblable au géant Briarée, qui possède cent bras. Je pense qu'il faut en amputer quatre-vingt-quinze. Je pense qu'il faut réduire l'État à son expression purement juridique et politique. […] L'État nous fournira une police, protégera le gentilhomme des criminels, assurera une justice bien organisée, une armée prête à toute éventualité et une politique étrangère alignée sur les intérêts nationaux. Pour le reste, et je n'exclus pas même les écoles secondaires, il faut s'en remettre aux initiatives individuelles. Si l'on veut sauver l'État, il faut abolir l'État collectiviste, qui n'a été qu'un produit de la guerre, et revenir à l'État manchesterien. »
Puis, en janvier 1921, il écrivait encore :
« En résumé, la position du fascisme en ce qui concerne l'État est la suivante : la lutte contre l'État économique monopolistique est indispensable au développement des forces de la nation. Il faut revenir à l'État politico-judiciaire, car ce sont là ses véritables fonctions. En d'autres termes, il faut renforcer l'État politique et démanteler progressivement l'État économique ». (4)
Ce n'est qu'avec la Grande Dépression que le régime fasciste commence à expérimenter le corporatisme, qui finit par favoriser l'industrie plutôt que le travail.
Comme l'a écrit Adam Tooze, les économistes libéraux ont observé le gouvernement fasciste avec beaucoup de sympathie et d'intérêt, voyant en lui un rempart potentiel contre un ordre capitaliste mondial en déclin. En 1927 encore, l'économiste autrichien Ludwig von Mises (1881-1973) pouvait écrire :
« On ne peut nier que le fascisme et les mouvements similaires visant à établir des dictatures sont animés des meilleures intentions et que leur intervention a, pour l'instant, sauvé la civilisation européenne. Le mérite que le fascisme s'est ainsi attribué restera éternellement dans l'histoire ».
A l'heure où j'écris ces lignes, les disciples du disciple de Von Mises, via son héritier intellectuel Murray Rothbard (1926-1995) se déchaînent au sein du gouvernement fédéral.
Techniquement, un coup d'État
Le trumpisme, après une tentative putschiste avortée, a évolué vers une stratégie d'accaparement légal du pouvoir, une dynamique qui, une fois encore, échappe aux critiques refusant d'admettre toute analogie avec le fascisme.
L'actuelle mainmise sur le système de paiement du Département du Trésor rappelle les observations du journaliste fasciste, Curzio Malaparte (1898-1957), dans son ouvrage, Technique du coup d'État(1931). Il y analyse comment les coups d'État modernes les plus efficaces ne reposent pas sur des assauts frontaux contre les institutions de l'État, ni sur de spectaculaires soulèvements militaires, mais plutôt sur la prise de contrôle des “centres nerveux” techniques du pouvoir :
« … le problème du coup d'État moderne est un problème technique…Ce ne sont pas les masses qui font la révolution, mais une simple poignée d'hommes, préparés à toute éventualité, bien entraînés aux tactiques de l'insurrection, formés pour frapper durement et rapidement les organes vitaux des services techniques de l'État. Ces troupes de choc devraient être recrutées parmi les ouvriers spécialisés : mécaniciens, électriciens, opérateurs télégraphiques et radio agissant sous les ordres d'ingénieurs techniques qui comprennent le fonctionnement technique de l'État. »
Je doute que la petite escouade de Musk puisse réellement être assimilée à une force de choc de ce type. Toutefois, elle cherche indéniablement à s'emparer des centres névralgiques du pouvoir. C'est comme si le mouvement trumpiste avait tiré des leçons de ses échecs passés et choisi d'adopter une stratégie différente.
La question de l'idéologie
Les critiques de la thèse du fascisme insistent sur la continuité totale du Parti républicain (GOP) avec son histoire et ignorent un fait pourtant bien documenté : la propagation croissante d'une pensée autoritaire et illibérale à tous les niveaux de la droite contemporaine. Les penseurs de cette nouvelle droite n'hésitent plus à citer ouvertement Carl Schmitt (1888-1985) ou à évoquer la nécessité d'un « césarisme », mais ces évolutions sont soit passées sous silence, soit minimisées par les détracteurs de la thèse fasciste. Certains critiques ont même reconnu que l'idéologie de Trump présentait des accents fascistes, avant de rejeter cette idée comme une simple exagération ou du sensationnalisme.
Ainsi, en 2017, Corey Robin écrivait :
« Le cri de douleur prolongé de Trump semble contenir au moins certains des éléments du « nationalisme passionné » que l'historien Robert Paxton (1932) décrit comme l'essence du fascisme : un sentiment de déshonneur et de honte profonds, qui se manifeste à travers les océans et les continents ; le coup de poignard dans le dos des élites cosmopolites (Obama est « l'économiste du monde » qui commet une « trahison économique ») ; un désir ardent de réenchantement de l'État ; une aspiration à la restauration nationale et à la domination mondiale. »
D'accord, donc.
La question de la violence
Dans un article publié sur son blog , le 09 mars 2025, Corey Robin affirme que la question de la violence politique est aujourd'hui mal posée, car d'autres formes de coercition et d'intimidation ont pris le relais :
« Quelle a été la source la plus persistante et la plus répandue de cette peur et de cette intimidation, non pas pour des groupes politiques isolés, mais pour la grande majorité de la société ? Le pouvoir sur l'emploi. « Dans le cours général de la nature humaine, » écrivait Alexander Hamilton (1757-1804), “le pouvoir sur la subsistance d'un homme équivaut à un pouvoir sur sa volonté”. »
Ce schéma est déjà à l'œuvre : des menaces de licenciements massifs brandies par Trump, le retrait de fonds fédéraux en guise de représailles politiques, ou encore la soumission d'institutions du secteur non lucratif qui coopèrent avec ses exigences de peur de devoir licencier des personnes si elles ne le font pas. Sur la base de mon propre travail, je n'aurais jamais dû être surpris, bien que je l'admette, que ce ne soient pas les Proud Boys sillonnant les rues ni Trump jetant des gens en prison qui aient généré une vague de peur et d'intimidation, semblable à un tsunami, dans ce pays politiquement apaisé.
C'est pourtant ce modèle – la violence exercée d'en bas et d'en haut – que nous avons débattu en vain pendant huit ans. Finalement, la fin s'est avérée être ce qu'elle était au début : une société dominée par la peur, à l'américaine, où des millions de personnes craignent d'être punies par la perte de leur emploi si elles osent s'exprimer. Telle est aujourd'hui la règle du jeu. »
Ce n'était pas l'essence même de l'argument, mais sa version telle que formulée par Robin. L'apparition des Proud Boys et d'autres groupes paramilitaires, ainsi que leur participation à l'attaque du 6 janvier 2021, étaient symptomatiques de la nature autoritaire, voire fasciste du mouvement. Un symptôme que les critiques ont une fois encore choisi de minimiser ou d'ignorer.
En Allemagne comme en Italie, le squadrisme n'a constitué l'unique ou même le principal mode de coercition et de gouvernance des régimes fascistes. Encore une fois, l'idée que les chemises brunes ou les chemises noires se soient frayé un chemin jusqu'au pouvoir par la seule violence de rue relève davantage de la propagande fasciste que d'un fait historique. En réalité, l'élite conservatrice a coopéré avec les fascistes.
Le niveau de violence politique aux États-Unis n'atteint pas celui de l'Italie de l'entre-deux-guerres ou de l'Allemagne de Weimar, mais c'est parce que nous ne vivons ni dans ce contexte historique, ni sous ces conditions sociales. À leur époque, internet n'existait pas.
Robin ne reconnaît-il pas que Benito Mussolini lui-même a rendu l'emploi de ses opposants quasi impossible ? Il est évident que l'on n'a pas besoin de milices dans la rue lorsque l'appareil d'État lui-même devient l'outil de répression. La menace sur l'emploi est une technique éprouvée des dictatures à travers l'histoire. L'attaque contre la société civile orchestrée par des oligarques alliés au régime, via des pressions économiques et juridiques, est une caractéristique centrale des régimes autoritaires modernes. C'est le cas, par exemple, de la Hongrie de Viktor Orbán, qui constitue un modèle explicite pour les partisans intellectuels de Trump. Pourtant, ce parallèle n'a jamais été sérieusement pris en compte par les critiques de la “tyrannophobie”.
« L'absence d'expansionnisme à l'étranger »
Les détracteurs de la thèse du fascisme ont longtemps soutenu que Trump ne pouvait pas être fasciste car il n'était pas expansionniste et non interventionniste.
Regardons où nous en sommes aujourd'hui.
« L'absence de menace révolutionnaire »
Autre argument : le fascisme ne peut exister sans une menace révolutionnaire forte, qui pousse les élites conservatrices à embrasser des mouvements d'extrême droite par peur d'un soulèvement de gauche. Mais cet argument fait abstraction de la façon dont la droite perçoit les États-Unis contemporains.
Dans l'imaginaire de la droite américaine, le pays est déjà sous l'emprise d'une menace totalitaire d'extrême gauche. Selon cette vision, l'ennemi est représenté par les “marxistes culturels”, le wokisme, ou encore la “tyrannie progressiste” des élites universitaires et des médias.
Les manifestations au moment du meurtre de George Floyd, qui ont pris une ampleur nationale, ont été perçues comme un soulèvement révolutionnaire. De la même manière, les restrictions sanitaires liées à la Covid ont radicalisé une partie de la droite en lui donnant une vision paranoïaque d'un contrôle bureaucratique et sanitaire autoritaire.
Enfin, la campagne actuelle visant à démanteler la “DEI” (Diversity, Equity, and Inclusion) ne doit pas être vue uniquement comme un simple débat sur les politiques d'inclusion : elle s'inscrit dans une dynamique réactionnaire beaucoup plus large.
Si l'on s'en tient aux critères stricts de la gauche, il n'y a pas eu de situation révolutionnaire en 2020. Mais selon les critères et les peurs de la droite, il y a eu une crise majeure, avec un mouvement social inédit et une pression idéologique perçue comme étouffante. Cela peut sembler être une réaction excessive. Mais toutes les vagues réactionnaires le sont.
Et maintenant ?
Reconnaître ces faits ne signifie ni que Trump est invincible, ni que toute contestation politique est terminée. Bien au contraire. L'idée que « fascisme = force » n'est qu'un élément de propagande, involontairement relayé par les détracteurs de la thèse du fascisme.
Rien de tout cela ne signifie que Trump réussira nécessairement dans sa quête de pouvoir. Beaucoup soulignent à juste titre l'existence de sérieux obstacles structurels à la consolidation du pouvoir aux États-Unis. De plus, la politique, comme la vie, est souvent marquée par une part de contingence.
Je ne pense pas non plus que Trump soit une copie conforme de Mussolini ou d'Hitler, ni que son régime leur ressemblera en tous points. Il ne s'agit pas d'une instanciation aussi virulente. Pourtant, la comparaison mérite bien plus d'attention que ne veulent l'admettre certains intellectuels, aussi brillants et cultivés soient-ils, qui la rejettent d'un revers de main. Aux détracteurs de la thèse du fascisme, je citerai Oliver Cromwell : “Je vous en conjure… pensez qu'il est possible que vous vous trompiez.”
Notes
1. Dylan Riley, The Civic Foundations of Fascism in Europe, p. 35.
2. Bel, Germà. “The First Privatisation : Selling SOEs and Privatising Public Monopolies in Fascist Italy (1922–1925)” Cambridge Journal of Economics, vol. 35, no. 5, 2011, pp. 937–56.
3. Bel, Germà. “Against the Mainstream : Nazi Privatization in 1930s Germany” The Economic History Review, vol. 63, no. 1, 2010, pp. 34–55.
4. Zeev Sternhell, Naissance de l'idéologie fasciste, p. 228.
*
Publié initialement sur le site Unpopularfront. Traduit de l'anglais par Christian Dubucq pour Contretemps.
*
John Ganz est un écrivain et journaliste politique basé à Brooklyn. Il est l'auteur de la newsletter Unpopular Front surSubstack. Ses articles ont été publiés dans des médias tels que The Washington Post, The Guardian, The New Statesman et Artforum. En 2024, il a publié When the Clock Broke : Con Men, Conspiracists, and How America Cracked Up in the Early 1990s, un livre qui explore les turbulences politiques et sociales des années 1990 aux États-Unis. Il a également occupé le poste de rédacteur en chef exécutif chez Genius.com.
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La lutte internationale contre l’extrême droite

La caractéristique déterminante de la politique de masse dans la période actuelle est la croissance stupéfiante et terrifiante de l'extrême droite internationale. Puisque la stratégie socialiste doit s'adapter au caractère de la politique de masse dans la période où elle opère, il s'ensuit que pendant cette période, les socialistes doivent se construire internationalement autour d'une lutte contre la montée de ce monstre.
https://vientosur.info/la-tarea-del-periodo/
22 mars 2025
Dans cet article, j'étayerai l'affirmation selon laquelle la montée de l'extrême droite est la caractéristique déterminante de la période actuelle. Je tenterai ensuite d'articuler une stratégie internationale de lutte contre cette montée et de souligner son rôle stratégiquement indispensable pour les socialistes dans la période actuelle.
Le nouvel autoritarisme et la polycrise
La seconde élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis a marqué un moment de transition, où le nouvel autoritarisme en pleine ascension a pris une forme plus claire. Cependant, cette tempête prenait lentement forme depuis près de trois décennies, semblant à certains égards un reflet grotesque du rajeunissement que la gauche anticapitaliste a connu au cours de cette même période, depuis que le cycle actuel de la politique post-soviétique a commencé à prendre forme autour du mouvement antimondialisation de la fin des années 1990. En effet, comme l'a illustré Miguel Urbán, l'affirmation de la souveraineté culturelle nationale face à la mondialisation américanisante était au cœur de l'idéologie et des activités de l'extrême droite à cette époque. La nouvelle gauche de cette période et l'extrême droite insurrectionnelle émergent toutes deux de la même source : la crise du système capitaliste qui progresse lentement.
Le nouvel autoritarisme est une tendance inégale qui va dans le sens d'un divorce entre le capitalisme et la démocratie libérale. Il évolue dans cette direction sous la pression de ce qu'Adam Tooze a appelé la « polycrise », la coexistence de crises multiples et superposées (environnementales, économiques ou biologiques) qui convergent pour créer une crise totale du système. Le nouvel autoritarisme n'est pas une idéologie cohérente et uniforme dans tous les pays, mais une tendance générale qui évolue de manière inégale dans le sens du divorce susmentionné, avec quelques caractéristiques vaguement partagées.
Ce nouvel autoritarisme englobe l'aile Trumpiste du parti républicain, aujourd'hui dominante, Fratelli d'Italia en Italie, VOX en Espagne, le Rassemblement national en France, le Fidesz en Hongrie, Alternative pour l'Allemagne (AfD) et Reform en Grande-Bretagne. Elle comprendrait également des mouvements de combat de rue tels que les Proud Boys, le mouvement international Active Clubs, et même la violence spontanée d'extrême droite à laquelle nous avons assisté au cours de l'été 2024 au Royaume-Uni.
Il est utile d'esquisser quelques-unes des principales caractéristiques du nouvel autoritarisme en utilisant une comparaison avec le fascisme traditionnel comme caisse de résonance pour faire ressortir son caractère distinctif :
1. Le nouvel autoritarisme et le fascisme traditionnel ont tous deux leurs racines dans les classes moyennes, la petite bourgeoisie (petits commerçants, propriétaires, professions libérales, cadres), qui éprouvent des souffrances très réelles en raison de la crise du système, mais qui n'ont pas l'intérêt matériel de développer les outils analytiques nécessaires pour la problématiser de manière adéquate. Le capitalisme leur a procuré certains avantages que la crise a mis en péril. En même temps, ils veulent défendre le capitalisme et trouver une solution à la crise, une contradiction qui les pousse vers la pensée conspirationniste pour expliquer pourquoi le capitalisme ne fonctionne pas pour eux comme il le devrait. Le résultat est qu'ils se méfient à la fois de ceux qui sont au sommet et de ceux qui sont à la base : les grands capitalistes qui les écrasent dans la crise, et les immigré-es et les peuples opprimés qui sont facilement désignés comme boucs émissaires. Incapable de concevoir une crise interne au système, cette classe cherche des causes qui se situent essentiellement en dehors de son fonctionnement normal.
2. Ces deux mouvements sont des tentatives du système de réorienter le mécontentement qu'il génère au sein de cette classe comme moyen de se défendre ou de se sauver. Dans le fascisme traditionnel, la douleur de la Première Guerre mondiale et de la crise économique qui s'en est suivie a été canalisée dans la recherche de boucs émissaires juifs et socialistes qui avaient « poignardé la nation dans le dos » lorsque le front intérieur s'est effondré et que les gains de la classe ouvrière ont menacé le bon fonctionnement du capitalisme. Le fascisme est l'outil qui permet de faire reculer la menace que la classe ouvrière fait peser sur le capitalisme. Dans le contexte du nouvel autoritarisme, la douleur ressentie à la suite de l'effondrement de 2008, de ses conséquences et de la faible reprise a été redirigée contre les personnes migrantes, les minorités raciales, sexuelles et de genre et la gauche, et transformée en une histoire de faibles volontés et d'intentions néfastes d'une cabale démoniaque d'élites pédophiles, le tout aboutissant à un déclin national. Dans les deux cas, la classe moyenne est utilisée pour préserver le système en canalisant le mécontentement qu'il a généré.
3. Alors que le fascisme traditionnel prônait ouvertement l'abolition totale de la démocratie, le nouvel autoritarisme respecte au moins ses formes. À tout le moins, il n'a pas d'autre choix que d'opérer au sein de ses structures pour le moment, même s'il fait de son mieux pour les miner de l'intérieur. Pourtant, la tendance générale, comme le montre clairement le contraste entre le premier et le deuxième mandat de Trump, est d'ouvrir de plus en plus d'espace pour le démantèlement des institutions démocratiques.
4. Le manque d'uniformité idéologique au sein du nouvel autoritarisme met en lumière une autre de ses caractéristiques clés : alors que le mouvement dans son ensemble ne peut pas être qualifié de fasciste avoué, les fascistes auto-identifiés jouent un rôle central parmi ses cadres, dont beaucoup ont des racines dans les organisations fascistes plus traditionnelles du passé. Cela signifie que dans de nombreux partis et organisations des nouveaux autoritaires, il existe des forces engagées dans l'approfondissement de la politique de l'organisation dans une direction plus radicale et plus violente. L'étrangeté de la période actuelle se traduit par des circonstances apparemment contradictoires, où quelqu'un qui a presque certainement encore des sympathies ouvertement fascistes, comme Giorgia Meloni en Italie, siège à la tête d'un État bourgeois au nom de la nouvelle idéologie autoritaire.
5. L'inhomogénéité idéologique du nouvel autoritarisme met en évidence une autre caractéristique essentielle : son caractère historique ouvert. Ce serait une erreur de considérer l'extrême droite contemporaine comme statique, avec un caractère défini et évoluant vers une fin définie. Le processus de développement du nouvel autoritarisme dépendra d'un certain nombre de facteurs, tels que le rythme de l'aggravation des crises économiques et environnementales, l'acuité de la lutte des classes et la capacité de la gauche révolutionnaire à proposer une alternative.
6. Le nouvel autoritarisme se distingue également du fascisme classique par la scission institutionnelle entre les mouvements parlementaires et les mouvements de lutte dans la rue. L'exception notable est le BJP du Premier ministre indien Narenda Modi, qui possède une aile explicite de lutte dans la rue, le Rashtriya Swayamsevak Sangh. Cependant, ce fascisme de rue interagit avec l'hétérogénéité et le caractère ouvert du nouvel autoritarisme, car il n'y a pas d'étanchéité entre les activités des organisations parlementaires et les combats de rue, ni entre les groupes parlementaires et la violence de rue « spontanée » de la droite. Les activités des uns ont des répercussions sur les activités des autres.
Le pogrom raciste qui s'est déroulé au Royaume-Uni au cours de l'été 2024, où des années de rhétorique anti-immigration de la part de l'extrême droite et des partis traditionnels ont soudainement débouché sur des violences de rue massives, est un exemple qui a bien mis le phénomène en évidence. Aux États-Unis, si le trumpisme n'a pas de liens formels explicites avec un mouvement de combat de rue, il peut s'appuyer sur une histoire de violence d'autodéfense d'extrême droite extra-étatique qui va du KKK au mouvement des milices en passant par des groupes comme les Proud Boys et les Oathkeepers. La façon dont ces forces peuvent être utilisées à des fins anti-démocratiques violentes a été mise en évidence par le « coup d'État du 6 janvier 2021 » et le pardon massif accordé à ceux qui ont participé à cette tentative de coup d'État peu convaincante. Alors que Trump s'appuie actuellement principalement sur le pouvoir de l'exécutif pour démanteler autant d'aspects démocratiques de l'État bourgeois qu'il le peut, il est probable que cela crée une résistance à un moment donné, et il garde ces forces en réserve pour entrer en action si la violence extra-étatique devient nécessaire. L'expansion internationale des clubs actifs d'extrême droite, qui associent l'exercice physique à la suprématie de la race blanche, est une preuve supplémentaire de la tendance croissante à la violence de rue. L'avenir de la relation entre la violence de rue de l'extrême droite et les institutions parlementaires reste incertain, mais ce qui est clair, c'est que nous assistons à une recrudescence de cette violence dans le monde entier et qu'il existe un lien évident entre cette violence et la rhétorique et les activités de l'aile électorale du mouvement. Étant donné le caractère ouvert de l'extrême droite contemporaine, elle pourrait bien évoluer vers l'unification formelle de ces deux camps. Nous voyons des preuves de ce potentiel dans Fratelli d'Italia et Alternative pour l'Allemagne (AfD) en Allemagne, qui encouragent discrètement les forces de combat de rue par le biais de leurs organisations de jeunesse.
L'extrême droite définit la période
La politique mondiale continue d'exister dans l'ombre de la crise de 2008. Cette crise a été le tournant qui a définitivement brisé l'hégémonie que la classe capitaliste avait construite autour du néolibéralisme, créant un vide dans lequel de nouvelles voix, de gauche comme de droite, ont pu se faire entendre.
Comme presque toujours, ce mécontentement s'est d'abord exprimé spontanément dans des mouvements tels que le Printemps arabe, Occupy aux États-Unis et le 15M en Espagne. Ces mouvements ont exigé des changements fondamentaux dans le fonctionnement du système, exprimant un anticapitalisme spontané. Ces mouvements étaient également les héritiers des philosophies d'organisation inspirées par les anarchistes de l'après-guerre froide. Ils privilégiaient l'horizontalité sur l'efficacité, et leur rejet de la politique créait un vide qui demandait à être comblé.
Ce vide a été comblé par une nouvelle social-démocratie radicale résurgente sous la forme de groupes tels que Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne, Momentum au Royaume-Uni et, aux États-Unis, l'insurrection social-démocrate au sein du Parti démocrate incarnée par la figure de Bernie Sanders. Alors que les socialistes étaient obligés de travailler aux côtés et même au sein de ces organisations pour s'engager dans la radicalisation, tout révolutionnaire lucide pouvait prédire la trajectoire de ces organisations à l'avance. En poursuivant une stratégie de socialisme par le haut, elles se sont isolées de la seule source capable de défier matériellement le système, la classe ouvrière consciente d'elle-même, et ont été disciplinées par le capital dans une lente et pathétique marche à reculons vers la rupture de leurs engagements libératoires et l'intégration au statu quo bourgeois.
Cela ne veut pas dire que l'extrême droite a stagné pendant cette période, mais elle n'a pas joué un rôle central dans la détermination du caractère de la période, dans la mesure où elle a décidé de la stratégie des révolutionnaires. En 2010, les Démocrates de Suède ont remporté 20 sièges au parlement et en Hongrie, Viktor Orbán est devenu chef du gouvernement. L'Aube dorée est entrée au parlement grec en 2012, et l'UKIP a remporté 27,5 % des voix lors des élections européennes de 2014, tandis que le Front national est devenu la plus grande section française de ce même organe. Le parti polonais Droit et Justice a remporté à la fois la présidence et le parlement en 2015, et l'English Defence League est descendue dans les rues du Royaume-Uni. Malgré ces gains de l'extrême droite, la période a été définie par une social-démocratie rajeunie et jeune qui a fait quelques progrès face à un courant bourgeois dominant qui tente de maintenir son hégémonie de plus en plus instable.
L'élection d'Orbán en 2010 a été un moment important dans la montée du nouvel autoritarisme. Avant son élection, M. Orbán avait engagé des avocats privés pour élaborer un plan visant à détruire rapidement la démocratie hongroise en démantelant le système d'équilibre des pouvoirs qui empêchait le pouvoir de rester en permanence entre les mains d'une seule faction. En fait, Orbán écrivait le manuel de ce que les nouveaux autoritaires devraient faire lorsqu'ils prennent les rênes d'un État bourgeois. En effet, il existe un lien direct entre Orbán et le Projet 2025, le document de 900 pages de la Fondation Heritage d'extrême droite qui informe les politiques de guerre éclair de l'actuelle Maison Blanche de Trump. Ce document décrit un plan pour une présidence étatsunienne d'extrême droite visant à attaquer l'« État profond », à démanteler l'appareil d'État et à le remplacer, le cas échéant, par des loyalistes d'extrême droite. Simultanément, le plan appelait à renforcer l'intervention de l'État sur des questions sociales telles que l'avortement et les droits des personnes transgenres, à démanteler la démocratie et à évoluer vers quelque chose que l'on pourrait plus ou moins qualifier d'État national-chrétien. Ce document a été rédigé sur les conseils de l'Institut du Danube, le groupe de réflexion anglophone d'Orbán, qui a établi une collaboration formelle avec la Heritage Foundation pour sa production.
La seconde moitié de la dernière décennie a été marquée par l'auto-immolation des nouveaux mouvements sociaux-démocrates, soit en prenant le pouvoir à l'État bourgeois et en revenant sur leur parole (comme Syriza), soit en entrant dans des coalitions gouvernementales bourgeoises (comme Podemos) et en trahissant leurs principes, soit en s'appuyant sur une conception tellement appauvrie de l'électoralisme qu'ils ont inévitablement vidé leur base de sa substance (comme le DSA). L'extrême droite a commencé à revendiquer plus d'importance au cours de cette période, avec le passage du Brexit, la première élection de Trump en 2016 et l'entrée de l'AfD au parlement fédéral allemand pour la première fois en 2017, obtenant 94 sièges et devenant le troisième plus grand parti du pays. Au centre de cette croissance, la guerre civile syrienne et la légère augmentation de la migration qui en a résulté, dont la droite s'est emparée pour créer un bouc émissaire utile. Cette période a également vu la croissance des mouvements d'extrême droite dans les rues, des 3 Percenters, Oath Keepers et Proud Boys aux États-Unis, à Generation Identity, Reichsbürger et Patriotic Europeans Against the Islamisation of the West en Europe.
La fin de la décennie a été témoin d'énormes explosions sociales dans le monde entier. L'année 2019 a été marquée par des révoltes en Algérie, en Bolivie, au Chili, au Liban, au Soudan, en France, en Équateur, en Égypte, à Hong Kong, etc. Sans perspective socialiste révolutionnaire ni organisation lui permettant de devenir une arme sociale puissante, ces mouvements se sont arrêtés avant la révolution politique ou , le plus souvent, se sont effondrés sur eux-mêmes. Cependant, ces mouvements témoignent de l'énergie que de larges pans des classes populaires touchées par la crise ont encore en réserve.
La pandémie a tout changé. L'hégémonie de la classe dirigeante, déjà vacillante, a subi de plein fouet la pandémie et les conséquences économiques qui en ont découlé. La gauche a été la première à occuper le devant de la scène, avec un mouvement mondial pour la vie des Noir-es déclenché par le meurtre brutal de George Floyd par la police de Minneapolis, à la fin du mois de mai 2020. Des dizaines de millions de personnes de toutes origines sont descendues dans la rue aux États-Unis, d'abord en se livrant à des émeutes, en brûlant des postes de police et des voitures en signe de colère, puis en se transformant en un mouvement de protestation soutenu qui a duré des mois. Mais en l'absence d'organisation pour canaliser cette énergie et en raison de la réticence de la plus grande organisation de gauche de l'époque, la DSA, qui préférait se concentrer sur les élections de 2020 plutôt que de s'engager de manière significative dans la lutte populaire, ces mouvements ont peu à peu perdu de leur importance, cédant la place au centre. En s'attaquant au mouvement, le centre a tenté de retrouver sa stabilité en utilisant des arguments qui donnaient raison à la droite, en disant que le mouvement entraînait le chaos et la criminalité dans son sillage. La loi et l'ordre contre le crime et l'immigration sont devenus le cri de ralliement du centre et de l'extrême droite, et la gauche n'avait pas les moyens organisationnels de lancer une contre-attaque. Les mouvements qui ont suivi le soulèvement du Hamas à Gaza le 7 octobre 2023 n'ont fait que renforcer cette tendance, les centristes et l'extrême droite s'unissant pour défendre l'État sioniste contre les mouvements pour la justice en Palestine.
Au lendemain de la pandémie, et après plus d'une décennie de crise économique, la pensée conspirationniste a explosé, des théories QAnon pleines de tropes antisémites sur les « mondialistes » qui complotent pour détruire la civilisation occidentale de l'intérieur, au scepticisme anti-vaccin et à la théorie du « Grand Remplacement », selon laquelle les élites (souvent à dominante juive) ont conspiré pour détruire les populations blanches autochtones de l'Occident par l'immigration de masse. Avec une gauche radicale trop faible pour intervenir et un centre qui ne propose rien en dehors de la norme néolibérale qui a échoué, l'extrême droite a pu s'insérer dans la structure fissurée de l'hégémonie bourgeoise et se tailler une place en apparaissant comme une alternative au système en crise.
Nous nous trouvons donc dans une situation où l'hégémonie bourgeoise échoue et où la droite propose une vision alternative de l'ordre mondial. En 2022, le Rassemblement national de Le Pen, rebaptisé, a remporté 41,5 % des voix au second tour, et les Démocrates de Suède sont devenus le deuxième parti au Riksdag, tandis que les Fratelli d'Italia, aux racines fascistes, ont mené une coalition de droite à la victoire en octobre. En 2024, le Parti de la liberté autrichien a remporté les élections générales et les partis d'extrême droite ont fait d'énormes progrès aux élections du Parlement européen, sept États de l'UE, la Croatie, la République tchèque, la Finlande, la Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas et la Slovaquie, ayant tous des partis d'extrême droite au sein de leur gouvernement. Le succès du Rassemblement national aux élections européennes a incité le président français Emmanuel Macron à dissoudre l'Assemblée nationale et à convoquer des élections anticipées, au cours desquelles le Nouveau Front populaire de gauche a remporté 142 sièges face au Rassemblement national. Ces élections anticipées ont conduit à une situation de profonde incertitude en France, sans point d'atterrissage évident. Au Royaume-Uni, des pogroms anti-immigrés d'extrême droite ont balayé le pays à la fin du mois de juillet et au début du mois d'août. Aujourd'hui, en 2025, les élections fédérales allemandes du 23 février ont placé l'AfD en deuxième position avec 20 % des voix, et Reform in Britain a augmenté le nombre de ses membres cotisants à 170 000, avec des chiffres en hausse dans les sondages, dépassant même la popularité des travaillistes.
La nouvelle gauche qui a émergé après 2008 a connu un déclin significatif dans la période post-pandémique. Podemos est devenu une coquille vide, et Die Linke a vu sa représentation se réduire à seulement quatre sièges après les élections européennes de 2024. Le NPA (Nouveau parti anticapitaliste) s'est scindé en 2021, soulignant l'erreur historique de la dissolution de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire). Après avoir tourné autour de la vieille politique de Michael Harrington de « l'aile gauche du possible », l'ASD est entrée dans un effondrement des effectifs dont elle ne se remettra probablement jamais.
Bien que Die Linke, s'appuyant sur sa position de principe en faveur des immigré-es, ait augmenté sa marge à près de 9 % lors des récentes élections, il n'est pas certain que ce succès et l'afflux de jeunes membres puissent ébranler les structures réformistes qui s'étaient ossifiées. Bien qu'il puisse s'agir d'un endroit stratégiquement important pour les socialistes, si les membres ne sont pas capables de rompre avec les tendances réformistes et institutionnelles qui ont guidé l'organisation, ce succès pourrait bien s'avérer éphémère.
Il convient de préciser ici que les dynamiques de la période n'excluent nullement des restaurations temporaires de l'hégémonie bourgeoise, ni de brefs moments où le vent soufflerait à nouveau dans les voiles des mouvements réformistes. Il est tout à fait possible d'imaginer que les excès de Trump aboutissent à la restauration du Parti démocrate en 2028, par exemple. Cependant, comme il n'y a pas de solution à la polycrise dans le cadre du capitalisme, la dynamique générale sera à la montée en puissance de l'extrême droite. Les restaurations temporaires et les renouveaux réformistes ne modifieront pas le caractère fondamental et la trajectoire de la période.
En 2024, l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis pour la deuxième fois a été la plus importante, car elle a représenté une sorte de tournant dans la montée de la nouvelle extrême droite. M. Trump est arrivé au pouvoir avec un programme anti-establishment, promettant de donner la priorité aux États-Unis afin de ressusciter le rêve américain moribond. Les actions qu'il a menées depuis son entrée en fonction confirment que son second mandat est véritablement motivé par le projet 2025, avec un assaut rapide contre les institutions démocratiques et les membres les plus marginalisés de la société étatsunienne.
Trump et son équipe poursuivent l'élaboration du manuel de jeu sur la manière dont les nouveaux autoritaires doivent opérer lorsqu'ils arrivent au pouvoir à la tête d'un État démocratique bourgeois. Ils ouvrent une nouvelle période dans laquelle le caractère du nouvel autoritarisme est devenu plus clair et dans laquelle l'extrême droite jouera un rôle central, tandis que la gauche n'est pas seulement à l'arrière-garde, mais se retrouve souvent sans tête ni pieds.
La lutte internationale contre l'extrême droite doit définir l'actuelle période de la gauche
Si l'engagement avec les nouvelles forces de gauche a défini le cycle politique précédent pour les socialistes révolutionnaires, la lutte contre les nouveaux autoritaires doit définir celui d'aujourd'hui.
Les socialistes révolutionnaires doivent contempler sobrement la réalité : la période de travail au sein des organisations sociales-démocrates de masse est révolue. Nous sommes dans une période où la conscience de classe a augmenté de manière significative par rapport à l'ère pré-2008, mais où l'effondrement de la foi dans les institutions démocratiques a largement dépassé cette croissance. Dans cette période, l'extrême droite profite de cet effondrement de la foi pour promouvoir une vision alternative du monde, et l'activité de la gauche s'est déplacée de l'arène électorale vers des mouvements sociaux de base disparates.
Que doivent faire les révolutionnaires dans cette situation ? Bien que ni l'analyse du nouvel autoritarisme ni la stratégie que nous développons pour le combattre ne soient identiques à celles de la période du fascisme classique, l'analyse et les stratégies que les révolutionnaires ont développées dans le passé pour lutter contre l'extrême droite peuvent également nous aider à déterminer comment nous pouvons nous organiser aujourd'hui pour repousser ce nouveau monstre.
Bien que sa forme exacte doive sans aucun doute être modifiée pour la période actuelle, la stratégie du front unique reste l'outil clé dont disposent les révolutionnaires aujourd'hui pour lutter contre la montée de l'extrême droite.
La stratégie du front unique a été initialement développée lorsque la vague révolutionnaire qui a secoué le monde après la Première Guerre mondiale a commencé à reculer dans une restauration capitaliste instable vers 1921. Lors de ses troisième et quatrième congrès, en 1921 et 1922, l'Internationale communiste, alors façonnée par la pensée de Lénine et de Trotsky, a présenté cette stratégie comme un moyen de faire face à la réaffirmation de l'hégémonie bourgeoise, dans laquelle les révolutionnaires opéraient, par définition, à partir d'une position de faiblesse relative.
La stratégie visait à sortir les partis communistes de cette situation en tendant la main et en formant des alliances avec la classe ouvrière organisée à la droite des communistes afin de gagner de l'influence parmi ces couches, en obtenant ensemble des réformes concrètes tout en restant critique à l'égard de leur direction. Cela a également permis à la classe de se familiariser avec l'expérience du travail à l'unisson de manière organisée et coordonnée, ce qui serait une caractéristique absolument essentielle de toute tentative révolutionnaire réussie. Cette stratégie était résumée dans le slogan « marcher séparément, frapper ensemble ».
Cette stratégie a pris un nouveau sens lorsque la restauration bourgeoise chancelante a commencé à succomber à la montée du fascisme. Dès 1923, Clara Zetkin préconise l'application de la tactique du front unique contre le fascisme. Malheureusement, la santé de Lénine l'éloignant peu à peu de la direction du mouvement ouvrier, le Comintern dirigé par Zinoviev adopte une ligne d'ultra-gauche, refusant de s'unir dans l'action avec les sociaux-démocrates, ce qui a permis la montée du fascisme en Italie en 1924, et en Allemagne neuf ans plus tard, en 1933.
Réalisant son erreur, mais tirant les mauvaises leçons, le Comintern stalinien s'est alors tourné vers la stratégie du Front populaire, qui cherchait à unir, non pas la classe ouvrière, mais tous les partis, y compris les partis bourgeois, qui s'opposaient à la montée du fascisme. Dans la pratique, cela signifiait que les révolutionnaires devaient sacrifier leur indépendance, et le programme du Front populaire devenir le programme d'une réforme bourgeoise modérée. N'offrant rien aux ouvriers et aux paysans, le Front populaire construit dans l'État espagnol s'est effondré sous le fascisme. Cet échec doit nous rappeler les limites d'une telle approche dans une période où un Nouveau Front Populaire a émergé comme bloc électoral en France qui tente d'endiguer la montée du nouvel autoritarisme du Rassemblement National.
Le front uni aujourd'hui
Une grande partie de ce qui a défini la stratégie du front uni contre le fascisme est applicable aujourd'hui dans la lutte contre les nouveaux autoritaires. Si la faiblesse de la gauche et la montée de l'extrême droite sont bien les caractéristiques de la période actuelle, alors le travail du front uni est redevenu essentiel.
Nous avons vu un excellent exemple de ce à quoi cela pouvait ressembler avec l'expérience d'Aube dorée en Grèce, où une organisation antifasciste, KEERFA (Mouvement uni contre le racisme et la menace fasciste), opérant sur les principes du travail de front uni, a complètement écrasé le parti fasciste ascendant. La KEERFA a mis en place une large coalition d'organisations de la classe ouvrière, des syndicats aux groupes révolutionnaires, qui partageaient un intérêt commun fondamental : empêcher l'Aube dorée de se développer.
Il doit s'agir d'organisations de masse qui opèrent ouvertement et qui, tout en prenant la sécurité au sérieux, ne privilégient pas une culture sécuritaire paranoïaque au détriment de l'ouverture et de l'efficacité.
Une nouvelle stratégie de front uni répond aux questions sur le rôle spécifique de l'organisation révolutionnaire aujourd'hui. Si nous acceptons, comme l'affirme Tempest, que la reconstruction de l'avant-garde de la classe ouvrière par le biais du travail de mouvement est un élément essentiel d'une stratégie de gauche significative aujourd'hui, alors la question se pose souvent de savoir quel rôle reste à jouer pour l'organisation révolutionnaire. Dans cette période de réaction croissante, il est clair qu'au-delà du rôle propagandiste de l'organisation révolutionnaire, son rôle militant doit être de tirer parti de son enracinement dans des luttes spécifiques pour construire des fronts anti-autoritaires qui unissent ces luttes, les rapprochent dans l'action de la politique révolutionnaire et s'efforcent d'écraser la menace de l'extrême-droite.
La question est de savoir comment sortir des enclaves fracturées de la gauche et faire de la politique de masse à une époque où la nouvelle social-démocratie est en recul et où l'extrême droite est en pleine ascension. Le processus de construction du front uni consiste également à trouver un moyen de continuer à s'engager avec les couches radicalisées plus larges de la société et d'accroître la position et l'influence de la politique révolutionnaire au sein de la classe. Si certains éléments de la classe s'éloignent de la nouvelle social-démocratie de la dernière décennie, il est essentiel de trouver un moyen d'entrer en relation avec ces éléments et de les attirer dans notre politique. Le front uni est le type d'outil qui permet d'atteindre cet objectif.
Les révolutionnaires doivent essayer de construire de larges coalitions d'organisations de la classe ouvrière, des mouvements sociaux de base aux syndicats et autres organisations socialistes. Il doit organiser des contre-manifestations contre les manifestations d'extrême droite et tenter de saper l'activité de l'extrême droite partout où il le peut, en rendant très peu attrayant le fait d'apparaître en public comme un partisan de l'extrême droite. La stratégie doit consister à créer des fissures au sein du mouvement d'extrême droite afin d'isoler ses éléments les plus radicaux. En attaquant et en exposant les réalités de l'aile la plus extrême du nouvel autoritarisme, nous pouvons essayer de forcer l'aile plus modérée à garder ses distances sous la menace de la réaction sociale.
Ce mouvement doit être international, car ce qui se passe dans une ville, ou dans un pays, n'a pas seulement des répercussions sur la politique de cet endroit. Aussi ironique que cela puisse paraître de s'organiser au niveau international pour une désintégration générale du monde, c'est exactement ce que fait l'extrême droite internationale. En témoigne un récent rassemblement d'extrême droite à Madrid, où des dirigeants d'extrême droite se sont réunis sous le slogan « Make Europe Great Again » (Rendre à l'Europe sa grandeur). Santiago Abascal de VOX, Marine le Pen, Viktor Orban et Matteo Salvini ont assisté à la réunion, où ils ont salué la victoire de Trump et parlé avec enthousiasme des chances de l'AfD aux prochaines élections allemandes.
Grâce à l'application internationale de la stratégie du front uni, la classe ouvrière peut remporter des victoires concrètes contre l'extrême droite internationale, tout en facilitant le processus par lequel de larges sections de la classe apprennent à travailler les unes avec les autres dans l'unité. À partir de là, la gauche peut commencer à jouer un rôle plus important dans l'élaboration de la forme et du contenu de la politique internationale. Mais pour la période à venir, le front uni doit être au centre de tout ce que nous faisons.

Pop fascisme de Pierre Plottu et Maxime Macé

« Grand remplacement », « immigrationnisme », « bataille de civilisation »... Les mots de l'extrême droite, et par là ses obsessions racistes, ont envahi les débats politique et médiatique grâce à un intense combat mené par la fachosphère et ses troufions sur Internet.
Cet écosystème coordonné, pensé et interconnecté a permis à ces « idées » de se répandre jusque dans les médias, avec l'appui de Bolloré et de ses sbires littéralement en croisade. Combien de vues se transforment en voix pour le Rassemblement national ? Comment en est-on arrivé là ? Plongée dans le « pop fascisme », cette extrême-droitisation des esprits qui joue avec les codes de la culture populaire en ligne et infiltre l'époque.
Maxime Macé et Pierre Plottu sont journalistes spécialisés dans la couverture de l'extrême droite et de sa marge radicale. Après plusieurs années en tant qu'indépendants, ils œuvrent désormais à Libération où ils animent notamment la newsletter hebdomadaire dédiée Frontal. Ce livre est leur premier ouvrage.
Éditions Divergences
Paru le 27.9.24
180 pages
ISBN : 9791097088743

Extrême droite : La résistible ascension

Les progrès électoraux de l'extrême droite ces trente dernières années ont installé l'idée de son arrivée inéluctable et imminente au pouvoir. Cette idée a trop souvent permis au personnel politique et médiatique de s'exonérer de l'analyse des causes profondes et de l'alternative à y opposer.
Cet ouvrage, coordonné par le sociologue Ugo Palheta, propose au contraire de comprendre, à l'aide des travaux les plus récents en sciences sociales, la façon dont la route a été pavée à l'extrême droite. Quelles dynamiques sociales ont poussé une partie croissante des élites et certaines fractions des classes populaires à se ranger derrière elle ? Par quels médias et sous quelles formes ont été imposés les discours racistes, sexistes et LGBTI-phobes qui portent l'extrême-droitisation ? Quels réseaux ont appuyé et conforté ce glissement ?
De la préface de l'historien Johann Chapoutot à la postface de Clémence Guetté, co-présidente de l'Institut La Boétie, il s'agit ici d'opposer à la fatalité une analyse précise des forces, mais aussi des failles, de l'extrême droite. Donc de montrer que cette ascension est plus résistible qu'il n'y paraît.
Pour prendre connaissance du sommaire, consultez le fichier « extrait ».
Ugo Palheta
Ugo Palheta est maître de conférences en sociologie à l'Université de Lille, rattaché au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresspa) et associé à l'Institut national d'études démographiques (Ined). Il est codirecteur de la publication de la revue Contretemps et animateur du podcast « Minuit dans le siècle ». Il a notamment publié La Possibilité du fascisme. France : trajectoire du désastre (La Découverte, 2018).
Couverture © Sylvain Lamy

De l’État pour le bien-être à l’État pour la guerre : le keynésianisme militaire

Le bellicisme a atteint son paroxysme en Europe. Tout a commencé lorsque les États-Unis de Trump ont considéré qu'il ne valait plus la peine de payer pour la « protection » militaire des capitales européennes contre des ennemis potentiels. Trump veut arrêter de financer l'essentiel de l'OTAN et de lui fournir sa puissance militaire, et il veut mettre fin au conflit entre l'Ukraine et la Russie afin de pouvoir concentrer la stratégie impérialiste américaine sur l'« hémisphère occidental » et le Pacifique, dans le but de « contenir » et d'affaiblir l'essor économique de la Chine.
24 mars 2025 | tiré du site du CADTM
De l'État pour le bien-être à l'État pour la guerre : le keynésianisme militaire
La stratégie de Trump a fait paniquer les élites dirigeantes européennes. Elles s'inquiètent soudain de la défaite de l'Ukraine face aux forces russes et, avant longtemps, de la présence de Poutine aux frontières de l'Allemagne ou, comme l'affirment le premier ministre travailliste britannique Keir Starmer et un ancien chef du MI5, « dans les rues britanniques ».
Quelle que soit la validité de ce danger supposé, l'occasion a été créée pour les militaires et les services secrets européens de « faire monter les enchères » et d'appeler à la fin des soi-disant « dividendes de la paix » qui ont commencé après la chute de la « redoutable » Union soviétique et d'entamer maintenant le processus de réarmement. La responsable de la politique étrangère de l'UE, Kaja Kallas, a présenté la politique étrangère de l'UE telle qu'elle la conçoit : « Si, ensemble, nous ne sommes pas en mesure d'exercer une pression suffisante sur Moscou, comment pouvons-nous prétendre vaincre la Chine ?
Plusieurs arguments sont avancés pour réarmer le capitalisme européen. Bronwen Maddox, directrice de Chatham House, le groupe de réflexion sur les relations internationales, qui présente principalement les points de vue de l'État militaire britannique, a donné le coup d'envoi en affirmant que « les dépenses de “défense” “sont le plus grand bien public de tous” car elles sont nécessaires à la survie de la “démocratie” face aux forces autoritaires. Mais la défense de la démocratie a un prix :
« le Royaume-Uni pourrait devoir emprunter davantage pour financer les dépenses de défense dont il a si urgemment besoin. Au cours de l'année prochaine et au-delà, les hommes politiques devront se préparer à récupérer de l'argent en réduisant les allocations de maladie, les pensions et les soins de santé ».
Elle poursuit :
« S'il a fallu des décennies pour accumuler ces dépenses, il faudra peut-être des décennies pour les inverser ». « M. Starmer devra bientôt fixer une date à laquelle le Royaume-Uni atteindra les 2,5 % du PIB consacrés aux dépenses militaires - et un chœur de voix s'élève déjà pour dire que ce chiffre devrait être plus élevé. En fin de compte, les hommes politiques devront persuader les électeurs de renoncer à certains de leurs avantages pour financer la défense. »
Martin Wolf, le gourou de l'économie libérale keynésienne du Financial Times, s'est lancé dans l'aventure :
« les dépenses de défense devront augmenter de manière substantielle. Rappelons qu'elles représentaient 5 % du PIB britannique, voire plus, dans les années 1970 et 1980. Il ne sera peut-être pas nécessaire de maintenir ces niveaux à long terme : la Russie moderne n'est pas l'Union soviétique. Toutefois, il pourrait être nécessaire d'atteindre ce niveau pendant la phase de préparation, en particulier si les États-Unis se retirent. »
Comment financer cela ?
« Si les dépenses de défense doivent être augmentées en permanence, les impôts doivent augmenter, à moins que le gouvernement ne parvienne à réduire suffisamment les dépenses, ce qui est peu probable. »
Mais ne vous inquiétez pas, les dépenses en chars, en troupes et en missiles sont en fait bénéfiques pour l'économie, affirme M. Wolf.
« Le Royaume-Uni peut aussi raisonnablement s'attendre à des retours économiques sur ses investissements en matière de défense. Historiquement, les guerres ont été la mère de l'innovation ».
Il cite ensuite les merveilleux exemples des gains qu'Israël et l'Ukraine ont tirés de leurs guerres :
« La “start up economy” d'Israël a commencé dans son armée. Les Ukrainiens ont révolutionné la guerre des drones ».
Il ne mentionne pas le coût humain de l'innovation par la guerre. Wolf poursuit :
« Le point crucial, cependant, est que la nécessité de dépenser beaucoup plus pour la défense devrait être considérée comme plus qu'une simple nécessité et aussi plus qu'un simple coût, bien que les deux soient vrais. Si l'on s'y prend bien, il s'agit également d'une opportunité économique ».
La guerre est donc le moyen de sortir de la stagnation économique.
Wolf s'écrie que la Grande-Bretagne doit s'y mettre :
« Si les États-Unis ne sont plus les promoteurs et les défenseurs de la démocratie libérale, la seule force potentiellement assez puissante pour combler le vide est l'Europe. Si les Européens veulent réussir cette lourde tâche, ils doivent commencer par sécuriser leur territoire. Leur capacité à le faire dépendra à son tour des ressources, du temps, de la volonté et de la cohésion ..... Il ne fait aucun doute que l'Europe peut augmenter considérablement ses dépenses en matière de défense ».
M. Wolf a affirmé que nous devions défendre les « valeurs européennes » vantées que sont la liberté individuelle et la démocratie libérale.
« Ce sera économiquement coûteux et même dangereux, mais nécessaire, car l'Europe a des « cinquièmes colonnes » presque partout. Il conclut : « Si l'Europe ne se mobilise pas rapidement pour sa propre défense, la démocratie libérale risque de disparaître complètement. Aujourd'hui, on se croirait un peu dans les années 1930. Cette fois, hélas, les Etats-Unis semblent être du mauvais côté ».
Considéré comme « conservateur progressiste », l'éditorialiste du Financial Times Janan Ganesh l'a exprimé sans ambages :
« L'Europe doit réduire son État-providence pour construire un État de guerre. Il n'y a aucun moyen de défendre le continent sans réduire les dépenses sociales ».
Il a clairement indiqué que les gains obtenus par les travailleurs après la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais qui ont été progressivement réduits au cours des 40 dernières années, doivent maintenant être totalement supprimés.
"Selon Janan Ganesh du Financial Times les gains obtenus par les travailleurs après la fin de la Seconde Guerre mondiale doivent être totalement supprimés"
« La mission consiste désormais à défendre la vie de l'Europe. Comment financer
un continent mieux armé, si ce n'est en réduisant l'État-providence ? »
L'âge d'or de l'État-providence de l'après-guerre n'est plus possible.
« Toute personne de moins de 80 ans ayant passé sa vie en Europe peut être excusée de considérer un État-providence géant (sic - MR) comme la voie naturelle des choses. En réalité, c'était le produit de circonstances historiques étranges, qui ont prévalu dans la seconde moitié du 20e siècle et qui ne prévalent plus. »
"Ganesh du Financial Times écrit : « L'Europe doit réduire son État-providence pour construire un État de guerre. Il n'y a aucun moyen de défendre le continent sans réduire les dépenses sociales »"
Oui, c'est exact, les gains obtenus par les travailleurs à l'âge d'or étaient l'exception par rapport à la norme du capitalisme (« circonstances historiques étranges »).
Mais maintenant,
« les engagements en matière de pensions et de soins de santé allaient être suffisamment difficiles à assumer pour la population active, même avant le choc actuel en matière de défense...
Les gouvernements vont devoir se montrer plus pingres avec les personnes âgées. Dans tous les cas, l'État-providence tel que nous l'avons connu doit reculer quelque peu : pas suffisamment pour que nous ne l'appelions plus par ce nom, mais suffisamment pour que cela fasse mal ».
Ganesh, le vrai conservateur, voit dans le réarmement l'occasion pour le capital de procéder aux réductions nécessaires de la protection sociale et des services publics.
« Il est plus facile de faire accepter des réductions de dépenses au nom de la défense qu'au nom d'une notion généralisée d'efficacité. .... Pourtant, ce n'est pas l'objectif de la défense, et les hommes politiques doivent insister sur ce point. L'objectif est la survie ».
Le soi-disant « capitalisme libéral » doit donc survivre, ce qui signifie réduire le niveau de vie des plus pauvres et dépenser de l'argent pour faire la guerre. De l'État providence à l'État de guerre.
Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a fait monter d'un cran le bellicisme. Il a déclaré que la Pologne
« doit se tourner vers les possibilités les plus modernes, y compris les armes nucléaires et les armes modernes non conventionnelles ».
Nous pouvons supposer que le terme « non conventionnel » désigne les armes chimiques ?
Tusk :
« Je le dis en toute responsabilité, il ne suffit pas d'acheter des armes conventionnelles, les plus traditionnelles ».
Ainsi, presque partout en Europe, l'appel est lancé en faveur d'une augmentation des dépenses de « défense » et d'un réarmement. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a proposé un plan Rearm Europe qui vise à mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros pour financer une augmentation massive des dépenses de défense.
« Nous sommes à l'ère du réarmement et l'Europe est prête à augmenter massivement ses dépenses de défense, à la fois pour répondre à l'urgence à court terme d'agir et de soutenir l'Ukraine, mais aussi pour répondre à la nécessité à long terme d'assumer davantage de responsabilités pour notre propre sécurité européenne », a-t-elle déclaré.
"L'objectif des dépenses de défense éclipsera les dépenses de déficit disponibles pour la lutte contre le changement climatique et pour les infrastructures qui font cruellement défaut"
En vertu d'une « clause de sauvegarde », la Commission européenne demandera une augmentation des dépenses d'armement même si elle enfreint les règles budgétaires en vigueur. Les fonds COVID non utilisés (90 milliards d'euros) et davantage d'emprunts par le biais d'un « nouvel instrument » suivront, afin de fournir 150 milliards d'euros de prêts aux États membres pour financer des investissements de défense conjoints dans des capacités paneuropéennes, y compris la défense aérienne et antimissile, les systèmes d'artillerie, les missiles et les munitions, les drones et les systèmes anti-drones. Mme Von der Leyen a affirmé que si les pays de l'UE augmentaient leurs dépenses de défense de 1,5 % du PIB en moyenne, 650 milliards d'euros pourraient être libérés au cours des quatre prochaines années. Mais il n'y aurait pas de financement supplémentaire pour les investissements, les projets d'infrastructure ou les services publics, car l'Europe doit consacrer ses ressources à la préparation à la guerre.
Dans le même temps, comme le souligne le FT, le gouvernement britannique
« effectue une transition rapide du vert au gris cuirassé en plaçant désormais la défense au cœur de son approche de la technologie et de la fabrication ».
M. Starmer a annoncé une augmentation des dépenses de défense à 2,5 % du PIB d'ici 2027 et l'ambition d'atteindre 3 % dans les années 2030. La ministre britannique des finances, Rachel Reeves, qui n'a cessé de réduire les dépenses consacrées aux allocations familiales, aux allocations d'hiver pour les personnes âgées et aux prestations d'invalidité, a annoncé que les attributions du nouveau Fonds national de richesse du gouvernement travailliste seraient modifiées afin de lui permettre d'investir dans la défense. Les fabricants d'armes britanniques sont dans l'embarras. « Si l'on fait abstraction de l'éthique de la production d'armes, qui décourage certains investisseurs, la défense en tant que stratégie industrielle a beaucoup à offrir », a déclaré un PDG.
Il existe un groupe clair de bénéficiaires du programme de dépenses massives : l'industrie de la défense de l'UE

Cours des actions des entreprises d'armement européennes et américaines, depuis le début de la guerre en Ukraine (Base 100=21/02/2022) (Judith Arnal/Investing.com)
En Allemagne, le chancelier élu du nouveau gouvernement de coalition, le Chrétien démocrate Friedrich Merz, a fait adopter par le parlement allemand une loi mettant fin au « frein fiscal », qui interdisait aux gouvernements allemands d'emprunter au-delà d'une limite stricte ou d'augmenter la dette pour financer les dépenses publiques. Mais aujourd'hui, les dépenses militaires déficitaires ont la priorité sur tout le reste, c'est le seul budget qui n'est pas limité. L'objectif des dépenses de défense éclipsera les dépenses de déficit disponibles pour la lutte contre le changement climatique et pour les infrastructures qui font cruellement défaut.

Dépenses annuelles déficitaires dans trois domaines au cours des 12 prochaines années. Le déficit des dépenses de défense n'est pas plafonné et le graphique montre que le déficit des dépenses totales de défense est égal à l'objectif de 3 % du PIB
Les dépenses publiques annuelles dues au nouveau paquet fiscal allemand seront plus importantes que le boom des dépenses qui a suivi le plan Marshall d'après-guerre et la réunification de l'Allemagne au début des années 1990.

Traduction du graphique :
Reunification : Réunification
Marshall Plan : Plan Marshall
Merz's 'whatever it takes : Le « quoi qu'il en coûte » de Merz
€500bn in 10 years : 500 milliards de dollars en 10 ans
Virtually uncapped. At €400bn in 10 years (i.e. meetinf a 3% NATO target), annual defense spending would be around 0,9% of GDP : Pratiquement sans plafond. À 400 milliards d'euros en 10 ans (c'est-à-dire pour atteindre l'objectif de 3 % fixé par l'OTAN), les dépenses de défense annuelles représenteraient environ 0,9 % du PIB.
Cela m'amène à parler des arguments économiques en faveur des dépenses militaires. Les dépenses militaires peuvent-elles relancer une économie en proie à la dépression, comme c'est le cas dans une grande partie de l'Europe depuis la fin de la grande récession en 2009 ? Certains keynésiens le pensent. Le fabricant d'armes allemand Rheinmetall affirme que l'usine d'Osnabrück de Volkswagen, laissée à l'abandon, pourrait être un candidat de choix pour une reconversion dans la production militaire. L'économiste keynésien Matthew Klein, coauteur avec Michael Pettis de Trade Wars are Class Wars, a salué cette nouvelle :
« L'Allemagne construit déjà des chars d'assaut. Je l'encourage à en construire beaucoup plus ».
La théorie du « keynésianisme militaire » a une histoire. Une de ses variantes était le concept d'« économie d'armement permanente », adopté par certains marxistes pour expliquer pourquoi les principales économies ne sont pas entrées en dépression après la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais ont au contraire connu une longue période d'expansion, avec seulement de légères récessions, qui a duré jusqu'à l'effondrement international de 1974-1955. Cet « âge d'or » ne pouvait s'expliquer, selon eux, que par des dépenses militaires permanentes destinées à maintenir la demande globale et le plein emploi.
Mais cette théorie du boom de l'après-guerre n'est pas étayée. Les dépenses militaires du gouvernement britannique sont passées de plus de 12 % du PIB en 1952 à environ 7 % en 1960 et ont diminué tout au long des années 1960 pour atteindre environ 5 % à la fin de la décennie. Pourtant, l'économie britannique n'a jamais été aussi florissante depuis lors. Dans tous les pays capitalistes avancés, les dépenses de défense représentaient à la fin des années 1960 une fraction nettement plus faible de la production totale qu'au début des années 1950 : de 10,2 % du PIB en 1952-1953, au plus fort de la guerre de Corée, elles n'atteignaient plus que 6,5 % en 1967. Pourtant, la croissance économique s'est maintenue pratiquement tout au long des années 1960 et au début des années 1970.

Traduction du graphique :
The end of the cold war and the peace dividend : La fin de la Guerre froide et le dividende de la paix
Rearmament begins : Début du réarmement
Le boom de l'après-guerre n'a pas été le résultat de dépenses publiques d'armement de type keynésien, mais s'explique par le taux élevé de rentabilité du capital investi par les grandes économies après la guerre. C'est plutôt l'inverse qui s'est produit. Parce que les grandes économies connaissaient une croissance relativement rapide et que la rentabilité était élevée, les gouvernements pouvaient se permettre de maintenir les dépenses militaires dans le cadre de leur objectif géopolitique de « guerre froide » visant à affaiblir et à écraser l'Union soviétique - le principal ennemi de l'impérialisme à l'époque.
Par-dessus tout, le keynésianisme militaire est contraire aux intérêts des travailleurs et de l'humanité. Sommes-nous favorables à la fabrication d'armes pour tuer des gens afin de créer des emplois ? Cet argument, souvent défendu par certains dirigeants syndicaux, fait passer l'argent avant la vie.
Keynes a dit un jour :
« Le gouvernement devrait payer les gens pour qu'ils creusent des trous dans le sol et les remplissent ensuite. »
Les gens répondaient :
« C'est stupide, pourquoi ne pas payer les gens pour construire des routes et des écoles ».
Keynes répondrait :
« Très bien, payez-les pour construire des écoles. Le fait est que ce qu'ils font n'a pas d'importance tant que le gouvernement crée des emplois ».
Keynes avait tort. C'est important. Le keynésianisme préconise de creuser des trous et de les remplir pour créer des emplois. Le keynésianisme militaire préconise de creuser des tombes et de les remplir de cadavres pour créer des emplois. Si la manière dont les emplois sont créés n'a pas d'importance, pourquoi ne pas augmenter considérablement la production de tabac et promouvoir la dépendance pour créer des emplois ? À l'heure actuelle, la plupart des gens s'opposeraient à une telle mesure, qu'ils considèrent comme directement nuisible à la santé. La fabrication d'armes (conventionnelles et non conventionnelles) est également directement nuisible. Et il existe de nombreux autres produits et services socialement utiles qui pourraient créer des emplois et des salaires pour les travailleurs (comme les écoles et les logements).
Le ministre de la défense du gouvernement britannique, John Healey, a récemment insisté sur le fait que l'augmentation du budget de l'armement
« ferait de notre industrie de la défense le moteur de la croissance économique dans ce pays »
.
C'est une excellente nouvelle. Malheureusement pour M. Healey, l'association commerciale de l'industrie de l'armement britannique (ADS) estime que le Royaume-Uni compte environ 55 000 emplois dans le secteur de l'exportation d'armes et 115 000 autres au sein du ministère de la défense. Même si l'on inclut ce dernier, cela ne représente que 0,5 % de la main-d'œuvre britannique (pour plus de détails, voir le document Arms to Renewables de CAAT). Même aux États-Unis, le ratio est à peu près le même.
Une question théorique est souvent débattue dans l'économie politique marxiste. Il s'agit de savoir si la production d'armes est productive de valeur dans une économie capitaliste. La réponse est oui, pour les producteurs d'armes. Les fournisseurs d'armes livrent des marchandises (armes) qui sont payées par le gouvernement. Le travail qui les produit est donc productif de valeur et de plus-value. Mais au niveau de l'ensemble de l'économie, la production d'armes est improductive de valeur future, de la même manière que le sont les « produits de luxe » destinés à la seule consommation capitaliste. La production d'armes et les produits de luxe ne réintègrent pas le processus de production suivant, que ce soit en tant que moyens de production ou en tant que moyens de subsistance pour la classe ouvrière. Tout en étant productive de plus-value pour les capitalistes de l'armement, la production d'armes n'est pas reproductive et menace donc la reproduction du capital. Par conséquent, si l'augmentation de la production globale de plus-value dans une économie ralentit et que la rentabilité du capital productif commence à chuter, la réduction de la plus-value disponible pour l'investissement productif en vue d'investir dans les dépenses militaires peut nuire à la « santé » du processus d'accumulation capitaliste.
Le résultat dépend de l'effet sur la rentabilité du capital. Le secteur militaire a généralement une composition organique du capital plus élevée que la moyenne de l'économie, car il incorpore des technologies de pointe. Le secteur de l'armement aurait donc tendance à faire baisser le taux de profit moyen. D'un autre côté, si les impôts perçus par l'État (ou les réductions des dépenses civiles) pour financer la fabrication d'armes sont élevés, la richesse qui irait autrement au travail peut être distribuée au capital et peut donc augmenter la plus-value disponible. Les dépenses militaires peuvent avoir un effet légèrement positif sur les taux de profit dans les pays exportateurs d'armes, mais pas dans les pays importateurs d'armes. Dans ces derniers, les dépenses militaires sont une déduction des profits disponibles pour l'investissement productif.
Dans l'ensemble, les dépenses d'armement ne peuvent pas être décisives pour la santé de l'économie capitaliste. En revanche, une guerre totale peut aider le capitalisme à sortir de la dépression et du marasme. L'un des principaux arguments de l'économie marxiste (du moins dans ma version) est que les économies capitalistes ne peuvent se redresser durablement que si la rentabilité moyenne des secteurs productifs de l'économie augmente de manière significative. Et cela nécessite une destruction suffisante de la valeur du « capital mort » (accumulation passée) qu'il n'est plus rentable d'employer.
La Grande Dépression des années 1930 dans l'économie américaine a duré si longtemps parce que la rentabilité ne s'est pas redressée tout au long de la décennie. En 1938, le taux de profit des entreprises américaines était encore inférieur à la moitié du taux de 1929. La rentabilité ne s'est redressée qu'une fois l'économie de guerre en marche, à partir de 1940.

Ce n'est donc pas le « keynésianisme militaire » qui a sorti l'économie américaine de la Grande Dépression, comme certains keynésiens aiment à le penser. La reprise de l'économie américaine après la Grande Dépression n'a pas commencé avant le début de la guerre mondiale. L'investissement n'a décollé qu'à partir de 1941 (Pearl Harbor) pour atteindre, en pourcentage du PIB, plus du double du niveau atteint en 1940. Comment cela se fait-il ? Ce n'est pas le résultat d'une reprise des investissements du secteur privé. Ce qui s'est produit, c'est une augmentation massive des investissements et des dépenses publiques. En 1940, les investissements du secteur privé étaient encore inférieurs au niveau de 1929 et ont même continué à baisser pendant la guerre. Le secteur public a pris en charge la quasi-totalité des investissements, les ressources (valeur) étant détournées vers la production d'armes et d'autres mesures de sécurité dans une économie de guerre totale.

Priv inv/GDP : Investissements privés / PIB
Govt inv / GDP : Investissements du gouvernement / PIB
Mais l'augmentation de l'investissement et de la consommation publics n'est-elle pas une forme de relance keynésienne, mais à un niveau plus élevé ? Eh bien, non. La différence se révèle dans l'effondrement continu de la consommation. L'économie de guerre a été financée en limitant les possibilités pour les travailleurs de dépenser les revenus qu'ils tiraient de leur emploi en temps de guerre. L'épargne a été forcée par l'achat d'obligations de guerre, le rationnement et l'augmentation des impôts pour financer la guerre. L'investissement public signifiait la direction et la planification de la production par décret gouvernemental. L'économie de guerre n'a pas stimulé le secteur privé, elle a remplacé le « marché libre » et l'investissement capitaliste à des fins de profit. La consommation n'a pas rétabli la croissance économique comme l'auraient espéré les keynésiens (et ceux qui voient la cause de la crise dans la sous-consommation) ; au lieu de cela, elle a été investie principalement dans des armes de destruction massive.
La guerre a mis fin de manière décisive à la dépression. L'industrie américaine a été revitalisée par la guerre et de nombreux secteurs ont été orientés vers la production de défense (par exemple, l'aérospatiale et l'électronique) ou en ont été complètement dépendants (énergie atomique). Les changements scientifiques et technologiques rapides de la guerre ont poursuivi et intensifié les tendances amorcées pendant la Grande Dépression. La guerre ayant gravement endommagé toutes les grandes économies du monde, à l'exception des États-Unis, le capitalisme américain a acquis une hégémonie économique et politique après 1945.
Guiglelmo Carchedi explique : « Pourquoi la guerre a-t-elle entraîné un tel bond de la rentabilité au cours de la période 1940-1945 ? Non seulement le dénominateur du taux n'a pas augmenté, mais il a baissé parce que la dépréciation physique des moyens de production a été supérieure aux nouveaux investissements. Dans le même temps, le chômage a pratiquement disparu. La baisse du chômage a permis d'augmenter les salaires. Mais l'augmentation des salaires n'a pas entamé la rentabilité. En fait, la conversion des industries civiles en industries militaires a réduit l'offre de biens civils. L'augmentation des salaires et la production limitée de biens de consommation signifient que le pouvoir d'achat des travailleurs doit être fortement comprimé afin d'éviter l'inflation. Pour ce faire, on institue le premier impôt général sur le revenu, on décourage les dépenses de consommation (le crédit à la consommation est interdit) et on stimule l'épargne des consommateurs, principalement par le biais d'investissements dans des obligations de guerre. En conséquence, les travailleurs ont été contraints de reporter la dépense d'une partie importante de leurs salaires. Dans le même temps, le taux d'exploitation des travailleurs a augmenté. En substance, l'effort de guerre était une production massive de moyens de destruction financée par le travail ».
Laissons Keynes résumer la situation : « Il est, semble-t-il, politiquement impossible pour une démocratie capitaliste d'organiser les dépenses à l'échelle nécessaire pour faire les grandes expériences qui prouveraient mon point de vue - sauf dans des conditions de guerre », extrait de The New Republic (cité par P. Renshaw, Journal of Contemporary History 1999 vol. 34 (3) p. 377 -364).
Traduction : Éric Toussaint avec l'aide de Deepl
Source : Michael Roberts Blog
Auteur.e
Michael Roberts a travaillé à la City de Londres en tant qu'économiste pendant plus de 40 ans. Il a observé de près les machinations du capitalisme mondial depuis l'antre du dragon. Parallèlement, il a été un militant politique du mouvement syndical pendant des décennies. Depuis qu'il a pris sa retraite, il a écrit plusieurs livres. The Great Recession - a Marxist view (2009) ; The Long Depression (2016) ; Marx 200 : a review of Marx's economics (2018), et conjointement avec Guglielmo Carchedi ils ont édité World in Crisis (2018). Il a publié de nombreux articles dans diverses revues économiques universitaires et des articles dans des publications de gauche.
Il tient également un blog : thenextrecession.wordpress.com

Enlèvements, dissolution : la répression s’abat sur les journalistes au Burkina Faso

Après l'organisation d'un congrès sur l'état de la presse dans le pays, l'Association des journalistes du Burkina a été dissoute, et deux de ses dirigeants enlevés. Reporters sans frontières dénonce une pratique “extrême” et “répressive” pour museler les journalistes.
Tiré de Courrier international.
Cinq cent mille francs CFA d'amende (762 euros), une suspension pour deux semaines… Telles sont les sanctions prises par le Conseil supérieur de la communication (CSC) contre le journaliste Luc Pagbelguem, relate Le Faso. Son tort ? Avoir filmé pour la chaîne privée BF1 le congrès extraordinaire de l'Association des journalistes du Burkina (AJB).
Le 21 mars, ce congrès avait dressé un état des lieux du secteur de la presse dans ce pays sahélien dirigé, depuis le coup d'État du 30 septembre 2022, par le capitaine Ibrahim Traoré. Les membres du bureau de l'AJB avaient dénoncé la répression contre la presse et la propagande des médias d'État.
Ce 26 mars, BF1 a également publié un communiqué expliquant que la chaîne a envoyé “des lettres d'excuses officielles à la RTB et l'AIB [radiotélédiffusion du Burkina et agence d'information du Burkina, les médias qualifiés de relais de la propagande officielle], et supprimé le reportage sur ce congrès. Le communiqué indique aussi que le CSC souhaite que les excuses de BF1 soient “[étendues] aux autorités nationales”, selon le communiqué relayé par le site d'information Wakat Séra.
L'AJB en ligne de mire
Le messager se retrouve condamné, et contraint à la contrition publique, tandis que l'AJB a été dissoute par les autorités le 25 mars, au lendemain de l'enlèvement de deux de ses principaux responsables.
“Guezouma Sanogo, président de l'AJB, et Boukari Ouoba, vice-président de l'AJB, viennent d'être amenés par des individus se présentant comme des policiers du service des renseignements au CNP-NZ [Centre national de presse Norbert-Zongo] vers une destination inconnue. Le président était en entretien avec Gildas Ouédraogo [à] qui il avait donné rendez-vous à 10 heures”, indique le communiqué de l'association, publié sur sa page Facebook.
Guezouma Sanogo était journaliste à la radio publique. Boukari Ouoba a produit de nombreuses enquêtes et reportages pour le bimensuel d'investigation Le Reporter.
Le 21 mars, “les congressistes [avaient] vivement dénoncé les enlèvements et disparitions de journalistes, ainsi que les atteintes répétées à la liberté d'expression et de presse dans un contexte sécuritaire préoccupant”, souligne L'Observateur Paalga.
Série d'enlèvements
Tout en dénonçant la “mainmise de l'État” sur les médias, le président de l'association, Guezouma Sanogo, avait appelé la corporation à la solidarité afin que le métier “survive à toutes les répressions”. L'AJB avait également réclamé la libération des sept journalistes et chroniqueurs enlevés par des agents de l'État.
Le plus récemment enlevé, Idrissa Barry, a été kidnappé à la mairie de Saaba, en périphérie de Ouagadougou, le 19 mars.
Ces nouveaux enlèvements ont “suscité une vive réaction de Reporters sans frontières (RSF), qui a dénoncé une pratique ‘extrême' et ‘répressive' visant à faire taire les journalistes critiques du pouvoir”, indique Ouestaf, dans un article consacré au durcissement de la répression contre la presse.
Ce 26 mars, le chef de l'État, Ibrahim Traoré, a déploré que “certains Burkinabè n'[aient] pas encore pris le train de la révolution en marche, préférant se soustraire à l'ordre et à la discipline”, cite Le Faso.
Courrier international
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L’isolationnisme de gauche : un chemin vers l’insignifiance politique dans le débat sur la défense européenne

Le Parlement européen a voté une résolution qui définit la ligne en matière de défense et de réarmement. Les critiques les plus sévères à l'égard de la résolution de la Commission européenne sur la défense et le réarmement proviennent du groupe politique de gauche. Parmi eux, Manon Aubry (France Insoumise), qui dénonce : « Vous trouvez de l'argent pour les chars mais pas pour les hôpitaux. » Elle a remarqué avec sarcasme : « C'est comme si, tout d'un coup, il n'y avait plus de réchauffement climatique ni de pauvreté, et que la seule priorité était les véhicules blindés. » De même, Benedetta Scuderi des Verts soutient que « cette course aux armements » mine la croissance et les finances publiques. D'autres voix se sont jointes au chœur, notamment le coprésident de la Gauche Martin Schirdewan et Danilo Della Valle du Mouvement Cinq Étoiles. Pendant le discours de Della Valle, un groupe de représentants du Mouvement Cinq Étoiles a manifesté en agitant des pancartes telles que « Plus d'armes » ou « Plus d'emplois, moins d'armes ».
24 mars 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/03/24/justice-sociale-defense-europeenne-securite-nationale-quatre-textes/
Au fond, la position de ces politiciens se résume à ceci : laissons le monde qui nous entoure s'effondrer, laissons les pays être envahis – ce n'est pas notre affaire. Ils déclarent vouloir préserver leur modèle social en augmentant le budget du bien-être tout en limitant les dépenses de sécurité – un idéal que partagerait tout politique de gauche. Ce qu'ils ignorent commodément, c'est que le modèle social qu'ils cherchent à protéger a été rendu possible précisément parce que la sécurité a été externalisée à d'autres acteurs – notamment aux États-Unis. Mais que se passe-t-il lorsque la sécurité n'est plus garantie par ces derniers ? C'est une question qu'ils n'abordent jamais, avançant des slogans simples à la place. Les réalités de la compétition internationale pour le pouvoir – désormais à l'un de ses moments les plus intenses depuis des décennies – sont simplement écartées.
Si la France, l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne ne font pas face à une menace militaire immédiate, pour la Pologne, les États baltes et les pays nordiques, le danger est direct. Lorsque votre voisin est l'une des plus grandes puissances militaires du monde, un pays qui a violé tous les principaux accords internationaux au cours de la dernière décennie, bombarde quotidiennement les villes ukrainiennes et dépasse tous les pays européens en dépenses militaires, la capacité à se défendre n'est pas une « course aux armements » – c'est une condition préalable à la survie.
Au cœur de cette question se trouve un refus de voir l'Europe comme un projet commun. Ironiquement, cette forme d'opposition de gauche à la défense européenne est une forme de nationalisme déguisé. Mais le nationalisme, dans sa forme historique, est précisément ce qui a alimenté des siècles de guerre, de destruction et de division sur le continent européen. L'Union européenne n'a jamais été simplement un projet économique – c'était un projet politique et de sécurité conçu pour prévenir la guerre, une leçon tirée des catastrophes répétées du passé.
Ce qui rend cette position particulièrement contre-productive pour la gauche, c'est qu'elle reflète l'isolationnisme des partis souverainistes de droite. Cela est clairement illustré par la façon dont l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) a voté aux côtés de la Gauche. Cependant, contrairement à la gauche, la droite est constamment isolationniste. Leur position est simple : ils rejettent les engagements militaires externes et s'opposent aux migrants, renforçant une vision du monde dans laquelle seuls les intérêts de leur nation comptent, et rien au-delà de leurs frontières ne mérite d'attention. Cette position a au moins l'avantage de la cohérence, ce qui la rend plus attrayante pour les électeurs qui croient à l'intérêt personnel absolu.
En revanche, l'isolationnisme sélectif de la gauche – où les menaces de sécurité sont ignorées, mais où les appels à la solidarité internationale sur les questions sociales et environnementales persistent – manque de cohérence et ne trouve pas d'écho auprès du grand public. En attisant des sentiments isolationnistes et égoïstes, la gauche populiste cultive un terrain émotionnel qui, en fin de compte, profite à la droite. Après tout, si l'humeur politique dominante est celle de l'égocentrisme national, c'est la droite – et non la gauche – qui offre une vision plus claire.
Cependant, il faut reconnaître que les critiques de gauche et écologiques des plans de réarmement de l'Europe ont raison de souligner que ni la crise écologique ni l'inégalité systémique n'ont disparu. Ce sont en effet des menaces existentielles pour l'humanité. Mais sont-ils justifiés de présenter la préparation militaire et le soutien à l'Ukraine comme étant en opposition avec la lutte contre ces défis mondiaux ?
En réalité, la lutte pour la sécurité et la lutte contre le changement climatique sont profondément interconnectées.
Prenez la consommation de combustibles fossiles comme exemple. La dépendance de l'Europe – et particulièrement de l'Allemagne – aux combustibles fossiles russes bon marché n'a pas seulement été une catastrophe environnementale, mais aussi une grave responsabilité géopolitique. La dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie a donné au Kremlin l'un de ses outils les plus efficaces de levier politique sur l'Europe. Elle a financé la machine de guerre russe tout en rendant simultanément les nations européennes vulnérables au chantage énergétique. Ainsi, le développement rapide de sources d'énergie alternatives n'est pas seulement un impératif environnemental – c'est une nécessité géopolitique. C'est précisément ce que les Ukrainiens et d'autres États menacés par l'expansionnisme russe demandent. Les démocraties qui se rendent dépendantes des régimes autoritaires pour quelque chose d'aussi critique que l'énergie sabotent leur souveraineté et leur sécurité. Comme l'a justement dit Li Andersson, également membre du groupe de la Gauche, l'UE devrait se fixer un objectif stratégique de réduction de nos dépendances vis-à-vis d'acteurs externes, y compris dans les domaines de l'énergie et du numérique. Cependant, à ce moment précis, selon iStories, les autorités allemandes, russes et américaines discutent de la reprise des livraisons de pétrole et de gaz russes à l'Allemagne – une décision qui contredit directement la sécurité à long terme de l'Europe et son indépendance énergétique.
Résoudre des défis mondiaux tels que le changement climatique et les inégalités est sans aucun doute une priorité, mais le faire dans un cadre isolationniste et souverainiste est une contradiction. Dans un monde où le concept de bien commun disparaît et où la politique est dictée uniquement par la maximisation des intérêts nationaux, les forces qui en bénéficient ne sont pas celles qui défendent la justice climatique ou l'équité sociale. Au contraire, un tel monde est précisément ce que Trump et Poutine promeuvent ouvertement – un monde dans lequel la nature et la vie humaine sont des ressources dispensables dans la poursuite du pouvoir d'État, au service des autocrates au pouvoir. Cela ne signifie pas que les démocraties libérales privilégient automatiquement la nature et la vie humaine. La différence, cependant, est que dans les systèmes démocratiques, il y a de l'espace pour l'opposition et la possibilité d'imposer des visions alternatives. Il suffit de demander aux éco-activistes et aux syndicalistes russes et chinois leur capacité à lutter pour la justice sociale et climatique. Et aux États-Unis, la présidence Trump a démontré avec quelle rapidité les projets environnementaux et sociaux pouvaient être démantelés et leurs valeurs réduites au silence et criminalisées.
Ni la vie humaine ni l'environnement ne peuvent être protégés dans un État qui tombe dans la « zone d'intérêt » des puissances impériales autocratiques. L'ironie de la gauche isolationniste est qu'en rejetant la coopération en matière de sécurité, elle accélère sa propre insignifiance politique. Dans un monde dominé par une politique de grandes puissances sans contrôle, eux et leurs valeurs seront poussés à la marge – d'abord politiquement, puis physiquement.
Le contrat social dans nos sociétés est construit sur l'idée que l'État existe pour protéger les droits et les libertés de ses citoyens, et non pour les sacrifier à des ambitions expansionnistes. Les régimes autoritaires considèrent la vie humaine comme une ressource dispensable à utiliser dans la poursuite d'objectifs géopolitiques. Les démocraties sont contraintes par des considérations éthiques et politiques. Les États autoritaires possèdent un contrôle centralisé sur les médias et une répression efficace, ce qui leur permet de mener des guerres sans tenir compte de l'opinion publique. Les politiciens des démocraties, concentrés sur les cycles électoraux, privilégient les résultats à court terme par rapport aux stratégies à long terme.
Ainsi, les sociétés démocratiques font face à une vulnérabilité stratégique inhérente lorsqu'elles sont confrontées à des États autoritaires agressifs. Pourtant, de nombreuses personnes préfèrent s'accrocher à la croyance que la diplomatie, l'interdépendance économique ou la supériorité morale seule nous préserveront d'une éventuelle agression militaire. Cette pensée naïve conduit à l'inaction et à une vulnérabilité encore plus grande que les régimes autoritaires exploitent efficacement, en présentant une résistance aux puissances autocratiques comme impossible à gagner et inutile.
Les slogans abstraits sur « l'abolition de la guerre » révèlent non seulement un manque de solutions pratiques, mais aussi une réticence à prendre des responsabilités. Au lieu de cela, ils permettent de se sentir juste sans s'engager dans le travail difficile de gouvernance et de stratégie. En refusant de confronter les réalités militaires, ces mouvements deviennent des spectateurs plutôt que des acteurs, commentant les événements plutôt que de les façonner. Ce faisant, ils abandonnent finalement les tâches critiques de sécurité et de défense à ceux auxquels ils s'opposent idéologiquement.
Au lieu de se réfugier dans une rhétorique vide, la gauche doit façonner de manière proactive les solutions. La gauche doit s'unir pour promouvoir une stratégie de défense où la sécurité n'est pas financée par la réduction des programmes sociaux mais par l'augmentation des impôts sur les ultra-riches. Comme Li Andersson le soutient à juste titre, « Ce serait une erreur historique de financer cela en réduisant le bien-être social », car une telle démarche ne ferait qu'alimenter la montée de l'extrême droite. La mesure la plus immédiate et la plus efficace serait la confiscation des actifs russes gelés et leur réinvestissement rapide dans l'aide militaire à l'Ukraine. Pourtant, La France Insoumise, le parti que Manon Aubry représente au Parlement européen, a voté contre la confiscation des actifs russes dans son parlement national. De plus, le Mouvement 5 Étoiles a un historique de positions pro-Kremlin, qui comprennent l'opposition aux sanctions avant l'invasion à grande échelle de l'Ukraine.
Si la gauche ne prend pas de mesures concrètes face à l'agression, elle ne perdra pas seulement sa crédibilité mais renoncera également à son rôle dans la formation de l'avenir de l'Europe.
Hanna Perekhoda, 18 mars 2025
https://www.valigiablu.it/left-wing-rearm-europe/
Traduit pour ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article74145

La gauche doit rejeter le faux dilemme entre justice sociale et sécurité nationale

L'armement militaire et l'armement social ne doivent pas être opposés, mais il faut que la gauche présente des revendications offensives pour la production d'armes à la demande, l'abolition des paradis fiscaux et l'obligation pour les milliardaires de payer.
24 mars 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
Suite à la décision américaine d'abandonner l'Ukraine un pays qui constitue désormais la dernière ligne de défense pour la sécurité de l'Europe – l'UE n'a pas d'autre choix que d'agir de manière décisive. Assurer notre propre protection n'est plus un sujet de débat, mais une nécessité indéniable.
Pour la gauche, la question est de savoir si elle dispose d'un programme concret pour faire face à cette crise. Si elle continue à se plaindre de la militarisation – sans même proposer de solutions aux véritables menaces sécuritaires auxquelles nous sommes tous et toutes confrontées – la gauche sera complètement mise à l'écart, laissant le monde à lui-même tout en cultivant avec suffisance sa propre pureté idéologique.
Trois solutions différentes
Réduire les dépenses sociales pour augmenter le budget militaire est à la fois dangereux et réactionnaire. C'est exactement ce que les néolibéraux font déjà aujourd'hui : réduire les fonds alloués à la santé, à l'éducation, aux pensions et à la protection sociale – pour ensuite donner plus de ressources à la défense.
Il est clair que l'affaiblissement de la sécurité sociale exacerbera les inégalités, créera des troubles sociaux et finira par déstabiliser les démocraties. À l'heure où le populisme de droite se développe, les politiques d'austérité ne feront que renforcer les forces antidémocratiques. Étant donné le soutien évident que la Russie et les États-Unis apportent à ces forces, c'est exactement ce que Trump et Poutine espèrent.
Une autre solution consiste à augmenter les impôts des ultra-riches et des multinationales. Celles et ceux qui ont le plus bénéficié de la démocratie devraient contribuer le plus à sa défense. L'introduction d'impôts progressifs sur la fortune, de taxes sur l'énergie et de règles fiscales plus strictes pour les entreprises peut générer des revenus sans frapper l'ensemble de la population.
Toutefois, une telle stratégie nécessite une coordination internationale pour empêcher la fuite des capitaux, car les milliardaires et les entreprises chercheront sans aucun doute à transférer leurs actifs dans des paradis fiscaux. L'annonce récente par Trump de visas dorés pour les ultra-riches montre qu'il se prépare déjà à un tel scénario en renforçant les États-Unis en tant que havre de paix pour les fraudeurs fiscaux. La Suisse se trouve dans une position similaire puisqu'elle ne fait pas partie de l'UE… précisément pour conserver son statut de paradis fiscal.
Ce n'est pas nouveau. Au siècle dernier, alors que d'autres pays augmentaient les impôts pour financer leurs efforts de guerre, la Suisse a accueilli des milliardaires et s'est enrichie de manière éhontée. Elle pourrait très bien répéter la même stratégie opportuniste.
Une troisième option consiste à confisquer les 300 milliards d'euros de fonds russes gelés et à les utiliser pour financer la défense de l'Ukraine et renforcer la sécurité de l'Europe. De cette manière, la Russie serait tenue financièrement responsable de ses crimes de guerre tout en évitant de faire peser des charges supplémentaires sur les citoyens européens.
Toutefois, les autorités de l'UE craignent qu'une telle décision ne crée un précédent susceptible de saper la confiance dans leurs systèmes financiers, ne serait-ce que pour ceux qui envahissent des États souverains et commettent des crimes de guerre. Toutefois, la justice peut constituer un précédent dangereux dans un système fondé sur la protection des intérêts des riches et des puissants.
La reconnaissance de normes morales dans les décisions économiques et politiques risque d'ébranler les fondements du capitalisme. Une idée impensable pour celles et ceux qui profitent de ses injustices.
Les Verts et les Rouges doivent présenter leurs propres propositions
Si la gauche veut rester pertinente, elle doit développer une stratégie claire en matière de politique de défense. Ignorer la sécurité militaire ne fera que permettre à la droite de monopoliser le débat et de dépeindre la gauche comme naïve ou faible – et si c'était le cas, ce ne serait pas une accusation injuste.
La gauche doit rejeter le faux dilemme entre justice sociale et sécurité nationale. La sécurité ne doit pas être financée en réduisant les pensions ou les soins de santé, mais en veillant à ce que les milliardaires et les multinationales contribuent à leur juste part.
La gauche doit lutter pour une fiscalité équitable, supprimer les niches fiscales qui permettent aux entreprises d'échapper à l'impôt et sévir contre les paradis fiscaux, y compris la Suisse.
Aucun pays européen ne peut se défendre seul. Au lieu d'augmenter massivement les budgets militaires nationaux, l'UE devrait renforcer les mécanismes de sécurité collective. La sécurité énergétique doit également être considérée comme une partie intégrante de la stratégie militaire : en réduisant la dépendance à l'égard des combustibles fossiles russes, nous pouvons empêcher un futur chantage économique.
Surtout, la gauche doit agir rapidement pour obtenir la confiscation des biens de l'État russe. Retarder cette décision pour protéger les intérêts de l'élite financière ne fait qu'enhardir les attaquants.
Hanna Perekhoda
Hanna Perekhoda est historienne et chercheuse à l'Université de Lausanne et activiste au sein de l'ONG ukrainienne « Sotsialnyi Rukh ».
https://solidaritet.dk/venstrefloejen-maa-afvise-det-falske-dilemma-mellem-social-retfaerdighed-og-national-sikkerhed/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)