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Résister par la musique : Les Suds à Arles célèbrent la culture palestinienne

En 2025, alors que les images d'une Palestine meurtrie continuent de traverser les écrans du monde, le festival des Suds, à Arles fait le choix de célébrer, dans toute sa beauté et sa complexité, la culture palestinienne.
Tiré du blogue de l'auteur.
« Dans le tumulte d'un monde conquis par des démons dont nous nous espérions délivrés, célébrer la 30eédition d'un festival conçu comme une ode à la diversité offre l'occasion d'affirmer qu'un autre récit est possible. Celui qui oppose à la verticalité d'une vision exclusive et excluante, l'horizontalité des droits culturels, la fécondité de l'hybridation et du dialogue entre les cultures, la force des émotions partagées. »
– Stéphane Krasniewski
En 2025, alors que les images d'une Palestine meurtrie continuent de traverser les écrans du monde, le festival des Suds, à Arles fait le choix de célébrer, dans toute sa beauté et sa complexité, la culture palestinienne.
Ainsi, lundi 14 juillet, Elias Sanbar conversera avec Farouk Mardam-Bey et Edwy Plenel à l'occasion de la Rencontre Mediapart, et le festival projettera, vendredi 18 juillet, le film Mémoires de Palestine, avec Leïla Shahid comme figure centrale… avant d'applaudir le Trio Joubran venu fêter ses 20 ans sur la scène du Théâtre Antique. Ils rêvaient de n'être que des musiciens, les souffrances de leur peuple leur imposent d'en être plus que jamais les porte-drapeaux. Viscérale, leur musique témoigne, résiste, et alors que de nombreux artistes palestinien·nes sont empêché·es de se produire sur leur propre territoire, leur concert à Arles – accompagnés d'un quintet de cordes et percussions – a une résonance particulière. Leurs cordes entrelacées avaient déjà fait vibrer le cœur du public venu les écouter sur cette même scène en 2018… Et comment ne pas se souvenir du dernier récital du poète palestinien Mahmoud Darwich, le 14 juillet 2008, au Théâtre Antique, entouré de Samir et Wissam Joubran ?
Quelques heures plus tard, dans la Cour de l'Archevêché, un autre regard sur la culture palestinienne prendra vie à travers le live set d'Isam Elias, mêlant sonorités afro-orientales, beats électro et influences trap. Installé en France pour pouvoir faire entendre sa voix par la musique – « Là-bas [en Palestine], on accorde moins d'importance à l'art et à la culture. Je ne peux pas vivre de ça, ni me faire entendre si je reste » [interview Le Courrier de l'Atlas] –, il affirme l'urgence d'une expression artistique libre et politique. Sa musique reflète une jeunesse palestinienne multiple, urbaine et connectée au monde. Là où l'on parle de guerre, il insuffle la fête comme réponse. Là où l'on veut faire taire, il fait danser.
À travers ces propositions, SUDS choisit à nouveau de faire de la scène un lieu d'écoute, de mémoire, et de solidarité. Dans un paysage culturel qui a parfois tendance à l'apolitisme confortable, offrir une scène, un public, une écoute devient une responsabilité éthique pour les institutions culturelles.
Du 14 au 20 juillet 2025 à Arles, on ne viendra pas seulement écouter de la musique. On viendra honorer la force d'un peuple, la beauté d'une culture, et la puissance de l'art comme dernier bastion de liberté.
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Océans : jusqu’où faut-il en arriver pour que la situation soit prise au sérieux ?

Alors que s'achève le sommet des océans de Nice, un ensemble de chercheurs en écologie marine et océanographes dresse un premier bilan et propose quelques principes fondamentaux pour susciter le sursaut collectif que la situation appelle. « La conférence UNOC3 aurait pu être l'occasion pour la France de prendre le leadership d'une transition écologique du secteur de la pêche et d'une réelle protection des écosystèmes marins. Mais les mesures annoncées lundi dernier par le Président sont très loin de cela ».
13 juin 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières
Les écosystèmes marins subissent les impacts des activités humaines, en particulier dans les zones côtières où ils ont connu d'importantes pertes historiques d'habitat. Plus de la moitié de la surface des océans est soumise à la pêche industrielle et plus d'un tiers des stocks sont considérés comme surexploités[1],[2].
En Europe, la Politique Commune de la Pêche (PCP), malgré les moyens considérables qui lui sont alloués, échoue de manière systémique depuis des décennies à atteindre ses objectifs[3]. À peine la moitié des stocks pêchés dans l'Atlantique sont considérés en bon état, et des espèces emblématiques comme le maquereau et le hareng sont désormais hors de leurs limites de sécurité[4].
Face à ces constats alarmants, l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) et la communauté scientifique recommandent la mise en place d'aires marines protégées dont la couverture spatiale et les niveaux de protection soient suffisamment ambitieux pour produire des effets significatifs (10% sans aucune activité extractive et 20% sans pêche/infrastructures industrielles).
À l'instar de nombreux autres pays, la France a jusqu'à présent mis en avant une ambition essentiellement axée sur l'étendue de ses AMP, au détriment de mesures de protection réellement contraignantes. Les restrictions imposées aux activités humaines y restent souvent limitées, et la pêche industrielle, notamment au chalut (pélagique ou de fond), y est fréquemment permise. L'autorisation dans la très grande majorité des AMP françaises de la pêche au chalut de fond, pourtant reconnue pour ses effets particulièrement destructeurs sur les écosystèmes benthiques, est un enjeu clé pour le gouvernement français.
Cette situation s'inscrit à rebours des travaux scientifiques qui indiquent sans ambiguïté l'inefficacité de demi-mesures de protection[5],[6],[7]. En qualifiant de « protégées » des aires marines qui ne le sont pas, elle traduit aussi un mépris de la sémantique et du débat public sur le sujet.
À l'inverse, des aires marines véritablement protégées apporteraient des bénéfices importants : effets de régénération accompagnés de débordements dans les zones adjacentes (accessibles aux pêcheries)[8],[9], et possibilité pour les scientifiques de démêler les effets de la pêche de ceux du changement climatique. L'usage des AMP comme zones témoin est notamment essentiel pour établir des états de référence, et fournir des informations indispensables à la gestion des milieux marins.
Des bénéfices importants peuvent donc être obtenus avec des aires marines sous protection stricte. Pour autant, les AMP ne sont pas la solution miracle à la surexploitation des ressources marines et à ses effets sur les écosystèmes. Tout d'abord parce qu'elles ne font pas à elles seules diminuer la pression de pêche si cette dernière est simplement reportée hors AMP. Et aussi parce que la définition des AMP ne s'est pas toujours faite sur des critères d'intérêt écologique. C'est particulièrement vrai pour la protection des écosystèmes benthiques, écosystèmes qui restent mal connus, mal cartographiés et mal protégés.
Les niveaux d'exploitation actuels ne sont pas soutenables. Ils menacent à la fois le devenir de nombreux écosystèmes marins et aussi celui des filières de pêche qui en dépendent. C'est d'autant plus vrai que celles-ci sont par ailleurs soumises à un renchérissement tendanciel de l'énergie qui va se raréfier et qu'elles doivent se décarboner. Il est donc indispensable d'engager une transformation profonde de nos modes d'exploitation des ressources marines. Trop rares sont les voix qui abordent le sujet, notamment du côté du gouvernement. Même les constats les plus simples ne sont pas posés.
Avec l'intérêt général en tête, nous proposons ici quelques principes fondamentaux, en espérant susciter le sursaut collectif que la situation appelle.
• Les perturbations écologiques et socio-économiques liées à l'exploitation des écosystèmes marins dans un contexte de changement climatique sont largement imprévisibles. Cette réalité nouvelle rend illusoire la poursuite du statu quo. En particulier, la grande pêche industrielle, et notamment celle pratiquée au chalut de fond par des navires de plus de 25 mètres, doit être considérée comme un mode d'exploitation obsolète.
• Des formes alternatives de pêche existent, notamment en favorisant les arts dormants[10],[11],[12]. Mais à l'heure actuelle ces métiers sont mal reconnus et mal représentés. Ils ont besoin d'être rendus visibles, pris au sérieux et aidés par les pouvoirs publics. Ceci passe notamment par une réorientation des subventions aujourd'hui accordées massivement aux engins de pêche ayant les plus forts impacts environnementaux.
• L'abandon progressif et accompagné de la grande pêche industrielle au profit de filières respectueuses des écosystèmes doit s'accompagner d'une réduction des prises et donc aussi de la consommation. Le poisson pêché dans la nature est un bien rare et doit être consommé comme une fête.
• L'État doit assumer ses responsabilités et permettre à l'ensemble des parties prenantes de définir en concertation les chemins d'une transformation écologique et sociale, compatible avec la nécessaire préservation des écosystèmes marins, la prise en compte du sort des personnes qui travaillent dans les filières et l'accès des classes populaires aux produits de la mer.
La conférence UNOC3 aurait pu être l'occasion pour la France de prendre le leadership d'une transition écologique du secteur de la pêche et d'une réelle protection des écosystèmes marins. Mais les mesures annoncées lundi dernier par le Président sont très loin de cela : les 4 % de zones de « protection forte » n'interdisent que le chalutage de fond, et concernent principalement des zones profondes dans lesquelles cette technique est déjà bannie.
Elles permettent encore le chalutage pélagique, y compris par des navires industriels, et ne répondent toujours pas aux critères de protection stricte de l'UICN. Enfin, aucune vision sur la transition du secteur de la pêche n'a été esquissée. En dépit du volontarisme affiché par E. Macron en faveur du traité sur la haute mer (dont la portée restera très limitée), l'UNOC3 n'a fondamentalement rien réglé des pressions humaines qui dégradent toujours plus l'état des océans et des écosystèmes qu'ils abritent.
Jusqu'où faut-il en arriver pour que la situation soit prise au sérieux ?
Signataires :
Olivier Aumont (chercheur océanographe, IRD),
Xavier Capet (chercheur océanographe, CNRS),
Didier Gascuel (chercheur en écologie marine, Agro Rennes),
Sara Labrousse (chercheure en écologie marine, CNRS)
Notes
[1]IPBES (2019) : Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. https://files.ipbes.net/ipbes-web-prod-public-files/inline/files/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers.pdf
[2]FAO. 2024. La Situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 2024. Pour une transformation des systèmes agroalimentaires axée sur la valeur. Rome. https://doi.org/10.4060/cd2616fr
[3]Rainer Froese et al. Systemic failure of European fisheries management. Science 388,826828 (2025). DOI:10.1126/science.adv4341
[4] Scientific, Technical and Economic Committee for Fisheries (STECF) – 76th Plenary report (STECF-PLEN-24-02), PRELLEZO, R., NORD, J. and DOERNER, H. editor(s), Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2025, https://data.europa.eu/doi/10.2760/1035959, JRC140570.
[5] Turnbull, J. W., Johnston, E. L., & Clark, G. F. (2021). Evaluating the social and ecological effectiveness of partially protected marine areas. Conservation Biology, 35(3), 921-932.
[6] Zupan, M., Fragkopoulou, E., Claudet, J., Erzini, K., Horta e Costa, B., & Gonçalves, E. J. (2018). Marine partially protected areas : drivers of ecological effectiveness. Frontiers in Ecology and the Environment, 16(7), 381-387.
[7] Sala, E., & Giakoumi, S. (2018). No-take marine reserves are the most effective protected areas in the ocean. ICES Journal of Marine Science, 75(3), 1166-1168.
[8] Halpern, B. S., Lester, S. E., & Kellner, J. B. (2009). Spillover from marine reserves and the replenishment of fished stocks. Environmental Conservation, 36(4), 268-276.
[9] Sala, E., Costello, C., Dougherty, D., Heal, G., Kelleher, K., Murray, J. H., ... & Sumaila, R. (2013). A general business model for marine reserves. PloS one, 8(4), e58799.
[10] Zeller, D., & Pauly, D. (2019). Back to the future for fisheries, where will we choose to go ?. Global Sustainability, 2, e11.
[11] McClenachan, L., Neal, B. P., Al-Abdulrazzak, D., Witkin, T., Fisher, K., & Kittinger, J. N. (2014). Do community supported fisheries (CSFs) improve sustainability ?. Fisheries Research, 157, 62-69.
[12] Charles, A. (2023). Sustainable fishery systems. John Wiley & Sons.
P.-S.
• Les invités de Mediapart. 13 juin 2025 :
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/130625/oceans-jusquou-faut-il-en-arriver-pour-que-la-situation-soit-prise-au-serieux
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Percer les mystères de l’océan, un défi crucial pour comprendre le climat

Malgré son rôle primordial dans la régulation du climat, l'océan reste sous-étudié par la science, faute de moyens. Dans les abysses, des phénomènes complexes risquent de s'avérer décisifs pour l'avenir, selon les océanographes.
13 juin 2025 | tiré de reporterre.net | Photo : P Ifremer / CC BY 4.0 / Treluyer Loic
https://reporterre.net/Percer-les-mysteres-de-l-ocean-un-defi-crucial-pour-affronter-la-crise-climatique
Une énorme éponge nous protège pour l'instant du chaos climatique : l'océan. Il absorbe 90 % de l'excédent de chaleur généré par nos émissions de gaz à effet de serre. Sans compter qu'il limite, en amont, l'ampleur du changement climatique en absorbant environ le quart de nos émissions de carbone.
Pour combien de temps encore ? L'éponge va-t-elle arriver à saturation ? À quelle vitesse ? Dans quelle proportion et avec quelles conséquences ? Ces questions obsèdent bon nombre de climatologues et océanographes, encore incapables d'y apporter des réponses satisfaisantes.
Acteur majeur du système climatique terrestre, l'océan est paradoxalement sous-étudié par la science. En 2020, les États n'y consacraient, en moyenne, que 1,7 % de leur budget de recherche, déplorait un rapport de l'Unesco.
En amont de l'Unoc 3 (la troisième Conférence des Nations unies sur l'océan qui se tient à Nice du 9 au 13 juin), un congrès scientifique mondial, porté par le CNRS et l'Ifremer, appelait les décideurs politiques à s'engager fortement pour l'océan, notamment en finançant davantage la recherche. Et en matière de relations climat-océan, les zones d'ombre à explorer sont légion.
Les mystérieuses turbulences de l'océan
« Contrairement à l'atmosphère qui est relativement transparente et qu'on observe bien par satellite, l'océan est complètement opaque à tout rayonnement, passé quelques mètres de profondeur », explique Sabrina Speich, océanographe et climatologue, professeure à l'École normale supérieure.
Il faut donc aller mesurer in situ ce qu'il se passe sous la surface. Mais les campagnes océanographiques coûtent cher et peinent à couvrir l'immensité des mers du globe. La tâche est d'autant plus ardue que l'océan est particulièrement turbulent. C'est-à-dire qu'il s'y forme une multitude de tourbillons, rendant la compréhension de la circulation océanique très difficile.
« On a dans l'océan l'équivalent des cyclones et anticyclones dans l'atmosphère sauf que c'est à beaucoup plus petite échelle, de l'ordre de 50 à 100 km de diamètre, là où les anticyclones sont de taille continentale. C'est inévitable puisque l'échelle de turbulence est en partie déterminée par la densité des fluides, et que l'eau est plus dense que l'air », souligne l'océanographe Marina Lévy, directrice de recherche au CNRS.
Les connaissances se sont affinées avec le déploiement, au début des années 2000, du réseau de 4 000 flotteurs automatiques du programme international Argo. Ces bouées dérivent au gré des courants, plongent jusqu'à 2 000 mètres de fond et renseignent la communauté scientifique sur la température et la salinité des eaux un peu partout sur la planète, complétant les nombreux autres réseaux de bouées, marégraphes et navires gérés notamment par le Système mondial d'observation de l'océan, programme appartenant à l'Unesco.
Les modèles numériques peinent à inclure les petits tourbillons
Évidemment, plus la science progresse, plus elle réalise la complexité colossale des phénomènes en jeu. « La topographie très complexe de la dorsale médio-atlantique, ces montagnes sous-marines au milieu de l'Atlantique qui remontent jusqu'à l'Islande, génère des mécanismes océaniques à très petite échelle. On a, pas exemple, des eaux qui vont cascader de 300 m à 2 000 m de profondeur, entre le Groenland et l'Islande », dit Virginie Thierry, physicienne océanographe et coordinatrice de la contribution française à Argo.
Créer des modèles numériques permettant de rendre compte et d'anticiper les évolutions possibles de l'océan s'apparente donc à une gageure. « Pour comprendre la réponse des océans aux évolutions climatiques futures, on a besoin d'un modèle global comprenant toute la surface de la Terre et de prendre en compte le plus de rétroactions possibles. Complexifier ainsi les modèles nécessite de la puissance de calcul, qui est mobilisée au détriment de la finesse de la résolution spatiale des simulations », expose Juliette Mignot, océanographe et directrice adjointe du laboratoire Locean.
La résolution des modèles du système Terre, l'équivalent de leurs pixels, est aujourd'hui de l'ordre de 100 km de large. Tous les phénomènes de plus petite échelle sont difficilement pris en compte et certains processus ne sont pour l'instant pas du tout intégrés.
« Ces modèles sont hydrostatiques, c'est-à-dire qu'ils considèrent la vitesse verticale des eaux comme négligeable. Ces mouvements verticaux sont mal connus », illustre Sabrina Speich. De même, certains petits tourbillons, plus petits que les pixels des modèles, parfois de moins de 15 km de rayon, sont mal pris en compte, « alors même qu'ils semblent avoir un rôle clé dans les échanges avec l'atmosphère », dit l'océanographe.
La circulation océanique détraquée par le réchauffement
Inévitablement imparfaits, les modèles sont tout de même cohérents, corrigés et affinés continuellement en étant confrontés aux observations. Si leur amélioration reste un enjeu crucial, c'est parce qu'ils visent à mieux comprendre la circulation océanique globale, qui constitue le cœur du thermostat planétaire. C'est elle qui fait de l'océan une éponge climatique.
Pour comprendre ce qui concentre les efforts des océanographes, il faut revenir un instant sur le fonctionnement de cette éponge. Le moteur de cette circulation, c'est la différence de densité entre les eaux. Plus une eau est froide et salée, plus elle est dense.
Schéma simplifié de la circulation océanique profonde engendrée par des écarts de température et de salinité des masses d'eau. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Robert Simmon, Nasa/Miraceti
Or, l'océan se refroidit en approchant des pôles. Il y devient également plus salé, car lorsque l'eau se change en glace, elle rejette le sel dans l'eau de mer, où la concentration augmente donc au fur et à mesure de la formation de la banquise. Les masses océaniques aux hautes latitudes sont donc plus denses, et vont plonger en profondeur. Elles entraînent comme un tapis roulant les courants en surface depuis les zones chaudes des tropiques vers les pôles, tandis que les courants en profondeur font le chemin inverse.
Cette boucle gigantesque est appelée « circulation méridienne de retournement » ou Moc, et Amoc pour l'océan Atlantique (Atlantic Meridional Overturning Circulation). Ce mécanisme est essentiel pour les deux facettes de notre éponge planétaire.
D'une part, ce brassage avec les abysses permet de stocker en profondeur la chaleur emmagasinée par l'océan. D'autre part, il transporte le CO2 qui se dissout naturellement à la surface de l'océan jusqu'aux fonds marins, permettant aux couches océaniques de surface de ne pas saturer et de continuer à retirer du CO2 de l'atmosphère. Ce qu'on appelle la « pompe physique à carbone ».

L'Amoc est un ensemble complexe de courants océaniques qui traversent l'Atlantique, dont le fameux Gulf Stream, ici représenté. Il joue un rôle crucial pour redistribuer la chaleur sur le globe. Nasa/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio
Mais le changement climatique perturbe lui-même grandement cette mécanique. La fonte de la banquise et le réchauffement de l'océan vont très probablement ralentir l'Amoc dans les prochaines décennies, en modifiant sa température et sa salinité, d'après le consensus scientifique sur le sujet. Même si l'intensité et la vitesse de cet affaiblissement sont entourés de très vastes incertitudes.
La dangereuse stratification de l'océan
Au-delà de l'Amoc, le réchauffement de l'océan affaiblit dangereusement ce mélange vertical des eaux océaniques. On l'a vu : plus l'eau est chaude, moins elle est dense et moins elle peut plonger vers les profondeurs. Sous l'effet du réchauffement planétaire, la couche de surface de l'océan se réchauffe et il devient de plus en plus difficile de réunir les conditions pour qu'elle se mélange aux eaux très froides des abysses. Autrement dit, plus le contraste de température entre les couches de l'océan est important, plus l'océan est stratifié, plus cette différence de densité entre les eaux va constituer une barrière compliquée à franchir.

La couche de surface de l'océan est mélangée par les vents et absorbe de plus en plus de chaleur atmosphérique. Ajouté à d'autres phénomènes, cela intensifie la stratification et réduit le mélange avec l'océan profond, les couches devenant trop contrastées, comme de l'huile sur de l'eau. © Jean-Baptiste Sallée, Locean (CNRS/MNHN/IRD/Sorbonne Université)
En 2021, une étude, publiée dans la revue Nature et menée par des chercheurs du CNRS, de Sorbonne Université, et de l'Ifremer, s'inquiétait de ce phénomène. Le réchauffement de la couche de surface stabiliserait depuis cinquante ans l'océan à un rythme six fois supérieur aux estimations passées, entravant les capacités de mélange des eaux, donc cette absorption en profondeur de la chaleur et du CO2.
Énième illustration de la complexité et des interactions entre phénomènes océaniques : ce blocage du mélange des eaux limite également les échanges d'oxygène et de nutriments entre la surface et les abysses. Avec pour conséquence de menacer le développement du plancton, ces organismes extrêmement divers qui constituent le socle des écosystèmes marins.

Cette espèce phytoplactonique (Lepidodinium chlorophorum) est responsable de cette eau colorée verte en baie de Vilaine. Lesbats Stephane / CC BY 4.0 / Ifremer
Or, ce plancton absorbe aussi du carbone, qu'il contribue à pomper vers les abysses lorsque les organismes et les particules organiques chutent vers le fond. « Cette pompe biologique contribue à réduire le CO2 dans l'océan de surface et à activer la pompe physique du carbone. Mais on ne sait pas si cette pompe biologique diminue ni quelles en seraient les conséquences. La plupart des modèles intègrent quelques groupes de planctons mais la réalité est beaucoup plus complexe, on travaille à l'intégrer plus finement », dit Marina Lévy.
1 200 capteurs plongeant jusqu'à 6 000 mètres
« Tout l'enjeu de nos travaux, c'est de réduire les incertitudes, résume Virginie Thierry. On connaît très mal l'océan profond mais on sait qu'environ 10 % de la chaleur en excédent va sous les 2 000 m. On a besoin de mieux comprendre la contribution de l'océan pour boucler le bilan énergétique de la planète. »
Explorer l'océan sous les 2 000 m, c'est l'ambition du déploiement des nouveaux flotteurs Argo, baptisés OneArgo, bardés de nouveaux capteurs et dont quelque 1 200 devraient être capables de plonger jusqu'à 6 000 m.
« Un soutien financier durable et renforcé est urgent »
En amont de l'Unoc, Virginie Thierry et des dizaines de ses collègues internationaux signaient un article dans la revue Frontiers in Marine Science. Un appel collectif à investir « en urgence » dans le programme Argo, financé aujourd'hui pour moitié par les États-Unis, dont la politique antiscience fait craindre pour la pérennité du projet.
« Un soutien financier durable et renforcé est urgent pour permettre à OneArgo de se déployer pleinement et donner à nos sociétés les moyens de préserver les nombreux services que l'océan nous rend et de faire face aux défis climatiques et environnementaux majeurs actuels », résume l'Ifremer. La plupart des océanographes dans le monde pourraient en dire autant.
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Un avant et un après l’UNOC 3 ?

Si la conférence sur les océans, tenue à Nice durant la deuxième semaine de juin, a été grandement médiatisée et a permis plusieurs développements prometteurs pour la protection des océans, beaucoup de ceux-ci ne sont que des étapes dans la réalisation de projets encore à venir et de nombreux espoirs y ont fait naufrage.
La Conférence des Nations unies sur l'océan (UNOC), a réunis du 9 au 13 juin à Nice sur la Côte d'Azur plus de 100 000 personnes, 12 000 délégations de 175 pays, 115 ministres, 64 chefs d'État et 28 responsables d'organisations onusiennes, représentant au total près de 85 % du volume des ressources de la planète et plus de 90 % des zones économiques exclusives mondiales.
Une conférence nécessaire
Michel Prieur, professeur de droit de l'environnement et président du centre international de droit comparé de l'environnement, participait à l'UNCO 3. Il explique que cette conférence est nécessaire pour avoir une vision globale des enjeux qui s'entremêlent quand il est question de la mer. « Il y a déjà de nombreux traités sur la mer », affirme-t-il en mentionnant le traité de portée générale sur les droits de la mer de 1982 et de nombreuses conventions spéciales sur des pollutions particulières qui ont été instituées il y a assez longtemps et n'intègrent pas les nouvelles données environnementales. « Donc, il était nécessaire de réactiver le droit lié aux océans. C'est depuis Rio 92 ou il a été démontré que la mer était un milieu fragile qui était victime de pollution. » C'est d'abord toutes les catastrophes des déversements d'hydrocarbures qui ont alerté l'opinion publique et les gouvernements. Il y a aussi eu les découvertes scientifiques sur les richesses de la mer, la biodiversité, la crise alimentaire et la surpêche. « Tout ça faisait un ensemble. On ne pouvait pas traiter séparément la pollution par les hydrocarbures, les poissons, les recherches sous-marines. Il fallait une réflexion intégrée horizontale et c'est l'objet des conférences sur les océans. » Celle à Nice en est la troisième.
Avancées
Les organisateurs sont satisfaits de l'événement. L'envoyé spécial de la France et organisateur de l'UNOC 3, Olivier Poivre d'Arvor, affirme à ce sujet que « Nice a gagné le pari de l'océan ». Les avancées sur le traité international de protection de la haute mer et de la diversité marine ont motivé le président Macron à annoncer sa mise en vigueur en janvier 2026, bien qu'il manque quelques voix promises. Pour Rym Benzina Bourguiba, présidente de la saison bleue (Tunisie), obtenir 55 ratifications fermes alors qu'auparavant il y en eût 22 ou 23, c'est un bon pas, considérant ceux qui seraient à venir. « Avec 15 autres ratifications qui vont venir d'ici septembre, ça va être annoncé à New York, ce moratoire sur la haute mer, c'est très important. » Enseignant-chercheur à Sciences Po Bordeaux et à Bordeaux Sciences Agro, Pierre Blanc, auteur de « Géopolitique et climat », considère que les avancées de l'UNOC 3 montrent une vivacité du fonctionnement multilatéral.
La résolution de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) d'interdire les subventions aux techniques destructrices, qui a été ratifiée par 103 États, serait une autre avancée. « Cela représente environ 3 000 bateaux, il en faudrait 3 600, soit 10 pays supplémentaires, pour que la résolution entre en vigueur », a affirmé le directeur des politiques internationales de la Fondation Tara, André Abreu.
En ce qui concerne la réduction de la production de plastique, 96 pays ont signé une déclaration d'intention en ce sens. Ils représentent plus de la moitié des 170 pays impliqués dans les négociations du « traité plastique » qui dure depuis 2022 et dont le cinquième round doit reprendre en août à Genève. La ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, est directe à ce sujet. « Ce que nous voulons, c'est un traité qui fixe un objectif de long terme avec une trajectoire de réduction à respecter ». Le ministre de l'Environnement des îles Salomon, Trevor Manemahaga affirme que « C'est la pollution de l'océan qui est en jeu, la santé de nos enfants qui est en jeu, l'avenir de la planète qui est en jeu. » Il y aurait environ 460 millions de tonnes de plastique qui auraient été produites en 2024, une quantité qui pourrait tripler d'ici à 2060.
Moins bon point
La conférence a cependant essuyé certaines critiques, notamment au sujet des engagements financiers jugés insuffisants et du manque de progrès concret obtenu. La chef de délégation de Greenpeace International à l'UNOC, Megan Randles, commente à ce sujet : « Nous avons entendu beaucoup de belles paroles ici à Nice, mais elles doivent se transformer en actions. »
Il y a aussi eu 100 milliards de dollars d'aide qui ne se sont pas matérialisés. Cet argent serait nécessaire. Selon le président de la Polynésie française (300 000 habitants sur 118 îles), Moetai Brotherson, les nations insulaires sont « des colosses avec des épaules gigantesques et des tout petits pieds », puisqu'ils représentent moins de 0,1 % du PIB mondial réparti sur un tiers de la surface du globe.
La présidente des îles Marshall (42 000 habitants sur 29 îles), Hilda C. Heine, a affirmé que « trop peu de choses sont faites et trop lentement. »
Le président des Palaos (21 000 habitants sur 340 îles), Surangel Whipps Jr. demande aux pays riches de mettre en pratique leurs discours sur la protection des océans, mettant au défi ces pays : « Si vous voulez vraiment protéger les océans, prouvez-le. »
Le ministre de l'Environnement du Vanuatu (320 000 habitants sur 83 îles), Ralph Regenvanu, a affirmé « Nous vivons votre avenir. Si vous pensez être en sécurité, vous ne l'êtes pas. » Son pays a d'ailleurs saisi la justice internationale pour obliger les États développés à réduire leurs émissions de CO2.
Principales responsables du réchauffement climatique, les énergies carbonées ont aussi été peu discutées à la conférence. Selon l'ancien émissaire américain pour le climat, John Kerry, présent à Nice, « il est impossible de protéger les océans sans s'attaquer à la principale cause de leur effondrement : la pollution due aux combustibles fossiles injectés sans relâche dans l'atmosphère. » Bruna Campos, de l'ONG Ciel commente à ce sujet que d'« ignorer l'impératif de sortir du pétrole et du gaz offshore n'est pas seulement une injustice : c'est inadmissible. »
Une conférence historique malgré ses faiblesses ?
Pour l'artiste fondateur du projet archipel de l'UNOC, Yacine Aït Kaci, cette conférence lui fait penser à la COP21 à Paris. « Il y a vraiment eu un avant et un après, en tout cas au niveau de la mobilisation de la société civile et de la prise de conscience collective. Je crois qu'il s'est vraiment passé quelque chose à Nice cette semaine, et donc, dans le monde. »
Dans une entrevue donnée à TV5 Monde diffusée le 14, juin, le docteur François Gemenne qui est un des auteurs du dernier rapport du GIEC, considère que la conférence sur l'océan à Nice est aussi une opération de communication qui permet de mettre le sujet dans l'actualité et de créer une certaine forme de dynamique politique, comme cela se serait produit avec le traité sur la haute mer. L'UNOC 3 serait donc aussi un exercice de communication. « Sincèrement, sur quel autre sujet peut-on aujourd'hui trouver autant de gouvernements avec un but commun ? Il ne reste quasiment plus que l'environnement, il faut bien le dire. »
Michel Gourd
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La voix des femmes : semons la résistance à l’agriculture industrielle

Bien qu'elles représentent près de la moitié de la main-d'œuvre agricole mondiale, les femmes possèdent moins de 15% des terres agricoles et sont rémunérées près de 20% de moins que leurs homologues masculins. Ces disparités ne sont pas de simples statistiques : elles reflètent des expériences vécues qui déterminent les luttes quotidiennes des femmes rurales. Partout dans le monde, les petites productrices alimentaires affrontent une réalité difficile. Qu'il s'agisse de l'accès à la terre, des politiques publiques, des conditions de travail ou du pouvoir décisionnel, les femmes se heurtent à des obstacles systémiques qui perpétuent les inégalités sociales.
Tiré de Entre les lignes et les mots
À mesure que l'agriculture dominée par les grandes entreprises s'étend, les pratiques agricoles traditionnelles sont de plus en plus évincées, exacerbant ainsi les vulnérabilités des communautés rurales. Les femmes, déjà marginalisées, subissent de plein fouet ces changements. Elles prennent soin de leurs familles et de leurs communautés, mais remplacent aussi leurs partenaires masculins quand ces derniers émigrent pour trouver du travail. Et ce sont également elles qui assurent la survie des personnes âgées et des enfants. Leur bien-être n'est pas qu'un enjeu personnel : c'est toute la résilience rurale qui en dépend.
Pourtant, les contributions et les luttes des femmes restent souvent invisibles, tout comme les préjudices spécifiques qu'elles subissent en raison de l'agriculture industrielle.
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Aux indifférentes

Ce texte est destiné à interpeller toutes les femmes qui croient que mettre négligemment une croix dans un carré d'extrême-droite [au Portugal on a un seul bulletin de vote et on doit cocher le carré correspondant à la liste que l'on a choisie] n'a rien à voir avec leurs droits fondamentaux.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Gramsci, dans un texte de 1917, proclamait sa haine de l'indifférence, « poids mort de l'histoire », de la passivité et de l'absentéisme qui, de toute façon, agissent sur le monde. Ce texte s'adresse aux indifférentes. Non pas avec haine, mais avec une profonde inquiétude, espérant obstinément qu'une part de cette indifférence individualiste puisse encore se transformer en empathie et en solidarité. Ce texte interpelle toutes les femmes qui pensent que tout cela ne les concerne pas et qui considèrent qu'une croix apposée négligemment sur un bulletin de vote n'a rien à voir avec leurs droits fondamentaux.
L'extrême droite commence par nos corps, nos droits, notre liberté. Cette affirmation peut paraître déplacée, étant donné que tant de mouvements d'extrême droite contemporains sont dirigés par des femmes ou comptent des femmes parmi ses dirigeants. Permettez-moi de commencer par dire ceci : aucun fasciste n'est féministe. Il n'y a rien de progressiste dans le triomphe électoral de quelqu'un qui aspire à un monde dont on pensait que la page était définitivement tournée. Derrière le visage d'une femme – que l'on pourrait même comparer à Jeanne d'Arc ou à la République française elle-même, comme c'est le cas de la tristement célèbre Marine Le Pen – se cachent parfois les plus sinistres machinations misogynes et vengeresses. Le vote en faveur d'une femme d'extrême droite, avec toutes les explications qui pourraient inciter différents types de femmes à voter, représente l'acceptation tacite de la vague de régression, presque comme un accord à la suppression de nos droits, à condition que ces mesures punissent davantage celles qui sont encore plus faibles que nous.
Voyons maintenant ce que l'extrême droite nous fait subir. Le Rassemblement national de Le Pen a systématiquement voté contre les avancées et les progrès en matière de droits des femmes : en matière d'égalité salariale, de lutte contre le harcèlement et les violences sexistes, et contre la parité. Giorgia Meloni, cette « girlboss » fasciste, s'oppose aux quotas de genre, renforce le rôle des mère des femmes dans ses discours publics, a voulu restreindre le droit à l'avortement et pénaliser celles qui y ont recours, et même empêcher les couples lesbiens d'avoir des enfants ensemble. En Allemagne, Alice Wiedel – peut-être l'incarnation même de cette dissonance cognitive des femmes au sein de l'extrême droite contemporaine – dirige un parti qui défend la « famille traditionnelle », attaque « l'idéologie du genre », s'oppose au mariage homosexuel et prône le retour des femmes à « l'ancien temps », loin de la corruption du féminisme. Toutes, tout en attaquant les droits des femmes, prétendent vouloir protéger les femmes européennes – autrement dit, les femmes blanches – des hommes racisés, des migrants qui viennent les harceler et les violer, malgré l'absence de corrélation statistique entre les deux réalités. Nous avons ici un parti qui leur ressemble beaucoup : contre « l'idéologie du genre », antiféministe et qui utilise nos corps comme justification à ses politiques xénophobes.
Est-ce que je dis quelque chose qui vous concerne ? Peut-être que cela vous laisse indifférente, que cela ne vous concerne pas, après tout. Votre vie va bien. Vous pensez peut-être que cela ne vous concerne pas parce que vous n'avez jamais avorté ? Parce que vous avez un bon salaire ? Parce que vous n'avez jamais été agressée par votre partenaire ? Parce que vous pouvez voter et participer à la vie politique ? Parce que vous n'avez jamais ressenti de discrimination ? Parce que votre mari vous aide même à la maison ? Peut-être même dites-vous que vous n'êtes pas féministes ? Vous vous trompez.
Si vous avez pu envisager de ne pas avorter, c'est parce que la contraception est devenue accessible à toutes et qu'elle vous permet de choisir d'être mère ou non. Si vous avez un bon salaire, c'est parce que des milliers de femmes se sont battues pour avoir simplement le droit d'avoir quelque chose à soi (c'était le bon temps quand nos économies appartenaient au mari, non ?), pour être admises à l'université et à des emplois qualifiés, et pour ne pas subir de discrimination salariale. Si vous n'avez jamais subi de violences psychologiques, sexuelles ou physiques de la part de votre partenaire, vous avez de la chance d'échapper au poids des statistiques sur la violence, mais vous savez certainement que si vous êtes agressée, votre agresseur aura commis un crime public et qu'il est du devoir de chacun de le signaler.
Si vous pouvez voter et être politiquement actives, c'est parce que des milliers de femmes dans le monde entier ont renoncé à une vie d'indifférence fataliste et se sont battues – parfois jusqu'à la mort – pour qu'aujourd'hui vous puissiez choisir qui vous voulez pour vous gouverner et même vous gouverner vous-même Si vous pensez n'avoir jamais été victime de discrimination, je peux vous dire que vous êtes l'exception à la règle : un tiers des femmes dans l'UE ont été victimes de harcèlement au travail, la moitié l'ont été à un moment de leur vie, vingt-cinq femmes ont été assassinées au Portugal par leur partenaire, 32% des femmes dans l'UE ont subi des violences conjugales, les viols ont augmenté de 10% au Portugal l'année dernière et, surtout, nous savons que tous ces chiffres sont largement sous-représentés car la plupart de ces crimes ne sont pas signalés. Si vous n'avez jamais été victime, demandez-vous si aucune de vos amies, membres de votre famille ou connaissances n'en a été victime. Si vous pensez qu'il suffit que Manuel aide à la maison, comme si cette tâche vous incombait et qu'il daigne gentiment mettre vos vêtements dans le panier à linge, détrompez-vous. Si vous ne vous sentez pas dépassée par les doubles, voire triples, tâches ménagères et familiales, sachez qu'en moyenne, les femmes effectuent 74% de ce travail au Portugal. Votre père changeait-il les couches ? Votre grand-père cuisinait-il ? Qu'est-ce que ta mère et tes grands-mères ont arrêté de faire pour que tu puisses grandir ?
Si tout cela vous dérange – j'imagine que ce lecteur a de l'empathie – vous ne pouvez pas dire que vous n'êtes pas féministe. Tout ce qui a changé a été fait par des féministes. Avec le plus grand sérieux, sans crainte d'être qualifiées d'hystériques, de prostituées, de frigides, d'ennuyeuses. Elles ont fait ça pour nous. Ne donnez pas votre vote à ceux qui veulent tout défaire. Ne soyez pas indifférentes.
Je vis, je suis un militant – disait Gramsci à la fin du texte précité. Ne soyons ni dupes ni complaisants. J'ajoute : je vis, je suis féministe.
Léonor Rosas
Diplômée en sciences politiques et relations internationales de la NOVA-FCSH. Étudiante en master d'anthropologie sur le colonialisme, la mémoire et l'espace public à la FCSH. Députée du Bloc de gauche au Parlement de Lisbonne. Étudiante et militante féministe.
Article publié dans Gerador le 28 mai 2025
Communiqué par FP et JJM
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Contrôle de l’âge pour les sites pornos : quand le « business » passe avant la protection des enfants.

Alors que la France s'apprête enfin, le 6 juin 2025, à mettre en œuvre la loi SREN du 21 mai 2024 imposant un contrôle effectif de l'âge pour accéder aux sites pornographiques, le géant Aylo, propriétaire de Pornhub, RedTube et YouPorn, décide de rendre ses plateformes inaccessibles depuis le territoire français et d'afficher en page d'accueil un texte de lobbying s'opposant à cette loi. Un « coup de com » visant à devancer le blocage imminent que pourrait ordonner l'ARCOM.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/06/08/controle-de-lage-pour-les-sites-pornos-quand-le-business-passe-avant-la-protection-des-enfants/?jetpack_skip_subscription_popup
Depuis plus de quatre ans, l'industrie pornographique multiplie les recours dilatoires contre une loi aux visées pourtant claires : empêcher les enfants d'être exposés à des contenus violents, sexistes, racistes, dégradants et souvent illégaux. Pourquoi une telle résistance de la part de l'industrie ?
Tout simplement car le cœur du modèle économique de cette industrie repose sur l'exposition massive des mineur·es à la pornographie.
Une stratégie cynique : accrocher les enfants, fidéliser les clients
Durant l'enfance et l'adolescence, le cerveau est en pleine construction. Ainsi, l'exposition précoce à des contenus sexuels violents modifie durablement les repères affectifs, émotionnels, empathiques. Plus l'exposition est prématurée, plus la dépendance est profonde et durable. Comme l'a rappelé le Haut Conseil à l'Égalité dans son rapport Pornocriminalité (2023), l'exposition des enfants à la pornographie « développe le système limbique, responsable des pulsions, et inhibe le développement du cortex préfrontal, siège de l'empathie et du discernement ». Ce visionnage à un jeune âge constitue un véritable « viol psychique » selon la chercheuse en neurosciences Maria Hernandez. Il influence profondément la construction des sexualités, en les imprégnant de rapports de domination virilistes, de racisme et de misogynie, renforce l'adhésion à la culture du viol, accroit le risque de passages à l'acte violents.
Les mineur·es sont une cible stratégique pour l'industrie, car un enfant accro à la pornographie devient un adulte captif.
Protéger les mineur·es de la pornographie est aussi un enjeu de lutte contre l'inceste et la pédocriminalité. Outre le fait que ces plateformes abritent de la pédopornographie, très souvent des vidéos de violences diffusées par les pédocriminels, la pornographie est également utilisée dans la stratégie des agresseurs pour semer la confusion, inverser la honte et la culpabilité, et sidérer les victimes ciblées. Les survivant·es de pédocriminalité voient l'irruption dans leur psychisme de scripts pornographiques dans ce qu'ils ont de plus oppressifs, discriminants, chosifiants, et peuvent par le visionnage compulsif et anxieux de pornographie se retrouver dans un état d'anésthésie émotionnelle dissociative, qui profite aux agresseurs.
Assez d'hypocrisie : la loi est claire, les moyens existent
Depuis 2020, la loi française oblige les éditeurs de sites pornographiques à mettre en place un véritable contrôle de l'âge de leurs utilisateurs et utilisatrices. Le cadre juridique est complet : le décret d'application est en vigueur, un référentiel technique a été publié, et la CNIL a validé plusieurs solutions respectueuses du RGPD, notamment la vérification par un tiers de confiance, l'utilisation de la carte bancaire ou encore l'analyse faciale sans recours à la reconnaissance biométrique. Les moyens existent.
Alors comment expliquer qu'une industrie aux moyens colossaux, habituellement en tête des innovations majeures de la tech (paiement en ligne, streaming vidéo, VR, IA, robotique), serait incapable de développer un simple système de vérification d'âge ? La réponse est simple : elle ne veut pas.
Un tournant juridique historique
Le 6 juin, l'ARCOM pourra bloquer sans passer par un juge les sites qui refusent d'appliquer la loi. Le blocage volontaire des sites Pornhub, YouPorn et RedTube en France révèle ce que l'industrie pornographique tente depuis des années de dissimuler : son refus obstiné de toute régulation, même minimale, pour protéger les mineur·es. Cette industrie multimilliardaire préfère mobiliser ses ressources pour combattre toute tentative de régulation, à grand renfort d'avocats et de lobbyistes, plutôt que de renoncer à un accès inconditionnel et gratuit qui alimente son modèle économique fondé sur la violence et sur l'érotisation de toutes les oppressions. Face à cela, l'application stricte de la loi et la mobilisation collective sont essentielles. Le contrôle de l'âge sur les sites pornographiques est un impératif de santé publique, de protection de l'enfance et d'égalité entre les sexes, qui doit primer sur les profits de l'industrie pornocriminelle.
Osez le Féminisme appelle à :
– Appliquer sans délai les mesures de contrôle d'âge sur tous les sites pornographiques accessibles depuis la France.
– Renforcer la coopération européenne pour sortir la pornographie de la zone de non-droit numérique.
– Reconnaître les dommages causés aux enfants, aux femmes et à toute la société par la pornographie et agir en conséquence.
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Pénalisation des agentes de la Fonction publique pendant la grossesse, une attaque inacceptable

La baisse de la rémunération dès le deuxième jour d'arrêt maladie rend coupable tous les agents et agentes d'être malades : elle est intrinsèquement injuste et nous continuons de la dénoncer. Mais, au XXIe siècle, rien ne peut justifier qu'un gouvernement, prétendument attaché à l'égalité entre les femmes et les hommes, puisse faire peser sur les agentes enceintes une sanction financière injuste sans tenir compte des réalités médicales, sociales ou professionnelles liées à leur grossesse.
Tiré du site de la CGT
Bagnolet, vendredi 6 juin 2025
Monsieur François Bayrou
Premier ministre
Madame Aurore Bergé
Ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations
Monsieur Laurent Marcangeli
Ministre de l'Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification
Objet : pénalisation des agentes de la fonction publique pendant la grossesse, une attaque inacceptable
Monsieur le Premier ministre,
Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,
Nos organisations syndicales dénoncent solennellement une mesure discriminatoire d'une gravité inacceptable à l'encontre des femmes en situation de grossesse exerçant dans la fonction publique. À compter du 1er mars 2025, vos choix politiques impliquent que les femmes en situation de grossesse placées en congé maladie ordinaire – hors congé pour grossesse pathologique ou congé maternité - subiront une perte de rémunération de 10 % dès le premier jour d'arrêt. Ainsi, une femme dont la grossesse est déclarée mais qui serait contrainte de s'arrêter quelques jours sur avis de son médecin verra sa rémunération amputée.
Ce choix politique constitue une discrimination sexiste manifeste et une attaque contre les droits des femmes et leurs conditions matérielles de vie. Il renvoie à une époque que nous pensions révolue où les droits des travailleuses étaient suspendus à leur capacité à rester « productives » malgré les difficultés physiques liées à la maternité.
Est-ce ainsi que votre gouvernement entend défendre les droits des femmes ?
La baisse de la rémunération dès le deuxième jour d'arrêt maladie rend coupable tous les agents et agentes d'être malades : elle est intrinsèquement injuste et nous continuons de la dénoncer. Mais, au XXIe siècle, rien ne peut justifier qu'un gouvernement, prétendument attaché à l'égalité entre les femmes et les hommes, puisse faire peser sur les agentes enceintes une sanction financière injuste sans tenir compte des réalités médicales, sociales ou professionnelles liées à leur grossesse. Cette décision est d'autant plus scandaleuse qu'elle touche un secteur, la fonction publique, où les inégalités salariales, les retards de promotion, les carrières hachées, les temps partiels imposés et la précarité contractuelle sont structurellement présentes. Vous ajoutez à ces inégalités une violence économique supplémentaire.
Et pour rappel, en 2018, le Parlement avait corrigé par amendement la dimension sexiste de l'instauration du jour de carence en le supprimant pour les femmes enceintes, montrant sa capacité à entendre les alertes et revendications, dont celles portées par nos organisations syndicales.
Nous exigeons :
– le retrait immédiat de la baisse de la rémunération des jours d'arrêt maladie, injuste pour l'ensemble des agent⋅es de la fonction publique ;
– la garantie pleine et entière du maintien de salaire pour toute femme enceinte placée en congé maladie ordinaire sur avis médical quelle qu'en soit la nature ;
– des politiques de santé au travail dans la fonction publique qui prennent réellement en compte la santé globale des femmes au travail mais aussi les parcours de maternité et le retour à l'emploi.
Pour nos organisations syndicales, sanctionner les femmes parce qu'elles sont enceintes ne relève pas d'une politique liée aux contraintes budgétaires : c'est une régression, c'est une attaque contre toutes les femmes et c'est une faute.
Nous attendons donc un retrait clair et assumé de cette mesure inégalitaire.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, en notre détermination collective.

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Lettre ouverte intersyndicale Mayotte aux ministres des Outre-Mers et du travail

Mayotte, 101e département français, a été dévastée le 14 décembre dernier par le cyclone Chido. Les dégâts sont considérables, tant du fait de la force du vent, que de la fragilité voire de l'absence d'infrastructures. L'heure est à la reconstruction mais depuis 6 mois nos équipes constatent que passés les travaux d'urgence, les chantiers n'avancent plus.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Lettre ouverte Mayotte
M. Le ministre des Outre-Mer,
Mme la Ministre du travail
Les dessertes de la barge, indispensables pour relier l' île de petite terre à celle de grande terre, sont toujours très limitées. Ceci, cumulé à l'absence totale de transports en commun organisés, engorge totalement le trafic et la population du territoire passe des heures en voiture chaque jour pour aller travailler. Le Centre Hospitalier de Mayotte n'a toujours pas été mis hors d'eau. Une part importante de sa surface est toujours inutilisable et le reste est protégé par des bâches donc inondé à la première pluie. La prise en charge sanitaire des habitant.e.s, et notamment des accouchements est indigne.
Par manque d'enseignant.e.s et de places dans les établissements, les élèves ne sont pris en charge qu'à mi-temps dans les écoles (et seulement trois heures par jour pour l'école élémentaire). Avant même la saison sèche, l'eau est déjà coupée plusieurs jours par semaine et le prix des bouteilles d'eau explose. Les travailleurs et les travailleuses n'en peuvent plus, une majorité n'ont toujours pas réussi à reconstruire leur maison, par manque de matériaux mais aussi de moyens, l'essentiel des habitations n'étant pas assurées. Nous demandons une aide d'urgence pour les ménages dont le toit ou l'habitat est abîmé par le cyclone. Alors qu'il s'agit d'une réserve de biodiversité au plan mondial, la situation environnementale, notamment en termes de traitement des déchets, est extrêmement inquiétante.
Le contexte est d'autant plus catastrophique que Mayotte est le territoire le plus pauvre de France. 77% des habitant.e.s vivent sous le seuil de pauvreté. L'économie informelle domine. Seuls 35% des plus de 65 ans ont une pension de 270€ en moyenne, le RSA et les allocations familiales sont à 50% de la métropole et les aides au logement n'existent pas. Chaque salarié fait donc vivre sa famille élargie, parfois 10 à 20 personnes, alors que le Smic mahorais est toujours inférieur de 25% au Smic du reste de la France, abattement répercuté sur la quasi-totalité des salaires. Pourtant, les prix sont en moyenne supérieurs de 30% à ceux de la métropole, mais beaucoup plus en réalité. Pourquoi ? Parce qu'à Mayotte comme dans les autres DROM COM subsiste une économie de comptoir avec des monopoles privés.
Le projet de loi de reconstruction de Mayotte doit faire avancer concrètement la situation pour l'ensemble de la population. Il est donc très attendu. Les mahoraises et les mahorais veulent une mise en place rapide de la convergence des droits sociaux prévue à ce stade seulement d'ici 2031. Pourtant, dans le même temps, le projet de loi prévoit que les entreprises bénéficieraient d'une exonération totale des cotisations sociales et des impôts dès 2026 pour 5 ans via la mise en place d'une zone franche sur le territoire mahorais et ce sans aucune contrepartie. Il ne faut pas créer un sentiment d'inégalité de traitement entre les aides aux entreprises et l'égalité réelle des droits à mettre en place pour la population.
Mme et M. les Ministres, nous vous alertons solennellement car la situation à Mayotte est explosive. Les habitant-es de l'île n'en peuvent plus d'être traité.e.s comme des citoyen.ne.s de seconde zone. Il faut prendre la mesure des besoins immenses de l'archipel notamment en matière de services publics, si on veut le sortir de la crise que le cyclone Chido n'a fait qu'amplifier. Nous nous associons aux conclusions du rapport que vient de publier le CESE et nous exigeons que les lois de la République s'appliquent pleinement à Mayotte en commençant par celles concernant l'immigration.
La revendication de nos syndicats à Mayotte n'est pas la remise en cause du droit du sol mais la fin du visa territorialisé, ce visa dérogatoire qui enferme ses détenteurs à Mayotte et les empêche de rejoindre la métropole. Nous le réaffirmons, la convergence sociale doit être mise en place au plus vite, en commençant par mettre fin à l'abattement du Smic mahorais dès 2026. Pour cela, nous demandons l'ouverture de concertations au plus vite, à Paris, avec des modalités permettant l'association directe de nos organisations locales pour enfin mettre en place l'égalité des droits.
Marylise Léon
Secrétaire générale de la CFDT
Sophie Binet
Secrétaire générale de la CGT
Laurent Escure
Secrétaire général de l'UNSA
Murielle Guilbert et Julie Ferua
Co-porte-paroles de Solidaires
Caroline Chevée
Secrétaire générale de la FSU
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Génocide à Gaza, menace sur l’information en France !

Le traitement médiatique général pour le moins biaisé de ce qui se passe à Gaza dans une grande partie des rédactions est en train de détruire la crédibilité de la presse française et de valider la thèse mortifère du « choc des civilisations ».
Tiré du blogue de l'auteur. Aussi disponible sur librinfos74
Ce vendredi 13 juin en fin d'après-midi, la chaleur étouffante, ayant allègrement dépassée les 30°c toute la journée, ne s'est pas encore estompée. Cela n'empêche pas les bénévoles de s'agiter tous azimuts dans les jardins de l'ECREVIS[1], le fameux tiers-lieu de Meythet, en périphérie d'Annecy, afin que tout soit prêt. Au menu ce soir, concerts de rap et d'électro engagés, entrecoupés de témoignages en provenance de Gaza, l'ensemble des fonds récoltés devant aller aux associations locales soutenant la cause palestinienne. Des membres des associations ITHAR 74[2] et AFPS Annecy[3] tiennent d'ailleurs des stands à proximité du bar, leur garantissant une certaine fréquentation tout au long de la soirée.
L'équipe de l'ECREVIS ouvre le bal sur une petite scène extérieure en bois, présentant la soirée comme une volonté de « laisser parler et danser nos corps face à l'horreur du génocide en cours ». Francesca, de l'AFPS d'Annecy, en témoigne ensuite : « La Palestine est une société où l'art a une fonction majeure, celle d'une forme de résistance ». Alors il s'agit de « célébrer la beauté ce soir, et la vie malgré tout ». Parmi les différents témoignages lus sur scène, les mots glaçants de Racha, fillette palestinienne de dix ans qui avait rédigé un… testament, avant d'être ensuite tuée avec toute sa famille dans un bombardement israélien : « je souhaite que mes vêtements aillent aux personnes dans le besoin », avait-elle écrit. L'émotion est alors palpable dans l'assemblée. Environ 200 personnes sont présentes ce soir dans les jardins de l'ECREVIS, et toutes les générations sont représentées.
Face à une opinion de plus en plus choquée, l'éditocratie en roue libre !
Ce vendredi soir à l'ECREVIS, à première vue que des gens ordinaires, choqués à juste titre par ce qui se passe à Gaza. Pas d'abayas et de voiles intégraux en vue, ni stand du Hamas, du Hezbollah ou encore des Frères Musulmans. Heureusement que Caroline Fourest n'est pas là, car elle risquerait de qualifier l'ensemble des personnes présentes d'« idiots utiles des islamistes ».

En effet, alors que l'évidence d'un génocide en cours à Gaza est de plus en plus difficile à nier et que les opinions publiques partout sur la planète, y compris en France, semblent de plus en plus choquées par ce qui se passe au Proche-Orient[4], une bonne partie de nos « journalistes », appelons-les plutôt « éditorialistes » ou « doxosophes », continuent de nous offrir un festival de mauvaise foi et d'indignation à géométrie variable, qui devrait ôter définitivement toute crédibilité à leurs propos. Le César de la malhonnêteté intellectuelle pourrait être décernée la semaine écoulée à Caroline Fourest, pour sa « couverture » de la « flottille de la liberté », renommée « la flottille s'amuse »[5] selon un jeu de mots pour le moins douteux, n'ayant pas hésité à faire dans l'insulte et l'outrancier[6]. Une éditorialiste d'autant plus dangereuse qu'elle pare toujours ses démonstrations d'un certain nombre d'informations tout à fait factuelles mais amplifiées à dessein, et jamais resituées dans leur contexte, comme dans le cas de Zaher Birawi, cofondateur de la « flottille de la liberté » et accusé d'être un « agent du Hamas »[7]. Et les liens entre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le Hamas, on en parle ?[8] Et le traitement d'un journaliste français détenu illégalement par Israël[9], on en parle ?
Heureusement que de véritables journalistes, qui vont sur le terrain et se donnent la peine d'interroger les principaux concernés, sauvent l'honneur de la profession, comme cette semaine dans Envoyé Spécial[10]. Ils sont malheureusement trop souvent noyés par le bruit de fond permanent des éditorialistes des chaînes d'infos en continu, devenus un véritable cancer de l'information. L'absurde est que ces derniers continuent de pérorer sur les ondes sur le mode « le droit d'Israël à se défendre » alors que parmi les Israéliens eux-mêmes, de plus en plus de voix dissidentes commencent à émerger pour dénoncer le génocide en cours et exiger un cessez-le-feu immédiat et des sanctions à l'égard d'Israël[11]. Et alors que plus de 200 journalistes palestiniens sont morts eux pour avoir effectué le métier d'essayer d'informer[12].Alors pourquoi cet acharnement à refuser de voir l'évidence ? Et si la véritable raison n'était pas surtout leur vision raciste de la société française, à mille lieux de la géopolitique proche-orientale ?
Israël, bras armé des nouveaux croisés contre l'Islam
C'est en lisant notamment un des derniers ouvrages de Pascal Boniface, Permis de tuer, Gaza : génocide, négationnisme et Hasbara, que ce mystère de l'acharnement médiatique français à défendre inconditionnellement les exactions israéliennes s'éclaircit un peu. L'expert en géopolitique, auteur de nombreux ouvrages de relations internationales[13], part notamment du constat objectif de différence totale de traitement médiatique entre l'agression russe de l'Ukraine, qui a scandalisé à raison, et la destruction totale de Gaza par l'armée israélienne, qui continue de bénéficier d'une complaisance médiatique absolument indéfendable en droit international. Il explique ce « tropisme pro-israélien dans la plupart des médias français » par des raisons légitimes comme « la culpabilité par rapport à l'antisémitisme – concernant en particulier Vichy et la Shoah » et des motivations beaucoup moins « nobles ». Pascal Boniface écrit : « Israël est aussi soutenu pour être la pointe avancée du combat contre l'Islam. Pour ceux qui ont mal digéré la guerre d'Algérie, ou pour ceux qui, pour d'autres raisons éprouvent un racisme anti-arabe, qui assimilent islam et terrorisme, Israël « fait le boulot ». »

Benyamin Netanyahou joue d'ailleurs à fond cette carte, ayant déclaré sur TF1 en mai 2024[14] :
« Notre victoire c'est la victoire d'Israël contre l'antisémitisme, c'est la victoire de la civilisation judéo-chrétienne contre la barbarie. C'est la victoire de la France. »
On comprend tout de suite mieux cet amour inconditionnel d'Israël qui illustre surtout l'islamophobie ambiante dans une France gangrénée par la lepénisation des esprits et la bollorisation des médias[15]. Et cela rejoint les mots de la prix Nobel de littérature Annie Ernaux, tout récemment dans la Grande Librairie : « Cela suppose que soit nommé et interrogé l'imaginaire raciste à l'égard des Arabes qui est au cœur de l'acceptation du martyre de Gaza »[16].
Alors que la peur de l'Islam ne cesse d'être instrumentalisée par le gouvernement actuel, sous perfusion idéologique d'un Rassemblement national plus fort que jamais, entre hystérie autour du voile[17] et fabrication de toutes pièces d'une menace « frériste »[18], alors que des milliardaires d'extrême droite comme Vincent Bolloré ou Pierre-Edouard Stérin[19] tentent d'imposer leur agenda réactionnaire, le traitement médiatique dominant en France sur le génocide de Gaza vient parfaitement illustrer cette vision du monde antirépublicaine de « choc des civilisations », entre une civilisation judéo-chrétienne fantasmée dont Israël serait le premier bras armé en terre sarrasine et un Islam global perçu comme un bloc idéologique monolithique barbare par nos éditorialistes hémiplégiques, dont l'analyse du monde relève surtout des propos de bistrot racistes.
Bien plus que les Frères musulmans, ce sont ces nouveaux croisés des plateaux télé qui sont véritablement dangereux pour notre vivre ensemble et nos principes républicains de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité. A quand un rapport parlementaire sur le séparatisme de Pascal Praud ?
En attendant, l'horreur du génocide en cours à Gaza heurte à raison notre conscience universelle, comme elle fut heurtée le 7 octobre 2023, sans jamais avoir l'indignation à géométrie variable. Car pour la majorité des personnes sincères que l'on croise dans les rassemblements comme celui du 13 juin à l'ECREVIS, la vie d'un enfant palestinien vaut celle d'un enfant israélien. Mais même sans nous projeter jusqu'à Gaza, le traitement médiatique ici de la situation là-bas est très lourd de dangers pour notre propre liberté d'expression, notre droit à une information honnête et sourcée, notre vivre ensemble, nos principes républicains, et au final notre propre démocratie.
Alors indignons-nous sous toutes les formes possibles contre le génocide en cours, car si on ne le fait pas pour les Gazaouis, faisons-le au moins pour nous.
Comme l'écrit la jeune auteure gazaouie Nour Elassy : « Si les droits humains, la morale, ont un sens, Gaza est l'endroit où ces valeurs doivent subsister ou mourir. Car si le monde peut nous regarder disparaître sans rien faire, rien de ce qu'il prétend défendre n'est réel. »
Benjamin Joyeux
Notes
[1] Ecouter notre podcast : https://librinfo74.fr/radio-librinfo-episode-1-ebullition-a-lecrevis/
[2] https://www.instagram.com/ithar_74/
[3] https://www.instagram.com/afpsannecy/
[4] Voir le sondage Odoxa selon lequel 74% des personnes interrogées soutiennent la prise de sanction à l'égard d'Israël : https://www.publicsenat.fr/actualites/international/gaza-les-trois-quarts-des-francais-soutiennent-la-position-de-la-france-et-des-sanctions-contre-israel
[5] Voir https://www.franc-tireur.fr/la-flotille-samuse
[6] Lire https://www.acrimed.org/Flottille-pour-Gaza-la-hargne-de-l-editocratie
[8] Lire par exemple https://fr.timesofisrael.com/pendant-des-annees-netanyahu-a-soutenu-le-hamas-aujourdhui-on-en-paie-le-prix/
[12] Voir https://www.youtube.com/watch?v=FiREi0vtRM0
[13] Par ailleurs directeur de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques, boycotté depuis plusieurs années par nos principaux médias audiovisuels, lire https://www.lecourrierdelatlas.com/le-nouveau-livre-de-pascal-boniface-sur-gaza-ignore-par-les-medias/
[15] Lire notamment https://www.humanite.fr/en-debat/arcom/quelle-riposte-a-la-bollorisation-des-medias
[18] Lire https://theconversation.com/les-freres-musulmans-menacent-ils-reellement-la-republique-257303
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