Presse-toi à gauche !
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Les gens du pays viennent aussi d’ailleurs
Immigrer et s'intégrer dans la société québécoise, qu'est-ce que ça veut vraiment dire ? Dans ce livre, Ruba Ghazal raconte les soirées qu'elle a passées, enfant, à regarder Passe-Partout, les enseignants qui l'ont marquée, sa rencontre avec Françoise David, toutes les expériences qui lui ont appris que la culture, c'est bien plus qu'une langue. C'est un lieu qu'on habite, un pays qu'on aime, la possibilité de la liberté.
Elle rappelle ainsi que si une petite fille palestinienne comme elle, qui ne parlait pas un mot de français en arrivant au Québec, a pu devenir une militante souverainiste, c'est parce que dans le Québec où elle a grandi, l'école publique était encore une source de fierté collective, il existait un solide réseau d'organismes d'accueil des immigrants, et parce que ce Québec-là nourrissait encore des rêves généreux et optimistes auxquels elle reste farouchement attachée. Des rêves qui se sont étiolés, ce dont elle s'indigne : « Quand la droite identitaire scande que c'est d'abord et avant tout l'immigration qui menace la survie du français, elle nous ment en pleine face. » Ce qui menace notre culture, c'est l'oubli de la solidarité. Mais il est toujours plus facile d'être fort contre les faibles, et d'être faible contre les forts.
Ruba Ghazal
Avec la collaboration de Sandrine Bourque
Les gens du pays viennent aussi d'ailleurs
Collection : Hors collection
Lux éditeur
Parution en Amérique du Nord : 5 novembre 2025
Nombre de pages : 192
Table des matières
Prologue - 7
1. La famille qui avait peur de la politique - 19
2. La classe de Monsieur Gilles - 43
3. Retour à Saint-Maxime - 59
4. Mon vote ethnique - 79
5. Payer l'impôt de l'immigration - 97
6. L'appel de la politique - 119
7. Troubles identitaires - 133
8. La pensée magique de la droite identitaire - 155
Conclusion. Et maintenant, on fait quoi ? - 171
Remerciements - 181
Références - 183
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Passer un sapin aux pauvres ou La lutte des classes n’est pas terminée
À la Bourse de la misère, l'indice de la pauvreté est toujours en progression et demeure le placement le plus recherché et stable sur tous les parquets du monde
La pauvreté est la maîtresse de la misère
Les stigmates douloureux de la pauvreté et les affres de la misère orchestrés par des idéologies et des politiques bien ficelées et ancrées dans la société entraînent souffrance et détresse. Cette tragédie bouleverse les aspirations des personnes et mine les contreforts de leur vie en portant atteinte à leur dignité et leurs droits. Abandonnées, elles tentent de survivre enferrées de corps et d'esprit dans les murailles de la précarité et se sentent happées par des chapelles de personnes et d'institutions. Semaine après semaine, elles subissent les maigrelettes distributions alimentaires et celle de leurs enfants dans un Club des petits déjeuners et lors de distributions gratuites d'effets scolaires. Pendant la fête « paganocathopitaliste » de Noël, elles doivent supporter le poids de la « Guignolée des médias » et son torrent de denrées gracieusement logoifiées. Le tout servi sur fond fondant des télés en HD avec l'écho des radios amplifié par des médias sociaux déversant une pluie verglaçante de boniments. Il est illusoire de s'imaginer mettre fin à la pauvreté par la magie des Fêtes. On aura beau « liker » cela des milliers de fois, ça ne changera rien.
« La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent ». Albert Einstein
Les pauvres ne sont point des Guignols
Envahis par une forme de nausée et un sentiment d'impuissance lors de la féérie consumériste des Fêtes, les pauvres n'ont pas la tête, ni le cœur à la fête. Pas plus qu'ils ne disposent des ressources pour se procurer de bonnes miches de pain, surtout lorsque son prix a été pétrie par un cartel. Ils ne peuvent s'offrir de beaux sapins, d'autant plus qu'ils ont peu de choses à glisser sous l'arbre. Les pauvres ne sont pas des Guignols et méritent plus que des bons mots ou des conserves en cannes. Ils sont tannés d'être « coupables d'être pauvres dans une société riche », qui était le slogan d'une campagne du RCLALQ, en 1997, lors de laquelle des membres s'étaient déguisés en prisonniers pour la présentation d'un mémoire à l'Assemblée nationale. Comme l'écrivait Chamfort : « La société est composée de deux grandes classes : ceux qui ont plus de dîners que d'appétit et ceux qui ont plus d'appétit que de dîners ». En décembre 2010, pour être reconnu par le livre des records Guinness, l'Émirates Palace à Abou Dhabi aux Émirats arabes unis a dévoilé un sapin de Noël d'une valeur de plus de 11 millions $ orné de 181 pièces en diamants, perles, émeraudes, saphir … La richesse est vraiment l'antichambre de l'indécence !
Éloge de la charité et/ou de la justice sociale
À chacune des fins d'année que le calendrier Grégorien achève d'effilocher ses 365 jours et nuits harponnant le temps et les saisons et charriant dans son sillon les joies et les peines, nous assistons au cirque des commandites caritatives. Ces gestes de solidarité se veulent louables et l'on ne doit pas dénigrer l'engagement de ceux et celles qui œuvrent afin de soulager cette précarité. En contrepartie, ces élans d'empathie finissent par encourager un désengagement de l'État et servir de paravent pour occulter la réalité et de soupape pour dépressuriser les tensions sociales. En définitive, quelle infamie qu'une société riche telle la nôtre, pourvoyeuse de biens et de services et abonnée à la surabondance se révèle aussi misérable pour se satisfaire de ces solutions éphémères.
La fabrique des pauvres
Nous savons que la pauvreté et la misère ont peu à voir avec le fardeau de la fatalité et sa complice la légèreté de l'oisiveté. Elles ont plus à voir avec une société inégalitaire à la solde d'un Pantagruel système stockeur de richesses mal partagées par un fourbe répartiteur de miettes contraignant les pauvres à grapiller les miettes tombées de la table festive des nantis. Le tout macéré dans une mare de préjugés ravitaillé par un système libertarien soutenu par ses laquais et confiseurs de duperies. Un système qui sauvegarde les intérêts de l'élite économique et en offrant des revenus et des prestations faméliques ne couvrant même pas les besoins de base, formatant des programmes de protection et de formation mal adaptés et ne prenant pas en compte les réalités socioéconomiques. Ces miettes sociétales « calculées » sauvent la face de l'État et maintiennent à flot les rafiots des « cheap labor », les stigmatisent, scrapent leur élan et scalpent leur destinée. Selon une étude de l'IRIS : « Depuis un peu plus de 40 ans, les 90% les moins aisés du Canada ont transféré environ 3,8 billions de dollars aux 10% les plus riches ». Avec une mémoire collective tapie dans l'oubli et une novlangue martelée sur l'enclume de l'indifférence, nous sommes parvenus à forger une chape d'invisibilité et de silence autour de la pauvreté et mystifier la réalité par une aura de fatalité.
Une cabane au Caquistan
En 2025, le nombre de mal-logéEs représente 373 000 ménages consacrant plus de 30 % de leur revenu à se loger et 1 899 ménages rescapés du 1er juillet. Depuis la pandémie de Covid-19, la situation des sans-abris s'est aggravée et les réalités liées à l'itinérance se sont révélées dramatiques et on a laissé p(m)ourrir la situation. Selon une recension de 2022, l'itinérance a explosée et on l'estime à environ 10 000 personnes partout au Québec, imaginer leur nombre en 2025, à un point tel qu'elle est devenue un problème de santé publique. Cette itinérance « dérange » et certains prétendent que ces hordes de sans-abris dérivant dans la ville telle la banquise en cachant leur seringue de survie mentale dans leur baluchon du désespoir et en trimbalant leur patrimoine gisant au fond d'un panier de « Steinberg » finissent par « faire mal aux yeux » et nuire au voisinage, au commerce et au tourisme. Ce sacro-saint tourisme sanctifié par le ministère du Tourisme, prisé par les villes et favorisé grâce à des plateformes d'hébergement touristique avec pour conséquences néfastes la perte de logements et l'expulsion de résidents afin de loger des marées de touristes qui se déversent sur les sables noircis et bitumés des villes-musées telles des vagues scélérates. Dû à l'incurie des gouvernements, face à une crise du logement dévastatrice, des prestations et des revenus insuffisants et la hausse du coût de la vie, des milliers de gens peinent à vivre et se loger alors que d'autres sont expulsées à cause de hausses abusives, de reprises de logement et de rénovictions malfaisantes pour aller battre les pavés de l'errance et agoniser à petit feu. On recense 108 personnes mortes en situation d'itinérance en 2024 au Québec. Le partage de l'espace public est laborieux et la population est prise en étau entre son sentiment d'indignation et d'insécurité. Mais cet espace « Schengen » de l'itinérance c'est tout ce qu'ils ont et représente leur ultime retranchement, leur sauf-conduit et on veut le leur arracher. On les judiciarise et les accuse de troubler « l'ordre public ». Une société qui oblitère la présence des plus vulnérables en les chassant « dehors de dehors » est assurément troublée. Mais pour aller où ? Esseulées et dépouillées de leur droit de cité et expulsées dans une cabane au Caquistan.
Le 911 ne répond plus
Il ne faut pas bulldozer les personnes à la rue qui survivent dans des tentes respiratoires dans les campements. Québec doit cesser d'abandonner le fardeau et les critiques aux villes. Il doit plutôt les soutenir ainsi que les acteurs communautaires et institutionnels. Il doit financer de petits refuges, des centres de jour, même de nouvelles maisons de chambres et mieux les répartir et informer les populations afin de gérer le « syndrome pas dans ma cour ». Par la suite, offrir au plus tôt un toit et les services auxquels ces êtres humains ont droit. L'itinérance est sous respirateur artificiel depuis longtemps et le manomètre de la bonbonne d'oxygène sociale indique vide. Notre société souffre d'un grave choc anaphylactique de sens et d'espérance en plus d'être plongée dans une pandémie Civilisationnelle-21 complexe qui requiert des soins immédiats. Cependant, dans les officines gouvernementales, les temps d'attente s'avèrent désespéramment très longs pour les urgences sociétales. – Faites-le 1, sautez le 2, accéder au 3 et patientez, faites le 4 et laissez un message …–
Une crise annoncée
Il y a plus d'une décennie, les groupes communautaires intervenant en logement et en itinérance telle la FLHLMQ, le FRAPRU, le RCLALQ et le RSIQ tiraient la sonnette d'alarme relatif à la venue d'une crise. Les gouvernements successifs ont ignoré ces alertes et celle de 2020, la CAQ a mis 5 ans à la reconnaître. La CAQ a choisi de sabrer dans les programmes sociaux et désinvestir dans le financement du logement social. Elle en a même profité pour démanteler davantage les assises du droit au logement. Ce désengagement a engendré une crise et favorisé le marché privé. On zap des règles d'urbanisme pour construire plus rapidement, – Adieu qualité, bienvenue Qualinet. – on subventionne sans gêne le privé à même des « fonds publics » en plus de faire appel à des fonds fiscalisés en engraissant les investisseurs qui souffrent déjà de cholestérol profit-érol. Les logements ainsi livrés sont loin d'être abordables et de répondre aux besoins des plus démunis et de la classe moyenne. Selon Ricardo Tranjan : « Il y a 75 ans, une étude détaillée réalisée par la SCHL a affirmé sans équivoque que les marchés privés ne peuvent et ne pourront jamais résoudre les enjeux de logement au Canada ». Merci à ceux et celles qui au cours des 50 dernières années ont milité pour le « droit au logement » et se sont battus sur toutes les tribunes, souvent à contre-courant, dans les rues sous toutes les températures météorologiques et politiques pour gagner 170 000 logements sociaux et communautaires. Soit une richesse collective pérenne et un formidable « leg » aux générations futures et nous devrions doubler ce parc pour résorber la crise.
Une situation intenable
En sept ans au pouvoir, la CAQ a submergé les multinationales de subventions envolées avec elles et saupoudré d'une grosse poignée de changes aux pauvres et abdiqué ses responsabilités en matière d'habitation et d'itinérance. On se retrouve dans une situation intenable où 1 million de personnes ont recours aux services des banques alimentaires et uniquement pour le mois de mars 2025, elles ont répondu à près de 3,1 millions de demandes. – Bravo M. Legault, on a dépassé l'Ontario ! – Ils n'arrivent plus à se loger aux prises avec des loyers atteignant des sommets sur l'échelle de Richter des hauses. Ainsi, de 2019 à 2025, le prix des loyers à Montréal a augmenté de 71% avec des loyers de 2 000 $ à 2 650 $ par mois pour un 4 ½. Imaginer le loyer des logements neufs dans cinq ans suite à l'application de la « clause F ». On est à mille lieux des 75 dollars de Couillard pour un panier d'épicerie d'une semaine ou des 500 piasses de Legault pour se loger, ce Rocky Balbutieur champion toutes catégories des désastres financiers et politiques. Honorable P.M. ainsi que vos déplorables et interchangeables titulaires de l'habitation, vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les ménages à faible et modeste revenu subissent le supplice des sardines dans des logements insalubres ou sont chassés de leur logement et balayés de leur quartier d'appartenance avec pour unique bagage les larmes du déracinement et jetés à la rue comme des rebuts ou des « Serpuariens » ? – Au moins ces derniers bénéficient d'un abri avec près de 1 000 points de services. –
Fausse crise – Vraie tempête
Comment se loger quand les villes et les gouvernements donnent carte blanche à de riches promoteurs privés, libres comme des larrons en foire et assoiffés de profits pour développer des « quartiers-dortoirs » tel Griffintown à Montréal. Un ancien quartier ouvrier transformé en « ghetto de riches » sans âme, en manque de services et d'espaces verts et dont la proportion de logements sociaux n'atteignait que de 8 %, en 2023. Saturé d'immeubles grattant un ciel pollué et nichant des cocons d'appartements au loyer prohibitif de 3 345 $ par mois pour un 5 ½. Cette offre additionnelle de logements et son effet de percolation attendue, qui n'est en fait qu'un leurre, ne résout en rien la crise actuelle. Ces opérations d'enrichissement et de gentrification représentent une forme de solution de dépannage, de privatisation du développement urbain et d'exclusion sociale. Les discours étatiques s'avèrent un show de boucane pour étouffer les critiques et aveugler l'opinion publique. Attendez de voir les loyers des 20 000 logements projetés dans les sites Bridge-Bonaventure et Namur-Hippodrome. Oui, les riches possèdent bel et bien des sièges à l'intérieur des arcanes du pouvoir et comme le déclare Nicolas Matyjasik : « Quand tout sera privé, nous serons privés de tout ». Selon Peter Marcuse et David Madden : « Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la crise du logement n'est pas causée par le manque d'unités locatives, des taux d'intérêts élevés ou une conjoncture économique défavorable. C'est l'état normal du marché immobilier en régime capitaliste … À plus grande échelle encore, la crise du logement résulte des inégalités et des antagonismes de la société de classes ». La CAQ souhaite mettre l'emphase sur les rénovations. Mais, où vont loger ces familles déplacées par les travaux alors que l'on vit une pénurie ? Cela risque de provoquer davantage de rénovictions et augmenter les loyers une fois les rénos terminées, surtout avec les nouvelles règles de fixation. Pour ajouter l'insulte à l'injure, la CAQ s'entête à ne pas financer et développer du logement hors marché qui permettrait d'offrir du logement à prix raisonnable et du logement social disposant de subventions au loyer. Pas plus qu'il n'adopte de mesures efficientes pour protéger les maisons de chambres et les résidences privés pour aînéEs (RPA), réviser les règles de fixation des loyers fort préjudiciables aux locataires, instaurer un contrôle et un gel des loyers, établir un Registre universel des loyers, réformer le Tribunal administratif du logement (TAL), abolir les clauses « F et G » dans les baux résidentiels, interdire les « Airbnb », contrer la discrimination et les évictions et stopper la marchandisation et la financiarisation du logement. Il n'entend pas réformer et reconnaître le « droit au logement » constituant pourtant un droit fondamental au même titre que l'éducation et la santé. Preuve de son « je-m'en-foutisme » : le droit au logement ne figure pas dans son projet de Constitution. Bâtir un pays certes, mais on les met où les « gens du pays » ? Pas juste dans un bel hymne.
Qu'ossa donne d'aider les pauvres ?
La question à poser : pourquoi tant de pauvreté ? Parce qu'en régime libertarien, les conditions de vie inacceptables des êtres humains ne constituent pas une priorité. C'est pourquoi il s'entête à détricoter le filet social et ne pas respecter ses obligations et les conventions internationales. Les fondements de ces inégalités sont bien enracinés et confortées par un système allergique aux protections sociales qui tousse et même s'étouffe lorsque l'on discute d'équité et d'égalité. Il affirme sans réserve que : donner aux pauvres c'est toujours une folle dépense alors que donner aux riches constitue un bon investissement ». Ça s'appelle la doctrine PSF ou « Puits sans fond » de Fitzgibbon. Ce « top gun » a dévalisé le Fonds de diversification économique à hauteur de 5,1 milliards de dollarsen pertes financières, sans compter les 510 millions $ dans Northvolt dont les batteries financières ont fondu. – Un chausson avec ça ? – Un système dont les mantras sont l'austérité et la réduction de la taille de l'État et avec pour credo « l'économie » et son corolaire : la croissance économique à tout prix ! – Pas de chausson avec ça. – Mais c'est pas si grave que ça selon Yvon Deschamps : « Dans vie y a deux choses qui comptent, une job steady pis un bon boss ».
Prendre la rue pour ne pas se retrouver à la rue
Albert Camus écrivait : « La misère est une forteresse sans pont-levis ». Il nous incombe de bâtir de véritables et durables pont-levis. Des pont-levis permettant à toute personne en situation de précarité de pouvoir franchir en toute dignité les murs ancestraux jugés imprenables de cette forteresse et de s'affranchir de la misère et de la pauvreté afin de pouvoir incarner des citoyens et des citoyennes à part entière et disposer des ressources pour exercer leurs droits reconnus et assumer librement leur destin. Globalement et localement nous devons considérer qu'il s'agit d'une lutte politique et il faut donc nous solidariser. Passer à l'action pour essoucher les racines des inégalités, combattre les préjugés, chasser les craintes et démanteler les politiques néolibérales favorisant le profit et semant les ferments de l'indigence. Cesser ces offres de solutions injustes et non pérennes aux personnes aux horizons cadenassés dans le désespoir et aux existences piégées dans la misère. Mettre un terme au statut quo et obliger les gouvernements à prendre leurs responsabilités et adopter des plans d'action dotés de cibles et de mesures structurantes. Revendiquer des politiques économiques, fiscales et sociales justes et équitables et des mécanismes de contrôle. Il est temps que l'on réaffirme le contrat social au nom du bien commun car notre réserve d'oxygène civilisationnel est en péril. Toute personne devrait avoir accès aux besoins de base, à une alimentation saine et en quantité suffisante, à un logement en bon état d'habitabilité répondant à ses besoins avec un loyer abordable, à des soins de santé et l'éducation gratuites ainsi qu'à un emploi procurant un revenu maximum convenable assorti de bonnes conditions de travail.
Selon OXFAM, les 1 % des plus riches possèdent plus de richesses que les 95 % des pauvres de l'humanité. Comme l'exprime Noam Chomsky : « Les choses arrivent quand les gens décident d'agir. À mon avis, c'est la principale leçon de l'Histoire ». Il est temps de presser le bouton à « off » pour stopper cette frénésie dévastatrice et suicidaire de la croissance sans fin. Comme l'a écrit Aldous Huxley : « Si la guerre, le gaspillage et les usuriers étaient abolis, vous vous effondreriez ». Voilà ce que nous devrons faire, non pas réformer, mais casser ce système au seul bénéfice d'une minorité de nantis, de ploutocrates et de dictateurs corrompus qui ne cessent d'exploiter et de jouer à la roulette russe (américaine ou chinoise) avec notre destin et s'apprêtent à dépenser sur le dos des générations à venir, mais sans avenir, des milliards $ dans l'armement et la frénésie funeste de l'IA et du nucléaire ainsi qu'à exploiter la Lune et Mars. Tout comme ils continuent de le faire avec des millions d'êtres humains abandonnés et exploités. Selon l'Observatoire des inégalités, 733 millions de personnes souffrent de la faim et selon l'ONU-Habitat, 2,8 milliards de personnes n'ont pas accès à un logement adéquat sur une planète qui franchira bientôt son point de rupture. Ils ont pour seule et grande ambition, non pas de sauver la terre et les humains, mais de sauver les terres rares et les machines : c'est tellement plus payant ... Les pires choses au regard des maux de l'humanité sont la « banalisation » (Voir nos frères et sœurs de Gaza rendrent l'âme à la télé couleur en HD sur écran géant et en son surround tout en s'empiffrant de popcorn au beurre et ingurgitant sa canette de coke « diète » glacé.) et le « laisser-faire » (Les Trump, Poutine et Natanyahou de ce monde). C'est pourquoi nous devons continuer le combat car c'est une question d'espoir en la vie, de droits fondamentaux et du droit au bonheur !
« Tant que la population générale reste passive, apathique, détournée par la consommation ou la haine des plus vulnérables, les puissants peuvent faire ce qu'ils veulent, et ceux qui survivent seront laissés à contempler les conséquences ». Noam Chomsky
Solidairement,
Gaétan Roberge
Travailleur retraité du Comité logement Ville-Marie
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Épictète
Né vers l'an 50 après J.-C. à Hiérapolis, en Phrygie (Asie Mineure), Épictète fut emmené à Rome comme esclave. Il a fait partie du groupe des philosophes qui ont été chassés de la capitale de l'Empire par Domitien en 90. Il se réfugie à Nicopolis d'Épire, en Grèce du Nord, où il meurt autour de l'an 135. Son maître, Épaphrodite, un affranchi de Néron, est connu, par la légende, pour avoir infligé de mauvais traitements à son esclave. Il a néanmoins permis à Épictète de suivre l'enseignement du philosophe stoïcien Musonius Rufus (Dégremont, 2014, p. 242 ; Hadot, 1998, p. 517-519 ; Mattei, 1984, p. 860).
Épictète n'a laissé aucun écrit. Son enseignement, fidèle à la tradition socratique, prenait la forme de dialogues et d'apostrophes. C'est l'un de ses disciples, Arrien de Nicomédie, qui consigna ses paroles dans les Entretiens. Pour Épictète, la liberté véritable réside dans la pensée : nul ne peut asservir l'esprit d'un homme libre, même s'il est esclave de corps. Le sage, conscient de ce qui dépend ou non de lui, ne cherche pas à agir sur l'inévitable, mais exerce son esprit à l'accepter avec lucidité et sérénité. Comment tout cela se répercute-il sur le plan de l'engagement politique ? Telle est la question que nous tenterons de résoudre ici à travers la présentation résumée de deux ouvrages qui lui sont attribués : Manuel et « De l'attitude à prendre envers les tyrans » (dans les Entretiens).
Deux caractéristiques majeures du stoïcisme : « Supporter et s'abstenir »
La philosophie d'Épictète s'inscrit dans le courant du stoïcisme, qu'il pousse à un degré de rigueur morale extrême, parfois perçue comme austère et absolument insensible. Indifférent à tout bien extérieur échappant à sa maîtrise, Épictète prône l'acceptation sereine et fière de la nécessité. Sa maxime pratique, « Supporte (ou souffre) et abstiens-toi »[1] (Sustine et abstine), résume l'attitude qu'il recommande face aux vicissitudes de l'existence. Selon lui, seuls relèvent véritablement de notre pouvoir notre raison, notre volonté et, en un sens, notre être intérieur. Les biens matériels ou les événements extérieurs, dépendant du hasard ou de la fortune, doivent, par conséquent, être tenus pour indifférents. Vivre conformément à la raison revient, dès lors, à vivre en harmonie avec la nature. Épictète condamne la passion — qu'il apparente à une sorte de « maladie » de l'âme — car elle détourne l'homme du jugement droit et de la sérénité intérieure. Ainsi, la liberté, le bonheur, la puissance et la perfection ne s'obtiennent qu'au prix de l'impassibilité (apatheia ou l'ataraxie), pour ne pas dire « le détachement des passions » (de Crescenzo, 1999, p. 428) qui constitue le but ultime du sage stoïcien[2].
Épictète : Manuel
Le Manuel d'Épictète est un guide pratique de vie morale, condensant les principes essentiels du stoïcisme pour atteindre la paix intérieure (ataraxie) et la liberté (autarkeia). L'idée centrale de l'ouvrage se retrouve dans la citation suivante : « Ce ne sont pas les choses [ta pragmata ] qui troublent les hommes, mais les évaluations prononcées [ta dogmata] sur les choses » (Épictète - Chapitre V, 2015c, p. 28 et 63)[3]. Le cœur de l'ouvrage repose sur une distinction capitale entre d'une part, ce qui dépend de nous (nos pensées, nos désirs, nos actions, nos jugements) et d'autre part, ce qui ne dépend pas de nous (le corps, la richesse, la réputation, la santé, la mort, les événements extérieurs)[4]. La sagesse consiste à se concentrer uniquement sur ce qui dépend de nous, et à accepter sereinement tout le reste. Les grands principes stoïciens du Manuel[5] sont, pour l'essentiel, les suivants : la maîtrise de soi (ne pas se laisser dominer par les passions, les peurs ou les désirs, cultiver la raison et la modération) ; l'acceptation du destin (tout ce qui arrive fait partie de l'ordre universel : la Nature, la Providence, refuser le destin, c'est souffrir inutilement) ; la liberté intérieure (la véritable liberté ne dépend pas des circonstances, mais de l'attitude intérieure, car, même esclave, un homme peut être libre s'il garde la maîtrise de son esprit) ; le devoir et la vertu (vivre en accord avec la nature et la raison, agir justement, sans attendre de récompense extérieure) ; et finalement l'indifférence aux biens extérieurs (la richesse, la gloire, la santé ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi, seul le bon usage qu'on en fait compte) (Hadot, 1998, p. 519-520 ; Mattei ; 1984, p. 863-866).
Parmi certains enseignements célèbres que l'on retrouve dans le Manuel, mentionnons ceux-ci :
« Ne cherche pas à faire que les événements arrivent comme tu veux, mais veuille les événements comme ils arrivent, et le cours de ta vie sera heureux » (Épictète. 2015c, ch. VIII, p. 64) [6].
« Rappelle-toi : tu es acteur dans un drame, un drame tel que le veut l'auteur : court, s'il le veut court ; long, s'il le veut long ; s'il veut que tu joues un mendiant, c'est pour que, celui-là aussi, tu le joues avec talent. De même s'il s'agit d'un boiteux, d'un magistrat, d'un simple particulier. Ce qui te revient en effet, c'est de bien jouer le rôle qui t'a été donné ; mais le choisir, c'est l'affaire d'un autre » (Épictète, 2015c, ch. XVII, p. 67) [7].
« Tu peux être invincible, si tu ne descends jamais dans l'arène d'une lutte où il n'est pas à ta portée de vaincre » (Épictète, 2015c, ch. XIX, p. 68).
« Tu peux n'être jamais vaincu, si tu n'entreprends jamais aucun combat où ne dépendent pas absolument de toi de vaincre. » (citée dans la traduction de Dacier, 1971, p. 27).
Le Manuel est pour l'essentiel un guide de conduite (ou des règles de conduites à toujours avoir en tête) et non un traité théorique. Il enseigne comment les stoïciens doivent s'y prendre pour vivre en paix, agir avec raison, et rester libre intérieurement, quelles que soient les épreuves.
Épictète : « De l'attitude à prendre envers les tyrans »
Le texte d'Épictète intitulé « De l'attitude à prendre envers les tyrans » développe une réflexion stoïcienne sur la manière de conserver sa liberté intérieure face à la domination extérieure. Épictète explique que le pouvoir du tyran n'est réel que dans la mesure où on lui accorde de la puissance, autrement dit, où on attache de la valeur à ce qui dépend de lui, comme la richesse, le corps, les honneurs, au lieu de valoriser la liberté intérieure et le contrôle de ses propres représentations et réactions. Selon lui, le tyran affirme souvent être le plus puissant, mais cette puissance est illusoire car elle repose sur des choses extérieures qui ne dépendent pas de nous.
L'enseignement fondamental est que la véritable liberté consiste à se détacher des biens extérieurs et des privilèges que le tyran peut offrir, pour rester maître de son esprit, de ses désirs et aversions. En adoptant cette attitude, on ne peut être opprimé, car la domination véritablement tyrannique ne peut atteindre la sphère intérieure de la liberté et du jugement personnel. C'est ainsi que, par le choix de ce à quoi on attache de la valeur, on peut résister à la tyrannie sans confrontation violente, en refusant de dépendre psychologiquement du tyran.
Pour Épictète, la racine de la servitude n'est nullement dans la force du tyran, mais dans la manière dont chacun valorise ce qui n'est pas dans son pouvoir : honneurs, richesses, intégrité physique, réputation. À partir du moment où l'on accorde à ces biens extérieurs un prix supérieur à la liberté intérieure, on devient vulnérable à la domination externe. De cette analyse, Épictète tire une éthique radicale de l'indifférence vis-à-vis de la puissance extérieure, et ce, peu importe sa nature toutefois. Il invite à distinguer soigneusement, comme nous l'avons déjà dit, entre ce qui dépend de nous (jugement, désir, aversion) et ce qui ne dépend pas de nous (corps, biens matériels, l'opinion d'autrui, actions d'autrui). Seul doit compter l'effort intérieur pour conformer la volonté à la raison et à la nature, en acceptant avec sérénité ce qui échappe à notre contrôle. La leçon centrale devient alors un authentique art de vivre libre au cœur même des pires circonstances politiques ou sociales : l'homme véritablement libre est celui qui se soucie d'abord de maintenir sa souveraineté sur lui-même et considère la perte de tout le reste comme indifférente.
Que penser de cette posture face à la tyrannie ?
Ce texte concerne la liberté de pensée face à l'oppression politique. Le point de vue développée n'incite ni à la révolte violente ni à la soumission, mais à une sorte d'autonomie morale qui relativise radicalement la puissance tyrannique, la ramenant à sa juste mesure : « Zeus m'a permis d'être libre. Ou crois-tu qu'il allait laisser asservir son propre fils ? Tu es le maître de mon cadavre, prends-le » (Épictète. 2015b, p. 106). Autrement dit, « Tu peux me menacer de la mort, mais tu ne disposes pas de ma volonté. » Si l'humanité, note Épictète, était capable de ce discernement, le tyran perdrait immédiatement le ressort de son pouvoir. Le texte fait ainsi du stoïcisme une philosophie de la résistance par l'indépendance d'esprit, versus le culte des biens extérieurs.
Il est permis, selon nous, de reprocher à Épictète de trop faire dans l'indifférence politique[8]. Il prône une attitude trop passive face à l'injustice et à la tyrannie. Il invite à se limiter à la résistance intérieure et au détachement psychologique sans encourager l'action directe ou la lutte politique contre l'oppression. Cette posture correspond à une forme de résignation et/ou de complaisance envers le pouvoir établi : le sage se détourne de la résistance extérieure pour ne cultiver que sa liberté intérieure, au risque d'abandonner la société à la domination du tyran.
La liberté humaine est-elle seulement intérieure et individuelle ? Peut-on la concevoir comme étant complètement détachée des conditions concrètes de l'existence et de la justice sociale ? Épictète est disposé à laisser le champ libre au pouvoir arbitraire du tyran et ce tant que l'individu conserve sa sérénité intérieure. D'un point de vue politique, cette distanciation affirmée face au pouvoir politique[9] conduit à coup sûr à une faiblesse de la résistance collective et à une sous-estimation de la valeur de l'action civique ou de la solidarité. En ramenant toute question politique à une question de représentation subjective et de disposition d'esprit, Épictète semble banaliser la souffrance, l'injustice ou la violence exercée par le tyran. Même s'il fonde une éthique de la souveraineté subjective puissante pour briser l'emprise psychologique de la peur, sa doctrine reste nettement, selon nous, critiquable pour son insuffisance du point de vue de la résistance active, de la justice collective et de la transformation des rapports de pouvoir.
Le point de vue que nous avançons mérite possiblement d'être nuancé, si nous prenons le temps d'examiner ce à quoi correspondait la tyrannie à l'époque de la Grèce antique. La différence de la portée de ce concept avec ce à quoi il correspond aujourd'hui semble majeure.
Au sujet de la différence entre la tyrannie à l'époque de la Grèce antique et aujourd'hui
La différence principale entre un tyran à l'époque de la Grèce antique et aujourd'hui tient à la nature du pouvoir exercé par le tyran et aussi à la perception du mot.
Dans la Grèce antique, le terme « tyran » (τύραννος, turannos) désigne un individu qui s'emparait du pouvoir illégalement, généralement par la force, sans respecter les règles de succession en vigueur. Ce pouvoir - et il importe de le préciser - n'était ni préalablement mal vu ni toujours négatif au départ : certains tyrans ont pu être populaires, notamment lorsqu'ils prenaient le parti du peuple contre l'aristocratie. La tyrannie était alors caractérisée par : la prise de pouvoir illégitime (sans droit héréditaire ou légal reconnu) et un exercice du pouvoir absolu, mais conservant parfois les lois et institutions existantes pour sauver les apparences. Parfois même le tyran avait l'appui et le soutien des couches populaires contre les élites.
Aujourd'hui, le terme a une connotation à la fois négative et abusive. Le mot « tyran » a acquis depuis minimalement le siècle dernier[10], une connotation fortement négative. Il désigne une personne (chef d'État, dictateur, etc.) qui exerce son pouvoir de façon arbitraire, cruelle, oppressive, en abusant de son autorité et sans respect des lois ni des droits. Il évoque aujourd'hui plus concrètement un pouvoir absolu exercé de façon despotique et souvent violente. Le tyran a peu ou prou de légitimité morale ou politique en raison du fait de sa gouverne politique qui se caractérise par le recours à la terreur, l'injustice, la cruauté et l'absence de respect des libertés individuelles.
En résumé, le tyran de la Grèce antique était un usurpateur du pouvoir, parfois toléré ou soutenu, alors que le tyran actuel désigne avant tout un dirigeant abusif dont le règne est associé à la violence, à l'oppression et au totalitarisme.
Mais le tyran (abuseur) peut être n'importe qui
Apportons la nuance exprimée plus tôt sur notre interprétation de la position d'Épictète au sujet de la tyrannie — prise dans son acception péjorative — et du détachement des choses extérieures, comme le pouvoir politique. Marc-Aurèle, qui s'inspira de la philosophie stoïcienne durant son règne, voyait aussi l'adversaire militaire comme un potentiel tyran, au même titre que son entourage et sa population pouvaient se montrer tyranniques envers lui. Parce que l'expression de la tyrannie déborde de la définition coutumière de l'époque, comme tente de nous le faire comprendre Épictète. Tout le monde peut devenir le tyran de quelqu'un d'autre, en s'octroyant une force et des privilèges qui pourtant ne lui appartiennent qu'en vertu du fait que nous les lui accordons ; et ce, même si nous n'en pouvons rien. Mais un César, un maître ou n'importe quelle personne capable d'exercer un pouvoir peut devenir certes tyran, y compris être sage et bon.
L'enseignement d'Épictète se destine à quiconque aspire à la tranquillité d'esprit et à la liberté, comme nous l'avons souligné, soit, en même temps, des qualités attribuées à la sagesse. Par conséquent, le dirigeant ou la dirigeante, qui recherche la vertu sans s'illusionner, doit rester les deux pieds sur terre et se questionner sur ce qui est le plus important, c'est-à-dire, en premier lieu, tendre vers ce qui dépend de sa personne, puis, en second lieu, profiter avec humilité de ce que le monde extérieur lui procurera. Au bout de la ligne, la tyrannie, prise dans le sens de ce qu'elle peut générer en termes d'abus, est la manifestation de quelqu'un qui souhaite incarner ce qu'elle n'est pas et ne pourra jamais être, sans se faire du tort ainsi qu'aux autres. D'où un chemin tortueux qui le ou la mènera évidemment vers des tourments incessants et l'échec inévitable. Ainsi, la liberté correspond également à avoir l'esprit libre de toutes chimères créées à partir d'une imagination de ce que doit représenter le pouvoir, la richesse, le prestige et les honneurs ; voire cette imagination qui amène en plus la personne à croire qu'elle incarne sur terre le pouvoir, la richesse, le prestige et les honneurs.
Ainsi, Épictète ne tente pas seulement de faire accepter leurs conditions à ceux et celles qui subissent des ordres ou un commandement, mais d'aider aussi les dirigeants et les dirigeantes à agir en conscience de cause et surtout à partir d'un précepte fort simple qui oblige à regarder les faits tels qu'ils sont au lieu de leur attribuer, en plus de s'attribuer, une valeur mensongère basée sur l'opinion, le jugement ou encore le culte des possessions. Et il est là leur défi : comment être capable de s'occuper à la fois de soi et des autres qui forment la société à gouverner, sans perdre la tête. C'est à ce niveau également que la tendance manichéenne de l'humain matérialiste et amoureux des voluptés les amènera à imposer ce qui fait leur affaire, au lieu de prendre le temps d'un recul réflexif susceptible d'aboutir à une solution davantage bénéfique pour la collectivité. Alors, le tyran, pour Épictète, est une personne qui a perdu son chemin pour elle-même et qui n'a donc aucune idée de sa place véritable parmi les autres et de ce qu'il faut faire pour contribuer au mieux-être commun ; elle est plutôt ancrée sur ce qu'elle croit qui serait le mieux à partir de ses représentations du comment l'extérieur doit fonctionner et sur ce qu'il doit lui apporter en termes de choses qui ne dépendent cependant pas d'elle.
Comme Épictète (2015a[1943], p. 24) l'a bien dit, « ce sont les difficultés qui révèlent les hommes », d'où le choix d'accepter de jouer ou de faire comme les enfants qui communiquent ouvertement leur souhait de ne plus jouer. Dans le premier cas, à quoi peut servir de se lamenter, sinon d'accroître sa propre souffrance et de toujours lorgner les biens que les autres possèdent et sur lesquels on n'y peut rien ; tandis que pour le tyran, la difficulté sera de pousser les autres à rencontrer son désir, alors que toute personne, aussi esclave soit-elle, possède sa propre volonté qui, à n'importe quel moment et sous n'importe quelle forme, s'opposera à son ordre, ce qui ne fera qu'augmenter sa frustration. Dans le second cas, le refus de jouer permet de s'en aller, ce qui ne signifie pas nécessairement une fuite physique, mais un allégement de l'esprit, afin de cesser de se fatiguer avec des idées qui augmentent la souffrance et donc s'attirer un peu plus de tranquillité ; tandis que le tyran peut aussi accepter de laisser aller certaines choses, l'amenant à gagner du temps pour se concentrer sur lui au lieu de maudire ses sujets qui ne l'écoutent plus et qui risquent en plus de le détester davantage, s'il ose multiplier les châtiments. En définitive, peu importe notre place au sein d'une société, Épictète nous amène à choisir la voie de la tranquillité, de l'apaisement des pulsions et des frustrations, en préférant la vie vécue au présent de façon à l'apprécier pour ce qu'elle est et pour soi-même. Le philosophe tente donc de nous convaincre de ceci :
« Souviens-toi que ce n'est ni celui qui te dit des injures, ni celui qui te frappe, qui t'outrage ; mais c'est l'opinion que tu as d'eux, et qui te les fait regarder comme des gens dont tu es outragé. Quand quelqu'un donc te chagrine et t'irrite, sache que ce n'est pas cet homme-là qui t'irrite, mais ton opinion. Efforce-toi donc, avant tout, de ne pas te laisser emporter par ton imagination ; car, si une fois tu gagnes du temps et quelque délai, tu seras plus facilement maître de toi-même » (Épictète, 1971, p. 29).
En bref, l'enseignement partagé vise l'accalmie individuelle qui peut certes aider en politique à se concentrer sur l'essentiel, de façon à débrouiller l'esprit dans la prise de décision utile à la collectivité. Mais revient aussi dans les parages une interprétation qui suppose de laisser les uns les autres agir à leur guise, dans une sorte d'anarchie contrôlée dans ses pulsions, grâce à des préceptes prônant la maîtrise de soi ; ce qui peut d'ailleurs détonner d'un stoïcisme amoureux de l'ordre et des règles dans une structure généralisée, comme on voudra le garantir à une population. Voilà où apparaît l'influence de Socrate.
Conclusion
Il est permis de reprocher à Épictète de trop faire dans la passivité ou l'indifférence politique. Il prône une attitude trop passive face à l'injustice et à la tyrannie. Il invite à se limiter à la résistance intérieure et au détachement psychologique sans encourager l'action directe ou la lutte politique contre l'oppression. Cette posture correspond à une forme de résignation et/ou de complaisance envers le pouvoir établi : le sage se détourne de la résistance extérieure pour ne cultiver que sa liberté intérieure, au risque d'abandonner la société à la domination du tyran. Mais des questions méritent d'être soulevées ici : la liberté humaine est-elle seulement intérieure et individuelle ? Peut-on la concevoir comme étant complètement détachée des conditions concrètes de l'existence et de la justice sociale ? Épictète semble complètement disposé à laisser le champ libre au pouvoir arbitraire du tyran et ce tant que l'individu conserve sa sérénité intérieure. D'un point de vue politique, cette distance conduit à coup sûr à une faiblesse de la résistance collective et à une sous-estimation de la valeur de l'action civique ou de la solidarité. À moins d'éduquer le tyran aux préceptes de la philosophie, afin de l'amener à se replacer à l'intérieur de son être, malheureusement perdu dans ses passions et ses ambitions souvent démesurées.
En ramenant toute question politique à une question de représentation subjective et de disposition d'esprit, Épictète nous donne la forte impression qu'il banalise la souffrance, l'injustice et/ou la violence exercée par le tyran. Or, est-ce plutôt pour nous aider à comprendre à quel point sommes-nous habiles à exagérer nos souffrances, c'est-à-dire à faire de notre imagination l'artisane de notre authentique malheur ? Est-ce la vie qui doit être juste ou ce que nous en faisons pour nous-mêmes et les autres ? Cette vie doit-elle alors être jugée sur ce qu'elle est ou sur ce que nous imaginons d'elle seulement pour nous-mêmes ? Il n'empêche que même si Épictète fonde une éthique de la souveraineté subjective puissante pour briser l'emprise psychologique de la peur, sa doctrine reste pour nous nettement critiquable pour son insuffisance du point de vue de la résistance active, de la justice collective et de la transformation des rapports de pouvoir.
Annexe 1
Citations intéressantes puisées dans l'ouvrage ÉPICTÈTE. 1971. Manuel. Traduit par M. Dacier. Avignon : Aubanel, 79 p.
I.De toutes les choses du monde, les unes dépendent de nous, les autres n'en dépendent pas. Celles qui en dépendent sont nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinations, nos aversions ; en un mot, toutes nos actions. II. Celles qui ne dépendent point de nous sont le corps, les biens, la réputation, les dignités ; en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions. III. Les choses qui dépendent de nous sont libres par leur nature, rien ne peut ni les arrêter, ni leur faire obstacle ; celles qui n'en dépendent pas sont faibles, esclaves, dépendantes, sujettes à mille obstacles et à mille inconvénients, et entièrement étrangères. (p. 7-8).
IV. Souviens-toi donc que, si tu prends pour libres les choses, qui de leur nature sont esclaves, et pour tiennes en propre celles qui dépendent d'autrui, tu trouveras partout des obstacles, tu seras affligé, troublé, et tu te plaindras des dieux et des hommes : au lieu que, si tu prends pour tien ce qui t'appartient en propre, et pour étranger ce qui est à autrui, jamais personne ne te forcera de faire ce que tu ne veux point ; ni ne t'empêchera de faire ce que tu veux ; tu ne te plaindras de personne ; tu n'accuseras personne ; tu ne feras rien, pas la plus petite chose, malgré toi ; personne ne te fera aucun mal, et tu n'auras point d'ennemi, car il ne t'arrivera rien de nuisible. (p. 8-9).
X. Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu'ils en ont. Par exemple, la mort n'est point un mal, car, si elle en était un, elle aurait paru telle à Socrate, mais l'opinion qu'on a que la mort est un mal, voilà le mal. Lors donc que nous sommes contrariés, troublés ou tristes, n'en accusons point d'autres que nous-mêmes, c'est-à-dire nos opinions. XI. Accuser les autres de ses malheurs, cela est d'un ignorant ; n'en accuser que soi-même, cela est d'un homme qui commence à s'instruire ; et n'en accuser ni soi-même ni les autres, cela est d'un homme déjà instruit. (p. 14-15).
XIV. Ne demande point que les choses arrivent comme tu les désires, mais désire qu'elles arrivent comme elles arrivent, et tu prospéreras toujours. XV. La maladie est un obstacle pour le corps, mais non pour la volonté, à moins que celle-ci ne faiblisse. « Je suis boiteux. » Voilà un empêchement pour mon pied ; mais pour ma volonté, point du tout. Sur tous les accidents qui t'arriveront, dis-toi la même chose ; et tu trouveras que c'est toujours un empêchement pour quelque autre chose, et non pas pour toi. (p 17-18).
XXI. Si tu veux que tes enfants et ta femme et tes amis vivent toujours, tu es fou ; car tu veux que les choses qui ne dépendent point de toi en dépendent, et que ce qui est à autrui soit à toi. De même, si tu veux que ton esclave ne fasse jamais de faute, tu es fou ; car tu veux que le vice ne soit plus vice, mais autre chose. Veux-tu n'être pas frustré dans tes désirs ? Tu le peux : ne désire que ce qui dépend de toi. (p. 22-23).
XXII. Le véritable maître de chacun de nous est celui qui a le pouvoir de nous donner ou de nous ôter ce que nous voulons ou ne voulons pas. Que tout homme donc, qui veut être libre, ne veuille et ne fuie rien de tout ce qui dépend des autres, sinon il sera nécessairement esclave. (p.23).
XXIX. Souviens-toi que ce n'est ni celui qui te dit des injures, ni celui qui te frappe, qui t'outrage ; mais c'est l'opinion que tu as d'eux, et qui te les fait regarder comme des gens dont tu es outragé. Quand quelqu'un donc te chagrine et t'irrite, sache que ce n'est pas cet homme-là qui t'irrite, mais ton opinion. Efforce-toi donc, avant tout, de ne pas te laisser emporter par ton imagination ; car, si une fois tu gagnes du temps et quelque délai, tu seras plus facilement maître de toi-même. (p. 29).
Bibliographie
Aristote. 1971. La politique. Paris : Denoël Gonthier, p. 95-114.
Brunschwig, Jacques. 1996. « Stoïcisme antique ». In. Raynaud, Philippe et Stéphane Rials. Dictionnaire de philosophie politique. Paris : Presses Universitaires de France, p. 748-752.
De Crescenzo, Luciano. 1999. Les grands philosophes de la Grèce antique. Paris : Le livre de poche. p. 425-432.
Dégremont, Roselyne. 2014. « Épictète ». In. Zarader, Jean-Pierre (dir.). Dictionnaire de philosophie. Paris : Ellipses poche, p. 242-244.
Épictète. 1971. Le manuel d'Épictète. Avignon : Aubanel, 79 p.
Épictète. 1991. De l'attitude à prendre envers les tyrans. Paris : Gallimard, 130 p.
Épictète. 2015a[1943]. « Comment il faut combattre les difficultés ». In. Épictète. Du contentement intérieur et autres textes. Texte établi et traduit du grec ancien par Joseph Souilhé avec la collaboration d'Amand Jagu pour les extraits des livres III et IV. Paris : Les Belles Lettres/Gallimard, p. 24-28.
Épictète. 2015b. Entretiens. Fragments et sentences. Paris : Vrin, 537 p.
Épictète. 2015c. Manuel d'Épictète. Présentation par Laurent Jaffro. Paris : Garnier-Flammarion, 157 p.
Hadot, Ilsetraut. 1998. Dictionnaire des philosophes. Paris : co-édition Encyclopaedia Universalis/Albin Michel, p. 517-521.
Hermet, Guy, Bernard Badie, Pierre Birnbaum et Philippe Braud. 2015. Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques. Paris : Armand Colin, p. 305.
Hérodote. 1850. « Choix d'un gouvernement ». Livre III. THALIE. L'enquête. Paris : Charpentier, 1850. http://remacle.org/bloodwolf/historiens/herodote/thalie.htm. Consulté le 21 juillet 2020.
Mattei, Jean-François. 1984. « Épicure ». In. Huisman, Denis (dir.). Dictionnaire des philosophes A-J. Paris : Presses Universitaires de France, p. 866-873.
Million-Delson, Chantal. 1985. Essai sur le pouvoir occidental. Paris : Presses Universitaires de France, 252 p.
Platon. 1966. République. Paris : Garnier-Flammarion, (§544a à §557b), p. 304-316.
Platon. 2006. Les lois : Livres I à VI. Paris : Garnier-Flammarion, (§709e), p. 225.
Polybe. 1977. Histoires. Paris : Les Belles lettres, p. 71-80.
Polybe. 2003. Histoires. Paris : Gallimard, p. 549-559.
Notes
[1] Nuits attiques, XVII, 19. https://remacle.org/bloodwolf/erudits/aulugelle/livre17.htm. (Voir également :
https://psychaanalyse.com/pdf/BIOGRAPHIE%20D%20EPICTETE%20-%20WIKIPEDIA%20(7%20pages%20-%202%20mo).pdf.) Consulté le 1er novembre 2025.
[2] Les informations présentées ici ont été puisées dans l'introduction du livre Manuel d'Épictète (2015) rédigée par Laurent Jaffro et également dans Ilsetraut Hadot (1998, p. 517-521).
[3] Voir également le chapitre X, dans la traduction de Dacier (1971, p. 14) : « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu'ils en ont ».
[4] Voir la citation I dans l'Annexe 1.
[5] En grec ancien, manuel s'écrit enkheiridion (« ce que l'on tient dans la main »). L'Académie française précise ceci : « XVIe siècle. Mot du bas latin, emprunté du grec egkheiridion, « poignard » (de kheir, « main », avec le préfixe en‑, « dans »). LITTÉRATURE GRECQUE ET LATINE. Manuel, recueil de préceptes. L'« Enchiridion » d'Épictète. » https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9E1345. Consulté le 1er novembre 2025.
[6] Voir également dans la traduction de Dacier (1971, p. 14-15) : « XIV. Ne demande point que les choses arrivent comme tu les désires, mais désire qu'elles arrivent comme elles arrivent, et tu prospéreras toujours ».
[7] Voir également dans la traduction de Dacier (1971, p. 26) : « XXV. Souviens-toi que tu es acteur dans une pièce, longue ou courte, où l'auteur a voulu te faire entrer. S'il veut que tu joues le rôle d'un mendiant, il faut que tu le joues le mieux qu'il te sera possible. De même, s'il veut que tu joues celui d'un boiteux, celui d'un prince, celui d'un plébéien. Car c'est à toi de bien jouer le personnage qui t'a été donné ; mais c'est à un autre de te le choisir. ».
[8] Mattei (1984) excuse et justifie le détachement ou le non-engagement de la vie politique prôné par Épictète en raison de ceci : « A l'image de ses deux modèles, Socrate et Diogène, Épictète ne fuit pas le monde, s'il ne va pas à lui : il le laisse plutôt advenir, ou encore il laisse arriver les choses comme elles arrivent, en faisant à chaque fois ce que sa raison et la place qu'il occupe dans la cité lui commandent de faire. La solidarité militante dont il témoigne sans ostentation lui interdit de s'engager, [...], pour la bonne raison qu'il est déjà engagé dans la communauté des dieux et des hommes ; il a un poste » ( p. 865).
[9] Comme l'écrit Brunschwig (1996, p. 749) « l'adhésion au stoïcisme ne constitue pas un engagement à militer en faveur d'une politique particulière, à travailler par exemple à l'instauration ou au maintien d'un régime donné, monarchie, aristocratie ou démocratie ».
[10] « Tyrannie : Gouvernement d'un tyran, modalités d'exercice de son pouvoir sans frein, ou espace politique qui lui est soumis. Dans la Grèce antique, le tyran s'emparait du pouvoir et s'y maintenait par la force, au mépris de toute règle déjà établie ou simplement prévisible. Il pouvait toutefois bénéficier de l'assentiment populaire, et ce n'est qu'avec Platon et Aristote que la tyrannie s'est transformée en catégorie typologique connotée de manière totalement péjorative. Platon, en particulier, l'interprétait soit comme une corruption de la monarchie, soit comme un risque tendanciel inhérent à la démocratie. C'est Leo Strauss qui a renoué en 1946 avec l'usage du mot, devenu cher plus tard aux néo-conservateurs américains dans leur croisade pour la démocratie en tous lieux. » (Hermet, Badie, Birnbaum et Braud, 2015, p. 305).
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Comptes rendus de lecture du mardi 4 novembre 2025
Démocratie des urnes et démocraties de la rue
Jean-Marc Piotte
Jean-Marc Piotte est décédé il y a deux ans à l'âge de 82 ans. « Démocratie des urnes et démocraties de la rue » est un peu considéré comme son testament intellectuel nous explique-t-on en quatrième de couverture. Résolument progressiste et ouvert aux débats d'idées, le politicologue y plaide avec intelligence et discernement entre autres pour la justice sociale, la protection de l'environnement, l'égalité entre les hommes et les femmes et l'intégration des immigrants. C'est un bouquin éclairant écrit par un essayiste éclairé. Je vous en recommande la lecture.
Extrait :
Les anarchistes ne partagent pas cette vision. Quels que soient les libertés fondamentales et les contre-pouvoirs, la démocratie représentative demeure sous la tutelle de l'oligarchie. Cette vérité est d'autant plus éclatante que la mondialisation a entraîné des gouvernements « socialistes ou sociaux-démocrates » à s'agenouiller devant les puissances de l'argent et à faire payer au peuple la crise économique que celles-ci avaient engendrée. De plus, la victoire électorale d'un parti anti-oligarchique ne supprime pas le pouvoir de l'oligarchie, comme l'a révélé, au Chili en 1970, le renversement du gouvernement d'Allende par l'armée de Pinochet soutenue par la CIA. La seule alternative à la démocratie représentative serait donc le régime dans lequel le peuple exerce le pouvoir, la démocratie directe.
La vengeance des mal-aimés
Raymond Ouimet
Ce livre a été publié cette année. Raymond Ouimet nous y rappelle trois drames ayant marqué l'actualité judiciaire dans la première moitié du XXe siècle. Le premier se déroule au début du siècle dans les Laurentides. Un agriculteur ne supporte pas de se voir privé de l'amour de sa femme et de ses enfants en raison de son beau-frère et se voit accusé du meurtre de celui-ci. Les deux autres se déroulent à l'époque de la grande dépression ; le premier, dans le Pontiac, à l'île aux Allumettes, l'autre dans la région de Québec, et impliquent de nombreuses victimes. Le recueil est bien documenté et très agréable à lire. On y découvre des pans intéressants de notre histoire judiciaire en ces époques de peine capitale, mais aussi, indirectement, de notre histoire en général. J'ai beaucoup aimé.
Extrait :
Sainte-Scholastique, 10 juin 1904. Le village agricole québécois de 800 habitants, chef-lieu du district judiciaire de Terrebonne, resplendit sous les rayons d'un soleil printanier et s'imprègne des mille et un parfums que dégage la riche campagne environnante arrosée par une pluie torrentielle la veille. Il fait beau et la bonne humeur pourrait se lire sur le visage des habitants si ce n'était du drame qui se prépare à la prison locale attenante au palais de justice construit il y a 39 ans.
Une fratrie
Brigitte Reimann
Traduit de l'allemand
Ce roman, publié en Allemagne de l'Est l'année de ma naissance et qui avait suscité l'enthousiasme et des polémiques à l'époque, est devenu aujourd'hui un classique de la littérature allemande. Il se situe un peu avant l'érection du Mur de Berlin, en 1961, alors qu'il était encore possible de franchir la frontière entre l'Est et l'Ouest. Elisabeth est une jeune artiste-peintre communiste de 24 ans qui vit en Allemagne de l'Est avec sa famille. Après le passage de son frère aîné vers l'Ouest, elle tente en deux jours, avec son fiancé, de dissuader son autre frère, Uli, de faire la même chose. Un beau et bon roman qui nous fait pénétrer dans la réalité d'une société et d'une famille déchirée par la division de son pays.
Extrait :
À cet instant précis, je compris ce que signifiait l'expression l‘Allemagne divisée. Je l'avais lue si souvent, dans des éditoriaux, des articles et parfois, rarement, dans des récits ; il m'était à moi aussi arrivé, à l'université et au combinat, de mentionner, par écrit ou oralement, « la tragédie allemande », et cette expression, je l'avais employée, sans arrière-pensée. Maintenant, je savais ce qu'elle signifiait.
La vie quotidienne en Russie au temps du dernier tsar
Henri Troyat
L'engouement exagéré pour les Romanov et la famille de Nicolas II m'a toujours un peu troublé. Cet ouvrage, qui fait partie d'une collection sur la vie quotidienne dans différents lieux, à différentes époques, nous offre de façon documentée les détails de la vie en Russie en 1903, à l'époque du dernier tsar, Nicolas II. La Russie était à l'époque une société fort religieuse, aux nombreuses cultures, et une société parmi les plus inégalitaires, où la richesse et le luxe d'une minorité côtoyait allégrement le grand dénuement matériel et intellectuel de la vaste majorité. Un livre très bien écrit, agréable à lire et très instructif.
Extrait :
Au-dessus de ce potentat régional, il n'y avait que les hauts personnages présidant aux destinés de l'empire : le tsar, dont le pouvoir illimité était consacré par l'Église, le Conseil d'empire, formé de tous les ministres et de quelques puissants dignitaires, dont le rôle était de sanctionner les lois, le Comité des ministres, qui préparait les mesures législatives, le Très Saint-Synode, chargé de veiller à la vie religieuse de la nation, et le Sénat, lui-même divisé en huit départements, dont la compétence s'étendait à la publication des ukases, à la confirmation des titres de noblesse, à la fixation des limites de la propriété foncière et au jugement en cassation des affaires civiles et criminelles. Tout cet appareil politique et administratif était soutenu par une police forte.
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Pour contrer l’extrême droite, il nous faut rêver grand
En réaction au succès de l'article de Rob Grams consacré à ce que Marine Tondelier incarne politiquement – une écologie bourgeoise essentiellement compatible avec le macronisme – des centaines de ses partisans sont venues nous accuser de “faire le jeu de l'extrême droite”. Face au péril du RN, très haut dans les sondages, l'extrême-droitisation du débat public et, c'est nous qui l'ajoutons parce que ces gens le passent généralement sous silence, le déjà-là fasciste en France, il faudrait faire bloc “à gauche” et s'abstenir de toute critique sur la complaisance de certains de ses candidates et candidats avec le capitalisme ou la pensée dominante. J'irai droit au but : je pense tout l'inverse.
27 octobre 2025 | tiré du site Frustrations
https://frustrationmagazine.fr/contrer-extreme-droite
Je crois que cet argument, utilisé parfois de mauvaise foi pour nous silencier, parfois de bonne foi face à une inquiétude réelle, doit être retourné : c'est parce que le fascisme est présent tout autour de nous qu'il faut redoubler d'exigence envers ce qu'il est convenu d'appeler “la gauche”. Ce terme regroupe en théorie les partisans de l'égalité, de la liberté et de l'acceptation des différences mais dans les faits des partisans du capitalisme et des gens qui pensent qu'il faut en sortir. Le meilleur antifascisme possible c'est l'existence d'une gauche anticapitaliste décomplexée, qui ne s'excuse pas de l'être, qui décrit le réel dans des termes clairs, qui n'a pas peur de dire “bourgeois”, “capitalisme”, “colonialisme” et “patriarcat”, et qui prône une rupture avec le désespérant système actuel. Si l'on se replie au contraire sur un consensus mou autour du plus petit dénominateur commun, si l'on ne propose que des micro-mesures ou pas de mesures du tout, pour espérer ne pas se marginaliser dans un débat public tiré artificiellement mais efficacement à droite, alors nous disparaitrons. Face à l'extrême droite qui dessine un puissant cauchemar, il nous faut rêver grand, très grand.
Déplacer la fenêtre d'Overton à gauche, mode d'emploi
“Ce que désigne la fenêtre d'Overton, nous dit Clément Viktorovitchttps://www.rtl.fr/actu/politique/z...h, c'est l'ensemble des opinions qui sont considérées comme dicibles, acceptables au sein de l'opinion publique. L'ensemble de ce que l'on peut dire en tant qu'acteur du débat public sans être immédiatement frappé d'opprobre, sans être immédiatement renvoyé au banc du débat public. Et donc, toute l'idée de cette fenêtre, c'est qu'elle est dynamique, elle s'élargit, elle se contracte, elle se déplace.”
La fenêtre d'Overton s'est déplacée à droite, je n'apprends rien à personne. C'est particulièrement le cas sur les questions d'immigration et sur les questions socio-économiques. Vouloir accueillir dignement les étrangers en France fait de vous une personne terriblement d'extrême gauche et imaginer la nationalisation de certains secteurs clefs de l'économie – idée absolument centrale voire consensuelle après la Seconde Guerre mondiale – vous place dans le camp des extrémistes. Le centre lui-même s'est déplacé à droite, si on l'identifie à Macron, qui est un homme profondément réactionnaire et hostile à la démocratie.
Face à ce phénomène, que faire ? Des politiques qui n'ont qu'une vision électoraliste de leur rôle, c'est-à-dire qui estiment que, dans l'intérêt de leur boutique, il faut obtenir le plus de voix possibles, vont suivre la direction du déplacement de la fenêtre d'Overton, en défendant, quand ils sont de gauche, des propositions de plus en plus timorées voire en adoptant des idées de droite pour espérer gagner des voix du côté de cet électorat, comme l'a fait le “communiste Fabien Roussel” en parlant d'assistanat et en critiquant le RSA. C'est un cercle vicieux : ils contribuent à déplacer la fenêtre à droite puisqu'ils effacent les propositions de gauche où les ramollissent.
Pour ramener la fenêtre d'Overton à gauche, c'est basique mais pas grand-monde ne le fait, il faut, au moins, tenir ferme sur ses positions et, au mieux, investir des idées et des mesures encore plus à gauche.
Or, pour ramener la fenêtre d'Overton à gauche, c'est basique mais pas grand-monde ne le fait, il faut, au moins, tenir ferme sur ses positions et, au mieux, investir des idées et des mesures encore plus à gauche. C'est ce que fait une femme comme Sandrine Rousseau sur les questions de société, et qui lui vaut régulièrement des sanctions médiatiques énormes. C'est ce que fait par exemple la France insoumise sur le génocide à Gaza, l'islamophobie et l'immigration en France, et ses membres se font punir par d'intenses campagnes de dénigrement et des accusations répétées, complètement infâmantes. C'est ce que fait Révolution permanente en prenant au sérieux le projet révolutionnaire et en donnant la parole à des figures du mouvement ouvrier qui ne l'auraient autrement jamais. Si ces personnes ne le faisaient pas, le débat public français aurait basculé dans un déni complet du génocide et dans un programme unanime d'arrêt de l'immigration. Car la gauche “molle”, à qui l'on nous reproche de nous en prendre, ne tient ni ses positions, ni, évidemment, ne se bat pour ramener le débat public à gauche. Rob Grams démontre par exemple la façon dont Marine Tondelier s'est souvent pliée aux injonctions politiques et médiatiques sur Gaza, sur les polémiques anti-musulmanes et sur les questions économiques.
Sur ces dernières, la séquence désastreuse qu'il rappelle, où elle déclare, sur la chaîne Twitch de l'Humanité, que se demander si, pour mener une politique écologiste, il faut sortir du capitalisme, c'est “se branler la nouille”, est un terrible point donné à l'extrême droite.
Créer la possibilité d'un futur au-delà des slogans creux
Car l'extrême droite se nourrit de l'idée que rien ne changera jamais. Que notre société fait du surplace, voire régresse, et que le capitalisme est l'horizon indépassable de l'humanité. Ce que le théoricien Mark Fisher appelle le “réalisme capitaliste”, cette idée selon laquelle il est plus facile d'imaginer la fin du monde que celle du capitalisme, permet à l'extrême droite de proposer, elle, un ersatz de changement : “Au moins, si c'est Marine Le Pen qui passe, il se passera des choses.” Vous avez sans doute déjà entendu cette phrase. Elle est inconsciente, irresponsable et terrible, mais elle correspond à des pensées que des gens ont. L'extrême droite trumpiste a provoqué de l'évènement, nous dit Renaud-Selim Sanli dans le passionnant numéro de la revue Trou Noir consacré aux “pulsions fascistes” : “C'est à l'aune de cette perception d'un changement possible que peut être compris le fascisme contemporain : le retour d'une volonté de changement au sein d'un sentiment généralisé de « manque de volonté ».” Et c'est d'autant plus simple que le changement proposé par l'extrême droite vient puiser dans un imaginaire déjà existant : celui de la nostalgie du passé.
Il est beaucoup plus difficile d'incarner la possibilité d'un changement vers un futur désirable parce que le réalisme capitaliste a précisément anéanti l'idée d'un futur possible, hormis celui subi et incontrôlable, nourri par l'idée que l'IA va détruire le travail, que le changement climatique va nous engloutir, etc. : des futurs où nous aurions, en tant qu'humanité, la main, sont nettement moins faciles à concevoir dans les conditions actuelle d'atrophie de notre imaginaire politique par l'idéologie dominante et ses canaux médiatiques.
Le rôle historique du mouvement ouvrier, qui s'est appelé socialisme ou communisme, c'était d'affirmer la possibilité d'un futur où c'est bien l'humanité qui décide, et pour elle-même, en reprenant les rênes de sa vie à ceux qui les détiennent : la classe possédante et ses satellites.
Le rôle historique du mouvement ouvrier, qui s'est appelé socialisme ou communisme, c'était d'affirmer la possibilité d'un futur où c'est bien l'humanité qui décide, et pour elle-même, en reprenant les rênes de sa vie à ceux qui les détiennent : la classe possédante et ses satellites. Cette mission n'est plus assurée par une partie de celles et ceux qui se disent de gauche, et c'est très grave. En disant que parler du capitalisme c'est du “branlage de nouille”, Marine Tondelier évacue cette question. Elle est évidemment loin d'être la seule à le faire : au pouvoir, c'est d'abord le Parti socialiste et l'ensemble des gauches sociales-démocrates en Europe, mais aussi aux États-Unis via le parti démocrate, qui ont mis en scène l'idée qu'il n'y avait qu'une seule politique possible : “l'économie n'est ni de droite ni de gauche, l'économie est”, disait Tony Blair, l'un des nombreux artisans, avec par exemple Lionel Jospin en France, de ce renoncement qui vaut validation définitive du capitalisme et du règne de la bourgeoisie comme seul horizon possible de l'humanité. “Faudra me dire par quoi on le remplace”, dit encore, aux journalistes de l'Humanité, Marine Tondelier à propos du capitalisme.
Face à l'extrême droite, déjà en grande partie au pouvoir (on se tue à le dire mais pour la plupart des influenceurs de la gauche et du centre l'extrême droite est toujours une menace extérieure, à venir), ce genre de phrase est criminelle. Ce n'est pas une simple divergence que nous avons avec Tondelier, Faure et les autres : c'est une accusation que nous portons contre eux et elles, celle de contribuer à faire gagner nos adversaires.
Nourrir la libido, attiser les flammes
De la même manière, si Rob Grams s'en prend aux mots creux et au programme vide du parti écologiste, ce n'est pas par jugement de goût. C'est parce que cette politique politicienne faite de slogans, de bons mots, d'anecdotes, contribue au climat blasant, décourageant et morne sur laquelle l'extrême droite prend racine. L'extrême droite, qui dépasse, rappelons-le, le cadre du parti RN, se nourrit, comme les champignons, des ambiances poisseuses et ennuyeuses de notre vie politique où l'écoeurement succède au dégoût. Les séquences d'affrontements parlementaires, de commentaires de petites phrases, de déclaration de candidatures, ont pour effet de chasser du débat public tout ce qui peut nous tirer vers le haut. “Ça ne m'intéresse pas, je n'ai même plus envie d'en parler”, est la phrase que j'ai le plus entendu lors du vaudeville des négociations qui ont suivi la démission de Sébastien Lecornu.
Or, de juillet à fin septembre, la colère sociale contre le budget de l'ex-Premier ministre a pris tellement de place dans le débat public, en particulier sur les réseaux sociaux mais aussi dans les discussions les plus quotidiennes, qu'elle a débouché sur l'annonce de dates de mobilisations populaires, les 10 et 18 septembre, qui ont focalisé toute une partie de l'attention médiatique. Même les médias mainstream s'y sont mis : invité sur RTL un soir de septembre pour en parler, je constatais que même les journalistes de cour qui se trouvaient sur le plateau vibraient un peu de ce contexte social. Même eux se sentaient un peu emportés par la fièvre qui s'était emparée du pays : envie de prendre aux riches, envie de destituer Macron… L'ensemble du débat public tournait autour de la taxation des riches et de la nécessité de changer nos institutions.
Ce genre de moment est le meilleur antifascisme que nous pouvons connaître. Vous avez remarqué ? Que cela soit en septembre 2025 ou au printemps 2023, lors des manifestations contre la réforme des retraites, le RN était totalement absent. Il attendait que ça se termine, parce qu'il n'a rien à dire quand les vrais problèmes sont aussi clairement exposés : qui donne quoi, qui reçoit quoi, qui décide et comment. Le fascisme ne peut pas répondre à des questions aussi clairement posées, car ses partisans savent que la population, sur ses sujets, penche très majoritairement à gauche : elle est redistributive et elle se méfie du pouvoir. Or, le fascisme est là pour aider la bourgeoisie à augmenter ses profits et il rêve d'autorité et de tyrans. Mais il ne peut jamais amener ses projets frontalement, il a besoin pour cela de moments flous, poisseux, prompts aux polémiques islamophobes, aux disputes politiciennes, aux faits divers montés en épingle.
Que cela soit en septembre 2025 ou au printemps 2023, lors des manifestations contre la réforme des retraites, le RN était totalement absent. Il attendait que ça se termine, parce qu'il n'a rien à dire quand les vrais problèmes sont aussi clairement exposés : qui donne quoi, qui reçoit quoi, qui décide et comment.
Que doit faire la gauche antifasciste face aux moments de mobilisation populaire et de centralité des sujets institutionnels et économiques ? Les prolonger le plus possible, pour faire durer cette imprégnation de nos idées dans le débat public, mais pas seulement : aussi pour faire durer la libido. Car oui, les périodes de mouvements sociaux sont enthousiasmantes : elles ouvrent un possible, une brèche dans la fermeture de l'avenir décrite par Mark Fisher, cette idée que rien ne changera jamais, qu'on est foutu, qu'on n'est que des pions. Il ranime des envies de changements profonds, de révolutions, que cela soit au premier ou au second degré. Il met en scène des puissants en difficulté, des patrons qui racontent n'importe quoi à la télé, un Pierre Gattaz, ex-président du Medef, qui pleure des insultes que sa classe recevrait et un Sébastien Lecornu qui démissionne à peine nommé.
En venant négocier avec un gouvernement pourtant au stade terminal, qui n'avait plus qu'à être achevé par la gauche parlementaire, la gauche modérée – socialiste et écologiste – a rouvert une séquence ennuyeuse, triste et profondément désespérante. La France insoumise, quant à elle, a proposé une destitution présidentielle par voie parlementaire qu'elle était sûre de perdre. Ces partis politiques ont contribué à sortir la politique de la rue pour la ramener dans les hémicycles et les cours de ministères. Après les quelques semaines enthousiasmantes de septembre, celles de mouvements sociaux pas encore massifs mais puissamment soutenus, les partis qui se sont précipités dans de vaines négociations avec Macron sont venus nous rappeler que la politique c'était chiant, que cela ne nous concernait pas, et que rien ne changerait, de toute façon, jamais. Et ils ne l'ont pas fait pour des nobles raisons, pour nous faire obtenir de minces changements, par “pragmatisme”, comme ils disent, car eux n'attendent pas “le grand soir”, on connaît la chanson. Car on sait désormais que la “suspension de la réforme des retraites” n'était qu'un piège dans lequel s'est engouffré le PS volontairement, avec la bénédiction des écologistes et qu'en échange de la fin du mouvement social nous n'obtiendrons rien d'autres que la taxation des apprentis, des malades et des précaires, en lieu et place de celle des milliardaires. Mais parce que ces formations avaient peur de l'arrivée d'élections où elles auraient tout perdu, ou d'une phase de chaos institutionnel dans laquelle elles n'ont rien à dire, car elles ne pensent rien de mal de nos institutions, elles ont préféré cette entourloupe à la chute de Macron.
En déclarant sa candidature à la présidentielle, ou à une primaire de gauche qui n'existe pas, on n'a pas bien compris, Marine Tondelier achève de ramener la vie politique française dans la routine déprimante, consternante et désespérante sur laquelle le désir d'extrême droite prospère.
Donner de la force et du pouvoir
On a reproché à Rob Grams de parler de la veste verte de Marine Tondelier (ce qu'il ne fait que dans une demi-phrase en citant l'article dédié du Monde. Ce serait un peu sexiste et réducteur de parler de son vêtement, non ? Sauf que c'est elle qui en parle constamment. Elle est exposée en vitrine telle une relique durant certaines de ses interventions en librairie. Encore dernièrement dans son livre tout juste publié, elle qualifie cette veste “d'objet transitionnel, comme disent les psychanalystes. L'équivalent d'un doudou pour adultes de gauche angoissés par les législatives en cours” (elle parle des élections de 2024). On ne va pas épiloguer des heures sur cette sortie, même si elle se trouve dans un livre qui a été écrit et relu, mais on peut quand même noter qu'elle traduit une certaine infantilisation de la citoyenneté, réduite à la condition de spectateurs ayant besoin d'être rassurés par des couleurs capables de neutraliser leurs angoisses.
Marine Tondelier est évidemment loin d'être la seule à percevoir les citoyens avant tout comme des électeurs, c'est-à-dire des êtres pas très futés dont la raison et les affects doivent être stimulés par des discours et des attitudes ciblés. La professionnalisation de la politique a créé une classe de politiciennes et de politiciens qui considère les citoyens comme des parts de marché, qu'un marketing basé sur des sondages et des petites intuitions (souvent pas très solides, sur la base de quelques porte-à-porte et deux trois mains serrées “sur les marchés”) permettrait de conquérir. Ce faisant, les politiciennes et politiciens professionnels transforment la politique en marché, où a lieu la rencontre d'une offre et d'une demande. Et comme leur vision de l'offre est largement biaisée par la façon dont elle est présentée par les plateaux TV de milliardaires et par leurs instituts de sondage, ils ne prennent aucun risque à affirmer des idées un peu fortes.
Mais surtout, en transformant le citoyen en consommateur, on l'infériorise. Cette infériorisation des citoyens est un terrain fertile à l'extrême droite, tous les experts du vote RN le disent. Car l'extrême droite arrive et propose aux citoyennes et aux citoyens de leur redonner un peu de puissance. Et pas n'importe laquelle : celle de pouvoir s'en prendre à plus faible que soi, aux “assistés”, aux « cassos », aux étrangers, aux Noirs, aux Arabes… Le pouvoir minable de pourrir la vie aux autres, mais le pouvoir quand même.
Ce n'est pas une simple divergence que nous avons avec Tondelier, Faure et les autres : c'est une accusation que nous portons contre eux et elles, celle de contribuer à faire gagner nos adversaires.
Le mouvement ouvrier mais aussi le mouvement féministe ou LGBT ont encouragé les gens à prendre le pouvoir sur leur vie et sur les institutions. Ces mouvements, que l'on peut classer à gauche mais qui vont au delà de ce que ce terme implique, ont su donner de la force, à travers l'activation de mouvements politiques concrets qui préexistait aux élections qui n'étaient que la traduction institutionnelle d'un rapport de force déjà présent : le mouvement gay avait déjà transformé la société avant que le mariage gay soit voté. Le mouvement féministe a combattu le sexisme au quotidien avant des lois viennent sanctionner ces évolutions. Le Front populaire a dû faire voter au parlement un programme que les ouvrières et ouvriers avaient forgé dans les usines occupées… Les exemples sont nombreux et la grande erreur de la gauche française contemporaine, France insoumise comprise, c'est de prétendre que l'élection, en elle-même, pourra changer nos vies, et que nous n'avons qu'à aimer, soutenir, applaudir, calmer nos angoisses avec un doudou vestimentaire et qu'eux feront le reste. Qui peut croire en cette fable ? De moins en moins de monde, alors il est temps de changer.
Critiquer la gauche pour ses renoncements ce n'est pas faire le jeu du fascisme, au contraire : c'est cesser d'être complaisant envers des forces boutiquières, non réflexives et relativement égotiques qui n'ont décidément aucune capacité de remise en question. Et cette absence de remise en question, que l'on a aussi observée, aux États-Unis, du côté du Parti démocrate qui a eu quatre ans pour empêcher le retour sanglant de Trump et n'en a rien fait, fait partie des causes profondes du développement du fascisme. La gauche qui ne dit plus rien de fort laisse la place à l'extrême droite qui hurle.
Photo de Tijs van Leur sur Unsplash
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Le technomasculinisme comme moteur du néo-impérialisme : la domination sans entraves
Au cœur de l'écosystème technologique états-unien s'affirme une idéologie singulière, à la fois structurante et mal nommée : le technomasculinisme. Derrière les discours sur l'innovation, l'intelligence artificielle et la souveraineté individuelle, se tisse un récit de domination, fondé sur une masculinité hégémonique, blanche et technosavante. Ce récit, loin d'être marginal, irrigue les centres névralgiques du pouvoir américain — de la Silicon Valley à la Maison-Blanche, en passant par le Pentagone. Il opère comme une extension du néolibéralisme états-unien, dans une version dérégulée, extractive et autoritaire, qui écarte la doctrine d'ouverture fondée sur le soft power — promue depuis des décennies — pour lui substituer les seuls moyens du hard power.
Printemps 2025 | tiré du site d'ATTAC-France
https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-42-printemps-2025/dossier-du-chambardement-du-monde-au-chaos-voie-sans-issue/premiere-partie-triste-etat-des-lieux/article/le-technomasculinisme-comme-moteur-du-neo-imperialisme-la-domination-sans
Ce tournant s'inscrit dans un réalignement idéologique plus large, amorcé sous l'administration Trump, puis consolidé par son Vice président, J.D. Vance, autour d'une vision agressive de la souveraineté nationale, de la primauté masculine blanche et du recul des normes démocratiques. Cette dynamique repose sur une critique conjointe de l'État régulateur, des élites progressistes et des institutions du soft power, systématiquement qualifiées de « féminisées » donc selon eux « affaiblies ». À leur place, le technomasculinisme propose un ordre technopolitique alternatif, fondé sur l'extraction algorithmique, la ségrégation eugéniste et la captation des ressources cognitives et reproductives.
Loin d'être un simple avatar idéologique, ce mouvement s'incarne dans des infrastructures concrètes : cryptomonnaies, plateformes d'intelligence artificielle, enclaves libertariennes, neurotechnologies. Il se traduit par une reconfiguration profonde de la souveraineté — déterritorialisée, contractuelle, algorithmique — au service d'une nouvelle caste d'hommes-prophètes, ingénieurs et financiers, qui se vivent comme les architectes supraintelligents d'un ordre post-apocalyptique. Cette dynamique s'articule étroitement à une logique de settler colonialism (colonie de peuplemet) réactualisé, où la conquête de nouveaux territoires — matériels et cognitifs — justifie la dépossession d'autrui au nom du progrès, de la raison ou du salut eschatologique.
Ce texte propose d'interpréter le technomasculinisme comme une idéologie-matrice de la domination contemporaine, au croisement du néolibéralisme, de l'accélérationnisme et du christofascisme. À partir de l'analyse de ses figures, de ses récits et de ses dispositifs techniques, nous explorons les modalités par lesquelles il reconduit, sous une forme mutée, le projet néo-impérialiste de domination masculine et blanche, tout en revendiquant sa légitimité au nom de l'innovation et de la survie.
I. Aux origines du technomasculinisme : rancunes et vénération du QI.
Le technomasculinisme trouve ses racines dans une longue histoire de révolte réactionnaire contre l'égalisation démocratique, débutant avec les transformations économiques et sociales du New Deal et l'abandon de l'étalon standard or en 1971. Ces événements marquent un tournant dans la perception de l'élite économique blanche et masculine, qui vit ces changements comme une perte de contrôle sur un ordre économique jugé naturel. La gestion étatique croissante de l'économie est perçue comme une dépossession de leur pouvoir, notamment dans le domaine financier. L'État social devient dès lors pour cette élite le symbole d'un renversement de l'ordre ancien, permettant la montée des classes populaires et des minorités, tout en affaiblissant la domination des hommes blancs. Ce sentiment de dépossession trouve un écho qui se renforce au fil des décennies, particulièrement dans les années 1970 et 1980, avec l'apparition de think tanks libertariens, de mouvements fondamentalistes évangéliques, et des contre-réformes fiscales.
C'est dans ce contexte que la Silicon Valley se nourrit depuis ses premières années d'idéalisme libertarien. Dans la première phase, les figures emblématiques comme Steve Jobs et Bill Gates ont incarné un modèle d'entrepreneur individuel, voire idéaliste, dont l'objectif était d'apporter des solutions à des problèmes sociaux tout en favorisant l'innovation technique. Cependant, cette vision a rapidement été subvertie par la logique capitaliste dominante, et dans les années 1990, le secteur technologique a amorcé une transition vers des modèles d'affaires. Le passage de la première à la deuxième phase marque la naissance du capitalisme de surveillance : la collecte de données personnelles est devenue la principale ressource générant de la richesse, alimentant une économie basée sur la manipulation des comportements des utilisateurs à travers les plateformes numériques. Cela a permis à des entreprises de constituer des monopoles tout en imposant un modèle économique de réification de l'humain et de hiérarchisation de sa valeur, en fonction de son utilité pour alimenter des modèles de prédiction des comportements. Le 11 septembre 2001 a modifié de manière significative l'usage des technologies numériques, en particulier en ce qui concerne la surveillance et l'analyse des données. Ce tournant a conduit certains oligarques de la Silicon Valley à renouer avec les racines militaristes de l'Internet, en appliquant les principes technologiques de collecte et d'analyse de données à des fins de sécurité nationale. Parmi eux, Peter Thiel, le cofondateur de PayPal, a été un acteur clé de cette transformation.
Ce virage s'est également accompagné d'une obsession portée sur le QI comme marqueur de supériorité, dans une logique eugéniste. Inspirée par des théories controversées, telles que celles avancées dans The Bell Curve (1994, du psychologue de Harvard Richard J. Herrnstein et du penseur libertarien Charles Murray), l'obsession pour le QI a nourri des récits qui favorisent des hiérarchies intellectuelles, souvent en lien avec des idées raciales et socio-économiques. Des initiatives telles que la sélection embryonnaire pour optimiser l'intelligence, défendues par des entreprises comme Anomaly, illustrent cette tendance à une forme d'eugénisme libéral, où l'élite technologique promeut un modèle génétique optimisé au détriment de la diversité sociale. Dans une logique masculiniste radicale, les femmes sont reléguées au statut de ressource génétique, valorisées selon la qualité du “terreau” biologique à partir duquel est extraite la matière première : des individus jugés supérieurs, destinés à faire avancer l'humanité toute entière. Cette vision hétéronormative et transphobe, où les hommes cis s'incarnent dans leur “cerveau-machine” et les femmes cis dans leur “utérus usine”, sert de prétexte pour l'effacement systématique des voix et des perspectives des minorités politiques dans les sphères de pouvoir.
II. Gouverner sans le peuple : cités-mâles, techno-territoires et néo-colonialisme
Vers la fin des années 2010, la Silicon Valley est devenu le laboratoire d'une autre forme d'innovation : celle de la gouvernance fascisante, avec un groupe d'oligarques dont l'ambition allait au-delà de la domination du secteur technologique. Pour eux, la Silicon Valley ressemble à un monde de rêve aynrandien (du nom d'Ayn Rand, philosophe individualiste), où les entreprises ne se contentent pas de jouer selon les règles de la politique. Elles les réécrivent, mettant de côté les processus démocratiques au profit de la règle des entreprises. Financés à hauteur de milliards de dollars, ces acteurs ont cherché à imposer un projet mondial de contrôle, notamment par des innovations comme l'intelligence artificielle (IA), les cryptomonnaies et les DAO (Organisation distribués autonomes). Ce projet s'est développé, en partie, en réaction aux initiatives nationales et supranationales visant à réguler les flux de données et économiques, telles que le Digital Services Act de l'Union européenne ou les discussions internationales sur la régulation des cryptomonnaies. Ces efforts de régulation ont été perçus comme une entrave à la liberté et à la souveraineté des grandes entreprises technologiques, poussant certains oligarques à forger une alternative à ces normes internationales.
Les cryptomonnaies et la blockchain, initialement vues comme des outils d'émancipation financière et de décentralisation, se sont en réalité transformées en instruments de concentration du pouvoir. Ces technologies, loin de favoriser la décentralisation promise, ont permis à une poignée d'acteurs dominants de maintenir leur contrôle sur les ressources économiques. Le modèle de gouvernance qu'elles proposent réinvente la souveraineté en tant que contrat commercial, effaçant ainsi les responsabilités sociales et politiques des États. La souveraineté se trouve redéfinie à travers des mécanismes privés et technocratiques, affaiblissant l'influence des gouvernements nationaux.
Cette dynamique de réappropriation de la souveraineté s'étend au niveau international, où de nouveaux modèles de gouvernance alternative prennent forme. Un exemple frappant est la tentative du projet Praxis d'acquérir une partie du Groenland à travers un fonds opaque basé sur des cryptoactifs, une proposition qui rappelait la tentative de Donald Trump de racheter le territoire en 2019. Derrière cette initiative se cache un projet d'expansion néo-impérialiste, où des zones extraterritoriales et dérégulées deviennent des laboratoires pour des expérimentations techno-financières. Ces projets visent à déplacer la souveraineté hors des cadres nationaux traditionnels, installant des enclaves de pouvoir où la gouvernance est déconnectée des processus démocratiques. Ce phénomène s'inscrit pleinement dans une logique de hard power économique : au lieu d'imposer une domination militaire traditionnelle, il s'agit d'exercer un contrôle coercitif via des mécanismes économiques, financiers et technologiques. Dans ce cadre, la souveraineté est délocalisée et réappropriée par des entreprises qui échappent à l'autorité des États nationaux.
De ce fait, le technomasculinisme s'inscrit dans une tradition plus ancienne, héritée du colonialisme de peuplement et de l'imaginaire du frontier cowboy américain. Ce modèle historique repose sur l'idéologie de l'appropriation de terres considérées comme « vacantes », sur la réinvention permanente du front pionnier et sur l'extermination du vivant jugé “indésirable”. Longtemps légitimée par l'imaginaire du cowboy libre, armé et propriétaire, cette logique de colonisation par peuplement réapparaît sous de nouvelles formes techno financières. La frontière, quant à elle, ne se matérialise plus dans la terre, mais dans le code, et les contrats intelligents agissent désormais comme des frontières virtuelles. Dans cette démarche de souveraineté méta territoriale, où la gouvernance se privatise, de nombreux modèles ont émergé, allant du seasteading aux charter cities, en passant par les patchwork states, network states et freedom cities.
1. Homesteading
Les projets de seasteading et de space-steading s'inscrivent dans une logique idéologique néolibérale et néoréactionnaire des années 1970 et 1980, influencée par des théoriciens comme Milton Friedman et Murray Rothbard. Portées par des figures comme Patri Friedman (ancien ingénieur chez Google et petit-fils de l'économiste Milton Friedman) et Wayne Gramlich à travers le Seasteading Institute fondé en 2008, et financé par Peter Thiel, le seasteading vise ainsi à créer des villes flottantes en haute mer.
En 2017, le Seasteading Institute a signé un protocole d'accord avec le gouvernement de la Polynésie française pour développer un prototype de ville flottante, connu sous le nom de Floating City Project. Ce projet a été confié à la société Blue Frontiers, une spin-off du Seasteading Institute. L'idée était de créer une zone semi-autonome en utilisant des plateformes flottantes financées par des crypto-actifs, avec une gouvernance par l'utilisation d'une cryptomonnaie interne, le Varyon. Cependant, le projet a rencontré des obstacles majeurs, notamment des oppositions politiques locales et une crise des crypto-monnaies en 2018, qui ont conduit à son abandon.
D'autres projets seasteading ont échoué en raison de problèmes logistiques et se sont souvent retrouvés à dépendre de l'aide des États, via leurs moyens de sauvetage en mer, financés par les contribuables. Les mêmes élites qui prônent la création d'espaces à l'abri de l'ingérence publique, se retrouvent à solliciter les ressources publiques pour éviter l'échec de leurs projets. L'idée de vivre en autarcie, coupé de la société globale, reste peu attrayante pour les milliardaires, qui, malgré leur désir d'autosuffisance, sont attachés aux avantages d'une interconnexion mondiale, aux opportunités économiques et à l'influence qu'offre encore le cadre des États-nations. Le space-steading transpose cette logique à l'espace extra-atmosphérique avec des colonies sur Mars. Promu entre autres par Elon Musk et son SpaceX, à son tour, n'a pas fait mieux, avec des obstacles technologiques, financiers et humains. Ces échecs mettent en lumière l'illusion d'une gouvernance déconnectée du réel. De plus, les modèles homesteading dépendent de milices pour assurer leur sécurité. Ce système de contrôle expose une contradiction majeure : dans des espaces où la sécurité et le contrôle sont confiés à des hommes armés, ces dernières pourraient, à terme, se retourner contre les oligarques, pour prendre le pouvoir.
Le développement de ce type de projets démontre la vision accélérationniste du futur des technomasculinistes, où l'effondrement des structures sociales et politiques existantes est perçu comme une étape nécessaire pour créer une société plus performante, régie par les seules lois du marché. Ils s'appuient sur un bunkerisme idéologique, issu de l'imaginaire du “homestead” idéalisé, dans lequel les élites se retirent des sociétés en crise pour créer des zones protégées, débarrassées des régulations et des tensions sociales. Dans ce cadre, le homesteading technologique, qu'il s'agisse de seasteading ou de space-steading, prolonge une vision coloniale où la femme, historiquement confinée au rôle de gardienne de la maison, est reléguée à son “dernier rempart” : un espace domestique où elle est censée assurer la stabilité de l'ordre social, invisible, garante de la reproduction et de la préservation de l'héritage, loin des champs d'expérimentation de gouvernance.
2. Patchwork
Formulé par Curtis Yarvin, proche de Peter Thiel et fondateur de la mouvance néoréactionnaire Dark Enlightenment (Nrx) dans son blog Unqualified Reservations, le modèle "Patchwork" propose une fragmentation du monde en micro-juridictions gouvernées par des CEO-rois. Il s'agit d'une doctrine néocaméraliste (inspirée de la pensée de Thomas Carlyle), qui réclame la suppression de la souveraineté populaire au profit d'une gouvernance actionalisée sur le modèle de l'entreprise. L'appartenance politique est contractuelle et révocable, si tant est que l'on dispose des moyens nécessaires. Patchwork propose ainsi une reconfiguration complète du système international westphalien : au lieu d'États-nations souverains, il imagine un archipel de cités-entreprises indépendantes, en compétition permanente, dirigées par des élites technocratiques non élues. Dans ce modèle, la sécurité est confiée à des entreprises sous contrat, ce qui soulève des préoccupations éthiques majeures concernant l'équité, la responsabilité et la protection des droits individuels, sans aucun contrôle démocratique.
Ce modèle reste, à ce jour, largement théorique en raison de son caractère extrémiste : il exige un renversement complet des institutions et une délégitimation du politique au profit d'une ingénierie autoritaire. Cependant, il fonctionne comme un horizon idéologique cohérent, structurant des stratégies concrètes d'exit, d'enclavement et de captation territoriale. L'acquisition foncière se fait par achat direct, ou par le biais de partenariats immobiliers entre entrepreneurs, promoteurs et municipalités locales fragilisées. La propriété, bien que matérielle, est conceptualisée d'abord comme un droit abstrait, garanti par contrat. Ce modèle est principalement envisagé sur le territoire américain. Ces pratiques affaiblissent les institutions diplomatiques traditionnelles et sapent la capacité de soft power des États-Unis, en remplaçant l'influence culturelle par une influence technique et autoritaire.
Le programme RAGE (Retire All Government Employees), également élaboré par Curtis Yarvin, complète la vision de Patchwork. Là où Patchwork fragmente la souveraineté verticale des États en entités privatisées, RAGE vise à saper horizontalement leur infrastructure administrative. Il propose de démanteler entièrement l'administration fédérale pour la remplacer par une technostructure managériale, fidèle non à une logique de performance et de loyauté contractuelle. Dans cette optique, le pouvoir ne repose plus sur la représentation, mais sur la sélection, et l'autorité politique devient une compétence d'ingénierie organisationnelle. Elon Musk, à travers la création de l'organe DOGE, a illustré certains aspects de cette convergence idéologique en menant une série d'interventions extrajudiciaires visant notamment les départements fédéraux enquêtant sur ses entreprises, comme USAID, ou encore les programmes promouvant l'inclusivité (DEI). Ces actes, n'étant appuyés par aucune légitimité ni mandat institutionnel, relèvent d'une stratégie illégale et autoritaire, brouillant les lignes entre influence d'acteurs non étatiques et pouvoir étatique.
Ce limogeage des fonctionnaires peut également être directement lié au Project 2025, document cadre publié par la Heritage Foundation, et qui a eu une influence notable sur la campagne de Donald Trump en façonnant sa vision d'un gouvernement fédéral plus autoritaire, axé sur l'expansion du pouvoir exécutif. En soutenant des initiatives visant à réduire l'État administratif et à renforcer les prérogatives présidentielles, ce projet a contribué à structurer le discours de Trump, en particulier à travers des figures comme J.D. Vance, qui ont incarné cette vision au sein de la campagne et dans les cercles proches de l'ancien président.
La destruction de USAID et la suppression des programmes DEI ont un impact direct et dévastateur sur les femmes et les minorités, notamment dans les pays en développement. USAID a, par exemple, financé la santé reproductive de plus de 60 millions de femmes dans le monde, et l'accès à ces soins vitaux et à des programmes d'autonomisation pourrait être largement réduit si ces projets sont démantelés. De plus, des millions de femmes dans des pays comme le Soudan du Sud ou l'Afghanistan dépendent des programmes d'aide internationale pour des services de santé, d'éducation et de formation professionnelle. La suppression de ces aides publiques entraînerait un recul significatif dans la lutte contre les inégalités de genre et pourrait accroître la mortalité maternelle et infantile.
En 2019, USAID a financé des projets d'inclusion qui ont permis à plus de 25 000 femmes d'accéder à des rôles de leadership économique. L'effacement de ces structures dans un système dominé par des CEO-rois technocratiques se traduit par un système qui relègue les femmes et les minorités à des rôles subalternes, sans pouvoir d'influence ni accès aux ressources vitales. La suppression de l'aide et des programmes sociaux sous des régimes autoritaires technocratiques pourrait ainsi effacer des décennies de progrès sociaux en matière de droits humains, notamment en matière de genre et d'égalité.
3. Charter Cities
Les Charter Cities, popularisées par Paul Romer, incarnent une vision néocoloniale, où des territoires locaux sont transformés en enclaves autonomes régies par des lois étrangères, principalement issues des pays occidentaux. Ces zones, créées sur des terres jugées « inutilisées », sont censées échapper aux "fardeaux" des structures locales, imposant des normes extérieures pour stimuler le développement. Cependant, ce modèle ignore les réalités sociales et politiques locales, réduisant les populations à de simples ressources humaines au service d'intérêts capitalistes. Fondé sur les principes de la nouvelle économie institutionnelle de Douglass North, selon laquelle les institutions sont les clés de la croissance si elles sont « correctement calibrées », le modèle de Romer propose un gouvernement par charte contractuelle. Cela repose sur le transfert des normes managériales de pays développés, sans tenir compte des dynamiques sociales locales. Ce paradigme technocratique et dépourvu de politique naturalise le déséquilibre Nord/Sud, considérant les sociétés du Sud comme des espaces à réformer selon des principes étrangers. Ce modèle, qui ignore les réalités locales, illustre une arrogance économique : celle qui suppose qu'un modèle uniforme, importé de l'Occident, peut résoudre les problèmes d'autres contextes socio-économiques. En dépit de ses promesses, il reste théorique, n'ayant jamais été mis en œuvre avec succès, illustrant l'échec d'un projet qui perpétue une domination extérieure.
La logique d'intervention des Charter Cities, portée par des structures comme le Charter Cities Institute, se positionne en opposition avec l'approche plus traditionnelle d'agences telles qu'USAID. Alors qu'USAID soutient généralement des projets visant à renforcer les institutions locales, à promouvoir la gouvernance inclusive et à encourager un développement inclusif en collaboration avec les communautés locales, les charter cities favorisent la privatisation de la gouvernance dans des enclaves autonomes régies par des investisseurs individuels. Ce modèle repose sur l'idée que des zones séparées des contraintes politiques locales peuvent offrir des solutions de développement, mais ignore les dynamiques sociales et les structures de pouvoir locales, souvent au détriment des populations autochtones.
Par exemple, dans des projets comme Nkwashi en Zambie ou Enyimba Economic City au Nigeria, les charter cities entraînent la dépossession des terres des communautés locales. Ces projets transforment des territoires en zones d'expérimentation économique au service d'intérêts privés, sans concertation ni considération pour les droits des populations affectées. Ainsi, plutôt que d'encourager un développement participatif et soutenu par des institutions locales, ces projets imposent des normes étrangères qui favorisent l'accumulation de richesse par des acteurs extérieurs, renforçant ainsi une logique néocoloniale de gestion des ressources et des territoires. Ces projets ignorent les besoins et les voix des plus marginalisées, telles que les femmes, réduites à des ressources humaines dans des systèmes économiques étrangers à leurs réalités.
4. Network State
Le concept de Network State, formulé par Balaji Srinivasan, propose de créer une nation à partir d'une communauté numérique unie par des valeurs communes, avant de revendiquer une reconnaissance territoriale. Ce modèle repose sur une vision crypto-libertarienne de la souveraineté, où les États sont remplacés par des corporations régissant des communautés connectées par des flux de données, de capital et d'attention. Ces communautés, initialement virtuelles, cherchent à s'étendre vers des territoires physiques, en acquérant des espaces à l'extérieur des régulations étatiques traditionnelles. Ce modèle, largement soutenu par des figures comme Naval Ravikant, Vitalik Buterin, et des fonds comme a16z (Marc Andreessen, Ben Horowitz), propose une gouvernance décentralisée, mais entièrement communautaire.
Le Network State peut être vu comme une version édulcorée de Patchwork, mais opérant dans les faits selon les mêmes principes de sécession sociale et de privatisation de la souveraineté. En effet, la reconnaissance diplomatique et la souveraineté des Network States seraient établies à travers des accords entre ces communautés, qui pourraient interagir et se reconnaître mutuellement sans l'intervention des États-nations traditionnels. Ces deux modèles visent à fragmenter l'autorité étatique et à transférer le pouvoir à des consortiums d'investisseurs.
Dans cette dynamique, l'Exit, tel qu'élaboré par Albert Hirschman dans Exit, Voice, Loyalty, est dévoyé par Balaji Srinivasan. Hirschman décrivait l'Exit comme une réaction ultime face à un échec systémique, mais dans la vision du Network State, l'Exit devient une stratégie structurelle, une manière systématique pour des individus ayant les moyens financiers de renoncer à leur citoyenneté nationale pour rejoindre une communauté. Ce n'est plus un recours dans un contexte de défaillance démocratique, mais un choix volontaire et organisé. Le Network State mise sur une hiérarchisation des citoyens, où ceux qui ont suffisamment de ressources financières peuvent s'échapper du cadre national pour rejoindre des territoires régis par des entreprises. Dans ce modèle, la loyauté est éliminée, car l'exit prime.
L'exemple le plus emblématique de ce modèle, est en réalité hybride : Próspera au Honduras, un projet qui combine les principes des charter cities et du Network State. Próspera, soutenue par Pronomos Capital (Patri Friedman), aussi à l'origine de Praxis (société qui souhaite acheter le Groenland) et des investisseurs de la crypto-sphère, a été implantée sur l'île de Roatán grâce à la législation ZEDE (Zones d'emploi et de développement économique) du Honduras. Cette législation permet de créer des zones économiques autonomes, régies par des chartes et non par la régulation nationale. Próspera a ainsi été créée en dehors du contrôle de l'État hondurien, ce qui lui permet de définir ses propres lois et régulations, tout en bénéficiant de conditions fiscales avantageuses.
Suite à une mobilisation des villageois voisins, le projet a toutefois suscité une réaction de l'État hondurien, qui a tenté d'abroger certaines des dispositions expansionnistes du contrat. En réponse, les dirigeants de Próspera ont intenté un procès contre le Honduras, réclamant plus de 10 milliards de dollars en compensation pour non-respect des conditions contractuelles. Cette somme colossale représente une menace directe à la viabilité budgétaire du pays, mettant en lumière la violence juridique du modèle : la souveraineté est ici réduite à un contrat, qui peut être attaqué par des fonds transnationaux à travers des procédures d'arbitrage international. Ce type de hard power économique montre comment Próspera utilise les mécanismes juridiques pour forcer l'État à reconnaître la légitimité de ses régulations et à maintenir son modèle de gouvernance.
Un projet parallèle aux principes du Network State, le Highland Rim Project en Tennessee, illustre également l'adoption des principes de sécession sur le territoires des États-Unis. Ce projet, piloté par le pastor Andrew Isker et soutenu par la société New Founding, cherche à créer une communauté fondamentaliste chrétienne en milieu rural, où la gouvernance s'appuie sur des valeurs chrétiennes et une autonomie économique. Comme Próspera, le Highland Rim Project s'attaque aux régulations étatiques et normes sociales, en créant une zone où les lois sont définies par des contrats, une cryptomonnaie et des principes de self governance numérique. Ce projet reflète la vision du Network State appliquée à une communauté religieuse.
5. Freedom Cities
Les Freedom Cities, annoncées par Donald Trump en 2023, et saluées par l'ensemble des acteurs investis dans les modèles de gouvernances technofascisants, incarnent un projet d'urbanisme réactionnaire visant à créer de nouvelles villes sur des terres fédérales. Ce projet s'inscrit dans une logique de white flight, un retrait stratégique des populations blanches des centres urbains vers des espaces homogènes, loin de ce qu'ils perçoivent être des problématiques associées à la déségrégation et à la mixité. Ce phénomène de white flight trouve ses racines dans les décennies passées, notamment après les mouvements pour les droits civiques, lorsque des communautés blanches se sont repliées dans des zones rurales ou suburbaines pour éviter les conséquences de la déségrégation scolaire et des luttes sociales.
Le concept des Freedom Cities s'oppose directement aux villes sanctuaires américaines, qui ont historiquement accueilli les populations migrantes, souvent issues de minorités raciales ou ethniques. Là où les villes telles que San Francisco, New York, Washington D.C ou Los Angeles, tendent à vouloir incarner un idéal de diversité, de protection des droits des immigrés et des minorités, et d'inclusion sociale, les Freedom Cities visent au contraire la création d'enclaves homogènes, basées sur des principes d'exclusion. Elles représentent un modèle de sécession sociale et raciale, où les élites blanches et conservatrices cherchent à se retirer des sociétés diversifiées pour créer des espaces régis par des valeurs réactionnaires.
Ce projet est également nourri par des idéologies réactionnaires comme le Wise Use Movement (qui émerge dans les années 1980) et la Sagebrush Rebellion (lancée en 1979), des mouvements d'extrême-droite qui ont cherché à accaparer les terres publiques et à éliminer les régulations fédérales. Ces mouvements sont directement liés aux industries extractives, cherchant à exploiter les ressources naturelles de l'Ouest américain sans les contraintes des régulations environnementales fédérales. Le Wise Use Movement, qui a gagné en influence dans les années 1990, soutenait que les réglementations fédérales sur l'utilisation des terres publiques empêchaient les industries extractives de prospérer. Il s'agissait d'un mouvement qui voulait limiter les protections environnementales et démanteler les lois fédérales sur les terres publiques pour libérer l'exploitation des ressources. L'acquisition des terres nécessaires à la création de ces Freedom Cities s'effectuerait principalement par la cession de terres fédérales ou la mise en place de zones spéciales à faible taxation. L'objectif est de créer un urbanisme néolibéral exempté de régulations fédérales, où l'impôt fédéral est réduit au minimum, et où la gouvernance est purement contractuelle. Dans ce modèle, les citoyens sont perçus non comme des électeurs, mais comme des consommateurs, et la communauté devient une question de loyauté idéologique et de performance économique.
Les Freedom Cities s'inscrivent dans un cadre idéologique influencé par des mouvements conservateurs et des investissements cherchant à promouvoir une gouvernance décentralisée. Ces villes s'inspirent d'une longue histoire de ségrégation sociale et raciale, où l'objectif est de séparer les élites blanches et conservatrices du reste de la population. Elles deviennent ainsi des havres pour des communautés qui rejettent les principes démocratiques, où la gouvernance est dictée par des idéaux économiques et patriarcaux. Dans ce modèle, les mouvements progressistes sont marginalisés et les minorités politiques réduites à des rôles subordonnés, souvent dans des travaux manuels, sans aucune garantie de protection sociale.
III. Le Armageddon Lobby : quand le Technomasculinisme se conjuge au Christofascisme
L'utopie autrefois promise par la Silicon Valley ressemble aujourd'hui davantage à une dystopie hyper commercialisée, où l'innovation est guidée par le profit plutôt que par le bien public. Les seigneurs de la technologie exploitent l'effondrement écologique, tirant profit de la destruction qu'ils contribuent à engendrer, tout en exacerbant les inégalités et alimentant un cycle de dévastation – un « cercle de l'extinction » – où l'effondrement devient une ressource supplémentaire pour les élites. Dans cette optique, l'eschatologie du technomasculinisme et du christofascisme converge autour d'une vision apocalyptique : celle où le progrès technologique et l'accomplissement d'un mandat divin forment un projet de domination totale du monde, avec pour objectif ultime la fin des temps. C'est ce que le théoricien des médias, Douglas Rushkoff, appelle "The Mindset", un concept également désigné par la chercheuse en informatique Timnit Gebru et le philosophe Émile P. Torres sous le nom de TESCREALisme (acronyme de Transhumanisme, Extropianisme, Singularitarisme, Cosmisme, Rationalisme, Altruisme efficace et Long-termisme). L'idée selon laquelle l'humanité est une étape transitoire, vouée à céder la place à des entités supérieures telles que l'intelligence artificielle (IA) ou des êtres cyborgs devient un principe fondamental du technomasculinisme. L'ascension de l'intelligence artificielle générale (IAG) est ainsi perçue non seulement comme une évolution technologique, mais aussi comme une révélation, un moyen pour une élite éveillée d'être élevée vers les cieux d'une réalité alternative.
Au cœur de cette vision se trouve l'idée d'un salut numérique. Le "Mindset" technomasculiniste prône l'idée que la fin de l'humanité biologique doit être précipitée par un accélérationnisme algorithmique, concept largement détaillé par des figures comme Guillaume Verdon-Akzam (cofondateur du mouvement e/acc) ou Nick Bostrom. Cette vision accélérationniste voit dans l'intensification du développement technologique et de l'IA non pas une menace, mais une opportunité : accélérer la fin des temps pour atteindre un monde où la domination des IA marque la fin de l'humanité biologique.
Le christofascisme contemporain s'appuie sur une vision dominioniste du monde, où l'homme (principalement blanc, hétérosexuel et chrétien) est perçu comme ayant un mandat divin pour dominer toutes les ressources sur Terre. Cette théologie du Dominionisme est particulièrement représentée par la Nouvelle Réforme Apostolique (NAR), un mouvement fondamentaliste chrétien et aconfessionnel fondé par le pasteur pentecôtiste Peter Wagner. Le dominionisme incite ses partisans à la conquête du pouvoir à travers des méthodes calquées sur le marketing multi-niveau. Le mandat des sept montagnes, leur feuille de route incite à evangéliser sur son lieu de travail pour atteindre les sept sommets qui sont la famille, la religion, l'éducation, les médias, les arts et le divertissement, le commerce, ainsi que le gouvernement. L'un des principes de cette conquête du pouvoir est de « faire des nations des disciples », c'est-à-dire que les nations, entendues au sens metaphysique comme littéral, doivent non seulement accepter l'autorité de Dieu, refuser l'influence de Satan (surtout vu comme l'islam dans une perspective de “clash civilisationnel” - Huntington).
À l'instar des christofascistes qui croient que le retour en Terre Sainte précipite la fin des temps, certains mouvements de colonisation par peuplement utilisent le settler colonialism pour préparer un futur dominé par les IA et les élites technologiques. La théologie de prospérité soutient que l'accumulation de richesses est une bénédiction divine et un signe de salut. Cette idéologie justifie l'accaparement des ressources naturelles, l'exploitation des corps et l'accumulation de capital comme des actions pieuses. Les technomasculinistes, dans le cadre de leur expansion de propriétés et de zones exemptées de régulation, rationalisent cette dynamique sous le prétexte que la prospérité matérielle est le résultat d'une intelligence supérieure.
Le modèle de la NAR repose sur une structure en quatre rôles qui permet un grand transfert de richesse, principalement alimenté par l'exploitation des fonds publics et l'élimination des normes. Ce processus de concentration du pouvoir est directement appliqué aux projets technocratiques du technomasculinisme.
Le grand transfert de richesses de la fin des temps est le second pilier sur lequel repose la transformation sociale visée par Peter Wagner, fondateur de la NAR. Le premier pilier étant l'Église sur le lieu de travail, celle ci aurait besoin de bien plus de fonds pour conquérir les « sept montagnes ». Ainsi, un grand transfert de richesses devrait s'opérer dans les derniers temps, les ressources actuellement contrôlées par des systèmes non chrétiens ou antichrétiens étant providentiellement transférées aux chrétiens. Chez les technomasculinistes, ce transfert de richesse ne se limite pas à un processus d'accumulation de capital. Il repose principalement sur le détournement de fonds publics, qui alimente les projets technocratiques.
– Les fournisseurs (comme Larry Page, Peter Thiel et Elon Musk) financent ces projets, mais l'élément clé est qu'ils profitent massivement de fonds publics pour alimenter leurs initiatives, notamment à travers des incitations fiscales, des subventions, et d'autres mécanismes de soutien étatique. Cette dynamique est un exemple de corporate welfare, où les entreprises bénéficient d'aides publiques tout en en privatisant les profits et en socialisant les risques. Selon une enquête du Washington Post, l'empire d'Elon Musk, comprenant Tesla et SpaceX, a reçu plus de 38 milliards de dollars (environ 36,2 milliards d'euros) en contrats, subventions et crédits d'impôt au cours des 20 dernières années. En 2024, les gouvernements fédéral et locaux ont promis au moins 6,3 milliards de dollars à ses entreprises. En facilitant ce transfert de ressources publiques vers des entreprises, ces fournisseurs assurent des profits tout en transférant les risques sur le contribuable, créant ainsi un système où l'État soutient financièrement des projets qui maximisent la richesse d'un petit groupe d'individus.
– Les distributeurs (idéologues comme Curtis Yarvin, Balaji Srinivasan, Nick Bostrom, Guillaume Verdon-Akzam, etc), mais aussi des structures comme Sovereign House, implantée au cœur de Washington, ainsi que des podcasteurs et organisateurs de conférences, jouent un rôle clé dans la diffusion de l'idéologie néoréactionnaire.
– Les directeurs opérationnels (entrepreneurs et responsables de think tanks) appliquent les idées sur le terrain, créant des zones exemptées de régulations où les entreprises gèrent les communautés. Ces zones sont souvent financées par des fonds publics, détournant ainsi les ressources des citoyens vers des projets profitant aux élites technocratiques.
Les managers financiers (comme Marc Andreessen, David Sacks et Gary Tan) coordonnent les investissements et garantissent la pérennité des projets, mais là encore, une grande partie de ces financements provient de fonds publics ou d'incitations fiscales, créant un système où l'argent public finance directement des projets sans bénéfices tangibles pour les populations locales.
IV. Institutionnalisation du milieu radical technomasculiniste
Lorsque plusieurs des principaux dirigeants de la Silicon Valley — Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, Elon Musk et Sundar Pichai de Google — se sont alignés derrière le président Trump lors de son inauguration en janvier 2025, plutôt que de voir une alliance fondée sur des intérêts d'entreprises, il convenait d'y décéler les débuts d'une nouvelle union entre le pouvoir industriel et gouvernemental, dans laquelle l'État adopterait une politique industrielle agressive au détriment des normes libérales, et ce, dans une perspective néoimpérialiste impulsée par le milieu radical de la broligarchy, ou technomasculinistes.
Le concept de « milieu radical » développé par Stefan Malthaner et Peter Waldmann offre une perspective pertinente pour analyser l'émergence des idéologies néoréactionnaires qui sous-tendent le technomasculinisme. Appliqué à la Silicon Valley, il permet de comprendre comment des idéologies technocratiques et autoritaires trouvent un terrain fertile dans un milieu social homogène, valorisant l'élitisme intellectuel et la domination technologique. Dans ce contexte, la masculinité hégémonique s'exprime par l'exaltation d'un QI supérieur, considéré comme un critère de légitimité et de pouvoir. À noter que cette expression d'un idéal masculin supraintelligent n'est rien d'autre qu'un détournement d'une vieille rengaine : dans les années 1930, le New Deal, les conseillers de Franklin Roosevelt étaient surnommés « The Brain Trust ». Radicalisé à travers des lieux de socialisation, allant des conférences publiques, aux groupes de discussions en ligne et privés, le milieu technomasculiniste crée ainsi un environnement propice à la diffusion de thèses extrémistes, dont les modèles de gouvernance qui, sous toutes leurs formes, prônent l'apologie de la violence à l'égard des minorités politiques, souvent justifiée par des prétextes eschatologiques. Comprendre ce milieu est essentiel pour appréhender les dynamiques de pouvoir et d'influence qui façonnent la géopolitique à l'ère de Trump 2.0.
L'institutionnalisation de ce milieu radical au sein de l'administration Trump, longtemps confiné aux marges, semble se concrétiser aujourd'hui à travers des figures politiques telles que J.D. Vance et des projets de grande envergure portés par des acteurs comme Donald Trump. En effet, la montée en puissance de Vance, dont la nomination comme colistier de Trump aux États-Unis illustre une transition d'une pensée technomascuine marginale à un acteur politique central. Ce dernier, fort de son soutien stratégique par des figures influentes de la Silicon Valley comme Peter Thiel, bénéficie non seulement de fonds, mais aussi d'un ancrage idéologique dans le néo-conservatisme chrétien et le technomasculinisme .
Les actions d'Elon Musk et l'instauration du Département de l'efficacité gouvernementale (DOGE) ont profondément perturbé le système d'aide international, notamment par la suppression de l'USAID. Sous la direction de Musk, le DOGE a entrepris une réduction drastique des effectifs et des budgets de l'agence, allant jusqu'à éliminer 83 % de ses contrats. Cette initiative a déjà entraîné des conséquences humanitaires majeures qu'on suppose durables, avec les groupes les plus vulnérables, les premiers touchés.
Les déclarations et projets de Trump concernant la colonisation de Gaza et du Groenland sont également révélateurs de cette dynamique. En affirmant, de manière outrancière, la possibilité de transformer ces territoires en une zone économique, au profit d'un développement immobilier libertarien, Trump traduit une vision profondément réactionnaire et néo-impérialiste, où l'expansion capitaliste prime sur les considérations humaines ou géopolitiques. Ce projet s'inscrit dans une logique de gouvernance déterritorialisée, une conception partagée par des idéologues comme Curtis Yarvin, qui n'a pas manqué de réagir élogieusement à ces annonces.
Reconnaître ces nouvelles formes de hard-power au-delà de leur forme grotesque permet une meilleure compréhension des enjeux non seulement climatiques, mais aussi en termes de droits humains, du vivant et du système international fondé sur des règles. Le technomasculinisme, en remodelant la souveraineté et en déstabilisant les structures démocratiques traditionnelles, sert de cheval de Troie à une forme de gouvernance qui privilégie une élite technocratique, financière et souvent déconnectée des réalités sociales. Dans ce contexte, les droits humains sont relégués au second plan au profit de l'accumulation de capital, tandis que les populations les plus démunies se voient dépossédées de leurs droits et de leurs ressources au nom d'un progrès technologique qui les exclut. Ce processus transforme le vivant en une simple matière première, où l'exploitation des ressources naturelles, mais aussi humaines, n'est plus une forme d'externalité négative à gérer, mais le socle de la mise en œuvre de ces idéologies prédatrices. Parallèlement, la réorganisation du système international selon des principes contractuels et déterritorialisés, où le contrat social devient une relation marchande plutôt qu'un pacte fondé sur la solidarité et la justice, érode l'édifice diplomatique traditionnel fondé sur des accords multilatéraux et des droits universels. Ce modèle ouvre la voie à un monde où la loi du marché, plutôt que celle des peuples, devient le principe de régulation. Ainsi, loin de n'être qu'un phénomène marginal, le technomasculinisme représente une menace fondamentale qui pèse sur les principes qui sous-tendent les sociétés humaines modernes, mettant en péril à la fois les idéaux d'équité, la solidarité internationale, ainsi que la préservation des écosystèmes dans un monde de plus en plus fragmenté.
Stephanie Lamy est autrice de Agora Toxica et de La Terreur masculiniste (Éditions du Détour 2022, 2024), chargée d'enseignement de la gouvernance des relations internationales à Sciences Po Toulouse.
Références
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- ? Gagné André. Ces Évangéliques Derrière Trump : Hégémonie, démonologie et fin du monde. Labor & Fides, 2020.
- ? Harrington Brooke. Offshore : Stealth Wealth and the New Colonialism. Norton & Co, 2024. ? Kandel Maya. “La Droite Tech Contre La Démocratie : Comment La Silicon Valley S'est Radicalisée” Mediapart, 6 May 2024.
- Lamy Stephanie. Agora toxica : La société incivile à l'ère d'internet. Éditions du Détour, 2022.
- Malthaner Stefan, Waldmann, Peter, “The radical milieu : conceptualizing the supportive social environment of terrorist groups”, Studies in conflict and terrorism, 2014, Vol. 37, No. 12, pp. 979-998
- Malik Matheo. “Gaza Inc. : L'influence Cachée Derrière Le Plan De Trump | Le Grand Continent ” Le Grand Continent, 7 Feb. 2025.
- Rushkoff Douglas. Survival of the Richest : Escape Fantasies of the Tech Billionaires. National Geographic Books, 2022
- Slobodian Quinn. Crack-up Capitalism : Market Radicals and the Dream of a World Without Democracy. Allen Lane, 2023.
- Slobodian Quinn. “The Rise of the New Tech Right” New Statesman, 13 Sept. 2023.
- Smith, Ben. “The Group Chats That Changed America” Semafor, 28 Apr. 2025.
- Torres Émile P. “The Endgame of Edgelord Eschatology” Truthdig, 26 Apr.
- Troy Dave. “Paranoia on Parade : How Goldbugs, Libertarians and Religious Extremists Brought America to the Brink.” The Washington Spectator, vol. 48, no. 3, May–June 2022, pp. 1–14
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Turquie. Une femme sur huit a déjà été victime de violence physique
Turquie / Kurdistan – Une femme sur huit a déjà subi des violences physiques, d'après une étude récente menée à travers la Turquie, y compris les régions kurdes du pays.
Tiré de Entre les lignes et les mots
En Turquie, une femme sur huit a subi des violences physiques à un moment donné de sa vie, selon une étude nationalesur la violence à l'égard des femmes, financée par le gouvernement et publiée mardi.
L'« Enquête turque sur la violence à l'égard des femmes » (Türkiye Kadına Yönelik Şiddet Araştırması), menée pour le compte du ministère de la Famille et des Services sociaux, a interrogé 18 275 femmes âgées de 15 à 59 ans à travers le pays entre novembre 2024 et janvier 2025.
La recherche a été menée par l'Institut statistique turc (TurkStat) en coopération avec l'Université de Marmara.
L'étude visait à évaluer la prévalence, les facteurs de risque et les perceptions sociales de la violence à l'égard des femmes, couvrant les formes de violence physique, sexuelle, psychologique, économique et numérique ainsi que le harcèlement.
Selon les résultats, 12,8% des femmes ont déclaré avoir subi des violences physiques au cours de leur vie, tandis que 28,2% ont déclaré avoir été soumises à des violences psychologiques et 18,3% à des violences économiques.
L'enquête définit la violence psychologique comme un abus émotionnel tel que des menaces, des humiliations ou un comportement de contrôle, et la violence économique comme une restriction de l'accès des femmes au travail, à l'argent ou à d'autres ressources financières.
La violence était plus répandue chez les femmes âgées de 35 à 44 ans, 14,7% d'entre elles déclarant avoir été exposées à la violence physique au cours de leur vie.
Les femmes divorcées ont signalé les taux de violence les plus élevés : 62,1% ont déclaré avoir subi des violences psychologiques, 42,5% des violences économiques et 41,5% des violences physiques. Parmi les femmes mariées, 26,4% ont subi des violences psychologiques, 19,9% des violences économiques et 11,6% des violences physiques. Les femmes n'ayant jamais été mariées ont été les plus exposées à la violence numérique (14,2%) et au harcèlement (13,4%).
L'étude a révélé que 62,3% des cas de violence numérique et 39,6% des incidents de harcèlement étaient commis par des inconnus. Les partenaires ou anciens partenaires ont été identifiés comme auteurs dans 15,7% des cas de violence numérique et 32,1% des cas de harcèlement.
Les femmes sans éducation formelle étaient les plus susceptibles d'être victimes de violence économique (31,8%), tandis que les diplômées universitaires étaient les moins susceptibles (8,9%). Parmi les femmes employées, celles du secteur privé étaient les plus exposées : 34% ont déclaré avoir subi des violences psychologiques et 21,1% des violences économiques, contre 31,9% et 10,6% parmi les travailleuses du secteur public.
La violence physique était la plus répandue dans la région de l'Anatolie, dans le nord-est de la Turquie, où 25,9% des femmes ont déclaré en avoir été victimes, contre 8,8% dans le sud-est de l'Anatolie, le taux le plus bas enregistré.
Au cours des 12 mois précédant l'enquête, 11,6% des femmes ont déclaré avoir subi des violences psychologiques, 3,7% des violences numériques, 3,2% des violences économiques et 2,6% des violences physiques. Les femmes vivant dans les grandes villes étaient légèrement plus susceptibles de signaler des violences récentes, 12,2% d'entre elles déclarant avoir subi des violences psychologiques au cours de l'année écoulée.
L'enquête a révélé que les femmes de 15 à 24 ans étaient les plus touchées par toutes les formes de violence au cours de l'année écoulée. La violence numérique était la plus répandue dans ce groupe, avec 7,3%, contre 4,1% chez les 25-34 ans et 3,2% chez les 35-44 ans.
La violence numérique fait référence à l'utilisation de la technologie, des plateformes numériques ou des outils de communication électronique pour harceler, menacer, contrôler ou abuser de quelqu'un.
Parmi les femmes ayant subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, 21,7% ont cité les difficultés de contrôle de la colère de leur homme comme principale raison, suivies de l'éducation (13,3%) et des difficultés financières (13,0%). La tendance à imputer ces violences à des problèmes financiers ou familiaux augmentait avec l'âge, tandis que la jalousie était plus fréquemment citée par les femmes plus jeunes.
L'étude a révélé que 47,7% des femmes victimes de violences conjugales n'en ont parlé à personne. Celles qui l'ont fait se sont le plus souvent confiées à une femme de leur famille (31,8%) ou à une amie (10,2%).
Des données distinctes de laFédération des associations de femmes de Turquie(TKDF)montrent que ce problème continue de faire des victimes. Selon la TKDF, 290 femmes ont été tuées par des hommes au cours des neuf premiers mois de cette année, tandis que la mort de 71 femmes a été déclarée suspecte. La plupart des femmes ont été abattues, et la majorité d'entre elles ont été tuées à leur domicile. Entre le 1er janvier et le 30 septembre, la fédération a signalé que 108 femmes ont été tuées par des membres de leur famille et 41 par des hommes dont elles cherchaient à divorcer. Parmi les victimes, 125 étaient mariées et 45% avaient entre 19 et 35 ans.
De nombreux critiques affirment que la principale raison de cette situation est la politique du gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), qui protège les hommes violents et abusifs en leur accordant l'impunité.
Les tribunaux turcs ont été à plusieurs reprises critiqués en raison de leur tendance à prononcer des peines clémentes à l'encontre des délinquants, affirmant que le crime était simplement « motivé par la passion » ou en interprétant le silence des victimes comme un consentement.
Dans une démarche qui a suscité l'indignation nationale et internationale, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a utilisé un décret présidentiel pour retirer le pays d'un traité international en mars 2021 qui oblige les gouvernements à adopter une législation pour poursuivre les auteurs de violences domestiques et d'abus similaires ainsi que de viols conjugaux et de mutilations génitales féminines.
La Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, plus connue sous le nom de Convention d'Istanbul, est un accord international visant à protéger les droits des femmes et à prévenir la violence domestique dans les sociétés et a été ouverte à la signature des États membres du Conseil de l'Europe en 2011. La Turquie a été partie à la convention jusqu'en 2021.
Les alliés d'Erdoğan ont également appelé à de nouveaux reculs, demandant l'abrogation d'une loi nationale qui stipule des mécanismes de protection pour les femmes qui ont subi ou risquent de subir des violences. (Stockholm Center for Freedom)
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Statistiques et conclusions de Telenisa 2024 : un appel à l’action pour les droits des femmes et des enfants
Sisters in Islam (SIS) a dévoilé les statistiques et conclusions de Telenisa pour 2024, mettant en lumière les réalités urgentes auxquelles sont confrontées les femmes et les enfants confrontés aux complexités du droit familial islamique de la charia.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/22/divorce-violence-et-pauvrete-le-rapport-telenisa-2024-revele-les-lacunes-de-la-justice-pour-les-femmes-au-sein-de-la-famille/
Le lancement a réuni des membres du Parlement, des bailleurs de fonds, des sympathisant·es et des partenaires de SIS dans un effort commun pour faire avancer des réformes juridiques et politiques qui ne peuvent plus être reportées.
Depuis sa création en 2003, Telenisa a fourni des conseils juridiques gratuits à plus de 10 000 client·es, donnant ainsi aux individu·es, principalement des femmes, les moyens de prendre des décisions éclairées fondées sur le droit et les faits. Couvrant des questions telles que le divorce, la polygamie, la pension alimentaire, la garde des enfants, les biens matrimoniaux et les procédures judiciaires, Telenisa est devenu une bouée de sauvetage pour les personnes vulnérables qui ne bénéficient pas d'une protection juridique suffisante.
Ces statistiques sont plus que de simples chiffres : elles reflètent les expériences vécues par des femmes et des enfants dont les droits et la dignité sont trop souvent bafoués. Les conclusions mettent en évidence des faiblesses systémiques en matière d'application de la loi et de responsabilité qui exigent une réparation immédiate.
Publiés le 9 septembre 2025, les résultats de l'année 2024 dressent un tableau inquiétant : sur les 188 cas signalés, 92% des client·es étaient des femmes, issues pour la plupart de ménages à faibles ou moyens revenus. La majorité des cas concernaient des maris qui ne versaient pas de pension alimentaire, des batailles prolongées pour la garde des enfants et une augmentation alarmante du non-respect des décisions de justice. Les signalements de violence domestique, d'abus sexuels, financiers et sociaux restent malheureusement fréquents. Si les femmes musulmanes constituent la majorité des clientes, un nombre croissant de personnes non musulmanes sollicitent également de l'aide, ce qui prouve que ces injustices touchent toutes les communautés.
Ces statistiques sont plus que de simples chiffres : elles reflètent les expériences vécues par des femmes et des enfants dont les droits et la dignité sont trop souvent bafoués. Les conclusions mettent en évidence des faiblesses systémiques dans l'application de la loi et la responsabilisation, qui exigent une réparation immédiate. C'est pourquoi la présence de députés lors du lancement était essentielle. Leur mandat va au-delà de la représentation ; il inclut la responsabilité d'agir de manière décisive pour remédier à ces injustices.
Le plaidoyer fondé sur des données probantes, comme le démontre Telenisa, fournit aux décideurs politiques les informations nécessaires pour promouvoir des réformes législatives et des protections plus solides. Les femmes et les enfants ne peuvent plus se permettre d'attendre. Les statistiques appellent toutes les parties prenantes (législateurs, société civile et grand public) à travailler ensemble pour combler les lacunes du droit de la famille, faire respecter les ordonnances existantes et garantir que la justice ne soit pas une promesse insaisissable, mais une réalité vécue.
Statistiques et conclusions de Telenisa 2024 (disponible en bahasa melayu et en anglais — les parties en anglais commencent à la page 44)
Statistiques et conclusions de Telenisa pour 2023
Statistiques et conclusions de Telenisa pour 2022
Statistiques et conclusions de Telenisa pour 2021
* Telenisa propose des consultations juridiques gratuites sur le droit islamique de la famille et le droit pénal islamique
Principales conclusions
Les femmes sont très largement majoritaires dans la clientèle
92 % des clients étaient des femmes, issues pour la plupart de milieux à faibles ou moyens revenus.
Crise des pensions alimentaires pour enfants
19 des 46 problèmes rencontrés par les client·es de Telenisa sont liés aux pensions alimentaires pour enfants. Principales causes : pères sans emploi (14), pensions alimentaires insuffisantes versées par les pères (12) et non-respect des décisions de justice (5).
Litiges liés au mariage et au divorce
Le nombre élevé de cas de talaq hors des tribunaux (16) et de mariages non enregistrés (42) porte atteinte aux droits des femmes.
Problèmes liés à la garde des enfants
23 litiges liés à la garde des enfants, souvent liés à des mariages non enregistrés ou polygames.
Violence et maltraitance
20 cas de violence domestique, 7 cas de violence sexuelle, 1 cas de viol conjugal et 1 cas de maltraitance d'enfant. La maltraitance n'est pas seulement physique, elle est également financière (26 as) et psychologique (23 cas).
Obstacles à la justice
Près de 10 femmes n'ont pas été représentées devant les tribunaux. Certaines ont été confrontées à des avocats peu scrupuleux et à des juges absents, ce qui témoigne de faiblesses systémiques.
Recommandations
Agence pour le soutien à l'enfance
Créer une agence pour le soutien à l'enfance en Malaisie afin de gérer les paiements et de veiller au respect des obligations.
Mettre en place un fonds provisoire de soutien à l'enfance pour les mères/enfants en attente d'arriérés.
Services juridiques
Aide juridique subventionnée en matière de charia pour les B40 dans chaque État.
Mobiliser davantage d'avocats bénévoles spécialisés en charia par l'intermédiaire d'ONG et d'institutions.
Créer une plateforme d'information numérique sur les droits des femmes et les procédures judiciaires (multilingue).
Résolution des affaires
Délai pour les affaires relevant de la charia (12 à 18 mois).
Réviser les affaires tous les 3 mois.
Utiliser un système numérique de gestion des affaires et une vérification en ligne.
Révision des règles qui pénalisent/discriminent les femmes.
Éthique professionnelle
Renforcement des mécanismes de plainte contre les avocats/juges.
Création d'un tribunal de déontologie pour les magistrats de la charia.
Violence domestique
Développement des services de soutien psychologique, des refuges et des lignes d'assistance téléphonique 24h/24.
Intégration des abus psychologiques, économiques et sexuels dans la législation.
Formation des agents de première ligne (responsables de mosquées, policiers, personnel religieux).
Connaissances juridiques et financières
Modules sur les connaissances financières et les droits de la charia dans les programmes pré/post-maritaux.
Infographies/vidéos sur les droits post-divorce via les canaux religieux.
Planification et distribution successorales
Publier des directives sur les hibah, wasiat, wakaf, wasiyyah.
Campagne nationale de sensibilisation à la planification successorale familiale.
Tendances en matière de divorce d'après les conclusions de Telenisa 2024
Les dernières statistiques de Telenisa 2024 révèlent que les trois principales causes de divorce chez les femmes musulmanes en Malaisie sont les suivantes :
Rupture de la communication – 36 cas
Violence domestique – 28 cas
Problèmes financiers – 24 cas
Ces résultats soulignent que le divorce n'est pas simplement le résultat de différences irréconciliables, mais souvent le reflet de défis structurels plus profonds auxquels sont confrontées les femmes dans le mariage.
La rupture de la communication souligne la nécessité d'une plus grande sensibilisation au bien-être émotionnel et psychologique au sein du mariage, tandis que les difficultés financières montrent comment l'insécurité économique peut mettre à rude épreuve les familles, en particulier lorsque les femmes dépendent de conjoints qui ne fournissent pas une nafkah (pension alimentaire) suffisante.
Le plus alarmant est la persistance de la violence domestique comme facteur de divorce, ce qui montre que trop de femmes sont encore contraintes de choisir entre leur sécurité et le maintien d'une relation néfaste.
Le SIS Forum (Malaisie) souligne que ces questions doivent être traitées non seulement au sein des familles, mais aussi au niveau systémique. Il est urgent de mettre en place des politiques qui appliquent les ordonnances alimentaires, renforcent l'accès à l'aide juridique et élargissent les services de soutien aux victimes de violence.
Un système judiciaire compatissant, ancré dans les maqasid al-shari'ah (objectifs de la loi islamique), doit donner la priorité à la dignité, à la sécurité et au bien-être des femmes et des enfants.
« Une justice retardée est une justice refusée. Pour chaque cas que nous enregistrons, il y a beaucoup d'autres femmes qui ne peuvent pas se manifester. Les réformes en matière d'application de la loi, d'aide juridique et de mécanismes de protection ne sont pas facultatives : elles sont essentielles si nous voulons vraiment instaurer la justice et la compassion dans notre système de la charia », Rozana.
https://www.freiheit.org/malaysia/telenisa-statistics-and-findings-2024-call-action-women-and-childrens-rights
Traduit par DE
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Briser les obstacles : La lutte des fillettes iraniennes
Chaque année, le 11 octobre, le monde célèbre laJournée internationale de la fille , une journée consacrée à la célébration des droits des filles et à la reconnaissance des défis qu'elles affrontent. Mais en Iran, cette commémoration mondiale met en lumière l'une des crises les plus urgentes des droits humains de notre époque.
Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/17/briser-les-obstacles-la-lutte-des-fillettes-iraniennes/?jetpack_skip_subscription_popup
La lutte pour les droits des filles en Iran
Sous le régime clérical iranien, les filles subissent une double discrimination parce qu'elles sont à la fois jeunes et femmes. Des failles juridiques permettent le mariage des enfants, certaines filles étant contraintes à l'union avant même d'avoir 13 ans. Les tentatives visant à relever l'âge légal du mariage ont été à plusieurs reprises bloquées par des responsables invoquant des motifs « religieux ». Parallèlement, les filles âgées de seulement neuf ans peuvent être tenues pour pénalement responsables selon la loi iranienne.
Ces politiques privent les filles de leurs droits et perpétuent un cycle d'inégalités laissant nombre d'entre elles privées d'éducation, de liberté et de sécurité.
L'éducation : un rêve refusé à de nombreuses filles iraniennes
L'éducation, clé de l'émancipation, est devenue un rêve lointain pour d'innombrables filles iraniennes. Les rapports de la Commission des Femmes du CNRI montrent que près de deux millions d'élèves ont abandonnél'école en 2023–2024 la majorité venant de régions défavorisées.
La pauvreté, l'insécurité des écoles et le manque de moyens de transport sont les principaux moteurs de cette crise. Dans des provinces telles que le Sistan-et-Baloutchistan et le Khouzestan, de nombreuses familles ne peuvent pas payer les manuels scolaires, les uniformes ou les frais de déplacement. Les filles sont souvent les premières que l'on retire de l'école lorsque les ressources familiales s'épuisent.
Pour certaines, même se rendre à l'école peut être dangereux.L'effondrement des bâtiments, les incendies et les fourgonnettes scolaires non sécurisées ont coûté la vie à de jeunes élèves, de sombres rappels de la négligence qui règne dans le système éducatif iranien.
Mariage des enfants et travail des enfants : la crise cachée
Derrière les chiffres se cachent de véritables tragédies humaines. Fatima Soleimani, une fillette de 12 ans de la province de Kermanchah, s'est donné la mort plutôt que d'être forcée à se marier une histoire qui hante encore de nombreux Iraniens.
Entre 2017 et 2018, les données officielles ont montré que plus de 230 000 filles de moins de 15 ans avaient été mariées en Iran dont 194 âgées de moins de 10 ans. Dans le même temps, des millions de filles sont piégées dans le travail des enfants, travaillant dans des conditions dangereuses au lieu d'aller à l'école Leur avenir est façonné par la contrainte, non par le choix.
Voix du courage et appel au changement
Malgré toutes les discriminations et les souffrances qu'elles subissent, les filles iraniennes restent inébranlables, faisant preuve d'un courage remarquable. Les épreuves et les privations qu'elles endurent, comme celles d'autres segments de la société, proviennent du régime oppressif, misogyne et médiéval des mollahs.
Les jeunes écolières et étudiantes ont pleinement conscience de cette réalité et, pour cette raison, elles ont joué un rôle actif dans les soulèvements et les manifestations populaires. Lors du soulèvement national de 2022, beaucoup d'entre elles ont courageusement rejoint la lutteet sacrifié leur vie pour la liberté. Aujourd'hui, un nombre croissant de ces jeunes filles rejoignent les Unités de Résistance pour aider à renverser le régime et créer un avenir meilleur pour elles-mêmes et pour toutes les femmes et les hommes d'Iran.
Ce n'est qu'à travers le renversement de ce régime tyrannique que les droits des filles iraniennes pourront réellement être respectés et qu'une société libre, égalitaire et humaine pourra être construite pour leur permettre de grandir et de s'épanouir.
Un avenir façonné par le choix, non par la contrainte
Les fillettes iraniennes méritent ce que mérite chaque enfant le droit de rêver, d'apprendre et de vivre sans peur.
Alors que le monde célèbre la Journée internationale de la fille, ne nous contentons pas de sensibiliser, mais exigeons des actions. Car donner du pouvoir aux filles ne transforme pas seulement leur vie, cela transforme les nations.
https://wncri.org/fr/2025/10/11/fillettes-iraniennes-filles-iraniennes/
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Cessons de nous demander pourquoi les femmes n’ont pas d’enfants et demandons-nous, pour une fois : pourquoi les hommes n’en ont-ils pas ?
Dans l'ensemble, les hommes à qui j'ai parlé, tout comme les femmes, veulent des enfants. Mais une multitude de problèmes, allant du logement à la santé mentale, font obstacle à leur projet.
Tiré de Entre les lignes et les mots
Pourquoi les femmes n'ont-elles pas d'enfants ? C'est la question que tout le monde se pose alors que le taux de fécondité atteint un niveau historiquement bas en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles. Un ensemble de réponses est toujours avancé, allant des plus sensées (coûts liés à la garde d'enfants et au logement ; pénalité professionnelle liée à la maternité) aux plus absurdes (être tellement inconscientes de notre propre fertilité que nous nous réveillons un jour en réalisant qu'il est trop tard). Mais peut-être est-il temps de se demander non seulement « pourquoi les femmes n'ont-elles pas d'enfants ? », mais aussi « pourquoi les hommes n'en ont-ils pas ? ».
Les hommes sont largement absents du débat sur le taux de natalité. Il est ironique que, parmi toutes les déclarations pontifiantes et les idées politiques visant à encourager davantage de femmes à avoir des enfants – une discussion souvent menée par des hommes –, l'autre moitié de l'humanité soit remarquablement peu prise en compte. Une partie du problème réside dans l'absence de données : comme beaucoup de pays européens, nous ne disposons pas vraiment d'informations sur la fertilité masculine. Sans données, nous n'avons qu'une vision partielle de la situation.
Que savons-nous donc ? Eh bien, nous savons que la crise du taux de natalité n'est pas vraiment due au fait que les personnes ont moins d'enfants, mais plutôt au fait que beaucoup moins de personnes deviennent parent·es. Comme l'a récemment écrit le démographe Stephen J Shaw, le nombre de personnes sans enfant est en augmentation, même si la plupart des personnes continuent de dire qu'elles veulent des enfants. Il a souligné que l'absence d'enfants non planifiée – ou l'infertilité involontaire pouvait souvent s'expliquer par le simple fait de ne pas trouver le bon partenaire. Cela semble logique au vu de ce que l'on appelle la « récession relationnelle » ou le « fossé entre les sexes ». Les individu·es ne se mettent tout simplement plus en couple comme avant.
La statistique inquiétante citée par Shaw est qu'une Britannique qui aurait atteint l'âge de 28 ans sans enfant en 2023 n'aurait que 50% de chances de devenir mère. Ce qu'il ne se demande pas, c'est ceci : si la plupart des femmes souhaitent toujours avoir des enfants, qu'advient-il des partenaires masculins appropriés et disposés à les avoir lorsque les individus atteignent la fin de la vingtaine et la trentaine ?
Le Dr Joe Strong, démographe et chercheur à l'université Queen Mary de Londres, m'explique que les couples hétérosexuels ont tendance à être plus proches en âges, contrairement au passé et que les hommes diplômés de l'université reportent également le moment d'avoir des enfants. « Les données recueillies auprès d'hommes et de femmes en couple montrent que l'une des principales raisons du report de la maternité est l'attente que les deux partenaires soient prêt·es », explique-t-il. « Les décisions ne sont pas prises dans l'abstrait ; le report de la paternité par les hommes est lié aux énormes obstacles économiques et sociaux auxquels les femmes sont confrontées. »
Cela fait écho aux sentiments exprimés par les hommes à qui j'ai parlé. Parmi ceux qui étaient en couple et voulaient des enfants (il y en avait quelques-uns qui n'en voulaient tout simplement pas), attendre que leur partenaire féminine soit prête ou ait établi sa carrière était un facteur important, tout comme l'accès à la propriété. Pour ceux qui étaient célibataires, il s'agissait de trouver quelqu'une avec qui ils étaient sûrs de vouloir fonder une famille, dans une pratique sociale de rencontres qui ne semble pas toujours propice à cet objectif.
Tom, la trentaine bien avancée, voulait avoir des enfants avec son ex, avec qui il a été pendant plusieurs années, mais elle ne voulait pas d'enfants avec lui. Maintenant qu'il est célibataire, il ne parle pas d'« horloge biologique » (même si les hommes en ont aussi une), mais d'« horloge psychologique ». « On n'a pas une éternité pour apprendre à connaître quelqu'un suffisamment bien afin de savoir au fond de soi si l'on veut passer le reste de sa vie à élever un enfant [avec cette personne] », m'explique-t-il.
Il y a aussi l'aspect financier. Tom touche le revenu universel depuis qu'il a perdu son emploi. « Est-il encore possible, d'un point de vue matériel et financier, d'avoir un enfant ? Je ne le pense pas. Je ne pense pas que cela soit envisageable dans un avenir proche », dit-il. Il n'a pas les moyens de payer le logement et la garde d'enfants nécessaires pour élever un enfant en ville, et déménager signifierait s'éloigner de la communauté d'ami·es et de la famille dont tout le monde a besoin lorsqu'on devient parent.
Strong note que « la précarité croissante du marché du travail signifie qu'il est plus difficile pour les hommes de répondre aux attentes sociales qui leur imposent de « subvenir aux besoins » de leur famille. Il était autrefois beaucoup plus facile de se lancer dans le monde adulte : le logement et le coût de la vie étaient plus abordables, les emplois souvent nombreux. Avoir un enfant à 25 ans, par exemple, alors que l'on vivait de manière indépendante depuis l'âge de 18 ans, semblait peut-être plus normal qu'aujourd'hui, et certainement plus faisable lorsqu'on n'avait pas besoin de deux revenus pour subvenir aux frais de logement. Si l'on vit encore chez ses parent·es ou en colocation et que l'on souffre d'une dépression paralysante, il est peu probable que l'on songe à avoir des enfants, surtout si l'on a à peine les moyens de sortir boire un verre.
Au-delà des circonstances économiques, cependant, il y a eu un changement fondamental dans la façon dont nous percevons le fait d'avoir un enfant. Ce qui était autrefois un événement « fondateur » dans la vie – quelque chose que l'on faisait en entrant dans l'âge adulte – est désormais un événement « aboutissement », c'est-à-dire quelque chose que l'on fait après avoir atteint tous les autres objectifs de la vie. Sauf que ces objectifs semblent de plus en plus difficiles à atteindre.
« Il n'existe pas d'explication unique pour les décisions des hommes en matière de fertilité », souligne Strong. « Les décisions concernant le fait d'avoir des enfants ou non et le moment de les avoir varient énormément selon les contextes et les groupes démographiques. » Il s'agit d'un débat complexe qui nécessite des solutions nuancées. Nous devons en savoir plus sur tous les facteurs qui influencent la fertilité masculine et le taux de natalité, de la culture moderne des rencontres amoureuses et de la pornographie au logement, en passant par la crise de la santé mentale masculine et la consommation de cannabis. Si vous avez entre 20 et 39 ans, vous avez probablement souvent ce genre de discussions avec vos proches. C'est mon cas, en tout cas. Leur absence du débat n'en est que plus frappante.
Rhiannon Lucy Cosslett
Rhiannon Lucy Cosslett est chroniqueuse au Guardian.
https://www.theguardian.com/commentisfree/2025/sep/21/women-children-men-housing-mental-health
Traduit par DE
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