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Godin ! Mine de Rien

16 décembre, par Mohamed Lotfi — , ,
Le problème avec l'actuel chef du PQ ce n'est pas avec ce qu'il dit ou ce qu'il fait, mais avec ce qu'il ne dit pas et ce qu'il ne fait pas ! Le malaise qu'ont suscité (…)

Le problème avec l'actuel chef du PQ ce n'est pas avec ce qu'il dit ou ce qu'il fait, mais avec ce qu'il ne dit pas et ce qu'il ne fait pas !

Le malaise qu'ont suscité certaines prises de position du chef du Parti québécois, notamment sur l'immigration, ne tient pas tant à leur contenu qu'à l'absence d'une certaine autorité et une certaine crédibilité qui auraient pu leur donner un autre sens. Les mêmes mots sur l'immigration et les immigrants, prononcés par d'autres, à une autre époque, n'auraient peut-être pas soulevé autant de remous. Ce qui fait défaut à l'actuel chef, ce sont les gestes. Les gestes symboliques. Ceux qui installent une confiance durable. L'ouverture n'est pas un slogan mais une pratique.

Gérald Godin incarnait cela avec une évidence désarmante. Je l'ai côtoyé quand il était ministre de l'immigration et député de Mercier. Je l'ai vu de mes yeux faire. Il ne théorisait pas l'accueil, il le vivait et l'écrivait. Son rapport aux communautés immigrantes, notamment grecque, était d'une chaleur simple. Il ne cherchait pas à convaincre par des formules bien tournées. Il attirait naturellement les gens vers le français en allant à leur rencontre, dans leur réalité, dans leurs lieux, dans leurs codes.

Godin a fait l'effort de parler un peu grec, un peu portugais et un peu créole. Mal, approximativement, mais joyeusement. Il s'installait à la Skala sur l'avenue du Parc, prenait une bière, racontait son rêve de voyage en Grèce, bricolait quelques phrases. Les habitués riaient, le patron venait le saluer et corrigeaient son grecque, en français. Ce dernier en profitait pour dire l'extrait d'un poème de Miron « Montréal est grand comme un désordre universel ». Le patron faisait semblant de ne pas connaître Miron et Godin faisait semblant de ne pas être ministre de l'immigration. Mine de rien, le français circulait, sans injonction, sans crispation. Il devenait un espace commun, un terrain de jeu, un lieu de rencontre.

Godin considérait que les nouveaux arrivants sont des poèmes, une richesse et une vitalité au Québec, enrichissant le tissu social et linguistique. Il aurait pu tenir les mêmes propos que le chef actuel du PQ sur la nécessité de gérer avec rigueur les seuils d'immigration. Personne ne lui en aurait tenu rigueur. Parce qu'il avait bâti, au fil du temps, un lien de confiance profond avec ces gens qu'il qualifiait affectueusement de poèmes. Parce que son ouverture aux autres cultures, aux autres langues, aux autres cuisines, aux autres musiques ne faisait aucun doute. On la lisait d'abord dans son regard.

Ce lien de confiance disait quelque chose de plus large que lui. Il disait l'esprit d'un parti. D'un mouvement politique capable de conjuguer affirmation nationale et hospitalité sincère. Aujourd'hui, ce qui trouble, ce n'est pas tant ce qui est dit que ce qui n'est pas incarné. Et en politique, l'incarnation reste souvent la forme la plus convaincante du discours.

Comment oublier ce moment d'une intensité rare. Deux semaines après le décès de Godin en octobre 1994, un jeune Québécois issu de l'immigration a tenu à lui rendre hommage en mettant en rap l'un de ses poèmes. Louise Harel était présente. Elle est restée marquée à jamais par ce chant, cette voix, cet hommage. https://www.souverains.qc.ca/louise-harel

Pour un ami, pour un pays
Tout ce que t'as, c'est ton cœur
Aller au bout des vies, aller au bout de l'histoire
Tout ce que t'as, c'est ton cœur
Comprendre un peu mieux ce qui se passe
Tout ce que t'as, c'est ton cœur
S'acharner, te battre encore
Tout ce que t'as, c'est ton cœur
Ramer, ramer, ne pas céder
Tout ce que t'as c'est ton cœur
Pour un ami, pour un amour
Tout ce que t'as, c'est ton cœur

Dans son poème Tango de Montréal, tiré de son recueil Sarzène, dont un extrait est gravé sur le mur du métro Mont Royal, Godin évoque les travailleurs issus de l'immigration, de retour à la maison après une journée de labeur.

et dans leurs cœurs une musique différente
une musique qui est la leur
une musique qui est la nôtre
la musique de Montréal…

Si j'étais PSPP, je glisserais un extrait d'un poème de Godin. Je le répéterais dans un discours, dans une conversation, dans un café, un bar, mine de rien, comme Godin, comme Miron, comme Lévesque, comme tant d'autres savaient le faire.

Mine de rien, ils étaient beaux.

Mohamed Lotfi
14 Décembre 2025

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Droit du travail : la Cour internationale de Justice se prononce sur le droit de grève

16 décembre, par Cour Internationale de Justice — ,
La Cour internationale de justice (CIJ) a ouvert lundi ses audiences pour déterminer si le droit de grève est protégé par le droit international. C'est la première fois que la (…)

La Cour internationale de justice (CIJ) a ouvert lundi ses audiences pour déterminer si le droit de grève est protégé par le droit international. C'est la première fois que la plus haute juridiction du monde est appelée à se prononcer sur l'équilibre entre les droits des travailleurs et les intérêts des employeurs.

27 octobre 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/10/27/droit-du-travail-la-cour-internationale-de-justice-se-prononce-sur-le-droit-de-greve/

L'affaire fait suite à une requête déposée en 2023 par le Conseil d'administration de l'Organisation internationale du Travail (OIT), qui a sollicité un avis consultatif de la Cour sur la question de savoir si la Convention (n°87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, inclut le droit de grève.

Adoptée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Convention n°87 est une pierre angulaire du droit international du travail, garantissant aux travailleurs et aux employeurs le droit de constituer les organisations de leur choix et d'y adhérer. Elle ne mentionne pas explicitement la grève, mais les défenseurs de la liberté syndicale interprètent depuis longtemps ce droit comme l'incluant.

Le Président de la CIJ, Yūji Iwasawa, a ouvert les débats de lundi en lisant la question formelle aux juges, en faisant référence à la résolution de l'OIT et à l'autorité procédurale de la Cour. Il a souligné la « structure tripartite de l'OIT, composée de représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs ».

Une demande rare

Tomi Kohiyama, conseillère juridique de l'OIT, a rappelé que l'OIT n'avait pas comparu devant la CIJ à titre consultatif depuis 1932, soulignant la rareté de telles demandes.

Elle a déclaré que le secrétariat de l'OIT ne prendrait pas position sur le sujet, mais aiderait la Cour en clarifiant le contexte institutionnel et les approches interprétatives au titre de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

Fondée en 1919, l'OIT est unique au sein du système des Nations Unies par sa structure tripartite, réunissant des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs pour établir des normes internationales du travail.

Cet équilibre a cependant parfois conduit à des impasses, notamment en 2012, lorsque des groupes d'employeurs ont contesté la reconnaissance du droit de grève par les conventions n°87 et 98.

Arguments des syndicats et des entreprises

Paapa Danquah, s'exprimant au nom de la Confédération syndicale internationale (CSI), a décrit les grèves comme une expression intemporelle de l'action collective.

« La grève a été notre outil essentiel… pour améliorer les conditions de travail et défendre notre dignité humaine », a-t-il déclaré au tribunal.

Il a soutenu que le droit de grève fait partie intégrante de la liberté syndicale et devrait donc être reconnu comme protégé par la convention n°87.

En revanche, Roberto Suárez Santos, au nom de l'Organisation internationale des employeurs (OIE), a affirmé que si le droit de grève n'est pas contestable en principe, la convention n°87 ne le couvre ni explicitement ni implicitement.

Il a averti que l'intégrer maintenant à la convention reviendrait à imposer un régime prescriptif – définissant les modalités de la grève – susceptible de perturber les systèmes nationaux du travail.

Il a affirmé que la voie à suivre serait le consensus au sein des organes tripartites de l'OIT, et non une élévation unilatérale des normes par voie judiciaire.

Avis consultatifs de la CIJ

Pendant trois jours d'audience, 21 pays et organisations doivent témoigner, 31 déclarations écrites ayant déjà été déposées au greffe de la CIJ, témoignant de l'intérêt mondial pour l'issue de l'affaire.

L'avis consultatif de la Cour, attendu dans les prochains mois, ne sera pas juridiquement contraignant, mais pourrait profondément influencer le droit du travail international et national.

https://news.un.org/fr/story/2025/10/1157638

Lavoro, la Corte Internazionale di Giustizia si pronuncia sul diritto di sciopero
https://andream94.wordpress.com/2025/10/28/lavoro-la-corte-internazionale-di-giustizia-si-pronuncia-sul-diritto-di-sciopero/

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L’action de l’OIT en Birmanie angoisse les travailleurs et syndicats

Dans le secteur textile, les travailleurs et dirigeants syndicaux affirment que la décision de l'Organisation internationale du travail (OIT) d'invoquer l'article 33 – une (…)

Dans le secteur textile, les travailleurs et dirigeants syndicaux affirment que la décision de l'Organisation internationale du travail (OIT) d'invoquer l'article 33 – une mesure punitive rare à l'encontre des États membres qui violent de manière persistante les conventions fondamentales du travail – pourrait finir par nuire davantage aux travailleurs qu'à la junte militaire au pouvoir.

Billet de blog 2 décembre 2025 | Illustration 1 : A worker sleeps in a delivery truck in Yangon © Laure Siegel
https://blogs.mediapart.fr/laure-siegel/blog/021225/l-action-de-l-oit-en-birmanie-angoisse-les-travailleurs-et-syndicats

En juin 2025, l'OIT a déclenché des sanctions au titre de l'article 33 contre le Myanmar [nom officiel de la Birmanie depuis 1989 sur décision de la junte au pouvoir] pour violation de la convention n° 87 - liberté syndicale et protection du droit syndical - et de la convention n° 29 - travail forcé. C'était la deuxième fois que cette mesure était utilisée contre le Myanmar, après la première occurrence sous le régime militaire de Than Shwe.

En 2000, l'OIT a adopté une résolution en vertu de l'article 33 de sa constitution pour lutter contre le recours généralisé au travail forcé au Myanmar, marquant la première fois que cet article était invoqué contre un État membre. Khin Nyunt, alors chef des services de renseignement et figure clé du régime militaire du Myanmar, était l'un des principaux représentants du pays dans les discussions avec l'OIT avant d'être purgé quelques années plus tard.

L'article 33 habilite les États membres de l'OIT à revoir leurs relations avec les gouvernements fautifs et à envisager des mesures telles que la suspension de la coopération, des investissements ou des échanges commerciaux. Bien que l'article 33 n'impose pas automatiquement des interdictions commerciales, les dirigeants syndicaux locaux l'ont décrit comme une mesure extrêmement sévère au sein du système de l'OIT, qui, selon eux, risque de nuire davantage aux travailleurs qu'aux autorités. Les travailleurs disent comprendre pourquoi le Myanmar a été sanctionné, mais affirment que cette mesure risque d'aggraver leurs difficultés économiques plutôt que de faire pression sur la junte.

Des conditions de travail indignes après le coup d'État

Les travailleurs et travailleuses, la plupart des employés étant des femmes, des usines CMP (cut-make-pack) témoignent d'une forte détérioration des droits du travail et de la sécurité sur le lieu de travail depuis le coup d'État en 2021. Bas salaires, heures supplémentaires obligatoires et horaires excessifs. Beaucoup évoquent des conditions dangereuses, dans des endroits non ventilés et insalubres, des restrictions à la formation de syndicats et des abus verbaux ou physiques de la part de leurs supérieurs. Certains rapportent avoir été contraints de signer des documents vierges, s'être vu refuser des congés ou avoir été mutés à titre de sanction pour avoir exprimé leur opinion.

Le rapport Stitches of Struggle and Hope (“Coutures de lutte et d'espoir”) révèle que 55 % des travailleurs interrogés ont déclaré travailler en moyenne 12 heures par jour, mais jusqu'à 21 heures dans les cas extrêmes, 62 % ont subi des blessures physiques et 60 % ont déclaré souffrir de détresse psychologique liée au travail. Ces conclusions concordent avec ce que les organisateurs locaux décrivent comme la période la plus répressive pour la main-d'œuvre birmane depuis des décennies, en plus d'une pauvreté urbaine record dans le centre économique du pays.

Pourquoi l'article 33 a-t-il été invoqué ?

L'OIT a justifié sa décision en invoquant les violations persistantes des conventions 29 et 87 par le Myanmar. En coordination avec les syndicats en exil et les représentants des employeurs, le gouvernement d'union nationale (NUG), formé en réponse au coup d'Etat par des parlementaires déposés, a salué cette initiative comme « une victoire du peuple », appelant les États membres de l'OIT à revoir leur coopération avec la junte, à suspendre les transferts de carburant aviation, d'armes et de financements qui soutiennent les opérations militaires, et à tenir les acteurs publics et privés responsables du travail forcé.

Pourtant, les travailleurs sur le terrain affirment qu'ils n'ont pas été consultés. Ils soutiennent que cette décision a été prise loin de la réalité à laquelle ils sont confrontés, sans avoir appréhendé comment les sanctions pourraient aggraver leur vulnérabilité. Les médias pro-régime, tels que le Global New Light of Myanmar, font état d'environ 700 usines de confection dans tout le pays et de 700 000 travailleurs rien qu'à Yangon. La junte affirme également que les exportations de vêtements ont généré un profit d'environ cinq milliards de dollars américains par an entre 2021 et 2024.

Illustration 2
Grève des travailleurs de l'industrie pétrolifère après le coup d'Etat au Myanmar

Réaction des travailleurs et des syndicats

Les représentants syndicaux soulignent que ces chiffres, bien que probablement exagérés, illustrent à quel point la junte est devenue dépendante des exportations de vêtements – et pourquoi ce sont les travailleurs plutôt que les généraux qui subissent le plus lourdement les sanctions.
Ma Zin Mar, dirigeante syndicale dans le quartier industriel de Hlaing Thar Yar, a exprimé sa frustration face à cette politique : « Si nous soutenons l'article 33, dites-nous clairement combien de temps il faudra pour renverser la junte. Qui peut le promettre ? Vous ne pouvez pas demander à 700 000 travailleurs qui dépendent de ce secteur d'absorber ce choc. » U Tun Wai Nyunt, militant syndicaliste chevronné qui milite depuis plus de vingt ans, a déclaré : « Fermer les usines ne nuit en rien aux généraux, mais détruit les moyens de subsistance des travailleurs. Ciblez leurs revenus, pas les nôtres. » Il a ajouté que les mesures punitives radicales « ne favorisent ni la démocratie, ni la paix, ni le fédéralisme » et a averti que les mesures qui nuisent à la classe ouvrière risquent de compromettre la révolution dans son ensemble.

Une enquête du CCTU (Comité de coopération des syndicats) aurait révélé que 98 % des personnes interrogées s'opposaient à la fermeture des usines, invoquant des besoins de survie.

Des problèmes de représentation et de consultation

L'OIT fonctionne selon un système tripartite qui comprend des représentants des travailleurs, des employeurs et des gouvernements. Le NUG et la junte prétendent tous deux être les institutions légitimes contrôlant ces structures. Lors de la 113e Conférence internationale du travail (2025), l'OIT a reconnu la délégation du NUG plutôt que celle de la junte, bien que les deux aient désigné la Confédération des syndicats du Myanmar (CTUM) comme représentant des travailleurs.

U Tun Wai Nyunt a critiqué ce processus : « Les représentants devraient être choisis démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes. Comment des décisions concernant les droits du travail au Myanmar peuvent-elles être prises à Genève sans consulter les travailleurs ici ? »
Ko Kane, un dirigeant syndical d'usine âgé de 25 ans, a fait écho à cette préoccupation : « L'OIT nous semble très éloignée. Même nous, les dirigeants syndicaux, ne savons pas si elle a encore un bureau ici. Beaucoup de travailleurs n'ont jamais entendu parler de l'OIT. » Il a ajouté que les travailleurs n'avaient pas eu la possibilité d'exprimer leur opinion avant que la décision relative à l'article 33 ne soit prise.

Complicité des employeurs et répression syndicale

Ko Kane a décrit comment les efforts visant à créer un syndicat légal dans son usine ont été sabotés. La liste des travailleurs soutenant cette initiative a été divulguée à la direction, ce qui a donné lieu à des intimidations, des heures supplémentaires forcées et des licenciements. Lui-même a été muté à un poste sans rapport avec la construction, puis contraint de coopérer avec la direction ou de démissionner : « Passer directement à l'article 33, c'est comme brûler la maison parce qu'il y a une souris. »

U Tun Wai Nyunt a souligné que les employeurs partagent la responsabilité des abus : « Ce n'est pas seulement le gouvernement qui bloque les syndicats, de nombreux employeurs y participent eux-mêmes. L'OIT devrait impliquer non seulement les autorités, mais aussi les propriétaires d'usines et les représentants des marques, et leur demander des comptes. »

Leurs témoignages mettent en évidence une tendance à la répression conjointe par les acteurs étatiques et privés.

Les leçons du précédent de 2000

La première expérience du Myanmar avec l'article 33 en 2000 offre un parallèle édifiant. Malgré cette mesure, le régime dictatorial du Conseil d'État pour la paix et le développement (SPDC) dirigé par Than Shwe et Khin Nyunt est resté au pouvoir. Des usines ont fermé, des travailleurs ont perdu leur emploi et la junte a ensuite consolidé son contrôle grâce à la Constitution de 2008, qui réserve 25 % des sièges parlementaires aux militaires, et aux élections de 2010.

« Nous n'avons jamais dit de ne pas agir contre la junte », a déclaré U Tun Wai Nyunt. « Nous avons seulement dit : ne prenez pas de mesures qui nuisent à la population. Attaquez-vous aux véritables sources de revenus de la junte. » Il a cité les industries extractives comme exemple : « Personne ne s'est opposé au départ de Total ou d'autres géants pétroliers, mais ces entreprises n'ont jamais employé notre population. Elles se sont contentées de piller nos ressources. »

Pour lui et beaucoup d'autres, des sanctions efficaces devraient cibler les sources de revenus réelles de la junte, et non les industries qui font vivre les familles ordinaires.

Illustration 3
Grève de travailleurs en 1988 à Yangon / Rangoun

Réactions internationales et contexte commercial

En juillet 2025, l'administration Donald Trump a annoncé un taux de droits de douane de 40 % sur les importations en provenance du Myanmar, une mesure que la junte a saluée comme un signe de semi-normalisation après des années de sanctions quasi totales. Ce taux n'a pas rétabli les avantages du système de préférences généralisées (SPG), mais a permis aux exportateurs du Myanmar, en particulier dans le secteur de l'habillement, d'opérer dans le cadre d'un tarif légalement défini plutôt que d'être soumis à des restrictions d'embargo totales.

Ce changement a permis au régime de remporter une victoire en matière de relations publiques et d'ouvrir une nouvelle voie pour les recettes d'exportation, même si les sanctions contre les conglomérats liés à l'armée ont été maintenues. Elle a également offert aux importateurs occidentauxun moyen légal de continuer à s'approvisionner au Myanmar sans enfreindre les sanctions, assouplissant ainsi l'étranglement économique qui limitait auparavant les échanges commerciaux.

Les analystes régionaux notent que les États-Unis restent la quatrième destination d'exportation de vêtements du Myanmar. La junte a utilisé l'ajustement tarifaire pour projeter une image de reprise économique et de légitimité, bien que les travailleurs affirment que cela n'a pas rétabli la sécurité de l'emploi ni amélioré les salaires. Les dirigeants syndicaux ont également fait référence aux discussions en cours avec l'Union européenne, le plus grand marché d'exportation de vêtements du Myanmar.

Ils pensent que l'UE évitera un désengagement total comme celui de 2000, optant plutôt pour des mesures de diligence raisonnable ciblées exigeant des marques qu'elles rendent compte des conditions de travail dans leurs chaînes d'approvisionnement. Des marques comme Primark and Decathlon poursuivent leurs commandes de matériaux sources au Myanmar, mais l'industrie textile du Myanmar continue de dépendre en grande partie des investisseurs de Taïwan, de Chine, de Corée du Sud et de Macao, dont les réactions à la décision relative à l'article 33 restent incertaines.

L'invocation de l'article 33 par l'OIT visait à tenir la junte birmane responsable des violations systématiques des droits du travail. Pourtant, parmi les travailleurs du pays, cette mesure est accueillie avec ambivalence, entre espoir de justice et crainte d'un effondrement économique. Les travailleurs comme Ma Zin Mar insistent sans cesse sur une exigence : un engagement direct. « Vous ne pouvez pas voir d'en haut. Descendez, et vous comprendrez ce qui se passe entre les travailleurs et les employeurs. »

Le dilemme reste entier : comment punir un régime sans punir son peuple ?

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Quand on s’attaque à un·e syndicaliste, c’est tout le mouvement syndical qui se lève

16 décembre, par Syndicat des avocats de France — , ,
Défenseur des avocat·es attaquées et mis·es en danger pour avoir exercé leur mission et vigie des libertés fondamentales, le SAF est aux premières loges des intimidations de (…)

Défenseur des avocat·es attaquées et mis·es en danger pour avoir exercé leur mission et vigie des libertés fondamentales, le SAF est aux premières loges des intimidations de l'extrême droite et de la droite. La plainte déposée contre la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet s'inscrit dans ce mouvement.

8 décembre 2025 | tir é du blog de mediapart du Syndicat des Avocat-es de France (SAF)
https://blogs.mediapart.fr/syndicat-des-avocat-es-de-france-saf/blog/081225/quand-sattaque-un-e-syndicaliste-cest-tout-le-mouvement-syndical-qui-se-le

Défenseur des avocat·es attaquées et mis·es en danger pour avoir exercé leur mission et vigie des libertés fondamentales, le SAF est aux premières loges des intimidations de l'extrême-droite et de la droite.

La plainte déposée contre la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, ayant conduit mardi dernier à sa mise en examen par l'effet quasi-automatique de la procédure prévue par la loi du 29 juillet 1881, s'inscrit dans ce mouvement.

A cet égard, il convient de rappeler que le groupe patronal minoritaire Ethic est présidé par Sophie de Menthon, laquelle s'avoue « charmée » par Marine Le Pen. Cette organisation a en outre affiché son soutien au groupe Bolloré lors de la disparition de C8 (cf. Laurent Mauduit, Collaborations, p. 207 et s.).

L'action visant Sophie Binet est donc dans le fruit d'une stratégie purement politique, exactement à l'inverse du dialogue social.

Par ailleurs, la CNCDH a récemment rappelé que les entreprises doivent participer activement à « protéger l'espace civique » et « éviter de nuire à tout groupe ou individu » qui souhaite faire part de ses préoccupations concernant les impacts négatifs liés à leurs activités, produits ou services (Avis sur la lutte contre les procédure-bâillons (A-2025-2) du 13 février 2025, citant les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises).

L'association Ethic, qui prétend parler pour des entreprises, ne semble donc pas avoir connaissance des travaux de l'OCDE sur ces sujets, ce qui doit préoccuper le mouvement syndical et inviter les décideurs publics, les juridictions qui seront saisies, mais également les journalistes qui relaient leurs actions à la plus grande prudence.

Enfin, le SAF s'inquiète de l'instrumentalisation de la mise en examen, prévue par la procédure de presse comme une garantie des droits de la défense, mais souvent utilisée pour marquer négativement, ou tenter d'intimider, des ennemis politiques.

Dans son avis, la CNCDH recommande que « le législateur modifie les dispositions relatives au non-lieu ab initio prévues par l'article 86, alinéa 4 du code de procédure pénale, pour permettre au procureur de la République de prendre des réquisitions de non-lieu dans le cas où la plainte est manifestement infondée et vise à faire obstacle au débat public, en s'assurant que la partie plaignante soit entendue et qu'un recours soit possible devant la chambre de l'instruction » (Recommandation n° 11).

Une telle proposition mérite la plus grande attention pour promouvoir un débat public de qualité, objectif de la transposition en droit français de la Directive 2024/1069 du 11 avril 2024 sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les demandes en justice manifestement infondées ou les procédures judiciaires abusives (dites « poursuites stratégiques altérant le débat public »).

Après les poursuites engagées contre des responsables syndicaux et politiques ayant exprimé un soutien aux peuple palestinien, la citation d'une expression classique de la langue française sert à nouveau de prétexte pour tenter d'intimider et museler toute parole d'opposition.

C'est peine perdue : ces méthodes ne nous intimident pas. Elles nous rendent encore plus déterminé·es à défendre la liberté d'expression.

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Mobilisation massive de la gauche dans la capitale contre la droite

Ce samedi 6 décembre, les partisans de la « Quatrième Transformation » [1]. sont descendus dans les rues de la place principale de Mexico pour commémorer sept années de la (…)

Ce samedi 6 décembre, les partisans de la « Quatrième Transformation » [1]. sont descendus dans les rues de la place principale de Mexico pour commémorer sept années de la gauche au pouvoir.

12 décembre 2025 | tiré de Rébelion
https://rebelion.org/la-izquierda-desborda-la-capital-y-responde-a-la-derecha/
La gauche déborde la capitale et répond à la droite

Dans un indéniable tour de force politique, environ 600 000 personnes — selon l'estimation du gouvernement de la ville — se sont massées dans le Zócalo et les rues avoisinantes. Le message de la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, ne laissait aucun doute quant à sa détermination à résister aux attaques internes comme externes.

Ces derniers temps, les campagnes de toute nature dirigées contre elle se sont intensifiées, en grande partie sous l'impulsion du magnat Salinas Pliego, fraudeur fiscal notoire, soudainement reconverti par une sorte de grâce divine en chef « moral » de la droite mexicaine et nouveau parrain du propagandiste Javier Negre. À cela s'ajoute la menace d'ingérence du Géant du Nord, apparemment convalescent, qu'il serait imprudent d'ignorer.

L'atmosphère autour de la Torre Caballito, sur le Paseo de la Reforma, était festive. Des groupes se rassemblaient autour de la Fontaine de la République ; des fanions de toutes tailles et de toutes couleurs flottaient en abondance, tout comme les slogans écrits en lettres capitales. Un contingent transportait une figure monumentale en papier mâché du président, comme lors d'une fête populaire. L'accès au Zócalo se faisait au milieu d'une foule dense, entre esquives et bousculades occasionnelles. Les commerces étaient ouverts, proposant boissons et vêtements aux passants — dont beaucoup venaient d'autres États.

Le flot humain se déversait dans un Zócalo débordant, où il était néanmoins encore possible de se frayer un chemin pour obtenir une meilleure place. La place était remplie de personnes de tous horizons ; dans certains secteurs, on distinguait les contingents d'organisations constituées, comme celui du SNTE. Une présence qui laisse un arrière-goût de corporatisme hérité du PRI du siècle dernier : l'intégration d'organisations satisfaites, prêtes à composer avec leurs dirigeants.

Sheinbaum est arrivée peu avant 11 heures. Elle a parcouru la rue Madero jusqu'à l'estrade installée devant le Palais national. À chaque pas, la foule l'arrêtait ; certains se contentaient d'une poignée de main, d'autres demandaient des photos ou des signatures sur des affiches ou des livres.

Le discours a commencé peu après l'heure prévue. Le rappel des réalisations de la gauche sous le gouvernement d'AMLO — comme la relance des trains de passagers ou l'expansion des programmes sociaux — était ponctué d'applaudissements et de slogans tels que « Présidente ! » et « Tu n'es pas seule ! ». Les acclamations furent particulièrement fortes lorsque le haut-parleur retrouva sa voix après une panne de micro.

L'un des points centraux du discours portait sur ce qui apparaît comme le terrain le plus âpre de la lutte politique contemporaine : la bataille du récit. La présidente a dénoncé les torrents d'argent dépensés par ses adversaires pour imposer l'idée d'un pays en crise, livré au chaos et dépourvu de gouvernance. Au-delà de l'élaboration d'une stratégie de communication, elle a affronté directement la droite en déclarant : « Peu importe tout ce qu'ils feront, ils ne vaincront ni le peuple mexicain ni sa présidente ! » Reste à voir si les fabrications et les campagnes de l'opposition — qui semble glisser vers une droite radicalisée — parviendront à entamer le soutien populaire.

Un autre moment fort fut l'allusion voilée de Sheinbaum à la perspective inquiétante, soutenue par certains Mexicains de l'étranger, d'une intervention américaine. Il ne s'agit pas de menaces en l'air : la veille, l'administration Trump avait publié un document redéfinissant la région et évoquant la nécessité de rétablir la « domination » en Amérique latine. Derrière cet euphémisme se trouvent les cadavres d'Allende, de Sandino, de Jara et de milliers d'autres. La présidente a tenté d'exorciser ce spectre en proclamant à haute voix : « Le Mexique est un pays libre, indépendant et souverain ! Nous ne sommes la colonie ni le protectorat de personne ! » Pour que cette affirmation soit effective, il faudra toutefois un exercice d'équilibrisme diplomatique particulièrement délicat face à un gouvernement américain qui flirte à nouveau avec le fascisme.

Après un peu plus d'une heure de discours, l'événement s'est conclu comme il avait commencé : par l'hymne national. La foule a peu à peu quitté le Zócalo, comme une lagune se vidant dans les rivières qui la composent. Beaucoup sont allés manger dans les environs. D'autres se sont dirigés vers le secteur surchargé des Beaux-Arts, les stations les plus proches étant saturées, ou vers les autobus les ramenant dans leurs villes d'origine.

Ainsi s'achevait une démonstration de force politique qui confirme que les prophètes de malheur, au pays comme à l'étranger, continuent de ne pas comprendre la réalité : une part non négligeable de la population soutient toujours son gouvernement et sa présidente.

Rebelión* a publié cet article avec l'autorisation de l'auteur, sous licence Creative Commons, dans le respect de sa liberté de le diffuser dans d'autres médias.


[1] La Quatrième Transformation (Cuarta Transformación, 4T) est le projet politique lancé par Andrés Manuel López Obrador et poursuivi par Claudia Sheinbaum, présenté comme une refondation pacifique du Mexique, comparable à l'Indépendance (1), à la Réforme libérale(2) et à la Révolution mexicaine(3)

L’inégalité extrême et ce qu’il faut faire à ce sujet

16 décembre, par Michael Roberts — ,
Le dernier Rapport mondial sur les inégalités 2026 révèle l'ampleur vertigineuse du fossé entre riches et pauvres dans le monde, une division qui ne cesse de s'élargir jusqu'à (…)

Le dernier Rapport mondial sur les inégalités 2026 révèle l'ampleur vertigineuse du fossé entre riches et pauvres dans le monde, une division qui ne cesse de s'élargir jusqu'à des niveaux inimaginables. S'appuyant sur des données collectées par 200 chercheur·e·s réunis au sein du World Inequality Lab, le rapport conclut que moins de 60 000 personnes — soit 0,001 % de la population mondiale — contrôlent trois fois plus de richesses que la moitié la plus pauvre de l'humanité.

13 décembre 2025 | tiré de viento sur
https://vientosur.info/la-desigualdad-extrema-y-que-hacer-al-respecto/

En 2025, les 10 % les plus riches de la population mondiale gagneront plus que les 90 % restants, tandis que la moitié la plus pauvre de la population mondiale ne percevra moins de 10 % des revenus mondiaux totaux. La richesse — c'est-à-dire la valeur des actifs détenus par les individus — est encore plus concentrée que les revenus (salaires et revenus du capital), selon le rapport : les 10 % les plus riches possèdent 75 % de la richesse mondiale, tandis que la moitié la plus pauvre n'en détient que 2 %.

Selon le rapport, dans presque toutes les régions, le 1 % le plus riche est plus riche que les 90 % les plus pauvres, et les inégalités de patrimoine ont augmenté rapidement à l'échelle mondiale. « Le résultat est un monde dans lequel une petite minorité exerce un pouvoir financier sans précédent, tandis que des milliards de personnes restent exclues même de la stabilité économique de base », affirment les auteurs du rapport.

Cette concentration n'est pas seulement persistante : elle s'accélère. Depuis les années 1990, la richesse des milliardaires et des centimillionnaires a augmenté d'environ 8 % par an, soit presque le double du taux de croissance de la moitié la plus pauvre de la population. Les plus pauvres ont certes enregistré des gains modestes, mais ceux-ci sont éclipsés par l'accumulation extraordinaire au sommet. La part de la richesse mondiale détenue par le 0,001 % le plus riche est passée de près de 4 % en 1995 à plus de 6 %, tandis que la richesse des milliardaires a augmenté d'environ 8 % par an depuis les années 1990, presque deux fois plus vite que celle des 50 % les plus pauvres.

Au-delà de la stricte inégalité économique, le rapport montre que cette inégalité alimente les inégalités de résultats : les dépenses d'éducation par enfant en Europe et en Amérique du Nord, par exemple, sont plus de 40 fois supérieures à celles de l'Afrique subsaharienne, un écart environ trois fois plus élevé que celui du PIB par habitant.

L'inégalité est également responsable d'une part croissante des émissions de gaz à effet de serre. Le rapport montre que la moitié la plus pauvre de la population mondiale ne représente que 3 % des émissions de carbone associées à la propriété du capital privé, tandis que les 10 % les plus riches en représentent environ 77 %.

Les revenus sont inégalement répartis partout dans le monde : les 10 % les plus riches gagnent systématiquement beaucoup plus que les 50 % les plus pauvres. Mais en matière de richesse, la concentration est encore plus extrême. Dans toutes les régions, les 10 % les plus riches contrôlent plus de la moitié de la richesse totale, laissant souvent à la moitié la plus pauvre une part infime.

Ces moyennes mondiales masquent d'énormes disparités régionales. Le monde est divisé en niveaux de revenus clairement distincts : des régions à hauts revenus, comme l'Amérique du Nord, l'Océanie et l'Europe ; des groupes à revenus intermédiaires, comme la Russie, l'Asie centrale, l'Asie de l'Est, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord ; et des régions très peuplées où les revenus moyens restent faibles, comme l'Amérique latine, l'Asie du Sud et du Sud-Est, et l'Afrique subsaharienne.

Une personne moyenne en Amérique du Nord et en Océanie gagne environ 13 fois plus qu'une personne vivant en Afrique subsaharienne, et trois fois plus que la moyenne mondiale. Autrement dit, le revenu moyen quotidien y est d'environ 125 euros, contre 10 euros seulement en Afrique subsaharienne. Et il s'agit de moyennes : au sein de chaque région, de nombreuses personnes vivent avec beaucoup moins.

Selon le rapport, environ 1 % du PIB mondial est transféré chaque année des pays les plus pauvres vers les pays les plus riches par le biais de flux nets de revenus liés à des rendements élevés et à de faibles paiements d'intérêts sur les dettes des pays riches — soit près de trois fois le montant de l'aide publique mondiale au développement. L'inégalité est également profondément enracinée dans le système financier mondial. L'architecture financière internationale actuelle est structurée de manière à produire systématiquement de l'inégalité. Les pays qui émettent des monnaies de réserve peuvent emprunter durablement à faible coût, prêter à des taux plus élevés et attirer l'épargne mondiale. À l'inverse, les pays en développement font face à la situation opposée : dettes coûteuses, actifs à faible rendement et sorties continues de revenus.

Le pouvoir du capital s'exerce à l'échelle internationale, entre les nations. En excluant les pays de moins de 10 millions d'habitants, les dix pays les plus riches perçoivent des revenus nets positifs provenant de leurs investissements étrangers. À l'inverse, les dix pays les plus pauvres du monde sont d'anciennes colonies, pour la plupart situées en Afrique subsaharienne. Ils présentent des tendances opposées : la majorité d'entre eux versent d'importants revenus nets au reste du monde. En d'autres termes, ces pays envoient plus d'argent qu'ils n'en reçoivent des investissements étrangers. Cette fuite limite leur capacité à investir dans des domaines essentiels comme les infrastructures, la santé et l'éducation — conditions indispensables pour sortir de la pauvreté. Il n'est donc pas surprenant qu'ils ne puissent jamais rattraper les pays riches et combler l'écart avec le Nord global.

Peut-on faire quelque chose pour réduire les inégalités ?

Dans la préface du rapport, l'économiste et prix Nobel Joseph Stiglitz réitère son appel à la création d'un panel international sur les inégalités, comparable au GIEC de l'ONU pour le climat, afin de « suivre l'évolution des inégalités dans le monde et de formuler des recommandations objectives fondées sur des preuves ». Les auteurs du rapport soutiennent que les inégalités peuvent être réduites par des investissements publics dans l'éducation et la santé, ainsi que par des politiques efficaces de fiscalité et de redistribution. Ils soulignent que, dans de nombreux pays, les ultra-riches échappent à l'impôt, et que les paradis fiscaux abondent. Un impôt mondial de 3 % sur moins de 100 000 centimillionnaires et milliardaires permettrait de lever 750 milliards de dollars par an, soit l'équivalent du budget de l'éducation des pays à revenu faible et intermédiaire.

Le rapport propose d'autres leviers politiques. L'un des plus importants est l'investissement public dans l'éducation et la santé. Un autre passe par des programmes redistributifs : « les transferts monétaires, les pensions, les allocations chômage et le soutien ciblé aux ménages vulnérables peuvent transférer directement des ressources du sommet vers la base de la distribution ». La politique fiscale est un autre levier puissant : instaurer des systèmes fiscaux plus équitables, dans lesquels les plus riches contribuent davantage par le biais d'impôts progressifs. Les inégalités peuvent aussi être réduites par une réforme du système financier mondial : « les accords actuels permettent aux économies avancées d'emprunter à bas coût et de garantir des entrées constantes, tandis que les économies en développement font face à des obligations coûteuses et à des sorties persistantes ». Les réformes proposées incluent l'adoption d'une monnaie mondiale, avec des systèmes centralisés de crédit et de débit.

Le rapport montre que les transferts redistributifs réduisent effectivement les inégalités, surtout lorsqu'ils sont bien conçus et appliqués de manière cohérente. En Europe, en Amérique du Nord et en Océanie, les systèmes fiscaux et de transferts réduisent systématiquement les écarts de revenus de plus de 30 %. Même en Amérique latine, les politiques redistributives introduites après les années 1990 ont permis de réduire les inégalités. Autrement dit, sans ces mesures, les inégalités seraient encore plus importantes.

Mais le rapport reconnaît un problème central : les taux effectifs d'imposition sur le revenu ont augmenté pour la majorité de la population, mais ont chuté drastiquement pour les milliardaires et les centimillionnaires. Les élites paient proportionnellement moins que de nombreux ménages à revenus bien plus faibles. Ce caractère régressif prive les États de ressources essentielles pour l'éducation, la santé et l'action climatique, et mine la cohésion sociale en sapant la confiance dans le système fiscal. La réponse des auteurs est claire : recourir à la fiscalité progressive, qui « permet non seulement de mobiliser des recettes pour financer les biens publics et réduire les inégalités, mais renforce aussi la légitimité des systèmes fiscaux en garantissant que ceux qui disposent de plus grandes ressources contribuent équitablement ».

En résumé, les réponses politiques proposées par le rapport sont :

  • surveiller les inégalités ;
  • redistribuer les revenus par la fiscalité progressive et les transferts sociaux ;
  • accroître l'investissement public dans l'éducation et la santé ;
  • créer un système monétaire mondial.

Que manque-t-il ici ?

Il n'existe aucune politique visant à transformer radicalement la structure socio-économique de l'économie mondiale ; autrement dit, le capitalisme doit continuer d'exister. Il ne faut pas toucher aux propriétaires du capital — banques, entreprises énergétiques, géants technologiques, grandes firmes pharmaceutiques et leurs actionnaires milliardaires. Il suffirait simplement de les taxer davantage et d'utiliser les recettes fiscales pour financer les besoins sociaux. La politique proposée relève donc de la redistribution des revenus et des richesses existantes, et non de la prédistri­bution, c'est-à-dire de la transformation de la structure sociale qui produit ces inégalités extrêmes : la propriété privée des moyens de production.

Dans des travaux antérieurs, j'ai montré que le niveau élevé des inégalités de patrimoine est étroitement lié aux inégalités de revenus. J'ai mis en évidence une corrélation positive d'environ 0,38 : plus l'inégalité de richesse est élevée dans une économie, plus l'inégalité des revenus tend à l'être. La richesse engendre la richesse ; plus de richesse produit plus de revenus. Une élite extrêmement réduite possède les moyens de production et la finance, et s'approprie ainsi la majeure partie de la richesse et des revenus. La concentration de la richesse est fondamentalement liée à la propriété du capital productif, des moyens de production et des institutions financières. Le grand capital — la finance et les grandes entreprises — contrôle les investissements, l'emploi et les décisions financières à l'échelle mondiale. Selon l'Institut fédéral suisse de technologie, un noyau dominant de 147 entreprises, à travers des participations croisées, contrôle 40 % de la richesse du réseau économique mondial, et 737 entreprises en contrôlent 80 %.

C'est cette inégalité-là qui est décisive pour le fonctionnement du capitalisme : le pouvoir concentré du capital. Et puisque l'inégalité de richesse découle de la concentration des moyens de production et de la finance entre les mains de quelques-uns, et que cette structure de propriété reste intacte, toute politique redistributive fondée sur une augmentation des impôts sur la richesse et les revenus restera toujours insuffisante pour transformer durablement la répartition de la richesse et des revenus dans les sociétés modernes.

On affirme souvent à ce stade que la propriété publique de la finance et des secteurs clés des grandes économies mondiales est impossible et utopique, et qu'elle ne pourrait advenir qu'à la suite d'une révolution populaire — laquelle n'adviendrait jamais. Ma réponse est que l'adoption de politiques prétendument moins radicales, comme la fiscalité progressive, un changement profond de l'investissement public, ou une coopération mondiale visant à rompre le transfert de valeur et de revenus du Sud global vers l'élite riche du Nord global,est tout aussi utopique.

Quel gouvernement du G7 est prêt à adopter de telles politiques ? Aucun. À quel point s'en sont-ils approchés au cours des dix ou vingt dernières années ? Pas du tout : au contraire, les gouvernements ont réduit les impôts sur les riches et les entreprises, les ont augmentés pour le reste de la population, et ont diminué l'investissement public dans les besoins sociaux.Existe-t-il une coopération mondiale pour mettre fin à l'exploitation du Sud global par les multinationales et les banques, ou pour arrêter la production de combustibles fossiles et l'usage des jets privés ?

Les auteurs du rapport affirment : « L'inégalité est un choix politique. Elle résulte de nos politiques, institutions et structures de gouvernance. » Mais l'inégalité n'est pas le produit de « nos » politiques, institutions et structures de gouvernance : elle est le résultat de la propriété privée du capital et de gouvernements voués à sa préservation. Tant qu'on n'y mettra pas fin, l'inégalité des revenus et des richesses, aux niveaux national et mondial, persistera et continuera de s'aggraver.

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Ce que l’amitié de Noam Chomsky avec Jeffrey Epstein révèle sur la politique progressiste

16 décembre, par Kavita Crishnan — , ,
L'icône de la gauche a fermé les yeux sur les violences sexuelles, tout comme les progressistes littéraires et culturels indiens ont embrassé un homme dont la condamnation pour (…)

L'icône de la gauche a fermé les yeux sur les violences sexuelles, tout comme les progressistes littéraires et culturels indiens ont embrassé un homme dont la condamnation pour viol a été annulée

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/12/09/ce-que-lamitie-de-noam-chomsky-avec-jeffrey-epstein-revele-sur-la-politique-progressiste/

« J'ai rencontré toutes sortes de gens, y compris des criminels de guerre majeurs. Je ne regrette pas d'avoir rencontré l'un d'entre eux. » Telle fut la réponse belliqueuse de l'intellectuel Noam Chomsky en 2023 à la question d'un journal sur ses liens avec Jeffrey Epstein [1]. Plus récemment, les courriels d'Epstein révèlent une amitié étroite avec Chomsky et son épouse [2].

Un témoignage (non daté mais rédigé en 2017 ou après) écrit par Chomsky pour Epstein présente un intérêt particulier. Il y décrit leur amitié de six ans comme une expérience « précieuse » et « enrichissante », grâce à l'étendue intellectuelle et aux idées d'Epstein, et affirme que « Jeffrey a pu organiser à plusieurs reprises, parfois sur-le-champ, des rencontres très productives avec des personnalités de premier plan dans les sciences et les mathématiques, ainsi que dans la politique mondiale, des gens dont j'avais étudié les travaux et les activités mais que je n'avais jamais espéré rencontrer. »

Dans la tristement célèbre interview de la BBC Newsnight, on a demandé à Andrew Mountbatten Windsor [3] si, rétrospectivement, sachant qu'Epstein était un pédophile et un prédateur sexuel, il ressentait une quelconque « culpabilité, regret ou honte » concernant son amitié avec Epstein. Non, répondit-il, « la raison étant que les personnes que j'ai rencontrées et les opportunités qui m'ont été données d'apprendre soit par lui soit grâce à lui étaient en fait très utiles… (cela) a eu des résultats sérieusement bénéfiques dans des domaines qui n'ont rien à voir avec (ses crimes). »

Chomsky et Andrew disent tous deux qu'ils ne regrettent pas d'avoir été amis avec Epstein parce que grâce à lui, ils ont pu rencontrer des personnes utiles et importantes.

Andrew fait face à l'accusation d'avoir violé une jeune fille mineure victime de trafic par Ghislaine Maxwell [4] et Epstein. Je dois souligner ici que connaître ou rencontrer Epstein n'implique en aucun cas que Chomsky ait été complice de ses crimes contre des filles et des femmes. Je ne suggère pas une « culpabilité par association » et je ne cherche pas à lui porter un coup bas.

Mais pour moi, la question est la suivante : que nous dit la relation de Chomsky avec Epstein sur l'importance accordée aux survivantes de violences sexuelles dans notre politique – dans la politique de gauche et progressiste ?

En 2005, les autorités avaient commencé à enquêter sur les allégations de 36 filles mineures, dont une âgée de seulement 14 ans, selon lesquelles Jeffrey Epstein les avait contraintes à lui donner des massages sexuels et les avait livrées à d'autres hommes. Elles ont mis au jour une masse de preuves corroborant les paroles des filles, et finalement, en 2008, un projet d'acte d'accusation l'a inculpé de 60 chefs d'accusation fédéraux, suffisants pour lui valoir une peine de prison à vie.

Mais Epstein s'en est notoirement tiré avec une simple tape sur les doigts. Dans un accord de plaidoyer complaisant, il a avoué une accusation mineure de sollicitation d'une mineure pour prostitution et a passé 13 mois dans un régime de prison ouverte où il était libre le jour et retournait en prison la nuit. Tout cela a été largement discuté et critiqué dans les médias grand public.

En 2023, Chomsky a expliqué pourquoi lui et son épouse s'étaient liés d'amitié avec Epstein malgré sa condamnation pour crimes sexuels contre des filles mineures. « Ce que l'on savait de Jeffrey Epstein, c'est qu'il avait été condamné pour un crime et avait purgé sa peine », a-t-il déclaré. « Selon les lois et normes américaines en vigueur, cela donne une ardoise vierge. »

Analysons cela d'un peu plus près.

Chomsky est une icône de la gauche dont les écrits ont initié des générations à la nature du pouvoir, à l'impunité des puissants et à la propagande qui fabrique le consentement à une telle iniquité, violence et impunité systémiques [5]. Si des enfants de la classe ouvrière s'étaient plaints d'avoir été exploités par un PDG richissime pour effectuer un travail toxique et dangereux, et que ce PDG s'en était tiré avec une simple tape sur les doigts, Chomsky soutiendrait-il qu'il a désormais une ardoise vierge ?

Mais les règles semblent différentes lorsque les enfants de la classe ouvrière en question sont des filles, victimes de trafic et réduites en esclavage non pas pour le travail en usine mais pour le travail sexuel. Dans le monde politique de Chomsky, ces survivantes individuelles de prédation sexuelle sont invisibles.

Le terme clé dans le témoignage de Chomsky est « normes en vigueur ». L'allusion est que le mouvement MeToo a changé les normes en vigueur et que l'amitié de Chomsky avec Epstein ne doit pas être jugée selon les nouvelles normes féministes [6]. Mais c'est faux. Même des responsables policiers ont publiquement condamné l'accord de plaidoyer d'Epstein comme une parodie des normes de justice en vigueur, tout comme la plupart des commentateurs des médias « grand public ». Pourquoi Chomsky était-il satisfait d'accepter les normes de l'accord de plaidoyer qui étaient tombées à un niveau honteusement bas selon tous les critères ?

S'adressant aux médias en 2008 après son plaidoyer de culpabilité, Epstein a utilisé une métaphore stupéfiante qui révélait comment il percevait ses actes et les « lois et normes en vigueur ». Il « s'est comparé à Gulliver naufragé parmi les habitants minuscules de Lilliput », affirmant que « l'espièglerie de Gulliver avait eu des conséquences imprévues. C'est ce qui arrive avec la richesse. Il y a des fardeaux inattendus aussi bien que des avantages ».

Dans son courriel à Epstein, rappelons-le, Andrew a signé avec les mots « On joue plus tard ». La prédation pédophile est perçue par Epstein et son cercle comme de l'« espièglerie ». Epstein se voyait comme quelqu'un de spécial, autorisé par sa richesse à « jouer » avec des « personnes minuscules » comme des filles mineures sans argent ni statut. Les lois et normes en vigueur avaient été faites par des personnes minuscules, à l'esprit étroit, qui ne pouvaient pas comprendre la culture de ceux qui étaient tellement au-dessus de leur condition.

En tant qu'intellectuel public, Chomsky est perçu comme un défenseur des « personnes minuscules ». Mais il s'est lié d'amitié avec Epstein et s'est porté garant de lui – et n'a jusqu'à ce jour pas prononcé un seul mot de soutien aux survivantes « minuscules ».

Le fait que Chomsky ait exprimé son admiration pour la capacité d'Epstein à décrocher son téléphone et à se connecter immédiatement aux Grands de ce monde est révélateur : n'a-t-il vraiment pas pensé que cette capacité, ces connexions, pourraient avoir quelque chose à voir avec la légèreté de sa peine ?

Pourquoi Chomsky a-t-il même écrit ce témoignage pour Epstein adressé « À qui de droit » ? Nous savons qu'Epstein a lancé une grande campagne de relations publiques pour se réhabiliter après avoir plaidé coupable d'abus sexuel sur enfant. Cette campagne de relations publiques comprenait des dons aux universités et des rencontres avec des intellectuels et des scientifiques, tout cela contribuant à redorer son image ternie. Chomsky a-t-il écrit ce témoignage à la demande d'Epstein – sa contribution à cette campagne de relations publiques ? Chomsky a écrit ce témoignage en tant que personnalité publique – il doit maintenant au public d'expliquer pourquoi il l'a fait.

Le problème, c'est que Chomsky n'est pas une exception. Ici en Inde, je viens de lire des critiques élogieuses d'une représentation théâtrale de Mahmood Farooqui dans Dastan-e-Ret-Samadhi, une adaptation du roman hindi Ret Samadhi (pour lequel l'écrivaine et la traductrice, toutes deux femmes, ont reçu le Booker Prize [7]). Farooqui a été condamné pour viol et sa condamnation a été annulée par une juridiction supérieure [8].

Le juge qui l'a acquitté a accepté l'évaluation du tribunal de première instance selon laquelle la parole de la survivante était crédible et qu'elle avait bien dit « non ». Selon la lettre et l'esprit de la loi « en vigueur », c'est un viol, clair et net. Mais le juge a créé un nouveau concept juridique, abaissant les lois et normes en vigueur, pour acquitter. Un « non faible », a-t-il statué, pouvait signifier un oui [9].

L'expression même « non faible » rappelle que la survivante a bien dit non, ce qui prouve qu'elle a, en fait, été violée contre sa volonté. J'entends des amis progressistes dire : « Il a été acquitté, donc il est innocent, alors pourquoi ne devrions-nous pas lui donner une tribune, nous ne pouvons pas le punir à perpétuité. »

À chacun d'entre eux, je dis : vous êtes libres de donner une tribune à Farooqui et de le célébrer. Mais sur chaque scène, chaque page où vous le faites, vous affichez votre approbation retentissante et votre publicité pour la devise – Un Non Faible est un Oui. Comme Chomsky, vous aussi êtes heureux d'embrasser la parodie la plus grotesque et la plus farcesque des normes judiciaires comme les vôtres [10].

Le juge du « non faible » a imposé à une femme éduquée un standard plus élevé pour son non : c'était son travail de rendre son « non » suffisamment énergique pour que l'homme comprenne. Mais il a imposé à l'homme un standard très bas : malgré sa maîtrise du langage, de la littérature, des arts du spectacle et du cinéma, on ne pouvait pas attendre de cet homme qu'il comprenne que non signifie vraiment non. On ne pouvait pas attendre de lui qu'il utilise ses mots en cas de doute et demande à la femme – tu as dit non, veux-tu que j'arrête ?

Chomsky était ébloui par Epstein et son compagnon de dîner « le grand artiste » Woody Allen [11] (également accusé d'avoir abusé sexuellement de sa propre fille quand elle était enfant). Les progressistes littéraires et culturels de l'Inde sont éblouis par l'art de l'homme avec la feuille de vigne du « non faible ».

Si vous considérez les accusations d'agression sexuelle contre un homme comme sans rapport avec votre évaluation politique de son intellect, de son art et de ses idées, vous êtes le contraire d'un progressiste. Les normes ont progressé et vous feriez mieux de vous mettre à jour ou d'être laissé pour compte [12].

Kavita Krishnan,militante féministe et écrivaine, auteure de Fearless Freedom (Penguin 2020) [13].
https://scroll.in/article/1089022/what-noam-chomskys-friendship-with-jeffrey-epstein-says-about-progressive-politics

Traduit pour ESSF par Adam Novak
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article77254

La politica progressista alla luce dell'amicizia di Noam Chomsky con Jeffrey Epstein
https://andream94.wordpress.com/2025/12/09/la-politica-progressista-alla-luce-dellamicizia-di-noam-chomsky-con-jeffrey-epstein/

Notes

[1] Jeffrey Epstein était un financier américain et délinquant sexuel condamné, décédé en prison en 2019 alors qu'il attendait son procès pour des accusations fédérales de trafic sexuel de mineures. Il a cultivé des relations avec de nombreuses personnalités influentes de la politique, du monde universitaire et des affaires.
[2] Voir « Why the rich and powerful couldn't say no to Epstein », Europe Solidaire Sans Frontières. Disponible à :
https://europe-solidaire.org/spip.php?article77168
[3] Le prince Andrew, duc d'York, deuxième fils de la reine Elizabeth II. L'interview, diffusée en novembre 2019, a été largement critiquée pour son absence de remords concernant son amitié avec Epstein.
[4] Ghislaine Maxwell, mondaine britannique et délinquante sexuelle condamnée, a été reconnue coupable en 2021 d'avoir recruté et manipulé des adolescentes pour Epstein.
[5] Pour une critique de gauche de l'analyse politique de Chomsky, voir « Harsh Critique of Chomsky on Ukraine », Europe Solidaire Sans Frontières, avril 2022. Disponible à :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article62190
[6] Sur l'impact du mouvement MeToo sur l'évolution des attitudes sociales envers les violences sexuelles, voir Park Ji-ah, « #MeToo and #WithYou in South Korea – Korea's Fight Against Sexual Violence », Europe Solidaire Sans Frontières, 2018. Disponible à :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article43343
[7] Le International Booker Prize 2022 a été décerné à Geetanjali Shree pour Ret Samadhi (Tomb of Sand), traduit par Daisy Rockwell. C'était le premier roman en hindi à remporter ce prix.
[8] Sur le schéma plus large de l'impunité pour les violences sexuelles en Inde, voir « India : Rapists Roam Free While Victims and Activists Are Jailed », Europe Solidaire Sans Frontières, janvier 2011. Disponible à :
https://europe-solidaire.org/spip.php?article19936
[9] Le jugement de la Haute Cour de Delhi de septembre 2017 acquittant Farooqui a introduit le concept controversé selon lequel un « non faible » peut constituer un consentement, une décision largement critiquée par les juristes féministes et les organisations de défense des droits des femmes.
[10] Sur l'histoire des luttes féministes contre les violences sexuelles en Inde, voir Vibhuti Patel, « Women's Struggles & Women's Movement in India », Europe Solidaire Sans Frontières. Disponible à :
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27410
[11] Woody Allen, cinéaste américain, fait face depuis longtemps à des accusations d'abus sexuels de la part de sa fille adoptive Dylan Farrow, remontant à 1992. Il a nié ces accusations.
[12] Sur la façon dont le courage des survivantes qui prennent la parole transforme les normes sociales autour des violences sexuelles, voir Aurélie-Anne Thos, « France : Mazan trial, rape as a political fact », Europe Solidaire Sans Frontières, septembre 2024. Disponible à :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72345 Voir aussi Andrew Harding, « Gisèle Pelicot : How an ordinary woman shook attitudes to rape in France », Europe Solidaire Sans Frontières, 17 décembre 2024. Disponible à :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article72967
[13] Pour en savoir plus sur l'analyse politique et le militantisme de Kavita Krishnan, voir « Goodbye, 'Russian Romance !' : an Interview with Kavita Krishnan », Europe Solidaire Sans Frontières, 12 novembre 2022. Disponible à :
https://europe-solidaire.org/spip.php?article64664

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La bulle de l’IA et l’économie étatsunienne

16 décembre, par Michael Roberts — , , ,
La bulle de l'IA masque l'état désastreux de l'économie américaine… en attendant l'inévitable crise qui découlera de son éclatement. Tiré de Inprecor 739 - décembre 2025 8 (…)

La bulle de l'IA masque l'état désastreux de l'économie américaine… en attendant l'inévitable crise qui découlera de son éclatement.

Tiré de Inprecor 739 - décembre 2025
8 décembre

Par Michael Roberts

Le marché boursier étatsunien continue d'atteindre de nouveaux records ; le prix du bitcoin est également quasiment à son plus haut et celui de l'or a atteint des sommets historiques.

Des investissements démesurés

Les investisseurs dans les actifs financiers (banques, compagnies d'assurances, fonds de pension, fonds spéculatifs, etc.) sont extrêmement optimistes et confiants en ce qui concerne le marché financier. Comme l'a déclaré Ruchir Sharma, président de Rockefeller International : « Malgré les menaces croissantes qui pèsent sur l'économie étatsunienne – des droits de douane élevés à l'effondrement de l'immigration, en passant par l'érosion des institutions, l'augmentation de la dette et l'inflation persistante –, les grandes entreprises et les investisseurs semblent imperturbables. Ils sont de plus en plus convaincus que l'intelligence artificielle est une force si puissante qu'elle peut relever tous les défis  ». Jusqu'en 2025, les entreprises travaillant sur l'IA ont généré à elles seules 80 % des gains boursiers américains. Cela a contribué et contribue encore à financer et à stimuler la croissance étatsunienne, car le marché boursier axé sur l'IA attire des capitaux du monde entier. Au deuxième trimestre 2025, les investisseurs étrangers ont injecté 290 milliards de dollars dans les actions étatsuniennes, un record. Ils détiennent désormais environ 30 % du marché étatsunien, une part d'une importance inédite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme le fait remarquer M. Sharma, les États-Unis sont devenus le meilleur pari, «  la meilleure mise pour ce qui concerne l'IA  ».

La « bulle » des investissements dans l'IA (mesurée grâce au rapport entre le cours des actions et la « valeur comptable » des entreprises) est 17 fois plus importante que celle de la bulle internet en 2000, ou encore que celle des subprimes en 2007. Le ratio entre la valeur du marché boursier étatsunien et le PIB du pays (l'« indicateur Buffett ») a atteint un nouveau record de 217 %, soit plus de 2 écarts-types au-dessus de la tendance à long terme.

Et ce ne sont pas seulement les actions des entreprises qui sont en plein essor. Il y a une forte demande pour acheter de la dette des entreprises étatsuniennes, en particulier des grandes entreprises technologiques et d'intelligence artificielle, les Magnificent Seven. L'écart entre les taux d'intérêt versés sur les obligations d'entreprise et ceux des obligations d'État, considérées comme sûres, est tombé à moins de 1 %.

Des dépenses colossales et des gains de productivité très incertains

Ces paris sur l'avenir de l'IA s'étendent à tous les secteurs. En d'autres termes, les États-Unis ont mis tous leurs œufs dans le même panier. Les investisseurs parient que l'IA finira par générer d'énormes rendements sur leurs achats d'actions et leurs titres de créance, lorsque la productivité du travail augmentera de manière spectaculaire et, avec elle, la rentabilité des entreprises spécialisées dans l'intelligence artificielle. Matt Eagan, gestionnaire de portefeuille chez Loomis Sayles, a déclaré que les prix exorbitants des actifs suggéraient que les investisseurs misaient sur « des gains de productivité sans précédent » grâce à l'IA. «  C'est le truc qui pourrait mal tourner ».

Jusqu'à présent, rien n'a encore indiqué que les investissements dans l'IA permettaient d'accélérer la productivité. Ironiquement, en attendant, les investissements colossaux dans les centres de données et les infrastructures d'IA soutiennent l'économie étatsunienne. Près de 40 % de la croissance du PIB réel étatsunien au dernier trimestre provient des dépenses d'investissement technologique – majoritairement liées à l'IA. Depuis 2022, la valeur de ces infrastructures a augmenté de 400 milliards de dollars.

Une part importante de ces dépenses a été dédiée aux équipements de traitement de l'information, qui ont connu une hausse de 39 % en valeur annualisée au cours du premier semestre de 2025. Jason Furman, économiste à Harvard, a fait remarquer que ces dépenses ne représentaient que 4 % du PIB étatsunien. Paradoxalement, Furman raconte qu'elles étaient à l'origine de 92 % de la croissance du PIB étatsunien au premier semestre de 2025. Si l'on exclut ces catégories, l'économie étatsunienne n'a progressé que de 0,1 % en rythme annuel au premier semestre de 2025.

Ainsi donc, sans ces dépenses technologiques, les États-Unis auraient été en récession économique, ou presque.

La stagnation économique

Cela montre l'autre facette de la situation étatsunienne, à savoir la stagnation du reste de l'économie du pays. Le secteur manufacturier étatsunien est en récession depuis plus de deux ans (c'est-à-dire tous les scores inférieurs à 50 dans le graphique ci-dessous).

Plus largement, aujourd'hui, certains signes indiquent que le secteur des services est également en difficulté. L'indice IMS Services PMI (1) est tombé à 50 en septembre 2025, contre 52 en août. Ce point est bien en dessous des prévisions de 51,7, ce qui indique que le secteur des services est au point mort.

Le marché du travail étatsunien semble également fragile. Selon les données officielles, l'emploi n'a progressé que de 0,5 % en taux annualisé au cours des trois mois précédant juillet. Ce chiffre est bien inférieur aux taux observés en 2024. «  Nous sommes dans une économie où les embauches et les licenciements sont rares », a déclaré le mois dernier Jay Powell, président de la Réserve fédérale étatsunienne.

Les jeunes travailleur·ses étatsunien·nes sont touché·es de manière disproportionnée par le ralentissement économique actuel. Le taux de chômage des jeunes aux États-Unis est passé de 6,6 % à 10,5 % depuis avril 2023. La croissance des salaires des jeunes travailleur·ses a fortement ralenti. Les offres d'emploi pour les nouvelles personnes arrivant sur le marché du travail ont chuté de plus de 30 %. Les travailleur·ses en début de carrière dans les professions exposées à l'IA ont connu une baisse relative de 13 % de l'emploi. Les seul·es Étatsunien·nes qui dépensent beaucoup d'argent sont les 20 % les plus riches. Ces ménages s'en sortent bien, et ceux qui se situent dans les 3,3 % les plus riches s'en sortent encore mieux. Les autres se serrent la ceinture et ne dépensent plus.

Les ventes au détail (après suppression de l'inflation des prix) sont restées stables pendant plus de quatre ans.

Le graphique ci-dessus montre que l'inflation a érodé le pouvoir d'achat de la plupart des Étatsunien·nes. Le taux d'inflation moyen reste bloqué à environ 3 % par an selon les chiffres officiels, bien au-dessus de l'objectif de 2 % par an fixé par la Réserve fédérale. Et ce taux moyen masque en grande partie l'impact réel sur le niveau de vie et les augmentations des salaires réels. Les prix des denrées alimentaires et de l'énergie augmentent beaucoup plus rapidement que prévu. L'électricité coûte aujourd'hui 40 % plus cher qu'il y a cinq ans.

Les prix de l'électricité sont encore plus poussés à la hausse par les centres de données de l'IA. OpenAI consomme autant d'électricité que New York et San Diego réunies, au plus fort de la vague de chaleur intense de 2024, ou encore autant que la demande totale en électricité de la Suisse et du Portugal réunis. Cela représente la consommation électrique d'environ 20 millions de personnes. Google a récemment annulé un projet de centre de données d'un milliard de dollars dans l'Indiana après que les habitant·es ont protesté contre le fait que ce centre de données «  ferait grimper les prix de l'électricité » et « absorberait des quantités incalculables d'eau dans une région déjà touchée par la sécheresse  ».

Qui absorbera les droits de douane ?

À cela s'ajoute l'impact des droits de douane imposés par Trump sur les importations de marchandises aux États-Unis. Malgré les démentis de l'administration, les prix à l'importation augmentent et commencent à se répercuter sur les prix des marchandises aux États-Unis (et pas seulement dans les domaines de l'énergie et de l'alimentation).

Jusqu'à présent, les entreprises étrangères, dans leur ensemble, n'absorbent pas les coûts des droits de douane. Lors de la guerre commerciale de 2018, les prix à l'importation ont été principalement réduits par les entreprises étrangères. Cette fois-ci, les prix à l'importation n'ont pas baissé. Ce sont plutôt les importateurs étatsuniens que les exportateurs étrangers qui paient les droits de douane, et les consommateurs risquent d'en subir les conséquences à l'avenir. Comme l'a déclaré le président de la Fed, «  les droits de douane sont principalement payés à l'importation et non plus à l'exportation, et les consommateur·rices… Toutes ces entreprises et entités intermédiaires vous diront qu'elles ont bien l'intention de répercuter ces coûts [sur le consommateur] en temps voulu ».

Les importateurs, les grossistes et les détaillants paient des coûts plus élevés dès le départ et espèrent pouvoir, à terme, augmenter suffisamment leurs prix pour répercuter la charge. Le problème est que les consommateur·rices sont déjà à bout. Les budgets des ménages sont sous pression en raison de l'augmentation de la dette, des impayés et des salaires qui ne suffisent pas. Tenter de répercuter les coûts des droits de douane dans ce contexte ne ferait que réduire encore davantage la demande.

Les entreprises le savent, c'est pourquoi beaucoup d'entre elles absorbent plutôt les coûts. Mais lorsqu'elles le font, leurs marges diminuent et il devient plus difficile de maintenir leurs activités sans procéder à des coupes ailleurs. Lorsque la rentabilité est mise sous pression, la direction de l'entreprise a peu d'options. Elle ne peut pas contrôler les droits de douane et ne peut pas forcer les consommateurs à dépenser davantage. Ce qu'elle peut contrôler, ce sont les dépenses. Cela commence par un ralentissement des embauches et une réduction des plans de croissance, puis par une réduction des heures de travail et des heures supplémentaires. Si les droits de douane restent en vigueur et que la consommation reste faible, les répercussions se propagent davantage sur le marché du travail.

Viennent ensuite les dépenses publiques. La fermeture [lors du shutdown] des services gouvernementaux imposée par le Congrès a donné à l'administration Trump une nouvelle occasion de réduire les effectifs de l'administration fédérale dans une vaine tentative de réduire le déficit budgétaire et la dette publique croissante. Cette tentative est vaine, car l'affirmation de Trump selon laquelle l'augmentation des recettes douanières fera l'affaire n'est pas crédible. Depuis janvier 2025, les recettes douanières ne représentent encore que 2,4 % des recettes fédérales totales prévues pour l'exercice 2025, qui s'élèvent à 5 200 milliards de dollars.

Quant à l'affirmation selon laquelle les droits de douane finiraient par résoudre le déficit commercial des États-Unis avec le reste du monde, elle s'est également révélée absurde jusqu'à présent. Au cours des sept premiers mois de 2024, le déficit s'élevait à 500 milliards de dollars ; au cours des sept premiers mois de 2025, il atteignait 654 milliards de dollars, soit une hausse de 31 % en glissement annuel, un niveau record.

Contrairement à ce qu'affirme Trump, les hausses tarifaires sur les importations ne contribueront guère à « rendre sa grandeur à l'Amérique » (Make America Great Again) dans le secteur manufacturier. Robert Lawrence, de la Kennedy School de Harvard, estime que «  la réduction du déficit commercial n'augmenterait que très peu la part de l'emploi manufacturier aux États-Unis  ». La valeur ajoutée nette correspondant au déficit commercial de produits manufacturés en 2024 représentait 21,5 % de la production étatsunienne. Ce serait donc l'augmentation de la valeur étatsunienne si le déficit commercial était éliminé. Combien d'emplois cela créerait-il ? Cela représenterait 2,8 millions d'emplois, soit une augmentation de seulement 1,7 point de pourcentage de la part du secteur manufacturier dans l'emploi étatsunien, pour atteindre 9,7 % de l'emploi total. Mais la part des ouvrier·es de production dans l'industrie manufacturière étatsunienne n'est en réalité que de 4,7 %, les 5 points de pourcentage restants étant constitués de cadres, de comptables, d'ingénieur·ses, de chauffeur·ses, de commerciaux·ales, etc. L'augmentation de l'emploi des ouvriers de production ne serait que de 1,3 million, soit seulement 0,9 % de l'emploi étatsunien.

L'économie étatsunienne n'est pas encore à genoux et en récession, car les investissements des entreprises continuent d'augmenter, même si leur croissance ralentit.

L'épuisement du modèle

Les bénéfices des entreprises continuent d'augmenter. Le résultat d'exploitation des sociétés du S&P 500 (hors secteur financier) (2) a progressé de 9 % au cours du dernier trimestre, par rapport à l'année précédente. Leur chiffre d'affaires a augmenté de 7 % (avant inflation). Mais cela ne concerne que les grandes entreprises, tirées par les Magnificent Seven. Dans l'ensemble, le secteur des entreprises non financières étatsuniennes commence à voir la croissance de ses bénéfices s'estomper.

Et la Fed devrait encore réduire son taux directeur au cours des six prochains mois, ce qui réduira le coût d'emprunt pour ceux qui souhaitent spéculer sur ces actifs financiers fictifs. La récession n'est donc pas encore là. Mais tout dépend de plus en plus de la capacité du boom de l'IA à générer de la productivité et de la rentabilité. Si les retours sur les investissements massifs dans l'IA s'avèrent faibles, cela pourrait entraîner une sérieuse correction boursière.

Il est vrai que les grandes entreprises technologiques ont principalement financé leurs investissements dans l'IA à partir de leurs flux de trésorerie disponibles. Mais les énormes réserves de trésorerie des Magnificent Seven s'épuisent et les entreprises spécialisées dans l'IA se tournent de plus en plus vers l'émission d'actions et de titres de créance.

Les entreprises de l'IA signent désormais des contrats entre elles afin d'augmenter leurs revenus. Il s'agit en quelque sorte d'un jeu de chaises musicales financières. OpenAI a signé cette année des contrats d'une valeur totale d'environ 1 000 milliards de dollars pour acquérir la puissance de calcul nécessaire au fonctionnement de ses modèles d'intelligence artificielle. Des engagements qui dépassent largement ses revenus. OpenAI dépense sans compter pour ses infrastructures, ses puces électroniques et ses talents, sans disposer des capitaux nécessaires pour financer ces projets ambitieux. Afin de financer son expansion, OpenAI a donc levé d'énormes montants en fonds propres et a commencé à se tourner vers les marchés obligataires. Elle a obtenu 4 milliards de dollars de dette bancaire l'année dernière et a levé environ 47 milliards de dollars auprès de fonds de capital-risque au cours des 12 derniers mois, même si une part importante de cette somme dépend de Microsoft, son principal bailleur de fonds. L'agence de notation Moody's a signalé qu'une grande partie des ventes futures de centres de données d'Oracle dépendait d'OpenAI et de sa rentabilité encore incertaine.

Beaucoup dépend désormais de la capacité d'OpenAI à augmenter suffisamment ses revenus pour commencer à couvrir la hausse exponentielle des coûts. Les économistes de Goldman Sachs affirment que l'IA stimule déjà l'économie étatsunienne d'environ 160 milliards de dollars, soit 0,7 % du PIB étatsunien au cours des quatre années depuis 2022, ce qui se traduit par une croissance annualisée d'environ 0,3 point de pourcentage. Mais il s'agit davantage d'une astuce statistique que d'une réelle croissance de la productivité grâce à l'IA jusqu'à présent, et le secteur de l'IA ne bénéficie que d'une faible augmentation de ses revenus.

En effet, les retours sur investissement liés au développement de l'IA pourraient être en baisse. Le lancement de ChatGPT-3 a coûté 50 millions de dollars, celui de ChatGPT-4 500 millions de dollars, tandis que le dernier ChatGPT-5 a coûté 5 milliards de dollars et, selon la plupart des utilisateur·rices, n'était pas nettement meilleur que la version précédente. Parallèlement, des concurrents beaucoup moins chers, tels que Deepseek, en Chine, sapent les revenus potentiels.

Une crise financière est donc à prévoir. Mais lorsque les bulles financières éclatent, les nouvelles technologies ne disparaissent pas pour autant. Elles peuvent au contraire être acquises à bas prix par de nouveaux acteurs, dans le cadre de ce que l'économiste autrichien Joseph Schumpeter appelait la «  destruction créatrice ». C'est d'ailleurs exactement l'argument avancé par les lauréats du prix Nobel d'économie de cette année, Philippe Aghion et Peter Howitt. Les périodes d'expansion et de récession sont inévitables, mais nécessaires pour stimuler l'innovation.

La technologie de l'IA pourrait éventuellement permettre une importante croissance de la productivité si elle parvient à limiter suffisamment le travail humain. Mais cela ne se concrétisera peut-être qu'après un krach financier et le ralentissement de l'économie étatsunienne qui s'ensuivra. Et si l'économie étatsunienne, tirée par l'IA, plonge, il en sera de même pour les autres grandes économies. Le temps ne joue pas en faveur des Magnificent Seven. En effet, l'adoption de la technologie de l'IA par les entreprises reste faible et est même en baisse parmi les grandes.

Pendant ce temps, les dépenses consacrées aux capacités d'IA continuent d'augmenter et les investisseurs continuent d'investir massivement dans l'achat d'actions et de titres de créance d'entreprises spécialisées dans l'IA. C'est donc un pari énorme sur l'IA pour l'économie étatsunienne.

Le 14 octobre 2025

Publié sur le blog de l'auteur, The Next Recession, et traduit par Lalla F. Colvin.

1. Le ISM Services PMI (Purchasing Managers' Index – Services) est un indice mensuel publié par l'Institute for Supply Management (ISM) aux États-Unis. C'est l'un des indicateurs économiques les plus suivis pour mesurer la santé du secteur des services, qui représente environ 70 % de l'économie américaine.

2. Le S&P 500 est un indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les bourses aux États-Unis (NYSE ou NASDAQ). L'indice est possédé et géré par Standard & Poor's, l'une des trois principales sociétés de notation financière. Il couvre environ 80 % du marché boursier américain par sa capitalisation.

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Au Liban, l’État colonial d’Israël a gagné une bataille, pas la guerre

16 décembre, par Léonard Sompairac, Chris den Hond, Doha Chams, Walid Charara — , , ,
En novembre dernier, Chris den Hond s'est rendu à Beyrouth pour une série de reportages, dont l'entretien qui suit. La capitale libanaise, ainsi que d'autres régions du pays, (…)

En novembre dernier, Chris den Hond s'est rendu à Beyrouth pour une série de reportages, dont l'entretien qui suit. La capitale libanaise, ainsi que d'autres régions du pays, sont la cible d'attaques israéliennes quasi-quotidiennes, tandis que de nombreuses localités du sud sont toujours occupées par les forces militaires de l'Etat sioniste.

Tiré du site de la revue Contretemps.

En dépit du cessez-le-feu de novembre 2024, Israël multiplie les frappes aériennes, les incursions terrestres, les assassinats ciblés dans le sud du Liban, détruits les champs d'oliviers et construit même un mur. D'après la FINUL (Force intérimaire des Nations Unies au Liban), le cessez-le-feu a été violé 6800 fois entre le 27 novembre 2024 et le 22 octobre 2025, « en grande majorité du fait d'Israël ».

En septembre 2024, des milliers de personnes ont été blessées, quand des bipeurs piégés, utilisés par le Hezbollah pour sa communication interne, ont explosé simultanément à travers le pays, tuant neuf personnes et en blessant près de 2 800. Peu après, Israël a déclenché une offensive militaire de grande ampleur qui a abouti à l'élimination de la direction militaire du Hezbollah et à l'assassinat de son dirigeant historique, Hassan Nasrallah.

Aujourd'hui, les puissances occidentales conditionnent leur aide financière à la reconstruction au désarmement du Hezbollah et à sa marginalisation, ainsi que celle de ses alliés, sur le plan politique. C'est sur ces aspects, et leurs conséquences régionales plus larges, que porte cet entretien avec Doha Chams, journaliste, et Walid Charara, journaliste au quotidien al-Akhbar. Fondé en 2006 par Joseph Samaha (1949-2007), intellectuel de gauche influent et grand nom du journalisme arabe, al-Akhbardemeure une référence dans la région en tant que média anti-impérialiste, radicalement opposé aux menées israéliennes et aux politiques occidentales. La contribution croisée de Léonard Sompairac, géographe et collaborateur d'Orient XXI, complète cette analyse de l'actualité libanaise.

***

Chris Den Hond – Est-ce que le Hezbollah va accepter de désarmer suite à la pression des puissances occidentales ?

Walid Charara – Il y a deux options. Le chef du gouvernement, le président de la République et toute la mouvance liée à l'extrême-droite chrétienne ainsi que certaines forces sunnites sont pour le désarmement du Hezbollah. Ils considèrent que le Liban doit s'allier avec l'Occident et/ ou avec des monarchies du Golfe. Le Hezbollah et ses alliés par contre considèrent qu'ils sont face à une offensive israélo-américaine ayant pour objectif de remodeler le Moyen-Orient. Mais, pour l'instant, cette offensive n'atteint pas ses objectifs. Si jamais le gouvernement libanais décide de désarmer le Hezbollah par la force, une confrontation armée s'ensuivra. De toute façon, le gouvernement libanais n'a pas les moyens d'appliquer une telle exigence américaine et israélienne.

Doha Chams – Le Hezbollah ne va pas désarmer, ce serait suicidaire, malgré toute la pression internationale. De nombreux médias ne cessent de dire : « On a perdu, donc il faut accepter les conséquences de la défaite. » C'est vrai que le Hezbollah a perdu une bataille importante, mais pas la guerre. Les combattants du Hezbollah ne sont pas disposés à se rendre.

Léonard Sompairac – Israël préfère cet état de guerre permanente qui lui permet de repousser ses frontières : en Syrie avec le Golan, zone stratégique qui, outre ses ressources naturelles offre, avec le Mont Hermon, une visibilité jusqu'à Damas et au sud Liban, créant de fait une zone tampon avec le nord du pays. Israël continue quotidiennement de violer l'espace aérien et terrestre libanais et entretient une pression et une peur constantes sur les Libanais avec les drones, les frappes ciblées et la menace d'une guerre étendue imminente. Des engins de chantiers comme des bétonnières sont délibérément ciblés par les bombardements israéliens. Les besoins pour la reconstruction ont été évalués à 11 milliards de dollars, ce qui nécessite un appui international. Or, à l'échelle internationale, il existe une réticence à débloquer des fonds : les bailleurs reprennent la rhétorique israélienne qui voudrait que le désarmement effectif du Hezbollah soit la condition pour les accorder. Enfin, même si des financements arrivaient, ils passeraient dans la marmite intra-libanaise en particulier via le CDR (Conseil pour le développement et la reconstruction) qui n'est pas réputé pour être l'organisme le plus intègre au Liban depuis un demi-siècle…

Chris Den Hond – À Gaza comme au Liban, l'armée israélienne se heurte néanmoins à une résistance persistante sur le terrain, malgré des bombardements massifs. Comment expliquez-vous cela ?

Walid Charara : Le Hezbollah a reçu un énorme coup l'année passée. Une partie de sa direction, de sa direction militaire surtout, a été assassinée. Hassan Nasrallah, son leader, a été tué. Les dégâts ont été énormes, les pertes très significatives, mais sur le plan sécuritaire c'était un succès tactique pour Israël, pas un succès stratégique. C'était le résultat du progrès technologique israélien et de l'alliance avec les États-Unis, qui ont beaucoup aidé Israël. Ce succès tactique aurait pu se transformer en succès stratégique si Israël avait réussi à percer la première ligne de défense du Hezbollah et à occuper le sud Liban jusqu'à la rivière Litani, ce qui était l'objectif déclaré de l'armée israélienne. Mais celle-ci n'est pas performante en matière de combats au sol. La première ligne de défense du Hezbollah a tenu tête pendant 66 jours à l'offensive israélienne. Le Hezbollah a perdu 5000 combattants. Ce sont des pertes énormes mais il a tenu. Trois brigades israéliennes ont attaqué le village de Khiam, mais n'ont pas réussi à le prendre. Donc malgré des moyens très inégaux sur le plan militaire, Israël n'a pas gagné et le Hezbollah n'est pas vaincu. L'objectif israélien d'occuper tout le sud jusqu'à la rivière Litani et de désarmer le Hezbollah n'est pas atteint.

Chris Den Hond – Quelles sont les forces politiques qui soutiennent l'option américano-israélienne et quelles sont celles qui s'y opposent ?

Doha Chams – Pendant les guerres, la majorité des Libanais s'est montrée unie. Pendant la dernière guerre, le Liban était redevenu le pays de Fayrouz [diva de la chanson libanaise et symbole de l'unité nationale], où tout le monde aime tout le monde. Les chrétiens dans le nord ont invité chez eux les chiites du sud qui fuyaient les bombardements. Israël a fait progresser la solidarité intercommunautaire, c'est le gouvernement qui est corrompu. Aujourd'hui, la population libanaise est divisée, c'est vrai. Il y a des gens qui parlent fort, qui bénéficient d'un puissant appui médiatique et qui poussent à un désarmement de la résistance. Mais, en général, l'opinion publique se rend compte qu'Israël viole quotidiennement le cessez-le-feu et empêche les réfugiés de retourner chez eux dans le sud Liban. Israël bombarde sans arrêt, cible des gens qui sont de près ou de loin liés au Hezbollah, détruit même les bétonnières utilisées pour reconstruire les maisons. Comment faire la paix avec un tel ennemi ? Malheureusement certains secteurs au Liban veulent un accord avec Israël. Il est arrivé que les Druzes filment la base de lancement des missiles par le Hezbollah et Israël a tout de suite bombardé le site. Cela s'est passé plus d'une fois. Mais c'est une minorité de Druzes qui agissent ainsi, la plupart continuent à suivre Walid Joumblatt [leader historique des Druzes libanais, proche des forces de la résistance].

Léonard Sompairac – Je suis allé dans le sud récemment. Nombre d'églises, d'écoles confessionnelles chrétiennes, de jardins d'enfants chrétiens sont frappés parce qu'ils accueillent des réfugiés libanais du sud. Nous avons tendance à penser que, dans le sud Liban, il n'y a que des villages chiites pro-Hezbollah, mais c'est beaucoup plus nuancé, c'est une mosaïque. Avant de se rattacher à une religion ou à un parti, ces gens sont surtout voisins et ils s'entraident. Cela se voit aussi dans certains quartiers de Beyrouth où tout le monde accueille tout le monde. Il y a eu environ un million de déplacés au Liban qui ont été accueillis ailleurs.

Walid Charara – Un secteur significatif de la population libanaise, pas seulement chiite, considère que l'agression israélienne contre le Liban et les pressions internationales (européenne, saoudienne, mais principalement américaine) sont inacceptables. Mais une autre partie de la population est malheureusement sensible aux thèses des organisations de la droite chrétienne ou musulmane qui disent « vous allez entraîner le Liban dans une nouvelle aventure ». Il faut savoir que le Hezbollah n'a jamais violé le cessez-le-feu du 27 novembre 2024. Il n'a pas riposté aux attaques israéliennes. Israël bombarde le Liban jour et nuit et les pays garants du cessez-le-feu n'interviennent pas. La guerre est devenue une guerre de basse intensité où Israël se permet d'assassiner tous les jours des militants qui se déplacent en voiture par des bombardements ciblés de drones. Plus de 100.000 personnes du sud ne peuvent plus rentrer chez elles, puisque tout a été détruit. Israël empêche aussi toute forme d'aide à la population pour la reconstruction.

Chris Den Hond – Qu'a changé pour le Liban la guerre d'Israël contre l'Iran ?

Doha Chams – Le gouvernement libanais n'existe que par la grâce des puissances internationales : les États-Unis, l'Union européenne, l'Arabie saoudite. Si les maronites regardent vers la France et les sunnites vers l'Arabie saoudite, il ne faut pas s'étonner que les chiites et la résistance regardent vers l'Iran.

Walid Charara – Cette guerre de 12 jours entre Israël et l'Iran a révélé le vrai rapport de force qui n'est pas autant en faveur d'Israël que certains voudraient le faire croire. Des sources israéliennes, américaines et européennes ont confirmé qu'il y avait des dégâts importants sur le territoire israélien. L'Iran a pu frapper des sites civils, militaires et stratégiques israéliens, ainsi un centre du Mossad et un centre de développement de la technologie militaire. Avec ses propres moyens, il a réussi à infliger des pertes significatives à Israël. L'idée de l'inviolabilité du territoire occupé par l'État sioniste grâce à son système de défense anti-aérien a été très vite mise en cause. Il est clairement apparu que l'Iran était en position de nuire à Israël, malgré le soutien massif que celui-ci reçoit des États-Unis et de toute la coalition occidentale. L'Iran a accepté le cessez-le-feu proposé parce qu'il voulait éviter une confrontation directe et à grande échelle avec les États-Unis. Quand les États-Unis ont bombardé le site d'Ispahan, l'Iran a frappé une base américaine au Qatar. A ce moment-là, la guerre s'est arrêtée.

Chris Den Hond – Certains disent maintenant : si le Hamas et la résistance palestinienne en général avaient su que le 7 octobre serait suivi d'un génocide, ils n'auraient pas lancé l'opération. Qu'en pensez-vous ?

Walid Charara – Si les combattants vietnamiens avaient su avant de lancer leur campagne de libération que deux millions de Vietnamiens seraient tués par les Américains, pensez-vous qu'ils n'auraient pas démarré leur lutte de libération nationale ? Et les Algériens ? La question qu'il faut poser est « que se passait-il en Palestine avant le 7 octobre 2023 » ? Les attaques des colons contre les villages palestiniens étaient quotidiennes, sans couverture médiatique, et la bande de Gaza transformée en prison à ciel ouvert en raison du blocus instauré depuis 2007. Le sionisme est davantage qu'un régime d'apartheid, c'est un système de nettoyage ethnique. L'objectif est de surveiller et punir les Palestiniens, mais surtout les faire partir de leur terre. C'est un processus lent, 1948, 1967, mais qui s'accélère avec le temps, comme à l'heure actuelle. Comment résister à cela ? Avec des marches citoyennes, en portant des bougies ? Ce n'est pas suffisant. Le droit à la résistance armée d'un peuple sous occupation est conforme au droit international, il est inaliénable.

« Sales connes » : l’insulte de Brigitte Macron qui dévoile son mépris du féminisme

En traitant de « sales connes » des militantes féministes ayant interrompu le spectacle d'Ary Abittan, Brigitte Macron dévoile le mépris de classe et l'hostilité du pouvoir (…)

En traitant de « sales connes » des militantes féministes ayant interrompu le spectacle d'Ary Abittan, Brigitte Macron dévoile le mépris de classe et l'hostilité du pouvoir envers les luttes contre les violences sexuelles. Une insulte révélatrice d'un système qui préfère protéger les puissants que écouter les femmes.

8 décembre 2025 |https://blogs.mediapart.fr/lalapolit/blog/081225/sales-connes-l-insulte-de-brigitte-macron-qui-devoile-son-mepris-du-feminisme

Il y a des lapsus qui disent tout.

Et puis il y a des insultes assumées, prononcées à chaud, sans filtre, parce qu'elles traduisent une vision du monde. En qualifiant de « sales connes » des militantes féministes venues interrompre un spectacle d'Ary Abittan, Brigitte Macron ne s'est pas simplement « emportée » : elle a révélé la colonne vertébrale du macronisme face au féminisme — un mélange de mépris social, de crispation de classe et de peur panique dès que les femmes sortent du cadre poli qu'on leur assigne.

Ce n'était pas une erreur.
C'était un aveu.
Quand la Première dame insulte, l'institution parle

La scène est connue : des militantes féministes perturbent un spectacle d'Ary Abittan, humoriste dont le retour sur scène interroge à l'heure où les violences sexuelles restent massivement impunies. Dans les coulisses, Brigitte Macron souffle à l'artiste, sourire aux lèvres :
« S'il y a des sales connes, on va les foutre dehors. »

Présomption d'innocence pour les puissants.
Présomption de « saleté » pour les militantes.

On ne peut pas faire plus clair dans la hiérarchie des vies et des paroles.

Le message est glaçant : dans cette République-là, la parole des femmes qui dérangent n'a pas seulement tort — elle salit.
Elle dérange parce qu'elle dénonce.
Elle dérange parce qu'elle rappelle ce que le pouvoir voudrait enfouir sous le tapis rouge des théâtres : les violences sexistes restent une réalité, même lorsqu'un dossier judiciaire se clôt.
Le féminisme acceptable selon Brigitte Macron : silencieux, poli, et surtout inoffensif

Que reproche-t-on vraiment à ces militantes ?
D'avoir dérangé un spectacle.
D'avoir troublé l'entre-soi culturel où le féminisme est toléré tant qu'il reste un thème de débat… mais jamais un geste politique.

Brigitte Macron n'a pas traité de « sales cons » des supporters d'extrême droite.
Elle n'a pas insulté les ministres qui protègent des agresseurs.
Elle n'a pas dérivé face aux multiples affaires qui éclaboussent son propre camp.

Non : son mépris se réserve pour les féministes, celles qui refusent de jouer leur rôle de décoration républicaine.
Celles qui rappellent que les violences sexuelles ne disparaissent pas par magie, encore moins grâce aux sermons institutionnels.

Ce que Brigitte Macron dit, au fond, c'est :
« Les femmes, taisez-vous. Les puissants parlent. »
Le mépris de classe, version haute couture

Dans le vocabulaire politique, rien n'est neutre.
Pourquoi « sales » ? Pourquoi « connes » ?

Parce que cette insulte n'attaque pas seulement une opinion : elle attaque une supposée infériorité sociale.
On insulte des femmes qui n'ont pas les codes, pas les bonnes manières, pas la place qu'on voudrait leur assigner.

Il n'y a rien de plus violent que de voir une figure institutionnelle qualifier des militantes — souvent jeunes, souvent précaires, souvent survivantes — de femmes « sales », indignes, presque contaminantes.

Il y a là tout le mépris de l'élite politique envers les luttes populaires.
Tout ce que le macronisme a toujours cherché à faire : dépolitiser les colères en les disqualifiant moralement.
Quand le pouvoir insulte, il révèle sa peur

On pourrait croire que l'affaire est anecdotique.
Elle ne l'est pas.
Elle montre une chose essentielle : le pouvoir a peur du féminisme quand il n'est plus instagrammable, quand il devient action directe, quand il touche à la question de l'impunité.

Ces militantes n'ont pas interrompu un spectacle pour faire du bruit.
Elles l'ont interrompu parce que la société refuse encore de regarder en face la réalité des violences sexuelles.

Et qu'a répondu l'institution représentée par Brigitte Macron ?
Pas un argument.
Pas un débat.
Juste : l'insulte.

Quand un pouvoir répond par l'insulte, c'est qu'il n'a plus rien d'autre à opposer.
Ce que cette scène dit de l'état du féminisme en France

Cette affaire s'inscrit dans un climat où :

les féminicides explosent,
les associations perdent des financements,
les victimes reçoivent toujours moins de protection réelle,
les agresseurs bénéficient d'un soutien public, politique, médiatique.

Dans ce contexte, voir la Première dame traiter des militantes de « sales connes » n'est pas une simple « maladresse ».

C'est un signal politique :
le féminisme dérange, et le pouvoir entend le remettre à sa place.
Conclusion : nous ne serons jamais « des sales connes », mais les héritières d'une colère légitime

Si défendre les victimes, si dénoncer l'impunité, si interrompre un spectacle pour rappeler que le patriarcat tue et broie…
… fait de nous des « sales connes »,
alors oui :
nous sommes la génération qui refuse de se taire.

Le pouvoir peut insulter.
Il peut mépriser.
Il peut tenter de ridiculiser.

Mais il ne pourra jamais effacer ce qui l'effraie :
un féminisme qui n'a pas peur des puissants.

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