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Massacre à Rio : la politique mortifère du gouverneur Claudio Castro
La méga-opération « Operação Contenção », lancée par le gouvernement de Cláudio Castro (PL) dans les complexes de Penha et d'Alemão, a fait au moins 64 morts et révèle un modèle de sécurité publique fondé sur la brutalité et le mépris des favelas.
Tiré de Movimento Revista
https://movimentorevista.com.br/2025/10/massacre-a-rio-la-politique-mortifere-du-gouverneur-claudio-castro/
Tatiana Py Dutra
29 out 2025, 22:56
À l'aube du 28 octobre 2025, environ 2 500 policiers militaires et civils ont été mobilisés par le gouvernement de Rio de Janeiro pour lancer ce qui, quelques heures plus tard, allait officiellement devenir l'opération la plus meurtrière jamais enregistrée dans l'État. Connue sous le nom d'Opération Contenção (Contention) – selon les termes mêmes du gouvernement de l'État –, l'opération s'est déroulée dans les complexes de favelas do Alemão et da Penha, contre la faction criminelle Comando Vermelho (CV).
Vers 22 heures mardi, 64 décès avaient été confirmés, dont quatre policiers. Les organisations de défense des droits humains soulignent que ce nombre pourrait être encore plus élevé : des habitants ont trouvé au moins 50 corps dans une zone boisée qui n'ont pas été inclus dans le décompte officiel. Mercredi matin, on estimait à plus de 118 le nombre de victimes.
Guerre déclarée aux favelas
Dans une vidéo diffusée après la méga-opération, le gouvernement de l'État a justifié la légalité de l'opération en affirmant qu'« il ne s'agit plus de criminalité ordinaire, mais de narcoterrorisme ». Curieux, alors qu'il s'agit de terrorisme d'État. L'opération a paralysé certaines parties de la ville – voies expresses, écoles, réseau de bus – et semé la panique parmi les habitants : “Il y a des corps éparpillés dans toute la rue”, a rapporté un leader communautaire.
Les habitants ont dénoncé des violences graves : des tirs « aveugles » en direction des habitations, des perquisitions sans mandat judiciaire et l'abandon de personnes blessées ou paniquées. Le scénario décrit ressemble à un champ de bataille, et les favelas et leurs habitants ont une fois de plus été traités comme un territoire ennemi.
La politique du transfert de responsabilité
Le gouverneur Cláudio Castro a également cherché à rendre le gouvernement fédéral et la justice responsables des éventuels obstacles à son opération.
« Malheureusement… nous ne bénéficions pas de l'aide de véhicules blindés ni d'agents des forces fédérales de sécurité et de défense », s'est-il plaint.
Le ministre de la Justice, Ricardo Lewandowski, a quant à lui affirmé n'avoir reçu aucune demande officielle pour une telle opération « Ni hier, ni aujourd'hui. Absolument rien. »
Les observateurs et les chroniqueurs dénoncent le fait que cette action s'inscrit dans une logique de spectacle politique et de militarisation des favelas, et que le transfert de responsabilité fait partie d'une stratégie politico-électorale visant à faire porter la responsabilité du massacre au gouvernement fédéral.
Voix de la résistance et dénonciation
Jurema Werneck, directrice d'Amnesty International Brésil, a été catégorique : « Cela s'appelle un massacre. Aucun gouverneur d'État n'a le mandat d'ordonner le massacre de personnes. »
À l'Assemblée législative de Rio (ALERJ), le député Professor Josemar (PSOL) a déploré l'opération et la douleur des survivants :
« Des familles passant toute la nuit dans la forêt à la recherche de corps, plus de 50 d'entre eux retrouvés et qui ne figurent même pas dans les statistiques officielles du gouvernement. Voilà l'opération réussie du gouverneur Cláudio Castro. Massacre, terreur et cauchemar. La viande la moins chère du marché est la viande noire ! »
Impact national et international
Les répercussions ont dépassé les murs de Rio. L'Organisation des Nations unies s'est déclarée alarmée par l'usage massif de la force et a exigé des « enquêtes urgentes » afin que les droits humains soient respectés.
La presse internationale, comme The Guardian et l'Associated Press, a décrit l'événement comme « le jour le plus meurtrier de l'histoire » pour l'État de Rio, le comparant à des cas précédents et dénonçant la militarisation des favelas.
Il ne s'agit pas seulement d'une action de maintien de l'ordre ostensible et de lutte contre le crime organisé. L'opération Contenção révèle un modèle de sécurité publique qui criminalise des territoires entiers, banalise les morts dans les favelas et cherche à légitimer la violence comme politique d'État. En tentant de rejeter la responsabilité sur le gouvernement fédéral, le gouvernement de l'État se dégage de toute responsabilité envers les victimes et impose le silence sur son propre rôle.
Castro consolide Rio comme laboratoire de la politique de la mort
Sous le commandement de Cláudio Castro (PL), Rio de Janeiro est devenu le plus grand symbole de l'échec de la politique de sécurité fondée sur la létalité policière. Sur les cinq opérations les plus meurtrières de l'histoire de l'État, quatre ont eu lieu sous son gouvernement. Ce sont des chiffres qui feraient rougir même les dirigeants les plus brutaux du passé récent : 64 morts à Penha et Alemão (2025), 28 à Jacarezinho (2021), 23 à Vila Cruzeiro (2022) et 16 à Alemão (2022) – toutes menées selon la même méthode d'occupation militarisée et de non-respect des droits humains.
Malgré la promiscuité patente entre les agents publics, les milices et les factions criminelles , le gouverneur insiste pour vendre l'idée que la violence est synonyme d'efficacité. Le discours de « guerre contre le crime » sert de rideau de fumée pour masquer l'échec structurel d'un gouvernement incapable d'investir dans les services de renseignement policiers, d'intégrer les bases de données, de bloquer les flux financiers des factions et de désarmer les véritables financiers du crime – qui vivent dans les quartiers riches, et non dans les favelas.
Castro également à son compte le huitième plus grand massacre officiel, avec 13 morts à São Gonçalo et Salgueiro (2023), et le neuvième, avec 12 morts à Itaguaí (2020). Depuis qu'il a pris le pouvoir, dans le vide laissé par la destitution de Wilson Witzel, le gouverneur a appuyé sur la gâchette plus souvent que son prédécesseur qui ordonnait de aux policiers de « viser la tête ».
La politique meurtrière adoptée par Castro offre à une partie de l'électorat l'illusion de la sécurité, renforcée par un discours punitif et raciste. Elle alimente la culture de la peur et naturalise l'extermination des jeunes noirs et pauvres, transformant l'exception en règle.
L'adhésion aveugle à l'idéologie de la justice expéditive, célébrée par des profils extrémistes sur les réseaux sociaux, non seulement légitime le massacre dans les favelas, mais sape également les fondements de l'État démocratique de droit. La même logique qui autorise la police à tuer sans jugement est celle qui a tenté de détruire les institutions démocratiques le 8 janvier 2023.
S'il persiste dans cette voie, Cláudio Castro pourrait terminer son mandat avec un record macabre : les cinq plus grands massacres policiers de l'histoire de Rio de Janeiro sous sa signature. Une marque de sang qui expose le véritable héritage de son gouvernement : un État qui troque la justice contre la vengeance et la sécurité contre la mort.
Tatiana Py Dutra é jornalista da Revista Movimento.
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À propos du programme de Zohran Mamdani
Les campagnes électorales pour les municipales de Montréal et de New York se sont déroulées exactement à la même période, en octobre 2025. Elles se terminent la semaine prochaine, respectivement le 2 et le 4 novembre. La première n'a pas réussi à intéresser les Montréalais·es si ce n'est quand une candidate a proposé de démanteler les rares pistes cyclables au nom de la sécurité des cyclistes. Depuis, elle est largement en tête dans les sondages… La seconde a fait parler d'elle dans le monde entier et plus de 50 000 bénévoles sont venus apporter leur soutien au programme du candidat de gauche Zohran Mamdani, « un fou communiste à 100% » selon Donald Trump.
Ce qui distingue les deux villes comme les pouvoirs respectifs de leurs maires rendent l'exercice de comparaison aussi périlleux que vain. Il est toutefois possible de revenir sur certains points du programme de Zohran Mamdani qui peuvent contribuer à expliquer l'enthousiasme qu'il a suscité non seulement du côté des classes bourgeoises éduquées de New York, mais aussi du côté des catégories sociales plus vulnérables : les travailleurs et travailleuses de la restauration et des livraisons, les personnes migrantes et racisées, la petite bourgeoisie notamment commerçante.
Trois thèmes, largement absents des débats de la campagne municipale de Montréal, méritent l'attention : le financement du budget, la police municipale et les conditions de travail.
Un candidat ouvertement socialiste
Les journaux rappellent fréquemment que Zohran Mamdani est né en 1991 en Ouganda, qu'il est d'origine indienne, qu'il est musulman, qu'il a obtenu la nationalité étatsunienne en 2018, que son père est professeur d'université, que dans sa jeunesse il chantait du rap et du hip-hop dans le métro, qu'il milite depuis longtemps pour la cause Palestinienne, qu'il est membre de Democratic Socialists of America (DSA), qu'il n' a pas hésité à entamer une grève de la faim en solidarité avec les chauffeurs de taxi surendettés et qu'il a été élu en 2021 député de l'Assemblée de l'État de New York.
Les journaux insistent également sur certaines propositions de sa plateforme, centrée sur l'« Afordability » et la « cost-of-living crisis ». Claire et percurante, résolument à gauche, la plateforme est facilement lisible et traduite en de multiples langues, dont le français. Elle est structurée en 11 points principaux : logement, sécurité, accessibilité, petite enfance et éducation, financement, climat, justice LGBTQIA+, soins de santé, travail, petite entreprise, bibliothèques. Et elle contient une rubrique qui affiche clairement un engagement politique au-delà des enjeux municipaux : « NYC à l'épreuve de Trump ».
Certaines de ces propositions ont fait le tour du monde après que Zohran Mamdani ait remporté, à la surprise générale, la primaire de juin 2025, contre le candidat de l'establishment Démocrate et contre les principaux syndicats qui appuyaient alors son concurrent A. Cuomo. Ces propositions ont aussi hérissé les poils des bourgeoisies de New York, de Paris en passant par celle de Montréal, habituées à des campagnes municipales et nationales sans aucun relief, où l'on débat sur des thèmes qui n'ont jamais rien de réellement populaires, socialistes ou environnementalistes.
Parmi les propositions les plus citées, figurent : la gratuité des bus municipaux ; la création d'épiceries municipales ; l'ouverture de services de garde gratuits pour les enfants de moins de 5 ans ; un salaire minimum de 30 dollars de l'heure dès 2030, le gel des loyers pour les 2 millions de locataires qui vivent dans des logements à loyer dits « stabilisés » ; la décision de faire de New York un sanctuaire pour les immigrant·es « en expulsant l'ICE de toutes les installations de la villes » ; la création d'un « Bureau des Affaires LGBTQIA+ » ; ainsi que l'engagement de consacrer 0,5 % du budget de NYC aux bibliothèques considérant l'importance des lieux publics et de la connaissance pour la vie en société.
Mais le programme contient bien d'autres éléments et notamment sur le financement, la police et les conditions de travail, qui sont moins souvent mentionnés.
Taxer les riches, arrêter de les subventionner, conditionner les aides publiques
Concernant le financement du budget, la plateforme est claire ; c'est aux riches de payer, aux très riches pour être plus précis. Mamdani propose ainsi d'augmenter « le taux d'imposition des sociétés pour l'aligner sur les 11,5% du New Jersey, générant ainsi 5 milliards de dollars ». Il propose également d'imposer aux 1% des New-Yorkais·es les plus riches - c'est-à-dire ceux et celles qui gagnent plus de 1 million de dollars annuellement — un impôt fixe de 2%. C'est une question de justice sociale quand « les taux d'imposition sur le revenu de la ville sont essentiellement les mêmes que vous gagniez 50 000 ou 50 millions de dollars ».
Toujours dans l'idée d'une redistribution, on note son engagement à investir massivement dans les universités publiques de New York (CUNY), « en taxant NYU et Columbia », qui sont richissimes et comptent au nombre des plus grands propriétaires privés de la ville, qui ne paient pas de taxes.
Le financement du budget repose également sur des économies et une réorientation des fonds. Ainsi, en matière de dépenses publiques, le candidat propose de supprimer les millions de dollars actuellement versés en subventions à de riches entreprises, notamment les opérateurs des supermarchés privés. De surcroît, il s'engage à mettre un terme aux subventions secrètes et aux accords protégés par des clauses de « non-divulgation », au prétexte du secret des affaires. Aussi prévoit-il de resserrer les critères dans l'attribution des contrats publics et de lier explicitement l'octroi de subventions à l'intérêt général. Le programme qu'il propose pour faire face à la pénurie des 7 000 à 9 000 enseignant·es en constitue un exemple. Concrètement, il propose d'offrir un soutien financier aux études « en échange d'un engagement de trois ans à enseigner dans les écoles publiques de NYC ». Une solution dont pourrait peut-être s'inspirer le gouvernement Legault, lui qui cherche des enseignant·es et des médecins depuis presque 10 ans.
La police n'est pas compétente pour gérer la misère sociale
Alors que les candidat·es à la mairie de Montréal évitent soigneusement de parler de la police municipale, Zohran Mamdani a choisi de se dissocier des mouvements « defund the police » ou autres ACAB. Sa plateforme est sans ambiguïté sur ce point :
« La police joue un rôle crucial. Mais actuellement, nous comptons sur elle pour gérer les échecs de notre filet de sécurité sociale, ce qui l'empêche de faire son véritable travail ».
Son programme consiste à recentrer les activités de la police sur la résolution des enquêtes et les interventions en cas de crimes et de délits. En revanche, la gestion des questions sociales serait confiée à un Département de la sécurité communautaire qui financerait, notamment, des programmes de santé mentale et le déploiement de travailleuses et travailleurs sociaux à l'échelle de la ville.
Les conditions de travail et les syndicats au cœur de la plateforme
Sur la place accordée aux conditions de travail et aux syndicats dans ce programme, on peut notamment lire :
« La classe ouvrière de New York est exploitée au maximum » ou encore la mairie « travaillera étroitement avec le puissant mouvement syndical de notre ville pour garantir que les travailleuses et travailleurs syndiqué·es et non syndiqué·es connaissent leurs droits au travail et puissent les faire respecter… Facilitera l'organisation des travailleuses et des travailleurs sans crainte de licenciements injustes ou de représailles ».
Entre autres choses, Zohran Mamdani s'engage à exiger le respect de « normes de travail élevées » pour tous les contractants et les projets financés par la ville. Il s'engage également à travailler « étroitement avec les syndicats pour faire passer des lois d'extension sectorielle supplémentaires qui offrent de meilleurs salaires et conditions de travail à travers des industries entières, à l'instar de la loi sur le salaire minimum pour la restauration rapide de NYC ». Et dans le même sens, il propose d'interdire les clauses de non-concurrence, imposées aux travailleurs et travailleuses, qui les empêchent de travailler dans certains secteurs.
S'il est trop tard pour que ce programme puisse orienter les élections municipales, peut-être y a-t-il là matière à réflexion chez nous, pour une gauche québécoise ?
Martin Gallié
31 octobre 2025

Un programme de combat axé sur le climat et articulé aux plus urgentes luttes sociales et la nécessaire lutte contre le fascisme
Un militant impliqué à Solidarité Environnement Sutton en Estrie a pris le temps de commenter ma proposition de programme pour Québec solidaire et m'a demandé d'y répondre.
| 1. L'hégémonie pétro-gazière du Canada et à son Quebec bashing | l'indépendance nationale tenant compte du droit à l'autodétermination autochtone. |
On aurait tort de croire que pour aboutir à une société de soin et du lien basée sur la décroissance matérielle la lutte pour l'indépendance nationale y arrive comme un chien dans un jeu de quilles. Contrairement aux nouvelles nations étatsunienne, haïtienne, qui l'a cependant payé très cher, et latino-américaines, tombées dans l'orbite de l'impérialisme britannique puis étatsunien, la nation québécoise a échoué dès le départ à se libérer du conquérant anglais. Par là son sort s'apparente à celui des nations autochtones même si elle participe à leur oppression comme nation « blanche ». D'où la nécessité stratégique de s'associer à ces nations tant pour se déblanchir que pour augmenter son rapport de forces. Idem avec le peupletravailleur canadien souhaitant le même projet de société. Elle ne peut plus désormais pour sa survie compter sur la « revanche des berceaux » sur le dos des femmes à l'encontre de la nation canadienne adossée à une forte immigration.
Une nation périclitant démographiquement, déconsidérée et bafouée au point qu'une partie de sa jeunesse a honte de sa langue nationale considérée comme ringarde est incapable de marquer l'histoire si ce n'est en se folklorisant. Elle est incapable de rompre ses liens de dépendance et de subordination avec la nation canadienne dont la matrice économique est l'axe financier-pétrolier-gazier plus que jamais liée à l'impérialisme étatsunien qui va jusqu'au rejet de son projet de capitalisme vert sauf l'extractivisme minier. Lors de la « révolution tranquille », le projet de société qui l'animait était celui d'une société de bien-être ce qui l'a projeté dans la modernité au-delà de celle canadienne mais sans parvenir à rompre sa soumission nationale. En a découlé, dans un contexte mondial de recul néolibéral, le présent recul national qui ne peut être renversé que par un renouveau de la lutte indépendantiste prenant à bras-le-corps le grand défi du XXIe siècle soit la lutte pour une société du soin et du lien basé sur la décroissance matérielle.
| 2. La crise du logement | le collectif logement social écoénergétique pour tout le monde et pas seulement pour les pauvres. |
Dans l'actuelle conjoncture, la crise du logement, au cœur de la crise du coût de la vie, est le grand marqueur de la crise sociale auquel n'échappe aucun pays urbanisé. Tant que le logement restera une marchandise et non un droit il sera soumis la croissance exponentielle de la rente foncière dans des zones urbaines de plus en plus concentrées refoulant dans les banlieues les ménages populaires, ce qui leur inflige une pénible, coûteuse et énergivore gestion de leur mobilité. Tant que le logement sera soumis à l'idéologie du bonheur clin-clan de la « villa campagnarde » il dévorera les espaces naturelles, il enflera inutilement les services publics et il consommera une effarante quantité de matériaux per capita. Il tiendra le ménage populaire prisonnier des fins de mois, aux dépens de la fin du monde, au profit des banques et des développeurs tout en l'engonçant dans l'idéologie de la propriété privée.
| 3. logements déficients c'est | leur rapide mise à niveau écoénergétique par un programme public selon un code du logement tendant à l'énergie zéro. |
Que faire avec ces vieux logements centraux et surtout ces banlieues tentaculaires ? Il faut ici penser à une transition écoénergétique accélérant leur densification et à terme leur transformation. Il faut transiter vers un aménagement du territoire débarrassé de l'étalement urbain c'est-à-dire de l'auto solo et de la villa campagnarde. Dans ce contexte, les quartiers et villages contiennent les services de proximité dont les écoles primaires et secondaires. Beaucoup de quartiers centraux des grandes villes contiennent déjà bon nombre de services de proximité malgré la plaie de la circulation automobile parce qu'il n'y a pas de maisons unifamiliales et même peu de maisons en rangée.
Pour les banlieues et villages il faudra une politique de densification (dés)incitative qui se pratique déjà spontanément comme la subdivision pour loger les vieux parents ou la famille d'un enfant, la co-location ou tout simplement la vente à un ménage plus nombreux. Cette transition doit être facilité par du collectif logement social pour les gens âgés à même leur quartier, une aide au déménagement, un soutien aux rénovations écoénergétiques par ailleurs obligatoires et, dans les zones rurales, une politique de retour au village pour les habitations isolées hors ferme. (Par contre, la minimaison dans la cour arrière est cependant peu écologique, peu viable et même discriminatoire, ce qui s'applique aussi aux soi-disant « logements modulaires » pour les sans-abris.) Les banlieues faites pour l'auto solo peuvent être desservies par des minibus, éventuellement sans chauffeurs sur des circuits balisés et entretenus à cet effet, les reliant au circuit principal. Quant aux villages, il y aura un service d'autobus fréquent les reliant à la ville.
| 4. la mobilité durable | Le transport en commun gratuit, partout, fréquent, confortable et électrique, et un complément d'autopartage communautaire |
Entre un système de transport adossé au véhicule privé électrique et celui adossé au transport actif et en commun public, il faut choisir. Le premier qui change tout pour que rien ne change nécessite que s'y superpose un dispendieux système souterrain et/ou aérien afin de rendre viable la congestion urbaine dans des villes de plus en plus centralisées. Le deuxième remplace à bon marché et rapidement l'auto solo par le transport actif et en commun quitte à être complété, dans la période transitoire, par un service collectif d'autopartage genre Communauto.
| 5. transport marchand c'est | La souveraineté alimentaire, les trajets courts, la sobriété et la durabilité de la consommation et le transport électrifié par rail. |
| 6. Le gaspillage | La garantie de la réparation accessible ou du remplacement, du bannissement de la publicité et de la mode commerciale. Produire moins, échanger plus. |
Le transport des marchandises doit d'abord être drastiquement réduit. L'alimentation carnée accapare 80% des terres. L'alimentation végétarienne permet de maximiser la souveraineté alimentaire et par là les trajets courts. Idem pour les cultures maraîchères urbaines. L'interdiction de la villa campagnarde et de l'auto solo sape les fondements de la consommation de masse. L'obligation de durabilité et de réparabilité sur fond d'interdiction de la publicité et de la mode commerciales en détruit les moyens. Il faut pouvoir recycler par l'échange ce dont on n'a plus besoin. On imagine des pôles de quartier et de villages d'échanges et de réparations assumant les garanties légales aux frais des entreprises quitte bien sûr à référer ce qui est plus complexe. Le train (et le navire) électrifié transportera ce qui reste, et les petits véhicules électriques se chargeront du « dernier kilomètre ». |
7. La ville infernale et dangereuse | La ville piétonnière et cyclable, de services de proximité, d'agriculture urbaine et de parcs nature. Repeuplement des régions. Plus de petites fermes collectives |
L'agro-industrie comme le développement des communications et des transports a non seulement vidé la campagne de sa population mais l'a aussi urbanisée. Une société du soin, de la terre comme des gens, et du lien, autant avec la terre qu'avec les gens, intègre la campagne dans la ville. Elle le fait en transformant ces déserts biologiques que sont les pelouses en jardins communautaires tout comme les toits qui peuvent l'être. Elle le fait en transformant les friches, une fois dépolluées, en parcs nature y compris en forêts urbaines. Elle le fait aussi en initiant la jeunesse aux soins de la nature et à l'agriculture maraîchère jusqu'à à mobiliser les urbains pour faire des corvées agricoles ce que facilitent les trajets courts. Pour accomplir ces tâches, il faudra lever l'obstacle de la propriété privée foncière qui bloque tout. (Voir le point 10 pour le repeuplement des campagnes.)
| 8. L'étalement et à la congestion urbains envahissant la campagne | c'est l'interdiction de l'auto solo privé et de la maison « campagnarde ». Avant d'interdire l'auto solo il faut établir un système de transport en gratuis, fréquent et efficace. Voir plus bas. |
Il va de soi que pour le peuple-travailleur, ou le « 90% », aucune mesure pénalisante ne peut lui être imposé sans qu'une solution plus écologique, non plus dispendieuse et non moins commode soit disponible. Cela vaut tant pour le transport que pour l'habitat. En ce moment, pour la majorité des banlieusards et des gens en région, l'auto solo et la « villa campagnarde » sont incontournables. La pénalisation et éventuellement l'interdiction de ces deux cancers, à la fois écologiques et mamelles de l'endettement des ménages, supposent la disponibilité du transport en commun mur à mur et du collectif logement social et écoénergétique.
| 9. La crise de l'embonpoint | l'alimentation surtout végétarienne cultivée biologiquement et disponible en produits frais et peu transformés. Services dont écoles à distance de marche |
L'embonpoint est la conséquence d'une stratégie de l'industrie alimentaire misant sur la transformation du lent repas convivial en une rapide bouffe individualiste compatible avec la compétitivité s'accroissant sous le néolibéralisme et la stressante généralisation de la précarité. Comme compensation, l'industrie produit une alimentation carnée, sucrée, grasse et salée tout en étant ultra-transformée pour en faire une marchandise qui puisse circuler longtemps. Une urbanité sans villa campagnarde et sans auto solo, en rapprochant les gens et en diminuant la production matérielle, crée les conditions de la convivialité et de la lenteur en autant que le but de la production ne soit plus la maximisation du profit mais le soin et le lien pour maximiser le temps libre créatif.
| 10. Les croissantes pandémies dues au zoonoses | la préservation des forêts et zones humides d'où en finir avec l'expansive agriculture carnée. Diminuer de financer les grosses fermes industrielles. Augmenter le financement de petites fermes bio et collectives |
L'agriculture comme la foresterie écologiques sont plus intensifs en travail que l'agriculture et la foresterie industrielles parce qu'elles prennent en compte la productivité des sols à maintenir si ce n'est à améliorer sans compter les impacts environnementaux des engrais, surtout artificiels, de l'usage de l'eau et de la déforestation. Il devrait s'ensuivre un repeuplement relatif des zones rurales surtout si la politique agricole inclut une politique de conditionnement alimentaire (et non pas d'ultra-transformation) sur place.
Quant à la propriété et gestion des fermes, l'échec des fermes-usines des exéconomies collectives (URSS, Chine, Cuba) a démontré qu'il faut maintenir une forte liaison organique entre l'agriculteur-trice et sa ferme. Il y a nécessité d'une planification indicative, mélange d'incitatifs et de pénalités, laquelle de facto existe déjà tellement l'État capitaliste est interventionniste en agriculture. La formation comme l'interventionnisme étatique seront axés cependant sur l'agro-écologie végétarienne. Comme forme de propriété on pense à la ferme familiale et à celle coopérative mais dont la distribution foncière sera encadrée pour éviter spéculation et perte du foncier agricole (voir le point suivant).
L'ouvrier-ère agricole, nécessaire lors des périodes de travail intensif peut être associé-e comme coopérant à la ferme si ces heures annuels de travail très intenses à certaines période de l'année équivalent à celles normalement réparties également sur l'année. Cette solution suppose une politique de revenus du travail assurant un revenu et des conditions de travail viables et des droits du travail identiques pour toustes les travailleur-euse-s à la ferme et alignés sur ceux urbains, y compris l'accès à la syndicalisation, et débouchant automatiquement sur la citoyenneté. Il faut aussi miser sur la participation de la jeunesse urbaine pour certains travaux.
| 11. Les monocultures de l'agro-industrie épuisant les sols | l'agriculture biologique sans additifs d'origine fossile et liée à l'urbain par des trajets courts. Voir les 6 changements structurant demandés par l'Union paysanne. Socialiser l'alimentation |
En toute démocratie, on ne peut pas être d'accord avec le monopole syndical de l'UPA quoique la recherche de l'unité du monde agricole, très minoritaire dans notre société urbanisée, est fort compréhensible pour avoir un bon rapport de forces quoiqu'il faille distinguer les intérêts des grandes fermes mi-capitalistes des petites fermes. L'Union paysanne est rébarbative au modèle agricole québécois (quotas, plans conjoints) qu'elle rend responsable de la disparition des fermes et de la crise de la relève. Le problème de fond est plutôt l'endettement des fermes, au profit des banques, pour faire face à la cherté du fond de terre et à celle des quotas dues à leurs quantités fixes ce qui génère une rente que s'accapare la banque par les intérêts dont le paiement est garanti par l'État.
Pour résoudre les problèmes soulevés, on n'échappe pas à la nécessité d'un organisme démocratique agriculteurs-trices / consommateurs-trices / gouvernements ventilé régionalement qui soit propriétaire-locateur de l'ensemble des terres agricoles. Cet organisme cèderait à bon compte les terres, en tenant compte de l'héritage pour ne pas nuire au lien organique séculaire de la famille ou celui collectif avec la terre, en retour d'un contrat social précisant les droits et devoirs du locataire à long terme dans le cadre des politiques agrobiologiques nationales qui n'auraient rien de banales.
| 12. La mauvaise santé et le stress | le plein emploi, le contrôle ouvrier des cadences, la baisse du temps de travail, le revenu et services minimum garantis. L'État capitaliste, ni un gouvernement social démocrate ne peuvent pas réaliser ces 5 objectifs. Travailler à augmenter les entreprises collectives à but non lucratif fait diminuer les profits et surtout confie les gestion à plus de travailleurs. |
| 13. L'inflation | la totalité de la société du soin et du lien, le contrôle des loyers et des prix des aliments de base, et la gratuité de l'électricité de base. Pas réalisable en système capitaliste. Le but des entreprises et des gouvernements c'est l'augmentation du PIB |
| 14. L'austérité des services publics | leur ample bonification quantitative et qualitative et la resocialisation des pans privatisés. |
Ici se pose l'éternel débat entre lutte pour les réformes et le réformisme ce que résout théoriquement le concept trotskyste de « revendications transitoires » dont l'application exige toutefois sens stratégique et souplesse tactique. Rejeter la lutte pour les réformes afin de lutter contre le capitalisme est gauchiste ce qui isole ce type de militantisme le condamnant à une existence groupusculaire. Limiter son horizon aux réformes sans perspective anticapitaliste est opportuniste à savoir c'est s'adapter par facilité à l'idéologie dominante. Il en résulte soit à s'illusionner en cas de victoire, habituellement partielle ou toujours temporaire, soit à se décourager et à démissionner en cas, fréquent dans la conjoncture actuelle, de défaite.
Toute l'histoire des luttes du Front commun est une souque à la corde entre le mouvement syndical et le gouvernement du Québec afin de déterminer les paramètres de la politique salariale publique laquelle influence celle générale tout comme l'encadrement de la politique sociale par l'entremise des conditions de travail. La dernière ronde, loin d'être victorieuse, a quand même empêché la CAQ d'infliger d'importants reculs que prépare la loi 89. Il y a au Québec un certain contrôle des loyers même s'il est biaisé en faveur des propriétaires. Le parachèvement de la nationalisation de l'électricité dans les années 1960 a valu aux ménages une « subvention interne » de leurs tarifs aux dépens des entreprises que même la CAQ n'a pas osé remettre en question : « Les entreprises paient en moyenne un tarif de 3,9 % supérieur au tarif résidentiel, mais les demandes d'augmentation de 3,3 % pour les entreprises et de 3,3 % pour les industries sont prévues pour 2025 et 2026, tandis que l'augmentation sera de 3 % pour les ménages en 2025 et 2026. » (IA de Google).
Les entreprises autogérées dans un cadre capitaliste sont, à cet égard, une arme à deux tranchants. Elles peuvent certainement être un moyen de sauver ou créer son emploi ou encore de s'accorder des conditions de travail plus correctes. Mais elles doivent s'insérer compétitivement dans le marché ce qui bien souvent exige de s'auto-exploiter d'autant plus qu'elles ne sont pas généralement soutenues par la Finance (nécessaire simplement pour le crédit de roulement), les organisations spécialisées ou les gouvernements. Obtenir ce soutien, allant de soi pour les entreprises capitalistes, devient une lutte politique.
| 15. Les hydrocarbures et à l'énergivore croissance | la sobriété inhérente à la société du soin et lien et l'électrification de l'énergie et des moteurs. Plus de sobriété, moins d'autos électriques, plus de transports en commun électriques. Réduire les camions et augmenter le transports de marchandises par le train électrique. |
Celleux qui identifient bonheur et PIB concluront que la sobriété d'une société du soin et du lien n'est qu'une malheureuse société spartiate. Pourtant cette société minimise le temps contraint de l'aliénant travail de masse pour maximiser le temps libre artistique et scientifique et celui consacré aux affaires de la cité. Loin de restreindre habitat et mobilité, cette société de décroissance matérielle en réduira le fardeau tout en répondant aux besoins raisonnables d'espace, de confort et de déplacement obligés et ludiques. Pour ce faire, il ne faut pas équivaloir bonheur à un aliénant cumul consommateur singé sur l'accumulation capitaliste quoique structurellement encouragé comme illusoire sécurité individualiste à la place de la solidarité du soin et du lien. Plus encore, cette défocalisation vis-à-vis la matérialité libère l'horizon du soin des gens et de la terre-mère, et le temps à lui consacrer, ce qui signifie une forte croissance des services publics (santé, éducation, garderies, personnes âgées).
| 16. La fausse pénurie d'électricité | la suffisante actuelle production hydraulique et éolienne plus du solaire intégré aux bâtiments écoénergétiques. Resocialisation des secteurs privatisés d'Hydro-Québec. |
Les énergies renouvelables dans le contexte du capitalisme vert sont habituellement une occasion de privatisation qu'Hydro-Québec n'a pas raté. Il ne s'agit pas d'en évincer MRC et gouvernements autochtones mais bien les « partenaires » privés dont l'expertise peut être nationalisée ce qui élimine la rente qui leur a été cédée sous forme de prix garantis exorbitants.
À souligner et à resouligner que le passage aux énergies renouvelables dans un contexte de croissance inhérent au capitalisme est un cul-de-sac. D'une part, ces énergies ne remplaceront pas celle fossiles mais s'y additionneront comme au XXe siècle le pétrole et le gaz l'ont fait par rapport au charbon. D'autre part, ces renouvelables énergies diffuses et aléatoires ont besoin par kWh d'une énorme quantité de matériel pour les capter, transformer et transporter. Il leur en faut plus que celles fossiles qui fourniront la majorité de l'immense quantité d'énergie à leur extraction, transformation et recyclage. Ajoutons-y le pourvoiement de très grands espaces pour un déploiement qui n'en finira plus.
| 17. Le financement d'une société écologique | son implicite bon marché, la socialisation de la Finance et l'imposition des profits et du capital. Est-ce ces deux solutions sont faisables en système capitaliste ? |
En plus de la réponse général en 12-13-14, j'ajouterais que la nationalisation au moins partielle du capital bancaire a déjà été le lot de gouvernements de gauche sous contrainte de crise comme au Mexique et en France au début des années 1980. Lors de la crise de 2008, les gouvernements étatsunien et britannique ont partiellement et temporairement nationalisé certaines banques. Au Canada, « [l]e taux de l'impôt général des sociétés a atteint un sommet de 47 % au cours de la décennie 1950. Il a ensuite diminué progressivement pour arriver à 21 % en 2007. Depuis 2012, le taux d'imposition des sociétés est de 15 % » (Radio-Canada, La Vérif, 4/04/25). C'est une question de rapport de forces et de conscience sociale.
| 18. la résistance du « marché » | l'expropriation des secteurs stratégiques tels la Finance, l'énergie, les communications, le transport, la santé. |
La nationalisation des hauteurs stratégiques de l'économie, généralement sous contrôle oligarchique, doit être comprise comme une mesure défensive afin d'enlever à l'ennemi capitaliste ses principaux moyens économiques non seulement de domination, pour laquelle le contrôle de l'État est essentiel, mais aussi pour orienter l'épargne nationale et les flux matériels. Ceci dit, Hydro-Québec n'a rien de socialiste ; son orientation est déterminée par le gouvernement qui est au service de Québec Inc., une composante de Canada Inc.. Les multiples entreprises étatiques chinoises, dont l'ensemble de la Finance, ne font nullement de la Chine une société socialiste ; elle est sous l'emprise d'un capitalisme bureaucratique, qui limite pour le meilleur et pour le pire la loi de la concurrence, et qui est particulièrement répressif, ce que Trump s'empresse d'imiter, et de plus en plus impérialiste.
Il ne suffira donc pas de la nationalisation du grand capital pour que la société prenne un tournant anticapitaliste soin et lien. Il faudra aussi socialiser. On a vu plus haut ce que ça pourrait signifier pour la gestion des terres agricoles. On peut imaginer une solution semblable pour Hydro-Québec, et pour d'autres secteurs. Mais la clef de la démocratie d'une société du soin et du lien, ou plus abstraitement écosocialiste, réside dans l'organique démocratie des comités en partant de la base (lieux de travail et d'étude, quartiers et villages) jusqu'au niveau mondial en passant par le national. Ces comités ne naissent pas par décrets mais se construisent et se pérennisent dans la lutte sociale surtout quand elle atteint un certain niveau de développement et de politisation.
| 19. Les divisifs sexisme et racisme | l'écoféminisme donnant la priorité aux activités du soin et du lien et aux travaux essentiels des personnes racisées. |
Le vieux socialisme échoué du XXe siècle s'appuyait sur les cols bleus mâles des usines organisées très verticalement, ce que tendaient à imiter l'organisation syndicale. En découlait une tendance à réduire la révolution socialiste à une affaire de nationalisation sous gouverne de l'unique parti révolutionnaire. Aiguisé par une situation objective désespérée, le bolchevisme lui-même a cédé à la tentation. Il a fallu la crise existentielle de ce socialisme dont ne survivent que de macabres caricatures (Corée du Nord, Nicaragua, Venezuela), des échecs bureaucratiques (Cuba) ou masqués en succès capitalistes (Chine, Vietnam) ou échecs capitalistes (Russie, Europe de l'Est) pour qu'apparaisse dans la brume de la conjoncture les signes d'un renouveau.
Depuis décembre 2010 en Tunisie, les soulèvements populaires de grande ampleur et soutenus se succèdent les uns après les autres, du « printemps arabe » à ceux de la génération Z (Sri Lanka, Bangladesh, Népal, Madagascar, Pérou, Maroc) dans lesquels se distinguent les femmes et auxquels participent les LGBTQ+. Faute d'être canalisés par une gauche encore gangrenée par le « socialisme du XXe siècle » devenu un rétrograde « campisme », ces soulèvements n'aboutissent qu'à des changements superficiels, souvent régressifs et parfois catastrophiques (Soudan). Il n'en reste pas moins que ces soulèvements annoncent une recomposition écosocialiste reflétant le riche pluralisme social et politique des peuplestravailleurs et s'inspirant des préoccupations, besoins et modes d'organisation féministes devenant écoféministes.
Rien ne dit que le syndicalisme ne saura pas se renouveler par une profonde démocratisation antibureaucratique et rien ne dit non plus que les nouveaux mouvements sociaux sauront dépasser l'horizontaliste incité par les réseaux sociaux mais peu propice à dépasser la spontanéité et facilitant à la longue une implicite direction non-redevable.
| 20. L'impérialisme génocidaire | le soutien aux peuples en lutte pour leur libération par tous les moyens nécessaires y compris par les armes s'il le faut. |
C'est une vérité de La Palice que de constater le globalisme inhérent à la crise climatique. On le constate tout autant en ce qui concerne l'économie et le mode de vie sous influence de l'American Way of Life auquel aspire l'émergente « classe moyenne » mondiale. Le mode de vie traditionnel c'est l'affaire des pauvres… une bonne moitié de la population mondiale qui n'émet que 10% des GES mondiaux (Oxfam) tandis que la classe riche (10%) en émet 50% et la « classe moyenne » (40%) le 40% restant. Cette « classe moyenne », majoritaire dans les pays du vieil impérialisme et happant une grande partie du prolétariat organisé, est prise en sandwich entre les riches s'en remettant à la gouvernance oligarchique (le 1% si ce n'est le 0,1%) et la masse des pauvres de plus en plus visible dans laquelle elle ne veut pas sombrer.
Apeurée par le néolibéralisation de plus en plus autoritaire du monde répandant la misère, cette « classe moyenne » se crispe sur ses acquis et mue en un bloc conservateur faute d'une gauche crédible en mesure de renouveler sa vision du monde. Elle devient l'otage de forces politiques brouillant la responsabilité du puissant 1% oligarchique difficile à renverser. Ces forces de droite se radicalisant de plus en plus jusqu'au néofascisme leur offrent en pâture des boucs émissaires faciles à réprimer dont l'immigration racisée est le paratonnerre. Cette crispation conservatrice s'étend au maintien du mode de vie cristallisé dans la famille traditionnelle donc aux dépens des femmes, du moins de celles voulant se libérer de ce modèle, et de la plupart des LGBTQ+ qui ne s'y reconnaisse pas. Ainsi s'explique la relative paralysie politique des pays du vieil impérialisme vis-à-vis la myriade de soulèvements des pays du Sud depuis 2010 principalement impulsés par une jeunesse instruite et sans travail.
| 21. Les migrations | une frontière ouverte avec une politique d'accueil intégrante au sein d'une société de plein emploi écologique et socialement utile. |
La polycrise mondiale, dont l'axe d'empirement est l'envenimement exponentiel de la crise climatique, se décline tant en guerres devenant génocidaires comme en misère devenant majoritaire. Comme cette polycrise frappe davantage les pays du Sud déjà affaiblis par l'impérialisme soutenant des régimes militaro-répressifs à sa solde, elle démultiplie les migrations surtout vers d'autres régions du même pays et vers d'autres pays du Sud. C'est toutefois la minorité voulant émigrer au Nord, la plus jeune et entreprenante, qui chamboule la politique des pays du vieil impérialisme. Elle est pourtant un précieux apport de renouvèlement tant démographique que socio-économique. Au lieu d'un racisme austéritaire, il n'y faut qu'une politique d'accueil et d'intégration ce qui exige à l'interne une politique de plein emploi écologique adossée à une société du soin et du lien à décroissance matérielle.
Une telle politique internationaliste unifie le peuple-travailleur tant de facto que consciemment alors que le racisme ne le fait que de facto tout en le divisant socialement et politiquement. L'impossible blocage des frontières, qui n'est pas plus dans l'intérêt des écosocialistes que du patronat, ne fait que créer une masse de prolétaires sans droits corvéable à merci. Cette masse exclue mène inexorablement à l'abaissement des conditions de travail de toute la classe. Si par contre elle est incluse par une politique internationaliste, elle unit l'ensemble de la classe dans un combat commun contre le patronat et leurs gouvernements.
Cette unité combative crée les conditions d'une politique extérieure antiimpérialiste soutenant tant les luttes de libération nationale, y compris en armes s'il le faut, qu'une politique de développement socio-économique compensatoire de l'historique pillage écologique et de la surexploitation du peuple-travailleur en commençant par l'effacement de la dette extérieure publique et privée des pays du Sud.
En réaction à ce commenté programme de combat, les réalo-réalistes objecteront qu'on a autre chose à faire que de rêver en couleurs. Pourtant le besoin d'une alternative n'a jamais été aussi pressant. Chamboulé par le trumpisme auquel, sous le masque du nationalisme canadien, s'adapte le gouvernement Libéral fédéral, la CAQ, avec le PQ qui se prépare à prendre le relais, s'enlisent dans un trumpisme soft pervertissant à droite-toute un nationalisme qui a historiquement été progressiste depuis la Révolution tranquille. Qu'on y songe, la cause indépendantiste risque d'y périr corps et âme que ce soit à la suite de l'effondrement du bluff péquiste ou de sa troisième et dernière prise référendaire, ou pire encore, d'une improbable victoire d'un Québec indépendant réduit à une satrapie à la remorque du trumpisme.
Urgentes, certes, sont les luttes socio-économiques pour le logement et contre la vie chère tout comme l'impérieuse nécessité des luttes démocratiques contre le néofascisme anti-immigrant et anti-autochtone et ses guerres génocidaires. Ce n'est pas une excuse, ce que souhaitent patronat et gouvernements, pour balayer à l'arrière-scène l'impérieuse lutte écologique dont celle climatique, contradiction centrale du XXIe siècle. Elles doivent au contraire concrètement s'y articuler comme le propose ce programme de combat « Pour une société du soin et du lien en décroissance matérielle ». Ce programme en devient la lumière au bout du tunnel qui galvanise ces dures luttes défensives contre une droite qui perd toute retenue humaniste sous prétexte d'ultra-nationalisme, antichambre du fascisme, comme alternative suicidaire au néolibéralisme « austoritaire ».
La proposition de programme Solidaire à adopter au congrès du début novembre tente de noyer le poisson de la centralité de la crise climatique devenue la crise de la civilisation et même celle existentielle de l'humanité. Il s'affiche par son style technocratique et sa longueur comme programme de gouvernement, bien lointain, et non de combat. D'importants amendements concernant la décroissance et la socialisation viendront peut-être atténuer l'affaire mais sans changer la donne. D'autant plus que ces amendements sont ambigus. La décroissance y est présentée comme générale et non seulement matérielle mais sans lien avec une critique de la consommation de masse dont les piliers sont la « villa campagnarde » et l'auto solo. Le rapport avec la transformation de l'agriculture est absent. Aucune connexion n'est faite avec l'écoféministe société du soin et du lien. La différence entre socialisation et nationalisation reste floue surtout eu égard à la proposition principale.
Marc Bonhomme, 25 octobre 2025
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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Les débats en cours au congrès de Québec solidaire sur l’actualisation du programme
Le congrès de Québec solidaire, qui se tiendra à Québec les 7, 8 et 9 novembre prochains, vise essentiellement à réactualiser le programme du parti. Cette réactualisation se fait très rapidement. Alors que Québec solidaire avait mis dix ans à produire, dans une série de congrès, le programme actuel, les associations locales, les Comités d'actions politiques et les différentes instances du parti ont reçu le Cahier de propositions le 8 septembre. C'est à partir de ce cahier que les membres ont été invité·es à élaborer des amendements ou de nouvelles propositions. Ces dernières ont été traitées par un Comité de synthèse, qui a ensuite retourné le document aux membres le 23 octobre 2025. Les différentes délégations disposaient d'à peine plus de deux semaines pour prendre position. Ce n'était pas un mince travail, car le Cahier de synthèse compte 66 pages et les huit blocs suivants seront soumis à la discussion au congrès : 1. Économie et transition socioécologique ; 2. Habitation, énergie, ressources naturelles et travail ; 3. Santé et services sociaux ; 4. Fiscalité, famille, éducation et justice ; 5.Culture et démocratie ; 6. Indépendance et altermondialisme ; 7. Féminisme, identités sexuelles et genre, peuples autochtones ; 8. Immigration, inclusion et langue française. Les débats sont nombreux. Le travail à abattre est colossal. Le temps disponible pour une réflexion approfondie sur les différents enjeux sera sans doute insuffisant. Nous tentons ici d'identifier rapidement les principaux enjeux et leur importance, sans pouvoir, bien sûr, aborder toutes les propositions soumises au débat.
Bloc 1 — Économie et transition socioécologique
Le premier bloc articule une vision où la crise climatique et la transition socioécologique constituent la base d'un nouveau modèle économique. La thèse centrale du texte initial Programme actualisé) est que les dérèglements climatiques sont à la racine des crises multiples et qu'ils exigent un redéploiement des priorités économiques autour d'une « économie verte et solidaire ».
La proposition 1.3 (Option B) du CAP écologiste, du CAP Indépendance du Québec et de l'Association de Viau vise à radicaliser cette orientation en reliant explicitement l'effondrement de la biodiversité et la crise écologique à la logique capitaliste. Cet amendement incarne la ligne de rupture, car il identifie clairement la logique capitaliste comme cause de la destruction du vivant.
L'opposition entre les versions « coordination nationale » et « CAP écologiste » ne porte pas sur les constats écologiques, mais sur le niveau de confrontation avec le capitalisme. Alors que la version officielle reste centrée sur la protection et la préservation, la proposition 1.8, Option B, introduit la critique de la surproduction, du gaspillage et des industries destructrices (armes, obsolescence programmée, luxe). Ces propositions visent à inscrire explicitement le programme dans une logique de décroissance planifiée et de sobriété collective.
Sur le plan institutionnel, la tension principale réside entre une approche axée sur le développement de l'économie sociale et une approche de socialisation démocratique des grands secteurs économiques.
Plusieurs associations (1.13 – CAP écologiste, CAP Indépendance et NDG) réclament la remise en question de la propriété privée des grands moyens de production et la socialisation des monopoles stratégiques — notamment les banques, l'énergie et les grandes entreprises minières et forestières — sous contrôle populaire décentralisé. Cet amendement définit une ligne de rupture anticapitaliste, en opposition aux amendements plus modérés qui limitent la transformation à un élargissement du modèle coopératif ou collectif.
Le débat sur les critères à appliquer en cas de nationalisation illustre cette tension : d'un côté, une vision centrée sur des critères économiques (caractère stratégique des entreprises, capital nécessaire de l'État, échec du privé) ; de l'autre, une vision politique fondée sur la souveraineté populaire, l'emploi et la transition écologique (1.16). Les propositions les plus radicales plaident pour la nationalisation sans compensation, notamment dans les secteurs minier et énergétique, accompagnée d'un contrôle démocratique des travailleurs, des travailleuses et des citoyen·nes.
Les amendements sur l'entrepreneuriat (1.2.2) prolongent ce clivage : la version initiale tend à valoriser les PME comme moteur du développement local, tandis que les CAP écologiste et intersyndical dénoncent l'intégration du capital québécois aux logiques extractives et fossiles. Leurs propositions appellent à différencier les orientations économiques selon les secteurs (PME, grandes entreprises, capital extractif) et à nationaliser/socialiser le secteur industriel des grandes entreprises pour le mobiliser au service de la transition énergétique.
Enfin, les propositions sur la gouvernance territoriale (création de Conseils régionaux de transition) visent à décentraliser la planification écologique et à démocratiser les choix d'investissement. Elles introduisent une dimension nouvelle de planification démocratique régionale.
Bloc 2 — Habitation, énergie, ressources naturelles et travail
Le deuxième bloc relie les questions du territoire, de l'énergie et de l'habitation à celle de la souveraineté populaire sur les ressources. La thèse de fond est celle d'un habiter écologique et collectif du territoire, conciliant logement, biodiversité et aménagement démocratique. Les amendements introduisent des précisions importantes : protection de 30 % du territoire, création d'un service public de la biodiversité, reconnaissance juridique d'entités naturelles comme le fleuve Saint-Laurent. Ces propositions traduisent un déplacement vers une approche écocentrée du droit, où le vivant devient sujet de droit et non simple ressource.
Sur l'habitation, les divergences sont plus modestes : le débat se limite à des reformulations autour de la lutte contre la spéculation immobilière, de la régulation du marché locatif et de la part du revenu consacrée au logement (30 % ou 25 %). L'esprit général demeure celui du logement comme droit social, avec un accent sur les modèles communautaires, coopératifs et intergénérationnels.
C'est dans le domaine énergétique et des ressources naturelles que les clivages sont les plus nets. Les propositions du CAP écologiste et de Jean-Lesage appellent à la nationalisation complète du secteur énergétique, à la création de micro réseaux municipaux publics, au refus de toute relance nucléaire et à la socialisation des entreprises œuvrant dans les énergies fossiles. Elles insistent sur la planification industrielle et la réduction radicale de la consommation d'énergie. La version officielle, plus prudente, parle plutôt de revaloriser les énergies renouvelables et de renforcer la résilience du réseau, sans remettre en cause la structure de propriété.
Le même débat traverse la section sur les mines et forêts : plusieurs amendements demandent le passage sous contrôle démocratique, l'expropriation sans compensation des multinationales et la gestion publique des forêts par les travailleur·euses, les communautés locales et les Premières Nations. Ces propositions visent une véritable socialisation des ressources, alors que le texte de base reste dans une optique de régulation publique.
Les amendements introduisent aussi la reconnaissance des droits des Premières Nations et la cogestion territoriale comme conditions de la transition.
Enfin, sur le travail, les amendements au chapitre Humaniser le travail soutiennent une réduction immédiate du temps de travail à 35 heures, puis à 32 heures, avec maintien du salaire, égalité des droits pour le temps partiel et extension des congés parentaux. La transition socioécologique s'y lie à la reconquête du temps de vie, dans une perspective féministe et antiproductiviste.
Bloc 3 — Santé et services sociaux
Le troisième bloc renoue avec la tradition de la santé publique universelle et de la prévention sociale. Le texte de base affirme que la santé passe par la lutte contre la pauvreté et le renforcement des services de proximité, notamment les CLSC. Les amendements de Notre-Dame-de-Grâce introduisent une orientation plus interventionniste : interdiction graduelle de la publicité sur les produits nocifs (alcool, tabac, jeu, véhicules polluants), traduisant une volonté de réencadrer culturellement la consommation dans une optique de santé publique.
Les amendements les plus nombreux de ce bloc concernent la reconnaissance des médecines traditionnelles. Plusieurs options s'affrontent :
• certaines (Options A, E, F) veulent reconnaître les savoirs millénaires, notamment autochtones, dans une logique de sécurisation culturelle ;
• d'autres (Options B, G) insistent sur la validation scientifique et la réglementation de ces pratiques ;
• une dernière (Option D) exige l'approbation des autorités compétentes avant intégration au système public.
Ces divergences traduisent un clivage entre une approche pluraliste et décoloniale de la santé et une approche rationaliste et scientifique stricte. L'option B (Rouyn-Noranda) cherche un équilibre en intégrant ces pratiques sous évaluation publique — une forme d'ouverture contrôlée, innovante, sans rupture. Cette ligne propose un pluralisme responsable, tandis que celle de l'option la plus prudente (G) maintiendrait une santé publique plus conservatrice.
Bloc 4 — Fiscalité, familles, éducation et justice
Le texte original du Programme actualisé réaffirme la vision d'un État solidaire, fort et revitalisé, garant de la justice sociale et du financement adéquat des services publics. Le texte insiste sur la reconnaissance de l'action communautaire autonome, dont il entend respecter l'autonomie tout en assurant un financement stable à la mission des organismes. Plusieurs amendements soulignent le refus explicite de toute austérité, affirmant que l'investissement social n'est pas un luxe, mais une nécessité pour assurer la cohésion et la dignité collectives.
La section sur la fiscalité met l'accent sur une redistribution plus équitable des richesses et sur la lutte contre la pauvreté. En santé, le programme défend une approche globale centrée sur la prévention, l'accessibilité, la décentralisation, l'interdisciplinarité et l'universalité des soins, incluant un accès universel aux médicaments et une approche féministe et inclusive.
La réforme du filet social vise à assurer des services sociaux de qualité et accessibles, à revaloriser la protection de la jeunesse et à renforcer la sécurité résidentielle. La politique familiale proposée se veut inclusive, articulée autour de l'égalité dès la petite enfance, de la reconnaissance de la diversité des formes familiales et du droit de vieillir dans la dignité.
En matière d'éducation, QS réaffirme que l'égalité passe par un accès universel au savoir. La gratuité scolaire complète, de la petite enfance à l'université, fait l'objet d'un débat majeur : certaines propositions étendent la gratuité à tous les ordres d'enseignement, incluant la formation professionnelle et la francisation, tandis que d'autres insistent sur une priorisation progressive selon les capacités de l'État. Les discussions autour de la fin de l'école à trois vitesses témoignent d'une volonté commune d'unifier le réseau scolaire, mais des divergences subsistent sur le statut des écoles privées et sur les mesures concrètes pour garantir la réussite de toustes les élèves, notamment ceux et celles en difficulté (HDAA). Les amendements oscillent entre des formulations plus inclusives et d'autres plus normatives, sans opposition idéologique nette.
La section sur la justice est globalement consensuelle. Les modifications proposées portent surtout sur le rôle de la police : plusieurs contributions insistent pour que la force policière soit comprise comme un instrument de protection et non de répression, tout en reconnaissant les problématiques spécifiques vécues par les minorités racisées et nationales.
Bloc 5 — Culture et démocratie
Le programme réaffirme la vision d'une culture en commun, appuyée sur un réseau public de bibliothèques, de maisons de la culture et d'institutions locales ouvertes à la communauté. L'ajout d'une dimension de réutilisation du patrimoine bâti à des fins sociales et communautaires (logement social, hébergement d'organismes) reflète une conception de la culture ancrée dans le tissu vivant des collectivités plutôt que limitée à la conservation patrimoniale. Ces ajouts font consensus.
Sur le plan démocratique, Québec solidaire défend une réforme du mode de scrutin et de la carte électorale visant à renforcer l'équité et la représentation territoriale, tout en préservant l'indépendance des institutions électorales. Deux propositions concurrentes sur le droit de vote des personnes immigrantes cristallisent un clivage :
• la première (5.13, option A) l'accorde aux personnes ayant obtenu la résidence permanente depuis au moins deux ans ;
• la seconde (5.15, option B) l'étend aux personnes ayant déposé une demande de résidence permanente. Cette dernière est perçue comme plus inclusive.
Les sections sur la décentralisation et la laïcité reprennent les orientations du programme actuel. Un ajout important de Hull (5.18) condamne explicitement le détournement réactionnaire de la laïcité utilisé pour stigmatiser les minorités, notamment les femmes musulmanes, recentrant la laïcité sur ses fondements d'égalité et d'émancipation. Cet ajout se démarque de la rhétorique de la CAQ et du PQ en réaffirmant la laïcité inclusive et antiraciste de QS.
Bloc 6 — Indépendance et altermondialisme
Le chapitre sur l'indépendance articule une conception populaire, féministe et inclusive du projet de pays. Le texte du Programme actualisé propose d'associer l'ensemble des composantes sociales du Québec à la démarche constituante et de garantir les droits des personnes pendant la période de transition, incluant la protection des travailleuses et travailleurs fédéraux, des programmes sociaux et des statuts des personnes immigrantes.
Le débat majeur porte sur la composition et le mode de désignation de l'Assemblée constituante. Les propositions varient entre un tirage au sort, une élection au suffrage universel et des amendements qui proposent de ne pas se prononcer actuellement sur le sujet. La synthèse privilégie l'élection démocratique avec parité de genre et représentation proportionnelle de la diversité sociale, afin d'éviter la dépolitisation de l'exercice.
Les différentes options stratégiques pour la construction d'une majorité indépendantiste (A à F) ne reflètent pas de clivage de fond, mais des nuances d'expression. Elles convergent vers une vision de l'indépendance comme projet de société de rupture, anticapitaliste, anticolonial, écologique et démocratique, arrimé aux luttes sociales et aux mouvements populaires. L'enjeu principal demeure la manière de transformer la mobilisation sociale en force politique réelle. Présenter six options en discussion alors que celles-ci partagent la même orientation, comme cela se reflète dans les argumentaires, est difficilement compréhensible.
La dimension altermondialiste du Programme actualisé vise à inscrire un Québec indépendant dans un ordre mondial fondé sur la paix, la solidarité et la souveraineté des peuples. Les amendements principaux (CAP altermondialiste) renforcent cette orientation : l'option B maintient la ligne historique de QS, opposée à la participation à l'OTAN ou au NORAD et favorable à une refonte démocratique de l'ONU. Ce choix explicite marque une fidélité au pacifisme internationaliste du parti et rejette les formulations jugées trop vagues.
Bloc 7 — Féminisme, identités et peuples autochtones
Le Programme actualisé réaffirme la construction d'un Québec féministe et inclusif, intégrant la pluralité des genres. Les reformulations visent à actualiser le langage sans modifier la direction politique. L'amendement 7.4 (Jean-Lesage) introduit une rupture majeure : la reconnaissance de l'écoféminisme. En articulant patriarcat, capitalisme et destruction de la nature, cette proposition relie les luttes des femmes à la critique systémique de l'économie politique. Elle déplace le féminisme de l'égalité formelle vers une analyse de la reproduction sociale, du travail gratuit et de la domination violente — une vision révolutionnaire du care comme fondement du commun. Cette articulation entre féminisme, écologie et économie du soin renforce la cohérence du programme solidaire autour du prendre soin comme principe organisateur d'une société égalitaire.
Bloc 8 — Immigration, inclusion et langue française
Le bloc sur l'immigration met de l'avant une conception plurielle et inclusive du Québec, opposée à toute forme de racisme, de transphobie et de capacitisme. La proposition 8.6 (Comité de coordination national) est une proposition de rupture : elle critique les politiques migratoires dictées par le marché et redéfinit l'immigration dans une logique solidaire et planifiée, refusant la notion instrumentale de « capacité d'accueil ».
À l'inverse, la 8.8 (Hull) demeure purement quantitative et n'opère pas la rupture nécessaire avec la notion de capacité d'accueil.
Les propositions 8.11 à 8.13 convergent vers une intégration inclusive, mais c'est la 8.12 (CAP écologiste) qui maintient la dimension communautaire et territoriale. Enfin, la 8.15 (Jean-Lesage, CAP écologiste) défend la régularisation massive des sans-papiers, position de rupture démocratique fondamentale.
Les amendements précisent que la langue française est à la fois instrument démocratique et socle du projet collectif, et que l'État doit garantir à chacun·e les moyens de l'apprendre. En matière d'intégration, les propositions convergent vers un modèle régionalement différencié, mais centré sur le financement adéquat des organismes communautaires.
Une proposition importante, 8.15 (Jean-Lesage, CAP écologiste), défend la régularisation massive des sans-papiers et l'égalité de droits entre toutes les personnes résidant au Québec, consacrant ainsi la vision universaliste de QS d'une citoyenneté fondée sur la résidence et la participation plutôt que sur le statut administratif.
En somme
L'analyse des blocs 1 à 3 fait apparaître deux orientations divergentes :
1. Une orientation écosociale, qui privilégie la régulation publique, l'économie sociale et la transition progressive ;
2. Une orientation éco-socialiste de rupture, portée par plusieurs CAP (écologiste, indépendance, Jean-Lesage, Viau, etc.), qui prône la socialisation des secteurs stratégiques, la planification démocratique décentralisée et la confrontation explicite avec le capitalisme extractif.
Au niveau de son orientation économique et écologiste, le congrès de 2025 devra trancher entre une transition verte ou sa définition comme un parti de transformation anticapitaliste, démocratique et populaire de l'économie et de l'État québécois.
Les blocs 4 à 8 du Programme actualisé témoignent d'un resserrement du projet solidaire autour de trois axes :
1. Un État social fort, garant de la redistribution, de la justice et des services publics accessibles ;
2. Une démocratie inclusive et décentralisée, reconnaissant la pluralité nationale, culturelle et territoriale du Québec ;
3. Une indépendance populaire et altermondialiste, inséparable des luttes féministes, écologiques, antiracistes et autochtones.
Les divergences entre amendements dans les blocs 4 à 8 ne traduisent pas des ruptures idéologiques profondes, mais des choix significatifs entre des formulations techniques et d'autres plus militantes, entre la volonté de clarté stratégique et la prudence institutionnelle.
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« Ve République à l’agonie. Et maintenant ? » avec R. Grams, A. Kazib, S. Kouvélakis, E. Mérieau, E. Marcel 13/10/2025
La démission de Sébastien Lecornu est le dernier symptôme d'une crise politique profonde. Quelques semaines après une rentrée sociale mouvementée, le pouvoir est face à une impasse et Macron se retrouve à nouveau en première ligne de la colère. Dans un contexte internationale convulsif, quelles issues face à cette situation ? Une émission enregistrée en direct au Baranoux avec Anasse Kazib, Eugénie Mérieau, Stathis Kouvélakis, Elsa Marcel, Rob Grams et Paul Morao.

ÉROS CRÉATIF de Stéphane Crête En librairie le 11 novembre
L'auteur se met à nu sur sa quête spirituelle et sexuelle, en lien avec la création.
Éros créatif retrace le parcours d'un homme en quête de sens dans sa vie sexuelle. À travers quinze tentatives d'écriture — essais, récits, contes ou fictions —, Stéphane Crête explore les multiples visages de l'éros et sa rencontre possible avec le mystère, la créativité, la spiritualité et la liberté intérieure.
Chaque texte est suivi d'une réflexion sur le processus d'écriture, les résistances rencontrées et les tabous soulevés. Ce livre témoigne ainsi d'un double cheminement : celui d'une parole qui cherche à émerger, et celui d'une sexualité qui se veut plus consciente, créative et libre des conditionnements.
Nourri par la pensée queer, le tantrisme, la psychologie archétypale et le mythe du héros, Éros créatif propose une voie originale pour réinventer notre rapport à l'intimité et au désir.
Un ouvrage à la fois sensible, drôle et lucide, destiné à toutes celles et ceux qui souhaitent remettre du sens, de la beauté et de la liberté dans leur vie sexuelle.
L'auteur
Artiste bien connu du grand public pour ses rôles à la télé et au cinéma, Stéphane Crête est également auteur, enseignant et ritualiste. En plus d'avoir publié plusieurs textes de théâtre, sa bibliographie compte également le recueil Bien faire et se tenir en joie (Somme toute, 2023) et l'essai Marquer le temps, entre profane et sacré, la recherche de nouveaux rituels (Le Jour, 2021). Éros créatif est son 8e ouvrage. Il habite en campagne, dans la région de Lanaudière.
Extrait - Éros créatif
« Une dernière chose. Bien que l'essentiel de ce livre pointe vers la lumière, il m'est impensable de ne prétendre qu'à la pureté. Dans mon parcours sexuel, le trivial a côtoyé le mystérieux, le vulgaire a cohabité avec le sublime. C'est cette danse qui caractérise le mieux mon chemin et je souhaite en rendre compte ici. Je serai sans doute trop obscène pour les uns, pas assez sulfureux pour les autres. Qu'importe. Puisque l'un de mes grands chantiers consiste à transcender les dualités, je choisis dès lors d'embrasser la grossièreté comme la grâce. » Stéphane Crête
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Rallumer le phare : la FQPPU invite la population à signer massivement la pétition déposée à l’Assemblée nationale pour protéger la mission universitaire
EN BREF : - - -
Une pétition pour restaurer et protéger la mission universitaire. La FQPPU lance un
appel à la population pour signer massivement la pétition déposée à l'Assemblée
nationale, un geste démocratique fort pour défendre le financement public, la liberté
académique, l'autonomie institutionnelle et la collégialité des universités québécoises.
Une réponse à une crise mondiale des universités. Dans un contexte international où
la liberté d'enseignement et la recherche subissent des ingérences politiques et
économiques croissantes — comme le révèlent l'Academic Freedom Index et le dernier
rapport de Scholars at Risk —, la FQPPU alerte sur la nécessité de restaurer l'université
comme lieu de pensée libre et de débat éclairé.
Un engagement collectif et durable. Portée par cinq piliers — financement public, liberté
académique, collégialité, autonomie institutionnelle et lutte contre la marchandisation du
savoir —, la campagne Rallumer le phare amorce un mouvement universitaire et citoyen
de longue haleine pour maintenir vivante la mission d'intérêt public de l'université au
Québec.
Montréal, le 27 octobre 2025 — Face à la régression mondiale de la liberté académique, la
Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU) lance une pétition déposée à l'Assemblée nationale pour protéger l'université québécoise.
Dans un contexte mondial où la mission d'intérêt public de l'université se trouve menacée par
des logiques politiques, idéologiques et économiques, la FQPPU invite ainsi la population à
rallumer le phare et à se mobiliser pour défendre son financement, la liberté académique de ses communautés, l'autonomie de ses établissements et la collégialité de sa gouvernance.
Partout dans le monde, la capacité des universités à remplir leur mission est en danger. Le plus récent Academic Freedom Index constate une baisse significative de la liberté académique dans 34 pays au cours de la dernière décennie, y compris dans des démocraties établies qu'on croyait à l'abri de telles menaces, en raison de la montée des forces anti-pluralistes et de la politisation des savoirs.
Le rapport Free to Think 2025de Scholars at Risk dresse le même constat. La liberté d'enseignement, la diffusion des idées et l'autonomie institutionnelle sont fragilisées par des ingérences politiques, des pressions économiques et des attaques contre les chercheuses et chercheurs. Selon l'organisme, nous vivons actuellement « une crise mondiale de la liberté académique ».
Au Québec comme ailleurs, ces tendances menacent le rôle de l'université en tant que lieu de
pensée libre et de débat éclairé. Bien qu'ici la Loi sur la liberté académique dans le milieu
universitaire reconnaisse désormais ce droit, son exercice demeure fragile à plusieurs égards.
Des ingérences politiques au sein d'institutions d'enseignement supérieur ont assombri les
dernières années. De plus, le gel et les compressions budgétaires imposés aux universités,
combinés à la chute historique de 46 % en moyenne des demandes d'admission d'étudiantes et d'étudiants internationaux après que le gouvernement leur ait fermé la porte, plongent l'ensemble de nos établissements dans une situation extrêmement précaire.
La pétition déposée à l'Assemblée nationale se veut un geste démocratique fort pour inverser
cette dérive et réaffirmer la valeur de l'université comme bien commun. Les dérapages ayant
présentement lieu au sud de nos frontières le montrent de façon exemplaire : c'est l'avenir des générations à venir, de notre démocratie et de notre capacité collective à penser librement qui est en jeu.
Rallumer ensemble le pharede l'université Chaque signature compte. Chaque nom ajouté à cette pétition envoie un message clair et sans équivoque aux politiques sur l'importance de la mission universitaire pour éclairer notre présent et contribuer à trouver des solutions pour l'avenir, dans un contexte marqué par des crises sociales et environnementales sans précédent.
« L'université n'est ni un instrument à la disposition des partis politiques ni une entreprise qui sert des intérêts privés », rappelle Madeleine Pastinelli, présidente de la FQPPU « C'est un lieu de pensée libre et de débat, un phare collectif qui éclaire nos sociétés et nous permet d'imaginer d'autres possibles. Signer cette pétition, c'est exiger que ce phare continue de briller. »
Pour Fasal Kanouté, vice-présidente de la FQPPU, « ce geste simple est un acte de solidarité
envers celles et ceux qui enseignent, cherchent et transmettent le savoir dans un contexte de
plus en plus difficile. C'est aussi une façon d'affirmer notre volonté de bâtir une université
accessible à toutes et à tous, une université inclusive et tournée vers le bien commun. »
La campagne Rallumer le phare s'articule autour de cinq piliers essentiels à la mission
universitaire : un financement public adéquat et durable, la protection intégrale de la liberté
académique, une gouvernance collégiale authentique, une autonomie institutionnelle réelle et un front commun contre la marchandisation du savoir.
Cette pétition n'en constitue que la première étape. Elle ouvre un vaste chantier collectif —
universitaire et citoyen — pour restaurer et protéger durablement la mission d'intérêt public de nos universités. Car rallumer le phare, c'est aussi s'engager à le maintenir allumé, ensemble, pour les générations à venir.
Depuis 1991, la FQPPU est l'instance de concertation et de représentation du corps
professoral universitaire québécois.
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Oser prendre un cours plus à gauche !
À l'heure où se profilent chez nos voisins du sud d'inquiétantes menaces autoritaires ; à l'heure où le gouvernement Legault aux abois impose l'austérité et un tournant de la loi et l'ordre aggravé de replis identitaires, il est temps que puissent se faire mieux entendre au Québec les voix et aspirations du monde ordinaire et des classes populaires. Et cela, autant dans les mille et une interventions de la société civile que dans le monde de la politique institutionnelle !
Il est donc temps que Québec solidaire puisse retrouver l'élan critique qui le caractérisait à ses origines, lui qui, né en 2006, se voulait être un parti autant des urnes et de la rue, en se faisant sans concession l'écho et le soutien des luttes sociales, féministes, écologistes et altermondialistes du moment. Et ce n'était pas rien que puisse exister au Québec une telle force collective, un tel parti de gauche capable de rivaliser avec l'ADQ (l'ancêtre de la CAQ) tout en proposant une alternative solidaire aux politiques néolibérales proposées par Jean Charest. Un indéniable pas en avant !
C'est en résumé le point de vue du Parti de la rue, un regroupement très actif de membres et de militants/tes qui persistent et signent : demeurer actif et militer au sein de QS en alimentant l'idée que ce parti prenne à l'avenir un cours plus à gauche et plus en phase avec les défis qui se dressent devant lui, notamment à l'heure où la crise climatique atteint des niveaux records.
Les faux pas de QS
Il est vrai qu'à partir de 2017/2018, sans doute par empressement et par manque d'expérience, Québec solidaire a commencé à perdre la boussole qui était la sienne. Incapable d'instaurer en son sein des débats politiques sains et approfondis, peinant en même temps à gérer de manière harmonieuse les rapports entre l'aile parlementaire et la base militante, sa direction s'est peu à peu empêtrée dans des conflits interpersonnels, tout en s'orientant —tangente communicationnelle oblige— vers un recentrage électoraliste, espérant du même coup faire du parti, un parti de gouvernement à relativement court terme.
En fait, c'était aller trop vite en besogne et ne pas saisir l'importance des multiples défis de transformation sociale qui pèsent sur la société québécoise, tant en termes de transition écologique que de luttes aux inégalités sociales grandissantes ou encore de conquêtes de souveraineté et de résistances à l'autoritarisme grandissant. Surtout c'était oublier que ces transformations si nécessaires ne pourront voir le jour que si de larges secteurs de la population se remettent en mouvement, que si les mouvements sociaux du Québec, parviennent à se remobiliser ensemble autour d'un grand projet politique capable de rassembler tous ces enjeux socio-politiques de fond.
Un virage en profondeur
Les défis sont donc considérables, et d'abord au sein même de QS. Ils exigent que le parti loin des formules toutes faites s'interroge de manière transparente sur ses bons coups et moins bon coups passés. Ils exigent aussi que le parti effectue un virage en profondeur autour de la mobilisation sociale et de la lutte contre le désordre établi actuel, lui permettant d'être, dans cette conjoncture si difficile et inquiétante, ce parti des urnes et de la rue qui redonne au peuple du Québec le goût de l'audace et de la lutte collective, et pourquoi pas dans la conjoncture actuelle, d'une indépendance plurielle, inclusive et authentiquement populaire.
Il est vrai que Québec solidaire se trouve à la veille d'un nouveau congrès qui, début novembre statuera sur un nouveau programme et lui donnera l'occasion de faire connaître quel sera son nouveau porte parole masculin. Mais c'est le constat qu'il faut faire : rien de ce qui se discute actuellement touchant à l'actualisation du programme de QS, rien non plus de ce qui se débat entre les candidats en lice, ne donne l'impression qu'un tel virage se prépare. Comme si, en dépit de tout, l'électoralisme communicationnel continuait à coller à la peau du parti. Et qu'on ne voulait pas prendre la mesure des défis posés par la conjoncture ainsi que des changements de fond à effectuer.
Comme pour la marche mondiale des femmes
Certes, c'est là un problème qui n'est pas propre au Québec, mais à la gauche en général et quel que soit le pays où elle se trouve. Il reste que devant la montée si préoccupante de la droite et de la droite-extrême, c'est tout à la fois à travers un positionnement beaucoup plus radical et ferme en termes de grandes orientations stratégiques, et une grande souplesse dans les formes de luttes à encourager et à relancer que la gauche pourra aider au regroupement et à la remise en mouvement des forces sociales progressistes. Un peu comme l'ont fait les organisatrices de la marche mondiale des femmes le 15 octobre dernier, qui sans rien céder sur leurs revendications propres n'en ont pas moins tenu un discours tout à la fois radical et rassembleur. Avec le réconfort et l'allégresse que l'on sait !
Aussi, contrairement à ce laissent sous-entendre bien des chroniqueurs emportés par le vent de droite, [1] c'est justement en osant prendre un cours plus à gauche, que QS pourra retrouver son élan du passé, regagner bon nombre des militants/es perdus, et partant remonter dans le sondages ainsi que mieux se positionner pour les élections provinciales à venir. Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
[1] Voir notamment la dernière chronique de Michel David passablement inquiétante, qui, à l'unisson du discours médiatique dominant, démolit grossièrement les traditionnelles mesures de gauche, mais sans même prendre la peine d'argumenter autrement que de se référer aux dires de la feu et très conservatrice.... Denise Bombardier. Voir https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/927264/hommage-amie-manon?utm_source=infolettre-2025-10- 23&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

Des citoyens invitent les élus, les candidats et les médias à une marche exploratoire sur le tracé du pipeline d’hydrogène d’Enbridge à Gatineau
Le 24 octobre 2025, l'Association des résidents et résidentes de Buckingham (ARB) a tenu une marche exploratoire sur une partie du tracé proposé pour le projet de la conduite d'hydrogène mené par Enbridge Gaz Québec.
Gatineau, le 27 octobre 2025
L'événement visait à sensibiliser les candidats municipaux, des intervenants en environnement et les médias aux risques associés à ce projet. Le tracé traverse des zones résidentielles denses, des lieux patrimoniaux, des rues avec le passage d'environ 7000 camions lourds par année, des zones susceptibles aux glissements de terrain, des écoles, un poste de police et des résidences pour personnes âgées dans les secteurs de Buckingham et Masson Angers.
« En voyant ce tracé de leurs propres yeux, les candidats et intervenants ont pu observer
l'ampleur du risque et mieux comprendre pourquoi une conduite d'hydrogène n'a pas sa place
dans un quartier résidentiel. Manifestement, le terrain parle de lui-même et ce projet nécessite une étude complète du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). » explique Véronique Santos, administratrice de l'ARB.
Le parcours de la marche comprenait plusieurs arrêts avec témoignages et explications des
membres de l'ARB. Les organisateurs souhaitent également démontrer comment le tracé retenu pour l'hydrogénoduc met en lumière les limites de la gouvernance des grands projets
énergétiques au Québec, où la tentative de décarbonation s'effectue souvent au détriment d'une évaluation environnementale indépendante et rigoureuse. L'hydrogène est un gaz léger, volatile, inodore, avec une flamme invisible à l'œil nu et une plage d'explosivité plus large que celle du méthane.
L'ARB rappelle que les citoyens attendent toujours la réponse du ministre de l'Environnement,
Bernard Drainville, suite à la demande officielle de la Ville de Gatineau visant à soumettre le
projet d'Enbridge à un BAPE. Malgré les invitations transmises, ni le député de Papineau,
Mathieu Lacombe, ni le ministre de l'Environnement, Bernard Drainville, n'étaient présents à la marche. À cela, aucun des candidats de l'Équipe Mario Aubé ne s'est présenté à la marche.
« Les citoyens demeurent dans l'attente d'un geste clair de la part du gouvernement et de la ville de Gatineau afin que la sécurité publique et la transparence prévalent dans l'évaluation de ce projet. » affirme Nicole Carrière-Robitaille, présidente de l'ARB.
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Capital et capitalisme, Contre-révolution, Discussion, Monde, USA Plongeon dans l’idéologie fasciste 2.0
Depuis l'arrivée au pouvoir de Trump II, un nombre croissant de commentaires, d'informations et d'analyses ont été produits, même en langue française, sur les idéologues de la Silicon Valley devenus des extrémistes de droite, mais d'un nouveau genre, ayant joué un rôle décisif dans sa réélection. Cet intérêt s'est fixé d'abord sur Elon Musk mais il est vite apparu qu'Elon Musk n'est, en quelque sorte, que la partie la plus visible d'un iceberg, ou plutôt d'une tribu, de désaxés qui ne sont ni plus ni moins que les types les plus riches du monde.
Tiré d'aplutsoc
Son conflit spectaculaire avec Trump après qu'il a eu lancé le démantèlement de la fonction publique aux Etats-Unis, d'ailleurs suivi d'un rabibochage fragile, tout aussi infantile dans la forme, lors de la cérémonie à grand spectacle à la mémoire de Charlie Kirk, n'a pas mis fin à cette prise de conscience car il s'agit d'une conjonction de forces sociales tout à fait fondamentale, entre la pointe de la pyramide du capital financier, les « capital-risqueurs », et la masse MAGA et religieuse de la base trumpiste, conjonction qui fonctionne avec ou sans Musk.
Parmi les publications parues à ce sujet, signalons surtout des traductions de l'anglais : l'article de Naomie Klein et Astra Taylor, La montée du fascisme de la fin des temps, le livre de Quinn Slobodian, Le capitalisme de l'Apocalypse ou le rêve d'un monde sans démocratie (Seuil 2025, paru en anglais en 2022), ouvrage centré sur le sécessionnisme libertarien et les villes fermées pour riches, et, directement en langue française, Apocalypse Nerds. Comment les techno-fascistes ont pris le pouvoir, éditions Divergences, de Nastasia Hadjaoui et Olivier Tesquet, et, au Seuil, Cyberpunk. Le nouveau pouvoir totalitaire, de Asma Mhalla, et, en remontant un peu en arrière, les travaux du sociologue Fred Turner sur la culture de la Silicon Valley (Aux sources de l'utopie numérique : De la contre culture à la cyberculture, C&F éditions, 2013). Le site Grand continent, qui représente le secteur politico-idéologique libéral qui voudrait ne pas abandonner le libéralisme politique, est une ressource clef, en langue française, et souvent « en temps réel », sur les textes produits par ces messieurs les gourous de la Silicon Valley.
Il commence même à se produire un effet éditorial de mode, auquel il convient de faire attention, car il n'est pas sans cultiver une certaine fascination analogue à celle de l'esthétique futuriste du premier fascisme italien, fascination nourrie par la science-fiction dystopique, qui est, ouvertement, une source d'inspiration pour le gang de Peter Thiel notamment, alors que ses auteurs, s'ils pensaient peut-être dessiner un avenir possible, l'entendaient comme un cauchemar dans le cas de Blade Runner de Philip K. Dick (1966), mais qui, avec Neuromancien de William Gibson (1984), fournit le livre clef de l'idéologie et de l'esthétique « cyberpunk » …
Peter Thiel
Peter Thiel est le principal nom qui émerge sitôt que l'on examine les idéologues de la Silicon Valley et la réaction contemporaine la plus extrême. Il n'est pas le plus connu du grand public (c'est Musk, et Kurtis Yarvin est cité plus souvent par les divers commentateurs), mais il est le plus important, pour trois raisons.
Il est lui-même un capitaliste de tout premier plan de la « tech », ayant fondé PayPal en 1998 avec Max Levchin, puis divers fonds d'investissements en « capital-risque », est devenu le premier investisseur extérieur, et membre du conseil de direction, de Facebook puis Meta, et fonde, en 2004, Palantir, du nom d'une pierre magique chez Tolkien dans le Seigneur des anneaux, principale société de collecte de données individuelles qui travaille notamment avec la police américaine, et sert actuellement à « profiler » migrants et opposants à Trump : interrogé par un journaliste lui demandant si Palantir n'est pas le prête-nom des services US de renseignement, CIA, FBI et NSA, il répondait, avant même l'avènement de Trump II, que c'était l'inverse et que ce sont les agences d'Etat les prête-noms de Palantir !
Deuxième raison de son importance, Thiel est celui qui a mis le pied à l'étrier, coaché ou aidé de manière décisive plusieurs personnages clefs, à commencer par Musk en personne, qui fut son concurrent puis son allié au tournant des XX° et XXI° siècles et dont il a financé notamment le lancement de SpaceX et Starlink. Musk l'a largement dépassé par le capital qu'il a accumulé et sa fortune personnelle, mais Thiel a été un levier clef pour lui. Et c'est probablement lui qui a mis Trump et Musk en relation.
Ses poulains financiers sont aussi des investissements politiques, formés et lancés par lui : en 2022 il finance deux candidats républicains, également placés à la tête d'entreprises de la « tech » et de la distribution, Blake Masters en Arizona, qui ne percera pas, et James David Vance dans l'Ohio, devenu depuis vice-président de Trump, un personnage central, qui déclare aussi avoir été converti au catholicisme par les conférences données par Thiel dans la Silicon Valley, en 2016. Tlon Corp, entreprise du net promouvant le « féodalisme digital », dirigée par le sulfureux Kurtis Yarvin, est également financé par le « capital-risque » de Thiel, et Yarvin est donc un Thiel boy.
Troisième raison : Thiel est probablement le plus gros producteur de thèmes idéologiques, formant au total un ensemble non pas cohérent, mais riche et coloré, d'idées, de fantasmes, de rengaines, dans lesquels s'articulent les éléments du fascisme apocalyptique 2.0. Il y a une « pensée Thiel », même si j'hésite à le qualifier de « penseur » : ses pensées forment, de son point de vue, et comme toute chose selon lui, un capital, voire un « capital-risque », une box dans laquelle puiser pour apporter des munitions au combat mondial du capital contre ses ennemis, qui est pour lui le combat mondial préparant la révélation ultime – l'Apocalypse – contre l'Antéchrist et ses figures. Comme avec la SF dystopique, il est facile de fantasmer sur la « Thiel idéologie » : Apocalypse, fin des temps, surhumanité, les mêmes à la Musk se présentent chez lui avant Musk, sous une forme apparemment raffinée et sérieuse.
Mais pour comprendre à quoi on a réellement affaire – pour comprendre le fascisme 2.0, le fascisme du XXI° siècle, le fascisme qui assume la fin des temps et qui le dit – sans céder à la fabulation verbeuse, la bonne porte d'entrée n'est pas l'Apocalypse de Jean selon Thiel, dont je parlerai, mais plus loin.
Zero to One
La bonne porte d'entrée, c'est une chance, est le petit manuel de « fondateur d'entreprise de capital-risque », qu'un libraire mercantile hésiterait à mettre au rayon « développement personnel » à côté des coachs et des gourous, ou au rayon « économie » façon HEC, qu'a écrit Thiel.
Sorti aux Etats-Unis en 2014, co-signé avec Blake Masters, Zero to One est le seul ouvrage important de Thiel paru en français, en 2016 chez J.C Lattès, collection J'ai lu. Un qui l'a lu et en aurait fait son livre de chevet, n'est autre que Pierre-Edouard Stérin, qui se veut catholique comme lui, et cherche en France à financer l'union des droites, son arrivée au pouvoir et les spectacles façon « Murmures de la Cité ».
Cette porte d'entrée dans la nébuleuse et saugrenue « pensée Thiel » est la bonne, car le capitaliste Thiel y développe ses conceptions, qu'il pense géniales et supérieures au commun des mortels, et y exhibe des contradictions, qu'un lecteur sérieux de Marx ne peut que trouver, avec le plus grand intérêt, transparentes. Thiel lui-même ne comprend pas ce qu'il fait, ni ce qu'il dit, en tant que faisant fonction du capital risque, mais il ressent de vrais problèmes, qu'il entend résoudre par la fuite en avant fasciste 2.0. Franchissons donc ce seuil.
Pour le monopole, contre la concurrence ; pour la technologie, contre la mondialisation
Immédiatement, nous comprenons en quoi Thiel se distingue des idéologues ordinaires du libéralisme économique, et même de beaucoup de libertariens : la concurrence le gonfle, elle n'est pas, pour lui, « libre et non faussée » comme le dit le traité de Maastricht (pour lequel il professe le plus grand mépris), mais elle est moutonnière, pavlovienne et mimétique, ne suscitant pas le progrès, mais la répétition, ne modifiant pas la qualité du monde, mais la quantité des choses dans le monde. Le capitalisme dit de libre concurrence est rejeté par lui dans la même catégorie que la démocratie et que le collectivisme, celle de l'uniformité. A la concurrence, il préfère le monopole, tout en déplorant que les vrais monopoleurs tiennent un discours trompeur les faisant passer pour pas si puissants que cela, à l'instar de Google cherchant à se faire passer pour un simple acteur technologique dans un monde impitoyable.
Le monopole est lié par Thiel, non à la rente (foncière, immobilière, mafieuse, minière, pétrolière, numérique surtout) ou à l'alliance avec l'Etat, qui en sont les caractéristiques réelles les plus fréquentes, y compris voire surtout chez lui-même et les gourous de la Silicon Valley, mais à l'invention technologique constituant en principe une création brute. L'opposition monopole-concurrence est donc complétée par l'opposition technologie-mondialisation, et là, second écart par rapport à l'idéologie dominante des dernière décennies : la mondialisation emmerde Thiel, car elle ne fait qu'étendre quantitativement les mêmes choses, en un processus continu d'imitation, incarné pour lui, notamment (et d'une manière très illusoire qui exprime bien les faiblesses du business man yankee croyant que les prouesses technologiques lui sont réservées !), par la Chine.
On l'aura compris, Thiel se prend pour un créateur absolu, un « fondateur », ce que symbolise le titre du livre : le futur, entendu comme un monde différent ne répétant pas le présent, est créé par ceux qui sautent de 0 à 1, ex nihilo, pas par les suivistes et les perfectionneurs de l'existant, la foule, qui, eux, ne font que répéter les 1 une fois ceux-ci créés, comme ils l'ont appris à l'école, et qui montent peu à peu de 1 à n, puis à n + 1, et ainsi de suite. Le monde selon Thiel se veut binaire et non pas pluriel …
Le spleen de Thiel envers le capitalisme
Au chapitre IV de Zero to One, Peter Thiel s'adonne à une typologie binaire des mentalités humaines, des formations sociales, et des philosophies, croisant deux binômes, optimiste-pessimiste et défini-indéfini, ce qui donne donc quatre cases, où tout ranger : l'Amérique des trente glorieuses et la philosophie allemande révolutionnaire de Hegel et de Marx étaient « optimistes définies », sachant ou croyant savoir ce qu'ils voulaient réaliser, alors que la Chine contemporaine et la philosophie classique (Platon, Aristote) sont « pessimistes définies », sachant ou croyant savoir ce qu'ils veulent éviter, et par contre, l'Amérique contemporaine et le libéralisme classique, réformiste ou libertarien – Rawls ou Nozick- sont « optimistes indéfinis », croyant au progrès sans en discerner les voies – d'où cette critique de la finance boursière dominante ayant accumulé des masses de capital-argent, qu'elle ne sait plus qu'en faire, ce qui est très juste -, alors que les « pessimistes indéfinis » sont paralysés ou théorisent le retrait, tels les matérialistes de l'Antiquité (Epicure, Lucrèce) : c'est l'Europe, et singulièrement les institutions de l'UE, qui sont, comme monde social et continent, frappées aujourd'hui de cette atonie passive, indécise et peureuse, censée caractériser la bureaucratie en général, et la bureaucratie professorale en particulier.
Si l'Europe est foutue, et la Chine imitatrice et méfiante, on aura compris que Thiel penche pour le retour à un véritable optimisme défini pour les Etats-Unis, qu'il pense sans doute leur apporter. La vision globale de la période ouverte depuis 1968-1973 n'est donc pas du tout, chez lui, marquée par l'optimisme béat sur la « mondialisation » qui a longtemps prévalu : le ralentissement européen, et la marche en aveugle de la finance optimiste mais indéfinie, se complètent pour décrire ce qui apparaît, en termes économiques, comme une longue « phase » B » dépressive dont on n'est jamais sorti : tout en se réservant « l'optionnalité illimitée » que confère l'accumulation de capital-argent, il se trouve que « Personne au sein de la chaîne, à aucun moment, ne sait que faire de cet argent dans l'économie réelle. »
Thiel pense avoir la clef pour sortir de cette situation, mais avant de voir en quoi consiste celle-ci, penchons-nous sur la manière dont il n'enjolive en rien le capitalisme contemporain. Très clairement, pour lui, il n'y a plus, depuis la « mondialisation », de progrès techniques révolutionnaires modifiant les fondements de la vie. L'informatique et les communications, les ordinateurs portables et les téléphones et smartphones, sont la généralisation quantitative de procédés préexistants, pas une révolution technologique, industrielle ou biopolitique : rien de tout cela. Pour Thiel, et c'est un très grave problème, nous sommes dans une phase de ralentissement !
Ce ralentissement de l'accumulation-transformation technologique réelle a commencé au tournant des années 1970 et, loin d'être surmonté, s'est accentué avec l'avènement de la sphère Internet. La tech, modèle Silicon Valley, est l'exception : Thiel pense, on va y revenir, avoir « créé », lui et quelques autres, du nouveau réellement nouveau, sautant de 0 à 1. Mais dans un créneau limité, il en convient.
Le ralentissement de ce qu'il appelle l'innovation affecte selon lui les biotechnologies, sur lesquelles on avait envisagé une quatrième révolution industrielle vers l'an 2000, laquelle n'a pas eu lieu, car le champ du biologique est encore trop indéfini : les start-up de la biotechnologie n'ont pas émergé comme celles du logiciel, les premières n'engendrant et n'étant inspirées que par des individus électrons libres de laboratoires subventionnés, donc limités, les secondes l'étant par les créateurs « geeks et passionnés » dans lesquels il se classe.
Cette critique s'étend à l' « économie verte », censée assurer la « transition » énergétique et écologique. Thiel ne croit pas au capitalisme vert et souligne le piétinement des énergies renouvelables : « Au lieu d'une planète plus saine, nous avons récolté une énorme bulle des technologies propres. » qui s'ajoutent aux anciennes, « sales », sans les remplacer. C'est pertinent … Une exception qui ne change pas la règle serait, selon Thiel, Tesla, conception innovante due à Musk (qui ne l'a pas conçue mais a connecté capitaux et « créateurs »).
Ce scepticisme s'étend aussi à l'IA – ce livre fut écrit en 2014 mais l'explosion de l'IA n'a pas fait changer d'avis Thiel depuis : l'IA ne fait qu'ajouter une quantité de procédures et d'objets, et d'énergie consommée, supplémentaire, et incite à la paresse, alors que la bonne combinaison entre logiciel et cerveau humain serait illustrée par l'art policier de la surveillance généralisée version Palantir …
Thiel se fait du souci pour l'accumulation capitaliste. Le spleen de Thiel porte un nom chez Marx : tendance à la baisse du taux général de profit. Laquelle est la réalité, cyclique mais montante, de l'époque actuelle : il faut investir toujours plus pour un profit proportionnellement toujours moindre, et aucune des bulles successives et des généralisations techno-organisationnelles de l'informatique et des coms' n'a pallié cette tendance, bien au contraire, depuis des décennies. La « phase B » continue, il n'y a pas de « nouvelle onde longue » mais la crise de 2008 et ses suites. Nous avons chez Thiel la perception, le sentiment, la préscience, de l'obsolescence du capitalisme. Voilà le point clef que la plupart de ses commentateurs critiques ne voient pas.
Fétichisme monétaire
Voici donc l'un des plus importants capitalistes du monde, à la fois en tant que pur capitaliste et par son influence politique voire culturelle, pour qui les mécanismes dominants du capitalisme conduisent au blocage, et qui ne voit pour en sortir que l'intervention quasi magique des « créateurs » ou « fondateurs ». A l'élément de lucidité rampante – la conscience, ou plutôt la prescience, de la tendance à la baisse du taux général de profit – se juxtapose immédiatement le fétichisme monétaire porté à la puissance 2. Le premier paragraphe du chapitre 7 est exemplaire des procédés de bonimenteur de foire de Thiel, qui, à n'en pas douter, ont marché dans les conférences vespérales entre speedés de la Silicon Valley :
« L'argent créé de l'argent. « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a. » (Mathieu 25 : 29). Albert Einstein va dans le même sens quand il affirme que les intérêts composés sont « la plus grande découverte mathématique de tous les temps » et même « la force la plus puissante de l'univers ». Quelle que soit votre version préférée, le message ne peut pas vous échapper : ne sous-estimez jamais une croissance exponentielle. En réalité, rien ne prouve qu'Einstein ait jamais prononcé aucune de ces deux phrases – ces citations sont tout à fait apocryphes. Mais le fait même qu'on les lui attribue renforce le message : ayant investi le capital de toute une brillante vie, Einstein continue d'en toucher les intérêts depuis la tombe en se voyant attribuer le crédit de propos qu'il n'a jamais tenus. »
Albert Einstein, mathématicien sérieux et socialiste antistalinien, n'a non seulement jamais prononcé de telles bêtises, mais il était impossible qu'il les prononçât : Thiel ne fait que gaspiller le « crédit » qu'il lui prête en expliquant que quoi qu'il ait dit ou pas dit c'est pareil !
La fable des intérêts composés croissant éternellement est aussi vieille que le fétichisme du capital produisant des intérêts, de l'argent produisant de l'argent, A-A' (Argent-Argent plus survaleur) comme disait Marx, et toujours aussi risible.
Nous avons d'autre part, avec la citation de l'Evangile de Mathieu, la seule allusion biblique directe de Zero to One, mais très significative. Cette parabole, que l'on retrouve dans Mathieu, 13 :12, et dans Luc, 19 :26, n'est évidemment pas un appel de Jésus à investir un capital-risque ni même à placer son argent en banque, mais elle est ce qu'elle est, c'est-à-dire une parabole parmi d'autres analogues, expliquant par des images qu'il faut faire fructifier et ne pas garder pour soi le don de la parole christique.
Le point important ici est que pour Thiel, tout est « capital », et surtout une « brillante vie », comme Einstein. Le capital c'est de l'argent et l'argent c'est de la valeur : qu'est-ce que la valeur pour Thiel ? C'est le potentiel d'enrichissement futur, une promesse gagée sur l'avenir, des intérêts « exponentiels », où l'excellence, ou plutôt la magie, du fondateur, lui procurera à lui et son entreprise, toujours plus d'argent, pour les siècles des siècles.
Le fétichisme est à son apogée : toute relation entre la valeur et le travail humain a disparu, ainsi qu'entre la valeur et le temps de travail socialement nécessaire au moment présent : le travail humain ne fait pas partie de la magie par laquelle 0 devient 1 !
La valeur est ici anticipation, comme en bourse (gagée sur le travail humain futur, ce qu'ignore Thiel !). La bonne anticipation est celle qui mise sur une création, un saut de 0 à 1 : la valeur est donc celle de l'individu créateur, auquel sa création procurera un monopole.
En matière de fétichisme, l'oncle Picsou est largement surclassé : Thiel se considère lui-même comme un capital-argent créant de l'argent !
De bien petits inventeurs en vérité…
Mais quelles sont ces trouvailles « technologiques » qui conduisent le « créateur » à devenir un capital-argent incarné impulsant une croissance « exponentielle », monopolistique et royale ?
Dans le cas de Peter Thiel, c'est PayPal : d'abord, en 1998, un système de paiement par mails, puis, un peu plus tard, un site dédié. Dans le cas de Pierre-Edouard Stérin, la réplique franchouillarde de Peter Thiel, la SmartBox : un système de ventes de séjours hôteliers comme cadeaux. C'est assez clownesque : on voit que ces grands « technologues » n'ont inventé ni la machine à vapeur, ni la bicyclette, ni les semi-conducteurs et les transistors, ni les codes informatiques qu'ils utilisent, en fait en mode « n+1 » comme dirait Thiel. Avec Palantir, les ingénieurs travaillant pour Thiel lui font un système de mise en réseau et de connexions. Mises en réseaux, connexions, ad infinitum et ad nauseam : voilà ce dont il s'agit.
La manière dont une innovation technique, ou organisationnelle, ou, le plus souvent, technico-organisationnelle, permet à l'entreprise qui l'emploie la première de dégager des surprofits par rapport au profit moyen, tout en vendant moins cher en général, a été exposée par Marx aux livres I et III du Capital : mais l'innovation, en se généralisant par la concurrence, conduit à recalibrer le taux général de profit, à la baisse – les surprofits alors se tarissent.
La formidable fiction idéologique du créateur ex nihilo bouleversant le monde se ramène … à ça. On comprend comment le capitaliste Thiel oscille entre le spleen et la magie, la magie et le spleen …
Très significativement, Thiel consacre tout un chapitre de Zero to One à prendre la défense des vendeurs : le produit ne se vend pas tout seul, et le vrai créateur est aussi un « vendeur de soi-même » (logique, puisque ce monsieur est le capital incarné !). La vente, c'est magique et c'est indispensable, c'est une activité en soi – en fait la principale : la technologie n'est qu'un accessoire facultatif de la vente dans les trouvailles des Thiel et des Stérin, qui prétendent sincèrement incarner la technologie en incarnant le capital !
Il faudrait donc se départir de l'image négative de l'arnaqueur qui place au porte-à-porte des voitures d'occasion, nous explique Thiel : mais le cordon ombilical qui le relie à l'arnaqueur bonimenteur reste très visible !
Le domaine clef par lequel les « créateurs » créent, à l'âge du capitalisme saturé dont l'accumulation illimitée devient proportionnellement de moins en moins rentable, c'est donc la circulation, à savoir le fait que la circulation aille de plus en plus vite – le temps, qui, comme dit le proverbe, est de l'argent, doit devenir du capital, du capital-risque, du capital postulant la croissance « exponentielle » … pour se sortir du pétrin ! – la question du temps et de l'accélération est celle du livre II du Capital de Marx, qui éclaire cette psychologie et cette pratique bien qu'elles aient connu une suramplification depuis.
Dans plusieurs articles, Thiel présente la mer, le cloud et l'espace (avec la planète Mars) comme les nouveaux champs de l'investissement en capital, mais il ne s'agit pas, là non plus, de technologie à proprement parler, ni même d'exploration en tant que découverte, mais bien d'exutoire à une circulation accélérée, dont la surconsommation par des communautés de milliardaires, dans des îles privatisées et/ou artificielles, serait un des aspects.
Accumulation, circulation, et, résumant l'une et l'autre, accélération, telles sont les vraies divinités de ce culte aveugle qui préconise de foncer, à toute allure, toujours plus fort … dans leur propre vide !
The Kings
Les incarnations de ces divinités abstraites véritables, c'est-à-dire les faisant fonction de l'accumulation-circulation-accélération du capital, sont des individus : les « fondateurs », équipes unies au travail comme dans la vie, et, très important, unies par le secret, secret commercial, secret de fabrication, complicité des codes, et savoirs ésotériques, faisant un tout, sous l'égide du premier fondateur, leur chef, qui les a groupés et qui attribue un rôle précis à chacun.
Le staff formé par Thiel dans PayPall doit avoir tant une Weltanschauung qu'une coolitude en commun : pas de costar cravatte, mais des sweats à capuche, distinguant des « individus sortant de l'ordinaire » !
Ainsi fut formée, revendique Thiel, ce qui fut appelé la mafia PayPall : il assume qu'on qualifie son gang de mafia et de secte, reconnaissant parfaitement cette dimension. Tous sont des « collaborateurs », comme on dit dans les « entreprises », oeuvrant dans des open space, et ce schéma est imposé du haut en bas de la hiérarchie. Pas de syndicats, bien entendu (Thiel n'en dit tout simplement pas un mot) : ils sont de facto interdits en Silicon Valley (aussi bien quand le boss est démocrate et « sociétalement » ouvert).
Ces individus extraordinaires (et pourtant en réalité si conformes !) sont borderline : ils oscillent entre le rôle social de Chef charismatique et celui de marginal devenant un bouc émissaire. Dans les deux cas, souvent Aspergers – on pense bien sûr à Elon Musk.
Cette bipolarité psychosociale définit les « fondateurs », ceux que l'opinion publique américaine appelle de manière plus réaliste des « oligarques », entre lesquels se déroulent des « bromances », collaboration et rivalité explosive combinant amour-haine, dans laquelle la sexualité (y compris dans le plus célèbre duo, Trump-Musk !) est sous-jacente et souvent évidente – une sexualité tendanciellement plutôt inter-masculine, l'affirmation de virilité participant pleinement de cette dimension.
Thiel n'explicite pas cette dimension sexuelle pourtant évidente, mais il est à noter que les femmes ne sont que très faiblement présentes dans le chapitre qu'il consacre aux « fondateurs », l'avant-dernier de Zero to One, et elles le sont d'une manière bien précise : soit comme proies – une illustration montre le fondateur de Virgin Records, Richard Branson, embarquant une belle, soulevée dans ses bras- soit comme « princesses » : les deux femmes signalées, parmi une bonne douzaine de « fondateurs » oligarchiques, Britney Spear et Amy Whinehouse, le sont pour illustrer la destruction qui menace les personnalités charismatiques. Force est de constater que les femmes ne sont pas royales, mais princières, et qu'une princesse ça déchoit souvent. Une personnalité telle que Taylor Swift, stabilisée dans une représentation de puissance qui fait front à la domination masculine, ne saurait exister ici.
C'est bien une sorte de caste royale que cherche à définir Thiel. Les manifestants américains des 14 juin et 18 octobre 2025 qui, par millions et millions, s'unissent derrière le mot- d'ordre No Kings, font preuve d'un sûr instinct démocratique révolutionnaire.
Cette thématique monarchiste, qui chante aux oreilles de Donald Trump, a pour spécialiste idéologique le Thiel boy qu'est Curtis Yarvin, dont les productions sont en fait d'une grande pauvreté intellectuelle. Il répète que l'Etat ne peut pas fonctionner comme démocratie, mais comme monarchie, sur le modèle de l'entreprise capitaliste qui est, par essence – et ceci est vrai – monarchique. La formule Start up nation, chez Macron, est apparentée à cette conception, et nous signale l'amorce macronienne de l'illibéralisme, les situations politiques française et européenne lui ayant interdit d'aller trop loin dans cette voie.
Yarvin, par le look ténébreux se voulant tempétueux et sulfureux et l'obscurité affectée des propos, y compris son rididule pseudonyme – Mencius Moldbug ! – est un sous-produit de cette offensive idéologique, dont la cible est la démocratie. Il passe pour le principal « fondateur » du concept de « Gaza-Riviera » …
Dans l'élite des « fondateurs », il ne saurait y avoir égalité. Chacun se voit attribuer une responsabilité claire par le chef, c'est-à-dire le roi. C'est le règne des rois qu'appelle, explicitement, Thiel. La bipolarité du fondateur culmine dans celle du roi : il est le chef et il est le sacrifié, le bouc émissaire. Il peut revenir après avoir été exécuté : c'est le « retour du roi ». Ce titre de la troisième partie du Seigneur des anneaux de Tolkien montre l'accession à la royauté effective du coureur des bois Aragorn. Thiel le reprend bien entendu sciemment, et nous présente comme exemple emblématique d'un « retour du roi » le rappel de Steve Jobs à la tête d'Apple, banni en 1995 et rappelé en 1997, qui « invente » ensuite l'Ipod, l'Iphone et l'Ipad. Le cinglé charismatique est indispensable : à lui le pouvoir.
Derrière Aragorn et Steve Jobs, c'est bien une certaine conception de la figure christique – le crucifié maudit, bouc émissaire qui reviendra en Majesté, l'archétype idéologique présent entre ces lignes : nous pouvons maintenant quitter Zero to One et examiner le fond de sauce ésotérique de la Thiel idéology.
Ingrédients du fond de sauce de Thiel
On aura peut-être reconnu, dans ce qui précède, des formules provenant de l'auteur français René Girard : la concurrence mimétique et le bouc émissaire. Il est devenu assez banal de dire que Peter Thiel serait un disciple de René Girard. A vrai dire, Thiel n'est le disciple de personne hors de son portefeuille de « valeurs » auquel il s'identifie.
Dans un article de 2007, The Straussian Moment – signé par Thiel en sa qualité de président de Clarium Investment : il a voulu souligner que c'est bien le gestionnaire de fonds qui parle – Thiel dessine une sorte de généalogie sommaire de penseurs capitalistes.
Avant de voir celle-ci, notons bien qu'il fait cela suite au choc des attentats du 11 septembre 2001. Selon lui, l'Occident serait désarmé fâce à de vrais religieux pour qui l'important est l'au-delà, le paradis. Tout indique en fait que Thiel a été impressionné par le millénarisme apocalyptique moderne (et nullement médiéval) des islamistes d'al-Qaeda puis de Daesh. De fait, les analogies entre islamisme et fondamentalisme chrétien sont évidentes, et cela y compris dans l'imagerie moderniste, futuriste, de fer et de feu, des clips de Daesh. Filiation inavouable puisque l'islam est censé être l'altérité ennemie dans la vision du monde néoconservatrice à laquelle, en l'occurrence, adhère Thiel. C'est l'Occident, et même seulement l'Amérique, entendue comme les Etats-Unis, qu'il veut sauver. La parenté fondamentale de l'héritage religieux et culturel des trois monothéismes, et donc les analogies structurelles entre leurs formes modernes d'eschatologie destructrice, lui échappent donc, mais elles n'en sont pas moins à l'œuvre.
La généalogie sommaire de l'article de 2007 comporte d'abord John Locke, récusé en tant que penseur classique du libéralisme économique et politique. Les Lumières n'ont été que ramollissement de l'Occident et perte de la foi, avènement de l'uniformité mimétique de la modernité capitaliste et démocratique. En réaction à ce déclin, Thiel valorise d'abord Carl Schmitt, théoricien catholique de la dictature (le pouvoir « décisionnel ») qui fut aussi un authentique nazi. Mais Carl Schmitt, en voulant retrouver le sens de l' « Ennemi » censé refonder une vraie politique, veut nous ramener à un stade antérieur (le temps des Croisades), ce qui n'est pas possible. Thiel passe alors à Léo Strauss, le principal théoricien des néoconservateurs américains dans la mesure où ceux-ci ont fait de la « philosophie politique », issu du judaïsme et ayant fui le nazisme. Strauss, de manière cryptée – il a en effet disserté sur l'ésotérisme chez les philosophes ne disant pas tout de ce qu'ils pensent – suggérerait un retour aux données de base du monothéisme « actif » et vivant : recherche de la vertu, croyance en une vérité, importance de l'au-delà et de l'eschatologie. Mais ce serait René Girard, essayiste catholique français, qui irait le plus loin en montrant en quoi l'humanité est mimétique et fait société par la violence mimétique exercée contre le bouc émissaire, jusqu'à ce que le Christ choisisse lui-même de polariser cette violence, pour annoncer sa fin ultime à venir, lors de la fin des temps.
Tout cela, à vrai dire, a surtout pour effet de construire autour de Thiel une espèce d'aura mystérieuse, à défaut de dégager des lignes claires de pensée, fut-elle religieuse. La construction politico-religieuse de Thiel n'est jamais exposée systématiquement par lui, et il est assez amusant qu'il ait récemment protesté contre une « fuite », l'un de ses auditeurs ayant rendu publiques les notes d'une conférence confidentielle où il était question de la fin des temps. Cet ésotérisme cache … peu de choses : il est assez facile de reconstituer systématiquement le tissu de références bibliques donnant in fine la conception « thielesque » de l'époque actuelle, prélude à la fin des temps, ce qui nous permettra ensuite, pour en terminer avec lui, de présenter sa « théorie de l'histoire ».
Apocalypse
L'ensemble s'organise très clairement, bien que Thiel refuse tout exposé clair, autour des notions religieuses d'Apocalypse, d'Armageddon, d'Antéchrist, de Katechon.
Dans les représentations populaires courantes, Apocalypse veut dire catastrophe, et la représentation courante est celle d'un film catastrophe à l'échelle mondiale. Mais le mot grec veut dire révélation, dévoilement de la vérité, et désigne plutôt ce qui, dans les prophéties et annonces de la fin, est censé advenir après les catastrophes. Pour la présente étude, nous pouvons assimiler l'Apocalypse à la notion de Parousie, ou second avènement du Christ – le retour du roi chez Thiel. Thiel est canonique sur un point : l'Apocalypse et/ou la Parousie, que l'on ne peut prévoir, vient après les catastrophes, guerres, effondrement, crise climatique – mais celle-ci n'a nulle place centrale chez lui, j'y reviendrai -, catastrophes qui relèveraient plutôt de la catégorie de l'Armageddon.
Armageddon
Ce nom de lieu n'apparaît qu'une seule foi dans la Bible, Apocalypse, 16 :16, où il désigne la montagne de Megiddo, sous le mont Carmel, comme lieu du rassemblement « des rois du monde entier pour la guerre » (Apocalypse, 16 :14), rois du monde qui affrontent Dieu et sont vaincus par lui. En contexte islamiste, un équivalent a été forgé avec Dabiq, localité du Nord de la Syrie où un hadith du IX° siècle prêté au prophète Muhammad prophétisait la bataille victorieuse des musulmans contre les byzantins ; pour Daesh, la bataille de Dabiq sera la bataille finale contre l'Occident et les mécréants – manque de bol, c'est l'Armée Syrienne Libre appuyée par la Turquie qui les a délogés de Dabiq fin 2016. Mais le principe est le même : Armageddon voit Dieu vaincre les rois du monde réunis, Dabiq voit Dieu vaincre les ennemis de l'islam réunis.
Dans les spéculations de Thiel, qui ne sont pas sans analogie de structure, on le voit, avec celles de Daesh, l'important est que l'on peut prétendre que selon les textes « sacrés » plus ou moins tiraillés et interprétés, une unification du monde a lieu avant la catastrophe de la grande guerre mondiale finale, qui elle-même précède l'Apocalypse. Armageddon est donc préparé par une mondialisation unifiante et uniformisante.
Antéchrist
Là intervient l'Antéchrist selon Thiel, autrement dit l'Ennemi. Il ne faut pas oublier, à ce stade, la notion d'Ennemi chez Carl Schmitt, à savoir l'adversaire existentiel contre lequel se constitue la vraie politique selon lui, « politique » n'étant pas un terme repris chez Thiel, qui l'associe plutôt à la décadence démocratique égalisatrice. Le plus parfait exemple de l'Ennemi selon Schmitt contre lequel le combat est constitutif du « politique » est illustré par les Juifs pour les nazis.
On résume : avant l'Apocalypse, ou révélation, il y aura la vraie catastrophe finale, Armageddon, et avant Armageddon, nous aurons un principe unificateur du monde qui est l'Antéchrist. Quelles sont alors les figures de l'Antéchrist selon Thiel, qui, s'il rappelle qu'on ne peut pas et qu'on ne doit pas situer l'Apocalypse sur le calendrier, n'hésite pas, en revanche, à localiser l'Antéchrist dans le moment présent ?
L'Antéchrist, ou Antichrist (les deux sens se cumulent : ante=avant, anti=ennemi), est un terme qui n'apparait que fort peu dans le Nouveau Testament, dans les deux épitres de Jean, où il semble désigner divers « faux docteurs », chrétiens dissidents des débuts, mais il a été rapproché de « l'Adversaire » qui trompe tout le monde en parlant au nom de Dieu, dans la seconde épitre de Paul aux Thessaloniciens, 2 : 1-5, et, partant, de tous les ennemis désignés dans l'Apocalypse de Jean, Dragon, Bête, Grande prostituée. On peut donc facilement cogiter qu'il est le chef qui rassemble les mauvais rois de ce monde, qu'il a unifié, avant de se prendre sa raclée à Armageddon, dans la guerre mondiale finale.
Mais qui est l'Antéchrist ? Trump, Steve Jobs, Peter Thiel ?
Dans la série récente de conférences à San Francisco à laquelle j'ai fait allusion plus haut, tenue durant la seconde quinzaine de septembre 2025, soi-disant confidentielle mais dont le fuitage a été organisé par Reuters, le Guardian et le Washington Post, sans doute avec l'accord de Thiel, il a raconté que l'Antéchrist va réclamer et recevoir le prix Nobel de la paix. Cette provocation de vendeur de voitures d'occasion attire évidemment l'attention puisque tout le monde pense tout de suite à Trump, qu'officiellement il soutient : lui savonnerait-il la planche ? Trump serait-il l'Antéchrist (après tout, des chrétiens fervents mais plus proches de l'humanité pourraient y penser !) ?
Il poursuit en racontant que l'Antéchrist doit avoir la vélocité de Steve Jobs : un second candidat ? Il laisse aussi entendre que lui-même, à la fois fou et génie, pourrait avoir à voir avec l'Antéchrist. Je soupçonne Peter Thiel de bien se marrer quand il débite de telles sornettes devant un auditoire fasciné. Il ressort de ce qui précède que les anti-Antéchrist présentent de fortes ressemblances avec l'Antéchrist. Normal, puisque l'Antéchrist doit passer pour christique pour mieux tromper son monde.
Et, de plus, la Silicon Valley est présentée, dans ces conférences, comme un haut lieu de l'ordre mondial qu'instaure l'Antéchrist, en même temps que le lieu où se lèvent ceux qui préviennent de sa venue. L'Antéchrist met en place une machinerie, un dispositif mondial, à la fois réglementaire, administratif-bureaucratique, financier-humanitaire, et technique. Là, Thiel reprend une expression de Martin Heidegger, le philosophe nazi, qui désignait comme machination et comme dispositif l'agencement technique-capitaliste du monde conçu par le complot juif. L'Antéchrist selon Thiel et le prétendu complot juif ont des points communs évidents.
Après avoir joué avec l'idée que l'Antéchrist pourrait bien être Donald Trump, Steve Jobs ou Peter Thiel, ce gros farceur sort un argument massue nouveau : l'Antéchrist doit dominer le monde rapidement, donc dans sa jeunesse. Il y a des précédents en matière de vélocité, tous marqués par le nombre 33 : le Christ aurait été crucifié à 33 ans, Alexandre le Grand a conquis le monde de son temps avant 33 ans, le Bouddha a officié avant 33 ans, et, argument choc, Frodon reçoit l'Anneau du pouvoir, dans Tolkien, à 33 ans. Si avec ça vous n'êtes pas convaincu …
Donc, les vieux mâles comme Trump ou Thiel ne sont pas l'Antéchrist ! Ouf.
Bon sang mais c'est bien sûr ! C'est Greta Thunberg !
L' Antéchrist est donc un jeune, ou, pire, une jeune, de la « génération Z », celle qui brandit le drapeau de One Piece de Katmandou à Rabat en passant par Tananarive. Ce farceur est un contre-révolutionnaire conséquent !
Donnant alors des noms, Thiel lâche, et ce n'est pas la première fois, celui de Greta Thunberg, jeune, femme, faible en tant qu'étant en situation de handicap, adversaire du capitalisme et susceptible, oh horreur, d'avoir un jour le Nobel de la paix !
Tiens donc, notre « fondateur » aurait-il là un bouc émissaire à la Girard, lui qui par ailleurs fantasme des « princesses » et des « rois » … Asperger, mais façon Musk ?
Pour faire bonne mesure, il lâche aussi les noms de partisans de la régulation éthique de l'IA et des flux qui lui sont liés, car s'il est sceptique sur l'IA il la veut dérégulée, Nick Bostrom et Eliezer Yudkowsky.
Rapprocher Greta Thunberg de l'Antéchrist – au moment précis où elle a été victime de violences sexuelles des militaires israéliens, et alors qu'une enquête complète serait nécessaire sur l'investissement lucratif de Palantir dans la destruction de Gaza – n'était pas une première ; c'est une obsession récurrente chez Thiel depuis début 2025, qu'il a notamment assénée dans un podcast diffusé cet été, dans lequel il explique aussi que le droit de vote des femmes est dangereux, car leur empathie les porte à protéger les faibles, et qu'il ne faut pas protéger les faibles. Protéger les faibles, c'est ralentir l'accumulation et la circulation du capital, et c'est là la fonction … de l'Antéchrist !
Voilà Peter Thiel, fasciste assumé : sa peur et sa haine se cristallisent sur les figures susceptibles de représenter la force des opprimé.e.s, qu'il accuse de complot visant à former un gouvernement mondial, en une projection de son propre rôle social analogue aux mécanismes de l'antisémitisme. Même chez le capitaliste Thiel, on peut parler d'anticapitalisme tronqué et fétichisé, pour reprendre ici l'analyse marxiste de l'antisémitisme de Moshe Postone : car les forces qu'il craint, tendance à la baisse du taux de profit général et mondialisation « uniformisante », sont elles-mêmes liées à l'accumulation du capital, qu'il veut accélérer et accélérer encore par le complot secret – qu'il préconise ouvertement comme méthode de management – des monopoles aux mains des rois du monde, de vieux hommes tout puissants … et apeurés devant ce qu'il nomme le complot mondialiste de l'Antéchrist !
Si donc les forces internationalistes de la jeunesse et des exploités et opprimés, se présentant comme le bien, sont au service de l'Antéchrist, préparant le gouvernement de la paix mondiale et de l'arrêt de l'accumulation et de la circulation du capital, lui-même le prélude au combat de la fin (Armageddon), que suivra la révélation dernière de la fin des temps (Apocalypse), quel est le rôle, dans cette histoire religieuse, de Trump ou de Thiel eux-mêmes, qui s'avèrent, parce que vieux mâles, ne pas être l'Antéchrist, mais bien ses adversaires ?
Katechon
C'est là qu'intervient le dernier fétiche religieux de notre série, le plus fumeux : le Katechon. La source scripturaire est la suite directe du passage de la seconde épitre de Paul aux Thessaloniciens où il est question de « l'Adversaire » : « Et vous savez ce qui le retient maintenant, de façon qu'il ne se révèle qu'à son moment. Dès maintenant, oui, le mystère de l'impiété est à l'œuvre. Mais que seulement celui qui le retient soit d'abord écarté. Alors l'Impie se révèlera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l'anéantira par la manifestation de sa Venue. » (2 Thessaloniciens, 2 :6-8, traduction dite de la Bible de Jérusalem). To katecon, en grec, c'est « ce qui retient ».
Ce passage des plus obscurs de Paul semble dire que quelque chose retient l'Adversaire, qui serait l'Antéchrist, et que quand ce quelque chose sera écarté l'Antéchrist triomphera momentanément, avant sa défaite ultime. Le sens est d'autant plus incertain qu'en grec ancien kateco est un verbe qui signifie d'abord contenir, maitriser, s'emparer, plutôt que « retenir » qui est le sens adopté ici. Avec un certain bon sens, Augustin d'Hippone écrivait dans la Cité de Dieu (livre XX, chapitre 19), au début du V° siècle, que quand Paul dit « vous savez », « … ce qu'ils savaient nous l'ignorons », et que le tout est donc complétement obscur. Ce qui n'a pas empêché les interprètes d'interpréter, et c'est au XX° siècle que cette histoire de Katechon, telle qu'elle nous intéresse ici, a été vraiment lancée, par Carl Schmitt, et pas très tôt, mais pendant la seconde guerre mondiale et par la suite.
Dans le Nomos de la Terre, paru en 1950 – le livre par lequel il reprend ses activités éditoriales après la défaite de son parti, le parti nazi, en 1945 -, Schmitt fait l'éloge du Katechon comme ayant été la force de la Chrétienté médiévale : « Je ne crois pas qu'une autre représentation de l'histoire que celle du kat-echon soit même possible pour une foi chrétienne originaire. La foi en une force qui retient la fin du monde jette le seul pont qui mène de la paralysie eschatologique de tout devenir humain jusqu'à une puissance historique aussi imposante que celle de l'Empire chrétien des rois germaniques. » Le katechon est un pouvoir de type impérial au sens ancien (pas un césarisme moderne à la Napoléon, précise Schmitt) qui, malgré ses défauts en tant que Cité terrestre humaine, « retient » la fin des temps, sans lequel il n'y aurait pas d'histoire humaine, mais Parousie directe. Ainsi entendue, cette notion fumeuse semble conservatrice et stabilisatrice.
Mais chez Thiel, l'Antéchrist correspond aux éléments qu'il perçoit comme conservateurs et stabilisateurs. Le problème, c'est l'accumulation et la circulation du capital ralentie, réduits au quantitatif de la mondialisation, à la concurrence plate généralisée, dans un monde d'Etats modernes démocratiques coexistant pacifiquement. Le monde unifié qui effraie Thiel est celui de l'utopie libérale ancienne, celui des ONG et des « institutions internationales », celui de l'OMC, celui qu'il attribue à Greta Thunberg – et à Georges Soros, qui a rompu la collaboration financière avec lui dans les années 2010. Il partage cette animosité avec les « antilibéraux » et autres « altermondialistes », mais il les met dans le même sac, celui de l'internationalisme unificateur.
De la sorte opère une très remarquable inversion idéologique par rapport à la position traditionnaliste qui est encore celle de Carl Schmitt, où la fin du monde qu'il faut retarder participe du chaos et de la destruction. Cela bien que l'Etat total de Schmitt (le III° Reich en fait : c'est une construction apologétique faite après coup par ses thuriféraires, à la suite du probable SS Armin Moeller, qui a fait croire que la Révolution conservatrice n'était pas nazie, voire était antinazie, comme l'a démontré Emmanuel Faye) était déjà un monstre mécanique destructeur accélérant production, reproduction et circulation du capital. Il y avait donc une contradiction entre la figure du Katechon romain-germanique et chrétien sur laquelle se replie Schmitt et la réalité de l'Etat total décisionnaire.
Cette contradiction est levée chez Thiel, très simplement : si l'Antéchrist est ralentissement de l'accumulation-circulation-accélération du capital, le Katechon devient chez lui ce qui secoue, ce qui brise, réintroduisant une action pseudo-politique pour accélérer l'accumulation, briser des frontières tout en en érigeant d'autres, le Katechon est action pure, il peut être divaguant, menteur, désordonné, pourvu qu'il mette du mouvement, le Katechon est disruptif comme diraient les macroniens français … le Katechon, mais, bonne mère, c'est Donald Trump !
Evidemment, Thiel ne peut pas purement et simplement déclamer que Greta Thunberg, et avec elle la jeunesse, la démocratie et la révolution sont l'Antéchrist, alors que Trump est le Katechon qui, n'est-ce pas, retient la fin du monde, vrai envoyé de Dieu (les Christian Nationalists et la New Apostolic Reformation sont s'accord : et comme il est d'essence terrestre et humaine c'est un grand pécheur, c'est normal et c'est une preuve !). Il ne le dit jamais comme ça, en toute simplicité. Il a besoin de nébulosité, de décorum, de pédantisme, de prendre des poses de mage et des airs de gourou, de plus en plus fatigué toutefois, car l'accumulation-circulation-accélération, ça fatigue !
Et puis, sans doute le Katechon trumpien ne fait-il pas que retarder la fin des temps : il la prépare aussi, comme le fait l'Antéchrist de son côté, mais vous aurez remarqué que la chasse aux migrants, la guerre, les tarifs douaniers, les fake news, sont de son côté, alors qu'en face, côté Antéchrist, on parle paix, santé et sécurité pour tous, justice climatique : ce sont les mensonges de l'Adversaire, n'est-ce pas, mais le camp de Dieu et du Bien est bel et bien présentement celui du fer et du feu, de la destruction créatrice et du tourbillon accélérationniste brûlant et rasant tout sur son passage !
Et quand Greta, la génération Z, la paix et autres jeunes sots woke sembleront triompher, n'est-ce pas, arrêtant l'accumulation au motif infantile de « sauver la planète », alors adviendra le combat de la fin, Armageddon (Dabiq !) : Thiel cite alors la première épitre aux Thessaloniciens de Paul, 5 :1 : « Quand les hommes diront : paix et sureté ! alors une ruine soudaine les surprendra, comme les douleurs de l'enfantement surprennent la femme enceinte, et ils n'échapperont point. » Bien fait pour vous, les gueux !
Il est possible que Thiel ait trouvé le thème du Katechon non pas chez Paul via Schmitt, mais sous l'influence russe : cela fait en effet quelques années que Douguine et les eurasiens nomment la Russie, ou l'Eglise orthodoxe, ou Poutine en personne, le Katechon qui prolonge le monde et les traditions avant la fin. Trump et Poutine peuvent très bien être pensés comme un Katechon bicéphale, ce qui ne fait que rajouter une touche tératologique supplémentaire à tout ce délire. Cela dit, le Katechon avec Thiel perd toute dimension stabilisatrice et conservatrice pour devenir franchement déstabilisateur et novateur, à savoir fasciste.
Un résumé du film comme Thiel se gardera bien de le faire
On résume : le moment historique présent est le temps du Katechon, où l'action perturbatrice de Donald Trump relance l'accumulation et la circulation du capital en semant un salutaire désordre de fer et de feu, contrebalançant les forces de l'Antéchrist jeunes, démocratiques, révolutionnaires et mondialistes. Celles-ci finiront toutefois par paraître triompher : si c'est au moment du 33° anniversaire de Greta Thunberg, quand elle aura le prix Nobel de la paix ouvrant la guerre d'Armageddon, ce sera en 2036, mais Thiel évite d'être aussi précis : il doit passer un peu pour un fou, mais pas complétement, et laisse aux plus exaltés de ses auditeurs le soin de compléter.
Alors, le combat ultime débouchera sur le retour du roi, comme dans le Seigneur des Anneaux, et ce sera l'Apocalypse. Amen.
La conception accélérationniste de l'histoire
Avant de nous demander ce que pourrait bien être cette Apocalypse selon saint Peter, dégageons aussi la conception de l'histoire humaine que nous avons là : c'est une histoire orientée vers une catastrophe, ce qui correspond bien au Zeitgeist contemporain du capitalisme tardif, de la catastrophe climatique et de l'épée de Damoclès atomique.
Thiel est soucieux d'écarter les représentations cycliques où le même revient régulièrement, et où l'on n'a pas une catastrophe finale, mais des hauts et des bas avec des catastrophes récurrentes. Dans ses conférences pseudo-secrètes de San Francisco, il se réfère à un texte vétéro-testamentaire, le prophète Daniel, auquel il décerne le titre tout à fait erroné et ridicule d'« historien biblique », car il veut en faire un théoricien de l'histoire. Dans le Livre de Daniel, nous avons la théorie d'une succession de quatre empires, le quatrième étant le dernier.
Ainsi serait brisée la roue de la Fortune, le cycle du recommencement ou de l'Eternel retour nietzschéen. Thiel a même trouvé dans Daniel le passage suivant (12 :4) : « Toi, Daniel, tiens secrètes ces paroles, et scelle le livre jusqu'au temps de la fin. Plusieurs alors le liront, et la connaissance augmentera. »
La connaissance n'est-elle pas en train d'augmenter de façon exponentielle sans permettre de réels progrès et alors que les inquiétudes existentielles explosent elles aussi ? Nous y sommes !
Au dernier chapitre de Zero to One, sans introduire ce gloubi-boulga « biblique », Thiel avait terminé son manuel de spéculateur devenu éloge des rois fous, par une interrogation sur ce qui est souhaitable pour l'histoire humaine aujourd'hui. Chose intéressante, il dit emprunter les quatre schémas du futur qu'il présente, au « philosophe » Nick Bostrom, en fait un « futurologue » que, dans ses conférences de septembre 2025, Thiel a ciblé comme Antéchrist possible. Mais il n'est pas étonnant que les soldats du Katechon flirtent avec ceux de l'Antéchrist, on l'aura compris !
Donc, Thiel reprend de Bostrom quatre schémas du futur : 1) l'oscillation cyclique avec catastrophes non finales mais périodiques, 2) la stagnation, 3) l'effondrement et 4) le saut exponentiel vers le haut permis par la « singularité », que Bostrom et d'autres associent aux LLM (Grands Modèles de Langage) de l'IA, ce que ne fait pas Thiel.
Celui-ci finalement calme le jeu, dans son petit manuel de développement personnel qu'est Zero to One : trouvons « des moyens singuliers de créer des choses inédites » et blablabla. Mais si nous rapprochons, et il convient de le faire envers un auteur qui préconise l'écriture cryptique, l'appel à la singularité techno-capitaliste du dernier chapitre et l'éloge du « retour du roi » à l'avant-dernier, nous retrouvons le programme apocalyptique des conférences de septembre 2025.
Ce rejet des cycles et/ou de la stagnation est en fait, de façon non assumée et non maitrisée, un rejet de l'histoire du capital, qui a fonctionné par des cycles, courts (les crises de surproduction) et longs (les « ondes longues » de Kontradieff et Mandel), tout en sautant d'un régime global de production et d'accumulation à un autre en passant d'une onde longue à l'autre. C'est justement cela qui coince aujourd'hui. Cet état de crise du mode de production capitaliste est perçu par l'un des plus grands capitalistes du monde, très proche du président américain et de l'homme le plus riche du monde (Musk), comme imminence de l'effondrement et de la singularité : Antéchrist (stagnation) débouchant sur l'effondrement (Nobel de la paix à Greta Thunberg, abomination de la désolation : qu'est-ce qu'on se marre !) et le rebondissement par la singularité (Armageddon, Apocalypse). Ainsi sont résolues les contradictions de l'accumulation capitaliste, pour les siècles des siècles. Amen.
Les sources de l'accélérationnisme
Le Katechon trumpien est accélérationniste. Et l'Apocalypse, comme singularité, serait l'accélération exponentielle, le saut de 0 à l'infini. Accélérationnisme est le nom donné à un courant précis que Thiel a intégré à ses conceptions, mais avant d'être un courant idéologique des plus baroque, l'accélérationnisme est tout bonnement la tendance du capital à s'accumuler et à circuler toujours plus vite, l'élément de circulation accélérée étant aussi central, et indissociable, que l'accumulation proprement dite (d'où l'importance du très méconnu livre II du Capital de Marx).
L'accélérationnisme comme idéologie et comme secte exprime cette tendance dans un habillage esthétique et verbeux, mais la tendance lui préexiste, et déjà le futurisme fasciste italien, les envolées néo-millénaristes nazies, mais aussi les proclamations exaltées sur la planification souveraine dans les régimes « socialistes », étaient accélérationnistes. L'accélérationnisme est en germe dans le culte de la croissance du PIB.
C'est donc plutôt un accélérationnisme explicite, et porté à la puissance 2, aspirant à être porté à la puissance infinie, qui apparait comme l'une des composantes du fascisme 2.0. A la différence de Yarvin, qui me semble être une sorte de comique troupier sortant des studios de la mafia PayPal, le courant accélérationniste proprement dit est au départ indépendant de l'ultra-droite modèle Silicon Valley, et il vient s'y incorporer.
L'histoire de ce petit courant autonome, qui va se déverser dans la rivière fasciste 2.0, ne manque pas d'intérêt. Elle commence en Grande-Bretagne avec le CCRU, Cybernetic Culture Research Unit, club formé à l'université de Warwick en 1995 et autodissous en 2003. Look et culture prétendument subversive en font le ciment, avec des cogitations verbeuses brassant Heidegger, Deleuze-Guatari et Derrida, et une dose de Marx filtrée par Althusser (Slavo Zizek a quelques affinités avec eux). Le tout sur fond musical, car le genre jungle et les débuts de la musique techno et des raves parties forment le background des soirées de discussions au CCRU.
Ce cercle, qui a cultivé et laissé une certaine légende en contexte anglophone (à peu près ignoré en contexte francophone) était sans orientation politique initiale, si ce n'est l'adaptation au monde no future du post-thatchérisme, dont ces grands ados sont de purs produits. Parmi eux des auteurs de positions diverses en sont sortis : la « cyberféministe » Sadie Plant, l' « afrofuturiste » Kodwo Eshun, anglo-guinéen, et, surtout, les Castor et Pollux de l'accélérationnisme que seront, « de gauche », Mark Fisher, et, « de droite », Nick Land.
Mark Fisher a théorisé l'ubiquité et la « naturalité » du capitalisme, fétichisme absolu dont on ne peut plus sortir autrement qu'en accélérant certains de ses traits et en repérant les virtualités non réalisées qui nous hantent (il se réfère ici à Benjamin et surtout à l'« hantologie » de Derrida). Se présentant comme marxiste cyberpunk, ses idées ne débouchent pas sur la révolution, mais sur des recherches culturelles orientées vers la SF, le fantastique et la musique post-punk. Il se suicide en 2017, ce qui, symboliquement signe l'impasse de l'accélérationnisme « de gauche ».
Nick Land, performer outrancier à l'époque du CCRU de Warwick et auteur de nouvelles d'épouvante, qui dès le départ fonde son aura intellectuelle sur l'exégèse de Martin Heidegger (sa thèse universitaire de 1987 porte sur le « graphème », sic, dans Heidegger …) et de George Bataille, opte pour la dystopie combinée au bond en avant technologique, conduisant à la fusion hommes/machines. Les conceptions transhumanistes et leurs cousines russes « cosmistes » sont réactivées et portées à incandescence. La notion d' « hyperstition » lui est commune avec Mark Fisher, mais chez ce dernier, il s'agit du fétiche idéologique qui s'incarne et modèle la réalité capitaliste, alors que pour Land, c'est une valeur positive (et la seule possible) à laquelle il faut adhérer à fond pour conformer la réalité au fantasme, les entités fictives devant modeler la réalité : la vitesse de circulation du capital et son accumulation doivent s'accélérer à l'infini et le monde suivra, en devenant un cybermonde connecté et marchand, à l'échelle du cosmos.
Plus exactement, en entrant dans un processus de destruction-création puis destruction amplifiée, etc., illimité, l'idée de connexion marchande généralisée, dans la mesure où elle a à voir avec un monde « plat » de concurrence égale, ne rend pas pleinement compte du schéma idéologique à l'œuvre ici, lequel consiste justement, comme le monopole chez Thiel, à toujours fuir l'uniformité de la sphère concurrentielle de la circulation, transformant ce « mauvais infini », comme auraient dit Hegel et Marx, en une spirale exponentielle, mais laquelle relève tout autant et même plus encore du « mauvais infini » : fuite en avant.
Nick Land : de l'acceptation du fétiche-capital au nazisme 2.0
Après la période CCRU de Warwick, Land a vécu à Taiwan puis à Shanghai, écrivant des guides touristiques et des nouvelles d'horreur. Il garde de cette période la conviction que la grande ville chinoise est un modèle pour l'ordre capitaliste de demain. Il revient à la surface idéologique étatsunienne à la fin de la décennie 2000, après la crise de 2008, et très probablement cornaqué par Thiel qui le met en relation avec Yarvin : une idée de « fondateur », qui se dit que ces deux là feront un cocktail intéressant. Thiel avait donné la ligne, juste auparavant, dans un court billet affirmant l'incompatibilité entre liberté et démocratie. Le petit-fils du pape de l'économie néolibérale de l'université de Chicago Milton Friedman, Patri Friedman, était aussi dans la boucle.
Land et Yarvin
Yarvin, sous la dénomination pédante faussement érudite de « néocaméralisme », avait commencé à théoriser un néo-monarchisme entrepreneurial censé prendre la place de l'Etat. Land contribue à formuler des logos plus popularisables. Sous le nom de NRx, néo-réaction, le lien est établi avec l'extrême droite plus traditionnelle de la planète MAGA en préformation, avec Steve Bannon. Sous le nom de Dark Enlightment, Lumières obscures (qui inspirera en 2024 la casquette Dark MAGA d'Elon Musk), sont revendiqués l'obscurantisme et l'irrationalisme associés à la technologie. Le cauchemar doit devenir réalité, tel est, littéralement, le cri de guerre de l'hyper-réaction folle.
L'aspect le plus connu, car il a été amplement commenté dans les trois petits livres que je cite au début de ce travail, surtout chez Quinn Slobodian, du « programme » des Lumières obscures, est la version extrême droite des Zones d'Autonomie Temporaire de l'extrême gauche altermondialiste anarcho-écolo












