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L’Ukraine, premier domino d’une guerre impérialiste ?

L'entrevue qu'a donnée, en début juin à LCI, le commandant suprême de l'OTAN pour la transformation militaire permet d'éclairer plusieurs zones d'ombres de ce conflit qui pourrait durer longtemps.
L'amiral Pierre Vandier fait partie de la contribution française à l'OTAN réunissant 32 pays, d'une population totale d'un milliard de personnes. Ce militaire a été sur plusieurs scènes de combat en Yougoslavie, au Mali, en Libye, en Afghanistan et dans la guerre du golf.
L'OTAN déclassée
En fait, l'OTAN se serait endormie sur ses lauriers quand le mur de Berlin est tombé. Bien qu'à la fin de la guerre froide, elle avait un outil militaire complet qui allait de la basse intensité jusqu'au nucléaire, les problèmes de sécurité, telle l'intervention en l'Afghanistan après le 11 septembre, ne nécessitaient pas d'avoir d'importantes quantités de soldats prêts au combat avec un gros stock de munitions.
Pendant ce temps, la Russie a gardé ses habitudes de l'URSS. « La Russie est restée une puissance militaire. Finalement, la chute du mur n'a pas été un grand désinvestissement », explique Pierre Vandier. La meilleure industrie d'armement du monde se demandait pourquoi elle devrait soudainement se mettre à fabriquer des casseroles. Elle a donc continué à entretenir un appareil militaire de bonne qualité, accumulant des stocks considérables. L'actuelle économie de guerre daterait de l'arrivée de Poutine au pouvoir. Les Russes se sont mis à développer des outils et à moderniser leurs vieux matériels permettant d'opérer sous le seuil nucléaire. Ils ont toujours des Tupolev de la guerre froide. Poutine peut aussi reprendre de vieux chars des années 70 et les envoyer au combat. « C'est un pays qui a une vraie profondeur stratégique militaire. » Aujourd'hui, les Russes ont en plus des bombes planantes et des drones.
L'OTAN a brutalement découvert en février 2022 que la Russie restait une force militaire de premier plan qui est prête à envoyer des centaines de milliers de soldats au combat et acceptait de perdre 1000 hommes par jour. Elle tenterait donc de développer sa dissuasion conventionnelle pour pouvoir à nouveau manœuvrer sous le seuil nucléaire. L'amiral explique aussi pourquoi l'économie russe qui est 25 fois moins importante que celle des pays de l'OTAN arrive pourtant à produire quatre fois plus de munitions. « Il (Poutine) paie ses ingénieurs comme des ouvriers, il ne paie pas ses ouvriers. C'est une nation en arme. Aujourd'hui, c'est une guerre existentielle pour la Russie. »
Innover pour gagner
L'amiral décrit ainsi ce qui se passe depuis 2022. « Ils (les Russes) ont réussi à imposer leur style de guerre à l'Ukraine. C'est une guerre qui a finalement une tête de guerre de 14 avec une technologie du 21e siècle. Ça reste du sang et de l'acier. » Les stratégies innovantes ont cependant été payantes. La récente opération Spiderweb aurait détruit plus d'une dizaine d'avions de détection lointaine et stratégique, selon un responsable de l'OTAN. Avec des drones de 500 euros, les Ukrainiens ont réussi à faire flamber des avions qui en coûtent des centaines de millions. « Ce n'est pas nouveau dans l'histoire militaire. Vous vous souvenez de la guerre de Troie, on a pris un cheval en bois, l'a mis à l'intérieur d'une citée et finalement on à réussi à faire avec 10 hommes ce qu'il fallait faire avec 10 000. C'est ça l'art de la guerre. » L'OTAN met aussi en pratique cette idée et opère actuellement en mer baltique 70 drones de surface sans pilotes, pour expérimenter le contrôle maritime avec des drones.
La Russie n'arrêtera pas
L'Ukraine ne serait que le premier domino. L'analyste militaire allemand Carlo Masala imagine dans son récent livre « La Guerre d'après », une attaque russe en 2028 sur Narva, en Estonie. Selon le spécialiste de l'analyse géopolitique, Bruno Tertrais, cette fiction est suffisamment convaincante pour sonner l'alarme. Pierre Vandier croit aussi que ce qui se passe en Ukraine tourne autour de l'impérialisme. « Aujourd'hui, la vision des Russes est une vision où on parle de sphère d'influence, de peuples dominés. La notion de frontière n'a pas de sens. » Il y aurait aussi une asymétrie totale entre la Russie et l'OTAN au niveau de la notion de sacrifice. Comme ils l'ont montré durant la Deuxième Guerre mondiale, les Russes savent souffrir en masse. « Tout le monde a compris qu'il faisait face à une menace à long terme avec la Russie et que ça n'allait pas s'arrêter demain », commente l'amiral.
À ce sujet, l'inspecteur général de la Bundeswehr, Carsten Breuer, a récemment déclaré que la Russie pourrait être en mesure de lancer une attaque à grande échelle contre le territoire de l'OTAN, à partir de 2029. L'Allemagne tenterait donc de recruter de 50 000 à 60 000 soldats supplémentaires au cours des prochaines années, selon le ministre de la Défense allemand Boris Pistorius. Le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, vient aussi de proposer que les 32 pays de l'Alliance consacrent à leur défense 5 % de leur produit intérieur brut (PIB), dont 3,5 % à des dépenses exclusivement militaires. Les pays de l'OTAN devraient donc revenir aux dépenses militaires du temps de la guerre froide, espérant que ce sera suffisant pour dissuader les Russes de reconquérir les morceaux perdus de l'URSS.
Michel Gourd
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Pour une campagne contre le réarmement, les guerres et l’impérialisme

Nous entrons dans une nouvelle ère. Le retour de Trump à la Maison-Blanche est si perturbateur qu'il provoque la crise historique des relations transatlantiques telles qu'elles s'étaient constituées après la Seconde Guerre mondiale. La nouvelle administration républicaine et réactionnaire entend profiter de la nouvelle situation de « chaos géopolitique » pour relancer le rôle des États-Unis d'Amérique par un tournant autoritaire, basé sur l'alliance avec les grands capitalistes high-tech comme Elon Musk, et par une nouvelle politique étrangère qui place l'intérêt national impérialiste au centre.
03 juin 2025 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/por-una-campana-contra-el-rearme-las-guerras-y-el-imperialismo/
Dans ce contexte inédit, les chefs d'État européens accélèrent leur course aux armements. Von der Leyen a promis 800 000 millions d'euros pour l'UE, l'Allemagne a annoncé un plan titanesque de 900 000 millions d'euros, en France une augmentation massive du budget de l'armée française est attendue, qui devrait atteindre au moins 90 000 millions d'euros par an, tandis que dans notre pays (il fait référence à l'Italie, ndlr) les dépenses prévues de 32 000 millions d'euros augmenteront de manière exponentielle.
Le militarisme croissant est justifié par la propagande de guerre contre la « menace russe » et la rhétorique sur les « valeurs européennes » et la « démocratie ». La réalité est très différente. En critiquant la brutalité de Trump, les puissances européennes, qui soutiennent le génocide à Gaza, agissent avec la même logique impérialiste que le dirigeant américain, c'est-à-dire qu'elles se préparent à défendre leurs intérêts et ceux de leurs entreprises avec des armes et des canons.
Militarisme, nationalisme et montée de l'extrême droite réactionnaire
Cette course inexorable aux armements ouvre la voie au désastre pour les classes populaires, les jeunes et l'environnement. Pour financer le réarmement et imposer leur programme militariste, les gouvernements de l'UE se préparent à des attaques de plus en plus brutales contre les conditions de vie des classes exploitées, à disqualifier les politiques de défense de l'environnement et à attaquer les droits démocratiques.
Et c'est précisément dans ce contexte que l'extrême droite réactionnaire avance et, lorsqu'elle ne gagne pas, conditionne de plus en plus les classes dirigeantes bourgeoises, aux États-Unis comme en Italie, en Israël comme en Argentine, en Russie comme en Turquie, en Hongrie comme en Inde, en France comme en Allemagne. C'est une extrême droite qui ne cache pas sa « volonté de puissance », qui méprise même les formes typiques des démocraties libérales « bourgeoises » et qui fait de l'autoritarisme et de la centralité du patron l'axe de sa politique. C'est une extrême droite qui est de plus en plus courtisée par de larges secteurs de la bourgeoisie, parce qu'ils la considèrent comme une solution politico-idéologique valable capable de contrôler les mouvements de masse d'une main de fer, d'imposer des mesures d'austérité et des expropriations brutales afin de récupérer les profits.
La rhétorique impérialiste agressive de Trump, qui pointe vers la conquête du Groenland, la récupération du canal de Panama et l'annexion du Canada, doit être interprétée dans le contexte de cette réorientation, même si elle fait référence à certaines caractéristiques historiques de l'impérialisme américain classique, comme la doctrine Monroe, ou à des présidences républicaines historiques comme celle de William McKinley, caractérisée par le protectionnisme et l'expansion territoriale des États-Unis (Porto Rico, Philippines, ...). La grande différence est que l'expansion impérialiste de McKinley a coïncidé avec l'apogée de la puissance américaine, tandis que les menaces de Trump sont une certaine reconnaissance des limites de la puissance américaine et s'inscrivent dans un contexte de déclin. L'ascension de Trump est, en fait, le symptôme d'une nouvelle situation internationale, dans laquelle nous assistons à l'émergence de la Chine en tant que puissance concurrente, de plus en plus orientée vers une alliance avec la Russie, ainsi que celle de puissances moyennes comme la Turquie et d'autres pays du Sud global qui cherchent à influencer les dynamiques régionales en fonction de leurs propres intérêts et qui ne constituent pas du tout une véritable alternative politique et sociale comme le prétendent imprudemment certains secteurs de la gauche radicale italienne et européenne. La lutte contre l'extrême droite ne peut qu'adopter un profil internationaliste, antimilitariste et solidaire.
Un bond historique dans le militarisme européen
La conséquence de cette crise est un bond en avant dans le militarisme des gouvernements impérialistes européens, un changement qui avait déjà commencé avant la guerre en Ukraine, mais qui va encore s'approfondir. Avec la justification de « l'autonomie souveraine », la « défense de l'Ukraine » et le fantasme d'une invasion par « l'impérialisme russe » et le « nazisme de Poutine », les puissances européennes se préparent à se lancer dans une nouvelle course au réarmement avec le soutien enthousiaste des conservateurs, des sociaux-démocrates, des Verts, des « atlantistes » et des extrémistes de droite.
Les gouvernements, les entreprises, les journalistes et les médias répètent à l'unisson des slogans bellicistes qui rappellent les débuts turbulents du XXe siècle. Il faut défendre l'Europe, ses valeurs, relancer l'industrie militaire, éduquer dans les écoles dans « l'amour de la patrie », former les nouvelles générations nécessaires à l'expansion des armées et peut-être réintroduire le service militaire obligatoire. Les Scurati, les Serra, qui ont été rejoints par la principale force d'opposition, le Parti démocrate, crient sur tous les toits que l'Europe est en danger, qu'elle est seule dans un monde hostile et qu'elle doit se réarmer. Tout est la faute de Trump et de Poutine, c'est pourquoi les États-Unis ont abandonné l'Europe et que la Russie a des ambitions expansionnistes.
Cependant, le militarisme de l'Union européenne précède la guerre en Ukraine
Dans les années 1970, Ernest Mandel a souligné la nécessité d'enquêter sur « l'économie du réarmement permanent » dans son livre fondateur, Le capitalisme tardif, qui n'a jamais été publié en italien. Il a écrit : « Depuis les années 1930, la production d'armes a joué un rôle de plus en plus important dans l'économie impérialiste. Il n'y a pas le moindre signe qui annonce la fin de cette tendance. C'est l'une des caractéristiques du capitalisme tardif qui doit être expliquée à partir du processus de développement socio-économique de cette même forme de production » [Ernest Mandel, Late Capitalism].
L'économie du réarmement permanent est loin d'être terminée, pas même en Europe. Le plan ReArm Europe n'est pas sorti de nulle part. Sans aucun doute, au début de son processus de construction, l'absence d'une politique de défense commune a d'abord favorisé l'image de l'UE comme étant un espace pacifique, libre de pulsions militaristes qui, au contraire, appartenait à des États-nations. Cependant, la militarisation des pays de l'UE a commencé bien avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, mais à partir de 2010. En effet, dans les pays de l'OTAN, les dépenses militaires, majoritairement européennes, sont passées de 162 milliards d'euros en 2014 à 214 milliards d'euros en 2022, soit une augmentation vertigineuse de 32 % [source : Agence européenne de défense, AED, décembre 2022].
L'augmentation des dépenses militaires a été très rapide, en particulier dans les pays baltes et dans les pays d'Europe centrale et orientale (Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Pologne), tandis que certains pays représentent la part la plus importante des dépenses militaires de l'UE : l'Allemagne, la France, l'Italie, la Pologne et les Pays-Bas. Ensemble, ces pays représentent 70 % des dépenses militaires de l'ensemble de l'UE [Allemagne : 23,4 ; France : 20,9 ; Italie : 12,1 ; Pologne : 6,6 ; Pays-Bas : 6.2]. En termes d'armes sophistiquées, la France est le leader avec 71 % de la production européenne, suivie de l'Allemagne avec 22 %.
Le plan ReArm Europe
La Commission européenne (à l'exception du président hongrois, le « trumpiste » Viktor Orbán) a approuvé le plan ReArm Europe, d'un montant de 800 000 millions d'euros, exemptant les dépenses militaires des États de la limite de déficit de 3 % du PIB (l'engagement d'austérité établi dans le Pacte de stabilité et de croissance). Le plan prévoit également des prêts collectifs pouvant aller jusqu'à 150 milliards d'euros pour des investissements militaires par les États membres, ouvrant le financement militaire à des investissements privés, entre autres mesures.
En Allemagne, le futur gouvernement de coalition entre conservateurs (CDU) et sociaux-démocrates (SPD) de F. Merz a annoncé un plan de réarmement monumental approuvé par le Bundestag et le Bundesrat - « la défense à tout prix » - qui prévoit des amendements constitutionnels pour débloquer le plafond de la dette et allouer des milliards d'euros à la défense. Au Bundesrat, le plan a également été approuvé par la majorité des membres de la Chambre haute de Die Linke, ce qui a suscité de nombreuses controverses.
Le gouvernement de Meloni, tiraillé entre Trump et Von der Leyen, semble prudent. En réalité, l'extrême droite nationale met en œuvre sa propre proposition dans le débat sur le plan de réarmement européen, qui prévoit d'allouer des fonds publics européens pour garantir les investissements privés dans le secteur de la défense et de l'innovation technologique. Il s'agit d'une proposition complémentaire qui ajouterait un nouvel outil à ceux déjà prévus dans le plan ReArm Europe, défini par Ursula von der Leyen dans le but d'encourager davantage d'investissements des entreprises européennes dans le secteur militaire.
L'Italie, en revanche, est déjà en pleine course au réarmement. Souvenons-nous, en effet, qu'en 2025 les dépenses militaires seront de 32 000 millions d'euros, dont 13 millions uniquement pour l'armement !
Un nouveau cycle de politiques d'austérité et la relance de l'impérialisme européen
Le réarmement et l'augmentation de l'industrie et du commerce de l'armement dans l'UE visent à augmenter le PIB des États membres et à rétablir le taux de profit pour les entreprises et les investisseurs. Ce réarmement va de pair, et il ne peut en être autrement, avec le renforcement de nouvelles politiques de dette qui préludent à un nouveau cycle d'austérité à moyen terme, générant un imaginaire collectif d'une Europe menacée qui doit répondre selon les anciens paramètres de « l'unité patriotique ». L'UE – et avec elle notre gouvernement, qui s'aligne sur la droite représentée par Von der Leyen, Macron, Merz ou Mark Rutte – répond aux problèmes avec la même logique impérialiste que les États-Unis, la Chine ou la Russie. Comme l'écrit l'économiste Brancaccio, « à l'heure où la crise de la dette oblige l'empire américain à réduire sa zone d'influence et à imposer des droits de douane même à ses vassaux, le problème de la diplomatie européenne se réduit à un seul : concevoir un impérialisme autonome, capable d'accompagner la projection du capitalisme européen à l'étranger d'une puissance militaire autonome » [Il Manifesto, 13 mars 2025]
Les entreprises militaires sont et seront évidemment les principales bénéficiaires de l'augmentation des dépenses militaires. Ce sont les industries de l'armement, concentrées dans un petit nombre d'États membres, qui ont une influence croissante sur la définition des choix stratégiques de la Commission.
En effet, ils sont situés en France, en Allemagne et en Italie et leur chiffre d'affaires n'est en aucun cas négligeable. Selon des sources du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), les groupes américains représentent 50 % du chiffre d'affaires total des 100 premières entreprises mondiales, les groupes européens 14 % et les groupes britanniques 7 %. Parmi les entreprises européennes, celle qui fait le plus d'affaires est Leonardo, tandis que la seconde est Airbus, une entreprise franco-allemande. Cette poignée de grands groupes européens domine la production et la commande publique dans les États membres et influence la stratégie de la Commission. Claude Serfati souligne que « le soutien des principaux groupes européens par les gouvernements nationaux leur a permis de créer de puissants canaux d'influence au niveau communautaire (Commission, Parlement européen, etc.). Depuis les années 2000, les dirigeants des principaux groupes de défense européens sont présents dans les groupes de travail mis en place par la Commission. Ces dernières années, le lobbying auprès de la Commission et du Parlement s'est considérablement intensifié parallèlement à la militarisation de l'UE, bien que les groupes de défense européens n'aient pas été en mesure d'influencer la Commission. [Claude Serfati, Un monde en guerres, Textuel, p. 180].
Si, par conséquent, de forts contrastes et contradictions persistent entre les différents pays européens, les guerres et les crises poussent l'UE vers une plus grande intégration dans le domaine militaire sous l'impulsion d'entreprises militaires.
Avec le tournant actuel marqué par Donald Trump, la poussée vers l'armement est donc inévitable et devrait nous préoccuper, car tout au long de l'histoire, toutes les courses aux armements en Europe se sont terminées par des tragédies et des massacres. Cette course aux armements sera financée en s'attaquant aux acquis sociaux et en liquidant ce qui reste de l'État-providence. Il s'agira également de coupes dans les droits démocratiques et politiques qui sont importantes pour l'extrême droite, comme la réintroduction de la conscription dans certains pays, ce qui pourrait généralement raviver les luttes contre les coupes et les attaques contre les conditions de vie et les mouvements anti-guerre.
Forteresse et sécurité de l'Europe dans le cadre du processus de militarisation
Les mesures répressives prises à l'encontre des migrants font partie intégrante du processus de militarisation en cours. Ce n'est pas une coïncidence s'ils ont augmenté de façon exponentielle ces dernières années. En une vingtaine d'années, les financements de l'UE aux pays de l'autre côté de la Méditerranée pour externaliser le contrôle et la gestion des flux migratoires ont atteint plus de 130 milliards d'euros. En 2021, Frontex, l'agence chargée de contrôler les flux migratoires en Méditerranée, a reçu un financement sans précédent de 5,6 milliards d'euros, qui seront couverts sur la période 2021-2027 avec une augmentation de 194 % par rapport au cycle budgétaire précédent. Ce financement permet l'achat de nouvelles armes « létales et non létales ». Il sera difficile de faire la distinction entre les premiers et les seconds.
C'est ainsi que la politique migratoire jette un éclairage beaucoup plus réaliste sur le comportement des pays européens par rapport aux déclarations de leurs dirigeants sur les « valeurs démocratiques » sur lesquelles reposerait l'intégration européenne.
Le vrai visage de l'Union européenne : l'Europe du Capital, néocoloniale et raciste
Quelle est la crédibilité de l'Union européenne en tant que rempart de la démocratie alors qu'elle n'a pas été en mesure d'arrêter de faire des échanges d'armes avec Israël au moment où il commet le génocide du peuple palestinien ? Quelle crédibilité peut avoir la France qui a pillé et contrôlé l'économie d'une grande partie de ses anciennes colonies ? Quelle crédibilité peut avoir l'Italie, qui défend bec et ongles ces tortionnaires maléfiques qui empêchent les immigrants d'atteindre les côtes italiennes ?
Si l'impérialisme classique justifiait son intervention par la nécessité de civiliser d'autres peuples en exportant les valeurs de la culture occidentale. L'impérialisme contemporain, depuis la guerre d'Irak de 1990, a proclamé l'impératif humanitaire pour ses opérations militaires, les justifiant ainsi dans le but de renverser des gouvernements dictatoriaux.
Avec l'aggravation du chaos géopolitique et l'intensification de la confrontation inter-impérialiste, ces objectifs n'ont pas disparu. C'est pourquoi, aujourd'hui, l'Union européenne fonde sa rhétorique belliciste sur le nom de la paix et de la démocratie. Tout cela est non seulement répugnant, mais aussi profondément fonctionnel pour un projet qui veut renforcer l'Europe du capital, coloniale et raciste, et nourrit l'élan de l'extrême droite. Quelle que soit la manière dont ils seront financés, les plans de réarmement de l'UE ne profiteront qu'aux grands capitalistes, aux marchands de mort qui se frottent déjà les mains devant la hausse de la valeur de leurs actions. Quelle que soit la manière dont ils sont financés, les plans de réarmement s'accompagneront d'une limitation des droits politiques à l'intérieur des pays.
Dénoncer la fausse « pax trumpista »
Lutter contre la guerre, le militarisme et les impérialistes, c'est aussi dénoncer la fausse paix proposée par Trump. Le président américain réélu a radicalement changé la position de son pays sur la guerre en Ukraine. Les États-Unis sont passés de l'armement de l'Ukraine et de la direction des alliés de l'OTAN à l'ouverture de négociations bilatérales de cessez-le-feu directement avec Vladimir Poutine, excluant ainsi leurs anciens alliés (les puissances européennes et Zelensky lui-même) des pourparlers.
Le message de Trump est catégorique et s'agit il plutôt de chantage : soit Zelensky (et ses alliés européens) acceptent les conditions négociées par Poutine pour un cessez-le-feu, soit les États-Unis se retirent. Les négociations sont en cours, en fait elles ne font que commencer. Bien que les détails de la première rencontre entre la Russie et les États-Unis à Riyad soient inconnus, tout accord entre les deux suppose que l'Ukraine admet sa défaite, ce qui implique au moins l'acceptation de la perte de 20 % du territoire occupé par les Russes (les quatre régions autonomes du Donbass plus la Crimée) ; et de se déclarer neutre en renonçant à sa prétention d'adhérer à l'OTAN (et à l'UE). Poutine, quant à lui, a posé comme condition la tenue d'élections en Ukraine sans Zelensky, préconisant son remplacement par un gouvernement pro-Kremlin.
En outre, Trump exige que Zelensky signe un accord pour l'exploitation des minéraux et des terres rares, selon lequel les États-Unis conserveraient la moitié de ces ressources, en compensation de l'aide militaire reçue. Il faut rappeler que c'est Zelensky lui-même qui a le premier proposé cette transaction quasi coloniale à Trump, dans l'espoir d'obtenir en retour une garantie de sécurité de la part des États-Unis, ce qui n'arrivera évidemment pas.
Le temps semble jouer en faveur de Poutine, qui avant d'accepter un cessez-le-feu tentera sûrement de consolider et peut-être d'étendre ses avancées sur le champ de bataille, et de garantir quelques « lignes rouges » pour le Kremlin, dont la neutralité de l'Ukraine, qui comprend la démilitarisation de l'État ukrainien, une zone de sécurité et la garantie qu'il n'y aura pas de troupes de l'OTAN sur le territoire.
Le sort de l'Ukraine, martyrisée par trois ans de conflit, devient donc un butin disputé par les États-Unis et la Russie, les puissances européennes revendiquant, pour l'instant malheureusement, leur part. L'autodétermination du peuple ukrainien ne peut pas être affirmée par le faux plan de paix convenu entre Trump et Poutine, mais seulement par un véritable cessez-le-feu menant à la constitution de véritables dialogues auxquels participent tous les acteurs sur le terrain, à commencer par les Ukrainiens.
Pour une mobilisation européenne unie contre la militarisation en cours. Arrêtez, ReArm Europe !
Face à de nouveaux scénarios de plus en plus sombres, il est plus urgent que jamais de promouvoir une mobilisation européenne unie contre la militarisation. C'est pourquoi nous adhérons avec une ferme conviction à l'appel « Stop ReArm Europe – le bien-être, pas la guerre », lancé entre autres par Transform Europe, le Transnational Institute, Arci et Attac Italia.
Nous le ferons en tant qu'internationalistes et écosocialistes, en concentrant la lutte contre cette Europe du Capital, néocoloniale et impérialiste, pour une autre Europe, celle nécessaire et indispensable que nous voulons, une Europe des travailleurs, solidaire, pacifique et antiraciste, en mettant l'autodétermination des peuples au centre.
C'est précisément pour cette raison que nous le ferons, sans jamais oublier la solidarité anticoloniale avec des luttes telles que celle du peuple palestinien face au génocide sioniste, afin que l'autodétermination du peuple kurde et du Rojava soit reconnue. Il est clair que la classe dominante n'a pas d'autre plan que d'accélérer les crises ouvertes : un projet basé sur l'investissement dans des « moyens de destruction » de la vie et de la planète, pour défendre les intérêts des bourgeoisies. C'est pourquoi nous pensons qu'il est nécessaire d'organiser une confrontation dans le cadre d'un programme écosocialiste, qui confronte ses plans de réarmement et lutte à tous les niveaux contre l'Europe du capital dans une perspective des États-Unis d'Europe comme alternative à la barbarie du présent.
Nous le ferons parce que nous sommes contre tout impérialisme, contre l'OTAN des États-Unis, à la fois dans sa version Biden et Trump, contre les bourgeoisies européennes militaristes et bellicistes, ainsi que contre Poutine et son régime impérial et tsariste, tous unis pour utiliser leurs instruments oppressifs afin de maintenir leurs zones de domination. Nous le ferons aussi parce que nous n'avons aucune confiance dans les autres puissances capitalistes émergentes.
Gippò Mukendi Ngandu,
militant de Sinistra Anticapitalista
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Petit zoom sur la situation mondiale au 4 juin 2025

La situation mondiale, mouvante, est marquée en ce moment par les difficultés rencontrées par l'exécutif trumpiste à Washington. On pourrait dire de Donald Trump qu'il est en situation d'échec, en précisant que ceci ne le rend pas moins dangereux, bien au contraire.
4 juin 2025 | tiré du site Arguments pour la lutte sociale
L'on ne peut saisir toute l'importance de cette situation qu'à la condition de comprendre que cette « montée du fascisme » ou de l'extrême-droite, dont beaucoup parlent sans en caractériser les fondements, n'est pas une vague déferlante emportant les populations, bien au contraire de larges secteurs de celles-ci se battent et résistent, mais constitue une polarisation organisée, à partir d'un axe central qu'il faut désigner si l'on prétend réellement combattre le fascisme : l'axe Trump/Poutine.
Ainsi, l'élection très serrée en Pologne d'un nouveau président du PiS, mais du PiS lié désormais à Trump au pouvoir et ayant par là un fil le reliant à Poutine, Karol Nawrocki, ne participe pas d'une « déferlante », mais, comme deux semaines avant l'échec du candidat poutinien et trumpiste en Roumanie, de l'accentuation des tensions, qui demande que les forces sociales qui ont réellement besoin de démocratie s'organisent de manière indépendante.
C'est de ce point de vue, qui se fonde sur le contenu mondial de la lutte des classes, que nous pouvons poser cette analyse de première importance : le coup le plus dur subi récemment par Trump est celui qu'a reçu Poutine, dimanche 1° juin, avec l'opération ukrainienne détruisant, sur la profondeur du territoire russe, une partie considérable, et non renouvelable, de la flotte aérienne stratégique russe, suivi de frappes sur le pont de Kertch.
Pearl Harbour, cheval de Troie, Trafalgar … les comparaisons ne manquent pas pour ce qui marquera une date dans l'histoire militaire, celle de la capacité affirmée, par la combinaison entre petit matériel, ruse, et IA, à détruire en masse des engins de bien plus grande taille et coût.
Comme le disent les Ukrainiens, ils ont abattu une bonne carte alors que Trump avait crié à Zelenski, dans le bureau ovale, « Vous n'avez pas de cartes » : hé bien si, à condition de la manier sans Washington, malgré Washington, contre Washington.
D'autre part, l'offensive mondiale de Trump sur les tarifs commerciaux a fait chuter puis vaciller les bourses et induit la dislocation du marché mondial, mais sans renforcer les Etats-Unis bien au contraire.
Précisons que ce n'est pas la Chine en tant qu'Etat qui a neutralisé cette offensive ; le pouvoir chinois est affaibli par la crise globale lui aussi.
Les taux des bons du Trésor US et les récriminations de larges secteurs capitalistes et financiers aux Etats-Unis ont conduit un tribunal fédéral dévolu aux questions commerciales à annuler la plupart des décrets de Trump comme portant atteinte à la constitution et aux attributions du Congrès (ce qui est une évidence). La crise constitutionnelle américaine est ouverte pleinement.
L'arrière-plan des affrontements dans et pour l'Etat nord-américain, c'est la mobilisation de couches massives de la société aux Etats-Unis, qui a réalisé, par en bas mais en s'appuyant sur les structures syndicales, plusieurs journées nationales (un fait sans précédents dans ce pays-continent) anti-Trump, avec des millions de manifestants, processus qui va s'intensifier entre le 6 et le 14 juin.
Trump n'est pas arrivé à déporter des millions de migrants et à faire prendre d'assaut les quartiers noirs et latinos des grandes villes, mais des milliers de gens sont traqués, kidnappés, et les affrontements se multiplient, comme à San Diego récemment, où la population affronte les services de l'immigration (ICE) tentant d'embarquer les leurs.
Dans le triumvirat qui était apparu, Musk et Vance flanquant Trump, il y a un mort, ou en tout cas un œil au beurre noir, c'est Musk, qui a fait de gros dégâts mais a échoué à détruire totalement l'administration et les services publics fédéraux. L'importance de Vance s'en trouve renforcée.
Toutefois, la désignation, par le conclave au Vatican, d'un pape refusant l'orientation que J.D. Vance et consorts veulent imprimer au catholicisme, à savoir son intégration à un axe religieux millénariste ultra-réactionnaire avec les fondamentalistes protestants et les orthodoxes poutiniens, est, à cette étape, un échec sec pour l'axe néofasciste Trump/Poutine.
L'interaction entre la crise des Etats-Unis et les affrontements sociaux mondiaux se renforce.
Au Panama, nous avons une situation quasi insurrectionnelle produite par la répression, devenue sanglante avec l'assassinat policier de jeunes « indigènes », de la vague montante de manifestations provoquées par la décision du président Raoul Mulino (qui défend soi-disant la « souveraineté du Panama » !) d'autoriser le déploiement de militaires américains sur le canal, ainsi que contre l'implantation de mines de cuivre et d'un barrage pour les écluses du canal.
Le syndicat du bâtiment (SUNTRACS), colonne vertébrale de la mobilisation nationale, est la cible d'une tentative de destruction. Son dirigeant Saul Mendez s'est réfugié à l'ambassade de Bolivie après l'arrestation de des autres militants, Genaro Lopez et Jaime Caballero.
Trump vient, d'autre part, le 3 juin, de lancer le transfert de la supervision militaire du Groenland, dans le cadre de l'OTAN, du Commandement américain en Europe au Commandement Nord (créé seulement en 2022), Northcom. Cette mesure unilatérale envers les Etats européens membres de l'OTAN est menaçante pour le Groenland et donc pour le Danemark, et au-delà.
C'est dans ce cadre et en relation avec la résistance ukrainienne qu'il faut jauger la question de Gaza.
En effet, la démonstration ukrainienne, indépendamment de l'orientation du gouvernement Zelenski, parce qu'il a agi pour se défendre, montre ce que les pays européens devraient faire à Gaza : agir indépendamment, sans autorisation ni aval de Washington, pour briser le blocus en mobilisant des moyens militaires.
Bien sûr, le refus, l'incapacité ou la réticence des gouvernements européens soucieux des seuls intérêts capitalistes et impérialistes européens, à agir ainsi, soulève « la nécessité de lutter pour des gouvernements orientés sur la défense des droits humains, droits sociaux et écologiques en politique intérieure, avec une politique extérieure internationaliste et démocratique conséquente. »https://aplutsoc.org/2025/06/04/pro...
En France, contre Macron et la V° République, cela veut dire un gouvernement démocratique qui hausse les salaires, abroge la loi sur les retraites, sauve les services publics, engage la lutte écologique, arme l'Ukraine et force le blocus à Gaza.
Le combat antifasciste c'est le combat pour remettre en avant, maintenant, cette perspective en France, et ses équivalents dans toute l'Europe, car l'Europe est le point de bascule central de l'affrontement social mondial entre la majorité prolétarienne qui a besoin de démocratie, et tous les hégémons néofascistes et totalitaires.
VP, le 4/06/25.
Photo illustrant cet article : les ouvriers agricoles des bananeraies de Panama en grève de masse.
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Pour une gauche de rupture, vivante et enracinée : pourquoi je me présente à Québec solidaire

Lettre lue par Geru Schneider lors de l'annonce de sa présentation au poste de porte-parole masculin de Québec solidaire le 5 juin dernier.
Je m'appelle Geru Schneider, j'ai 32 ans. Je suis fils d'immigrants chiliens dont des membres de ma famille ont fui la dictature. Je suis le fruit d'un peuple qui a résisté, aimé la liberté, payé cher pour la dignité. Ce parcours familial a façonné ma boussole politique : la solidarité, la justice, l'émancipation.
Aujourd'hui, j'annonce ma volonté de me présenter au poste de co-porte-parole masculin de Québec solidaire.
Je le fais avec une certaine gravité et un grand espoir. Gravité, car nous vivons une période de bascule sociale, écologique et politique. Espoir, parce que je suis convaincu que Québec solidaire peut redevenir un véritable mouvement de rupture : enraciné dans les luttes, vivant, démocratique, capable de porter un projet d'émancipation collective.
Je viens des mouvements sociaux. J'ai fait la grève étudiante de 2012. J'ai milité pour le droit au logement, l'éducation gratuite, aux côtés de syndicats, de groupes communautaires, de campagnes de solidarité internationale. J'ai côtoyé le milieu communautaire, les milieux syndicaux, la politique municipale comme attaché politique... et même l'usine.
Ce que j'apporte, ce n'est pas un CV politique de carrière. C'est un parcours de terrain. Une conviction : la politique ne peut pas être coupée des espoirs et des colères réelles de notre monde.
Une gauche de rupture, parce que le monde exige mieux
Nous sommes plusieurs à croire qu'il faut rompre avec une certaine idée de la politique. Rompre avec la personnalisation à outrance. Rompre avec le culte des marques, des figures, des visages solitaires. Je ne veux pas être un chef, une vedette ou un homme providentiel. Je veux être un porte-voix. Un vrai porte-parole. Non pas pour moi, mais pour celles et ceux qui luttent pour des communs, pour la liberté, pour la dignité.
Québec solidaire doit redevenir un parti qui ose. Une gauche assumée. Une gauche de la rue, des droits sociaux, des oubliés, des Premières Nations, des luttes féministes et antiracistes, antifascistes, internationaliste, de la solidarité et d'autodétermination.
Pourquoi une gauche de rupture ?
Parce que notre époque est marquée par l'effondrement climatique, la montée des inégalités, l'effritement de nos acquis sociaux, la montée des droites extrêmes et de l'extrême droite et des reculs démocratiques. Une gauche de rupture ne gère pas ces crises : elle nomme le système qui les produit — le capitalisme — et elle s'y oppose. C'est une gauche post-croissance, écoféministe et radicalement fraternelle. Un mouvement qui pense l'écologie comme un projet de société, ancré dans la justice, le soin, la vie collective.
Je crois à l'indépendance du Québec. Mais pas à celle des murs ni de l'exclusion. Je crois à une indépendance décoloniale, antiraciste, plurielle, populaire. Une indépendance qui reconnaît les Premières Nations d'égal à égal, et qui refuse de répéter les silences et les exclusions du passé — comme ces propos de 1995 sur les « votes ethniques », qui ternissent et hante encore notre histoire et notre beau projet politique émancipateur.
Rendre le parti aux membres
Ce qui me pousse à me lancer, c'est aussi le constat que notre démocratie interne a été fragilisée. Trop souvent, des décisions structurantes ont été prises sans débats réels, avec des délais trop courts, dans des formats encadrés et descendants.
C'est particulièrement vrai dans le processus actuel de réactualisation du programme. Ce moment, qui devrait être un grand exercice politique collectif, s'est enclenché sans véritable travail de formation à la base, avec des thèmes imposés, des questions orientées, et des prises de notes peu transparentes. Pendant que les membres participent de bonne foi à ce processus, des versions retravaillées du programme circulent déjà en parallèle dans certains cercles, loin de la base.
Il ne s'agit pas ici d'accuser, mais de proposer une autre manière de faire : plus ouverte, qui prends le temps ; bref, plus démocratique. Nous devons créer des espaces de formation, de confrontation d'idées, de réflexion réelle. Ce travail pourrait être non seulement politique, mais mobilisateur. Il pourrait ramener vers nous celles et ceux qui nous ont quittés, et convaincre celles et ceux qui cherchent une gauche crédible, vivante et cohérente.
Il faut une refondation démocratique. Une démarche horizontale, inclusive, joyeuse, enracinée. Revoir notre programme ; se pencher sur des sujets importants, oui — mais avec franchise, avec du temps, en impliquant les membres à toutes les étapes. Ces moments pourraient redevenir captivants, mobilisateurs, et ramener vers nous celles et ceux que nous avons perdus en chemin et ceux et celles qui cherchent une véritable alternative.
Je ne cherche pas à personnifier un mouvement. Être porte-parole, pour moi, c'est porter une voix collective, enracinée dans les luttes concrètes. Je veux que Québec solidaire redevienne un lieu d'organisation et de convergence : pour tous les Québécoise et québécois, pour les jeunes, les travailleuses et travailleurs, les chômeuses et chômeurs, les féministes, les militantes et militants communautaires et syndicaux, les groupes antiracistes — toute personne qui vit en marge du pouvoir et qui cherche une alternative réelle. Un lieu où l'on débat, où l'on agit, où l'on espère collectivement le Québec de demain.
Un parti fort parce qu'il est cohérent, accueillant et profondément démocratique.
Ce qui nous attend
Si nous voulons devenir un mouvement large, il faudra briser l'illusion qu'il faut tout lisser pour plaire. L'unité, ce n'est pas l'uniformité. C'est l'alignement volontaire autour d'un horizon commun : liberté, égalité, solidarité, démocratie, émancipation.
Je ne propose ni nostalgie révolutionnaire ni populisme creux. Je propose un projet politique crédible, ancré dans le réel, porteur d'espoir. Pour celles et ceux qui ne veulent plus de la gestion molle de l'inacceptable.
Je veux porter une autre voix. Celle de la base. Celle des membres. Celle d'un parti vivant, militant, transformateur. Québec solidaire ne doit pas être un petit parti de gauche poli à l'Assemblée nationale, mais un grand mouvement politique de rupture.
Si le vent se lève, je me lèverai avec vous.
On ne bâtira pas l'avenir avec de la prudence. L'heure est venue d'oser. Ensemble.
Geru Schneider
Militant de terrain, solidaire par instinct, par histoire et par espoir.
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La France a soutenu l’apartheid : l’assassinat de Dulcie September

Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/histoire/afrique-du-sud/enquete-la-france-a-soutenu-lapartheid-lassassinat-de-dulcie-september
Martin Jamet
Mike Strachinescu
Rosa Moussaoui
Publié le 6 juin 2025
Le 29 mars 1988, Dulcie September, une militante sud-africaine, figure de la lutte anti-apartheid, était assassinée en plein Paris. Retour sur un meurtre qui jette une lumière crue sur les relations de la France avec le régime raciste alors en place en Afrique du Sud.
Paris, 10ᵉ arrondissement, rue des Petites écuries. Une petite voie, située à deux pas du métro Château d'Eau. C'est ici qu'a été assassinée, le 29 mars 1988, Dulcie September, une militante sud-africaine, figure de la lutte anti-apartheid. Cinq balles silencieuses tirées à bout portant, dans la tête et dans la nuque, devant la porte de son bureau au 4ᵉ étage de cet immeuble.
Dulcie September était alors en pleine investigation sur les relations troubles entretenues par la France et l'Afrique du Sud.
Elle enquêtait sur le trafic d'armes illégal et la collaboration nucléaire entre les deux pays et se savait menacée. Une enquête bâclée, un non-lieu quatre ans plus tard et un crime politique toujours non élucidé, 35 ans après. Une chose est certaine, cette combattante acharnée embarrassait la France et l'Afrique du Sud. Aujourd'hui, sa famille est toujours engagée dans un combat pour faire reconnaître une défaillance de la justice française dans le dossier. Et obtenir justice et vérité sur ce crime d'Etat, commandité par les services secrets sud-africains avec des complicités françaises.
Un âpre combat judiciaire
Plus de 35 ans après l'assassinat de Dulcie September, sa famille n'abdique pas et mène un âpre combat judiciaire pour obtenir la vérité. Suite au refus de la justice d'ouvrir de nouvelles investigations après une nouvelle plainte en 2019 – sous motif de prescription – la famille a engagé une nouvelle procédure en 2021 contre l'État français. Elle l'accuse de « faute lourde » et de « déni de justice » dans le traitement de l'affaire et le non-lieu prononcé en 1992.
Déboutés en première instance, les neveux et nièces de Dulcie September ont fait appel. Durant la dernière audience, qui s'est tenue en avril dernier, l'avocat a une nouvelle fois défendu l'idée selon laquelle l'assassinat de Dulcie September relevait du crime d'apartheid, défini dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale comme crime contre l'humanité, et donc imprescriptible. L'arrêt de la cour d'appel sera rendu le 10 juin prochain.
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Libye : Sous le joug des milices

La responsabilité du premier ministre dans le déclenchement des conflits entre milices pour protéger son réseau de corruption, déclenche une réprobation populaire.
Il y a un mois résonnaient les détonations d'armes automatiques et d'artillerie lourde dans Tripoli, la capitale de la Libye, mettant fin à l'illusion d'une stabilisation du pays.
Abdel Ghani Al-Kikli dirigeant du Stability Support Apparatus (SSA – Structure de soutien à la stabilité) une des milices officiellement intégrée au Gouvernement d'Union Nationale (GUN) de Dbeibah était assassiné au siège de la Brigade 444, un autre groupe armé qui en profita aussitôt pour attaquer les positions du SSA provoquant la fuite de la plupart des combattants.
Conflit entre clans mafieux
Dbeibah affirmait que désormais le temps des milices était résolu et tenta dans la foulée de s'en prendre aux Forces spéciales de dissuasion souvent appelées RADA, un groupe salafiste qui jouait le bras armé de Njeem inculpé par la CPI pour crime contre l'humanité. Il sera arrêté en Italie puis libéré et exfiltré en Libye avec la bénédiction du gouvernement de Meloni.
Non seulement la brigade 444 n'est pas arrivée à bout du Rada, mais cette attaque a largement fragilisé le GUN puisque la moitié de ses membres a démissionné et surtout des milices de la ville de Zaouïa ont soutenu RADA.
Ces affrontement inter-milices témoignent de la volonté de Dbeibah d'obtenir un pouvoir absolu à l'image de son rival le général Haftar, qui avec ses fils contrôle d'une main de fer la partie est du pays. Dbeibah, cet homme d'affaire issu de Misrata a fait fortune grâce aux bonnes relations que son clan familial entretenait avec Mouammar Kadhafi. Son accession au pouvoir en 2021 était liée à l'organisation d'élections qui devaient se tenir dans les huit mois. Quatre ans plus tard il n'y a toujours pas d'élections, par contre Dbeibah n'a pas perdu son temps en consolidant son réseau de corruption fortement concurrencé par Al-Kikli se montrant bien plus efficace dans la spoliation des ressources de l'Etat alimentées par la manne pétrolière.
Une pauvreté en progression
Suite au cessez-le-feu signé entre les deux milices, un calme précaire règne de nouveau sur la capitale libyenne. Mais ces affrontements ont exacerbé le mécontentement des populations. Des manifestations ont été organisées dans plusieurs quartiers de Tripoli. Ces dernières ont convergé vers la place des martyrs rassemblant plus de 4000 personnes, ces mobilisations ont continué les jours suivants malgré la répression. Les mots d'ordre contre Dbeibah et pour l'unification du pays ont été scandés.
Si les élites politiques et militaires s'allient ou s'affrontent pour siphonner les richesses de l'Etat, la situation des populations se détériore grandement. Mohamed al-Huwaij, le ministre de l'Économie du GUN, indique que près de 40 % des Libyens se trouvent sous le seuil de pauvreté. Les affrontement inter milices ont eu au moins le mérite de révéler au grand jour le rejet des dirigeants par une grande partie de libyens.
Paul Martial
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Québec solidaire doit demander l’abrogation de la loi 69 assurant la gouvernance responsable des ressources énergétique et modifiant diverses dispositions législatives et exiger que soit lancé un large débat public sur l’avenir énergétique du Québec

Proposition d'urgence du Comité d'action politique Écologiste présentée au Conseil national au Conseil national du 7 et 8 juin 2025. Cette proposition d'urgence a été adoptée par le Conseil national de Québec solidaire tenu les 7 et 8 juin dernier.
1. CONSIDÉRANT que l'urgence climatique et la nécessité d'être carboneutre d'ici 2050 ne sont plus à démontrer ;
2. CONSIDÉRANT la déclaration du programme du parti sur la souveraineté des peuples autochtones et de son principe afférent des relations d'égal à égal et de nation à nation ;
3. CONSIDÉRANT que la Loi 69, qui vise à doubler la production énergétique du Québec d'ici 25 ans, comporte plusieurs risques importants pour le Québec, notamment :
a. Miser principalement sur la croissance énergétique pour attirer des multinationales en leur offrant des tarifs d'électricité concurrentiels ;
b. Négliger la décarbonation de notre économie et ignorer les entreprises locales concernées ;
c. Privatiser la production et la distribution de l'électricité ;
d. Augmenter significativement les tarifs d'électricité ;
e. Ignorer la sobriété énergétique et la protection de nos territoires agricoles et des écosystèmes ;
f. Soutenir et développer un extractivisme qui sert la filière batterie et l'électrification du parc automobile, tout en négligeant les transports collectifs publics ;
4. CONSIDÉRANT le consensus de plusieurs peuples autochtones et organisations de la société civile, notamment le syndicats et groupes écologistes qui exigent un débat public large sur l'avenir énergétique du Québec avant d'élaborer un Plan de gestion intégré des ressources énergétiques (PGIRE) ; 5. CONSIDÉRANT l'impact de la loi sur plusieurs régions du Québec par des projets comme le Projet TES Mauricie ;
6. CONSIDÉRANT, d'après ce qui précède, qu'il y a urgence d'agir, le Comité d'action politique écologiste propose :
1) Que Québec solidaire demande l'abrogation de la loi 69 ;
2) Que Québec solidaire, en collaboration avec les peuples autochtones et les organisations alliées, exige la tenue d'un large débat public de société sur l'avenir énergétique du Québec dans une perspective de transition socio- écologique juste et de repossession collective de nos ressources énergétiques ;
3) Que Québec solidaire appuie les revendications des opposant·es au projet de loi 69 et encourage la participation de ses membres aux mobilisations de 2025 et 2026 en faveur d'une transition énergétique juste, fondée sur la planification démocratique des besoins, la décentralisation régionale et la gestion collective de l'énergie sous contrôle public, de la production et la distribution.
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La position de l’Afrique dans le nouvel ordre mondial

L'Afrique est aujourd'hui à la croisée des chemins, prise entre les crises internes, les dynamiques changeantes du pouvoir mondial et le lent déploiement de l'ordre politique postcolonial. D'un côté à l'autre du continent, les partis au pouvoir, autrefois légitimés en tant que libérateurs nationaux, perdent du terrain, mais l'opposition reste divisée et n'a pas grand-chose à offrir en termes de gouvernance alternative.
25 juin 2025 | tiré de Viento sur
https://vientosur.info/la-posicion-de-africa-en-el-nuevo-orden-mundial/
Le Soudan reste pris au piège d'une guerre dévastatrice entre les forces armées soudanaises et les forces paramilitaires de soutien rapide. C'est un conflit qui a déplacé des millions de personnes et qui s'est en même temps internationalisé, l'Égypte et les Émirats arabes unis soutenant des camps opposés.
Les élections de 2024 au Mozambique ont été l'un des exemples les plus clairs de ce déclin, lorsque le parti au pouvoir, le Frelimo, a été proclamé vainqueur d'un processus condamné par de nombreuses personnes comme étant frauduleux. Le chef de l'opposition Venâncio Mondlane, candidat du parti Podemos nouvellement créé, a accusé le gouvernement d'avoir orchestré une manipulation électorale massive, avec des décomptes parallèles des votes indiquant qu'il avait effectivement remporté les élections. Le parti au pouvoir a réagi aux manifestations de masse en déclenchant une violente répression. Ce faisant, il a poursuivi sa tendance à réprimer la dissidence politique et à maintenir son contrôle par des moyens de plus en plus autoritaires.
La perte de légitimité de ces gouvernements de l'ère de la libération ne se limite pas au Mozambique. En Afrique du Sud, le Congrès national africain (ANC) a perdu sa nette majorité pour la première fois depuis 1994, ne remportant qu'environ 40 % des voix aux élections de 2024. Après des décennies de domination politique, le parti fait maintenant partie d'une coalition difficile et extrêmement fragile avec l'Alliance démocratique (DA), un parti avec lequel il a longtemps rivalisé. Cela a forcé l'ANC à gouverner à partir d'une position plus centriste, limitant sa capacité à développer des politiques auxquelles sa base traditionnelle pourrait s'attendre.
Alors que certains secteurs de l'ANC considèrent cette coalition comme une concession nécessaire pour maintenir la stabilité, d'autres la qualifient de trahison de la mission historique du parti, notamment en raison de l'orientation politique néolibérale de la DA. Les conséquences de ces événements restent à voir : elles dépendront de la persistance du gouvernement de coalition, de la poursuite de la fracture de l'ANC ou de la force des mouvements d'opposition en dehors du processus électoral officiel.
Le déclin de l'ANC fait partie d'une tendance plus large en Afrique australe, où le Zanu-PF du Zimbabwe s'enracine au pouvoir par des moyens répressifs plutôt que par le soutien populaire, en utilisant le pouvoir judiciaire et la commission électorale pour bloquer toute contestation de l'opposition. Pendant ce temps, la Swapo en Namibie et le BDP au Botswana ont été confrontés à des revers électoraux sans précédent (le BDP a perdu une élection pour la première fois depuis l'indépendance), ce qui indique que même les partis au pouvoir autrefois stables ne sont plus assurés d'une victoire électorale facile. L'émergence de ces changements indique que leurs références autrefois puissantes en tant que partis libérateurs ne sont plus suffisantes pour obtenir un mandat gouvernemental suffisant.
Conflit
L'affaiblissement de ces gouvernements s'inscrit dans un contexte d'aggravation des conflits et d'instabilité dans d'autres parties du continent.
Le Soudan reste empêtré dans une guerre dévastatrice entre les forces armées soudanaises et les paramilitaires des Forces de soutien rapide. Ce conflit a déplacé des millions de personnes et est progressivement devenu international, l'Égypte et les Émirats arabes unis soutenant des camps opposés. La guerre a non seulement aggravé l'effondrement économique du Soudan, mais elle constitue également une menace pour la stabilité régionale, avec des retombées au Tchad, au Soudan du Sud et en Éthiopie.
La République démocratique du Congo (RDC) continue de lutter contre les insurrections armées, en particulier le M23 soutenu par le Rwanda, qui exacerbe les tensions régionales. Les accusations d'ingérence transfrontalière contribuent à la détérioration des relations diplomatiques.
Ces crises ne sont pas isolées, mais reflètent un échec plus profond de la gouvernance à travers l'Afrique, où, dans de nombreux cas, l'État est incapable de résoudre les griefs sociaux et économiques sans recourir à la violence.
L'effet Trump
Au milieu de toutes ces crises, l'Afrique doit aussi faire face au changement de l'ordre international. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a déjà commencé à remodeler les relations de l'Afrique avec les États-Unis. Il y a eu un changement en faveur d'une relation plus transactionnelle et d'un accent renouvelé sur la sécurité plutôt que sur le développement. L'une des premières grandes mesures de politique étrangère de Trump a été l'élimination de l'aide au développement avec le démantèlement de l'USAID et le retrait du financement de programmes de santé cruciaux, y compris le Plan d'urgence du président américain pour la lutte contre le sida (PEPFAR). Des millions de personnes n'ont donc pas accès au traitement du VIH et à d'autres services essentiels.
Cela s'est fait sentir de manière plus aiguë dans les pays où les systèmes de santé sont déjà mis à extrêmement rude épreuve, ce qui exacerbe les crises de santé publique qui pourraient avoir des effets déstabilisateurs à long terme. Le gouvernement américain justifie ces coupes par des arguments typiques de son idéologie America First, qui considère l'aide étrangère comme une dépense inutile et non comme un investissement stratégique dans la stabilité.
Et cela a coïncidé avec un durcissement de la politique américaine en matière de migration. Le gouvernement envisage d'interdire l'octroi de visas d'entrée qui pourraient affecter des dizaines de pays africains en limitant l'accès des étudiants, des travailleurs et des touristes. Cette approche n'est pas sans rappeler la fermeture des frontières de la première présidence de Trump. Cela annonce un approfondissement de l'isolement des États-Unis par rapport à l'Afrique, traitant le continent davantage comme un risque pour la sécurité et une source non souhaitée d'immigrants que comme un partenaire diplomatique ou économique.
Trump et l'Afrique du Sud
L'hostilité manifestée par l'administration américaine à l'égard de l'Afrique du Sud a été particulièrement choquante. Trump a expulsé l'ambassadeur sud-africain et imposé des sanctions en réponse à la politique d'expropriation des terres et aux positions de politique étrangère de Pretoria, notamment sa volonté de tenir Israël responsable du génocide qu'il commet à Gaza. Le gouvernement américain maintient que cela implique de la sympathie pour le Hamas et l'Iran.
Ces mesures punitives reflètent le malaise général du trumpisme à l'égard des gouvernements qui remettent en question l'hégémonie américaine, en particulier ceux du groupe des BRICS. En qualifiant les positions politiques de l'Afrique du Sud d'« anti-américaines », Trump a effectivement rompu l'une des relations diplomatiques les plus importantes entre les États-Unis et une puissance africaine. Cela s'inscrit également dans la volonté générale de sa présidence de privilégier les États autoritaires de droite et d'isoler les gouvernements qu'il considère comme de gauche ou indépendants.
Les États-Unis, la Chine et les ressources africaines
En même temps, le gouvernement de Trump cherche à établir un type de relation différent avec certains pays africains, notamment en ce qui concerne les ressources. Il négocie actuellement un traité sur les minéraux stratégiques avec la République démocratique du Congo (RDC). Il propose une assistance militaire en échange d'un accès exclusif à des minéraux critiques, indispensables aux industries de pointe des États-Unis, en particulier le secteur technologique et l'industrie militaire. L'accord garantirait aux entreprises américaines un contrôle étendu sur l'extraction du cobalt et d'autres minéraux essentiels. Cela reflète un changement dans la stratégie des États-Unis, qui remplacent l'aide au développement par une extraction économique directe.
Le gouvernement américain affirme que cette collaboration contribuera à stabiliser la RDC en lui apportant une aide en matière de sécurité. Les critiques, quant à elles, estiment que cette démarche risque d'intensifier une dynamique néocoloniale en donnant la priorité à l'extraction des ressources plutôt qu'à un véritable développement économique.
La politique de la Chine à l'égard de l'Afrique est elle aussi en mutation. Pendant deux décennies, Pékin a été le principal partenaire économique du continent, finançant des infrastructures et commerçant à une échelle bien supérieure à celle de toute autre puissance étrangère. Cependant, avec le ralentissement de l'économie chinoise, sa disposition à accorder des prêts importants aux gouvernements africains s'est réduite. Des pays comme la Zambie et le Kenya, lourdement endettés envers la Chine, subissent déjà les pressions de cette nouvelle stratégie de crédit. Il semble que l'époque où la Chine offrait des facilités de financement pour de grands projets d'infrastructure touche à sa fin.
Cela place les pays africains dans une position précaire. De nombreux gouvernements, qui ont structuré leur économie autour d'investissements chinois continus, peinent désormais à s'adapter à cette nouvelle réalité. Ce changement réduit les options de financement extérieur pour l'Afrique, d'autant plus que les institutions financières occidentales imposent elles aussi des conditions de plus en plus strictes pour l'octroi de prêts, en particulier aux pays fortement endettés.
Une nouvelle politique est-elle possible ?
Pour les gouvernements africains, ces changements soulèvent des questions difficiles en matière de stratégie politique et économique. Le déclin des mouvements de libération nationale n'a pas encore conduit à l'émergence d'alternatives progressistes viables. Les partis d'opposition à travers la région défendent pour la plupart des modèles de gouvernance néolibéraux au lieu d'articuler de nouvelles approches de transformation économique. Plutôt qu'un tournant clair vers un renouveau démocratique, une grande partie du continent semble tiraillée entre la montée de la répression étatique et la fragmentation des oppositions. Beaucoup de partis d'opposition, bien qu'ils critiquent les gouvernements en place, n'ont pas été en mesure de proposer des programmes économiques rompant avec le paradigme néolibéral dominant. Cela signifie que, même dans les pays où les partis au pouvoir subissent un déclin électoral, il y a peu d'éléments laissant croire que leur remplacement transformerait réellement le paysage politique ou économique.
Bien que des mouvements impliqués dans des luttes syndicales ou communautaires continuent de revendiquer un changement, leur capacité à remettre en cause les structures de pouvoir établies demeure incertaine. La faiblesse actuelle des alternatives de gauche en Afrique reflète une tendance mondiale plus large, où les forces socialistes et social-démocrates peinent à se réaffirmer dans un monde dominé par le capital financier et le pouvoir des entreprises.
Cependant, il y a des signes que cela pourrait changer. D'un bout à l'autre du continent, les appels à la souveraineté économique se multiplient, à des programmes de renforcement de la protection sociale et aux résistances financières extérieures. Si ces luttes donnent naissance à des formations politiques cohérentes, elles pourraient jeter les bases d'un nouveau type de politique, une politique qui rompt avec les échecs des partis issus de la libération et les limites des forces d'opposition libérales.
L'ordre politique postcolonial en Afrique est en train de s'effondrer, mais on est loin d'être clair sur ce qui va suivre. L'érosion de la légitimité des partis au pouvoir ne s'est pas encore traduite par une transformation significative du système. Dans de nombreux cas, elle n'a fait qu'ouvrir la porte à de nouvelles formes de manœuvre des élites. En cette période de transition, la véritable bataille ne se limite pas au seul terrain électoral, mais concerne la nature même de l'État, la gouvernance économique et la place de l'Afrique dans un ordre mondial en mutation rapide. Jusqu'à ce que des alternatives émergent pour faire face aux dépendances du continent vis-à-vis de la finance mondiale, de l'extraction des ressources et de la croissance basée sur la dette, l'Afrique continuera d'être soumise à des cycles d'instabilité, avec ou sans les anciens mouvements de libération aux commandes.
02/04/2025
Will Shoki
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Québec solidaire doit s’opposer au projet de loi 97 visant principalement à moderniser le régime forestier et doit demander une large consultation publique sur la préservation et la gestion des forêts du Québec

Proposition d'urgence du CAP Écologiste présentée au Conseil national des 7-8 juin 2025. Cette proposition d'urgence a été adoptée par le Conseil national de Québec solidaire tenu les 7 et 8 juin dernier.
1. CONSIDÉRANT que l'urgence climatique et la nécessité de protéger et de restaurer la biodiversité ne sont plus à démontrer.
2. CONSIDÉRANT que le Québec adhère au Cadre mondial de la biodiversité de Kunming adopté à Montréal en 2022 par la 15e Conférence des Parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique.
3. CONSIDÉRANT que le projet de loi 97 néglige plusieurs mesures de protection de la biodiversité de l'accord Kunming, notamment, la protection des territoires, leur usage durable dans le respect des droits des communautés autochtones et locales ainsi que la protection de la biodiversité dans l'ensemble des politiques publiques.
4. CONSIDÉRANT que de nombreux acteurs s'opposent à l'adoption du projet de loi 97 [1] , notamment les peuples autochtones qui n'ont pas été parties prenantes de la consultation visant à réformer le régime forestier du Québec ainsi que la Fédération québécoise des municipalités (FQM) qui craignent de voir les ressources forestières de leurs territoires ne soient exploitées par l'industrie forestière à un rythme non viable et qui ne permet pas de préserver les emplois de ce secteur à plus long terme.
5. CONSIDÉRANT que les forêts jouent un rôle essentiel dans un contexte de crise climatique, puisqu'elles captent et séquestrent le carbone.
6. CONSIDÉRANT que les forêts sont déjà affectées par le réchauffement climatique et que Québec solidaire doit prévoir des mesures pour accompagner leur adaptation et favoriser leur résilience.
7. CONSIDÉRANT, d'après ce qui précède, qu'il y urgence d'agir, le Comité d'action politique écologiste propose :
1. Que Québec solidaire s'oppose à l'adoption du projet de loi 97 dans sa forme actuelle ;
2. Que Québec solidaire exige qu'une nouvelle mouture du projet de loi 97 protégeant adéquatement les milieu naturels soit déposée à l'automne ;
3. Que Québec solidaire exige la tenue d'une vaste consultation publique portant sur la modernisation du régime forestier ainsi que sur la préservation des forêts du Québec. Dans le cadre de ce processus démocratique, les divers acteurs seront invités à prendre part aux décisions, notamment les peuples autochtones, les municipalités et leurs regroupements, les syndicats, la société civile, l'industrie du tourisme et l'industrie forestière. Cette consultation devra prendre en compte les études les plus récentes qui concernent l'état de nos forêts au Québec et les meilleures pratiques pour les préserver.
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« Les massacres en Palestine sont similaires à ceux de la colonisation en Afrique »

Entretien · Malgré une solidarité ancienne avec la cause palestinienne forgée dans les luttes anticoloniales, les États africains peinent à faire face à l'influence israélienne. L'ambassadeur de Palestine en Côte d'Ivoire, Abdal Karim Ewaida, décrypte ces relations, et il se félicite de ce qu'il analyse comme le réveil de l'engagement africain en faveur de son pays.
Tiré d'Afrique XXI.
Alors que Gaza subit depuis plus de dix-huit mois une guerre génocidaire, un basculement discret s'opère en Afrique : celui d'un réveil diplomatique sur la cause palestinienne. En janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a reconnu la plausibilité d'un génocide à Gaza, à la suite de la plainte déposée par l'Afrique du Sud. Cet engagement est historique, même s'il n'a pas permis de mettre fin à la violence israélienne. Dans la foulée, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a adopté une résolution (1) condamnant l'« apartheid » israélien qui responsabilise les États africains.
Mais la solidarité avec la Palestine reste fragmentée. Elle est portée par certains pays comme l'Afrique du Sud, l'Algérie, la Namibie, le Sénégal. Le Cameroun ou l'Érythrée refusent encore de reconnaître l'État de Palestine. Le Rwanda, pourtant marqué par le génocide des Tutsis en 1994, demeure un allié de Tel-Aviv. Le Maroc, malgré des manifestations imposantes contre la normalisation de ses relations avec Israël, poursuit sa coopération sécuritaire et technologique.
Comment expliquer ces dissonances ? Quel rôle jouent les calculs diplomatiques, les partenariats sécuritaires ou encore l'influence grandissante des Églises évangéliques pro-israéliennes ? Que peut faire le continent pour la Palestine ? Ancien ministre des Affaires étrangères, ex-ambassadeur au Niger et au Burkina Faso, l'ambassadeur de Palestine en Côte d'Ivoire, Abdal Karim Ewaida, répond à ces questions dans un entretien accordé à Afrique XXI où il décrypte les batailles politiques au sein de l'Union africaine (UA) et appelle le continent africain à transformer sa mémoire historique en force diplomatique.
« Israël a une diplomatie patiente, méthodique et opaque »
Raouf Farrah : En 2020, Israël a tenté d'obtenir le statut d'observateur auprès de l'UA. Cela a déclenché une intense bataille diplomatique qui a conduit à son exclusion, en 2023. Ce n'était pas une première : Israël courtise l'UA depuis deux décennies. Que révèle, selon vous, cette séquence ?
Abdal Karim Ewaida : Cette tentative n'était pas anodine. Israël cherchait à redéfinir les équilibres diplomatiques du continent à son avantage, en misant sur les divisions internes à l'UA. Depuis 2002, il multiplie les démarches pour obtenir un statut officiel qui lui permettrait d'influencer de l'intérieur les décisions collectives africaines. Cette offensive a mis au jour une ligne de fracture entre les États qui privilégient des partenariats stratégiques immédiats – sécuritaires, agricoles, technologiques – et ceux qui restent fidèles aux principes fondateurs de l'UA : l'autodétermination, les droits humains et la solidarité avec les peuples opprimés.
Accorder ce statut à Israël aurait représenté une rupture symbolique majeure : cela aurait affaibli l'engagement collectif de l'Afrique en faveur de la Palestine et miné sa crédibilité sur la scène internationale. Fort heureusement, des pays comme l'Afrique du Sud, l'Algérie et la Namibie se sont mobilisés pour faire barrage.
Mais ce refus n'a pas mis fin à la stratégie israélienne. Elle se poursuit sous d'autres formes, plus discrètes : des relations bilatérales renforcées, notamment avec des pays influents comme l'Éthiopie – siège de l'UA – ou le Kenya. C'est une diplomatie patiente, méthodique et parfois opaque. Si elle n'est pas contrebalancée par une présence palestinienne plus active, elle risque d'éroder progressivement le soutien panafricain à notre cause.

Raouf Farrah : Diriez-vous qu'Israël instrumentalise les vulnérabilités africaines pour asseoir son influence et affaiblir le soutien africain à la Palestine ?
Abdal Karim Ewaida : L'expansion de la présence israélienne en Afrique s'inscrit dans une stratégie assumée : renforcer son influence diplomatique, construire des alliances stratégiques et redéfinir les équilibres régionaux à son avantage. Israël investit dans des secteurs clés – sécurité, agriculture, innovation –, et cela répond aux besoins immédiats de nombreux États africains, confrontés au terrorisme, à l'insécurité alimentaire ou aux défis climatiques. Plusieurs gouvernements perçoivent cette coopération comme un levier de modernisation.
En 2017, Benjamin Netanyahou est devenu le premier chef d'État non africain à s'adresser à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Depuis, les interactions entre dirigeants africains et responsables israéliens se sont intensifiées. Mais derrière cette coopération technique se cache une stratégie politique. En renforçant ses partenariats économiques et militaires, Israël cherche aussi à affaiblir le soutien africain à la Palestine dans les forums internationaux, notamment aux Nations unies. Des logiques de dépendance se créent, rendant certaines capitales frileuses à toute critique par crainte de perdre un appui ou un investissement.
« Des combattants de l'OLP ont été formés en Afrique »
Raouf Farrah : Il existe aussi des dynamiques idéologiques et religieuses derrière le soutien à Israël sur le continent. Comment la montée en puissance du sionisme chrétien (2) influence-t-elle la cause palestinienne en Afrique ?
Abdal Karim Ewaida : Le sionisme chrétien en Afrique puise ses racines dans l'héritage des missions chrétiennes occidentales, qui ont façonné de nombreuses communautés évangéliques à travers le continent. Aujourd'hui, bon nombre de ces Églises, influencées par des réseaux états-uniens, perçoivent le soutien à Israël comme un devoir religieux associé à l'accomplissement de prophéties bibliques. Cette vision contribue à une forte domination des récits pro-israéliens qui relèguent souvent la souffrance palestinienne à l'arrière-plan, voire la nient totalement.
Dans certains contextes, cette influence alimente même une rhétorique ouvertement hostile aux Palestiniens. Mais il est important de souligner que le sionisme chrétien ne représente pas l'ensemble des voix religieuses africaines. De nombreuses organisations, de nombreux intellectuels et chefs spirituels – notamment en Afrique de l'Ouest et en Afrique du Sud – continuent de manifester un soutien actif à la cause palestinienne. Cela dit, faire face à l'impact grandissant du sionisme chrétien nécessite bien plus que des déclarations de principes. La sensibilisation est cruciale : intégrer des discours sur les droits humains, l'histoire coloniale et la réalité du terrain dans les cercles de foi peut aider à déconstruire des récits biaisés et à favoriser une compréhension plus équilibrée et plus empathique du combat palestinien.
Raouf Farrah : La quasi-totalité des pays africains, à l'exception du Cameroun et de l'Érythrée, reconnaissent officiellement l'État de Palestine. Cette reconnaissance politique s'est-elle traduite par un véritable appui ?
Abdal Karim Ewaida : Pour beaucoup de pays africains, la cause palestinienne n'est pas perçue comme une affaire étrangère mais comme le prolongement naturel de leurs propres luttes pour la liberté, l'émancipation et la dignité. Il faut rappeler que l'État de Palestine a été proclamé en 1988 à Alger, sur le sol africain : un symbole fort. Et bien avant cela, dès 1974, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) obtenait le statut d'observateur auprès de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), l'ancêtre de l'UA. Ce sont des gestes politiques lourds de sens, qui ont confirmé un ancrage profond et commun aux deux histoires. Mais ce lien ne s'est pas joué uniquement dans les discours. Il a pris une forme très concrète sur le terrain. Des combattants de l'OLP ont été formés dans plusieurs pays d'Afrique, notamment en Algérie, en Angola, au Mozambique ou encore en Tanzanie. Il existait une solidarité militaire et révolutionnaire entre mouvements de libération.
Les liens entre l'OLP et l'African National Congress (ANC) en Afrique du Sud en sont un exemple emblématique : ils partageaient des réseaux, des soutiens et des stratégies de résistance. Pendant longtemps, la base arrière de l'OLP à Tunis était également un point de coordination politique et diplomatique majeur, qui accueillait régulièrement des délégations africaines et internationales.
Cette solidarité s'est également manifestée sur la scène internationale. Dans les années 1970 et 1980, l'Afrique a joué un rôle clé dans les grandes tribunes multilatérales – que ce soit aux Nations unies, à l'intérieur du Mouvement des non-alignés ou au sein de la défunte OUA – pour défendre les droits des Palestiniens à la souveraineté et à l'autodétermination. C'est une alliance historique, forgée dans les luttes communes contre le colonialisme, l'apartheid et l'oppression systémique.
Des pays comme l'Afrique du Sud, la Namibie, le Nigeria ou l'Algérie maintiennent un engagement ferme aux côtés de la Palestine aujourd'hui. Mais pour préserver cette solidarité, la Palestine doit intensifier sa présence sur le continent : diplomatique, mais aussi culturelle, économique et populaire. Le soutien des sociétés civiles africaines est essentiel pour contrebalancer l'influence israélienne et raviver un lien qui, historiquement, reposait sur des luttes communes de libération.
La reconnaissance diplomatique a été bien plus qu'un simple symbole. Elle s'est appuyée sur des liens historiques, politiques et humains profonds. La vraie question aujourd'hui est de savoir comment raviver cette solidarité dans un monde qui a profondément changé.
« Un engagement sur les droits humains plus concret »
Raouf Farrah : Un autre signal fort est venu de l'UA. Après plus de deux décennies de relatif silence, la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a adopté en 2024 une résolution qui condamne l'« apartheid » israélien. Cette prise de position marque-t-elle une nouvelle étape ?
Abdal Karim Ewaida : Oui. L'adoption de la résolution 611 marque un tournant dans l'engagement de l'institution africaine envers la cause palestinienne, après une période de relative inaction, ponctuée seulement par des communiqués de solidarité.
Cette résolution relance l'implication africaine dans les débats sur les droits humains en Palestine, mais l'Afrique ne peut s'en contenter ; ce texte doit être le point de départ d'un engagement plus concret et mieux structuré. Par exemple, la mise en place d'un mécanisme permanent de suivi sur la situation en Palestine permettrait de documenter de manière systématique les violations, dont les expulsions forcées, les agressions militaires, les détentions arbitraires, les restrictions des libertés… Ces données seraient précieuses pour les actions diplomatiques et juridiques à venir.
La publication de rapports, intégrant témoignages et analyses juridiques, renforcerait la pression sur les États africains pour qu'ils adoptent des positions claires sur la Palestine et leurs liens avec Israël. La Commission peut également inciter les gouvernements africains à transformer les résolutions en actions dans le domaine de l'aide humanitaire ou de la coopération économique avec la Palestine.
En parallèle, une meilleure collaboration entre ONG africaines et palestiniennes impliquées dans les droits humains permettrait de consolider ces engagements. D'ailleurs, ces voix ont joué un rôle clé dans l'adoption de la résolution 611. Par conséquent, cette résolution est une avancée, mais elle doit déboucher sur un plaidoyer actif, des politiques concrètes et une mobilisation soutenue.
Raouf Farrah : L'action engagée par l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice contre Israël n'a pas permis d'arrêter la guerre génocidaire menée à Gaza et en Cisjordanie. Au-delà de l'action judiciaire, quelle est sa portée pour les Palestiniens ?
Abdal Karim Ewaida : Cette action marque un tournant juridique et politique majeur dans l'histoire du Sud global, puisque c'est un pays africain qui réaffirme la validité de la Convention pour la prévention du génocide (1948) et mobilise le droit international comme outil contre l'impunité israélienne. Le 26 janvier 2024, suite à l'action de l'Afrique du Sud, la CIJ a rendu une ordonnance reconnaissant la plausibilité des accusations de génocide et a ordonné à Israël de prendre des mesures immédiates pour empêcher tout acte génocidaire et faciliter l'accès à l'aide humanitaire pour les Palestiniens de Gaza. Aucune de ces mesures n'a été appliquée.
En saisissant la CIJ, l'Afrique du Sud affirme au monde que les violences systématiques et à grande échelle infligées aux Palestiniens de Gaza ne peuvent rester impunies. D'autres pays, notamment africains, ainsi que l'UA, ont depuis rejoint cette initiative, renforçant la légitimité de la démarche et attestant d'un consensus international croissant sur la nécessité de rendre justice.
Au-delà de sa dimension juridique, cette procédure pèse considérablement politiquement. En contraignant la communauté internationale à examiner juridiquement les actions d'Israël, l'Afrique du Sud et ses alliés contribuent à élargir la prise de conscience mondiale face à la crise en cours à Gaza. Cette initiative pourrait accentuer la pression sur Israël et nourrir des débats plus larges sur les droits humains et l'application du droit international humanitaire. Le ralliement d'autres pays à cette action juridique témoigne d'une solidarité diplomatique qui dépasse les discours et se traduit par des actes concrets, comme la création du Groupe de La Haye (3), un groupe d'États du Sud global soutenant la plainte sud-africaine.
Si la CIJ donnait raison à l'Afrique du Sud, cela établirait un précédent majeur, réutilisable dans d'autres affaires de violations graves des droits humains et de crimes internationaux. Un tel jugement ne concernerait pas uniquement Israël, mais enverrait aussi un signal fort à tous les États qui s'adonnent à des pratiques d'oppression systématique.
« Des atrocités au nom de la mission civilisatrice »
Raouf Farrah : Vous avez évoqué l'importance de mobiliser la mémoire collective et les expériences historiques communes entre l'Afrique et la Palestine. En quoi ce que vivent les Palestiniens fait-il écho aux crimes coloniaux subis par les Africains ?
Abdal Karim Ewaida : Les massacres commis par les anciennes puissances coloniales en Afrique présentent de fortes similitudes avec la situation actuelle en Palestine. À travers le continent, des atrocités ont été commises en Namibie, en Algérie, au Congo et au Cameroun – pour ne citer que ces cas – au nom de la mission civilisatrice, justifiées par une idéologie raciste de déshumanisation des peuples colonisés.
Cette logique raciste visant à effacer l'identité de l'autochtone se retrouve dans les discours qui légitiment l'occupation israélienne, niant aux Palestiniens leur humanité et leurs aspirations. Les pratiques coloniales – déplacements forcés, massacres, destruction des moyens de subsistance – trouvent aujourd'hui un écho dans les territoires palestiniens, notamment à Gaza et en Cisjordanie.
Un autre parallèle frappant est l'inaction internationale. Comme dans les génocides africains (4), la communauté internationale est bloquée par les intérêts géopolitiques de pays entretenant un climat d'impunité totale.
Raouf Farrah : Malgré ces parallèles historiques, certains pays africains restent silencieux sur le génocide en Palestine. On pense notamment au Rwanda ou au Cameroun, le premier marqué par un génocide et l'autre par une guerre de libération sanglante. Comment expliquer ces prises de distance ?
Abdal Karim Ewaida : C'est une question complexe. La réticence de certains pays africains à soutenir la Palestine ne vient pas nécessairement d'un désaccord de fond, mais plutôt de priorités politiques internes : stabilité, développement économique, sécurité nationale.
Dans certains cas, c'est aussi une question de diplomatie stratégique. Ces États évitent de prendre des positions internationales jugées sensibles, notamment pour ne pas compromettre leurs relations avec Israël ou avec des partenaires occidentaux influents. Il faut aussi comprendre que certaines personnes au pouvoir adoptent une posture de prudence qu'elles justifient au nom du « pragmatisme ». On préfère parfois le silence à une prise de position pouvant être perçue comme risquée.
Cela dit, cette prudence institutionnelle contraste fortement avec une opinion publique africaine souvent beaucoup plus favorable à la cause palestinienne, une opinion marquée par des récits de colonisation, de résistance et par une forte identification à la souffrance du peuple palestinien. Ce décalage entre les gouvernements et les populations met en lumière les tensions qui traversent aujourd'hui la politique étrangère de plusieurs pays africains : d'un côté, les intérêts d'État et les équilibres géopolitiques, de l'autre, une attente morale et historique de cohérence. Et c'est dans cet espace-là que se joue aussi la crédibilité du continent sur la scène internationale.
« Il faut enrichir la solidarité entre la Palestine et l'Afrique »
Raouf Farrah : Le champ médiatique africain, à l'instar du champ religieux, est aujourd'hui traversé par des récits concurrents sur la Palestine. D'après vous, les médias africains permettent-ils encore à la voix palestinienne de se faire entendre ?
Abdal Karim Ewaida : Honnêtement, la couverture est très inégale. Dans certains pays, la question palestinienne revient régulièrement dans les journaux ou les débats télévisés. Mais dans d'autres, elle est absente. Ce décalage s'explique par plusieurs facteurs : d'abord, le poids des alliances politiques et les pressions gouvernementales. Là où les gouvernements entretiennent des liens étroits avec Israël ou ses alliés occidentaux, les médias tendent à s'autocensurer. Le simple fait d'aborder la question palestinienne peut devenir politiquement sensible, voire risqué.
Beaucoup de pays africains traversent des crises majeures – conflits internes, instabilité économique, tensions sociales. Dans ce contexte, les rédactions privilégient naturellement les urgences locales. Ce n'est pas toujours un choix politique. Parfois, il s'agit juste de couvrir ce qui capte l'attention du public.
Mais il y a aussi un autre angle qu'on oublie souvent : la propriété des médias et les influences idéologiques. Certains évitent de prendre position pour ne pas heurter des groupes politiques ou religieux influents. D'autres, souvent financés de l'étranger, adoptent des récits pro-israéliens, parfois de manière implicite.
Les médias ont un rôle essentiel à jouer. Il ne suffit pas de relayer les nouvelles de Gaza ou de Cisjordanie lors des flambées de violence. Il faut aller plus loin : produire du journalisme d'enquête, diffuser des témoignages directs, analyser les racines du conflit et les relier aux expériences africaines de colonialisme, de résistance, de lutte pour la dignité. Il ne s'agit pas seulement de contrer l'influence d'Israël ; il s'agit d'enrichir une solidarité politique, culturelle et humaine qui a toujours existé entre la Palestine et l'Afrique.
Notes
1- CADHP, Résolution sur la situation en Palestine et dans les territoires occupés, 2024, disponible ici.
2- la nouvelle administration Trump », The Conversation, 18 janvier 2025, à lire ici.
3- Le Groupe de la Haye, Déclaration conjointe du 31 janvier 2025, voir ici.
4- Aujourd'hui, deux génocides africains ont été reconnus : celui des Hereros et des Namas en Namibie, à partir de 1904, et celui des Tutsis au Rwanda, en 1994.
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