Presse-toi à gauche !
Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...

Voix métisse : quand Gayacaona fait danser la neige au rythme du tambour.
Entretien avec Gayacaona : la musique comme langage de mémoire. Entre deux répétitions, nous avons rencontré Gayacaona. Elle nous parle de son parcours, de sa vision et de sa relation à la langue créole.
— Marvens Jeanty : Que représente pour toi le Mois Créole de Montréal ?
— Gayacaona : C'est un retour à la maison. Même si je suis née ici, j'ai grandi dans un environnement où le créole était parfois perçu comme une langue du passé. Ma mère est une fervente chrétienne qui m'a permis d'exercer le muscle de la foi, mais ne me parlait pas en créole, d'où la raison pour laquelle j'ai longtemps été gênée de le parler, et mon père un passionné de la musique qui me faisait constamment don du rythme haïtien à travers des musiques en créole. Tout ceci pour dire que j'ai grandi quand même dans un environnement où le créole haïtien a pu jouer un très grand
rôle. Le Mois Kreyòl , c'est l'occasion de montrer que cette langue vit, respire, évolue. C'est un espace de fierté.
— Marvens Jeanty : Ton nom d'artiste évoque la résistance et la mémoire. Pourquoi ce choix ?
— Parce que je voulais rendre hommage à nos ancêtres spirituels. La Reine Anacaona, dans l'histoire des Taïnos, représente la dignité. C'est un symbole de femme libre. En prenant ce nom, j'ai voulu me rappeler que chaque chanson que je chante est une lutte pour la beauté et la liberté.
— Marvens Jeanty : Quelle place occupe la femme dans ton œuvre ?
— Une place centrale. Je chante les femmes de ma famille, celles qui ont prié, souffert, résisté. Je veux leur donner une voix à travers la mienne. Et puis, la femme créole, c'est la mémoire du monde : elle porte le feu et la tendresse.
— Marvens Jeanty : Comment définirais-tu ta musique ?
— C'est une musique de passage. J'aime dire que je fais du “folk créole contemporain”. J'emprunte aux traditions, mais je les transforme. Je veux que mes chansons parlent aussi bien aux jeunes d'Haïti qu'aux jeunes du Québec.
— Marvens Jeanty : Que ressens-tu quand tu chantes en créole devant un public québécois ?
— De la fierté. C'est une manière d'ouvrir le dialogue. Souvent, les gens viennent me voir après un concert et me disent : “Je ne comprenais pas tous les mots, mais j'ai tout ressenti.” Et c'est ça la magie du créole : c'est une langue qui se comprend avec le cœur.
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Dans la mosaïque musicale de Montréal, où les langues se croisent et les cultures se répondent, s'élève une voix singulière, chaude, vibrante, enracinée dans deux mondes. Gayacaona, de son vrai nom Sanya Michel Élie, est une artiste haïbecoise (mot-valise formé à partir de Haïti et de Québec), un mot qu'elle fait sien pour désigner son identité double, entre Haïti et le Québec. Née et grandie à Montréal de parents haïtiens, elle est le fruit d'un métissage culturel fécond où se rencontrent les tambours du Sud et la neige du Nord.
En 2024 et 2025, elle a participé successivement aux 23e et 24e éditions du Mois Kreyòl de Montréal, un événement majeur initié par le KEPKAA (Komite Entènasyonal pou Pwomosyon Kreyòl ak Alfabetizasyon / Comité International
pour la Promotion du Créole et de l'Alphabétisation). Deux participations consécutives qui ne relèvent pas du hasard, mais d'une reconnaissance : celle d'une artiste qui, par sa voix, porte la langue créole au cœur du Québec, et la fait résonner comme une mémoire partagée.
Une voix entre deux mondes
Chez Gayacaona, tout est question de passage. Entre les continents, entre les langues, entre les héritages. Son univers musical s'ancre dans la tradition haïtienne , les rythmes du rara, du konpa, du twoubadou, mais les réinvente à travers des sonorités plus modernes : jazz, soul, reggae, électro.
Elle n'imite pas, elle dialogue, elle redonne vie à des chansons qui méritent d'habiter l'éternité. Elle fait se rencontrer les mondes.
« J'ai toujours senti que ma voix appartenait à deux terres, confie-t-elle. En Haïti, mes racines chantent ; au Québec, mes ailes s'ouvrent. »
Cette double appartenance, loin d'être un déchirement, devient pour elle une force. Gayacaona incarne une génération d'artistes diasporiques qui refusent de choisir entre deux identités. Être haïbecoise, c'est être pont et passage, mémoire et avenir.
Sur scène, sa voix a quelque chose d'incantatoire. Elle ne chante pas seulement : elle raconte, elle invoque, elle tisse des liens entre les âmes. Ses performances au Mois Kreyòl de Montréal en témoignent : un mélange de ferveur et de douceur, où la parole poétique et l'engagement épousent la transe musicale.
Le Mois Kreyòl : célébrer la langue et les racines
Le Mois Kreyòl de Montréal, fondé et porté par le KEPKAA, est devenu l'un des événements les plus importants de la diaspora créole au Canada. Chaque automne, il rassemble artistes, chercheurs, écrivains et musiciens autour
d'un même idéal : célébrer la langue créole sous toutes ses formes.
Durant les 23e et 24e Édition, Gayacaona y a tenu une place de choix. Sa voix, à la fois enracinée et aérienne, a séduit le public. Mais plus encore, elle a porté un message de fierté et de continuité culturelle.
« Sans minimiser les autres langues, le créole haïtien c'est ma manière d'aimer le monde, dit-elle. C'est une langue qui a survécu à la douleur, qui a appris à danser avec la mémoire. »
Sur la scène du Mois Kreyòl , elle chante non seulement pour le plaisir, mais aussi pour la transmission. Ses performances deviennent des cérémonies d'appartenance, où la diaspora haïtienne reconnaît en elle une ambassadrice
de son héritage.
Ses chansons, souvent écrites en créole et en français, évoquent la mer, les ancêtres, la résilience des femmes et la beauté du métissage. Dans un Québec en quête de diversité culturelle, sa présence incarne la vitalité du
patrimoine créole.
Un nom, une symbolique : Gayacaona
Le choix du nom Gayacaona n'est pas anodin. Il puise dans la mémoire des Taïnos, les premiers habitants des Caraïbes avant la colonisation. Gaya pour dire brave et Anacaona pour dévoiler la reine qui l'habite dès son enfance . D'ailleurs, la Reine Anacaona était une figure de résistance, une femme de courage et de dignité.
En adoptant ce nom, Sanya Michel Élie inscrit sa démarche artistique dans une continuité historique et spirituelle. Elle rend hommage à toutes celles qui ont tenu tête au silence, à l'oubli, à l'exil.
« Pour moi, Gayacaona, c'est la femme qui parle quand on lui dit de se
taire. C'est celle qui chante même quand le monde brûle. »
Dans sa musique, cette symbolique se traduit par une alliance de douceur et de force. Sa voix oscille entre prière et cri, entre mélancolie et espérance. Chaque chanson devient un territoire où la femme noire, la migrante, la poétesse et l'artiste se rencontrent.
Une artiste de la diaspora consciente de sa mission
Au-delà de la scène, Gayacaona s'engage dans plusieurs initiatives communautaires. Elle participe à des ateliers d'écriture théâtrale et à des projets éducatifs visant à valoriser le créole. Pour elle, l'art n'est pas une fin en soi, mais un outil de conscientisation. Elle parle couramment l'anglais et le français, mais laisse toujours la place au créole haïtien
partout où elle passe.
Elle se voit comme un pont culturel entre générations, un relais entre la mémoire haïtienne et la créativité montréalaise.
Dans ses chansons, les thématiques de la femme, de la terre et de la résilience reviennent souvent. Son univers est empreint d'une spiritualité douce, presque mystique, où le chant devient une prière.
« J'aimerais que mes chansons donnent du courage, dit-elle simplement. Qu'elles rappellent aux gens que la beauté peut encore naître de la douleur. »
L'art de la présence : entre poésie et conscience
Assister à un concert de Gayacaona, c'est vivre une expérience. Ses performances ne relèvent pas du simple divertissement. Il s'y passe quelque chose de plus profond : un échange d'énergie, un rituel d'écoute.
La scène devient un espace sacré où elle invoque la mer, les ancêtres, la mémoire des tambours. Sa voix, tour à tour grave et lumineuse, semble dialoguer avec l'invisible.
Cette dimension poétique s'inscrit dans une tradition haïtienne de la parole chantée, celle des troubadours, des prêtresses du vodou, des poètes de la négritude. Mais Gayacaona y ajoute une conscience contemporaine, une
esthétique de la fusion.
Elle fait de la musique, oui, mais aussi de la poésie incarnée. Et dans un monde saturé de bruits, elle choisit la justesse plutôt que le volume.
Une étoile montante de la créolité montréalaise
À travers ses deux participations au Mois Créole, Gayacaona s'impose désormais comme une figure montante de la scène afro-créole montréalaise. Son parcours inspire une génération d'artistes haïtiens et caribéens du Québec à affirmer leur voix, leur langue et leur héritage sans compromis.
Le succès de ses prestations témoigne d'une réalité nouvelle : la créolité montréalaise n'est plus marginale, elle devient un pilier de l'identité culturelle du Québec contemporain. Et Gayacaona, par son authenticité et son engagement, en est l'un des visages les plus lumineux.
Pour le moment Gayacaona travaille sur de multiples projets, dont celui de participer à une présentation théâtrale, et le 15 novembre elle sera sur scène avec l'illustre chanteur haïtien Alan Cavé dans le cadre de la 7ème anniversaire du Gala Radio Vertière.
Entre mer et neige se trouve Gayacaona
Entre la mer d'Haïti et la neige du Québec, la voix de Gayacaona trace un chemin de lumière. Elle chante pour rassembler, pour guérir, pour se souvenir. Sa musique est un lieu de passage, un pont suspendu entre la mémoire et le rêve.
Dans la blancheur du Nord, résonne la chaleur du Sud.
Et dans cette vibration, Montréal découvre ou redécouvre l'essence même de la créolité : une manière d'être au monde, libre, métissée, habitée par la beauté du multiple.
Marvens Jeanty
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Rachida M’Faddel réinvente le vivre-ensemble
Écrire sur un livre qu'on aime profondément est souvent une entreprise périlleuse. Les mots semblent toujours trop pauvres, trop plats, trop rationnels pour traduire l'émotion intime, la résonance intérieure qu'une œuvre provoque. Et pourtant, depuis que j'ai refermé le sixième roman de Rachida M'Faddel, Résidence Séquoia, je sens l'urgence d'en parler, non pas comme on commente une parution littéraire, mais comme on partage une rencontre, presque une révélation.
Ce livre m'a accompagné jusqu'à la mer. Sur la plage d'Old Orchard, entre la rumeur des vagues et la lumière salée du soir, les voix de la Résidence Séquoia se mêlaient au vent, comme si le roman lui-même respirait au rythme du large. C'est dire à quel point Résidence Séquoia n'est pas un simple récit : c'est une présence, un souffle collectif, une polyphonie humaine qui transcende les murs d'un établissement pour personnes âgées afin d'embrasser, avec tendresse et lucidité, le Québec d'aujourd'hui.
Rachida M'Faddel ne signe pas ici un roman social au sens strict, ni une enquête sur les conditions de vie en CHSLD. Elle écrit une fresque du vivre-ensemble, une exploration sensible des rapports humains dans leur complexité, leur rugosité, leur beauté. Ce que les commissions parlementaires, les débats médiatiques et les slogans politiques n'ont pas su accomplir, elle le réalise par la littérature : réinventer la possibilité d'un dialogue entre les différences, créer un espace commun où la parole se libère, où les identités cessent d'être des frontières.
Dans cette Résidence Séquoia, les cultures, les langues, les croyances et les orientations se croisent, se frottent, se heurtent, mais surtout, elles s'apprivoisent. Chacun des personnages, qu'il soit originaire du Liban, d'Haïti, de la Chine ou du quartier Villeray, porte avec lui le poids de son histoire, la mémoire de ses blessures et la lumière de ses espérances. Ce sont des êtres à la fois ordinaires et immenses, parce qu'ils incarnent la condition humaine dans toute sa diversité.
Le roman devient alors une sorte de laboratoire d'humanité : on y observe comment la proximité, parfois forcée, parfois choisie, transforme les rapports entre les êtres. Ici, la curiosité de l'autre n'est pas un danger, mais une ouverture. On apprend que l'écoute véritable suppose le risque du choc : celui d'être bousculé dans ses certitudes, d'être dérangé par la vérité nue d'autrui. Mais chez M'Faddel, le choc n'est jamais stérile. Il devient un ferment, une étincelle de compréhension. Les disputes, les rires, les maladresses et les tendresses forment la trame d'un dialogue ininterrompu où la franchise n'exclut jamais la bienveillance.
Et il y a cette phrase, lancée par Paula, la plus truculente des résidentes, à Shiraz la nouvelle venue : « Ma fille, tu vas avoir le temps de te reposer quand tu vas être morte. Profite donc des jours qui te restent avec nous. » Cette réplique, à la fois drôle et bouleversante, condense tout le message du roman : vivre, c'est participer, raconter, transmettre. Se retirer, se taire, c'est déjà mourir un peu.
Chez M'Faddel, raconter n'est jamais anodin. Chaque personnage est convié à remonter le fil de sa vie, à exhumer les souvenirs enfouis, à dire l'indicible. Ce travail de mémoire devient un acte de libération. Il ne s'agit pas d'une nostalgie figée, mais d'une réconciliation avec soi-même. En redonnant la parole à ces voix longtemps tues, celles des femmes, des immigrés, des vieillards, des oubliés, l'auteure redonne aussi une jeunesse à leurs âmes.
Ainsi, Marguerite, centenaire née au Liban, voit sa vie racontée à la fois par son fils, qui en glorifie les exploits, et par Esther, l'amie fidèle, qui en révèle les zones d'ombre. Deux récits, deux vérités, mais un même besoin : que la vie soit dite dans toute sa complexité, sans censure, sans fard. Car à la Résidence Séquoia, on ne cache rien, ni de soi ni des autres. Même les secrets les plus enfouis trouvent leur place dans ce grand tissu de confidences.
Difficile de parler de Résidence Séquoia sans évoquer Paula, ce moulin à paroles inépuisable, ce personnage haut en couleur qui semble tout droit sorti d'une pièce de Michel Tremblay. Elle a la gouaille du peuple, l'esprit vif et la générosité de cœur qui désarment tout cynisme. À elle seule, elle incarne la dimension théâtrale du roman. On l'imagine volontiers sur scène, interprétée par une Louise Latraverse habitée, tant son monologue est savoureux, oscillant entre humour caustique et émotion pure.
Ce qui fait la force du livre, c'est sa justesse. M'Faddel ne tombe jamais dans le didactisme. Elle n'oppose pas les cultures, elle les met en dialogue. Elle ne prêche pas la tolérance : elle la montre à l'œuvre, dans ses élans et ses maladresses, dans la parole qui trébuche, dans le rire qui désamorce, dans l'écoute qui console. Résidence Séquoia nous rappelle que le vivre-ensemble n'est pas un concept abstrait ni une formule politique : c'est un exercice quotidien de générosité et de courage, un art fragile qui s'apprend dans les gestes ordinaires, autour d'une table de cuisine, d'un jeu de cartes, d'un souvenir partagé.
Rachida M'Faddel signe ici un roman lumineux, porté par une langue claire, sensible, parfois ironique, toujours profondément humaine. Six années de travail ont donné naissance à une œuvre qui nous ressemble, qui nous interroge et nous console à la fois. Il y a, dans Résidence Séquoia, une matière dramatique assez riche pour inspirer un film ou une série, tant ses personnages, ses dialogues et ses situations débordent de vie et de vérité.
Mais avant qu'il ne prenne vie sur scène ou à l'écran, offrez-vous le plaisir de le lire. Et si, comme moi, vous l'aimez, laissez-vous gagner par son humanité et par cette joie simple de se sentir un peu moins seul au monde.
Mohamed Lotfi
Résidence Séquoia, publié chez Fidès.
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La planète s’offre un selfie
– Et si je m'offrais un selfie avec la nouvelle Technologie ? s'interroge la Terre.
- Ça fait des lustres que je n'ai pas vu ma tronche.
( Son monologue résonne formidablement dans l'espace intersidéral. Elle s'empare du Smartphone… )
- La haute résolution, dit-elle, suppose l'arrêt de ma respiration et l'accommodement d'un « Cheese ! » hautement généreux. C'est parti ! :
- Cheeese !
- Clic !
- …
- Ô Seigneur, Ya Allah, Oh My God !
( La Planète éclate en sanglots. Elle pleure toute son âme ! Les ravages sont colossaux )
- Les Hommes m'ont abîmée ! s'écrie -t- elle. Où êtes-vous Ecolos ? Une lutte à vau - l'eau ?
- Où est l'Amazonie ? L'Afrique avec sa faune et sa flore ?
- Je ne vois plus les Dionées Attrape-mouches, les Hortensias, les Oiseaux du Paradis ? Le Colibri ?
- Dites-moi où sont partis les Impalas, les Pandas, les Gorilles, les Rorquals communs, les Eléphants, les Hippopotames, les Fennecs ? les Flamants roses ?
- Je ne vois plus les Glaciers ?
- Les Récifs coralliens ?
- Les forêts tropicales ?
- L'Everest ?
- Les Aurores boréales ?
( DISPARUS !)
– « Seigneur ! Je quitte le Système solaire dont je fus la perle de fraîcheur et Vous l'Artisan de Son agencement consommé ».
( La Planète bleue, devenue à présent une Sphère gris anthracite, envoie un Sms à sa collègue la Planète rouge )
- Ma Chérie, barre-toi ! l'Homme a tout dévasté. Il arrive vers toi.
( Sonnée par la nouvelle, Mars réplique )
- Qu'est - ce qu'il t'arrive ?
- Peuplée par les Bipèdes, ils m'ont réduite en monobloc hideux au milieu du Système solaire. Tu es la prochaine cible.
– Ils ne peuvent pas m'atteindre ! Je ne suis pas à leur portée.
– Tu parles ! Change d'orbite, si tu tiens à ta survie !
- J'te dis que suis inatteignable, Terre… ! Pardon ! On t'appellera comment à présent ? Et tu seras où exactement ?
- Je n'en sais rien ! Peut-être absorbée par un Trou Noir !
- Ne parle-pas de ça ! C'est flippant.
– Prends tes cliques et tes claques, Mars ! Et tires-toi, !
– T'es têtue ou quoi ? Je ne suis pas convoitée comme toi.
– Ingénue ! glisse la collègue.
- Tu sembles ignorer que je suis à 225 millions de Km, s'irrite Mars.
– Ha, ha, ha !
- Ton rire nerveux m'exaspère, feu Terre.
– Eh, Mars ! de toi à moi : Les Bipèdes, après avoir paraphé sur le registre de l'Humanité leurs « prouesses » climatiques ravageuses, généré la Famine, les Guerres et les Maladies et la Dissolution du modèle social, se disputent présentement la Suprématie sur « ton terrain ».
– Comment ?
- Ils ont une mission habitée sur la table.
– ( Mars pouffe de rire)
- T'en ris ? Ils disent que t'es la plus accessible et la plus accueillante.
– Bien sûr ! Avec - 63°C et - 143 °C (la nuit), y a pas plus affable que moi !
– Ta fatuité pourrait te jouer un mauvais tour ? dit la boule anthracite.
– Tes Envahisseurs, reprend Mars, semblent oublier les redoutables rayonnements cosmiques. Une atmosphère composée à 96% de CO2. Pas des traces liquides, ni de mers, ni d'océans.
– Etant désorbitée, fait « l'Exilée », j'suis pas censée te mettre en garde. Mais sache que ta colonisation devrait avoir lieu au moment de notre alignement accompli. Et comme je suis partante, tu resteras sur ta faim…
- Non ! surtout pas ça !
- Désorbite-toi ! ma Chérie !
- Arrête de délirer, ils finiront en Merguez carbonisé, chemin faisant !
- Brûle la politesse, j'te dis ! Le Système solaire demeurera témoin de l'envahissement barbare.
– Tu dérailles !
- Oui, moi peut-être ! Mais pas ceux et celles qui se concertent pour te gratifier d'un Lifting sans Botox.
– Je crois, qu'à notre insu (les Planètes), tu t'es trop approchée du Soleil et subie une forte insolation !
- Et si je te dis que les Agences américaines, japonaises, canadiennes, européennes s'inviteront bientôt chez toi, sans crier gare, pour des projets à te couper le souffle ?
– Je suis UNE BOULE HOSTILE ! Rien à gratter ! Makech !
– Eh ! Les Timbrés du XXI siècle ont déjà mis au point un Robot qui produit autant d'oxygène qu'un arbre. Il s'appelle MOXIE.
( Médusée, Mars reste aphone )
- Et, cerise sur le gâteau, ils prévoient des serres bio-génératives à l'intérieur des vaisseaux.
– C'est de la fiction dispendieuse, gogo !
- Attends, attends !
- Qu'est-ce que tu vas me sortir encore ?
- Un truc déroutant !
- Pour l'eau, ils envisagent, une fois dans l'espace, de boire leurs Pipis recyclés par des combinaisons spéciales.
– Et pourquoi pas leurs crottes de nez, comme amuse-gueules ? Bandes de tarés ! Des Chitanes ! Ils auraient pu injecter le capital vertueusement.
– Eh, Mars ! L'homme à l'origine de cette ineptie ruineuse, s'appelle Elon Musk. Il a dit : « Un jour nous occuperons Mars ! »
- Dis-lui : rêver, c'est bien ! chambouler l'ordre, c'est mieux !
– Barre-toi Mars ! Ces Monstres ne te méritent pas !
Texte et illustration : Omar HADDADOU Paris, 2025
NB : Bien qu'il cristallise une réalité atterrante, ce modeste texte reste factitif.
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Coup de rabot sur les grosses fortunes, mais… !
Un Budget 2026 tiré par les cheveux ! Au Palais Bourbon, les Députés n'ont examiné, ce lundi, que 5 articles sur 81. L'examen en première lecture du texte, a abouti à un amendement augmentant la surtaxe sur les entreprises et les grosses fortunes. Mais, cacophonie et divergences demeurent à l'Assemblée !
De Paris, Omar HADDADOU
Les partis de Gauche résolus à épingler les bénéfices des grosses fortunes ! Ne jetez pas un œil sur le compteur de la dette publique française ! Vous n'en croirez pas vos yeux.
Elle est désormais à hauteur de 3 345, milliards d'euros, soit 114 % du produit brut intérieur (PIB). La France connait un épisode d'instabilité socioéconomique violent, impactant significativement le pouvoir d'achat des foyers modestes, les retraites, les salaires, etc. Une situation qui se traduit par un malaise social exacerbé par une inflation brutale (Exemple de la hausse sournoise du ticket de transport et de la baguette, en sont les preuves manifestes), sur fond d'une chute prononcée de la popularité du Président Emmanuel Macron. L'optimisme des Analystes bienpensants n'y changera pas grand-chose ! Ils sont rétribués pour vendre des embellies factices aux médias inféodés, en vue d'une paix sociale suintant le toc à cent lieues !
Aussi l'Institut national de la Statistique et Etudes Economiques (INSEE), prévoit-il une croissance de 0,6% sur l'ensemble de l'année. En réalité, la France est en phase de décrochage en matière de croissance dans la zone euro, par rapport à ses voisins. A l'Assemblée nationale, l'heure est à la recherche de recettes supplémentaires. Mais le spectre d'une nouvelle motion de censure et de dissolution plane toujours au Palais Bourbon.
Et ce, en dépit du « clin d'œil » adressé à la Gauche par le gouvernement, ce lundi 27 octobre, en déposant un amendement augmentant la surtaxe sur les entreprises. Les Députés ont adopté un amendement qui ferait passer la taxe à 6 milliards d'euros, dans le projet de Loi de finances 2026. Il était à 4 milliards jusqu'alors.
S'arrogeant le rôle de médiateur dans un climat de discorde tendue sur l'imposition des grandes fortunes, le Secrétaire général du Parti socialiste, Olivier Faure, a pris cause et fait pour la taxe Zuckman, affirmant que son « rejet représenterait un casus belli ». Il préconise une copie soft de la mesure, afin d'arracher un consensus collégial avec la majorité, évitant ainsi une nouvelle crise politique. L'économiste (Zuckman) a expliqué, hier lundi sur une chaîne d'information en continu, comment fonctionnera son bouclier anti-exil fiscal.
Rejetée en Commission des Finances, et partant, ses chances d'adoption dans l'hémicycle, ladite taxe inscrite dans la partie Recettes du Budget, vise à instaurer un impôt minimal de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros.
La bataille menée par les partis de Gauche semble porter, cahin-caha, ses premiers fruits. Mais il est très tôt de consigner une telle avancée, tant les impondérables au sein du socle commun (Renaissance, MoDem, Horizons, UDI) demeurent prégnants. La hausse de la surtaxe, approuvée, à l'issu d'un vote, à l'Assemblée nationale, sur les bénéfices des entreprises de 2 milliards d'euros, suffirait-elle à aplanir les tiraillements entre les Députés et taire la grogne de l'Intersyndicale ?
Le vote de ce Budget n'est pas pour demain ! Et pour cause, les Députés ont 81 articles à examiner. Piégés par le chaos et les antagonismes qui minent les séances, ils risquent de se fossiliser à même leurs sièges et prendre davantage de surpoids. Depuis le vendredi 24 octobre, à 15 heures, 5 articles seulement ont été amendés !
Arracher des concessions au gouvernement Lecornu, s'avère une rude et éprouvante épreuve. La Gauche continue à batailler ferme. En tapant fort sur la table, hier à l'Assemblée nationale, pour arracher des acquis vitaux, elle a démontré qu'elle peut gagner les manches, au coup par coup.
En effet, si le Parti socialiste (PS) avait trouvé, non sans peine, un terrain d'entente avec le gouvernement sur la surtaxe des bénéfices des entreprises, la France Insoumise n'est pas restée les bras ballants. Mus par un objectif commun, LFI et RN ont défié le gouvernement et obtenu, in extrémis, un Crédit d'Impôt pour tous les Retraités (es) sur les frais de séjour en Ehpad.
Un bon signe de la résilience des Plaidoyers du Peuple.
Les débats se poursuivent pour une Justice sociale et un haro contre la voracité du Capital !
O.H
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La guerre d’attrition de Trump contre les médias et la réalité
Cela fait déjà une décennie que Trump est devenu un sujet médiatique majeur du fait de son entrée en politique. Et avec lui est arrivé l'inquiétude face aux fake news. Retour sur cette décennie de guerre de Trump contre les médias et l'information, et sur les nouvelles formes que prends cette dernière depuis son retour à la Maison Blanche.
Tiré du blogue de l'auteur.
Dire que Trump a, depuis son entrée dans la primaire républicaine de 2016, une relation conflictuelle avec la presse et le concept même de journalisme est une affirmation aussi osée que de dire que Manuel Valls a une relation conflictuelle avec la constance et la loyauté en politique. Le concept même de fake news, qui irrigue le débat public depuis une décennie, a largement pris son essor en tandem avec celui de Donald Trump en politique. Celui-là même qui est connu pour utiliser « fake news » comme surnom pour toustes les journalistes qui ne répètent ses pas opinions avec la déférence qu'il apprécie est aussi l'une des causes principales de l'apparition d'équipes de fact-checking dans certaines rédactions. Après tout, le terme alternative facts est apparu dès le troisième jour de sa première présidence dans la bouche de sa conseillère de l'époque, Kellyanne Conway, qui invoquait ces fameux alternative facts pour justifier que Trump avait raison de dire que son inauguration avait été celle à laquelle le plus de personnes avaient assisté dans l'histoire étasunienne (ce qui était bien évidemment faux).
Mais, presque 10 ans après, la question de la vérité et du traitement des journalistes par Trump a bien changé. L'idée même de fact-checker Trump est devenue presque risible tant ce dernier ment et expose des faits imaginaires à une fréquence extrême. Et si sa première présidence a pu servir à polariser les étasunien·nes sur la question de la confiance qu'iels accordent à la presse en discréditant cette dernière en permanence, la seconde va beaucoup plus loin dans son agressivité à l'encontre des journalistes.
Une présidence pour créer un écosystème médiatique alternatif
Un côté grande gueule, qui n'a pas sa langue dans sa poche et qui est prêt à dire tout et n'importe quoi ; voilà qui une description qui représente bien le Trump de 2016, le candidat à la présidence. Dès les premiers débats entre candidat·es à la primaire républicaine, il avait su se démarquer en n'hésitant pas à s'attaquer à ses opposant·es, allant même jusqu'à les insulter face à elleux, et à inventer ses premières chimères comme lorsqu'il commença à dire que les Mexicain·es étaient toustes des criminel·les. De l'autre côté de l'Atlantique, Boris Johnson arborait une attitude assez similaire avec un style tonitruant et ses bus de campagne pour le Brexit, flanqué de sa promesse selon laquelle le Brexit allait permettre au Royaume-Uni de renforcer le NHS, son service public de la santé. Et les deux hommes se retrouvèrent en même temps à devoir faire face à des journalistes les questionnant sur leurs mensonges, essayant de leur faire avouer leurs torts. Or, s'il y a bien une chose que Donald Trump ne fera jamais, c'est avouer, voire penser, qu'il ait pu avoir tort un jour. Et plus les médias le pressaient sur ses mensonges et ses alternative facts, plus il les traitait comme des ennemis, n'accordant des interviews qu'à des médias complaisants (Fox News en fut le modèle lors de sa première présidence).
Et cette attitude eut pour effet de créer un système médiatique extrêmement polarisé au niveau des grandes institutions médiatiques étasuniennes. MSBNC, le New York Times, le Washington Post ou CNN devinrent aux yeux de Trump, et de ses électeurices, des machines à mentir, les ennemis même de la vérité sauce Trump. Et de l'autre côté, Fox News était vénéré comme l'étendard de la vérité. Les sondages d'opinions sur la confiance des étasunien·nes envers la presse s'en firent largement ressentir : en 2015, 32% des républicain·es avait confiance dans les « médias de masse » quand 27% n'avaient absolument aucune confiance en eux (les chiffres étaient alors de 55% et 16% chez les démocrates). 10 ans après, à peine 8% des républicain·es ont encore confiance dans ces médias quand 62% n'ont plus aucune confiance. Et si les sondages d'opinions ne permettent certainement pas de comprendre précisément ce qui se joue dans cette crise de la confiance envers le journalisme, ils montrent tout de même que du côté du parti républicain, il y a une défiance extrême envers les médias, qui ne se retrouve absolument pas chez les démocrates.
Et cette hostilité croissante fut l'opportunité pour certain·es d'ouvrir un marché de l'information (alternative) calibrée pour des électeurices républicain·es de plus en plus déconnecté·es de la réalité. Ainsi, si Fox News reste l'étendard de la télévision qui roule pour Trump, Newsmax et OAN (One America News) ont pu faire leur nid dans le monde de la télévision trumpienne avec des lignes éditoriales souvent plus radicales que celle de Fox News, surtout pour OAN. Et sur Internet, ce fut l'occasion pour des figures dites « conservatrices » d'alimenter leur ascension en devenant des relais des idées trumpistes en plus de participer activement à la radicalisation de leur audience. Ce fut le cas par exemple de Ben Shapiro, Matt Walsh ou Candace Owens avec le Daily Wire, de Charlie Kirk avec TPUSA ou de Tim Pool avec son Timcast. Ainsi, les électeurices de Trump, définitivement devenu·es allergiques aux médias honnis par ce dernier, avaient enfin accès à la « pluralité » médiatique qu'iels recherchaient. C'est-à-dire une pluralité qui n'était pas synonyme de débat d'idées ou de lignes éditoriales variées, mais simplement une pluralité au sens où iels avaient enfin plusieurs médias qui leurs servaient les mêmes faits alternatifs et le même narratif sur différents canaux, sans jamais oublier d'avoir un bon mot pour Trump.
Mais si cette présidence a pu voir l'essor de « médias » relais du pouvoir, c'est aussi parce que cette famille politique était prête à prendre cette place et qu'elle possédait déjà les soutiens économiques et idéologiques qui lui ont permis de s'installer. Le Daily Wire a été fondé par deux anciens de TruthRevolt, un site financé par l'organisation de David Horowitz, qui a aussi lancé la carrière de Stephen Miller. Et ils ont pu le lancer grâce à un financement venant des frères Wilks, deux milliardaires qui ont obtenu leur fortune grâce à la fracturation hydraulique et qui finançait déjà PragerU (une organisation qui produit de la propagande de droite et d'extrême-droite). De la même manière, TPUSA a été fondé grâce au financement d'un membre du Tea Party avant d'être financé par des gens tels que le patron du lobby pétrolier aux États-Unis ou la femme de Clarence Thomas, un des neuf juges de la Cour Suprême. La naissance de cet écosystème médiatique d'extrême-droite a donc été rendu possible à la fois par une rhétorique et une pratique politique de Trump qui exacerbait les divisions et la méfiance à l'égard du milieu médiatique traditionnel. Mais aussi via un soutien économique et idéologique venant de riches donneureuses et de militant·es d'extrême-droite chevronné·es et influent·es qui avait déjà pu exploiter les années du Tea Party pour influencer le parti républicain et créer des relais pour leur propagande.
Et une autre pour l'institutionaliser…
Les années Biden furent une période pendant laquelle cet écosystème alternatif d'extrême-droite a pu se développer et se solidifier autour de Trump, même si ça ne fut pas évident d'entrée de jeu. Après la tentative de coup d'État du 6 janvier 2021, même Fox News s'était mis à se distancer de Donald Trump. Pareil pour Ben Shapiro par exemple qui essayait de pousser son Daily Wire vers des positions néoconservatrices plus « classiques ». Mais, rapidement, il devint évident que le 6 janvier n'allait pas avoir un effet si majeur que ça politiquement. Les sondages sur la popularité de Trump parmi les républicain·es chutèrent dans un premier temps, mais ils remontèrent rapidement et le parti ne pris pas du tout ses distances avec lui. Et côté démocrates, plutôt que de choisir de poursuivre Trump en justice d'entrée de jeu, le ministre de la Justice de Joe Biden, Merrick Garland, opta plutôt pour une commission d'enquête du Congrès, choisissant de laisser les étasunien·nes se faire leur avis. Une opportunité sur laquelle les médias alternatifs trumpistes se jetèrent afin d'exploiter cette commission d'enquête pour renforcer le discours sur la prétendue persécution de Donald Trump tout en essayant de l'exonérer et de retourner la commission contre les démocrates. Or, on connaît le résultat de cette commission d'enquête étant donné que Donald Trump a été réélu sans jamais être jugé pour ce qui s'est passé le 6 janvier.
Et cette faiblesse des démocrates, animé·es par une volonté de ne pas donner des munitions à Trump pour son discours de persécution, a certainement jouée en la faveur de Trump qui a pu prétendre que le 6 janvier n'était rien de bien important puisqu'il n'a jamais été réellement inquiété pénalement (et qu'il a fini par gracier les personnes jugées coupables de violences et autres délits/crimes ce jour-là). Le tout tombant dans les travers démocrates habituels qui refusent systématiquement d'opter pour une position réellement offensive contre Trump et les républicain·es, continuant à invoquer le fantôme d'un bipartisanisme qui était déjà mort et enterré avant même que Trump n'accède à la Maison Blanche en 2016.
Résultat, alors que l'élection de 2020 approchait, l'écosystème médiatique d'extrême-droite était plus fort que jamais et entièrement positionné en faveur de Trump qui ne manquait pas une occasion de les mettre en avant.
Et, depuis le retour de Trump à la Maison Blanche en janvier, son administration s'est lancée dans une opération d'institutionnalisation de cet écosystème qui vise à la fois à le mettre en avant, à favoriser le discours de Trump et à mettre à l'écart les médias traditionnels. Ainsi, lors des conférences de presse de Karoline Leavitt, la porte-parole de la Maison Blanche, on trouve aujourd'hui des personnes appartenant au groupe des « new medias » invitées par la Maison Blanche, soit un mix de médias, d'influenceureuses et d'activistes d'extrême-droite. Et leurs questions vont systématiquement dans la même direction : inonder Trump de louanges, insulter les démocrates et les autres médias et servir de relais à la propagande trumpiste. On peut penser à l'altercation en début d'année entre Zelensky, Trump et Vance au cours de laquelle un journaliste d'un de ces « new medias », Real America's Voice, s'en est pris à Zelensky du fait que ce dernier ne portait pas de costume. Real America's Voice étant un média hébergeant des émissions présentées par des gens comme Steve Bannon (ex-stratégiste de Trump, parrain de l'alt-right), Jack Posobiec (un troll néo-nazi qui est passé par OAN puis TPUSA) ou Charlie Kirk qui y diffusait son émission The Charlie Kirk Show.
Et cette ouverture de la Maison Blanche à des « médias » d'extrême-droite prends toujours plus d'importance avec la tenue par exemple d'une table ronde sur la « menace antifa » le 8 octobre dernier. Une table ronde présidée par Trump, entouré par la crème de son cabinet comme Stephen Miller, Kristi Noem (la papesse de la déportation des personnes migrantes), Pam Bondi (la ministre de la Justice) ou Kash Patel (le patron du FBI, lui-même ancien podcasteur conspirationniste d'extrême-droite). On pouvait retrouver autour de la table, invité·es en tant qu'expert·es ou victimes de la menace antifa, divers influenceureuses d'extrême-droite comme Jack Posobiec ou Andy Ngo qui documente les « exactions » antifas à Portland depuis des années, en lien avec les groupuscules fascistes violents locaux, comme les Proud Boys.
Elle peut même prendre des airs plus autoritaires comme avec ce qui s'est passé avec le press pool du Pentagone (les journalistes ayant accès à des locaux dans le Pentagone). Le ministre de la Défense, Pete Hegseth, a d'abord exigé que ces journalistes, et leurs médias, signent un document stipulant qu'iels devaient s'engager à ne publier que les articles et informations validées au préalable par le ministre lui-même. Face à une telle insulte à la liberté de la presse, tous les médias traditionnels du press pool ont refusé, Fox News et Newsmax inclus, et se sont vu retirer leurs cartes d'accès au Pentagone. Et pour les remplacer, l'administration a invité une flopée de médias et influenceureuses d'extrême-droite comme Jack Posobiec, TPUSA, Tim Pool, Real America's Voice ou Lindell TV, une télévision lancée par Mike Lindell, un millionnaire proche de Trump connu pour son conspirationnisme et ses oreillers.
Et tout ça se fait en plus des apparitions constantes de membres de l'administration sur des podcasts et émissions de cet écosystème médiatique fascisant, à défaut d'être fascinant, qui ont pu aller jusqu'à avoir J.D Vance, le vice-président des États-Unis, qui présente l'émission de Charlie Kirk après l'assassinat de ce dernier. En résulte un écosystème médiatique où l'administration boude les médias traditionnels et leur ferme ses portes (qui restent tout de même ouvertes tant les fuites d'informations sont monnaies courantes dans l'administration Trump). Alors que, dans le même temps, elle ouvre ces mêmes portes à des influenceureuses et des « journalistes » pas embarrassé·es par une quelconque forme de déontologie qui se font le relais de la propagande de Trump tout en se présentant comme des outsiders et des défenseureuses de la liberté d'expression qui rejettent le politiquement correct.
…Et briser l'écosystème traditionnel
Or, si le « politiquement correct » existe aux États-Unis aujourd'hui, il est bien le fait du parti républicain et de Trump en particulier. Car s'il y a bien une chose qui peut valoir une montagne de problèmes à des médias ou des individus, c'est bien le fait de critiquer Donald Trump. Et cette fois-ci, il ne fait pas que répondre à la critique par les insultes.
Les menaces envers les médias sont récurrentes, Trump ayant à plusieurs reprises exprimé le fait qu'il considérait que parler négativement de lui et de sa politique était non seulement faux mais surtout pouvait être illégal selon lui. Et ces menaces ont pu être mises à exécution comme ce fut le cas avec CBS. Suite au 60 minutes avec Kamala Harris pendant la campagne, Trump avait accusé la chaîne d'avoir monté l'émission de manière à favoriser Harris et lui avait intenté un procès en octobre 2024, réclamant 20 milliards de dollars. Une plainte largement jugée comme étant ridicule, autant dans ses demandes que ses justifications. Mais cela n'empêcha pas CBS de conclure un marché avec Trump, mettant fin aux poursuites en échange d'un versement de 16 millions de dollars au fond pour la construction d'une bibliothèque Trump. Un accord vraisemblablement passé car Paramount, la maison-mère de CBS, avait besoin de l'aval de l'administration Trump pour pouvoir effectuer sa fusion avec Skydance. Fusion qui a lieu, en échange de concessions supplémentaires de la part de Paramount et CBS qui ont accepté de mettre fin à leurs programmes d'inclusivité, d'effectuer des changements de lignes éditoriales pour rectifier des prétendus « biais » anti-Trump et qui ont annoncé la fin du Late Show de Stephen Colbert peu après que ce dernier ait critiqué l'accord passé pour mettre fin aux poursuites judiciaire de Trump contre CBS. Et depuis, Paramount a annoncé le rachat, pour 150 millions de dollars, de The Free Press, un média indépendant assez peu important dirigé par Bari Weiss, dont la production se concentre sur la critique du « wokisme ». Bari Weiss qui s'est alors retrouvée nommée rédactrice en chef de CBS News, qui depuis relaie beaucoup les articles de The Free Press, articles qui n'ont, étrangement, jamais été critique de Donald Trump alors que Bari Weiss se revendique de centre-gauche (dans les faits, elle ne fait qu'attaquer les « wokes » et défendre les républicain·es et Netanyahu dont elle est une ardente supportrice).
Cette situation avec CBS illustre bien la stratégie qu'adopte cette fois l'administration Trump face à l'écosystème médiatique traditionnel. Elle est prête à utiliser la justice et la menace de poursuites comme outils de chantage pour forcer les médias trop critiques de Trump à s'aligner derrière lui au mieux ou, au pire, à se taire. Or ces menaces judiciaires ont bien peu de chances d'aboutir et c'est bien l'intérêt économique qui a prévalu à CBS : il fallait l'accord de de la FCC (sorte d'Arcom étasunienne) de Trump pour la fusion donc Paramount a cédé à tout par intérêt économique. Et sans ça, les menaces de Trump ont bien moins de mordant. En témoigne le cas Jimmy Fallon. Il avait été critiqué par Brendan Carr, le patron de la FCC placé là par Trump, sur un podcast appartenant à l'écosystème d'extrême-droite trumpiste qui menaçait d'enquêter sur sa chaîne. Et peu après, Disney a suspendu Jimmy Fallon et son émission avant de les réintégrer la semaine suivante sans même que Fallon n'ait eu à s'excuser comme le demandait Trump et Vance. Et c'est bien la leçon que devrait prendre les médias étasuniens : oui, Trump est menaçant et agressif mais son administration n'a que rarement le courage de réellement mettre ses menaces à exécution, pour l'instant.
Mais il n'empêche que cela fait à peine 9 mois que Trump est revenu à la Maison Blanche et il a déjà fait bien plus pour s'attaquer à la liberté de la presse et pour promouvoir des « médias » alternatifs à sa botte que durant toute sa première mandature. Il y a donc fort à parier que les années à venir seront plus difficiles que jamais pour la liberté de la presse et pour l'information en général aux États-Unis. Et de l'autre côté de l'Atlantique, il peut être important de surveiller ce que Trump fait car ses engeances locales l'observent avec intérêt et la France n'est pas avare en influenceureuses et pseudos-médias d'extrême-droite, financés parfois par nos milliardaires d'extrême-droite favoris, qui n'attendent que l'arrivée au pouvoir d'un parti prêt à s'en prendre à la presse traditionnelle pour mettre en avant leur réalité imaginaire. Et si les producteurices d'info que sont les journalistes ne veulent pas se faire remplacer par des infox poussées par des milliardaires et autres fascistes, il leur faudra apprendre de la décennie passée et pousser les grands médias à arrêter de céder du terrain à l'extrême-droite au nom d'un pluralisme en laquelle cette dernière ne croit que quand ça lui ouvre des places sur nos ondes et nos journaux.
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De mal en pis : le nouveau contexte politique et les défis de la gauche canadienne
Cette brochure vise à encourager un débat de principe entre la gauche et la classe ouvrière afin de promouvoir un mouvement socialiste viable au Canada. Le débat démocratique est encouragé au sein et au-delà du Projet socialiste.
13 avril 2025 | tiré du site de Socialist Project | traduction David Mandel
La crise de légitimation et l'État autoritaire
La conjoncture politique actuelle se caractérise par le sentiment croissant, au Canada et partout dans le monde, que les politiques néolibérales ont échoué et que le capitalisme lui-même ne fonctionne pas. Ce sentiment est alimenté par l'affaiblissement, le démantèlement, voire la destruction, de ce qui conférait au système capitaliste une apparence de « légitimité » et d'« équité » aux yeux de la classe des travailleurs et travailleuses : salaires qui montaient, logements abordables, amélioration des soins de santé, et protection de l'environnement. Il s'agit d'une crise de légitimité croissante.
Si l'origine la plus immédiate de cette impasse est la « grande crise financière » de 2008-2010, elle est plus profondément enracinée dans la structure de l'État néolibéral, qui connaît un approfondissement de ses caractéristiques autoritaires dans la plupart des pays, en particulier avec l'arrivée au pouvoir de la seconde administration de Donald Trump aux États-Unis en janvier 2025.
La transformation des États capitalistes en un régime politique plus discipliné et axé sur le marché s'est opérée lorsque les États ont sacrifié l'augmentation des impôts sur les riches, qui avait soutenu les politiques et programmes sociaux, aux besoins du capital en matière de profits accrus, face à la longue crise des années 1970.
Les fonctions d'accumulation de l'État – les divers soutiens politiques à la rentabilité et à la réussite économique de la classe capitaliste – ont pris le pas sur la fourniture de services sociaux pour répondre aux besoins humains en matière de santé, de vieillissement, d'éducation, de culture, etc. Pour mener à bien ce programme, à partir des années 1980, le pouvoir de l'État a été largement centralisé au sein des banques centrales, des ministères des Finances et des services de police et pénitentiaires, tous largement à l'abri des pressions populaires et de la responsabilité démocratique.
Le rôle des partis politiques, des élections et des autres institutions étatiques associées à la légitimation du système est devenu de plus en plus limité et circonscrit, parallèlement à la restriction persistante des droits syndicaux. Pourtant, dans un contexte de précarité croissante du marché du travail et de stagnation des salaires jusque dans les années 1990, la contestation ouvrière a été largement contenue. Cet État néolibéral – fait de privatisations, de déréglementation, de libre-échange et de renforcement des contrôles policiers – a conduit de nombreux militants, nombreuses militantes et acteurs et actrices socialistes à parler d'une défaite de la politique ouvrière et d'un « vidage » de la démocratie libérale.
Les effets de la crise financière de 2008
C'est en 2008 que cette évolution a dégénéré en une véritable crise de légitimité politique, souvent qualifiée de « crise financière mondiale ». La crise financière s'est d'abord concentrée sur les institutions du système étatique les plus directement associées à l'intégration idéologique, dont la fonction est de convaincre la population de la légitimité et de la justice du système capitaliste – les partis politiques, les médias grand public et les établissements d'enseignement.
Elle a également pris la forme d'une crise de l'impérialisme, se répercutant du centre impérial américain sur l'ensemble du système impérial, y compris le Canada, et puis se répercutant sur le cœur même de l'empire américain. Le Canada, allié le plus fiable de l'empire, a dû faire face à bon nombre des mêmes contradictions que les États-Unis dans la gestion des conséquences économiques, sociales et idéologiques.
La crise financière a ainsi révélé l'interdépendance de formations sociales distinctes qui se sont formées au cours de la mondialisation menée par les États-Unis. Pendant plusieurs années, l'instabilité financière, la récession, le chômage et les renflouements ont touché des formations sociales particulières, à des rythmes distincts, définis par la position de chaque État national au sein du système impérial, son équilibre des forces et sa composition de classe. Chaque État a connu ses propres manifestations, ses tensions latentes et ses symptômes morbides : l'apparition de Trump et du mouvement MAGA aux États-Unis, la résurgence de mouvements fascistes majeurs en Allemagne, en Italie, en France et dans d'autres régions d'Europe, et des émeutes racistes explosives en Grande-Bretagne.
Au Canada, on a assisté à l'émergence d'une extrême droite populiste au sein du Parti conservateur national, à des scissions politiques en partis d'extrême droite dans plusieurs provinces, et à l'émergence du Parti populaire du Canada.
La crise a été aggravée par l'inquiétude populaire face à un effondrement écologique imminent, avec des incendies de forêt, des inondations et des tempêtes record frappant l'Amérique du Nord avec une régularité effrayante.
L'incapacité flagrante des États capitalistes à prendre des mesures significatives pour faire face à la catastrophe grandissante a éviscéré le mythe du « progressisme » libéral et de l'« incrémentalisme politique », selon lequel la situation s'améliorerait progressivement. Les illusions qui ont longtemps été essentielles à la légitimation du système capitaliste, comme la notion d'un « avenir meilleur », et même l'idée même de « l'avenir » sur laquelle ces idéologies s'appuient, ont brutalement disparu, surtout aux yeux des jeunes.
Pendant ce temps, la poursuite de l'austérité et des privatisations a accru l'exposition de la classe ouvrière au marché, réduisant les protections restantes contre ses ravages, tout en élargissant, ou en consolidant, sa centralité et son pouvoir dans l'allocation des ressources. Une nouvelle génération, arrivée à maturité au Canada depuis la crise de 2008, est aujourd'hui confrontée à un ordre politique et économique qui semble totalement incapable d'offrir une vie enrichissante et sûre, ce qui se traduit par des défis majeurs en matière de logement, de maintien des revenus et de sécurité d'emploi.
Ce régime d'« autoritarisme marchand » s'est consolidé grâce au durcissement des coalitions centristes, rendant le terrain électoral extrêmement défavorable à l'intervention des forces socialistes ou populaires. Outre une gouvernance hautement coercitive à l'intérieur du pays, ces forces se sont tournées vers un militarisme croissant à l'étranger, notamment par une confrontation croissante entre grandes puissances et le développement de nouveaux systèmes d'armes puissants, tels que des missiles hypersoniques équipés d'une nouvelle génération de bombes nucléaires.
La montée de ce militarisme est manifeste dans la guerre en Ukraine, soutenue par les États-Unis et l'OTAN (actuellement réévaluée par l'administration Trump à partir de 2025), et dans la guerre génocidaire israélo-américaine à Gaza.
Donald Trump et la montée de la droite
La nouvelle administration Trump a lancé une combinaison agressive d'attaques autoritaires contre des institutions étatiques clés et les communautés immigrées, recourant à des décrets présidentiels pour contourner le contrôle législatif. Cette concentration du pouvoir exécutif s'accompagne d'un nouveau discours impérialiste agressif, avec des menaces parfois illogiques contre d'autres États et territoires, notamment le Groenland, le Panama, la Chine et le Canada.
On ignore combien de temps il faudra pour que ces changements soient institutionnalisés et quelle sera leur ampleur pour instaurer un nouvel autoritarisme. Jusqu'à présent, peu d'opposition s'organise aux États-Unis. Des éléments de la classe capitaliste encore attachés au projet de mondialisation mené par les États-Unis sont mal à l'aise avec les initiatives de Trump (à l'exception de la promesse de baisses d'impôts), mais restent silencieux. Le Parti démocrate est désorienté après l'échec du programme Biden et l'aliénation populaire résultant de leur soutien aux guerres en Ukraine et à Gaza. Et la gauche et le mouvement ouvrier américains sont encore en proie à des difficultés organisationnelles, remarquablement silencieux face aux menaces contre les travailleurs et travailleuses du Canada et du Mexique.
Le durcissement de la politique et de l'État a initialement réussi en Amérique du Nord à contrer la menace mondiale croissante de l'extrême droite. Ce mouvement est notamment porté par des petits entrepreneur.e.s de plus en plus radicalisé.e.s (la petite-bourgeoisie), longtemps mis.es à l'étroit par la mondialisation, ainsi que par des pans de la classe ouvrière en colère et politiquement confus.
Malgré leurs importantes contradictions et les limites programmatiques et stratégiques majeures de la droite populiste et radicale, ces forces sociales ont été les principales bénéficiaires de la crise de légitimité. Elles ont démontré leur capacité à occuper, à des degrés divers, les espaces idéologiques évacués par les forces politiques sociales-démocrates et libérales en Europe et en Amérique du Nord.
Le réalignement néolibéral en cours des partis sociaux-démocrates en difficulté, par exemple, a continué à refléter et à alimenter la décomposition de la classe ouvrière, sous-tendue par les forces économiques centrifuges de la dispersion et de la précarité, l'augmentation forcée de la responsabilité individuelle sur le marché du travail, et l'intensification des processus de travail.
Ce processus a persisté après les défaites politiques de Bernie Sanders (faisant le pont entre le Parti démocrate et les Democratic Socialists of America aux États-Unis, de Jeremy Corbyn au sein du Parti travailliste britannique - comme auparavant avec Tony Benn), et les impasses des nouveaux partis de gauche en Grèce, en Espagne, en Allemagne et ailleurs en Europe.
Ces défaites ont ouvert la voie à une mainmise renouvelée des centristes libéraux, soutenus par les grandes entreprises, sur les partis de centre-gauche, sans grand succès électoral à l'appui. Le NPD a adopté une approche similaire aux niveaux provincial et fédéral au Canada.
Les jeunes du Canada, des États-Unis et d'Europe n'ont pas été épargné.e.s par l'adoption de solutions économiques de marché et de droite, en raison de leur manque de confiance en leur avenir économique et social, ce qui s'est traduit par un soutien électoral croissant aux partis conservateurs, comme le Parti conservateur du Canada de Pierre Polièvre et le Parti républicain de Trump.
Pourtant, la contestation, comme par le passé – notamment à l'époque du mouvement altermondialiste, d'Idle No More, et des soulèvements de Black Lives Matter – a attiré de nouvelles vagues de jeunes. Cette fois, c'est la multiplication des campements et des manifestations contre les attaques génocidaires israéliennes à Gaza, qui a attiré de nouvelles vagues de jeunes vers la pensée anti-impérialiste, les actions BDS et les politiques progressistes. La syndicalisation dans le secteur de la logistique et autour d'Amazon, ainsi que d'autres campagnes autour de l'économie des petits boulots, ont également suscité l'émergence d'une nouvelle cohorte de militant.e.s syndicaux et syndicales.
Les partis sociaux-démocrates comme le NPD ont depuis longtemps renoncé à toute remise en cause du capitalisme et n'ont guère avancé que de modestes réformes du régime néolibéral dans leur quête incessante d'un « capitalisme à visage humain ». Il est clair que l'adhésion à ces partis n'a pas donné naissance à une politique anticapitaliste ni permis l'émergence d'une nouvelle gauche politique.
Le contexte actuel, caractérisé par une gauche radicale faible, des classes ouvrières fragmentées et un mouvement syndical politiquement prudent, a conduit de nombreux et nombreuses membres de la gauche, tant en Europe qu'en Amérique du Nord, à ne voir d'autre solution que de s'allier aux partis politiques traditionnels comme « partenaires juniors » au sein de nouveaux « fronts populaires », seule voie pour combattre la menace immédiate de la montée de la droite dure. Au Canada, cela se traduit par diverses alliances électorales entre le NPD, les Verts et les Libéraux (avec une variante propre au Québec), soutenues par un large éventail d'organisations de la gauche sociale cherchant à bloquer toute nouvelle érosion des acquis sociaux.
Il faut s'attaquer à la menace croissante de la droite. Mais cela ne doit pas se faire au prix de la dissolution d'une politique socialiste dans des coalitions dont les stratégies politiques et économiques – néolibéralisme et guerres mondiales en Europe de l'Est, au Moyen-Orient et en Asie – ont été si directement responsables de la montée des forces d'extrême droite.
Dans ce contexte, il est plus important que jamais que la gauche socialiste mette tout en œuvre pour accroître sa propre visibilité, créer une présence organisationnelle et promouvoir, aussi vigoureusement que possible, une vision politique alternative.
Cela est nécessaire non seulement pour préserver les acquis démocratiques du passé, mais aussi pour répondre aux exigences croissantes d'un avenir proche « terrifiant » vers lequel Trump, l'OTAN et le changement climatique nous poussent sans relâche.
Si les « solutions » fondées sur le marché à la crise écologique proposées par le centre néolibéral sont insuffisantes, nous devons insister explicitement sur le fait que seule la remise en cause fondamentale du capitalisme et une profonde réorganisation de l'économie sur la base d'une démocratie radicale et la mise en œuvre d'un régime de planification démocratique ont une chance de conduire à un avenir durable. Ce n'est pas parce que cela presse que les compromis centristes ou les postures d'extrême gauche deviennent soudainement efficaces.
L'ouverture pour les socialistes
À l'heure actuelle, face à la menace des tarifs douaniers de Trump et à leurs répercussions socioéconomiques, une ouverture politique s'offre aux socialistes. La nécessité de rééquilibrer la relation du Canada avec l'empire américain – voire, pour certain.e.s, de s'en désengager – devient un sujet populaire parmi les travailleurs et travailleuses de tous horizons. Ils et elles expriment des inquiétudes quant au niveau d'intégration avec les États-Unis et aux coûts des politiques sociales et économiques de Trump, notamment les demandes d'augmentation radicale des dépenses militaires et de militarisation de l'Arctique et de la frontière canado-américaine.
Défier Trump signifie différentes choses pour différentes sections de la classe capitaliste canadienne : une majorité souhaite le statu quo ; d'autres réclament une intégration plus poussée ; et une petite minorité souhaite une politique industrielle davantage centrée sur le national, fondée sur une compétitivité et un capitalisme accrus, mais qui, à bien des égards, demeure conciliante avec l'empire américain et liée à la dépendance aux exportations.
Cette dernière position comprend des propositions visant à construire des pipelines de combustibles fossiles est-ouest, à abaisser les barrières commerciales interprovinciales, à rechercher activement de nouveaux marchés d'exportation, à poursuivre une gouvernance et des politiques économiques plus néolibérales et à répondre aux demandes de dépenses militaires accrues avec une intégration opérationnelle militaire plus poussée avec les États-Unis et l'OTAN dans l'Arctique, en Europe et en Asie de l'Est.
Les socialistes ont l'occasion de plaider en faveur d'un désengagement de l'empire américain en construisant une économie coopérative, socialement gérée et planifiée démocratiquement, organisée pour répondre aux besoins humains. Une telle économie serait davantage axée sur le développement interne, avec des prestations sociales en matière de logement, d'éducation, de transports publics et de soins de santé pour les travailleurs et travailleuses, et une évolution résolue vers la durabilité écologique et une réduction radicale des émissions de carbone.
Cela nécessiterait une rupture avec la mobilité des capitaux, le contrôle de la finance et du crédit, un nouveau régime fiscal, l'arrêt de l'austérité, l'abandon de la dépendance aux énergies fossiles et la rupture avec la voie néolibérale plus autoritaire dans laquelle Trump engage les États-Unis et que Polièvre, Doug Ford et le parti Conservateur entendent suivre.
La gauche socialiste que nous devons construire doit être anti-impérialiste. Il ne s'agit pas de semer l'illusion que le capitalisme est « à bout de souffle » ou que l'empire américain est sur le point de disparaître en tant que puissance mondiale dominante.
Nous devons reconnaître avec lucidité l'ampleur du défi. Si l'empire américain s'est fragmenté, si l'État américain ne jouit plus d'un « moment unipolaire » et si sa primauté dans l'ordre mondial s'est érodée, il n'en demeure pas moins la puissance économique, militaire et diplomatique dominante. De même, la mondialisation capitaliste et la mobilité des capitaux sont toujours bien présentes, les entreprises continuent d'engranger des profits, et les bouleversements environnementaux et sociaux ne remettent pas en question le recours aux prix et aux solutions de marché pour tenter de les résoudre.
Le capitalisme ne s'effondrera pas de lui-même ; il doit être transformé par l'action politique de la classe ouvrière. Cela doit inclure la lutte contre le colonialisme, souvent étroitement lié au capitalisme extractif des énergies fossiles. Cela commence par une déclaration de solidarité avec les défenseur.eue.s des terres autochtones, comme engagement prioritaire en faveur du droit des peuples colonisés à vivre dans la dignité et l'autodétermination.
On observe aujourd'hui une polarisation des options. La politique de compromis de classe, qui a défini la politique sociale-démocrate du XXe siècle au sortir des guerres mondiales et de l'émergence d'une syndicalisation de masse, n'est plus d'actualité. Même remporter des réformes modérées aujourd'hui exige une confrontation directe avec le capital et le capitalisme, ce qui, à son tour, exige de construire la base sociale profonde nécessaire à son efficacité.
De tels efforts doivent dépasser l'électoralisme qui considère le vote pour des politicien.ne.s individuel.le.s comme un raccourci. Et cela ne se résume pas à reconstruire et à élargir les syndicats conservateurs, dont les horizons politiques limités ont si directement contribué à notre situation actuelle.
Les efforts politiques de la gauche pour se développer en marge du mouvement syndical ne peuvent se faire que de manière à nous rendre dépendants et à nous abstenir de remettre en question l'orientation politique du syndicat.
Les mobilisations et résistances isolées – comme les grèves réussies dans le secteur automobile et ailleurs – ont été importantes. Mais elles n'ont pas permis de percée durable qui mettrait fin à l'inertie plus générale du cynisme et du fatalisme de la classe ouvrière. Le mouvement ouvrier au Canada doit encore être transformé.
Le Projet Socialiste : Vers l'Avenir
Tout cela nécessite un parti socialiste capable de s'engager dans la formation de la classe ouvrière par la pratique politique, en reliant les luttes disparates et en transformant les syndicats en instruments de lutte des classes. C'est le contexte auquel la gauche est confrontée au Canada et ailleurs.
À partir de cette constatation politique, le Projet Socialiste se penche non seulement sur le passé et le présent, mais aussi, comme tous les socialistes, sur l'avenir. De toute évidence, le présent n'est pas celui de grand succès de la classe ouvrière et des socialistes : les ravages du capitalisme néolibéral, l'impérialisme brutal de Trump, la défaite et la faiblesse des mouvements ouvriers, en particulier du mouvement syndical organisé, et la montée du populisme de droite et du conservatisme social, face à l'incapacité du centrisme libéral et de la social-démocratie à affronter le capitalisme. Cela sans parler des terribles pertes en vies humaines dans les guerres comme celles de Gaza, d'Ukraine et d'ailleurs, ou de la tragédie de la vie sans eau potable, au milieu de l'abondance, dans les communautés autochtones.
Il existe néanmoins des possibilités et de l'espoir : la classe ouvrière, bien que vaincue politiquement, continue de riposter, quoique sous des formes manquant de cohérence, de pouvoir organisationnel, et de cohésion, ainsi que d'une culture et d'une idéologie politiques propre à la classe ouvrière.
Mais une grande partie du virage vers le cynisme, la pensée et le vote de droite reflète le renforcement des pires composantes du capitalisme – chômage, inégalités, dégradation climatique, fracture sociale et réactions négatives – qui accompagnent inévitablement un leadership politique et social qui accepte et renforce quotidiennement le mythe selon lequel il n'existe pas d'alternative au capitalisme. Les travailleurs et travailleuses réagissent à ceux et celles qui proposent de fausses solutions, comme les Trump et les Poilièvre de ce monde.
Mais l'insécurité, la colère et la frustration qui poussent de nombreux travailleurs et nombreuses travailleuses vers la droite peuvent servir de fondement à une alternative à la gauche. Les socialistes occupent une place centrale dans les efforts visant à construire une compréhension et une identification de classe au sein et à travers la classe ouvrière, au Canada et dans d'autres pays. Nous avons la responsabilité et le potentiel de travailler au sein des institutions, des communautés et des syndicats clés de la classe ouvrière afin de former une nouvelle génération de dirigeant.e.s issu.e.s de la classe ouvrière et de bâtir une alternative.
Ils peuvent puiser une forte motivation des immenses manifestations contre le génocide de Gaza ; da la colère et le ressentiment grandissants des travailleurs et travailleuses en quête de logement, de soins de santé, d'emplois décents, de nourriture et de loisirs abordables ; et dans la prise de conscience croissante de la nécessité de créer un Canada – solidaire des autres – où les travailleurs et les travailleuses sont capables de prendre des décisions économiques et politiques clés, face à l'intimidation de l'empire américain, aux compromis et au besoin impérieux de faires de profits sur le dos de la classe ouvrière.
Cela nécessite la construction d'un parti politique socialiste, fondé sur les actions, les idées et l'organisation de la classe ouvrière.
La classe ouvrière est vaste. Elle est la source du travail qui rend possible tous les aspects de notre vie sociale et économique. Mais nous sommes divisé.e.s par secteurs, par niveaux du marché du travail, par statut social et identités : cols bleus/cols blancs, immigrant.e.s/natifs et natives, migrant.e.s, travailleurs et travailleuses précaires, hommes/femmes, transgenres, LGBT, public/privé, propriétaires/locataires et sans-abri.
Rassembler ces segments de la classe ouvrière et bâtir un mouvement politique et une identité commune est la mission d'un parti authentiquement socialiste.
Résumer et appliquer les leçons tirées de l'expérience et des luttes passées est un rôle clé pour les socialistes et une perspective passionnante pour construire et remettre en question et finalement renverser le système social existant.
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Soutenir le journalisme rigoureux de la CBC concernant l’occupation
Alors qu'Israël continue de violer l'accord de cessez-le-feu, les médias canadiens continuent de relayer les arguments israéliens non fondés et d'omettre des informations critiques importantes. Du cessez-le-feu à la libération des otages, la couverture médiatique a été gravement trompeuse et incomplète.
C'est pourquoi CJPMO encourage quotidiennement les journalistes à inclure le contexte approprié et à respecter les normes fondamentales du journalisme. Depuis le début de l'année 2024, notre petite mais infatigable équipe de défense des médias a envoyé des milliers de lettres aux médias pour exiger une couverture plus équilibrée, plus juste et plus précise.
Dans certains cas, les journalistes font un excellent travail en dévoilant la réalité de ce qui se passe en Palestine, et sont attaqués par le lobby pro-israélien pour cela. Dans ces moments-là, notre équipe intervient pour s'assurer que le bon journalisme soit reconnu.
La couverture médiatique façonne la façon dont les Canadiens perçoivent ces questions, ce qui peut avoir un impact sur la voie empruntée par notre gouvernement. C'est précisément pour cette raison que le lobby pro-israélien investit massivement dans des organismes médiatiques influents financés par des milliardaires, tels que HonestReporting, qui disposent de budgets annuels de plusieurs millions de dollars. Compte tenu de la grande incertitude qui entoure l'avenir du cessez-le-feu en Palestine – création d'un État et fin du génocide ou poursuite des effusions de sang et occupation israélienne permanente –, le plaidoyer médiatique n'a jamais été aussi important. Vous trouverez ci-dessous quelques-unes de nos récentes réalisations.
Soutenez notre action médiatique
Soutenir le journalisme de qualité de la CBC sur l'occupation
Bien que nous critiquions souvent (et à juste titre) la CBC, celle-ci a diffusé un reportage remarquable sur la manière dont les organisations caritatives canadiennes subventionnent l'occupation israélienne et le nettoyage ethnique des Palestiniens en Cisjordanie.
Depuis lors, elle fait l'objet d'attaques virulentes de la part du lobby pro-israélien. Cela inclut des campagnes de harcèlementde la part d'HonestReporting Canada et des menaces d'enquêtes de la part du CIJA.
Il est important que nous demandions à la CBC de soutenir ce documentaire et de produire davantage de reportages de ce type, sans craindre les répercussions négatives. Cliquez icipour participer à notre alerte médiatique et lutter contre la pression exercée par le lobby israélien.
Essai : Qualifier à tort les « détenus » palestiniens de « prisonniers »
Une question importante que nous observons fréquemment est la terminologie utilisée par les médias traditionnels dans leur couverture de la libération des otages. La grande majorité des médias ont résumé l'échange entre Palestiniens et Israéliens en ces termes : le Hamas libérerait des « otages » israéliens, tandis qu'Israël libérerait des « prisonniers » palestiniens. La plupart des reportages ont omis une distinction cruciale : bon nombre des Palestiniens libérés ne sont pas des prisonniers au sens conventionnel du terme, mais étaient en réalité des otages, détenus pendant des mois ou des années sans inculpation ni procès équitable dans le cadre de la politique de détention administrative d'Israël.
CJPMO a réagi avec détermination à la mauvaise couverture médiatique liée à l'utilisation trompeuse du terme « prisonniers » pour décrire les Palestiniens détenus illégalement par les forces d'occupation israéliennes. De plus, nous avons publié un essaiqui analyse cette question et formule des recommandations à l'intention des journalistes et des rédacteurs en chef.
Impact majeur : CJPMO obtient gain de cause auprès du Conseil national des médias d'information dans sa plainte contre le National Post et le Jewish News Syndicate
Après plus de six mois, le Conseil national des médias d'information (CNMI) a finalement rendu publique sa décision concernant la plainte officielle déposée par CJPMOau sujet de l'article intitulé « Leréalisateur palestinien du documentaire oscarisé « No Other Land »arrêté pour avoir lapidé des agents de sécurité : rapports », rédigé par le Jewish News Syndicate (JNS). Le Conseil national des médias d'information a estimé que la plainte « avait été résolue grâce à des mesures correctives », mais a réitéré sa « recommandation » selon laquelle le Post devrait fournir « plus d'informations » aux lecteurs sur leJewish News Syndicate lorsqu'il publie son contenu.
Le Jewish News Syndicate est en fait un organe de propagande israélienne, que le National Post et sa société mère, Postmedia, publient régulièrement dans tout le Canada. Il est présenté comme un organe d'information malgré son extrême partialité et ses fréquentes erreurs factuelles.
CJPMO s'inquiète du fait que le Conseil national des médias d'information ait, pour la deuxième fois, reconnu que le JNS ne répondait pas aux normes journalistiques canadiennes, mais continue de laisser le National Post s'en tirer à bon compte pour son rôle dans la diffusion délibérée de préjugés et de désinformation. Nous considérons cela comme une victoire majeure, mais restons déçus et préoccupés par la faiblesse du système canadien de responsabilité journalistique.
Black Press Media retire ses allégations d'antisémitisme à l'encontre de CJPMO
Un récent article publié par Black Press Media suggérait que CJPMO avait partagé un message prétendument antisémite de la députée provinciale de Penticton-Summerland, Amelia Boultbee, qui dénonçait le génocide à Gaza. Suite à la contestation de CJPMO, l'article a été corrigé et une note de la rédaction a été ajoutée pour clarifier :
« Note de la rédaction : Cet article a été mis à jour afin de préciser que c'est M. Rustad qui a affirmé que Mme Boultbee avait partagé un message antisémite, et que le message de CJPMO ne contenait aucun contenu antisémite, ni aucun élément permettant de suggérer le contraire. »
Cet incident démontre l'importance de lutter contre les accusations injustes d'antisémitisme qui sont utilisées dans le but de faire taire les détracteurs d'Israël. Pour en savoir plus, veuillez consulter notre page Impact.
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De la domination au nettoyage ethnique. L’industrie militaire et la stratégie d’Israël depuis 1948
[Allison Kaplan Sommer, dans Haaretz du 20 octobre 2025, indique que « fait rage en Israël un débat politique acharné au sujet du nom à donner à la guerre sur plusieurs fronts qui a débuté suite à l'infiltration et au massacre sanglant perpétré par le Hamas dans le sud d'Israël le 7 octobre 2023. Depuis, elle s'est étendue au Liban, à la Syrie, à l'Irak, au Yémen, à l'Iran et presque dans tous les recoins d'Israël – elle est désormais (du moins selon le président américain) TERMINÉE. » Après avoir indiqué que « la bureaucratie de l'armée israélienne chargée de nommer les guerres a travaillé d'arrache-pied », la journaliste indique que « Netanyahou a choisi “La guerre de la Rédemption” ». Allison Kaplan Sommer souligne que le choix de Netanyahou suscite des objections, y compris au sein de son « cercle de fidèles ». Elle constate que « le nouveau nom n'a certainement aucun impact sur les Palestiniens, les dirigeants mondiaux, les ONG israéliennes critiques et les institutions internationales qui ont déjà déclaré que cette guerre constituait un génocide ».
Tiré de A l'Encontre
22 octobre 2025
Par Shir Hever*
Shir Hever, dans cet article, analyse les évolutions de la stratégie militaire de l'Etat sioniste et les liens existant entre les choix d'armement, les relations militaires avec les Etats-Unis, la production et l'exportation d'armes par Israël, la colonisation des territoires palestiniens et le type de guerre menée depuis 2023 où s'articulent « domination et anéantissement » d'une population. – Réd. A l'Encontre]
***
Israël est l'un des pays les plus militarisés au monde. Les Forces de défense israéliennes (FDI) et, plus largement, les forces de sécurité israéliennes constituent le noyau autour duquel les institutions, les structures financières et l'économie du pays se sont développées depuis que David Ben Gourion a ordonné la création des FDI le 26 mai 1948. Au cours des décennies qui ont suivi, l'économie politique du pays s'est développée autour de ce principe central d'organisation de la guerre, évoluant au fur et à mesure que la nature de la guerre changeait avec la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen-Orient.
Dans les années 1940, les milices coloniales décentralisées se sont regroupées pour former une entreprise publique gérée par l'État pour la production de matériel militaire. L'État israélien a limité les exportations de cette industrie, une tendance qui s'est poursuivie après l'indépendance, les fabricants d'armes publics produisant des armes à des fins expansionnistes. Au début de la guerre froide et pendant la période postcoloniale, la stratégie militaire israélienne reflétait ce modèle économique. Plutôt que de mener une guerre conventionnelle, la colonisation était encouragée par de petites unités militaires menant des campagnes de nettoyage ethnique avec des armes légères. Si Israël importait des armes, principalement de France, il équipait ces milices principalement grâce à la production nationale.
C'est à la suite de la guerre israélo-arabe de 1973 (guerre du Yom Kippour), avec l'augmentation du financement militaire par les Etats-Unis, que les pratiques d'approvisionnement de l'armée israélienne ont changé. La nouvelle phase de la guerre froide mondiale a marqué le début d'une période de changement sectoriel au sein de l'industrie de défense israélienne. La guerre a mis en évidence de graves faiblesses dans la défense israélienne, qui avait lutté contre les armées des pays arabes équipées par l'Union soviétiques. La réponse d'Israël a été une augmentation rapide et forte des importations de systèmes d'armes états-uniens. Mais cette décision a nécessité un ajustement structurel : afin de renforcer ses liens avec l'industrie de défense américaine, Israël a privatisé et libéralisé son appareil militaire national. Au cours des dernières décennies du XXe siècle, les Forces de défense israéliennes (FDI) se sont transformées en une force de police coloniale de haute technologie, gérant les populations palestiniennes de Gaza et de Cisjordanie par la surveillance et le contrôle. Alors que les importations d'armes en provenance des États-Unis se poursuivaient à un rythme soutenu, Israël a réorienté sa propre production vers de nouvelles technologies spécialisées de surveillance et d'incarcération. Une nouvelle division mondiale du travail dans la production d'équipements militaires a vu le jour, façonnée par la guerre contre le terrorisme et l'industrie mondiale de la défense dirigée par les États-Unis jusqu'en 2023.
La campagne génocidaire menée par Israël dans la bande de Gaza marque une rupture avec le statu quo qui prévalait depuis des décennies. Depuis le 7 octobre, l'industrie militaire israélienne cherche de plus en plus à compenser sa dépendance écrasante vis-à-vis des importations militaires par sa propre production nationale, revenant ainsi à ses origines de nation-milice mobilisée pour des hostilités constantes. Ce changement est à la fois qualitatif et quantitatif. En produisant pour la consommation nationale, le complexe militaro-industriel israélien a commencé à recomposer son profil de production autour d'armes de faible technologie conçues pour la destruction et le déplacement de masse, donc pour des produits et des pratiques plus proches de sa stratégie fondatrice.
Un État colonialiste
Les racines de l'industrie de l'armement israélienne sont antérieures à la fondation de l'État lui-même. Israel Military Industries, la société à l'origine du Desert Eagle (pistolet semi-automatique) et de l'Uzi (pistolet-mitrailleur), a été créée en 1933 en tant que fabricant d'armes légères pour approvisionner les premières milices sionistes. Ses armes étaient produites en secret [c'était l'époque du mandat britannique, s'étalant de 1922 à 1947, suite à la décision de 1917], introduites en contrebande et stockées illégalement pour être utilisées par ces groupes armés sionistes. Les milices qui ont ensuite formé l'armée israélienne étaient principalement armées de mitraillettes Sten [d'origine britannique], de mortiers et de véhicules blindés légers, des armes bien adaptées pour intimider les civils et finalement efficaces dans le nettoyage ethnique de la Palestine. Ces armes favorisaient les tactiques de petites unités et la guerre irrégulière sur des terrains accidentés, s'alignant sur la doctrine initiale d'Israël de haute mobilité et de commandement décentralisé, et illustrant ce que les généraux israéliens décrivaient souvent comme l'idéal d'une « armée petite et intelligente ».
La mentalité collectiviste des colons a joué un rôle essentiel dans le militarisme du mouvement sioniste, ses stratégies d'armement et ses relations avec la population palestinienne indigène. Sous la direction de l'ancien Premier ministre israélien David Ben Gourion, chef du Parti travailliste et des syndicats [il fut aussi dirigeant du groupe armée Haganah], l'État a monopolisé la fabrication d'armes israéliennes. Ce monopole sur la production d'armes a favorisé le développement du secteur public du pays, les recettes étant réinvesties dans la recherche et le développement [1]. Ce type de guerre a également influencé la politique de recrutement militaire. Afin de maintenir la cohésion et la loyauté des unités, Israël a exempté de conscription une grande partie de la population : les Palestiniens, les juifs ultra-orthodoxes et, plus tard, un nombre croissant de juifs laïques. Cette stratégie s'est avérée efficace en 1948, 1956 et 1967, lorsque des unités légères et agiles ont pu prendre le dessus sur des forces arabes moins organisées. Cependant, avec le déclenchement de la guerre en 1973, les limites de cette stratégie ont rapidement été mises en évidence.
L'infrastructure de la domination
Si les succès militaires d'Israël contre l'Égypte, la Syrie et la Jordanie lors de la guerre des Six Jours en 1967 ont engendré une confiance excessive parmi les élites militaires israéliennes, la guerre du Yom Kippour en 1973 a ébranlé cette conception de l'autosuffisance, y compris dans la fabrication d'armes. Les achats massifs d'équipements militaires russes par les gouvernements irakien et syrien, ainsi que l'explosion des revenus pétroliers arabes et l'afflux d'armes achetées grâce à ces revenus, ont marqué le début d'une course à l'armement régional sur de nombreux axes de conflit. Lorsque la guerre a éclaté en octobre 1967, les petites unités israéliennes et même la supériorité aérienne n'ont pas réussi à stopper l'avance des divisions syriennes et égyptiennes. Au milieu de la guerre, Israël s'est tourné vers les importations d'armes fabriquées aux États-Unis, ce qui a nécessité de nouvelles tactiques et, en fin de compte, une nouvelle stratégie.
La dépendance vis-à-vis du financement militaire états-unien a commencé au milieu de la guerre du Yom Kippour et est rapidement devenue une caractéristique essentielle de l'industrie israélienne de l'armement. L'hostilité inhérente d'Israël envers les gouvernements socialistes arabes financés par l'Union soviétique en a fait un allié naturel des intérêts états-uniens pendant la guerre froide. En sauvant Israël de la destruction, les États-Unis ont obtenu un nouvel outil pour projeter leur puissance au Moyen-Orient et une occasion toute trouvée de restructurer l'industrie militaire israélienne en fonction de leurs propres priorités économiques et géostratégiques.
Dans les années qui ont suivi, les États-Unis ont utilisé le financement militaire pour exercer une pression sur le type de technologies et d'équipements qu'Israël pouvait produire chez lui. Le Pentagone a identifié les projets de recherche militaire israéliens susceptibles de concurrencer les entreprises de défense états-uniennes et a négocié leur arrêt définitif. Il s'agissait notamment de travaux sur un missile antichar destiné à concurrencer le missile LAU de fabrication états-unienne, ainsi que du projet d'armement phare d'Israël, l'avion de chasse Lavi, développé dans les années 1980 et conçu pour surpasser le chasseur F-16 de Lockheed Martin [2]. Le Pentagone a également surveillé les exportations d'armes israéliennes contenant des technologies états-uniennes, interdisant leur vente à des pays comme la Russie et la Chine.
Depuis 1973, Israël est devenu le plus grand bénéficiaire de l'aide militaire étrangère des Etats-Unis dans le monde et, depuis la révolution iranienne de 1979, le plus grand acheteur d'équipements militaires américains de la région, et de loin. Depuis le début de la guerre du Yom Kippour, les États-Unis ont accordé à Israël une aide militaire totale de plus de 171 milliards de dollars, sans tenir compte de l'inflation et sans intérêts [3]. Ce changement dans la base des achats militaires israéliens a profondément réorienté le rôle des fabricants d'armes locaux. Si les États-Unis sont de loin le plus grand exportateur d'armes au monde, Israël est devenu à son tour un exportateur d'armes majeur, avec le taux d'exportation d'armes par habitant le plus élevé au monde. Cependant, alors que les exportations d'armes états-uniennes privilégient les membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), la plupart des exportations d'armes israéliennes sont destinées à des pays non membres de l'OTAN.
Le mariage entre les intérêts militaires des Etats-Unis et d'Israël allait avoir deux conséquences. Premièrement, sous l'influence des États-Unis, les entreprises d'armement privées ont pris le pas sur les entreprises publiques dans les achats de l'armée israélienne, alors que le pays traversait une période de privatisation intense. Les pressions en faveur de la privatisation se sont accrues en raison des ajustements douloureux imposés par les États-Unis à la production d'armes et des réductions des dépenses militaires reflétant la fin de la guerre froide. En 1993, un comité gouvernemental présidé par le professeur Israel Sadan s'est réuni pour étudier l'avenir des achats militaires israéliens et a recommandé la privatisation des fonctions « périphériques », du stockage et de la distribution jusqu'aux acquisitions logistiques, voire à la sécurité des bases elles-mêmes. La concurrence entre les fournisseurs privatisés a été présentée comme une mesure d'économie qui, selon les assurances données aux Israéliens, ne compromettrait pas la sécurité. L'efficacité était le mot d'ordre du jour, un principe repris par le chef de l'armée israélienne de l'époque, Ehud Barak [chef d'Etat-major des FID de 1991 à 1995, puis ministre des Affaires étrangères, et premier ministre de 1999 à 2001], qui déclara : « Tout ce qui ne tire pas ou n'aide pas directement à tirer sera supprimé. » [4]
La privatisation ne s'est pas limitée à l'industrie de l'armement. Avec le plan de stabilisation structurelle de 1985, Israël s'est lancé dans un processus de privatisation à grande échelle de ses infrastructures et services de télécommunications, de sa compagnie aérienne nationale, du secteur bancaire, ainsi que dans une privatisation partielle des secteurs de l'eau, de la santé et des ports [5]. En plus de répondre aux préférences des États-Unis, la privatisation a offert aux membres de l'élite sécuritaire israélienne des opportunités lucratives dans la gestion d'entreprises d'armement privées.
Deuxièmement, ces entreprises privées allaient s'impliquer de plus en plus dans la guerre mondiale contre le terrorisme menée par les États-Unis. La privatisation allait de pair avec la spécialisation dans les technologies utilisées dans la cyberguerre, les drones d'attaque et les systèmes électroniques avancés pour les véhicules militaires [6]. À la suite de la deuxième Intifada [2000-2005] et des attentats du 11 septembre 2001 [World Trade Center], Israël et les États-Unis ont partagé un intérêt commun pour le développement de systèmes de haute technologie pour la surveillance, la réglementation et le contrôle.
Depuis 2001, entre 70 et 80% des armes fabriquées en Israël ont été vendues à l'exportation. Les entreprises d'armement israéliennes se sont forgé une réputation de vendeurs d'armes à des clients marginaux : les pays soumis à un embargo militaire, les groupes rebelles, les milices, les États sans relations diplomatiques avec les autres grands producteurs d'armes, et même des clients qui ont ensuite utilisé ces armes contre Israël [7]. Israël s'est forgé cette réputation dans les années 1960, au plus fort de la guerre froide mondiale, en exportant des armes vers l'Ouganda, l'Angola, le Chili, l'Afrique du Sud, Singapour, Taïwan, le Nicaragua, le Guatemala et l'Iran pré-révolutionnaire. Plus tard, à mesure que la géographie des guerres chaudes évoluait, ses exportations se sont déplacées vers le Rwanda, la Yougoslavie, la Turquie, l'Azerbaïdjan et l'Inde. Au cours des dernières décennies, les États du Golfe ont commencé à importer de plus en plus d'armes israéliennes [en complément des armées états-uniennes]. Bien qu'Israël soit loin derrière les principaux exportateurs mondiaux d'armes tels que les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, il a atteint le statut de premier exportateur mondial d'armes par habitant vers 2009, après que l'invasion de la bande de Gaza en 2008 ait tué environ 1400 Palestiniens [8].
En 2003, le président américain George Bush a créé le Département de la sécurité intérieure (DHS- Department of Homeland Security) avec un budget dépassant 59 milliards de dollars. Le DHS et le climat de la GWOT (Global War on Terrorism) ont offert aux entreprises militaires et de sécurité israéliennes l'occasion idéale de tirer parti de leur expérience dans les territoires occupés. Les entreprises israéliennes ont présenté les territoires palestiniens occupés comme un terrain d'essai pour développer des produits adaptés à un projet américain de sécurité intérieure en pleine évolution, et Tel-Aviv est rapidement devenue la capitale mondiale du secteur de la sécurité de l'industrie de l'armement [9]. La série d'opérations militaires israéliennes à Gaza, au Liban et ailleurs a été une aubaine pour les entreprises d'armement du pays, leur permettant de commercialiser leurs produits comme « testés au combat » lors des différents salons de l'armement qui ont suivi chaque opération [10]. À l'heure actuelle, ces produits militaires sont devenus une activité très lucrative et un secteur clé de l'économie israélienne. En 2012, Israël a engrangé 7,5 milliards de dollars grâce aux exportations militaires ; la même année, l'ancien ministre israélien de la Défense Ehud Barak a déclaré que 150 000 foyers israéliens dépendaient de l'industrie de l'armement pour leurs revenus.
La relation particulière entre Israël et les États-Unis est essentielle dans tout cela. Il s'agit d'une relation essentiellement militaire, où les flux monétaires et les exportations/importations d'armes jouent un rôle structurant dans l'économie israélienne. Si environ 75% des 3,1 milliards de dollars d'aide militaire états-unienne à Israël doivent être dépensés en armes américaines, le reste peut être consacré à des armes produites localement. Ce renforcement de l'alignement diplomatique a facilité l'intégration industrielle, comme lorsque la société américaine Magnum Research a transféré la production de ses pistolets Magnum et Desert Eagle en Israël. Aujourd'hui, même lorsque Israël achète des armes fabriquées aux États-Unis, celles-ci sont souvent construites avec des composants israéliens. Les fonds de recherche alloués par le gouvernement et les programmes de recherche universitaires conjoints ont conféré une légitimité scientifique aux technologies de répression [11]. En 2018, la vague de privatisation et la nouvelle demande à l'exportation ont abouti à l'achat de la société publique Israel Military Industries par la société privée Elbit Systems. Cette dernière est ainsi devenue la plus grande entreprise d'armement d'Israël et la vingt-huitième plus grande firme d'armement au monde en 2019. Elle fournit les armées non seulement directement, mais aussi indirectement en tant que sous-traitant de grandes entreprises telles que General Dynamics et Airbus [12]. Elbit Systems incarne clairement le nouveau visage de l'industrie de l'armement israélienne : technologies d'oppression, gammes de produits complémentaires plutôt que concurrentes des armes des Etats-Unis, et exportations mondiales qui misent sur la valeur que les gouvernements du monde entier accordent à l'expérience d'Israël en matière d'occupation.
Au cours des cinq décennies qui ont suivi la guerre de 1973, les milices de colons soutenues par l'État israélien se sont transformées en un système de haute technologie destiné à opprimer les Palestiniens. Dans son armée désormais à forte intensité capitalistique, les entreprises d'armement démontrent leur technologie de pointe à travers les assauts militaires contre les Palestiniens et la surveillance et le contrôle quotidiens de l'occupation [13 et 14].
Spécialisé dans les systèmes de surveillance, les équipements anti-émeutes et les infrastructures carcérales, ce « laboratoire » a produit des outils idéaux pour maintenir l'occupation, mais mal adaptés à la guerre conventionnelle. N'étant plus une force de combat, l'armée israélienne s'est transformée en une armée de police coloniale, privilégiant la dissuasion, l'humiliation et la répression de la résistance palestinienne plutôt que la suprématie sur le champ de bataille. Des dizaines de milliers d'agents de sécurité privés ont été formés au développement et à la maintenance de ces technologies.
La stratégie d'anéantissement, de nettoyage ethnique
La dépendance d'Israël, depuis des décennies, à ce modèle de surveillance high-tech des populations palestiniennes enclavées a été remise en cause par les attentats du 7 octobre. Des enquêtes internes divulguées en mars 2025 révèlent que les officiers avaient écarté la possibilité d'une attaque palestinienne, estimant que leur régime de dissuasion était infaillible. Lorsque le Hamas a brisé cette illusion, le gouvernement d'extrême droite israélien est revenu à ce qui semblait jusqu'alors être une forme de guerre dépassée : des armes lourdes fournies par les États-Unis (artillerie, chars, drones armés, bombardements navals et avions de combat) pour assiéger de manière prolongée toute une population.
Le génocide perpétré par Israël à Gaza, ainsi que l'invasion du Liban et les frappes aériennes en Syrie, au Yémen et en Iran, ont un point commun important : ils sont menés principalement avec des armes importées. La majorité d'entre elles sont subventionnées par les contribuables américains, bien qu'Israël paie un prix plus élevé pour les armes provenant d'Allemagne, de Serbie et, de plus en plus, « de pays avec lesquels nous n'avons pas de relations diplomatiques, y compris des États musulmans sur tous les continents », a déclaré un responsable de la Défense israélienne à Yediot Aharonot en novembre 2024. Alors que l'armée israélienne a épuisé ses munitions et son armement lors de sa campagne postérieure au 7 octobre, les marchands d'armes israéliens se sont transformés en charognards dans un commerce mondial des armes dont les prix sont gonflés par la demande en Ukraine, échangeant des systèmes d'armes de haute technologie tels que des drones et des équipements informatiques contre du matériel de base comme des obus, de la poudre à canon et d'autres explosifs [15]. Selon le Wall Street Journal, en décembre 2023, les États-Unis avaient livré à Israël plus de 5000 bombes non guidées Mk82, 5400 bombes non guidées Mk84 de 907 kg, 1000 bombes GBU-39 de 110 kg et environ 3000 kits JDAM (Joint Direct Attack Munition). Depuis le 7 octobre, les États-Unis ont fourni à Israël pour environ 17,9 milliards de dollars d'armes et de munitions, en plus du financement militaire extérieur annuel de 3,8 milliards de dollars et des importations payées de 8,2 milliards de dollars provenant des entreprises d'armement des Etats-Unis [16].
Le passage à une stratégie visant à maximiser la destruction a également entraîné un regain d'intérêt pour la fabrication d'armes au niveau national. Lors de la conférence des actionnaires d'Elbit Systems en 2025, la tendance était claire : Israël reste dépendant des importations d'armes, mais tente de s'approvisionner autant que possible auprès d'entreprises nationales afin d'échapper à l'impact de l'embargo militaire croissant dont il fait l'objet. La part des exportations d'Elbit Systems est passée de 79% au premier trimestre 2023 à 58% au quatrième trimestre 2024. Mais cette recomposition de la demande axée sur le client national fondateur de l'entreprise n'a pas réduit les ventes. Les derniers rapports financiers d'Elbit Systems révèlent que le chiffre d'affaires et le bénéfice d'exploitation de l'entreprise ont augmenté non pas grâce aux exportations, mais grâce à « une augmentation significative de la demande pour ses produits et solutions de la part du ministère israélien de la Défense (IMOD) par rapport aux niveaux de demande avant la guerre ». Pour l'année se terminant en décembre 2024, la société a réalisé 1,6 milliard de dollars de bénéfices sur 6,8 milliards de dollars de chiffre d'affaires, contre 1,5 milliard de dollars de bénéfices sur 6 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2023. Son carnet de commandes est passé de 17,8 à 23,8 milliards de dollars. Dans l'ensemble, les entreprises d'armement israéliennes ont vu affluer les commandes de l'armée nationale [17]. En mai 2025, Elbit a émis pour 588 millions de dollars de nouvelles actions, souscrites par Bank of America Securities, J.P. Morgan, Jefferies Group LLC et Morgan Stanley.
Comme lors des périodes précédentes, ce tournant économique s'est accompagné de changements dans la stratégie militaire. Le nouveau canon Sigma (Ro'em) de 155 mm d'Elbit Systems en est un exemple révélateur. À première vue, son développement semble paradoxal : Israël est confronté à une pénurie critique d'obus de 155 mm, alors pourquoi investir dans un canon qui double la cadence de tir ? Les innovations du Sigma révèlent les priorités profondes de l'armée israélienne : son chargeur automatique robotisé réduit les besoins en personnel de sept soldats à seulement deux, ce qui permet à des unités plus petites d'opérer avec un minimum de coordination ou de discipline. Avec l'afflux continu de bombes américaines et l'aide financière des États-Unis pour l'achat de munitions par Israël dans le monde entier, ce nouvel équipement peut faciliter une réorganisation de la stratégie de l'armée israélienne.
Le Sigma est une arme destinée à des bombardements de type milicien, qui maximise la destruction par soldat tout en institutionnalisant le manque de discipline qui a caractérisé la campagne israélienne à Gaza. Il incarne la transformation de l'armée israélienne : une armée technologiquement avancée qui revient à l'artillerie, où la puissance de feu remplace la stratégie et où l'anéantissement remplace l'occupation.
Ces outils sont utilisés avec la mentalité des milices de colons. « L'artillerie et les tirs directs de chars sont plus efficaces que les armes de précision coûteuses », a déclaré un officier de l'armée israélienne en novembre. « Tuer un terroriste à l'aide d'un obus de char ou d'un tireur d'élite, plutôt qu'avec un missile tiré depuis un drone, est considéré comme plus « professionnel » [18]. Les chars bombardent les camps de réfugiés à bout portant ; les frappes aériennes rasent des quartiers entiers pour tuer un seul militant. La doctrine américaine des armes combinées et des frappes de précision est ignorée, remplacée par une destruction aveugle. L'industrie de l'armement créée pour contrôler les zones d'occupation dans les pays du Sud à la fin de la guerre froide s'est recentrée sur l'intérieur, afin de compléter une gamme moderne d'équipements états-unies à capacité de destruction maximale. (Article publié par Phenomenal World le 29 août 2025 ; traduction rédaction A l'Encontre)
*Shir Hever, économiste. Il est directeur de Alliance for Justice between Israelis and Palestinians. Ses recherches portent entre autres sur les dimensions économiques de la politique d'occupation, de colonisation des territoires palestiniens. Il a publié The political economy of Israel's occupation. Repression beyond exploitation, Pluto Press 2010, et The privatisation of Israeli security, Pluto Press 2017.
1. Ya'akov Lifshitz, Security Economy, the General Theory and the Case of Israel, Jerusalem : Ministry of Defense Publishing and the Jerusalem Center for Israel Studies (2000).
2. Sharon Sadeh, “Israel's Beleaguered Defense Industry,” Middle East Review of International Affairs Journal, Vol. 5, No. 1, March 2001, pp. 64–77.
3. Jeremy Sharp, “US Foreign Aid to Israel : Overview and Developments since October 7, 2023,” https://www.congress.gov/crs-product/RL33222, accessed August 2025.
4. Nadir Tzur, “The Third Lebanon War,” Reshet Bet, July 17th, 2011 http://www.iba.org.il/bet/?entity=748995&type=297, accessed December 2013.
5. Yael Hason, Three Decades of Privatization [Shlosha Asorim Shel Hafrata], Tel-Aviv : Adva Center (November 2006).
6. Sadeh, 2001.
7. Jonathan Cook, “Israel Maintains Robust Arms Trade with Rogue Regimes,” Al-Jazeera, October, 2017 https://www.aljazeera.com/news/2017/10/23/israel-maintains-robust-arms-trade-with-rogue-regimes, accessed December 2024.
8. United Nations, “5. Estimates of Mid-Year Population : 2002–2011,” Demographic Yearbook, 2013 http://unstats.un.org/unsd/demographic/products/dyb/dyb2011.htm, accessed December 2024 ; Richard F. Grimmett and Paul K. Kerr, “Conventional Arms Transfers to Developing Nations, 2004–2011, “Congressional Research Service, 7–5700, August 24, 2012 ; Amnesty International, “Israel/Gaza : Operation ‘Cast Lead' – 22 Days of Death and Destruction, Facts and Figures,” July, 2009 https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/07/mde150212009eng.pdf, accessed December 2024.
9. Jonathan Cook, “Israel's Booming Secretive Arms Trade,” Al-Jazeera, August, 2013 https://www.aljazeera.com/features/2013/8/16/israels-booming-secretive-arms-trade, accessed December 2024. Neve Gordon, “The Political Economy of Israel's Homeland Security/Surveillance Industry,” The New Transparency, Working Paper (April 28, 2009).
10. Sophia Goodfriend, “Gaza War Offers the Ultimate Marketing Tool for Israeli Arms Companies,” +972 Magazine,January, 2024 https://www.972mag.com/gaza-war-arms-companies/, accessed December 2024.
11. Maya Wind, Towers of Ivory and Steel : how Israeli Universities Deny Palestinian Freedom, Verso (2023).
12. Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) “The SIPRI top 100 Arms-Producing and Military Service Companies, 2020,” SIPRI, December, 2020 https://www.sipri.org/sites/default/files/2021-12/fs_2112_top_100_2020.pdf, accessed December 2024.
13. Yagil Levy, Israel's Death Hierarchy : Casualty Aversion in a Militarized Democracy, New York : NYU Press (2012).
14. This is widely referred to as the Palestinian “laboratory”—a term used in the critical literature as well as by Israeli arms companies themselves.
15. Hussein, 2024. Yoav Zitun, “From deals in the Third World to dubious brokers : a glimpse into the IDF arms race,” Ynet, November 22nd, 2024, https://www.ynetnews.com/article/h1tefly71g ; Cf. https://www.haaretz.com/israel-news/2024-09-27/ty-article-magazine/.highlight/retired-israeli-general-giora-eiland-called-for-starving-gaza-does-he-regret-it/00000192-33f5-dc91-a1df-bffff4930000, accessed January 2025.
16. Ellen Knickmeyer, “US spends a record $17.9 billion on military aid to Israel since last Oct. 7,” AP, October 9th, 2024, https://www.ap.org/news-highlights/spotlights/2024/us-spends-a-record-17-9-billion-on-military-aid-to-israel-since-last-oct-7/, accessed August 2025 ; Hagai Amit, “89 Billion NIS in two years : the numbers behind the buying binge of the IDF in the war,” The Marker, July 27, 2025. https://www.themarker.com/allnews/2025-07-27/ty-article/.highlight/00000198-4735-deec-ab9e-e73f8bc40000, accessed August 2025.
17. Yuval Azulay, “Israel's Arms Industry Profits Soar as Wars Fuel Billion-Dollar Contracts,” Calcalist, August, 2024 https://www.calcalistech.com/ctechnews/article/hkuwdfkic, accessed December 2024.
18. Zitun, “From deals in the Third World to dubious brokers : a glimpse into the IDF arms race,” Ynet, November 22nd, 2024, https://www.ynetnews.com/article/h1tefly71g(Back)
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Ces 601 bombes climatiques qui compromettent l’Accord de Paris
Les nouveaux projets miniers, pétroliers et gaziers risquent d'émettre 11 fois plus de carbone que la limite à ne pas dépasser pour maintenir le réchauffement à 1,5 °C, selon les données compilées par quatre associations.
Tiré de Reporterre. Photo : La plate-forme de forage Transocean Barents, qui appartient à TotalEnergies, se trouve dans le golfe Persique où la multinationale française est très active, au détriment du climat. TotalEnergies/AFP
Des mines de charbon par dizaines dans le nord de la Chine, des nouveaux forages pétroliers soutenus par TotalEnergies dans le golfe Persique, l'argent des banques françaises irriguant l'industrie fossile aux quatre coins de la planète… Un consortium d'associations a listé et cartographié l'ensemble des projets d'extraction de combustibles fossiles actuellement dans les cartons.
Au total, ces associations recensent 601 « bombes carbones » qui, si elles ne sont pas stoppées à temps, provoqueront des émissions totales de gaz à effet de serre de 1 400 gigatonnes, soit 11 fois plus que le plafond à ne pas dépasser pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, comme le prévoit l'Accord de Paris.
« Poursuivre ces projets enfermerait l'humanité dans une dégradation irréversible du climat et menacerait les conditions de vie sur Terre », avertit le consortium, composé de Data4Good, Éclaircies, Reclaim Finance et Leave it in the ground (Laissez-les dans le sol, Lingo).
Des dizaines de mines de charbon
Depuis la parution d'une première version de ce recensement, il y a deux ans, 176 nouveaux « mégaprojets » d'extraction de charbon, pétrole ou gaz ont été identifiés. Les projets de taille plus modeste se multiplient également. Depuis 2021, 2 300 projets d'extractions ont été approuvés. Selon une alerte de l'Agence internationale de l'énergie, en 2021, un gel des investissements dans les énergies fossiles aurait été nécessaire pour rester dans les accords de Paris.
Contrairement aux idées reçues, le charbon est loin d'être une énergie déclinante. Elle enregistre la plus forte croissance et les « bombes charbon » représentent 80 % des « bombes carbone » en projet.
Les « bombes carbone » en projet sont principalement implantées en Chine, en Russie, aux États-Unis et en Arabie saoudite, mais c'est une entreprise française, TotalEnergies, qui totalise le plus grand nombre de projets, selon cette étude. Avec 154 projets, petits et gros, dont 30 « bombes carbone », le fleuron hexagonal du forage devance la compagnie nationale chinoise, l'italien Eni et les britanniques BP et Shell.
Quatre banques françaises épinglées
Cette carte compile des informations issues de cinq bases de données, permettant, pour chaque projet, de connaître les compagnies engagées et les flux financiers qui les irriguent. Les ONG rendent ainsi visible un tsunami de cash qui permet ces projets climaticides.
65 banques ont accordé 1 600 milliards de dollars aux entreprises impliquées dans des nouveaux projets extractivistes depuis 2021. 3 banques étasuniennes occupent les 3 premières places du palmarès (JPMorgan Chase, Citigroup, Bank of America), derrière lesquelles figurent notamment 4 établissements français : la BNP Paribas, la Société générale, le Crédit agricole et la Banque populaire et Caisse d'épargne.
« Pendant des années, les intérêts financiers de l'industrie fossile et ceux qui la financent ont primé sur la prévention d'un effondrement climatique irréversible. Ils sont en train de réduire en cendres l'Accord de Paris », dénonce Lou Welgryn, secrétaire générale de Data for Good, dans un communiqué du consortium.
Seulement 12 mégaprojets stoppés
En portant la focale sur les projets les plus gigantesques, depuis 2020, ces ONG espéraient enrayer la tendance à l'échelle internationale. « Jusqu'à présent, quelques acteurs, principalement issus de la société civile, s'efforcent de désamorcer les bombes carbone, mais ils se concentrent sur un nombre très limité d'entre elles », écrivaient en 2022 les co-auteurs de la première étude nommant les « bombes carbone ».
Ces projets gigantesques « constituent le test décisif de la volonté de la communauté internationale d'en sortir », ajoute aujourd'hui Kjell Kühne, directeur de Lingo. Or, entre 2021 et 2025, seulement 12 mégaprojets ont pu être stoppés alors que 30 nouvelles « bombes carbone » ont été amorcées.
En laissant ces projets voir le jour, les États engagent leur responsabilité, y compris juridique, soulignent également les auteurs de cette étude. La Cour internationale de justice a rendu, le 23 juillet, un avis « historique » estimant que tous les États avaient l'obligation de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de « coopérer de bonne foi les uns avec les autres ». Un avertissement qui vaut aussi bien pour les États qui n'ont pas signé les traités internationaux ou qui en sont sortis.
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Droit du travail : la Cour internationale de Justice se prononce sur le droit de grève
La Cour internationale de justice (CIJ) a ouvert lundi ses audiences pour déterminer si le droit de grève est protégé par le droit international. C'est la première fois que la plus haute juridiction du monde est appelée à se prononcer sur l'équilibre entre les droits des travailleurs et les intérêts des employeurs.
Tiré de Entre les lignes et lesm ots
L'affaire fait suite à une requête déposée en 2023 par le Conseil d'administration de l'Organisation internationale du Travail (OIT), qui a sollicité un avis consultatif de la Cour sur la question de savoir si la Convention (n°87) sur la liberté syndicaleet la protection du droit syndical, 1948, inclut le droit de grève.
Adoptée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Convention n°87 est une pierre angulaire du droit international du travail, garantissant aux travailleurs et aux employeurs le droit de constituer les organisations de leur choix et d'y adhérer. Elle ne mentionne pas explicitement la grève, mais les défenseurs de la liberté syndicale interprètent depuis longtemps ce droit comme l'incluant.
Le Président de laCIJ, Yūji Iwasawa, a ouvert les débats de lundi en lisant la question formelle aux juges, en faisant référence à la résolution de l'OIT et à l'autorité procédurale de la Cour. Il a souligné la « structure tripartite de l'OIT, composée de représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs ».
Une demande rare
Tomi Kohiyama, conseillère juridique de l'OIT, a rappelé que l'OIT n'avait pas comparu devant la CIJ à titre consultatif depuis 1932, soulignant la rareté de telles demandes.
Elle a déclaré que le secrétariat de l'OIT ne prendrait pas position sur le sujet, mais aiderait la Cour en clarifiant le contexte institutionnel et les approches interprétatives au titre de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Fondée en 1919, l'OIT est unique au sein du système des Nations Unies par sa structure tripartite, réunissant des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs pour établir des normes internationales du travail.
Cet équilibre a cependant parfois conduit à des impasses, notamment en 2012, lorsque des groupes d'employeurs ont contesté la reconnaissance du droit de grève par les conventions n°87 et 98.
Arguments des syndicats et des entreprises
Paapa Danquah, s'exprimant au nom de la Confédération syndicale internationale (CSI), a décrit les grèves comme une expression intemporelle de l'action collective.
« La grève a été notre outil essentiel… pour améliorer les conditions de travail et défendre notre dignité humaine », a-t-il déclaré au tribunal.
Il a soutenu que le droit de grève fait partie intégrante de la liberté syndicale et devrait donc être reconnu comme protégé par la convention n°87.
En revanche, Roberto Suárez Santos, au nom de l'Organisation internationale des employeurs (OIE), a affirmé que si le droit de grève n'est pas contestable en principe, la convention n°87 ne le couvre ni explicitement ni implicitement.
Il a averti que l'intégrer maintenant à la convention reviendrait à imposer un régime prescriptif – définissant les modalités de la grève – susceptible de perturber les systèmes nationaux du travail.
Il a affirmé que la voie à suivre serait le consensus au sein des organes tripartites de l'OIT, et non une élévation unilatérale des normes par voie judiciaire.
Avis consultatifs de la CIJ
Pendant trois jours d'audience, 21 pays et organisations doivent témoigner, 31 déclarations écrites ayant déjà été déposées au greffe de la CIJ, témoignant de l'intérêt mondial pour l'issue de l'affaire.
L'avis consultatif de la Cour, attendu dans les prochains mois, ne sera pas juridiquement contraignant, mais pourrait profondément influencer le droit du travail international et national.
https://news.un.org/fr/story/2025/10/1157638
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