Presse-toi à gauche !
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D’Haïfa à Tel-Aviv, reportage auprès de ces Israéliens qui veulent l’arrêt de la guerre à Gaza

Ces dernières semaines, les Israéliens ont défilé par milliers dans les rues du pays. Pas un jour ne passe sans manifestations contre la politique de Netanyahou, pour demander le retour des otages, pour un arrêt de la guerre à Gaza et plus récemment pour s'indigner de la souffrance des Gazaouis.
Tiré de l'Humanité
https://www.humanite.fr/monde/guerre-israel-hamas/dhaifa-a-tel-aviv-reportage-aupres-de-ces-israeliens-qui-veulent-larret-de-la-guerre-a-gaza
Léonor Varda
On les a d'abord aperçus à l'université d'Haïfa, devant l'école des beaux-arts Bezalel de Jérusalem ou encore sur le campus Ben Gourion de Beer-Sheva, au sud d'Israël. Puis ces drapeaux noirs ont pris place, épars, parmi les symboles brandis par les manifestants, aux côtés du ruban jaune de la campagne pour les otages encore détenus à Gaza, intitulée « Ramenez-les à la maison », et de banderoles anti-Netanyahou.
Le mouvement du black flag (« drapeau noir » en anglais) est né il y a tout juste deux semaines àl'initiative de groupes d'universitaires de Tel-Avivdésireux de délivrer un message : la guerre à Gaza doit prendre fin, et avec elle la dévastation qui frappe les civils gazaouis et leurs enfants – dont 1 309 ont été tués par Israëlaprès sa rupture unilatérale du cessez-le-feu le 18 mars, selon l'Unicef.
« Nous pensons qu'un drapeau noir flotte aujourd'hui sur la conduite du gouvernement et que les soldats et les pilotes qui bombardent Gaza sont complices d'actes criminels », assène Dana Olmert, chercheuse en littérature à l'université de Tel-Aviv et membre du conseil d'administration de l'ONG israélienne anti-occupation Breaking the silence. L'enseignante, par ailleurs fille de l'ancien premier ministre Ehud Olmert issu de la droite et proche d'Ariel Sharon, est l'une des figures actuelles d'un monde universitaire de gauche refusant de rester muet plus longtemps face aux décisions de son gouvernement.
« L'Israélien moyen ne connaît pas les images de Gaza »
« Il existe en Israël une gauche radicale, petite mais engagée, qui résiste à l'occupation depuis des décennies, expose Dana Olmert. Ces derniers mois, de plus en plus de voix se sont jointes à cet appel, exigeant la fin de la guerre et des dommages causés aux civils innocents à Gaza. » L'apparition dans les cortèges de portraits de civils tués dans l'enclave palestinienne est cependant bien récente en Israël. Elle existe aujourd'hui grâce à une prise de conscience tardive par la société israélienne des crimes perpétrés par son armée à Gaza, estime Liran Razinsky, un autre professeur issu de l'université de Bar-Ilan, à Ramat-Gan, dans la banlieue est de Tel-Aviv.
Les médias israéliens sont majoritairement responsables, selon lui, de ce retard : « L'Israélien moyen ne connaît pas les images de Gaza, car les médias locaux, surtout la télévision, ne les ont pas diffusées. Je pense que beaucoup de citoyens ont eu très mal moralement en les découvrant, juge-t-il. Les politiciens savent, les internationaux savent, mais ici tout le monde ne lit pas Haaretz. » Il serait pourtant hypocrite de résumer le problème à un manque d'information, ces universitaires en conviennent.
Comme nombre de citoyens, Liran Razinsky a vu lasociété se fracturer sur la question israélo-palestinienne. Parfois jusqu'à la rupture. « Au lendemain du 7 octobre 2023, un ami que je fréquentais depuis plus de trente ans m'a dit : « Il faut faire une deuxième Nakba » (exode des Palestiniens avant et pendant la guerre israélo-arabe et la proclamation de l'État d'Israël en 1948 – NDLR) », se souvient-il. « J'ai répondu qu'il s'agissait d'un crime contre l'humanité, et il m'a accusé d'être du côté de Staline, de Pol Pot, parce que je ne condamnais pas assez le Hamas. Puis il a refusé tout contact avec moi. »
Le bloc uni des colons
Cette polarisation de la société israélienne s'exprime dans la rue, foulée ces dernières semaines par des manifestants aux aspirations adverses. Les altercations entre ces groupes ne sont pas rares, alors que l'extrême droite au pouvoir répète sur les plateaux télévisés et lors de marches nationalistes qu'« il n'y a pas de civils innocents à Gaza ».
Le 7 octobre aura eu pour conséquence l'élargissement du fossé entre deux blocs distincts, selon Dana Olmert : « D'un côté, une partie croissante de l'opinion publique recherche une solution politique globale avec les Palestiniens, soutient un cessez-le-feu immédiat, la fin de la famine à Gaza et le renversement du gouvernement actuel. Pour ce groupe, ramener les otages chez eux le plus rapidement possible est la priorité absolue. De l'autre côté, on trouve un public de plus en plus influencé par des idéologies racistes et juives suprémacistes, qui appelle à la vengeance et à l'expansion des colonies dans les territoires occupés. » Les figures de proue de ce combat messianique et anti-Arabes ne sont autres que les influents ministres d'extrême droite Itamar Ben Gvir (Sécurité nationale) et Bezalel Smotrich (Finances), alliés de Benyamin Netanyahou depuis 2022 au sein de la coalition gouvernementale.
Ceux-là contribuent au défoulement d'un discours sioniste extrémiste : Bezalel Smotrich annonçait encore ce jeudi 29 mai la création de 22 nouvelles implantations juives enCisjordanie occupée, au mépris du droit international. De son côté, Itamar Ben Gvir s'affichait lundi dernier à Jérusalem aux côtés des colons les plus nationalistes et racistes du pays lors de la Marche des drapeaux, qui célèbre chaque année l'occupation et l'annexion par Israël de la partie orientale de la ville. Une preuve supplémentaire de la prise en otage du pouvoir par une frange nationaliste radicale, qui a poussé des dizaines de milliers d'Israéliens à manifester contre une dérive autocratique et pour le maintien d'un contre-pouvoir institutionnel en avril et mars.
Contestation bâillonnée
« Ce n'est pas que les gens n'ont pas envie de manifester, mais vous allez voir comment la police encadre les manifestations ces temps-ci… Des policiers par centaines, chaque mouvement est scruté et ils peuvent être agressifs. » Ce dimanche 1er juin, Nisreen Mourkus est stressée. Du coffre de sa voiture, elle sort pêle-mêle des affiches en hébreu et en arabe, des portraits d'enfants tués à Gaza et des autocollants et flyers portant le logo du Mouvement démocratique des femmes en Israël, un groupe de femmes juives et arabes créé en 1949 afin de militer pour la solution à deux États.
« D'habitude, je vais faire imprimer tout ça à Acre. Mais mon imprimeur refuse depuis quelque temps, il a peur que la police ne ferme son commerce… Donc j'ai dû en trouver un autre à Nazareth. Lui a accepté ! » raconte-t-elle, en route vers la manifestation prévue ce jour-là sur les hauteurs d'Haïfa, au nord d'Israël, pour l'arrêt des violences à Gaza. Cette Arabe d'Israël, Palestinienne dont la famille est restée sur place lors de la création d'Israël en 1948, ne touche pas terre ces derniers jours.
Elle se trouve prise entre l'organisation de marches contestataires dans le nord du pays, la rédaction de lettres à l'adresse de diplomates internationaux pour les inciterà faire pression sur Israël, et plusieurs visites dans les camps de réfugiés palestiniens de Cisjordanie, où l'armée entreprend des destructions massives depuis le mois de février. « Je milite avec plusieurs collectifs pour les droits humains, les droits des femmes et des enfants, les droits sociaux… Tout est connecté, en particulier en ces temps de guerre », souligne cette militante communiste, avant d'ajouter : « J'espère qu'un jour, les Israéliens comprendront qu'il n'est pas tenable de vivre ici en se préparant constamment à la prochaine guerre contre un de ses voisins. »
Ce jour-là, la manifestation est déplacée sur le mont Carmel. En contrebas, on aperçoit le port d'Haïfa. « Nous sommes bien moins visibles des habitants du centre-ville que lors des défilés précédents », souffle Nisreen Mourkus, ployant sous le poids de ses pancartes. Habituellement, les manifestants empruntent Allenby Street, l'artère fréquentée du centre. Sans cette concession sur le parcours, la manifestation aurait été interdite par le ministère de la Sécurité d'Itamar Ben Gvir, disent ses organisateurs.
C'est donc encadré par un imposant dispositif policier que le cortège s'élance à 17 heures. Des pancartes sur lesquelles on peut lire « Arrêtez la guerre », des slogans écrits en hébreu, en arabe et en anglais, sont brandies. Autour de la bannière de l'Action antifasciste flottent plusieurs drapeaux noirs.
Pour une information libre sur la Palestine
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Pitié pour le peuple de Gaza ! Une discussion de la stratégie du Hamas et des options auxquelles il est confronté

Ce à quoi nous avons assisté ces derniers jours dans les négociations entre le Hamas et l'État sioniste sous patronage américain et arabe, à la suite du rejet par le mouvement islamique de la trêve de soixante-dix jours, accompagnée de libérations mutuelles de prisonniers et de l'entrée de l'aide humanitaire, proposée par l'envoyé américain Steve Witkoff et acceptée par Benyamin Netanyahou, est en fait une répétition de ce à quoi nous assistons depuis le début de l'année dernière.
4 juin 2025
Gilbert Achcar
Professeur émérite, SOAS, Université de Londres
Tiré de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/040625/pitie-pour-le-peuple-de-gaza
Ce blog est personnel, la rédaction n'est pas à l'origine de ses contenus.
Photo Serge d'Ignazio
Après la propagation de la nouvelle d'un accord imminent, le Hamas a annoncé son rejet du plan parce qu'il ne stipule pas le retrait de l'armée israélienne de la bande de Gaza et la cessation permanente de la guerre. Ce sont les mêmes conditions que le Hamas a annoncé avoir obtenues au printemps de l'année dernière. Les habitants de Gaza avaient alors célébré la bonne nouvelle jusqu'à ce qu'il devienne clair qu'il s'agissait d'un fruit de l'imagination. J'ai commenté ce que le mouvement avait annoncé à l'époque, il y a plus d'un an, sous le titre « Poker menteur entre le Hamas et Netanyahou ».
Je dois m'excuser auprès des lecteurs et lectrices pour la longueur des deux extraits qui suivent, mais le but en est assez clair. Ils illustrent le fait que la situation est restée la même depuis le début de l'année dernière, avec cependant une différence importante : le nombre de victimes de l'assaut génocidaire contre le peuple de Gaza continue d'augmenter inexorablement, et la destruction sioniste de la bande de Gaza et son dépeuplement (« nettoyage ethnique ») se poursuivent à un rythme extrêmement dangereux, et ce dans le but de créer une situation irréversible. Le long extrait suivant de l'article mentionné ci-dessus se lit aujourd'hui comme s'il s'agissait d'un commentaire sur la situation actuelle, en remplaçant Joe Biden par Donald Trump et Anthony Blinken par Steve Witkoff :
« La déclaration de Khalil al-Hayya, le chef adjoint du Hamas à Gaza, expliquant ce que le mouvement avait accepté, n'a laissé aucune place à l'espoir qu'un accord serait trouvé, sauf en prenant ses désirs pour la réalité. Si l'État sioniste avait accepté l'interprétation officielle du mouvement, cela aurait simplement été un aveu de défaite écrasante. La proposition acceptée par le Hamas prévoyait trois étapes, qui, selon al-Hayya, comprenaient non seulement un cessez-le-feu temporaire et un échange de prisonniers entre les deux parties, mais aussi une cessation permanente des hostilités, un retrait complet de l'armée israélienne de la bande de Gaza, et même la fin du blocus imposé à l'enclave [...] Il est évident que l'État sioniste ne pourrait jamais accepter de telles conditions, et le Hamas n'est certainement pas naïf ou enclin à la pensée magique au point de croire que sa position déclarée conduirait à une trêve.
Cela suggère que l'annonce avait en fait deux objectifs : un objectif secondaire, qui était de soustraire le Hamas au reproche des habitants de Gaza, qui ont désespérément besoin d'une trêve accompagnée d'une accélération de l'entrée de l'aide afin qu'ils puissent reprendre leur souffle, se réunir, enterrer leurs morts et guérir leurs blessures. Ainsi, après une longue attente, le mouvement leur dit qu'il a accepté la trêve, mais que c'est Israël qui la rejette. L'autre objectif, principal, de l'annonce concerne le jeu de poker menteur en cours entre le Hamas et Benyamin Netanyahou.
On sait que ce dernier est pris entre deux feux dans la politique intérieure israélienne : ceux qui appellent à donner la priorité à la libération des Israéliens détenus à Gaza, les familles des détenus naturellement en premier lieu, et ceux qui rejettent toute trêve et insistent pour continuer la guerre sans interruption, menés par les ministres les plus extrémistes de l'extrême droite sioniste. Cependant, la plus grande pression sur Netanyahou vient de Washington, qui s'aligne sur les souhaits des familles des détenus israéliens dans sa poursuite d'une trêve “humanitaire” de quelques semaines, permettant à l'administration Biden de se dire avide de paix et préoccupée par le sort des civils, après avoir été et tout en restant un partenaire pleinement responsable de la guerre génocidaire d'Israël, une guerre qu'Israël n'aurait pas été en mesure de mener sans le soutien militaire des États-Unis.
Netanyahou a décidé d'échapper à l'embarras en acceptant tactiquement un cessez-le-feu de quelques semaines et les conditions d'un échange de prisonniers que Washington, selon les mots de son secrétaire d'État, a jugé “extrêmement généreuses”. C'était il y a quelques jours, et Antony Blinken a ajouté que la balle était maintenant dans le camp du Hamas et que celui-ci porterait seul la responsabilité de la poursuite de la guerre s'il rejetait la proposition. C'était embarrassant pour le mouvement islamique, à la fois aux yeux de la population de Gaza et aux yeux de l'opinion publique internationale, car il sait pertinemment que le gouvernement sioniste est déterminé à achever son occupation militaire de la bande de Gaza.
Ainsi, le Hamas a répondu à Netanyahou par une contre-manœuvre, annonçant en grande pompe médiatique son acceptation d'un cessez-le-feu basé sur une proposition très différente de celle que Netanyahou avait acceptée, renvoyant ainsi la balle dans son camp, sachant qu'il rejetterait sa proposition. Cependant, ce jeu est dangereux, car il n'a pas vraiment embarrassé Netanyahou, du fait que toutes les fractions de l'élite du pouvoir sioniste partagent son rejet d'une telle proposition. Au contraire, cela a renforcé le consensus sioniste pour achever l'occupation de Gaza... (Fin de la citation tirée de « Poker menteur entre le Hamas et Netanyahou », Al-Quds al-Arabi, 7 mai 2024 – en arabe.)
Mais la similitude entre la situation d'il y a un an et la situation actuelle ne cache pas le fait que les choses se sont sérieusement détériorées, ce que j'ai souligné il y a deux mois comme suit :
« La victoire de Donald Trump pour un second mandat présidentiel a permis à Netanyahou d'obtenir ce qu'il espérait, mais qu'il n'aurait pas pu faire sans le feu vert des États-Unis […] Avec le soutien de Trump, Netanyahou a maintenant changé la direction de la pression : au lieu que le Hamas utilise ses otages comme levier pour obtenir des concessions d'Israël en échange de leur libération graduelle, Netanyahou a réoccupé la bande de Gaza, prenant tous ses habitants en otages. Il menace maintenant le Hamas de continuer à tuer des milliers de Gazaouis et à déplacer la plupart d'entre eux si le mouvement ne se rend pas, ne libère pas tous ses captifs et ne quitte pas la bande de Gaza, de surcroît.
Le peuple de Gaza est maintenant confronté à deux possibilités, sans qu'une troisième ne se profile à l'horizon : soit le régime sioniste poursuit son projet d'achever la Nakba de 1948 en perpétrant un nouveau “nettoyage ethnique” accompagné de l'annexion de la bande de Gaza, comme le préconisent les alliés de Netanyahou à l'extrême droite sioniste ; ou l'accord négocié par les États arabes est conclu, qui stipule le départ des dirigeants et des combattants du Hamas et de leurs alliés de Gaza, à l'instar du départ des dirigeants et des combattants de l'OLP de Beyrouth en 1982, pour être remplacés par l'Autorité palestinienne de Ramallah, soutenue par des forces arabes. Le Hamas n'a pas son mot à dire dans le premier scénario, celui du nettoyage ethnique, bien entendu, mais il peut négocier le second et fixer ses propres conditions.
Au-delà de cela, quelle autre option le Hamas a-t-il à offrir ? La seule stratégie alternative que nous ayons entendue de la part du mouvement est celle articulée par l'un de ses porte-parole, Sami Abu Zouhri […] Il a appelé à faire face au projet de déplacement de la population de la manière suivante : “Face à ce plan diabolique qui combine massacres et famine, tous ceux qui peuvent porter des armes n'importe où dans le monde doivent agir. Faites usage de tout engin explosif, balle, couteau ou pierre. Que tout le monde brise son silence. Nous sommes tous des pécheurs si les intérêts de l'Amérique et de l'occupation sioniste restent en sécurité alors que Gaza est massacrée et affamée.” Cette vision de la bataille est une réitération de l'appel lancé par Mohammed Deif le matin de l'opération Déluge d'Al-Aqsa : “Aujourd'hui, aujourd'hui, tous ceux qui ont un fusil doivent le sortir, car c'est son heure. Et celui qui n'a pas de fusil doit sortir avec sa machette, sa hache ou son cocktail Molotov, avec son camion, son bulldozer ou sa voiture […] Voici venu le jour de la grande révolte qui mettra fin à la dernière occupation et au dernier système d'apartheid dans le monde.”
Il est rapidement devenu évident que parier sur un tel appel était un pur fantasme, car rien de notable ne s'est produit, même en Cisjordanie occupée, sans parler des territoires de 1948 et du monde arabe. Alors, quelles sont les chances de succès du même appel aujourd'hui, après tout le génocide et la dévastation que le peuple de Gaza a endurés ? Quant à ceux qui soutiennent cet appel depuis l'extérieur de la bande de Gaza et ne le mettent pas en œuvre avec tout « engin explosif, balle, couteau ou pierre » sur lesquels ils peuvent mettre la main, selon la recommandation d'Abou Zouhri, ils ne sont que des hypocrites qui incitent verbalement de loin à se battre jusqu'au dernier Gazaoui. La vérité est que le Hamas est aujourd'hui confronté à un choix entre renoncer à son contrôle de Gaza – dont il peut négocier les termes pour assurer la sécurité et la survie du peuple de la bande de Gaza – et poursuivre la stratégie de libération par les armes et les illusions. De ces dernières, c'est-à-dire des illusions, le mouvement islamique a certainement beaucoup plus que des premières. Il semble toutefois qu'un débat soit en cours parmi les dirigeants du mouvement quant à l'approche à suivre face au dilemme décrit ici. (Fin de la citation tirée de « Gaza et la sagesse de Salomon », Al-Quds al-Arabi, 1er avril 2025 – en arabe.)
Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 3 juin. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.
PS1 : Abou Zouhri (basé au Qatar) s'est plus récemment illustré en suscitant une vaste réprobation – à Gaza en premier lieu – pour avoir déclaré lors d'un entretien télévisé à la mi-mai : « Aujourd'hui, nous sommes plus certains de la justesse de la bataille après que nous et notre peuple ayons réussi à tenir pendant quinze mois », en expliquant que « les maisons qui ont été détruites seront reconstruites et les ventres de nos femmes donneront naissance à beaucoup plus d'enfants que ceux qui sont morts en martyrs ».
PS2 : Pour une discussion approfondie du génocide en cours et de la stratégie du Hamas, voir mon tout dernier ouvrage : Gaza, génocide annoncé. Un tournant dans l'histoire mondiale.
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Lancement - discussion : Extrême-droitisation du monde des médias et de l’édition

Joignez-vous à nous mercredi prochain pour le lancement de l'ouvrage Déborder Bolloré, une collaboration exceptionnelle entre trois éditeurs québécois et 125 éditeurs français pour contrer les empires médiatiques et les idées d'extrême-droite qu'ils propagent.
La discussion portera sur la concentration et l'extrême-droitisation des médias et du monde de l'édition. Elle réunira l'essayiste Philippe de Grosbois, la rédactrice en chef (Pivot) Claire Ross, la journaliste Gabrielle Brassard-Lecours, ainsi que l'éditeur Claude Rioux.
À propos
L'empire du milliardaire Vincent Bolloré est devenu en quelques années un levier majeur de la conquête du pouvoir par l'extrême-droite en France. Au-delà du déluge xénophobe, la « bollosphère » fait chaque jour la promotion de discours sexistes et homophobes légitimant les violences contre les femmes et les personnes LGBTQIA2S+, en plus de promouvoir l'avènement d'une société inégalitaire.
Au Québec, l'empire de Pierre-Karl Péladeau peut faire penser à celui de Bolloré. Entretenant une panoplie de chroniqueurs aussi xénophobes que transphobes – dont un faisant la navette entre ses plateformes et celles de Bolloré (CNews) –, PKP possède les chaînes LCN et TVA et, via Québecor, des journaux, magazines et hebdomadaires parmi les plus lus de la province, en plus du « premier groupe d'édition, de diffusion et de distribution de langue française au Québec et au Canada », le Groupe Livres Québecor Média inc.
Ce recueil, édité collectivement par des éditeurices indépendant·es, alimente la réflexion générale sur la nécessité de s'opposer à l'empire Bolloré et par extension aux empires médiatiques. Chercheureuses, imprimeureuses, éditeurices et libraires y analysent ainsi les dynamiques de concentration et d'extrême-droitisation du marché. Chacun·e tente de formuler, depuis sa position respective, des réponses à cette question urgente : comment faire face au libéralisme autoritaire dans le monde du livre ?
Page Facebook de l'activité%2C%22ref_notif_type%22%3Anull%7D].
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Gaza. Influenceurs par temps de génocide

La guerre contre Gaza est le premier génocide retransmis en direct sur les petits écrans de nos téléphones. Malgré l'absence d'électricité, l'accès difficile à Internet et la famine, les Palestiniens de Gaza continuent à documenter sans relâche leur calvaire. Certains sont devenus des icônes suivies en ligne par des millions de personnes. Une présence en ligne, notamment en anglais, qui s'est construite depuis les mobilisations sur tout le territoire de la Palestine historique en 2021.
Tiré d'Orient XXI.
Il faut commencer par dire que la présence en ligne palestinienne s'était déjà construite bien avant 2023. Depuis quelques années déjà, on a pu remarquer une évolution notable du paysage des réseaux sociaux palestiniens. Ces derniers ont commencé à acquérir une plus grande visibilité au niveau mondial et une force de frappe digitale, avec les comptes de jeunes Palestiniens à l'anglais parfait et qui sont capables de mener des campagnes aux hashtags viraux.
C'est le cas de #SaveSheikhJarrah en 2021 sous l'impulsion notamment des jumeaux El Kurd (Muna @muna.elkurd15 et Mohammed @mohammedelkurd, respectivement 1,5 million et un million d'abonnés). Ce hashtag a été créé en référence au quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est occupé sous la menace d'expulsions massives d'habitants au profit de colons juifs. À ce jour, ce hashtag a été utilisé plus d'un million de fois en anglais sur Instagram sous ses différentes formes et plus de 970 000 fois en arabe.
De la même façon, le soulèvement palestinien de grande ampleur qui a éclaté en mai 2021 a été largement relayé sur les réseaux sociaux et sur les groupes WhatsApp et Telegram, par exemple lors de l'appel à la grève générale du 18 mai pendant les bombardements israéliens sur Gaza, sous des hashtags comme #GazaUnderAttack (#GazaSousAttaque) ou #the_strike_of_dignity (la_grève_de_la_dignité). Cela a contribué à connecter les Palestiniens entre eux (éclatés dans différents espaces géographiques, coupés par des checkpoints, le mur de séparation et le blocus de Gaza), et de rallier les Palestiniens d'Israël (qui se sont joints à un soulèvement de ce type pour la première fois depuis 1948) et, au-delà, de toucher une audience étrangère qui s'est sensibilisée à la cause palestinienne.
Une maîtrise des codes et de l'anglais
Cette visibilité en ligne a sans aucun doute aidé à amorcer un changement de perception de la part de l'opinion mondiale vis-à-vis des Palestiniens. Ceux-ci ne sont en effet plus seulement perçus à travers les images lointaines des médias traditionnels. Ils peuvent à présent être vus comme de jeunes influenceurs capables de prendre la parole, de s'adresser à un public international, de construire une audience, de peser dans le « game » des réseaux sociaux et d'en jouer le jeu, et à qui surtout on peut s'identifier. Cela a pu jouer un rôle dans l'infléchissement de l'opinion internationale en faveur de la cause palestinienne, en particulier auprès d'une jeunesse dite woke aux États-Unis et ailleurs, et en général sur les campus occidentaux.
Les influenceurs de Gaza sont encore plus impressionnants dans leur maîtrise des codes et de la langue dominante des réseaux sociaux. Pour la plupart ils n'ont jamais voyagé ni étudié à l'étranger en raison du blocus imposé sur l'enclave depuis 2007 (contrairement à un influenceur de Jérusalem comme Mohammed El Kurd qui a étudié aux États-Unis). De très jeunes journalistes se sont fait remarquer et sont devenus des figures publiques et populaires grâce à leurs comptes sur les réseaux sociaux, comme Motaz Azaïza (@motaz_azaiza, 16,9 millions d'abonnés), Bisan Owda (@wizard_bisan1, 4,8 millions d'abonnés), Plestia AlAqad (@plestia.alaqad, 4,2 millions d'abonnés), et bien d'autres.
Motaz Azaïza n'a que 26 ans, mais déjà quelques cheveux blancs et la maturité d'un trentenaire. Passionné de photographie, il avait acquis une petite popularité sur Instagram avant la guerre en cours en postant des portraits, des couchers de soleil et des scènes de plage à Gaza. Il rêvait de voyager et surtout de visiter le reste de la Palestine, mais, comme il le dit, ses photos voyageaient plus que lui. Il est devenu photojournaliste dès mai 2021 quand Israël a bombardé Gaza pendant 11 jours. Mais c'est après le 7 octobre 2023 que son compte a bondi de 25 000 abonnés à un million en, seulement, une dizaine de jours, et à 9 millions dès la fin du mois d'octobre 2023. Il a atteint ensuite un pic à 17,4 millions (avant de retomber à 16,9), ce qui fait de lui l'un des journalistes les plus suivis sur les réseaux sociaux au niveau mondial.

Il a su créer un lien direct et personnel avec le public via son compte Instagram en leur parlant directement en anglais et en arabe. Il a exposé non seulement son travail de journaliste, mais aussi l'humain derrière la caméra qui est pris dans la fureur des bombardements, ses états d'âme sans filtre, les amis qu'il a perdus, quelques rares moments de joie aussi, jusqu'à son départ de Gaza début 2024. Son compte a couvert la guerre de façon incarnée et c'est cela qui fonctionne sur les réseaux sociaux, même si son physique de gendre idéal a aussi possiblement joué un rôle. L'une de ses photos a été classée par Time Magazine dans le Top 10 des photos de l'année 2023 et vu sa notoriété en ligne, ce même magazine l'a sélectionné en 2024 parmi les 100 personnalités les plus influentes dans le monde.
- « Hi everyone, it's Bisan from Gaza and I'm still alive »
Sa consœur Bisan Owda, 27 ans, a, elle, été classée parmi les 25 femmes les plus influentes de 2024 par le Financial Times (aux côtés de Taylor Swift ou de Kamala Harris). Elle a reçu un certain nombre de prix de journalisme et de droits humains, dont un Emmy Award pour sa série documentaire AJ+ « It's Bisan from Gaza and I'm Still Alive » diffusée par la chaîne Al Jazeera, malgré des campagnes de lobbying pour contester sa nomination. Ses 4,8 millions d'abonnés sur Instagram connaissent bien son gimmick de début de vidéos « Hi everyone, it's Bisan from Gaza and I'm still alive » (« Bonjour tout le monde, c'est Bisan de Gaza et je suis toujours en vie. »). Une façon de souligner que non, ce n'est pas une évidence d'être toujours en vie quand on est dans la bande de Gaza sous les bombes et encore moins quand on est journaliste. Et en effet, on attend ses vidéos pour s'assurer qu'elle vit toujours, ce qui n'est plus le cas de tous les Instagrammeurs cités ici.

Bisan garde une approche journalistique, relayant les informations qu'elle peut collecter sur la situation en différents endroits de l'enclave et en documentant ce qui se passe dans les lieux de refuge où elle a pu se trouver, comme à l'hôpital Al-Shifa au début de la guerre, à Rafah, ou dans la zone d'Al-Mawasi. Mais elle n'hésite pas à partager aussi ses moments de désespoir, ses déplacements d'un refuge à l'autre, ses maladies de peau liées au manque d'hygiène, ses rencontres avec des enfants, sa joie de pouvoir croquer dans une carotte après en avoir été privé pendant des mois à Gaza…
C'est qu'elle reste une « conteuse », du nom du programme de vidéos Hakawatiya (Raconteur d'histoires) qu'elle produisait avant la guerre avec la chaîne de télévision Roya Palestine. Et de fait, à chaque publication, on écoute ce que Bisan a à nous dire. La plupart de ses posts sont des vidéos brutes face caméra, mais adressées directement au monde extérieur. Son visage, ses traits plus ou moins tirés et les mots qu'elle ne mâche pas, sont une source d'informations précieuse pour qui veut suivre ce que subissent les Gazaouis, et témoigner de leurs conditions de vie, leur santé mentale, leur survie.
Ce que l'on n'a pas pu montrer ni à Grozny ni dans le ghetto de Varsovie
Outre les journalistes, il y a toute une gamme de créateurs de contenus qui n'appartiennent pas à l'univers des médias, mais qui ont repris les codes des influenceurs du monde entier. À la différence que, dans leurs cas, le contexte est celui d'une guerre. Ils montrent la vie dans Gaza entièrement dévastée et la réalité de la guerre d'une façon jamais vue auparavant. C'est comme s'il y avait eu des Instagrammeurs dans le ghetto de Varsovie ou dans Grozny en train d'être rasée, montrant en direct tous les aspects de la survie.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y a actuellement à Gaza des « influenceurs » cuisine, fitness, jardinage, lifestyle, etc. Bien sûr, ils ne peuvent pas bloguer comme partout ailleurs dans le monde, mais chacun apporte un angle de vue direct et précieux sur ce qui se passe à Gaza, avec toutes les difficultés quotidiennes, la dévastation, les aspects insoutenables, mais aussi des petits moments de bonheur et des touches d'humour. Bien souvent, le bourdonnement incessant des drones de surveillance israéliens accompagne leurs courtes vidéos. Une réalité inévitable de la bande de Gaza, avant même le 7 octobre 2023. Ils utilisent aussi toutes les astuces des réseaux, notamment les multi-publications d'un même contenu sur plusieurs comptes afin d'accroître leur portée et leur visibilité.
Ainsi Hamada Shaqoura (@hamadashoo, 582k abonnés), blogueur culinaire avant la guerre et qui est maintenant derrière les fourneaux d'une sorte de soupe populaire appelée Watermelon Relief (Secours Pastèque (1)), qui distribue de la nourriture aux enfants. Il nous montre en détail comment, sous un hangar en tôles et dans d'énormes marmites, il prépare de grandes quantités de riz au lait, de hamburgers ou d'autres délices prisés par les enfants.
Et pendant toute la durée de sa recette, au lieu de regarder ce qu'il fait quand il verse un ingrédient ou remue sa mixture, il fixe l'objectif avec un regard perçant. Il nous scrute, nous les spectateurs, au fond des yeux. C'est un style chez certains créateurs de contenus qui cultivent un degré de provocation et de détachement. Mais dans son cas, il semble plutôt nous mettre devant nos responsabilités chaque seconde de sa vidéo : « Voilà ce que je suis obligé de faire et dans quelles conditions ».

Et dans les faits, on ne peut pas détourner les yeux, car il est fascinant de voir comment il réalise des petits miracles, des plats et des friandises que les enfants adorent et qui ont l'air réellement appétissants. Et tout cela non pas avec des ingrédients raffinés, mais avec des produits de qualité aléatoire comme d'énormes boîtes de conserve bon marché issus de l'aide alimentaire. Le meilleur moment : la distribution à la fin aux enfants qui se bousculent, se délectent avec gourmandise et ne se font pas prier pour dire que c'est délicieux devant la caméra. On est là pour ces quelques sourires au milieu du désastre.
Des recettes pour se régaler, pour survivre
L'adorable petite Renad (@renadfromgaza), elle, cuisine devant un petit réchaud derrière la tente familiale. C'est son jeu préféré, une dînette « pour de vrai » et son moyen d'évasion d'un quotidien bouleversé. Elle a 11 ans et 1,2 million d'abonnés, et a posté depuis un an une soixantaine de recettes variées, toujours « à la façon gazaouie ». Les vidéos sont filmées et sous-titrées en anglais avec l'aide de sa grande sœur (@dr.nourhanattallah) qui est consciente de préserver ainsi la santé mentale de sa cadette.
- Renad, comme les pros des réseaux, ponctue toutes ses vidéos avec certains gimmicks qui sont devenus sa patte : « Yallah nbalesh » (« allez on commence ») et à la fin « wallah tejaaaanen » (« je vous jure ça déchiiire »).
Le plus réussi, c'est qu'elle arrive vraiment à nous intéresser à des recettes typiques de Gaza (avec l'indispensable piment qui les accompagne) qu'on peut reproduire chez soi. Mais l'on est surtout fasciné par la façon avec laquelle les Gazaouis parviennent à les préparer et à entretenir et sauvegarder leur patrimoine culinaire en utilisant des produits très limités en raison de l'entrée restreinte des denrées alimentaires et de la pénurie de produits frais, et tout cela cuisiné de façon rudimentaire derrière une tente…

Renad, comme les pros des réseaux, ponctue toutes ses vidéos avec certains gimmicks qui sont devenus sa patte : « Yallah nbalesh » (« allez on commence ») et à la fin « wallah tejaaaanen » (« je vous jure ça déchiiire »). Et l'on s'en régale à l'avance parce que finalement, au-delà de la recette, nous partageons l'enthousiasme brut et joyeux d'une enfant qui joue à l'influenceuse « cuisine » et a réussi à se créer sa propre échappatoire.
Dans un autre style, Basma Abu Shahla (@basma_shahla, 635k abonnés), créatrice d'une marque de vêtements à Gaza avant la guerre, est retournée vivre dans son logement partiellement détruit en avril 2024. Elle a alors commencé à poster des vidéos très lifestyle et cocooning (2), dans l'esprit d'une tendance actuelle des réseaux présentant de belles images de pâtisseries faites maison et de goûters réconfortants. Mais dans son cas, ce n'est pas un jardin riant ni une décoration cosy dans l'air du temps en arrière-plan, mais un champ de ruines.

Le côté soigné, doux et esthétisant de ses petites mises en scène tranche avec le décor alentour, créant alors une esthétique à part entière, incongrue, mais extrêmement puissante. Le 17 octobre 2024, elle a posté une vidéo déchirante, dans son style habituel de préparation, mais dans lequel toutes les casseroles étaient vides puisque l'aide humanitaire n'était pas rentrée depuis plusieurs semaines et que le nord de Gaza était soumis à une famine aiguë. Comme ces dernières semaines.
Bricolage et jardinage, envers et contre tout
Au rayon influenceurs « DIY et bricolage », on trouve Ibrahim Abu Karsh (@ibrahimkarsh), qui a « seulement » 40,2k abonnés, mais qui montre des astuces incroyables qu'il appelle camping tricks. On a vu depuis le début de la guerre les Gazaouis construire des fours à bois à base de terre séchée ou des réchauds improvisés dans des boîtes de conserve en l'absence d'électricité et de gaz, mais Ibrahim élève l'art de la récupération à un niveau de débrouillardise supérieur. Le voir prélever de la boue du sol et en extraire une eau presque pure à l'aide de filtres rudimentaires est bluffant. Il utilise du coton et de la gaze absorbante, qui retiennent l'eau avant de la faire passer goutte à goutte, un peu plus propre, d'un bocal à l'autre. Dans d'autres vidéos, il construit un petit chauffage d'appoint avec des boîtes de conserve vides, récupère le sel de l'eau de mer ou encore fabrique une bougie anti-moustiques. Ses vidéos sont sans paroles, mais il n'y en a pas besoin, ses DIY (Do it yourself, bricolage ou travail manuel amateur) sont simples et efficaces.

Aussi remarquable que les influenceurs « cuisine », l'influenceur fitness existe à Gaza. Un Tibo InShape (3) local est Mohamed Hatem du compte @gym_rat_in_gaza (221k abonnés). Il peut vous apprendre à faire de la musculation dans n'importe quel contexte, en utilisant un encadrement de porte, un bidon d'eau ou une bouteille de gaz. Sa motivation sans faille, sa routine parfaite et son humeur inaltérable en toute occasion sont le meilleur moyen de vous culpabiliser de ne pas être davantage en forme dans votre environnement privilégié et de ne pas faire plus d'exercice.

Élément perturbant, dans une pièce de sa maison à moitié détruite dans laquelle il présente des exercices entre deux fauteuils, une étoile de David et des inscriptions ont été taguées, dont le mot « revanche » en hébreu, et un « Allez l'OM » en français dans le texte. Des membres de l'armée israélienne ont en effet occupé sa maison quelque temps avant de se retirer en début d'année 2025.
Au rayon jardinage, un autre enfant des réseaux sociaux très à l'aise devant les caméras, Ahmed, 8 ans, a commencé à apparaître sur le compte Instagram de son père Aaed Abusweilem (@tasnemaaed, 1 million d'abonnés) et à planter un petit jardin en avril 2024. Du maïs et des oignons à côté de sa tente à Rafah. Il n'a pas manqué de transporter ses plants au cours des déplacements forcés de la famille. Il fait un tas d'autres choses sur son compte : principalement demander des dons via Paypal ou Gofundme, comme beaucoup d'autres Gazaouis en ligne, exposer sa vie quotidienne, ses joies, et aussi les moments sombres comme quand sa mère et ses sœurs ont été blessées par des éclats d'obus lors d'un bombardement près de leur tente en décembre 2024.

Mais ce sont ses vidéos de jardinage qui ont fait sa popularité, dont AJ+ a d'ailleurs fait un sujet. Sur ses vidéos il porte très souvent un chat dans ses bras, un capital sympathie assuré tant les félins sont populaires sur les réseaux sociaux. Son premier chaton, Suzy, est mort d'une hépatite, ce qui l'a beaucoup affecté. À présent, il est toujours avec celui qui ne le quitte plus, un beau matou noir du nom de Simba que son frère avait retrouvé tout petit sous les décombres. Le père d'Ahmed leur a récemment créé un compte dédié à leurs noms : @ahmed_and_simba.
- Il n'a pas pu aller au bout de son défi et sa « petite ferme », comme il l'appelait, est restée orpheline depuis qu'il a été tué le 26 août 2024 à l'âge de 19 ans
Un autre jardinier amateur des réseaux sociaux était Medo (@medo_halimy, 118k abonnés), un jeune homme attachant qui aimait se baigner et admirer le coucher du soleil pour oublier son quotidien. Il s'ennuyait dans cette vie de réfugié sous une tente et a eu l'idée de planter tous les jours jusqu'à la fin de la guerre. Ce jardinier amateur n'y connaissait absolument rien en jardinage. Il a appris les bases au fur et à mesure des conseils et commentaires des internautes. Il partageait en même temps au quotidien sa vie sous la tente, répondant régulièrement aux questions des abonnés sur la survie à Gaza : comment s'approvisionne-t-on en eau ou encore comment parvient-on à avoir du réseau internet. Il n'a pas pu aller au bout de son défi et sa « petite ferme », comme il l'appelait, est restée orpheline depuis qu'il a été tué le 26 août 2024 à l'âge de 19 ans par des éclats d'obus d'une frappe israélienne visant Khan Younès.

Un univers de débrouille
Medo était proche du duo Omar et Mohammed du compte @omarherzshow qui totalise 1,5 million d'abonnés. Il s'agit de deux amis qui avaient à peine commencé l'université à la rentrée 2023 quand leurs études ont été brutalement interrompues une semaine après, le 7 octobre. Dans le nom de leur compte Instagram il y a le mot « show » et c'est en effet un « show » fascinant : des vidéos rythmées, amusantes, avec les musiques et montages dans les tendances du moment. Ce sont deux jeunes amis qui mettent en scène leur vie sur les réseaux, font des vlogs comme il y en a plein en ligne, s'exprimant dans un anglais américanisé et reprenant les codes des influenceurs business et lifestyle. Sauf que leur vie n'a absolument rien de normal.
Ils ont commencé en créant un petit business : ils vendaient pour quelques dizaines de shekels des copies numériques d'applications, de jeux vidéo, de dessins animés ou de séries télé, qu'ils stockaient sur leurs disques durs, aux clients de passage dans un café. Un business de débrouille dans un univers où l'électricité, internet et les distractions sont devenus des denrées rares. Le fait qu'ils veuillent trouver de la joie dans la pire des situations et qu'ils documentent leur routine quotidienne de façon enjouée, sans toujours faire référence aux horreurs de la guerre, leur garantit d'être particulièrement visés par des commentaires pro-israéliens.

Mais c'est souvent leur communauté d'abonnés qui se charge de répondre de manière systématique, argumentée ou sarcastique. Par exemple, la vidéo du jour 52, où ils ont l'idée de se faire un chocolat chaud sur la plage, a déclenché des commentaires (en majorité effacés depuis) niant l'existence d'une famine à Gaza puisque le marché où ils se rendent est achalandé et qu'ils ont le « luxe » d'avoir du chocolat… Leurs abonnés ont répondu abondamment en rappelant les chiffres du génocide en cours et en arguant que le fait de se partager un petit sachet de chocolat en poudre et de chauffer son lait en brûlant du bois dans une vieille boîte de conserve n'avait précisément rien d'un luxe. Cela les blesse sans aucun doute, car plusieurs de leurs vidéos ont voulu se justifier de ce qui n'était pas montré directement dans leurs routines quotidiennes : les morts, les destructions et les difficultés pour trouver un logement temporaire ou simplement aller chercher de l'eau.
Et puis ils ne font pas toujours des vidéos. Ils disparaissent pendant plusieurs mois, ce qui en général sous-entend qu'ils n'ont alors pas la capacité de vloguer ; comme lors de déplacements forcés d'une « zone d'abri » à une autre ou encore à la mort de Medo. C'est de nouveau le cas depuis février 2025 et nous, derrière nos petits écrans, ne pouvons rien faire d'autre qu'espérer qu'ils sont sains et saufs.
Autres comptes à suivre
Journalistes
– @plestia.alaqad (4,2 millions d'abonnés)
– @hindkhoudary (1,1 million d'abonnés), journaliste d'Al Jazeera
– @bayanpalestine (245k abonnés)
– @nooh.xp (427k abonnés), photographe et secouriste
– @aboodgaza (68,7k abonnés), photographe
Créateurs de contenus
– @m7md_vo (2,4 millions d'abonnés) : Mohamed Al Khalidi souvent accompagné de son petit frère trisomique Kenan.
– @ashraf_almajaida (1,1 million d'abonnés) : Ashraf et son petit frère Aboud
– Les frères @reachabed (329k abonnés) et @reachyusuf (470k abonnés)
– @ahmedmateer (35,1k abonnés) DIY, bricolage
– @dr.mo5tar (68,5k abonnés), chef dans les camps de réfugiés
– @mahashome (396k abonnés), cuisine, lifestyle
– @nouur97 (342k abonnés), mode, lifestyle
– @shamsabdn (146k abonnés), lifestyle, coaching, photographie
– @aborjelaa (487k abonnés) de l'initiative de soutien humanitaire @shababgaza
– @shorouqalazbaki (89,2k abonnés), lifestyle, promotion d'initiatives caritatives comme « 4 sisters »,
– @shababgaza
Notes
1- NDLR. Les couleurs de la pastèque (rouge, vert, blanc, noir) rappellent celles du drapeau palestinien. Avec l'interdiction de brandir leur drapeau, les Palestiniens ont alors utilisé la pastèque comme un moyen détourné d'exprimer leur identité nationale et leur résistance. La pastèque est utilisée comme symbole de solidarité avec la Palestine à travers le monde.
2- NDLR. Le cocooning désigne le fait de rester chez soi dans un environnement chaleureux et protecteur, pour se détendre ou fuir le stress extérieur.
3- Influenceur fitness français, youtubeur francophone le plus suivi avec plus de 26 millions d'abonnés.
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Le trumpisme, stade suprême de l’anti-intellectualisme

« Misère de l'anti-intellectualisme. Du procès en wokisme au chantage à l'antisémitisme » est sorti le 2 octobre 2024. On était un an après le 7 octobre. Or en France il n'y a eu aucune recension. Reste que l'élection de Donald Trump en a confirmé l'actualité. Après six mois, il était épuisé. L'avant-propos de la réédition, aujourd'hui en librairie, revient sur le paradoxe de cette (non-)réception.
5 juin 2025 | tiré du blog d'Éric Fassin sur mediapart.fr
https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/050625/le-trumpisme-stade-supreme-de-l-anti-intellectualisme
La première édition de cet ouvrage est arrivée en librairie le 2 octobre 2024. Il était parti à l'imprimerie le 19 août, jour où s'ouvrait aux États-Unis la convention démocrate : Kamala Harris pouvait encore espérer la victoire. Du côté français, on savait seulement qu'Emmanuel Macron, au mépris des résultats d'élections législatives qu'il avait pourtant convoquées, refusait de choisir un Premier ministre dans les rangs de la gauche. Mon introduction annonçait un programme : « penser l'actualité ». Il ne s'agissait pas seulement de récapituler des développements récents, des deux côtés de l'Atlantique. Cet essai sociologique avait l'ambition de donner des clés pour comprendre ce qui prenait forme sous nos yeux. Pendant la fin de campagne, le candidat républicain accusait les migrants, dans l'Ohio, de manger chiens et chats. Contre ces alternative facts, que valait alors le fact checking ? C'était l'apothéose du bullshit politique – le grand n'importe quoi.
Or, cinq semaines après la parution du livre, Donald Trump remportait l'élection aux États-Unis. Force est de le constater : mon titre, Misère de l'anti-intellectualisme, a bien été validé par les cent premiers jours de ce second mandat. Dès son investiture, le 20 janvier, le président prenait un décret pour « défendre les femmes contre l'extrémisme de l'idéologie du genre et restaurer la vérité biologique dans l'État fédéral », et un autre pour « mettre fin au gâchis et à la radicalité de programmes de diversité et de politiques préférentielles dans l'administration fédérale ». L'anti-intellectualisme s'attaque en premier lieu aux politiques minoritaires, taxées de wokisme. Comme lors des attaques républicaines contre les présidentes d'universités auditionnées à la Chambre des Représentants depuis décembre 2023, il se drape dans la lutte contre l'antisémitisme. Les manifestations pro-palestiniennes servent de prétexte pour expulser des étudiants étrangers, écarter des professeurs, et sous la pression d'enquêtes annuler des financements fédéraux pour obtenir la capitulation d'universités d'Ivy League placées sous le contrôle du régime. Le nouveau vice-président, J.D. Vance, l'avait déclaré sans ambages en 2021 : « Les universités, voilà l'ennemi. »
En France, Patrick Hetzel, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche nommé en septembre 2024 par Michel Barnier, avait demandé quelques mois plus tôt à l'Assemblée nationale la création d'une commission d'enquête sur les « dérives islamo-gauchistes » dans l'enseignement supérieur. C'était reprendre le projet auquel l'ancienne ministre Frédérique Vidal avait dû renoncer. Quelques jours avant la date anniversaire du 7 octobre 2023, Patrick Hetzel inaugurait sa fonction nouvelle en condamnant « des manifestations et prises de position de nature politique, en lien avec le conflit au Proche-Orient », qui iraient, à l'en croire, « à l'encontre des principes de neutralité et de laïcité du service public de l'enseignement supérieur. » Les mobilisations ne parlent pourtant ni d'islam ni de judaïsme ; l'alibi républicain sert juste à neutraliser (au sens policier) le monde universitaire. C'est qu'à la différence des États-Unis, l'anti-intellectualisme avance souvent masqué. D'ailleurs, les mesures contre les universités s'y autorisent volontiers, non d'une idéologie, mais d'une rationalisation néolibérale : ce peut être au nom de l'évaluation des politiques publiques et de la rigueur budgétaire que sont visés, sans qu'il soit besoin de les nommer, les savoirs critiques.
Ainsi, début 2025, le Haut Conseil de l'Évaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (HCERES) a rendu des avis défavorables sur de multiples licences et masters, surtout en philosophie et sciences sociales (y compris dans ma propre université). Or on apprenait bientôt que beaucoup de ces avis, susceptibles d'entraîner la fermeture de diplômes, contredisaient ceux des évaluateurs sollicités par cette instance. Démentant son indépendance supposée, le HCERES s'était ainsi permis, à l'insu de tous, de rayer d'un trait de plume, avec leurs conclusions, le principe même du jugement des pairs qui est un des piliers des libertés académiques. La révélation de ce contrôle politique entraînait un vote de l'Assemblée nationale, le 10 avril, pour la suppression de cette instance. Pourtant, le nouveau ministre, Philippe Baptiste, n'hésitait pas à protester… au nom de « l'autonomie » et de la « liberté académique ». Ce n'est sans doute pas un hasard si des soutiens intellectuels de l'offensive anti-intellectuelle contre un prétendu islamogauchisme, dès l'annonce en 2021 par Frédérique Vidal d'une enquête, avaient justement proposé de confier celle-ci au HCERES, « institution indépendante du ministère », pour lutter « contre la contamination du savoir par le militantisme ». On retrouve la convergence des logiques néolibérales et néofascistes : pour les premières, les savoirs critiques sont inutiles ; pour les secondes, ils sont dangereux.
Toutefois, la France apparaît quelque peu en décalage, voire en retrait par comparaison avec la radicalisation trumpiste. Dans les recherches bénéficiant d'un financement fédéral, le président des États-Unis a établi une liste de centaines de mots suspects ; y figurent non seulement « diversité » ou « intersectionnalité », ou encore « antiracisme », « race et ethnicité », qui organisent pourtant le recensement, et certaines de ses catégories, comme « noir » ou « Native American » (mais pas « blanc ») ; non seulement « LGBT » ou « trans », et bien sûr « genre », ou encore « féminisme », et même « femmes » (mais pas « hommes »). La purge ne s'arrête plus au « wokisme ». Le soupçon pèse aussi sur « discrimination » et « privilège », « inégalité » et « injustice », ou encore « inclusion » et « exclusion », et même « handicap » ou « santé mentale ». Outre « Golfe du Mexique », c'est la « science du climat » qui passe à la trappe, sans oublier « biais » ou « à risque ». Bref, la cible est la vérité scientifique en tant que telle.
Quant à la justification de la répression anti-universitaire par la lutte contre l'antisémitisme, sa crédibilité est quelque peu entamée par le salut, pudiquement qualifié de « romain », affiché le jour de l'investiture du président par son favori, Elon Musk. Que Steve Bannon, son rival dans le camp trumpiste, l'imite un mois plus tard n'a fait qu'en confirmer la signification. L'hebdomadaire allemand Die Zeit a d'ailleurs tranché (en pastichant Gertrude Stein) : « un salut hitlérien est un salut hitlérien est un salut hitlérien ». Pourtant, le président de l'Anti-Defamation League, Jonathan Greenblatt, censé lutter contre l'antisémitisme, n'a voulu y voir qu'« un geste maladroit, dans un moment d'enthousiasme, pas un salut nazi. » Pourquoi s'en étonner ? Ce livre apporte un éclairage. D'un côté, Elon Musk a favorisé l'expression suprémaciste sur X, allant jusqu'à reprendre à son compte la version antisémite de la « théorie » du grand remplacement, et de l'autre, cela n'a pas empêché le même Jonathan Greenblatt d'applaudir son engagement après l'interdiction de slogans pro-palestiniens sur son réseau social. Bannir le mot « décolonisation » pour parler d'Israël est un gage d'antiwokisme qui dédouane des accusations d'antisémitisme. Au moment même où celles-ci pleuvent contre la gauche, le néofascisme qu'elles épargnent peut avancer à découvert.
La résonance de ce livre avec une actualité qu'il paraît anticiper explique probablement l'épuisement de son premier tirage, six mois seulement après sa sortie. Cet accueil d'un public désireux de mieux comprendre interroge d'autant plus sur le silence qui a prévalu jusqu'à présent dans les médias : une seule recension, dans Le Soir, en Belgique ; deux entretiens en vidéo, l'un pour Regards, revue de gauche, l'autre pour SQOOL TV, chaîne consacrée à l'éducation. Ni le premier anniversaire du 7 octobre, coïncidant avec sa sortie, ni le nouveau mandat de Donald Trump n'ont suffi à éveiller l'intérêt journalistique. Comment l'interpréter ? Les deux premières phrases du livre apportent une première réponse : « On ne peut plus rien dire » a cédé la place à : « Taisez-vous ! » Son annulation dans les médias privés ou publics qui vont de l'extrême droite au macronisme confirme donc l'argument de cet ouvrage. Face à des analyses qui invalident un discours dominant sur l'antisémitisme qui s'emploie à diaboliser la gauche pour mieux dédiaboliser l'extrême droite aux portes du pouvoir, la prudence journalistique le dispute à l'embarras.
On peut ajouter que ce silence est l'effet d'une logique médiatique qui amène à discuter surtout ce dont on parle déjà. Or, aujourd'hui, ce n'est plus la gauche qui donne le la : l'hégémonie idéologique est passée à droite. En conséquence, les pamphlets de droite accaparent l'attention, fût-ce pour les critiquer. De fait, la plupart des médias continuent de faire comme si l'on pouvait débattre de tout avec n'importe qui – y compris pour dire n'importe quoi. C'est croire que l'on vivrait encore dans un espace public libéral où les opinions pourraient s'affronter lors d'échanges argumentés. Mais s'il défend des valeurs, Misère de l'anti-intellectualisme n'est pas à proprement parler un livre d'opinion. C'est un travail sociologique qui mobilise des faits empiriques et des outils conceptuels pour appréhender la configuration politique renouvelée par le trumpisme. Sans doute un essai polémique eût-il été la cible d'attaques. Contrairement à mes craintes, ce n'a pas été le cas : ce livre n'a pas suscité d'écho médiatique, même négatif. Dans un contexte d'anti-intellectualisme, le savoir subit bien sûr des formes de silenciation. Le public rencontré par ce livre, malgré l'annulation par les médias, confirme néanmoins l'amoindrissement de leur pouvoir prescripteur, en particulier dans les jeunes générations qui sont au cœur de cet ouvrage. Reste à espérer que des médias suivent l'intérêt des lecteur∙ices, à défaut de le dicter.
Finalement, la non-réception médiatique du livre peut donc s'expliquer, non pas malgré son actualité, mais à cause d'elle. Le contexte nouveau, dans son incertitude, crée en effet un malaise dans l'antiwokisme. En France, le Rassemblement national, qui a tant œuvré pour gagner un certificat de dédiabolisation, peut-il emboîter le pas à la radicalisation trumpiste ? Certes, il n'est pas surprenant que Marion Maréchal, Sarah Knafo et Éric Zemmour aient bénéficié d'une invitation à Washington pour les cérémonies d'investiture présidentielle, et non Marine Le Pen. Encore la condamnation de celle-ci en justice pourrait-elle entraîner son revirement : Donald Trump ne lui a-t-il pas manifesté sa solidarité ? À l'entendre, « c'est le même scénario qui a été utilisé contre moi ». Le trumpisme triomphant pourrait-il donc enfoncer un coin, en France, entre la minorité au pouvoir et l'extrême droite dont le soutien tacite, depuis la parution de ce livre, a été la condition nécessaire de survie des gouvernements choisis par Emmanuel Macron ? Il est vrai qu'à l'instar de J.D. Vance, Washington ne cache pas son mépris pour l'Union européenne ; celle-ci ne menace-t-elle pas de sanctions des oligarques comme Mark Zuckerberg et Elon Musk lui-même ? Il serait pourtant prématuré d'en conclure que, face à la coalition d'autocrates qui se dessine entre Donald Trump, Vladimir Poutine, et tant d'autres, la France et l'Europe renoueront avec un modèle libéral mis à mal par le recul des libertés publiques et le durcissement des politiques xénophobes, mais aussi, sous de multiples formes, par la privatisation de la puissance publique.
En tout cas, face à l'antiwokisme de Trump, la France ne saurait sérieusement se prétendre woke. Lorsque l'ambassade américaine à Paris exige des entreprises françaises qu'elles renoncent à toute politique de diversité, beaucoup s'offusquent d'une telle ingérence. « Quel toupet ! ». Cela dit, comme le souligne un dessin de Colpacano (Le Monde, 6 avril 2025) : « on n'a jamais eu de politique inclusive ! » L'ironie redouble dans l'image : un technicien de surface noir et une secrétaire qui apporte le café aux patrons indignés encadrent silencieusement ces deux hommes blancs. Cependant, les pourfendeurs européens du « totalitarisme woke » sont actuellement confrontés à un dilemme : la haine de l'Europe professée par le trumpisme les condamne-t-elle à sacrifier l'antiwokisme ? Il en est pour le reconnaître, ce combat n'est plus une priorité ; et de préconiser la « nuance », plutôt qu'un antiwokisme primaire. Mais il leur serait coûteux de devoir renoncer aux séductions de la notoriété éditoriale et médiatique qui accompagne l'incessant ressassement de leurs opuscules et tribunes. Pour ne pas renoncer aux gratifications de cette prolifique polémique, ils n'hésitent pas à plaider que, si le wokisme sert de « repoussoir » commode au poutinisme et au trumpisme qui le répriment, les wokes seraient en même temps les « alliés objectifs » de Poutine et Trump, communiant dans la détestation de l'universalisme occidental. « Hitler a déshonoré l'antisémitisme », écrivait Georges Bernanos en 1944. Trump finira-t-il par discréditer l'antiwokisme, ou bien celui-ci sera-t-il sauvé, en Europe comme aux États-Unis, par le chantage à l'antisémitisme réservé à la gauche ?
Misère de l'anti-intellectualisme. Du procès en wokisme au chantage à l'antisémitisme, Textuel, 2e édition, 4 juin 2025

Ressources naturelles & extractivisme

Entre novembre 2023 et novembre 2024, la CQMMF a organisé une série de cinq (5) webinaires qui avait pour but de faire le tour du monde des résistances féministes. Chaque webinaire a été consacré à un thème spécifique et à une région du monde nous permettant de partager nos expériences et surtout de mieux comprendre comment s'organisent les résistances féminises.
Amériques
Le tour du monde des résistances féministes s'est poursuivi le 19 septembre sous le thème de l'extractivisme et les ressources naturelles. Les panélistes étaient Aurora Valentina du Pérou et Alejandra Laprea du Venezuela.
Qu'est-ce que l'extractivisme ?
Tout d'abord l'animatrice a rappelé que l'extractivisme est un mode d'accumulation de richesse qui implique d'extraire des ressources et de les vendre sur les marchés (souvent internationaux). L'extractivisme va jusqu'à avoir recours au pillage et à la dépossession des peuples.
les luttes et résistances
Pour Alejandra Laprea, les luttes menées sont ancrées dans la résistance aux grandes multinationales qui saccagent les terres et les territoires et qui tentent de contrôler les richesses du Venezuela. Le Venezuela est un pays avec une grande quantité d'or et de pétrole, de minéraux rares pour la technologie, avec une biodiversité incroyable et beaucoup d'eau douce. Les ressources de ce pays, qui est une porte d'accès à l'Amérique du Sud, sont convoitées. Le blocus subit depuis 10 ans a affecté l'économie du Venezuela, ce qui a mené selon Alejandra Laprea à un retard important dans le développement du pays et à une dépendance aux dollars américains. Le peuple vénézuélien réclame un commerce libre. Il y a quelques années, le peuple vénézuélien a décidé de mener sa propre révolution pour que les richesses naturelles soient au service du peuple. Le peuple doit résister constamment pour s'assurer que les ressources naturelles, tout comme les systèmes de santé et d'éducation, demeurent au service de la population.
Aurora Valentina nous a expliqué être très impliquée dans les luttes aux côtés de deux communautés autochtones qui sont menacées par une minière canadienne. Dans ce projet, pour lequel la population n'a jamais été consultée, les eaux sont à risque d'être contaminées. C'est déjà arrivé par le passé, de l'arsenic a été détecté. Les conséquences importantes sur la santé et sur la pénurie d'eau sont bien réelles. Des démarches sont faites pour sensibiliser les dirigeant-e-s des communautés et pour fortifier ce mouvement. Des jeunes soulignent l'importance des emplois fournis par cette minière qui est considérée comme « une vache à lait ». Malheureusement, ce lait est contaminé, et contamine les eaux. Il y a eu plusieurs marches pour empêcher la minière de déployer ses machines. On tente de faire taire le mouvement de mobilisation, notamment en accusant les communautés mobilisées d'avoir volé des équipements. La lutte se poursuivra !
Alejandra Laprea dénonce que l'embargo imposé au Venezuela vise à contrôler les ressources du pays et les mettre entre les mains des multinationales. Les conséquences sont importantes : rationnement de l'eau et de l'électricité, manque d'accès aux vaccins de la COVID, confiscation de traitements pour les diabètes. Les impacts de ces restrictions sur les femmes sont importants. Le système capitaliste est en crise, et cette crise se fait sur le dos des femmes. Leur charge de travail augmente, elles doivent régler les problèmes d'eau, combler les lacunes du système hospitalier et elles ont moins de possibilités économiques. Les femmes s'organisent et créent des propositions pour une économie nouvelle, telle qu'un projet de coopératives pour la gestion des résidus solides, pour le recyclage du plastique, du carton et du verre afin de les convertir en nouveaux objets. Aussi des centaines de femmes s'organisent autour des écoles afin de fournir du matériel et de la nourriture en élevant des animaux. Elles se forment sur l'économie féministe afin de faire avancer des circuits de production et de consommation.
Pour Aurora Valentina, la lutte contre les violences vécues par les femmes et l'accompagnement des organisations leur venant en aide sont centraux. Les entreprises minières ont amené beaucoup de violence au Pérou : abandon par les maris partis travailler à la mine, manque de protection des femmes, manque de nourriture pour les enfants, maltraitance. Un autre problème rencontré est la pénurie alimentaire. Les femmes ne savent plus comment nourrir leur famille, il n'a a pas assez de production agricole.Au Pérou, si on se bat pour défendre son territoire, on se fait persécuter, menacer, insulter par la police et par les minières. Le gouvernement et la police défendent les minières, donc une minière canadienne, qui détruisent les territoires autochtones. Des gens ont été condamnés et ont dû fuir pour éviter la prison et les persécutions. Dans toutes les régions, les femmes sont mobilisées et actives. Il y a des femmes qui font des activités artisanales leur permettant de gagner leur vie. Il faut chercher des stratégies, il faut continuer de se battre, pour faire reculer les entreprises minières.
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Oui, trop tard pour qu’Israël et les israéliens se libèrent de leurs démons génocidaires !

Après vingt mois de massacres quotidiens de civils -surtout des femmes et des enfants- et des actes d'un indicible sadisme mortifère, dont la famine organisée contre les habitants de Gaza, l'État israélien, mais aussi la société israélienne, voient leur heure de la vérité approcher comme jamais auparavant
* Par Yorgos Mitralias*
Alors, l'État sioniste peut-il devenir « normal », un État plus ou moins pareil aux autres ? En somme, est-il « réformable » ou est-il condamné à s'enfoncer de plus en plus dans la barbarie raciste, obscurantiste et exterminatrice de ses voisins qu'il traite de sous-hommes ? Et la société israélienne, peut-elle se défaire de ses fascistes et aspirants dictateurs ou il est déjà trop tard pour qu'elle se libère de ses tentations totalitaires et de ses démons suprématistes ?*
La réponse à ces interrogations est donnée d'abord par les événements de ces vingt derniers mois. Évènements qui ont vu l'État israélien franchir l'une après l'autre toutes les « lignes rouges », non seulement en se transformant en une machine à tuer massivement et en commettant les pires crimes contre l'humanité, mais aussi en les revendiquant publiquement,
allant jusqu'à se déclarer systématiquement fier de ces « exploits » macabres ! Le constat est donc catégorique : *l'État israélien suit une évolution inexorable et pleinement assumée vers sa transformation en État criminel et hors la loi !*
Mais, ce qui rend cette évolution encore plus redoutable et sinistre c'est qu'elle est rendue possible par la complicité active et l'approbation enthousiaste de la très grande majorité des citoyens israéliens ! Cette amère, et si dangereuse, vérité qu'on avait pu constater jour après jour ces vingt derniers mois, est maintenant pleinement confirmée par les conclusions d'une enquête d'opinion publiée par Haaretz (1) et passée – « évidemment » - presque sous silence par les grands médias de nos pays : *82% des Israéliens veulent expulser les Palestiniens de Gaza, et 47% d'eux veulent les tuer tous, enfants inclus !*
Et aussi, 56% des Juifs israéliens veulent expulser d'Israël ses citoyens Palestiniens, et ce pourcentage monte a 66% pour les Israéliens de moins de 40 ans. Il est à noter que, selon la même enquête, 70% des Israéliens dits « libéraux » et laïcs soutiennent l'expulsion des Gazaouis de leur terre, ce qui nous éclaire déjà sur la vraie nature de leurs manifestations contre
Netanyahou et son gouvernement : oui, ils veulent très sincèrement renverser ce gouvernement, et une partie d'eux, surtout les familles des otages, veulent le cessez-le feu. Mais, tout ça ne veut pas dire qu'ils veulent une paix durable avec les Palestiniens, ni qu'ils sont contre leur expulsion de Gaza ou même contre leur extermination. D'ailleurs, il suffit de lire attentivement la plupart de leurs proclamations pour voir que, sauf rares et très louables exceptions, ils ne sont pas contre ou même soutiennent la reprise de la guerre d'extermination contre les Palestiniens après un cessez-le-feu qui permettrait la libération des otages détenus pas Hamas.
De même, l'énorme pourcentage (97% !) des Ultra-orthodoxes (*Haredim*) qui soutiennent l'expulsion de Gazaouis devraient rendre plus circonspects ceux qui dans nos pays, s'empresseraient de penser du bien du parti de ces mêmes Haredim vu qu'il prépare, ces jours-ci, la chute du gouvernement Netanyahou. *En Israël, on peut être contre Netanyahou et être aussi
mauvais ou même pire que lui…*
La réponse aux interrogations de l'heure de la vérité israélienne, que donnent tant les événements des derniers vingt mois, que l'enquête d'opinion déjà citée, ne laisse donc aucun doute : Non, ce monstrueux Etat sioniste n'est pas « réformable », comme d'ailleurs n'est pas « réformable » la societe israélienne qui soutient activement ses politiques génocidaires ! Ce qui a comme conséquence que *même si Netanyahou est éloignée du pouvoir, les politiques criminelles continueront parce qu'elles correspondent aux vœux de la très grande majorité de la population juive d'Israël*. Alors, inutile de parler des divers
« solutions » du problème moyen-oriental (un ou deux états) avant de répondre a la question primordiale : que faire de l'État sioniste et surtout que faire de cette société israélienne ?
Il y a 16 mois, en décembre 2023, on écrivait déjà que « *le massacre méthodique et le nettoyage ethnique des Palestiniens qui a commencé avec la liquidation de ce qui est ce véritable ghetto de Gaza, se font en toute conscience car ils correspondent aux objectifs historiques du projet sioniste : la création, par l'extermination, l'expulsion et la soumission des indigènes, d'un État exclusivement juif sur l'ensemble des terres du Grand Israël !* ». Et on continuait en tirant la conclusion suivante : *« un
tel État est par nature monstrueux, inhumain et... irréformable » …et « la solution qui s'impose crève les yeux : il faut changer cet État de fond en comble, afin de le rendre au moins « normal »,« comme les autres ». En somme, il faut le dé-sioniser* ».(2)
Arrivés à cette conclusion, on s'interrogeait comment faire pour de-sioniser Israël. Alors, on se tournait vers deux grandes expériences du passé qui pourraient nous aider : celle de l'Allemagne nazie, et celle de l'Afrique du Sud de l'Apartheid. Et voici ce qu'on écrivait : « *La dénazification de l'Allemagne à la fin de la Deuxième Guerre mondiale a été imposée par les puissances qui l'ont vaincu sur le champ de bataille. L'Apartheid sud-africain, la « purification » et la « normalisation » de
l'État s'est faite de l'intérieur, à l'initiative de deux populations jusqu'alors ennemies. Sur la base de ces précédents, on peut déjà exclure l'application à Israël du modèle de la dénazification allemande parce qu'il présupposerait la défaite militaire d'Israël, ce qui conduirait très probablement à un terrible bain de sang de sa population juive* ».
Ayant donc exclu la dénazification a l'allemande, notre article d'alors se déclarait en faveur de « *la variante sud-africaine qui suppose que la dé-sionisation d'Israël vienne de son intérieur, à l'initiative de ses propres citoyens* ». Aujourd'hui, tenant compte non seulement des massacres et autres crimes contre l'humanité, perpétrés, jour après jour, par l'État israélien à Gaza -mais aussi de plus en plus en Cisjordanie. Et tenant compte surtout des dispositions pogromistes et exterminatrices de la grande majorité des citoyens (juifs) d'Israël, nous ne pensons plus comme il y a 16 mois, en décembre 2023 : *Un scénario de dé-sionisation à la sud-africaine de la société israélienne nous paraît improbable sinon impossible*, d'autant plus que le temps court contre une éventuelle « pacification » de cet État et de cette société.
Malheureusement, ce qui apparait déjà, mais en filigrane, dans l'horizon israélien est la purge de cette société d'abord de ses (rares) éléments critiques du génocide palestinien, et ensuite de tout citoyen (juif) qui osera revendiquer des droits et libertés démocratiques. Alors, confrontés à une telle situation dominée par une extrême droite fascisante, obscurantiste, très agressive et violente, il est très probable qu'on assistera à l'exacerbation et la généralisation d'un phénomène qui pointe déjà le nez : l'exode massive d'Israël de ses citoyens tant soit peu libéraux et laïcs qui tiennent à leurs droits individuels les plus
élémentaires. Le résultat d'une telle évolution sera qu'il n'y aurait plus en Israël que des factions d'extrémistes plus ou moins délirantes et suprématistes, lesquelles tôt ou tard se battront entre elles, tout en inventant des nouveaux « ennemis » qu'il faudra bombarder sinon exterminer afin de perpétuer leur pouvoir fondé d'ailleurs sur le sentiment d'extrême insécurité qui résulte du mythe fondateur d'un Israël prétendument condamné à vivre encerclé par des ennemis soi-disant héréditaires.
Notre conclusion ne pourrait pas être optimiste, d'autant plus que nous ne voyons pas comment les Israéliens pourraient redevenir des êtres plus ou moins « normaux », arrêtant de favoriser, et de pratiquer, le nettoyage ethnique et l'extermination des Palestiniens, et demain peut-être d'autres de leurs voisins, au nom du mythe de ce Grand Israël biblique qu'il faut
reconstituer. Donc, pour l'instant nous ne sommes sûrs que d'une chose : quand Israël rencontrera ses premières vraiment grandes difficultés, et ses soutiens d'aujourd'hui, qui sont des antisémites patentés, se tourneront de nouveau contre les juifs, ceux qui prendront leur défense seront, de nouveau, les mêmes qui les ont toujours défendus bec et ongles et au péril
de leur vie. C'est-à-dire ces quelques gens de gauche, de préférence des révolutionnaires, qu'on ose qualifier aujourd'hui d'antisémites…
*Notes*
*1.*
https://geopoliticaleconomy.com/2025/05/30/poll-israelis-expel-palestinians-gaza-genocide/
*2.* Voir *Pour que les horreurs du carnage de Gaza soient les derniers Purger l'État d'Israël de ses fondements sionistes ! :
**https://www.pressegauche.org/Pour-que-les-horreurs-du-carnage-de-Gaza-soient-les-derniers-purger-l-Etat-d
<https://www.pressegauche.org/Pour-q...>
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Gaza à la lumière de Fanon

Dans le cadre du colloque scientifique international sur Frantz Fanon « Guerrier Silex », qui s'est tenu le 31 mai à l'Hôtel Karibea de Sainte-Luce, dans le sud de la Martinique, j'ai présenté une conférence sur l'héritage de Frantz Fanon. Organisé par l'association First Caraïbes, dirigé par le psychiatre et militant Aimé Charles-Nicolas, cet événement a rendu hommage à l'œuvre et à la pensée de Fanon.
Tiré du blogue de l'auteur.
Je voudrais commencer par remercier Aimé Charles-Nicolas et les organisateurs de cette conférence de m'avoir invité à participer à cet événement historique. Il est particulièrement exaltant pour moi de me trouver en Martinique, dans un lieu où Fanon a grandi et qui a eu une influence profonde sur son imagination et sur sa pensée – un lieu qui, comme vous le savez sans doute, l'a hanté jusqu'à la fin d'une existence tragiquement écourtée, ce d'autant plus qu'il n'a jamais pu y retourner une fois qu'il a rejoint la lutte pour la libération nationale de l'Algérie.
Lorsque j'ai commencé à travailler sur ma biographie de Fanon, je connaissais déjà ses racines martiniquaises, sa dette envers Aimé Césaire et son influence sur les écrits d'auteurs comme Edouard Glissant ou Patrick Chamoiseau. Mais ce n'est qu'à l'occasion de mes recherches que j'ai pris conscience de l'extraordinaire richesse et de la créativité de la tradition intellectuelle et poétique de la Martinique, qui imprègne tous les écrits de Fanon, et pas seulement Peau noire, masques blancs. Si Fanon a fini par s'identifier publiquement comme un Algérien, il est resté profondément attaché à la Martinique, et seul un Antillais aurait pu écrire Les Damnés de la terre, qui dépeint la société coloniale à travers le prisme des sociétés de plantation du Nouveau Monde.
Donc, encore une fois, un grand merci : je suis très reconnaissant d'être accueilli par vous ici.
On m'a demandé de parler de « Gaza à la lumière de Fanon ». Avant d'aborder ce sujet, j'aimerais inverser le titre proposé et parler de « Fanon à la lumière de Gaza », car la lecture qu'on peut faire aujourd'hui de cet auteur est forcément surdéterminée par les événements du 7 octobre et leurs conséquences.
Lorsque j'ai achevé la version anglaise de ce livre pendant l'hiver 2022, je m'attendais plutôt à ce qu'il soit lu à travers le prisme de la vague de manifestations contre l'assassinat de George Floyd par la police de Minneapolis un an et demi auparavant, ainsi que du débat que ce mouvement de protestation avait suscité autour des questions d'identité raciale et de l'expérience d'être noir sous la domination blanche. Mais ce contexte herméneutique a connu une métamorphose dramatique le 7 octobre 2023, lorsque des combattants du mouvement islamiste Hamas et d'autres factions palestiniennes ont franchi la frontière sud d'Israël, tuant près de 400 soldats et plus de 700 civils israéliens, et repartant avec 250 otages entre leurs mains. En quelques jours, Fanon a été tour à tour célébré et vilipendé sur les médias sociaux comme l'inspirateur intellectuel de l'attaque dite du « déluge d'Al-Aqsa », faisant ainsi l'objet d'un curieux consensus entre la gauche décoloniale et la droite sioniste. Dans un article intitulé « Vengeful Pathologies » paru dans la London Review of Books début novembre 2023 et traduit en français – sous le titre « Pathologies de la vengeance » – par le site Orient XXI, j'ai essayé de compliquer cette lecture, qui remonte à la célèbre préface de Sartre pour Les Damnés de la Terre. Lorsque mon livre est paru deux mois plus tard, j'ai été attaqué simultanément sur deux fronts : par les conservateurs pro-israéliens, qui m'accusaient de normaliser la croyance de Fanon en la violence, et par certains secteurs de la gauche radicale, qui me reprochaient de tenter de la neutraliser.
De l'avis de mes critiques, j'avais commis l'erreur impardonnable de vouloir injecter un peu de nuance dans le rapport de Fanon à la violence. Cette perception du révolutionnaire martiniquais comme incarnation d'une vision purificatrice et presque extatique de la violence anticoloniale évoque à mes yeux les observations de Fanon lui-même sur l'image de l'homme noir en Occident. Dans Peau noire, masques blancs, il écrit que le Noir est censé représenter tout ce qui relève de l'instinct biologique et des pulsions érotiques et violentes que les Blancs – et d'autres - préfèrent désavouer en eux-mêmes. Il n'est donc pas étonnant que Fanon continue d'être perçu comme un champion de la violence aveugle et absolue. Les écrits et la personnalité du psychiatre antillais ne sont dès lors qu'un écran sur lequel aussi bien les fanoniens que les anti-fanoniens projettent leurs peurs et leurs fantasmes. Or, fait remarquable en ce qui concerne le conflit israéolo-palestinien, Fanon a été symboliquement enrôlé comme combattant et guide idéologique d'une lutte sur laquelle il n'a jamais écrit un seul mot.
Certes, les passages de Fanon susceptibles d'être cités à l'appui de ce type d'arguments en faveur de la violence ne manquent pas. Il est exact que Fanon était partisan de la lutte armée : dans son esprit, la décolonisation était un processus intrinsèquement violent, et la violence était indispensable non seulement pour renverser le colonialisme, mais aussi pour surmonter la léthargie, l'impuissance et le fatalisme qu'il avait induits chez les colonisés. Il était hanté par l'idée que, si la Martinique et d'autres îles des Antilles n'avaient pas réussi à conquérir une liberté authentique, c'est parce qu'elles n'avaient jamais mené une véritable lutte contre leurs oppresseurs, contrairement au peuple haïtien. En réalité, la Martinique avait elle aussi connu ses révoltes d'esclaves, mais Fanon n'était pas familier de cette histoire, en partie à cause des lacunes et des silences de l'historiographie coloniale française. Ce sentiment obsédant d'un échec martiniquais a profondément marqué sa réflexion sur la révolution anticoloniale. Dans Les Damnés de la terre, comme l'a souligné Jean Khalfa, Fanon semble non seulement analyser la violence de la lutte anticoloniale, mais aussi en tirer une certaine jouissance, la présentant comme une sorte de nécessaire thérapie de choc. À mesure que la répression de la révolte algérienne par la France se faisait plus brutale et se traduisait par l'éradication de villages entiers, l'utilisation systématique de la torture et la disparition de milliers de personnes suspectes de sympathiser avec le FLN, Fanon manifestait de plus en plus son soutien aux attentats à la bombe et aux actions armées visant les civils. Il déclare même à un moment donné que tout Français présent sur le sol algérien est coupable, et constitue donc, apparemment, une cible légitime. Notons qu'il s'agit d'un raisonnement que certains de ses propres camarades au sein du FLN rejetaient.
En même temps, Fanon était manifestement perturbé par la violence, et pas seulement par celle du colonisateur. On perçoit son désarroi à ce sujet dans L'An V de la révolution algérienne, où il déplore la « brutalité presque physiologique » dont font preuve certains rebelles, et, surtout, dans le dernier chapitre des Damnés de la terre, intitulé « Guerre coloniale et troubles mentaux ». Il y évoque le meurtre d'un adolescent européen par deux de ses camarades algériens, ainsi que les troubles post-traumatiques dont souffrent les soldats rebelles ayant commis des crimes de guerre. Dans sa reconstitution poignante de la rencontre entre Fanon et Sartre à Rome en 1961, Simone de Beauvoir décrit un homme hanté par la violence dont il a été témoin et terrifié à l'idée de celle qu'il anticipait. Il se reprochait la mort de son mentor, le dirigeant nationaliste Abane Ramdane, assassiné par ses propres camarades au Maroc, et prédisait qu'au lendemain de l'indépendance, les règlements de compte et les accusations de trahison risquaient de provoquer un bain de sang. Par conséquent, pour pouvoir présenter Fanon comme un partisan inconditionnel de la violence, il faut en faire une lecture très sélective.
On ne peut que spéculer sur ce qu'il aurait pu dire au sujet de la Palestine. Il fait allusion dans Les Damnés de la terre aux réparations allemandes accordées à l'État juif après la guerre, mais ne mentionne jamais la Nakba, ni le sionisme, ni le colonialisme de peuplement qui est au fondement de l'existence d'Israël. S'il avait vécu assez longtemps pour voir la guerre des Six Jours en 1967 et assister à l'émergence de ce pays en tant que puissance occupante, il n'aurait sans doute pas manqué d'aborder la question. Dans le monde intellectuel francophone, ses contemporains ont réagi à la question palestinien de manière assez diverse. Claude Lanzmann, sioniste convaincu, n'a pas hésité à faire un usage assez pervers des thèmes fanoniens en célébrant le culte de la force prôné par Israël et en présentant Tsahal comme l'armée de libération nationale du peuple juif. Sartre, à qui sa visite de l'État juif à la veille de la guerre de 1967 avait laissé un goût plutôt amer, oscillait entre une défense embarrassée des Israéliens et des expressions sporadiques de soutien à la lutte armée des Palestiniens. Des historiens militants comme Pierre Vidal-Naquet et Mohammed Harbi se sont vigoureusement opposés à l'occupation et à l'expansionnisme brutal d'Israël et invoquaient une solution qui permettrait aux Arabes palestiniens et aux Juifs israéliens d'affirmer leur identité nationale tout en partageant équitablement la terre. Jacques Vergès, avocat du FLN pendant la guerre d'indépendance algérienne, s'alignait sur les positions du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et d'autres groupes armés qui prônaient une décolonisation totale et violente, laissant planer l'incertitude sur l'existence des Juifs en Israël-Palestine. Par ailleurs, à la fin des années 1960, les organisations de la résistance palestinienne, du Fatah au FPLP en passant par le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP), ont de fait « palestinisé » Fanon en adoptant ses thèses et en distribuant des traductions des Damnés de la terre dans les camps d'entraînement de fedayines en Jordanie, au Liban et en Syrie.
Il est presque impossible d'imaginer Fanon se rangeant du côté de Lanzmann, mais aurait-il suivi les traces de Harbi et de Vidal-Naquet, ou bien celles de Vergès et du FPLP ? On peut défendre aussi bien l'une ou l'autre de ces hypothèses, car nous l'avons vu, les opinions de Fanon sur la violence étaient complexes et parfois contradictoires. En outre, nous ne savons pas ce qu'il aurait pensé de la version spécifique du colonialisme de peuplement propre au sionisme, compte tenu de la Shoah et des liens ancestraux des Juifs avec la Palestine. Tout comme Sartre, il soutenait les mouvements de libération nationale dans le monde arabe, mais avait de nombreux amis juifs et connaissait parfaitement l'histoire de l'antisémitisme en Europe. Aurait-il considéré le sionisme comme l'expression idéologique d'un simplement mouvement de conquête coloniale, et donc un phénomène à combattre avec les mêmes moyens qu'en Algérie, ou bien à la fois comme une forme de colonialisme et un projet national, exigeant dès lors des stratégies de résistance différentes ? Et ne devait-on pas considérer les Juifs israéliens comme différents des pieds noirs ?
Là encore, il est impossible de trancher, et l'œuvre de Fanon se prête à différentes lectures de ces questions. Dans L'An V de la révolution algérienne, il envisage un avenir dans lequel les Européens ayant embrassé la lutte pour l'indépendance seraient considérés comme des Algériens et vivraient aux côtés des musulmans sur un pied d'égalité ; mais à d'autres moments, il semble avoir une vision plus pessimiste des possibilités de coexistence. Autrement dit, invoquer le nom de Fanon à propos du 7 octobre et de Gaza, c'est ouvrir le débat, mais certainement pas le résoudre. Je ne pense pas qu'il faille s'en plaindre. Fanon ne demandait pas à ses aînés – ou aux auteurs qui l'ont précédé – de lui apporter des réponses toutes faites. Pourquoi nous comporter différemment ? C'est à nous qu'il revient de décider comment nous pouvons appliquer ses idées à la Palestine, en effectuant un véritable « saut » interprétatif – ou plutôt, un saut qui, je cite, « consiste à introduire l'invention dans l'existence ». Il ne s'agit donc pas de suivre servilement la lettre de ses écrits, mais d'être fidèle à l'esprit de son humanisme radical : comment mettre ses analyses au service des opprimés, de la liberté et de ce qu'il appelait la « désaliénation ».
Les parallèles entre le conflit israélo-palestinien aujourd'hui et l'Algérie du milieu des années 1950 n'auraient certainement pas échappé à Fanon. Tout comme l'Algérie française, Israël est fondé sur les ruines d'une autre société ; ses efforts incessants pour coloniser la terre et déposséder la population indigène se sont accélérés au cours des dernières années et ont été marqués par une brutalité croissante. Bien que les colonies israéliennes de Gaza ait été démantelées il y a près de 20 ans, le territoire est resté sous le contrôle et la surveillance étroite de l'État juif. Depuis 2007, la bande de Gaza est soumise à un blocus punitif dont on ne voit pas la fin. Jusqu'au 7 octobre, les Israéliens pensaient l'avoir neutralisée, instaurant même un partenariat tacite avec le Hamas, dont les dirigeants à Doha recevaient des millions de dollars transportés par les valises du gouvernement de Benjamin Netanyahou. Il y régnait un calme inquiétant, le calme de la « pacification », qu'Israël confondait avec la paix tout en cherchant à négocier des accords avec les dirigeants des États du Golfe.
Le 7 octobre, cette illusion de paix imposée par les conquérante a été brisée. Le « déluge d'Al-Aqsa » est une offensive traumatisante qui a brisé le sentiment d'invincibilité d'Israël et qui rappelle de manière frappante le soulèvement de Philippeville en 1955, « point de non-retour » de la guerre franco-algérienne, selon la formule de Fanon. Dans les deux cas, les actes de résistance légitime visant des soldats étaient mêlés à d'horribles crimes de guerre, dont des massacres sommaires de civils. On ne peut pas savoir si Fanon aurait établi de telles distinctions, mais ses écrits nous permettent de mieux comprendre pourquoi le 7 octobre s'est produit et pourquoi il a pris cette forme-là. L'auteur des Damnés de la terre n'a jamais manqué de le souligner : la violence anticoloniale est une contre-violence ; elle répond à la violence bien plus grande qui émane du système colonial et le définit. Et elle se manifeste partout où le système colonial a rendu le dialogue impossible. Fin 2023, ce n'était pas seulement le Hamas, mais le mouvement palestinien tout entier, qui se trouvait dans une impasse stratégique, incapable d'obtenir des concessions de la part d'Israël et courant le risque d'être complètement oublié par la communauté internationale. Le 7 octobre n'est pas sorti de nulle part.
L'œuvre de Fanon nous aide aussi à comprendre les pulsions les plus obscures qui ont animé le massacre de centaines d'habitants de kibboutz et de participants à une rave party. « Le colonisé, écrit-il, est un persécuté qui rêve en permanence de devenir persécuteur. » Le 7 octobre, ce rêve s'est réalisé pour ceux qui ont franchi la frontière sud d'Israël : les Israéliens allaient enfin éprouver le sentiment d'impuissance et de terreur que les Gazaouis avaient connu toute leur vie. En tant que psychiatre, Fanon n'aurait d'ailleurs eu aucun mal à comprendre pourquoi les Palestiniens ont pris les armes contre ceux qui les avaient dépossédé des terres de leurs ancêtres, imposé un blocus punitif à Gaza et bombardé leurs domiciles en faisant des dizaines de milliers de morts. Il était logique, expliquait-il, que « [celui] à qui on n'a jamais cessé de dire qu'il ne comprenait que le langage de la force, décide de s'exprimer par la force ». Il n'aurait pas non plus été étonné par le spectacle de la jubilation des Palestiniens face au 7 octobre, ni par les dénégations du Hamas quant au massacre intentionnel de civils perpetrés par ses miliciens - pas plus qu'il n'aurait été surpris par la machine de propagande israélienne qui, insatisfaite des crimes réels du Hamas, a diffusé des récits mêlant faits vérifiés et mensonges, comme la décapitation de bébés et le viol systématique de femmes. Dans une guerre coloniale, insistait-il, « le bien est tout simplement ce qui leur fait du mal ».
Après le 7 octobre, on a surtout invoqué Fanon en rapport avec la question de la lutte armée. Mais son œuvre apporte également un éclairage majeur sur l'impitoyable guerre de répression menée par Israël. Déterminée à surmonter son humiliation par le Hamas, l'armée israélienne a poursuivi une campagne de bombardements massifs, de nettoyage ethnique et d'organisation de la famine. Cette guerre contre les civils constitue clairement un génocide, selon les experts des droits humains et certains des plus éminents historiens de la Shoah, dont les Israéliens Omer Bartov et Amos Goldberg. Tsahal a tué plus de 54 000 Palestiniens à Gaza, déplacé la quasi-totalité de la population et détruit la plupart des bâtiments résidentiels, ainsi que toutes les universités et tous les hôpitaux. Elle a également étendu la guerre au Liban et occupé des régions de la Syrie. La violence d'Israël a revêtu en outre un caractère grotesquement exhibitionniste, à l'instar de la violence coloniale décrite par Fanon : elle vise à affirmer purement et simplement la domination tout autant qu'à atteindre un quelconque objectif politique. Et le langage des dirigeants israéliens est ouvertement raciste et génocidaire. « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », expliquait l'ancien ministre de la Défense israélien Yoav Gallant, confirmant ainsi l'observation de Fanon selon laquelle « le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique [et] se réfère constamment au bestiaire ». Un membre de la Knesset a récemment suggéré qu'il fallait séparer les hommes de Gaza des femmes et des enfants et les tuer tous. Ce type de déclarations revient fréquemment en Israël, et sans aucune retenue.
Je ne pense pas que Fanon aurait été surpris de la rapidité avec laquelle l'offensive d'Israël s'est pratiquement transformée en guerre d'annihilation. Comme le mentor de ses années de jeunesse, Aimé Césaire, il avait compris que la violence fasciste avait un lien intime avec l'histoire de la conquête coloniale et que les guerres de répression coloniale acquéraient souvent le caractère d'un authentique génocide. Israël n'échappe pas à ce schéma. Si les milieux intellectuels et politiques des pays du Nord ont pour l'essentiel soutenu l'État juif, c'est aux pays du Sud – notamment l'Afrique du Sud post-apartheid –, forts de leur propre expérience de la domination raciale et coloniale, qu'a incombé la tâche de demander des comptes à Israël. Depuis la guerre de Gaza, le monde semble presque aussi « coupé en deux » qu'il l'était sous les yeux de Fanon à l'époque de la guerre d'Algérie.
Une dimension cruciale de la guerre de Gaza et du conflit dans lequel elle s'inscrit est le racisme – un thème auquel Fanon a consacré encore plus d'attention que la violence. Depuis le début de l'offensive israélienne, on assiste en Occident à une explosion de racisme contre les Palestiniens, et le soutien aux droits de ces derniers, faussement assimilé à de l'antisémitisme, y est de plus en plus souvent criminalisé. Aux États-Unis, s'exprimer au nom de la Palestine peut vous conduire en prison ou à l'expulsion du territoire, même si vous avez un permis de séjour permanent. Fanon connaissait la flexibilité et la créativité du racisme, qui ne cesse d'inventer de nouvelles cibles, Juifs, Noirs, Arabes ou autres. Dans l'imaginaire anti-palestinien, les Arabes de Palestie ne représentent pas seulement la barbarie, il ne sont pas simplement les ennemis existentiels de la civilisation « judéo-chrétienne », mais ils constituent une dangereuse cinquième colonne, comme l'étaient les Juifs en Europe. Apatrides, antagonistes des descendants des victimes de l'Europe, ils n'ont apparemment pas le « droit d'avoir des droits », ce qui est d'après Hannah Arendt la condition préalable pour être considéré comme un être humain à part entière. La déshumanisation des Palestiniens est allée de pair avec la guerre génocidaire contre Gaza, mais aussi avec l'offensive plus sournoise mais tout aussi conséquente menées en Occident contre les immigrés, en particulier les immigrés musulmans – et contre la démocratie elle-même.
Dans Les Damnés de la terre, Fanon prédisait que l'« héritage humain de la France en Algérie » serait « toute une génération d'Algériens, baignée dans l'homicide gratuit et collectif gratuit avec les conséquences psychoaffectives que cela entraîne ». On peut appliquer la même logique à l'héritage d'Israël en Palestine. Mais avec une différence essentielle : à l'époque où Fanon rédigeait son manifeste tiers-mondiste, la décolonisation et l'indépendance de l'Algérie étaient pratiquement inévitables. Les Algériens étaient en train de gagner. Si l'attaque du 7 octobre a obligé le reste le monde à porter de nouveau son regard sur la Palestine, il s'agit d'une victoire à la Pyrrhus. Les Gazaouis continuent à être harcelés et bombardés et leur agonie est tournée en dérision par des discours obscènes sur la transformation de la bande de Gaza en nouvelle Côte d'Azur débarrassée de ses habitants. De leur côté, les habitants de la Cisjordanie sont confrontés à une campagne brutale de « gazafication » menée par l'armée israélienne. Les menaces existentielles qui pèsent sur les Palestiniens ne concernent pas seulement leur survie en tant que peuple, mais aussi leur simple survie physique sur le sol qu'ils habitent.
Comment résister ? En dernière instance, c'est aux Palestiniens eux-mêmes qu'il convient de répondre à cette question. Ce n'est pas à nous d'en décider, et encore moins de les mettre sur la sellette en n'acceptant d'écouter que ceux qui condamnent le 7 octobre. À essayer de réduire au silence ceux d'entre eux qui estiment que le « déluge d'Al-Aqsa » était un acte de résistance nécessaire, on n'aboutira qu'à décourager le débat qui se développe actuellement au sein du peuple palestinien. C'est le cas en particulier à Gaza, où la colère de la population est générale face à la décision du Hamas de lancer une attaque qui a fourni à Israël le prétexte pour commettre un génocide et transformé son territoire en gigantesque chantier de démolition. Les Palestiniens n'ont pas besoin qu'on les sermonne, ce serait arrogant de notre part. Pour autant, ce n'est pas une raison pour renoncer à la lucidité intellectuelle et morale – ou pour chanter les louanges du Hamas, une organisation dont la conception de la lutte pour la libération laisse beaucoup à désirer, c'est le moins que l'on puisse dire. Dans le même esprit, on peut citer un passage souvent négligé des Damnés de la terre dans lequel Fanon explique que « le racisme, la haine, le ressentiment, “le désir légitime de vengeance” ne peuvent alimenter une guerre de libération. […] Il est vrai que les interminables exactions des forces colonialistes réintroduisent les éléments émotionnels dans la lutte, donnent au militant de nouveaux motifs de haine, de nouvelles raisons de partir à la recherche du “colon à abattre”. Mais le dirigeant se rend compte jour après jour que la haine ne saurait constituer un programme ».
Pour Fanon, la décolonisation concernait non seulement les musulmans, voués à s'émanciper du joug de l'oppression coloniale, mais aussi les membres de la minorité européenne et les Juifs (eux-mêmes issus d'une communauté indigène de l'Algérie précoloniale) qui se montraient prêts à se joindre à la lutte pour la libération. Dans L'An V de la révolution algérienne, il rendait hommage aux non-musulmans d'Algérie qui, aux côtés de leurs camarades musulmans, envisageaient un futur dans lequel l'identité et la citoyenneté algériennes seraient définies par des idéaux communs, et pas par la religion ou l'appartenance ethnique. Les identités respectives du « colon » et de l'« indigène » – tout comme celles du « Noir » et du « Blanc » – n'étaient pas pour lui des essences immuables mais des créations d'un système oppressif ; elles disparaitraient une fois que ce système serait démantelé. Au lendemain de l'indépendance, le colonisé découvrirait « l'homme derrière le colonisateur », et inversement.
Fanon était un homme d'idéaux, pas un homme de violence. Il imaginait un monde rebâti à neuf par la décolonisation et la révolution sociale, un monde dans lequel les hommes et les femmes opprimés, les sujets racialisés de l'empire occidental, pourraient déterminer leur propre existence dans la liberté et la souveraineté. Mais il nous rappelle constamment que la seule affirmation de beaux idéaux et l'exaltation de notre humanité commune ne suffiront pas à nous mener à la terre promise. La liberté exige la lutte, et la lutte se caractérise rarement par son décorum ou sa courtoisie – elle est même parfois « désordre absolu », selon ses propres termes. Cela ne signifie pas pour autant que la médecine choisie par le docteur Fanon, à savoir la thérapie de choc de la violence, soit toujours le principal remède à un ordre oppressif, et encore moins le seul. Comme l'illustre son propre parcours et celui de la révolution algérienne, un recours excessif à la violence peut avoir pour conséquence de mettre en péril les idéaux mêmes au nom desquels on combat, et conduire à de nouvelles formes d'oppression et de domination brutale. Il existe d'ailleurs des situations dans lesquelles d'autres formes de confrontation et de mobilisation populaire sont plus efficaces, pour des raisons pragmatiques autant que morales. Fanon lui-même défendait cette idée dans Peau noire, masques blancs, où il décrit avec admiration il décrit avec admiration les tactiques de la phase initiale du mouvement des droits civiques à la fin des années 1940 et au début des années 1950 aux États-Unis. Mais il n'existe pas de circonstance où le pouvoir, un pouvoir injuste, cède sans combattre, quel que soit le choix des armes.
Dans mon livre, je décris le sentiment d'exaltation éprouvé par Fanon face à l'attitude combative du peuple algérien. Mais ce que Fanon admirait chez les Algériens, ce n'était pas tant l'usage des mitrailleuses et des bombes que ce qui sous-tendait leur résistance : la dignité, l'esprit de sacrifice, le refus d'être déracinés, l'attachement à leur culture et la détermination à se constituer en nation – soit cela même que les Palestiniens désignent depuis des décennies du nom de « sumud », qui exprime la fermeté inébranlable dans la résilience. Dans les manifestations de solidarité organisées sur les campus étatsuniens, on a entendu scander le slogan « Nous sommes tous palestiniens », une expression de solidarité et d'identification imaginaire sans doute hyperbolique, mais que Fanon aurait certainement apprécié. Circulant à travers le campement de solidarité de Bard College, l'établissement où j'enseigne, j'ai croisé plus d'une étudiante ou d'un étudiant plongés dans les pages des Damnés de la terre. Qu'en aurait pensé Fanon ? Aurait-il été flatté de constater l'actualité de son livre, ou plutôt désemparé de constater qu'il était malheureusement toujours aussi pertinent ? « Je n'arrive point armé de vérité décisives », affirmait-il avec force dans Peau noire, masques blancs. Nul doute que son vœu le plus cher aurait été de voir son message de lutte et d'intransigeance rendu obsolète par l'avènement d'un monde plus juste et d'une nouvelle humanité.
Dans notre combat pour que ce monde advienne, et dans l'attente du jour où la Palestine sera libre, les idées stimulantes et souvent perturbantes de Fanon resteront pour nous une boussole irremplaçable.
**********************
Rédacteur de la London Review of Books pour les États-Unis, je suis l'auteur de Frantz Fanon, une vie en révolutions (La Découverte, 2024), qui est récemment apparu en poche.
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L’équipage de la flottille de la Liberté doit retrouver la liberté

Suite à un long périple dont le terminus aurait dû être le territoire de Gaza, le bateau de la flottille de la Liberté a été arrêté de manière manifestement illégale dans la nuit du dimanche 8 juin au lundi 9 juin. Cette attaque contre cette action civile, est une preuve de plus de la volonté destructrice du gouvernement de Benyamin Nétanyahou de faire cesser l'existence du peuple palestinien.
Tiré du blogue de l'auteur. Illustration : Trajectoire du Madleen, bateau humanitaire arrêté au large de l 'Égypte dans les eaux internationales
Chers gouvernements, vos citoyens ont été enlevés, agissez.
En dépit de tout respect du droit en haute-mer, et de manière générale, en dépit du respect du droit, le gouvernement Israélien a aujourd'hui franchi une étape supplémentaire en stoppant net le parcours du Madleen et en enlevant à son bord l'ensemble de son équipage.
Le choix de ces mots n'est pas pris à la légère, car dans ces eaux, Israël n'a aucun droit d'aucune nature à faire comme bon lui semble contre un bateau qui ne veut pas aller sur son territoire. Mais comme le petit gouvernement génocidaire de ce pays veut faire cesser tout contact extérieur avec l'enclave palestinienne, alors ce dernier harcèle, bafoue les règles communes et agit comme des barbares n'ayant que comme intention la violence et le sang de l'Autre.
Messieurs Macron, Bayrou, Barrot, si ces mots vous atteignent (ce que je pense est un bien maigre espoir), vos concitoyens ont été enlevés. Soyez enfin responsables politiquement comme le laisse entendre votre titre de responsable politique et agissez pour que tout l'équipage de ce bateau soit secouru et non retenu par cet état définitivement terroriste 1.
Cette action vous laisse aussi une grande marge de manœuvre pour faire cesser la violence et la barbarie qui se passe en territoire palestinien. Cet appel est le même pour tous les gouvernements dont au moins un citoyen se trouvait sur la Flottille de la Liberté.
Ce court texte n'est qu'une expression parmi d'autres d'un désarroi citoyen et d'une volonté que ceux qui ont le pouvoir d'agir le fassent.
Merci à ces femmes fortes et ces hommes forts qui ont embarqué sur ce navire et qui ravivent les flammes de l'espoir. Ne nous taisons pas et multiplions nos voix, que ce soit dans nos journaux ou sur les places de nos villes, pour que ces flammes de nouveau allumées puissent continuer de briller.
Clamons le haut et fort : La flottille de la liberté et le peuple palestinien doivent retrouver la liberté.

Rima Hassan et Greta Thunberg font voile vers Gaza : un courage qui met à nu l'inaction mondiale LA LETTRE DU 5 JUIN
5 juin 2025 | tiré de Regards.fr
par Loïc Le Clerc
Cette histoire va-t-elle finir en tragédie ou en épopée ? Le choix revient à Israël qui, par le passé, avait réagi par la force à ce genre de « provocation ».
Le 1er juin, le navire humanitaire Madleen a pris le large depuis la Sicile, direction Gaza. À son bord, douze personnes et pas des moindres : la militante écologiste suédoise Greta Thunberg, l'eurodéputée LFI Rima Hassan – on a même vu l'acteur Liam Cunningham de la série « Game of Thrones » venir les soutenir lors de leur départ.
Cette action, à l'initiative de la Coalition de la flottille pour la liberté, a pour objectif d'acheminer « des quantités limitées » d'aide humanitaire à Gaza, de « dénoncer le blocus et le génocide en cours ». Mais sa portée est 1000 fois plus symbolique.
Cette embarcation fait parler d'elle par les passagers qu'elle transporte. Les médias y projettent leur lumière… Enfin, les médias, c'est beaucoup dire : en France, c'est surtout grâce à leur propre force de frappe sur les réseaux sociaux que Rima Hassan et Greta Thunberg font exister leur voyage. Comme pour toute lutte, l'incarnation est un facteur qui fait la différence et, dans ce cas précis, l'impact est à la hauteur de la résonance internationale que l'équipage porte en lui.
Au fond, que nous dit le Madleen ? On peut y voir un acte héroïque, aussi courageux que romantique, tout comme on y perçoit un désespoir profond. Ce bateau en dit long sur l'inaction du monde, alors que tout Gaza se meurt.
La réaction d'Israël va elle aussi être porteuse de symboles. En mai dernier, un autre navire humanitaire de la même organisation était la cible de tirs de drones israéliens, provoquant un incendie et une brèche dans la coque. Plus loin dans le temps, en 2010, Israël avait pris d'assaut une autre « flottille de la liberté », tuant neuf personnes et causant 28 blessés, comme le rappelle Dominique Vidal dans #LaMidinale de Regards.
Et là, déjà, Israël a commencé l'intimidation, tout d'abord par une déclaration de la marine leur demandant de « se préparer » car elle est « prête à un large éventail de scénarios, qu'elle appliquera selon les instructions des dirigeants politiques ». Des mots suivis d'actes avec le survol du navire par deux drones. La démonstration humanitaire n'est pas sans risque, ce à quoi répond Rima Hassan : « Quel que soit le danger de cette mission, il est loin d'être aussi dangereux que le silence du monde entier face à un génocide retransmis en direct ».
Il va sans dire que si Israël devait agir avec la même furie qui est la sienne depuis plusieurs mois, un drame pourrait se jouer en direct à la télévision. Comme une sorte de petite allégorie du génocide des Gazaouis. L'impunité dénoncée est brandie comme un étendard, lorsque le sénateur républicain Lindsey Graham, proche de Donald Trump, ironise « J'espère que Greta et ses amis savent nager ».
Le reste du monde, l'Europe, la France, resteront-ils muets jusqu'à la fin des temps ? Quelle tuerie sera la ligne rouge de l'Histoire ? Le Madleen a pour objectif d'atteindre les côtes palestiniennes d'ici une dizaine de jours. Tout un horizon…
Notes
1 : Terrorisme Gouvernement par la terreur. ; Emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique ; Attitude d'intolérance, d'intimidation. (Le Robert)
Image : Capture d'écran réalisée à partir du site https://freedomflotilla.org/ffc-tracker/

Photo : Jack Guez Agence France-Presse Le voilier humanitaire Madleen dans le port sud d'Ashdod après avoir été intercepté par les forces israéliennes le 9 juin 2025
Palestine Mettez fin au blocus de Gaza !
Déclaration du Bureau Exécutif de la Quatrième Internationale
Depuis trois mois, Israël bloque la quasi-totalité de l'aide humanitaire à Gaza, ce qui fait planer la menace d'une famine massive, de décès et d'épidémies dus à l'absence de soins médicaux.
Le Madleen était la dernière tentative en date de la coalition de la flottille de la liberté pour défier le blocus naval israélien et apporter une aide humanitaire symbolique à Gaza. Qualifiée par Netanyahou de « croisière selfie », les courageux militants des droits de l'homme à bord, dont l'eurodéputée franço-palestinienne Rima Hassan et la militante écologiste Greta Thunberg, se sont d'abord détournés pour recueillir et mettre en sécurité des réfugiés de guerre soudanais. Puis, alors qu'il se trouvait encore dans les eaux internationales, le Madleen a été accosté et envahi par les forces israéliennes qui ont arrêté l'ensemble de l'équipage.
Ce n'est pas la première fois qu'Israël bafoue de manière flagrante le droit international. Israël n'a pas le droit d'imposer un blocus à Gaza, ni d'empêcher les navires humanitaires d'accoster à Gaza. Israël n'a pas non plus le droit d'aborder ou d'attaquer ces bateaux dans les eaux internationales.
La Quatrième Internationale condamne la politique génocidaire du gouvernement israélien et appelle à :
- La libération immédiate des membres de l'équipage !
– L'imposition de sanctions contre Israël !
– La fin du commerce d'armes avec Israël !
– A une mobilisation mondiale massive pour mettre fin à ce génocide !
Le 9 juin 2025
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Lettre ouverte des médias et des organisations de défense de la liberté de la presse sur l’accès à Gaza

À l'initiative de Reporters sans frontières (RSF) et du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), plus d'une centaine d'organisations de défense de la liberté de la presse et de rédactions internationales - dont l'AFP, France 24, Mediapart, Le Monde - lancent un appel public pour demander un accès immédiat et sans restriction des journalistes internationaux à la bande de Gaza et la protection des journalistes palestiniens.
Tiré du blogue de l'auteur.
Depuis plus de 20 mois, les autorités israéliennes empêchent l'entrée des journalistes étrangers dans la bande de Gaza. Dans le même temps, l'armée israélienne a tué près de 200 journalistes palestiniens dans l'enclave bloquée, dont au moins 45 dans l'exercice de leur profession. Les journalistes palestiniens qui continuent de travailler, seuls témoins présents sur le terrain, subissent des conditions intenables : déplacements forcés, famine, menaces permanentes.
Cet appel collectif, lancé avec RSF et CPJ, rassemble des médias emblématiques à l'international, de tous les continents, qui réclament leur droit d'envoyer leurs correspondants dans l'enclave pour travailler aux côtés de leurs confrères palestiniens.
« Le blocus médiatique imposé sur Gaza, avec le massacre de près de 200 journalistes par l'armée israélienne, facilite la destruction totale de l'enclave bloquée ainsi que son effacement. Les autorités israéliennes interdisent l'entrée aux journalistes étrangers et orchestrent un contrôle implacable de l'information. C'est une tentative méthodique d'étouffer les faits, de museler la vérité, d'isoler la presse palestinienne, et avec elle la population. Nous exigeons des gouvernements, des institutions internationales et des chefs d'État qu'ils mettent fin à leur silence coupable, qu'ils imposent l'ouverture immédiate de Gaza à la presse internationale, et qu'ils rappellent une évidence trop souvent piétinée : en droit international humanitaire, tuer un journaliste est un crime de guerre. Ce principe n'a été que trop bafoué : il doit être appliqué. » Thibaut Bruttin. Directeur général de RSF
Ce blocus médiatique sur Gaza continue en dépit des appels répétés de RSF à garantir un accès libre aux journalistes, et des recours judiciaires tels que la demande de l'Association de la presse étrangère (la Foreign Press Association ou FPA) devant la Cour suprême israélienne. Les journalistes palestiniens sont, quant à eux, enfermés, déplacés, affamés, diffamés et ciblés en raison de leur métier. Ceux qui ont survécu au massacre sans précédent des journalistes, se retrouvent sans abris, sans matériel, sans soins et même sans nourriture, selon un rapport du CPJ. Ils risquent d'être tués à tout moment.
Pour mettre fin à l'impunité qui permet à ces crimes de continuer, RSF a par ailleurs saisi à plusieurs reprises la Cour pénale internationale (CPI) pour lui demander d'enquêter sur des crimes de guerre présumés commis contre les journalistes à Gaza par l'armée israélienne. RSF soutient aussi les journalistes palestiniens sur le terrain, en particulier à Gaza, à travers des partenariats concrets avec des organisations locales comme ARIJ (Arab Reporters for Investigative Journalism).
Ce partenariat permet de fournir un appui matériel, psychologique et professionnel aux journalistes palestiniens, tout en garantissant la diffusion de reportages de qualité, malgré le blocus et les risques. RSF réaffirme, à travers cette coopération, son engagement à défendre un journalisme indépendant et rigoureux, même dans les conditions les plus extrêmes.
Lire l'appel en intégralité
L'appel a été signé par :
1. Actualite.cd, Patient Ligodi, fondateur (République démocratique du Congo)
2. Agence France-Presse, Phil Chetwynd, directeur de l'information internationale (France)
3. Agência Pública, Natália Viana, directrice exécutive (Brésil)
4. Al Araby Al Jadeed, Hussam Kanafani, directeur du secteur des médias
5. Al Jazeera Center of Public Liberties & Human Rights, Sami Alhaj, directeur (Qatar)
6. Al-Masdar Online, Ali al-Faqih, PDG (Yémen)
7. Alternative Press Syndicate (Liban)
8. Amazônia Real, Kátia Brasil, directrice (Brésil)
9. Arab Reporters for Investigative Journalism (ARIJ), Rawan Daman, directrice générale
10. ARTICLE 19
11. Asia Pacific Report, David Robie, rédacteur en chef (Nouvelle-Zélande)
12. Associated Press, Julie Pace, rédactrice en chef et vice-présidente senior (États-Unis)
13. Association of Foreign Press Correspondents, Nancy Prager-Kamel, présidente
14. Bahrain Press Association (Bahreïn)
15. Birama Konaré, directeur général, Joliba (Mali)
16. BirGun Daily, Yasar Aydin, coordinateur de l'information (Turquie)
17. Brecha, Betania Núñez, directrice journalistique (Uruguay)
18. British Broadcasting Corporation (BBC), Deborah Turness, PDGPDG, BBC News (Royaume-Uni)
19. Bulatlat, Ronalyn V. Olea, rédactrice en chef (Philippines)
20. CamboJA, Nop Vy, directeur exécutif (Cambodge)
21. Casbah Tribune, Khaled Drareni, directeur de la rédaction (Algérie)
22. Cedar Centre for Legal Studies (CCLS) (Liban)
23. Center for Investigative Journalism of Montenegro (CIN-CG), Milka Tadić Mijović, rédactrice en chef
24. Churchill Otieno, directeur exécutif, Eastern Africa Editors Society et président, Africa Editors Forum (Kenya)
25. Committee to Protect Journalists (CPJ), Jodie Ginsberg, PDG
26. Community Peacemaker Teams (CPT) (Kurdistan irakien)
27. Confidencial.digital, Carlos F. Chamorro, directeur (Nicaragua, en exil)
28. Connectas, Carlos Eduardo Huertas, directeur (Les Amériques)
29. Daraj Media, Hazem al Amin, rédacteur en chef, Alia Ibrahim, PDG et Diana Moukalled, directrice de la rédaction (Liban)
30. Journal Dawn, Zaffar Abbas, rédacteur en chef (Pakistan)
31. De Último Minuto, Hector Romero, directeur (République dominicaine)
32. Delfino.CR, Diego Delfino Machín, directeur (Costa Rica)
33. Deník Referendum, Jakub Patocka, rédacteur en chef et éditeur,
34. Digital Radio-télévision DRTV, William Mouko Zinika Toung-Hou, directeur adjoint de l'information (Congo-Brazzaville)
35. Droub, Murtada Ahmed Mahmoud Koko, directeur général (Soudan)
36. Efecto Cocuyo, Luz Mely Reyes, directrice (Venezuela)
37. Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR) (Égypte)
38. El Ciudadano, Javier Pineda, directeur (Chili)
39. El Diario de Hoy, Óscar Picardo Joao, directeur de la rédaction (Salvador)
40. El Espectador, Fidel Cano Correa, directeur (Colombie)
41. El Faro, Carlos Dada, cofondateur et directeur,
42. El Mostrador, Héctor Cossio, directeur (Chili)
43. El Sol de México, Martha Citlali Ramos, directrice éditoriale nationale (Mexique)
44. El Universal, David Aponte, directeur général éditorial (Mexique)
45. elDiarioAR, Delfina Torres Cabreros, directrice journalistique (Argentine)
46. ENASS, Salaheddine Lemaizi, directeur (Maroc)
47. European Broadcasting Union, Noel Curran, directeur général
48. Équipe Média, Mohamed Mayara, coordinateur général (Sahara occidental)
49. Fédération européenne des journalistes (FEJ), Ricardo Gutiérrez, secrétaire général
50. Eyewitness Media Group, Patrick Mayoyo, directeur des innovations éditoriales
51. Financial Times, Roula Khalaf, rédactrice en chef (Royaume-Uni)
52. Forbidden Stories, Laurent Richard, fondateur (France)
53. Foreign Press Association, Deborah Bonetti, directrice (Londres)
54. Foreign Press Association, le conseil (Israël et les territoires palestiniens)
55. Fondation pour le journalisme d'investigation – FIJ, Fisayo Soyombo, fondateur et rédacteur en chef (Nigeria)
56. France 24, Vanessa Burggraf, directrice (France)
57. Free Press Unlimited, Ruth Kronenburg, directrice exécutive
58. Front Page Africa, Rodney Sieh, rédacteur en chef et éditeur (Libéria)
59. GabonClic.info, Randy Karl Louba, directeur (Gabon)
60. Geneva Health Files, Priti Patnaik, fondatrice
61. Geo News, Azhar Abbas, rédacteur en chef (Pakistan)
62. Global Investigative Journalism Network (GIJN), Emilia Diaz-Struck, directrice exécutive
63. Global Reporting Centre, Sharon Nadeem, productrice et responsable des partenariats
64. Guineematin.com, Nouhou Baldé, fondateur et administrateur (Guinée)
65. Haaretz, Aluf Benn, rédacteur en chef (Israël)
66. 7amleh - Le Centre arabe pour la promotion des médias sociaux, Nadim Nashif, Directeur exécutif (Palestine\Israël)
67. Hildebrandt en sus trece, César Hildebrandt, directeur (Pérou)
68. HuMENA pour les droits humains et l'engagement civique
69. Independent Television News, Rachel Corp, directrice générale (Royaume-Uni)
70. Inkyfada, Malek Khadhraoui, directeur de la publication (Tunisie)
71. International News Safety Institute (INSI), Elena Cosentino, directrice (Royaume-Uni)
72. International Press Institute (IPI), Scott Griffen, directeur exécutif
73. IWACU, Abbas Mbazumutima, rédacteur en chef (Burundi)
74. Klix.ba, Semir Hambo, rédacteur en chef (Bosnie-Herzégovine)
75. L'Alternative, Ferdinand Ayité, directeur de la publication (Togo)
76. L'Événement, Moussa Aksar, directeur de la publication (Niger)
77. La Voix de Djibouti, Mahamoud Djama, directeur de la publication (Djibouti)
78. Le Jour, Haman Mana, directeur de publication (Cameroun)
79. Le Monde, Jérôme Fenoglio, directeur (France)
80. Le Reporter, Aimé Kobo Nabaloum, directeur de publication (Burkina Faso)
81. Le Temps, Madeleine von Holzen, rédactrice en chef (Suisse)
82. Centre libanais des droits de l'homme (CLDH) (Liban)
83. Luat Khoa, Trinh Huu Long, rédacteur en chef (Vietnam)
84. Mada Masr, Lina Atallah, PDG (Égypte)
85. Mail & Guardian, Luke Feltham, rédacteur en chef par intérim (Afrique du Sud)
86. Malaysiakini, RK Anand, rédacteur en chef exécutif (Malaisie)
87. Mekong Review, Kirsten Han, rédactrice en chef (Singapour)
88. MediaTown, Ashraf Mashrawi, directeur (Palestine)
89. MENA Rights Group (Suisse)
90. Mizzima Media, Soe Myint, directeur général et rédacteur en chef (Myanmar)
91. Mullithivu Press Club - Kanapathipillai Kumanan, photojournaliste et coordinateur (Sri Lanka)
92. Muwatin Media Network, Mohammed Al-Fazari, PDG et rédacteur en chef (Royaume-Uni)
93. Monte Carlo Doualiya (MCD), Souad Al-Tayeb, Directrice (France)
94. National Public Radio (NPR) Edith Chapin, vice-présidente senior et rédactrice en chef (États-Unis)
95. New Bloom Magazine, Brian Hioe, rédacteur en chef fondateur (Taïwan)
96. Nord Sud Quotidien, Raoul Hounsounou, directeur de publication (Bénin)
97. OC Media, Mariam Nikuradze, cofondatrice et codirectrice (Géorgie)
98. Organización Editorial Mexicana, Martha C. Ramos Sosa, directrice générale de la rédaction (Mexique)
99. People Daily, Emeka Mayaka Gekara, rédacteur en chef (Kenya)
100. Photon Media, Shirley Ka Lai Leung, PDG (Hong Kong)
101. Plan V, Juan Carlos Calderón, directeur (Équateur)
102. Prachatai, Mutita Chuachang, rédactrice en chef (Thaïlande)
103. Premium Times, Musikilu Mojeed, rédacteur en chef - directeur des opérations (Nigeria)
104. Pressafrik, Ibrahima Lissa Faye, directeur de publication (Sénégal)
105. Prospect Magazine, Alan Rusbridger, rédacteur en chef
106. Pulitzer Center, Marina Walker Guevara, rédactrice en chef
107. Rádio Ecclesia, Gaudêncio Yakuleingue, directeur (Angola)
108. Radio Universidad de Chile, Patricio López, directeur (Chili)
109. Radio France Internationale (RFI), Jean-Marc Four, Directeur (France)
110. Reporters sans frontières (RSF), Thibaut Bruttin, directeur général
111. Rory Peck Trust, Jon Williams, directeur exécutif
112. SMEX (Liban)
113. SMN24MEDIA, Kamal Siriwardana, directeur de l'information (Sri Lanka)
114. Society of Professional Journalists, Caroline Hendrie, directrice exécutive (États-Unis)
115. Stabroek News, Anand Persaud, directeur (Guyana)
116. Syrian Center for Media and Freedom of Expression, SCM (Syrie)
117. Taz – die tageszeitung, Barbara Junge, rédactrice en chef (Allemagne)
118. Tempo Digital, Wahyu Dhyatmika, directeur général (Indonésie)
119. The Globe and Mail & président du Forum mondial des rédacteurs en chef (WAN-IFRA), David Walmsley, rédacteur en chef (Canada)
120. The Independent, Geordie Greig, rédacteur en chef (Royaume-Uni)
121. The Intercept Brasil, Andrew Fishman, président et cofondateur (Brésil)
122. The Legal Agenda (Liban)
123. The Magnet, Larry Moonze, rédacteur en chef (Zambie)
124. The Nairobi Law Monthly, Mbugua Ng'ang'a, rédacteur en chef (Kenya)
125. The New Arab, Hussam Kanafani, directeur du secteur des médias
126. The Point, Pap Saine, directeur de la publication (Gambie)
127. The Reckoning Project, Janine di Giovanni, PDG
128. The Shift, Caroline Muscat, fondatrice (Malte)
129. The Wire, Seema Chishti, rédactrice en chef (Inde)
130. Association mondiale des éditeurs de journaux (WAN-IFRA), Vincent Peyrègne, PDG, Andrew Heslop, directeur exécutif pour la liberté de la presse
131. TV Slovenia, Ksenija Horvat, directrice (Slovénie)
132. Twala.info, Lyas Hallas, directeur de publication (Algérie)
133. Unnu.news, Lkhagvatseren Batbayar, rédacteur en chef (Mongolie)
134. Vikalpa - Sampath Samarakoon, rédacteur (Sri Lanka)
135. Wattan Media Network, Muamar Orabi, directeur général (Palestine)
136. Woz – die Wochenzeitung, Florian Keller, Daniela Janser, Kaspar Surber, comité de rédaction (Suisse)
137. Bianet, Murat İnceoglu, rédacteur en chef (Turquie)
138. Mediapart, Carine Fouteau, Rédactrice en chef (France)
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