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Au cœur du mouvement israélien pour coloniser Gaza

Profitant de la guerre de Gaza, Nachala a fait pression pour rectifier ce qu'elle considère comme l'« injustice historique » du désengagement israélien de 2005. Si le (…)

Profitant de la guerre de Gaza, Nachala a fait pression pour rectifier ce qu'elle considère comme l'« injustice historique » du désengagement israélien de 2005. Si le cessez-le-feu vacille, le groupe est prêt à bondir, avec peu d'obstacles sur son chemin.

Tiré d'Agence médias Palestine.

Daniella Weiss, 79 ans, dirige l'organisation de colons d'extrême droite Nachala. Elle est sortie de son SUV Mitsubishi blanc et s'est garée sur le parking de la gare de Sderot, à seulement trois kilomètres de la bande de Gaza. Nous étions le 26 décembre, la deuxième nuit de Hanoukka, et depuis des semaines, Nachala faisait la promotion agressive d'une « procession vers Gaza » festive et d'une cérémonie d'allumage de bougies dans une zone militaire fermée près de la frontière. L'événement devait être la prochaine étape de la campagne de plus en plus intense de Nachala pour reconstruire les colonies juives à Gaza. S'ils ne pouvaient pas encore entrer dans la bande de Gaza, ils essaieraient au moins de s'en approcher le plus possible.

Un groupe d'adolescentes en jupes longues se presse pour prendre des selfies avec Weiss, qui a été sanctionné par le gouvernement canadien en juin pour avoir commis des actes de violence extrémiste contre des Palestiniens en Cisjordanie occupée. Non loin de là, un groupe d'étudiants de la yeshiva de Sderot saute et scande « Am Yisrael Chai » – un ancien slogan qui signifie « Le peuple d'Israël vit », devenu un mantra nationaliste. Dans le coin le plus éloigné du parking, deux conteneurs maritimes (ce que les colons appellent des caravanes) arborant les mots « Gaza est à nous pour toujours ! » sont posés sur de lourds camions à plateau, attendant, semble-t-il, l'ordre de pénétrer dans le territoire dévasté. Au loin, des explosions sporadiques à Gaza illuminent l'horizon d'une lumière infernale, le bruit faisant trembler les fenêtres d'un centre commercial adjacent.

« Nous allons emmener ce cortège dans la zone de la Flèche noire, sur une colline qui surplombe Gaza », déclare Weiss à +972, décrivant le plan de Nachala pour la nuit. (La Flèche noire est un mémorial dédié aux parachutistes israéliens, administré par le Fonds national juif, situé à moins d'un kilomètre de la barrière de ciment et de barbelés qui sépare Gaza d'Israël.) « Avec un peu de chance, la police nous laissera y aller », a-t-elle ajouté en souriant. « Nous trouvons toujours un moyen. »

La ferveur fondamentaliste de Weiss dément son âge. L'une des dernières survivantes de la génération fondatrice des chefs de file des colons, elle est l'ancienne secrétaire générale du Gush Emunim (Bloc des fidèles), le mouvement messianique nationaliste religieux qui a éclaté au début des années 1970 et a mené l'entreprise de colonisation en Cisjordanie occupée. À l'approche de l'âge mûr, beaucoup de ses homologues ont troqué la vie militante contre le confort bourgeois sous les toits de terre cuite des colonies de banlieue ou ont mis derrière eux leur époque de terrorisme et de sabotage pour faire carrière dans les médias ou la politique. Pas Weiss.

À l'exception d'un passage en tant que maire de Kedumim, une colonie ultra-radicale près de la ville palestinienne de Naplouse, Weiss est restée sur les collines de la Cisjordanie occupée, exhortant les jeunes Israéliens juifs à prendre le contrôle de la terre. En 2005, elle a fondé Nachala avec un autre des dirigeants les plus extrémistes du Gush Emunim, Moshe Levinger, de la tristement célèbre colonie de Kiryat Arba près d'Hébron, dans le but de maintenir la flamme anti-establishment du mouvement des colons. Depuis, elle est devenue une sorte de gourou pour les jeunes colons radicaux vivant sur les collines, les guidant dans la construction d'avant-postes illégaux et dans l'art de la résistance, tant civile qu'incivile, à toute tentative des autorités israéliennes de les contrôler.

Presque immédiatement après l'attaque du Hamas le 7 octobre, Weiss et le reste du mouvement des colons ont jeté leur dévolu sur Gaza. Dans le contexte du bombardement massif et du nettoyage ethnique du nord du territoire par Israël, ils ont redoublé d'efforts pour rétablir les colonies juives là-bas, diffusant leurs intentions haut et fort, et sachant qu'ils pouvaient compter sur un soutien important au sein de la coalition gouvernementale.

En décembre dernier, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui dirige le parti du sionisme religieux et fait office de seigneur de la Cisjordanie, a déclaré que (ce n'était pas la première fois) sur la radio publique israélienne : « Nous devons occuper Gaza, y maintenir une présence militaire et y établir des colonies ». Beaucoup dans le camp de Smotrich voulaient prolonger la guerre, estimant que plus Israël continuerait à brutaliser Gaza, plus il y aurait de chances que les colons réussissent à installer un avant-poste – le germe d'une colonie – dans la bande de Gaza.

L'annonce d'un accord de cessez-le-feu, entré en vigueur le 19 janvier, a ralenti la dynamique du mouvement de réinstallation à Gaza, mais ne l'a pas stoppé.

Le cessez-le-feu est fragile, dangereusement fragile : rien ne garantit qu'il durera au-delà de la phase initiale de six semaines, qui n'implique qu'un retrait partiel d'Israël du territoire. Et selon certaines informations, le Premier ministre Benjamin Netanyahu aurait déjà cédé à la demande de Smotrich de relancer la guerre après la fin de la première phase et d'affirmer progressivement le contrôle total d'Israël sur la bande de Gaza, afin de maintenir la cohésion de son gouvernement d'extrême droite. La réalisation de cet objectif dépendra en grande partie de la volonté de l'administration Trump d'exercer une pression continue sur Netanyahou pour qu'il mette en œuvre les étapes suivantes de l'accord de cessez-le-feu, ce qui mettrait très probablement en péril la survie de la coalition gouvernementale de Netanyahou.

Dans ce contexte d'incertitude, le mouvement des colons continue de faire pression pour imposer sa vision exterminatrice de la réinstallation à Gaza. La nuit précédant l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, Nachala a conduit plusieurs dizaines de militants au mémorial de la Flèche noire pour organiser une manifestation contre l'accord. Les colons prient ouvertement pour que l'accord échoue, tandis qu'une poignée d'entre eux, les plus militants, restent campés à quelques encablures de la barrière de séparation.

Si le cessez-le-feu venait à être rompu et que les troupes terrestres israéliennes revenaient en force dans la bande de Gaza, les colons seraient prêts à relancer leur offensive, encore plus déterminés à y établir de nouvelles colonies. Dans ce cas de figure, le chemin qui leur resterait à parcourir qui serait terriblement court.

« Une période de miracles »

Dans les années 2000, après trois décennies d'occupation de la Cisjordanie et de Gaza par Israël, la bande de Gaza abritait près de 9 000 colons israéliens répartis dans 21 colonies. Dix-sept d'entre elles se trouvaient dans une zone que les Israéliens appelaient Gush Katif, sur la côte sud de Gaza, ce qui empêchait de facto les Palestiniens des villes de Khan Younis et de Rafah d'accéder à la mer Méditerranée. Beaucoup de colons venus à Gaza appartenaient aux factions les plus extrémistes du mouvement sioniste religieux, croyant fermement en la vision messianique d'une présence physique juive sur chaque centimètre carré de la terre biblique d'Israël.

Lorsque Israël a unilatéralement retiré tous les colons juifs de Gaza en 2005 – ce que les Israéliens appellent « le désengagement » – le Premier ministre Ariel Sharon a souligné à la communauté internationale qu'il espérait que cette décision montrerait qu'Israël était sérieux dans sa volonté de faire les compromis territoriaux nécessaires pour parvenir à un éventuel accord de paix avec les Palestiniens.

Devant l'opinion publique israélienne, Ariel Sharon a fait valoir que ces colonies en particulier n'avaient guère de sens stratégique ; Gaza n'abritait aucun site ancien d'une grande importance religieuse, et la défense des colonies exigeait trop de sacrifices humains. En privé, cependant, Ariel Sharon et ses conseillers avaient un objectif différent : mettre en suspens la création éventuelle d'un État palestinien en dissociant les destins de la Cisjordanie et de Gaza. « L'importance du plan de désengagement réside dans le gel du processus de paix », a déclaré Dov Weisglass, conseiller de Sharon. « Le désengagement est en réalité du formol. »

Pourtant, pour les membres de la droite nationaliste religieuse israélienne, tout retrait territorial était inacceptable. Depuis 2005, ils considèrent le désengagement comme une « injustice historique » qui doit être corrigée.

Avec le début de l'invasion terrestre de Gaza fin octobre 2023, les sionistes religieux extrémistes d'Israël ont vu une opportunité. Des soldats de droite ont commencé à télécharger des vidéos d'eux-mêmes jurant de retourner à Gush Katif et de recoloniser Gaza. Parmi les décombres, ils arboraient le drapeau orange devenu l'emblème du mouvement anti-désengagement, déployaient des banderoles proclamant les futurs sites de nouvelles colonies et clouaient des mezzouzas aux encadrements des portes des maisons palestiniennes en ruines.

Alors qu'une grande partie d'Israël a passé les mois qui ont suivi le 7 octobre dans le deuil, les dirigeants du mouvement des colons sont entrés dans un état d'anticipation quasi extatique qui n'a fait que s'accentuer avec le temps. « De mon point de vue », faisait remarquer Orit Strook, ministre du gouvernement du parti du sionisme religieux, au cours de l'été, « cela a été une période de miracles ».

De son côté, Nachala a commencé à organiser des événements destinés à cultiver le soutien à la réoccupation et à la réinstallation de Gaza. En novembre 2023, quelques semaines seulement après le 7 octobre, elle a tenu un congrès consacré à cet objectif dans la ville méridionale d'Ashdod. Quelques mois plus tard, en janvier 2024, Weiss et ses partenaires extrémistes ont organisé la « Conférence pour la victoire d'Israël » à Jérusalem, à laquelle ont assisté plusieurs milliers de personnes, dont 11 ministres et 15 membres de la coalition gouvernementale. Les orateurs ont salué les efforts de reconstruction des colonies de Gaza et appelé à l'expulsion des Palestiniens qui y vivent.

En mai, à l'occasion de la fête de l'indépendance d'Israël, Nachala a organisé un rassemblement à Sderot, au cours duquel le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a réitéré la demande du mouvement en faveur de la « migration volontaire » des habitants de Gaza — un euphémisme grossier pour désigner le nettoyage ethnique — devant une foule en liesse de plusieurs milliers de personnes. En octobre, Nachala a organisé un rassemblement « festif » pour la fête de Souccot dans une zone militaire fermée près de la frontière, où des militants d'extrême droite ont installé des stands et organisé des ateliers sur la manière de préparer la colonisation de Gaza.

Lorsque le groupe s'est réuni en décembre pour la célébration de Hanoukka sur le parking de Sderot, la foule était beaucoup moins nombreuse, mais l'atmosphère n'en était pas moins joyeuse. « Voulez-vous rejoindre notre noyau de colonisation ? » demanda une femme portant un foulard orange ; un pendentif représentant le troisième temple reconstruit suspendu à une chaîne en or autour de son cou. Elle vendait des t-shirts, des serviettes, des drapeaux de voiture et des grenouillères pour bébés imprimés des mots « Gaza fait partie de la terre d'Israël ! » afin de collecter des fonds pour les efforts de son « noyau », ou groupe de colonisation. Sur les six « noyaux » de ce type organisés par Nachala pour s'installer dans différentes parties de la bande de Gaza, chacun composé d'une centaine de familles, le sien, le noyau du nord de la bande de Gaza, était « le meilleur », a-t-elle déclaré, « parce qu'il est le plus réaliste ».

En effet, expliquait-t-elle, l'armée israélienne avait déjà « vidé » la majeure partie du nord de Gaza. Quant aux Palestiniens qui sont restés, ajoute-t-elle, « ils ne sont évidemment pas innocents », et ils seraient donc traités en conséquence, c'est-à-dire expulsés ou tués.

Résidant à Ashkelon, une ville située à 19 kilomètres au nord de Gaza, cette femme était tellement convaincue que les efforts de colonisation aboutiraient qu'elle avait refusé de renouveler son bail pour l'année à venir. « D'ici l'été prochain, nous serons dans notre nouvelle maison [à Gaza] », a-t-elle déclaré. « Dieu a prévu notre retour. »

L'aide d'en haut

Bien que les colons aiment attribuer à Dieu le mérite d'avoir accéléré leur retour potentiel à Gaza, ils ont reçu une aide considérable de sources terrestres. Avant l'accord de cessez-le-feu, les forces israéliennes ont construit une vaste architecture d'occupation dans la bande de Gaza. Le long de ce que l'armée israélienne appelle le corridor de Netzarim, une route goudronnée de six kilomètres qui traverse la bande de Gaza, elle a construit plus d'une douzaine d'avant-postes et de bases militaires, équipés de logements climatisés, de douches, de cuisines et de synagogues (un rabbin orthodoxe a déclaré que de nombreux rouleaux de la Torah avaient été introduits à Gaza). D'autres groupes de postes de contrôle et d'installations d'inspection militaire ont également été construits à travers la bande de Gaza. Bien que cette infrastructure semble avoir été supprimée avec le retrait des forces israéliennes de Netzarim, elle pourrait être reconstruite aussi rapidement qu'elle a été démantelée.

À la mi-décembre, le site d'information israélien Ynet a publié un article élogieux sur une « petite retraite en bord de mer » que l'armée avait construite dans le nord de Gaza, équipée d'un système de dessalement, de studios de physiothérapie, d'un cabinet de dentiste mobile et d'une salle de jeux. « Ce lieu de retraite est un havre de paix impressionnant, offrant un confort de style civil », au milieu « des décombres de la région déchirée par la guerre », vantait l'article.

« Parmi les autres commodités, on trouve un comptoir à café avec une grande machine à expresso, des distributeurs de pop-corn et de barbe à papa, ainsi qu'un salon proposant des gaufres belges et des bretzels frais », poursuivait-il. C'est ainsi, selon le titre de l'article, que « les FDI se préparent à un séjour prolongé à Gaza ».

Pour les Palestiniens qui sont restés dans le nord de Gaza, cependant, « cela » n'a signifié que davantage de souffrances. Au nord de Netzarim, les forces israéliennes ont systématiquement démoli des quartiers entiers, détruit des infrastructures essentielles à la survie, notamment des hôpitaux, et utilisé la famine comme arme de guerre. Des images aériennes des villes autrefois densément peuplées de Beit Lahiya, Beit Hanoun et Jabalia montrent un paysage de dévastation totale, avec des montagnes de gravats gris s'étendant presque jusqu'à l'horizon.

Pour Weiss, cette dévastation était une étape bienvenue dans un plan divin. Dans une interview accordée à Kan, la chaîne publique israélienne, à la mi-novembre, elle révélait que lors d'une expédition le long de la barrière de séparation pour repérer de futurs sites de colonisation, elle avait contacté des officiers de l'armée en service actif ayant des sympathies d'extrême droite qui lui avaient fourni une jeep militaire pour l'emmener dans la bande de Gaza, où ils avaient inspecté le site qui avait été la colonie de Netzarim. « Nous, les colons, avons toutes sortes de méthodes », a déclaré Weiss à Kan.

La prochaine étape serait simple, a-t-elle poursuivi. Dans les mois à venir, ils tenteraient d'amener beaucoup plus de militants de Nachala dans les bases militaires de Gaza ; puis, en utilisant une méthode perfectionnée par le mouvement des colons depuis des décennies, ils refuseraient de partir. « Ce qui se passe en ce moment est un miracle ; nous menons une guerre sainte », a déclaré Weiss. « Dans un an, le peuple d'Israël sera de retour à Gaza. »

Netanyahu a qualifié à plusieurs reprises la perspective de reconstruire des colonies juives à Gaza « d'irréaliste ». Mais au sein du Likoud, le propre parti de Netanyahu, sans parler de sa coalition gouvernementale, l'idée bénéficie d'un soutien important. Selon le reportage de Kan sur le mouvement de colonisation de Gaza, on estime que 15 000 des quelque 60 000 électeurs du Likoud appartiennent à des groupes pro-colonisation purs et durs. Interrogé par Kan sur l'existence d'une majorité au sein du parti en faveur de la réinstallation à Gaza, Avihai Boaron, membre du Likoud à la Knesset, a répondu : « Oui, absolument ».

L'élection de Donald Trump pour un second mandat a considérablement renforcé les ambitions déjà maximalistes du mouvement des colons. Lors de l'événement Nachala à Sderot, le sentiment général était que, avec Trump au pouvoir, les colons, et l'extrême droite en général, auraient encore plus de liberté.

Debout devant une banderole promettant de construire une « Nouvelle Gaza » – une ville entièrement juive sur les ruines de ce qui est aujourd'hui la ville de Gaza – un homme nommé Yaakov expliquait avec enthousiasme comment un avenir autrefois impensable était devenu possible à ses yeux. « Nous allons raser tout Gaza et construire une ville par-dessus », a-t-il déclaré. « Si vous m'aviez posé la question il y a six mois, je vous aurais traité de fou. »

Quelques heures après son entrée en fonction, Trump a annulé les sanctions que l'administration Biden avait imposées à d'éminents dirigeants et organisations de colons, dont Amana, la branche immobilière et de lobbying du mouvement, dirigée depuis 1989 par Ze'ev « Zambish » Hever, un ancien membre du groupe terroriste Jewish Underground. L'ambassadeur de l'administration Trump en Israël, le pasteur baptiste Mike Huckabee, est un partisan de l'annexion par Israël de tout ou partie de la Cisjordanie. Le nouveau secrétaire à la Défense de Trump, Pete Hegseth, a non seulement approuvé l'annexion dans des interviews, mais a même suggéré qu'un temple juif pourrait être reconstruit sur le mont du Temple/Haram Al-Sharif à Jérusalem.

Puis est venu le plan surprise du président visant à nettoyer ethniquement toute la bande de Gaza de ses Palestiniens et à s'emparer du territoire. L'extrême droite israélienne – et, à vrai dire, une grande partie du centre – a accueilli la proposition avec un enthousiasme non dissimulé. « En supposant que l'annonce de Trump concernant le transfert des Gazaouis vers les nations du monde se traduise par des actes », a déclaré Weiss dans un communiqué du 5 février, « nous devons nous empresser d'établir des colonies dans toutes les parties de la bande de Gaza ».

Jouer la carte du long terme

Malgré tout le pouvoir que le mouvement des colons a acquis au sein de la politique israélienne – et sur le sort des Palestiniens – la majorité du pays n'a jamais soutenu la reconstruction des colonies à Gaza (plus de la moitié, selon de récents sondages, s'y oppose). Mais le succès de la droite des colons israéliens n'a jamais découlé d'un véritable soutien de masse. Au contraire, c'est un cas d'école de mouvement d'avant-garde.

Les colons ont construit un lobby qui a appris à exercer une influence au sein du Likoud, tout en transformant simultanément ses propres représentants politiques en faiseurs de rois parlementaires. En Cisjordanie, modèle de ce que les colons espèrent réaliser à Gaza, l'occupation s'est enracinée tant par l'action apparemment unilatérale des colons que par une planification délibérée de l'État.

En février dernier, un groupe de jeunes installés au sommet d'une colline, connus pour attaquer les bergers et les villes palestiniennes en Cisjordanie, a réussi à franchir un poste de contrôle militaire et à entrer dans la bande de Gaza avant d'être retrouvé par l'armée, tandis que d'autres tentaient de construire un avant-poste dans la zone tampon militarisée. Cette tentative a échoué, mais même avec le cessez-le-feu en vigueur, le risque demeure qu'un groupe de colons, qu'il soit issu des rangs de Nachala ou d'ailleurs, tente à nouveau sa chance.

Et bien que le retrait de la plupart des forces israéliennes du cœur de Gaza ait réduit les chances de réussite des colons dans un avenir immédiat, Weiss et ses compagnons de lutte ne se trompent pas en pensant que le temps joue en leur faveur. Comme les colons l'ont souvent fait comprendre – et comme Weiss l'a elle-même souligné lorsqu'elle s'est adressée à la foule lors du rassemblement de Sderot – ils jouent la carte du long terme.

« Aujourd'hui, il y a 330 colonies en Judée et en Samarie », a-t-elle déclaré, en utilisant le terme biblique préféré des colons pour désigner la Cisjordanie, « et près d'un million de Juifs au-delà de la Ligne verte. Cela ne s'est pas fait en un jour, et cela n'a pas été obtenu sans lutte.

« Nous voulons retourner dans la bande de Gaza, l'héritage de la tribu de Juda », a-t-elle poursuivi sous les applaudissements. « Nous voulons que le Néguev occidental s'étende jusqu'à la mer Méditerranée. Et nous atteindrons cet objectif grâce au mérite de toutes les personnes présentes ici et de tous ceux qui prient pour le retour du peuple juif sur l'ensemble de ses terres. »

Après la fin du discours de Weiss et les brèves exhortations de plusieurs autres militants d'extrême droite, les colons militants sont montés dans leurs grandes camionnettes blanches, ont attaché leurs nombreux enfants dans les sièges auto et se sont dirigés vers le mémorial de la Flèche noire. Un seul vétéran activiste de Nachala, Hayim, s'est attardé sur le parking, rassemblant les nombreuses pancartes qui avaient été attachées aux clôtures grillagées et enroulées autour des arbres. Il nous a désigné les caravanes, toujours garées à leur place alors que le cortège partait.

Les caravanes, expliqua-t-il, n'étaient pas destinées à être emmenées à Gaza cette nuit-là ; elles étaient là pour illustrer l'engagement du mouvement à coloniser Gaza, étape par étape. « En fin de compte, le gouvernement suit le peuple », a déclaré Hayim. « L'objectif ici est de créer une vague de fond que le gouvernement ne peut ignorer. »


Une version de cet article a également été publiée dans The Nation. Lisez-la ici.

Joshua Leifer est membre du comité de rédaction de Dissent. Il est l'auteur de Tablets Shattered : The End of an American Century and the Future of Jewish Life.


Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : +972 Magazine

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L’offensive israélienne en Cisjordanie est le deuxième acte du génocide de Gaza

L'Agence Média Palestine propose une traduction de cette analyse de Qassam Muaddi, journaliste palestinien, de la continuité de la stratégie militaire et politique israélienne. (…)

L'Agence Média Palestine propose une traduction de cette analyse de Qassam Muaddi, journaliste palestinien, de la continuité de la stratégie militaire et politique israélienne. L'assaut continu d'Israël en Cisjordanie n'a pas pour but d'anéantir la résistance palestinienne. Il vise au nettoyage ethnique des Palestiniens de leurs foyers et prépare le terrain pour l'annexion.

Tiré d'Agence médias Palestine.

L'armée israélienne a étendu son offensive militaire en cours dans le nord de la Cisjordanie, du camp de réfugiés de Jénine aux camps de réfugiés de Nur Shams et d'al-Far'a à Tulkarem et Tubas. L'attaque israélienne a entraîné le déplacement d'au moins 40 000 Palestiniens, selon l'UNRWA.

Des scènes de Gaza se répètent dans les camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie, où les résidents racontent avoir été chassés de chez eux par l'armée israélienne alors que les soldats vont de maison en maison, séparent les hommes, les femmes et les enfants en différents groupes et les font sortir de leur quartier sous la menace d'une arme. « C'était très humiliant et douloureux », a déclaré mardi un résident du camp de réfugiés de Nur Shams à Mondoweiss.

Les trois camps de réfugiés et les villes environnantes sont au cœur d'une nouvelle vague de résistance armée palestinienne depuis 2021, en particulier à Jénine. Dans ces trois régions, les groupes de militants locaux palestiniens ont affronté les raids israéliens avec une efficacité croissante et une expérience grandissante, malgré des moyens très limités.

Israël a tenté de briser le phénomène croissant dans le nord de la Cisjordanie au cours des quatre dernières années. Début 2022, il a intensifié ses campagnes de représailles militaires avec l'« opération Briser la vague », en lançant des raids de plus en plus violents et disproportionnés dans les camps de réfugiés palestiniens. En juillet 2022, Israël a réintroduit les frappes aériennes en Cisjordanie pour cibler les combattants palestiniens à Jénine, avant d'étendre l'utilisation des frappes aériennes à d'autres parties du nord de la Cisjordanie.

Après le 7 octobre 2023, Israël a intensifié ses raids, profitant de la fureur post-7 octobre pour changer sa stratégie militaire en Cisjordanie. Selon des responsables israéliens, l'offensive actuelle, baptisée « Opération Mur de Fer », vise à « changer le statu quo sécuritaire » en Cisjordanie en écrasant définitivement la résistance armée, ce qui suggère que son objectif principal est motivé par la sécurité. Mais la véritable raison de l'escalade généralisée en Cisjordanie dépasse toute prétention de maintenir la « sécurité ».

Au-delà de la « sécurité »

La flambée de violence israélienne après le 7 octobre n'était souvent pas accompagnée d'une explication sécuritaire, et une grande partie de celle-ci n'était pas dirigée contre des groupes armés. Israël a imposé des centaines de points de contrôle supplémentaires à travers la Cisjordanie et a arrêté jusqu'à 5 000 Palestiniens, dont plus de 3 600 en détention administrative, c'est-à-dire sans inculpation ni procès. Il a intensifié les démolitions de maisons dans la zone C (qui représente plus de 60 % de la Cisjordanie) et distribué des armes à feu aux colons qui ont déplacé de force jusqu'à 20 communautés rurales palestiniennes en Cisjordanie. La plupart de ces communautés étaient situées dans des zones qui n'avaient pas connu d'activité armée palestinienne depuis des années, comme dans les collines du sud d'Hébron et sur les pentes orientales de la vallée centrale du Jourdain.

Plusieurs mois après le 7 octobre, en mai 2024, Israël a également abrogé la loi de désengagement israélienne de 2005, qui avait conduit Israël à retirer les colons de la bande de Gaza et du nord de la Cisjordanie à la suite de la deuxième Intifada. L'abrogation de cette loi a permis aux colons israéliens de retourner dans les colonies évacuées dans les régions de Jénine et de Naplouse.

En janvier, à la suite d'une fusillade palestinienne près de Qalqilya qui a tué trois Israéliens, le chef des conseils régionaux des colonies israéliennes, Yossi Dagan, a appelé l'armée israélienne à envahir les villes de Cisjordanie comme elle l'a fait à Gaza. Le ministre israélien des Finances et leader du sionisme religieux radical, Bezalel Smotrich, a appelé à « faire de Jénine et Naplouse des villes comme Jabalia », en référence à la ville et au camp de réfugiés situés au nord de Gaza qu'Israël a complètement détruits et dépeuplés de force au cours des quatre derniers mois de la guerre, avant le cessez-le-feu actuel. Selon Smotrich, de telles actions, associées à l'expansion des colonies, rendraient impossible la création d'un État palestinien.

Lorsqu'un autre représentant de la droite religieuse dure, Itamar Ben-Gvir, a démissionné de son poste de ministre de la Sécurité nationale en opposition à l'accord de cessez-le-feu actuel, Smotrich n'a pas quitté le cabinet de Netanyahu, bien qu'il ait voté contre le cessez-le-feu. Les analystes ont décrit l'offensive du « mur de fer » en Cisjordanie comme une concession de Netanyahu à Smotrich en échange de son abstention de démissionner, ce qui aurait mis en péril le cabinet de Netanyahu et l'aurait forcé à convoquer de nouvelles élections.

La voie de l'annexion

Le principal projet politique de Smotrich a toujours été l'annexion et la colonisation massive de la Cisjordanie, qui s'est accompagnée de la destruction de toutes les possibilités de création d'un État palestinien. Avant le 7 octobre, Smotrich a déclaré que les Palestiniens n'existaient pas et que les villes palestiniennes de Cisjordanie, comme Huwwara, devraient être « rayées de la carte ». Dès 2017, il a présenté un « plan décisif » pour le nettoyage ethnique des Palestiniens de Cisjordanie qui n'accepteraient pas de vivre sous la « souveraineté juive », leur donnant le choix entre quitter le pays ou être tués.

L'idée que Netanyahou aurait besoin de l'apaiser pour maintenir son gouvernement signifie que la Cisjordanie et la vie des Palestiniens qui y vivent sont le prix à payer pour le cessez-le-feu à Gaza – et pour la survie politique de Netanyahou.

Mais ces ambitions en Cisjordanie sont également partagées par Netanyahou lui-même et par de nombreux membres de son cabinet qui sont issus de la base religieuse de droite et du mouvement des colons en Cisjordanie. Netanyahou lui-même avait promis en 2020 d'annexer de grandes parties de la Cisjordanie, en particulier la vallée du Jourdain, déclarant à plusieurs reprises qu'il n'y aurait jamais d'État palestinien sous son mandat. Netanyahu a également déclaré, au début de sa carrière politique dans les années 1980, qu'Israël devrait saisir toutes les occasions pour déplacer le plus grand nombre possible de Palestiniens, tant de Cisjordanie que de l'intérieur des frontières de l'État israélien, et plus important encore, de Gaza.

En 2018, la Knesset israélienne a adopté à une écrasante majorité la loi sur l'État-nation, stipulant que l'autodétermination nationale entre le Jourdain et la mer Méditerranée n'appartient qu'au peuple juif. Lors de la dernière guerre contre Gaza en juillet 2024, la Knesset israélienne a adopté une résolution, également à une écrasante majorité, rejetant la création d'un État palestinien où que ce soit en Palestine historique. Ces deux textes de loi font écho aux appels de la droite religieuse israélienne en faveur d'une colonisation et d'une annexion complètes de la Cisjordanie, ce qui témoigne d'une forte volonté au sein de la politique et de la société israéliennes de concrétiser enfin cette ambition. Pour les Palestiniens de Cisjordanie, cela signifie qu'ils sont dans la ligne de mire, avec à l'horizon immédiat la destruction et l'expulsion forcée, qu'elle soit partielle ou totale.

Sans perspective de fin et avec les déclarations israéliennes selon lesquelles l'offensive du « mur de fer » inclura toute la Cisjordanie, il devient clair que l'attaque israélienne n'est pas une mesure de sécurité. C'est un instrument pour réaliser les aspirations politiques de la droite sioniste. La première étape a entraîné le déplacement de 40 000 Palestiniens des camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie, mais cela ne s'arrêtera pas là. Alors que le fragile cessez-le-feu à Gaza touche à sa fin, les Palestiniens se préparent à ce qui pourrait suivre en Cisjordanie, craignant que ce à quoi ils sont confrontés ne soit que le début d'un nouveau chapitre dans la guerre d'Israël contre le peuple palestinien.


Qassam Muaddi est le rédacteur palestinien de Mondoweiss. Suivez-le sur Twitter/X à @QassaMMuaddi.

Traduction : JB pour l'Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss

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La négation du génocide à Gaza dans les études sur l’Holocauste

L'universitaire Raz Segal relate l'étrange expérience d'avoir été accusé d'antisémitisme, alors qu'il est lui-même juif et spécialiste de l'Holocauste ainsi que d'autres (…)

L'universitaire Raz Segal relate l'étrange expérience d'avoir été accusé d'antisémitisme, alors qu'il est lui-même juif et spécialiste de l'Holocauste ainsi que d'autres génocides, pour avoir commis le crime impardonnable de s'opposer à la guerre génocidaire menée par l'État colonial d'Israël contre les Palestinien-nes de Gaza.

Tiré du site de la revue Contretemps.

Qu'est-ce qui se trouve au cœur du soutien inconditionnel que l'Allemagne accorde à Israël, y compris durant les seize derniers mois de son assaut génocidaire contre Gaza ? Cette question demeure pertinente même si la trêve actuelle devait mettre un terme au génocide : l'aborder met en lumière le processus de colonisation israélienne qui s'est étendu sur plusieurs décennies et a mené à ce génocide, une Nakba qui continue de se dérouler indépendamment du cessez-le-feu. En réalité, les attaques d'Israël contre les Palestiniens n'ont pas cessé et, en Cisjordanie occupée, elles se sont même intensifiées depuis le début du cessez-le-feu à Gaza, avec des attaques meurtrières perpétrées par des colons israéliens et l'armée israélienne.

Une collaboration étroite entre des spécialistes de l'Holocauste en Israël et en Allemagne apporte des éléments de réponse inquiétants à cette question. Lors d'un événement en ligne organisé par le Programme d'Études sur l'Holocauste au Western Galilee College (WGC) israélien le 19 décembre 2024, trois intervenants – Alvin Rosenfeld, professeur d'anglais et d'études juives à l'Université d'Indiana, Verena Buser, historienne allemande qui enseigne en ligne au WGC, et Lars Rensmann, professeur de sciences politiques à l'Université de Passau en Allemagne – ont attaqué des chercheurs en études sur l'Holocauste et le génocide, dont moi-même, pour avoir osé qualifier les crimes commis par Israël à Gaza de génocide.

Bien que l'événement ait été organisé en l'honneur de Yehuda Bauer, figure fondatrice des études sur l'Holocauste, décédé le 18 octobre 2024 à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans, les intervenants ont à peine mentionné son nom ou son travail. De même, Ils n'ont pas pris en compte les preuves accablantes du génocide en cours à Gaza depuis le 7 octobre 2023. À la place, ils ont tout simplement choisi de nier l'existence du génocide.

Verena Buser, par exemple, a affirmé que les universitaires qui qualifient les actions d'Israël à Gaza de génocide ignorent les « nombreuses critiques internationales » concernant la validité des chiffres des victimes palestiniennes qui, a-t-elle ajouté, « ne font pas la distinction entre les combattants et les civils ». La vérité est qu'il existe un large consensus international selon lequel Israël a tué plus de 46 000 Palestiniens.

Les chiffres réels sont d'ailleurs probablement bien plus élevés : un article récent du Lancet affirme qu'Israël avait tué plus de 64 000 Palestiniens à la fin du mois de juin 2024, dont une majorité de civils, y compris des milliers d'enfants. Selon Save the Children, « le territoire palestinien occupé est désormais le lieu le plus meurtrier au monde pour les enfants : environ 30% des 11 300 enfants identifiés comme tués à Gaza entre octobre 2023 et août 2024 avaient moins de cinq ans. » De plus, près de 3 000 enfants palestiniens à Gaza n'avaient toujours pas été identifiés à la fin du mois d'août 2024.

La négation du génocide par Verena Buser ne s'est pas limitée à la minimisation classique du nombre de victimes – une stratégie bien connue du négationnisme de l'Holocauste. Elle est allée plus loin en invoquant de prétendus « rapports » affirmant qu'il n'y aurait pas de famine à Gaza, ou que si famine il y a, elle serait due aux « défis logistiques » posés par la guerre. Pourtant, elle n'a cité aucun de ces rapports ni précisé quels seraient ces défis logistiques. Rien d'étonnant à cela : un large consensus international existe sur les politiques de famine délibérée, abondamment documentées d'Israël, dont les dirigeants militaires israéliens ont discuté ouvertement.

La plupart des universitaires dans la ligne de mire des intervenants de l'événement du WGC sont des Juifs, moi y compris. Nous sommes attaqués pour la manière dont nous comprenons et exprimons notre critique des atrocités israéliennes à travers le prisme de notre identité juive. Apparemment, nous ne sommes pas le bon type de Juifs. En nous accusant d'antisémitisme en raison de la manière dont nous nous identifions en tant que Juifs, ces détracteurs reproduisent une vision antisémite qui refuse la pluralité des identités juives et enferme tous les Juifs dans une seule et même entité homogène : « les Juifs ». Ainsi, les attaques contre les chercheurs juifs s'inscrivent dans un cadre idéologique plus large, profondément raciste, dont le but principal est de dénigrer les Palestiniens.

Plus scandaleux encore, l'historien israélien Dan Michman, qui dirige l'Institut International de Recherche sur l'Holocauste à Yad Vashem, a fait appel à nul autre qu'Adolf Hitler pour donner du poids aux attaques des orateurs :

  • Personne ne trouve à redire au terme « palestinien » . . .. Mais si vous remontez un siècle en arrière, dans Mein Kampf, par exemple… Hitler dit à un moment donné que les sionistes veulent établir un État palestinien afin d'avoir une base pour leurs activités criminelles. Or, il y a un siècle, un État palestinien était un État juif. Et le fait est que pendant la période du mandat [britannique] en Palestine, les habitants juifs étaient appelés Juifs palestiniens, les Arabes étaient des Arabes palestiniens. . .. En 1948, Israël a été créé, et les Juifs palestiniens sont devenus des Israéliens, de sorte que le terme [palestinien] est resté ouvert, et ce n'est que depuis les années 1950 que nous commençons à entendre parler des Palestiniens.

Il semble que Michman ait voulu faire écho à Lars Rensmann, qui a affirmé dans son intervention au début de l'événement que « les nazis étaient ouvertement, agressivement, depuis leurs origines, depuis Hitler en 1920 … ouvertement antisionistes et ont attaqué l'État sioniste potentiel ». L'argument est limpide : puisque Hitler était antisioniste, alors l'antisionisme ne peut être qu'une forme d'antisémitisme. Une affirmation répétée inlassablement au cours de l'événement, comme une incantation cherchant à rendre inaudibles les critiques du sionisme.

Ce faisant, ils ignorent la riche histoire des Juifs antisionistes et des organisations et partis politiques juifs antisionistes, ainsi que les nombreux Juifs antisionistes et organisations juives dans le monde aujourd'hui. Plus absurde encore, on aboutit ainsi à une situation bizarre où un professeur allemand se pose en juge de la légitimité des identités juives, tandis qu'un historien israélien spécialiste de l'Holocauste invoque Hitler pour discréditer les Juifs antisionistes – un raisonnement qui, en fin de compte, ne fait que reproduire la logique raciste du nazisme.

Michman et Rensmann ne dirigent pas leurs attaques contre les néonazis et autres groupes d'extrême droite qui connaissent une recrudescence en Allemagne et ailleurs. Non, leur cible privilégiée, ce sont les Juifs antisionistes. Ce paradoxe apparent s'explique aisément : ils ne peuvent tolérer l'existence même de Juifs qui rejettent le sionisme, notamment lorsqu'il s'agit de chercheurs spécialisés dans l'histoire de l'Holocauste et des génocides, qui osent affirmer que l'attaque israélienne sur Gaza depuis octobre 2023 correspond à la définition juridique du génocide.

Ces chercheurs juifs ne sont pourtant pas isolés. William Schabas, l'un des plus importants experts en droit international sur le génocide et issu d'une famille de survivants de l'Holocauste, déclarait lors d'une interview à la fin du mois de novembre 2024 :

  • À Gaza, l'infrastructure a été massivement détruite, les gens ont été incapables de s'échapper – et puis il y a eu les déclarations terribles faites par [l'ancien ministre israélien de la défense] Yoav Gallant. . .. Les déclarations ont été faites par des ministres, des porte-parole du gouvernement et des chefs militaires, qui ont tous une influence sur les troupes. Elles sont plus fréquentes et plus graves que dans tout autre cas porté devant la Cour internationale de justice dont j'ai connaissance… .. Avec la famine, le manque d'accès à l'eau et à l'hygiène, la destruction systématique des maisons, écoles et hôpitaux, se dessine une image qui pourrait être interprétée comme résultant d'une intention génocidaire”.

Mais pour Rensmann, il ne peut y avoir de débat : “l'accusation de génocide contre Israël fait partie intégrante de l'histoire de l'antisémitisme du XXe et du XXIe siècle.”

Buser s'est appuyé sur Rensmann pour rejeter les universitaires spécialisés dans les études sur l'Holocauste et les génocides, pour la plupart juifs, dont les travaux s'appuient sur le vaste corpus de sources sur le génocide israélien à Gaza, qui ne cesse de s'enrichir. Il s'agit notamment des documents relatifs à l'accusation de génocide portée par l'Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice, des nombreuses cartes, témoignages de Palestiniens, photos aériennes et autres sources figurant dans les rapports d'Amnesty International, de Human Rights Watch, de Forensic Architecture et de la rapporteuse spéciale des Nations unies Francesca Albanese sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, ainsi que des milliers de vidéos fièrement téléchargées sur les réseaux sociaux par des soldats et des officiers israéliens dans lesquelles ils documentent leur propre violence et leurs propres crimes.

En niant cette réalité abondamment documentée, Buser affirme que les universitaires spécialisés dans l'étude de l'Holocauste et des génocides qu'elle cherche à discréditer utilisent la Déclaration de Jérusalem sur l'antisémitisme (JDA), qui « acquitte l'antisionisme et les comparaisons avec les nazis d'accusations d'antisémitisme ». La JDA, poursuit-elle, permet donc à ces universitaires de faire des déclarations antisionistes ou de suggérer des comparaisons historiques qu'elle considère comme antisémites, y compris, selon ses termes, que « l'État d'Israël est un État blanc, colonisateur et d'apartheid qui commet un génocide à Gaza ».

Or, la Déclaration de Jérusalem affirme explicitement que “critiquer ou s'opposer au sionisme en tant que forme de nationalisme n'est pas antisémite” et que “les normes du débat qui s'appliquent aux autres États et aux autres conflits liés à l'autodétermination nationale doivent aussi s'appliquer au cas d'Israël et de la Palestine.” Autrement dit, si critiquer n'importe quelle idéologie politique ou politique d'un État est un droit fondamental, alors il en va de même pour le sionisme et Israël.

Cette déclaration conclut également qu'“aussi controversé que cela puisse être, comparer Israël à d'autres précédents historiques, y compris au colonialisme de peuplement ou à l'apartheid, n'est pas en soi antisémite.” Mais pour Buser et ses collègues du WGC, toute critique du sionisme relève de l'antisémitisme. Dans sa présentation, elle dresse ainsi la liste des onze chercheurs qu'elle considère comme les plus « coupables », dont huit sont juifs – moi y compris.

L'idée de l'unicité de l'Holocauste

Comment comprendre ce partenariat entre des universitaires israéliens et allemands spécialistes de l'Holocauste, qui attaquent des chercheurs juifs tout en niant le génocide israélien en cours, tout en reproduisant le racisme exterminateur dirigé contre les Palestiniens ? Pour commencer à démêler cette question, il faut se rappeler que l'événement du Western Galilee College (WGC) visait à honorer Yehuda Bauer, figure fondatrice des études sur l'Holocauste. Il est le penseur le plus associé à l'idée que l'Holocauste est unique dans l'histoire de l'humanité. Cette idée, qui a également guidé les travaux de Rosenfeld et Michman, a joué un rôle fondamental dans les sphères politiques et les sociétés d'Israël et d'Allemagne.

L'affirmation de l'unicité absolue de l'Holocauste dans l'histoire de l'humanité a été facilitée par la formulation du concept de génocide dans la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide en 1948. De ce fait, ce que nous appelons aujourd'hui l'Holocauste (un terme alors inexistant) a été considéré comme un crime d'une gravité supérieure au génocide. Cette hiérarchie a ensuite façonné le champ académique des Études sur l'Holocauste et les Génocides, séparant la violence de masse nazie de l'histoire longue des génocides coloniaux occidentaux et des génocides soviétiques qui l'avaient précédée.

Mais cette classification a aussi permis d'occulter d'autres crimes massifs, notamment ceux commis par les Alliés et l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale, tels que les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki par les États-Unis, actes que l'expert en génocide Leo Kuper (1908-1994) a décrit en 1981 comme des actes relevant du génocide dans son ouvrage Genocide : Its Political Use in the Twentieth Century.

Les intérêts communs soviéto-occidentaux sur le nouveau crime de génocide s'arrêtaient là. En Occident, cette hiérarchie a fait des Juifs les victimes les plus pures, ce qui a été rendu possible par la place fondamentale des Juifs dans le monde judéo-chrétien. Comme l'a soutenu le regretté historien de l'Holocauste Alon Confino (1959-2024) dans A World Without Jews, un brillant ouvrage paru en 2014, les nazis considéraient la destruction des Juifs précisément de cette manière, comme essentielle à l'anéantissement de la civilisation judéo-chrétienne afin de créer une civilisation nazie à la place. L'unicité de l'Holocauste s'est donc appuyée sur l'idée que les Juifs sont un peuple unique et l'a renforcée.

Cette posture victimaire a ensuite été récupérée pour alimenter un discours de supériorité morale, étroitement lié au projet sioniste : l'amalgame entre un peuple, les Juifs, et un État, Israël. C'est ainsi qu'est née l'opinion commune à Israël et à l'Occident selon laquelle l'armée israélienne est l'armée la plus morale du monde. En conséquence, il est devenu inimaginable qu'Israël puisse commettre un quelconque crime au regard du droit international, sans parler d'un génocide.

Cette impunité d'Israël dans le système juridique international a brouillé la reproduction du nationalisme d'exclusion et du colonialisme de peuplement dans l'État israélien depuis ses origines dans la Nakba de 1948, en passant par la Nakba actuelle dans les décennies de violence de masse israélienne contre les Palestiniens, culminant aujourd'hui dans le génocide israélien à Gaza.

L'idée d'un Holocauste unique a également joué un rôle structurant dans l'engagement allemand vis-à-vis d'Israël. L'ancienne chancelière allemande Angela Merkel a décrit de manière célèbre cet engagement dans un discours à la Knesset israélienne en 2008 comme une « raison d'État » de l'Allemagne.

Cette formule, initialement introduite en 2005 par le diplomate social-démocrate Rudolf Dressler (1940-2025) qui fut ambassadeur d'Allemagne en Israël de 2000 à 2005, a été reprise par le chancelier Olaf Scholz en octobre 2023, en pleine attaque israélienne contre Gaza. Cinq jours plus tard, à Tel-Aviv, Scholz ajoutait que « l'histoire de l'Allemagne et sa responsabilité dans l'Holocauste nous obligent à préserver la sécurité et l'existence d'Israël ».

Mais cette insistance sur l'unicité de l'Holocauste remplit une fonction plus profonde en Allemagne. Elle permet de dissocier le nazisme du reste de l'histoire allemande, en en faisant un événement hors du temps, coupé de toute continuité avec le passé colonial et post-nazi du pays, avant et après l'Holocauste.

Ce tour de passe-passe masque les liens entre le nazisme et le génocide colonial commis par l'Empire allemand en Namibie contre les Héréros et les Namas dans le sud-ouest de l'Afrique au début du vingtième siècle. Il efface aussi les résurgences du nationalisme allemand d'exclusion, du racisme à l'encontre des migrants et des réfugiés. Au pire, cette mystification légitime un racisme anti-palestinien au moment même où Israël commet un génocide contre eux. L'idée de l'unicité de l'Holocauste ne remet donc pas en question, mais au contraire perpétue le nationalisme exclusiviste et le colonialisme de peuplement qui ont conduit à l'Holocauste et qui continuent aujourd'hui à structurer à la fois l'État des persécuteurs et celui des survivants.

L'événement organisé par le WGC reflétait ainsi ce que Bauer avait exprimé un an avant sa mort, en novembre 2023, dans un article paru dans Haaretz. Utilisant une terminologie coloniale, Bauer décrivait l'attaque d'Israël contre Gaza comme la défense d'une « société plus ou moins civilisée » contre la « barbarie du Hamas », appelant à une « lutte implacable » entre « deux visions du monde, qui s'adressent à des types humains différents ». Le partenariat israélo-allemand en études sur l'Holocauste au WGC utilise précisément cette vision du monde profondément raciste, une vision qui a mis les Juifs en danger par le passé et qui les cible à nouveau aujourd'hui – cette fois pour justifier les atrocités israéliennes à Gaza tout en niant qu'elles relèvent d'un génocide.

*

Raz Segal est professeur agrégé d'Études sur l'Holocauste et les Génocides à l'Université de Stockton (New Jersey), où il est également titulaire d'une chaire sur l'étude des génocides modernes. Il a perdu un poste à l'Université du Minnesota en raison d'une intense pression politique après avoir qualifié l'attaque israélienne contre Gaza de génocide.

Publié dans Jacobin. Traduit de l'anglais pour Contretemps par Christian Dubucq.

Le démon du nettoyage ethnique est sorti de la bouteille en Israël

Trump a normalisé le discours sur le nettoyage ethnique à Gaza, révélant les aspirations de nombreux Juifs en Israël. Le premier ministre et le ministre de la défense ont fait (…)

Trump a normalisé le discours sur le nettoyage ethnique à Gaza, révélant les aspirations de nombreux Juifs en Israël. Le premier ministre et le ministre de la défense ont fait du transfert de population une politique gouvernementale, faisant progresser l'héritage de Kahane.

Tiré de Association France Palestine Solidarité
12 février 2025

Photo : Des Palestiniens fuient le nord de la bande de Gaza vers le sud, 27 novembre 2023 © UNRWA/Ashraf Amra

Il est facile de dénigrer le ministre de la Défense Israël Katz, avec sa grande gueule, sa démarche maladroite avec son gilet pare-balles, et son image d'outsider sur les questions de sécurité, contrairement aux généraux qui ont occupé ce poste avant lui.

Il serait faux de tourner en dérision l'instruction qu'il a donnée jeudi dernier à l'armée israélienne de préparer un plan de « départ volontaire » des Palestiniens de la bande de Gaza, dans l'esprit de l'initiative du président américain Donald Trump.

C'est la première fois qu'Israël annonce un plan pratique d'expulsion des Arabes du territoire qu'il contrôle. Désormais, le transfert est la politique du gouvernement.

Katz a accompagné son ordre d'une réprimande publique du chef du renseignement militaire, le général de division Shlomi Binder, qui a mis en garde contre une escalade de la situation sécuritaire dans les territoires occupés et une détérioration des relations avec les pays arabes en réponse au plan de Trump. Le message aux officiers supérieurs a été reçu : La promotion dépendra du soutien apporté au transfert.

Une vaste série de promotions est attendue prochainement au sein de l'armée israélienne, qui comprendra le remplacement des personnes qui auront la responsabilité de tout transfert, comme le chef des opérations à l'état-major général de Tsahal et le chef du commandement sud de l'armée.

Toute nomination d'un officier ayant le grade de colonel ou un grade supérieur nécessite la signature de M. Katz, et le ministre a l'intention d'instaurer dans l'armée les mêmes tests de loyauté politique que ceux mis en place dans la police par le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, qui a quitté ses fonctions.

Le transfert de Katz est censé être « volontaire », en fonction de la volonté des Palestiniens de Gaza qui demandent à partir et de la volonté d'autres pays de les accueillir.

Toutefois, sa mise en œuvre n'a pas été placée sous la juridiction des ministères des affaires étrangères, des transports ou du tourisme, mais a été confiée à l'armée israélienne. Cela signifie qu'Israël ne créera pas d'agences de voyage pour les habitants de Gaza, ne leur proposera pas de vols bon marché ou de points de fidélité.

Au contraire, il encouragera probablement leur départ par la famine ou, selon les termes euphémiques du ministre des finances Bezalel Smotrich, par la « gestion de l'aide humanitaire », ou encore en reprenant la guerre pour « anéantir le Hamas », comme l'a promis le Premier ministre Benjamin Netanyahu. L'idée est que, lorsque les cris des habitants de Gaza résonneront, les pays du monde entier seront incités à ouvrir leurs portes aux réfugiés de Khan Yunis et de Jabalya.

Il est également facile de se moquer de Trump, qui présente des idées grandioses puis les rétracte, qui s'occupe d'un spectacle et non d'un contenu, qui détermine la politique sans travail préparatoire du personnel. Mais que pouvons-nous faire lorsqu'il est le président et qu'il fixe son programme en tirant de la hanche ? Il y a seulement deux semaines, Trump a bénéficié de la vénération des opposants de Netanyahou en Israël, après avoir imposé un cessez-le-feu à Netanyahou, y compris le retour d'une partie des otages.

Le camp des « just-not-Bibi » attendait avec impatience l'effondrement de la coalition et la fin de la guerre. Mais cet espoir s'est évanoui après l'accueil enthousiaste que Netanyahou a reçu à la Maison Blanche, remplacé par l'évaluation que Trump profère des absurdités, et que tout n'est qu'un spectacle de duplicité : Il dira « transfert » pour apaiser Smotrich et Ben-Gvir, mais en pratique, il imposera un retrait de Gaza et la conclusion d'un accord avec le Hamas.

En effet, Trump a libéré de la bouteille les souhaits secrets de nombreux Juifs en Israël, qui ne croient pas aux perspectives de vivre avec des Arabes sur la même bande de terre. « C'est nous ou eux », selon la version de droite, ou « nous ici et eux là-bas », selon la formulation de gauche.

Comme me l'a dit l'un des leaders de la gauche sioniste il y a quelques années : « Dans nos cœurs, nous sommes tous des Kahane ; tout le reste est une question d'éducation ». Les sondages d'opinion réalisés ces derniers jours confirment son argument : Dès que Trump a normalisé le discours sur le nettoyage ethnique, une grande majorité de Juifs en Israël souhaite expulser les Palestiniens de Gaza.

Il est également facile d'éprouver de la dérision pour Netanyahou, l'éternel dirigeant qui se dérobe à toute responsabilité. Ce qui n'a pas été dit à son sujet, c'est qu'il n'a pas de politique, qu'il est un ballon de football entre la Maison Blanche et la droite radicale en Israël, ne rêvant que d'une impasse et d'un statu quo.

Mais lorsqu'on examine ses actions depuis qu'il a formé sa coalition de droite étroite il y a dix ans, et jusqu'à la gestion de la guerre actuelle, en tant que chef d'un gouvernement de droite totale, on constate une tendance claire indiquant l'accomplissement de l'héritage du rabbin Meir Kahane.

La liste est longue et comprend la loi sur l'État-nation, qui a conféré aux Juifs un statut plus élevé en Israël, les mesures d'annexion et d'expropriation des Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem, le remplissage des rangs du Likoud par des partisans de Kahane, son alliance avec Ben-Gvir et Smotrich et, surtout, une politique de déportation et de ruine à Gaza en réponse à l'attaque du Hamas du 7 octobre et au massacre dans les communautés frontalières d'Israël.

M. Netanyahou était prêt à prendre le risque d'un mandat d'arrêt délivré par la Cour internationale de La Haye et à faire face aux pressions de l'administration Biden et de ses partisans en Israël, qui lui demandaient de présenter un plan pour le « jour d'après » et la remise de Gaza à l'Autorité palestinienne, dans le seul but de vider la bande de Gaza de ses habitants et de la préparer à l'annexion et à l'implantation de colonies juives.

Une sélection de discours prononcés par Kahane lors de son unique mandat de membre de la Knesset il y a 40 ans, recueillie par notre correspondant Ofer Aderet, se lit comme le programme du gouvernement actuel. « Il y a une divergence totale, une contradiction insoluble entre le concept de sionisme et d'État juif et le concept de démocratie occidentale », déclarait Kahane, bien avant Yariv Levin et son remaniement judiciaire.

« Un État de souveraineté juive, dans lequel le Juif est le propriétaire... le non-Juif n'ayant aucun droit de dire quoi que ce soit sur les décisions nationales concernant le destin de l'État ou de la nation », c'est ce que Kahane a dit dans un discours, annonçant la campagne de Netanyahu aux dernières élections, lorsqu'il a qualifié les législateurs arabes de « partisans de la terreur ».

Et évidemment, la solution kahaniste, le transfert. « Chacun vivra dans son propre pays... qu'ils y vivent dans l'amour et la fraternité et dans la coexistence avec leurs frères, une coexistence arabe, mais pas ici. » Un véritable brouillon de l'initiative Trump.

Kahane était perçu comme un voyou et un marginal, que la Knesset a éjecté de son sein. Son héritier, Rehavam Ze'evi, plus institutionnel et partisan du transfert, n'a pas obtenu le soutien des masses et a été condamné rétrospectivement comme un violeur et un criminel.

Mais leurs idées n'ont pas disparu, et une génération et demie plus tard, elles sont arrivées dans le courant dominant, qui se cache encore derrière des arguments hypocrites tels que « le souci humanitaire pour les Palestiniens » ou « nous avons déjà tout essayé et le conflit n'a pas été résolu ; il est peut-être temps de trouver une autre solution. » Il ne faut donc pas se moquer de la déclaration de Trump ou de l'enthousiasme de Netanyahou ou des ordres de Katz.

Le démon de l'épuration ethnique sorti de la bouteille du politiquement correct et du respect des droits de l'homme, démon qui se cachait jusqu'à présent, sera difficile à remettre dans la bouteille.

Traduction : AFPS

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« From Ground Zero ». Gaza sous les bombes racontée par ses habitants

Fresque composée de 22 courts métrages tournés dans l'enclave palestinienne pendant la guerre génocidaire, From Ground Zero propose une immersion dans le quotidien des (…)

Fresque composée de 22 courts métrages tournés dans l'enclave palestinienne pendant la guerre génocidaire, From Ground Zero propose une immersion dans le quotidien des habitant·es de ce territoire, sans renoncer à la dimension cinématographique et créative. Supervisée par le réalisateur Rashid Masharawi, cette expérience originale est projetée dans les cinémas français à partir de ce mercredi 12 février, après avoir fait le tour des festivals du monde entier.

Tiré de orientxxi
12 février 2025

Par Ramdam Bezine

Gaza 2023—2025 Bande de Gaza Cinéma Palestine

L'image montre un groupe de personnes se tenant sur des décombres, probablement après un effondrement de bâtiment. Ils semblent être en train de filmer ou de prendre des photos, avec du matériel de caméra visible. En arrière-plan, on peut voir une structure endommagée, avec des fenêtres brisées et des pans de mur manquants. Le ciel est nuageux, ce qui ajoute à l'atmosphère sombre de la scène. L'environnement est chaotique, reflétant les conséquences d'une destruction.

Chaque court métrage, d'une durée de trois à six minutes, est tourné en situation réelle.
Masharawi Fund

L'image présente un visuel frappant avec un contraste fort entre des couleurs sombres et des éléments plus vifs. On y voit un personnage assis, semblant contempler son environnement, qui est en ruines. Le décor évoque une zone de conflit, avec des bâtiments endommagés et des débris. Au-dessus, des silhouettes colorées volent, ajoutant une dimension symbolique. Le texte indique "FROM GROUND ZERO" et "STORIES FROM GAZA", ce qui suggère un lien avec des récits de vie et de résilience dans un contexte difficile. L'ensemble transmet une atmosphère de désolation mais aussi d'espoir.

From Ground Zero
Courts métrages supervisés par Rashid Masharawi
1h52
12 février 2025

Le film n'a pas encore commencé que déjà un bruit sourd envahit l'écran. Le ronronnement d'un drone, fond sonore de Gaza depuis le début du génocide, précède l'image. Comme pour rappeler qu'avant l'art, avant la vie même, c'est la guerre qui occupe l'espace. From Ground Zero, projet orchestré par le réalisateur palestinien Rashid Masharawi, rassemble 22 courts métrages, tournés littéralement sous les bombes, par 22 réalisateur·ices gazaoui·es.

C'est un huis clos inédit, où la guerre est un fil rouge, une trame à partir de laquelle les histoires se développent. Divisé en deux parties, le film intègre un temps d'entracte, pour permettre au spectateur une respiration. Regarder les courts métrages s'enchaîner tient de l'expérience émotionnelle. La tristesse, la compassion, l'émerveillement face à la créativité et à la résistance quotidienne précèdent l'envie de hurler, de détourner le regard. Les images, jamais crues, sont pourtant honnêtes. La mort, le sang, l'immensité des gravats ne sont pas des effets spéciaux, du maquillage ou des décors en carton-pâte. Les déflagrations ne sont pas l'œuvre de bruiteurs, et les personnages à l'écran jouent rarement un rôle de composition. Dans le court métrage Sorry Cinema d'Ahmed Hassouna, les jeunes hommes qui récupèrent la farine à même le sol en feront vraiment du pain quand le réalisateur aura crié : « Coupez ! »

Documenter le quotidien, non sans poésie

Fiction, drame, expérimental, animation… Les styles se succèdent, proposant un florilège d'histoires et de formats. Treize des 22 films assument toutefois une approche documentaire sans concession. Alaa Damo, par exemple, dresse le portrait de Moss'ab, secouru deux fois en vingt-quatre heures de sous les décombres. Dans Selfie, la réalisatrice Reema Mahmoud documente sa vie de femme dans un camp de réfugiés, avant son retour dans une maison partiellement détruite. « Il est 4 heures au fuseau horaire de la guerre », poétise-t-elle, avant de lancer une bouteille à la mer, dédiée à un ami inconnu. Mustafa Kolab, producteur de films d'animation, se met en scène dans le documentaire expérimental Echo, où on le voit à contre-jour face à la mer, dans un plan-séquence où la sérénité de l'image tranche avec le fond sonore, composé de l'enregistrement d'une conversation téléphonique. On entend le réalisateur donner des consignes d'évacuation à ses proches, entre sirènes d'ambulances et explosions. Nul besoin de montrer lorsque les projections mentales suffisent à elles seules à partager le sentiment de panique et d'urgence.

Dans Jad et Natalie, l'acteur et dramaturge Aws Al-Banna se filme sur les décombres sous lesquels sont enterrées sa fiancée Nour et sa famille. Khamis Masharawi, quant à lui, filme dans Peau douce un groupe de six enfants ayant, comme la plupart d'entre eux à Gaza, compris déjà le risque imminent de leur mort. Mais quand leur mère inscrit leur nom sur leurs bras et leurs jambes, afin d'identifier leur corps en cas de bombardement, le geste leur fait faire des cauchemars, qu'ils traduisent à travers des petits films d'animation réalisés à partir de leurs dessins. La guerre est alors vue à travers leur regard : des oiseaux géants détruisent les immeubles, les yeux expriment la stupeur, les sourires n'existent plus. « Je ne veux pas qu'on m'écrive dessus, lance un jeune garçon à la caméra. Si mon corps explose, je ne veux pas qu'on rassemble mes morceaux. » Autre refus, celui qu'oppose Hana Wajeeh Eleiwa à la morosité et l'abattement ambiants, pour leur préférer la danse et le chant, dans un film sobrement intitulé : Non. Dans une mise en abîme, la réalisatrice se montre en quête d'un sujet de tournage. Après avoir refusé les idées de son cameraman jugées trop sombres, une mélodie dans l'air attise sa curiosité et l'emmène auprès du groupe de musiciens Sol Band, déterminé à apporter de la joie aux réfugiés de leur camp grâce à la musique.

Tamer Nijim, lui-même acteur, professeur de théâtre et travailleur social auprès d'enfants déplacés, a tourné son court métrage après avoir été forcé de quitter son quartier de Cheikh Radwan dans la banlieue de Gaza-ville, et d'évacuer vers le sud. « Au départ je ne voulais pas participer à ce film, confie-t-il dans un entretien avec Orient XXI. Je pensais que je n'aurais pas le temps, qu'avec toutes les restrictions, le manque de nourriture et d'eau, ça n'allait pas être possible. » Rashid Masharawi trouve cependant les mots et finit par le convaincre malgré les « grosses difficultés à Rafah, principalement à cause de problèmes d'équipement et d'électricité ».

Son film Le Professeur suit un enseignant – joué par son propre père – à la recherche d'eau, de pain et d'électricité à travers ruines et désespoir. « J'ai voulu montrer la dignité, l'honneur, la force de cet homme, qui, malgré la douleur et le dénuement, finit par proposer lui-même son aide aux autres, explique le jeune réalisateur. À travers lui, ce sont tous les pères palestiniens, et tout mon peuple que j'ai voulu représenter. » Aujourd'hui réfugié en Égypte, Tamer Nijim se languit de son pays et de ses proches. « On veut vivre en paix, sans violence. J'espère que la frontière va rouvrir pour que je puisse rejoindre ma famille. »

Une créativité décuplée par la guerre

Dès décembre 2023, deux mois après les attaques du 7 octobre et le début de la guerre génocidaire sur Gaza, Rashid Masharawi lance son projet via un fonds à son nom créé spécialement pour l'occasion. Il revient pour Orient XXI sur la genèse du projet.

En tant que réalisateur, je suis habitué à réagir à ce qui se passe en Palestine de manière artistique, cinématographique. Cette fois, ce qui se déroulait était tellement catastrophique que j'ai jugé important de donner la parole à des hommes et des femmes sur place, pour raconter leur survie au quotidien.

Les habitant·es de Gaza sont filmés au plus près :

Nous voulons rappeler que les gens qui y vivent sont humains. Dès le début, on a présenté les Palestiniens comme des chiffres, avec chaque jour des décomptes macabres. Lorsqu'ils apparaissent à l'écran, ces chiffres ont des visages, des noms, des histoires, des métiers, des rêves… Ce sont des hommes, des femmes, des enfants, des artistes. Des humains normaux, innocents.

Entre déplacements forcés et pénuries, entre deuils et incertitudes, l'urgence d'un contexte peu propice à la création artistique ne les a pourtant pas empêchés de se saisir de leur propre narratif, comme le rappelle le réalisateur :

Toutes ces personnes, qui ont tourné, joué, aidé, ont vécu les pertes et la destruction. Ils ont tous risqué leur vie pour tourner ces films, et je pense qu'ils ont participé au projet parce qu'ils croient au pouvoir de l'image. Il était primordial de les encourager, de leur expliquer à quel point il était important qu'ils disent eux-mêmes leurs histoires.

Depuis la France, Masharawi et la société de production Coorigines leur apportent soutien moral, financier et artistique, afin de leur permettre de tourner malgré des conditions de vie délétères. Durant toute la période de création, donc, mais aussi après. « J'ai eu une relation privilégiée avec les réalisateurs et leurs films », raconte le metteur en scène palestinien.

Quand on travaille avec des gens dans cette situation, on devient une famille. Certains ont travaillé sans quasiment aucun équipement, et ont dû faire preuve d'une créativité qu'on n'a jamais vue jusque-là dans l'histoire du cinéma. Ils m'ont presque rendu jaloux en tant que réalisateur ! J'aurais aimé avoir eu certaines idées ! (Sourire) Ils sont allés jusqu'à charger leur matériel électronique avec des batteries de voiture !

Laura Nikolov, présidente de Coorigines et superviseuse du projet, s'émerveille elle aussi de ce sens de la débrouille né de la détresse : « Certains se sont carrément enfermés dans des armoires avec des couvertures pour obtenir un son sans bruits parasites ! » La réussite du projet tient du tour de force.

Fixer la mémoire

Si les images en provenance de Gaza trouvent leur chemin sur les réseaux sociaux et à la télévision malgré le shadow banning (1) et la censure, elles sont vite supplantées par d'autres actualités. Le cinéma de Rashid Masharawi et le projet From Ground Zero prennent alors tout leur sens. Comme une manière plus pérenne de figer le présent, une photographie qui prendrait en compte à la fois l'apparence de la réalité et ce qui se cache sous sa surface. « Le cinéma a beaucoup plus de pouvoir que les médias d'information continue », assure le metteur en scène.

Ils tuent la mémoire en remplaçant les sujets chaque jour les uns après les autres, et vous font oublier ce que vous avez vu la veille. Le cinéma fixe, protège la mémoire, c'est une forme de documentation du présent, qui prend en compte les personnalités, les rêves, les espoirs…

En a-t-il encore, lui, l'enfant de Gaza, qui a vu s'enchaîner les guerres et les massacres ?

J'ai perdu plus de 30 membres de ma famille lors de cette dernière guerre. Toutes nos maisons ont été détruites, et à travers elles tous mes souvenirs d'enfance. Mais j'aurais toujours de l'espoir. Je n'ai jamais eu peur de notre disparition, aucune occupation ne dure éternellement. Je suis dévasté par les pertes immenses, mais nos racines sont là. Je ne ferais pas de films si je n'y croyais plus.

Rashid Masharawi annonce déjà travailler, toujours avec des réalisatrices et réalisateurs gazaoui·es, sur la suite du projet, pour le moment titrée From Ground Zero Plus. Avec le souhait, peut-être, que le bruit des drones se sera d'ici là définitivement tu.

Trancher le noeud gordien

Cette perpétuelle question continue désespérément à se poser : la paix entre Palestiniens et Israéliens est-elle possible ? Au moins, un cessez-le-feu durable s'avère-t-il (…)

Cette perpétuelle question continue désespérément à se poser : la paix entre Palestiniens et Israéliens est-elle possible ? Au moins, un cessez-le-feu durable s'avère-t-il concevable ?

photo Serge d'Ignazio

Dans le contexte actuel, la réponse ne peut être que négative. Bien au contraire, la situation est plus explosive que jamais. La présence de Donald Trump et de sa garde rapprochée à la Maison-Blanche et dans les postes clés de l'appareil politique, avec leur parti-pris fanatique bien connu en faveur de l'État hébreu aggrave les choses. Même s'ils ne se déclarent pas opposés à la solution à deux États, en pratique ils y ont renoncé, c'est presque officiel. À la place, ils essaient d'imposer aux Palestiniens un État croupion qui ne comprendrait qu'une modeste partie de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est (un petit faubourg sans doute).

Les sionistes d'extrême-droite au pouvoir à Tel Aviv veulent ressusciter "le grand Israël biblique" qui s'étendrait du rivage de la Méditerranée au Jourdain. Officiellement d'ailleurs, ils qualifient la Cisjordanie de "Judée-Samarie", ce qui équivaut à nier aux Palestiniens la légitimité de leurs revendications territoriales. Ils rêvent d'une seconde NAQBA semblable à celle ayant provoqué l'exode d'une majorité d'Arabes de leur pays pour faire place à l'État d'Israël. Ils multiplient depuis des années, en Cisjordanie conquise, le nombre de colons qui sont désormais rendus à environ 800 000 au milieu d'une population palestinienne de 3 millions de personnes, ce qui représente une grosse écharde dans la chair palestinienne.

Les milieux de droite, d'extrême-droite et toute une partie de l'opinion israélienne appuient à divers degrés cette ambition de judaïser ce qui reste de l'ancienne Palestine arabe. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou a augmenté récemment les opérations militaires en Cisjordanie afin de "préparer le terrain" pour appuyer la nouvelle poussée de colonisation, préparer le terrain pour la continuer et démoraliser les résistants palestiniens.

Cette ambition territoriale a-t-elle des chances de se réaliser ? Netanyahou et consorts y croient-ils vraiment ? Ou s'aveuglent-ils volontairement, prenant leurs rêves les plus fous pour la réalité ?

La solution du partage de la Cisjordanie entre Israéliens et Palestiniens est irréaliste. Il est probable que le gouvernement israélien, appuyé par Washington, exercerait une pression intense sur les Palestiniens (d'ordre militaire, économique et démographique) pour les faire céder, c'est-à-dire pour qu'ils abandonnent la majeure partie du territoire où ils sont majoritaires. Si les négociateurs palestiniens capitulaient, ils se retrouveraient à la tête d'un État qui ne recouvrirait qu'une petite partie de la Cisjordanie ; la majorité de leurs compatriotes demeurerait donc sous souveraineté israélienne. Quel serait leur statut ? Pas question pour les responsables israéliens de leur accorder la citoyenneté israélienne et le droit de vote qui l'accompagne, car cela bouleverserait l'équilibre des forces partisanes à la Knesset.

En Cisjordanie, le conflit entre une majorité de Palestiniens et de Palestiniennes, sans statut politique et légal bien défini, et Israël ne pourrait alors que rebondir. La population occupée subirait encore l'arbitraire de l'occupant. Seuls les colons israéliens bénéficieraient des droits politiques et civiques. Or, en dépit des efforts forcenés du gouvernement Netanyahou pour faire grandir rapidement le nombre de colons juifs en Cisjordanie, les Palestiniens y sont et seront toujours majoritaires. Il n'y aura pas de nouvelles NAQBA. Les Palestiniens ne manifestent aucune intention de fuir en masse leur terre natale ; d'ailleurs, les pays arabes voisins refuseraient sûrement d'accueillir cette foule de réfugiés. Il suffit de penser aux 2,2 millions de Gazaouis qui tiennent à demeurer sur leurs terres dévastées par la récente guerre, même au milieu des ruines. L'Égypte et la Jordanie refusent d'en accepter chez eux. Donald Trump peut aller se rhabiller (c'est le cas de le dire) avec sa tentation d'en faire une "riviera" méditerranéenne.

Par ailleurs, si un gouvernement moins "colonisateur" s'installait au pouvoir à Tel Aviv et décidait dans un élan de justice marqué par l'idéalisme de rendre aux Palestiniens une partie considérable de la Cisjordanie, il se heurterait alors à la résistance féroce des colons juifs dont certains sont établis en Cisjordanie depuis déjà des décennies. Ils feraient valoir leurs "droits acquis" et refuseraient certainement d'obtempérer à l'ordre de cet hypothétique gouvernement de revenir en Israël. Si le gouvernement persistait dans sa décision de les rapatrier, une guerre civile risquerait d'éclater. De quel côté pencherait l'armée ? La question se poserait avec acuité. Elle serait aussi divisée que le gouvernement auquel elle est censée obéir et que l'opinion publique israélienne elle-même. C'est une situation classique à laquelle est confrontée toute puissance colonisatrice, comme la France en Algérie à la fin des années 1950 et la Grande-Bretagne en Irlande à la fin de la décennie 1910. Plus le temps passe, plus le nombre de colons juifs se multiplie en Cisjordanie et plus le problème devient épineux. Dans un avenir prévisible, il semble impensable qu'un cabinet israélien adopte ce genre d'initiative qui entraînerait des déchirements à l'intérieur même d'Israël. La situation présente est grosse de conflits non seulement entre Israéliens et Palestiniens, mais potentiellement entre Israéliens eux-mêmes, sans oublier les divisions classiques à l'intérieur même de la société palestinienne entre "jusqu'au boutistes" d'une part et "pragmatiques" d'autre part, ces derniers prêts à davantage de compromis au nom du réalisme.

Les gouvernements occidentaux dans leur ensemble (y compris Ottawa) s'opposent au projet de déporter les Gazaouis, proposition qui provoque leur sincère indignation. Mais ils ont longtemps soutenu Israël et son "droit à l'autodéfense", ils continuent malgré tout à commercer avec l'État hébreu. Ils n'envisagent aucune mesure de rétorsion envers cet État qui demeure, malgré tout, leur protégé. On est donc loin d'assister de leur part à un retournement concret en faveur des Palestiniens.

La "solution" de l'annexion par Israël de la majeure partie de la Cisjordanie et même de Jérusalem-Est est donc impossible. Elle forme la "recette" parfaite pour l'éternisation du conflit, car elle mène à l'impasse. Le rapatriement de tous les colons juifs en Israël n'est guère plus envisageable. On se trouve donc devant un entrelacement épineux, quasi inextricable. Seules de fortes pressions de la part des alliés d'Israël permettraient de trancher le noeud gordien..

On reste perplexe devant le soutien aveugle de Trump à Netanyahou, et par conséquent à ses projets d'annexion territoriale. Au moins, Biden y apportait certaines nuances et réserves. En pratique, il laissait assez largement le champ libre à Netanyahou, mais ne l'encourageait pas dans ses lubies d'expansion territoriale débridées. Il est vrai que la logique détachée des réalités les plus élémentaires de Trump est cohérente avec ses déclarations de transformer le Canada en 51ème État américain...

Jean-François Delisle

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Immigration (France) : la machine infernale du référendum

18 février, par Edwy Plenel — , ,
Portés par les ministres de l'intérieur et de la justice, les appels à un référendum sur l'immigration légitiment le projet de « révolution nationale » de l'extrême droite qui (…)

Portés par les ministres de l'intérieur et de la justice, les appels à un référendum sur l'immigration légitiment le projet de « révolution nationale » de l'extrême droite qui entend instaurer une xénophobie d'État, par cette même voie.

10 février 2025 | tiré d'Europe solidaire sans frontières | Photo montage : Pierre-Yves Bocquet. Mediapart
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article73587

C'est un texte trop peu remarqué et commenté. Il a été déposé à la présidence de l'Assemblée nationale par Marine Le Pen et les député·es du Rassemblement national (RN) le 25 janvier 2024, soit le jour même de la censure par le Conseil constitutionnel de 35 des 86 articles de la dernière loi sur l'immigration. Intitulée « Citoyenneté-Identité-Immigration », cette proposition de loi constitutionnelle est la formulation la plus complète et la plus explicite du projet politique de l'extrême droite en cas de victoire à une future élection présidentielle.

On doit à un haut fonctionnaire, Pierre-Yves Bocquet, actuellement directeur adjoint de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage, une alerte aussi pertinente qu'inquiétante sur sa portée et sa dangerosité. En cas d'adoption par référendum de ces dispositions, explique-t-il, ce ne serait pas un changement de politique, mais un changement de régime, « une nouvelle Révolution nationale, autoritaire, plébiscitaire et xénophobe. La VIe République du RN ».

Développée de façon fort pédagogique dans une récente livraison de la collection « Tracts / Gallimard », cette démonstration surgit au moment même où deux figures éminentes du gouvernement de François Bayrou, le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau et le ministre de la justice Gérald Darmanin, plaident pour un référendum sur l'immigration. Au-delà de l'enjeu invoqué, dans la foulée de sa remise en cause à Mayotte, qui est la fin du droit du sol, leurs plaidoyers légitiment par avance la voie choisie par le RN pour son coup de force institutionnel.

Reprenant et développant un projet de loi référendaire présenté lors de la campagne présidentielle de 2022, le texte déposé en 2024 par le RN montre combien la question obsessionnelle de l'immigration, et donc des droits des étrangers et des étrangères, est le cheval de Troie d'une remise en cause de l'État de droit, et donc des droits des citoyen·nes

Son premier objectif est l'affirmation de « la primauté du droit national », c'est-à-dire le rejet radical de tout droit supranational veillant au respect par un État des droits humains fondamentaux. Exactement ce que met en œuvre Donald Trump depuis qu'il a pris ses fonctions de président des États-Unis, mais aussi ce que revendiquent la Russie de Vladimir Poutine et la Hongrie de Viktor Orbán, explicitement mentionnées par le RN dans l'exposé des motifs.

Cette inversion de la hiérarchie des normes entre le droit interne et le droit international, que partagent tous les régimes autoritaires et identitaires, se traduit dans le texte du RN par une modification radicale de l'article 1er de la Constitution : « La Constitution est la norme suprême de l'ordre juridique français. Elle s'impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles. Aucun engagement international de la France, aucune règle du droit international public ou de la coutume internationale ni aucune décision d'une juridiction internationale ne peut avoir pour effet de remettre en cause la Constitution. Toute juridiction doit, le cas échéant, laisser inappliquées de telles stipulations, règles ou décisions. »

L'instauration de ce « bouclier constitutionnel », selon la formulation du RN, signifierait que la France ne serait plus tenue de se conformer au droit international et européen qui protège les libertés fondamentales. Le droit des étrangers sert ici de levier pour un coup de force antidémocratique, instaurant, écrit Pierre-Yves Bocquet, « une prison juridique à la taille de la France, qui prive tous ses habitants, français comme étrangers, de la faculté qu'ils ont aujourd'hui de saisir les juridictions internationales pour faire reconnaître leurs droits fondamentaux ».

Le deuxième bouleversement introduit par ce projet référendaire est l'instauration de la « priorité nationale », autrement dit d'une xénophobie légale. Ce nouveau principe constitutionnel est ainsi formulé : « Afin de garantir aux Français, en toutes circonstances, une priorité dans l'accès à l'emploi, à égalité de mérites, dans le secteur privé et, le cas échéant, dans le secteur public, ainsi que dans le bénéfice de l'action des services publics et des politiques publiques, y compris le logement, la loi y limite l'accès des étrangers. »

Cette xénophobie d'État accompagne toute une série de dispositions qui constitutionnalisent le rejet des étrangers et des étrangères – suppression du droit du sol, discrimination des binationaux et des binationales, limitation des politiques de lutte contre les discriminations.

Enfin, le projet du RN instaure explicitement une République identitaire en faisant entrer dans la Constitution plusieurs références à « l'identité de la France » sans prendre la peine de la définir, sinon par le refrain sous-jacent qu'elle est menacée par les migrant·es et les étrangers et étrangères.

« La République assure la sauvegarde de l'identité de la France et la protection de son patrimoine historique, culturel et linguistique et de ses paysages, en métropole et en outre-mer », énonce l'article 2 révisé, tandis qu'un amendement à l'article 5 de la Constitution confie au président la République la responsabilité de veiller « à la sauvegarde de l'identité et du patrimoine matériel et immatériel, historique et culturel de la France ».

« Pistolet braqué sur la Constitution »

Continuant de faire la courte échelle à l'extrême droite, les apprentis sorciers du gouvernement Bayrou légitiment donc, en revendiquant eux aussi un référendum sur les questions migratoires, la voie institutionnelle choisie par le RN pour son coup de force contre une République garante des droits fondamentaux.

L'esprit bonapartiste de la Constitution de la Ve République, qui permet la confiscation de la volonté de toutes et tous par le pouvoir d'un·e seul·e, offre au présidentialisme cette arme redoutable : le référendum. « En proposant aux électeurs de trancher des problèmes compliqués avec une réponse simple (oui ou non),écrit Pierre-Yves Bocquet, le référendum ne leur donne la parole que pour les empêcher de délibérer. »

C'est en fait la perpétuation du plébiscite dont Napoléon Bonaparte fut l'inventeur – de l'instauration du Consulat à celle de l'Empire héréditaire – et son neveu Napoléon III le perpétuateur – pas moins de cinq durant son long règne, dont celui qui a rétabli l'Empire sur les décombres de la Deuxième République.

Avec une grande cohérence, le projet référendaire du RN s'empare de cette arme redoutable en revendiquant l'usage discrétionnaire qu'en fit, à deux reprises, le fondateur de la Ve République. « La voie la plus démocratique qui soit » : ces mots de Charles de Gaulle sont cités dès les premières lignes de son exposé des motifs par le RN.

Par deux fois – en 1962 avec succès pour imposer l'élection du président au suffrage universel et en 1969 en vain pour réduire les pouvoirs du Sénat –, le général de Gaulle s'est appuyé sur l'article 11 de la Constitution pour contourner les assemblées, opposées à des réformes qui affaiblissaient le pouvoir législatif au bénéfice du pouvoir présidentiel.

« Pistolet braqué sur la Constitution », cet article 11, qui donne au président de la République le pouvoir de soumettre un référendum, est au cœur d'un débat entre constitutionnalistes. À l'instar de Laurent Fabius en 2022, alors président du Conseil constitutionnel, ils lui opposent l'article 89 qui à la fois contraint tout référendum au préalable d'un vote identique des deux assemblées et en limite le champ, précisant notamment que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ».

Un scénario à la Donald Trump

Au-delà de l'alarme sur le projet politique de l'extrême droite, l'intérêt du « tract » de Pierre-Yves Bocquet est de démontrer que cette parade est bien fragile face à l'absolutisme présidentiel dont on ne cesse de constater combien il peut allègrement malmener les principes démocratiques les plus élémentaires.

Outre le général de Gaulle, qui en 1962 fut accusé par ses opposants de violer la Constitution, le RN peut même convoquer l'un d'entre eux, et non des moindres, qui se convertit avec zèle au présidentialisme alors même qu'il était supposé le défaire. En 1988, François Mitterrand, président de la République depuis 1981, n'hésita pas à déclarer que « l'usage de l'article 11 établi et approuvé par le peuple peut désormais être considéré comme l'une des voies de la révision concurremment à l'article 89 ».

En cas de victoire de l'extrême droite à la prochaine élection présidentielle, le scénario d'un coup de force institutionnel est donc écrit, à l'image de celui que met en pratique Donald Trump depuis qu'il est à la Maison-Blanche, ne se privant d'aucun des leviers de l'abus de pouvoir présidentiel. Forte de l'effet de souffle qui lui conférerait sa légitimité électorale, Marine Le Pen, s'il s'agit d'elle, invoquera l'article 11 pour imposer ce référendum dans un délai que Pierre-Yves Bocquet estime à 70 jours après le deuxième tour de l'élection présidentielle.

Et si le « oui » l'emporte, la xénophobie d'État aura valeur constitutionnelle, « ointe de la légitimité que donne l'expression directe de la volonté populaire ». Dès lors, poursuit Pierre-Yves Bocquet, la devise de la France sera transformée en : « Liberté – seulement pour les Français –, Égalité – seulement entre les Français – et Fraternité – seulement des Français entre eux ».

Il n'y a d'autre parade que de tenir bon, politiquement, sur le refus de cette perdition politique. Elle n'a d'autre but que de détourner notre pays des urgences démocratiques, sociales, écologiques…

Pour éviter cette catastrophe, le haut fonctionnaire suggère aux responsables politiques de ne pas trop tarder à la rendre impossible par l'instauration d'un simple alinéa à l'article 89 de la Constitution, énonçant que celle-ci « ne peut être révisée que selon les procédures prévues par le présent article ».

Mais cette parade constitutionnelle, qui entend désamorcer la machine infernale de l'article 11, semble bien fragile quand les digues politiques ne cessent de céder. C'est ainsi que François Bayrou, devenu premier ministre, propose de relancer un débat sur l'identité française alors même qu'en 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il fit partie des opposants à cette diversion xénophobe autour de « l'identité nationale ». Aujourd'hui, il n'hésite pas à convoquer un imaginaire que ne renierait pas l'extrême droite, après avoir utilisé ses mots de « submersion migratoire » : « C'est une remise en cause de ce que nous sommes, nous, Occidentaux », a-t-il déclaré le 8 février au Parisien.

Comme Mediapart l'avait défendu en 2009, dans un appel intitulé « Nous ne débattrons pas » dont les signataires allaient de Dominique de Villepin à Olivier Besancenot, en passant par François Hollande, il n'y a d'autre parade que de tenir bon, politiquement, sur le refus de cette perdition politique. Elle n'a d'autre but que de détourner notre pays des urgences démocratiques, sociales, écologiques, etc., qui permettent de construire du commun, dans la diversité de notre peuple.

Depuis 1945, la France a connu 118 textes majeurs sur l'immigration (lireiciet là leur inventaire), à un rythme qui s'est accéléré depuis 1980, avec 49 lois et ordonnances en quatre décennies, soit plus d'une par an. Cette frénésie n'a rien réglé des problèmes vécus au quotidien par toutes celles et tous ceux qui vivent dans ce pays. Bien au contraire, elle n'a fait que donner crédit aux adversaires historiques de la promesse démocratique d'une égalité des droits, sans distinction d'origine, de condition, d'apparence, de croyance, de sexe ou de genre.

Renvoyée aux marges politiques par la défaite du nazisme, puis par la décolonisation, l'extrême droite, dont la haine de l'égalité est le socle idéologique, n'est revenue en force dans le débat public qu'avec ce refrain du bouc émissaire, l'immigration. Tous les élus et gouvernants, de quelque bord qu'ils soient, qui acceptent de l'entonner à leur tour lui ouvrent grand la route du pouvoir.

Edwy Plenel
P.-S.

• MEDIAPART. 10 février 2025 à 17h35 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/100225/immigration-la-machine-infernale-du-referendum

Les articles d'Edwy Plenel sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/edwy-plenel

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Migration et démocratie, Allemagne 2025

18 février, par Bernd Kasparek, Ivo Eichhorn, Manuela Bojadžijev, Serhat Karakayali — , ,
La montée de la droite autoritaire en Europe est étroitement liée à la « scandalisation » de la migration et de la société migratoire. Les événements de la semaine dernière en (…)

La montée de la droite autoritaire en Europe est étroitement liée à la « scandalisation » de la migration et de la société migratoire. Les événements de la semaine dernière en Allemagne illustrent de manière paradigmatique cette dynamique. Par Manuela Bojadžijev, Ivo Eichhorn, Serhat Karakayali, Bernd Kasparek.

12 février 2025 | tiré du site Entre les lignes entre les mots | Photo : mobilisation massive contre l'AfD
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/02/12/migration-et-democratie-allemagne-2025/#more-90640

La montée de la droite autoritaire en Europe est étroitement liée à la « scandalisation de la migration et de la société migratoire. Les événements de la semaine dernière en Allemagne illustrent de manière paradigmatique cette dynamique.

Friedrich Merz, le candidat des partis conservateurs à la chancellerie, a décidé de jouer le tout pour le tout après une attaque au couteau mortelle perpétrée à Aschaffenburg. À la manière de Trump, il a annoncé que dès le premier jour de son mandat de chancelier il fermerait les frontières de l'Allemagne à tous ceux qui cherchent protection.

Ce faisant, il a imité un peu trop ostensiblement les décrets du président américain. Et il est allé encore plus loin que cette annonce. La semaine dernière, il a soumis à la fois une résolution et un projet de loi au vote du Parlement allemand, et ce malgré le fait que ces initiatives ne pourraient obtenir la majorité qu'avec l'approbation de l'AfD, parti d'extrême droite.

Mercredi dernier dans la matinée, le Parlement a commémoré les victimes de la Shoah. C'était le 80e anniversaire de la libération du camp de concentration d'Auschwitz. Dans l'après-midi, les conservateurs (CDU/CSU), les libéraux (FDP) et l'extrême droite (AfD) ont voté ensemble un plan en cinq points qui proclamait comme objectif la « fin de l'immigration illégale », qu'il chercherait à l'atteindre par des mesures drastiques : fermeture des frontières, détention illimitée, « centres fédéraux de retour ». Le vendredi suivant, le projet de « loi sur la limitation des flux migratoires » n'a échoué que de justesse : en ce jour anniversaire, la normalisation d'un parti d'extrême droite n'était plus acceptable pour certains conservateurs et libéraux.

Depuis des jours, presque tous les jours, des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour protester contre le rapprochement de la CDU/CSU, du FDP et de l'AfD. Depuis la semaine dernière, une alliance conservateurs-fascistes est envisageable. Friedrich Merz a démontré que, bien qu'il assure le contraire, il est prêt à travailler avec l'AfD. Pourtant, un coup d'œil au contenu des motions déposées révèle que ce rapprochement a depuis longtemps eu lieu au niveau des mesures et de la rhétorique.

Pour les conservateurs, la source de l'insécurité sociale est la migration elle-même. Il ne s'agit pas des seuls demandeurs d'asile célibataires mâles, contre lesquels Friedrich Merz aime attiser la haine. Lors du débat au Bundestag, par exemple, il a répété la rumeur raciste selon laquelle « des viols collectifs sont commis quotidiennement par la classe des demandeurs d'asile ». Les conservateurs veulent en fait mettre fin à toute migration liée à l'asile. Ils exigent la fermeture des frontières et la fin du regroupement familial pour les bénéficiaires d'une protection subsidiaire.

Mais cela ne s'arrête pas à l'asile. Friedrich Merz s'est également insurgé contre ceux qui ont fui la guerre en Ukraine. Avec ses remarques désobligeantes sur les « petits princes », il a clairement indiqué que tous les migrants peuvent être visés à tout moment.

Le projet des conservateurs de punir les crimes graves en ajoutant la perte de la citoyenneté souligne que leur politique migratoire vise à diviser la société migratoire, c'est-à-dire la société dans laquelle nous vivons tous ensemble.

La possession d'un deuxième passeport devient la preuve que le détenteur ne peut pas être un « vrai Allemand ». La citoyenneté devient révocable pour ceux dont les familles ont émigré en Allemagne. Les conservateurs visent tout ce qui a été obtenu par les luttes antiracistes menées en faveur de l' inclusion, de l'égalité et de la démocratisation de la société de migration.

Les implications fondamentales de cette perspective politique ne semblent pas être pleinement comprises par les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts non plus. Fondamentalement – il faut le dire sans détour – ils sont d'accord avec l'AfD et la CDU qui prétendent que la migration est un problème et une source d'insécurité sociale.

Ils soulignent que les projets de la CDU/CSU et de l'AfD ne sont pas efficaces, qu'ils attaquent les fondements démocratiques et constitutionnels de l'Allemagne et de l'Europe, et qu'ils ne tiennent pas compte des besoins de l'économie et de la démographie.

Jusqu'à ce point, c'est correct. Mais les conclusions qu'ils en tirent sont erronées. Le SPD et les Verts font le vieux rêve de la gestion des migrations, à savoir que l'État peut gérer arbitrairement la politique migratoire pour promouvoir la « bonne migration » et réduire la « mauvaise migration ».

Leur défense des mesures drastiques de la réforme du régime d'asile européen commun (RAEC) vise à déplacer la régulation de la migration vers les frontières extérieures. C'est exactement la politique qui a déjà été tentée dans l'UE depuis les années 2000 et qui a provoqué la longue crise des politiques migratoires européennes.

Tout le monde semble d'accord. La migration est un problème qui doit être résolu. Certains la détestent de tout leur cœur et veulent simplement s'en débarrasser. D'autres disent que la migration est un problème complexe.

Par conséquent, de meilleurs instruments sont nécessaires pour gérer la migration. Des distinctions plus subtiles sont nécessaires pour pouvoir agir de manière plus ciblée. Il existe déjà de nombreuses distinctions juridiques et de nombreux statuts.

La population vivant en Allemagne est divisée en plus de 50 statuts juridiques différents, allant de la suspension temporaire de l'expulsion à la citoyenneté à part entière. Bien sûr, la migration pourrait être subdivisée en bons et mauvais étrangers, en réfugiés et travailleurs migrants, en migrants bénéficiant d'une protection subsidiaire et en migrants hautement qualifiés, en migration de main-d'œuvre féminine et homosexuels en fuite, entre celles et ceux qui fuient le Sud global et celles et ceux qui fuient depuis l'Asie, en migrants de première, deuxième, troisième et quatrième génération.

Mais qu'est-ce que cela apporterait ? Chacune de ces divisions doit avoir des critères et justifier pourquoi un critère peut être utilisé pour attribuer ou refuser certains droits au groupe concerné. L'origine, l'éducation, les parcours migratoires, etc. servent déjà de tels critères.

Pourtant, ce regroupement délibéré des formes de migration constitue la base sur laquelle les forces de droite s'appuient constamment, pour diviser la société en transformant en ressentiments, depuis le début des luttes pour la démocratie, les inégalités et les différences. De l'introduction du suffrage universel à l'émancipation des Juifs, en passant par l'application des lois du travail et l'égalité des sexes, les forces de droite ont toujours réagi au développement de la participation démocratique en mobilisant ces ressentiments. Elles ont toujours échoué lorsque les mouvements démocratiques ont insisté sur l'égalité pour tous comme principe fondamental et refusaient la division.

Cela montre pourquoi la réponse de la SPD et des Verts à la coopération conservatrice-fasciste en matière de politique migratoire ne semble pas convaincante : ils proposent de continuer à optimiser la gestion des migrations, même si cela n'a pas fonctionné jusqu'à présent. Ce faisant, ils partagent le même postulat que les forces nationalistes : que la démocratie et la migration s'opposent ou, du moins, sont complètement extérieures l'une à l'autre.

La migration est complexe, tout comme la société. La grande réussite démocratique a été de simplifier radicalement cette complexité en termes de droits : des droits égaux indépendamment de l'origine, du sexe, de l'orientation sexuelle, des croyances religieuses, etc.

Cette revendication universelle a dû être affirmée encore et encore. Aujourd'hui, il est important de prendre cette revendication à nouveau au sérieux et de lutter pour la démocratisation de la société de la migration – en tant que société de tous, indépendamment de leur origine.

Il est possible de ne pas fantasmer sur la migration comme un ennemi à vaincre, comme le fait la droite, ou de ne pas la considérer simplement comme un objet à gérer, comme le fait le « centre démocratique ».

Une politique migratoire démocratique suppose que les mouvements migratoires d'aujourd'hui sont les citoyens (en devenir) de demain. Elle cherche les institutions de négociation et de prise de décision collectives au-delà des frontières et des inégalités. Elle commence là où les droits de l'homme et les droits civils ne sont pas simplement compris comme des concessions souveraines.

Son objectif, cependant, est de faire participer toutes les personnes concernées aux décisions sur la façon dont nous vivons ensemble, et de dire qui vit ensemble, où et comment. Pour l'Allemagne, cela doit signifier de ne plus nier et combattre la réalité de longue date de la société migratoire. Cela signifie de plaider pour une nouvelle forme de citoyenneté en Europe.

L'alternative, telle qu'elle se dessine dans une conjoncture mondiale, en serait la répétition de l'horreur qui a déjà englouti l'Europe et le monde, une fois auparavant.

Manuela Bojadžijev, professeure en anthropologie culturelle, Humboldt-University, Berlin, Allemagne
Ivo Eichhorn, philosophe, Goethe-University, Francfort, Allemagne
Serhat Karakayali, professeur, études sur les migrations et la mobilité, Leuphana-University, Lüneburg, Allemagne
Bernd Kasparek, professeur associé en Infrastructures programmables, Delft University of Technology, Pays-Bas

Traduit de l'anglais par Isabelle Saint-Saëns
https://blogs.mediapart.fr/un-collectif-dintellectuels-allemand-es/blog/070225/migration-et-democratie-allemagne-2025

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Serbie : manifestations de masse contre un capitalisme de connivence

18 février, par Tamara Kamatović — , ,
Les manifestations qui ont éclaté en Serbie suite à l'effondrement de la canopée de la gare de Novi Sad, le 1er novembre dernier, ne cessent de prendre de l'ampleur. Elles ont (…)

Les manifestations qui ont éclaté en Serbie suite à l'effondrement de la canopée de la gare de Novi Sad, le 1er novembre dernier, ne cessent de prendre de l'ampleur. Elles ont déjà contraint à la démission le premier ministre, le maire de la Novi Sad, et ébranlent profondément le pouvoir du président Aleksandar Vučić. Cet accident a mis en lumière les défaillances systémiques d'un capitalisme de connivence, basé sur les relations incestueuses entre intérêts privés et pouvoir politique.

Dans cet article, Tamara Kamatović, enseignante-chercheuse à l'université d'Europe centrale de Vienne, elle-même originaire de Novi Sad, analyse la dynamique de ces manifestations de masse et les perspectives qu'elles ouvrent pour le changement social et politique dont la Serbie a besoin.

7 février 2025 | tiré du site alencontre.org
https://www.contretemps.eu/manifestations-serbie-capitalisme-connivence/

Peu après l'effondrement du toit de la gare centrale de Novi Sad, qui a fait quinze morts, un journaliste de la télévision a demandé au journaliste local Igor Mihaljević de réagir à l'événement. Son jugement, dévastateur et incisif, a fourni le contexte qui manquait à la couverture médiatique occidentale de l'accident et des manifestations de ces derniers mois.

Selon Mihaljević, il s'agit du dernier drame en date dans l'histoire souvent tragique de la deuxième ville de Serbie. Dans le passé, Novi Sad a subi la campagne génocidaire de l'armée hongroise qui a massacré des Juifs, des Serbes et des Roms dans toute la région. C'était à l'époque de l'occupation militaire dévastatrice de la Yougoslavie par l'Allemagne nazie et ses États satellites. Plus récemment, en 1999, il y a eu la campagne de bombardement de l'OTAN, qui a duré de soixante-dix-huit jours a causé la mort de 527 Yougoslaves et paralysé de grandes villes comme Novi Sad en détruisant des infrastructures essentielles. Mais cette fois-ci, selon Mihaljević, c'est différent : c'est désormais l'État serbe lui-même qui tue son peuple.

L'effondrement de la gare a laissé la ville et le pays en état de choc, déclenchant des peurs archaïques de voir le ciel s'effondrer. De nombreux Serbes, en particulier à Novi Sad, se méfient désormais des structures aériennes, certains évitant même la nouvelle ligne de chemin de fer à grande vitesse financée par la Chine. Toutefois, les conséquences ont également déclenché une puissante vague de mobilisations, si intenses qu'elles menacent de renverser le président Aleksandar Vučić et ébranlent son Parti progressiste serbe (SNS), notoirement corrompu.

Manifestations étudiantes

Emmené par des étudiant.e.s de plus de trente universités et facultés – notamment de la faculté d'art dramatique de Belgrade, qui a lancé l'appel à l'action à la fin du mois de novembre – le mouvement s'est constitué autour de quatre revendications clés.

La première est la publication de tous les documents internes relatifs aux travaux de rénovation de gare de Novi Sad, réalisés par Serbian Railway Infrastructure, l'État serbe, China Railway International et China Communications Construction Company, qui ont commencé la construction de la gare en 2021. Les autres revendications concernent l'abandon toutes les charges retenues contre les étudiant.e.s et les jeunes manifestant.e.s arrêtés et détenus qui manifestent depuis l'effondrement de la canopée, l'engagement de poursuites pénales et l'inculpation des responsables de la répression à l'encontre des étudiant.e.s et des enseignant.e.s, ainsi qu'une augmentation de 20 % des crédits budgétaires alloués aux établissements publics d'enseignement supérieur en Serbie.

Depuis novembre, les étudiant.e.s ont organisé des grèves massives, avec notamment un rassemblement de plus de 100 000 personnes sur la place Slavija de Belgrade le 22 décembre. Les manifestations se sont poursuivies jusqu'au Nouvel An, les manifestant.e.s déclarant qu'il n'y avait rien à « fêter » tant que justice n'était pas rendue. Ces manifestations se poursuivent et ont contraint, le 28 janvier, le premier ministre Milos Vučević et le maire de Novi Sad, Milan Đurić, à démissionner.

Les étudiant.e.s ont organisé des assemblées et transmis efficacement leur message aux médias. Avec un sens aigu des moments Instagramables, ils ont gracieusement dirigé des campagnes sur les médias sociaux, souvent avec des images de drones des manifestations et des visuels accrocheurs. Leurs actions et revendications n'ont pas seulement remis en question le pouvoir de l'État, elles constituent critique sévère d'une corruption systémique plus profonde : un système judiciaire corrompu qui soutient un État mafieux et un gouvernement qui non seulement manque à ses devoirs envers ses citoyen.ne.s, mais se fait complice de leur mort.

Ce qui a commencé comme une réaction dans les grandes villes de Serbie s'est transformé en un mouvement national, s'étendant également à des villes plus petites. Comme l'a fait remarquer sur X/Twitter Aleksandar Matković, militant et universitaire de Novi Sad, la carte des manifestations, qui couvre presque toutes les municipalités du pays, montre que la situation risque de dégénérer en une crise gouvernementale ou en un conflit plus important.

Les événements ont également suscité de profondes inquiétudes culturelles liées à l'identité nationale. Lundi, l'Église orthodoxe serbe a publié un article dénonçant les manifestations étudiantes, affirmant qu'elles véhiculaient un « récit et un mode de vie anti-saint Sava, anti-chrétien et anti-serbe ». L'affirmation selon laquelle les étudiant.e.s vivent dans un « univers parallèle » a été démentie dans un communiqué publié mardi, qui précise que le texte ne reflète pas la position du plus haut dignitaire religieux de l'Église, le patriarche Porfirije.

Récemment, les manifestations ont pris une tournure violente, les manifestant.e.s s'engageant dans des affrontements de rue avec les partisans du parti au pouvoir, le SNS. Dans la nuit de mardi à mercredi, vers 3 heures du matin, un groupe de partisans du SNS a attaqué des étudiants à Novi Sad. De nombreux Serbes ont été particulièrement choqués par une série d'attentats à la bombe. Les médias ont largement donné la parole à des partisans du SNS de la ville de Jagodina qui ont dénoncé avec virulence les étudiant.e.s. Un homme d'un certain âge a même déclaré qu'il serait heureux que sa fille soit battue s'il s'avérait qu'elle participait aux manifestations.

Des nationalistes au service des multinationales

Nous vivons un moment où l'on s'intéresse de façon croissante à la capacité des mouvements de masse à susciter des changements politiques. À la suite du retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, la couverture médiatique obsessionnelle présente souvent la corruption et la vénalité de cet homme comme ayant été rachetées par son investiture en tant que chef d'État. Les parallèles avec Vučić [le président serbe] sont frappants, d'autant plus que Trump et son gendre Jared Kushner ont récemment finalisé un accord commercial visant à construire un hôtel de luxe de la franchise Trump sur le site de l'ancien ministère yougoslave de la Défense à Belgrade. Ce site, bombardé par l'OTAN en 1999, est longtemps resté un symbole des bombardements et des menaces représentées par l'Alliance atlantique.

Aujourd'hui, le deal signé avec Kushner, négocié avec des agents immobiliers à Abou Dhabi, reflète une réalité plus large dans les Balkans : la multiplication de projets immobiliers conçus comme un échange de méga-cadeaux entre des chefs d'État et des chefs d'entreprise des États-Unis, de l'Union européenne, de la Chine et d'ailleurs. Ces arrangements ne profitent en fin de compte qu'à un très petit nombre de personnes, mais ils bénéficient d'une protection judiciaire. En revanche, les revendications des étudiant.e.s – axées sur le renforcement de l'éducation et la création d'institutions véritablement au service de la population, ainsi que sur la restauration de la légitimité du procureur de la République – remettent directement en cause les intérêts des autocrates et des promoteurs capitalistes que ceux-ci protègent.

Une grande partie de la couverture médiatique occidentale de l'accident de Novi Sad et des manifestations qui en ont résulté est inexacte, dans la mesure où elle souligne les liens étroits de la Serbie avec la Russie et laisse entendre que les manifestations étudiantes s'inscrivent dans une tradition antirusse semblable à celle de Maidan [en Ukraine, en 2014]. Si ce cadrage vise à attirer l'attention sur les manifestations, il est trompeur quant à l'enjeu réel. La préoccupation ici n'est pas l'ingérence étrangère d'un autre pays, elle touche à la corruption intérieure, à la criminalité et à la question fondamentale de savoir à quoi l'État sert vraiment et au service de qui il agit.

Des analystes comme le politologue Florian Bieber, qui insistent sur la nécessité pour le mouvement de s'aligner sur les partis d'opposition serbes, oublient que ces défis ne sont pas propres à la Serbie, mais qu'ils s'inscrivent dans une crise mondiale de la gouvernance. De ce fait, la victoire électorale ne peut être le seul objectif de la politique. Comme l'a relevé le [théoricien marxiste] regretté Fredric Jameson, nous assistons à une érosion globale du pouvoir de l'État. Jameson a évoqué à un « double pouvoir » dans lequel des structures alternatives émergent pour remplir les fonctions essentielles que l'État n'a pas réussi à assurer. Les manifestations étudiantes traduisent cette idée dans la pratique, par le biais de soupes populaires, de réseaux d'autodéfense et d'autres formes de solidarité collective. Les étudiant.e.s ne se contentent pas d'exiger un changement, mais démontrent activement à quoi pourrait ressembler une alternative autonome et gérée par la communauté.

Une alternative face à l'effondrement

De nombreuses suites étaient envisageables après le désastre de Novi Sad. Les relations commerciales entre l'État serbe et la Chine risquaient d'alimenter la xénophobie à l'encontre de l'importante communauté chinoise de Serbie. L'effondrement de la canopée de la gare aurait pu être oublié, et vu comme une tragédie isolée. Au lieu de cela, les étudiant.e.s serbes ont démontré qu'il est possible de remettre en question un systèmes corrompu. Le succès dépend maintenant de notre capacité à exploiter le potentiel des formes nouvelles et émergentes de cohésion sociale.

Les mouvements étudiants serbes ont déjà été à l'origine de changements politiques majeurs. En 1968, ils ont obtenu des concessions de la part de Josip Broz Tito, qui avait reconnu la validité de nombre de leurs revendications économiques et politiques. Le président Vučić peut parfois se présenter comme le successeur de Tito, mais il n'offre que des promesses vides, ne parvenant pas à mettre en œuvre de véritables changements. En 2000, le président Slobodan Milosević a été renversé après une lutte interne de trois ans déclenchée par le mouvement Otpor ! dirigé par des étudiant.e.s.

Plus récemment, les protestations contre le soutien du gouvernement serbe au projet d'extraction de lithium de la multinationale britannique Rio Tinto – qui ignore les risques environnementaux bien documentés – se sont multipliées. a mis en évidence la résistance croissante à l'extractivisme parrainé par l'État. Les pressions exercées ont finalement contraint, en 2022, le gouvernement à faire volte-face et à bloquer les projets de l'entreprise dans le pays. Cet épisode souligne une fois de plus que la rhétorique nationaliste masque souvent une collusion avec des intérêts capitalistes étrangers, qui donnent la priorité aux accords économiques plutôt qu'au bien- être de la population. Les manifestations étudiantes actuelles se sont appuyées sur cette dynamique, creusant davantage ces contradictions et remettant en question les réseaux bien établis entre pouvoir politique et intérêts économiques.

L'effondrement de la canopée de la gare de Novi Sad est une métaphore grotesque de l'incertitude qui règne en Serbie. en 1964, cette construction symbolisait une époque où l'État yougoslave était prospère et se modernisait – une ère de projets d'infrastructure ambitieux et de progrès social. Mais la négligence dans son entretien et son effondrement final rappellent brutalement l'incapacité de Vučić à maintenir un tel héritage en état de fonctionnement. Alors qu'il se présente comme un dirigeant fort, sa gouvernance été marquée par l'inégalité économique, la répression politique et l'incapacité à investir dans les institutions et les biens publics qui définissaient naguère la vision yougoslave du progrès collectif.

Les étudiant.e.s qui aujourd'hui descendent dans la rue ne protestent pas seulement contre un accident isolé ; ils et elles affrontent un système qui a longtemps privilégié la survie politique au détriment du bien-être de la population. Si ce mouvement réussit, il pourra enfin briser ce cycle infernal et pousser la Serbie vers un avenir où l'État sera vraiment au service pour son peuple. S'il échoue, l'effondrement de la canopée pourrait servir d'avertissement terrible d'une nouvelle décadence à venir. Il ne nous reste plus qu'à espérer une victoire.

*

Cet article a été initialement publié le 1er février dans Jacobin (États-Unis). Traduction Contretemps.

Photo : Dejan Krsmanovic, Wikimedia Commons.

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Lettre d’informations syndicales du Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine (RESU)

18 février, par Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine (RESU/ENSU) — , ,
Bienvenue dans le numéro 14 de la lettre d'information syndicale du RESU. Nous y présentons l'ensemble des luttes des travailleurs, des mouvements sociaux et des communautés en (…)

Bienvenue dans le numéro 14 de la lettre d'information syndicale du RESU. Nous y présentons l'ensemble des luttes des travailleurs, des mouvements sociaux et des communautés en Ukraine, en mettant particulièrement l'accent sur le travail effectué en 2024 par les associations féministes Bilkis et Feminist Workshop et par le syndicat des travailleurs de la santé Sois comme Nina.

Source : Aplutsoc
https://aplutsoc.org/2025/02/09/le-numero-14-de-la-lettre-dinformations-syndicales-du-reseau-europeen-de-solidarite-avec-lukraine-resu-est-disponible/

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